PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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     democratie - elections -  extreme-droite    depuis oct 2021

publié le 30 juin 2022

Éric Coquerel : « Je veux travailler davantage sur l’évasion fiscale »

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Élu au terme d’un scrutin à suspense, le nouveau président insoumis de la commission des finances revient sur la manière dont il envisage son mandat. Il promet un changement de pratique profond.

Après ses déconvenues sur la questure, La France insoumise (LFI) a gagné, jeudi 30 juin à midi, la bataille de la présidence de la commission des finances. Au terme de plusieurs heures de suspense où se sont multipliées les suspensions de séance, le député insoumis de Seine-Saint-Denis, Éric Coquerel, a été élu à l’un des postes les plus convoités de la législature.

Attribuée, selon le règlement de l’Assemblée nationale, à « un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition », cette présidence, qui fut naguère occupée par des socialistes (comme Dominique Strauss-Kahn, Henri Emmanuelli et, quelques années plus tard, Jérôme Cahuzac), et durant la dernière législature par l’élu Les Républicains (LR), passé depuis chez Emmanuel Macron, Éric Woerth, offre en effet un pouvoir important d’investigation en matière fiscale et budgétaire.

D’où la panique qui s’est emparée de la droite, ces dernières semaines, le député LR Julien Dive craignant que la commission ne devienne « l’antichambre de Mediapart », Gilles Carrez redoutant que l’Insoumis ne s’apprête à « jeter en pâture les dossiers fiscaux de particuliers, voire d’entreprises ». Éric Coquerel se présentait notamment face au député du Rassemblement national (RN) Jean-Philippe Tanguy, qui a dénoncé une « piraterie » après sa défaite. Marine Le Pen, elle, a parlé de « nouvelle trahison » en s’attaquant à ce qu’elle qualifie d’« extrême gauche sectaire ».

À gauche, l’investiture d’Éric Coquerel comme candidat commun de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) a donné lieu à des jours de négociations dans une ambiance parfois tendue, notamment avec le Parti socialiste (PS), où Valérie Rabault, ancienne rapporteure du budget, faisait figure de personnalité taillée pour le rôle. Si celle-ci obtient comme lot de consolation la vice-présidence de l’Assemblée, Éric Coquerel emporte aujourd’hui une victoire aussi symbolique que politique. Entretien.

Vous sortez victorieux de plusieurs heures d’un scrutin à suspense. Est-ce la gauche qui gagne à travers vous ?

Éric Coquerel : Je suis ému parce que c’est une victoire importante. Pour plein de raisons. D’abord, c’est la concrétisation, de fait, du rassemblement de toutes nos formations au sein de la Nupes. Il y a eu un sans-faute et nous avons vraiment travaillé de manière solidaire avec les socialistes, les communistes et les écologistes. Ma deuxième satisfaction, cette fois pour la démocratie, c’est aussi que la majorité a joué le jeu et n’a pas participé au vote, comme c’est l’usage.

Cela aurait en effet pu faire pencher le scrutin en faveur du candidat du Rassemblement national, comme cela a été le cas, hier, pour le vote du bureau de l’Assemblée lors duquel la majorité et la droite ont participé à l’élection de deux vice-présidents du RN…

Oui, il y avait de quoi être inquiet. Le risque était aussi que quelqu’un décide de prendre la tête d’un barrage anti-LFI en espérant fédérer les voix du milieu du Rassemblement national. Mais cela ne s’est pas passé, et il a semblé qu’il y a eu, cette fois-ci, une certaine étanchéité. Par ailleurs, j’ai siégé durant les cinq dernières années au sein de la commission des finances. Peut-être que le concret a, cette fois, primé sur certaines déclarations politiques visant à discréditer ma candidature.

Comment envisagez-vous votre mandat ?

Je pense que mon rôle est d’abord de faire respecter les droits de l’Assemblée. D’autant plus au sein d’une Assemblée où il n’y a pas de majorité absolue. J’ai vu que, ces dernières années, certains calendriers ont été souvent précipités de la part du gouvernement : tout à coup, en plein milieu de la loi de finances, nous, commissaires des finances, voyions tomber un projet de loi de finances rectificative et on ne pouvait rien faire. Cela ne se déroulera plus de la même manière.

Ensuite, je compte bien utiliser ma fonction en lien avec ce que sont les préoccupations de la Nupes. Par exemple, je veux travailler davantage sur l’évasion fiscale que sur la pertinence des baisses d’impôts. Je préfère aussi travailler sur les conséquences des politiques de diminution des dépenses publiques dans les ministères, dans les différents services publics, plutôt que de mettre l’accent sur l’État trop dépensier.

Certains à droite vous ont accusé de vouloir faire sortir les secrets fiscaux…

La commission a en effet des prérogatives propres sur les questions de secret fiscal, même si c’est encore peu utilisé. Mais il est hors de question pour moi, et je vous le dis d’autant plus volontiers qu’on a dit que j’allais fournir je ne sais quelle information à Mediapart [il rit], de créer un cabinet noir. Par contre, s’en servir pour amender, mettre au jour les problématiques d’optimisation fiscale qui sont plutôt de l’évasion fiscale, ça oui. 

Vous devenez, de fait, la principale figure parlementaire de l’opposition à Emmanuel Macron ?

Oui, c’est clairement le poste le plus politique de l’Assemblée, le plus important en réalité. Et cela montre que la gauche est la principale opposition au pouvoir. Par ailleurs, je tiens à ajouter que je suis fier qu’un profil comme le mien – j’ai eu mon bac en candidat libre et j’ai passé la majeure partie de ma vie à travailler et à militer – puisse accéder à un tel poste.

publié le 20 juin 2022

Keke, députée, à l’Assemblée !

par Cyril Pocréaux 20/06/2022 paru dans le Fakir n°(100)

Il y a quelques mois, on vous racontait la lutte victorieuse de Rachel Kéké, qui vient ce dimanche d’être élue députée, et de ses copines. C’est que des femmes de chambres contre le 6e groupe hôtelier mondial, c’était pas gagné d’avance. Alors, imaginez ce qu’elle pourra faire à l’Assemblée, Rachel !

«  ‘‘Fermez vos gueules ! Fermez vos gueules’’, ils nous criaient. Et même, parfois, ils nous balançaient des trucs sur la tête depuis leurs fenêtres, de l’eau ou des canettes… » Rachel, la femme de chambre, secoue la tête : « Mais plus ils faisaient ça et plus ça nous donnait de la force. » C’est qu’ils étaient contrariés, les clients de l’Ibis Batignolles, à la lisière nord de Paris : pendant huit mois, Rachel et ses copines ont tenu le piquet de grève devant leur hôtel. Un conflit qui aura duré près de deux années.

On rembobine le film : juillet 2019, ces femmes de chambre de l’Ibis, employées de la STN, n’en peuvent plus. Marre des cadences, d’être payées à la chambre, de ne pas bénéficier d’une prime de panier pour manger le midi. « Les mutations pour les salariées en arrêt-maladie, ça a été la goutte d’eau, se souvient Sylvie. Le médecin du travail avait exigé que leur rythme passe de 20 à 10 chambres par jour. Alors, la direction les a mutées ! » Rachel poursuit : « Parce que, faut comprendre, c’est un métier qui détruit le corps, vraiment : on a des tendinites, des douleurs aux genoux. Ça rend malade. »

Le petit groupe identifie vite les responsables. « On est salariées de la sous-traitance, mais c’est Accor qui donne les ordres, non ? Mais ils nous ballottaient comme un ballon de rugby. On a compris que le seul langage possible, ce serait la grève. » Certaines se découragent : elles étaient 34 filles au début, une vingtaine rapidement. C’est là que Claude et Tiziri, de la CGT-HPE, se pointent sur place. « Quand il a vu ça, le patron de la STN nous a dit de ne surtout pas rester avec eux », rigole Sylvie. Raté : au bout d’une semaine, tout le monde est syndiqué.
Reste que « c’est dur, la grève dehors, surtout dans le froid, la pluie, la neige ». La lutte a débordé sur l’hiver. « Parfois, on n’en pouvait plus. Nos familles s’inquiétaient pour nous, moi mes enfants me disaient d’arrêter. »
Des caisses de grève se mettent en place. Elles vont récolter, au final, 280 000 euros – dont 15 000 des postiers grévistes de Sud 92 ! Une fois réglés les frais d’avocats, de quoi tenir ces deux années.

Car en face, Accor réagit : le groupe, quatre mille salariés, fait venir d’autres salariées pour compenser les débrayages. Alors, il faut faire du bruit, plus de bruit, devant le siège du groupe, dans d’autres hôtels, avec des politiques et de la presse.
Et Accor comme STN finissent par céder, lors d’une ultime médiation, en mai dernier. « Leur image en souffrait, tellement elle était salie, analyse Rachel. On a saisi la cravate de Sébastien Bazin, le PDG d’Accor, on lui a serré encore un peu plus, on lui a donné nos conditions et il les a acceptées à 99 %. »

Car elles gagnent sur quasi tout, au final : 7,30 euros de panier repas, travail à la pointeuse et non plus à la chambre, 20 minutes de pause le midi, annulation des mutations, grévistes licenciées réintégrées. « Quand j’ai vu ma fiche de paye, ça a changé, aussi ! » En moyenne, entre 250 et 500 euros de plus par mois.
« On a sorti la tête de l’eau comme la sardine sort de sa boîte. Avoir résisté au 6e groupe mondial, c’est une fierté. » En fait, « il manque juste l’internalisation, mais ça va venir », prévient Rachel. La cravate de Bazin a du souci à se faire : l’appétit vient en gagnant.

D’ailleurs, c’est maintenant à une députée qu’il s’adressera, la prochaine fois qu’il devra parler à Rachel !

publié le 19 juin 2022

Le second tour ébranle la Macronie et la Vè République

 Sur www.humanite.fr dimanche 19 juin à 20h50

Selon les estimations de 20 heures, la gauche obtiendrait de 150 à 180 sièges et bouscule le camp présidentiel. L’extrême droite marque aussi des points avec un groupe de 80 à 100 élus.

Un véritable séisme politique. Le second tour des élections législatives bouleverse le paysage politique : la Macronie devrait se voir priver d’une majorité absolue tandis que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) occupera une grande partie de l’Hémicycle. Mais l’extrême droite vient assombrir le tableau, avec un Rassemblement national qui devrait être doté d’un groupe bien plus puissant qu’attendu.

D’une soixantaine de sièges occupés par la gauche pendant le précédent quinquennat, les projections de l’Ifop disponibles à 20 heures lui en promettent de 150 à 180 (lire page 7). Qui l’aurait parié il y a seulement quelques mois, quand la gauche apparaissait divisée et marginalisée ? Mais cette percée, permise par l’union, n’a pas suffi à contrarier les institutions de la Ve République, qui confèrent l’avantage au président, en particulier depuis le quinquennat et l’inversion du calendrier. « Quoi qu’il arrive, il se sera exprimé une très forte aspiration au changement et à la justice sociale. Il sera contraint d’en tenir compte », prévenait cependant le porte-parole du PCF, Ian Brossat, peu avant le vote.

Car, après un second tour aux allures de sévère revers, le chef de l’État sort extrêmement fragilisé de ce scrutin. Au moins une de ses ministres, Justine Benin, est battue en Guadeloupe (lire page 4). De 210 à 250 députés devraient composer sa majorité. Ainsi, les premières estimations de l’Ifop lui promettent qu’elle serait relative (lire page 9). Pourtant, le président a mouillé la chemise pour éviter d’avoir à composer avec d’autres forces. Bafouant la tradition républicaine, il ne s’est pas privé d’intervenir depuis l’Ukraine dans la campagne des législatives. « Je veux que nous mesurions le moment où nous avons à faire ce choix démocratique : à deux heures et demie d’avion de Paris, il y a la guerre », a-t-il martelé lors de son entretien diffusé à trois jours du scrutin sur TF1, renouvelant son vœu d’obtenir une majorité face au risque de « désordre ». En écho à cette OPA sur la République, ses lieutenants ont poursuivi la diabolisation, entamée dès avant le premier tour, des candidats de la gauche. Des « anarchistes d’extrême gauche », selon la ministre Amélie de Montchalin, inquiétée dans l’Essonne par le ­socialiste Jérôme Guedj. Avec un « projet de ruine économique du pays », selon son collègue au gouvernement Gabriel Attal (lire notre récit page 8).

Aucune figure de la Macronie n’a manqué de monter au front. Et pour cause : le rapport de forces est tel que le président doit se mettre en quête de nouvelles alliances. Malgré la perte de nombre de ses 100 députés (lire page 10), avec 60 à 70 élus, selon les projections de l’Ifop, LR pourrait bien devenir indispensable à Emmanuel Macron pour valider sa réforme des retraites ou pour contraindre les allocataires du RSA à des heures de travail gratuit. Des mesures pour lesquelles la droite classique n’aura pas trop à forcer sa nature. Mais même son renfort pourrait ne pas suffire. Et « Les Républicains » pourraient bien être tentés de pousser l’avantage. « Pour voter des textes, il faut que l’opposition soit considérée. Si le Parlement est bloqué, comment fait-on ? Au fur et à mesure des textes, si nos propositions sont retenues, nous voulons les voter », a prévenu, jeudi, le président du parti de droite, Christian Jacob.

L’autre fait majeur de la soirée est l’obtention d’un groupe à l’Assemblée nationale par l’extrême droite bien plus important qu’attendu (lire page 9). De surcroît, le premier depuis 1986, où elle avait bénéficié de la proportionnelle. Le Rassemblement national devrait pouvoir compter, selon les premières estimations, sur 80 à 100 sièges au Palais Bourbon sur 208 candidats restés en lice. Une ampleur mésestimée par les sondages d’entre deux tours et un signal des plus inquiétant après la qualification à la présidentielle pour la seconde fois de Marine Le Pen en avril dernier.

Le parti d’extrême droite peut remercier la Macronie. Avec des appels au barrage « au cas par cas », elle a fissuré encore davantage le front républicain, sur lequel elle a – à juste titre – pu compter au second tour de l’élection présidentielle. « Je sais très bien que nous avons des idées différentes et des valeurs communes », avait pourtant assuré, le 12 avril, à la gauche le désormais ex-président de l’Assemblée, Richard Ferrand, battu dimanche soir par la Nupes. Cette fois, outre les membres du gouvernement, nombre de candidats Ensemble ! défaits au premier tour ont jugé opportun de ne pas livrer de consigne de vote. Ou pire, de renvoyer dos à dos gauche et extrême droite. C’est le cas de l’ex-ministre Jean-Michel Blanquer, qui, battu dans le Loiret, au lieu d’inviter à soutenir le communiste Bruno Nottin face à son adversaire RN, a estimé que « l’extrême gauche est un danger aussi important que l’extrême droite » (lire notre reportage page 6).

De basses manœuvres pour tenter de compenser le vote anti-Macron, qui devait largement jouer en défaveur du camp présidentiel lors des plus de 270 duels Nupes-Ensemble !. Selon un sondage Opinion Way réalisé en amont du scrutin, 40 % des électeurs RN du premier tour étaient prêts à choisir le bulletin de la gauche, contre 11 % celui de la majorité présidentielle. Les fameux électeurs « fâchés pas fachos » que le chef de file de la Nupes, Jean-Luc Mélenchon, avait appelé à faire le bon choix dimanche.

En revanche, la dynamique en faveur de la gauche n’aura pas permis de mobiliser suffisamment parmi les abstentionnistes. 54 % des électeurs ne se seraient pas rendus aux urnes dimanche, selon les estimations disponibles à 20 heures. Plus que la semaine précédente, où la non-participation s’est élevée à 52,49 %. Un record depuis 2017, où, entre les deux tours, l’abstention avait encore bondi de 6 points, passant de 51,3 % à 57,36 %.

La gauche a toutefois construit de solides bases pour aborder le quinquennat. Elle réoccupe le devant de la scène politique et pourrait entraver les plans d’Emmanuel Macron en comptant sur le renfort du mouvement social et climatique, plus que jamais décisif. À la gauche désormais de jouer de ses tout nouveaux atouts pour imposer les questions qui préoccupent vraiment les Français, pouvoir d’achat en tête.


 


 

Et sur www.mediapart.fr


 

Jean-Luc Mélenchon pointe la « déroute totale » de la majorité

Devant ses militants, à l’issue du deuxième tour des législatives, Jean-Luc Mélenchon s’est réjoui de la « déroute totale » du parti présidentiel, évoquant une « situation totalement inattendue, absolument inouïe ». « Nous avons réussi l’objectif politique que nous nous étions donné, en moins d’un mois de faire tomber celui qui avec autant d’arrogance avait tordu le bras de tout le monde pour être élu sans qu’on sache pour quoi faire », a-t-il déclaré. « C’est avant tout l’échec électoral de la Macronie, l’échec, plus grave, moral de ces gens qui donnaient des leçons à tout le monde de morale et qui se prétendaient le barrage à l’extrême droite et qui auront eu comme principal résultat d’en avoir renforcé les rangs », a-t-il insisté tout en regrettant le niveau élevé de l’abstention.

À ses troupes, et notamment à la jeune génération, il a adressé un « message de combat », évoquant les « opportunités incroyables » s’offrant à elle pour faire face « au changement climatique et à la grande crise financière ». « Vous disposez d’un magnifique outil de combat : la Nupes, ce sont ses parlementaire, ouvriers, ouvrières, salariés de tous ordres, de toutes les régions de France, arrivant par dizaines sur les bancs de l’Assemblée nationale », a-t-il lancé.

« Toutes les possibilités sont dans vos mains. Quant à moi je change de poste de combat, mais mon engagement est et demeurera dans les premiers de vos rangs, si vous le voulez bien », a-t-il affirmé. « Le grand jaillissement de l’histoire du plus profond de ce qu’est la France des rébellions et des révolutions a le visage de notre collectif, celui de l’union populaire », a-t-il martelé. Face à ce « monde finissant », a-t-il affirmé, « il faudra apporter des réponses fulgurantes. » « Pas un instant, a-t-il conclu, nous ne renonçons à l’ambition d’être ceux qui gouverneront ce pays et qui l’amène à un autre horizon. »

publié le 18 juin 2022

Le 19 juin, élisons
des députés de combat

Fabien Gay sur www.humanite.fr

Qui aurait pu imaginer un seul instant, au soir du premier tour de l’élection présidentielle le 10 avril dernier qui voyait une nouvelle fois la gauche éliminée du second tour, que, deux mois plus tard, une large coalition de la gauche et des écologistes, la Nupes, serait au coude-à-coude avec l’arc de rassemblement de la majorité présidentielle ? Et pourtant, c’est un fait, et la Nupes a déjà remporté son premier pari. En deux mois, elle a réussi à remobiliser, à redonner l’espoir qu’une autre majorité était possible, et que la retraite à 65 ans, le RSA conditionné au travail gratuit, les salaires bloqués et l’inflation ou plutôt la spéculation rampante n’étaient pas une fatalité.

Même si la gauche progresse de « seulement » 63 889 voix par rapport à 2017, son unité et son rassemblement lui permettent d’être présente au second tour dans quelque 400 circonscriptions (hors outre-mer), d’être en tête dans 194 d’entre elles, et d’avoir déjà quatre députés élus dès le premier tour. La Nupes sera même présente dans 61 circonscriptions face au Rassemblement national. Dès lors, il appartient à tous les démocrates, républicains et à la majorité présidentielle de parler haut et clair, comme la gauche a su le faire pour le second tour de la présidentielle, et de battre largement le RN, qui progresse de 1,3 million de voix par rapport à 2017. Loin d’être vaincue, l’extrême droite reste vivace et ses idées s’enracinent dans la société.

Ce premier tour est un camouflet pour Emmanuel Macron. Pour la première fois depuis l’instauration de la Ve République et alors que les institutions sont conçues pour confier au président élu une large majorité, il se pourrait que les électrices et les électeurs décident de ne pas confier cette majorité absolue, ni même relative, au chef de l’État. Ce serait inédit ! Si tel était le cas, il est possible et probable que le président se retrouve en difficulté pour imposer ses réformes libérales.

Après avoir fait le choix d’un non-débat lors de la campagne de l’élection présidentielle, c’est celui d’une campagne sous anesthésie qui a été retenu pour les législatives. En somme, Emmanuel Macron a pensé que, par le simple jeu des institutions malades de la Ve République, la majorité, à défaut d’exister dans les idées, serait du moins au rendez-vous des urnes.

Ce pari nauséeux – et bien peu démocratique – est raté. Et l’abstention très forte, qui a battu un nouveau record, devrait être entendue à l’Élysée comme un signal très politique. Elle traduit une non-adhésion au projet présidentiel ; et une majorité du peuple ne pense pas que la Macronie aura les réponses à la crise du pouvoir d’achat, à la crise climatique, à la crise du service public, dont l’hôpital et l’éducation sont les plus criantes illustrations, nécessitant d’urgentes solutions.

Les Français et Françaises veulent des réponses politiques à ces problématiques, auxquelles s’ajoute celle de la paix au niveau international. Voici donc le dernier défi des candidats et candidates de la Nupes pour le 19 juin : mobiliser les abstentionnistes par millions, pour être le plus nombreux possible dans la prochaine Assemblée, avec des députés de combat pour défendre l’augmentation des salaires, revenir à la retraite à 60 ans et répondre à l’urgence sociale et climatique.

publié le 18 juin 2022

Législatives :
les enjeux du second tour

Lucie Delaporte, Pauline Graulle et Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr

Renaissance de la gauche, affaiblissement de Macron, place de l’extrême droite… À la veille du second tour des législatives, Mediapart passe en revue les principales questions que pose le scrutin.

Une élection « extra-ordinaire », au sens propre. Boudé par plus de la moitié des inscrits (un peu moins de 48 % des électeurs se sont rendus aux urnes le 12 juin), le premier tour des législatives n’en a pas moins bousculé l’ensemble du paysage politique. Remettant au centre du jeu une gauche unie et conquérante, ce scrutin que tout le monde aurait cru joué d’avance a, pour une fois, ouvert le champ des possibles. 

À l’évidence, et par un saisissant contraste avec la campagne d’entre-deux-tours de la Macronie, incapable d’appeler au front républicain contre l’extrême droite, c’est la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) qui devrait tirer, dimanche, son épingle du jeu.

Quoi qu’il arrive, la gauche coalisée a ainsi réussi l’exploit de faire vaciller les certitudes du pouvoir. Réélu à la présidence de la République sans projet ni dynamique, Emmanuel Macron pourrait se retrouver, lundi, dans l’impossibilité de s’appuyer sur une majorité suffisamment large et stable pour gouverner à sa guise. Si elle advenait, cette situation, jamais vue depuis 30 ans, porte en elle une promesse : celle d’une revitalisation – par la voie parlementaire – de cette VRépublique à bout de souffle.

Une « folie » pour la droite ; une aubaine pour la gauche qui compte bien pousser son avantage, à l’heure de la réforme des retraites, à l’orée du péril climatique, et alors que la guerre en Ukraine s’enlise et bouleverse les rapports internationaux.

Mélenchon à Matignon : rêve ou possible réalité ?  

Le pari de Jean-Luc Mélenchon, tenant en haleine ses troupes en leur promettant qu’« un autre premier ministre est possible », aura-t-il permis le sursaut de participation indispensable à une possible victoire au second tour ?

Deux jours avant le scrutin, sur les bords du canal Saint-Martin où il avait convié la presse pour une dernière déclaration avant le week-end, le troisième homme de la présidentielle réaffirmait qu’il visait « la majorité absolue ». Quelques heures plus tôt sur BFMTV, il faisait d’ailleurs mine d’imaginer son lundi 20 juin au matin : « Je serai chez moi, j’attendrai le coup de téléphone du président de la République pour former le gouvernement. »

Mais les chances du leader de La France insoumise d’obtenir une majorité à même de le propulser à Matignon sont minces. « Tout peut arriver en théorie, mais il faudrait qu’il y ait une surmobilisation électorale entre les deux tours comme cela s’est produit aux législatives de 1988 et de 1997, explique Mathieu Gallard, directeur de recherche à l’institut Ipsos, qui envisage plutôt une stabilité du niveau de l’abstention dimanche. Mais quand cela arrive, c’est que les enjeux sont à la fois très forts et faciles à comprendre, ce qui n’est pas vraiment le cas de ce second tour. »

Autre problème : les reports de voix dans les quelque 400 circonscriptions où la Nupes s’est qualifiée la semaine dernière. Or, ajoute Mathieu Gallard, « autant Ensemble peut compter sur l’électorat Les Républicains », autant la gauche, partie unie dès le premier tour, ne peut pas espérer une réorientation massive de l’électorat au second, dans les 270 circonscriptions où elle affronte la majorité. Et si les électeurs du Rassemblement national (RN) font, sur le papier, figure d’arbitres du scrutin, une bonne partie d’entre eux devraient se réfugier dans l’abstention.

Reste désormais à savoir si la campagne de l’entre-deux-tours, lors de laquelle Jean-Luc Mélenchon a multiplié les appels du pied à la jeunesse et répété que la victoire était à portée de main, pourra déjouer les pronostics.

À quoi ressemblerait une Assemblée avec 150 ou 200 députés de gauche ?

En 2017, l’arrivée en masse d’une centaine de primo-élus La République en marche (LREM) – ces fameux « novices » décrits par le sociologue Étienne Ollion – n’avait finalement pas transformé en profondeur le rôle et la pratique parlementaires.

Cette fois, il faudra regarder du côté gauche de l’hémicycle pour sentir peut-être un vent de renouveau se lever sur l’Assemblée nationale. Si la Nupes parvient, comme elle l’espère, à faire élire au moins 150 députés, pléthore de nouvelles têtes feront, la semaine prochaine, leur entrée au Palais-Bourbon. « L’enjeu, c’est la représentation citoyenne, soulignait, lors de son dernier meeting de campagne à Paris, l’écologiste Julien Bayou. Imaginez : des punks à l’Assemblée, des activistes climat, des Rachel Keke ! »

Autant de profils politiques et sociologiques variés – boulanger, femme de chambre, trentenaires… – qui promettent de donner un sérieux un coup de jeune à l’Assemblée, où les écologistes feront aussi leur grand retour après cinq ans d’absence.

Au-delà des questions de casting, la gauche, qui sera répartie en quatre groupes (insoumis, socialiste, communiste, écologiste) « très actifs », comme l’a promis Mélenchon, a toutes les chances de devenir la première force d’opposition – une place occupée par le groupe Les Républicains (LR) durant les deux précédentes législatures. Ce qui lui ouvrirait de nouveaux droits, à commencer par l’obtention de postes stratégiques, comme la très en vue présidence de la commission des finances, la questure, deux ou trois vice-présidences de l’Assemblée…

À la clef, un temps de parole démultiplié, une présence renforcée dans les commissions où sont écrits les textes de loi, et une bataille politique et médiatique avec l’exécutif qui s’annonce homérique. Surtout si la gauche applique les méthodes des Insoumis qui, à seulement 17 députés, ont réussi à transformer l’Assemblée en caisse de résonance durant le dernier quinquennat.

Afin d’éviter la crise de croissance, la gauche parlementaire devra néanmoins se réinventer. Cette législature « sera un test déterminant pour voir si les Insoumis ont véritablement une culture parlementaire, ce qu’ils revendiquent dans leur programme », soulignait, fin mai, le spécialiste de la vie parlementaire, Olivier Rozenberg, dans nos colonnes.

Sans majorité absolue, le pays va-t-il devenir « ingouvernable » ?

Dans Le Figaro cette semaine, Édouard Philippe a feint de s’interroger : « Que ferait le pays si, dimanche 19 juin, une majorité relative nous empêchait largement d’agir ? » L’ancien premier ministre a agité le spectre d’une « France ingouvernable », promettant un « désordre politique », « une folie » et « une aventure ». La surenchère verbale du maire du Havre (Seine-Maritime) traduit, plus qu’une réalité, l’état d’inquiétude du camp présidentiel avant le scrutin.

Pourtant, l’hypothèse de voir les macronistes disposer d’une majorité relative à l’Assemblée nationale n’a rien d’extravagant. Elle a déjà pris forme en France, sous la présidence de François Mitterrand entre 1988 et 1993. Surtout, c’est la norme chez nos voisins allemands ou espagnols : en 16 ans à la tête du pays, Angela Merkel et la CDU-CSU, son parti, n’ont jamais bénéficié d’une majorité absolue.

En revanche, ce scénario viendrait bouleverser la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron et replacer le Parlement au cœur de la vie politique française. Il pourrait aussi avoir de sérieuses conséquences sur le fond de la politique gouvernementale. Quelle que soit l’option qu’il retient pour faire voter ses lois (lire ci-dessous), le chef de l’État devra faire des concessions et infléchir, dans un sens ou dans l’autre, certaines de ses orientations programmatiques. 

Au sein même de la majorité, ce cas de figure viendrait briser le scénario échafaudé à l’Élysée d’un parti présidentiel quasiment hégémonique. Jugé fin mai comme le grand perdant de la répartition des investitures, Édouard Philippe, l’ancien premier ministre, verrait le poids politique de son parti, Horizons, considérablement renforcé par un tel résultat. Avec le MoDem de François Bayrou, la formation de droite macroniste pourrait s’avérer indispensable pour le gouvernement ; en mesure, donc, de peser sur les choix de l’exécutif.

Que fera Macron en cas de majorité relative ?

L’hypothèse selon laquelle la confédération présidentielle remporterait le plus grand nombre de sièges au Palais-Bourbon sans obtenir la majorité absolue placerait Emmanuel Macron face à une véritable équation politique et institutionnelle.

Lorsque celle-ci s’était posée aux gouvernements socialistes de François Mitterrand, ils y avaient répondu par la parade du « 49-3 ». Entre 1988 et 1993, Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy ont utilisé 39 fois cet article de la Constitution qui permet d’adopter une loi sans votes. Sauf qu’une réforme constitutionnelle est passée par là, en 2008, restreignant l’usage du « 49-3 » : celui-ci n’est désormais possible qu’une fois par session parlementaire, hors lois de finances.

Reste la solution politique. Selon le nombre de sièges qui lui manquent pour atteindre la barre des 289, le chef de l’État a plusieurs options : il peut débaucher des élu·es jugé·es compatibles, passer un pacte de coalition avec le parti Les Républicains (LR) ou encore décider de gouverner sans toucher aux équilibres parlementaires, composant des majorités au gré des textes. Autant d’options prévues par la Constitution, loin de la « folie » décrite par Édouard Philippe.

Il n’empêche que ce serait, pour la Macronie, un véritable tournant politique : après cinq ans de centralisme, le camp du chef de l’État serait contraint de repenser sa méthode de gouvernance et sa pratique politique. Une hypothèse que raillait Jean-Luc Mélenchon vendredi lors d’un point presse, renvoyant à la droite ses arguments catastrophistes. « Si Macron l’emporte, ça sera la IVRépublique dans la VRépublique, puisqu’il y aura six partis sans accord entre eux, a lancé le chef de file de la Nupes. Si nous sommes élus, c’est l’ordre, la cohérence ; et eux, la pagaille permanente. »

Le RN : l’autre gagnant du scrutin ?

Dimanche, le Rassemblement national devrait, sauf surprise, dépasser le seuil symbolique des quinze députés pour pouvoir constituer un groupe à l’Assemblée nationale. Une première depuis l’instauration du scrutin majoritaire à deux tours en 1988, qui a fait disparaître l’extrême droite de l’hémicycle malgré sa constante progression dans les urnes.

Au lendemain du second tour de l’élection présidentielle de 2017, à laquelle Marine Le Pen avait recueilli près de 11 millions de voix, le FN n’avait pu faire entrer au Palais-Bourbon que huit députés, disposant de très peu de leviers pour peser dans les débats.

Cinq ans plus tard, après une campagne présentée comme perdue d’avance par Marine Le Pen (la logique des institutions devait offrir une majorité à Emmanuel Macron, expliquait-elle avant le 1er tour), la progression de l’extrême droite s’est à nouveau confirmée au premier tour où le parti a engrangé plus de 1,2 million de voix supplémentaires qu’en 2017 et ce, malgré une abstention record. Le RN est présent au second tour dans 208 circonscriptions, contre 119 en 2017.

Toujours plus fort dans ses bastions traditionnels, notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais, le RN a réussi à s’inviter sur des territoires nouveaux comme la Gironde ou la Guadeloupe. Preuve que le parti, malgré la grande faiblesse de certains de ses candidats, est en train d’enfoncer le verrou institutionnel qui a longtemps invisibilisé son inscription dans le paysage politique malgré un socle électoral de plus en plus large.

Lundi, lors d’une conférence de presse, le président par intérim du parti, Jordan Bardella, a affirmé que le score du premier tour devrait permettre « la multiplication par cinq du nombre de nos députés », soit une quarantaine. Un pari loin d’être irréaliste, qui marquerait une percée historique pour le RN.

 publié le 17 juin 2022

Dimanche, un scrutin où
tout peut basculer

Cyprien Caddeo et Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Législatives Le second tour des élections, le 19 juin, déterminera le sens du quinquennat Macron. La Nupes peut-elle obtenir une majorité de députés, fût-elle relative, ou au moins en priver la Macronie ? On fait le tour des hypothèses.

Opportuniste, Macron à Kiev ? Le déplacement du président en Ukraine, assorti d’un passage au 20 heures de TF1 (lire page 6), à trois jours du second tour des législatives, a tout du fait de campagne déguisé. D’autant qu’Emmanuel Macron n’en est pas à son coup d’essai : le 14 juin, avant de s’envoler pour la Roumanie, il demandait à  « ce qu’aucune voix ne manque à la République ». Sous-entendu, à Ensemble !, sa coalition. La République, c’est eux  ? La gauche ne l’entend pas de cette oreille. Le second tour, dimanche 19 juin, constitue une occasion historique de renverser la table et de faire « bifurquer » le quinquennat vers une politique plus sociale et écologique. Au premier tour, la Nupes et Ensemble ! ont joué des coudes, l’union de la gauche arrivant d’un cheveu en tête (25,85 %, contre 25,78 %). « Ce second tour est un référendum entre les néolibéraux macronistes et les solidaristes de la Nupes », résume Jean-Luc Mélenchon. Dimanche, quatre scénarios se profilent : une majorité relative macroniste, une majorité absolue pour le chef de l’État, une majorité relative pour la Nupes, ou une majorité absolue, donc une cohabitation de gauche.

1. Macron en tête, mais sans majorité absolue

Dans ce scénario, Ensemble ! arrive en tête en nombre de sièges mais n’en glane pas suffisamment pour atteindre le seuil des 289 députés nécessaires pour la majorité absolue. Puisqu’il y a essentiellement des duels Nupes-Ensemble ! au second tour, cela veut dire aussi que la Nupes aurait autour de 200 sièges, au moins. Autrement dit, le chef de l’État n’aurait pas tout à fait les mains libres pour gouverner : sa majorité ne pourrait user du 49-3, sur les retraites par exemple (comme en 2020), car celui-ci engage la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Or, avec moins que la majorité absolue, la Macronie serait bien plus exposée aux motions de censure de l’opposition, et l’exécutif pourrait être renversé. « Quoi qu’il arrive, si cette hypothèse advenait, Macron serait plus faible que jamais, analyse Ian Brossat, porte-parole du PCF. Se serait exprimée une très forte aspiration au changement et à la justice sociale. Il sera contraint de tenir compte de tout ça. » Les macronistes devront aussi chercher des appuis en dehors de leur camp. À en juger par leurs réactions paniquées, ils ne sont pas prêts. « Une majorité relative serait une folie, s’affole l’ex-premier ministre Édouard Philippe dans le Figaro. Ce serait un désordre politique qui viendrait s’ajouter à l’instabilité et aux dangers du monde actuel. » Rien que ça. « Avec qui voudront-ils gouverner ? Y aura-t-il une convergence des droites ? » s’interroge, plus rationnel, le cadre socialiste Maxime des Gayets. Dans ce cas de figure, LR deviendrait un arbitre privilégié des réformes de la Macronie et serait en position de force dans les futures négociations (tout en ayant, paradoxe, perdu quasiment la moitié de ses effectifs de députés). À moins qu’Ensemble ! ne tente de débaucher chez les quelques députés régionalistes ou divers gauche.

Et la Nupes, alors ? Battue, elle resterait néanmoins, et de loin, la première force d’opposition à l’Assemblée. Elle obtiendrait la présidence, très stratégique, de la commission des Finances, traditionnellement dévolue au premier groupe d’opposition – à condition que la Macronie ne s’asseye pas sur la coutume. « Ce qui nous était inaccessible, tels que les référendums d’initiative partagée, les motions de censure, les commissions d’enquête parlementaire, c’est-à-dire un véritable contrôle de l’action du gouvernement, deviendrait envisageable », rappelle Julien Bayou, numéro un d’EELV.

2. Majorité macroniste, le scénario du pire

C’est la plus mauvaise hypothèse pour la Nupes, et la seule qui contenterait Emmanuel Macron. Avec 289 députés ou plus, Jupiter atteindrait son objectif d’avoir « une majorité solide » pour passer ses réformes a priori sans contrainte parlementaire : retraite à 65 ans, RSA conditionnés à 15 à 20 heures de travail hebdomadaire, marchandisation de l’école… En tout cas, il n’aurait pas à faire ce qu’il redoute le plus : devoir discuter avec d’autres forces politiques que la sienne, fût-ce « Les Républicains ». On connaît le mépris du chef de l’État pour le Parlement, pas assez rapide à son goût, et sa propension à abuser d’ordonnances et de décrets, quand il ne s’appuie pas tout simplement sur un conseil de défense. La création d’un « conseil national de la refondation », annoncé pour le 22 juin et où seront « discutées les réformes », est déjà une tentative évidente de contourner l’Assemblée en inventant une nouvelle institution ex nihilo.

En cas de victoire complète, les macronistes se réjouiront sans doute que les Français aient fait le choix de la « stabilité ». « Je ne suis pas certain qu’en cas de victoire de Macron, il y ait beaucoup plus de clarté », rétorque Maxime des Gayets, qui estime que la majorité sortante a « esquivé la confrontation démocratique » pour « éviter que certains débats ne soient tranchés par cette élection ». Reste que, malgré l’échec pour la Nupes, qui a fait campagne dans l’optique de remporter la victoire, la gauche augmenterait son nombre de députés. Elle se consolerait avec les prérogatives que lui offrent ces nouveaux élus (voir premier point). L’insoumise Clémence Guetté se veut optimiste, même dans ce scénario du pire : « On peut gagner, on fera tout pour. Mais dans ce cas-là, on a vu dans le mandat précédent que sa majorité a pu se fissurer. Et parfois, ça pouvait être très juste au niveau des votes. Alors qu’à gauche, nous n’étions qu’une soixantaine. La configuration sera différente, et on pourra bloquer. »

3. La Nupes a un pied à Matignon

La Nupes est en tête… mais faute d’atteindre le seuil des 289 députés, sa majorité n’est que relative. Ce serait une victoire politique évidente pour la gauche rassemblée et une déroute historique pour la majorité sortante. La gauche pourrait légitimement réclamer le gouvernement en tant que première force, mais une coalition LR-LaREM pourrait refuser de lui voter la confiance. Macron, d’un autre côté, serait privé de légitimité politique pour passer ses réformes de casse sociale. La France serait-elle alors ingouvernable, comme le martèle le président ? Le scénario n’est pas inédit : il a d’ailleurs déjà eu lieu en 1988. Le PS de Mitterrand n’avait glané que la majorité relative et a composé jusqu’en 1993 avec les communistes et le centre droit. « Ça créerait une situation inédite dans laquelle il est très difficile de se projeter, concède toutefois Clémence Guetté. Macron risquerait d’être à l’offensive sur la formation du gouvernement. » Mais la Nupes aurait une marge de manœuvre pour lui opposer des motions de censure (58 députés sont nécessaires pour en déposer, et il en faut 289 pour que l’exécutif soit renversé).

Il faudrait en tout cas que la gauche rassemblée se trouve des alliés pour passer ses propositions de loi comme l’augmentation du Smic ou la retraite à 60 ans . « On trouvera bien quelques renégats de LaREM, issus de la gauche, pour nous prêter main-forte, veut croire le communiste Ian Brossat, railleur . L’avantage des opportunistes, c’est qu’ils peuvent retourner leur veste dans les deux sens. » Ce « scénario à l’allemande » (en référence à la culture de la coalition outre-Rhin) signerait le retour d’un parlementarisme fort, où les groupes échangent et négocient, loin de la parodie qu’en a fait Macron.

4. La gauche s’assure une cohabitation

C’est l’objectif de la Nupes : obtenir une majorité absolue avec au moins 289 députés à l’Assemblée. Jouable, même si la marche est haute : il faudra un gros sursaut de mobilisation, notamment chez les 18-24 ans (69 % d’abstention au premier tour, selon Ipsos). Dans ce cas, la vie politique telle qu’on la connaissait depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017 basculerait. Le président de la République en a bien conscience, et c’est pour discréditer ce scénario qu’il a souligné durant la campagne que personne ne pourrait lui imposer le nom d’un premier ministre. « Macron ne pourra pas faire abstraction de la Constitution de notre pays et des rapports de forces politiques, lui rétorque l’insoumise Clémence Guetté. S’il ne nommait pas Mélenchon premier ministre, je rappelle qu’il y a tout de même un vote de confiance… »

La gauche deviendrait la première force politique du pays et, avec une majorité absolue, serait en mesure d’emporter le bras de fer contre l’Élysée. Un gouvernement issu de ses rangs serait alors nommé, avec Jean-Luc Mélenchon premier ministre, et c’est bien son programme qui commencerait à s’appliquer : Smic à 1 500 euros, revenu de 1 063 euros pour les jeunes, retraite à 60 ans, démarrage d’un vaste chantier de transition écologique… Bien entendu, celui-ci ne se mettrait pas en place sans rencontrer de fortes résistances. « La gauche au gouvernement a toujours rencontré des difficultés, rappelle le socialiste Maxime des Gayets. Et ce sont les mobilisations sociales » qui lui apporteront un appui décisif, selon lui. « Il faudra de toute façon construire des coalitions, partisanes mais aussi sociales, ajoute-t-il. C’est le principal enjeu. »

publié le 16 juin 2022

Les mesures que la Nupes portera à l’Assemblée expliquées par les candidats

sur www.humanite.fr

Le 19 juin aura lieu le second tour des élections législatives. Et une nouvelle force peut s’imposer, celle des formations de gauche et écologistes unies sous la bannière de la Nupes. Au contraire de la majorité présidentielle, elle propose de porter immédiatement le Smic à 1 500 euros, de revenir à la retraite à 60 ans, de nationaliser EDF et Engie pour créer un grand service public de l’énergie, et de redonner vie, sens et moyens à tous les services publics de fonctionner sur tout le territoire pour assurer l’égalité républicaine. L’espoir est là, comme le démontrent des responsables et des candidats des différentes formations que nous avons interrogés.

Forte d'un programme commun, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale est qualifiée pour le second tour dans près de 400 circonscriptions.

 

« Nous prendrons l’argent là où il se trouve »

Olivier Faure, premier secrétaire du PS et candidat en Seine-et-Marne

« Il n’y a pas d’argent magique”, mais il y a des prestidigitateurs. Ceux-là savent faire oublier leur immense fortune pour se soustraire à l’impôt. Ils disposent à l’Élysée d’un complice. Le président s’était engagé à revenir sur ces cadeaux si aucun “ruissellement” n’était constaté, mais rien n’ébranle sa foi libérale. Le problème, c’est que, quand ce ne sont pas les plus riches qui paient, ce sont tous les autres à qui est présentée la facture ! La retraite à 65 ans n’a ainsi pas vocation à financer nos retraites. Elles le sont déjà. Le but est ailleurs.

Le gouvernement s’est engagé auprès de Bruxelles à honorer les 3 % de déficit du pacte de stabilité, qui a pourtant volé en éclats avec la crise sanitaire. Ce choix suppose une réduction annuelle de 80 milliards sur le budget de l’État. Comment le financer ? Pas par une fiscalisation des hauts revenus et des entreprises puisque c’est la promesse faite à ses soutiens. Quel plan caché ? La hausse de la TVA. Et si le gouvernement y renonçait parce qu’elle pourrait s’avérer coûteuse politiquement ? Il ne restera alors qu’à laisser se dégrader nos services publics.

La Nupes propose à l’inverse de prendre l’argent là où il se trouve. Alors, oui, nous rétablirons l’ISF et l’exit tax. Nous abrogerons la flat tax. Nous prélèverons sur les profits exceptionnels. Nous imposerons les bénéfices réalisés sur notre sol par les entreprises qui exfiltrent leurs profits pour échapper à la contribution au bien commun. »

Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Revenir sur les privatisations et défendre notre outil industriel 


« Faisons de la santé un bien commun »

Mathilde Panot, présidente du groupe FI à l’Assemblée et candidate dans le Val-de-Marne

La crise du Covid-19 a servi de révélateur à une situation déjà critique : dans le Val-de-Marne, à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, en octobre 2021, 5 enfants en situation d’urgence vitale n’ont pas pu être admis aux urgences pédiatriques faute de lits et de soignants. À l’hôpital gériatrique d’Ivry-sur-Seine, ce sont 100 lits fermés et 1 infirmière pour 82 patients. La Macronie est comptable de ce bilan : 4 milliards d’euros d’économie ont été imposés à l’hôpital public, les soignants sont épuisés et fuient la profession, 17 500 lits ont été fermés, dont 5 700 en plein Covid.

Partout où les services publics deviennent un décalque de l’entreprise, ils échouent à leur mission première d’intérêt général. Il nous faut sortir de la tarification à l’activité et instaurer le remboursement à 100 % des soins prescrits. La santé comme droit exige de rouvrir des maternités, des Ehpad à but non lucratif et des services d’urgence partout sur le territoire, et de lutter contre les déserts médicaux. Elle impose d’enclencher un plan massif de recrutement de soignants et de revalorisation des salaires. Elle exige de reconstruire le service public de la psychiatrie, d’augmenter les financements publics de la recherche et de développer la santé environnementale.

Mettre fin à la mainmise du marché dans la santé, c’est la consacrer comme bien commun. Telle est l’ambition humaniste que se donne la Nouvelle Union populaire écologique et sociale ! »

Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Faire passer la santé d’abord et reconstruire les établissements de santé publics


« Augmenter les salaires, c’est une urgence »

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et candidat dans le Nord

L’explosion des prix, dans de nombreux secteurs, impose d’augmenter au plus vite les salaires. Des millions de Français sont contraints de devoir choisir entre se nourrir, payer le loyer ou les factures de gaz et d’électricité. Pour d’autres, ce sont les sorties, les vacances qui passent à la trappe.

Il faut en finir avec cette politique de bas salaires imposée depuis des années par le Medef et les gouvernements successifs. C’est une urgence. Ni Macron ni Le Pen ne proposent d’augmenter les salaires ! Nous, nous proposons de revaloriser immédiatement le Smic à 1 923 euros brut (1 500 net). Dans la foulée, nous demanderons aux différentes branches professionnelles d’augmenter l’ensemble des salaires en revoyant les conventions. Dans le secteur public, c’est l’État qui décide : nous proposons d’augmenter de 10 % le point d’indice dès le 1er juillet, puis de 20 % dans les cinq prochaines années.

Les grands groupes qui distribuent des dividendes ont les moyens de prendre en charge ces hausses. Pour aider les petites et moyennes entreprises, nous proposons de baisser les charges financières, d’assurances et d’énergie. Elles doivent aussi pouvoir bénéficier de crédits bancaires à taux bonifié. L’État doit les accompagner en conditionnant les aides aux entreprises à leur politique en matière de salaires.

C’est non seulement une question de dignité et de justice pour les salariés, mais aussi une condition pour sortir de la crise actuelle. »

Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Augmenter les salaires et réduire les inégalités salariales dans l’entreprise


« La retraite à 60 ans, une victoire pour les précaires »

Gabriel Blasco, candidat Nupes-PCF dans l’Hérault

« Le bilan de Macron est déjà désastreux pour nos aîné-e-s, entre la loi grand âge abandonnée et la dégradation des conditions de vie des personnes âgées dans les Ehpad. Maintenant, c’est notre système de retraite qui se trouve dans le viseur de la droite, de Macron à Le Pen. Ils veulent, par dogmatisme, nous faire travailler plus longtemps et supprimer les régimes spéciaux. Nous, nous proposons de garantir une retraite digne : c’est un choix politique. “Il faut faire de la retraite non plus l’antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie”, disait Ambroise Croizat. Ce droit à la retraite à 60 ans sera une victoire pour les plus bas salaires et les plus précaires. Avec une retraite à 60 ans à taux plein, après quarante annuités de cotisation et une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles. Avec une retraite portée au minimum au niveau du Smic, des pensions revalorisées pour une carrière complète, et un minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté. »

Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Garantir une retraite digne


« L’inflation n’est plus vivable, bloquons les prix »

Rachel Kéké, candidate Nupes-FI dans le Val-de-Marne

« Je suis gouvernante dans l’hôtellerie à Paris, où, avec mes collègues, j’ai mené une lutte de vingt-deux mois pour améliorer nos conditions de travail. Nous avons fini par gagner ! Aux législatives, je suis face à une candidate de la majorité, Roxana Maracineanu, mais ils ne connaissent pas la vie des gens. Ils ne savent pas ce que c’est que de vivre avec un Smic pour nourrir une famille. À l’Assemblée, je ferai entendre la voix des travailleurs essentiels.

Avec une inflation de plus de 5 % depuis le début de l’année, ce n’est plus vivable. Je rencontre des parents qui n’arrivent plus à remplir leur chariot. Je rencontre des salariés de la grande distribution qui ne peuvent même plus faire leurs courses dans le magasin où ils travaillent. Pour d’autres, c’est le plein d’essence qui ampute leur salaire.

Nous nous battrons pour bloquer les prix de l’essence à 1,4 euro et pour garantir l’accès à un panier de produits, en particulier à cinq fruits et légumes de saison à prix bloqués. Nous maîtriserons aussi le prix des premières unités d’énergie pour que chacun puisse se chauffer décemment. »

Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Éradiquer la pauvreté


« En finir avec le mépris dans l’éducation »

Mélanie Thomin, candidate Nupes-PS dans le Finistère

Il faut d’urgence s’attaquer aux inégalités dans le système éducatif et reconstruire une école émancipatrice. Cela commence par la prise en charge des frais – manuels, fournitures, cantine et transport scolaire – qui pèsent sur les familles les plus modestes. Près d’un million d’enseignants ont aussi été méprisés par le président sortant avec une politique verticale et autoritaire portée par Jean-Michel Blanquer. Il est temps de revaloriser ces personnels et de renforcer les moyens pour les établissements. Le recrutement d’enseignants, d’assistants d’éducation, d’assistants pédagogiques, de psychologues scolaires et d’AESH renforcera un modèle éducatif inclusif. De même, Parcoursup doit disparaître pour laisser la place à un service public national de l’orientation qui associera les régions. La société se construit avec les enfants et les jeunes d’aujourd’hui. Faisons toutes et tous en sorte que notre jeunesse soit au cœur des politiques de demain. »

Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Reconstruire une école globale pour l’égalité et l’émancipation


« Une transition pour le climat et le pouvoir d’achat »

Julien Bayou, secrétaire national d’EELV et candidat à Paris

Emmanuel Macron est le champion de l’inaction climatique. Il a été condamné deux fois pour cela. Il a réintroduit les néonicotinoïdes, alors qu’il disait vouloir interdire le glyphosate. Il promettait 80 000 rénovations thermiques, qui auraient permis d’avoir moins chaud en été et de se chauffer correctement en hiver, tout en étant bénéfiques pour le climat. Il en a fait environ 2 500, soit 30 fois moins. La France est aussi le seul pays en Europe à ne pas avoir respecté ses objectifs de développement des énergies renouvelables.

Nous, nous prenons tout ça au sérieux. Notre programme prévoit de diminuer de 65 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Nous proposons un plan massif de rénovation thermique – sans avance et zéro reste à charge –, qui permettra d’agir en faveur du climat, mais aussi de l’emploi, de la santé et du pouvoir d’achat. Cela représente de 70 à 100 euros d’économies par mois, c’est-à-dire un treizième mois écolo. Faire la transition écologique, c’est pour demain, pour nos enfants. Mais c’est aussi pour aujourd’hui : si on était déjà passé à l’action, on serait moins dépendant du gaz russe, on souffrirait moins de la canicule. Si nous sommes dans la décennie pour le climat, cela ne signifie pas que l’on doit attendre dix ans pour agir. Pour la rénovation thermique, par exemple, il faut former des dizaines de milliers de personnes. Cela représente l’équivalent du grand plan lancé par Roosevelt aux États-Unis dans les années 1930. »

Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Instaurer la souveraineté alimentaire par l’agriculture écologique et paysanne


« La sûreté doit être un droit garanti à tous »

Alice Assier Candidate Nupes-Génération·s en Haute-Garonne

Les gouvernements libéraux successifs ont organisé le démantèlement des missions de service public de la police. Avec la gauche, l’impunité ne vaudra pour personne. Et nous disons bien : pour personne. La sûreté doit être un droit garanti à toutes et tous. Le renforcement des moyens et de la formation de la police sera donc prioritaire. Nous rétablirons la police de proximité et arrêterons la contre-productive “politique du chiffre”. Le droit de manifester doit être garanti et donc la doctrine de maintien de l’ordre révisée. Mais la sécurité est une question globale, qui ne se résume pas à ce qu’en fait la droite. C’est pourquoi nous renforcerons les polices de l’environnement et de l’eau, pour garantir que nos biens communs soient protégés. » 

Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Refonder la police pour garantir le droit à la sûreté


 


 


 

Législatives. Mélenchon à Toulouse : « Macron,
c’est le chaos économique »

Bruno Vincens sur www.humanite.fr

Face au président qui promet un « désordre français » en cas de victoire de la gauche, Jean-Luc Mélenchon et la Nupes, en meeting à Toulouse, mardi, ont riposté, déroulant leur projet de justice sociale et climatique. Avec un impératif : ramener aux urnes, dimanche, les jeunes et les classes populaires.

Toulouse (Haute-Garonne), correspondance.

Primature : nom féminin désignant les fonctions du premier ministre. Mardi soir, lors de son meeting à Toulouse, Jean-Luc Mélenchon a usé de ce mot et élargi son acception, y incluant aussi le gouvernement et la politique bientôt à l’œuvre si la gauche unie gagne les élections législatives. « Le 19 juin, ce sera un référendum entre les néolibéraux macronistes et les solidaristes de la Nupes », annonce-t-il. Très vite, le candidat à Matignon vise Emmanuel Macron. Celui-ci, depuis le tarmac ­d’Orly d’où il s’envolait pour visiter les troupes françaises en Roumanie, avait, un peu plus tôt, mélangé ses casquettes de chef des armées et de chef de la coalition libérale, appelant à « ne pas ajouter un ­désordre français à un désordre mondial ».

La réponse de Jean-Luc Mélenchon est d’abord ironique : « Son bateau coule, Macron prend l’avion. » Puis, plus sérieuse : « La stabilité programmatique est chez nous. Nous savons où nous allons. Macron, c’est le chaos économique et aussi politique. Il ne peut pas se représenter en 2027, donc la guerre de succession dans son camp va commencer dès maintenant. » Et il soupçonne le président de la République d’avoir considéré ces législatives comme une simple formalité, d’où ce voyage à l’étranger programmé entre les deux tours.

« Le changement climatique provoque des destructions de masse »

Jean-Luc Mélenchon le souligne : « C’est la première fois dans l’histoire de notre pays que la gauche présente au premier tour des candidats communs. » Il se dit « fier de ce que nous avons réussi en si peu de temps ». Et pose cette question : « Si les macronistes ne peuvent pas avoir la majorité absolue, c’est à cause de qui ? » « De la Nupes ! » répondent en chœur les presque deux mille personnes qui remplissent la salle Mermoz.

Si l’ambiance est chaude pour ce meeting toulousain, on ne le doit pas seulement au thermomètre qui affiche 37 °C, mais aussi à l’espoir que suscite la Nupes. « On est là ! On est là ! » entonne spontanément la foule. « Empêcher Macron de mener sa politique, c’est indispensable, c’est l’urgence absolue », explique Samuel, 28 ans. Parmi les mesures qu’il espère voir appliquées par la coalition de gauche, il cite en premier la retraite à 60 ans. Quant à Floriane, 27 ans, ingénieure dans l’aéronautique, elle attend de la Nupes « un progrès social et écologique, des investissements dans la transition énergétique ». Un programme réaliste ? « Oui, c’est une question de volonté politique. » De son côté, Mathieu, 42 ans, espère qu’une victoire signifiera « une clarification politique à gauche contre le libéralisme économique et une transition vers une société débarrassée des blocages du capitalisme ». Pour lui, le niveau de la participation au second tour sera « crucial ».

À la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a frôlé les 26 % en Haute-Garonne et les 37 % à Toulouse. Il se trouve ici en terrain favorable et sa venue a pour but de pousser l’avantage acquis le 12 juin : les candidats de la Nupes sont qualifiés pour le ­second tour dans les dix circonscriptions de la Haute-Garonne. La Nupes espérait ici quatre ou cinq députés, elle brigue désormais deux élus supplémentaires.

La dynamique est clairement de ce côté. Pour que l’essai soit transformé, il lui reste à convaincre les jeunes et les habitants des quartiers populaires de se rendre aux urnes. « Si les jeunes votent dimanche, la Nupes sera majoritaire ! » s’écrie la candidate Alice Assier, 25 ans, arrivée en tête dans la 10e circonscription. Dans un message vidéo, le responsable du PCF Pierre Lacaze, présent également dans la salle, exprime l’espoir des communistes de « mettre fin à la­ politique du président des riches » et de voir « la France entrer à nouveau, dimanche prochain, dans l’histoire du progrès ­social ». Pour y parvenir, « la question est de savoir combien de personnes vous allez mener au vote dimanche ! » lance Jean-Luc Mélenchon à l’adresse des militants présents.

Parmi les mesures de la coalition de gauche les plus attendues : la retraite à 60 ans.

Dans une vibrante allocution de près d’une heure et demie, le chef de file de la Nupes aborde les questions environnementales. « Le néolibéralisme est un système dangereux, incapable de se corriger de ses ­erreurs car, quand il en commet, il s’enrichit. Mais nous sommes en grand danger, prévient-il, le changement climatique provoque des destructions de masse. » L’insoumis embraye aussi sur un autre des grands enjeux qui opposent la Nupes à la Macronie et son « travailler plus ». « La retraite à 60 ans libère 830 000 postes de travail ! » martèle-t-il, refusant de voir se perpétuer des pensions de retraite inférieures à 80 % du Smic. « Il ne faut pas dire qu’il n’y a pas d’argent en France, il y en a beaucoup. » À l’approche d’un second tour décisif, Jean-Luc Mélenchon insiste sur le message que la gauche unie adresse à la société : « On va tout changer et on va le faire ensemble. »

publié le 15 juin 2022

Le 19 juin, votez pour des député·es qui pèseront sur les choix en santé !

Tribune collective sur www.politis.fr

Le programme de Macron sur les questions de santé n'est pas seulement très sommaire. Il prépare une aggravation des dérives constatées depuis 2017, alerte un groupe de médecins davantage séduits par le programme de la Nupes.

Les législatives ne concernent pas seulement nos choix individuels mais nous engagent collectivement. La prochaine assemblée nationale peut devenir un lieu d’arbitrages pour que les politiques de santé retrouvent leur vocation, celle d'un service public dédié au bien-être des personnes.

Nous sommes témoins de l’accélération historique des inégalités, de la destruction de nos environnements et de nos services publics sans oublier l’aggravation de la souffrance au travail. Nous sommes pris au piège d’une société dirigée par les forces de l’argent-roi. Celles-ci sont résolues à accélérer leurs projets avides et destructeurs, y compris sur notre santé.

Le premier mandat Macron a montré en cinq ans d’exercice ce qu’il sait faire : accélérer la réduction des moyens publics d’un bien pourtant proclamé commun. Dans les hôpitaux publics, la tarification à l’activité (T2A) est toujours là. La réduction puis la saignée des effectifs atteint le stade que nous savons (urgences débordées, pénuries de médicaments essentiels…). L’inégale répartition de l’offre de soins de ville reste la première cause « des déserts médicaux ». L’autoritarisme a prévalu dans les mesures d’une santé publique invoquée depuis le début de la pandémie de Covid. La prévention est de plus en plus focalisée sur les comportements des individus, que l'on culpabilise. Le Ségur de la santé n’a proposé que des demi-mesures. Sans parler des manquements graves à la solidarité avec les pays les plus démunis en matière de vaccins et autres équipements de protection. Or le programme affiché du président réélu, sur les questions de santé, est non seulement très sommaire mais il prépare une aggravation des dérives constatées depuis 2017 : recours aux partenariats public-privé dont on sait combien ils menacent l'intérêt public, pseudo-solutions pour les quartiers populaires et les zones éloignées des services (assistants médicaux, internes de 4e année, télémédecine déshumanisée…).

Les programmes de La France insoumise et de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), eux, sont bien plus explicites et séduisants.

Nous nous y retrouvons largement notamment dans leur logique de renforcement du service public et leur prise en compte des questions environnementales (lutte résolue contre les causes des inégalités sociales, amélioration du pouvoir d’achat, de la sécurité et de l’accès à une alimentation saine, souci d’éloigner les risques du nucléaire, préservation des ressources naturelles…). Elles renouent avec la dimension de « création de milieux favorables à la santé », pilier d’une ambitieuse approche de promotion de la santé visant le bien-être global des individus et de la société, telle que la prônait déjà en 1986 la Charte d’Ottawa. Ces propositions ouvrent la voie à une transition progressive et progressiste vers la refonte de notre système de soins et de santé à laquelle aspirent tant d’actrices et d'acteurs concerné·es. Outre les enjeux fondamentaux que représentent la prévention et la promotion de la santé, nous souhaitons insister sur la restructuration de l’offre de soins :

  • la réhabilitation des soins essentiels de première ligne car l’hôpital public doit être soulagé de la pression des soins et des urgences de premier recours ;

  • l’offre de soins n’a pas besoin de "plus de soins et d’examens", mais de soins appropriés ce qui implique une maîtrise des dérives de sur-diagnostics et de sur-prescriptions. La sur-médicalisation, tout autant que la sous-médicalisation, est ruineuse pour nos systèmes de protection sociale solidaires ;

  • la valorisation significative des professions paramédicales, en premier lieu pour les infirmier·es, aide-soignant·es et médecins généralistes qui travaillent au sein d’équipes pluri-professionnelles de proximité. Les centres de santé ainsi que les maisons médicales et de santé doivent devenir la porte d’entrée et de régulation des autres niveaux de soins. Intégrés au sein d’un réseau revalorisé, ils donneraient un nouvel élan à la Protection maternelle et infantile (PMI), à la santé scolaire, à la médecine du travail et aux Maisons des adolescents ;

  • la promotion du salariat et d’autres formes d’exercice en équipe. La mainmise des soins ambulatoires par « la médecine libérale à tarif libre » et l’exercice en solo, depuis les années 1927-1947, doivent être réexaminés.

  • le réseau hospitalier public, en aval de cette première ligne, doit non seulement être renforcé par plus de moyens mais surtout rompre avec la T2A et les concepts purement gestionnaires (Lean management, etc.) et du "tout virtuel". Avec l'appui des établissements privés sur la base d’un conventionnement de missions de service public.

  • la réhabilitation d’un pôle public du médicament promouvant une liste prioritaire (ou nomenclature) des médicaments jugés essentiels, comme en Suède et dans les pays qui ont suivi les préconisations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Des politiques ambitionnant des soins de qualité pour tout·es, et une prévention prenant en comptes les conditions de vie et de travail, ainsi que le contexte environnemental : la possibilité s'ouvre enfin aujourd'hui avec la perspective de voir la Nupes peser sur les politiques publiques. Des espoirs sont permis. Ils sont à portée de nos bulletins le 19 juin prochains. Le temps est au choix : soit celui de l’acceptation du monde tel qu’il est, soit celui d’un avenir autre pour nos enfants et nos sociétés.

Signataires :

Dr Omar Brixi, médecin et enseignant de santé publique

Dr Marc Schoene, médecin de santé publique

Dr Georges Picherot, pédiatre hospitalier

Dr Patrick Lamour, médecin de médecine générale libéral

Dr Didier Febvrel, médecin de santé publique, ancien membre HCSP

Dr Michel Thomas, professeur honoraire de médecine interne


 


 

 


 

Le Gosplan climatique
des libéraux

Par Geneviève Azam Membre d’Attac, sur www.politis.fr

Ce n’est pas la prétendue « science économique » qui nous sortira du marasme environnemental, car elle est incapable de faire place à l’imprévisible, au non-maîtrisable et au non-quantifiable.

La « science économique » officielle, après avoir disparu des écrans, retrouve sa mission et entre résolument en campagne électorale. Elle a son mot à dire sur la planification écologique. Soyons charitables, l’écologie n’a jamais été son fort. Au mieux, quand il en est question, les pollutions et les dégradations ne sont que de vagues « externalités » à traiter comme les autres. La « crise » écologique tient des insuffisances d’un marché à perfectionner. Mais cette fois une opportunité se fait jour. Tous ces désordres pourraient donner une nouvelle impulsion, sinon à une pensée déjà achevée, du moins au projet inachevé de formatage économique du monde. Un monde dessiné de pseudo-concepts répétés en boucle, comme « immunisés contre la contradiction », selon l’expression heureuse de Marcuse, du développement durable à la croissance verte et inclusive, de l’atome pacifique au charbon propre, de la transition à la résilience.

Après avoir renvoyé la planification économique au feu Gosplan du capitalisme étatique, voilà ces « scientifiques » qui empruntent les voies d’un plan écologique qui s’apparente à un Gosplan de marché, à un art de gouverner économique avec un État sous surveillance des marchés. Un « style économique » cher aux ordolibéraux (1), qui rangeaient le rapport Beveridge et le New Deal de Roosevelt dans les ferments d’un totalitarisme de type allemand.

Les désastres écologiques, imputés à des défauts de la rationalité humaine, se poursuivront.

Ces « scientifiques » ont imputé l’échec du Gosplan soviétique à l’État. Alors, au lieu des États soviétiques, guidés par une idéologie, c’est le marché qui doit organiser, veiller et corriger, selon les principes d’une « science » économique neutre dont ils sont les dépositaires et les missionnaires. Et voilà rejouée la scène d’une opposition entre État et marché, dont une des vertus est de masquer toute l’ingénierie, la planification et la bureaucratie nécessaires au fonctionnement du marché, sans compter le pouvoir répressif quand l’aspiration démocratique devient un obstacle à la réalisation du plan. Il est vrai, les économistes officiels ne peuvent imputer la faillite des Gosplan à la concentration des pouvoirs économiques ou à la confusion des pouvoirs économiques, « scientifiques » et politiques, tant ce monde est le leur.

Ainsi, le Gosplan néolibéral entend bien mettre le climat sous surveillance du marché. Nous savons que pour les plans soviétiques, précisément chiffrés, leur réalisation quantitative était devenue la finalité, l’impératif, quelle que soit la distance vis-à-vis du réel, qui devait s’adapter aux chiffres. Le plan pouvait inverser le sens du courant d’un fleuve si les besoins d’irrigation, chiffrés et planifiés, l’exigeaient. Ce sont les mêmes aberrations en matière de climat que nous promet le Gosplan néolibéral. L’objectif affiché est la neutralité carbone en 2050. Sans entrer dans la discussion sur cette neutralité, selon laquelle nous pouvons continuer à émettre à condition de compenser, la focalisation sur un objectif, avec une variable – la tonne de carbone émise ou « évitée » –, engage à une planification guidée par des montagnes de calculs, par une ingénierie statistique dépouillant le réel de sa complexité, des multiples interdépendances et de sa part non maîtrisable, extérieure aux plans humains. Il en découle l’énoncé de solutions comptables qui, mises bout à bout, devraient faire le compte pour 2050 mais aussi pour les échéances intermédiaires. Le plan sera réalisé, l’idéologie économique validée, et les désastres écologiques, imputés à des défauts de la rationalité humaine, se poursuivront.

Si nous avons besoin aujourd’hui d’une planification, c’est pour dessiner un horizon de sortie du désastre déjà en cours, pour organiser, avec des politiques publiques, la retraite au lieu de la fuite en avant, pour appuyer et faire grandir les résistances et les dissidences. Il ne s’agit pas d’opposer au plan du marché un simple contre-plan étatique, et de rejouer la scène de l’opposition État/marché avec les mêmes acteurs dans des rôles permutables. D’autant qu’il s’agit aussi de faire place à l’imprévisible, au non-maîtrisable et au non-quantifiable. Le vivant n’est pas planifiable. C’est l’enseignement des sciences du vivant, c’est l’expérience quotidienne de communautés qui affrontent les monstres écologiques et politiques accouchés du capitalisme, d’État ou de marché, et qui prolifèrent.

(1) Naissance de la biopolitique, Michel Foucault, Gallimard, 2004, p. 107-109.

publié le 13 juin 2022

Législatives 2022 :
six enseignements sur
les résultats du 1er tour

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Comme en 2017, l’abstention reste le premier parti de France. Elle bat même un nouveau record, avec pour conséquence de n’ouvrir quasiment que des duels, pour le second tour des législatives 2022, le 19 juin prochain. Et donc de polariser davantage l’opposition entre Ensemble (majorité présidentielle) et la Nupes (alliance de gauche) qui finissent au coude à coude au premier tour.

 Le premier enseignement du premier tour des législatives est une confirmation. Celle de l’existence de trois blocs dominant le paysage politique. Avec respectivement 25,75 %, 25,66 % et 18,68 %, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, la majorité présidentielle, la Nupes et le Rassemblement national réitèrent sensiblement les scores d’Emmanuel Macron, de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen du premier tour de la présidentielle. Seules différences : cette fois-ci, la gauche devance le RN et Les Républicains résistent mieux en dépassant de peu la barre des 10 % confirmant leur implantation territoriale.

 Abstention : le grand désintérêt

 Ce sont 25,7 millions d’inscrits sur les listes électorales qui ne se sont pas déplacés ce dimanche pour élire les députés pour les cinq ans à venir. Et un demi-million de plus qui ont voté blanc ou nul. Soit moins d’un électeur sur deux puisque seulement 23,25 millions de Français (47,5%) se sont rendus aux urnes. Encore moins qu’en 2017 où, pour la première fois, la participation à une élection législative avait été inférieure à 50 % (48,7%) .

Avec pour conséquence, un moindre nombre de candidats qualifiés pour le second tour, dans la mesure où, outre les deux premiers, toute autre qualification nécessitait 12,5 % des inscrits. Soit cette fois-ci : plus de 25 % des suffrages exprimés. Avec un tel seuil, le nombre de triangulaires se limite à 8 sur 577 circonscriptions, ce qui accentue le face-à-face entre la Nupes et la majorité présidentielle qui arrivent en tête à l’échelle nationale. Et leur donne un bonus pour le nombre de sièges dimanche prochain. Au second tour, ces deux listes se feront face dans 272 circonscriptions.

 La majorité présidentielle en difficulté

Ensemble qui regroupe En Marche (nouvellement Renaissance), le Modem et Horizon fait moins bien qu’en 2017. Et même nettement moins bien puisque l’alliance présidentielle récolte 5,86 millions de voix dimanche, contre 7,3 millions de suffrages il y a cinq ans. Une chute de près d’un million et demi de voix. La comparaison est même plus sévère encore pour le résultat de dimanche au regard du score d’Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle le mois dernier : 9,78 millions de voix. Soit presque 4 millions de suffrages en moins.

Symbole de ce recul significatif : l’élimination au premier tour de Jean-Michel Blanquer dans le Loiret. Mais aussi le ballottage défavorable des ministres Amélie de Montchalin, Stanislas Guerini et Clément Beaune, menacés tous les trois de devoir quitter le gouvernement en cas d’échec dimanche prochain. Pour autant, en étant présente au second tour dans 420 circonscriptions, et arrivée en tête dans 203, l’alliance présidentielle reste favorite pour remporter les élections législatives le 19 juin. Selon les projections des instituts de sondage, elle pourrait obtenir entre 255 et 295 sièges au Palais Bourbon. Ce qui ne l’a met pas à l’abri de ne pas obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale.

Pour la Nupes, une victoire, mais des faiblesses

Selon toutes vraisemblances l’alliance de la France Insoumise, du Parti communiste, d’Europe-Écologie-Les-verts et du Parti socialiste ne remportera pas la majorité dimanche prochain. À moins d’une mobilisation massive des abstentionnistes susceptibles de porter leurs suffrages sur la Nupes, la gauche devrait obtenir entre 150 et 190 sièges, contre au moins 255 pour les soutiens d’Emmanuel Macron.

Pour autant, le résultat de la Nupes devrait installer cette dernière comme la première force d’opposition au gouvernement à l’Assemblée nationale, alors qu’en 2017 cette position était tenue par la droite républicaine. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon a réussi un coup politique majeur : devenir l’opposition parlementaire et transformer durablement le leadership à gauche, au-delà du moment présidentiel, en déplaçant son centre de gravité. Cela en marginalisant le Parti socialiste et Les Verts, contraints de s’associer à lui dans la Nupes pour espérer un groupe parlementaire.

Une bonne opération également du point de vue des résultats électoraux. En 2017, lorsque le leader de la France Insoumise choisissait de faire cavalier seul en espérant écraser ses concurrents à gauche, il perdait 4 millions de voix entre les présidentielles et les législatives. Ce coup-ci, en 2022, l’écart entre son nombre de voix le 10 avril et celui de la Nupes au premier tour des législatives n’est que de 1,88 million. L’alliance électorale de gauche réussit même à faire un score en pourcentage supérieur à celui de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle : 25,66 % contre 21,95 %.

Pour autant, ce succès ne doit pas masquer au moins deux faiblesses. La première étant que les 25,66 % obtenus dimanche restent inférieurs aux pourcentages obtenus par les quatre formations de l’alliance lors de la présidentielle : 30,61 %, qui étaient déjà historiquement bas pour la gauche. D’autant qu’il n’y a quasiment aucune réserve de voix. La seconde étant relative à l’abstention. L’élan constaté à la présidentielle, notamment dans les quartiers populaires, ne s’est pas vraiment reproduit dimanche. À titre de symbole, la Seine-Saint-Denis enregistre une abstention de plus de 61 %, même si les candidats de la Nupes arrivent largement en tête dans les douze circonscriptions du département le plus pauvre de France.

 L’extrême droite progresse encore

 Malgré une quasi-absence de campagne nationale conduite par Marine Le Pen et la concurrence de Reconquête dans 551 circonscriptions, le Rassemblement national progresse nettement. Et en tous points par rapport à 2017. D’abord avec des pourcentages en hausse : 18,6 % ce 12 juin contre 13,2 en 2017. Mais aussi en nombre de voix malgré une abstention en légère hausse : les candidats du RN ont obtenu 4,24 millions de suffrages contre 2,99 millions cinq ans plus tôt. Avec pour conséquence d’être présent au second tour dans 208 circonscriptions, en se payant le luxe d’arriver en tête en dans 110 d’entre-elles.

Ses bons résultats devraient lui ouvrir en grand les portes de l’Assemblée nationale. Le parti d’extrême droite peut prétendre obtenir entre 20 et 45 sièges, selon les projections des instituts de sondage. Et ainsi, avoir assez de députés pour constituer un groupe parlementaire, ce qui n’était pas arrivé depuis 1986, année où le Parti socialiste avait instauré la proportionnelle intégrale aux législatives.

De plus, aux scores du Rassemblement national, il faut ajouter ceux de Reconquête qui, même s’il ne se qualifie nulle part pour le second tour, enregistre presque un million de voix (4,24%). Et permet à l’extrême droite de largement dépasser les 20 %, alors qu’elle n’avait jamais réussi à passer la barre des 15 %.

 La droite sauve une partie des meubles

 La droite républicaine poursuit sa descente aux enfers. Mais moins durement qu’à la présidentielle. Alliée à l’UDI, Les Républicains obtiennent 2,43 millions de voix, soit 750000 de plus que Valérie Pécresse le 10 avril dernier. Mais deux fois moins qu’en 2017 où la droite avait enregistré près de 5 millions de suffrages. Présente au second tour dans 75 circonscriptions, elle pourrait espérer entre 50 et 80 sièges en ajoutant les 13 divers droite qualifiés au second tour.

Pour autant, cela lui ferait perdre sa place d’opposition principale au gouvernement à l’Assemblée nationale. Et les moyens qui vont avec. Seule consolation pour la droite, si la majorité présidentielle n’obtient pas la majorité absolue fixée à 289 sièges dimanche prochain, Les Républicains pourront être en position de négocier avec Ensemble, la coalition favorable à Emmanuel Macron.

 62 dissidents du PS, 56 éliminations au premier tour

 La Bérézina pour les socialistes opposés à l’accord avec la France Insoumise, conclut par la direction nationale du PS. Dimanche prochain, il n’en restera que 6 en lice sur les 62 circonscriptions où des socialistes bien implantés imaginaient damer le pion à la Nupes. Soit 90 % d’élimination. Et encore, parmi les qualifiés, Lamia El Aaraje dans la 15e circonscription de Paris a 24 points de retard sur la candidate de la Nupes. Seules trois circonscriptions semblent gagnables par des dissidents PS dans le Gers, les Pyrénées-Atlantique et le Pas-de-Calais.

Soit un sérieux coup de canif planté dans les ambitions de celles et ceux qui auraient pu s’imaginer un destin national, comme Carole Delga ou Michael Delafosse en Occitanie. Ou en tout cas qui affirmaient à travers le scrutin le souhait de proposer une alternative pour reconstruire une gauche de gouvernement, non inféodée à Mélenchon. Clairement un échec pour les dissidents PS à l’accord avec la Nupes. Une douche froide qui a contraint Carole Delga a changé son fusil d’épaule hier soir. Si elle n’a pas exprimé pour l’heure l’abandon de son projet « d’états généraux de la gauche » à la rentrée, elle a appelé à « faire barrage aux candidats d’extrême droite en votant pour le candidat le mieux placé, quelle que soit son étiquette ». Mais surtout, « dans les autres cas de figure (…), j’appelle clairement à voter pour les candidats de gauche contre la droite ».

 

 

La gauche en force

par Michel Soudais sur www.politis.fr

La Nupes fait jeu égal au premier tour avec la majorité présidentielle. Emmanuel Macron est plus que jamais menacé de n’obtenir qu’une majorité relative dimanche prochain et la coalition n’a pas perdu tout espoir de lui imposer une coalition.

Le président le plus mal élu de la Cinquième république est soutenu par le parti présidentiel le plus faible jamais vu. Dans un scrutin marqué par un nouveau record d’abstention (52,49 % contre 51,3 % en 2017) la coalition autour d'Emmanuel Macron et la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) sont arrivées à quasi égalité dimanche lors du premier tour des élections législatives, avec 21.442 voix d'avance seulement pour Ensemble!, selon les résultats du ministère de l'Intérieur.L'alliance macroniste a remporté 25,75 % des voix et la Nupes autour de Jean-Luc Mélenchon 25,66 %.

Le pari de l’union est en cela gagné puisque la coalition mélenchoniste peut s’affirmer comme la première force d’opposition, titre dont se gargarisait depuis plusieurs années le parti de Marine Le Pen qui ne rassemble ce dimanche que 18,7 % des suffrages. Lesdidats LR, associé à l’UDI, peuvent se satisfaire de faire mieux que Valérie Pécresse mais restent loin derrière (11,4 %) ce qui ne manquera pas de leur faire perdre leur place de premier groupe d'opposition à l'Assemblée nationale.

Macron en échec

La Renaissance que souhaitait incarner le parti d’Emmanuel Macron en changeant de nom est en échec. La République en marche, seule, totalisait 28,21 % en 2017, son allié Modem obtenant lui 4,12 %. Toutes tendances réunies, en ajoutant à ces deux partis Horizons, le parti d’Édouard Philippe, et Agir, la majorité présidentielle sont en recul. Pour le président de la République c’est un avertissement sérieux.

Plusieurs figures de la Macronie comme Jean-Michel Blanquer ou Emmanuelle Wargon sont éliminés dès le premier tour. Des ministres sont menacées : Amélie de Montchalin, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires (31,46 %) est en mauvaise posture dans l’Essonne face au candidat PS-Nupes Jérôme Guedj (38,31 %). Également qualifié pour le second, le ministre délégué à l’Europe (35,81 %) est en mauvaise posture face à l’avocate Caroline Mécary, candidate de la Nupes (41,40 %). Stanislas Guérini, délégué général de LREM et nouveau ministre de la Transformation et de la Fonction publique, est également en ballotage défavorable dans la 3e circonscription de Paris où la candidate de la Nupes, Léa Balage El Mariky (38,66 %) le devance de plus de 6 points.

La majorité présidentielle ne compte, ce dimanche qu’un seul élu au premier tour : Yannick Favennec (Horiszons), député de la 3e circonscription de la Mayenne depuis 2002, réélu avec 57,13 %.

Quatre élus Nupes au 1er tour

La Nupes en revanche voit quatre de ses candidats, réélus ou élus dès le premier tour : Danièle Obono dans la 17e circonscription de Paris (57,07 %), Sarah Legrain dans la 16e circonscription de Paris (56,51 %), Sophia Chikirou dans la 6e circonscription de Paris (53,74 %), Alexis Corbière dans la 7e circonscription de Seine-Saint-Denis (62,94 %).

Dans plus de 450 circonscriptions les candidats de la Nupes sont en mesure de se maintenir au second tour (170 candidats de gauche ou écologistes étaient dans ce cas en 2017), et souvent dans des ballotages favorables.

Si le camp Macron garde l'avantage dans les projections des 577 sièges de députés réalisées par les instituts de sondage, avec une fourchette de 255 à 295 sièges, devant la Nupes (150 à 210). Le jeu reste ouvert. En 2017, les mêmes projections promettaient jusqu’à 450 députés pour LREM, qui n’en a obtenu au final, avec le MoDem, « que » 350. Le nombre de sièges qu’obtiendront la Nupes et Ensemble ! (le nom usurpé de la confédération macroniste) dimanche prochain dépendra en effet à la fois de la mobilisation électorale – les jeunes et les quartiers populaires se sont peu mobilisés pour ce premier tour – et des reports de voix des candidats éliminés.

Les premières déclarations de Christophe Castener ou Olivia Grégoire, sur la consigne qu’ils donneront à leurs électeurs en cas de duel Nupes-RN sont à ce sujet inquiétantes. Interrogée sur France 2, la porte-parole du gouvernement a répondu : « Ce sont des débats locaux, pas un enjeu national. » Les électeurs de gauche qui n’ont jamais donné une voix à Marine Le Pen ou ses séides, permettant à Emmanuel Macron de l’emporter largement pourraient attendre des déclarations plus explicites.

publié le 12 juin 2022

La femme du jour.
Laura, lycéenne

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Peut-on encore poser une question qui fâche au président de la République ?

Laura, lycéenne, n’a pas hésité jeudi 9 juin lors d’un bain de foule d’Emmanuel Macron. « Vous mettez à la tête de l’État des hommes qui sont accusés de viol et de violences par les femmes, pourquoi ? » Pendant que le président rétorque rapidement qu’il soutient à la fois la libération de la parole des femmes et la présomption d’innocence, la lycéenne ajoute:  « S’il vous plaît, monsieur, répondez-moi », au sujet des nominations de Gérald Darmanin et Damien Abad au gouvernement. La vidéo a été largement partagée sur les réseaux sociaux, plusieurs citoyens reprenant à leur compte la question posée par Laura.

Surprise, la lycéenne l’a été plus encore le lendemain, puisqu’elle a reçu la visite hallucinante de gendarmes dans son lycée. « Ce n’est pas anodin d’être sortie de son cours pour être interrogée par la gendarmerie », a-t-elle réagi. « Notre action visait simplement à prendre en compte cette personne, qui s’était présentée comme victime, pour lui proposer de recueillir une éventuelle plainte », a fait savoir la gendarmerie du Tarn, Laura ayant confié qu’elle a été victime d’une agression sexuelle il y a quatre ans.

Mais très rapidement, les gendarmes parlent de la question posée au président de la République. « Ils m’ont dit: “Vous n’auriez pas dû faire ça, il y avait d’autres façons d’interpeller le président, en lui écrivant, par exemple” », raconte la jeune citoyenne, qui évoque une visite « ambiguë », proche de « l’intimidation », et se demande si les gendarmes ne sont pas venus « à la demande de quelqu’un ».

 publié le 11 juin 2022

La Nupes joue sa victoire
sur un sursaut de mobilisation

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Législatives En tête dans les dernières enquêtes d’opinion, la coalition qui réunit des candidats FI, PCF, PS et EELV peut s’imposer dans de nombreuses circonscriptions et disputer le pouvoir à LaREM et ses alliés. Mais le succès est à une condition : une participation massive.


 

Selon l’Ipsos, 51 % des sympathisants de gauche sont sûrs de voter dimanche, contre 60 % de ceux de LaREM.

Ce qui, au soir de sa disqualification de la présidentielle le 10 avril, apparaissait comme un pari un peu fou, se révèle à l’approche du scrutin comme une possibilité bien réelle. La victoire d’une gauche rassemblée au sein de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) aux élections législatives s’est éloignée de la chimère au point de donner des sueurs froides à la Macronie. « Si vous votez massivement, vous renversez la table », a martelé, mercredi soir, Jean-Luc Mélenchon, lors d’un meeting à Caen, à quelques kilomètres de la circonscription d’Élisabeth Borne, dont il espère ravir le poste à Matignon.

Le vent de panique qui souffle sur les ministres et prétendants de la majorité sortante s’est transformé au fil des jours en une diabolisation tous azimuts. Quand le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, évoque un « Chavez gaulois », le chef de file des députés LaREM, Christophe Castaner, renvoie le programme commun de la Nupes à « tous les clichés du monde soviétique ». Quand la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, dénonce une volonté de « bloquer le pays », son prédécesseur, Gabriel Attal, agite la menace de la « guillotine fiscale », tandis que son nouveau collègue et délégué général de LaREM, Stanislas Guerini, s’offusque «qu’on ne pourra plus manger trop gras ou trop sucré ». Le président de la République a lui-même pris la peine de monter à son tour au créneau : « Leur projet explique aux gens qu’on va leur interdire de couper les arbres chez eux. Il y a 20 taxations nouvelles. Ce n’est pas un bon projet pour le pays », a lancé Emmanuel Macron, en Seine-Saint-Denis, déroulant les éléments de langage servis depuis des jours.

une dynamique de campagne du côté du rassemblement de la gauche

« Quelque chose se passe. Ça n’a pas échappé à nos adversaires, alors ils ont choisi de faire campagne contre nous. Rien n’est trop gros », résume le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Un « There is no alternative » à la Margaret Thatcher derrière lequel se réfugie en catastrophe un camp présidentiel bousculé. Il faut dire que leurs habitudes sont bouleversées car, depuis le début des années 2000, le quinquennat combiné à l’inversion du calendrier électoral avait renvoyé les législatives au rang de confirmation presque automatique du vote de la présidentielle. Pas l’ombre d’une cohabitation depuis lors. « Le différentiel de mobilisation entre les deux scrutins profitait depuis 2002 au parti présidentiel du fait de l’effet de souffle de la présidentielle, qui remobilise cet électorat et démobilise les autres », explique le directeur général de l’Ifop, Frédéric Dabi.

Mais, cette fois, « rien n’est moins sûr », note le politologue. Le scénario est bien différent avec trois blocs (LaREM et ses alliés, extrême droite, et gauche) dans le même étiage à l’issue du premier tour du 10 avril, un président élu par défaut face au RN le 24 avril, et, depuis, une dynamique de campagne du côté du rassemblement de la gauche. La Nupes fait même la course en tête selon un sondage Ipsos réalisé cette semaine, avec 28 % des intentions de vote contre 27 % pour Ensemble (la coalition autour de LaREM) et 19,5 % pour le Rassemblement national. De même, selon la dernière enquête Ifop, avec respectivement 26 %, 25 % et 21 %. Le parti présidentiel et ses alliés voient aussi leur espoir – fondé sur un mode de scrutin sans proportionnelle – de maintenir, malgré tout, leur majorité absolue (289 sièges) s’amenuiser. Tandis que les projections de l’Ifop leur pronostiquaient, fin mai, de 275 à 310 sièges, elles en envisagent désormais de 250 à 290.

Reste un facteur clé : la mobilisation. « L’abstention est notre principale adversaire », résume le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, qui appelle les « 32 % d’électeurs qui ont choisi l’un des candidats de gauche à la présidentielle » à se rendre sans faute aux urnes. Un enjeu de taille quand, selon Ipsos, 51 % des sympathisants de gauche sont sûrs de voter dimanche contre 60 % de ceux de LaREM. En 2017, déjà, la participation était passée de 77,8 % à la présidentielle à 48,7 % quelques semaines plus tard, s’effondrant notamment parmi les jeunes et les classes populaires. Les enquêtes des instituts de sondage ne démentent pas, pour l’heure, le phénomène : entre 44 % et 48 % des sondés ont fermement l’intention d’aller voter. Parmi les moins de 35 ans, la proportion s’élève à 37 %, et elle est de 36 % parmi les ouvriers et 35 % chez les employés, selon l’Ipsos. Or, 51 % des 18-24 ans auraient l’intention de choisir un bulletin Nupes. La coalition « est sous la menace d’une abstention plus sociologique, liée à la jeunesse de son électorat potentiel. On sait, en effet, que lors des deux dernières élections législatives (2012 et 2017), les écarts de participation entre jeunes et seniors ont approché les 40 points », mesure l’institut Cluster17. Des différences qui laissent une place disproportionnée, au regard de ce qu’il pèse dans la société, à un électorat plus favorable à la droite. En particulier les plus âgés (65 % des plus de 70 ans entendent se rendre aux urnes), qui se sont massivement prononcés pour Emmanuel Macron à la présidentielle.

« Le chef de l’État a prévu de nous imposer la pire des crises d’austérité »

Ce sont également eux qui sont le moins hostiles, par exemple, à la retraite à 65 ans – et pour cause, ils ne sont pas concernés. Alors que 57 % des retraités y sont favorables, selon un sondage Elabe de fin avril, 64 % des Français s’y opposent (79 % parmi les catégories populaires). Or, derrière la mise en avant de vagues mesures pour le pouvoir d’achat promises pour juillet, tel est bien le projet du chef de l’État : retraite à 65 ans, RSA conditionné à des heures de travail, nouveau durcissement de l’assurance-chômage… « Et Emmanuel Macron s’est engagé auprès de la Commission européenne à ramener le déficit du budget de l’État à 3 %. À budget constant, il faut enlever 80 milliards d’euros, c’est l’équivalent du budget actuel du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Santé. Il a prévu la pire crise d’austérité dont on n’a jamais entendu parler », a rappelé le chef de file de la Nupes, à Caen. Soit le strict négatif du projet de la gauche unie, qui vise la relance par l’augmentation des salaires, à commencer par le Smic à 1 500 euros, le partage du travail avec la retraite à 60 ans, une répartition des richesses plus juste avec une vaste réforme fiscale, la relocalisation de la production combinée à la planification écologique, ou encore le réarmement des services publics… De nombreuses mesures largement approuvées, selon notre sondage Ifop (lire page 5).

S’il est encore temps de faire échec à la politique Macron pour les cinq années à venir et d’ouvrir la voie à des réformes de justice sociale et climatique, un seul moyen est à disposition : voter dimanche.

publié le 10 juin 2022

Dimanche, le choix.
Le capital ou nos vies

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Les vieux réflexes de la bourgeoisie capitaliste ont repris le dessus. De l’extrême droite à toutes les variantes du macronisme, du grand patronat à la droite, aux médias propriétés de milliardaires, ce n’est que déchaînements, vociférations, contre vérités à l’encontre du programme de la coalition des gauches et des écologistes. Ce sera le « chaos » répètent – ils en cœur.

Comme en 1981, ils ne veulent absolument pas que les salaires et les prestations sociales augmentent ; que le Smic soit porté à 1 500 € ; que le point d’indice des fonctionnaires soit rehaussé d’au moins 10 %. Ils ne veulent pas entendre parler d’un retour de l’âge de la retraite à 60 ans ou d’investissements massifs pour une transition sociale et écologique permettant de vivre mieux, et d’une création massive d’emplois stables, sécurisés et ouverts aux formations modernes tout au long de la vie.

Si le programme de la Nupes manquait tant de sérieux, pourquoi la première ministre et les membres du gouvernement n’acceptent pas des débats contradictoires à la télévision. Ce serait un gage de clarté.

Un acte de démocratie permettant aux électrices et électeurs de faire un choix en connaissance de cause dimanche prochain.

En vérité, la macronie et les forces du capital redoutent ce scrutin qui, pour la première fois depuis de longues années, va permettre à celles et ceux qui le souhaitent d’exprimer par leur vote, avec cette fois une chance réelle de se faire entendre, leurs attentes de changements profonds.

Ils préfèrent miser sur une abstention massive des milieux populaires et de la jeunesse, c’est-à-dire chez ceux qui ont le plus à gagner d’un succès de la Nupes.

Car, les éléments du « chaos » sont bien là. L’hôpital ou encore l’éducation nationale sont affaiblis, rongés, minés par des décennies d’austérité. La crise écologique est d’une ampleur sans précédent. L’inflation galope, les chaînes logistiques d’approvisionnement et de production se disloquent et se bloquent maintenant dans certains secteurs.

Le fameux thème de la ré industrialisation rabâché à satiété par ceux-là mêmes qui ont délocalisé nos usines, n’est, en réalité, que le paravent pour faire passer de nouvelles diminutions des impôts sur les entreprises sans contrepartie.

La nouvelle contre-réforme des retraites n’est que le faux nez d’une exploitation renforcée du travail et de la mise en tension d’une société dans laquelle la route vers le travail pour les jeunes est parsemée d’embûches, de discriminations, d’inégalités, de salaires au rabais pendant que de plus en plus de seniors de moins de 60 ans se retrouvent sans emploi.

On ne compte plus les contrats à durée déterminée de courtes durées et le nombre de femmes à temps partiel imposé, rétribuées sous le Smic !

Les gardiens du temple de l’ordo libéralisme, qui courent les plateaux de télévision, veulent faire peur au quidam en chiffrant le coût du retour à la retraite à 60 ans à 100 milliards d’euros. Ce montant mériterait d’être discuté. Mais, ces mêmes donneurs de leçons en bonne gestion ne disent jamais un mot sur l’efficacité réelle des 130 milliards que l’État verse chaque année au secteur privé.

Quant au vocable « pouvoir d’achat », il n’est qu’un gargarisme pour la majorité macroniste et les droites qui refusent toute augmentation des salaires et tout blocage des prix tandis que les profits flambent et que la rémunération des propriétaires-actionnaires est au zénith.

Rien n’est envisagé pour l’indexation des salaires sur les prix. Et les minimes chèques alimentation et énergie, dont la durée de vie ne dépassera pas le temps des élections, ne suffiront pas à éviter une nouvelle récession.

Voilà le chaos ! Voilà ce qui est tu !

Ce sont ces politiques successives dites de l’offre qui coûtent cher au budget de la nation comme l’a confirmé le comité d’évaluation du CICE et de la réforme du capital.

Le programme de la Nouvelle union populaire écologiste et sociale (Nupes) répond aux besoins humains et propose d’investir dans une nouvelle politique de progrès social par un nouveau type de relance, grâce à l’augmentation des salaires et des retraites, à la progressivité de l’impôt, à l’allocation autonomie pour les jeunes, à la garantie du droit au logement et au blocage des loyers, au développement des services publics, à une sécurité de l’emploi combinée aux formations indispensables pour réussir la transition écologique.

C’est cette cohérence qui fait peur aux puissances d’argent. C’est pourquoi les milieux dirigeants font planer la menace d’une réaction négative des marchés financiers. Dans ces conditions, où est la démocratie ? Où est le respect du vote des électrices et des électeurs ?

Oui, soyons clairs, cette alternative progressiste vise à inverser les priorités. Le travail au lieu du service au capital. Les services publics au lieu de la finance. L’agriculture paysanne au lieu des fermes usines et les traités de libre-échange pour assurer la qualité alimentaire. La démocratie participative au lieu de la présidentialisation du pouvoir et la monarchie à l’entreprise.

Un gouvernement des gauches et des écologistes peut se donner les moyens de défendre les travailleurs et les citoyens par l’appropriation publique de grandes banques, pour un nouveau crédit public dans le cadre d’un pôle public financier et bancaire démocratique. Ni la Banque centrale européenne, ni l’Allemagne n’auraient intérêt à s’opposer à cette politique de relance durable. Elle serait plutôt un facteur de stabilité en Europe pour faire face aux nuées orageuses qui s’amoncellent à l’horizon.

Au-delà des questions de faisabilité économique, l’enjeu est d’abord politique.

Doit-on accepter l’ordre social du monde tel qu’il est ? Doit-on conférer comme seul rôle au gouvernement de gérer les choses comme elles sont, au service des forces dominantes ? Ou, au contraire, ne doit-on pas redonner à la politique son rôle plein et entier pour engager une nouvelle construction démocratique, humaine, sociale, culturelle, environnementale ?

N’est-il pas temps de s’engager collectivement dans un nouveau projet associant le peuple - les travailleuses, les travailleurs, les citoyennes, les citoyens, les jeunes et les enfants- qui change l’ordre des priorités et conteste en tout point l’ordre a-social et anti-environnemental capitaliste.

Une modification des rapports de force permettrait une nouvelle cohérence progressiste et écologique. La régénération de la démocratie est au cœur des grands projets novateurs de planification écologique, d’un nouveau progrès social, de la refondation de la construction européenne et du retour d’une France actrice d’un monde solidaire, de paix et de coopération.

La démocratisation doit être au cœur des processus de productions, d’échanges et de distributions Cela passe par de nouvelles législations conférant de réels pouvoirs nouveaux des salariés dans l’entreprise.

Pour cela, il faut forcément revenir sur les contre-réformes du droit du travail et notamment de donner aux comités d’entreprise la possibilité d’un véto suspensif en cas de licenciement boursier.

Il est temps de permettre et d’assurer une participation effective des salariés et des usagers à la gestion des entreprises nationalisées et des services publics. Il est temps d’engager la dé-financiarisation de l’économie ; la mise en place d’un impôt sur les transactions financières ; et de viser l’éradication de l’évasion fiscale.

Il s’agit d’enfoncer des coins, dans le modèle de production capitaliste, avec des projets échappant à la logique marchande comme l’ont été en leur temps la création de la sécurité sociale par Ambroise Croizat ou le statut de la fonction publique par Maurice Thorez.

Voilà ce qui fait peur aux possédants et à leurs valets politiques.

En vérité, deux conceptions s’opposent : Celle du conservatisme et de la réaction qui veut faire croire aux lois immuables du marché et veut maintenir un système qui appauvrit les plus modestes et les classes moyennes pour enrichir les détenteurs de capitaux.

L’autre conception, celle d’un nouveau progressisme à la française, tirant les leçons du patent échec de ce qui s’est fait jusque-là. Celle-ci considère que le chômage, la misère, les inégalités, l’épuisement de la nature, le surarmement ne sont pas des fatalités. Ce projet fait de la dépense sociale, du développement et de la démocratisation des services publics pour une transition écologique, des leviers pour tout à la fois répondre aux aspirations populaires, aux défis de notre temps et pour une nouvelle efficacité sociale et économique.

Dimanche prochain, voter et faire voter pour les candidats de la Nupes, c’est créer les conditions pour que la vie de millions de nos concitoyens change dès le mois de juillet parce que les choix sociaux, politiques, économiques, éducatifs et culturels d’un véritable nouveau gouvernement partiraient des besoins populaires et non ceux des puissances financières. S’abstenir revient à voter contre soi-même et laisser le pouvoir aux dominants de décider de nos vies. C’est ce que recherche le pouvoir macronien. Bousculons ses plans. Changeons de cap ! Choisissons une majorité parlementaire et un gouvernement de la gauche de transformation !

 publié le 9 juin 2022

Bref aperçu du meeting de la NUPES du
jeudi 9 juin à Frontignan

Venues des 4 coins de la circonscription (Grabels, Pignan, Fabrègues, Celleneuve, Vic-la Gardiole, Frontignan, ..), une grosse centaine de citoyens ont participé à la dernière réunion publique de la NUPES pour le 1° tour des Législatives de dimanche prochain. Petit compte rendu et quelques photos.

De nombreuses et courtes interventions de militants de terrain ont montré comment le programme de la NUPES répondait aux problèmes de la population : précarité d’existence parmi les jeunes et les retraités, sous-effectif et difficulté du travail dans l’hopital, misère de la prise en charge des aînés dans un EHPAD, logements non entretenus par les bailleurs, difficulté d’accès à l’eau potable pour une partie de la population, dégradation de l’état de la Méditerranée, faible soutien des pouvoirs publics aux initiatives locales d’énergie renouvelable, violences policières et condamnation arbitraires des manifestants, nécessiter de faire renaître la démocratie, …

Et c’est un public enthousiaste qui a ovationné les propositions du candidat Sylvain Carrière et de sa suppléante Livia Jampy.

Rendez-vous donc les dimanches 12 et 19 juin pour battre les candidats du macronisme et ceux de l’extrême droite et envoyer à l’Assemblée Nationale une majorité de députés Nupes pour un gouvernement de gauche et politique sociale, écologique et démocratique.

 

 publié le 8 juin 2022

Désintox : les sept mensonges inventés contre la Nupes

Aurélien Soucheyr, eClotilde Mathieu, Marion d'Allard, Cyprien Boganda et Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

La Macronie, le grand patronat et les instituts libéraux promettent une catastrophe financière en cas de victoire de la gauche aux législatives, quitte à fabriquer des dangers en racontant n’importe quoi. Florilège.

Voter pour la Nupes, mais c’est totalement irresponsable ! Voici la seule et unique ligne de défense de la Macronie et de ses sous-fifres, qui promettent la « faillite » et la « ruine » en cas de victoire de la gauche aux législatives. À les entendre, d’un seul coup, ou presque, les fruits et légumes disparaîtraient des étals, les distributeurs de billets tourneraient à vide et les entreprises licencieraient massivement. Jusqu’à l’ombre du moindre des arbres qui aurait des allures de char soviétique. Tout ça parce que la gauche veut financer la retraite à 60 ans, le Smic à 1 500 euros net et une relance basée sur la redistribution des richesses, le développement des services publics et la transition écologique ? « Boucle inflationniste », « pénuries et rationnements », « explosion du chômage et de la dette », « Frexit », « destruction économique et récession », « attaque des marchés financiers », « crise grecque en dix fois pire » et même futur comparable à celui de la « Corée du Nord », prédisent les chantres du système actuel. « There is no alternative ! » hurlent-ils en chœur.

C’est pourquoi l’Humanité a sélectionné une série de mensonges afin de les déconstruire en donnant la parole à d’autres économistes que des ultralibéraux. La Nupes, elle aussi, a tenu à se défendre, mardi, lors d’un point presse. Pour Jean-Luc Mélenchon, la Macronie « joue la carte de l’affolement », promet « l’hiver nucléaire et les sauterelles », mais « refuse le débat ». Car, que propose-t-elle en face ? La retraite à 65 ans, le « travail forcé » contre le RSA et un déficit public à 3 % du PIB. Soit « 80 milliards d’euros d’économies à réaliser » sur le dos du pays, mesure Jean-Luc Mélenchon qui évoque une « saignée » alors même que « l’État a commencé à s’effondrer et que les services publics ne tiennent plus », dont l’école et l’hôpital.

« Le libéralisme triomphant a fait la preuve de son incapacité absolue à gérer les crises qui sont devant nous », développe l’insoumis. « Le chaos économique n’est pas de notre côté », abonde la présidente du parlement de la Nupes, Aurélie Trouvé, qui pointe le déficit commercial de 100 milliards d’euros laissé par Macron. « Nous avons subi une perte de 48 milliards d’euros de recettes par an sous ce mandat, un déficit creusé par une politique au service des plus riches », ajoute l’eurodéputée FI Manon Aubry. Les irresponsables ne sont pas ceux que l’on croit. Et les arguments des macronistes ne tiennent pas. L’Allemagne n’a-t-elle pas organisé une hausse du Smic de 25 % ces dernières années ? Et l’Espagne et l’Angleterre, de 30 % ? « Nous avons chiffré notre projet. Même en prenant les estimations de la Banque de France qui nous sont les moins favorables, il tient », indique l’économiste Éric Berr, membre du parlement de la Nupes, qui pointe plusieurs erreurs dans les attaques de l’institut Montaigne et du think tank Terra Nova contre le programme de la Nupes. « Les économistes reconnus qui travaillent avec nous ne sont pas rémunérés par des multinationales », tacle au passage Aurélie Trouvé.

Même les conservateurs réalisent parfois l’ampleur de la mascarade macroniste : le Sénat, par exemple, a calculé que l’ISF ne faisait « fuir » que 0,2 % de ceux qui y étaient assujettis. « Ce qui attire les investissements, ce n’est pas le niveau d’imposition, c’est la taille du marché, le niveau de formation, les infrastructures, bref, les services publics », mesure Manon Aubry. « Et les taux d’intérêt réels n’ont jamais été aussi bas et aussi favorables », relève l’économiste Cédric Durand. Tous appellent à une « économie vertueuse, au service des besoins ». Notamment celui d’entendre enfin les experts du Giec pour éviter une catastrophe climatique : s’il y a bien un épouvantail qui n’est pas fabriqué de toutes pièces, c’est celui-là.

MENSONGE N° 1 : PÉNURIES.

Nicolas Bouzo, économiste : «  Si vous bloquez les prix, des gens vont vendre à perte et vous allez avoir des phénomènes de rationnement. Donc, s’il veut bloquer les prix, Jean-Luc Mélenchon doit aller jusqu’au bout : blocage des prix et tickets de rationnement. »

Non seulement le blocage des prix est prévu par la loi, mais il a même été mis en œuvre par Emmanuel Macron pour les tarifs du gaz. Sans commentaire sur «l’argument» du ticket de rationnement, Léo Charles, maître de conférences en économie, explique que l’inflation actuelle s’inscrit dans une «boucle prix-profits». Selon l’économiste, il existe deux options pour l’appréhender. «Soit nous laissons les entreprises fixer et même contrôler les prix, comme c’est le cas actuellement. Le transfert se fait alors des ménages vers leurs profits, ce qui pèse sur le pouvoir d’achat, donc sur la demande, avec le risque, in fine, d’une récession.» Soit «on propose le transfert inverse». C’est le sens de la proposition de la Nupes. «Le contrôle des prix, c’est la prise en charge par le profit de l’inflation», résume Léo Charles, qui rappelle que «les raffineurs, par exemple, ont vu leur taux de marge augmenter de 2300 % en un an», avec la hausse du pétrole. Enfin, rappelons qu’il est question d’une mesure temporaire, «le temps d’instaurer une véritable réforme fiscale et une augmentation des salaires», conclut l’économiste membre du parlement de l’Union populaire.

MENSONGE N° 2: INFLATION.

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie : « Une hausse du Smic et des salaires conduirait à une boucle inflationniste : les prix rattrapent les salaires et les salaires rattrapent les prix dans une espèce d’échelle de perroquet qui n’en finit pas, et ce sont les salariés qui finissent perdants.  »

À en croire le ministre de l’Économie, l’augmentation des salaires serait la pire des façons de protéger le pouvoir d’achat des travailleurs : une fois que le patronat aurait mis le doigt dans l’engrenage, une spirale infernale s’enclencherait automatiquement, contribuant à faire flamber les prix. En réalité, ce scénario n’a rien de mécanique. Comme le soulignent les économistes Jonathan Marie et Virginie Monvoisin, sa matérialisation dépend du rapport de forces entre le capital et le travail au sein des entreprises. Au début des années 1970, « le taux de chômage était faible, les contrats de travail stables, les syndicats puissants et habitués à négocier des augmentations des salaires (…), et l’indexation des salaires tendait à être généralisée ». À l’époque, une boucle « salaires-prix » pouvait donc s’enclencher. Mais la situation est très différente aujourd’hui, avec la désindexation des salaires sur les prix et l’érosion du pouvoir de négociation des travailleurs, sur fond de chômage de masse et de recul des syndicats. Pourtant, les entreprises auraient les moyens d’augmenter les salaires, au vu de leur taux de marge stratosphérique (34,2 % en 2021 selon l’Insee).

MENSONGE N° 3 : RETRAITES.

Élisabeth Borne, première ministre :  Annoncer aux Français qu’ils vont travailler moins, brandir la retraite à 60 ans, c’est leur mentir. Les promesses façon ‘‘demain, on rase gratis’’, les Français n’y croient pas. 

Pour accuser la Nupes d’inconséquence financière concernant sa proposition d’un retour à la retraite à 60 ans à taux plein, Élisabeth Borne sort l’argument du déséquilibre démographique : « Si on veut préserver le système de retraite par répartition, (…) il faudra progressivement travailler un peu plus longtemps. » Mais la première ministre souffre de courte vue. Le Conseil d’orientation des retraites assure qu’à législation inchangée, « la part de la richesse nationale consacrée aux retraites passerait de 14,7 % du PIB en 2020 à 11,3 % en 2070 ». À court terme, le mal chronique dont souffre notre régime général est tout autre. « Le déficit actuel est dû à un définancement », résume l’économiste Michaël Zemmour, pour qui +0,1 % par an des cotisations vieillesse patronales et salariales enraillerait la diminution des pensions actuelles. La Nupes propose, elle, +0,25. Outre la fin des exonérations, la gauche ne manque pas de pistes d’abondement : 20 milliards d’euros avec une « contribution sociale sur les dividendes », près de 15 milliards en rapatriant l’épargne salariale, 10 milliards en cas de « retour au plein-emploi (autour de 4,5 % de taux de chômage, objectif partagé par le gouvernement), 6 milliards grâce à l’augmentation d’un point d’indice de la fonction publique, 5,5 milliards rien qu’avec l’égalité salariale femmes-hommes effective »…

MENSONGE N° 4 : DETTE PUBLIQUE.

Guillaume Hannezo, auteur de la note de Terra Nova. «  Les marchés financiers se diront que la crise des dettes souveraines du début des années 2010 est de retour, avec la France dans le rôle de la Grèce, en dix fois plus gros. 

Pour le think tank Terra Nova, l’arrivée de la Nupes au pouvoir entraînerait une explosion de la dette française, qui plongerait le pays dans un cauchemar analogue à celui vécu par la Grèce dans les années 2010-2011, lorsqu’elle fut la cible d’attaques spéculatives. La ficelle est un peu grosse. Le PIB français représente près de 20 % de celui de la zone euro, soit dix fois plus que celui de la Grèce à l’époque. On a du mal à imaginer comment la Banque centrale européenne (BCE) pourrait rester l’arme au pied en cas d’attaque des marchés contre l’Hexagone, qui ne manquerait pas de déstabiliser toute la zone euro : il lui suffirait de poursuivre sa politique d’achats de titres de dette français pour freiner la hausse des taux d’intérêt.

MENSONGE N° 5 : FREXIT.

Jean-Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du PS : «  Le programme de Mélenchon, c’est la sortie de l’Europe. »

La Nupes n’a pas du tout l’intention de faire sortir la France de l’Union européenne. C’est pourtant également ce que crie le macroniste Olivier Véran : « Ce que Mélenchon propose, c’est un Frexit caché ! » Est-ce à dire que la retraite à 60 ans, le Smic à 1 500 euros et un financement massif de la transition écologique et sociale pousseraient les autres pays à bouter la France hors de l’euro et de l’UE ? « La désobéissance est déjà massive en Europe. La règle sur les déficits n’est pas respectée et la BCE rachète des titres de dettes des États malgré les traités et les pactes », mesure Thomas Coutrot. « Ce ne sont donc pas les traités qui seraient en cause, mais les choix politiques de redistribuer les richesses », précise l’économiste d’Attac. Au point de s’en prendre à la France si la Nupes gagne ? « Ce n’est ni dans l’intérêt de l’UE, ni dans celui de la Banque centrale européenne. Vu le poids de la France, si la BCE attaque notre pays, elle attaque en réalité l’UE et l’euro, et s’attaque elle-même, car la dette française est l’une des plus sûres et demandées au monde », ajoute l’économiste Éric Berr.

MENSONGE N° 6 : RÉCESSION.

Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef : «  On ne peut pas commander l’économie depuis Matignon : les 700 000 chefs d’entreprise vont simplement dire ‘‘j’avais un CDD, je ne le renouvelle pas, j’avais un intérimaire, je ne le renouvelle pas’’ et, en quelques mois, ça va juste (...) plonger la France dans une récession grave. »

Il s’agit, pour le président du Medef, de faire croire que la production des entreprises ne se réaliserait qu’en fonction du « coût » du travail et non du carnet de commandes. Or, n’en déplaise au patron des patrons, « le but d’une entreprise est avant tout de produire » et non de gaver les actionnaires de dividendes, tance l’économiste Mireille Bruyère. Ainsi, « si elle a des clients, elle se débrouillera pour répondre à la demande ». Si tout ne se décide pas depuis Matignon, le niveau du Smic est décidé par le gouvernement. C’est le fameux coup de pouce. La Nupes devrait le mettre en place dès juillet pour que le salaire minimum atteigne 1 500 euros net. Ce qui pourrait entraîner une « dynamique » au niveau des branches. Or, « cette hausse du revenu des classes populaires » aura pour effet d’augmenter la « demande globale », assure-t-elle. « La responsabilité (et l’intérêt) des chefs d’entreprise sera d’accompagner ce mouvement, de satisfaire la demande, d’embaucher autant que nécessaire, poursuit, de son côté, Henri Sterdyniak. Ils bénéficieront pour cela, dans le cas de la planification écologique, d’aides à la réindustrialisation et à la relocalisation ; de crédits à taux faibles, voire nuls, du secteur bancaire en grande partie socialisé. »

MENSONGE N° 7 : INÉGALITÉS.

Olivier Véran, ministre des Relations avec le Parlement : « Le programme de Mélenchon ferait exploser de fait les inégalités sociales en faisant à nouveau progresser le chômage parce qu’il n’y aurait plus d’investissement en France, parce que les entreprises auraient du mal à se fournir. »

Pour l’ex-ministre de la Santé, seul le ruissellement, à savoir « le modèle qui repose sur un modèle de croissance, de production piloté par les grandes entreprises mises en concurrence » serait valable pour réduire les inégalités, explique l’économiste Mireille Bruyère. Et contredire ce modèle, « serait une catastrophe ». Or, poursuit-elle, « dernièrement, les inégalités se sont surtout développées à l’intérieur du salariat, au sein des entreprises. Les écarts salariaux ont été multipliés par 10 avec l’explosion des hauts salaires ». D’ailleurs, résume de son côté Henri Sterdyniak, « les économies capitalistes sont marquées par la croissance des inégalités sociales, l’instabilité financière et la montée des périls écologiques ». Un bilan auquel s’attaque frontalement le programme de la Nupes en créant « une nouvelle dynamique économique basée sur la satisfaction des besoins fondamentaux ». Ainsi, poursuit l’économiste, « la mise en œuvre du programme de la gauche se traduirait par une hausse de la demande, à la fois du fait des hausses de salaires et des prestations sociales et des hausses de l’investissement public ou privé subventionné (rénovation des logements, énergies renouvelables, transports collectifs, rénovation écologique des infrastructures…) ».

publié le 4 juin 2022

Nupes. Jean-Luc Mélenchon,
sa stratégie pour gagner

Diego Chauvet et Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

À l’approche d’élections législatives décisives et inédites, Jean-Luc Mélenchon veut convaincre les classes populaires de voter pour les candidats de la gauche rassemblés au sein de la Nupes. Il est possible de « vivre autrement, affirme-t-il. Pour cela, il faut répartir différemment le fruit de la richesse produite entre capital et travail ». Entretien

Le chef de la France insoumise pense que l’on peut déjouer le scénario d’une abstention massive. « Notre camp a gagné en cohésion et en clarté. »

Jean-Luc Mélenchon en est convaincu : « la force d’entraînement fera la décision », lors des élections législatives des 12 et 19 juin. Le score de la gauche, sous la bannière de la Nupes, pourrait en effet bouleverser le rapport de forces dans l’Hémicycle, au point de contrecarrer les projets de réformes du président Emmanuel Macron et de contenir l’extrême droite. Le vote des jeunes et des classes populaires, qui comptent parmi les plus abstentionnistes, sera déterminant. Pour « l’Humanité magazine », le chef de file de la France insoumise, qui compte faire son entrée à Matignon, revient sur sa stratégie de conquête et d’exercice du pouvoir, son rapport au peuple, à la lutte des classes et à la planification écologique, ainsi qu’au combat contre les discriminations.

Avec l’inflation, le pouvoir d’achat est plus que jamais la préoccupation majeure des Français. Emmanuel Macron, qui promet une loi à l’été, comme Marine Le Pen durant la présidentielle se sont emparés de cette question. En quoi faites-vous la différence ?

En prenant la mesure de la gravité de la situation et en apportant des réponses concrètes, à l’inverse des propositions creuses de monsieur Macron. Voyez sa « prime » de 6 000 euros, par exemple. Le chiffre claque fort. Mais il n’y a rien d’obligatoire : tout dépend du bon vouloir du patron. L’an dernier, la « prime » n’a été donnée qu’à 20 % des salariés. C’est du verbiage. Pourtant, 400 000 personnes sont devenues pauvres durant le quinquennat. Quant à Marine Le Pen, elle a jeté l’éponge. Quand elle parle, c’est pour dire qu’elle ne peut pas gagner l’élection. C’est un renfort direct à Macron. Pour nous, c’est le contraire : précis et concret avec un vrai changement de vie à la clé. C’est le Smic à 1 500 euros net, la retraite à 60 ans avec 40 annuités, le dégel du point d’indice, le blocage des prix et des loyers à la baisse… Nous voulons éteindre les incendies inflationnistes dus à la spéculation en faisant payer les profits, pas les gens.

Vos adversaires vous reprochent des mesures infinançables...

Oui, on a l’habitude de ce genre de commentaires. Notre scénario économique est passé par la matrice économique de la Banque de France : nos 250 milliards de dépenses génèrent 267 milliards de cotisations, des taxes. Nous gérons mieux qu’eux.

Ceux qui ont le plus intérêt aux changements sont aussi ceux qui votent le moins. L’abstention est-elle l’ennemie à abattre pour les législatives ?

Notre camp a gagné en cohésion et en clarté. Cela sera entraînant face à une droite désunie. Tous les sondages nous placent en tête, sauf un qui réduit à 47 % la participation seulement. Du jamais-vu. Et la situation est totalement nouvelle. La coutume faisait des législatives une formalité administrative après la présidentielle. Elle est prise à revers. Qui sera mobilisé ou pas, en effet ce sera déterminant. C’est la force d’entraînement qui fera la décision. D’où l’importance des slogans qui montrent clairement le chemin victorieux : troisième tour de la présidentielle, appel à m’élire premier ministre en élisant une majorité de députés Nupes. D’ores et déjà, de nombreux indices montrent que les jeunes et les quartiers populaires restent mobilisés. À l’inverse, parmi les classes moyennes supérieures – celles gagnant plus de 2000 euros –, l’illusion Macron s’est épuisée. La start-up nation ne fait plus recette. Beaucoup ne veulent plus brûler leur vie pour des illusions.

Nous voulons éteindre les incendies inflationnistes dus à la spéculation en faisant payer les profits, pas les gens. Un vrai changement de vie à la clé.

Face au RN, ambitionnez-vous toujours de convaincre les « fâchés pas fachos » ?

Évidemment. Encore faut-il bien comprendre ce qui se passe. Refusons la thèse selon laquelle les milieux populaires sont acquis à Le Pen. Car la fraction du peuple la plus opprimée, la plus dépossédée, est de notre côté. Nous sommes la première force à la présidentielle chez les revenus de moins de 1 000 euros, dans le 1 % des villes les plus pauvres, chez les chômeurs, les CDD, les intérimaires. On tient la bonne méthode : dire crûment que l’on peut vivre autrement, et que pour cela il faut répartir différemment le fruit de la richesse produite entre capital et travail.

Au fil des rendez-vous électoraux, vous êtes passé d’une stratégie populiste de gauche à l’union de la gauche avec la Nupes pour ces législatives. Pourquoi ?

Quand j’ai quitté le Parti socialiste, il y a quatorze ans, sa stratégie le condamnait à mort. Il rêvait d’un compromis avec le capitalisme financier transnational de notre temps. C’est impossible, car sa vocation est de déréguler sans fin. L’affrontement avec ce social-libéralisme suicidaire qui l’y aidait était nécessaire. Dès lors, l’union était impossible tant que le pôle de la rupture n’était pas central. Tout simplement parce qu’il est impossible d’unir la classe salariale et le peuple contre ses propres intérêts. La dernière présidentielle a tranché. Les gens en ont par-dessus la tête de cette société. Après avoir rendu centrale la ligne de la rupture, tendre la main n’est pas un changement de pied, c’est une nouvelle étape de la même stratégie : l’Union populaire. C’est pourquoi notre accord n’est pas qu’électoral, il est programmatique, avec 650 mesures. Quand toute la gauche dit oui à la planification écologique ou à la retraite à 60 ans avec 40 annuités, quelque chose de substantiel est acquis.

Si vous arrivez au pouvoir, comment comptez-vous vous assurer des marges de manœuvre face au capital ?

Tenir tête au capital financier est une rude tâche. Pour l’instant, nous avons un rapport de forces électoral. Mais il ne suffira pas à lui seul. Avec des mesures comme le Smic à 1 500 euros qui bouscule toute la grille de salaires, nous encouragerons les mobilisations sociales. Quand elles ont fait défaut, l’union de la gauche du passé a échoué. C’est vrai : le rapport de forces entre le capital financier et la société qu’il parasite peut paraître aujourd’hui très défavorable pour nous. Mais c’est une apparence, car tout le modèle d’économie productive sur lequel il est installé est en panne. Par exemple les chaînes longues d’approvisionnement, qui permettent de négocier le coût du travail toujours plus à la baisse, se sont rompues à l’occasion du Covid et on voit la difficulté à les remettre en route. Surtout, le marché est incapable de proposer la moindre solution à la crise. Au contraire, il l’alimente. Le marché, c’est le chaos et ça se voit. Les dirigeants ne valent pas mieux. Par exemple, l’augmentation des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne n’aura aucune conséquence sur l’inflation. Ça ne fera baisser ni le prix de l’essence, ni celui du blé. En revanche, cela contractera la demande. Dès lors, le capital productif lui-même est à son tour mis au pied du mur. Notre politique a besoin d’investissements, de relocalisation et de production pour faire la bifurcation écologique. Un nouveau compromis social est donc possible avec le capital productif. Mais, s’il n’en veut pas, on se passera de lui.

Quand la gauche dit oui à la planification écologique ou à la retraite à 60 ans, quelque chose de substantiel est acquis.

Et dans ce cas, jusqu’où êtes-vous prêt à aller ?

Aussi loin que la nécessité le commandera. On fera sans lui via les pôles publics que nous avons prévus. Prenons un exemple : ou bien Sanofi et quelques autres grands groupes comprennent qu’il faut relocaliser la production des molécules pharmaceutiques sur notre territoire, ou bien on le fait sans eux. Le plus important est de réamorcer le cycle de la confiance démocratique : voter sert à quelque chose ! Et le mandat populaire sera respecté.

Dans « l’Ère du peuple », vous décriviez le peuple urbain comme l’acteur de la révolution citoyenne. Qu’en est-il des zones dites périphériques, désindustrialisées ou encore des entreprises comme lieu d’affrontement de classes ?

Ma thèse décrit un acteur politique nouveau : le peuple. Pourquoi ? Parce que le nombre de gens dont la vie dépend de l’accès aux réseaux collectifs et de leur nature publique ou privée constitue un ensemble de rapports sociaux qui matrice toute la société. D’ailleurs, les plus grandes insurrections sont liées à l’impossibilité d’y accéder. La mise en cause de l’accès à ces réseaux-là a été le point de départ des gilets jaunes. Le peuple inclut la classe salariale et ces zones périurbaines. Ceci dit, attention à un certain simplisme sociologique qui réduit les individus à une seule de leurs facettes. Ils sont des sujets sociaux mais aussi de culture, de tradition. Enfin dans l’entreprise, c’est surtout le statut social des salariés qui compte.

Car le capital financier a réussi à disloquer nos forces sociales, en multipliant les CDD, les contrats d’intérim, les contrats de mission… Vous pouvez avoir sur le même chantier des gens qui font exactement la même tâche, mais qui dépendent de 4, 5, 6 entreprises. Le devoir de notre gouvernement sera l’homogénéisation sociale des salariés. C’est pourquoi la titularisation immédiate des 800 000 contractuels des fonctions publiques n’est pas juste une mesure sociale. C’est aussi une mesure politiquement unificatrice. Dans le secteur privé, c’est pareil. Il s’agit d’imposer des quotas maximaux : 5 % de CDD pour les grandes entreprises, 10 % pour les petites, et l’interdiction du travail détaché. À quoi s’ajoutent des mesures de démocratie dans l’entreprise qui reconstruisent politiquement la classe salariale. L’Union populaire est un projet d’unification du peuple et de la société.

Alors pourquoi affirmez-vous que « le paradigme révolutionnaire n’est plus un paradigme de classe » ?

À propos du concept de classe, Karl Marx dit des choses différentes. Tantôt que le rapport social capital-travail constitue la classe révolutionnaire, tantôt que c’est sa conscience d’elle-même. Mais pour lui les deux faisaient un tout : à la fois une relation sociale et une conscience d’une alternative. Je fais de même. Comment le peuple devient-il le nouvel acteur ? D’abord, c’est son rapport au réseau du collectif : cette relation sociale matérielle explique la lutte populaire contre l’oligarchie qui s’est approprié les réseaux. Ensuite, c’est sa conscience collective. Elle l’entraîne loin. Qui comprend qu’il y a des biens communs met le pied dans le communisme. Car cela impose une limite au droit de propriété. Le paradigme révolutionnaire, pour moi, c’est donc l’intérêt général humain. Le projet en découle : l’harmonie entre les êtres humains et avec la nature. Pourquoi ne pas parler de révolution socialiste ? Parce que la « révolution citoyenne » a un contenu socialiste, mais elle a aussi un contenu écologique et démocratique. Sa motivation fondamentale est de reprendre le contrôle, dans sa vie et dans la cité. Et dans l’entreprise au cœur du rapport social capitaliste. Jean Jaurès disait : « Les ouvriers sont rois dans la cité parce qu’ils votent. Ils restent serfs dans l’entreprise. »

Quand on 1er tour, les cités populaires votent pour moi, c'est du communautarisme ? Et quand au 2e tout elles votent pour Macron, c'est quoi ?

L’entreprise reste donc un lieu clé de cet affrontement…

La citoyenneté y est à conquérir. C’est une des clés de la bifurcation écologique, qui nécessite de savoir ce que l’on produit et comment. L’autre clé, c’est la commune, parce que c’est la structure de base, le compte-gouttes du peuple politique.

Avec le vote des banlieues populaires qui vous a été très favorable à la présidentielle, il vous est reproché – par Emmanuel Macron notamment – une forme de communautarisme. Que répondez-vous ?

Quand au premier tour, les cités populaires votent massivement pour moi, c’est du communautarisme ? Et quand au deuxième tour elles votent massivement pour monsieur Macron, c’est quoi ? Ça suffit les insultes ! Les gens qui y vivent sont déterminés par des logiques de survie qui touchent tous les aspects de leur vie, les aspects sociaux, mais aussi les aspects humains, culturels. Ils ont voté pour les insoumis et ils voteront Nupes par dignité sociale, et aussi parce qu’ils adhèrent à l’idée que je me fais du rapport de l’État à la religion. La laïcité est une séparation du religieux et du politique. Ce n’est pas un athéisme d’État. Monsieur Macron n’est pas à la hauteur de son rôle avec de tels propos.

Lutte contre les discriminations et universalisme sont-ils conciliables, et si oui, comment les articuler ?

L’universalisme est une ligne d’horizon, des droits égaux pour tous. Mais elle bute tous les jours sur le contraire : les discriminations, les inégalités, la brutalité des relations hommes-femmes… Notre engagement consiste à lever tous ces obstacles pour atteindre l’égalité réelle des droits. La conciliation entre les deux est évidente de notre point de vue. Ce sont les libéraux et leurs discriminations sociales incessantes qui y échouent. Chez nos adversaires, existe une forme d’obscurantisme qui consiste à rendre la question insoluble. Ils opposent l’universalisme et la foi religieuse. C’est absurde : on peut être un parfait universaliste et être croyant. L’autre obscurantisme, c’est de faire passer des faits de science pour une ligne politique. L’intersectionnalité est un outil de sociologie pour voir comment s’empilent les discriminations. Depuis Frantz Fanon, c’est un thème assez banal. Monsieur Blanquer et madame Vidal, avec leur chasse absurde à l’islamo-gauchisme, ont été trop loin. Nous avons d’abord subi cette bataille, mais nous reprenons la main.

Qui comprend qu'il y a des biens communs met le pied dans le communisme. Car cela impose une limite au droit de propriété.

Au-delà du résultat des législatives, quels vœux formez-vous pour l’avenir de la Nupes ?

Nous aimerions qu’elle soit pérenne. D’abord capable de coordonner l’action institutionnelle. Pour cela, il y aura un intergroupe parlementaire. Il faudrait aussi qu’elle soit capable d’organiser et d’impulser les actions à la base. Car sans mobilisation, le pouvoir de l’Union populaire serait affaibli. Si nous ne sommes pas majoritaires, la pérennité sera la condition à remplir pour la suite, maintenant qu’on a déterminé où est le centre de gravité politique à gauche.

publié le 3 juin 2022

À Decazeville, des législatives placées sous le signe du carnage social

Nicolas Cheviron sur www.mediapart.fr

Depuis la fermeture de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), abandonnée par son principal client, Renault, avec l’assentiment de l’État, la consternation et la colère contre le gouvernement prévalent dans le bassin de Decazeville. La gauche unie derrière un candidat ouvrier pourrait en tirer profit.

Viviez-Decazeville (Aveyron).– Marie n’a pas voté à la présidentielle. Elle n’ira pas non plus déposer son bulletin dans l’urne le 12 juin pour élire le nouveau député de la deuxième circonscription de l’Aveyron. Par une froide journée de la fin du mois de novembre 2021, avec d’autres camarades, elle a brûlé sa carte électorale devant l’usine dont elle a été mise à la porte après trente-trois ans de service.

Une petite flambée qui n’a pas dû les réchauffer bien longtemps, mais qui leur semblait nécessaire pour dire leur dégoût des politiques et de leurs paroles lénifiantes, tandis que sombrait la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM) avec 333 salarié·es à son bord. « Pour moi, de toute façon, ils se valent tous, maugrée la secrétaire. Bruno Le Maire [ministre de l’économie – ndlr] qui nous a fait de belles promesses mais n’a rien fait concrètement, Carole Delga [présidente socialiste du conseil régional d’Occitanie – ndlr] qui est arrivée après la bataille… »

En ce week-end prolongé de l’Ascension, plusieurs ex-salarié·es de la SAM profitent d’un beau soleil de fin d’après-midi pour taquiner le bouchon sur le boulodrome de Viviez, à moins de deux kilomètres de leur ancienne usine. Il y a là Gilles, 31 ans à la SAM, « dont vingt et un ans en travail de nuit », qui fustige la « nullité » de l’État et son « incapacité à écouter le bas de l’échelle », « à taper du poing sur la table et dicter ses conditions à Renault, en tant qu’actionnaire ». Ce bouliste émérite admet avoir voté pour Marine Le Pen aux deux tours de la présidentielle, parce que « c’est le ras-le-bol ».

Il y a aussi P., vingt-trois ans d’ancienneté à la logistique de l’usine, qui ne veut pas donner son nom, mais s’indigne des propositions de reclassement reçues - « un poste de boucher-charcutier, des missions à Lille, à Saint-Étienne… » – et de l’attitude de l’agent chargé de son contrat de sécurisation professionnelle (CSP), qui « ne cherche pas du travail mais est là juste pour nous fliquer ». P. ne dit pas pour qui il a voté en avril dernier, mais glisse tout de même dans la conversation que dans la région, « on est passé du vote anti-extrême droite au vote anti-Macron ».

Au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est arrivé largement en tête dans les cinq municipalités de la communauté de communes de Decazeville – 14 100 habitant·es au total –, suivi par Marine Le Pen dans trois d’entre elles. Au deuxième tour, la candidate du Rassemblement national (RN) s’est imposée dans trois communes – Aubin, Viviez et Cransac. Une première dans ce bastion ouvrier de gauche, où la proportion de bulletins nuls et blancs a cette année atteint des records, en laissant le champ libre à l’extrême droite.

Les renoncements du gouvernement

La trajectoire de la SAM est celle d’une entreprise encore florissante au tournant du XXIsiècle, avec un carnet de commandes diversifié et quelque 650 employé·es en 2010, mais qui, du fait de choix hasardeux – une stratégie d’expansion au moment de la crise de l’automobile de 2007-2008 et une relation de plus en exclusive avec Renault – s’est rapidement retrouvée exsangue et soumise aux décisions du constructeur automobile. Le 23 novembre 2021, celui-ci signait l’arrêt de mort de son fournisseur de carters de moteurs, en refusant de soutenir un plan de reprise.

À ce moment-là, la SAM avait beau avoir passé le cap des véhicules hybrides et électriques, et disposer d’un département de recherche et de développement performant, la régie avait déjà transféré ses moules en Espagne, dans le cadre d’une stratégie plus vaste de délocalisation de ses approvisionnements. Trois jours plus tard, le tribunal de commerce de Toulouse (Haute-Garonne) prononçait la liquidation judiciaire de l’entreprise.

L’État, qui détient 15 % des actions du groupe Renault – provisionné à l’été 2020 de 5 milliards d’euros sous forme de prêt garanti (PGE) pour l’aider à passer la période de crise pandémique – s’était dit prêt, un peu plus tôt dans le mois, à injecter quelque 5,5 millions d’euros dans le plan de reprise. Pourtant, quelques semaines plus tard, il soutenait la décision du géant de l’automobile. « Il n’y a pas d’offre crédible pour la reprise de SAM, disons les choses de manière honnête et transparente », avait tranché Bruno Le Maire, le 24 novembre, sur France Info.

L’histoire de la SAM ne s’est pas arrêtée là. Elle est devenue un récit de lutte, avec une occupation de l’usine pendant 154 jours pour empêcher le démantèlement des machines par les administrateurs judiciaires, jusqu’à la sortie des deux cents derniers combattants et combattantes, sous une haie d’honneur, le 25 avril. « Cela a été très dur sur le plan émotionnel, comme un deuil, une famille que tu quittes. J’ai vu beaucoup de collègues hommes pleurer, des gens que tu n’imaginerais pas, relate Ghislaine Gistau, salariée de la SAM pendant vingt-six ans, déléguée CGT qui a participé aux négociations. Mais il y a aussi une grande fierté parce qu’on a tout fait pour trouver des solutions. »

Les ouvriers et les ouvrières ont en effet déplacé des montagnes, en trouvant un repreneur potentiel et en obtenant des garanties des collectivités territoriales sur la sécurisation de l’outil de travail, condition de leur sortie de l’usine. Le candidat à la reprise s’appelle MH Industries et semble avoir les reins solides. Basée dans le Lot, cette entreprise emploie 350 salarié·es réparti·es sur six sites chacun spécialisés dans un domaine, de la fonderie de la pièce à l’usinage, du traitement de la surface à la peinture et au montage – une complémentarité lui permettant de proposer des « solutions globales » à ses clients.

Le carnet d’adresses de MH Industries dénote aussi une certaine versatilité, puisque la firme travaille avec l’aéronautique, la défense, l’industrie, le ferroviaire, l’électronique, le bâtiment… Tout le contraire de la SAM. Le patron, Matthieu Hède, « est quelqu’un qui nous a fait une bonne impression, un industriel dont la stratégie a été payante, commente Ghislaine. L’idée est de créer deux cents emplois sur six ans, en conservant une partie de la fonderie à la SAM et en y installant les autres activités de MH Industries, qui en ferait son navire amiral ».

Le retrait des services publics, le départ des entreprises

L’entreprise, déjà soutenue à hauteur de 1,2 million d’euros par la région Occitanie pour mener ses études, a jusqu’au 30 juin pour présenter une offre d’achat des équipements de la SAM. Jusqu’à cette date, la région, qui est également en négociation avec le dernier propriétaire de la SAM, le groupe chinois Jinjiang, pour le rachat des terrains et des bâtiments, finance leur location et l’électricité. La communauté de communes, elle, prend en charge le gardiennage du site.

Reste une inconnue de taille : Renault acceptera-t-il de donner, avec quelques commandes, le coup de pouce jugé nécessaire pour relancer rapidement l’activité de la fonderie ? Ghislaine veut y croire. « Nous avons tout un stock de pièces brutes et usinées, ça pourrait avoir un intérêt pour eux », dit-elle. Peut-être l’État saura-t-il, cette fois, tordre le bras au constructeur ? Le candidat Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) sur la circonscription s’y engage. « Si je suis élu député, je ferai le maximum pour obliger Renault à lancer cette entreprise en lui fournissant un carnet de commandes », assure Laurent Alexandre, jusqu’ici étiqueté LFI, rencontré au marché de Decazeville.

Le maire d’Aubin, commune de 3 750 habitant·es au cœur de l’ancien bassin minier, évoque aussi le retrait des services publics, la fermeture de la maternité et du centre de dialyse, le départ des entreprises. Il parle également des projets qui piétinent, comme le projet Phénix d’une usine de recyclage de batteries de voiture usagées, porté par une autre entreprise aveyronnaise, la Snam, qui devait créer 600 emplois en six ans et aurait ainsi pu absorber une partie des laissés-pour-compte de la SAM.

Mais le PDG de la Snam, Éric Nottez, a été limogé début mai par son conseil d’administration et remplacé par un dirigeant allemand, faisant craindre un arrêt du projet ou sa relocalisation hors de France. « On se bat en permanence pour conserver le peu qu’on a, même pas pour faire avancer les choses, affirme Laurent Alexandre, qui continue de travailler comme ouvrier un jour par semaine dans l’usine d’aéronautique Ratier-Figeac (Lot). Les gens ici vivent tout ça comme une injustice, ils pensent que les politiques les considèrent comme des citoyens de seconde zone. Il y a de la colère, du fatalisme. »

Le candidat de la Nupes veut croire en ses chances d’enlever la circonscription à La République en marche (LREM). Au cours des trois dernières décennies, celle-ci a souvent changé de bord politique. Sur les cinq communes du bassin, la victoire semble à portée de main. Les scores additionnés des quatre partis coalisés au premier tour de la présidentielle y oscillent entre 37 et 41 % des suffrages exprimés.

Face à lui, le candidat macroniste Samuel Deguara, ex-directeur adjoint de cabinet au ministère de l’agriculture, va devoir quant à lui répondre de l’inaction du gouvernement sur le dossier SAM. Celui-ci n’est d’ailleurs pas mentionné dans les tracts de campagne LREM. Reste à savoir si le candidat ouvrier réussira aussi à convaincre dans les zones plus rurales qui composent le reste de sa circonscription.

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Meeting de la Nupes :
«Si les gens pensent qu’on peut gagner, ils arriveront de tous les côtés»

Julia Hamlaoui, Emilio Meslet et Alex Marinello sur www.humanite.fr

En meeting à Paris, aux côtés des candidats de la Nupes, Jean-Luc Mélenchon a appelé les abstentionnistes à saisir, lors des législatives des 12 et 19 juin, «l’occasion extraordinaire de tourner la page» de la désastreuse politique Macron.

« Dormez bourgeois, il n’y a pas de problème ». Le conseil vient de Jean-Luc Mélenchon qui a lu le Figaro avant de se rendre au meeting de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) à Paris mercredi soir. « Union de façade derrière Mélenchon pour masquer les divisions », titre ce matin-là le quotidien. « C’est surtout vous qui voulez masquer l’union », réplique l’insoumis devant 1 500 personnes, selon les organisateurs.

Entouré des candidats parisiens de la gauche unie aux législatives, il sourit de ces commentaires qui « ne ressortent de leur boîte que quand ils ont la trouille ». « C’est la première fois depuis la naissance de la Ve République et surtout depuis l’inversion du calendrier, qu’on donne, trois semaines avant le vote, l’opposition en tête alors même que l’élection présidentielle a à peine un mois », ajoute-t-il.

L’écologiste Julien Bayou ne dit pas autre chose : « On est là prêt à nous battre pour la justice sociale et climatique. Dans le camp d’en face, eux, ils sont stressés car on commence déjà à dire que la majorité automatique n’est plus à porter de main », lance le secrétaire national d’EELV taclant, au passage, ceux qui « estimaient que la gauche et les écologistes étaient incapables de s’entendre et même irréconciliables. Ceux-là sont chez Macron et on ne s’en plaint pas du tout ».

« Maintenant, il faut que cela se concrétise dans les urnes »

Dans la salle, militants et sympathisants de gauche partagent cet enthousiasme. « En élisant les députés de la Nupes, le peuple sera enfin entendu. On va y arriver, j’en suis convaincu », affirme Yannis, un aide-soignant de 49 ans. Le rassemblement de la gauche est aussi applaudi : « C’est très positif surtout que le programme est vraiment un programme de rupture », salue un participant tandis qu’à quelques mètres Olivier assure que pour lui l’objectif est « d’au moins éviter que Macron n’obtienne une majorité absolue ».

« On a subi pendant 5 ans, on a beaucoup dit qu’on avait la gauche la plus stupide du monde parce qu’on n’était pas en capacité de se parler. Mais l’union, ça y est, c’est fait », reprend en écho depuis l’estrade de la salle Olympe de Gouges la candidate PS Dieynaba Diop.

À Paris l’union reste parfois compliquée. La capitale compte la seule circonscription où le PS soutient officiellement une candidate dissidente, Lamia El Aaraje, alors que l’accord a investi l’insoumise Danielle Simonnet. Venue des Yvelines, Gina, une intérimaire de 27 ans, note cependant que « sur le terrain tout le monde est mobilisé : communistes, insoumis, écologistes, socialistes et même des militants du NPA ». « L’ambiance est extraordinaire, on sent qu’il y a une vraie dynamique. Maintenant, il faut que cela se concrétise dans les urnes », abonde un militant écologiste de la 8e circonscription de Paris.

« L’enjeu, c’est le quatrième bloc »

Car tous ont bien conscience que tout dépendra de la mobilisation… des électeurs. Alors que la présidentielle a dessiné un paysage où 3 blocs font jeu égal (LaREM et ses alliés, le RN et la gauche), « l’enjeu, c’est le 4e bloc » soit les 12 millions d’abstentionnistes, martèle Jean-Luc Mélenchon estimant que  « si les gens pensent qu’on peut gagner, ils vont descendre par paquets, par grappes, par wagons, de tous les côtés ils arriveront ».

Le leader de la France insoumise estime que « si les gens pensent qu’on peut gagner, ils vont descendre par paquets, par grappes, par wagons, de tous les côtés ils arriveront » pour voter pour la Nouvelle Union.

Chloé, une étudiante de 21 ans, elle, a franchi le pas peu avant la présidentielle puis : « Je me suis rendu compte que les législatives sont tout aussi importantes », confie-t-elle. Si les sondages annoncent pour l’heure une forte abstention (au-delà des 51,3 % de 2017), notamment des jeunes, ils sont 71 % des moins de 35 ans, selon Ipsos, à estimer que la volonté de conquérir Matignon affichée par la Nupes permet de susciter davantage d’intérêt pour les législatives.

« On n’est pas là pour témoigner ni grappiller quelques postes, on est là pour gagner et changer la vie. Cette campagne rencontre un succès qui va au-delà de nos espérances. Ce rassemblement attendu par tant de gens, depuis tant d’années fait que l’espoir renaît », croit aussi Julien Bayou qui en profite pour lancer un malicieux « La République, c’est nous ».

Ce n'est pas une question de principe

Et pour la Nupes, l’urgence se mesure au nombre de voyants passés au rouge. «  Plus le temps passe, plus le débat se clarifie, assure Ian Brossat, dans les travées. Gilles Le Gendre a promis un ‘’tapis de bombes’’ si la majorité actuelle est reconduite. En clair : soit on choisit la stagnation des salaires et la retraite a 65 ans, soit on choisit le camp du progrès social », résume le porte-parole du PCF, renvoyant au programme de la gauche et à ses 650 mesures dont l’augmentation des salaires et la retraite à 60 ans.

Pour beaucoup, c’est loin d’être une question de principe : « Je viens d’un milieu populaire, raconte un jeune alternant, l’augmentation des minima sociaux comme du Smic à 1 500 euros permettraient vraiment d’améliorer la vie de mes parents. » « Depuis cinq ans ils nous ont menti, tous les jours sur tous les sujets et ils veulent recommencer », embraye au micro Céline Malaisé, candidate PCF face à la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire : «  en guise de mesure pour le pouvoir d’achat, ce gouvernement intérimaire nous annonce en fanfare le maintien du bouclier tarifaire. Mais qu’apprend-on finalement ? Que le blocage n’est que temporaire et sera rattrapé en 2023 », poursuit-elle.

Le revirement de Roux de Bézieux

Côté redistribution des richesses, le programme de la Nupes ne passe pas inaperçu, note également Jean-Luc Mélenchon qui s’amuse du changement de ton du président du Medef. En février, Geoffroy Roux de Bézieux jugeait le candidat FI d’alors «  prêt à gouverner ». S’il prédisait qu’en cas de victoire les patrons arrêteraient « d’embaucher, d’investir », il estimait aussi que ce ne serait «  pas le chaos comme certains le disent ». Et voilà que ce mercredi il le juge « prêt à mener la France dans le chaos ».

L’inquiétude montée d’un cran du patron des patrons est jaugée comme un signe encourageant de plus par le prétendant à Matignon qui rappelle tout de même : « Il dit qu’on taxe tout le monde. Mais non jusqu’à 4 000 euros de revenus personnels, vos impôts vont baisser mais les 5 (plus grosses fortunes, NDLR) qui ont autant que 27 millions c’est clair ils vont nous voir arriver ».

Sur le ton humoristique, le message à l’adresse des chefs d’entreprise se veut tout aussi clair : « Aucun entrepreneur ne renoncera à servir un consommateur. Par conséquent je n’ai pas une seconde de doute sur le fait que de toute façon ils feront ce qu’il y a lieu de faire. Mais si vous m’agacez trop, je suis obligé de vous dire que je me suis aperçu que le déficit de l’État est de 150 milliards et que c’est exactement la somme qui leur a été donnée en crédit d’impôt… »

Pouvoir d’achat en berne, sécheresse, hôpitaux et éducation au bord du gouffre, recul de la démocratie… « On a une occasion extraordinaire de tourner la page », insiste le chef de file de la Nupes, promettant des « mesures d’urgence mais aussi des mesures plus en profondeur » pour la « bifurcation écologique et sociale ».

Des propos qui font écho parmi ceux qui vivent au quotidien le désastre engendré par la « start-up nation » : « Je travaille dans un hôpital psychiatrique et, à force de lits fermés et de médecins en moins, des patients qui en ont pourtant besoin doivent attendre 6 mois avant un premier rendez-vous, pour les enfants c’est même jusqu’à 2 ans », raconte Olivier. Si Jean-Luc Mélenchon ne peut assurer « du jour au lendemain » d’un changement total  « de paradigme », il s’y engage : « du jour au lendemain nous ferons cesser l’enfer ».


 

Justice. Deux décisions attendues vendredi

Le Conseil d’État se prononce vendredi sur le refus du ministère de l’Intérieur d’attribuer le label « Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) » aux candidats investis par le rassemblement de la gauche, qui a déposé un recours. Les partenaires de la Nupes dénoncent une manœuvre politique visant à diviser les scores de la gauche entre FI, PS, EELV et le PCF, alors même que le nuancier politique diffusé aux préfets autorise les candidats de la majorité présidentielle à se présenter sous la dénomination « Ensemble », qui rassemble LaREM, le Modem, Horizons, etc. Problème : l’appellation « Ensemble » est aussi le nom de la formation de Clémentine Autain créée en 2013. La députée FI et candidate Nupes en Seine-Saint-Denis a donc intenté une action en justice au tribunal judiciaire de Paris, pour faire interdire le nom de la coalition macroniste, qui rendra aussi son verdict vendredi.

 

 

 

 

Meeting parisien de la Nupes : pour les jeunes militants, l'espoir au bout des législatives

sur www.humanite.fr

Jean-Luc Mélenchon a renoué avec l'exercice du meeting, mercredi soir à Paris pour galvaniser les troupes de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), à douze jours du premier tour des législatives. L'Humanité s'est glissé dans le rassemblement avec de jeunes militants afin de recueillir leurs sentiments.

Le meeting a eu lieu dans une jauge plus modeste qu'à la présidentielle. Mais 1 500 personnes se sont tout de même pressées à la salle Olympe de Gouges dans le XIe arrondissement de Paris, certaines ayant même dû rester suivre le meeting sur un écran placé à l'extérieur.

Plusieurs candidats à Paris étaient présents, du secrétaire national d'EELV Julien Bayou à l'antispéciste Aymeric Caron en passant par la communiste Céline Malaisé.

"Le plus important aujourd'hui, c'est l'écologie et c'est le seul mouvement qui peut nous donner de l'espoir", nous explique Léonie, étudiante en science politique à l'université Panthéon-Assas avant d'ajouter : "Pour nous jeunes qui avons connu les mandats de Sarkozy, Hollande et Macron, c'est réellement une source d'espoir."

La dynamique des gauches rassemblées

Jean-Luc Mélenchon, qui depuis quelques semaines savoure la dynamique des gauches rassemblées, a livré un discours passionné, versant dans le stand-up humoristique à certains moments.

Pour Quentin Gidoin, salarié à la Bibliothèque Nationale de France, actuellement au cœur d'un mouvement social : "J'ai envie d'y croire, je fais parti d'une génération qui a souvent subi les élections les unes après les autres avec cette gauche qui répondait aux logiques libérales et je suis heureux ce soir d'être là."

La Nupes au coude-à-coude avec LaREM

Si la Nupes est au coude-à-coude avec LaREM et ses alliés sur le total national des voix, autour de 28%, selon les projections des sondeurs, le chef des Insoumis explique : "Notre point haut est supérieur à leur point bas." Or "si les gens pensent qu'on peut gagner, ils vont descendre voter par paquet, par grappe, par wagon", a assuré le tribun insoumis, suscitant des "On va gagner" sonores dans la salle.

"C'est le programme le plus construit aujourd'hui, qui permet de traiter l'ensemble des sujets sur les conditions de travail, sociales et démocratiques mais également écologique", tient à souligner Léa Catala, salariée à la ville de Paris. La jeune militante précise : "Mélenchon 1er ministre, c'est aussi pour lutter contre l'abstention, donc oui ça me donne de l'espoir".

LFI, EELV, PS, PCF, Générations, "nous nous sommes rassemblés pour dire au pays, nous sommes une alternative si vous avez compris que ça ne peut plus durer comme c'est là", a déclaré Jean-Luc Mélenchon.

Or il y a urgence, a-t-il exhorté, car "l'Etat s'effondre autour de nous" : école et hôpital en difficulté, montée de la pauvreté, "inaction climatique" et même "pour assurer la tranquillité d'un match de foot".

Processus démocratique

"Déjà j'ai apprécié qu'on ait un meeting de cette taille pour les élections législatives. Il n'y a pas que l'élection présidentielle, il y a aussi une Assemblée nationale qui a son importance dans le processus démocratique", nous explique Rémi, étudiant en conception de jeux vidéos.

"Sa stratégie est intelligente mais le “Jean-Luc Mélenchon Premier ministre” ne doit pas effacer ceux qui ne sont pas fans de la première heure", observe Ian Brossat, ancien directeur de campagne du candidat communiste Fabien Roussel.

Julien Bayou confie pour sa part être "agréablement surpris" du fonctionnement de la Nupes : "C'est fluide dans la coordination, ça prend sur le terrain, on a fixé quelques grands axes de campagne et chacun a ses manières de communiquer."

Giovana Gravier, étudiante en Communication souligne : "On a senti le besoin de s'engager, c'est nous le futur et ce programme correspond à nos convictions."ne de texte >>

 publié le 29 mai 2022

À Montargis,
le collectif Ibiza
se jette à l’eau
pour la Nupes

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Campagne L’Humanité a décidé de suivre la confrontation entre Bruno Nottin et l’ex-ministre de l’Éducation nationale, à Montargis, dans le Loiret. Vendredi, un groupe d’activistes anti-Blanquer est venu prêter main-forte à la campagne du candidat de la Nupes.

Une petite foule s’est rassemblée sur les gradins qui bordent le canal de Briare, en plein cœur de Montargis, pour le meeting de Bruno Nottin, candidat PCF-Nupes pour les législatives. Et soudain, devant eux surgit… Jean-Michel Blanquer lui-même ! Le ministre défroqué – au sens littéral du terme puisque sous sa veste de costume il porte un simple caleçon de bain – toise le public avec mépris puis lance un tonitruant : « Bonsoir les gauchistes ! » Et tout le monde éclate de rire. Car tous savent déjà que ce Blanquer-là est en réalité « Jean-Michel Planquer », ou Nour Durand-Raucher dans la vraie vie, conseiller EELV de Paris mais surtout parfait sosie du vrai Blanquer et âme du collectif Ibiza. Ce groupe informel de militants s’est fait connaître en dansant en maillot­ de bain en plein mois de janvier sous les fenêtres du ministère de l’Éducation nationale, afin de dénoncer ce ministre en vacances à Ibiza à la veille d’une rentrée sous la menace d’une nouvelle vague de Covid.

Le vendredi 27 mai, ils sont arrivés à une dizaine à la gare de Montargis pour mobiliser autour la campagne de la Nupes contre le candidat Blanquer, directement parachuté depuis l’Élysée. Direction le lac de Châlette-sur-Loing, tout proche, pour une baignade collective – vrai-faux ministre en tête – et une réunion rapide sur une table de pique-nique. L’argent réuni grâce à une cagnotte a servi à imprimer un millier de tracts avec, au recto, le portrait de « Jean-Michel Planquer » et, au verso, le vrai bilan du vrai Blanquer : 7 500 suppressions de postes de professeurs en cinq ans, triplement des démissions, salaires inférieurs de 20 % à la moyenne des enseignants dans l’OCDE, catastrophique réforme du bac, Parcoursup…

Entre ces activistes essentiellement parisiens et les militants locaux, on se regarde un peu, mi-amusés, mi-étonnés, mais la sauce prend. Joanna, aide-soignante non loin de là, pose l’ambiance dans la circonscription : « Benoît Digeon (le maire LR de Montargis – NDLR) est un ancien commerçant, il a fait poser une guirlande à 43 000 euros dans la principale rue du centre-ville. Imagine ce qu’on aurait pu faire avec cet argent pour les habitants des quartiers populaires de Chautemps ou de la Chaussée… où il ne va jamais ! » Mais trêve de discussion, il faut passer à l’action. La troupe s’ébranle vers le cœur de ville, enfile maillots de bain et colliers de fleurs à la terrasse d’un café, sous les regards interloqués des clients, puis envahit la rue avec une sono tonitruante qui diffuse une version électro de Vamos a la playa.

« Je n’ai pas envie qu’il casse la circonscription ! »

Un dispositif qui ne suffit pas à détromper certains passants, comme ce couple persuadé d’avoir croisé le vrai Jean-Michel Blanquer, après que le faux a pris la pose devant… la vraie permanence – fermée – de l’ancien ministre. Alicia, elle, sait parfaitement pourquoi elle est là : « Blanquer a cassé l’école pendant cinq ans, explique cette professeure des écoles et militante à SUD éducation. Je n’ai pas envie qu’il casse la circonscription ! » Marie, enseignante elle aussi, est carrément venue tout exprès de l’Essonne : « Il faut dénoncer son bilan pitoyable, ce qu’il a fait au service public. Il était temps qu’il s’en aille, et je serais très contente qu’il n’y ait pas de suite à son histoire ! » « Tous les enseignants de France regardent Montargis et attendent la sanction de Blanquer ! » résume Ian Brossat, porte-parole du candidat Fabien Roussel à la présidentielle, lors du meeting.

« Nous sommes forts parce que nos adversaires reprennent les batailles que nous menons depuis des années », lance à son tour Bruno Nottin. Comme celle de la construction d’un IUT dans ce territoire sans enseignement supérieur. Ou celle d’un centre de santé, alors que les habitants doivent se débrouiller avec une petite dizaine de médecins : « À Montargis, on le demande depuis douze ans ; à Châlette, on l’a fait ! » tonne le candidat. Sa suppléante, Francine Phesor, connaît bien le sujet : aide-soignante et adjointe chargée de la santé au sein de la municipalité communiste de Châlette, elle nous précise que le centre municipal de santé, ouvert fin 2017, reçoit désormais « 5 000 patients par an, dont plus de la moitié (53 %) ne vient pas de Châlette mais du reste de l’agglomération. »

Dans cette circonscription qui a toujours été à droite, « nous avons une fenêtre », estime Bruno Nottin. Ce qu’est venu confirmer un sondage Ifop pour le JDD, paru dimanche : derrière le candidat RN, en tête avec 28 %, Blanquer (23 %) et Nottin (22 %) s’y tiendraient dans un mouchoir de poche – avec, au vu de cette journée de vendredi, des dynamiques bien différentes. Qui sait ce qui se passerait le 19 juin si le candidat de la gauche enfin rassemblée affrontait, selon ses propres termes, « l’imposture sociale » du RN ?

 publié le 28 mai 2022

Ce que redoute
Emmanuel Macron

Sébastien Crépel sur www.humanite.fr

Depuis le 7 mai et l’officialisation de l’alliance autour de Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron a un problème qui chamboule ses plans pour les législatives. Pour une majorité de Français (57 %), la gauche est en mesure de gagner les élections, selon un récent sondage Ipsos.

Quelle logique improbable a conduit à faire cohabiter dans un même gouvernement Pap Ndiaye et Gérald Darmanin ? Un historien réputé, pour lequel le « racisme structurel » et les violences policières sont des réalités à reconnaître et à combattre, aux côtés de l’homme qui trouve Marine Le Pen « trop molle ». La raison de cet attelage tient en cinq lettres : Nupes. Sans l’accord scellé entre toutes les composantes de gauche dans la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, jamais Jean-Michel Blanquer, le pourfendeur de « l’islamo-gauchisme » et du « wokisme », ces inventions de droite, n’aurait dû céder la place à son antithèse, un universitaire spécialiste de la condition noire et des discriminations.

Depuis le 7 mai et l’officialisation de l’alliance autour de Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron a un problème qui chamboule ses plans pour les législatives. Pour une majorité de Français (57 %), la gauche est en mesure de gagner les élections, selon un récent sondage Ipsos. La composition du gouvernement d’Élisabeth Borne s’en ressent. Plusieurs de ses ministres ne sont là que pour donner le change et doivent leur nomination à l’apparition de la Nupes dans le paysage politique. Pap Ndiaye fait partie de ceux-là, parmi d’autres qui n’ont « de gauche » que les références sur leur CV des cabinets dans lesquels ils ont fait carrière. L’arbre « décolonial » cache ainsi une forêt de ministres conservateurs et rétrogrades aux postes stratégiques.

Le but de l’opération Pap Ndiaye est de réinstaller, avec la complicité de l’extrême droite, le duel Emmanuel Macron face à Marine Le Pen, autour des opinions supposées du nouveau ministre, dont la nomination est une véritable aubaine pour le Rassemblement national. L’extrême droite et la droite « républicaine » dans son sillage font mine de voir dans le gouvernement un Conseil des soviets dans lequel se serait glissé Malcolm X. Et de dénoncer, à coups d’accusations grotesques et, pour tout dire, racistes, le danger pour la République que représenterait l’accession d’un lecteur de Frantz Fanon et d’Aimé Césaire à la tête de l’éducation nationale. Pendant ce temps, perdu en polémiques aussi ridicules que venimeuses – dans le droit-fil de celle sur le burkini à Grenoble –, le débat public est détourné des solutions aux préoccupations essentielles auxquelles l’apparition de la gauche unie avait redonné pleinement droit de cité, à l’instar des salaires, des prix et des retraites.

Que personne ne s’y trompe : la gauche et ses électeurs n’ont rien à gagner à se laisser distraire des combats sociaux, comme on essaie de les y inciter pour mieux les diviser et les démobiliser. La France aisée acquise à Emmanuel Macron, elle, ne s’y laissera pas prendre, et ne votera pas pour ou contre le burkini, pour ou contre le « wokisme », mais pour la retraite à 65 ans, pour la baisse des « charges » et des impôts qui la touchent. À l’inverse, une majorité de députés de gauche se gagnera si la conviction l’emporte que le Smic net à 1 500 euros est possible dès le 1er juillet pour faire face à l’inflation sur les produits de la vie courante, ou que l’on peut partir à la retraite à 60 ans avec une bonne pension pour laisser son emploi à un jeune. Ce sont ces débats que redoutent Emmanuel Macron et Élisabeth Borne. Il reste deux semaines avant le premier tour pour les y contraindre.


 

 

 

 

Mélenchon contre Borne :
qui est de mauvaise foi ?

Par Le Stagirite sur www.lemediatv.fr

En interview, Jean-Luc Mélenchon part du principe que la Première ministre Elisabeth Borne mènera une politique libérale. Les journalistes croient pouvoir y repérer un procès d’intention : “mais quand même, elle vient de la gauche ! On ne peut pas savoir ce qu’elle fera puisque ses intentions nous sont inaccessibles.”

Mais Mélenchon justifie ses anticipations de l’action future de Borne par ses actions passées, qui ne sont que l’application stricte du macronisme : privatisation des autoroutes, ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence, fin du statut du cheminot, réforme de l’assurance-chômage…

Qu’une ministre issue de la technocratie d’Etat ou d’entreprise, ayant appliqué avec rigueur les réformes de droite d’un gouvernement de droite, continue dans cette voie une fois Première ministre, cela semble évident, et se passe de démonstration. C’est bien plutôt à celui qui croit en la possibilité d’une rupture de prouver son point. Ici ce n’est pas Mélenchon le sophiste, ce sont les journalistes, car ils inversent la charge de la preuve.

Quoi qu’il en soit, en faisant semblant qu’il existe un vrai débat pour savoir si Borne est de droite ou de gauche, ces journalistes et commentateurs installent dans le débat public l’idée que la future politique gouvernementale pourrait être différente de celle qu’on a subie jusqu'ici, et rendent moins audible l’idée qu’il faille imposer à Macron un Premier ministre de gauche, ou du moins une forte opposition de gauche au Parlement.

publié le 25 mai 2022

Législatives : portraits croisés de
10 candidats de la Nupes

Par Clément Gros sur www.regards.fr

Ils seront peut-être, le 19 juin prochain, élus députés sous l’étiquette de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale. Nous sommes allés à la rencontre de dix de ces candidats, inconnus du grand public, pour comprendre le sens de leur engagement.


 

Sabine Cristofani-Viglione - 4ème circonscription du Var

(Résultats du premier tour de la présidentielle : Le Pen 32,16%, Macron 24,07%, Gauche 18,49%)

C’est la candidate de gauche qui sera face à Éric Zemmour. Et depuis cette annonce, le rythme de campagne de cette enseignante d’une classe de CM2 s’est accéléré : « Les caméras se sont braquées sur la circo et désormais cela n’arrête pas », témoigne la candidate. Rien pour lui faire peur, Sabine Cristofani-Viglione est habituée au militantisme. D’une famille communiste, elle a très tôt participé à la vie politique, « et je me suis toujours dit que dès que mes enfants seraient grands, je m’engagerais dans la politique plus sérieusement. Me voilà donc candidate ». Avec Blanquer à l’Éducation depuis cinq ans, dit-elle, ses cinquantaines de protocoles, l’absence d’augmentation salariale et le mépris continu pour la profession, la candidate sait bien ce que la lutte politique a de plus difficile. Le mépris constant des dominants. Dès lors, elle nous raconte le parcours scolaire de son fils. Il a eu besoin d’une AESH pour étudier dans de bonnes conditions : « Les professeurs ne sont pas formés pour l’inclusion. D’autre part, les heures allouées pour les AESH sont insuffisantes, mon fils ne bénéficiait que de sept heures par semaine ». Et dans beaucoup de cas, il y a une mutualisation : l’AESH s’occupe de plusieurs élèves, ce qui ne répond évidemment pas aux besoins individuels. De ces expériences, Sabine Cristofani-Viglione remarque un grand écart entre la couverture médiatique de la circonscription, montrant Éric Zemmour à la rencontre des habitants du Golfe de Saint Tropez et la réalité du terrain. « Dans les terres, je vois personnellement des habitants à qui on ne donne pas les moyens de vivre décemment. Des gens qui touchent 1000 euros de retraites survivent malgré tout, mais il faut leur permettre de vivre. C’est pourquoi je représente la Nupes ».


 

 Nathalie Krawezynski - 3ème circonscription de la Savoie

(Gauche 29,87%, Le Pen 26,24%, Macron 24,85%)

Originaire du quartier des Izards à Toulouse, la candidate Nupes a fait des « dizaines et dizaines » de métiers : femme de ménage, animatrice de rue, aide à domicile, remplaçante en maison d’accueil spécialisée polyhandicap, AESH, puis artisane d’art, avant de devenir agente administrative dans un lycée professionnel à Chambéry. De ses multiples expériences, elle en a tiré une volonté de s’engager dans le lien social, et veut caractériser son action par l’ouverture, maître mot de sa campagne. Par exemple, ce fut une militante engagée dans le mouvement des gilets jaunes : « Cela est resté pour moi comme un lieu formidable d’échange. À force de discuter avec des gens qui ne partageaient pas mes opinions politiques, les idées infusent et les choses évoluent ». Justement sur les idées : selon la candidate, l’éducation est le pilier de tout bien commun. Elle a vu de son poste actuel, et depuis la réforme de l’apprentissage en 2018, les lycéens devenir une main d’oeuvre de substitution. « On apprend à nos enfants à être un bon employé, à dire oui au patron et à se taire, cela m’est insupportable ». Car concrètement en Savoie, les apprentis font de la concurrence aux saisonniers : « Il y a un dumping social dans notre région, les saisonniers qui avaient réussi à obtenir un statut, se retrouvent maintenant en difficulté pour trouver un emploi ». Autre problème majeur auquel est confronté la Savoie : l’eau. « Le changement climatique pousse les collectivités à faire reculer en altitude les stations. Et le problème est que la montagne s’urbanise ». L’hiver, les stations multiplient par dix leur consommation d’eau. « On va même jusqu’à creuser à l’aplomb des sources d’eau potables du fait des projets d’aération pour le tunnel Lyon-Turin. Ce creusement est autorisé par dérogation locale du préfet, malgré qu’il entraîne une pollution de l’eau potable ».


 

Michèle Roux - 2ème circonscription de la Dordogne

(Gauche 28,21%, Le Pen 27,63%, Macron 23,8%)

L’eau justement. C’est également un problème constant pour Michèle Roux, paysanne à la retraite, après une carrière croisée entre son exploitation, son poste de professeure dans un lycée agricole et son engagement syndical. « J’ai toujours été proche des luttes. Par exemple, j’ai occupé la ferme des 1000 vaches, une bataille qui a duré dix ans au total ». Un projet mené par un industriel du bâtiment ayant pour but de susciter un rendement financier maximal de l’exploitation du lait, notamment avec des méthaniseurs puissants. Le problème est que cela venait alimenter la crise du lait et abaisser encore d’avantage son prix. Les autres producteurs locaux se retrouvant donc forcés de baisser eux aussi leur prix, alors qu’ils vendaient déjà à perte. « De mon côté, j’ai vu avec le dérèglement climatique, une évaporation de l’eau beaucoup plus rapide. On a dû trouver des solutions alternatives pour nos exploitations mais peu viables d’un point de vue écologique ». Michèle Roux nous raconte alors que le forage des nappes phréatiques, ou l’utilisation de l’eau de mer deviennent les alternatives. « Sauf que l’eau de mer salinise les sols, ce qui atteint fortement la qualité de ceux-ci, jusqu’à affecter la production végétale ». Pour la candidate, la véritable solution est alors de penser la production via une quantité limitée pour ensuite mieux la partager : « C’est l’ambition de l’agriculture paysanne ».

  

Karol Kirchner - 2ème circonscription du Morbihan

(Macron 32,34%, Gauche 30,71%, Le Pen 20,86%)

L’eau toujours. Avant de devenir artisan à Belle-Île-en-Mer, Karol Krichner est sorti d’une école de commerce lyonnaise, et a rejoint dans la foulée le célèbre cabinet d’audit KPMG. Il a finalement suivi une formation pour se convertir dans la maîtrise du bâtiment, et s’est investi avec ces deux employés dans des chantiers de l’île bretonne. 2020 marque alors une nouvelle étape de sa vie, dès lors qu’il décide de s’investir dans la campagne municipale. « Je suis devenu conseiller municipal d’une liste minoritaire et me suis basé dans la commission d’urbanisme. Mais je m’engage avant tout bénévolement, par exemple pour développer une monnaie locale. C’est aussi pourquoi je refuse d’être encarté, je ne veux ne pas appartenir à un camp ». L’enjeu pour lui est de montrer par son action politique « qu’il ne suffit pas nécessairement de changer grand chose pour montrer aux gens qu’on peut faire avancer leurs conditions de vie ». Sa candidature prend alors du sens, « devant les enjeux auxquels fait face le monde ». Seulement, la tâche est difficile car sa circonscription a toujours été de droite depuis 1958. « Mais nous réfléchissons plus loin que cet accord électoral, notre objectif est de le faire vivre au niveau local sur le long terme. Le véritable sujet est comment faire vivre l’union sur le long terme ». Et il y a du travail, car sa circonscription concentre des enjeux très investis par le programme de la Nupes. « Notre circo concentre trois îles où les jeunes du pays ne peuvent plus se loger du fait de la spéculation immobilière. Un cadre légal existerait pour lutter contre cela mais il faut y ajouter de la volonté politique ». Selon lui, les îles devraient être déclarées zones tendues pour le logement, ce qui permettrait par exemple d’encadrer les loyers. Le candidat est donc prêt à mener le combat législatif mais le plus important reste « de prendre à bras le corps les sujets devant nous avec tous les citoyens concernés ». La question de l’eau en priorité, sur une île où les habitants sont dépendants de l’eau de pluie. Dérèglement climatique ce faisant, le risque de pénurie demeure alors constant.


 

Annick Prévot - 2ème circonscription de l’Oise

(Le Pen 37,58%, Macron 23,56%, Gauche 22,93%)

« Dans ma vie, j’ai beaucoup travaillé en intérim. D’abord un an dans le nettoyage, puis 12 ans chez Nestlé, 13 ans chez Faurecia, comme ouvrière de production avant de devenir cariste pendant 20 années ». Aujourd’hui sans mission, Annick Prévot nous explique n’avoir jamais fait de politique avant le mouvement des gilets jaunes. Ce qu’il l’a conduite elle aussi à candidater sur liste aux élections municipales de 2020. Car selon elle, « si on ne s’intéresse pas à la politique alors la politique s’intéresse à nous, et de manière violente ». Désormais, elle souhaite améliorer la vie des citoyens : « J’ai discuté avec des gens qui n’arrivent pas à vivre décemment, et là on découvre des choses scandaleuses ». Un exemple : « les artisans subissent une TVA à 20%, alors même que c’est 13% pour de la revente sans modifications ». Prête également pour le combat législatif, la candidate de l’Oise affirme que si les ouvriers ont à apprendre de la politique, la réciproque doit aussi fonctionner : « Les politiques ont à apprendre des ouvriers ». C’est donc slogan en tête qu’elle mènera cette campagne. « Je me dis qu’il faut à l’Assemblée moins de carriéristes et plus de caristes ».

 

Cédric Briolais - 10ème circonscription des Yvelines

(Macron 32,9%, Gauche 30,06%, Le Pen 16,19%)

Cédric Briolais aura à affronter Aurore Bergé, une fidèle macroniste jamais récompensée pour ses bons et loyaux services. Lui est machiniste de formation à la RATP et a mené 50 jours de grève pour lutter contre la réforme des retraites à partir de Décembre 2019. Aujourd’hui devenu agent de station, il travaille de 5h à 13h30, et consacre le reste de son temps à la campagne. « Pendant notre grève, les seuls soutiens politiques que nous avons reçus étaient ceux de la France Insoumise. C’est à ce moment là que j’ai eu la chance de rencontrer Eric Coquerel et Mathilde Panot et me suis investi dans le mouvement ». Cédric Briolais a donc participé au livret thématique sur la question des transports et compte bien continuer à lutter pour promouvoir une autre politique des transports. « Quand je vois qu’il faut plus d’une heure pour faire Rambouillet-Paris, je voudrais que l’on défende mieux ce service public. Une politique des transports permettrait de casser les barrières entre quartiers populaires et centre de la ville ».

 

Arnaud Petit - 3ème circonscription de la Somme

(Le Pen 36,78%, Macron 26,43%, Gauche 21,3%)

Ouvrier métallurgique, président d’un syndicat et maire de sa commune depuis 2014, Arnaud Petit veut répondre au problème de représentativité dans les instances politiques. « Je me sens proche des problématiques des gens, car j’ai un métier qui est celui de la majorité des habitants de ma circonscription ». En réalité, son territoire est assez pauvre – selon ses mots – cumulant les situations de bas salaires. « Les habitants sont souvent obligés de travailler à deux. Et une fois deux Smic dans le foyers, ont du mal à finir le mois. C’est paradoxal du point de vue des patrons qui se plaignent de manquer de main d’œuvre. Seulement au bout d’un temps, les salariés refusent des postes mal payés avec des conditions de travail difficiles et c’est légitime ». Autre problème dans la circonscription : le manque de ressources allouées aux petites communes. « Nos jeunes n’ont aucun moyens de s’émanciper. Et donc les inégalités se reproduisent. La politique est de fermer les petites écoles : la difficile mobilité dans la région fait que les conditions d’accès à l’école de nos jeunes sont ici difficiles ». Alors ce sapeur-pompier volontaire aura pour tâche de venir en aide de ces territoires oubliés.

 

Amadou Dème - 4ème circonscription de l’Essonne

(Gauche 32,03%, Macron 31,08%, Le Pen 19,13%)

« On a commencé cette campagne avec 2000 tracts, puis finalement grâce à la forte mobilisation et la dynamique militante, nous avons fait 60.000 boîtes aux lettres ». Arrivé en France à 17 ans en 1985, depuis Dakar au Sénégal où il a grandi, Amadou Dème est fier d’être devenu aujourd’hui collaborateur politique à Grigny. « Je sens un élan car des gens qui s’étaient éloignés de la politique s’en rapprochent à nouveau. Si les forces ont été affaiblies ces dernières années, la Nupes suscite un espoir ». Avec sa suppléante, Amadou Dème veut donc en profiter pour porter des sujets qui concernent des milliers de familles et dont on ne prend pas le temps de parler. « Le handicap doit par exemple devenir un sujet politique, le législateur ne parvient jamais à s’en saisir ». Lui veut être un député présent auprès de la vie des quartiers, comme il l’a toujours fait en tant que collaborateur politique. « La députée macroniste, personne ne l’a connait, elle est revenue faire la cérémonie du 8-Mai, des élus témoignent ne l’avoir jamais vu ». L’objectif est donc de réinvestir la représentation nationale localement et de faire de la Nupes une force présente au quotidien des habitants de la circonscription.

 

May Bouhada - 6ème circonscription du Val de Marne

(Macron 35,08%, Gauche 39,49%, Le Pen 7,21%)

Sortie du Conservatoire nationale supérieure d’art dramatique, il y a de cela 25 ans, May Bouhada se définit comme une femme de théâtre. À la fois artiste et réalisatrice, toujours liée par un engagement politique, elle s’engage dans la transmission de son art via les territoires. Au-delà de cela, elle a aussi porté la question de la place des femmes dans l’art. « Dans notre histoire, c’est comme si les femmes n’existaient pas. Je suis fier donc de travailler sur la question du matrimoine. De faire connaître des femmes comme Alice Guy, la première réalisatrice de l’histoire du cinéma ». Et en fin de compte, cet engagement historique dans le secteur de la culture couvre beaucoup d’autres questions. « Car l’intelligence, la créativité ne se pensent pas sans le corps ». La candidate se dit alors enthousiaste des dynamiques d’union de la gauche. « À Fontenay-sous-Bois nous avons réussi grâce à l’union de mieux nourrir nos enfants. Nous sommes à 60% de bio dans les cantines et voulons aller vers 100% ». Elle aimerait alors porter le sujet de l’écologie auprès des classes populaires. « Les enfants ont aujourd’hui une moins bonne espérance de vie qu’auparavant, dire qu’on va promouvoir 30 minutes de sport par jour est insuffisant. Il faut porter des politiques publiques globalisantes mêlant santé, écologie, le tout bien sûr accessible à tous ». Dans sa dernière pièce, May Bouhada retrace l’histoire d’une « gamine » dont le grand-père vient de mourir. Elle part alors à la rencontre des terres où il a vécu, sur un fond de réalisme climatique. Plus que jamais, le théâtre devient alors politique et philosophique. Et la candidate compte bien se saisir de son art pour mener cette campagne.

 

Damien Maudet - 1ère circonscription de Haute-Vienne

(Gauche 35,87%, Macron 26,61%, Le Pen 21,73%)

Militant depuis 10 ans, désormais collaborateur parlementaire de François Ruffin, Damien Maudet, c’est ce citoyen « politisé » qui avait interpellé Emmanuel Macron sur la situation de l’hôpital public en ce début d’année 2022. « J’ai commencé à lutter dans ma cité universitaire de Limoges. À un moment où celle-ci était en travaux, tous les étudiants se sont retrouvés sur le marché immobilier. Et cela fait que Limoge est devenue une zone tendue pour se loger ». Dès lors, il fallait trouver une solution pour que tout le monde puisse se reloger à des prix acceptables. Son premier combat s’est alors soldé par une réussite, puisque Limoges Habitat a mis à disposition des logements pour compenser la perte de ceux de la cité universitaire. Puis, il s’est battu contre la loi Travail en 2016. Puis, il a mené la plus longue occupation universitaire contre la sélection à l’Université et la réforme du statut des cheminots. Arrivé à Lyon puis à Paris pour finir ses études, il raconte avoir conscientisé la violence sociale tout au long de son parcours. « Je n’ai pas eu l’impression de subir plus qu’un autre la violence symbolique que l’on inflige à un étudiant faisant son chemin de Limoges jusqu’à Paris. Par contre le fait que je suis l’un des seuls de mes classes d’école à avoir fait ce parcours, raconte ce que la société a de violent ». Une fois son diplôme en poche, Damien Maudet a rencontré Francois Ruffin et longuement travaillé sur la thématique du film « Debout les femmes ». « Je retire une fierté de ce que l’on a fait sur ce sujet. On a mis en lumière la triple sanction auxquelles étaient confrontés les auxiliaires de vie sociale, les AESH ou les femmes de ménages. La sanction économique avec des salaires souvent autour de 800€, la sanction symbolique d’être considérée comme ‘celles qui torchent des culs’. Et puis, la sanction du temps libre indisponible, ces femmes là travaillent de 8h à 20h tous les jours ». C’est de ces sujets que le candidat veut se saisir pour mener campagne, mais toujours dans une ambiance festive. « On organise des matchs de foot ou des concerts, on a besoin d’introduire de la joie dans cette élection, à l’heure où les gens ont de l’amertume face à la politique ».

publié le 24 mai 2022

Législatives dans l'Oise. Nupes : Loïc Pen, en urgence à l'Assemblée nationale

Sur www.humanite.fr

Sous un soleil éclatant, la caméra de l'Humanité a retrouvé le candidat Loïc Pen, pour une séquence de tractage au marché de Creil. Le médecin urgentiste est investi par la Nupes aux législatives, dans cette 7e circonscription de l'Oise. 

 "Ce serait bien, qu'enfin, les gens qui vivent les problèmes, essaient de les résoudre à l'Assemblée nationale /.../ on a une femme de chambre, un toubib, des infirmiers, un boulanger, un ouvrier qui vivent les choses et qui voient finalement comment on peut résoudre une partie des problématiques qu'on a dans nos vies professionnelles et quotidiennes" tient à préciser le candidat de la Nupes, dès notre arrivée au marché de Creil.

Loïc Pen fait partie de ces nouveaux visages de la Nupes, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, qui regroupe les principales formations de gauche qui ont fait le choix de l'union afin de peser à l'Assemblée nationale. Et pourtant, Loïc est loin d'être un novice en politique. Il milite depuis de nombreuses années au PCF et s'était déjà porté candidat aux élections législatives de 2012 dans cette même circonscription.

Médecin urgentiste au centre hospitalier Laënnec de Creil, situé dans l'ancien bassin sidérurgique de l'Oise, il a été particulièrement combatif pour défendre l'idée d'un véritable plan d'urgence pour l'hôpital public.

L'ancien chef de service des urgences est une figure de la lutte des personnels soignants et de la crise de l'hôpital. Il a également exercé en tant que chroniqueur vidéo pour l'Humanite.fr durant la crise sanitaire.

Une majorité à gauche

"L'objectif est de re-mobiliser les électeurs car la plupart ont bien pris conscience qu'ils ne veulent pas de Macron et ils commencent à avoir la perception que ces législatives peuvent donner une majorité à gauche" déclare le militant communiste.

Marie-France Boutroue, retraitée de Villers-Saint-Paul, une petite commune de la 7e circonscription, nous explique : "Ça demande énormément d'explications car les citoyens se retrouvent avec un seul candidat à gauche, de l'union populaire, donc ça perturbe les électeurs".

Conquérir cette circonscription

Sur cette terre de gauche, puisque les habitants de Creil ont placé Jean-Luc Mélenchon en tête au premier tour de la Présidentielle avec 56,13% des voix, l'ambition est claire : conquérir cette circonscription, acquise à la droite depuis 15 ans.

"Cette élection avec ce rassemblement est vécu comme un possible 3e tour pouvant donner une majorité de gauche au Parlement qui finalement changera réellement les choses. Pour la première fois et depuis longtemps, Il y a une dynamique et un véritable espoir qui se lève", précise Loïc Pen.

De vraies valeurs de gauche

Pour Karim Boukhachba, 2e maire adjoint de Creil, loïc Pen est l'homme de la situation : "Les habitants ont vu son travail pour mobiliser le personnel hospitalier mais aussi la population et aujourd'hui, il est identifié comme une personne qui va défendre de vraies valeurs de gauche à l'Assemblée nationale"  

"On a un fort soutien des élus de cette circonscription, dont la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, donc on s'appuie sur tous ces soutiens pour organiser des porte-à-porte, des rencontres publiques et des distributions de tracts. Le collectif de campagne se rassemble tous les soirs pour élaborer les thèmes à developper pour les semaines suivantes" souligne le médecin candidat.

"Je vous invite, tous mes amis de Creil, à voter pour Loïc Pen. Vous ne serez pas déçus, il va bien nous défendre à l'Assemblée nationale"  lance avec un grand sourire en direction de notre caméra, David Koya Guetta, agent de sécurité et habitant de Creil.

publié le 20 mai 2022

Une âpre bataille pour ouvrir l’espoir

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Une puissante demande de solutions progressiste aux crises et pour l’amélioration du sort des classes populaires s’est exprimée le 10 avril, lors du premier tour de l’élection présidentielle par le vote pour les divers candidats de gauche. C’est bien ce qui inquiète les milieux dirigeants. Ils savent la puissance du désir d’unité populaire pour rechercher un chemin qui conduise à une vie meilleure, maintenant, dès le mois de juillet.

Les pleurnichards médiatiques, qui ont usé tant de salive et d’encre pour faire croire qu’ils se désolaient de la désunion des forces de gauche et écologistes, sèchent vite leurs larmes. Ils sont désormais vent debout et montrent les dents face à la coalition des gauches et des écologistes en vue des élections législatives, qu’ils présentent maintenant comme la catastrophe du siècle.

Les menaces de guerre nucléaire et le réchauffement climatique ne sont pas grand-chose pour eux, comparés à l’hypothèse d’une majorité de gauche à l’Assemblée nationale.

En vérité, ils savent que les dominations politiques et sociales, le mépris du monde du travail et de la culture, sont contestés par un mouvement populaire qui refuse les injonctions des milieux financiers, des croqueurs de dividendes, des exploiteurs du travail salarié et des profiteurs de guerre.

Dans les cercles dirigeants et dans les dîners mondains, dans une partie de la grande presse, propriété de quelques oligarques, on malaxe, on dissèque, on déchiffre et on chiffre les programmes des forces de gauche, on cherche les failles, les différences et les divergences. On divise. On demande aux militants et aux élus socialistes de ne pas quitter le bateau du social libéralisme qui prend l’eau de toute part. La nomination à Matignon d’une factotum-techno, présentée comme venant de la gauche vise à la fois à tenter de contrer la gauche à la veille des législatives tout en rassurant le grand patronat.

Tout ceci poursuit l’objectif d’accréditer que la seule politique possible est libérale et de démontrer que la gauche de transformation sociale et écologique ne peut pas gouverner. Qu’elle mènerait au chaos.

Quel chaos donc pour les neuf millions de personnes qui ne peuvent plus se nourrir convenablement, pour celles qui ne peuvent accéder à un logement correct et celles qui ne peuvent plus payer leur loyer ? De quel chaos s’agit-il pour les millions de nos concitoyens qui terminent le mois à l’euro près ?

Quel chaos pour l’artisan ou le paysan asphyxié par la banque ? Quel chaos pour celles et ceux qui ne « sont rien » pour le président de la République ? Quel chaos pour les travailleurs et les jeunes des quartiers populaires qui se lèvent tôt pour un salaire de misère quand leurs enfants subissent le contrôle au faciès, les discriminations à l’embauche, les suspicions et le racisme ?

Toutes et tous ont fait connaître leur pressante demande de changement à l’occasion du premier tour des élections présidentielles en octroyant plus de 11 millions de voix aux candidats de gauche et écologistes. D’autres, en s’abstenant, ont exprimé cette même aspiration.

Elles et ils sont la majorité. C’est bien ce qui inquiète les milieux dirigeants. Ils savent la puissance du désir d’unité populaire pour rechercher un chemin qui conduise à une vie meilleure, maintenant, dès le mois de juillet.

Ils savent qu’une victoire de la gauche et des écologistes est possible. On retrouve aujourd’hui l’ambiance politique créée par les partisans du vote « oui » lors de la campagne du référendum sur le traité constitutionnel européen. À l’époque, cela n’empêcha pas le « NON » de l’emporter.

Inacceptable pour ces « démocrates », qui ont créé les conditions de violer l’expression majoritaire de notre peuple comme dans d’autres pays européens, sans parler de ceux où il a été refusé de donner la parole aux citoyens par peur d’obtenir le même refus de leur diktat.

Ce vote manifestait déjà, de la part des classes populaires, un puissant rejet du système. Son viol a encore élargi les fractures. Depuis les mouvements sociaux et citoyens, comme celui des gilets jaunes ou des jeunes pour le climat, n’ont cessé de se déployer, contre les reculs de l’âge de la retraite, contre l’austérité et la vie chère, contre la dégradation et la privatisation des services publics, contre les lois de destruction du code du travail, pour défendre le climat et changer nos systèmes productifs, contre le racisme et l’antisémitisme et pour l’égalité femmes-hommes.

Si ces mouvements n’ont pas convergé en un même point au même moment, ils sont l’expression de ce qui travaille en profondeur la société. Ils se retrouvent dans le fort espoir qui marque la préparation de ces élections législatives après tant de déceptions, de frustrations et de mépris.

Une puissante demande de solutions progressiste aux crises et pour l’amélioration du sort des classes populaires s’est exprimée le 10 avril, lors du premier tour de l’élection présidentielle, sur fond de l’accélération des recompositions politiques.

Ce sont ces aspirations majoritaires que veulent contrer ensemble, le parti macroniste, la droite et l’extrême droite venue en renfort la semaine dernière, en actant que le président doit avoir sa majorité à l’Assemblée nationale. Bref, comme à chaque moment clef de l’histoire, le « cercle de la raison » capitaliste s’active.

Leurs ancêtres criaient déjà « plutôt Hitler que le Front populaire ». Aujourd’hui, ils les paraphrasent et clament que le Pen et Mélenchon seraient la même chose. Ce faisant, ils veulent peut-être faire rentrer en force l’extrême droite à l’Assemblée, pour renforcer les politiques réactionnaires.

Or, l’immense majorité de nos concitoyens ne veut pas de la retraite à 65 ans, ni d’un dégel factice du point d’indice des agents de la fonction publique en deçà de l’actuelle inflation, ni des travaux obligatoires en échange d’un maigre RSA ; pas plus que du saccage de l’école, de l’hôpital et de la sécurité sociale.

La majorité populaire veut des actions concrètes sur les « salaires, les prix et les profits », la modernisation et la démocratisation des services publics. L’idée même d’une appropriation nouvelle des moyens de production et bancaires pour une nouvelle cohérence sociale et environnementale est en débat.

Vivre mieux exige des processus de rupture avec la domination capitaliste sur le travail et la création, la vie des individus, des animaux et la nature. Voilà pourquoi la bataille est si âpre. La conjonction d’une mobilisation électorale et d’une mobilisation sociale peut créer les conditions des changements tant attendus et pour les rendre durables. C’est possible maintenant.


 


 

Législatives : la NUPES assume un programme de gouvernement de rupture

par Michel Soudais sur www.politis.fr

En se dotant d’un programme de transformation, que défendront ses candidats communs, la coalition de gauche montre qu’elle n’est pas un simple cartel électoral et affiche clairement ses ambitions.

Ils avaient décidé de s’unir par des accords bilatéraux dans lesquels avaient été couchés quelques points de programme. Les partis politiques engagées dans la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) ont dévoilé jeudi leur « programme partagé de gouvernement » pour les législatives. Fruit d’un travail collectif réunissant des représentants de LFI, d’EELV, du PS, du PCF et de Génération.s, il comprend 650 mesures et est publié sur le site internet de la Nupes.

Parmi elles : smic à 1.500 euros net, hausse des salaires, retraite à 60 ans, blocage des prix, réhaussement des ambitions climatiques de la France, passage à une agriculture écologique et paysanne, rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) avec un volet climatique, progressivité de l’impôt sur les sociétés pour favoriser les TPE-PME, recrutement de 100 000 soignants, réduction du nombre d’élèves par classe, passage à la 6e République, référendum d'initiative citoyenne…

« Lutter contre l'irresponsabilité écologique »

« L'idée n'a pas été d'aboutir à une fusion idéologique », a affirmé Jean-Luc Mélenchon en présence du premier secrétaire du PS Olivier Faure, et du secrétaire national d'EELV Julien Bayou, mais en l'absence du chef des communiste Fabien Roussel, « retenu dans sa circonscription, a indiqué Ian Brossat, porte-parole du PCF, par la fermeture du site de Vallourec à Saint-Saulve », une commune située dans une circonscription voisine de la sienne.

Ce programme se positionne « dans une rupture maîtrisé, raisonné, mais ferme » par rapport au « système dans lequel nous vivons, un système d'indifférence et d'irresponsabilité écologique, de prédation en matière économique et capitaliste, et de négation de la démocratie », a déclaré le chef de file de la France insoumise, candidat à Matignon si les électeurs et les électrices envoient à l’Assemblée nationale une majorité de député.es Nupes.

« Si nous gagnons, c'est notre programme qui s'appliquera. Rien ne sera négocié avec le chef de l'État », a-t-il affirmé. « Quand il y aura un problème, c'est le Parlement qui tranchera. » Car la Nupes revendique de s’inscrire « dans une démarche de reparlementarisation de la République française » par contraste avec « l'hyper présidentialisation » d'Emmanuel Macron, a insisté Jean-Luc Mélenchon.

Cette feuille de route compte huit chapitres : progrès social, emplois et retraites ; écologie, biodiversité, climat, biens communs et énergie ; partage des richesses et justice fiscale ; services publics : santé, éducation, culture, sport ; 6e République et démocratie ; sûreté et justice ; Union européenne et internationale. Chacun d’entre eux se clos sur une liste de « nuances », où les organisations qui soutiennent le programment font part de leurs désaccords. Elles portent notamment sur l’Europe ou le nucléaire et seront arbitrées « par le parlement », a-t-il été précisé.

Le texte recense 33 « nuances » sur 650 mesures et ne concerne donc que 5 % d’entre elles. Preuve que les partenaires ont « cherché le dépassement de [leurs] divergences », comme l’a affirmé Olivier Faure en confirmant que tous ont « bien la volonté ensemble d’être une gauche de transformation ». Avec ce projet « construit en une quinzaine de jours, en moins de temps qu'il a fallu pour Macron pour se trouver un Premier ministre, a renchérit Julien Bayou, nous voulons nous donner les moyens de gagner et de changer la vie du plus grand nombre ».


 


 

NUPES : pourquoi leurs députés ne seront pas des Playmobils

C Pierre Jacquemain sur www.regards.fr

Hier, toutes les composantes de la NUPES ont présenté son programme partagé avec ses 650 mesures.

Hier, toutes les composantes de la NUPES avaient donné rendez-vous à la presse pour présenter son programme partagé. Ils y croient. Et les sondages leur donnent raison d’y croire. En juin prochain, Jean-Luc Mélenchon peut s’installer à Matignon et mettre en place les 650 mesures du programme commun : le SMIC à 1500 euros net, le blocage des prix, la retraite à 60 ans, la règle verte, la 6ème République, le RIC ou encore le bouclier logement.

Il est reproché tout et son contraire à cette nouvelle force politique qui se créé à l’occasion des législatives. Les journalistes sont d’ailleurs à l’unisson avec la droite et l’extrême droite pour dénoncer à longueur de journée un accord électoral, un accord opportuniste. Et pourtant, à moins d’un mois du scrutin, quelles sont les familles politiques à pouvoir présenter un projet politique avec autant de précision ?

Même les points de désaccord sont mentionnés dans le programme. Et ces désaccords seront tranchés par le Parlement. Oui, parce qu’on a oublié que le Parlement avait une fonction majeure : lieu de débat, d’expression de ses convictions, d’échange contradictoire. Et à la fin, après avoir échangé ses arguments, c’est le vote qui s’impose. Un vote en conscience.

C’est vrai que ça n’est pas vraiment l’image du Parlement qu’on a eu jusque-là. Parlement godillot. Députés playmobils. Les députés de la majorité présidentielle ont toujours voté d’un seul homme. Qu’importent les idées, qu’importent les désaccords, l’enjeu : faire bloc derrière un homme. Le président de la République. Ça n’est pas ça la politique…

Ainsi la NUPES qu’on critique abondamment pour n’être qu’une coalition de façade tant les désaccords seraient importants assume de ne pas tout partager. Pas d’accord sur les violences policières ou sur la légalisation du cannabis ? Le parlement tranchera. Pas d’accord sur la sortie du nucléaire ? Le parlement tranchera. Pas d’accord sur la GPA ? L’accord NUPE prévoit un débat au Parlement. Et le Parlement tranchera. Pareil sur la nationalisation des banques, tout le monde n’est pas d’accord. Le parlement tranchera. Sortie du commandement intégré de l’OTAN ? Le Parlement tranchera et nul doute que LFI même si elle devait être majoritaire à gauche, sera mise en minorité par ses alliés et l’opposition de droite qui n’y est pas favorable. C’est le risque que prend la formation de Jean-Luc Mélenchon.

Qu’importe donc, le parlement tranchera. Tout ça est écrit noir sur blanc dans le programme de la NUPES que l’on peut consulter sur le site dédié. Et c’est suffisamment rare pour être relevé. Et là aussi, on aimerait voir les autres prétendants à gouverner le pays étaler dans l’espace public, comme le font les membres de cette union de la gauche et des écologistes, ce qui rassemble et ce qui divise. C’est honnête, transparent et les électeurs savent à quoi s’attendre. Après tout, que savons-nous de la nouvelle alliance de la majorité présidentielle ? Sur les retraites par exemple, est-ce que c’est la ligne Horizon ou la ligne En Marche / Renaissance qui l’emportera ? Nous n’en savons rien.

En tout cas sur l’essentiel, la NUPES l’assure : 95% des propositions présentées dans l’accord sont partagées. Mais on compte sur les détracteurs de la NUPES, qu’ils soient politiques ou journalistes, pour ne parler que des 5% restants… En tout cas en juin, c’est les électeurs qui trancheront.


 


 

Programmons la victoire populaire

Fabien Gay sur www.humanite.fr

Avec son nouveau gouvernement, Macron veut continuer son programme de régression sociale. Une alternative est possible : c’est la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). l faut maintenant faire grandir le mouvement populaire, pour battre les droites et l’extrême droite, et transformer l’espoir en réalité à portée de vote.

Fidèle à l’adage sportif disant qu’on ne change pas une équipe qui gagne (pour les plus riches du pays), Élisabeth Borne devrait annoncer une composition gouvernementale dans la continuité de la précédente équipe. Peu importe le casting, le contenu des régressions sociales annoncées ne laisse place à aucun doute. Loin d’avoir entendu les messages de cette élection présidentielle et tout en contournant le débat sur son bilan, le président Emmanuel Macron veut imposer un rouleau compresseur antisocial : retraite à 65 ans, RSA conditionné à du travail gratuit, coupes budgétaires de 10 milliards pour les collectivités, autonomie des écoles et du système de santé, inaction climatique.

Pourtant, l’urgence sociale est là et le Giec nous alerte : nous n’avons plus que trois ans pour changer de système, sous peine de menaces lourdes sur nos vies et la planète. Pour rejeter le scénario mortifère d’un macronisme tout-puissant à l’Élysée, comme à l’Assemblée, une alternative est possible : c’est la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Elle a présenté jeudi son programme, qui pose les bases d’une législature de changements concrets, réels et immédiats, mais aussi durables. Hausse du Smic, blocage des prix, création d’emplois par la transition écologique, services publics revitalisés et renforcés. Il y a notamment une nécessité à redonner les moyens à l’hôpital public de fonctionner. La fermeture de services d’urgences nocturnes, comme à Bordeaux récemment, en est l’illustration. Avec une Assemblée nationale souveraine et porteuse des aspirations populaires, c’est vers un renouveau démocratique que nous devons aller.

Loin des caricatures qui en sont faites par les milieux financiers et les droites qui prédisent déjà un chaos en cas de victoire de la Nupes, il faut maintenant faire grandir le mouvement populaire, pour battre les droites et l’extrême droite, et transformer l’espoir en réalité à portée de vote.

publié le 17 mai 2022

Nouveau camouflet pour Darmanin :
le Conseil d’Etat suspend la dissolution
d’un groupe antifasciste

par Pierre Jequier-Zalc sur https://basta.media

Le Conseil d’État a suspendu lundi 16 mai le décret de dissolution du groupe antifasciste lyonnais GALE. Lors de l’audience, les avocats ont démontré le flou des accusations et l’atteinte aux libertés fondamentales que cette dissolution engendrait.

« D’un point de vue des libertés publiques, cet article est beaucoup trop souple. Si on l’interprète comme le ministère de l’Intérieur est en train de le faire, s’en est tout simplement fini du droit de manifester ». Cet article, dont parle l’avocat au Conseil d’État Antoine Lyon-Caen, représentant le Groupe antifasciste Lyon et environs (GALE), menacé de dissolution par Gérald Darmanin, c’est le premier alinéa de l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure.

Il prévoit les motifs de dissolution administrative d’association et de groupement de fait, et a été modifié par la loi séparatisme, promulguée en août 2021. Dans sa version antérieure, il prévoyait de pouvoir dissoudre les groupes « qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ». Désormais il est possible pour le ministère de l’appliquer pour ceux « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».

En décidant de dissoudre le GALE le 30 mars dernier, le gouvernement s’est uniquement basé sur cette modification, une première depuis le passage de la loi. C’est aussi la première fois depuis 40 ans qu’un groupe d’extrême-gauche serait dissous. Pour contester cette décision, le GALE, par l’intermédiaire de ses avocats Olivier Forray et Agnès Bouquin, a déposé début avril un référé liberté auprès du conseil d’État. Le but : suspendre ce décret et créer un précédent pour éviter à l’avenir un usage jugé excessif de cet article.

« Je suis stupéfait de l’imprécision dont fait preuve le ministère »

Dans une salle d’audience imposante, les trois griefs faits au groupe antifasciste lyonnais ont donc été abordés devant les juges des référés du Conseil d’État le 11 mai. Avec des stratégies bien distinctes de part et d’autres. D’un côté, la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur, Pascale Léglise, justifie cette dissolution par l’accumulation de faits présentés comme des agissements violents ou des provocations à la violence et à la haine contre les forces de l’ordre et l’extrême-droite.

En face, les avocats du GALE et Axel F., présenté par le ministère comme le leader du groupe essaient de démonter, point par point, les faits reprochés. « Je suis stupéfait de l’imprécision dont fait preuve le ministère. Si on vérifie chacun des faits, à chaque fois on se retrouve sur une contrevérité », assène l’un des avocats du groupe, Olivier Forray. L’avis des défenseurs du GALE été suivi par le Conseil d’État, qui a estimé dans une décision rendue le 16 mai que « les éléments avancés par le ministre de l’Intérieur ne permettent pas de démontrer que la GALE a incité à commettre des actions violentes et troublé gravement l’ordre public ».

« Le Gale inscrit sa stratégie dans la récurrence d’actions violentes », avançait le décret de dissolution, qui listait ensuite les rassemblements, manifestations ou actions durant lesquelles le GALE ou ses membres supposés auraient commis des violences.

Un rassemblement contre une manifestation d’un groupuscule d’extrême-droite en octobre 2017 est par exemple pointé du doigt. « En marge de la manifestation, on a trouvé des marteaux, des bombes de peinture, des gants coqués et le mot d’ordre était de marcher de manière déterminée sans faire marche arrière. Donc on considère que c’est une provocation à la violence, c’est un appel à l’affrontement », affirme le ministère de l’Intérieur.

« Alex F. était interdit de manifestation ce jour-là, donc il n’était pas présent. Aucun membre supposé du GALE n’a été interpellé ou condamné à la suite de cet évènement. Et l’appel à ce rassemblement n’émanait pas du Gale mais du NPA [Nouveau parti anticapitalisme] », rétorque les avocats du groupe antifasciste. Antoine Lyon-Caen enfonce le clou : « Quand je vous écoute, je suis très inquiet. Forcément il faut de la détermination pour manifester. Si à chaque fois qu’on est déterminé on tombe sous le coup de cet article L212-1, c’est très inquiétant… »

ACAB, un outrage ou une « invention subtile » ?

Au fil des faits reprochés au GALE, le ministère n’arrive presque jamais à les prouver. La seule violence avérée est un affrontement avec des militants du groupe d’extrême-droite Civitas, qui avaient infiltré une manifestation anti-passe sanitaire. Malgré l’absence de plainte, sept militants antifascistes sont poursuivis pour cette confrontation. Quatre d’entre ont été placés en détention provisoire pour ces faits puis simplement condamnés à une amende de 4e classe (135 euros). « Mon client a reconnu qu’il avait mis une claque et a été condamné par une simple contravention. Voilà de quoi nous parlons aujourd’hui », souligne Olivier Forray.

Les débats se concentrent ensuite sur le deuxième grief, les « invectives et les appels à la haine contre les forces de l’ordre ». Là encore, les faits allégués par le ministère de l’Intérieur se délitent. À titre d’exemple, ce dialogue tournant autour d’un post Facebook du GALE où les auteurs racontent le déroulé d’une manifestation, écrivant entre autre que « la première bataille commence et une pluie d’œufs et de peinture rose s’abat sur les flics (…) la BAC [brigade anti-criminalité] repart en courant sous une pluie de bouteilles et de pavé ». Avant de conclure en souhaitant à leur lecteur un « joyeux ACAB day ».

« Alex F. : « Le post est un récit de ce qu’il s’est passé. Les faits s’étaient déjà déroulés. C’est fait avec une pointe d’humour et des slogans historiques dans le milieu de la gauche radicale. »

Ministère de l’intérieur  : « Le sigle ACAB, qui veut dire all cops are bastards (tous les flics sont des bâtards), a une signification particulière. C’est un outrage et une incitation à la haine contre les policiers. Le fait de se féliciter de ces actions les légitime et constitue une incitation à se réjouir et à les réitérer. »

Antoine Lyon-Caen : « Le post est humoristique. ACAB ce n’est pas une injure. Initialement, ça fait état de l’origine populaire des policiers. La formule aux États-Unis n’a rien d’injurieux, elle a été inventée pour marquer la tension qui existe au sein de la police d’être né dans les milieux populaires et d’intervenir dans ces mêmes milieux. C’est ça la bâtardise initiale. Pourquoi la police prend-elle toujours négativement une invention subtile ? »

Sur les publications faites sur les réseaux sociaux du groupe, la décision du Conseil d’État est claire : « Les juges des référés observent que les publications du groupement sur ses réseaux sociaux ne peuvent être regardées à elles seules comme une légitimation du recours à la violence. Si le groupement tient des propos radicaux et parfois brutaux, ou relaie avec une complaisance contestable les informations sur les violences contre les forces de l’ordre, on ne peut considérer que le groupement ait appelé à commettre des actions violentes ».

« On ne peut pas reprocher à un organisateur de festival de ne pas avoir censuré "tout le monde déteste la police" »

Quelques secondes plus tard, même type d’échanges sur l’Antifa Fest, un festival de musique qui avait créé la polémique à droite et à l’extrême droite en décembre 2021. En cause, la présence de drapeaux siglés « ACAB » et le slogan « tout le monde déteste la police » entonné sur scène par un groupe de rap.

Alex F. : « Il est vrai que je fais partie de l’association – déclarée en préfecture - qui organise ce festival. J’ai l’impression qu’on ne peut plus critiquer la police sur une scène musicale, on ne peut plus blasphémer la police et la justice. À l’époque, Georges Brassens le faisait par exemple. Il n’y a jamais eu de problèmes à ce festival organisé depuis 2013. »

Ministère de l’intérieur : « Je ne me laisserai pas entraîner sur le terrain de la liberté d’expression. Évidemment qu’on peut critiquer la police et la justice mais pas quand on légitime les actions violentes. C’est un ensemble, chaque fait n’est pas l’objet d’une provocation. Mais la manœuvre générale du GALE c’est de dire : à bas l’état fasciste et youpi c’est très bien qu’on s’en prenne à la police et allez-y, allez-y encore ! C’est ça qui est critiquable. »

Antoine Lyon-Caen : « Lorsque le Conseil d’État a fait une analyse détaillée de la loi séparatisme, il a validé le texte mais a précisé qu’il appelait à des motifs précis. On ne peut pas juste dire : il y a une espèce d’atmosphère. Je pense que tout ce qui justifie la dissolution doit être des faits précis. Là ce n’est pas le cas. Au festival, il n’y a aucune provocation. Il faut accepter que les artistes soient appelés à dire des choses désagréables pour le pouvoir. On ne peut pas reprocher à un organisateur de festival de ne pas avoir censuré "tout le monde déteste la police". Il faut que le ministère de l’intérieur accepte que ce débat ait lieu. »

« L’outrecuidance de qualifier de nazi ceux qui sont ouvertement nazis »

Ces dialogues illustrent parfaitement la teneur des débats qui se sont essentiellement concentrés sur la vision que le GALE a de la police. « On navigue d’un fait à l’autre et le ministère essaie de créer un lien, une perspective entre eux alors qu’il n’y en a pas. Le but est de critiquer, notamment la police, dans le cadre de la liberté d’expression. Ce que font d’ailleurs des syndicats de police à l’encontre de la justice », ironise Olivier Forray, faisant notamment référence à la manifestation organisée par le syndicat de police Alliance pour « la présomption de légitime défense ».

Le dernier grief, les appels et la légitimation du recours à la violence contre les mouvements d’extrême-droite, est finalement assez peu abordé. Seul des graffitis « Morts aux nazis » dans un local d’un groupuscule d’extrême-droite est débattu. Ce qui donne d’ailleurs lieu à un échange assez lunaire.

« Olivier Forray : « Ce mot, "nazi", a été apposé dans ce local pour des raisons claires et limpides. Nous sommes en train de débattre de la privation de la liberté d’expression de la GALE parce qu’elle a l’outrecuidance de qualifier de nazi ceux qui sont ouvertement nazis. Peut-on priver de liberté un groupe et des gens pour cela ? Donc le GALE et ses avocats assument cette action. »

Ministère de l’intérieur : « Quand bien même ils seraient nazis, il y a des armes légales pour lutter contre cela. Dans l’histoire, il y a eu d’autres stigmatisations de personnes sous couvert de justification. En stigmatisant une personne, quelque soit son pedigree, on légitime les violences contre cette personne. On appelle à une vendetta juste parce que le GALE saurait qui est bien et qui est mal. »

Alex F. : « Apparemment on ne peut pas stigmatiser les nazis… »

À la suite de cette audience, le Conseil d’État a donc jugé que le décret de dissolution du groupe représentait une « atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d’association, de réunion, d’expression et d’opinion » . Il l’a donc suspendu, dans l’attente d’une procédure sur le fond qui devrait intervenir dans plusieurs mois. « La GALE ressurgit (...), on ne dissout pas une révolte qui gronde », a réagi sur Twitter le groupe antifasciste lyonnais qui, avant la décision, n’avait plus le droit d’utiliser ses réseaux sociaux.

« Le dossier était vide mais on n’avait pas l’expérience de cette instance donc on est vraiment content et contente. C’est une victoire collective, de nos avocats, de nos soutiens. Après, ce n’est qu’une étape, la lutte continue », confient à Basta! des sympathisants du GALE qui annoncent qu’ils vont reprendre « le travail de veille contre les violences de l’extrême-droite et de la police ainsi que les relais de divers appels à solidarité » sur leurs réseaux sociaux.

Cette décision de la plus haute juridiction administrative intervient quelques jours seulement après une autre suspension : celle des dissolutions de deux collectifs pro-palestiniens, Comité Action Palestine et Palestine Vaincra. Si cette décision se basait sur d’autres arguments juridiques, pour le gouvernement, c’est le deuxième camouflet en quelques jours. Qui prouve que l’usage de cet article controversé s’appuie parfois plus sur des objectifs politiques que sur des arguments juridiques.

 publié le 17 mai 2022

Marine Tondelier : « Pendant cinq ans, Marine Le Pen a été une députée fantôme »

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Nupes - Déterminée à « défendre les intérêts des habitants », notamment sur le pouvoir d’achat, l’écologiste Marine Tondelier portera les couleurs de la gauche face à la candidate d’extrême droite.

Pour la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), certains combats en vue des législatives de juin sont des plus emblématiques. C’est le cas du côté d’Hénin-Beaumont, où Marine Tondelier (EELV) affrontera pour la troisième fois la candidate du RN, Marine Le Pen. En 2017, cette dernière avait réuni 46 % au premier tour, et la gauche, dispersée, avait été disqualifiée. Cinq ans plus tard, le scénario est sensiblement différent : « J’ai toujours porté l’union, et là c’est l’union qui va me porter », se réjouit l’écologiste.

Vous avez été investie par la Nupes dans une circonscription hautement symbolique puisque vous ferez face à Marine Le Pen. Comment abordez-vous cette campagne ?

Marine Tondelier : Nous avons depuis cinq ans une députée fantôme vue à la télévision mais très absente localement, à part pendant les campagnes ou quelques commémorations. Nous avons besoin d’une députée pour de vrai. Notre territoire ne manque pas de combats : les rénovations de cités minières promises par l’État n’avancent pas ; des pollutions graves, notamment sur l’ancien site de Metaleurop, ont des conséquences financières, sanitaires et posent un problème de reconversion… Ces quelques exemples montrent la nécessité d’une députée qui défende les intérêts des habitants et travaille de concert avec les élus. L’alliance inédite et historique de la gauche est porteuse d’énormément d’espoir. L’enjeu désormais, c’est qu’elle ne se résume pas à une succession de logos sur le papier. Nous allons mettre en place une assemblée populaire de la circonscription qui se réunira tous les mercredis pour que les idées, les besoins puissent s’exprimer et être traduits en actions. Ce travail ne s’arrêtera pas au soir du second tour mais se poursuivra pendant tout le mandat, pour faire ce que Marine Le Pen ne fait pas.

Le RN s’est saisi de la question du pouvoir d’achat. Que lui opposez-vous ?

Marine Tondelier : Ce sujet touche beaucoup de monde ici. La question est de savoir à quoi nous a servi Marine Le Pen pendant cinq ans ? La réponse : à rien. À l’Assemblée, elle n’a rien réussi à contrer ni fait aboutir quelque idée que ce soit, heureusement d’ailleurs. Et localement, son mandat n’a apporté ni changement pour les habitants ni lien avec la circonscription. Après l’avoir battue à la présidentielle, il faut maintenant combattre la politique d’Emmanuel Macron : alors que le RN n’aura au mieux que 30 à 40 députés, le seul vote utile pour cela aux législatives est celui pour la Nupes avec sa dynamique de troisième tour. Et nous mettrons en place sitôt élus le Smic à 1 500 euros net, le blocage des prix et la retraite à 60 ans sans décote.

Comme opposante dans une municipalité RN, vous avez eu affaire à ses méthodes d’exercice du pouvoir. Comment réagissez-vous au progrès de l’extrême droite à la présidentielle ?

Marine Tondelier : J’ai été très soulagée qu’ils échouent au second tour, et il faudra tout mettre en œuvre pour qu’il en soit de même en 2027. Car je vis, à petite échelle, à Hénin-Beaumont ce que donne l’exercice du pouvoir par le Rassemblement national avec un rejet de l’altérité et un sentiment de toute-puissance. Tant que vous ne vous opposez pas frontalement, tout va bien. Mais sous les airs d’ouverture qu’ils se donnent, ils se sentent autorisés à opposer à ceux qui leur résistent un rouleau compresseur d’intimidations et d’invectives. Le but est à la fois de tenter de nous faire craquer mais aussi d’en faire un exemple dissuasif. Quand on voit ce dont ils sont capables avec les petits outils d’une ville de 27 000 habitants, on se dit qu’avec les moyens d’une région et a fortiori de l’État, ce serait terrible.

Certaines des propositions de la Nupes, comme la désobéissance aux règles européennes, font grincer des dents une partie du PS mais aussi certains écologistes ou anciens d’EELV. La rupture est-elle consommée ?

Marine Tondelier : D’abord, ces gens ne se considèrent pas tous comme de gauche, ou ne sont pas tous considérés comme de gauche. La vérité, c’est que nous avons fait en quelques jours ce qui n’avait pas été réussi en plusieurs années. Évidemment, nous ne sommes pas d’accord sur tout, sinon nous serions dans le même parti. Sur l’Europe, il n’aura échappé à personne que notre ligne n’est pas exactement celle des insoumis, et ce sera le débat des élections européennes. Le terme de désobéissance a fait beaucoup réagir mais la France désobéit déjà à l’Europe. Par exemple, sur la qualité de l’air, elle ne respecte pas les seuils réglementaires fixés par les directives. De même pour la sacro-sainte règle de l’austérité, dont tout d’un coup, pendant le Covid, les pays ont pu se dispenser. Nous sommes profondément pour la construction européenne, mais cela ne signifie pas que cette Union européenne là nous convient parfaitement. Nous voulons y rester, mais la changer.


 


 

Élisabeth Borne à Matignon, un bras d’honneur aux mouvements sociaux

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Jean Castex a donné sa démission trois semaines après la réélection d’Emmanuel Macron à un second quinquennat. Une heure plus tard, le suspense sur le nom de son remplaçant était dissipé, après de longues spéculations dans la presse. Ce sera une remplaçante. Élisabeth Borne passe du ministère du Travail à Matignon.

« Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite […] J’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir », annonçait Emmanuel Macron devant ses partisans au soir du second tour de l’élection présidentielle. Une déclaration qui comme les promesses électorales n’engage que ceux qui y croient. Alors que le président de la République doit largement sa réélection au vote des électeurs de gauche, tel un pied de nez, il nomme Élisabeth Borne trois semaines plus tard au poste de Premier ministre pour conduire sa politique.

Élisabeth Borne : un lourd bilan antisocial

Derrière le symbole de la nomination d’une femme au poste de Premier ministre, donnant une apparence progressiste au second mandat d’Emmanuel Macron, se cache une politique sociale particulièrement brutale. Élisabeth Borne a déjà occupé trois maroquins ministériels au cours des cinq dernières années. Celui du transport de mai 2017 à septembre 2019. Puis ceux de la Transition écologique de juillet 2019 à septembre 2020 et du Travail au moment de la nomination de Jean Castex.

Si son passage à l’écologie n’a pas profondément marqué les esprits, elle a conduit deux des réformes emblématiques du quinquennat. La première en 2018 au ministère des Transports. Élisabeth Borne a porté le projet de loi « pour un nouveau pacte ferroviaire ». Si le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, se défendait de privatiser la SNCF, le texte modifiait pourtant le statut de l’entreprise, la transformant au 1er janvier 2020 en société anonyme. Même si pour le moment, ses capitaux sont exclusivement détenus par l’État. À la même date, le statut de cheminot disparaissait pour les nouveaux embauchés. Avec les droits associés évidemment. Autre élément de cette réforme : l’ouverture à la concurrence. D’abord sur les lignes régionales dès 2019, puis sur les lignes TGV en 2020 et 2021.

L’autre réforme majeure de liquidation de droits sociaux de ce quinquennat restera bien sûr celle de l’assurance chômage. Celle qui déclarait en février 2021 « je suis une femme de gauche. La justice sociale et l’égalité des chances sont les combats de ma vie » a conduit à son terme la réforme la plus antisociale des cinq dernières années, initiée par Muriel Pénicaud en 2018. Ici, la possibilité d’ouvrir à une indemnisation est passée de 4 mois à 6 mois pour les chômeurs, pendant que la possibilité de recharger des droits entre deux petits boulots passait d’un mois à six mois. Et comme si cela ne suffisait pas, le décret final change complètement le mode de calcul du salaire journalier de référence permettant de calculer le montant des allocations. Évidemment pas au bénéfice des chômeurs.

 Une méthode à craindre pour la réforme des retraites

Si Élisabeth Borne a un lourd bilan de dégradation des droits des cheminots et des demandeurs d’emploi sur le fond, elle se distingue également sur la forme. D’abord dans le dossier de la SNCF où elle n’a quasiment rien consenti à l’une des plus longue grève cheminote, durant plus de deux mois et portée par les quatre syndicats représentatifs de l’entreprise ferroviaire. Ensuite, dans le dossier de l’assurance chômage, elle a tenu son cap, malgré l’hostilité de l’ensemble des organisations syndicales de salariés. Et même face au désaveu du Conseil d’État en novembre 2020. Elle n’a pas ménagé sa peine pour imposer au forceps, quitte à mettre en œuvre quelques coups tordus, sa réforme de l’assurance chômage. Et ce, même lorsque l’Unédic mettait en cause les chiffrages du ministère pour présenter sous un jour moins défavorable sa réforme.

La gestion de ces deux dossiers ne présage rien de bon pour celui à venir des retraites. Même si à l’heure où nous écrivons rien n’est certain, les éléments distillés pendant la campagne électorale laissent supposer la tenue d’une grande conférence sociale au début de l’été pour lancer le projet. Au regard des multiples réunions que l’ancienne ministre du Travail a tenu, sans les écouter, avec les organisations de salariés, sur le dossier du chômage, il est à parier que ces réunions n’auront pour fonction que de dire au grand public : on discute. Même si évidemment, il est peu probable qu’Élisabeth Borne, la nouvelle Première ministre, négocie.

publié le 16 mai 2022

Élire une majorité de députés pour répondre à l’urgence sociale

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Les familles populaires souffrent, mais les profits des groupes pétroliers montent aussi vite que le prix des carburants. Les chantiers de transformation immédiate sont immenses. Ils peuvent vite améliorer la vie quotidienne.

Le rassemblement de la nouvelle union populaire écologique et sociale, NUPÉS, est l’atout à la disposition de chacune et de chacun pour soi et sa famille. Il met ces changements tant attendus à portée de vote, dès le premier tour, dimanche 12 juin.

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Entre le mois de mars 2019 et le mois de mars dernier, le prix de l’huile de tournesol est passé de 1,83 € à 2,29 € le litre. Celui de la farine de 0,90 € à 2,29 € le kg. Celui du filet de bœuf de 39,30 € à 43,07 € le kilo, celui des tomates de 2,97 € à 4,09 € le kilo. On pourrait ajouter encore d’autres exemples, comme l’augmentation des prix des carburants pour se chauffer ou se déplacer, notamment pour se rendre au travail. La bouteille de gaz est passée de 34,35 € à 37,30 €. On ne remplit plus sa cuve de fioul de 1 000 litres à moins de 1 560 € alors que la même quantité coûtait 950 € il y a trois ans.

Le litre de super est passé de 1,47 € à 1,96 € tandis que le gasoil affiche en moyenne plus de 2 € contre 1,46 € en 2019. La même tendance s’observe pour le gasoil non routier qu’utilisent les paysans et les pêcheurs.

La vie devient chaque semaine plus dure pour les familles populaires alors que la rémunération du travail, les pensions de retraite et les prestations sociales stagnent. Les prix des matières premières indispensables à la production industrielle, comme le coton, la pâte à papier, le caoutchouc, l’acier, le cuivre, l’aluminium, l’énergie montent en flèche jusqu’à parfois 80 % d’augmentation, renchérissant tous les coûts de production.

Et nous parlons ici du moins mauvais scénarios, celui dans lequel il n’y a pas de pénurie conduisant à ralentir les chaînes de production ou à fermer des usines. D’ailleurs, curieusement, on n’entend plus le disque rayé des économistes de droite se pavanant sur les plateaux de télévision pour expliquer doctement que le fameux « coût du travail » serait la cause fondamentale de notre baisse de compétitivité.

Jamais ils ne soulèvent la question des prix des matières premières importées, des coûts du transport et de l’énergie comme facteurs de dégradation de la compétitivité. S’ils le faisaient, ils seraient contraints de reconnaître les douloureux méfaits de la mondialisation capitaliste financiarisée.

L’abandon de pans entiers de nos productions industrielle et agricole se paie aujourd’hui avec plus de 100 milliards de déficits commerciaux, des pénuries et les augmentations de prix pour les familles populaires.

La relance industrielle et agricole ne peuvent plus être des sujets de beaux discours gouvernementaux mais des priorités. Les familles populaires souffrent, mais les profits des groupes pétroliers montent aussi vite que le prix des carburants et ceux des géants mondiaux des transports battent tous les records.

Ceux de la seule grande multinationale française de fret CMA-CGM dépassent maintenant ceux de Total.

Une part importante des hausses actuelles des prix des carburants n’est pas liée à des difficultés d’approvisionnement mais le résultat de spéculations et d’un jeu géopolitique dangereux dans le cadre de l’insupportable guerre déclenchée par le maître du Kremlin contre le peuple ukrainien. La part des prix du pétrole dans le prix final des carburants est deux fois moins importante que les taxes étatiques.

Il en est de même pour les prix des matières premières alimentaires, particulièrement des pâtes et du pain. Il n’y a pas de manque de blé en Europe. Simplement, le prix du blé est fixé chaque jour à la bourse de Chicago par quatre à cinq firmes transnationales et les marchés financiers qui spéculent sur des anticipations de production liées à la guerre et aux modifications climatiques. La part du blé à 400 € la tonne, ne représente que 8 centimes d’euros dans une baguette de pain.

Il serait donc intéressant de disposer de la décomposition des différents coûts dans la fabrication alimentaire alors que ni le paysan, ni le boulanger ne s’y retrouvent. Cela pourrait être un intéressant sujet d’investigation d’une commission d’enquête parlementaire.

Une nouvelle majorité et un nouveau gouvernement de gauche populaire et écologiste devraient dès juillet prendre des initiatives internationales en lien avec les citoyens, les peuples et d’autres gouvernements pour faire cesser ces spéculations.

Ils devraient aussi, d’urgence, améliorer substantiellement la vie quotidienne de millions de personnes en passant le Smic à 1 800 € brut, en faisant rattraper le point d’indice des agents des fonctions publiques, en augmentant les prestations sociales qui devraient être indexées sur l’inflation, comme les devraient l’être les retraites sur les salaires. Les pensions de retraite ne devraient être inférieures au smic.

Ces décisions pourraient être prises dès le mois de juillet, ainsi qu’un premier blocage des prix des produits alimentaires indispensables et de l’énergie. De même une initiative spécifique, en lien avec les autorités européennes, devrait être décidée pour les 9 millions de personnes qui aujourd’hui ne peuvent manger que grâce à l’action solidaire d’associations tel le Secours populaire français.

Une telle majorité d’union populaire et le gouvernement qui en serait issu devraient préparer rapidement une conférence sociale préparatoire à une loi d’urgence pour le pouvoir d’achat et le travail stable avec la fin des contrats précaires, la création d’emplois stables, un immense effort de formations dans le cadre d’un grand plan de transformation sociale, démocratique et écologique.

À ceci devrait s’ajouter des initiatives nouvelles, en lien aussi avec les institutions européennes dont la banque centrale européenne, afin d’éviter une remontée des taux d’intérêts des prêts bancaires qui renchérirait le prix des crédits, la dette des ménages, celles des entreprises et des collectivités et de L’État.

Le débat pour transformer la construction européenne est bien sur la table, puisque le président de la République vient de proposer de retenir la proposition du Parlement européen de renégocier les traités. Pourquoi alors chercher querelle à la coalition de la nouvelle union populaire ?

Les chantiers de transformation immédiate sont immenses. Ils peuvent vite améliorer la vie quotidienne. Le rassemblement de la nouvelle union populaire écologique et sociale est l’atout à la disposition de chacune et de chacun pour soi et sa famille. Il met ces changements tant attendus à portée de vote, dès le premier tour, dimanche 12 juin.

 


 

Rachel Kéké,
de l’Ibis Batignolles
à l’Assemblée

Sohir Belabbas sur www.humanite.fr

La syndicaliste CGT, figure de la lutte victorieuse des femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles à Paris, est candidate de la Nupes aux législatives dans la 7e circonscription du Val-de-Marne.

Une femme de chambre députée ? La candidature enthousiasme. Samedi 8 mai, à la convention de la Nupes, le public l’acclame debout durant son discours enflammé. Au lendemain de son investiture, Rachel Kéké n’en revient pas de l’engouement suscité : « C’était, comme disent les jeunes, un truc de ouf ! »

Sur le trajet qui mène à Stains, à l’assemblée générale d’un collectif de militants des quartiers populaires, la candidate à la députation fait défiler les vidéos virales de son intervention sur son téléphone. On la revoit parée de son bazin violet, «la tenue africaine de fête que je portais le jour de la signature de la fin du conflit», précise-t-elle.

« La sous-traitance, c’est la maltraitance »

Ce conflit, c’est celui qui a opposé les femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles au puissant groupe Accor et son sous-traitant de nettoyage, STN. En juillet 2019, elle se lance avec trente-trois employées, soutenues par la CGT-HPE (hôtels de prestige et économiques), dans une lutte pour revendiquer des conditions de travail et de rémunération dignes.

Sur les piquets de grève, une formule est née : « La sous-traitance, c’est la maltraitance. » Celles qui se désignent comme « les guerrières des Batignolles » dénoncent les cadences infernales, les mutations, les heures supplémentaires non payées, les agressions sexuelles, dont un viol qui aurait été commis par un ancien directeur de l’hôtel.

Au terme d’une lutte de vingt-deux mois, dont huit mois de grève, elles arrachent entre 250 et 500 euros d’augmentation de salaire, une prime de panier et la fin du travail à la chambre pour un paiement à l’heure. « 99 % de nos revendications », comme aime à le répéter la gouvernante. « La lutte, ça paye ! » La victoire les dépasse : « Des journalistes sont venus du Japon pour nous interviewer ! »

Depuis, Rachel Kéké a rejoint la France insoumise car elle estime que « leurs équipes étaient là jusqu’à la victoire ». Ce dimanche-là, la candidate est invitée à rencontrer le collectif autonome On s’en mêle, qui avait appelé à voter Union populaire au premier tour de l’élection présidentielle. Dans la salle de spectacle municipale, les retrouvailles sont chaleureuses avec Ahmed Berrahal, camarade de la CGT-RATP.

Sa verve et son sens de l’anaphore

Très vite après la présentation du programme, la militante de 47 ans prend le micro devant les quelque 200 participants : « C’est nous, les personnes des quartiers populaires, les femmes issues de l’immigration, c’est nous qui faisons ces métiers essentiels. » Avec sa verve et son sens de l’anaphore, la syndicaliste emporte la salle dans la même ferveur que la veille.

Il est temps d’aller à l’Assemblée nationale pour dire stop et pour voter des lois concrètes ! »

Rachel Kéké

Arrivée à Paris à l’âge de 26 ans, la jeune Ivoirienne a multiplié les galères pour régulariser sa situation, trouver un logement et un travail stable. La mère de cinq enfants connaît les difficultés rencontrées par « les papas et les mamans sous-traités » qui enchaînent les boulots sur des horaires décalés, avec de grosses amplitudes, pour des salaires de misère. « Cette situation ne nous donne pas les moyens d’éduquer nos enfants dans nos quartiers. Donc, il est temps d’aller à l’Assemblée nationale pour dire stop et pour voter des lois concrètes ! »

« De toute façon, on n’a pas le choix, il faut lutter ! »

Mais la bataille n’est pas gagnée d’avance. En 2017, au premier tour des législatives, le bloc libéral (LaREM, LR, DVD) raflait plus de 60 % des voix sur la circonscription qui compte les communes de Chevilly-Larue, Fresnes, L’Haÿ-les-Roses, Thiais et Rungis. L’abstention atteignait 52 %. Jean-Jacques Bridey (LaREM, ex-PS) l’avait emporté face au républicain Vincent Jeanbrun. Le très droitier maire de L’Haÿ-les-Roses rempile.

Pour remplacer le député sortant, qui traîne des casseroles liées à des frais de bouche exorbitants et une affaire de détournement de fonds publics, la Macronie a choisi de parachuter la ministre des Sports, Roxana Maracineanu. Mais le paysage politique a évolué depuis 2017 : excepté à Rungis, Mélenchon est arrivé partout en tête du premier tour de l’élection présidentielle dans une circonscription globalement à droite. Il réalise une surprenante percée, comprise entre 8 et 11 points, par rapport à 2017.

« De toute façon, on n’a pas le choix, il faut lutter ! » lance avec évidence l’habitante de Chevilly-Larue qui veut mener une campagne joyeuse. Son premier projet de loi ? « Revaloriser tous les métiers essentiels. J’ai combattu Accor, je saurai tenir tête au ministre du Travail, si besoin », assure-t-elle sur le chemin du retour. Elle repart avec le soutien du collectif et de ses collègues. Fière, légitime et déterminée, Rachel Kéké est en route pour prolonger le combat.

publié le 15 mai 2022

Roger Martelli :
« La gauche commence à reprendre
les couleurs de 1789 »

Aurélien Soucheyre sur wwwhumanite.fr

Rassemblée au sein de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), la gauche voit son centre de gravité s’affirmer de nouveau du côté de ses fondamentaux historiques : révolutionnaires, démocratiques et plébéiens.

L’historien Roger Martelli analyse l’émergence de la Nupes à l’aune de deux histoires pour grande partie liées. Celle du courant révolutionnaire, démocratique et plébéien, né en 1789, et celle de la gauche, tiraillée entre deux composantes majeures : une force de rupture avec le monde existant, l’autre de composition avec le système en place. Il retrace les grandes étapes observées depuis la Révolution française et s’attarde sur l’évolution de la gauche, en particulier depuis les années 1990.

Vous avez qualifié la création de la Nupes d’ « union inattendue ». Elle s’est, de plus, réalisée avec un centre de gravité très à gauche. Est-ce si surprenant en France ?

C’est surtout la poursuite d’une histoire, celle d’un pays qui, il y a plus de deux siècles, est entré dans la modernité bourgeoise et capitaliste sur la base d’une révolution massivement populaire. De ce fait, depuis 1789, il y a dans notre pays, à la différence de beaucoup d’autres, une gauche qui est marquée par la présence en continu d’un courant révolutionnaire, démocratique et plébéien. Il est plus ou moins sur le devant de la scène. Il peut être très dynamique, par exemple lors de la Révolution française, de celle de 1848, de la Commune de Paris, des grands mouvements ouvriers des XIX e et XX e siècles, dont celui du Front populaire, et lors du programme commun. Il peut aussi être plus en retrait, mais il ne disparaît jamais, quoi qu’on ait pu croire. Nous nous sommes habitués, après 1981, à une gauche dominée par un Parti socialiste tenté de plus en plus par des compromissions avec le courant ultralibéral dominant. Mais cela n’a pas été toujours le cas, loin de là. Le socialisme de Jaurès et de Guesde avant 1914, puis le communisme après 1920 ont coloré fortement le paysage de la gauche, en la tirant vers sa gauche. Pendant quelques décennies, entre la Libération et la fin des années 1970, c’est même le communisme qui était en tête de toute la gauche. Au fond, on pourrait dire que le plus « normal », chez nous, est que la gauche soit bien à gauche. Pas le contraire…

Quel rapport avec les élections législatives de 2022 ?

À mon avis, le rapport est double. Tout d’abord, après le désastreux quinquennat de Hollande, on voit réapparaître sur le devant de la scène une gauche qui, à nouveau, met son discours sur le registre de la rupture avec les logiques gestionnaires dominantes. Par ailleurs, cette gauche se présente sous une forme ouvertement unitaire. Ce n’est que la quatrième expérience d’union depuis 1920 : avant 2022, on a connu le Front populaire après 1934, l’union de la gauche et le programme commun après 1972, et la gauche plurielle entre 1997 et 2002. L’alliance actuelle s’inscrit dans cette continuité, mais de manière originale. Les trois premières unions ont précédé ou suivi des échéances électorales. Elles ont parfois conclu des accords programmatiques, plus ou moins longuement discutés à l’avance et plus ou moins fournis, comme en 1936 et en 1972. Elles ont débouché sur des accords électoraux qui se limitaient à la règle ancienne du désistement automatique au second tour. En 2022, c’est différent. Pour la première fois, la gauche se rassemble non pas avant ou après une séquence électorale, mais à l’intérieur même d’une séquence, entre la présidentielle et les législatives, avec un accord dès le premier tour sur plus de 500 circonscriptions, et un programme adopté rapidement, sur la base proposée par la force qui a emporté la compétition à gauche lors de la présidentielle, à savoir la France insoumise. Mais, quelles que soient les particularités, le fil rouge est pour l’essentiel le même : le refus de considérer que l’inégale distribution des richesses, des savoirs et des pouvoirs serait une fatalité, complété par l’objectif de rompre avec une tendance dominante.

Ce refus a-t-il toujours irrigué les deux partis qui ont dominé la gauche au XX e siècle, à savoir le PCF puis le PS ?

C’est évidemment plus compliqué que cela et il ne faut jamais oublier que la gauche se décline à la fois au singulier et au pluriel : la gauche est une et elle est polarisée. Deux tendances différentes la traversent ainsi en longue durée. Celle qui considère que le système en place conduit par nature aux inégalités et que quiconque veut l’égalité doit chercher à rompre avec ce système ; celle qui pense que l’on peut travailler à l’égalité à l’intérieur du système, en s’adaptant à lui. Au XX e siècle, la gauche de rupture s’est exprimée majoritairement dans le déploiement du PCF ; la gauche d’accommodement a été dominée par le PS. À tout moment, la question a été de savoir qui donnait le ton : en 2017 et 2022, comme à la présidentielle de 1969, c’est la gauche de gauche qui le fait. Ce qui change, c’est son équilibre interne. Pendant longtemps, la force du PCF a tenu à ce qu’il apportait trois choses : un raccord entre les perspectives politiques et un univers populaire et ouvrier, une espérance sociale nourrie par le mythe soviétique et des formules de rassemblement à gauche. L’utopie s’est retournée contre lui, crise du soviétisme aidant et, faute de transformer suffisamment leur outil, les communistes ont laissé le PS les devancer en s’accaparant la dynamique du programme commun.

Le socialisme de Jaurès et de Guesde avant 1914, puis le communisme après 1920 ont coloré fortement le paysage de la gauche.

Qu’en a-t-il fait ?

Il s’est petit à petit intégré dans les logiques dominantes. Sous le poids du néolibéralisme et des effets de la mondialisation capitaliste, il a glissé progressivement vers le social-libéralisme. Le point culminant a été atteint avec le quinquennat de Hollande. Mais les élections présidentielles de 2017 et 2022, où le PS a été lourdement sanctionné, ont dit et redit que les électeurs de gauche, en tout cas ceux qui sont restés à gauche et ne sont pas partis chez Macron, ne veulent pas de cette orientation, contraire aux valeurs de la gauche. Sans doute, une fois passée la période électorale, on ne devra pas limiter à cinq années l’examen critique de ce qui a plongé le mouvement populaire dans l’incertitude et la gauche politique dans le désarroi. Nous devrons alors relire et tenter de comprendre l’ensemble du processus qui, depuis 1983 et le tournant de la « rigueur », a désorienté le socle populaire et désarmé la gauche. Mais on peut convenir dès maintenant que le dernier conseil national du PS a opéré une première et salutaire clarification. Tel qu’il est, affaibli, ce parti semble avoir pris conscience que, s’il veut retrouver une place dans les constructions à gauche, il doit effacer les effets d’un passé récent. C’est un bon début, et il est très significatif que le noyau de l’opposition à Olivier Faure soit porté par les acteurs du quinquennat de Hollande, qui, eux, ne veulent tirer aucune leçon du passé.

Comment s’est affaibli le PS alors que la composante plébéienne et révolutionnaire de la gauche se reconstituait jusqu’à devenir majoritaire aujourd’hui ?

Ce qui se produit aujourd’hui vient de loin. Le processus s’est amorcé dès les années 1990, avant de se développer dans les années 2000. Le grand cauchemar des années 1980, c’était le triomphe du néolibéralisme et, partout dans le monde occidental, le reflux du mouvement ouvrier. Mais, dès le milieu des années 1990, on a vu s’amorcer un regain critique : le mouvement social de novembre-décembre 1995, puis la victoire législative en 1997 en ont été les signaux les plus marquants. Après l’échec de l’expérience Jospin, en 2002, la tendance s’est renforcée : c’est la dynamique majoritaire du non au projet de traité constitutionnel européen, puis l’essai malheureusement avorté des collectifs antilibéraux en 2006. Et il y a, enfin, l’apparition du Front de gauche en 2008, qui accélère le tout et débouche sur les scores croissants de Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 2017. Ce que nous vivons aujourd’hui est le fruit de cette longue bataille, où chacun a joué son rôle à sa façon. Cet effort collectif offre aujourd’hui à la gauche la possibilité d’entrer dans une nouvelle ère de son histoire.

La demande de rassemblement est massive dans le peuple de gauche et, dans cette situation politique, l’union est une clé incontournable.

Qu’est-ce qui a, selon vous, déterminé la création de la Nupes ?

Il y a, d’un côté, la longue évolution de la gauche. Mais, l’autre point de départ, c’est quand même cette présidentielle assez étonnante, et cela dès le premier tour. On nous annonçait une élection pliée d’avance, avec le tandem Macron-Le Pen et une gauche à la dérive. À l’arrivée, nous avons trois candidats qui ramassent les trois quarts des suffrages exprimés, laissant tous les autres dans les profondeurs du classement. Et ces trois candidats se trouvent à la tête de trois familles politiques, ce qui structure la suite. L’ordre est significatif. La première famille est celle de droite : elle rassemble certes 36 % des voix, mais, en dévorant la droite classique, Emmanuel Macron a affaibli et divisé la droite tout entière. La ­deuxième famille, c’est l’extrême droite, qui gagne 5 % et monte à 32 % des voix. Mais elle est, elle aussi, divisée, et l’on sait que les législatives sont souvent compliquées pour le RN. Enfin, la troisième famille, avec un peu moins de 32 %, c’est la gauche, qui était donnée par les sondages autour de 25 à 27 % il y a encore quelques mois. Cette gauche se trouve restructurée, avec un Jean-Luc Mélenchon qui arrive très largement en tête et qui, contrairement à 2017, tend la main à ses concurrents de gauche. Rien n’était gagné d’avance, mais écologistes, communistes et socialistes acceptent la main tendue. Ils ont eu raison de le faire : la demande de rassemblement est massive dans le peuple de gauche et, dans cette situation politique complexe et mouvante, l’union est une clé incontournable. Elle seule en effet offre les plus grandes chances de faire élire un maximum de députés et même, pour la toute première fois, il existe une opportunité pour qu’une législative se gagne à gauche après qu’a été perdue une présidentielle, quelques semaines plus tôt. Beaucoup disaient dépassé le clivage droite-gauche : manifestement, il a retrouvé tout son sens, au point que cette union apparaît désormais comme la véritable menace aux yeux du pouvoir macronien. Si la droite est si hargneuse contre la Nupes, c’est parce que la gauche s’est remise à lui faire peur. Voilà que la droite se vautre à nouveau dans le mensonge et l’exagération : très bonne nouvelle !

Une victoire vous semble-t-elle envisageable ?

Un possible s’est ouvert : la gauche doit se saisir de cette occasion et de cet élan. Elle a repris des couleurs et commence à retrouver ce qui faisait sa force au XX e siècle. Mais elle a encore un immense travail intellectuel, ­organisationnel et pratique devant elle, quel que soit le résultat des législatives. Il est vrai que le vote Mélenchon a su opérer une conjonction entre une part des populations les plus exploitées et discriminées de la société française, dans les quartiers populaires des grandes agglomérations, et une couche d’intellectuels souvent jeunes, mais souvent réduits à des tâches et des rémunérations qui ne sont pas à la hauteur de leurs compétences et qualifications. Mais cela ne doit pas cacher que, en dehors des grandes villes et des banlieues ouvrières, la gauche n’a pas suffisamment retrouvé le chemin des catégories populaires, qui trop souvent s’abstiennent ou, par déception et désillusion, regardent du côté de l’extrême droite. Du reste, elle doit retisser ce qui a été détissé, construire un processus de rupture avec les logiques dominantes, renforcer ses valeurs constitutives et changer ses modes d’organisation pour les adapter à la société d’aujourd’hui, comme elle a commencé à le faire sur les questions écologiques. Elle doit se montrer force de subversion, proposer et bâtir une nouvelle ère. Cela suppose de se raccorder encore plus à un mouvement social et populaire beaucoup plus composite qu’autrefois, se lier davantage à toutes les formes de contestation qui s’élèvent face au système de domination et d’aliénation constitutif du capitalisme. Il faut accoler à la colère la conscience et l’espérance : là est la clé pour l’avenir, pour la gauche comme pour le mouvement populaire.


 


 

Législatives.
Quatre militants de terrain, une même bannière :
la Nupes

sur www.humanite.fr

Altermondialiste, avocate, boulanger, soignant… et bientôt députés ? La Nouvelle Union populaire met en avant la diversité de ses candidats et des luttes qu’ils incarnent. Portraits de quatre d’entre eux.


 

L’avocate nordiste qui veut un droit pour les générations futures

Sarah Kerrich-Bernard Avocate et secrétaire de la fédération PS du Nord

La théorie des gauches irréconciliables édictée par Manuel Valls, elle n’y a jamais cru. « De là où je viens, dans les Hauts-de-France, c’est impossible d’y apporter du crédit : c’est l’union qui a nous permis d’envoyer à nouveau des élus à la région », assure Sarah Kerrich-Bernard, maintenant candidate socialiste dans une circonscription du Nord. Alors, samedi, sur l’estrade de la convention de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, cette avocate en droit public s’est sentie « galvanisée », car « enfin on a parlé des sujets qui intéressent les gens ». La socialiste de 29 ans a notamment parlé d’écologie et de son souhait de voir naître un « droit des générations futures ». « Nous allons passer des États solitaires aux États solidaires. Nous allons créer un nouveau contrat de civilisation que nous inscrivons dans le temps et avec les autres espèces », a-t-elle annoncé, enthousiasmée par le rassemblement.

Nous allons créer un nouveau contrat de civilisation que nous inscrivons dans le temps et avec les autres espèces. 

Elle s’est revue en 2010 lorsque, à 17 ans, elle pousse la porte de la fédération PS du Nord pour y adhérer avec « l’envie de participer à un combat plus grand » que soi. Le parti à la rose est alors « celui qui pouvait fédérer » la gauche. Aujourd’hui, à cause des trahisons du quinquennat Hollande, il s’est « désagrégé », au point qu’avec le score d’Anne Hidalgo (1,7 %), Sarah Kerrich-Bernard était au bord de la rupture avec le PS : « Soit le parti faisait le choix de l’union, soit il faisait le mauvais choix et je ne voyais pas comment continuer. » Le conseil national, dont elle est membre après avoir soutenu deux fois l’actuel numéro 1, Olivier Faure, choisit la première option. Et elle décide de relever le drapeau socialiste dans une région qui ne compte plus aucun député socialiste depuis 2017. Après avoir été responsable départementale des Jeunes socialistes puis conseillère régionale, Sarah Kerrich-Bernard est désormais à la tête de la deuxième plus grosse fédération socialiste du pays. D’origine marocaine, cette fille d’enseignants compte maintenant s’asseoir sur les bancs de l’hémicycle du Palais-Bourbon. 

Le boulanger solidaire qui ne voulait pas faire de politique

Stéphane Ravacley Artisan

Une grève de la faim comme entrée en politique. En janvier 2021, Stéphane Ravacley, boulanger à Besançon depuis 1985, voit soudain la presse débarquer dans son fournil pour relayer son combat en faveur de son apprenti guinéen, Laye Fodé Traoré. Mineur isolé, celui-ci venait de recevoir, à ses 18 ans, une obligation de quitter le territoire français, et doit sa régularisation à la lutte acharnée de son patron. Ce dernier, qui n’avait « jamais voulu faire de la politique », va alors fonder avec d’autres entreprises dans la même situation l’association Patrons solidaires pour « battre le fer ensemble contre les préfectures » et porter, avec le sénateur PS Jérôme Durain, une proposition de loi. Elle se fracassera sur la « grande déconnexion entre les élus et la réalité du terrain », que le boulanger, candidat dans la 2e circonscription du Doubs, veut « révolutionner » en posant son tablier sur les bancs du Palais-Bourbon.

À l’Assemblée nationale, c’est son parcours, son ancrage sur le terrain et son « humanisme » qui guideraient sa députation. Le boulanger de 53 ans veut poursuivre son combat pour les mineurs isolés, étrangers comme français, en proposant de « les accompagner jusqu’à 25 ans et non 18 ans pour les protéger et les insérer doucement dans le monde du travail ». Il serait aussi un des premiers députés artisans et veut porter « la voix des petites entreprises des villages et petites villes », qu’il veut « redynamiser en réimplantant l’artisanat ». Originaire d’une famille de paysans de Bonnevent-Velloreille, commune de moins de 400 habitants en Haute-Saône, il promet aussi de défendre le monde de l’agriculture, avec le but de le « sortir de sa dépendance vis-à-vis de la grande distribution ».

Investi par EELV, Stéphane Ravacley ne prendra pas pour autant sa carte au parti afin de « garder (sa) liberté de ton et de conscience ». Pour faire de la politique autrement et « pour les gens », il se forme depuis quelques mois à l’Académie des futurs leaders pour apprendre à « construire un argumentaire et savoir rester soi-même dans ses prises de parole, pour ne surtout pas singer le monde politique ». F. L. D.

Un médecin communiste à élire de toute urgence

Loïc  Pen Médecin urgentiste à l’hôpital de Creil (Oise)

Cette fois, il y va pour gagner. Déjà candidat du PCF en 2007 et 2012 dans la 7e circonscription de l’Oise, Loïc Pen se présentait pour faire vivre les idées communistes. En 2022, il a de réelles chances de les porter à la tribune de l’Assemblée nationale . « C’est la première fois qu’on a une gauche rassemblée et crédible pour gagner », assure le médecin de 54 ans. Ce malgré un score important de l’extrême droite dans cette circonscription à la présidentielle, dont il combat l’imposture sociale avec les diverses forces militantes de gauche, qui n’ont pas attendu la Nupes pour s’unir.

Dans cette bataille, il peut compter sur des convictions certaines et intactes depuis près de quarante ans. En 1984, avant ses 16 ans, le tournant de la rigueur du PS et le mouvement pour la libération de Mandela le poussent à adhérer au PCF. Ses idéaux et ses combats se renforceront au fil de son parcours professionnel. Médecin urgentiste à l’hôpital de Creil (Oise), il vit de près « l’austérité qui pèse sur les services publics, aujourd’hui dans un état de déliquescence proche de l’effondrement en ce qui concerne l’hôpital public ».

Lui qui espère, avec la gauche rassemblée, « faire élire des gens qui connaissent les problématiques réelles de différents secteurs » souhaite continuer à exercer à l’hôpital, même dans un temps réduit, s’il devient parlementaire. «  Je ne veux pas perdre cet ancrage et le vécu quotidien, qui est très nourrissant », explique celui qui a aussi été chroniqueur vidéo pour l’Humanité, pendant la crise sanitaire. Comme urgentiste et syndicaliste CGT, Loïc Pen a ainsi développé des idées et des solutions concrètes pour stopper cette spirale mortifère pour les services publics de la santé : « Réinvestir massivement dans l’hôpital, arrêter d’emprunter à des taux pas possible aux banques privées, balayer la tarification à l’activité, repenser la gouvernance pas seulement à l’hôpital mais dans toute la santé… » Actuellement responsable du service de l’unité pénitentiaire rattaché à l’hôpital de Beauvais, Loïc Pen souligne aussi « les liens extrêmement étroits entre la médecine et le social », qui guideraient ses prises de parole et de position à l’Assemblée.

La militante altermondialiste qui a toujours été d’attaque contre le néolibéralisme

Aurélie Trouvé Agronome et ancienne porte-parole d’Attac

Qu’il vente, qu’il neige ou qu’il pleuve, elle ne fait jamais défaut à la lutte. Dans la rue, elle a toujours été là, souvent en tête de cortège ou micro à la main. Pendant quinze ans, Aurélie Trouvé a été l’un des visages de l’altermondialisme, tantôt porte-parole d’un contre-G7, tantôt candidate, « pour le symbole », à la tête du Fonds monétaire international (FMI) face à Christine Lagarde. Mais, début décembre, celle qui est alors porte-parole de l’ONG Attac décide de tourner la page pour entrer en politique. Son objectif ? « La conquête des institutions ». Comment ? En rejoignant la campagne de Jean-Luc Mélenchon. « Psychologiquement, ça a été dur mais je suis convaincue d’avoir fait le bon choix : je suis restée dans la même famille », raconte-t-elle, la gorge serrée.

La candidate se réclame de cette « gauche bolivarienne qui a concrètement transformé la vie des gens ».

Aujourd’hui, Aurélie Trouvé, habitante de Seine-Saint-Denis depuis une quinzaine d’années, est candidate dans la très populaire 9e circonscription du département, où la sortante FI Sabine Rubin ne brigue pas un nouveau mandat. Ici, Jean-Luc Mélenchon a tutoyé les 50 % au premier tour de la présidentielle. « C’est là que l’on vit puissance 10 les dégâts sociaux et environnementaux de Macron. Je ne voulais pas aller ailleurs », explique cette agronome de 42 ans.

Dans son dernier livre, le Bloc arc-en-ciel, elle rêvait d’unir « le rouge du syndicalisme et du communisme, le vert de l’écologie, le violet du féminisme, le jaune des insurrections populaires et le spectre multicolore des luttes antiracistes et LGBTQ+ ». Ces dernières semaines, Aurélie Trouvé a été l’une des chevilles ouvrières de l’accord entre les gauches pour former la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, dont elle préside le parlement de campagne. Inspirée par la première campagne d’Evo Morales en Bolivie, où elle a fait un stage en 2002, elle se réclame de cette « gauche bolivarienne qui a concrètement transformé la vie des gens ». Pour changer la vie des Français, cette coureuse de demi-fond à haut niveau voudrait porter une mesure à l’Assemblée nationale : les cantines bio, locales et 100 % gratuites pour tout le monde.

publié le 14 mai 2022

L’analyse. La gauche au pouvoir, c’est ça !

Cyprien Caddeo et Florent LE DU sur www.humanite.fr

La gauche rassemblée a lancé sa campagne des législatives, le 7 mai à Aubervilliers. Avec un objectif : gouverner et imposer une rupture avec le quinquennat Macron. Smic à 1 400 euros, retraite à 60 ans, allocation pour les 18-25 ans, retour de l’ISF, renationalisations, planification écologique… Demandez le programme de cohabitation.

Petit exercice de projection. Nous sommes le 19 juin. La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) obtient plus de 289 sièges de députés à l’Assemblée nationale. À l’Élysée, Emmanuel Macron tempête : pas le choix, même si ça lui brûle les tripes, il doit nommer Jean-Luc Mélenchon à Matignon. Darmanin, Le Maire, Véran, Borne, Blanquer… tout le cortège se met en marche vers la sortie. Insoumis, communistes, écologistes et socialistes s’installent dans les ministères. Maintenant, il s’agit de gouverner et de ne pas décevoir. De montrer que le contre-récit progressiste au néolibéralisme se traduit en actes.

« Nous ne sommes pas en train de régler je ne sais quel congrès entre nous, prévient Jean-Luc Mélenchon, le samedi 7 mai, depuis les Docks d’Aubervilliers, où a été lancé le coup d’envoi de la campagne de la Nupes. Nous posons un acte de résistance collective à une ère de maltraitance sociale, écologique et démocratique. Cet accord ne nous permettra de gagner que si nous convainquons que notre programme, nos idées correspondent à l’intérêt général humain. » « C’est un programme de réformes heureuses pour changer la vie des Français », abonde Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. Alors comment « changer la vie » des gens, concrètement ?

Retraites et salaires

Tout le monde s’accorde au sein de l’union sur le chantier prioritaire : le pouvoir d’achat, préoccupation première des Français. Retour vers le futur, le 19 juin. Face à l’inflation nourrie par le double effet de la reprise post-Covid et de la guerre en Ukraine, la nouvelle majorité organise le blocage des prix sur les produits de première nécessité. Les prix à la pompe sont stabilisés – les grands pétroliers comme TotalEnergies, 16 milliards de dollars de bénéfice sur l’année 2021, sont contraints de mettre la main à la poche.

Cette mesure d’urgence s’accompagne d’une autre de plus long terme. « Dès le 1er juillet, avec notre nouvelle majorité, le Smic sera augmenté à 1 400 euros net, les salaires vont augmenter de 100 euros tout de suite, avec un salaire brut, avec des cotisations pour financer la Sécu », détaille Fabien Roussel. Car l’augmentation du salaire minimum tirerait, mécaniquement, l’ensemble des paies à la hausse. La Nupes convoque d’ailleurs, avec les syndicats, une convention pour une « renégociation générale des salaires ». La majorité de gauche cherche aussi à mettre fin aux insupportables images d’étudiants faisant la queue pour bénéficier d’aides alimentaires : un revenu minimum d’autonomie, fixé à 1 063 euros, est donc adopté pour les 18-25 ans pour la rentrée 2022. « Ce seront des améliorations rapides et concrètes du quotidien, des portefeuilles qui s’épaississent et des prix qui n’augmentent plus », s’enthousiasme Manon Aubry, eurodéputée FI et négociatrice des accords. De vraies mesures de soutien au pouvoir d’achat aussi, loin de la politique des chèques et des primes de Macron, qui cherche à tout prix à éviter la mise à contribution du capital.

C’est l’autre grand chantier de la Nupes. Plus besoin, pour la génération née entre 1961 et 1969, de se gratter la tête dans l’espoir de comprendre combien de trimestres supplémentaires elle va devoir trimer pour avoir le droit à une retraite complète. Oublié, le coup de massue, pour les moins de 50 ans, persuadés de devoir travailler jusqu’à 65 ans, minimum. Le « gouvernement Mélenchon » veut rétablir la retraite à 60 ans, avec 40 annuités pour une pension complète, et sans décote. « Il n’y aura plus une pension complète au-dessous du Smic », promet la Nupes.

Planification écologique

Des jeunes aux seniors, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale se fixe comme cap de « changer la vie » pour toutes les générations. Y compris celles à naître, menacées par la hausse des températures et l’exctinction d’une partie du vivant. « Les renoncements de Macron sont honteux, la Convention citoyenne sur le climat étant le paroxysme du cynisme», tance le numéro un d’EELV, Julien Bayou. Quoi de mieux qu’une colocation forcée avec la gauche pour l’obliger à se verdir ? C’est le sens de la planification écologique, qui « irriguera toutes les mesures économiques », défend Manon Aubry. Une fois le premier budget bouclé, à l’automne 2022, 200 milliards d’euros seront injectés dans le renouvelable, la rénovation thermique et un grand plan de relocalisations. De quoi créer des emplois tout en diminuant notre empreinte carbone. Un plan contre les sécheresses, de plus en plus fréquentes, devra être adopté. Enfin, la Nupes défend l’adoption de la règle verte – ne pas prendre à la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer.

Services Publics

La Nupes s’assume comme une gauche de gouvernement, où la puissance publique bande les muscles face aux appétits dévorants du marché. C’est un des fronts portés par le PCF  : l’État remettra la main sur les autoroutes, les aéroports, EDF, Engie. Des nationalisations pour les remettre au service des gens et non de la rente privée, et qui permettent un meilleur contrôle des prix. La fonction publique sera aussi remplumée. Pour répondre aux parents d’élèves inquiets des classes surchargées et des enseignants lessivés, les profs et les accompagnants scolaires seront recrutés en nombre et ils verront leurs salaires revalorisés. Enfin, pour que plus personne n’ait la douleur de voir sa grand-mère ou son grand-père maltraité par des entreprises cyniques comme Orpea, sera lancé un service public du grand âge.

Fiscalité

Sueurs froides chez les libéraux : la politique sociale et économique de la Nupes requiert un « pognon de dingue ». Pour financer ses ambitions, la gauche prévoit d’aller chercher l’argent là où il est, dans les poches des fortunés, en rétablissant l’impôt sur la fortune et en supprimant la flat tax. « Aujourd’hui, quand vous vivez de vos dividendes, vous êtes moins imposé que ceux qui payent l’impôt sur le revenu », tacle le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Sur cet impôt, la Nupes propose l’instauration de 14 tranches progressives, ce qui se traduirait par des baisses d’impôts dès 2023 pour les revenus de moins de 4 000 euros mensuels. Enfin, le « gouvernement Mélenchon » escompte faire la chasse aux grands évadés fiscaux.

Une démocratie refondée

À nouvelle politique, nouvelle pratique institutionnelle. Alors que l’Europe a longtemps fracturé les gauches entre elles, les membres de la Nupes s’accordent sur le fait de désobéir ponctuellement aux traités européens s’ils font obstacle au progrès social et écologique. Le peuple, du reste, sera davantage consulté au sein d’une hypothétique VIe République, plus parlementaire – lancer un processus constituant nécessitera cependant le concours d’Emmanuel Macron… Les citoyens pourront, grâce au référendum d’initiative citoyenne, être force de proposition à l’Assemblée nationale. Les communistes poussent aussi pour plus de démocratie dans l’entreprise, en ouvrant aux salariés plus de droits d’intervention et de décision, notamment dans les conseils d’administration.

En cas de victoire, la Nupes veut aller vite, consciente qu’Emmanuel Macron conserve une cartouche contre une éventuelle cohabitation : le droit présidentiel à dissoudre l’Assemblée et convoquer de nouvelles élections. Manon Aubry tempère : « Que Macron n’accepte pas les résultats des législatives serait une nouvelle illustration des travers de la Ve République, cela révélerait encore la nécessité de changer les institutions. Mais ce n’est pas ça qui doit nous préoccuper, notre seule boussole ce sont les gens, et comment on améliore leurs existences. »


 

Entretien. « Cette gauche est en mesure de reprendre le pouvoir sur l’argent »

Le négociateur pour le PCF, Igor Zamichiei, défend un accord qui acte une clarification à gauche et permettra, si la nouvelle union populaire sort gagnante des législatives, d’améliorer immédiatement la vie des Français.

L’accord signé à gauche est-il à vos yeux historique ?

Igor Zamichiei :C’est un accord porteur d’espoir. Un accord inédit qui permet d’affronter une situation de grave danger pour les droits sociaux et démocratiques, menacés par Emmanuel Macron. C’est aussi un accord qui permet de se donner les meilleures chances de faire élire des députés de gauche en juin, et comme nous l’espérons de conquérir une majorité à l’Assemblée nationale. C’est possible et c’est ce qu’attendent des millions de Français qui ne veulent pas du projet de notre président de la République, et qui au contraire défendent des mesures courageuses de transition sociale et écologique. La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) porte cette forte ambition. C’est le cœur de ce que nous avons lancé en commun pour les législatives.

Que peut apporter cette alliance de gauche si elle l’emporte ?

Il y aura immédiatement de grandes réformes : le smic à 1 400 euros net, la retraite à 60 ans pour tous, un revenu d’autonomie pour les jeunes, des créations d’emplois massives dans les services publics, notamment dans la santé et l’éducation, ou encore la renationalisation d’EDF et d’Engie. Autant de mesures attendues qui vont changer très rapidement la vie des Français. Les communistes ont insisté pour que la Nupes défende des propositions structurelles pour réorienter nos modes de production, améliorer la démocratie en entreprise et reconquérir le pouvoir sur l’argent avec la création d’un grand pôle financier public. Les négociations sur ce programme ont été exigeantes à gauche, car nous n’arrivions pas tous avec les mêmes logiques et les mêmes priorités, mais nous avons très vite convergé sur de nombreuses batailles et solutions communes.

La gauche a-t-elle aujourd’hui changé de centre de gravité ?

Nous sommes arrivés à un moment de clarification. Non seulement notre famille politique est désormais indéniablement ancrée du côté de la gauche radicale, mais le Parti socialiste lui-même a validé un accord qui se trouve très éloigné de ce que le PS faisait la dernière fois qu’il a exercé le pouvoir, sous François Hollande. De ce point de vue, le PS a fait un vrai choix politique, en repoussant les logiques austéritaires. C’est une bonne nouvelle. Nous avions besoin que les socialistes rejoignent cette union pour être à la hauteur de la riposte que nous préparons face à Macron et contre l’extrême droite. Notre union est ainsi forte de sa cohérence, de son projet, et de la diversité de tous ceux qui la composent.

Quelle campagne commune est prévue ?

Nous lançons à la fois une campagne autour d’un programme partagé, et 577 campagnes où chaque candidat portera la Nupes dans toutes les circonscriptions du pays. Nous allons défendre ce projet national tout en le faisant entrer en résonance avec les attentes locales. Jamais les forces de gauche ne s’étaient ainsi entendues sur une répartition globale des circonscriptions. Bien sûr, nous pouvons comprendre que, dans cette situation, il y ait localement des tensions, car un certain nombre d’acteurs de terrain pouvaient se sentir les plus légitimes pour être candidats. Mais l’accord national doit être respecté, car il est la condition de notre union et de notre ambition : obtenir une majorité à l’Assemblée pour changer la vie des Français.


 

Législatives. Comment la gauche peut remporter l’Assemblée

L’alliance entend décrocher un grand nombre de sièges, voire la majorité, les 12 et 19 juin, et imposer un autre scénario. Voici toutes les raisons d’y croire.

Comment une gauche arrivée troisième à l’élection présidentielle pourrait-elle gagner les élections législatives ? D’abord, si l’on compare 2017 et 2022, l’ensemble des forces de gauche (32 %) a progressé de 4 points. Les premiers sondages réalisés en vue du prochain scrutin indiquent des intentions de vote dans cet étiage, voire supérieures. Mais la principale différence avec 2017 est la présence de candidatures uniques et donc de potentielles performances électorales bien supérieures. Il y a cinq ans, seuls 167 candidats de gauche étaient parvenus à atteindre le second tour des élections législatives. Dans plusieurs dizaines de circonscriptions, les différents candidats de gauche s’étaient neutralisés, laissant le champ libre à LaREM et RN au second tour.

En projetant les résultats des trois blocs (gauche, libéraux, extrême droite) à la présidentielle sur chacune des 577 circonscriptions, le bloc de gauche se classe dans les deux premiers dans 291 d’entre elles. Un gain considérable qui pourrait encore être accentué par la configuration du prochain scrutin. En effet les libéraux avancent divisés entre Renaissance (ex-LaREM) et ses alliés d’une part et LR d’autre part. Si des accords pourront discrètement se nouer entre LR et la majorité pour ne pas présenter de candidats dans certaines circonscriptions, les voix de droite devraient être divisées au premier tour. Il en va de même à l’extrême droite, puisque le parti Reconquête ! de Zemmour et le Rassemblement national de Le Pen partiront séparément. Cet éclatement des deux autres blocs offre à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) des possibilités supplémentaires de figurer au second tour. Dans cette configuration, la Nupes pourrait être en tête dans 241 circonscriptions, le RN 159 et Renaissance 139 d’entre elles. Les réalités locales et l’implantation de LR devraient cependant troubler ces projections. La force de la gauche au premier tour pourrait se transformer en faiblesse au second, faute de réserves de voix. L’attitude des électeurs des candidats éliminés pèsera lourd.

Si l’arithmétique électorale indique des possibilités pour l’union à gauche, tout sera cependant affaire de dynamique politique. L’abstention traditionnellement supérieure de plus de 20 points à la présidentielle sera une des clés du scrutin. La possibilité de la mise en œuvre de diverses mesures sociales pourrait bouleverser la donne. Les premières enquêtes d’opinion semblent indiquer le début d’un désir de gauche, puisque 35 % des Français disent vouloir une victoire de cette alliance pour le prochain scrutin, devant le RN à 29 % et LaREM à 26 %. 20 % des électeurs de Macron au premier tour de la présidentielle formulent ce souhait, signe d’un élargissement possible. Si cette dynamique continue, rien n’est interdit jusqu’à l’obtention d’une majorité relative, voire absolue, à l’Assemblée. Nul doute cependant que majorité présidentielle comme droite et extrême droite passeront les semaines à venir à tenter de discréditer la Nouvelle Union populaire. Le combat est rude mais pas ingagnable.


 


 

Pour un plan d’éradication de la pauvreté

par Didier Gelot Ancien secrétaire général de l’Observatoire national de la pauvreté sur www.humanite.fr

Avec la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, la rupture avec les politiques néolibérales est à portée de main. S’il y a un domaine où l’urgence sociale est forte, c’est celui de la lutte contre la pauvreté. Si les revenus des patrons du CAC 40 ont doublé entre 2020 et 2021 (Carlos Tavares a touché 66 millions d’euros), plus de 9 millions de personnes vivent avec moins de 1 100 euros par mois, et 5 millions avec moins de 870 euros.

Dans ce cadre, Emmanuel Macron, afin de s’attirer les votes populaires, propose de reprendre une mesure annoncée dès 2017. Il s’agit du versement automatique des prestations sociales (RSA, prime d’activité, aides au logement, allocation de solidarité spécifique, allocations familiales), ce qu’il appelle la « solidarité à la source », en référence au prélèvement des impôts.

Ce projet viserait à lutter contre le non-recours aux prestations sociales, chiffré à 10 milliards d’euros par an. Il avait déjà donné lieu en 2019 à une concertation, suivie en 2021 par un rapport de Fabrice Lenglart, remis à Jean Castex. Il s’agit de sortir d’un système d’attribution des aides sociales qui se traduit par le fait qu’un tiers des potentiels allocataires des minima sociaux ne les perçoivent pas, par manque de connaissance ou par crainte de stigmatisation.

Que peut-on penser de cette proposition ? Répondra-t-elle aux attentes des millions de personnes qui vivent dans la précarité ? Séduira-t-elle, comme l’espère son initiateur, les électeurs des quartiers populaires ?

Pour répondre à ces questions, il faut resituer ce projet dans le contexte des autres mesures qui l’accompagnent.

Emmanuel Macron a indiqué que le versement automatique des aides sociales serait accompagné d’un durcissement des conditions de leur attribution. Il conditionne le versement du RSA à « l’obligation de consacrer quinze à vingt heures par semaine pour une activité permettant d’aller vers l’insertion professionnelle ». Cette conditionnalité remet au goût du jour le postulat libéral selon lequel les allocataires des minima sociaux préféreraient vivre de l’« assistanat » que de leur travail. Partant d’une revendication de l’ensemble des associations de lutte contre la pauvreté (passer des droits quérables à une automaticité des droits), on aboutit à une remise en cause de la possibilité reconnue aux plus pauvres de disposer, sans conditions si ce n’est de ressources, des aides sociales en vigueur.

Dans le cadre de son second mandat, Emmanuel Macron envisage aussi la fusion des différents minima sociaux en un dispositif unique (le revenu universel d’activité) qui relève de la même logique. L’enjeu est de baisser le niveau des prestations sociales, pourtant déjà insuffisant. Aujourd’hui, le total des prestations sociales représente 60 milliards d’euros par an (le fameux « pognon de dingue »). Il s’agit aussi de mettre fin à la possibilité de percevoir plusieurs allocations relevant de champs différents : allocations familiales d’un côté et aides sociales sous conditions de ressources de l’autre. Ce projet pose la question de l’individualisation versus conjugalisation/familialisation du versement d’une telle prestation. Ces options obéissent en effet à des logiques différentes. La première fait le choix de l’émancipation individuelle (une femme doit être financièrement indépendante de son mari, comme un jeune de ses parents). Les deux autres prennent en compte tous les revenus du ménage, quels que soient les rapports interfamiliaux.

Face à ces projets néfastes, la Nouvelle Union populaire propose un véritable plan d’éradication de la pauvreté. Augmentation du Smic à 1 400 euros ; création, sans contreparties et dès 18 ans, d’une garantie d’autonomie versée automatiquement (elle viendra compléter les actuels minima sociaux afin qu’aucune personne ne continue à vivre sous le seuil de pauvreté) ; interdiction des coupures d’eau, d’électricité et de gaz et création d’un pôle public permettant de gérer l’ensemble de ces biens communs ; blocage du prix des produits de première nécessité. Tout cela dans le cadre d’une justice fiscale à même de dégager les budgets nécessaires à ces mesures d’urgence.

On peut être certain que les jeunes et les habitants des quartiers populaires sauront faire la différence entre ces deux logiques, et qu’ils voteront en masse en juin prochain pour les candidats de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale.

 publié le 13 mai 2022

La gauche fait peur, et c’est bon signe

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Législatives Les macronistes, l’extrême droite et jusqu’aux dissidents du PS dénoncent la nouvelle union de manière caricaturale. La preuve que la dynamique électorale se situe bien à gauche, et que ses adversaires sont fébriles.

L’accord à gauche ? C’est, au choix : « Des anciens laïcards et des nouveaux islamistes, des nageuses en burkini et des zadistes en poncho », pour Éric Zemmour. La « banqueroute » assurée, pour Christophe Castaner. « Une véritable pétaudière, une sorte de salmigondis idéologique », pour le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Une « union d’extrême gauche et antirépublicaine » à laquelle il faut faire « barrage », pour Jordan Bardella. Certains signes ne trompent pas. Quand la gauche essuie une pluie d’attaques agressives et farfelues, c’est qu’elle peut conquérir le pouvoir. Depuis que le PCF, EELV et le PS se sont alliés à la France insoumise autour de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), le festival des « paniques morales » et d’arguments caricaturaux bat son plein. « Attendez-vous à ce que ce soit compliqué. Pourquoi ? Parce qu’ils ont peur », prévenait Jean-Luc Mélenchon le 1er Mai. Même l’hebdomadaire de droite le Point titre ainsi son dernier numéro : « Mélenchon, l’autre Le Pen », dans l’espoir de renverser le barrage républicain contre la gauche.

De la droite à son extrême droite en passant par les dissidents « socialistes », tous ont adopté la stratégie de la diabolisation de la gauche. Avec comme objectif final de maintenir leur position au pouvoir, comme principaux opposants ou comme tenants de partis historiques. Réunissant ses candidats, le 10 mai, Emmanuel Macron les a prévenus que la bataille, cette fois, se jouerait ainsi contre l’ « extrême gauche », qui serait « unie sur une seule chose, la décroissance ». Pour lui, la retraite à 60 ans, le Smic à 1 400 euros, l’allocation d’autonomie pour les jeunes, le blocage des prix, la justice fiscale (qui finance en partie les précédentes mesures) ne constitueraient même pas des avancées sociales, au motif qu’ «  il n’y a pas de projet de progrès social qui se fait sur le déficit : ce serait sur le dos de nos enfants » ! La prétendue infaisabilité ou le coût du projet de la Nupes sont mis en avant à longueur de plateaux pour alerter sur «  la folie du programme de Jean-Luc Mélenchon », comme le qualifie le patron des députés LaREM, Christophe Castaner (lui-même ancien membre du PS) .

La lutte contre les inégalités sociales serait
« dangereuse »

C’est pourtant d’abord une question de choix politiques et économiques, que la droite, macronienne ou non, tente ainsi de restreindre. «Quand toute la gauche était de gauche, ces mesures étaient classiques, pas extrémistes, rappelle Vincent Tiberj, sociologue et professeur à Sciences-Po Bordeaux. Le programme de la Nupes s’insère dans une tradition économique différente et veut remettre en scène un choix de politique économique, ce que le PS avait fini par abandonner. Emmanuel Macron considère que l’économie de marché délimite le champ de la raison. » Donc, que toute proposition de plus grande redistribution ou de lutte contre les inégalités sociales serait « dangereuse » ou « ne pourrait pas être tenue », comme l’a souligné la députée LaREM Aurore Bergé .

De telles attaques rappellent la campagne présidentielle de 2017, mais pas celle d’avril dernier. « Les macronistes n’avaient pas d’inquiétude concernant Mélenchon à la présidentielle, observe l’historien Damon Mayaffre, spécialiste de l’analyse du discours politique. Pas d’inquiétude, donc pas de nécessité d’agiter le chiffon rouge comme c’est le cas maintenant. » Mais, en se déchaînant sur la Nupes, ses adversaires valident le constat que la dynamique de campagne se trouve désormais à gauche, ce qui commence à faire stresser la Macronie . Car, la traditionnelle démobilisation des électeurs entre la présidentielle et les législatives (- 25 points en 2017) pourrait être moindre chez les électeurs de la Nupes galvanisés par le rassemblement, ce qui réduit aussi le risque d’élimination de la gauche dès le premier tour dans plusieurs circonscriptions. Or, en 2017, dans 231 d’entre elles, des candidats LaREM l’avaient emporté au second tour face à un concurrent LR, RN ou divers droite. Ce pourrait être une autre paire de manches face à un candidat de gauche, notamment si un « Tout sauf Macron » s’applique .

La droite macronienne, qui a tout fait pendant cinq ans pour désigner Marine Le Pen comme son adversaire, grince donc des dents. « C’est beaucoup plus simple d’en appeler à la République face à l’extrême droite, que de parler inégalités sociales, redistribution et de leur bilan en la matière », estime Vincent Tiberj. « Aujourd’hui, Emmanuel Macron doit réviser sa stratégie. Envoyer quelques signaux, sinon à la gauche, du moins aux réfractaires du PS, mais aussi, en même temps, se livrer à une diabolisation de la gauche », abonde le sociologue Éric Fassin. La présentation du « paquet » de mesures en faveur du pouvoir d’achat, prévue « à l’été », pourrait ainsi être avancée à l’avant-premier tour des législatives.

Dans le même temps, ses candidats, comme Manuel Valls ou Aurore Bergé, considèrent que la Nupes est « antirépublicaine ». Le chef de l’État l’a même qualifiée de « communautariste ». « C’est dans la continuité du premier mandat de Macron, avec des ministres qui parlaient d’islamo-gauchisme, de wokisme, analyse Damon Mayaffre. La difficulté des macronistes à répondre à la gauche sur le fonds économique et social les encourage à agiter ces paniques morales, à montrer que ces adversaires sont tous ou presque antirépublicains. C’est stratégique mais aussi idéologique. Il y a une vraie rupture et une peur sociale des dominants autour des mesures de la Nupes. »

Dans cette entreprise de caricature éhontée d’une « gauche bolchevique mangeuse d’enfants », certains grands médias nationaux et intellectuels osent tout. Le Figaro redoute « le soleil bolivarien sur une piscine municipale envahie de burkinis ». Pour Alain Finkielkraut, « Jean-Luc Mélenchon mise sur le grand remplacement pour accéder au pouvoir », tandis que Valeurs actuelles titre sur « La menace islamo-gauchiste ».

Anathèmes et attaques grotesques pour ne pas débattre du fond des propositions

Car, l’extrême droite n’est pas en reste. S’il a renoncé à viser Matignon, considérant que « la logique des institutions » veut que le président ait la majorité, le Rassemblement national compte bien rester l’opposant principal d’Emmanuel Macron. Et en matière d’insultes caricaturales, il sait faire. Son président Jordan Bardella voit dans la Nupes une «  ZAD de toutes les idéologies les plus dangereuses pour notre pays, les communautaristes et les islamo-gauchistes », quand Marine Le Pen évoque « l’opposition qui va défendre le burkini à la piscine, veut ouvrir les prisons, régulariser les clandestins, désarmer la police ». Là encore, un moyen de ne pas débattre sur le fond. Car, la dynamique de la gauche crée une autre alternative que celle de l’extrême droite au macronisme, notamment sur le pouvoir d’achat. Le programme social de la gauche, désormais discuté, dévoile par ricochet l’imposture de Marine Le Pen.

En quelques jours, la gauche aura donc considérablement perturbé ses adversaires. Avant même la signature de l’accord, des socialistes s’indignaient déjà de ce rassemblement. Dans le sillage de François Hollande, les éléphants socialistes ont dénoncé à travers cet accord une « reddition ». « Le PS a perdu son âme, il s’est soldé pour pas cher », a ainsi déclaré Julien Dray, qui tance un pacte « électoraliste ». « C’est risible, répond l’eurodéputée FI Manon Aubry. Cet accord se base sur des idées et plus de 300 propositions, issues de discussions très poussées », qui devraient être annoncées ce week-end.

Le programme, justement, semble un peu trop à gauche pour des gens qui revendiquent l’étiquette sans en épouser les idées. L’ex-dirigeant du PS Jean-Christophe Cambadélis porte sur ce projet une analyse tout en mesure dans l’Opinion : « On se retrouverait dans la situation de la Corée du Nord. » Dans le camp « écolo », des critiques fusent aussi de la part de personnalités ayant renoncé aux préceptes de la gauche depuis longtemps, comme Daniel Cohn-Bendit ou – plus surprenant – José Bové. Ces deux-là ont cosigné une tribune dans le Monde critiquant la signature de l’accord par EELV qui aurait ainsi « sacrifié l’essentiel : le principe démocratique et l’universalité ». « Cela nous raconte surtout la clarification dans ces partis, avec des détracteurs de l’accord qui se situent en fait du côté de l’économie de marché », estime Vincent Tiberj.

Du centre, de droite ou d’extrême droite, les détracteurs de la Nupes vont devoir se positionner sur le fond, sur les propositions de la gauche. D’autant que sa dynamique pourrait permettre d’imposer un agenda politique et des thèmes longtemps mis au second plan face à l’insécurité et l’immigration.

publié le 9 mai 2022

Frédéric Sawicki à propos de la NUPES : « On est en train de reparlementariser notre vie politique »

Week-end très politique avec la naissance à gauche de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale). Quelles conséquences à gauche et pour la majorité présidentielle ? Frédéric Sawicki, professeur de science politique, est l’invité de #LaMidinale.

 

UNE MIDINALE À VOIR.sur : https://youtu.be/Ir97O5DAvLQ

ET À LIRE...


 

Sur l’alliance de la NUPES

« Rien n’est jamais naturel dans la vie sociale et politique mais il y a une naturalité qui s’explique par l’état des rapports de force et des règles du jeu politique. »

« Il était assez logique d’anticiper qu’il y aurait une pression à une convergence ou à des accords minimums qui par le passé ont concerné le PS et le PCF - même quand ils n’étaient pas d’accord. »

« On aurait pu penser que l’actualité ukrainienne en pleine présidentielle aurait créé des fractures au sein de la gauche. Ces fractures demeurent mais elles ont été surmontées pour des raisons d’opportunités. »

« Pour des partis comme le parti communiste, le parti socialiste ou écologiste qui ont fait moins de 5% à l’élection présidentielle, la survie même de l’organisation supposait de pouvoir espérer rembourser les dépenses non remboursables du fait de ne pas avoir obtenu 5%, les rendait très dépendants du fait d’obtenir ou pas des députés. C’était un profond stimuli. »

« Du côté de LFI et de Jean-Luc Mélenchon, il faut quand même saluer le fait qu’à la différence de 2017 d’emblée, sans attendre le deuxième tour, Mélenchon et son mouvement ont joué la carte des élections législatives. »

« On aurait pu imaginer que, poussés par le ressentiment et la déception, Mélenchon et les siens adoptent une position de revanche et de volonté d’hégémonie totale et d’élimination du PCF, du PS et des verts. Ça n’est pas ce qu’ils ont fait. La sagesse l’a emporté. »

« LFI est encore un parti qui a peu de relais et de figures locales contrairement aux socialistes, communistes et écologistes. Il aurait été suicidaire de se priver de ces relais là pour gagner une majorité à l’élection législative. »

« Cette convergence d’une stratégie sage s’est en partie traduite sinon des renoncement du moins des édulcorations sur un certain nombre de propositions programmatiques, a favorisé une espèce de mariage qui n’est pas un mariage global : on n’est pas dans le cadre de la polygamie, on est dans une succession de relations monogames. »

Sur le caractère programmatique et politique de l’accord

« La dynamique première de l’accord vient d’abord de la contrainte du jeu électoral et de la survie des organisations partisanes. »

« La France insoumise a accepté de tendre la main très largement, ce qui n’était pas évident dès le départ. »

« Les écologistes et les socialistes ont accepté d’avaler un certain nombre de couleuvres notamment sur la question européenne. »

« Un tel accord reste assez peu précis dans les détails de ce que serait une politique à mener et on peut penser que ça déboucherait immanquablement sur des difficultés pour mettre un contenu précis. »

Sur l’état des rapports de force à gauche

« Les 22% de Mélenchon ne correspondent pas à un vote d’adhésion total au programme de Jean-Luc Mélenchon - c’est rarement le cas pour une élection présidentielle, ça l’est encore moins dans cette configuration-là. »

« Beaucoup d’électeurs se sont mobilisés au dernier moment pour faire barrage à Marine Le Pen, en votant pour le candidat qui avait l’expérience, le charisme, qui a su incarner une opposition forte au gouvernement d’Emmanuel Macron. À partir de là, les autres partenaires de la gauche étaient tout à fait fondés à considérer que le poids électoral de cette élection présidentielle n’était pas représentatif. »

« Les élections régionales, municipales et européennes ont montré qu’il y avait un électorat instable et très partagé entre les écologistes, socialistes, communistes, insoumis voire même quelques macronistes. »

Sur les discussions et les négociations à gauche

« Si on prend l’histoire des accords programmatiques à gauche, notamment le programme commun en 1981, cela ne s’est pas fait sur un coup de dés ou sur une seule élection. Tout a pris de longues années. Donc là, nous pouvons déplorer qu’entre 2017 et 2022, il n’y ait jamais eu de rencontres pour négocier. Tout cela s’est fait dans la précipitation. »

« Une des raisons pour lesquelles je suis plutôt optimiste, est qu’on est en train de reparlementariser notre vie politique. C’est à dire qu’il s’agit -non pas de dire que le programme sera celui-là à la virgule prêt- mais qu’il y a des orientations qui vont dans le bon sens, et qui seront ensuite discutées par une majorité parlementaire, qui resterait plurielle. La France insoumise a accepté que chaque groupe continue d’avoir sa propre autonomie. »

« Cela prend en compte la complexité des questions posées, par exemple sur le sujet du nucléaire. Nous ne pouvons pas imaginer que la France sorte du nucléaire ou y reste, simplement suite à une négociation de coin de table. »

Sur la ligne politique du Parti socialiste

« Du côté insoumis, on voit bien une centralité autour de Jean-Luc Mélenchon. Preuve en est, si la décision de s’allier avec le parti socialiste, était passée par les militants, on n’est pas sûr que cela serait passé. Il y a une haine des socialistes du côté des militants insoumis. »

« Le fait qu’Olivier Faure ait accepté d’entériner la loi El Khomri, a été un acte très fort d’un point de vue symbolique. Cela veut dire que les socialistes réfutent une partie non négligeable du bilan de François Hollande. Et là ce n’est pas de la tactique : il y a depuis 2017 une forte opposition dans le parti socialiste entre ceux qui considèrent que le quinquennat Hollande a permis un certain nombre d’avancées -le mariage pour tous mais aussi la prise en compte de la pénibilité au travail- et ceux qui considèrent que globalement cela a été un échec. »

« Et là, Olivier Faure a saisi avec son équipe, l’occasion de solder le bilan du quinquennat Hollande, c’est une manière de reconnaître que le parti socialiste a un regard lucide et critique sur ce qui a été fait. Il serait donc prêt à refonder quelque chose d’autre, et passer dans un nouveau cycle de son histoire. »

« Le monde des partis politiques n’est pas déconnecté des différentes idéologies qui existent dans la société. L’idéologie néo-libérale a profondément pénétré la société, y compris dans les classes populaires, qui considèrent que le travail est quelque chose de bien, et qu’il faut récompenser le mérite. Voir même à considérer que ceux touchant les aides vivent aux crochets de la société. »

« Le parti socialiste a perdu un électorat au profit d’Emmanuel Macron voulant des réformes sociales tout en continuant l’économie de marché. Rester sur une position politique, qui est celle d’une gauche radicale, est se condamner à rester longtemps minoritaire. Une grosse minorité certes, mais une grosse minorité reste une minorité. »

Sur les risques de dissidences

« Dans ce système d’élection, il y aura toujours des dissidences car les partis ont tendance à utiliser ces élections pour parachuter des candidats, ou faire des accords avec les autres partis, et localement les militants ne sont en général jamais contents des décisions prises par le haut. »

« Nous avons un parti insoumis derrière une figure très centralisée, qui va investir des candidats avec une légitimité faiblement démocratique. Je ne sais pas si les militants de la France insoumise de Villeurbanne sont absolument ravis à l’idée d’avoir à soutenir Gabriel Amard. De voir des candidats qui non seulement ne sont pas du parti des militants écologistes, socialistes ou communistes, et qui en plus vont devoir soutenir des candidats sans légitimité territoriale, ne peut que créer des résistances. »

« Le PS ou le PCF ne peuvent rien faire contre les dissidents, à part les exclure ou les priver de financement, mais cela n’a jamais empêché les dissidences. On verra bien, mais on peut s’attendre à un nombre de dissidences importantes ».

Sur l’attentisme d’Emmanuel Macron

« Macron a déjà évolué ne serait-ce qu’en s’engageant à désigner un premier ministre qui ait une sensibilité sociale et environnementale marquée. Ça veut plutôt dire qu’il irait chercher son Premier ministre vers le centre-gauche. »

« Là où Macron est embêté, c’est qu’il doit composer avec le passé - à commencer par ses anciens ministres qui estiment que leur place est importante et qu’ils doivent être reconduits. »

« Macron a beaucoup marginalisé Edouard Philippe. »

« La stratégie pour l’instant est plutôt une stratégie centriste et centrale : ne pas trop se marquer à droite et puis envoyer des signaux. »

« Je pense qu’on peut s’attendre à un Premier ministre qui sera de sensibilité social-écolo, pas trop techno. »

« Il y a une fébrilité de la part de la majorité présidentielle. »

« La grande inconnue, c’est le taux de participation. »

« Il y a eu une frustration d’une campagne présidentielle très courte et on peut s’attendre à une participation plus importante qu’attendue aux législatives. »

« Il y a beaucoup d’éléments qui peuvent perturber le jeu des législatives pour Macron avec notamment la possibilité de triangulaires plus nombreuses qu’attendues si la participation est plus importante. »

« L’hypothèse d’une majorité relative est très forte de même qu’aucun bloc n’ait de majorité à lui tout seul. »

publié le 2 mai 2022

1er mai : la bataille sociale suspendue aux législatives

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Le 1er mai a rassemblé près de 210 000 personnes sur tout le territoire selon la CGT (116 500 selon l’Intérieur). A peine plus que l’an dernier. Nombre d’entre elles auraient souhaité un 1er mai d’ampleur, pour donner le ton dans la foulée de la réélection d’Emmanuel Macron. A Paris comme à Montpellier, les organisations politiques étaient particulièrement présentes, l’œil tournées vers les législatives. Mais au-delà, les manifestants s’interrogent sur ce qui pourrait déclencher un mouvement social conséquent dans les prochains mois. 

 « C’est dommage, c’est un moment qui aurait pu être plus important », glisse Jean-François, syndiqué à Sud Santé Sociaux, à la fin de la manifestation montpelliéraine du 1er mai. Celle-ci a réuni près de 2 000 personnes selon les organisateurs. Elles étaient près de 4 000 à Marseille ; 1500 à Grenoble ; ou encore 21 000 à Paris selon le cabinet Occurrence travaillant pour plusieurs médias (50 000 selon la CGT).

Dès dimanche après-midi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a fustigé « des violences inacceptables » de la part de « casseurs » émaillant le cortège parisien. Le même jour, une quinzaine de militants d’extrême-droite ont attaqué le cortège du 1er mai à Angers. Une vidéo revendiquant l’agression a été postée sur leur canal Telegram. Sur cet événement, l’Intérieur n’a pas dit un mot.

 Un 1er mai pris dans l’attente des législatives

Sous le soleil de Montpellier, la mobilisation du jour n’aura pas eu l’ampleur des grands 1er mai. Dans la foulée du second tour des présidentielles, « je m’attendais à plus de monde », déplore Rachid, salarié du secteur des transports, syndiqué à FO. « Mais je pense que les partis politiques sont plus occupés par les élections législatives. Ils n’ont pas beaucoup communiqué pour le 1er mai… Ils ont oublié le plus important. Généralement, il y a beaucoup de monde ramené par les syndicats et les partis politiques. Aujourd’hui, c’est timide ».

Léonore, enseignante, syndiquée FSU, est venue manifester pour marquer la pression du mouvement social dès la réélection d’Emmanuel Macron. Mais même elle a les yeux tournés vers l’échéance des législatives. Et vers les négociations en cours entre partis de gauche autour de l’Union Populaire. « J’espère bien qu’on aura une majorité parlementaire de gauche. Sinon, on va passer les cinq prochaines années à souffrir. Et on va courber l’échine », lâche-t-elle avec amertume.

Dans le cortège, d’autres demeurent combatifs. Et ce, peu importe la composition parlementaire qui sortira des législatives. « Pour nous, quoi qu’il arrive, le troisième tour, c’est dans la rue », insiste Rachid. Lui et son camarade militant Mohammed, défilant à ses côtés, n’attendent rien des législatives. « Quels que soient les politiques mises en place, on sait que la classe ouvrière va se faire démonter. La sécurité sociale, le système de retraites, tout ce que les anciens ont acquis… On a beaucoup perdu dans les dix dernières années. Avec la réélection de Macron, ça va s’accélérer. Personnellement, je n’y crois plus, aux politiques : je crois à la rue, aux manifestations », conclut-il.

 « Il faut qu’il y ait un choc »

Alors que s’ouvre un nouveau quinquennat Macron, certains ont perdu l’espoir d’un sursaut du mouvement social. Léonore, par exemple, n’y croit plus trop. Elle aimerait un mouvement de l’ampleur des Gilets Jaunes, « mais j’ai des doutes. Je suis pragmatique… » Plus loin dans le cortège, Isabelle, éducatrice spécialisée et syndiquée Sud Santé Sociaux, songe : « c’est comme si on avait pas encore touché le fond suffisamment. On nous appuie encore sur la tête, et tant qu’il y a un peu d’air qui passe, on est contents. Mais nous, on veut des grands courants d’air ! »

D’autres croient encore à un nouvel élan. Sans arriver à déterminer ce qui l’enclenchera. « Il faut qu’il y ait un choc », estime Mohammed, de FO. Le militant évoque le contexte économique actuel, avec une inflation à 4,8 % en avril. Et la hausse du prix de l’énergie. Le gouvernement avait mis en place un bouclier tarifaire pour limiter l’impact de cette hausse sur les ménages, en amont des élections. « Je suis persuadé que ce sera fini à la rentrée, ou alors en août quand tout le monde sera au bord de la plage… La facture d’électricité et de gaz sera alors multipliée par trois ou quatre à la fin d’année. Ça peut faire bouger les choses », croit Mohammed. Il surveille aussi le mouvement étudiant : beaucoup « galéraient déjà à se nourrir et se loger » dans le quinquennat qui vient de s’achever.

 Salaires, retraites et protection sociale : les batailles à mener

 En attendant des manifestations plus massives, plusieurs militants misent sur les luttes pour les salaires, plus discrètes. « En interne, dans les entreprises, beaucoup de salariés bougent » soutient Rachid. Lors de l’année écoulée, les batailles autour des négociations salariales se sont multipliées. « En quinze ans » de travail dans le secteur des travaux publics, Mohammed confirme : c’est la première fois qu’il voyait de telles mobilisations.

« Il faut œuvrer dans les boîtes. Il y a des choses qui ont bougé, des mobilisations qui ont permis à des salariés de se poser des questions », abonde Isabelle, l’éducatrice spécialisée, en évoquant les mobilisations du médico-social ces derniers mois autour de la prime Ségur.

Au-delà des salaires, la réforme des retraites annoncée par Emmanuel Macron, avec un report de l’âge légal de départ à 65 ans, est dans tous les esprits. « Il y a aussi un troisième sujet : tout ce qui concerne Pôle Emploi, la Sécurité sociale, l’URSSAF… », ajoute Rachid. « On risque d’aller ver un modèle purement capitaliste. Les syndicats de travailleurs qui y siègent n’auront plus leur mot à dire. C’est tout un système que l’on est en train de démanteler ».

La réforme des retraites, et les autres atteintes annoncées au système de protection sociale, pourront-t-elle enclencher de fortes dynamiques dans la rue ? « Parfois, il y a de grands thèmes comme ça qui ne mobilisent pas. Et parfois, on ne s’y attend pas, mais il y a un ras-le-bol qui s’accumule, et une seule goutte d’eau fait tout déborder », philosophe Jean-François, en arrivant sur la place de la Comédie où s’achève le 1er mai montpelliérain.


 

1er mai : à Angers,
l’extrême droite attaque la manifestation

sur https://rapportsdeforce.fr/

Une quinzaine de militants d’extrême droite ont attaqué la manifestation du 1er mai à Angers, dénonce dans un communiqué de presse l’Union syndicale Solidaires du Maine-et-Loire. Une affirmation confirmée par la publication hier soir d’une vidéo revendiquant l’agression, postée sur le canal Telegram sur lequel les militants d’extrême droite affichent leurs actions violentes.

Selon le syndicat Solidaires, « une première provocation a eu lieu au début de la manifestation à 11 h. Les marches de l’Église Notre-Dame-des-Victoires située sur cette même place Imbach (lieu de départ du défilé) étaient alors occupées par les nervis de l’extrême droite locale. » Une heure plus tard, au retour de la manifestation sur la place Imbach, les militants d’extrême droite, toujours présents, ont chargé le cortège avec à leur tête, selon Solidaires, le porte-parole de l’Alvarium, un groupuscule local dissous en novembre dernier par décret du ministre de l’Intérieur.

Si les assaillants ont été repoussés par les manifestants, puis les forces de l’ordre comme le montrent les images, cette attaque dirigée contre un défilé de la journée de lutte des travailleurs à Angers est un signe, un de plus, d’une recrudescence des actions violentes de l’extrême droite.

publié le 25 avril 2022

Après la corvée électorale,
la responsabilité historique de la gauche, dans toutes ses expressions

par Ivan du Roy sur https://basta.media/

Emmanuel Macron a été réélu en partie grâce à l’électorat de gauche par devoir antifasciste. Après avoir évité le pire, il s’agit désormais de s’atteler à proposer le meilleur : une réelle alternative aux législatives de juin.

« La vraie bonne nouvelle, c’est la fin de la campagne présidentielle la plus raciste de l’histoire », a commenté l’avocat Yassine Bouzrou, habitué à défendre les personnes victimes de violences policières arbitraires [1]. Le « barrage » à l’accession au pouvoir de l’extrême droite a tenu, mais à quel prix ? Le délire raciste du « grand remplacement » s’est répandu jusque dans les rangs de la droite républicaine ; pendant des mois, l’extrême droitisation du débat a été allègrement relayée par certaines télévisions ; Marine Le Pen et son projet d’exclusion et de régression sociale ont été banalisés comme jamais ; les questions d’intérêt général ont été reléguées à quelques maigres débats.

Bien que défaite, l’extrême droite gagne du terrain

Pour la troisième fois en cinq élections présidentielles, l’extrême droite a accédé au second tour. Et pour la première fois elle dépasse la barre des 40 %, gagnant 2,6 millions de voix par rapport au scrutin précédent, arrivant en tête dans 30 départements (dont les cinq d’Outre-mer) contre deux en 2017. Marine Le Pen recueille près de 8 millions de suffrages supplémentaires par rapport à son père en 2002. C’est dire l’état du pays, quand plus de 13 millions d’électeurs et d’électrices sont prêts, par adhésion, par colère, par relativisme ou par totale défiance, à faire le choix de l’extrême droite. Seize millions d’abstentionnistes et votants blancs ou nuls ont refusé de se prêter à ce dilemme cornélien.

Macron ne doit sa réélection qu'à 5,5 millions de voix d'avance sur Marine Le Pen. Il en comptait 10 millions de plus en 2017, et Chirac 20 millions face à Jean-Marie Le Pen en 2002

En face, Emmanuel Macron ne doit sa réélection qu’à 5,5 millions seulement de voix d’avance sur Marine Le Pen. Il en comptait 10 millions de plus en 2017, et Jacques Chirac 20 millions face à Jean-Marie Le Pen en 2002. Voilà la tendance lourde qu’il va nous falloir contrecarrer, à moins de continuer à marcher, tels des somnambules, vers le désastre annoncé.

Emmanuel Macron a perdu deux millions de voix par rapport à 2017 (58,5 % des suffrages exprimés contre 66 % il y a cinq ans). Il ne recueille que 38,5% des voix, si l’on prend en compte l’ensemble des inscrits – l’un des plus bas socles électoraux sous la 5e République. Il ne doit ce second mandat qu’au douloureux report d’une grande partie de l’électorat de gauche, dont le niveau d’abnégation est à saluer. Pensons aux enseignants, aux soignants, à celles et ceux qui font malgré tout tourner les services publics, aux salariés, ouvriers, agriculteurs qui assurent la production de richesses et qui n’ont pas cédé aux sirènes de l’extrême droite, aux étudiants appauvris, tous et toutes largement méprisés pendant le premier quinquennat.

« J’ai conscience que ce vote m’oblige », a déclaré le président de la République devant ses partisans réunis sur le Champ de Mars, à Paris, le soir du 24 avril. À quelques centaines de mètres de là, les premières grenades lacrymogènes du quinquennat étaient tirée sur des manifestants, autour du Châtelet ou de la place de la République. On sait le peu de crédit que l’on peut placer dans la parole macronienne. D’autant que le discours présidentiel du 24 avril est aussi creux qu’un powerpoint réalisé par un cabinet de conseil grassement rémunéré : « Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève mais l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux au service de notre pays, de notre jeunesse », a-t-il lancé, au terme d’une campagne où le président sortant a refusé tout débat – sauf avec l’extrême droite – et tout véritable bilan critique de son premier quinquennat.

À gauche, la nécessité absolue de refonder une dynamique

Malgré ce sinistre contexte, les électeurs et électrice de gauche « ont fait le job ». Ils et elles ont, au premier tour, redonné quelques couleurs à la possibilité d’une véritable alternative entre le néolibéralisme méprisant du président sortant et la société d’exclusion et de discrimination souhaitée par Le Pen. Le « bloc de gauche » y a progressé de plus d’un million de voix, malgré ses divisions, malgré les ralliements opportunistes au macronisme, malgré les entraves médiatiques, malgré l’absence de débat de fond. Au second tour, en dépit du coût « moral », ils et elles ont largement contribué à ne pas donner donner les clés du pays à l’extrême droite.

La vie démocratique et la possibilité de construire des alternatives ne se résument pas à une frustrante tragédie électorale tous les cinq ans

Désormais, c’est aux états-majors des partis de gauche – Union populaire et insoumis, écologistes, communistes, socialistes, anticapitalistes – de prouver leur sens des responsabilités. Cela semble plutôt en bonne voie, un accord national en vue des élections législatives de juin est en train de se négocier pour éviter un mortifère éparpillement des candidatures. Objectif : imposer, au mieux, une cohabitation à Emmanuel Macron, ou, au minimum, renforcer de manière conséquente le nombre d’élus combatifs (la gauche, dans toutes ses composantes, ne comptait qu’un peu plus d’une soixantaine de député sur 577, 28 socialistes, 17 insoumis, 15 communistes, une poignée de non inscrits). Reste à sortir de l’entre-soi pour poursuivre la dynamique naissante, à convaincre un électorat lassé qui risque de s’abstenir, à montrer que des changements concrets, au-delà des beaux slogans, sont encore possibles. Ce ne sera pas une mince affaire.

Il n’y a pas que les partis : la vie démocratique et la possibilité de construire des alternatives ne se résument pas à une frustrante tragédie électorale tous les cinq ans. Les syndicats, les associations petites ou grandes, les collectifs de lutte, bref, toutes les forces œuvrant pour l’émancipation individuelle et collective, ont également leur rôle à jouer. Elles doivent, elles aussi, sortir d’un relatif entre-soi et s’ouvrir. En parallèle, nombre de citoyens doivent ré-apprendre à s’en servir et à s’y engager. Ce sera bien moins pénible et bien plus enthousiasmant que devoir s’infliger une nouvelle corvée électorale d’ici cinq ans. Avec un risque accru de se conclure tragiquement.

publié le 25 avril 2022

Pour l’historienne
Ludivine Bantigny
« La progression de l’extrême droite
peut être combattue »

Florent LE DU sur www,humanite,fr

Selon l’historienne Ludivine Bantigny, des leçons doivent être tirées pour enrayer la croissance électorale de Le Pen et consorts. Ludivine Bantigny Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université de Rouen-Normandie

Jamais l’extrême droite française n’a été aussi forte depuis la Libération. Le soulagement de la défaite de Marine Le Pen ne peut faire oublier ce terrible constat. Face à un camp extrémiste qui n’en finit plus d’être normalisé et de progresser, le combat d’idées devient de plus en plus difficile mais d’autant plus nécessaire. Pour l’universitaire Ludivine Bantigny, coautrice de l’essai Face à la menace fasciste (Textuel, 2021), cette lutte doit être menée à deux niveaux : démonter sans relâche les impostures du RN et y opposer une autre alternative.

Marine Le Pen a réuni plus de 13 millions de voix au second tour. Malgré la défaite, cette présidentielle peut-elle être vue par l’extrême droite comme une victoire ?

C’est forcément une petite victoire. Ses thèses se sont encore plus banalisées pendant cette campagne, au point que Marine Le Pen puisse se faire passer pour une modérée. Et son score progresse. Des digues sont encore tombées dans l’entre-deux-tours. Des journalistes se sont même demandé si elle était vraiment d’extrême droite, de supposés intellectuels ont soutenu que non… Quant aux résultats, l’extrême droite atteint désormais un score d’autant plus terrorisant qu’on finit par s’y accoutumer. Cette progression paraît même parfois inéluctable, même si on peut et doit encore se battre pour qu’elle cesse. Les législatives seront une étape importante, avec le danger que l’extrême droite soit plus puissante politiquement, puisse se montrer parfaitement légitime dans le système et faire la démonstration qu’elle est prête à prendre le pouvoir.

Quand l’extrême droite est à ce point normalisée, comment peut-on la faire reculer ?

D’une part, il y a sans doute un travail journalistique qui doit être intensifié. Ce n’est pas acceptable que l’extrême droite argumente sans véritable contradiction comme aujourd’hui. On ne peut hélas plus vraiment compter sur ces médias détenus par des puissances d’argent. Ceux qui gardent une indépendance ont donc un travail immense à faire. Un travail d’explication du véritable projet de Le Pen, d’enquête aussi sur l’appareil du RN, ses cadres, à quelles idéologies ils se rattachent, leurs prises de décision… Il y a finalement, dans l’Histoire, assez peu d’exemples d’une extrême droite qui progresse mais a su être repoussée à temps. Au moment de l’affaire Dreyfus, elle était très haute et a pu être combattue par la construction d’une gauche forte. On peut penser aussi au Front populaire, qui a affaibli les ligues, bien qu’elles soient réapparues ensuite. Étant donné le cynisme des politiques actuellement menées et leur violence, il paraît compliqué d’imaginer que l’extrême droite va reculer. Mais la gauche peut progresser et montrer qu’il y a une autre alternative.

Le score relativement élevé d’une gauche de rupture au premier tour et la perspective d’un rassemblement pour les législatives constituent-ils des motifs d’espoir ?

Cette gauche de justice sociale doit devenir puissante, enthousiasmante. L’Union populaire a su convaincre grâce à un programme bien construit, avec un mélange de tradition réformiste, au sens vrai et fort du terme, et des traits d’anticapitalisme. La gauche doit savoir parler d’alternative, montrer que ce n’est pas en désignant des boucs émissaires que la situation va s’arranger. Parler à toutes les catégories populaires également : il existe encore un fort mépris de classe envers des personnes qui se tournent vers Le Pen parce qu’elles sont dans des situations de détresse sociale terribles. Pour trouver une puissance collective, l’unité est également très importante. La perspective d’avoir une opposition rassemblée, forte, à défaut de cohabitation, redonne de l’espoir. On a vu ces dernières années des députés de gauche qui savent se battre, proposer des alternatives. Avec l’appui des mobilisations sociales, il y a besoin de cette gauche pour montrer qu’une autre voie est possible.

Quel rôle peuvent avoir les mouvements sociaux dans la lutte contre l’extrême droite ?

Un mouvement social est l’occasion pour chacun de prendre la parole, de se sentir légitime à s’exprimer, à montrer sa réalité sociale. Cela permet aussi de créer des solidarités, de mettre des mots sur des colères et de sortir des gens de l’isolement. C’est fondamental car le RN se nourrit de ce désespoir et de cet isolement. Le mouvement des gilets jaunes n’était pas homogène politiquement, mais, partout où c’était possible, les discussions ont aussi consisté à contrer les idées de l’extrême droite, et sur les ronds-points beaucoup ont été convaincus. C’est par la lutte que les progrès sociaux peuvent arriver et qu’on peut montrer que les idées du RN n’apportent en réalité aucune réponse aux contestations. Le mouvement social est un moment de clarification.

publié le 23 avril 2022

Dimanche : pour une société
dans laquelle
vivre et lutter ensemble

edito de l’Actu Hebdo CGT sur https://r.newsletter.cgt.fr/

Enfant, j’écoutais avec attention les histoires de mon grand père, soldat pendant la Seconde Guerre mondiale. À l’école, je découvrais les mécanismes de la montée du fascisme et les horreurs de la guerre.

 Puis, dans mon parcours militant à la CGT, j’ai rencontré d’anciens résistants. J’écoutais Cécile Rol Tanguy m’expliquer, avec humilité, comment elle cachait “juste” – ce sont ses mots – des armes dans le landau de son bébé.

 Comme de nombreux militants, je me suis souvent posé la question : moi, qu’aurais-je eu le courage de faire ?

Je n’ai jamais connu de situation aussi extrême… J’espère ne jamais en connaître. Mais cette histoire, ces histoires individuelles, font souvent écho à mon engagement quotidien.

Être là, ne pas se taire, sacrifier une journée de salaire ou encore glisser une enveloppe dans une urne pour barrer la route à l’extrême droite...

Ces gestes peuvent apparaitre dérisoires au regard de ce passé ou de ce qui se passe sur la planète. Pourtant, réunis, ils permettent de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société où nous pouvons vivre et lutter tous ensemble.

Alors, dimanche j’irai voter. Et lundi, quoi qu’il advienne, je poursuivrai le combat.

Plus que jamais, j’irai préparer le 1er mai, convaincre mes collègues d’aller manifester pour la paix, de meilleurs salaires et pour une retraite à 60 ans pour tous.

 publié le 23 avril 2022

« En 2017, le rapport de force permettait
que je vote blanc »

Mathilde Goanec sur www.mediapart.fr

Il y a cinq ans, une partie de l’électorat de gauche refusait de voter Macron au second tour de l’élection présidentielle, en raison de profonds désaccords politiques. Cinq ans plus tard, ces abstentionnistes font le chemin retour vers les urnes, afin d’éviter le possible accident électoral en faveur de Marine Le Pen.

Quelques jours après le premier tour, Mediapart a donné la parole aux électeurs et électrices, ayant le plus souvent voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour et qui s’apprêtaient à s’abstenir ou voter blanc pour le second. Dans un contexte de grande incertitude, incertitude qui perdure après le débat en demi-teinte entre Macron et Le Pen mercredi 20 avril 2022, la question des reports de voix de l’électorat de gauche reste l’une des clés du scrutin présidentiel.

Mais d’autres citoyennes et citoyens, souvent engagé·es politiquement ou dans le domaine associatif, prennent au contraire 2022 à rebours de 2017. Ils et elles se sont abstenu·es, et sans regret, il y a cinq ans, mais iront voter Macron cette fois-ci. Certain·es le clament même haut et fort, pour convaincre. Dans ces témoignages se lit bien sûr la peur de l’extrême droite, une colère intacte contre l’actuel président de la République, mais également plusieurs des fractures de la société, qui resteront béantes après le 24 avril.


 

Sarah*, fonctionnaire, votera Macron « sans aucun état d’âme »

« En 2017,  j’ai voté blanc au second tour, pour la première fois de ma vie. Cela a été un tournant dans ma pratique du vote, clairement. J’ai compris que je pouvais ne pas choisir quand l’offre ne me convenait pas. Il faut dire que, vu mon âge, je n’ai pas voté en 2002 et qu’ayant grandi dans le Val-de-Marne, la gauche était le plus souvent au second tour. Dans l’entre-deux tours, en 2017, tout le monde avait cette discussion avec tout le monde, je me suis même disputée avec ma mère. Mais j’étais sûre de mon choix et je ne l’ai pas regretté. Depuis, aux élections locales et intermédiaires, je me suis abstenue plusieurs fois, quand le second tour se jouait à droite uniquement.

En 2022, je vais choisir le bulletin Macron sans aucun état d’âme, sans affect, car cette pratique de l’abstention m’a en quelque sorte libérée. Je mets moins de choses dingues dans un bulletin. Au premier tour cette année, j’ai voté Mélenchon après avoir passé cinq ans à me plaindre de la ligne stratégique de La France insoumise, simplement car c’était la première force à gauche. Le choix de ce second tour est tout aussi pragmatique, car les sondages ne donnent pas un gros écart entre Macron et Le Pen, or je veux sûre qu’elle ne passe pas.

L’ambiance médiatique, politique, est également différente. Il y a aujourd’hui effectivement trois blocs, un bloc autour de Macron, un bloc de gauche et un bloc d’extrême droite. La prise de pouvoir est possible aux législatives, avec une alliance entre le Rassemblement national, Reconquête! de Zemmour et la droite des Républicains. C’est ce qui me fait peur. Mais rien n’a donc changé dans mon rapport à Macron. Il a été président pendant cinq ans, je sais à quel point je suis opposée à son programme et à quel point il m’insupporte.   

Ma volonté, c’est aussi qu’il y ait le plus d’écart possible entre les deux pour que passe le message de la spécificité du Rassemblement national, y compris vis-à-vis de mon camp politique. Même si, paradoxalement, je suis très contente de la position de Mélenchon, comme en 2017. Je vais voter Macron sans même y réfléchir, mais c’est très simple pour moi de comprendre pourquoi on ne peut pas. »


 

Mélanie, journaliste, votera pour la première fois au second tour depuis 2002

Ancienne militante à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), « fondamentalement d’extrême gauche », engagée dans le secteur associatif, Mélanie a participé à la manifestation contre l’extrême droite, dimanche 17 avril 2022 à Paris, avec cette pancarte qui résume sa position : « To do list : 24 avril, battre Le Pen ; 1er Mai dans la rue ; législatives, battre Macron. »

« En 2002, j’ai pris un bulletin Chirac sur lequel j’ai écrit “ni facho ni escroc”, un vote nul, à destination de celui qui dépouille ou des historiens. En 2017, je savais déjà qui était Macron, je connaissais son pedigree, je ne voulais absolument pas voter pour lui. Toute la journée de dimanche, j’étais mal quand même… Je suis mariée avec un Sénégalais – il a la nationalité française maintenant et va voter Macron –, nos enfants sont métis. Je ressentais un peu d’angoisse mais le rapport de force permettait que je vote blanc. Le lendemain de l’élection, il y a eu une manif contre le nouveau président à Paris, j’y suis allée, mais j’avais le dos bloqué, impossible de tourner la tête à gauche, ça m’a marquée ! 

Cette année la question s’est très peu posée. Je suis hyper inquiète. Même si les sondages disent que l’écart se desserre, je ne suis pas rassurée. J’ai même une copine, avec qui j’ai milité pourtant auprès des migrants, qui m’a annoncé qu’elle ne souhaitait pas la victoire de Macron contre Le Pen ! Mon vote ne sera pas un blanc-seing, et je sais bien qu’Emmanuel Macron va s’asseoir dessus. »


 

Guillaume Floris, bibliothécaire, syndiqué à la FSU, refuse le scénario hongrois ou brésilien

Il y a cinq ans, pas question pour ce militant insoumis de voter Macron. Pour le second tour de 2022, son positionnement a changé. Guillaume Floris a participé activement aux deux campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon, entre Montreuil et Poitiers.

« En 2017, je pensais sincèrement qu’il n’y avait aucun risque que Marine Le Pen gagne, et donc pas question en plus de cautionner la politique libérale et ultra autoritaire d’Emmanuel Macron, qu’on avait connu comme ministre de l’économie au moment de la loi Travail, sous François Hollande.

Ces cinq dernières années, je me suis dit que je ferais pareil. Ce sont les dernières semaines qui m’ont fait changer d’avis. Les sondages, bien sûr, mais aussi ce que je sens autour de moi. J’ai participé à de nombreuses manifestations de gilets jaunes ces dernières années et, dans ces réseaux, des gens ont basculé dans un vote viscéralement anti-Macron. Syndicalement, c’est la même chose, la politique économique “euphémisée” du précédent quinquennat, nous nous la sommes prise en pleine poire sous ce mandat. Et il annonce encore des mesures sociales terribles pour les cinq ans à venir.

J’entends dans ces deux milieux deux choses : des gens qui assument d’aller voter l’une contre l’autre, ou des silences, parfois éloquents. À ceux qui hésitent, je demande qu’on regarde ce qui se passe en Hongrie, au Brésil, le déchaînement des violences sociales et racistes. Cette année, Viktor Orbán a gagné pour la troisième fois en écrasant toute l’opposition unie. Il l’a pliée comme jamais car pendant les deux derniers mandats, il a réussi à mettre au pas les médias et la justice. On ne prend pas ce risque-là.

Il n’y a pas de désaccord entre ma position et celle de La France insoumise, auprès de laquelle je milite. L’introduction de la consultation des militants et militantes à ce sujet était très claire, il n’y a pas de maux pires que l’extrême droite. Mais il y a aussi une préoccupation dans ce choix de ne pas donner de consigne de vote, d’entendre que c’est une violence terrible de glisser un vote Macron pour certains, pour les éborgnés, pour les parents des enfants qu’on a mis à genoux, les mains sur la tête, à Mantes-la-Jolie. »


 

Pour Yasmina Kettal, infirmière, le « risque est plus grand car la société est à genoux »

Cette habitante de Saint-Denis, membre du collectif Inter-Urgences, très engagée, fut la présidente d’un jour de Mediapart le 31 janvier 2020. Yasmina Kettal était également présente dans la manifestation qui a tenté d’approcher Emmanuel Macron, lors d’un de ses rares déplacements de campagne, dans la commune de Saint-Denis (93), le 21 avril 2022, pour lui faire entendre les critiques sur sa politique sociale.

« J’ai changé d’avis, par rapport à 2017, par peur, il n’y a pas d’autres mots. À la fois du score de Marine Le Pen au premier tour, mais aussi parce que de plus en plus de gens, épuisés par les cinq années passées au pouvoir d’Emmanuel Macron, n’iront pas voter. Je comprends tout à fait ce refus de faire barrage : c’est comme à l’hôpital, nous prenons des coups toutes les cinq secondes, et c’est encore à nous de faire tenir l’édifice quand il va mal ! Mais j’habite en banlieue parisienne, je suis une Arabe. Pour moi et les miens, le danger avec Marine Le Pen est bien plus grand. S’il faut se salir les mains, je m’en tape. Oui, Macron a fait et dit des choses autoritaires, dangereuses, islamophobes, mais il n’est pas issu d’un parti nazi, qui a un programme affiché xénophobe, qui pour nous les binationaux est une terrible menace. Avec Marine Le Pen, tout sera permis.  

Le risque est plus grand aussi parce que la société est à genoux ! En réalité, ce qui m’inquiète, ce ne sont pas les millions de personnes qui ont voté pour elle, mais surtout de ne pas être sûre que nous pourrons en face résister. Parce que ceux qui le faisaient à gauche sont épuisés, mais aussi parce que la masse n’a plus la capacité de résister.

Je vois bien, dans les milieux militants, que cette question fait débat : j’en conclus qu’on n’a pas la même vie ni les mêmes craintes. Là où je vis, on attend moins des politiques qu’ils changent notre vie, peut-être. Nous sommes bien au-delà de l’amertume, c’est quasiment de la survie.

Alors, entendre parler des législatives, du premier ministre, alors qu’on est tous morts de trouille, je ne comprends pas bien, même si je ne saisis pas tout des stratégies politiques. Concentrons-nous sur dimanche. Je trouve cela décalé et ça m’a un peu intriguée, pour le dire poliment. Je pense aussi que les consignes de vote sont parfois contreproductives, mais déjà si on pouvait parler de la victoire de Marine Le Pen comme d’un risque potentiel et problématique, cela me rassurerait.

J’ai vécu le Covid, première version, en Seine-Saint-Denis, dans l’un des hôpitaux les plus touchés par le virus, je vomis Macron à cause de ce qu’il nous a fait subir, mais vraiment, on n’a pas le choix. »


 

Omar Slaouti, élu d’opposition à Argenteuil (Val-d’Oise), refuse de passer d’une « sorte de racisme d’État à un État raciste »

Dans Mediapart, Omar Slaouti expliquait en 2017 les raisons de son abstention, pour « casser le cercle vicieux entre fascisme et néolibéralisme ». Cinq ans plus tard, le coauteur du livre Racismes de France, a rejoint avec d’autres militant·es des quartiers populaires l’initiative On s’en mêle, qui appelait à voter Mélenchon au premier tour, et Macron au second.

« Nous sommes un certain nombre à penser qu’il y a une différence de nature entre Macron et Marine Le Pen. L’un a largement aidé au processus de fascisation, via des dispositifs institutionnels comme la loi Séparatisme, l’autre est prête à graver dans le marbre de la Constitution la discrimination raciale et religieuse. On passerait en somme d’une sorte de racisme d’État à un État raciste.

Cette grille de lecture a été bien perçue dans les quartiers populaires, où le vote Mélenchon au premier tour était déjà un vote de raison et de sauvegarde. Il traduisait une adhésion à un partage des richesses, une société plus alerte sur les questions écologiques, mais aussi et parfois surtout un choix pour mettre fin aux propos et lois discriminatoires.

Et pour le second tour, il n’y a aucune raison que cette grille de lecture puisse se dissoudre. Si on veut le dire un peu vite, le vote blanc semble compliqué pour les non-Blancs car on joue notre peau, dans la période. Tout Français que nous sommes après la deuxième ou troisième génération, nous avons encore des familles qui ont une carte de résidence de dix ans et qui pourraient tout perdre, pour ne rien dire des sans-papiers et des migrants. On se rappelle aussi que nous avons eu un projet de déchéance de nationalité sous une présidence socialiste, qu’est-ce qui se passerait sous Le Pen ?

Contrairement à 2017, la crise institutionnelle est telle que celles et ceux qui nous gouvernent ont perdu toute crédibilité, l’abstention est souvent massive et donc les choses les plus obscures peuvent poindre. C’est beaucoup plus grave qu’il y a cinq ans, y compris parce que la construction d’un “ennemi intérieur” sous le macronisme laisse des traces.

L’extrême droite au premier tour, en comptant tous ses candidats en lice, a réalisé un score faramineux. Il y a une adhésion. Le seul ruissellement sous ce quinquennat auquel on a assisté, c’est celui de la discrimination, du racisme. Ça a si bien fonctionné que les Le Pen et Zemmour ont tiré les marrons du feu.

Il y a différentes logiques qui entrent en jeu dans ce second tour, et elles ne sont pas concurrentes. Si on parle de la tactique de Mélenchon, par exemple, elle répond à des logiques qui consistent à ne pas froisser, ne pas fissurer le cadre unitaire qui s’est constitué autour de lui. D’où nous parlons, nous avons les coudées plus franches, et nous pouvons parler plus cash

Ce qui est sûr, c’est que tout ira plus vite, plus fort si Le Pen passe. C’est cette accélération de l’histoire qui nous fait dire qu’il va falloir avec beaucoup de difficulté voter Macron. Ce n’est pas un vote d’adhésion mais de raison, et il va nous permettre de nous compter. On peut jouer un troisième tour social, et au-delà pérenniser un bloc de gauche fort aux législatives. »

publié le 22 avril 2022

Un vote pour souffrir
le moins possible 

Par Kamelia Ouaissa sur https://www.bondyblog.fr/

Cette élection présidentielle est la première pour notre contributrice Kamélia Ouaissa. Mais après une campagne fantôme, marquée par l'absence de débats d'idées et la primauté l'extrême-droite, l'heure est maintenant venue de faire un choix pour le second tour. Alors que Marine Le Pen n'a jamais été aussi proche d'accéder au pouvoir, notre contributrice ne peut se résoudre à l'idée de lui laisser la chance de nuire aux plus fragiles. Edito

Après la tristesse, la déception puis la colère, c’est la peur et la confusion qui prennent place. Au lendemain des résultats du premier tour et même si la pilule est encore difficile à avaler, il faut réfléchir à quoi faire. Je me suis demandée si, au final, mon vote pouvait vraiment faire pencher la balance, pire encore si mon rôle de citoyenne avait, encore, une réelle valeur en France. Voter Emmanuel Macron pour faire barrage à l’extrême droite ou ne pas voter et laisser une potentielle voix gratuite au fascisme.

Inconcevable de laisser, par le vote blanc ou l’abstention,  une possibilité à l’extrême droite d’être au pouvoir.

Je ne voulais pas que ce dilemme se pose une nouvelle fois, 5 ans après. Il est cependant inconcevable de laisser, par le vote blanc ou l’abstention,  une possibilité à l’extrême droite d’être au pouvoir.

Peur d’être considérée comme française de seconde zone. Peur de l’État de non-droit dans lequel les résidents étrangers, les exilés, les musulmans et musulmanes visibles seront. Peur pour nos libertés d’expression, de culte, d’opinion, de conscience, ou de manifestation. Il va donc falloir aller voter pour le bourreau social de ce quinquennat et ce pour éviter à une Le Pen de diriger mon pays.

Malgré tout ce que veulent nous faire croire Gérald Darmanin et Emmanuel Macron depuis l’entre-deux tours, je n’oublierai pas que le Ministre de l’Intérieur avait qualifié Marine Le Pen de ‘trop molle’.

Cette élection se résume à un vote simple : voter pour le moins pire des pires, voter pour éviter la catastrophe. J’ai peur que le résultat de mon vote soit dévastateur. Mais je suis terrifiée que le Rassemblement National prenne le contrôle d’une laïcité déjà mise à mal. Une présidence qui mènerait vers tant de nouvelles discriminations avec une islamophobie accentuée lors de ce quinquennat. Malgré tout ce que veulent nous faire croire Gérald Darmanin et Emmanuel Macron depuis l’entre-deux tours. Et je n’oublierai pas que le Ministre de l’Intérieur avait qualifié Marine Le Pen de “trop molle” quand il s’agissait de laïcité.

Mon devoir citoyen a laissé place à l’urgence sourde contre la montée de l’extrême-droite provoquée par celui-là même qui était au pouvoir.

À 20 ans, ma première élection est aussi ma première expérience du « devoir de citoyenneté ». Je n’imaginais pas que ce vote soit aussi douloureux tant sur un plan humain que psychologique. Mon devoir citoyen a laissé place à l’urgence sourde contre la montée de l’extrême-droite provoquée par celui-là même qui était au pouvoir.

La préférence nationale prônée par Marine Le Pen, pour l’accès aux droits les plus élémentaires comme le logement, la protection sociale, ou l’emploi, m’empêche de laisser faire.

Le barrage à l’extrême droite repose principalement sur l’envie de protéger les miens, ceux qui me ressemblent, d’un sort qui pourrait leur être fatal. La préférence nationale prônée par Marine Le Pen, pour l’accès aux droits les plus élémentaires comme le logement, la protection sociale, ou l’emploi, m’empêche de laisser faire.

Ce qui est sûr c’est que les cinq prochaines années vont être douloureuses. Parce que je suis une jeune femme, maghrébine, musulmane, habitante d’un quartier populaire et issue d’une famille modeste.

Mon vote sera celui qui me permettra de moins souffrir et cette idée est déjà compliquée à imaginer.

Tout se profile à devenir de plus en plus compliqué au cours de ce prochain quinquennat, qui nous promet entre autres un RSA sous condition de travail, une retraite à 65 ans, alors qu’à 62 ans, 25% des Français les plus pauvres sont déjà morts.

On va continuer à protester, se mobiliser, regrouper tout ce qui est à notre portée pour se faire entendre. Ne pas faiblir c’est un peu l’idée. Mon vote sera celui qui me permettra de moins souffrir et cette idée est déjà compliquée à imaginer.

Kamelia Ouaissa

publié le 19 avril 2022

Pourquoi je ne voterai pas Macron

Petrs Borel professeur de français en lycée sur https://blogs.mediapart.fr

Je ne voterai pas Macron ce dimanche. Il ne s'agit nullement d'une manifestation de colère ou de dégoût mais d'un choix mûrement réfléchi dont je tiens à rendre compte pour répondre à ceux qui penseraient qu'une telle décision serait irresponsable.

  Je ne voterai pas Macron dimanche. Et je tiens à préciser tout de suite que ma décision n’est pas l’expression d’un mouvement de colère ou de dégoût face à la politique de l’actuel locataire de l’Elysée mais résulte d’un choix mûrement réfléchi reposant sur une réflexion parfaitement rationnelle dont j’entends m’expliquer ici, non dans le but de convaincre qui que ce soit, mais pour qu’on ne considère pas que ma décision serait irresponsable.

  Commençons d’abord par clarifier un point précis : je ne mets pas un signe égal entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Je sais que la politique de la première, si tant est qu’elle puisse la mettre en œuvre, serait pire que celle du second. Et pourtant ce n’est pas ce qui peut me convaincre de mettre un bulletin Macron dans l’urne ce dimanche, pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas suffisant, dans l’époque troublée où nous vivons, d’éviter momentanément le pire. Il faut réfléchir à long terme si on ne veut pas se retrouver dans cinq ans confrontés aux mêmes problèmes qui, s’ils ne sont pas réglés, reviendront encore et encore.

  Je n’avais déjà pas voté Macron au deuxième tour de l’élection de 2017. Pour deux raisons. La première peut être considérée comme irrationnelle, elle reposait sur l’intuition, vague mais persistante, que Macron n’était pas le gentil démocrate qu’il avait l’air d’être et que derrière la figure du gendre idéal se cachait en réalité un personnage autoritaire ayant une conception verticale du pouvoir. La deuxième, parfaitement rationnelle quant à elle, reposait sur l’idée que la politique néolibérale qu’il entendait mettre en œuvre allait mécaniquement faire augmenter le taux de mécontentement dans ce pays et par là accroître l’assise électorale du Rassemblement national. Malheureusement, car j’aurais préféré que mes prévisions fussent fausses, je suis obligé de constater que sur ces deux points je ne m’étais pas vraiment trompé. Et j’avoue avoir eu beaucoup de mal à supporter, durant la campagne de second tour de 2017, le discours infantilisant d’une bonne partie des médias à l’égard de ceux qui avaient fait le même choix que moi.

  Confrontés à un choix qui est le même que celui que nous avons dû faire il y a cinq ans, il nous faut donc nous livrer à un peu de prospective. Imaginons que ceux qui représentent les forces progressistes, mettons les électeurs de gauche, ceux qui ont voté Mélenchon et quelques autres, votent tous pour Macron pour assurer sa réélection, que se passerait-il ? Il serait bien sûr réélu, dans la foulée obtiendrait une majorité à l’assemblée, et il continuerait, comme il l’a déjà annoncé, à mener une politique néolibérale de casse du service public, de destruction du code du travail, de stigmatisation des chômeurs et des précaires. Le taux de pauvreté continuerait à augmenter tandis que les milliardaires continueraient d’accroître leurs fortunes. Comment imaginer dans ces conditions que le problème de la montée de l’extrême-droite auquel nous croyions avoir momentanément échappé en votant Macron puisse se résorber ? Il ne fera au contraire que croître.

  Pour savoir de quoi le paysage électoral de demain sera fait, il faut observer le paysage actuel : on a constaté lors du premier tour que l’électorat se divisait en trois blocs sensiblement égaux. D’une part un bloc de gauche progressiste et réformiste représenté par les votes LFI, EELV, PCF, d’autre part un bloc de droite néolibérale représenté par les votes EM et LR, et enfin un bloc d’extrême-droite représenté par les votes RN, Reconquête et Debout la France. La question qui nous intéresse est évidemment de savoir comment et dans quel sens peut évoluer ce rapport de force. On peut raisonnablement penser que le bloc néolibéral sortirait affaibli d’un deuxième quinquennat Macron. D’abord pour des raisons purement mécaniques de pyramide des âges : l’électorat d’Emmanuel Macron se recrute essentiellement chez les plus de soixante-cinq ans. Ces électeurs seront donc dans cinq ans moins nombreux.

  Si on regarde bien les chiffres, ce bloc sort en réalité considérablement affaibli du premier quinquennat de Macron : en 2017, les scores cumulés de Macron et Fillon représentaient au premier tour 44 % des suffrages exprimés ; en 2022, les scores de Macron et Pécresse ne représentent plus que 32 % soit une baisse de plus de dix points. Le bloc de gauche progressiste, lui se maintient à peu près, progressant légèrement de 27 % à 29 %. Le seul bloc qui connaisse une progression significative est celui constitué par l’extrême-droite, il s’établissait à 27 % en 2017, il est dorénavant à 32 %.

  Comme il n’est pas raisonnable de penser que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, on peut imaginer que dans cinq ans, nous aurons un recul du bloc néolibéral, une légère progression du bloc de gauche progressiste et une forte augmentation du bloc d’extrême-droite. La question est de savoir dans quelles proportions. Imaginons qu’au deuxième tour le bloc néolibéral soit éliminé. On se retrouverait donc avec un second tour entre la gauche et l’extrême-droite. On le sait le barrage républicain fonctionne à gauche, assez peu à droite. Peu de chance donc que le bloc néolibéral se mobilise en faveur du bloc progressiste et social, ce qui donnerait toutes les chances à l’extrême-droite de remporter l’élection. Et le rapport de force ne serait pas le même qu’aujourd’hui.

  Imaginons maintenant que Marine Le Pen soit élue en 2022. Les forces de résistance à l’extrême-droite sont encore vives dans le pays. On peut raisonnablement parier sur le fait que les électeurs s’opposant au RN se mobilisent pour les législatives. Et il suffit de regarder la carte électorale des résultats du premier tour pour constater que Marine Le Pen n’arrive en premier que dans une quarantaine de départements et encore parfois d’une courte tête devant Emmnuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon. Il serait donc pour elle particulièrement difficile, voire impossible d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale.

  Nous nous retrouverions confrontés comme cela a déjà été le cas dans la cinquième République à un gouvernement de cohabitation. Mieux, il se pourrait qu’aucun des groupes parlementaires n’obtienne la majorité absolue, ce qui forcerait la présidente de la République à former un gouvernement de coalition. Il y aurait donc pendant cinq ans une forme de statu quo qui n’engagerait pas les réformes économiques et écologiques annoncées par la France Insoumise, mais qui ne se livrerait pas non plus à la casse sociale promise par Emmanuel Macron. On serait donc dans la politique du moindre mal. Une telle situation permettrait de surcroît de clarifier les positions de chacun, les débats à l’assemblée et au sein du gouvernement permettant à l’ensemble des citoyens de se faire une opinion sur les différentes options proposées, ce qui, généralement, se révèle favorable à la gauche.

  Certes, me dira-t-on, mais pourquoi serait-il préférable que cette situation arrive maintenant plutôt que dans cinq ans ? Parce que, comme je le disais, dans cinq ans le rapport de force ne sera plus le même. Emmanuel Macron à l’orée de son quinquennat promettait d’être un rempart contre l’extrême-droite. Cinq ans ont passé et on a pu constater que l’actuel président ne s’est pas contenté d’être une passoire face au fascisme mais qu’il s’est révélé être une passerelle. Nous nous sommes habitués à l’intolérable, nous avons accepté l’inacceptable. Nous ne rappellerons pas les tentes de migrants lacérés, les mains arrachés, les yeux crevés, les morts, parce qu’il faut le souligner, le régime sous lequel nous vivons tue et a tué. Faut-il évoquer les discours de plus en plus droitiers qui trouvent notamment Marine Le Pen « un peu molle », la dérive autoritaire sans précédent qui fait de la France selon les observateurs internationaux « une démocratie défaillante » ?

  Et comment pourrait-il en être autrement ? Face aux contestations sociales des politiques qu’il met en oeuvre, le bloc néolibéral est entraîné dans une escalade sans fin vers toujours plus de répression et d’autoritarisme. À mesure que ses forces s’affaiblissent, il est obligé de s’adosser au bloc d’extrême-droite pour pouvoir maintenir son emprise sur la société. La police a été ainsi laissée en roue libre. L’extrême-droitisation des discours dans la sphère médiatique est ainsi devenue la norme au point que Jean-Luc Mélenchon, le seul homme politique d’envergure à ne jamais avoir cédé sur les principes républicains, a été taxé d’ambiguïté. Au point que la candidate d’un parti censément républicain reprenne à son compte l’expression de « grand remplacement ». Macron réélu, il n’y a aucune raison pour que cette fuite en avant s’interrompe. Les discours d’extrême-droite vont continuer à saturer l’espace médiatique et vont infuser encore plus qu’ils ne l’ont déjà fait dans l’ensemble de la société.

  Face à cela, quelle possibilité aurons-nous de répliquer ? Les syndicats ont été affaiblis, ils continueront à l’être. L’école pouvait jouer jusqu’ici le rôle de contre-pouvoir. Mais là encore, le travail de sape entamé avec Blanquer va se poursuivre et s’amplifier. On le voit déjà, les enseignants porteurs de valeurs de gauche sont menacés, ils le seront encore plus avec le pouvoir accru des chefs d’établissement et des directeurs d’école. L’école dans son ensemble va subir une caporalisation sans précédent où ceux qui prônent une éducation émancipatrice seront priés d’aller voir ailleurs et de dégager. Ce que nous annonce Emmanuel Macron a le mérite d’être assez clair : apprentissage dès la cinquième, augmentation des frais d’inscription à l’université. Le but évident est de transformer l’ensemble des classes populaires en employés corvéables à merci, surtout pas d’en faire des citoyens éclairés et émancipés.

  Comment imaginer dans ces conditions qu’une conscience de gauche puisse émerger dans les jeunes générations qui obtiendront le droit de vote dans les cinq ans à venir ? Si l’on ajoute à cela la récente nomination d’un catho traditionaliste à la tête du conseil supérieur des programmes et le fait que la plupart des éditeurs de manuels scolaires soient tombés sous la coupe de Bolloré, le tableau a de quoi saisir d’effroi l’électeur de gauche.

  On connaît la métaphore : plongée directement dans une casserole d’eau bouillante, une grenouille en saute immédiatement échappant ainsi à la mort. En revanche, plongée dans la même casserole d’eau tiède placée sur le feu, ses défenses s’affaiblissent progressivement et elle finit par mourir ébouillantée sans réagir. Emmanuel Macron nous amène inexorablement à nous habituer à l’inacceptable, il prépare ainsi bien plus sûrement la victoire idéologique de l’extrême-droite que pourrait ne le faire Marine Le Pen. Imagine-t-on la réaction des médias si Marine Le Pen avait fait en matière de répression ne serait-ce que la moitié de ce qu’Emmanuel Macron a accompli ? On imagine dorénavant l’argumentaire : « ce que nous faisons n’est pas pire que ce qu’Emmanuel Macron a fait ».

  Arrivé à ce point de mon raisonnement, il convient d’envisager les principaux arguments que l’on pourrait m’opposer pour m’inciter à voter Macron. J’entends les examiner un par un afin de bien prouver que j’y ai réfléchi.

1. L’élection de Marine Le Pen encouragerait le passage à l’acte de factions d’extrême-droite qui prônent la violence.

  Pas besoin d’être un observateur avisé pour se rendre compte que c’est, dans une large mesure, déjà le cas. On a pu assister à des appels au meurtre sur les réseaux sociaux sans que cela ne semble émouvoir grand monde. On assiste à des actions coups de poing contre des militants de gauche, les forces d’extrême-droite n’ont pas attendu l’élection de Marine Le Pen pour se manifester dans l’espace public. La question n’est pas tant de savoir si ces forces se manifesteraient que de déterminer quelle résistance la société serait en mesure de lui opposer. Mon analyse est qu’une élection de Marine Le Pen rendrait ces manifestations de force plus scandaleuse pour l’ensemble des médias et de l’opinion publique. Le rapport de force médiatique s’inverserait : l’extrême-droite redeviendrait l’ennemi puisqu’il s’agirait pour le bloc néolibéral de reconquérir le pouvoir, en s’alliant au besoin avec la gauche sociétale.

2. Marine Le Pen pourrait passer outre le pouvoir du parlement en utilisant le référendum pour imposer une modification de la constitution lui donnant davantage de pouvoirs.

  Comme nous l’avons dit, le rapport électoral n’est pas favorable aux idées d’extrême-droite, on peut raisonnablement tabler sur le fait qu’une majorité de deux tiers des électeurs s’opposerait dans les urnes à un tel projet. Et comme nous l’avons dit, il y a des risques non négligeables que le rapport de force ne soit pas le même dans cinq ans.

3. Une fois au pouvoir, l’extrême-droite ne le lâche pas.

  Sur quels exemples s’appuie-t-on pour étayer cette affirmation ? La Hongrie ? La Russie (si tant est que Poutine soit d’extrême-droite) ? Ce sont des régimes qui n’ont pas une culture démocratique bien ancrée et qui vivent dans la nostalgie d’une époque où leur place sur la scène internationale était liée à une forme de régime autoritaire. Les démocraties illibérales que sont en train de devenir la Turquie d’Erdogan et l’Inde de Modi ? Ces démocraties ont vécu pendant des années avec un parti dominant qui écrasait tous les autres et dont l’effondrement a permis l’émergence d’un pouvoir autoritaire marqué par l’intégrisme religieux. Si on veut comparer ce qui est comparable, il faudrait rapprocher la France d’autres pays semblables où l’extrême-droite a été amenée à exercer des responsabilités, soit l’Italie, l’Autriche ou encore les Etats-unis. On constatera que, dans ces trois exemples, l’alternance a eu lieu et que l’extrême-droite a été chassée par les urnes.

  Fort de ce raisonnement et les principales objections qu’on pouvait lui opposer ayant été écartées, il conviendrait en toute logique que je ne me contente pas de ne pas voter Macron mais, comme certains électeurs de gauche comptent le faire, que j’aille jusqu’à poser un bulletin Marine Le Pen dans l’urne. Je ne le ferai pas. Pour deux raisons. La première est viscérale : tout dans mon parcours et dans ma vision du monde m’oppose au projet porté par Marine Le Pen et je me refuse à lui apporter ma caution même dans une perspective purement tactique. La deuxième est que mon analyse repose sur une série de suppositions qui ne sont que des suppositions. Autrement dit je ne suis pas certain d’avoir raison. Et je pourrais difficilement me pardonner de m’être trompé.

  Je me cantonnerai donc à m’abstenir (ou à voter blanc, je n’ai pas encore décidé) en vertu du raisonnement qui me semble le plus rationnel dans la circonstance présente : si Marine Le Pen est élue cette fois-ci, c’est qu’elle le sera dans une proportion encore plus large en 2027. Plutôt que de jouer le castor, il convient donc de tout mettre en œuvre pour que cette élection soit la moins nocive possible.

  J’ajouterai pour finir que mon choix n’est pas définitivement arrêté. Ceux qui pensent que j’ai intérêt à voter Macron peuvent encore essayer de me convaincre. Mais il va falloir être plus convaincant que les partisans de cette option ne l’ont été jusqu’à présent. Je m’étonne du fait que ceux qui se présentent comme le camp de la raison essayent essentiellement de peser sur mes affects. Donc je vous le dis de façon à ce que ce soit clair : inutile de jouer la carte de la culpabilisation, je ne suis pas responsable de la montée de l’extrême-droite, inutile également de jouer sur la peur. J’aurai de toute façon peur quelle que soit l’issue du scrutin, mais c’est précisément parce que je ne me laisse pas dominer par la peur qui est souvent mauvaise conseillère que je ne voterai pas Macron ce dimanche. Maintenant si vous avez des arguments rationnels à faire entendre, je suis prêt à en tenir compte.


 

Un commentaire, parmi d’autres

  • Par Gil DELHOUME

Merci pour ces éclairages très bienvenus ; je partage votre argumentaire très solide . Personnellement je vais voter Macron parce-que mon fils et mes frères ont de bonnes têtes d'arabes . Si aujourd'hui la BAC les arrête , les tutoie et les rudoie sans vergogne quasi toutes les semaines , que sera leur quotidien sous un régime qui autorisera/encouragera une totale désinhibition ? Quel sera le sort de mes élèves irakiens et syriens séjournant en France depuis peu avec des statuts provisoires ?

 publié le 19 avril 2022

L’art délicat (et particulièrement insupportable) de choisir ses ennemis

Albin Wagener - Enseignant-chercheur en analyse de discours et communication sur https://blogs.mediapart.fr

L’Histoire est pleine de ces moments où les citoyennes et les citoyens, en légitime état d’exaspération, ont fini par faire de très mauvais choix pour de très bonnes raisons. Et dans l’ambiance politique délétère et inquiétante de ce mois d’avril 2022, si le pire n’est jamais certain, il reste néanmoins possible.

Que les choses soient claires : non, je ne vais pas m’évertuer à donner des leçons de morale ou des consignes de vote. Tout simplement parce que je pense que tout le monde est suffisamment grand pour faire des choix en pleine intelligence, et aussi parce que je pense comprendre les raisons des tentations qui se trouvent désormais devant nous. Oui, la gueule de bois est encore palpable, quelques jours après les résultats de cet abominable 10 avril. Oui, nous aurions aimé, pour beaucoup, un second tour différent, avec une affiche qui ne serait ni une redite de 2017, ni la résultante de la prophétie auto-réalisatrice des instituts de sondage.

La campagne a été dure et épuisante. Dans nos cœurs, les braises de la colère sont encore vives, et il faudra beaucoup de temps pour faire oublier les trahisons et les attaques incompréhensibles, et encore plus pour solder sereinement ce qui méritera d’être discuté. Mais il faudra le faire, pour ne pas finir comme la queue de comète d’un Parti socialiste qui aura, jusqu’au bout, préféré le déni et la bassesse à la lucidité d’une auto-analyse qui l’aurait honoré. Les forces de gauche en sont donc là, divisées mais présentes, face à l’affiche d’un second tour qu’on déteste profondément, pour des raisons objectives qu’il s’agira de regarder en face. Laissons le temps aux émotions, elles doivent s’exprimer. Mais faut-il pour autant que ces émotions nous encouragent à faire un choix irréversible, ce dimanche 24 avril 2022 ?

Ne nous leurrons pas : nous n’allons pas élire un président, mais choisir l’ennemi contre lequel nous allons nous battre pour les cinq prochaines années – sauf si un heureux sursaut de l’Histoire permet à l’Assemblée nationale de nous offrir l’une de ces inspirantes cohabitations dont elle a le secret. D’aucuns diront que cela a sans doute statistiquement peu de chances d’arriver si l’on regarde l’Histoire récente, mais ceci ne doit pas pour autant nous empêcher de lutter pour tout faire pour le matérialiser. Après tout, l’Histoire, c’est aussi écrire de nouvelles pages.

Choisir son ennemi constitue un art délicat. Le choix que nous avons en face de nous peut paraître cornélien : la perversion méprisante du néolibéralisme d’un côté, et la monstrueuse tentation du fascisme de l’autre. Et en cette période pré-fasciste, on sait à quel point il ne faut pas grand-chose pour que les mauvais choix se concrétisent et se matérialisent rapidement. D’un côté, nous pourrions donc reconduire un Président contre lequel nous avons appris à nous battre, qui a tout fait pour banaliser l’extrême-droite et installer la casse sociale et climatique comme mantra politique. Oui, si nous choisissons Emmanuel Macron, tout cela continuera, c’est indubitable. De l’autre côté, nous pourrions tenter le saut vers l’inconnu, se dire qu’après tout, on a jamais essayé, et que « foutu pour foutu », on va « faire péter » le système en envoyant un « message » en votant Marine Le Pen.

Sauf qu’il n’est pas si inconnu que ça, ce saut. Et sans aller effleurer les points Godwin trop évidents dont regorge le XXè siècle, il suffit de regarder les évolutions récentes au sein de plusieurs démocraties, pour se rendre compte de ce que voter pour un parti d’extrême-droite signifie, concrètement. Donald Trump aux Etats-Unis, Jair Bolsonaro au Brésil, Viktor Orban en Hongrie, Vladimir Poutine en Russie, les frères Kaczynski en Pologne : les exemples sont nombreux et nous enseignent ce que nous sommes en droit de savoir avant de choisir. Avec, pour tous ces dirigeants, une constante qui n’aura échappé à personne : la tentation de modifier la loi et la constitution pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible, le musèlement rapide de toute opposition, la persécution officielle des minorités et des communautés, et l’excitation de groupuscules qui finissent par agir comme des milices violentes, légitimées par un pouvoir qui les adoube tacitement.

Qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? Le programme du Rassemblement National, si sa lecture vous en dit, fait froid dans le dos. Et si Marine Le Pen semble s’être refait une virginité en tant qu’éleveuse de chats, surfant avec paresse et facilité sur une banalisation de ses idées servie, au hasard, aussi bien par CNews, Cyril Hanouna ou Karine Lemarchand, il n’en reste pas moins que ses lieutenants n’ont rien de divertissants personnages ; certains d’entre eux pourraient même faire passer Eric Zemmour pour un provocateur gentillet. D’abord, il convient de tordre le cou à ce qui n’est qu’une hypothèse fragile : le fait que Marine Le Pen, une fois au pouvoir, n’aurait de toute façon aucune majorité pour pouvoir gouverner. D’abord, cela n’est pas écrit, et ce jeu est particulièrement dangereux ; le jeu des institutions ne garantit ni risque de réécriture constitutionnelle par référendum (les chefs d’Etat que j’ai cités ont tous tenté d’en passer par là, d’une façon ou d’une autre), et l’Histoire récente de la Vè République montre à quel point les législatives offrent bien souvent une majorité confortable à la personne à qui l’on offre le mandat présidentiel.

Plus concrètement, cela signifie que les plus fragiles seront les premières victimes d’une politique économique qui, par ailleurs, est à la fois particulièrement erratique et totalement incertaine. Je ne parle même pas de la banalisation du racisme, de l’islamophobie, de l’antisémitisme, de l’homophobie, de la transphobie, de l’oubli complet des personnes en situation de handicap, du recul très net des droits des femmes et de l’appauvrissement des plus précaires. Je ne parle pas non plus de l’arrivée au pouvoir d’une présidente qui devra bien plus au Kremlin qu’au mandat que les françaises et les français lui auront confié. Je ne parle pas non plus, enfin, des groupuscules d’extrême-droite qui se sentiront parfaitement légitimés pour passer à l’action – et qui feront passer les récentes agressions lyonnaises pour de gentils petits tours de chauffe.

Nous savons comment nous battre contre les infectes contorsions du néolibéralisme. Mais une chose est claire : nous savons que lorsque l’extrême-droite arrive au pouvoir, elle ne laisse aucun espace à celles et ceux qui luttent contre elle, parce qu’elle déteste la démocratie. Dans son ADN, c’est l’autoritarisme qui domine. Nous pourrons dire adieu à la presse libre, et bonjour à des verbalisations ou des emprisonnements de celles et ceux qui seront considérés comme des opposants : qu’il s’agisse des mouvements pour le climat ou de simples associations de quartiers, toutes celles et tous ceux qui auront pour ambition de faire vivre la vie démocratique en seront empêchés. Ce n’est pas une menace : c’est une réalité qui s’écrira ici, comme elle s'est déjà écrite ailleurs, parfois de manière irréversible.

Bien évidemment, alors que l’espace médiatique a très largement participé à la banalisation des idées d’extrême-droite et que les instituts de sondage sont devenus des acteurs à part entière de la vie démocratique et du processus électoral, on a l’impression que tout cela peut paraître exagéré. Est-ce si grave de voter pour quelqu’un qui, à la télé, a l’air plutôt sympa et que l’on traite avec déférence ? Est-ce si grave de voter pour quelqu’un devant qui les médias se couchent pour lui offrir le journaliste qu’elle désire pour une interview ? Est-ce si grave de voter pour quelqu’un dont on voit circuler les idées sur des émissions de divertissement que tout le monde regarde ? Oui. Ce n’est pas parce que l’espace médiatique est coupable de lâcheté et de complicité idéologique, ou que les instituts de sondage font mine d’observer la vie politique en produisant des enquêtes d’opinion toutes les 6 heures que la réalité n’en est pas moins celle-là : le fascisme existe, il est présent dans ce pays, il tue, il a déjà tué, et il tuera encore plus si nous lui donnons les clés du pouvoir.

Ce dimanche 24 avril, je n’irai pas élire un Président. J’irai choisir l’ennemi que je combattrai pour les 5 prochaines années, afin de structurer des luttes qui nous rendront plus solides pour les échéances électorales à venir. Je n’oublie rien. Je suis triste, amer et en colère, bien sûr. Je comprends que l’on soit tenté par un autre vote que celui d’Emmanuel Macron, si difficile à glisser dans l’urne, pour tant de raisons plus que légitimes. Je ne le ferai ni avec bonheur, ni avec sentiment du devoir accompli, et je m’en voudrai chaque jour qui passera. Mais jamais je ne pourrai supporter d’avoir contribué indirectement à l’installation d’un régime fasciste, qui ciblera mes frères, mes amies, les luttes en lesquelles je crois, les mouvements dans lesquels je m’engage. Et qui donnera une toute autre ampleur aux violences policières, au racisme systémique, aux discriminations abjectes et à la toxicité médiatique.

Nous avions tout pour faire changer notre société et imaginer un avenir meilleur. C’est décevant, c’est  une occasion manquée, ça fait mal, c’est démoralisant, et nous enrageons toutes et tous – à raison, même si la projection des élections législatives doit nous permettre de conserver une véritable dynamique, pleine d'espoir. Oui, des gens vont souffrir sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, et nous devrons nous organiser pour lutter, rester solidaires, et aider celles et ceux qui en auront besoin. Cela ne sera pas facile, souvent décourageant, et toujours dégueulasse. Mais avec tout ce que ce prochain quinquennat m’inspire, je peux vous assurer d’une chose : ce qui nous attend, si nous choisissons le programme nationaliste et populiste de Marine Le Pen, n’aura vraiment rien à voir. Dans un cas, nous devront nous battre beaucoup pour limiter les dégâts et obtenir de maigres avancées : ce ne sera pas le paradis. Dans l’autre cas, ce sera l’enfer.


 

Et un commentaire parmi bien d’autres :

  • Par PoussiereDeGrizzly

Mais avec le choix de l'ennemi Macron, que vont apporter 5 années encore plus dures de droite néolibérale ? Ces 5 années risquent de muscler l'extrême droite et ce sera un raz de marée de fascisme à la prochaine présidentielle, un autoritarisme dévergondé et ravageur ! On peut se demander s'il ne vaut mieux pas affronter immédiatement un ennemi fachiste pas encore assez mûr... Depuis 2002 il paraît que la gauche recule pour mieux sauter ... Toujours avec le même résultat, l'affaiblissement constant. Donc je ne vois pas de solution miracle pour le vote du second tour, la seule carte positive étant d'obtenir un maximum de députés insoumis, ou proches, aux législatives. Je voterai blanc mais participerai encore plus aux luttes.

 

publié le 18 avril 2022

LFI: 66% des soutiens de Mélenchon
ne voteront pas Macron

Par Astrid de Villaines sur https://www.huffingtonpost.fr/

LFI a lancé une grande consultation sur sa base de 215 292 soutiens apportés à Jean-Luc Mélenchon. Ils préfèrent le bulletin blanc, nul ou l'abstention.

POLITIQUE - Les urnes insoumises ont parlé. Comme en 2017, Jean-Luc Mélenchon a consulté sa base (environ 300.000 personnes) pour lui demander ce qu’elle comptait faire au second tour de la présidentielle 2022.

L’Insoumis en chef n’a pas proposé l’option “Marine Le Pen” qu’il combat et proposait à ses troupes trois options: vote blanc ou nul, abstention ou vote pour Emmanuel Macron. Les résultats sont sans appel: ce n’est pas le président de la République qui arrive en tête de cette consultation.

Selon les résultats transmis par le mouvement ce 17 avril, sur 215.292 participants au vote, 37,65% d’entre eux ont choisi le vote blanc ou nul et 28,96% disent qu’ils s’abstiendront, soit un total de 66,61% qui ne votera pas pour Emmanuel Macron. 

Arrivé en deuxième position, le bulletin de vote pour le président sortant n’obtient que 33,40% des sondés, soit un tiers des personnes ayant répondu. “Le résultat de cette consultation n’est pas une consigne donnée à qui que ce soit (...) Chacun conclura et votera en conscience, comme il l’entend”, précise le communiqué de La France insoumise qui publie ces résultats.

En 2017, une consultation similaire avait amené environ 240 000 Insoumis à choisir à 36,12% pour le vote blanc ou nul, à 34,83% pour Emmanuel Macron, et à 29,05% pour l’abstention.

publié le 17 avril 2022

Manif contre l’extrême droite à Paris :
« Mieux vaut un vote qui pue
qu’un vote qui tue »

.James Gregoire et David Perrotin sur www.mediapart.fr

Des milliers de personnes ont défilé dans toute la France ce samedi pour « dire non à l’extrême droite ». Au sein de la gauche, comme dans le cortège parisien, deux tendances cohabitent : ceux qui iront faire barrage et les abstentionnistes

Ce samedi à Paris et en plein soleil, la foule était déterminée à dire « non à l’extrême droite » tout en dénonçant la politique d’Emmanuel Macron. Près de 22 000 personnes (dont 9 200 à Paris selon la préfecture et 40 000 selon les organisateurs) ont en effet répondu présent  à l’appel unitaire à rassemblements - partout en France et dans la capitale - lancé par une centaine d’organisations de la société civile. 

« En rejetant Marine Le Pen, il s'agit d'empêcher l'avènement d'un projet de société destructeur de l’État de droit, de la république démocratique sociale et solidaire que nous défendons chaque jour », précisait le communiqué publié la veille par les organisateurs, à l’instar de la LDH, SOS Racisme, la CGT, le Syndicat de la magistrature ou encore le Syndicat national des journalistes. 

Si dans toutes les têtes s’imposaient les images des mobilisations massives de 2002 lorsque Jean-Marie Le Pen avait accédé au premier tour, tous se sont rendus à l’évidence : l’antifascisme mobilise beaucoup moins. « On voit que les idées d’extrême droite ont bien fait leur chemin depuis », regrette Cécile, 67 ans, qui est partagée entre colère et amertume face à une mobilisation « si faible »

Ce 1er mai 2002, environ 1,3 million de personnes, dont 400 000 à Paris, avaient battu le pavé dans toute la France pour « faire barrage par leur vote à Jean-Marie Le Pen ». Une mobilisation qui restera comme une des plus importantes avec celles organisées après l’attentat contre Charlie Hebdo

« Menu sur place ou à en pleurer »

Les temps ont cette fois-ci bien changé. Si Marine Le Pen n’a jamais été aussi proche d’accéder au second tour, l’inquiétude des personnalités politiques et syndicales s’est faite bien discrète. À l’exception de quelques têtes, (Olivier Besancenot, Audrey Pulvar, Danielle Simonnet, Jérôme Rodriguez…), la manifestation comptait surtout des militants ou des membres d'associations antiracistes. Depuis dimanche, la gauche n’a cette fois-ci pas su ou voulu déployer son énergie pour motiver les foules. 

Les slogans déployés tout au long du parcours entre Nation et République, illustrent quant à eux le dilemme vécu aujourd’hui par une large partie de la gauche. Ceux pour qui « dire non à l’extrême droite » implique de voter « une fois encore » pour Emmanuel Macron et qui l’affichent de différentes manières sur leurs pancartes :  « Mieux vaut un vote qui pue qu’un vote qui tue », « Ni Macron, ni Le Pen, mais surtout pas Le Pen », ou « Menu sur place ou à en pleurer ». Et les autres qui revendiquent leur future abstention.

Au milieu de nombreux chants revendicatifs, une voix grave et rocailleuse résonne. Les sourcils froncés, épais, mis en valeur par le kaki de sa veste, Sylvain veut montrer son opposition pure et simple à Marine Le Pen : « Je viens d’une famille de travailleurs. On est des purs prolos. Voter Macron, ce n’est pas accepter le capitalisme, c’est refuser le fascisme. »
Indépendamment de son origine sociale, Sylvain votera Emmanuel Macron dans une semaine, tout comme il avait voté Chirac en 2002. Il estime que le barrage républicain est plus important que tout : « En 2017, je n’ai pas voté parce que c’était sûr que Macron allait gagner, mais là, quand tu vois le score que font Le Pen et Zemmour, je suis inquiet », confie-t-il. 

Une crainte partagée par Anzoumane Sissoko, membre de la Marche des solidarités, qui a organisé la manifestation : « Le mot d’ordre est clair : aucune voix pour Le Pen ! » Mais avec cette marche, il souhaite aussi dénoncer « cinq ans de politique répressive d’Emmanuel Macron » et cite comme exemple la loi « séparatisme », les « détentions arbitraires de personnes exilées », et l’absence « d’avancée sociale en cinq ans ». 

Au milieu des drapeaux qui s’agitent et de la foule qui chante, Alexis, 27 ans, avance tranquillement. Cet agent d’accueil a profité du week-end ensoleillé pour montrer son opposition au choix qui lui est « imposé » : « Je refuse de voir une raciste à la tête d’un pays comme la France », lance-t-il, tout en continuant de taper de mains pour soutenir les « siamo tutti antifascisti » de la foule. Lui qui a voté Yannick Jadot au premier tour et comptait s’abstenir avant de se raviser, tente alors une comparaison : « Macron ce n’est pas le mieux, loin de là, mais entre la gastro et le Covid, j’ai choisi. » 

Dans le parcours, un cortège de la fédération parisienne du Parti socialiste ne passe pas inaperçu et reçoit quelques insultes. « C’était une évidence d’être ici aujourd’hui », insiste Alexandre, 50 ans et militant socialiste qui justifie malgré tout son vote pour Anne Hidalgo : « La question qu’on devrait me poser, c’est pourquoi je ne peux pas voter pour Mélenchon », poursuit-il. Il montre son T-shirt avec une inscription pro-Ukraine pour dénoncer les positions « pro-Poutine de Mélenchon ». 

Des militants socialistes, communistes et de la LFI défilent

Plus loin dans le cortège, des militants du Parti communiste distribuent des tracts montrant Fabien Roussel appeler « au rassemblement ». Julien, 46 ans, a justement voté pour le candidat communiste et dit aujourd’hui « s’en mordre les doigts ». Avec sa pancarte « Ne cédez pas au R-haine » et son fils de 16 ans à ses côtés, il martèle l’importance de battre l’extrême droite dimanche 24 avril. « C’est trop dangereux de confier le pouvoir à l’extrême droite. Cinq ans de Macron seront difficiles, mais il faudra se battre pour défendre encore et encore nos droits », explique-t-il. Plus loin, Yann 35 ans, déambule avec la tête de Jean-Luc Mélenchon collée à son costard trois-pièces. Militant de La France insoumise, il défend le vote barrage : « On a le choix avec deux extrêmes droites au second tour, je voterai pour la moins pire des deux ». 

Il aborde ensuite les sondages montrant que 30 % des électeurs de Mélenchon au premier tour voteraient Marine Le Pen au second, et veut relativiser. « Je n’y vois pas quelque chose de négatif. Cela signifie qu’on a réussi à faire en sorte que des gens qui auraient voté Le Pen au premier tour, ont finalement voté Mélenchon. Qu’on les perde face à Macron au second tour, c’était inéluctable », juge-t-il, estimant que c’est « déjà un petit pas contre l’extrême droite ». 

Lucile, 39 ans, tient une pancarte avec cette interrogation : « Abstention = collaboration ? ». « Je veux faire réfléchir ceux qui comptent s’abstenir. Pour moi, ceux qui n’iront pas voter Macron, ne veulent pas voir que c’est un privilège. Le privilège de ceux qui ne sont pas directement concernés par la politique de Le Pen », explique-t-elle avant de dénoncer l’autre effet, selon elle, d’une abstention massive. « On croit que la France est massivement à droite, mais si les abstentionnistes votaient, on verrait que c’est une illusion ».   

Le rejet du « vote barrage »

Comme à Marseille, Lyon, Poitiers ou Grenoble, les manifestants parisiens scandaient leur peur et leur colère de voir Marine Le Pen au pouvoir. De nombreux jeunes pourtant défilaient aussi pour rejeter cette fois-ci « tout barrage ». « Je suis abstentionniste, mais je suis présente aujourd’hui pour montrer qu’il y a une différence entre la politique et l’électoralisme », témoigne Laure, 35 ans.

« On a craché à la figure de tous les gens qui ne votent pas, mais les gens devraient ouvrir les yeux. La jeunesse de ce pays est ultra-politisée. Il va falloir comprendre qu’elle rejette désormais ce système et qu’un véritable changement passera par la rue », estime la jeune femme qui regrette « cette France de plus en plus à droite ». Le second tour se résume selon elle en un seul choix : « le fascisme ou l’autoroute vers le fascisme ». Face à elle, des pancartes affichent cette tendance plus radicale : « Nos pavés ne rentrent pas dans vos urnes », ou « À bas l’État, les flics et les fachos ».

Lucas, 24 ans, qui manifeste pour la première fois de sa vie, n’ira pas voter non plus pour le second tour. La pancarte qu’il tient sert de justification. Il exhibe le visage de Macron affublé d’un gilet jaune, un œil blessé par un LBD. « Je ne peux pas voter pour Macron, lui qui est responsable de toutes les violences policières qu’on a pu voir pendant le quinquennat. » 

Si cette élection est pour beaucoup « un remake » de 2002 ou de 2017, la colère a pris le pas sur les certitudes de faire cette fois-ci barrage à Marine Le Pen. Ceux qui iront glisser un bulletin Macron, ne veulent même pas blâmer ceux qui resteront chez eux. « J’irai voter contre Le Pen tout en comprenant ceux qui n’y arrivent pas », explique Clémence 37 ans. Et de lâcher : « Faut bien que certains s’y collent ».

publié le16 avril 2022

Montpellier : le lieu associatif «  Le Barricade » attaqué par des militants fascistes

Ricardo Parreira sur : https://www.lamule.media/

Ce jeudi soir, 14 avril 2022, vers 21 : 30, entre dix et quinze militants d’extrême droite ont attaqué, pour la deuxième fois depuis l’ouverture du nouveau local (samedi 11 décembre 2021), l’association Le Barricade. Dans une action très rapide et de grande violence, les militants fascistes ont jeté un fumigène bleu à l’intérieur de l’espace, puis des bouteilles de vodka/Manzana vides et des pierres vers les personnes qui se tenaient tranquillement à l’intérieur. Également, la baie vitrée de l’entrée fut brisée.

Sous le choc, les personnes présentes ont tenté de se défendre ; « l’utra gauche, vas-y viens ! » Ont crié les fafs, qui ont rapidement commencé à fuir vers l’avenue de Maurin.

Évidement, le lieu associatif Le Barricade, qui rassemble des personnes d’horizons différents, luttant pacifiquement pour partager des idées sociales de gauche, dérange les fascistes à Montpellier. Ces fafs, violents et plein de rage, sans crainte de représailles, mettent consciemment en danger l’intégrité physique des paisibles usagers qui profitent de cet espace alternatif. 

Pour un des membres de l’association, ce genre d’attaque peut avoir pour objectifs de susciter la peur et d’éloigner les nouveaux membres, car l’association devient de plus en plus populaire à Montpellier.

publié le 15 avril 2022

Le projet présidentiel de Marine Le Pen foule aux pieds les droits fondamentaux

Lucie Delaporte sur www.mediapart.fr

Derrière sa fade campagne, la candidate d’extrême droite défend un programme brutal, profondément xénophobe et autoritaire, qui mettrait la France au ban des démocraties européennes.

Sourire, en toute circonstance, et mesurer chacun de ses mots en public. Dans cette campagne qu’elle a voulue « de proximité », et centrée sur le pouvoir d’achat, Marine Le Pen a joué la contre-programmation. Attendue sur les thématiques habituelles de l’extrême droite – immigration, insécurité, islam –, la candidate du Rassemblement national (RN), assurée pour sa troisième candidature d’être déjà parfaitement identifiée sur ces sujets, les a stratégiquement remisées à l’arrière-plan.

Écumant les marchés en faisant des selfies, celle qui s’est déclarée « lassée du bruit et de la fureur » a voulu se montrer proche des Français confrontés aux difficultés du quotidien. Face à la candidature d’Éric Zemmour qui multipliait les sorties racistes et xénophobes, Marine Le Pen a offert cette image « assagie », apparaissant miraculeusement « recentrée », en comparaison de l’ancien journaliste du Figaro.

Une prouesse au regard de l’incroyable brutalité de son projet, pourtant. Un projet qui, sur bien des aspects, ferait basculer le pays dans un régime autoritaire à la hongroise avec des conséquences humaines, sociales pour des millions de résidents étrangers difficile à imaginer. 

Si la candidate du RN ne cesse de revendiquer son attachement aux « valeurs de la République » et au droit, rappelant à l’envi qu’elle est une ancienne avocate, son programme piétine en réalité tous les droits fondamentaux.

Pour habiller de légalité la « priorité nationale », soit la priorité d’accès à l’emploi, au logement ou aux aides sociales aux Français, Marine Le Pen s’est adjoint les services de l’ancien magistrat Jean-Paul Garraud. Afin d’écarter les critiques en « inconstitutionnalité » qui entourent depuis des années cette mesure phare du programme de l’extrême droite, l’ancien député Les Républicains (LR), rallié au RN, a déjà rédigé un projet de loi. « Nous sommes prêts à gouverner, nos mesures sont applicables », ne cesse d’ailleurs de répéter la candidate qui sait combien lui a coûté en 2017 son image d’amateurisme.

Marine Le Pen a décidé de passer par « un projet de loi sur l’immigration » soumis à référendum qui entérinerait la fameuse « priorité nationale ». Dans l’exposé des motifs, elle affirme qu’« organiser un référendum sur les questions essentielles de la maîtrise de l’immigration, de la protection de la nationalité et de l’identité françaises et de la primauté du droit national permettra de rétablir, par “la voie la plus démocratique qui soit”, pour reprendre l’expression du général de Gaulle, et donc de manière incontestable, la volonté souveraine du peuple français ».

Comme la « priorité nationale » est aujourd’hui anticonstitutionnelle, car contraire au principe constitutionnel d’égalité, la candidate RN veut faire sauter tous les verrous du droit susceptibles d’entraver sa politique xénophobe. Ne pouvant s’appuyer sur l’article 89 pour modifier la Constitution – lequel nécessite que le projet soit discuté à l’Assemblée nationale et au Sénat, avant d’être adopté en termes identiques par les deux chambres –, elle veut donc recourir à l’article 11, soit le recours au référendum, en arguant que de Gaulle l’a bien utilisé en 1962 dans ce cas de figure.

À l’époque, de Gaulle s’était assis sur les avis du Conseil constitutionnel, et depuis la jurisprudence est claire : l’article 11 ne peut servir à modifier le texte fondamental. Si elle décidait de passer malgré tout en force, le Conseil constitutionnel n’aurait plus son mot à dire car, détaille son programme, « le Conseil constitutionnel ne peut examiner une loi adoptée par référendum ». Interrogée sur France Inter sur les graves réserves émises par le constitutionnaliste Dominique Rousseau, Marine Le Pen l’a traité de « constitutionnaliste d’extrême gauche » et a raillé son « niveau d’incompétence », ce qui donne une idée assez claire de la manière dont, une fois au pouvoir, elle traiterait les contre-pouvoirs.

Son projet de « priorité nationale », rappellent tous les juristes consultés par Mediapart, contrevient pourtant à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui interdit d’opérer une distinction entre les Français et les étrangers dans l’accès aux droits fondamentaux. Le terrain est préparé puisque, dans sa famille politique, tout un travail de sape a été fait sur le « droitdelhommisme », accusé d’entraver la souveraineté populaire et dénoncé dès 1997 par Jean-Marie Le Pen.

L’idée de créer un « bouclier constitutionnel » établissant que la France ne serait plus soumise au droit international, et notamment européen s’il entre en contradiction avec la nouvelle Constitution, n’a, selon les juristes consultés par Mediapart, que peu de sens du point de vue du droit.

En droit, tout est possible et la France rejoindrait le club très fermé de la dictature des colonels et de la Russie.

« Le droit international des droits humains postule sa propre primauté à l’égard de toutes les normes juridiques internes », rappelle le juriste Yannick Lecuyer, maître de conférences à l’université d’Angers (Maine-et-Loire). L’argument avancé de la souveraineté ne tient pas, souligne-t-il, car « ces textes ont été ratifiés par la France. On est dans tout sauf de la négation de souveraineté ». Il rappelle aussi que la France peut évidemment choisir de tourner le dos à la Convention européenne des droits de l’homme : « En droit, tout est possible et la France rejoindrait le club très fermé de la dictature des colonels et de la Russie. »

Si les États européens ont ratifié ces traités, c’est précisément pour servir de garde-fou à une « dictature des majorités », c’est-à-dire empêcher qu’un dirigeant élu sur un programme qui contreviendrait à la dignité humaine ait les mains totalement libres. « On peut décider de ne pas suivre une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, il ne se passera rien, mais on se met au ban des démocraties qui ont décidé que le respect des droits humains était garant de la paix », renchérit Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université de Paris-Nanterre.

Appliquer aux ressortissants de l’Union européenne la « priorité nationale » contrevient également au droit européen. Refuser l’accès à l’emploi ou au logement social est contraire notamment à la charte des droits fondamentaux de l’UE. Ce serait une sorte de « Frexit » de fait, qui ne serait pas sans conséquence pour la France.

« La priorité nationale » aurait des conséquences dévastatrices pour des millions de personnes

Tout cela empêcherait-il Marine Le Pen d’appliquer son programme ? Sans doute que non. On sait qu’un habillage légaliste a permis à certains États européens de glisser vers des régimes de plus en plus autoritaires, à l’instar de la Hongrie de Viktor Orbán, qui constitue un modèle revendiqué pour Marine Le Pen.

Au-delà des considérations juridiques, « la priorité nationale » aurait des conséquences dévastatrices pour des millions de personnes. Priver potentiellement près de 5 millions de résidents étrangers, parmi lesquels 38 % d’Européens, de l’accès au travail, au logement social, au RSA, aux allocations familiales ou aux soins médicaux (hors situation d’urgence) provoquerait un chaos social difficile à imaginer.

« Penser que les étrangers quitteront le territoire parce qu’ils n’ont plus ces prestations, c’est le fantasme de l’extrême droite qui croit que ces étrangers sont venus pour les prestations sociales. Cela n’a rien à voir, on le sait, avec la réalité des migrations. Ceux qui sont là depuis longtemps ne repartiront pas mais certains seront plongés dans la misère », prévient Antoine Math, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales et expert pour le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés).

Le programme de la candidate du RN tend à rendre la vie des étrangers en situation régulière le plus difficile possible : suppression du regroupement familial, suppression du droit du sol et naturalisation « au mérite ». Un étranger qui n’aurait pas trouvé de travail au bout d’un an n’aurait plus droit au séjour en France, et l’aide médicale d’État serait aussi supprimée.

Pour les clandestins, le séjour illégal devenant un délit, les fonctionnaires auraient l’obligation de les dénoncer en vertu de l’article 40. En contradiction là encore avec le droit international et européen, l’asile dans la France de Marine Le Pen serait rendu pratiquement impossible.

Au-delà de cette xénophobie institutionnalisée, le programme de Marine Le Pen sur la sécurité pose aussi tous les jalons d’un exercice autoritaire du pouvoir. Dans un État qui se serait affranchi du carcan de la Déclaration universelle des droits de l’homme, comment interpréter la proposition d’instaurer une légitime défense pour les forces de l’ordre ?

La partie du projet consacrée à la lutte contre le terrorisme est l’une des plus inquiétantes de son programme en ce qu’il soumet la pratique de la religion musulmane à l’arbitraire le plus complet.

Le texte s’appuie sur le projet de loi de Marine Le Pen « visant à combattre les idéologies islamistes » et rédigé comme une contre-proposition à la loi sur le « séparatisme ». Peinant à définir précisément « l’idéologie islamiste » dans son premier article, il décline ensuite tous les moyens pour empêcher la diffusion de cette « idéologie » dans la société.

« Interdire une idéologie, on ne voit pas très bien la frontière avec le délit d’opinion. Si les mots ont un sens, une idéologie, c’est un système de pensée », prévient la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez, pour qui ce texte « est en rupture avec la Déclaration des droits de l’homme qui a fait entrer le droit français dans la modernité ».

La pratique de l’islam soumise au pouvoir discrétionnaire de l’administration

L’autrice de La Démocratie en état d’urgence (Seuil, 2022) pointe à ce sujet « la puissance rhétorique et politique du danger, de l’urgence, de l’exception qui s’est installée dans la manière de gouverner ». Et qui permet, au nom de la lutte contre le terrorisme, de revenir sur des droits fondamentaux comme la liberté de conscience ou la liberté de culte.

Alors que « l’idéologie islamiste » n’est pas clairement définie, le projet de Marine Le Pen prévoit un contrôle de la diffusion des livres jeunesse, des œuvres cinématographiques susceptibles de la propager. Pour ceux qui douteraient du caractère « extensif » de l’application d’une telle loi, c’est elle qui permettrait à Marine Le Pen d’interdire le voile dans l’espace public – d’ailleurs toutes les « tenues islamistes », sans plus de précisions, seraient interdites.

Son projet autorise aussi le licenciement de tout salarié ayant « diffusé » cette idéologie et permet qu’un fonctionnaire refuse un logement ou une prestation sociale à cet « islamiste » présumé. Autant dire une pratique de l’islam sous surveillance constante et soumise à un effrayant pouvoir discrétionnaire.

Difficile face à ce tableau de souscrire à l’idée d’une Marine Le Pen assagie, amie des chats et du karaoké.

publié le 14 avril 2022

Présidentielle. Ils veulent "avoir le choix de leur avenir" : la colère des étudiants qui occupent la Sorbonne

Franck Cartelet sur www.humanite.fr

Depuis mercredi13 avril 2022, des étudiants occupent l’université de la Sorbonne à Paris. Ils protestent contre les choix de société prônés par Emmanuel Macron et Marine Le Pen, à une semaine du second tour de l’élection présidentielle. Et espèrent que leur mobilisation va s'étendre.

Certains ont passé la nuit là, investissent les amphithéâtres, manifestent devant le bâtiment. Plus d'une centaine d'étudiants de la Sorbonne et d’autres établissements du supérieur ont protesté ce jeudi 14 avril contre le « non-choix » qui s’offre à eux pour le second tour de l’élection présidentielle. Nombre d’entre eux ont l’impression d’être « laissés sur le carreau », « pas entendus », alors que les 18-24 ans ont voté à 31% pour Jean-Luc Mélenchon et que 40% des moins de 34 ne sont pas allés voter dimanche 10 avril. 

« Nous, les jeunes, avons majoritairement voté à gauche, on veut avoir le choix de notre avenir » explique Lola, étudiante à Sciences Po Strasbourg. Elle refuse, comme beaucoup de ses camarades, de choisir entre « un gouvernement qui a sabré la jeunesse pendant 5 ans » et qui n’a pas embrassé les urgences climatiques et sociales comme priorités, et de l’autre côté « un pouvoir fasciste ».  

S'abstenir ou non 

« Aujourd’hui, soit on s’abstient, pour renvoyer un message fort… Ou alors on vote Macron, parce que ça sera toujours le moins pire », concède l’étudiante, qui réfléchit déjà à comment occuper la rue pendant les 5 prochaines années.  

Après avoir affirmé ne pas savoir si elle allait s’abstenir ou non, Marie, étudiante en droit à Nanterre, semble néanmoins avoir déjà tranché: « C’est vrai que si l’extrême-droite passe, derrière, ce sont les minorités qui vont devoir subir ces choix-là », reconnaît l’étudiante qui questionne sa responsabilité dans un tel scénario. « Je pense que je vais voter Macron, même si ça me fait mal », finit-elle par lâcher, tout en insistant bien sur une chose : la nécessité de poursuivre la mobilisation après le vote, et de renforcer les ponts entre les divers mouvements de contestation.  

La Sorbonne fermée 

Antoine Boulanger, enseignant et élu CGT des enseignants à la faculté des lettres de la Sorbonne, se félicite de cet élan chez les étudiants. « Je pense qu’on ne peut être qu’enthousiasmés et heureux de voir que, loin d’être abattus par ce résultat catastrophique, les étudiants se mobilisent contre d’un côté l’ultra-libéralisme et de l’autre, un même programme ultra-libéral doublé d’une politique raciste et autoritaire », développe-t-il.

« Au lieu d’ouvrir les facs et de dire, “exprimez-vous, débattez”, le gouvernement envoie la police », regrette cet enseignant, alors que la direction de la Sorbonne a basculé les cours en distanciel et fermé ses portes aux étudiants jusqu’au 16 avril inclus.


 


 

 

 

Des groupes d’extrême droite
tentent de tuer dans l’œuf
le mouvement étudiant naissant

Sébastien Bourdon sur www.mediapart.fr

À Paris, le syndicat étudiant « La Cocarde », proche du Rassemblement national, a revendiqué le déblocage d’un bâtiment de Sciences Po en compagnie de membres de l’UNI et de Génération Zemmour. L’occupation de la Sorbonne a également fait face à une attaque dans la nuit.

Depuis l’annonce des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, un mouvement étudiant naissant tente de faire entendre sa voix, notamment autour du slogan « Ni Macron ni Le Pen ». Les tentatives de blocages et d’occupations de bâtiments universitaires se multiplient en France, avec succès pour l’heure en ce qui concerne les locaux historiques de la Sorbonne à Paris, investis dans l’après-midi du mercredi 13 avril. Mais autour de plusieurs groupes d’extrême droite, une autre jeunesse se mobilise également pour leur faire face.

Jeudi matin, les occupants de la Sorbonne ont ainsi annoncé avoir fait face dans la nuit à une « attaque d’un groupe fasciste non identifié » tout en assurant sans plus de détails que « la situation a été maîtrisée ». Dans la foulée, un militant lié à un groupuscule d’extrême droite a revendiqué via Instagram sa participation aux événements en fanfaronnant sur le bilan : « 1 spotter [guetteur – ndlr] tabassé, 2 bloqueurs traumatisés, 5 vitres défoncées. »

Aux alentours de 16 heures, c’est près d’une trentaine de jeunes militant·es qui se sont rendus rue Saint-Guillaume, dans le VIIe arrondissement de Paris, pour débloquer les locaux de Sciences Po Paris, inaccessibles depuis le matin même. Aux cris de « Antifas casse-toi ! », ils ont déplacé les poubelles et barrières amassées devant l’entrée du bâtiment et arraché les banderoles qui s’y trouvaient. Certains avaient le visage masqué et étaient équipés de parapluies.

L’action, revendiquée via les réseaux sociaux, a été menée par le syndicat étudiant « La Cocarde » proche du Rassemblement national, qui assure avoir « pris les choses en main » en réponse « à l’inaction des directions et de l’État ». Y ont également pris part des membres de l’UNI et du mouvement Génération Zemmour. Le parti du candidat d’extrême droite ayant réuni 7,1 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle s’en est d’ailleurs officiellement réjoui via son compte Twitter : « Félicitations à cette jeunesse qui part à la Reconquête des universités ! »

S’ils n’ont pas quant à eux pas signé leur participation, des militants plus radicaux et plus habitués à faire le coup de poing étaient également présents aux côtés des « débloqueurs ». En témoigne la diffusion d’une autre revendication, photo à l’appui, via un canal de la messagerie Telegram bien connu de l’ultra-droite et de ses franges néonazies. Parmi eux, Mediapart a pu identifier Paul P., le leader du groupuscule versaillais Auctorum, également proche de l’organisation angevine L’Alvarium récemment dissoute. Contacté via son profil Instagram, il n’a pour l’heure pas répondu à nos questions.

Bien conscient·es que de telles attaques et tentatives de déblocages sont monnaie courante en période de mouvements étudiants, une vingtaine de militant·es antifascistes avaient pour leur part revendiqué leur présence dans le Quartier latin la veille, le mercredi 13 avril. La possibilité d’autres actions dans les prochains jours, particulièrement renforcée par le contexte électoral et le succès de l’extrême droite dans les urnes, laisse craindre plus de violences.

publié le 13 avril 2022

Agression islamophobe à Montpellier : non à la banalisation des violences d’extrême-droite

sur https://lepoing.net/

Ce mardi 12 avril, en fin de matinée, deux femmes portant le foulard se sont faites violemment agresser par un homme au niveau des Rives-du-Lez. La vidéo, devenue virale sur internet dans un contexte où l’extrême-droite est aux portes du pouvoir, nous rappelle l’importance de nous mobiliser contre le racisme ambiant.

C’est un fait, le climat politique ambiant décomplexe les fachos. Ce mardi 14 avril, près des Rives-Du-Lez, un homme attaque deux femmes, dont une porte le foulard, et essaie de lui enlever.

Sur le compte Twitter Decolonial News, l’une des victimes témoigne : “On était sur un banc, on riait, un homme passe et dit “c’est vraiment la religion la plus conne du monde”. On se lève pour lui demander ce qu’il a dit et il nous insulte de “p*te”, “sale race” et au moment où on commence à filmer, il attrape l’une de nos copines et l’étrangle”.

La scène a été filmée par une troisième personne. Sur les images, l’auteur jette violemment au sol le téléphone portable de la principale victime.

Vidéo à voir sur : https://twitter.com/i/status/1513882082912710676

Il faut dire que les cinq dernières années n’ont pas été de tout repos pour les musulmans de France : Loi sur les séparatismes, épouvantail « d’islamo-gauchisme » rabâché à toutes les sauces, dissolution d’associations et de collectifs anti-fascistes, et au niveau local, une « charte de la laïcité » à deux vitesses inspirée d’une vision Vallsiste de celle-ci. Vous avez dit « rempart », ou « barrage » à l’extrême-droite ? Ici, on parlerait plutôt de marchepieds.
Sans compter la réaction des autorités, partagée par Midi Libre :
« Ce que les enquêteurs s’attachent à faire dans les plus brefs délais. Pour comprendre, principalement, le mobile qui a poussé cet homme à agir ainsi. Mais aussi pour assurer sa protection car de nombreux messages de haines et de représailles ont été postés sur les réseaux sociaux. » Les coupables deviennent victime, on est presque à deux doigts du tant fantasmé « racisme anti-blanc ».

Si Macron et son gouvernement ont commencé à attiser la haine, relayée allègrement sur des plateaux-télés contrôlés par Bolloré et consort, l’élection de Marine Lepen rendrait la situation encore plus étouffante : la police et les groupuscules d’extrême-droite bénéficieraient d’un total blanc-sein pour agresser, voire tuer, tout ce qui ne correspondrait pas à leurs critères racistes et sexistes. Quel que soit le résultat des élections, seule une réaction antifasciste et de grandes mobilisations anti-racistes de l’ampleur des manifestations pour la mort de George Floyd (et plus encore) seront des ripostes efficaces face à la violence d’extrême-droite.

publié le 12 avril 2022

Ugo Palheta : « Il y a
des traits communs entre
le fascisme historique
et les extrêmes droites »

par Olivier Doubre sur www.politis.fr

Le sociologue Ugo Palheta a publié plusieurs ouvrages sur la montée de l’extrême droite et le durcissement autoritaire des États occidentaux. Il souligne le risque réel, trop souvent nié, d’un projet néofasciste en France.

Spécialiste de la question scolaire ou des dominations et des inégalités, collaborateur de l’Institut national d’études démographiques (Ined) dans son unité « Migrations internationales et minorités », Ugo Palheta analyse, non sans inquiétude, l’actuelle « dynamique néofasciste » à l’œuvre dans des États reposant pourtant a priori sur des principes démocratiques. Une tendance due aux « effets politiques des contre-réformes néolibérales ». Avec l’accroissement des inégalités sociales, « la possibilité du fascisme », entre aiguisement des nationalismes et intensification du racisme, est selon lui un risque à appréhender. Il rappelle que les Brésiliens avec Bolsonaro, les Hongrois avec Orban ou les États-uniens avec Trump en ont déjà fait l’amère expérience. La France est-elle le prochain pays sur cette liste ?

La plupart des commentateurs n’ont cessé de présenter comme « impensables », à la veille des élections dans ces pays, les victoires de Trump, de Bolsonaro ou des ultraconservateurs polonais du PiS. Comment expliquer ce refus d’appréhender ces réalités ?

Ugo Palheta : Je vois plusieurs raisons. L’une des plus importantes, dans le Nord global, c’est que nous imaginons souvent que nos pays en auraient fini avec les formes de barbarie des siècles précédents, alors même que celles-ci ont eu principalement l’Europe pour épicentre. Que ce soit l’esclavage, le colonialisme, le fascisme, les guerres mondiales et bien sûr le génocide des juifs d’Europe et des Roms commis par les nazis ; cela sans nier les atrocités commises ailleurs par des pouvoirs tyranniques. Disons que, dans l’imaginaire dominant des pays d’Europe, on réserve la barbarie, la dictature ou les politiques d’épuration ethnique à des pays lointains, d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie. Or ce nationalisme radical de purification qu’est le fascisme est bien né sur le Vieux Continent et n’a pas disparu dans les décombres du bunker d’Hitler en 1945, comme le rappelait souvent l’historien du fascisme Zeev Sternhell.

Dans l’imaginaire dominant européen, on réserve la barbarie à des pays lointains.

Après l’éclipse de l’après-guerre, dans une Europe traumatisée par le second conflit mondial, le fascisme a été contraint de muter pour renaître et reprendre sa marche en avant. À partir des années 1970, chaque crise lui a permis de progresser, à des rythmes différents selon les pays. En centrant son activité sur la scène électorale et médiatique, il a adopté la guerre de position comme stratégie politico-culturelle, au sens de Gramsci. Même si des petits groupes violents se développent dans son sillage en cherchant à tenir la rue et, pour cela, en commettant des agressions contre les minorités (ethno-raciales, de genre, sexuelles) et les militant·es féministes, antiracistes, antifascistes et de gauche. Jusqu’à commettre des attentats, pour certains militants fascistes isolés.

Diriez-vous qu’un même déni est, sinon en cours, du moins tout à fait semblable, en France ?

Je dirais que le déni a longtemps été plus fort en France qu’ailleurs, parce qu’on s’imagine bien souvent que notre pays serait une sorte de phare de l’humanité : la « patrie des droits de l’homme ». Certains historiens ont même prétendu que la France avait été « allergique » au fascisme au XXe siècle : du fait notamment de la profondeur de l’ancrage des idées républicaines et de l’existence d’autres traditions à droite, le fascisme n’aurait pas pu trouver de terrain favorable et donc se développer. Or c’est oublier qu’il y eut des mouvements de masse authentiquement et indéniablement fascistes dans les années 1930 (par exemple le Parti populaire français de Jacques Doriot), que d’autres mouvements de masse (comme les Croix-de-Feu) avaient plus qu’un air de famille avec le fascisme, et que le régime de Vichy fut une dictature qui emprunta nombre de ses traits au fascisme (en particulier à sa variété portugaise que fut le salazarisme).

C’est aussi oublier à quel point l’un des principaux axes de propagande des fascismes européens, à savoir l’antisémitisme, fut central et endémique dans la politique française dès la fin du XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est oublier enfin combien la République fut compatible avec l’entreprise coloniale, et tout ce que celle-ci comportait de politiques de déshumanisation, de hiérarchisation raciale, d’accaparement de biens, etc. Des traits qui sont bien communs avec le projet fasciste. Rien d’étonnant, donc, à ce que, parmi les fondateurs du FN, se soient mêlés des collaborationnistes (pétainistes) et des nostalgiques de l’Algérie française – dont certains se vantaient même d’avoir torturé pendant la guerre coloniale.

Quels sont les signes qui vous laissent penser que cette « possibilité du fascisme », pour reprendre le titre d’un de vos récents livres, n’est peut-être pas aussi lointaine ? Que cela n’arrive pas « qu’aux autres » ? Et comment les réseaux numériques accroissent-ils un tel risque ?

On ne compte plus les « symptômes morbides », pour parler comme Gramsci. Il y a par exemple les dissolutions de collectifs antiracistes luttant contre l’islamophobie (CCIF et CRI), de collectifs anticolonialistes (Palestine vaincra) ou antifascistes (Gale, à Lyon) (1). Il y a également les lois jumelles liberticides imposées il y a deux ans, dites « sécurité globale » et « contre les séparatismes », qui conjointement intensifient l’autoritarisme et institutionnalisent encore un peu plus l’islamophobie. On pourrait évoquer évidemment aussi les politiques antimigratoires et leurs conséquences criminelles depuis plusieurs décennies, ou l’indifférence généralisée vis-à-vis du sort terrible que subissent les exilé·es et la manière dont les appareils de répression de l’État les brutalisent continûment.

Le fascisme a adopté la guerre de position comme stratégie politico-culturelle.

Il y a aussi la manière dont fonctionnent les institutions politiques en France, avec un pouvoir énorme concentré dans l’exécutif et une marginalisation de l’Assemblée nationale, qui n’est plus pour l’essentiel qu’un théâtre d’ombres : pendant la crise sanitaire, toutes les décisions étaient prises par le président de la République en conseil de défense, soit en toute opacité. Si les institutions de la Ve République ont toujours été bien peu démocratiques, le macronisme en a encore accentué les traits les plus autoritaires, à tel point que nous ne nous situons déjà plus dans le cadre de ce qu’on appelait les « démocraties bourgeoises ». Enfin, il faut rappeler les violences policières, presque toujours impunies, qui sont historiquement endémiques dans les quartiers populaires et d’immigration, et qui se sont largement intensifiées contre les mouvements sociaux depuis 2016, puis la répression policière et judiciaire ahurissante durant le mouvement des gilets jaunes.

Vous vous méfiez beaucoup des anachronismes ou des comparaisons aventureuses ou simplistes chevauchant les époques. Le terme « fascisme » convient-il pour décrire les régimes de Trump, Bolsonaro et consorts ? Convient-il aussi pour celle qui pourrait arriver au pouvoir en France ?

Il est intéressant de voir combien nombre de chercheurs sont gênés par la comparaison des extrêmes droites contemporaines avec le fascisme historique, mais emploient volontiers la catégorie « populisme », celle-ci renvoyant à des mouvements passés (les populismes russe et états-unien du XIXe siècle, ou les populismes latino-américains) qui n’ont à peu près rien à voir avec les extrêmes droites d’aujourd’hui.

En vérité, il y a de nombreux traits communs entre le fascisme historique et ces extrêmes droites, avec des différences qui justifient le fait de parler – pour être tout à fait précis lorsqu’on caractérise le projet de la plupart des organisations d’extrême droite – de « néofascisme ». C’est-à-dire une forme nouvelle de fascisme. Il est vrai toutefois que cette catégorisation « fasciste » ne convient effectivement pas pour décrire leur régime puisque, précisément, ils ne sont pas parvenus – pour l’instant dans le cas de Bolsonaro – à utiliser leur victoire électorale pour transformer profondément l’État et bâtir une dictature. Preuve qu’il ne suffit pas pour les fascistes de gagner une élection pour être ispo facto en capacité de mettre en place un régime à leur entière botte, parce qu’ils rencontrent nécessairement des résistances (mouvements sociaux, secteurs de la classe dominante rétifs par intérêt à une solution ultra-autoritaire, etc.). D’autant plus que les néo-fascistes ne disposent pas (sauf peut-être en Inde aujourd’hui) du type d’organisations de masse que les fascistes historiques avaient su créer jadis.

Dans notre livre avec Ludivine Bantigny, nous parlons de « fascisation » pour désigner précisément un processus, à la fois idéologique et matériel, de transformation de l’État dans un sens fasciste. Un·e leader ou une organisation néofasciste peut parvenir au pouvoir sans réussir à mener jusqu’au bout le processus de fascisation. Par ailleurs, ce type de processus peut s’enclencher sans que des forces fascistes soient au pouvoir ; c’est la manière dont nous analysons ce qui se joue en France depuis quelques années, avec notamment le macronisme, cet autoritarisme du capital qui est allé de manière systématique sur le terrain des réactionnaires (comme les lois déjà évoquées, la loi « asile et immigration » ou la dénonciation du prétendu « islamo-gauchisme », etc.). Évidemment, l’arrivée au pouvoir de Le Pen aurait pour conséquence d’accélérer ce processus, en intensifiant l’assujettissement et la brutalisation des minorités, et l’écrasement des mouvements de contestation sociale.

(1) Lire « Dissolution de la Gale : une décision sans précédent », Politis.fr, 5 avril 2022.

Ugo Palheta Sociologue à l’université de Lille. Derniers ouvrages publiés : Face à la menace fasciste (avec Ludivine Bantigny), Textuel, 2022 ; Défaire le racisme, affronter le fascisme (avec Omar Slaouti), La Dispute, 2022. Lire également : La Possibilité du fascisme. France, la trajectoire du désastre, La Découverte, 2018.

publié le 11 avril 2022

Extrême droite : Le Pen
aux portes du pouvoir

Benjamin König sur www.humanite.fr

La candidate du RN, avec 23,3 %, accède à nouveau au second tour, tandis qu’Éric Zemmour obtient 7,2 %. La menace de la voir à l’Élysée n’a jamais été aussi grande.

Un nouveau « 21 avril ». Encore un. Le troisième, vingt ans quasiment jour pour jour après l’irruption au second tour de Jean-Marie Le Pen en 2002. Depuis, l’expression est entrée dans le langage courant, mais le fait politique n’est plus le même. En se qualifiant au second tour avec 23,3 % des voix, selon les estimations Ifop disponibles à 22 heures, l’héritière du clan Le Pen parvient à dépasser son score du premier tour de 2017 (21,3 %). Cependant, en cinq ans, la donne a radicalement changé : une victoire de l’extrême droite n’est plus du domaine de l’hypothèse surréaliste. Selon l’Ifop, elle est donnée à 49 % au second tour, dans la marge d’erreur. Sur TF1, le président du RN, Jordan Bardella, n’a pas manqué d’en appeler « à tous les amoureux de la France qui ne veulent pas d’un second quinquennat d’Emmanuel Macron ». Et lors de son allocution au quartier général de campagne du RN, Marine Le Pen en a appelé « aux forces de redressement du pays », face à un « choix de société et même de civilisation », clin d’œil aux électeurs d’Éric Zemmour, qui avait fait de cette expression un slogan.

Des réserves de voix importantes pour le second tour

« Je suis prête à gouverner », avait-elle asséné tout au long de cette campagne, notamment le 6 avril, dans un entretien au Figaro. « On va gagner », hurlaient en écho, hier, les militants nationalistes au siège du parti. Plusieurs éléments permettent aujourd’hui d’accréditer cette funeste thèse : la saturation médiatique par les thèmes de l’extrême droite et donc leur banalisation ; l’émergence d’un candidat pétainiste qui a considérablement élargi l’audience et l’électorat du camp nationaliste, apportant pour la première fois à Marine Le Pen des réserves de voix non négligeables ; enfin, la politique antisociale et autoritaire de ce quinquennat qui ouvre une voie royale à la cheffe du RN. L’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg estime ainsi qu’ « Éric Zemmour a évidemment permis (à Marine Le Pen) de se recentrer. (…) Sur le créneau de la droite sociale, elle est seule », ajoute le chercheur.

Car ce nouveau duel Macron-Le Pen, pourtant rejeté par les Français tout au long de ces cinq années, est aussi le résultat d’une campagne axée, notamment, sur le pouvoir d’achat et la défense des libertés. Une récupération ahurissante, quand on connaît la tradition politique de l’extrême droite et les véritables intentions de Marine Le Pen, dont le libéralisme est davantage assumé qu’en 2017. Son programme ne laisse pas de place au doute : sa première mesure serait le « référendum contre l’immigration », projet qui remettrait en cause l’égalité des citoyens devant la loi et instaurerait la préférence nationale en matière de logement, emploi et aides sociales. La seule façon de le faire : changer la Constitution. « Grâce à notre référendum sur l’immigration, nous rendons inapplicable en droit interne les textes internationaux contraires à la Constitution, tout en constitutionnalisant la lutte contre l’immigration : c’est plus malin », se vantait-elle dans le Figaro.

Cette possibilité de victoire de l’extrême droite résulte également du cumul des scores. Avec 7,2 % des suffrages et malgré une rivalité de chapelles, Éric Zemmour apporte à Marine Le Pen des réserves de voix et un nouvel électorat, celui d’une droite plus bourgeoise, enthousiasmée par la candidature de l’ex-chroniqueur de CNews. Ce dernier a posé les jalons d’une « victoire qui viendra bientôt », signe que sa stratégie de recomposition et d’union des droites, renforcée par son avance sur Valérie Pécresse, reste d’actualité. Car malgré un score en deçà de ses attentes après un battage médiatique qui l’avait porté en février autour de 15 % des intentions de vote, l’idéologue raciste a martelé qu’il « n’en restera pas là ». Surtout, Éric Zemmour a appelé ses « électeurs à voter pour Marine Le Pen » malgré des « désaccords ». Nul doute que son électorat se reportera massivement : selon un sondage du « jour du vote » de l’Ifop, ils étaient 76 % à vouloir le faire. Un tiers des électeurs de Valérie Pécresse exprimait également leur intention de voter pour Marine Le Pen au second tour. Son concurrent à la primaire de LR, Éric Ciotti, a affirmé ce dimanche qu’il « ne votera pas Macron », sans réfuter un vote pour la cheffe du RN. Enfin, Nicolas Dupont-Aignan a obtenu 1,9 % et, comme en 2017, a appelé à voter pour elle.

Sous le discours social de façade, les antiennes de l’extrême droite

Malgré le bon score obtenu par Emmanuel Macron, qui distance finalement Marine Le Pen de près de 5 points, sa responsabilité est écrasante. Après un quinquennat de violence sociale et de division, le président sortant a tout fait pour installer à nouveau ce duel face à l’extrême droite. Ses seules propositions d’une campagne éclair auront été la retraite à 65 ans et le conditionnement du RSA, contribuant à fissurer un peu plus le front républicain. Jordan Bardella s’est engouffré dans la brèche et pointé la « casse sociale » et le « mépris » du président. Et désormais, la représentante de l’extrême droite a beau jeu de poser en recours « social » face au chef de l’État et jouer la carte du référendum anti-Macron. Hier, lors de son allocution, Marine Le Pen a opposé les « deux visions », celle d’un Macron basée sur « les divisions, l’injustice et le désordre », et la sienne, le « rassemblement autour de la protection sociale (…) sur la base millénaire de la nation et du peuple ». Et a même osé défendre « la place que nous voulons donner aux personnes face au pouvoir de l’argent ». Mais sous ce discours de façade sont vite revenues les antiennes de l’extrême droite : la défense des « us et coutumes de nos régions et le mode de vie des Français », et « la politique migratoire et sécuritaire ».

« Sans lui, avec Marine » : le slogan figure déjà en bonne place sur les affiches du Rassemblement national. Sa cheffe a prévu deux meetings : en Avignon le 14 avril, puis peu avant le second tour, à Arras. La date est lourde de sens : le 21 avril. Avec un total de 32,4 % pour trois candidats, l’extrême droite est aujourd’hui une force politique qui compte plus que jamais. Face à ce péril imminent pour notre démocratie, la mobilisation générale est de mise pour le 24 avril.

publié le 11 avril 2022

Le piège présidentiel
et la rage politique

Joseph Confavreux sur www.mediapart.fr

Le piège du scrutin présidentiel s’est refermé sur les fidèles aux idées de gauche. Avant de tenter de retrouver son sang-froid pour réfléchir au second tour, il est permis d’exprimer sa rage face à la stratégie électorale d’Emmanuel Macron et de ses adversaires de gauche, tant l’issue de cette campagne dessine une catastrophe politique. 

Tous. Tous les pièges tendus pour cette élection présidentielle ont fonctionné alors même qu’ils étaient repérés depuis le départ et exprimés depuis des mois : la qualification du prétendu « camp de la raison » et de l’escroquerie du « en même temps », la pseudo-dédiabolisation de Marine Le Pen catalysée par la candidature Zemmour, les divisions des gauches dont l’ensemble des responsables sont comptables, l’abstention la plus forte de la VRépublique à un premier tour de scrutin présidentiel à l’exception de 2002…

Face au résultat du scrutin de ce dimanche 10 avril, le sentiment dominant chez celles et ceux qui se reconnaissent encore dans ce qu’on pourrait encore appeler la gauche, ou partagent sincèrement et simplement le minimum syndical qu’est censée être notre devise républicaine - Liberté, Égalité, Fraternité –, ne peut alors guère être que la rage.

Le poète et cinéaste Pier Paolo Pasolini (1922-1975) avait donné ce titre, La rage, au poème filmique qu’il écrivit, il y a tout juste soixante ans, et qui débutait par cette interrogation : « Pourquoi notre vie est-elle dominée par le mécontentement, l’angoisse, la peur de la guerre, la guerre ? »

La question non seulement demeure pendante, mais prend une dimension inédite, tant il est légitime de penser que ce second tour, identique dans la forme à ce qu’il était à 2017, est encore plus inquiétant dans le fond qu’il ne l’était alors. Ce résultat a en effet toutes les raisons d’être synonyme d’un futur fait de guerre identitaire ou de guerre sociale, sur fond d’effondrement écologique en radicalisant à chaque instant les termes.

Même en refusant fermement de mettre le moindre signe d’égalité entre l’héritière du fascisme français et le poulain du capitalisme mondialisé, on voit mal comment le bilan de ce scrutin pourrait susciter autre chose que de l’effroi, ni le prochain quinquennat promettre autre chose que du sang et des larmes.

Marine Le Pen a capitalisé sur les colères attisées par le quinquennat Macron et le président sortant se retrouve sans dynamique politique ni solide réserve de voix pour affronter sereinement la candidate d’extrême droite dans quinze jours. L’apprenti sorcier aura du mal à convaincre les électeurs et les électrices d’éteindre les braises de l’extrême droite sur lesquelles il a soufflé. Le « triangulateur » à succès de 2017 aura du mal à persuader les électeurs et électrices de gauche de voter pour lui quand il ne fait que s’attirer des quolibets en reprenant le slogan du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) lors de son meeting à La Défense. Et même si son arrogance, sa politique assumée de « président des riches » et les reniements de ses engagements de 2017, lorsque, à peine élu, il avait reconnu qu’il ne disposait pas d’un « blanc-seing » et qu’il respecterait les Françaises et les Français qui avaient voté pour lui « simplement pour défendre la République face à l’extrémisme » ne l’empêchent pas d’obtenir un second mandat, il n’y aurait pas de quoi se réjouir.

Il peut certes toujours paraître facile et/ou dangereux de jouer les Cassandre, mais que peut-on imaginer d’autre que l’accroissement des déflagrations sociales et/ou identitaires, à part – ce qui serait peut-être pire - une atonie politique et sociale renforcée, liée à une répression policière sans cesse accrue et un contrôle social catalysé par les moyens numériques mis en œuvre à l’occasion de l’épidémie de coronavirus, et facilité par nos auto-aliénations digitales en forme de « technococons », pour reprendre le néologisme de l’écrivain Alain Damasio, auteur d’un texte intitulé « Immunité partout, Humanité nulle part » dans le dernier numéro de la Revue du Crieur ?

Marine Le Pen accédant à la magistrature suprême, ce ne serait pas seulement une déflagration morale, mais aussi la promesse d’une guerre identitaire. Derrière la façade, c’est bien un programme d’extrême droite qu’elle mettrait en œuvre, xénophobe, hostile aux plus fragiles, menaçant pour les institutions démocratiques et faisant peser un danger existentiel sur de larges pans de la société civile.

Même si la présidente du Rassemblement national n’a eu de cesse de peaufiner sa stratégie de « dédiabolisation », allant jusqu’à affirmer « je n’entends pas m’attaquer à l’islam, qui est une religion comme une autre », bien aidée en cela par la majorité présidentielle et le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin la trouvant alors « un peu molle », elle reste l’héritière assumée d’un parti raciste, et l’alter ego français des partis d’extrême droite qu’elle côtoie au Parlement européen.

Elle appartient de plain-pied à un ensemble gagnant en puissance, dont le nationalisme étroit demeure la colonne vertébrale, et dont les comportements du Fidesz d’Orbán contre les migrants, du BJP de Modi contre les musulmans, du PiS de Kaczyński contre les LGTB+ rappellent l’essence fondamentalement violente. Et dont la trajectoire d’un Poutine, avec lequel elle s’est compromise, souligne les radicalisations possibles.

Emmanuel Macron cinq ans de plus à l’Élysée, en dépit de ses fraîches tentatives de n’être pas entièrement assimilé à la droite républicaine envers laquelle il a multiplié les emprunts et les baisers de la mort, demeure la promesse d’une guerre sociale toujours plus violente. Il faut se trouver dans une situation économiquement et socialement privilégiée pour ne pas entendre celles et ceux qui disaient voilà quelques jours, en appelant à voter Mélenchon : « Nous, la fraction la plus fragile de la société, nous n’avons pas le luxe de subir un deuxième mandat Macron. »

Emmanuel Macron n’est pas le libéral qu’il a prétendu être. Ou plutôt il est l’un des représentants de la captation de cette tradition libérale, complexe et autrefois émancipatrice, par le néolibéralisme, dont le tournant brutal ne cesse de s’étendre d’un continent à l’autre.

En matière de casse sociale, Emmanuel Macron a mis ses pas dans le quinquennat Hollande. En matière de désignation de boucs émissaires, il n’a fait que prolonger le quinquennat Sarkozy. Mais les mains arrachées et les éborgnés de différentes manifestations ayant émaillé son mandat constituent la marque de ce nouveau régime politique dont trois traits constitutifs sautent désormais au visage. 

Le premier est le mouvement de tenaille qui durcit la main droite et répressive de l’État au fur et à mesure que la main gauche se retire : on « réforme » l’assurance-chômage et, en même temps, on mutile les « gilets jaunes » ; on supprime des milliers de lits à l’hôpital et, en même temps, on réprime les manifestations de soignants ; on accroît les inégalités jusqu’au vertige et, en même temps, on « conditionne » les prestations sociales.

Le second, pour reprendre les mots du philosophe Grégoire Chamayou qui avait fait la genèse de ce « libéralisme autoritaire » dans son ouvrage La Société ingouvernable, est que le néolibéralisme est moins une grande idéologie qu’une technologie politique décidée à discipliner les citoyens « non pas tant par la répression de leurs grands désirs que par la réorientation de leurs plus petits choix », afin d’éluder « la grande question du choix de société » pour la dissoudre « dans les minuscules questions d’une société de choix ». D’où le vernis « raisonnable » et « technocratique » qui entoure la candidature Macron et lui fait office de viatique présidentiel.

Le troisième est que, contrairement à ce que suggère encore l’équation longtemps posée entre libéralisme et « laisser-faire », le néolibéralisme propose une nouvelle organisation du monde dans lequel l’État a toute sa place à jouer, à condition d’être transformé dans son fonctionnement et réorienté dans ses intentions.

Ainsi que le note l’historien canadien Quinn Slobodian, dans un livre traduit ces jours-ci au Seuil et intitulé Les Globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme, les artisans de la mise en œuvre du néolibéralisme voient dans les « États et les institutions internationales de possibles instruments pour protéger les marchés contre les effets de la souveraineté nationale, les changements politiques et les turbulences des revendications démocratiques ».

L’État du monde néolibéral n’est ni l’État-providence ni l’État réduit à ses fonctions régaliennes et répressives. Il est un domaine poreux et composite destiné à légitimer le pouvoir du capital et à continuer de le faire fructifier, comme l’affaire McKinsey qui cerne Emmanuel Macron et en est le dernier symptôme en date. Même si ce recours aux cabinets privés n’est pas, ainsi que l’actuel président s’en est défendu, propre à son quinquennat, et qu’il suffit de lire le dernier livre du prix Goncourt Nicolas Mathieu pour saisir comment ce métier de consultant qui « consiste quand même à ranger des pièces vides » a infusé à tous les échelons des organisations publiques, il est emblématique d’un moment où la ligne de clivage politique principale ne se situe plus entre étatistes et libéraux, mais entre néolibéralisme et altermondialisme, selon des termes radicalisés, par rapport à 2001, par l’urgence climatique.

La publication, lundi 4 avril, du sixième rapport du Giec laisse à ce sujet un goût amer, comme s’il n’était plus qu’un exercice rituel tout aussi inquiétant qu’incapable de faire renoncer nos sociétés aux énergies intenables, à enclencher le débat de fond sur le changement de nos modes de vie et à définir les contours d’une inévitable sobriété.

La vérité actuelle de ce que sont devenus l’alerte écologique, le discours de la catastrophe, l’angoisse climatique ou la solastalgie est apparue, à l’instar du petit Jésus, un soir du 24 décembre, avec la diffusion par Netflix du film Don’t look up : à savoir une tragicomédie dont il ne reste plus qu’à rire (jaune) pour ne pas désespérer.

Il faut en effet bien dresser ce constat difficile : si le Covid, grande répétition de la catastrophe climatique, qu’il s’agisse d’un virus échappé d’un laboratoire ou d’une mutation en milieu naturel effectuée sous la prédation de l’urbanisation, n’a pas réussi à faire dérailler le cours des choses, la catastrophe climatique planétaire est inévitable sauf rupture politique aussi massive que radicale.

Aujourd’hui, la certitude de la catastrophe semble plutôt paralyser l’action.

Pour l’exprimer comme le philosophe Bruno Latour dans son dernier ouvrage, Mémo sur la classe écologique (La Découverte) : « Aujourd’hui, la certitude de la catastrophe semble plutôt paralyser l’action » alors que « les alertes sonnent depuis quarante ans ; depuis vingt ans, elles vrillent les oreilles de tout le monde ; et depuis la dernière décennie – particulièrement pendant la dernière année – la menace est gravée au fer rouge dans l’expérience de centaines de millions de gens. »

Ce fond matériel et climatique de nos expériences et existences politiques alourdit considérablement le résultat du scrutin de dimanche 10 avril. Bien sûr, le vote ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la politique et ce scrutin présidentiel n’est pas la fin d’un processus électoral qui durera jusqu’aux législatives de juin. Bien sûr, les élections sont à maints égards devenues un rituel vidé de son sens, voire la façade de démocraties représentatives qui ne représentent plus le peuple qui les habite, et cela n’est pas si neuf puisque, dès 1893, Émile Zola pouvait professer sa détestation de la politique électoraliste « pour le tapage vide dont elle nous assourdit, et pour les petits hommes qu’elle nous impose » comme le rappelait aujourd’hui le site RétroNews.

Bien sûr aussi, il faut entendre les voix de toutes celles et ceux qui ont refusé ou négligé d’aller voter ce dimanche, même si elles ne se sont pas exprimées dans les urnes, car cette désaffection du scrutin, alors que les enjeux de l’élection ont rarement été aussi intenses, constitue en soi un nouveau séisme politique. Cependant, même pour celles et ceux qui n’ont jamais fait du vote le moment le plus intense de notre condition politique, ce scrutin a un goût particulièrement amer.

D’abord en raison d’un contexte international qui oblige à se souvenir que la personne qui dirige la France, pays doté d’un droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU et d’une force de dissuasion nucléaire, possède une puissance diplomatique et internationale non négligeable.

Ensuite, parce qu’ainsi que nous l’écrivions dans un article récent consacré au « dilemme du vote utile » à gauche, l’atonie actuelle du mouvement social est aussi réelle que les limites du vote. À côté d’échecs patents, à l’instar de la marche « contre le fascisme » du 12 juin dernier ou de celle du dimanche précédant l’élection, les mobilisations réussies ne se traduisent guère par des politiques publiques pesant sur la vie des gens.

Et si le nombre d’alternatives territoriales, d’engagements solidaires, de modes de vie en rupture sont des signes que la politique se déploie de manière intense et novatrice ailleurs que dans les isoloirs, ces espaces ne paraissent guère en mesure de constituer un contre-système ou alors sont brisés par l’autorité détentrice de moyens contraignants, comme ce fut le cas à Notre-Dame-des-Landes.

On peut ainsi difficilement se contenter de miser sur les expériences et expérimentations qui constituent pourtant des socles sur lesquels fonder un monde de demain qui ne serait pas celui d’hier en pire. On peut certes abonder aux termes récents de l’anthropologue Philippe Descola et juger que « cest la diffusion de ces initiatives, qui rendra possibles des transformations profondes de notre société. Le XXIsiècle va être un moment de reconfiguration des rapports entre humains et non-humains, et de profond changement pour l’État-nation tel que nous le connaissons. Comme en Italie à la fin du Moyen Âge, on pourrait avoir des combinaisons explosives et conflictuelles avec des communes aristocratiques, d’autres démocratiques, des territoires gérés par des multinationales… ».

Mais peut-on vraiment croire à ce modèle de diffusion d’une autre politique et à cette relégation de l’État-nation aux oubliettes de l’histoire politique ? N’avons-nous pas plutôt le sentiment que ces lieux ne parviennent – même si c’est déjà beaucoup - qu’à créer de précieux réseaux et de fragiles archipels ?

L’astrologie a définitivement vaincu la sociologie comme déterminant des urnes.

Quoi qu’il en soit, l’alignement des planètes, pour un Emmanuel Macron servi en 2017 par la décision inédite d’un président de la VRépublique de ne pas se représenter après son premier mandat puis l’explosion en vol de François Fillon et aujourd’hui avantagé par un statut de chef des armées en guerre, comme pour une Marine Le Pen bénéficiant d’un boulevard ouvert par la majorité pour se présenter comme la candidate du peuple et d’un chroniqueur fasciste pour paraître présentable et présidentiable, a été tel qu’il pourrait donner le sentiment que l’astrologie a définitivement vaincu la sociologie comme déterminant des urnes.

Cet alignement des planètes des deux vainqueurs du premier tour ne dispense toutefois pas d’une introspection nécessaire pour toutes celles et ceux qui ont porté ou soutenu les couleurs de la gauche, et se retrouvent interdits de second tour pour la deuxième fois consécutive. Même si l’on sait que l’élection présidentielle, et sa personnalisation, est structurellement compliquée pour la gauche qui souffre, de part et d’autre de l’Atlantique, de l’adage selon lequel « Democrats want to fall in love, Republicans want to fall in line », elle devra rendre compte de ces divisions et de ses incapacités à mobiliser davantage.

Jean-Luc Mélenchon n’a cessé d’appeler, dans la dernière ligne droite, à la responsabilité individuelle. La sienne n’est pas moindre que les autres candidats de gauche qui n’ont pas su créer de dynamique commune ou dépasser des candidatures de façade ou de témoignage. Être le meilleur orateur et avoir un programme cohérent et solide n’empêche pas le leader insoumis d’avoir prétendu passer par un « trou de souris » avec un comportement parfois proche de celui d’un éléphanteau socialiste confondant vote utile et chantage à l’extrême droite, méprisant les communistes et s’avérant incapable d’envoyer un signal d’apaisement à des électeurs sociaux-démocrates troublés par certaines de ses déclarations passées sur la Syrie ou la Russie.

La faiblesse de l’écart entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen est un argument réversible, qui constitue un élément rageant dans la rage générale. Il peut bien sûr autant susciter l’agacement vis-à-vis de celles et ceux qui, à gauche, ont porté leur suffrage sur un autre candidat, qu’être un révélateur des limites, pour la troisième fois, de la stratégie insoumise.

Même si le mandat au Palais-Bourbon des députés insoumis restera l’un des honneurs de ce quinquennat infernal politiquement, l’ancien sénateur socialiste et sa garde rapprochée devront assumer cette stratégie solitaire et manquée, qui ne leur donne pas grand droit sur les recompositions prochaines de l’opposition de gauche au prochain locataire de l’Élysée. Et la relève que Mélenchon a permis de faire émerger, de Clémentine Autain à Danièle Obono, d’Adrien Quattenens à François Ruffin, devra s’autoriser d’un droit d’inventaire si ces député·es veulent rendre un véritable espoir au peuple – qu’il se dise de gauche ou non.

Dans son dernier ouvrage, intitulé Les Trente Inglorieuses (La Fabrique), le philosophe Jacques Rancière juge que, depuis trois décennies, « le fonctionnement régulier de la machine dominante a pu traiter de la même manière toutes perturbations, petites ou grandes : une attaque terroriste comme un indice boursier, une pandémie comme une manifestation de rue ». Telle est, selon lui, la « logique du consensus. Il proclame sa paix qui a pour cœur l’identification du pouvoir de la richesse avec l’absolu du droit. Il déclare abolies les anciennes divisions du conflit politique et de la lutte des classes. Il ne connaît plus du même coup qu’une seule forme d’altérité, l’altérité de celui qui est dehors, qui est absolument autre : empire du mal contre lequel toute violence est légitime ou victime absolue dont on s’approprie le droit sans limite ».

Alors que la lutte pour le second tour commence déjà et s’avère plus incertaine que jamais, l’enjeu n’est rien de moins que préparer déjà la riposte à une présidence Macron qui continuerait de confondre démocratie et consensus imposé par le bloc bourgeois, alors que la démocratie ne peut être que l’organisation du dissensus, ou à la possibilité d’un quinquennat Le Pen qui menacerait directement la démocratie elle-même.


 


 

La gauche entame
son difficile jeu de reconstruction

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Absentes du second tour, les forces progressistes en appellent à Macron pour convaincre leurs électeurs de s’opposer à l’extrême droite dans les urnes. Et s’interrogent déjà sur les législatives.

Emmanuel Macron doit comprendre ce qu’il n’a pas voulu comprendre en 2017, répètent les oppositions de gauche. Comprendre que les appels au barrage contre l’extrême droite ne valent ni soutien ni blanc-seing. Au lendemain d’un premier tour qui laisse un bloc de gauche à 32 % pour six candidatures, tous (sauf Nathalie Arthaud) peuvent s’accorder sur un point : Marine Le Pen ne doit pas gagner et le président-candidat doit « mettre de l’eau dans son vin » pour convaincre les électeurs de gauche de la faire battre. Car le report des voix PCF, FI, EELV ou même PS vers un bulletin Macron synonyme de retraite à 65 ans, de RSA conditionné ou d’inaction climatique est loin d’être garanti.

« Il faut qu’il entende la colère populaire. S’il présente le même programme au second tour qu’au premier, le risque d’une victoire de l’extrême droite est encore plus fort », prévient Ian Brossat, directeur de campagne du communiste Fabien Roussel. Il attend un geste fort. Même exigence côté insoumis avec le député Adrien Quatennens : « La responsabilité totale de ce qui va se passer au second tour incombe au principal protagoniste, Emmanuel Macron. C’est à lui de faire le nécessaire. » Face au rejet que l’actuel chef de l’État inspire, les écologistes disent qu’ils ne pourront « pas convaincre tout seuls » les hésitants : « Il faut qu’il aille les chercher », alerte le maire de Grenoble, Éric Piolle. Il rappelle aussi que « les castors sont fatigués de construire des barrages ». Les insoumis, eux, n’appellent en revanche pas directement à voter Macron mais à ce que « pas une voix (n’aille) à Marine Le Pen ».

De prétendus « candidats de trop »

Pour le reste, malgré une progression par rapport à 2017, la gauche se réveille avec une sévère gueule de bois. Chacun se renvoyant la responsabilité d’une troisième élimination du duel final en vingt ans. La tension, nourrie par la déception, n’a pas tardé à monter dès dimanche soir avec, par exemple, Ségolène Royal, soutien de Jean-Luc Mélenchon (21,95 %), s’en prenant aux « ego » de Fabien Roussel (2,28 %), Yannick Jadot (4,63 %) et Anne Hidalgo (1,75 %) sans qui, pense-t-elle, son candidat serait « au second tour ». Dépités d’avoir terminé à seulement 400 000 voix de Marine Le Pen, les cadres insoumis reprennent la rhétorique. Celle qui consiste à faire porter le chapeau de la défaite à de prétendus « candidats de trop », comme ce fut le cas, en 2002, avec Christiane Taubira, jugée responsable de la chute de Lionel Jospin. Cette fois, pour la FI, le Taubira de 2022 se nomme Fabien Roussel : « Oui, ses voix nous ont manqué, incontestablement », regrette Adrien Quatennens, qui aurait souhaité que les communistes fassent candidature commune avec les siens, comme en 2012 et 2017, escamotant leur propre responsabilité dans la non-construction de cette union.

Les autres candidats et leurs équipes ont eu une autre explication moins court-termiste. « En 2002, le total des voix de gauche était de 40 %, aujourd’hui, on en est loin. La gauche doit se remettre en cause et ce n’est pas seulement une question d’union, assure Ian Brossat. C’est une question de discours, de capacité à parler aux milieux populaires qui se sont éloignés de la gauche. Fabien Roussel a fait ce travail. » Un cadre écologiste, qui ne désespère pas d’un futur accord législatif, lâche aussi : « Jean-Luc Mélenchon avait cinq ans pour rassembler après son score de 2017. Il ne l’a pas fait, préférant le rapport de forces, et vient se plaindre aujourd’hui tout en refaisant la même erreur au soir du premier tour… »

L’ensemble des forces de gauche comptent maintenant sur les législatives, qui seront, selon le secrétaire national d’EELV, Julien Bayou, le « troisième tour ». Un scrutin lors duquel la France insoumise « veut imposer une cohabitation » à Macron, d’après Adrien Quatennens. Sans pour autant proposer d’alliance aux autres afin de créer cette hypothétique majorité. À l’inverse, Fabien Roussel et Olivier Faure, premier secrétaire du PS, ont respectivement appelé toute la gauche à « reconstruire (ensemble) l’espoir » dès juin et à « construire ensemble un pacte (législatif) pour la justice sociale et écologique ». De leur côté, bien qu’un temps réticents à discuter, les écologistes ont aujourd’hui tout intérêt à ouvrir les négociations. Ne serait-ce que pour sauver un parti menacé par le non-remboursement de ses frais de campagne et qui a lancé un appel aux dons pour trouver 2 millions d’euros en deux semaines. Le PCF, EELV et le PS espèrent un « rééquilibrage » des forces lors des législatives, où la dynamique de « vote utile » pour la FI devrait être moins prégnante.

publié le10 avril 2022

Deux prises de position rapides
pour le 2° tour

parues sur le site www.humanite.fr

Pour le MRAP, "faire barrage à la bête immonde"

Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples réagit dans un communiqué au duel Macron-Le Pen au deuxième tour en lançant "un cri d’alarme: il faut tout faire pour battre l’extrême-droite, et ce, avec le score le plus large possible! Il est encore fécond le ventre d'où est sortie la bête immonde, il faut utiliser son bulletin de vote à faire barrage! Le MRAP appelle donc à aller voter pour le candidat de la démocratie."

Son bureau national rappelle que "le MRAP s’est opposé aux mesures liberticides adoptées au cours du dernier quinquennat, comme il a combattu les obstacles faits aux personnes étrangères ou migrantes désireuses de régulariser leur situation, les difficultés faites aux associations qui les défendent. Pour autant, on ne combat pas un danger en laissant advenir un danger plus grand".


 


 

"Le choix de l'extrême droite est un danger grave" pour le syndicat Solidaires

Réagissant au résultat du premier tour, le syndicat Solidaire réaffirme "que le RN n’est pas un parti comme les autres. Emprunt d’une idéologie nationaliste, sexiste, raciste, le choix de l’extrême droite est un danger grave. Il ne fera qu’empirer la crise sociale et la crise écologique, générer et attiser la haine, le racisme et la violence, désigner les étranger-es et les immigré-es comme boucs émissaires". Avant de conclure qu'"il n’y a aucune réponse pour améliorer nos vies chez le RN qui travestit son programme néolibéral par un affichage social (en particulier sur les retraites) mais c’est un piège grossier et dangereux! Oui, notre colère contre ce système d’exploitation et de domination est forte et légitime, mais jamais Marine Le Pen ne sera une solution : elle fait partie du système et du problème, elle le renforce même."

publié le 9 avril 2022

Voter

par Arthur Hay coursier syndicaliste sur www.humanite.fr

J’ai reçu ma première carte électorale avec joie. C’était en 2007, pile-poil pour l’élection présidentielle. À l’époque, j’avais envie de participer à l’effort démocratique. La veille du second tour, avec des amis, on avait passé toute la nuit à boire et convaincre un copain qu’il fallait absolument aller voter le lendemain. Cinq ans plus tard, pour ma deuxième carte électorale, je ne me rappelle plus si je l’ai jetée au tri ou dans le tout-venant. La troisième, je l’ai recyclée en la transformant en filtre à cigarette. Vous l’aurez compris, je n’ai pas été un citoyen assidu des bureaux de vote durant une bonne partie de ma courte vie d’adulte.

Il faut dire qu’en tant que jeune, peu engagé, il est facile de se désintéresser de la question politique. Toutes celles et tous ceux qui ont des responsabilités semblent mentir facilement. Ils semblent vivre loin des préoccupations du citoyen lambda, chercher la belle phrase plutôt que la bonne solution.

Mais j’en suis revenu. Je n’ai pas eu d’hallucination révélatrice à même de me redonner une foi absolue en la démocratie, sauce V République. Mais, depuis six ans que je m’implique syndicalement contre des multinationales qui nous exploitent, j’ai appris certaines choses, j’ai rencontré certaines gens. J’ai appris que lorsqu’une plateforme de travail nous exploite, elle ne détruit pas que nos vies, elle détruit aussi les acquis des luttes sociales menées par des militants qui ont risqué gros.

Comme pour le vote, notre modèle social est basé sur ces luttes passées. Rien n’est définitif, rien n’est jamais obtenu pour toujours. En six ans, j’ai pu rencontrer nombre de militants qui perpétuent ces luttes, qui sont les gardiens de nos acquis et l’avenir de jours meilleurs. Beaucoup sont des syndicalistes, bien sûr. D’autres sont des politiques. Pour moi, un politique, c’était forcément un carriériste imbu de sa personne. Alors à quoi bon voter pour des gens qui n’ont pour idéal que le pouvoir et un mandat rémunérateur ? Mais parmi ceux qui sont venus apporter leur soutien à la lutte des livreurs, il y a des personnalités qui m’ont fait évoluer, qui m’ont fait changer d’avis. De vrais gens de gauche, sincères, militants actifs.

Plus que les candidats de gauche à la une de la présidentielle, ce sont ces politiques rencontrés sur le terrain qui m’ont redonné un peu d’espoir en la démocratie représentative. Parce qu’ils ne sont pas venus demander un soutien électoral ; ils sont venus apporter leur pouvoir à la lutte. Je crois que seule la lutte des travailleurs peut changer radicalement les choses. Mais si un parti politique est la prolongation ou la traduction des luttes menées, alors donner mon vote me semble utile.

Je n’ai pas le courage de vous dire pour qui je vote. Les échanges sur les réseaux sociaux entre militants du PCF, de la FI ou du NPA sont d’une violence que je souhaite éviter. Mais bon passage aux urnes à vous, en espérant avoir un candidat anticapitaliste au deuxième tour. Mais, quoi qu’il arrive, je vous dis à bientôt dans la rue.

 

À gauche, nombre d’indécis choisiront dans l’isoloir

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Coincés entre leurs convictions, les divisions entre partis et l’envie d’éviter le même second tour qu’en 2017, les électeurs de gauche se montrent très hésitants cette année.

Que se passe-t-il dans la tête des électeurs de gauche ? À quelques jours du premier tour, ils sont à peine plus d’une moitié à être certains de leur vote, et ce quel que soit l’institut de sondage. Ainsi, 50 % de ceux qui ambitionnent de voter Fabien Roussel précisent qu’ils pourraient changer d’avis une fois dans l’isoloir. Et 58 % des électeurs qui prévoient de se saisir d’un bulletin au nom de Yannick Jadot se disent capables de changer d’avis au dernier moment. Des chiffres stables depuis des mois. Seul Jean-Luc Mélenchon progresse sur ce plan, puisqu’il est passé en quelques semaines de 66 % à 79 % d’électeurs potentiels se disant définitivement convaincus de voter pour lui.

« Un œil sur les sondages »

Malgré cette évolution notable pour l’un des candidats, la volatilité observée à gauche reste très forte pour les autres, ce qui rend le scrutin de dimanche d’autant plus illisible. « J’hésite sans cesse entre Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel. Entre se donner une chance de battre Le Pen ou donner du poids à une candidature qui reconstruit la gauche », souffle ainsi Bouchra, juste après avoir vu le candidat communiste en déplacement au marché de Gentilly (Val-de-Marne). « D’un côté, je suis plus proche du projet de Roussel, notamment sur le nucléaire, et puis Mélenchon n’a rien fait de ses 19 % en 2017. Mais, d’un autre côté, éliminer Le Pen d’emblée, puis avoir une confrontation et un débat public entre Mélenchon et Macron au second tour, c’est tentant », ajoute-t-elle. Le candidat insoumis est d’ailleurs celui qui bénéficie le plus d’un « vote de barrage » ou « vote contre », au premier tour, puisque 21 % de ceux souhaitant voter pour lui disent le faire afin d’empêcher un autre candidat d’y accéder, selon les enquêtes d’opinion. Bouchra n’a pas rejoint ces électeurs-là. Elle hésite encore. « Je garde un œil sur les sondages et je verrai au dernier moment », conclut-elle.

Une indécision qui se retrouve de la sortie de la station de métro Jules-Joffrin jusqu’à la fin de la rue commerçante du Poteau, à Paris, où militants PCF, FI, EELV et PS tractent régulièrement. « Moi, ne me demandez pas, je vote Hidalgo, je suis déjà prêt à prendre une claque  ! » assène Gérard, quand d’autres électeurs historiques du PS confient hésiter entre Roussel, Mélenchon et Jadot. « Je change d’avis tout le temps. Un coup, je me dis que mon vote naturel va à Yannick Jadot ; un coup, je me dis qu’à en croire les sondages, si je veux qu’il y ait un candidat qui défende la bifurcation écologique au second tour, il va falloir que je vote Mélenchon, même si je ne peux pas le supporter. Et puis, je me dis que, de toute façon, Mélenchon va rater le second tour, alors je repars sur Jadot, et mon raisonnement tourne en boucle », confie Marc.

« Si c’est juste pour faire barrage…»

« C’est perdu d’avance. Mélenchon sera en haut d’un champ de ruines, dont il est l’un des grands responsables, avec François Hollande. Alors moi, je vote pour repartir sur des bases saines. J’ai toujours voté PCF, et la gauche a besoin d’un PCF fort. Dans son histoire, elle n’a jamais rien fait de bien sans ce parti », mesure pour sa part Fanny, qui trouve que Fabien Roussel a réussi sa campagne. « Il risque de se faire siphonner un peu à la fin. L’argument du vote utile en faveur de celui qui est en tête à gauche, ça marche toujours, surtout quand l’extrême droite est en embuscade. Mais le fait que Mélenchon ne soit pas clair sur sa consigne de vote en cas de duel Macron-Le Pen, franchement, ça ne me donne pas envie de voter pour lui », regrette Paolo, qui ne sait toujours pas ce qu’il fera le 10 avril.

Par rapport à 2017, le nombre de Français ne se déclarant pas certains d’aller voter a augmenté de 11 %. « Je n’ai pas trop suivi cette année. Je m’en fous un peu. On sait très bien que Macron et Le Pen sont donnés devant depuis des mois, mais la gauche n’a rien tenté pour gagner cette élection. J’aurais bien voté Taubira. Une candidature de rassemblement avec un programme qui va à tout le monde à gauche, c’était une bonne idée. Je n’ai pas compris pourquoi personne n’a suivi », regrette Stéphanie, qui ira sans doute voter « pour faire barrage à Le Pen, quand même ». « Si c’est juste pour faire barrage, je vais plutôt attendre le second tour et voter pour un candidat qui me plaît au premier tour, reste à savoir qui entre Jadot et Hidalgo, car c’est un peu la même chose, non ? » expose ensuite Valérie. Sa fille, qui n’a pas encore le droit de vote, à deux mois près, lève les yeux au ciel. « Moi non plus, je ne sais pas ce que j’aurais fait car les partis de gauche se font la guerre pour rien, alors que l’urgence est là ! » tance-t-elle.

publié le 6 avril 2022

Préoccupations des Français :
le cœur à gauche,
le vote à droite ?

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Pouvoir d’achat, système de santé, environnement : en quelques mois, ces trois thèmes sont devenus ceux qui compteront le plus dans le choix des électeurs à la présidentielle. Sans que cela semble profiter à la gauche.

Les préoccupations des Français convergent avec les aspirations de la gauche. Pour ce qui est de leur vote, c’est une autre histoire. Quand on demande aux électeurs les trois enjeux qui détermineront le plus leur vote, le 10 avril, le pouvoir d’achat arrive largement en tête (55 %), devant le système de santé (26 %) et l’environnement (25 %), selon une étude Ipsos du 28 mars. Alors que, jusqu’à l’hiver, cinq thèmes étaient plus ou moins à égalité en tête des préoccupations, celui du pouvoir d’achat s’est envolé, tandis que deux autres ont fortement reculé : l’immigration, passée de 31 % en décembre 2021 à 24 %, et la délinquance, tombée de 25 % à 17 %. Une évolution liée à celle du débat public, démesurément axé sur ces thématiques, fin 2021, sous l’effet de la communication du gouvernement pendant l’été, puis de la candidature d’Éric Zemmour.

Une perte de confiance due au désastreux quinquennat Hollande

Pour autant, les intentions de vote cumulées pour les candidats d’extrême droite, qui surfent sur ces problématiques, sont restées stables sur cette même période. Mais, sous l’effet de l’évolution des attentes des Français, une hiérarchie s’est installée entre les deux, estime Antoine Bristielle, chercheur à la Fondation Jean-Jaurès : « À partir du moment où l’enjeu du pouvoir d’achat est monté, tandis que celui de la délinquance baissait, les courbes des deux candidats se sont éloignées. Dans le détail, les personnes préoccupées à la fois par l’immigration et l’insécurité votent davantage pour Éric Zemmour, quand celles qui mettent en avant l’immigration et le pouvoir d’achat se tournent massivement vers Marine Le Pen. »

Contrairement à Éric Zemmour, la candidate du RN a compris que la montée des prix des carburants et des produits de première nécessité dès novembre 2021, et davantage depuis le début de la guerre en Ukraine, aurait un impact sur la présidentielle. Mais son discours reste de façade. « Elle a un programme très libéral, qui n’améliorera pas les conditions de vie des Français, mais entretient la confusion en ne parlant que de ça depuis un mois, analyse le politiste Rémi Lefebvre, auteur de l’essai Faut-il désespérer de la gauche ? (Textuel, 2022). Comme elle a du crédit dans une partie des catégories populaires, le discours sur le pouvoir d’achat articulé avec celui, bien ancré, de l’immigration fonctionne. »

D’après une étude Ifop du 2 avril, selon laquelle le pouvoir d’achat aura un impact sur 74 % des électeurs, Marine Le Pen n’est cependant pas celle en qui les sondés ont le plus confiance pour l’améliorer. Elle est tout de même deuxième (17 %) derrière… Emmanuel Macron (21 %). Plus nombreux encore sont ceux qui n’ont confiance en aucun candidat (26 %), tandis que la gauche est distancée, 13 % citant Jean-Luc Mélenchon, 2 % Fabien Roussel. Alors que les solutions portées par ces deux candidats – voire par Yannick Jadot – ne manquent pas : Smic à 1 400 ou 1 600 euros, hausse des pensions, revenu étudiant, chèques énergie, blocages des prix…

« Les solutions avancées pour le pouvoir d’achat peuvent paraître utopiques, il y a donc un besoin d’expliquer », estime Janine Mossuz-Lavau, chercheuse au Cevipof.

Alors, qu’est-ce qui cloche ? Pourquoi la progression du pouvoir d’achat comme enjeu déterminant du vote n’a pas fait monter les scores potentiels de la gauche ? « D’une part, le thème du “pouvoir d’achat” en lui-même n’est pas la justice sociale. Il n’est plus propre à la gauche, tous les candidats en parlent, avec des solutions très différentes », avance Rémi Lefebvre. Au-delà des impostures sociales, ce paradoxe renvoie aux difficultés de la gauche à convaincre et mobiliser, en particulier les catégories populaires. Une perte de confiance s’est notamment installée avec le désastreux quinquennat Hollande, qui a déteint sur toute la gauche, selon Rémi Lefebvre : « Beaucoup d’électeurs peuvent amalgamer tout le camp de la gauche comme ayant de bonnes paroles jamais suivies d’effet lorsqu’il est au pouvoir. Marine Le Pen profite aussi de cela, avec le fameux argument “on n’a jamais essayé”. » Et question crédibilité , « une petite musique sur le financement difficile des mesures, le danger d’une dette qui se creuserait, est entrée dans les têtes de beaucoup de gens », ajoute Antoine Bristielle.

Chercheuse au Cevipof, Janine Mossuz-Lavau pointe aussi la teneur du débat politique qui laisse moins de place au fond et aux explications : « Les candidats sont plus dans la communication que dans le développement de leurs projets. Or les solutions avancées pour le pouvoir d’achat peuvent paraître utopiques, il y a donc un besoin de détailler, d’expliquer », estime-t-elle. Les programmes sont justement faits pour cela. À gauche, particulièrement chez Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon, les propositions sont détaillées, chiffrées, expertisées. Les électeurs ont encore trois jours pour s’y plonger.

publié le 5 avril 2022

Les 4 preuves que
Macron poursuit
sa droitisation à tout-va

Lola Ruscio sur www.humanite.fr

Retraite à 65 ans, conditionnement du RSA à une activité, nouvelle baisse des impôts sur la production… Le président-candidat revendique une vision conservatrice des enjeux sociaux et sociétaux, loin du prétendu « humanisme » dont il se réclamait en 2017.

Après cinq années passéés à singer les mesures et les discours de la droite, Emmanuel Macron a franchi un nouveau palier qu’il mettra en scène lors de son premier grand meeting, ce samedi à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Conditionnement du RSA à l’exercice d’une activité, retraite à 65 ans, surenchère sécuritaire et anti-immigration, attaque contre les services publics et baisse des cotisations… Le candidat continue de piocher dans la boîte à idées du Medef et de la droite en se détournant désormais ouvertement du projet « d’émancipation » qu’il prétendait porter en 2017.

Cette stratégie visant à siphonner définitivement l’électorat LR représente la suite logique des politiques mises en place sous son mandat.

1. Un modèle social menacé de disparition

Dans son livre Révolution et dans son programme de 2017, Emmanuel Macron s’engageait à créer un « système universel de retraite » fondé sur les principes « d’équité » et de « justice sociale », sans « modifier l’âge de départ à la retraite ». Sa réforme abandonnée en 2019 prévoyait tout l’inverse, quand bien même le président jurait ne pas vouloir toucher à l’âge de départ. Il montre désormais son vrai visage et ne s’embarrasse plus de faux-semblants : s’il est réélu cette année, le chef de l’État entend faire travailler les Français jusqu’à 65 ans ! Il faudrait « travailler plus » afin de « préserver les pensions des retraités », argumente-t-il. Sa réforme ne prévoit pourtant rien pour obliger les patrons à embaucher les salariés âgés au chômage. Bien au contraire, elle organise un élargissement du cumul emploi-retraite qui serait « plus simple et plus avantageux » pour les entreprises. Une proposition similaire à celle de Valérie Pécresse (LR), qui entend « libéraliser totalement le cumul d’un emploi et d’une retraite ». Emmanuel Macron a également annoncé une nouvelle refonte de l’assurance-chômage, déjà considérablement affaiblie sous son mandat.

2. Un programme économique au service du capital

L’ancien banquier d’affaires prend soin de faire de beaux cadeaux aux grands patrons. Sous son mandat, ils ont déjà obtenu la suppression de l’ISF, l’instauration d’une flat tax sur les revenus du capital et la pérennisation du CICE, qui en cumulé ont fait perdre plus de 100 milliards d’euros à l’État. Et Emmanuel Macron propose désormais une baisse massive « des impôts sur la production ». À la demande du Medef, il entend supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à hauteur de 7,5 milliards d’euros par an. L’argument est toujours le même : ces impôts pèseraient trop lourd sur les entreprises. Mais dans le même mouvement, le candidat appelle à « rembourser la dette » et à retrouver un déficit à 3 % du PIB. Comment faire si de nouveaux cadeaux sont faits aux riches ? En retirant 10 milliards d’euros aux collectivités locales, comme le président vient de l’annoncer, alors même que celles-ci font vivre les services publics et la commande publique…

Mobilisé au service du capital, Emmanuel Macron veut aussi « poursuivre la modernisation du Code du travail engagée avec les ordonnances de 2017 », soit le détricoter toujours plus au nom d’une prétendue « compétitivité ». D’autres droits sociaux sont dans le viseur puisque le candidat veut s’attaquer au RSA, versé aux plus démunis. Absente de son projet 2017, la refonte de cette aide apparaît aujourd’hui comme l’une de ses priorités. En cas de réélection, il conditionnera le RSA à l’ « obligation de consacrer quinze à vingt heures par semaine » à une activité. Une façon de stigmatiser les plus précaires sans répondre à la question de l’emploi.

3. Un virage conservateur revendiqué sur l’immigration

En 2017, Emmanuel Macron promettait « d’accueillir dignement les réfugiés ». Mais les temps et les discours ont changé. Le président sortant tient aujourd’hui une ligne réactionnaire en promettant l’expulsion systématique des déboutés du droit d’asile ou le durcissement des conditions d’accès aux titres de séjour. Il veut également expulser « les étrangers ou les personnes détenant des titres provisoires qui troublent l’ordre public ». Une volonté de se montrer « ferme » sur l’immigration qui ne date pas d’hier. Dès les premiers mois de son mandat, le président avait fait des mesures d’éloignement un cheval de bataille, notamment avec la loi asile et immigration défendue par l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. Un texte qui a considérablement nui à l’accueil et aux conditions de vie des exilés en France. Et que le président-candidat veut aggraver en copiant plusieurs mesures défendues par Valérie Pécresse.

4. Un « pacte républicain » aux accents répressifs

Quand Emmanuel Macron parle des quartiers sensibles, c’est uniquement sous un prisme sécuritaire. Il s’engage ainsi à créer une « force d’action républicaine » qui « va permettre de projeter des forces de sécurité dédiées qui vont venir sécuriser le quartier, aider à démanteler les principaux points de deal ». En parallèle, son programme de 2022 ne prévoit aucune mesure de soutien aux quartiers populaires, tandis qu’il promettait il y a cinq ans la création de « 10 000 » emplois pour les jeunes. Le président, qui a jeté aux orties le rapport Borloo sur les quartiers prioritaires, souhaite s’enfermer dans le tout-répressif sans se poser la question des services publics, de la formation et de l’emploi. Il entend ainsi doubler la présence policière sur la voie publique, augmenter significativement le budget du ministère de l’Intérieur et créer 200 brigades de gendarmerie en milieu rural, etc.

Celui qui a présidé à la répression des gilets jaunes et voulu interdire journalistes et citoyens de filmer la police tient également un double discours sur les violences policières. En mars 2017, il déclarait : « Ce n’est pas possible quand il y a une violence policière qu’il n’y ait aucune sanction dans la hiérarchie policière. Il y a un commissaire de police, il y a un directeur départemental de la sécurité publique, il y a un préfet et il y a un ministre… » Mais depuis, le chef de l’État a sans cesse soutenu les ministres de l’Intérieur et la hiérarchie policière, alors même que des affaires de brutalités policières ont secoué le quinquennat. Aujourd’hui, il récuse même l’usage du terme de violence policière. Par conséquent, aucune mesure n’est prévue dans son projet pour lutter contre ce problème systémique.

 

 

 

 

Cinq ans de
promesses non tenues

Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr

Si Emmanuel Macron a appliqué une bonne moitié de ses propositions de la campagne de 2017, il en a aussi oublié quelques-unes, et pas des moindres. Passage en revue.

«Instaurer une dose de proportionnelle aux législatives. »

La mesure, visant à rendre l’Assemblée nationale plus représentative, faisait partie d’un ensemble de réformes contenues dans le projet de loi pour le renouveau de la vie démocratique. L’instauration de la proportionnelle pour 87 députés ne tenait qu’à une loi ordinaire mais la Macronie, déstabilisée par l’affaire Benalla, y a renoncé dès 2018. En 2022, le président-candidat réitère cette proposition.

« Changer notre rapport à l’écologie et à l’environnement. »

Les renoncements ont été nombreux, à l’image de ceux concernant les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, qu’il promettait de transmettre « sans filtre » au Parlement. Emmanuel Macron voulait aligner la fiscalité du diesel sur l’essence ? Il ne l’a pas fait. Il s’engageait à doubler la capacité en éolien et en voltaïque ? Raté : la France est même le seul membre de l’Union européenne à avoir manqué l’objectif, fixé par une directive de 2009, de passer la barre des 23 % de renouvelable dans sa consommation énergétique. Il jurait de placer la France en tête du combat contre les pesticides ? Les ventes sont stables, le glyphosate toujours sur le marché. Quant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle a été réglée en abaissant en 2020 l’objectif de - 2,3 % à - 1,7 %, ce qui a permis à Macron de dire que la France a « tenu son objectif ».

« Recruter entre 4 000 et 5 000 nouveaux enseignants. »

La promesse a été trahie dans les grandes largeurs. L’éducation nationale comptait 726 800 professeurs pour l’année scolaire 2020-2021, contre 737 000 pour 2017-2018, soit une baisse d’effectif de 10 200 enseignants.

« Un accompagnateur de vie scolaire pour chaque enfant handicapé. »

On est très loin du compte, avec à peine 125 000 AESH pour 400 000 élèves en situation de handicap. « Une situation de pénurie » dénoncée par les associations de défense des personnes handicapées.

« Mettre en place un système plus juste de retraites, sans toucher à l’âge de départ. »

La promesse est doublement non tenue. Car, d’une part, la réforme des retraites, avec l’instauration d’un système à points, a été stoppée par le Covid juste après le passage en force du gouvernement avec le 49-3. D’autre part, parce que cette réforme n’avait rien de juste : elle avait pour objectif affiché « d’inciter les Français à partir plus tard », bien après 62 ans, et visait en réalité à marchandiser l’accès aux pensions de retraite.

« 15 000 nouvelles places en prison, pour que 80 % des détenus aient le droit à un encellulement individuel. »

Fin janvier 2022, on comptabilise à peine 2 000 nouvelles places de prison et le taux d’encellulement individuel stagne à 44 %. Les maisons d’arrêt restent surpeuplées avec un taux d’occupation de 103 %, selon l’Observatoire international des prisons.

« Je ferai tout pour qu’il n’y ait plus aucune raison de voter pour les extrêmes. »

Un engagement pris au lendemain de sa victoire. Cinq ans plus tard, l’extrême droite cumule plus de 30 % des intentions de vote dans les sondages. Cy. C.

publié le 2 avril 2022

Affaire McKinsey :
« En déléguant des missions, l’État s’affaiblit »

Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr

En documentant le recours aux cabinets de conseil, le Sénat a révélé un phénomène méconnu du grand public, mais bien identifié des fonctionnaires. Ce n’est pourtant « que la face émergée d’un phénomène d’externalisation » plus large, alerte Arnaud Bontemps, membre du collectif Nos services publics.

Le 17 mars, le Sénat a lancé une bombe à fragmentation sur la campagne électorale : un rapport détaillant par le menu les contrats de conseil passés au cours de ce quinquennat par les ministères ou agences d’État. Ce recours au privé a plus que doublé en cinq ans, dépassant le milliard d’euros, au bas mot, puisque la commission d’enquête s’est penchée sur les dépenses dans les ministères et de seulement 10 % des opérateurs de l’État.

En passant en revue les contrats hors de prix, aux conclusions vaporeuses, parfois sans suite, les sénateurs dynamitent la fascination du pouvoir pour ces « talents » du privé, comme les loue le ministre de la santé pour justifier leur intervention dans la gestion de la crise sanitaire, depuis l’achat des masques jusqu’à l’organisation de la campagne vaccinale, en passant par la conception de l’architecture des systèmes d’information de la vaccination et du passe sanitaire.

Le mal est en réalité plus profond, ses racines anciennes, décrypte Arnaud Bontemps, l’un des porte-parole du collectif Nos services publics, constitué de fonctionnaires, de contractuel·les, d’agent·es de la Sécurité sociale, toutes et tous inquiets du délitement du « sens du service public », et soucieux de trouver un espace d’expression pour en défendre « une autre vision ».

Énarque, Arnaud Bontemps a d’abord travaillé à la Cour des comptes, aux contrôles des politiques de santé et de sécurité sociale, avant de devenir fonctionnaire en Seine-Saint-Denis, à la Caisse primaire d’assurance-maladie, puis au conseil départemental.

Les membres du collectif viennent de tous les horizons du service public : la santé, la justice, l’université, l’Éducation nationale, la protection de l’enfance, etc. Toutes et tous partagent un même constat, selon Arnaud Bontemps : l’État a souvent recours au conseil « par défaut, parce qu’en interne, on n’a plus assez de moyens humains ». C’est l’aboutissement de politiques de « maîtrise de la dépense publique » menées avec constance depuis le milieu des années 1990. Entretien.

Le recours par l’État aux cabinets de conseil est un sujet documenté depuis plusieurs années. La Cour des comptes y a consacré dès 2015 un rapport sévère. Pourquoi le sujet éclate-t-il soudain, en pleine campagne présidentielle ? Est-ce un contrecoup de la crise du Covid ?

Arnaud Bontemps : La crise Covid, c’est le moment où les Français ont pris conscience du rôle fondamental des services publics : école publique, hôpitaux, etc. Quand on applaudissait les soignants le soir à 20 heures, tous les fonctionnaires qui étaient sur le terrain, qui n’ont pas compté leurs heures, en prenaient une petite part pour eux-mêmes. Mais ce sont bien des agents publics – le personnel hospitalier, les agents de l’assurance-maladie, ceux des agences régionales de santé – qui ont mis en œuvre les politiques, se sont investis à la hauteur de cette crise. Mais la crise du Covid, c’est aussi le moment où les Français réalisent le recul, la dégradation des services publics, qui leur posent des difficultés au quotidien.

Dans ce contexte a été révélé le rôle du cabinet de conseil McKinsey dans la campagne vaccinale, qui a en prime été jugée tardive, mal organisée. Cette nouvelle polémique a notamment conduit au lancement d’une commission d’enquête du Sénat qui a documenté avec des chiffres inédits un phénomène jusqu’ici opaque. Les dépenses de conseil des ministères ont plus que doublé entre 2018 et 2021 : de 379 millions d’euros à 893 millions d’euros. Le gouvernement a essayé d’en minimiser la portée mais n’a pas contesté la réalité de ces chiffres. Ce qui chatouille l’opinion, c’est l’ampleur du phénomène, son caractère « tentaculaire », comme l’ont écrit les sénateurs.

En externalisant l’organisation d’une campagne de vaccination, du système d’information de suivi de la vaccination, l’État ne s’avoue-t-il pas incompétent sur des sujets hautement stratégiques ?

Avoir recours à un cabinet de conseil, ce n’est pas mal en soi. Cela peut être très utile, si c’est un choix stratégique, sur des missions ponctuelles, techniques, lorsque la valeur ajoutée est forte.

La question me semble plutôt être : est-ce fait à bon escient ? 

Or nous, fonctionnaires, le constatons : ce recours au cabinet de conseil se fait souvent par défaut – parce qu’en interne on n’a pas assez de moyens humains –, sur des missions parfois pérennes, et avec un recours parfois à des cabinets généralistes à la plus-value discutable. La principale conséquence de ce recours « réflexe » aux cabinets de conseil est que la puissance publique, en déléguant ainsi ces missions, s’affaiblit en ne développant pas ces compétences en interne.

Ce gouvernement a une spécificité : sa proximité idéologique, parfois personnelle, avec le monde des consultants. Sous ce quinquennat, l’État a multiplié par deux le recours au privé, notamment sur des fonctions stratégiques ou de souveraineté. Derrière, il y a une mythification de la qualité, de l’efficacité du travail des cabinets de conseil. Ils seraient moins chers : un travail de consultant coûte en moyenne 2 200 euros par jour. Ils seraient plus flexibles : il n’y a en réalité rien de plus rigide qu’un marché public. Les consultants seraient plus compétents : les cabinets de conseil recrutent les mêmes profils que les fonctionnaires de l’État, qui eux ont la connaissance du service public. 

Vous avez produit une note où vous replacez ce recours au conseil dans un contexte bien plus large d’externalisation de l’État, que vous chiffrez à 160 milliards d’euros.

Les cabinets de conseil, ce n’est en fait que la face émergée du phénomène d’externalisation dans les services publics. Depuis qu’il y a un service public, il travaille avec le privé. Au XVIsiècle, l’État a fait appel à des entreprises privées pour assécher les marais, à la fin du XIXsiècle pour exploiter les concessions de gaz et d’électricité. La logique était de confier des missions entières, souvent assez spécifiques ou techniques, à un opérateur privé. Toutes ces concessions du service public – nous y incluons la gestion des réseaux d’eau, ou d’Internet à haut débit - pèsent 120 milliards d’euros.

Mais depuis le milieu des années 1990, on assiste à une autre forme d’externalisation, cette fois au nom de la « réforme de l’État ». Ce sont des délégations de missions à l’intérieur du service public : par exemple, on ne confie plus au privé un hôpital en entier, mais des petits bouts : le nettoyage, le gardiennage, pour ne parler que des prestations dites « support ». Parmi ces missions, il y a aussi des prestations intellectuelles, souvent prises en charge par les cabinets de conseil. Au total, pour toute la sphère publique, ces prestations représentent 40 milliards d’euros.

Les ordonnances Juppé en 1995, la révision générale des politiques publiques sous Nicolas Sarkozy, la « modernisation de l’action publique » sous François Hollande : vous décrivez un continuum dans les politiques publiques, qui veulent maîtriser les dépenses de l’État mais le conduisent en réalité à externaliser une partie de ces missions.

Derrière l’idée de modernisation de l’État, il y a un slogan toujours martelé, l’idée que le service public devrait se « recentrer sur son cœur de métier », mais sans jamais définir ce dont il s’agit. On a donc externalisé la production des cartes grises, les processus de fabrication des visas, on a des programmes entiers d’externalisation des achats dans les hôpitaux publics… Mais le cœur de métier de l’État ne se réduit pas à payer les factures de ses sous-traitants.

Entre 2006 et 2018, la fonction publique d’État a perdu 180 000 postes. Cette suppression n’est pas une économie budgétaire, c’est une contrainte supplémentaire faite aux gestionnaires publics. On n’a pas toujours supprimé les budgets, mais diminué ce que l’on appelle le plafond d’emploi et qui permet le recrutement de fonctionnaires ou de contractuels. La conséquence est qu’en interne, on a parfois de l’argent pour exercer nos missions, mais interdiction de l’utiliser pour recruter. Alors, pour accomplir certaines missions, les ministères doivent passer par des prestataires extérieurs, dont ces cabinets de conseil. Ils ne font pas appel à eux pour des missions ponctuelles, ciblées, avec une plus-value, mais de manière contrainte.

Les cabinets de conseil participent activement à cette politique d’« optimisation » des services publics, au service de l’objectif de baisse des dépenses publiques fixé par les gouvernements successifs. C’est le serpent qui se mord la queue : en réduisant ainsi les capacités de l’État, les dirigeants publics ouvrent de nouveaux marchés aux cabinets de conseil, qui s’installent ainsi durablement au plus près de la décision publique.

Les systèmes d’information sont le premier poste de dépenses de l’État dans le conseil. Pendant la crise Covid, Accenture a construit l’architecture des systèmes d’information de la vaccination et du passe sanitaire. Ces missions sont présentées comme techniques. Ne sont-elles pas hautement stratégiques ?

Le numérique est l’archétype de missions pérennes, stratégiques, d’avenir sur lesquelles l’État n’a jamais fait d’effort suffisamment cohérent pour développer ses propres compétences. C’est indispensable que les pouvoirs publics puissent s’appuyer sur des systèmes d’information robustes dans tous les domaines : prélèvement de l’impôt, versement des retraites, organisation des soins, rémunération des enseignants, etc. Les exercer en interne supposerait à la fois de recruter – de mettre les moyens et d’autoriser les emplois – et de s’organiser différemment - d’être attractif sur les conditions de travail, le rapport à la hiérarchie, etc. Il faut tenir les deux bouts du raisonnement, ce qui, malgré les alertes successives, n’est pas fait.

Ce gouvernement a été très friand de consultations citoyennes : le « grand débat national », la Convention citoyenne sur le climat, le collectif de 35 citoyens sur la vaccination dont on ignore tout… Organiser ces consultations est une spécialité de ces cabinets de conseil. L’État a-t-il perdu tout contact avec la société ?

La crise sanitaire nous l’a encore montré : il existe une méfiance grandissante entre les services publics et leurs usagers, entre l’État et les citoyens. Il faut réinventer le dialogue. Aujourd’hui, on ne sait pas faire : il faudrait apprendre, former des agents, développer de nouvelles méthodes de travail. Ce serait un profit inestimable de développer ces compétences en interne. Mais plus fondamentalement encore que l’utilisation des cabinets de conseil sur le sujet, ce qui interroge dans ces grandes consultations, c’est qu’elles ne changent rien aux pratiques quotidiennes. Est-ce qu’on en a quelque chose à faire du résultat ou est-ce que c’est juste de la communication ? Qu’est-ce qu’on en tire ? On a besoin de volonté politique, pas d’un rapport pour caler les tables.

La circulaire du 19 janvier 2022 censée encadrer le recours aux cabinets de conseil vous paraît-elle à la hauteur du sujet ?

Le matin même de son audition par la commission d’enquête du Sénat, la ministre de la transformation et de la fonction publique, Amélie de Montchalin, a annoncé une baisse de 15 % des dépenses de conseil des ministères. En apparence, une bonne nouvelle ! Mais, quand on lit bien la circulaire, on se rend compte que ces dépenses se cantonnent au conseil en stratégie et organisation, ce qui reviendrait à baisser de 2 % la totalité de ces dépenses par rapport à 2021, qui est une année record. Passer de 893 à 873 millions d’euros par an, ça n’est pas une diminution, cela revient à consacrer la place des cabinets de conseil au sein de l’État. Ce n’est pas une prise de conscience mais la continuation de la même politique.

L’État doit se remettre à réfléchir. Avant d’avoir recours à des prestataires privés, il doit s’interroger : est-ce que ce n’est pas une compétence stratégique, souveraine, qu’il faudrait développer en interne ? Mais pour réfléchir ainsi, il faudrait supprimer les mécanismes pernicieux qui compriment l’emploi public. Il faut réinternaliser certaines missions, et il faut s’y prendre maintenant. Car cela prend beaucoup plus de temps de faire repousser une branche du service public que de la couper.

 

publié le 31 mars 2022

Affaire McKinsey,
la Macronie bafouille

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Deux semaines après le rapport de la commission sénatoriale qui révélait qu’un milliard d’euros avaient été dépensés en 2021 pour des missions de cabinets de conseil privés, la majorité voit la polémique gonfler et peine à y répondre. L’argument du complotisme est brandi pour éviter les vrais sujets.

Nerveuse, la Macronie ? L’exécutif a bien du mal à assumer son recours croissant aux cabinets de conseil – pour au moins 2,4 milliards d’euros depuis 2018 – et paraît très embarrassé par « l’affaire McKinsey », du nom de l’entreprise qui symbolise le poids de ces prestataires privés dans l’administration publique. La majorité a tardé à réagir au rapport de la commission d’enquête sénatoriale du 17 mars, qui révélait ce « phénomène tentaculaire ». Elle a, depuis, choisi la diversion comme ligne de défense : dénoncer des « fausses informations » et « manipulations politiques ». Des termes utilisés par Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, envoyée au charbon mercredi soir, avec son homologue chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, pour une conférence de presse improvisée qui soulignait la confusion de l’exécutif. Quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron lui-même répondait à la polémique sur le milliard d’euros dépensé auprès de cabinets privés en 2021 en ces termes : «On a l’impression qu’il y a des combines, c’est faux. (…) S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal ! » Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, est même allé jusqu’à parler de « complotisme ».

En insistant sur ces points, la Macronie cherche à allumer un contre-feu pour détourner l’attention sur les faits et le fond de l’affaire. Certes, des doutes peuvent être émis sur certains liens étroits entre la Macronie et des cabinets privés, McKinsey en tête. Plusieurs de ses consultants ont participé bénévolement à la campagne d’Emmanuel Macron en 2017 tandis que des marcheurs ont rejoint ensuite le cabinet. De plus, la commission d’enquête demande des explications sur l’enchaînement de plusieurs prestations attribuées à McKinsey, alors que le principe du « tourniquet », selon lequel l’État ne doit pas faire appel à la même entreprise plusieurs fois d’affilée, aurait dû s’appliquer. Le tout agrémenté du scandale d’évasion fiscale du cabinet, qui ne paye aucun impôt sur les sociétés en France depuis au moins dix ans, ses bénéfices étant déclarés dans le paradis fiscal du Delaware (États-Unis).

Une administration disqualifiée

Des questionnements sont donc légitimes, mais aucun élément matériel ne permet de crier au conflit d’intérêts. Si le gouvernement est attaqué, c’est principalement pour son choix de payer des cabinets de conseil, au détriment de l’administration, pour accompagner, voire déterminer des politiques publiques. « Le gouvernement use de différentes ficelles pour ne pas venir sur le vrai sujet, qui est l’influence des cabinets privés sur les décisions politiques », dénonce Éliane Assassi, rapporteure communiste de la commission d’enquête. « Aucun cabinet de conseil n’a décidé d’aucune réforme », a assuré Olivier Dussopt. Ce qui n’est pas tout à fait exact. Par une multitude d’exemples, le rapport de la commission parlementaire montre que les cabinets influencent la prise de décisions publiques. L’accord-cadre qui régit le recours aux consultants stipule même que leur intervention peut couvrir « la phase de contribution à la prise de décision stratégique ». Dans les faits, quand ils interviennent en amont de l’écriture d’une mesure, les consultants proposent plusieurs scénarios et « priorisent » l’un d’entre eux, influençant donc la décision finale.

Le gouvernement balaye cette problématique et répète qu’il n’a « rien à cacher », quand bien même les sénateurs ont eu besoin de trois mois d’enquête pour révéler ce système opaque. Les ministres n’assument pas et en minimisent les conséquences : « Est-ce qu’en ayant recours aux cabinets, nous remettrions en cause la qualité de l’administration et de ses hauts fonctionnaires ? » a demandé Amélie de Montchalin, avant de répondre « non ». Les intéressés ne sont pas de cet avis : « Ces recours disqualifient les fonctionnaires qui pourraient faire le même travail, il y a un sentiment de perte de sens », ressent Delphine Colin, de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT. La commission d’enquête publie aussi plusieurs témoignages d’agents subissant, sans avoir été mis au courant, l’arrivée de consultants venus avec mépris leur apprendre leur travail.

« Un système s’est installé, qui tend à remplacer des pans entiers de notre administration par des cabinets privés, déplore Éliane Assassi. Mais pourquoi ne fait-on pas un état des lieux de notre administration pour savoir si des compétences métiers manquent et comment les renforcer ? » Le programme présidentiel d’Emmanuel Macron, visant toujours plus de réductions des dépenses publiques, ne démontre ni remise en question ni volonté de modifier ce choix politique. En dépit de son coût, pour les finances publiques comme pour l’organisation de l’État.

publié le 30 mars 2022

Services publics :
jeu de dupes
à droite et au RN

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Enjeu de campagne - Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Marine Le Pen sont étrangement muets sur le devenir du service public. Privatisations, suppressions de postes, coupes budgétaires : leurs véritables desseins sont inquiétants.

Les candidats de droite et d’extrême droite avancent à pas de loup sur les services publics. La raison de cette prudence : avec la pandémie, le regard des Français a changé sur ces derniers. Selon un sondage Kantar réalisé en janvier, ils sont 52 % à avoir une image positive de leurs services publics. Un niveau jamais atteint depuis 2004. Si bien que, de la République en marche au Rassemblement national en passant par « Les Républicains », les partis des candidats qui s’étaient lancés dans une course aux suppressions de postes de fonctionnaires en 2017 (120 000 pour Macron, 500 000 pour Fillon) ont dû changer de braquet. Seule la prétendante LR, Valérie Pécresse, s’est autorisée à annoncer un plan de suppression de 150 000 postes de fonctionnaires, avant de préciser que 50 000 postes seraient réaffectés dans la santé, l’éducation et la police. Les candidats savent qu’ils avancent en terrain miné : les promesses de coupes claires dans les effectifs des fonctionnaires ont laissé place à celles de « recrutements » ou de « revalorisations » des rémunérations.

Des promesses comme autant de plans de communication

Pourtant, en passant aux cribles discours, débats et entretiens, on s’aperçoit vite que l’austérité budgétaire est toujours d’actualité. À l’image des 50 milliards d’euros d’effort budgétaire annoncés par Emmanuel Macron associés aux 15 milliards d’euros de baisses d’impôts promis aux entreprises, ou encore du « passage d’un poids de 55,7 % des dépenses publiques dans le PIB en 2022 au seuil symbolique de moins de 50 % de la richesse nationale dès 2027 », comme le propose Marine Le Pen dans la revue en ligne Acteurs publics. Ces choix des candidats ne laissent guère de doute sur leurs conséquences sur les services publics.

Certes, la ministre de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, a annoncé dans la précipitation une augmentation du point d’indice, gelé depuis douze ans. Elle s’est bien gardée d’en donner l’ampleur. Et renvoie la mesure à juillet, soit après les élections législatives. De leur côté, Valérie Pécresse et Marine Le Pen annoncent une hausse des rémunérations ciblée sur les personnels de santé et des Ehpad grâce à des primes pour la première ou une revalorisation de 10 % pour la candidate d’extrême droite. « Le discours change, ils y sont obligés, mais dans les actes, dans nos administrations, le compte n’y est pas, analyse Céline Verzeletti, responsable confédérale de la CGT. Tout ce que nous avons obtenu, nous l’avons eu par des mobilisations », poursuit la responsable confédérale, cosecrétaire générale de la CGT fonction publique. Elle liste le Ségur de la santé, le Grenelle de l’éducation.

D’ailleurs, seuls ou à côté des salariés du privé, les fonctionnaires ont multiplié les actions, y compris pendant la campagne présidentielle, plusieurs fois en janvier, puis le 17 mars, avant une nouvelle journée ce jeudi, à l’appel de la CGT des services publics. Une combativité « retrouvée », « indispensable » qui doit s’inscrire dans la durée, estime la syndicaliste. Car, regrette Céline Verzeletti, même en pleine pandémie, dans la santé, les luttes n’ont pas empêché les fermetures de lits, de services dans les hôpitaux.

Même les promesses de nouvelles embauches d’infirmières ou d’aides-soignantes sont autant de plans de communication. « Tous nos hôpitaux, toutes nos structures cherchent à recruter, explique Delphine Girard, de la CGT santé. La réalité, c’est qu’elles n’y arrivent pas. » Aujourd’hui, entre 150 000 et 200 000 infirmières diplômées en âge de travailler n’exercent plus, souligne la syndicaliste. Sans compter que beaucoup de jeunes qui souhaitent se former n’y arrivent pas. « Les plans de recrutement ne sont jamais suivis de plans de formation avec des budgets consacrés », dénonce Delphine Girard. Or, d’ici à 2030, ce sont, en plus des besoins immédiats, plus de 220 000 emplois d’infirmières et d’aides-soignantes qui seront nécessaires, dixit France Stratégie.

Derrière les odes aux fonctionnaires, Emmanuel Macron et Valérie Pécresse ont dressé leur feuille de route dans la loi de transformation de la fonction publique, adoptée en 2021, à l’unanimité des parlementaires LaREM et LR. Marine Le Pen, en s’abstenant lors du vote à l’Assemblée nationale, ne s’y est pas non plus opposée. Et avoue, dans Acteurs publics, ne pas vouloir « modifier les règles en vigueur ». Or, cette loi-cadre, expliquent les syndicalistes, est un véritable « big-bang » comparable à celui de la loi travail dans le privé, et dont la mise en œuvre dans les collectivités et administrations devrait s’étaler jusqu’en 2025.

Supprimer les « petits avantages » des travailleurs de l’ombre

Une loi tentaculaire dont la première attaque a porté sur le temps de travail des fonctionnaires territoriaux, avec le passage aux 1 607 heures obligatoires, l’équivalent de 35 heures hebdomadaires et de 25 jours de congé dans l’année. Alors que, jusqu’ici, les agents bénéficiaient de régimes dérogatoires. Une réforme qui vise à gommer la pénibilité et les spécificités des métiers et qui supprime les « petits avantages » aux travailleurs de l’ombre. À l’instar de ceux qui ramassent, par exemple, les poubelles la nuit, les week-ends, en horaires décalés pour une paie « 25 % inférieure » à celle du privé, lance Thomas Barby, secrétaire général de la CGT Toulouse Métropole, lequel a fait grève durant près d’un mois pour obtenir la reconnaissance de la pénibilité des éboueurs toulousains. Après les communes et intercommunalités, ce sera au tour des départements et des régions de mettre en place cette réforme.

La deuxième étape de la loi dans le moule de laquelle se coulent Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Marine Le Pen consiste à modifier le statut général de la fonction publique en code général. Une manœuvre visant à « privatiser très facilement des missions de service public », explique Natacha Pommet, secrétaire générale de la CGT services publics. Et la syndicaliste de prendre l’exemple de l’agent d’une ville qui externaliserait la cantine scolaire : « En perdant son statut de fonctionnaire, l’agent basculerait dans les effectifs de l’entreprise » prestataire, poursuit-elle. Fini l’emploi à vie. Une fois repris, avec son contrat privé, l’ex-fonctionnaire pourrait dès lors perdre son emploi si son entreprise perdait par la suite l’offre publique. Alors qu’aujourd’hui, la collectivité qui privatise le service se doit de trouver à son agent « un autre poste dans la collectivité », poursuit Natacha Pommet.

Les politiques de baisse des dépenses passent aussi par la multiplication des contractuels , souvent moins bien payés. Depuis l’an dernier, les administrations sont autorisées à recruter des contrats de projet, comme dans le privé. Ceux-ci pourront être inférieurs à un an et concerner toutes les catégories hiérarchiques (A, B, C), alors que jusqu’ici, le recours à ces personnels précaires était limité par la loi.

À ce jeu du poker menteur, la promesse d’une hausse du point d’indice apparaît comme une vaste farce, une pure « promesse de campagne », quand durant tout un mandat, le candidat en tête des sondages s’est refusé à une telle concession, la jugeant « bien trop coûteuse », rappelle Céline Verzeletti. Certes, poursuit-elle, l’inflation galopante a changé la donne mais elle sera « minime », prédit la fonctionnaire. La question est désormais d’en connaître l’ampleur, alors que les agents « accusent une perte de pouvoir d’achat de 11,5 % », calcule Natacha Pommet, dont l’organisation revendique une hausse de 10 %, suivie d’une phase de négociation. Les syndicats restent sur leur garde, car rien n’assure que dans trois mois, après les élections, Emmanuel Macron ne se dédira pas en prétextant une situation budgétaire inadéquate.

La crainte est aussi de voir se développer un service public à la carte. Une « différenciation territoriale » appelée de ses vœux par Marine Le Pen, mais aussi par le parti «Les Républicains», et qui consisterait selon Emmanuel Macron à « mettre beaucoup plus de fonctionnaires sur les territoires ». Un discours en écho aux colères des gilets jaunes dénonçant les déserts de service public. Un leurre, pointe Thomas Barby, CGT Toulouse Métropole. Dans sa ville, le maire a « réaffecté les agents » dans de plus petites structures, là où « il n’y a plus aucun service public », à l’image des « maisons de services publics », appelées France Service. Sans nouvelle embauche, sans dotation supplémentaire, les agents devront être ultrapolyvalents, tiraillés entre les ordres de leur direction de service et l’élu en charge du territoire, pour in fine fournir, selon Thomas Barby, un service public « toujours plus dégradé ».


 


 

La gauche veut
plus d’argent et d’agents

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Loin de ses adversaires de droite et d’extrême droite, la gauche veut renforcer les services publics. Le candidat communiste, Fabien Roussel, propose un plan de création de 500 000 postes.

L’adage du mouvement social « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » est constitutif des services publics. De la petite enfance au grand âge, la fonction publique intervient quotidiennement dans la vie de chacun. Mise à l’épreuve durant la pandémie, elle est aujourd’hui des plus affaiblie après des années de politiques d’austérité. Le quinquennat Macron a fait fondre ses effectifs de 70 000 agents territoriaux, après les 85 000 fonctionnaires déjà supprimés sous Nicolas Sarkozy, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et le non-­remplacement d’un agent sur deux. « Nous n’avons jamais eu autant besoin de services publics, utiles et accessibles à tous, qui s’opposent à ces logiques mortifères » de rentabilité des marchés financiers, assure pourtant Fabien Roussel dans son programme.

Au total, le candidat communiste à la présidentielle ambitionne de recruter 500 000 fonctionnaires en cinq ans. 30 000 agents pour une police de proximité et le même nombre dans les services fiscaux pour récupérer les 80 milliards d’euros qui s’évaporent chaque année dans la fraude et l’évasion fiscales. Il souhaite aussi recruter « 50 000 ouvriers, techniciens, ingénieurs » qui « seront nécessaires dans l’énergie, afin de garantir un mix énergétique ». Auxquels s’ajouteront 90 000 postes d’enseignants et 200 000 postes créés, au total, dans les hôpitaux et Ehpad. Le candidat défend aussi une hausse généralisée des salaires de 30 % dans la fonction publique.

Enfin, il table sur la création d’une nouvelle branche de la fonction publique dédiée aux métiers du lien, en soustrayant ces emplois des logiques de marché. Selon son décompte, cette mesure concernerait 1,3 million de personnes et même « 1,8 au terme de (son) mandat » – compte tenu des postes qu’il entend créer –, « protégées par un statut et avec un salaire qui ne sera pas inférieur à 1 700 euros net et 2 100 brut ».

Une santé prise en charge à 100 %

De son côté, Jean-Luc Mélenchon (FI) table sur la création de 15 000 nouveaux postes d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Plus largement, l’insoumis vise le recrutement d’un million de fonctionnaires dans des « secteurs indispensables » tels que l’hôpital, l’éducation ou encore la justice. Les candidats du PCF et de FI se retrouvent sur la nécessité de développer le maillage territorial des services publics. Fabien Roussel promet un établissement de santé « à moins de trente minutes de transport » dans chacun des bassins de vie. Le candidat de l’Union populaire élargit cette mesure à « tous les services publics essentiels ». Anne Hidalgo (PS) entend quant à elle « garantir » pour les cinq prochaines années « la carte des services publics ».

Mais c’est pour les services aux plus jeunes que la socialiste veut porter le gros des efforts. D’abord en poussant de 470 000 à 600 000, en dix ans, l’offre de places en crèche dans un service public dédié à la petite enfance. Ensuite, dans l’école, avec un plan de rattrapage des salaires des enseignants avec des débuts de carrière à 2 300 euros net, contre 1 700 aujourd’hui, couplé à un « plan mixité » dans les départements « permettant de mettre fin aux collèges­ghettos ». L’écologiste Yannick Jadot table, lui, sur une hausse des salaires des professeurs de 20 % sur le quinquennat « pour les situer dans la moyenne des pays de l’OCDE » et sur le recrutement de 65 000 enseignants. C’est 160 000 chez Jean-Luc Mélenchon.

Concernant la santé, Yannick Jadot veut l’embauche de 100 000 infirmiers couplée à la création d’une « réserve » composée des 180 000 soignants « qui avaient rejoint spontanément les hôpitaux pendant la pandémie ». Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon veulent en finir avec le renoncement aux soins pour raisons financières en instaurant la prise en charge à 100 % des dépenses de santé. Sur le volet dépendance des personnes âgées, Anne Hidalgo propose aussi un plan de formation et de recrutement aux métiers du grand âge. Les candidats communistes et insoumis se retrouvent sur l’interdiction des Ehpad à but lucratif.

Fin de l’évasion fiscale

Reste la question du financement. La fondation ultralibérale Ifrap estime, dans une étude pour le Figaro Magazine, les dépenses du programme de Fabien Roussel à 287 milliards d’euros par an, tous secteurs confondus. Le communiste chiffre à 87 milliards son plan global pour les services publics et la Sécurité sociale. Pour le financer, il entend tripler l’ISF, instaurer un impôt plus progressif et porté à 15 tranches, supprimer les niches fiscales et surtout mettre fin à l’évasion fiscale, notamment en introduisant un impôt à la source sur les profits des multinationales. Une logique de redistribution pour financer des services publics, la seule richesse de ceux qui n’en ont pas.

publié le 28 mars 2022

Tout comprendre au scandale McKinsey
en 6 points et 10 minutes

Nicolas Framont sur https://www.frustrationmagazine.fr

Depuis quelques mois, un scandale gonfle et se précise. L’Etat français aurait, via le gouvernement d’Emmanuel Macron, payé au moins 1 milliard d’euros par an à des cabinets de conseils pour concevoir sa politique, en doublon de l’administration publique et pour des missions dont l’intérêt n’est pas facile à saisir (et le mot est faible). De l’argent public balancé par les fenêtres ? Oui, et principalement en faveur d’une entreprise, McKinsey, dont on a appris la semaine dernière qu’elle ne payait absolument aucun euro d’impôt en France. L’homme en charge de la passation de contrat de ce cabinet de conseil avec l’Etat n’est autre qu’un ami du président, Karim Tadjeddine, qui partage avec lui une vision de l’Etat « en mode start up ». Tout comprendre de ce scandale d’Etat, de cette gabegie au service des copains, qui entraînerait la chute du gouvernement… si nous vivions en démocratie.

1 – Les cabinets de conseil, c’est quoi au juste ? 

Si vous ne travaillez pas dans le siège d’une moyenne ou grande entreprise privée, dans un ministère ou une administration publique, le monde des consultants des cabinets de conseil vous est sans doute inconnu. Pour résumer, les cabinets de conseil sont payés par des directions d’entreprise ou des ministres pour expertiser le travail mené, la comptabilité, mais aussi conseiller sur les décisions à prendre pour améliorer la stratégie d’une entreprise… ou les lois d’un pays. Leur arme de guerre ? Le PowerPoint. 

Concrètement, les consultants accèdent à l’entreprise, s’entretiennent avec ses strates hiérarchiques puis pondent des slides (les pages d’un PowerPoint) où ils disent comment faire mieux avec moins, être à la fois plus performant et plus économe. Cette activité est extrêmement lucrative car elle repose entièrement sur la maîtrise (supposée) d’un savoir. Une journée de travail est facturée fort cher au client, alors même que d’une entreprise à l’autre, le rendu est parfois le même, à quelques variations près. Les consultants en organisation par exemple distillent d’une entreprise à l’autre le même discours, fait de termes clichés que vous avez sans doute déjà entendu si vous travaillez dans le privé : « ne plus travailler en silo mais de façon collaborative », « être plus agile », « « fusionner des services pour réduire le millefeuille décisionnel”, “affronter les défis de la digitalisation”… leurs lieux d’intervention sont différents, leurs recettes sont les mêmes. 

Mais ce sont des gens qui ont le talent de surjouer la compétence et qui parviennent à impressionner leurs clients en les noyant sous un jargon technique et des schémas complexes. Ils travaillent pour le Boston Consulting Group, McKinsey, Accenture, sans oublier les “Big 4” (Deloitte, KPMG, PwC, Ernst & Young)… Autant de géants mondiaux dont la longévité (McKinsey existe depuis 1926) tient à la force de leur modèle économique : “Ils empruntent votre montre pour vous donner l’heure”, dit-on d’eux dans le monde de l’entreprise privée. Heureusement que ce ne sont que des gros groupes capitalistes plein d’argent qui le gaspillent en faisant appel à eux… non ?

2 – Pourquoi le gouvernement a-t-il fait appel à eux ?

Le scandale d’Etat qui se dessine petit à petit, c’est que ces cabinets de conseil aux pratiques fort douteuses ont été utilisés massivement par notre gouvernement pour l’aider dans ses missions, en doublon de l’administration publique et à prix d’or. La polémique a débuté l’année dernière, lorsque nous apprenions que le gouvernement avait eu massivement recours au cabinet McKinsey pendant la crise sanitaire, afin d’organiser la logistique de la campagne vaccinale. Sauf que McKinsey, cabinet mondial et puissant, semble être un choix particulièrement douteux. En effet, l’année dernière, il a été condamné aux Etats-Unis à une amende de 573 millions de dollars en raison du rôle joué au début des années 2010 auprès du laboratoire Purdue Pharma. Cette entreprise a commercialisé l’OxyContin, opiacé terriblement addictif qui aurait tué jusqu’à 200 000 Américains par overdose. Cet antidouleur a été sur-prescrit sur tout le territoire grâce à une vaste stratégie d’influence menée par le laboratoire, avec les bons conseils de McKinsey. Les consultants avaient même anticipé le nombre potentiel d’overdoses afin de conseiller à Purdue Pharma une stratégie d’indemnisation susceptible de maintenir les ventes et la réputation du produit.

Mais ça n’a pas empêché le gouvernement français de faire appel à eux pour gérer le dossier particulièrement sensible de la vaccination. Le poids croissant de ces consultants dans la gestion des affaires publiques ayant fait un peu de bruit, le groupe communiste au Sénat a mis en place l’année dernière une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur cette nouvelle tendance. Le rapport qui en a résulté et que nous avons consulté est particulièrement riche car il se base sur des dizaines d’heures d’audition des principaux acteurs de l’affaires, des consultants eux-mêmes aux ministres qui ont fait appel à eux. 

Les consultants ce sont des gens qui ont le talent de surjouer la compétence et qui parviennent à impressionner leurs clients en les noyant sous un jargon technique et des schémas complexes.

On y apprend d’abord que les dépenses de cabinet de conseil ont doublé au cours du quinquennat, pour atteindre la somme d’un milliard d’euros en 2021. Pour comparaison, le budget annuel consacré à l’égalité femmes-hommes est de 50 millions d’euros. Donner de l’argent aux cabinets privés semble être la véritable « grande cause du quinquennat », à en croire le rapport, qui souligne le recours de plus en plus systématique aux cabinets de conseil, majoritairement en doublons de compétences existantes dans l’administration publique. Les rapporteurs précisent que la somme d’un milliards d’euros annuelle est « une estimation minimale car les dépenses des opérateurs sont en réalité plus élevées. Si la commission d’enquête a interrogé ceux dont le budget était le plus important (Pôle emploi, Caisse des dépôts et consignations, etc.), l’échantillon ne représente que 10 % du total des opérateurs » (p.8). La somme d’un milliard d’euros est donc TRÈS sous-estimée.

3 – Pour quels résultats ?

Que faisaient-ils, concrètement, ces consultants, dans nos ministères et administrations ? Ils produisaient des conseils sur l’organisation des services d’une part, comme par exemple la création du “baromètre des résultats de l’action publique”, facturé aux contribuables 3,2 millions d’euros en 2021 par le cabinet Capgemini, nous apprend le rapport du Sénat, ou encore l’organisation de concertations, débats publics ou autres bullshits participatifs dont le macronisme raffole (souvenez-vous du « grand débat national » ou de la « convention citoyenne sur le climat » qui ont tous deux abouti à… rien).

Toujours selon le rapport du Sénat, ce même cabinet Capgemini a ainsi facturé à l’Etat un million d’euros pour son appui à l’organisation des « Etats généraux de la justice », grand raout censé permettre de résoudre l’institution en crise. Pour faire quoi ? Mettre en place une plateforme participative (Parlonsjustice.fr) et organiser des « ateliers délibératifs » avec des citoyens volontaires. Parfois, il s’agit de donner un coup de boost aux administrations pour appliquer vite vite des réformes : ainsi, Mckinsey a facturé 4 millions d’euros aux contribuables pour former l’administration aux ajustements nécessaires à l’application de la baisse des APL. Mais rassurez-vous : avec cette réforme, l’Etat a déjà économisé 10 milliards d’euros sur le dos des plus pauvres.

Mais ce qui est encore plus choquant, c’est qu’alors que nous payons déjà fort cher pour avoir des députés, des sénateurs et toute l’administration qui permet le fonctionnement législatif, les consultants ont été massivement utilisés pour changer la loi. Ainsi, ils sont intervenus dans la réforme de l’assurance-chômage (y compris dans les arbitrages politiques la concernant), celle de la formation professionnelle, mais aussi les lois sur la santé, sur les transports, la réforme de l’aide juridictionnelle, etc. Le rapport montre comment, au prétexte d’aider le gouvernement à « préparer » les lois, les cabinets de conseil orientent la décision publique, alors que personne ne les a mandatés pour ça.

558 900€ pour le cabinet Boston Consulting Group (BCG pour les intimes), pour l’organisation d’une “convention des managers de l’Etat” qui… n’a jamais eu lieu. 

Mais parfois, les cabinets de conseil nous ont coûté cher… pour rien du tout : le rapport documente ainsi une facture de 496 800€ de McKinsey pour une mission de réflexion sur « l’avenir du métier d’enseignant » qui n’a pas abouti. Enfin si, ça a abouti à un rapport de deux cent pages qui enfonce des portes ouvertes, soit 2 480€ la page. Mais aussi 558 900€ pour le cabinet Boston Consulting Group (BCG pour les intimes), pour l’organisation d’une “convention des managers de l’Etat” qui… n’a jamais eu lieu. 

Vous êtes sûrs que ce sont les fonctionnaires qui coûtent trop cher ? Même lorsque les missions aboutissent, l’action des consultants est très questionnable. Le rapport décrit leurs méthodes, directement inspirées du bullshit managérial dont les groupes privés raffolent, à base d’ateliers – pardon, de « workshop » – qui recourent aux pratiques suivantes, attention les yeux :

« – le « bateau pirate » : chaque participant s’identifie à un des personnages (capitaine, personnages en haut du mât ou en proue, etc.) et assume ce rôle, son positionnement, ses humeurs, etc.
le « lego serious play » : chaque participant construit un modèle avec des pièces lego, construit l’histoire qui donne du sens à son modèle et la présente aux autres »
Extrait du rapport du Sénat, page 102

Ce que révèle ce rapport rappelle “l’affaire du Sirhen”, un projet de méga-logiciel de gestion de ressources humaines pour l’Education nationale, qui a échoué après 10 ans de travaux, pour un coût total de 350 millions d’euros dont… 270 pour le cabinet de conseil Capgemini.

Cette façon de facturer fort cher des travaux de piètre qualité nous a été rapportée il y a deux ans par un consultant d’un des “Big Four” intervenant auprès de l’Etat, Joan. Voici ce qu’il nous racontait, dans un témoignage édifiant (à lire en intégralité ici)

En théorie, nos travaux devaient être solides et les prix justifiés : experts ayant plus de 15 ans de bouteille, expériences reconnues et savoir-faire prouvés et éprouvés d’un Big Four pour une qualité “assurée”. Par définition, un Big Four étant présent partout dans le monde, il dispose d’expériences et d’experts dans virtuellement tous domaines. En pratique, mon service avait une exigence de marge de 40 % : si nous avions un “projet” à 100 000 €, celui-ci ne devait coûter que 60 0000 € à réaliser à l’entreprise en coûts de personnels, les 40 000 € disparaissant dans le biz dev, les frais généraux et, surtout, les poches des actionnaires.”

Les honnêtes citoyens qui ont toujours peur de payer des profs à « se la couler douce », que pensent-ils du fait que Macron et ses amis payent un salaire mensuel par jour à des consultants chargés de faire jouer des fonctionnaires aux Lego pour remplir les poches de quelques actionnaires ?

4 – Pour quoi faire ?

A l’échelle des entreprises privées, le recours au cabinet de conseil participe de tout l’équilibre de la machine capitaliste. Il s’agit de fluidifier les rouages du système en légitimant des décisions purement financières au nom de considérations rationnelles et « stratégiques ». Autrement dit, la mission idéologique des consultants est de faire croire, y compris à ses membres, que les entreprises capitalistes sont là pour autre chose que de générer du profit pour les actionnaires. Ils interviennent pour conseiller des « réorganisations », des plans de licenciements et nimber le tout de grandes notions managériales, histoire de rendre la réalité moins mesquine et cruelle. Ils sont l’administration du mensonge : tout comme l’Union Soviétique avait sa bureaucratie et ses commissaires politiques, le monde capitaliste a ses consultants en costume qui viennent raisonner les collectifs de cadres à coup de PowerPoint, afin qu’ils mettent en oeuvre le sale boulot et contribuent à renforcer la remontée de dividendes.

Mais à quoi servent-ils à l’échelle d’un Etat ? Eh bien précisément à le faire fonctionner comme une entreprise, et à faire remonter le profit – via des économies budgétaires – aux actionnaires de son président : la grande bourgeoisie. Et au passage à se servir copieusement sur le dos du contribuable. Pour nous autres, c’est la double peine : non seulement les cabinets de conseils viennent imposer à nos administrations publiques une vision de leur action profondément nocive pour nous, à base de pseudo-consultations « participatives » et de violentes coupes budgétaires (comme la réforme des APL exécutée sous le saint patronage de McKinsey), mais en plus ils représentent un budget croissant que nous payons avec nos impôts !

La “convention des managers de l’Etat” n’a jamais eu lieu. On vous laisse apprécier le programme de cet évènement-fantôme qui nous aura tout de même coûté la modique somme de 558 900€, en faveur du cabinet Boston Consulting Group (extrait du rapport du Sénat)

Le rapport le documente noir sur blanc : l’arrivée des cabinets de conseils dans nos ministères a servi à forcer la main aux fonctionnaires. De gré ou de force, en les infantilisant à base d’ateliers Lego ou en les forçant via des « arbitrages » à coup de PowerPoint. Pour les pousser à quoi ? A adopter la logique cynique qui prévaut dans les groupes privés capitalistes, qui consiste à ne pas avoir d’états d’âme envers les usagers et les citoyens. C’est ce qu’a expliqué aux rapporteurs Estelle Piernas, secrétaire nationale de l’UFSE (Union fédérale des syndicats de l’État)-CGT : « c’est palpable quand des consultants parlent de “clients” et non “d’administrés”. Cette méconnaissance les amène à ne pas prendre en compte la qualité du service rendu à tous les administrés, en zone urbaine comme rurale ».

Quand on regarde la liste des interventions de cabinets, détaillés dans le rapport du Sénat, on se rend compte qu’il s’agit le plus souvent d’opération de « Transformation » de tel service ou telle administration. Transformation vers quoi ? En autre chose que du service public.

5 – Pour qui ?

La vision de l’action publique que portent les cabinets de conseil est celle du président Macron. Il l’a d’ailleurs développé dans un livre au titre explicite, L’État en mode start up sous la direction de Yann Algan et Thomas Cazenave (2016), qu’il a préfacé. Sa principale thèse consiste à promouvoir la vision « d’une action publique réinventée, plus agile et collaborative, « augmentée » par l’innovation technologique et sociale. » Et qui d’autre a participé à l’écriture de ce livre-manifeste ? Karim Tadjeddine, directeur associé du bureau français de McKinsey et chargé de la branche « Secteur public » de l’entreprise. C’est-à-dire celui-là même qui est l’interlocuteur des ministères pour toutes les missions réalisées à prix d’or par son cabinet.

L’un des principaux cabinets auquel l’Etat a recours, McKinsey, est dirigé par un ami d’Emmanuel Macron avec qui il partage une vision de l’Etat à transformer de gré ou de force selon les principes en vigueur dans les entreprises privées

La collaboration entre Emmanuel Macron et Karim Tadjeddine n’a pas commencé avec ce livre. Elle remonte à leur participation à la Commission « pour la libération de la croissance française », lancée par Nicolas Sarkozy en 2007 et plus connue sous le nom de « Commission Attali », du nom de son rapporteur. Parmi les préconisations de cette commission : « Transformer l’action publique ».

Une transformation que les cabinets de conseil, dont celui de Karim Tadjeddine, mettent en œuvre au forceps, avec la bénédiction de l’ami et président Macron, dont Tadjeddine a participé à la campagne électorale en 2017, ainsi que plusieurs autres consultants de Mc Kinsey, comme nous le révélait le Monde en février 2021. Ca s’appelle dans le métier faire du “pro bono”, c’est-à-dire travailler gratos pour les copains… mais rien n’est jamais gratuit et on peut dire que le cabinet a été largement récompensé pour son coup de pouce au candidat, une fois celui-ci devenu président.

En France, il n’est pas légal de donner plus de 2 500€ à un candidat à l’élection présidentielle, pour éviter de potentiels conflits d’intérêts. Par contre, il est tout à fait possible pour une société d’envoyer ses consultants travailler gratos pour le candidat pour bizarrement devenir le prestataire préféré de son gouvernement, une fois élu. 

6 – Pourquoi un tel silence autour de ce scandale d’Etat ?

Résumons : chaque année, le gouvernement se voit facturer au moins un milliard d’euros – soit plus que les dépenses 2021 pour la jeunesse et la vie associative – pour des prestations de conseils effectuées par quelques grands cabinets mondiaux. Ces prestations sont floues, parfois carrément sans effets, ou portent une certaine vision des services publics, clairement défavorable à sa qualité. L’un des principaux cabinets auquel l’Etat a recours, McKinsey, est dirigé par un ami d’Emmanuel Macron avec qui il partage une vision de l’Etat à transformer de gré ou de force selon les principes en vigueur dans les entreprises privées. Cerise sur le gâteau, nous apprenons cette semaine que McKinsey ne paye aucun impôt en France, contrairement à ce qu’a affirmé l’ami de Macron, Karim Tadjeddine, devant le Sénat.

On se fait donc, en tant que contribuable et citoyen, plumer trois fois au cours de cette affaire : une première fois en payant des millions d’euros à des cabinets de conseil. Une seconde fois quand le principal cabinet dont l’Etat est client pratique l’optimisation fiscale et ne paye aucun impôt en France. Une troisième fois, et pas la moindre, quand l’action de ces cabinets contribuent à détruire petit à petit notre protection sociale et nos services publics : d’abord en réduisant nos prestations, comme dans le cas de nos APL. Ensuite en rendant de plus en plus inaccessible l’administration aux millions de Français concernés par l’illectronisme (16,5% des Français ont des difficultés avec Internet et l’informatique en général) et qui sont donc exclus de la « digitalisation » à marche forcée des services publics dont ces cabinets de conseils sont les principaux promoteurs. Enfin, en faisant passer des décisions politiques pour des choix techniques, puisque ce sont de plus en plus des consultants en cravate surdiplômés qui choisissent notre avenir et de moins en moins des élus.

Pourquoi un tel silence face à ce scandale ? Pourquoi Macron, à trois semaines du premier tour, n’est-il pas plongé dans la tourmente, assailli de questions sur le choix d’un cabinet dirigé par l’un de ses amis et pratiquant l’optimisation fiscale, ce qu’aucun des ministères dans lequel ses consultants se rendaient ne devait ignorer ? Parce que l’ensemble de notre classe médiatique et la majeure partie de notre classe politique adhère au plus profond d’elle-même aux conceptions idéologiques de l’action publique portée par l’alliance entre la macronie et les cabinets de conseil. Car il s’agit là d’un projet porté de longue date par la bourgeoisie, de « transformation » de la politique publique en science technique réservée à quelques diplômés, et qu’il convient d’imposer de gré ou de force à la masse inculte de “Gaulois réfractaires” et de fonctionnaires archaïques qui composent ce pays.

La guerre aux usagers des services publics et de la protection sociale se déroule en parallèle de la guerre menée à l’encontre des salariés des entreprises privées.

C’est pourquoi l’ensemble de la presse mainstream fait passer la réélection de Macron pour une nécessité politique : pas au nom de la guerre en Ukraine, non, mais au nom de la guerre qui nous est faite à nous. Cette guerre des classes qui fait chaque jour des milliers de victimes : les chômeurs radiés car trop peu réactifs à l’appli Pôle Emploi (radiations records ce mois-ci), les étudiants à qui l’on reprend les APL au moindre justificatif erroné, les allocataires du RSA que Macron prévoit de faire travailler gratuitement… Cette guerre aux usagers des services publics et de la protection sociale se déroule en parallèle de la guerre menée à l’encontre des salariés des entreprises privées. Les lieutenants de cette guerre sont désormais les mêmes : les consultants cravatés des cabinets de conseil.

Une seule question se pose désormais à nous, maintenant que l’on sait que ce scandale d’Etat n’en sera pas un, car nous ne faisons que découvrir une réalité que toute la bourgeoisie connaît et salue : quand est-ce qu’on les dégage ?

publié le 27, mars 2022

 

L’extrême droite est, et sera toujours,

l’ennemie du monde du travail

communiqué CGT, FSU, Solidaires sur https://solidaires.org

Depuis janvier 2014, nos organisations ont lancé une campagne de longue haleine intitulée « Uni·e·s contre l’extrême droite, ses idées, ses pratiques », dans le prolonge- ment de l’appel « La préférence nationale n’est pas compatible avec le syndicalisme », signé en mars 2011.

Les politiques gouvernementales– dont notamment les mesures favorables au capital, la gestion catastrophique de la crise sanitaire –, subies par les salarié ·e ·s, les privé ·e ·s d’emploi, les retraité ·e ·s, les jeunes, les femmes, fournissent un terreau exploité par l’extrême droite. Les politiques d’austérité, sous l’aiguillon des organisations patronales et plus particulièrement du Medef, génèrent une aggravation du chômage, le développement des inégalités sociales, de la précarité, de la pauvreté et des processus d’exclusion. Elles accroissent la désespérance sociale et peuvent pousser dans les bras de l’extrême droite certain ·e ·s salarié ·e·s. Incontestablement, les politiques autoritaires et attentatoires aux libertés nourrissent également l’extrême droite.


 

« Respectabilité » de façade du RN et l’ultra-libéralisme raciste de Zemmour

Ce n’est pas le changement de nom en Rassemblement national et leur volonté de donner l’image d’un parti à la fois respectable et différent des autres qui change la donne : ce parti est fonda- mentalement fasciste, raciste, violent, divise les salarié·e·s et au-delà tend à toujours plus opposer les habitant·e·s entre elles et eux.

Sa stratégie de dissimulation en un « parti respectable » nourri par la colère sociale (retraite à 60 ans, augmentation de l’allocation aux adultes handicapé ·e· s et du minimum vieillesse, « défense » des services publics) n’est qu’un leurre pour cap ter des voix de salarié·e·s frappé·e·s par les politiques néolibérales et des choix austéritaires qui se suc cèdent depuis des années. Les cri- tiques sociales proclamées par ce parti sont une stratégiDécryptage. Cette école de la concurrence que le candidat Macron veut pour les élèvese masquant leur absence totale de volonté de renverser le déséquilibre à l’œuvre entre celles et ceux qui possèdent du capital et les salarié·e·s ne vivant que de leur travail. Rien à attendre de leur part pour nos salaires et nos pensions, notre protection sociale, les services publics, la sortie de l’austérité.

Zemmour, lui, ne fait même pas semblant et ne cache pas ses positions qui reprennent celles du Medef. Il est directement le produit des puissants qui l’ont créé comme personnage médiatique. C’est notamment Bolloré, grand patron, milliardaire et propriétaire de Cnews qui s’est assuré de lui donner une grande audience.

Obsédé par sa haine des immigré ·e ·s et des musulman ·e ·s, il essaie de détourner la colère populaire en créant des boucs-émissaires, fantasmant un monde qui n’a jamais existé où les seules différences seraient la couleur de peau ou la religion !

A l’opposé des orientations mortifères de l’extrême droite, nos organisa- tions syndicales portent un ensemble de propositions alternatives visant à changer le travail pour changer la société.

Nos organisations proposent aux étudiant·e·s, aux salarié·e·s, aux agent ·e·s de la Fonction publique, aux privé·e·s d’emploi, aux retraité·e·s de s’organiser au quotidien, sur les lieux de travail, d’études ou de vie, pour améliorer les droits et combattre les discriminations. De nombreuses mobilisations le montrent : la solidarité, l’égalité des droits, la justice sociale sont des aspirations fortes dans le monde du travail !

Par ailleurs, L’extrême droite joue aussi sur la corde « antimondialiste ». Pour notre part, nous revendiquons une autre mondialisation où les solidarités internationales priment en termes économiques, politiques et sociaux, contrairement à l’opposition entre les peuples prônée par l’extrême droite.


 

Nous diviser sous couvert de « préférence nationale » ne peut servir que ceux qui exploitent et accaparent les richesses.

La haine, l’exclusion, le racisme, ne sont plus le monopole des partis d’extrême droite, elles se sont largement diffusées dans toute la classe politique et participent d’une atmosphère délétère. Que le capitalisme soit d’ici ou d’ailleurs, peu im- porte : pour les salarié·e·s, c’est bien l’exploitation qui est en cause.

C’est bien ce système qui permet l’appropriation des richesses par une minorité . Et c’est bien l’unité des salarié·e·s dans la combativité, quels que soient leur nationalité et leur lieu de travail, qui permettra un meilleur partage des richesses.

Et c’est aussi parce que nos métiers et missions sont au service de l’intérêt général ou que nous voulons les transformer dans ce sens que nous n’acceptons pas de les voir remis en cause par la diffusion des idées d’extrême droite : que ce soit dans les services publics ou dans les entreprises privées, nous voulons travailler à l’égalité de traitement, à l’émancipation, au vivre ensemble, pas à la division et à l’exclusion.

publié le 23 mars 2022

 

Les menaces électorales

du candidat Macron.

Communiqué de presse du syndicat Solidaires sur https://solidaires.org/

Promesse de 2017 pour les retraités non tenue ...

En 2017, le candidat Macron avait notamment « promis », s’adressant aux personnes retraitées, de maintenir leur pouvoir d’achat. Nous savons qu’il n’en a rien été, il a même fait pire en diminuant les pensions en 2018. Cette fois, aucune promesse de ce genre, aucune promesse, d’ailleurs, globalement, quant à l’amélioration du pouvoir d’achat du plus grand nombre (salaires et pensions).

mais nouvelle avalanche de promesses pour les riches

En revanche, son programme électoral actuellement diffusé auprès des électeurs et des électrices contient un certain nombre de mesures qui sont autant de menaces pour le plus grand nombre et autant de promesses pour la minorité privilégiée qui verront leur situation confortée et leurs avantages renforcés.

Nouveau recul de l’age de la retraite

Une mesure « phare » de son « nouveau contrat social » est de repousser à 65 ans l’âge légal de départ en retraite en tenant compte, est-il précisé, de la « réalité des métiers et des tâches » ... alors qu’il a réduit la liste des métiers pénibles. Avec une telle mesure il assure aux employeurs, aux patrons des entreprises, qu’ils disposeront encore d’un confortable « volet de chômage », ce qui permet de penser que celles et ceux qui sont en emploi se tiendront « à carreau » pour éviter de « tomber au chômage ». Faire travailler plus longtemps celles et ceux qui sont déjà en emploi salarié c’est retarder d’autant l’embauche des jeunes, c’est accroître la compétition entre elles et eux, c’est avoir des jeunes diplômés aux exigences salariales réduites. Avoir un fort taux de chômage, c’est garantir aux patrons que leurs salariés accepteront plus facilement des conditions de travail, d’emploi et de rémunération dégradées. Pour chaque personne, lui reculer l’âge de départ en retraite, c’est lui voler ses meilleurs années de retraite, celles au cours desquelles elle aurait encore pu « profiter » un peu, de ses parents peut-être, de ses enfants et petits-enfants, d’engagements bénévoles, de réalisation de quelques vieux rêves, etc. La durée de vie moyenne à la retraite s’est raccourcie : la génération 1949, partie à 60 ans en 2009, avait l’espoir de passer 26,3 ans en retraite ; avec la réforme Macron la génération 1972 ne peut espérer que 24,7 ans en retraite. Faire travailler plus longtemps les personnes, c’est les obliger, soit à rester plus longtemps au chômage (31 % y sont à partir de 60 ans), soit à les maintenir au travail alors qu’elles sont de plus en plus fatiguées et usées : ces années de travail ajoutées seront les plus difficiles pour chacune et chacun. Et nous savons ce qu’a déjà fait Macron quant aux promesses de prise en compte de la « pénibilité » dans les départs en retraite.

Faire travailler les retraités

Le candidat Macron n’a pas signé le décret pour la retraite à 1 000 euros prévue dans les lois de 2003 et 2019, pourtant il annonce une « retraite minimale à taux plein à 1 100 euros » ... mais seulement pour celles et ceux qui ont cotisé durant toute la durée requise. C’est très loin des demandes syndicales, c’est très loin de répondre aux besoins des personnes, et particulièrement des femmes, nombreuses à ne pas avoir le « taux plein » compte tenu de leurs « carrières professionnelles ». Macron annonce aussi vouloir faciliter le cumul emploi- retraite, notamment pour rémunérer les volontaires à la retraite qui souhaitent faire profiter la société de leur expérience. Il est certain que ceci ne concernera pas les personnes qui sortent de l’emploi cassées par leurs années d’activité et qui ont les plus petites pensions.

Rogner sur les allocations sociales

Une autre mesure qui caractérise déjà la politique retenue par Macron c’est son intention de conditionner le versement du Revenu de Solidarité Active (RSA) à une activité de 15 à 20 heures par semaine en contrepartie de ce minima social, officiellement « pour aller vers l’insertion professionnelle ». En été 2017, le président des riches avait déjà fait des siennes en rognant de 5 euros les APL. Là, encore une fois, il veut taper sur les plus faibles ; pendant le même temps, les cadeaux fiscaux continuent de ruisseler sur les actionnaires et les dividendes, sans aucune contrepartie ! Dans la même veine, Macron va poursuivre la réforme de l’assurance chômage « pour l’adapter à la conjoncture ». Les pauvres doivent souffrir, qui « coûtent un pognon de dingue ». Le programme contient aussi un durcissement de l’accès aux titres de séjour. C’est encore un cadeau fait aux employeurs : maintenir des migrantes et des migrants dans la clandestinité, en leur refusant des papiers, c’est offrir aux patrons une main d’œuvre « taillable et corvéable », sans droits ni protections.

Et des cadeaux aux riches

De nouveaux cadeaux fiscaux et sociaux sont programmés pour « ceux d’en haut » : suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (coût annuel : 7 milliards d’euros, et là, sans contrepartie ni engagement) et abaissement des droits de succession, notamment en portant de 100 000 à 150 000 euros l’abattement en ligne directe : un cadeau qui va donner bien plus que le RSA aux héritiers des familles !

Laisser les EHPAD à la convoitise des actionnaires

Pour les personnes retraitées, nous voyons que le recours au « tout numérique » sera poursuivi et renforcé : c’est de l’exclusion garantie pour une bonne partie de la population ; ce sont de nouvelles fermetures de guichets, de bureaux et d’administrations de proximité. Le « virage domiciliaire », en ce qui concerne l’aide à l’autonomie, sera poursuivi : pas de constructions d’EHPAD publics, et incitation faite aux personnes de vivre chez elles, même quand ceci leur devient très difficile, car il n’y a aucun engagement d’améliorer le nombre et la situation des personnels des services de l’aide à l’autonomie, à domicile comme en établissement. Pour montrer que le candidat « suit l’actualité », on nous annonce « un renforcement des contrôles dans les EHPAD, mais ce secteur sera toujours ouvert à la convoitise des « investisseurs privés » du fait du retrait du secteur public.

Quant à nous, notre « promesse », faite à ce candidat comme à tout autre, est que nous continuerons de nous battre pour nos revendications et pour une société plus libre, plus juste, plus démocratique et plus solidaire.

(les intertitres sont du site 100paroles.fr)


 

 

 

Élection présidentielle :

répondre aux aspirations

de la population

et du monde du travail

sur le site www.cgt.fr

Loin de sous-estimer l’enjeu des élections présidentielles et législatives, la CGT constate scrutin après scrutin, le désintérêt croissant des citoyennes et des citoyens pour le suffrage universel. C’est particulièrement vrai pour les plus jeunes, pour celles et ceux habitant les quartiers populaires et les plus démunis d’entre nous. Malgré l’attachement de notre organisation syndicale au droit de vote, comment ne pas comprendre ce désintérêt pour les urnes ?

Une évidence face à tant de mépris, tant de promesses et d’engagements non tenus, face à une véritable méconnaissance de la réalité du travail de la part de très nombreux candidats et à un éloignement des préoccupations du quotidien des citoyennes et des citoyens !

L’actuel Président de la République s’est fait élire sur des promesses de changement, une autre façon de faire de la politique, un autre rapport à la population. Force est de constater que rien n’a changé, cela s’est même nettement dégradé en tout point.

Cela fait suite à d’autres quinquennats où les reniements aux engagements et promesses de campagne ont fait loi, et ont conduit à un accroissement des inégalités avec des milliardaires qui s’enrichissent, la précarité et la pauvreté qui augmentent.

Dans ces conditions, rien d’étonnant à la défiance grandissante de la population et particulièrement des plus jeunes vis-à-vis du monde politique.

Ces reniements, ces politiques libérales font le lit de l’extrême droite et des différents candidats ou candidates qui la représentent.

Ces derniers tentent d’imposer leurs idées dans la campagne électorale et sont trop souvent relayés par certains médias.

Nous assistons à une banalisation du racisme, du négationnisme et de toutes les formes de discrimination, c’est un vrai danger pour notre démocratie.

La CGT combat et combattra sans relâche les idées racistes et xénophobes, cette opposition orchestrée au sein du monde du travail visant à épargner les véritables responsables de la crise.

Car l’extrême droite fascisante est dans le camp des ultras libéraux avec des prétendues solutions économiques et sociales inspirées par le MEDEF comme c’est le cas, entre autres, pour les retraites, les salaires, les libertés notamment syndicales, et plus globalement concernant la répartition des richesses.

Face à la montée de ces idées racistes et haineuses, la CGT se félicite de la montée des luttes et des mobilisations sociales, remettant au centre des débats les premières préoccupations de la population que sont bien les salaires, l’égalité entre les femmes et les hommes, la protection sociale, la place et le rôle des services publics, l’industrie, le climat, la Paix…

Démonstration est faite que l’intervention des travailleurs et des travailleuses est indispensable et que cela pèse dans le débat public. Il est donc important que le monde du travail s’empare de ce moment démocratique que sont les élections.

Par ailleurs, la CGT appelle à amplifier ces mobilisations dans les entreprises et services car il n’y a pas de véritable démocratie politique sans démocratie sociale, sans intervention du monde du travail.


 


 

 

 

Les Français favorables à plus d'actions contre les discriminations

Camille Bauer sur www.humanite.fr

Le soutien des Français aux mesures contre les inégalités basées sur l’origine supposée se renforce, selon le sondage annuel Harris Interactive pour la Fédération des Maisons des potes, rendu public ce lundi 21 mars.

Cela peut paraître contre-intuitif, au regard de la teneur de la campagne électorale : les Français demeurent très majoritairement favorables à des actions plus volontaristes contre le racisme. À 84 %, ils soutiennent l’adoption de sanctions juridiques contre les employeurs coupables de discriminations liées à l’origine, la nationalité, la couleur de peau ou la religion, selon le sondage annuel Harris Interactive pour la Fédération des Maisons des potes, rendu public ce lundi 21 mars.

Ils sont également très nombreux (84 %) à vouloir un salaire et une retraite égal, quelle que soit la nationalité. 79 % soutiennent les actions collectives en justice (class actions) sur ce thème et 75 % sont favorables à une anonymisation des CV lors des embauches.

« Ce qui est frappant, c’est que le fait de parler d’égalité et de lutte contre les discriminations est vu de manière positive, et cela de manière assez stable depuis plusieurs années », souligne Jean-Daniel Lévy, le directeur délégué de l’institut de sondage. Quoique moins massif (61 %), le soutien à l’intégration des étrangers dans la fonction publique reste également fort. « On voit pourtant, par exemple, des enseignants étrangers qui, faute de pouvoir être titularisés, travaillent comme vacataires. Ils n’ont pas les mêmes caisses de retraite, pas de stabilité de l’emploi et pas le même salaire que leurs collègues », rappelle Samuel Thomas, délégué général de la Fédération des Maisons des potes.

« 500 000 sans papiers exploités, sans le moindre droits »

Les Français semblent bien conscients que les préjugés font obstacle aux promesses d’égalité de la République. Dans son dernier rapport sur le sujet, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) notait d’ailleurs que « de façon systématique, et malgré le principe d’égalité entre citoyens, les membres de certaines minorités visibles se retrouvent plus souvent discriminés dans l’accès à l’emploi, plus souvent contrôlés par la police, moins bien logés, sous ou mal représentés dans les médias ».

Plus surprenant : à rebours d’une idée couramment admise, la régularisation des travailleurs sans papiers se voit soutenue à 59 %. « Ce n’est pas un sujet de campagne parce qu’il y a un discours qui dit que, si on régularise, on fait un appel d’air. Mais donner des droits à ceux qui sont là ne veut pas dire ouvrir les frontières tous azimuts. Il y a, d’après le ministère de l’Intérieur, 500 000 travailleurs sans papiers. Ils sont en situation d’exploitation, sans le moindre droit. En les maintenant dans cette situation, on les empêche de sortir de la précarité et on tire le droit du travail vers le bas » rappelle Samuel Thomas. Quant au droit de vote des résidents étrangers aux élections municipales, promesse aujourd’hui délaissée par toute une partie de la gauche, il est encore soutenu à 56 %.

C’est pourtant bien dans l’électorat de gauche que, sans surprise, ces propositions sont le plus plébiscitées. Chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, par exemple, les mesures contre la discrimination dans l’emploi recueillent plus de 90 % d’approbation. « Malgré tout, le clivage traverse aussi une partie de l’électorat de droite et d’extrême droite », nuance Jean-Daniel Lévy. Ainsi, les électeurs de Valérie Pécresse sont 84 % à vouloir une rémunération et une retraite égales, quelle que soit la nationalité, et 73 % sont en faveur des CV anonymes. « La façon dont on pose les questions induit les réponses, explique le sondeur. Si vous parlez de migrants ou si vous mettez en avant l’angle discrimination, vous n’obtenez pas la même chose. »

La justice est un autre maillon faible de ce combat

Alors pourquoi ce thème populaire n’est-il plus évoqué par les politiques ou les médias ? « Les forces politiques de gauche sont démobilisées sur ces sujets. Elles sont silencieuses parce qu’elles pensent que défendre des étrangers ne va pas séduire les Français, mais aussi parce que les enfants d’étrangers, les gens des quartiers, ne votent pas beaucoup », estime Samuel Thomas.

Le militant regrette qu’au fil des ans la gauche ait fini par se contenter d’une posture défensive, au lieu de porter le débat et d’amener des propositions concrètes, qui seraient soutenues par leur électorat, soucieux d’égalité. Fabien Roussel, le candidat communiste, devrait d’ailleurs se prononcer sur ce thème lors d’un prochain meeting.

La justice est un autre maillon faible de ce combat. Bien qu’en principe dans l’obligation de faire respecter la loi de 1972, sanctionnant les comportements racistes et les discours de haine, l’appareil policier et judiciaire se montre frileux. « Au lieu de leur demander d’agir, on a créé des autorités adminis­tratives indépendan­tes, comme le Défenseur des droits et la Haute Autorité pour la lutte contre les discriminations et pour l’égalité. On les a déresponsabilisés. Or, seule la justice a le pouvoir de sanction », rappelle Samuel Thomas.

Face à l’inertie des parquets, qui cette année n’ont ouvert aucune poursuite sur ce thème, son organisation va déposer aujourd’hui une centaine de plaintes. Elles visent toutes des entreprises qui exigent, sans aucune base légale, que les candidats à l’embauche, de l’informaticien au laveur de carreaux, disposent de la nationalité française.

publié le 21 mars 2022

Marie-Noëlle Lienemann : « Avec Roussel, je fais le choix de ressouder le monde du travail »

sur www.regards.fr

La sénatrice de Paris, Marie-Noëlle Lienemman, a fait le choix de Fabien Roussel pour cette élection présidentielle. Elle estime qu’il est le mieux placé pour « réaffirmer une gauche populaire, républicaine, universaliste et sociale » et confie s’être éloignée de Mélenchon, insuffisamment rassembleur et dont la ligne idéologique a « glissé », estime-t-elle. Elle est l’invitée de #LaMidinale.


 

UNE MIDINALE À VOIR… sur https://youtu.be/MTZwiY3ftkY

 

 

ET À LIRE…


 

Sur la gauche et la présidentielle

« On ne doit pas se démolir mutuellement au sein de la gauche. »

« Je me suis éloignée de Jean-Luc Mélenchon qui est peu soucieux du rassemblement dans la diversité en croyant tout seul en lui. »

« La candidature de Fabien Roussel a cette vocation de réaffirmer une gauche qui soit populaire, républicaine, universaliste et sociale. »

« Ce qui se joue dans cette élection, c’est la capacité pour la gauche de récréer un rapport de force social qui ne peut se réaliser que dans l’esprit d’un rassemblement respectueux de la diversité. »

« Vous ne me ferez jamais dire que ça serait une catastrophe que quelqu’un de gauche arrive au second tour de l’élection présidentielle. »

« Je crains que le vote utile fonctionne à l’extrême droite. »

« Je trouve très peu probable que Mélenchon arrive au second tour. »

« A force de voter par défaut ou de voter pour un coup sans avoir le sentiment de défendre ses convictions, on assèche la gauche. »

« Le rapport de force politique est social. Et c’est aussi ça qui se joue dans cette élection. »

« On ne peut pas, quand on est de gauche, compter uniquement sur l’émergence de la colère. La colère ne construit pas de débouché. »

Sur Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel

« Le principal échec de Mélenchon est celui de ne pas avoir réussi à rassembler la gauche dès 2017. »

« Il y a un glissement idéologique chez Mélenchon. »

« Mélenchon ressemble plus à la gauche américaine qu’à la tradition républicaine de la gauche historique. »

« Je ne suis pas pour une République castratrice où l’Etat ferait tout. »

« Les chances de battre Emmanuel Macron ne sont pas nulles mais il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités. Et même si Mélenchon arrivait au deuxième tour, quel deuxième tout ferait-il ? »

« Je ne crois pas que la candidature de Fabien Roussel soit de nature à nuire aux chances de la gauche, au contraire. »

« Les désaccords à gauche ne sont pas si importants, mais importants, oui. »

« Je ne croirai jamais aux gauches irréconciliables mais je me méfie des fausses synthèses à gauche. »

« Je fais de la question du travail, une question centrale comme le fait Roussel et qui est de plus en plus estompée chez Mélenchon. »

Sur la laïcité comme fracture structurante à gauche

« La ligne de fracture à gauche sur la République et la laïcité est importante mais il ne faut pas la surestimer. »

« Toutes les enquêtes d’opinions montrent que les thèses intersectionnelles sont hyper minoritaires dans le pays - et même dans la réalité des quartiers. »

« L’ambition des jeunes de quartier comme des plus anciens c’est d’être reconnus comme citoyens à part entière et avec des droits à part entière. »

« Les propositions de Fabien Roussel de systématiquement combattre avec la dernière vigueur, toutes les formes de discriminations, sont essentielles. »

Sur la hiérarchie des combats à gauche

« Il faut savoir remettre les priorités à gauche. »

« La gauche n’est pas là pour faire la morale aux citoyens - notamment sur la question écologique. On doit s’attaquer structurellement aux problèmes et ne pas être dans le y’a qu’à, faut qu’on. »

« On a beaucoup abandonné la réflexion sur les structures à modifier qui vont permettre d’atteindre les objectifs - notamment écologiques. »

« Le combat de la gauche, c’est un combat de changement de structure. »

Sur les législatives et les accords à gauche

« L’hypothèse d’une disparition de la gauche à l’assemblée nationale est plausible si on ne se rassemble pas. »

« Il ne faut pas jouer à la roulette russe : il est urgentissime de travailler à un accord global aux législatives. »

« Il n’y a pas d’oukase. Tout le monde a sa place à gauche. Il y a des gens au PS qui sont sincèrement réformistes. »

« Il faut un minimum d’accords programmatiques qui donnent du sens. »

« L’union est un long chemin de dialogue pour lever les fausses différences et trouver les bons compromis là où il y a des divergences. »

Sur l’agenda de la gauche post élections

« Il faut réinventer une fédération. »

« La première étape sera de créer un comité de liaison de l’ensemble des forces de gauche pour établir une feuille de route de mobilisation avec les syndicats et les associations. »

« La France est dans un état d’ébullition larvée derrière une apparente apathie. Il faudra être prêt à donner des débouchés politiques aux combats qui vont s’imposer. »

« Tout le monde à gauche aura besoin de se dépasser. »

« Je ne crois pas à l’effacement des partis politiques. »

« L’indignation est là. Il nous faut des solutions. »

« Je ne comprends pas comment le besoin de gauche est tel, et en même temps que le recours à la gauche est si faible. Je n’y vois qu’une explication sociologique. En fragmentant les combats, on n’arrive pas à redonner du souffle. »

« On ne peut pas isoler les combats par cause. Nous avons besoin de combats fédérateurs. »

Sur Anne Hidalgo et la social-démocratie

« Le problème n’est pas tant Anne Hidalgo que la réalité politique qu’elle met en évidence. »

« Le quinquennat de François Hollande a lourdement discrédité le Parti socialiste. »

« Le PS a largement contribué à l’arrivée de Macron. »

« Le PS a sa place dans une recomposition générale. »

Sur Fabien Roussel

« En faisant le choix de Roussel, je fais le choix de ressouder le monde du travail et de retrouver une gauche qu’il incarne. »


 


 

 

 

Philippe Poutou veut
« donner la parole aux luttes sociales »

Lola Ruscio sur www.humanite.fr

Campagne Le candidat trotskiste se présente comme le relais des mobilisations au sein de cette élection présidentielle. Sauf que cette troisième candidature peine sérieusement à être entendue des électeurs.

À l’approche du premier tour, Philippe Poutou, qui plafonne à 2 % dans les sondages, ne vise pas la qualification mais entend, comme en 2017, mettre son grain de sel dans le débat présidentiel. Sa motivation à porter une candidature « révolutionnaire » n’a pas changé d’un iota depuis la précédente campagne. Lors d’un débat télévisé, l’ancien ouvrier licencié de chez Ford s’était alors fait remarquer face à François Fillon (LR), empêtré dans le Penelopegate, et à Marine Le Pen sur l’affaire des assistants parlementaires du FN. « Nous, quand on est convoqués par la police, on n’a pas d’immunité ouvrière, on y va », avait-il lancé devant des millions de spectateurs. Si cette réplique choc lui avait valu une certaine reconnaissance du public, les votes n’ont pas suivi. Au soir du premier tour, son parti avait enregistré seulement 1,09 % des voix, loin des 4 % recueillis en 2002 et 2007 par Olivier Besancenot.

Les mêmes thèmes de prédilection

Depuis, Philippe Poutou, également conseiller municipal sous l’étiquette Bordeaux en luttes, a rempilé pour une troisième campagne présidentielle après une confrontation interne avec Anasse Kazib qui a abouti au départ du courant Révolution permanente du NPA. Les thèmes de prédilection du candidat sont eux toujours les mêmes : refus du souverainisme, défense inconditionnelle de la liberté de circulation et d’installation, désarmement de la police, dénonciation de l’argent accumulé par les milliardaires sur le dos des travailleurs… « Nous voulons incarner une voix de rupture avec le capitalisme et donner la parole aux luttes sociales dans une période où le néolibéralisme montre ses limites, on le voit, avec la crise climatique, sanitaire et la guerre en Ukraine », développe Antoine Larrache, membre de l’équipe de campagne du candidat. Avant de poursuivre : « Les changements radicaux ne peuvent venir que des luttes sociales, ça ne passe pas par l’élection présidentielle. On y va parce qu’on a des choses à dire et on espère être utile dans le débat public, y compris pour lutter contre l’extrême droite et les propositions antisociales d’Emmanuel Macron. »

S’inquiétant du fait que le débat démocratique n’ait pas lieu, le NPA a envoyé un courrier, le 17 mars, aux formations de gauche les invitant à défendre une « position commune » afin « d’exiger un débat entre les candidat.e.s ». « Pour l’instant, pas de réponse, mais cela va certainement venir parce que l’on a un intérêt commun à ce qu’il y ait une véritable confrontation », a indiqué Philippe Poutou sur France Inter, ce week-end. « La démocratie, ce n’est pas juste la question du temps de parole dans une élection présidentielle ou la question des institutions. C’est aussi comment on arrive à faire respecter les droits sociaux », a poursuivi le syndicaliste, en défendant un salaire minimum de 1 800 euros net « pour tout le monde » et la sixième semaine de congés payés. Des propositions que le candidat du NPA pourra défendre lors de ses prochaines réunions publiques prévues à Marseille, le jeudi 24 mars, et le vendredi 25 mars, à Quimper dans le Finistère.


 


 

Mélenchon espère un duel avec Macron

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

PRÉSIDENTIELLE Ce dimanche, à Paris, la Marche pour la VIe République a rassemblé « plus de 100 000 personnes ». Le candidat FI appelle à faire du scrutin élyséen un référendum pour la retraite à 60 ans.

«Si on est au deuxième tour, ce sera déjà une très belle victoire. Ça obligera Macron à affronter de vraies problématiques. » Pierre, la vingtaine, est monté de Lyon rejoindre la Marche pour la VIe République, organisée par la France insoumise, dimanche à Paris. Au même moment, sur le boulevard Beaumarchais, le candidat de l’Union populaire à la présidentielle fait son entrée dans le cortège sous les ovations de la foule. Malgré la virulence des attaques dont il est l’objet depuis l’invasion russe de l’Ukraine, Jean-Luc Mélenchon garde un soutien intact dans les rangs des insoumis et des sympathisants. Alors que les manifestants rejoignent la place de la République, la situation internationale qui bouleverse la campagne est évidemment dans toutes les têtes.

Manon, venue de Haute-Savoie, reconnaît que « ça a changé les choses, oui. Mais pour l’essentiel, ce sont des gens qui ne voulaient pas voter pour Mélenchon, et qui se sentent renforcés dans leurs positions. » Jean-Luc et Félix, eux, ont fait « dix heures de bus depuis Brest » pour être présents. Le premier est optimiste, persuadé que son candidat va l’emporter. Le second, lui, est conscient que, si le deuxième tour peut être à portée, la marche vers la victoire est beaucoup plus haute… « Si on avait un mois de campagne de plus, peut-être que ce serait possible. Mais Macron, c’est un mur. C’est incroyable, il est à 33 % dans certains sondages. » La marche du 20 mars fait ainsi figure de grand coup de pression dans la campagne pour faire grimper le candidat d’ici au 10 avril. Car certains dans le cortège ont vraiment du mal à envisager un nouveau second tour entre Macron et Le Pen. C’est le cas de Christine, « militante depuis trente ans », qui dit qu’elle pourrait ne pas glisser un bulletin au nom du président sortant dans une telle configuration… Drapeau à la main, venue d’Île-de-France, elle se dit persuadée que « 90 % des gilets jaunes vont voter Mélenchon ».

Smic à 1 400 euros net et blocage des prix

Dans son intervention, le candidat FI leur a d’ailleurs adressé quelques signaux, promettant l’amnistie de tous ceux qui ont été condamnés, et l’indemnisation des victimes des violences policières en manifestation. Il s’est aussi déclaré en faveur du référendum d’initiative citoyenne, et de la fin de la monarchie présidentielle à travers la mise en place d’une Constituante pour une VIe République. Mais c’est surtout face au programme du président sortant que le député s’est positionné. Jean-Luc Mélenchon commence son discours en dédiant ce rassemblement « à la résistance du peuple ukrainien face à l’invasion russe », et aux « Russes courageux qui résistent dans leur propre pays ». Sortant du seul débat international qui domine la campagne depuis plusieurs semaines, il ouvre alors le feu sur la mesure la plus emblématique du programme d’Emmanuel Macron : la retraite à 65 ans. Il y oppose la retraite à 60 ans, qu’il promet de rétablir s’il est élu le 24 avril. Juste avant le discours, le coordinateur de la FI, Adrien Quatennens, le clamait : « Avec Jean-Luc Mélenchon au second tour, cette élection présidentielle vaudra un référendum pour la retraite. » « Une nouvelle fois, nous allons lui faire remballer sa réforme », promettait-il. « Ne vous cachez pas derrière les divergences entre les chefs et les étiquettes, c’est vous qui faites la différence », appuie ensuite le candidat à la présidentielle à l’intention des électeurs, notamment ceux qui, à gauche, hésiteraient encore sur le nom à glisser dans les urnes le 10 avril. Et d’en appeler à leur « responsabilité » : « Oui, ce vote est un référendum social, vous êtes prévenus », un vote pour faire barrage à « la retraite à 65 ans », lance-t-il à la foule.

Pour mobiliser encore au-delà de ses troupes rassemblées place de la République (plus de 100 000 personnes selon les insoumis), le candidat met aussi l’accent sur la rapidité avec laquelle de nouvelles « conquêtes sociales » pourraient être mises en place en cas de victoire. C’est « une élection qui, parce qu’elle concentre tous les pouvoirs, nous permet de les renverser tous en même temps ». Aussi, dès son arrivée au pouvoir, Jean-Luc Mélenchon promet un décret faisant passer le Smic à 1 400 euros net et le blocage des prix. Avec la retraite à 60 ans, « tout de suite, 830 000 personnes pourront partir jouir de leur temps libre », tandis qu’autant d’emplois seront libérés pour les jeunes. « Pas besoin de grèves coûteuses pour votre budget, ou de manif rendue dangereuse par le préfet Lallement », assure encore le candidat. Pour y parvenir, il reste trois semaines à la « tortue électorale », donnée entre 12 % et 14 % des intentions de vote selon les sondages, pour convaincre… une majorité de Français.

publié le 19 mars 2022

Le projet de Macron marche sur ses deux jambes de droite

Romaric Godin et Ellen Salvi sur www.mediapart.fr

Le président-candidat a présenté, jeudi 17 mars, les grands axes de son programme. Plus que jamais néolibéral sur le plan économique, il propose une version conservatrice des enjeux sociaux et régaliens, en occupant le terrain de ses adversaires de droite et d’extrême droite.

Un long monologue, beaucoup d’autosatisfaction, de grandes formules absconses et un pillage d’idées à droite et à droite. Jeudi 17 mars, Emmanuel Macron a présenté pendant plus de quatre heures « les grands axes » de son programme lors d’une conférence de presse filmée par les seules caméras du candidat. Ce dernier a immédiatement annoncé qu’il ne pourrait être exhaustif, renvoyant à plus tard bon nombre de sujets, tels l’outre-mer, la biodiversité ou le logement.

Défendant aveuglément le bilan de son quinquennat, le président sortant a regretté de ne pas avoir mené à bout deux réformes promises en 2017 : celle des retraites, empêchée selon lui par la pandémie – ni la mobilisation sociale ni le 49-3 dégainé en première lecture à l’Assemblée nationale n’ont évidemment été évoqués – ; et celle des institutions, bloquée à l’en croire par le Sénat – mais en réalité enterrée par l’affaire Benalla, dont le nom n’a bien entendu pas été cité.

Évacuant toutes les questions portant sur son exercice solitaire du pouvoir – un mirage collectif, sans doute –, Emmanuel Macron a promis d’adopter une nouvelle méthode en cas de réélection, « pour essayer de lever les blocages ». « “Avec vous” n’est pas qu’un slogan, c’est une méthode », a-t-il assuré, sans avoir un mot sur l’échec de la convention citoyenne pour le climat, mais en convoquant un sibyllin « retour de la souveraineté populaire ».

Le candidat a ainsi annoncé vouloir mettre en place une « convention citoyenne » afin de trancher le débat sur la fin de vie. Comme il l’avait fait pour le premier exercice du genre – avant de renier sa promesse – il a indiqué qu’il soumettrait « à la représentation nationale ou au peuple le choix d’aller au bout du chemin qui sera préconisé » par cette convention, par voie de référendum s’il le faut.

Interrogé sur le copier-coller du programme Les Républicains (LR) qu’il venait de présenter, le président sortant a balayé les critiques, moquant ses adversaires qui n’arrivent pas, selon lui, à « se distinguer de son projet ». « Qu’ont ils été faire dans cette galère ? », a-t-il interrogé, avant de livrer sa vision toute personnelle du débat démocratique – les questions des journalistes étant sensées remplacer la confrontation d’idées avec les autres candidat·es.

« Je m’en fiche royalement, totalement, présidentiellement », a répondu le chef de l’État au sujet de sa droitisation décomplexée et des commentaires qui en sont faits. « J’assume, sur ce sujet, d’être gaulliste », a-t-il avancé, s’enorgueillissant d’avoir réuni, pendant cinq ans, des personnalités politiques de tous bords : « Ce que j’ai fait n’a jamais existé dans l’histoire politique contemporaine. » La présentation de son projet ne fait pourtant aucun doute.

Des propositions conservatrices, voire réactionnaires

Sur le plan économique, Emmanuel Macron a en effet confirmé son ancrage néolibéral et droitier. Certes, sur le plan énergétique, et devant la force des événements, il a promis la vague mise en place d’une « planification par secteur qui sera déclinée territoire par territoire». De la part d’un président de la République qui a fondé un haut-commissariat au plan sans aucun plan, une telle promesse ne saurait être prise sans une immense prudence.

D’autant plus que cet îlot vague de planification est perdu dans une mer de propositions conservatrices, voire réactionnaires. Au premier chef, on doit citer la confirmation d’une nouvelle réforme des retraites qui sera mise en place « en début de quinquennat » et qui prévoit l’allongement « progressif » de l’âge légal de départ à 65 ans. C’est donc un abandon entier de la grande réforme de 1981 qui ramenait l’âge légal à 60 ans et qui avait déjà été partiellement attaquée par la réforme Fillon de 2010 qui le portait à 62 ans. 

C’est un immense recul social que propose Emmanuel Macron. Un recul qui ne saurait se justifier par l’argument avancé de « l’allongement de la durée de vie » puisque les réformes précédentes avaient déjà permis de récupérer les gains d’espérance de vie. La seule justification est donc la réduction des dépenses publiques dans la logique du programme envoyé par le gouvernement à Bruxelles pour les cinq années à venir et qui prévoit le retour du déficit public sous les 3 % en fin de quinquennat. 

Dans la même perspective, l’autre grand recul social promis par le président-candidat concerne la réforme du revenu de solidarité active (RSA). Au nom de la prétendue « dignité » de ses bénéficiaires , il sera décidé d’une « obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine » à une « activité permettant d’aller vers l’insertion ». C’est une rupture dans le modèle social français qui se rapproche clairement du « workfare » promu au début des années 1970 par Richard Nixon et qui conditionne les prestations sociales à un travail.

Emmanuel Macron juge « difficile » de mieux payer les enseignants qui ne « font pas plus d’effort ».

Les modalités de ce travail sont encore inconnues, mais les bénéficiaires du RSA devront, dans les faits, effectuer un travail à mi-temps pour une rémunération proche du salaire minimum. La mise en œuvre concrète d’une telle réforme risque, au reste, de poser problème mais l’idée est claire : il s’agit de déligitimer les prestations sociales en tant que telle, de soumettre ses prestataires à une logique marchande et, partant, d’exercer une pression sur la partie du monde du travail la plus mal payée en intensifiant la concurrence. 

Cette proposition va encore offrir aux entreprises un bassin d’emplois pris en charge par l’État. Ce travail de sape est cependant plus large. Emmanuel Macron propose partout de renforcer la logique marchande et la concurrence. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre cette idée que l’on « ne traiterait pas la pauvreté ou la précarité uniquement au travers de prestations monétaires ». Mais la vision est plus large. 

Aux enseignants, il refuse toute valorisation générale au profit d’un paiement pour de nouvelles prestations – remplacements inopinés, soutiens personnalisés –, jugeant « difficile » de mieux payer ceux qui ne « font pas plus d’effort ». Aux salariés, il propose de « monétiser » le compte épargne temps. Pour les services publics, il souhaite un approfondissement des « appels ouverts à projets » où leur organisation serait soumise aux propositions du secteur privé, mais aussi une « simplification » qui réduirait le pouvoir normatif de l’État à travers des « lois d’exception »

La concurrence devra s’installer partout : entre les collectivités locales qui auront une « liberté d’innovation sur le terrain » dans un contexte où l’État leur demandera un « effort » de 20 milliards d’euros par an, mais aussi dans les universités et les écoles qui seront soumises à « l’autonomie ». Comme il l’avait esquissé à Marseille en septembre 2021, le candidat a confirmé vouloir permettre aux chefs d’établissement d’effectuer des recrutements « sur profils », rompant ainsi avec la promesse d’égalité territoriale de la fonction publique.

Reprise des récits dominants de la finance et du patronat

De façon globale, alors que les mesures disciplinaires contre le travail se multiplieraient, Emmanuel Macron veut poursuivre celles favorables au capital : un plan de subvention de la recherche de 30 milliards – pour notamment fonder un « Metaverse européen » (sic) –, une nouvelle baisse d’impôt de production, ainsi qu’une soumission de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale à la logique des entreprises. 

La nouvelle baisse annoncée des impôts de production, en l’occurrence de la contribution sur la valeur ajoutée (CVAE) vient prouver que le cœur du projet économique reste le même qu’en 2017. Ces 7,5 milliards d’euros par an viendraient en effet s’ajouter aux 10 milliards par an offerts depuis 2020. Très significativement, le candidat-président s’est soumis à la demande expresse du patronat sur ce sujet, comme l’ont fait avant lui Éric Zemmour et Marine Le Pen. 

Entre le Metaverse et les impôts de production, Emmanuel Macron reprend dans son programme les récits dominants de la finance et du patronat, confirmant son ancrage à droite. Les ménages, eux, devront se contenter de quelques mesures saupoudrées ici ou là, comme le relèvement à 150 000 euros de l’exonération des droits de succession, la suppression de la redevance télévisuelle ou la baisse des cotisations sur les indépendants. Le candidat-président a promis que cela équivalait aux 7,5 milliards d’euros offerts aux entreprises. 

Mais la réalité est que, face à la crise inflationniste qui pèse sur les revenus réels de la majorité de la population, il regarde ailleurs : il n’a pas dit un mot sur la hausse des prix, en dehors des mesures déjà lancées, et a soigneusement évité la question du niveau des salaires. La promesse du président sortant est donc au mieux de laisser les ménages prendre une large part de l’ajustement à la hausse des prix. Le tout avec l’épée de Damoclès constante d’une assurance-chômage vouée à être de plus en plus restrictive. Au final, c’est bien une forme de redite bavarde mais peu ambitieuse de son programme économique antisocial qu’a proposé Emmanuel Macron. 

Un système qui fera que le refus d’asile vaudra obligation de quitter le territoire français.

Sur le volet régalien, pudiquement qualifié « pacte républicain », le chef de l’État a là aussi confirmé adopter toutes les antiennes de la droite classique, notamment sur l’immigration. Il a ainsi annoncé vouloir opérer une « refonte de l’organisation du droit d’asile et de séjour », « avec un système qui fera que le refus d’asile vaudra obligation de quitter le territoire français », les possibilités de recours étant aujourd’hui trop nombreuses à ses yeux.

Rappelant que la France « a et aura à faire face à des arrivées importantes de femmes et d’hommes qui fuient l’Ukraine », Emmanuel Macron a indiqué vouloir également revoir « notre modèle d’intégration ». « La carte de séjour pluriannuelle sera donnée dans des conditions beaucoup plus restrictives », a-t-il précisé. En introduction de sa présentation, il avait pourtant souligné son « attachement à un humanisme », qu’il considère même comme une « conviction philosophique ».

Alors qu’il avait récemment assuré que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes serait de nouveau la grande cause de son nouveau quinquennat, le président sortant n’a pas dit un mot sur le sujet. À peine a-t-il répondu à une question portant sur son opposition à l’allongement du délai légal de l’IVG, voté cette année par le Parlement contre l’avis du gouvernement. Il s’est « engagé » à ne pas aller au-delà, estimant que l’avortement est « toujours un drame pour les femmes ».

Se faisant chantre de la « simplification », Emmanuel Macron a expliqué vouloir mettre en œuvre un « droit à la différenciation qui permettra à chaque territoire, y compris de revenir sur les organisations territoriales établies ». Interrogé sur les récents propos de son ministre de l’intérieur sur une éventuelle autonomie pour la Corse, il s’est contenté de relire ce qu’il avait déjà dit sur le sujet durant la campagne de 2017, puis en 2018, sans jamais aller au bout du « pacte girondin » promis à l’époque.

Virage à 180 degrés opportuniste

Un exemple, parmi d’autres, des annonces et mesures bricolées à la dernière minute, distillées depuis quelques mois, à l’approche de l’élection présidentielle. Pour tenir la campagne avec un tel programme, le chef de l’État compte sans doute sur sa position de sortant qui lui offre en réalité non seulement une forme d’avantage permettant de se présenter comme le « capitaine » dans la tempête, mais aussi qui lui offre de disposer des leviers de l’État pour envoyer des messages à l’opinion. 

L’autre exemple de ce mélange des genres sous forme de virage à 180 degrés opportuniste, c’est l’annonce surprise de la revalorisation « avant l’été » du point d’indice des fonctionnaires. Pendant cinq ans, la ligne macroniste a été constante et claire sur ce dossier : l’augmentation générale des salaires des agents publics induite par le relèvement du point d’indice était à bannir au profit de mesures « ciblées ».

En décembre dernier, la ministre de la transformation et de la fonction publique, Amélie de Montchalin, avait d’ailleurs repoussé avec dédain les demandes de revalorisation demandées par tous les syndicats de la fonction publique. « Ce n’est pas avec une simple hausse du point d’indice, solution de facilité utilisée par tant de gouvernements […] que l’on peut vraiment résoudre et résorber les inégalités dans notre fonction publique », avait alors martelé celle qui, trois mois plus tard, annonçait donc un « dégel » de ce point d’indice.

La ministre a certes prétendu que ce geste brusque n’était pas « électoraliste », mais « économique » : l’accélération de l’inflation obligerait à cette revalorisation. Mais l’argument ne résiste pas une seconde à l’analyse. L’accélération de l’inflation ne date évidemment pas de l’attaque russe contre l’Ukraine, mais a commencé à l’été dernier. La question économique se posait donc au 1er janvier avec une inflation annuelle – non harmonisée – de plus de 3 % qui a été entièrement prise en charge par les fonctionnaires.

Certes, une inflation plus élevée rend le gel du point d’indice politiquement intenable. Mais la volte-face gouvernementale se limite à un effet d’annonce. Amélie de Montchalin ne s’est en effet pas engagée sur le montant de ce dégel. Or, en période de forte inflation, c’est ce point qui est crucial. Si la hausse du point est, par exemple, de 2 % avec une inflation de 5 %, la situation réelle des fonctionnaires sera la même qu’en janvier et en aucun cas les pertes immenses de pouvoir d’achat accumulées par les agents publics depuis la fin des années 2000 ne sera compensée. Il ne suffit donc pas de dire que le point d’indice sera dégelé, il faut dire de combien. 

On comprend ici que l’opération ressemble bel et bien à un rideau de fumée, laissant penser que si le président sortant est réélu en avril, la situation des fonctionnaires s’améliorera. 

Du côté de l’inflation, le chef de l’État n’a pas ménagé les effets d’annonce, de la prime inflation de 100 euros cet automne à la baisse de 15 centimes au litre promise au 1er avril la semaine dernière. Dans tous les cas, ces mesures sont cosmétiques, puisqu’elles évitent soigneusement de traiter l’essentiel du problème que pose l’inflation : celui du partage de son poids entre les salaires et les profits. 

Tout se passe comme si le président de la République avait cherché, à coup d’argent public, à gagner du temps en faisant croire qu’il soutenait le pouvoir d’achat pour reporter les vraies décisions à plus tard. Là encore, on est dans l’effet d’affichage électoraliste pur. Et son silence durant sa présentation sur le sujet, le plus brûlant du moment pour les ménages français, confirme cette idée.

publié le 18 mars 2022

Accroc aux cabinets de conseil,l’État se saborde

Floent LE DU et Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Sous le quinquennat, le recours aux consultants privés a explosé au sein des ministères, révèle le rapport de la commission d’enquête sénatoriale publié jeudi.

«Un pognon de dingue. » En 2021, plus d’un milliard d’euros ont été dépensés par l’État pour s’attacher les services de cabinets de conseil privés. Une évaluation « a minima », qui pourrait atteindre jusqu’à 3 milliards d’euros, précise le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur « l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques », qui a rendu ses travaux jeudi. En paraphrasant Emmanuel Macron, lorsqu’il évoquait les minima sociaux, la sénatrice communiste Éliane Assassi, rapporteure et à l’origine de cette commission, montre une tout autre réalité du « gâchis » qui peut exister dans les dépenses publiques. Le recours à ces cabinets constituerait selon le rapport « un phénomène tentaculaire et opaque ». « Des pans entiers des politiques publiques sont délégués à des consultants qui n’ont aucune légitimité démocratique », dénonce l’élue PCF.

L’État, à force de se passer des fonctionnaires, serait même devenu « dépendant » de ces cabinets, appelés pour préparer des séminaires, des réformes, des stratégies de réduction des coûts, de la communication et de la logistique… Sous Macron, ces recours ont explosé : les dépenses de l’État en la matière ont plus que doublé depuis 2018. Certes, la crise sanitaire est passée par là, mais les dépenses liées ne correspondent « que » à 41 millions d’euros (pour une augmentation globale qui avoisine les 500 millions). Le Covid-19 aura en tout cas permis de mettre en lumière cette hausse exponentielle. En janvier 2021, l’opinion publique découvre, stupéfaite, que le ministère de la Santé a demandé au cabinet McKinsey, pour 2 millions d’euros par mois, d’organiser la logistique de sa campagne vaccinale. Pendant la crise, « McKinsey est la clé de voûte de la campagne vaccinale, Citwell le logisticien des masques et de la vaccination, Accenture l’architecte du passe sanitaire », résume Éliane Assassi. Elle ajoute : « En moyenne, une journée de consultant est facturée 2 168 euros. »

Pendant ses travaux, la commission d’enquête a pu compiler de nombreux exemples de prestations, très chères, dont les intérêts étaient moindres, voire nuls. Lors de son audition en décembre 2021, Karim Tadjeddine, directeur associé de McKinsey France, a ainsi eu toutes les peines à justifier les 496 000 euros perçus par son entreprise pour « évaluer les évolutions du métier d’enseignant ». Il s’agissait en réalité de préparer un séminaire sur le sujet… qui n’a jamais été organisé. La plupart des missions recensées posent la même question : pourquoi les avoir déléguées au privé, alors que les agents de la fonction publique en ont les compétences ? Il en va ainsi des 920 000 euros touchés par McKinsey pour la préparation d’une potentielle ­réforme des retraites en 2019 auprès de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse, ou des 4 millions d’euros payés à McKinsey, encore, pour mettre en œuvre la réforme des APL – « cette même réforme qui réduisait les aides de 5 euros par foyer », rappelle Éliane Assassi.

 Des dépenses qui passent mal, alors que le point d’indice est gelé depuis douze ans

Les ministres auditionnés au Sénat ont mis en avant trois raisons pour lesquelles ils font appel à ces cabinets : la ­recherche d’une compétence spécifique ; la recherche d’un regard extérieur ; faire face à un pic d’activité. Des arguments largement battus en brèche par le rapport de la commission d’enquête, en particulier sur le supposé manque de compétences spécifiques en interne, même si ce déficit peut exister, notamment dans le domaine informatique. « Mais c’est surtout parce qu’on ne cherche pas du tout à former les fonctionnaires qui le réclament », indique Delphine Colin, secrétaire nationale de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT. Pour le chercheur au CNRS Frédéric Pierru, le recours accru aux consultants entraîne aussi un cercle vicieux : « Leur ­intervention systématique fait perdre des compétences, ce qui rend encore plus nécessaire l’intervention des cabinets. » Beaucoup de fonctionnaires se sentiraient ainsi dévalués. D’autant que les administrations ne recensent plus suffisamment, selon le rapport, leurs besoins en compétences. Auprès des agents du service public, ces dépenses mirobolantes en consultants passent mal, alors que leur point d’indice est gelé depuis douze ans et que les effectifs s’assèchent. « Le recours aux cabinets privés relève de choix politiques. L’objectif est d’éteindre la fonction publique d’État, en la contournant et en cassant les statuts », tance la sénatrice Éliane Assassi. Si les consultants viennent vraiment pallier un manque de personnel, que dire des 180 000 postes supprimés dans la fonction publique entre 2006 et 2018 ?

Les agents publics évoquent d’ailleurs souvent des infantilisations et du mépris de la part des consultants, en plus de l’utilisation d’un jargon très « start-up nation ». Dans ses préconisations, la commission sénatoriale propose ainsi que les cabinets « respectent l’emploi de termes français », l’usage d’anglicisme participant, selon le président LR de la commission, Arnaud Bazin, à « un rapport de forces et au rabaissement des agents de l’administration ». Les cabinets de conseil privés proposent en effet d’introduire des « méthodes disruptives » dans l’administration publique, en privilégiant les PowerPoint, les gommettes, les jeux de rôle… « C’est le risque d’une république du Post-It », alerte Éliane Assassi. Pour la syndicaliste Delphine Colin, il y a dans l’exécutif de Macron une « fascination du privé » qui peut expliquer le recours exponentiel aux consultants : « Ils veulent qu’on applique partout les mêmes méthodes de management, d’organisation que dans le privé. »

 Payés pour évaluer les économies réalisables par les administrations

La « transformation de l’État » est d’ailleurs l’un des domaines de prédilection des cabinets de conseil privés lorsqu’ils interviennent auprès des administrations. Depuis 2018, les frais engagés auprès des cabinets pour des missions des « conseils en stratégie et organisation » ont été multipliés par 3,7. Un coût énorme pour… ­réduire les dépenses. « C’est le paradoxe du serpent : les préconisations des cabinets de conseil affaiblissent les ressources de la sphère publique, qui dépend de plus en plus d’eux ». Ainsi, McKinsey a estimé en 2018 qu’il y avait entre 20 % et 25 % de lits en trop à l’hôpital. Et en février 2021, le ministère de l’Économie a mandaté le cabinet Accenture dans l’objectif de réaliser 800 millions d’euros d’économies sur les services de l’État… « Avec cette commission, nous avons voulu démontrer qu’un système se met en place, qui veut remplacer celui de la fonction publique, juge même Éliane Assassi. Si on ne met pas un frein maintenant, des pans entiers de notre administration seront confiés au privé. »

Les cabinets de conseil évaluent ainsi les économies réalisables par les administrations, en influençant fortement la politique publique qui sera mise en place, sans être guidés par la recherche de l’intérêt général, contrairement aux fonctionnaires censés conduire ce type de missions. « Ou l’inverse : le décideur public va commander les missions en orientant ses demandes, pour que les préconisations correspondent à ses attentes », précise Arnaud Bazin.

Une double influence très problématique, dans un cadre très opaque. Même la commission d’enquête sénatoriale n’a pu avoir accès à tous les rapports des cabinets, encore moins à leurs conséquences dans les décisions prises. Les représentants des fonctionnaires déplorent aussi ne jamais être au courant de l’arrivée de consultants dans leurs équipes. L’État lui-même n’a pas de vision globale sur ses commandes. Les sénateurs de la commission, qui préparent une proposition de loi en ce sens, suggèrent ainsi de publier la liste des prestations commandées par l’État, d’en assurer la traçabilité, ou encore d’impliquer la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Notamment via un contrôle déontologique systématique lorsqu’un consultant rejoint l’administration ou qu’un responsable public est recruté par un cabinet. Un « pantouflage » présent dans le domaine du « consulting », causant de grands risques de conflits d’intérêts.

Tout comme la proximité entre certains mouvements politiques et des cabinets privés. Pendant la campagne de 2017, Karim Tadjeddine, de McKinsey, avait ainsi utilisé son mail professionnel pour dialoguer avec le mouvement En marche. Ce même Karim Tadjeddine est par ailleurs accusé par la commission d’enquête de « faux témoignage », pour avoir assuré lors de son audition que McKinsey payait des impôts sur les sociétés en France, « ce qui n’est pas le cas depuis au moins dix ans », a déclaré le président de la commission, Arnaud Bazin. Parmi ses autres préconisations, la commission d’enquête propose d’interdire les « prestations gratuites “pro bono” », une pratique commerciale qui permet aux cabinets de s’offrir une publicité et une image de marque dans le privé sur le dos de l’État. La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, avait émis un avis dans ce sens, lors de son audition le 15 février dernier. Le jour même, le premier ministre, Jean Castex, prenait une circulaire pour un « changement de doctrine » en matière de recours aux cabinets, avec l’objectif de réduire de 15 % les dépenses en la matière. « C’est opportun, tranche Éliane Assassi. Avec cette commission, il y a une certaine fébrilité qui a parcouru les rangs du gouvernement. Mais est-ce qu’il faut croire les pompiers pyromanes ? »

publié le 13 mars 2022

Fin du port du masque : un calendrier plus électoral que sanitaire

Loan Nguyen suur www.humanite.fr

Covid-19 La reprise épidémique constatée ces derniers jours n’a pas incité le gouvernement, en pleine campagne présidentielle, à revoir sa décision de lever nombre de restrictions sanitaires à partir de ce lundi, quitte à aggraver la situation.

La guerre en Ukraine occupe depuis plusieurs semaines les esprits et les colonnes des journaux partout en Europe, reléguant au second plan l’épidémie de coronavirus, qui continue pourtant de sévir en divers endroits dans le monde. À moins d’un mois de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a pourtant décidé d’annoncer la levée quasi totale des mesures de restrictions sanitaires pesant sur les Français depuis de nombreux mois. À partir de ce lundi 14 mars, le passe vaccinal ne sera plus exigé dans les lieux où il était requis jusque-là. Seul le passe sanitaire restera obligatoire pour accéder aux hôpitaux, maisons de retraite et établissements pour personnes handicapées. Le port du masque, quant à lui, ne sera imposé que dans les transports collectifs et les établissements de santé.

Un soulagement pour la plupart des Français, soumis à deux ans de restrictions sanitaires et sociales, qui espèrent laisser une bonne fois pour toutes le virus derrière eux. Si la baisse du nombre de décès, des hospitalisations et du taux d’occupation des services de réanimation semble leur donner raison, certains experts alertent néanmoins sur une dynamique de reprise épidémique qui pointe ces derniers jours. L’effet combiné du retour des enfants à l’école et de la circulation désormais majoritaire du sous-variant BA.2, plus contagieux que la forme initiale d’Omicron, explique en partie la reprise épidémique. On en a observé les prémices ces derniers jours, avec 74 818 nouveaux cas constatés jeudi, contre 60 225 une semaine plus tôt.

« Mais cela ne suffit pas à expliquer ce rebond. Le facteur qui semble critique, c’est le changement de comportement des Français, avec une baisse de vigilance sur les gestes barrières et une augmentation du nombre de contacts », expliquaient les experts de Santé publique France, vendredi, appelant à la « responsabilité individuelle » en termes de respect des gestes barrières malgré la levée des restrictions sanitaires. De quoi causer un léger embarras, y compris dans l’état-major macroniste, tiraillé entre l’envie de séduire les électeurs et la réalité des chiffres. Pour tenter de juguler les critiques sur la pertinence de ce calendrier, le premier ministre, Jean Castex, a annoncé, ce samedi, l’ouverture « dès à présent (de) la quatrième dose aux plus de 80 ans » dans les colonnes du Parisien, tandis que le ministre de la Santé, Olivier Véran, s’est dit « extrêmement vigilant » face au rebond épidémique.

l’Institut Pasteur se veut rassurant

La veille, l’Institut Pasteur avait d’ailleurs mis à jour ses dernières modélisations, notant que cette reprise épidémique anticipée avait lieu plus tôt que ce que l’organisme avait prévu. D’après ses dernières données, le taux d’incidence est resté supérieur à 500 cas pour 100 000 habitants dans la majorité des régions la semaine du 28 février au 6 mars et a fortement augmenté en Martinique, où il atteint quasiment les 3 800, soit une multiplication par 5 en une semaine. Mais l’Institut Pasteur se veut rassurant : explorant plusieurs scénarios où, à partir du 14 mars, les taux de transmission deviennent entre 50 % et 130 % supérieurs aux niveaux de janvier-février, le centre de recherche estime que le nombre de contaminations restera inférieur au pic de janvier dans tous les cas.

Des données encourageantes pour certains experts. « À court terme, on peut espérer en avoir fini avec le Covid parce qu’on observe que le printemps et l’été sont des périodes favorables à la décroissance de la circulation du virus », estime Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie, qui pointe néanmoins qu’un « retour à l’automne » est prévisible. « Ce n’est pas raisonnable de lever ces mesures maintenant », juge en revanche Dominique Costagliola, épidémiologiste, qui regrette que l’annonce même de la date du 14 mars ait été faite « indépendamment de toute référence à un indicateur sanitaire ». « Si l’on voulait prendre des mesures sur la levée des masques, il aurait fallu travailler sur des dispositifs à court et moyen terme pour améliorer la qualité de l’air intérieur », insiste-t-elle, pointant à la fois la nécessité de généraliser les capteurs de CO2 mais également de créer des normes d’aération dans les nouveaux bâtiments. « Là, on condamne les personnes fragiles, qui ne sont pas immunisées malgré la vaccination, à l’isolement. »

#OuiAuMasque et #JeGarderaiLeMasque

« On ressent une inquiétude chez nos adhérents », confirme Pierre Foucaud, président de Vaincre la mucoviscidose, qui déplore l’accès toujours restreint des malades aux traitements par anticorps monoclonaux préventifs. « Il y a certes de moins en moins d’hospitalisations et de décès, mais on a l’impression de faire face à un déni collectif alors que plusieurs dizaines de personnes continuent de mourir chaque jour du Covid et que ces personnes-là sont des personnes vulnérables », précise-t-il, estimant que les décisions gouvernementales poussent les patients atteints de mucoviscidose à l’ « autoconfinement ». Même son de cloche du côté de France Rein, qui accompagne les malades souffrant d’insuffisance rénale. « On comprend que la levée des restrictions sanitaires soit une bonne chose pour la majorité des gens, mais il va falloir appeler au civisme de chacun », souligne Cécile Vandevivère, présidente de l’association. Sur les réseaux sociaux notamment, des appels de citoyens à garder le masque dans les lieux clos par solidarité pour les personnes immunodéprimées circulent depuis plusieurs semaines sous les mots-dièse #OuiAuMasque et #JeGarderaiLeMasque.

« Qu’est-ce qu’on va faire des 300 000 personnes immunodéprimées ? On les enferme ? » tempête Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’Union française des médecins libéraux, qui estime qu’ignorer l’impact de la levée des mesures sanitaires constitue un pari dangereux. Mais, au-delà de l’impact pour les personnes fragiles, le praticien s’inquiète de l’invisibilisation des patients atteints de Covid longs. « Depuis un mois et demi, les Covid longs représentent 15 % à 20 % de ma patientèle. Certains s’en sortent avec uniquement de la fatigue mais d’autres gardent des séquelles neurologiques sept mois après et même au-delà. »

Contaminations le monde n’est pas sorti d’affaire

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a rappelé, le 9 mars, que la pandémie de Covid-19 était « loin d’être terminée » et « ne sera finie nulle part si elle n’est pas finie partout ». L’OMS relève une forte croissance dans le Pacifique occidental.  Au niveau mondial, le nombre de décès a baissé de 8 %.  Dimanche, la Chine faisait état du triplement du nombre quotidien de contaminations par rapport à la veille et procédait au confinement ou au semi-confinement des villes de Shenzhen, Jilin, Changchun et Yanji. En Europe, les autorités allemandes indiquent également que le pays se trouve dans une « situation critique », malgré l’impression partagée dans la population, selon laquelle la pandémie serait « maîtrisée ».


 


 


 

 

 

« On aimerait que les candidats fassent de la santé un enjeu » :
l’hôpital, grand oublié de la présidentielle

par Rachel Knaebel sur https://basta.media/

Ni les importantes mobilisations des soignants, ni les alertes sur la dégradation du système de santé publique, ni même deux années de Covid et de gestion autoritaire de l’épidémie n’ont réussi à imposer la santé comme enjeu d’avenir. Sidérant.

C’était quelques mois seulement après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. En janvier 2018, la France connaissait une grande grève des personnels des Ehpad, en grande majorité des femmes. Le mouvement était soutenu par les familles et l’association des directeurs d’Ehpad. En cause : les conditions de travail, de plus en plus intenables, qui ne permettaient déjà plus de prendre en charge correctement les personnes âgées.

Dures, longues et inédites, les mobilisations n’ont ensuite plus cessé dans la santé. En avril 2018, des personnels de l’hôpital psychiatrique du Rouvray, près de Rouen, mènent trois semaines de grève de la faim pour demander des moyens et du personnel pour la prise en charge des patients. Leurs collègues de l’hôpital psychiatrique du Havre embrayent, et occupent le toit d’un bâtiment pendant trois semaines. À l’hôpital psychiatrique d’Amiens, un campement de protestation devant l’établissement se prolonge près de cinq mois. C’est dire les difficultés que les personnels connaissent !

En avril 2019, des services d’urgences des hôpitaux parisiens se mettent à leur tour en grève. Le mouvement part de la base, des aides-soignantes, brancardiers, infirmières et infirmiers. Structuré dans le Collectif inter-urgences, il essaime rapidement à travers le pays. En juin, 120 services d’urgences sont en grève, 200 en août (voir notre article). Des médecins et d’autres personnels de différents services hospitaliers créent en parallèle le Collectif inter-hôpitaux.

« Pression financière, détérioration des conditions de travail »

En janvier 2020, 1000 médecins hospitaliers chefs de service démissionnent de leurs fonctions administratives, là encore pour dénoncer la situation de l’hôpital public, à bout de souffle, en manque de moyens et de personnels. « Pour que tout ces médecins responsables de services osent sortir de leur devoir de réserve et osent se confronter à l’autorité gestionnaire toute puissante dans nos hôpitaux, c’était bien que que la situation était devenue intenable, rappelle Agnès Hartemann, chef du service de diabétologie de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpétrière et l’une des coordinatrice du Collectif inter-hôpitaux [1]. Il y avait la pression financière, l’obsession devenue absurde d’un équilibre recette-dépense dans les hôpitaux publics et une détérioration des conditions de travail de tous les métiers de l’hôpital. Et pour autant, au moment de la première vague Covid, toutes ces équipes se sont jetées à cœur perdu dans la vague. »

Le Covid est arrivé, dans un hôpital public et un secteur du soin déjà exsangues. Alors que la cinquième vague « Omicron » entame sa décrue, le quinquennat se termine par des minutes de silence organisées tous les vendredi par les personnels de l’hôpital public. Leur but : alerter, encore et toujours, sur le risque de mise à mort de l’hôpital public. « Aujourd’hui, ce sont les heures sup’ qui font tenir l’hôpital. On appelle les gens en repos pour qu’ils reviennent travailler, témoigne Stéphane Fernandez, infirmier à l’hôpital gériatrique Émile-Roux, dans le Val-de-Marne. Lui et ses collègues ont créé un collectif début février. On voit notre hôpital qui meurt peu à peu. On est gérés par des gens qui sont déconnectés de la réalité du terrain. »

Dans cet hôpital de banlieue parisienne dédié à la prise en charge des personnes âgées, des lits se ferment par dizaines. « En novembre 2021 encore, nous avions une autorisation pour plus de 800 lits, nous dit l’infirmier. Aujourd’hui, nous avons 602 lits sur le papier, mais seulement 528 qui peuvent accueillir des patients, car nous n’avons pas assez de personnels pour ouvrir les autres. » « Les infirmiers s’en vont, constate celui qui gagne 2200 euros nets par mois après 30 ans de carrière. Au lieu de fidéliser les infirmiers présents, il est prévu d’embaucher des intérimaires avec des contrats à 3000 euros par mois. »

« Après la première vague, beaucoup de jeunes sont partis »

Partout, des lits hospitaliers ont fermé en nombre (voir notre cartographie de suivi de ces fermetures). Le phénomène ne date pas du début du quinquennat. Entre 2003 et 2017, plus de 69 000 places d’hospitalisation à temps complet ont disparu en France [2]. La dynamique n’a pas faibli depuis 2017, elle s’est même accélérée après le début de la pandémie. Fin 2016, la France comptait plus de 404 000 lits d’hospitalisation à temps complet. Fin 2020, le chiffre est tombé à 386 835 (les chiffres de 2021 ne sont pas encore disponibles). Soit plus de 17 000 lits d’hospitalisation rayés en quatre ans des tableaux managériaux du ministère et de ses cabinets de consultants. 5700 lits ont encore disparu en 2020, première année de la pandémie. Le nombre d’hôpitaux publics a aussi baissé : on compte 34 établissements de santé publics en moins en cinq ans [3], ce qui ouvre de nouveaux marchés au privé.

La lente destruction de l’hôpital public

Entre 2003 et 2017, plus de 69 000 places d’hospitalisation à temps complet ont été supprimés en France. La dynamique n’a pas faibli depuis 2017, elle s’est même accélérée après le début de la pandémie. Source : Drees

« On cherche aujourd’hui à optimiser le taux d’occupation des lits, et pour cela, il ne faut pas qu’il y ait de marge. Mais avoir des lits d’hospitalisation en nombre suffisant, c’est ce qui permet de ne pas être à flux tendu dans les services, rappelle Pierre-André Juven, sociologue, chargé de recherches au CNRS [4]. Ce qu’on voit depuis plusieurs années, et encore plus depuis 2019, c’est aussi que les conditions de travail indignes sont plus nombreuses et plus fréquentes qu’avant dans les hôpitaux. » C’est l’un des facteurs des vastes mobilisations d’avant la pandémie. « On avait rarement vu des aides-soignants et aides-soignantes, infirmières et infirmiers, se mobiliser aussi largement qu’en 2019, et encore plus rarement des médecins professeurs des universités-praticiens hospitaliers, qui sont tout en haut de la hiérarchie hospitalière, prendre la parole comme ils l’ont fait », relève le sociologue.

Comment le quinquennat de Macron a -t-il répondu à ces mobilisations ? Avant le Covid, fin 2018, la ministre de la Santé d’alors, Agnès Buzyn, avait lancé une réforme des hôpitaux avec son plan « Ma santé 2022 ». Celui-ci voulait, entre autres, transformer les petits établissements hospitaliers en « hôpitaux de proximité », sans maternité, ni chirurgie, ni urgence. Ce qui venait entériner un phénomène déjà à l’œuvre, et qui s’est amplifié depuis. Cet été et cet hiver 2021, les fermetures des services d’urgences, temporaire ou définitive, se sont multipliées dans les hôpitaux en France, surtout dans les petits centres hospitaliers (voir nos article ici et ici).

Après la première vague, en mai 2020, le nouveau ministre Olivier Véran lançait le « Ségur de la santé », une consultation qui devait dessiner des mesures à prendre pour l’hôpital. Qu’en est-il ressorti ? « Le Ségur n’a rien réglé », juge l’infirmier Stéphane Fernandez. À la suite des ces consultations, le gouvernement a certes décidé de revaloriser les rémunérations pour les personnels hospitaliers, dont 180 euros pour les paramédicaux (infirmières, aides-soignantes…) Mais de l’avis des personnels, c’est loin d’être suffisant. « La focale s’était posée presque uniquement sur les salaires. Là où on parlait au à l’ouverture du Ségur de remettre à plat le système de santé, on s’est finalement retrouvé avec une simple négociation salariale, note Pierre-André Juven. Le Ségur n’a rien décidé sur les conditions de travail en tant que telles. » Résultat : aujourd’hui, un an et demi après le Ségur, les hôpitaux peinent de plus en plus à recruter et même à conserver leurs personnels. « Après la première vague, beaucoup de jeunes sont partis. Ils se sont dit "Pour ce salaire et dans ces conditions, je ne fais pas ma vie à l’hôpital" », témoigne Olivier Costa, aide-soignant depuis 2012 à l’hôpital de la Pitié-Salpetrière, membre du Collectif inter-hôpitaux.

Ne pas laisser les décisions aux seuls managers déconnectés du soin

Au moment du Ségur, les syndicats et les collectifs de soignants avaient pourtant formulé des propositions concrètes qui allaient bien au-delà de la seule question salariale (voir notre article). Le Collectif Inter-hôpitaux (CIH) demandait par exemple une réforme du partage du pouvoir dans les hôpitaux. Pour ne pas laisser les décisions entre les seules mains de managers déconnectés du soin, le CIH voulait ouvrir la gouvernance des établissements aux soignants, médecins comme paramédicaux, en intégrant aussi les représentante des usagers.

« Lors des débats à la télévision, la santé disparaît complètement »

Une autre revendication centrale était de réformer le mode de financement des hôpitaux, pour en finir avec la toute puissance du système actuel dit de « tarification à l’activité » (T2A), mis en place en 2004. Ce modèle de financement rémunère mieux les activités très techniques, comme la chirurgie, et moins le suivi des patients. « La T2A n’est pas du tout adaptée pour les pathologies chroniques, expliquait début février Anca Nica, neurologue au CHU de Rennes. En plus, ce système prétend attribuer un tarif à chacune des activités de l’hôpital, mais certains de ces tarifs n’ont pas changé par exemple depuis 2005, alors que les moyens techniques et les exigences de sécurité ont largement augmenté. Le tarif est donc devenu déconnecté du coût réel. »

Étrangement, après deux ans d’épidémie, les nombreuses mobilisations et alertes sur l’état du système de santé publique, les controverses sur la gestion très verticale de la lutte contre le Covid, n’ont pas, pour l’instant, imposé ce sujet dans le débat politique. Les revendications portées par les soignants sont pourtant toujours d’actualité. Le collectif demande aussi que des ratios de soignants par patients soient définis par les équipes de soin elles-mêmes, pour chaque unité de soin. Pour permettre de recruter 100 000 infirmiers dans les années à venir , le collectif propose d’augmenter le nombre d’instituts de formation d’infirmière et le nombre de places.

« On aimerait que les candidats fassent de la santé un enjeu de la présidentielle, insiste l’aide-soignant Olivier Costa. Il en va de la vie de tout le monde. » « Dans certains programmes des présidentielles, on trouve des volets sur l’hôpital, qui sont certes toujours un peu les mêmes : plus de lits et plus de moyens. Mais il y a une grosse difficulté de l’ensemble des partis politiques à mettre en relation l’hôpital avec la médecine de ville, la santé publique, les inégalités de santé et la santé environnementale. Or, tous ces enjeux sont extrêmement liés, pointe de son côté Pierre-André Juven. Ce qui est terrible, c’est que même si certains des candidates et des candidats parlent de santé, dès qu’on arrive sur les questions qui sont mobilisées lors des débats à la télévision, la santé disparaît complètement. »

publié le 11 mars 2022

Génération Zemmour tracte devant l’université Paul Valéry et
agresse des étudiant-e-s

communiqué des syndicats, partis politiques de gauche et de la Ligue des Droits de l’Homme de Montpellier

paru sur https://solidaires.org

Hier, le mercredi 9 Mars 2022, Génération Zemmour a organisé une action de tractage devant l’Université Paul Valéry en début d’après-midi avec une vingtaine de leurs militants, plus des personnes cagoulées et armées (gants coqués, gazeuses, matraques téléscopiques), membres du groupuscule Jeunesse Saint Roch, connus pour avoir déjà agressé et revendiqué l’attaque des membres du SCUM le 5 décembre 2019. Leurs faits de violence ne s’arrêtent pas là étant donné qu’ils ont également mené une attaque contre le Barricade, un bar associatif de la ville, le 11 décembre dernier, faisant un blessé.

Deux semaines avant le 4ème anniversaire de l’attaque du commando armé à la fac de droit, pour mater des étudiants qui contestaient les mesures du gouvernement, nous voyons ce tractage comme un événement hautement symbolique, d’intimidation à l’encontre des étudiant-e-s.

S’ils ont été tenus à l’extérieur de l’université pendant toute leur action, lorsqu’ils sont finalement partis et après plus d’une demi-heure d’insultes de leur part sur des membres de syndicats étudiants et globalement contre toute personne ne partageant pas leurs idées racistes et nationalistes, les militants armés qui étaient avec Génération Zemmour ont agressé gratuitement des étudiant-e-s avec une béquille, avec l’appui d’un homme en moto armé d’une gazeuse grande capacité à poignée qui mettait des coups de pied en fonçant sur la foule. C’est d’ailleurs lui qui a récupéré toutes les armes de Génération Zemmour avant de s’enfuir sur son véhicule.

La montée de l’extrême-droite au niveau national n’est pas à prendre à la légère.

En effet, il n’est pas difficile de démontrer dans plusieurs villes la présence, au sein des rangs des militants Reconquête, de militants nationalistes, violents, néo-nazis et racistes. Si Génération Zemmour, l’organe de jeunesse du parti, souhaite se donner une image lisse et démocratique, nous ne sommes pas dupes : ce parti regroupe des militants armés, violents et prêts à en découdre physiquement pour leur idéologie réactionnaire, contre les étudiant-e-s, contre les travailleur-euse-s, contre la classe que nous défendons.


Face à l’extrême droite, aucune complaisance.

Ni oubli, ni pardon !

publié le 3 mars 2022

Candidats des inégalités :
à droite, les injustices fiscales et sociales au programme -
Un rapport d’ATTAC

par Attac France, Observatoire de la justice fiscale sur https://france.attac.org/

A la veille de la date limite de recueil des parrainages et alors que la candidature du président sortant doit enfin être annoncée, Attac, avec l’Observatoire de la justice fiscale, publie aujourd’hui son nouveau rapport sur « Les candidats des inégalités ».

Notre association y analyse les propositions socioéconomiques d’Emmanuel Macron, de Valérie Pécresse, de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour et pointe leur troublante similarité. Si bien sûr ces candidats ont des parcours et des sensibilités différentes, c’est bien le même logiciel néolibéral qui guide leurs projets, qui tous, déboucheraient sur une nouvelle offensive contre le modèle social français.


 

Un nouveau quinquennat des inégalités ?

Alors que le dernier quinquennat a été marqué par un enrichissement indécent des milliardaires et d’une pluie records de dividendes pour les actionnaires, en même temps, il a été celui de l’intensification de la pauvreté. 7 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire pour vivre, soit 10% de la population française, et 4 millions de personnes supplémentaires sont en situation de vulnérabilité. Le quinquennat Macron est définitivement celui des inégalités.

C’est à son issue que ce rapport reprend et analyse les propositions économiques et fiscales du président sortant, ainsi que des trois autres principaux candidats de la droite. Son contenu est issu des ébauches de leurs programmes rendues publiques jusqu’ici, mais aussi des déclarations qu’ils et elles ont pu faire dans les médias.

S’il existe bien sûr des différences entre ces quatre candidats, notamment sur leur rapport au monde et à l’étranger, tous portent des propositions socioéconomiques comparables. Tous s’inscrivent dans une forme de surenchère pour approfondir la logique néolibérale, qui n’aboutira qu’à aggraver les injustices fiscales et sociales. Tous sont ainsi susceptibles de creuser des inégalités déjà considérables, et à la racine d’un mécontentement latent dans le pays.

Fort avec les faibles, faible avec les forts

Aucun des « candidats des inégalités » ne veut renforcer la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. En revanche, tous parlent de renforcer la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Pourtant celle-ci est estimée à 3 milliards d’euros, contre 80 milliards d’euros pour la fraude fiscale. Et chaque année, plus de 10 milliards d’euros d’aides sociales ne sont pas réclamés par leurs potentiels bénéficiaires.

Alors qu’Emmanuel Macron a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour le remplacer par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) au bénéfice des 350 000 personnes les plus riches, Valérie Pécresse et Eric Zemmour proposent d’affaiblir l’IFI en créant de nouvelles exonérations. De son côté, Marine Le Pen veut un impôt sur la fortune financière et ne plus imposer l’immobilier, ce qui rapporterait également moins que l’ISF historique.

Les 4 « candidats des inégalités » sont également d’accord pour baisser les droits de donation et de succession, et en ont fait un enjeu important, ce qui bénéficierait massivement aux personnes qui ont un patrimoine important à transmettre. Rappelons que selon France Stratégie, 85 % des successions sont déjà exonérées d’impôts. Tous veulent également poursuivre la baisse des impôts de production, comme le réclame le Medef, alors même que cela profitera surtout aux grandes entreprises dont les taux de marge sont aujourd’hui historiquement élevés et qui ont largement profité de la baisse de l’impôt sur les sociétés pendant le quinquennat Macron. Ces cadeaux fiscaux auraient un impact important sur les recettes de l’État, ce qui aurait nécessairement pour effet de réduire le périmètre et les moyens de l’action publique. C’est pourtant la protection sociale et les services publics qui permettent de diminuer les inégalités : par conséquent, en les affaiblissant, les inégalités ne pourraient qu’augmenter plus rapidement.

Les inégalités : un choix politique

Concernant le pouvoir d’achat, aucun des « candidats des inégalités » ne propose de revaloriser le SMIC ni les salaires de façon contraignante, mais Valérie Pécresse, Eric Zemmour et Marine Le Pen promettent une meilleure rémunération du travail en réduisant les cotisations sociales. C’est un non-sens total. Une telle baisse signifierait nécessairement une diminution des ressources de la Sécurité sociale, ce qui justifierait demain de nouvelles contre-réformes des retraites ou des allocations chômage. Emmanuel Macron, lui, s’abstient de toute proposition, dans la lignée de son action depuis 2017.

En matière de retraites, Emmanuel Macron promet une « réforme » guidée par le principe de « travailler plus longtemps » risquant de se traduire par une baisse du niveau des pensions. Valérie Pécresse dit vouloir repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans, contre 64 ans pour Eric Zemmour, tandis que Marine Le Pen a abandonné sa promesse de retraite à 60 ans.

Alors que Marine Le Pen, Eric Zemmour et Valérie Pécresse se disputent le titre de principal opposant à Emmanuel Macron, lorsque l’on s’intéresse à leurs programmes socioéconomiques, il est troublant, pour ne pas dire confondant, d’observer la similarité de leurs propositions.

Nos 4 candidats des inégalités ont le même projet économique, hérité d’une tradition conservatrice qui n’a de cesse de combattre les impôts directs et le développement de l’action publique. Leurs choix politiques n’auront qu’une conséquence, creuser les inégalités, aux dépens des plus précaires, du consentement à l’impôt et de la cohésion sociale.


Pour accéder au rapport et à sa synthèse : https://france.attac.org/8203

publié le 22 février 2022

L’appel : Stop Bolloré !

sur https://france.attac.org

« L’empire Bolloré est cette entreprise visant à utiliser le pouvoir économique, pour asservir l’information, en vue d’acquérir le pouvoir politique et d’instaurer une hégémonie liberticide et antidémocratique. »

Plusieurs organisations, dont Attac, des médias, des maisons d’édition, ainsi que de très nombreuses personnalités unissent leurs voix pour « dénoncer » et « entraver ce processus ».

Rien que dans le monde de l’édition, il possèdera bientôt plus de 70% des livres scolaires, la moitié des livres de poche, une centaine de maisons d’édition, avec un quasi-monopole sur la distribution des livres.

Cette concentration de médias est sans précédent dans notre histoire. Elle renverse les principes démocratiques garantis depuis la Seconde Guerre mondiale, et tous les progrès de la liberté de la presse, du droit d’informer et des médias.

Sous nos yeux incrédules se déroule une révolution rétrograde qu’il est urgent d’empêcher.

Depuis la Libération, il est pourtant acquis que l’information n’est pas un objet commercial mais un instrument de culture. Il est entendu qu’elle ne peut remplir sa mission que « dans la liberté et par la liberté ». Il est clair qu’elle est libre quand elle ne dépend « ni de la puissance gouvernementale ni des puissances d’argent mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs » (déclaration des droits et des devoirs de la presse libre, 1945).

Cette tradition démocratique, essentielle à l’État de droit, est aujourd’hui menacée. Le pluralisme du débat n’a plus de sens lorsqu’un groupe concentre autant d’organes d’information et d’édition sous sa fortune et ses ordres. La liberté des journalistes et des auteurs n’existe plus lorsque les rédactions et les maisons d’édition sont ainsi mises au pas. Quel sens y a-t-il à parler d’indépendance d’une information soumise à la volonté d’un seul homme ?

Auditionné par les sénateurs, Vincent Bolloré a prétendu que ses motivations n’étaient pas politiques mais strictement économiques. Pourtant, une idéologie mortifère est martelée chaque jour dans ses médias.

Le paroxysme est atteint sur CNews, où la polémique outrancière tient lieu de débat, le choix des invités fait fi du pluralisme, et la ligne éditoriale montre une obsession pour les thèmes d’extrême-droite. La chaîne devient le lieu de diffusion de discours haineux, racistes, homophobes, sexistes, celui de la promotion d’entrepreneurs identitaires, de l’incitation à la violence, celui de la banalisation du complotisme, du négationnisme climatique, finalement celui du triomphe du préjugé contre la science et la vérité. En rupture avec toute déontologie journalistique, il ne s’agit plus d’informer les citoyens mais de transformer les esprits.

Pour parvenir à ses fins, Bolloré emploie les méthodes qui ont fait sa réputation dans le milieu des affaires : casse sociale et management par la terreur. Combien de journalistes licenciés dans ses médias pour avoir osé exercer leur liberté professionnelle ? Combien d’auteurs privés de publications ? Combien d’intimidations via des poursuites judiciaires abusives ?

L’empire Bolloré est cette entreprise visant à utiliser le pouvoir économique, pour asservir l’information, en vue d’acquérir le pouvoir politique et d’instaurer une hégémonie liberticide et antidémocratique.

Le collectif StopBolloré, né de la volonté d’un front de la société civile, en défense de la démocratie et de l’État de droit, est déterminé à dénoncer et à entraver ce processus. Rendez-vous le 16 février 2022.

Parmi les signataires :

Attac, CFDT Journalistes, Revue Contretemps, CGT, FCPE, Fondation Copernic, La Revue Regards, Le Média, Le Syndicat National Des Journalistes CGT, Ligue Des Droits De L’homme, Les CEMEA, MRAP, Politis, SDJ de Médiapart, Société des personnels de l’Huma, Solidaires, Confédération Nationale du Logement, et bien d’autres

publié le 19 février 2022

Fabien Roussel,
le candidat qui réveille la gauche

Aurélien Soucheyre et Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Inconnu du grand public il y a encore six mois, le député du Nord secoue la campagne présidentielle dont il est l’une des révélations. À force de bonne humeur, de franc-parler et de propositions radicales, il fait entendre une voix différente et remet les idées communistes sur le ring. Un candidat « heureux » de l’être qui entend rallier les déçus de la gauche en portant le combat de la dignité et du «bonheur collectif ».

C’est une petite bête rouge qui monte, qui monte… jusqu’à devenir un candidat pleinement installé dans la campagne présidentielle. Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, a réussi sa percée médiatique. Certes, ce n’est pas encore le grand soir électoral, mais qui peut se targuer d’une telle dynamique à gauche ? Anne Hidalgo, Christiane Taubira et Yannick Jadot ne cessent de reculer dans les sondages, quand Fabien Roussel, lui, est monté de 1,5 % des intentions de vote en septembre jusqu’au seuil des 5 %, selon certains instituts. Qui l’eût cru il y a encore quelques semaines ? « Au départ, tout le monde se demandait : “Roussel, qu’est-ce qu’il vient faire dans cette campagne ?” Aujourd’hui, retournons la question : “Est-ce qu’on peut encore imaginer cette campagne sans lui ?” » observe Olivier Marchais. Le fils de Georges, grande figure du PCF des années 1980, est membre de l’équipe de campagne pour 2022 et a sa petite idée sur les raisons de cette évolution. « Ce n’est pas anodin de choisir comme slogan “La France des jours heureux”. Et ce n’est pas qu’un slogan d’ailleurs, c’est une réalité. On veut que tout le monde ait droit à la justice sociale et au bonheur », ajoute Olivier Marchais, qui a rencontré Fabien Roussel… sur les bancs du lycée, avant de militer avec lui contre l’apartheid en Afrique du Sud. « C’était déjà un boute-en-train, il était heureux et dynamique, et l’est toujours ! »

À tel point que les journalistes se l’arrachent, que les éditorialistes – même de droite – louent son humour et le trouvent « sympa ». « Franchement, place du Colonel-Fabien, j’y vais le sourire aux lèvres. On se marre ! » confie Julia Castanier. Fabien Roussel, l’humour d’abord ? « Pas seulement. Fabien est à la fois quelqu’un d’heureux et quelqu’un de révolté contre les injustices. On a beau avoir une bonne humeur et une bonne stratégie médias, ça ne suffit pas. Il faut aussi être ancré dans les réalités de la vie quotidienne, et montrer qu’il existe des solutions positives, efficaces, et résolument de gauche », ajoute la directrice de la communication du PCF. Les éditorialistes de droite commencent d’ailleurs à déchanter : Fabien Roussel est un communiste sympa mais… c’est un communiste ! « Ça me fait bien marrer quand j’entends dire que je suis le “candidat de gauche préféré de la droite”. Ceux qui disent ça n’ont pas dû lire mon programme ! » s’amuse le principal intéressé.

Le droit au bonheur des plus modestes

Et pour cause : Fabien Roussel est pour la semaine de 32 heures et la retraite à 60 ans. Aïe ! Il veut augmenter le Smic à 1 500 euros net. Ouille ! Recruter 500 000 fonctionnaires. Mince ! Augmenter l’impôt des plus riches, tripler l’ISF et baisser la TVA. Ouch ! Construire 200 000 logements sociaux par an. Non ! Nationaliser deux grandes banques (BNP Paribas et la Société générale) et une compagnie d’assurances (Axa). Mais c’est un scandale ! Inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution et mettre en place un plan d’éducation pour combattre les LGBTQI-phobies. Oulala ! Assurer l’égalité salariale homme-femme de façon contraignante et instaurer une échelle des salaires de 1 à 20. Quésako ? Sortir de l’Otan. Inadmissible ! Régulariser les travailleurs sans papiers. Argh ! Faire respecter le droit d’asile à l’échelle européenne. Impensable ! Lancer un plan « zéro jeune au chômage ». Utopique ! Et, entre autres, injecter 140 milliards d’euros pour le climat et l’urgence sociale.

« Roussel, c’est le Chirac de gauche ! » entend-on pourtant sur les chaînes d’info. Mais d’où vient ce parallèle permanent ? Et ce coup de cœur passager des journaux de droite pour le dirigeant communiste ? C’est que Roussel serait le candidat de « la gauche pas woke », de la « droitisation du PCF », avec un programme « vintage » et « franchouillard », selon une partie de la gauche. Pire : il serait même « raciste » et « suprémaciste blanc », selon des détracteurs qui semblent avoir perdu le sens des réalités. La raison ? Tout a commencé début janvier, lorsque Roussel prononce cette phrase : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès. » Ni une ni deux, certains comprennent que, pour le communiste, si tu n’accompagnes pas ton saucisson d’un verre de rouge, c’est que tu n’es pas français. « Notre position n’est pas du tout identitaire ! Ce que nous défendons, c’est le droit aux couches modestes de profiter du bonheur de la vie avec des produits de qualité, en liant politique sociale, alimentaire et préservation de l’environnement, avec un fonds de 10 milliards d’euros par an », explique André Chassaigne, chef de file des députés PCF.

Il faut se frotter les yeux pour le croire, mais c’est à ce moment-là que la machine médiatique s’emballe. La violence et l’outrance des attaques placent Roussel au cœur du débat. Aussitôt, il rend visite à l’École professionnelle de la boucherie, à Paris. « Je veux mettre les pieds dans le plat et défendre l’idée qu’il est possible de manger sain et à sa faim pour tous. C’est un vrai projet de société, c’est même un projet révolutionnaire. Ceux qui m’ont porté ces critiques sont en réalité coupés du peuple », lance-t-il devant une forêt de caméras, insistant sur les « cinq millions de Français (qui) se rendent dans les associations pour manger ». Il répond aussi en prenant une photo de lui, tout sourire, à table, en famille, avec ses enfants métis et un bon couscous du dimanche. La tornade s’est abattue, il a répliqué, et, depuis, il ne cesse de monter dans les sondages. « La polémique sur la bonne bouffe a contribué à le propulser sur la scène médiatique. Ceux qui l’ont entretenue doivent s’en mordre les doigts parce qu’en réalité ils l’ont aidé et se sont disqualifiés », mesure son directeur de campagne, Ian Brossat.

Des thèmes peu portés à gauche

La bataille se poursuit sur l’énergie : face au réchauffement climatique Roussel défend un mix entre le nucléaire et le renouvelable, ainsi que la nationalisation d’EDF et d’Engie. Une position qui clive à gauche. Le candidat est également attaqué pour s’être rendu, en mai 2021, à une manifestation de policiers devant l’Assemblée nationale. Non pas que Fabien Roussel partage les opinions du très droitier syndicat de police Alliance – il venait d’ailleurs de voter contre la loi dite de sécurité globale. « Il s’agit de dire que la gauche ne doit pas abandonner les questions de sécurité à la droite et à son extrême. L’insécurité frappe d’abord les couches populaires, pas les beaux quartiers. Le droit à la tranquillité doit être assuré, et la police doit être utilisée autrement », explique André Chassaigne. Dans son programme, Roussel propose ainsi de recruter 30 000 policiers de proximité, de révoquer les éléments racistes et violents de la police nationale, et de mettre fin au contrôle au faciès.

Désormais bien installé dans la campagne, battant même un record d’audience au 20 heures de France 2, le candidat tient également à se distinguer sur la question du travail. Plutôt qu’un revenu universel, il défend un « droit universel au travail ». « Nous voulons passer d’une France des bas salaires, du chômage et des allocations à une France du travail et d’un revenu élevé qui en est issu », assure-t-il.

Une notoriété qui s’installe : « il se passe quelque chose», observe l’ifop

Un épisode a néanmoins fait plus mal. Les dents ont même grincé en interne, au sujet de la présence de l’essayiste controversée Caroline Fourest, proche du Printemps républicain et du dessinateur Xavier Gorce, lors de la soirée dédiée à la mémoire de « Charlie Hebdo ». « C’est une polémique qui naît sur des bases malsaines. Nous rendons hommage aux victimes de la tuerie. On est les seuls à l’avoir fait à gauche. On défend la laïcité et la liberté d’expression. Et évidemment on invite ceux qui ont fait partie de “Charlie”. On ne trie pas. Certains viennent, d’autres non. Au final, il y a eu des mots durs. Le sens même de notre initiative a été oublié. C’est assez terrible », raconte Christophe Grassullo. Du reste, le directeur de cabinet de Fabien Roussel se dit content d’avoir tourné la page d’un automne difficile : « C’était compliqué. On avait fait une série de rencontres des “Jours heureux”. On sentait que Fabien marquait des points, qu’il se passait quelque chose. Mais aucun sondage ne bougeait. Ce sont des moments assez durs ».

À quoi sert en effet de se présenter si c’est pour faire 1 % à 2 % ? Quelle utilité pour les communistes et leurs idées ? C’est ce qui les avait amenés, après le 1,93 % obtenu par Marie-George Buffet en 2007, à impulser et participer pleinement au Front de gauche, porté par Jean-Luc Mélenchon en 2012, lequel avait aussi été soutenu par le PCF en 2017. Mais pas cette année. La direction du PCF a la conviction que l’insoumis s’est abîmé aux yeux des Français. Quant à la gauche, elle s’est avérée incapable de se parler. « Si tout le monde y va chacun de son côté en 2022, je vous le dis, je ne vois pas pourquoi les communistes n’iraient pas eux aussi », prévenait Fabien Roussel en 2020. Surtout, les militants communistes ont décidé de jouer la carte « PCF is back », de tenter de mettre au premier plan leur projet et leurs propositions. « Nous avons bien fait : nous avons imposé la question du travail, du pouvoir d’achat et de l’écologie populaire. La mayonnaise commence à prendre mais il faut aller plus loin. Le socle de gauche est beaucoup trop faible : l’obsession de Fabien, c’est de l’élargir et de ramener à gauche des gens qui sont partis ou s’abstiennent », expose Ian Brossat, qui souhaite désormais franchir définitivement la barre des 5 % dans les sondages. « La notoriété de Roussel s’installe grâce à plusieurs coups d’éclat et au sentiment de proximité qu’il suscite. Sans être un phénomène – il n’est pas à 10 % – il se passe un petit quelque chose », mesure Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop.

« le roussellement » pour irriguer l’économie réelle

Pour progresser, Roussel va-t-il miser sur ces bons mots qui lui ont permis de se faire remarquer ? « Il a fallu qu’on ait une discussion sur la place de l’humour en politique. Mais c’est comme ça, ça lui vient tout seul », note Julia Castanier. Ce qui lui joue parfois des tours, comme lorsqu’il se met à parler de « strings brésiliens » pour évoquer la légèreté des restrictions sanitaires aux frontières. « Au début, ça nous arrivait d’avoir des coups de chaud, mais l’humour, c’est aussi sa patte », s’amuse Christophe Grassullo. La dernière en date ? Roussel veut faire du « roussellement ». Soit l’inverse du ruissellement à la Macron, selon lequel plus les riches sont riches et plus ça profite à tous. Et donc le « roussellement » ? C’est simple : moins les pauvres sont pauvres, et plus ça profite à tous.e de texte >>

publié le 19 février 2022

Comment Jean-Luc Mélenchon s'est converti au vote utile

sur www.huffingtonpost.fr

Les anciennes critiques du chef de file des Insoumis lui reviennent comme un boomerang à l'heure où, à deux mois de la présidentielle, ses troupes agitent le "vote efficace".

POLITIQUE - Ne l’appelez plus vote utile, mais vote efficace. Tel est le nouvel argument de Jean-Luc Mélenchon et de ses troupes pour espérer une dynamique en ce printemps 2022. Nombreux sont les militants et élus insoumis à considérer que le député des Bouches-du-Rhône, candidat à la présidentielle pour la troisième fois de suite, est le mieux placé, à gauche, pour accéder au second tour. Voire le seul à être en capacité de le faire. 

Cela ne fait guère de doute si l’on regarde les intentions de vote mesurées à l’heure actuelle, comme vous pouvez le voir dans notre compilateur ci-dessous. Le chef de file LFI est donné à 10% environ, quand ses concurrents -écolos, socialistes ou communistes- plafonnent autour des 5, ou en dessous, soit deux fois moins.

L’idée est donc la suivante: que tous les électeurs de gauche tentés par les candidatures Jadot, Taubira, Roussel et Hidalgo délaissent leur choix du cœur et glissent un bulletin Mélenchon dans l’urne par raison.

Petite nouveauté: les partisans de l’Avenir en commun, le programme mélenchoniste, ne sont plus les seuls à prêcher cet argument. Ségolène Royal, l’ex-ministre PS a surpris son monde, mercredi 16 février au soir, en enjoignant les différents prétendants à se ranger derrière la bannière insoumise. “Le vote utile, c’est Jean-Luc Mélenchon”, a-t-elle ainsi estimé sur BFMTV en louant “la solidité”, la “culture” ou encore “l’expérience” du tribun de 70 ans. 

De quoi faire rougir le principal intéressé, lequel s’est fendu d’un message de remerciement immédiat sur les réseaux sociaux pour saluer “ses mots de rassemblement.” Question constance, en revanche, on repassera: Aujourd’hui promoteur du “vote efficace”, Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas toujours montré aussi laudatif à l’égard de qu’il considérait, jadis, comme un choix par défaut. 

Mélenchon, le vote utile et la camisole

Retour en 2012. Le candidat du Front de gauche qui a claqué la porte du PS quelques années plus tôt est donné loin derrière le président sortant Nicolas Sarkozy et son principal concurrent François Hollande. Il doit alors faire face à la pression du vote “utile” agité par les socialistes pour contrer la montée de l’extrême droite et assurer la présence de la gauche au second tour. A cette époque, on appelle cela “le vote de victoire.”

Impossible pour Jean-Luc Mélenchon. Le chantre de la VIe République -déjà- refuse invariablement les appels du pied pour ne pas laisser le PS en position hégémonique à gauche. Le tout, en multipliant les critiques à l’égard de ceux qui voudraient siphonner son électorat à travers cette stratégie. “Le vote utile est une camisole de force. Il culpabilise les électeurs: s’ils ne votent pas bien, c’est-à-dire pour les deux principaux partis, c’est Marine le Pen qui va passer”, avance-t-il, fin mars 2012, dans Sud Ouest, pour fustiger “un raisonnement” qui conduit ”à la catastrophe.”

Le vote utile est une camisole de force. Il culpabilise les électeurs.Jean-Luc Mélenchon en 2012

Leur idée”, ajoute-t-il, en parlant des socialistes, “est de ne pas bouger et de récupérer tous les votes, ceux des centristes et de la gauche. (...) On élirait donc un président par défaut. Alors que le pays veut des solutions tranchées.” Une opposition idéologique frontale, donc, qui ne se démentira pas tout au long de la campagne. “Le vote utile c’est le vote Front de gauche”, ira-t-il jusqu’à lancer, lors de son dernier meeting le 19 avril, deux jours avant le premier tour, jugeant que “le niveau du vote FG est l’indicateur du trouillomètre de la droite”.

Alors, pourquoi est-ce différent aujourd’hui? Les rapports de force ont changé. Jean-Luc Mélenchon et les insoumis se retrouvent (toute proportion gardée) dans la position qu’occupaient les socialistes auparavant, en tête des différentes forces de gauche. A une différence -majeure- près: le député des Bouches-du-Rhône est encore loin du second tour (à 5 ou 6 points) si l’on en croît les sondages, quand François Hollande, en 2012, était quasi assuré de se qualifier. 

Coco convoités

De quoi expliquer ce changement de pied? Dix ans plus tard, force est de constater que “le vote efficace” s’affiche désormais en grand -et en lettres capitales- sur les tracts insoumis. “Sans (Jean-Luc Mélenchon) le second tour sera un duo, et non pas un duel, entre la droite et l’extrême droite”, est-il ainsi écrit sur un visuel mis à disposition des militants le 11 février dernier. Culpabilisation, vous disiez? 

Dans le même temps, le numéro deux de la formation, Adrien Quatennens ne manque pas une occasion médiatique pour populariser l’expression et vanter les mérites d’un tel report de voix.

Vous êtes un électeur ou une électrice de gauche, vous voulez véritablement en finir avec le quinquennat d’Emmanuel Macron, vous êtes intéressé par tout ce que l’on propose (...) vous vous dites ‘en effet, il y a clairement un vote efficace qui apparaît dans le tableau’”, explique-t-il à Public Sénat dans une émission diffusée mercredi 16 février. Et d’ajouter: “Si on additionne le score de Jean-Luc Mélenchon et les 3,4% de Fabien Roussel, on est à la porte du second tour.” Ce qui n’est pas foncièrement faux, à condition que le report soit total (une hypothèse d’école qui se vérifie rarement), le ticket d’entrée étant aujourd’hui autour des 16%.

Oui moi voilà: ironie de cette campagne, les communistes -pourtant alliés à Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 2017- se retrouvent désormais dans le rôle du poil à gratter. Ou de caillou -rouge- dans la chaussure insoumise.

Plaider pour le vote utile c’est se priver de voter pour les idées dont on se sent le plus proche."Fabien Roussel, candidat communiste à la présidentielle.

 Ce n’est pas un hasard si Fabien Roussel répond à la demande de “vote efficace” en puisant dans le registre utilisé dix ans plus tôt par son ancien camarade. Invité à réagir, ce jeudi, à la sortie de Ségolène Royal sur BFMTV, le chef de file des communistes -l’une des surprises de ce début de campagne- dit refuser la “camisole de force” critiquée, à l’époque, par le camp “populaire”.

Je crois que c’est Jean-Luc Mélenchon qui a déjà dit ça”, ajoute-t-il, dans un sourire, “plaider pour le vote utile c’est se priver de voter pour les idées dont on se sent le plus proche.”

A chaque fois on nous a expliqué qu’il fallait voter comme au PMU, pour le mieux placé et à chaque fois on s’est fait avoir”, martèle encore son directeur de campagne Ian Brossat sur LCI. Et voilà comment Jean-Luc Mélenchon se retrouve, à gauche, dans la même situation que François Hollande en 2012. En tête, mais relativement seul. Avec le même résultat final? Il veut le croire mais rien n’est moins sûr.

publié le 17 février 2022

Media Crash :
« Tuer l’information, mode d’emploi »

sur https://basta.media/

La concentration des médias n’a jamais été si forte ; et cela nuit à la démocratie. Mediapart et Premières Lignes nous expliquent pourquoi dans un documentaire, Media crash, qui sort au cinéma le 16 février et dont Basta! est partenaire.

Jamais la France n’a connu une telle concentration des médias privés aux mains de quelques-uns. Et cela commence à avoir des effets délétères sur la qualité de l’information, du débat public et donc, la démocratie. Une partie de ces industriels milliardaires, propriétaires de télévisions, de radios, de journaux, veillent à ce que leurs affaires lucratives ne soient pas trop perturbées par des investigations journalistiques.

Et quand les amicales pressions ou l’autocensure des rédactions ne suffisent plus, on passe aux mesures de rétorsion. Économique d’abord, comme celle qui a frappé Le Monde après une enquête sur le port d’Abidjan, alors propriété du groupe Bolloré. Le quotidien a été boudé par le groupe Havas (propriété du groupe Bolloré), qui achète des emplacements publicitaires dans la presse pour le compte de grandes marques, et a perdu plusieurs millions d’euros en recettes publicitaires. Juridique ensuite, à coups de procès en diffamation – et là encore Bolloré en est friand, en particulier dès qu’il s’agit de ses affaires en Afrique. Basta!, France 2 ou Mediapart en ont été notamment les cibles. Le documentaire Media Crash revient sur plusieurs de ces pressions et poursuites bâillons, qui ne concernent pas uniquement le groupe Bolloré.

TPMP a consacré 53 % de son temps d’antenne politique à des candidats d’extrême droite, en premier lieu Éric Zemmour

Un cap est désormais franchi : les médias achetés par le groupe Bolloré (CNews, C8, Europe 1...) servent carrément de tremplin à une idéologie et à un candidat d’extrême droite. La pluralité, même de façade, a disparu. En cachant ce qui est essentiel, en grossissant ce qui est accessoire, en mélangeant informations et opinions, experts en tout et en rien, divertissement et propagande politique, ces médias façonnent, orientent, hystérisent pour certains, le débat. Dans le documentaire, la chercheuse Claire Sécail (CNRS) montre ainsi que, derrière l’humeur badine de Cyril Hanouna et de son émission TPMP (« Touche pas à mon poste »), se cachent de véritables choix politiques : de septembre à décembre 2021, l’émission a consacré pas moins de 53 % de son temps d’antenne politique à des candidats d’extrême droite, en premier lieu Éric Zemmour.

Les grands perdants sont les citoyens et le débat public. C’est tout cela que met en lumière, ou que rappelle le documentaire réalisé par Mediapart et Premières Lignes.

Il sera en salle le 16 février prochain. De nombreuses discussions avec le public sont prévues à l’issue des représentations. Des représentants d’associations, ONG, chercheuses et chercheurs, médias indépendants seront également présents.

Quelques dates de projections-débats :

24/02 - 20h - Montpellier - Cinéma Diagonal. En présence de Valentine Oberti

24/02 - 19h - Perpignan - Cinéma le Castillet. En présence de Edwy Plenel, modéré par Made In Perpignan, en partenariat avec le Club de la presse Occitanie. 

 

Media crash, une coproduction Mediapart et Premières Ligne, un film coréalisé par Luc Hermann et Valentine Oberti. Au cinéma le 16 février.

publié le 15 février 2022

Jean-Luc Mélenchon veut « gouverner par les besoins »

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Le candidat insoumis à la présidentielle a rassemblé ses soutiens à Montpellier ce dimanche 13 février.

« Gouverner par les besoins, financer en faisant des ruptures ». Jean-Luc Mélenchon a précisé sa méthode pour appliquer son programme, lors de son meeting à Montpellier, le 13 février, trois jours après son émission sur France 2, et alors qu’il est donné en moyenne à 10 % par les instituts de sondage.

Les insoumis ont annoncé avoir réuni 8000 personnes pour cet événement de leur campagne dans le sud de la France. À cette occasion, le candidat à l’élection présidentielle a mobilisé ses troupes pour ce qu’il a annoncé comme une « bataille politique » : « Si nous gagnons, vous ne serez pas appelés à soutenir le gouvernement, mais à participer à la bataille politique et au rapport de force que nous devons construire », estime le candidat de l’Union populaire. Lors d’un discours d’une heure, Jean-Luc Mélenchon s’en est pris au « nouvel ordre du monde qui a commencé par l’invasion de l’Irak », et qui a permis selon lui l’arrivée du néolibéralisme. Dans ce chapitre mondial, il a une nouvelle fois plaidé pour le « non-alignement » de la France, en évoquant la crise ukrainienne. « La France deviendra, sous notre autorité, militairement indépendante. Nous n’avons plus à être cette puissance impériale qui intervient ici ou là », assure Jean-Luc Mélenchon. Dénonciation également d’un « capitalisme parasitaire », se nourrissant « des désastres qu’il provoque ». « Le parasitisme du capital financier, a-t-il ainsi fustigé, c’est quand vous regardez ce qu’ils font d’une année sur l’autre et que vous découvrez que leur parasitisme détruit l’outil de production. Ils ont versé plus de dividendes qu’ils n’ont faits de bénéfices ». En faisant allusion au scandale d’Orpea, il a clamé qu’il supprimerait « les structures lucratives » qui gèrent les EHPAD.

Le candidat de l’Union populaire a également proposé « un investissement de 200 milliards d’euros pour la transition écologique », et un million d’emplois pour la mener à bien. Il estime également que le pays a besoin d’un million d’emplois publics supplémentaires. Il compte financer ces investissements en « faisant des ruptures » : c’est-à-dire en supprimant « le marché là où il n’a rien à faire, notamment dans l’éducation et la santé », et en « bloquant le mécanisme de l’accumulation en répartissant » les richesses.

publié le 14 février 2022

Présidentielle. « Les jours heureux ? Évidemment que ça me parle ! »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Aux côtés des communistes, de nombreux sympathisants rejoignent les comités de campagne de Fabien Roussel, le candidat du PCF à l’Élysée crédité pour la première fois ce vendredi de 5 % par un sondage. À Marseille, Hélène, une jeune vendeuse et ancienne syndicaliste étudiante, et Pascal, un travailleur social et militant associatif, ont décidé de franchir le pas.

Peut-on encore s’intéresser à une élection présidentielle en 2022 sans être un militant de longue date ? Si les Français, selon les politologues, sont encore assez peu dans le bain de la campagne, Hélène et Pascal, eux, ont franchi le pas. Ils en sont même devenus acteurs à part entière en rejoignant le comité des Jours heureux des 9 e et 10 e arrondissements de Marseille. Comme tous les communistes avec lesquels ils s’activent pour faire connaître leur candidat, ils se sentent encourager par les « Oh les cocos ne lâchez rien ! » entendus à la sortie d’une station de métro, trois jours avant le meeting de Fabien Roussel dans la cité phocéenne. Eux, ont choisi de ne pas adhérer mais ils mènent campagne tambour battant comme « compagnons de route ».

Elle, a 27 ans. Ancienne syndicaliste étudiante, et malgré un master 2 en physique chimie, elle travaille comme responsable d’étage dans une boutique. Lui, est mandataire judiciaire à la protection des majeurs. « C’est juste le nouveau terme pour tuteur », précise-t-il, bonnet rouge vissé sur la tête, avec un accent qui ressemble à s’y méprendre au chant des cigales. Elle a trouvé la suite de son engagement étudiant auprès des communistes. « Au-delà de leurs idées politiques, ils sont toujours aux côtés des populations. Par exemple, quand des sections organisent du soutien scolaire, ça me parle », assure Hélène. Lui ne se définit pas comme communiste. « Je laisse ça à ma femme !, s’amuse Pascal, elle a une façon de penser, de réfléchir. Devant la télévision, elle ne peut s’empêcher de tout décrypter. »

Tous deux sont des membres actifs du « Comité des jours heureux » de leurs quartiers. Des assemblées générales y sont organisées tous les mois. Et c’est d’abord la fraternité qu’elle y trouve qui a séduit Hélène. « Les communistes ont une bienveillance auprès de tout le monde. Dès que j’ai une question sur la politique ou la société, ils prennent le temps de m’expliquer leurs points de vue », raconte la jeune vendeuse. Travaillant 43 heures par semaine, elle ne peut consacrer que peu de temps à la campagne, « généralement le soir de mon jour de repos, et l’accueil des habitants est de plus en plus positif ». « Moi je reste un simple mercenaire, quand on m’appelle et que je peux donner un coup de main, je fonce », poursuit Pascal. Fils d’un militant socialiste, ce président d’une association luttant contre la bétonisation à marche forcée de la cité refusait de s’engager dans les joutes politiques avant le Printemps marseillais. Il en a été l’un des candidats étiquetés « société civile ». « L’élection de Benoît Payan m’a fait dire que les choses pouvaient bouger », assure-t-il. Car aux dernières municipales, la gauche unie a mis fin aux années de la droite Gaudin, mortifères pour les classes populaires. Et d’ajouter : « je suis de la gauche qui veut que ça change ! »

Et pour cause. Comme beaucoup, ces sympathisants vivent au quotidien les conséquences des régressions sociales des dernières décennies. « Quand j’ai commencé en 1994, avec le statut d’assistant social, je suivais 45 personnes maximum. Maintenant j’en ai 85 », témoigne, un brin furax, Pascal. Le nœud du problème est pour lui évident : « une politique de réduction des coûts » qui lui donne « l’impression d’être un gestionnaire de patrimoine ». Après deux années de prépa au lycée du parc à Lyon, Hélène s’est inscrite en 3e année de licence, à Luminy, près de Marseille. « Mes conditions de vie en cité U m’ont conduit à rejoindre l’UNEF. Dans ma chambre, le plafond de la douche était tellement pourri qu’il tombait. » Durant ses études, les mobilisations ont réussi à arracher un échelon 0 bis pour les bourses, d’un montant de 1 042 € versé sur 10 mois. « Si on n’a pas la chance d’avoir des parents qui peuvent nous aider, on ne peut étudier dignement. Fabien Roussel a raison de faire de la jeunesse une priorité, quand d’autres souhaitent augmenter les frais de scolarité. » Une allusion à Emmanuel Macron, qui estime désormais qu’ « on ne peut pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix », quand le candidat du PCF table sur un revenu étudiant de 850 euros minimum, ouvert à tous. « Regardez le scandale dans les EPHAD ! enrage à son tour Pascal. En confiant leur gestion au privé, le capitalisme, avec sa logique de bénéfice à tout prix, dégage de l’argent sur le dos des retraités. C’est une connerie monumentale, mais on continue de leur déléguer des missions publiques ! » Pour le travailleur social, c’est au cœur du système économique qu’il faut s’attaquer. « Au pouvoir sous Hollande, les verts et les socialistes ont montré qu’ils ne voulaient pas la rupture, déplore-t-il. Il faudrait au contraire taper dans le portefeuille des grosses entreprises et des riches. »

La gauche n’en est pas moins en difficulté, aucun de ses candidats ne parvient à franchir durablement la barre des 10 %. « À défaut d’une victoire, Fabien Roussel remet de l’espoir dans la vie des gens. On fait des belles choses et advienne que pourra », répond Hélène, un brin fataliste. Pour Pascal, l’essentiel c’est qu’avec des propositions comme l’embauche de 90 000 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) dans l’Éducation nationale, « la candidature communiste permet un débouché politique à nos revendications ».

D’ailleurs, dans la cité de la bouillabaisse, la polémique autour du vin, de la viande et du fromage laisse pantois ces deux néomilitants. « Je ne regarde pas les chaînes infos parce que ça m’énerve et je n’étais même pas au courant de cette polémique », balaye l’ex syndicaliste de l’Unef tandis que Pascal s’agace. « Ceux qui l’ont critiqué sont totalement idiots. D’autant que dans sa réponse, Roussel réussi à poser la question sociale de l’accès à une alimentation de qualité pour les plus pauvres », reproche-t-il. « Cela me rend malade de voir la misère dans la rue en bas de chez moi. La gauche ne peut pas gagner la présidentielle, mais quand j’écoute les communistes, ils parlent de la vie vraie, et mènent la bataille idéologique », insiste-t-il. Le « roussellement » - selon la formule utilisée à Marseille par le député du Nord pour prendre le contre-pied de la théorie du ruissellement si chère à Emmanuel Macron - fait de mesures sociales dont le Smic à 1 500 euros net, les 32 heures et la retraite à 60 ans, ça lui parle.

Comme Hélène, il a d’ailleurs prêté main-forte pour le meeting de Fabien Roussel. « C’était une première pour moi et c’était impressionnant, rapporte Pascal. Voir autant de fraternité, ça fait chaud au cœur. Les gens réagissaient à l’unisson non pas par fétichisme, mais parce que le candidat portait leurs tripes ! » La jeune femme avait participé à celui de la place Stalingrad en novembre à Paris, « mais ici, il y avait plus de monde », se réjouit-elle confiant son émotion de voir « chanter l’internationale, tous ensemble, le poing levé ». Une symbolique militante qui se transmet aussi à l’occasion de cette campagne. « J’ai appris la signification des Jours heureux il n’y a pas longtemps. Je ne suis pas communiste moi ! », s’amuse Pascal, qui voit dans ce slogan, repris du programme du Conseil national de la Résistance, « un très beau projet de société ». « Évidemment que ça me parle. Ce n’est pas le but de la vie de se lever tous les matins en étant triste, s’enthousiasme Hélène, je ne veux pas avoir que des contraintes, mais du « temps pour » ! ». La suite ? « La campagne est bien partie ! La présence de Sophie Camard est un signal positif », glisse le travailleur social. Figure du printemps marseillais, la maire du 1er secteur de Marseille et suppléante de l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale a annoncé son soutien à Fabien Roussel, le temps de la présidentielle, convaincue que « la gauche ne peut exister sans parler au monde du travail ». Un élargissement, vivement souhaité l’équipe de campagne du candidat et qui pourrait contribuer à ancrer la « dynamique Roussel », déjà visible dans la cité phocéenne et qui commence à se répercuter dans les enquêtes d’opinion, avec un premier sondage Opinionway le créditant de 5 %.

publié le 9 février 2022

L’unification du syndicalisme de lutte trotte dans la tête de certains responsables syndicaux

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

L’unification de la FSU, de Solidaires et de la CGT n’est pas pour demain. Mais ces derniers mois, la question s’est invitée dans des débats et prises de position. Ici dans le congrès d’une fédération, là dans celui d’une organisation nationale interprofessionnelle. Cette semaine à Metz, c’est au tour de la FSU de la mettre à l’ordre du jour de son congrès et de lui faire franchir une étape.

 La séance, mercredi après-midi, du congrès de la FSU marquera-t-elle l’histoire du syndicalisme français ? L’avenir nous le dira. En tout cas, les interventions de Philippe Martinez pour la CGT, puis de Simon Duteil et Murielle Guibert pour Solidaires, ont été accueillies par des applaudissements nourris et des congressistes debout. Puis par une « Internationale » chantée avec émotion par toute la salle. Ils étaient les trois seuls invités présents physiquement dans ce congrès. Pour sa part, Jean-François Julliard de Greenpeace, avec qui les trois formations syndicales travaillent au sein du collectif « Plus jamais ça », adressait un message par visioconférence.

« Les salariés se posent et nous posent la question du nombre de syndicats en France. L’unité est une attente forte, mais on doit être capable d’aller plus loin, de discuter, et pas que d’en haut, des rapprochements possibles. On ne sait pas jusqu’où on pourra aller, mais on doit avancer » avait déclaré Philippe Martinez quelques minutes plus tôt. Faisant le constat d’un travail commun avec la FSU et Solidaires, dans les luttes et les collectifs, le secrétaire général de la CGT a évoqué à deux reprises la possibilité « d’aller plus loin ».

Une unification à petits pas

C’est justement de cet « aller plus loin » dont la FSU débat en séance ce jeudi à Metz. Dans son thème numéro 4 « Pour une FSU combative, unitaire et engagée au quotidien » plusieurs paragraphes traitent de cette question. « La FSU confirme […] ses mandats précédents de réunir le syndicalisme de transformation sociale en débattant pour cela avec la CGT et Solidaires des étapes allant dans le sens de la construction d’un nouvel outil syndical, sans exclusive des forces qui seraient intéressées » introduit le texte préparatoire au congrès. Puis il insiste : « il est nécessaire d’œuvrer à créer les conditions d’une reconstruction et d’une refondation du syndicalisme pour les enjeux à affronter au 21e siècle ».

Certes, la question d’une unification syndicale n’est pas nouvelle à la FSU. La fédération est la lointaine héritière de la fédération de l’éducation CGT d’après guerre qui avait préféré une autotomie transitoire, après la scission du syndicalisme français en 1947. Mais c’était il y a 75 ans et le provisoire avait finalement perduré. Depuis, la FSU a essayé dans les années 2000 d’élargir son champ de syndicalisation au-delà de son bastion que constitue l’Éducation nationale. Et ce, afin d’avoir son propre outil interprofessionnel. Mais cette expérience aux résultats limités n’est semble-t-il, plus sa perspective à la lecture de son texte de congrès.

Fin septembre déjà, Benoît Teste, son secrétaire général, adressait un message évoquant l’ouverture de la FSU à des rapprochements syndicaux. C’était à l’occasion du congrès de l’Union syndicale Solidaires qui se tenait à Saint-Jean-de-Monts en Vendée. Une ouverture qui semblait aussi de mise à Solidaires. Dans sa déclaration de fin de congrès, l’union syndicale affirmait que la situation « nous oblige à réfléchir à l’ensemble des réponses pour faire face, notamment aux liens plus étroits à développer avec les autres syndicats de lutte et de transformation sociale, sans présupposés ». Cela en esquissant la nature possible de ces liens : « se fédérer, discuter de la possibilité de la recomposition intersyndicale à la base, dans les territoires et les secteurs, ne doit pas être tabou ». Une petite révolution pour des syndicats SUD fondés, à la fin des années 80 et dans les années 90, après leur exclusion de la CFDT. Et qui en conserve une certaine méfiance vis-à-vis d’un modèle syndical organisé en confédération.

Quand est-il à la CGT ? À ce jour, il n’y a pas de prise de positions confédérales sur une unification du syndicalisme de lutte et de transformation sociale. Pour autant, cette question existe dans quelques fédérations. Depuis plusieurs années, dans celle de l’éducation, de la recherche et de la culture (FERC), mais également, de façon plus récente, au sein de l’Union des syndicats de l’État (UFSE). Réunie en congrès au mois de novembre, cette fédération écrivait dans son document d’orientation voté à 89 % des voix que « la question du rassemblement du syndicalisme de transformation sociale se pose ». L’UFSE indiquant que « cet objectif de rassemblement du syndicalisme doit se faire prioritairement avec la FSU et Solidaires, sans pour autant écarter d’emblée d’autres organisations syndicales qui partageraient nos valeurs ou qui souhaiteraient s’associer à un tel processus ».

 Réflexions sur la méthode

 Prendre des positions favorables à une unification syndicale est une chose. La réaliser en est une autre, pour des organisations aux histoires, aux cultures et aux pratiques différentes. Cependant, aujourd’hui, avec le congrès de la FSU, une étape plus concrète semble se dessiner. « Nous allons un peu plus loin, car il y a une forme d’urgence liée à la situation politique », explique Benoît Teste. Crise sociale, crise écologique, difficultés du syndicalisme, montée de l’extrême droite, les sujets d’inquiétude sont nombreux pour les syndicalistes. « Nous voulons essayer de nous donner des étapes et passer aux travaux pratiques », assure le secrétaire général de la FSU pour qui « il y a une fenêtre de tir particulièrement favorable ».

Ce jeudi en séance, les congressistes débattront clairement de la méthode. Ainsi, un certain nombre de propositions sont sur la table, ou plutôt dans le texte préparatoire aux échanges : élaborer des plateformes revendicatives partagées, des formations et publications communes, travailler sur des thèmes ensemble ou encore organiser des états généraux du syndicalisme de transformation sociale. Sont même envisagées « des formes de structurations permanentes » telles que des comités de liaisons et « une étape nouvelle d’unité syndicale pérenne dans la fonction publique se traduisant par un cadre formalisé ».

Des propositions concrètes qui résonnent avec celles imaginées, en novembre dernier, au congrès des syndicats de l’État CGT : « il faut envisager des formations communes, organiser des colloques ou journées d’étude pour échanger, débattre et faire avancer une réflexion partagée sur les problématiques des services publics et sur de nouveaux droits à conquérir ». Une sorte d’alignement des étoiles, entre plusieurs organisations syndicales œuvrant dans la fonction publique, qui pourrait déboucher sur « la constitution de nouvelles listes intersyndicales […] comme une des formes de concrétisation d’un travail syndical commun » imagine Benoît Teste de la FSU. Et être à la fois une étape importante dans un projet d’unification à long terme et le socle de la construction de celui-ci.

 Tout n’est pas si facile

 Certes, l’idée d’une unification syndicale ou d’un rapprochement fait son chemin à la tête de la FSU, de Solidaires et de la CGT, comme en attestent les déclarations de leurs représentants au congrès de la FSU cette semaine. Assurément, la participation des trois syndicats à l’écriture, avec des ONG et associations écologistes et altermondialisation, de propositions de sortie de crise dans le collectif « Plus jamais ça » a aidé à leur rapprochement, en montrant leur capacité à travailler ensemble et à créer une confiance réciproque. Et au sein du collectif, l’appartenance commune au secteur de l’éducation de Benoît Teste (FSU), Simon Duteil (Solidaires) et Marie Buisson (CGT) a probablement été un élément facilitateur. Mais une unification du syndicalisme de lutte et de transformation sociale n’est pas, et ne sera pas, un long fleuve tranquille.

 La FSU vient de passer avec succès le crash test d’une « démocratisation » de la proposition à l’occasion de son congrès. À l’avenir, cette perspective devrait y être portée collectivement. Mais à ce jour, ce n’est pas le cas à Solidaire ou à la CGT. Pour cette dernière, le débat n’a pas débordé des rares fédérations citées plus haut. En tout cas, il n’a pas eu lieu au Comité confédéral national (CCN) qui réunit plusieurs fois par an les responsables des fédérations et des unions départementales, pour fixer les orientations de la CGT entre deux congrès. Et il est à peu près certain que l’accueil d’une telle proposition sera moins consensuel qu’à la FSU.

D’abord parce qu’en dehors de la fonction publique, les syndicats CGT sont moins souvent en relation avec des militants des deux autres organisations, du fait de leur taille plus réduite ou de leurs implantations plus faibles dans le secteur privé. Ensuite, parce que son dernier congrès a mis l’accent sur des crispations internes à propos de l’identité de la CGT, aux dépens des enjeux stratégiques pour son syndicalisme de classe et de masse. Enfin, parce que le choix de la direction confédérale de s’ouvrir aux questions écologiques, avec des associations et ONG autour de « Plus jamais ça », a suscité des remous internes. Sur la forme, en déplorant le manque de débats internes. Mais aussi sur le fond, comme en attestent les prises de position l’an dernier de Laurent Brun, le secrétaire général de la puissante fédération des cheminots. Dans un courrier adressé au bureau confédéral, il dénonçait le travail « avec des organisations dont la nature ne nous apporte rien dans la lutte parce qu’elles n’ont pas de base sociale. Leur activité est essentiellement axée sur le lobbying ou sur l’action juridique. Et nous retrouvons même certaines d’entre elles contre nous dans nos batailles revendicatives ».

S’il est possible que d’autres fédérations soient vent debout contre l’hypothèse d’une unification syndicale, l’UFSE-CGT en appelle cependant à un débat qui « doit se mener dans la plus grande transparence, à tous les niveaux, de la section d’établissement jusqu’à l’échelle nationale en lien avec les structures interprofessionnelles de la confédération et la confédération elle-même ». C’est aussi ce qu’a tenté le secrétariat national de Solidaires en mettant au débat de son comité national de janvier une « discussion sur la recomposition syndicale ». Il y était question quatre mois après la prise de position de congrès de Solidaires d’entamer le travail en regardant notamment les différentes « réalités sectorielles, territoriales et interprofessionnelles ». Sans grandes avancées et même avec l’expression de réserves montrant selon Simon Duteil, l’un des deux porte-parole de l’union syndicale, que le débat n’est pas encore mûr, et n’a pas suffisamment traversé les syndicats.

Autant d’éléments qui rendent la perspective d’une unification syndicale difficile. Ou au moins très lente. À moins que les jalons posés cette semaine par le congrès de la FSU ne fassent évoluer les positions. Ou, que les difficultés rencontrées par le syndicalisme pour enregistrer des victoires face aux politiques libérales, associées à la pression d’une extrême droite conquérante modifient l’appréciation des uns et des autres.

 publié le 8 février 2022

Présidentielle « La gauche ne peut exister sans parler au monde du travail »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Entretien avec Sophie Camard, maire (Printemps marseillais) du 1er secteur de la cité phocéenne, qui a annoncé dimanche son soutien au candidat communiste Fabien Roussel.

Sophie Camard Maire (Printemps marseillais) du 1er secteur de Marseille

Figure du Printemps marseillais et suppléante de Jean-Luc Mélenchon (FI) à l’Assemblée nationale, Sophie Camard va parrainer le candidat du PCF à la présidentielle. Malgré des divergences de vues, notamment sur le nucléaire, les propositions sociales de Fabien Roussel ont convaincu l’édile de rejoindre la campagne des jours heureux.

Quel était le sens de votre présence, dimanche, au meeting de Fabien Roussel à Marseille ?

J’y ai participé, avant tout, pour soutenir des partenaires fidèles. Tout le monde s’étonne mais c’est pourtant une habitude quotidienne pour moi de travailler avec les communistes. D’ailleurs, j’ai une longue histoire avec le PCF. Nous avons fait front commun lors de la dernière campagne de Jean-Luc Mélenchon, mais aussi aux régionales de 2015, où je partageais la tête de la liste EELV-Front de gauche avec Jean-Marc Coppola (PCF). À Marseille, ce sont des acteurs incontournables et ils font partie de l’histoire de la cité. Voir Fabien Roussel redonner de la fierté à cette famille politique est quelque chose d’émouvant, et j’ai tenu à le dire.

Quelle place allez-vous prendre dans cette campagne des jours heureux ?

Je vais la soutenir en parrainant la candidature de Fabien Roussel, tout en restant avant tout maire de mon secteur. Je fais partie de ces électeurs de gauche un peu orphelins de l’unité, et j’espère que cela va finir par se décanter. D’ailleurs, depuis le retrait d’Arnaud Montebourg, mon parti, la Gauche républicaine et socialiste (GRS), regarde avec sympathie cette candidature communiste. Comme moi, d’autres soutiens d’élus locaux pourraient se faire connaître.

J’attendais depuis longtemps que les questions de pouvoir d’achat, de droit du travail reviennent au premier plan.

Fabien Roussel met en avant des propositions, notamment sur l’énergie, qui clivent à gauche. Vous venez de l’écologie politique, qu’est-ce qui vous a convaincue ?

Il persiste des différences entre les mesures défendues par Fabien Roussel et mes positions, notamment sur le nucléaire. Mais dans la campagne des jours heureux, je note aussi des avancées sur l’écologie, même si ce n’est pas encore suffisant. Surtout, j’ai été pendant vingt ans experte auprès des syndicats dans des comités d’entreprise, et cette expérience me fait dire que la gauche ne peut exister sans parler au monde du travail. J’attendais depuis longtemps que les questions de pouvoir d’achat, de droit du travail reviennent au premier plan. Ce sont là les fondamentaux de la gauche, loin des débats autour de l’identité. À mon sens, il faut porter avec fierté les valeurs de la gauche et persister à rester aux côtés du monde du travail. Et hormis Fabien Roussel, personne ne l’a fait jusqu’à présent.

Vous êtes également, depuis 2017, la suppléante de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale, envisagez-vous de vous présenter aux législatives sur cette circonscription ?

Il n’y a plus de cumul des mandats ! Les nouveaux élus marseillais ont l’obligation de tenir leurs engagements et nous avons beaucoup de travail pour rebâtir cette ville. Nous ne sommes pas dans un mandat ordinaire, nous sommes engagés dans un projet et dans un contexte de crise. Mais, j’espère que, dans la circonscription de Jean-Luc Mélenchon, la gauche ne partira pas dispersée.

 publié le 5 février 2022

En territoire ennemi

par Sébastien Fontenelle sur www.politis.fr

Bien sûr, on peut se raconter qu’on n’aurait jamais imaginé que Bolloré et ses séides fussent si peu fair-play.

Mélenchon n’est pas content. Au mois de septembre dernier, il avait déjà débattu, sur BFM TV, avec Éric Zemmour, candidat d’extrême droite, que cette reconnaissance de sa légitimité avait ravi. On allait voir ce qu’on allait voir, promettait le fan-club de « Méluche » : il allait ratiboiser son interlocuteur et plier tout le truc vite fait, bien fait. On a vu, en effet : dans les jours qui avaient suivi, Zemmour avait pris cinq points supplémentaires dans les sondages.

Fort de ce premier succès, Mélenchon a remis ça, en acceptant la semaine dernière de se laisser interroger pendant dix minutes par Zemmour, sur C8, chaîne du groupe Bolloré, et dans une émission animée par Cyril Hanouna. En territoire ennemi, donc – puisque les télés de Bolloré sont assez ostensiblement dédiées à la promotion de la droite réactionnaire en général et, depuis quelques mois, de Zemmour en particulier.

Et ce fut bien sûr – et comme prévu – terrible. À l’image de ce moment, particulièrement consternant, où Mélenchon a lancé à Zemmour, qui promet d’expulser toutes les immigré·es clandestin·es présent·es sur le territoire français : « Ce que vous savez, c’est que si vous voulez expulser un million de personnes, ça ne tient pas debout, parce que le temps de les capturer – pendant ce temps-là, évidemment, vous pensez que le reste de la délinquance va se tenir tranquille ? » (Attends, un raciste fanatique délire sur « les clandestins », et tu lui réponds que ce sont des délinquant·es ?)

Moyennant quoi, donc, Mélenchon n’est pas content et s’est fendu, au lendemain de ce si pénible happening, d’un billet de blog énervé, où il dénonce particulièrement le fait que cet échange s’est éternisé : « Quand une séquence qui devait durer vingt minutes avec Zemmour au lieu de dix par faveur de l’antenne dure, pour finir, une heure dix, on a du mal à ne pas avoir le sentiment de s’être fait manœuvrer. » Où il regrette, aussi, que C8 ait transformé « un grossier raciste en sujet politique à qui on sert une heure de télé en cadeau ». Et où il promet pour finir de « ne plus jamais accepter aucune émission sans garantie sérieuse d’équilibre, quitte à annuler une heure avant ou à quitter un plateau en cours de route ». Avant de conclure : « À bon entendeur, salut ! »

Et bien sûr, on peut toujours se raconter qu’on n’aurait jamais imaginé que Bolloré et ses séides fussent si peu fair-play. On peut se plaindre d’avoir été manœuvré quand on s’est laissé faire – sans se lever pour se casser. On peut faire mine de découvrir tout d’un coup des dispositifs télévisuels parfaitement connus depuis de longues décennies : pour plus de détails, réécouter ou relire Bourdieu. On peut promettre, jurer, cracher qu’on demandera, une prochaine fois, des « garanties sérieuses » à des baratineurs professionnels.

Ou alors on peut décider, une bonne fois pour toutes, de ne plus jamais se prêter, d’enthousiasme, en lui reconnaissant un statut d’interlocuteur légitime, au très dangereux et douteux petit jeu consistant – effectivement – à faire d’un grossier raciste un sujet politique.

publié le 3 février 2022

PCF-Medef : quels choix pour le prochain quinquennat ?

sur www.humanite.fr

Face à face. L’un veut s’attaquer au coût du capital, l’autre au coût du travail. Pour l’Humanité, Fabien Roussel, le candidat du PCF, et Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, ont accepté de débattre de leurs propositions pour la présidentielle.

Partage des richesses, fiscalité, protection sociale, réindustrialisation, temps de travail, écologie… Le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel, et le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, ont accepté de confronter une heure durant leur vision de la société et des grands enjeux des élections de 2022.

Crises sanitaire, sociale et économique… Les deux dernières années ont été marquées par une série de chocs. 2022 doit-elle être l’occasion de changer notre modèle économique  ?

Geoffroy Roux de Bézieux Après les arrêts de production et les dispositifs mis en place, le résultat, à la surprise de tous, est que nous avons davantage de gens employés, plus d’entreprises et moins de faillites que prévu. Désormais, la transition écologique est la mère de toutes les batailles. Pour produire avec moins d’émissions de gaz à effet de serre, jusqu’à l’objectif de neutralité en 2050, nous avons deux solutions : moins consommer – une toute petite minorité défend cette ligne – ou parvenir, grâce à la technologie, à produire la même quantité de biens en émettant moins de CO2. La transition ­écologique réclame des efforts massifs d’investissement dont une partie doit être planifiée avec l’État. Cela va peut-être surprendre, mais le mot planification ne me fait pas peur, car nous avons besoin d’une vision à dix, vingt, trente ans.

Fabien Roussel Relever le défi climatique est encore possible dans la décennie qui vient. Mais cela nécessite des transformations profondes de nos modes de consommation et de production. Je veux relocaliser l’industrie pour éviter les émissions carbone importées, produire ici en Europe, en France ce dont nous avons besoin. Sur un marché de 450 millions d’habitants, nous avons de quoi faire quand même. Le deuxième enjeu fondamental est de pouvoir se passer des énergies fossiles au plus vite. Nous devons donc investir dans une production d’électricité décarbonée, le nucléaire. C’est indispensable pour réindustrialiser le pays. Car le prix de l’électricité a triplé, celui du gaz a quintuplé : c’est un poids énorme sur les charges réelles des entreprises. Mais il ne suffit pas d’investir, il faut créer une filière de formation, du CAP au diplôme d’ingénieur.

Comment atteindre cet objectif de relocalisation
qui a été évoqué ?

Fabien Roussel Pour y parvenir, il faut commencer par rompre avec la logique de rentabilité à tout prix poursuivie par les grands groupes. La France est encore une fois championne d’Europe de distribution de dividendes. Ce modèle économique a failli. Ce capitalisme n’a pas répondu aux attentes sociales et a épuisé la planète. En Europe, 90 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté alors que les traités européens nous avaient promis la prospérité. Il faut mettre fin à la course sans fin aux profits et fixer des objectifs sociaux et environnementaux aux entreprises, à l’économie.

Geoffroy Roux de Bézieux Je ne crois pas à un retour du protectionnisme. On ne produira pas à 100 % en Europe pour de nombreuses raisons, notamment le modèle de protection sociale. Mais on peut imaginer une rerégionalisation des chaînes de valeur. Certains proposent de sortir du capitalisme, mais, vu de la fenêtre du Medef, il s’agit de trouver un modèle de capitalisme européen qui combine liberté entrepreneuriale, croissance et protection sociale face au capitalisme « ultralibéral » américain et au capitalisme dirigiste chinois.

Fabien Roussel À propos de ce modèle, vous avez estimé que « c’est celui qui paie qui décide »

Geoffroy Roux de Bézieux Je ne suis pas contre la présence dans le conseil d’administration des entreprises cotées de salariés, mais, à la fin des fins, il faut du capital et c’est donc celui qui le détient qui décide.

Fabien Roussel C’est injuste. D’abord, l’État paie lui aussi.

Geoffroy Roux de Bézieux Il prélève d’abord…

Fabien Roussel Je pourrais lister les 70 milliards d’exonérations de cotisation annuelle dont bénéficient les entreprises ou encore les diverses niches et autres crédits d’impôts… Mais les salariés participent eux aussi, ils ne donnent pas de sous mais produisent les richesses par leur force de travail. Ils ont le droit à la décision. Le changement de modèle économique, c’est ça : passer d’une logique de profit à des critères sociaux, environnementaux décidés ensemble. Il est par exemple scandaleux que des groupes comme Orpea et Korian remplissent leurs objectifs de rentabilité sur le dos de nos parents, de nos grands-parents et de leurs salariés.

Les entreprises du CAC 40 ont réalisé des profits record en 2021 et augmenté les dividendes. De quoi accroître encore les plus grands patrimoines. Faut-il revoir la fiscalité des entreprises et des particuliers pour lutter contre les inégalités ?

Geoffroy Roux de Bézieux Au Medef, nous ne sommes pas pour faire de la France un paradis fiscal parce qu’on a besoin de services publics, d’éducation, de police, de justice, d’armée… D’ailleurs, on soutient la position de l’OCDE d’un impôt minimal. On veut faire la course avec les mêmes armes que les autres. Malheureusement, les prélèvements plus élevés que chez nos voisins, notamment sur les entreprises industrielles, expliquent en partie les délocalisations.

Fabien Roussel Je conteste cela car, s’il fallait comparer, il faudrait compter tout ce que les salariés sont obligés de payer ailleurs pour avoir un vrai système de protection sociale, une bonne retraite, une bonne couverture santé… Ces quinze dernières années, la fiscalité sur le capital n’a cessé de baisser. À tel point que la première ressource du budget de l’État, c’est la TVA, qui est profondément injuste. Je défends aussi l’idée d’un prélèvement de 100 milliards sur les 358 000 foyers qui avaient, selon le dernier rapport dont nous disposons sur l’ISF, un patrimoine taxable de 1 028 milliards d’euros en 2017. Il leur resterait tout de même 900 milliards.

Geoffroy Roux de Bézieux Mais tous les ans ? Donc, au bout de dix ans, il n’y a plus rien…

Fabien Roussel Mais ces patrimoines augmentent régulièrement. Et depuis 2017 ils ont dû s’envoler, vu la baisse de la fiscalité dont ces foyers ont bénéficié. C’est une injustice énorme. D’ailleurs, elle a aussi été réduite pour les bénéfices des grandes entreprises, passant 31 % à 27 % et bientôt à 25 %, mais pas pour les plus petites. Or, ce sont ces grands groupes qui dégagent les marges les plus importantes, tout en faisant parfois des choix économiques durs pour le pays. Comme Renault ou Peugeot, qui ont choisi de délocaliser la Dacia Spring et la C5 en Chine. On doit non seulement revoir la fiscalité mais y attacher des critères pour relocaliser.

Geoffroy Roux de Bézieux On peut trouver injuste que telle personne gagne beaucoup. Mais vous confondez morale et efficacité. La fiscalité est un outil d’efficacité, pas de moralisation. Augmenter l’impôt sur le capital comme d’ailleurs sur les transmissions aurait une conséquence simple. La seule manière de les acquitter serait de vendre l’entreprise. Car 95 % des entreprises ne sont pas cotées et relèvent d’un actionnariat familial. Posséder 20 % d’une société, c’est être riche virtuellement. Malheureusement, toutes ces PME à vendre ne seront vraisemblablement pas rachetées par des actionnaires français mais par des fonds de pension anglo-saxons. Les centres de décision quitteront la France et l’emploi risque de disparaître petit à petit. Mais vous allez détruire le capitalisme familial, qui, lui, est patient et raisonne à long terme sur son territoire.

Fabien Roussel Mais la fiscalité actuelle sur les entreprises est tout sauf juste. Les petits, soit les 520 000 TPE, paient gros. Les gros paient très petit grâce à des bataillons de fiscalistes experts en évasion fiscale. Vous proposez une nouvelle baisse des impôts de production. Sur les 10 milliards d’impôts de production déjà supprimés pour les deux années en cours, deux tiers profitent aux 9 000 grandes entreprises et entreprises à taille intermédiaire.

Geoffroy Roux de Bézieux C’est logique puisque l’impôt sur la production est calculé sur le chiffre d’affaires.

Fabien Roussel Ces grandes entreprises n’ont pas besoin de cet argent. Elles le redistribuent d’ailleurs en dividendes.

Geoffroy Roux de Bézieux Nous avons besoin de grandes entreprises et d’ETI (entreprise de taille intermédiaire – NDLR) conquérantes. Et le dividende, c’est le loyer de l’argent. En moyenne, le CAC 40 verse un rendement de 2,8 % par action, soit à peu près la même chose que dans l’immobilier. Sans dividendes, les actionnaires partent investir ailleurs, chez les concurrents, dans des fonds de pension.

Qu’en est-il du financement de la protection sociale ? Comment voyez-vous l’évolution de notre système de retraite ?

Geoffroy Roux de Bézieux En 1945, nous avons fait le choix collectif d’un système par répartition où les actifs paient pour les retraités. À l’époque, 6 actifs cotisaient pour un retraité. Aujourd’hui, on est autour de 1,7. On a donc besoin de travailler plus longtemps. Une autre solution serait de créer trois millions d’emplois. On peut aussi augmenter les cotisations. Mais, comme le niveau des prélèvements en France est parmi les plus élevés d’Europe, nous aurons un problème de compétitivité avec nos voisins européens. Votre proposition d’augmenter le Smic brut à 1 800 euros pose le même problème. Qui peut être contre ? Sauf que, derrière, les coûts des entreprises vont augmenter. Les gens achèteront donc les produits moins chers de nos voisins européens ou iront moins au restaurant car le coût de la main-d’œuvre représente 60 % du coût de l’addition.

Fabien Roussel Je suis pour le bonheur tout au long de la vie ! À l’école, pendant les études grâce à un revenu étudiant, au travail et après le travail. Un homme est mort dans un entrepôt de logistique où il occupait l’un des postes les plus pénibles. Il avait 63 ans. À cet âge, on ne doit plus être obligé de travailler par nécessité. Je souhaite qu’à 60 ans celles et ceux qui le veulent puissent partir en retraite et profiter de la vie, être actifs pour un tas d’autres choses. C’est une richesse pour la société. Et ainsi 1,2 million de jeunes pourront entrer dans la vie active. Vous-même l’avez dit : avoir une politique de création d’emplois peut aussi nous permettre de disposer d’un modèle à l’équilibre. Pas des emplois de plateforme, d’autoentrepreneur, mais des emplois avec des cotisations et de la protection. La hausse des salaires est aussi indispensable. Ce sont des cotisations en plus, qu’il faudra en outre légèrement augmenter.

Geoffroy Roux de Bézieux Comment faites-vous face à une entreprise allemande qui n’a pas à subir les augmentations de ses coûts de production, de la taxation du capital et l’augmentation du Smic à 1 500 euros net que vous proposez ? Ce système ne marche pas. À moins de fermer les frontières à l’intérieur de l’Europe, ce qui n’est pas votre volonté.

Fabien Roussel Voilà pourquoi nous voulons que l’État accompagne les entreprises en leur donnant accès à des prêts garantis à taux négatif pour diminuer le coût du capital. Avec des critères précis de hausse des salaires, d’embauches, de formation, de localisation de l’activité. Les prêts garantis mis en place depuis 2020, c’est 160 milliards. Nous, nous mettons 200 milliards d’euros, et avec 20 milliards de plus, ajoutés par l’État, pour instaurer les taux négatifs. Si on joue sur tous les tableaux, avec la diminution du coût de l’énergie et la nationalisation d’une des grandes compagnies d’assurances afin de faire baisser les cotisations, il est possible d’accompagner le monde économique pour créer de l’activité.

Geoffroy Roux de Bézieux Selon la dernière enquête en date, 70 % des salariés français sont heureux dans leur travail. Convenez-vous que le travail est un facteur ­d’épanouissement, de fierté, d’intégration ? Et expliquez-moi donc pourquoi vous voulez réduire le temps de ­travail à 32 heures ?

Fabien Roussel On doit pouvoir trouver du bonheur en allant au travail. Les salariés doivent pouvoir travailler avec les chefs d’entreprise à de meilleures conditions de travail pour permettre à chacun d’être heureux. Mais dans les entreprises de métallurgie de ma région, les salariés travaillent debout avec des machines, sept heures par jour, avec seulement deux fois vingt minutes de pause. Qu’ils puissent travailler un peu moins pour profiter plus de la vie relève du bon sens. Sur les 32 heures, prenons le temps d’avancer secteur par secteur et en fonction de la pénibilité.

publié le 3 février 2022

Jean-Luc Mélenchon est-il mieux parti en 2022 qu'en 2017 ?

par Anthony Berthelier sur www.mediapart.fr

Le plus dur est à venir pour le candidat insoumis qui se présente à l'élection présidentielle pour la troisième fois.

Rien ne sert de courir, il faut partir à point”, disait celui qui s’est élancé le premier, à gauche, un an et demi avant l’échéance. Depuis cet événement réussi, l’animal, censé incarner la constance, la persévérance ou, ici, l’expérience se retrouve sur les réseaux sociaux. Il s’invite dans les pseudos de certains cadres de la France insoumise ou accompagne les partages de sondages positifs (pas les autres). 

Jean-Luc Mélenchon, qui rassemble ses troupes ce jeudi soir à Tours, peut avoir plusieurs raisons de se satisfaire de ce début de campagne, malgré la division de la gauche et une courbe d’intentions de vote bloquée, pour l’instant, autour des 10%. Et d’espérer pour la suite? C’est une autre histoire.

Ce que disent les sondages

Si l’on met de côté le nouvel institut “Cluster 17”, devenu référence pour les partisans de l’Avenir en commun, puisqu’il mesure systématiquement leur candidat 3 points au-dessus des autres sondeurs, Jean-Luc Mélenchon se situe dans la fourchette basse de son étiage de février 2017 (entre 9 et 12%).

À une différence notable près: celui qui avait annoncé se dédoubler en hologramme avait atteint la barre des 15% à plusieurs reprises en janvier 2017, avant la primaire socialiste. Il en est loin aujourd’hui. 

Cinq ans plus tard, malgré ce score moindre, et l’absence de dynamique, le candidat insoumis domine la concurrence. Et ce depuis plusieurs mois comme le montre notre compilateur ci-dessous. Il est, au regard des intentions de vote les plus récentes, le mieux placé de son camp, quatre points devant Yannick Jadot (5%) et plus de cinq devant Christiane Taubira (4,5%), Fabien Roussel (3%) et Anne Hidalgo (3%). Ce qui n’était pas le cas pour la précédente course présidentielle.

Car début février 2017, le chantre de la VIe République était systématiquement dépassé dans les enquêtes d’opinion par un Benoît Hamon au sommet de sa forme (15-17%) après sa victoire à la primaire.

Les courbes ne se sont croisées qu’à la mi-mars, avant une percée fulgurante de Jean-Luc Mélenchon qui l’amènera aux portes du second tour. La voie paraît donc plus dégagée aujourd’hui pour le chef de file des insoumis... grâce, avant tout, à la faiblesse de ses différents concurrents. Le total des intentions de vote créditées à la gauche dans son ensemble est même à un niveau historiquement bas.

Peut-il bénéficier du vote utile ?

Dans ce contexte, le réservoir de voix paraît bien réduit pour quiconque veut s’approcher d’un second tour dont le ticket d’accession est à l’heure actuelle fixé autour des 16-17%.

Surtout, pour bénéficier d’un vote utile, induit par sa pole position, Jean-Luc Mélenchon va devoir relever plusieurs défis. Mobiliser les abstentionnistes et les “dégoutés” des urnes en est un. S’imposer aux yeux des électeurs comme le candidat “naturel” de son camp, malgré une relative solitude sur le plan politique, en est un autre. En d’autres termes: Il faudra bouger les lignes, comme il avait su le faire en 2017 après les débats du premier tour face à Benoît Hamon notamment. 

Une tâche rendue d’autant plus difficile aujourd’hui par son image un peu abimée et sa tendance à se perdre, parfois, dans le relais de théories fumeuses. Il a dernièrement critiqué un institut de sondage en laissant entendre qu’il était dirigé par “le beau-fils du président”. Une fake news en vogue sur les réseaux sociaux, que le candidat insoumis finira par retirer de son compte Twitter quelques minutes après l’avoir publié.

Des excès que le tribun justifie par son “caractère méditerranéen” en appelant les électeurs à passer au dessus, comme lors de son discours de rentrée à Valence. “Vous autres, vous êtes là, à regarder et à dire ‘ça ne me convient pas, Mélenchon il parle trop fort ou pas assez, on m’a dit qu’il était ceci ou cela, cela ne me convient pas’”, ironisait le député, fin août, pour qui ces débats: “ne comptent pas”. “Je suis comme je suis, ce qui compte, c’est le programme.”

L’union populaire, mais avec qui ?

Suffisant pour convaincre? Sans doute pas pour les différents partis politiques de gauche, à l’heure où rien n’indique que certains feront le choix de se désister pour sa candidature, malgré sa position dans les sondages. Peu importe, pour les Insoumis. Eux, veulent faire le rassemblement par la base. C’est en tout cas le leitmotiv de l’Union populaire et de son “parlement”. Une instance de campagne qui doit attirer des personnalités issues de la société civile, ou d’autres formations politiques, dans le giron LFI. 

Pour l’instant, les prises restent modestes. Outre Thomas Portes, l’ancien porte-parole de Sandrine Rousseau, Aymeric Caron, le journaliste militant de la cause animale, Aurélie Trouvé, ex-dirigeante de l’ONG Attac, Jean-Luc Mélenchon n’a pas encore reçu de soutien “ronflant”. On pourrait également citer l’ancienne candidate de la Primaire populaire Anna Agueb-Porterie ou le député communiste Sébastien Jumel qui ont, eux aussi, rejoint la cause. 

Mais un élu ne fait pas le parti et encore moins les électeurs. Et le PCF, qui l’avait soutenu lors des deux dernières présidentielles, finira sans doute par manquer à la candidature insoumise dans cette course rabotée de plusieurs semaines par rapport à la campagne présidentielle de 2017.

Si Fabien Roussel, qui a justifié cette aventure solitaire, entre autres, par les “excès” de son ancien camarade, ne récolte ne serait-ce que 3% des suffrages, il privera Jean-Luc Mélenchon de bien plus que les fameuses 600.000 voix manquantes en 2017.

publié le 29 janvier 2022

L’antifascisme cherche
sa voie face aux éclats de l’extrême droite

Mathilde Goanec sur www.mediapart.fr

Éric Zemmour et Marine Le Pen en campagne présidentielle d’un côté, des groupuscules d’extrême droite dans la rue et sur les réseaux sociaux de l’autre. En face, les militants antifascistes cherchent des pratiques nouvelles, malgré le poids de leurs vieilles querelles.

Mi-janvier, environ 200 militants d’ultradroite, dont certains arboraient des signes nazis, ont défilé dans les rues de Paris, en marge d’une manifestation anti-passe sanitaire. Début décembre 2021, le condamné pour haine raciale Éric Zemmour organisait en Île-de-France un grand rassemblement dans lequel des militant·es antiracistes se sont fait cogner et expulser. Au-delà des bastions traditionnels de l’extrême droite militante que peuvent être les villes de Strasbourg, Nice ou Lyon, des groupes néofascistes s’affichent sans vergogne dans des villes jusque-là épargnées, comme Grenoble ou Besançon.

Enfin, et ce n’est pas le moindre des symptômes, au moins deux personnalités politiques, Éric Zemmour et Marine Le Pen, sont considérées comme des candidat·es crédibles dans la course à la présidentielle, malgré leurs affiliations historiques ou programmatiques à l’extrême droite.

La bataille sémantique peut continuer à faire rage, la menace fasciste est réelle. Sur le terrain, les militant·es antifascistes répondent politiquement, rendent les coups parfois, contribuent par un travail patient à établir la cartographie mouvante et sans cesse renouvelée de l’ultradroite.

De quoi relativiser largement l’assertion provocatrice de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, sur France Info récemment, qui considérait qu’« il y a une sorte de complaisance pour l’extrême droite dans notre pays et [qu’]il n’y a manifestement plus que le gouvernement pour dénoncer les petits pas de la bête immonde ».

Bien au contraire, les militant·es antifascistes s’y attellent sans relâche, dans un climat de répression et de criminalisation qui constitue le premier de leurs handicaps. Pressé par les services de renseignement qui alertent sur la dangerosité de l’extrême droite, le gouvernement s’est finalement réveillé et a commencé à réagir en annonçant la dissolution des groupuscules Génération identitaire en 2021 et des Zouaves en janvier 2022.

Mais le deux poids deux mesures reste souvent stupéfiant, comme à l’occasion du procès des sept antifas de Lyon, poursuivis par le parquet après une bagarre contre des militants du groupe intégriste Civitas, alors qu’aucune plainte n’avait été déposée.

Au-delà des pressions exogènes, le milieu antifasciste n’est pas non plus totalement délesté de ses vieilles querelles. La division des forces s’est d’ailleurs étalée au grand jour à l’occasion du rassemblement organisé par Éric Zemmour le 5 décembre à Villepinte, à quelques kilomètres de Paris. Faute d’accord tactique, quelques poignées de militant·es antifascistes se sont fait cueillir par la police aux portes du parc d’exposition, dans l’indifférence générale et sans incidence sur le déroulé du meeting. Dans la capitale, un cortège trop maigre pour être significatif défilait contre un candidat déjà loin des faubourgs parisiens.

Le clivage le plus visible et commenté se joue entre les deux organisations de l’antifascisme dit « spécifique » qui tirent leur épingle du jeu ces dernières années.

D’abord l’Action antifasciste Paris-banlieue (AFA), née il y a une quinzaine d’années, notamment autour de la suppression des tribunes ultras dans les stades de foot franciliens. Relativement autonome du reste du mouvement social, assez proche initialement de la mouvance libertaire et anarchiste, l’AFA entretient des liens étroits avec une dizaine d’autres groupes antifas à Toulouse, Lille, Nantes ou encore Grenoble. Elle reste profondément marquée par le décès d’un de ses militants parisiens, Clément Méric, assassiné par des skinheads en 2013.

La Jeune Garde, autre branche montante de l’antifascisme spécifique, a pris naissance à Lyon en 2018, en réponse à l’implantation de plus en plus manifeste du Bastion social, énième émanation groupusculaire dans la capitale des Gaules de la jeunesse d’extrême droite. Le groupe, qui a désormais des antennes à Paris, Montpellier, Lille ou Strasbourg, assume à la fois une stratégie d’autodéfense et l’alliance affichée avec les organisations syndicales et politiques plus traditionnelles. La Jeune Garde envoie même ses militantes et militants sur les plateaux télé, à rebours d’une tradition de l’antifascisme spécifique qui consiste à vivre caché.

Les divergences ne sont pas que tactiques, elles sont aussi stratégiques. « Nous refusons de nous adonner à une sorte d’antifascisme moral ou républicain », explique Boris, de l’AFA, qui préfère la lutte pied à pied contre les violences policières, le contrôle au faciès, « les relents colonialistes » de l’État français. « Il ne s’agit pas de dire que nous vivons dans un pays fasciste mais d’analyser les choses de manière globale sans se faire prendre au jeu électoral tous les cinq ans. On a vu une loi “séparatisme” votée par des gens qui ne sont pas des zemmouristes, et par les mêmes qui vont se poser demain en barrage à l’extrême droite. »

La Jeune Garde assume, elle, d’entrer dans la campagne présidentielle en concentrant ses forces contre Le Pen et Zemmour. « Évidemment que l’extrême droite influence le champ politique et médiatique, et que cela a une répercussion directe sur les choix du gouvernement, assure Raphaël Arnault, l’un de ses porte-paroles. Mais nous avons un peu de mal avec cette idée que la société se fasciserait. Cela rend les idées floues. C’est peut-être plaisant d’un point de vue universitaire mais d’un point de vue pratique, comment fait-on pour faire plier l’extrême droite ? » Raphaël Arnault cite l’expérience unitaire Ras l’front, réseau associatif français d’extrême gauche créé au début des années 1990 pour lutter contre le Front national et ses idées.

Ici, les néonazis ont été humiliés, et ils ne se risquent plus en ville.

Depuis l’éparpillement de Villepinte, les anathèmes ont volé de part et d’autre, souvent par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Mais la « question parisienne », ils en ont « ras la casquette », confie Raphaël Arnault. Car les dernières péripéties dans la capitale ne reflètent pas la diversité des actions des groupes dans le reste du pays. Très régulièrement, ces derniers mois, des militant·es antifascistes ont perturbé les déplacements de Zemmour ou Le Pen, comme à Marseille, Nantes ou Rennes, ou contrecarré les sorties des groupuscules d’extrême droite, telles des fourmis bien décidées à ne pas laisser les cigales chanter impunément leur couplet mortifère.

Toufik milite depuis plusieurs années dans un groupe affinitaire antifasciste d’une trentaine de personnes, de tendance plutôt libertaire, à Besançon. Porté par la tradition politique locale, au sein de laquelle l’anarchisme a longtemps eu de l’influence, l’antifascisme est dans cette ville presque viscéral. « Le nettoyage des rues, par exemple – ne pas laisser un autocollant ou une affiche de l’extrême droite sur nos murs –, se fait de manière très spontanée par les habitants eux-mêmes. On n’a pas besoin de s’y atteler spécifiquement », relate Toufik.

L’activisme antifasciste, plutôt en sommeil ces dernières années, s’est tout de même réactivé en même temps que l’extrême droite se restructurait en Bourgogne-Franche-Comté, mais avec les codes du climat local. Lors d’une manifestation anti-passe sanitaire, en août 2021, un groupe de néonazis s’est fait chasser du cortège sous les huées, et sans recours à la violence.

« À Besançon, nous pensons qu’on n’a pas besoin d’une équipe de gros bras. Il faut conscientiser les gens pour que le cortège les dégage de lui-même, décrit Toufik. Ici, les néonazis ont été humiliés, et ils ne se risquent plus en ville. Mais je ne vais pas juger les camarades qui militent dans un tout autre contexte. Quant à Lyon, par exemple, au bout de trois, quatre agressions fascistes, on considère toujours ça comme des bagarres d’alcooliques, je comprends que tu puisses en avoir ras-le-bol. »

Et si l’on y regarde de plus près, la question de l’autodéfense et de l’antifascisme de rue, spécifiques à ces formations, peut même être réexaminée par d’autres collectifs jusqu’ici plutôt éloignés des groupes d’extrême droite les plus virulents. Hugo Reis, membre d’un collectif antifasciste à Orléans, et militant chez Sud PTT, en sait quelque chose : « Pendant les manifs anti-passe à l’été 2021, on a vu dès le départ l’Action française se pointer, sans se cacher. La CGT a refusé de les mettre physiquement dehors, par une vraie méconnaissance des militants locaux de ces enjeux et parce qu’il n’y a pas chez nous la tradition de l’affrontement. C’est là que nous avons un rôle à jouer. »

Le contexte joue à plein, rappelle également Guillaume Goutte, membre de l’union départementale CGT à Paris et animateur du collectif de lutte contre l’extrême droite du syndicat à Paris. « On doit affronter l’extrême droite quand elle est sur notre chemin mais pas n’importe comment : on ne va pas à la baston quand on a des organisations de sans-papiers dans le cortège, par exemple [pour éviter de susciter une intervention policière – ndlr]… Cela ne veut pas dire ne faire que le choix de rassemblements larges et bon enfant. »

La question posée aujourd’hui au mouvement antifasciste réside donc plutôt dans sa capacité à muscler ses troupes et à faire alliance, plutôt qu’à arbitrer l’insondable problématique de la pluralité des tactiques.

Le cortège de tête était l’endroit le plus joyeux du monde.

Beaucoup de commentateurs, constatant une fébrilité militante dans la rue et sur les réseaux sociaux, font le constat doute un peu rapide qu’un renouveau de l’antifascisme, séduisant les jeunes, est à l’œuvre. Ce que Marco*, membre de l’AFA, tempère. « Souvent, les journalistes et les chercheurs se rendent compte des trucs après qu’ils ont eu lieu… » Pour lui, le renouveau générationnel était surtout vrai entre 2014 et 2018, avec l’émergence du Mili (Mouvement inter lycées indépendant, anticapitaliste et antifasciste), les pratiques portées par les « appellistes », ces militant·es inspiré·es par l’approche défendue par le Comité invisible et notamment Julien Coupat, et l’importance prise par le cortège de tête dans les manifestations sociales.

« C’était aussi le retour d’un syndicalisme de combat, raconte encore Andréa*, croisé à l’occasion du meeting de Zemmour à Villepinte. Il y a eu un renouveau générationnel et esthétique. Avec les slogans empruntés aux rappeurs PNL, Booba, SCH, le cortège de tête était l’endroit le plus joyeux du monde. » 

En approchant, et même en infusant parfois le mouvement des « gilets jaunes », les jeunes antifascistes ont également fini par retrouver une place qu’ils avaient un peu perdue auprès des organisations traditionnelles, elles-mêmes traumatisées par les attaques à répétition de leurs cortèges.

« Nous ne sommes pas des millions aujourd’hui, ni dans un état flambant, poursuit Marco, mais avant, on ne parlait des antifas que pour dire qu’on brûlait des voitures de flics… Les organisations plus classiques se sont recentrées sur ces questions, oui, et on s’est remis à se parler. »

D’autant plus qu’historiquement, les militant·es antifascistes naviguent entre plusieurs organisations, membres de groupe affinitaires d’un côté, et de syndicats de l’autre, tel Clément Méric, adhérent de Solidaires, qui organise conjointement avec l’AFA un défilé commémoratif chaque année depuis sa mort.

Pour arrêter les grandes forces d’extrême droite, un grand mouvement social est nécessaire.

C’est la ligne défendue publiquement par la Jeune Garde, qui a entamé un rapprochement remarqué avec la CGT ces derniers mois, la qualifiant même de « première organisation antifasciste de France », un discours qui rompt pour le coup nettement avec la méfiance qui prévalait ces dernières années. 

« Les groupes antifas spécifiques sont très soudés, avec des marqueurs identitaires qui concourent à la formation de groupes homogènes qui peuvent laisser penser à ceux qui regardent ça de loin que cette lutte n’est pas pour eux, explique Guillaume Goutte. Moi, je crois que les deux peuvent cohabiter, et c’est le travail engagé avec la Jeune Garde Paris, une synergie entre un groupe antifa spécifique et la force de frappe de la CGT. »

Bien au-delà du seul cas français, le jeu n’est pas sans risques pour les organisations antifascistes, rappelle Mark Bray, chercheur américain spécialiste du sujet à l’échelle européenne, car parfois « des entités dominantes sont amicales avec les groupes militants quand cela leur convient, avant de leur tourner le dos quand cela ne leur convient pas ». Mais l’historien constate qu’il est souvent « utile de catalyser l’antifascisme » dans la société : « Pour arrêter les grandes forces d’extrême droite, un grand mouvement social est nécessaire. Mais cela ne signifie pas toujours qu’un tel mouvement social doit sortir d’organisations “officielles”. »

Le 12 juin 2021, une première manifestation nationale a eu lieu contre l’extrême droite, ainsi que le 27 novembre, à Paris.

« Dans un champ politique aux appétits aiguisés par l’approche de la présidentielle, par rapport au secteur de l’antifascisme spécifique parfois divisé mais aussi modeste, c’est aux organisations syndicales de prendre leurs responsabilisés, insiste Théo Roumier, militant de Sud éducation, lui aussi très engagé sur ces questions. Y compris pour avoir un antifascisme de classe et d’appui pour les campagnes qu’on mène actuellement. Et qui reste un bon moyen pour mettre l’extrême droite en difficulté sur les questions sociales. »

Au-delà de la seule Jeune Garde parisienne, il y a donc désormais consensus sur le fait d’intervenir et si possible conjointement dans la séquence présidentielle, par des collages communs, des journées d’études, des mobilisations préparées ensemble, les différentes mouvances de l’antifascisme naviguant au gré des cadres unitaires, et des lieux. Le 12 juin 2021, une première manifestation nationale a eu lieu contre l’extrême droite, ainsi que le 27 novembre, à Paris.

Avec le soutien de partis politiques comme le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), confirme Philippe Poutou. « Il y a urgence à une mobilisation unitaire large et spécifique de l’ensemble de la gauche, ça peut changer l’ambiance de la campagne, assure-t-il. Cela serait aussi une sacrée occasion de se poser les problèmes entre nous. Pour le moment, personne ne dit non, mais on n’a pas vraiment de répondant des états-majors dans les autres partis. »

Anasse Kazib, du parti Révolution permanente, également candidat à la présidentielle, rejoint Poutou sur la nécessité de ne pas résumer cette lutte à celle de groupe antifas mais « d’impliquer l’ensemble du mouvement ouvrier ».

Une mobilisation pourrait avoir lieu, en février, autour des organisations réunies l’an dernier par La Marche des solidarités avec les sans-papiers, une seconde en mars. Tardivement, donc, tandis que les candidat·es d’extrême droite galopent à fond de train, et que le débat se polarise entre un Emmanuel Macron peut-être candidat et une Valérie Pécresse à droite toute. « Notre difficulté à construire des cadres unitaires, ce sont aussi des débats de ligne pas réglés, constate Marco, de l’AFA. Par exemple, la notion d’islamophobie n’est pas encore acquise et ce sont des points bloquants. Sans compter que l’enchaînement des défaites à gauche et le rétrécissement de chaque organisation conduisent à des pratiques sectaires et opportunistes. »

Sur la difficulté de la gauche à traiter de l’antisémitisme, qui m’a toujours fait peur, je crois que ça bouge enfin.

Inclure fermement la lutte contre l’antisémitisme dans le cahier des revendications de l’arc antiraciste ne va pas non plus de soi, provoquant des crispations plus souterraines encore. Pourtant, en février 2021, une coordination historique, soutenue par de nombreux syndicats et une bonne partie de la gauche sociale et politique, a pris part à la commémoration autour de l’assassinat d’Ilan Halimi, portée par le RAAR (Réseau d’action contre l’antisémitisme et tous les racismes), jeune organisation créée l’an dernier. Et le 5 décembre, à Paris, le groupe des Juifs et juives révolutionnaires (JJR) était présent dans le cortège antifasciste, certaines de ses militantes et militants participent aux discussions pour les mobilisations des semaines à venir.

« Pendant longtemps, cette lutte avait été mise un peu à l’écart du mouvement antifasciste, mais après l’antisémitisme débridé des manifs anti-passe de l’été dernier, quelque chose a troublé les discours, note Jonas, militant des JJR et l’un des membres fondateurs du RAAR. Il y a davantage de liens, nous sommes invités dans les commissions antiracistes des partis, des syndicats, des grosses associations à gauche. Même si la concurrence entre lutte contre islamophobie et antisémitisme continue parfois de nous pourrir la vie. » 

Un travail de rapprochement « salutaire » pour une question « brûlante », juge Guillaume Goutte, de l’UD CGT Paris. « Sur la difficulté de la gauche à traiter de l’antisémitisme, qui m’a toujours fait peur, je crois que ça bouge enfin et nous sommes plusieurs à interpeller là-dessus. On voit encore des camarades syndiqués, de bonne foi, utiliser des imageries comme la pieuvre capitaliste dans des tracts, et ce travail de formation doit faire partie de la lutte antifasciste. »

L’antifascisme comme l’affaire de bonshommes virils qui vont casser du faf’ après avoir bu un coup [...], c’est un peu derrière nous.

La transformation sociologique des cortèges antifas contribue aussi à faire bouger d’autres démarcations, l’imagerie virile et univoque s’estompant peu à peu. À Besançon, par exemple, le réseau antifasciste est majoritairement féminin. Un syndicaliste parisien, connaisseur des différentes formations, confirme que les lignes de fracture ont bougé, notamment depuis les gilets jaunes. « L’antifascisme comme l’affaire de bonshommes virils qui vont casser du faf’ après avoir bu un coup au Saint-Sauveur [bar parisien connu pour être l’un des QG du mouvement – ndlr], c’est un peu derrière nous. Ce ne sont plus tout à fait les mêmes types de personnes qu’il y a dix ans qui militent aujourd’hui. »

La Jeune Garde déclare ainsi rassembler des membres qui ne sont pas nés dans le berceau du militantisme. « On a de jeunes travailleurs, travailleuses, ce n’est plus l’antifascisme blanc et parfois petit-bourgeois des années 1980 », relate Raphaël Arnault. « Les deux manifestations antifascistes les plus importantes de ces quatre dernières années sont les manifestations antiracistes devant le tribunal de grande instance à Paris en juin 2020 à l’appel du comité Adama, et celle contre l’islamophobie en 2019 : ce n’étaient pas des manifestations contre Le Pen ou Zemmour », le rejoint sur ce point Andréa.

Son camarade Marco, chargé de faire le pont avec le reste de l’arc militant, souligne également que « l’AFA s’est modifiée au contact des mouvements » comme la lutte contre la loi « travail » en 2016, les gilets jaunes en 2018-2019, les mobilisations antiracistes des deux dernières années. « Pendant le confinement, nous avons aussi organisé les brigades de solidarité dans les quartiers, ce qui veut dire ne plus être seulement mouvementiste mais s’interroger sur l’antifascisme au quotidien. » Toufik, depuis Besançon, revendique un antifascisme solidement arrimé à la lutte des classes. « Si tu ne parles pas aussi du chômage, des fins de mois, tu laisses bêtement les gens, à chaque élection, se débattre entre la peste et le choléra. » Et prospérer un antifascisme « hors sol », très offensif mais recroquevillé.

ublié le 17 février 2022

Mélenchon à Nantes : un show pour satelliser ses adversaires

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Dans une salle entourée d’écrans projetant des images de l’espace, le candidat insoumis à la présidentielle a évoqué sa ligne en matière de politique spatiale et numérique. Il a aussi beaucoup parlé d’écologie et, un peu, d’union de la gauche.

Nantes (Loire-Atlantique).-  Écouter une virulente critique du capitalisme tout en humant, derrière son masque FFP2, des effluves de bergamote, le tout face à l’infinité du ciel… L’expérience politico-sensorielle restera longtemps dans les mémoires des quatre mille personnes qui se sont rendues, ce dimanche 16 janvier, au palais des expositions de Nantes.

À son arrivée dans la salle entourée de quatre murs-écrans de 50 mètres de long et de 6 mètres de haut, Jean-Luc Mélenchon n’a pas boudé son plaisir : « Après le meeting en réalité augmentée, voici le meeting immersif et olfactif ! », a-t-il lancé comme s’il n’en revenait pas lui-même.

Pendant des semaines, les rumeurs les plus folles étaient allées bon train sur ce qui allait advenir lors de ce fameux rendez-vous nantais : que cachait cette affiche aux faux airs de Rencontres du troisième type, où l’on nous promettait d’assister à une « Première mondiale » ? Jean-Luc Mélenchon, virtuose de l’hologramme, serait-il présent IRL (« in real life ») ? Organiser un meeting olfactif alors qu’une pandémie s’attaquant à l’odorat s’abat depuis deux ans sur la planète relevait-il de la provocation ?

En définitive, pas d’atterrissage de l’Insoumis en vaisseau spatial sur la scène du palais des expositions. Tout juste s’est-il livré, en costume bleu nuit et cravate rouge, à un discours classique de candidat à la présidentielle, dans un décor teinté de poésie et de science destiné à l’imposer comme Monsieur « ès modernité » de la politique française. Loin d’un Éric Zemmour qui découvrait, ce même week-end, en direct à la télévision, que Java Script était le nom d’un langage informatique.

Mais avant les effets spéciaux, un peu de patience. Le Parlement de l’union populaire, collectif de soutien lancé fin 2021, avait préparé une première partie consacrée à la culture : dans une mise en scène signée Clémentine Autain et Christian Benedetti, directeur (insoumis) du théâtre d’Alfortville (Val-de-Marne), la comédienne Mireille Perrier, l’acteur Olivier Rabourdin et l’écrivain Abdourahman Waberi, se sont relayés pour lire du Ernaux, du Pasolini, du Despentes, et du Glissant.

Puis un petit bain de senteurs a commencé à titiller les narines, et Mélenchon s’est lancé dans une virulente critique du « système capitaliste ». « Ils inventent des passes sanitaires, et des vaccins à une, deux, trois, quatre, cinq doses ! », sans jamais engager le début d’un changement de modèle, a-t-il déploré, arguant que la « cupidité » du système était directement responsable du Covid. 

C’est vu de l’espace qu’on comprend ce qu’il y a à faire sur la Terre.

Sur fond de village champêtre projeté sur les écrans géants, le fer de lance de la « règle verte » (ne pas prendre à la nature davantage que ce qu’elle peut donner) n’a pas oublié de revenir sur les points forts de son programme en matière sociale : le Smic à 1 400 euros « dès le premier jour » du quinquennat, la retraite à 60 ans, la limitation des frais bancaires… « Alors oui, nous allons plonger dans la pauvreté des gens qui vivront avec seulement 12 millions d’euros », a-t-il ironisé, en référence à la réforme qu’il envisage sur les frais de succession, sous les rires d’une salle en pleine tentative d’identification d’un arôme citronné.

Une allusion à Gagarine, et la salle est devenue un ciel étoilé. D’un côté, la lune à la clarté diaphane, de l’autre, la planète bleue se dévoilant sous les nuages de l’atmosphère. « C’est vu de l’espace qu’on comprend mieux tout ce qu’il y a à faire sur la Terre », a dit joliment Mélenchon, avant d’enchaîner sur la diplomatie « altermondialiste » qu’il veut mettre en œuvre quand il arrivera à l’Élysée.

Entre une référence aux « astéroïdes Tchouri » et à Don’t look up, le film qui a réveillé, à grands coups de météorite, la conscience écolo des abonné·es de Netflix cet hiver, il a esquissé, en deux mots – « démilitarisation » et « démarchandisation » – les grandes lignes de sa politique spatiale.

Des réseaux Internet qui s’agitent en arrière-fond pour disserter sur la maîtrise des serveurs, la relocalisation de l’industrie électronique et l’intelligence artificielle dont il ne « faut pas avoir peur »… et une nouvelle ambiance.

Cette fois, c’est la grande bleue qui a rempli les écrans, avec en bande-son, le chant du roulis des vagues. Pendant qu’on croyait déceler quelques effluves d’iode, Mélenchon a enchaîné sur les éoliennes, l’interdiction des objets en plastique jetable, l’accès à l’eau, et la recherche fondamentale qu’il veut relancer avec force financements publics.

Puis, le sketch final : l’union du « centre-gauche ». « Écoutez-moi, faites confiance à une tortue électorale sagace, comme moi. Rien ne sert de courir, il faut partir à point, et j’ai déjà épuisé quelques lièvres », a-t-il glissé, moquant l’inextricable situation de Christiane Taubira, Anne Hidalgo et Yannick Jadot. « Épargnez à ces gens la souffrance du ridicule : regroupez-vous avec nous ; et moi au deuxième tour, j’en ferai mon affaire [de l’union – ndlr], vous verrez que j’arriverai à les convaincre, je les connais ! », a-t-il ri, alors qu’une fragrance florale s’infiltrait délicatement sous le FFP2.

Justement, le mouvement mélenchoniste ajoutait ce dimanche deux belles prises à son tableau. Le populaire maire de Trappes et très proche de Benoît Hamon, Ali Rabeh, d’abord, qui, en prologue du « show », est monté sur la scène pour dire tout le bien qu’il pensait du « projet de société audacieux et mobilisateur » de son nouveau champion.

Le député communiste Sébastien Jumel, ensuite, est apparu en vidéo sur les quatre écrans géants de la salle, recourant à Baudelaire (« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! ») et à Audiard (« La gauche éparpillée façon puzzle ») pour justifier sa décision de rejoindre Mélenchon. Pendant ce temps-là, en coulisses, l’Insoumis avait déjà la tête dans les étoiles.

publié le 8 janvier 2022

Droits et devoirs selon Macron

par Michel Soudais sur www.politis.fr

Proclamer des droits en les assortissant de devoirs qui leur serviraient de correctifs est une vieille obsession d’Ancien Régime.

Dans la logorrhée des vœux présidentiels adressés aux Français, une phrase aurait dû résonner comme une sirène d’alarme démocratique. « Aurait dû ». Car chacun conviendra qu’elle n’a pas été relevée comme il conviendrait s’agissant d’une hérésie dans « la patrie des droits de l’Homme », qui n’est plus depuis longtemps que « le pays de la proclamation des droits de l’Homme » (ainsi que l’a fort bien dit un jour Badinter, Robert pas Élisabeth), plus rarement encore critiquée. Sans doute faut-il y voir un signe supplémentaire de l’affaissement de la culture républicaine. « Les devoirs valent avant les droits », a donc cru bon de nous asséner Emmanuel Macron pour justifier, sans le nommer explicitement, le futur passe vaccinal.

Si cette pseudo-leçon de civisme s’adressait aux non-vaccinés dont le gouvernement entend un peu plus « pourrir la vie », selon le mot d’un ministre, en attentant à leur liberté d’aller et venir, on aurait tort de croire qu’elle ne s’applique qu’à eux. « Vous avez des devoirs avant d’avoir des droits », avait déjà déclaré le Président en réplique à l’interpellation d’un migrant sans-papiers, lors d’un déplacement à Nevers le 21 mai. Ce mantra liberticide, qui guide aussi la réforme de l’assurance chômage, s’oppose à l’héritage émancipateur de la Révolution française. Si nul n’a jamais prétendu que les citoyens n’avaient pas de devoirs, ce sont des droits qu’énonce la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, étant entendu pour ses rédacteurs que ceux-ci sont « naturels et imprescriptibles » et que leur seul énoncé permet à chacun de connaître ses devoirs. Et non l’inverse. Car, de même qu’un droit sans pouvoir n’est pas un droit mais un mirage, un droit qui dépendrait de la bonne exécution d’un devoir ne saurait être un droit puisque ce serait une récompense qui ne dépendrait que du bon vouloir d’un maître (monarque, empereur, président…) qui aurait décidé du devoir à accomplir. Il serait soumis à l’arbitraire.

Proclamer des droits en les assortissant de devoirs qui leur serviraient de correctifs est une vieille obsession d’Ancien Régime. Une bonne partie de la noblesse et la majorité du clergé, dont l’abbé Grégoire, en avaient défendu l’idée dans un amendement repoussé par l’assemblée constituante le 4 août 1789. Leurs descendants n’ont eu de cesse de revenir à la charge depuis, parfois avec succès, rappelait en 2008, Me Henri Leclerc dans un texte lumineux, republié par Mediapart. « Ce sont les sociétés totalitaires qui reposent d’abord sur l’obéissance à des impératifs non négociables », rappelait-il. Il serait bon de s’en souvenir au mois d’avril.

publié le 6 janvier 2022

Covid. Emmanuel Macron,
«irresponsable » en chef

Cyprien Caddeo sur ww.humanite.fr

Le président déclare avoir « très envie d’emmerder » les « non-vaccinés », en plein débat explosif sur le passe vaccinal. Une stratégie du clivage électoraliste, au détriment de la politique sanitaire et de la citoyenneté.

«L es non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder, et on va continuer de le faire jusqu’au bout. » Puis, un peu plus tard, à propos des antivax : « Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen. » En prononçant ces mots, dans un entretien au Parisien publié en ligne mardi 4 janvier dans la soirée, le président de la République a pris le parti de verser du sel sur les plaies du pays, tout en déclenchant rien de moins qu’une crise politique et institutionnelle, en plein débat parlementaire sur le passe vaccinal (lire page 6).

Le mea culpa sur les petites phrases qui ont émaillé le quinquennat aura donc fait long feu. « En guerre » contre le virus, Emmanuel Macron désigne désormais les non-vaccinés comme l’ennemi. Un cap est franchi dans le discours de stigmatisation et de culpabilisation. Le 14 décembre sur TF1, c’était pourtant le même Emmanuel Macron qui déclarait : « Dans certains de mes propos, j’ai blessé des gens. (…) On ne fait pas bouger les choses si on n’est pas pétri de respect pour les gens. » Pire, dans le même entretien au Parisien où il parle « d’emmerder les non-vaccinés », Emmanuel Macron déclare, à la question d’une étudiante réclamant le vote obligatoire : « Il faut réussir ensemble à bâtir de la confiance. Ce n’est pas quelque chose qui se décrète. » Schizophrénique.

Quelques éléments de contexte. Le chef de l’État a accordé deux heures et quart d’entretien « face aux lecteurs » du Parisien, mardi 4 janvier dans la matinée. Ce n’est pas aux journalistes du quotidien qu’a répondu Emmanuel Macron mais à six citoyens français, dont une infirmière de 54 ans. C’est elle qui pose la question des non-vaccinés au président, lequel évoque en réponse une « minorité réfractaire » qu’on « réduit en l’emmerdant davantage ». À ce moment, le passe vaccinal n’a pas encore été voté puisque les débats ont été suspendus la veille à l’Assemblée nationale, ce qu’Emmanuel Macron n’ignore pas. Le Parisien confirme par ailleurs que l’article était prévu pour parution en kiosques mercredi 5 janvier au matin et dès mardi 4 au soir pour la version numérique. Les équipes du président, qui était « très à l’aise » au moment de prononcer cette phrase, ont pu relire l’entretien « par courtoisie », précise le quotidien francilien, mais « sans possibilité d’y apporter des changements ».

Un mot d’ordre pour la majorité : le président « parle vrai »

Il ne s’agit donc pas de propos exprimés à l’emporte-pièce, mais au contraire bien réfléchis. La majorité macroniste, chargée d’assurer le service après-vente, assume sa déclaration (tout en confiant, parfois, son embarras en off). Le mot d’ordre est répété en boucle par les porte-flingues de la Macronie, du député Thomas Mesnier à la ministre Agnès Pannier-Runacher : le président « parle vrai » et « il dit tout haut ce que beaucoup de Français pensent tout bas. » Comprendre : ce serait démagogique donc vertueux. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, va même plus loin, évoquant « des propos très en deçà de la colère d’une très grande majorité des Français ».

La sortie du président change la nature même du débat sanitaire, dénonce l’opposition. Le candidat communiste Fabien Roussel dénonce « des propos indignes et irresponsables » qui « ne doivent pas faire diversion sur les vrais problèmes qui se posent face à cette pandémie ». « Désormais, il ne s’agira plus d’être convaincu par la vaccination mais d’obéir à un homme qui veut vous emmerder », soupire le candidat France insoumise Jean-Luc Mélenchon, opposant au passe vaccinal, qui rappelle qu’en matière de vaccination l’OMS invite à « convaincre, pas contraindre ». « Les écologistes sont pour la vaccination. Les mots d’Emmanuel Macron utilisés envers les non-vaccinés confirment l’inutilité du passe vaccinal », juge pour sa part l’écologiste Yannick Jadot.

La droite LR, pourtant prête à voter le passe sanitaire, en profite pour jouer la carte du duel Pécresse-Macron pour 2022. La candidate LR estime ainsi « être la seule à pouvoir mettre fin à ce quinquennat de mépris » : « Nous avons besoin de réparer le pays, de rassembler et d’aimer les Français. » Quiconque a suivi les débats de la primaire LR, marqués par une surenchère sur l’immigration, l’insécurité et le terrorisme, ne manquera pas d’en relever l’ironie. Le RN n’est pas en reste. « On insulte des gens qui ne sont pas hors la loi (car le vaccin n’est pas obligatoire – NDLR), c’est absurde ! » fait mine de s’étrangler le porte-parole de Marine Le Pen, Laurent Jacobelli, alors que son parti est expert quand il s’agit de stigmatiser, entre autres exemples, les femmes voilées.

« Une manière de se dédouaner des conséquences de sa politique »

Derrière l’émotion qu’elle a suscitée, quel sens donner à une sortie aussi indigne et outrancière du président ? Il ne s’agit pas, à l’évidence, d’accélérer la vaccination. On voit mal comment l’injure pourrait convaincre qui que ce soit parmi ceux qui doutent encore des bienfaits du vaccin, et a fortiori parmi les antivax radicaux. Au contraire, Emmanuel Macron donne du biscuit aux marchands de complots de tout poil qui, sans honte ni respect pour l’histoire, parlent « d’apartheid vaccinal ». En évoquant des « irresponsables » qui ne seraient plus des citoyens, le président nourrit ce type de discours. En cela, c’est une double faute morale et politique.

Mais, pour Emmanuel Macron, l’enjeu est autre. Il cherche à faire des non-­vaccinés les seuls responsables de la pandémie. Et à réduire le débat sanitaire à la seule question du passe. « C’est une manière pour lui de se dédouaner des conséquences de sa politique de clochardisation de l’hôpital public, avec 17 500 lits supprimés depuis 2017 », complète le porte-parole du PCF, Ian Brossat. Évacuées, en outre, les questions des traitements, de la levée des brevets pour éviter l’apparition de nouveaux variants à l’étranger ou du manque de personnel hospitalier, lessivé par deux ans de crise.

« Ce sont les propos d’un candidat qui cherche à cliver pour consolider son socle électoral », analyse quant à lui le patron du PS Olivier Faure. Dans l’entretien au Parisien, Emmanuel Macron confie « avoir envie » de se représenter, et confirme qu’il « n’y a pas de faux suspense ». Son discours correspond dès lors aussi à une certaine attente d’autorité et d’implacabilité de son électorat le plus radical et conservateur. Celui-là même qui soutenait, en 2018 puis 2019, la répression policière contre les gilets jaunes. Le 31 décembre, Emmanuel Macron déclarait déjà que « les devoirs valent avant les droits », une formule typique des discours réactionnaires. Ce faisant, le chef de l’État a réduit le débat sanitaire à un bas calcul électoral, quitte à miner la confiance dans l’action du gouvernement en matière de santé, y compris auprès de la population vaccinée. Faisant de lui le premier des irresponsables.

 

publié le 29 décembre 2021

Contre la concentration des médias, reprendre le contrôle

par Erwan Manac'h sur www.politis.fr

Les garde-fous sont trop rares et insuffisamment appliqués face au mouvement de concentration des médias et à la perte d’indépendance. Des syndicats de journalistes à Reporters sans frontières (RSF), un consensus large se dessine sur les principales solutions à mettre place pour résoudre le problème posé par la concentration des médias.

Réécrire la loi anti-concentration

La loi censée endiguer la concentration des médias date de 1986. Une date qui s’apparente à la préhistoire au regard des bouleversements qu’a connus le paysage médiatique. Un même propriétaire ne peut posséder des journaux couvrant plus de 30 % de la diffusion de la presse quotidienne « d’information politique et générale » – ce qui est très peu contraignant. Le texte ne permet pas de freiner l’intégration de médias dans des groupes ayant des intérêts autres que l’information, ni la concentration de médias télé, écrits ou radio au sein d’un même groupe. Elle exclut de facto les périodiques et magazines. Et rien n’interdit par exemple qu’une même personne physique ou morale soit propriétaire de l’ensemble des chaînes d’information en continu. « Il est urgent de travailler à une grande loi de la presse », souligne Laurent Villette, secrétaire général de l’union syndicale fédérale CFDT-Journalistes.

RSF juge indispensable une réelle transparence sur la propriété des médias.- L’association réclame aussi l’abaissement des seuils de concentration pour interdire à un groupe ou à un milliardaire de posséder plusieurs médias. La loi pourrait également limiter la possibilité, voire interdire à des groupes bénéficiant de commandes publiques, d’acheter des titres, et ce quel que soit leur support.

L’indépendance passe également par la lutte contre la précarité des journalistes. 

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (lire page 33) ne s’est pas non plus démarqué par son excès de zèle pour garantir « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information », qui sont inscrits dans ses missions. Roch-Olivier Maistre, son président, déclarait en septembre que « le régulateur est dans un esprit d’ouverture et de compréhension vis-à-vis des opérations de rapprochement » entre TF1 et M6 et au sein de l’empire Bolloré. Son rôle est pourtant déterminant, particulièrement dans l’attribution des licences, ou pour renégocier les conventions signées, par exemple avec CNews, qui n’est plus une chaîne d’information comme lors de son lancement. L’institution pourrait également utiliser ses pouvoirs de sanction lorsque des atteintes à l’indépendance sont clairement constatées. Il est à relever que la présidence du CSA comme celle de l’Autorité de la concurrence – dont le rôle est crucial pour tenter de limiter l’appétit de Vincent Bolloré et dans l’arbitrage de la fusion TF1-M6 – sont directement nommées par l’Élysée.

Conditionner les aides à la presse

Les aides à la presse constituent aussi un levier central. Elles sont aujourd’hui inéquitablement réparties. 90 % vont à la presse papier et neuf groupes en ponctionnent les deux tiers. Et elles ne sont ni transparentes, ni évaluées, ni soumises à objectifs, ce qui entretient, selon le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), « une logique de rente sans contrepartie ».

Conditionner ces aides pourrait avoir un effet incitatif pour favoriser certaines bonnes pratiques. Il s’agirait par exemple de les distribuer en fonction du nombre de journalistes salariés dans une rédaction afin de favoriser les médias qui produisent de l’information et couper le robinet à des acteurs comme Reworld Media, qui a racheté Science et Vie pour en faire un support essentiellement publicitaire. La place des salariés au sein des conseils d’administration pourrait également servir d’aiguillon pour que l’indépendance rédactionnelle soit érigée en priorité. Julia Cagé, économiste, et Benoît Huet, avocat, proposent également que, pour garantir l’efficacité démocratique de ces aides, elles soient distribuées chaque année par les citoyens sous la forme de « bons pour l’indépendance des médias » (lire pages 40-41). Les syndicats demandent qu’elles soient conditionnées au respect du code du travail et de la convention collective des journalistes, à la bonne tenue du dialogue social et à l’adoption d’un accord d’égalité femmes-hommes ou d’une charte déontologique.

Renforcer les contre-pouvoirs des rédactions

La loi prévoit un « droit d’opposition » depuis 2016 : un journaliste peut refuser une commande de sa hiérarchie si elle est « contraire à sa conviction professionnelle », au regard de la charte déontologique adoptée par son entreprise. Mais ce droit nouveau reste individuel. La plupart des acteurs du secteur préconisent donc que l’équipe rédactionnelle soit légalement reconnue en tant qu’entité à même de faire des recours en justice. « Avec un statut juridique à la rédaction, le droit d’opposition sera alors collectif, à l’abri des pressions, de la censure et de l’autocensure », souligne Emmanuel Poupard, du Syndicat national des journalistes (SNJ).

Pour limiter les pressions actionnariales, beaucoup d’acteurs sont favorables à l’inscription dans la loi d’un délit de trafic d’influence en matière de presse, ciblant les pressions sur les rédactions pour qu’elles réalisent, ou non, un reportage en fonction des intérêts du propriétaire.

L’enjeu est aussi celui du pouvoir au sein des entreprises de presse. Julia Cagé et Benoît Huet suggèrent de donner davantage de poids, dans les conseils d’administration des médias, aux salariés qui ne possèdent pas d’actions. « Il faudrait aussi favoriser le statut de coopérative dans les entreprises de presse, qui sont la garantie la plus solide que le pouvoir n’échappera pas aux salariés », complète Emmanuel Poupard. Une proposition reprise par La France insoumise, qui suggère également que les présidents de France Télévisions et de Radio France soient élus par le Parlement.

La profession a toujours été réticente à la création d’un « conseil de l’ordre  ».

Pour Laurent Villette, l’indépendance passe également par la lutte contre la précarité. « Comment dire non à une commande quand on est en CDD, stagiaire ou pigiste ? Le salariat est important pour pouvoir appliquer la déontologie. » La profession s’est dotée de règles censées protéger l’indépendance (conditions d’emploi, statut de pigiste, clause de conscience), mais elles restent trop souvent ignorées, regrette-t-il. « Quand on fait remonter des infractions, on nous répond par des promesses, mais rien ne change. La convention collective n’est pas appliquée partout, notamment dans les petites boîtes. »

Remettre la déontologie au cœur des métiers

« La déontologie est un travail quotidien, elle est malheureusement trop souvent écartée des conférences de rédaction », regrette Emmanuel Poupard. Ce constat a fait naître en 2016 des comités d’éthique, censés jouer le rôle de gardien du temple. Mais ils se sont révélés inopérants. Les personnalités extérieures qui le composent, nommées par les actionnaires, rendent des avis uniquement consultatifs et n’ont que très rarement été saisies par les journalistes.

La profession a toujours été réticente à la création d’un « conseil de l’ordre » qui risquerait de prendre les traits d’un tribunal d’opinion. Mais une structure plus indépendante, soutenue par les syndicats, existe depuis 2019. Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), où siègent à égalité des journalistes, des patrons de presse et des représentants du public, offre à tout citoyen la possibilité de formuler des recours et rend des avis étayés.

Les syndicats défendent par ailleurs, et depuis longtemps, l’idée que la charte déontologique soit adossée à la convention collective ou au contrat de travail pour lui donner une valeur juridique et la rendre opposable à l’employeur en cas de désaccord.

Beaucoup d’autres propositions sont sur la table. Le Spiil propose des mesures fortes pour contrer la toute-puissance des Gafam (Google et Facebook sont à l’origine de plus de 50 % du trafic des sites de presse). Il préconise la publication et la réglementation des algorithmes, pour que le contenu informatif ne soit pas invisibilisé par rapport aux fausses informations. Le syndicat préconise également que la liberté de la presse soit inscrite dans la Constitution, afin d’en faire un rempart contre les lois liberticides qui se multiplient (loi sur le secret des affaires, sur les fausses informations, sur la sécurité globale, etc.).

De son côté, RSF veut revoir les procédures pénales pour que les plaintes bâillons contre les médias ne soient pas handicapantes (pas de mise en examen systématique en cas de plainte en diffamation avec constitution de partie civile) et que les procédures abusives soient punies.

Les candidats à l’élection présidentielle auront-ils le courage d’affronter les propriétaires de presse pour limiter conflits d’intérêts, censure, concentration, et faire en sorte que la presse française ne soit plus un Monopoly pour milliardaires en quête d’influence ?

publié le 20 décembre 2021

Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 :
défendre la sentinelle de la démocratie

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Monument législatif de la République naissante, la loi sur la liberté de la presse vient d’avoir 140 ans . Alors que nous observons, au XXIe siècle, des reculs majeurs, ce texte demeure fondamental.


Nous soufflons aujourd’hui les 140 bougies de la loi sur la liberté de la presse promulguée le 29 juillet 1881. Monument législatif de la République renaissante, ce texte demeure au fondement de notre démocratie. Dans les pas de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de sa promesse d’assurer « la libre communication des pensées et opinions », cette loi garantit la liberté d’expression et la liberté de la presse.

Loin d’être un dispositif corporatiste au seul avantage des journalistes, elle protège l’ensemble des citoyens autant qu’elle concourt à l’exercice de la citoyenneté. Alors que, sournoisement ou ouvertement, cette conquête est menacée, au même titre que d’autres piliers de la démocratie républicaine, cet anniversaire doit être l’occasion d’en défendre les principes.

La précédente garde des Sceaux n’a pas fait mystère de sa volonté d’extraire de la loi de 1881 les dispositions de lutte contre « l’injure et la diffamation » pour les transférer vers le Code pénal, ce qui revient à faire sauter le garde-fou permettant aux journalistes de préserver leurs sources, tout en ouvrant le chemin à des procédures de comparution immédiate qui limitent la possibilité de se défendre. Les récentes lois dites de « sécurité globale » ou « confortant le respect des principes de la République », décidées après l’assassinat terroriste du professeur Samuel Paty, ajoutées à l’arsenal « antiterroriste » de 2014, ont chacune contribué à affaiblir les principes de la loi. Dans le même mouvement, des entraves sont appliquées au travail des journalistes, au nom de la protection des policiers. D’autres tentatives ont été mises en échec, comme cette loi retoquée par le Conseil constitutionnel visant à donner aux géants du numérique un pouvoir de censure en dehors de toute intervention d’un juge.

Les citoyens empêchés de savoir

Des reculs majeurs sur la liberté de la presse, nous retiendrons celui institué par la loi de juillet 2018 sur le « secret des affaires ». Il s’agit d’un basculement juridique d’importance qui troque les règles de la transparence contre le règne de l’opacité, dans le but de protéger les milieux d’affaires et les entreprises qui contreviennent aux nécessités de protéger l’environnement, qui pratiquent les ventes d’armes, l’évasion fiscale ou la corruption. En plus de fragiliser les lanceurs d’alerte, ce texte s’oppose à l’esprit de la loi de 1881 en ce qu’il réduit la possibilité, pour chaque citoyen, de prendre connaissance des événements jusqu’au plus dissimulé, de décrypter l’actualité et de participer ainsi à la vie de la cité dans le sens de l’intérêt général.

C’est une part de sa souveraineté qui est ôtée au peuple. La multiplication des chaînes privées d’information fait planer l’illusion d’un épanouissement de la liberté d’informer. En réalité, un système clos se met en place, avec les mêmes intervenants s’échinant à formuler des réponses de droite à des questions de droite, tout en faisant la part belle à l’extrême droite. La vie réelle des travailleurs, leurs aspirations, leurs luttes n’y pénètrent guère, sauf pour allumer la mèche de l’injure contre tout mouvement social, comme on l’a constaté lors des mouvements des cheminots, des gilets jaunes ou contre le déchiquetage de notre système de retraite.

La réduction continue du nombre de journalistes et leur précarisation réduisent le pouvoir d’enquêter, de rendre compte des événements jusqu’aux plus reculés et moins médiatisés. Le nombre de journaux nationaux et régionaux diminue sous la pression de coûts de production en continuelle augmentation, tandis que les recettes de vente et de publicité, accaparées par les géants du numérique, diminuent drastiquement. Ces derniers pillent précisément le travail des créateurs et des journalistes pour le revendre contre de la communication publicitaire. Des mobilisations populaires seront nécessaires pour que soient respectées les lois sur les droits d’auteur (ou « droits voisins ») et, au-delà, pour légiférer afin de refonder le droit de savoir des citoyens et revivifier un pluralisme de la presse indispensable à la vitalité démocratique, dans le cadre de la révolution numérique en cours.

Contrairement à l’esprit des ordonnances de la presse du Conseil national de la Résistance, la majeure partie de cette presse est aujourd’hui accaparée par une poignée de groupes industriels et financiers qui, évidemment, assurent la promotion du capitalisme. C’est, du reste, face à semblable situation qu’en 1904 Jean Jaurès s’est décidé à fonder l’Humanité, contre « la puissance de l’argent qui avait réussi à s’emparer des organes de l’opinion et à fausser à sa source, c’est-à-dire dans l’information publique, la conscience nationale ».

La défense et l’appel à la lecture de l’Humanité vont donc de pair avec la nécessité d’animer un débat public pour légiférer contre les concentrations capitalistes. L’État doit jouer son rôle constitutionnel visant à assurer un pluralisme plus grand de la presse au lieu de détricoter les ordonnances sur la presse issues du CNR. Préserver l’existence d’une presse libre, c’est toujours, selon les mots de Camille Desmoulins, garantir son rôle de « sentinelle de la démocratie ».

publié le 18 décembre 2021

Guadeloupe : face aux soignants « suspendus », Mélenchon sur une ligne de crête

En Guadeloupe, où les suspensions de salariés non vaccinés se multiplient, le candidat insoumis à la présidentielle s’est positionné contre le passe sanitaire, tout en restant très prudent sur la question vaccinale. La troisième dose sera obligatoire pour les soignants et les pompiers à partir du 30 janvier.

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).– Ce matin, comme chaque matin, elle ne bougera pas d’un iota. Un mois et demi que cette infirmière en neurologie campe sur sa chaise pliante, barrant l’entrée du CHU de Pointe-à-Pitre. Elle n’a plus le droit d’accéder à son lieu de travail : suspendue, sans salaire, pour avoir refusé de faire « la piqûre », explique celle qui refuse de dire le mot « vaccin » puisqu’elle ne « sai[t] pas ce qu’il y a dedans » et que de toute façon, les gens continuent à se contaminer.

Dans la chaleur moite de ce 15 décembre, Jean-Luc Mélenchon arrive, entouré de son staff et de quelques élus insoumis. Il se poste devant le petit aréopage des soignantes qui tiennent le piquet de grève, certaines arborant des T-shirts siglés « UGTG » (Union générale des travailleurs de Guadeloupe), du nom du puissant syndicat indépendantiste dirigé jusqu’à récemment par Élie Domota, le leader de la lutte contre la « Pwofitasyon » en 2009.

La discussion se tend avec l’une des femmes « en colère ». « Il y a des raisons d’être en colère », commence Mélenchon, empathique. La réponse fuse, au lance-flamme : « Monsieur Mélenchon, j’espère que vous ne venez pas pour faire le joli ! »

Dans cette poudrière politique qu’est devenue la Guadeloupe, faire une campagne présidentielle n’a rien d’une sinécure. Même pour Jean-Luc Mélenchon, qui y a rassemblé 24 % des suffrages en 2017 – soit 5 points de plus que la moyenne nationale. « La Guadeloupe est le seul territoire d’outre-mer où La France insoumise n’est pas arrivée devant Emmanuel Macron », rappelle Manuel Bompard, son directeur de campagne.  

Une terre de mission ou presque, donc, où les habitants sont nombreux à ne plus croire plus dans cette classe politique nationale ou locale – « méprisante » pour la première, « incompétente », voire « corrompue » pour la seconde. Et où il faut aller chercher les suffrages avec les dents, le taux d’abstention ayant dépassé les 80 % dans certains endroits aux dernières élections départementales et régionales.

Sa première rencontre avec les habitants de l’île – il n’était pas revenu depuis sa campagne de 2017 –, le leader des Insoumis, qui arrive tout droit de Paris, l’appréhendait un peu. D’autant que le sujet du jour est délicat. Alors qu’un peu plus de 30 % seulement des Guadeloupéens ont accepté de se faire vacciner, et en dépit du fait que 8 soignants sur 10 sont vaccinés, l’instauration de l’obligation vaccinale pour les soignants a mis le feu aux poudres. Celle-ci sera renforcée à compter du 30 janvier prochain : la troisième dose sera indispensable pour les soignants et les pompiers, a annoncé samedi 18 décembre le ministre de la santé Olivier Véran. 

En Guadeloupe, pas moins de 900 personnels de santé ont été « suspendus », dont près de la moitié travaille dans le seul hôpital de l’île.

La situation est intenable pour des familles entières, coupées de leurs ressources financières dans un territoire où le chômage longue durée et la pauvreté endémique ne font qu’accroître la vulnérabilité de la population face à la « vie chère » – l’alimentation y est 30 % plus chère qu’en métropole. Intenable aussi pour l’hôpital, déjà exsangue (une partie du bâtiment avait été détruite lors d’un incendie en 2017) : la 6e vague du variant Omicron approche et le CHU est, plus encore qu’en temps normal, menacé de grave incurie...

Sandro Sormain, secrétaire adjoint de l’UGTG, dépeint le directeur de l’hôpital (3 000 salariés) en fonctionnaire zélé : « Il a commencé par virer les salariés des services techniques à la DRH, à la blanchisserie, puis les cantiniers, puis les brancardiers, puis les soignants, y compris les sages-femmes… » Certains auraient déjà été rappelés en catimini, histoire d’assurer le service minimum, affirme-t-il.

Un peu plus loin, Marie-Josée Unimon, technicienne dans un centre de dialyse, vient de recevoir, elle aussi, une mise en demeure. Elle devra prendre contact avec une plateforme dont le rôle est de tenter de convaincre les récalcitrants au vaccin. Le cas échéant, les conseillers au téléphone sont censés proposer une formation pour trouver un autre travail. « Mais à mon âge, en Guadeloupe, où il n’y a pas de travail, qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Le vaccin est un outil pour soigner les gens, pas pour empêcher les gens d’être libres ! » 
L’« à-plat-ventrisme » : voilà comment elle appelle l’attitude de ces Guadeloupéens qui se couchent devant les oukases de la métropole.

« Ni yonn, ni dé, ni twa doz »

Devant la colère des « victimes » de l’obligation vaccinale, le candidat insoumis à la présidentielle en visite au CHU marche sur des œufs. Il a certes pour lui de s’être toujours opposé au passe sanitaire, et désormais au passe vaccinal, qu’il abrogera dès son arrivée à l’Élysée, promet-il. Il est aussi le seul candidat, à gauche, à n’avoir pas formellement appelé à la vaccination, avançant que les gens doivent faire leur choix en conscience.

Mais il le sait : dans cette atmosphère explosive, la moindre faute de carre lui sera fatale.

Prudent, le visiteur en campagne a pris quelques précautions liminaires. Passant sous la banderole où l’on peut lire en créole « Ni yonn, ni dé, ni twa doz » (« Ni une, ni deux, ni trois doses »), il tient à s’assurer auprès de Gaby Clavier, secrétaire de la section santé de l’UGTG, que le petit village militant où il pénètre n’est pas un repaire d’antivaccins.

En réalité, les choses sont un peu plus compliquées : sous les petites tentes installées, depuis mi-novembre, dans la cour de l’hôpital où l’on vend des boissons à prix libre pour abonder la caisse de solidarité avec les « suspendus », les antivaccins purs et durs se mélangent aux soignants vaccinés mais anti-obligation vaccinale. Avec, en définitive, un méli-mélo d’arguments qui vont de la crainte de se voir inoculer un poison à l’objection que le vaccin ne fonctionne pas si bien que cela puisque le virus continue de circuler…

Reste qu’autour des chapiteaux où remuent quelques drapeaux indépendantistes, tout le monde éprouve un ressentiment profond contre un État aux abonnés absents quand il s’agit de régler les problèmes d’accès à l’eau potable – les coupures ont lieu parfois pendant plusieurs jours, et il faut se débrouiller avec de l’eau stockée dans les bidons –, mais qui fait preuve d’« autoritarisme » sur le vaccin, jusqu’à priver les citoyens de leur emploi.

Un hiatus si insupportable que la situation n’a fait que s’envenimer au fil des mois. Et les 514 décès dus au Covid-19 qui ont été recensés à l’hôpital de Pointe-à-Pitre (sur une population de moins de 40 000 habitants) l’été dernier n’ont pas eu pour effet de convaincre les Guadeloupéens de se faire vacciner.

Au contraire, le deuil, immense, n’a fait que s’arc-bouter la population et ravivé dans l’inconscient collectif le traumatisme de l’affaire du chlordécone, ce pesticide cancérigène que les autorités locales ont tardé à interdire alors qu’elles connaissaient son caractère nocif. Au point que beaucoup s’interrogent : quel peut être l’effet du mélange entre la molécule toxique, qui coule toujours dans les veines de 90 % des insulaires, et le vaccin ? Une double peine, en quelque sorte.

Méfiance vis-à-vis d’un vaccin nouveau, ressentiment politique sur fond d’histoire coloniale, impression d’être « abandonnés » par les gouvernements successifs en métropole, au premier chef par Sébastien Lecornu, ministre de l’outre-mer, qui a préféré envoyer le GIGN et le RAID pour mettre « de l’ordre » sur une île constellée de barrages, parfois violents, plutôt que d’essayer de régler la situation par le dialogue… Tout s’est entremêlé. Et c’est un Jean-Luc Mélenchon qui ne sait plus trop sur quel pied danser qui fait face à l’exaspération générale.

Alors, attablé devant les représentants du LKP, la coalition de syndicats et d’organisations citoyennes qui avait organisé les 40 jours de grève en 2009, le d’ordinaire si volubile Insoumis s’est astreint à tendre l’oreille et à tenter de maintenir la discussion dans un cadre « rationnel ».

Le syndicaliste de Force ouvrière ouvre les discussions : « Les travailleurs sont privés de leur emploi, alors qu’ils n’ont pas fait de faute », dit-il, rejoint par Éric Coriolan, du réseau Sentinelle Guadeloupe, qui estime que la gestion de la crise par le gouvernement ne fait rien d’autre qu’« assassiner le pays ».

Il s’adresse au député de Marseille, l’implorant de se « battre » pour obtenir du gouvernement une dérogation pour l’île : « L’ARS [l’Agence régionale de santé] est devenue un organe politique en Guadeloupe. Les élus ne peuvent pas continuer à appliquer la loi qui tue la Guadeloupe », lance-t-il, sous les hochements de tête du chef du syndicat de pompiers, qui rappelle que pendant le premier confinement, ils ont « été aux fourneaux, sans masque » : « Et aujourd’hui, l’État se moque de nous, alors que nous sommes en détresse. »

Maïté Hubert M’Toumo, nouvelle secrétaire nationale de l’UGTG, a le verbe haut et direct : « Aujourd’hui, on assiste à une remise en cause de tous les droits des salariés. Les gens sont à bout et disent stop à l’absence totale de prise en compte par les élus de leur souffrance. »

Depuis le début du mouvement, ni les parlementaires de l’île, ni le préfet ne se sont rendus sur les piquets de grève. Du coup, la présence de Jean-Luc Mélenchon, qui a fait 8 000 km pour venir au CHU de Pointe-à-Pitre, est accueillie favorablement. « Je vous remercie de nous écouter et de prendre des notes », souligne Élie Domota, qui juge, sous le regard marmoréen du prétendant à l’Élysée, que la bonne méthode pour sortir de la nasse sanitaire serait un mix entre vaccination, recours à l’hydroxychloroquine et mise en œuvre des gestes barrières.

Un peu plus tôt, le syndicaliste avait avancé son argument massue : « Dans l’hôtellerie, il n’y a pas de passe sanitaire [demandé aux salariés – ndlr], car on a besoin de bras. » La preuve, selon lui, que toute cette histoire est une affaire de « gros sous » et pas une question sanitaire.

Cela fait deux bonnes heures que Jean-Luc Mélenchon est en immersion parmi les révoltés de l’hôpital. Il prend le micro pour conclure, dans une bienveillante elliptique : « Je ne veux pas me substituer à votre parole, ce n’est pas à moi de mener le combat. Toutes les solutions, les alternatives sont ici, ce n’est pas vrai qu’on a affaire à la fatalité », dit-il simplement, avant de tourner les talons sous les « Merci ! Merci ! » de l’assistance.

publié le 17 décembre 2021

Démocratie. Fabien Roussel brise le mur du JT de 20 heures

Aurélien Soucheyre et Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Le candidat communiste à la présidentielle était, mardi, l’invité du journal de France 2. Un pas important dans sa stratégie de percée médiatique.

Ce n’était pas arrivé depuis près de quinze ans. Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a été mardi soir l’invité du journal télévisé de France 2. « Faire le 20 heures, c’est évidemment primordial. C’est l’occasion pour des millions de Français de découvrir notre candidat à l’élection présidentielle et ses propositions pour la France. C’est un moment d’exposition unique qui doit nous permettre de défendre nos idées », apprécie son directeur de campagne, Ian Brossat.

L’accueil a cependant été assez agressif et caricatural, avec la diffusion d’un reportage concernant le Parti communiste chinois et cette question : « Si vous êtes élu président de la République, votre exemple s’appellera-t-il Xi Jinping ? » Fabien Roussel ne s’est pas démonté. « J’appelle au respect des droits humains et de la dignité humaine en Chine. Mais, moi, en coulisses, je ne vais pas délocaliser en Chine », répond le candidat en référence aux usines de production fermées en France pour mieux ouvrir en Asie. « Et je le dis au président chinois, c’est fini de vendre nos ports et nos aéroports à qui veut les acheter, que ce soit la Chine ou d’autres pays », ajoute-t-il au sujet des privatisations lancées par les derniers gouvernements, y compris d’équipements stratégiques.

Si les journalistes viennent avec leurs questions, et les candidats avec leurs réponses, comme disait Georges Marchais, Fabien Roussel s’est ensuite illustré en présentant son projet pour le pays. À savoir celui de réindustrialiser et de « faire revenir des entreprises chez nous », celui de répondre à la question du pouvoir d’achat par une hausse du Smic à 1 800 euros brut en plus d’une hausse généralisée des salaires, pour « vivre dignement de son travail », et celui de couvrir nos besoins énergétiques et de contrôler les prix en se basant sur « deux piliers de production » : le nucléaire et le renouvelable.

Un « pacte pour une République sociale, laïque et écologique »

Au sujet du « capitalisme vert », le communiste a estimé que « le problème, ce n’est pas la couleur, c’est le capitalisme :  et nous n’arriverons pas à résoudre la crise si nous n’attaquons pas le capitalisme qui privilégie les profits à court terme ». Souhaitant « reprendre le pouvoir sur la finance pour répondre aux besoins », Fabien Roussel estime possible de dire adieu au chômage non pas grâce au revenu universel, mais grâce au « travail universel, en sécurisant les emplois de chacun » à travers une Sécurité sociale professionnelle.

à la vue de sondages en deçà des espérances pour l’ensemble des forces de gauche, le communiste a dû répondre aux demandes d’union à gauche qui s’expriment autour d’une candidature. « Le problème n’est pas une question de personnalité, ce qui compte c’est le contenu et le programme que nous allons présenter aux Français », assure-t-il, écartant tout ralliement hypothétique vers Jean-Luc Mélenchon ou Christiane Taubira. Fabien Roussel a d’ailleurs maintenu le cap d’une candidature PCF choisie par les militants en mai dernier. « Un choix confirmé par le parlement du PCF », le conseil national, ce week-end, rappelle-t-il, tout en tendant la main aux autres formations de gauche avec son « pacte pour une République sociale, laïque et écologique, ouvert à tous les démocrates et progressistes », valable dès à présent et pour les prochaines législatives.

Devant le refus de la Macronie d’adopter sa proposition de résolution visant à encourager l’inégibilité des personnes condamnées pour incitation à la haine raciale, et face au danger de la candidature du polémiste d’extrême droite Éric Zemmour, Fabien Roussel s’est inquiété d’une situation politique « grave », mettant la République « en danger ». En outre, à l’instar d’autres de ses concurrents à l’Élysée, le communiste a annoncé avoir lui aussi saisi le CSA au sujet d’une émission visant à vanter les mérites du bilan d’Emmanuel Macron. Il demande d’ailleurs « à TF1 à ce qu’ils puissent consacrer 2 heures d’antenne à tous les candidats déclarés ».

« Le choix des militants communistes de se doter d’une candidature propre dans la course à l’Élysée est étroitement lié à cette invitation au 20 heures », mesure en tout cas Ian Brossat. Il n’y en avait pas eu depuis 2007. Les membres de la direction du PCF ont ensuite peu à peu été effacés des radars de cette grand-messe télévisuelle.

« Fabien Roussel parle sans détours et veut remettre la gauche au centre du débat politique. Cette invitation vient récompenser son travail. Mais c’est aussi la reconnaissance de ce que représente le PCF dans le pays : 600 maires, 6 000 élus locaux et deux groupes parlementaires. Nous sommes enfin considérés pour ce que nous sommes », affirme Ian Brossat. Certes, la candidature du communiste ne décolle pas dans les sondages, qui le donnent entre 2 % et 2,5 % des intentions de vote. Mais comment décoller en étant écarté des débats, sans pouvoir exposer ses combats lors d’un journal télévisé ? C’est cet ostracisme médiatique qu’est parvenu à briser Fabien Roussel, en étant chaque jour un peu plus invité sur nombre de chaînes, jusqu’au 20 heures de mardi.

publié le 14 décembre 2021

Montpellier : suite à une attaque fasciste, Le Barricade appelle à un rassemblement contre l’extrême-droite

sur https://lepoing.net/

L’association montpelliéraine Le Barricade a été attaquée par une douzaine de militants d’extrême-droite lors de l’inauguration de leur nouveau local, samedi dernier. Plus tard dans la soirée, les jeunes fachos ont été bousculés.

Avec huit ans d’existence, Le Barricade est devenu une véritable institution montpelliéraine. Le petit local, dans le quartier de la gare, a accueilli pléthores d’événements en tout genre : de soirées festives en soutien à tel ou tel collectif aux cours de Français Langue Étrangère en passant par des projections de films et des réunions de gilets jaunes. Sans compter la buvette, ouverte chaque weekend, où l’on débat sans fin sur l’avenir des luttes sociales.

Après une pause due aux confinements, l’association a rouvert un local bien plus grand au 5 rue Bonnie, quartier Rondelet, avec une inauguration en grande pompe samedi dernier. Dès 18 heures, plusieurs dizaines de personnes étaient présentes pour prendre connaissance des activités de l’association et en proposer de nouvelles. La soirée se déroulait tranquillement et la joie de se rencontrer à nouveau était palpable.

Mais vers 22h30, une douzaine de militants cagoulés d’extrême-droite qui graviteraient, selon nos informations, autour de Jeunesse Saint-Roch et de Jeunes d’Oc (une sorte de réminiscence de feu Génération identitaire), ont attaqué des gens qui fumaient à l’extérieur du local, en les tapant et en leur jetant des bouteilles en verre, blessant une personne. La scène a duré quinze secondes. Les fascistes prennent immédiatement la fuite et les « antifas reviennent armés de battes de baseball », selon le communiqué des assaillants.

Plus tard dans la soirée, une douzaine de militants antifascistes retrouvent quelques fachos sur la terrasse d’un bar place Castellane et l’échange tourne au désavantage de ces derniers. Sur les réseaux sociaux, La Jeune Garde Montpellier, récemment créé, publie le texte suivant : « À Montpellier ce samedi des fachos attaquent un bar avant de se mettre au sprint. Plus tard dans la soirée, lorsque [qu’on] tombe sur leur groupe, ça fait moins les fiers ».

Il est aisé de comprendre que les groupes d’extrême-droite montpelliérains enragent de constater le développement du Barricade alors qu’ils sont eux-mêmes incapables, pour le moment, d’ouvrir leur propre local et d’assumer un agenda public. Mais dans cette France où les discours nazillons d’un Éric Zemmour sont promus par les chaînes de Bolloré et relayés par le service public audiovisuel, ces groupes fascistes se sentent suffisamment à l’aise pour attaquer. Dans un communiqué, Le Barricade parle d’une « tactique connue de l’extrême-droite : le squadrime. Elle consiste à essayer de réduire au silence par la violence les luttes d’émancipation, au service d’un ordre autoritaire et réactionnaire. » Et appelle à un rassemblement le samedi 18 décembre à 18 heures « pour montrer notre détermination face à l’extrême-droite ».

publié le 14 décembre 2021

Si en 36, chacun à gauche avait campé sur ses positions, il n’y aurait pas eu de Front populaire

par Roger Martelli sur www.regards.fr

Mais nous ne sommes pas en 1936. Et à quelques semaines de l’élection présidentielle de 2022, avec pas moins de sept candidats de gauche sur la ligne de départ, la probabilité – je dis bien « probabilité » et pas « inéluctabilité » – d’un résultat désastreux est énorme.

On dira certes – et on aura raison de le dire – que la société dans son ensemble n’a pas viré à droite et que les mouvements sociaux évoquent le plus souvent les valeurs positives qui sont le terreau de la gauche historique. Même sidérée, la gauche n’a pas disparu du paysage français.

Dans l’espace politique institutionnel, le mouvement porte pourtant aujourd’hui vers la droite, « boostée » par sa fraction la plus extrême. La gauche dans les sondages reste engluée dans des totaux bien au-dessous des 30%. Son éparpillement rend assurée son absence au second tour, sauf cataclysme par essence imprévisible. Et quand bien même elle parviendrait au tour décisif, elle n’est pas certaine de vaincre, quel que soit l’adversaire.

 À entendre les uns et les autres, chacun est à même d’accéder à l’Élysée, ce qui laisse envisager une gauche proche des 100% des suffrages exprimés… Ce n’est bien sûr pas raisonnable. Même rassemblée, la gauche n’a aucune certitude de concourir au second tour ; mais son éclatement ne fait que rendre le probable inéluctable. Cela signifie que le champ libre serait laissé à la droite, le choix se faisant entre trois de ses variantes, qui ne présentent pas le même danger historique, mais qui ouvrent toutes vers des évolutions socialement et démocratiquement redoutables.

La revendication de l’union de toute la gauche se heurte certes à une vérité d’évidence : la gauche n’est pas uniforme et les clivages qui la traversent ne sont pas de détail. Je n’ai jamais aimé l’image des « deux gauches », qui trace entre les gauches des murs tout aussi intangibles qu’infranchissables. Mais j’ai toujours pensé que l’absence de « mur » n’invalidait pas la présence de « pôles », au demeurant historiquement variables. Et, sur la longue durée de l’histoire de la gauche, j’ai considéré et considère encore que, dès l’instant où on ne l’enferme pas dans des cases hermétiques, l’un des clivages les plus décisifs est celui qui oppose la propension à « l’opportunité » et le choix de la « radicalité ». Les deux termes ne s’enferment pas dans des définitions immobiles, ils prennent des formes et délimitent des contours variables, mais ils structurent globalement le rapport des forces internes à la gauche.

Je crois la polarité positive, dans la mesure où elle peut pousser le pôle de « l’opportunité » à ne pas sombrer dans la compromission et les abandons et, en sens inverse, où elle oblige l’autre pôle à ne pas confondre la radicalité et l’incantation. En situation « normale », on peut convenir que le plus important est de savoir lequel de ces pôles est le plus attractif. Dans ce cas, la concurrence entre les deux peut être considérée comme saine et, de fait, elle n’a pas empêché la formation de majorités propulsives, en 1936, à la Libération ou en 1981-1982.

C’est en tout cas cette conviction qui, à mes yeux, avait poussé les « refondateurs » communistes à avancer naguère l’hypothèse d’un « pôle de radicalité », travaillant en même temps à renforcer le flanc gauche de la gauche politique et à retisser des liens modernisés entre la dynamique sociale, les constructions politiques et la sphère idéologico-symbolique. Les mots pour le dire ne sont plus les mêmes, mais la visée n’a pas changé. La gauche ne peut pas être pleinement elle-même, si la belle tradition plébéienne, démocratique et révolutionnaire née en 1789-1794 est minorée, d’une façon ou d’une autre.

Si la gauche persiste dans son éparpillement actuel, peut-être ne restera-t-il plus qu’à choisir, non pas le meilleur, mais la moins mauvaise candidature, pour une gauche qui veut rester fidèle à ses valeurs. Pourtant, tout le monde ne voudra pas faire ce choix et, quel que soit le classement final, toute la gauche pourrait bien se trouver en position affaiblie.

Mais sommes-nous dans une situation « normale » ? La gauche est dans un état d’affaiblissement qui touche toutes ses composantes, pour des raisons différentes. L’extrême gauche a raté l’occasion de 2002 (10% des suffrages au premier tour de la présidentielle, pour les seuls candidats héritiers du trotskisme) et, si elle garde sa combativité, elle est retournée à ses scores modestes. Le PC rêve d’un grand retour, mais tout laisse entendre qu’il restera plus ou moins dans sa marginalité électorale. Les héritiers du socialisme (Hidalgo, Montebourg… ou d’autres) continuent de payer l’addition des choix socialistes entamés en 1982-1983, quand le PS était archi-dominant. Mélenchon avait pour lui la réussite d’une élan rassembleur, auquel il a tourné le dos dès le soir du premier tour de 2017. Ce faisant, au fil des élections et des sondages, il a perdu une part importante de son capital acquis et il doit chercher à rattraper le temps perdu depuis. Quant à Jadot, il exprime bien l’incapacité écologiste à choisir pour l’instant entre un projet de rupture renouvelée, adaptée aux enjeux de notre temps, et la simple occupation de la place libérée par une social-démocratie subclaquante.

De ce fait, le grand risque est que se reproduise, pour la gauche dans son ensemble, ce qui a enfoncé la gauche de gauche dans l’échec en 2007. Cette année-là, il s’agissait de dire qui était le plus légitime pour exprimer électoralement l’élan révélé par le « non » de gauche au projet de traité constitutionnel européen de 2005. À l’arrivée, la « victoire » est revenue à Olivier Besancenot avec… un peu plus de 4%. Le résultat fut que la gauche antilibérale, massacrée par elle-même, n’a plus eu d’autre choix après 2007 que de confier son destin à un transfuge bienvenu du socialisme, en l’occurrence Mélenchon. Ce choix a été éminemment positif jusqu’en 2017, mais sa force propulsive a été émoussée depuis, par celui-là même qui l’avait dynamisée par son incontestable talent.

Si la gauche persiste dans son éparpillement actuel, peut-être ne restera-t-il plus qu’à choisir, non pas le meilleur, mais la moins mauvaise candidature, pour une gauche qui veut rester fidèle à ses valeurs. Pourtant, tout le monde ne voudra pas faire ce choix et, quel que soit le classement final, toute la gauche pourrait bien se trouver en position affaiblie. Ce n’est pas « pleurnicher » ou se laisser aller au goût morbide de l’autodestruction que de faire ce constat, qui est de fait partagé par la majorité d’une mouvance de gauche espérant passionnément que l’unité prendra le pas sur la parcellisation.

Ou bien la situation relève de l’urgence et il faut alors accepter qu’il y ait du compromis à gauche : l’essentiel est dès lors de fixer du mieux possible le point d’équilibre de ce compromis. Ou bien le moment présent ne relève pas de l’urgence : alors la gauche peut jouer avant tout la partition de la concurrence, au seul risque toujours possible du ridicule du résultat enregistré à l’arrivée.

Il y a encore autre chose… Le risque devant lequel se trouve notre pays n’est pas seulement celui d’une gauche affaiblie et d’une droite victorieuse. Il est celui du triomphe d’une droite droitisée, quand ce n’est pas d’une droite extrême-droitisée. Dans ce contexte, il est toujours possible de mettre l’accent sur la réalité d’une gauche divisée : de fait, il y a dans l’invocation d’une union de la gauche quelque chose d’un fantasme. Mais cette fiction a en même temps un mérite : rappeler que, s’il est important de dire qui à gauche donne le ton, nul à gauche ne peut mettre en œuvre son projet, s’il ne peut s’appuyer sur des majorités qui l’aident à le réaliser. Il faut certes de la rupture, mais aucune rupture n’est profonde et durable, si elle ne repose pas sur un élan majoritaire. Et l’accord sur un programme, même étoffé par des centaines de propositions, n’est pas la condition fondamentale de cet élan. Le programme commun n’a-t-il pas montré, tout à la fois, la force de l’union ainsi conçue et sa fragilité face aux contradictions épaisses du réel ?

Ajoutons que, si en 1934-1936, chacun à gauche avait continué de camper sur ses positions, assuré d’incarner à lui seul la classe ouvrière, la gauche, la révolution ou la République, il n’y aurait pas eu de Front populaire. Ou bien la situation relève de l’urgence et il faut alors accepter qu’il y ait du compromis à gauche : l’essentiel est dès lors de fixer du mieux possible le point d’équilibre de ce compromis, pour qu’il écarte le moins de monde possible sans tomber dans le consensus mou. Ou bien le moment présent ne relève pas de l’urgence : alors la gauche peut jouer avant tout la partition de la concurrence, au seul risque toujours possible du ridicule du résultat enregistré à l’arrivée.

En 2017, Mélenchon avait frôlé les 20%, tandis que Hamon avait été attiré dans le gouffre par la longue dérive du socialisme français, accélérée par la débâcle du hollandisme. Le résultat de Mélenchon pouvait être à juste titre considéré comme une bonne nouvelle, mais au sein d’une gauche réduite à la portion congrue (27%). Près d’un demi-siècle auparavant, en 1969, le communiste Duclos avait dépassé la barre des 20% et laminé le candidat socialiste, Defferre, qui payait la note (5%) d’un parti socialiste SFIO discrédité. Mais le PC de l’époque avait tiré de son résultat un argument supplémentaire pour pousser sa stratégie d’union de la gauche autour d’un programme. Du coup, la gauche écartée du second tour en 1969 a progressé en se rassemblant dans les années 1970. Mélenchon, lui, a pensé que son bon résultat présidentiel le dispensait désormais de s’adresser à la gauche et que le « peuple » allait se tourner vers lui. Du coup, il a perdu du côté de la gauche, et le « peuple » en bonne partie est allé voir ailleurs.

Au lieu de répondre sèchement à une proposition d’union, quoique l’on pense de qui émet cette proposition, peut-être serait-il préférable d’entendre que ce désir de rassemblement n’est pas celui d’un ou de quelques individus. Il est celui d’une grande partie de ce que l’on appelle le « peuple de gauche ». Ne pas y répondre est un risque immense.

On pouvait penser que l’expérience du macronisme allait ramener au bercail les électeurs de gauche abusés. Ce n’a pas été le cas dans les élections nationales qui ont suivi et, là encore, les sondages laissent entendre qu’une faible part de l’électorat Macron de 2017 est prête à se tourner à nouveau vers la gauche. Parce que la colère ne suffit pas pour tirer les catégories populaires vers la gauche, parce que les programmes ne suffisent plus à redonner le sens de l’espérance aux dominés, parce que la gauche qui a tant promis ne fait plus rêver. Et si à cette carence d’espérance s’ajoute le spectre de la division, alors la sidération peut prendre le pas et laisser une forte part de la gauche potentielle l’arme au pied. Dans ces conditions, ce n’est pas le volontarisme de façade qui peut remettre du carburant dans le moteur. « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts », s’exclamait en septembre 1939 Paul Reynaud, futur chef du gouvernement au printemps de 1940. On sait quel fut le beau résultat de cet enthousiasme officiel.

Or nous en sommes arrivés à une situation qui prend l’allure d’une division insurmontable. Celles et ceux qui expliquent que cet état de fait est conforme à la réalité de la gauche ne manquent pas d’arguments solides pour cela. Mais la probabilité – je dis bien « probabilité » et pas « inéluctabilité » – d’un résultat désastreux est énorme. Un grand nombre d’individus qui croient encore à la gauche sont désespérés par cette hypothèse et, comme en 1934, ils disent que l’union est la seule manière de s’en sortir.

Je ne sais pas comment se dégager concrètement de cet étau qui nous étouffe. Nul ne peut, à lui seul, trouver la bonne formule et je n’ai pas la prétention de le faire. Mais au lieu de répondre sèchement à une proposition d’union, quoique l’on pense de qui émet cette proposition, peut-être serait-il préférable d’entendre que ce désir de rassemblement n’est pas celui d’un ou de quelques individus. Il est celui d’une grande partie de ce que l’on appelle le « peuple de gauche ». Ne pas y répondre est un risque immense, même si la réponse n’a rien d’aisé dans l’immédiat.

Chaque protagoniste de la scène politique actuelle ferait bien de s’y essaye

publié le 10 décembre 2021

Gauche : les jeux sont faits,
rien ne va plus

par Pablo Pillaud-Vivien sur www.regards.fr

Nous sommes en décembre 2021, on ne s’y attendait pas et pourtant elle l’a fait : Anne Hidalgo propose une primaire pour sauver la gauche.

C’est la bonne idée du jeudi soir, signée la candidate du Parti socialiste à la présidentielle Anne Hidalgo : une primaire pour départager les prétendants à la magistrature suprême. À gauche. C’est important d’écrire « à gauche » parce que c’est là que le bât blesse le plus, à mon sens.

Cela a été abondamment commenté – et moqué mais il est quand même important de le rappeler : le fait que la proposition de primaire vienne d’une candidate en perte de vitesse (oui, c’est un des enseignements de la période : on peut continuer à chuter dans les sondages quand on part de 4% dans les sondages) peut apparaître comme un ultime appel à l’aide pour tenter de décoincer une situation qui emmène l’ancien parti hégémonique à gauche droit dans le mur. Le problème, c’est que les autres protagonistes de la gauche et des écologistes ne font montre d’aucune envie de venir sauver le vieux vaisseau amiral. D’ailleurs, on les comprendrait : au nom de quoi faudrait-il participer du sauvetage du PS ? Et pour quoi faire ? L’exercice du pouvoir a trop abîmé le parti de François Hollande pour que ceux qui n’en font pas ou plus partie trouvent le courage de venir à la rescousse d’une histoire presque centenaire et pourtant porteuse, à ses débuts et dans ses textes, de belles promesses. Mais l’on ne fait pas de la politique avec des promesses - surtout quand elles sont perçues comme des trahisons en puissance.

Au nom de la gauche ?

Le problème est aussi plus profond que cela : c’est au nom de la gauche, pas même d’une certaine idée de la gauche, mais de la gauche tout court, qu’Anne Hidalgo a lancé la proposition de primaire. Seulement, ceux à qui elle s’adressait hier en premier lieu, à savoir Yannick Jadot d’Europe Écologie-Les Verts et Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise, les deux leaders dans les sondages de ce que l’on imagine être la gauche, de ce que, de l’extérieur, on imagine être la gauche, ne sont pas les meilleurs interlocuteurs pour une telle entreprise. Pour le premier, c’est l’écologie qui doit être la nouvelle colonne vertébrale et supplanter ce que le gauche avait d’histoire, de valeurs et de combats. Qu’on ne se méprenne pas : il s’agit pour lui de changer de paradigme plutôt que d’en trahir les fondements de la gauche - même si le jeu auquel s’adonne Yannick Jadot en la matière est quand même périlleux et que parfois, on ne sait plus trop où il habite. Pour le second, c’est plus complexe : s’il est indéniablement l’héritier de l’histoire longue de la gauche qui lui a permis, dans une large mesure, de faire le score important qu’il a fait à l’élection présidentielle de 2017, il entend aussi en proposer une altération du prisme idéologique : c’est tantôt le peuple, tantôt la France auxquels Jean-Luc Mélenchon préfère s’adresser.

Dès lors, on voit bien tout le problème de l’appel d’Anne Hidalgo - si tant est que l’on veuille bien y voir de la sincérité : la gauche n’est plus un objet pour les femmes et les hommes qui font de la politique. D’ailleurs la députée LFI Daniele Obono ne s’y est pas trompée mercredi soir sur BFMTV quand elle a affirmé : « L’enjeu, ce n’est pas la gauche, c’est la France ! » Dont acte. Mais quid de tous ceux qui s’y réfèrent encore, que ce soit dans les mouvements sociaux, dans les luttes ou dans les coeurs ? On me rétorque souvent que leur nombre se réduit comme peau de chagrin et qu’il faudrait plutôt se concentrer sur les abstentionnistes qui ne se situent pas ou plus selon le gradient gauche-droite. Dont acte à nouveau mais pas sûr, au vu des récentes élections intermédiaires ou des sondages, que cela soit suffisant. Mais il faut attendre, me répète-t-on, car on ne serait pas à l’abri d’une bonne surprise - et, sur ce sujet, je ne demande qu’à être détrompé.

Pour autant et pour revenir au sujet qui nous anime depuis mercredi soir, force est de constater que la proposition de primaire de la gauche est un bide total. Contrairement à ce que certains commentateurs avaient imaginé, rien n’a été calé avec les autres forces de gauche et des écologistes. Les socialistes espèrent sûrement en ressortir grandis car Anne Hidalgo pourrait apparaître, selon eux, comme la seule à avoir la décence de mettre son égo de côté pour affronter comme il se doit les périls fascisants auxquels nous faisons face (pas certain que ce soit ce que l’on retienne de la séquence mais je vois bien la tentative). Car il ne faut pas douter que le brusque revirement de la candidate du PS est à mettre en corrélation avec la montée en puissance de la candidature d’Éric Zemmour. Sa vidéo de lancement dans la campagne et son premier meeting sont de puissantes offensives dans la guerre culturelle que l’ancien polémiste entend mener - et ce, même si, à ce stade, cela ne se traduit pas encore en un gain substantiel de points dans les sondages.

Des idées puissantes mais des stratèges en bout de course

Enfin, il ne faut pas négliger un dernier paramètre : le remplacement, dans la stratégie socialiste, d’Anne Hidalgo par une personnalité à l’aura autrement plus grande et plus « consensuelle » comme on dit. Et cette personnalité a un nom : Christiane Taubira. L’ancienne garde des sceaux des gouvernements Ayrault et Valls entretient le mystère autour de sa participation à la présidentielle. Elle pourrait être la botte secrète (ou la roue de secours) pour un Parti socialiste qui ne sait plus à quelle sainte se vouer pour retrouver une place dans le jeu des grands partis politiques. S’il y aurait beaucoup à redire sur une telle incarnation de la gauche au vu de ses exercices précédents (comme l’ont rappelé si justement nos camarades de Frustation), il ne faut pas trop douter de sa capacité à aller gratter assez largement, à la fois dans l’électorat écologiste et dans l’électorat insoumis - même si, dans l’état major insoumis, on nous assure que si elle se déclare, son discours ne tiendra pas la route cinq minutes (sic). En tout état de cause, on ne voit pas trop à quoi cela servirait de passer de Jean-Luc Mélenchon à 9%, Yannick Jadot à 8 et Anne Hidalgo à 4 à Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Christiane Taubira à 7%… Mais, à dire vrai, tant que rien n’est effectif, cette dernière demeure un espoir et, comme dirait l’autre, l’espoir fait vivre.

Au-delà du vœu pieux (mais qui se réalisera peut-être, qui sait vraiment ?) du candidat commun de la gauche et des écologistes, la seule issue valable serait l’engagement d’une dynamique politique positive qu’aucun des candidats ne semblent en mesure d’amorcer à ce stade – si ce n’est d’en affirmer la prédiction à tout bout de champs. Pour cela, il faudrait que chacun tente de sortir de son strict couloir de nage pour aller chercher à embrasser plus largement (on a compris les projets et les propositions – parfois pléthoriques ! – des uns et des autres : so what ? Désolé mais ça ne décolle pas). Mais quand on entend les procès en pleurnicheries ou les anathèmes d’exclusion du champ républicain, on se dit que l’on est plutôt parti pour que tous restent campés sur leurs positions initiales. Reste pour le peuple de gauche (s’il existe encore) à croiser les doigts (mais pas les bras) pour que nos monolithes sûrs de leur fait ne coulent pas tous au fond de la piscine.


 

  Sur le peuple de gauche 

« Selon les enquêtes, il y a entre 20 et 25% de gens qui continuent de se positionner à gauche - plutôt au centre gauche qu’à l’extrême gauche -, 30 à 35% à droite ou à l’extrême droite et un nombre important de gens qui refusent de se positionner selon cet axe ou qui se placent au centre. »

« Quand la gauche est arrivée au pouvoir, c’est parce qu’elle a réussi à rallier des électeurs qui se positionnaient au centre ou ni à droite ni à gauche. Il n’y aucune fatalité à ce que seuls les électeurs se sentant de gauche votent à gauche. »

« Si on regarde le positionnement quant aux enjeux de société ou aux enjeux socio-économiques, on peut se dire que la gauche a du potentiel. »

« C’est une illusion terrible de penser qu’Emmanuel Macron, parce qu’il a une politique pour les gens plus politisés et clairement orientés à droite, est perçu automatiquement comme étant de droite par des électeurs qui accordent à la politique une attention oblique et ponctuelle (…). La politique du quoiqu’il en coûte a été très bien accueillie par des gens de milieux modestes ou qui peuvent politiquement voter à gauche. »

    Frédéric Sawicki, professeur de Science politique, dans #LaMidinale de Regards.

publié le 9 décembre 2021

Argent public. Où sont passés
les 400 milliards d’aides au privé ?

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Une commission parlementaire et citoyenne s’est constituée afin d’établir plus de transparence sur les subventions versées sans conditions aux entreprises.

L’union faisant la force, l’Observatoire des multinationales a rassemblé les parlementaires des groupes qui ont demandé ces dix-huit derniers mois, par voie d’amendement notamment, que les aides massives aux entreprises soient conditionnées par des clauses sociales et environnementales. Ces élus, accompagnés d’associations et de chercheurs, se sont constitués en commission d’enquête parlementaire et citoyenne sur les aides publiques versées au secteur privé, présentée mardi à la presse. Étant donné la période préélectorale, cette association n’a ni le statut ni, malheureusement, les moyens d’une commission d’enquête officielle. Mais son but reste d’établir un état des lieux d’ici mars, pour peser sur la campagne présidentielle.

À côté, ce gouvernement réduit l’enveloppe des APL de 1,1 milliard d’euros et veut réaliser 2,3 milliards d’économies sur le dos des privés d’emploi avec sa réforme de l’assurance-chômage. Mathilde Panot France (FI)

De combien d’argent public parle-t-on ? « Les aides aux entreprises sont en moyenne en hausse de 6 à 7 % par an et ont atteint les 140 milliards d’euros en 2019, explicite l’économiste Maxime Combes, de l’Observatoire des multinationales. Ajoutez les 240 milliards d’euros d’aides exceptionnelles liées à la pandémie, ainsi que celles notamment de la BCE et on dépasse allègrement les 400 milliards. » Le tout distribué sans conditions, du moins sans celles que les parlementaires associés s’accordent à demander : des exigences en matière de lutte contre le réchauffement climatique, de réduction des inégalités sociales et en faveur de l’égalité femmes-hommes. « À côté, ce gouvernement réduit l’enveloppe des APL (aides au logement-NDLR) de 1,1 milliard d’euros et veut réaliser 2,3 milliards d’économies sur le dos des privés d’emploi avec sa réforme de l’assurance-chômage », contrebalance Mathilde Panot (FI).

Chaque parlementaire rappelle comment la majorité, épaulée par la droite, a fait front pour s’opposer à chacune des conditions proposées. Même celle interdisant la distribution de dividendes à une entreprise touchant des subsides pour sa survie a été refusée. « Le gouvernement n’organise de contrôle supplémentaire que pour faire reculer les droits sociaux », résume Elsa Faucillon (PCF), qui rappelle que l’inspection du travail, le contrôle fiscal comme le ministère de la Transition écologique sont trois des administrations qui ont le plus souffert en matière de réduction de postes et de moyens.

Cette commission se donne un objectif de transparence. « Cinquante entreprises touchent la moitié de l’enveloppe du crédit d’ impôt recherche et 21 groupes touchent de l’État l’équivalent du budget de la Culture et du Sport réunis. On veut les noms ! Mais le gouvernement n’a aucun intérêt à ce que cela sorte ! » s’indigne Christine Pires-Beaune (PS). La députée Émilie Cariou (groupe Écologie Démocratie Solidarité) révèle un autre exemple éloquent : « La niche Copé, qui exonère d’impôt les plus-values réalisées sur les ventes d’actions par les entreprises, coûtait entre 30 et 32 milliards d’euros par an avec le régime des filiales intragroupes, développe l’ancienne LaREM. Je parle au passé parce que, depuis deux ans, ces exonérations ont disparu du recensement des niches fiscales au prétexte qu’elles font partie des modalités du calcul de l’impôt. Nous n’avons donc plus de chiffres… »

Au bonheur des actionnaires

Les entreprises du CAC 40 ont versé, au printemps 2021, plus de dividendes qu’elles n’ont engrangé de bénéfices en 2020. Ces versements ont ainsi représentés 140 % de leurs profits. La BNP Paribas, Alstom, Pernod Ricard et Vivendi (mise en Bourse d’Universal Music) ont poursuivi leurs distributions cet automne. Autre façon de contenter leurs actionnaires, les grands groupes ont dépensé cette année 17 milliards d’euros en rachats de leurs propres actions, pour augmenter artificiellement leurs cours de Bourse. ArcelorMittal, Bouygues, TotalEnergies, STMicro, BNP Paribas et Danone ont été les plus prodigues.

publié le 7 décembre 2021

Extrême droite. Meeting de Zemmour : « C’était un déchaînement de violence »

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Le meeting du polémiste, dimanche, à Villepinte, a donné lieu à des scènes très violentes contre les journalistes et des militants antiracistes, alimentées par le discours du candidat. Une enquête est ouverte par le parquet, tandis que la droite banalise les faits.

« Ils ont été chauffés à blanc par le discours ambiant de ces derniers mois. » C’est ainsi qu’un militant de SOS Racisme, ­Valentin Stel, analyse les violences vécues avec 11 de ses camarades lors du meeting d’Éric ­Zemmour à Villepinte (Seine-Saint-Denis). Les militants antiracistes n’appartiennent pas aux groupes « antifas » : leur action était non violente et visait à dénoncer le racisme dans les discours du candidat à la présidentielle, déjà condamné pour incitation à la haine. Dimanche, après s’être installés parmi le public, les 12 militants se lèvent sur leur chaise et dévoilent des tee-shirts portant l’inscription « Non au racisme ». « On sentait déjà une ambiance très tendue dans la salle avant de mener notre action », explique ­Valentin Stel. Un peu plus tôt, c’est l’équipe de journalistes de Quotidien qui a dû se faire exfiltrer devant une foule qui se montrait de plus en plus menaçante, criant : « Tout le monde déteste Quotidien ! »

Une pluie de coups

Un autre incident, impliquant un homme qui semblait se jeter sur le candidat en train de rejoindre la scène, a chauffé la salle à blanc. Selon Valentin Stel, à ce moment, des gens « encagoulés et portant des bombers » se sont précipités dans l’espoir de pouvoir mettre eux-mêmes un coup de poing. « Lorsque nous sommes ensuite montés sur nos chaises, tout est alors parti en moins de 5 secondes », témoigne celui qui filmait ses camarades installés deux rangs derrière lui. « Non seulement les gens autour se mettent à nous frapper, mais des dizaines d’autres arrivent en courant, sautant par-dessus les rangées, pour distribuer des coups de poing. » Un des militants se fait « sauter dessus à pieds joints » par cinq hommes. Une femme, dont le visage ensanglanté apparaît sur les vidéos publiées sur les réseaux ­sociaux, reçoit plusieurs coups de poing ainsi qu’une chaise sur la tête. « Ça a duré peut-être une minute, avant que le SO ou la sécurité du parc, on ne sait pas trop, finisse par crier “c’est bon, c’est bon !” en levant les bras en l’air », témoigne encore Valentin Stel. Le groupe de militants s’enfuit alors, poursuivi par des dizaines de supporters d’Éric Zemmour qui semblaient déterminés à distribuer encore des coups.

« Zemmour est un fasciste »

Les militants de SOS Racisme n’ont pas été les seules cibles de ce déchaînement. Outre les journalistes de Quotidien, l’équipe de Mediapart a été prise à partie, et les journalistes ont déposé plainte. Celle de LCI a également été ciblée. Sur la scène, le candidat d’extrême droite alimente largement cette haine par son discours. « La meute est désormais lancée à mes trousses. Mes adversaires veulent ma mort politique, les journalistes ma mort sociale, les djihadistes ma mort tout court », se victimise-t-il, appelant la salle à la rescousse. Le journaliste de LCI Paul Larrouturou rappelle d’ailleurs sur sa chaîne que dimanche, le candidat a « fait huer six fois les journalistes ». Le secrétaire général du SNJ-CGT, Emmanuel Vire, se dit lui « pas du tout surpris ». « Oui, Zemmour est un fasciste », assure le syndicaliste, qui rappelle en outre que « la presse est huée à chacun de ses discours. C’est son fonds de commerce ».

Au RN, on dénonce « une provocation inutile » de la part de SOS Racisme.

Les militants de SOS Racisme restent toutefois très choqués par la violence qu’ils ont subie. « Nous nous attendions à ce que ça puisse être difficile avec le service d’ordre, reconnaît Valentin Stel. Mais pas à ce point-là, notamment de la part de gens dans le public. » Si certains des agresseurs sont des militants d’extrême droite portant des tatouages sans ambiguïté, d’autres étaient de simples admirateurs d’Éric Zemmour. Notamment, selon Valentin Stel, un homme que l’on voit asséner de nombreux coups de poing à une femme sur l’une des vidéos. C’était « un déchaînement de coups », considère le militant antiraciste. À gauche, les condamnations ont été unanimes. Mais, au Rassemblement national, on dénonce « une provocation inutile » de la part de SOS Racisme. Et à droite, Valérie Pécresse comme le président du Sénat, Gérard Larcher, renvoient dos à dos les militants antiracistes, pour leur « provocation », et les partisans d’Éric Zemmour appelés à la « modération »… Si une enquête a été ouverte par le parquet de Bobigny, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’avait toujours pas réagi lundi soir. Malgré ces actes de violence typiques des grands rassemblements d’extrême droite, la banalisation continue.

publié le 6 décembre 2021

Présidentielle : à La Défense, Jean-Luc Mélenchon veut montrer qu’il est le mieux armé à gauche

Lors de son premier meeting parisien, le candidat insoumis à la présidentielle s’est posé comme le pôle de résistance à la droite et à l’extrême droite. Il a aussi montré sa capacité de rassemblement en s’affichant aux côtés de nombreuses personnalités de gauche.

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Le poing levé, Jean-Luc Mélenchon traverse une foule toute frémissante de drapeaux français et insoumis. Pour ce premier meeting national organisé à La Défense, au lendemain des résultats de la primaire de la droite, et alors qu’au même moment Éric Zemmour se paie le parc des expositions Villepinte (Seine-Saint-Denis), l’événement n’a qu’un seul objectif : occuper le terrain. « Nous avons besoin de faire une démonstration de force, et d’abord à nous-mêmes », lance le candidat à la présidentielle dans une salle située sous la Grande Arche, où 3 000 personnes – et 1 500 à 2 000 en dehors, selon l’équipe d’organisation – se sont réunies.

Derrière son pupitre, Jean-Luc Mélenchon veut incarner davantage que le candidat de l’insoumission. Il faut que « le pays se ressaisisse et prenne courage en lui-même », car la France « n’est pas l’extrême droite, mais la Sécurité sociale, la santé publique, l’école, la recherche, le partage », dit-il, se posant en boussole des angoissé·es de l’extrême-droitisation ambiante et des égaré·es d’une gauche morcelée.

Un discours pour réconforter et rasséréner les troupes, et même au-delà, donc. Le député de Marseille a réservé le meilleur morceau aux adversaires. Avec un humour mordant, le voilà qui rhabille Valérie Pécresse en « deux tiers Macron, un tiers Zemmour », qualifiant son programme de « festival réactionnaire » et rappelant son bilan de ministre sous Sarkozy (la loi LRU) et de présidente de la région Île-de-France (la « division par deux » des prestations sociales).

La ligne de départ vers 2022 presque complète, l’Insoumis est pressé d’en découdre avec ses adversaires : il veut « débattre avec Madame Pécresse », surnommée « Ma Dalton » pendant la primaire de la droite parce qu’elle « a réussi à venir à bout d’Averell Barnier et Joe Ciotti », explique-t-il sous les rires de l’assistance. Mais aussi avec Emmanuel Macron, « le gars qui n’est pas [encore] candidat, [ce qui lui permet d’]abuser un maximum de la fonction ».

Quant à Éric Zemmour, qu’il a déjà affronté sur le plateau de BFMTV, non sans s’attirer quelques vives critiques, avant même qu’il ne soit officiellement déclaré, il lui oppose ce pays d’amateurs et amatrices de couscous, de pizzas et de rap. Bref, sa « créolisation » qui est « l’avenir de l’humanité ».

Un longue digression pour taper sur le passe sanitaire, une « mesure stupide » – et l’occasion d’envoyer au diable les « Torquemada » qui lui reprochent de ne pas s’être positionné clairement sur la vaccination –, un détour par quelques points de son programme (l’augmentation du Smic et des minima sociaux, le blocage des prix…), ou encore, par des considérations sur « le cycle des prédations » et « l’harmonie avec la nature »

Mais l’essentiel est ailleurs : « Nous on dit,on est là, on est toujours là, et on sera encore là !” », martèle Jean-Luc Mélenchon, ajoutant que sa stratégie de « l’union populaire », c’est « l’union à la base puisque c’est impossible d’avoir l’unité au sommet ».

Une capacité de rassemblement toujours opérante

Car la « démonstration de force » du jour s’adresse aussi au reste de la gauche. Alors que la candidature de la socialiste Anne Hidalgo patine, que celle de Yannick Jadot, qui fera, le week-end prochain, son premier discours de campagne dans un modeste gymnase à Laon (Aisne), est aux prises avec les récentes accusations de viol et d’agressions sexuelles visant Nicolas Hulot et que, lors de son récent tour de France, Fabien Roussel s’est cantonné à quelques meetings mini-format avec des militants communistes, il s’agit de montrer que Jean-Luc Mélenchon est, une fois encore, le mieux armé à gauche.

Et surtout, qu’il « n’est pas seul », comme l’a répété à plusieurs reprises Manon Aubry lors du meeting. Autrement dit, qu’il n’a perdu ni sa capacité d’entraînement, ni sa capacité de rassemblement, en dépit des changements de pied stratégiques, des sorties intempestives et de la désastreuse séquence des perquisitions qui ont davantage conduit à étioler l’électorat qu’à agréger autour du député de Marseille.

D’où le lancement en grande pompe, ce même dimanche, du « parlement de l’Union populaire », un nouvel organe dont la naissance est qualifiée d’« historique » par le député Éric Coquerel, destiné à accueillir des soutiens venus de tous les horizons volontaires pour soutenir la candidature de l’Insoumis.

Au vu des 200 soutiens qui, recrutés par cooptation au sein des réseaux des uns et des autres, ont rejoint l’attelage, le pari est, pour l’heure, réussi. On y trouve ainsi, pêle-mêle, Aurélie Trouvé, ex-présidente d’Attac, ainsi que la fondatrice de l’association altermondialiste Susan George, l’écrivaine Annie Ernaux, l’intellectuelle et ancienne épouse du poète théoricien de la « créolisation » Sylvie Glissant, la philosophe Barbara Stiegler, les économistes Cédric Durand et Stefano Palombarini, le père des « Guignols de l’info » Bruno Gaccio, le guitariste Yvan Le Bolloch, l’ex-syndicaliste des « Contis » Xavier Mathieu, l’inspecteur du travail Anthony Smith, le journaliste du Monde diplomatique Ignacio Ramonet, la militante associative de Saint-Denis Diangou Traoré, et même l’historien Jean-Marc Schiappa, père de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté…

À noter quelques belles « prises de guerre » politiques, au premier rang desquelles Thomas Portes, ancien porte-parole de l’écologiste Sandrine Rousseau, Huguette Bello, la toute nouvelle présidente du conseil régional de La Réunion (venue soutenir Jean-Luc Mélenchon à la rentrée politique des Insoumis, cet été), et surtout le maire communiste de Stains (Seine-Saint-Denis), Azzedine Taïbi, qui ne fera donc pas campagne pour le candidat du parti, Fabien Roussel…

Garder tout ce petit monde uni, jusqu’au bout de la campagne présidentielle et législative : un pari qui n’est pas sans risque pour La France insoumise.

« L’union, il y a ceux qui en parlent et ceux qui la font sur le terrain, avec des gens qui portent des combats », se félicite Manuel Bompard, directeur de la campagne, qui veut faire de la structure, vouée à s’élargir, « un lieu qui travaille la porosité avec le reste de la société ».

Outre la mission de déployer la campagne insoumise partout en France et dans tous les milieux, mais aussi de devenir des porte-parole de certaines thématiques, les membres du parlement, cet « ovni politique », selon les mots d’Aurélie Trouvé, auront un rôle « consultatif » sur la stratégie et le programme.

Reste que celle qui a quitté Attac il y a plusieurs semaines afin de « préserver l’autonomie des mouvements sociaux vis-à-vis du champ politique » et Azzedine Taïbi, en tant que coprésidente et coprésident du parlement, sont attendu·es, chaque mardi, aux réunions hebdomadaire de l’intergroupe. Et tous deux comptent bien prendre leur part dans cette instance qui élabore une partie de la stratégie de campagne.

Garder tout ce petit monde uni, jusqu’au bout de la campagne présidentielle et législative : un pari qui n’est pas sans risque pour La France insoumise, où la question de la démocratie interne a été largement critiquée ces dernières années. En attendant, autant capitaliser sur ce premier succès : « Ce n’est pas le nombre qui fait la justesse d’une cause, mais la justesse d’une cause qui finit par faire le nombre, a lancé Jean-Luc Mélenchon sur l’estrade. Alors faites l’union à la base. Assez de jérémiades, assez d’hésitations, de pleurnicheries. Au combat ! »

publié le 28 novembre 2021

Présidentielle : les syndicats mettent leur grain de sel !

Loan Nguyen sur www.humanite.fr

 

Emploi, climat, santé... autant de thèmes vitaux que les organisations syndicales comptent bien remettre au centre du débat électoral. Méthodes et revendications.

Dans l’ombre des primaires, sondages et autres débats télévisuels centrés autour de la présidentielle de 2022, les syndicalistes eux aussi font campagne à leur manière. Mais avec la volonté de braquer le projecteur sur des sujets sociaux de fond, à mille lieues de la surenchère médiatique de la droite et de l’extrême droite autour de thèmes identitaires et sécuritaires. « Il y a de plus en plus de décalage entre la population et ce que proposent les politiques, notamment la droite. On le voit sur la question des services publics, tous ces métiers du soin et du lien qui ont prouvé leur utilité sociale pendant la crise sanitaire, que les candidats de droite veulent “optimiser” en brandissant l’argument de la dette », souligne Céline Verzeletti, secrétaire confédérale à la CGT.

Revalorisation des salaires

La revalorisation des salaires s’impose évidemment comme l’une des urgences phares des syndicats. Une priorité rendue d’autant plus aiguë par l’inflation du prix des biens de première nécessité, du carburant et de l’énergie. « De plus en plus de salariés se disent “c’est notre dû”, surtout quand ils voient l’argent public qui a été distribué aux entreprises pendant la pandémie et les créations de richesses qui finissent en dividendes », estime la syndicaliste. À la CFE-CGC aussi, on alerte sur la question du « partage de la valeur ». « Il faut évidemment revaloriser les salaires les plus bas, mais il faut surtout arrêter les abus en haut », juge Gérard Mardiné, secrétaire général du syndicat des cadres.

Du côté de la CFDT et de la CFTC, on a choisi d’initier une démarche avec une soixantaine d’acteurs du monde associatif et humanitaire comme la Fondation Abbé-Pierre, France Nature Environnement ou Oxfam au sein du Pacte du pouvoir de vivre, qui a d’ores et déjà émis 90 propositions qu’ils entendent défendre auprès des candidats à la présidentielle. Là aussi, l’absence criante des thèmes liés au travail dans les grands médias agace.

« Notre intention est de peser sur l’agenda politique pour imposer les sujets impératifs du moment : la transition écologique et la justice sociale, plutôt que le choix des prénoms des uns ou des autres », insiste Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT. Sur le volet des rémunérations, plutôt que de prôner des augmentations générales, du Pacte du pouvoir de vivre a décidé de mettre l’accent sur la revalorisation des bas salaires et des minima sociaux par le biais de négociations dehttps://www.humanite.fr/stephane-sirot-les-syndicats-ne-pesent-plus-seuls-728645 branche et d’entreprise, l’un des outils chers à la CFDT de longue date. « L’État, qui est réticent pour l’instant, doit inciter à la relance de ces négociations », pointe le référent CFDT.

Rencontrer les candidats, ou pas

Outre son action au sein du Pacte du pouvoir de vivre, la centrale de Laurent Berger dit attendre des prises de position plus précises des candidats pour ajuster la campagne qu’elle entend également mener en son nom propre. Mais le rétropédalage de Macron sur l’instauration d’un système de retraites par points pousse d’ores et déjà les cédétistes à vouloir retourner au front pour obtenir une réforme structurelle « basée sur l’harmonisation des régimes de retraite ».

Pour la CGT, si la question des retraites reste l’un des thèmes centraux à porter dans la séquence préélectorale, l’idée est avant tout de défendre un renforcement du financement des pensions, en liant cette problématique à celle de l’emploi. « On sait bien qu’il y a un vieillissement de la population et qu’il faut augmenter les recettes. Mais si on investissait par exemple dans les services publics, qu’on créait des emplois dans la fonction publique et qu’on arrêtait les exonérations, on augmenterait les rentrées de cotisations sociales pour permettre aux anciens de vivre dignement avec leur pension », rappelle Céline Verzeletti.

Aux côtés d’autres syndicats comme la FSU ou Solidaires, mais aussi de nombreuses autres organisations comme Greenpeace, Attac, Oxfam ou la Confédération paysanne, la CGT participe également au collectif Plus jamais ça, pour concilier urgences sociale et environnementale. L’été dernier, ce rassemblement de forces syndicales, associatives et écologistes a élaboré un plan de rupture doté de 36 propositions que Plus jamais ça compte bien imposer dans le débat présidentiel. De la levée des brevets sur les vaccins à la défense des libertés publiques en passant par la justice fiscale et la transition écologique, cette plateforme revendicative vise à « faire exister ces questions dans le champ médiatico-politique », précise Simon Duteil, délégué général de l’union syndicale Solidaires. Si son syndicat entend porter des propositions dans le cadre de Plus jamais ça, pour le reste, Solidaires compte davantage peser « en gagnant sur les luttes actuelles sur l’emploi et les salaires » qu’en faisant du lobbying auprès des candidats.

C’est ce chemin que compte emprunter pour sa part la FSU. « On a déjà programmé des rencontres thématiques avec l’ensemble des candidats de gauche sur la fonction publique et l’éducation », explique Benoît Teste, secrétaire général du syndicat des agents publics. Après cette phase d’échanges collectifs, la FSU prévoit également des rencontres bilatérales avec les présidentiables pour pousser les prétendants à l’Élysée à se positionner sur les sujets qui les intéressent. « On trouve que la gauche ne s’est pas suffisamment emparée des questions liées aux services publics et au statut de la fonction publique », souligne le numéro un de la FSU.

FO toujours en retrait

Chez Force ouvrière, on est en revanche particulièrement attentif à « ne pas donner l’impression qu’on penche d’un côté ou d’un autre », insiste Yves Veyrier, secrétaire général. Fidèle à sa tradition d’indépendance des partis, le syndicat prévient qu’il ne restera pas pour autant muet dans la période électorale. « Comme j’ai mis en garde contre la surenchère électorale autour de l’âge de départ à la retraite, on ne s’épargnera pas d’intervenir sur les dossiers qui nous concernent », précise-t-il. Début novembre, le comité confédéral national du syndicat a d’ailleurs adopté une plateforme de revendications prioritaires. Au cœur de celle-ci, on retrouve sans surprise la question de l’augmentation du Smic, de la défense du CDI comme norme d’emploi, ou de la défense d’un financement de la Sécurité sociale par les cotisations et non pas la fiscalité.

 

 

Stéphane Sirot :
« Les syndicats ne pèsent plus seuls »

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

 

L’historien Stéphane Sirot expose pourquoi les organisations syndicales s’allient désormais à des associations, et revient sur les conditions ayant permis, par le passé, les grandes conquêtes sociales. Entretien.

 Comment les syndicats se positionnent-ils en cette période préélectorale ?

Stéphane Sirot  Longtemps, les organisations syndicales ont occupé une position hégémonique sur les questions de transformation sociale. Ce n’est plus le cas car la situation du syndicalisme ne leur permet plus de peser seuls. Le taux de syndicalisation est faible, le rapport de forces peu favorable. La CGT et la CFDT ont donc chacune fait le choix de former des alliances avec des associations, des ONG, pour peser. Chacune avec sa culture propre. Le Pacte du pouvoir de vivre, avec la CFDT, la Fondation Abbé-Pierre, a des racines chrétiennes. Le collectif « Plus jamais ça » fédère des organisations plus interventionnistes et activistes de l’action sociale qui correspondent bien à la CGT. D’autre part, depuis un quart de siècle, les syndicats ne sont plus enclins à donner des consignes de vote. Ils ne sont plus intimement associés à des organisations politiques. L’état de la gauche fait que les partis ne suffisent plus à porter leurs ambitions transformatrices. C’est une faiblesse des organisations syndicales qui ne trouvent plus de relais dans le champ politique et institutionnel. Ce qui renforce le fait de passer par des coalitions.

Cette faiblesse syndicale est-elle rédhibitoire ?

Stéphane Sirot Quelles que soient les époques, les mêmes conditions doivent être réunies pour parvenir à imposer ses revendications. D’abord, il faut le vouloir. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas aujourd’hui. Ensuite, le syndicalisme doit être porteur d’un projet global de société. Et en prenant leurs distances avec les partis politiques, les syndicats se sont dépolitisés. Deuxièmement, il faut un rapport de forces favorable. Or, les victoires syndicales sont faméliques et leur légitimité peut être discutée, comme celle des partis. Ce qui me frappe, c’est que l’abstention aux élections professionnelles est au même niveau que celle aux élections départementales et régionales.

Autre ingrédient : médiatiser les revendications. Même le sujet du pouvoir d’achat n’est pas favorable aux syndicats puisqu’il est pris sous l’angle de la baisse des cotisations salariales et des primes gouvernementales, qui sont de la redistribution des impôts des travailleurs. Enfin, il faut pouvoir porter les revendications dans le champ institutionnel et politique…

Les liens partis de gauche-syndicats suffisent-ils à expliquer les grandes conquêtes sociales historiques ?

Stéphane Sirot Ces liens n’ont jamais signifié alignement. Ces grandes avancées sociales ont toujours été portées par des climats sociaux et politiques favorables. Ce fut le cas lors du Front populaire, avec une vague de grèves concomitante à l’élection du gouvernement socialiste, soutenu par les communistes. Et Thomas Piketty a montré que la grande période de rééquilibrage de la redistribution des richesses a eu lieu entre 1968 et 1983, le tournant de la rigueur. Les syndicats étaient alors parvenus à imposer un rapport de forces social tendu avec des grèves dures, un taux de syndicalisation autour de 20 %. Et la gauche était puissante, avec un PCF à 20 %. Ce climat a rendu possible l’avancée des revendications sociales.

Depuis 2016, cette même ébullition sociale existe, des manifestations contre la loi El Khomry à Nuit debout, aux gilets jaunes et jusqu’au mouvement contre les retraites. Mais il manque aux conflits sociaux une jambe politique qui explique pourquoi ils se heurtent à un mur.

L’appel à voter contre l’extrême droite est-il le dernier mot d’ordre syndical possible ?

Stéphane Sirot Faire barrage à l’extrême droite est effectivement le dernier consensus. Les sondages de sortie des urnes montrent un émiettement du vote des sympathisants des syndicats, les organisations ayant perdu leur colonne vertébrale idéologique. 

 

 

Salaires, services publics, transition écologique : les priorités des syndicats

 

Loan Nguyen sur www.humanite.fr

Si les revendications sont multiples et les solutions proposées diverses, trois points s’imposent à l’ensemble du spectre syndical à quelques mois de l'élection présidentielle.

1. Augmenter les salaires

Smic à 2 000 euros brut à la CGT, 2 070 euros brut chez FO, revalorisation des bas salaires et des minima sociaux à la CFDT… L’urgence de l’augmentation des salaires s’impose comme une priorité absolue pour l’ensemble des syndicats de salariés. En bas de l’échelle mais pas uniquement : même les cadres de la CFE-CGC alertent sur la nécessité de tirer les rémunérations vers le haut. « On constate de plus en plus que les jeunes cadres ont de réelles difficultés à se loger dans les grandes métropoles, voire à boucler les fins de mois », affirme Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC. Si, côté CGT, on prône une hausse générale, à la CFDT on penche plutôt pour une relance des négociations de branche et d’entreprise, pour faire du cas par cas. « Avec la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, le patronat va être confronté à une obligation de lâcher un peu », note Céline Verzeletti, pour la CGT. Mais les syndicats attendent que le futur exécutif aille bien au-delà, en incitant fortement les employeurs à de réelles augmentations de salaire.

2. Donner des moyens aux services publics

Malmenés par les candidats de droite, ignorés par les médias, les fonctionnaires et les services publics veulent revenir au cœur du débat public. « La loi de transformation de la fonction publique de 2019 est une entreprise de destruction du statut de fonctionnaire ! » tempête Benoît Teste, de la FSU, qui plaide pour redonner au statut une place centrale, et diminuer par là même la part de l’emploi contractuel. Mais, au-delà du statut et des rémunérations, c’est aussi la question de la privatisation des services publics qui intéresse les syndicats. « On peut imaginer que le secteur privé cohabite avec le public sur certaines activités comme les Ehpad, mais pour nous, il est impératif de revenir sur la question du financement des écoles privées », souligne le secrétaire général de la FSU. « La pandémie a montré à quel point le service public est une vraie richesse, que ce soit la recherche scientifique, le système de santé, les aides à domicile, etc., et qu’on a besoin de réfléchir en fonction des besoins et non d’un budget », insiste Céline Verzeletti.

3. Œuvrer pour une transition écologique socialement juste

« La réalité du changement climatique est désormais acquise, ainsi que la nécessité d’agir face à cela », pointe Frédéric Sève, de la CFDT. « Certaines actions sont à portée de main, comme la rénovation énergétique qui permet de lutter contre l’émission de gaz à effet de serre. Et on agit, par la même occasion, sur une dimension de justice sociale, car ce sont bien souvent les ménages modestes qui ont le plus de mal à isoler leur logement. » Du côté de FO, on plaide pour « une politique de recherche et d’investissements publics, ambitieuse et massive, afin de répondre aux défis des transitions, qui ne laisse aucun salarié, notamment les plus démunis, de côté », estimant que la croissance et l’emploi ne sont pas incompatibles avec des exigences écologiques. « Fin du monde et fin du mois, même combat ! » scande Simon Duteil, de Solidaires, qui définit ainsi l’objectif du collectif Plus jamais ça, qui défend notamment l’idée d’une relance du rail, en particulier le fret ferroviaire, et la gratuité des transports en commun.

publié le 27 novembre 2021

Robert Guédiguian : « Hidalgo, Jadot et Mélenchon foncent tous dans le mur »

sur www.regards.fr

Avant la sortie en salles de son prochain film, « Twist à Bamako », prévu en janvier prochain, le cinéaste Robert Guédiguian publie Les lendemains chanteront-ils encore ? aux Éditions Les Liens Qui Libèrent. Il est l’invité de #LaMidinale.

 

LA VIDEO EST À VOIR...sur https://youtu.be/VfM8fo9jsl4

 

Ci dessous quelques extraits à lire :


 

Sur la presse et l’édition

« Je suis très inquiet : il y a de moins en moins de paroles libres et indépendantes. C’est vrai du monde de la presse, dans le cinéma, un peu loin dans la littérature peut-être… »

« Si les médias de gauche sont moins forts qu’auparavant, c’est que la gauche est moins forte qu’auparavant. »

« Comme il n’y a plus de confiance dans la parole des maîtres, il n’y a plus de confiance dans la presse non plus. »

« Les gens pensent que c’est mieux d’avoir juste des news, c’est-à-dire des infos factuelles, comme si ça allait leur suffire. Ils pensent pouvoir eux-même éditorialiser les choses… »


 

Sur la littérature et le cinéma

« L’essentiel de mon travail et de mon expression, c’est à travers le cinéma. »

« Si on regarde les 22 films que j’ai faits, on sait à peu près ce que je pense. »

« Le livre apporte du discours sur des choses que l’on ne peut pas traiter au cinéma, sur des choses plus abstraites. »

« Depuis mon enfance, le livre reste un objet sacré, à la fois mystérieux et étrange. »

« Le livre m’apparaît comme plus important et éternel que le cinéma. »


 

Sur le communisme et la politique

« Je publie ce livre parce que je pense qu’il faut restaurer un certain nombre d’idées, notamment l’idée communiste. »

« Je crois que la société entière devrait se poser la question du pourquoi être communiste. »

« Etre communiste, c’est une manière d’envisager le monde qu’il faut remettre au goût du jour. »

« Je cherche le communisme qui est déjà là. »

« A gauche, personne ne me fait rêver d’une autre société, d’un autre monde, de la possibilité d’une alternative. »

« Il y a quelques envolées à gauche, dans les discours notamment, par exemple chez Jean-Luc Mélenchon mais ça reste souvent sur le factuel. Les représentants répondent à des questions qui viennent d’être posées. Pour moi, ce n’est pas comme cela que l’on redonne du goût à la politique. »

« La politique, ça a à voir avec la littérature, la morale, la philosophie. »


 

Sur Fabien Roussel

« [Quand Fabien Roussel parle des intellectuels], c’est horrible - comme l’était sa participation à la manifestation de la police. »

« Ce Parti communiste qui n’en finit pas de mourir, essaie de recourir à des basses manoeuvres populistes dans le plus mauvais sens du terme. »

« Pour moi, populiste, c’est forcément de droite : cela veut dire coller à l’opinion générale du peuple. Il n’y a pas de populisme de gauche. La gauche propose des choses au peuple, quitte à se fritter avec - mais ça doit rester une discussion. »

« Le Parti communiste va perdre les quelques dizaines d’adhérents qui restent encore accrochés à ce parti. Mais je continue à dire que je suis communiste. »

« Du point de vue de la recherche, notamment du côté des historiens, il y a plein de gens brillantissimes. Mais aucun parti ne les prend en compte. »

« Il ne faut pas abandonner un rapport intellectuel aux choses : il est inimaginable que le secrétaire général du Parti communiste dise des choses comme il dit. »

« Il n’y a plus de ponts entre les mondes artistiques, intellectuels et politiques parce que le projet est inexistant. »

« De l’idée de projet, même s’il est mou, de l’idée de direction avec quelques points de vue clairs sur l’économie, l’écologie ou le social, on peut créer une convergence. Mais personne ne semble vouloir se donner la peine de le bâtir. »

« Le projet de la gauche se construit par intermittence. »


 

Sur le fait d’être communiste aujourd’hui

« Etre communiste aujourd’hui, cela veut dire l’être en permanence : c’est un impératif catégorique et une éthique. »

« Tout ce que je fais est sous-tendu par l’idée de créer du communisme, c’est-à-dire du commun et du partage, du moment où collectif et individu ne s’opposent pas. »

« Une entreprise peut être un moment communiste, une ZAD et un film aussi. Si j’exagère, le quoiqu’il en coûte d’Emmanuel Macron est un moment communiste. »

« Je pense qu’il faut être anti-multinationales. Mais sur les entreprises plus moyennes, il faut travailler la législation pour faire du communisme à l’intérieur de l’entreprise. »

« Si on regarde, les nationalisations n’ont absolument pas créer une appropriation de l’outil de travail par les travailleurs. »

« Je crois qu’il faudrait faire le Congrès de Tours à l’envers. »


 

Sur l’antiracisme

« Pour moi, l’universalisme, c’est la lutte des classes. C’est donc une grille de lecture. Là où l’on s’est trompé, c’est concernant le ressenti de certaines personnes, notamment immigrées ou issues des anciennes colonies. L’ouvrier, il a toujours été attaqué et exploité mais il n’est pas nié en tant qu’individu. Les arabes et les noirs peuvent être niés en tant qu’individus parce qu’il reste dans la société française cette vieillerie coloniale de ne pas les considérer à égalité. Or leur humanité niée ne se résout pas dans la question de classe. »

« Il y a un danger dans le wokisme. Mais le danger, c’est la fragmentation des luttes, la désunion alors même que sur l’analyse de classes, on pourrait s’entendre. »

« Il ne faut pas s’opposer sur des questions nouvelles qui ont surgi il y a peu… Mais il ne faut pas les minorer non plus ! Il faut savoir qu’elles existent. »


 

Sur le colonialisme

« Le colonialisme est un crime contre l’humanité. »

« La base du colonialisme est le racisme. »

« Je suis français et je n’ai aucun souci à dire que la France coloniale était une horreur. »

« Je ne suis pas tellement d’accord avec l’expression racisme d’Etat mais je crois qu’il existe plutôt un racisme de la société française. »


 

Sur la gauche et les migrations

« La gauche s’y prend mal pour être élue : on gagnerait plus à dire ce que l’on pense. »

« La gauche devient populiste, c’est-à-dire pour moi elle devient de droite. »

« Même si on prend tous les réfugiés, on ne remplit pas tous les villages désaffectés d’Europe. »


 

Sur l’avenir de la gauche

« Je pense que l’on peut être et réformiste et révolutionnaire. »

« Je crois que l’on peut vouloir transformer les choses sans arrêt, c’est-à-dire plus de communisme et de rupture avec un mode libéral et capitaliste. »

« Anne Hidalgo a tort et se trompe de considérer Jean-Luc Mélenchon comme infréquentable. Elle est dans une logique électorale : elle pense que c’est ce qui va lui permettre de prendre le pouvoir. »

« D’abord, prendre le pouvoir, si c’est pour ne pas en faire grand chose, ça ne sert à rien. Autant avoir du pouvoir sans le prendre : avoir le pouvoir de manifester, de s’opposer… Pour prendre le pouvoir, il faut avoir l’ambition de faire quelque chose de très précis et de très en rupture. »

« Tous les dirigeants de la gauche se trompent : je suis persuadé qu’ils vont tous dans le mur. Anne Hidalgo fera que dalle, Yannick Jadot fera que dalle et Jean-Luc Mélenchon fera que dalle. »

« Je pense que pour 2022, c’est trop tard. »

« La gauche en Occident n’a jamais gagné qu’en étant unie. »

publié le 26 novembre 2021

Programme présidentiel de Mélenchon : ce qui change, ce qui demeure

Réactualisé à l’aune du quinquennat écoulé, « L’Avenir en commun » est débarrassé des points qui avaient le plus fait polémique en 2017, comme l’hypothèse d’une sortie de l’Union européenne. Pour le reste, la continuité domine : VIe République, planification écologique et partage des richesses.

Fabien Escalona et Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Cinq ans, c’est long. Surtout quand on a vu tour à tour émerger un mouvement social inédit (les « gilets jaunes »), le conflit le plus long de l’histoire à la SNCF (37 jours consécutifs de grève contre la réforme des retraites), une pandémie mondiale (le Covid-19), ainsi qu’un renouveau historique des mobilisations féministes (#MeToo) et antiracistes (à la suite de l’assassinat de George Floyd). Le tout sur fond d’accélération sans précédent du changement climatique, auquel la communauté internationale n’apporte pour l’instant pas de réponse convaincante.

Réactualiser la doctrine sans en perdre la substantifique moelle ou, pour le dire autrement, faire valoir le changement dans la continuité : tel était l’enjeu de la réécriture du programme présidentiel de La France insoumise. À l’arrivée, ce nouvel opus de L’Avenir en commun (dit « AEC », dans le jargon insoumis), 694 propositions en tout, s’annonce déjà comme un succès de librairie. Publié au Seuil la semaine dernière, l’ouvrage, vendu 3 euros l’unité, s’est propulsé en tête des meilleures ventes de la catégorie « Essais et documents », selon le site Datalib qui recense les ventes dans les librairies indépendantes.

Un bon signal pour Jean-Luc Mélenchon, qui aborde cette troisième et dernière campagne présidentielle fort d’un héritage ambigu. Certes, ses 19 % à la dernière présidentielle lui confèrent un poids politique et une visibilité médiatique inédits. Mais le quinquennat passé dans l’opposition n’a pas toujours été une partie de plaisir : polémiques sur la démocratie interne, déceptions électorales lors des scrutins intermédiaires et, surtout, affaires judiciaires qui ont conduit à la catastrophique séquence des perquisitions de 2018, à la mise en examen de ses proches (lire ici et là) et à une condamnation du candidat pour rébellion et provocation… Autant de mésaventures qui ont abîmé la « marque » Mélenchon et provoqué les tâtonnements stratégiques de son mouvement.

Dans ce contexte, que reste-t-il du programme de 2017 ? Comment s’est-il adapté aux évolutions économiques et sociales de la France de 2022 ? À la montée en puissance de certains concurrents politiques, notamment des écologistes ? Que dit-il, enfin, de la mutation politique d’une formation dorénavant engagée dans une dynamique d’« union populaire », laquelle implique un élargissement de l’électorat visé ?

L’écologie en majesté 

Premier constat, l’importance accrue accordée à l’écologie. Entendue comme rupture avec le productivisme, cette thématique occupe une place encore plus fondamentale que dans le programme de 2017 (10 pages y étaient alors consacrées, contre 25 dans l’AEC version 2022), au point de détrôner le social dans l’ordre du chapitrage. Arrivant en deuxième position dans le programme, après la question institutionnelle et démocratique, la question écologique y est développée de manière plus ambitieuse et plus précise. L’introduction de Jean-Luc Mélenchon est d’ailleurs précédée d’un exergue qui donne le ton et « résume le projet » : « L’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature comme vision du monde ».

La notion de « bifurcation » écologique est venue remplacer celle de « transition », ce qui suggère une volonté de rupture plus franche à opérer à court terme dans nos modes de production, d’échange et de consommation. La « planification » (terme récurrent dans le programme), articulée sur plusieurs niveaux territoriaux, est la méthode avancée pour opérer cette bifurcation, c’est-à-dire répondre aux besoins sociaux dans le respect des écosystèmes.

Ce choix correspond à l’approche récemment défendue par l’économiste Cédric Durand dans la prestigieuse revue critique New Left Review. Il y pourfend la méthode (néo)libérale actuellement en vigueur, qui se contente d’augmenter le prix du carbone et des pollutions mais sans garantie de résultat (la baisse effective et à temps des émissions) ni de justice dans la répartition des efforts requis.   

La « règle verte » – qui consiste à ne pas prendre à la nature davantage qu’elle ne peut reconstituer – est désormais déclinée en « règle bleue » pour protéger le cycle de l’eau.

Pour mettre en œuvre cette orientation, l’AEC propose « un plan massif de 200 milliards d’euros d’investissements écologiquement et socialement utiles ». Ceux-ci seraient notamment fléchés vers des filières de réindustrialisation au service des objectifs climatiques, l’édification d’un système énergétique fondé sur la sobriété et le « 100 % renouvelable », ou encore la refonte du système de transport (laquelle comprend par exemple une renationalisation des autoroutes et « une suppression des lignes aériennes quand l’alternative en train est inférieure à quatre heures »).

Le programme fait également la promotion d’une agriculture paysanne et écologique, ce qui n’est pas sans écho avec différents livres et études scientifiques récents, affirmant que ce modèle peut tout à fait répondre à nos besoins à grande échelle (lire l’article d’Amélie Poinssot). À cette fin, une refonte de la politique agricole commune est proposée au niveau européen, afin de réorienter les aides publiques vers les bonnes pratiques et une réduction de la taille des exploitations. Comme il y a cinq ans, la création de 300 000 emplois est promise dans ce secteur.

Nouveauté par rapport à 2017, la « règle verte » – qui consiste à ne pas prendre à la nature davantage qu’elle ne peut reconstituer – est déclinée en « règle bleue ». Également constitutionnalisée, cette dernière impliquerait d’assurer l’accès universel à l’eau, mais de le faire en protégeant l’ensemble de son cycle, notamment en rendant sa gestion entièrement publique, par le biais de « régies locales ouvertes aux citoyens »

De manière générale, le choix d’une préservation du système-Terre comme principe d’auto-limitation est clairement affirmé, même si certaines dispositions jurent parfois avec l’exigence de sobriété, à l’instar de la participation aux « missions vers Mars ». Tenant compte des dernières initiatives du milliardaire Elon Musk, l’AEC prône cependant l’abolition des « voyages commerciaux et privés dans l’espace », et propose « un programme international de dépollution de l’orbite géostationnaire ».

Les investissements envisagés, le souci répété de protection des ressources et la répudiation du nucléaire rattachent en tout cas le programme aux versions radicales de « Green New Deal » élaborées au sein des pays riches.

De #MeToo aux antipasse : les mouvements sociaux au cœur du projet 

Outre les mobilisations climat, les références aux gilets jaunes, au renouveau féministe de #MeToo, au réveil de l’antiracisme et des luttes contre les violences policières, et bien sûr au Covid, apparaissent fortement dans les nouvelles préoccupations insoumises.

Dans l’idée d’épouser les soubresauts d’une société traumatisée par les décès liés au virus et les confinements successifs, un nouveau chapitre est apparu sur « la vie en état de pandémie permanente ». Le terme de « planification sanitaire » fait son entrée dans le glossaire insoumis, de même que le mot « vaccin », même si l’organisation ne prend pas position sur l’obligation vaccinale.

Le mouvement, qui avait produit une abondante littérature sur les réponses au Covid durant le premier confinement, maintient sa volonté de supprimer les lois d’urgences sanitaires ainsi que le passe sanitaire, et continue de prôner sa « société du roulement », la réquisition des entreprises de fabrication des masques, aérateurs d’air et de tests, ou encore la création d’un « pôle public du médicament » destiné à garantir la production et l’approvisionnement des traitements en France. Sans oublier, comme en 2017, un plan pour l’hôpital public et un remboursement à 100 % des soins par la Sécurité sociale.

Si la question sanitaire apparaît en tête des préoccupations, les luttes autour du genre et des minorités sexuelles se voient également accorder plus de place qu’en 2017. #MeToo est passé par là, et cela se voit : une citation de Louise Michel en ouverture du chapitre « Société », les mots « ménopause », « personnes trans », « LGBTI » et « harcèlement sexuel » font leur apparition, tandis que la dénonciation du « système patriarcal » est davantage mise en valeur.

Comme en 2017, le mouvement prône l’autorisation de l’adoption plénière pour les couples homosexuels, le refus de la GPA et l’abolition de la prostitution (un choix, pour le coup, tranché alors que le sujet fait débat parmi les féministes). Et cette fois-ci, l’AEC promet de rembourser la PMA et de constitutionnaliser l’IVG.

D’autres nouveautés sont notables, comme l’instauration d’un jour férié en mémoire de l’esclavage ou l’abrogation de la loi « séparatisme » adoptée cette année (lire notre dossier). Le droit de vote des étrangers aux élections locales et le récépissé de contrôle d’identité pour lutter contre les contrôles au faciès demeurant des outils de lutte contre les discriminations. 

Enfin, le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas oublié. En plus des mesures d’augmentation des salaires et de réduction des inégalités, le RIC (référendum d’initiative citoyenne), leur revendication emblématique déjà présente dans le programme de 2017, apparaît en tête de chapitre, de même que la révocation des élus.

« Plan B », Alba, médias… Les sujets polémiques désamorcés 

À côté d’actualisations liées aux mobilisations les plus marquantes de ces dernières années, l’AEC version 2022 a lissé les points qui avaient valu le plus d’incompréhensions, de critiques et de tensions internes il y a cinq ans. À commencer par la question européenne.

« Cette Europe-là, soit on la change (plan A), soit on doit la quitter (plan B). Et c’est par là que tout commencera. » Ainsi s’achevait l’introduction du programme de 2017, signée par un Jean-Luc Mélenchon faisant dès lors de la question européenne la condition sine qua non de la réalisation de son projet présidentiel. Un Brexit catastrophique et l’élection de 6 eurodéputés insoumis plus tard, c’est peu dire que la thématique européenne, à peine évoquée dans l’introduction – si ce n’est pour tancer « la sacro-sainte “concurrence libre et non faussée” des traités européens » –, ne se taille plus la part du lion dans l’AEC actuel (3 pages, contre 6 en 2017).

Quant à ce fameux « Plan B » qui fit couler tant d’encre, jusqu’à être avancé comme la principale raison de la désunion entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon en 2017 – le premier reprochant au second d’être « anti-européen », le second accusant le premier d’être « euro-béat » –, il a tout bonnement disparu, dans sa forme initiale, du programme insoumis. Un tournant attendu, dans la mesure où le scénario avait déjà déserté les discours depuis les élections européennes de 2019.

Si le « Plan A » continue de désigner une « rupture concertée » avec les traités, le « Plan B » consiste désormais à « assumer la confrontation avec les institutions européennes ». 

Alors que les hypothèses d’une sortie de l’Union européenne et d’une sortie de la zone euro apparaissaient noir sur blanc dans le programme de 2017, elles ont cette fois-ci été écartées. Si le « Plan A » continue de désigner une « rupture concertée » avec les traités, le « Plan B » consiste désormais à « assumer la confrontation avec les institutions européennes ». Et il n’est plus question « que » de désobéir via des « opt out » ou d’utiliser les leviers déjà existants pour contester les mesures problématiques (lire notre article sur le retour de la controverse européenne à gauche).

Il n’y a pas que sur l’UE que le programme a été adouci. La mention d’une adhésion à l’Alba (l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique), qui avait empoisonné la fin de campagne en 2017, a également disparu du programme. Elle avait été exhumée par les adversaires du leader insoumis comme preuve de sa complaisance envers le régime vénézuélien d’Hugo Chavez puis de Nicolas Maduro. Ce dernier avait prétendu construire le « socialisme du XXIsiècle » à travers des avancées pour les milieux populaires, mais ses élites politico-militaires ont en fait recomposé un « État bandit » ayant recouru à une répression intense.

L’Union populaire mélenchonienne défend toujours, pour autant, des « coopérations altermondialistes et internationalistes ». Les Outre-mer, particulièrement présents dans le programme, restent des territoires dont il est préconisé qu’ils soient davantage partie prenante de coopérations régionales. Pour les Antilles et la Guyane, c’est désormais la Communauté d’États latino-américains et caraïbes, aux contours beaucoup plus larges, qui est évoquée.

Vis-à-vis des médias, le ton a, là encore, subtilement changé. Les propositions de base demeurent, comme une loi anticoncentration, la nécessité d’un « contre-pouvoir citoyen », ou encore l’élection des présidents du service public au Parlement. Mais sur la forme, il n’est plus écrit que les médias sont « bien malades » ou que la révolution citoyenne doit être menée « sans faiblesse » dans ce secteur.

Sur la laïcité, enfin, pas de changement majeur, même si le terme d’« accoutrement » (pour désigner le voile) a été supprimé en même temps que la mesure consistant à refuser de rencontrer les représentants politiques qui obligent leurs ministres à porter le voile. Une évolution à mettre en regard du discours du leader insoumis sur la « créolisation » de la société française, à rebours des thèmes identitaristes portés depuis l’extrême droite jusqu’au centre du spectre politique.

Des singularités qui persistent

Le « lissage » de l’AEC n’a toutefois pas abouti à la suppression de tous les points susceptibles de faire controverse. D’une part, même si le ton se veut consensuel, le cap reste celui d’un modèle de société alternatif, avec des mesures de redistribution fortes, la création de nouveaux droits, et la perspective d’un changement de régime à travers un processus constituant. D’autre part, même parmi ceux qui partagent cette aspiration, certaines orientations continueront à susciter des préventions.

Les questions internationales ont beau n’être pas au cœur des campagnes électorales, les choix diplomatiques avancés par l’AEC constituent une différence de fond à l’égard des Verts et de tout ce qui gravite au centre-gauche. Par souci de désoccidentaliser l’action internationale de la France, une sortie progressive de l’OTAN est, comme en 2017, annoncée. « La France peut et doit se défendre elle-même, en dehors de toute alliance militaire permanente quelle qu’elle soit », affirme le programme, qui reste elliptique sur les coûts éventuels que ce cap implique.

« Une nouvelle entente altermondialiste » est promue, sans détail sur les partenaires envisagés ni même sur les critères qui en circonscriraient les contours : s’agit-il de pays unis par le souci de saper définitivement l’hégémonie états-unienne dans l’ordre international ? Ou la nature des régimes et de leurs projets importe-t-elle ? Le programme avance que l’ONU « reste le seul organe légitime, car universel, pour assurer la sécurité collective ». Le temps sera cependant long avant que ce soit le cas, et il n’est pas précisé si le « renforcement » des Nations unies impliquerait la fin des sièges permanents au Conseil de sécurité, dont la France jouit avec quatre autres puissances.

Au chapitre économique et social, plusieurs dispositions ne se retrouvent pas ailleurs non plus, ou alors seulement chez d’autres candidats de la gauche radicale. Certes, toute la gauche appelle aujourd’hui à l’augmentation des salaires, à commencer par le Smic que La France insoumise veut porter à 1 800 euros brut – déjà proposée en 2017, cette mesure passait alors pour irréaliste. Le programme insoumis se distingue en revanche des Verts et du Parti socialiste, en réclamant le retour de la retraite à 60 ans. Quant à sa proposition de mettre en œuvre la garantie d’emploi (lire notre article), elle s’est même vu taxer de « soviétisme » par… le communiste Fabien Roussel.

De manière structurelle, c’est le rapport à la finance qui apparaît bien plus conflictuel du côté de Mélenchon et des Insoumis. Là où les autres candidats restent largement muets sur l’annulation de la dette publique, l’AEC évoque la possibilité d’en déterminer la « part illégitime », et entend que la Banque centrale européenne (BCE) pérennise son action de rachats de titres sur les marchés, pour les garder dans ses coffres et ne jamais en exiger le remboursement. Plus subversif, mais impossible sans confrontation dure à l’échelle européenne, il est proposé de « restaurer un circuit du Trésor pour sortir la dette publique de la main des marchés financiers ». Enfin, le programme évoque de manière elliptique la « socialisation de banques généralistes » – ce qui serait une première depuis 1981.

Concernant la justice, c’est cette fois-ci une absence qui situe le programme en deçà de ce que défendent plusieurs syndicats et de nombreux défenseurs des droits et libertés. Plusieurs propositions vont certes dans leur sens, qu’il s’agisse d’une augmentation des moyens, du renforcement des droits de la défense ou de « confier au Parlement l’orientation de la politique pénale ». Mais s’il est question de « renforcer » l’indépendance de la justice vis-à-vis de l’exécutif – sous-entendu quand elle existe déjà –, il n’est nulle part écrit qu’une indépendance statutaire du parquet (c’est-à-dire les procureurs, leurs substituts et les avocats du ministère public) soit souhaitable. Il s’agirait pourtant d’un moyen efficace pour éteindre les soupçons d’intervention du pouvoir, notamment dans les affaires de corruption.

Centralité du programme, pudeur de la doctrine

Les orientations programmatiques de l’AEC correspondent à une tendance de fond, bien mesurée par des chercheurs tels que Andreas Fagerholm : celle d’une montée en puissance des enjeux écologiques dans les programmes de la gauche radicale européenne, laquelle continue de se distinguer par ses revendications en faveur du salariat, sa critique de l’intégration européenne et sa rhétorique anti-impérialiste. Une tendance qui s’inscrit dans un nouvel âge de la gauche alternative, après la fin d’un cycle historique lié au mouvement ouvrier.

Contrairement à la plupart de leurs concurrents, les Insoumis font de ce programme un outil central de légitimation. De fait, ils sont actuellement les seuls à disposer d’un éventail de mesures aussi détaillé, sur tous les grands aspects des politiques publiques. Surtout, il s’agit de la révision d’un texte qui s’inscrivait déjà dans la suite de « L’humain d’abord », confectionné dans le cadre du Front de gauche en 2012. « Alors que la plupart des programmes sont devenus des biens symboliques de cycle court, commente pour Mediapart le politiste Rafaël Cos, l’équipe de Mélenchon a fait du sien un bien symbolique de cycle long, un peu comme lorsque le Programme commun de la gauche, dans les années 1970, avait structuré les positionnements pendant dix ans. »

À contre-courant, cette valorisation du programme s’accompagne néanmoins d’une absence de référent idéologique clair. Il n’est pas fait mention de l’écosocialisme, qui avait été travaillé par le Parti de gauche et que le député Éric Coquerel disait vouloir « remettre en avant » au lendemain des européennes. L’idée de « nouvel humanisme », récemment développée par Jean-Luc Mélenchon, n’est pas non plus approfondie ni même évoquée, quand bien même son contenu inspire visiblement le cap programmatique d’ensemble.

publié le 25 novembre 2021

Les fascistes sont de sortie et tout le monde s’en fout

Par Loïc Le Cler sur www.regards.fr

Menaces de mort, agressions, attaques de manifestants... tout est permis pour les néonazis !

On a beau se dire, jour après jour, que le fond de l’air est brun, rien n’arrête cette inéluctable montée en puissance. Le prochain numéro du semestriel de Regards abordera justement ce sujet en profondeur.

Ces derniers temps, les événements sont comme en train de s’emballer. Rien que pour le mois qui vient de s’écouler, les actualités concernant l’extrême droite la plus violente et dangereuse que l’on puisse connaître sont légion. Et pourtant, rien. Tout le monde s’en fout. Les néo-nazis, ça ne fait jamais le buzz. Il y a pourtant matière à…

 Lundi 22 novembre, deux militants de SUD-Rail ont été violemment pris à partie par un groupe de sept fascistes. Insultes, coups et menaces de mort contre ces deux personnes attablés en terrasse à Paris parce que l’un d’eux… portait un sweat-shirt antifasciste.

Le 21 novembre, on lit sur Rue89 Strasbourg : « En début d’après-midi, les hooligans néonazis de Strasbourg Offender se sont battus contre les rémois du MesOs en plein centre-ville de la commune de Kilstett ». Saluts hitlériens sur des photos diffusées sur Telegram, bagarre provoquée en manifestation, en toute impunité.

Samedi 20 novembre, des groupes néonazis s’attaquent aux participants à la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles. Des actes d’une extrême violence sont perpétrés, à visage découvert, en plein Paris. Ce même samedi, la direction des opérations douanières a découvert plus de 130 armes et des « éléments de propagande liée à l’extrême droite » dans l’Eure. Le lendemain matin, le ministre de l’Intérieur est sur France Inter et lui en parle-t-on ? Non.

Le 19 novembre, sur BFM : « Un militant d’ultradroite originaire du sud-ouest a été mis en examen vendredi à Paris notamment pour provocation à un acte de terrorisme et apologie, tandis qu’un autre homme, qui n’appartient pas à cette mouvance, est également poursuivi pour lui avoir vendu des armes, selon une source judiciaire. [...] Les deux hommes ont été interpellés mardi. L’un à Montauban, où il est employé municipal. Âgé de 46 ans, il administrait des chaînes de la messagerie cryptée Telegram [...] il publiait des messages très violents et expliquait qu’il fallait se préparer, en s’armant, à la guerre civile. »

Le 16 novembre, on découvre dans Libé qu’Éric Zemmour « s’offre les services d’un entrepreneur ultra radical pour sa campagne présidentielle [...] Proche des sphères néo-nazis, Tristan Mordrelle est né en Argentine en 1958. Il est le fils d’Olier Mordrel, ancien collabo qui fut condamné à mort par contumace à la Libération. C’est l’homme à qui Éric Zemmour demande de l’aide pour lever des fonds. »

Le 15 novembre, on apprend via StreetPress que, via le canal Telegram Les Vilains Fachos, « des néonazis appellent au meurtre de Mélenchon, Obono, Bouhafs et un journaliste de StreetPress ». Quelques jours plus tard, le site Arrêt sur images révèle que les fondateurs du canal Telegram opèrent « d’une participation active dans la campagne [d’Éric Zemmour], du moins d’une indéniable proximité avec celle-ci ».

Le 5 novembre, l’association Hors Service, créée par des fonctionnaires de police en disponibilité et/ou gravement blessés en intervention, appelle, dans un tweet, au meurtre de la « racaille », des « sauvageons sous éduqués, résultant de mariages forcés entre un cousin et ses cousines ».

Le 2 novembre, StreetPress publie une enquête montrant « des militants d’extrême droite, soutiens actifs d’Eric Zemmour, [qui] s’entraînent au tir sur des caricatures racistes de juifs, de musulmans et de noirs ».

Le 23 octobre, après une manifestation contre les violences de l’extrême droite, des dizaines de militants d’extrême droite ont semé la terreur dans les rues de Lyon, agressant au couteau des jeunes au hasard.

Dommage que la lutte contre l’islamo-gauchisme et le wokisme ne laisse pas le temps au gouvernement pour la lutte contre l’extrême droite. Le pathétique de cette irresponsabilité confine au criminel.

On pourrait également évoquer ces digues qui lâchent de toute part. Quand des Onfray ou des Enthoven disent préférer voter pour Le Pen ou Zemmour plutôt que pour Mélenchon.

Le 24 octobre, au micro de RTL, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté Marlène Schiappa sonnait l’alerte : « Ce n’est pas impossible que l’extrême droite se retrouve au pouvoir, cela est déjà arrivé avec Bolsonaro ou encore Trump ». Dommage que la lutte contre l’islamo-gauchisme et le wokisme ne laisse pas le temps au gouvernement pour la lutte contre l’extrême droite. Le pathétique de cette irresponsabilité confine au criminel. Pour rappel, comme l’écrivait Alain Bertho dans Regards, « la vérité est que le terrorisme qui a triplé en 5 ans et qui frappe principalement les pays occidentaux est un terrorisme d’extrême droite ».

 

 

 

Ascenseur pour les fachos

Sur www.politis.fr

La banalisation des discours d’exclusion et de haine encourage d’éventuels passages à l’acte violents.

C’est sans doute (1) le principal résultat de (bientôt) cinq années de macronisme : dans cette sinistre fin de quinquennat, les fascistes sont en roue libre. Plus une semaine ne s’écoule sans que leurs groupuscules attaquent des manifestations, des lieux culturels ou des militant·es de gauche. Surtout : c’est tous les mois ou presque, désormais, que des projets d’attentats néonazis sont découverts.

Mais le ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron – Gérald Darmanin – se tient coi. Sur Twitter, où il passe beaucoup de temps, il ne reste jamais plus de quelques heures sans dénoncer, entre deux annonces de saisies de drogue, de nouvelles « violences » – comme celles qui, ces jours-ci, s’offusque-t-il dans le moment où ces lignes sont écrites, « touchent la Guadeloupe ».

Mais jamais il ne dénonce les exactions répétées de l’extrême droite.

Ce samedi, tout de même, il a déclaré, dans Le Parisien, que les discours de « Marine Le Pen et Éric Zemmour » alimentaient, selon lui, de « mauvais réflexes » et des « pulsions profondes ». Puis de préciser : « Quand Marine Le Pen et plus encore Éric Zemmour considèrent qu’il faut très, très vite prendre le pouvoir parce qu’on va être grand remplacés ou que cela va être la guerre des civilisations, il y a une forme de discours qui légitime, j’espère malgré eux, cette théorie. »

Par ces mots, on l’aura compris, ce ministre (2) suggère que les proférations xénophobes de l’extrême droite partisane pourraient contribuer à la radicalisation de l’activisme d’extrême droite. Et cela est plus que probable, en effet – car de fait, la banalisation des discours d’exclusion et de haine encourage, comme l’a de très longue date relevé la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), organisme étatique, d’éventuels passages à l’acte violents.

Mais lorsque Emmanuel Macron accorde un entretien exclusif à un magazine qui se trouve depuis des années à la pointe de cette normalisation, ou lorsqu’il apporte son soutien à Zemmour, quels « mauvais réflexes » nourrit-il ? Et lorsque Gérald Darmanin lui-même, après avoir naguère assuré que, s’il devenait « maire de Tourcoing », il ne « célébrerai(t) pas personnellement de mariages entre deux hommes et deux femmes », puis disserté dans un livre sur « les difficultés touchant à la présence de dizaine de milliers de juifs en France » à l’époque napoléonienne, continue à se targuer sur Twitter, dans un pays rongé par le racisme, de « maîtris(er) les flux migratoires » en « expuls(ant) trois fois plus de personnes en situation irrégulière que les Anglais, deux fois plus que les Italiens et 50 % de plus que les Espagnols », quelles épouvantables « pulsions profondes » veut-il flatter ?

(1) Avec, bien sûr, l’enrichissement continu des plus riches et l’appauvrissement symétrique des plus pauvres.

(2) Qui, très soudainement plus sensible que lorsqu’il agonit certaines associations antiracistes, leur trouve tout de même la circonstance atténuante que c’est peut-être « malgré eux » qu’ils profèrent des insanités racistes.

publié le 24 novembre 2021

Présidentielle. Avec Fabien Roussel, pleins feux sur l’emploi et les salaires

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Le candidat communiste à la présidentielle a tenu son premier grand meeting dimanche, place Stalingrad, à Paris. En écho aux préoccupations des 3 000 participants, il a multiplié les propositions pour le pouvoir d’achat et une juste répartition des richesses, à commencer par une augmentation du Smic de 20 % et le triplement de l’ISF.

Disparus de nombreux radars médiatiques à cinq mois de l’élection présidentielle, les salaires, les conditions de travail ou encore l’emploi ont été à l’honneur dimanche sur la place Stalingrad, à Paris, où le candidat communiste à l’Élysée, Fabien Roussel, a tenu son premier grand meeting devant 3 000 personnes. Un rendez-vous démarré littéralement en fanfare avec une troupe de batucada. Dès 11 h 30, alors que la musique bat son plein, Jean-Philippe Juin, chasuble CGT sur le dos, est là avec quelques-uns de ses collègues de la Fonderie du Poitou. « On veut liquider nos emplois, nous, on se bat pour les préserver, on est en dedans », explique le délégué syndical dont le combat porte aussi sur les salaires. « On est payés 1 800 euros net, à la fin du mois c’est de plus en plus difficile. On a demandé une augmentation de 150 euros qu’on n’a pas obtenue mais on estime qu’il faudrait au moins 300 euros par mois supplémentaires pour vivre décemment », poursuit-il.

Les motifs de colère sont nombreux, pointe en écho Fabien Roussel à son arrivée sur la scène du meeting. Alors oui, nous, nous voulons que ça change, maintenant. » Le député du Nord embraye sur sa « première mesure » : « augmenter le Smic de 20 %, pour le porter à 1 500 euros net, 1 800 euros brut, dès le printemps 2022 ».

Les factures qui augmentent

Mais face à la vie chère qui gagne du terrain, il insiste aussi sur l’inscription « dans la loi de l’augmentation de tous les salaires en fonction de l’inflation ». Tandis que la droite et l’extrême droite veulent imposer du matin au soir les thèmes de l’immigration ou de la sécurité, Onur, microentrepreneur dans le Val-de-Marne qui paie cher les conséquences de la crise, s’offusque : « Les gens n’en ont rien à foutre de la couleur, d’où on vient, ils veulent juste pas avoir à se demander à la fin du mois comment ils vont pouvoir manger. La campagne doit porter là-dessus. » « D’ailleurs, s’il y avait une meilleure répartition des richesses, ces questions se poseraient beaucoup moins », lâche l’une de ses camarades.

Cette urgence, Corinne, qui a fait le déplacement depuis Roubaix, dans le Nord, la connaît bien. « On fait attention à tout, la moindre dépense, on doit tout calculer, j’ai même une application dans mon téléphone pour vérifier mon budget », raconte-t-elle. Au chômage, elle s’est engagée avec la CGT pour aider les privés d’emploi à faire valoir leurs droits. Elle redoute pour eux les conséquences de la réforme de l’assurance-chômage, surtout avec les factures qui augmentent. « Moi, je suis mensualisée chez EDF mais j’ai reçu un rappel de 400 euros. Comment je peux faire ? Je suis obligée de négocier un échéancier qui s’ajoutera aux autres », pointe-t-elle, jugeant indispensable de faire baisser la note en jouant sur les taxes, comme son candidat le propose. « À côté, on voit les actionnaires se remplir les poches… Le fossé se creuse. C’est un discours qui peut paraître classique mais c’est la réalité », martèle Corinne.

« Relancer l’espoir de la belle vie »

Un message que Fabien Roussel est lui aussi déterminé à faire passer. « Macron a été le serviteur le plus zélé de la finance. Le président des riches, nous n’en voulons plus », tacle le candidat. « Nous voulons l’abolition de ces privilèges, l’abolition du régime spécial du capital », scande le député du Nord, qui dessine « un objectif simple : éradiquer le chômage » (lire ci contre). En matière de financements, il ne manque pas de ressources et entend non seulement récupérer les « 123 milliards d’euros par an de cadeaux aux entreprises, aux plus riches », mais aussi tripler l’ISF ou encore mettre en place un « impôt Covid exceptionnel » sur « les bénéfices au-delà de 500 000 euros » des multinationales. Nationalisations d’Axa, de la BNP ou de la Société générale sont aussi au programme pour « maîtriser le nerf de la guerre, l’argent », tout comme un nouveau pacte européen qui rompt avec l’austérité et mobilise 6 % du PIB européen par an, soit 900 milliards d’euros. « Rendez l’argent ! », résume-t-il, pointant les nombreux besoins dans les services publics.

D’ailleurs, bas salaire et fin de mois difficile, Arbia ne sait que trop bien de quoi on parle. Venue depuis l’Essonne, cette accompagnante d’élève en situation de handicap (AESH) brave la pluie glacée sur la place Stalingrad. Chaque mois, sa fiche de paie n’aligne que 800 euros. « Ils détruisent tout ce qui nous permet de vivre ensemble, tout ce qui nous rassemble, comme l’éducation. Il y a trop de pression, chacun gère ses problèmes tout seul », déplore-t-elle, tout en souhaitant pour 2022 voir « relancer l’espoir de la belle vie ». C’est pour ça qu’elle est là comme Marcelle, salariée de Carrefour, qui témoigne sur scène et veut qu’on prenne « conscience que les bas salaires ne doivent plus exister dans notre pays ». Ou encore Camille, aide-soignante, qui estime qu’on « doit pouvoir finir les fins de mois » mais aussi travailler dans des conditions décentes. Pour les rémunérations, « l’État donnera l’exemple », s’engage Fabien Roussel, promettant à « celles et ceux qui font vivre nos services publics, qui sont en première ligne, que nous avons applaudis pendant les confinements une augmentation d’au moins 30 % ».

Reste que Corinne est « sidérée que les gens ne se bougent pas plus ». Et que si Hugo, un étudiant qui se dit communiste mais affilié à aucun parti, juge nécessaire « même à 2 % de faire entendre ces questions-là », il se dit « électoralement pessimiste ». C’est aussi ce que Fabien Roussel a tenté de battre en brèche dimanche, pointant « cinq mois imprévisibles, ouverts ». « Rien n’est écrit parce que nos concitoyens se placent encore à distance de ce rendez-vous », a-t-il estimé, appelant à la mobilisation et comptant sur cette « démonstration de force » parisienne pour lui donner de l’élan et percer le mur du silence autour des préoccupations populaires.

Un an pour établir l’égalité salariale

Qualifiant de « honte » les écarts de salaires entre les femmes et les hommes dans de nombreuses filières, Fabien Roussel entend « mettre un terme définitif à cette injure faite à la moitié de l’humanité ». Et ce au plus vite : « Il ne faudra pas cinq ans pour obtenir l’égalité salariale », promet-il, en rappelant que « depuis le 3 novembre dernier, les femmes de France travaillent gratuitement ». Le candidat à la présidentielle prévoit de rendre cette égalité salariale effective en six mois dans la fonction publique. Concernant le privé, il veut « donner un an aux entreprises pour la mettre en œuvre ». Si tel n’est pas le cas, « l’État nommera un administrateur judiciaire qui aura la charge de le faire, à la place de l’employeur », prévoit le secrétaire national du PCF.


 

PCF. « Il faut garantir le droit universel au travail »

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Fabien Roussel a développé, dimanche, son plan pour l’emploi et la formation, axé sur la création d’un grand service public, mais aussi de 500 000 postes de fonctionnaires et la réindustrialisation.

« Redonner du sens au travail, où l’intérêt individuel se conjugue avec l’intérêt commun. » C’est avec cet objectif posé comme préalable que Fabien Roussel a développé, dimanche, son programme présidentiel pour l’emploi. Celui-ci est porté par une idée centrale : « Garantir le droit universel au travail et à la formation, avec un salaire digne. » Concrètement, le secrétaire national du PCF veut mettre en place un dispositif permettant d’alterner les périodes de travail et de formation, sans perte de salaire, dans le public comme dans le privé. Une « révolution qui prolonge celle de la Sécurité sociale par Ambroise Croizat » assure le candidat communiste. Cette proposition a pour corollaire la création d’un «  service public de l’emploi et de la formation », avec « des bureaux d’embauche, pour organiser et accompagner les salariés dans leur formation, dans leur mobilité professionnelle, tout au long de leur vie et sans perte de salaire ». Le but est clairement défini : « Éradiquer le chômage et mettre toutes nos forces au service de l’émancipation humaine, de la France, de la planète et non plus au service de la finance ! » En commençant par la jeunesse. Pour atteindre l’objectif annoncé de « zéro jeune au chômage dès 2023 », Fabien Roussel propose deux solutions complémentaires. D’une part, une mesure d’exception qui consiste à imposer aux entreprises de réserver 10 % de leurs nouvelles embauches aux jeunes de moins de 25 ans. D’autre part, la possibilité pour chaque jeune, à la fin de ses études et « s’il ne trouve pas d’emploi », de signer une convention avec l’État, lui garantissant une allocation à hauteur du Smic s’il « s’engage à suivre une formation professionnelle de son choix ».

Place Stalingrad, le candidat à la présidentielle a également proposé de mettre en place un autre type de contrat avec l’État, en priorité à destination des jeunes : le prérecrutement de futurs fonctionnaires. En clair, il serait proposé de rémunérer la formation à un poste dans la fonction publique « avec un vrai salaire », à condition de s’engager à y travailler pendant dix ans.

L’énergie au cœur des « grands projets »

Pour que ces conventions existent, encore faudra-t-il des créations d’emplois dans le service public. Fabien Roussel en prévoit 500 000 : 100 000 dans les hôpitaux ; 100 000 dans les Ehpad publics ; 90 000 enseignants ; 15 000 chercheurs ; 90 000 accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) ; 30 000 agents du fisc ; 25 000 magistrats et éducateurs ; 30 000 fonctionnaires de police de proximité ; et 50 000 ouvriers, techniciens et ingénieurs dans l’électricité et le gaz.

L’énergie est par ailleurs au cœur des « grands projets » développés par Fabien Roussel « pour une écologie sociale, positive et pas punitive ! » Il propose ainsi d’investir dans les énergies renouvelables et le nucléaire, et de renationaliser EDF et Engie (ex-GDF). Autres grands projets potentiellement créateurs d’emplois : les rénovations de 500 000 logements et bâtiments publics par an, la construction de nouveaux établissements scolaires ou encore l’investissement dans les transports non polluants, dont certains seraient rendus gratuits – « Fini les cars Macron, vive les trains Roussel », s’est amusé l’intéressé.

Enfin, hormis ces investissements et le renforcement des services publics, les créations d’emplois devant permettre de « garantir un droit inédit au travail et au salaire » passent aussi par la réindustrialisation et la relocalisation : « C’est un million d’emplois industriels que nous pouvons créer en cinq ans », a assuré le candidat communiste.

 

publié le 18 novembre 2021

« Nous organisons une élection archaïque là où nous devrions inventer des manières de faire démocratie »

par Ivan du Roy sur https://basta.media/

Saturé de sondages aux fondements parfois douteux, le débat médiatique et politique se droitise à outrance. À six mois de l’élection présidentielle, ce constat ne reflète pas vraiment les évolutions de la société française. Entretien.


 

basta! : La tendance de la société française n’est pas à la droitisation, dites-vous. Sur quels indicateurs vous basez-vous ?

Vincent Tiberj : C’est toujours compliqué de mesurer une évolution. Certains n’utilisent que le vote, qui est une vision déformée de l’ensemble de la société. Quand on regarde le dernier scrutin des régionales, à cause de l’abstention, les plus de 55 ans pèsent 1,5 fois plus dans les urnes que dans la population et les moins de 35 ans la moitié de leur poids démographique.

Vincent Tiberj

Professeur des universités (Sciences Po Bordeaux), spécialisé dans l’analyse des comportements électoraux et politiques, la sociologie politique des inégalités sociales et ethniques, ainsi que sur les préjugés xénophobes et les systèmes de valeurs.

Une faible participation induit de fortes disparités en termes d’âge – les plus âgés tendent à davantage voter – et de fortes disparités sociales – ceux qui votent sont plutôt issus des classes moyennes, voire supérieures, et plutôt des gens qui ne vivent pas dans des quartiers populaires. Ce que nous racontent les élections régionales, c’est donc avant tout ce que pense une minorité de la société française.

Le deuxième indicateur, ce sont les enquêtes d’opinion. Encore faut-il les étudier sur le long terme, et non pas se baser sur un sondage fortuit avec des questions à brûle-pourpoint sans qu’on puisse mesurer comment les réponses ont évolué dans le temps. L’institut Harris Interactive vient par exemple de réaliser un sondage sur le thème du « grand remplacement » avec la question : « pensez-vous que le grand remplacement est en train de se produire ? » Ce genre de question a une fâcheuse tendance à surestimer le nombre de gens inquiets.

« Il est facile de manipuler la perception qu’on a de l’opinion en formulant des questions qui surestiment le racisme. Les questions ne sont pas des thermomètres neutres »

D’autres types de questions donneraient des résultats bien différents. Dans le baromètre de la CNDH (Commission nationale consultative des droits humains), nous posons des questions comme : « Les enfants d’immigrés nés en France ne sont-ils pas vraiment Français ? » Là une très large majorité des répondants s’opposent à cette affirmation. Les questions ne sont pas des thermomètres neutres de l’évolution de la société. Il est facile de manipuler la perception qu’on a de l’opinion en formulant des questions qui surestiment le racisme. Dans le baromètre CNDH, je sais quelles questions surestiment la tolérance envers les immigrés et lesquelles la sous-estiment. L’assertion « l’immigration est la principale cause de l’insécurité » maximise les réponses négatives, « l’immigration est une source d’enrichissement culturel » les minimise. Cela nous oblige à regarder comment ces questions évoluent dans le temps.

Quels indicateurs mesurent le niveau de tolérance

 Le baromètre de la CNCDH existe depuis 1990. Annuellement 1000 personnes de 18 ans et plus sont interrogées en face à face.
 Les enquêtes « valeurs » (European Values Study) existent depuis 1981 et sont réalisées tous les 9 ans. En 2017, l’enquête a concerné 38 pays européens.

 L’Eurobaromètre est une enquête de la Commission européenne initiée en 1973, avec des questions notamment sur le classement gauche/droite.


 

Et que montrent ces évolutions sur le long terme ?

À partir du baromètre CNCDH, j’ai créé l’indice longitudinal de tolérance qui agrège environ 70 séries de questions et permet ainsi de mesurer les évolutions dans le temps du niveau de tolérance ou d’intolérance vis-à-vis des immigrés. Un indice à zéro signifie qu’à toutes les questions posées, lors d’une année donnée, les interviewés auraient répondu de manière intolérante. Un indice 100 indique qu’ils ont répondu intégralement de manière tolérante. Malgré des hauts et des bas, la tendance va vers plus de tolérance.

« Malgré des hauts et des bas, la tendance va vers plus de tolérance vis-à-vis des immigrés »

C’est dû à deux phénomènes de moyen terme : l’élévation du niveau de diplômes – plus on est diplômé, plus on est tolérant – et le renouvellement générationnel – plus on est jeune, plus on est tolérant. Quelqu’un né dans les années 1940 grandit à un moment où la notion de hiérarchie entre les races humaines imbibe la société. Aujourd’hui, la diversité s’est banalisée dans la jeunesse, et la notion de race a quasiment disparu. Il n’y a pas de « grand remplacement » mais une diversification des origines. On ne constate pas non plus de remontée de l’intolérance avec l’âge : les boomers d’aujourd’hui sont certes moins tolérants que la génération millenium, mais ont eux-mêmes progressé. Ils sont plus tolérants qu’il y a vingt ans. Le vieillissement n’induit donc pas forcément le conservatisme.

 

Comment expliquez vous le décalage entre une société plus tolérante et sa (non) traduction politiquement : des intentions de vote pour l’ensemble des composantes de la gauche qui plafonnent actuellement autour de 25 % et des candidats d’extrême droite qui dépassent les 30 % ?

Nous sommes en train de vivre une illusion d’optique. Premier problème : on utilise énormément les enquêtes par internet et non les enquêtes en face-à-face. Le passage aux enquêtes par internet aboutit à sur-représenter la droite. Quand vous mesurez le racisme ou les discriminations, la présence physique d’un enquêteur a un impact : les gens vont-ils oser dire certaines choses ? Internet, de ce point de vue, évite ce problème, les gens se sentant plus libres. Mais cela induit un autre biais : l’absence d’enquêteur fait que les répondants n’ont pas forcément conscience que leurs opinions vont avoir un impact. Donc les gens se lâchent. Quand on est face à un enquêteur, on est attentif, plus sérieux.

Lors des régionales, avec des enquêtes uniquement réalisées par Internet, on a ainsi assisté à un énorme plantage de l’industrie des sondages, qui a largement surestimé le RN. Nous avons le même souci en ce moment, avec une sur-représentation de l’extrême droite. Il faudrait développer des enquêtes multimodes, qui évitent les biais d’internet – sachant que les autres modes de passation ont aussi leur impact. Maintenir une analyse dans le temps neutralise ces effets liés au mode de questionnaire. Et cette analyse nuance fortement la droitisation dont on parle aujourd’hui.

« Au début des années 2010, 10 % des répondants se disaient "sans parti". Nous en sommes désormais à 45 %. C’est énorme ! »

L’autre aspect qui me frappe, c’est quand on demande aux gens de quel parti ils se sentent les plus proches ou le moins éloignés. S’il y avait une droitisation, nous devrions voir monter les positionnements en faveur du RN, de LR, voire LREM. Mais la première réponse, ce sont les gens qui se déclarent proches d’aucun parti. Au début des années 2010, 10 % des répondants se disaient « sans parti », dans l’enquête CNCDH. Nous en sommes désormais à 45 %. C’est énorme ! De plus en plus de gens refusent de se positionner pour un parti, où ne savent pas comment se placer. Ce qui se passe n’est pas une droitisation, c’est un désalignement.

Comment expliquez-vous ce niveau de déconnexion, ce désalignement ?

Cette crise de l’alignement politique est en germe depuis les années 1990 : la défiance vis-à-vis du personnel politique commence alors à monter, le vote intermittent également – un coup on vote, un coup on s’abstient – et les votes changent de plus en plus en fonction des scrutins. Ce désalignement explique pourquoi le Nouveau parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot pouvait soudainement percer pour ensuite disparaître, pourquoi Mélenchon fait un très bon score à la présidentielle de 2017 puis s’écroule aux législatives, pourquoi EELV joue aux montagnes russes…

« On constate aussi une sorte de fatigue face à la démocratie représentative et à sa verticalité. On se sent de moins en moins représenté et on est de moins en moins enclin à l’être »

Cela s’explique par une insatisfaction de l’offre politique en général. Les électeurs sont de plus en plus diplômés, mieux informés, donc davantage capables de juger, voire de critiquer, et plus rétif à s’en remettre à des leaders ou à une élite. Suite aux mandats de Sarkozy puis de Hollande, on constate aussi une sorte de fatigue face à la démocratie représentative et à sa verticalité. On se sent de moins en moins représenté et, culturellement, on est de moins en moins enclin à l’être. Si Emmanuel Macron réussit son hold-up, c’est grâce à cette situation, au moment où les deux principaux partis de droite et de gauche se retrouvent déconsidérés. Le problème, aujourd’hui, c’est que lui-même l’est aussi.

Comment analysez-vous, dans ce contexte, le phénomène Zemmour dans les sondages : est-ce réellement une illusion d’optique ou le début d’un nouveau climat politique qui risque de provoquer une remontée de l’intolérance dans l’ensemble de la société ?

Si on peut effectivement parler de droitisation, c’est celle du débat public. Elle est en partie causée par l’éclatement des sources d’information disponibles, notamment l’émergence des chaînes d’info en continu et des réseaux sociaux. Les chercheurs étatsuniens avaient déjà identifié ce phénomène au début des années 2000 : l’apparition de plusieurs chaînes d’info en continu a restructuré le lien à la politique. La chaîne Fox News a révolutionné le paysage nord-américain. CNN se voulait équilibrée, Fox News en a repris les codes d’information mais en privilégiant une ligne idéologique très à droite. Résultat : CNN est désormais dépeinte comme « à gauche », alors qu’elle maintient une éthique journalistique de l’équilibre. En France, l’analogie avec CNews est très claire, avec un positionnement éditorial démultiplié par les réseaux sociaux. Cela donne l’impression d’un débat qui évolue vers la droite alors même que les audiences de CNews, avec 1 % ou 2 % de part de marché, sont largement moindres que TF1 ou France 2. Mais on n’entend plus qu’eux.

« Les rares enquêtes qui mesurent la sociologie des électeurs attirés par Zemmour montrent qu’ils sont issus des classes supérieures, âgées et diplômées »

Les rares enquêtes qui mesurent la sociologie des électeurs attirés par Zemmour montrent qu’ils sont issus des classes supérieures, âgées et diplômées, qu’on suppose plutôt blanches. C’est ce type d’audience qu’on retrouve sur les chaînes d’info, en particulier chez CNews. C’est donc en partie une bulle médiatique. Mais Zemmour a très bien compris qu’en saturant l’espace, il sature le débat, il crée l’agenda et les cadrages qui vont avec, et empêche les autres candidats de faire émerger d’autres enjeux, d’autres manières de parler de la société. Cette situation s’est déjà produite en 2002 avec l’insécurité. C’est à l’époque un enjeu important mais ce n’est pas le seul, le chômage et les inégalité sociales faisaient aussi partie des préoccupations majeures. L’autre danger de 2022, c’est l’exemple de 2007 quand Sarkozy réussit à faire en sorte que la campagne tourne exclusivement autour de lui, obligeant les autres candidats à prendre position sur ce qu’il dit. Si vous menez campagne en répondant sur le terrain sur lequel vous emmène l’adversaire, vous abandonnez votre propre terrain. C’est exactement ce que fait Zemmour.

Si c’est en partie une bulle médiatique, les partis de gauche ont-ils raison de rejeter la faute du climat politique actuel sur « les médias » ?

Non, soyons clairs. Nous sommes quand même dans un moment particulier : les demandes de redistribution des richesses sont hautes, le niveau de tolérance envers les immigrés est élevé, on assiste à une montée impressionnante des préoccupations environnementales, portées par le renouvellement générationnel. Nous sommes dans un moment où la gauche aurait des choses à dire, mais est-elle en l’état capable de le faire ? Les organisations censées incarner la gauche, que ce soient EELV, LFI ou le PS, ne réussissent plus à convaincre leurs propres électeurs. Ceux-ci votent de moins en moins mais participent autrement, en manifestant, en pétitionnant, en s’engageant dans le milieu associatif.

« Les demandes de redistribution sont hautes, la tolérance envers les immigrés est élevée, les préoccupations environnementales montent »

Nous connaissons la métaphore du canard sans tête dont le corps continue à avancer. Le système politique français en ce moment, c’est une tête de canard sans corps qui continue à cancaner, à débattre, sans le corps électoral. Les partis sont presque exclusivement structurés par des élus, des collaborateurs rémunérés et des spécialistes. On n’a que faire du militant de base, qui a pourtant l’avantage d’être connecté à la société. On se pose d’abord la question de l’incarnation – il nous faut un candidat – et ensuite seulement on se demande ce que ce candidat proposera. Dans un contexte de forte remise en cause de la verticalité de la représentation, cette focalisation sur la présidentielle atteint ses limites. Nous organisons une élection archaïque là où nous devrions inventer des manières de faire démocratie qui donne davantage de place aux citoyens.

En attendant, le clivage qui s’esquisse est, comme il y a cinq ans, celui d’un duel entre Macron et l’extrême droite. D’autres configurations sont-elles envisageables à l’avenir et à quelles conditions ?
Avant, partis politiques et électorat se structuraient autour de clivages clairs : Église ou État, ouvriers ou bourgeois, redistribution ou accumulation de richesses. Certains voient dans le duel LREM vs RN le nouveau clivage structurant, entre libéralisme (ou mondialisme) et nationalistes (ou patriotes selon qui parle). C’est oublier qu’il y en a d’autres : le clivage socio-économique entre redistribution sociale et État minimal est toujours là, celui autour de l’immigration entre société multiculturelle et société ethniquement homogène aussi, sur l’environnement également. On observe des lignes d’opposition claires dans l’électorat. Le problème c’est comment ces lignes se répercutent dans les votes. Et pour cela nous sommes dans le pire des systèmes. La représentation proportionnelle aurait un sens en permettant à ces différentes combinaisons d’émerger. Par exemple, la gauche productiviste ou la gauche écologiste. Il existe une vraie différence entre Fabien Roussel (PCF) et Yannick Jadot (EELV) de ce point de vue. Et si Yannick Jadot est à gauche d’un point de vue environnemental ou culturel, l’est-il vraiment d’un point de vue socio-économique ?

Dans un système majoritaire à deux tours, quoi qu’on fasse, toute une partie du spectre politique et des clivages en termes de valeurs n’est pas représentée au second tour. Si, pour les présidentielles, c’est Macron contre Le Pen ou Zemmour, pas moins de la moitié des électeurs de gauche refusent, aujourd’hui, de se déplacer. On risque de se retrouver avec un président qui aura pour seul socle électoral les 25 % de gens qui ont voté pour lui au premier tour. Mitterrand ou Sarkozy avaient été élus avec quasiment le soutien d’un Français sur deux. Ce ne sera vraisemblablement pas le cas pour Macron. Notre mode de scrutin est très bon pour permettre de gouverner, il l’est de moins en moins pour représenter. Aux dernières régionales, on a élu des présidents de région avec parfois à peine 15 % des inscrits. Les régions continuent de gouverner, allouent des budgets, décident des politiques publiques. Combien de temps continuera-t-on avec cette tête de canard sans corps ?

 

publié le 19 octobre 2021

A Montpellier, Génération Zemmour : un pot-pourri de l’extrême droite radicale locale

sur https://lepoing.net

Eric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle ? L’hypothèse devient chaque jour plus probable, crédibilisée par une agitation médiatique incessante appuyée sur les sondages récents. Le polémiste condamné pour ses propos racistes entretient toujours le mystère sur ses véritables intentions. Mais en coulisse et sur le terrain, ses militants s’activent pour préparer la candidature du « Z ». On retrouve dans leurs rangs des militants accumulant les étiquettes au nom de « l’union des droites » – et tant pis pour la cohérence.

Du RN à Zemmour

Un petit rappel historique s’impose. Depuis les années 80 et jusqu’en 2017, le principal parti d’extrême droite français, le Front/Rassemblement National, occupe le terrain en comptant sur une certaine stabilité électorale. Pour Marine Le Pen, nouvelle dirigeante de la PME familiale, les choses sont simples : son score augmente d’élection en élection et si Emmanuel Macron a mis à mal les anciens partis de droite et de gauche, elle peut espérer apparaître comme la principale opposante au pouvoir en place. Il n’y a donc qu’à attendre le prochain scrutin pour récolter les fruits du macronisme.

Mais les choses ne se déroulent pas comme prévues. Suite au débat désastreux de l’entre-deux-tours de 2017, Marine Le Pen est pressée par son entourage de modifier son programme, pour apparaître comme une option crédible, capable de gouverner le pays. La tactique du charognard consistant à capitaliser sur les attentats et les crimes ne suffit pas pour passer le cap du second tour. Il faut encore convaincre les élites politiques et économiques… Le FN devient donc le RN et adopte un programme recentré, plus modéré en apparence. Exit le racisme décomplexé, la sortie de l’UE, le retour aux franc. Seulement voilà : après des décennies de discours ultra-réactionnaire, la base du parti est déçue, de nombreux électeurs, militants et cadres jugeant ce virage comme une trahison. Ce mécontentement ne tarde pas à être capté par Eric Zemmour qui y voit une formidable opportunité. Avec lui, pas de dédiabolisation, mais des outrances pour occuper l’espace de la droite radicale. Ce qui attire de nombreux jeunes tombés en désamour avec Marine Le Pen…

On prend les mêmes et on recommence

Cette « union des droites » fantasmée depuis des années, portée par divers médias, personnalités et influenceurs influents, s’illustre dans les faits à Montpellier. On retrouve dans la petite équipe portant la campagne Zemmour des membres du groupuscule antisémite et royaliste Action Française, des ex-RN, des militants du syndicat étudiant de droite (liée aux Républicains) l’UNI… Mais, surprise, il s’agit des mêmes individus.

Ainsi, des étudiants comme Riyan B. ou Pierre M. ont milité localement pour l’Action Française, participant aux activités et taguant la nuit croix celtiques et fleurs de lys (peut être sous l’emprise de l’alcool au regard du résultat). Rappelons que le principal dirigeant de l’AF, Charles Maurras, qualifiait la Résistance de « terroriste » et appuyait Pétain. Mais les deux mêmes étudiants sont également impliqués activement dans l’UNI Montpellier. On retrouve aussi Pierre M. au Rassemblement National, avant donc de rejoindre la campagne Zemmour. Une situation qui n’a rien d’une exception locale : à Nîmes, c’est un certain Robin C., ex-FN, qui anime l’UNI local, tout en agressant à coups de barre de fer des manifestants toulousains contre le pass sanitaire avec la bande fasciste « South Face ». Des grands écarts idéologiques prouvant à la fois l’ancrage dans l’extrême droite de l’UNI, démentant le discours officiel du syndicat, et la faiblesse des effectifs de tous ces groupes, qui en sont réduits à voir leurs adhérents multiplier les casquettes (au propre comme au figuré).

Un autre exemple montpelliérain : comme le prouvent les vidéos du meeting du 16 octobre d’Eric Zemmour à Béziers, de jeunes fascistes locaux déjà évoqués dans le Poing – Clément N., Florian L. et Athenais N., étaient également présents. Rien de surprenant après l’annulation du meeting montpelliérain (officiellement faute de salle appropriée, ce qui en dit long sur l’implantation du candidat) : si ces individus avaient lancé le groupe « Jeunesse Saint Roch » sur le modèle du Bastion Social, on les trouve également à l’Action Française, à la Ligue du Midi, avec la South Face, etc. Plus d’étiquettes que de membres et une confusion idéologique totale, entre catholicisme intégriste, paganisme, et références nazies.

Et les autres ?

Longtemps, le Front/Rassemblement national a pu garantir une rente à ses membres : postes d’élus, permanents… L’argent des subventions nourrissait l’appareil. L’affaiblissement de la marque Le Pen pousse les carriéristes et les radicaux à aller voir ailleurs. Il est donc possible que d’autres personnes et d’autres groupuscules soient entrainés dans la dynamique de la campagne Zemmour, au risque de multiplier les exactions, les scandales et le ridicule. La Ligue du Midi a ainsi eu jusque-là des positions plutôt favorables au candidat d’extrême droite. Il réalise le vieux fantasme du clan Roudier d’une candidature unitaire bien marquée à droite, sans programme social mais assumant l’outrance sur les classiques thèmes du triptyque Islam-Immigration-Insécurité.

Profitons-en pour noter que cela correspond tout à fait aux intérêts de classe des dirigeants de la Ligue. Le fait que la famille Roudier possède des propriétés telles que le château d’Isis est connu de tous. Il n’en va pas de même pour les seconds couteaux, tels que Florence V., suppléante de Richard Roudier lors des élections cantonales à Sumène, dans le Gard. Son mari est Stephan V., directeur général délégué du Casino de la Grande Motte au chiffre d’affaire de 14 millions d’euros pour l’année 2020. Une famille intéressante et représentative de ce milieu socio-politique, puisqu’un de leurs enfants, Tristan V., passionné d’armes à feu ayant tenté sans succès d’agresser des adversaires politiques, militait aussi à l’Action Française avant de rejoindre Jeunes d’Oc – nouvelle structure lancée par l’ex dirigeant de Génération Identitaire, Jérémy V. Et cela alors que plusieurs anciens cadres du mouvement identitaire s’engagent aujourd’hui dans la campagne Zemmour. Le monde est décidément petit.



 

publié le 16 octobre 2021

Covid. État d’urgence et passe sanitaire prolongés : la démocratie confisquée

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Le gouvernement a présenté, mercredi, son « projet de loi de vigilance sanitaire » impliquant les prolongations du régime d’exception jusqu’au 31 juillet et du passe, sans que la situation sanitaire ne les justifie. 

L’exécutif veut garder le monopole de la gestion de crise et son arsenal de mesures liberticides. Mercredi, en Conseil des ministres, il a présenté un nouveau projet de loi dit de « vigilance sanitaire ». « De la sémantique pour ne pas parler d’état d’urgence », commente le député PCF Sébastien Jumel. Car ce projet prévoit surtout de maintenir le « régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire », qui permet au gouvernement de prendre de nombreuses mesures (confinement, couvre-feu, limitations de circulation ou de rassemblement), sans besoin d’en informer le Parlement.

Parmi elles, l’obligation de présenter le passe sanitaire dans de nombreux lieux du quotidien, qui devait prendre fin le 15 novembre prochain. Finalement, ce dispositif controversé pourra être prolongé au-delà, et jusqu’au 31 juillet 2022. « Si et seulement si c’est nécessaire », a tenté de rassurer le porte-parole Gabriel Attal, sans démentir le fait que, le 16 novembre, le dispositif devrait toujours être appliqué. Car, en réalité, le gouvernement se donne plutôt la possibilité de suspendre l’obligation de présenter le passe après la date prévue. « Nous pourrons adapter le passe sanitaire, voire le suspendre si l’amélioration épidémique se poursuit », a-t-il finalement concédé.

Alors que la situation épidémique ne le justifie pas, l’exécutif s’approprie ainsi un attirail juridique d’exception « au cas où », au mépris de la démocratie et de la nécessaire adhésion de la population. Explications.

1. Une épidémie maîtrisée dans l’Hexagone

« Le passe sanitaire est l’outil grâce auquel nous ne devrions pas être contraints de confiner le pays alors que l’épidémie connaît une flambée », assurait le ministre de la Santé, Olivier Véran, à l’Assemblée nationale, le 21 juillet. Trois jours plus tard au Sénat, il ajoutait : « Dès que nous pourrons lever cette contrainte, nous le ferons sans attendre. » Dès lors, comment justifier aujourd’hui sa prolongation, alors même que la propagation du virus est en forte baisse ? « La quatrième vague épidémique est maîtrisée, avec un taux de reproduction du virus relativement faible en France, détaille l’épidémiologiste Antoine Flahault. Le taux d’incidence est aujourd’hui de 42 cas pour 100 000 habitants et la décrue devrait se prolonger dans les semaines à venir. » Or, le gouvernement et Santé publique France ont défini le seuil de 50 cas pour 100 000 habitants comme cote d’alerte. En dessous, la propagation du virus est jugée peu préoccupante et les mesures de freinage guère nécessaires.

Ainsi, selon le conseil scientifique, dans son avis du 6 octobre, « cette amélioration de la situation sanitaire permet la reprise d’activités économiques et sociales dans des conditions se rapprochant de la normale ». L’instance va même jusqu’à demander au gouvernement « une sortie rapide, voire immédiate de l’usage du passe sanitaire » et « tient à rappeler qu’il doit rester un outil temporaire et proportionné ». Cependant, tous les spécialistes mesurent le risque d’une cinquième vague, « la saison automnale et hivernale étant propice à la circulation et à la transmission des coronavirus », et alors que l’immunité apportée par le vaccin diminue. C’est ce qui permet au gouvernement de justifier la prolongation du régime d’exception, s’apparentant à des pleins pouvoirs en matière de politique sanitaire.

2. L’incitation à la vaccination accomplie

Le passe sanitaire étendu début août à de nombreux établissements recevant du public a eu un effet indéniable sur la campagne de vaccination, le taux de vaccination ayant connu un bond important directement après les annonces d’Emmanuel Macron, le 12 juillet. Mais cette incitation semble aujourd’hui avoir atteint son plafond. « Depuis début septembre, il y a une stagnation nette, avec très peu de premières doses injectées », explique Antoine Flahault. Dès lors, le dispositif n’apparaît plus justifié, d’autant que rien n’a prouvé son « efficacité pour freiner la propagation du virus » ou la création de clusters, comme le reconnaît le conseil scientifique.

L’intérêt du passe sanitaire pourrait toutefois revenir pour inciter l’administration d’une troisième dose. Le gouvernement, constatant une baisse de l’immunité produite par le vaccin après six mois, plaide pour ce rappel. Pour diverses raisons, seulement 35 % des personnes éligibles ont reçu à ce jour une troisième dose. L’exécutif pourrait donc être tenté d’intégrer ce rappel aux critères du passe sanitaire mais « cela n’est pas prévu dans le projet de loi », indique Matignon. « Il ne prévoit pas non plus de moyens pour lutter contre les déserts médicaux ou pour renforcer l’hôpital public… », ajoute le député insoumis Éric Coquerel.

3. Une gestion autoritaire et punitive

S’il n’incite plus à la vaccination et qu’il n’est pas efficace pour lutter contre la propagation du virus, le passe sanitaire ne devient-il pas simplement punitif ? D’autant qu’à partir de vendredi, les tests ne seront plus remboursés pour les personnes non vaccinées, en dépit de toute logique sanitaire (voir page 6). «  Comme on n’arrive pas à convaincre les réticents à la vaccination, on va leur pourrir la vie jusqu’à ce qu’ils cèdent, interprète Frédéric Pierru, sociologue au CNRS. C’est totalement contraire à ce que doit être une politique de santé publique, dont le but doit être d’obtenir l’adhésion des gens, la compréhension des mesures, et pour cela il faut du temps, du débat, du travail de proximité. »

Ces considérations sont valables même si l’exécutif décidait, demain, de renoncer au passe sanitaire. Avec le projet de loi de « vigilance sanitaire » prolongeant le régime d’exception, Emmanuel Macron choisit à nouveau une gestion ultraverticale de la crise. « Alors que cela ne marche pas pour améliorer la situation sanitaire, ces actes d’autorité comme le passe sanitaire, qui est plus que jamais un outil de discrimination sociale, territoriale et politique d’une certaine manière, sont contre-productifs », sanctionne Sébastien Jumel.

4. Une démocratie définitivement bafouée

Jusqu’à la fin du mandat d’Emmanuel Macron, celui-ci pourra donc décider quasiment seul de tout ce qui concerne la gestion de la crise sanitaire. C’est l’objet de ce projet de loi, qui s’apparente à un état d’urgence permanent (du moins jusqu’au 31 juillet). L’exécutif justifie notamment sa prorogation jusqu’à l’été par la suspension des travaux des chambres fin février (en raison de la campagne présidentielle), alors que le Parlement peut très bien être convoqué en session extraordinaire. « Nous devons garder à notre disposition des mesures de freinage, pouvoir les activer à tout moment si c’est nécessaire sans perdre de temps, n’exclure aucun scénario. Nous assumons notre refus d’un désarmement sanitaire qui serait plus que précipité », a indiqué Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement.

Ce discours, méprisant pour la démocratie et les parlementaires, n’est pas nouveau, il sous-entend que seul l’exécutif serait capable d’agir concrètement pour freiner l’épidémie. « Avec ce gouvernement, qui se présente en monsieur Je-sais-tout, il y a un risque de dérive certain, on pourrait s’habituer à ce que nos libertés fondamentales, individuelles et collectives soient amputées au quotidien comme si c’était normal », s’inquiète le député Sébastien Jumel, qui demande, par ailleurs, des garanties pour que les campagnes des élections présidentielle et législatives s’exercent pleinement. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a justifié le prolongement du régime d’exception par « la nécessité de réagir efficacement et rapidement si l’épidémie flambe ». Un argument qui fait bondir le sociologue Frédéric Pierru : « Au nom de l’efficacité, on justifie donc la marginalisation des instances démocratiques, des contre-pouvoirs, de la démocratie tout simplement. »


 

Le projet de loi au parlement dès mardi

 La confiscation des pouvoirs du Parlement devrait être actée au sein même des chambres, qui examinent le projet de loi à partir du mardi 19 octobre. Le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), annonce déjà une résistance de la Chambre haute : « Il n’est pas question de donner un blanc-seing jusqu’au 31 juillet 2022, il faut que ça soit sous le contrôle du Parlement », explique-t-il. En revanche, les groupes majoritaires à l’Assemblée nationale (LaREM, Modem et Agir) ont déjà assuré au premier ministre, Jean Castex, leur soutien. La résistance des oppositions s’annonce donc complexe et les débats à nouveau houleux. D’autant que la Macronie, qui a l’habitude de stigmatiser ses opposants en les présentant comme des adversaires de la lutte contre l’épidémie, promet d’être encore méprisante envers les voix dissonantes.

publié le 9 octobre 2021

Vincent Tiberj : « Malgré les crispations, les Français
sont de plus en plus tolérants »

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Les idées d’extrême droite progressent-elles dans la société française ? Pour le sociologue et professeur d'université à Sciences-Po Bordeaux, qui a travaillé sur le rapport annuel de la Commission nationale constitutive des droits de l’homme, elles sont indéniablement en recul. Leur surmédiatisation actuelle pourrait toutefois les faire progresser. Entretien.


 

Vous avez travaillé sur le rapport annuel de la Commission nationale constitutive des droits de l’homme (CNCDH) concernant les préjugés et la xénophobie. Indique-t-il que les Français sont de plus en plus d’extrême droite ?

Vincent Tiberj Non. Si l’on définit quelles sont les idées constitutives de l’extrême droite, par exemple le racisme, l’intolérance vis-à-vis de l’immigration et des préférences sexuelles, ou encore la défense d’un régime autoritaire, nous n’assistons pas du tout à une montée de l’extrême droite. C’est même l’inverse. Le baromètre annuel de la CNCDH, qui existe depuis 1990, montre que, s’il y a des hauts, des bas et des crispations dans l’évolution du racisme, de l’antisémitisme, de l’islamophobie, de l’homophobie et du rapport à la démocratie, nous avançons en réalité vers de plus en plus de tolérance. Le renouvellement générationnel est ici prépondérant puisque nous constatons à travers ces études que plus une génération est récente, plus elle est tolérante. Les baby-boomers sont plus tolérants que leurs parents, mais beaucoup moins que leurs enfants et petits-enfants. Autre exemple : en 1946, seulement 37 % des Français considéraient que les juifs sont des Français comme les autres. Ils sont désormais 92 % à le penser. Mais si nous pouvons estimer que le « racisme biologique » diminue, puisque seules 8 % des personnes interrogées considèrent « qu’il y a des races supérieures à d’autres », d’autres formes de racisme peuvent se développer, notamment vis-à-vis des personnes d’origine maghrébine et des musulmans.

Dans notre baromètre Ifop annuel pour la Fête de l’Humanité, seuls 48 % des sympathisants de gauche considèrent que « l’immigration rapporte plus à la France qu’elle ne lui coûte »… N’est-ce pas révélateur d’un glissement à droite sur ces questions ?

Vincent Tiberj L’indice longitudinal de tolérance mesuré à partir des enquêtes de la CNCDH est supérieur. Avec une seule question sortie du lot, l’effet est déformant et à prendre avec des pincettes. La formulation choisie joue aussi énormément. Si vous demandez : « L’immigration est-elle une source d’enrichissement culturel ? », vous obtenez des réponses très positives. Mais si vous posez une question sur le lien entre immigration et insécurité, c’est l’inverse. L’indice longitudinal a pour avantage de ne pas être réalisé dans le feu de l’actualité et bénéficie d’une méthodologie de long terme. Il s’agit d’une enquête annuelle, avec les mêmes paramètres et l’agrégation de 70 questions. Il montre que l’idée selon laquelle il y aurait trop d’étrangers en France diminue de génération en génération. Il montre aussi que le féminisme progresse et que la demande de démocratie augmente, même si le rapport au vote évolue. Si, dans un sondage, vous posez cette question : « Un leader fort obtient-il des résultats rapides ? », les Français vous diront oui. Mais si vous demandez s’il faut davantage partager les décisions et associer les citoyens, ils vous diront aussi oui. Il faut donc user de méthodologie permettant de décrypter l’évolution réelle. Depuis 1990, elle va vers un recul des idées d’extrême droite, grâce à un meilleur niveau d’éducation et une fréquentation plus importante de camarades de différentes origines.

L’extrême droite et Éric Zemmour sont pourtant surmédiatisés. Si cela va actuellement à contre-courant de l’évolution profonde de la société française, n’y a-t-il pas un risque de faire monter le danger dans les têtes et les votes ?

Vincent Tiberj Absolument. Il y a à la fois une hausse de la tolérance et une crispation. Il y a à la fois une « banalisation de la diversité », à l’œuvre dans la société et une banalisation du discours et des mythes d’extrême droite sur une chaîne comme CNews, qui a un effet d’entraînement sur les autres médias. On se retrouve, en réalité, dans la même situation que celle connue par les États-Unis dans les années 2000 avec la montée en puissance de Fox News. Ce genre de chaîne développe une grammaire politique qui polarise fortement le débat médiatique et le déplace à droite. Ce qui est très surprenant, c’est que cela fonctionne alors même que l’audience de CNews reste confidentielle, avec des parts de marché très faibles. Notamment parce qu’il n’existe pas de chaîne tentant d’entraîner le débat à gauche, ni de chaînes qui se préoccupent d’axer leurs contenus sur les priorités réelles des Français. Cela donne au final une place centrale à l’extrême droite, tout en ayant un effet profondément démobilisateur sur l’électorat de gauche.

C’est-à-dire ?

Vincent Tiberj Il n’y a pas plus de gens obsédés par l’immigration en France que de gens obsédés par le réchauffement climatique, l’éducation et l’insécurité sociale. Bien au contraire. Mais si vous ne parlez que d’immigration et d’insécurité, vous mettez Éric Zemmour au centre du jeu, et vous désabusez tous ceux qui, pourtant majoritaires, sont en demande de fortes politiques de redistribution des richesses, d’égalité, d’écologie et de social. Nous sommes un peu dans une situation similaire à celle de 2002, qui a vu Jean-Marie Le Pen accéder au second tour. Mais le vrai souci, ce n’est pas de parler d’insécurité et d’immigration, qui sont des sujets légitimes. Le vrai souci, c’est que tant que la gauche ne répond pas clairement, ne déconstruit pas le discours de droite sur l’insécurité et l’immigration et ne propose pas de politiques de gauche fortes sur le sujet, elle reste bloquée et ne peut pas dérouler le reste de son programme. Il y a tout un espace pour la gauche, mais, de manière fascinante, on ne l’entend pas pour l’instant. Il y a aussi une grande déconnexion entre les valeurs qui s’affirment chez les Français et la représentation politique. Dès lors, pourquoi iraient-ils voter ?

Malgré tout, une victoire de l’extrême droite reste-t-elle peu probable ?

Vincent Tiberj Au sujet des intentions de vote, il ne faut pas oublier que si les sondages donnent Éric Zemmour montant, ils donnent aussi Marine Le Pen descendant. Il apparaît clairement qu’il séduit une part importante de l’électorat RN et qu’ils peuvent s’autoneutraliser. Mais Zemmour attire aussi des personnes âgées des classes aisées qui ne s’autorisaient pas à voter RN. De ce point de vue, il permet à un nouvel électorat de basculer dans un vote d’extrême droite et potentiellement de s’y installer.



 

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