PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

décembre  2022

  publié le 31 décembre 2022

Juste valeur

Maud Vergnol sur www.humanite.fr

Thierry, pompier, Emma, infirmière, Mickaël, éboueur, Nadia, conductrice de bus, Christine, aide à domicile, Serge, aide-soignant en Ehpad. Autant de visages de ces travailleurs et travailleuses essentiels, qui ne connaissent ni les jours fériés, ni le télétravail, et poursuivent leurs activités « quoi qu’il en coûte », en assurant les fonctions vitales du pays. Applaudis pendant la pandémie, vite abandonnés quand il s’est agi de se mobiliser pour leurs salaires, pour qu’ils soient considérés à leur juste valeur.

Loin des grands discours du président de la République et des primes exceptionnelles saupoudrées ici et là, la réalité est toujours aussi révoltante : ces travailleurs dits « essentiels », clé de voûte invisible de notre société, sont aussi les plus maltraités. Selon la Dares, ils sont deux fois plus souvent en contrats courts que l’ensemble des salariés du privé, perçoivent des salaires inférieurs de 30 %. Ils sont également plus exposés aux risques professionnels, aux accidents du travail mais aussi au chômage. Le pouvoir macroniste les porte aux nues dans ses discours. Dans les actes, il les accule toujours plus.

Car ce sont bien les « premiers de corvée » qui seront les premières victimes tant du durcissement des règles de l’assurance-chômage que de l’imminente destruction des retraites. Les économies que compte réaliser le gouvernement se feront sur le dos de ceux qui ont commencé à travailler tôt, occupé les postes les moins bien payés et les plus pénibles. Quant aux femmes, infirmières, aides-soignantes, aides à domicile, caissières, pour elles, ce sera la triple peine : bas salaires, mauvaises conditions de travail, moindres pensions. Voilà comment le pouvoir traite les travailleurs qui sont restés fidèles au poste pendant la pandémie, exerçant leurs métiers au service du plus grand nombre. Cette absence de corrélation entre l’utilité sociale et la reconnaissance salariale n’est plus tenable.

Comment accepter que des actionnaires engrangent des millions sans bouger le petit doigt quand des salariés essentiels touchent à peine le Smic ? « Je crois à la France du travail et du mérite », a pourtant osé dernièrement Emmanuel Macron. Chiche…

publié le 31 décembre 2022

Pendant les fêtes
de fin d’année,

ils sont sur le pont

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

Témoignages À l’occasion de la Saint-Sylvestre, aides-soignants, éboueurs, pompiers… savent qu’ils ne chômeront pas. Parfois oubliés, ces secteurs d’activité sont pourtant indispensables au bon fonctionnement de la société.

Alors que les fêtes de fin d’année sont synonymes de retrouvailles familiales et de célébrations pour bon nombre de Français, tous ne participent pas entièrement à ces festivités. « Que ça soit la santé, le territorial, le social, la justice… beaucoup de services continuent à fonctionner, rappelle Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. Ces professions répondent à des besoins vitaux de la population. » Pourtant, ces différents secteurs d’activité ont souvent été les acteurs de mobilisations en France cette année, preuve qu’ils sont maltraités.

En mai dernier, les conducteurs de bus de la RATP se réunissaient devant le ministère de la Transition écologique pour manifester contre l’ouverture de leurs lignes à la concurrence. Dans l’Isère, le Vaucluse ou le Territoire de Belfort, des pompiers se sont mis en grève tout au long de l’année pour dénoncer un manque de personnel. De Paris à Marseille et de Brest à Nancy, des centaines d’éboueurs ont bataillé pour obtenir une augmentation des embauches et des salaires. Les raisons de ces mouvements de lutte sont peut-être diverses, mais elles se rejoignent toutes sur un manque de reconnaissance alors que «ce sont les mêmes agents qui ont été particulièrement sollicités pendant la crise sanitaire», affirme Céline Verzeletti.

« Emmanuel Macron avait reconnu l’importance des première et deuxième lignes et leurs bas salaires, mais la parole ne s’est jamais traduite en actes. Aujourd’hui, la plupart de ces professionnels ne sont pas mieux rémunérés et n’ont pas constaté d’améliorations dans leurs conditions de travail», souligne la syndicaliste. Pourtant, derrière ces « premiers de corvée » se cachent des hommes et des femmes exerçant simplement des métiers ô combien essentiels, jour de fête ou non. Et ils les réalisent afin de « porter secours », comme l’explique Thierry Granger, pompier dans l’Isère, et pour que « les gens passent de bonnes fêtes ». L’Humanité a décidé de donner la parole à ces travailleurs indispensables mais trop souvent oubliés.

« Personne ne peut imaginer ce qu’il se passerait sans nous »

Mickaël Pero, agent de collecte de la communauté de l’Auxerrois, rappelle que son métier est « essentiel à l’hygiène dans les rues ».

Mickaël n’a pas choisi de devenir éboueur. « Mon père est décédé lorsque j’avais 19 ans et il a fallu que je me trouve un emploi très rapidement », explique aujourd’hui cet Auxerrois de 39 ans. Il ne savait pas à quoi s’attendre avec cet emploi. S’astreindre à une routine ingrate ? Peut-être bien oui. Pendant près de sept heures par jour – de 5 h 30 à 13 heures – ce représentant syndical des salariés parcourt en camion les rues d’Auxerre afin de collecter les ordures ménagères. Pourtant il ne le vit pas comme un fardeau. Au contraire. « C’est un travail qui m’a très vite plu. Je rends service à des personnes en enlevant leurs déchets », raconte-t-il. Et le « plaisir » de discuter avec les gens qu’il rencontre n’a pas de prix. « C’est un métier très social », commente-t-il. Il faut croire que cet homme à la voix rocailleuse est un sacré boute-en-train. Par exemple, rien que pour la semaine précédant le 25 décembre, il était « le seul du service à se déguiser en père Noël ». Une façon de « s’amuser au travail ». Et les usagers lui rendent bien sa gaieté. « Certains particuliers m’offrent un café et me remercient de prendre leurs déchets. Mais c’est normal, je ne fais que mon métier », reconnaît-il.

« Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, nous collectons les ordures »

La reconnaissance que ces gens apportent aux agents de collecte d’ordures est d’autant plus forte que, même lors de ces périodes de fête, ils sont sur le pont. « Festivités ou pas. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, nous collectons les ordures. C’est notre métier. Nous l’exerçons parce qu’on l’apprécie, ce n’est pas une faveur », admet Mickaël. Après « une coupure à Noël » pour profiter de ses « cinq enfants », il revêt sa casquette de ripeur pour le jour de l’An. Le trentenaire – bientôt proche de la quarantaine – juge son métier « essentiel pour l’hygiène dans les rues ». En revanche, il regrette que cette importance ne se reflète pas de la même façon auprès de son employeur – la municipalité. Du 7 juillet au 9 septembre 2022, les agents de collecte de la communauté d’agglomération de l’Auxerrois se sont mis en grève pour dénoncer leurs conditions de travail.

« Ça faisait trois ans qu’on en pouvait plus. Il y a eu énormément d’abus pendant la période du Covid, à Auxerre notamment. On tourne à trois par camion – un chauffeur et deux ripeurs – mais, depuis le Covid, nous sommes restreints à deux personnes par camion, sans aménager les tournées. Donc on doit effectuer le travail de trois personnes à deux seulement. Je vois des collègues complètement fatigués autour de moi. C’est ce qui nous a poussés au ras-le-bol car nous voulions une reconnaissance du travail fourni », regrette-t-il.

Plus de trois mois après la fin du conflit, son constat se fait encore amer : « Nous n’avons rien obtenu, ni de revalorisation salariale ni les primes demandées… La direction nous a promis quatre embauches. C’est tout. Mais nous arrivons en fin d’année et je n’ai toujours pas vu de nouvelles titularisations », déplore l’Auxerrois, qui gagne « 1 600 euros net » après vingt ans d’ancienneté. Mais alors pourquoi continuer ? Non seulement parce que son emploi lui a « tout apporté » mais aussi car « c’est un métier essentiel, rappelle-t-il. Personne ne peut imaginer ce qu’il se passerait sans nous ».

Tel quel. « J’aide les gens à réaliser les gestes du quotidien »

Serge Cafiero, aide-soignant en Ehpad à Mornant (Rhône). En cette veille de réveillon, il explique la nécessité d’être disponible pour les personnes en difficulté.

C’est sûr que nous, aides-soignants, préférerions être avec notre entourage pendant les fêtes, mais il faut bien être présent pour les résidents. C’est notre travail, nous l’avons voulu. J’ai perdu ma mère quand j’avais 11 ans. Ça a été le déclic pour moi. C’est à partir de ce moment-là que j’ai décidé de m’occuper des autres. Dès lors, j’ai commencé à travailler à l’âge de 17 ans et demi dans l’Ehpad de Mornant (Rhône). Je fais ce métier avant tout parce que j’aime soutenir les personnes en difficulté. Parfois les gens sont dans la souffrance et pouvoir leur rendre service ou être proche d’eux est significatif.

Mon travail est essentiel. J’aide les gens à réaliser des gestes du quotidien, que ce soit pour manger ou pour aller aux toilettes par exemple. Je suis constamment avec eux, parfois plus qu’avec ma propre famille. Bien entendu, c’est un métier assez ingrat d’être aide-soignant. Nous nous occupons quand même des petits besoins de chacun des résidents. Parfois les familles s’attendent à ce que nous fassions tout, ce n’est jamais assez pour elles.

Elles mettent quelquefois la pression et nous sommes encore plus scrutés depuis la crise sanitaire. Et puis l’agence régionale de la santé (ARS) ne comprend pas qu’il nous faut du monde en plus. Il y a 90 membres du personnel avec les remplaçants mais, à mon service, le soir, nous ne sommes que 3 à veiller sur 125 personnes. Pourtant, même dans ces conditions, nous travaillons. Notre rôle est indispensable, c’est pour ça que nous faisons ce métier.

Être au « service de la population »

Nadia Belhoum, conductrice de bus RATP, sera de service ce samedi 31 décembre.

Même pour le réveillon de la Saint-Sylvestre, Nadia Belhoum enfile sa tenue de machiniste. À 48 ans, cette conductrice de bus déléguée CGT garde en tête la mission qu’elle s’est donnée en rentrant à la RATP. Celle d’assurer le « service public », inhérente à son métier. Et les fêtes n’y échappent pas. « Dans ces moments-là, on sent bien que notre poste est indispensable parce qu’en l’absence de transports les gens qui n’ont pas de véhicule seraient en difficulté », affirme-­ t-elle. Après quinze années passées à la RATP, Nadia s’est habituée à cette période. « Chanceuse », elle finit le travail à 18 h 45 ce samedi­ 31 décembre alors que « l’an passé, j’avais bossé jusqu’à 2 heures du matin », précise la quadragénaire. Conductrice sur la ligne 150, elle dessert tous les jours les arrêts situés entre porte de la Villette et la gare de Pierrefitte-Stains. Un trajet « rendu difficile à cause des toxicomanes qui fument à l’intérieur » du véhicule.

Le débit rapide, cette habitante d’Épinay-sur-Seine tire à boulets rouges sur la régie. « Alors que c’était déjà difficile de travailler pendant le confinement, on subit désormais les effets de la privatisation des lignes de bus qui se met progressivement en place : beaucoup moins de véhicules, du matériel non renouvelé, de nombreuses démissions… C’est le chaos à la RATP aujourd’hui », déplore-t-elle. Si son amertume est palpable au bout du fil, c’est parce que la période des fêtes la « stresse particulièrement cette année ». Une appréhension qui s’explique par l’absence de machinistes dans les effectifs. « À cause du manque de conducteurs, les bus ont parfois du retard. Les arrêts sont pleins dès le début de la journée », confie-t-elle. Et cela contribue à créer une escalade des tensions qu’elle regrette : « Les conducteurs deviennent les premières cibles des voyageurs en colère », témoigne-t-elle. Pourtant, elle sera au rendez-vous à l’occasion de ce 31 décembre car, malgré ces conditions de travail, Nadia entend être au « service de la population ».

Il faut être « prêt à partir » à tout moment

Thierry Granger, sapeur-pompier en Isère, regrette les « revirements » du gouvernement.

«Je fais ce métier pour porter secours aux gens », annonce Thierry Granger. Sapeur-pompier depuis 1990, il travaille chaque année pendant les périodes de fêtes de fin d’année. Pourtant, à l’écouter, ça ne l’importune pas : « C’est tellement satisfaisant de pouvoir aider, réplique-t-il. Je savais déjà à quoi m’attendre en m’orientant vers ce métier. » Et ça fait longtemps qu’il y est. Le quinquagénaire s’est entiché des soldats du feu à l’âge de 18 ans, c’est d’ailleurs à ce moment qu’il débute chez « les pompiers de Paris ».

Aujourd’hui adjudant-chef, il officie au centre de secours de l’Isère. Pour Thierry, les sapeurs-pompiers sont une « deuxième famille ». La plupart mangent et vivent ensemble à la caserne de Grenoble. Lui aussi y a été logé pendant un temps, avant de se trouver un appartement en banlieue proche. Mais son départ ne l’empêche pas d’être réactif pour autant. Pour faire son métier, il faut être « prêt à partir » à tout moment en intervention. Les pompiers sont généralement de garde de « 7 heures du matin à 19 heures », parfois durant « 24 heures » pour certains.

À la question de savoir si son métier est essentiel, il répond « oui » sans hésiter, d’une voix bien assurée. « La détresse se fait aujourd’hui ressentir de plus en plus. Il y a une paupérisation de la population. Les gens nous appellent au secours pour des choses relativement anodines et nous voient ensuite comme des sauveurs », explique-t-il.

Un métier essentiel à la sécurité de tous

Le pompier ne doute pas de la « reconnaissance de la population » envers son corps de métier, mais plutôt de celle de l’État. « Depuis la première vague de Covid, j’ai entendu beaucoup d’annonces mais je n’ai vu que peu d’actes de la part du gouvernement », peste-t-il. Ce délégué syndical des Sdis de France regrette notamment « le revirement de Mme Borne » sur le doublement de la rémunération des agents publics le 1er Mai. « Voilà la reconnaissance que l’on a du gouvernement par exemple », cingle-t-il. Alors que son métier est essentiel à la sécurité de tous, Thierry, irrité, déplore les sous-effectifs. Le 12 octobre dernier, plusieurs syndicats des pompiers de l’Isère avaient notamment déposé un préavis de grève pour les mêmes raisons. Mais, en attendant que les renforts arrivent, les collègues de Thierry seront dehors ce 31 décembre, parce que, « jours de fête ou non », ils demeurent sollicités.

« Je ne changerais de métier pour rien au monde »

Christine Vial, aide à domicile à Perpignan (Pyrénées-Orientales), a été sollicitée pour travailler le 1er janvier. Elle vante les mérites d’un emploi « humain », « social » et « indispensable ».

«Il faut être généreux pour faire ce travail. Si je ne bosse pas le 1er janvier, ce sont des hommes et des femmes qui ne vont pas manger. Et ça, ce n’est pas possible », explique Christine Vial. Aide à domicile à Perpignan, elle ne s’imagine pas célébrer la Saint-Sylvestre avec son entourage alors qu’elle peut aider autour d’elle. C’est au sein de l’association l’Assad Roussillon qu’elle est employée, du lundi au vendredi et deux week-ends par mois. « À l’origine, je travaillais dans la restauration et, quand j’ai eu mon premier enfant, j’ai dû changer de métier en fonction des horaires. J’ai donc essayé de devenir aide à domicile, ça m’a plu et j’y suis restée », résume la Perpignanaise.

Aujourd’hui, cette mère de deux enfants semble passionnée par son emploi. Pour « rien au monde » elle ne changerait de métier bien que ce soit « moralement difficile de voir des personnes atteintes de la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer ». Sa cadence de travail est très élevée. Un rythme de marathonien : en trente minutes, elle doit préparer le petit déjeuner et assurer le ménage pour les bénéficiaires dont elle s’occupe. Puis réitérer cette boucle à l’heure du déjeuner et du souper.

Mais avec dix personnes à charge pour le 1er janvier, la journée risque d’être longue, d’autant qu’elle commence dans les environs de 8 heures et finit à 20 heures. « C’est assez épuisant et surtout stressant », souligne la quinquagénaire. S’ajoutent à cela les frais kilométriques dont elle doit s’acquitter afin de parcourir les distances entre chaque logement.

Beaucoup d’efforts mais Christine ne rechigne pas pour autant, valorisant les bienfaits d’un métier « humain », « social » et « indispensable ». Grâce à lui, la quinquagénaire se sent « utile ». Et surtout, elle considère que ces personnes âgées et handicapées pourront « au moins fêter le Nouvel An avec quelqu’un ». Une satisfaction d’autant que, depuis les confinements de 2020, son métier a gagné en « reconnaissance car les gens ont pris conscience qu’ils ont besoin de nous ».

Mais elle attend encore des changements de mentalité alors que « certains nous voient encore comme des bonniches », déplore-t-elle. Cette réflexion devrait aussi s’installer sur la question du salaire. Alors que l’aide à domicile réalise des tâches parfois inconfortables, elle ne se sent pas reconnue à sa juste valeur : « Physiquement c’est très épuisant. On doit lever la personne, lui faire mettre les pantoufles, l’aider à se déshabiller. »

Et ce ne sont pas les « 1 200 euros net en 125 heures par mois avec vingt-six ans d’ancienneté » qui vont la contredire. « Par rapport à tout ce que nous faisons, nous sommes très mal payées. Quand les jeunes commencent et constatent qu’elles gagnent 900 euros net par mois, elles se rendent compte que ce n’est pas acceptable. Il faut donc que le département cherche à valoriser le travail », rappelle l’aide à domicile.

« J’aime soutenir les patients au mieux dans leurs difficultés »

Emma Azam, infirmière à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, considère que les jours de fête importent peu quand il faut « combattre la maladie ».

Rien n’a plus de valeur à ses yeux que la vie humaine. « Peu importe l’origine, le sexe, le métier ou encore les antécédents judiciaires. Quand une personne arrive à l’hôpital, elle doit être soignée », lance Emma Azam. Du haut de ses 23 ans, cette infirmière à l’hôpital universitaire de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, entame en janvier son cinquième mois dans le milieu hospitalier. Fraîchement diplômée, elle a été affectée à « un service général où l’on peut trouver tout type de pathologies, mais surtout des maladies auto-immunes », précise-t-elle.

Dans cet établissement public réputé pour la qualité de ses soins, elle accompagne les patients dans les gestes de la vie quotidienne : manger, se déplacer. Elle leur administre aussi des soins médicaux tout en les informant sur leurs maladies. Et quand on lui demande comment se déroulent ses journées, Emma confie, l’air grave, que « ce n’est pas toujours une partie de plaisir », surtout pour « les patients qui viennent à l’hôpital ». Assise sur son canapé, dans un appartement au cœur de Paris, la jeune femme dresse la liste des raisons qui l’ont poussée à embrasser ce métier : « J’aime aider les gens et les soutenir du mieux possible dans leurs difficultés ». Ce 31 décembre ne fait donc pas exception. La Toulousaine d’origine célébrera la nouvelle année loin des siens. « C’est un peu triste mais, en arrivant à l’hôpital, je savais à quoi m’attendre », assure-t-elle, le sourire suspendu aux lèvres.

Recrutée en juillet 2022, Emma a immédiatement été confrontée aux problèmes du manque d’effectifs. Entre « cinq et sept patients » lui sont attribués le matin. Et le nombre monte à « onze » pour chaque infirmier l’après-midi. Une « énorme charge de travail », la contraignant à réaliser, cahin-caha, toutes ses tâches. Épuisée, la jeune femme se demande même parfois si elle va aller au bout de son contrat de travail. Des formations supprimées par manque de temps, du matériel parfois inopérant, et des cas souvent lourds à traiter… le quotidien est ardu. Le tout, pour un salaire « entre 1 900 et 2 100 euros net par mois » qui « demeure insuffisant vu toute la charge et les heures de travail que je réalise », mesure la Toulousaine.

Avec des journées de sept heures, agrémentées d’heures supplémentaires non payées, une à deux par jour, Emma chancelle parfois. « C’est vraiment difficile parce qu’on est face à des situations très délicates avec des patients qui souffrent. Et toute cette accumulation peut faire craquer. Ça m’est déjà arrivé de me cacher pour pleurer », confie-t-elle derrière ses grandes lunettes. Mais la barque a beau tanguer de tous les côtés, elle ne coule pas. « Le métier d’infirmier est essentiel, rappelle la jeune femme. Tout le monde est touché par des problèmes de santé mineurs ou non. La maladie ne se contrôle pas. » Ce qui explique pourquoi la fête, elle, peut attendre.

   publié le 30 décembre 2022

Le nombre de radiations à Pôle emploi bat des records en novembre

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Plus de 58 000 personnes ont été radiées de la liste des inscrits à Pôle emploi en novembre 2022. Un chiffre jamais atteint depuis que les statistiques du chômage existent. Sur un mois, la hausse est de 19 %. Pôle emploi dit n’avoir « aucune explication particulière » à fournir à cette augmentation.

VoilàVoilà bien un chiffre rarement commenté. Celui des radiations administratives de Pôle emploi. Pourtant, la sanction  – car c’en est une – est tout sauf légère. Radier une personne, c’est lui couper les vivres durant un temps déterminé. La priver d’allocations chômage et la rayer de la liste des demandeurs d’emploi parce qu’elle n’a pas respecté une obligation.

En novembre 2022, 58 100 personnes ont ainsi été radiées. Un record depuis 1996, date de début des statistiques du chômage. Sur un mois, la hausse atteint 19 %, soit 9 400 radié·es supplémentaires par rapport à octobre, selon les chiffres mensuels communiqués mardi 27 décembre par la Dares, l’institut statistique du ministère du travail.

Interrogé par Mediapart sur cette forte augmentation, Pôle emploi répond n’avoir « pas d’explication particulière à l’évolution du nombre de radiations ce mois-ci ». Et ajoute : « Il faut savoir, comme le souligne la Dares sur son site, que les données mensuelles sont très volatiles et parfois difficiles à interpréter. C’est particulièrement le cas des données sur les flux d’entrées et de sorties des listes par motif. Des fluctuations peuvent être importantes d’un mois à l’autre sans caractériser une tendance. » Selon Pôle emploi, « les données trimestrielles doivent être privilégiées ».

Les données mensuelles « volatiles » n’ont pourtant pas empêché le ministre du travail de se féliciter, sur le réseau social Twitter, des chiffres du chômage de novembre, en soulignant la baisse du nombre d’inscrit·es en catégorie A, soit 65 800 chômeuses et chômeurs en moins sans aucune activité.

Ne nous y trompons pas : le volume des radiations n’explique pas, à lui seul, cette baisse dans la catégorie A. Chaque mois, des demandeuses et demandeurs d’emploi basculent en effet dans les catégories B et C, regroupant les personnes dites « en activité réduite » et donc en emploi précaire. Un effet de vases communicants classique, qui s’observe d’ailleurs encore en novembre puisque le nombre d’inscrit·es en activité réduite est en hausse.

Hausse des sanctions pour insuffisance de recherche d’emploi

Quant aux radiations, les observer sur le long terme permet de tirer de premières conclusions. L’année 2022 marque une hausse incontestable. En moyenne, 50 500 personnes ont été radiées chaque mois [sur onze mois, car les chiffres de décembre ne sont pas connus – ndlr], contre 44 000 en 2019. C’est l’année de comparaison la plus pertinente, les radiations ayant été, en 2020 et 2021, suspendues puis assouplies en raison des conditions sanitaires et des confinements.

Autre indice de cette augmentation, les signalements d’agressions liées à des radiations ont augmenté de plus de 63 % au 1er semestre 2022 par rapport au 1er semestre 2019, si l’on en croit le syndicat Force ouvrière.

Selon des chiffres « bruts » [et donc provisoires, car non corrigés selon les variations saisonnières – ndlr] que Mediapart a pu consulter, la majorité (68 %) des radiations de 2022 ont été prononcées en raison d’une absence à une convocation. Manquer un seul rendez-vous à Pôle emploi conduit à une privation d’un mois d’allocation. Ce motif de radiation a toujours été le premier de la liste.

Fait nouveau, en revanche : les sanctions pour «  insuffisance de recherche d’emploi », soit un mois de radiation, représentent désormais 10 % du total des radiations, contre 5 % les années précédentes. C’est sans doute la conséquence de la nouvelle stratégie de contrôle de la recherche d’emploi, en vigueur depuis début 2022.

500 000 contrôles en 2023

L’objectif était clair : Pôle emploi devait mener 500 000 contrôles cette année, contre 420 000 en 2019. La directive avait été donnée par Emmanuel Macron :  « Les demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leurs allocations suspendues », avait-il averti, en novembre 2021. Dont acte. Pôle emploi a mis sur pied une nouvelle politique de contrôle, pour en mener davantage, à effectif constant, grâce à des procédures accélérées. 

Pour l’année prochaine, les objectifs restent les mêmes : « Pôle emploi s’engage à réaliser 500 000 contrôles en 2023 », indique la « feuille de route » de l’opérateur pour le premier semestre 2023, que Mediapart s’est procurée.

Selon ce document, « Pôle emploi poursuivra le contrôle […] en privilégiant particulièrement les demandeurs d’emploi inscrits sur des métiers en tension. Une proportion de 50 à 60 % des contrôles réalisés priorisera ces derniers et ceux sortant d’une formation, en plus des contrôles aléatoires (entre 20 et 30 %) et des signalements ».

Et pour mieux repérer les profils en capacité d’exercer ces « métiers en tension », Pôle emploi a constitué, dès la rentrée de septembre 2022, des « viviers de demandeurs d’emploi immédiatement employables » afin de « renforcer la satisfaction des besoins en recrutement sur les secteurs les plus touchés », indiquait une note interne, dévoilée à l’époque par Mediapart.

Chaque agence doit désormais disposer d’un « vivier » contenant « entre 150 et 200 demandeurs d’emploi », censés fournir de la main-d’œuvre à trois secteurs en tension : santé et action sociale, hébergement et restauration, transports de voyageurs et de marchandises.

La pénurie de main-d’œuvre : l’obsession de l’exécutif

Les personnes identifiées sont convoquées pour faire le point sur leur situation en matière de disponibilité, de compétences et de motivation. « Si l’entretien fait apparaître des doutes sur l’effectivité de [la] recherche [d’emploi] », elles sont dirigées « vers l’équipe contrôle de la recherche d’emploi », précisait encore la note interne. Avec, à la clef, une possible radiation.

Les difficultés de recrutement dans les métiers dits « en tension » sont devenues une véritable obsession pour l’exécutif. Plutôt que de se pencher sur les bas salaires et les mauvaises conditions de travail pouvant expliquer la pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement préfère brandir des mesures coercitives. Outre les contrôles renforcés et ces « viviers » créés par Pôle emploi, la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, qui entrera en vigueur en février 2023, poursuit clairement cet objectif.

« Lorsque tant de secteurs connaissent des difficultés de recrutement, personne ne peut comprendre que nous ayons encore trop de personnes au chômage », se lamentait ainsi Élisabeth Borne, à la rentrée du Medef, en août 2022, avant de présenter longuement la réforme.

Les chômeuses et chômeurs verront donc leur durée d’indemnisation réduite d’un quart, voire de 40 % si le taux de chômage passe sous les 6 %, au motif que la conjoncture économique est bonne et que des emplois sont à pourvoir.

Et la pression n’est pas prête de se relâcher.

« Les tensions de recrutement perdureront et demeureront une priorité de Pôle emploi en 2023 », annonce l’opérateur dans sa feuille de route, envisageant déjà « d’étendre […] ce plan d’urgence à d’autres métiers et secteurs en tension, notamment l'industrie ».

La privation de ressources est une épreuve que même un salarié socialement inséré ne saurait surmonter sans dommages.

Dernier indice, permettant de mesurer la hausse des radiations : les demandes de médiation liées à ces sanctions ont augmenté dès l’année 2021, en doublant par rapport à 2019 pour atteindre 11 % des saisines.

« Plutôt que leur fréquence, c’est [...] leur inadéquation qui les fait remarquer », écrivait à ce sujet Jean-Louis Walter, le médiateur national de Pôle emploi dans son dernier rapport. « Certaines de ces sanctions semblent véritablement disproportionnées, tant dans leur gravité que dans leurs conséquences », fustigeait-il.

Depuis des années, le médiateur plaide sans relâche pour « une gradation des sanctions » et l’instauration d’un « sursis », au premier manquement aux obligations, plutôt qu’une confiscation immédiate des revenus. Dans son rapport 2021, il revient d’ailleurs à la charge et s’en prend au décret de décembre 2018 qui a produit l’effet contraire en durcissant les sanctions, au lieu de les faire évoluer, par paliers.

« Dans les faits, plutôt que d’assouplir, [la loi] a rigidifié les pratiques, en les enfermant dans un barème plus sévère encore et en fournissant une légitimité nouvelle aux postures excessives », déplore Jean-Louis Walter.

« Radier est une décision grave », écrivait-il dès 2013. Insistant sur la privation d’indemnités, il évoquait « une épreuve que même un salarié socialement inséré ne saurait surmonter sans dommages ».


 


 

Radiations record
à Pôle emploi

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Privés d’emploi 58 000 demandeurs ont été exclus en novembre. Une hausse de 19 % qui interroge à la veille de l’application de la réforme de l’assurance-chômage.

En cette fin d’année, il n’y a pas que la fortune de Bernard Arnault qui bat des records ! Alors que le risque de récession pour 2023 reste une hypothèse crédible, 58 000 demandeurs ont été radiés des listes de Pôle emploi en novembre. Une hausse inédite de 19 % par rapport à octobre correspondant à 9 400 radiés, selon les chiffres communiqués par la Dares. « Des personnes que l’on prive de revenus, allocations chômage ou solidarité », insiste Sylvie Espagnolle, déléguée syndicale centrale CGT Pôle emploi. Ce alors que, selon l’Insee, entre 3,2 et 3,5 millions de personnes ont reçu, en 2021, des aides alimentaires par le biais du réseau associatif. Cette hausse manifeste pour novembre symbolise une tendance de fond : entre 2017 et 2022, la proportion des chômeurs indemnisés par l’Unedic est passée de 41 % à 36 %, selon la Dares. Surtout, sur l’année qui s’écoule, la hausse des radiations à Pôle emploi est « en hausse de 10 % », selon la syndicaliste.

Joint par Mediapart, Pôle emploi assure ne pas avoir « d’explication particulière à l’évolution du nombre de radiations ce mois-ci ». Néanmoins, plusieurs pistes peuvent être avancées impliquant les choix gouvernementaux en matière de retour à l’emploi. D’abord par la hausse des contrôles sur les recherches d’emploi. Dès novembre 2021, Emmanuel Macron avait averti que « les demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leurs allocations suspendues ». Bilan, les contrôles se sont accrus au nombre de 500 000, contre 420 000 en 2019. « Mécaniquement, il y a une hausse des radiations sanctions, explique Sylvie Espagnolle. Le phénomène est similaire avec le non-respect des convocations. » Cette seconde explication peut être que, depuis 2018, le non-respect d’une convocation à Pôle emploi est un motif de radiation. Cette « intensification peut tout à fait expliquer la diminution du nombre de chômeurs », affirmait, dès 2021, Pierre Garnodier, secrétaire général du comité national CGT des travailleurs privés d’emploi et précaires.

D’ailleurs, les chiffres du chômage pour novembre soulignent un recul du nombre de chômeurs, en baisse de 2,1 %, chez les demandeurs sans activité professionnelle (catégorie A). Un reflux en trompe-l’œil car, en ajoutant les catégories B et C, la diminution n’est que de 0,4 %, établissant à 5,394 millions le nombre de chômeurs, selon la Dares. Enfin, la création, depuis septembre, dans chacune des agences d’un vivier de demandeurs en capacité d’exercer dans les filières dites en « tension » est une piste pour expliquer la hausse des radiations. « Toute personne ayant une expérience ou une formation dans ces secteurs est convoquée et incitée à aller sur ces offres, relate Sylvie Espagnolle. Qu’importent les conditions de travail ou la durée des contrats. Idem pour les personnes ne sachant pas vers quelle filière rechercher un emploi. » Selon la CGT, 40 % des contrôles sur les recherches d’emploi se concentrent sur les domaines de la santé et de l’action sociale, l’hébergement et la restauration, ainsi que les transports de voyageurs et de marchandises.

  publié le 30 décembre 2022

Ce que nous prépare Emmanuel Macron pour 2023

Julia Hamlaoui sdur www.humanite.fr

Le président de la République doit présenter ses vœux aux Français à 20 heures, le soir du 31 décembre, depuis l’Élysée. Mais l’on sait déjà que le programme de régression est bien chargé pour les premiers mois de la nouvelle année : retraites, assurance chômage, RSA, immigration, lycée professionnel… Tour d’horizon.

De retour à Paris, après quelques jours passés au fort de Brégançon, Emmanuel Macron s’apprête à livrer son sixième discours de vœux depuis l’Élysée. Comme à son habitude, son entourage n’a pas hésité à mettre en scène un président toujours au travail tandis que les Français célèbrent les fêtes de fin d’année. « Il suit les dossiers et prépare la rentrée, a-t-il ainsi été indiqué à l’AFP.  Brégançon, tout comme l’Élysée, est un lieu de travail et de gestion des crises. » Conséquences du Covid en Chine, coupures d’électricité, guerre en Ukraine, inflation, réflexion autour de la fin de vie, du système de santé, de l’Éducation nationale ou encore les réformes sur le point d’être engagées sont autant de sujets évoqués au Palais comme pouvant figurer au menu de l’allocution présidentielle qui sera diffusée samedi à 20 heures.

Le chef de l’État, lui aussi, a préparé le terrain dès avant la trêve des confiseurs sans y aller par quatre chemins puisqu’il a tout bonnement promis du sang et des larmes pour 2023. L’année prochaine devrait être « un moment un peu difficile de notre histoire » du fait du « ralentissement de l’économie mondiale », a-t-il assuré sur TF1 dès début décembre, tablant sur une « reprise qui devrait arriver en 2024 ».

Sous le sapin, le rabotage de l’assurance-chômage

En somme, il faudrait laisser passer l’orage et serrer les dents avant des jours meilleurs. Soit une façon pour le locataire de l’Élysée de justifier ses projets pour les mois à venir : « On va continuer de tenir, on va absorber ce choc, et il faut maintenant relancer les choses, par les réformes - sur le travail, l’éducation, la santé, les retraites - pour être plus forts ». Des éléments de langages qui ne suffiront pas à lui éviter les mobilisations en gestation face aux mauvais coups que son exécutif espère faire pleuvoir dès les premières semaines de la nouvelle année. Le gouvernement n’a d’ailleurs même pas attendu la fin de la trêve pour s’y atteler. Le décret de réforme de l’assurance chômage est ainsi tombé à la veille du réveillon de Noël avec des dispositions surprises à la clé, provoquant l’ire des syndicats. En plus d’une baisse de 25 % de la durée de couverture des allocataires lorsque le taux de chômage est inférieur à 9 %, il est prévu une réduction de 40 % pour un taux sous les 6 %. « Le ministre avait évoqué qu’il y aurait un cran supplémentaire de modulation », a tenté de déminer le cabinet d’Olivier Dussopt, tout en étant démenti par les organisations de salariés qui demeurent vent debout contre ce système de variations des allocations en fonction de la conjoncture dont l’entrée en vigueur est prévue dès le 1er février.

Travail précaire pour tous

Sur le volet « réforme du marché du travail », le gouvernement n’entend cependant pas s’en tenir là. Suivant la même logique qui voudrait que les chômeurs soient responsables du chômage, l’expérimentation du RSA conditionné à 15 à 20 heures d’activité hebdomadaires doit aussi être mise en place dans 19 collectivités sélectionnées par l’exécutif à la mi-décembre. Un test avant la généralisation de ces contraintes supplémentaires pour les bénéficiaires du revenu minimum mais aussi une préfiguration de « France Travail ». La nouvelle mouture de Pôle emploi, qui fusionnerait avec d’autres acteurs du secteur comme les missions locales, est également prévue pour 2023… et est, elle aussi, contestée par les syndicats qui redoutent une régionalisation du service public de l’emploi autant qu’une réduction de ses moyens sous couvert de mutualisation. Les jeunes ne devraient pas non plus être épargnés puisque se profile notamment la réforme du lycée professionnel dont l’une des mesures phares consiste en l’allongement de la durée des stages. « Augmenter le temps de stage en entreprise, c’est diminuer d’autant le temps de présence des jeunes à l’école », martèle notamment la FSU qui appelle à une nouvelle journée d’action le 17 janvier après les mobilisations intersyndicales de l’automne pour l’abandon du projet.

Les retraites, reine des réformes

Reste que c’est la réforme des retraites, avec le report de l’âge légal à 64 ou 65 ans, qui devrait être l’épreuve reine des premières semaines de janvier. Déterminé à conserver le plus de latitude possible, Emmanuel Macron a annoncé par surprise avant les vacances le report de sa présentation par Élisabeth Borne au 10 janvier pour un passage en Conseil des ministres le 18 ou 25 janvier et un examen au parlement dans la foulée. Quelques semaines supplémentaires pour tenter de convaincre la droite LR divisée sur la question.

Son nouveau patron, Eric Ciotti, a été reçu juste avant Noël à Matignon où il a estimé qu’un allongement à 65 ans serait « une brutalité sans doute trop forte par rapport à la situation que vivent les Français », sans exclure un passage à 64 ans doublé d’une augmentation du nombre d’annuités de cotisation nécessaires. Il doit y retourner la première semaine de janvier. L’option d’un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale - pour accélérer la lecture du texte et recourir plus librement au 49.3 - n’est cependant pas écartée. Le front syndical, lui, se présente uni contre toute mesure d’âge. « Il faudra être prêt pour la première quinzaine de janvier », prévient la secrétaire confédérale de la CGT Céline Verzeletti tandis que la gauche fourbit, elle aussi, ses armes.

Les parlementaires de la Nupes et de la gauche sénatoriale ont annoncé, lors d’une conférence de presse, leur détermination à former un , à user de tous les outils à leur disposition dans les hémicycles et à contribuer à la mobilisation en dehors. Outre la marche du 21 janvier à laquelle les insoumis appellent, une première initiative commune pourrait intervenir dès la mi-janvier.

Énième durcissement sur l’immigration

En parallèle, il leur faudra faire face à une autre offensive gouvernementale : le projet de loi Darmanin-Dussopt sur l’immigration. Envoyé au conseil d’État le 20 décembre, il doit aussi atterrir sur la table du Conseil des ministres dès début 2023. Si avec le titre de séjour « métiers en tension » (de seulement un an renouvelable), les ministres du Travail et de l’Intérieur tentent de jouer la carte du « en même temps », c’est bien sur leur droite qu’ils regardent. Retour de la double peine, suppression de possibilité de recours pour les migrants, facilitation des expulsions, fichage des étrangers… « Tout ce que les LR ont toujours demandé sur l’immigration, nous le proposons », résume le locataire de la place Beauvau. Là encore, la mobilisation s’organise, avec la tenue d’un premier rassemblement lors du débat préalable à l’Assemblée le 6 décembre.

Emmanuel Macron veut aller vite et mise sur l’ouverture de multiples fronts pour disperser les forces qui s’opposent à ses projets, souhaitons qu’il soit pris de court par l’ampleur de la riposte.

publié le 29 décembre 2022

Scandale. L’État
défend son droit
de « non-mise à l’abri » !

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Logement Six familles, avec plusieurs femmes enceintes et de jeunes enfants, auxquelles le tribunal administratif avait accordé un hébergement d’urgence, début décembre, risquent d’être remises à la rue après la victoire en appel de l’État, qui a contesté cette décision protectrice.

Un bambin de 4 ans qui dort dehors n’est pas un enfant en danger ! Pas suffisamment en tout cas pour mériter une place en hébergement d’urgence. C’est en substance ce qu’indique le Conseil d’État dans des ordonnances rendues le 26 décembre. Elles concernent sept familles, dont trois femmes enceintes et une dizaine d’enfants mineurs, tous scolarisés. La majorité de ces familles sont arrivées récemment sur le territoire français. « Nous nous sommes occupés du dossier d’une maman arrivée du Cameroun avec sa fille de 8 ans suite au décès brutal de son époux de nationalité française. Elle est encore en période de deuil et a subi des agressions quand elle dormait dehors à côté de la gare du Nord avec la petite, qui est inconsolable de la mort de son papa… » explique Sarah Vezzoli, membre d’un collectif de parents d’élèves d’une école du 18e arrondissement parisien.

C’est en effet avec l’appui d’associations – comme la Cimade, la Fondation Abbé-Pierre, Utopia 56 – et de parents d’élèves des écoles où sont scolarisés leurs enfants que les familles ont pu, début décembre, déposer des référés-libertés auprès du tribunal administratif afin d’obtenir des places d’hébergement d’urgence. Le 6 décembre, victoire : leur droit à être mises à l’abri sous 48 heures a été reconnu par la justice. Une trêve s’annonçait. Elle fut de courte durée. Car l’État a tout de suite contesté cette décision devant le Conseil d’État, qui, le lendemain de Noël, l’a invalidée pour six familles, ouvrant la voie à leur remise à la rue.

Des ordonnances éloquentes de cynisme

Le 25 décembre, le ministre du Logement annonçait pourtant dans le Journal du dimanche : « La priorité du gouvernement, c’est aucun enfant à la rue. » De quoi scandaliser Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris en charge du logement, qui pointe « une politique extrêmement cruelle, guidée par une volonté de faire des économies à court terme en secourant le moins de monde possible ». Un mauvais calcul, selon Nikolaï Posner, chargé de plaidoyer à l’association d’aide aux exilés Utopia 56, qui dénonce le manque de pragmatisme de cette décision : « Ne fournir aucune aide à des primo-arrivants, quitte à multiplier les procédures pour cela, coûte très cher. Mais c’est la “politique de dissuasion” de la France envers les personnes qui souhaiteraient rejoindre notre pays. Il n’y a aucune rationalité dans cette stratégie, puisque laisser les personnes dehors est coûteux économiquement et socialement, tandis que les accompagner vers l’insertion sociale et professionnelle est un investissement rentable à tout point de vue. »

Les ordonnances du Conseil d’État, que l’Humanité a pu consulter, assument en effet une mise en concurrence des personnes vulnérables et sont éloquentes de cynisme, notamment concernant le dossier d’une mère seule avec cinq enfants, dont l’un est porteur d’un handicap visible : « Les éléments que les intéressés produisent ne sont pas de nature à établir une particulière vulnérabilité, notamment médicale, dès lors que, d’une part, même si Mme  D. fait valoir que l’un de ses fils est porteur de handicap, cette circonstance n’est établie par aucune pièce du dossier et, d’autre part, la composition familiale, à savoir une mère isolée avec cinq enfants, rend difficile de proposer une solution d’hébergement. »

Le Conseil d’État argue aussi du manque de places pour réfuter le droit des familles à être hébergées. « L’absence de prise en charge des intéressés ne saurait constituer une carence de l’État dans la mise en œuvre du droit à l’hébergement d’urgence eu égard aux moyens dont il dispose… » écrit la juge. Ainsi, une femme enceinte, son compagnon et leurs trois enfants de 4, 6 et 7 ans se voient dénier leur droit à être mis à l’abri « compte tenu de la présence de familles encore plus vulnérables dans un contexte de saturation des hébergements d’urgence ». Un argument que n’entend pas Nikolaï Posner, qui assure que « maintenir la sous-capacité des hébergements d’urgence est une volonté politique. Car quand il veut mettre les personnes à l’abri, l’État en a les moyens. Il l’a d’ailleurs très bien fait au moment de l’arrivée en France des Ukrainiens. »

De fait, dans l’Hexagone, un dispositif parallèle à celui de l’hébergement d’urgence a été créé spécifiquement pour ces réfugiés qui ont fui la guerre avec la Russie, alors que chez la plupart de nos voisins le dispositif ordinaire d’hébergement d’urgence était mobilisé. « Ce double standard, discriminatoire, est une honte absolue », tempête Ian Brossat. L’élu rappelle que la Mairie de Paris vient de mettre à disposition plusieurs bâtiments appartenant à la Ville afin de créer 1 000 places d’hébergement supplémentaires dans la capitale, espérant «  que l’État s’en saisisse ».


 

publié le 29 décembre 2022

Source d’énergie locale et peu chère : la géothermie séduit les communes
mais suscite des craintes

par Rachel Knaebel sur https://basta.media/

Avec la hausse des prix du gaz, la géothermie devient une alternative rentable. Les projets pour aller chercher la chaleur du sous-sol se multiplient en Ile-de-France, mais sont à l’arrêt en Alsace suite à des séismes.

Avec la flambée des prix du gaz, les sociétés de logements HLM font face à l’explosion des prix du chauffage collectif depuis quelques mois. Cette crise de l’énergie incite des communes à se tourner vers une source d’énergie locale et indépendante des marchés : la géothermie. « Avec les prix de l’énergie qui se sont envolés, beaucoup de collectivités nous ont sollicités ces derniers mois. On a cinq projets en cours », rapporte Marion Lettry, chargée de la transition énergétique au Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (Sipperec), un établissement public de la région parisienne chargé, entre autres, de développer les énergies renouvelables.

« Nous avons deux grands vastes développements en termes d’énergies renouvelables en Ile-de-France : du photovoltaïque sur les toits des bâtiments publics, et des réseaux de chaleur à base de géothermie profonde », explique-t-elle. La géothermie est une technique pour produire du chauffage, voire de l’électricité, à partir de la chaleur contenue dans les sous-sols.

La géothermie peut être de surface, quand la chaleur est puisée à moins de quelque centaines de mètres de profondeur ; ou profonde, quand on fore à plusieurs kilomètres. Plus on va loin dans le sol, plus la chaleur est élevée. En Ile-de-France, les réseaux de géothermie vont chercher de l’eau chaude contenue dans les sous-sols à environ 2000 mètres de profondeur. À cette distance, la chaleur puisée est suffisante pour chauffer logements et bâtiments collectifs, pas pour produire de l’électricité.

« Du chauffage pour beaucoup moins cher que le coût de l’énergie actuel »

Le Sipperec gère aujourd’hui cinq réseaux de chaleur géothermique en Ile-de-France [1]. Le réseau de Viry-Châtillon (Essonne) est en train de s’étendre et alimente notamment la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Un nouveau réseau de chaleur en géothermie va entrer en fonction d’ici trois ans pour alimenter 20 000 logements sur les communes des Lilas, du Pré-Saint-Gervais et de Pantin (Seine-Saint-Denis). « Une seule commune ne suffit pas pour que les réseaux soient économiquement viables. C’est pour cela qu’on les déploie en général sur deux ou trois villes », précise Marion Lettry.

Aux Lilas, « cela fait des années que le projet est dans les cartons, note Sander Cisinsky, adjoint au maire (PS) de la ville en charge des transitions. Il y a dix ans, les conditions n’étaient pas forcément réunies. Selon que les marchés du gaz étaient plus ou moins hauts, les réseaux de géothermie n’étaient alors pas forcément rentables. » Le projet a été relancé collectivement avec les deux autres communes au début du mandat municipal actuel, en 2020. « Entre le moment où on a fait les premières études et aujourd’hui, le coût a augmenté car on est soumis à la hausse du prix des matières premières et de la construction. Mais il n’y aucun doute sur le fait que le projet va produire du chauffage pour beaucoup moins cher que le coût de l’énergie actuel », ajoute l’élu. Les projets sont en plus largement subventionnés – jusqu’à un tiers des coûts – par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et la région [2].

Des réseaux de géothermie déjà dans les années 1980

Les réseaux de chauffage à base de géothermie ont commencé à se développer en Ile-de-France dès les années 1980. « C’était après le choc pétrolier, la géothermie était alors très compétitive. Ensuite, au fil des années 1990 et 2000, le prix des énergies fossiles était bas. Donc, les projets de géothermie se sont ralentis. La compétitivité n’était plus au un rendez-vous, retrace Marion Lettry. Le Sipperec a été à l’initiative de la relance de la géothermie en Ile-de-France dans les années 2010. »

Ce type de projets se réalisent assez vite, « en quatre ou cinq ans à partir du moment où la décision politique est prise », dit la responsable. Ils font par ailleurs travailler ensemble des villes qui ne sont pas forcément du même bord politique. « Quand on annonce que le prix de la chaleur sera bien moins cher que celui du gaz, qu’il ne sera pas soumis aux fluctuations du marché et que cela fait économiser 28 000 tonnes de CO2 par an, personne ne s’oppose au projet », assure le maire adjoint des Lilas Sander Cisinski. Une tonne de CO2 correspond à environ 3300 km effectués en voiture à essence.

Ces réseaux de chaleur renouvelables ne sont quand même pas totalement indépendants du prix du gaz. « On a peu d’appoint en gaz, car on dimensionne le réseau pour qu’il puisse fournir de la chaleur à tout moment, y compris dans les périodes très froides, précise la responsable du Sipperec. Nous sommes donc un peu impacté par les hausses du prix du gaz et de l’électricité, mais cela n’a rien à voir avec un réseau qui fonctionne entièrement au gaz. Aujourd’hui, sur les réseaux de chaleur au gaz, le prix de la chaleur a été multiplié par deux au minimum. Sur nos réseaux à base de géothermie, la hausse a été limitée à environ 30 %. » De quoi faire susciter l’intérêt des élu·e·s, habitant·e·s et sociétés HLM. 

En Alsace, des séismes provoqués par des forages géothermiques

La France compte aujourd’hui une soixantaine de réseaux de chaleur urbains alimentés par la géothermie profonde, principalement en Ile-de-France, où environ 300 000 personnes sont chauffées grâce à ce système. Deux centrales électriques fonctionnent également avec la géothermie : Bouillante, en Guadeloupe, mise en service en 1986 ; et une autre à Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin), une installation scientifique européenne avant de devenir un site de production d’électricité géothermique. Dix-huit permis de recherche étaient en cours en 2019 pour développer des projets de production de chaleur ou d’électricité par géothermie profonde, en Guadeloupe, en Alsace, dans le Massif central, dans les Pyrénées, dans la Vallée du Rhône et à la Réunion.

« L’avantage de la géothermie, c’est la maitrise du coût. Une fois que les forages sont réalisés, la chaleur est locale et illimitée », vante Cédric Créton, ingénieur des mines, gérant d’un bureau d’étude et administrateur de l’association Alter Alsace Énergies, qui conseille les collectivités en matière d’énergies renouvelables. L’Alsace est l’un des territoires à fort potentiel. Sous la vallée du Rhin, à 5000 mètres de profondeur, la chaleur est assez élevée pour produire de l’électricité.

Deux entreprises, Géorhin (ex-Fonroche) et Électricité de Strasbourg (rattachée à EDF), y ont obtenu des permis d’exploitation pour quatre projets de centrales géothermique, dont une à Illkirch, à côté de Strasbourg. Mais en 2019, des séismes secouent la région. Ils auraient été provoqués par les forages de Foronche à Vendenheim, au nord de Strasbourg. D’autres séismes se produisent en 2020 et 2021.

Fin 2020, la préfecture du Bas-Rhin suspend tous les projets de géothermie en cours dans le département. « Les séismes successifs et intenses ont provoqué un profond traumatisme au sein de la population et une défiance à l’endroit de la géothermie profonde », constate alors une mission d’information de la métropole de Strasbourg. Des milliers d’habitants d’Alsace et d’Allemagne voient leurs maisons endommagées. Près de 4000 dossiers de demandes d’indemnisations sont déposés mi-2021. En mai dernier, la préfecture publie les résultats d’une expertise qui conclut à une responsabilité de la société Foronche. L’entreprise était allé trop vite et trop profond.

« Un accident industriel »

« Le contexte constitué d’une filière à forte intensité capitalistique assortie d’un risque financier initial très élevé, d’un encadrement juridique et des dispositions incitatives très fluctuantes, a pu contribuer à une culture du secret ou favoriser des prises de risque », analyse la mission d’information strasbourgeoise. En clair, l’opacité règne sur ces projets et la manière dont ils sont menés « Ce qui s’est passé à Vendeheim, c’est un accident industriel », résume de son côté Noé Imperadori, animateur de la filiale géothermie pour le Grand Est à l’association lorraine pour les énergies renouvelables. Un autre professionnel de la région parle d’une « atmosphère de cowboys » : des entrepreneurs trop pressés qui veulent forer au plus vite.

Une autre source de profits attirent des start-up de l’énergie, venue du secteur pétrolier : la perspective de filtrer l’eau géothermale qui remonte des profondeurs pour en extraire du lithium, minerai indispensable aux batteries électriques. Lithium de France, entreprise créée en 2020 a ainsi obtenu un permis de recherche en Alsace. Les professionnels des énergies renouvelables se veulent rassurant, pointant avant tout les procédés de l’entreprise Foronche. Des forages bien réalisés ne provoqueraient pas de séismes. Mais depuis la catastrophe de Vendenheim, les projets de géothermie suscitent de fortes oppositions dans la population alsacienne.

Un « projet purement spéculatif pour faire de l’électricité et la revendre »

Le forage en cause a été stoppé. Les trois autres projets sont toujours suspendus. « La question s’est posée de tout arrêter, mais cela remettrait en péril toute la politique énergétique de la collectivité. On compte beaucoup sur ces réseaux de chaleur pour alimenter la majorité de la ville de Strasbourg en chauffage », explique Cédric Créton, d’Alter Alsace énergie.

Plus au sud, dans les zones volcaniques d’Auvergne, le cas alsacien suscite la méfiance. Dans le village de Saint-Pierre-Roche (Puy-de-Dôme), une autre entreprise, créée il y a dix ans, TLS géothermie, associée à une filiale d’Engie, veut aussi forer pour chercher de l’eau chaude dans les sous-sols. Objectif : construire une centrale géothermique profonde qui produirait de l’électricité. Le chantier a démarré en octobre 2021.

« On s’est renseigné sur ce qui s’est passé ailleurs, et on a commencé à s’inquiéter quand on a vu que les apprentis sorciers de Vendenheim avaient réussi à faire trembler jusqu’au centre de Strasbourg, témoigne Jacques Adam, habitant de la région, qui s’oppose au projet au sein de l’antenne locale de France Nature Environnement. On sait bien qu’on a de l’eau chaude dans le sous-sol dans la région », ajoute-t-il. Dans le Cantal, à la station thermale de Chaudes-Aigues, une partie du village se chauffe depuis les années 1960 grâce à une source d’eau chaude locale. « Nous savons qu’il y a un potentiel. Mais là, avec ce genre de projets, ce n’est pas du tout la même échelle. Ce projet est purement spéculatif, c’est pour faire de l’électricité et la revendre. »

La géothermie de surface beaucoup plus facile à développer

Le dernier scénario de transition énergétique de l’association Négawatt recommande d’ailleurs un développement « modéré » de la géothermie profonde de très haute température, « par prudence ». Pour la géothermie de basse température, celle utilisée en Ile-de-France pour les réseaux de chauffage, les experts de Négawatt souligne que « le développement de son utilisation dépend des gisements disponibles », qui se trouvent essentiellement dans les bassins parisien et aquitain. L’association attend en revanche beaucoup de la géothermie de surface (jusqu’à 150 mètre de profondeur environ). Celle-ci ne fournit de la chaleur que d’une quinzaine de degrés, mais qui est ensuite valorisée par les pompes à chaleur.

Repère : En Ile-de-France, un service public local de géothermie

Les deux derniers réseaux de chaleur géothermique portés par le Sipperec sont totalement gérés par des acteurs publics : le Sipperec et les communes concernées. « Pour le réseau de Grigny-Viry, on a créé une société publique locale, dans laquelle le Sipperec est actionnaire majoritaire. Toutes les villes alimentées sont aussi actionnaires », précise Marion Lettry, du Sipperec. C’est également ce mode de portage public qui est choisi pour le projet des Lilas-Pantin-Pré-Saint-Gervais : « Il n’y a pas d’actionnaire privés. On a une totale maitrise du projet en particulier sur les aspects économiques. » Le réseau de Drancy-Bobigny est de son côté géré directement par le Sipperec en régie publique. Mais les réseaux antérieurs sont entre les mains du privés, exploité en délégation de service public. Celui de Bagneux et Châtillon est une filiale de l’entreprise Dalkia, aujourd’hui intégrée à EDF ; ceux d’Arcueil-Gentilly et de Rosny-sous-Bois, Noisy-le-Sec, Montreuil sont des filiales d’Engie.

« La géothermie de surface est la plus en mesure de se développer facilement, abonde Noé Imperadori, de l’association Lorraine des énergies renouvelables. Nous ne sommes pas du tout sur les mêmes technologies que dans la géothermie profonde. Avec la géothermie de surface, vous n’avez aucun risque sismique. »

Il existe actuellement en France environ 200 000 installations de géothermie de surface, qui peuvent chauffer des bâtiments collectifs ou des logements individuels. Noé Imperadori cite l’exemple d’une mairie d’un village de Meurthe-et-Moselle, Pierre-la-Treiche, qui a installé un système de chauffage de ses locaux en géothermie de surface à l’occasion d’une rénovation en 2018. Coût de l’opération : 54 000 euros, en très grande partie subventionnée.

« L’investissement initial, surtout les forages, est assez élevé mais ensuite, vous n’avez plus d’achat de combustibles. Et la durée de vie d’un forage est très longue. Ceux sur sondes verticales [de l’au circule en circuit fermé dans un réseau de tubes disposés à la verticale dans des forages, qui permet de transférer la chaleur du sous-sols puis de l’acheminer jusqu’à la pompe à chaleur géothermique, ndlr]. ils sont garantis 50 ans. Les fabricants veulent augmenter la garantie à 100 ans. C’est la durée de vie d’une maison. » Et c’est plus que la durée de vie d’une centrale nucléaire.

Notes

[1] Sur les communes de Bagneux et Châtillon, Accueil et Gentilly, Rosny-sous-Bois, Noisy-le-Sec et Montreuil, Bobigny et Drancy et sur celles de Grigny et Viry-Châtillon.

[2] Les subventions de l’Ademe et la région Ile—de-France se sont par exemple élevées à 20 millions d’euros sur 70 millions du coût global du projet pour le réseau de chaleur géothermique de Bobigny-Drancy.

publié le 28 décembre 2022

L’INSEE fête dignement les dix ans de l’estimation de
la fraude fiscale de
80 milliards d’euros

par Attac France sur https://france.attac.org

Dans une publication du 16 décembre, des chercheur·es de l’INSEE rappellent que l’exploitation des résultats du contrôle fiscal aboutit à une fraude annuelle à la TVA comprise entre 20 et 26 milliards d’euros.

Ces chiffres attestent l’ampleur de la fraude fiscale. Ils confirment la nécessité du combat d’Attac pour mettre fin à ce fléau, qui prive les budgets publics des sommes nécessaires pour faire face aux urgences sociales et écologiques.

Pour Vincent Drezet, porte parole d’Attac, « l’INSEE conforte une nouvelle fois l’estimation globale de la fraude fiscale due au non-respect du droit fiscal d’environ 80 milliards d’euros, voire plus. L’institut fête ainsi dignement les dix ans de cette évaluation réalisée par le syndicat Solidaires finances publiques, membre fondateur d’Attac. »

Dans un premier rapport de janvier 2013, le syndicat estimait en effet la fraude fiscale entre 60 et 80 milliards d’euros, dont 15 à 19 milliards d’euros pour la TVA. Cette estimation a ensuite été actualisée dans un rapport de septembre 2018 aux environs de 80 milliards d’euros, voire plus. En estimant la fraude à la TVA entre 20 et 26 milliards, l’INSEE confirme donc une nouvelle fois l’ampleur de ce fléau, après une première étude datée du 25 juillet 2022.

Les chiffres de l’INSEE sont d’autant plus préoccupants que les moyens humains alloués à la lutte contre la fraude fiscale baissent, avec des conséquences néfastes sur les résultats du contrôle fiscal. Le rapport Attac-Union syndicale Solidaires de mars 2022 (soutenu par AC !, la CGT chômeurs, la CGT finances et Solidaires finances publiques) l’a démontré, chiffres à l’appui.

Injustice fiscale croissante, crise démocratique, dégradation de l’action et des comptes publics, incapacité de financer la bifurcation sociale et économique, etc, les conséquences de la fraude fiscale sont connues et dévastatrices. Une réorientation s’impose pour la combattre résolument, tant en France qu’au plan international.

Confirmant l’ampleur de la fraude fiscale en cette fin d’année, l’INSEE rappelle qu’une plus juste répartition des richesses serait possible grâce à davantage de justice fiscale. À l’heure où le pouvoir organise d’une part, des reculs sans précédent en matière de droits sociaux (retraites, indemnisation chômage) et de services publics et, d’autre part, s’entête dans des choix fiscaux injustes et inefficaces, ce rappel est salutaire.

publié le 28 décembre 2022

La biodiversité pour
la survie de
notre humanité commune

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Pendant que les écrans de télévision attiraient les yeux de milliards d’habitants de notre planète exclusivement vers la Coupe du monde de football, se déroulait dans l’indifférence, sans publicité, un événement d’une considérable importance à Montréal : la 15 e conférence de la convention sur la biodiversité biologique dite COP15. Cet enjeu, bien trop négligé, a pourtant à voir avec la qualité de l’oxygène que nous respirons grâce à la photosynthèse des plantes, avec l’eau que nous buvons, la production de notre nourriture, une partie grâce au minutieux travail de pollinisation des abeilles, l’autre grâce à l’activité incessante des vers de terre qui améliorent les sols, la séquestration du carbone dans le bois, les océans, les sols et sous-sol, la régulation du climat. Des enjeux essentiels pour la vie donc !

Le rapport préparatoire à cette conférence n’a pas caché les problématiques : 75 % des milieux terrestres et 66 % des milieux marins sont, selon ce document très documenté, «  sévèrement altérés » par les activités humaines.

Un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies alors que durant les cinquante dernières années les effectifs de 20 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont diminué d’un tiers. La vitesse actuelle de réduction des espèces est telle, que l’on parle d’une sixième extinction massive, comparable à celle qui avait entraîné la disparition des dinosaures, il y a… 66 millions d’années.

En cause ? L’artificialisation des sols, les pollutions et dégradation des milieux naturels ; la surexploitation des ressources naturelles renouvelables, la pêche industrielle, la chimisation et l’industrialisation de la production agricole, les dérèglements climatiques, la destruction d’animaux sauvages.

La trop grande indifférence humaine envers la biodiversité fait naître un double risque : l’extinction des espèces animales et végétales et la prolifération de nouveaux virus comme ceux responsables du Covid, d’Ebola ou de la grippe aviaire.

La conférence de Montréal se devait donc de prendre en urgence des dispositions de protection et d’amélioration de la biodiversité. Ella a émis avec insistance un certain nombre d’orientations indispensable, positives pour les États qui voudront bien les mettre en œuvre : la protection de 30 % des aires marines, côtières, terrestres et d’eaux douces et la restauration « d’au moins 30 % » des aires dégradées d’ici 2030 ; la réduction de l’utilisation de produits néfastes à l’environnement, la réorientation des aides à l’agriculture afin de favoriser la biodiversité, une aide bien modeste pour les pays du Sud afin de financer les projets dédiés au vivant.

Cet accord est donc bienvenu. Il convient une nouvelle fois de noter qu’il n’y a pas de solution à la protection et l’amélioration de la biodiversité sans discussion et décisions dans un cadre mondial, loin de toutes tentations souverainistes. En clair : l’oiseau migrateur sentinelle de la biodiversité ne connaît pas de frontières. Il ne servirait à rien de le protéger dans un pays, s’il ne l’était pas ailleurs, là où il migre et se reproduit une partie de l’année. C’est donc un nouveau type de coopérations internationales, loin des principes de concurrence ou de l’esprit des traités de libre-échange qui est à l’ordre du jour pour assurer la sécurité humaine et celle de l’environnement.

Le raisonnement est le même à propos de l’eau, de l’air ou des insectes.

La protection, l’amélioration, la restauration de la nature nous obligent à considérer d’abord sa haute « valeur d’usage », son statut de bien commun nécessitant de lui laisser ses capacités de reproduction à l’opposé de son exploitation renforcée ou une utilisation conduisant à l’affaiblir ou à la détruire.

On ne peut donc apporter de solutions convenables à ces défis en continuant de considérer la nature comme une variable d’ajustement de l’économie marchande capitaliste. Or, tel est le point faible de la conférence de Montréal. Il n’est encadré d’aucun calendrier précis, ni d’aucune contrainte à la demande des États et des grandes sociétés transnationales.

Ainsi des objectifs généraux, positifs, peuvent n’être que des mots dès lors qu’ils n’ont pas ou peu d’implications concrètes. Il en est d’ailleurs de même de notre charte nationale pour l’environnement qui prescrit de «  concilier la protection et la mise en valeur de l’environnement avec le développement économique et le progrès social ».

En réalité, c’est toujours le primat des impératifs économiques de rentabilité capitaliste sur les enjeux écologiques. L’intérêt des grandes multinationales de la chimie est de vendre des pesticides et des insecticides, celui des chaînes de supermarché est de développer la pêche industrielle. La pression sur les prix agricoles à la production a éliminé les petits paysans et favorisé une agriculture industrielle. La destruction de la forêt amazonienne est pour une large part le résultat des traités de libre-échange et de la mise en concurrence des paysanneries du monde entier.

Tous les États et l’Union européenne devraient à la suite de cette conférence délibérer et inscrire dans tous leurs textes un principe de non-régression écologique et social. À défaut, le texte de la conférence sera interprété pour obtenir le statu quo, alors qu’il y a urgence. Ainsi, si dans son esprit le texte demande en apparence la réduction des pesticides, les mots qui l’accompagnent sont plus vagues : «  réduire le risque des pesticides et des produits hautement dangereux de 50 % » ne veut pas dire réduire de moitié l’utilisation de ces produits chimiques destructeurs des insectes, des sols tout en étant néfaste pour la santé.

De même l’avancée que constitue la protection d’un tiers des aires terrestres, marines, côtières ne comporte aucune déclinaison pour aucun pays. Enfin il convient de lier plus et mieux, bouleversements climatiques, menaces sur la biodiversité, progrès social et appropriations sociales et citoyennes de grandes entreprises afin de pouvoir piloter la transformation écologique et sociale des modes de production et de distribution…

Elle ne sera possible que par une maîtrise citoyenne de la production par les travailleurs eux-mêmes. De même une nouvelle politique agricole et alimentaire ne se fera que si les paysans-travailleurs en lien avec les consommateurs en sont les maîtres. Autant de conditions pour « démarchandiser » la nature et de réussir l’indispensable bifurcation écologique et sociale. Les modifications climatiques sont facteurs de perte de biodiversité. En retour, protéger et restaurer la biodiversité est une solution pour contrer le réchauffement car elle est un atout pour réduire l’émission de gaz à effet de serre.

Déjà une multitude d’associations, d’organisation d’intérêt public - dont il conviendrait de se rapprocher - militent en ce sens quand ils agissent pour les circuits courts, la défense de la pêche raisonnée et durable, la protection des zones humides essentielles à la préservation de la biodiversité, une gestion collective des forêts comme puits de carbone, contre l’artificialisation des sols, pour augmenter les moyens affectés à la recherche, pour la réorientation des aides publiques à l’agriculture vers des pratiques agroécologiques.

Des modifications législatives et constitutionnelles vont aussi être indispensables pour faire valoir un principe de non-régression écologique et pour un contrôle des impacts sur la biodiversité de tout acte gouvernemental ou législatif. La survie de l’humanité est liée à celle des espèces végétales et animales trop négligées. Puisse les conclusions de cette conférence mondiale sur la biodiversité faire prendre conscience de la situation de notre commun monde et de ses biens communs dont la préservation est antinomique avec la loi de l’argent et appelle à s’engager sur les voies du post-capitalisme.

publié le 27 décembre 2022

Rue d’Enghien :
crime raciste ou
acte terroriste
anti-Kurdes ?

Pierre Barbancey et Gaël De Santis sur www.humanite.fr

L’attaque meurtrière de vendredi à Paris est-elle le fait d’un détraqué xénophobe ? Pour les Kurdes, cet attentat rappelle celui qui a tué trois militantes en 2013.

Des milliers de personnes ont manifesté samedi à Paris, Bordeaux, Strasbourg et Marseille pour rendre hommage aux six victimes, dont trois – une femme et deux hommes – abattues la veille devant le centre culturel kurde de la rue d’Enghien, dans le 10 e arrondissement de la capitale. Un hommage qui a malheureusement parfois dégénéré en incidents avec la police dans la capitale, expression aussi de la colère et de la douleur de la communauté kurde, de nouveau frappée.

L’auteur de la tuerie a été arrêté. Les autorités ont immédiatement voulu écarter toute autre thèse que des motivations racistes, alors que c’est bien le centre culturel kurde qui était visé. Depuis, le tueur a été placé en infirmerie psychiatrique.

Le tueur a-t-il visé les Kurdes ?

Alors que l’homme arrêté est présenté comme assoiffé du sang des étrangers en général, les trois personnes tuées sont des Kurdes. Elles n’ont pas été abattues dans une rue quelconque, mais devant le centre culturel kurde, là où se trouve le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F). Ce même quartier du 10 e arrondissement avait déjà été touché, dix ans auparavant : trois militantes avaient été assassinées. Autre élément troublant : au même moment, ce vendredi, devait se dérouler une réunion rassemblant plusieurs dizaines de militantes kurdes. Le massacre a été évité parce que cette réunion a été retardée de quelques heures. La première victime du tueur n’est autre qu’Emine Kara, une figure emblématique du Mouvement des femmes kurdes. En dépit de la proximité de commerces tenus par des ressortissants venus du continent africain, c’est dans un salon de coiffure kurde que l’homme s’est finalement engouffré, blessant trois clients avant d’être maîtrisé.

Pourtant, dès le départ, il est clairement apparu que les autorités, judiciaires et politiques ont tout fait pour écarter la thèse terroriste. Ainsi, le parquet national antiterroriste ne se sent pas concerné. On peut se demander pourquoi une telle célérité, qui procéderait du fait qu’à ses yeux les Kurdes n’étaient pas spécialement la cible du tueur. Étrange encore de voir avec quelle promptitude le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a affirmé – sans aucun élément d’enquête – que le suspect a « voulu s’en prendre à des étrangers ». Il ajoutait : « Il n’est pas sûr que le tueur qui a voulu assassiner ces personnes (…) l’ait fait spécifiquement pour les Kurdes ». Effectivement, « il n’est pas sûr ». Mais pour être sûr, encore faut-il ne négliger aucune piste. Celle-ci, visiblement ne l’intéresse pas.

Le tueur, qui a été interpellé et placé en garde à vue, a pourtant dit aux policiers qu’il voulait s’en prendre à la communauté kurde tout en évoquant sa «  haine des étrangers ». Raciste, il l’est très certainement. L’an dernier, il avait attaqué au sabre un camp de migrants, mais, assez paradoxalement, demeurait, selon le ministre de l’Intérieur, « inconnu des services de police ». Mais pourquoi les Kurdes ? La réponse à cette question est rendue d’autant plus difficile que sa garde à vue a été levée samedi et que l’homme a été placé en infirmerie psychiatrique. Selon la procureure, récemment sorti de prison pour avoir poignardé des cambrioleurs, il aurait d’abord voulu se rendre à Saint-Denis, mais, explique-t-elle, aurait finalement renoncé « à passer à l’acte, compte tenu du peu de monde présent et en raison de sa tenue vestimentaire l’empêchant de recharger son arme facilement ». D’après le ministère public, il aurait précisé « en vouloir aux Kurdes pour avoir constitué des prisonniers lors de leur combat contre Daech (l’“État islamique” – NDLR) au lieu de les tuer ». Ce qui, alors, ne constituerait plus un mobile raciste ordinaire.

Si, de l’infirmerie psychiatrique, il était finalement hospitalisé, il ne serait plus entendu et l’enquête se trouverait ralentie pour un temps indéterminé, alors que dans deux semaines les Kurdes et leurs amis entendent commémorer les 10 ans de l’assassinat de trois militantes kurdes en plein Paris.

Y a-t-il un lien avec les assassinats de 2013 ?

Dès la tuerie connue, vendredi, nombreux ont été ceux qui ont immédiatement pensé à ces trois meurtres. Fidan Dogan, Sakine Cansiz et Leyla Söylemez ont été elles aussi abattues d’une balle dans la tête. Il est trop tôt pour établir, ou non, un lien avec la nuit du 9 janvier 2013, mais les questions affluent, d’autant plus que ces meurtres n’ont jamais été totalement élucidés. L’assassin a bien été arrêté, mais il est mort de maladie en prison. Il avait des accointances avec les services de renseignements turcs, le MIT.

En revanche, les commanditaires ne sont toujours pas connus. Et pour cause : malgré les demandes de la juge d’instruction, dix ans après, la France refuse de lever le secret-défense qui permettrait d’avoir accès aux notes des services de renseignements français, dont les liens avec le MIT sont officiels. Une position politique qui n’incite pas à la confiance. Surtout, on peut se demander si une nouvelle attaque aurait eu lieu si les vrais responsables de ces meurtres avaient été démasqués. C’est pourquoi toutes les enquêtes devraient être menées sans négliger aucune piste.

Pourquoi la qualification terroriste n’a-t-elle pas été retenue ?

Le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) a appelé à ce que l’attaque de vendredi soit qualifiée par les enquêteurs de « terroriste ». Au sortir de son entrevue avec le préfet de Paris, Laurent Nuñez, Agit Polat, porte-parole du CDK-F (lire notre entretien en page 4), a déclaré : «  Le fait que nos associations soient prises pour cibles relève d’un caractère terroriste et politique. » Pour l’heure, le parquet national antiterroriste ne s’est pas saisi de l’affaire. Le garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, a dit tenir «  à rappeler la différence entre un crime raciste, qui est par nature odieux, et un acte terroriste. La différence, c’est l’adhésion ou pas à une idéologie politique revendiquée ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait lui déclaré que « le tueur a manifestement agi seul ».

Selon l’article 421-1 du Code pénal, certaines infractions et crimes (vol, homicide, séquestration, détention d’armes ou d’explosifs, etc.) sont qualifiés d’ « actes de terrorisme lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Au vu du moment de l’attaque, à l’heure où devait se tenir une réunion importante, il est surprenant que le but de « troubler l’ordre public par la terreur » ne soit pas retenu. En fait, le parquet prend également en compte d’autres faits : la personnalité du suspect, son idéologie. Le parquet de Paris a retenu la personnalité troublée du tireur, « dépressif, solitaire et taiseux », indique-t-il par communiqué, et établi qu’il voulait s’en prendre à des étrangers, d’où le caractère « raciste » retenu de son entreprise.

En écartant dès les premières heures la possibilité d’un acte terroriste ciblant les représentants kurdes, il semble évident que les autorités françaises cherchent à éviter de s’embourber sur une piste politique. Alors que trois militantes kurdes ont été abattues en plein Paris il y a dix ans, le refus de la France de lever le secret-défense concernant cette affaire empêche toujours de savoir qui sont les commanditaires.


 

 

 

Me Antoine Comte : « Quand on veut, on peut saisir le Parquet anti-terroriste »

Alexandre Fache sur www.humanite.fr

Pour Me Antoine Comte, l’avocat des familles des militantes kurdes tuées en 2013 à Paris, il est incompréhensible que le parquet antiterroriste ne soit pas déjà saisi dans l’affaire de la rue d’Enghien.


 

William M., l’homme de 69 ans, soupçonné d’avoir tué trois Kurdes et blessé trois autres personnes vendredi à Paris, a été mis en examen lundi pour “assassinat et tentative d’assassinat en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion, ainsi que pour acquisition et détention non autorisée d’arme”, et incarcéré. L’affaire a créé un émoi tout particulier dans la communauté kurde, qui s’appétait à célébrer le dixième anniversaire de l’assassinat de trois militantes kurdes, Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, le 9 janvier 2013, à Paris. L’avocat des familles de ces militantes, Me Antoine Comte, réagit à cette nouvelle attaque meurtrière contre les Kurdes, au cœur de Paris.

En apprenant ces assassinats du 23 décembre dernier, avez-vous tout de suite pensé à un mobile politique ?

Antoine Comte : On venait, trois jours plus tôt, le 20 décembre, d’avoir une réunion avec les juges d’instruction et les familles des trois femmes kurdes tuées en 2013. Nous avons eu, lors de cette réunion, des éléments nouveaux, attestant de la circulation d’escadrons de la mort turcs, en Autriche, en Allemagne, en Belgique… D’une manière générale, on sentait que le dixième anniversaire de ces assassinats avait créé une tension particulière. Pour la communauté kurde bien sûr, mais aussi dans d’autres sphères, disons… géopolitiques. En apprenant cette nouvelle attaque, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à celle de janvier 2013 et à l’idée d’une attaque ciblée.

Y a-t-il des éléments précis qui accréditent cette thèse de l’assassinat politique ?

Antoine Comte : Il faut être prudent, mais certains ont été évoqués, qui restent à vérifier : l’existence de cette réunion de militantes qui était prévue au moment de l’attaque et a été décalée, du fait des grèves dans les transports ; l’information selon laquelle l’assassin présumé a été déposé par une voiture… Il convient de recouper tout cela. Il y a dix ans, lors de l’assassinat des trois femmes kurdes, le procureur de Paris, François Molins, a immédiatement ouvert une information judiciaire du chef d’infraction terroriste. Je ne comprends pas que, dix ans après, sur des faits très similaires, on ne fasse pas la même chose et que le parquet national antiterroriste ne soit pas saisi. Quand on est au début d’une affaire pareille, qui par définition sème la terreur, on doit comme juriste utiliser les qualifications les plus larges, en l’occurrence celle pour « terrorisme », pour permettre les investigations les plus complètes. Ce n’est pas la décision qui a été prise, et c’est scandaleux. Car elle laisse entendre que pour des raisons politiques, on ne veut absolument pas mettre en cause, même de manière implicite, la politique turque.

Pour vous, c’est une décision politique, plus que juridique ?

Antoine Comte : On peut le penser oui, car la pression politique est très forte. Même s’il y a aussi, de mon point de vue, dans cette affaire, un dysfonctionnement judiciaire massif. Je ne comprends pas comment on a pu remettre en liberté cet individu, déjà plusieurs fois condamné, et qui n’était poursuivi que pour une qualification très légère, suite à son attaque d’un camp de migrants, l’an dernier (« violences avec ITT de moins ou plus de huit jours avec arme, avec préméditation et à caractère raciste et dégradations » - NDLR). On nous explique qu’il avait déjà fait un an de détention préventive, et qu’on ne pouvait pas faire autrement que le libérer. Mais on aurait tout à fait pu le poursuivre sur des bases plus lourdes, et le garder en détention plus longtemps. Par ailleurs, pourquoi n’a-t-il pas été inscrit dans des fichiers de radicalisation ?

Que vous évoque le profil de William M. ?

Antoine Comte : D’abord un racisme assassin, qui se répand malheureusement dans ce pays comme une traînée de poudre. Il y a dix ans, l’assassin des trois militantes kurdes n’avait même pas de passé judiciaire connu, et pourtant, les faits ont été d’emblée qualifiés de terroriste. Et par la suite, à l’issue de l’instruction, l’implication des services turcs a été prouvée. Là, alors que William M. a lui un lourd passé, le PNAT ne bouge pas. Pourtant, il pourrait chercher à savoir, par exemple, avec qui William M. a été détenu, pendant sa période de préventive. Cette pusillanimité du parquet est très troublante.

La procureure de Paris a justifié cette non-saisine par le fait qu’aucun élément ne liait le prévenu à “une idéologie extrémiste”. Vous le comprenez ?

Antoine Comte : Non. Quand on veut, on peut, en matière judiciaire. En 2013, M. Molins n’avait pas plus de preuves que la procureure aujourd’hui, et pourtant, il avait placé cette enquête sous la bannière de l’antiterrorisme. Je ne veux pas ouvrir toutes les portes pour le plaisir. Mais je ne voudrais pas que le parquet, lui, se ferme des portes. Par ailleurs, je trouve honteux, en tant que citoyen français, que mon pays ne soit pas capable de protéger des Kurdes qui se sont fait trouer la peau au nom de la coalition internationale, dans la lutte contre Daesh.


 


 

 

 

Un an avant la tuerie du centre culturel kurde, une attaque au sabre contre des exilés passée sous silence

Nejma Brahim sur www.mediapart.fr

Un an avant la tuerie rue d’Enghien visant la communauté kurde, l’assaillant s’en était pris à des exilés vivant sur un camp à Bercy, dans l’Est parisien. Au lieu d’être pris en charge et reconnus comme des victimes, ces derniers ont subi une garde à vue et la plupart d’entre eux sont restés livrés à eux-mêmes, malgré les traumatismes.

C’est une attaque raciste dont peu de gens ont entendu parler, malgré la gravité des faits. Il y a un peu plus d’un an, le 8 décembre 2021, un camp d’exilés situé à Bercy à Paris était attaqué au petit matin par un homme venu déverser sa haine des étrangers. Le même homme qui, vendredi 23 décembre 2022, tuait trois personnes kurdes et en blessait trois autres rue d’Enghien, dans le Xarrondissement, et qui admettait, après avoir été interpellé et placé en garde à vue, avoir agi ainsi parce qu’il était « raciste » et parce qu’il avait développé une « haine pathologique des étrangers ». Il a depuis été mis en examen et placé en détention provisoire.

L’an dernier pourtant, pas grand monde (hormis les associations d’aide aux migrants) ne s’était interrogé sur ses motivations alors qu’il avait attaqué, au sabre, des exilés qui survivaient sous des tentes, sur les hauteurs du parc de Bercy. « Il était 7 heures du matin quand cet homme a débarqué avec un sabre et a commencé à secouer les tentes dans lesquelles les exilés dormaient », raconte Paul Alauzy, chargé de projet à Médecins du Monde, qui faisait régulièrement des maraudes sur place et suivait ce camp, où étaient installées une soixantaine de personnes.

« Un Soudanais est sorti de sa tente et a aperçu le gars, qui ne l’attaque pas frontalement sur-le-champ mais fait semblant de faire du sport. » Selon Paul Alauzy, l’assaillant attaque ensuite l’exilé soudanais par-derrière, alors qu’il est en train d’uriner, avant d’être maîtrisé par trois personnes vivant sur le camp qui le « frappent avec une branche pour lui faire lâcher son arme ». « Après les faits, plusieurs des victimes ont confié l’avoir entendu tenir des propos racistes durant l’attaque, comme “marre des étrangers” ou “dehors les étrangers” », poursuit Paul Alauzy, se référant aux témoignages qu’il a recueillis après le drame. Il évoque un « traumatisme énorme » pour les rescapés, « qui ont vu le sang et ont entendu les cris ».

Sur des photos que Mediapart a pu se procurer, le sabre utilisé par l’agresseur, long d’un mètre environ, gît sur le sol ; tandis qu’à quelques mètres de là, toujours sur les lieux du drame, la dalle en béton a eu le temps d’absorber des taches de sang. Une vidéo tournée ce jour-là et que nous avons pu visionner montre plusieurs véhicules de police et un camion de pompiers s’affairer sur place, ainsi qu’une silhouette allongée dans l’herbe, enveloppée d’une couverture de survie dorée.

Quatre exilés placés en garde à vue, dont un menacé d’expulsion

« Beaucoup étaient venus se réfugier chez nous après le drame. Ils étaient tous en état de choc », se souvient Cloé Chastel, à l’époque cheffe de service de l’accueil de jour géré par l’association Aurore – un lieu, situé quai d’Austerlitz, où peuvent venir se reposer, en journée, les demandeurs d’asile et réfugiés dans le Sud-Est parisien. Mais quatre exilés ont été interpellés et placés en garde à vue, explique-t-elle, tandis que l’agresseur, William M., a été transféré à l’hôpital pour une blessure à la main.

Ils sont restés en garde à vue durant deux jours avant d’être déférés devant le juge pour « violences en bande organisée », confirme à Mediapart l’avocate qui a défendu deux des exilés concernés. Le juge les a finalement libérés et placés sous le statut de témoins assistés. Cloé Chastel, qui a suivi la situation dans les jours qui ont suivi l’attaque, dit ne pas comprendre. « Ils ont été gardés à vue sans explications alors qu’ils venaient d’être agressés. Ils nous ont dit que dans un premier temps, la police a considéré qu’ils étaient tous sans-papiers, alors qu’il y avait deux réfugiés et un demandeur d’asile dans le lot. »

Le quatrième homme, âgé de 31 ans au moment des faits et originaire du Maroc (le seul à être sans-papiers), s’est vu délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai à l’issue de sa garde à vue. Dans le document daté du 9 décembre 2021, la préfecture de police de Paris indique que « le comportement de l’intéressé a été signalé aux services de police le 8 décembre [soit le jour de l’attaque au sabre – ndlr] pour violences volontaires avec arme et en réunion » et que « ces faits constituent une menace pour l’ordre public ».

Pour contester cette décision dans les délais (sous 48 heures), l’avocat de permanence ce jour-là saisit le tribunal administratif et pointe une « erreur manifeste d’appréciation ». « Le préfet a retenu contre Monsieur […] que son comportement avait été signalé par les services de police pour violence avec arme et en réunion alors même qu’il est victime d’une tentative de meurtre avec arme dans ce dossier. Le juge d’instruction a confirmé qu’il avait placé Monsieur […] sous le statut de témoin assisté », souligne-t-il.

Et d’ajouter : « Non seulement il n’est pas mis en examen mais de plus, tout éloignement sans délai méconnaîtrait son droit au juge conventionnellement et constitutionnellement garanti. »

Un rassemblement de soutien réprimé

Après avoir été libérés, les exilés – comme les autres habitants du camp – se seraient de nouveau retrouvés à la rue selon Cloé Chastel, dont la structure a fait intervenir une cellule psychologique pour les victimes et témoins de la scène. « On les a raccompagnés sur le camp et on a demandé à ce qu’il y ait une présence policière, en vain. Ils avaient très peur de rester sur place. L’une des victimes, un réfugié soudanais, avait déjà des troubles psy que l’attaque est venue aggraver. Il s’est mis à dormir dans les bouches de métro tant il était terrorisé. »

Paul Alauzy, de Médecins du Monde, se souvient aussi d’un jeune homme tombé en pleurs dans les bras de sa collègue. « Ils n’ont pas fui des conflits en Érythrée, au Soudan ou en Afghanistan pour revivre ça ici », déplore celui dont l’organisation, avec d’autres associations d’aide aux exilés, a voulu se rassembler dans le parc de Bercy, au lendemain de l’attaque, pour « soutenir » et « rassurer » les exilés, mais aussi pour réclamer aux autorités une mise à l’abri de ces personnes, avec des solutions d’hébergement.

Mais à leur arrivée à Bercy en début de soirée, les travailleurs sociaux, bénévoles associatifs et traducteurs ont vite été nassés par les CRS et la Brav-M (voir ce tweet), qui ont considéré que le rassemblement n’était pas déclaré. « On a essayé de parlementer calmement avec eux, en expliquant qu’on venait en soutien après l’attaque raciste, mais ils nous ont contrôlés puis verbalisés », s’étonne encore Paul Alauzy. « On pensait qu’ils venaient là pour les protéger et ils voulaient juste nous verbaliser, alors qu’on était là dans le cadre de notre travail. C’est scandaleux et c’est d’une violence incroyable », complète un autre.

Au moins 19 personnes de différentes organisations (Aurore, Utopia 56, Médecins du Monde, Paris d’exil ou Solidarité Migrants Wilson) ont reçu une amende d’un montant de 135 euros ce jour-là, « pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique ».

« À la veille de Noël, envoyer des amendes aux associatifs venus aider les personnes exilées victimes d’une attaque raciste et contraintes de vivre dans des conditions indignes sous des températures négatives… Un vrai révélateur du cynisme avec lequel l’accueil est pensé », tweete alors Médecins du Monde.

La majorité des exilés sont restés à la rue, sans prise en charge

Selon plusieurs témoins, les exilés ont pu rester en dehors de la nasse. Mais Paul Alauzy et sa collègue Clothilde Collomb sont interpellés et placés en garde à vue : « On nous a emmenés au commissariat du XIIarrondissement, fouillés et intimidés. Un agent de police est même venu me voir en me demandant si je comptais faire venir tous les migrants en France, et si mon travail se résumait à ça », relate Paul Alauzy. Tous deux sont finalement relâchés au prétexte que l’officier de police judiciaire « ne peut les recevoir ».

Beaucoup des exilés vivant sur ce camp ont disparu dans la nature. Selon nos informations, certaines des victimes seraient toujours à la rue, d’autres vivraient en squat. Mais nos efforts n’ont pas permis de les retrouver. Seul un monsieur de nationalité soudanaise (celui qui a été le plus grièvement blessé au moment des faits), âgé d’une quarantaine d’années, a pu bénéficier du suivi social de la Ville de Paris, par l’intermédiaire de Ian Brossat, élu en charge du logement, de l’hébergement d’urgence et la protection des réfugiés, et a obtenu un logement dans une résidence sociale à Paris. Sollicité à plusieurs reprises, il n’a pas donné suite.

Deux autres hommes ont été orientés, grâce à l’intervention du centre d’accueil de jour Aurore une semaine après l’attaque, vers un hébergement d’urgence de type hôtel, à Paris, sans qu’on ne sache ce qu’ils sont devenus depuis.

Un an de détention provisoire

Après cette attaque, William M., qui est aussi l’auteur de la tuerie plus récente rue d’Enghien à Paris, a été mis en examen le 13 décembre 2021 pour « violences avec ITT de moins ou plus de huit jours avec arme, avec préméditation et à caractère raciste et dégradations » et placé en détention provisoire.

Il a été libéré le 12 décembre dernier, au bout d’un an, car l’infraction retenue contre William M. pour cette attaque était passible d’une peine inférieure à dix ans d’emprisonnement et celui-ci ne pouvait ainsi pas être détenu provisoirement pendant plus d’un an. Si la justice avait par exemple retenu la qualification de « tentative de meurtre », l’auteur présumé serait peut-être toujours derrière les barreaux.

Placé sous contrôle judiciaire, William M. a été astreint, selon le parquet de Paris, à une interdiction de contact avec les victimes, une obligation de soins psychiatriques et une interdiction de détenir et porter une arme, ce qui ne l’a pas empêché d’en obtenir une pour attaquer la communauté kurde, seulement douze jours après sa libération.

« Ce qui est choquant dans tout ça, c’est le traitement raciste de cette histoire autour de l’attaque du camp à Bercy. Si l’agression avait été prise au sérieux à l’époque, on aurait peut-être évité la mort des personnes kurdes vendredi dernier », estime Cloé Chastel.

William Dufourcq, responsable associatif ayant suivi l’affaire à cette période, se dit choqué par l’attitude de la police, qui a, à ses yeux, « stigmatisé et persécuté les exilés alors qu’ils étaient victimes ». « À cause d’un filtre raciste, la police a mis au même niveau l’agresseur et les victimes. Le traitement aussi léger de cette attaque par les forces de l’ordre est clairement lié à la couleur de peau des personnes agressées », dénonce-t-il, estimant que si les victimes avaient été blanches, « il y aurait eu un vrai suivi psy de l’assaillant » et le « système judiciaire aurait traité les choses différemment ». « On n’aurait pas eu le drame rue d’Enghien. »

publié le 27 décembre 2022

SOS Médecine !

Jean-Emmanuel Ducoin sur www.humanite.fr

Les années passent et notre système de santé continue de s’effondrer. Alors que nous traversons une triple menace, celles d’une diffusion à haut niveau du coro­navirus, d’une épidémie de bronchiolite aiguë et de grippe, plusieurs collectifs appellent donc à la grève les médecins libéraux jusqu’au 2 janvier, dans le but, notamment, d’obtenir une revalorisation des tarifs de leurs consultations de 25 à 50 euros. On pensera ce qu’on voudra de ces motivations, mais ces fermetures de cabinets, en pleines fêtes, augmentent évidemment la pression sur les centres hospitaliers, déjà exsangues, et aggravent une situation proche de l’apoplexie. D’ores et déjà, les passages aux urgences sont en forte hausse, de 20 à 30 % par rapport à la normale.

Tel un cruel révélateur, l’inquiétude des autorités face à cette nouvelle épreuve sanitaire en dit long sur l’ampleur du moment. Tandis que le ministre de la Santé, François Braun, parle d’ « un cap difficile à passer », l’urgentiste Patrick Pelloux évoque pour sa part une situation « jamais vue », même au plus fort de la crise du Covid. Et il avertit : « Nous ne sommes pas au bord de la saturation, nous sommes totalement saturés. » En vérité, partout sur le territoire, les conditions d’accès aux soins ne sont plus tenables et deviennent dangereuses pour les patients, plus ou moins mis en danger selon les circonstances.

On ne dira jamais assez la respon­sabilité des gouvernements successifs et le manque d’anticipation de l’actuel exécutif. Depuis mars 2020, date du premier confinement, non seulement rien n’a changé, mais tout paraît plus encore sombre et en voie de démembrement accéléré. Une affligeante constatation s’impose : pour les soignants, le « nouveau monde » ressemble furieusement à celui d’avant… en pire ! Soyons sérieux. Le problème vient-il de l’afflux de patients dans les services, ou du manque de places dans les hôpitaux ? N’oublions pas que 100 000 lits ont été supprimés en vingt-cinq ans et que, aujourd’hui en Île-de-France, environ 30 % des lits restent désespérément fermés par manque de personnel. L’idée d’un pays « déclassé » ne vient pas de nulle part, quand bien même la protection de la santé figure dans notre Constitution. En sommes-nous toujours dignes ? 


 


 

Les patients sont-ils
la priorité ?

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Alors que l’accès aux soins devient de plus en plus difficile, nous assistons à des négociations complètement hallucinantes entre l’assurance-maladie et les représentants des médecins. La baisse du nombre de généralistes a été sciemment organisée et se poursuit. La médecine générale n’est pas la plus prisée en raison des conditions de travail et du différentiel de rémunération avec d’autres spécialités. Par ailleurs, le maintien de la rémunération à l’acte sclérose le système. Aujourd’hui, plus de 60 % des dépenses de la Sécurité sociale concernent des patients de plus de 50 ans, atteints de maladies chroniques qui se soignent mais ne se guérissent pas. Leur prise en charge nécessite une équipe de professionnels de santé qui collaborent étroitement et interviennent de manière régulière. Empiler des soins sans véritable coordination aboutit à un résultat médiocre, tout en multipliant des actes techniques coûteux.

La situation actuelle n’est plus acceptable, avec 6,5 millions de personnes sans médecin traitant dont plus de 600 000 atteintes d’affections de longue durée. L’accès aux spécialistes est de plus en plus difficile, la généralisation des dépassements d’honoraires entraînant renoncement aux soins, prise en charge retardée et, au final, une dégradation de l’état de santé des patients. La réponse actuelle est un palliatif de mauvaise qualité, avec des centres de soins non programmés et des téléconsultations qui amènent une sorte d’ubérisation de la médecine : seul un médecin traitant attitré et disponible est capable d’assurer un suivi régulier.

Dans ce contexte, focaliser les négociations sur la seule augmentation du montant de la consultation à 50 euros est une grave erreur. Au regard des expériences menées et des expressions des jeunes médecins, il est indispensable de réfléchir à modifier les modes d’exercice et de rémunération des médecins. L’exercice dans des structures collectives pluriprofessionnelles montre son efficacité, avec une grande satisfaction des professionnels. Par ailleurs, le salariat attire de plus en plus. Il a comme avantage de débarrasser les praticiens des tâches de gestion et d’organisation qu’impose l’exercice libéral. Le salariat n’a rien de dégradant et n’implique pas une perte de liberté des professionnels. Les statuts de salariés peuvent être variés, depuis celui de fonctionnaire jusqu’à celui de salarié d’une structure coopérative. Face à la gravité de la crise actuelle, une politique de rupture est nécessaire autour de deux axes : la réponse aux besoins des patients, qui doit être la priorité, et une amélioration des conditions de travail et de rémunération des professionnels de santé.


 


 

Importation de médecins

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Alors que notre système de santé est en train de s’effondrer, le gouvernement propose d’importer des médecins dans le cadre d’un dispositif d’immigration choisie. De prime abord cela apparaît comme de bon sens mais, en fait, il s’agit une nouvelle fois d’instrumentaliser le débat pour ne pas aborder les vrais problèmes. Près de 25 000 médecins exercent déjà en France avec un diplôme étranger, soit 10 % de l’ensemble de la profession en activité. Par ailleurs, près de 14 % des nouveaux inscrits chaque année sont dans le même cas. Or, si des arrivées importantes ont été constatées lors de l’entrée des anciens pays d’Europe de l’Est dans l’Union européenne, cette source a tendance à se tarir car ceux qui voulaient vraiment quitter leur pays l’ont déjà fait. Par ailleurs, ils travaillent, pour 60 % d’entre eux, comme salariés dans les hôpitaux et peu s’installent en libéral. Enfin, de nombreux pays ayant mené la même politique que la France, des tensions démographiques sont présentes dans plusieurs États européens.

Il reste alors les pays d’Afrique francophone et du Moyen-Orient, mais un grand nombre de médecins formés dans ces zones exercent déjà en France dans les hôpitaux sous des statuts qui confinent à de l’esclavagisme moderne. Vouloir en attirer encore plus en France, c’est piller ces pays qui les ont formés et qui ont peu de chances de les voir revenir. De plus, cette mesure s’insère dans un projet de loi aux mesures très restrictives en termes de durée de séjour sur le territoire français. En effet, il est prévu une procédure complexe d’aptitude à exercer uniquement dans les hôpitaux pour une durée de un à quatre ans. Ce dispositif, s’il se voulait attractif, devrait offrir des rémunérations et des conditions d’accueil pour les praticiens et leur famille à hauteur de ce que sont en droit d’attendre des expatriés qui n’ont pas vocation à rester définitivement dans le pays. Manifestement, cet aspect n’a pas été pris en compte.

Plus important, le problème de la démographie médicale touche bien entendu l’hôpital mais, surtout, la médecine générale en ville. Il s’agit donc encore d’un leurre pour éviter le vrai débat, qui est celui de la mise en place d’un véritable service public de santé associant la médecine de ville et l’hôpital, dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire assurant une égalité de traitement de tous les citoyens quel que soit leur lieu de résidence. Visiblement, l’objectif du gouvernement est de laisser se dégrader encore plus la situation pour ouvrir la porte à un système privé pour ceux qui pourront se le payer. Car la nature a horreur du vide et il sera facile aux assureurs de proposer des contrats permettant un accès privilégié et sans délai à des médecins agréés qu’ils auront recrutés.

  publié le 26 décembre 2022

Vincent Jarousseau :
« Pour une auxiliaire de vie, il faut attendre 15 ans pour atteindre le Smic »

par Maÿlis Dudouet sur https://basta.media/

Elle sont aides à domicile ou éducatrices. Trois millions de femmes travaillent dans les métiers essentiels du lien, souvent dans l’ombre. Dans Les Femmes du lien, le journaliste Vincent Jarousseau leur donne une voix et un visage. Entretien.

Elles sont aides à domicile, assistantes maternelles, auxiliaires de vie sociale ou encore accompagnantes éducative et sociale. Leurs salaires sont faibles et leurs conditions de travail difficiles. Le photographe Vincent Jarousseau est allé à la rencontre de huit femmes qui exercent ces métiers dits « du lien », pour raconter leur travail et leur quotidien.

 basta!  : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ces métiers ?

Vincent Jarousseau : Le choix initial était de mener un projet sur les métiers du lien au sens large, et qui correspond à une accumulation d’observations au cours de mes deux précédents ouvrages, L’Illusion nationale, coécrit avec Valérie Igounet et pour lequel on avait enquêté sur les électeurs du Front national dans trois villes dirigées par le parti et Les Racines de la colère, qui était un travail d’enquête à Denain, dans le Nord, sur la mobilité des classes populaires. Cet ouvrage s’achève sur la naissance du mouvement des Gilets jaunes.

Je travaille depuis plus de dix ans sur la fracture française et les populations invisibilisées. Au cours de ces différents projets, j’ai souvent croisé la route de femmes du lien. Pour paraphraser le sociologue Benoît Coquard, on retrouve « ceux qui restent » dans les territoires enclavés, tandis que les plus diplômés s’en vont [1].

On retrouve les hommes dans les métiers de la route et du BTP et les femmes dans ces métiers du lien, qui ont des positions centrales sur ces territoires. Avec François Ruffin, on a observé les mêmes choses. Lui, il a fait un travail parlementaire sur les métiers du lien. Et il m’a sollicité avec l’aide à domicile Marie-Basile, que j’ai connue pendant le premier confinement.

Comment avez-vous choisi les territoires sur lesquels vous avez travaillé pour cet ouvrage ?

Vincent Jarousseau : Mon choix, c’était de partir de la réalité des femmes qui travaillent dans ces métiers dans la France périphérique. Je me suis intéressé à l’Avesnois, au sud de Maubeuge, un décor postindustriel avec une culture ouvrière très présente, où ce sont les « filles du coin » (du livre de la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy, Les Filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural, ndlr). Ce sont des femmes aux rôles d’aidantes, et qui incarnent aussi un fort investissement local associatif.

Je suis également allé en banlieue périphérique. La différence dans les milliers urbains et périurbains, c’est que ces métiers sont souvent occupés par des femmes nées à l’étranger. Elles n’ont pas d’attaches locales, elles habitent loin, leurs temps de trajets sont très importants, et elles subissent plus fortement la pression du logement. Marie-Basile, aide à domicile, a l’impression d’être une ombre. Pourtant, ces femmes discrètes, on les croise tout le temps, sans les voir : elles sont dans les transports en commun.

Vous précisez à chaque fois le salaire de ces travailleuses, entre 875 euros et 1900 euros nets, soit environ 1,5 Smic pour une éducatrice spécialisée. Comment expliquez-vous que ces métiers essentiels soient si peu payés ?

Vincent Jarousseau : Pour une auxiliaire de vie, le salaire moyen est de 950 euros, il faut attendre 15 ans pour atteindre l’équivalent du Smic mensuel. En plus, les trajets ne sont pas comptabilisés. Ce sont donc des femmes qui travaillent à temps plein, mais qui sont payées partiellement. Julie, par exemple, est éducatrice spécialisée. Elle a de l’ancienneté, avec une vingtaine d’années d’expérience et un master. Elle est très diplômée, mais elle ne gagne que 1900 euros par mois. C’est une profession qui s’est considérablement dégradée dans sa reconnaissance sociale et salariale - les éducateurs spécialisés gagnaient l’équivalent de deux Smic il y a 40 ans - de manière concomitante avec la féminisation du métier.

« Les femmes du lien, c'est une travailleuse sur quatre. Tout le monde - y compris la gauche - a oublié ces métiers »

Bien sûr, il y a beaucoup d’explications à cette situation. Nombre de ces professions sont nées assez récemment. Il n’y en avait que 40 000 aides à domicile en 1974. Aujourd’hui, avec le vieillissement de la population, elles sont 15 fois plus. Auparavant, ces tâches étaient davantage prises en charge gratuitement par des femmes, tout cela s’est professionnalisé. Dans l’inconscient collectif, il y a un peu une façon de compter sur le « don de soi » des femmes, même si ce n’est pas ce que je pense.

Outre les différences salariales hommes-femmes, si les métiers du lien sont aussi mal rémunérés, c’est aussi parce que la prise en charge du soin est socialement peu valorisée. La question n’est pas que politique, mais aussi sociétale. C’est un investissement général : quelle est notre contribution à la prise en charge de la dépendance et de la fragilité ? Il y a eu des débuts d’évolution avec le Covid, mais elles ont vite été oubliées.

Les femmes du lien représentent trois millions de travailleuses. C’est environ une salariée sur quatre. Tout le monde - y compris la gauche - a oublié ces métiers. Or, les métiers dont on parle, ce sont les métiers du vivant : elles gèrent des situations de vulnérabilité. On sait que la société vieillit, les besoins de ces métiers sont croissants. Il va falloir mettre les moyens, car on est arrivés à une situation extrêmement critique. Aujourd’hui au plan national, on a 20 % de refus de prise en charge dans les services d’aides à domicile pour les personnes en situation de dépendance.

En voiture ou en transports en commun, ces travailleuses semblent toujours en mouvement. Ces déplacements incessants aggravent-ils encore les conditions de travail ?

Vincent Jarousseau : Les auxiliaires de vie en milieu rural font beaucoup de kilomètres et travaillent majoritairement avec leur propre véhicule. Elles ont des frais kilométriques partiellement remboursés, mais elles restent extrêmement soumises aux variations des frais de l’essence. Récemment, il y a eu une petite amélioration salariale, mais qui a totalement été absorbée par la hausse des prix du carburant. Elles ont beau essayer de limiter la longueur des trajets, en milieu rural, c’est difficile de faire autrement. En milieu urbain, elles ont aussi de longs trajets domicile-travail. La rémunération du temps passé dans les transports est une question centrale.

Quels sont les impacts physiques de ces métiers sur la santé ?

Vincent Jarousseau : Ce sont des métiers où le taux de sinistralité, soit le pourcentage d’accidents du travail et de maladies professionnelles, est extrêmement élevé. Pour des métiers comme aides-soignantes ou auxiliaire de vie, on est sur des taux de 30 %, supérieurs à ceux des ouvriers du BTP.

« Ce sont des métiers où le pourcentage d’accidents du travail et de maladies professionnelles est extrêmement élevé »

C’est un métier dans lequel on est souvent en invalidité à 50 ans, pour plein de raisons. Par exemple, Marie-Basile souffre de lombalgie, a été arrêtée six mois. Il y a certes des machines comme les lève-personnes, mais vous ne pouvez pas les utiliser pour tout. C’est par exemple difficile pour le geste du coucher.

Une partie de vos portraits se déroulent durant le Covid. Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté la vie et le métier des ces femmes ?

Vincent Jarousseau : Elles ont essayé de continuer le plus normalement du monde. Ça les a affectées parce qu’il y avait la peur du virus. Rachel, accompagnante éducative et sociale, était frappée de plein fouet par un cluster dans son Ehpad. Marie-Basile, aide à domicile, n’avait pas le choix et déposait sa fille chez une voisine qu’elle connaissait à peine parce qu’il n’y avait pas de système de garde d’enfants à l’école.

Il y a aussi Marie-Ève, assistante familiale. Elle a fait un burn out pendant le confinement, car elle a continué à gérer des enfants. C’était la première fois de sa vie qu’elle en faisait un, à 57 ans, en fin de carrière. Les enfants dont elle s’occupait ont été placés en relais dans un foyer. Je l’ai rencontrée après. Cet épisode a été une énorme remise en cause pour elle. À l’été 2020, il y a eu le Ségur de la santé, qui a décidé de la prime Covid pour les métiers du soin. Toutes les professions dont je parle dans le livre, à l’exception de Marie-Claude, aide-soignante en hôpital, ont été les oubliées de ce dispositif. Marie-Claude dit : « Ces applaudissements on a l’impression que c’était pas du tout pour nous. »

Vous notez qu’il arrive que dans une même famille, plusieurs générations de femmes se succèdent dans ces mêmes métiers. Est-ce une forme de reproduction sociale ?

Vincent Jarousseau : Ces femmes ont connu des contraintes sociales différentes, souvent des assignations sociales de genre. C’est pour ça que chaque femme « s’autobiographie » dans la partie BD du livre. Elles racontent leur vie et leur enfance. Il y a des exceptions. Marie-Claude, aide-soignante franco-camerounaise travaillant à Bobigny, avait fait une formation technique d’électricité à Yaoundé avant de devenir aide-soignante en France. Un autre point commun à toutes ces femmes, c’est qu’elles sont souvent très attachées à l’idée de ne pas dépendre d’un homme.

« Un point commun à toutes ces femmes, c'est qu'elles sont souvent très attachées à l’idée de ne pas dépendre d’un homme »

Je n’ai pas envie de parler d’assignation, mais de transmission. C’est vrai que le champ des possibles se réduit quand on habite une zone enclavée et que maman gagne 1300 euros par mois. Pour une jeune de 18 ans dans cette situation, aller faire des études ne serait-ce que dans une ville voisine, c’est très compliqué. C’est un sujet sur lequel travaillent des associations comme Chemins d’avenir.

Pourquoi ces métiers restent-ils aussi invisibilisés par les médias comme par les politiques ?

Vincent Jarousseau : Il y a une avancée des politiques en général. Mais, même si certains s’y intéressent, il n’y a pas d’imaginaire collectif autour de ces professions. J’ai appelé ce livre les « femmes du lien » parce que je pense que c’est important de relier ensemble ces métiers du lien social.

Je ne dis pas qu’il faut créer un grand service public centralisé, parce que les Ddass (Directions départementales des affaires sanitaires et sociales, ndlr) ce n’était pas bien mieux. En revanche, une question se pose sur la place des opérateurs privés à but lucratif, qui font des marges importantes.

Selon vous, quelles politiques devraient être menées, en priorité, en faveur de ces métiers ?

Vincent Jarousseau : Si on veut arriver vers une société du care, une société où l’on prend soin des autres, ça suppose un investissement. Qu’est-ce qui est important ? Générer du profit dans des activités destructrices de l’environnement, ou privilégier la prise en charge du vivant ? Il faut faire le ménage et sortir du champ concurrentiel. Aujourd’hui, le social, ce n’est pas du tout la priorité du gouvernement, malgré tout ce qui a été dit pendant la pandémie. La bonne volonté ne suffit pas. Il faut dégager les quelques milliards supplémentaires pour ces professions sous-rémunérées, pour travailler dignement à la fois pour les personnes et la qualité de la prise en charge. Mais il ne s’agit pas seulement des politiques. Il faut aussi que les gens se saisissent de ces questions.

Notes

[1] Voir le livre Ceux qui restent- Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Benoît Coquard, La Découverte.

publié le 26 décembre 2022

Réflexions
pour toute la gauche

Roger Martelli | sur www.regards.fr

La gauche française est dans une situation pour le moins délicate, au cœur d’une crise politique sans précédent et d’une incertitude démocratique inédite dans notre pays. L’analyse de Roger Martelli.

Le contexte a été maintes fois décrit ici même : le flanc gauche de la gauche s’est renforcé, mais la gauche dans son ensemble reste dans ses très basses eaux. Au sein de la droite archi-majoritaire, la dynamique est du côté de ses variantes les plus radicalisées. Dans une France plus divisée que jamais, la colère s’entremêle avec l’inquiétude et nourrit le ressentiment bien davantage que la combativité. Du coup, l’obsession de la protection nourrit la tentation de l’extrême droite et les catégories populaires dispersées peinent à être une multitude qui lutte, a fortiori à être un peuple politique capable de rompre avec les logiques sociales dominantes.

La Nupes : des atouts mais…

Il est vrai que la création de la Nupes a été malgré tout un souffle d’air frais, dans une gauche anémiée par trop d’années de tentation puis de domination sociale-libérale. Elle permet aujourd’hui à ses composantes les plus à gauche de donner de la voix, en premier lieu à l’Assemblée nationale. De ce fait, l’éclatement de ce cadre serait un recul, qu’il serait déraisonnable de ne pas vouloir éviter. Par expérience, on sait ce qui peut très vite miner l’alliance inattendue : le jeu des identités partisanes, l’esprit d’hégémonie, l’exacerbation des différences, l’engrenage des méfiances.

Il ne suffit pas d’en rester là : la mauvaise volonté et le désir de nuire ne sont pas les seuls obstacles. Les enjeux contemporains de la transformation sociale sont en effet gigantesques : contrer l’obsession de l’identité en renforçant et modernisant le parti pris de l’égalité, retisser les liens de la combativité sociale et des constructions politiques, réconcilier la gauche et les catégories populaires, relégitimer l’action politique organisée, redonner à chaque programme et à chaque proposition le souffle d’un projet alternatif, récuser toute banalisation de l’extrême droite. Or ni les dérives réputées « populistes » qui ont tenté LFI, ni les crispations identitaires du PCF, ni les balancements entre rupture et accommodement qu’ont connus les socialistes et les Verts n’ont pas permis de faire face à ces enjeux. Mieux vaut se convaincre au départ qu’ils ne le permettront pas à l’avenir.

En elle-même, l’addition des composantes ne suffit pas davantage. À ce jour, comme feu le Front de gauche, la Nupes reste un cartel, que les circonstances ont structuré autour de l’action parlementaire. Pour qu’elle devienne une réalité pérenne et pleinement populaire, encore convient-il de ne pas ignorer un fait majeur : historiquement la gauche se décline toujours au singulier et au pluriel – « la » gauche et « les » gauches. Il est toujours difficile de construire son unité – sans laquelle aucune majorité n’est possible – tout en respectant sa diversité – sans laquelle toute dynamique est en panne. La Nupes doit-elle donc être le lieu d’organisation de toute la gauche et comment éviter dans ce cas qu’elle soit placée sous hégémonie ? Ou doit-elle être avant tout le lieu de convergence d’une gauche plus à gauche, d’une gauche de rupture et qu’advient-il alors de cette « autre gauche » qui en a été historiquement le pendant ?

Quelle que soit la réponse à ces questions générales, elles seront conditionnées par une double avancée stratégique : d’une part, la réarticulation de plus en plus cruciale de la critique sociale en actes et du champ proprement politique ; d’autre part, l’expérimentation de formes d’organisation politique durables, dépassant la double crise de la « forme-parti » et du « mouvementisme ».

C’est là que la réflexion critique sur l’histoire peut avoir son utilité, certes pas pour trouver des solutions toutes faites mais, à tout le moins, pour formuler des pistes et éviter des pièges. Prenons par exemple le cas du Parti communiste français, qui domina la gauche de la Libération aux années 1970. Il fut longtemps tenu pour le modèle même du parti de masse et il en a présenté bien des qualités : la densité de sa composition populaire, sa cohérence d’action sur des durées suffisamment longues, son souci de l’éducation militante, son attention à l’idéologie et au symbolique, la variété de ses pratiques militantes, partisanes, syndicales, associatives, culturelles. Mais ces qualités ont été aussi niées par leur contraire : la vision du monde rabattue au rang de doctrine fermée ; la cohérence transformée en modèle reproductible à l’infini ; l’attachement au parti devenu obsession d’une identité vécue sur le registre de la différence ; la peur de la dissidence légitimée par la formule selon laquelle « le parti a toujours raison » ; l’indifférenciation générale de l’organisation (le collectif prime sur l’individu) ; la confusion entre le parti et son appareil, voire entre l’appareil et le premier dirigeant. Qui, aujourd’hui, peut dire qu’il incarne les qualités et qu’il est prémuni par nature contre ces défauts ?

Souvenirs d’une expérience : les refondateurs du PCF

Pendant de longues années, j’ai partagé la vie des militants communistes et participé à leurs directions. À l’intérieur du parti, avec d’autres, j’ai longtemps essayé d’expliquer qu’à persister dans ses manières de fonctionner, de penser et d’agir, le PCF risquait de méconnaître les mutations sociales gigantesques en cours et que, ce faisant, il pouvait se rabougrir, s’affaiblir et même se marginaliser. Plus que de raison, j’ai vécu ce que j’ai ressenti comme de la méfiance voire de l’hostilité. N’apportai-je pas du grain au moulin de l’adversaire de classe ? Plutôt que d’inquiéter, ne valait-il pas mieux conforter l’optimisme militant pour alimenter la combativité collective ? Fallait-il institutionnaliser dans le parti l’existence de sensibilités, comme cela se fait dans la société politique ? N’était-ce pas alors mettre le doigt dans une logique de tendances, qui altère l’unité militante au profit de petites coteries, fonctionnant en quasi partis et finissant par oublier l’intérêt commun au profit de celui de la caste particulière ?. Le jeu des tendances était assimilé à la culture sociale-démocrate et au magistère des beaux parleurs. Le parti d’action des révolutionnaires, soucieux avant ou d’efficacité, devait avoir d’autres méthodes et d’autres modes de fonctionnement que ceux qui régissent la vie sociale en général…

C’était malheureusement oublier que cette culture avait pris racine au temps des guerres civiles européennes, quand les premiers statuts de l’Internationale communiste de Lénine affirmaient (juillet 1920) que le parti « ne pourra remplir son rôle que s’il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs, exerce une autorité incontestée et bénéficie de la confiance unanime des militants ». C’était oublier que ce souci de l’unanimité avait peu à peu permis que la passion de la cohérence se transforme en conformité et en obédience. Alors le pouvoir réel avait pu glisser, des militants vers la direction collective, puis vers le premier dirigeant qui, par touches successives, finissait par être le plus légitime pour énoncer la doctrine, pour mettre en forme la stratégie, pour fixer la ligne politique et, surtout, pour décider quand le moment était venu de passer d’une ligne à une autre, contredisant éventuellement la précédente.

Telle est l’expérience que j’ai vécue. Je ne crois pas que mes inquiétudes d’alors étaient infondées. Je ne cache donc pas mon étonnement et mon angoisse à l’idée que, dans un autre contexte et au sein d’autres forces, cette même culture pourrait s’imposer comme relevant de l’évidence.

Démocratie et efficacité

On pensait que cette manière d’envisager la construction d’une volonté collective était source d’efficacité. Or, en concentrant à l’extrême la direction de l’action, en se méfiant a priori de la pensée déviante, en se souciant de la combattre avant même de comprendre ce qui la motivait, on s’interdisait de percevoir le grain de vérité qui pouvait se trouver au cœur d’une proposition, quand bien même ses termes n’étaient pas retenus au bout du compte. Dans une réalité toujours contradictoire, cet oubli a obligé bien souvent à des retournements brutaux, face à des évolutions que le noyau dirigeant ne percevait pas toujours ou pas suffisamment. Il épuisait surtout le corps militant lui-même et éloignait à terme les tenants des points de vue repoussés, contraints à la soumission, à la démission ou au cynisme, sans cesse tenus d’expliquer que leurs critiques ne remettaient pas en cause l’unité du groupe et ne contenaient aucune arrière-pensée affectant la légitimité en tout point supérieure de la communauté militante choisie.

Il ne s’agit pas aujourd’hui de choisir entre des fractions différentes du « peuple », entre les exploités et les discriminés, entre les demandes sociales et les sociétales, entre les réputés protégés et les fragiles, entre les « in » et les « out », entre le centre métropolitain et les lointaines périphéries. L’enjeu est plutôt de regrouper ce qui ne l’est plus, pour que les exploités-dominés-aliénés se constituent en multitude qui lutte, puis en peuple politique à vocation majoritaire. On ne le fera pas, si l’on commence, ici ou là, par écarter les regards plus particulièrement sensibles à telle ou telle des contradictions du réel.

Toute force politique, à plus forte raison si elle est la plus importante à gauche, ne devrait pas oublier ce qui fut une des raisons pour lesquelles le PCF a perdu peu à peu son utilité et s’est cruellement et inexorablement affaibli.
Il est vrai qu’il n’est pas facile de trouver la manière durable de concilier la diversité et la cohérence, en s’écartant à la fois de l’unanimisme et de la parcellisation des chapelles. De fait, ni la culture partisane traditionnelle, ni l’invocation « mouvementiste » n’y sont parvenus. Mais ce n’est pas en partant des postulats anciens, des cultures que l’on croit éprouvées, que l’on avancera. Et, en tout cas, pas en délégitimant au départ les demandes d’une plus grande ouverture à la diversité.

On ne peut pas vanter en même temps la créolité dans la société et la ressemblance dans l’organisation politique…

pblié le 25 décembre 2022

Des communistes proposent un autre texte
pour leur congrès

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

PCF « Urgence de communisme » se veut une proposition de base commune différente de celle votée par le Conseil national, début décembre. Les signataires interrogent l’orientation et la stratégie de la direction sortante.

Ils sont 128 communistes à avoir signé une proposition alternative de « base commune » dans la perspective du prochain congrès du PCF. Un texte proposé au débat des militants et qui doit rassembler 300 signatures issues d’au moins un quart des fédérations d’ici le 8 janvier pour être soumis à un vote. « C’est une démarche prévue par nos statuts qui s’intègre dans le débat démocratique de notre parti », confirme la secrétaire ­départementale PCF de Seine-Saint-Denis, Nathalie Simonnet, signataire du texte, tout comme le président du Conseil national, Pierre Laurent, la sénatrice Laurence Cohen, l’ex-secrétaire nationale du PCF Marie-George Buffet, ou encore les députés Stéphane Peu, Nicolas Sansu et Elsa Faucillon.

Intitulé « Urgence de communisme, ensemble pour des victoires populaires », le document de 32 pages conteste un certain nombre d’orientations portées par la direction sortante du PCF et pointe ce que ses signataires considèrent comme des angles morts ou des insuffisances dans le document voté par le Conseil national au début du mois de décembre. Selon les auteurs du texte alternatif, les orientations actuelles du PCF négligent des « questions de société », notamment sur les discriminations. « La centralité du capital et du travail reste très structurante, explique Hülliya Turan, secrétaire fédérale du PCF du Bas-Rhin, mais elle n’est pas la seule clé de lecture possible. » Le haut niveau de l’extrême droite motive également la proposition de texte alternatif. Si elle juge que la campagne présidentielle a été « encourageante » pour le PCF, suscitant mobilisation et nouvelles adhésions, Hülliya Turan s’interroge sur le choix « jusqu’au-boutiste » d’avoir maintenu la candidature de Fabien Roussel : « Elle donne à voir la faiblesse de notre analyse de la réalité sociale. »

« Le débat existe parmi les communistes sur les causes de notre affaiblissement », écrivent notamment les 128 signataires de la proposition alternative de base commune. « L’idée est de rassembler largement autour d’une autre orientation que celle qui existe actuellement et qui n’a pas fait preuve de son efficacité aux européennes, à la présidentielle ou aux législatives », explique Robert Injey (Alpes-Maritimes, membre du Conseil national), l’un des signataires. « La direction sortante et l’orientation du Parti ne sont pas à la hauteur des enjeux », considère également Hülliya Turan.

Le texte publié ce 20 décembre propose « six axes de travail ». Il interroge la définition du communisme aujourd’hui et entend donner plus de place à « la révolution féministe, dimension décisive du combat émancipateur », mais aussi aux questions relevant du défi climatique et des menaces nouvelles concrétisées par le retour de la guerre sur le continent européen. Par ailleurs, les signataires entendent débattre du sens donné par le PCF au rassemblement, notamment au sein de la Nupes. « Certains s’expriment pour dire que c’est juste un accord électoral, qu’il n’a pas vocation à durer… En tout cas, il faut en discuter », assure ainsi Nathalie Simonnet.

 

  publié le 25 décembre 2022

La France insoumise
se déchire et redoute
une hémorragie militante

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

La base militante du mouvement s’est pour la première fois mise dans une position de défiance durable vis-à-vis de sa direction. En cause, le manque de démocratie interne et la réintégration annoncée dans quatre mois d’Adrien Quatennens dans le groupe insoumis.

LesLes dirigeant·es de La France insoumise (LFI) savent, depuis Lénine, qu’une situation devient révolutionnaire quand « ceux d’en bas » ne veulent plus continuer de vivre à l’ancienne manière et que « ceux d’en haut » ne le peuvent plus. Sans doute ne pensaient-ils pas que le diagnostic s’appliquerait un jour à leur propre organisation. C’est pourtant ce qui semble se dessiner progressivement au sein du mouvement de gauche. 

Au sommet, la crise politique est ouverte depuis l’annonce, la veille de l’assemblée représentative du 10 décembre (qui devait faire un pas vers la restructuration interne du mouvement), de la désignation de Manuel Bompard comme son nouveau coordinateur de fait. Le caractère jugé unilatéral de cette décision, et le fait que plusieurs personnalités de LFI incarnant des sensibilités différentes de Jean-Luc Mélenchon soient exclues de la coordination (en dépit de leur invitation à rejoindre un « conseil politique » imaginé au dernier moment), au profit de personnes proches de l’ex-candidat à la présidentielle, suscitent depuis lors un mouvement de contestation inédit. 

Les député·es Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière ou encore François Ruffin ont notamment manifesté publiquement leur désaccord avec des mots sévères. Le terme de « raté » est notamment revenu chez Raquel Garrido, comme chez l’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan, pourtant impliqués dans l’Institut La Boétie, coprésidé par la députée Clémence Guetté et Jean-Luc Mélenchon. 

Dans une tribune publiée sur Mediapart, les deux intellectuels écrivent : « L’organisation doit se doter d’une direction légitime, qui agrège les forces. Et là, force est de constater que c’est raté. Il y a eu un effort louable de formalisation des instances, mais la désignation “par consensus” d’une direction organisationnelle à l’issue de “l’Assemblée représentative du mouvement” est, pour employer une litote, maladroite. C’est sans doute l’ultime soubresaut d’un mode de fonctionnement qui a propulsé la FI au premier plan politique, et dont pour cette raison il est difficile de se défaire, mais qui n’est plus adapté aux tâches de l’heure. » 

Fatigue militante

Dans la foulée, le 13 décembre, l’ancien coordinateur national de LFI, Adrien Quatennens, a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour des violences conjugales sur son ex-épouse. Le groupe parlementaire de LFI a pris la décision, au terme d’un débat interne et d’un vote en plusieurs étapes, de suspendre le député du Nord pendant quatre mois. À l'issue de cette période, son retour est cependant annoncé, conditionné au fait qu’il suive un stage de responsabilisation sur les violences faites aux femmes.  

Une position médiane, issue de réflexions sur la proportionnalité des sanctions après #MeToo, mais jugée incompatible avec les engagements féministes de LFI par certain·es militant·es, qui avaient déjà désapprouvé la réaction de Jean-Luc Mélenchon au moment de la mise en retrait d’Adrien Quatennens. Les deux interviews que celui-ci a données immédiatement après sa condamnation, dans La Voix du Nord et à BFMTV, dans lesquelles il se pose en victime et renverse l’accusation, ont ajouté au caractère explosif de la situation. Des député·es s’en sont désolidarisé·es – certaines, comme la députée de la Dordogne Pascale Martin, affirmant qu’il aurait dû être « exclu du groupe »

« Une exclusion pure et simple aurait voulu dire qu’Adrien ne peut d’aucune manière s’améliorer, défend a contrario le député de l’Essonne Antoine Léaument. Il a commis une faute, a plaidé coupable, a reconnu que c’était une faute lourde. La décision collective que nous avons prise tient à la fois compte de nos engagements féministes, et de notre logique en matière de droit et de justice – il faut aussi prévoir comment on réhabilite. » 

Des arguments inaudibles pour une partie de la base militante de LFI, qui s’est pour la première fois mise dans une position de défiance durable par rapport à la direction. Dans une tribune publiée sur Mediapart, une cinquantaine d’insoumis·es, souvent jeunes, dont certain·es sont membres du collectif « Relève féministe », font le lien entre les deux aspects de la crise que traverse l’organisation : « La gestion défaillante de l’affaire Quatennens est aussi pour nous le symptôme d’un problème récurrent au sein de La France insoumise : le manque de démocratie interne. Afin que se résorbent fractures et contestations, notre mouvement doit plus que jamais entendre l’appel de sa base militante et acter la démission d’Adrien Quatennens. » 

On a besoin de fonctionner de manière plus démocratique si on veut que le mouvement se renforce.

Pour preuve de cette dualité du problème, certains mentionnent un message envoyé par la députée de Paris Sophia Chikirou dans une boucle Telegram rassemblant une centaine de cadres de LFI, quelques heures avant la condamnation d’Adrien Quatennens. La co-responsable de l’espace « bataille médiatique » dans la nouvelle coordination y énonçait une liste « d’éléments » pour préparer le « déchaînement médiatique » qu’il allait « subir ». Dont celui-ci, qui précède la décision collective prise plus tard par le groupe : « Il [Adrien Quatennens – ndlr] doit pouvoir revenir car il faut une graduation dans les sanctions. » Cette tendance à la verticalité du pouvoir, concentré autour du premier cercle de Jean-Luc Mélenchon, irrite en interne. 

Alors que le triple candidat à la présidentielle réagissait aux critiques, le 16 décembre lors d’un meeting à Saint-Étienne (Loire), en disant regretter de servir parfois de « paratonnerre » de « toutes les ambitions de [leurs] amis », une figure de LFI rétorque, sous couvert de l’anonymat : « Il n’est pas le paratonnerre, il est le donneur d’ordres. »

C'est sur la base de ces critiques qu’une dizaine de groupes d’action des Jeunes insoumis·es se sont déclarés en « grève militante » (en dépit de leur dépendance statutaire de LFI) pour exiger qu’Adrien Quatennens ne représente plus le mouvement. Ils doivent se réunir pour prendre une position publique commune d’ici à la fin du mois de décembre. 

« L’opacité des modes de prise de décision à LFI et l’absence d’inclusion large de tous les militants font que les décisions prises par la coordination ou le groupe parlementaire ne sont pas partagées, notamment par les jeunes, critique ainsi Lou Toussaint, jeune insoumise strasbourgeoise. On a besoin de fonctionner de manière plus démocratique si on veut que le mouvement se renforce. » 

Des Jeunes insoumis·es avaient tenté de mettre la question de la démocratie interne à l’ordre du jour de leurs journées de formation en août 2022, après la parution d’une note de blog de Clémentine Autain, mais ils avaient reçu une fin de non-recevoir de la direction. « On nous a dit que ce n’était pas le bon cadre », résume un témoin. Le co-responsable des Jeunes insoumis, Aurélien Le Coq (ex-directeur de campagne d’Adrien Quatennens), contacté pour cet article, n’a pas donné suite à notre demande. 

Le mouvement apparaît donc divisé au sommet comme à la base. Sur les réseaux sociaux, les soutiens d'Adrien Quatennens ont lancé le mot-dièse #AdrienReviens et #SoutienAdrienQuatennens, avec des visuels déplorant sa « double peine » et autres pétitions contre « l’acharnement politique ». Des cadres intermédiaires tentent d’apaiser les esprits au nom de l’union derrière le programme « L’Avenir en commun », à l’instar de Maxime Da Silva, ex-candidat aux législatives, qui incite sur Twitter à « réfléchir aux conséquences avant de poster ou de répondre aux journalistes ».

Quand vous êtes dans un mouvement où il n’y a pas de divergence de ligne politique, le vote n’est pas toujours le meilleur outil de prise de décision démocratique.

Antoine Léaument, l’ancien responsable de la communication numérique de Jean-Luc Mélenchon, qui s’occupe désormais de la « vie du mouvement » dans la nouvelle coordination, plaide aussi pour renouer le dialogue. Convaincu que la nouvelle organisation fait largement consensus parmi les militant·es, il s’oppose toutefois à l’idée de votes internes : « Quand vous êtes dans un mouvement où il n’y a pas de divergence de ligne politique, le vote n’est pas toujours le meilleur outil de prise de décision démocratique. Je n’ai pas de mépris pour des militants qui trouvent qu’on aurait pu faire mieux. J’espère qu’on va réussir à mettre le plus de monde possible dans l’action, et qu’en premier lieu on arrivera à bloquer la réforme des retraites », dit-il, en précisant que d’ici à la prochaine assemblée représentative dans six mois, la structure du mouvement pourrait être amenée à évoluer.  

L’espoir d’une convergence avec le groupe parlementaire

Beaucoup s’inquiètent néanmoins dans ce contexte d’une potentielle hémorragie militante, telle que LFI en avait connu en 2017. Le Discord insoumis, une communauté autonome de LFI créée en 2016 qui compte 17 500 membres plus ou moins actifs, et qui était considérée comme « une équipe de communication bis » en 2017 par la directrice de la communication de Jean-Luc Mélenchon, Sophia Chikirou, a lui aussi suspendu officiellement ses actions en signe de protestation. 

Joint par Mediapart, le Discord insoumis nous a répondu collectivement par écrit (voir notre Boîte noire). Sans remettre en cause l’organisation du mouvement « à ce stade », une partie de la communauté aurait toutefois aimé « une consultation plus large » du mouvement sur la réintégration du député du Nord, « étant donné que l’ampleur de la décision engage la crédibilité des militants au quotidien et, au-delà même, [leurs] alliances avec d’autres partis de gauche ». Plusieurs personnalités de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) ont en effet indiqué leur gêne à l’égard du possible retour dans leurs rangs d’Adrien Quatennens.

Le collectif précise toutefois ne pas souhaiter une scission, et avoir « de bonnes raisons de douter que son retour au sein du groupe LFI soit la position majoritaire » : « Nous avons pris la parole publiquement, pour la première fois, afin d’interpeller la direction de la FI dans le but de les inciter à revoir leur position. Exclure définitivement et le plus tôt possible Adrien Quatennens du groupe parlementaire permettrait justement d’éviter d’en arriver à un éloignement de la base militante. »

Pour l’instant cependant, ce sont surtout les contestataires opposés au retour d’Adrien Quatennens qui sont mis sur le banc de touche. Cécilia Potier, militante féministe qui a rejoint des groupes d’action (GA) de LFI pendant la présidentielle dans les Bouches-du-Rhône, rapporte avoir été « exclue » sans préavis d’une boucle Telegram. « Il est difficile de prendre la parole si on ne va pas dans le sens de ce qui est dit tout en haut du mouvement. En off, je sais que beaucoup de militants serrent les dents, surtout des femmes », explique-t-elle. 

En filigrane de ces inquiétudes sur l’avenir du mouvement, c’est aussi la question de la potentielle succession de Jean-Luc Mélenchon qui se pose.

Militante insoumise à Paris, Alma (prénom modifié à sa demande) affirme aussi avoir été empêchée de publier des messages sur la boucle Telegram de son GA, après y avoir transféré la couverture de Libération consacrée au « coup de gueule » de Clémentine Autain sur la démocratisation de LFI. « Il y a un vrai souci, si c’est ça la VIe République, à la prochaine élection je voterai blanc », dénonce-t-elle, en précisant espérer un dénouement grâce aux membres du groupe parlementaire qui ont fait entendre leur désaccord. 

Lou Toussaint place aussi beaucoup d’espoir dans le groupe des 75 député·es LFI qui ont mis en place, sous l’égide de leur présidente Mathilde Panot, un mode de fonctionnement par lequel le vote n’est pas tabou et sans que l’expression individuelle ne soit systématiquement vécue comme un signe de déloyauté. « J’espère que grâce à eux, on sera écoutés par la coordination nationale, et qu’il y aura un vrai acte de refondation avec les groupes jeunes », confie la militante engagée à LFI depuis 2016. 

En filigrane de ces inquiétudes sur l’avenir du mouvement, c’est aussi la question de la potentielle succession de Jean-Luc Mélenchon qui se pose. Celui-ci avait déclaré après les élections législatives vouloir être « remplacé » par « celui ou celle qui sera le plus aimé du grand nombre ». Mais le verrouillage de l’appareil insoumis pourrait empêcher de telles vocations. 

Un jeune militant insoumis dans le Puy-de-Dôme, qui souhaite conserver l’anonymat, affirme ainsi que « les militants insoumis veulent avoir leur mot à dire sur qui va succéder à Mélenchon, si vraiment quelqu’un lui succède ». « On voudrait avoir notre mot à dire, et ne pas être mis devant le fait accompli par la presse, comme ce fut le cas pour notre nouveau coordinateur, Manuel Bompard », tance-t-il. Jamais à La France insoumise, la règle selon laquelle il ne faut « pas attendre les consignes » n’avait été autant respectée. 


 

Le Discord insoumis nous a répondu collectivement par écrit le 19 décembre. Plus précisément, un cercle d’une centaine de personnes chargées de prendre les décisions stratégiques s’y est attelé. « Néanmoins, nous échangeons régulièrement dans les salons publics textuels et vocaux avec tous les membres et il apparaît que nos décisions reflètent l’état d’esprit général de l’ensemble du Discord insoumis sans être évidemment l’état d’esprit de la totalité des 17 500 membres », précise le collectif.

  publié le 24 décembre 2022

Rien n’est jamais écrit d’avance

Cathy Dos Santos sur www.humanite.fr

L’année 2022 s’achève sur des touches d’espoir et d’indignation. D’abord, saluons le mouvement social qui secoue une Grande-Bretagne lessivée par quinze ans d’austérité conservatrice. Infirmières, conducteurs de train, dockers sont déterminés à donner de la voix pour une juste revalorisation de leurs salaires. Cette mobilisation fait écho aux actions salutaires des travailleurs de Geodis et de Dassault, qui sont parvenus à arracher des augmentations salariales alors qu’une majorité de foyers fait face à des factures impayables et des fins de mois invivables. De l’Amérique latine, nous retiendrons le souffle qui a porté de nouveau Lula à la tête du Brésil, après quatre années d’obscurantisme bolsonariste. La tâche s’annonce ardue pour la gauche dans ce pays continent qui compte des millions de ventres creux, mais elle n’est pas insurmontable. La volonté politique est là ; c’est elle qui a permis aux forces de progrès de défaire l’extrême droite dans les urnes. Enfin, comment ne pas rendre hommage à l’extraordinaire courage des Iraniennes et des Iraniens ? Depuis des mois et malgré une répression sanglante, elles et ils défient le joug des mollahs en exigeant de vivre libres.

Le message que nous adressent ces femmes et ces hommes mérite d’être entendu au plus haut ­niveau. Rien n’est jamais écrit d’avance et nul pouvoir ne peut s’enfermer dans une tour, fût-elle d’ivoire. La leçon vaut pour l’Élysée et Matignon. On ne gouverne pas envers et contre tous, sauf à faire le lit d’une extrême droite décomplexée qui marque déjà de son empreinte le débat national. En six mois de Macronie, Élisabeth Borne a décroché un bien triste record en ayant recours à dix reprises au 49.3. Dans une de ses ultimes prestations au perchoir de l’Assemblée nationale, la première ministre s’est crue autorisée à ricaner face à une opposition excédée de voir le Parlement privé de ses fonctions, pour ne pas dire otage d’un coup de force permanent. Terrible image qui en dit tellement sur le mépris de ce gouvernement.

L’année 2023 frappe déjà à la porte et, avec elle, la date du 10 janvier. L’agenda a été fixé par Emmanuel Macron ; en face, l’ensemble des acteurs sociaux sont sur le pied de guerre. Le président de la République s’obstine à faire de la réforme des retraites l’alpha et l’oméga de son second quinquennat. Pourtant, le roi est nu. 70 % des Français désapprouvent ce projet de régression sociale et civilisationnelle. Il est l’exact opposé de la philosophie qui a prévalu à la création du système de retraites par répartition cogéré par les travailleurs et les travailleuses. « Il faut en finir avec la souffrance, l’indignité et l’exclusion. Désormais, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. Nous ferons de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie », faisait valoir, en décembre 1945, le ministre communiste ­Ambroise Croizat, fondateur de la Sécurité sociale à la française.

La gauche a raison de faire corps face à cette contre-réforme qui promet aux salariés de mourir à la tâche pour satisfaire l’avidité des tenants du capitalisme. Les confédérations syndicales sont sur le pont, en première ligne, et jurent de tenir tête face à l’obstination du président de la République. Privé de majorité, il pourrait, encore une fois, tenter un énième passage en force. C’est pourquoi la mobilisation de tous sera indispensable pour le faire reculer. Rendez-vous est pris.

publié le 24 décembre 2022

À Paris, les associations bataillent pour ouvrir le centre d’accueil « Ukraine »
à tous les exilés

Nejma Brahim sur www.mediapart.fr

Elles luttent depuis des mois pour que les exilés de toutes les nationalités puissent être hébergés au centre d’accueil réservé aux Ukrainiens à Paris, où une centaine de places restent vides chaque soir. Les associations Utopia 56 et Médecins du Monde ont été déboutées devant le Conseil d’État.

« En refusant l’accès aux dispositifs Ukraine à toutes les personnes, le Conseil d’État confirme une politique d’accueil différenciée entre les Ukrainiens et les autres exilés à la rue. »

C’est le constat que fait l’association d’aide aux exilé·es Utopia 56, au lendemain de la décision tombée lundi 19 décembre, dans laquelle le Conseil d’État rejette le recours de plusieurs associations (dont Médecins du Monde). Ces dernières réclamaient depuis des mois l’ouverture du centre d’accueil « Ukraine », porte de la Villette à Paris, à tous les exilés sans distinction de nationalité.

« Alors que la saturation des dispositifs d’hébergement de droit commun n’est pas contestée, la dégradation des conditions climatiques, se traduisant notamment par des températures nocturnes très basses, contribue à rendre la situation des personnes dépourvues de solution d’hébergement extrêmement difficile et à aggraver les risques et dangers auxquels elles sont exposées. La concomitance avec des places vacantes dans le dispositif [Ukraine] en est rendue encore plus regrettable », reconnaît le juge des référés dans l’ordonnance du Conseil d’État.

S’il reconnaît que les flux de personnes arrivant en provenance d’Ukraine ont diminué, il estime que le centre doit pouvoir conserver sa « capacité opérationnelle » et répondre à « certains afflux soudains », dans un contexte où un cinquième des arrivées se ferait entre minuit et 6 heures du matin en moyenne en décembre. Autrement dit, des ressortissants ukrainiens qui arriveraient au centre en pleine nuit se retrouveraient sans solution d’hébergement si les places vacantes avaient déjà été attribuées.

Le 19 décembre pourtant, Olivier Klein, ministre du logement, créait la surprise et annonçait avoir réquisitionné ce même centre la veille, pour permettre la mise à l’abri de familles repérées en maraude. « Le gouvernement s’était engagé à ce qu’il y ait zéro enfant à la rue, cette promesse est tenue ! »

Ce soir-là, Utopia 56 soulignait que 108 personnes en famille se présentaient à ses équipes, comme chaque soir place de l’Hôtel-de-Ville à Paris, parce qu’elles n’avaient aucune solution d’hébergement. « L’ouverture de ces places aurait permis la mise à l’abri immédiate de la grande majorité d’entre elles », pointe l’association.

Une centaine de places disponibles chaque soir en moyenne

« Le fait que le ministre du logement ait décidé d’ouvrir le centre pour la mise à l’abri d’autres personnes est quand même une bonne nouvelle », commente une travailleuse du centre, implanté dans le « Paris Event Center », dans le XIXe arrondissement. Elle observe et dénonce, depuis des mois, un « accueil à deux vitesses » entre les ressortissant·es d’Ukraine et les autres personnes exilées.

« Des choix ont été faits. Voir des places vides tous les soirs, c’est tout de même problématique quand on sait qu’on laisse d’autres personnes à la rue », constate celle qui milite pour une « inconditionnalité de l’accueil ». Et d’ajouter : « L’idée n’est pas de niveler l’accueil par le bas ou de dénoncer le dispositif d’accueil pour les Ukrainiens, mais bien que cela devienne la norme pour tout le monde. »

Selon les derniers chiffres que Mediapart a pu obtenir, 90 personnes occupaient cette semaine l’espace réservé aux Ukrainiens – sous un chapiteau –, pour une capacité totale de 250 places. La partie du centre actuellement ouverte pour les mises à l’abri du Samu social (un hall distinct du chapiteau) permet d’accueillir jusqu’à 200 personnes en situation de rue, tous profils confondus. « C’est non négligeable », poursuit cette travailleuse. Mais cette réquisition devrait être temporaire.

« Les inégalités ne concernent pas que l’hébergement, pointe un autre travailleur du centre, qui compte une centaine de places disponibles chaque soir en moyenne. Il y a aussi la question de l’accessibilité au droit de manière générale, puisque pour les Ukrainiens, tout est à disposition à leur arrivée ici. » Les réfugié·es d’Ukraine obtiendraient, poursuit-il, leur couverture maladie et autres droits « en deux semaines ».

« On observe une politique de “fast-pass” quand on nous a toujours dit qu’il était impossible de donner un titre de séjour et d’ouvrir les droits à la Sécurité sociale pour tout le monde. »

L’employé dénonce également des températures très basses sous le chapiteau réservé aux Ukrainiens, qui auraient déjà conduit à réorienter des personnes vers d’autres structures d’hébergement. « On s’échine à chauffer un centre qui est très mal isolé. C’est évidemment mieux que la rue mais certaines nuits, ça reste compliqué à cause du froid. Sans compter les dépenses d’énergie inutiles dans le contexte que l’on connaît. »

Selon nos informations, du « gaspillage alimentaire » aurait aussi été observé, notamment le week-end, lorsque le centre est géré par l’association Coallia. En semaine, les surplus de nourriture seraient « redistribués » à des associations parisiennes pour éviter de « jeter », ont confirmé plusieurs sources. « De manière générale, tout gâchis alimentaire est dommageable. Ça l’est encore plus quand la structure accueillante est à moitié pleine », déplore l’une d’elles.

« Les inégalités de traitement sont toujours là »

« Vouloir laisser des places disponibles pour un public qui n’est pas là est grotesque », réagit Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris en charge du logement, de l’hébergement d’urgence et la protection des réfugiés.

Il se souvient avoir écrit au préfet de région l’été dernier, lorsqu’une action visant à occuper le parvis de l’Hôtel de Ville à Paris était organisée par Utopia 56 pour réclamer des solutions d’hébergement pour des exilés. « On peinait à trouver des places pour les mettre à l’abri, on avait donc demandé l’ouverture du centre d’accueil réservé aux Ukrainiens. »

On pourrait utiliser la totalité des places en se référant aux listes des familles sans hébergement dressées par les mairies d’arrondissement.

Le 17 juillet, le collectif La Chapelle debout ainsi que les habitants de l’Ambassade des immigré·es avaient d’ailleurs investi l’ancien centre d’accueil, situé porte de Versailles, laissant entrevoir des dortoirs quasi vides. Entre-temps, « faute d’affluence », appuie Ian Brossat, le centre a déménagé à la Villette et dispose désormais d’une capacité d’accueil moins importante.

Si les autorités ont fini par ouvrir le centre de la Villette à d’autres publics, a priori jusqu’à la fin des vacances d’hiver, l’élu regrette la façon dont c’est organisé : « À l’heure actuelle, 80 places sur les 200 disponibles pour la mise à l’abri sont occupées, car les personnes sont uniquement orientées via les maraudes. On pourrait utiliser la totalité des places en se référant aux listes des familles sans hébergement dressées par les mairies d’arrondissement. »

Pour Me Samy Djemaoun, le revirement opéré par le ministère du logement n’est pas un simple hasard de calendrier. « Il conviendrait de préciser que ces 200 places au GL Center ont été ouvertes le lendemain de l’audience au Conseil d’État où mes clients Médecins du Monde et Utopia 56 demandaient justement l’ouverture des places vacantes. Vous avez voulu jouer le non-lieu », a-t-il réagi sur Twitter.

« On demandait à ce que le surplus de places soit utilisé pour d’autres une fois que les Ukrainiens sont tous hébergés, ce qui aurait permis de désengorger le dispositif du 115 », poursuit-il auprès de Mediapart.

L’avocat, qui a également défendu ces deux associations au tribunal administratif pour la même requête début décembre – que le juge a aussi rejetée – regrette la position adoptée par la préfecture de région en audience. « Elle-même reconnaît la vacance des places, mais défend deux systèmes imperméables, bien que des enfants et familles restent à la rue dans le même temps », s’étonne celui qui dit obtenir des injonctions du tribunal administratif « à la chaîne », lorsqu’il s’agit de situations individuelles, pour l’hébergement de familles vulnérables laissées à la rue en région parisienne.

« L’ouverture de places est positive, conclut Paul Alauzy, chargé de projet à Médecins du Monde. Une partie de notre plaidoyer a servi et poussé l’État à réagir. Mais le double standard et les inégalités de traitement sont toujours là : un Ukrainien arrivant à Paris sera accueilli dignement et efficacement, quand un Afghan sera désorienté, ira à La Chapelle et sera peut-être embarqué par la police. »

Une allusion à l’interpellation d’une quarantaine d’exilés afghans survenue mercredi soir, à Paris, alors qu’ils bloquaient la route pour obtenir des solutions d’hébergement. Plusieurs d’entre eux se sont vu délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

publié le 23 décembre 2022

Le tueur de la rue d’Enghien en mission contre les militants kurdes ?

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Selon les informations recueillies par l’Humanité, l’homme aurait été déposé par une voiture devant le siège du Conseil démocratique kurde de France (CDKF) alors que devait se tenir une réunion d’une soixantaine de femmes kurdes, finalement décalée d’une heure au dernier moment. Un massacre a été évité. Qui aurait renseigné le tueur ?

La tuerie qui s’est déroulée ce vendredi rue d’Enghien, dans le Xe arrondissement de la capitale serait-elle le fait d’un homme un peu détraqué, dont les motifs devraient être recherchés dans le racisme et la xénophobie ? L’homme arrêté, William M., 69 ans, ancien conducteur de train, est connu de la justice pour deux tentatives d’homicide commises en 2016 et décembre 2021.

Selon la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, l’homme serait connu pour «  des faits en Seine-Saint-Denis où il serait passé récemment en jugement, aurait été condamné, mais à la suite de la condamnation un appel aurait été interjeté par le parquet ». Il est aussi  « lié à des faits qui se sont passés du côté de Bercy à Paris », a poursuivi la magistrate. Les faits visés concerne l’attaque d’un camp de migrant le 8 décembre 2021 dans le parc de Bercy (XIIe arrondissement), qui avait bléssé deux personnes à l’arme blanche.

Il avait été mis en examen pour violences avec arme avec préméditation à caractère raciste ainsi que pour des dégradations. Il avait ensuite été placé en détention provisoire avant d’être remis en liberté le 12 décembre dernier.

Le tireur aurait été déposé en voiture devant le centre kurde

Selon Gérald Darmanin, l’homme serait en revanche inconnu des fichiers du renseignement territorial et de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ni « fiché comme étant quelqu’un d’ultradroite » il a par ailleurs précisé que le suspect fréquentait un stand de tir et avait décalré de nombreuses armes en préfecture. Le parquet national antiterroriste et ses services sont venus sur place mais il n’y a  «aucun élément qui privilégierait la nécessité de leur saisine», a très vite conclu la procureure. Une enquête a été ouverte des chefs d’assassinat, tentative assassinat, violences volontaires avec armes et infraction à la législation sur les armes, a-t-elle précisé. 

Or, de nombreux éléments laissent penser qu’il pourrait s’agir d’une attaque non pas dirigée contre de simples étrangers, mais au contraire d’un acte politique visant explicitement non seulement les Kurdes mais plus directement le Conseil démocratique kurde de France (CDKF). Selon les éléments que nous avons pu recueillir, une voiture aurait déposé William G. devant le siège du CDKF. Il est descendu d’un véhicule, son arme à la main, à l’heure même où devait se tenir une importante réunion de femmes kurdes pour préparer les manifestations du 4 et du 7 janvier, commémorant le 10e anniversaire de l’assassinat de trois militantes kurdes (Fidan Dogan, Sakile Cansiz et Leyla Soylemez) en plein Paris, le 9 janvier 2013, et dont les commanditaires ne sont toujours pas identifiés.

Une réunion d’une soixantaine de militantes kurdes était prévue

Difficile de croire au hasard. Une soixantaine de militantes kurdes devaient être là, sur ces mêmes marches, ce vendredi, lorsque l’assassin a fait feu sur les quelques personnes présentes. L’assassin connaissait-il la date et l’heure de la réunion ? Il ne savait pas que celle-ci avait été décalée dans la matinée à cause de problèmes de RER et ne devait démarrer qu’une heure plus tard. Un massacre a été évité, bien qu’il se soit ensuite tourné vers le restaurant kurde, situé de l’autre côté de la rue puis vers un salon de coiffure attenant.

Le centre kurde n’était pas protégé par la police

Berivan Firat, porte-parole des relations extérieures du CDKF ne retient pas sa colère ni sa tristesse. « Nous sommes à la veille du 9 janvier. Il y a dix ans trois femmes Kurdes étaient assassinées. C’est encore une attaque visant des femmes. Qu’on ne nous dise pas qu’il s’agit seulement d’un acte raciste. Si les commanditaires des meurtres du 9 janvier 2013 avaient été démasqués (seul le tueur a été identifié mais aujourd’hui décédé, N.D.L.R.) , la tuerie d’aujourd’hui ne se serait pas produite. »

Malheureusement, malgré les demandes de la juge d’instruction chargée du dossier, le secret-défense n’a jamais été levé par la France. Or, les relations entre les services de renseignements turcs, le MIT, et français, la DGSI, sont au beau fixe. Comme le fait remarquer la porte-parole des relations extérieures du CDKF, « on criminalise les Kurdes au lieu de les protéger et on encourage Erdogan ». De fait, le centre du CDKF n’était pas sous surveillance policière malgré les menaces venant de toutes parts.

Le meurtrier de Fidan, Sakile et Leyla avait été fiché par la DGSI en janvier 2012 soit un an avant les assassinats sans que cela n’éveille la curiosité des autorités françaises. Celles-ci ont pourtant « le devoir moral de protéger les Kurdes qui ont versé leur sang pour battre l’État islamique à Kobané », souligne Berivan Firat.

Sur Twitter, le CDKF a publié un appel à manifester samedi à midi, place de la République à Paris.

  publié le 23 décembre 2022

C’est officiel, la réforme de l’assurance-chômage a fait beaucoup de perdants

Dan Israel sur www.mediapart.fr

Selon le bilan de l’Unédic, enfin rendu public, les coupes dans les droits des demandeurs d’emploi ont abouti à une baisse moyenne de 16 % des allocations versées, et à un recul jamais atteint du nombre de chômeurs indemnisés. Et la prochaine réforme aggravera la situation.

LesLes chiffres ont mis des mois à être rendus publics, et ils sont aussi sombres qu’anticipé. C’est une poignée de jours avant Noël que l’Unédic – l’organisme, géré par les syndicats et le patronat, chargé du régime d’assurance-chômage – s’est résolu à communiquer aux partenaires sociaux son bilan de la réforme de l’assurance-chômage, qui est entrée entièrement en vigueur en octobre 2021.

Jusque-là, et en violation flagrante avec les promesses initiales du macronisme, aucune donnée précise n’était disponible pour comprendre les effets de la réforme, dont tout laissait penser qu’elle était désastreuse pour les plus précaires des demandeurs d’emploi.

« Une évaluation sera faite. Il faut se laisser plus de temps pour que ces analyses soient fiables », expliquait encore en juin 2022 Patricia Ferrand, la présidente de l’Unédic. Au printemps 2020, l’organisme avait pourtant été en mesure de publier un bilan précis et détaillé des premières mesures entrées en vigueur six mois plus tôt (et finalement suspendues en juillet 2020, pour cause de crise sanitaire).

Pour obtenir enfin les informations précises concernant la réforme, il aura donc fallu patienter le temps que le gouvernement fasse voter une deuxième réforme, qui réduira d’un quart la durée d’indemnisation des chômeurs, à partir du 1er février.

Sans surprise, les chiffres de l’Unédic sont désastreux pour les demandeuses et demandeurs d’emploi. Jamais la part des inscrit·es à Pôle emploi touchant une indemnisation n’a été aussi faible : seulement 36,6 % de l’ensemble des inscrit·es en juin 2022, contre 40,4 % en décembre 2021.

Et pour qui réussit à les percevoir, les allocations revues et corrigées par les nouvelles méthodes de calcul ont baissé en moyenne de 16 % – un chiffre conforme aux anticipations de l’Unédic, qui prévoyait en avril 2021 une baisse moyenne des droits de 17 %.

Les économies d’ores et déjà réalisées sont substantielles : plus de 2 milliards d’euros par an, avant une réduction supplémentaire des dépenses qui devrait dépasser les 4 milliards annuels lorsque la deuxième réforme sera en régime de croisière.

Dans un communiqué, la CGT a dénoncé « un saccage » : « La réforme de 2021 a non seulement exclu un très grand nombre de travailleurs privés d’emploi de l’indemnisation mais elle a particulièrement touché les jeunes ainsi que les travailleurs ayant perdu un CDD ou un contrat d’intérim. »

Baisse des droits 

La réforme de 2021 a joué sur trois paramètres : un nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), à partir duquel est calculée l’allocation-chômage ; la nécessité de travailler au moins six mois, et non plus quatre, pour y avoir droit ; et un recul de 30 % du montant versé au bout de 6 mois pour les salarié·es qui touchaient les plus hauts salaires (plus de 4 500 euros brut).

Le premier effet de ces mesures a été de faire reculer le nombre d’ouvertures de droit au chômage, ou de rechargement de ces droits. L’Unédic en compte 39 000 de moins en juin 2022 qu’en juin 2019, soit une baisse de 20 %.

Un peu plus de 50 % des inscrit·es à Pôle emploi se voient verser moins d’allocations à cause de la réforme. 15 % des demandeuses et demandeurs d’emploi ont même vu leurs droits fondre de 20 % à 50 %.

On ne peut lier toute cette baisse à la réforme, parce que la conjoncture économique a été bonne en 2022, et que le nombre d’inscrits à Pôle emploi était orienté à la baisse. Mais il faut noter que la baisse est plus marquée chez les allocataires les plus fragiles, qui sont précisément celles et ceux qui sont visé·es par la réforme : moins de 25 ans (– 26 % d’ouvertures de droits), allocataires ayant perdu un CDD (– 30 %) ou un contrat d’intérim (– 37 %).

Un peu plus de 50 % des inscrit·es à Pôle emploi se voient verser moins d’allocations à cause de la réforme, qui cible principalement celles et ceux qui alternent période d’emploi et d’inactivité. 15 % des demandeuses et demandeurs d’emploi ont même vu leurs droits fondre de 20 % à 50 %, par rapport à ce qu’ils auraient pu attendre avant 2021.

Autre effet, collatéral cette fois, de la réforme : le cumul entre chômage et petits boulots peut se révéler moins rémunérateur qu’auparavant. Alors même qu’un allocataire sur deux travaille, « une proportion moindre est indemnisée » pour ce cumul, note l’Unédic. Et ce sont les profils moins qualifiés qui en bénéficient moins.

Quant à la réduction de 30 % du montant de l’allocation-chômage au bout de six mois pour les cadres, cette règle touchait déjà 31 000 personnes en juin dernier, « et 52 000 autres pourraient voir leur allocation baisser les mois à venir », a calculé l’Unédic.

L’objectif n’est pas atteint

Ces coupes radicales dans les droits des allocataires sont-elles au moins utiles pour remplir les objectifs officiels du gouvernement, à savoir réduire drastiquement l’utilisation des emplois courts par les entreprises et leur personnel ? Pas du tout, si l’on en croit la synthèse, également présentée aux partenaires sociaux, de quarante entretiens menés par l’Unédic avec des demandeurs d’emploi impactés par la réforme.

Ainsi, l’enjeu « de limitation des contrats courts n’est qu’assez partiellement perçu par les allocataires », indique pudiquement le gestionnaire de l’assurance-chômage, qui signale que « très peu [des personnes interrogées] évoquent des choix personnels les amenant à privilégier des contrats courts ».

Les allocataires expliquent simplement que dans leur secteur professionnel ou à leur niveau de qualification, on ne propose simplement pas de contrats pérennes. Et d’ailleurs, même après la réforme, leur recherche d’emploi reste « majoritairement dans la continuité de leur parcours professionnel récent, donc souvent en CDD ou intérim », note l’Unédic. La durée des contrats de travail proposés ne fait pas plus « partie de leur considération pour reprendre un emploi ».

Je ne peux pas aller en formation parce que je ne pourrai pas travailler pendant ce temps et l’indemnité qui me serait payée ne me permet pas de vivre.

Les allocataires ne perçoivent pas non plus de changement « dans les comportements et pratiques de recrutement des employeurs en lien avec la réforme ». Et les rares personnes estimant disposer d’un pouvoir de négociation avec un futur employeur l’utilisent pour demander un plus haut salaire, pas un CDI.

« On est en position de force car il y a une pénurie de main-d’œuvre », indique ainsi un professionnel de la restauration, qui travaille pour des traiteurs. Mais ces derniers « ne sont pas en mesure d’embaucher sur des contrats stables car leur activité en dent de scie, ils n’ont pas [d’autre] choix que d’avoir des contrats d’usage », précise-t-il aussitôt.

D’autres allocataires soulignent par ailleurs que le faible niveau d’indemnisation les empêche de se déplacer pour trouver du travail plus loin de leur domicile, ou même d’entamer une formation : « Actuellement, je ne peux pas aller en formation parce que je ne pourrai pas travailler pendant ce temps et l’indemnité qui me serait payée ne me permet pas de vivre », dit l’un de ceux qui cumulent chômage et petits boulots.

La deuxième réforme ne sera pas plus positive 

Ces constats moroses ne seront pas égayés par la première évaluation, à gros traits, menée par l’Unédic sur les effets de la future réforme qui entrera en vigueur en février. Si, comme cela est prévu par le gouvernement, la durée d’indemnisation maximale baisse d’un quart (sans pouvoir passer sous les 6 mois), « en moyenne, le nombre d’allocataires indemnisés diminuerait de 12 % en année de croisière, soit environ 300 000 personnes pour 2,5 millions d’indemnisés ».

Et si le gouvernement assure que ce rabotage de 25 % des droits ne s’appliquera qu’en cas de conjoncture favorable, et disparaîtra si le chômage remonte, les anticipations de l’Unédic se chargent de balayer ce discours : il faudrait que le taux de chômage dépasse 9 %, alors qu’il est de 7,3 % aujourd’hui, ou qu’il augmente de plus de 0,8 point sur un trimestre. Or, « une augmentation de 0,8 point du taux de chômage ne s’est produite que deux fois dans le passé relativement récent » : en 2009 après la crise des subprimes, et en 2020, avec le confinement lié à la pandémie de Covid.

Là encore, l’efficacité de la mesure voulue par l’exécutif est remise en question : même s’il est établi que réduire la durée d’indemnisation pousse les demandeurs d’emploi à retrouver plus vite un travail, cela « n’implique pas forcément une augmentation du volume d’emplois créés par les entreprises », avertit l’Unédic.

« Y a-t-il plus d’emplois créés ou une rotation différente dans les offres d’emploi pourvues (emplois pris par des chômeurs indemnisés au lieu de chômeurs non indemnisés, inactifs, etc.) ? », interroge l’organisme, qui insiste sur le fait que « ces effets dits de “bouclage macroéconomique” n’ont pas été étudiés à ce jour ».

Les effets positifs de la future réduction de la durée d’indemnisation sont donc loin d’être établis. Mais d’autres conséquences négatives sont en revanche très probables : parce qu’ils seront couverts moins longtemps par l’assurance-chômage, « les allocataires impactés par la réforme acquerront moins longtemps des droits à la retraite et moins de points de retraite complémentaire ». Et une hausse du nombre de bénéficiaires du RSA « devrait s’observer consécutivement à la réduction de la durée des droits ».

  publié le 22 décembre 2022

« Soit on regarde les enfants mourir,
soit on agit  » : l’expertise citoyenne
contre l’inaction publique

par Sophie Chapelle sur https://basta.media

Face à un nombre anormal de cancers d’enfants et un défaut d’explications officielles, des habitants sur le secteur de Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique ont décidé de mener leurs propres recherches.

« Soit on regarde les enfants mourir, soit on agit. » Marie Thibaud a choisi l’action. Thérapeute libérale et formatrice en école de travail social, âgée de 42 ans, elle vit près de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique. Dans cette commune de 7000 habitants et dans quelques villages voisins, vingt-cinq enfants – dont le fils de Marie, Alban – ont développé un cancer sur une période de sept ans. Un taux étrangement élevé en regard de la population.

Marie souhaite comprendre ce qui se passe et, en 2019, elle fonde avec d’autres parents le collectif « Stop aux cancers de nos enfants ». Très déterminés, ils obtiennent le lancement d’études sur divers polluants par l’Agence régionale de santé, et d’une enquête épidémiologique par Santé publique France. En septembre 2020, c’est la sidération : cette dernière institution annonce qu’il n’y a pas de « risque anormalement élevé de cancers pédiatriques sur le secteur de Sainte-Pazanne par rapport au reste du département ».

L’enquête n’a pas tenu compte de tous les enfants malades : ceux de plus de 15 ans en ont été exclus, par exemple. « En plus d’oublier certains malades, ils ont lissé leur nombre sur treize années, de 2005 à 2018, tempête Marie Thibaud. Ils les ont répartis sur trois cantons qui n’existent même plus, plutôt que de les répartir par commune. Pourquoi ? On dirait qu’ils ont réfléchi à la meilleure manière de faire disparaître le cluster. » Les études officielles pour identifier les causes des cancers des enfants prennent alors fin. Du point de vue du ministère de la Santé, il ne se passe rien de particulier à Sainte-Pazanne.

« Nous cherchons dans l’environnement des enfants ce qui a pu les rendre malade »

Le collectif ne renonce pas, lui, à tenter de trouver le ou les facteurs à l’origine des maladies. « Notre démarche est différente : nous partons du cluster, de nos enfants malades, et nous cherchons dans leur environnement, que nous connaissons bien, ce qui a pu les rendre malades. » Marie égrène les études menées sur l’eau du robinet, les eaux des puits ou les sols des jardins. « À chaque fois qu’une analyse sort, nous trouvons des éléments inquiétants. » De multiples substances cancérogènes, pesticides, plastifiants et autres perturbateurs endocriniens sont même détectés dans l’air du domicile des enfants malades. « Les effets cocktail [1] sont au cœur de ce que nous sommes progressivement en mesure de démontrer, avance Marie Thibaud. Or, les autorités sanitaires ne les prennent pas en compte, ni la toxicité chronique [2]. »

Pour pallier cette lacune institutionnelle, le collectif a décidé de créer son propre organisme : l’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale. « Il regroupera des scientifiques et les citoyens experts que nous sommes devenus. Cet institut va lancer de nouvelles recherches, afin d’agir et de participer à la mise en place d’actions correctives ou de prévention. Les cancers pédiatriques sont les sentinelles de la santé environnementale : quand il y en a, cela veut dire qu’il y a bien d’autres choses. » Les collectivités territoriales sont également sollicitées « pour que tout le monde ait les informations en même temps ». Le département (PS) et la région (LR) ont annoncé qu’ils apporteront leur soutien à l’initiative. L’institut devrait voir le jour en 2023.

Dans cet inlassable combat mené par Marie depuis trois ans, une belle nouvelle est arrivée : son fils Alban a été déclaré guéri. « Il est toujours suivi, mais les chances de rechute sont extrêmement faibles. » La famille a décidé de continuer à vivre ici. « Est-ce que j’allais me retrouver lanceuse d’alerte ailleurs ? sourit-elle. Nous avons fait le choix de rester sur un territoire qui va se porter de mieux en mieux. Car nous allons faire ce qu’il faut pour cela. »

Notes

[1] Action cumulée de plusieurs substances qui peuvent rester chacune en dessous des seuils de toxicité, mais avoir ensemble des effets délétères.

[2] Effets néfastes de l’exposition à un contaminant, à de faibles doses mais sur une longue période.


 

Cet article est extrait du hors-série sur les lanceurs d’alerte co-publié par basta! et Politis disponible en kiosque ou à commander en ligne au prix de 6 €.

publié le 22 décembre 2022

L’inflation, une affaire de lutte des classes

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

L’institut La Boétie, think tank de la France insoumise, a présenté, le 15 décembre, une note consacrée à la hausse historique des prix.

Dans un contexte marqué par la hausse des prix, le think tank de la France insoumise, l’institut La Boétie, a planché sur l’inflation. Le 15 décembre, lors d’une soirée débat de trois heures, la fondation codirigée par Jean-Luc Mélenchon et la députée Clémence Guetté présentait une note consacrée à cette hausse des prix sans précédent en France depuis quarante ans. Présenté par l’économiste Eric Berr qui en est également signataire avec Aurélie Trouvé, ce document qualifie l’inflation de « lutte des classes en cours » et tente de battre en brèche l’idée selon laquelle elle ne serait que la conséquence de la création monétaire liée au « quoi qu’il en coûte » de la crise du covid.

« le lien entre création de monnaie et inflation n’est pas avéré »

« L’inflation est toujours la manifestation de conflits de répartition, explique la note de l’institut La Boétie. E lle est la conséquence d’actions menées par des groupes sociaux qui cherchent à capter une part la plus importante possible du revenu global de l’économie, donc de la richesse créée. Pour atteindre ces objectifs, les travailleurs cherchent à obtenir des augmentations de salaires, les entreprises cherchent à augmenter les prix ». Pour Eric Berr, « le lien entre création de monnaie et inflation n’est pas avéré ». La réponse des gouvernements et des banques centrales, qu’il s’agisse de la FED aux États-Unis ou de la BCE en Europe, relève pourtant de cette logique.

En remontant les taux d’intérêt, les banques centrales estiment pouvoir ramener l’inflation en dessous de 2 % dans les deux ans qui viennent, en provoquant un ralentissement économique et une pression à la baisse sur les salaires. Lors du débat qui suivait la présentation de la note, la chef-économiste du trésor, Agnès Bénassy-Quéré, résumait assez bien la pensée libérale qui l’anime dans la même ligne que celle du gouvernement. Selon elle, « le partage de la valeur ajoutée entre capital et travail est stable depuis les années 90 », et ceux verraient croître les inégalités entre les deux seraient touchés par « un problème d’optique ». Elle rappelle que l’indexation des salaires dans les années 70 alimentait une boucle « prix-salaires », à laquelle seul le tournant de la rigueur en 1983 a mis fin… Eric Berr lui, décrivait plutôt une « boucle prix-profits au détriment des salaires ».

Indexation des salaires sur l’inflation et blocage des prix

La note de l’institut rappelle justement les propos, datés du mois de septembre, du président de la FED Jérôme Powell : « nous avons besoin d’une augmentation du chômage, d’un ralentissement du marché du travail » pour lutter contre l’inflation. Le passage de l’âge de départ en retraite à 65 ans envisagé par Emmanuel Macron participe de la même démarche, créant une pression à la baisse sur les salaires en maintenant les plus âgés sur le marché du travail. Cette offensive contre le monde du travail a un objectif. Ainsi qu’on l’a vu durant la crise sanitaire, et actuellement avec la crise énergétique, les profits eux continuent à augmenter. Ceux qui doivent payer la hausse des prix sont bien les ménages, dans la perspective de préserver la rente.

Les propositions de l’Institut La Boétie sont inverses, alignées sur celles de la FI : indexation des salaires sur l’inflation, blocage des prix d’un certain nombre de produits essentiels. « Des biens et des services clés, pour éviter de mettre en péril la situation des ménages et des entreprises du pays tout entier », expliquait Eric Berr le 15 décembre. « Le marché, c’est le chaos » insistait également Aurélie Trouvé, qui ne voit pas d’autres solutions que « l’État reprenne les choses en main ». L’indexation des salaires aurait par ailleurs, selon Eric Berr, un autre avantage. « Il faut tordre le cou à l’idée que l’inflation est un drame. Elle ne l’est pas tant que les salaires suivent. Et en termes de corrections d’inégalités, l’inflation peut ainsi devenir intéressante parce qu’elle grignote la rente des plus riches ».


 


 

L’inflation
frappe avant tout
les plus modestes

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Statistiques L’Insee montre, dans une étude, que la hausse du prix de l’énergie a entraîné, malgré les aides, une perte de pouvoir d’achat.

Une étude de plus confirme le ressenti de millions de foyers. Selon l’Insee, entre janvier 2021 et juin 2022, le pouvoir d’achat des ménages a été affecté par la flambée des prix de l’énergie (électricité, gaz, fioul et carburants) alimentée par la reprise du commerce mondial après le Covid puis la guerre en Ukraine. Si cet état de fait n’est pas en soi une surprise, force est de constater que les différentes mesures prises n’auront pas suffi à amortir le choc. Le bouclier tarifaire instauré par le gouvernement fin 2021 pour limiter cette augmentation, la remise à la pompe de 15 centimes hors taxe par litre (aujourd’hui 8,33 centimes par litre) ou encore le bonus exceptionnel de 100 euros du chèque énergie et l’indemnité inflation n’ont pas permis « à consommation inchangée (…) de compenser la baisse du revenu disponible des ménages ». D’après le modèle de microsimulation utilisé par l’institut de statistique sur une période d’un an et demi, le revenu moyen disponible, intégrant les aides et corrigé des dépenses énergétiques, est en chute de 720 euros net. Soit un recul de 1,3 % par rapport à ce qu’il aurait été si les prix étaient restés ceux de 2020. Globalement, les dépenses d’énergie des ménages ont représenté 24,8 milliards d’euros de plus par rapport à 2020.

Si tout le monde est affecté, les ménages vivant hors zones urbaines et consommant du carburant pour leurs déplacements sont les plus impactés. Leur perte de revenus est en moyenne de 910 euros sur la période, soit 1,7 %, contre une baisse de 650 euros pour ceux vivant dans les zones de 200 000 d’habitants à moins de 2 millions (1,2 %) ou encore de 580 euros (0,8 %) pour les habitants de l’agglomération parisienne, où les dépenses de chauffage et d’électricité prédominent.

Toujours pas de « coup de pouce » du gouvernement

Preuve que les mesures gouvernementales sont insuffisantes pour sortir la tête de l’eau, l’Insee pointe que les ménages les plus modestes, bénéficiant en priorité de ces aides, restent « les plus touchés en proportion de leurs revenus ». Pour les 30 % les plus modestes, la perte de revenus est de 1,6 %, contre 1,2 % pour les 30 % les plus aisés. Les plus pauvres ont ainsi perdu en moyenne 300 euros entre janvier 2021 et juin 2022. La diminution du pouvoir d’achat est encore plus radicale quand tous les facteurs se cumulent. Dans les communes hors unité urbaine, les 30 % les plus modestes perdent en moyenne 2,7 % de leurs revenus disponibles.

Alors que les grèves sur les salaires continuent de croître un peu partout, la CGT rappelle que, contrairement à ce qu’affirme l’exécutif, les trois faibles augmentations du Smic en 2022 n’ont été que des phénomènes automatiques liés à l’inflation. Il en sera de même pour la prochaine hausse de 1,8 % au 1er janvier. « Le gouvernement, égal à lui-même, s’appuie comme chaque année sur l’éternelle rengaine du “groupe d’experts” pour refuser le moindre coup de pouce aux salaires de 2,5 millions de salariés du secteur privé ! » tacle le syndicat. Avant d’enfoncer le clou : « Avec une inflation galopante de 10 % sur les produits de consommation courante, qui percute de plein fouet les salariés aux revenus les plus faibles, qui peut encore oser penser qu’on peut vivre dignement avec 1 709 euros brut par mois ? »

publié le 21 décembre 2022

L’expulsion
de Salah Hamouri,
une défaite de la diplomatie française

René Backmann sur www.mediapart.fr

Désinvolture ? Indifférence ? Volonté de ne pas gêner un gouvernement ami ? Emmanuel Macron et le Quai d’Orsay ont été incapables de convaincre Israël, ou de le contraindre à respecter le droit international dans le dossier de l’avocat franco-palestinien.

L’avocatL’avocat franco-palestinien Salah Hamouri a été expulsé dimanche 18 décembre par le gouvernement israélien en direction de la France, où il est arrivé en fin de matinée. Le ministère français des affaires étrangères a condamné cette « décision des autorités israéliennes, contraire au droit ». Désinvolture ? Indifférence ? Volonté de ne pas gêner un gouvernement ami ? Emmanuel Macron et le Quai d’Orsay ont été incapables de convaincre ou de contraindre Israël de respecter le droit international dans ce dossier.

« Depuis sa dernière arrestation, la France s’est pleinement mobilisée, y compris au plus haut niveau de l’État, pour faire en sorte que les droits de M. Salah Hamouri soient respectés, qu’il bénéficie de toutes les voies de recours et qu’il puisse mener une vie normale à Jérusalem, où il est né, réside et souhaite vivre, précise le Quai d’Orsay. La France a également engagé de multiples démarches auprès des autorités israéliennes pour manifester de la manière la plus claire son opposition à cette expulsion d’un résident palestinien de Jérusalem-Est, territoire occupé au sens de la quatrième convention de Genève. »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que « ces multiples démarches », « y compris au plus haut niveau de l’État », si elles ont réellement eu lieu, donnent une piètre image du poids et de l’influence concrète de la diplomatie française. Car le dossier de Salah Hamouri n’est pas un contentieux récent entre la France et Israël. Dans les relations franco-israéliennes, la première irruption de ce Palestinien de Jérusalem, fils d’une enseignante française et d’un restaurateur palestinien de Jérusalem-Est, date de mars 2005.

Alors étudiant en sociologie à l’université de Bethléem, Salah Hamouri, titulaire d’une carte d’identité israélienne et d’un titre de résident permanent dans la ville, avait été arrêté par l’armée au passage d’un checkpoint sur la route de Ramallah et conduit en prison (lire l’article d’Alice Froussard). La police lui reprochait alors d’appartenir au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et d’être lié à un complot pour assassiner le rabbin Ovadia Yosef, chef spirituel du parti ultra-orthodoxe sépharade Shass. Ce qu’il niait. Et ce qu’aucune preuve matérielle ne corroborait.

Salah Hamouri passera pourtant trois ans en détention administrative, c’est-à-dire sans procès et sans contrôle de la justice civile. Lorsqu’il comparaît au printemps 2008 devant le tribunal militaire d’Ofer, en Cisjordanie, le procureur requiert contre lui une peine de détention de 14 ans. Mais lui propose un marchandage : s’il plaide coupable, sa peine sera réduite de moitié. Sur les conseils de son avocate, Lea Tsemel, spécialiste aguerrie des méthodes de la « justice » militaire israélienne face aux Palestiniens, il accepte. Le 17 avril 2008, il est condamné à 7 ans de prison.

Mais l’année suivante, lorsqu’il demande à bénéficier d’une libération anticipée pour « bonne conduite », trois arguments sont avancés par le ministère israélien des affaires étrangères pour expliquer le refus de la commission chargée d’évaluer sa demande. Le premier est sa décision de plaider coupable : elle confirmerait, selon les magistrats militaires, sa culpabilité ; le second est son refus de présenter des excuses ; et le troisième, son statut de « récidiviste »

« Défaut d’allégeance à l’État d’Israël »

En effet, en 2001, alors qu’il avait 16 ans, il avait été condamné à 5 mois de prison pour avoir collé des affiches politiques interdites. Il lui faudra en fait attendre décembre 2011 pour sortir de prison, en même temps que 550 autres détenus, dans le cadre de l’échange négocié par l’Égypte pour obtenir la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit, capturé au sud de la bande de Gaza en juin 2006 et détenu par le Hamas. Mais la liberté retrouvée de Salah Hamouri et des siens est très relative.

Il lui est interdit de se rendre en Cisjordanie. En 2016, sa femme, française, Elsa Lefort-Hamouri, enceinte de six mois, est arrêtée à son arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv pour « considérations sécuritaires ». Détenue pendant trois jours, elle est finalement expulsée vers la France avec l’interdiction, pour dix ans, d’entrer en Israël et dans les territoires palestiniens. En 2017, Salah Hamouri est de nouveau arrêté et interrogé pendant dix jours. Puis placé, une fois encore, en détention administrative.

C’est clair, Salah Hamouri, qui est devenu avocat et travaille pour l’ONG palestinienne de défense des prisonniers Addameer (considérée comme « terroriste » par Israël depuis octobre 2021), est gênant. Par son travail et sa personnalité. Son téléphone est infecté par le logiciel d’écoute Pegasus. En mars dernier, il est de nouveau arrêté à son domicile de Jérusalem et placé en détention administrative.

Et en octobre, il est informé qu’une procédure de révocation de son statut de résident permanent a été mise en œuvre en raison de son « défaut d’allégeance à l’État d’Israël ». Accusation baroque. En droit humanitaire international, les personnes sous occupation ne sont pas tenues à la loyauté envers la puissance occupante.

Considérée comme « illégale » et « sadique » par des experts de l’ONU, la méthode de harcèlement utilisée par Israël avait clairement pour objectif, selon la famille et les amis de Salah Hamouri, de l’inciter à partir pour la France. « Il subit toute la machine administrative et judiciaire ayant pour but de faire de lui un exilé dans son propre pays », estime Amnesty International.

« Salah Hamouri a été soumis au harcèlement, aux arrestations arbitraires et à la détention depuis l’âge de 16 ans, écrivait dans son rapport remis en septembre dernier Francesca Albanese, rapporteure spéciale des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires occupés palestiniens. Il risque la révocation de son droit de résidence à Jérusalem sur la base d’un défaut d’allégeance à Israël. Ce qui créerait un précédent dangereux car il serait le premier habitant de Jérusalem privé de ce droit en vertu de preuves secrètes liées à des menaces sur la sécurité nationale. »

La mise en garde de Francesca Albanese était fondée, la suite l’a confirmé. Mais le Quai d’Orsay et l’Élysée n’ont apparemment pas eu connaissance de ce rapport. Ou n’ont pas mesuré la portée, pour les Palestiniens de Jérusalem, de ce que Haaretz dénonce comme « un coup tordu légal ». Sinon, lorsqu’Emmanuel Macron a appelé Benjamin Netanyahou, le 6 novembre, pour le féliciter de sa victoire aux élections législatives, en soulignant, comme il l’a indiqué sur Twitter, que « nous partageons la même volonté de renforcer les liens déjà si forts entre Israël et la France », il aurait dû lui faire observer que ces « liens déjà si forts » ne le seraient pas moins si le gouvernement israélien n’empêchait pas Salah Hamouri, citoyen franco-palestinien, de poursuivre une vie normale à Jérusalem où il est né et où il habite.

Et pour le cas où Netanyahou, aujourd’hui chef du gouvernement le plus à droite et le plus religieux de l’histoire d’Israël, aurait manifesté des réticences, Emmanuel Macron aurait pu, par exemple, annoncer que les manœuvres militaires franco-israéliennes « Eastern Breeze », prévues pour les premiers jours de décembre, seraient annulées ou reportées. La « pleine mobilisation de la France », « y compris au plus haut niveau de l’État », n’est pas allée jusque-là.

Au début du mois, des Rafale de l’aéronavale française ont décollé du porte-avions Charles-de-Gaulle, quelque part en Méditerranée orientale, pour voler « aile contre aile » avec des F-16 israéliens et simuler des frappes conjointes. Et dimanche matin, Salah Hamouri, expulsé de sa terre natale par le régime qui l’occupe et la colonise illégalement, est arrivé à Paris. Emmanuel Macron, lui, était à Doha. Pour assister à une autre défaite de la France.

publié le 21 déc 2022

Plus de 225 000 licenciements
dans le numérique

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Emploi Les géants des nouvelles technologies ont renvoyé des milliers de salariés ou projettent de le faire. Si ces plans « sociaux » peuvent être qualifiés de boursiers, ils relèvent de secteurs en faillite ou en pleine restructuration.

Dix mille suppressions d’emplois dans le monde chez Google comme chez HP. Si les dernières annonces de coupes claires dans les effectifs sont le fait de ces deux géants états-uniens, plusieurs centaines d’entreprises des nouvelles technologies, de la petite start-up aux plus grosses valorisations boursières au monde, licencient à tour de bras avec souvent pour objectif de diminuer leur masse salariale de 10 à 15 %. Depuis cet été, le site collaboratif True up, recense environ 200 plans sociaux par mois dans le secteur. Dans le même temps, le nombre d’offres d’emploi dans les nouvelles technologies a chuté de 55 %. Signe qui ne trompe pas, selon une enquête réalisée cet été par le réseau social professionnel Blind, seuls 9 % des salariés du secteur sont confiants dans l’avenir de leur emploi.

La fin de l’argent facile

La statistique impressionne : plus de 225 000 licenciements ont eu lieu dans les nouvelles technologies ces derniers mois. Et encore, cette hémorragie salariale est clairement sous-estimée puisqu’elle ne repose que sur du déclaratif. Les plus gros plans de suppressions d’emplois ­relèvent d’un rééquilibrage économique, selon les interprétations les plus optimistes. Des entreprises comme Amazon ou Microsoft, par exemple, avaient embauché durant la pandémie pour répondre aux demandes des travailleurs et consommateurs confinés, ce qui leur avait permis de réaliser des bénéfices historiques. Cette demande ayant baissé, ces groupes n’ont pas perdu de temps pour licencier.

Cette tendance baissière touche aussi les start-up, qui voient se tarir les sources d’argent facile, notamment du fait de la hausse des taux d’intérêt. Elles peinent à se financer directement auprès des banques, comme auprès des fonds de capital-risque. Selon un calcul récent des Échos, l’ensemble des start-up européennes a perdu 400 milliards d’euros de valorisation ces derniers mois, passant de 3 100 milliards fin 2021 à 2 700 milliards de capitalisation cumulée.

Une pression inédite des actionnaires

Le vent a commencé à tourner fin juillet, depuis Menlo Park, en Californie, siège de Facebook. Pour la première fois, le réseau social perdait des abonnés et voyait ses revenus diminuer légèrement. Les bénéfices nets du groupe demeurent pourtant très confortables (plus de 4,4 milliards de dollars au troisième trimestre) et le groupe reste une machine ultra-rentable à distribuer de la publicité et à capter l’attention. Mais la foi en la croissance infinie des groupes du numérique a pris fin. Et avec elle s’est évanouie la croyance selon laquelle chaque dollar investi dans une action d’entreprise du secteur amènerait automatiquement des investisseurs à y mettre le double, quelques mois plus tard.

Les actionnaires, jusqu’ici très coulants avec les entreprises des nouvelles technologies, ont retrouvé leur comportement carnassier traditionnel, demandant plus de « rationalité ». Ce qui s’est immédiatement traduit par des vagues de licenciements, en moyenne aux alentours de 10 % des effectifs. De manière inédite, l’un des actionnaires de Google, TCI Fund Management, a enjoint à la firme de « prendre des mesures énergiques » pour réduire les coûts et améliorer ses marges bénéficiaires. Estimant que Google « devrait être 20 % plus efficace », le fonds a déploré que le groupe ait doublé ses effectifs en cinq ans et ait laissé filer les montants des plus hauts salaires de l’entreprise. Selon l’actionnaire, cette inflation salariale serait responsable de l’érosion de 27 % des bénéfices sur un an – qui restent tout de même de 14 milliards de dollars au troisième trimestre 2022 –, donc de la baisse à prévoir des dividendes. Sous la pression, Google s’est engagé à supprimer 10 000 postes dès janvier 2023.

Ces plans sociaux ont pour but de faire remonter la valeur de l’action. Sur un an, les seuls Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ont perdu 1 500 milliards de dollars de capitalisation en Bourse. Le titre Alphabet (Google) a plongé de 34 %, l’action Amazon de 44 %, Microsoft de 28 % et le titre Meta (Facebook, WhatsApp, Instagram) a perdu 66,6 %. Apple est le seul à limiter la casse (0,19 %). Les 10 000 suppressions de postes chez Amazon, Tesla comme chez Google, les 11 000 chez Meta sont avant tout des licenciements boursiers.

Le quick commerce en pleine concentration

Autre conséquence de la pandémie, le monde du quick commerce, ces plateformes qui promettent des livraisons d’épicerie en temps record, est en pleine restructuration. À la suite des déconfinements, le chiffre d’affaires du secteur est en berne. En 2021, pourtant, l’argent coulait à flots. L’allemand Gorillas bouclait sa troisième levée de fonds, récupérant près de un milliard de dollars. La start-up turque Getir accumulait 800 millions pour s’étendre en Europe, la britannique Flink 750 millions, et l’états-unienne Gopuff rassemblait 1,5 milliard afin d’assurer son expansion. Or, ce secteur n’a même pas atteint les 150 millions de dollars de chiffre d’affaires dans le monde en 2021. Ses espoirs de voir le marché doubler en 2022 ont fini de s’effondrer cet été. Zapp, KOL ou Yango Deli ont fermé boutique dans l’Hexagone. Le petit français Cajoo s’est fait manger par Flink et, il y a juste une semaine, Gorillas, qui avait racheté Frichti, s’est fait croquer par Getir pour un prix encore inconnu. Alors que plus d’une dizaine d’acteurs s’étaient installés ou projetaient de le faire en France, il y a un an, ils ne sont plus que deux aujourd’hui. Cette concentration ne se fait pas sans casse sociale. Getir a supprimé 4 500 emplois dans le monde ; Gopuff, plus de 2 000… Il ne s’agit là que de plans annoncés. Rien qu’en France, Getir et Gorillas ont mis fin à près de 800 contrats chacun à partir de mai, via des ruptures de périodes d’essai, des ruptures conventionnelles arrachées ou des licenciements pour faute aux motifs parfois étonnants. Le quick commerce n’est pas au bout de ses peines. Les investisseurs se montrent plus frileux et les municipalités de moins en moins accueillantes avec cette activité qui transforme des commerces urbains en entrepôts. Le patron de Getir a déjà laissé entendre que de nouvelles coupes sont à prévoir comme à Paris, Amsterdam ou Londres, pour supprimer les « doublons », dans l’administratif comme dans les entrepôts, à la suite des rachats. La tendance est de plus en plus à la sous-traitance : Gorillas a commencé à externaliser des livraisons aux autoentrepreneurs de Stuart et Getir a passé un accord au niveau européen avec Just Eat.

L’explosion de la bulle des cryptomonnaies

S’il y a un secteur dans les nouvelles technologies dont la crise ressemble à l’éclatement d’une bulle spéculative, c’est bien celui des cryptomonnaies. En matière d’emploi, la crise est moins facilement identifiable car, à part le plan de licenciements chez Coinbase (1 100 personnes), les structures sont plus modestes. Mais beaucoup ont fait faillite cette année. Le prêteur d’actifs numériques (qui pesait 3 milliards) BlockFi a mis la clé sous la porte, dans le sillage de la grande plateforme de change FTX. Auparavant, le fonds spéculatif en cryptomonnaies Three Arrows Capital, avait disparu avec ses 42 milliards de dollars d’encours. Voyager et le réseau Celsius, des créanciers de cryptomonnaie, ont eux aussi été emportés par les défauts de paiements en chaîne. À chaque banqueroute, des milliards de dollars spéculés partent en fumée et des centaines de salariés sont licenciés. Ces faillites ont entraîné aussi des remous dans la Fintech, ces start-up dédiées aux technologies financières. Klarna, qui propose des solutions de paiement en ligne, a supprimé 700 postes, le courtier financier Robinhood 300… Seuls les services de prêt hypothécaire en ligne se portent comme un charme. Les entreprises spécialisées dans le métavers, qui vendent des services, NFT ou autres propriétés immobilières virtuelles adossées aux cryptomonnaies, commencent aussi logiquement à tanguer. Sandbox, l’un des pionniers du secteur, vient ainsi de licencier 80 % de ses effectifs aux États-Unis.

La crise des cryptomonnaies a une autre répercussion sur l’emploi, même s’il est le plus souvent informel, celui des « mineurs », ces travailleurs dont l’activité consiste à vérifier l’intégrité de la chaîne des blocs (la blockchain) qui constitue la cryptomonnaie. Avec la hausse des prix de l’énergie, il faut désormais consommer pour 17 000 dollars d’électricité pour générer un bitcoin, soit bientôt davantage que la valeur de la monnaie au cours actuel ! Sans parler de l’investissement préalable en matériel informatique puissant. Résultat, les « mineurs » de cryptomonnaies se retrouvent eux aussi sur la paille. L’activité est d’ailleurs tellement écologiquement aberrante que plusieurs pays, dont les membres de l’Union européenne et les États-Unis, envisagent de l’interdire, dans le sillage de la Chine.


 


 

Gros mal de tech

Laurent Mouloud sur www.humanite.fr

Le chant des sirènes du high-tech s’est tu. Et le retour sur terre est brutal. Après des années d’emballement financier, le secteur du numérique est confronté à une vague de licenciements sans précédent dans le monde. Ingénieurs informatiques, commerciaux, personnels des ressources humaines, livreurs de plateforme… en l’espace de quelques mois, des centaines de milliers d’emplois (225 000 au minimum) ont été détruits chez les géants des Gafam et dans l’univers fourmillant des start-up. Le mythe de l’hypercroissance, savamment entretenu par certains décideurs politiques béats – et parfois directement intéressés –, s’est évanoui. Reste une casse sociale monstre, loin d’être virtuelle, celle-là.

En vérité, derrière le clinquant des concepts de la nouvelle technologie, les règles du capitalisme traditionnel, pur et dur, continuent de faire valoir leurs droits. Durant des années, et plus encore pendant la période du confinement, les investisseurs ont déversé les milliards sur ce secteur numérique, dans l’espoir d’une culbute spéculative. Les capitalisations boursières se sont envolées, sans commune mesure avec la valeur réelle des entreprises. Aujourd’hui, cette bulle éclate. L’inflation grimpe, tout comme les taux d’intérêt, les banques ne prêtent plus aveuglément, les actions plongent et les actionnaires réclament leur dû : des licenciements boursiers pour faire quelques économies, mais surtout remonter la valeur des titres. Dans ce monde-là, ce que l’on donne d’une main, on le reprend toujours de l’autre. En se payant sur la vie des salariés virés.

En France, la passivité du pouvoir macronien, qui a fait de la « start-up nation » son slogan publicitaire, est flagrante. Face à ce capitalisme financier, qui reproduit toujours les mêmes logiques prédatrices, le laisser-faire reste la règle. Avec une bonne dose de complicité. À l’image de Jean-Noël Barrot, le ministre de la Transition numérique, qui, selon Libération, serait actionnaire de LMP, une entreprise de communication fondée par des anciens du cabinet McKinsey et soutenue par Xavier Niel, le milliardaire de Free… Un entre-soi intenable dans une démocratie qui se veut exemplaire.

  publié le 20 décembre 2022

Tunisie. Le peuple inflige
un camouflet
au président Kaïs Saïed

Nadjib Touaibia sur www.humanite.fr

L’opposition dénonce le « fiasco » des législatives, marquées par un taux d’abstention de plus de 92 %. La légitimité du chef de l’État, artisan d’un verrouillage institutionnel depuis son coup de force de juillet 2021, est un peu plus ébranlée.

Sans surprise, les Tuni­siens ont massivement boudé les urnes, samedi 17 décembre, lors du premier tour des élections législatives. L’abstention est historique, du jamais-vu depuis la révolution de 2011. Quelque 803 000 électeurs seulement sur 9 millions ont fait usage de leur bulletin de vote, soit une participation de 8,8 %. La nouvelle Assemblée de 161 députés doit remplacer celle que Kaïs Saïed avait gelée le 25 juillet 2021, après des mois de tension avec l’exécutif et le parti islamiste Ennahdha, qui dominait le Parlement.

Le président de l’autorité électorale, Farouk Bouasker, a justifié ce faible score par « l’absence totale d’achats de voix (…) avec des financements étrangers ». Le chef de l’État avait lancé un appel aux électeurs dès l’ouverture du scrutin. Il n’a pas été entendu. L’opposition dresse le constat d’un fiasco et estime qu’il n’est plus légitime. « Ce qui s’est passé aujourd’hui est un tremblement de terre », a déclaré Ahmed Nejib Chebbi, le leader du Front de salut national (FSN), une coalition de partis comprenant les islamistes d’Ennahdha. « À partir de ce moment, nous exigeons que Saïed démissionne », a-t-il ajouté. Les Tunisiens sont invités à des « manifestations et des sit-in massifs » pour exiger une nouvelle élection présidentielle.

Le pouvoir du Parlement très amoindri

Ces élections sont « inutiles », avait déclaré de son côté la puissante centrale syndicale UGTT, exprimant ainsi un sentiment général. L’organisation pointe précisément les conséquences de la réforme constitutionnelle approuvée par référendum le 25 juillet. Ces aménagements ont instauré un régime hyperprésidentiel et privent le Parlement de toutes ses prérogatives. « Nous estimons que ce texte constitue une profonde régression, voire un retour au Moyen Âge, (…) il ne garantit pas le rôle des partis politiques et leur liberté de débat autour des questions politiques, économiques, sociales, environnementales », avait déclaré à l’Humanité le secrétaire général de l’organisation, Noureddine Taboubi, à propos de la Constitution. La centrale, qui avait approuvé dans un premier temps le coup de force opéré par le président, avait fini par dénoncer « la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne et l’amendement des textes législatifs en s’appuyant sur des décisions unilatérales ». L’UGTT n’a pas officiellement appelé au boycott du scrutin, mais sa position n’a pas été sans effet sur l’électorat en raison de sa forte audience dans le monde du travail et dans la société civile.

La plupart des partis politiques, islamistes d’Ennahdha en tête, ont en revanche ouvertement boycotté l’élection d’un Parlement au pouvoir législatif considérablement amoindri. Les 1 055 candidats, dont très peu de femmes (moins de 12 %) et une forte proportion d’enseignants et de fonctionnaires, n’ont pas suscité d’intérêt.

La grave crise économique est l’autre facteur de la forte abstention. Les Tunisiens doivent affronter au quotidien des pénuries persistantes de produits de première nécessité. « S’appro­visionner est un parcours du combattant. Le lien de confiance a été rompu. La popularité de Kaïs Saïed est en train de s’effondrer », commente un militant associatif joint au téléphone. Selon lui, l’UGTT pourrait bien désormais durcir le ton à l’égard du chef de l’État. 


 


 


 

Après l’abstention massive
aux législatives, la Tunisie
dans une impasse politique

Lilia Blaise sur www.mediapart.fr

Le président Kaïs Saïed, qui monopolise les pouvoirs depuis un an, affronte une crise de légitimité après le taux d’abstention record (89 %) au scrutin qui lui aurait permis de poursuivre son projet politique. Selim Kharrat, politologue, explique les raisons de ce désaveu populaire.

Tunis (Tunisie).– La Tunisie connaît une nouvelle crise politique après l’abstention record, à près de 89 %, au premier tour des élections législatives du samedi 17 décembre – les premières depuis la prise de pouvoir de Kaïs Saïed le 25 juillet 2021. Le président a dissous le Parlement en mars 2022 et modifié la Constitution vers un régime plus présidentiel, plébiscité par référendum en juillet dernier. Depuis sa prise de pouvoir, fortement soutenue par une population lassée des crises politiques, l’opposition et la société civile alertent sur les risques d’une dérive autoritaire.

Aujourd’hui, avec la crise économique et une inflation galopante (9,8 %), le président est confronté à une crise de légitimité qui affecte aussi bien son projet politique que son soutien populaire. Avec seulement 11,22 % de taux de participation pour 9 millions d’électeurs et électrices inscrits, c’est une minorité qui s’est déplacée aux urnes samedi pour élire un Parlement censé mettre en œuvre les premières étapes du système de démocratie par le bas de Kaïs Saïed. Ce nouveau système, basé sur un pouvoir présidentiel fort et la présence de deux chambres, l’assemblée parlementaire et l’assemblée des régions et des districts (qui doit être élue via un scrutin indirect en 2023), est en rupture totale avec le régime semi-parlementaire qui a prévalu après la révolution de 2011.

Le futur Parlement, aux pouvoirs très restreints, est basé sur des représentations individuelles et non plus sur des candidats de listes de partis politiques. Un système qui peine à susciter l’adhésion. Ce désaveu populaire des Tunisien·nes pour les urnes plonge le pays dans une nouvelle crise : l’opposition réclame la démission du président et l’organisation d’une élection présidentielle anticipée. Une instabilité que peut difficilement se permettre la Tunisie, qui est aussi en train de négocier un prêt de 1,9 milliard de dollars auprès du Fonds monétaire international, pour résorber, en partie, un déficit budgétaire paralysant.

Selim Kharrat est politologue et président de l’ONG Al Bawsala, née après la révolution et qui a observé pendant toutes les mandatures le travail parlementaire. Elle avait annoncé avant le scrutin qu’elle boycotterait le travail du nouveau Parlement pour éviter de « conférer une légitimité à une organisation fictive qui sera instaurée uniquement dans le but de soutenir les orientations du président de la République ».

Mediapart : Quelles sont les raisons d’un taux de participation aussi faible à des élections démocratiques en Tunisie, douze ans après la révolution ?

Selim Kharrat : Plusieurs causes peuvent être citées : tout le processus qui a précédé ces législatives était peu inclusif, ce qui a poussé l’écrasante majorité des partis politiques à boycotter ces élections. Ensuite, le futur Parlement est vidé de ses pouvoirs, notamment celui de contrôle sur l’exécutif, ce qui enlève tout enjeu à ces élections. Enfin, le contexte économique, social et politique des plus tendus a beaucoup joué.

Nous nous sommes retrouvés avec très peu de candidats, 1 058 pour 161 circonscriptions, dont 12 % de femmes. Les programmes politiques étaient très centrés sur les affaires locales, à cause du nouveau découpage des circonscriptions, ce qui a rajouté à la confusion des électeurs, supposés élire des législateurs. Les médias ont été pour la majorité muselés à cause des règles de couverture médiatique drastiques. Autant de facteurs qui ont causé une très faible participation le jour du vote.

Mais surtout, et c’est la cause la plus importante, le message des Tunisiens est clair : en s’abstenant en masse, ils expriment un fort rejet du projet personnel du président et aussi du processus qui a été entamé par le président depuis le 25 juillet 2021. C’est révélateur de la crise de confiance qui s’accentue énormément en Tunisie. Les Tunisiens n’arrivent plus à voir un acteur politique capable d’apporter des réponses pertinentes à leurs préoccupations du quotidien.

Kaïs Saïed avait bénéficié d’un capital confiance lors de sa prise de pouvoir, il y a plus d’un an. Il aurait pu engager des réformes pressantes, comme dans le domaine de la corruption ou de la justice fiscale, il a préféré implémenter son projet personnel sans consulter personne.

Après deux jours de silence, Kaïs Saïed s’est brièvement exprimé dans un communiqué publié lundi soir sur la page Facebook de la présidence, et explique que le taux de participation ne doit pas se mesurer seulement sur le premier tour. Comment interprétez-vous sa réaction, alors que l’opposition appelle à sa démission ?

Selim Kharrat : Kaïs Saïed est complètement dans le déni, ce qui n’est pas rassurant pour la suite. Ses arguments – à savoir le fait de devoir attendre le second tour–  pour justifier le boycott des Tunisiens sont très faibles et ne peuvent être entendus. Cela risque de rendre la situation encore plus tendue car vraisemblablement, il ne veut pas renoncer à son projet malgré le rejet clair des électeurs.

Autre camouflet pour Kaïs Saïed : très peu de candidats qui le soutenaient explicitement sont passés dès le premier tour (comme Ahmed Chaftar, l’un des architectes de son projet politique et candidat dans la ville de Zarzis, au sud), ce qui confirme encore une fois le rejet de son projet de manière spécifique par les rares personnes qui se sont déplacées le jour du vote. Nous n’avons même pas assisté à une mobilisation de ceux qui l’ont soutenu puisque lors du référendum constitutionnel du 25 juillet dernier, il y avait eu 30,5 % de taux de participation.

Aujourd’hui, l’opposition appelle à la démission du président et à l’annulation du second tour. Quel poids a-t-elle dans le débat ?

Selim Kharrat : Les attaques de l’opposition ont été assez rapides et claires : remettre en question la légitimité de Kaïs Saïed, car la base légale et institutionnelle de sa légitimité était déjà fragile, puisqu’il a pris le pouvoir par un coup de force le 25 juillet 2021. Donc c’est exactement le message politique qu’il faut adresser dans de telles circonstances. Dans n’importe quel autre pays démocratique, le président aurait démissionné dès l’annonce des résultats préliminaires. Après, le poids de l’opposition n’est pas si fort car, jusqu’à maintenant, elle peine à se rassembler et même ses appels au boycott du scrutin ne sont pas la seule raison de la désaffection des électeurs le 17 décembre.

L’opposition multiplie les appels aux Tunisiens pour se mobiliser, sans réellement rien leur proposer de concret et de viable, ni un projet politique alternatif. Donc je ne suis pas sûr qu’elle ait un impact populaire et c’est là tout le blocage de la situation tunisienne. Nous avons d’un côté un dirigeant et un régime qui n’ont plus de légitimité, ni de crédibilité mais, de l’autre côté, un vide sidéral en termes de proposition politique.

Quels sont les scénarios possibles face à cette crise de légitimité que connaît Kaïs Saïed ?

Selim Kharrat : Étant donné que le président de la République a changé la Constitution et a verrouillé les modalités de destitution du président, très peu de choses sont possibles à l’heure actuelle sur le plan légal et constitutionnel. C’est pour cela que certains acteurs appellent à la mise en place d’une cour constitutionnelle, mais celle qui est prévue par la nouvelle Constitution ne présente pas de garanties d’indépendance, donc ce n’est pas forcément une solution. Nous sommes donc dans une impasse.

Au regard de sa réaction au taux de participation, Kaïs Saïed va continuer de s’entêter et ne voir que sa propre vérité, au risque de s’isoler davantage et de se couper complètement de la société tunisienne. Je pense que l’on s’apprête à vivre des mois assez tendus, à moins que Kaïs Saïed ne s’ouvre enfin au dialogue. Nous ne sommes pas encore complètement arrivés à un rejet du personnage de Kaïs Saïed au sein de la population, mais son bilan est clairement attaqué.

publié le 20 déc 2022

Aller au travail…
et ne jamais en revenir

par Julie Wagner sur https://basta.media/

(Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Politis.)

Julie Wagner avait un frère jumeau, Maxime. Il est mort d’un accident du travail sur un chantier du Grand Paris Express début 2020. Depuis, la famille se mobilise pour obtenir justice. Le procès vient d’être renvoyé pour la deuxième fois.

Vendredi 28 février 2020. C’est le soir. Je reçois un appel d’une de mes petites sœurs, Pascaline. Elle m’apprend que mon frère jumeau, Maxime, est dans le coma. Il vient d’avoir un accident au travail. Il y a quelques mois, il a été recruté comme intérimaire sur un chantier du Grand Paris Express. C’est si violent, on ne comprend pas ce qui se passe. Le lendemain, avec ma mère, mes cinq sœurs et mon mari, nous montons à Paris pour nous rendre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

À l’époque, c’est le début de la crise sanitaire et les hôpitaux doivent affronter une situation sans précédent. Nous n’avons accès à aucune information. Jusqu’à ce qu’on nous parle d’une « explosion » qui aurait eu lieu sur le chantier. Maxime aurait été soufflé et serait immédiatement tombé dans le coma. Nous sommes restés sur place deux semaines. À trois reprises, Maxime a changé de service. Les médecins étaient unanimes : le pronostic vital était engagé. Nous nous accrochions au reste : les « constantes » – comme ils disent dans le jargon médical – restaient bonnes. Franchement, j’y croyais. Je voulais qu’il s’en sorte.

Avec l’avancée du Covid, la situation de l’hôpital s’est dégradée. Les visites nous ont été interdites. Le 11 mars, nous sommes rentrés chez nous. Le 18, les médecins ont constaté que les lésions au cerveau étaient devenues trop importantes. Le 19, c’est la fin. Maxime nous quitte. Pas un article de presse. Pas une brève. Rien sur les circonstances terribles de cet accident professionnel. Mon frère est mort dans l’anonymat d’une France confinée. Maxime était papa de deux petites filles : Sannah, qui avait neuf ans en 2020, et Noémie, qu’il avait eue avec sa nouvelle femme, âgée de deux ans lors de l’accident. Il était aussi le « papa de cœur » d’Hanaé, la grande sœur de Noémie.

Les mois passent. La souffrance reste. Nous n’avons aucune nouvelle ni de l’entreprise ni des autorités. Nous ne savons rien de plus que ce qui nous a été annoncé à l’hôpital le jour de notre arrivée. Ma mère a quelques échanges avec la police. Mais, vite, les liens s’estompent et la policière avec laquelle elle avait pris l’habitude d’échanger ne répond pratiquement plus.
Maxime est mort en pleine santé. Il n’avait que 37 ans. Personne ne semble s’émouvoir des circonstances de sa mort. Personne pour se donner la peine de nous expliquer le « comment » et le « pourquoi » de cette tragique histoire. Comme chaque jour, Maxime est parti au travail en embrassant ses enfants. Mais, ce jour-là, il n’est pas revenu. Comment est-ce possible dans la France de 2020 ?

Au bout d’un an et demi de questions sans réponses, ma mère a arrêté de chercher à avoir des informations. Ça lui bouffait la vie. Malgré tout, elle a continué, au fil des semaines, à faire des recherches Google dans l’espoir de tomber sur quelque chose qui mentionnerait la mort de Maxime. C’est ce qui est arrivé en avril 2022 avec un article de basta! (« “Silence, des ouvriers meurent” : sur les chantiers du Grand Paris, des accidents de travail à répétition  », publié le 7 mars 2022) racontant l’histoire de mon frère.

Pour la première fois, on apprend les réelles circonstances de l’accident. Maxime n’a pas été soufflé par une explosion. Il a été victime de ce qu’on appelle un mouvement en coup de fouet d’une conduite au sein du tunnelier. Celle-ci l’a percuté au niveau du crâne. Et c’est seulement deux ans après les faits qu’on découvre qu’une enquête de l’inspection du travail a été rendue il y a plusieurs mois. La responsabilité de l’entreprise y est clairement pointée du doigt. On s’aperçoit également que Maxime n’est pas le seul : au moins trois autres personnes sont mortes sur les chantiers du Grand Paris Express.

À ce moment-là, mes sentiments sont confus : entre soulagement – enfin on en parle – et incompréhension. Pourquoi ce silence durant toutes ces années ? Et si basta! n’avait pas publié son article, que se serait-il passé ? Aurions-nous été informés des conclusions de l’enquête de l’inspection du travail ?

Désormais, on est remontés à bloc. On raconte notre histoire dans la presse, on reprend un avocat, on relance le parquet. Et, vite, les choses se débloquent. L’entreprise, une filiale de Vinci, est mise en examen pour homicide involontaire et une date d’audience est fixée au 12 décembre [le procès a été renvoyé au 5 avril 2023. La faute à l’entreprise qui a rendu ses conclusions le jour de l’audience à midi, ndlr]. Nous voulons que l’entreprise soit reconnue coupable de la mort de Maxime. Mourir au travail, ça n’est pas normal. Nous attendons que ce procès l’acte en condamnant les responsables. Les employeurs sont obligés d’assurer la sécurité de leurs salariés. Nous voulons que justice soit rendue. Pour Maxime !

  publié le 19 décembre 2022

Sans-papiers, associations et syndicats dans la rue contre la loi «immigration»

Simon Mauvieux sur https://rapportsdeforce.fr/

Plusieurs milliers de personnes ont marché dimanche dans les rues de Paris à l’occasion de la journée internationale des migrants. Dans toutes les têtes, la loi «immigration» de Gérald Darmanin, dont les contours encore flous ne masquent pas sa volonté répressive.

C’est un début de manif comme un symbole : plusieurs milliers de personnes, dont une grande partie de travailleurs sans-papiers, ont lancé le cortège porte de la Chapelle, face  au chantier de la future Arena des JO 2024. « On profite de la visibilité de la coupe du Monde pour montrer que ce qu’il se passe au Qatar fait écho à ce qu’il se passe sur les chantiers des JO », soulève Mathieu Pastor, membre de la Marche des solidarités qui a organisé cette manifestation. En juillet 2022, l’Humanité révélait l’existence d’un important réseau de sous-traitants aux relents mafieux qui embauchait des travailleurs sans-papiers sur les chantiers des JO. En décembre, le Monde révélait à son tour la présence de nombreux travailleurs sans-papiers sur les chantiers des JO en Seine-Saint-Denis. Si l’on est loin de la situation du Qatar et ses milliers d’ouvriers morts sur les chantiers de la Coupe du monde, ceux des Jeux olympiques sont devenus le symbole d’une éternelle hypocrisie : celle de l’emploi de centaines de milliers de travailleurs sans-papiers en France alors que se multiplient les politiques répressives à leur encontre.

Une marche pour la dignité des travailleurs sans-papiers

Dans le cortège, le traditionnel camion de la CGT, le ballon rose de Solidaires, et les chants du NPA se mêlent aux tambours de nombreux collectifs de travailleurs sans-papiers. Ouvriers de la logistique, du BTP, livreurs, ils sont venus en nombre dénoncer leurs conditions de travail et l’accès toujours plus difficile aux régularisations : « Sur tout le territoire français, des migrants, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière sont en souffrance, s’insurge Adama, ouvrier de la logistique, un gilet aux couleurs de la CGT sur le dos. Ceux en situation régulière ne peuvent pas obtenir de rendez-vous en préfecture pour des renouvellements de titres de séjour. Ceux en situation irrégulière n’arrivent pas à obtenir les documents de leurs employeurs pour les régulariser », poursuit-il. William, casque de moto sous le bras, est livreur pour Uber eats et Delivroo. Il est venu avec une trentaine de collègue, sous la bannière du Collectif des livreurs autonomes des plateformes (CLAP). Ilraconte ses conditions de travail : « C’est difficile, surtout en hiver. Les restaurants ne nous laissent pas nous réchauffer à l’intérieur, les clients nous parlent mal, et pour couronner le tout, les plateformes ne paient pas bien », enchaine-t-il. Comme beaucoup de livreurs, William travaille sous un faux nom et se bat depuis plusieurs mois contre Uber, qui a désactivé le compte d’au moins 2500 livreurs sans-papiers : « Pendant le confinement, ils nous appelaient pour nous faire travailler, ils savaient très bien qu’on était sans papiers. Là ils se permettent de nous jeter à la poubelle, de nous mettre dehors en disant que nos  pièces d’identité ne sont pas bonnes. Mais ils ne se sont pas posé ces questions avant », fulmine-t-il.

 Tout au long du cortège, chaque sans-papiers à son histoire, faite de galère administrative et de précarité : salaires non payés, patron qui licencie du jour au lendemain, préfecture inaccessible, régularisation impossible. Face à cette profusion de misère sociale, Jean Albert Guidou, secrétaire général de l’union locale de la CGT à Bobigny, voit dans la mobilisation de ces sans-papiers l’avant-garde d’un combat plus large pour la dignité des travailleurs :  « Le rêve des patrons, c’est le statut qu’ont les travailleurs sans-papiers. La lutte qu’ils mènent  est une lutte commune et importante pour tous les travailleurs de ce pays », analyse-t-il. L’avant-garde aussi d’une lutte qui se mènera dans les prochains mois contre la loi «immigration» de Gérald Darmanin.

Le début d’une mobilisation contre la loi «immigration»

 Geneviève Jacques, ancienne présidente de La Cimade, soulève l’importance du contexte dans lequel se déroule cette journée internationale des migrants : « La prochaine loi «immigration» et la circulaire ultra répressive du ministère de l’Intérieur arrivent dans un contexte de banalisation des idées d’extrême droite, décrit-elle. On est très inquiet sur le durcissement et le recul de l’accès aux droits des personnes qui travaillent ici depuis longtemps et qui sont traités comme des délinquants ou comme une menace pour notre pays ». Mathieu Pastor abonde : « C’est une loi qui va faire passer un cap vers plus de racisme et de précarité, plus d’oppression des migrants, des sans-papiers et tout étranger de manière générale ».

 Pour lui, la riposte démarre aujourd’hui et se poursuivra dès janvier prochain. Il rêve d’un large mouvement, contre cette loi bien sûr, mais aussi contre le racisme et les idées d’extrême droite :  « On sent un niveau d’indignation qui diminue face à l’horreur. On doit organiser notre camp, les syndicats, les partis politiques, les associations, on a besoin d’une prise de conscience, on ne fera pas reculer le Rassemblement national en se battant uniquement contre les retraites. Il faut prendre de front ces attaques racistes et nationalistes et se battre contre elles », clame-t-il.

Le prochain rendez-vous est donné le 20 janvier à la bourse du travail, pour une assemblée générale qui discutera de la suite du mouvement.

publié le 19 décembre 2022

Ukraine.
300 jours de guerre,
une paix toujours bloquée

Vadim Kamenka et Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Guerre en Ukraine Depuis que la Russie a envahi son voisin, il y a dix mois, les points de blocage demeurent extrêmement nombreux pour sortir du conflit. Les populations en payent le prix fort.

Lancée le 24 février, l’invasion de l’Ukraine dure depuis 300 jours. Lundi, une nouvelle attaque aérienne russe a visé des infrastructures de la capitale Kiev et une dizaine de régions. « Toute la nuit, des drones ennemis tentaient de frapper des sites énergétiques », entraînant « une situation difficile pour le système énergétique » et des « coupures d’électricité », a indiqué l’opérateur national Ukrenergo sur Telegram. De son côté, le ministère de la Défense russe assure que ces frappes visent les installations militaires et énergétiques afin de perturber « le transfert d’armes et de munitions de production étrangère ». Moscou a également dénoncé les frappes ukrainiennes qui ont touché la ville de Donetsk et un de ses hôpitaux, mais aussi la région russe de Belgorod.

Avec 200 000 pertes militaires et des dizaines de milliers de morts de civils, le bilan humain ne cesse de s’alourdir. Dans le Donbass, où le conflit dure depuis 2014, survivre reste l’essentiel. L’hiver et le durcissement des affrontements rendent le quotidien des habitants insoutenable. Durant cette période, aucune trêve n’est en discussion (lire l’encadré). « Aucune proposition n’a été formulée par qui que ce soit, ce sujet n’est pas à l’ordre du jour », a encore répété le porte-parole du Kremlin, le 14 décembre. Faute de cessez-le-feu, quels sont les points de blocage pour amorcer un processus de paix ?

Les dix points ukrainiens

Depuis dix mois, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, affiche sa détermination à repousser la Russie et à la vaincre. Une nouvelle proposition a été évoquée par les autorités ukrainiennes à plusieurs reprises ces dernières semaines. Au G20, le chef de l’État a présenté ses dix points : intégrité territoriale de l’Ukraine, réparations, justice internationale, échanges de prisonniers et déportés, prévention militaire, sécurité nucléaire, alimentaire et énergétique, environnement…

Le premier point d’achoppement reste donc le retrait des troupes russes. Le président Volodymyr Zelensky revendique « le contrôle de l’Ukraine sur toutes nos frontières » et que « la Russie (réaffirme) l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans le cadre des résolutions de l’ONU », c’est-à-dire dans les frontières de 1991. Cette précision a été accueillie par les autorités russes comme une volonté de ne pas négocier. Pour Moscou, il apparaît impossible d’abandonner la Crimée et les deux Républiques autoproclamées du Donbass : Donetsk (DNR) et Lougansk (LNR). « Bien entendu, il y a les populations sur place, qui ont essuyé près de neuf années de conflit. Sans obtenir un statut particulier, cela risque de se prolonger. Moscou a aussi un intérêt stratégique comme le contrôle de la mer Noire et de la mer d’Azov », analyse un journaliste russe qui doute d’un tel compromis.

Moscou et des objectifs flous

« L’Ukraine, tant de facto que de jure, ne peut pas et ne veut pas négocier. Les objectifs de la Fédération de Russie seront réalisés par la poursuite d’une opération militaire spéciale », a réaffirmé, fin novembre, Dmitri Peskov, le porte-parole de la présidence russe. Une énième sortie qui interroge sur les buts de la guerre. « Dénazifier l’État ukrainien » et « protéger les personnes victimes de génocide de la part de Kiev » font partie des formulations initiales de Vladimir Poutine en février. Dernièrement, les référendums dans quatre régions (Lougansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson) pour le rattachement à la Russie, la menace de l’emploi de l’arme nucléaire ou les bombardements sur des infrastructures ukrainiennes interpellent. Ces attaques « pour une bonne partie d’entre elles, ce sont des crimes de guerre, elles (visent) des infrastructures civiles, des civils eux-mêmes (…) Ça n’est pas la nature de l’opération spéciale qu’il avait lancée », qui était une « conquête territoriale », a condamné Emmanuel Macron. Certains redoutent de nouvelles offensives, le pouvoir russe souhaitant éviter de subir une guerre désastreuse pour son opinion. « Nous sommes dans une phase préliminaire. Les Russes, pour des raisons évidentes, ont intérêt à la négociation. Ces pourparlers n’auront pas lieu avant un nouveau test du rapport des forces militaires où, si les Russes s’effondrent, les Ukrainiens seront tentés de pousser encore plus leur avantage », constate Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Des garanties de sécurité

Début décembre, Emmanuel Macron semble prononcer un « gros mot ». Il estime que le moment venu, il conviendra d’accorder « des garanties pour sa propre sécurité à la Russie le jour où elle reviendra autour de la table des négociations ». Des propos qui troublent Kiev, mais aussi les partenaires occidentaux. À l’heure où, au mépris du droit international, l’armée russe contrôle près de 17 % du territoire ukrainien, cette position est inaudible. Mais, au moment de la sortie de conflit, la question se posera inévitablement. Surtout s’il faut une monnaie d’échange pour que Moscou accepte de se retirer de territoires ukrainiens autrement que par la force.

En décembre 2021, Vladimir Poutine avait demandé le respect de la promesse faite par les Occidentaux lors de la dissolution de l’URSS. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord ne devait pas s’élargir davantage à l’Est, prévenait-il. Par ailleurs, Moscou demandait aussi que des troupes de l’Alliance atlantique ne soient pas positionnées dans les anciens pays de l’Est. Organiser la paix en Europe passe par des assurances pour la Russie. « Ma sécurité n’est jamais garantie si la sécurité des autres n’est pas garantie », rappelait Reiner Braun, du Bureau international de la paix (IPB), lors du Forum de la gauche, à Athènes, en octobre.

L’Ukraine aussi a besoin de gages de sécurité de la part du Kremlin. L’invasion de son territoire piétine le mémorandum de Budapest, signé en 1994, par lequel Kiev renonce à l’arme nucléaire. En échange, la Russie le Royaume-Uni et les États-Unis s’engagent à garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine. De même, les pays européens peuvent signifier leur mécontentement face à l’installation d’ogives nucléaires russes en Biélorussie, au moment du déclenchement du conflit.


 

Cessez-le-feu : pacifistes russes et ukrainiens appellent à une trêve de noël

Une trêve de Noël : voilà le souhait de Yurii Sheliazhenko, secrétaire exécutif du Mouvement pacifiste ukrainien, et d’Oleg Bodrov, membre russe du Bureau international de la paix. Les deux progressistes ont rédigé un appel à un cessez-le-feu en Ukraine du 25 décembre au 7 janvier, « en signe de notre humanité partagée, de réconciliation et de paix ». Il a été soutenu par de nombreuses organisations internationales dont le Mouvement de la paix. Cette revendication s’adresse aux « dirigeants des parties belligérantes : faites taire les armes. Donnez aux gens un moment de paix et, par ce geste, ouvrez la voie aux négociations ». Les deux auteurs rappellent que « la trêve de Noël de 1914, en pleine Première Guerre mondiale, a été un symbole d’espoir et de courage, lorsque les citoyens des pays en guerre ont organisé un armistice de leur propre autorité et se sont unis dans une réconciliation et une fraternisation spontanées ».

Un cessez-le-feu immédiat est prioritaire. Pourquoi ? « Car la trêve est le premier pas vers la paix, estiment les deux militants. Ensemble – nous en sommes convaincus – nous pouvons vaincre le cycle de la destruction, de la souffrance et de la mort. » Ils apostrophent « la communauté internationale à soutenir fermement et à favoriser un nouveau départ des négociations entre les deux parties ». Car « notre vision et notre objectif sont de créer une nouvelle architecture de paix pour l’Europe qui inclut la sécurité pour tous les pays européens en se fondant sur le principe de la sécurité commune ».

  publié le 18 décembre 2022

Israël a expulsé l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le juriste a été placé dans un avion en direction de Paris, dimanche, aux premières heures de la journée. La mère de Salah avait écrit à Emmanuel Macron pour qu’il intervienne et empêche cette expulsion, visiblement sans résultats. "J'ai changé d'endroit mais le combat continue" a-t-il déclaré à son arrivée à l'aéroport parisien de Roissy".  "Aujourd'hui, je sens que j'ai une responsabilité énorme pour ma cause et mon peuple. On ne lâche pas la Palestine. Notre droit c'est de résister", a-t-il ajouté. 

Le ministère israélien de l’Intérieur, vient d’annoncer l’expulsion de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, en détention administrative depuis le mois de mars - c’est-à-dire sans accusations formelles. Salah Hamouri «a été expulsé ce matin vers la France à la suite de la décision de la ministre de l’Intérieur Ayelet Shaked de lui retirer son statut de résident», a indiqué le ministère israélien de l’Intérieur dans un communiqué.

Né à Jérusalem, Salah Hamouri, doit pourtant, comme tous les Palestiniens de la partie occupée de la ville, posséder une autorisation de résidence. Celle-ci lui avait retiré. Une mesure contestée et suspendue, qui devait être examinée par la Cour suprême israélienne en février prochain. Mais en réalité, les autorités israéliennes entendaient expulser Salah Hamouri au plus vite. Salah Hamouri avait appris fin novembre qu’il allait être expulsé en décembre vers la France. Mais son expulsion avait été reportée à la suite d’audiences devant la justice militaire, ses avocats remettant en cause son ordre d’expulsion et aussi la révocation de son statut de résident de Jérusalem-est. Début décembre, ces mêmes autorités israéliennes confirmaient la révocation du statut de l’avocat franco-palestinien, ouvrant ainsi la voie à une expulsion imminente malgré une nouvelle audience prévue le 1er janvier.

Depuis vendredi soir, les indications d’une expulsion dimanche matin s’étaient multipliées, la députée communiste israélienne Aïda Touma-Slimane ayant d’ailleurs écrit samedi soir au ministre de la Défense Benny Gantz pour empêcher l’expulsion, toutefois décrétée par la ministre de l’Intérieur Ayelet Shaked. Cette dernière n’a pas caché sa joie. « C’est un formidable accomplissement d’avoir pu provoquer, juste avant la fin de mon mandat, son expulsion », a-t-elle commenté dimanche. Le nouveau gouvernement de Netanyahou devrait prendre ses fonctions dans les prochains jours.

«Cette expulsion est une manœuvre visant à entraver le travail de Salah Hamouri en faveur des droits humains, mais aussi l’expression de l’objectif politique à long terme des autorités israéliennes, qui est de diminuer l’importance de la population palestinienne à Jérusalem-est», estiment Amnesty International et la Plate-forme des ONG françaises pour la Palestine. Les autorités israéliennes ont expulsé Salah Hamouri de sa ville natale de Jérusalem à la France pour « défaut d’allégeance« à un pouvoir occupant », a indiqué sa campagne de soutiens.

»Nous ne pensions pas que c’était possible d’expulser une personne de sa terre natale. C’est un citoyen français il est davantage palestinien. Il est né à Jérusalem, a vécu et grandi ici (…) Ces racines sont ici«, expliquait récemment Denise Hamouri, la mère de Salah. Elle avait exhorté le président français, Emmanuel Macron de faire pression sur Israël pour surseoir son expulsion et permettre à Salah Hamouri de se déplacer librement. Car le harcèlement israélien a également touché sa famille. Son épouse, française, ne peut plus se rendre en Palestine.

Il y a quelques semaines, dans l’Humanité, Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’Onu sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 faisait remarquer que « le cas de Salah Hamouri est exceptionnel parce qu’il est susceptible de créer un précédent juridique très dangereux par lequel la résidence d’un Palestinien de Jérusalem serait révoquée sur la base d’éléments à charge ou accusations secrètes. Le test (et le défi) est le suivant : si les autorités israéliennes venaient à agir impunément avec un individu de nationalité européenne, il n’y aurait plus rien qui pourrait les empêcher de continuer à dépeupler Jérusalem de sa population arabe. Et c’est sur cela, permettez-moi de le souligner, que le silence de la France est assourdissant. » De fait, malgré les questions régulières posées par la presse au ministère des Affaires étrangères, le cas de Salah Hamouri a rarement été évoqué publiquement, comme s’il ne fallait pas gêner Israël.

publié le 18 décembre 2022

En débat. Les actionnaires méritent-ils leurs dividendes ? (1/2)

par Pierre-Henri Lab sur www.humanite.fr

En 2021, le montant perçu par les actionnaires du CAC 40 a atteint 57,5 milliards d’euros, en progression de 32 % par rapport à 2020. Un record qui interroge. Alors, méritent-ils ces dividendes ? Nous avons posé la question à Pascal Quiry, professeur de finance à HEC Paris, et Tibor Sarcey, économiste membre du PCF, ainsi qu’à François Meunier (Coprésident du comité éditorial de la revue Vox-Fi) et à Maxime Combes (Économiste et membre d’Attac France)


 

Le dividende n’est pas la rémunération de l’actionnaire. Ce n’est donc pas le bon angle d’attaque du capitalisme.

par Pascal Quiry (Professeur de finance à HEC Paris)

Une entreprise qui verse un dividende se prive d’un actif, la partie de sa trésorerie qu’elle verse en dividende. Si elle le fait, c’est qu’elle estime en avoir les moyens, car personne, y compris parmi les actionnaires et les dirigeants, ne va volontairement au-devant des difficultés. Aussi, lors du versement du dividende, la valeur de l’entreprise et donc de son action baissent exactement du montant du dividende versé. Et c’est normal car elle a alors moins d’actifs. Si vous avez une action qui cote 20 euros et qui verse un dividende de 0,60 euro ; après versement du dividende, au lieu d’avoir une action qui vaut 20 euros et 0,60 euro sur votre compte en banque, vous avez une action qui vaut 19,40 euros et 0,60 euro de liquidités. Il ne s’agit pas seulement de théorie, mais de la simple constatation des faits, que savent les centaines de millions d’actionnaires dans le monde.

Le versement d’un dividende n’enrichit pas l’actionnaire, il modifie simplement la composition de ses actifs, en en transformant une petite partie en liquidités.

Le parallèle souvent fait entre le dividende-rémunération de l’actionnaire et le salaire-rémunération du salarié est donc faux. En effet, quand nous percevons notre salaire, notre compte en banque s’accroît de son montant, nous permettant de faire face aux inévitables dépenses de la vie courante, voire mettre de l’argent de côté. Mais nulle part, nous enregistrons une baisse de notre patrimoine du fait du versement du salaire. C’est pourtant ce qui arrive à l’actionnaire. Aussi cette analogie trompeuse avec le salaire doit être abandonnée au profit d’une autre : celle du retrait d’argent à un distributeur de billets. Bien sûr, nous savons tous que retirer de l’argent à un distributeur de billets ne nous enrichit pas. Nous avons simplement moins d’argent sur notre compte en banque, et plus dans notre poche. C’est la même chose pour l’actionnaire qui reçoit un dividende : la valeur de ses actions a baissé exactement du montant des liquidités qu’il a reçues en dividendes.

Poser la question de savoir si les actionnaires méritent leurs dividendes est comme se demander si nous méritons les billets qui sortent du distributeur. Une autre façon de comprendre que le dividende n’est pas la rémunération de l’actionnaire, comme le salaire est celle du salarié, est de regarder combien le dividende représente en pourcentage de la valeur de l’action. Sur LVMH (Louis Vuitton, Dior, Hennessy, etc.), la plus importante société européenne par sa valeur, le dividende annuel est de 10 euros pour une action qui vaut 700 euros. Ce qui fait un taux d’intérêt de 1,4 %, alors que le livret A rapporte du 2 %.

Si le dividende était la rémunération de l’actionnaire, celui-ci serait bien sot de garder ses actions LVMH pour ne pas placer sur le livret A et gagner du 2 % au lieu du 1,4 %, et ce pour un risque bien moindre puisque les sommes sur le livret A ne baissent jamais, contrairement aux cours de Bourse. Le dividende n’est donc pas le bon angle d’attaque du capitalisme.


 

Le coût des dividendes pour les entreprises a atteint 170 milliards d’euros en 2020. Ils sont essentiellement investis dans la spéculation.

par Tibor Sarcey (Économiste, membre du PCF)

Que faire du profit ? Ce sont les assemblées générales des actionnaires qui tranchent cette question chaque année. Soit le profit est réinvesti dans l’entreprise, soit il est distribué aux actionnaires sous forme de dividendes. Il échappe alors au circuit économique de l’entreprise. Ce dernier cas de figure intervient généralement quand les actionnaires jugent plus rentable de réinvestir ce profit sur les marchés financiers plutôt que dans l’outil de production de l’entreprise.

Le grand actionnariat, qui en Europe détient 60 % du capital des entreprises cotées en Bourse, réinjecte l’argent perçu des dividendes dans les instruments financiers les plus rentables, loin de l’économie réelle. Certes, parmi ces instruments, figurent des actions d’entreprises. Cela permet aux libéraux de vanter la fonction de passerelle des actionnaires qui permettrait à des entreprises matures en excédents de capitaux de s’en délester via les dividendes auprès d’entreprises en croissance ayant besoin de nouveaux fonds.

Cependant, l’écrasante majorité des transactions boursières a lieu sur le marché secondaire, sur lequel ces grands actionnaires font vivre la spéculation en s’échangeant des actions déjà émises par le passé. Pas de fonds supplémentaires, donc, pour les entreprises, mais un accroissement de leur valeur financière artificiellement gonflée par cette spéculation. Cela se traduit par une pression renforcée sur le profit pour pouvoir la rentabiliser et par une instabilité financière permanente.

L’argent apporté effectivement aux entreprises lors d’émissions de nouvelles actions sur le marché primaire, avant donc qu’elles ne soient librement disponibles sur le marché secondaire, est très faible (14 milliards d’euros en 2020), bien moindre que l’argent reversé par le biais des dividendes (184 milliards d’euros). Les actionnaires représentent ainsi un coût net pour les entreprises (170 milliards d’euros en 2020, soit 7 % du PIB) qui est pris sur les salaires, l’emploi, mais aussi sur le financement des services publics et des investissements répondant aux besoins des populations et des territoires. Les dividendes n’ont aucune justification économique en dehors du fait qu’ils sont l’expression monétaire du rapport de domination parasitaire que les actionnaires exercent sur les entreprises.

Critiquer les dividendes ne doit cependant pas faire l’économie d’une critique plus fondamentale du capitalisme qui, avec ou sans dividendes, se nourrit du profit qui est pris sur les richesses créées par le travail et guide l’ensemble des décisions économiques avec inefficacité. Ne pas verser de dividendes n’est pas un gage de progrès social pour une entreprise, mais tout au plus celui d’une structure financière renforcée grâce au maintien du profit dans ses comptes. Mais pour quelle finalité ? L’argent des dividendes donne simplement une mesure des marges de manœuvre dont nous disposerions immédiatement pour financer le progrès… lorsque nous nous serons réapproprié collectivement nos outils de production.

Pour aller plus loin. « 69 milliards, ce que les actionnaires ont coûté aux entreprises du CAC40 en 2021 » article sur le site Économie & Politique


 


 

Les actionnaires méritent-ils leurs dividendes ? (2/2)

En 2021, le montant des dividendes perçus par les actionnaires du CAC 40 a atteint 57,5 milliards d’euros, en progression de 32 % par rapport à 2020. Un record qui interroge.

Les dividendes permettent de capter une grande partie de la richesse produite au détriment de l’emploi et de l’investissement.

par François Meunier (Coprésident du comité éditorial de la revue Vox-Fi)

Il y a la théorie et la réalité. Selon la théorie, le versement de dividendes rémunère la juste part du risque pris par l’actionnaire pour avoir mis à disposition des capitaux et attirerait de nouveaux investissements sur le long terme pour continuer à innover.

La réalité, du moins celle des grands groupes, est tout autre. L’argument théorique était déjà peu convaincant au regard de la part exorbitante des profits extraite pour rémunérer les actionnaires : la détention d’une seule action de chacun des groupes du CAC 40 dans sa composition actuelle conduisait à 53,4 euros de dividendes au titre de l’année 2006, mais à 75 % de plus au titre de l’année 2021, soit 93,7 euros. Ni le Smic ni les minima sociaux, pas plus que le PIB, n’ont augmenté de 75 % sur la même période.

La théorie s’effondre un peu plus au lendemain de la pandémie de Covid, qui a vu les pouvoirs publics soutenir financièrement les entreprises (100 % du CAC 40 a touché des aides publiques liées à la pandémie), réduisant à la portion congrue les risques pris par les actionnaires. Le CAC 40 vient pourtant de battre ses records de dividendes (57,5 milliards d’euros) et de rachats d’actions (22,4 milliards d’euros) versés au titre de l’année 2021.

Face à ces records indécents, Bruno Le Maire répète que « les dividendes d’hier seraient les investissements d’aujourd’hui et les emplois de demain ». Cette affirmation incantatoire ne résiste pas à l’épreuve des faits : Stellantis a effacé plus de 17 000 emplois en 2021, ArcelorMittal et la Société générale plus de 9 000, Total, Axa, Sanofi et BNP Paribas autour de 4 000, tout en étant parmi les champions de versement des dividendes. Au cœur de la pandémie de Covid, le CAC 40 a redistribué de manière agrégée à ses actionnaires l’équivalent de 140 % des profits réalisés en 2020 ! C’est comme si l’ensemble de ses profits avaient été reversés aux actionnaires et que les groupes avaient puisé les 40 % restants dans leur trésorerie ou leurs lignes de crédit, au lieu d’investir massivement dans cette fameuse économie du « monde d’après ». Les dirigeants du CAC 40 ont fait le choix, « quoi qu’il en coûte », de servir copieusement leurs actionnaires.

Reformulons la devise : « Les suppressions d’emplois d’hier sont les profits d’aujourd’hui et les dividendes de demain. » Cette préférence court-termiste au détriment de l’investissement productif n’est ni soutenable sur le plan économique, ni souhaitable. Plutôt que d’investir et tenir les impératifs écologiques et sociaux, ces grands groupes se comportent comme s’ils étaient assis sur une économie de rente dont ils pourraient tirer un maximum de cash pour satisfaire les appétits des détenteurs des capitaux.

Ces choix indéfendables sont aussi de la responsabilité des pouvoirs publics : en refusant sèchement de conditionner l’accès aux aides publiques à des objectifs sociaux ou écologiques, le gouvernement a encouragé les grands groupes à ne rien changer de leurs pratiques insoutenables, les laissant s’enfermer, et l’économie avec, dans l’extraction de rente pour satisfaire les actionnaires.


 

Les actionnaires ne se soucient pas de la façon dont les rendements sont atteints. Les salariés doivent jouer un rôle.

par Maxime Combes (Économiste et membre d’Attac France)

La question du mérite des actionnaires doit être posée. Pour y répondre, deux préalables sont utiles. Un, quand l’entreprise distribue un dividende, ses actifs se réduisent à hauteur de l’argent qui va vers l’actionnaire. Par conséquent, l’actionnaire s’enrichit du dividende reçu, mais s’appauvrit de la baisse de valeur patrimoniale de l’entreprise. En net, il y a nul enrichissement pour lui.

Deux, l’actionnaire qui reçoit l’argent a un problème immédiat : où vais-je replacer cet argent ? La consommation, pour une part, mais, pour l’essentiel, les actionnaires sont des institutionnels, compagnies d’assurances ou fonds d’investissement, ou de très riches personnes physiques. Ils replacent leurs fonds ailleurs, c’est-à-dire dans l’économie réelle et dans d’autres entreprises. Le versement du dividende participe donc de la circulation du capital vers les entreprises qui offrent les meilleures perspectives de rendement, souvent d’ailleurs vers des entreprises non cotées en Bourse et, de plus en plus, des start-up.

Surgit alors la bonne question : comment l’entreprise obtient-elle de meilleurs rendements ? Il y a une bonne et une moins bonne façon. La bonne façon, c’est l’innovation technique, la qualité accrue, l’intelligence des processus de production. C’est ainsi que l’entreprise gagne en compétitivité (notamment pour éviter que les actionnaires ne réinvestissent dans des entreprises étrangères). Une telle entreprise n’a jamais de mal à se financer, même si elle verse des dividendes, car les banques et les marchés financiers se pressent pour lui prêter. La mauvaise façon, c’est de jouir d’une position de force ou même de monopole, et d’en profiter pour écraser ses salariés, ses fournisseurs ou ses clients. Le problème n’est plus les dividendes en soi, mais l’abus de position dominante ou le manque de capacité des salariés à s’organiser. Mauvaise façon, enfin, trop fréquente parmi les grands groupes, le manque d’esprit d’entreprise des dirigeants, qui se contentent de rationaliser tant et plus, qui sont les champions des organisations matricielles pilotées par McKinsey, mais qui oublient que l’entreprise est là pour créer de la valeur économique pour ses actionnaires… et sociale pour le pays.

Où est le mérite des actionnaires là-dedans ? La réalité, c’est qu’ils sont extraordinairement passifs dans tout cela. Et de plus en plus dans le capitalisme moderne. Les actionnaires sont pour l’essentiel des fonds qui brassent par milliards l’épargne privée et qui n’ont tout simplement ni le temps ni la volonté de jouer un rôle de surveillance des entreprises. Il ne serait pas absurde qu’une partie prenante viennent les secourir dans ce rôle stratégique. Et ici, les salariés peuvent et doivent jouer ce rôle. Ils disposent d’une connaissance intime de l’entreprise, mieux que les lointains actionnaires. Ils ont intérêt, à court et à long terme, à ce que leur entreprise soit gagnante. Pour cela, il faut injecter des mécanismes de participation dans la gouvernance des entreprises.

À lire Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie, de Maxime Combes et Olivier Petitjean (Seuil, 2022).

  publié le 17 décembre 2022

Taxation des multinationales :
un accord « historique » adopté par l’UE ?

par Attac France sur https://france.attac.org

Ce lundi 12 décembre, les 27 États membres de l’Union européenne (UE) se sont mis d’accord pour transposer l’accord mondial négocié en octobre 2021 sous l’égide de l’OCDE. Cet accord prévoit notamment un taux minimal d’imposition des bénéfices des multinationales de 15%. Présenté comme « historique » par ses promoteurs, il est en réalité historiquement insuffisant.

La transposition de l’accord mondial de l’OCDE aurait été rendue possible par la levée du veto de la Hongrie, obtenue après de laborieuses négociations et un allègement de certaines sanctions que l’UE devait appliquer à la Hongrie. Il intervient également alors que les institutions européennes sont secouées par une affaire de corruption par le Qatar, paradis fiscal notoire. L’histoire ne s’encombre guère de paradoxes.

L’accord mondial pourrait désormais être transposé dans les droits nationaux dans les deux prochaines années sauf surprise de dernière minute. Difficile cependant d’y voir une bonne nouvelle, tant les mesures qu’il prévoit sont limitées.

A titre d’exemple, le taux plancher est si bas qu’il risque d’entériner une taxation plus faible pour les multinationales que pour les PME, qui n’ont pas de filiales dans des paradis fiscaux. Les recettes fiscales dégagées seraient largement insuffisantes pour répondre aux défis mondiaux sociaux, écologiques et économiques. Ce taux minimal de 15 % pourrait par ailleurs entraîner une course à la baisse des taux.

Certes, aucun accord de la sorte n’avait été trouvé antérieurement. Mais tout aussi historique est la faiblesse de l’impôt sur les sociétés : son taux nominal n’a jamais été aussi faible depuis plus d’un demi-siècle en France comme dans la plupart des États du monde, et singulièrement au sein des pays de l’OCDE. Il pesait 2,2 % du PIB en France en 2019 contre 3 % au sein de l’OCDE.

Tout aussi historique est l’ampleur de l’évitement de l’impôt, toujours permis par des voies légales (l’optimisation fiscale) et illégales (fraude). Cette dernière représente 80 milliards d’euros en France et environ 800 milliards d’euros au sein de l’Union européenne. Le tout dans une période de crise sanitaire qui a révélé à quel point l’évitement de l’impôt avait dégradé le système de santé.

S’agissant de l’accord sur l’imposition des multinationales, la suite est malheureusement prévisible. Une nouvelle fois, les gouvernements se féliciteront de cette « avancée historique » et s’en contenteront. Cela ne les empêchera pas de poursuivre la baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés, qui sait jusqu’au plancher de 15 %.

Par ailleurs, au sein de l’Union européenne, le débat sur les critères qui structureront les politiques budgétaires et les orienteront vers l’austérité est relancé. En France, la réforme des retraites, menée au nom des économies budgétaires, envoie un signal particulièrement inquiétant. Face aux politiques néolibérales, il y a urgence à réorienter les choix. En matière de politique fiscale notamment, l’accord de l’OCDE montre qu’il n’existe aucun obstacle à la mise en œuvre d’un dispositif international.

Pour Attac, il faut désormais tenir compte de la réalité du modèle économique des grands groupes et adapter l’impôt sur les sociétés en conséquence, de telle sorte que les multinationales ne puissent plus jouer des prix de transfert, y compris en les manipulant afin de délocaliser artificiellement et frauduleusement leurs bénéfices vers des paradis fiscaux.

La taxation unitaire et le renforcement des moyens juridiques, humains et matériels alloués à la lutte contre l’évasion fiscale constitueraient une réponse adaptée. Au-delà, la période nécessite une politique fiscale et budgétaire qui privilégie la bifurcation sociale et écologique telle qu’Attac l’a défendue dans sa note « Reprendre la main ».

publié le 17 décembre 2022

Victor Castanet :
« La direction d'Orpea
a tenté de dissuader des anciens de parler
»

Nadège Dubessay sur www.humanite.fr

Le journaliste Victor Castanet est l’auteur du best-seller « les Fossoyeurs ». Un brûlot dénonçant les graves dérives du géant des maisons de retraite Orpea. Négligences envers les résidents, captation d’argent public, rétrocommissions, connivences politiques et violence managériale furent érigées en système par le groupe. Rencontre avec le jeune lauréat du prix Albert-Londres dans la catégorie livre.

Il lui aura fallu trois années de travail à temps plein et 250 témoignages pour décortiquer les rouages du système Orpea, leader mondial des maisons de retraite qui facture le séjour dans ses résidences jusqu’à 15 000 euros par mois. « Les Fossoyeurs », l’enquête de Victor Castanet, provoque un raz de marée à sa sortie. En 400 pages, le journaliste indépendant rend compte des méthodes frauduleuses pratiquées de manière systémique pour optimiser les coûts : rationnement, négligences, contrats de travail trafiqués, pratique des rétrocommissions d’argent public, connivences politiques, etc. Il raconte aussi des habitudes de discrimination syndicale, de management brutal, ou comment Orpea détourne le Code du travail. Un livre choc qui aura valu le limogeage du directeur général du groupe. L’État a porté plainte contre Orpea et a demandé le remboursement des aides publiques.

Comment sort-on de trois années d’enquête ?

Victor Castanet : Le sujet m’a habité depuis le début, en février 2019. Il n’y a pas un jour où je n’ai pas pensé à Orpea. Même si c’est moins intense aujourd’hui, c’est encore le cas. Depuis la sortie du livre, en janvier, la médiatisation a été énorme pendant six mois. Je continue à recevoir tous les jours des e-mails de témoignages de salariés, de familles. Parfois ils travaillent dans d’autres groupes, ou dans d’autres domaines de la santé. Je suis plongé dans ce secteur qui n’était pas le mien à la base. C’est très prenant, mais je me réjouis de voir que cela a produit un impact que je n’avais pas pu imaginer.

Vous ne pensiez pas que l’écho serait aussi fort ?

Victor Castanet : Non. En même temps, j’ai énormément travaillé. Je ne voulais pas m’arrêter tant que je n’avais pas produit toutes les preuves, tous les témoignages, pour que mon enquête provoque un électrochoc. J’espérais des conséquences juridiques. J’avais les éléments pour notamment prouver le détournement d’argent public. Mais on ne peut jamais prévoir qu’à un moment cela va transpercer et dominer l’actualité pendant plusieurs semaines. Que le sujet déclenchera une libération de la parole, un débat à l’Assemblée nationale et dans la société en général, avec une prise de parole de tous les candidats à la présidentielle.

Ce succès n’est-il pas paradoxal, dans une société dont on dit souvent qu’elle a peur de ses vieux ?

Victor Castanet : Il y avait déjà eu des enquêtes, des constats de dysfonctionnements, des témoignages sur les Ehpad. Mon livre a apporté des preuves irréfutables d’irrégularités qui peuvent être condamnables en justice. Les pratiques irrégulières d’Orpea ont ensuite été confirmées par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF). Il s’agit du plus grand groupe mondial dans le domaine des Ehpad, qui pèse 6 milliards d’euros. Tout cela permettait de déclencher un débat de société. C’est vrai que l’on peut s’interroger sur le fait que ce sujet n’a pas été plus traité avant, que les politiques ne s’en sont pas davantage saisis. C’est sûr que ce n’est pas glamour. Souvent, on a du mal à parler des personnes âgées, handicapées, ou qui ont des troubles psychiatriques. Les rédactions pensent que ça va effrayer les gens. On a pourtant bien vu qu’ils ont été passionnés. Avec ma maison d’édition, on s’était dit que jamais un livre de 400 pages sur les personnes âgées ne se vendrait. J’ai vu des jeunes femmes de 20 ans l’acheter. Ce qui montre à quel point le sujet intéresse. L’attente de la société est immense.

Au tout début, vous ne pensiez pas faire un livre de vos investigations. Quel a été le déclic ?

Victor Castanet : J’ai d’abord proposé le sujet au « Monde ». J’avais des éléments sur la résidence les Bords de Seine de Neuilly, dans les Hauts-de-Seine, avec beaucoup de témoignages de salariés et de familles qui montraient des dysfonctionnements graves. C’était particulièrement intrigant dans un établissement qui facturait entre 7 000 et 15 000 euros par mois. Quand je me suis aperçu que ces dysfonctionnements – rationnements, manque de personnel, recours à des vacataires – étaient les mêmes dans d’autres résidences et que j’ai compris que c’était systémique, avec une politique venant du siège bénéficiant de l’argent public, je savais que cela méritait un livre qui me prendrait plusieurs mois. Au fil du temps, dans toutes les branches du groupe – que ce soit pour le médical, les liens avec les pharmacies, les autorisations d’ouverture d’établissements, le service des ressources humaines, la gestion de l’argent public –, je trouvais des irrégularités. C’est un sujet sans fin, on m’apporte encore de nouveaux éléments graves qui ne sont pas dans le livre.

Vous parlez de pénuries de couches pour adultes, pour ensuite expliquer comment Orpea a industrialisé le secteur de la dépendance. Comment avez-vous procédé ?

Victor Castanet : La clé pour trouver des réponses, c’est d’arriver à monter dans l’organigramme. Avec des soignants, des auxiliaires de vie, des médecins, on va poser le constat : oui, il y a un manque de couches, de produits de santé, de personnel, un turnover important, mais on ne sait pas si c’est dû à une mauvaise gestion du directeur, à un manque d’argent public, ou si c’est la responsabilité du groupe. Les directeurs d’établissement, notamment s’ils ont de l’expérience, n’ont pas les preuves mais ils savent qu’il existe des dysfonctionnements. Ce sont eux qui m’ont parlé les premiers des marges arrière sur les produits de santé. Ils savaient qu’il existait un système de captation d’argent public. Ils savaient surtout, parce qu’on le leur demandait, jouer en permanence sur la masse salariale en ne remplaçant pas. J’ai ensuite rencontré des directeurs régionaux, puis des cadres importants au siège, qui eux avaient des preuves. Il a fallu des mois pour les identifier, les rencontrer et les convaincre. Il n’y a que le livre qui peut apporter cette relation de confiance. Ça a aussi été libérateur. Beaucoup ne comprenaient pas comment ils avaient pu un jour faire partie de cette organisation. Si tant de monde m’a parlé, c’est aussi que ça devait être la fin d’un système.

À partir de quand Orpea a senti que vous pouviez représenter un danger ?

Victor Castanet : Au bout de trois à quatre mois. Quand j’ai commencé à envoyer des e-mails à plusieurs cadres dirigeants. La direction d’Orpea a essayé de suivre mon enquête, de voir qui j’avais rencontré et de dissuader des dirigeants actuels ou des anciens de parler. Il est arrivé que certaines de mes sources fassent machine arrière. La direction m’a suivi pendant plusieurs années. Et elle était bien informée de tout ce que je faisais. J’ai appris qu’une importante agence de détectives privés avait été mandatée pour obtenir des informations sur le contenu de mon livre.

Et le groupe ira jusqu’à tenter de vous soudoyer…

Un intermédiaire, qui connaissait bien un certain nombre de dirigeants d’Orpea, m’a demandé si, pour 15 millions d’euros, je serais prêt à arrêter le livre. Cela faisait plus d’un an que j’enquêtais. J’avais des preuves sur les captations d’argent public.

Aujourd’hui, personne n’est en mesure de dire si un Ehpad est de bonne qualité ou pas »

Après la sortie du livre, les actions d’Orpea ont chuté en Bourse. Des dirigeants ont été limogés. Le gouvernement a promis plus de contrôles…

Victor Castanet : Qu’il faille plus de contrôles des agences régionales de santé (ARS), c’est une évidence. Mais, si les contrôleurs n’ont pas des compétences spécifiques financières, ça ne sert à rien, car les fraudes d’Orpea étaient financières et comptables. Surtout, il faut des contrôles inopinés, et aussi au siège. Or, au siège d’Orpea, plus d’une dizaine d’anciens hauts fonctionnaires des ARS travaillent au développement du groupe. Il faudrait aussi mettre des indicateurs de qualité. Aujourd’hui, personne n’est en mesure de dire si un Ehpad est de bonne qualité ou pas, et Orpea en était alors tout à fait conscient. Cette enquête a eu un impact considérable, mais la réponse politique n’est pas à la hauteur. Aucune loi grand âge ambitieuse n’est programmée. Pourtant, il y aurait besoin d’une refonte globale de ce secteur.

Qu’est-ce qui vous a le plus choqué ?

Victor Castanet : Cela concerne le budget alimentation. Il est de 4,50 euros pour les repas journaliers, soit un peu plus de 1 euro par repas. Un cuisinier m’a rapporté que cela ne lui permettait pas de donner des aliments de qualité ni d’apports suffisants en protéines. Comme il y avait des cas de dénutrition, la dernière trouvaille d’Orpea a été de mettre dans les repas du Protipulse, une poudre hyperprotéinée remboursée par la Sécurité sociale. D’un côté, ils rationnaient, ce qui entraînait des carences alimentaires en protéines, et, de l’autre, ils faisaient appel à l’argent public remboursé par la Sécu. Pendant le Covid, les problèmes de dénutrition étaient encore plus importants. Le cuisinier m’a raconté que sa hiérarchie l’a obligé à mettre deux boîtes de Protipulse dans les soupes le soir. ça sentait l’œuf pourri. Personne ne pouvait manger ça. Il y a eu beaucoup de décès. Qui pourra vérifier la cause de ces morts ? Ça m’a profondément bouleversé

publié le 16 décembre 2022

18 décembre : Journée internationale des migrants, pour l’égalité des droits

Communiqué Ligue des droits de l’Homme sur www.ldh-france.org/

Personnes migrantes, exilées, demandeuses d’asile, étrangères, sans-papiers sont représentées à longueur d’année comme des problèmes, voire des délinquantes. Ce parti pris, sans aucun rapport avec la réalité, a permis en trente ans de voter vingt lois répressives. On les menace aujourd’hui d’une vingt troisième conçue pour précariser davantage leur situation, quel que soit leur statut, au mépris des droits les plus fondamentaux : les leurs, les nôtres.

Quel que soit notre pays d’origine, nous sommes de plus en plus nombreux à nous déplacer pour aller travailler, vivre ailleurs. Ces migrations, les cultures dont elles participent aujourd’hui comme hier, s’enrichissent les unes les autres. Cela fait partie de l’histoire de notre pays comme de celle de beaucoup d’autres.

Malheureusement, les discours racistes, les fantasmes tels celui du « grand remplacement », font aussi partie de l’histoire de l’humanité, ils en sont une des pires tares et l’une des plus mensongères.

Toutes les études scientifiques le montrent : les migrations ne sont non pas un coût mais une source de richesses lorsque les conditions d’accueil sont à la hauteur.

La place des personnes étrangères, y compris les plus précaires, parmi les « premiers de corvée » pendant la crise sanitaire a démontré, qu’en outre, elles occupent des emplois indispensables. C’est exactement ce que reconnait le gouvernement en reprenant l’idée de régulariser celles et ceux qui occupent des « métiers en tension ».

A l’occasion de la Journée internationale des migrants, le 18 décembre, la LDH (Ligue des droits de l’Homme) réaffirme les mesures prioritaires qui devraient figurer dans les projets gouvernementaux sans même qu’une énième loi sur l’asile et l’immigration soit le plus souvent nécessaire :

ouverture de voies légales et sûres pour désarmer les trafiquants, faire en sorte que les routes maritimes et terrestres ne soient plus de grands cimetières ;

régularisation de toutes celles et tous ceux qui vivent et travaillent dans nos territoires ;

respect des droits les plus fondamentaux (mise à l’abri, santé, accès à l’eau et aux distributions de repas) et fin du harcèlement dont sont victimes les personnes exilées, notamment à Calais ;

respect du droit d’asile et particulièrement fin des refoulements systématiques aux frontières françaises et des procédures accélérés contraires à la convention de Genève ;

remise en cause du règlement de Dublin qui condamne des dizaines de milliers de personnes à l’errance en les forçant à demander l’asile dans le premier pays européen où elles ont posé les pieds ;

respect de l’intérêt supérieur de l’enfant (refus de l’enfermement, non-séparation de leurs parents, droit au séjour des parents étrangers d’enfants français, accès à l’éducation…) ;

présomption de minorité et mise sous protection pour toute personne mineure dont l’âge est remis en cause, au moins jusqu’à ce que leur âge soit établi via une juste évaluation ;

arrêt des obligations de quitter le territoire français (OQTF) délivrées de façon de plus en plus systématique par les préfectures, notamment aux jeunes majeurs ;

fin de la dématérialisation comme seul moyen d’accéder aux droits, notamment au séjour, dans le respect de la décision du Conseil d’Etat en ce domaine ;

signature de la convention internationale par la France sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille qui est à l’origine de cette journée internationale.

Partout en France, le 18 décembre mobilisons-nous autour de ces propositions.

 Paris, le 14 décembre 2022

publié le 16 décembre 2022

Retraites : ce que l’on sait déjà et ce que l’on ne sait pas encore
de la réforme à venir

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Au lieu d’annoncer ses arbitrages sur le contenu de la réforme des retraites le 15 décembre, le gouvernement a reculé l’échéance au 10 janvier. Pour autant, l’exécutif a largement dévoilé ses intentions et les grandes lignes de son projet dans la presse, plus d’ailleurs que dans les concertations avec les syndicats et le patronat. Avant la trêve des confiseurs, Rapports de force passe en revue pour vous ce que l’on sait et ce qui reste incertain sur la réforme.

 Depuis l’été dernier, la réforme des retraites ressemble finalement à une drôle de guerre. Un peu comme lorsqu’en septembre 1939 la France déclare la guerre à l’Allemagne, mais qu’il ne se passe rien sur le front pendant des mois. Et ce, jusqu’à l’invasion express en moins de 50 jours des Pays-Bas, de la Belgique et de la France à partir du 10 mai 1940.

Dans le dossier de la réforme des retraites, les intentions d’une déclaration de guerre au monde du travail, avec un passage à 65 ans de l’âge légal de départ, sont affichées depuis juillet, si ce n’est depuis mars 2022. La mobilisation générale, côté gouvernemental, a connu une accélération fin septembre avec la menace de passer en force à l’automne au moment du vote du budget. Et elle a eu sa symétrie : les responsables des confédérations syndicales s’étant réunis en urgence en visioconférence pour préparer une réaction immédiate.

Puis le gouvernement a changé de pied en lançant des concertations, pour la forme, sur deux mois, à compter du 8 octobre. Chacun s’est retranché derrière sa ligne Maginot en quelque sorte, attendant une inéluctable confrontation renvoyée à plus tard. Un faux rythme qui aurait dû prendre fin aujourd’hui le 15 décembre, date retenue initialement pour le début de l’offensive gouvernementale avec l’énumération par Élisabeth Borne des arbitrages concluant les concertations sur les retraites. Et l’annonce le soir même, par huit syndicats, d’une date de première journée de grève en janvier. Mais le faux rythme va se poursuivre jusqu’au 10 janvier, date à laquelle l’exécutif devrait se dévoiler. Avant d’accélérer franchement avec un ou deux projets de loi présentés en Conseil des ministres, possiblement le 23 janvier. Voire même avec une tentative de guerre éclair, et passage aux 65 ans, via un budget rectificatif du projet de loi de finances de la Sécurité sociale, assorti d’un énième 49-3 budgétaire.

Une certitude, ils veulent nous faire travailler plus longtemps

Emmanuel Macron et ses ministres ont assez répété sur tous les tons « il faut travailler plus longtemps », pour que l’on soit certain que le futur projet de réforme des retraites impliquera de partir plus tard. Le report de l’âge légal comme mécanisme d’un allongement de la durée de travail, aujourd’hui fixé à 62 ans, est lui aussi quasi certain, car trop souvent martelé par l’exécutif, pour ne pas apparaître comme un recul dans la capacité du chef de l’État à réformer s’il y renonçait. Ce sera 65 ans, donc trois années de travail supplémentaire, si la volonté du chef de l’État l’emporte. Ou 64 ans, deux ans de plus, éventuellement assortis d’une augmentation rapide du nombre d’années de cotisation nécessaires pour une retraite à taux plein, si d’autres voix issues de la majorité s’imposent. Tout sauf un cadeau si cette option était retenue, même si le gouvernement tentera de présenter cela comme une concession ou un signe d’ouverture.

L’allongement qui sera retenu s’appliquera à l’ensemble du monde du travail : salariés du privé comme fonctionnaires. Selon les vœux d’Emmanuel Macron, la réforme prendra effet dès l’été 2023. Elle concernera tous les salariés à partir de la génération 1961, selon les déclarations d’Élisabeth Borne de début décembre. L’allongement devrait être progressif jusqu’à 2031, probablement à raison de quatre mois supplémentaires par an. Ainsi, si vous avez 60 ans aujourd’hui et que vous pensiez partir à la retraite au dernier trimestre 2024, vous devriez patienter jusqu’en 2025. Pire, si vous avez eu 57 ans en 2022, selon votre mois de naissance, votre date de départ à la retraite pourrait passer de 2027 à 2029. Et dès la génération 1969 ou 1970, ce sera trois années de plus. Plein pot.

La fin programmée de certains régimes spéciaux

Là aussi l’exécutif a affirmé qu’il mettrait fin à un certain nombre de régimes spéciaux. Combien ? Lesquels ? Pour le moment, Élisabeth Borne a pointé celui des agents de la RATP, celui des industries électriques et gazières et celui de la Banque de France. À l’inverse, ceux des marins et des danseurs de l’Opéra de Paris seraient épargnés et celui des parlementaires n’a pas été réellement évoqué. Pour les autres, ce sera la surprise le 10 janvier.

En tous les cas, afin de ne pas jeter des professions entières dans la rue, le gouvernement ne les supprimera pas tous. Et il prévoit d’ores et déjà une « clause du grand-père » pour les faire disparaître. À savoir, réserver leur fin aux salariés qui entreront dans ces métiers ou entreprises après la réforme. Pour autant, cela ne veut pas dire que ceux déjà en exercice ne seront absolument pas concernés par un allongement de l’âge de départ à la retraite. En effet, lors du passage, lui aussi progressif, de 60 à 62 ans entre 2010 et 2015, les régimes spéciaux avaient fini par voir leur âge de départ décalé également de deux années à partir de 2016. Sur ce point, c’est encore l’inconnue. Le gouvernement a été très peu loquace, mais on peut aisément imaginer qu’en 2031, date d’atterrissage aux 65 ans, une harmonisation soit envisagée.

Pénibilité : de très très maigres compensations

C’est un des points particulièrement incertains, dans la mesure où le mois supplémentaire donné aux concertations jusqu’au 10 janvier pourrait être utilisé par la Première ministre pour donner quelques gages à la CFDT, qui fait de la pénibilité un de ses chevaux de bataille. Et ainsi, sans lui faire soutenir la réforme des retraites, tenter de l’éloigner des cortèges et des grèves de début 2023. Pour autant, la partie ne va pas être facile, le patronat pesant de tout son poids pour qu’aucune contrainte ne pèse sur les entreprises en la matière.

Mais quelles sont les propositions sur l’usure professionnelle, terme préféré à celui de pénibilité par Emmanuel Macron qui déclarait en 2019 ne pas l’adorer « parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible » ? Rien d’exceptionnel en réalité. Pas question pour l’heure d’intégrer dans le compte professionnel de prévention (C2P) les critères de pénibilité évincés en 2017. À savoir : le port de charges lourdes, les postures pénibles ou l’exposition aux vibrations mécaniques et celle à des agents chimiques dangereux. Le patronat y étant fermement opposé, le gouvernement privilégie l’idée de renvoyer le bébé vers des discussions dans les branches professionnelles.

Pour autant, comme il faut bien afficher au moins une mesure, le ministre du Travail a proposé de déplafonner le nombre de points (100 maximums aujourd’hui) permettant d’obtenir des trimestres ouvrant droit à départ anticipé à la retraite (deux ans maximum aujourd’hui). Mais le flou gouvernemental ne permet pas à ce jour de savoir à combien d’années de départ anticipé pourront prétendre ces salariés. Pour qu’ils puissent partir dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, il faudrait potentiellement que le C2P permette un départ anticipé de cinq années. On peut réellement en douter. Cependant, le gouvernement pourrait aller plus loin d’ici le 10 janvier pour satisfaire la CFDT et semer la division dans l’unanimité syndicale contre le projet de réforme.

Carrières longues et catégories actives

Quand on dit te faire une fleur, mais qu’en réalité on t’arnaque. C’est clairement l’objet de la transformation du dispositif « carrière longue » en dispositif « carrière très longue » qu’a présenté Olivier Dussopt à la presse le week-end dernier. C’est même un tour de bonneteau. Aujourd’hui, le dispositif permet de partir deux ans avant l’âge légal, quand on a quatre à cinq trimestres travaillés avant l’âge de 20 ans. Donc potentiellement à 60 ans. Demain, à moins que la proposition soit encore modifiée d’ici le 10 janvier, il faudrait rajouter trois années de travail si l’âge de départ retenu est 65 ans. Du coup, le ministre avance que le dispositif « carrière très longue » permettra de partir quatre ans avant. Soit 61 ans. Donc vous partirez à la retraite un an plus tard qu’aujourd’hui. Et au passage, les conditions pour en bénéficier deviendraient plus draconiennes. Là où il fallait 4 à 5 trimestres avant 20 ans, il en faudrait autant, mais avant 18 ans.

Du côté des catégories actives, des professions présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles justifiant un départ anticipé à la retraite, il n’y a pas vraiment de cadeau non plus. Les pompiers, policiers, égoutiers, aides-soignantes, etc. devront aussi partir plus tard à la retraite. De façon symétrique, avait déclaré Stanislas Guérini, le ministre de la Transformation et de la Fonction publique. Mais avec peut-être quelques aménagements selon les professions.

Un peu mieux pour les petites pensions, mais pas pour tout le monde

C’est le volet présenté par le gouvernement comme celui de la « justice sociale » de la réforme des retraites : le passage à 1200 € de pension minimale pour les personnes ayant une carrière complète. Le mécanisme qui sera mobilisé par le gouvernent pour atteindre un niveau de pension équivalent à 85 % du SMIC sera l’augmentation du minimum contributif. Mais on ne sait pas vraiment comment techniquement. Ici, le risque d’usine à gaz est majeur.

Mais outre que de nombreux salariés n’ont pas de carrière complète au moment de faire valoir leurs droits à la retraite, la mesure ne concernerait que les nouveaux entrants, croit savoir le journal Les Échos, selon plusieurs de ses sources. Soit un peu plus de 600 000 personnes par an, au lieu des plus de 5 millions de retraités sur près de 16 millions, dont la pension est inférieure aujourd’hui à 1000 €. Et pour un coût assez limité. Quelques centaines de millions d’euros s’il s’agit des nouveaux retraités ou autour de trois milliards si les retraités actuels sont concernés. Une goutte d’eau : soit environ +0,1 %, soit à peu près +1 % d’augmentation des dépenses de retraites, qui s’élèvent approximativement à 350 milliards par an.

Le refus de contraindre les entreprises sur l’emploi des seniors

Là aussi, malgré le manque à gagner en milliards d’euros chaque année pour les caisses de retraite que représente le fait que seulement 56 % des plus de 55 ans sont en activité, le gouvernement bricole des propositions sans envergure. Première d’entre elles : la création d’un index permettant de connaître les pratiques des entreprises sur l’emploi des seniors. Mais sans rien de contraignant a rappelé Élisabeth Borne le 1er décembre, malgré qu’un pic de rupture de contrat de travail soit constaté à l’âge de 59 ans. Un dispositif équivalent, l’index égalité professionnelle, avait été mis en place au sujet des inégalités entre les hommes et les femmes pendant le premier mandat d’Emmanuel Macron. Sans grands changements depuis.

Autre mesure envisagée : promouvoir la retraite progressive, un dispositif déjà existant et peu mobilisé. Et à côté, un catalogue de mesurettes, passant de l’accès à un bilan de compétence au cumul emploi-retraite. Voire même par de possible exonération de cotisations sociales pour les employeurs pour qu’ils se séparent moins de leurs salariés les plus âgés. Plus inquiétant encore, Olivier Dussopt avait évoqué au mois d’octobre la création d’un dispositif appelé « assurance-salaire ». En gros : la possibilité pour un senior au chômage de conserver une partie de ses indemnités s’il accepte un emploi à un salaire inférieur à son précédent travail.

La pilule de la réforme des retraites est difficile à avaler

En résumé, des mesures assassines. À savoir deux à trois années de travail supplémentaires pour pouvoir partir à la retraite et la fin de plusieurs régimes spéciaux. Des aménagements pour certaines catégories de salariés qui impliquent quand même de travailler plus longtemps malgré la pénibilité, les carrières longues ou les services actifs. Et en face, quelques mesures dites de « justice sociale » au rabais sur les petites pensions, l’emploi des seniors, et quasiment aucune mesure sur l’égalité femmes hommes, alors que les retraitées ont des pensions inférieures de près d’un quart à celles des hommes.

Avec un tel projet de réforme des retraites, largement impopulaire, il faut bien des manœuvres pour arriver à l’imposer. D’où le faux rythme déployé depuis des mois, les tentatives de fracturer le front syndical et les tractations avec les parlementaires Les Républicains.

  publié le 14 décembre 2022

La citoyenneté mise à mal

par Louis Albert Serrut Auteur, essayiste sur www.humanite.fr

L’organisation de la société capitaliste prive les individus d’une part importante de leurs droits civiques, celle qui leur est déniée dans le temps et le lieu de leur activité professionnelle. Elle est également déniée en d’autres temps par d’autres moyens.

La citoyenneté confère l’égalité et chacun est identiquement récipiendaire de droits, dont les premiers sont les « droits-libertés » que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme la Constitution lui reconnaissent, liberté d’expression, d’opinion, de réunion, d’association, de vote et d’éligibilité, etc. Chacun est également bénéficiaire des « droits-créances », droits économiques et sociaux tels que le droit à l’instruction, la santé, l’éducation, au logement, à l’emploi. Enfin, chacun est attributaire d’une part de la décision politique débattue et prise collectivement par l’intermédiaire des représentants élus.

Mais dans l’entreprise, le capital représenté par l’employeur, non élu, s’octroie l’autorité sur les salariés, autorité dont la légitimité, à y regarder de près, est bien fragile et sans fondement autre que la loi que le capital obtient de faire voter à son avantage. Ainsi se constituent les classes, celle de l’autorité et celle qui subit l’autorité sans pouvoir la mettre en cause. Ainsi le salarié dans l’emploi est déchu de toute capacité civique de participation aux décisions stratégiques, d’organisation, d’investissement et de répartition de la richesse produite par le collectif de travail. Le principe démocratique n’y est pas admis, la citoyenneté est mise à mal sans que cette carence soit questionnée.

Hors de l’emploi, le capital accapare les esprits par la propagande de son principe, l’autorité et le pouvoir à l’argent comme seule et simplissime doctrine. Il se dote pour cela d’instruments d’influence et de conviction, les organes de presse et les médias. Il n’est que de constater que la reprise en main idéologique accompagne chaque reprise en main capitalistique de médias par un groupe ou un milliardaire. Occupant la majorité des canaux de diffusion, le capital débilite la démocratie en manipulant l’information, la liberté d’expression et le pluralisme des idées.

En France ce sont, par exemple, l’ingérence de son propriétaire, le très catholique Bolloré, auprès de la rédaction du magazine Paris Match pour que sa une soit consacrée à un cardinal guinéen ultraconservateur ; c’est la censure d’une interview du secrétaire général de la CGT dans le Parisien, propriété de LVMH et de son président directeur général Arnault ; c’est un animateur de la chaîne de télévision C8 qui se fait procureur pour juger, condamner et injurier une élu de la République ; c’est toute la galaxie des journaux conservateurs publiant de concert des faits divers partiaux sinon mensongers sur l’immigration, le logement, la sécurité ou l’assurance chômage destinés à conforter opportunément les projets de loi présentés par les députés ou sénateurs affiliés ; ce sont les procédures judiciaires comme moyen de censure (Patrick Drahi, président d’Altice contre le média Reflets.info, ou le maire de St Etienne, Gabriel Perdriau, obtenant l’interdiction préalable d’une enquête de Médiapart).

Comment la citoyenneté peut-elle être active lorsque le gouvernement ôte sans cesse, par le recours à une disposition spécifique de la constitution, l’article 49.3, la parole à la représentation des citoyens ? Ou encore lorsqu’il dénie aux syndicats de salariés, corps intermédiaires de la démocratie, toute possibilité de débat ? Ou lorsque par défaut de régulation, la production, le traitement et la diffusion de l’information - la suppression de la redevance audiovisuelle y participe - sont laissés entre les mains des magnats ? Le droit de savoir des citoyens, dont l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fait « un des droits les plus précieux de l’Homme », est mis à mal.

La démocratie, comprise comme l’exercice de la citoyenneté, se heurte à la convergence des volontés du capital et de ses affidés politiques. Ils œuvrent ensemble à la disparition des services publics qu’ils considèrent comme des marchés à prendre. Tous les services aux citoyens constitués durant la seconde moitié du XXème siècle, qui ont accompli un véritable progrès de civilisation, sont dans leurs visées. La santé, la justice, la protection sociale, la retraite, mais aussi l’eau, l’air, le temps, la culture et l’information qui leur permet de dissimuler la réalité de classes et distraire aux citoyens la réalité de leurs objectifs, la marchandisation de l’Etat.

Tout ce qui est bien commun deviendrait marchandise, dépouillant les citoyens de ces biens collectifs et leur ôtant le droit à décider. Qui a décidé de privatiser l’eau des nappes phréatiques, bien commun, pour alimenter les réservoirs de surfaces au bénéfice de quelques agriculteurs et interdire toute contestation ? Qui a attribué les fréquences, biens communs, aux chaînes des groupes Bolloré ou Bouygues, sans contrepartie ? « Une poignée de milliardaires contrôle autant de richesses que la moitié la plus pauvre du monde. Les 1% les plus riches de la planète, rappelle le secrétaire général des Nations unies, empochent un cinquième [20%], des revenus mondiaux ».

Négliger le citoyen et sa citoyenneté, qui est sa capacité à participer à la décision collective, nourrit sa défiance pour la démocratie. C’est la voie du dépit et du ressentiment qui mène à la désaffiliation, à l’abstention ou au choix de l’extrême, à l’heure même où le changement climatique appelle à l’implication de tous.

Ne plus permettre à l’avidité de se satisfaire au détriment des biens communs et des droits des citoyens, c’est redonner toute son efficacité à la démocratie, à son exercice réel dans toutes ses dimensions individuelle et collective, locale et générale. Quand bien même cela reviendrait à brimer les accaparements illégaux. La citoyenneté, garante de la confiance, est gage de prospérité.

publié le 14 décembre 2022

Vers une année noire pour
les personnes à la rue et mal-logées ?

sur https://www.ldh-france.org

Communiqué du Collectif associations unies (CAU) dont la Ligue des Droits de l’Homme est membre

Alors que plusieurs départements ont déclenché leurs plans « grand froid » pour faire face aux températures hivernales qui touchent la France, les inquiétudes des associations pour les personnes à la rue et mal-logées restent fortes et nombreuses.

Des records de demandes non pourvues au 115 sur certains territoires :

Malgré le maintien salué par nos associations, des 197 000 places d’hébergement en fonctionnement et la promesse du ministre du Logement qu’il n’y ait plus aucun enfant à la rue cet hiver, la situation reste dramatique pour un nombre très important de personnes sans domicile. Et pour cause, le 5 décembre 2022, 5014 personnes ont appelé le 115 sans obtenir de places d’hébergement. 56 % de ces demandes concernaient des familles, dont 1346 enfants. Mais ces chiffres ne reflètent pas l’intégralité des situations vécues par les personnes. Pour exemple, en Seine-Saint-Denis, entre 1500 et 2000 appels saturent quotidiennement la plateforme d’appel au 115 sur ce département, et seuls 350 à 500 parviennent à joindre les équipes d’écoutants. Avec presque 100 % de demandes non pourvues ces dernières semaines sur ce département, 70 % des personnes se découragent et cessent de recourir à ce numéro d’urgence1. Les écoutants 115, dont les conditions d’exercice sont de plus en plus difficiles, attendent toujours l’engagement du gouvernement sur le fait d’obtenir la prime Ségur dont ils ont été exclus. Les situations de sous-effectif dans les équipes s’amplifient. Pleinement engagés dans la politique du logement d’abord, nous ne pouvons que constater que celle-ci ne permet pas aujourd’hui de répondre aux besoins importants qui s’expriment en urgence faute d’ambition de construction de logements sociaux adaptés et d’engagement pluriannuel.

Une remise en cause de l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence :

C’est dans ce contexte déjà très tendu, et alors que plus de 600 personnes meurent à la rue2 chaque année, que le secteur associatif déplore un risque de recul du droit à l’hébergement et au logement. En effet, dans un texte du 17 novembre 2022 relatif à l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), le ministre de l’intérieur a notamment demandé aux préfets de suspendre la prise en charge des personnes concernées dans l’hébergement d’urgence et le logement social. Aucune condition de régularité de séjour, et a fortiori d’absence d’OQTF, n’est pourtant établie par la loi pour permettre l’accès ou le maintien dans un hébergement d’urgence, ni pour procéder à une rupture de bail. Ces instructions créent des situations de non-recours pour les publics mettant gravement en danger leur santé et sécurité. Elles entrainent une fragilisation des structures associatives et des travailleurs sociaux en première ligne face à ces situations de détresse.

Le vote à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi favorisant les expulsions de logement :

Comme si cela ne suffisait pas, le 2 décembre a été votée en 1ère lecture à l’Assemblée nationale une proposition de loi criminalisant les victimes de la crise du logement, qui trouvent refuge dans un bâtiment vide et désaffecté, qui s’installent dans un logement vacant et inutilisé par son propriétaire, ou qui sont confrontées à un impayé de loyer à la suite d’un accident de la vie. En plus d’être en incohérence avec la politique de prévention des expulsions et au plan Logement d’abord mis en place par le gouvernement, l’adoption de cette loi contreproductive pourrait provoquer un engorgement de la justice et un accroissement du nombre d’expulsions locatives. Nos associations demandent instamment au Parlement de ne pas poursuivre sur ce chemin honteux.

Impact de la crise énergétique sur les plus précaires :

Dans les mois à venir, les conséquences de la hausse des prix de l’énergie conjugués à une inflation croissante viendront également impacter la situation des plus fragiles et de ceux qui les accompagnent. Les centres d’hébergement, les accueils de jour, les résidences sociales, les foyers de jeunes travailleurs, tous sonnent l’alarme face aux moyens insuffisants à leur disposition pour continuer à assurer leurs missions. En effet, leur modèle économique ne leur permet pas d’absorber la hausse des factures d’énergie, même après l’application des boucliers tarifaires. Pour les acteurs du logement social, l’inquiétude est double : la hausse des charges locatives liée à la crise de l’énergie va rendre encore plus difficile l’accès au logement social des ménages précaires jugés insolvables, et les locataires en place risquent de devoir faire des arbitrages impossibles sur leur budget quotidien, au risque de se retrouver en situation d’impayés3. Cette menace pèse également sur les ménages précaires logés dans le parc privé, qui en l’absence d’aides structurelles à la hauteur des besoins ne pourront pas faire face à la hausse programmée de 15 % des prix du gaz et de l’électricité en janvier et février 2023.

Alors qu’un Conseil national de la refondation consacré au logement est lancé depuis quelques semaines, le Collectif des associations unies demande au gouvernement la mise en place d’actions cohérentes, concrètes et structurelles pour éviter la bombe sociale qui nous attend.

Paris le 14 décembre 2022

1. Une étude réalisée en juin 2022 par Interlogement 93 (SIAO de Seine-Saint-Denis) auprès de plusieurs accueils de jour en Seine-Saint-Denis révèle que 70% des personnes ayant dormi à la rue n’avait pas contacté le 115, 85% pour les hommes seuls.
2. Au moins 623 personnes sans domicile sont mortes des conséquences de la rue en 2021, à 48,5 ans en moyenne, selon le Collectif les morts de la rue.
3. Communiqué de presse, « Hausse des coûts de l’énergie et logement/hébergement des plus modestes : tout un secteur de la solidarité en fragilité », 12 décembre 2022, USH, UNAFO, UNAHJ, FAS.


 


 

Hébergement à l’hôtel :
le 115 démuni face à l’urgence

par Margaux Dzuilka, Névil Gagnepain sur https://www.bondyblog.fr/

Chaque nuit, en Seine-Saint-Denis, 12 500 personnes sont hébergées à l'hôtel via le 115. Pénurie de places, explosion des demandes… Le dispositif d'accueil est en crise. Dans une série de trois articles, le Bondy Blog retrace le parcours de familles pour qui l’hôtel est le dernier rempart à la rue. Premier volet : immersion dans le centre d’appel du 115 à Montreuil.

Sur le plateau d’écoute d’Interlogement 93 à Montreuil, les conversations s’enchaînent et se ressemblent : « J’ai relancé votre demande Monsieur, il faut rappeler demain à partir de 6h », « C’est normal Madame, au bout de 3h, ça coupe, il faut renouveler votre appel », « On sait que c’est dur, mais on n’a pas de disponibilité cet hiver ». Ce soir-là, aucun appelant ne trouvera de place au chaud. Dans le département le plus pauvre de France métropolitaine, les 12 500 places en hôtel sont déjà saturées.

2 000 appels de détresse par jour

Chaque jour en Seine-Saint-Denis, 2 000 personnes contactent le 115 pour tenter de trouver une place à l’hôtel ou en centre d’hébergement. Au bout de longues heures d’attente, seuls 15% d’entre eux parviennent à avoir un interlocuteur au bout du fil. De l’autre côté de la ligne, 24 employés se relaient jour et nuit pour répondre à ces appels de détresse. « Avec les difficultés de recrutement et le problème du turnover, ils sont plutôt 17, ça fait en moyenne 8 appels par heure pour chaque écoutant », calcule Corentin Bourgeaux, responsable du pôle 115 mise à l’abri pour Interlogement 93.

Avec la loi anti-squat, on s’attend à ce que la demande explose

Depuis 2010, Interlogement 93 (fédération de 42 associations de lutte contre l’exclusion sociale et la précarité) répond pour le compte de l’État au 115, le numéro d’hébergement d’urgence. « Depuis trois ans, on observe une augmentation de 10% des demandes chaque année. Avec la récente loi anti-squat, qui vise à faciliter les expulsions locatives des ménages déjà en difficulté, on s’attend à ce que la demande explose », s’inquiète Valérie Puvilland. La directrice opérationnelle du 115 de Seine-Saint-Denis rappelle qu’en 2010, il y avait six fois moins de personnes hébergées à l’hôtel.

Une pénurie de place plus violente cette année

« Madame, je suis dehors, sur le trottoir, j’ai trois enfants, j’ai froid, très froid. Ça fait six mois, j’ai appelé plein de fois, j’ai peur. » Au téléphone, une femme, des sanglots dans la voix, appelle à l’aide. Dans la rue, près du marché de Saint-Denis, la famille subit les premières températures hivernales. Malini, l’écoutante, tente de la rassurer, tout en lui faisant comprendre qu’elle n’a pas de solution à lui proposer : « Madame, concentrez-vous sur ma voix. Il faut vous ressaisir : vous êtes la maman, vos enfants ont besoin de vous. »

D’ordinaire chaque hiver dans le département, entre 500 et 1000 places en centres d’hébergement temporaire étaient ouvertes pour faire face à la recrudescence des demandes. Cette gestion au thermomètre a pris fin l’année dernière. L’État a souhaité transformer ces accueils temporaires en structures plus pérennes.

Mais les places promises tardent à voir le jour. Outre la contrainte de trouver du bâti, ces structures nécessitent de former des équipes de travailleurs sociaux, secteur également en tension. « En plus, ces places pérennes sont réservées à certains types de publics », déplore Valérie Puvilland.

Sur les réseaux sociaux, Interlogement 93 a récemment lancé son « calendrier de l’attente » pour alerter les pouvoirs publics sur la « situation dramatique » en Seine-Saint-Denis. La fédération réclame des places de mise à l’abri déblocables immédiatement et de manière inconditionnelle.

Les maraudes comme seul recours

Il faut nous appeler tous les jours Monsieur, c’est important pour que votre demande soit relancée.

Sur le plateau d’écoute, aucune sonnerie ne retentit. Les appellants, signalés sur un logiciel, patientent en file d’attente. Cette fois, c’est un homme qui appelle. Il a deux enfants, de 2 et 4 ans et « passe la nuit avec eux dans la rue » vers la Basilique de Saint-Denis. Anouk*, salariée depuis deux ans, remarque qu’il a appelé, pour la dernière fois, il y a une semaine : « Il faut nous appeler tous les jours Monsieur, c’est important pour que votre demande soit relancée. On va finir par vous trouver une place. »

On ne peut pas rester au même endroit, il faut qu’on bouge pour ne pas mourir de froid.

L’homme explique que ses petits ont froid, que l’un d’eux est malade, qu’il a le ventre qui gonfle. Anouk enclenche immédiatement la demande de maraude auprès des équipes de la Croix-Rouge et du Samu Social. Elle coche : thé, café, kit sanitaire, sac de couchage. « La demande a été envoyée, mes collègues passeront vers 22 heures, restez bien vers la Basilique », conseille Anouk*. « On ne peut pas rester au même endroit, il faut qu’on bouge pour ne pas mourir de froid », lui répond l’homme de l’autre côté du téléphone.

Le « tableur Excel de l’enfer »

« 115 du 93, bonsoir. » Anouk décroche son quatorzième appel de la soirée. Une jeune femme de 19 ans, enceinte de quatre mois. L’appel dure près de dix minutes et se conclut par un « signalement périnate » à la cellule d’Interlogement 93 en charge des personnes prioritaires. Anouk soupire en ouvrant « le tableur Excel de l’enfer ». Sur le fichier, plusieurs onglets et une succession infinie de noms. Il permet aux équipes d’Interlogement 93 de recenser les situations jugées les plus préoccupantes. L’écoutante énumère : « pathologies lourdes, maladies chroniques, bébé de 9 mois, handicap, personne en deuil, sortie de prison… »

En vérifiant que le nom de la jeune fille enceinte de quatre mois figure bien dans ce fichier, Anouk tombe des nues : 146, 153… 200 demandes non pourvues (DNP). L’écoutante s’arrête un temps, ahurie. Elle réalise qu’un appelant a cumulé 200 DNP. Cet homme, qui figure en première ligne du tableau Excel, a donc appelé 200 fois sans qu’aucune solution ne puisse lui être proposée. Jamais à sa connaissance, des appelants n’avaient cumulé autant de DNP.

Une situation difficile à vivre pour les écoutant.es. « Ça nous épuise psychologiquement, on ramène ça chez nous », souffle Malini, en poste depuis 5 ans pour Interlogement 93.

Grâce à nous, 13 000 personnes ne dorment pas dans la rue chaque soir.

Malini a débuté comme travailleuse administrative au sein de la structure et a choisi de devenir écoutante par conviction. Après un mois de formation interne, chacun.e des écoutant.e enchaîne les communications, sur des plages horaires de 7 heures, le jour ou la nuit. « C’est pénible la nuit… Enfin la journée aussi. Mais j’aime ce travail, je me dis que grâce à nous, 13 000 personnes ne dorment pas dans la rue le soir », se rassure Anouk en reposant sa tasse de café.

Des files d’attentes sans fin

48 appels en attente… La file affichée sur l’un des deux écrans d’Anouk* ne désemplit pas : 1h19 à patienter pour les appelants, affiche le logiciel. « Quand ça arrive à 100 appels, je speed un peu, admet-elle. Mais je préfère prendre moins d’appels et passer plus de temps avec chaque famille, sinon c’est inhumain. »

Chaque jour dans le département, le numéro d’urgence sonne dans le vide pour près de 1 700 personnes. En 2021, 87 481 demandes effectuées n’ont pas pu être pourvues, selon le rapport annuel d’Interlogement 93. Sans compter le pourcentage étourdissant de non-recours. Corentin Bourgeaux rappelle que « plus de 70% des hommes seuls à la rue ne prennent même plus la peine de nous appeler ». Enième preuve, s’il en fallait, que le système est à bout de souffle.


 


 

Face à l’hébergement d’urgence,
le gouvernement à la rue

Kareen Janselme sur www.humanite.fr

Trente-neuf associations dénoncent « une année noire » pour les personnes mal logées ou sans abri, avec la crise énergétique et des décisions gouvernementales qui aggravent la situation.

«  Urgence » grand froid, manque d’hébergements d’urgence »… Il faut agir impérativement, alertent les 39 membres du Collectif des Associations Unies (CAU), alors que le thermomètre ne cesse de baisser et que les plans grand froid s’égrènent dans les départements. « Le 5 décembre dernier, 5400 personnes ont appelé le 115 sans obtenir de logement ou d’hébergement d’urgence, et parmi eux, 1346 enfants », déplore Nathalie Latour, la directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). En Seine-Saint-Denis, entre 1500 et 2000 appels saturent quotidiennement la plateforme téléphonique 115. « Seuls 350 à 500 appels sont décrochés par nos écoutants », regrette Valérie Puvilland, directrice du SIAO (Service intégré de l’accueil et de l’orientation) de Seine-Saint-Denis. « Le taux de non-recours était de 70 % en juin dernier, reprend-elle, et de 85 % pour les hommes seuls, car on remarque une augmentation massive des demandes venant de familles. Toutes ces personnes qui n’arrivent pas à nous joindre deviennent invisibles, avec une situation de précarité s’étalant sur des années. Il devient alors très difficile pour elles d’en sortir. 130 places grands froids ont été ouvertes et pourvues mardi 13 décembre mais ces personnes seront de retour à la rue lundi prochain... ». 

« Les citoyens se substituent au principe de solidarité inscrit dans la loi. C’est totalement inédit et dramatique »

Le  ministre du Logement, Olivier Klein, s’était engagé à ce qu’il n’y ait pas « d’enfants à la rue cet hiver ». Promesse non tenue. Déjà, de janvier à septembre 2022, la Fédération des acteurs de la solidarité avait constaté leur multiplication par deux. Face à l’imposant nombre de familles sans abri, le collectif citoyen Jamais sans toit est né à Lyon en 2014. Depuis, il fédère des dizaines de comités de soutien et héberge des familles, la nuit, dans des établissements scolaires. Plus de 500 enfants ont été ainsi mis à l’abri et le réseau s’étend désormais à d’autres villes : Grenoble, Rennes, Saint-Nazaire, Strasbourg, certains arrondissements de Paris… Une situation qui se voulait temporaire pour héberger et alerter les collectivités. Mais « l’État et les villes se satisfont que les citoyens viennent en aide aux familles, s’indigne Raphaël Vulliez , enseignant et membre du collectif.  Les citoyens se substituent au principe de solidarité inscrit dans la loi. C’est totalement inédit et dramatique. Lyon et Strasbourg se demandent d’ailleurs s’ils ne vont pas attaquer l’État en justice ».

« Bombe Sociale »

La solidarité n’est pas le seul principe qui recule. Les associations pointent aussi la circulaire du 17 novembre du ministre de l’Intérieur, qui demande aux préfets de suspendre la prise en charge de personnes concernées par des obligations de quitter le territoire ( OQTF). « La circulaire Darmanin va directement à l’encontre du principe d’inconditionnalité du recours à l’hébergement d’urgence », insiste Valérie Puvilland. Par ailleurs, dans un contexte de raréfaction des logements sociaux, d’une inflation galopante, les associations redoutent une hausse des expulsions suite à l’initiative parlementaire, début décembre, contre les squatteurs. Il ne s’agit pas seulement, via la proposition de loi, de criminaliser et punir d’emprisonnement l’occupation de domicile avec défaut de paiement, mais aussi celles de hangars ou autres abris désaffectés. Les 39 associations soulignent une « incohérence avec la politique de prévention des expulsions et le plan ’Logement d’abord’ mis en place par le gouvernement » car « l’adoption de cette loi contreproductive pourrait provoquer un engorgement de la justice et un accroissement du nombre d’expulsions locatives. Nos associations demandent instamment au Parlement de ne pas poursuivre sur ce chemin honteux  ».

Enfin, la hausse des prix de l’énergie de 15 % risque d’avoir un effet délétère sur les plus précaires. « Les conséquences de la hausse du prix de l’énergie risquent d’être très compliquées, notamment dans les foyers dépendant d’un chauffage collectif », alerte Manuel Domergue. Le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre remarque que « les appels de charges ont doublé : les copropriétés fragiles peuvent être mises en difficulté si les impayés de charges se multiplient. Et la hausse du taux du Livret A pourrait priver les bailleurs sociaux de moyens ».  Le modèle économique des centres d’hébergement, accueils de jour, résidences sociales, foyers de jeunes travailleurs ne leur permet pas non plus d’endosser cette hausse tarifaire sans dommages.

Face à la « bombe sociale » qui s’annonce, les 39 associations réclament une politique structurelle ambitieuse et la fin d’un « stop and go permanent » du gouvernement au gré du thermomètre.

publié le 13 décembre 2022

Les potes du Tour de France de l’égalité

Ludovic Finez sur www.humanite.fr

La Maison des potes, fédération d’associations de quartier qui luttent contre les discriminations, boucle aujourd’hui à l’Assemblée nationale son Tour de France de l’égalité.

Blanche, Ibrahim, Redouane, Samuel : ils sont quatre, attablés en ce jeudi après-midi dans un café lillois. Après une étape à Rouen, la veille, et un départ de Marseille, le 7 novembre, le périple de 9 000 kilomètres de ce 40 e Tour de France de l’égalité s’achèvera, ce mardi 13 décembre, à l’Assemblée nationale. Quelques minutes auparavant, une brève rencontre avec des élus de gauche du conseil régional des Hauts-de-France a été immortalisée en photo. Après un sandwich et un café, ils remonteront en voiture pour rejoindre Grande-Synthe, près de Dunkerque. Samuel Thomas, délégué général de la Fédération nationale des maisons des potes (FNMDP), se réjouit d’y poser les bases d’une nouvelle structure qui s’ajoutera aux 80 autres – dont la moitié basée en région parisienne. L’ambiance sera moins joyeuse le lendemain, à Douai, où l’association locale met la clé sous la porte pour cause de subvention non reconduite par la préfecture. « Ils faisaient un énorme boulot pour l’aide aux mineurs non accompagnés et aux demandeurs d’asile, mais aussi pour la défense des victimes d’homophobie », déplore Samuel Thomas.

Le Tour de France de l’égalité, héritier de la Marche pour l’égalité de 1983, c’est un peu les montagnes russes. « Il y a une semaine, on a rencontré une équipe de choc qui fonde une Maison des potes dans le quartier de Borny, à Metz, avec un président de 25 ans ! » s’enthousiasme Samuel Thomas. Parmi la quarantaine d’étapes, le Tour n’évite pas les villes où l’extrême droite – ou ses idées – règne. À Beaucaire (Gard), une maman chinoise a dénoncé des insultes racistes subies par sa fille au collège. La principale, qui a eu vent de ses propos, l’a menacée de poursuites en diffamation. À Lorette, près de Saint-Étienne (Loire), une élue d’opposition a témoigné de la fixation du maire sur le voile. Là comme ailleurs, Ibrahim Gueye, élève avocat à la FNMDP, ne manque jamais d’exposer des victoires judiciaires dans des dossiers de discrimination à l’embauche : Ikea, le restaurant du Moulin-Rouge, un salon de coiffure nantais… Histoire de prouver que « c’est possible », face à des victimes qui, parfois, « ont peur et sont découragées ». Ces questions ont également été abordées avec des procureurs à Lyon, Besançon, Metz, Dijon, Rouen et Lille.

Le sandwich et le café avalés, il est temps de reprendre la route avec sous le bras la banderole qui proclame : « Faire de l’égalité une réalité. » Après un trajet rallongé par les bouchons de fin d’après-midi sur le périphérique lillois, le petit groupe arrive à l’espace Camus de Grande-Synthe. Face à lui, des élus de gauche à Grande-Synthe – mais opposés à l’actuel maire PS –, des salariés de la mairie de Dunkerque, des syndicalistes CGT… « À Grande-Synthe, 40 % de la population sont issus de l’immigration, 33 % vivent en dessous du seuil de pauvreté, 28 % sont au chômage, liste Sélima Chabab. Les premiers migrants sont arrivés en 2007, ils ont toujours trouvé l’aide de la population. » L’élue municipale assure qu’au volontarisme de l’ancien maire, Damien Carême (EELV), a succédé une « catastrophe », initiée par l’actuelle majorité, consistant à « repousser les migrants vers Loon-Plage » (commune voisine – NDLR). « Ça fait plaisir de voir des militants antiracistes », sourit-elle.

L’échange est l’occasion pour Blanche Laurent, autre élève avocate stagiaire à la FNMDP, d’évoquer « un procès majeur » en cours contre quatre cadres du Rassemblement national, dont l’actuel maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois. Dans le viseur de la Maison des potes, le Petit Guide pratique de l’élu municipal, publié par le FN en 2014. Ce texte enjoint les élus FN de voter contre les subventions aux organisations syndicales locales et aux « associations étrangères ou dont la mission va vers l’international ». Il fait également l’amalgame entre « insécurité » et « campements de Roms ». Surtout, il prône l’ « application de la priorité nationale dans l’accès aux logements sociaux », d’où la plainte pour incitation à la discrimination. L’audience du 6 décembre, au tribunal de Nanterre, a finalement été renvoyée à une date qui sera fixée en février.

Ce mardi, à l’Assemblée, la FNMDP rappellera aux députés des revendications anciennes, dont certaines ont connu un début d’application, suivi de remises en cause : CV anonyme, ouverture des emplois de la fonction publique aux non- Européens, formations et testings en entreprise contre les discriminations à l’embauche… « Il n’y a aucune raison d’abandonner ces combats », insiste Samuel Thomas, qui sait qu’il n’aura aucun mal à alimenter les prochains Tours de France de l’égalité.

publié le 13 décembre 2022

Réforme des retraites :
les arguments fallacieux d’Emmanuel Macron

par Bernard Marx sur www.regards.fr

Jour après jour, pied à pied, notre chroniqueur Bernard Marx ne laisse rien passer à Emmanuel Macron. Non, la réforme des retraites n’aura rien d’une réforme de justice et d’équité !

Les mauvais coups gouvernementaux sont souvent annoncés au cœur des vacances d’été. Pour la nouvelle réforme des retraites, le gouvernement a choisi les fêtes de fin d’année ou, plus précisément, au lendemain de celles-ci, le 10 janvier. Mais l’effet recherché est le même.

Sans attendre, Élisabeth Borne, ses ministres Dussopt et Guérini et Emmanuel Macron, lui-même, commencent à se répandre en petites phrases et en interviews. Ils confirment ce qu’on savait déjà : la réforme Macron consistera pour l’essentiel à passer l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 – ou plus vraisemblablement 65 ans – en le repoussant de quatre mois par an à partir de 2023. Les régimes spéciaux (industries électriques et gazières, RATP, SNCF, Banque de France, Opéra de Paris, parlementaires) seront progressivement éteints. Les nouveaux recrutés seront affiliés au régime général du privé. La réforme s’appliquera aux salariés de la fonction publique dont le régime spécifique sera maintenu.

Dans l’immédiat, les petites phrases du Président et de ses ministres visent à justifier une réforme massivement rejetée par la population. La survie d’un système de retraite par répartition auxquels les Français sont très légitimement attachés est l’argument numéro 1. Sur TF1, samedi 3 décembre, Emmanuel Macron a ainsi affirmé : « Oui, nous devons faire cette réforme […] Si on ne la fait pas, on laisse le système de retraites par répartition en danger. Les besoins de financements sont massifs, ils vont continuer de s’accroître dans les prochaines années. Le seul levier que nous avons, c’est de travailler un peu plus longtemps ».

Grâce à cet argent économisé et au travail supplémentaire de celles et ceux dont la retraite sera retardée, nous pourrons réaliser nos objectifs de protection contre l’inflation, de réindustrialisation, de transition écologique, de développement des services publics tout en baissant les impôts et sans augmenter la dette. C’est l’argument numéro 2. C’est ce qu’a affirmé Emmanuel le 4 décembre dans Le Parisien [1] : « Nous dépensons de l’argent pour protéger le pouvoir d’achat des Français contre l’inflation. Nous dépensons de l’argent pour transformer et investir dans la France de 2030, par une réindustrialisation et tenir nos engagements climatiques. Nous dépensons de l’argent pour développer nos grands services publics, Intérieur, justice, école, santé... Et tout cela, j’ai pris l’engagement de ne pas le financer par des impôts, que je veux au contraire baisser. Tout comme je ne le financerai pas davantage par de la dette, on est déjà l’un des pays qui a la plus élevée. Donc il faut le financer par plus de création de richesse et la richesse est créée par le travail. C’est tout le sens de la priorité accordée au travail que ce soit à travers la réforme des retraites, de l’assurance chômage, des lycées professionnels, du service public de l’emploi… Nous avons un potentiel considérable de richesse par notre travail ».

On fera ça dans « la justice et l’équité ». C’est l’argument numéro 3. Dans la même interview, Emmanuel Macron explique : « Personne ne se réjouit de travailler un peu plus longtemps mais pour ne pas baisser les retraites et reporter de nouvelles charges sur nos enfants, il faudra faire un effort, progressivement et en tenant compte des parcours de chacun : carrières longues, pénibilité des métiers. Il est hors de question par ailleurs de baisser le niveau des pensions. Je veux au contraire augmenter la retraite minimum et améliorer les petites retraites. La réforme des retraites est donc aussi une réforme de justice et d’équité ».

Ces arguments sont fallacieux. Leur réfutation n’est pas inutile à l’heure où démarre cette nouvelle bataille des retraites [2].

Une réforme pour sauver le système par répartition ?

Le système de retraite français n’est pas en danger. Il est financièrement équilibré en 2021. Il sera excédentaire en 2022. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), organisme indépendant d’expertise et de prévision, placé auprès de la Première ministre, prévoit d’ici à 2032 un déficit entre 0,5 et 0,8 point de PIB soit de l’ordre de 10 milliards d’euros par an. Sur la période 2021 à 2027 la part des dépenses de retraite dans le PIB serait stable et légèrement inférieure à 14%. Elle pourrait augmenter à 14,2 voire 14,7% entre 2028 et 2032. Par la suite et jusqu’en 2070, cette part serait stable ou en baisse malgré le vieillissement de la population. La conclusion du COR est sans appel : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite » [3].

Le déficit prévu pour les années 2022 à 2032 est dû à la politique économique du gouvernement. Ce ne sont pas les dépenses qui augmentent trop vite mais les recettes qui sont pénalisées. Par les économies sur les emplois et la masse salariale dans la fonction publique, et par la politique salariale qui cherche à limiter au maximum la hausse des salaires avec les boucliers tarifaires et les primes non soumises à cotisation retraite.

Les prévisions économiques sont fragiles. Le gouvernement a accru cette fragilité en imposant un cadrage irréaliste avec un taux de chômage qui, grâce à sa politique baisserait à 5% d’ici à 2027. Ce qui est si peu fiable que le COR refait passer ce taux à 7% par la suite. L’incertitude est grande sur les hypothèses économiques des prochaines années. Une récession en 2023 est probable. Sa durée et son ampleur dépendront fortement des politiques économiques et monétaires. Repousser l’âge de la retraite dans une telle situation conduirait sans doute à aggraver le chômage, la pression à la baisse du pouvoir d’achat et in fine la spirale récessive [4].

Le seul levier possible pour équilibrer le système ?

D’autres solutions que l’âge de départ peuvent permettre d’équilibrer le système de retraite. L’économiste Michaël Zemmour en évoque cinq : revenir sur les exonérations de cotisations les plus inutiles ; soumettre l’épargne salariale à cotisations retraite ; ralentir le remboursement de la dette sociale ; revenir sur la baisse de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cette seule mesure rapporterait 8 milliards par an dès 2024 ; et même augmenter les cotisations de 0,8 point d’ici à 2027. Ce qui rapporterait 12 milliards d’euros. Et l’économiste Gilles Raveaud souligne de son côté l’importance des fonds de réserve des retraites et des retraites complémentaires (150 milliards).

Économiser sur les retraites pour baisser les impôts et financer les dépenses publiques pour la réindustrialisation, les engagements climatiques, restaurer l’école, la santé, la justice… ?

Les dépenses de retraites sont officiellement classées dans les dépenses publiques. Le gouvernement veut imposer une politique d’austérité budgétaire pour toute la période 2022 à 2027. C’est selon lui le moyen de revenir à l’équilibre budgétaire. Et tout cela en baissant les impôts sur les revenus des entreprises et sur les catégories sociales les plus favorisées. Cela commence avec le budget 2023 qui sera le 2ème budget le plus austéritaire des 20 dernières années. Il a programmé sur la période 2022-2027 une croissance annuelle moyenne des dépenses publiques de 0,6% en volume, inférieure à la croissance prévue du PIB. Les économies réalisées sur le recul progressif de l’âge de la retraite durant cette période ne feront pas sortir de la pénurie et de l’insuffisance les dépenses publiques qui seraient nécessaires pour tenir les engagements climatiques, restaurer la qualité des services publics pour tous, réaliser une véritable réindustrialisation.

L’économiste Patrick Artus, lui-même, souligne qu’au niveau de la zone euro « pour assurer la transition énergétique (l’équivalent d’au moins 4% du PIB, dont seulement la moitié est actuellement financée), pour rattraper son retard de recherche-développement (plus d’un point de PIB pour atteindre le niveau des États-Unis), pour investir dans la santé et l’éducation. On peut estimer qu’il manque environ quatre points de PIB de dépenses publiques pour honorer ces dépenses nécessaires au-delà de ce qui est déjà engagé ». Cela vaut sans doute aussi pour la France. Ce n’est pas la réforme des retraites qui permettra de le réaliser. Ni non plus la baisse des impôts. Au contraire. Si l’on ne veut pas renoncer à des investissements nécessaires, notamment dans la transition énergétique, il n’y a pas explique-t-il d’autre véritable option que financer « des dépenses publiques élevées soit par une taxe inflationniste, soit par de vrais impôts ».

Repousser l’âge de la retraite va permettre d’augmenter le travail des seniors et donc de produire plus de richesses ?

Il faut reconnaître aux arguments d’Emmanuel Macron le mérite de la franchise et de la clarté. La retraite à 65 ans, cela va avec la réforme du chômage et la réforme des lycées professionnels. Le but est le même : obtenir plus de travail en le payant moins. Et pour cela augmenter la pression de la précarité et de la concurrence sur le marché de l’emploi. En prime, nous avons même la reconnaissance, si non l’aveu, que c’est le travail qui créée les richesses. En même temps on est toujours dans le ruissellement mais à partir du bas : le travail créateur de richesses oui, mais à condition qu’il soit rentable.

Le recul de l’âge légal de la retraite participe de la même politique de l’offre et de la compétitivité par la baisse des salaires réels. C’est une politique d’ancien régime. Elle ne répond ni aux enjeux immédiats de la conjoncture économique, ni aux enjeux de la transformation du système de production et de consommation.

Le recul de l’âge de la retraite permettra-t-il d’améliorer l’emploi des personnes âgées de plus de 55 ans qui est particulièrement bas en France [5] ? Les mesures spécifiques d’accompagnement envisagées par le gouvernement [6] sont faibles ou nocives comme la baisse de la durée maximale d’indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans. La question de l’emploi des seniors doit être traitée à la racine par l’amélioration des conditions d’emploi, de travail et de formation durant toute la vie professionnelle. Et si elle était obtenue au détriment de l’emploi des autres, l’amélioration d’ensemble serait très limitée, au plan économique comme au plan social.

Une réforme juste et équitable qui tiendra compte des carrières longues et de la pénibilité des métiers ?

Yvan Ricordeau, le Monsieur Retraites de la CDFT, n’y croit pas lui-même. Le dispositif actuel carrière longue, explique Henri Sterdyniak, permet aux personnes qui ont travaillé au moins un an avant 20 ans et qui ont cotisé 42 années, de partir à la retraite à 60 ans. La réforme retarderait de deux ou trois ans leur âge de départ. Le dispositif actuel de prise en compte de la pénibilité, le compte personnel de prévention ne concerne que 12.000 bénéficiaires depuis sa création. Le gouvernement ne propose que de le modifier à la marge.

Augmenter la retraite minimum et améliorer les petites retraites ?

La principale mesure envisagée par le gouvernement consisterait à appliquer enfin une loi adoptée en 2003 selon laquelle la retraite minimum serait de 85% du SMIC… La mesure pourrait être appliquée à l’ensemble des retraités. Mais avec un retard équivalent au recul de l’âge de la retraite pour les nouveaux. Et cela ne concerne que les salariés ayant une carrière complète.

Les inégalités de retraites entre les femmes et les hommes restent considérables. Selon le COR, les pensions de droit direct sont en moyenne inférieures de 37%. La principale mesure de « justice et d’équité » du gouvernement en la matière serait de ne pas retarder à plus de 67 ans le droit à une pension à taux plein, qui concerne principalement les femmes.

Il est hors de question de baisser le niveau des pensions ?

Le Président joue sur les mots. Comme le souligne Henri Sterdyniak, « l’objectif d’un système de retraite doit être d’assurer que les actifs bénéficient d’un niveau de vie à la retraite équivalent à celui des personnes en activité, cela à partir d’un âge de départ à la retraite socialement déterminé, permettant de jouir d’une période en bonne santé ».

Le système des retraites français est l’un des plus généreux au monde, avec en règle générale un départ à 62 ans, une parité de niveau de vie entre actifs et retraités, un taux de pauvreté des retraités faible et une redistribution entre les hauts et les bas salaires.

Mais les différentes réformes menées sous les différents gouvernements conduisent à une dégradation progressive pour les retraités actuels et pour les retraités futurs. La diminution du pouvoir d’achat des pensions nettes pendant la retraite est sensible. Elle s’est accentuée sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron du fait de la sous indexation des pensions et de la hausse de la CSG. Et pour l’avenir, dans le cadre actuel, selon les différents scénarios du COR, la pension moyenne augmenterait certes plus que les prix, mais le niveau de vie relatif des retraités régresserait progressivement au niveau de celui des années 1980. Encore ne s’agit-il que d’une moyenne. Pour toute une partie de la population, le système de retraite ne réaliserait plus sa promesse. C’est cela qui devrait être mis en débat. Mais Emmanuel Macron qui veut imposer une nouvelle et grave régression, fera tout pour l’enterrer.

 Notes

[1] Deux jours avant, c’est Élisabeth Borne qui était longuement interviewée par le même journal.

[2] Ces explications doivent beaucoup à des notes et analyses de Henri Sterdyniak, Michaël Zemmour et Eric Berr. À lire également le petit livre que François Ruffin vient de publier aux éditions Les Liens qui Libèrent : Le temps d’apprendre à vivre. La bataille des retraites.

[3] COR, rapport annuel, septembre 2022, page 9

[4] Voir l’analyse de Romaric Godin et Dan Israël.

[5] Dominique Seux, sur France Inter le 6 décembre, a prétendu débusquer la fake news selon laquelle « on entend souvent que la plupart des nouveaux retraités, ceux qui arrivent à la retraite, seraient en fait au chômage ». Triste méthode que de répandre, soi-même, une fake news pour mieux la combattre. Car personne ou presque ne prétend que la plupart des nouveaux retraités sont des chômeurs. L’éditorialiste donne lui-même le chiffre de 63% de nouveaux retraités qui étaient en situation d’emploi au moment de partir en retraite. Cela veut dire que 37% ne l’étaient pas. Et c’est cela qui est considérable et qui ne va pas. Qui plus est, la proportion varie, évidemment, en fonction de la catégorie sociale, au détriment des ouvriers et des employés et au détriment des femmes. « Les faits, rien que les faits », conclut-il ce jour-là. Chiche !

[6] Cf Henri Sterdyniak : « Refuser la dégradation des retraites, maintenir et développer un système satisfaisant », page 16.

publié le 12 décembre 2022

Documentaire.
Aux origines
de la propriété privée

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Dans un film événement, « le Monde et sa propriété », le réalisateur Gérard Mordillat et l’avocat Christophe Clerc décortiquent les fondements historiques et théoriques de la propriété. Une réflexion indispensable pour comprendre le monde actuel.


 

De quoi parle-t-on lorsqu’on s’attaque à l’héritage ou qu’on réclame la levée des brevets des vaccins en période de Covid ? De propriété. Au sens juridique, le droit de propriété désigne la capacité de disposer des choses, c’est-à-dire de les modifier, de les vendre ou de les détruire. Dans leur nouveau documentaire (1), le romancier et cinéaste Gérard Mordillat et l’avocat Christophe Clerc remontent aux origines de ce concept.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?

Gérard  Mordillat : Le point de départ, c’est une série réalisée avec Bertrand Rothé (économiste et journaliste, disparu en 2020 – NDLR), sur le thème « Travail, salaire, profit » (2019). Notre but était de réaliser deux autres volets, l’un sur la propriété et le dernier sur la monnaie, la dette et la finance, afin d’offrir une sorte de coupe géologique de la pensée économique de notre temps. La propriété nous est très vite apparue comme le meilleur outil pour appréhender le : monde dans lequel nous sommes : à travers elle, on touche à tous les domaines de la vie, la propriété du corps, celle de l’intelligence, du vivant, de la terre, etc.

Christophe Clerc : La propriété est ce que les lacaniens pourraient appeler un « signifiant maître », c’est-à-dire un mot utilisé à la fois pour désigner une réalité multiple, mais aussi pour couper court à tout débat. Les gens qui réclament une transformation de la propriété seront systématiquement renvoyés dans le camp des idéalistes. On traduit leur proposition par : « Nous ne voulons plus de la propriété. » Or, un monde sans propriété ne pouvant fonctionner, alors toute réforme de la propriété est vouée à l’échec. Il y a donc nécessité de déconstruire la propriété, pour faire la distinction entre la propriété marchande et toutes les autres car la propriété n’est pas une mais multiple.

Le film débute par la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Comment expliquer que les révolutionnaires, qui viennent d’abattre le système féodal, s’empressent d’ériger la propriété en droit inaliénable ?

Gérard  Mordillat : L’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme désigne la propriété comme inviolable et sacrée, c’est exact, mais il la limite immédiatement par la loi (« la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige, évidemment »). Ce qui est inviolable et sacré, en réalité, c’est la propriété qui nous permet d’exercer notre droit à l’existence. Cette propriété sera d’ailleurs ardemment défendue par Robespierre, contre ce qu’on pourrait appeler la « droite » de l’époque, qui voulait sauvegarder les biens de la noblesse. Ce qui est limité par la loi, c’est bien la propriété des biens. Mais, dans cet article, les deux notions sont mêlées.

Christophe Clerc : La nuit du 4 août, avec l’abolition des privilèges, est en quelque sorte le plus grand hold-up de l’Histoire de France, dans la mesure où on n’avait jamais organisé un transfert de propriété aussi important. Et pourtant, quelques semaines après, on déclare la propriété inviolable et sacrée… Ce paradoxe ne se comprend que si on opère une distinction entre trois types de propriété. La propriété féodale, dont les révolutionnaires voulaient se débarrasser ; la propriété marchande, qui se dégage de toute obligation sociale pour être un pur rapport d’achat et de vente des objets ; et la propriété d’existence, fondée sur le droit à vivre.

L’un des intervenants cite Jean-Jacques Rousseau, qui expliquait en substance : que de souffrances on aurait épargné au genre humain si on avait dit, dès le départ, que les fruits sont à tout le monde et la terre à personne. La propriété privée est-elle la cause de tous nos maux ?

Gérard  Mordillat : En tout cas, le concept même de propriété induit nécessairement une violence : ce qui m’appartient ne t’appartient pas. Cette violence originelle s’exprime de façon terrifiante à travers les conquêtes militaires, les guerres, la colonisation, l’esclavage, etc. La propriété privée est la mère de tous les conflits que nous connaissons depuis des siècles.

Christophe Clerc : Quand on parle de propriété, c’est souvent pour désigner la propriété marchande. Mais la propriété sous une forme plus neutre, c’est-à-dire le rapport d’appropriation, a toujours existé, même du temps des chasseurs-cueilleurs. L’enjeu n’est donc pas de s’attaquer à ce rapport, par définition indépassable, mais à la propriété marchande.

Nous assistons actuellement à une extension indéfinie du domaine de la propriété, qui touche aussi bien au vivant qu’à nos données personnelles…

Gérard  Mordillat : La marchandisation de tous les aspects de la vie est une donnée contemporaine incontestable, dont l’un des exemples les plus frappants est la vente d’organes : si nous sommes propriétaire de notre corps, alors rien ne peut s’opposer à ce qu’on le vende à la découpe. L’économiste Gary Becker (1930-2014), prix Nobel d’économie, plaidait pour la création d’un marché « régulé » des organes. À ceux qui lui opposaient que la vente d’organes ne peut être le fait que de pauvres désespérés, il répondait avec ce cynisme absolu : « Ce seront au moins des pauvres en bonne santé. »

Votre documentaire s’interroge sur les échos entre le rapport salarial moderne et l’esclavage…

Christophe Clerc : L’esclavage traditionnel n’existe plus ; de ce point de vue, ce serait un abus de langage grossier et sans doute maladroit, à l’égard de ceux qui en ont été les victimes, d’assimiler le salariat à de l’esclavage. Cela dit, on peut trouver des parallèles, si on considère que le patron exerçant un pouvoir sur le salarié est propriétaire des moyens de production, donc qu’il va se fonder sur un rapport de propriété pour imposer un rapport de direction. Par ailleurs, si une relation de travail n’est pas encadrée par un droit du travail protecteur, on se rapproche à certains égards de l’esclavage, car le patron peut donner des ordres et licencier à sa guise, c’est-à-dire porter atteinte au droit d’existence.

Gérard  Mordillat : Les travailleurs morts par milliers lors de la construction des stades au Qatar sont en réalité des esclaves sans aucun droit. Ceux qui osent refuser le sort qui leur est fait sont expulsés : voilà un avatar contemporain de l’esclavage né de l’emploi. Fort heureusement, nous n’en sommes pas encore à cette extrémité chez nous, même s’il existe une sorte de continuum à travers les âges. Un salarié assujetti à celui qui l’emploie dispose d’une marge de manœuvre extrêmement limitée : poussé par l’aiguillon de la faim, comme l’écrivait Karl Marx, il se voit obligé d’accepter un salaire qui lui permette de survivre. Un travailleur payé au Smic est obligé d’accepter les conditions qu’on lui impose, car protester serait signer lui-même sa lettre de renvoi.

Vous abordez la question des communs, ces formes de propriété qui tentent d’arracher certains biens aux griffes du marché. Est-ce une voie de sortie possible du capitalisme ou juste une manière de l’aménager ?

Christophe Clerc : Penser les communs, c’est proposer autre chose – un rapport d’appropriation élaboré par une collectivité, qui n’est pas nécessairement l’État, qui se fixe des règles communes pour l’utilisation des ressources. Que les communs permettent de « corriger » le capitalisme ou qu’ils finissent un jour par s’y substituer est presque secondaire, ce qui compte, surtout, c’est que cette idée se développe.

Gérard  Mordillat : La question de l’échelle des communs est fondamentale. Au bout d’un certain temps, la réflexion et les pratiques viennent buter sur l’Himalaya du capital, par nature hostile à toute idée de mise en commun. Les capitalistes préféreront toujours poursuivre leurs pratiques prédatrices, même si cela doit conduire à la disparition de l’espèce, plutôt que de se renier. Seul un changement radical, violent, pourra empêcher le capitalocène. Ceux qui détiennent les clés de la politique et de l’économie ne les rendront jamais de leur plein gré.

Quel rapport entretient, selon vous, la théorie des communs avec l’idée communiste ?

Gérard  Mordillat : On ne peut pas penser les communs sans réfléchir au communisme. Il n’est pas question de renvoyer au stalinisme mais de penser à ceux qui défendent le bien commun contre la défense du profit individuel. Il y a une façon de gérer les choses en commun – appelons-la « communisme » –, qui vient de très loin. J’ai travaillé sur la guerre des paysans en Allemagne au XVIe siècle, qui s’enracinait dans une réflexion religieuse, autour d’un retour à une communauté idéale : cette idée de partager les fruits du travail, que l’on trouve notamment dans « les Actes des Apôtres » (Nouveau Testament), traverse l’Histoire. Il faut relire l’anthropologue américain Marshall Sahlins (1930-2021), qui montre que c’est bien la coopération qui fait avancer l’humanité, non la concurrence. La coopération peut conduire au communisme, et ce communisme reste à inventer.

(1) « Le Monde et sa propriété », diffusé sur Arte le 13 décembre à 20 h 55.

publié le 12 décembre 2022

De 1948 à aujourd’hui, l’État d’Israël n’a jamais appliqué
les principes du droit universel

Par le Bureau national de l’AFPS sur https://www.france-palestine.org

En décembre 1948 l’Assemblée Générale de l’ONU a produit deux textes déterminants, qui auraient dû changer le cours de l’histoire du peuple palestinien. Mais l’État d’Israël, admis à l’ONU en 1949, n’a jamais considéré qu’il devait se conformer aux principes et aux résolutions le concernant. Bien au contraire, et les soutiens au prochain gouvernement Netanyahu laissent craindre le pire, les justifications religieuses et suprémacistes prenant le pas sur la référence au droit séculier.

L’Assemblée Générale des Nations unies a proclamé le 10 décembre 1948 la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) comme « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ». « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »… mais pas les Palestiniens !

Le peuple palestinien le vit chaque jour : colonisation, entrave à la circulation, violence des colons et de l’armée israélienne, démolitions de maisons, blocus de Gaza depuis plus de 15 ans, politique d’arrestations et d’emprisonnements massifs, …

Salah Hamouri franco-palestinien de Jérusalem-Est est un exemple du non-respect systémique des droits humains. Sa femme et ses enfants ne peuvent venir le rejoindre depuis 6 ans. Emprisonné depuis 9 mois sous le régime de la détention administrative (sans charges ni procès), son permis de résidence à Jérusalem-Est (indispensable aux seuls Palestiniens) a été révoqué par les autorités israéliennes pour « défaut d’allégeance » à Israël. Il est sous le coup d’un ordre d’expulsion émis par les autorités israéliennes.

Les articles de la DUDH bafoués par Israël sont nombreux, mais il faut sans relâche rappeler ceux qui touchent les réfugiés de Palestine. Rappeler que la création de l’État d’Israël s’est accompagnée d’une politique délibérée d’expulsion de quelque 800 000 Palestiniens, dépossédés de leur terre et interdits d’y revenir et de retrouver leurs biens : c’était la Nakba (la catastrophe).

Les réfugiés palestiniens sont par la force privés de leurs droits individuels en violation de la DUDH qui garantit « …le droit de quitter tout pays, y compris le sien et d’y revenir. » (article 13). Le droit à la propriété, également garanti par l’article 17 : « nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété » leur est toujours refusé.

Par ailleurs, les Palestiniens où qu’ils vivent, sont privés de leurs droits nationaux en violation de l’article 15 qui déclare : « Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ».

La DUDH a un caractère universel, elle ne prévoit aucune exemption, aucune exception !

Le 11 décembre 1948, cette même Assemblée votait la Résolution 194 (III) sur la Palestine.

Par son article 11 l’AGNU : « Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les Gouvernements ou autorités responsables. ». Cette résolution, jamais appliquée par Israël, qui refuse de reconnaître ses responsabilités, constituera la base juridique du droit individuel au retour et du droit à réparation, aussi longtemps qu’Israël ne se soumettra pas à ses obligations. Les plus vieux réfugiés de 1948 disparaissent mais la quatrième génération est là, sans oublier les réfugiés de 1967. Soit près de 8 millions de personnes. Toutes et tous ont le droit de retourner dans leurs foyers !

La Résolution 194 (III) ne comporte aucune date de péremption !

Champion de la politique du fait accompli, Israël doit comprendre que tous les citoyens attachés au respect du droit ne renoncent pas à exiger ce qui est dû au peuple palestinien, ce qui est dû aux réfugiés de Palestine. Le temps qu’il le faudra l’AFPS sera leur porte-voix.

Le Bureau national de l’AFPS, le 10 décembre 2022

publié le 11 décembre 2022

Pérou. Les dessous de la destitution de Pedro Castillo

Lina Sankari sur www.humanite.fr

Le président de gauche est le sixième chef d’État du pays à être démis en six ans par le Parlement. Il vient d’être arrêté, dix-sept mois après son élection. Les rivalités dans son parti et dans son camp l’ont empêché de présenter un front uni face à la bourgeoisie.

Sans chars ni fusils, Pedro Castillo a été destitué. Ce 7 décembre, au terme d’une journée rocambolesque, le président de gauche péruvien a échoué en détention, pour une durée de quinze jours, dans une base des forces spéciales de la police de Lima. Elle abrite déjà un autre détenu, l’ancien dirigeant du pays, Alberto Fujimori (extrême droite). Selon la police, Pedro Castillo aurait tenté de trouver refuge à l’ambassade du Mexique pour y demander l’asile avant d’être appréhendé.

Jusqu’au dernier instant, le chef de l’État, minoritaire au Parlement, aura tout tenté pour échapper à la destitution. Dans un pays en crise politique permanente, il est le sixième président en six ans à être démis. Élu en juillet 2021, il affrontait sa troisième procédure de destitution. « C’est presque une surprise qu’il ait tenu aussi longtemps face au front permanent emmené à la fois par les médias et la bourgeoisie. Au Parlement, les conservateurs ont déployé pendant dix-sept mois tous les outils législatifs et administratifs, dont déjà deux autres tentatives de destitution, pour faire entrave et empêcher Pedro Castillo d’appliquer son programme », analyse Lissell Quiroz, professeure d’études latino-américaines à l’université de Cergy-Paris. À l’annonce du résultat du vote, les organisations syndicales se sont rassemblées devant le Parlement afin de protester contre cette décision. Mais elles ne sont parvenues à réunir que quelques centaines de participants.

Des perquisitions au palais présidentiel et une enquête pour « rébellion »

Peu avant la tombée du couperet, Pedro Castillo avait prononcé la dissolution du Parlement sans en avoir toutefois les moyens légaux et constitutionnels. Pour sortir de l’ornière, le président avait également annoncé un « gouvernement d’urgence exceptionnel » et fait part de sa volonté de convoquer « dans les plus brefs délais » une Assemblée constituante. Retransmise en direct à la télévision, sa destitution pour « incapacité morale » a été votée par 101 des 130 parlementaires, dont 80 de l’opposition. Dans la foulée, la vice-présidente Dina Boluarte, issue de Pérou libre, la formation politique d’inspiration marxiste dont Pedro Castillo avait été exclu en juillet, a été investie comme nouvelle cheffe de l’État, fonction qu’elle devrait assumer jusqu’en 2026. Quelques heures auparavant, elle dénonçait, dans un troublant concert avec la droite et l’Organisation des États américains, la « tentative de coup d’État promue par Pedro Castillo (c’est-à-dire de violation de l’article 117 de la Constitution qui garantit le fonctionnement du Parlement – NDLR) qui n’a trouvé aucun écho dans les institutions de la démocratie, ni dans la rue ». Les États-Unis se sont, de leur côté, empressés d’acter le changement de tête à la présidence.

Mercredi soir, le parquet a ordonné des perquisitions au palais présidentiel et une enquête pour « rébellion » a été ouverte contre Pedro Castillo, en plus des six autres déjà en cours pour corruption et trafic d’influence. Une « soi-disant » guerre hybride « est menée en Amérique ­latine (…) pour persécuter, accuser et évincer les dirigeants qui défendent le peuple et affrontent les politiques néolibérales (qui génèrent) la faim », a réagi l’ex-président bolivien Evo Morales, lui-même renversé en 2019. « Nous sommes dans un schéma qui, à bien des égards, a à voir avec la situation de Salvador Allende, dans les années 1970, afin d’entraver l’accès du peuple aux institutions », abonde Lissell Quiroz. Le président élu du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva, a pour sa part trouvé « toujours regrettable qu’un président démocratiquement élu subisse un tel sort », tout en indiquant que le processus avait été « mené dans le cadre constitutionnel ».

Les élites n’ont jamais digéré l’élection de l’instituteur et syndicaliste Pedro Castillo

Dans un pays centralisé à l’extrême autour de la capitale, Lima, pur produit de la colonisation, les élites n’ont jamais digéré l’élection de l’instituteur et syndicaliste Pedro Castillo. Originaire des Andes, il avait été porté au pouvoir par les populations pauvres et délaissées. C’est dans cette région, où le mouvement social reste vivace, que Pedro Castillo a effectué plusieurs déplacements afin d’organiser un front qui lui permette de gouverner. Durant ces visites, qui l’ont tenu éloigné de Lima parfois pendant plusieurs jours du fait des difficultés d’accès, la droite avait les mains libres.

En moins d’un an et demi, Pedro Castillo a procédé à quatre remaniements ministériels, mais la gauche, défaite et affaiblie par le ­fujimorisme, souffre également de ses divisions. Si l’ex-président a pâtit des rivalités politiques internes à sa formation Pérou libre, dirigée par Vladimir Cerrón, il s’est également heurté à la difficulté de constituer une alliance avec la gauche réformiste de Veronica Mendoza, plus proche de Gabriel Boric au Chili, qui s’adresse surtout à la jeunesse urbaine issue des classes moyennes à travers des thèmes sociétaux. « Les alliances se font et se défont en fonction des intérêts », relève Lissell Quiroz. En plus des manifestations, où la bourgeoisie n’a pas hésité à rémunérer des casseurs pour amplifier le chaos, Pedro Castillo a fait face à la fronde des transporteurs privés et des agriculteurs contre l’augmentation des prix des carburants.

La droite, dans toutes ses composantes, a désormais une carte à jouer malgré ses divisions. De la démocratie chrétienne aux fujimoristes, les mois qui viennent risquent d’être marqués par d’âpres luttes de pouvoir. Keiko Fujimori, candidate à trois reprises à la présidence et contre laquelle le parquet requiert trente années de prison pour corruption, a déjà exhorté la nouvelle cheffe de l’État à constituer un gouvernement d’union nationale. « Dans un pays qui vit une crise politique permanente, elle insistera sur le chaos dans ­lequel la gauche a plongé (ce dernier) et endossera les habits du sauveur, de l’ordre et du progrès », pointe Lissell Quiroz. Dans un climat de dégagisme qui favorise l’extrême droite, la seule porte de sortie résiderait dans le lancement d’un processus de Constituante, comme l’avait proposé Pedro Castillo. Pas sûr que Dina Boluarte emprunte ce chemin.

  publié le 11 décembre 2022

« Incarner la rupture au nom de l’émancipation »

François Ruffin se veut social et démocrate. Social-démocrate ? On a proposé à six personnalités de gauche de prolonger la réflexion. Roger Martelli est historien, spécialiste du communisme, il expose ici son point de vue.

Les autre contributions sont consultables directement sur www.regard.fr

Je suis communiste, n’ai jamais été socialiste et n’ai donc pas besoin d’expliquer que je ne suis pas social-démocrate. En réalité, je n’ai que faire d’un repoussoir. Je ne considère pas le communisme comme une identité exclusive, qui se définit par sa différence. Ce référent est pour moi une manière positive d’affirmer un parti pris, selon lequel la mise en commun est la base matérielle et mentale la plus solide pour que se déploie enfin un processus d’émancipation humaine. Ce n’est pas en dressant des murs que l’on peut rêver d’un monde plus humain.

Je tiens en outre à une idée simple : la gauche est à la fois un singulier et un pluriel. Elle n’est pas un puzzle de camps irréconciliables, mais elle distingue deux pôles principaux, autour desquels se distribuent de façon mouvante les mots, les pratiques et les structures organisées. L’un de ces pôles considère que, pour faire progresser l’égalité, le plus efficace est d’infléchir les logiques dominantes existantes, sans nécessairement les dépasser ; l’autre pense au contraire que, dans un système structurellement inégalitaire, le désir de justice exige que l’on rompe avec lui.

Gauche de rupture plutôt que gauche d’adaptation

On peut choisir un pôle et considérer pour autant que le face-à-face des deux est une chance. La radicalité portée par le pôle de rupture peut contraindre l’autre à ne jamais oublier que l’égalité s’évapore, quand le souci de conformité au système l’emporte sur toute subversion. En sens inverse, l’attention au possible et au consensus promus par le pôle d’adaptation peut obliger le concurrent à ne pas faire de la radicalité une incantation, incapable de parvenir à des majorités. La confrontation nécessaire ne peut donc pas être la guerre ; l’hégémonie ne gagne pas à s’abîmer en domination ; la promotion de soi ne passe pas par la négation s’autrui.

Entre 1936 et 1978, les deux pôles ont été plus ou moins équilibrés. L’équilibre s’est rompu par la suite, d’abord au détriment du PCF, puis à celui du PS. La France insoumise a profité de l’effacement des deux grandes forces historiques, mais elle n’a pas compensé leurs pertes respectives. Le résultat est inscrit dans la réalité politique depuis 2017. La gauche de gauche a repris la main, mais la gauche dans son ensemble est réduite à la portion congrue.

 Il en est désormais de la gauche comme il en fut naguère pour le PC : elle a découragé la plus grande part de ses bases populaires, elle n’incarne plus le projet d’une société de sobriété, sans exploitation, sans domination et sans aliénation et elle n’est plus le pivot de majorités alternatives crédibles. Elle ne retrouvera ses vertus que si elle se reconstruit sur ses deux jambes et que, d’une manière ou d’une autre, elle retrouve un certain équilibre. Alors que j’ai choisi le pôle de la rupture, je ne me réjouis pas plus des difficultés du pôle d’adaptation que je me désolais hier du déclin du PC. Mais la relance d’un pôle d’adaptation bien de gauche, qu’il se veuille social-démocrate ou pas, n’est pas de mon ressort. C’est le devenir du pôle de rupture qui me motive d’abord.

Recomposer les volontés au nom de l’émancipation

La gauche critique a profité de la Bérézina du social-libéralisme, mais son succès est encore acquis par défaut. Elle a un programme, nous dit-on. Mais, comme au temps du Programme commun, la logique d’un programme est de dire au peuple : « Voilà ce que nous ferons, quand nous serons au pouvoir ». Et quand a-t-on vu qu’un programme, même excellent, s’appliquait démocratiquement par cela seulement que ses promoteurs pouvaient gouverner ? Où a-t-on vu que le changement advenait sans que des majorités fortes se mobilisent pour les mettre en œuvre ? A-t-on souvenir que des bouleversements d’envergure se soient imposés sans que les catégories populaires désunies se muent en multitude qui lutte, puis en peuple politique qui porte une alternative globale de société ?

La gauche critique ne retrouvera son hégémonie que si son programme s’appuie sur un projet qui le légitime, sur un récit qui rend le projet désirable, et sur une stratégie de long souffle qui permet de faire vivre le projet et le récit dans une société divisée, traversées d’épaisses contradictions. Peu importe alors le nom que l’on veut donner à cette gauche du projet partagé. Écologiste, socialiste, communiste, libertaire, écoféministe, rouge-vert, écosocialiste… La guerre des sigles et des noms a quelque chose de dérisoire, quand l’enjeu est de muer la colère en espérance et non en ressentiment, quand il faut pour cela raccorder le mouvement social à une construction politique commune, sans domination de quiconque, sans vertige des méthodes communicantes, sans théâtralisation de la volonté, sans incarnation charismatique unique.

Quel que soit le pôle, ce n’est pas de l’exacerbation des différences que viendra le salut, mais de la recomposition des volontés, peut-être autour d’un mot, qui n’est pas une étiquette, mais qui dit clairement que l’on veut se débarrasser du capitalisme, sans se résoudre à l’étatisme. Ce mot a déjà été prononcé ici : émancipation.

publié le 10 décembre 2022

Macron-Biden :
le prix de la vassalisation

Francis Wurtz sur www.humanite.fr

Donald Trump a théorisé l’« America First », Joe Biden le pratique. Les envolées lyriques du président américain en recevant au début du mois Emmanuel Macron – « La température est peut-être fraîche en cette matinée lumineuse de décembre, mais nos cœurs sont chauds d’accueillir des amis si proches à la Maison-Blanche »… – et les figures de style de son homologue français – « Nous allons synchroniser nos approches et nos agendas » – n’y ont rien changé : Emmanuel Macron est reparti bredouille, s’agissant de l’enjeu principal de sa « visite d’État », à savoir exempter l’UE des effets de l’Inflation Reduction Act. On le sait : une disposition de cette loi réserve aux seules productions made in USA quelque 400 milliards de dollars d’aides et de crédits d’impôts, en particulier dans le secteur des véhicules électriques et des industries liées à la défense du climat. Force est de constater que les récriminations du président français contre ces mesures « super-agressives » qui risquent de pousser à des délocalisations depuis l’Europe vers les États-Unis n’ont pas ému l’ami et l’allié américain : « Je ne m’excuse pas », a même sèchement rétorqué ce dernier. Aucune remise en cause de cette législation n’est donc à attendre. Mais qui pouvait en douter ?

Emmanuel Macron et, plus généralement, les Européens ont-ils espéré un retour d’ascenseur de Washington pour compenser leurs achats massifs de gaz liquéfié – qui plus est à un prix quatre fois plus élevé que ne le payent les industriels américains ! –, sans parler des importations inconsidérées d’avions de chasse F-35, de blindés, de missiles et de pièces d’artillerie, au nom de la solidarité transatlantique ? Le président français a même cru, dans l’espoir de faire fléchir le « boss » du monde occidental, devoir invoquer « l’avantage pour les États-Unis » que représenterait une Europe forte… « compte tenu des priorités qu’ils ont dans l’Indo-Pacifique ou à l’égard de la Chine » ! Une allusion directe à l’appel à « mobiliser les démocraties » derrière Washington dans sa croisade contre le grand rival asiatique, qu’avait lancé le président Biden en juin 2021 lors de sa toute première visite en Europe. Là encore, Emmanuel Macron a fait chou blanc. C’est que, pour la Maison-Blanche, dans le funeste contexte mondial que nous subissons aujourd’hui, la « solidarité » est plus que jamais à sens unique, les « alliés » sont nécessairement alignés, chaque capitulation accroît la vassalisation. Pour avoir rangé leurs velléités d’« autonomie stratégique » ou de « souveraineté européenne » au magasin des illusions perdues, les dirigeants européens payent désormais au prix fort leur choix de l’occidentalisme contre celui d’un multilatéralisme conséquent. Puissent leurs déboires actuels contribuer à leur ouvrir les yeux. Ou plutôt, puisse la douloureuse expérience du désordre mondial actuel casser dans les esprits le mythe de la puissance et de ses corollaires : la hiérarchie des États et les rapports de domination.

publié le 10 décembre 2022

Le choix politique des retraites

Michel Soudais  sur https://www.politis.fr/

Le gouvernement entame la réforme des retraites, et veut aller vite. Les syndicats font front. Les arbitrages à opérer relèvent de choix de société.

La bataille des retraites est bel et bien lancée. Relancée, devrait-on dire. Le gouvernement est à l’offensive sur le front médiatique, où il compte nombre de promoteurs. Élisabeth Borne, jusque-là relativement évasive sur ce dossier – si ce n’est silencieuse –, a sonné la charge dans un long entretien au Parisien (2 décembre).

Elle y confirme que le projet de réforme sera présenté le 15 décembre aux partenaires sociaux, puis au conseil des ministres du début d’année. L’objectif : un examen du texte au Parlement au printemps et une entrée en application dès l’été prochain. Rien de bien nouveau donc, sauf une détermination réaffirmée pour reculer progressivement l’âge légal de départ en retraite à 65 ans en 2031. Et cela sans attendre l’achèvement de la concertation avec les partenaires sociaux, pourtant vantée dans le même entretien comme une preuve de son ouverture au dialogue.

« Foutage de gueule »

Les syndicats, même les plus modérés, ne s’y sont pas trompés. « On a atteint la limite du foutage de gueule », a réagi François Hommeril, le président de la CFE-CGC. Au micro de France Info, il décrit ainsi cette concertation : « Nos collègues se retrouvent face à deux stagiaires qui prennent des notes mollement en regardant leur portable. »

Un front syndical unitaire réaffirme d’ailleurs dans un communiqué, signé le 5 décembre par les cinq centrales historiques (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC), mais aussi par l’Unsa, Solidaires et la FSU, ainsi que les organisations étudiantes et lycéennes (Unef, Voix lycéenne, Fage, Fidl et MNL), sa ferme opposition « à tout recul de l’âge légal de départ en retraite comme à toute augmentation de la durée de cotisation ». Et fait part de la détermination des signataires « à construire ensemble les mobilisations passant en particulier par une première date de mobilisation unitaire avec grèves et manifestations en janvier si le gouvernement demeurait arc-bouté sur son projet ».

Cela suffira-t-il à faire reculer Macron ? Si le débat reste cantonné à l’interprétation du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), on peut en douter. Le gouvernement s’y réfère pour affirmer la « nécessité » de sa réforme, et la justifier par « les chiffres » qui seraient « implacables ». Les opposants à la réforme en retiennent qu’une réforme n’est pas nécessaire pour préserver notre système de retraites. On a là les ingrédients d’un dialogue de sourds propre à entretenir auprès de Monsieur et Madame Toutlemonde un scepticisme qui ne favorisera pas la mobilisation.

Or ce rapport, dont les prévisions à trente ans (!) sont éminemment sujettes à caution, reconnaît que, « selon les préférences politiques, il est parfaitement légitime de défendre que [les dépenses de retraite] sont trop ou pas assez élevées, et qu’il faut ou non mettre en œuvre une réforme du système de retraite ». Retenons-en que les arbitrages à opérer relèvent de choix de société profondément politiques, au sens noble du terme.

Veut-on une société de solidarité où le travail et les richesses créées seront partagés ?

Contre les justifications financières avancées par le gouvernement, qui sont moins inhérentes au système des retraites qu’à sa volonté de ramener dans les critères de Maastricht le déficit global de l’État, précédemment aggravé par ses cadeaux fiscaux, la gauche gagnerait à porter la confrontation sur l’avenir que nous voulons bâtir.

Veut-on une société de solidarité où le travail et les richesses créées seront partagés ? Où chacun pourra accéder suffisamment tôt à une retraite digne, qui ouvre une nouvelle étape de sa vie ? Pour financer cela, des propositions existent. Ce ne sont juste pas celles que les néolibéraux veulent retenir.


 

L’exécutif renforce
le front syndical

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Les leaders des confédérations, reçus à Matignon jeudi, ont exprimé leur colère après un dîner qui s’est tenu à l’Élysée, mercredi. Le gouvernement aurait scellé le recul de l’âge de départ à 65 ans, avec recours possible au 49.3.

Les coureurs du Tour de France appellent cela l’emballement final. À quelques encablures de l’arrivée, le peloton s’affole et les sprinteurs partent dans tous les sens. C’est un peu ce qui se passe au sein du gouvernement lorsque pointe une échéance qu’il s’est lui-même fixée au sujet des retraites. En septembre dernier, la majorité s’était empoignée pour savoir si elle faisait passer en force ou après quelques concertations la réforme promise par le candidat Macron. Avant de se calmer en ouvrant deux mois de discussions avec, d’un côté, les représentants syndicaux et patronaux ; de l’autre, les groupes parlementaires. Deux mois plus tard, bis repetita. À une semaine de l’annonce des modalités de la réforme, date que s’est fixée Élisabeth Borne, il n’a fallu qu’un dîner à l’Élysée, mercredi soir, autour d’Emmanuel Macron et de la première ministre, en compagnie de responsables de la majorité et de plusieurs ministres, pour que ressorte l’oukase des 65 ans, alors que le processus des discussions n’est pas encore achevé. Un passage en force via un projet de loi rectificatif à la loi de financements 2023 de la Sécurité sociale, qui offre la possibilité d’user de l’arme antidémocratique du 49.3.

Selon des propos de convives qui ont habilement filtré dans la presse jeudi matin, la question du nouvel âge de départ à la retraite est tranchée : 65 ans et non 64 comme évoqué entre les deux tours de la présidentielle par le candidat Macron. La cheffe de file des députés Renaissance, Aurore Bergé, qui participait aussi aux agapes décisionnaires, a redit sur LCI, jeudi matin, « assumer » un report de l’âge de départ à 65 ans et a lâché un « oui » quand le journaliste lui a demandé si c’était bien ce qui avait été convenu à ce dîner.

Cet emballement du tempo gouvernemental a suscité la colère unanime des confédérations syndicales, dont les leaders ont été reçus toute la journée d’hier à Matignon de façon impromptue, alors qu’une semblable consultation au ministère du Travail doit avoir lieu ce vendredi. Premier invité, Philippe Martinez confie à l’Humanité ses doutes sur la méthode gouvernementale, qui « reste floue et laisse une fois de plus l’impression que tout est décidé à l’avance. (…) La première ministre ne nous a fait aucune annonce, ni sur le contenu, ni sur la suite du processus de discussions, déclarant qu’elle attendait les propositions des syndicats ». Sur le fond, le secrétaire général de la CGT se fait plus dur encore : « Le président de la République et son gouvernement sont sur des positions dogmatiques. Avec comme seule boussole faire travailler les gens plus longtemps. Est-ce un caprice de Jupiter ? C’est la presse qui nous informe du contenu de la réforme alors que nous discutons avec les ministres. Je crois ainsi savoir que cette réforme sera découpée en deux projets de loi, dont l’un rectificatif du budget de la Sécurité sociale, afin de garder en réserve la possibilité d’un 49.3 plus tard dans la session parlementaire. L’avenir de millions de citoyens va se jouer dans de petites considérations politiciennes. C’est scandaleux ! Élisabeth Borne dit que des annonces devraient être faites d’ici à Noël. Il s’agit là d’un cadeau empoisonné ! »

Tout autant courroucé, Laurent Berger a exprimé sa « crainte » que la réforme ne se concentre sur une « mesure d’âge (…) qui ne tiendrait pas compte de deux mois de concertation ». Appelant la première ministre à rester à l’écoute des propositions de la CFDT « sur les travailleurs seniors, les métiers pénibles, les petites retraites », le leader cédétiste a réaffirmé que « tout report de l’âge légal de départ en retraite fera que la CFDT sera en intersyndicale pour se mobiliser ». Lui succédant devant la cheffe du gouvernement, François Hommeril (CFE-CGC) a battu à nouveau en brèche le fondement financier de la réforme gouvernementale selon lequel « le système de retraite serait en péril : c’est faux». « En reculant l’âge de départ, on fait peser la réforme uniquement sur les salariés », a déploré Cyril Chabanier (CFTC).

Lundi dernier, les syndicats unanimes avaient réaffirmé leur opposition à « tout recul de l’âge légal de départ en retraite comme à toute augmentation de la durée de cotisation » et prévenu qu’ils décideraient d’une « première date de mobilisation unitaire » en janvier « si le gouvernement demeurait arc-bouté sur son projet ». Cette dernière réserve vient d’être levée.

 


 

Retraites :
qui sème le vent 
récolte la tempête

Sophie Binet pilote du collectif femmes mixité de la CGT et secrétaire générale de l'Ugict sur www.humanite.fr

Malgré l’opposition de l’ensemble des syndicats, l’exécutif confirme sa réforme des retraites : report de l’âge d’ouverture des droits de 62 à 65 ans pour les salarié.es du privé et les fonctionnaires, report de trois ans des départs anticipés (pénibilité, régimes spéciaux, carrières longues), augmentation du nombre d’annuités nécessaires pour avoir une retraite à taux plein, alors qu’il s’élève déjà à 43 pour les générations nées après 1973 ! Une réforme d’une rare violence, qui s’appliquerait dès la génération 1961. Mais il faut garder le conditionnel, car la partie est loin d’être gagnée pour le gouvernement.

D’abord parce qu’une très large majorité de Françaises et de Français y sont opposé.es. Ensuite parce que la réforme apparaît d’autant plus injuste dans un contexte où salarié.es et retraité.es voient leur pouvoir d’achat s’écrouler face à l’inflation. Un deux poids deux mesures inacceptable, alors que l’exécutif, en refusant de taxer les dividendes et d’indexer les salaires sur l’inflation, a permis aux grandes entreprises d’engranger des profits record. Enfin le contexte : l’hiver et les factures arrivant, la flambée des coûts de l’énergie devient explosive pour les ménages, les collectivités, les organismes HLM et nombre d’entreprises. Sans parler du risque sanitaire et de la combinaison Covid-grippe-bronchiolite, avec un système de soins en crise profonde, de la médecine de ville à l’hôpital. Cette réforme irresponsable s’apparente donc à une étincelle sur un baril de poudre. Et on connaît le potentiel mobilisateur et unificateur des retraites. Pour s’en convaincre, il suffit d’analyser les baromètres réalisés par l’Ugict-CGT. 46 % des professions intermédiaires et 42 % des cadres se disent prêts à faire grève pour défendre leurs retraites, une détermination encore plus importante qu’en matière de salaires !

À part les patrons, rares sont ceux qui soutiendront la réforme. Ce d’autant que les arguments manquent. La dette, brandie par le gouvernement, s’élèverait à un 0,5 % du PIB. La belle affaire ! Pour la résorber, il suffirait de supprimer les exonérations de cotisations retraites accordées chaque année aux entreprises sans contrepartie. Ou de mettre à contribution les dividendes. Ou d’indexer les salaires sur l’inflation et de mettre fin aux inégalités salariales entre femmes et hommes. Ou encore d’augmenter légèrement les cotisations. Quant au chantage sur la baisse des pensions, l’histoire nous montre qu’elle accompagne tout report de l’âge de départ, avec des salariés toujours plus nombreux à devoir partir avec des carrières incomplètes. Et c’est justement pour enrayer l’effondrement des pensions programmé par les précédentes réformes que la CGT propose d’augmenter les ressources des régimes de retraite.

L’unité syndicale est un plus pour gagner et la CGT s’emploie à construire une première journée de mobilisation unitaire en janvier. Mais la bataille ne se gagnera pas d’en haut. Cette date doit être inscrite à l’agenda de toutes les professions avec des suites immédiates, à l’image des grèves reconductibles enclenchées après le 5 décembre 2019. Gare à la grève par procuration ! La bataille ne se gagnera que si les salarié.es rentrent très largement dans la danse, en adoptant les modalités qui leur conviennent le mieux.

Nous pourrons nous appuyer sur les nombreux députés progressistes de l’Assemblée à condition de faire les choses dans l’ordre et de construire d’abord la mobilisation sociale, à partir des lieux de travail, avant de lui donner un débouché politique. Nous avons un mois pour mettre en débat cette stratégie et convaincre les salarié.es de s’y engager massivement. Les braises de la mobilisation gagnante de 2019 sont encore chaudes, le doublé est à notre portée !

 publié le 9 décembre 2022

Grève victorieuse des auxiliaires de vie à Caen : « L’esclavage moderne, c’est fini »

Manuel Sanson sur www.mediapart.fr

Une dizaine d’employées de Domidom, filiale du groupe Orpea, ont fait 45 jours de grève pour obtenir de meilleures conditions de travail et des revalorisations salariales. Les avancées qu’elles ont obtenues vont bénéficier à près de neuf cents salariées de l’entreprise en France.

Caen (Calvados).– « Ce mouvement nous a unies, renforcées. On ne se connaissait pas avant. Maintenant, on est soudées. Il n’y a pas de mots pour exprimer ce que l’on ressent. » Angelika Osmane, 48 ans, auxiliaire de vie chez Domidom, filiale depuis 2014 du célèbre groupe Orpea, se dit fière de ce qu’elle et « les filles » ont accompli. Et il y a de quoi.

Au bout de quarante-cinq jours de grève, une dizaine de salariées de l’antenne Domidom de Caen, émargeant à environ 1 300 euros net par mois, ont fait plier leur employeur et obtenu de substantielles avancées sociales. Non seulement pour elles, mais aussi pour les autres employées de la filiale d’Orpea, spécialisée dans l’aide à domicile aux personnes âgées et aux personnes handicapées.

« Comme elles le disent souvent, ce sont quelques petits bouts de femmes qui ont réussi à faire plier l’un des numéros 1 du secteur lucratif pour l’aide à domicile », applaudit Allan Bertu, secrétaire de l’union départementale CGT du Calvados. « On a fait avancer la situation de près de neuf cents employées Domidom. C’est énorme », renchérit Angelika Osmane, attablée dans un café de Caen quelques jours après la fin de la grève. Elles ont en effet arraché des améliorations valant pour toutes les employées de Domidom.

« La nouvelle direction veut promouvoir un dialogue social constructif, dynamique et pluriel, et est pleinement satisfaite de cet accord. Les attentes des collaboratrices sont fortes compte tenu de l’absence de dialogue social et d’ouvertures de négociations dans les années antérieures », réagit de son côté la directrice des relations presse d’Orpea. La direction a été remplacée au printemps, à la suite du scandale déclenché par la publication en janvier du livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet, qui a mis en lumière la maltraitance ayant cours dans les Ehpad du groupe.

Le protocole d’accord validé le 30 novembre prévoit une revalorisation salariale de 9 % en moyenne, et surtout une augmentation de l’indemnité kilométrique, de 0,31 à 0,45 euro par kilomètre. Cet élément est fondamental pour des salariées qui arpentent les routes chaque jour, afin d’apporter des soins et un peu d’humanité à des personnes fragiles et dépendantes.

L’accord mentionne également le renouvellement du comité social et économique (CSE) de la filiale, jusque-là défaillant, la création d’un régime de prévoyance ou encore l’ouverture de négociations pour le versement d’une indemnité repas – faute de moyens et de temps, les travailleuses sont souvent contraintes de manger dans leur véhicule entre deux visites.

Ce conflit social victorieux a démarré le 18 octobre, jour de mobilisation nationale pour une hausse des salaires et la défense du droit de grève, organisée à l’appel de plusieurs syndicats. Les auxiliaires de vie et les aides ménagères de Domidom Caen décident de participer au mouvement. « L’élément déclencheur a été le prix du gazole, commente Angelika Osmane. Le prix du litre atteignait les 2 euros à la pompe et on était remboursées à hauteur de 0,31 euro. Ce n’était plus supportable. On perdait beaucoup d’argent et nous n’arrivions plus à boucler les fins de mois. »

« Des collègues se mettaient en arrêt maladie la dernière semaine du mois car elles n’avaient plus assez d’argent pour payer le gazole. Il fallait choisir entre payer le carburant, le loyer et nourrir les enfants », illustre Chloé Benard, 26 ans, auxiliaire de vie gréviste, aux sept années d’ancienneté. Une situation documentée par Mediapart dans un récent article.

Spontanément, elles se lancent dans une grève illimitée

Au soir de la journée d’action, de manière spontanée et via leur téléphone, plusieurs employées – deux aides ménagères et dix auxiliaires de vie non syndiquées – se concertent et décident d’engager un mouvement de grève illimité. « C’est rare et courageux », note Arthur Delaporte, député PS Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale) du Calvados, très impliqué dans le soutien aux grévistes.

L’élu a notamment participé à une réunion de négociation au siège d’Orpea à Puteaux (Hauts-de-Seine). Il a aussi convié les grévistes à l’Assemblée nationale, où elles ont participé à une rencontre avec le député LFI (La France insoumise) François Ruffin, accompagné de salariés de l’entreprise Geodis.

« Les auxiliaires de vie et les aides ménagères sont souvent isolées les unes des autres, mal payées », rappelle Angelika Osmane. « Ce sont souvent des femmes seules avec enfants et peu de ressources », ajoute Allan Bertu, de la CGT. Et pourtant, la mayonnaise a pris. Un piquet de grève s’est organisé devant le siège de l’agence Domidom de Caen. « On a démarré, on n’avait rien. À part un marqueur et un drap blanc », se souvient Chloé Benard.

Mais, rapidement, les soutiens affluent et permettent à ce mouvement désorganisé et spontané de se structurer. « Des syndicalistes CGT de chez Enedis, tout proche de l’agence, des gens de Sud-Santé, des politiques, du NPA [Nouveau Parti anticapitaliste – ndlr] ou de la Nupes, les “gilets jaunes” de Caen, tous nous ont soutenues et aidées », se souvient Angelika Osmane, qui n’en revient toujours pas de « cet élan de solidarité ». Elle évoque aussi le soutien d’une avocate venue devant le piquet de grève pour proposer « bénévolement » ses services.

Nous appelons à ce que des avancées puissent rapidement être actées afin de mettre fin à ce mouvement de grève préjudiciable à tous. Nous vous remercions donc d’ouvrir de vraies négociations.

La réussite de ce mouvement tient aussi à l’aide financière apportée aux grévistes, salariées aux revenus particulièrement modestes. « Ça a été très dur mais on a pu tenir, au moins pour pouvoir payer les loyers, grâce à la caisse de grève, à une cagnotte en ligne et plusieurs initiatives organisées pour nous soutenir », explique Angelika Osmane.

La CGT du Calvados a apporté un soutien « politique et juridique », en participant notamment à certaines réunions de négociations ou encore en appelant les élus locaux à se mobiliser. Un travail de lobbying qui a payé dans la dernière ligne droite du conflit : le 21 novembre, cinq députés du Calvados appartenant à la majorité présidentielle (Horizons et Rennaissance) ont adressé un courrier à Aurore Capitaine, directrice des opérations chez Domidom.

« Nous appelons à ce que des avancées puissent rapidement être actées afin de mettre fin à ce mouvement de grève préjudiciable à tous. Nous vous remercions donc d’ouvrir de vraies négociations avec les représentants des personnels et de nous informer de vos retours sur tout ce que vous mettrez en œuvre pour sortir par le haut de ce blocage particulièrement marquant et préoccupant sur notre territoire », écrivaient les cinq parlementaires, accentuant encore un peu plus la pression sur Orpea et Domidom.

Piquet de grève devant le siège parisien

« Après le scandale, Orpea doit communiquer aujourd’hui sur une image renouvelée, celle du bon employeur. C’est un des ingrédients de la réussite de ce mouvement », décrypte Arthur Delaporte, déplorant toutefois « qu’Orpea ait perdu un mois pour sortir de la grève en bloquant sur la question du panier-repas ».

« Dès le 9 novembre, un accord de revalorisations salariales significatives a été signé. En dépit de ces avancées, le mouvement avait été reconduit sur l’agence de Caen par huit salariés (sur 37) sur la base de nouvelles revendications. Ces dernières ne pouvaient aboutir car contraires au principe d’égalité de traitement entre tous les salariés de notre entreprise », expose la directrice des relations presse d’Orpea. 

La direction du groupe privé avait adopté au départ une position dure. « Dans les premières réunions, ils refusaient le principe d’une augmentation des salaires, tout en lâchant du lest sur le panier-repas », explique Allan Bertu. « Après, ils ont commencé à bouger sur les salaires mais en refusant d’avancer sur le panier-repas, dans une forme de chantage », ajoute le syndicaliste.

Selon Angelika Osmane, la première proposition de revalorisation s’établissait « à 2 % », soit largement en dessous de l’inflation de 6,2 % sur un an. Mais le rapport de force politique et l’obstination des grévistes ont fini par opérer la bascule. « Dans la dernière ligne droite, l’installation d’un piquet de grève directement devant le siège du groupe Orpea à Paris a eu aussi son petit effet », raconte Allan Bertu, ajoutant que « les revendications des salariés du soin et du lien sont vues comme particulièrement légitimes par l’opinion publique ».

Satisfaite, Angelika Osmane attaque aujourd’hui l’exécutif ainsi « qu’Élisabeth Borne et ses tailleurs à 3 000 balles », qui « n’ont rien fait pour les grévistes durant les 45 jours de mouvement ». « Alors que pendant la crise Covid nous étions “essentiels”, on a été exclus du Ségur », souligne l’auxiliaire de vie, en référence au Ségur de la santé, où le gouvernement a accordé à l’été 2020 des augmentations aux soignant·es, mais pas à l’ensemble des employé·es du médico-social.

« Le temps des rois, l’esclavage moderne, c’est fini », conclut celle qui a rejoint la CGT pendant le mouvement. « Sept grévistes ont adhéré au syndicat et une section syndicale est en cours de formation », rapporte Allan Bertu. « Depuis l’été, il y a eu sept conflits sur des revendications salariales dans le Calvados, dans des boîtes où la culture syndicale était relativement faible, relève le militant CGT. Et cela a payé à la fin. »

publié le 9 décembre 2022

EDF face aux coupures d’électricité : 
la débâcle énergétique

Martine Orange sur www.mediaprt.fr

Jamais EDF ne s’était trouvée en situation de ne pas pouvoir fournir de l’électricité sur le territoire. Les « éventuels délestages » confirmés par le gouvernement attestent la casse de ce service public essentiel. Pour répondre à l’urgence, le pouvoir choisit la même méthode qu’au moment du Covid : verticale, autoritaire et bureaucratique.

La colère est là, l’accablement aussi. Depuis l’annonce de l’arrêt d’un certain nombre de centrales nucléaires à la suite de constats de corrosion sous contrainte puis celle d’éventuels délestages dans les prochaines semaines, les salariés d’EDF assistent, inquiets, au délitement de leur entreprise. La catastrophe qu’ils redoutaient, qu’ils dénonçaient depuis des années, sans que les pouvoirs aient jamais voulu les entendre, est là.

Comme l’ont déjà vécu avant les personnels de la Poste, de France Telecom, de GDF, de la SNCF, des hôpitaux, ils ont le sentiment d’être dépouillés du sens même de leur travail. « Pour les électriciens, la continuité du service est au cœur de leur mission. Cette fiabilité sans faille depuis des années, c’était notre fierté. Et là on nous demande de travailler sur des scénarios organisant des coupures et des délestages dans tout le pays. C’est un échec total », raconte Élise*, salariée du groupe. « Des coupures d’électricité, il y en a. Mais là ce n’est pas lié à des problèmes de réseaux. Mais c’est un problème de production, ce qu’EDF n’avait jamais connu », poursuit de son côté Julien Lambert, secrétaire fédéral de la FNME-CGT chargé de la politique énergétique. Des problèmes qui illustrent, selon lui, la faillite de l’État. Ils sont nés pour l’essentiel des choix incohérents, inconséquents des directions du groupe et des politiques girouettes des gouvernements successifs.

Le risque de voir une partie de la France plongée dans le noir pendant deux heures pendant les périodes de pointe de consommation au cœur de l’hiver est en train de provoquer un électrochoc bien au-delà du groupe public. Alors que les gouvernement successifs se rengorgeaient « de l’excellence du modèle français », l’opinion publique découvre qu’EDF est placée dans l’incapacité de remplir sa mission première : fournir de l’électricité à tout le monde, à tout moment. Après l’écroulement de l’hôpital public et de la santé au moment de la crise du Covid, cette nouvelle faillite nourrit le sentiment de décrochage du pays.

La condamnation de cet échec est unanime dans la classe politique. « Non, ce n’est pas normal que la France en soit là », a réagi Olivier Marleix, qui a fait de l’industrie et de l’énergie son cheval de bataille depuis plusieurs années. Le chef de file de Les Républicains (LR) à l’Assemblée nationale pointe la responsabilité particulière d’Emmanuel Macron dans cette faillite.

« On avait un service public qui était une référence mondiale, qui assurait à tous une électricité pas chère, qui en exportait dans toute l’Europe. On se retrouve à devoir importer notre électricité, à être exposés à des prix astronomiques et à faire face à des risques de délestage. On passe d’un pays industriel à un pays en développement. C’est le très gros échec lié à la libéralisation du marché de l’énergie, à l’affaiblissement organisé par l’État d’EDF », accuse de son côté le sénateur communiste Fabien Gay, qui lui aussi travaille sur le dossier de l’énergie depuis des années.

Philippe Brun, député (PS) de la Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale) et membre de la commission des finances, emploie à peu près les mêmes termes. « C’est le stade final de la décomposition du service public. On a détruit une entreprise d’excellence en quinze ans. Aujourd’hui, on vit notre 1940 énergétique », dit-il. Se référant à L’Étrange Défaite de Marc Bloch, il pointe en particulier la responsabilité de la haute administration, baignant dans la même idéologie libérale depuis trente ans. « Je les connais bien, j’ai fait l’ENA [École nationale d’administration] comme eux, avec eux », dit le député de l’Eure.

Une analyse que partage le physicien Yves Bréchet, ancien haut-commissaire à l’énergie atomique. Lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté et l’indépendance énergétique de la France, le 29 novembre, il a dénoncé avec un franc-parler rare l’inculture scientifique et technique crasse de la classe politique et de la haute fonction publique. « C’est dans les structures des cabinets et de la haute administration qui sont censés analyser les dossiers pour instruire la décision politique qu’il faut chercher les rouages de la machine infernale qui détruit mécaniquement notre souveraineté industrielle et énergétique », a-t-il insisté.

Affolement au sommet de l’État

Alors que le sujet des délestages s’installe sur toutes les chaînes d’information en continu, la panique gagne les cabinets ministériels. Alors que les boucliers tarifaires énergétiques doivent s’arrêter le 31 décembre, que l’inflation, notamment sur les produits alimentaires, continue de galoper, que les tensions s’accumulent sur fond de réforme des retraites, les « coupures tournantes » pourraient être l’étincelle qui embrase l’opinion publique.

Après avoir sonné l’alarme en novembre, Emmanuel Macron tente d’endiguer la menace. « Les scénarios de la peur, pas pour moi ! », a-t-il tonné depuis Tirana (Albanie), où il était en déplacement, assurant que les délestages n’étaient qu’un « scénario fictif ». En juillet, le président assurait, tout comme le ministère de la transition écologique, qu’il « n’y aurait pas de coupures d’électricité », alors que déjà les alertes sonnaient de toutes parts.

Le gouvernement a-t-il tardé à anticiper la situation ? Dès le printemps, les gouvernements allemand et italien avaient commencé à bâtir des scénarios d’urgence énergétique, indiquant les priorités, les secteurs touchés par les effacements de consommation, selon le niveau de tension sur les réseaux. Ces plans ont été connus et rendus publics largement à l’avance, permettant à chacun de se préparer.

En France, rien de tel. « En juillet, des dirigeants des entreprises de ma circonscription se sont tournés vers la préfecture pour avoir des informations, savoir comment se préparer, la préfecture a été incapable de leur donner la moindre information », raconte Philippe Brun.

La gestion du dossier EDF par le pouvoir donne le sentiment que celui-ci, durant l’été, a été plus préoccupé par le retrait de la cote de l’entreprise publique et des jeux capitalistiques à venir que de veiller à l’approvisionnement de l’électricité dans le pays. Alors que le groupe public traverse une crise sans précédent requérant la mobilisation de toute l’entreprise, c’est le moment que le gouvernement a choisi pour provoquer un changement accéléré de pouvoir à la tête de l’entreprise. Non pas à titre de sanction pour gestion défaillante mais pour préparer l’avenir de la future EDF ! Bercy et l’Élysée ont donc exigé la démission anticipée – son mandat se terminait normalement en février 2023 – du président d’EDF, Jean-Bernard Lévy, en juillet. Mais ils ont mis des semaines à s’entendre sur le nom de son successeur, plongeant le groupe dans une période de flou et d’incertitudes inutiles. Luc Rémont a finalement été nommé le 23 novembre.

Mais, entre-temps, la situation s’est considérablement dégradée. « Si l’affolement a gagné le pouvoir, c’est parce que les réacteurs nucléaires qui devaient redémarrer ne sont pas repartis. Et on ne sait pas quand ils pourront redémarrer », explique un connaisseur du dossier. « Le calendrier était trop serré. Mais, comme d’habitude, la parole technique n’a pas été entendue », dit Élise. Le pouvoir a découvert que le temps de la technique n’est pas compressible, même face aux imprécations politiques. Surtout dans l’électricité. C’est une industrie lourde, très lourde. Il ne suffit pas de claquer des doigts ou de donner des ordres pour que tout fonctionne. Ce que beaucoup, dans les allées du pouvoir, semblaient ignorer.

De son côté, EDF a mesuré une fois de plus la perte de ses compétences techniques, de ses savoir-faire, dissipés, dispersés dans les réorganisations multiples, les politiques d’économie, les suppressions d’emplois exigées au nom d’une stratégie financière et actionnariale. Le constat avait déjà été fait ces dernières années après le fiasco du chantier de l’EPR de Flamanville. Mais peu de choses ont changé depuis. Aujourd’hui, le groupe public cherche des soudeurs.

Mesurant finalement les dangers de la situation, le gouvernement a finalement présenté son plan d’action le 2 décembre. Dos au mur, il retrouve les mêmes méthodes et les mêmes réflexes que pendant la gestion de la pandémie. Tout est vertical, autoritaire et bureaucratique, porteur en germe des mêmes risques de dérives d’arbitraire, d’absurdité et de chaos.

publié le 8 décembre 2022

À Bordeaux,
des militants
d’extrême droite
attaquent une conférence de LFI

Christophe Gueugneau sur https://www.mediapart.fr/

Une vingtaine de personnes cagoulées et armées de barres de fer ont tenté de pénétrer dans un amphithéâtre de l’université Bordeaux-Montaigne où se tenait une réunion publique avec les députés insoumis Carlos Martens Bilongo et Louis Boyard. La police est intervenue sans procéder à des interpellations. L’établissement, ainsi que les deux députés, vont porter plainte.

« Et« Et tout le monde déteste les gauchistes ! » entonné par une vingtaine de personnes cagoulées, munies de barres de fer ou de matraques télescopiques, une pancarte « Qu’ils retournent en Afrique », des invectives et des coups de pression. Mercredi 7 décembre au soir, sur le campus de l’université Bordeaux-Montaigne, à Pessac (Gironde), des militants d’extrême droite ont tenté de perturber la réunion publique organisée par les deux députés La France insoumise (LFI) Carlos Martens Bilongo et Louis Boyard.

La réunion publique, organisée dans le cadre d'une conférence intitulée « La LFI-NUPES débarque dans ta fac », afin d’échanger sur les conditions de la vie étudiante, qui rassemblait une centaine d’étudiant·es dans un amphithéâtre, avait commencé vers 18 h 30. Les militants d’extrême droite sont arrivés peu avant 20 heures.

Après quelques affrontements avec le service d’ordre, ils n’ont pas pu pénétrer dans le bâtiment. Appelées par l’université, les forces de l’ordre sont intervenues vers 20 heures pour disperser ces manifestants, sans procéder à des arrestations.

Vers 21 h 30, le même groupe a semble-t-il tenté, une fois encore sans succès, de perturber une représentation théâtrale qui se tenait également sur le campus. La police est à nouveau intervenue. Dans un communiqué diffusé jeudi, le président de l’université Bordeaux-Montaigne, Lionel Larré, parle d’une « vingtaine d’individus cagoulés, armés de barres de fer et proférant des slogans racistes ». Il affirme que l’université « condamne avec la plus grande fermeté ces violences et tentatives d’intimidation à l’encontre d’élus de la République, de l’université, de la liberté de débattre en toute sécurité, et de la culture »

Les deux députés, Carlos Martens Bilongo et Louis Boyard, ont également diffusé un communiqué dans lequel ils dénoncent une « expédition punitive » menée par des « militants d’extrême droite ». « Des membres du service d’ordre ont été blessés », ajoutent les deux élus. Ils demandent au ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, « une réaction à la hauteur de cette attaque »

Plainte

Ce dernier a réagi sur Twitter, en jugeant « inacceptable » cet événement mais sans faire référence à l’appartenance politique manifeste des fauteurs de troubles : « La liberté d’expression est une liberté fondamentale et ce qui s’est passé est inacceptable. J’invite les parlementaires à déposer plainte s’ils ne l’ont pas fait », a écrit Gérald Darmanin.

L’université a confirmé jeudi en fin d’après-midi à Mediapart qu’une plainte allait être déposée « dans la soirée ou demain matin » au nom du président, Lionel Larré. Les deux députés insoumis vont également porter plainte.

La section LFI de Gironde a déploré dans un communiqué que trois personnes aient été « légèrement blessées » parmi ses militants. Dans son texte, elle demande au gouvernement de « poursuivre et dissoudre ces groupuscules » d’extrême droite et ajoute : « Cette tentative d’intimidation et les menaces ouvertes de les réitérer à chacune de nos manifestations démocratiques sont inacceptables et doivent nous alerter tous. »

Dans un communiqué unitaire rapporté par Sud Ouest, plusieurs organisations politiques et syndicales dont Le Poing Levé, les Jeunes Insoumis·e·s, SOS Racisme, les Jeunes Écologistes, les Jeunes Socialistes, SUD PTT ou encore CGT Magna, ont également condamné cette action. Un appel à rassemblement est prévu vendredi 9 décembre à 12 h 30 sur le parvis de l’université Bordeaux-Montaigne pour « montrer à l’extrême droite qu’elle n’a pas sa place à la fac et ne sera jamais la bienvenue ».

Lundi dernier, deux militants locaux de LFI avaient déjà été pris à partie par des individus d’un groupuscule d’ultradroite à Lyon (Rhône) et avaient été frappés. L’un d’eux a eu un traumatisme crânien, l’arcade sourcilière ouverte, et présente de multiples ecchymoses. Des militants, dont une personne âgée, ont été agressés alors qu’ils tractaient dans le Vieux-Lyon. Une enquête a été ouverte et confiée à la direction départementale de la sécurité publique.

Le maire de Lyon, Grégory Doucet, a indiqué avoir saisi la justice, apportant son soutien aux victimes et appelant « de nouveau à dissoudre ces groupuscules et fermer les locaux ». Le groupuscule identitaire des Remparts est particulièrement visé. Lundi soir, la préfecture du Rhône avait décidé d’interdire la manifestation qu’ils avaient prévu d’organiser le 8 décembre en marge de la traditionnelle montée aux flambeaux. Dix députés de la majorité ont en outre écrit au ministre de l’intérieur pour demander la dissolution du groupe et la fermeture des lieux qu’il fréquente. Une demande déjà faite en octobre par le maire de Lyon.

 publié le 8 décembre 2022

Philippe Martinez :
« L’exécutif va à l’affrontement
sur les retraites »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Syndicat. Reçu jeudi par Élisabeth Borne, Philippe Martinez dénonce un calendrier de négociations « flou » et boycottera la rencontre prévue vendredi, au ministère du travail. Le secrétaire général de la CGT se félicite du cadre unitaire qui se profile pour mobiliser, dès janvier.

Vous avez dit négociations ? Nouveau quinquennat, nouvelles méthodes avait promis Emmanuel Macron. L’année 2022 n’est pas terminée que l’exécutif a déjà dégainé à huit reprises l’article 49-3 pour son projet de loi de finances 2023. Plus encore, alors que se tiennent des rencontres bilatérales entre le gouvernement et les partenaires sociaux, le chef de l’État aurait tranché au sujet de la réforme des retraites. Lors d’un dîner mercredi soir, accompagné de bouteilles de Châteauneuf-du-pape et d’huîtres, Emmanuel Macron choisi de défier le large front syndical qui s’est constitué, et fera adopter l’allongement du départ en retraite de 62 à 65 ans, quitte à utiliser un 49.3. Entretien avec Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, reçu jeudi à Matignon.

Elisabeth Borne vous a reçu ce matin à Matignon pour évoquer la réforme des retraites. Quelle nature a été la teneur de votre échange ?

Philippe Martinez : Nous ne comprenons pas la tenue de cette réunion, dans la mesure où les concertations avec le ministre du travail qui nous semble-t-il pilote la réforme des retraites ne sont pas terminées.

J’ai par ailleurs souligné que nous étions encore une fois invitées pour une réunion bilatérale. Il semble bien que l’exécutif refuse de tenir des rencontres multilatérales, avec l’ensemble des partenaires sociaux. Je le regrette.

La méthode gouvernementale reste floue et laisse une fois de plus l’impression que tout est décidé à l’avance. Enfin, la première ministre ne nous a fait aucune annonce, ni sur le contenu, ni sur la suite du processus de discussions, déclarant qu’elle attendait les propositions des syndicats.

Au-delà de la retraite à 60 ans, quelles sont celles de la CGT ?

Philippe Martinez : L’un des sujets majeurs est celui de l’emploi des seniors. Preuve à l’appui, les grands groupes se débarrassent des travailleurs dès 57 ans, dans le cadre le plus souvent de plans de départs volontaires, en échange de sommes d’argent. Ensuite, la CGT demande un cadre contraignant pour empêcher les entreprises de licencier du personnel avant l’âge légal de départ à la retraite. Ne nous trompons pas, maintenir ces travailleurs en activité est bon pour l’emploi, car il y aurait moins de chômeurs et bon pour les retraites, parce que source de cotisations. Nous avons aussi suggéré à la première ministre la mise en place de tuteurs, pour faire en sorte que les savoirs faires restent en dans les entreprises. Nos propositions sont multiples. Notamment en ce qui concerne la pénibilité, et le retour des quatre critères, dans l’optique d’une grande loi-cadre.

Le Parisien révèle la tenue d’un dîner mercredi soir autour du président de la République. Autour de bouteilles de Châteauneuf-du-pape et d’huîtres, Emmanuel Macron a confirmé aux piliers de la macronie son souhait de reculer l’âge légal de départ en retraite de 62 à 65 ans, avec un passage en force en option, à l’aide d’un 49-3. Comment recevez-vous la méthode ?

Philippe Martinez : L’initiative interroge, d’autant que nous sommes censés être en pleines négociations. Le président de la République et son gouvernement sont sur des positions dogmatiques. Avec comme seule boussole, faire travailler les gens plus longtemps. Est-ce un caprice de Jupiter ? C’est la presse qui nous informe du contenu de la réforme alors que nous discutons avec les ministres. Je crois ainsi savoir que cette réforme sera découpée en deux projets de loi, dont l’un rectificatif du budget de la sécurité sociale, afin de garder en réserve la possibilité d’un 49-3 plus tard dans la session parlementaire. L’avenir de millions de citoyens va se jouer dans de petites considérations politiciennes. C’est scandaleux. Elisabeth Borne dit que des annonces devraient être faites d’ici Noël. Il s’agit là d’un cadeau empoisonné !

Dans cette optique, l’ensemble des organisations syndicales, dont la CGT, l’UNSA, la CDFT et la CFE CGC, ont signé un communiqué commun, ce lundi. L’intersyndicale réaffirme son opposition au projet de réforme des retraites et sa détermination à construire des mobilisations passant par la grève et les manifestations. En quoi ce cadre unitaire est-il un atout ?

Philippe Martinez : La teneur de ce communiqué est une première depuis 12 ans. L’exécutif assume d’aller à l’affrontement au risque de déclencher une grève générale, et alors que les citoyens sont de plus en plus préoccupés par leur pouvoir d’achat. L’unité syndicale est appréciée des salariés. C’est un élément de confiance pour construire les mobilisations dans les entreprises et dans les services. Le gouvernement et le président de la République ne prennent pas la mesure de cet évènement. Mais, il est encore temps de faire machine arrière, surtout si Emmanuel Macron dit avoir changé et être ouvert à la discussion.

 publié le 7 décembre 2022

Montpellier :
l’ombre du commando d’extrême droite
plane toujours
sur la fac de droit

sur https://rapportsdeforce.fr

Ce vendredi 9 décembre s’ouvre le procès en appel de plusieurs membres du commando cagoulé qui avait violemment expulsé d’un amphithéâtre occupé des étudiants mobilisés contre la loi « Orientation et réussite des étudiants » en 2018. Parmi eux, Jean-Luc Coronel de Boissezon dont le possible retour comme enseignant à la fac de droit de Montpellier fait grincer plus d’une dent.

 Une vingtaine de personnes mobilisées pour distribuer des tracts devant une université un 11 novembre – jour férié sans cours – l’image pouvait sembler insolite. Mais le propos était grave : rappeler qu’en mars 2018, en pleine nuit, un commando cagoulé et armé, majoritairement composé de militants d’extrême droite, délogeait manu militari des étudiants contestataires avec la participation et la complicité d’une partie des autorités universitaires. Et alerter que dans trois mois, malgré un procès en appel le 9 décembre, le professeur d’histoire du droit Jean-Luc Coronel de Boissezon, condamnés à 14 mois de prison en 2021, dont six mois ferme sous bracelet électronique, pourrait revenir enseigner dans l’université où il a cogné sur des étudiants.

Mais pourquoi distribuer des tracs devant une université au moment d’un long week-end de trois jours ? Parce que, ce 11 novembre 2022 et les deux jours suivants, le Syndicat des avocats de France (SAF) tenait son congrès national dans la fac de droit de Montpellier. Et même, dans l’amphithéâtre duquel les étudiants de 2018 avaient été délogés et huit d’entre eux blessés. Une occasion pour le collectif du 22 mars, constitué par des étudiants au lendemain du tabassasse de 2018, de donner une résonance nationale au procès en appel du mois de décembre et au risque de retour à l’université de Jean-Luc Coronel de Boissezon en février prochain.

Remous universitaires

Une occasion à moitié manquée. Si les quelque 300 délégués venus de toute la France ont tous eu leur tract explicatif avant d’entrée dans l’amphithéâtre où se tenait les débats du congrès du SAF, il fallait tendre l’oreille et sacrément lire entre les lignes des discours officiels d’ouverture pour penser entendre la moindre allusion à l’affaire de 2018 et à ses suites de fin 2022 et début 2023. Et ce, malgré la présence du Maire de la ville, du bâtonnier et des officiels de l’université de droit de Montpellier.

Pour autant, la question du retour de Jean-Luc Coronel de Boissezon inquiète la communauté universitaire. Révoqué en février 2019 suite à un rapport de l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale, le professeur d’histoire du droit avait fait appel et obtenu gain de cause en mars 2022, auprès du Conseil national de l’éducation supérieure et de la recherche (CNESER). Sa sanction était ramenée à quatre ans avec « interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur ». Et elle prend fin en tout début d’année prochaine, ce qui contraindra l’université de droit de Montpellier à le réintégrer.

Pour tenter d’éviter cela, en juin 2022, le Conseil de la fac de droit et de science politique a adopté à 31 voix pour sur 34 une motion en faveur d’un pourvoi en cassation qui « souligne les risques de dysfonctionnement du service et de trouble à l’ordre public qui accompagneraient le retour sur site de Mr Coronel ». Et demande que « l’affection soit prononcée dans un autre établissement ». Pour autant, le pourvoi n’est pas suspensif de la décision du CNESER et une nouvelle décision ne devrait pas arriver avant la réintégration du prof cogneur.

Commando : l’extrême droite à l’assaut de l’université

Alors que le procès en appel d’une partie des membres commando (cinq ont fait appel au lendemain de leur condamnation) aura lieu ce vendredi, la fac fait face au cas d’un prof bien embarrassant. D’abord évidemment parce qu’il a frappé des étudiants dans l’enceinte de l’université et qu’il a été condamné pour cela. Mais aussi, parce que ses proximités avec l’extrême droite extraparlementaire n’ont fait que se raffermir ou s’officialiser depuis 2018. Recueilli dans un premier temps au sein de l’issep, l’école fondée par Marion Maréchal Le Pen pour former les cadres de demain de l’extrême droite française, Jean-Luc Coronel de Boissezon était encore programmé au « 8e forum de la dissidence » organisé début décembre par un média identitaire. Et ce, une semaine avant son procès en appel et deux mois avant sa possible réintégration.

À ses côtés dans cette grande messe de l’extrême droite : Renaud Camus, le chantre du « grand remplacement », condamné en 2014 pour provocation à la haine et dont les théories ont inspiré la tuerie de Christchurch qui a fait 51 morts en 2019. Mais aussi Thaïs d’Escufon, ex-porte-parole du mouvement Génération identitaire qui a été dissous en 2021, ou encore un fondateur de l’Alvarium à Angers, dont plusieurs membres ont été condamnés pour des fats de violence.

Des fréquentations qui éclairent mieux les fréquentations de Coronel de Boissezon de l’année 2018, lorsqu’il organisait avec sa compagne Patricia Margand le commando de la fac de droit. Parmi les membres du groupe condamnés ou inquiétés en plus du doyen de l’université : des membres de la Ligue du Midi, dont Martial Roudier, le fils du fondateur du groupuscule d’extrême droite, condamné en première instance à un an ferme, ainsi qu’un proche du Rassemblement national à Sète.

Pour ne pas voir l’extrême droite entrer de nouveau par la grande porte à la fac de droit de Montpellier, le collectif du 22 mars appelle à un rassemblement devant la cour d’appel à 8 h 30 pour que cette affaire ne passe pas inaperçue. Mais aussi dans l’espoir que le tribunal prononce; comme en première instance, une interdiction d’un an d’exercer pour Coronel de Boissezon.


 


 

Communiqué de l’UD CGT-34 : Le fascisme n’a pas de place ni à Montpellier,
ni dans nos rues,
ni dans nos facultés

La CGT Hérault appelle à participer au rassemblement du 9 décembre devant la Cour d’Appel de Montpellier à partir de 8h30. Nous exigeons avec le collectif d’associations et de syndicats qui s’est constitué après le 22 mars 2018, l’interdiction définitive d’exercer pour celui qui a organisé le commando qui s’est introduit dans les locaux de l’université pour tabasser des étudiants dont plusieurs ont été blessés.

Le souvenir de ces exactions est toujours présent dans nos mémoires d’autant que depuis, Montpellier a connu divers actes de violence ou d’intimidations à l’encontre de locaux et de militant-e-s associatifs ou syndicaux en particulier dans le mouvement étudiant.

Encore récemment la dégradation des locaux de Solidaires et de la CIMADE devraient ne prêter aucun doute quand au caractère raciste et fascisant de groupuscules qui ont développé leur activité dans la suite de l’agression violente de la fac de droit.

Nous apportons à ces associations à ses militant-e-s du progrès social et des droits de l’homme toute notre solidarité antifasciste.

Ces tensions et ces évènements répétés appellent à la vigilance des associations, forces politiques et syndicats. Mais nous exigeons aussi une réaction des autorités publiques et élus qui doivent agir pour que cette montée des violences d’extrême droite soient condamnée et cesse. Nous nous rappelons l’émoi causé et la condamnation politique du préfet et du rectorat à l’encontre de ces actes inadmissibles et ses auteurs.

Un allègement possible des peines et un retour à la fac de droit du principal protagoniste des évènements du 22 mars 2018 seraient une nouvelle violence envers le monde étudiant et universitaire.

Coronel de Boissezon ne cache pas ses soutiens et sympathies avec des figures et groupuscules violents et racistes. Il ne peut pas bénéficier de mesure de clémence.

Le fascisme n’a pas de place ni à Montpellier, ni dans nos rues, ni dans nos facultés.

Montpellier, le 29 novembre 2022

 publié le 7 décembre 2022

Grève chez Sanofi :
« Ponctionner les actionnaires
pour augmenter les salaires »

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Démarré le 14 novembre, le conflit social chez le géant français du médicament touche désormais une quinzaine de sites. Reportage à Montpellier, où les « petits salaires » de l’entreprise sont mobilisés pour une hausse des rémunérations.

Montpellier (Hérault).– Planté face au poste de garde, à l’entrée réservée aux livraisons, le piquet de grève tient depuis onze jours sur le site Sanofi de Montpellier, situé dans le quartier Alco, au nord-ouest de la ville. Un barnum orange est dressé au milieu des drapeaux de Sud-Solidaires et de la CGT. Des pancartes fustigeant l’empire « Sanofric » ont été accrochées aux grilles.

Rassemblé·es derrière une barrière, qu’il est interdit de franchir, une quinzaine de grévistes débriefent la dernière assemblée générale, achevée lundi 5 décembre, en début d’après-midi. « L’intersyndicale a explosé », commente, dans un rictus, Sandrine Caristan, chercheuse depuis plus de trente ans sur le site montpelliérain et déléguée syndicale Sud.

« La CFDT et la CGC ont tenu un discours défaitiste sur l’issue de la grève et ont quitté le mouvement », raconte-t-elle, s’empressant d’ajouter : « Mais d’autres intersyndicales tiennent bon ailleurs ! »

Le conflit social au sein du groupe pharmaceutique a débuté le 14 novembre, en marge des négociations annuelles obligatoires, qui démarrent en ce moment dans toutes les entreprises. Et avec elles, un regain de tension dans les mobilisations, qui n’ont pas cessé, à bas bruit, dans toute la France depuis plus d’un an.

Chez Sanofi, les débrayages ont essaimé. Seize sites sont actuellement touchés partout en France, selon la CGT qui parle d’un « mouvement historique », par sa durée et son ampleur.

Sollicité par Mediapart, Sanofi réfute et dit décompter « environ 4 % de grévistes au niveau national […] sur plus de vingt mille collaborateurs en France » et assure « qu’aucun site n’est bloqué », contrairement aux affirmations de la CGT (lire l’intégralité des réponses de Sanofi dans les annexes, en bas de l’article).

À propos des revendications, portant sur les salaires, le groupe dit regretter que les syndicats aient « choisi de rejeter chacune des propositions faites ». Après quatre séances de négociations infructueuses, la direction a donc tranché : elle appliquera sa proposition, soit une revalorisation du salaire de base de 4,5 % et le versement d’une prime dite « de partage de la valeur » de 2 000 euros, versée dès ce mois de décembre 2022.

En grève pour la première fois, à 56 ans

Insuffisant pour les grévistes, qui réclament 5 % de hausse rétroactive pour 2022 et 10 % pour 2023. « On ne va pas se contenter des miettes, ce n’est pas à la hauteur », s’agace Sandrine Caristan. Branchée sur deux boucles de la messagerie instantanée WhatsApp, elle suit en temps réel l’évolution du conflit sur les différents sites.

La CGT envoie des mises à jour quotidiennes sur l’état de la mobilisation. Les mentions « grèves », « grèves reconductibles », « blocages », « blocages futurs » viennent légender une carte de France rebaptisée « Play to win social [“jouer pour gagner” – ndlr] », référence ironique au plan stratégique du même nom, lancé par Sanofi en 2019.

Lisieux, Ambarès, Tours, Maisons-Alfort, Neuville-sur-Saône, Ploërmel… La liste des sites « en mouvement » n’a eu cesse de s’allonger en trois semaines. Montpellier a rejoint la lutte le 24 novembre. Ici, 833 personnes sont employées en CDI. « On compte une quarantaine de grévistes permanents, souligne Sandrine Caristan. Le mouvement n’est pas massif car ce n’est pas un site industriel mais plutôt de développement, avec une majorité de cadres, alors que les grévistes sont essentiellement lespetits salaires”. »

« Ici, il y a 600 cadres et 200 gueux ! », lance à la volée Franck, 56 ans. C’est la première fois de sa vie qu’il fait grève. « Et j’ai commencé à bosser à 13 ans ! », complète-t-il, doigt levé et sourire en coin. Ex-soudeur sur des plateformes pétrolières de Total, Franck a rejoint Sanofi il y a douze ans après un cancer qui l’a contraint à changer de métier.

Technicien de conditionnement, il travaille dans le bâtiment dit « PIC », qui signifie « produit pour investigation clinique ». Les futurs médicaments y sont conditionnés puis acheminés pour des essais cliniques. « Les gélules, comprimés ou seringues nous arrivent et nous assurons le packaging. Puis on étiquette, on met la notice et le protocole du médicament », détaille le quinquagénaire.

Si Sanofi accordait 10 % de hausse à tous ses salariés français, cela représenterait à peine 4 % du montant total accordé aux actionnaires.

« J’ai toujours été très content de travailler ici car moi-même j’ai eu besoin de ces protocoles. Mais là, je suis révolté. Il y a beaucoup trop de mépris. La direction nous appelle, face à nous et sans aucune honte, les “colleurs d’étiquettes”. Voilà ce que nous sommes. »

C’est au « PIC » que les salaires sont les plus bas. Et c’est le « PIC » qui compte le plus de grévistes. « Les nouveaux embauchés gagnent 2 000 euros net par mois. Ce ne sont pas des nantis, contrairement à ce que Sanofi veut faire croire », s’agace Franck, qui perçoit 2 400 euros après douze ans d’ancienneté. Selon lui, « seuls les actionnaires comptent » pour Sanofi.

« On n’a même pas droit à 5 % de hausse, alors que les dividendes reversés aux actionnaires vont augmenter de 16 %, cela représente 4 milliards d’euros !, abonde Sandrine Caristan. On a fait le calcul. Si Sanofi accordait 10 % de hausse à tous ses salariés français, cela représenterait à peine 4 % du montant total accordé aux actionnaires. On ne peut pas leur en ponctionner un petit peu ? »

La direction monte le ton

Auprès de Mediapart, Sanofi avance que plus de 9 milliards d’euros sont dédiés à la rémunération des collaborateurs et collaboratrices dans le monde, dont 3 milliards en France. Concernant les dividendes, il confirme que 4 milliards d’euros sont versés aux actionnaires « au niveau mondial [et] dont font partie 90 % des salariés de Sanofi en France, qui donc bénéficient également de ces dividendes ».

L’entreprise s’enorgueillit en effet d’offrir un plan d’actionnariat à ses salariés partout dans le monde. « Mais tous les salariés n’ont pas les moyens d’acheter des actions », rétorque Sandrine Caristan.

Concernant les rémunérations, le laboratoire pharmaceutique dit « proposer depuis de nombreuses années des conditions salariales parmi les plus attractives, toutes entreprises confondues en France », et précise : « Nous n’avons aucun salarié en France dont le salaire de base annuel soit équivalent au Smic. »

Des sapins de Noël ont été installés sur certains piquets de grève.

« Sanofi, ils veulent toujours passer pour les plus forts et les meilleurs », raillent des grévistes montpelliérains, rappelant que leur site est passé de 1 335 salarié·es en 2009 à 833 en 2022. « À la base, nous étions un site recherche et développement, précise Sandrine Caristan. Mais en 2012, la recherche a été arrêtée, nous avons subi un gros plan de restructuration. »

« Depuis 2008, le groupe a lancé plan d’économie sur plan d’économie !, tempête Jean-Louis Peyren, salarié du site Sanofi de Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence) et délégué syndical central CGT. Il en est persuadé, le mouvement est parti pour durer. « Non seulement on va tenir bon, mais en plus, ça va se durcir, annonce-t-il. Des sapins de Noël ont été installés sur certains piquets de grève. Le message est clair, pour la direction : les grévistes n’ont pas l’intention de rentrer ! »

La direction a justement haussé le ton, dans la soirée du 5 décembre. Le directeur général de Sanofi, Paul Hudson, a adressé un mail à l’ensemble des collaboratrices et collaborateurs, rappelant que « la période des négociations [salariales] est close » et que « des mesures fortes » ont été prises pour les salarié·es.

« Le droit de grève consiste à cesser collectivement le travail, et non à volontairement interférer ou bloquer la livraison de médicaments et de vaccins essentiels pour les patients », ajoute-t-il, jugeant ces blocages « irresponsables et illicites », et promettant qu’« ils ne seront pas tolérés ».

« D’habitude, la direction nous parle de “clients” mais quand on fait grève, ils deviennent des “patients” ! », ironise le cégétiste Jean-Louis Peyren.  « C’est pour nous faire culpabiliser, on nous accuse de mettre en danger des gens en empêchant les livraisons ! », s’emporte la déléguée Sud de Montpellier, Sandrine Caristan. « Ici, on ne bloque rien ! On est devant l’entrée des livraisons, mais il y a quatre entrées, au total, sur le site, dont deux accessibles aux camions. Il ne faut pas exagérer ! », lance-t-elle, accoudée à la barrière du poste de garde.

Posé à ses pieds, un pion géant d’un jeu d’échecs, représentant un cavalier, fait office de symbole de la lutte pour les grévistes. L’empoignant par la tête, une salariée le pose sur une table haute et le contemple. « Je pense que ça veut tout dire », sourit-elle. Pour les grévistes, la partie n’est pas terminée.

publié le 6 décembre 2022

Lopmi : « On observe un déploiement de moyens différent de celui réservé à la criminalité organisée »

Par Héléna Berkaoui sur www.bondyblog.fr

La loi de programmation et d’orientation pour le ministère de l’Intérieur (Lopmi) est en cours d'adoption. Plusieurs dispositions du texte, telles que les amendes délictuelles forfaitaires, sont décriées par les professionnels. Évelyne Sire-Marin de la Ligue des droits de l’homme fait le point sur les dangers de ce texte.

Le gouvernement n’en finit plus de muscler sa jambe droite. Portée par Gérald Darmanin, la loi de programmation et d’orientation pour le ministère de l’Intérieur (Lopmi) est en phase d’être adoptée.

Ce texte comporte plusieurs points polémiques. Il prévoit le doublement des places en centre de rétention administrative (CRA) et le durcissement des sanctions pour refus d’obtempérer ou rodéos urbains. Les amendes délictuelles forfaitaires, dont nous documentions les limites et les dérives, seront étendues à 29 nouvelles infractions.

La réforme de la police judiciaire reste, elle aussi, très critiquée par les professionnels. Cette police qui traque la délinquance en col blanc craint de voir ses moyens d’investigation restreints. Évelyne Sire-Marin, magistrate honoraire et membre de la Ligue des droits de l’homme fait le point sur les dangers de ce texte.

Députés et sénateurs ont trouvé un accord sur les contours de la Lopmi, jeudi 1er décembre. Un des points de cette loi concerne les amendes forfaitaires délictuelles. De quoi s’agit-il ?

Évelyne Sire-Marin : Il s’agit de déléguer les pouvoirs du juge à des policiers. Quand un délit est soupçonné, à la place du juge, c’est le policier qui décide de la culpabilité et de la sanction avec l’amende forfaitaire délictuelle. Ce sera donc le cas pour les 29 nouvelles infractions qui donneront lieu à des amendes délictuelles forfaitaires.

Ces amendes existent déjà en matière d’usage des stupéfiants et on sait qu’elles représentent des sommes importantes, elles peuvent aller de 200 euros à 500 euros. Si vous avez les moyens de payer tout de suite, elles sont moins chères. Les amendes peuvent s’accumuler et peser sur le budget des familles. Ces dettes risquent également d’avoir un effet pervers et de pousser ceux qui les contractent à aller chercher de l’argent facile pour les éponger.

Il faut avoir à l’esprit que ce sont les pauvres qui sont visés par ces amendes. Pour caricaturer, les habitants du XVIe ne se retrouveraient pas en difficulté pour les payer, pas de la même manière que quelqu’un de plus précaires.

Aussi, parmi les 29 nouvelles infractions, il y a l’entrave à la circulation. Nous craignons que cette mesure soit utilisée pour sanctionner les manifestants.

Vous nous dites que les amendes forfaitaires vont toucher les plus précaires. Dans ce texte, il y a aussi la réforme de la police judiciaire qui traite d’actes de délinquance commis par un public souvent bien plus aisé. Symboliquement, ça interroge ?

Évelyne Sire-Marin : On observe en effet un déploiement de moyens qui n’est pas le même que celui réservé à la criminalité organisée.

La police judiciaire, c’est à peine 3% des effectifs de la police nationale. Leur mission est de lutter contre les délits les plus graves, comme la délinquance économique et financière.

Nous craignons que la police judiciaire soient empêchés d’enquêter par manque de moyens

La levée de bouclier des agents de la police judiciaire est justifiée. Cette loi risque de la désorganiser. L’organisation de la PJ se fera désormais au niveau départemental et ces policiers craignent d’être mobilisés sur d’autres dossiers, comme de petits dossiers délinquances.

Les parlementaires ont inscrit le fait que cette réforme ne doit pas avoir de conséquences sur le libre choix du service enquêteur par le magistrat. Mais ce que l’on craint, c’est qu’une fois le service enquêteur désigné ils soient empêchés d’enquêter par manque de moyens.

Cette loi durcit également les sanctions en cas de refus d’obtempérer ?

Évelyne Sire-Marin : Il y a moins d’un an, la sanction a déjà été doublée et a été portée à 2 ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amendes. Pourtant, les refus d’obtempérer augmentent, ça ne fonctionne pas.

Dans la majorité des cas, les refus d’obtempérer se font par des automobilistes qui roulent sans assurance. En France, environ 800 000 personnes conduisent sans assurance, souvent à cause de difficultés financières.

Il faudrait se pencher sur les causes des refus d’obtempérer, parce qu’il y a des causes économiques. Il est d’ailleurs dommage que les parlementaires ne travaillent pas sur cette question. Pourquoi ne pas envisager un fonds d’aides pour que les automobilistes les plus précaires puissent être assurés ?

publié le 6 décembre 2022

Dans les sucreries de Cristal Union,
les accidents mortels
à répétition
suscitent peu de réaction

par Nolwenn Weiler sur https://basta.media

Sept morts au travail depuis 2010 impliquent le groupe sucrier Cristal Union. Pourtant, la prévention des risques semble toujours insuffisante. Collègues et familles dénoncent des sanctions pénales peu dissuasives.

Le 19 octobre dernier, un grave accident du travail a eu lieu à la sucrerie d’Erstein, en Alsace, qui appartient au groupe Cristal Union (notamment propriétaire de la marque de sucre Daddy). « Un mécanicien de 45 ans a été retrouvé inanimé par l’un de ses collègues », explique France bleu Alsace. Il se serait retrouvé coincé dans des « bandes transporteuses » – des tapis roulants – près d’un four à chaux. Transporté à l’hôpital, il est mort de ses blessures quelques jours plus tard.

« Depuis un certain nombre d’années, Cristal Union peut se targuer d’un terrible palmarès », déplore Éric Louis, « ouvrier en lutte » et membre de l’association Cordistes en colère. Depuis 2010, six travailleurs ont trouvé la mort dans les usines de ce groupe, dont trois cordistes, des accidents du travail mortels sur lesquels Basta! a longuement enquêté. « Avec le mécanicien de la sucrerie d’Erstein on arrive à sept morts », se désole Éric Louis. Cela commence à faire beaucoup pour un groupe qui se targue d’agir « au quotidien pour faire évoluer [ses] pratiques » et d’être « une entreprise engagée soucieuse de l’environnement » [1]

Des manquements à la législation du travail

« Les intérimaires ne connaissent pas les lieux, ni les machines, ni les procédures. On leur confie des tâches qu’on ne devrait pas leur confier »

Les personnes qui sont mortes dans ces usines n’étaient pas toutes salariées du groupe Cristal Union. Plusieurs étaient sous-traitantes ou intérimaires, catégorie surreprésentée parmi les 733 salariés qui meurent au travail chaque année en France (hors accidents de trajets ou maladies professionnelles [2]), de même que les jeunes travailleurs. « Les ouvriers qui ont moins d’un an d’ancienneté sont surexposés aux accidents du travail, observe Mathieu Lépine, professeur d’histoire et animateur du compte Twitter« Silence des ouvriers meurent » qui recense les accidents du travail mortels, souvent traités comme des faits divers. Ils ne connaissent pas les lieux, ni les machines, ni les procédures. Trop souvent, on leur confie des tâches qu’on ne devrait pas leur confier. » C’était le cas d’Arthur Bertelli et de Vincent Dequin, cordistes de 23 et 33 ans, qui meurent en 2012 ensevelis au fond d’un silo de sucre appartenant à la distillerie Cristanol, filiale de Cristal Union, à Bazancourt, dans la Marne. Ils étaient arrivés le matin même sur le site pour descendre, suspendus à une corde, dans le silo pour une intervention.

Les enquêtes menées dans la foulée de l’accident par l’inspection du travail révèlent « divers manquements à la législation du travail » avec « un plan de prévention gravement lacunaire » et une omission du risque d’ensevelissement. Cristal Union conteste alors ces divers manquements, et nie toute responsabilité pénale. Le sous-traitant employeur des deux cordistes, Carrard Services, adopte la même stratégie de défense. En janvier 2019, tout au long de l’audience de première instance, « les avocats des prévenus ne cessent de se renvoyer la balle, sans reconnaître la moindre responsabilité », relève le journaliste Franck Dépretz, qui suit le procès pour Basta. « Ils semblent néanmoins s’accorder sur un point : "Les imprudences des deux victimes", notamment le fait qu’Arthur et Vincent avaient détendu leur corde. » Pourtant, les investigations des gendarmes écartent toute responsabilité des victimes dans l’accident ainsi que l’hypothèse d’une défaillance du matériel.

Des risques connus, mais ignorés

Cinq ans après la mort de Arthur Bertelli et Vincent Dequin, le 21 juin 2017, le même scénario semble se répéter. Quentin Zaraoui-Bruat, cordiste de 21 ans, meurt enseveli en pleine opération de nettoyage d’un silo, sur le même site industriel. Le rapport de l’inspection du travail évoque « l’absence d’information et de formation des travailleurs cordistes aux risques liés au travail à l’intérieur d’un silo contenant de la matière » et insiste sur « l’attention toute particulière » qui doit normalement être portée à la formation des intérimaires et sous-traitants étant donné que leur statut implique « une méconnaissance intrinsèque de l’entreprise dans laquelle ils sont amenés à travailler ».

« Tous les facteurs qui ont conduit à l’accident de Quentin Zaraoui-Bruat sont absents des documents établis par les entreprises sous-traitantes »

Tous les cordistes alors interrogés expliquent qu’ils pensaient pouvoir prendre appui sur la matière contenue dans le silo – de la drêche, résidu de céréales s’agglomérant le long des parois et qui forme d’énormes blocs. Et que cela n’était pas dangereux puisque la matière était « colmatée ». « Rien dans l’évaluation des risques ne vient définir la notion de colmatage », regrette l’inspectrice du travail, dans un rapport accablant. Nul ne pouvait deviner qu’il y avait un risque de la voir s’enfoncer sous le poids d’un homme. Quentin, pas plus que les autres, lui qui est défini comme « un ouvrier sérieux, travailleur et courageux », pas connu pour le non-respect des consignes de sécurité. « Seule la méconnaissance ou l’inconscience du risque peut expliquer le fait qu’il se soit décroché », insiste l’inspectrice du travail. 

Quentin ne pouvait pas non plus savoir que, comme en 2012, les trappes de soutirage du silo où il intervenait ne seraient pas consignées. Ouvertes par erreur, en 2017 comme en 2012, elles sont à l’origine de l’écoulement de matières qui entraînent l’ensevelissement des trois hommes. « Tous les facteurs qui ont conduit à l’accident de M. Z. [Quentin Zaraoui-Bruat, ndlr] sont absents des documents établis par les entreprises ETH [le sous-traitant, ndlr] et Cristanol dans le cadre de l’intervention des cordistes alors qu’ils sont connus des deux entreprises et que l’expérience passée avait déjà démontré leur impact sur la santé et la sécurité des travailleurs », déplore l’inspectrice du travail. Qui ajoute que « Cristanol et ETH ont violé de façon manifestement délibérée plusieurs obligations de sécurité ou de prudence ».

Se pencher sur les accidents pour améliorer la sécurité

« On dirait qu’aucune leçon n’est tirée quand il y a un accident », proteste Éric Louis. « Quand une personne meurt au travail, cela devrait servir d’alerte, estime Mathieu Lépine. Parfois, cela change dans les semaines qui suivent, mais cela ne dure généralement pas longtemps. Pour Cristal Union, on aurait pu imaginer que d’importants changements seraient entrepris. » Interrogé par Basta! sur la manière dont il organise la prévention des accidents, le groupe a répondu, par un court message, que la sécurité était « un enjeu de tous les instants », et que ses procédures en matière de gestion des risques étaient « régulièrement auditées », et « comparées aux standards appliqués dans des entreprises similaires ».« Nous sommes d’ailleurs adhérents à l’association MASE [pour Manuel d’amélioration sécurité des entreprises, ndlr], référente sur les sujets de sécurité, de santé au travail et d’environnement dans les entreprises. »

Les travailleurs regrettent l'absence d'échanges et d'analyses collectives autour des accidents graves et mortels qui endeuillent les sites de Cristal Union.

La vidéo d’information visionnée par les intervenants extérieurs amenés à travailler sur les sites de Cristal Union mentionne que, sans plan de prévention, il ne peut y avoir d’intervention. « Nos exigences sont renforcées pour toute intervention de cordiste dans nos silos », ajoute ce document. De quelle manière ? Cristal Union n’a pas répondu à nos demandes de précisions sur le sujet. « Sur le papier, c’est toujours beau, dénoncent des ouvriers de Cristal Union. Mais cela ne nous empêche pas de faire parfois n’importe quoi. »

Les travailleurs regrettent l’absence d’échanges et d’analyses collectives autour des accidents graves et mortels qui endeuillent les sites de Cristal Union. Il y a pourtant là des pistes certaines d’amélioration. « Des enquêtes démontrent l’intérêt de l’analyse des accidents, mais aussi des incidents ou des presque accidents pour revoir les organisations et augmenter la sécurité », explique Véronique Daubas-Letourneux, sociologue, auteure de Accidents du travail. Des morts et des blessés invisibles. Il est vraiment important de donner la parole aux femmes et aux hommes qui travaillent. Ce sont eux qui peuvent dire ce qui s’est passé, ce qui aurait pu se passer, ce qu’il faudrait changer. Le regard collectif peut vraiment aider à éviter de nouveaux accidents. »

Repère : Chronologie des accidents mortels chez Cristal Union depuis 2010

« Le secteur agroalimentaire est particulièrement dangereux, reprend Véronique Daubas-Letourneux. Le travail y est très pénible et c’est un secteur très peu structuré au niveau syndical. » Témoin d’un accident mortel dans une des usines de Cristal Union, un salarié évoque la solitude des rares militants syndicaux qui essaient d’organiser un semblant de riposte. « Dès que cela devient un peu officiel, les gens ne veulent plus parler. Quand on en parle entre nous, ils ont vu des choses, du matériel mal consigné par exemple. Mais après, quand on les interroge pour une enquête, il n’y a plus personne. Même à la gendarmerie. » « Chez Cristal Union, la politique sociale est tellement violente que les syndicalistes sont muselés, grince Éric Louis. Suite à la mort de Quentin en 2017, j’ai sollicité à maintes reprises le délégué syndical. Je n’ai jamais eu de contact avec lui. Il ne s’est rien passé. »

Des peines trop faibles au pénal ?

« Un mort, cela coûte 50 000 euros à Cristal Union, qui fait un bénéfice de 50 millions d'euros. La réponse pénale n’est clairement pas à la hauteur »

Mais si les choses ne bougent que trop doucement à la suite d’un accident du travail, c’est parce que rien ne les incite vraiment à le faire, pensent ceux et celles qui luttent pour que ces accidents cessent, enfin. Chez Cristal Union ou ailleurs. « Un mort, cela coûte 50 000 euros à Cristal Union, précise Éric Louis, sachant qu’ils ont un bénéfice qui s’élève à 50 millions d’euros  [3]. La réponse pénale n’est clairement pas à la hauteur. » « Les sanctions judiciaires sont réellement ridicules, renchérit Mathieu Lépine. Les familles qui vont en justice sont choquées de voir à quel point la vie de leurs enfants ne compte pas. Il faudrait évidemment des sanctions plus lourdes. Au civil et au pénal. »

Faiblement condamnés, les grands groupes comme Cristal Union arrivent en plus à passer entre les mailles du filet pénal via la sous-traitance. Pour l’accident de Quentin Zaraoui-Bruat, Cristal Union a pu échapper aux poursuites pénales, car seules l’entreprise sous-traitante (Entreprise de travaux en hauteur, ETH) et l’entreprise intérimaire (Cordial-Proman) ont été poursuivies, et condamnées pour « homicide involontaire » et « emploi de travailleurs sans organisation et dispense d’une information et formation pratique et appropriée en matière de santé et sécurité ». Cependant, la responsabilité de Cristal Union a été indirectement reconnue au civil.

Le tribunal des affaires sociales des Côtes-d’Armor a en effet condamné Cordial-Proman et ETH à rembourser à la CPAM les 30 000 euros versés à la famille du cordiste. Mais ce jugement était opposable à la société Cristal Union : « Cela signifie que si ETH n’a pas les moyens de payer, elle peut se retourner vers un tiers responsable de l’accident, c’est-à-dire Cristal Union », expliquait Éric Louis à Basta au moment de l’audience, en février 2021. « L’autre point problématique quand il y a un accident du travail mortel, c’est que pour les familles, les procédures sont très longues, avance Mathieu Lépine. Le système judiciaire est lent, on le sait, mais pour les accidents du travail, c’est encore pire. C’est vraiment honteux. »

Quand les employeurs décident de faire appel, le temps de la justice s’allonge encore. Condamné en janvier 2019 pour homicide involontaire à verser une amende de 100 000 euros pour la mort de Arthur Bertelli et Vincent Dequin, Cristal Union décide de faire appel. Le second procès, en novembre 2021, confirmera la condamnation. Près de 10 ans après la mort de deux cordistes. Dans ces conditions, la peine complémentaire de « surveillance judiciaire » de deux ans, qui peut être l’occasion de s’assurer que les conditions de travail s’améliorent, perd tout son sens.

La faiblesse de ces condamnations choque d’autant plus les ouvriers que « à tous ces accidents mortels, s’ajoutent des accidents très graves », tient à préciser Éric Louis. Pas toujours déclarés, ces accidents graves passent plus facilement sous les radars que les accidents mortels, n’étant pas nécessairement répertoriés par la presse locale. « Même s’il n’y a qu’un entrefilet, cela permet d’être au courant », évoque Éric Louis, qui cite plusieurs exemples d’accidents graves ayant eu lieu au sein de Cristal Union : « En 2015, Jérémy Devaux a été grièvement brûlé sur une grande partie du corps. En 2021, Thierry et Frédéric ont eux aussi été grièvement brûlés par un jet de vapeur sous pression. Un mois avant, un ouvrier avait déjà subi le même type d’accident dans l’usine de Bazancourt. »

Notes

[1] Voir notamment son site internet : https://www.cristal-union.fr/mission-et-valeurs/

[2] Chiffres 2019 de la Sécurité sociale. Données les plus récentes pour une année pleine sans confinement.

[3] Chiffres donnés lors de l’audience en appel pour la mort de Arthur Bertelli et Vincent Dequin, novembre 2021.


 


 


 

Arnaud Laporte,
profession cordiste

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

L’ouvrier marseillais exerce depuis près de quinze ans un métier méconnu et pénible, dont il raconte les périls, liés à l’altitude et à une sécurité peu prise en considération.

C’était un après-midi de février 2022, sur un chantier de Marseille. Le vent soufflait par fortes rafales. Trop puissantes, estime alors Arnaud Laporte, pour que lui et ses collègues cordistes continuent le travail, qui consiste ce jour-là à poser des tôles sur le toit d’un bâtiment pour combler les dégâts causés par les bourrasques. Considérant que les conditions météorologiques sont trop dangereuses, le chef d’équipe décide d’exercer son droit de retrait. Mais le conducteur des travaux ne l’entend pas de cette oreille : il débarque à moto sur le chantier, refuse la demande formulée par l’ouvrier, l’insulte, le menace et lui flanque un coup de poing au visage, selon la plainte déposée par Arnaud Laporte à la gendarmerie de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, le 24 février. L’homme de 34 ans s’en sort avec un œil au beurre noir, deux jours d’ITT et un moral en piteux état.

En hauteur, au bord du vide

À la suite de ces événements, Arnaud Laporte quitte son entreprise, lui reprochant un « management par la terreur », et se fait embaucher dans une autre, basée à Cavaillon, dans le Vaucluse. La corde, ce métier fait d’activités en hauteur, souvent au bord du vide et dans des lieux peu accessibles, oui ; c’est sa passion, il a commencé l’escalade à 6 ans et a toujours eu « un attrait pour la grimpe ». Mais pas dans de telles conditions. Depuis qu’il est entré dans la profession en 2008, Arnaud Laporte n’a cessé de balancer entre des périodes d’intérim et des contrats en CDI. Il a désormais tranché pour la deuxième option, une rareté dans un secteur qui compte environ 70 % d’intérimaires. « Quand tu l’es, tu es précaire et obligé de te taire s’il y a des problèmes de sécurité, commente-t-il. J’ai déjà entendu un conducteur de travaux répondre à un ouvrier qui manquait de matériel que c’était comme ça, qu’il devait accepter ou rentrer chez lui.  »

Le retour en CDI, entériné il y a deux ans, lui a aussi permis de retrouver une forme de stabilité. Auparavant, son sort était celui de l’essentiel des cordistes du pays : trois mois de travail ici, trois autres à l’autre bout de l’Hexagone, des centaines d’heures sur les routes et des nuits passées dans l’insalubrité d’un camion aménagé. Dorénavant, il habite dans une petite commune du Var, avec sa compagne et ses jumeaux en bas âge. Certes, il est toujours sur la route, un jour à Valence et le lendemain à Martigues, mais il reste dans le coin et peut rentrer chez lui, le soir venu, à bord du véhicule fourni par son employeur. « Pour la vie de famille, ça change tout. C’est beaucoup plus facile maintenant », sourit le trentenaire, attablé dans un café de Marseille, sa ville de cœur, celle où il est né et où il a grandi.

Trop d’accidents mortels

Chez les cordistes, il y a ceux qui exercent dans le bâtiment, ceux qui font de l’événementiel, ou encore ceux des travaux publics, à flanc de montagne. Le truc d’Arnaud Laporte, c’est plutôt la maintenance industrielle. « Ça peut être du tirage de câbles électriques, des mesures d’épaisseur de tôles dans des cuves de gaz, du nettoyage de silos, de la peinture… En fait, c’est tout ce qu’on peut imaginer par terre, mais nous, on le fait dans les airs », explique-t-il avec ce léger accent du Sud qui pointe de temps à autre. Un métier pénible, qui fatigue le corps (conscient qu’il ne pourra pas « faire ça jusqu’à 60 ans », l’ouvrier envisage d’ailleurs à moyen terme de passer un CAP pâtisserie) et l’expose à des substances toxiques. Le tout pour un salaire brut mensuel de 2 200 euros par mois, auquel s’ajoutent diverses primes. « Et encore, souffle-t-il, il y a des cordistes qui commencent au Smic. »

Pourtant, en plus d’être éprouvante physiquement, la profession de cordiste est aussi une activité dangereuse, autorisée seulement de manière dérogatoire par le Code du travail. « Je ne raconte pas tout ce que je fais à ma mère. Sinon, elle se ferait un sang d’encre », confie-t-il. Depuis 2006, au moins trente cordistes sont morts dans des accidents du travail (un chiffre considérable compte tenu du faible nombre de cordistes en France, estimé entre 10 000 et 15 000), selon le décompte de l’association Cordistes en colère, cordistes solidaires, qui dénonce un problème structurel lié à l’organisation du travail et au recours massif à la sous-traitance suscitant une course à la rentabilité, au détriment de la sécurité et de la prévention. Cette association, l’adhérent CGT, passé par la LCR et le NPA, voudrait bien la rejoindre un jour. « Toutes ces morts, elles auraient pu être évitées si on avait davantage pris notre sécurité en considération, soupire-t-il. Mais les choses ne changeront pas tant qu’il n’y aura pas une forte mobilisation de notre part. Il n’y a que par ce biais qu’on pourra se défendre. »

publié le 5 décembre 2022

Israël/Palestine : La France doit dénoncer l’expulsion de Salah Hamouri par Israël

Communiqué commun dont la Ligue des Droits de l’Homme est signataire sur www.ldh-france.org

Plusieurs ONG appellent Emmanuel Macron, le Président de la République français, à agir immédiatement contre l’expulsion de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri. Les autorités israéliennes ont décidé d’expulser M. Hamouri de sa ville natale, Jérusalem, en violation du droit international. Salah Hamouri vit dans Jérusalem Est occupée et a donc droit aux protections du droit international humanitaire, y compris l’interdiction fondamentale d’expulsion du territoire occupé.

Le 29 novembre, la Cour Suprême d’Israël a rejeté l’appel de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri contre la révocation de son droit de résidence à Jérusalem. Le même jour, les autorités israéliennes ont informé M. Hamouri qu’il sera expulsé vers la France dimanche 4 décembre.

Hamouri, détenu depuis des mois sous le régime de la détention administrative sans procès ni inculpation est né à Jérusalem et y vit depuis toujours. L’Acat-France, Amnesty International France, la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, Human Rights Watch et l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (FIDH-OMCT) demandent à Emmanuel Macron d’appeler immédiatement les autorités israéliennes à libérer Salah Hamouri et affirmer son droit de résider à Jérusalem.

Le 5 octobre 2022, le ministère français des Affaires étrangères a encore indiqué que Salah Hamouri devait pouvoir être libéré et vivre libre à Jérusalem avec ses proches. Mais, à ce stade, seul un acte ferme d’Emmanuel Macron pourra changer la donne et permettre à M. Hamouri, sa femme, ses deux enfants et leur famille d’exercer leur droit de vivre dans sa ville natale de Jérusalem.

Le ministère israélien de l’Intérieur a notifié le 3 septembre 2020 à Salah Hamouri son intention de révoquer son statut de résident permanent en raison d’un « défaut d’allégeance » envers l’État d’Israël, confirmée le 29 juin 2021 par l’adoption de recommandations pour révoquer sa résidence permanente. L’audience pour contester cette révocation était prévue le 6 février 2023.

La révocation du droit de résidence de Salah Hamouri pour « défaut d’allégeance » est un dangereux précédent pour les défenseurs des droits des Palestiniens de Jérusalem, qui pourraient être systématiquement ciblés sur cette base. Au regard du droit international humanitaire, les populations occupées n’ont aucun devoir d’allégeance envers la puissance occupante.

Selon la loi israélienne, les résidents palestiniens de Jérusalem-Est ne sont ni des résidents de Cisjordanie, ni des citoyens israéliens, bien qu’ils puissent demander la citoyenneté. En revanche, ils ont un statut de résident permanent qui leur permet de résider dans la ville, d’y travailler et de bénéficier des avantages sociaux. Ce statut n’est pas permanent en réalité et peut être révoqué par les autorités israéliennes. Israël a promulgué une législation et plusieurs mesures qui permettent aux autorités israéliennes de priver les Palestiniens de leur droit et de leur capacité à vivre dans la ville, s’ils ne prêtent pas serment d’allégeance à l’Etat d’Israël. C’est sur cette base que les autorités israéliennes cherchent à expulser Salah Hamouri.

Le fait que les autorités israéliennes déplacent de force un Palestinien de Jérusalem-Est, en dehors du territoire occupé, constitue une déportation. Les Palestiniens de Jérusalem-Est sont protégés, en raison de l’occupation israélienne, par la Quatrième Convention de Genève. La convention prohibe de manière générale de telles déportations de personnes protégées. Les déportations de personnes protégées d’un territoire occupé peuvent constituer des crimes de guerre.

M. Hamouri est détenu depuis le 7 mars 2022 par les autorités israéliennes sous le régime de la détention administrative, sans charge ni jugement. À plusieurs reprises, des tribunaux militaires ont confirmé le renouvellement de sa détention, sans qu’aucune explication de fond ne soit fournie. Son droit à la liberté et à la sécurité de la personne, que garantit notamment l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a été violé. Ses avocats n’ont jamais eu accès à son dossier, qui reste secret.

Signataires : Acat-France, Amnesty International France, Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, Human Rights Watch, FIDH (Fédération Internationale pour les droits humains) dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, Organisation mondiale contre la torture (OMCT) dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, LDH (Ligue des droits de l’Homme)

Paris-Genève, le 2 décembre 2022

 

 

 

 

Israël veut expulser Salah Hamouri : un véritable camouflet pour la France

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

L’avocat franco-palestinien, en détention administrative depuis le mois de mars, est victime du harcèlement israélien. Le PCF interpelle Emmanuel Macron pour qu’il intervienne.

La nouvelle est tombée mercredi, abrupte et sèche : Salah Hamouri doit être expulsé le dimanche 4 décembre. Une mesure signifiée d’abord oralement aux défenseurs de l’avocat franco-palestinien puis confirmée ce jeudi.

Emprisonné sans charge depuis le mois de mars dans le cadre d’une détention administrative renouvelée trois fois, Salah Hamouri s’était également vu retirer son permis de résidence à Jérusalem. Une mesure contestée et suspendue, qui devait être examinée par la Cour suprême israélienne en février prochain. D’ici là, ses avocats s’attendaient à ce que sa détention administrative, qui arrivait à échéance dimanche, soit renouvelée.

De nombreuses réactions

Cette décision a provoqué la réaction de nombreux élus, personnalités et organisations. « Le président Emmanuel Macron doit agir pour obtenir sa libération immédiate et que sa famille puisse le rejoindre et vivre en Palestine », a tweeté Fabien Gay, sénateur communiste et directeur de l’Humanité.

« Emmanuel Macron doit agir de toute urgence pour faire respecter les droits de notre compatriote », a également posté la députée communiste Elsa Faucillon, alors qu’un autre sénateur du groupe, Pierre Laurent, fait remarquer que, « tant que la France et l’UE ne décident pas de sanctions contre Israël, cette impunité durera ». Pour Jean-Claude Lefort, il s’agit d’un « crime de guerre contre Salah Hamouri », alors que la Plateforme Palestine s’interroge : « La France va-t-elle ignorer cette violation du droit international et cette atteinte arbitraire à la liberté d’un de ses citoyens ? »

Dans une adresse à Emmanuel Macron, le PCF souligne : « Il ne reste que quelques jours pour vous opposer à cette décision scandaleuse et exiger que Salah soit libre de ses mouvements et puisse vivre libre dans sa Jérusalem-Est natale avec son épouse et ses enfants. Il en est de l’honneur de la France. »

Déjà emprisonné en Israël entre 2005 et 2011

Comme l’Humanité s’en était inquiétée à plusieurs reprises, les autorités israéliennes cherchaient le meilleur moyen pour parvenir à leurs fins et tenter de faire taire Salah Hamouri, aujourd’hui âgé de 37 ans. Il avait été emprisonné en Israël entre 2005 et 2011 pour participation à la tentative d’assassinat d’Ovadia Yossef, ancien grand rabbin d’Israël et fondateur du parti ultra orthodoxe Shass, avant d’être libéré en 2011. Salah Hamouri a toujours nié toute tentative d’assassinat : soit il plaidait non coupable et avait alors à purger une peine de quinze ans, soit il se disait coupable et écopait de sept ans d’emprisonnement.

Devenu lui-même avocat, Salah Hamouri travaillait pour l’ONG Addameer, qui défend les prisonniers palestiniens. Mais cette ONG a été placée ces derniers mois, comme plusieurs autres, sur la liste israélienne des organisations terroristes. De même, Amnesty International avait conclu, après analyse du téléphone portable de Salah Hamouri, que celui-ci avait été piraté par le logiciel espion Pegasus de la société israélienne NSO. Il avait porté plainte, en France, contre cette société soupçonnée d’avoir contribué à infiltrer le smartphone d’Emmanuel Macron.

Ce harcèlement « sadique », selon les termes de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU, n’a eu de cesse depuis des années. Son épouse, Elsa Lefort, est interdite de séjour (enceinte, elle avait été placée en cellule de rétention à l’aéroport de Tel-Aviv, avant d’être expulsée) et ne peut vivre avec son mari et leurs enfants à Jérusalem. Ce harcèlement s’est encore aggravé ces dernières semaines. À l’occasion d’une grève de la faim menée par les prisonniers en détention administrative (ils sont 820) pour protester contre cet arbitraire, Salah Hamouri a été transféré dans une prison de haute sécurité et placé à l’isolement.

Permis de résidence

Preuve que les détentions administratives à l’égard de Salah Hamouri sont sans fondement, le ministère israélien de l’Intérieur s’est chargé de la procédure pour lui retirer son statut de résident de Jérusalem. Depuis l’annexion illégale de Jérusalem-Est par Israël en 1967, les Palestiniens qui y vivent sont considérés comme des « résidents permanents ». Contrairement aux Israéliens, qui sont citoyens, les Palestiniens de Jérusalem doivent posséder un permis de résidence pour y demeurer. Or Israël s’arroge le droit de révoquer ce permis de plusieurs manières. Plus de 14 500 Palestiniens ont perdu ce statut depuis cinquante ans.

La ministre de l’Intérieur, Ayelet Shaked, avec l’accord du ministre de la Justice, Gideon Saar, et sur recommandation du Service général de sécurité, a révoqué ce jeudi la résidence de Salah Hamouri. « Nous devons lutter contre le terrorisme avec tous les outils à notre disposition. Il est impossible pour des terroristes comme Hamouri d’obtenir un statut en Israël. Je salue la fin du processus, l’annulation de son statut et son expulsion du pays », s’est félicitée Ayelet Shaked, citée par Israel Hayom.

Le service minimum du gouvernement français

C’est un véritable camouflet pour la France, qui, c’est malheureusement vrai, s’est contentée du service minimum pour défendre les droits de Salah Hamouri, apportant certes une aide consulaire mais se contentant de simples déclarations.

Jeudi matin, encore, le ministère des Affaires étrangères, interrogé sur l’expulsion de Salah Hamouri, se refusait d’évoquer la question, se contentant de dire, comme depuis plusieurs mois : « M. Salah Hamouri doit pouvoir mener une vie normale à Jérusalem, où il est né et où il réside, et son épouse et ses enfants doivent pouvoir s’y rendre pour le retrouver », tout en mettant en avant le fait qu’Emmanuel Macron avait évoqué le dossier avec (l’ancien) premier ministre Yaïr Lapid.

Sans grand résultat, comme on le voit. Car en réalité aucune pression n’a été exercée sur Israël, aucune sanction n’est envisagée. Pis, l’accord d’association Israël-UE a repris de plus belle. Il est vrai que l’Union européenne a signé un accord de fourniture de gaz par Israël, en remplacement des contrats rompus avec la Russie.

La France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, va-t-elle accepter cette expulsion totalement illégale de Salah Hamouri ou, au contraire, lancer une action décisive pour mettre Israël au pas ? Car, au-delà de Salah Hamouri, c’est la présence palestinienne à Jérusalem-Est qui est tout simplement visée.

publié le 5décembre 2022

Réforme des retraites :
la gauche prépare
sa riposte

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Les contours de la future réforme des retraites, présentés par la première ministre dans le Parisien, vendredi, sont sévèrement critiqués par les parlementaires de la Nupes qui préparent déjà les mobilisations à venir.

Report de l’âge légal à 65 ans, fin des régimes spéciaux, flou sur la pénibilité… La Première ministre, Élisabeth Borne, a dévoilé vendredi dans un entretien au Parisien les contours de l’épineuse réforme des retraites, qui doit être présentée le 15 décembre.

La gauche, unanimement et farouchement opposée à cette réforme n’a pas tardé à réagir à ce plan, qui est le fruit, selon Élisabeth Borne, des concertations avec les syndicats et les présidents de chacun des groupes parlementaires. Pour celui du groupe socialiste, Boris Vallaud, il s’agit là d’une « provocation ». Il poursuit : « Le point d’arrivée de la concertation est identique au point de départ. Le gouvernement a fixé le cap il y a longtemps et a prévu de s’obstiner dans une réforme injuste, brutale et largement rejetée par les Français ».

Le communiste Pierre Dharréville dénonce lui aussi des concertations aux allures de mascarade : « La première ministre n’annonce rien de nouveau. Le gouvernement continue de réaffirmer son objectif de casse social tout en organisant des négociations avec les syndicats dont on se demande si elles sont le lieu d’une véritable discussion ou pour simplement décorer. » « Syndicats méprisés, parlement piétiné, démocratie abîmée ! », a scandé son collègue Nicolas Sansu (PCF) sur Twitter.

79% des Français opposés à la réforme

Plus que d’apporter des informations réellement nouvell4es sur la future réforme, Élisabeth Borne peaufine surtout le plan de communication pour faire avaler la pilule à des Français opposés à 79 % au recul de l’âge de départ, selon une étude Elabe du 22 septembre dernier. Tout au long de l’entretien, elle s’évertue à faire passer ses mesures comme absolument indispensable. « Je suis frappée de voir que la nécessité de faire cette réforme n’est pas vraiment dans tous les esprits », a-t-elle notamment déclaré. Ou encore : « On a un déficit qui dépassera les 12 milliards d’euros en 2027 et continuera à se creuser si l’on ne fait rien. »

Pour la présidente du groupe France insoumise à l’Assemblée Mathilde Panot, ces déclarations soulignent que « la macronie souffre d’autoritarisme et de mensonge compulsifs ». « D’abord, la situation n’est pas la catastrophe qu’ils décrivent mais dès qu’on parle de chiffres des projections du Conseil d’orientation des retraites, on ne nous écoute pas, détaille Pierre Dharréville. Et de l’autre côté, d’autres solutions existent pour dégager des financements, comme toucher aux cotisations mais elle l’a exclu d’entrée. Elle ferme toutes les portes et dit ’’la seule solution c’est la mienne’’. C’est consubstantiel à ce pouvoir technocratique mais ils se font rattraper par le réel, comme pour la crise de l’hôpital public. »

Élisabeth Borne affiche par ailleurs un objectif de revalorisation des pensions et la possible prise en compte de la pénibilité, qui reste très floue. « Il pourra y avoir des choses souhaitables mais ce sera là pour faire passer la pilule », anticipe le député communiste des Bouches-du-Rhône. La Première ministre a en revanche réaffirmé la volonté du gouvernement d’en finir avec les régimes spéciaux, qui seraient selon elle « vécus comme une grande injustice pour une partie des Français ». « L’injustice, elle est pour tous ceux qui subiront cette réforme de casse sociale », a réagi Pierre Dharréville.

Un texte prévu pour janvier à l’Assemblée

En détail, le contenu de cette réforme doit être présenté le 15 décembre. Un calendrier vu comme une manœuvre politicienne par l’écologiste Sandrine Rousseau : « Le 15 décembre, juste avant la trêve des confiseurs, en pleines 4fêtes de fin d’année. Dans le seul moment de respiration depuis des mois. On n’oubliera pas vos méthodes », a-t-elle alerté sur Twitter.

Puis, le texte devrait arriver dès janvier au Parlement. Alors, la bataille sociale devra se mener « dans l’hémicycle et dans la rue », a prévenu Mathilde Panot sur RTL, vendredi. La Nupes en profitera pour opposer sa proposition, détaillée et chiffrée de retraite à 60 ans tandis que les premières manifestations ne devraient pas tarder à s’organiser. « On va se coordonner avec les différentes organisations, j’ai vu qu’il y avait un appel des organisations de jeunesse pour le 21 janvier, la France insoumise y sera », a déjà annoncé Mathilde Panot. Les syndicats, comme le PCF, n’ont pas encore fixé de date, mais la riposte sociale s’annonce longue et brûlante.


 

         65 ans : Elisabeth Borne persiste et signe

En pleines concertations avec les « partenaires sociaux », la Première ministre martèle sa volonté de reculer l’âge légal, quoi qu’il en coûte. Un signal très clair envoyé aux syndicats et aux électeurs en général.

Si certains espéraient encore que les concertations menées depuis octobre avec les syndicats et le patronat finiraient par infléchir la politique de l’exécutif, ils en seront pour leurs frais. Dans un entretien publié ce vendredi dans « Le Parisien », Elisabeth Borne réaffirme sa volonté de mettre en musique la « promesse » d’Emmanuel Macron d’un recul de l’âge légal, en le justifiant, encore et toujours, par un prétendu péril financier. « Le report progressif de l’âge de départ à la retraite de 62 à 65 ans d’ici 2031, c’est ce qui permet de ramener le système à l’équilibre dans les dix ans », affirme-t-elle. Avant d’ajouter : « Mais s’il y a un autre chemin proposé par les organisations syndicales et patronales qui permette d’atteindre le même résultat, on l’étudiera. On peut discuter. Ce qu’on exclut, en revanche, c’est de baisser le montant des retraites ou d’alourdir le coût du travail par des cotisations supplémentaires. »

Le message adressé aux organisations syndicales est très clair : s’il y a discussions, elles ne peuvent s’inscrire que dans un cadre contraint, fixé par l’exécutif lui-même. Au passage, la ministre feint de croire que la piste d’une réduction des pensions serait défendue par les syndicats, tout en fermant la porte à toute option dégageant des ressources supplémentaires. « La stratégie de l’exécutif est vraiment incompréhensible, estime Céline Verzeletti, secrétaire confédérale CGT. A quoi bon ouvrir un cycle de discussions avec nous sur le financement du régime, si c’est pour réduire le débat à un choix aussi binaire ? A la CGT, nous pensons qu’il n’y a aucun péril financier en la demeure ; cela dit, il faudra trouver de nouvelles ressources pour améliorer les pensions et revenir aux 60 ans, et nous en avons : arrêt de la politique d’exonérations de cotisations sociales, égalité professionnelle femmes-hommes, etc. »

Au-delà des organisations syndicales, le message de l’exécutif s’adresse aux électeurs, du moins à la minorité (de droite pour l’essentiel) qui soutient encore le recul de l’âge légal. Dans un sondage réalisé par Ifop fin septembre, seuls 22% des Français se disaient favorables aux 65 ans, dont 44% des électeurs macronistes et 35% des électeurs LR. « En réalité, ils savent qu’ils ont perdu la bataille idéologique, résume Céline Verzeletti. Ils ont face à eux la majorité de l’opinion publique, leur seule option est donc de s’adresser à l’électorat de droite et aux parlementaires LR. »

Pour faire passer la pilule, l’exécutif continue néanmoins de brandir quelques concessions plus ou moins formelles : le maintien de l’âge de départ sans décote à 67 ans, un minimum retraite à 1 200 euros pour tous les retraités qui peuvent justifier d’une carrière complète, etc. Pas sûr que cela suffise à convaincre l’opinion…   

 


 


 

Retraites.
la gauche et Macron :
projet contre projet

Julia Hamlaoui et Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Réforme Ils partagent l’idée qu’une refonte est nécessaire et c’est à peu près tout. À l’heure où les parlementaires sont reçus à Matignon, l’Humanité décrypte les mesures que veut imposer le gouvernement et les contre-propositions de la Nupes.

Aller vite, tout en évitant la colère sociale. C’est avec ce double objectif que le gouvernement manœuvre depuis la rentrée pour tenter de trouver la meilleure façon d’imposer sa réforme des retraites, dont une large majorité de Français ne veulent pas. Après avoir un temps envisagé de recourir à un amendement au budget de la Sécurité sociale, l’exécutif mise désormais sur un texte qu’il veut voir adopté « avant la fin de l’hiver » (sans toutefois renoncer totalement à sa première hypothèse, ni exclure un 49-3). Ce jeudi marque une nouvelle étape : après le tour de table avec les syndicats mené la semaine dernière par le ministre du Travail, Olivier Dussopt, c’est au tour de la première ministre Élisabeth Borne de lancer la « concertation », cette fois avec les parlementaires. C’est LR, favorable au report de l’âge de départ à 65 ans, qui ouvrira le bal. Les présidents des groupes de gauche de l’Assemblée et du Sénat seront, eux, reçus entre jeudi et lundi. Mais, sur ces bancs, on attend peu de la rencontre alors que le chef de l’État brandit à tout-va son ambition de faire « travailler plus » les salariés, quitte à trouver un nouveau prétexte d’une semaine sur l’autre (garantir l’équilibre du système, financer de nouvelles priorités…). Un objectif sur lequel il n’est pas question de revenir, même si le ministre du Travail affiche volontiers la liste des thèmes soumis à la « discussion » : « prévention de l’usure professionnelle », « emploi des seniors », « amélioration des dispositifs de solidarité », « équilibre du système » « On est habitués à ce que le gouvernement fasse semblant de discuter ! » fustige le député PCF Pierre Dharréville, qui estime que celui-ci « cherche simplement à donner le change pour mettre en œuvre quoi qu’il en soit son mauvais projet ». La tonalité­ est la même du côté de la Nupes. « On est toujours pour le dialogue social. Le problème, c’est lorsqu’il se résume à l’alternative : vous êtes d’accord avec moi ou tant pis », tacle le socialiste Arthur Delaporte. Or, entre le « travailler plus » macroniste et le « travailler tous, mieux et moins » que ­défendra la Nupes lors de la marche du 16 octobre à Paris, ce sont bien deux projets de société qui s’opposent.

Âge légal : travailler plus ou travailler tous

Le projet du gouvernement

L’exécutif ne veut rien céder sur le fond : sa réforme des retraites impo­sera aux salariés de travailler plus longtemps, probablement jusqu’à 65 ans - contre 62 ans aujourd’hui. La première ministre, Élisabeth Borne, a évoqué « un report progressif de l’âge de départ de quatre mois par an, aboutissant à 65 ans en 2031 ». La gauche, l’ensemble des syndicats et une majorité écrasante du pays y sont toujours opposés : un sondage réalisé par Elabe, fin septembre, révélait que seuls 21 % des Français interrogés souhaitaient le relèvement de l’âge légal, contre 46 % qui préféraient le maintenir à 62 ans et 33 % qui voulaient même l’abaisser. Édouard Philippe, ancien premier ­ministre et représentant de l’aile droite de la majorité présidentielle, n’a pas hésité à jouer la carte de la surenchère : « J’ai toujours dit que je considérais qu’il fallait bouger sur les retraites, bouger beaucoup », lance-t-il, rappelant qu’il plaidait pour «  un report de l’âge légal à 65, 66 ou 67 ans ». L’argument de la hausse de l’espérance de vie, agité par le gouvernement, ne dit rien des formidables inégalités qu’il masque. Selon l’Insee, les 5 % les plus riches vivent bien plus longtemps que les 5 % les plus pauvres (treize ans de plus pour les hommes et huit ans chez les femmes). Le meilleur pourfendeur du report de l’âge légal est en réalité un certain… Emmanuel Macron, qui déclarait, en  2019 : « Fran-­ chement, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. Quand on est peu qualifié, qu’on vit dans une région en difficulté industrielle, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour aller à 62 ans ! C’est ça la réalité de notre pays. » On ne saurait mieux dire.

 

Le projet de la Nupes

Au report de l’âge légal de départ à la retraite, les parlementaires de la Nupes entendent opposer le retour à un départ à 60 ans, avec 40 annuités de cotisations (contre 43). Si tous les candidats de gauche n’étaient pas sur ce créneau lors de la présidentielle, la mesure figure au programme de la coalition formée pour les législatives. « On veut une retraite en bonne santé, on ne veut pas la retraite pour les morts ou des travailleurs trop fatigués pour en profiter », plaide le député­ PCF Pierre Dharréville, tandis que sa collègue de Génération.s Sophie Taillé-Polian estime qu’une telle disposition doit intervenir en priorité pour « celles et ceux qui ont commencé tôt ou sont abîmés par le travail ». Pour les députés de gauche, il s’agit d’un « choix de société », voire de « civili­sation ». « L’allongement permanent de l’âge légal de départ, c’est une atteinte fondamentale aux droits : on a le droit à un moment de sa vie d’être libéré du travail prescrit, au profit d’une forme de travail choisi au bénéfice de la société, de ses proches… », assure ainsi Pierre Dharréville, dont le parti souhaite aussi « revoir la notion de carrière complète pour y intégrer certains temps de la vie, comme lorsque l’on est étudiant ou proche aidant ». C’est aussi une question d’efficacité économique et sociale, avance l’insoumis David Guiraud : « Le taux d’emploi des seniors est très faible en France (35,5 % pour les 60-64 ans selon la Dares – NDLR). Donc si on ­repousse l’âge de départ, ce qu’on ne paie pas en retraite, on va le payer en assurance-chômage », ­argumente-t-il. Sans compter tous les jeunes qui resteront sur le carreau faute de postes libérés.

Qui doit payer la note : le travail ou le capital ?

Le projet du gouvernement

Le raisonnement de l’exécutif tient en deux phrases : 1) le déficit du régime de retraites menace à terme sa pérennité ; 2) la seule façon d’y remédier est de retarder l’âge de départ. Ce qui revient à demander aux travailleurs de financer le « sauvetage » du système… Le problème, c’est que la dramatisation du déficit ne résiste pas à la réalité des chiffres. Dans son dernier rapport, le Conseil d’orientation des retraites (COR) rappelle que ses résultats « ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites ». Après avoir été excédentaire en 2021 et 2022, le régime resterait déficitaire jusqu’en 2032, mais dans des proportions parfaitement contrôlables (entre - 0,5 point et - 0,8 point de PIB). Pas de péril en la demeure, donc… En revanche, souligne le Conseil, le rythme de l’évolution des dépenses de retraite « ne semble pas compatible avec les objectifs du gouvernement inscrits dans le programme de stabilité de juillet 2022. Pour tenir ces objectifs, la croissance des dépenses publiques devrait être limitée à 0,6 % en volume entre 2022 et 2027. Or les dépenses de retraites, qui représentent le quart de ces dépenses publiques, progresseraient sur la période de 1,8 % en termes réels ». C’est bien pour respecter un dogme austéritaire que l’exécutif s’acharne. En ­revanche, s’il est un point systématiquement passé sous silence, c’est la conséquence sur le niveau de vie de nos aînés (par rapport aux actifs) : le COR rappelle que, sous l’effet des réformes passées, celui-ci va baisser dans les années à venir. Il faudrait dégager de nouvelles ressources pour y remédier… ce que l’exécutif se ­refuse  à envisager.

Le projet de la Nupes

« La réforme du gouvernement n’est pas budgétairement nécessaire, rien ne l’impose. Le régime est équilibré à moyen terme », tranche d’emblée le député PS Arthur Delaporte. Une donnée manque d’ailleurs à l’équation de l’exécutif selon laquelle « on vit plus longtemps, donc il faut travailler plus longtemps», souligne Pierre Dharréville (PCF) : « Les gains de productivité sont considérables depuis la création du régime. Pourquoi ce serait le capital qui en profiterait ? Le sujet des retraites pose une question de classe. » À cet égard, la Nupes propose de soumettre « à cotisation patronale les dividendes, participation, épargne salariale, rachats d’actions, heures supplémentaires, en augmentant de 0,25 point par an le taux de cotisation vieillesse et en créant une surcotisation sur les hauts salaires ». Car, qui dit nouveaux droits, dit nouveaux moyens. Et la gauche, dont la plupart des formations dénoncent la fiscalisation de la protection sociale, ne manque pas de solutions. À commencer par revenir sur les exonérations massives de cotisations (Cice, allégements Fillon…). « À force de diminuer les recettes, on se met évidemment en situation difficile quelles que soient les dépenses que l’on juge utiles », justifie Sophie Taillé-Polian (Génération.s). « C’est un choix qu’on peut proposer aux gens : vous préférez travailler deux ans de plus ou mettre deux euros de plus dans la caisse ? » ajoute l’insoumis David Guiraud. Pour la Nupes, alimenter les caisses de la Sécu passe aussi par l’augmentation du Smic et des salaires (+ 6,5 milliards d’euros pour une hausse de 3,5 % des salaires, selon les calculs de la CGT), l’égalité salariale femmes-hommes (+ 5,5 milliards), ou encore la création d’emplois (+ 10 milliards pour une réduction du chômage à 4,5 %).

Régimes spéciaux : démantèlement ou renforcement

Le projet du gouvernement

C’est un sujet à hauts risques. Le gouvernement sait qu’en ciblant les régimes spéciaux, il braquerait des professions susceptibles de se mettre en grève et de bloquer une partie du pays (agents de la RATP, salariés des industries électriques et gazières, etc.). Le candidat Macron en avait pourtant fait un de ses chevaux de bataille lors de la dernière campagne présidentielle, probablement pour séduire l’électorat de droite. Pour tenter d’éviter de mettre le feu à la plaine, l’exécutif promet d’employer la manière douce : « Nous aborderons les régimes spéciaux en privilégiant une méthode progressive vers la normali­sation comme nous l’avons fait pour la SNCF : la réforme ne concernera que les nouveaux salariés », affirme le ministre du Travail, Olivier Dussopt, dans un entretien accordé au Journal du dimanche, le 8 octobre. C’est en fait le grand retour de la « clause du grand-père », déjà utilisée lors du dynamitage du statut de cheminot en 2018, selon laquelle les agents déjà en place pouvaient conserver leur statut, mais pas les nouveaux embauchés à partir du 1er janvier 2020. Pas sûr du tout que la méthode porte ses fruits dans la période actuelle, d’autant que les professions concernées ne manqueront pas d’arguments à faire valoir. « À l’heure où l’on manque de chauffeurs de bus en Île-de-France, on va dire à ceux qui occupent un poste, on vous change votre statut ? » fait mine de s’interroger Laurent Berger, dirigeant de la CFDT. De même, il pourrait être périlleux pour l’exécutif de déclarer la guerre aux agents d’EDF en plein hiver, dans une période de crise énergétique…

Le projet de la Nupes

La question des régimes spéciaux ? Un faux débat ou plutôt un débat complètement biaisé, s’insurge-t-on dans les rangs de la gauche. «  Le gouvernement cherche des milliards et des milliards d’euros sur le dos des salariés, la question ce n’est pas celle des régimes spéciaux mais : qui paie les baisses d’impôts des plus riches ? Ce sont aux véritables inégalités qu’il faut s’attacher à répondre. Là, c’est une stratégie de diversion », fustige Sophie Taillé-Polian (Génération.s). Une diversion où les fonctionnaires (à l’instar des grévistes des raffineries ces derniers jours) revêtent les habits de boucs émissaires. « Quand des égoutiers expliquent qu’ils meurent dix-sept ans avant un cadre parce qu’ils inhalent des substances toxiques, alors qu’ils pataugent tous les jours pour assurer un service essentiel, j’estime qu’ils doivent être défendus. Au fil des réformes qui ont revu les critères de pénibilité, ils ont perdu des droits, il faut revenir sur ces mesures », détaille l’insoumis David Guiraud. Travail de nuit, en découché, horaires décalés, gardes et astreintes, tâches répétitives ou dangereuses… c’est le quotidien de ces agents qui ont conquis des droits spécifiques. Et s’y attaquer, c’est, de la part de l’exécutif, une façon d’ouvrir la voie à de nouvelles régressions pour tous, mettent en garde les parlementaires de gauche. « Le gouvernement veut tout niveler par le bas, tandis que nous estimons nécessaire d’augmenter le niveau des droits », résume Pierre Dharréville (PCF), qui, sans être opposé « à terme à une articulation entre les différents régimes », plaide pour une « harmonisation par le haut ». Il faudrait d’ailleurs, selon Sophie Taillé-Polian, que le départ anticipé dont bénéficient les catégories actives de la fonction publique soit étendu aux métiers pénibles du privé.

Pension, pénibilité, carrière longue... la retraite à quelles conditions ?

Le projet du gouvernement

Pour tenter d’arracher la signature des syndicats dits réformistes (dont la CFDT), l’exécutif veut mettre sur la table des contreparties. Outre la promesse d’une pension minimale à 1 100 euros, il mise notamment sur la question de la pénibilité. Le problème, c’est que le quinquennat précédent n’incite pas à l’optimisme. Plusieurs dispositifs très contraignants permettent aujourd’hui à certains travailleurs de partir plus tôt à la retraite. Le système « carrières longues » autorise les salariés à partir à 60 ans, voire à 58 ans, à condition qu’ils aient commencé à travailler avant 20 ans et qu’ils puissent justifier d’une durée de cotisation suffisante. Par exemple, pour un actif né en 1964 qui souhaite partir avant 60 ans, il lui faudra avoir cumulé 177 trimestres (soit 44 ans et 3 mois), dont 5 à la fin de l’année de ses 16 ans. Le gouvernement a laissé entendre qu’il pourrait « moderniser » le dispositif dans le cadre de la réforme, mais sans être plus explicite. Autre outil phare pour tenir compte des conditions de travail difficiles, le compte pénibilité (ou « compte professionnel de prévention »), qui permet aux salariés exposés à certains risques professionnels (travail de nuit, températures extrêmes, bruit, travail en 5x8 ou 3x8…) de partir plus tôt à la retraite. L’exécutif jure que ce compte pourrait être étoffé en cas de réforme des retraites, mais Emmanuel Macron n’est pas le mieux placé pour prendre la défense des travaux pénibles vu que son précédent quinquennat a acté la disparition de 4 facteurs de risque (postures pénibles, port de charges…). La CFDT a d’ailleurs sommé le gouvernement de reprendre sous une forme ou une autre lesdits critères tombés aux oubliettes.

Le projet de la Nupes

Dans une période où le niveau de vie des retraités est percuté de plein fouet par l’inflation, le gouvernement fait miroiter, pour vendre sa réforme, une pension minimale à 1 100 euros. « Le niveau de revenus doit impérativement être réévalué à la fois pour la pension de base des carrières complètes et pour le minimum vieillesse », accorde le socialiste Arthur Delaporte. Mais attention au stratagème du gouvernement, prévient le député France insoumise David Guiraud : « Ses membres oublient de mentionner l’astérisque qui précise que leurs 1 100 euros ne concernent que les carrières complètes. » Du côté de la Nupes, « on a un mot d’ordre simple : personne en dessous du seuil de pauvreté », résume l’insoumis. La coalition propose ainsi de « porter a minima au niveau du Smic revalorisé à 1 500 euros toutes les pensions pour une carrière complète et le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté », mais aussi « d’indexer le montant des retraites sur les salaires ». Dans une proposition de loi déposée lors de la précédente tentative de réforme d’Emmanuel Macron en 2019 et toujours d’actualité, les députés communistes défendent, en outre, l’idée de « garantir le taux de remplacement (entre le salaire et la pension – NDLR) à 75 % ». Ils y proposent aussi de mettre en place un « dispositif carrière longue – pour ceux qui ont commencé avant 20 ans – qui permet de partir à 58 ans à taux plein ». Et un autre prévoyant un départ à 55 ans pour les métiers pénibles. Au sein de l’alliance de gauche, tous s’accordent d’ailleurs pour rétablir les facteurs de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron lors du précédent quinquennat.

publié le 4 décembre 2022

Coupures d’électricité :
les zones d'ombre de la circulaire envoyée aux préfets

Florent LE DU sur www.humanite.fr

L'exécutif a envoyé une note aux préfets pour préparer de possibles délestages à partir de janvier qui pourraient concerner 60 % de la population. Écoles, services publics, transports, internet... Plusieurs points devront vite être éclaircis pour éviter le chaos.

Dans un style très macronien, Olivier Véran résume la situation : « Ça ne veut pas dire qu’il y aura des coupures. Ça veut dire attention (…), on pourrait être amenés à rencontrer des situations obligeant à couper pendant une heure ou deux l’électricité », a déclaré jeudi le porte-parole du gouvernement.

L’exécutif annonçait la veille l’envoi aux préfets d’une circulaire pour préparer d’éventuelles coupures programmées d’électricité, qui pourraient concerner 60 % de la population. Alors qu’une pénurie d’énergie pourrait se profiler en janvier, un plan pour « éviter le black-out » a été élaboré afin de permettre si besoin des coupures temporaires, appelées délestages. Aucun site critique (pompiers, hôpitaux…) ou client prioritaire ne serait concerné, comme les patients dépendants d’un équipement médical à domicile.

6 millions de personnes potentiellement touchées en même temps

Ces délestages de deux heures au maximum sur un même territoire, pouvant toucher simultanément 6 millions de personnes, seraient rendus nécessaires par la conjonction de plusieurs facteurs. « On ne couperait que si le froid se confirme, qu’on a un problème de production ou d’interconnexion avec les pays voisins et si la consommation ne baisse pas », a précisé le gouvernement.

Ces coupures, qui auraient lieu uniquement au moment des pics de consommation, entre 8 heures et 13 heures le matin, et entre 18 heures et 20 heures le soir, concerneraient aussi bien des services publics, les entreprises que les particuliers. Via Internet, un « signal Ecowatt rouge » serait émis trois jours avant la coupure possible. Puis, la veille, à 17 heures, arriverait la confirmation que l’électricité sera coupée à 8 heures le lendemain. « L’idée est que personne ne soit surpris », souligne le gouvernement. Personne, sauf ceux qui n’ont pas accès à Internet, alors que la fracture numérique concerne 17 % de la population selon l’Insee.

Une possible fermeture des écoles

Avec cette circulaire, la tâche laissée aux préfets paraît ardue, tant les zones d’ombre sont nombreuses. Notamment pour les services publics, alors que des collectifs d’usagers commencent à se mobiliser. Pour une école concernée par un délestage, il est prévu une fermeture le matin, puis un accueil pour le repas du midi et l’après-midi. Mais les questions de la cantine sans électricité, des transports scolaires dans les milieux ruraux, de la garde des enfants le matin, des internats n’ont pour l’heure aucune réponse.

Le gouvernement est également flou sur les coupures des réseaux Internet, sur la continuité des réseaux de trains et de métros, sur l’accès aux numéros d’urgence… Dans sa communication, il veut ménager la population pour ne pas provoquer la pagaille. Elle sera inéluctable, si ce plan reste aussi vague en janvier.

publié le 4 décembre 2022

Le fantasme de
l’étranger délinquant

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Les données sur la criminalité des immigrés ne peuvent être analysées sans tenir compte de l’impact des discriminations et des inégalités sociales qu’ils subissent.

Dans une circulaire adressée, le 17 novembre, aux préfets, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, leur demande d’appliquer les méthodes employées au suivi des étrangers délinquants à l’ensemble des étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Pour 43 associations, dont la Cimade, le Gisti, le Mrap et la Ligue des droits de l’homme, « cette prémisse en elle-même constitue une atteinte grave à l’État de droit en ce qu’elle tend à assimiler des personnes n’ayant commis aucune infraction ni aucun crime à des personnes condamnées judiciairement ». Elle participe en tout cas à ajouter de la confusion autour du prétendu lien entre immigration et délinquance. Or, les recherches menées à ce jour sur ce sujet contredisent les discours politiques alarmistes.

Les infractions commises par les étrangers sont des petits délits souvent liés aux conditions de séjour en France

Les statistiques nationales indiquent que 85 % des personnes condamnées sont françaises et 15 % de nationalité étrangère. Et si, en 2019, d’après la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), 37 % des personnes interrogées jugeaient que « l’immigration est la principale cause de l’insécurité », rien ne permet pourtant d’établir un lien de causalité entre la présence des étrangers en France et l’augmentation de la criminalité.

« D’abord, dans 99,2 % des condamnations de personnes de nationalité étrangère, les infractions sont des délits – dont plus de 55 % concernent la circulation routière et des vols – et dans seulement 0,8 % des crimes », indique l’Institut convergences migrations (ICM), affilié au CNRS, dans sa dernière publication sur le sujet, ajoutant : « La part des étrangers dans les condamnations varie selon la nature de l’infraction : 25 % pour le travail illégal, 41 % pour les faux en écriture publique ou privée, près de 50 % des infractions douanières et 78 % pour les infractions relatives à la police des étrangers, c’est-à-dire pour l’essentiel des infractions liées à la régularité du séjour des étrangers en France. »

Les étrangers sont discriminés par la police et la justice

Les récentes déclarations d’Emmanuel Macron affirmant, fin octobre, qu’à Paris, « la moitié au moins des faits de délinquance viennent de personnes qui sont des étrangers » révèlent une autre erreur d’appréciation venant régulièrement entacher ce débat : l’absence de distinction entre les actes délictueux réellement commis par des étrangers et le nombre d’interpellations de ces derniers. Le président de la République s’appuie sur les chiffres du ministère de l’Intérieur indiquant que 48 % des interpellations dans la capitale concernent des étrangers. Mais rien ne précise si ces interpellations ont fait l’objet de poursuites. Une nuance d’importance si on considère les travaux des chercheurs du CNRS, en 2020, révélant « le traitement discriminatoire dont sont victimes les personnes immigrées, étrangères ou pas, et leurs descendants, à commencer par les contrôles au faciès », et précisant que « les représentations racistes orientent la vigilance policière, contribuant de fait à la surreprésentation des personnes immigrées (…) parmi les personnes interpellées et condamnées ». Des constats qui confirment ceux d’une étude menée en 2013 par l’Alliance de recherche sur les discriminations (Ardis) indiquant que « les personnes nées à l’étranger voyaient multiplier par deux les risques d’une comparution immédiate » et par cinq « la probabilité d’être placées en détention provisoire ».

Les inégalités sociales au cœur de la délinquance attribuée aux étrangers

Les chercheurs de l’ICM pointent un autre facteur de taille : les « inégalités socio-­économiques et territoriales. (…) La délinquance des immigrés et de leurs descendants est d’abord une délinquance de milieux populaires, une délinquance de “pauvres”, fortement liée aux conditions de vie dans les quartiers populaires », précisent-­ils, s’appuyant sur une analyse de l’Insee sur les conditions de vie des personnes immigrées rapportant qu’en 2010, la pauvreté touche 19 % des familles immigrées, contre 13 % en moyenne en France. Une autre étude menée en 2019 sur les jeunes délinquants suivis par la protection judiciaire de la jeunesse dans les Bouches-du-Rhône révèle en outre « que les proportions de jeunes pris en charge par la justice à Marseille et la part des immigrés dans les arrondissements où habitent ces jeunes ne sont pas significativement différentes ». De quoi en conclure que « dès lors que l’on ramène la répartition par origine à un niveau géographique assez fin, la surreprésentation disparaît ».

publié le 3 décembre 2022

La France doit restaurer l’aide humanitaire au Mali !

Francis Wurtz, sur www.humanite.fr

L’affaire remonte à plusieurs semaines : le gouvernement français a décidé en catimini, sans aucune communication officielle, de suspendre sine die l’essentiel de l’aide publique de la France au Mali, soit environ 100 millions d’euros par an. Ce sont les ONG françaises de solidarité agissant au plus près des populations maliennes qui, mises devant le fait accompli, ont sonné l’alarme en demandant au président de la République, mi-novembre, de revenir sur cette initiative aux conséquences potentiellement dramatiques. Rien n’y fit. Pierre Laurent, vice-président du Sénat, s’adressa dans la foulée à la ministre des Affaires étrangères pour soutenir la requête des ONG en soulignant que « 7,5 millions de personnes au Mali, soit plus de 35 % de la population, ont besoin d’aide humanitaire », dans un pays classé par l’ONU « en 184e position pour l’indice de développement humain » ! On attend toujours la réponse du Quai d’Orsay au parlementaire. Celui-ci prit en outre l’initiative d’un appel dans le même sens cosigné par des personnalités africaines et françaises (1). Chaque contribution à ces efforts est bienvenue : il faut réagir à cette mesure inacceptable jusqu’à l’obtention de son annulation !

Inacceptable, cette suspension de l’aide l’est d’abord pour une raison humanitaire : quelque 70 projets de développement en cours ou programmés par les ONG au Mali seraient compromis si cette « suspension » du versement des financements prévus n’était pas levée au plus vite. Pire : répliquant à la décision de Paris, la junte militaire au pouvoir à Bamako a interdit toute activité sur place des ONG liées à des financements français ! Faute d’une sortie rapide de cette crise des relations franco-maliennes, on s’acheminerait donc vers un retrait forcé des acteurs de la solidarité au Mali liés à la France, ce qui pénaliserait directement les populations concernées. Cette situation illustre l’autre dimension perverse de la décision française : il ne s’agit ni plus ni moins que de représailles au comportement hostile des autorités maliennes, quitte à faire payer les frais de la controverse entre les deux gouvernements à la population la plus fragilisée de ce pays, pauvre parmi les pauvres. Notons que cette mesure rejoint l’une de celles proposées par Marine Le Pen le 2 février dernier après le renvoi du Mali de l’ambassadeur français (2) !

La leçon de cette expérience révoltante est qu’il est décidément grand temps de réformer en profondeur l’aide publique au développement ! En particulier, ces financements – au demeurant très insuffisants – doivent être totalement dépolitisés et impliquer des acteurs locaux au plus près des populations. Dans l’immédiat, il faut d’urgence rétablir la totalité de l’aide publique française au peuple malien !

(1) Tribune « Pour le rétablissement de l’aide publique au développement en faveur du peuple malien », 24 novembre 2022, humanite.fr. (2) « Il faut bloquer l’aide au développement à destination du Mali », Marine Le Pen, « le Figaro », 3 février 2022.

publié le 3 décembre 2022

Harcèlement, violences, faux en écriture publique : des policiers brisent « l’omerta » 

Camille Polloni sur www.mediapart.fr

Dans un livre à paraître jeudi 1er décembre, six fonctionnaires de police sortent de l’anonymat pour dénoncer, à visage découvert, les infractions dont ils ont été témoins et victimes de la part de leurs collègues. Une lourde charge contre « un système policier à l’agonie ». 

Difficile de se défaire, en refermant l’ouvrage, d’un drôle de sentiment poisseux. C’est donc ça, une carrière de policier ? Enchaîner les déceptions, slalomer entre les mesquineries, se faire rappeler à l’ordre pour avoir refusé de fermer les yeux sur des délits, finir seul dans un bureau sans chaise, ou avec son flingue dans la bouche ? 

La démarche est inédite. Dans Police, la loi de l’omerta, à paraître le 1er décembre chez Le Cherche Midi Éditeur et que Mediapart a lu en avant-première, six policiers et ex-policiers issus de différents services (CRS, brigade des mineurs et des « stups », BAC, police aux frontières) brisent le silence imposé par leur statut et témoignent, en leur nom, de pratiques professionnelles insensées. 

Au fil de leurs récits biographiques, Serge Supersac, Jean-Marc Cantais, Stéphane Lemercier, Christophe Annunziata, Agnès Naudin et Fabien Bilheran - ces deux derniers étant les coauteurs du livre - racontent leurs désillusions sur une maison à laquelle ils rêvaient d’appartenir, mais qu’ils ont découverte médiocre et sclérosée. 

« Tu fermes ta gueule », leur a-t-on répété toute leur carrière. Et longtemps, ils l’ont fait. Considérés comme des fous, des emmerdeurs, voire des traîtres, ils revendiquent aujourd’hui un autre qualificatif, celui de « lanceurs d’alerte », et prennent le risque « de subir la foudre des institutions policières et judiciaires ».

« Pourquoi autant de policiers veulent démissionner, sont en arrêt maladie durant de nombreux mois, deviennent de plus en plus violents dans leurs interventions envers la population mais aussi entre eux ? », s’interrogent les auteurs. 

Chacun leur tour, ils proposent un autre regard sur le « mal-être policier », pas celui qui viendrait d’une justice trop « laxiste » ou d’une population trop « ingrate », mais celui qui mine le métier de l’intérieur : une hiérarchie maltraitante, une ambiance de salle de garde, un quotidien de coups bas. 

Des policiers scandalisés puis placardisés 

Policier de 1979 à 2010, Serge Supersac raconte comment, confronté à une affaire de corruption dans les rangs de la CRS n °7, il se retrouve dans le viseur de sa hiérarchie et de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Les irrégularités qu’il a dénoncées - « indulgences » offertes à des personnalités, affectations fictives, prêt de motards pour les besoins d’un club de foot - lui ont valu une enquête de commandement et une série d’embûches.  

Jean-Marc Cantais, entré dans la police en 1991, craque après plus de vingt ans. En poste au commissariat de Pau, il « ne cautionne pas les pratiques collectives », rapporte le comportement irrespectueux de ses pairs et des violences commises par un collègue. « Placé en quarantaine », il se retrouve « exclu du groupe » qu’il est censé diriger et enchaîne les arrêts maladie. Sa hiérarchie, qui refuse de le changer d’affectation, lui conseille « d’arrêter de faire des vagues et de rester à sa place ». Poursuivi pour « dénonciation calomnieuse », il est relaxé à l’issue d’un long combat judiciaire, mais reste marqué pour toujours.

Dès le début de sa carrière, dans les années 1990, Stéphane Lemercier commence à déplaire à sa hiérarchie. Passionné d’histoire, il mène une étude sur les policiers tués en service et s’aperçoit que la cause de mortalité la plus courante est l’accident de la route. Trop loin du mythe, pas assez vendeur. 

Après une suite de déconvenues professionnelles, il se retrouve « dans une ancienne salle d’archives, sans fenêtre, sans bureau et sans chaise ». Comme ses camarades de plume, il décrit une manipulation constante des chiffres policiers pour remplir les objectifs, en particulier pour donner l’impression de lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants. Lui aussi enchaîne burn-out, idées suicidaires, arrêts maladie et demande de rupture conventionnelle. Récemment, Stéphane Lemercier est devenu détaché syndical, la « dernière possibilité de faire avancer les choses avant de prendre sa retraite ».

Policier depuis 1999, Christophe Annunziata a vécu un premier traumatisme début 2015, un mois après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Dans la salle de repos de son service, à la police des transports de Marseille, un policier le tire brutalement en arrière et lui met un couteau sous la gorge. Puis recommence la même « blague » le lendemain. Huit mois d’arrêt maladie. Tout le monde lui dit qu’il ne s’est rien passé et qu’il en fait trop. 

Cinq ans plus tard, alors qu’il a obtenu sa mutation à la brigade des mineurs, Christophe Annunziata insiste pour qu’une enquête soit ouverte sur l’un de ses collègues, soupçonné de tentative de corruption de mineur en marge d’une enquête. L’affaire déchire le service pendant des mois. Christophe Annunziata subit une mise à l’écart et récolte un avertissement. Son collègue finit par être mis en examen et incarcéré dans l’attente de son procès. 

Sexisme, racisme et violences 

Agnès Naudin, seule femme du livre, a connu la galère d’être une mère célibataire dans la police, puis le harcèlement sexuel d’un supérieur hiérarchique pendant des mois. Officière à la police aux frontières (PAF) puis à la sûreté territoriale des Hauts-de-Seine, elle rêve de devenir commissaire, rate le concours, commence à écrire des livres sur son métier. « Certains policiers disent que l’administration est un rouleau compresseur. Peut-être ont-ils raison. » Ses chefs lui font payer la médiatisation et la justice la poursuit pour violation du secret professionnel. 

Récemment libéré de la police par une rupture conventionnelle, Fabien Bilheran ne supportait plus le « racisme et le machisme quotidien » de ses collègues. « Dans le service, tous les jours, un officier, que je qualifie de “chef des racistes”, fait le ménage sur la table de pause pour y déposer exclusivement son magazine d’extrême droite préféré. Sa croisade quotidienne. Avec un camarade, nous passons discrètement pour le jeter à la poubelle. Mais dans l’heure qui suit, comme un trafic de stups que l’on démantèle, le pamphlet hebdomadaire est remis en place. » 

Au fil de ses quinze ans de carrière en région parisienne, il a collectionné les anecdotes. Son premier commissaire est condamné à huit mois de prison avec sursis pour corruption, trafic d’influence et violation du secret professionnel. Le deuxième « déclenche une bagarre générale en frappant de plusieurs coups de poing au visage » un suspect âgé de 15 ans. Au sein du commissariat, « personne n’ose dénoncer ces violences, il y en a même qui sont ravis à l’idée de l’exemple qu’elles donnent et les légitiment ainsi ». Quelques années plus tard, c’est ce même « patron » qui dirige le commissariat de Mantes-la-Jolie quand 150 adolescents sont arrêtés et filmés à genoux, les mains sur la tête. Le troisième commissaire conduit Fabien Bilheran à porter plainte pour harcèlement moral. 

Enfin arrivé à la brigade des stups du 36, le policier déchante. « Je comprends que la guerre à la drogue est vaine, utopique et idéologique. […] Elle n’a aucun impact sur l’offre globale, sur les prix, la qualité ou la pureté du produit. Mieux, la consommation, notamment celle des mineurs, augmente, les produits frelatés circulent, le nombre d’assassinats progresse et les policiers perdent petit à petit le sens de leur mission. » Fabien Bilheran découvre « beaucoup trop de faux en écriture publique » et « des versements d’argent ». Après s’être retrouvé dans sa voiture le canon de son arme dans la bouche, il réalise qu’il est temps de quitter le métier. 

« La liste des dysfonctionnements de notre institution est longue »

Les six policiers du livre ont plus d’un point commun. « Aucun n’a rêvé sa carrière de policier en lanceur d’alerte », écrivent-ils. « Pourtant, chacun estime qu’il n’a pas d’autre choix que de prendre la parole publiquement pour dénoncer la loi du silence, l’omerta régnant dans la police. » Convaincus que « le travail policier ne sert plus que ses propres logiques ou intérêts, traumatisant de trop nombreux agents », ils ont voulu rester en contact avec le reste de la société en reprenant des études, en écrivant sur leur expérience ou en multipliant les engagements associatifs. 

Tous ont dû composer avec des morts violentes, dans leur entourage familial ou professionnel : suicides, meurtres, maladies soudaines. Le livre est d’ailleurs dédié « à Maggy, notre lumière sur ce chemin », en hommage à la policière Maggy Biskupski, l’une des figures des manifestations de « policiers en colère » de l’automne 2016, qui s’est suicidée deux ans plus tard. 

Ils envisagent la « libération de la parole » au sein de la police comme l’un de leurs devoirs. « La liste des dysfonctionnements de notre institution est longue, bien que non exhaustive : violences policières, sexisme et racisme ordinaires, dissimulation de délits, abondance de faux en écriture publique, corruption, tyrannie hiérarchique, radicalisation médiatisée des syndicats ou encore politique du chiffre… » Appelant leurs collègues à se saisir de cette opportunité, ils détournent une formule du syndicat Alliance - « le problème de la police, c’est la justice » - en un pied de nez : « Le problème de la police, c’est l’injustice. »


 

« Les policiers les plus violents sont les plus promus »

Nadia Sweeny  sur www.politis.fr

Fabien Bilheran, ex-policier, et Agnès Naudin, capitaine de police et porte-parole du syndicat Snuitam-FSU, publient ce 1er décembre Police, la loi de l’omerta, où plusieurs policiers racontent une institution ravagée par les dérives. Entretien.

Fabien Bilheran est un ancien policier de la brigade des stups de Paris. Il a quitté la police en juin dernier, au bout du rouleau. Avec Agnès Naudin, capitaine de police à la brigade des mineurs et porte-parole du syndicat minoritaire, Snuitam-FSU, ils publient ce 1er décembre Police, la loi de l’omerta, un recueil de témoignages où plusieurs policiers de différentes brigades aux quatre coins du pays racontent l’intérieur. Une plongée percutante au cœur d’une police ravagée par les dérives, la course aux chiffres, le racisme, la corruption, les violences policières, le harcèlement moral… et une administration qui passe sous silence. Rencontre.

Pourquoi avoir coordonné ce livre ?

Fabien Bilheran : Parce qu’il y a urgence. Urgence à révéler ce qu’il se passe en interne, à révéler l’usage politique qui est fait de la police, les dérives de la politique du chiffre, etc. Sur les drogues –domaine que je connais – c’est flagrant : aucun policier ne trouve de sens à jouer le jeu de la course aux statistiques, aux amendes, aux pilonnages de points de deal. Stéphane Lemercier (qui témoigne dans le livre, NDLR) raconte par exemple très bien comment on crée un point de deal artificiellement et on le ferme pour que le commissaire puisse le faire apparaitre dans ses statistiques. La lutte antistups ce n’est principalement que du mytho et tout le monde le sait ! Les policiers parlent aussi de la corruption, des violences policières, du racisme, de l’impossibilité de dénoncer les dérives en interne… L’impact sur le sens du travail policier est immense et cela crée une très grande souffrance.

Ça nous amène à la deuxième urgence : la crise suicidaire que vit la police depuis 25 ans. Il y a eu 1100 suicides, soit quarante-quatre par an en moyenne. Dans mon témoignage, je parle sans tabou de ma tentative de suicide. Parce qu’en parler, ça peut sauver des vies et donner du courage à certains de briser la glace. Pour moi, c’est déjà une énorme victoire. La troisième urgence c’est la relation police-population. Il est nécessaire que des policiers comme nous prennent la parole pour dire la vérité et déjouer le système de représailles interne mis en place.

Vous témoignez d’ailleurs tous à visage découvert, n’avez-vous pas peur des répercussions ?

Fabien Bilheran : On sait qu’on prend des risques, que les collègues vont morfler. Mais on est déjà au fond du seau. On a conscience de notre position marginale dans une institution qui n’aime pas sortir du désaccord commun. Ça va créer des réactions hostiles et on va probablement être taxé d’être « antiflics » alors qu’en réalité, on est amoureux de la police. On veut qu’elle soit une structure protectrice pour les policiers et vraiment au service du citoyen. Ceux qui refusent de la critiquer de manière constructive sont les vrais « antiflics ». Ils font du mal à la police.

« Ceux qui refusent de critiquer de manière constructive sont les vrais « antiflics ». Ils font du mal à la police. »

Que voulez-vous dire ?

Fabien Bilheran : Par exemple, sur les violences policières : je raconte dans le livre avoir été témoin de violences sur un mineur de 15 ans, qui, poussé par sa haine, a voulu plus tard, nous « rafaler ». Nous participons à produire une radicalisation de la jeunesse qui met en difficulté les policiers en première ligne. Ils deviennent eux-mêmes victimes des répercussions de ces violences policières. Or en interne, les plus violents sont les plus promus.

Alors que ce sont les policiers qui dénoncent – comme Christophe Annunziata qui a bataillé pour faire reconnaître la corruption de mineur d’un policier de la brigade des mineurs – qui devraient recevoir une médaille. Il a fait preuve d’un courage impressionnant face à un système organisé pour étouffer les affaires, dans la pure logique du fameux « pas de vague ». Au lieu de ça, il a été placardisé alors que le policier a fini par être mis en examen et placé en détention !

Comment avez-vous choisi les policiers qui témoignent ?

Fabien Bilheran : On a sélectionné les récits dans lesquels tous les propos sont avérés et prouvables. On a tous les documents qui étayent les témoignages. C’était le premier critère. Le second, c’est la capacité à faire face aux représailles. On a beaucoup échangé avec les témoins et on a choisi les plus sereins, ceux qui peuvent porter leurs témoignages publiquement. C’est aussi l’idée du collectif : être plusieurs, ça protège. On n’est plus seuls. Car en interne, les lanceurs d’alertes subissent les foudres de l’administration. Certains ont eu peur pour leur vie, on ne les fait pas témoigner alors qu’il y a des affaires bien pire que celles relatées dans ce livre.

Vous avez participé à la création du Mouvement des policiers en colère en 2016. C’est là que vous avez pris contact avec les autres policiers ?

Fabien Bilheran : J’ai pris contact il y a plus d’un an avec Agnès Naudin car elle travaillait sur la thématique de la rupture conventionnelle dont je voulais bénéficier pour quitter la police. On a beaucoup discuté et l’idée du livre est venue toute seule. J’ai rencontré d’autres policiers au cours d’accompagnements notamment dans le cadre de l’association Peps – Police Entraide Prévention et Lutte contre le Suicide.

Pourquoi ne pas vous être rapprochés des syndicats majoritaires ?

« Les syndicats majoritaires ne sont plus un contre-pouvoir. »

Fabien Bilheran : Parce qu’ils n’ont pas défendu les personnes qui témoignent. Les syndicats majoritaires ne sont plus un contre-pouvoir. Quand une organisation du travail dysfonctionne au point qu’elle produit un taux de suicide 40% plus important que le taux national, il y a un sérieux problème. Et ils ne le traitent pas. Ils ne sont pas critique du système : ils en font partie. Ils ont une vision électorale à court terme dont l’objectif est d’asseoir leur pouvoir en utilisant leur influence sur les grades et les mutations. Ils se basent uniquement sur la satisfaction individuelle, par sur un projet collectif.  

Et le ministère de l’Intérieur ?

Fabien Bilheran : Je n’attends rien du ministère : depuis des dizaines d’années, les ministres qui se succèdent utilisent les mêmes ficelles pour leur communication. Je l’ai vu faire : les stups sont très souvent instrumentalisés. De plus, je reste persuadé qu’il n’est pas informé de la moitié de ce qu’il se passe en interne. Il y a de puissants filtres dans les remontées d’information.

Qu’est-ce que vous espérez de ce livre ?

« J’espère qu’il y aura enfin une remise en question de l’institution au sens large. Que cela va permettre aux citoyens d’exiger qu’il y ait une meilleure police. »

Fabien Bilheran : J’ai un coté naïf : j’espère qu’il y aura enfin une remise en question de l’institution au sens large. Que cela va permettre aux citoyens d’exiger qu’il y ait une meilleure police, qu’ils s’approprient le sujet et qu’on sorte de cette cogestion hiérarchie – ministère de l’Intérieur – syndicats, qui ne défendent que leurs propres intérêts.

On espère que ce livre va susciter des réactions notamment auprès de la représentation nationale. On doit présenter notre livre à l’assemblée nationale le 7 décembre prochain et on voudrait qu’une commission d’enquête parlementaire soit ouverte sur la souffrance des policiers. Au Sénat, ce n’était qu’une simple mission d’information. A France Télécom, il y a eu neuf morts et ça a déclenché une enquête pour harcèlement moral institutionnel. La police vit le même mécanisme et il n’y a pas d’enquête…

 


 

Les syndicats Alliance et SGP police : un État (policier) dans l’État

IGrégory Marin sur www.humanite.fr

ls ont pris l’ascendant sur la police, et jusqu’à leur ministre de tutelle. Les syndicats Alliance et SGP police nuisent-ils à l’intérêt général ? Les auteurs d’un documentaire diffusé, ce jeudi, sur France 2, ont enquêté sur leurs pratiques.

Dans ces colonnes, en temps normal, on se réjouit de l’influence des syndicats dans une profession. Mais quand ils détournent une mission du service public à leur profit, comme le montre le film de Julien Daguerre, Hugo Puffeney, Vincent Piffeteau et Vincent Buchy diffusé, ce jeudi soir, sur France 2 dans le cadre du magazine Complément d’enquête, ils donnent une image désastreuse et de leur métier et du syndicalisme. C’est que dans la police, où 80 % des salariés sont syndiqués, deux syndicats, SGP police et Alliance (1), auraient autant, sinon plus, d’influence que leur ministre de tutelle.

Dans la branche, il convient, pour être bien vu, de se syndiquer dès l’école : les cadres syndicaux y recrutant à grand renfort de tee-shirts et de bons de réduction (la carte cadeau « Alliance avantage » remise à chaque adhérent offre 6 % sur les courses, sourit un agent)… Mais les organisations ont surtout un droit de regard sur les déroulements de carrière, promotions et mutations. Mieux vaut avoir sa carte, car nombreux sont les exemples de policiers méritants – qui témoignent visage flouté et voix trafiquée par crainte de représailles – qui, sans elle, se font devancer par des collègues mieux introduits.

Pourtant, « la pratique des interventions syndicales sur les avancements est irrationnelle d’un point de vue opérationnel, illégale sur le plan juridique et choquante sur le plan humain et social », estime le médiateur de la police. Sans résultats. L’omerta règne car « l’administration est prisonnière d’une paix sociale achetée », lâche un ancien dirigeant sous couvert d’anonymat.

Pire : aux fonctionnaires en formation, sous couvert de discours protecteurs, on promet une assistance à toute heure du jour ou de la nuit, et même pendant les vacances, « en cas de problème » avec la justice. Comprenez ces violences policières dont l’évocation « étouffe » le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. En un an, il y a eu 13 morts tués par balle pour « refus d’obtempérer », recense Complément d’enquête, et depuis 2017, « six fois plus de tirs mortels ». Il faudra bien continuer d’en parler, même si Alliance, bien placé pour remporter les élections professionnelles à venir, nie cette réalité.

Le sentiment d’impunité semble désormais livré avec l’uniforme. Jean-Louis Arajol, lui-même ancien responsable syndical, s’en désole : « Un syndicaliste républicain se doit de tout faire pour préserver cette société de paix », estime-t-il, pointant « un discours irresponsable ».

(1) Surtout que ce dernier, depuis septembre, a formé un « Ensemble » avec Unsa police et douze autres syndicats en vue des élections professionnelles du 1er décembre.

 


 

Halte au feu : assez des violences policières

Par Kaltoum Gachi, Jean-François Quantin et François Sauterey, membres du collège de la présidence du MRAP. sur www.humanite.fr

Une tribune des responsables du MRAP

Le 7 décembre, la sortie du film Nos frangins, de Rachid Bouchareb, dont le MRAP est partenaire, remet en avant les violences policières, et le tragique assassinat, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, de deux jeunes, Malik Oussekine au cœur de Paris par des policiers de pelotons voltigeurs, Abdel Benyahia à Pantin par un policier ivre qui a tiré avec son arme de service. L’assassinat de Malik Oussekine devait conduire à la dissolution des pelotons voltigeurs.

Depuis les violences policières n’ont pas cessé pour autant. Le constat est préoccupant : mutilations lors des manifestations de gilets jaunes, droit de manifester ou même parfois de faire la fête dans l’espace public mis en cause par les pratiques des forces de l’ordre plus promptes à piéger les manifestants qu’à empêcher les provocations des casseurs, créant ainsi un désordre responsable de plusieurs morts (Rémi Fraisse, Steve Maia Caniço), harcèlement, de Paris à Grande-Synthe, des militants de la solidarité pour les empêcher d’apporter de l’aide aux migrants ou aux mal-logé·e·s.

L’explosion du nombre de personnes tuées lors de contrôles de police pour « refus d’obtempérer » est accablante : 1 mort en 2020, 4 en 2021… et 12 depuis le début de l’année ; les décisions de Darmanin d’assouplir les règles d’ouverture du feu montrent leurs dangers. En juin dernier, la défenseure des droits, Claire Hédon a d’ailleurs décidé de s’autosaisir de cinq dossiers, dont trois concernent des tirs à l’occasion de refus d’obtempérer. Ce faisant, elle interroge « les conditions d’encadrement et de formation qui ont généré de tels comportements, autant que la façon dont sont enseignés les textes en vigueur ». Il s’agit aussi, selon Le Monde de comprendre pourquoi la loi de janvier 2017 «  a échoué – de l’avis de la plupart des juristes – à garantir une protection supplémentaire aux policiers et aux gendarmes ».

Le MRAP est concerné comme association de défense des droits et des libertés. Il l’est aussi comme mouvement antiraciste, car les personnes étrangères et nos concitoyens issus de l’immigration paient un lourd tribut à cette politique. Les contrôles d’identité discriminatoires contribuent à miner le lien entre la population et les forces de l’ordre et le mouvement « Black live matter » a fortement raisonné en France.

Le MRAP a donc décidé de mener une campagne « Non aux violences policières ».

Les exigences que nous entendons porter dans cette campagne visent à restaurer les liens entre la population et la police, la gendarmerie qui en démocratie doivent être des « gardiens de la paix ». En vertu de l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 «  La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Même réformée, l’IGPN reste une instance interne qui ne saurait suffire à instruire les « bavures ». Il faut que soit créée une instance de contrôle indépendante qui associe élus et représentants de la population. Enfin, l’exercice serein de la justice, indépendante du pouvoir politique, doit être assuré, en particulier par l’augmentation de ses moyens.

Le port d’armes dites non létales, comme les flash-balls, à l’origine de nombreuses graves mutilations doit être interdit lors de l’encadrement des manifestations comme celui des LBD qui ont mutilé tant de manifestants, en particulier pendant la période des Gilets Jaunes, de même que l’usage des grenades dites de désencerclements ou leurs avatars.

Les BRAV-M ont remplacé les pelotons voltigeurs ! Les mêmes causes produisant hélas les mêmes résultats, la question n’est pas de savoir s’il y aura une bavure, mais quand elle aura lieu !

Il doit être mis fin aux contrôles d’identité discriminatoires comme le demande un collectif d’associations dont la MRAP fait partie (juin 2021).

Le MRAP demande des mesures rigoureuses de lutte contre le racisme au sein des forces de l’ordre dont plusieurs affaires récentes attestent la présence : formation, sanctions, révision des procédures… Sans de vraies évolutions sur ces sujets, une relation de confiance entre police et population ne pourra pas se construire.

Le MRAP s’adresse à toutes les organisations qui combattent pour les droits de l’Homme pour mener cette campagne et organiser des initiatives le 5 décembre dans le plus de villes possibles.


 

Malade

Cédric Clérin sur www.humanite.fr

Le mal les ronge de l’intérieur. Le constat que font les agents qui ont décidé de prendre la parole est implacable : la police est gravement malade. « Violences policières, sexisme et racisme ordinaires, dissimulation de délits, abondance de faux en écriture publique, corruption, tyrannie hiérarchique, radicalisation médiatisée des syndicats ou encore politique du chiffre… » écrivent-ils dans un livre riche de témoignages rares. Ce sont tous ces affres auxquelles sont confrontés quotidiennement des fonctionnaires censés préserver l’ordre public. Le malaise est si profond que près de 50 agents se donnent la mort chaque année. Ils ont perdu le sens du métier parce que la police ne joue plus son rôle, enfermée dans un cercle vicieux : les violences internes provoquent des violences envers la population, qui provoquent à leur tour ressentiment et violences. Et ainsi de suite.

Face à ce double échec, les syndicats majoritaires, loin de jouer leur rôle pour améliorer la situation, sont un maillon essentiel du problème. Leurs principales activités sont d’aider à couvrir les violences, taire les discriminations, bâillonner les réfractaires. L’impunité devient loi et les ministres successifs n’ont fait qu’avaliser cet état de fait.

Loin d’être un problème corporatiste, ce délitement concerne toute la société. D’abord, parce que la politique du chiffre a pour conséquence directe d’empêcher l’institution de remplir sa mission, donc de laisser proliférer violences, trafics et injustices. Ensuite, parce que les valeurs, en vérité fort peu républicaines, qui sont sciemment véhiculées au sein de la police, couplées à la centralisation du pouvoir constituent un cocktail explosif à l’heure où l’extrême droite se rapproche du pouvoir. Avec les courageux témoignages désormais disponibles, le temps du déni doit se terminer et le paravent des brebis galeuses tomber. Le problème est bien systémique. Il est temps d’agir. Pour les policiers eux-mêmes, mais aussi et surtout pour tous les citoyens.

 


 

Un comité de l’ONU défend Assa Traoré face à des syndicats policiers

Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr/

La sœur d’Adama Traoré a été la cible de messages virulents de la part de syndicats de policiers après avoir été auditionnée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies. Ce dernier demande au gouvernement d’ouvrir des procédures, si nécessaire pénales, contre les auteurs.

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) des Nations unies « exhorte » la France à « prendre des mesures immédiates et efficaces » pour assurer la sécurité d’Assa Traoré et à ouvrir des procédures, éventuellement pénales, contre des policiers qui se seraient livrés à des actes de harcèlement en ligne.

Cet appel a été lancé vendredi 2 décembre à l’occasion de la publication des conclusions du CERD sur l’examen périodique de l’état du racisme et des discriminations en France. Prévue par l’article 8 de la Convention internationale de 1965 sur l’élimination des discriminations, cette procédure impose aux États membres de présenter les mesures prises dans ce domaine devant un comité de 18 expert·es indépendant·es ayant le pouvoir de mener des auditions.

Lors de celles-ci, qui s’étaient tenues à Genève les 15 et 16 novembre derniers, le CERD avait reçu Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré, mort en 2016 après une intervention de gendarmerie. La présence de la militante avait provoqué la colère, notamment, du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN).

« Cette personne ne représente personne sauf un clan criminel familial. L’ONU ne s’honore pas à donner une tribune à cette militante menteuse et radicalisée qui crache sur la France », fustigeait le syndicat sur Twitter. « La sœur du gang Traoré intervient à l’ONU pour dégueuler sur la France et la police ! », s’était également indigné le syndicat France police, tandis que de nombreux comptes d’extrême droite relayaient la polémique.

Dans ses conclusions publiées vendredi, le CERD se dit « gravement préoccupé par les renseignements faisant état que Mme Assa Traoré, qui a fourni des informations concernant son frère, a été victime de messages diffamatoires et de menaces en ligne, en particulier dans le compte Twitter des syndicats de la police », écrivent les experts de l’ONU.

En conséquence, le CERD demande au gouvernement français de « prendre des mesures immédiates et efficaces pour garantir la sécurité de Mme Asssa Traoré ». Il l’invite également « à prendre des mesures disciplinaires, diligenter les enquêtes nécessaires et le cas échéant à engager des poursuites pénales contre les agents de l’État qui se sont associés à ces messages d’intimidation et de menaces ».

Cela fait de nombreuses années qu’Assa Traoré, qui lutte pour que les gendarmes ayant effectué l’arrestation de son frère soient jugés, est la bête noire des syndicats de policiers, qui l’ont déjà, à de nombreuses reprises, fustigée sur les réseaux sociaux.

Les personnes coopérant avec l’ONU doivent être protégées contre les « représailles »

Mais cette nouvelle campagne de dénigrement s’est déroulée dans le cadre particulier des Nations unies. En effet, les personnes acceptant de témoigner devant un organisme onusien bénéficient normalement d’un mécanisme de protection les protégeant contre d’éventuelles représailles dans leur pays d’origine.

Au mois de septembre dernier, le Haut Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU avait d’ailleurs publié un rapport s’inquiétant d’une hausse « des représailles commises contre les personnes qui coopèrent avec l’ONU ».

Selon nos informations, l’ONG genevoise International Service for Human Rights (ISHR), alertée des messages ciblant Assa Traoré, a d’ores et déjà saisi le mécanisme de l’ONU sur les représailles et adressé un courrier à l’ambassadeur Jérôme Bonnafont, représentant permanent de la France aux Nations unies à Genève.

Dans ce courrier, que Mediapart a pu consulter, l’ONG dénonce « l’intimidation et les représailles perpétrées contre Mme Assa Traoré ». « Il est essentiel que la France exprime publiquement sa position sur le droit de Mme Traoré à un droit d’accès sans entrave et de communication avec l’ONU et à la liberté d’expression », poursuit-elle.

Contactés par Mediapart, ni le ministère de l’intérieur ni Assa Traoré ni le SCPN n’ont souhaité réagir.

Le CERD s’inquiète de la « discrimination raciale systémique »

Concernant le rapport du CERD sur l’état des discriminations en France, le comité commence par souligner les efforts faits par le gouvernement français « pour lutter contre la discrimination raciale » et salue, notamment, « la mise en œuvre de plans nationaux contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie ».

Mais ces mesures sont, pour les experts de l’ONU, loin d’être suffisantes. Le comité se dit ainsi « préoccupé par le fait que la discrimination raciale systémique, ainsi que la stigmatisation et l’utilisation de stéréotypes négatifs à l’égard de certaines minorités, notamment les Roms, les gens du voyage, les personnes africaines et d’ascendance africaine, les personnes d’origine arabe et les non-ressortissants demeurent fortement ancrées dans la société française ».

Il souligne « la persistance et l’ampleur des discours à caractère raciste et discriminatoire, notamment dans les médias et sur Internet ». Les conclusions pointent en outre « le discours politique raciste tenu par des responsables politiques à l’égard des certaines minorités ethniques ».

Une bonne partie des observations du CERD portent sur les pratiques discriminatoires des forces de l’ordre françaises. Elles citent « le recours fréquent aux contrôles d’identité, à des interpellations discriminatoires, ainsi qu’à l’application des amendes forfaitaires délictuelles imposées par la police ou les forces de l’ordre, ciblant de manière disproportionnée les membres de certains groupes minoritaires ».

Le comité fait également état d’un certain nombre de cas signalés « d’usage excessif de la force et de mauvais traitements, y compris des violences physiques et verbales infligées par des agents des forces de l’ordre aux membres de certains groupes minoritaires ».

Lors des auditions, qui s’étaient tenues à Genève les 15 et 16 novembre, la secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Magali Lafourcade, avait dressé un bilan peu flatteur de la lutte contre les discriminations en France.

Les « violences policières illégitimes »

« Malgré les alertes de la société civile et de la CNCDH sur les pratiques policières discriminatoires et sur l’existence de violences policières illégitimes, les pouvoirs publics ne semblent pas prendre d’actions à la mesure de l’enjeu », avait-elle dénoncé.

« Nous observons la montée d’un discours politique xénophobe », a encore déclaré Magali Lafourcade. « Lors de nos missions de terrain aux frontières et notamment à Calais, nous avons documenté les violations des droits des migrants et le harcèlement des défenseurs des droits des migrants », a-t-elle pointé.

« Plusieurs autres experts membres du comité » ont signalé que ce dernier « avait été saisi de nombreuses informations crédibles relatives à des comportements abusifs de la part de représentants des forces de l’ordre, affectant de manières disproportionnée les personnes perçues comme étant issues de l’immigration ou comme appartenant à des groupes ».

Une réponse pénale insuffisante

Magali Lafourcade « a en outre déploré la faiblesse de la politique pénale en matière de lutte contre le racisme, affirmant que le phénomène de sous-déclaration est énorme et que l’insuffisance des enquêtes conduit à un taux de classement sans suite très élevé », comme le détaille le compte-rendu des auditions publiées sur le site des Nations unies.

La secrétaire générale de la CNCDH a notamment pointé le fait que « les condamnations sont de l’ordre de mille par an, loin de réalité du phénomène infractionnel, estimé à 1,2 million de victimes par an ».

« La CNCDH appelle à un changement profond pour faire reculer les freins au dépôt de plainte et restaurer la confiance des minorités dans les institutions de la police et de la justice », et « appelle à réviser le formulaire de prise de plainte pour mettre au jour le mobile discriminatoire des infractions », a encore déclaré Magali Lafourcade.

« Surtout, en matière de discrimination, aucune condamnation pénale n’a été enregistrée lors de la dernière année de référence, selon les chiffres du ministère de la justice », a-t-elle ajouté, estimant « urgent de prendre des mesures de prévention, de sensibilisation et de politique pénale ».

publié le 2 décembre 2022

Des salaires ras des pâquerettes à la clinique Floréal de Bagnolet

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

En grève depuis le 23 novembre, les personnels mobilisés militent pour une hausse de leurs rémunérations mais font face à une direction inflexible et des réquisitions de personnels.

La colère ne faiblit pas à Floréal. Depuis le 23 novembre, des salariés de ce centre médico-chirurgical privé situé à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) se sont mis en grève afin d’obtenir une revalorisation de leur salaire pour faire face à l’inflation. « Nous avons commencé les négociations annuelles obligatoires (NAO) il y a deux mois, avec une demande d’augmentation de salaires entre 5 et 15 %, pour tous, mais la direction a refusé », explique Marie Milgère, déléguée CGT et responsable des admissions à la clinique. Selon elle, leurs nombreuses tentatives de négociations sont restées lettres mortes.

Comme Marie, ils sont nombreux à avoir rejoint les rangs des grévistes. La CGT précisait la semaine dernière que la mobilisation était suivie par plus de « 65 % des salariés ». « Nous sommes 146 à la clinique et nous avons commencé le premier jour de grève à 80 personnes. Mais dès le lendemain du début de la grève, les réquisitions ont commencé. Elles continuent d’ailleurs ». La CGT avait en effet précisé le 24 novembre que l’Agence Régionale de la Santé (ARS) avait « décidé de réquisitionner des personnels ». Une décision contestée par les salariés en lutte pour qui les griefs ne s’arrêtent pas là.

Marie Milgère déplore une gestion désastreuse des personnels depuis le rachat de la clinique par le groupe Almaviva Santé en 2021. « Depuis que le groupe est arrivé, on a eu une quarantaine de démissions. Alors qu’on n’en avait jamais eu avant. En plus de cela, les postes ne sont pas remplacés parce que la clinique n’est pas attractive. C’est un vrai problème. » Isabelle Savasta, dresse également un constat amer. « Certains sont en grève depuis huit jours mais ils ne vont pas continuer longtemps. Ce sont des jours de salaire en moins », déplore cette infirmière. En vingt-trois années passées dans la clinique, c’est la première fois qu’elle fait la grève et se dit « écœurée » par l’attitude de ses patrons. « On a eu un retour pitoyable face à nos demandes », explique-t-elle. Lors des dernières négociations, leur direction leur aurait notamment proposé une prime d’ancienneté de « 40 euros bruts par mois » à condition que les salariés jouissent de trois ans d’ancienneté. Pas en reste, elle aurait, en supplément proposé le don « d’un pull en polaire et de Crocs », selon un communiqué de la CGT.

Élus locaux et députés en soutien aux grévistes

Plusieurs élus ont soutenu le mouvement des grévistes, dont les députés Insoumis de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière et Aurélie Trouvé. Une lettre adressée aux communes de Bagnolet, Romainville et Les Lilas a également recueilli plusieurs signatures de poids, dont celle de Lionel Benharous, maire de Romainville ou encore celle de Mohamed Djennane, conseiller municipal et secrétaire PCF à Bagnolet. « La clinique de Floréal exerce une mission de service public de santé, les pouvoirs publics doivent utiliser tous les leviers qu’ils détiennent pour permettre une sortie par le haut de ce conflit, et ce, dans l’intérêt des salarié.e.s et des patients », souligne-t-elle.

Les grèves s’enchaînent pour le groupe d’Almaviva Santé. Le mois dernier, les salariés d’un établissement privé lui appartenant à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) avaient cessé de travailler pendant quelques jours pour obtenir une revalorisation salariale. Ils avaient obtenu une augmentation de 110 euros bruts sur leurs salaires.

Ce vendredi matin, la direction n’avait pas répondu à nos questions.

publié le 2 décembre 2022

Que reste-t-il
des services publics ?

éditorial sur http://cqfd-journal.org/

Depuis des décennies, les syndicalistes alertent : à force de « modernisations » néolibérales et de sous-financement, le service public va craquer. En 2022, on dirait bien qu’on y est. L’hôpital trie ses patients, les pompiers ne maîtrisent plus les feux de forêt, l’Éducation nationale manque d’enseignants… À qui la faute ? Et comment reprendre le contrôle ?

Depuis le service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Trousseau, à Paris, la docteure Julie Starck a une vue dégagée sur l’effondrement du système public de soins. Le 10 novembre dernier, sur RTL, elle a appelé un chat un chat : « On est obligés de trier des enfants. » Indignation du ministre de la Santé : « Je suis choqué par cette formule, c’est inadmissible », déclare François Braun dans Le Parisien 1. Non content de se voiler la face, le ministre va jusqu’à menacer : « Je ne m’interdis d’ailleurs pas une enquête. Et si jamais de telles pratiques déviantes étaient avérées, des conclusions en seraient tirées. »

Le constat est sans appel : la France de 2022 est un pays en voie de sous-développement.

Problème : un peu partout dans les médias, des pédiatres confirment les dires de Julie Starck, racontant comment l’actuelle épidémie de bronchiolite met leurs services en difficulté. Ainsi du docteur Laurent Dupic, de l’hôpital Necker, à Paris : « Depuis trois semaines, on voit le système se déstructurer, tous les jours, heure par heure : des enfants dans un état grave sont maintenus dans des endroits inadaptés. Des bébés sous masque à oxygène, qui devraient être en réanimation, restent en pédiatrie générale, aux urgences, parce qu’il n’y a plus de places2. »

Manque de matériel, pénurie de soignants. Retards de prise en charge, complications. Décès évitables non évités. Si l’on en juge par l’état de son hôpital public, le constat est sans appel : la France de 2022 est un pays en voie de sous-développement. Et il n’y a pas que l’hôpital…

Ces dernières décennies, à chaque attaque néolibérale contre les services publics, des fonctionnaires et des syndicalistes préviennent : « Ça va s’effondrer. » Eh bien, à bien des aspects, on y est. Cet été, des dizaines de services d’urgence ont fermé. Dans l’Éducation nationale, on recrute des enseignants en quelques minutes de job-dating pour cause de démissions en série et de pénurie de candidats [lire p. 16]. Au 1er janvier prochain, La Poste ne livrera plus le courrier à « J+1 », c’est-à-dire le lendemain de son expédition, mais à « J+3 » au mieux [p. 14]. Cet été, les pompiers ont été complètement dépassés par les feux de forêt. À l’Inspection du travail, le sous-effectif est tel que les agents sont de moins en moins en mesure de protéger les salariés de patrons voyous. Etc., etc. De l’Office national des forêts à Pôle emploi, partout il y a manque de moyens et perte de sens [lire les témoignages d’agents pp. 12 & 13].

Usagers abandonnés, agents malmenés : les sempiternelles « modernisations » néolibérales sont un carnage humain.

On ne dira jamais assez les torts de l’idéologie managériale qui pressurise les agents, les met en concurrence, les soumet à des impératifs chiffrés pour mieux les empêcher de faire leur métier. On n’écrira jamais assez la bêtise coupable de l’obsession gestionnaire qui met le fonctionnement des services publics sous surveillance comptable, oubliant que c’est aussi la capacité à travailler à perte, mais pour l’intérêt général, qui fait la beauté et l’intérêt du service public. En vérité, les « économies » préconisées aujourd’hui par les chantres de la rigueur budgétaire ne sont rien d’autre que les coûts sociaux de demain…

Usagers abandonnés, agents malmenés : les sempiternelles « modernisations » néolibérales sont un carnage humain. Qui en est responsable ? Pour les auteurs de La Valeur du service public [lire l’interview pp. 10 & 11], un groupe social est particulièrement coupable : la « noblesse managériale publique-privée ». Formé de très hauts fonctionnaires et de consultants multipliant les allers-retours entre la haute administration et les grandes entreprises privées, ce gang est à la manœuvre des réformes du service public, le dépeçant tout en le poussant à ressembler de plus en plus au privé.

« Combien de temps encore laisserons-nous l’État dynamiter notre bien commun ? » se demande un pompier volontaire qui témoigne dans ce dossier. Essentielle, l’interrogation pourrait se reformuler ainsi : jusqu’à quand allons-nous laisser la gestion des services publics à cette « noblesse managériale publique-privée » qui ne pense qu’à son intérêt propre ? Dans son récent livre La Bataille de la Sécu (La Fabrique, 2022), l’économiste Nicolas Da Silva rappelle que, de 1946 à 1967, le régime général de la Sécurité sociale était majoritairement géré par les assurés eux-mêmes, appelés à élire les gestionnaires des caisses.

L’histoire le montre donc : en lieu et place d’une gestion étatique au pur service du capital, d’autres modes d’organisation sont possibles. Et si on reprenait le contrôle des services publics ?

1 « Bronchiolite : “On ne trie pas les enfants à l’hôpital”, assure François Braun » (11/11/2022).

2 « Bronchiolites, diabète, greffes : en pédiatrie, le tri affolant des petits malades », Mediapart (12/11/2022).

 publié le 1° décembre 2022

Les coupures d'électricité non ciblées, ce sont les inégalités aggravées

Maxime Combes sur https://blogs.mediapart.fr/

Le gouvernement prévoit de possibles coupures d'électricité cet hiver : j'ai vraiment hâte de voir comment seront justifiées l'annulation de trains et la fermeture d'écoles pendant que les remontées mécaniques de Megève ou Courchevel continueront à fonctionner. Non ciblées sur les activités « non essentielles », ces coupures d'électricité pourraient aggraver les inégalités.

Le gouvernement prévoit de possibles coupures d'électricité cet hiver. Dans de nombreux d'articles de presse du jour, vous lirez que ces coupures pourraient concerner jusqu'à 60% de la population. Vous y lirez aussi qu'il pourrait être « déconseillé de monter dans un ascenseur ou de prendre sa voiture en cas de coupure en soirée ». « Ascenseur et feux de circulation pourraient ne pas fonctionner ». « Pour éviter que des trains ne soient bloqués deux heures au milieu d’une voie », la SNCF pourrait supprimer des trains, car le système de signalisation, relié au réseau général, pourrait être coupé.

Mieux. Des écoles pourraient être fermées le matin. Et vous n'avez pas la garantie à ce stade que les numéros d'urgence seront accessibles partout et tout le temps. Rassurez-vous néanmoins puisque les hôpitaux, prisons, casernes de pompiers, gendarmeries, commissariats et voisins immédiats de ces édifices resteront alimentés : vous ne pourrez peut-être pas appeler les secours, mais vous pourrez courir aux urgences. On nous promet que les coupures pourraient avoir lieu entre 8 heures et 13 heures et entre 18 heures et 20 heures mais qu'elles ne dureront pas plus de deux heures consécutives et qu'« une même zone ne sera pas délestée deux fois de suite ».

Hors infrastructures vitales et de sécurité, il semble donc n'y avoir aucune réflexion sur l'utilité sociale, économique et écologique des activités qui pourraient ne plus être alimentées.

J'ai hâte. Oui, j'ai hâte de voir comment seront justifiées l'annulation de trains et la fermeture d'écoles pendant que les remontées mécaniques de Megève ou Courchevel continueront à fonctionner.

Hâte de voir la piscine en plein air chauffée à 28°C du Lagardère Paris Racing dans le 16ème à Paris (quartiers riches) continuer à distraire ses membres sélectionnés quand les ascenseurs des tours des quartiers populaires d'Aubervilliers, Bobigny, Clichy-sous-Bois, Grigny seront arrêtés.

Hâte aussi de voir l'aéroport de Roissy-CDG continuer à fonctionner quand la Ligne 13 du métro à Paris sera mise à l'arrêt.

Hâte enfin de voir comment sera justifiée l'absence de courant en début de soirée dans une petite ville pendant que le stade de foot, le gymnase et le cours de tennis de la ville d'à-côté pourront continuer à éclairer des mecs tapant dans un ballon ou une balle. (précision : taper dans un ballon, c'est cool).

J'ai hâte, oui. Vraiment hâte, tellement je n'en reviens pas. Tellement tout cela me met en colère. Pour trois raisons au moins :

1) Ce possible rationnement imposé de l'accès à l'électricité que nous allons devoir supporter ne vient pas de nulle part. Il serait trop facile d'en reporter la seule responsabilité sur Vladimir Poutine et sa guerre en Ukraine. Que l'on soit clair : Poutine est un criminel et cela fait des années que nous le savons. Mais ce rationnement imposé à des populations qui ne sont pas préparées est directement le résultat de l'incurie de gouvernements actuels et passés qui ont été incapables de mettre en oeuvre une politique de transition énergétique qui aurait réduit nos besoins et nous aurait affranchi de nos dépendances fossiles et géopolitiques.

On ne le rappellera jamais assez : si les objectifs du Grenelle de l'Environnement (2008) en matière d'isolation des bâtiments avaient été tenus, nous économiserions l'équivalent du gaz que nous importions de Russie avant le début de la guerre en Ukraine. Quand on constate que le gouvernement vient de rejeter les propositions visant à augmenter les crédits dévolus à la rénovation énergétique des bâtiments, avec pour conséquence le fait qu'on va moins isoler de logements en 2023 qu'en 2022, on comprend qu'aucune leçon n'en a été manifestement tirée.

2) Puisque ces mesures de rationnement imposé semblent inéluctables, leur mise en œuvre devrait s'appuyer sur un débat public démocratique de qualité pour savoir où, quand et comment les appliquer. A la place, nous avons l'alliance d'une technocratie d'Etat et d'un gouvernement enfermé dans sa tour d'ivoire en charge de prendre des décisions qui ont des répercussions sur l'ensemble d'entre nous et pour lesquels ils n'ont reçu aucun mandat. Quelle légitimité auront ces décisions ?

3) Ce plan de rationnement de l'électricité vient après un plan de sobriété fondé sur des engagements volontaires et des incitations non contraignantes, qui faisait l'impasse sur l'essentiel : stopper les productions superflues ; réduire les inégalités ; financer les services publics (transports...) et isoler les logements. Nous l'avions résumé ainsi : 1) La sobriété sans égalité, c'est l'austérité pour les plus pauvres ; 2) La sobriété sans interdiction des activités nocives, c'est une politique de classe qui s'affirme ; 3) La sobriété sans services publics, c'est l'austérité pour la majorité ; 4) La sobriété sans isolation généralisée, c'est la précarité énergétique prolongée.

Impréparation. Incurie. Eloignement. Illégitimité. Contradictions et impasses multiples : n'avons-nous pas déjà vu ce film ? En est-on réduit à espérer que l'hiver ne soit pas trop froid ?

publié le 1° décembre 2022

Retraites :
tromperie sur le marchandage

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Réforme - Alors que les négociations avec les syndicats et le patronat entrent dans leur dernière ligne droite, l’exécutif brandit des contreparties pour faire accepter le recul de l’âge légal de départ. Des avancées qui n’en sont pas.

La pilule sera-t-elle moins dure à avaler si on l’enrobe de sucre glace ? Dès l’annonce d’un éventuel recul de l’âge de départ à 64 ou 65 ans (contre 62 aujourd’hui), Emmanuel Macron a promis des contreparties en matière de pénibilité et d’emploi des seniors. Cette vieille méthode de la carotte et du bâton est régulièrement appliquée par les gouvernements à l’approche d’une ­réforme douloureuse : une avancée sociale digne de ce nom ne saurait être actée sans une régression au moins équivalente. En 2016, la loi El Khomri prévoyait une flexibilisation sans précédent du marché du travail, mais l’assortissait de nouveaux droits en matière de formation et de déconnexion. En 2010, le passage de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans s’accompagnait d’une prise en compte de la pénibilité, permettant aux salariés suffisamment démolis par le travail de continuer de partir à 60 ans (à condition de justifier d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 20 %).

Ce type de marchandage vise à redorer le blason de réformes majoritairement rejetées par l’opinion, tout en lézardant le front syndical. Pas sûr que l’opération fonctionne avec l’actuel projet gouvernemental, qui pourrait, selon des rumeurs persistantes, être saucissonné en deux : le recul de l’âge légal serait intégré à un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale en janvier ; les mesures « positives » étant inscrites dans un projet de loi classique à la même période. Penchons-nous sur ces dernières.

Pension minimale : un progrès en trompe-l’œil

Grand prince, le ministre du Travail a déclaré qu’il souhaitait améliorer sa proposition précédente qui prévoyait que tous les nouveaux retraités toucheraient une pension minimale de 1 100 euros pour une carrière complète. Le diable se niche dans les détails. Tout d’abord, cette augmentation n’a rien d’une avancée considérable : le gouvernement précise depuis le début vouloir garantir un minimum équivalant à 85 % du Smic, une mesure déjà inscrite d’ailleurs dans la loi dès 2003, mais jamais appliquée. Le Smic ayant été récemment revalorisé en raison de l’inflation, il est logique que le minimum promis aux retraités suive le mouvement… À l’heure actuelle, si on tenait compte de cette revalorisation, il devrait être fixé à 1 130 euros environ.

Par ailleurs, une spécificité de la proposition en diminue considérablement la portée : seuls les retraités pouvant justifier d’une carrière complète y auront droit. Sur les 5,7 millions de personnes vivant avec des petites retraites (moins de 1 000 euros de pension), soit le cœur de cible de la mesure gouvernementale, cela ne concerne que 32 % de l’ensemble. Près de 70 % des retraités pauvres seraient donc abandonnés à leur sort : ce sont les travailleurs aux carrières hachées (pour cause de chômage, d’interruption de carrière pour garde d’enfants, maladie, etc.) qui perçoivent les pensions les plus faibles. Pour sa part, la CGT dénonce un chantage implicite : « Depuis le départ, l’augmentation du minimum est conditionnée à la réalisation de la réforme, rappelle Régis Mezzasalma, conseiller confédéral. Pire, il est prévu que ce mécanisme n’entre pleinement en activité qu’au bout de cinq ans, c’est-à-dire lorsque l’âge de départ aura atteint 64 ans : c’est une façon d’obliger les salariés à bosser plus longtemps. »

Pénibilité : le compte n’y est pas

À chaque réforme des retraites, son lot de mesures en direction des salariés amochés par le travail. Pourtant, si l’exécutif voulait vraiment adoucir la situation des travailleurs exposés à des métiers difficiles, il pourrait simplement commencer par renoncer aux 65 ans. « S’en prendre à l’âge légal plutôt qu’à la durée de cotisation est bien plus brutal, car cela concerne le bas de la hiérarchie sociale, souligne Serge Volkoff, statisticien et ergonome, spécialiste des relations entre l’âge, le travail et la santé. Les premiers lésés seraient les salariés qui ont commencé leur vie professionnelle tôt, qui occupent des postes peu qualifiés et qui sont plus susceptibles d’être exposés à de la pénibilité. »

L’exécutif assure néanmoins vouloir alléger la facture pour les métiers difficiles, en musclant le compte professionnel de prévention (C2P), aussi appelé « compte pénibilité ». Le C2P ouvre la possibilité à des salariés de partir plus tôt à la retraite, à condition qu’ils aient accumulé suffisamment de points, attribués en fonction de leur exposition à différents facteurs de pénibilité (travail de nuit, répétitif, températures extrêmes, etc.). Entré en application en 2014, ce dispositif a été torpillé sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, qui a supprimé quatre critères sur les dix prévus (agents chimiques dangereux, manutention de charge, postures pénibles et vibrations).

Dans un mea culpa qui ne dit pas son nom, le gouvernement promet de réintroduire trois des quatre critères disparus, mais en laissant le soin aux branches professionnelles de les appliquer à certaines professions. « Pour être honnête, je ne comprends pas du tout comment cela pourrait fonctionner, avoue un bon connaisseur du dossier. Cela voudrait dire que les employeurs définiraient des métiers pénibles en soi, ce qu’ils ont toujours ­refusé de faire. D’ailleurs, le patron du Medef a récemment redit son opposition, au prétexte que cela recréerait des régimes spéciaux ! »

L’exécutif promet également de déplafonner l’acquisition de points et de permettre à ceux qui sont exposés à plusieurs risques simultanés d’en obtenir davantage. Mais il laisse dans l’ombre l’une des principales failles du compte pénibilité, c’est-à-dire la hauteur des seuils à atteindre pour en bénéficier. Par exemple, il faut être exposé au moins 900 heures par an (environ 4 heures tous les jours) à des températures extrêmes (inférieures ou égales à 5 degrés ou supérieures ou égales à 30 degrés) pour y avoir droit. « À ma connaissance, il n’est pas question d’abaisser les seuils, ce qui est pourtant primordial, insiste Serge Volkoff. Aujourd’hui, 1,6 million de personnes se sont constitué un compte pénibilité, ce qui signifie que de très nombreux salariés occupant des postes dangereux à terme pour leur santé en sont exclus. Le gouvernement peut toujours supprimer le plafond de points, cela ne changera rien pour ceux qui seront sous les seuils. »

Emploi des seniors : la stratégie des tout petits pas

Le meilleur pourfendeur du recul de l’âge légal est encore… Emmanuel Macron. Du moins, le Macron de 2019, celui qui lâchait alors ces quelques vérités difficilement contestables : « Tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. Quand, aujourd’hui, on est peu qualifié (…), qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans ! » Du courage, il en faut effectivement : selon l’OCDE, le taux d’emploi des seniors (55-64 ans) en France n’atteint que 56,8 %, contre 62,6 % pour la zone euro. Surtout, selon un rapport parlementaire de septembre 2019, les seniors en emploi sont cantonnés à des postes précaires : 88 % des 55-59 ans et 90 % des 60-64 ans sont embauchés en CDD. Par ailleurs, 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans, rejetées du marché de l’emploi et pas encore à la retraite, survivent avec les minima sociaux.

Pour y remédier, l’exécutif propose deux grands dispositifs : un « index emploi des seniors » et la possibilité donnée à un senior acceptant un travail moins bien payé de conserver une partie de son indemnité de chômage. Cette dernière proposition a suscité une levée de boucliers quasi unanime : elle reviendrait à garantir aux entreprises l’embauche, à moindre coût, de travailleurs expérimentés. Un responsable patronal interloqué a reconnu que « même nous, nous n’aurions pas osé avancer une telle mesure » (le Parisien du 11 octobre), soulignant en creux la violence de la proposition…

Quant à l’index emploi des seniors, il fonctionnerait un peu sur le même principe que l’index égalité hommes-femmes : les entreprises devraient renseigner plusieurs indicateurs dans un registre public (taux de recrutement des plus de 55 ans, dispositifs de formation, etc.). Mais le Medef a déjà refusé toute forme de sanction en cas de mauvaise pratique : si le gouvernement s’aligne sur ces desiderata – ce qui n’aurait rien de surprenant –, il videra­ du même coup le dispositif de sa substance.


 


 

« Ces concertations sont
un simulacre de discussions »

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Entamé début octobre, le dialogue entre l’exécutif et les syndicats doit entrer prochainement dans la dernière phase. Spécialiste des retraites pour la CGT, Régis Mezzasalma en tire un bilan plus que mitigé.


 

Quel regard portez-vous sur les deux premiers cycles de discussions qui ont abordé notamment la question de la pénibilité ou des régimes spéciaux ?

Régis Mezzasalma : Pour être honnêtes, nous n’en attendions pas grand-chose de toute façon : le gouvernement a rappelé dès le départ qu’il ne reviendrait pas sur la mesure d’âge, ce qui est une façon de verrouiller le débat. Les concertations relèvent donc surtout d’un simulacre de discussions, où on nous propose de négocier des mesures d’aménagement destinées à rendre acceptable le passage à 64 ou 65 ans. Par ailleurs, dans ces rencontres, nous n’avons pas affaire aux décideurs directement mais à des hauts fonctionnaires. Pour ce qui est du fond, nous avons abordé des questions importantes – écarts de pension femmes-hommes, petites pensions, avenir des régimes spéciaux –, mais le dialogue tourne court à chaque fois en raison de visions du monde antagonistes.

Quelles sont les divergences de fond ?

Régis Mezzasalma : Pour nous, le financement des régimes doit être la première question à poser. On ne raisonne pas de la même manière selon qu’on veut rester à périmètre constant, réduire la voilure ou élargir les recettes. En pratique, accorder de nouveaux droits sans revoir le volume de ressources global revient à enlever à certains pour donner à d’autres. Et si l’idée est de baisser les dépenses publiques, comme le martèle le gouvernement, alors cela signifie que ceux qui bénéficieront de ces nouveaux droits gagneront très peu.

Le prochain cycle de discussions portera précisément sur le financement des régimes : quelles idées allez-vous défendre ?

Régis Mezzasalma : Évitons, pour commencer, de dramatiser la situation : les projections du Conseil d’orientation des retraites indiquent que, dans l’hypothèse de croissance faible ou nulle, la part du PIB consacrée aux retraites dans les années à venir demeurerait aux alentours de 14 %. Le vrai problème, en réalité, est la future baisse du niveau des pensions, inéluctable si l’on reste sur les mêmes tendances. Pour notre part, nous plaidons pour améliorer le niveau des pensions, tout en revenant à la retraite à 60 ans, d’où la nécessité de dégager des recettes supplémentaires. Les leviers ne manquent pas : nous avions calculé, il y a quelques années, qu’une hausse modeste des cotisations retraite  (+0,2 point par an) suffisait à maintenir le niveau actuel des pensions. Par ailleurs, nous souhaitons mettre à contribution les revenus du capital, notamment les dividendes, à travers un nouveau prélèvement. Enfin, il est indispensable de soumettre l’intéressement et la participation à cotisations, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : à l’heure actuelle, ces dispositifs ne permettent pas aux salariés de cotiser pour leur retraite, tout en asséchant le financement de la Sécurité sociale. Les entreprises doivent verser des augmentations de salaires plutôt que des primes. Si toutes ces mesures étaient appliquées (hausses de salaires, taxation des dividendes), cela permettrait de modifier le partage de la valeur entre travail et capital.


 

Version imprimable | Plan du site
© pcf cellule st Georges d'Orques