oublié le 16 juillet 2023
Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr
La question se pose sérieusement. La France, sous pression d’un remodelage constant selon les canons du capitalisme mondialisé et financier, n’est-elle pas en train d’atteindre un point de bascule ? Ce moment où le puissant rejet des politiques ultralibérales conduit le pouvoir à glisser vers un autoritarisme renforcé ?
L’auto-qualification du vocable « d’extrême centre » s’agissant de la nature du macronisme ne signifie en rien que ce pouvoir se place en position « centrale » sur l’échiquier politique, pas plus qu’il ne recherche en permanence un compromis entre le capital et le travail. Il n’est donc pas non plus, comme on le disait jadis, de « centre droit » ou de « centre gauche ». Non !
Face aux exigences populaires, les classes dirigeantes utilisent l’État comme le garant de leurs intérêts particuliers
Nous n’en sommes plus là. « L’extrême centre » a une histoire et caractérise, pour l’historien Pierre Serna(1), les modes de gouvernement, en France, des régimes de l’Empire et du Directoire. C’est, pour être précis, « l’intolérance à tout ce qui ne cadre pas avec un juste milieu arbitrairement proclamé * ». Selon une des figures de la gauche intellectuelle britannique, Tariq Ali2, l’extrême centre est cette alliance où « centre-gauche et centre-droit s’entendent à préserver le statu quo ; une dictature du capital qui réduit les partis politiques au statut de morts-vivants ». Derrière des discours souvent mielleux, la politique de « l’extrême centre » vise, d’un « coûte que coûte », à pousser les feux n libéralisme économique sans limites, sous la conduite d’un exécutif à tendance autoritaire.
Face aux exigences populaires, les classes dirigeantes utilisent l’État comme le garant de leurs intérêts particuliers en se dotant, « en même temps », d’un système médiatique capable de mener une guerre idéologique de haute intensité.
Le Parlement est bafoué, les corps intermédiaires sont mis de côté. Et, le président de la République est « ministre de tout ». On s’est même demandé ces derniers jours, s’il n’était pas aussi maire de Marseille.
Le débat politique, entre plusieurs options, est réduit au maximum, au profit de choix présentés comme techniques, visant à faire croire qu’il n’y aurait qu’une politique possible, dans le cadre d’un a-républicanisme où la citoyenneté est niée.
Les travailleurs et les jeunes devraient donc se soumettre inéluctablement aux fourches caudines du capital qui s’accapare toujours plus les richesses produites – au nom de « l’efficacité » ou de l’illusion d’un mieux-être, voire de la « justice ». Ainsi, le pouvoir justifiait-il dernièrement sa contre-réforme des retraites en arguant d’une fausse impasse : « Si on ne travaille pas plus longtemps, les pensions diminueront… » Jamais, il n’a abordé la possibilité d’une contribution des revenus financiers du capital.
Le président et son gouvernement procèdent de la même façon avec l’obligation de vendre gratuitement sa force de travail pour bénéficier désormais du revenu de solidarité active (RSA). Jamais n’est abordé le droit au travail et à la formation pour toutes et tous, assorti d’une rémunération correcte tout au long de la vie. L’enjeu pour les mandataires du capital est de diviser les travailleurs entre eux, entre celles et ceux qui sont au travail et celles et ceux qui en sont exclus, entre travailleurs français et travailleurs d’origine immigrée…
La République est détournée, triturée, manipulée
L’aiguisement des contradictions entre le capital et le travail, entre les intérêts d’une petite caste et l’intérêt général, empêche les « cent jours d’apaisement » de M. Macron, et fait voler en éclats une prétendue « réconciliation nationale », même mâtinée de sauce républicaine.
La République est détournée, triturée, manipulée pour faire accepter la rapacité du capitalisme mondialisé. La tempête que récolte le pouvoir en retour n’a d’égale que la violence qu’il a déployée pour imposer les modifications du Code du travail, la contre-réforme de l’assurance chômage et du RSA, et la loi des 64 ans dont il n’a pu cacher qu’elle a pour unique objectif que de répondre aux demandes des institutions européennes et à la soif des marchés financiers.
En signifiant au peuple (qui, majoritairement, refusait cette inqualifiable régression sociale) qu’il avait de toute façon tort, et cela venant après le mouvement des Gilets jaunes, le pouvoir a acculé les citoyens contre un mur de béton armé. Contre ce mur naît la désespérance et prospèrent l’abstention et toutes les colères, parfois sans débouché politique.
Et la police, mue en seule « force de l’ordre », a été abondamment utilisée pour faire taire le mouvement social d’opposition à la contre-réforme des retraites. Comble de la surdité du pouvoir et du président, les autorités sont allées jusqu’à interdire l’utilisation de « dispositifs sonores portatifs » tels que des casseroles.
La gestion chaotique de la pandémie avait déjà mis au grand jour les dégâts colossaux d’une trentaine d’années d’austérité et l’ultralibéralisme européen, qui ont considérablement affaibli les services publics, tout en réhabilitant la figure centrale du travailleur sous-payé, exploité, méprisé qui fait fonctionner la société. Celui-ci vit souvent en banlieue ou repoussé à la périphérie des villes, voire en zone rurale où les services publics et l’industrie ont été affaiblis et maltraités. Ces travailleurs aux intérêts communs rejettent massivement le pouvoir. Il n’y a donc pas deux France des travailleurs. La ligne de démarcation reste bien entre les détenteurs du capital, d’une part, et celles et ceux, d’autre part, qui n’ont d’autre choix que de vendre à vil prix leur force de travail, pour valoriser ce capital.
Celles et ceux qui se sont levés dans les quartiers populaires ces derniers jours, soutenus par des millions d’autres, ne supportent plus leur situation de paupérisation permanente quand l’argent se concentre à un pôle de la société. Elles et ils ne supportent plus les relégations, les discriminations, le racisme, les humiliations, le mépris. En répétant à dessein qu’il ne veut que le « retour à l’ordre », en utilisant à cette fin la police, le pouvoir leur signifie qu’elles et ils doivent accepter leur sort en silence, et dans le « calme ». Ce qu’ils ne feront pas !
Le nauséabond déchaînement politique réactionnaire du pouvoir, des droites extrémisées et de l’extrême droite qui se déploie depuis l’assassinat de Nahel par un policier et les émeutes urbaines qui s’en sont suivies, marque un nouveau point de bascule.
Cette bascule nous éclaire encore sur la nature du pouvoir et les métamorphoses de la droite de plus en plus extrémisée. Aucune offre de dialogue de la part du pouvoir, aucune remise en cause de la loi permettant aux policiers d’utiliser leur arme en cas de refus d’obtempérer, aucun projet nouveau pour les services publics et l’accès aux formations et au travail dans ces quartiers. Les seuls mots abondamment répétés ont été ceux de « retour à l’ordre ».
Alors que, en 2005, Jacques Chirac avait reconnu les jeunes participants aux émeutes comme les « enfants de la République », M. Retailleau déclare à présent : « On connaît les causes ! Bien sûr qu’il y a un lien avec l’immigration », précisant sa pensée écœurante : « Pour la deuxième et troisième génération, il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques. »
Sa collègue sénatrice, Mme Eustache-Brinio, va même jusqu’à remettre en cause la qualité de citoyen français aux jeunes poursuivis devant les tribunaux. « Ils sont Français comment ? », a-t-elle demandé au ministre de l’Intérieur. Avant eux, Mme Pécresse, avec ce ton qui sied si bien à cette méprisante bourgeoisie des beaux quartiers, avait parlé de « Français de papier ». Quant à l’ancien président du Medef, il n’a pas hésité à raconter de bon matin sur la radio publique que le « premier employeur en Seine-Saint-Denis » – ce département où se trouve l’un des plus grands aéroports mondiaux et où va se dérouler une multitude d’épreuves reines des jeux Olympiques – est le « trafic de drogue ». Ce paltoquet n’a-t-il jamais pensé une seconde que c’est là que se trouve la France de demain ? C’est aussi Roux de Bézieux qui avait expliqué, sur cette même antenne, que l’arrivée de l’extrême droite était un « mal nécessaire ». Et, mardi matin, interrogé sur la radio RTL sur la reprise par son parti des thèses de l’extrême droite, M Retailleau a eu cet incroyable cri : « je m’en fiche ». Bref, il assume !
On ne peut que constater que les missiles idéologiques du pouvoir, des droites et des extrêmes droites, se ressemblent et se rassemblent pour tenter de casser tout mouvement de débat ou de contestation de la politique au service du capital. Théories fumeuses autour de « l’islamo-gauchisme », de « l’ultra-gauche » de « l’éco-terrorisme ». Campagnes d’inquisition contre un prétendu « wokisme », appels au « retour de l’ordre », propagande autour des « flux migratoires » voire de prétendues « invasions ». Autant de thèmes fertiles au terreau de l’extrême droite. Cette guerre idéologique sous-tend des actes manifestes de « bascule ». La droite en duo avec « l’extrême centre macroniste » s’est déchaînée ces jours derniers, réclamant, pour sanctionner les parents – qui se lèvent tôt et rentrent tard – « coupables de ne pas tenir leurs enfants », ou tour à tour appeler à des punitions, des places de prison supplémentaires et – au-delà des décisions de justice, des peines de prison ferme et d’une justice expéditive, y compris pour les enfants mineurs – la suppression des allocations familiales. Par contre, aucune n’aide pour les ghettos de la misère !
Pour finir de se convaincre de l’accélération inquiétante des points de bascule en cours, il convient d’examiner une série de faits.
Quand l’ONU critique le non-respect des droits humains en Russie ou en Chine, elle est digne d’intérêt. Mais lorsqu’elle met en garde contre le « profilage racial dans les opérations de police, les contrôles d’identité discriminatoires » en France, la macronie et les droites la classe sans doute à l’ultragauche !
Le secrétaire général de l’Élysée est menacé par des révélations de l’association anticorruption Anticor… Eh bien, l’agrément de l’association d’intérêt public ne sera pas renouvelé.
Des millions de jeunes et une multitude d’associations et de personnalités sonnent le tocsin sur le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, la nécessité d’une autre gestion de l’eau et se regroupent dans le collectif « Les Soulèvements de la Terre ». Qu’à cela ne tienne, après avoir été accusé « d’éco-terrorisme », il sera dissous.
La Ligue des droits de l’homme pose des questions sur l’utilisation de la police ! Elle est menacée de perdre des aides publiques.
Des créateurs, des directeurs de théâtre osent, comme en Auvergne-Rhône-Alpes, émettre un avis sur la politique régionale… Ils sont mis au régime sec !
Au nom de « l’État fort » et d’une « économie saine », les conquis de la Libération, du Front populaire et même des acquis de la Révolution française sont détruits. Les corps intermédiaires sont « court-circuités ». Ce qui est dénommé, dans les palais de la République comme par D. Trump, sous l’expression « d’État profond », c’est-à-dire la haute fonction publique, est remplacé par des cabinets de conseils privés.
Maintes fois, le Conseil des ministres est évincé par un obscur « conseil de défense », comme si le pays était en guerre permanente.
C’est le même « monarque » qui a rejeté d’un revers de main le plan Borloo pour les banlieues et quartiers populaires, et qui a osé prononcer sans ciller cette incroyable question : « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? »
Très symptomatique et inquiétant est le tract de deux syndicats de police flirtant avec les idées d’extrême droite, désignant les populations des quartiers populaires de « nuisibles », les ravalant au rang d’animaux contre lesquels ces organisations se considèrent « en guerre ». Quelle funeste mutation des « gardiens de la paix ». Et, le pouvoir ne trouve rien à redire, ou si peu. La question se pose réellement de savoir si le pouvoir politique contrôle la police ou s’il en a peur. Préoccupant, non ?
Samedi dernier, une manifestation d’extrême droite a été encadrée par la police alors que celle réclamant justice pour Adama Traoré était interdite.
Ajoutons que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement s’alarme de la hausse des requêtes des services secrets en matière de surveillance du militantisme politique et social.
En toute impunité, M. Bolloré, devenu le grand argentier de la contre-révolution conservatrice, nomme un rédacteur en chef d’extrême droite à la tête du grand journal dominical, le JDD. Comble de l’ironie, cet inquiétant personnage a été congédié d’un journal d’extrême droite où on l’a jugé trop d’extrême droite.
Et, l’ancien président de l’Assemblée nationale, M. Ferrand, a été chargé, il y a quelques semaines, de lancer un ballon d’essai, lors d’un entretien dans le Journal du dimanche, justement, sur la possibilité d’une modification de la Constitution permettant au président de la République de concourir pour un troisième mandat. Où sommes-nous donc ?
Pour une « République poussée jusqu’au bout »
Dans une telle situation, rien ne doit être fait qui divise la gauche et les forces de progrès. En aucun cas, il ne faut satisfaire le souhait du pouvoir et des puissances d’argent. Face à un tel déferlement, porteur du pire en son sein, la campagne visant à placer Jean-Luc Mélenchon hors du champ républicain est indigne, et constitue une opération de blanchiment du pouvoir qui bascule précisément vers un a-républicanisme au service des intérêts du capital. Les communistes connaissent la chanson. Du temps de Maurice Thorez et de Georges Marchais, toutes les nuances de la bourgeoisie criaient déjà à l’unisson, « communiste, pas français » !
Au contraire des divisions, un large front citoyen et progressiste devrait se construire pour pousser en avant la République laïque, sociale, démocratique, écologique, antiraciste, féministe, agissant sans relâche pour la paix et l’amitié entre les peuples. Pour cette « République poussée jusqu’au bout », les forces de transformation sociale, politiques et syndicales, ont le devoir d’empêcher ce « point de bascule » vers un pouvoir autoritaire qui, au nom du combat contre les idées d’extrême droite, les reprendrait à son compte. C’est un autre « basculement » en cherchant ensemble, dans l’unité populaire et citoyenne les chemins d’un projet progressiste post-capitaliste.
[1] Pierre Serna, L’Extrême centre ou le poison français, 1789-2019, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2019. Lire : Humanite.fr/culture-et-savoirs/le-macronisme-est-il-un-extreme-centre-comme-les-autres-673080 * Alain Deneault et Clément de Gaulejac, Politiques de l’extrême centre, Montréal (Qc), Lux Éditions, 2016. 2 Tariq Ali, The Extreme Centre : A Warning, New York, Verso, 2015.
publié le 14 juillet 2023
Marceau Taburet sur www.humanite.fr
Le député PCF du Cher Nicolas Sansu regrette que la majorité tente de repousser l’examen du texte voté à l’unanimité au Sénat sur l’encadrement des recours aux cabinets de conseil.
Député communiste du Cher, Nicolas Sansu a remis un rapport à la suite d’une mission flash menée avec l’élue Renaissance Marie Lebec. L’idée était de voir s’il faut élargir le champ d’application de la proposition de loi (PPL) votée au Sénat en octobre 2022 aux collectivités locales - une manière pour la majorité de noyer le poisson, selon lui. Dans un premier temps, seul l’Etat, écorné dans l’affaire McKinsey, devrait être concerné par l’encadrement des dépenses versées aux cabinets de conseil, défend le communiste.
Pourquoi avoir étudié l’extension de l’encadrement du recours aux cabinets de conseil aux collectivités ?
Nicolas Sansu : La proposition de loi sénatoriale votée en octobre 2022 se concentre sur les recours de l’Etat aux cabinets de conseil. Elle a été déposée sur le bureau de la présidence de l’Assemblée nationale au début du mois de novembre et depuis, la présidente Yaël Braun-Pivet fait en sorte que ça ne vienne jamais. On les a secoués plusieurs fois en leur rappelant que c’est un texte transpartisan qui a été voté à l’unanimité au Sénat. Vouloir l’élargir aux collectivités est un prétexte pour repousser le texte. Ils veulent nous faire perdre huit, dix, douze mois et espérer que ce soit enterré. Bien sûr c’est intéressant de voir quel usage font les collectivités territoriales des cabinets de conseil mais ce n’est pas tout à fait la même chose que pour l’Etat.
Quelles sont les différences entre Etat et collectivités ?
Nicolas Sansu : Au niveau local, c’est un marché atomisé : il y a de tous petits cabinets comme des beaucoup plus gros. Les prestations sont différentes. De même, les conditions de contrôle existent déjà pour les collectivités : le code de la commande publique et le passage devant le conseil municipal, départemental ou régional sont obligatoires. Les mesures de contrôle sont plus nombreuses. Sans doute peut-on les améliorer, notamment en matière de prévention aux conflits d’intérêt, mais ce n’est pas l’urgence. D’autant que nous n’avons aucune idée de la réalité budgétaire du recours aux cabinets de conseils à l’échelon local. On est incapable de le chiffrer tout simplement parce qu’il n’y a pas de mesure de recollement ou de remontée des données.
Comment s’est passé le travail avec la co-rapporteure Renaissance de la mission flash Marie Lebec ?
Nicolas Sansu : La mission s’est bien passée, même si elle a tout fait pour tenter de repousser la proposition de loi sénatoriale. Ma mission à moi, que j’essaye de faire gagner et que je pense pouvoir faire aboutir, est d’inscrire tout de suite le texte sur les questions de l’Etat à l’Assemblée et de lancer une mission sur les collectivités qui pourra faire l’objet d’une future proposition de loi dans les mois à venir.
Pourquoi vouloir faire deux textes différents ?
Nicolas Sansu : C’est le plus raisonnable. Après le rapport de la Cour des comptes (qui pointait une envolée des dépenses et des irrégularités dans le recours aux cabinets de conseil de la part de l’Etat, NDLR), il faut légiférer vite. On ne peut plus attendre. Le gouvernement s’est déjà fait attrapé une fois par le Parquet national financier (PNF) au sujet de McKinsey. Si cela se reproduit, sans qu’il n’ait agi entretemps, ça peut lui coûter cher.
Pourquoi le gouvernement tente-t-il de repousser l’adoption du texte ?
Nicolas Sansu : Ils ont les mains dans le peau de confiture. Ils rappellent qu’ils ont fait une circulaire, qui a permis de faire baisser les dépenses de 35 %. C’est vrai, il y a eu des choses de faites mais une circulaire n’est pas une loi. Elle peut être retirée du jour au lendemain. En commission des lois, tout le monde demande l’examen de la proposition de loi. La concordance avec le rapport de la Cour des comptes est du pain bénit pour nous. On a une semaine de l’Assemblée du 4 au 10 décembre, allons-y. Et sur les collectivités, regardons de plus près les risques de conflits d’intérêt, laissons-nous le temps.
Faut-il encadrer les dépenses en conseils ?
Nicolas Sansu : À partir du moment où il y a cet encadrement, on y aura moins recours. Ça permet de limiter les dépenses. La question est : à quel type de prestations a recours la puissance publique ? Quand il s’agit de prestations informatiques pour se prémunir des cyberattaques, c’est évidemment légitime. Dans les collectivités, les services de l’Etat n’ont pas forcément les compétences techniques, certaines entreprises le font bien mieux. En revanche, quand c’est de la stratégie pure, et que les cabinets donnent le la, ce n’est pas possible.
Mathias Thépot sur www.mediapart.fr
Un rapport de la Cour des comptes montre, exemples édifiants à l’appui, que le recours aux cabinets de conseil est une addiction répandue dans la Macronie pour privatiser l’action publique. Prévisible, car c’est depuis le début l’ADN politique de ce mouvement.
Vous reprendrez bien une petite dose de cabinets de conseil ? Un dernier rapport de la Cour des comptes, publié ce lundi 10 juillet, critique un gouvernement adepte des conseils de McKinsey, Capgemini, Roland Berger, BCG, et autres Eurogroup Consulting pour élaborer et mettre en œuvre les politiques publiques.
Ce nouveau document vient compléter le rapport de la commission d’enquête sénatoriale publié en mars 2022 et déjà salé à l’endroit du gouvernement. Commission d’enquête qui s’était elle-même montée après la divulgation par la presse du rôle prépondérant et ambigu du cabinet McKinsey dans la stratégie vaccinale de l’État contre le Covid en 2020.
S’il est policé sur le ton, le rapport de la Cour des comptes, à force d’exemples, pose un nouveau constat édifiant sur la sollicitation à outrance des cabinets de conseil privés depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Les magistrats de la rue Cambon estimaient pourtant initialement qu’un recours mesuré à des prestations n’appellerait « pas d’objection sur le principe ».
Recours industrialisé
Mais en creusant, ils se sont rendu compte que les pratiques récentes ont « pu conduire à un usage inapproprié des missions de conseil ». Sont plus précisément ciblées par le rapport les « prestations intellectuelles » demandées à ces cabinets – hors domaine informatique.
Prestations qui ont crû dans des proportions folles depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir : elles ont plus que triplé entre 2017 et 2021, à 233,6 millions d’euros, avant de redescendre à 200 millions d’euros en 2022. Année au début de laquelle le gouvernement s’est fait taper sur les doigts après la publication du rapport sénatorial, ce qui l’a incité à calmer le jeu.
Pour industrialiser ce recours aux prestataires privés, la Macronie s’est en fait appuyée sur deux outils fondamentaux : d’une part la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), façonnée par un décret du 20 novembre 2017, et chargée d’attribuer la plupart des marchés aux cabinets de conseil pour le compte des ministères.
Et d’autre part l’utilisation régulière de « bons de commande », qui trivialement sont des contrats renouvelables à l’œil entre la puissance publique et les cabinets de conseil, et pour lesquels les contrôles de qualité et les exigences de mises en concurrence sont minimes.
Ceux-ci ont permis que, trop souvent, selon la Cour des comptes, « des prestataires extérieurs soient appelés à remplir des fonctions relevant du “cœur de métier” de l’administration, y compris des tâches d’exécution à caractère permanent, ou à intervenir dans le processus de décision ou au titre de missions régaliennes, ou encore quand leur association répétée induit des phénomènes d’abonnement, de dépendance, de perte de compétences, voire de démotivation des agents publics ».
Accompagner les réformes structurelles
Les exemples sont multiples. Mais parlons d’abord du rôle joué par les cabinets de conseil dans la mise en œuvre des réformes structurelles du gouvernement. Le pilier de sa politique néolibérale.
La Cour des comptes cite trois exemples notables : d’abord, Capgemini a été mandaté pour auditer le dispositif des aides exceptionnelles à l’apprentissage mis en place au moment de la crise sanitaire. En 2021 et 2022, ce cabinet s’est vu confier, à la suite de cela, une autre prestation spécifique de « transfert de l’animation de la gouvernance » de ce dispositif.
Or laisser le pilotage d’une telle mesure au secteur privé n’était pas sérieux. Cette aide exceptionnelle s’est en effet avérée être une « fuite en avant » inefficace et très coûteuse – l’État y perdrait 8 milliards d’euros par an – comme l’expliquait ici l’économiste spécialiste du sujet Bruno Coquet. Le pilotage du projet aurait donc dû demeurer de la responsabilité de l’administration, estime la Cour des comptes.
Autre exemple concernant cette fois-ci l’assurance-chômage : plutôt que de solliciter l’administration, le gouvernement a demandé à la DITP pour le compte du ministère du travail de missionner McKinsey afin « d’analyser les modalités requises pour la mise en œuvre d’un processus en juillet 2019 de gestion d’un bonus-malus sur les cotisations patronales d’assurance-chômage ». Ce dispositif est censé sanctionner les employeurs qui abusent des contrats courts.
Mais le travail a été bâclé : « le “livrable” relatif à l’étude confiée en 2019 à McKinsey pour la réalisation d’une étude sur le bonus/malus en matière de cotisations d’assurance-chômage a été remis dix jours seulement après l’émission du bon de commande », déplore la Cour des comptes.
Comment Mc Kinsey a-t-il pu travailler aussi rapidement ? « L’administration explique que le prestataire a pu s’appuyer sur les travaux réalisés par elle avant son intervention, ce qui lui a permis de rendre ses conclusions en quelques jours », précise la cour… On est ici loin d’une l’utilisation la plus efficiente des deniers publics ! Et le pire, c’est que le bonus-malus est la partie de la réforme de l’assurance-chômage qui a mis le plus de temps à être mise en œuvre, comme nous l’expliquions ici.
Dernier exemple sidérant en matière de réforme structurelle : celui du changement du mode de calcul des aides personnalisées au logement (APL). Afin de préparer cette réforme lancée en 2018, le ministère de l’écologie a fait appel à McKinsey pour sécuriser le déploiement d’un dispositif qui concernait initialement la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). En d’autres termes, il a été demandé à McKinsey d’expliquer à la Cnaf comment calculer les APL… qu’elle est habituellement chargée de calculer. On est ici clairement dans un cas de « contournement de l’administration », déplore la Cour des comptes.
Pis, McKinsey n’avait visiblement pas si bien préparé que cela la réforme, puisque celle-ci a mis quatre ans à être mise en œuvre. Peu lui importait, du reste, car un droit de suite a été invoqué pour passer six nouvelles commandes à McKinsey, entre 2018 et 2020, pour le suivi de la mise en œuvre de la réforme des APL. Plus cela durait, plus cela lui rapportait !
Ainsi, résume la Cour des comptes, « dans plusieurs des situations examinées, la commande d’une prestation privée a eu pour objet d’obtenir la validation et la justification externe de mesures envisagées ou d’évolutions attendues par les décideurs politiques. Cela vaut aussi bien pour la conduite de politiques publiques que pour la mise en œuvre de projets de transformation des administrations ».
Missions inutiles
Mais ce n’est pas fini. La Macronie a aussi donné aux cabinets de conseil des missions déjà remplies par l’administration… Premier cas : « Dans la perspective de la création de l’Office français de la biodiversité (OFB), le ministère chargé de l’écologie a par exemple confié en 2019 » à une filiale de McKinsey, une mission de conseil afin de « finaliser la synthèse des priorités de politiques publiques ».
Ce, alors même qu’il disposait d’un récent (2018) et très complet rapport de l’inspection générale des finances et du Conseil général de l’environnement et du développement durable sur « l’avenir des acteurs de l’eau et de la biodiversité » et qu’il s’agissait de délimiter le périmètre d’intervention des différents acteurs.
Plus drôle, le service d’information du gouvernement (SIG) – pas le dernier pour démarcher les cabinets de conseil privés – a commandé en 2020 une mission externe à Eurogroup Consulting pour auditer « la communication gouvernementale » ! Preuve, s’il en fallait une de plus, que le gouvernement ne peut vraiment pas se passer des cabinets de conseil pour se donner confiance.
Surtout qu’un rapport portant sur ce même thème avait déjà été remis au premier ministre en janvier 2018, par trois… inspections générales interministérielles. Sans surprise, le rapport remis par le consultant privé – pour un coût de 123 946 euros, tout de même – comportait des développements très proches de ceux de la mission d’inspection, et avait, de fait, « une très faible valeur ajoutée », cingle la Cour des comptes.
Toujours plus incroyable, les magistrats de la rue Cambon ont découvert que le Service d’information du gouvernement avait aussi fait appel à BCG en 2020 « pour l’accompagner dans la préparation de son dossier de demande de financement » auprès du Fonds de transformation de l’action publique (FTAP). On est ici dans une « externalisation quasi complète de la préparation » d’une demande de financement « interne à l’administration » ! Ce qui est « d’autant plus anormale que la DITP est en capacité d’apporter son soutien technique aux administrations requérantes ». De l’assistanat de l’État par le secteur privé, en somme.
Enfin, dernier exemple qui montre que les cabinets de conseil remplissent des tâches qui pourraient ou devraient l’être par les agents publics une commande passée le ministère de l’éducation nationale à EY et BCG pour réfléchir à la réorganisation de la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO). Or, ces réflexions, selon la Cour des comptes, « auraient plus naturellement vocation à être remplies au moyen de compétences internes, par exemple l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) ».
En fait, résume le rapport, « dans un certain nombre de cas, le recours à un cabinet externe a été motivé par le fait que, à compétences techniques au moins égales, son expertise a été considérée comme ayant plus de poids ou comme étant plus légitime que celle de l’administration ou des établissements publics compétents ». En d’autres termes, on constate ici un incroyable manque de confiance de la Macronie envers la haute fonction publique et plus globalement envers l’administration.
Une loi ? Pas sûr que la Macronie accepte
Heureux de voir la Cour des comptes leur emboîter le pas, les sénateurs et sénatrices qui ont élaboré le rapport de la Commission d’enquête ont appelé le gouvernement à prendre en considération leur proposition de loi régulant les recours aux cabinets de conseil : « Une loi est plus que jamais nécessaire pour mieux encadrer l’intervention des cabinets de conseil dans l’administration et renforcer les obligations déontologiques des consultants, au nom de l’intérêt général : le gouvernement doit passer des promesses aux actes », ont-ils lancé.
Certes, dans une circulaire du 19 janvier 2022, le premier ministre de l’époque Jean Castex avait bien défini une « nouvelle politique de recours aux prestations intellectuelles », qui devait introduire un meilleur encadrement des pratiques. Mais celui-ci est minime selon les sénateurs et la Cour des comptes. Cette dernière estime que les modalités de mise en œuvre de la circulaire sont floues et « doivent encore être précisées et complétées et leur application vérifiée ».
Du reste, il y a peu de chance que l’exécutif retourne sa veste sur le sujet des cabinets de conseil. Cela ferait en tout cas figure de changement de logiciel intellectuel radical, car il faut rappeler qu’en Macronie, l’utilisation des cabinets de conseil pour la « modernisation » et la « transformation » de l’action publique est inscrite dans son ADN idéologique.
Dans un ouvrage quasi programmatique publié debut 2017 et titré « l’État en mode start-up » qu’il a préfacé, Emmanuel Macron ne disait pas autre chose : pour être « efficace », assurait-il « l’État doit sans cesse recourir aux outils dont il dispose : la consultation, l’expérimentation et l’évaluation. C’est cette méthode qui nous permettra de répondre à l’unique question qui vaille : chaque euro dépensé l’est-il de la manière la plus efficace et la plus juste qui soit ? »
Dans cet ouvrage, écrit sous la direction de Thomas Cazenave, qui prendra quelques mois plus tard, la tête de la DITP, de nombreux personnages clés du recours systématiques aux cabinets de conseil lors du premier quinquennat ont apposé leur signature.
Citons juste le responsable de chez McKinsey des missions pour le secteur public Karim Tadjeddine – qui avait fait campagne pour Emmanuel Macron en 2017. Un personnage central du scandale McKinsey qui avait vu l’État entrer dans une situation de dépendance vis-à-vis du cabinet américain pour l’élaboration et la mise en place de sa stratégie vaccinale en 2020.
Une situation de dépendance qui lui avait coûté énormément : le coût moyen journalier par consultant (près de 2 800 euros) dépassait très largement celui d’un agent du public. Un scandale qui n’a visiblement que très peu fait bouger les lignes jusqu’ici…
publié le 12 juillet 2023
sur https://blogs.mediapart.fr/
Dans l'espace occidental, le défilé militaire marquant seul en France la fête nationale fait exception. Sous le Front populaire et après la Libération, des défilés populaires avaient lieu le 14 juillet. En 1953, une répression policière meurtrière y a mis fin, qui a fait sept morts par balles, six Algériens et un responsable des métallos CGT. Des associations souhaitent en reprendre la tradition.
Se réapproprier le 14 juillet
L'invitation au défilé des Champs-Elysées du président indien Narendra Modi, qui incarne dans son pays un intégrisme religieux et un racisme islamophobe opposé à la laïcité et facteur de guerre civile, suscite de l'indignation. Mais, au-delà de l'invitation paradoxale de ce type de personnages pour commémorer la Révolution française, le fait que le seul défilé pour le 14 juillet soit à Paris un défilé militaire, triste particularité française dans le monde à l'exception des régimes autoritaires, conduit les partisans d'une République sociale fidèle aux idéaux de 1789 à vouloir se réapproprier la fête nationale.
Ci-dessous, l'appel lancé lors d'une conférence de presse tenue dans un café de la Place de la Nation. Notamment à assister à la projection-débat organisée le 10 juillet dans l'auditorium de l'Hôtel-de-Ville de Paris autour du film « Les balles du 14 juillet 1953 », avec le président de la Ligue des droits de l'Homme, Patrick Baudouin, et le réalisateur de ce film, Daniel Kupferstein. C'est l'occasion de revenir sur une répression policière qui a mis aux défilés populaires portant les espoirs du Front populaire et de la Libération et aussi d'échanger sur l'interdiction le 8 juillet d'une Marche pacifique que la LDH a dénoncée comme une violation des libertés d’expression et de manifestation et sur les réponses citoyennes nécessaires face aux atteintes aux libertés publiques et pour en finir avec la colonialité des pratiques policières françaises.
Ces atteintes, dont les violences policières inadmissibles commises ces derniers jours contre les initiateurs de la Marche pacifique pour Adama Traoré, rendent urgente la convergence de toutes les initiatives – y compris celles de la Marche des Solidarités ou du Comité Vérité et Justice pour Adama –, qui partagent la défense des droits de l'Homme pour tous les êtres humains, ainsi que les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité sur lesquelles la République française s'est fondée et que des forces fascisantes mettent en cause aujourd'hui.
Appel pour reprendre les défilés populaires tous les 14 juillet
Peu de gens le savent aujourd’hui mais, depuis 1935, les
forces progressistes syndicales, associatives et politiques de notre pays défilaient dans les rues, tous les 14 juillet en l’honneur de la Révolution française et pour défendre ses idéaux qui étaient
régulièrement attaqués notamment par les Ligues d’extrême droite. Ces défilés ont été très importants pendant le Front populaire et évidemment interrompus par le gouvernement de Vichy pendant
l’occupation nazie. Ils ont repris après la guerre, jusqu’en 1953 ; ce jour-là, 7 manifestants (6 algériens et un français) ont été tués par la police parisienne, place de la Nation. Suite à ce
massacre d’État, jamais reconnu, le
gouvernement français a interdit ces manifestations du 14 juillet.
Nous pensons qu’il est devenu urgent de reprendre ces défilés populaires pour défendre les valeurs républicaines, exprimées par cette devise Liberté-Egalité-Fraternité et qui sont aujourd’hui bafouées. La liberté est de plus en plus limitée par des interdictions de manifester, un contrôle accru des citoyens et citoyennes, des violences policières très souvent impunies ou encore par des agressions de locaux militants et la répression patronale.
L’égalité est de plus en plus mise à mal par l’augmentation des écarts entre riches et pauvres mais aussi par les discriminations envers les populations issues de l’immigration coloniale ou encore la poursuite des inégalités entre hommes et femmes.
La fraternité enfin, est violemment remise en cause par des débordements de haine raciale contre les personnes migrantes, en particulier les demandeurs d’asile qui fuient les guerres, la faim ou des régimes dictatoriaux au péril de leur vie mais aussi contre ceux et celles qui veulent les aider, pour citer quelques exemples.
C’est pour toutes ces raisons que nous appelons tous les citoyens et citoyennes, toutes les organisations démocratiques de notre pays à reprendre les défilés populaires du 14 juillet, afin de faire vivre la devise « Liberté-Egalité-Fraternité » non seulement sur les frontons des mairies ou des écoles mais surtout dans notre quotidien et dans nos actes.
Le 14 juillet n’appartient ni aux militaires ni aux nationalistes xénophobes, il est notre bien à toutes et tous.
Partout en France, réapproprions-nous le 14 juillet !
A Paris, rendez-vous pour le premier rassemblement le 14 juillet 2023 à 11h Place de la Bastille, où nos organisations annonceront leur volonté de travailler ensemble à un grand 14 juillet 2024, populaire, revendicatif, anticolonial, féministe et anti impérialiste, pour la paix et l’émancipation sociale.
Premières organisations signataires :
Algeria Democracy - Association pour le changement et la démocratie en Algérie (ACDA) - Agir contre le colonialisme aujourd’hui (ACCA) - Association culturelle Les Oranges - Association des Ami.e.s de Maurice Rasjsfus - Association Histoire coloniale et postcoloniale - Association Josette et Maurice Audin - Association de promotion des cultures et du voyage (APCV) - ATTAC-France - Collectif 17 Octobre 1961, Vérité et Justice - Confédération général du travail – Ensemble ! - Editions Syllepse - Fédération nationale de la Libre Pensée - Institut Tribune Socialiste (ITS) – L’Humanité - Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons - Les Amis du Monde diplomatique - Ligue des Droits de l’Homme, fédération de Paris - Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (Mrap) - Mouvement de la Paix - Parti Communiste Français, fédération de Paris – QG décolonial - Réseau féministe « Ruptures » - Union syndicale Solidaires, Paris.
Nadia Sweeny sur www.politis.fr
Vendredi 30 juin, l’ancien gendarme adjoint, Alexandre G. a été condamné à 18 ans de prison avec une période de sûreté des deux tiers. La plus grosse peine prononcée pour une association de malfaiteurs terroriste en lien avec l’extrême droite. Son idéologie et sa haine, comme chez ses coaccusés, se nourrissent du pourrissement du débat actuel et l’éclairent d’une lumière crue.
« Vous êtes face à une sorte de jihad. Un jihad nouveau. Un white jihad » – jihad blanc, a clamé l’avocat général du parquet national antiterroriste lors de son réquisitoire jeudi 29 juin, après dix jours de débats devant la cour d’assises de Paris, lors du procès de l’affaire dite « WaffenKraft ». Une première pour une association de malfaiteurs terroriste en lien avec l’extrême droite. Quatre jeunes néonazis étaient ainsi jugés du 19 au 30 juin accusés d’avoir voulu commettre des attentats. Le principal accusé, Alexandre G. ancien gendarme adjoint a écopé de 18 ans de prison assortis d’une période de sûreté des deux tiers. Il a dix jours pour faire appel. La cour d’assises de Paris a cependant été plus clémente avec les coaccusés dont les peines les exemptent d’une incarcération. Mais au cours de ces dix jours de débats, a émergé la réalité d’une violence terroriste largement alimentée par le débat public et la banalisation des rhétoriques d’extrême droite.
À 22 ans au moment des faits (2017-2018), Alexandre G. dit s’être radicalisé sur internet après les attentats jihadistes de 2015 sur les forums « d’ultra-droite » où s’échangent sans modération propos racistes, haine anti-immigrés, antisémitisme décomplexé. À grands coups d’humour potache, de récupération de faits divers choisis – devenue la spécialité de l’extrême droite – et de culte viriliste, la haine se nourrie. « Je me suis enfermé dans ma bulle. J’ai fait un amalgame entre musulmans et terroristes. C’est la haine le moteur de tout ça. J’en voulais à l’État que je trouvais trop laxiste. Quand on est radicalisé c’est difficile d’en sortir », reconnaît-il aujourd’hui. Devant le magistrat instructeur, le gendarme admet qu’ainsi, les musulmans et les manifestants de gauche sont devenus ses « ennemis ». C’est notamment ceux-là, qu’il cible dans ses deux manifestes terroristes que Politis a pu consulter.
Dans ces documents retrouvés sur son ordinateur lors de la perquisition, il détaille les méthodes pour faire un « maximum de morts » et annonce les raisons de son passage à l’acte. Dans « tactiques et opérations de guérilla », Alexandre G. reconnaît avoir copié-collé les techniques d’attaques diffusées par la propagande jihadiste dont il est fasciné. Il y dévoile trois cibles : la gare de Sevran-Beaudottes (93) – quartier populaire de banlieue parisienne – qu’il imagine attaquer par « explosion », la mosquée Omar et le PCF par « fusillade ». Il évoque aussi une attaque « dans une cité sensible réputée pour faire régner la terreur et où la police s’y aventure que très rarement, de ce fait vous avez 90 % de chance de ne pas croiser la police ce qui en fera un avantage énorme. Allez de rue en rue et fusillez les cafards là où vous les trouverez. » Peut-on lire. La mention étant accompagnée d’une photo devant illustrer lesdits « cafards ».
Une rhétorique visant les habitants des quartiers populaires, qui n’est pas sans éclairer d’une lumière crue un communiqué officiel de deux syndicats de policiers majoritaires diffusé le 30 juin à l’occasion des violences urbaines déclenchées par la mort du jeune Nahel sous les balles d’un policier. Dans ce communiqué, les syndicats de police annoncent être « en guerre » et que l’heure est « au combat contre ces « nuisibles » », définis comme « des hordes sauvages ». En parallèle, des politiques définissent, sans ambages, un lien de cause à effet direct entre origines immigrées et violences urbaines. Le discours de l’« ultra-droite » se trouve ainsi largement validé par des organisations ou personnalités pourtant considérées comme « républicaines ». Si dans son réquisitoire définitif le parquet national antiterroriste s’alarme d’une « surreprésentation des membres ou anciens membres des forces armées et de sécurité intérieure au sein de l’ultra-droite », il note aussi que « la centralité des thèses soutenues par l’extrême droite au sein du débat public tend à légitimer celles promues par l’ultra-droite. » La mécanique qui aboutit à l’engagement de ces jeunes dans une spirale terroriste est ainsi indissociable de l’état du débat public en France.
Ainsi la généralisation des discours contre les immigrés et la préservation d’une identité française fantasmée comme chrétienne, blanche et épurée d’éléments allogènes portent ses fruits de haine au cœur des groupuscules violents. « Je n’aime pas le concept de multiculturalisme. Comme beaucoup de gens j’estimais qu’il ne fallait pas se laisser submerger par des immigrations non européennes », explique Alexandre G. à la barre, abreuvé de la théorie dangereuse du grand remplacement reprise par des personnalités politiques comme Valérie Pécresse ou Eric Ciotti et qui sert de ferment aux discours néonazis. Pour Evandre A. l’intellectuel du groupe, « c’est Alain Soral qui a banalisé ces idées. Puis, l’alt-right américaine a présenté ça comme quelque chose de scientifique et plus seulement idéologique et c’est plus dur à remettre en question. Du coup, je me suis mis à lire de la littérature néonazie. J’étais favorable aux thèses eugénistes, opposé aux mariages mixtes pour la stérilisation des personnes handicapées et l’évaluation de ceux qui avaient le droit de se reproduire, liste-t-il. Cela dit, mes idées n’étaient pas si incompatibles avec la société française : en 2017, M. Fillon avait suggéré des quotas d’immigration en fonction de la nationalité d’origine et de mon point de vue, c’est satisfaisant »
Pour moi, il fallait séparer les races sinon, il y aurait des conflits.
Condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis, il réfléchit avec son avocate, Me Olivia Ronen, à faire appel. Celle-ci avait en effet demandé une exemption de peine pour son client car Evandre A. avait prévenu les autorités avant l’ouverture de l’enquête judiciaire contre le gendarme. Le 10 août 2018, il a en effet appelé la gendarmerie pour faire part de son inquiétude face à l’éventualité d’une attaque terroriste d’Alexandre G. « Je voulais endoctriner les gens avec l’esthétique de la violence mais j’étais contre le terrorisme, c’est contreproductif et ça ferait reculer l’extrême droite en France », déclare à la barre celui pour qui « sans race, pas de société. Pour moi, il fallait séparer les races sinon, il y aurait des conflits. »
C’est aussi ce que pensait Julien, mineur au moment des faits. Devant le magistrat, il préfère se considérer comme « racialiste » – comme la plupart des personnes accusées de terrorisme en lien avec l’extrême droite qui réfute le terme raciste. « Je ne vais pas dire « nègre » ou dire que le jaune est plus intelligent que nous. Je vais plutôt dire que nous sommes différents. La race est une réalité génétique et culturelle », a-t-il déclaré. « Le nazisme permet, par la promotion d’une identité d’un peuple supérieur aux autres, de conforter son besoin de remettre en question le système démocratique français », pense l’éducatrice de la protection judiciaire de la jeunesse qui l’a suivi au début de son contrôle judiciaire. Pour le psychiatre, « sa crainte de ne pas exister en tant qu’ethnie est en réalité une crainte de ne pas exister en tant que personne. »
« Je ne souhaite la mort de personne mais après… »
Abreuvé de la théorie du grand remplacement, le petit groupe va naturellement diriger sa haine non plus seulement contre les immigrés, mais aussi contre les groupes vus comme responsables et « puissants » : les institutions, les journalistes et les Juifs. « Je suivais les instructions d’Anders Breivik qui dit qu’il faut s’en prendre aux puissants, a déclaré Alexandre G. à la barre. Quand on est nazi, on pense que ce sont les Juifs qui contrôlent. » Julien ne dit rien de moins devant la section de recherche de la gendarmerie qui l’interroge après son arrestation : « Il serait illogique de dire qu’il faut tuer Mamadou parce qu’il est là. Mamadou, il n’y est pour rien. C’est le système qui les a fait venir-là qui est en cause. » Puis, devant le magistrat : « je ne souhaite la mort de personne mais après… il y a comme un truc qui s’est fait au milieu du Moyen Âge avec les bons chrétiens qui ne devaient pas manier l’argent. Du coup ce sont les juifs qui se sont retrouvés, et encore aujourd’hui, à des postes importants. Pour moi, ces postes importants sont censés représenter notre pays et je trouve ça étrange que ce ne soit pas des Français de souche. » (sic)
Quoi de plus « naturel » alors que de cibler le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) ? Dans le second document terroriste de l’ancien gendarme, nommée « opération croisée – communiqué de guerre » celui-ci fait aussi une liste détaillée de cibles de puissant et de traîtres. Des députés européens, de gauche comme Yannick Jadot ou de droite, comme Brice Hortefeux, mais aussi une liste de journalistes qualifiés de « féminazies » – terme péjoratif pour désigner des féministes. Deux d’entre eux sont issus de notre rédaction. Ces noms semblent avoir été copiés de listes diffusées sur les réseaux sociaux. Un procédé que l’on retrouve dans l’affaire FRDeter, du nom de ce groupe Télégram sur lequel des militants d’ultra-droite faisaient part de leur volonté d’actions violentes.
Julien a été condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis. À l’annonce de sa peine, qui lui évite un passage par la case détention, le jeune homme s’est effondré en larmes dans les bras de son avocate, Me Modestie Corde. « Je suis contente que la Cour ait pu prendre la mesure de la gravité des faits reprochés, tout en tenant compte de la personnalité « cabossée » de Julien, a réagi son avocate auprès de Politis. La détention aurait été contre-productive car cela l’aurait replongé dans un milieu violent. Julien a pleinement pris conscience de la gravité des faits reprochés et de la « relative » clémence de la peine. » Après le verdict, le jeune homme est allé spontanément à la rencontre des parties civiles et notamment de Me Ilana Soskin, avocate de la Licra, association antiraciste que Julien avait visée dans un échange de SMS sur lequel il disait « go les incendier ». Auprès de Me Soskin, Julien s’est excusé. « Il m’a remercié d’avoir été là pendant les quinze jours de son procès. Il m’est apparu sincère et je dois avouer que ça m’a beaucoup touchée », raconte-t-elle. Une lueur d’espoir dans le sombre tunnel que nous traversons ?
publié le 6 juillet 2023
sur https://rapportsdeforce.fr/
Depuis le début des révoltes causées par la mort de Nahel, des militants d’extrême droite se rêvent en milice « anti-casseurs ». Entre réelle force para-policière et simple coup de communication, décryptage d’une situation plus complexe qu’il n’y paraît.
Ce dimanche 2 juillet à Lyon, aux alentours de 21h, entre 80 et 100 militants d’extrême droite se réunissent aux abords de La Traboule, locaux de feu Génération identitaire. Après une brève déambulation, ils atteignent les marches de l’Hôtel de ville, entonnent un « on est chez nous », et lancent le slogan favori des identitaires lyonnais : « avant, avant, Lyon le melhor ». La scène dure quelques minutes. Les jeunes hommes, cagoulés ou capuchés, reçoivent rapidement une pluie de palets lacrymogènes et se dispersent. « La police les a peut-être pris pour des jeunes des quartiers », sourit Raphaël Arnault, porte-parole du collectif antifasciste la Jeune Garde, peu habitué à voir les « fafs » (acronyme de « France au Français » utilisé pour désigner les militants d’extrême droite) visés par la police. Un comble, puisque cette milice autoproclamée se targue justement de mettre fin aux mouvements de révolte* menés par les habitants des quartiers populaires.
Retour à l’ordre par la force
Depuis le 27 juin et la mise à mort, à Nanterre, du jeune Nahel (17 ans) par un policier, plus de 1000 bâtiments publics ou commerciaux ont été dégradés ou incendiés ainsi que près de 6000 voitures. Au total, 3500 personnes ont été interpellées dont un tiers de mineurs, selon les chiffres du ministère de l’intérieur. De nombreuses confrontations avec les policiers ont éclaté dans les quartiers populaires mais aussi dans les centres-villes.
Malgré quelques (fines) nuances rhétoriques, l’extrême droite la plus médiatique (RN, Reconquête et ses compagnons de route éditorialistes) y voit la confirmation de ses thèses. Elle met directement en cause l’immigration, renouvelle son soutien à la police et appelle à rétablir l’ordre par la force.
De manière plus souterraine, sur des canaux Telegram, des groupuscules nationalistes appellent, eux, à se substituer aux forces de l’ordre et à monter des milices. « Insurrection dans les cités ? Laissez nous gérer ! Avec 10 000 hommes dans Paris, on assure la reconquête en une nuit », peut-on lire sur un visuel flanqué de croix celtiques qui circule sur des canaux Telegram d’extrême droite.
Milice d’extrême droite : de la com’ avant tout
Mais pour l’heure, ils sont loin d’être assez nombreux. Depuis le 27 juin, des tentatives de constitution de milice d’extrême droite n’ont pu être constaté que dans trois villes : Lyon, Angers et Chambéry. Le cas de Lorient est plus complexe et nous y reviendrons en fin d’article.
À noter : Lyon exceptée, ces militants ne sont sortis que dans des villes de taille modeste. Cent cinquante-cinq mille habitants pour Angers et 60 000 pour Chambéry, bien loin de l’ambition de « reconquérir Paris » affichée sur les réseaux sociaux. Enfin, toutes ces sorties sont loin d’avoir débouché sur des affrontements avec des jeunes des quartiers populaires. Encore moins sur des « victoires » physiques.
« À Lyon, c’était surtout un beau coup de com’. Les fafs sont venus le dimanche soir, quand le centre-ville était plutôt calme et il y avait 4 ou 5 personnes autour d’eux pour les filmer. Ils étaient là pour faire des images, pas pour prendre la rue. Le but, c’était de gagner des points auprès des personnes réactionnaires ou racistes en faisant de la propagande sur les réseaux sociaux, pas de faire une vraie action de rue. Ça ne m’étonnerait pas qu’ils publient rapidement une vidéo sur leurs réseaux sociaux », estime Raphaël Arnault.
Après avoir pris la pose et respiré un peu de lacrymo, les militants d’extrême droite rentrent rapidement dans leur fief du vieux Lyon en compagnie de leurs comparses de Clermont-Ferrand, Valence, ou encore Chambéry, venus pour l’occasion.
Chambéry : « une ligne d’extrême droiture »
C’est peut-être à Chambéry que le fantasme de la milice nationaliste « reconquérant » les rues a le plus été réalisé.
Luc**, un militant syndicaliste et antifasciste local raconte :
« Un communiqué non signé annonçait un rassemblement intitulé “pour les victimes françaises des émeutes” , ce samedi 1er juillet, aux alentours de 21h. Finalement une trentaine de fafs se sont réunis. Ce n’étaient pas ceux qu’on a l’habitude de croiser à Chambéry, à savoir les anciens du Bastion social et de l’Edelweiss. Eux, on les avait déjà vus toute la journée mettre la pression sur un local autogéré et menacer les personnes qui étaient à l’intérieur. Cette fois c’était plutôt des militants de Reconquête et de la Cocarde. Celui qui les dirigeait les a fait former une “ligne d’extrême droiture” – ce sont ses mots. Puis ils ont défilé dans le centre-ville et dans le quartier Covet. Mais ils ne sont pas allés jusque dans les Hauts-de-Chambéry (ndlr : le plus gros quartier populaire de la ville). »
Pendant une partie de la soirée, le groupe auto-proclamé « anti-casseurs » lance des slogans racistes : « Français réveille toi, tu es ici chez toi » et « on est chez nous ». Le défilé, solidement encadré par un service d’ordre d’une quinzaine de personnes et par des policiers, se reproduit les deux nuits suivantes. « Lundi soir, ils se sont à nouveau retrouvés en centre-ville, notamment pour chanter la Marseillaise. Ils étaient une cinquantaine, cette fois ils incitaient les passants à venir les rejoindre », continue Luc.
C’est cette nuit-là que des affrontements entre cette milice d’extrême droite et un groupe d’opposants ont finalement lieu. Selon Le Dauphiné Libéré, un militant d’extrême droite aurait alors reçu un « cocktail molotov à ses pieds » tandis qu’un autre aurait été « frappé à la tête à l’aide d’un marteau ». Cette seconde agression est par ailleurs revendiquée sur un canal Télégram antifasciste. Le préfet de Savoie a finalement interdit les manifestations dans le centre-ville de Chambéry pour la nuit suivante, du 4 au 5 juillet.
Angers : l’Alvarium assiégé
À Angers, les tensions se sont cristallisées autour du local l’Alvarium, tenu de longue date par un groupuscule nationaliste révolutionnaire du même nom. Ce dernier, dissout en 2021 par le ministère de l’intérieur, exploite cependant toujours ses locaux sous le nom de Rassemblement des étudiants de droite (RED).
Vendredi 28 juin, un rassemblement contre les violences policières rassemble environ 250 personnes dans le centre-ville d’Angers. Interdit, il est dispersé à grand renfort de gaz lacrymogène par la police. En quittant le cortège, certains manifestants passent à proximité de l’Alvarium, située à quelques pas de là, et se font attaquer par ses militants, équipés de bâtons et de battes de baseball.
La situation prend de l’ampleur le lendemain. Un faux communiqué attribué à l’Alvarium annonce une « opération nettoyage quartier ». Le groupe d’extrême droite a beau réactiver ses comptes sur les réseaux sociaux (alors qu’il n’en a pas le droit car il est dissout) pour démentir, un rassemblement à proximité de l’Alvarium s’organise dans la soirée du samedi soir, en représailles. « Des jeunes des quartiers ont commencé à arriver, ils avaient entendu des trucs racistes la veille et ça a mis le feu au poudre », relate Bernard, militant du réseau angevin antifasciste (RAAF). Cette fois, les militants d’extrême droite sont une soixantaine, se permettent un petite patrouille dans le centre-ville et « [poursuivent] en courant des individus, armés d’un couteau et de bâtons », signale un arrêté de la ville d’Angers qui interdira l’accès à la rue qui mène à l’Alvarium à l’issue de cette soirée. Enfin, dans la nuit de lundi à mardi, des affrontements ont encore eu lieu à proximité du local. Cette fois, les nationalistes sont aidés par leur alliés parisiens du GUD.
Milice d’extrême droite : l’avant garde du racisme
Pour l’heure, ces quelques tentatives de constitution de milice restent à mi-chemin entre l’agitation-propagande et la réelle volonté de s’opposer aux révoltés. Elles sont relativement isolées et il reste peu probable que les militants d’extrême droite, malgré leurs fantasmes, se substituent réellement à la police. Pour autant, s’ils sont les premiers à sortir dans la rue pour montrer les muscles, ces derniers ne sont pas les seuls à voir dans la révolte des habitants des quartiers populaires « une guerre ». Ils partagent cette idée avec un certain nombre de policiers et de militaires, particulièrement sensibles aux thèses de l’extrême droite.
« Aujourd’hui, les policiers sont au combat car nous sommes en guerre », assurent Alliance et UNSA-Police, dans un communiqué martial publié le 30 juin. Dans ce texte, qui n’a rien à envier à ceux de Reconquête, ces deux syndicats policiers, qui constituent un bloc de 49,5% des voix exprimés lors des élections professionnelles, appellent au « combat contre ces “nuisibles” » et à « mettre les interpellés hors d’état de nuire ». Leur déclaration joue avec l’idée d’une autonomisation de la « famille police » (selon leurs termes), que l’action d’un gouvernement trop laxiste aurait rendue nécessaire.
Certains militaires ne sont quant-à eux pas en reste. Ainsi à Lorient, dans la nuit du 30 juin au 1er juillet un mystérieux commando ici encore auto-proclamé « anti-casseurs », a procédé à l’arrestation de jeunes qui se livraient à des destructions de bien, en bonne intelligence avec la police. L’un de ses membres a reconnu auprès du journal Ouest-France être un militaire « ayant déjà à son actif plusieurs missions à l’étranger dans des zones de conflit ». Peu étonnant dans cette ville bretonne qui abrite 4000 militaires de la marine nationale. Selon les informations de Mediapart, le ministère des armées a ouvert une enquête administrative. Car, si l’article 73 du Code de procédure pénale prévoit les interpellations par de simples citoyens, plusieurs questions se posent. « D’abord le fait que les membres de ce groupe se soient dissimulés sous des cagoules et des cache-nez pour interpeller d’autres citoyens. Ensuite, le caractère musclé de leur intervention qu’a reconnu le milicien interviewé par Ouest-France », écrit Médiapart.
Enfin, dans la soirée du 4 juillet, pendant que des militaires, des policiers et des militants d’extrême droite rêvent de pouvoir laisser libre cours à leur violence, on apprend qu’un homme de 27 ans est décédé dans la nuit du 1 au 2 juillet en marge de scènes de casse à Marseille. « Les éléments de l’enquête permettent de retenir comme probable un décès causé par un choc violent au niveau du thorax causé par le tir d’un projectile de “type flash-ball” », indique le parquet au journal La Marseillaise.
Note
* La presse a pris l’habitude de qualifier « d’émeute » les situations de confrontation avec la police, ou de casse, lorsqu’elle sont menées massivement par des personnes issues des quartiers populaires. Nous lui préférons celui de « révolte » , qui n’oublie pas que ces violences ont des causes politiques.
** Prénom modifié
publié le 26 juin 2023
par Maël Gallison sur https://cqfd-journal.org/
Trois ans après la victoire du Rassemblement national aux élections municipales, la ville de Perpignan est‑elle en passe de devenir un avant-poste de l’extrême droite ? Rencontre avec Josie Boucher, figure de la gauche locale, attaquée en justice par la commune pour avoir qualifié la majorité municipale de… « fascistes ».
En 2020, la ville de Perpignan (120 000 habitants environ) est la première grande ville française à tomber dans les mains du Rassemblement national (RN) avec la victoire aux élections municipales de son vice-président, Louis Aliot. Un temps surnommé « Loulou la purge » pour son zèle à vouloir « dédiaboliser » le RN, ce membre de longue date du parti d’extrême droite s’applique dorénavant à mener une offensive sécuritaire contre les quartiers populaires et à glorifier le passé colonial français en Algérie. Et à museler les oppositions : la municipalité attaque ainsi en justice Josie Boucher, figure militante locale, présidente de l’ASTI1 Perpignan et membre du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). On en parle avec elle, tout en tirant un premier bilan de la gestion RN à « Perpignan la rayonnante », nouvelle devise de la ville.
Pourquoi la municipalité de Perpignan a-t-elle décidé de déposer plainte contre vous ?
Josie Boucher : « Peu de temps après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, Louis Aliot a décidé de mobiliser un bus pour aller “sauver” des Ukrainiens fuyant la guerre. Un vrai cirque de communication ! Quand on sait que, deux semaines plus tôt, le RN avait envoyé au pilon tous leurs tracts où l’on voyait Marine Le Pen serrer la main de Vladimir Poutine… Lors d’un rassemblement en soutien au peuple ukrainien, à l’appel d’organisations de gauche à Perpignan, j’ai pris la parole et, au cours de mon intervention, j’ai juste dit que les réfugiés ukrainiens n’avaient rien à attendre des fascistes du RN. Une journaliste de L’Indépendant, le quotidien local, était présente. Elle a rapporté mes propos dans un de ses articles2, ce qui n’a visiblement pas plu au maire. Il a fait voter, via le conseil municipal de Perpignan, une décision visant à porter plainte contre moi pour “injure à un corps constitué”. »
Comment a réagi l’opposition ?
Josie Boucher : « L’opposition Les Républicains (LR)3 a refusé de voter ce texte pour deux raisons. D’abord, Marine Le Pen avait déjà perdu devant les tribunaux quand Mélenchon l’avait taxée de fasciste4. Ensuite, ils ne voulaient pas que cette plainte se fasse au nom de la mairie de Perpignan : le terme “fasciste” visait Aliot et pas la mairie ; et ils refusaient que les moyens (financiers, juridiques, etc.) de la mairie pour cette action en justice permettent à Aliot de se payer une campagne d’affichage politique. Mais comme le conseil municipal est à majorité RN, la plainte a été actée et j’ai été mise en examen peu de temps après. Jusqu’à présent, je n’ai été ni auditionnée ni convoquée. »
Quelle a été votre réponse ?
Josie Boucher : « Face à cette attaque frontale contre la liberté d’expression, un comité de soutien unitaire a été créé, une pétition a été lancée et une tribune signée par de nombreuses personnalités et diffusée largement5. On a aussi organisé des rassemblements et un meeting en janvier dernier, dans lequel est notamment intervenu le sociologue spécialiste de l’extrême droite Ugo Palheta. »
À quoi ressemble la politique municipale de Perpignan trois ans après l’arrivée du RN ?
Josie Boucher : « Louis Alliot n’a qu’un mot à la bouche : “sécurité”. Dès son arrivée à la mairie, il a commencé à construire de nouveaux commissariats municipaux afin de couvrir toute la ville, et recruté de nombreux agents de police. Mais même si c’était une promesse phare de son mandat, il a tout simplement suivi la pente prise par le maire précédent, le LR Jean-Marc Pujol, en poste de 2009 à 2020. »
Comment cela se traduit-il sur le terrain ?
Josie Boucher : « Dans le viseur d’Aliot, on retrouve notamment le quartier populaire de Saint-Jacques, où résident d’importantes populations gitanes et maghrébines. Sous prétexte de lutte contre les logements insalubres, il met les gens dehors ou les reloge à des kilomètres de là. En parallèle, il mène une politique de harcèlement – via sa police municipale – contre ces populations, accusées de contribuer au trafic de drogue. Il y a une volonté claire de gentrifier cette partie centrale de la ville. »
Louis Aliot cherche aussi à célébrer le passé colonial de l’Algérie française…
Josie Boucher : « Mais là aussi il n’a fait que poursuivre la politique de propagande menée par Jean-Marc Pujol6. Le 19 mars 2021, il a inauguré une exposition sur les “crimes” du Front de libération nationale (FLN) pendant la guerre d’Algérie. En 2022, à l’occasion du 60e anniversaire de la fin de celle-ci, il a placardé sur tous les panneaux publics de la ville des affiches intitulées “Perpignan, capitale des Français d’Algérie”. Cette campagne annonçait une série de conférences censée rétablir la “vérité” sur l’histoire de la guerre d’Algérie. En réalité, il s’agissait de l’histoire écrite par les militaires français, principaux invités de l’évènement7. À la fin du week-end, il a fait citoyens d’honneur certains protagonistes du putsch d’Alger en 1961. »
Une manière de flatter son électorat ?
Josie Boucher : « Cette valorisation du passé colonial français n’est pas une démarche électoraliste vu qu’aujourd’hui, la plupart des pieds-noirs arrivés en 1962 sont décédés8. On a vraiment là une composante idéologique de la pensée politique du RN. Ces prises de position sont à la fois une insulte envers celles et ceux qui sont morts pendant la guerre d’Algérie et une menace pour les héritiers de l’immigration. Heureusement, il y a quand même des réactions. On a créé un “Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée”, dans lequel on retrouve la plupart des organisations de gauche – sauf le Parti socialiste. »
D’autres franges de l’extrême droite radicale profitent-elles que le RN soit aux affaires pour mieux s’implanter à Perpignan ?
Josie
Boucher : « Louis Aliot est très malin, il joue à fond la carte de la “dédiabolisation” et fait tout pour contenir les
groupuscules fascistes un peu excités qui voudraient s’implanter à Perpignan. Les zemmouristes ont par exemple tenté d’occuper le terrain au moment du meurtre de Lola9, mais il n’y a pas eu de
démonstrations très voyantes, Louis Aliot garde le contrôle sur cette clique.
Ceci dit, il y a quelques mois, nous avons aussi appris qu’un bar identitaire allait s’ouvrir à Perpignan. Les fachos ont finalement réussi à trouver un lieu à Canohès, dans les environs de la ville.
Le bar s’appelle Le 7.59, en référence à la victoire de Pépin le Bref, roi des Francs, contre les Omeyyades lors du siège de Narbonne en 759. C’est un bar privé, l’accès ne se fait que par
cooptation, mais c’est clairement devenu un lieu où les identitaires s’organisent. On a appris que le groupuscule Unité sud qui avait attaqué un meeting de la Nupes à Perpignan en mars dernier était
derrière ce lieu. Il n’y a eu aucune réaction du maire sans étiquette de Canohès, Jean-Louis Chambon. Par contre, il y a eu une petite action – anonyme, bien entendu – pendant laquelle ont
été placardées des affiches antifascistes sur leur local. Histoire de leur faire comprendre qu’on savait où ils étaient. »
1 Association de solidarité avec tous les immigrés.
2 « Perpignan : plusieurs dizaines de militants politiques et des droits de l’homme réunis en soutien à l’Ukraine », L’Indépendant (05/03/2023).
3 Les Républicains représentent le seul groupe d’opposition au conseil municipal, puisqu’au second tour des municipales de 2020, les partis dits de gauche s’étaient désistés pour faire barrage au RN.
4 En 2017, la Cour de cassation rejetait définitivement la plainte de la leader du RN au motif que ces propos relèvent de la liberté d’expression.
5 « Perpignan : pour la liberté d’expression, contre l’extrême droite », Le Club de Mediapart (21/09/2022).
6 Mise en berne des drapeaux le 19 mars (jour anniversaire du cessez-le-feu en Algérie) ; tentative de rebaptiser des rues de la ville au nom de Pierre Sergent, un des chefs de l’Organisation Armée Secrète (OAS) et Hélie de Saint Marc, un des militaires putschistes instigateurs du coup d’État à Alger en 1961 ; facilitation de l’implantation des activités du Cercle algérianiste ; ou encore inauguration d’un « Centre de documentation des Français d’Algérie », véritable musée de l’Algérie française au contenu révisionniste… N’en jetez plus !
7 « À Perpignan, l’extrême droite s’offre trois jours de célébration de l’Algérie française », Mediapart (25/06/2022).
8 En 1962, Perpignan (80 000 habitants à l’époque) a accueilli 12 000 pieds-noirs et autant de harkis.
9 En octobre 2022, le corps sans vie de Lola Daviet, douze ans, est retrouvé dans une malle à Paris. La principale suspecte du meurtre est en situation irrégulière sur le territoire français, et l’affaire est instrumentalisée par la droite et l’extrême droite contre la volonté de la famille.
sur https://rapportsdeforce.fr/
Harcèlement d’enseignements, paniques morales sur les réseaux sociaux et théories complotistes : l’extrême droite d’Éric Zemmour, via le collectif « Protégeons nos enfants », cible l’école. Une manière de propager une parole LGBTIphobe et raciste, mais aussi de collecter les données de potentiels électeurs, dans le but de préparer les échéances électorales à venir.
« En novembre dernier, à Valencienne, nous avons fait annuler une sortie scolaire. Il va falloir qu’ils s’y habituent ! » se vantait Éric Zemmour lors d’un long entretien au journal d’extrême droite Causeur, en mars 2023.
« Nous », ce sont les membres du collectif « Protégeons nos enfants », lancé par Éric Zemmour le 11 septembre 2022 et piloté par Agnès Marion, vice-présidente exécutive de Reconquête et proche de Marion Maréchal et de La Manif Pour Tous. Le politicien d’extrême droite sortait alors d’une défaite à l’élection présidentielle et, dans un discours de rentrée, expliquait à ses militants quelles allaient être les batailles à venir. En premier lieu desquelles : l’école. Grâce à un réseau de « parents vigilants », le collectif Protégeons nos enfants entend dénoncer les enseignements jugés trop en faveur de l’immigration ou des droits des LGBTI+.
Et ces dénonciations vont souvent de pair avec le harcèlement des enseignants qui les dispensent. Ainsi, à Valencienne, en novembre 2022, l’enseignante qui souhaitait emmener ses élèves visiter un camp de migrants a vu son nom relayé sur les sites de la fachosphère, avant de subir une campagne de harcèlement et de voir son adresse diffusée en ligne. Le rectorat de Lille a porté plainte après lui avoir accordé une protection juridique.
Raids numériques et guerre de civilisation
Depuis cet épisode, les affaires de ce genre n’ont cessé de se multiplier. « On constate globalement une attaque par semaine », assure Yannick Bilec, qui suit le dossier pour la CGT Educ’action. « Pour l’heure, il s’agit surtout de harcèlement numérique. Même si des cas de tractages aux abords des établissements scolaires ont également été relevés », précise Fatna Seghrouchni, co-secrétaire fédérale de Sud-Éducation.
Ces attaques suivent toujours un mode opératoire bien rôdé :
« Une personnalité d’extrême droite dénonce sur les réseaux sociaux tel cours ou telle activité, s’ensuit une campagne de harcèlement en ligne, allant parfois jusqu’à la publication du nom et de l’adresse d’enseignants visés, et parfois d’un rassemblement. Ce sont de vrais raids numériques, destinés à faire pression sur les enseignants. Avec des comptes de personnalités publiques, du RN ou de Reconquête, qui retweetent d’autres comptes, qui eux-mêmes redirigent vers des canaux Telegram, qui eux vont diffuser des coordonnées personnelles. Ils ciblent des établissements mais aussi des personnes », continue Yannick Bilec.
Cette stratégie repose donc sur une répartition des rôles entre des acteurs et des réseaux à différents degrés d’anonymat. Sur les réseaux grand public et dans la presse, les responsables politiques s’indignent publiquement, faisant simplement part de leur inquiétude et usage de leur liberté d’expression. Ils laissent aux anonymes le soin d’organiser le harcèlement sur des réseaux plus cryptés.
Pour l’extrême droite, la bataille culturelle passe par l’école
« Pour l’extrême droite, l’école a toujours été au centre d’une bataille idéologique, rappelle le syndicaliste, y compris de la part de l’extrême droite, on se souvient des mobilisations contre les ABCD de l’égalité, et la Journée du Retrait de l’École organisée par Alain Soral et Farida Belghoul ». Le fond idéologique était déjà le même. « Ce qui est nouveau c’est la forme, le système qui est mis en place. Il y a une stratégie frontale, on cible des personnes, avec un harcèlement numérique, des campagnes de presse, et des fois, ça se passe dans la rue », continue-t-il.
À noter : le contraste entre la banalité des actions pédagogiques dénoncées – l’étude d’une chanson, l’intervention d’une association agréée, l’énoncé d’un exercice de mathématique… – et leur dénonciation comme autant de témoignages d’une école « à la dérive » et livrée à « l’idéologie woke ». Ce phénomène, c’est celui d’une « panique morale » : une série d’anecdotes, plus ou moins réelles, toujours présentées de façon malhonnête et exagérée. Elle construit un sentiment de menace majeure, ici la menace « woke », ou, comme le formule Éric Zemmour, un « Grand Endoctrinement », miroir de la théorie complotiste du « Grand Remplacement ».
Pour les militants pro Zemmour, l’école serait aux mains de « nombreux militants d’extrême-gauche et
wokes » qui auraient « pris l’habitude d’endoctriner sans la
moindre opposition » les enfants, les « poussant à désirer changer de
sexe » et les soumettant à une « propagande
anti-colonialiste », peut-on lire dans une pétition de Protégeons nous enfants.
Yanick Bilec souligne la dimension complotiste inhérente à ces discours, et relève aussi une jonction qui commence à s’opérer avec les réseaux complotistes liés à la crise sanitaire, notamment à
travers le site Réinfocovid. Il y voit « une logique de PME, qui vise à prendre des parts de marché, ici à Philippot, qui avait été
le premier à surfer sur ces mobilisations ».
Le grand recrutement
Au-delà du combat pour l’école, Éric Zemmour cherche à fédérer des militants et des électeurs. « L’école, c’est 12 millions d’élèves et le double de parents. La propagande de Zemmour, c’est un investissement sur le long terme. Il prépare déjà la présidentielle de 2027 », estime Fatna Seghrouchni de Sud-Éducation.
Pour cela, le chantre de l’exceptionnalisme français n’a pas hésité à recourir au savoir-faire américain. Sur le site dédié à la campagne, le visiteur est accueilli par les grands yeux bleus et tristes d’une fillette blonde, et des messages sobres, l’invitant à quatre actions simples : signer une pétition, témoigner, s’abonner à une newsletter ou encore télécharger un tract à diffuser autour de soi. Mise à part la dernière, chacune de ces actions conduit à communiquer son adresse mail à l’éditeur du site, le parti Reconquête. Ce dernier pourra alors leur envoyer une newsletter « susceptible d’inclure des éléments de prospection politique ». Le site signale aussi que les données personnelles des utilisateurs sont « susceptibles d’être transmises à la Nation Builder, situées (sic) aux États-Unis, qui assure notamment l’hébergement de nos sites internet et procède à des opérations de communications politiques ».
Nation Builder, c’est cette entreprise de communication politique qui promet d’offrir « tous les
outils digitaux dont les leaders ont besoin pour bâtir et organiser leurs communautés […] pour gagner leurs élections, collecter des fonds et se battre pour leurs
causes ». Et à laquelle ont eu recours aussi bien Reconquête LRM et LR que le PS, le PCF et EELV aux dernières élections.
Dans le cadre d’un site comme celui de Protégeons nos enfants, l’entreprise vend un site internet prêt en « quelques
minutes », formulaires, pétitions ou collecte de fonds inclus. Mais surtout, «
une base de données intégrée » regroupant toutes les données personnelles collectées par chaque personne ayant
« effectué une action d’engagement », telle que livrer leur témoignage ou
signer la pétition.
Cela permet de personnaliser tout leur parcours sur le site, pour « maintenir leur engagement » et « s’assurer qu’aucun soutien ne passe à travers les mailles du filet ». Des options de filtrage et de traitement de données avancées doivent permettre de mobiliser ses soutiens pour des passages à l’action, de constituer des équipes et de tracer des zones de tractages optimisées. Une fois cette base de données constituée, le site offre tout un panel de solutions techniques, comme par exemple la solution « Network » déployée en 2017 par un Emmanuel Macron fraîchement élu pour construire de toute pièce son parti pour les législatives.
Une collecte de données plutôt efficace pour l’instant, si on en croit les propos de Zemmour qui, toujours dans le même entretien, se vantait d’avoir réuni « plus de 40 000 “parents vigilants” et des milliers de témoignages » dont « plus de la moitié ne vient pas de Reconquête ». Et de vanter l’exemple du républicain De Santis en Floride, qui a réussi à rassembler « jusque dans l’électorat démocrate afro-américain » grâce à « son combat contre l’idéologie woke à l’école ».
Sursaut antifasciste unitaire contre l’extrême droite à l’école
Face au poids grandissant de Protégeons nos enfants, cinq syndicats de l’éducation, la CGT Educ, la FSU, le SGEN-CFDT, Sud Educ et l’UNSA, ont envoyé un courrier commun à leur ministère de tutelle, le 12 mai dernier, pour demander une rencontre. Ils ont été reçus le 23 juin.
« Le ministère s’est engagé à rédiger une circulaire qui donnera un cadre, un protocole à suivre en cas d’attaque de l’extrême droite. Pour l’heure, les enseignants sont souvent démunis. Et les réponses apportées en cas de pression ou de harcèlement sont à géométrie variable. Il s’agit d’y remédier », explique Fatna Seghrouchni, co-secrétaire fédérale de Sud-Éducation, qui a participé à la réunion avec le ministère. Ce dernier s’est également engagé à produire un décompte précis du nombre d’attaques. Yannick Bilec explique ainsi que pour la CGT, le dépôt de plainte doit permettre « l’ouverture d’enquêtes, pour remonter aux responsables » de ces actions d’intimidations. Ne plus rester sur la défensive, mais contre-attaquer. Pour l’heure, la mise sous protection fonctionnelle des enseignants menacés peut être difficile d’accès, les hiérarchies peuvent hésiter à apporter leur soutien aux projets éducatifs, et des plaintes ne sont pas systématiquement déposées.
Mais les organisations syndicales n’entendent pas s’en remettre aux seuls services de l’État pour organiser cette riposte. Récemment, les rencontres syndicales antifascistes du réseau de Vigilances et Initiatives Syndicales Antifascistes (VISA) ont eu lieu à Paris témoignant d’une « dynamique unitaire plus forte » sur ce sujet, selon Yannick Bilec. Côté rue, l’intersyndicale de l’éducation appelle à participer en masse aux marches des fiertés à travers le pays, tout au long du mois de juin, dans un acte de résistance festive aux attaques de l’extrême droite.
publié le 25 mai 2023
Par Clémentine Autain sur www.regards.fr
Projet d’attentat, incendie du domicile d’un élu, manifestation de néo-nazis... Pendant que l’extrême droite s’active librement, la Macronie préfère diaboliser la gauche. Ça commence à faire beaucoup. Ça finit par faire sens.
Le maire de Saint-Brévin-les-Pins est le symbole d’une démission. Je ne parle pas hélas de la sienne mais de celle de l’État. Je parle d’une démission politique. Sous la menace et l’intimidation, Yannick Morez vient de jeter l’éponge en fustigeant « le manque de soutien de l’État ». Après un incendie criminel qui a touché son domicile, la peur pour sa vie et celle de sa famille l’a emporté. Le déménagement d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile avait suscité la mobilisation de riverains chauffés à blanc par l’extrême droite. Et le gouvernement a laissé faire. Il regarde ailleurs, trop occupé à mettre en garde à vue les manifestants contre sa réforme des retraites.
Ce choix des priorités, nous l’avons aussi vu à l’œuvre le 29 avril dernier, lors de la finale de Coupe de France de football. La Macronie s’affairait à confisquer des cartons rouges à l’entrée du Stade de France pendant que des hooligans néonazis tabassaient l’assistant parlementaire de ma collègue Aurélie Trouvé. Théo avait tenté de filmer leurs agressions racistes à la sortie du métro. Sans doute trop concentré sur la condamnation des casserolades, le ministre de l’Intérieur n’a pas pris le temps de dénoncer ces faits gravissimes et d’interroger les priorités en matière de « maintien de l’ordre ». Un silence signifiant.
Le 6 mai, des néo-nazis cagoulés et arborant des drapeaux noirs ornés de croix celtiques manifestent en nombre dans Paris, en présence de deux proches de Marine Le Pen. Rien d’interdit, pas de dispositif policier inédit, contrairement par exemple à la mobilisation spontanée après l’annonce du 49.3 sur les retraites. La manifestation de cette jeunesse hitlérienne s’est prolongée par une soirée dans les Yvelines, à l’espace municipal – et donc public – de Saint-Cyr-l’École. Le flyer de l’événement était intitulé « Honneur et fidélité », reprenant la devise nationale-socialiste de la SS. Des chants néonazis ont été entonnés dans la salle portant le nom de Simone Veil. Et pourtant, le gouvernement, si prompt à réagir au sujet des manifestations contre sa politique, a une fois de plus brillé par son silence assourdissant.
Last but not least, Politis vient de médiatiser l’affaire « WaffenKraft », projet d’attentats impulsé par un gendarme néonazi. Je vous recommande la lecture glaçante du récit de cette opération, prise au départ bien à la légère par l’État avant qu’elle ne débouche sur un procès aux assises en juin prochain. Le petit groupe terroriste s’entraîne cagoulé avec des tirs de kalachnikovs entre deux saluts nazis. Le meneur, Alexandre G., se revendique d’un « nationalisme encore plus violent que celui de Hitler ». Dans leur viseur : les musulmans et les juifs, mais aussi « les traîtres marxistes communistes ». Les cibles se précisent : Jean-Luc Mélenchon et le rappeur Médine, le Crif et la Licra. Et pourtant, elles ne seront pas prévenues. Même le leader de l’opposition de gauche n’a pas été averti de ce projet d’attentat contre lui. Invraisemblable. Inhumain. Et depuis l’article de Politis, on attend toujours les réactions au sommet de l’État. Une nouvelle fois, silence radio.
Ça commence à faire beaucoup.
Ça finit par faire sens.
Ces faits d’une suprême gravité indiquent le « deux poids/deux mesures » dans le traitement policier et la communication du gouvernement vis-à-vis des manifestants, troubles à l’ordre public et violences. L’extrême droite n’est pas dans le viseur de la Macronie qui est mutique sur son activisme dangereux et attentatoire à nos principes républicains les plus élémentaires. Si elle laisse tranquille ses franges radicalisées qui se sentent pousser des ailes, les opposants progressistes à sa politique sont au cœur de son dispositif répressif et de ses éléments de langage qui visent à délégitimer. Ce n’est pas banal dans un État qui se prétend de droit. Ce n’est pas anodin de la part d’un camp politique qui a gagné la présidentielle d’abord par rejet de l’extrême droite au pouvoir.
La Macronie a gagné la présidentielle d’abord par un vote de rejet à l’égard de Le Pen. Et pourtant, elle porte une responsabilité hallucinante dans la percée de l’extrême droite. Par sa politique néolibérale qui crée le terreau du ressentiment, carburant du RN mais aussi des milices néo-nazis. Par sa pente autoritaire et sécuritaire qui remet en cause l’État de droit.
La mécanique à l’œuvre est plus profonde et mérite d’être bien comprise. Car voilà des années et des années que la garde a baissé vis-à-vis de l’extrême droite. Tout un univers de mots et de pratiques à son égard a évolué pour en arriver à la banalisation des idées du clan Le Pen et au détournement du regard quant à l’activisme terroriste d’extrême droite qui avance. Et, point d’orgue de ce glissement, pour accompagner la démission du combat antifasciste, nous assistons aujourd’hui à une tentative de diabolisation du camp progressiste. Un renversement historique de normes est à l’œuvre et nous ne devons pas nous-même regarder ailleurs.
L’une des marques de fabrique historique du fascisme, c’est qu’il avance masqué. De ce point de vue, Marine Le Pen est une excellente élève. Sur le fond, elle a gommé les outrances verbales, elle assume l’opportunisme programmatique le plus crasse, elle triangule en chassant sur les terres de gauche. Sur la forme, elle a su changer le profil de son mouvement devenu RN et non plus FN, se fondre dans le paysage médiatico-institutionnel, donner des gages de « respectabilité ». Là où son père multipliait les expressions de colère, la fille a développé une sorte de « positive attitude », elle qui confie à Paris Match que ses chats lui donnent « énormément de douceur dans ce monde de brutes ». Jean-Marie Le Pen aimait cliver, Marine Le Pen ne cesse de rechercher un profil d’union. Pour élargir son assiette électorale, la leader du RN préfère qu’on l’appelle « Marine » et vise une forme de neutralité [1]. Or, nombre de ceux qui prétendent combattre ses idées ont donné une onction à cette mutation. Ils ont abaissé la vigilance sur les agissements des courants radicalisés d’extrême droite et leurs liens avec le clan Le Pen. Et ils ont eux-mêmes dévalé la pente de conceptions si chères à la droite néo-fascisante. En renforçant les lois sécuritaires, l’autoritarisme de l’État et la chasse aux migrants, le gouvernement et ses alliés contribuent à banaliser l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, et leur préparent même consciencieusement le terrain.
Jamais il ne faut s’habituer, jamais il ne faut minimiser l’idéologie néo-fascisante. Comprendre la violence intrinsèque de son projet est essentiel. Vouloir la régénération de la nation, sa purification, et donc chasser une partie de la population en raison de son origine, de sa culture, de sa couleur de peau, c’est assurément déboucher sur un régime de violences, un système de terreur, un appareil d’État toujours plus répressif. S’appuyer sur un ordre de nature, c’est forcément déboucher sur l’ordre des sexes et des sexualités. Chercher à mettre fin aux oppositions politiques au nom de l’unité d’une communauté imaginaire, c’est évidemment en finir avec la démocratie. C’est pourquoi l’extrême droite porte en germe le fascisme [2].
Les mots employés ont progressivement mis à distance la profondeur de la menace qui se joue à l’échelle internationale, du « déjà-là » néofasciste. Trump, Orban, Bolsonaro, Netanyahou, Meloni… cette vague anti-démocratique et extrêmement réactionnaire, pétrie de racisme, de sexisme et de climato-scepticisme, est un poison pour l’humanité. Le terme de « populisme » pour les qualifier a d’abord brouillé les pistes, en mettant dans le même sac les tenants d’idéologies radicalement opposées, en donnant une forme d’onction populaire. « L’illibéralisme » a lui aussi été détourné de sa conception première pour définir ces régimes qui fleurissent à travers le monde. Quand tout est fait pour flouter le réel, il faut ajuster les lunettes de la lucidité : la barbarie est à nos portes.
En France, la Macronie a gagné la présidentielle d’abord par un vote de rejet à l’égard de Le Pen. Et pourtant, elle porte une responsabilité hallucinante dans la percée de l’extrême droite. Par sa politique néolibérale qui crée le terreau du ressentiment, carburant du RN mais aussi des milices néo-nazis. Par sa pente autoritaire et sécuritaire qui remet en cause l’État de droit. Par son calcul électoral dangereux et malsain, visant à se retrouver au second tour contre le RN pour espérer l’emporter – ce qui donne concrètement une offensive contre la Nupes, devenue ennemie numéro 1 du pouvoir en place. Par sa faiblesse coupable dans les discours et dans les actes à l’égard des agissements les plus anti-démocratiques de l’extrême droite.
Nous ne gagnerons pas en constituant un front avec ceux qui marchent dans leur pas en sapant la promesse républicaine et l’État de droit, en bafouant la démocratie, en imposant des politiques nourrissant les inégalités. L’antidote est ailleurs. Il est dans le renouveau du combat antifasciste et la bataille acharnée pour unir les forces sociales et écologistes qui tracent le chemin de la liberté véritable.
[1] Voir Raphaël Llorca, Les nouveaux masques de l’extrême droite, Fondation Jean Jaurès, Éditions de l’Aube, 2022
[2] Voir Ugo Palheta, La possibilité du fascisme. France, la trajectoire du désastre, La Découverte, 2018.
publié le 20 avril 2023
Par Laurence De Cock sur www.regards.fr
POST-MACRON. Laurence De Cock dénonce le SNU et l’univers viriliste, policier et brutal qui se diffuse de plus en plus dans les écoles.
L’école de la République a toujours entretenu un lien ambigu avec la guerre. Les lois Ferry de 1881-1882 avaient, entre autres finalités, celle de former des petits Français, soudés par un sentiment national, patriotique et revanchard, dans la foulée de la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine cédées à la Prusse victorieuse de la guerre de 1870. Pendant dix ans, dans le cadre de « bataillons scolaires », les enfants furent initiés au maniement des armes et aux stratégies militaires. Puis tout cela est rapidement tombé à l’eau. La boucherie de la Première Guerre mondiale a plutôt comme conséquence de desserrer le lien entre l’école et la guerre : ne valait-il pas mieux sensibiliser les enfants à la paix ? Dès lors s’instaure un tiraillement à l’intérieur de l’institution : si les valeurs guerrières et militaristes ne disparaissent pas totalement (discipline sévère, hommages aux morts, commémorations des guerres et valorisation du virilisme guerrier), elles sont fortement concurrencées par l’invitation à éduquer à la paix, portée notamment par la Société des Nations et le mouvement de l’Éducation nouvelle (Montessori, Freinet, Ferrières, Decroly…).
Après la Seconde Guerre Mondiale et la prise de conscience du sommet de la barbarie, le « vivre ensemble » devient le paradigme dominant de l’école. Les compétences sociales y sont travaillées au même titre que les connaissances : la solidarité et la fraternité doivent s’éprouver concrètement, d’où l’énorme travail fait sur l’éducation civique et l’enseignement des valeurs de la République. L’école est perçue comme un petit laboratoire social, l’antichambre de la société de demain, une société pacifiée. On n’y critique toujours pas la guerre mais on la tient éloignée, à l’extérieur des murs. Même les chantiers de jeunesse du régime de Vichy ne sont pas une expérience scolaire. Le modèle est celui de l’externalisation de la formation militaire de la jeunesse par le truchement, notamment, du service militaire.
Le SNU ou la militarisation de l’école
Les récents débats autour de l’obligation du Service national universel (SNU) nous amènent à réinterroger cette division du travail, et particulièrement la possibilité qu’il ait lieu sur le temps scolaire comme semble le souhaiter Sarah El Haïry, ministre chargée de sa mise en place sous la double tutelle du ministère de l’Éducation nationale et de celui des Armées. Tout cela ne tombe pas du ciel : en 1997, suite à la suppression du service national, l’« éducation à la défense » entre officiellement dans les programmes scolaires en plus de la journée « défense et citoyenneté » obligatoire pour passer son baccalauréat et son permis de conduire. Progressivement, l’armée s’invite dans des journées de formation d’enseignants ou dans des rencontres scolaires. Sans s’en cacher, elle cherche à recruter et vante régulièrement auprès des collégiens et lycéens les mérites d’une carrière militaire. Au côté de l’Enseignement moral et civique (nouveau nom donné à l’éducation civique en 2015), l’éducation à la défense participe au « parcours citoyen » dans l’école, un projet quelque peu fumeux et très peu appliqué comme l’école a l’habitude d’en voir se multiplier.
Le SNU s’intègre dans le projet plus large d’une école au garde-à-vous qui assume de préparer les enfants à la guerre et qui instrumentalise les valeurs de la République au service d’une vision autoritaire où la seule liberté est celle de l’obéissance.
Mais, depuis 2015 et les attentats terroristes islamistes en France, la focale a à nouveau été mise sur cet enseignement civique et cette éducation à la défense que le gouvernement charge de régler tous les problèmes d’une supposée non-adhésion aux valeurs de la République. Dès lors, le paradigme du « vivre ensemble » prend une autre tournure. Les exercices dits « attentats-intrusions » se transforment dans certaines écoles en moments très anxiogènes pour les enfants parfois très jeunes. La guerre contre le terrorisme s’invite dans les écoles. La stigmatisation des enfants musulmans et de leur famille participe à la construction d’un ennemi intérieur jusque dans les écoles, comme en témoignent les quelques enfants envoyés directement dans les commissariats pour des propos malheureux. Les partenariats avec la police se multiplient et des ateliers s’organisent, surtout dans les quartiers populaires, officiellement pour « réconcilier la jeunesse et la police », en les sensibilisant à des gestes tels le menottage, la manipulation des lanceurs de balles de défense (LBD) ou l’interpellation musclée. Plus que la guerre, c’est donc l’univers viriliste, policier et brutal qui se diffuse de plus en plus dans les écoles.
C’est pourquoi il faut prendre très au sérieux cette histoire de SNU. Il ne s’agit pas de quinze jours hors-sol d’une colonie un peu musclée offerte aux jeunes. Le SNU s’intègre dans le projet plus large d’une école au garde-à-vous qui assume de préparer les enfants à la guerre et qui instrumentalise les valeurs de la République au service d’une vision autoritaire où la seule liberté est celle de l’obéissance. On se souvient par exemple qu’à l’issue d’une réunion avec des jeunes en 2020, Sarah El Haïry, trouvant douteux leur rapport aux valeurs républicaines parce que ces jeunes avaient eu l’outrecuidance de poser des questions qui fâchent, avait diligenté fissa une enquête.
Et maintenant ?
Il faut non seulement refuser le SNU en bloc, qu’il soit obligatoire ou non, mais surtout redéfinir les contours d’une école mise au service de l’esprit critique, seule condition de l’ émancipation. Pour cela, l’armée et la police doivent cesser toute entrisme dans l’institution scolaire et retrouver leur pré-carré qui n’est pas celui des enfants. Tout partenariat de ce type doit cesser.
Plus encore, les contours d’une éducation à la citoyenneté doivent être redéfinis à l’aune d’un projet de société contraire au maintien de l’ordre social dominant. La gauche doit prendre à bras le corps la réflexion conjointe sur la société qu’elle entend bâtir et les valeurs à transmettre que ce projet sous-tend. Dès lors, il ne peut plus être question de former des petits soldats, mais des êtres à même de douter, de questionner et de débattre. Toute forme de dépassement de soi et d’affirmation de sa supériorité doit être remplacé par un apprentissage de la coopération et de l’égalité. Cela suppose une refonte totale des programmes scolaires en fonction de ces nouvelles exigences.
Transversale, l’éducation à la citoyenneté doit mobiliser l’ensemble des disciplines scolaires pour mettre à l’épreuve les vertus émancipatrices des connaissances. Ainsi, l’école deviendra cet espace d’expérimentation sociale dépouillé du fantasme sécuritaire de la Macronie.
Nicolas De La Casinière sur https://rapportsdeforce.fr/
Il y a des jours, comme ça, où les luttes donnent la pêche. Ce mercredi 19 avril, la neuvième étape à Nantes de la tournée de propagande du Service national universel (SNU), ce projet très macronien d’embrigadement de la jeunesse, a tourné court.
Mouvement social aidant, quelques 200 opposants se retrouvent à cerner le faux village. En fait une enceinte de ganivelles. Au milieu, quelques vagues comptoirs ça et là, tenus par de jeunes « ambassadeurs » désœuvrés faute de public. Le décor décline un panneau de basket en plastique, une cible de tir à l’arc pour flèches à ventouses, deux camions-podium vides. L’attroupement a rendu difficile, dissuasif selon le préfet, l’accès à l’enceinte de ce genre de fan zone de propagande. « Bourrage de crâne », a rectifié un passant en recevant un trac. En une heure et demie, une seule famille, mère et ado, est venue s’informer sur ce séjour de discipline sous tutelle militaire.
La CGT (éducation et éducation populaire) est venue avec son camion et pas mal de militant·es. Ajoutée aux drapeaux CGT, Solidaires, CNT, FSU, Mouvement pour la Paix, Libre Pensée, Jeunesses communistes, la présence de flics antiémeute au centre du « village », a largement décrédibilisé l’entreprise de séduction. Il a suffi de décrocher une ganivelle et de débrancher le câble d’alimentation électrique de l’installation foraine pour décourager les responsables de la célébration de l’ordre et de la soumission. Ils ont préféré jeter l’éponge et plier leur matériel.
Le SNU remballé en moins d’une heure
Selon le communiqué du préfet, « les manifestants ont pris à partie verbalement les organisateurs du village et les jeunes présents. Ils ont tenté de forcer les barrières de sécurité protégées par les forces de l’ordre, à deux reprises. Le Préfet de la Loire-Atlantique condamne de tels agissements, qui ont amené les organisateurs à mettre fin prématurément à l’événement pour garantir la sécurité des personnes présentes. » Prévue de 11 h à 17 h sur cette place centrale de la ville, l’installation a été pliée à midi. Tout a été piteusement remballé, ganivelles, stands, bannières, et camions-podiums. La poignée de prétendu·es « ambassadeur·ices », ados en uniforme siglé et casquettes SNU, a été sommée d’aider à ranger le matos avant d’être renvoyé·es à leurs familles. Corvéables jusqu’au bout.
La 9e étape de la tournée de 25 dates n’a donc pas eu lieu. Le reste va-t-il être simplement annulé ? Cela dépendra sans doute aussi des mobilisations annoncées dans ces villes étapes. L’annonce récente, fin mars, en plein mouvement social commençant à gagner la jeunesse, d’une reculade sur le caractère obligatoire du SNU ne trompe pas son monde. Cette annonce purement conjoncturelle a peu de chance d’être respectée, car sans obligation, impossible de rameuter toute une tranche d’âge. Le projet de Macron, promesse de campagne depuis 2017, perdrait alors tout son sens, son caractère « universel », qui est juste un mot pour singer la Déclaration universelle des droits de l’homme, alors que c’est une entreprise purement nationaliste.
Les prochaines escales prévues : en avril, Caen le 22, Versailles le 26 et Paris le 30. Puis en mai, Valenciennes le 3, Saint-Quentin le 6, Châlons-en-Champagne le 10, Strasbourg le 13, Épinal le 17, Vesoul le 20, Dijon le 24, Lyon le 26, Grenoble le 27 et Gap le 31. Enfin en juin, Toulon le 3 et Carcassonne le 7.
publié le 18 avril 2023
Pascal Maillard sur https://blogs.mediapart.fr
« Depuis plusieurs mois maintenant, je me contrefous de vous, comme je l'ai toujours fait. Ma détermination est intacte à servir mes amis, les grands capitalistes, et ce n'est pas une bande de gueux qui y changera quelque chose. »
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
Ce 17 avril à 20h près d’un millier de personnes s’étaient réunies place Broglie à Strasbourg, en face de la Mairie, pour une immense et joyeuse casserolade. Beaucoup de jeunes et des moins jeunes, des étudiant·es qui ont animé une farandole, des syndicalistes, quelques irréductibles Gilets jaunes, des gens très divers et plusieurs élu·es de la NUPES, dont Sandra Regol et Emmanuel Fernandes. Au milieu de la foule une effigie de Macron est apparue. C’est-à-dire Macron lui-même, plus vrai qu’à la télévision. Je reproduis son discours ci-dessous et j’en publie la vidéo. Très applaudi, le président a été fêté comme il se doit, par des chants de louange et une belle farandole qui s’est évaporée dans toute la ville. La foule a été convaincue que la fête méritait de continuer.
DISCOURS PARODIQUE DE MACRON
Factieuses, factieux, mes chers com.....patriotes, d'hexagone, d'outre-mer et de l'étranger,
Depuis plusieurs mois maintenant, je me contrefous de vous, comme je l'ai toujours fait. Ma détermination est intacte à servir mes amis, les grands capitalistes, et ce n'est pas une bande de gueux qui y changera quelque chose.
Cette réforme des retraites, comprenez-le bien, j'ai eu un plaisir immense à l'élaborer, un plaisir immense à la faire passer en procédures accélérées, un plaisir immense à utiliser le 49.3 pour éviter qu'elle ne soit rejetée par l'Assemblée nationale, un plaisir immense à tenter de vous donner des illusions dans une possible censure du Conseil Constitutionnel, un plaisir immense à la promulguer directement dans la nuit de vendredi à samedi !
Croyez-le, je sais très bien que notre régime de retraite n'est aucunement en danger, mais il y a urgence. Urgence à donner des gages à mes amis financiers, donner des gages que vous allez continuer de payer toujours plus, et qu'eux pourront continuer à faire toujours plus de profits sur votre dos. Je me fiche de l'intérêt général comme de l'an 40, et j'engage ma responsabilité toute entière au service du maintien de l'exploitation capitaliste.
C'est pour toutes ces raisons, que je donne toute légitimité aux forces de l'ordre pour vous matraquer, vous nasser, vous gazer, vous éborgner, vous interpeller, vous condamner. Syndiqués ou non, la bande de factieux et de fainéants que vous êtes, doit maintenant fermer sa grande gueule, rentrer dans le rang et aller bosser. Je resterai ferme sur le fait que la République d'aujourd'hui doit utiliser tous les moyens en sa possession pour maintenir les inégalités, quoi qu'il en coûte : précarité, pauvreté, décès prématurés, destruction de la planète, militarisation de la société, guerres, etc. Nous devons, nous les riches, les exploiteurs, pouvoir jouir de nos richesses en toute tranquillité; vous devez, vous les gueux, mes chers com....patriotes, obéir.
Je vous le dis solennellement aujourd'hui : ce n'est qu'un début, et nous continuerons à vous en foutre plein à la gueule. Croyez-le, la loi Darmanin, les nouvelles lois travail, c'est pour bientôt.
Nous avons tous les droits !
Vive la République des bourgeois, Vive la France des riches.
publié le 17 avril 2023
Passées inaperçues, de nombreuses agressions ou intimidations de militants contre la réforme des retraites sont survenues un peu partout en France. Elles sont souvent le fait de groupes d'extrême droite. L'incident le plus grave a eu lieu à Lorient, où des syndicalistes ont été menacés d'une arme à feu.
Jamais Bertrand, 52 ans, enseignant et syndicaliste tout à fait pacifique à Sud Éducation depuis 20 ans , n'aurait imaginé se retrouver confronté à une telle situation. « Depuis, quand je sors dans la rue, je ne suis pas tranquille. J'ai consulté un psy, j'avais vraiment besoin d'en parler ». Cet événement traumatisant, c'est cette arme à feu brandie dans sa direction et celle de quatre de ses camarades à la nuit tombée, le 28 mars, après la dixième mobilisation contre la réforme des retraites, à Lorient, dans le Morbihan.
Au point d'arrivée de la manif, Bertrand va boire un verre avec d'autres syndicalistes. L'heure avance. Un peu avant 22h, ne reste plus que Bertrand et quatre de ses camarades. Ils s'attardent, devisent tranquillement à l'extérieur du bar, portant toujours leurs chasubles qui les identifient clairement comme des militants syndicaux.
« Soudainement, trois types cagoulés arrivent foncent sur nous et nous gazent direct en plein visage. Une copine s'interpose et prend un coup de poing dans la figure. On a tout juste eu le temps de dire : « mais qu'est-ce que vous faites ? », ils ne nous ont pas adressé la parole. On n'a rien compris ». Pris de malaise, deux syndicalistes tombent au sol, Bertrand crache ses poumons. Les agresseurs prennent la fuite, mais la jeune femme frappée tente de les poursuivre, accompagnée de Bertrand. « Ils nous ont semés, nous sommes revenus nous occuper de nos camarades à terre. Et là, un des mecs revient vers nous, et toujours sans un mot, nous menace d'un flingue. Je lui ai dit calmement : c'est bon, on s'en va, puis il est reparti ». Lorient, une ville marquée à gauche, n'est guère habituée à ce genre de violences. « 10 ans que j'y habite et je n'ai jamais vu ça, s'étonne encore Bertrand, mes camarades et moi sommes restés hébétés, traumatisés. Le lendemain, l'une d'elles avait carrément tout oublié de ce qu'il s'est passé, avant que la mémoire ne lui revienne. On a mis 48 heures à porter plainte, aucune nouvelle pour l'instant ».
Mais cet événement n'est que le plus sérieux d'une longue série d'agressions ou d'intimidations contre des militants engagés dans le mouvement social, un peu partout en France.
A peu près au même moment, ce même 28 mars, à 150 km au nord, à Lannion, 20 000 habitants, au cœur du Trégor, dans la Bretagne rouge, de mystérieux hommes aux visages dissimulés s'en prennent à l'IUT de la ville. Le matin, des étudiants ont entamé un blocage de l'établissement, entassant des palettes devant l'entrée. « C'était un peu compliqué de rester toute la nuit, explique l'un d'entre eux, donc nous avons décidé de faire des tours de garde toutes les heures. Vers 21h30, un étudiant qui loge sur place entend du bruit. Il descend et aperçoit 2 voitures, dont l'une avait le moteur allumée, prête à partir, avec côté conducteur un homme au crâne rasé, pianotant sur son téléphone. Plus loin, un homme masqué vêtu d'un treillis, était en train de démonter les barricades. Après une altercation verbale, l'homme finit par partir. Par la suite, nous sommes restés toute la nuit au minimum à deux personnes pour surveiller ».
Le lendemain à Perpignan, un commando anti-grévistes va attaquer le piquet de grève d'un centre de tri postal. « Vers 1 heure du matin, se souvient un syndicaliste de SUD PTT, des voitures passent près de nous à toute allure, en mode rodéo urbain. Ils crient quelque chose du genre « ah les gauchos ». On n'y prête pas trop attention, mais d'autres voitures, cinq en tout, passent près de nous, avec à chaque fois 3 ou 4 personnes dedans. L'une d'elle s'arrête environ à 5 mètres de nous et nous asperge de lacrymo, avec une grosse gazeuse comme celle utilisée par les CRS. Puis ils nous ont caillassés. On a appelé les flics, mais le temps qu'ils arrivent les gars étaient déjà partis. Nous n'avons pas eu de blessés mais c'est une grosse intimidation. On n'était pas trop tranquilles les nuits suivantes ».
Si dans ces trois actions clairement anti-grévistes, il est impossible de connaître les appartenances politiques éventuelles des auteurs, d'autres attaques ont été clairement menées par l'extrême droite. Ainsi, à Besançon, le 17 mars, la fac est bloquée. C'est jour de manifestation, personne devant l'établissement hormis Denis Braye, un pompier de 55 ans connu dans la ville pour son engagement dans les luttes sociales. « J'étais un peu fatigué, alors je suis resté devant ma banderole « tu nous mets 64, on te mai 68 ». Tout d'un coup, je vois débouler six mecs cagoulés et gantés. J'ai le réflexe de filmer. Ils me poussent violemment à terre et me piquent ma banderole ».
Au même moment, la manif passe quelques rues plus loin. Denis Braye court et prévient des manifestants. Ces derniers coursent les inconnus qui finissent par abandonner la banderole. Le journaliste Toufik de Planoise qui était sur place affirme reconnaître clairement, à son allure et à ses vêtements, une figure de l'extrême droite locale, un homme qui l'a déjà agressé le 21 août dernier, un certain Théo Giacone, ex RN, ex Reconquête, aujourd'hui électron libre. Un homme condamné à plusieurs reprises pour des violences et, le 17 février dernier, pour la dégradation d'une statue de Victor Hugo.
Un homme qui s'est notamment illustré par le passé en diffusant sur son facebook une photo de lui, cagoulé façon Ku Klux Klan,et faisant un salut nazi. La veille, des militants d'extrême droite s'étaient déjà illustrés en dérobant des banderoles d'étudiants bloqueurs de Besançon, action revendiquée par le groupe d'extrême droite « Français déter ». Denis Braye n'est que très légèrement blessé (deux jours d'ITT), mais psychologiquement marqué : « je ne suis pas serein, dit-il. J'ai un peu peur d'aller en manif maintenant, et Besançon c'est un village, je peux tomber sur ces types à tout moment ».
A Paris, le retour du GUD ?
Paris aussi, l'extrême droite a mené deux actions anti-blocage. Dans les milieux étudiants parisiens, l'événement est à marquer d'une pierre blanche : la fac de droit d'Assas, fief historique de l'extrême et des nervis du GUD (Groupe Union Défense), est bloquée par des militants de gauche, hostiles à la réforme des retraites. De quoi rendre fous les néo-fascistes. Le 23 mars, sur leurs gardes, les bloqueurs d'Assas organisent un départ groupé avec les étudiants de Normale Sup pour se rendre à la manifestation contre la réforme des retraites. Mais au niveau du Panthéon, ils sont agressés par une quinzaine de gros bras. « Un étudiant a eu le nez cassé. Les agresseurs étaient casqués, masqués, et avec des gants coqués, raconte un militant ». Certains disent même avoir vu un couteau. Sur les réseaux sociaux, l'action est revendiquée par l'extrême droite, sous un sigle nauséabond, « Waffen Assas ». Une probable émanation du GUD, groupe de cogneurs mythique des années 70, mis en sommeil depuis quelques années et récemment réactivé. Rebelote deux jours plus tard, les mêmes « Waffen Assas », deux fois plus nombreux cette fois, tentent de débloquer de force les sites universitaires de Cassin et Lourcine, des annexes de la Sorbonne. Bilan : une mâchoire et un nez cassés.
D'autres incidents du même type avec l'extrême droite ont eu lieu dans des universités à Rennes, Montpellier et Lyon et à Sciences Po Reims. Des murs de la fac de Chambéry ont également été recouverts de tags d'extrême droite ou carrément nazis le 5 avril.
publié le 10 avril 2023
Communiqué LDH sur https://www.ldh-france.org
Lors de son audition au Sénat sur la question de la manifestation contre la « mégabassine » de Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a remis en cause les subventions publiques attribuées à la LDH (Ligue des droits de l’Homme). Cette menace est d’une particulière gravité. La LDH a été créée par des esprits résistants mus par l’impérieuse nécessité de combattre l’injustice antisémite faite au capitaine Dreyfus, au nom de la raison d’Etat.
Elle a depuis lors été de tous les combats historiques de la République : la loi de 1905 sur la laïcité, les projets d’émancipation, la lutte contre le fascisme et l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH). Elle a toujours travaillé dans un souci de dialogue franc et constant avec les institutions. Sous le régime de Vichy, elle fut dissoute et grand nombre de membres de la LDH résistants furent arrêtés, assassinés et/ou déportés. Elle s’est reconstituée pour participer à la reconstruction d’une France meurtrie par les atrocités de la guerre et de l’occupation. Elle n’a eu de cesse de se mobiliser pour soutenir les projets de liberté, d’égalité et de fraternité en défense permanente de l’Etat de droit.
Les attaques dont elle fait aujourd’hui l’objet sont notamment la conséquence de son travail sur cette défense de l’Etat de droit basé sur l’observation des pratiques policières et l’exigence d’une désescalade, indispensable au maintien de l’ordre républicain pour protéger le droit de manifester inscrit au cœur de notre contrat social.
Les subventions accordées aux associations constituent une pierre fondamentale de l’édifice démocratique promu par les organisations internationales et européennes. Elles sont indispensables en démocratie pour permettre la contestation des excès de pouvoir et de l’arbitraire. Supprimer ou diminuer ces subventions est l’un des moyens traditionnels utilisés par les régimes autoritaires pour affaiblir l’équilibre entre pouvoir et contrepouvoirs, sans lequel une démocratie est anéantie.
Ces menaces ne visent pas la seule LDH. Elles sont le symptôme du projet historique de la réaction contre « Les Lumières », de l’autoritarisme contre les libertés. Il y a urgence à lui opposer un refus ferme et large. La LDH sonne l’alarme et appelle celles et ceux qui ont à cœur de défendre notre modèle démocratique, celles et ceux qui, au sein des institutions de la République, disposent des moyens de s’opposer à ce projet délétère, à s’engager à ses côtés avec détermination.
Paris, le 6 avril 2023
Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr
Pour le président d’honneur de la Ligue des Droits de l’homme, remettre en cause les subventions de l’association constitue clairement une menace pour les libertés. Il salue le rôle de contre-pouvoir des associations et s’inquiète de l’entêtement d’un gouvernement qui méprise l’opinion publique.
"Que pensez-vous de la déclaration de Gérald Darmanin, qui suggère de réexaminer la subvention de l’État à la Ligue des droits de l’homme ?
Henri Leclerc : Darmanin vient dire “attention, si vous continuez à défendre les droits de l’homme, vous n’aurez plus de subvention”. C’est une menace. Un chantage. Une sorte de déclaration de guerre. À Sainte-Soline, les observateurs de la Ligue des droits de l’homme n’ont été que des lecteurs de la réalité. Je ne sais pas s’il s’agit d’une déclaration improvisée par un homme ou de quelque chose qui a été réfléchi par le gouvernement. Mais ce qu’il dit est grave.
La Ligue des droits de l’homme est-elle menacée ?
Henri Leclerc : Même sans ces subventions, qui sont une petite partie de son budget, la Ligue ne mourra pas. Elle continuera, peut-être plus difficilement, mais elle continuera. Elle a reçu énormément de soutien, en 24 heures. De l’argent. Des adhésions. Les gens ne sont pas dupes. Un immense mouvement de solidarité s’est manifesté autour d’elle et la déclaration de Darmanin, d’une certaine manière, a renforcé l’autorité de la Ligue. Mais attention. Si la défense des droits de l’homme devient un danger pour l’État, alors tout est possible. La loi Séparatisme pourrait même servir de prétexte à une dissolution.
Est-ce que, derrière la Ligue des droits de l’homme, d’autres associations peuvent se sentir visées ?
Henri Leclerc : Darmanin a ouvert une porte. Tout le monde est un peu en insécurité, après une telle déclaration. D’autant que le silence du gouvernement est assez impressionnant. J’imagine que les ministres, s’ils exprimaient un désaccord, n’auraient pas d’autre solution que de démissionner et qu’ils n’osent pas le faire. La discipline gouvernementale joue, sur ce sujet.
Doit-on y voir un soutien à Darmanin ?
Henri Leclerc : Je ne peux pas le dire. En tout cas, c’est un silence de trop.
En France, pays des droits de l’homme, le respect des droits ferait-il peur ?
Henri Leclerc : La question se pose. Quand Emmanuel Macron critique personnellement le dirigeant d’un syndicat parce qu’il ne s’est pas rallié à ses positions, cela ne dérange personne. Quand la Ligue des droits de l’homme documente les violences policières, rappelle les principes fondamentaux et lutte pour qu’ils soient respectés, on menace de lui couper les vivres. “La France n’est pas le pays des droits de l’Homme, c’est le pays de la déclaration des droits de l’homme”, dit Robert Badinter. Il a raison. Cela fait 120 ans que la Ligue des droits de l’homme dénonce les abus de pouvoir, cela fait 120 ans qu’elle est critiquée. Ce qui est nouveau, cette fois, c’est que cela se passe à l’Assemblée nationale.
La Ligue des droits de l’Homme a toujours été dans le viseur du pouvoir ?
Henri Leclerc : Toujours. Quand elle naît, en 1898, c’est au moment où l’affaire Dreyfus semble perdue, au moment où le “J’accuse” de Zola est condamné par la justice française sur la base de mensonges. La Ligue s’est constituée dans cette bataille et, par la suite, s’est toujours opposée au pouvoir. Quand elle se bat pour réhabiliter les “fusillés pour l’exemple” de la guerre de 14, on la traite d’association épouvantable qui crache sur les soldats et qui défend les traîtres. En 1945, alors qu’elle se remet d’une dissolution et que son président a été exécuté par la milice, elle proteste contre la politique d’épuration immédiate et sauvage. Ça a toujours été comme ça.
Les associations sont-elles importantes dans une démocratie ?
Henri Leclerc : Elles sont un fondement de la démocratie. Ce qui est important, c’est qu’elles ne traduisent pas seulement l’opposition d’une personne, mais qu’elles sont l’expression d’un collectif. Une association, ce sont des gens qui luttent, ensemble, pour des choses qui leur paraissent essentielles : la lutte pour la laïcité, la défense de la Loi de 1905, la dénonciation des excès de la police et de la justice, les problèmes sociaux, le sort des étrangers en France, la menace de l’extrême droite, etc. Ces combats-là sont ceux de la Ligue des droits de l’homme. Ces luttes engagent chacun en des lieux divers. Elles sont complètement publiques et soumises à la critique. D’ailleurs, la Cour des comptes examine chaque année les subventions que reçoit la Ligue.
Ces combats s’accompagnent de la présence d’observateurs, sur le terrain…
Henri Leclerc : Leur rôle est de compléter les témoignages ou vidéos recueillies sur place. Certains d’entre eux ont fait l’objet de poursuites, comme à Montpellier en 2019, où une observatrice a été considérée comme une manifestante et interpellée. On nous dit que les violences policières n’existent pas, qu’elles sont le fait de quelques individus qui dérapent. C’est faux. Les observateurs peuvent en témoigner : il y a une stratégie du maintien de l’ordre qui provoque cette violence.
Gérald Darmanin a également fustigé “le terrorisme intellectuel de l’extrême gauche”. Qu’en pensez-vous ?
Henri Leclerc : Il y a quelque chose de terrible à toujours opposer “les intellectuels”, ceux qui réfléchissent, au bon sens populaire qui voudrait condamner. C’est du grand classique, mais c’est n’importe quoi. Et ce n’est pas si simple. Regardez : le bon sens populaire, en ce moment, dit clairement qu’il est contre la réforme des retraites. Et pourtant, on ne l’écoute pas davantage.
Finalement, est-ce qu’il ne faut pas voir, dans les propos de Gérald Darmanin, une tentative de politiser la Ligue des droits de l’homme pour essayer de la discréditer ?
Henri Leclerc : Là encore, ce n’est pas nouveau. Ceux qui protestaient contre la torture en Algérie étaient désignés comme des traîtres à la Nation. Quand nous prenions position contre les lois Pasqua, nous étions traités d’ennemis. Quand nous nous sommes indignés de l’évacuation des sans-papiers de l’église Saint-Bernard, on nous a accusés d’œuvrer contre la paix publique. Quand nous demandions le droit de vote des étrangers aux élections locales, nous étions les fossoyeurs de la démocratie. La Ligue a été créée contre la raison d’État. Cela provoque des réactions, c’est normal. Au mieux, on nous accuse d’être naïfs ou angéliques. Au pire, nous sommes complices des menaces qui pèsent sur nos concitoyens.
Menacer de vous couper les vivres, c’est une première ?
Henri Leclerc : Nous avons eu quelques fois des difficultés à obtenir des subventions. Il est arrivé que des préfets protestent contre des subventions locales. Sur l’antenne d’une radio, un responsable politique m’a, un jour, accusé d’être “payé par l’État”. Mais une prise de position publique, à l’Assemblée, estimant que ces subventions supposent un alignement de nos positions sur celles du gouvernement : ça, vraiment, c’est une première.
Ce gouvernement semble avoir du mal à supporter la critique.
Henri Leclerc : Notre démocratie a instauré, en son sein, des lieux de contre-pouvoirs. C’est le cas de la contrôleuse générale des lieux privatifs de liberté. De la commission nationale consultative des droits de l’homme. De la défenseure des droits. C’est aussi le cas des tribunaux, qu’ils soient judiciaires ou administratifs. Quand leurs décisions ou leurs avis sont critiques à l’égard de l’État, doit-on les considérer comme des ennemis ? Est-ce qu’on va reprocher aux tribunaux administratifs, que nous saisissons régulièrement, d’être au service du désordre ? La contradiction que porte la Ligue des droits de l’homme est une contradiction associative. Ce sont des citoyens qui s’engagent. Pas des ennemis de l’État.
Ces dernières années, plusieurs lois sont venues réduire le champ des libertés individuelles et étendre le contrôle de l’État. A-t-on manqué de vigilance ?
Henri Leclerc : Vous avez raison. Au nom de la lutte contre le terrorisme, on a laissé se développer des moyens de contrôle de plus en plus fort qui s’appliquent, finalement, à tout le monde. La loi Renseignement, de Bernard Cazeneuve, est un chef-d’œuvre en la matière. Il est très difficile, ensuite, de revenir sur ces lois.
Vous êtes très critique à l’encontre de la vidéosurveillance. Elle apparaît pourtant souvent comme un outil de protection, à l’encontre des violences policières.
Henri Leclerc : C’est vrai. La vidéosurveillance a permis de constater des exactions commises par l’État. L’écoute téléphonique, elle aussi, peut aboutir à de bonnes choses. Ce sont des bénéfices d’aubaine et c’est tant mieux. Mais je continue de penser que cette surveillance généralisée est une restriction des libertés.
Êtes-vous inquiet ?
Henri Leclerc : Oui. Ce qui m’inquiète, c’est cette obstination têtue du pouvoir à ne pas entendre les corps intermédiaires et à mépriser l’opinion publique. C’est cette espèce de scission entre la volonté populaire et les décisions politiques, ce mépris de la volonté collective où seul est utile ce que dit le pouvoir. Je ne vois pas comment on va sortir de cette situation. Elle exacerbe des sentiments de révoltes.
Christophe Gueugneau sur www.mediapart.fr
En fustigeant mercredi la Ligue des droits de l’homme, le ministre de l’intérieur n’en était pas à son coup d’essai. En 2015, alors maire de Tourcoing, il avait déjà voulu annuler la subvention de la ville versée à la LDH. S'inscrivant ainsi dans une tradition d’extrême droite : s’en prendre aux défenseurs des libertés fondamentales.
On a les soutiens qu’on mérite. L’anathème jeté par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, contre la Ligue des droits de l’homme (LDH), mercredi lors d’une audition devant les parlementaires, a fait bondir les défenseurs des droits humains – et permis à la LDH de recevoir 30 000 euros de dons en 24 heures. Mais il a surtout fait plaisir à ses ennemis, à l’exemple de l’essayiste obsédée par l’islam Céline Pina.
« Je ne connais pas la subvention donnée par l’État, mais ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qui ont pu être menées », avait déclaré Gérald Darmanin à propos de la LDH. « Il faudrait arrêter de subventionner la LDH, mais aussi le Planning familial, s’interroger sur ce qui se passe à la Ligue de l’enseignement… Il y a du ménage à faire dans les grandes associations subventionnées par l’État », renchérit Céline Pina dans Le Figaro. La vénérable institution, qui a plus de 100 ans de combats pour la démocratie derrière elle, est accusée de « dérive » tant elle serait « noyautée par les islamo-gauchistes ».
Un condensé des paniques morales de l’époque pour une droite qui flirte toujours plus avec l’extrême droite. Car Gérald Darmanin n’en est pas à son coup d’essai. Alors maire de Tourcoing (Nord) (et encore à l’UMP), en 2015, celui-ci avait voulu annuler la subvention de la ville versée à la LDH, au motif que cette dernière envisageait de subventionner à son tour un collectif de soutien aux Roms. La subvention – 250 euros pour l’année ! – avait fini par être concédée, « malgré le contexte budgétaire particulièrement difficile de la ville », selon le courrier de l’édile.
Un an auparavant, et à 40 kilomètres à peine, c’est un maire Front national (FN, devenu Rassemblement national, RN, en 2018) cette fois qui s’en était pris à la LDH. Fraîchement élu à la mairie d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois avait annoncé la fin de la subvention et de l’usage gratuit d’un local municipal dont bénéficiait la Ligue. « Non seulement, aucun bail n’a été signé entre l’association d’extrême gauche et la mairie, faisant de la LDH un occupant sans titre, mais plus grave, ces subventions sont totalement illégales », se justifiait le maire et très proche de Marine Le Pen.
À Mantes-la-Ville, dans les Yvelines, c’est un autre maire FN, Cyril Nauth, qui a commencé par priver la LDH de son local avant de faire voter par son conseil municipal la suppression des aides à l’association. « C’est un choix politique et symbolique : nous ne souhaitons plus subventionner cette association très politisée », avait justifié le maire en 2015. À Fréjus, dans le Var, la LDH s’est également vue privée de local par la mairie FN.
Une LDH visiblement détestée par le parti lepéniste. En 2016, dans un communiqué, Steeve Briois récidive et porte contre la LDH des accusations qui fleurent bon les années 1930. « Le militantisme de la Ligue des droits de l’homme est-il financé par des fonds étrangers ? », s’interroge le maire d’Hénin-Beaumont. En cause : la publication des SorosLeaks, des documents censés montrer que l’Open Society, la fondation du milliardaire, a financé des « associations d’extrême gauche », dont la LDH, « en vue de peser sur les élections municipales et européennes de 2014 ». Un texte de Steeve Briois dans lequel il égrène les pires clichés, la LDH étant accusée d’accepter « de l’argent d’une fondation étrangère dirigée par un homme dont la haine du patriotisme et des identités nationales est bien connue et dont la philanthropie a toujours, et de manière unanime, été motivée par le profit ».
Même quand ils ne dirigent pas les villes, les membres du FN/RN font preuve d’un activisme redoutable contre la LDH. En 2016, toujours, Antoine Chudzik, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté et représentant FN de la 2e circonscription de Saône-et-Loire, a ainsi appelé publiquement à « arrêter le subventionnement de la Ligue des droits de l’homme » à Paray-le-Monial. Le motif ? La Ligue entendait organiser un « cercle de silence » en soutien aux personnes punies par la loi pour avoir aidé des migrant·es.
La LDH n’est pas la seule victime des maires d’extrême droite. Maire de Hayange en Moselle, Fabien Engelmann s’en est lui pris au Secours populaire, au motif que la présidente de l’association avait dénoncé les conditions d’organisation par la mairie d’un goûter de Noël pour les enfants pauvres. Fabien Engelmann avait d’abord dénoncé dans un communiqué un Secours populaire devenu « succursale du Parti communiste », mettant en œuvre une « propagande promigrants ». La ville avait ensuite tenté d’expulser l’association du local qu’elle occupait, avant de tout simplement la priver de gaz et d’électricité. Une décision de justice avait donné raison au Secours populaire mais l’association reste privée de local.
Quand la justice s’en mêle
Dans le Var, le maire de Fréjus, David Rachline, ne s’en prend pas non plus qu’à la LDH. En septembre 2015, l’Asti (Association de solidarité avec les travailleurs immigrés) et le centre social Les Tournesols ont été empêchés de participer au forum des associations de la ville, les subventions des centres sociaux de Villeneuve, de l’Agachon et de La Gabelle ont été rabotées, et le centre de Villeneuve a carrément été fermé quand sa directrice s’est émue de la baisse de sa subvention.
Plus récemment (en 2022), c’est le maire RN de Perpignan, Louis Aliot, qui a montré le peu de cas du parti pour le débat démocratique. La mairie a décidé de déposer une plainte pour « injure envers un corps constitué » à l’encontre de Josie Boucher, militante syndicale et associative, engagée notamment dans l’antiracisme et l’anticolonialisme. Il est reproché à la militante d’avoir déclaré que « les réfugiés ukrainiens n’ont pas grand-chose à attendre des fascistes ».
Ces derniers mois, l’extrême droite a un nouveau cheval de bataille : les subventions accordées par les mairies à l’association de secours aux migrant·es en mer SOS Méditerranée. À Marseille, le 30 septembre, le conseil municipal s’est écharpé sur un projet de subvention de 30 000 euros pour l’ONG. Conseiller municipal d’opposition, le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier (Reconquête) dénonce ces « 30 000 euros de plus pour subventionner une immigration qui nous coûte déjà un pognon de dingue ». Tandis que le RN Arezki Selloum dénonce le fait que « la mer Méditerranée est la voie principale des migrants pour venir en Europe ».
Plus grave peut-être, la justice, à présent, s’en mêle. Le 7 février, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté la demande d’annulation par deux conseillers régionaux d’une subvention de la ville. D’autres recours, à Saint-Nazaire ou encore à Toulouse, ont connu le même débouché. Ils étaient chaque fois soutenus par l’extrême droite.
À Paris, en revanche, le recours contre la subvention accordée par la ville à SOS Méditerranée, introduit par un militant d’extrême droite, a donné lieu à une décision inverse. La cour d’administrative d’appel a estimé que « les responsables de l’association ont, aussi, publiquement critiqué, et déclaré vouloir contrecarrer par leur action, les politiques définies et mises en œuvre par l’Union européenne et les États membres en matière d’immigration et d’asile, de franchissement des frontières extérieures de l’Union et de maîtrise des flux migratoires ». Le juge ajoute que « cette action a, en outre, eu pour effet d’engendrer de manière régulière des tensions et des différends diplomatiques entre États membres de l’Union, notamment entre la France et l’Italie ».
Cet alignement des planètes entre la justice et le politique confine au fascisme d’atmosphère. Et explique peut-être pourquoi, deux jours avant sa sortie contre la LDH, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin avait préféré se faire remplacer par son ministre délégué chargé des outre-mer, Jean-François Carenco, pour répondre aux député·es lors d’un débat sur la lutte contre le terrorisme d’extrême droite.
Quant à Emmanuel Macron, depuis la Chine, il a sans le vouloir souligné ce qui le séparait du Rassemblement national en déclarant : « Si les gens voulaient la retraite à 60 ans, ce n’était pas moi qu’il fallait élire comme président de la République. » Comme s’il n’y avait plus que l’âge de départ à la retraite qui opposait la droite et l’extrême droite.
Politis sur www.politis.fr•
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’en est pris directement à la Ligue des droits de l’homme, évoquant ses financements publics. La pente extrémiste du protégé de Nicolas Sarkozy est de plus en plus glissante.
Auditionné hier au Sénat suite aux violences policières de Sainte-Soline, Gérald Darmanin – après un week-end passé à attaquer ses opposants de gauche dans le JDD – s’en est cette fois pris à un autre adversaire, un peu trop regardant sur sa féroce répression de la contestation actuelle.
S’exprimant sur la Ligue des droits de l’homme, le ministre de l’Intérieur a expliqué qu’il s’en prendrait possiblement au financement public de l’organisme. « Je ne connais pas la subvention donnée par l’État, mais ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qui ont pu être menées. »
De tels propos ne peuvent que susciter craintes et indignations. Sur France Info, le président de la LDH, Patrick Baudouin, a répliqué que « jamais la Ligue des droits de l’homme n’a été remise en cause de cette manière ». Et d’ajouter : « C’est inédit et consternant de la part du ministre d’un pays qui est encore qualifié de démocratie ».
Politis, journal humaniste, apporte donc son soutien clair et net à la Ligue des droits de l’homme, rouage essentiel de la démocratie. La LDH fut fondée, pour rappel, en 1898 par Ludovic Trarieux, en défense du capitaine Dreyfus et n’a cessé depuis de défendre les droits humains les plus fondamentaux.
Fin 2021, Politis publiait, en collaboration avec la Ligue, un hors-série sur les libertés fondamentales, avec les plumes de François Héran, Henri Leclerc, Étienne Balibar, Alain Damasio… Ce numéro peut toujours être commandé, en version numérique ou physique, sur notre boutique.
publié le 5 avril 2023
Sarah Brethes et Marine Turchi sur www.mediapart.fr
Des violences policières lors des manifestations contre la réforme des retraites ? Chez BFMTV, le terme est officiellement proscrit par la direction car « politiquement connoté », selon les informations de Mediapart. Au « Parisien » et à France 3, les sociétés des journalistes dénoncent un traitement biaisé et partisan de la réforme et de la mobilisation massive qu’elle suscite.
Les millions de téléspectateurs et de téléspectatrices qui regardent quotidiennement BFMTV ne verront jamais sur les fameux bandeaux déroulants de bas d’écran le terme de « violences policières ». Peu importe que des images et des enregistrements sonores attestent des comportements déviants des forces de l’ordre : sur la chaîne d’information la plus regardée de France, les consignes de la direction de la rédaction en la matière sont sans équivoque. L’emploi du terme « violences policières », « politiquement connoté » est interdit aux journalistes, priés de lui préférer des formules du type « dérapages » (utilisée notamment au sujet de la Brav-M, brigade de policiers à moto accablée notamment par un enregistrement) ou « accusations de violences policières », selon des consignes officielles dont Mediapart a eu connaissance. Sollicitée, la direction de BFMTV a indiqué ne « pas s’exprimer sur ce sujet ».
Une journaliste analyse ces directives en premier lieu par la proximité de la chaîne avec la hiérarchie et les syndicats policiers, qui l’alimentent en continu en informations et en faits divers, et occupent les plateaux de ses innombrables talks. Une proximité qui cache en réalité une dépendance. « À partir du moment où les flics font vivre cette antenne depuis ses débuts, la direction est pieds et poings liés, estime cette journaliste. Ils s’interdisent de parler de violences policières car ce serait une ligne rouge, et que les policiers iraient systématiquement sur CNews. Or, ils sont flippés car les audiences de BFM ont baissé et ils ont très peur de la concurrence de CNews. »
Au-delà, ces choix de vocabulaire sont « évidemment des choix politiques », estime cette journaliste. « À partir du moment où Darmanin dit : “Les violences policières, ça n’existe pas”, eh bien ça n’existe pas », résume-t-elle. Pendant la dernière campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait expliqué au média en ligne Brut préférer parler de « violence par des policiers » que de « violences policières », une expression qui serait devenue selon lui « un slogan ». Dans le jargon BFMTV, on préfère donc parler de terme « politiquement connoté ».
Au Parisien, nombreux sont les journalistes à avoir le sentiment d’avoir avalé des kilos de couleuvres ces dernières semaines. Pour la deuxième fois en une semaine, 260 salarié·es du quotidien se sont réuni·es mardi en assemblée générale à l’appel de la société des journalistes et des syndicats. « Il y a un trop-plein », résume un rédacteur. Les journalistes du Parisien, propriété du numéro un mondial du luxe LVMH, dirigé par le milliardaire Bernard Arnault – 225 000 exemplaires vendus chaque jour en moyenne en 2022 –, reprochent à leur direction « un traitement partisan » de l’actualité liée à la réforme des retraites.
Beaucoup dénoncent pêle-mêle l’accumulation de « grandes interviews de “une” réalisées avec des membres du gouvernement » ou « en tout cas uniquement avec des partisans de cette réforme largement contestée dans l’opinion et au Parlement », les éditoriaux « dans leur grande majorité favorables » à l’exécutif ou encore le traitement des premières journées de mobilisation selon des « angles critiques comme les perturbations dans les transports », alors même que les rassemblements syndicaux ont atteint des niveaux inédits, avec un record d’1,3 million de personnes dans les rues le 7 mars, selon les chiffres du ministère de l’intérieur.
Censure et autocensure
Dans un communiqué publié lundi 3 avril, les sections syndicales CGT du journal ajoutent à la liste des récriminations « le traitement des violences policières » et « les tractations de couloir pour imposer une “ligne” qui emboîte le pas de la communication du gouvernement ». Au Parisien, l’ambiance est d’autant plus électrique que la société des journalistes (SDJ) avait déjà tiré le signal d’alarme en octobre 2022 après qu’une interview du secrétaire général de la CGT Philippe Martinez avait été trappée, un choix éditorial « perçu comme une censure ». Et que cette fronde s’exprime peu après le départ surprise du directeur de la rédaction des Échos, autre journal du groupe détenu par Bernard Arnault.
Difficile de savoir si la hiérarchie du Parisien-Aujourd’hui en France, incarnée en premier lieu par le directeur de la rédaction Nicolas Charbonneau, « veut faire plaisir à l’actionnaire » ou « partage tout simplement les idées du gouvernement », expose un journaliste du Parisien, qui a souhaité rester anonyme. Mais les résultats sont là : « mobilisations traitées exclusivement sous l’angle sécuritaire et celui des casseurs », absence de couverture des manifestations pourtant inédites en région, « unes “alibi” » sur Florent Pagny ou Kylian Mbappé les lendemains de grève, égrène-t-il. « Certains se sont mis à en rire, en se disant que si on avait un bon dossier, c’était le moment de le proposer car on aurait peut-être une chance de faire la “une” si c’est un lendemain de manif », raconte ce journaliste.
« Avant, les gens de gauche nous disaient qu’on était de droite, et ceux de droite qu’on était de gauche, c’était la preuve qu’on faisait bien notre travail. Là, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que le journal roule pour Macron », déplore-t-il. Le rédacteur décrit aussi un traitement des violences policières réduit à la portion congrue et reléguée sur le site internet du journal, à défaut du print. « Il n’y a pas vraiment de censure. Ce qui est insidieux, c’est que les journalistes s’auto-censurent : ils ont intégré que ça ne passerait pas, et donc ne proposent même plus », d’articles sur les abus des forces de l’ordre, dit-il.
Sollicité par Mediapart pour répondre à la colère de sa rédaction, Nicolas Charbonneau n’a pas donné suite. Dans un courriel adressé mardi à l’ensemble de la rédaction, que Mediapart s’est procuré, il récuse tout traitement partisan et concède seulement une « manchette maladroite et peu inspirée », au lendemain du 49-3. Après le passage en force à l’assemblée nationale, le quotidien avait titré : « Le gouvernement joue la sécurité ».
Casseurs à la une
Les doléances des journalistes du Parisien ressemblent furieusement à celles des membres de la SDJ de la rédaction nationale de France 3. Le 27 mars, ces derniers se sont plaints du « mauvais traitement » des mobilisations contre la réforme des retraites dans les journaux télévisés de la chaîne, accusée de « hurl[er] avec les loups des chaînes d’info en continu ». Dans un long communiqué, la SDJ dénonce une « hiérarchie de l’information [qui] s’inverse » : les violences des « casseurs » « font la une » et prennent le pas sur la « mobilisation record », et ses « aspects pacifiques et même festifs ».
Elle pointe aussi « un soin tout particulier à ne pas évoquer les violences policières et le retour de pratiques interdites : nasse, tabassage à l’aveugle, charges et propos inappropriés de la part des forces de l’ordre, des dérives pourtant dénoncées par la LDH [Ligue des droits de l’homme – ndlr] et même le Conseil de l’Europe ». « Une démocratie, c’est aussi une police qui sait se tenir… comme une information digne de ce nom », soulignent les journalistes, qui estiment que « l’ensemble du traitement » de la réforme « serait d’ailleurs à interroger ». Pas une soirée spéciale sur France 2 comme sur France 3 avant que la loi ne soit votée ! », alors qu’il aurait été « du ressort du service public de faire un travail d’analyse, et de confronter les idées ».
Ce mécontentement se retrouve dans certaines rédactions locales. À France 3-Nantes, plusieurs se sont étonnés du retard avec lequel la chaîne a traité l’affaire des quatre étudiantes qui dénoncent des violences sexuelles de la part d’une policière, lors d’une fouille au corps au sein de la manifestation, le 14 mars. Alors que l’affaire est rapidement évoquée dans la presse locale (Ouest-France y consacre un article entier le 16 mars), puis dans la presse nationale (Mediapart, le 18 mars), et que les étudiantes ont porté plainte dès le 17 mars, il faut attendre le 19 mars pour que la chaîne s’en fasse l’écho sur son site web, ne faisant que reprendre les informations déjà publiées. Et le 20 mars – soit près d’une semaine après les faits – pour qu’elle l’évoque dans son journal télévisé, en diffusant le témoignage de deux plaignantes.
« Dès le mardi 14 au soir, on a été alertés des faits en région, c’était sur le fil d’actualité de Ouest-France. Pourquoi a-t-on mis autant de temps à réagir ? », interroge un journaliste de la rédaction, qui y voit non pas « une censure » de la direction, mais plutôt « une vraie frilosité sur ce type d’affaires qui touchent aux violences policières ou mettent en cause une institution ou des politiques ».
Pour ce journaliste, alors que Nantes est depuis des années en première ligne en matière de violences policières – que ce soit avec le dossier Notre-Dame-des-Landes ou la mort de Steve Maia Caniço en 2019 – ces violences « ne font l’objet que de traitements factuels, jamais de décryptages ou de dossiers plus approfondis ». « Il y aurait pourtant matière à investiguer malgré le peu de moyens dont nous disposons au quotidien. Ce n’est pas être militant, mais c’est faire notre travail que de dénoncer des violences policières, qui plus est sur des femmes dans cette affaire-là. »
Contacté, le rédacteur en chef, Guénolé Seiler, conteste tout questionnement interne sur ce sujet et tout retard à l’allumage : « Nous avons traité cette affaire quand nous avons été en mesure de le faire dans de bonnes conditions. Notamment quand nous avons pu réaliser des témoignages directs des personnes victimes qui ont porté plainte. »
publié le 4 avril 2023
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Il est 22h à Lorient le 28 mars. Après avoir bloqué et manifesté, des syndicalistes se retrouvent au café pour faire le bilan de la journée. Alors qu’ils discutent dehors, trois hommes, visages masqués, les attendent dans une ruelle et les agressent. L’un d’eux ira même jusqu’à sortir une arme de poing. Solidaires 56 dénonce « une attaque fasciste ». Témoignage.
Mathieu*, la trentaine et militant chez Sud santé sociaux 56 (Morbihan), fait partie des 4 personnes agressées. Il raconte.
Rapports de Force : Peux-tu nous raconter comment s’est déroulée l’agression ?
Mathieu : C’était le 28 mars, après une journée de manifestation où nous étions 12 000 dans les rues de Lorient. Le matin, nous avions bloqué le réseau de bus de l’agglomération. Après la manifestation, nous nous sommes retrouvés au bistrot avec une vingtaine de syndicalistes de Solidaires pour faire le bilan de la journée. Vers 22h, nous étions un petit groupe de 4 à discuter dehors. Un syndicaliste de Sud-PTT, un autre de Sud-Éducation, un cégétiste et moi. Nous avions encore nos gilets syndicaux et étions clairement identifiables.
Une cinquième camarade, de Sud-PTT, nous a rejoints. Entre nous, il y avait une petite ruelle sombre. Lorsqu’elle est passée devant, elle y a vu 3 personnes. Leurs visages étaient masqués avec des capuches ou des cagoules. Ces silhouettes la surprennent, elle leur demande ce qu’ils font là. Pas un mot. Durant toute l’agression, qui a duré une minute à peine, les agresseurs n’ont pas dit un mot. On s’est approché pour voir ce qui se passait. Le camarade de Sud-Éducation et celui de la CGT ont pris un premier coup de gaz, un peu à distance, moi et la camarade qui nous rejoignait nous sommes fait gazer en plein visage et la camarade de Sud-PTT a pris un coup de poing au visage. Mon œil droit a mis une heure à se remettre. Les agresseurs s’en vont comme ils sont arrivés… avant que le camarade de Sud-Éducation et la copine des PTT ne voient quelqu’un revenir dans la ruelle. C’est là que l’agresseur pointe une arme à feu, une arme de poing plus précisément, sur nos deux camarades. Puis il s’en va tranquillement, en marchant.
Comment avez-vous réagi après l’agression ?
Athieu : Après on a appelé la police, qui n’a pas vraiment bien géré. Une copine était en état de choc émotionnel, ils lui ont dit que si elle ne se calmait pas ils ne prendraient pas son témoignage… ils ont même menacé de partir. Pourtant ils étaient au courant qu’une arme avait été sortie. On a finalement porté plainte deux jours plus tard. Pour ce qui est de la réponse militante, on en a parlé dès le lendemain en intersyndicale. Et Solidaires 56, dont 4 militant·es ont été visé·es, a publié un communiqué.
Cette attaque vous a-t-elle surpris ? Quel est le niveau d’organisation de l’extrême droite à Lorient ?
Mathieu : Ce genre d’attaque, ça n’arrive jamais à Lorient. Il n’y a pas de groupe d’action d’extrême droite connu dans le coin, même si la Cocarde étudiante est implantée dans la fac de la ville. On ne sait pas qui étaient ces gens. Tout ce qu’on sait c’est que c’est une attaque fasciste, parce que s’en prendre à des syndicalistes de cette manière, c’est un procédé fasciste. Par ailleurs, en ce moment dans les manifestations on se demande s’il n’y a pas une infiltration de l’extrême droite. On remarque des personnes avec des comportements inhabituels, mais pour l’instant ça ne va pas plus loin, on reste vigilants.
Cette attaque va-t-elle peser sur votre travail militant ?
Mathieu : C’est un peu tôt pour le dire. Nous ne nous laissons pas intimider et nous n’avons pas peur. Ça ne va pas changer notre militantisme mais on va peut-être faire plus attention, fréquenter des lieux plus sécurisés et ne pas forcément s’attarder dans la rue. Ce qui est sûr aussi c’est qu’on va continuer à mettre des forces dans l’antifascisme.
Les idées d’extrême droite et la présence de ses militants, qu’ils soient violents ou non, s’accroissent ces derniers temps. Comment luttez-vous contre l’extrême droite dans le Morbihan ?
Mathieu : Jusque là, on n’avait jamais eu à se défendre physiquement contre l’extrême droite. Mais il y a deux ans, on a créé le collectif antifasciste du Morbihan, composé de partis politiques de gauche et de syndicalistes. Il nous a servi de réseau lorsqu’il y a eu des manifestations contre l’extrême droite à Callac ou à Saint-Brévin, lors de la venue de Zemmour ou de ses représentants. Ça nous permet aussi d’organiser des conférences et de faire de la formation.
publié le 3 avril 2023
Emilio Meslet sur www.humanite.fr
Le ministre de l’Intérieur se lance à corps perdu dans la défense des violences policières, dont il nie l’existence. À coups de mensonges, il cible la Nupes qu’il veut amalgamer avec les « casseurs ». Une façon de prétendre incarner l’ordre pour mieux sortir de la séquence des retraites.
, extrême gauche, ultragauche, zadistes, terrorisme intellectuel… Gérald Darmanin aime convoquer de grands concepts. Mais la façon dont il les manie interroge quant à la présence d’un dictionnaire au ministère de l’Intérieur. Nouvelle illustration, ce week-end, dans les colonnes du Journal du dimanche et sur l’antenne d’Europe 1, après deux semaines sous le feu des critiques sur sa gestion du maintien de l’ordre. Mais il ne faudrait pas prendre Gérald Darmanin pour le dernier des idiots. Son offensive, réfléchie, n’a qu’un seul objectif : démontrer qu’il existerait un continuum de violences entre la Nupes et les « casseurs », quitte à tordre la réalité. « Il y a une complicité évidente entre des gens qui sont rentrés à l’Assemblée nationale et des mouvements d’extrême gauche », a-t-il lâché.
Nouvelle dissolution annoncée
Martial, le ministre veut faire peur. Il dit alors refuser « de céder au terrorisme intellectuel de l’extrême gauche », qui s’applique aussi bien, selon lui, aux responsables politiques de gauche qu’aux black blocs de la manifestation à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre les méga-bassines. « Mélenchon a un projet : c’est la révolution, assure-t-il. Ses références à Robespierre, qui a quand même installé la Terreur (sic), devraient d’ailleurs nous inquiéter. » Il évoque par ailleurs « 2 200 fichés S d’ultragauche », une « nébuleuse extrêmement violente et dangereuse » à laquelle appartiendrait Defco (pour Défense collective), mouvement rennais qu’il souhaite dissoudre. Aussi, Gérald Darmanin promet : « Plus aucune ZAD (zone à défendre – NDLR) ne s’installera dans notre pays » grâce à la création d’une « cellule anti-ZAD ». Avant d’envoyer un message aux supporters de l’extrême droite : « Nous montrons que l’alternative à l’extrême gauchisme n’est pas Mme Le Pen. Nous apportons une demande concrète à la demande d’autorité des Français. » Bref, il faut comprendre que l’ordre, c’est lui, que le chaos, c’est ceux qui suivent « la pente de cette ultragauche des années 1970 ».
Si violences il y a, elles seraient uniquement le fruit de la gauche. Et peu importe si le rapporteur spécial de l’ONU et le Conseil de l’Europe s’inquiètent de la répression en France, ils feraient mieux de « venir sur le terrain » : « Quand on est un peu loin, on a une vision différente. » Rappelons que, dans la réalité alternative de Gérald Darmanin, les violences policières n’existent pas et qu’aucune arme de guerre n’a été utilisée par les gendarmes à Sainte-Soline, malgré les preuves apportées par de nombreux médias. « Mon devoir est de protéger ceux qui nous protègent », se défend-il face aux questions sur ses mensonges.
« Pas d’amalgame entre la violence dure qui s’est déroulée à Sainte-Soline et le calme et la détermination des salariés qui s’opposent à cette réforme (des retraites) », a répondu Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. Et son homologue d’EELV, Marine Tondelier, de cibler le « pyromane » Darmanin qui « attise le feu » : « Les mots ont un sens. C’est très grave et c’est dangereux, et ça va mal se terminer. Ça va finir par faire des morts », a-t-elle alerté.
Peut-être le ministre devrait-il désormais ouvrir son dictionnaire à la lettre « M » pour « manipulation ».
Lucas Sarafian sur https://www.politis.fr
En diabolisant systématiquement les gauches, Emmanuel Macron, le gouvernement et la majorité présidentielle en viennent à acter la normalisation du Rassemblement national. Un pari dangereux.
C’est une stratégie complètement dingue : « Ce qui nous arrangerait, c’est une dissolution et un score suffisamment haut pour le RN, pour qu’on puisse mettre Le Pen à Matignon. Qu’on montre qu’elle est incompétente, comme ça on la décrédibilise pour 2027. Et elle devient inopérante. Donc plus de problème. »
Cette idée folle, délivrée sous couvert d’anonymat, vient d’un membre à la tête d’un bureau départemental en région parisienne de Renaissance et, par ailleurs, conseiller national du parti présidentiel. Il ne fait pas partie du petit état-major rassemblé autour d’Emmanuel Macron, mais quand même.
Cette courte séance de politique-fiction peut paraître anecdotique.Elle ne l’est pas. Imaginer qu’installer l’extrême droite au gouvernement permettrait de trouver une voie de sortie potable pour Emmanuel Macron et Renaissance dans la perspective de 2027, est-ce un dérapage isolé ? C’est tout le contraire. La petite réflexion est à l’image d’un élément de langage désormais répandu au sein de la majorité : le danger, c’est tantôt La France insoumise, tantôt la Nupes, toujours Jean-Luc Mélenchon. Mais jamais Marine Le Pen.
Le chef de file de La France insoumise est devenu celui qui mettrait le feu aux poudres, qui instrumentaliserait le mouvement social toujours d’actualité en appelant à la « censure populaire », qui exhorterait les manifestants à la violence dans la rue pour affronter celle du gouvernement. La candidate du Rassemblement national pour la présidentielle ? Forcément moins pire. On y est : dans le camp d’Emmanuel Macron, l’extrême droite est dédiabolisée, banalisée, normalisée. En clair, le RN n’est plus considéré pour ce qu’il est.
Et tout le gouvernement chante cette même musique. Le 28 mars à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail Olivier Dussopt cible la députée LFI Clémentine Autain : « Votre politique, Madame la députée, est une politique antisociale. Votre objectif est un objectif de chaos. Et en réalité, vous ne souhaitez qu’une chose, c’est que la misère prospère. Parce que sur la misère, c’est vous qui prospérez ».
Attaques frontales et confusions idéologiques
Le même jour, en sortie de conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran soutient que le « projet politique sous-jacent [de Jean-Luc Mélenchon, NDLR] est mortifère pour la stabilité de nos institutions et pour notre pays ». La veille, devant les ténors de la majorité, le Président attaque frontalement La France insoumise : « Il y a un réel projet politique mené par La France insoumise qui tente de délégitimer l’ordre raisonnable, nos institutions ».
Le 29 mars au micro de RTL, c’est au tour de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et potentiel candidat à Matignon en cas de démission d’Élisabeth Borne, de mettre dos-à-dos la LFI et le RN en cas d’hypothétique second tour Mélenchon-Le Pen en 2027 : « Je veux tout faire pour que ça ne soit pas le choix entre la peste et le choléra ». Tout en rangeant ces deux partis dans « l’ultra-gauche et l’ultra-droite ».
Derrière les manœuvres politiques se cachent bien souvent des confusions idéologiques. Sur un possible élargissement de la majorité, Bertrand Mas-Fraissinet, membre du bureau exécutif de Renaissance, explique que tout le monde est le bienvenu pour travailler aux côtés de Renaissance, du Modem ou d’Horizons : « Le sujet droite/gauche ne nous intéresse pas. Il faut rassembler les gens de bonne volonté qui veulent réformer le pays. S’il y en a qui veulent aujourd’hui continuer à avancer dans ce sens-là avec nous, il n’y aura pas d’ostracisme ». Avant de se reprendre : « Évidemment dans le champ républicain. À l’exclusion de l’extrême gauche et de l’extrême droite ». Le message est passé : il faut désormais mettre un signe égal entre la Nupes et le RN.
Vu la manière dont la LFI pousse les gens à la sédition, il n’y a pas de discussion.
Même son de cloche du côté du député Renaissance de Moselle Ludovic Mendes. Lui estime que « l’idée d’une Ve avec une coalition, c’est jouable ». Avec des députés EELV, PS, certains LR ou Liot, « mais je n’inclus pas La France insoumise ou le Rassemblement national dans cette logique parce que ce sont des extrémistes. Et vu la manière dont la LFI pousse les gens à la sédition, il n’y a pas de discussion. Et le RN ? Parce que c’est le RN, c’est l’extrême droite. Donc on est loin de nos valeurs républicaines et démocratiques ».
Cynisme et vieilles rengaines
À croire que l’extrême droite est passée au second plan. Dans le camp du parti présidentiel et du gouvernement, la réflexion est dorénavant systématique. La gauche, surtout La France insoumise, est agitée comme un épouvantail. Elle est exclue du champ républicain. La stratégie est claire : camper l’ordre après les manifestations contre la réforme des retraites ou les mégabassines à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. Cynisme ou position révélatrice de l’impasse politique dans laquelle se trouve actuellement Emmanuel Macron et le gouvernement ?
Dans les deux cas, le jeu est plus que dangereux. Et certaines figures du gouvernement se mettent à gratter sur le terrain idéologique du Rassemblement national. La secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté Sonia Backès en fait partie.
Envoyée sur tous les plateaux télé pour faire la promotion de la loi séparatisme, votée il y a un an et demi, elle a pu lister une série d’évolutions comme la fin de l’autorisation du burkini dans les piscines à Grenoble, ou le retrait des financements publics pour le mouvement écolo Alternatiba qui « organisait des stages de désobéissance civile » à Poitiers… Tout en rappelant que la loi séparatisme « s’applique » pour ces associations et collectifs qui ont manifesté à Sainte-Soline car elles « organisent une forme de séparatisme et considèrent qu’une cause passe au-dessus des lois de la République ».
Dans la droite lignée de l’annonce de Gérald Darmanin, le 28 mars devant l’Assemblée nationale, d’une procédure de dissolution des Soulèvements de la Terre, l’un des collectifs organisateurs des cortèges dans les Deux-Sèvres. De vieilles rengaines d’extrême droite. La direction prise par Emmanuel Macron, sa majorité et le gouvernement ressemble étrangement à une pente glissante. De la banalisation aux partages des mêmes thèmes… Le pari pourrait être sinistre.
publié le 1° avril 2023
Michel Soudais sur www.politis.fr
Dans la 1re circonscription de l’Ariège, le second tour oppose la députée LFI Bénédicte Taurine à Martine Froger, une dissidente socialiste soutenue par Carole Delga, Bernard Cazeneuve, Anne Hidalgo et Nicolas Mayer-Rossignol.
Le congrès du Parti socialiste, clos à Marseille le 29 janvier sur une réconciliation, n’était que de façade. Les divisions s’étalent à nouveau avec la législative partielle de dimanche, dans la 1ère circonscription de l’Ariège. Le second tour y oppose la députée LFI-Nupes, Bénédicte Taurine, à la dissidente du PS Martine Froger, activement soutenue par les opposants à Olivier Faure, notamment Nicolas Mayer-Rossignol, premier secrétaire délégué du PS, et Hélène Geoffroy, présidente de son conseil national.
Bénédicte Taurine, élue depuis 2017, est arrivée en tête du premier tour avec 31,18 % des suffrages exprimés, et devance de 4,7 points sa concurrente. Elle a le soutien des cinq partis de la Nupes. Leurs dirigeants nationaux rappellent dans un communiqué commun que « sans leur rassemblement autour d’un programme de gouvernement il n’y aurait jamais eu 151 parlementaires de gauche à l’Assemblée et Emmanuel Macron aurait disposé d’une majorité absolue pour imposer tous ses projets ».
Face à « une candidate qui a reçu le soutien officiel du parti d’Emmanuel Macron », ils appuient la candidature de « Bénédicte Taurine pour renforcer de manière claire l’opposition à Emmanuel Macron et à sa politique, en particulier dans le contexte actuel de la bataille pour les retraites ».
De son côté, Martine Froger, maire-adjointe d’Alzen (267 habitants) et cheffe d’entreprise, s’était déjà présentée en dissidente le 12 juin dernier. Déjà soutenue à l’époque par les socialistes ariégeois, notamment la présidente du département, Christine Téqui et surtout Carole Delga, la présidente de la région Occitanie, viscéralement anti-Nupes (aux régionales en 2021, elle avait refusé toute entente avec LFI et EELV).
Avec 18,08 %, elle avait échoué à se qualifier pour le second tour. Cette fois, dans une élection marquée par une faible participation (38 %), elle gagne 100 voix et se hisse à 26,42 % profitant à plein de la mobilisation des réseaux locaux du PS. Et aussi de l’effondrement de la candidate macroniste passé en neuf mois de 19,96 % à 10,69 %.
La droite macroniste et l’extrême droite en arbitre
Dès l’annonce des résultats, la candidate de Renaissance, Anne-Sophie Tribout, a appelé les électeurs « à faire barrage à Bénédicte Taurine ». Non sans déclarer que cette dernière était « une députée objectivement dangereuse pour la démocratie » alors que Martine Froger ne serait qu’« une députée objectivement inutile, qui siègerait dans le groupe LIOT, fait de bric et de broc avec comme chef de file un député réac, anti mariage pour tous ».
Dans un long tweet, la direction nationale de Renaissance, le parti présidentiel, appelle « sans ambiguïté » à ce que « pas une voix [ne manque] à Martine Froger ». Un soutien du parti macroniste que la candidate « inutile » n’a nullement récusée.
Elle a en revanche refusé le « désistement républicain, traditionnel à gauche » auquel le PS l’invitait dans un communiqué, considérant que « l’élection d’une députée de gauche doit se faire en cohérence et dans la clarté quant à l’opposition à la politique conduite par Emmanuel Macron » et qu’« aucune confusion ne doit être possible sur l’interprétation à donner du résultat du second tour ». « Les duels à gauche, rappelait la direction du PS, ne peuvent être arbitrés par la droite et l’extrême droite. »
Cette dernière reste forte : elle totalise 27,55 %, dont 24,78 % pour le RN. Ce qui n’empêche pas Nicolas Mayer-Rossignol d’affirmer que sa candidate a « fait barrage au RN ». Mieux, dans un entretien à La Dépêche du midi (30 mars), il prétend que « s’il n’y avait pas eu de socialiste, les électeurs se retrouveraient avec un duel RN-LFI au second tour et le candidat du Rassemblement national aurait été élu ».
Dans le camp de Martine Froger et Carole Delga, tous les arguments sont bons pour rejeter et tenter de casser l’accord de la Nupes qui, preuve qu’il n’est pas à sens unique, a permis fin janvier l’élection du socialiste Bertrand Petit face au RN dans le Pas-de-Calais. Et aussi avec un objectif : battre coûte que coûte la France insoumise « qui est le parti avec lequel il ne fallait pas s’associer », comme l’a dit Bernard Cazeneuve quand il est venu à Foix soutenir la dissidente.
Tous les arguments mais aussi tous les soutiens, même les plus discutables. Jeudi, Martine Froger, se félicitait du soutien enregistré en vidéo du président (FNSEA) de la chambre d’agriculture, Philippe Lacube. Une personnalité locale peu connue pour ses engagements écologistes. Au contraire.
Le 29 novembre dernier, le tribunal correctionnel de Foix l’a condamné, comme d’autres responsables et organisations anti-ours du département, à trois mois de prison avec sursis et 500 euros d’amende pour avoir participé, le 5 mai 2018, à une contre-manifestation qui n’avait rien de pacifique à La Bastide-de-Sérou, où quinze associations écologistes se réunissaient pour faire un « état des lieux de l’environnement » en Ariège.
publié le 23 mars 2023
sur https://www.politis.fr/
Politis apporte son indéfectible soutien à Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-les-Pins. Dans la nuit de mardi à mercredi, sa maison ainsi que ses voitures ont été incendiées, visiblement suite à un jet de cocktail Molotov. Il était 5 heures du matin lorsque des salariés d’Airbus, sur le chemin du travail, ont aperçu les flammes. « Si ces gens ne nous avaient pas réveillés, nous aurions pu être intoxiqués par les fumées » a soufflé Yannick Morez, le lendemain, à nos confrères de France Bleu Loire Océan. Qui a aussi dénoncé une « attaque lâche et inadmissible » auprès du Parisien. Yannik Morez indique avoir déposé plainte.
Depuis plusieurs semaines, cette petite ville de Loire-Atlantique est la cible d’attaques virulentes de la part de l’extrême-droite. L’objet de la discorde : le déplacement d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) près d’une école. La population, en large majorité favorable à ce projet se mobilise pourtant. Mais malgré cet élan de solidarité et de résistance, l’équipe municipale et surtout le maire subissent la haine raciste de plein fouet. Jusqu’au point où les messages de menaces de mort se sont matérialisés en attaque d’une insensée violence.
Si des élu.es et responsables politiques de gauche, ou encore l’Association des maires de France, ont apporté leur soutien à Yannick Morez, ce qui choque ici, c’est le silence assourdissant de nombre de politiciens, au pouvoir ou à droite, qui s’époumonent pourtant, par ailleurs, pour trois stickers collés sur la vitre d’une permanence de député. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, n’a ainsi pas trouvé le temps de défendre publiquement l’édile attaqué. Si bien qu’on ne peut que s’interroger sur ce qui mérite, ou non, l’offuscation républicaine de certain.es.
sur https://www.rue89strasbourg.com
Un message contre le droit à l’avortement a été tagué devant les locaux du Planning familial de Strasbourg dans la nuit du 21 au 22 mars. C’est la deuxième fois en deux semaines que l’association subit une telle attaque.
Dans la nuit du 21 au 22 mars 2023, un collectif contre le droit à l’avortement a taggué la chaussée devant l’entrée des locaux du Planning familial de Strasbourg. L’association et ses militantes y accompagnent les personnes qui souhaitent avoir recours au droit fondamental de mettre fin à une grossesse.
Après un tag similaire et au même endroit lors de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, c’est le second tag de ce type en deux semaines. La présidente du Planning Familial du Bas-Rhin Alice Ackermann s’inquiète de la multiplication des menaces et autres désinformations contre l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Interview.
Rue89 Strasbourg : Comment avez-vous découvert ce nouveau tag ?
Alice Ackermann : On a découvert le tag ce matin en ouvrant nos locaux. C’est le même type de tag qui avait été fait pour la journée du 8 mars. Il est situé devant notre entrée, prend toute la chaussée et il est écrit de manière à ce que les personnes qui sortent du planning le lisent.
Ils veulent intimider et stigmatiser les femmes qui se renseignent ou souhaitent avorter. C’est aussi une désinformation, puisqu’ils assimilent l’avortement à une violence. C’est enfin un message pour le planning, une intimidation de nos militants. Pour nous, il s’agit d’un délit d’entrave à l’IVG.
Qu’avez-vous ressenti en voyant ce second tag anti-choix en deux semaines ?
Alice Ackermann : On se dit que la lutte pour le droit à l’avortement est loin d’être terminée alors que c’est un droit humain et fondamental, qui ne doit pas être remis en question malgré ces attaques. C’est notre rôle au Planning d’assurer un tel accès sans stigmatisation, violence ou agression. On est toujours dans la même dynamique de défense de ce droit qui n’est jamais acquis.
Cela me met aussi en colère. C’est insupportable que des bénévoles puissent se sentir en insécurité. On refuse que cela puisse arriver, et plus largement que les personnes qu’on accueille puissent avoir peur de venir.
En même temps, on a réagi rapidement on s’est toutes appelées pour se soutenir entre militantes du Planning. Depuis notre communiqué, on reçoit énormément de messages de soutien. Malgré les attaques, il y a une majorité de la population qui est là et bien présente pour nous soutenir. Ça fait du bien de sentir qu’on n’est pas seules.
Ces attaques sont-elles régulières ?
Alice Ackermann : On a été attaqué en 2020. Des tags réalisés sur notre plaque d’entrée avaient pour but de couvrir le logo, le nom et les horaires du Planning, en période covid. Et puis là, ça s’accélère ces deux dernières semaines, on en a eu deux d’affilée. Je suis au Planning familial depuis huit ans, et il n’y avait rien eu de tel pendant mes 5 premières années. On voit bien qu’il y a une tension qui monte de l’extrême droite sur la question de l’avortement.
Y a-t-il d’autres obstacles à l’accès à l’IVG aujourd’hui ?
Alice Ackermann : On avait fait une campagne à Strasbourg sur le délit d’entrave à l’IVG par le numérique. Des personnes qu’on reçoit témoignent du fait que lorsqu’elles font des recherches google ou sur les réseaux sociaux, elles tombent souvent sur des contenus sponsorisés par des associations et comptes anti-choix qui profitent d’une zone grise légale qui permet d’utiliser les réseaux pour désinformer. On avait alerté la procureur sur ce qu’on considère comme un délit d’entrave.
Je suis une ancienne membre du bureau national. À Strasbourg, nous assurons la ligne téléphonique du numéro vert d’information concernant l’avortement. Pendant le covid, nous avons constaté que de nombreuses femmes tombaient sur un faux numéro vert qui les culpabilisait et les désinformait. Nous nous sommes mobilisées auprès de gouvernement pour que ce phénomène cesse. D’une manière générale, nous devons être très attentives à cette problématique du référencement.
publié le 17 mars 2023
Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr
Au lendemain du passage en force du gouvernement, la réforme des retraites est sous la menace d’une motion de censure transpartisane déposée par le centriste Charles de Courson. Le député de la Marne explique à Mediapart sa démarche et sa vision sur une séquence qu’il juge dangereuse pour la démocratie.
Vendredi, le groupe Liberté, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) a déposé au bureau de la présidence de l’Assemblée nationale une motion de censure transpartisane qui suscite l’inquiétude du pouvoir. Dernier obstacle à l’adoption définitive du texte, la motion du député centriste Charles de Courson devrait recueillir plus de 200 voix, allant de la gauche à l’extrême droite de l’hémicycle.
S’il paraît pour l’heure improbable qu’elle atteigne le seuil nécessaire à son adoption, faute d’un élan des député·es Les Républicains (LR), la motion du groupe Liot a le mérite de « faire pression » sur un pouvoir exécutif qu’il estime aujourd’hui discrédité, explique-t-il à Mediapart. L’élu de la Marne redoute également les conséquences sociales de la crise provoquée par Emmanuel Macron.
Comment qualifiez-vous ce qui s’est joué jeudi ?
Charles de Courson : C’est tout d’abord un échec politique. On a vu les fissures extrêmement importantes au sein même de la minorité présidentielle. Il suffisait de les voir hier [jeudi], pendant le discours d’Élisabeth Borne. À part un petit noyau dur, ils se sont bien gardés de se lever et d’applaudir la première ministre. On entend la révolte d’une partie de leur camp. Beaucoup estiment que c’est une folie, certains étaient furieux de cette décision contre laquelle les présidents de groupe ont essayé de se battre à l’Élysée. Et puis, leur pseudo-alliance avec LR a explosé en vol.
Mediapart : Vous dénoncez aussi, depuis plusieurs semaines, un mépris du Parlement par le pouvoir exécutif.
Charles de Courson : Il y a dans cette histoire un déni démocratique très grave qui persiste. On a un gouvernement hyper-minoritaire, qui se targue de sa légitimité démocratique mais qui est minoritaire à l’Assemblée nationale et qui a fait 25 % au premier tour des élections législatives. Comment voulez-vous diriger une démocratie avec une base sociale aussi faible et étroite ? Sans oublier l’arrogance avec laquelle ils se comportent et traitent le Parlement. Nous déposerons une motion de censure et un recours au Conseil constitutionnel, pour contester le choix du véhicule législatif. Le combat n’est pas terminé.
Mediapart : La motion de censure transpartisane que vous préparez est au cœur des attentions. A-t-elle une chance d’être adoptée ?
Charles de Courson : L’ensemble de la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale] votera notre motion et La France insoumise a annoncé qu’elle renonçait à présenter la sienne. Si vous additionnez la Nupes, le Rassemblement national (RN), la grande majorité du groupe Liot, ça fait du monde. Et si on ajoute quelques députés Les Républicains (LR)… On n’aura pas forcément les 287 [nécessaires pour atteindre la majorité absolue – ndlr]. Mais plus on s’en approchera, plus ça montrera que le gouvernement ne peut pas continuer comme ça. Une motion de censure, ça sert aussi à avertir le gouvernement et à faire pression.
Mediapart : Vous donnez l’impression de ne pas y croire…
Charles de Courson : Il peut se passer des tas de choses d’ici lundi. Certains voudront peut-être se débarrasser de ce gouvernement. On verra. Moi, si j’étais à la tête du gouvernement, je m’inquièterais.
Mediapart : De quoi doivent-ils s’inquiéter ?
Charles de Courson : Ce qui est certain, c’est que ce gouvernement ne pourra plus gouverner. Je ne suis pas sûr que le président de la République ait mesuré toutes les conséquences de sa décision. Le pays va devenir de plus en plus ingouvernable. Je pense que l’actuel gouvernement est à l’agonie. On parle du changement de première ministre : ça me paraît évident mais ça ne règlera pas le problème de fond. Ça va très mal se passer, à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans la rue.
Mediapart : Dans la rue, justement, les protestations sont montées d’un cran depuis l’annonce du 49-3. Quel rôle peut jouer, selon vous, la mobilisation dans la mise en échec de la réforme ?
Charles de Courson : C’est l’autre grand échec d’Emmanuel Macron : l’échec social. Les brillantes manœuvres du pouvoir ont réussi à unifier les syndicats, y compris les plus réformistes. Le président a tout fait pour affaiblir les corps intermédiaires, parfois même pour les détruire. Aujourd’hui, les organisations syndicales nous disent qu’elles ne sont pas certaines de pouvoir tenir longtemps les troupes, comme on disait autrefois. On a commencé à voir cette nuit les premiers débordements. Le risque, c’est que les syndicats ne soient plus capables d’encadrer les mouvements.
Pierre Jacquemain sur www.politis.fr
Le 100e 49.3 de la Ve République – le 11e du gouvernement Borne –, est déclenché pour un passage en force de la réforme des retraites. Un triste aveu d’échec de la part d’un président et de son gouvernement. Un naufrage politique et démocratique.
Tout ça pour ça ! Après s’être couché devant la droite ; après avoir usé et abusé de tous les recours prévus par la Constitution (articles 47.1 et 44.3) et le règlement du Sénat (article 8) pour accélérer la procédure parlementaire et empêcher le débat sur la réforme des retraites de se tenir dans de bonnes conditions, Emmanuel Macron a tranché : ça sera le 49.3.
Le 100e 49.3 de la Ve République. Le 11e du gouvernement Borne. Un triste aveu d’échec de la part d’un gouvernement qui ne dispose donc d’aucune majorité pour faire adopter un texte, la (contre) réforme des retraites, rejeté par une écrasante majorité de Français. Un gouvernement qui a pourtant tout donné pour obtenir les suffrages des Républicains (LR).
Au final, Éric Ciotti n’aura pas tenu ses troupes puisque tout reposait sur les députés de droite qui devaient offrir une victoire politique à Macron. C’est donc aussi un échec personnel pour le patron des Républicains. L’échec est politique. Il est aussi démocratique.
Comment sur une réforme aussi structurante, le président de la République peut-il assumer un tel passage en force ?
Comment sur une réforme aussi structurante pour la vie des Français à qui l’on impose deux ans de travail supplémentaires, face à une opposition aussi massive – grâce notamment à une unité syndicale inédite depuis 13 ans –, le président de la République peut-il assumer un tel passage en force ? Un bras d’honneur à la démocratie.
Les conséquences vont être nombreuses. D’abord sur le mouvement social qui, après un léger tassement, pourrait reprendre de la vigueur alors que la pénibilité des conditions de travail s’affiche au grand jour avec la grève des éboueurs. L’unité syndicale qu’on annonçait sur la fin devrait sortir renforcée de cette séquence.
Laurent Berger, le patron de la CFDT, avait prévenu : « le recours au 49-3 aussi légal soit-il serait un vice démocratique ». À peine ce dernier déclenché, le leader syndical a ainis annoncé que de « nouvelles mobilisations » auront lieu. Les annonces de l’intersyndicale prévues ce soir ou demain seront observées avec attention, face à une colère populaire toujours plus grandissante.
Conséquences politiques aussi. En recourant au 49-3, la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, engage sa responsabilité et assume dans le même temps son échec, elle qui ne cessait d’expliquer depuis plusieurs jours ne pas envisager de recourir à l’article tant controversé qui permet au gouvernement d’adopter un texte sans passer par un vote des députés.
Plusieurs options se dessinent à présent. La gauche a d’ores et déjà annoncé saisir le Conseil constitutionnel et enclencher la procédure du référendum d’initiative partagée pour contraindre le gouvernement à une consultation des Français.
Une autre option est également sur la table. Le groupe LIOT (centristes), emmenés par le député Charles de Courson, pourrait déposer une motion de censure interpartisane avec une partie de la gauche et de la droite pour faire tomber le gouvernement. Si la motion a des chances d’aboutir, elle doit néanmoins réunir les voix de la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale, soit 289 voix. Les chances d’aboutir restent minces. La motion sera débattue dès lundi.
L’échec de la majorité présidentielle est tel qu’une dernière option pourrait être envisagée par la voie même de l’hôte de l’Élysée. Une allocution du président pourrait intervenir dans les prochaines heures pour rappeler aux Français tout l’enjeu de cette réforme « nécessaire » selon lui, et dans le même temps assurer avoir entendu la colère des Français, s’en remettant à des élections législatives anticipées. Ainsi pourrait-il soumettre sa défaite au vote. Pour l’heure, c’est Elisabeth Borne – celle qui assume n’être qu’un fusible – qui est attendue dans un 20 h, ce soir.
La gauche saura-t-elle porter les colères qui se sont largement exprimées au cours de ces dernières semaines ?
La réforme ne serait pas remise en cause mais Emmanuel Macron offrirait ainsi aux oppositions et à sa propre majorité – à qui il ferait porter la responsabilité de cet échec politique – l’opportunité d’une nouvelle séquence politique. Une séquence à double tranchant. L’extrême droite est prête. Elle n’attend que ça. Et la gauche ? Saura-t-elle porter les colères qui se sont largement exprimées au cours de ces dernières semaines ? Rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, c’est le quinquennat de Macron qui se joue.
selon l’ Humanite.fr ( site consulté le 16 mars à 16h28) :
Alors qu'une manifestation est en train de prendre de l'ampleur Place de la Concorde à Paris, la CGT a appelé au rassemblement à 16H.
« Il y aura de nouvelles mobilisations » contre la réforme des retraites, a déclaré jeudi, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, dénonçant un « vice démocratique » après la décision du gouvernement d'activer l'arme constitutionnelle du 49.3 pour faire adopter sa réforme.
« Evidemment qu'il y aura de nouvelles mobilisations, parce que la contestation est extrêmement forte, on a déjà énormément de réactions de la part des équipes syndicales. On décidera ensemble dans une intersyndicale », qui se tiendra jeudi soir au siège de la CGT, a-t-il poursuivi.
Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, a estimé, après le recours au 49.3 par le gouvernement, que «la mobilisation des citoyens sous l’impulsion des organisations syndicales n’a pas permis au président de la République d’avoir une majorité pour voter sa loi».
«Le passage en force avec l’utilisation du 49-3 doit trouver une réponse à la hauteur de ce mépris du peuple. La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier. L’intersyndicale de ce soir en définira les modalités», annonce-t-il.
publié le 2 mars 2023
sur https://rue89bordeaux.com/
En réaction aux nombreuses attaques d’un groupuscule d’extrême-droite, l’association féministe avait appelé un rassemblement devant ses locaux, ce mercredi 1er mars. Associations, syndicats et élus politiques ont dénoncé un climat ambiant propice à la propagation des idées de haine.
Une « réponse collective » à l’extrême-droite. Mercredi 1er mars, plus de 200 personnes ont répondu présentes au rassemblement organisé par le Planning familial à Bordeaux. Trois fois en moins de trois semaines,(voir plus bas) l’association a été la cible de tags signés du groupuscule « Action Directe Identitaire ».
Que fait la justice ?
À chaque attaque, le Planning Familial a déposé plainte. Annie Carraretto, co-présidente de l’association, a déploré qu’aucune suite n’ait encore été donnée :
« Nous sommes là aussi parce que nous avons décidé de ne plus nous taire. Car ce n’est pas la première fois. Le Planning familial est visé depuis de nombreuses années. À ce jour, nous avons interpellé la procureure plusieurs fois. Nous ne pouvons plus tolérer cette impunité. »
Au-delà du silence de la justice, l’association a dénoncé un contexte politique prompt à la dédiabolisation des idées réactionnaires et fascistes. « Il est temps de réagir », a rappelé Myrtille Bondu de Gryse, co-présidente du Planning familial :
« Le message est clair. Les actions du Planning familial dérangent. Ces attaques sont le reflet d’une dédiabolisation du discours liberticide de l’extrême-droite envers les droits sexuels et reproductifs à Bordeaux, en France et partout dans le monde. Il est urgent de mettre la lumière sur les stratégies des anti-choix et des anti-droits. Car ce sont les mêmes qui attaquent les droits LGBT, les droits des réfugiés et les droits humains. »
« Bordeaux ne mérite pas ça »
Le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, s’est dit « solidaire » des associations vandalisées (SOS Racisme, ASTI, Hébergeurs solidaires…) confrontées à un « climat de violence » :
« Bordeaux ne mérite pas ça. Bordeaux est traditionnellement une ville où les débats publics sont apaisés et où les extrémismes n’ont pas leur place. Vous savez que certains groupes font actuellement l’objet de poursuites [des militants de Bordeaux Nationalistes doivent comparaître au tribunal le 26 mars NLDR]. Mais manifestement, il y en a d’autres qui circulent et qui continuent à commettre ces types d’exactions. »
Nicolas Thierry, député EELV de Gironde, a demandé une « réponse » à ces actes xénophobes et racistes :
« Ce ne sont pas que des graffitis. Les murs de nos villes ne peuvent propager la haine. Nous ne pouvons détourner les regards. »
Le maire a alerté l’Etat
D’autres élus des oppositions municipales étaient également représentés, notamment du groupe Renouveau Bordeaux, représentant la majorité présidentielle.
Pierre Hurmic a annoncé avoir écrit une lettre à l’État pour que se tienne, « en urgence », une réunion du Comité opérationnel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (CORA). Présidées par les procureurs et les préfets, ces réunions doivent « répondre au besoin d’outiller les acteurs associatifs et institutionnels » confrontés à la montée de discours racistes et discriminants.
par Victoria Berthet sur https://rue89bordeaux.com/
Mardi soir, le Planning Familial de la Gironde a été vandalisé pour la troisième fois en moins de trois semaines. Dans la nuit du 20 au 21 février, c’est l’association des Hébergeurs solidaires de Bordeaux, qui accompagne des mineurs isolés, qui a elle aussi été taguée. Une manifestation de soutien aura lieu ce mercredi.
Toujours la même signature et la même haine. Le groupuscule « Action Directe Identitaire » s’est de nouveau attaqué au Planning Familial de la Gironde. Dans un communiqué, l’antenne nationale du Planning familial condamne des « actes intolérables » et appelle à rejoindre le rassemblement de soutien, à Bordeaux, ce mercredi à 17h30 au 19 rue Eugène Le Roy au siège départemental.
Contexte politique
C’est la troisième fois en moins de trois semaines que le Planning Familial de la Gironde est tagué. D’abord dans la nuit du mardi au mercredi 8 février puis dans la nuit du 20 au 21 février. Les premiers tags visaient la contraception masculine, les seconds l’avortement. Cette fois, sans préciser la nature des tags, l’association continue de dénoncer un « contexte où se multiplient les actions coups de poing de l’extrême-droite dédiabolisée » :
« Cette attaque est le reflet d’un renforcement de la présence de la présence et du discours liberticide de l’extrême-droite au sujet des droits sexuels et reproductifs dans notre pays, et bien au-delà. »
Malgré la dissolution du groupe Bordeaux Nationaliste, l’association féministe demande au ministère de l’Intérieur des « actes forts » pour « empêcher ces groupes d’agir en toute impunité et que les attaques de ce type cessent ».
Symboles fascistes
Dans la nuit du 21 au 22 février dernier, c’est le siège des Hébergeurs solidaires à Bordeaux qui a été dégradé. Des croix celtiques, symbole commun aux mouvements fascistes, ont été taguées. Dans un communiqué publié mercredi 1er mars, l’association, qui vient en aide aux mineurs isolés, réclame une « réponse claire et des actes forts de la part des pouvoirs publics ».
L’association a déposé plainte et expose des « menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’ensemble des associations bordelaises luttant pour les droits humains » :
« De nombreuses plaintes sont pour l’instant restées sans suite, les enquêtes semblent au point mort, les arrestations se comptent sur les doigts d’une main et les condamnations tout autant. »
Les actes racistes et xénophobes se multiplient depuis quelques mois dans la métropole bordelaise. L’université, la permanence d’un député, la mosquée de Pessac et les locaux de l’ASTI (association de soutien à tou.te.s les immigré.e.s) ont été tagués par le même groupuscule.
Le 22 février, huit militants de Bordeaux Nationaliste, soupçonnés d’avoir participé aux violences en juin 2022 à Saint-Michel, ont été placés en garde-à-vue. Sous contrôle judiciaire, ils comparaîtront au tribunal le 23 mars.
Philippe Rio sur www.humanite.fr
Les sondages s’accumulent et portent leur lot d’inquiétudes. 35 % des Français ont une bonne opinion du Rassemblement national (RN), première formation politique de France. Avec 34 %, Marine Le Pen est la deuxième au classement des personnalités politiques à qui les Français accordent leur confiance.
Face à cette réalité sondagière, il y a plus que jamais urgence à sortir de notre stupeur de lapins pris dans les phares de la trajectoire du RN. Malgré une posture, une stature, une structure et des aventures, ce parti demeure une grande imposture.
La posture, c’est celle adoptée par le parti d’extrême droite sur les bancs de l’Assemblée nationale, pensant qu’une cravate faisait une politique démocratique et sociale alors que ses députés s’acharnent à voter et proposer les lois les plus rétrogrades. La stature, c’est la visite quasi présidentielle de Marine Le Pen début janvier à Macky Sall, président du Sénégal, accompagnée d’entreprises françaises ; certains émettent l’hypothèse que ce voyage auprès d’« un grand ami de la France » n’a pu avoir lieu sans l’aval de l’Élysée et du président Macron. Un marchepied diplomatique qui sonnerait le glas du barrage républicain face aux néofascistes européens.
Une structure, c’est celle d’une organisation avec une stratégie de recrutement au cordeau pour éviter les grossiers loupés du passé. Enfin les aventures, ce sont les pressions anti-migrants, les rassemblements identitaires et les intimidations des élus locaux de la République. Cette pièce de théâtre en 4 actes nous oblige à mener, en rangs serrés, la bataille idéologique et politique, avec des alliances électorales qui font des succès comme celui à 71 voix près de Jean-Marc Tellier, député communiste du Pas-de-Calais, qui est allé battre le RN porte après porte, regard après regard.
La bataille contre la réforme des retraites, menée main dans la main avec le monde du travail et des syndicats, s’annonce centrale pour que l’espoir vainque la colère. La constitutionnalisation de l’IVG et la renationalisation d’EDF sont des victoires en germe. Les superprofits des énergéticiens subventionnés à haute dose par l’État via le bouclier tarifaire sont la preuve d’un système économique qui marche sur la tête et dont plus personne ne veut.
La récente déclaration d’Olivier Dussopt sur une Marine Le Pen « bien plus républicaine que d’autres élus de gauche » résonne étrangement à nos oreilles comme le lancinant refrain : « Mieux vaut Hitler que le Front populaire. » Rien n’est écrit ! Nous les vaincrons !
publié le 21 février 2023
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
L’extrême droite multiplie les attaques contre les protagonistes de projets solidaires avec les personnes exilées. Dans l’Ouest, journalistes, élus, responsables associatifs sont les cibles de graves menaces émanant de la fachosphère, qui agit pour l’instant en toute impunité.
La Bretagne est balayée depuis quelques mois par de forts coups de vents bruns. Mi-janvier 2023, la municipalité de Callac (Côtes-d’Armor) annonce, après un « tsunami de violences », selon les termes de Laure-Line Inderbitzin, maire adjointe PCF, l’abandon de son projet Horizon, portant sur l’accueil et l’insertion de personnes migrantes.
L’extrême droite s’est mobilisée contre cette initiative, n’hésitant pas à user de menaces en tous genres pour faire plier les porteurs de cette action humaniste et solidaire que devait financer le fonds de dotation Merci. Galvanisés par ce qu’ils considèrent comme une « victoire », les acolytes d’Éric Zemmour et compagnie continuent de faire souffler leur vent haineux.
« On va te crever pourriture et tes Négros que tu aimes tant ! » adressé au rédacteur en chef de l'hebdomadaire local
Ce 20 février, les locaux de l’hebdomadaire le Poher, situé à Carhaix, ont ainsi été évacués à la suite d’une alerte à la bombe. Rien n’indique, pour l’heure, que l’extrême droite en soit à l’origine. Mais le 31 janvier, en revanche, la rédaction a reçu un mail à l’attention de son rédacteur en chef, Erwan Chartier, pour lequel le doute n’est guère possible. On y lit : « On va te crever pourriture (un terme également utilisé dans l’alerte à la bombe – NDLR) et tes Négros que tu aimes tant ! »
L’intéressé a porté plainte pour menace de mort. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il subit les foudres de l’extrême droite. Quelques semaines plus tôt, il a été mentionné de façon injurieuse dans un article de Bernard Germain, candidat Reconquête aux dernières législatives, paru sur le site Résistance républicaine, et intitulé « À Callac, l’avenir de l’homme, ce n’est pas la femme, c’est l’Africain ».
Le texte est présenté comme une réaction à une enquête du Poher sur les tensions autour du projet Horizon. Le journaliste y est qualifié d’ « ignare », de « minable petit collabo » et d’ « immigrationniste islamophile ».
« Le mail de menace de mort m’est parvenu le lendemain du jour où Bernard Germain a reçu son assignation en justice à la suite de la plainte déposée après la parution de cet article », confie Erwan Chartier. Par la suite, l’hebdomadaire est une nouvelle fois victime de menaces, le 8 février, par téléphone. « Une voix masculine demande à mon propos : “À quelle heure je peux passer lui mettre une balle dans la tête ?”, promettant le même sort à la salariée qui a répondu », raconte le rédacteur en chef.
« Leurs méthodes font vraiment peur »
Bernard Germain se défend, quant à lui, de tout lien avec ces pratiques d’intimidation. « Je mène, au grand jour, un combat loyal et condamne ces méthodes », assure-t-il à l’Humanité. Il sera néanmoins jugé le 3 mars. Et son procès fait l’objet d’une forte communication dans les réseaux nationalistes et identitaires.
Parallèlement à cette mobilisation, la mouvance brune a trouvé un autre cheval de bataille. Bernard Germain, Pierre Cassen, de Riposte laïque, Christine Tasin, de Résistance républicaine, ou encore Catherine Blein, exclue du RN à la suite de son soutien aux auteurs de l’attentat contre les mosquées de Christchurch (Nouvelle-Zélande), en 2019, et d’autres font bloc au sein du Collectif de préservation de l’école de la Pierre-Attelée, à Saint-Brévin-les-Pins, en Loire-Atlantique.
Objectif : mener la fronde contre le projet d’implantation d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), à proximité des écoles maternelle et primaire de cette commune du littoral atlantique. Et leur stratégie semble être la même qu’à Callac.
« Leurs méthodes font vraiment peur, alerte Perrine Jacotin, militante de la section locale du PCF. Ils parlent de viols sur les enfants. Ils multiplient les menaces sur leurs sites Internet. Ils s’en prennent aux élus, à la présidente de l’association des parents d’élèves (APE), à la directrice de l’école… »
Cette dernière, en poste depuis la rentrée 2022, a d’ailleurs dû porter plainte après la publication d’une photographie d’elle, estampillée du qualificatif « collabo » sur le site de Riposte laïque. « La photo a été dérobée sur l’intranet de l’école, explique Sabrina Mallard, responsable de l’APE. Pour ma part, j’ai été amenée à déposer un renseignement judiciaire pour usurpation d’identité. Une fausse lettre signée par l’APE a été adressée à l’inspection d’académie pour s’opposer au Cada. En réalité, en tant qu’association, nous avons décidé de ne pas nous prononcer sur ce projet. »
Le maire traité de « collabo » sur la toile xénophobe
Les membres du collectif d’extrême droite n’hésitent pas à se procurer les adresses électroniques des représentants des parents d’élèves, de la directrice de l’école et d’élus municipaux pour leur adresser des menaces. Bernard Germain n’y voit pas de problème. « Ces mails ne posent aucun souci, argumente le prédicateur xénophobe. Ils s’adressent à des gens irresponsables, des collabos qui soutiennent un projet immigrationniste pouvant avoir des conséquences terribles. » Il fait ainsi allusion à de supposées violences perpétrées contre des enfants par des exilés, auxquelles les élèves de la Pierre-Attelée pourraient être exposés.
« Nous accueillons régulièrement des personnes exilées, depuis 2017, explique Yannick Morez, l’édile (DVD) de Saint-Brévin. Nous n’avons jamais rencontré de problème. Et lorsque l’association Aurore, en charge de leur accueil, nous a indiqué qu’elle souhaitait pouvoir aussi recevoir des femmes et des enfants, nous avons jugé bon d’accompagner le projet de la sous-préfecture d’ouvrir un Cada dans la commune. »
Ce positionnement lui vaut, lui aussi, d’être pointé sur la Toile xénophobe comme « collabo », sans compter les menaces de mort. « J’ai lu des commentaires sur leurs sites du genre : “arrêt du projet ou bien la mort” ou encore “ce ne sera pas une tarte à la crème mais une tarte de plomb”, confie l’élu. Mais on ne se laissera pas intimider. De toute façon, c’est un projet de l’État et il a été adopté à l’unanimité du conseil municipal. »
Le projet est aussi soutenu par la population. Le Collectif des Brévinois attentifs et solidaires appelle à une manifestation en soutien au Cada, le 25 février, et entend exprimer sa solidarité, dans la matinée, avant que l’extrême droite vienne déverser sa haine lors d’un rassemblement prévu dans l’après-midi.
sur https://blogs.mediapart.fr
Nos consœurs et confrères de l'hebdomadaire centre-breton Le Poher ont été visés à trois reprises par des menaces de mort en l'espace de vingt jours. La raison ? Ils avaient rendu compte de la situation à Callac où des groupuscules d'extrême droite se sont violemment opposés à l'accueil de réfugiés. En soutien, la rédaction de Mediapart s'associe à un large ensemble de médias et associations pour demander aux pouvoirs publics de faire respecter la loi et de prendre leurs responsabilités.
À Rennes, le 21 février 2023
La Bretagne est une terre de presse et de liberté. Le Club de la presse de Bretagne, avec des dizaines de médias bretons, les syndicats de journalistes, des écoles de journalisme et les clubs de la presse de France, s'élèvent avec force contre les graves menaces et intimidations en provenance de l'extrême droite qui visent à bâillonner la presse. L'information est l'un des piliers de notre démocratie.
Nos consœurs et confrères de l'hebdomadaire centre-breton Le Poher ont été visés à trois reprises par des menaces de mort en l'espace de vingt jours. La raison ? Ils avaient rendu compte de la situation à Callac (Côtes-d’Armor) où des groupuscules d'extrême droite se sont violemment opposés à l'accueil de réfugiés.
Le 31 janvier, le rédacteur en chef du Poher, Erwan Chartier, reçoit un courriel anonyme à connotation raciste et homophobe promettant de le « crever ». Le 8 février, un homme joint le journal pour demander à quelle heure il peut passer pour « mettre une balle dans la tête » du rédacteur en chef et de l'agent chargée de l'accueil qui a décroché. Le 20 février, une personne appelle dès l'ouverture des bureaux pour annoncer avoir « mis une bombe dans la rédaction », entraînant l'évacuation des locaux et l'intervention des démineurs, qui n'ont heureusement rien trouvé.
Douze plaintes déposées
Parallèlement, les animateurs de plusieurs sites web d'extrême-droite, mobilisés contre l’accueil des réfugiés à Callac, ont mis en avant les noms et photos de journalistes du Poher, les exposant à la vindicte de leurs lecteurs. Une précédente plainte pour diffamation et injure publique conduira certains membres de cette mouvance devant la justice début mars.
Une journaliste ayant couvert cette actualité pour France 3 Bretagne a également été prise pour cible puis cyberharcelée. Plusieurs plaintes ont aussi été déposées par notre consœur et son média.
« Ces menaces semblent s’inscrire dans une campagne d’intimidation de l’ultradroite », analyse Erwan Chartier. Avant les journalistes, des élus et des habitants de Callac ont déjà fait l'objet de calomnies et de menaces non signées. Le procureur de la République de Saint-Brieuc a reconnu dans Mediapart que douze plaintes ont été déposées.
Faire respecter l'État de droit
Ces multiples formes d'intimidation doivent cesser et leurs auteurs répondre de leurs actes. La liberté d'expression n'est pas la liberté d'opprimer. Face à ces faits graves, nous, journalistes de Bretagne et d'ailleurs, réaffirmons notre solidarité avec les personnes menacées.
Fidèle à sa mission de défense des journalistes et de la liberté de la presse, le Club de la Presse de Bretagne demande aux pouvoirs publics de faire respecter la loi et de prendre leurs responsabilités.
Le journalisme ne peut s'exercer dans la peur. Nous invitons tous les confrères et consœurs, et directeurs et directrices de publication soucieux des conditions d’exercice du métier et de la liberté de la presse, mais aussi les citoyens à solidairement opposer un mur de refus face à des comportements d’un autre temps.
Signataires :
Club de la Presse de Bretagne, Actu.fr, Bikini mag, Bretagne 5, Canal ti zef, CGT-ouestmedias.com, CFDT-Journalistes, CFDT Ouest-France, Club de la presse Auvergne, Club de la presse d’Anjou, Club de la presse des pays de Savoie, Club de la presse de Strasbourg, Club de la presse Drôme Ardèche, Club de la presse du Gard, Club de la presse du Limousin, Club de la presse du Périgord, Club de la presse du Var, Corlab, Dispak, Éditions du Boisbaudry, La rédaction de Mediapart, France 3 Bretagne, France Bleu Breizh Izel, Internep ouest info, IUT de Lannion, la Chronique républicaine, La Maison écologique, le Cri de l'ormeau, le Mensuel de rennes, l’Imprimerie nocturne, Mapinfo, Pays, Press pepper, Produits de la mer, Publihebdos, radio Breizh, radio Kerne, radio Kreizh breizh, radio Naoned, RCF Finistère, S3C CFDT, Sciences Po Rennes, SNJ, SNJ-CGT, SNJ-FO, SNJ Ouest-France, Tébéo, Tébésud, TVR, Unidivers, Unmondemeilleur.info, UPC2F, Sans transition !, Splann !, Ya!.
publié le 19 février 2023
Diego Chauvet sur www.humanite.fr
Comme ailleurs en France, le maire d’Allonnes, Gilles Leproust (PCF), a été destinataire d’une lettre du préfet de la Sarthe lui demandant de retirer une banderole contre la réforme des retraites sur le fronton de l’hôtel de ville.
Plusieurs maires en France ont reçu des missives similaires depuis le début du mois de février, témoignant ainsi d’une consigne gouvernementale aux représentants de l’État. L’édile communiste conteste vivement le bien-fondé d’une telle démarche.
Savez-vous combien de maires sont concernés par ces lettres envoyées par des préfets ?
Gilles Leproust : Nous essayons avec la Coopérative des élus communistes de rassembler des informations. Nous savons déjà que Tarnos dans les Landes est concernée. Des municipalités en Dordogne également. Outre certaines mairies des Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et la Sarthe au moins ont été ciblées. Ce n’est pas la position des préfets de tel ou tel département qui est en cause. Il s’agit clairement d’une orientation gouvernementale visant à mettre la pression sur les collectivités qui sont solidaires du mouvement.
À Allonnes, c’est la première fois que je reçois un tel courrier. Jamais, aussi bien sur les vœux votés en conseil municipal que sur un affichage sur le fronton de la mairie nous n’avions été interpellés par la préfecture.
Au-delà de la surprise, cette démarche vous pose un problème de quelle nature ? Que révèle-t-elle ?
Gilles Leproust : Jusqu’à preuve du contraire, c’est la libre administration des collectivités qui prévaut. C’est une remise en cause des engagements des équipes municipales. Parallèlement à la banderole que nous avons accrochée au fronton de la maire d’Allones, le conseil municipal a voté un vœu le 1er février demandant au gouvernement de retirer son projet et de remettre tout le monde autour de la table des négociations. Ce vœu n’a pas été contesté par les services préfectoraux. L’opposition municipale s’était également abstenue lors du vote.
Je pense que ces courriers révèlent une certaine fébrilité du gouvernement. La commune est la cellule de proximité qui fait vivre la démocratie au quotidien. Nous avons été félicités par l’État pour le rôle que nous avons joué durant la crise sanitaire. Mais on nous tape sur les doigts à présent que nous prenons des initiatives qui ne sont pas dans le sens de la politique du gouvernement.
Les préfectures invoquent le principe de « neutralité ». Que répondez-vous ?
Gilles Leproust : Nous sommes élus tous les six ans sur un programme politique. La défense des services publics, de la Sécurité sociale, des retraites, figure d’ailleurs dans notre programme de campagne pour les élections municipales. Nous jouons donc notre rôle. Les équipes municipales ne sont pas là que pour passer les plats. Mais pour aider à réfléchir, surtout à un moment où tout le monde s’inquiète de la crise de la politique. Si en plus on nous interdit de faire de l’éducation populaire, de conduire un débat démocratique dans les territoires, on ne fera qu’aggraver cette crise. C’est très inquiétant pour la démocratie. En tant qu’élus communistes, nous avons toujours porté ces valeurs dans le respect des principes républicains, et avec conviction.
Par ailleurs, en tant que collectivités, nous sommes concernés par la réforme des retraites. Elle aura des conséquences sur les ressources humaines liées au rallongement de l’âge de départ en retraite et les cotisations sociales vont augmenter. À Allonnes par exemple, la réforme engendrera un surcoût de 40 000 euros par an sur nos finances.
Comment comptez-vous réagir ?
Gilles Leproust : Nous travaillons à une réponse nationale et collective. Nous jouons notre rôle d’alerte, sur un projet de loi qui aura des conséquences concrètes sur nos territoires. Nous nous tournerons également vers les députés communistes afin qu’ils interpellent le gouvernement sur cette affaire.
publié le 13 février 2023
Mitralias Yorgos sur https://www.ritimo.org
(reprise d’un article paru sur CADTM)
L’intérêt étant focalisé -à juste titre- sur la guerre qu’il mène contre l’Ukraine et son peuple, on oublie souvent de reconnaître les « traits de caractère » fondamentaux du poutinisme, qui font de lui le fleuron d’une Internationale Brune en gestation. Et pourtant, ce sont exactement ces « traits de caractère » ultra-réactionnaires du poutinisme qui expliquent, non seulement ses propres penchants belliqueux mais aussi, le pourquoi du soutien à sa guerre ukrainienne offert par l’aile la plus dure de l’extrême droite internationale. Et ceci à une époque où malgré les importantes défaites électorales qu’elle vient de subir au Brésil (Bolsonaro) ou aux États-Unis (Trump), cette Internationale Brune en gestation continue de représenter la plus grande et la plus immédiate menace pour les droits et les acquis démocratiques et sociaux de par le monde !
La première leçon qu’on peut tirer de ces constats devrait être que les soutiens internationaux à la guerre de Poutine ne sont ni accidentels ni éphémères, mais qu’ils sont très solides parce qu’ils correspondent aux profondes « affinités électives » idéologiques de leurs auteurs. C’est ainsi que l’apparent « mystère » qui enveloppe la collaboration plus qu’étroite entre deux régimes totalement dissemblables, comme ceux de la Russie laïque et de l’Iran théocratique, se dissout du moment qu’on tient compte du fait qu’ils partagent les mêmes « valeurs » liberticides et obscurantistes et qu’ils pratiquent les mêmes politiques profondément répressives et antidémocratiques.
Vues sous cet angle, tant la guerre ukrainienne de Poutine que la menace de « l’Internationale Brune en gestation » acquièrent une signification et un contenu beaucoup plus concret et redoutable, parce que ce contenu esquisse les contours d’un véritable programme de contre-révolution civilisationnelle et antidémocratique pour toute l’humanité ! Car, comme on l’écrivait dans un précédent article, ces autocrates ultra-réactionnaires et leurs régimes qui composent cette Internationale Brune « sont unis par leur racisme, leur xénophobie, leur autoritarisme, leur islamophobie et leur antisémitisme, leur rejet ouvert de la démocratie parlementaire (bourgeoise), leur misogynie, leur adoration des combustibles fossiles et leur climato-scepticisme, leur militarisme, leur mépris pour les droits et les libertés démocratiques, leur conception policière de l’histoire et leur complotisme, leur haine de la communauté LGBTQ, leur obscurantisme et leur attachement viscéral au triptyque « Famille-Patrie- Religion » [1].
Évidemment, ce n’est pas un hasard si la haine des femmes et de tout ce qui est différent imprègne en toute priorité l’idéologie et la pratique de tout ce beau monde fascisant. Des ayatollahs iraniens à Trump et Orban, et de Bolsonaro et Erdogan à Poutine, en passant par l’Indien Modi, l’Espagnol Abascal (Vox) ou le Français Zemmour, tous ces dirigeants d’extrême droite nourrissent un mépris et une haine viscérale proche de la misogynie, à l’égard des femmes qui n’acceptent pas « leur rôle traditionnel » et pour tous ceux qui contestent le virilisme agressif qu’eux-mêmes professent et exhibent ostensiblement. C’est ainsi que le droit à l’avortement se trouve dans la ligne de mire de la très trumpienne Cour Suprême des États-Unis qui l’attaque frontalement, tandis que le poutinisme se limite pour l’instant à interdire « toute forme de publicité pour l’avortement », tout en allant jusqu’à ressusciter l’idée de Staline de récompenser avec le titre de « Mère héroïne » et une consistante somme de roubles les femmes « qui donnent naissance et élèvent au moins 10 enfants ». D’ailleurs, ce n’est pas aussi un hasard si pratiquement tous ces dirigeants excellent en sexisme et vulgarité et n’hésitent pas à faire publiquement l’éloge du... viol. De Bolsonaro qui dit à une députée qu’elle « ne méritait pas qu’il la viole », à Trump (d’ailleurs accusé de deux douzaines de viols ou d’agressions sexuelles) qui déclare « quand tu es une star, elles te laissent faire. Tu peux les attraper par la ch…, tu fais tout ce que tu veux », et à Poutine qui se dit « jaloux » de la douzaine de... viols pour lesquels a été condamné l’ex-président d’Israël Moshé Katzav, et qui apostrophe l’Ukraine qui lui résiste avec la phrase si éloquente « Que ça te plaise ou non, ma belle, faudra supporter » !
Il va sans dire que toute cette avalanche de paroles et d’actes d’un sexisme horriblement grossier et agressif jouissent de la bénédiction des églises les plus rétrogrades, comme celle des évangélistes dans le cas de Bolsonaro et Trump, et des orthodoxes russes dans celui de Poutine. De ces mêmes églises qui se montrent pourtant très puritaines quand il s’agit de défendre bec et ongles la « famille traditionnelle » et de réprimer durement ce que ces dirigeants appellent « sexualité non-traditionnelle ». Voici donc l’oligarque et ancien agent des services secrets, le patriarche russe Kirill qui affirme que la guerre contre l’Ukraine a une signification métaphysique en tant que lutte pour la vérité divine contre le péché, ce péché suprême étant… l’homosexualité que l’Occident décadent voudrait imposer aux Russes ! Et Poutine qui enchaîne appelant l’Europe... « Gayropa », tout en sortant l’aphorisme suivant en défense de ses très chères « valeurs traditionnelles » : « Est-ce que nous voulons que notre Russie ne soit plus notre patrie ? Que nos enfants soient pervertis, qu’on leur dise qu’à part les hommes et les femmes, il existe d’autres genres ? Une telle négation de l’être humain ressemble à un satanisme ouvert ». Quant au premier propagandiste du poutinisme Vladimir Soloviev, lui proclame que la guerre contre l’Ukraine n’est qu’une « contre-attaque » lancée en réponse au « génocide de ceux qui refusent les valeurs LGBT-nazies-transgenres » !…
Heureusement, la Russie actuelle n’est pas (encore ?) l’Allemagne de Hitler et Poutine se limite pour l’instant à interdire « la propagande LGBT » et à multiplier les tracasseries aux homosexuels russes. Cependant, il ne va pas de même partout dans la Fédération Russe, car en Tchétchénie, son vassale djihadiste Ramzan Kadyrov professe et pratique la liquidation physique des homosexuels, qu’il assimile à « Satan »…avec l’assourdissant assentiment tacite de Poutine !
On s’est arrêté sur les politiques des dirigeants de l’Internationale Brune en gestation concernant les femmes et les communautés LGBT+, pour deux raisons : d’abord, parce que ces politiques sont très représentatives de leur « idéologie » tandis qu’elles concentrent en elles presque tous leurs « traits de caractère », de la violation systématique des droits de l’homme les plus élémentaires et l’obscurantisme prononcé de leur « idéologie », à leur conception et mise en application de l’état policier antidémocratique et répressif. Et ensuite, parce que partout où se trouvent ces dirigeants, de l’Iran des ayatollahs aux États-Unis de Trump, et de la Russie de Poutine au Brésil de Bolsonaro, ce sont les femmes et les mouvements féministes et LGBT+, souvent de masse, qui sont à la tête des résistances les plus effectives et les plus radicales. Alors, ce n’est pas une surprise si les commentateurs et autres « analystes » occidentaux de la guerre de Poutine, s’en occupent en priorité sur nos écrans de télé, discourant à longueur de journée de la continuité qui existe entre ces politiques liberticides et barbares de Poutine et celles des...bolcheviks.
Le mensonge est énorme et la vérité historique diamétralement opposée. Poutine ne peut pas être « l’héritier des bolcheviks », pas seulement parce qu’il ne cesse de répéter qu’il... hait ces bolcheviks plus que tout autre [2], mais surtout parce qu’il est en train de faire tout le contraire de ce qu’ont fait ces bolcheviks en leur temps. Droit à l’avortement ? Poutine et ses amis le grignotent ou même l’abolissent, quand les bolcheviks ont été les premiers dans l’histoire de l’humanité à le dépénaliser et à l’instituer « à l’hôpital et gratuit », plusieurs décennies avant les autres pays dits « civilisés » (les États-Unis l’ont fait seulement en 1973 et la France en 1975 !). De même avec le droit de vote des femmes, l’égalité juridique hommes-femmes et le divorce institués bien avant les pays occidentaux. Ce n’est pas d’ailleurs le fruit du hasard que la première femme chef de gouvernement (Ievguenia Bosch en Ukraine) et ministre (Alexandra Kollontai) de l’histoire mondiale étaient... des bolcheviques.
Mais là où l’énormité de leur mensonge crève les yeux c’est quand ils se réfèrent au traitement de la communauté LGBTQ. Poutine réprime et abolit ses (maigres) droits existants quand les bolcheviks ont été les premiers au monde à dépénaliser l’homosexualité, seulement quelques semaines après la Révolution d’Octobre ! Et en plus, ils ont autorisé les personnes transgenres à occuper des emplois publics et servir dans l’armée, comme ils ont permis de changer de genre sur demande par une simple formalité administrative. C’est à-dire, ils ont accordé des droits qui continuent à être inaccessibles dans la plupart des pays même occidentaux, plus d’un siècle plus tard ! Et tout ça dans un pays arriéré et en ruines, gouverné par un parti (bolchevique) dont plusieurs dirigeants (p.ex. Lénine) et une grande partie de ses membres continuaient de considérer l’homosexualité comme une « maladie ». Ce qui n’a pas pourtant empêché le jeune état soviétique d’avoir, de 1918 à 1930, comme ministre (commissaire) aux Affaires étrangères Gueorgui Tchitcherine, un homosexuel qui ne se cachait pas…
Ceci étant dit, l’apparent « paradoxe » de l’unanime acceptation par la droite et par une certaine gauche de l’affirmation que le poutinisme plonge ses racines dans le bolchevisme, apparaît pour ce qu’il est : une monumentale escroquerie qui sert les intérêts tant des uns que des autres. Pourquoi ? Mais, parce que tant les uns que les autres ont tout intérêt à travestir la vérité historique pour pouvoir assimiler les bolcheviks, qui ont institué les premiers tous ces droits et libertés démocratiques, à Staline qui les a supprimer... d’ailleurs, ensemble avec leurs auteurs.
Notre épilogue est sans doute alarmant : Oui, elle est bien réelle, directe et cauchemardesque la menace que fait peser sur nos droits et nos libertés démocratiques et sociales cette Internationale Brune en gestation, qui plonge ses racines tant dans le fascisme que dans le stalinisme, tout ce qu’il y a eu de plus monstrueux dans le siècle passé. D’autant plus, qu’elle paraît de plus en plus armée d’un véritable programme de contre-révolution civilisationnelle pour toute l’humanité, au moment précis où cette humanité semble plus confuse et désemparée que jamais, étant au croisement de tant des crises cataclysmiques...
publié le 11 février 2023
Grégory Marin sur www.humanite.fr
Prélude à la manifestation de ce samedi après-midi à Nîmes, le meeting national regroupant toutes les composantes de la Nupes, dont le secrétaire national du PCF Fabien Roussel, et quatre syndicats à rassemblé vendredi soir environ 800 personnes.
Les drapeaux rouges et verts ondulaient depuis un moment, et la foule piétinait : à Nîmes, qui a vu défiler jusqu’à 20 000 personnes dans les rues, on n’avait pas manifesté son hostilité à la réforme des retraites du gouvernement Macron depuis mardi déjà. La salle de réunion du Grand hôtel était trop petite : 600 places assises n’ont pas suffi, et presque 200 Gardois ont assisté debout à ce meeting de la Nupes, ouvert par les syndicats. Au diapason des partis politiques, ils ont alerté sur la notion de régression sociale que le projet gouvernemental fait peser sur la société.
Première en lice, Florence Daga, professeure de mathématiques au lycée Dhuoda, insiste sur le besoin d’une « résistance unie et déterminée », jusqu’ici non démentie, face à un exécutif et une majorité « hors-sol ». Une « unité des forces progressistes » pour « profiter en bonne santé d’une nouvelle étape de la vie libérée du travail » ? Le porte-parole du Parti socialiste et maire de Saint-Vallier (Drôme), Pierre Jouvet, ne dit pas autre chose : pour lui, cette régression ( « une réforme est sensée améliorer une situation existante » ) représente « une vision du monde que nous combattons depuis des siècles. Pour eux (les libéraux, ndlr), chaque jour d’espérance de vie gagné, chaque gain de productivité doit être capitalisé ». Et d’esquisser une idée « diamétralement opposé, celle d’Ambroise Croizat » , dont la figure d’autorité sur le sujet reviendra plusieurs fois durant la soirée : « redevenir maître de son temps » .
Jaurès parlait déjà retraite à Nimes en 1910.
Or, quel est le projet du gouvernement ?, s’interroge William Leday, membre de la direction nationale de Génération.s : « poursuivre la baisse tendancielle des droits sociaux » , quand « une vraie réforme devrait prendre soin des plus précaires », « ménager les plus accablés » , et ne pas « faire de l’espérance de vie une variable d’ajustement ». Un paradoxe, pointe Anne-Rose Le Van, professeur d’urbanisme à l’Université Paul Valéry de Montpellier : beaucoup de gens « n’arrivent pas » à la retraite, explique-t-elle. « En 2019, 17 % des travailleurs sont partis avant 60 ans pour inaptitude... » C’est que pour certains, « le corps ne suivra pas » , assure Didier Marion, éleveur, oléiculteur, représentant la Confédération paysanne : « Lorsqu’un paysan arrive à soixante ans, il est broyé psychiquement et physiquement. Cotiser 43 ans comme l’impose la loi Touraine est déjà irréalisable » , sans oublier les nombreuses carrières incomplètes...
Plusieurs intervenants ont rappelé le sens de l’histoire, auquel Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et la majorité tournent le dos. Raymonde Poncet Monge, sénatrice EELV du Rhône refait le film de « la conquête du temps libre » : les huit heures, les congés payés, la retraite à 60 ans, la semaine de 35 heures... Il faut « du temps pour l’émancipation et l’épanouissement personnel » , cite-t-elle, paraphrasant Karl Marx. Et Alexis Corbière, député France insoumise de Seine-Saint-Denis, de rappeler le discours de Jean Jaurès à Nîmes, œuvrant pour l’adoption d’un système de retraite lors du congrès de la SFIO, en 1910. « Dès demain, si vous le voulez (...) tous les vieux relèveront le front, et tous les jeunes, tous les hommes mûrs se diront du moins que la fin de la vie ne sera pas pour eux le fossé où se couche la bête aux abois ». Voilà pour le fond. La forme est en cours de constitution.
Mettre la majorité sous pression
« Il existe une force pour empêcher ce projet, c’est vous », lance François Tardieu, vice-président departemental de la CFTC, avant d’appeler au « blocage du pays » par une « grève totale et reconductible. Jamais le patronat d’hier et d’aujourd’hui n’a cédé le moindre avantage, le moindre centime sans qu’on le lui arrache. » C’est « possible » , expliquait déjà Didier Marion, car « au Château, tout le monde commence à trembler ». La majorité, sous pression ? Il faut l’accentuer, plaide Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF. Analyser « les votes de son député », pour éventuellement « le sanctionner » . Lui aussi souligne le paradoxe à aller à contre-courant de l’histoire : « L’allongement de la durée de la vie c’est un progrès, pas un problème » , estime-t-il. Pourquoi pervertir cette bonne nouvelle - encore faut-il que la notion « en bonne santé » soit prise en compte, nuancent les intervenants- en « taxant » (c’est « un impôt sur la vie », dénonce Pierre Jouvet) ceux qui pourraient bénéficier d’une avancée sociale ? Pour le secrétaire national du PCF, la solution est ailleurs.
Pour de « vieux jours heureux »
« S’il y a moins d’actifs pour plus de retraités, il faut aller chercher les richesses où elles sont : on en produit quatre fois plus que dans les années 80 ! » « Faire cotiser les revenus du capital » autant que ceux du travail, créer des emplois dans l’industrie, les services publics ( « 500 000 emplois créés c’est 6 milliards d’euros de cotisations dans les caisses de l’Etat » ), endiguer l’évasion fiscale... Autant de propositions émises par l’ex-candidat à l’élection présidentielle pour que « la justice fiscale finance la justice sociale » . « Ce sont les salariés qui créent la richesse, ce n’est que justice de leur reverser leur part », avance Bruno Rivier, secrétaire départemental de la CGT, cuisinier au centre hospitalier d’Alès.
« Notre horizon c’est la retraite à 60 ans (nombre d’intervenants ont plaidé pour le retour au départ a 60 ans, avec 37,5 annuités, ndlr). Nous mettons de notre côté le bonheur, l’amour, la vie. Nous voulons vivre de vieux jours heureux ! » , lance Fabien Roussel, reprenant son slogan de la présidentielle inspiré du programme du Conseil national de la Résistance. Un mot d’ordre qui résonne encore au moment de l’appel à manifester, sur l’air du Chiffon rouge chanté par Michel Fugain. Car dans la rue, autour de soi (et rêvons un peu, même à l’Assemblée nationale) « le monde sera ce que tu le feras, plein d’amour de justice et de joie » ...
publié le 2 février 2023
Pauline Graulle sur www.mediapart.fr
Arc-boutés sur leur idée de « sauver » le système par répartition via l’allongement de deux ans du temps de travail, les macronistes ont écarté en commission toutes les pistes de financement alternatives proposées par la Nupes.
AprèsAprès la (vaine) bataille de lundi pour sauver les régimes spéciaux et les discussions sur « l’index senior » qui se sont éternisées mardi, c’était au tour, mercredi 1er février, du volet « recettes » du projet de loi réformant les retraites d’arriver sur la table de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.
Un sujet très politique qui a, pendant huit heures, réactivé à plein le clivage gauche/droite. Avec, d’un côté, une majorité présidentielle, soutenue par le parti Les Républicains (LR), arc-boutée sur le cœur de sa réforme – combler les « déficits » par l’allongement du temps de travail des salariés ; de l’autre, une gauche résolue à mettre à contribution le capital plutôt que le travail.
La matinée a commencé fort, avec un amendement signé par la députée de La France insoumise (LFI) Rachel Keke pour rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – « une mesure de salubrité publique », selon la Nupes. Stéphanie Rist, la rapporteure générale du projet de loi, donne un avis défavorable. « Vous voulez une nouvelle fois créer une nouvelle fiscalité sur le capital. Or la France est déjà le pays où la fiscalité du capital est la plus forte », avance-t-elle.
La salle se fait de plus en plus remuante. « Ne nous ramenez pas cette histoire d’ISF, ça ne sert à rien de ressortir ces vieilles antiennes ! », implore le député du MoDem Philippe Vigier, tandis que Prisca Thevenot, sa collègue de Renaissance, file la métaphore botanique : « Plantez des députés Nupes à l’Assemblée, il poussera des impôts pour les Français ! »
Une immédiate levée de boucliers qui a donné le ton au reste de la journée. Tous les amendements déposés pour financer la branche vieillesse ou le fonds de réserve pour les retraites, qu’ils portent sur la taxation des fonds de pension, des dividendes, des retraites chapeaux, des superprofits ou des successions, ont été balayés les uns après les autres.
Ce n’est ni la fortune ni l’oisiveté qui vont sauver le système.
Dans la salle de la commission, la majorité, qui n’a que le mot « déficit » à la bouche, tente de convaincre du bien-fondé de son projet : le système de retraite ne doit reposer ni sur les subsides de l’État ni sur les financements privés, fait valoir l’élu MoDem Nicolas Turquois. « Sinon, on ne sera plus dans le système par répartition », prévient-il, remémorant le principe du système de retraite à la française : « Les salariés d’aujourd’hui assurent la pension des retraités d’aujourd’hui. »
Éric Alauzet, ancien écologiste passé sous pavillon macroniste, juge la réforme « utile et urgente » car il pense à l’avenir. « L’accumulation des déficits fera qu’on se tournera dans cinq ans vers les législateurs en leur disant “qu’est-ce que vous avez foutu ?” », argue-t-il, avant de se tourner vers ses collègues de la Nupes : « Ne laissez pas croire qu’en ciblant quelques personnes, ça suffira à régler le problème… »
Du côté de LR, le député Thibault Bazin, pour qui « ce n’est ni la fortune ni l’oisiveté qui vont sauver le système », voit même un effet contre-productif aux pistes présentées par la gauche. Comme cette idée de taxer les propriétaires, alors même que la détention d’un patrimoine permet de s’offrir une retraite un peu meilleure…
Les « Thatcher » des retraites
En face, on s’agace et on s’impatiente. L’écologiste Sandrine Rousseau rappelle les 8 milliards qu’a coûté la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) adoptée grâce au 49-3 dans le dernier projet de loi de finances, ou la participation des entreprises au financement de la Sécurité sociale, qui a diminué de 20 points depuis 1995.
Jérôme Guedj repart à l’attaque. Le socialiste « ne conteste pas qu’il y a, au moins pour un temps, un déficit conjoncturel », mais pourquoi ne pas recourir à d’autres recettes que celles générées par un « impôt sur la vie » ? « Vous êtes les Thatcher du régime de retraite !, lance-t-il à la majorité. Dès que nous proposons une alternative à votre système, vous la rejetez ! » « Votre conception d’une réforme juste, c’est de voler deux ans de vie aux Français au lieu de trouver d’autres moyens de financement… Entre “ceux qui ne sont rien” et les autres, vous avez choisi », accuse l’Insoumise Charlotte Leduc.
En début de séance, le député LFI Hadrien Clouet, toujours très en verve, avait fait une drôle d’offre de service aux élus macronistes : « Si vous voulez trouver 12 milliards d’euros [pour financer les retraites], il y a deux solutions : soit vous choisissez la solution qui consiste à ce qu’il y ait moins de retraités vivants, soit vous prenez un ou deux amendements, et vous pouvez retirer ce texte. »
Il ne trouvera pas preneur. Exception faite d’un amendement du communiste Pierre Dharréville pour ramener de 8 % à 6 % la hausse de la CSG sur les pensions de retraite qui, grâce au vote de LR, est adopté. Éric Alauzet s’étouffe : « Vous venez de baisser la CSG pour les gens les plus aisés, voilà ce que vous venez de faire ! »
L’amendement sur la taxation des retraites chapeaux ne connaîtra pas le même succès. Il est rejeté, lui aussi, en dépit du vote du Rassemblement national (RN) qui « n’est pas contre les riches, mais qui considère que les riches ne doivent pas abuser non plus », dit l’élu d’extrême droite Thomas Ménagé, soudainement sorti de sa torpeur.
Toute la journée, le parti de Marine Le Pen a fait montre d’un notable manque d’imagination politique, se contentant de prôner la suppression du minimum vieillesse pour les étrangers sous les « Oooh ! » indignés de l’assistance. Pour le reste, les députés du RN se sont bornés à réclamer instamment l’examen de l’article 7 et à reprocher aux députés de la Nupes d’être « les idiots utiles de ce débat » en jouant l’obstruction.
Pendant trois jours, la gauche a en effet sciemment fait durer les discussions pour éviter d’arriver au vote de l’article 7 reportant l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Pas question d’offrir une victoire, fût-elle symbolique – le texte qui sera examiné à partir de lundi dans l’hémicycle sera celui du gouvernement et non sur celui modifié en commission –, à la majorité, alors que la mobilisation sociale bat son plein.
Il reste un peu plus de deux heures avant la fin de la séance, et on a à peine dépassé l'article 2. À 17 h 40, le député communiste Sébastien Jumel a une « proposition sérieuse » à faire : « Si vous votez cet amendement de mise à contribution qui rapporte 30 milliards, on enlève tous les amendements pour passer directement à l’article 7, on le supprime, et comme ça, on rentre chez nous ! » Des rires fusent dans la salle qui fermera ses portes avant 20 heures, après vingt-huit heures de débats.
publié le 23 janvier 2023
Christophe Gueugneau surwww.mediapart.fr
L’abandon d’un projet d’installation de réfugiés dans la petite ville des Côtes-d’Armor est vue comme une victoire pour l’extrême droite. Sur place, les partisans de l’accueil tentent de comprendre pourquoi ils ont perdu. Ailleurs en France, les campagnes de haine se multiplient.
Callac (Côtes-d’Armor) et Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique).– « Du Béarn, je veux dire bravo à mes militants Reconquête! qui ont bataillé depuis le premier jour aux côtés de tous les patriotes, pour empêcher ce funeste projet de répartition des migrants à Callac. Vive la France ! » Sur Twitter, le 11 janvier dernier, le président du parti d’extrême droite Reconquête, Éric Zemmour, laisse éclater sa joie. Le projet d’accueil de quelques familles de réfugié·es dans le petit village costarmoricain de Callac est officiellement abandonné, après plusieurs mois de pressions, manifestations et menaces plus ou moins voilées, de la part de l’extrême droite, locale et nationale.
Callac et ses 2 200 habitant·es sont devenus malgré eux le théâtre d’un affrontement politique qui a largement dépassé les frontières de cette commune située à une vingtaine de kilomètres de Guingamp. Le projet, baptisé Horizon, n’était pourtant pas aberrant : il s’agissait d’accueillir une poignée de familles de réfugié·es dans cette commune qui perd depuis plusieurs années des habitant·es. Le projet était porté par le fonds de dotation Merci (fonds privé à but non lucratif qui finance aussi, grâce à des dons, des projets d’accès à l’éducation ou d’inclusion sociale), géré par la famille Cohen, propriétaire des magasins Bonpoint et Merci.
La « mère des batailles contre le grand remplacement »
Mais dès la première réunion publique présentant le projet, en avril, et dans les semaines qui ont suivi, une poignée d’opposants, d’abord locaux, puis venus de plus loin, a fait monter la tension. Le maire divers gauche, Jean-Yves Rolland, a fini par se murer dans le silence face aux menaces. Sa ville a été le théâtre de deux manifestations et contre-manifestations. Sur les réseaux sociaux, la « bataille » de Callac est devenu la « mère des batailles contre le grand remplacement » pour l’extrême droite et en particulier Reconquête.
Au cœur de ce « tsunami de violences », selon ses propres termes, Laure-Line Inderbitzin, maire adjointe PCF de la ville, par ailleurs professeure de breton au collège municipal, et qui a porté le projet de bout en bout. Dès le 16 avril, une première plainte est déposée, suivie par d’autres, pour « diffamation », « menaces de mort », de « viol », « menaces » sur sa famille.
Quand nous la retrouvons ce lundi de janvier dans un restaurant près de la gare, Laure-Line Inderbitzin est certes déçue de l’abandon du projet mais pas découragée. Elle dédouane le maire, « acculé », et le répète : « C’était une obligation morale de ne pas lâcher, de tenir face aux fachos. »
Elle continue de penser que le projet était bon pour la ville. « Dans le centre-ville, il y a 38 % de vacance de logements, beaucoup de logements insalubres... Ce que proposait Horizon, c’était justement de loger des familles de réfugiés dans de l’habitat diffus, pour ne pas créer un ghetto », expose-t-elle. La jeune femme rappelle également que Callac accueille d’ores et déjà une petite quarantaine de réfugié·es, « sans que la gendarmerie ne constate aucun problème ».
Ancienne maire de Callac, aujourd’hui élue dans le groupe « minoritaire » – elle préfère ce terme à celui d’« opposition » –, Lise Bouillot nous reçoit dans sa vaste cuisine-salle à manger. Autour d’elle, Martine Tison et Jean-Pierre Tremel, également élus de la « minorité ».
« Nous étions pour le projet Horizon », expose en préambule Lise Bouillot, qui insiste sur le fait que Callac est une « terre d’accueil », que des réfugiés républicains espagnols avaient déjà été accueillis par la ville à la fin des années 1930, que lors de son mandat, avant 2020, la ville avait hébergé des réfugié·es avec « beaucoup d’enthousiasme et de générosité ».
Mais pour l’élue, le projet a péché dès le départ par un « problème de communication ». « La première réunion publique a été une catastrophe, les gens sont sortis de là sans rien savoir du projet, dit-elle. Le maire a été extrêmement maladroit : c’est lui, devant témoins, qui a parlé de 60 familles et de l'avenir démographique de Callac. »
Cette question des 60 familles est loin d’être anodine. Le projet Horizon a toujours consisté à accueillir quelques familles. Mais dès le mois d’avril, c’est le chiffre de 70 familles ou bien celui de 500 personnes, qui circule parmi les opposants, à commencer par le collectif Pour la défense de l’identité de Callac, créé par Danielle Le Men, Michel Riou et Moulay Drissi. Tous trois habitent Callac. Michel Riou est un ancien élu de gauche de la ville. Moulay Drissi, quant à lui, s’est présenté hors parti aux dernières élections législatives et n’a recueilli que 0,85 % des votes (327 voix).
Une demande de référendum
Dès juin, dans une lettre ouverte au maire de Callac, les trois membres de ce collectif demandent l’organisation d’un référendum. « L’arrivée de 70 familles extra-européennes bouleverserait totalement la vie de la commune et du canton », écrivent-ils notamment. « Les gens sont partis sur cette idée de référendum, alors que la majorité n’a pas été capable d’expliquer son projet », relève Lise Bouillot.
« Nous-mêmes nous n’avons été associés au projet Horizon qu’en septembre, et c’est à ce moment-là que nous avons vraiment adhéré, explique l’ancienne maire. On ne peut pas être contre l’accueil de personnes fracassées par la vie. Horizon, c’était un projet global : humanitaire, social, culturel, original. Qui, de plus, se proposait d’accompagner les réfugiés pendant 10 ans ! »
Nous rencontrons chez eux Denis et Sylvie Lagrue. Lui, membre d’un collectif qui propose aux familles réfugiées, depuis les premières arrivées, des cours de français ou un accompagnement aux rendez-vous médicaux, est par ailleurs responsable d’une association d’aide aux familles en difficulté. Elle gère depuis 30 ans le cinéma local. Se trouve également présent Erwan Floch’lay, qui a rejoint voici quelque temps l’équipe du cinéma.
Tous trois étaient présents lors de la première réunion publique de présentation du projet. Pour eux, cette réunion ne s’est pas trop mal passée. Même si, selon Erwan Floch’lay, « trois membres de l’extrême droite locale se trouvaient dans le fond de la salle, mais dans l’ensemble, les gens ont semblé impressionnés ».
Quand la bascule a-t-elle eu lieu ? Dans le courant de l’été, et surtout à la rentrée de septembre. Une seconde réunion publique était prévue le 23 septembre. Elle n’aura jamais lieu car entre-temps, l’extrême droite a débarqué dans la ville.
Alliance de circonstance
Catherine Blein, ancienne figure bretonne du Rassemblement national (RN), exclue du parti lepéniste après avoir tweeté « œil pour œil » à propos de l’attentat islamophobe de Christchurch, a rejoint l’association des opposants. Edwige Vinceleux, ancienne « gilet jaune » passée candidate Reconquête aux législatives de juin, fait publiquement de Callac un combat personnel. Bernard Germain, enfin, candidat Reconquête lui aussi dans la circonscription voisine, est de la partie.
« Ces gens-là avaient les réseaux sociaux, des médias comme le site d’information locale d’extrême droite Breizh Info, et ils sont implantés en Bretagne », analysent deux militants syndicaux de gauche, mandatés par leur fédération pour observer l’évolution de l’extrême droite en Bretagne. À quoi ils ajoutent l’alliance de circonstance entre les « nationalistes bretons du PNB et Reconquête et Action française ».
Une première manifestation est organisée le 17 septembre. Quelques centaines de personnes opposées au projet – dont seulement une vingtaine de personnes de Callac, selon plusieurs sources – se retrouvent face à un nombre légèrement supérieur de personnes favorables – elles aussi en grande partie extérieures à la ville – ou du moins opposées à l’extrême droite. « Cette première manifestation fait peur aux gens », estime Denis Lagrue.
Suffisamment en tout cas pour que la seconde réunion publique, prévue la semaine d’après, n’ait pas lieu. Dans les semaines qui suivent, la situation se tend encore. Il y a d’abord ce dîner-débat organisé par Reconquête dans la ville voisine de Chapelle-Neuve, le 19 octobre. Le maire Les Républicains (LR) de la ville, Jean-Paul Prigent, explique benoîtement avoir accepté de prêter une salle sans avoir bien conscience d’accueillir une opération de Reconquête.
On a même vu un drapeau suprémaciste flotter sur Callac !
Des manifestant·es tentent d’empêcher l’événement, se retrouvent gazé·es, voire matraqué·es. La réunion a tout de même lieu. Et une nouvelle manifestation contre le projet est organisée le 5 novembre. Cette seconde manifestation réunit un peu plus d’opposant·es au projet, et plus aussi d’opposant·es aux opposant·es. Aujourd’hui encore, les pro-Horizon s’étonnent que cette seconde manifestation ait été autorisée.
« Sur cette deuxième manifestation, il y avait tout ce que l’extrême droite compte d’infréquentables ! On a même vu un drapeau suprémaciste flotter sur Callac ! », dénonce Gaël Roblin, conseiller municipal de la gauche extra-parlementaire à Guingamp. Une contre manifestation est organisée, générant quelques affrontements sporadiques avec les forces de l’ordre.
C’est suffisant pour alerter un peu plus les Callacois et Callacoises, si l’on en croit Lise Bouillot. « On pense aussi que la population a basculé après les manifestations, surtout la deuxième avec des bombes lacrymogènes partout. Le marais a basculé sur le thème “il est temps que ça cesse” », estime l’élue.
« Depuis septembre et jusqu’à aujourd’hui, l’extrême droite tient le narratif », enrage Erwan Floch’lay. « Il y a une inversion totale où eux sont les résistants et nous les collabos », abonde Sylvie Lagrue, qui poursuit : « Certains disent que si on n’avait rien fait, rien dit, l’extrême droite se serait calmée. » « Mais ça veut dire quoi, “calmée” ? », s’interroge Denis Lagrue.
« On aurait difficilement pu faire plus ou différemment », estime de son côté Gaël Roblin, qui insiste sur l’organisation « dans l’urgence » de ces deux contre-manifestations. Celui-ci pose tout de même la question du rôle du préfet. Mis au courant des menaces lourdes et répétées qui ont pesé sur les élu·es de Callac, sa réponse est jugée plutôt timide, voire absente. Pour les deux militants syndicaux, la « victoire de l’extrême droite à Callac, c’est avant tout la victoire de l’impunité ».
« Le pire du pire de la mentalité humaine »
Lise Bouillot, qui a vu les messages de menace adressés à la majorité (« une horreur, le pire du pire de la mentalité humaine ») « enrage de voir Reconquête crier victoire ».
Le déroulé de toute cette séquence est en tout cas regardé de près, et avec inquiétude, à quelque 150 kilomètres au sud de Callac. À Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), un bâtiment situé à côté d’une école subit actuellement des travaux en vue de sa transformation en centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada).
Michel Sourget et Yannick Josselin, tous deux militants pour un accueil solidaire des migrantes et migrants, nous reçoivent dans la maison du premier, à quelques mètres de la plage. Ici aussi, les opposants locaux ont été rejoints par l’extrême droite nationale. « On a vu Pierre Cassen, fondateur du site d’extrême droite Riposte laïque, venir défiler le 11 décembre. Il y a très peu de parents d’élèves dans le collectif d’opposants, justement à cause de la présence de l’extrême droite », expose Michel Sourget.
Comme à Callac, la ville reçoit déjà des réfugié·es « et les gens constatent que ça se passe bien », note Yannick Josselin, ancien éducateur spécialisé. L’association qui va gérer le Cada, Aurore, a reçu deux personnes du collectif d’opposants, « alors ils ne peuvent pas dire qu’ils ne sont pas informés ».
Pour ces deux habitants de Saint-Brévin, le plus dur est de ne pas savoir « comment les choses vont tourner ». Ils notent que le maire semble tenir bon face à l’extrême droite, ce qui s’explique peut-être aussi par le fait que Saint-Brévin est une ville plus grande, avec plus de 13 000 habitant·es. Par ailleurs, les travaux ont déjà démarré et une tentative d’occupation des locaux par l’extrême droite a tourné au fiasco, car les occupants n’étaient pas assez nombreux.
Qu’importe pour Reconquête. Si Saint-Brévin est l’une des cibles du moment, le mouvement d’Éric Zemmour n’en manque pas. Dans les Côtes-d’Armor, ses militants et militantes ont tenté, sans succès, de faire annuler une animation intitulée « Uniques en son genre » impliquant la venue de drag-queens de la compagnie rennaise Broadway French, à la bibliothèque de Lamballe.
Dans ce même département, Reconquête dénonce le fait que des élèves soient invités à échanger avec des migrants pour un concours régional sur « l’immigration à l’échelle locale ». Le parti d’extrême droite tente également d’empêcher le démontage d’une statue de la Vierge sur l’île de Ré. Tout comme il est parvenu, il y a quelques semaines, à clouer au pilori, via une campagne de harcèlement, une enseignante qui voulait emmener des élèves de prépa voir des migrants à Calais.
Autant de campagnes à l’échelle microlocale pour un parti qui n’a obtenu aucun·e député·e lors des dernières élections législatives, et qui ne peut rester dans les radars que par des coups d’éclat permanents. Au risque, bien réel, d’inscrire la théorie complotiste du « grand remplacement » dans le débat public. A fortiori si la gauche peine à trouver la parade.
publié le 10 janvier 2023
Florent LE DU sur www.humanite.fr
Avant d’aborder la réforme des retraites, sur laquelle ils tenteront de se présenter comme des opposants au libéralisme, les députés RN porteront, ce jeudi, une proposition de loi pour « augmenter les salaires », basée sur les exonérations de cotisations. Tour d’horizon des tromperies sociales du parti de Marine Le Pen.
Le masque social de Marine Le Pen reste bien accroché. Après avoir axé ses dernières campagnes sur le pouvoir d’achat, la cheffe de file des députés RN cherche à surfer sur sa prétendue
Nouvelle étape, jeudi, à l’occasion de sa niche parlementaire. Le groupe d’extrême droite a choisi de mettre d’abord en discussion sa proposition phare de la présidentielle en la matière: la hausse des salaires. Ou plutôt, son illusion.
Baisser les cotisations patronales et réduire encore la protection sociale
Le RN propose en réalité d’inciter les entreprises à augmenter de 10 % les paies allant jusqu’à trois fois le Smic en les exonérant des cotisations patronales sur cette majoration.
Une vieille recette libérale qui « représente bien la vision qu’a le RN du monde du travail: protéger le capital, les entreprises, et faire peser ces fausses augmentations, pourtant nécessaires, sur la protection sociale », dénonce Pierre Dharréville. Le député communiste y voit un « numéro d’illusionniste pour faire croire qu’ils défendent les travailleurs ».
Ce que soutient le RN Jean-Philippe Tanguy, évoquant une revalorisation du « salaire réel » (sous-entendu le salaire net) qui serait bénéfique pour l’État car elle permettrait « une hausse des consommations ».
Une arnaque dans l’arnaque, sémantique cette fois. « C’est une démagogie qui consiste à faire croire que le salaire n’est que celui versé directement aux salariés, en occultant le salaire indirect (la différence entre le net et le brut – NDLR), qui correspond aux cotisations, donc à l’espace collectif », explique l’économiste Jean-Marie Harribey, ancien président d’Attac.
« Cette proposition, c’est privilégier la consommation marchande à la consommation publique, miser sur le productivisme. » Donc, en définitive, affaiblir la « protection des travailleurs français » chère à Marine Le Pen.
L’esbroufe de l’augmentation des prix du tabac
Le projet du RN constitue un manque à gagner pour la Sécurité sociale, les retraites ou encore les allocations familiales. Il serait compensé par l’augmentation du prix du tabac. Une mesure qui fiscaliserait encore un peu plus le financement de la protection sociale.
En outre, elle serait certes efficace en matière de santé publique, mais pèserait principalement sur les plus modestes.
En 2019, 30 % du tiers des revenus les plus bas et 43 % des privés d’emploi seraient fumeurs, selon l’Observatoire des inégalités, contre 18,2 % du tiers des revenus les plus élevés. « Par ailleurs, ce n’est pas tenable, la hausse serait plus que spectaculaire pour qu’il y ait une véritable compensation », estime Jean-Marie Harribay.
« Avec Marine Le Pen, les pauvres restent pauvres et les riches restent riches. » Fabrice Flipo, professeur de philosophie politique
Une incohérence qui représente bien le projet faussement social du parti de Marine Le Pen. Avant le second tour de la présidentielle, la candidate revendiquait « l’importance à accorder aux plus vulnérables ».
Pour Fabrice Flipo, professeur de philosophie sociale et politique, qui a disséqué le programme du RN, l’esbroufe est totale: « Le “social”, en clair les mesures qui viendraient améliorer la condition des populations les plus démunies, est peu présent dans le programme de Marine Le Pen. Les salaires n’augmentent pas, la redistribution est inexistante », explique-t-il.
Par ailleurs, ses propositions pour améliorer le pouvoir d’achat (baisse de la TVA, fin de la redevance audiovisuelle) provoqueraient des « conséquences dangereuses », selon Fabrice Flipo, qui conclut: « Avec Marine Le Pen, les pauvres restent pauvres et les riches restent riches. »
Sur les retraites, la démagogie plutôt que la cohérence
Cela se confirme depuis juin: ses troupes ont systématiquement voté contre l’augmentation du Smic, l’indexation des salaires sur l’inflation, le blocage des prix, la revalorisation des petites retraites…
Des retraites dont les caisses seraient affaiblies par les exonérations de cotisations patronales que le RN propose. « Si vous êtes favorables à la retraite à 65 ans, dites-le directement », a ainsi ironisé l’insoumis Hadrien Clouet en commission.
La vitrine du RN vend pourtant l’inverse. « C’est une folie de faire cette réforme », a même jugé sur France Inter le président du RN Jordan Bardella, quand le député Julien Odoul parle de « réforme antisociale ».
Pourtant, en bons libéraux, les frontistes ont abandonné, il y a un an, le totem de la retraite à 60 ans.
Cherchant davantage à gagner des électeurs qu’à être cohérent, le parti d’extrême droite propose désormais un âge de départ progressif: 60 ans pour ceux ayant commencé à travailler entre 17 et 20 ans, et jusqu’à 67 ans pour ceux qui ont débuté leur carrière à 25 ans ou plus, pour une retraite à taux plein.
« Marine Le Pen a changé de pied plusieurs fois en fonction des électorats à conquérir », confirme le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite. « Cette fois, contrairement à 2019 quand elle était assez discrète, elle a affiné son projet et espère représenter une opposition importante et crédible à Emmanuel Macron. »
Une escroquerie de plus qui pourrait fonctionner, selon plusieurs observateurs. « Dans la mesure où le RN est arrivé à se positionner sur le pouvoir d’achat, les petites retraites, c’est plutôt bien pour lui d’aller sur le thème d’un pouvoir déconnecté qui méprise les Français, estime Bruno Cautrès, politologue au Cevipof. Un débat centré sur les questions d’injustice, avec en toile de fond des artisans, des boulangers qui ferment boutique, est un contexte qui lui est favorable. »
Un parti profondément anti-social
Néanmoins, l’extrême droite n’a ni la crédibilité, ni les propositions alternatives, ni la culture sociale pour se présenter comme un réel opposant à la Macronie.
Son opposition historique aux mouvements sociaux et aux syndicats pourrait la sortir du débat public, surtout si l’affrontement entre forces de gauche et droite libérale s’intensifie. « La culture antisyndicale reste assez forte au RN, qui ne peut donc pas avoir un rôle central dans le mouvement et devra trouver un autre moyen d’exprimer son rejet de la réforme », résume Bruno Cautrès.
La lutte contre les retraites pourrait faire office de révélateur, alors que 74 % des sympathisants RN sont favorables à un mouvement sur les retraites, selon un sondage Ifop pour Politis. « Localement, des élus pourraient se montrer, mais seraient-ils acceptés, visibles dans les cortèges? C’est loin d’être gagné, abonde Jean-Yves Camus. Si la mobilisation est massive, si les syndicats sont à la pointe du mouvement, le RN sera naturellement hors-jeu. »
Et le masque social pourrait commencer à tomber.