PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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international & outremer depuis janvier 2023

   publié le 2 juin 2023

États-Unis. Le Sénat valide l’accord sur la dette, place à l’austérité

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Déjà voté mercredi par la Chambre des représentants, l’accord scellé aux États-Unis entre démocrates et républicains face à la menace de défaut de paiement a été entériné par le Sénat jeudi 1er juin.

« C’est une grande victoire pour l’économie et pour le peuple américain », a salué le président des États-Unis Joe Biden après le vote par le Sénat, jeudi 1er juin, de l’accord scellé entre démocrates et républicains face à la menace de défaut de paiement. Mais si ce compromis, déjà voté mercredi par la Chambre des représentants, permet d’éviter que les caisses du pays se retrouvent à sec le 5 juin, il annonce une véritable cure d’austérité très critique par la gauche.

Les États-Unis avaient atteint depuis janvier le seuil limite légal de leur endettement, fixé par le Congrès à quelque 31 400 milliards de dollars (environ 28 000 milliards d’euros). Depuis lors ils ne faisaient face que grâce à des mesures comptables exceptionnelles dont l’efficacité serait précisément arrivée à terme début juin.

Après des négociations marathon, concrètement, l’accord permet de suspendre pendant deux ans, soit après les élections présidentielles et législatives de 2024, le montant maximal d’endettement des États-Unis.

Sanders refuse de porter « préjudice aux travailleurs »

En échange, les Républicains ont fait pression et obtenu un strict rationnement de toutes les dépenses publiques (éducation, santé, aide sociale, infrastructures fédérales, etc.) à l’exception de celles destinées au budget militaire qui continuerait, lui, de marquer une sensible progression.

Certains d’entre eux, en particulier les tenants de l’aile trumpiste, ne lui ont toutefois pas accordé leur vote estimant que ce n’était pas encore assez. Et ce alors même que le compromis inclut aussi des modifications aux conditions imposées pour bénéficier de certaines aides sociales.

Notamment l’augmentation de l’âge de 49 à 54 ans jusqu’auquel les adultes sans enfants doivent travailler pour bénéficier d’une aide alimentaire (à l’exception des anciens combattants et des sans-abri).

Des mesures très critiquées par l’aile gauche des démocrates. Des élus comme Pramila Jayapal et Alexandria Ocasio-Cortez avaient fait savoir qu’ils refusaient de soutenir un texte « imposé » par les républicains. « Je ne peux pas, en mon âme et conscience, voter en faveur d’un projet de loi qui porte préjudice aux travailleurs », a ajouté jeudi le sénateur socialiste Bernie Sanders.


 


 

La dette americaine
en question

Henri Ausseil sur https://pcf-littoral.over-blog.com

Au moment où les dépenses militaires explosent et alors que les riches et les entreprises refusent toute augmentation des impôts, c'est le service public qui en fera les frais, c’est-à-dire tous les américains. Le côté indolore disparaît. Comme tout autre peuple le peuple américain devra payer les dépenses générées par ses dirigeants.

Le blog qui reflète les travaux de Rencontres Marx Languedoc attache une grande importance au phénomène de dédollarisation du monde. L'Huma en a rendu compte.

Cela paraît contradictoire avec le haut niveau du dollar et la Bourse qui flambe. Aussi , pour savoir si une théorie est juste ou fausse l'indice le plus sûr est la prédictibilité. Ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis (peu relayé par nos médias) est donc significatif. SOIXANTE ET DIX FOIS dans la passé le conflit théâtral entre républicains et Démocrates sur le plafond de la dette (que ne peut dépasser l'exécutif) s'est terminé après un baroud d'honneur par le relèvement du plafond. Rencontres Marx l'interprète comme la capacité des Etats-Unis à capter l'argent japonais , chinois et européen grâce au dollar monnaie mondiale et à l'attrait des bons du trésor. Et la dette est devenue colossale sans que la confiance diminue.   Cela a permis aux Etas-Unis d'émettre des dollars internationaux (le plus souvent en monnaie virtuelle), pour payer ses propres dépenses.   Les Etats-Unis vivent à crédit sur le monde. C'est ce que nous devrions appeler l'impérialisme.

Pour la première fois la règle ne s'applique pas

Républicains et Démocrates ne parviennent pas à un accord, ou plutôt la nature de l'accord se modifie. Rogner sur les dépenses sociales n'a rien de nouveau.   Mais lorsqu'il s'agissait de relever le plafond de la dette, 100% du surplus était couvert par la dette. Désormais il semble que pour partie les Etats-Unis devront réduire leur budget. Au moment où les dépenses militaires explosent et alors que les riches et les entreprises refusent toute augmentation des impôts, c'est le service public qui en fera les frais, c’est-à-dire tous les américains. Le côté indolore disparaît. Comme tout autre peuple le peuple américain devra payer les dépenses générées par ses dirigeants.   Pour le moment cela reste à la marge mais si la théorie de Rencontres Marx est juste cela finira par devenir la règle.

Pourquoi?

Il ne faut y voir aucune "méchanceté" de classe aggravée . Si les politiciens avaient pu faire autrement ils l'auraient fait. Mais plus le dollar s'affaiblit comme monnaie mondiale, plus il devient une arme aux effets désagréables, moins les pays vont être disposés à acheter les bons du trésor américains. La Chine se désengage au contraire, le Japon aussi. La plupart des pays du monde n'acceptent plus ce que la France continue à accepter. La BNP a versé 9 milliards d'amende pour avoir contourné les sanctions. 9 milliards ! Mais la vérité c'est qu'aucun pays même les plus atlantistes n'est en mesure de compenser le retrait chinois et Japonais. La crainte est donc désormais DE NE PLUS TROUVER DE CREANCIER, sinon à l'intérieur du pays.

C'est la preuve que le système Reagan du capitalisme rentier qui assoie les profits sur les biens produits ailleurs atteint ses limites extrêmes et a été une catastrophe pour la première puissance mondiale.

C'est tout l'occident qui est au pied du mur, mais les Etats-Unis plus que tout autre.

  publié le 30 mai 2023

Palestine : un nouveau village incendié par les colons israéliens accompagnés par l’armée d’occupation

Communiqué de l’Association France-Palestine Solidarité sur https://www.france-palestine.org

Dans la journée une délégation diplomatique de l’Union européenne s’était rendue à Burqa, dont les habitants sont victimes du vol de leurs terres par l’État d’Israël depuis 1978. Il s’agissait pour elle de constater les violations permanentes et les nouvelles menaces qui pèsent sur le village.

Les colons du mouvement fasciste « La jeunesse des collines » ont répondu immédiatement à cette visite en attaquant le village.

Le mouvement israélien de défense des droits humains Yesh Din rapporte que « des dizaines de colons accompagnés par l’armée, ont envahi le village incendiant plusieurs maisons. Des Palestiniens ont signalé avoir été blessés par des tirs à balles réelles. »

Tout comme dans le village de Huwara il y a 3 mois, les colons ont brûlé des maisons, attaqué les biens et les personnes et tiré sur les Palestiniens. Comme à Huwara, l’armée omniprésente en territoire palestinien occupé non seulement n’est pas intervenue pour les arrêter mais les a accompagnés dans leur œuvre de destruction.

Suite au pogrom de Huwara, le ministre Smotrich avait déclaré qu’il fallait rayer le village de la carte. Il avait participé quelques jours après à une manifestation en direction de la colonie d’Eyviatar sur les terres du village de Beita - village martyr lui aussi, à proximité de Huwara. Des milliers de colons, plusieurs ministres et des députés revendiquaient l’occupation et la colonisation des terres de Beita.

Ce même ministre paradait jeudi 18 mai lors de la dite « marche des drapeaux » qui commémore l’occupation de Jérusalem en 1967 et son annexion au mépris du droit international. Au cours de cette marche, des dizaines de milliers de colons ont défilé dans la vielle ville de Jérusalem, des heures durant hurlant des slogans racistes et attaquant les Palestiniens. Parmi les slogans hurlés ad nauseam, « mort aux arabes et que leurs villages brûlent ». Comment ne pas faire le lien avec ce qui s’est passé hier soir à Burqa ?

Smotrich, toujours lui a annoncé il y a quelques jours son intention de doubler le nombre de colons en territoire palestinien occupé.

Pour bien montrer sa détermination à poursuivre sans relâche et à marche forcée la colonisation de la Palestine, Israël ne s’est pas arrêté en si bon chemin, faisant fi des visites de diplomates et des condamnations sans suite : dès le lendemain, d’importants travaux de terrassement ont commencé autour de Burqa pour permettre un accès à la colonie d’Homesh, saccageant et confisquant toujours plus de terres privées palestiniennes.

Les nouvelles scènes d’horreur à Burqa ont eu lieu peu après la commémoration par les Palestiniens des 75 ans de la Nakba, la catastrophe qui entre 1947 et 1949 a vu 800 000 d’entre eux chassés et dépossédés de leurs terres en faisant des réfugiés. Elles confirment bien que la Nakba n’a jamais cessé, que le processus de dépossession et de nettoyage ethnique est toujours en cours. Chaque jour, la preuve en est faite sur le terrain en Palestine.

Ce qui s’est passé hier à Burqa n’est pas une erreur de parcours d’un État supposé démocratique, ce n’est qu’un des aspects d’un régime de domination et d’oppression systématique du peuple palestinien dont le but est le même depuis 1947, prendre la terre des Palestiniens, les en chasser et les remplacer. Ce régime a un nom, c’est un crime contre l’humanité, c’est le crime d’apartheid.

Combien de temps va-t-il encore falloir, combien d’exactions, combien de massacres, combien de crimes de guerres, de crimes contre l’humanité, combien de visites diplomatiques de terrain pour que la « communauté internationale » cesse de laisser faire Israël en regardant ailleurs.

Assez de condamnations sans effets et sans lendemain !
L’urgence absolue est aujourd’hui la protection des Palestiniens : nous en appelons solennellement à notre gouvernement et à l’Union européenne, il faut arrêter la main des criminels ! Il faut en finir avec l’impunité d’Israël, de ses colons, de ses soldats, de ses dirigeants. Pour cela il faut des actes et cela passe par des sanctions immédiates.

Mais il faut aussi qu’un nom soit mis sur ce que fait Israël entre la mer Méditerranée et le Jourdain : Israël y commet le crime d’apartheid. Il est temps de le reconnaître !

Le Bureau National
Le 25 mai 2023

  publié le 2 mai 2023

À Mayotte, l’opération « Wuambushu » a très vite montré ses limites

Nejma Brahim sur www.mediapart.fr

Elle était attendue par les uns, redoutée par les autres. En une semaine, l’opération « Wuambushu » a essuyé plusieurs revers et surtout attisé les tensions avec la population.

Il y a d’abord eu cette première démolition, prévue dans le quartier de Talus 2 à Majicavo (au nord de Mamoudzou), mais annulée par la justice. Les cases en tôle visées par l’opération avaient pourtant déjà été numérotées et une permanence avait été lancée pour proposer des solutions d’hébergement à une partie des habitant·es.

« La destruction des habitations des requérants, conséquence de la décision de l’administration, est manifestement irrégulière », a pointé la juge des référés dans son ordonnance, relevant une « voie de fait » et expliquant que l’opération de démolition pourrait avoir un « impact certain sur la sûreté » des habitant·es.

Cette même juge, également présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou à Mayotte, a dans la foulée été prise pour cible par les partisans les plus acharnés de l’opération « Wuambushu », préparée par Gérald Darmanin pour démolir les bidonvilles, traquer les jeunes dits « délinquants » et expulser les sans-papiers.

Le Figaro et Europe 1, puis Valeurs actuelles, n’ont ainsi pas hésité à publier le portrait de la juge, en mentionnant son nom et en remettant en cause son impartialité au prétexte d’une vieille adhésion au Syndicat de la magistrature, alors que la justice était déjà pointée du doigt par des collectifs mahorais l’estimant trop « laxiste » avec les auteurs de crimes et délits sur l’île.

« On ne peut être juge et partie. Quand on est juge, on se respecte. Le harcèlement judiciaire coordonné entre les droits-de-l’hommistes et certains magistrats partisans, ça ne passera pas », a tweeté le député Les Républicains de la deuxième circonscription de Mayotte, Mansour Kamardine, en réaction à l’article d’Europe 1.

Des expulsions bloquées par les Comores

Le procureur de la République, Yann Le Bris, a très vite apporté son soutien à la présidente du tribunal, expliquant que la justice devait « pouvoir travailler sereinement dans le respect du droit ». « Cela peut inquiéter d’autres magistrats qui seraient amenés à prendre des décisions en lien avec Wuambushu », alerte un haut fonctionnaire basé à Mayotte.

Il y a eu ensuite le fameux bateau baptisé Maria Galanta, censé reconduire les personnes en situation irrégulière depuis les centres de rétention administrative (CRA) jusqu’aux Comores. Mais il fut contraint de rebrousser chemin avant même de dépasser les eaux territoriales françaises car les ports comoriens gardaient portes closes.

« Mercredi, treize personnes devaient être éloignées vers les Comores, relate une avocate. Le bateau est parti dans la matinée et est revenu en début d’après-midi à Mayotte. Elles ont de nouveau été enfermées au CRA puis libérées sur décision du juge des libertés et de la détention dans la nuit. »

Jeudi, l’Union des Comores a annoncé la reprise des rotations, mais sans accepter « aucun refoulé » de Mayotte, « sous peine de retirer la licence à la compagnie [SGTM – ndlr] » détenant le Maria Galanta. Celle-ci a annoncé dans la foulée suspendre toute rotation dans le contexte actuel.

Alors que l’opération Wuambushu devait permettre des expulsions massives de Comorien·nes basé·es à Mayotte parfois depuis des dizaines d’années – entre 70 et 80 personnes sont déjà éloignées chaque jour en moyenne tout au long de l’année –  ces multiples rebondissements sont le signe d’un échec cuisant pour les autorités préfectorales et le ministère de l’intérieur.

En parallèle, le CRA de Petite-Terre, d’une capacité maximale de 136 places, était occupé par environ cent personnes cette semaine. Pour les besoins de Wuambushu, un nouveau local de rétention administrative (LRA) – sorte d’intermédiaire visant à placer des personnes en rétention en attendant leur transfert en CRA – était quasiment vide deux jours après son ouverture, comme a pu le constater Mediapart, démontrant que les interpellations ne sont pas plus nombreuses que d’habitude (soit parce que les personnes sans papiers se sont cachées par peur d’être contrôlées, soit parce que les éloignements étaient tout bonnement impossibles cette semaine).

Une démolition en guise de coup de com’ pour le préfet

Pour redonner de l’élan à l’opération Wuambushu et tenter de rassurer, tôt dans la matinée de jeudi, une démolition de maisons en dur était lancée à Longoni, au nord de Mayotte, puis annoncée en grande pompe par le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, lors d’une conférence de presse organisée sur le site d’un futur lycée professionnel, où un chantier a déjà débuté et pour lequel un arrêté de démolition avait été pris dans le cadre de la loi Élan.

Oui mais voilà : cette démolition n’avait rien à voir avec Wuambushu, et les habitations concernées étaient déjà vides depuis quelque temps. Seules quelques familles y avaient des élevages mais ont été prévenues en amont de la démolition pour pouvoir les récupérer. L’occasion – un brin théâtralisée – pour le préfet de montrer que l’État « agit », après le revers essuyé lundi soir au tribunal judiciaire de Mamoudzou.

Impatients, près d’un millier de citoyens de Mayotte organisaient une manifestation pro-Wuambushu à Chirongui, jeudi matin, pour réclamer des résultats « concrets » au gouvernement français. « Ra Hachiri » (« Nous sommes vigilants »), scandait la foule, composée de divers collectifs citoyens.

Moussa*, issu d’une famille mixte – mère mahoraise, père comorien – assume soutenir l’opération « parce que Mayotte est en crise et ne peut pas accueillir tout le monde ». Mais il veut tempérer le discours de nombreux habitants de Mayotte qui n’hésitent pas « à mettre tout le monde dans le même sac » : « On a un gros problème de délinquance ici, mais il ne faut pas pointer du doigt uniquement les Comoriens, parce qu’il y a aussi des Anjouanais, des Mohéliens et même des Mahorais. »

Sur les réseaux sociaux, les messages de haine pleuvent depuis des semaines, appelant à répondre par la force, traitant les Comoriens et Anjouanais de « cafards » ou de « terroristes ». Les rares messages venant apporter de la nuance suscitent un tollé.

« Si on veut vraiment vivre en paix et en sécurité, ce n’est pas par la force que nous allons trouver une solution. Un dialogue sérieux entre résidents de l’île sans distinction de race, d’origine ou de religion est primordial », suggère Nayi. « NOUS NE NÉGOCIONS PAS AVEC LES TERRORISTES », lui répond Saïd. « Chacun chez soi ! », enchaîne Patrik. Et Ali d’ironiser : « Qu’ils rentrent chez eux et on discutera après par visio ! »

Les pour et les contre

Dans un café de Mamoudzou, nous retrouvons Frédéric, un « mzungu » (« blanc » en shimaoré) basé à Mayotte depuis plusieurs années. Il se dit révolté par les violations du droit à Mayotte, par toutes ces expulsions vers les Comores qui se font parfois avant même qu’une audience ne se tienne au tribunal en cas de recours, par cette politique du chiffre qui guide aujourd’hui la préfecture et l’État. « Wuambushu, pour moi, ce n’est qu’une petite cerise sur le gâteau. Ce n’est rien d’exceptionnel par rapport à tout ce qui se passe ici chaque jour. »

« Et qu’est-ce que vous faites de toutes les personnes agressées à Mayotte ?! », s’emporte un Mahorais attablé derrière lui. « Moi, je suis père de famille et on m’a pointé une bouteille cassée à la gorge pour que j’aille retirer de l’argent. Je les ai suppliés, je me suis chié dessus. C’étaient des jeunes avec une carte de séjour, inscrits à la fac de Dembéni. Je suis passé en jugement et il n’y a rien eu. Ils n’ont pas été condamnés car il paraît qu’ils étaient novices. »

Enfant d’un père immigré originaire d’Anjouan, il a longtemps milité dans des associations en faveur de l’insertion des jeunes, « peu importe leur profil ».

« Aujourd’hui, je travaille à l’hôpital et il ne se passe pas un jour sans qu’on ne reçoive des patients avec une main ou un bras coupé après une agression. Alors oui, on a besoin d’une opération comme Wuambushu.

Et que faites-vous des mères et enfants innocents qui vont être les premières victimes des démolitions et des expulsions, rétorque Frédéric. Au lieu de faire un Wuambushu où on va dégager tout le monde, on devrait organiser une opération qui cible les délinquants uniquement, qui sont souvent des mineurs isolés non expulsables. Là, on va virer des gens et garder nos délinquants.

Ça m’attriste autant que vous. Je n’accuse pas les étrangers mais tous ceux qui ne s’occupent pas de leurs enfants. Ça fait mal de voir cette jeunesse errer comme ça. Mais on a des gamins qui rentrent à la maison et disent ne plus vouloir aller à l’école parce qu’ils ont été agressés dans le bus scolaire. Ça me tue d’entendre des magistrats, des médecins ou droits-de-l’hommistes venir dire que Wuambushu, cest pas bien. Il faut frapper fort. Et si nous, victimes, on n’a pas de justice, je ne vois pas pourquoi les autres y auraient droit », conclut-il.

Une nouvelle manifestation des pro-Wuambushu s’est tenue à Mamoudzou samedi. L’opération a aussi créé des tensions dans plusieurs quartiers de Mayotte, comme à Majicavo, Doujani et Tsoundzou, où les renforts de police ont parfois été perçus comme le signe d’un potentiel « décasage » à venir, et où des groupes de jeunes ont choisi de les affronter.

Des forces de l’ordre déjà dépassées

« Je ne les défends pas, ils ont même cassé notre voiture parce qu’ils auraient voulu qu’on aille se battre avec eux, raconte une habitante de Doujani. Mais il faut les comprendre : ils défendent leurs parents et leur maison. Personne ne vient leur parler. Au lieu de ça, on leur envoie la police qui agit n’importe comment. »

« Il y a une stratégie de mise sous pression des habitants, relève le haut fonctionnaire déjà cité. On envoie par exemple des pelleteuses à Kawéni alors qu’il ne va pas forcément y avoir de décasage là-bas. » Pour lui, la forte présence policière, qui tendait à rassurer les habitant·es de Mayotte pro-Wuambushu au départ, ne veut plus rien dire.

« Les gens s’inquiétaient de ce qui adviendrait quand ils partiraient ; mais finalement, ça ne va pas même quand ils sont là. C’est même pire : on se demande chaque soir dans quel quartier ça va péter. L’opération attise clairement les tensions avec les jeunes. »

Les renforts de police et de gendarmerie ont été envoyés « les doigts dans le nez », persuadés qu’ils pourraient reproduire ici ce qu’ils faisaient « en banlieue ». « Force est de constater qu’ils n’y arrivent pas, tacle le haut fonctionnaire, redoutant des violences policières. Ils ne connaissent pas les lieux, c’est très vallonné et il fait nuit tôt. Ils ont déjà l’air fatigués. » Pour le moment, conclut-il, c’est un « échec » : « Il n’y a pas de décasage, pas de reconduite sur fond de bordel diplomatique avec les Comores, pas d’impact particulier sur les arrestations malgré ce que dit Darmanin. »

Face à tant de déconvenues, Gérald Darmanin a réaffirmé vendredi, s’enfonçant encore un peu plus dans le déni, sa volonté de mener coûte que coûte l’opération Wuambushu, expliquant que cela prendra « le temps qu’il faudra » et qu’il « laissera le nombre de policiers et gendarmes qu’il faudra » pour permettre à Mayotte de redevenir une « île normale ». Il s’est aussi vanté de voir que « depuis trois jours et pour la première fois dans l’histoire de la République, l n’y avait plus de kwassa-kwassa partant des Comores vers Mayotte ».

   publié le 26 avril 2023

Mayotte, île de la cruauté

Edwy Plenel sur www.mediapart.fr

L’opération « Wuambushu » menée sur le cent unième département français est une monstruosité politique qui prolonge un crime juridique. Maintenant sa souveraineté sur Mayotte en violation flagrante du droit international, la France y met en scène l’expulsion massive d’êtres humains au prétexte qu’ils seraient étrangers alors même qu’ils font partie du même peuple que les autochtones.

Une unité de maintien de l’ordre supposée d’élite, la CRS 8, qui, au premier jour de son intervention, revendique non seulement l’usage de 650 grenades lacrymogènes, 85 grenades de désencerclement et 60 tirs de LBD, mais assume aussi avoir ouvert le feu à douze reprises en tirant vers le sol pour repousser la population civile qui lui résiste.

Un premier vice-président du territoire, Salime Mdéré, élu centriste proche de la droite LR et soutien de la majorité présidentielle, qui, sur le service public télévisuel local, n’hésite pas à appeler au meurtre : « Ces délinquants, ces voyous, ces terroristes, à un moment donné il faut peut-être en tuer. Je pèse mes mots. Si y en pas un qui est tué, y en aura toujours d’autres qui vont oser tuer des policiers. »

Des magistrats du tribunal judiciaire de Mamoudzou dont l’indépendance se dresse face aux abus du pouvoir exécutif, en ordonnant la suspension immédiate de l’évacuation d’un bidonville après avoir constaté « l’existence d’une voie de fait » dans les conditions d’expulsion jugées « irrégulières » des populations concernées dont elles mettent « en péril la sécurité ».

C’est peu dire que, contrairement aux fanfaronnades du ministre de l’intérieur, l’opération « Wuambushu » qu’il a mise en œuvre (et en scène) à 8 000 kilomètres de Paris au nom de la lutte contre « l’immigration illégale » est à mille lieues de « la restauration de la paix républicaine » revendiquée encore par Gérald Darmanin mardi 25 avril, en soutien de l’appel du préfet de Mayotte contre la décision judiciaire.

C’est au contraire une guerre que revendique et provoque cette opération de destruction d’habitations et d’expulsion de populations baptisée depuis Paris « Wuambushu », ce qui en mahorais signifie « reprise ». Un mot qui fait écho à tous les discours xénophobes et racistes sur les migrants, exilés et réfugiés, accusés de déposséder des habitants proclamés légitimes de leur territoire, de leur culture et de leur identité, qu’il faudrait donc « reprendre », reconquérir en somme comme s’ils avaient été dérobés par d’autres qui en seraient les occupants illégitimes.

Brandie de nouveau en diversion politicienne, avec l’annonce d’un énième projet de loi qu’Emmanuel Macron veut imposer « avant l’été », selon sa dernière interview au Parisien, la question migratoire a toujours été le laboratoire d’un État d’exception, où l’on fait le tri, où l’on enferme, où l’on expulse, où l’on brutalise des hommes, des femmes, des enfants dont le seul tort est de s’être déplacés, par nécessité ou par désir, par envie de mieux vivre ou par rêve d’autres horizons.

Rien de plus logique à cet engrenage puisque, dans cette quête infiniment ressassée du bouc émissaire étranger, c’est une pédagogie de l’inégalité des droits qui se diffuse et s’installe. Tournant le dos aux véritables urgences – démocratiques, sociales, écologiques, etc. –, l’obsession de la chasse à « l’immigration illégale » accoutume à la hiérarchie des humanités, entre ayants droit et sans droits, donc au rejet de l’égalité naturelle qui, pourtant, est au principe des démocraties, non seulement en tête de leurs valeurs constitutionnelles mais à l’origine de leur existence historique, fondée sur le refus du privilège de naissance.

Mais, dans le cas présent, ce déni d’humanité est redoublé par le contexte colonial dont témoignent les pratiques policières (tirs à balles réelles) et le discours politique (appel au meurtre) évoqués ci-dessus. Parce qu’elle est fondée sur la violation des droits humains – conquête, occupation, domination –, la colonisation génère spontanément l’excès et l’abus du côté de la puissance coloniale. On s’autorise, on se lâche, on se permet, on ne se réfrène ni ne s’interdit, on stigmatise et on déshumanise, à l’instar d’Emmanuel Macron, évoquant en juin 2017 les embarcations utilisées par les habitant·es des Comores pour rejoindre Mayotte, pour dire que le « kwassa-kwassa pêchait peu » mais « amenait du Comorien ».

Devenue département français depuis un référendum en 2009, Mayotte est le fruit d’un rapt (lire ce rappel historique de Rémi Carayol sur AfriqueXXI). Violant la règle internationale de respect des frontières, la France l’a arrachée à l’archipel dont elle faisait partie, les Comores, lors de la décolonisation de ce territoire en 1975. Cette annexion est illégale au regard du droit international, qu’il s’agisse des résolutions de l’ONU ou de celles de l’Union africaine. De ce même droit international que l’on invoque, à juste titre, pour combattre les annexions russes qui ont précédé la guerre d’invasion contre l’Ukraine. La France qui vote à l’ONU les résolutions condamnant la Russie en viole donc allègrement les principes.

Les chantres de la souveraineté française sur Mayotte opposent au droit international que cette annexion fut conforme à la volonté majoritaire des Mahorais, faisant fi des intérêts de quelques familles de notables qui y ont œuvré. En vérité, comme l’illustrèrent longtemps les menées barbouzardes de mercenaires, dont le fameux Bob Denard, dans cet archipel, il ne s’est jamais agi pour la France de l’intérêt des populations locales, mais égoïstement des siens, dans une logique de puissance impériale au vu de la position stratégique de Mayotte dans le canal du Mozambique.

La meilleure preuve en est donnée par l’état lamentable dans lequel la France maintient la population de Mayotte et dont un rapport de 2022, rédigé par six ministères et révélé par Mediapart, dressait un inventaire exhaustif. Département pour la forme, Mayotte est reléguée dans les bas-fonds de la République française. Elle en est le département le plus pauvre, avec 8 personnes sur 10 qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté, un actif sur trois au chômage et une espérance de vie qui plafonne à 75 ans. Avec, surtout, une dotation par habitant trois à quatre fois moins élevée que dans l’Hexagone.

C’est une guerre aux pauvres qu’a donc lancée Gérald Darmanin, et pas seulement aux migrants. Car les populations visées par cette opération spectaculaire sont les mêmes que celles qu’elle prétend protéger. À Mayotte, les Comoriens et Comoriennes que la France veut expulser de l’île, en détruisant d’abord leurs habitations (lire le reportage de Nejma Brahim), puis en les parquant dans des camps, ne sont pas des étrangers. C’est le même peuple, la même culture, la même langue, la même religion. Le gouvernement, rappelle l’ethnologue Sophie Blanchy, « a face à lui une seule et même population ». La seule distinction, c’est que certains ont la nationalité française et d’autres non.

Dès lors, l’on devine combien ce qui se joue là-bas nous concerne ici. Cette grande rafle de Mayotte fait la promotion de la pire idéologie d’extrême droite, le « grand remplacement ». Elle montre que l’on peut faire le tri au sein d’un même peuple, après avoir installé l’idée monstrueuse d’une occupation étrangère qui légitimerait l’expulsion des indésirables. À la face du monde, la France des droits de l’homme abdique ainsi sur l’égalité des droits, donnant le feu vert à tous les régimes autoritaires – et ils ne manquent pas, en Afrique même, comme l’a démontré récemment l’autocrate président tunisien – qui feront la chasse aux humanités en mouvement pour ne pas avoir de comptes à rendre à leurs peuples.

Dans la même aire géographique, une autre puissance impériale a pris possession d’un archipel afin d’y défendre ses intérêts égoïstes et d’y installer ceux de ses alliés : l’archipel des Chagos est la dernière colonie britannique dans l’océan Indien, ce qui permet aux États-Unis d’Amérique d’y avoir une base militaire, sur Diego Garcia, la plus grande île. Les Chagossiens, qui y demeuraient depuis le XVIIIe siècle, ont été brutalement chassés et contraints à l’exil. Avocat franco-britannique, Philippe Sands s’est battu pour que cette injustice soit condamnée par le droit international, jusqu’à être reconnue et jugée comme un crime contre l’humanité.

De ce combat, il a fait un livre, La Dernière Colonie, paru l’an dernier (lire son entretien avec Joseph Confavreux). En épilogue, il a simplement mis cette citation du poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »


 


 

Mayotte : Darmanin,
le nettoyeur de la République

Patrick Piro  sur www.politis.fr

L’opération « Wuambushu », voulue par Gérald Darmanin à Mayotte pour expulser 17 000 personnes en situation irrégulière, a commencé ce mardi. Un assaut sans équivalent et un laboratoire sécuritaire et xénophobe pour les ambitions politiques du ministre de l’Intérieur.

Mayotte, l’opération « Wuambushu » a été lancée ce mardi 25 avril. Gérald Darmanin a eu la jugeote de la programmer après la fin du ramadan : le récent 101e département français est très majoritairement de confession musulmane. Pas besoin de créer un foyer d’irritation supplémentaire : la grosse artillerie prévue par le ministre de l’Intérieur renvoie le Kärcher de Sarkozy au rayon jouets.

« Wuambushu », ce sont près de deux mille membres des forces de l’ordre mobilisés pour un grand nettoyage de printemps sur l’île mahoraise – 310 000 habitant·es, l’équivalent de la ville de Montpellier. La feuille de route, dont l’exécution doit théoriquement s’étaler sur deux mois, prévoit l’interpellation et l’expulsion de 17 000 immigré·es en situation illégale, très majoritairement comorien·nes, soit 250 par jour, un rythme trois fois plus élevé qu’actuellement.

Au programme, la destruction de mille de leurs bicoques – même si le tribunal judiciaire a suspendu l’évacuation d’un des bidonvilles, constatant « l’existence d’une voie de fait » liée aux conditions d’expulsion jugées irrégulières. Mayotte est connue pour abriter le plus important bidonville de la République française.

Loin de la métropole, la méthode Darmanin pourra se déployer dans toute sa splendeur.

Même si le tribunal judiciaire a suspendu l’une de ces évacuations, en raison de conditions jugées irrégulières, on n’a pas mémoire d’un assaut d’une telle envergure. Dans la « jungle » de Calais, c’est avec constance que les forces de l’ordre ont pris leurs aises avec le droit – humiliations, harcèlement, confiscation et destruction de biens. Loin de la métropole, tout indique que la méthode Darmanin pourra se déployer dans toute sa splendeur.

Sur place, c’est l’affolement, voire la panique. Avocats, magistrats, associations s’insurgent par avance du simulacre d’encadrement administratif et légal de la déferlante : sous régime de procédures expresses, exigées à cadence forcée et à distance (le tribunal siège à La Réunion), comment garantir le droit minimum des personnes ?

Pour la plupart, elles devraient être expulsées en bateau vers les Comores. Mais qu’en sera-t-il de nombre de leurs enfants nés sur le sol mahorais, en principe non expulsables car réputés français ?

La destruction d’habitat doit en principe s’accompagner de solutions de relogement (même temporaire) des occupant·es. Or, les infrastructures locales sont dans l’incapacité d’encaisser un « Wuambushu » qui fleure le chaos et la bavure à plein nez. Y compris sur son volet sécuritaire. Car l’opération vise conjointement à juguler une délinquance dont le taux est sans équivalent dans l’Hexagone.

En finir avec les vols, les agressions et les homicides en expulsant les étrangers illégaux : Darmanin vise la démonstration dans les grandes largeurs du raccourci xénophobe qui plaît tant à l’extrême droite. Mayotte, laboratoire des ambitions politiques du ministre : il n’est pas besoin de se forcer pour s’en convaincre.

Ce sont des milliers de vies précaires qui auront été passées à la moulinette répressive.

Mais on doute que les délinquants avérés attendent l’ordre d’expulsion de l’huissier. Ni qu’ils se priveront de rentrer par la fenêtre une fois les gendarmes partis. Au passage, ce sont des milliers de vies précaires qui auront été passées à la moulinette répressive, trop souvent activée quand il s’agit de régler un problème social.

Des familles entières, vivant depuis des années dans cet improbable confetti de France, certes dans l’illégalité, vont embarquer pour nulle part. Personne ne les attend aux Comores, dont les autorités, qui ont demandé à Paris de renoncer à son projet, ont refusé l’accostage des premiers contingents de personnes expulsées.

Mayotte, ce n’est pas la préoccupation du nettoyeur Darmanin, qui présente des indicateurs sociaux tout aussi indécents que ceux de la délinquance : 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, dont la moitié avec 160 euros à peine par mois et en habitat dit « informel », dépourvus de services de santé, d’école, etc. En République française. En « sous-France », corrige-t-on sur place. ·


 


 

France-Comores. « Wuambushu », opération coup-de-poing et bras d’honneur

par Faïza Soulé Youssouf sur https://afriquexxi.info/

En mettant en œuvre une opération militaro-policière de grande ampleur à Mayotte visant à détruire des bidonvilles et à expulser des milliers de Comoriens, le gouvernement français suscite inquiétude et colère à Moroni. Mais le président Azali Assoumani, qui est devenu l’allié de Paris ces dernières années en dépit du contentieux territorial, semble vouloir éviter la confrontation.

L’opération « Wuambushu », dont les détails ont été révélés par l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné le 22 février 20231, inquiète la population comorienne, ainsi que plusieurs organisations et associations (lire l’encadré au pied de l’article), et a suscité de nombreuses saillies antifrançaises avant qu’elle débute. Diligentée par le ministre français de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, elle place les autorités comoriennes dans une position inconfortable.

Conçue pour débuter au lendemain du mois de ramadan, le 24 avril, cette opération militaro-policière de grande envergure doit durer deux mois et aboutir, au nom de la lutte contre l’insécurité, à la destruction à Mayotte de plusieurs bidonvilles – occupés majoritairement par des personnes en situation irrégulière selon les lois françaises – et à des expulsions de masse de leurs habitants sur l’île d’Anjouan, située à 70 km de Mayotte. Le Canard enchaîné évoque, dans son édition du 19 avril2, l’objectif de 10 000 reconduites à la frontière en deux mois – deux fois moins que ce qui était prévu dans le plan initial, mais tout de même plus du tiers du total (25 380) atteint en douze mois en 2022. Pour ce faire, un demi-millier de policiers et de gendarmes ont été envoyés en renfort sur l’île, parmi lesquels des unités spécialisées dans les violences urbaines.

Mayotte, qui a été séparée des autres îles de l’archipel lors de l’indépendance en 1975, a été érigée en département d’outre-mer en 2011. Mais ce territoire est toujours revendiqué par les autorités comoriennes, au nom, entre autres, de l’intangibilité des frontières issues de la décolonisation et de l’histoire qui unit les habitants des quatre îles.

Une situation « intenable »

Joint alors qu’il était en voyage en Arabie saoudite, Anissi Chamsidine, gouverneur de l’île autonome d’Anjouan – et à ce titre en première ligne, étant donné que les refoulés de Mayotte sont tous renvoyés sur cette île –, réprouve l’opération à venir. Mais il se dit impuissant. « Est-ce que j’ai les moyens de m’opposer à une telle décision ? Quelle marge de manœuvre me laisse-t-on ? » répond-il à la question de savoir s’il compte empêcher la réalisation de cette opération. Le leader du parti Soma rappelle que, durant la crise liée au Covid-19, il avait signé en janvier 2021 un arrêté visant à interdire l’accueil des refoulés de Mayotte – arrêté qui avait été levé une semaine plus tard par le ministre comorien des Affaires étrangères, Dhoihir Dhoulkamal. « Cette situation est intenable pour tous. Nous n’avons pas les moyens d’absorber cette violence fabriquée depuis Mayotte par l’État français. On nous demande de cogérer une crise que nous n’avons pas générée », déplore le gouverneur.

À Mutsamudu, le chef-lieu de l’île d’Anjouan dénué de structures d’accueil, l’afflux massif de personnes expulsées de Mayotte fait craindre le pire. « C’est une situation désastreuse décidée à Paris avec la complicité des élus de Mayotte. Nous allons assister impuissants à un drame, nous sommes dépourvus du plus petit centre d’accueil », a dénoncé Zarouki Bouchrane, le maire de Mutsamudu, le 20 avril. Une semaine plus tôt, le 13 avril, l’exécutif de l’île avait organisé une réunion sur les conséquences de l’opération de Gérald Darmanin. Y avaient pris part toutes les composantes de la société. Le quotidien d’État Al-Watwan rapporte que, lors de cette rencontre, une position de fermeté a été défendue. Parmi les idées avancées : manifester contre le projet et empêcher les reconduites3.

« Pourquoi devons-nous conserver une amitié avec la France qui ne nous profite pas ? » s’est demandé un participant. Un autre n’a pas manqué d’établir un parallèle entre l’opération « Wuambushu » et le rapatriement forcé de milliers de Comoriens de Mahajanga (Madagascar) en 19764. « Dans les deux cas, le régime Azali Assoumani est dans une situation délicate : tenir tête à la France et s’exposer à des représailles de Paris en cette année préélectorale5 ou accepter les reconduites avec tous les risques de violence que cela suppose », fait remarquer un partisan du président des Comores.

À Moroni, la capitale de l’Union des Comores, l’on voulait encore croire, quelques jours avant le début de l’opération « Wuambushu », que « l’ami français » n’irait pas au bout de son entreprise. Pressé par les journalistes et l’opinion publique, le gouvernement a dans un premier temps fait profil bas, arguant qu’il ne commentait pas des articles de presse. Il s’est fait un (tout petit) peu plus prolixe le 10 avril. Dans un communiqué, l’exécutif se dit alors surpris par l’initiative de Paris : « Le Gouvernement comorien a appris avec étonnement la nouvelle du maintien du projet du Gouvernement français […]. Cette opération censée démarrer en plein ramadan, pour durer deux mois, va à l’encontre du respect des droits humains et risque de porter atteinte aux bonnes relations qui unissent les deux pays. »

Azali pris entre deux feux

Interrogé le lendemain au palais présidentiel de Beit-Salam, Azali Assoumani a répété son espoir « de voir l’opération [être] annulée », tout en admettant ne pas avoir « les moyens de stopper l’opération par la force ». Le président n’a cependant pas fait preuve de grande détermination. Les relations entre les Comores et la France « sont bonnes depuis belle lurette », a-t-il indiqué, et « Wuambushu » n’est selon lui « qu’un couac auquel nous trouverons une solution ». « La voix choisie est celle du dialogue », a-t-il ajouté quelques jours plus tard, le 22 avril, après avoir dirigé la prière marquant la fin du ramadan. Une déclaration qui tranche avec celle tenue la veille par le porte-parole du gouvernement comorien – « Les Comores n’entendent pas accueillir des expulsés issus de l’opération projetée par le gouvernement français à Mayotte », avait annoncé Houmed Msaidie – et qui est loin d’être partagée par l’opposition et la société civile, qui perçoivent désormais la France comme un « ennemi ».

D’intenses tractations diplomatiques ont eu cours en avril. La veille de la diffusion de la déclaration du gouvernement, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, était attendu à Moroni. La visite a finalement été reportée (sans que l’on en connaisse les raisons). Un peu plus tôt, c’est une délégation des ministères français des Affaires étrangères et de l’Intérieur, menée par le diplomate Christophe Bigot, qui a séjourné quelques jours à Moroni. Aucune déclaration substantielle n’a été tenue à la suite de ce séjour. Le 18 avril, le porte-parole du gouvernement comorien, Houmed Msaidie, joint par l’AFP, a répété les propos du chef de l’État. « Nous recommandons aux Français de renoncer vivement à l’opération “Wuambushu” […]. Cette opération contrevient à l’esprit et à la lettre de l’accord-cadre franco-comorien signé en 2019, dont l’un des objectifs est de fixer les populations et non de les expulser », a-t-il avancé.

Cet accord de partenariat entre la France et les Comores avait été signé lors d’une visite officielle d’Azali à Paris en juillet 2019. Il portait sur un plan de développement de 150 millions d’euros sur trois ans dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’emploi et de l’insertion professionnelle des jeunes. Mais il visait également à stopper les flux migratoires et les traversées « illégales » entre Anjouan et Mayotte6. À l’époque, déjà, des parlementaires et des partis politiques de l’opposition avaient dénoncé ce texte, qu’ils avaient considéré comme nul et non avenu. Ils avaient accusé Azali Assoumani de fouler au pied la Constitution comorienne (selon laquelle Mayotte fait partie des Comores) et d’avoir livré le pays « en pâture à la France ». « Cet accord consacre le renoncement de Mayotte en échange de quelques millions d’euros », estime Hissane Guy, chargée de communication de l’ONG Adrikni.

Plusieurs organisations de la société civile, avec à leur tête le Comité Maore (Maore est le nom comorien de Mayotte), qui milite pour le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien, ont été interdites de manifester le 21 avril contre l’opération « Wuambushu », « en raison de la période hautement mouvementée par les activités culturelles et commerciales qui animent la ville de Moroni », a justifié le préfet (le jour de la marche coïncidait avec la fin du ramadan). Le 15 avril, une marche avait été exceptionnellement autorisée par la préfecture alors que les manifestations sur la voie publique de l’opposition et de la société civile sont systématiquement interdites depuis plusieurs années. Mais la veille, sans poser un acte d’annulation en bonne et due forme, le préfet avait appelé les meneurs pour leur indiquer que « seul un rassemblement dans une salle était autorisé ». Cette volte-face illustre l’inconfort des pouvoirs publics. Les raisons de cette annulation sont tues. Mais certains activistes croient savoir qu’elle serait liée à des pressions de la chancellerie française à Moroni, qui craignait des débordements.

« Mkolo nalawe »

En lieu et place d’une manifestation, il y a donc eu un rassemblement dans une salle du centre de Moroni, auquel ont participé d’anciens hauts dignitaires majoritairement issus de l’opposition et quelques députés. Les discours étaient souvent ponctués de saillies telles que « À bas la France » ou encore, « Mkolo nalawe » (« colon, dégage »). Un activiste a brandi tout au long de l’événement le drapeau russe (il a été brièvement interpellé par la gendarmerie). Les orateurs ont tous appelé à prendre des mesures très fermes contre l’État français. « Nous demandons au gouvernement d’abroger sans délai l’accord-cadre de partenariat et de s’opposer fermement à tout acte de déplacement forcé de population entre les îles », a notamment demandé Hissane Guy, alors qu’elle lisait la déclaration commune des organisations de la société civile. Une bonne partie de l’opposition défend elle aussi cette position.

Pour le Front commun élargi des forces de l’opposition, « Wuambushu n’est pas un hasard ». Cette opération est « monnayée par l’autoritariste non élu [le président Azali] en reconnaissance suite à sa fausse élection de mars 2019. Pour pallier son impopularité, il a choisi de vendre une partie de notre pays, à savoir l’île de Mayotte, afin de se faire adouber par le locataire de l’Élysée », a accusé la coalition dans une déclaration publiée le 14 avril. Contacté pour commenter la demande d’abrogation, Souef Mohamed El-Amine, ancien ministre comorien des Affaires étrangères et signataire de l’accord-cadre tant décrié, n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.

Par ailleurs, le Comité Maore a adressé un courrier au gérant du Maria Galanta, le bateau qui opère la traversée entre Mayotte et Anjouan et qui est utilisé par les autorités françaises pour refouler les « sans-papiers », afin de lui demander « d’arrêter de transporter les personnes embarquées sans leur consentement au risque de soulever une colère ainsi que le boycott » de sa compagnie. Au plus fort de la crise diplomatique franco-comorienne de 20187, une note circulaire du ministère des Transports avait interdit aux compagnies maritimes et aériennes qui desservent Mayotte « d’embarquer, à destination des autres îles sœurs, toute personne considérée par les autorités qui administrent Mayotte comme étant en situation irrégulière ». Cette note sera-t-elle remise à l’ordre du jour avec l’opération « Wuambushu » ? La question a été posée le 22 avril au ministre comorien de l’Intérieur, Fakridine Mahamoud. « Ce qui va primer, ce n’est pas cette note mais ce sur quoi nous allons nous entendre avec les autorités françaises », a-t-il précisé, tout en indiquant avoir discuté la veille avec son homologue français, et en ajoutant être « prêt à discuter avec les autorités françaises des modalités [des expulsions] dans le respect des droits à la personne ».

Mais de quelle marge de manœuvre dispose Azali ? Celui qui a considérablement durci son régime depuis sa réélection contestée est devenu un allié (si ce n’est un obligé) de Paris, en dépit du contentieux territorial autour de Mayotte. Rien que ces trois dernières années, il a été reçu cinq fois à l’Élysée...

Obligé, il l’est d’ailleurs sans doute un peu plus depuis qu’il occupe la présidence de l’Union africaine. Ce poste devait revenir cette année à un État d’Afrique de l’Est. Le Kenya était le candidat jugé le plus légitime de par son poids diplomatique et économique. Mais contre toute attente, en février, il s’est retiré au profit de l’Union des Comores – une première « historique » et inespérée pour ce petit archipel de moins de 1 million d’habitants, qui pèse bien peu sur le continent. Plusieurs sources diplomatiques indiquent que la France a œuvré en coulisses pour soutenir la candidature des Comores8. De quoi influer sur la riposte de Moroni aujourd’hui ? « Ce serait un contre-sens sans nom si le président en exercice de l’organisation panafricaine acceptait une telle opération en provenance d’un territoire dont il revendique la souveraineté », commente un responsable politique ayant requis l’anonymat. « Le gouvernement comorien est prisonnier de sa légèreté. En signant l’accord-cadre [de 2019], il a clairement accepté le principe que Mayotte est une possession française et il a donc accepté d’en accueillir les refoulés », dénonce l’ancien président de l’Assemblée nationale, Said Abdallah Mohamed Mchangama.

De multiples inquiétudes

L’opération « Wuambushu » n’inquiète pas que les Comoriens. Plusieurs organisations locales ou internationales ont alerté les autorités françaises quant aux violences qu’elle risque d’engendrer. Dans une tribune, 170 soignants installés à Mayotte font part de leurs « vives inquiétudes sur l’impact sanitaire de ce projet » et rappellent que « le bilan des précédentes interventions de grande ampleur en matière de lutte contre l’immigration ou l’insécurité impliquait des conséquences dramatiques », parmi lesquelles la « génération de situations à risque infectieux épidémique », la « limitation de l’accès aux soins » ou encore des « retards de prise en charge » pour certaines pathologies.

Le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Jean-Marie Burguburu, a pour sa part écrit à Gérald Darmanin pour l’exhorter à « renoncer » à ce projet qui risque d’« [aggraver] des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé ». Dans un communiqué intersyndical, la CGT, la FSU et l’Union syndicale Solidaires ont de leur côté « appelé le gouvernement à arrêter toutes les mesures répressives ». En outre, des organisations de défense des droits humains, parmi lesquelles la Ligue des droits de l’homme et le Gisti, ont appelé les autorités « à faire cesser cette escalade de la violence » et « demandent aux responsables sur place de faire respecter l’État de droit ».

Même l’Unicef a publié un communiqué (de cinq pages) dans lequel l’organisation onusienne, via son bureau parisien, s’inquiète « de l’impact que cette opération d’envergure risque d’avoir sur la réalisation des droits des enfants les plus vulnérables présents sur le territoire, notamment des mineurs étrangers et des mineurs en conflit avec la loi ». Plusieurs collectifs mahorais ont par contre apporté leur soutien à cette opération.

  publié le 25 avril 2023

Le Soudan,
ses généraux à revendre
et son peuple sacrifié

Antoine Perraud sur www.mediapart.fr

Deux généraux rivaux se disputent le pouvoir suprême à Khartoum, en proie au chaos. Le vainqueur entend mettre fin au soulèvement populaire en cours depuis quatre ans. Et rejoindre ainsi le clan des potentats ayant clos les espoirs du printemps arabe après 2011.

Au Soudan, l’arbre de l’évacuation des ressortissants occidentaux ne doit pas cacher la forêt d’une situation politique qui ne saurait être réduite à de vagues « luttes tribales » sorties de l’imaginaire colonial.

L’enjeu relève d’une tragédie planétaire en cours depuis l’échec des printemps arabes en 2011 : les pays du Sud ont-ils droit aux conquêtes démocratiques ou doivent-ils subir la férule de dictateurs idoines ?

La question se pose en ces termes, à Khartoum, depuis le renversement d’Omar el-Béchir sous la pression populaire, le 11 avril 2019. Ce président au tropisme islamiste était en place depuis trente ans – il avait pris le pouvoir en 1989, lors d’un coup d’État militaire.

Un processus de transition était censé s’être mis en place une fois le tyran déposé. Un pouvoir civil parviendrait-il à prendre et à tenir les rênes soudanaises ?

C’était compter sans la nature militaire, qui a horreur de ce genre de vide. Dès le mois d’octobre 2021, le général Abdel Fattah al-Burhane mettait fin à l’intermède politique. À son profit, alors qu’il chapeautait le Conseil de souveraineté – supposé regrouper civils et militaires chargés d’organiser cette fameuse transition en forme de ligne d’horizon inatteignable.

Al-Burhane, général putschiste à la tête de l’armée régulière, était alors épaulé par le chef d’une milice – les FRS (Forces de soutien rapide) –, Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemetti. Les deux hommes, alliés pour écarter les civils, sont devenus rivaux pour placer le Soudan sous leur coupe.

Les combats qui mettent Khartoum et ses 5 millions d’habitants à feu et à sang depuis le 15 avril dernier marquent donc l’acmé de leur antagonisme. Celui-ci a été attisé par toutes les dictatures d’Afrique et du Moyen-Orient, opposées à ce qu’une alternative démocratique vît le jour au Soudan.

De surcroît, un grand jeu d’influences croisées mêle au Soudan la Chine (intéressée par le pétrole) aussi bien que les Émirats arabes unis (qui tiennent l’agriculture encore davantage que d’autres pays du Golfe).

Sans oublier la Russie qui, dans son entreprise prédatrice menée sur le terrain africain, a pris le parti des FRS en vue de mettre la main sur l’exploitation aurifère du Soudan – où le groupe Wagner a ses entrées – et de consolider ainsi sa présence sur le continent, avec à la clef une base navale en mer Rouge.

Quant à l’Onu et à la communauté internationale – souvent réduite aux intérêts occidentaux donc américains en premier lieu –, elles ont une fois de plus usé de sanctions illusoires, inefficaces et contraires à l’effet recherché.

Couper toute aide après le pronunciamento militaire d’octobre 2021 a surtout sapé la capacité du peuple soudanais à se dresser face aux despotes du cru et à leurs troupes, qui échappent de leur côté aux mesures ainsi infligées.

« Groupes rebelles »

La situation actuelle – rivalité meurtrière entre deux chefs de guerre embrasant l’un des pays les plus pauvres du globe – n’est pas sans une épaisseur historique qu’il faut prendre en compte.

À commencer par la fragmentation du Soudan, dont se sont souciées comme d’une guigne les couches sociales ayant continué de prospérer dans la capitale Khartoum, longtemps épargnée alors que l’arrière-pays était dévasté.

Depuis son accession à l’indépendance en 1956 – un an avant le Ghana de Nkrumah –, le Soudan fut en effet, quasiment sans discontinuer, la proie de guerres civiles menées par des « groupes rebelles ». Et ce, au moins jusqu’à l’indépendance du Soudan du Sud, en 2011.

Longtemps considérée comme un rempart contre les visées sécessionnistes, l’armée en est venue à siphonner les ressources du pays, à accaparer les 4/5 du budget de l’État, pour en fin de compte se lancer dans une compétition endogène et fratricide en vue de monopoliser le pouvoir.

La guerre au Darfour, avec son lot de violations des droits humains, voire de crimes contre l’humanité, s’avère, depuis 2003, le principal conflit régional ayant permis aux mercenaires de mettre sur pied des troupes paramilitaires tenant désormais la dragée haute à l’armée régulière.  

Dans l’émission de Mediapart « Présence du passé », en 2021, nous avions décrypté avec trois universitaires une tentation occidentale trop bien ancrée : faire une lecture ethno-tribale de la situation au Soudan, en racialisant les rapports sociaux. C’est-à-dire tout réduire à une lutte entre les Arabes, musulmans, descendant des anciens esclavagistes et les Africains, non musulmans, issus des anciennes populations serviles. Ces rapports de domination ont certes existé, mais ils phagocytent la complexité.

De même, il est trop schématique d’opposer, dans la société hétérogène soudanaise, les éléments religieux aux nationalistes longtemps marxisants. Il existe une dimension sociale qui explique le conflit en cours : corruption, inégalités, crise économique.

Dans un tel contexte mouvant et instable, alors que la population civile se terre ou s’exile, deux hommes de guerre se livrent donc une lutte sans merci. Le général Abdel Fattah al-Burhane a pour lui une armée régulière de près de 250 000 hommes – la plupart issus de l’ancien régime islamiste du président renversé Omar el-Béchir. Son numéro deux qui rêve de devenir numéro un, « Hemetti », est à la tête d’une milice paramilitaire d’environ 120 000 mercenaires ayant joué un rôle crucial dans la déposition d’Omar el-Béchir en avril 2019.

Ces deux forces, irréconciliables sur le papier, entendent porter sur le pavois leur chef, qui pourrait alors clore une bonne fois pour toutes l’épisode révolutionnaire d’il y a quatre ans. Le vainqueur s’érigerait ainsi en chape suprême, à la manière du maréchal Sissi en Égypte.

Il obtiendrait quitus pour avoir mis fin à l’incertitude comme à l’instabilité. Et il recevrait, bien entendu, son large écot de la part des intérêts du G7 ainsi que des BRICS, satisfaits de pouvoir à nouveau se repaître sans souci des richesses du Souda

  publié le 19 avril 2023

À Mayotte, l’opération Wuambushu
sème la peur

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Près de cinq cent gendarmes et policiers vont être déployés à Mayotte pour lancer l’opération dite Wuambushu, initiée par le ministère de l’Intérieur. Celle-ci vise la destruction des habitats informels et la lutte contre l’immigration irrégulière. Les contours encore flous de cette opération qui s’apprête à débuter inquiètent, dans un territoire régulièrement objet de politiques violentes en matière d’immigration et d’accès aux droits des plus vulnérables.

 Dans le quartier où habite Abdul, réfugié à Mayotte, « à 15 mètres de la route, il y a une petite montagne avec des maisons en tôle ». Ce type d’habitations informelles est dans le viseur de l’opération dite Wuambushu, révélée par le Canard Enchaîné fin février. Trois objectifs sont affichés : la lutte contre l’immigration clandestine, contre l’habitat insalubre, et le démantèlement des bandes. Près de cinq cent gendarmes et policiers vont être déployés. Ce dimanche, des rassemblements de protestation avaient lieu dans plusieurs villes de France.

Sur place, les contours flous alimentent les craintes. Qui sera concerné par les renvois, combien d’habitations seront détruites, quel quartier après l’autre ? Autant de questions qui demeurent sans réponse. L’exécutif garde le silence sur l’opération depuis les révélations successives des médias. « Ça a commencé par des rumeurs ; puis ça s’est confirmé par des infos sur les radios, les télévisions », retrace Ali, enseignant au collège sur l’île.

Abdul, lui, est un membre actif du comité des demandeurs d’asile de Mayotte. Ces dernières semaines, il a vu nombre de ses compagnons partir vers la métropole. « Il y avait des rumeurs sur une mission du ministre de l’Intérieur. Certains parlaient de 200 gendarmes, d’autres 500, pour « retourner les clandestins chez eux »… Des gens d’ici disaient aussi qu’ils feraient des chasses à l’homme pour les Africains. La majorité des gens autour de moi ont eu peur : ils se sont dits qu’il fallait mieux partir », raconte-t-il.

Destruction des habitats : « certains sont là depuis des années »

L’objectif de destruction de l’habitat informel recouvre à lui seul de multiples réalités. « Quand il est question de « décasage », cela ouvre beaucoup d’incertitudes : où seront gardés les biens ? Où seront relogés les gens ? Quelles arrestations auront lieu ? », s’interroge Ali. Dans ces habitats, « il y a des enfants, des malades, toutes catégories de population », rappelle l’enseignant. Les communautés y sont assez diverses, bien qu’une majorité de ressortissants des Comores y vivent.

À Mayotte, des opérations de destruction des bidonvilles sont déjà menées par le préfet, dans le cadre de la loi Elan notamment, une fois par mois environ. Régulièrement, des habitants et associations dénoncent l’absence de relogement effectif. Les enfants risquent d’en pâtir particulièrement, alerte l’Unicef, qui a produit une note à destination des pouvoirs publics sur le sujet fin mars. Dans cette note, consultée par Rapports de Force, l’Unicef « s’inquiète de l’impact que cette opération d’envergure risque d’avoir sur la réalisation des droits des enfants les plus vulnérables présents sur ce territoire ».

La convention internationale des droits de l’enfants, ratifiée par la France, « est très claire : il y a un droit à un hébergement, à un toit, à des conditions de vie dignes. On constate déjà qu’il n’y a aucune proposition de relogement pour les familles considérés en situation irrégulière. Or les enfants ne doivent pas en pâtir, car un enfant n’est jamais en situation irrégulière », expose Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer outre-mer pour l’Unicef. « Nous demandons l’accès à un toit, peu importe la situation administrative ».

L’organisation des Nations Unies demeure également en alerte sur la santé mentale des plus jeunes. La destruction des habitats « n’est pas vécue de la même façon dans les yeux d’un adulte que dans les yeux d’un enfant. Elle est traumatisante : ils la vivent avec une violence extrême », insiste la chargée de plaidoyer.

 À la rentrée, « on ne sait pas si l’on aura tous nos élèves »

 À Mayotte, les vacances démarrent ce samedi. L’opération doit démarrer ce même jour, qui signe également la fin du ramadan. Et durer deux mois environ. « On ne sait pas si la reprise de l’école va être normale, si l’on aura tous nos élèves ou pas… », s’inquiète Ali. Difficile de se mobiliser entre enseignants et d’apporter des réponses aux jeunes. « Les élèves soulèvent cette problématique, mais on est très limités dans nos interventions. Nous n’avons pas assez d’éléments… ça vient du haut, du gouvernement », soupire l’enseignant.

L’inquiétude du corps enseignant est partagée par l’Unicef. Aujourd’hui, entre 5 3000 et 9 500 enfants sont déjà non scolarisés à Mayotte, selon une étude inédite parue en février 2023. « L’opération risque d’amplifier ce phénomène de non-accès à la scolarisation », analyse Mathilde Detrez.

En règle générale, les documents de diagnostic social réalisés en amont des opérations de démolition contiennent « peu d’informations sur la composition du foyer, sur la présence d’enfants, sur les lieux de scolarisation de ces derniers… Avec pour conséquence des ruptures dans l’accès à l’éducation », explique encore la responsable de l’Unicef.

 Reconduites à la frontière

 Les modalités de lutte contre l’immigration, autre objectif de l’opération, restent flous également. « On se demande exactement qui est concerné par les reconduites à la frontière. Cela sème le doute parmi la population », expose Ali. Plusieurs cas de familles séparées par des renvois ont déjà été documentés par des médias et des observateurs des droits. Avec cette nouvelle opération, « les enfants scolarisés seront-ils reconduits avec leurs parents ? »

La Cour européenne des droits de l’Homme a plusieurs fois condamné la France pour des pratiques illégales concernant l’enfermement et le renvois d’enfants. Modification des dates de naissance des mineurs, rattachement arbitraire à des adultes tiers qui ne sont pas leurs parents afin de valider la rétention… Plus de 3 000 mineurs ont été enfermés au CRA de Mayotte en 2021. « Le renforcement inédit des forces de l’ordre sur place va augmenter les contrôles d’identité. Donc augmenter ces pratiques illégales de rattachement arbitraires, ou d’évaluations hâtives de l’âge », craint Mathilde Detrez.

 « J’ai peur qu’il y ait des morts »

 Certains habitants craignent que la situation ne s’enflamment. « On a peur que ça multiplie les violences », affirme Abdul, le membre du comité des demandeurs d’asile de Mayotte. « Les gens d’ici, la manière dont ils en parlent, ça se voit que ça va être violent. Ils disent « qu’ils se préparent », qu’ils n’accepteront pas ». Ce réfugié craint aussi que les attaques racistes envers les ressortissants africains, ou les tensions entre communautés, soient exacerbées.

Ali, l’enseignant, confirme cette peur des violences, au vu des réactions circulant parmi les jeunes de son collège. « Un « décasage », c’est de force. J’ai peur qu’il y ait des morts. Si les gens ne sont pas informés, ils ne vont pas se laisser faire ».

Car les habitats informels ne datent pas d’hier. Ils sont détruits au fil des opérations menées par la préfecture de Mayotte ; puis reconstruits, au vu et au su des autorités. Comme dans un cycle ininterrompu. « Tous ces gens ne se sont pas là installés depuis une semaine. Ils sont parfois là depuis des années. La solution à cette problématique ne peut pas être aussi brusque, soudaine ! », argumente Ali.

 Coupures de l’accès aux soins pour les étrangers

 Dans ce contexte implosif, il y a une semaine, le 13 avril, le conseil départemental de Mayotte a voté l’interdiction de l’accès à la Protection maternelle et infantile (PMI) aux personnes étrangères non couvertes par la sécurité sociale. Difficile de dire si ce timing a été mesuré. Toujours est-il que cette décision « intervient avant le déploiement des 500 forces de l’ordre pour l’opération. Cela reste une décision problématique en termes d’accès aux soins des mères et des enfants », réagit Mathilde Detrez. La responsable de l’Unicef y voit une continuité avec d’autres dérogations dans l’accès aux soins. Mayotte est, par exemple, le seul territoire français il n’existe pas d’Aide médicale d’État.

En attendant ces cascades de conséquences, la population de Mayotte reste suspendue au lancement de l’opération. « Il faudrait que le mode opératoire soit dévoilé », s’impatiente Ali, « sinon quoi ? Les gens vont se réveiller le matin, avec les gendarmes devant leur porte pour les faire sortir ? Chasser en masse et détruire le tissu social n’est pas une solution ».

  publié le 9 avril 2023

Israël : l’état de droit et
les droits des Palestiniens

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Nous nous réjouissons qu’après des semaines de mobilisation, le peuple israélien ait obtenu de son premier ministre la suspension de la réforme du système judiciaire. Celle-ci visait notamment à un considérable affaiblissement des pouvoirs de la Cour suprême. Dans ce pays dépourvu de Constitution, cette haute institution fait office de contre-pouvoir face au gouvernement.

La motivation première de M. Netanyahou était de pouvoir se protéger lui-même alors qu’il est poursuivi par la justice pour un triple chef d’accusation : « corruption », « abus de pouvoir » et « fraude financière ». Il est d’ailleurs revenu aux affaires pour tenter d’échapper à ses juges. Et, pour y parvenir, il s’est associé aux plus extrémistes de la droite raciste, suprémaciste, ultraorthodoxe, ultranationaliste et colonisatrice du spectre politique israélien.

Cette alliance, porte tout à la fois une théocratie juive et l’annexion totale de la Cisjordanie afin de faire disparaître la Palestine comme l’a expliqué le sinistre ministre des finances, en déplacement à Paris, il y a quelques semaines.

Ce même ministre Smotrich se définissant lui-même comme « un fasciste homophobe » appelait il y a quelques semaines à raser un village Palestinien est toujours en fonction, quand celui de la défense qui a osé critiquer la réforme judiciaire s’est fait limoger d’un claquement de doigt.

Quant au ministre de l’éducation, il envisage comme en Turquie ou en Hongrie de nommer les directeurs de la bibliothèque nationale. On sait ce que signifie, là comme ailleurs, le contrôle par un pouvoir politique de la diffusion des livres et des connaissances. Nous sommes donc ardemment aux côtés des démocrates et des progressistes israéliens refusant ce glissement du régime vers l’autoritarisme fascisant et un colonialisme renforcé. Ce mouvement peut porter loin, parce qu’il s’inscrit dans le combat universel pour la démocratie et les libertés.

Cependant, contre le parti des colons de Cisjordanie, le parti de l’annexion qui domine la majorité gouvernementale, nous sommes fondés à considérer que le « mouvement pour la démocratie en Israël » ne peut occulter une terrible réalité : Les Palestiniens de Jérusalem, ceux qui vivent sous occupation, ceux qui sont réfugiés ou habitants de Gaza sont les premières victimes de ce gouvernement d’extrême droite. Et, leur terrible sort ne date pas d’hier !

Les Palestiniens de citoyenneté israélienne sont victimes d’une multitude de discriminations qui font système. Au cours de l’année passée, cent-quarante-six Palestiniens ont été tués et déjà près de quatre-vingt-dix autres l’ont été depuis le début de cette année. Le mur de séparation s’allonge, la colonisation ôte maisons, eau, villages aux Palestiniens qui, quand ils ont l’outrecuidance de protester, sont traités en criminels, emprisonnés quand leur village n’est pas brûlé. Gaza étouffe sous un blocus qui n’en finit pas.

Cette vie insupportable faite aux Palestiniens, que nous décrivons ici, n’a pas commencé avec ce gouvernement d’extrême droite. Cela fait longtemps que Salah Hamouri a connu, sans jugement, la prison comme des centaines de femmes et d’enfants. Et, le député Marwan Barghouti est enfermé depuis des dizaines d’années.

De loin en loin, comme dans d’autres pays, le refus de respecter les résolutions de l’ONU, qui ont défini des frontières pour deux États vivant côte à côte avec Jérusalem-Est comme capitale de L’État palestinien, aboutit à cette fuite en avant, que les opposants actuels au pouvoir Israélien qualifient de « fasciste ».

La complicité des dirigeants Américains et Européens dans ces violations du droit international -qui promeut justice, démocratie, autodétermination des peuples et souveraineté territoriale - est totale. Il porte une lourde responsabilité dans l’insupportable engrenage niant ces principes et ces valeurs.

Tous les dispositifs mis en œuvre pour nier les droits des Palestiniens à vivre sur leur terre, à construire leur État, ont été mis en place et légitimés par des gouvernements travaillistes comme de droite et validés par la cour suprême - dont le peuple défend à juste titre aujourd’hui l’existence -, depuis le premier jour de la fondation de L’État d’Israël.

Le nouveau régime politique trouve sa genèse dans des processus politiques ; dans l’histoire même d’Israël qui lui vaut d’être qualifié «  de régime d’apartheid » à l’organisation des Nations Unis. Un pouvoir qui fait occuper un autre pays, ne respecte pas les droits humains et le droit international ne peut être qualifié de « démocratique ». Hiérarchiser les droits des citoyens à partir de critères ethniques, réprimer et violer les droits de la population occupée, expulser les familles de leur maison et les paysans de leur terre, coloniser est l’exact contraire du respect de la personne humaine et de sa liberté. Voilà pourquoi les forces démocratiques qui proposent d’articuler Le mouvement en cours en Israël avec celui de la lutte contre l’occupation et la colonisation afin qu’Israéliens et Palestiniens puissent bâtir deux États démocratiques, souverains, libres coopérant entre eux sont porteurs d’une nouvelle visée émancipatrice.

Les combats en cours doivent s’épauler, s’articuler, se conjuguer : ceux d’une constitution démocratique pour Israël et ceux portant la fin de la colonisation-annexion permettant aux Palestiniens de construire leur État.

 

publié le 9 avril 2023

Au Proche-Orient, « l’ouverture du front libanais représente un risque immense pour Israël »

Joseph Confavreux sur www.mediapart.fr

L’affrontement entre Israël et les Palestiniens, déjà intense en Cisjordanie, s’étend désormais à Gaza mais aussi au Liban. La chercheuse Leila Seurat, spécialiste du Hamas, analyse cette escalade sans précédent depuis 2006.

IsraëlIsraël a lancé vendredi son aviation à la fois sur le Liban et sur Gaza, après avoir essuyé des dizaines de tirs de roquettes en provenance de ces territoires, dont la plupart ont été interceptées, même si certaines ont réussi à franchir la défense antiaérienne et occasionné quelques dégâts matériels.

Ces tirs de roquettes, déclenchés alors que la Pâque juive venait de débuter, étaient eux-mêmes la conséquence des affrontements violents qui avaient eu lieu sur l’esplanade de la mosquée al-Aqsa. Celle-ci constitue à la fois l’épicentre et la ligne rouge du conflit entre Israël et les Palestiniens, et notamment le Hamas, accusé par les autorités israéliennes d’être à l’origine des récents tirs de roquettes.

Vendredi soir, un touriste italien a été tué et sept autres personnes ont été blessées dans un attentat à la voiture-bélier dans le centre de Tel-Aviv.

Leila Seurat est chercheuse au Centre arabe de recherches et d’études politiques (Carep Paris) et chercheuse associée au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). Elle a publié en 2015, aux éditions du CNRS, Le Hamas et le monde et tout récemment, chez ce même éditeur, une anthologie d’Écrits politiques arabes, cosignée avec Jihane Sfeir. 

Mediapart : Quelle analyse faites-vous de la situation présente ? Quel est le rôle du Hamas dans cet affrontement ?

Leila Seurat : La situation actuelle ressemble à du déjà-vu. En 2021, Israël s’était déjà attaqué à la mosquée al-Aqsa en plein mois de ramadan. Le même scénario s’est déroulé avant-hier [le 5 avril – ndlr], avec des interventions israéliennes d’une violence inouïe à l’intérieur de la mosquée, suivies par une vague d’arrestations sans précédent, avec près de 400 personnes interpellées.

À cette situation d’une extrême violence symbolique et physique, le Hamas a répondu par des tirs de roquettes depuis Gaza le mercredi 5 avril. Jeudi 6, la réponse est venue depuis le Liban.

Si le Hamas occupe certes une place centrale dans cette confrontation, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une lutte de libération nationale, ce qui signifie que tous les Palestiniens soutiennent l’action du Hamas, y compris les membres des autres factions.

Par ailleurs, la défense d’al-Aqsa n’est pas seulement un enjeu pour les Palestiniens, elle l’est de surcroît pour tous les Arabes et musulmans.

Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle guerre entre Israël et les mouvements palestiniens ? Quelle est la place du Hamas, dont la spécificité est de ne pas se centrer uniquement sur Gaza mais de se situer aussi au Liban ? 

Leila Seurat : Le fait de se situer au Liban n’est pas une spécificité du Hamas mais de toutes les factions palestiniennes, qui sont également présentes dans les autres pays frontaliers d’Israël. Mais il est clair que depuis 2017, le réchauffement des relations entre le Hamas, la Syrie et l’Iran a renforcé la coopération entre ce « front du refus » (« al moumanaa »), qui intègre également le Hezbollah. Ce front avait été mis à mal un certain temps, dans la période post-2011, lorsque le Hamas avait pris ses distances avec le régime de Bachar al-Assad.

Il est difficile de présager de la suite, d’autant que ce qui semble en jeu ici n’est pas seulement une riposte contre Gaza, mais aussi une opération de représailles contre le Sud-Liban, puisque c’est depuis ce territoire que 30 roquettes ont été tirées jeudi après-midi.

Pour l’instant, la réponse israélienne est restée concentrée sur des cibles du Hamas dans la bande de Gaza et au Liban Sud. Les frappes israéliennes n’ont touché aucune cible civile à Gaza, signe qu’Israël souhaite éviter l’escalade.

En envahissant la mosquée d’al-Aqsa pendant la prière du tarawih, Israël a de nouveau provoqué l’affrontement.

Il est possible que le Hamas soit à l’origine de ces tirs. Si cela était avéré, cette action s’inscrirait sans aucun doute dans le renouvellement stratégique du Hamas visant à multiplier les fronts (« jabhat mouta’dida ») et à éviter que Gaza reste dans un face-à-face avec Israël, comme lors des agressions israéliennes de 2009-2012-2014.

Il est toutefois clair que cette opération du Hamas, si elle était confirmée, n’aurait pas été possible sans concertation ou accord tacite de la part du Hezbollah qui contrôle l’intégralité du Sud-Liban et doit donc donner son feu vert. Hassan Nasrallah lui-même a affiché son soutien aux Palestiniens victimes de la répression israélienne à al-Aqsa.

Notons que si les communiqués officiels israéliens parlent de 30 roquettes tirées par les factions palestiniennes depuis le Liban, les annonces faites ce jeudi [5 avril] à midi parlaient alors de 100 roquettes tirées en moins de dix minutes. Cette incohérence semble témoigner d’une volonté des Israéliens d’exagérer l’agression.

Qu’est-ce qui a changé par rapport à 2021, où vous notiez, dans une tribune, l’envergure surprenante de la réponse du Hamas ? 

Leila Seurat : Ce qui a changé par rapport à 2021, c’est d’abord l’ouverture du front libanais, qui est fondamentale et représente un risque immense pour Israël, qui garde en tête le traumatisme de la guerre de l’été 2006. Ces tirs de roquettes pourraient illustrer une coordination avec l’Iran, puisqu’on sait que deux gardiens de la révolution islamique ont récemment été assassinés par Israël en territoire syrien.

L’autre élément notable est la prégnance des divisions internes à l’establishment israélien. Nétanyahou a été accusé hier d’être responsable de cette situation et a mis plusieurs heures avant de réunir les différents appareils de sécurité pour trouver une réponse appropriée. Il s’agit de la première réunion de défense depuis deux mois, et ce alors que le ministre de la défense, Yoav Galant, vient d’être démis de ses fonctions.

Jouer l’unité nationale sur le dos des Palestiniens ne semble plus fonctionner comme auparavant. Mais ces affrontements confirment également de vieux schémas.

En envahissant la mosquée d’al-Aqsa pendant la prière du tarawih, Israël a de nouveau provoqué l’affrontement. Les violences ont été encore bien supérieures à celles de mai 2021. Nous pourrions certes insister sur le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays ; mais il y a aussi là clairement un leitmotiv et une instrumentalisation de la violence contre les Palestiniens à des fins de politique intérieure.

Nétanyahou a récemment connu une vague de protestations contre ses pratiques autoritaires et le limogeage de son ministre de la défense ; il est également sous le joug de lourdes accusations de corruption.

Ces lectures tronquées par le prisme du “tout-religieux” sont désormais mises à mal. [...] On peut affirmer sans hésitation qu’il ne s’agit pas d’un problème de religion.

Ce qui se passe actuellement confirme aussi que ce qui s’est passé lors de la bataille de l’« Épée de Jérusalem » en mai 2021, qui avait déjà opposé les factions unifiées de la résistance palestinienne à Israël. Hier soir, on a de nouveau vu des affrontements entre des Palestiniens de 48 [Palestiniens ayant la nationalité israélienne – ndrl] et la police israélienne en Israël, dans les villes d’Umm al-Fahm et de Nazareth, ce qui rappelle fortement les scènes de mai 2021.

Tout cela confirme que la bataille de mai 2021 a bien représenté l’ouverture d’un nouveau chapitre. L’« Épée de Jérusalem » a prouvé à tous les Palestiniens, peu importe leur situation économique et sociale, qu’ils étaient concernés par un destin commun autour d’al-Aqsa. Aujourd’hui, en réponse aux raids israéliens dans la mosquée d’al-Aqsa, deux Palestiniens dans la région de Jéricho s’en sont pris à une voiture portant des plaques israéliennes, tuant l’un de ses passagers.

Plus généralement, que diriez-vous de l’attitude du Hamas vis-à-vis du nouveau gouvernement Nétanyahou emmené par des ministres suprémacistes juifs ?

Leila Seurat : Cette droitisation de la scène politique israélienne et le fait que deux ministres soient des colons ne font que confirmer la lecture du Hamas selon laquelle Israël ne fera jamais aucun compromis. La judaïsation de Jérusalem, les expropriations et la répression contre al-Aqsa s’inscrivent dans un dessein cohérent, qui remonte au moins à l’occupation de Jérusalem-Est en 1967.

Ces évolutions ne sont donc pas problématiques pour le Hamas, puisque ce mouvement a toujours misé sur le temps long et la patience (sabr) dans la lutte contre Israël d’une part, mais aussi parce que la « fascisation » d’Israël permet aux Palestiniens de gagner de nouveaux soutiens d’autre part.

Il est commun d’entendre que l’échec du processus de « paix » serait le résultat d’une radicalisation des religieux des deux bords. Nombreux sont ceux qui, dans les années 1990, mettaient le Likoud et le Hamas dos à dos pour expliquer l’échec d’Oslo.

Faut-il désormais mettre Bezalel Smotrich, suprémaciste juif et ministre des finances, dos à dos avec le Hamas ? Ces lectures tronquées par le prisme du « tout-religieux » sont désormais mises à mal. Si Israël cherche visiblement à transformer ce conflit en guerre de religion, on peut affirmer sans hésitation qu’il ne s’agit pas d’un problème de religion.

Comment expliquer que le cœur de la résistance palestinienne contemporaine semble avoir basculé de Gaza à la Cisjordanie ces derniers mois ? 

Leila Seurat : Il est difficile de dire que le cœur de la résistance se trouvait Gaza. Certes, Gaza a le plus grand nombre de réfugiés palestiniens, et deux tiers des Gazaouis sont des réfugiés. Il est vrai aussi que Gaza a historiquement joué un rôle important comme bastion des fedayin.

Mais Gaza, depuis le blocus, est une enclave où les possibilités de circulation sont quasi nulles. La présence du Hamas à Gaza a sans doute donné cette image, ainsi que la persévérance (sumud) des Gazaouis. Mais le terrain de la lutte armée en Palestine est la Cisjordanie plutôt que Gaza, et le Hamas a pris conscience de cela depuis bien longtemps.

Depuis 2017, le Hamas a entièrement réévalué sa stratégie militaire afin de ne pas rester enfermé dans un tempo de confrontations imposées par Israël. Ainsi, le Hamas a choisi d’ouvrir l’affrontement avec Israël en mai 2021 lors de l’opération « Épée de Jérusalem ». Il peut aussi opter pour l’accalmie, voire se présenter comme un médiateur utile lors de la confrontation entre Israël et le Jihad islamique en août 2022.

Sans être connectée aux factions politiques, la jeunesse de Naplouse et Jénine qui, depuis l’année dernière, s’est montrée particulièrement investie dans la résistance armée, pourrait constituer un « front » supplémentaire et efficace dans la stratégie d’union et de partage des tâches entre Gaza et la Cisjordanie.  

Quelles sont les marges d’action et la stratégie actuelles du Hamas par rapport à l’Autorité palestinienne ? Jusqu’à quel point le Hamas est-il présent et actif en Cisjordanie ? 

Leila Seurat : La lutte armée est la source de légitimité première de toutes les factions palestiniennes, en particulier pour le Hamas. Le Hamas a conscience de cela et sait qu’il peut gagner un soutien populaire intérieur face au Fatah.

C’est aussi face à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) que le Hamas agit puisque, depuis 2018, il met tous ses efforts dans l’activation d’une chambre commune des opérations de la résistance à Gaza, prémices d’une armée de libération qui réunirait toutes les factions palestiniennes, y compris la branche armée du Fatah. Cette chambre favorise la diffusion d’une culture de la résistance, formule des objectifs communs, prend des décisions communes.

Le Hamas est présent politiquement en Cisjordanie à travers la figure de Saleh Arouri ; sa branche militaire est également présente. Si les jeunes de « la Fosse aux lions » à Naplouse ne se réclament pas du Hamas ni d’aucune faction, il arrive pourtant que l’identité partisane soit dévoilée. On a pu ainsi voir que, parmi ces jeunes, nombreux sont ceux qui étaient précédemment affiliés au Hamas ou le sont toujours.

Les relations à l’origine exécrables entre le Hamas et l’Égypte du maréchal Sissi, qui voyait dans le Hamas une simple émanation de son ennemi juré que sont les Frères musulmans, ont-elles évolué et modifié la situation à Gaza ?

Leila Seurat : Ces relations sont assez bonnes. Sans modifier la situation à Gaza, car elle garde régulièrement le passage de Rafah fermé, l’Égypte reçoit très régulièrement les dirigeants du Hamas, puisque Le Caire joue un rôle de médiateur incontournable dans la « réconciliation » entre le Fatah et le Hamas – récemment supplanté sur ce plan par l’Algérie –, mais aussi et toujours dans les négociations de trêve avec Israël.

En août 2022, l’Égypte a d’ailleurs réuni un sommet à Aqaba en présence des Israéliens, Jordaniens et Américains, confirmant la coordination entre l’Autorité palestinienne et Israël, et surtout le rôle de la Jordanie sur les lieux saints de l’islam, conformément au statu quo depuis 1967.

Malgré cet accord, Israël continue ses agressions contre al-Aqsa. Cette politique du pire pourrait être sans aucun doute coûteuse du point de vue diplomatique. Les soutiens traditionnels d’Israël, comme les États-Unis ou le Canada, se sont en effet montrés très critiques.

  publié le 6 avril 2023

Jérusalem. Provocations à al-Aqsa, la Palestine prête à exploser

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Plus de 350 Palestiniens ont été arrêtés par la police israélienne, ce mercredi, sur l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem. Le ministre fasciste Ben Gvir, en mauvaise posture politique, appelle à « arracher des têtes à Gaza ». Les territoires occupés sont en ébullition.

Qui a intérêt à un embrasement à Jérusalem, en Cisjordanie et à Gaza en pleine période de ramadan et à la veille de la Pâque juive ?

La police israélienne est entrée en force dans la mosquée al-Aqsa de Jérusalem, sur l’esplanade des Mosquées, avant l’aube, ce mercredi 5 avril. Plus de 350 Palestiniens qui se trouvaient là pour prier ont été arrêtés.

Les explications alambiquées des autorités israéliennes

Les policiers ont fait irruption « brisant des portes et des fenêtres », alors que des fidèles y étaient rassemblés pour prier la nuit, a raconté à l’AFP Abdelkarim Ikraiem, un Palestinien de 74 ans qui était sur place. Ils étaient munis de « bâtons, d’armes, de grenades de gaz lacrymogène et de fumigènes » et ont frappé des fidèles, a-t-il affirmé.

La police israélienne, de son côté, a dénoncé l’action de « hors-la-loi » et d’ « émeutiers » masqués dans la mosquée. « Ces meneurs s’y sont barricadés plusieurs heures après les dernières prières du soir afin d’attenter à l’ordre public et de profaner la mosquée », tout en y scandant « des slogans incitant à la haine et à la violence », ajoute-t-elle dans un communiqué.

Une explication si alambiquée que les autorités israéliennes ont été jusqu’à diffuser une vidéo montrant des explosions qui ressemblent à des feux d’artifice tirés depuis l’intérieur du lieu de culte. Sur les images, on distingue également des silhouettes lançant des pierres. Sur d’autres vidéos, des agents antiémeute semblent avancer en se protégeant avec des boucliers des batteries de feux d’artifice qui jonchent le sol et l’on voit des policiers évacuer au moins cinq personnes les mains menottées dans le dos.

À l’intérieur de l’enceinte, seuls les musulmans sont autorisés à prier

Le Croissant-Rouge a annoncé que 12 Palestiniens avaient été blessés lors du raid, notamment par des balles en caoutchouc et des passages à tabac, lors d’affrontements avec la police. L’association médicale en Palestine a dénoncé le fait que les forces israéliennes avaient empêché ses médecins d’atteindre la zone.

« Dans la cour à l’est de l’enceinte, la police a tiré des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes, c’était une scène que je ne peux pas décrire », a déclaré à Reuters Fahmi Abbas, un fidèle de la mosquée. « Puis ils ont fait irruption et ont commencé à frapper tout le monde. Ils ont arrêté des gens et ont mis les jeunes hommes face contre terre pendant qu’ils continuaient à les frapper. »

Immédiatement après, depuis la bande de Gaza, le Hamas a appelé les Palestiniens « à se rendre en masse à la mosquée al-Aqsa pour la défendre », dénonçant un « crime sans précédent » des forces israéliennes.

Nombreuses restrictions israéliennes sur l’accès des fidèles musulmans au site

Des roquettes ont été tirées dans la nuit vers le territoire israélien entraînant une riposte de l’armée israélienne. Si, mercredi matin, le calme était revenu sur le site, les forces israéliennes continuaient à filtrer les entrées. Mais des visiteurs juifs escortés par la police ont brièvement parcouru l’esplanade.

En vertu de l’arrangement de longue date sur le statu quo régissant ce lieu saint (qui se trouve dans la partie orientale et occupée de la ville), qu’Israël est censé maintenir, les non-musulmans peuvent le visiter mais seuls les musulmans sont autorisés à prier dans l’enceinte de la mosquée.

Or, les visiteurs juifs, la plupart du temps des colons, vont de plus en plus prier plus ou moins ouvertement sur le site au mépris de ces règles. Les nombreuses restrictions israéliennes sur l’accès des fidèles musulmans au site ont conduit, à plusieurs reprises ces dernières années, à des protestations et à des flambées de violence.

En 2021, des affrontements ont ainsi contribué à déclencher une guerre de dix jours avec Gaza. C’est également sur cette même esplanade des Mosquées qu’Ariel Sharon, en 2000, avait fait son ultime provocation menant à la seconde Intifada, dite d’al-Aqsa.

Des « lignes rouges» dénoncées par l’autorité palestinienne

Les événements de mercredi pourraient aboutir à la même chose. Car les territoires palestiniens restent sous tension après les raids meurtriers de l’armée israélienne à Jénine et Naplouse, notamment, et ceux de colons dans le village de Huwara, au nord de Jérusalem.

Le gouvernement israélien, dirigé par Benyamin Netanyahou, est dominé par deux figures d’extrême droite, Bezalel Smotrich, ministre des Finances, qui vit dans une colonie, et Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité intérieure. Ce dernier a, entre autres, la police sous ses ordres et vient de négocier la mise sous son contrôle d’une future garde nationale.

Accusant les personnes délogées d’avoir agi afin de « blesser et d’assassiner des policiers et de blesser des citoyens israéliens », Ben Gvir a félicité la police pour « son action rapide et déterminée ». Il a appelé à une réponse sévère d’Israël et demandé la convocation d’une réunion du cabinet de sécurité.

« Les roquettes du Hamas nécessitent plus que le dynamitage des dunes et des sites vides. Il est temps d’arracher des têtes à Gaza. Nous ne devons pas dévier d’une équation qui nécessite une réponse sérieuse pour chaque fusée », a-t-il lancé dans un tweet.

Ce même gouvernement israélien est en mauvaise posture. Depuis plus de trois mois, son projet de réforme judiciaire visant à priver la Cour suprême de tout pouvoir reste contesté partout dans le pays. Des manifestations massives ont abouti à une « pause », comme l’a annoncé Netanyahou, et à des négociations avec les différents partis de la Knesset.

Mais cette réforme fait partie du fondement même de la coalition au pouvoir. Celle-ci, majoritaire au Parlement israélien, entend promulguer ses lois sans contre-pouvoir – la Cour suprême –, et notamment légaliser l’annexion des territoires palestiniens.

Une révolte dans ces territoires permettrait une fois de plus à Benyamin Netanyahou et ses ministres se réclamant du suprémacisme juif de se maintenir au pouvoir en brandissant le drapeau sécuritaire et celui de la survie d’Israël. À cette aune, toutes les manipulations sont possibles.

La direction de l’Autorité palestinienne a prévenu que le franchissement par Israël des « lignes rouges » sur les lieux saints risquait de provoquer une « explosion ». De son côté, la Ligue arabe a déclaré que les « approches extrémistes » d’Israël conduiraient à des affrontements plus larges avec les Palestiniens s’ils n’étaient pas arrêtés.


 


 

Les forces israéliennes attaquent des fidèles lors d’un raid dans la mosquée Al-Aqsa

sur https://www.france-palestine.org/

Les forces israéliennes tirent des grenades assourdissantes et arrêtent des fidèles à l’intérieur de la mosquée, suscitant la condamnation des Palestiniens.

La Ligue arabe s’apprête à tenir une réunion d’urgence pour discuter de l’attaque de la police israélienne contre la mosquée d’Al-Aqsa à Jérusalem, qui a fait au moins 12 blessés palestiniens, alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré qu’il s’efforçait de "maintenir le statu quo" sur le lieu saint.

La réunion de la Ligue arabe a été convoquée par la Jordanie, l’Égypte et des responsables palestiniens, les tensions restant vives à Jérusalem depuis que la police israélienne a attaqué des fidèles dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa dans la nuit de mercredi à jeudi, pendant le mois sacré du ramadan.

Les raids se sont poursuivis dans la matinée, lorsque les forces israéliennes ont de nouveau été vues en train d’agresser et de pousser les Palestiniens hors de l’enceinte et de les empêcher de prier, avant que les Israéliens ne soient autorisés à entrer sous la protection de la police.

La Ligue des droits de l’homme avait déjà condamné l’attaque, le secrétaire général Ahmed Aboul Gheit déclarant dans un communiqué : "Les approches extrémistes qui contrôlent la politique du gouvernement israélien conduiront à des confrontations généralisées avec les Palestiniens s’il n’y est pas mis un terme".

Selon des responsables palestiniens ,au moins 400 Palestiniens ont été arrêtés mercredi et sont toujours détenus par Israël. Ils sont détenus dans un poste de police à Atarot, dans la partie occupée de Jérusalem-Est.

Des témoins palestiniens ont déclaré que les forces israéliennes avaient eu recours à une force excessive, notamment à des grenades assourdissantes et à des gaz lacrymogènes - qui ont fait suffoquer les fidèles- ainsi qu’à des coups de matraque et de fusil.

"Nous faisions l’itikaf [retraite spirituelle musulmane] à Al-Aqsa parce que c’est le Ramadan", a déclaré Bakr Owais, un étudiant de 24 ans qui a été arrêté. "L’armée a brisé les fenêtres supérieures de la mosquée et a commencé à nous lancer des grenades assourdissantes [...] Ils nous ont fait nous allonger sur le sol, nous ont menottés un par un et nous ont tous fait sortir. Ils n’ont cessé de nous insulter pendant tout ce temps. C’était extrêmement barbare.

Le Croissant-Rouge palestinien a indiqué que trois des blessés avaient été transférés à l’hôpital. Il a également déclaré dans un communiqué que les forces israéliennes avaient empêché ses médecins d’atteindre Al Aqsa.

"J’étais assise sur une chaise et je récitais [le Coran]", a déclaré une femme âgée à l’agence de presse Reuters - alors qu’elle était assise à l’extérieur de la mosquée et qu’elle avait du mal à reprendre son souffle. "Ils ont lancé des grenades assourdissantes, l’une d’entre elles m’a touchée à la poitrine", a-t-elle ajouté en se mettant à pleurer.

La police israélienne a déclaré dans un communiqué qu’elle avait été contrainte de pénétrer dans l’enceinte de la mosquée après que des "agitateurs masqués" s’y soient enfermés avec des feux d’artifice, des bâtons et des pierres.

"Lorsque la police est entrée, elle a été la cible de jets de pierres et de feux d’artifice tirés depuis l’intérieur de la mosquée par un groupe important d’agitateurs", indique le communiqué, qui précise qu’un policier a été blessé à la jambe.

Dans un communiqué publié plus tard dans la journée de mercredi, M. Netanyahu a déclaré qu’il essayait de calmer la situation à Al-Aqsa.

"Israël s’est engagé à maintenir la liberté de culte, la liberté d’accès à toutes les religions et le statu quo, et ne permettra pas à des extrémistes violents de changer cela", a déclaré M. Netanyahu.

La tension est déjà vive depuis des mois à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupées. Il y a des craintes de nouvelles violences à l’approche d’importantes fêtes religieuses - le mois de jeûne musulman du ramadan et la Pâque juive.

Natasha Ghoneim, d’Al Jazeera, a déclaré que les attaques étaient attendues car des appels ont été lancés sur les réseaux sociaux pour exhorter les Palestiniens à se rendre à Al-Aqsa et à la "défendre contre les occupants".

Un certain nombre de juifs devraient se rendre dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa pendant les heures de visite habituelles des non-musulmans.

"Les visiteurs habituels sont des nationalistes à l’idéologie très conservatrice et, bien que les juifs ne soient pas autorisés à prier dans l’enceinte, leur simple présence est un sujet sensible", a déclaré M. Ghoneim depuis Jérusalem-Est occupée.

Les groupes palestiniens ont condamné les dernières attaques contre les fidèles, qu’ils ont qualifiées de crime.

Le premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, a déclaré dans un communiqué : "Ce qui s’est passé à Jérusalem est un crime majeur contre les fidèles. La prière dans la mosquée Al-Aqsa n’est pas autorisée par l’occupation [israélienne], c’est notre droit.

"Al-Aqsa est aux Palestiniens et à tous les Arabes et Musulmans, et son attaque est une étincelle pour la révolution contre l’occupation", a-t-il ajouté.

La Jordanie, qui assure la garde des lieux saints chrétiens et musulmans de Jérusalem - en vertu d’un accord de statu quo en vigueur depuis la guerre de 1967 - a condamné la prise d’assaut "ostensible" de l’enceinte par Israël.

Le ministère égyptien des affaires étrangères a quant à lui appelé à l’arrêt immédiat de "l’agression flagrante" d’Israël contre les fidèles d’Al-Aqsa.

"Un crime sans précédent"l

Les affrontements à Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam et site le plus sacré du judaïsme - dans lequel il est appelé "mont du Temple" - ont déclenché par le passé des guerres transfrontalières meurtrières entre Israël et les dirigeants du Hamas à Gaza, la dernière remontant à 2021.

Le Hamas a condamné le dernier raid comme "un crime sans précédent" et a appelé les Palestiniens de Cisjordanie "à se rendre en masse à la mosquée Al-Aqsa pour la défendre".

Après les violences à Al-Aqsa, plusieurs roquettes ont été tirées depuis le nord de Gaza en direction d’Israël.

L’armée israélienne a déclaré que cinq roquettes avaient été interceptées par le système de défense aérienne autour de la ville de Sderot, dans le sud d’Israël, et que quatre autres étaient tombées dans des zones inhabitées.

Selon Maram Humaid d’Al Jazeera à Gaza, les avions israéliens ont attaqué plusieurs sites à Gaza, frappant des cibles sur un "site militaire" à l’ouest de la ville et un site dans le camp de réfugiés de Nuseirat au centre de la bande.

À Gaza, des dizaines de manifestants sont descendus dans les rues cette nuit et ont brûlé des pneus.

"Nous jurons de défendre et de protéger la mosquée Al-Aqsa", ont-ils déclaré selon l’agence de presse AFP.

Les Palestiniens considèrent Al-Aqsa comme l’un des rares symboles nationaux sur lesquels ils conservent un certain contrôle. Ils craignent toutefois un lent empiétement de la part de groupes juifs, à l’instar de ce qui s’est passé à la mosquée Ibrahimi (Caveau des Patriarches) à Hébron, où la moitié de la mosquée a été transformée en synagogue après 1967.

Les Palestiniens s’inquiètent également des mouvements israéliens d’extrême droite qui veulent démolir les structures islamiques dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa et construire un temple juif à leur place.

Source : Publié par Al Jazeera - Traduction : AFPS

  publié le 15 mars2023

Hausse des importations d’armes en Europe • Domination accrue des États-Unis sur le commerce mondial des armes

sur https://www.obsarm.info

Communiqué du Sipri Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (en anglais, Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI

(Stockholm, 13 mars 2023) - Les importations d’armes majeures par les États européens ont augmenté de 47 % entre 2013-17 et 2018-22, tandis que le niveau mondial des transferts internationaux d’armes a diminué de 5,1 %. Les importations d’armes ont globalement diminué en Afrique (-40 %), dans les Amériques (-21 %), en Asie et Océanie (-7,5 %) et au Moyen-Orient (-8,8 %) – mais les importations vers l’Asie de l’Est et vers certains États situés dans d’autres zones à forte tension géopolitique ont fortement augmenté. La part des États-Unis dans les exportations mondiales d’armes est passée de 33 à 40 %, tandis que celle de la Russie est passée de 22 à 16 %, selon les nouvelles données sur les transferts internationaux d’armes publiées aujourd’hui par le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).

« Même si les transferts d’armes ont diminué à l’échelle mondiale, ceux vers l’Europe ont fortement augmenté en raison des tensions entre la Russie et la plupart des États européens », souligne Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI. « Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États européens veulent importer plus d’armes, plus rapidement. La concurrence stratégique se poursuit également ailleurs : les importations d’armes par l’Asie de l’Est ont augmenté et celles du Moyen-Orient restent à un niveau élevé. »

Les exportations d’armes américaines et françaises augmentent, celles de la Russie diminuent

Les exportations mondiales d’armes ont longtemps été dominées par les États-Unis et la Russie (constamment premier et deuxième plus grand exportateur d’armes ces trois dernières décennies). Cependant, l’écart entre les deux s’est considérablement creusé, tandis que celui entre la Russie et le troisième exportateur - la France - s’est rétréci. Les exportations d’armes américaines ont augmenté de 14 % entre 2013-17 et 2018-22, les États-Unis représentent 40 % des exportations mondiales d’armes en 2018-22. Les exportations d’armes de la Russie ont chuté de 31 % entre 2013-17 et 2018-22. Sa part dans les exportations mondiales d’armes est passée de 22 % à 16 %, tandis que la part de la France est passée de 7,1 % à 11 %.

Le nombre des principaux destinataires d’armes russes est passé de 10 à 8 entre 2013-17 et 2018-22. Les exportations vers l’Inde, plus grand destinataire d’armes russes, ont chuté de 37 %, tandis que les exportations vers les 7 autres destinataires ont diminué en moyenne de 59 %. Cependant, les exportations d’armes russes ont augmenté vers la Chine (+39 %) et l’Égypte (+44 %), désormais deuxième et troisième destinataire de la Russie.

« Il est probable que l’invasion de l’Ukraine limitera davantage les exportations d’armes de la Russie. En effet, la Russie accordera la priorité à l’approvisionnement de ses forces armées. De plus, la demande des autres États restera faible en raison des sanctions commerciales prises contre la Russie et de la pression croissante exercée par les États-Unis et ses alliés pour ne pas acheter d’armes russes  », précise Siemon T. Wezeman, chercheur principal au Programme Transferts d’armes du SIPRI.

Les exportations d’armes de la France ont augmenté de 44 % entre 2013-17 et 2018-22. La plupart de ces exportations étaient destinées aux États d’Asie, d’Océanie et du Moyen-Orient. L’Inde a reçu 30 % des exportations d’armes françaises en 2018-22. La France a supplanté les États-Unis en tant que deuxième plus grand fournisseur d’armes de l’Inde, après la Russie.

« La France gagne une plus grande part du marché mondial des armes tandis que les exportations d’armes russes diminuent, comme on le voit en Inde, par exemple », souligne Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI. «  Une tendance appelée vraisemblablement à se poursuivre car, fin 2022, la France avait beaucoup plus de commandes d’armements en cours que la Russie.  »

L’Ukraine devient le troisième importateur mondial d’armes en 2022

De 1991 à fin 2021, l’Ukraine a importé peu d’armes majeures. Grâce à l’aide militaire des États-Unis et de nombreux États européens, suite de l’invasion russe en février 2022, l’Ukraine est devenue le 3ème plus grand importateur d’armes majeures en 2022 (après le Qatar et l’Inde) et le 14ème en 2018-22. L’Ukraine représente 2,0 % des importations mondiales d’armes durant cette période de cinq ans.

« En raison de préoccupations liées à la manière dont la fourniture d’avions de combat et de missiles longue portée pourrait aggraver davantage la guerre en Ukraine, les États de l’Otan ont refusé la demande de l’Ukraine en 2022. Dans le même temps, ils ont fourni ces armes à d’autres États impliqués dans un conflit, en particulier au Moyen-Orient et en Asie du Sud », précise Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI.

L’Asie-Océanie demeure la première région importatrice

L’Asie et l’Océanie ont reçu 41 % des transferts d’armes majeures en 2018-22, une part légèrement inférieure à celle de 2013-17. Malgré la baisse globale des transferts vers la région, certains États enregistrent des augmentations et d’autres des diminutions notables. Six États de la région figurent parmi les 10 plus grands importateurs mondiaux en 2018-22 : l’Inde, l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, le Pakistan et le Japon.

Les importations d’armes par les États d’Asie de l’Est ont augmenté de 21 % entre 2013-17 et 2018-22. Celles de la Chine ont augmenté de 4,1 %, la plupart provenant de Russie. Cependant, les augmentations les plus importantes en Asie de l’Est ont été enregistrées par les alliés des États-Unis : la Corée du Sud (+61%) et le Japon (+171%). L’Australie, plus grand importateur d’armes d’Océanie, a augmenté ses importations de 23 %.

« La crainte grandissante de menaces provenant de la Chine et de la Corée du Nord a entraîné une demande croissante d’importations d’armes par le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, notamment pour des armes à longue portée », indique Siemon T. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI. « Le principal fournisseur de ces trois États sont les États-Unis. »

L’Inde reste le premier importateur d’armes au monde, bien que ses importations aient diminué de 11 % entre 2013-17 et 2018-22. Cette baisse est liée à un processus d’approvisionnement complexe, à la diversification des fournisseurs d’armes et à des tentatives pour remplacer les importations par des fabrications locales. Les importations du Pakistan, huitième plus grand importateur d’armes en 2018-2022, ont augmenté de 14 %, la Chine est son principal fournisseur.

Le Moyen-Orient reçoit des armes américaines et européennes de pointe

Trois des 10 principaux importateurs en 2018-22 se trouvaient au Moyen-Orient : l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Égypte. L’Arabie saoudite est le deuxième plus grand importateur d’armes en 2018-22 et a reçu 9,6 % du total des importations mondiales d’armes au cours de cette période. Les importations d’armes du Qatar ont augmenté de 311 % entre 2013-17 et 2018-22, ce qui en fait le troisième plus grand importateur d’armes en 2018-22.

La grande majorité des importations d’armes au Moyen-Orient proviennent des États-Unis (54 %), suivis de la France (12 %), de la Russie (8,6 %) et de l’Italie (8,4 %). Ils comprennent plus de 260 avions de combat avancés, 516 nouveaux chars et 13 frégates. Les États arabes de la seule région du Golfe ont passé des commandes pour plus de 180 avions de combat supplémentaires, tandis que 24 ont été commandés à la Russie par l’Iran (qui n’a reçu pratiquement aucune arme majeure en 2018-22).

Autres développements notables

  • Les importations d’armes par l’Asie du Sud-Est ont diminué de 42 % entre 2013-17 et 2018-22. Cette baisse s’explique, au moins en partie, par le fait que les États absorbent encore les équipements livrés avant 2018. Les Philippines ont résisté à cette tendance, avec une augmentation des importations d’armes de 64 %.

  • Les États européens de l’Otan ont augmenté leurs importations d’armes de 65 % cherchant à renforcer leurs arsenaux face à une menace accrue perçue de la part de la Russie.

  • Entre 2013-17 et 2018-22, les exportations d’armes des États-Unis vers la Turquie ont considérablement diminué en raison de tensions bilatérales. La Turquie est passée de 7ème au 27ème plus grand destinataire d’armes américaines.

  • Les importations d’armes par les États d’Afrique subsaharienne ont chuté de 23 %. L’Angola, le Nigeria et le Mali étant les principaux destinataires. La Russie a supplanté la Chine en tant que plus grand fournisseur d’armes de la sous-région.

  • Les importations d’armes par trois États situés sur le continent américain ont considérablement augmenté : États-Unis (+31 %), Brésil (+48 %) et Chili (+56 %).

  • Parmi les sept premiers exportateurs d’armes au monde - après les États-Unis, la Russie et la France-cinq pays ont vu leurs exportations d’armes chuter : la Chine (-23 %), l’Allemagne (-35 %), le Royaume-Uni (-35 %), l’Espagne (-4,4 %) et Israël (-15 %) - tandis que deux autres ont enregistré de fortes augmentations – l’Italie (+45 %) et la Corée du Sud (+74 %).

Traduction française : Aziza Riahi, Observatoire des armements

publié le 13 mars 2023

Le harcèlement
contre Salah Hamouri
se poursuit en France

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Dix-neuf associations et organisations syndicales ont écrit à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour lui demander de protéger la liberté d’expression et de réunion alors que des pressions s’exercent pour empêcher les villes d’organiser des rencontres avec l’avocat franco-palestinien

Depuis qu’il a été déporté par les autorités israéliennes et revenu en France, Salah Hamouri doit de nouveau affronter les soutiens les plus zélés à Israël. Parmi eux, on ne trouve pas que Meyer Habib, grand copain de Netanyahou et dont les photos le montrent aux côtés de l’actuel ministre d’extrême-droite Bezalel Smotrich.

Il y a d’abord le mininstre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui s’est activé pour faire en sorte qu’une table ronde sur les accords d’Oslo prévue à Lyon en présence de l’avocat franco-palestinien et défenseur des droits humains, ne puisse se tenir. Parlant de « projet mortifère », il laissait entendre qu’une telle réunion relevait de l’antisémitisme.

Les menaces se multiplient via les réseaux sociaux

Le même Darmanin a avait été saisi par un député macroniste, Mathieu Lefèvre. Un parlementaire qui reprend d’ailleurs, sans ciller, des tweets de la « Brigade juive », groupe sioniste ultra-violent. L’attitude des membres de Renaissance est d’ailleurs sans ambiguïté, à l’instar de Deborah Abisror-de Lieme. Candidate dans la 8e circonscription des Français de l’étranger (celle où était élu Meyer Habib qui se représente), elle a, en février dernier, indiqué qu’elle considérait Salah Hamouri comme un « terroriste ».

Tout est fait aujourd’hui pour tenter d’empêcher Salah Hamouri de s’exprimer en France. Les menaces se multiplient via les réseaux sociaux, sans doute encouragées par l’attitude du ministre de l’Intérieur.

Devant cette situation, dix-neuf associations et organisations syndicales ont écrit (voir ci-dessous) à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour lui demander de protéger la liberté d’expression et de réunion, de clarifier la position du gouvernement sur Salah Hamouri, et de renoncer à tout amalgame entre la critique de l’État d’Israël et la lutte légitime contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme.


 


 

Le droit de s’exprimer et de se réunir sur la question palestinienne en France : 19 organisations écrivent à la Première ministre

sur https://www.ldh-france.org/

Lettre ouverte de 19 associations, dont la LDH, et organisations syndicales

Alors que le gouvernement israélien, massivement contesté en Israël même, s’est engagé dans un développement accéléré de la colonisation et une répression sans limite contre les Palestiniens, on assiste en France à des prises de position inquiétantes pour nos libertés : des pressions inadmissibles ont abouti à l’annulation d’une réunion à Lyon, le ministre de l’Intérieur s’est associé à ces pressions en reprenant le narratif israélien contre notre compatriote Salah Hamouri, et des député-es, notamment de la majorité présidentielle, s’attaquent à leurs collègues dès qu’elles font entendre une voix critique par rapport à la politique israélienne.

C’est dans ce climat inquiétant que 19 associations et organisations syndicales ont écrit à la Première ministre pour lui demander d’agir en tant que cheffe du gouvernement et cheffe de la majorité. Ils lui demandent de protéger la liberté d’expression et de réunion, de clarifier la position du gouvernement sur Salah Hamouri, et de renoncer à tout amalgame entre la critique de l’État d’Israël et la lutte légitime contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme.

La lettre des 19 organisations, envoyée le lundi 6 mars, n’ayant toujours pas reçu de réponse, les organisations signataires ont décidé de la publier.

 

Madame la Première ministre,

Le 29 décembre dernier, l’État d’Israël s’est doté du gouvernement le plus marqué par l’extrême-droite de son histoire, au sein duquel des ministres condamnés pour incitation à la haine raciale occupent des responsabilités clés dans l’oppression du peuple palestinien. Ce gouvernement fait aussi figurer le développement de la colonisation de peuplement, qui constitue un crime de guerre, au premier rang de ses priorités. Les derniers événements à Huwara confirment malheureusement l’extrême menace que constitue cette politique pour le simple respect des droits humains.

Dans ces circonstances, on aurait pu penser que les partisans inconditionnels de la politique de l’État d’Israël feraient preuve d’une relative discrétion. Il n’en est malheureusement rien, et l’on voit se développer, au sein de votre gouvernement comme au sein de la majorité présidentielle, des pratiques qui sont à l’opposé des valeurs de notre République et qui menacent directement nos libertés.

Nous avons été particulièrement surpris et indignés d’entendre le ministre de l’Intérieur, lors de la séance des questions au gouvernement du 31 janvier, reprendre les positions des partisans les plus inconditionnels de la politique de l’État d’Israël, annoncer qu’il aurait fait interdire la réunion prévue par le maire de Lyon, tenir des propos haineux à l’encontre de Salah Hamouri et faire un amalgame honteux entre la critique de la politique de l’État d’Israël et l’antisémitisme. Il agissait ainsi en contradiction avec la décision du Tribunal administratif de Lyon. De plus, en mettant en avant l’argument des troubles à l’ordre public, il donnait une prime aux potentiels fauteurs de trouble au lieu de garantir la liberté d’expression.

Dans le même état d’esprit, des député·es de votre majorité, et même la Secrétaire générale du groupe Renaissance, multiplient les propos haineux et diffamatoires contre Salah Hamouri et se livrent sur les réseaux sociaux à des campagnes d’intimidation contre tous et toutes les député·es qui osent contester la politique du gouvernement israélien d’extrême-droite ou marquer leur soutien aux droits du peuple palestinien. Ils et elles pratiquent de la manière la plus éhontée l’amalgame entre la critique de la politique de l’État d’Israël et l’antisémitisme, alors même que cette politique est actuellement fortement contestée en Israël même.

Les attaques nombreuses, répétées, diffamatoires contre Salah Hamouri, de la part du ministre de l’Intérieur comme de député·es de la majorité inconditonnel·les de la politique de l’État d’Israël, vont à l’encontre de la politique affichée par le gouvernement et le président de la République. Faut-il rappeler que la France a condamné l’expulsion de Salah Hamouri, et a demandé à Israël qu’il puisse vivre librement à Jérusalem avec sa famille ? Faut-il rappeler que Salah Hamouri a été reçu au Parlement européen, qu’Amnesty International, qui met en œuvre des critères stricts et des enquêtes approfondies, le soutient en tant que défenseur des droits humains, et qu’il a reçu en décembre 2022 le prix des droits humains Engel – du Tertre de la fondation ACAT ? Et qu’il est également soutenu par la FIDH, directement et par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains ? Faut-il rappeler que, dans le passé, Salah Hamouri a tenu des dizaines de réunions publiques en France sans qu’aucune pose le moindre problème ? Avez-vous mesuré votre responsabilité, celle du gouvernement comme celle de plusieurs député·es de la majorité présidentielle, dans l’instauration d’un climat de haine qui peut même mettre en péril son intégrité physique ?

Il est important de s’arrêter sur les accusations d’antisémitisme portées contre toute personne qui conteste la politique de l’État d’Israël. Cet amalgame est une tactique constante de l’État d’Israël pour assurer son impunité face à ses violations constantes du droit international et des droits humains. Nos organisations, comme l’écrasante majorité du mouvement de soutien aux droits du peuple palestinien, sont particulièrement vigilantes contre toute manifestation d’antisémitisme. Nous tenons à vous mettre en garde contre la définition controversée dite « IHRA » de l’antisémitisme, et vous rappeler que les « exemples » associés à cette définition ont été explicitement exclus du vote de l’Assemblée nationale du 3 décembre 2019.

Dans un tel climat, nous vous demandons, Madame la Première ministre, d’agir de toute urgence pour que cessent ces menaces, ce climat d’intimidation et de chasse aux sorcières, au service de l’impunité d’un État tiers qui viole quotidiennement le droit international et les droits humains. Il y a là une menace contre la démocratie et l’image de la France dans le monde que nous vous demandons de prendre en considération.

Nous vous demandons également d’agir, Madame la Première ministre, pour que cessent les menaces et les diffamations contre notre compatriote Salah Hamouri, expulsé par Israël. Après avoir été interdit de vivre à Jérusalem-Est occupée et annexée, et d’y exercer son métier d’avocat pour les droits humains, Salah Hamouri est maintenant menacé d’interdiction de s’exprimer en France même. La position de votre gouvernement à son sujet doit être clarifiée : les propos tenus dans l’enceinte du Parlement français par le ministre de l’Intérieur ne peuvent rester sans réponse et correction.

Nous vous demandons d’agir plus largement pour protéger la liberté d’expression, et particulièrement la libre expression d’opinions politiques s’agissant d’Israël et de la Palestine. Les amalgames constamment entretenus entre la critique de l’État d’Israël et l’antisémitisme ne sont pas seulement une menace vis-à-vis de la liberté d’expression : ils affaiblissent la lutte indispensable contre l’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme, ils menacent nos valeurs républicaines et la cohésion de notre société.

Dans l’attente des suites que vous donnerez à nos demandes, nous vous demandons de bien vouloir nous recevoir et restons à votre disposition pour tout élément complémentaire à l’appui de notre analyse et de nos demandes.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Première ministre, l’expression de notre très haute considération.

Copies :

Monsieur le Président de la République

Monsieur le ministre de l’Intérieur

Madame la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères

Signataires :

Bertrand Heilbronn, président de l’Association France Palestine Solidarité

François Leroux, président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine

Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)

Philippe Martinez, Secrétaire général de la Confédération générale du travail

Benoît Teste, Secrétaire général de la Fédération Syndicale Unitaire

Cybèle David, Secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires

Thierry Jacquot, Secrétaire national aux questions internationales de la Confédération paysanne

Hervé Le Fiblec, Secrétaire national du SNES-FSU

François Sauterey, co-président du Mouvement contre le Racisme et pour l’amitié entre les peuples

Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la Paix

Pascal Lederer, et Oliver Gebuhrer, co-animateurs d’une Autre Voix Juive

Serge Perrin, animateur du réseau international du Mouvement pour une alternative non-violente

Fayçal Ben Abdallah, président de la Fédération des Tunisiens pour une communauté des deux Rives

Nacer El Idrissi, président de l’Association des Travailleurs maghrébins en France

Ivar Ekeland, président de l’Association des Universitaires pour le respect du droit international en Palestine

Lana Sadeq, présidente du Forum Palestine Citoyenneté

Perrine Olff-Rastegar, porte-parole du Collectif judéo-arabe et citoyen pour la Palestine

Maurice Buttin, président du Comité de Vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient

Raphaël Porteilla, membre du Bureau national du Mouvement de la Paix

Paris, le 6 mars 2023

  publié le 12 mars 2023

Oleg Bodrov : « Les militaires annihilent toute perspective de dialogue »

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Guerre en Ukraine.  Le pacifiste Oleg Bodrov décrit une société russe caporalisée pour l’effort de guerre et en appelle à la solidarité internationale.

Moscou (Russie), envoyé spécial. Depuis l’invasion de l’Ukraine, décrétée par le président russe le 24 février 2022, le nombre de morts russes atteindrait 100 000. La société russe ne peut s’exprimer librement sur un tel sujet. Oleg Bodrov tente d’analyser ces douze derniers mois et estime que les sociétés civiles en Russie, en Ukraine, en Europe et aux États-Unis, restent le principal espoir de paix.

Quel est votre regard sur cette année de guerre ?

Oleg Bodrov : L’année écoulée a été l’année la plus difficile de ma vie. À cause de l’invasion russe de l’Ukraine, des centaines de milliers de citoyens ukrainiens et russes sont morts. Un Ukrainien sur trois a été contraint de quitter son domicile pour échapper à la guerre. Des centaines de milliers de jeunes ont quitté la Russie pour échapper à la mobilisation.

En quoi la société russe a-t-elle été impactée, voire transformée par ce conflit ?

Oleg Bodrov : À l’intérieur de la Russie, les fondements de l’interaction entre la société et le pouvoir ont été détruits. Le pouvoir s’est isolé des sociétés civiles et il a brisé l’information et sa liberté. Le pays s’est transformé en un gigantesque camp de concentration : la Constitution ne fonctionne plus, les tribunaux sont politiquement biaisés, tous les médias indépendants sont fermés, la propagande de guerre est menée sur les chaînes d’État. Les opposants publics à la guerre sont soit en prison, soit payent des amendes gigantesques qui servent à soutenir la guerre. Les autorités essaient de me transformer – ainsi que mes amis et partenaires pacifistes dans d’autres pays – en ennemi. Et, dans le même temps, il n’existe plus aucun tabou sur le nucléaire. La prise de contrôle par des militaires d’une centrale est révélatrice de ce basculement. La capture de Zaporijjia l’illustre. Cela signifie que toute l’Europe est comme minée par ces centrales nucléaires. C’est une menace pour la sécurité de centaines de générations futures de notre planète.

La paix semble s’éloigner au fur et à mesure que les semaines passent et que les massacres se multiplient…

Oleg Bodrov : Les politiciens actuels en Russie, en Ukraine et dans les pays de l’Otan manquent de volonté politique pour la paix. L’interaction des diplomates russes avec l’Europe et les États-Unis a été perdue. Le processus est dirigé par les militaires, qui ne peuvent que tuer et détruire. Je me sens responsable de ce qui se passe. C’est très difficile à vivre. La Russie et « l’Occident collectif » parlent de leur volonté de « se battre jusqu’à la victoire », mais personne ne dit ce que signifie cette victoire. Nous avons besoin de nouveaux acteurs, de nouvelles parties prenantes (la Chine, par exemple) pour changer la tendance actuelle – la violence – et revenir au dialogue. Cela permettrait ensuite la consolidation de la paix. Les représentants des organisations de maintien de la paix, des droits de l’homme et de l’environnement peuvent devenir de tels acteurs. La solidarité de la société civile en Russie, en Ukraine, en Europe et aux États-Unis est désormais le principal espoir. J’essaie d’initier une telle interaction.

La société russe semble être prête à une guerre longue. Qu’en pensez-vous ?

Oleg Bodrov : Malheureusement, oui ! Le 23 février, dans ma ville, Sosnovy Bor, un journal local a rapporté que 26 écoliers avaient prêté serment à l’organisation militaire d’enfants : Iounarmia (Jeune Armée). C’est-à-dire que dès l’enfance, sous le slogan du patriotisme, nos jeunes sont formés à une conscience militariste. Pire, la militarisation apparaît comme la principale tendance de la société russe contemporaine. Cela signifie que la guerre s’installe durablement dans notre pays ! Et cela ne dépend pas de la durée de la guerre en Ukraine.

Quelle est votre réaction à l’annonce de la suspension des accords Start ?

Oleg Bodrov : La suspension par la Russie de « l’accord sur les armements stratégiques offensifs » (Start III) signifie un nouvel élan à la course aux armements nucléaires et des turbulences politiques. Dans la société, l’idée de la possibilité de gagner une guerre nucléaire est promue, car la Russie a un potentiel suffisant. Je crois que le moment est venu de publier en Russie, en Europe et aux États-Unis un rapport sur les conséquences possibles d’une guerre nucléaire. Il est important que la société civile de notre planète soit solidaire et exige que les politiciens abandonnent ces plans absurdes.

publié le 11 mars 2023

Le gouvernement cache un rapport explosif sur la situation tragique de Mayotte

Fabrice Arfi et Nejma Brahim sur www.mediapart.fr

Santé, logement, sécurité, éducation, justice... Mediapart révèle un rapport rédigé en janvier 2022 par six ministères sur l’état de l’île-département. Son contenu est dévastateur pour l’État français. Il montre aussi que la seule approche sécuritaire proposée par Gérald Darmanin ne pourra suffire.

Le gouvernement conserve depuis janvier 2022, sans le rendre public, un rapport alarmant sur la situation de l’archipel de Mayotte, le département le plus pauvre de France, en proie à une situation dramatique dans les domaines de la sécurité, la santé, la justice et l’éducation nationale.

Mediapart a pu prendre connaissance de ce document rédigé par une mission spéciale, composée des inspections générales de six ministères (intérieur, justice, affaires sociales, finances, éducation et affaires étrangères), qui a auditionné plus de 300 personnes dans tous les corps de l’administration et de la société pendant plusieurs semaines.

Le diagnostic qu’il met en lumière, au travers de la situation des mineurs sur l’île, est dévastateur pour l’État français tant tout y semble incontrôlable : la précarité galopante, une politique migratoire contre-productive, une situation sanitaire alarmante et des violences partout prégnantes, le tout face à des réponses publiques largement sous-dimensionnées.

Dans ses conclusions, le rapport note que « le sentiment qui prédomine au sein des services de l’État est une forme d’impuissance face à l’ampleur des défis ». Stigmatisant une « absence de concertation sur les politiques publiques en direction de la jeunesse », il constate que « les dépenses de l’État sont proportionnellement plus faibles à Mayotte que dans les autres départements et régions d’outre-mer (DROM) ».

Au fil des pages du rapport caché se dessine le constat d’une faillite généralisée que les seules mesures sécuritaires de Gérald Darmanin, qui a multiplié les voyages et les annonces sur place ces derniers mois, vont, de toute évidence, avoir du mal à régler. Selon les informations de Mediapart, le ministère de l’intérieur a d’ailleurs pesé de tout son poids pour que le rapport ne soit pas rendu public.

Sollicités, les services du ministre n’ont souhaité faire « aucun commentaire ».

Une pauvreté massive qui ne décourage pas la migration comorienne

Petite île de l’océan Indien vingt fois plus petite que la Corse, Mayotte comptait 279 000 habitant·es en 2020, soit quatre fois plus qu’en 1985. Avec 10 000 naissances par an, l’île est devenue aujourd’hui la plus grande maternité de France. Le mal-logement y est un fléau conduisant à la création de bidonvilles aux quatre coins de l’île, comme celui de Kawéni, à Mamoudzou, surnommé « le plus grand bidonville de France ». En 2017, l’Insee estimait que l’île comptait 40 % de logements informels, dont certains installés sur des zones à risque.

Malgré la pauvreté massive qui y règne – 8 personnes sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté, un actif sur trois est au chômage et l’espérance de vie plafonne à 75 ans –, Mayotte demeure huit fois plus riche que l’archipel voisin des Comores, indépendant depuis 1975, où le taux de pauvreté national s’élevait à 42,4 % en 2014 et où un quart de la population vivrait dans des conditions d’extrême pauvreté.

Ces difficultés poussent de nombreux Comoriens et Comoriennes à tenter la traversée du bras de mer séparant Anjouan de Mayotte, sur 70 kilomètres (soit environ trois à quatre heures), à bord de kwassa-kwassa – un type d’embarcation rendu tristement célèbre par les mots d’Emmanuel Macron, en juin 2017, lorsqu’il avait déclaré que le « kwassa-kwassa pêchait peu » mais « amenait du Comorien ». Selon un rapport sénatorial de 2012, entre 7 000 et 12 000 personnes avaient péri ou disparu le long de cette route migratoire depuis 1995 ; et de nombreux naufrages y sont régulièrement répertoriés.

« On peut imaginer que c’est beaucoup plus aujourd’hui, surtout depuis la départementalisation [rendue effective en mars 2011 – ndlr] », soulève une source basée à Mayotte, qui préfère garder l’anonymat. « Les personnes que l’on voit arriver ici sont de tous les milieux et ont des profils divers : femmes, personnes gravement malades ou handicapées, enfants voyageant seuls, irréguliers qui étaient intégrés à Mayotte et qui retentent la traversée après avoir été expulsés… » Tous viennent dans un même objectif, celui d’avoir « une vie meilleure ».

Mais les consignes données par le préfet, correspondant à une politique de durcissement s’agissant des arrivées sur l’île, finissent par engendrer des drames, poursuit-elle, en référence à un naufrage survenu fin décembre. « La police aux frontières [PAF – ndlr] est chargée d’intercepter les embarcations en mer coûte que coûte, avec l’assentiment de la société mahoraise. Lorsque le conducteur du kwassa-kwassa refuse de s’arrêter, il arrive qu’il percute le bateau de la PAF et que l’embarcation se retourne. C’est bien lintervention des forces de l’ordre qui génère le naufrage. »

« La lutte contre l’immigration irrégulière ne parvient pas à empêcher l’entrée et l’installation de très nombreux clandestins à Mayotte », peut-on lire dans le rapport, qui suggère de renforcer les moyens nécessaires à la PAF pour réduire le nombre d’arrivées sur l’île.

Selon le scénario le plus alarmiste de l’Insee, l’immigration comorienne pourrait conduire à comptabiliser 760 000 habitant·es à l’horizon 2050. « Dans l’hypothèse d’un maintien des flux migratoires au niveau actuel, la situation deviendrait explosive », pointe le rapport que le gouvernement a préféré taire. Gérald Darmanin a donc misé sur un volet répressif pour tenter de tarir les départs depuis les Comores… Et de chasser les personnes exilées déjà présentes sur l’île à coups de bulldozers censés raser les bangas (des habitations précaires faites de tôle ondulée), où vivent de nombreux Comoriens et Comoriennes.

Comme l’a révélé le quotidien Les Nouvelles de Mayotte le 2 février dernier, le ministre prévoit ainsi d’envoyer pas moins de cinq escadrons de gendarmerie mobile supplémentaires sur l’île, soit 400 gendarmes, pour « remettre de l’ordre » dès le mois d’avril. Selon Le Canard enchaîné, l’idée a été validée par Emmanuel Macron lui-même lors d’un conseil de défense. Une vaste opération de « décasage », devant servir à vider les bidonvilles de leurs occupants – souvent des sans-papiers –, à interpeller les têtes de réseaux de délinquance et à renvoyer un maximum de personnes vers les Comores.

L’enfer de l’enfance

Beaucoup d’enfants et de jeunes risquent ainsi d’être déracinés et renvoyés dans un pays où une situation bien pire les attend. De retour aux Comores après un renvoi forcé ou non, les mineurs non accompagnés (MNA dans le jargon, pour tout enfant mineur ayant emprunté une voie de migration seul) « ne seraient pas les bienvenus » selon le rapport invisible du gouvernement, qui explique que « le mieux pour eux consiste à repartir d’où ils viennent ».

Pour ceux restant à Mayotte, le rapport fait état d’une situation « hors norme » les concernant et alerte sur les dangers auxquels ils sont confrontés. Alors que 4 500 MNA étaient recensés sur l’île en 2016, le chiffre « n’a pu que croître ces dernières années en raison des modalités des opérations de lutte contre l’immigration irrégulière », qui alimentent « mécaniquement les situations d’isolement des mineurs », alertent les membres de la mission inter-inspection.

« Les enfants comoriens ont beaucoup de mal à être scolarisés à Mayotte, car les collectivités font blocage en prenant prétexte du manque d’infrastructures et de places. Elles mettent donc sciemment des bâtons dans les roues des parents en situation irrégulière qui souhaitent scolariser leurs enfants, alors que l’éducation est un droit pour tous », déplore la source déjà citée. Certains iraient jusqu’à confier leurs enfants, « sur le papier », à des personnes en situation régulière pour pouvoir les scolariser. Une démarche « insensée » sachant que leurs vrais parents sont à Mayotte.

Plusieurs données brutes de ce même rapport disent aussi à elles seules, de manière générale, le drame des enfants et des jeunes de Mayotte. Selon la mission d’inspection, le nombre de « mineurs en risque majeur de désocialisation » s’élève à 6 600. Pire : 9 200 enfants en âge d’aller à l’école primaire n’y avaient pas accès en 2020. « Les capacités d’accueil de l’école ne permettent pas, à ce jour, d’accueillir tous les enfants et jeunes de 3 à 16 ans », souligne le rapport.

Autre chiffre saisissant : « 5 400 enfants mineurs vivent dans un logement, mais sans leurs parents », relève l’inspection, qui estime que « le dispositif de protection de l’enfance reste largement sous-dimensionné ».

C’est à Mayotte que l’on trouve les effectifs les plus élevés de France dans les collèges, avec les plus mauvaises performances scolaires du pays : 71,1 % des jeunes ont des difficultés de lecture, contre 9 % sur le territoire national. C’est la raison pour laquelle la mission recommande de « faire de la scolarisation de tous les enfants dans le premier degré, à partir de 3 ans, une priorité de court terme ». Avec cette autre recommandation qui a de quoi alarmer : « garantir une alimentation de qualité », les « moyens mis en œuvre pour fournir une alimentation pendant le temps scolaire étant encore insuffisants ».

Car sur le terrain sanitaire, le constat est, lui aussi, accablant. Alors que le rapport rappelle que « l’offre de soins […] reste encore très insuffisante », il alerte en parallèle sur une « précarité alimentaire des jeunes » jugée comme « massive », avec, précision terrible, une « difficulté de mise en œuvre des dispositifs de distribution des repas dans les écoles, collèges et lycées ». « À tous les âges, les jeunes de Mayotte sont en moins bonne santé que partout ailleurs en France », affirme encore le document.

Faiblesse « structurelle » de la justice

S’agissant des questions de sécurité, le rapport parle de « politiques régaliennes en difficulté et souvent mises en échec ». L’insécurité demeure la « préoccupation majeure » des habitants, confrontés à une délinquance massive et parfois des faits d’ultraviolence commis en bande. Dans les vols avec violence, les mineurs représentent par exemple 81 % des auteurs, même si « beaucoup de victimes ne portent pas plainte, notamment parmi les étrangers en situation irrégulière ».

On bidouille pour tenter de faire au mieux.

L’état de décrépitude des institutions publiques a pour conséquence, côté justice, d’engendrer « une pression qu’aucune juridiction de l’Hexagone ne connaît ». Et face à cette « faiblesse structurelle », il faut ajouter des « facteurs aggravants », selon le rapport : des personnels de la magistrature et du greffe souvent sans expérience, une faible attractivité, mais aussi une « désorganisation des services et un déficit de travail collectif ».

Résultat : « Des réponses en mode dégradé et une justice de l’urgence qui s’impose au détriment du règlement des questions de fond », souligne le document que Mediapart s’est procuré.

« On bidouille pour tenter de faire au mieux », résume un haut fonctionnaire, qui reconnaît un véritable « problème structurel » plus qu’un manque de moyens. « Il y a un défaut d’attractivité qui empêche une certaine stabilité et entraîne un turnover important, mais aussi un défaut de formation ou de hiérarchie intermédiaire dans les recrutements, avec des magistrats sortis d’école se retrouvant aux côtés d’un président d’audience très expérimenté. On rencontre des difficultés liées à la langue, aussi, car les interprètes ne sont pas assez nombreux. »

Les greffiers seraient selon lui mal formés et ne resteraient pas suffisamment longtemps, créant un « sentiment d’insécurité », en particulier chez les jeunes magistrats. Les greffiers seraient aussi aspirés par la rétention administrative (visant à enfermer les étrangers en situation irrégulières en vue de leur renvoi) pour aller prêter renfort aux juges de la liberté et de la détention. « Cela participe de la désorganisation des services. Il y a un tel flux et une telle pression du préfet sur ce sujet que tout tourne autour de cela. »

Dans une situation comme celle-ci, le rôle de « régulation sociale » de la justice est d’autant plus accru, d’après le rapport, qui déplore, faute d’un « engagement fort du parquet de Mamoudzou [la capitale de l’île – ndlr] », que la lutte contre le travail clandestin, la fraude documentaire, les violences faites aux femmes ou la corruption soient un peu délaissées.

 

publié le 10 marsv2023

À Jénine, la résistance
de tous les instants

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

L’armée israélienne multiplie les raids en Cisjordanie pour tenter d’éradiquer toute contestation de sa domination. L’Humanité a pu rencontrer de jeunes combattants palestiniens armés. Témoignages  aux camps de réfugiés de Jénine (Cisjordanie occupée), envoyé spécial.

Sur la façade de l’école de l’UNRWA, l’organisme des Nations unies en charge des réfugiés palestiniens depuis 1949, sont placardées les photos d’un homme. Le crâne rasé, portant un tee-shirt de couleur, il sourit. C’est tout ce qu’il reste de Jawwad Bawaqna, 57 ans. Il était instituteur au sein de cet établissement.

Ce 19 janvier, le jour n’est pas encore levé sur le camp de réfugiés de Jénine, au nord de la Cisjordanie, lorsque l’armée israélienne y pénètre. Des combats s’engagent entre les forces d’occupation et les résistants palestiniens. L’enseignant est chez lui, avec sa femme et ses six enfants, lorsqu’il entend un homme blessé appeler à l’aide. « Mon père est sorti pour l’aider, pour lui prodiguer les premiers soins, raconte l’un de ses fils, Farid. « Nous l’avons traîné à l’intérieur et ils ont tiré sur mon père dans le haut du corps. Je l’ai alors déplacé pour le mettre à l’abri alors qu’il était couvert de sang », se souvient-il.

A quoi bon remplacer les vitres du magasin qui ont volé en éclats ?

En cette mi-février, alors que nous nous trouvons à l’endroit où Jawwad Bawaqna a été abattu, rien n’a changé. Les vitres du magasin près de l’école ont volé en éclats et n’ont pas été remplacées. « À quoi bon ? » soupire le propriétaire, qui nous donne un vague « Mohammad » en guise de nom. Il a placé des parpaings à la place.

Dans la rue perpendiculaire, de grandes tentures sont tendues. « C’est pour se protéger des snipers israéliens qui prennent place sur les toits dès qu’une opération débute », explique Ziad, qui nous accompagne dans les venelles du camp. Celui-ci se déploie à flanc de collines à partir de la ville homonyme, sans que les limites en soient bien visibles.

Ici, une maison détruite à coups de roquettes par les Israéliens ; là, des murs criblés de balles, témoignage des échanges de tirs ; partout, des photos de « martyrs », comme disent les Palestiniens ; souvent, des fresques représentant une clé. « Not to forget », peut-on lire – pour ne pas oublier.

Yasser Arafat aimait parler de « Jeningrad », comme on dit Stalingrad ou Leningrad

Comment les habitants du camp de Jénine pourraient-ils oublier, eux qui sont la cible régulière de l’armée israélienne mais n’ont jamais baissé les bras ? Yasser Arafat, le leader historique, aimait parler de « Jeningrad », comme on dit Stalingrad ou Leningrad.

Il y a vingt ans, en avril 2002, le siège a duré seize jours, faisant 52 morts. La ville est devenue d’autant plus un symbole de résistance que la jeune génération est née à ce moment-là, ne revoyant souvent son père qu’au parloir des prisons.

Après le 19 janvier, l’armée israélienne est revenue le 26 du même mois, pour un nouveau massacre : 9 Palestiniens tués. Dernière incursion en date, ce mardi 7 mars. Selon les informations que nous avons pu recueillir par téléphone, les forces spéciales se seraient infiltrées, cachées dans une camionnette blanche portant une immatriculation palestinienne et des graffitis en arabe sur lesquels on pouvait lire « le transport du futur ».

Les portraits de six jeunes Palestiniens qui n'avaient pas 30 ans vont rejoindre les centaines d’autres sur les murs du camp

Puis l’armée est entrée, a assiégé une maison où se trouvaient des combattants palestiniens, a tiré des roquettes. Des groupes armés palestiniens sont alors intervenus. Bilan : les portraits de six jeunes Palestiniens vont rejoindre les centaines d’autres sur les murs du camp. Ils étaient jeunes, très jeunes même. Ils n’avaient pas 30 ans.

Mohammad, 32 ans, nous accueille sur sa terrasse, en cette matinée de février. Les arbres sont en fleurs, l’odeur du café à la cardamome vient chatouiller les narines et se mêler à celle du tabac. On est bien. Et pourtant… « Il ne faut pas s’y tromper, prévient notre hôte. L’atmosphère est mauvaise dans le camp. On se réveille en entendant des tirs, on se couche en entendant des tirs. »

Il parle des difficultés quotidiennes, du manque d’argent, de travail, des petits boulots. « Mais on a l’habitude de vivre ici. On est nés avec ça. » Et il sait que, pour son fils et sa fille, 5 ans et 4 ans, le mektoub, le destin, sera le même. « Quand ils étaient beaucoup plus petits et qu’ils entendaient des coups de feu, ils se mettaient à pleurer, ils avaient peur. Maintenant, ils comprennent que c’est l’armée israélienne qui attaque. Ils veulent poser en photo avec des fusils, comme sur celles des martyrs.  »

Quand on vit en cage, les repères ne sont plus les mêmes

D’ailleurs, les chansons qu’ils préfèrent et qu’ils entonnent ne sont pas des comptines, mais plutôt des chants à la gloire de la résistance. Son fils a demandé à Mohammad de l’amener au cimetière où sont enterrés les combattants. Il y a vu une femme en train de pleurer. C’était la sœur de Jawwad Bawaqna, l’instituteur. « J’en suis fier. On se bat pour notre patrie. »

C’est à l’aune de cette vie sous occupation – les premières familles sont arrivées là en 1948, à la Nakba (la catastrophe), venant de Jaffa, de Haïfa ou encore de Nazareth – qu’il faut comprendre les paroles de Mohammad. Il n’aime pas la mort, il ne veut pas voir ses enfants mourir. Mais quand on vit en cage, les repères ne sont plus les mêmes. Ici, le mot liberté a un goût de sang et celui de résistance se décline de différentes manières.

Talal Al Housari, 25 ans, Yassar Hanoun, 23 ans, et Mohamed Fayed, 20 ans, sont tous recherchés par Israël. « Pas pour les arrêter mais pour les tuer », précise la personne qui nous a mis en contact.

« On ne veut pas l’occupation. Ce que nous faisons, c’est défendre le camp »

Lorsque nous les rencontrons, ils ont encore le visage fatigué d’une nuit en éveil constant, où l’ennemi israélien peut survenir à chaque instant. Ils posent leurs M-16 sur la table comme des jouets. Mohamed a gardé une bonne bouille d’enfant espiègle, les yeux rieurs, pétillants de vie, un perpétuel sourire aux lèvres.

Sur son arme il a accroché un médaillon : celui d’un de ses amis tué par les forces spéciales, la veille de son mariage. « Notre objectif, ce n’est pas d’aller attaquer, mais de défendre le camp, souligne-t-il. C’est une invasion quotidienne. On ne peut même pas bouger en Cisjordanie, qui est censée être à nous. »

Talal, le visage très pâle, encadré d’une barbe, a lui aussi épinglé la photo d’un de ses copains abattu : « C’est comme une promesse de continuer le combat, ça renforce ma détermination. » Il a passé déjà quatre ans en prison. « Une fois libéré, j’ai essayé de me tenir à l’écart de tout, mais comment faire ? La situation pousse à aller combattre. »

Yassar, au crâne rasé, a un regard triste et grave, la mâchoire crispée. « De quoi avez-vous besoin de plus lorsque vous voyez vos amis se faire tuer devant vous ? demande-t-il sans attendre de réponse. On ne veut pas l’occupation, on ne veut pas qu’ils tuent nos familles. Nous, ce que nous faisons, c’est défendre le camp. »

Tous les Palestiniens sont aujourd’hui à la recherche d’une voie pour ne pas suffoquer

Aujourd’hui la soixantaine, Jamal Hweil a combattu dans les rues du camp en avril 2002. Il a été arrêté les derniers jours et il est resté presque huit ans en prison, puis à nouveau trois ans. Membre du conseil révolutionnaire du Fatah, en désaccord avec le président palestinien Mahmoud Abbas, il voit bien que « maintenant, les jeunes s’expriment en résistant d’une autre façon, pas en lien avec des groupes politiques. Ils se battent mais pas de façon idéologique ».

Désormais professeur à l’université arabo-américaine de Jénine, Jamal Hweil le sait bien : « Les jeunes n’ont pas le matériel, ni la formation militaire nécessaire, mais ils veulent dire aux Israéliens qu’ils n’entreront pas facilement dans le camp. »

Amed Awwas, 36 ans, exprime la même idée. « Chacun ici sait bien que, même si on a un fusil ou un revolver, les agents israéliens peuvent nous tuer avant même qu’on ait dégainé. Mais on veut montrer notre refus de l’occupation, quitte à en mourir. »

Aucune forfanterie dans ces paroles. En l’absence de leadership politique – l’Autorité palestinienne étant déconsidérée, voire haïe –, tous les Palestiniens sont aujourd’hui à la recherche d’une voie pour ne pas suffoquer, tenter de bâtir un avenir pour les enfants.

Ahmed Tobasi avait 17 ans en 2002 lorsqu’il a été arrêté. Il est devenu acteur après quatre années de prison et est maintenant l’un des animateurs du Théâtre de la Liberté à Jénine. « Résister, c’est aussi penser d’une façon différente de celle que voudrait nous imposer l’occupant », proclame-t-il avec force.

L’armée israélienne le sait bien, qui a plus d’une fois détruit les installations de ce théâtre. Un lieu où se déroule le récit, celui d’un peuple qui résiste encore et toujours et qui a fait d’un mot son phare : sabreen. La patience. 


 


 

De Jénine à Naplouse,
la jeunesse palestinienne fulmine

Joseph Confavreux sur www.mediapart.fr

Ces hommes et ces femmes ont grandi dans les décombres de l’opération « Rempart » qui, il y a vingt ans, avait rasé des pans entiers des grandes villes palestiniennes de Cisjordanie. Reportage à Naplouse et à Jénine, où l’armée israélienne a opéré, mardi 7 mars, un nouveau raid meurtrier.

Jénine, Naplouse (Cisjordanie occupée).– « J’ai appris la mort de mon père par hasard, sur une boucle Telegram, en voyant une photo de gens applaudissant devant notre maison dans le camp de réfugiés de Jénine. » Somood, jean serré, voile noir ajusté et médaillon de son père au cou, sourit derrière ses yeux embués en racontant l’histoire qui a fait basculer sa vie, le 16 janvier dernier.

« Je suis étudiante à l’université Bir Zeit, à Ramallah, je dormais mais j’ai senti quelque chose qui m’a réveillée. Je me suis connectée et j’ai ensuite appelé ma sœur qui m’a dit que papa avait été tué par l’armée israélienne », poursuit-elle, assise dans un salon absolument impeccable à l’exception de l’impact d’une balle qui a traversé la vitre et le rideau pour atterrir dans la bibliothèque.

La balle, qui a tué le père de Somood, a été tirée durant l’un des nombreux déploiements menés par l’armée israélienne dans les grandes villes palestiniennes depuis des mois, à la recherche de militants du Djihad islamique ou des « lions de Naplouse », sans s’embarrasser de faucher au passage de nombreux non-combattants. Le meurtre a eu lieu une semaine avant une nouvelle incursion qui a fait neuf morts dans ce même camp de réfugié·es de Jénine le 26 janvier, elle-même suivie d’une opération ayant fait onze victimes dans la vieille ville de Naplouse le 25 février.

S’est alors enclenché un cycle de représailles au moment même où une réunion « politico-sécuritaire », tenue dans la ville jordanienne d’Aqaba et rassemblant pour la première fois depuis des mois des représentants palestiniens et israéliens, promettait pourtant de « prévenir toute nouvelle violence » : assassinat de sept colons israéliens lors d’une fusillade dans une colonie de Jérusalem-Est au lendemain de l’opération sur Jénine, meurtre de deux jeunes colons venus de l’implantation de Har Bracha à Huwara le 25 février ; mise à feu et à sang de ce bourg palestinien par des colons le lendemain ; assassinat d’un jeune Américano-Israélien venu pour un mariage en Israël le surlendemain à proximité de Jéricho…

Dernier événement en date, l’armée israélienne a de nouveau, mardi 7 mars, pénétré le camp de Jénine pour éliminer l’auteur de l’attaque du 25 février, qui appartenait au Hamas, tuant par la même occasion cinq jeunes Palestiniens et en en blessant vingt-six autres.

Des portraits du père de Somood, Jawal Bawaqneh, ornent le perron de la maison familiale, à l’endroit exact où ce professeur de sport de 58 ans, connu dans tout le quartier, est mort en tentant de porter secours à un combattant blessé. « Il aidait toujours tout le monde, explique sa fille. Il est sorti pieds nus, en t-shirt, simplement parce qu’il avait entendu appeler à l’aide. On nous a conseillé de porter plainte, mais nous ne l’avons pas fait car cela ne débouche jamais sur rien. On nous a fait comprendre que l’armée israélienne dirait que mon père voulait s’emparer de l’arme pour tirer contre ses soldats… »

Depuis la mort de Jawal, cette étudiante en relations internationales s’est investie à corps perdu sur les réseaux sociaux en défense de la cause palestinienne : « Je me suis donné pour mission de documenter les vies volées par l’occupant. Je publie les photos et j’écris des poèmes pour chacun des morts récents, afin qu’on se souvienne d’eux et de leur combat, explique-t-elle. En tant que femme, il est difficile pour moi d’imaginer prendre les armes. »

A-t-elle des regrets à ce propos ? « Il y a différentes formes de résistance, commence-t-elle par évacuer. Mais ça m’arrive. Pour notre génération, il reste un espoir infime que les choses s’améliorent. Si nous ne faisons pas en sorte de dévier le cours des choses, même cet espoir ténu disparaîtra. »

Son père l’a baptisée Somood parce qu’elle est née en mars 2002, le mois où a commencé l’opération « Rempart » déclenchée par le premier ministre d’alors, Ariel Sharon, qui a réduit la majorité du camp de Jénine à un amas de gravats, à l’acmé de la deuxième Intifada. « Notre maison a été complètement détruite, et nous n’avons pas encore fini de la reconstruire, vingt ans après », explique-t-elle en désignant les travaux en cours à l’étage.

Somood est un terme arabe difficile à traduire, situé quelque part entre « résistance » et « résilience ». Pour Michel Warschawski, figure de la gauche israélienne, « le rapport de force entre Palestiniens et Israéliens est tel qu’il serait délicat de parler en ce moment d’une phase de libération. Mais le terme de somood est important pour comprendre l’état de la résistance palestinienne. Il signifie qu’on s’accroche, qu’on ne sombre pas dans la guerre intestine, qu’on continue de bien habiller ses enfants pour aller à l’école même si le trajet est dangereux parce qu’il passe à côté d’une colonie… ».

Depuis plusieurs mois, de jeunes Palestiniens ont toutefois décidé de ne pas se contenter de « s’accrocher », mais aussi d’attaquer : le « repaire des lions » à Naplouse, les « brigades de Jénine » et même de petits groupes à Jéricho, d’habitude préservée des affrontements armés. Souvent formés de très jeunes gens, ces groupes de combattants ne se revendiquent pas des partis politiques palestiniens, Fatah, Hamas ou Djihad islamique, ni même de leurs branches militaires.

Il ne faut toutefois pas exagérer leur autonomie vis-à-vis des acteurs historiques de la résistance palestinienne. Pour Mahdi Sharqawi, 36 ans dont sept passés en prison, qui est l’un des responsables du Djihad islamique pour le nord de la Cisjordanie, « ces groupes de jeunes n’agissent pas sur ordre, mais ils sont parfois financés par le Hamas ou renseignés par le Fatah. Quant à nous, nous leur fournissons l’idéologie et les forces vives. Chaque ville palestinienne obéit à ses propres logiques. À Jénine, on peut dire que le Djihad islamique supervise ces jeunes, alors qu’à Naplouse c’est plus diffus. Mais, quoi qu’il en soit, la résistance actuelle est forte parce qu’elle peut s’appuyer à la fois sur des structures existant depuis longtemps et sur l’énergie actuelle de ces loups solitaires, prêts à descendre dans la rue sans en référer en amont ».

Hosni, casquette bleue vissée sur la tête et petite barbe encore adolescente, est né dans le camp de Jénine il y a dix-sept ans et ne l’a pas quitté depuis. « Chaque matin, on se réveille avec la peur d’apprendre la mort d’un proche, explique-t-il. En août dernier, j’ai ainsi perdu l’un de mes meilleurs amis lors d’une incursion de l’armée israélienne. Nous avons été élevés dans les décombres du camp et nous devons nous battre pour que ce que nous avons reconstruit ne soit pas de nouveau abattu. Mais, face à la puissance de Dieu, la force de l’armée israélienne ne m’inquiète pas. »

Hosni ne fait pas partie des combattants, mais de ces jeunes qui harcèlent à coups de pierres les véhicules militaires israéliens pour tenter de retarder leur progression et protéger ceux qui se battent les armes à la main. « Il est impossible de savoir vraiment qui combat et qui ne combat pas, nuance-t-il. Nos maisons sont tellement proches les unes des autres qu’on se connaît tous mais, même entre nous, on garde le secret par précaution. »

Pour lui, « l’armée israélienne ne fait jamais de détail : les voitures, les enfants, les personnes âgées, les maisons… Ils détruisent tout sur leur passage pour trouver les personnes qui se cachent dans le camp ». Avec un nombre limité de points d’entrée et une entraide collective forte, les camps de réfugié·es permettent en effet de filtrer les allées et venues et sont donc considérés par les combattants palestiniens comme des lieux susceptibles de leur offrir des abris sûrs, même si les militants recherchés échappent rarement, tôt ou tard, aux soldats israéliens. « Ce qui me semble nouveau, poursuit Hosni, bravache, c’est qu’en dépit de leur force militaire, je vois sur le visage de ces soldats qu’ils sont effrayés. Ils ont davantage peur que nous. »

Adnan Sabah vit à quelques encablures de la maison familiale de Hosni. Cet ancien du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui a passé sept ans en prison dans ses jeunes années, se dit « impressionné par cette nouvelle génération, qui reprend le flambeau. Il faut comprendre qu’ils n’ont pas grand-chose à perdre. C’est à peine une vie que de vivre ici. Quand on se couche, on n’enlève pas ses vêtements de crainte d’être arrêté. Quand on fait l’amour, on se demande si la porte ne va pas être défoncée. Même nos rêves sont occupés ».

Pour cet homme d’une soixantaine d’années, quand on vit dans un camp de réfugié·es d’une ville palestinienne, « il n’y a aucune intimité : vous savez tout ce que fait votre voisin, ce qu’il prépare à manger, ce qu’il dit à ses enfants. Chaque nuit, vous entendez les drones en ayant l’impression qu’ils vont entrer par votre fenêtre. Même les gens comme moi qui ne sont plus dans la résistance, qui ont un travail, une maison et une voiture savent que tout peut être détruit en quelques heures, que l’on peut être tué juste pour avoir regardé dehors au mauvais moment ».

Muhamad, 54 ans, qui vend des légumes sur un étal d’une rue passante de la vieille ville de Naplouse, juge également que la génération qui se bat aujourd’hui est « bien plus forte que la [leur] » : « Je pense qu’eux vont réussir. Ils n’ont peur ni de la tombe, ni de la prison, ni d’être blessés. Et non seulement ils n’ont plus peur de la mort, mais ils la recherchent. Ils hantent ainsi la vie des soldats israéliens. »

Muhamad s’excuse de ne pas saluer avec sa main droite, dont il a perdu l’usage en recevant quatre balles tirées par un sniper de l’armée israélienne. C’était en 1988, au début de la première Intifada. « Je jetais des pierres, mais personne n’avait d’armes et je me suis retrouvé à terre et en sang. Maintenant, c’est différent, les jeunes n’hésitent plus à s’armer. » Il considère les membres d’Areen Al-Oussoud, littéralement « le repaire des lions », comme ses « enfants ». « Je suis fier qu’ils aient remis Naplouse au centre de la carte du monde. »

À Naplouse, les portraits des « lions » sont partout : sur les coques des téléphones portables, portés en médaillon au cou des écoliers, placardés sur les murs de la ville… Ces lions qui ont plutôt l’âge d’être des lionceaux pourraient-ils vraiment réussir là où les brigades militarisées du Fatah, du Hamas et du Djihad islamique ont été brisées au début des années 2000 ? « Ils sont beaucoup plus intelligents que nous ne l’étions, poursuit Muhamad. Et alors que nous obéissions pendant la première Intifada aux directives de l’OLP, ils agissent d’eux-mêmes et ne prennent leurs ordres que de leur âme et de Dieu. »

L’Intifada déclenchée en 1987, « l’Intifada des pierres », fut une vaste révolte populaire sans armes, impliquant des enfants, des femmes et des vieillards, encadrée ensuite par les organisations politiques palestiniennes. Quatorze ans plus tard, prenant acte de l’échec de cette première Intifada, celle du début des années 2000 fut militaire et armée, l’époque des « tanzim » du Fatah ou du Hamas et des attentats suicides et sanglants.

En 2015, « l’Intifada de Jérusalem », comme on la nomme côté palestinien, « l’Intifada des couteaux » comme elle est appelée côté israélien, voit se multiplier les attaques à l’arme blanche ou à la voiture bélier. C’est cette séquence qui semble aujourd’hui se prolonger et s’intensifier avec l’usage d’armes à feu. Les passages à l’acte, qui se concentrent sur les colons de Cisjordanie ou Jérusalem-Est, demeurent le plus souvent individuels et n’obéissent pas nécessairement à une hiérarchie de commandement. Mais cela ne signifie pas qu’ils soient entièrement spontanés, même si le contrôle sécuritaire massif d’Israël empêche la constitution ou la reconstitution de brigades militarisées pérennes.  

Une autre dimension importante réside dans le fait que les opérations de l’armée israélienne qui ont visé Naplouse, Jénine ou Jéricho ces derniers mois se concentrent en réalité sur les camps de réfugié·es présents dans ces différentes villes palestiniennes, dans lesquels les impasses économiques sont les plus criantes et où les forces de l’ordre de l’autorité palestinienne sont le plus souvent absentes.

Pour l’écrivain palestinien Elias Sanbar, « aujourd’hui, ce sont principalement les camps de réfugiés qui se mobilisent en Cisjordanie. Le reste de la société ne bascule pas, notamment parce qu’il faut se rappeler que l’Autorité palestinienne, pour décrédibilisée qu’elle soit, verse des salaires à 180 000 fonctionnaires qui font vivre des centaines de milliers de familles, mais aussi parce que la société craint une répression comme celle qui a étouffé les révoltes arabes de 2011. Tout peut néanmoins s’embraser très vite, en cas d’annexion ou de provocation sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem ».

Pour Amir, rencontré sur la place centrale de la vieille ville de Naplouse, il faut faire le constat que « les pierres ne sont d’aucune utilité contre un véhicule militaire et que défendre la Palestine exige d’utiliser des armes. Les jeunes Israéliens prennent les armes à 18 ans pour nous faire la guerre, il est logique que nous fassions pareil ». Habillé tout de noir mais avec un pull de Noël, barbe fournie et bien taillée, le jeune homme de 22 ans ne tarit pas d’éloges sur les « lions » de Naplouse.  

Ils sont « les seuls à défendre notre nation et notre peuple », poursuit-il. Et les opérations de l’armée israélienne « n’atteignent pas le but fixé de diminuer l’importance de ce groupe. Au contraire, leur puissance ne cesse d’augmenter », affirme ce garçon qui travaille dans une boucherie de la vieille ville.

Songe-t-il à rejoindre ce groupe, alors qu’après la dernière opération de l’armée israélienne dans la vieille ville de Naplouse ayant fait onze morts, dont plusieurs non-combattants puisque l’opération s’est déroulée à l’heure du marché et a cueilli sur place de simples passants, les « lions de Naplouse » ont annoncé que le recrutement était de nouveau ouvert ? « Qui vous dit que je n’en fais pas déjà partie ?, répond Amir du tac au tac. Peut-être pas comme combattant, mais aujourd’hui les lions sont l’incarnation du peuple palestinien. Je suis palestinien, donc je suis avec eux. On a déjà perdu trop de gens autour de nous. Il est impossible d’oublier ou de pardonner. »

Pense-t-il que sa génération puisse mener à terme un combat perdu par la génération précédente ? « Nos pères et nos oncles n’ont pas échoué, juge Amir. Ils se sont sacrifiés et nous ont transmis le flambeau. » Le jeune homme, pourtant, ne se reconnaît pas dans la figure de Yasser Arafat, leader historique de l’Organisation de libération de la Palestine, tant l’Autorité palestinienne, héritière directe de l’OLP, est honnie par cette génération née alors que le processus d’Oslo et la perspective d’une solution à deux États étaient déjà enterrés de facto.

« L’Autorité palestinienne collabore avec les Israéliens, poursuit le garçon. À part le drapeau sur son toit, je ne fais pas de différence entre une jeep de l’Autorité palestinienne et une de l’armée israélienne. Le principal objet de la réunion d’Aqaba était de former et d’armer de nouveaux gardes palestiniens pour nous contrôler et nous attaquer. Mais cela ne marchera pas. »

Dans quelle figure se reconnaît-il, si même Yasser Arafat, dont le portrait continue d’orner certains murs de Naplouse, bien que ceux des martyrs y soient beaucoup plus nombreux, ne trouve pas grâce à ses yeux ? « Saddam Hussein », lance-t-il avec un sourire provocateur mais marqueur du statut de premier résistant aux États-Unis et à Israël acquis par l’ancien dictateur irakien auprès de certains Palestiniens, souvent nés après sa mort en 2003. Avant d’ajouter : « Mais la seule figure que je respecte vraiment, et qui me donne la force de combattre, c’est le prophète Mohammed. » Signe d’un conflit politique et territorial qui se reconfigure de plus en plus en guerre identitaire et religieuse, côté palestinien comme israélien.

  publié le 6 mars 2023

Tunisie. L’UGTT se dresse contre le pouvoir absolu d’un président raciste

Nadjib Touaibia sur www.humanite.fr

Des milliers de Tunisiens ont répondu samedi à l’appel de la Centrale syndicale pour dénoncer le climat répressif et le déchaînement raciste du président Kaïs Saïed. Les délégations syndicales étrangères solidaires ont été interdites d’entrée en Tunisie.

Tandis que des centaines d’africains fuient la Tunisie après une campagne de racisme déclenchée par le chef de l’Etat, criant au « plan criminel pour transformer la composition démographique du pays », la puissante centrale syndicale UGTT monte au front pour se dresser contre une attaque en règle du président et dénoncer ce déchaînement haineux. Des milliers de manifestants se sont rassemblés samedi dans le centre-ville de Tunis Place Mhamed Ali, dans une démonstration de force qui rappelle les grandes dates de la mobilisation syndicale au temps de la révolution. Les slogans brandis exprimaient colère et détermination contre le pouvoir absolu, les arrestations arbitraires et les atteintes aux libertés. « Non au règne d’un seul homme », « Mettez fin à l’État policier », « Arrêtez les attaques contre le syndicat ».

La guerre est à présent franchement déclarée, après de long mois d’observation, entre l’UGTT et Kaïs Saëd. La tension s’est exacerbée au fil du renforcement du régime despotique, alors que le coup de force opéré le 25 juillet 2021 était supposé mettre fin au désordre institutionnel orchestré par les islamistes d’Ennahda.  « Notre souhait était d’entendre un  discours qui rassure et unisse  le peuple tunisien, mais, nous avons eu droit à des messages cryptés qui  diabolisent le syndicat », s’est exclamé le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, lors d’une prise de parole samedi. La Centrale cible ainsi la cascade de propos virulents que répand le président, contre les migrants africains, contre les syndicalistes, les opposants politiques, les militants associatifs.

L’UGTT a récemment dénoncé le discours « haineux, discriminatoire, incitant à la xénophobie et au racisme ». Elle a appelé à la «  suspension immédiate de ces campagnes qui affectent à la réputation de la Tunisie, son image et son histoire  ». Désormais confrontée à un autocrate dont les réactions deviennent imprévisibles, la Centrale se pose en tant que force populaire de stabilisation dans un contexte à hauts risques. « Nous sommes les partisans d’une lutte pacifique et civile. Notre arme est l’argumentation et la persuasion. Nous ne sommes pas les partisans de la violence et du terrorisme », a souligné le leader de l’UGTT, Noureddine Taboubi.

Celle-ci travaille à un plan de sortie de crise afin de palier l’absence de projet chez un pouvoir otage du Front monétaire international. « Les mouvements observés à travers le pays dénoncent la détérioration de la situation sociale et rejettent des politiques qui n’aboutiront qu’à l’appauvrissement du peuple en l’accablant par les impôts », a déclaré de son côté Sami Tahri secrétaire général adjoint de la Centrale, en marge de la manifestation rapporte la presse locale.

Les syndicats étrangers venus soutenir la mobilisation l’UGTT ont été interdits d’entrée dans le pays. Dans un communiqué commun, la CGT et la CFDT ont dénoncé cette entrave à la «   solidarité internationale » qui s’inscrit «   dans une longue liste de violation des droits humains en Tunisie ces derniers mois ». Le pays, qui se prévalait d’une démocratie inédite au Maghreb et dans le monde arabe, s’abime dans la régression.

  publié le 4 mars 2023

Grèce : l'accident ferroviaire coagule
les colères de la jeunesse

Par Nikos Smyrnaios Professeur en sciences sociales à l’université de Toulouse sur www.humanite.fr

L’accident ferroviaire survenu le 1er mars près de la ville de Larissa faisant plus d’une cinquantaine de morts, dont des nombreux étudiants rentrant d’un long weekend, a vu exploser la colère de la jeunesse grecque. Des nombreuses manifestations réunissant des milliers de personnes, principalement des étudiants et des lycéens, ont eu lieu dans les plus grandes villes de la Grèce notamment à Athènes, Patras, Volos et Thessalonique.

Cet accident dramatique est le résultat d’une série de négligences en cascade qui résulte directement de la destruction du service public du rail depuis une dizaine d’années. Il a constitué le catalyseur d’une colère sourde qui domine au sein de cette génération sacrifiée qui a vécu dans un pays ravagé par la crise et par la cure austéritaire imposée par les créanciers.

Le programme économique contenu dans les memoranda successifs imposés par la Troïka prévoyait notamment le démantèlement du service public du rail et la privatisation de la partie la plus rentable, à savoir le transport de passagers. L’entretien des installations a été laissé pour compte. Des centaines des cheminots ont été transférés à d’autres services de l’administration ou ont été mis en préretraite de manière à rendre le lot plus attractif pour l’acheteur Trenitalia. La même logique de vente à la découpe a prévalu pour d’autres services publics comme l’opérateur public d’électricité ou les télécoms.

Par ailleurs, des reformes radicalement néolibérales ont été imposées à marche forcée à l’école, à l’université et à l’hôpital. Cette dégradation sévère du service public a eu comme effet l’un des taux de mortalité le plus élevé en Europe pendant la crise du Covid et une baisse drastique de la qualité de l’enseignement scolaire et universitaire. La dérégulation complète du marché du travail a fini par achever les derniers vestiges de l’état social grec.

Après la parenthèse de Syriza, qui a tenté de gérer cette situation tant bien que mal mais qui a participé à la continuation de ces politiques, la dérégulation néolibérale destructrice de la société grecque s’est accélérée à partir de l’arrivée au pouvoir en 2019 du gouvernement de droite dirigée par Kyriakos Mitsotakis. Ce dernier a mis en œuvre une politique de néolibéralisme autoritaire radical et corrompu, facilitée par l’état d’exception imposé pendant la crise de Covid et tolérée par ses partenaires européens.

La jeunesse notamment s’est trouvée confrontée à la violence arbitraire de la police, à une crise de logement sans précédent, à des conditions de travail précaires et au manque de perspectives pour l’avenir. C’est ainsi que depuis une dizaine d’années les jeunes grecs ont quitté massivement leur pays à la recherche d’une vie digne. Ceux qui restent sont témoins d’un processus de délitement de la société grecque qui semble irréversible sous Mitsotakis.

Du scandale de la surveillance massive organisée par le gouvernement aux multiples cas de corruption et de trafic d’influence caractérises ; des violences sexuelles et des crimes mafieux impliquant des membres de la police et couverts par le pouvoir et par la justice ; de la propagande organisée par les médias dominants aux tentatives de censure de la presse indépendants, l’accumulation des affaires désespère la population et étouffe la jeunesse.

Cependant ces derniers mois un mouvement de résistance tente de s’organiser englobant les secteurs les plus dynamiques de la société grecque. Ainsi, les étudiants se sont levés il y a quelques mois contre l’instauration d’une police de l’université et ont réussi à faire reculer le gouvernement. Les artistes sont actuellement en pleine protestation contre une réforme qui reviendrait sur la reconnaissance de leur formation. Ce mouvement très dynamique qui occupe des dizaines d’espaces culturels à Athènes et Thessalonique est actuellement en train de fusionner avec celui qui exige des explications pour le drame ferroviaire.

Cette coagulation des colères repolitise une société devenue cynique et résignée après l’échec du mouvement des Indignés des années 2011-2013. La question du débouché politique se pose maintenant, à quelques mois des élections législatives.

  publié le 3 mars 2023

Violences policières. En Guadeloupe, la famille de Claude Jean-Pierre attend toujours justice

Benjamin König sur www.humanite.fr

L’avocate de la famille de Claude Jean-Pierre, un Guadeloupéen décédé en 2020 après un contrôle de Gendarmerie, interpelle sur la nécessité d’un procès dans cette affaire. Entretien.

Capture d'écran de la chaine France Antilles, lors de la conférence de presse du collectif d'avocat de la famille de Claude Jean-Pierre, en juin 2021

Le 21 novembre 2020, Claude Jean-Pierre, un habitant de 67 ans de Deshaies, en Guadeloupe, était interpellé par deux gendarmes. Douze jours plus tard, il décédait à l’hôpital, après avoir été admis avec une double fracture des cervicales, dont l’une compressait la moelle épinière, et plusieurs hématomes au visage.

Quelques semaines plus tard, une vidéo provenant de la caméra qui équipe la mairie de Deshaies montre une arrestation brutale, le corps inerte de Claude Jean-Pierre, la violence des gendarmes. Depuis, l’affaire ressemble à un énième déni de justice.

Le procureur Xavier Sicot, qui estimait dès le début de l’enquête que les gendarmes avaient respecté les règles a demandé un non-lieu le 17 février. Au mépris des demandes de la famille de Claude Jean-Pierre. Désormais, c’est à la juge d’instruction de rendre sa décision d’ici peu.

Plusieurs rassemblements sont prévus, notamment ce vendredi 3 mars à 19 heures Pointe-à-Pitre, pour réclamer « Jistis Pou Klodo », un slogan scandé dans de nombreuses manifestations sur l’archipel. En attendant la conférence de presse qui se tiendra ce 3 mars à 10 heures, L’Humanité s’est entretenu avec Maître Maritza Bernier, la porte parole du collectif d’avocats intervenant pour la famille.

Le procureur de la République de Basse-Terre a demandé un non-lieu. Quelle est votre réaction ?

Maître Maritza Bernier : C’est un réquisitoire que nous contestons fermement, comme vous vous en doutez. Ce sera l’objet de la conférence de presse, tout en sachant que ce n’est pas encore la décision de la juge d’instruction, qui devra rendre son ordonnance sous peu. Nous entendons présenter des observations complémentaires à ce réquisitoire, compte tenu des éléments du dossier.

Êtes-vous surprise par ce réquisitoire ?

Maître Maritza Bernier : Pas vraiment, puisque dès le début, le procureur avait annoncé que pour lui, il n’y avait pas lieu de poursuites. On s’attendait tout de même à ce qu’au vu des éléments de l’instruction, notamment de la vidéo que tout le monde a pu visionner, les conséquences soient tirées. Ce n’est pas le cas. Mais nous restons confiants.

Même si nous sommes tenus par le secret de l’instruction, nous avons des éléments qui plaident pour un renvoi devant le tribunal. Le réquisitoire témoigne d’ailleurs, d’une certaine façon, de ce que le ministère public n’est pas très à l’aise... Cette affaire dépasse largement le cadre de la Guadeloupe, et nous avons des soutiens du monde entier. Ce procès est attendu.

Cette affaire illustre-t-elle un dysfonctionnement habituel de la Justice en Guadeloupe ? Vous avez reçu récemment le soutien des parlementaires de l’archipel, qui disent maintenir leur confiance dans la Justice, mais la question se pose avec acuité puisque cela fait écho à la récente ordonnance de non-lieu rendue dans le scandale du chlordécone ?

Maître Maritza Bernier : C’est sûr qu’on se dit, à un moment donné, que les non-lieux, on n’en veut plus ! Après celui outrancier dans l’affaire du chlordécone, que mes confrères ont défendu corps et âme, aujourd’hui on veut redonner confiance aux justiciables, et que la Justice soit la même pour tous. Qu’on soit de la maréchaussée ou pas, on doit répondre de ses actes.

Toute la Guadeloupe est touchée par cette affaire. Quel impact a-t-elle sur la société ?

Maître Maritza Bernier : Malgré le temps qui a passé, la plaie est béante. Deshaies est une bourgade de 4 000 habitants où tout le monde se connaît. Nous avons reçu le soutien des parlementaires, mais aussi du président du département (Guy Losbar, NDLR), de maires – il est pourtant rare qu’ils prennent ainsi position –, afin qu’il y ait un procès. Soutien également de la diaspora : Harry Roselmack a dénoncé un « déni de justice ». Si dans ce dossier-là, alors que nous disposons des images, il n’y a pas de réponse pénale, alors quand en aura-t-on ?

  publié le 1° mars 2023

Bénéwendé Stanislas Sankara : « Le peuple perçoit une forme de duplicité »

par Benjamin König sur www.humanite.fr

Avocat historique de la famille de Thomas Sankara et homme politique de premier plan, Bénéwendé Stanislas Sankara analyse, depuis le Burkina Faso mais aussi à l’échelle africaine, le rejet de la politique française.

Comment analysez-vous les derniers mois et cette rupture du Burkina Faso avec la France ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Entre la France et le Burkina Faso, ce sont des relations anciennes. Pour parler aujourd’hui de rupture, il faut apprécier comment elles se sont dégradées, mais souligner qu’au ­niveau diplomatique elles ne sont pas rompues. Nous parlons ici des relations avec la politique française : il ne faudrait pas que nous fassions de confusion avec les aspirations communes des peuples français et burkinabè qui sont le vivre-­ensemble dans l’intérêt de chaque peuple. Toutefois, nous avons constaté que la politique française s’est détériorée avec l’arrivée ­d’Emmanuel Macron.

Dans quel sens ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Que ce soit lors de ses rencontres avec la jeunesse africaine à Montpellier, en 2021, ou bien à l’occasion du discours à Ouagadougou, en novembre 2017 (devant les étudiants de l’université – NDLR), on n’a pu que constater un grand écart entre une parole politique très populiste, sur la complémentarité, la solidarité internationale, l’entraide, et les actes dont le Burkina Faso n’a pas du tout bénéficié…

Comment la population burkinabè ressent ce fossé entre le discours et les actes des dirigeants français ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Elle perçoit cela comme une forme de duplicité, de tromperie dans nos rapports politiques. Cela a d’ailleurs été corroboré par certains propos de la diplomatie française : l’ambassadeur qui était en poste à Ouagadougou a dû plier bagage.

Au-delà du cas de l’ambassadeur, vous semblez estimer que la France ne joue que pour ses propres intérêts…

Bénéwendé Stanislas Sankara : Bien sûr. C’est le général de Gaulle qui a dit que les États n’ont que des intérêts, et je crois que c’est une vérité absolue en politique. On ne peut pas condamner la France de jouer ses propres intérêts, de même que le Burkina Faso. Mais dans les relations interétatiques, il faut un minimum de vérité et de transparence, ce qui permet à chacun de négocier en fonction. Quand je parle de duplicité, au Burkina on a l’impression que la France préfère la démagogie, le mensonge, ne dit pas la vérité aux populations, jusqu’à ce qu’elles s’en rendent compte elles-mêmes. C’est le cas pour le peuple burkinabè, mais aussi pour les Français.

Des voix s’élèvent en France pour dénoncer un défaut d’analyse, le manque de cohérence, voire la duplicité des dirigeants français. Est-ce ce qui explique, selon vous, le recul de l’influence française en Afrique ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Ce recul de la France ne se fait pas de bon gré. Il y a eu le G5 Sahel, en matière de lutte contre le terrorisme. Plusieurs États de l’Afrique de l’Ouest sont en train de désapprouver la Cedeao et pensent que cet outil très puissant pour le développement économique n’est qu’un instrument de l’Union européenne, et que les grandes puissances comme la France s’en servent contre nos pays. Pour des intérêts économiques, fondés sur une politique qui ne joue pas franc-jeu, en utilisant la diplomatie, les institutions… Et la cerise sur le gâteau, c’est la co­opération militaire.

Précisément, sur le plan militaire, si l’influence est en recul avec le départ de « Barkhane » puis de « Sabre », la présence française reste importante. Comment est-elle perçue aujourd’hui par les populations ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Vous en avez un exemple ce jour même (27 février – NDLR) : au Niger, les syndicats ont appelé à manifester contre la présence militaire française. Vous avez vu le cas du Burkina : que ce soit sous Damiba ou aujourd’hui, ce sont les populations qui se sont organisées spontanément pour dénoncer la présence de l’armée française. En réalité, c’est le mode de dénonciation qui a changé. Traditionnellement, ce sont les syndicats et les partis politiques, notamment de gauche, qui dénonçaient ces accords de coopération militaire qui datent de l’aube des indépendances. Mais les politiques n’ont pas pris ce dossier au sérieux, ce sont donc les populations elles-mêmes qui montent au créneau.

Comment expliquez-vous que les populations africaines, notamment la jeunesse, s’emparent de ces sujets ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : La conscience africaine a changé, s’est forgée dans une maturité politique qui l’amène à prendre en main son destin, comme le disait le président Thomas Sankara. La jeunesse africaine a suffisamment pris conscience de son rôle, de sa place, et décidé de s’organiser à travers la société civile, les associations et même les réseaux sociaux. Souvent, cela échappe au contrôle des politiques et du pouvoir, qui est obligé de s’adapter aux revendications de changement de paradigme.

À propos du voyage d’Emmanuel Macron dans quatre pays africains, comment est-il perçu et comment l’analysez-vous ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Vous savez qu’en Afrique, on aime les proverbes, alors en voici un : « Quand on se noie, on s’agrippe même aux feuilles du nénuphar. » Emmanuel Macron a aujourd’hui intérêt à faire la cour à un certain nombre de pays pour conforter la position française, pour contrecarrer la marée montante de la contestation populaire contre la politique française.


 


 

Politique étrangère de la France en Afrique : les droits humains et la démocratie aux abonnés absents

sur ttps://www.ldh-france.org/

Communiqué commun d’ONG françaises et africaines

Dans le cadre de visites diplomatiques sur le continent africain, le Président français Emmanuel Macron se rend en République démocratique du Congo (RDC) le 5 mars 2023, après avoir visité le Gabon, l’Angola et le Congo-Brazzaville. 31 organisations de la société civile encouragent la France à placer la défense des droits humains et le respect de la démocratie au cœur de sa politique étrangère.

La visite du Président français Emmanuel Macron en RDC, le plus grand pays francophone au monde, a lieu dans un contexte particulièrement difficile pour le peuple congolais. Quand la violence dure depuis plus de trente ans, peut-on encore parler de crise ? Fin 2021, alors qu’il était présumé dispersé, le groupe rebelle du Mouvement du 23 Mars (M23) est réapparu dans l’est du pays où de nombreux autres groupes armés opèrent, engendrant de nouveaux épisodes de violence et des conflits localisés. Les civil-e-s, en particulier les femmes, en sont, comme toujours, les premières victimes.

La situation humanitaire est critique, et la montée des discours de haine ajoutent de l’huile sur un brasier déjà ardent, qui pourrait enflammer les autres pays de la région. Les élections prévues en décembre 2023 constituent une étape cruciale dans la consolidation de la vie démocratique du pays, mais représentent un défi tant du point de vue de leur organisation logistique qu’au vu de la situation politique et sécuritaire dans laquelle elles s’inscrivent.

En 2017, alors qu’il venait d’être élu pour la première fois, le Président français avait déclaré devant les étudiant·es africain·es à Ouagadougou qu’il envisageait « d’être aux côtés de ceux qui travaillent au quotidien à rendre la démocratie et l’état de droit irréversibles ». Près de six ans plus tard, il est plus que jamais temps que ces déclarations soient mises en œuvre. La visite du Président Macron dans les Grands Lacs est une opportunité de faire de la diplomatie française en faveur des droits humains plus qu’un vœu pieu, une réalité.

La RDC est dotée d’une société civile active et dynamique, qui veille au bon fonctionnement de la vie démocratique dans le pays. Militant-e-s, défenseur-e-s des droits humains et journalistes sont engagé-e-s aux côtés de la population congolaise, souvent au péril de leur vie. Cette première visite du Président Macron en RDC doit être la plus inclusive possible, notamment dans le contexte de tension actuel. À ce titre, il est fondamental que la société civile congolaise puisse être entendue. Nous encourageons fortement le Président à inclure, dans son programme, des concertations avec ses représentant·es alors que la population congolaise s’interroge sur les ambivalences de la position française.

Les annonces récentes de la France et de l’Union européenne (UE) sur le positionnement du Rwanda dans le contexte régional, avec d’une part la condamnation du soutien du Rwanda aux rebelles de M23 en RDC, et d’autre part l’octroi d’une aide de 20 millions d’euros aux forces rwandaises pour leur intervention au nord du Mozambique – où de lourdes allégations pèsent sur la préservation des intérêts économiques de l’entreprise française Total Energies – ont suscité des questionnements légitimes.

Les risques et impacts pour les droits humains de tels projets ont déjà été analysés et dénoncés par la société civile, ainsi que par le Parlement européen, dans le cadre de l’exploitation par Total Energies du pétrole du lac Albert, entre la RDC et l’Ouganda. À cet égard, il est primordial que la France adopte une position ferme qui appelle au respect des droits humains, assure des investissements responsables et des relations économiques respectueuses des normes internationales et de l’environnement en RDC, et plus globalement en Afrique. La France doit profiter de sa visite en RDC et en Afrique pour s’enquérir de la mise en œuvre effective du devoir de vigilance par les entreprises qui opèrent et déploient leur chaîne de valeur en RDC.

Depuis le 20 février, l’UE s’est dotée d’une nouvelle stratégie sur les Grands Lacs qui privilégie les aspects économiques comme réponse globale aux conflits dans la région au détriment des politiques basées sur le respect des droits humains et la bonne gouvernance. Alors que la visite du Président Macron arrive après celle du Pape François à Kinshasa en janvier 2023, où ce dernier a fermement condamné le pillage des pays africains et de la RDC, il est essentiel que la France soutienne les initiatives visant à appréhender les causes profondes des conflits de la sous-région. Un appui à la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves et aux efforts de justice transitionnelle en cours, ainsi qu’un soutien aux efforts et processus de paix initiés devraient être au cœur de la visite de la France en RDC. Si la montée en puissance d’acteurs comme la Chine ou la Russie sur le continent africain est aujourd’hui une réalité qui contrarie la place de l’UE dans la région des Grands Lacs, c’est dans les valeurs démocratiques et des droits humains que la coopération européenne et française trouve sa valeur ajoutée, et non dans la compétition économique accrue avec des acteurs comme la Chine et la Russie.

S’agissant du processus électoral en RDC, il est important de rappeler au gouvernement congolais ses propres engagements en termes d’inclusivité, de respects des droits civils et politiques, mais également en termes de participation et représentation politique des femmes dans ce processus, en vertu de la loi de 2015 sur la parité. Soutenir la mise en œuvre effective de ces engagements, c’est soutenir les efforts des autorités congolaises visant à rétablir la confiance de la population congolaise envers ses institutions, ce qui est indispensable pour l’instauration d’un environnement propice à la tenue d’élections crédibles et apaisées. Pendant cette période électorale, il est également important d’apporter un soutien au Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme (BCNUDH) dans son mandat de monitoring et reporting de la situation des droits humains en RDC, ainsi qu’aux mécanismes de protection des défenseur·es des droits humains.

Les organisations signataires appellent le Président Emmanuel Macron à placer au cœur de sa politique étrangère la défense des droits humains et le respect de la démocratie :

- en promouvant un dialogue inclusif avec la société civile congolaise – garante du respect des principes démocratiques – en incluant dans son programme des rencontres avec ses représentant-e-s ;

-  en clarifiant la position de la France en terme de coopération militaire et sécuritaire, en particulier vis-à-vis des forces rwandaises en privilégiant la mise en œuvre d’une politique de diligence voulue en matière de droits humains pour tout appui au secteur de sécurité et de défense ;

-  en soutenant les processus de paix en cours et des initiatives visant à traiter les causes profondes des conflits, notamment la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves ;

-  en s’engageant de façon ferme en faveur de la loi relative au devoir de vigilance des multinationales, adoptée en 2017 par le Parlement français, concernant notamment les activités de Total Energies dans le lac Albert ;

-  en soutenant les financements et investissements respectueux des engagements internationaux de la France pour l’environnement, la démocratie et les droits humains en RDC et en Afrique ;

- en promouvant dans son dialogue politique bilatéral avec les autorités congolaises, l’ouverture de l’espace démocratique et des droits humains comme conditions préalables à des élections crédibles et apaisées, notamment en ce qui concerne les droits à la liberté de réunion, d’association et de manifestation ainsi que la protection des défenseur-e-s des droits humains.

Signataires : Action des chrétiens pour l’abolition de la torture de République démocratique du Congo (ACAT RDC) ; Actions Sans Frontières (AFRO) ; Agir ensemble pour les droits humains ; Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO) ; Célébrons le courage de la Femme ; Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID) ; Centre international pour la promotion de développement et des droits de l’Homme (CEIPDHO) ; Collectif Simama Congo (COSIC) ; Commission Justice et Paix Belgique francophone , Congolese International Congres (CIC) ; Emmaüs International ; Ensemble contre la peine de mort (ECPM) ; Fédération internationale des ACAT (FIACAT) ; Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ; Foundation for Human Rights Initiative (FHRI) (Uganda) ; Groupe Lotus (RDC) ; Justicia, asbl ; Karibu Jeunesse Nouvelle (KJN) ; Le Mouvement de la Paix ; Ligue burundaise ; ITEKA ; LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Ligue des Electeurs (RDC) ; Misereor ; Nouvelle dynamique de la société civile en RDC (NDSCI) ; Observatoire des droits de l’Homme au Rwanda (ODHR) ; Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ; Protection international ; Réseau européen pour l’Afrique centrale (EurAc) ; SAPI international ; SOS IJM ; Tournons la page (TLP) ; Vision Social (VISO).

Le 28 février 2023

 

   publié le 27 février 2023

L’échec des sanctions et la fin de l’hégémonie étatsunienne

Par Robert Kissous - (Communiste - Militant associatif - Rencontres Marx) sur https://blogs.mediapart.fr/

La domination occidentale sur le monde dure depuis cinq siècles. Il est largement temps de passer à un monde multipolaire qui laisse la possibilité à chaque pays de défendre sa souveraineté.

Le FMI confirme ce que nous avons déclaré depuis le début : les sanctions contre la Russie échoueront et même se retourneront par un effet boomerang contre les pays européens essentiellement.

Les prévisions de croissance du FMI sont claires : la Russie est tombée en récession en 2022 avec une baisse du PIB (-2,2%) alors qu’au printemps 2022 le FMI anticipait un effondrement de 8,5 % du PIB russe. Alors que notre économiste en chef Bruno Le Maire, Mme von Leyen et tous leurs amis promettaient une catastrophe économique en Russie, le FMI prévoit une légère progression (0,3%) en 2023 puis 2,3% en 2024 soit plus que la zone euro (1,6% prévu en 2024). L'économie de la Russie devrait croître plus rapidement que celle de l'Allemagne. Non pas malgré les sanctions mais comme conséquence directe des sanctions, de leur effet boomerang.

Pour la seule Allemagne le coût pour le remplacement de l’énergie de Russie s’élève à près de 500 milliards de dollars[1]. L'industrie allemande paiera environ 40% plus chère l'énergie en 2023 qu'en 2021, selon une étude de l'assureur-crédit Allianz Trade. Le quart de l'industrie allemande déclare vouloir se délocaliser, particulièrement aux EU qui les appâte avec les subventions prévues dans la nouvelle loi étatsunienne sur la réduction de l'inflation (IRA).

Autrement dit, mais ça ils ne peuvent le reconnaître, la politique de sanctions est un échec monumental qui a plus nui aux européens qu’à la Russie tout en profitant aux EU. Les cinq plus grandes compagnies pétrolières occidentales ont engrangé 200 milliards de dollars de profits, le marchands d‘armes se portent également très bien. Les surprofits des uns font les pertes des autres.

Mais plus important encore, les Etats-Unis ont réussi à briser le lien entre la Russie et l’Allemagne qui menaçait la domination US sur l’Europe. Les excédents commerciaux colossaux de l’Allemagne, insupportables pour les Etats-Unis, supposaient une énergie abondante et pas chère que seule la Russie pouvait fournir à l’industrie allemande. L’acte terroriste, acte de guerre, qu’est le sabotage des gazoducs NS-1 et NS-2 par les Etats-Unis soutenus par la Norvège et autres, dit clairement à l’Allemagne qu’elle sera soumise à la stratégie US. Les Etats-Unis n’ont pas d’alliés mais veulent des vassaux ce qui finira par fissurer le bloc occidental.

Les Etats-Unis après leurs échecs militaires répétés pensent atteindre leurs buts par des sanctions économiques et financières. Mais ça ne marche pas mieux. Le trois-quarts des pays du monde, soit 80% de la population mondiale, refusent de s’y associer malgré des menaces ou des promesses. Le monde a changé mais le bloc occidental, qui s’autoproclame « communauté internationale », préfère ignorer la réalité.

Le moteur de la croissance mondiale est en Asie. Selon le FMI la Chine et l'Inde, à elles seules, réaliseront en 2023 la moitié de la croissance économique mondiale, contre un dixième pour les États-Unis et l'Union européenne réunis. Comment alors s’étonner de l’échec des sanctions ? Comment s’étonner du succès croissant des BRICS qui enregistrent des demandes d’adhésion nombreuses ? Comment s’étonner de l’extension de l’utilisation de monnaies nationales à la place du dollar dans les échanges internationaux entre pays du sud et pays émergents ? Les prémices de nouveaux rapports entre pays, de l’instauration d’un nouveau système financier mondial qui ne soit pas soumis au diktat des Etats-Unis ?

Il faut se rendre à l’évidence : ce n’est pas l’accumulation de capitaux ni le casino boursier qui créent les richesses mais le labeur des centaines de millions de travailleurs d’ex pays sous-développés, exploités, qui se mettent en mouvement pour sortir de la misère. Ils veulent en premier lieu avoir le droit au développement et non se soumettre aux stratégies du bloc occidental emmené par les EU pour assurer leur hégémonie planétaire. Stratégies dangereuses qui nous conduisent au bord du précipice. La troisième guerre mondiale a-t-elle commencée ? La question est posée, tous les éléments y concourent puisque les dominants ne cèderont pas de leur plein gré leur « paradis ».

La domination occidentale sur le monde dure depuis cinq siècles. Il est largement temps de passer à un monde multipolaire qui laisse la possibilité à chaque pays de défendre sa souveraineté.

[1] https://www.reuters.com/business/energy/germanys-half-a-trillion-dollar-energy-bazooka-may-not-be-enough-2022-12-15/


 


 

Les Brics, comme un pavé jeté dans l’ordre mondial

Lina Sankari sur www.humanite.fr

L’élargissement du bloc, qui réunit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, et la création d’une monnaie de réserve pourraient constituer une réponse aux bouleversements économiques nés de la guerre en Ukraine et une alternative à l’hégémonie du dollar.

Du monde se bouscule à la porte des Brics, dont les libéraux aiment régulièrement annoncer la mort. Les bouleversements internationaux, en premier lieu la guerre en Ukraine, ainsi que le retour de la gauche au Brésil, semblent de nouveau susciter l’intérêt des pays émergents pour le bloc. Treize pays ont ainsi marqué leur volonté de rejoindre l’organisation, dont l’Algérie, l’Égypte, l’Iran, le Bahreïn, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Turquie, l’Afghanistan et l’Indonésie. « Tous les pays des Brics voient l’expansion d’un bon œil. L’Afrique du Sud également, mais nous avons besoin de trouver les modalités et les critères appropriés », explique l’ambassadeur d’Afrique du Sud en Russie, Mzuvukile Jeff Maqetuka, dont le pays assure la présidence tournante.

Le Brics coin, une alternative au dollar

Alors que les pays émergents cherchent la voie de la relance, un projet est vu comme une alternative potentielle à l’hégémonie du dollar : une monnaie commune. « La part des monnaies nationales dans les règlements entre les Brics et dans nos règlements avec d’autres pays augmente activement. Et il y a déjà des initiatives au sein des Brics visant à créer une monnaie unique », assure de son côté le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Les États-Unis et l’Europe, qui pressent les pays émergents de rompre avec la Russie à la faveur de la guerre en Ukraine, voient d’un mauvais œil cette nouvelle monnaie de réserve, le Brics coin, basée sur un panier de devises.

Contourner le Fonds monétaire international

Si l’intégration monétaire a déjà commencé pour le paiement des échanges bilatéraux, la nouvelle monnaie pourrait également permettre aux Brics de s’émanciper des droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international dont la valeur est déterminée par un panier de monnaies composées du dollar, de l’euro, du yuan, du yen et de la livre sterling. Les DTS sont alloués pour le remboursement de la dette extérieure lorsqu’un pays ne dispose plus d’assez de réserves de devises étrangères. La question est vitale pour la Russie dont les réserves de change ont été gelées à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Mais également pour la Chine, qui cherche à se prémunir contre toute action éventuelle du Trésor américain et à façonner un ordre mondial affranchi des règles édictées après la Seconde Guerre mondiale. Les autres pays émergents partagent cet objectif, d’autant plus que, lorsque la banque centrale états-unienne augmente ses taux pour faire face à l’inflation, cela a des conséquences directes sur ces États qui sont ceux qui souffrent déjà le plus des conséquences économiques de la guerre en Ukraine.

Un sujet d’inquiétude pour l’Europe

Les Brics vont même plus loin. « Si (une nation) réserve une partie de (ses) ressources naturelles pour soutenir le nouveau système économique, (son) poids respectif dans le panier de devises de la nouvelle unité monétaire augmentera en conséquence, ce qui permettra à cette nation de disposer de réserves monétaires et d’une capacité de crédit plus importantes », souligne Sergey Glazyev, membre du conseil national financier de la banque centrale russe et ministre chargé de l’Intégration et de la Macroéconomie de la Commission économique eurasienne. Un sujet d’inquiétude pour l’Europe, qui tente aujourd’hui de sécuriser leur mainmise sur le pétrole ou le gaz naturel. C’est à ce moment que l’expansion des Brics intervient. L’alliance avec des pays de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) est à ce titre essentielle. La Chine, par exemple, pourrait utiliser ses capitaux pour développer ses propres capacités de raffinage et de transformation, privant les entreprises européennes de parts de marché conséquentes. De facto, l’importation de pétrole deviendrait encore plus chère pour l’Europe.

L’Indonésie, qui pourrait également être intéressée par une adhésion aux Brics, a formulé l’an dernier l’idée de créer une organisation similaire à l’Opep dédiée aux métaux rares qui entrent dans le processus de fabrication des batteries de voitures électriques. La compétition est accrue puisque, fin 2022, le Canada a demandé à trois entreprises chinoises de se retirer de l’exploitation de lithium. Actuellement, l’Europe est fortement dépendante du marché chinois et la relocalisation de cellules de batteries sur le continent serait toutefois insuffisante pour répondre à la politique protectionniste américaine. L’Inflation Reduction Act prévoit en effet des crédits d’impôt pour l’achat d’un véhicule électrique dont l’ensemble des composants sont construits aux États-Unis. Une stratégie qui pourrait entraîner des délocalisations vers les États-Unis. Dans cette guerre des capitalismes, les Brics tentent de trouver l’alternative.

 

La Celac rêve aussi d’un monde sans dollars

 Les Brics ne sont pas les seuls à réfléchir à une alternative à l’hégémonie du dollar. C’est également le cas de la Communauté d’États latino-américains et des Caraïbes (Celac) qui, par l’intermédiaire de l’Argentine et du Brésil, a avancé l’idée d’une monnaie commune, le sur, afin de relancer les investissements, l’emploi et les économies régionales successivement touchés par le Covid, puis l’inflation liée à la guerre en Ukraine. Rejetant le modèle néolibéral de l’euro et de la Banque centrale européenne, Buenos Aires et Brasilia suggèrent de permettre aux États de disposer d’une monnaie de réserve pour leurs échanges. Le sur serait accompagné d’un système de compensation entre banques centrales et ne remplacerait pas les devises nationales.


 


 

Quelle Europe émergera de cette maudite guerre ?

Francis Wurtz sur www.humanite.fr

La guerre d’Ukraine a vu la naissance tardive d’une Union géopolitique (…). Nous devons nous doter de l’état d’esprit et des moyens nécessaires pour faire face à l’ère de la puissance et nous devons le faire à grande échelle.« Telle est depuis quelque temps la doctrine de l’Union européenne, rappelée par le chef de sa diplomatie, Josep Borrell, un mois après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine (1). Manifestement, le Kremlin, par sa maudite guerre en Ukraine, a dopé des tendances lourdes, déjà à l’œuvre dans l’UE auparavant, en exacerbant les pires travers.

La première de ces tendances est la militarisation à outrance de l’Europe. Le cas de l’Allemagne est le plus spectaculaire. Rompant avec la tradition pacifiste adoptée après la défaite du nazisme, Berlin affiche aujourd’hui l’ambition de devenir »la force armée la mieux équipée d’Europe« . Paris, de son côté, fait faire un bond de 40 % à sa loi (pluriannuelle) de programmation militaire. La Pologne, quant à elle, a plus que doublé son budget des armées. Partout, les dépenses militaires, déjà orientées à la hausse avant le conflit, s’envolent littéralement depuis son déclenchement. L’Union européenne, en tant que telle, a créé un instrument financier sans précédent – intitulé… »facilité européenne pour la paix« – pour fournir directement une aide militaire à des pays tiers. Quant à l’Otan, elle est passée en un temps record de »l’état de mort clinique« à un activisme effréné en Europe, où elle recrute même d’anciens pays neutres !

Cette militarisation de l’Europe se conjugue avec une autre tendance en plein essor : l’américanisation de l’Union européenne. Les États-Unis déploient désormais dans l’UE plus de 100 000 soldats, en particulier dans sa partie orientale. Ils y écoulent avions de chasse, chars de combat, missiles et autres pièces d’artillerie en quantité exponentielle. Ils y exportent au prix fort leur gaz naturel liquéfié, produit par fracturation hydraulique, un procédé largement interdit en Europe. Notre dépendance à l’Amérique est, plus que jamais, économique, politique et stratégique.

Ajoutons à cela que la guerre en Ukraine a déplacé le centre de gravité de l’UE vers l’Est et mis sur un piédestal la Pologne du PiS, un régime dont certains discours rappellent ceux du RN, et dont, paradoxalement, la »vision du monde n’est pas sans présenter des similitudes avec celle du président russe, qui tend à s’ériger en dirigeant de la restauration conservatrice en Europe« (2). Hier paria de »l’Europe des valeurs« du fait du non-respect de l’État de droit, de l’interdiction de l’IVG, de l’établissement de »zones libres d’idéologie LGBT« , du rejet des réfugiés (à l’exception des catholiques), les migrants pouvant être »porteurs de toutes sortes de parasites« dont il convient de protéger les Polonais (Jaroslaw Kaczynski), Varsovie voit aujourd’hui validée par ses 26 partenaires sa vision stratégique de l’Europe : un atlantisme inconditionnel et une conception de la sécurité européenne qui ne voit désormais de salut que dans l’escalade des armes. Quo vadis, Europa ?

(1) Voir »le Grand Continent« , 24 mars 2022.

(2) Voir »Pologne : l’Europe du PiS« , Valentin Behr (25 juin 2018), »Regard sur l’Est« .

 

publié le 26 février 2023

Comment stopper
la colonisation israélienne ?

sur www.humanite.fr

Tel-Aviv vient d’autoriser de nouvelles colonies. Seul un coup d’arrêt à ce processus d’annexion de la Cisjordanie peut relancer un processus de paix.


 

L’Union européenne est complice des violations du droit international par Israël. Il faut se mobiliser pour que l’Europe agisse.

Par Patrick Le Hyaric, ancien député européen et membre de la délégation du Parlement européen chargé des relations avec la Palestine de 2009 à 2019

C’est contre le colonialisme et la colonisation que la jeunesse palestinienne s’insurge et agit. Elle a raison de vouloir empêcher les expulsions des logements, notamment à Jérusalem, l’accaparement des terres, le vol de l’eau de la vallée du Jourdain. C’est une nouvelle phase du combat pour la libération qui est ainsi engagée contre un occupant qui s’est doté d’un pouvoir d’extrême droite, religieux et suprémaciste.

Les États-Unis et l’Union européenne sont complices de la violation du droit international. Le gouvernement de Tel-Aviv colonise, brime et réprime, occupe, annexe chaque jour un peu plus la Palestine : 164 colonies et 116 avant-postes préparant l’installation de colonies supplémentaires incluant Jérusalem-Est. Le combat contre la colonisation est celui de la construction d’un pays, d’un État. Les Palestiniens ont pour eux le nombre et le droit international. Rien ne dit qu’il sera possible d’y résister.

Le combat contre la colonisation est celui de la construction d’un pays, d’un État.

Le droit international ne peut être à géométrie variable selon les intérêts occidentaux et leurs sociétés financières et industrielles. À juste titre les institutions internationales et la plupart des gouvernements demandent instamment au maître du Kremlin de mettre fin à sa tentative d’annexion et de respecter la souveraineté territoriale de l’Ukraine. Pourquoi les mêmes n’ont-ils donc aucun mot pour faire cesser l’annexion de la Palestine ? Les trois quarts de l’humanité perçoivent bien cet insupportable deux poids, deux mesures. Nous devons donc rehausser nos interventions auprès du gouvernement et de l’Union européenne.

En ces temps où l’on se gargarise tant des « valeurs » démocratiques, l’Union européenne ne semble pas décidée à sanctionner les atteintes au fameux « État de droit » malgré les mouvements de masse des populations et des juristes israéliens. Au contraire, elle garde un étrange silence et relance le conseil d’association qui avait été annulé depuis 2012. Mandataire zélé des intérêts capitalistes, les autorités européennes couvrent l’implication de centaines d’institutions financières européennes, qui ont octroyé au moins 255 milliards de dollars à une cinquantaine d’entreprises participant activement au développement des colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. La France ne trouve rien à redire à l’implantation du groupe Carrefour dans les colonies, ni aux financements par BNP Paribas, la Société générale, le Crédit agricole et la BPCE, de projets irriguant l’économie de la colonisation.

L’action en direction des gouvernements et des grandes entreprises et banques qui soutiennent la colonisation est le moyen de faire respecter l’article 49 de la 4e convention de Genève, qui interdit « le transfert d’une partie de sa propre population civile par la puissance occupante dans le territoire occupé par elle ». La campagne européenne « Stop colonies » et la campagne « Boycott, désinvestissement, sanctions » doivent trouver de nouveaux prolongements pour des actions citoyennes communes à l’échelle européenne. Portons-nous aux côtés des travailleurs, des populations civiles et de la jeunesse palestinienne.

Le mouvement national palestinien est plus vivant que jamais. Seules des sanctions internationales peuvent stopper la colonisation.

Par Leïla Shahid, ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne

En mai, nous commémorerons les 56 ans d’occupation militaire de la Palestine et les 75 ans de la Nakba, la grande catastrophe de 1948 et l’expulsion de 700 000 Palestiniens. Cela fait 55 ans que l’occupation militaire israélienne dure sans que le monde entier la condamne et que personne ne fasse rien pour y mettre fin. Tous les jours, il y a plus de colonies, plus de routes et plus de camps militaires. Le nouveau gouvernement de Benyamin Netanyahou vient d’octroyer un permis officiel à 9 nouvelles implantations et d’autoriser la construction de 9 000 logements. Aujourd’hui, 700 000 colons vivent dans les territoires occupés. Leurs milices armées agressent les habitants des villages voisins, volent les terres et détruisent les champs d’oliviers. Les colons sont des religieux millénaristes et suprémacistes juifs, prêts à tuer femmes et enfants et à procéder à un nettoyage ethnique.

La Palestine a besoin que l’Europe et les pays arabes s’impliquent. 

Pour sortir de la tragédie, la Palestine peut compter sur un mouvement national très puissant. Peu importe qui succédera à Mahmoud Abbas, le mouvement palestinien est un mouvement de citoyens. Nous assistons au retour de ceux que Jean Genet appelait les fedayins, les « combattants de la liberté ». Cette reprise de la lutte armée est le fruit de la débâcle de la diplomatie américaine, européenne et arabe. Les jeunes Palestiniens des camps de Cisjordanie ont pris les armes contre les colons. Ces jeunes qui ont entre 13 et 18 ans font preuve d’une grande maturité. Ils ne s’en prennent pas aux civils. Ces jeunes prennent les armes pour dire au monde entier que la question palestinienne ne peut pas être effacée.

Nous assistons également au réveil du mouvement des prisonniers, qui a lancé un appel à la grève de la faim à compter du premier jour du ramadan. 4 780 Palestiniens, dont 19 femmes et 150 moins de 18 ans, croupissent dans les geôles d’Israël en violation des conventions de Genève. 914 personnes sont emprisonnées comme détenus administratifs, c’est-à-dire sans connaître le motif de leur détention et sans bénéficier d’un avocat. Le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a décidé de retirer la nationalité à tous les prisonniers qui résidaient en Israël et leur carte de résidence à tous ceux de Jérusalem-Est. Non seulement on détruit leur maison, on durcit leurs conditions de détention, mais en plus on les rend apatrides.

La Palestine a besoin que l’Europe et les pays arabes s’impliquent. La communauté internationale doit prendre des sanctions à l’encontre d’Israël. Comment expliquer la différence de traitement entre l’Ukraine et la Palestine ? Comment expliquer la rapidité avec laquelle la Russie a été sanctionnée et l’impunité dont jouit Israël depuis 56 ans ? Aujourd’hui encore, l’Union européenne achète des produits fabriqués dans les colonies. La coopération militaire, civile et scientifique se poursuit comme si de rien n’était. Les Palestiniens se défendent comme ils peuvent. Alors que les Ukrainiens réclament des armes, nous ne demandons, nous, que des sanctions. Sans sanctions, la colonisation se poursuivra.


 


 

« L’occupation est
la principale cause de violence »

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Yehuda Shaul met en lumière les objectifs du gouvernement de Netanyahou et regrette le lourd silence de la communauté internationale, qui lui laisse carte blanche.

Yehuda Shaul a fondé Breaking the Silence, qui rassemble des vétérans de l’armée israélienne engagés contre l’occupation de la Palestine. Il en a été le codirecteur jusqu’en 2019. Depuis, il a créé Ofek, le Centre israélien pour les affaires publiques, un groupe de réflexion qui se consacre à la promotion d’une résolution pacifique du conflit israélo-palestinien. Il était récemment à Paris, à l’invitation de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine.

Qu’est-ce qui a changé depuis que Netanyahou est revenu au pouvoir ?

Yehuda Shaul : Ce gouvernement a annoncé de façon très claire qu’il poursuivrait l’annexion des territoires palestiniens. Maintenant, il n’y a plus aucun doute sur ses intentions. La recherche de l’annexion est claire. À partir de là, la seule question qui vaille est : comment la communauté internationale va-t-elle réagir ? Mais c’est le silence, il n’y a aucune réaction. Pourtant, de nos jours, la question de l’annexion est un problème très actuel en Europe. Nous voyons ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie. Je ne dis pas qu’il s’agit de la même chose. Mais ce qui est commun, ce sont les questions de respect des principes internationaux ou le refus de la prise de territoires par la force et donc de l’annexion. Malheureusement, la communauté internationale ne réagit pas de la même façon lorsqu’il s’agit de l’annexion par Israël.

De nombreux éléments au sein de ce gouvernement veulent une escalade. Ils pensent que cela amènera de nouvelles violences. Parce que c’est une bonne couverture pour mettre en œuvre une politique encore plus extrémiste à l’encontre des Palestiniens. On voit comment le ministre d’extrême droite de la Sécurité nationale, Ben Gvir, pousse pour accélérer les démolitions de maisons palestiniennes à Jérusalem-Est. Ce qui provoque plus de violence sur le terrain.

Il y a néanmoins des réactions internationales. Comment les considérez-vous ?

Yehuda Shaul : Je crois qu’il y a un problème sur la façon dont on en parle. Qu’il y ait une déclaration européenne contre la violence, c’est très bien. Mais, en fait, ce n’est pas sérieux. Cela fait partie du problème. Si on veut vraiment la fin de la violence, il faut s’occuper des causes. Et les causes principales sont l’occupation et l’annexion. La violence ne vient pas de nulle part. Si vous faites comme si la violence palestinienne n’avait pas de raisons, vous n’aidez pas à résoudre le problème. C’est à cela qu’il faut s’attaquer si l’on veut arriver à une situation apaisée.

Qu’est-ce qui réunit tous ces partis autour de Netanyahou ?

Yehuda Shaul : Les trois piliers de la coalition de Netanyahou ont des intérêts totalement alignés. Les raisons de ce mariage reposent sur la destruction complète du système judiciaire israélien et de son indépendance. Netanyahou est susceptible d’aller en prison pour des accusations de corruption, le Parti sioniste religieux veut en finir avec la Cour suprême parce qu’il souhaite aller vers l’annexion, et les ultraorthodoxes veulent être sûrs que la Cour suprême ne va pas statuer sur le fait que leur exemption du service militaire est inconstitutionnelle. C’est pour cela qu’ils feront tout ce qui est possible pour faire progresser ces politiques. Jusque-là, si un parti n’était pas autorisé à se présenter aux élections, il faisait appel devant la Cour suprême. C’est ce qui est arrivé au parti arabe Balad, exclu par le Parlement, mais qui a finalement pu se présenter grâce à la Cour suprême. Mais, demain, si les prérogatives constitutionnelles de la Cour suprême disparaissent, ce ne sera plus possible. Et d’autres partis pourraient suivre comme Hadash (communiste) ou Raam (islamiste). Que feront-ils ? Ils boycotteront. Mais cela signifiera qu’il y aura des élections sans partis représentant les Palestiniens d’Israël. De même, plus rien ne s’opposerait à la saisie des terres palestiniennes par les colons. Beaucoup ne réalisent pas à quel point c’est dramatique.

Israël est un pays sans Constitution. Ce qui est en train de se passer pourrait-il changer la nature du régime ?

Yehuda Shaul : C’est non seulement un pays sans Constitution, mais également un pays où vous avez des gouvernements de coalition. Ce qui signifie que l’exécutif, le gouvernement, détient la majorité au sein du législatif puisque la coalition détient 61 sièges sur les 120 de la Knesset. Aujourd’hui, le judiciaire est le seul capable de faire la balance vis-à-vis de l’exécutif. Si le judiciaire disparaît, il n’y a plus de contrepoids. Bien sûr, cela changerait la nature du régime. La fuite, survenue après la visite de Netanyahou à Paris, des propos du président Macron par lesquels il avertit que, si cette révolution réussissait, Israël s’éloignerait de la communauté des démocraties le montre. Il est important que la communauté internationale appelle les choses par leur nom.

Il reste que cette coalition est issue du vote des Israéliens. Qu’est-ce que cela dit de la société israélienne ?

Yehuda Shaul : Il faut se souvenir que Bezalel Smotrich, ministre des Finances, et Itamar Ben Gvir, de la Sécurité nationale, regroupés au sein du Sionisme religieux, ont gagné 14 sièges. Le transfert de la population palestinienne fait partie de leur plateforme. Par ailleurs, 20 % des militaires ont voté pour eux. C’est un sacré changement de tendance dans la société juive israélienne.

On assiste à de grandes manifestations contre ces projets, mais la question palestinienne semble oubliée…

Yehuda Shaul : C’est triste mais, lorsqu’il s’agit de la politique d’Israël contre les Palestiniens, il y a presque un consensus parmi les politiciens juifs. Il y a quelques jours, le Parlement a voté pour que soit retirée la citoyenneté aux Palestiniens d’Israël convaincus de terrorisme. Pas pour les juifs. Les membres du Parti travailliste ont voté pour. S’agissant des Palestiniens, le précédent gouvernement n’est pas allé aussi loin que ce que veut faire Netanyahou. Mais l’expansion des colonies s’est poursuivie, six ONG palestiniennes de la société civile ont été déclarées terroristes. Il serait pourtant dangereux de dire qu’il n’y a pas de différence. Ce gouvernement est pire.


 


 

À Naplouse, retour sur
un raid israélien meurtrier

Alice Froussard sur www.mediapart.fr

En pleine journée, le 22 février, un raid de l’armée israélienne a fait onze morts et une centaine de blessés à Naplouse. C’est le bilan le plus sanglant depuis vingt ans en Cisjordanie occupée. 

Naplouse (Cisjordanie occupée).– Youssef Abu Dawoud ne peut plus bouger. Ce jeune garçon de onze ans est allongé sur le côté, le visage grimaçant de douleur et les yeux à moitié fermés. Un drap bleu recouvre son petit corps dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital de Rafidia, à Naplouse. Lui ne se rappelle qu’une chute. « Lorsque l’armée israélienne a envahi la vieille ville, mon fils venait de se réveiller et il était parti acheter des mouajanat [des pâtisseries levantines – ndlr] à deux pas de la maison », raconte sa mère, Nadia Abu Dawoud, encore sous le choc.

Ce matin-là, Youssef est tombé nez à nez avec l’armée israélienne et s’est fait tirer dessus : une première balle dans la jambe, puis une autre dans l’abdomen, y laissant des éclats. Son foie est gravement atteint, son intestin a des lésions plus légères. « C’est un garçon de onze ans, ce n’est qu’un enfant !, s’exclame Nadia. En quoi était-il une menace pour les forces d’occupation israéliennes ? Il n’a même pas lancé de pierres, il est juste allé sur le marché, comme n’importe quel habitant de Naplouse. Le type de blessures qu’a mon fils montre bien que l’armée tirait sur tous ceux qui étaient sur son passage. »

Comme lui, ce 22 février, au moins 102 Palestiniens et Palestiniennes ont été blessé·es par balles. Onze personnes ont été tuées, dont trois personnes âgées et un adolescent. C’est le pire bilan en Cisjordanie depuis la Seconde Intifada (2000-2005), à peine un mois après un autre assaut israélien qui avait coûté la vie à dix Palestiniens dans le camp de réfugié·es de Jénine.

À nouveau, l’armée israélienne assure qu’il s’agissait d’« une opération antiterroriste ». Elle affirme avoir identifié « trois suspects qui avaient perpétré ou préparaient des attaques contre des Israéliens ». « Si les Israéliens cherchaient des suspects, comme ils disent, pourquoi ne sont-ils pas juste venus les arrêter, plutôt que de viser une zone densément peuplée, un jour de marché, en pleine matinée ? », assène Feras, 40 ans, un vendeur ambulant de la vieille ville.

Vers dix heures du matin ce mercredi, les mista’arvim – soldats israéliens clandestins – ont fait irruption dans la vieille ville pour se cacher dans la mosquée Al-Halabeh. « L’un des soldats se faisait passer pour un cheikh, d’autres étaient déguisés en femmes entièrement voilées. Ils avaient caché leurs armes dans des tapis de prière », raconte Zaid, un jeune de la vieille ville. Dans leur viseur, une maison où s’étaient retranchés deux membres des Areen al-Ossoud – « Tanière des Lions » en français, un groupe qui prône la lutte armée et se revendique en dehors des factions traditionnelles palestiniennes.

« Dans cette mosquée, ils étaient juste en face de la maison, là où les combattants se retrouvent tout le temps. Il y avait à l’intérieur Mohammed “Jnaidi” et Hussam Islim », poursuit le jeune. Pendant ce temps, une soixantaine de véhicules blindés entrent dans Naplouse. D’autres soldats débarquent dans le centre historique, des snipers sont sur les toits.

« En quelques minutes, la ville est devenue un champ de bataille »

Dans la rue, c’est la panique générale : les habitant·es courent dans tous les sens et tentent de trouver refuge pour échapper aux balles de l’armée israélienne ou aux fumées des gaz lacrymogènes. Les marchands abandonnent leurs étals. De jeunes Palestiniens prennent des armes, d’autres jettent des pierres. Les balles fusent de plus belle et l’assaut dure presque quatre heures. « En quelques minutes, la ville est devenue un champ de bataille, continue Zaid. C’était un massacre. Même les ambulances ne pouvaient pas accéder aux blessés, certaines étaient bloquées. »

Le lendemain du raid, les habitants et habitantes de Naplouse se pressent dans la maison de vieille pierre prise pour cible, sorte de pèlerinage. Il ne reste plus grand-chose, à part quelques murs porteurs. Certains prennent des selfies et des enfants escaladent les gravats en s’appuyant sur des barres de fer. Un frigo entrouvert gît sur le sol. Quelques matelas ont été éventrés par les décombres.

Le reste de la vieille ville est désert, l’ambiance morbide.

« Les soldats ont ciblé cette maison de manière extrêmement sauvage, en utilisant tout ce qu’ils avaient : des tirs dans tous les sens, des drones, des missiles incendiaires. Le toit s’est littéralement effondré sur les résistants, explique un autre habitant de la vieille ville, la trentaine, qui fait la visite et souhaite rester anonyme, par peur des représailles. Le bâtiment datait de l’époque romaine, presque deux mille ans. C’était une partie du patrimoine de la ville. Mais l’occupation cible en permanence ce type d’édifice. Tout ce qui fait partie de notre histoire, de notre culture, et qui prouve notre présence ici. »

À côté, une pancarte au nom du combattant le plus populaire de la ville, Ibrahim al-Nabulsi – tué par Israël au mois d’août –, et une porte de métal couverte d’impacts de balles. « Ici, au sol, il reste le sang d’un des martyrs, raconte un autre habitant. C’est celui de Walid Dakhil, le troisième combattant à avoir été tué. » Un Coran a été posé à proximité.

Le reste de la vieille ville est désert, l’ambiance morbide. Les boutiques, les cafés et les restaurants ont tous baissé le rideau, suivant un mouvement de grève générale à Naplouse et dans le reste de la Cisjordanie. Les portraits des « martyrs » s’entassent sur les murs. Quelques barrages de fortune, installés pour empêcher l’arrivée de l’armée israélienne, sont encore présents. Chacun se dévisage avec méfiance et paranoïa : une nouvelle tête, c’est potentiellement un informateur israélien.

« Ces raids sont devenus banals pour nous, les jeunes Palestiniens, raconte Mohammed, un adolescent de 18 ans. Ici, comme à Jénine, Hébron, ou dans le camp de réfugiés de Shouafat, il n’y a plus aucun horizon : nous ne pouvons même plus aspirer à des choses simples comme fonder une famille ou avoir une maison. Tous nos rêves, l’occupation peut les briser en une fraction de seconde. »

La peur des balles « papillons »

Depuis le début de l’année, 63 Palestiniens ont été tués par Israël, soit plus d’un par jour. Dix Israéliens sont morts dans des attaques de Palestiniens, soit moins d’un par semaine. « Ce n’est pas en continuant d’agir comme ça qu’ils auront la paix, soupire un riverain. Plus d’oppression, c’est forcément plus de résistance. » Ici, la quasi-totalité de la population soutient les « Lions de Naplouse ».

Dans leurs discours, ils décrivent leur combat contre les forces israéliennes comme « une nécessité ». « Ils rejettent les méthodes de l’Autorité palestinienne, qui souhaite des négociations de paix et fait des concessions, dit Mamoune, bouquiniste du quartier. Pour le moment, on l’a vu, ça n’a mené à rien. Les Lions, ils veulent combattre et ils sont prêts à mourir pour la cause. C’est même leur but. » Après l’opération de mercredi, le groupe armé a annoncé sur sa chaîne Telegram que la « porte pour les rejoindre était ouverte ».

Dans un autre quartier de la ville, des passant·es se réunissent et quelques drapeaux flottent – certains aux couleurs de la Palestine, d’autres, jaunes, à celles du Fatah, le parti au pouvoir. Tous et toutes sont venu·es présenter leurs condoléances aux familles des victimes lors de l’azza – les trois jours qui suivent les funérailles. Des cafés sont servis, on se serre les mains, mais les visages sont graves.

Dans la bouche des Palestiniens et Palestiniennes, un mot revient en permanence : les dum-dum. Ces balles dites « papillons » qui explosent et se dilatent lorsqu’elles arrivent à l’intérieur du corps humain, expressément interdites par le droit international humanitaire. L’armée israélienne nie catégoriquement les utiliser et même les détenir. « Elles aggravent encore plus les hémorragies, détruisent les tissus en profondeur et diminuent nos chances de sauver des blessés », explique Basil Aklil, chef de service des urgences de Rafidia, à l’ouest de la ville.

Impossible de vérifier si elles ont été effectivement utilisées – aucune étude balistique n’a été faite pour le moment et les éclats dans les plaies ne permettent pas d’arriver à de telles conclusions. Mais, selon un rapport de Human Rights Watch sur la répression létale israélienne, il pourrait aussi s’agir de munitions standard tirées par des fusils de sniper, conçus pour une cible normalement située à 800 mètres, mais qui, utilisées à une faible distance – 100 mètres à peine –, expliqueraient l’aggravation des blessures.

L’histoire que tout le monde connaît

« C’était de la médecine de guerre », continue le docteur. Sur 45 patients et patientes admis·es dans cet hôpital de la ville, 9 seulement étaient dans un état stable. « Il y avait du sang partout, dans le couloir et dans les escaliers. La plupart des blessés étaient des jeunes, mais il y avait aussi des personnes âgées, des femmes, des enfants. Physiquement et psychologiquement, nous sommes tous épuisés. »

À l’étage supérieur, un chirurgien orthopédiste montre une photo sur son téléphone. Des blessures aux bras, certains sont déchiquetés. « Nous sommes des docteurs, c’est notre métier de soigner la population. Mais de voir les patients arrivés massivement blessés de cette manière, ça fait quelque chose. Surtout, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’un jour, ce sera quelqu’un de notre famille, un ami, une connaissance. Le moment où j’ai cru que j’allais craquer, c’est quand j’ai entendu ce qui était arrivé à Elias al-Ashkar », dit-il, posant la main sur son cœur.

Il évoque alors une histoire que tout le monde connaît désormais à Naplouse, celle de cet infirmier aux urgences de l’hôpital Al-Najah, l’autre établissement de la ville. Il a été appelé au bloc de dernière minute pour une réanimation : un homme âgé venait d’être blessé par balle et son cœur ne battait plus. L’infirmier lui fait un massage cardiaque. En vain. Le médecin à ses côtés finit par déclarer le décès et Elias al-Ashkar regarde, après coup, le visage du défunt. C’était son père.


 


 

Une feuille de route
pour l’annexion de la Cisjordanie

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le ministre d’extrême droite Bezalel Smotrich a été investi des affaires civiles de ce territoire occupé. Une nouvelle étape dans l’accaparement des terres palestiniennes.

Naplouse (Cisjordanie occupée), envoyé spécial.

La grande ville de Naplouse, au centre de la Cisjordanie, panse ses plaies. Mercredi 22 février, en plein milieu de la journée, un raid de l’armée israélienne a fait onze morts – dont un adolescent de 16 ans et un homme de 72 ans – et plus de cent blessés, dont un journaliste de Palestine TV, Mohammed Al Khatib. Alors que les rues étaient pleines de monde, les véhicules israéliens ont encerclé un pâté de maisons et commencé à assiéger une habitation dans laquelle se trouvaient deux résistants palestiniens. Les soldats n’ont pas hésité à tirer des roquettes et à utiliser des drones. Un déploiement de forces qui vise officiellement à éradiquer toute forme de résistance. Le ministre israélien de la Défense, toute honte bue, a salué le « courage » des forces israéliennes à Naplouse. Ces opérations se multiplient, du nord au sud de la Cisjordanie. Le 26 janvier, neuf personnes étaient tuées dans le camp de réfugiés de Jénine (au nord). Jeudi, un jeune Palestinien de 22 ans mourait après avoir reçu une balle en pleine tête dans le camp d’Al Arroub, près d’Hébron. Depuis le début de l’année, 62 Palestiniens ont ainsi été abattus.

Mais, en réalité, les deux piliers fascistes de la coalition de Benyamin Netanyahou, ses ministres Itamar Ben Gvir, en charge de la sécurité nationale, et Bezalel Smotrich, aux finances, cherchent, tout en les assassinant, à provoquer les Palestiniens, les désignant comme « terroristes ». Ben Gvir a ainsi intensifié les démolitions de maisons et les expulsions à Jérusalem, ce qui pourrait enflammer la ville en même temps que la Cisjordanie occupée. C’est le deuxième volet de la stratégie du gouvernement israélien. En s’affranchissant de tout contrôle juridique (lire page 2), il met en place de nouvelles structures visant à rendre concrète l’annexion des territoires palestiniens sans avoir à rendre de comptes.

Les Palestiniens sans recours

Si, jusqu’à présent, les territoires palestiniens se trouvaient sous la tutelle du ministre israélien de la Défense, les changements opérés ne laissent plus aucun doute. Les pouvoirs de Smotrich s’étendent désormais aux affaires civiles en Cisjordanie, car il devient « ministre au sein du ministère de la Défense ». Il a maintenant autorité sur la planification et la construction des colonies (qu’il entend étendre rapidement), gère le statut de ce qu’on appelle les avant-postes illégaux (c’est-à-dire des colonies érigées sans accord gouvernemental puis légalisées par la suite) et règle les questions d’attribution des terres.

Ce dernier point est essentiel. En cas de dépossession de leurs terres, les Palestiniens saisissaient, jusque-là, la Cour suprême pour faire respecter leurs droits. Ils avaient parfois gain de cause. Si cette Cour suprême perd ses prérogatives, ils n’auront plus aucun recours. Le fait que le ministre des Finances possède également les compétences de l’administration des territoires palestiniens occupés signe l’annexion de facto. Le Conseil de Yesha, représentant les colonies, ne s’y est pas trompé, y voyant « une nouvelle importante pour le mouvement d’implantation ». P. B.

publié le 24 février 2023

Gilbert Achcar : « C’est un conflit qui ne peut être résolu que politiquement »

Youness Machichi sur www.humanite.fr

Le chercheur anti-impérialiste, spécialiste des relations internationales, Gilbert Achcar explore l’hypothèse de la paix en Ukraine. La Chine et d’autres pays qui affichent leur « neutralité » par rapport à la guerre en cours pourraient jouer un rôle majeur à cet égard.


 

Vladimir Poutine vient d’annoncer la suspension des accords New Start relatifs au désarmement nucléaire. Au moment où la Finlande et la Suède s’apprêtent à rejoindre l’OTAN, le président Américain Joe Biden déclare lors de sa visite à Varsovie « l’OTAN ne sera pas divisée et nous ne lâcherons pas ». L’hypothèse d’une résolution pacifique du conflit s’éloigne-t-elle ? La Chine semble par ailleurs préparer un plan de paix. Pensez-vous qu’elle pourrait devenir un acteur décisif pour la fin du conflit ?

Gilbert Achcar : Il est clair qu’un an après, les perspectives de paix semblent plutôt lointaines. Il me semble assez évident que ce conflit ne saurait être résolu militairement, au sens où là Russie n’a clairement pas les moyens de prendre et de maintenir l’ensemble des territoires qu’elle a officiellement annexés. Et l’Ukraine, d’autre part, n’a pas les moyens d’infliger à la Russie une défaite telle qu’elle soit forcée de capituler. Dans ce sens, c’est un conflit qui ne peut être résolu que politiquement, à moins d’une crise politique en Russie qui changerait complètement la donne. Du fait que la confrontation oppose la Russie à l’OTAN – puisque sans être directement belligérante, l’organisation y est impliquée par son soutien à l’Ukraine – cela ne laisse qu’une troisième force à l’échelle mondiale susceptible de modifier le cours des choses, et c’est la Chine. Pékin n’a cessé d’invoquer les principes, inscrits dans la charte des Nations Unies, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États. La Chine est aujourd’hui un débouché vital pour l’économie russe, et notamment pour les exportations russes d’hydrocarbures. Elle a donc les moyens de peser de façon décisive sur la Russie. Il reste à savoir ce qu’elle va décider. Je ne participe pas de cette vision qui considère la Chine d’emblée comme étant complice de la Russie dans cette guerre. Ce n’est pas dans son intérêt sur le plan économique. Et l’alliance russo-chinoise établie depuis la fin de la guerre froide s’en est trouvée très affaiblie. La crédibilité de la force militaire russe a été fortement diminuée par l’échec fracassant de sa première phase en Ukraine et son enlisement ultérieur à l’est du pays. J’espère que la Chine formulera une position permettant de débloquer la situation et d’enclencher un processus de règlement politique. Si, par contre, Pékin ne fait qu’appeler à un cessez-le-feu et à des négociations sans réaffirmer les principes du droit international – et notamment l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la force – on aura malheureusement raté une occasion majeure de changer le cour des choses.

Vous avez déclaré que l’invasion impérialiste de l’Irak en 2003, après la guerre du Kosovo en 1999, constituait un « moment fondateur de la nouvelle guerre froide ». Dans quelle mesure peut-on faire une analogie avec l’invasion russe près de 20 ans après ?

Gilbert Achcar : L’analogie s’impose. Poutine aurait pu utiliser la formule « regime change » (changement de régime) que les États-Unis ont utilisée au moment de l’invasion de l’Irak. C’est exactement ce qu’il ambitionnait de faire quand il a envahi l’Ukraine. Il pensait pouvoir facilement arriver à Kiev et déposer le gouvernement pour instaurer un régime sous sa coupe. C’est ce que les États-Unis ont fait en Irak, même si le résultat a été un fiasco total dans la mesure où c’est finalement l’Iran qui a tiré les marrons du feu. Si toutefois les États-Unis ont pu arriver sans difficulté à Bagdad, c’est non seulement, parce que l’armée irakienne avait déjà été détruite par les États-Unis en 1991, mais aussi parce que la majorité de la population irakienne était fortement hostile à Saddam Hussein. C’est une différence majeure. Quand Poutine est intervenu en Ukraine, il était persuadé que la plupart des Ukrainiens se sentaient russes et souhaitaient être de nouveau rattachés à la Russie. Il s’est heurté à une résistance à laquelle il ne s’attendait guère.

Lors du vote du 2 mars 2022 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la résolution condamnant l’agression russe contre l’Ukraine, cinq pays se sont opposés et une trentaine, en majorité africains et asiatiques, se sont abstenus. De nombreux pays mettent ainsi en place une forme de « neutralité calculée » vis-à-vis du conflit. Peut-on y voir un certain « retour des non-alignés » ?

Gilbert Achcar : Les populations des pays du Sud mondial ne trouvent pas leur intérêt dans la confrontation entre grandes puissances. Elles voient bien que la Russie viole le droit international en envahissant l’Ukraine. Mais, elles ne peuvent pas être solidaires des États-Unis, de la France ou de la Grande-Bretagne parce qu’elles savent pertinemment que ces États ont fait de même, sinon pire, avec leurs pays. Ils l’ont fait très longtemps et continuent de le faire. La série des guerres impériales menées par les États-Unis est longue. Ils viennent à peine de sortir d’Afghanistan. La France continue de croire qu’une partie de l’Afrique est son pré carré. La Grande-Bretagne se croit encore à la tête d’un empire planétaire. L’Empire russe, quant à lui, pratiquait un colonialisme de continuité territoriale sur ses « marches » et dans le nord asiatique. Il n’y a donc pas eu domination coloniale russe dans le Sud mondial comparable aux empires coloniaux occidentaux d’outremer. Les pays du Sud ne sauraient applaudir l’invasion de l’Ukraine, excepté quelques rares gouvernements étroitement liés à Moscou. Mais, en même temps, nombre d’entre eux ne veulent pas se joindre au concert des puissances occidentales, encore moins s’ils ont des liens étroits avec la Chine. D’où cette « neutralité ». Les votes neutres indiquent bien que l’affrontement mondial en cours est perçu par une bonne partie des pays du Sud comme un conflit entre pays du Nord.

 

 

 

L’urgence de trouver des solutions pacifiques en Ukraine

Fabien Gay sur www.humanite.fr

Le 24 février 2022, l’horreur frappait de nouveau en Europe. Avec l’invasion de l’Ukraine par Poutine et le cénacle des oligarques russes, c’est un crime contre la paix et contre l’intégrité territoriale d’un État, au mépris du droit international, qui a été perpétré. Rien ne peut justifier cette guerre, pas même les erreurs et les provocations occidentales avec l’élargissement de l’Otan depuis vingt ans. Disons-le même tout net : le peuple ukrainien a le droit de résister face à l’invasion lancée par le maître du Kremlin. Ce dernier s’est inventé une légitimité à envahir son voisin pour restaurer un passé mythifié et se trouver un débouché économique dans la reconfiguration géopolitique en cours.

Cette guerre signifie avant tout le chaos, la mort et la destruction. 300 000 personnes ont déjà succombé sous les rafales des balles et les tirs des obus. Des millions d’Ukrainiens, femmes et enfants, ont été contraints à l’exil. Les dégâts matériels sont considérables. Les jeunesses des deux pays, véritable chair à canon, prisonnières de combats durs et féroces, n’ont rien à y gagner, elles ne peuvent qu’y perdre leurs vies et ajouter du malheur au désastre. Une génération d’Ukrainiens et de Russes risque de nourrir ressentiments et haines pendant des décennies. Tout semble indiquer que le conflit pourrait durer longtemps. L’accord pour livrer toujours plus d’armes à l’Ukraine le prouve. Demain des chars et après-­demain des avions ? Toujours plus destructrices, ces livraisons entraîneront davantage de chaos, de morts et de fracas.

Alors quelle autre solution ? Il n’est pas possible de « parier » sur une prolongation du conflit en Ukraine. Les va-t-en-guerre de plateaux nous accusent déjà de céder à l’envahisseur russe. Il n’en est rien. La lucidité et l’esprit de responsabilité nous imposent de trouver des solutions politiques. Tous les efforts diplomatiques doivent être déployés pour obtenir un cessez-le-feu d’abord, puis construire un plan de paix, respectant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, sous l’égide de l’ONU et des grandes puissances, y compris non occidentales. Les quelques espaces de négociation entre Russes et Ukrainiens ouverts en 2022, sur le blé et les échanges de prisonniers, montrent que rien n’est jamais fermé. Ce conflit doit être le prélude à bâtir une nouvelle architecture de sécurité collective en Europe, seule à même de construire durablement la paix. C’est à ce prix que les plaies ne resteront pas béantes pendant des générations.

Les relations internationales se tendent dangereusement, comme l’illustrent les 2 113 milliards de dollars dépensés en armes en 2021. Un mouvement mondial pour la paix doit également se lever pour l’Ukraine et les autres théâtres de guerre. Pas celui d’un pacifisme béat qui reviendrait à ne pas agir, mais celui d’une voix forte pour imposer la paix et le désarmement comme projet pour l’humanité. Partout où les combats sévissent dans le monde, ce sont les peuples qui en paient le prix fort, renforçant les intégrismes et les nationalismes toujours plus belliqueux. L’arme nucléaire étant une menace toujours aussi effrayante aux mains d’autocrates, il faut œuvrer à son élimination.

Les besoins sociaux immenses (dans la formation, la santé, etc.), le changement climatique et avec lui ses défis colossaux pour nos sociétés et le vivant dans la gestion des ressources nous imposent urgemment de changer de logiciel. Partout, nous devons coopérer et partager les savoirs, les pouvoirs et les richesses. Le pari de la paix et des communs reste le défi le plus juste pour notre avenir.


 


 

 

 

Bertrand Badie, politiste : « On ne peut pas penser une paix sur la base d’une victoire militaire »

Christophe Deroubaix sur www.humanite.fr

Pour le spécialiste des relations internationales, Bertrand Badie, la fin du conflit en Ukraine ne peut venir que d’une diplomatie « plus systémique que relationnelle ». Entretien


 

En quoi cette première année de guerre a modifié les relations internationales ?

Bertrand Badie : On découvre une forme de conflictualité tout à fait inédite. C’est probablement ce qui restera du point de vue des historiens. On voit se dessiner les contours d’une nouvelle diplomatie, avec notamment une importance renforcée de ce que l’on appelle le Sud global et les puissances émergentes. On a dit trop vite que l’on assistait à un retour de la guerre. Or, lorsqu’on observe le déroulement de ce conflit, on est loin d’être dans cette logique de reproduction. Personnellement, j’ai choisi de parler non pas de troisième guerre mondiale, mais de guerre mondialisée.

Pour la première fois dans un contexte totalement inédit, on voit une guerre au départ bilatérale irradier à grande vitesse l’ensemble de l’humanité, avec notamment la décision des Occidentaux de se ranger aux côtés de l’Ukraine mais sans participer au conflit, produisant un flou comme on n’en a jamais connu. C’est l’inverse de ce que l’on appelle les « proxy wars », où l’acteur local est dépendant des grandes puissances qui le manipulent. Ici, on a le sentiment que les puissances occidentales dépendent de choix stratégiques et politiques de l’acteur local, en l’occurrence l’Ukraine.

Autre caractéristique de cette guerre mondialisée : elle a touché de manière extrêmement rapide tous les secteurs de la vie humaine, l’irradiation géographique s’étant accompagnée d’une irradiation sectorielle. À cette guerre militaire s’est ajoutée une guerre énergétique, économique, commerciale, et peut-être demain monétaire. La forme de la conflictualité s’en est trouvée modifiée. Poutine s’est lancé dans une guerre à l’ancienne, une guerre de conquête, oubliant que, depuis 1945, très rares sont les conquêtes qui réussissent.

Les sanctions ont-elles eu un impact ?

Bertrand Badie : Je préfère parler d’exclusion. Les sanctions telles qu’on les connaît, appliquées à Cuba, à la Corée du Nord et à l’Iran, n’ont rien à voir avec ce qui s’est joué il y a un an avec l’exclusion de la Russie du système mondial non seulement de l’économie, mais aussi de la culture, des médias, du sport. Ce nouveau ressort, nous n’en connaissons pas le résultat. Nous sommes au milieu du gué. Incontestablement, l’économie russe est atteinte, mais, incontestablement aussi, il y a des trous dans la raquette, puisque certains pays ne participent pas aux sanctions. On voit par ailleurs l’effet boomerang de ces sanctions qui rétroagissent sur ceux qui les prennent.

Comment envisager une sortie de ce conflit ?

Bertrand Badie : D’abord, notons que beaucoup de personnes parlent de négociations sans se rendre compte que cela fait longtemps que les négociations n’arrêtent plus les guerres. À titre d’exemple, personne ne plaidera que les accords de Paris ont mis fin à la guerre du Vietnam. Désormais, les conflits prennent fin par jet de l’éponge de l’un des belligérants. Cela amène à une autre diplomatie pour penser à la sortie de cette guerre, une diplomatie plus systémique que relationnelle, qui s’appuie davantage sur les pressions que peut opérer le système que sur un jeu dyadique de négociations comme il y en avait au XIXe siècle.

Tant que l’on restera dans un mode  de face-à-face, soit la rRssie contre l’Ukraine, on n’aura aucune perspective de négociations. 

Les pays du Sud et les émergents ont un rôle à jouer dans la mesure où ils se sont placés dans une situation d’entre-deux et parce qu’ils disposent de ressources, soit de pression – comme la Chine en direction de la Russie –, soit d’incitation, comme l’Inde. Le ministre des Affaires étrangères de ce dernier pays a d’ailleurs développé ce concept très intéressant de « multi-alignement », conçu comme un dépassement du non-alignement qui venait de la conférence de Bandung. Le projet n’est pas de ne pas choisir, mais c’est presque le contraire, en tentant d’établir des relations avec tout le monde afin de créer un effet de système qui neutralise les menaces de guerre. Le rôle le plus important est sans doute celui du Brésil, avec cette opportunité que procure le retour de Lula aux affaires, puisqu’il occupe une position d’équilibre forte et entachée d’aucun contentieux avec quiconque.

Le concept de "multi-alignement" développé par l’inde permet de créer un effet de système qui neutralise les menaces de guerre. 

Tant que l’on restera dans un mode de face-à-face, soit la Russie contre l’Ukraine, on n’aura aucune perspective de négociations. Il y aura peut-être une lueur lorsque l’on jouera de cette pression systémique, et ce, à deux conditions : le respect du droit international et la négociation d’un régime de sécurité collective.

Mais la paix est-elle possible sans un vainqueur militaire ?

Bertrand Badie : Il faut en tout cas construire nos hypothèses concernant la paix sur l’idée qu’il n’y a plus de victoire militaire. Dans les conflits afghan, syrien, irakien, etc., on n’a pas connu d’équivalent de la victoire de la Marne ou de Midway ou de Wagram. Tout ça, c’est de l’histoire ancienne. J’y vois deux raisons : la puissance militaire n’a plus la même efficacité qu’autrefois. On voit bien dans les conflits dits asymétriques que le plus fort ne s’en tire jamais bien. Les peuples ont socialisé la guerre. Autrefois, la guerre était le champ de bataille séparé des peuples et des sociétés. Il y a une appropriation sociale de la guerre qui ne permet plus au plus puissant la possibilité d’imposer sa volonté au défait.

Il faut donc penser la paix bâtie sur autre chose. Et c’est compliqué, car nous n’avons pas la recette. Raison de plus pour ne plus faire confiance à la relation dyadique, mais aux relations systémiques.

Le multilatéralisme n’est donc pas mort ?

Bertrand Badie : C’est même la seule solution. On perçoit bien, autant sur le plan militaire que sur le plan diplomatique, que si l’on reste dans le bilatéral, on est dans l’impasse la plus complète. C’est dans la solidarité globale que ce conflit pourra trouver son issue. Malgré cette obligation, nous devons faire face à deux déconvenues. La première est liée au blocage du Conseil de sécurité de l’ONU. Il faut donc penser le multilatéralisme en dehors de cette instance, qui était pourtant conçue pour cela. La seconde renvoie à la défaillance incroyable du secrétaire général de l’ONU, totalement absent et muet. Il faut donc ressusciter le multilatéralisme par le bas, par la pression systémique.

   publié le 22 février 2023

Séismes en Turquie. Enquête
sur le business meurtrier des promoteurs, soutenus par le pouvoir

Cerise Sudry-Le Dû sur www.humanite.fr

  • Deux nouveaux séismes de magnitude 6,4 et 5,8 ont été enregistrés ce 20 février au soir dans la province turque du Hatay (Sud), la plus éprouvée par le tremblement de terre du 6 février.

  • Dans cette région, des dizaines de milliers de bâtiments se sont effondrées, piégeant leurs habitants.

  • Pourtant depuis 2018, trois millions de constructions «  illégales » ne répondant pas aux normes ont été « amnistiées » contre une simple amende.

  • Une véritable « corruption légale », qui démontre la responsabilité du pouvoir dans cette tragédie qui a fait plus de 45 000 morts. Enquête.

Antakya (Turquie), correspondance particulière.

Gülsüm s’est emmitouflée dans un anorak à fourrure. Elle a aussi mis une couverture sur ses genoux et se réchauffe auprès du feu. Il fait pourtant presque chaud à Antakya (Antioche) ce matin. Ici, dès que le soleil pointe, le froid glacial de la nuit disparaît. Mais c’est comme si ses rayons ne pouvaient plus la réchauffer.

Voilà dix jours qu’elle ne bouge pas, installée sur une chaise devant la résidence Rönesans, là où vivaient sa mère, son frère, la femme de celui-ci et leurs deux enfants. « Le corps de mon frère a été retrouvé au bout de vingt-huit heures. Ses enfants aussi. Seule leur mère a survécu, elle a la jambe cassée, indique-t-elle. Moi j’attends notre mère, elle est encore sous les décombres. »

Elle dort dans sa voiture à quelques mètres de là, n’a pas pris de douche depuis dix jours. « À minuit, je vais me reposer dans ma voiture, mais je n’arrive pas à dormir », raconte doucement cette scientifique de 43 ans, qui a fait le chemin dès qu’elle a pu de Kütahya, à 900 kilomètres de là.

La résidence Rönesans, le symbole de la corruption

Dix jours après les séismes qui ont ravagé le sud-est de la Turquie, la résidence Rönesans, avec ses 12 étages et ses 249 appartements, est devenue le symbole de la corruption, de ces constructions vendues comme « solides » et qui se sont effondrées comme des châteaux de cartes. Des immeubles bâtis à la va-vite, sans respecter les règles antisismiques, vendus par des promoteurs immobiliers plus intéressés par leur marge que par la qualité des constructions. Des milliers de bâtiments, plus de 80 000 dans la région, ne seraient pas aux normes, alors qu’elle compte environ 15 millions d’habitants.

La résidence Rönesans a été construite il y a une dizaine d’années. Considérée comme l’une des plus luxueuses d’Antakya, elle était vendue comme un « coin de paradis » avec sa piscine, ses parkings privés, et ses normes antisismiques. « Mon frère a acheté un appartement pour 900 000 livres turques (environ 50 000 euros à l’époque – NDLR). Ils habitaient dans l’immeuble juste à côté mais ont préféré déménager car c’était plus sécurisant, raconte Gülsüm. Le séisme a duré une minute et demie mais le bâtiment s’est écroulé au bout de trente secondes. Ça veut dire que des gens cherchaient à fuir et se trouvaient dans l’entrée ou les escaliers quand il leur est tombé dessus. »

Le deuxième tremblement de terre, de magnitude 7,5, quelques heures plus tard, a enterré un peu plus les survivants sous des montagnes de gravats. Des centaines de personnes sont mortes sous les décombres. Le chiffre exact n’est même pas encore connu.

Le séisme a duré une minute et demie mais le bâtiment s’est écroulé au bout de trente secondes. Gülsüm

Après le séisme de 1999, qui a fait 17 000 morts à Izmit, près d’Istanbul, des règles strictes de construction avaient pourtant été établies pour empêcher un nouveau drame. Recep Tayyip Erdogan, à l’époque maire d’Istanbul, avait même été le fer de lance de la contestation, sur un air de « plus jamais ça ».

Des centaines de promoteurs amnistiés après avoir construit des immeubles dangereux

Mais, depuis, des milliers de bâtiments ont été construits sans être aux normes. « Oui, le tremblement de terre a été très violent, mais le nombre de constructions illégales en a amplifié gravement les effets », dénonce Pelin Pinar Giritlioglu, la présidente de la chambre des urbanistes turcs . « D’un côté, il y avait certes beaucoup de vieux bâtis qui se sont effondrés, mais aussi beaucoup de nouveaux immeubles qui n’ont pas respecté les normes en vigueur. »

En 2018, des centaines de promoteurs ont, par exemple, été amnistiés après avoir construit des immeubles dangereux. Au lieu de détruire leur construction, il leur a suffi de payer une amende. Un moyen facile de remplir les caisses de l’État. Une amnistie similaire était d’ailleurs en préparation pour l’élection présidentielle de mai prochain. « 1,3 million de constructions illégales ont été amnistiées, indique Pelin Pinar Giritlioglu. Il peut s’agir d’étages supplémentaires alors que le permis de construire stipulait un nombre d’étages inférieur, des terrains pas habilités… De nombreuses chambres de métiers ont pourtant dénoncé cette amnistie. »

Le chef de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu (Parti républicain du peuple, CHP), a même dénoncé le fait que la zone des séismes a été transformée en « charnier » avec toutes ces constructions illégales. « Ici, c’est une zone de crime », renchérit Hakan Gunes, qui gère un des premiers camps de fortune qui s’est installé à Antakya, après le séisme.

Là, avec des centaines de bénévoles, il coordonne les distributions de repas chauds, de médicaments, les premiers soins ou l’installation de points électricité pour que les rescapés puissent recharger leur téléphone. « Nous allons aussi installer un bureau avec des avocats, car il faut porter plainte contre les compagnies qui ont construit ces maisons, contre les officiels qui ont délivré les permis de construire. Ils veulent se cacher, enterrer les rapports, mais nous devons être vigilants », clame-t-il.

« Ce ne sont pas les séismes qui tuent, mais les constructions »

Partout, dans le sud de la Turquie, les messages se multiplient pour dénoncer ceux qui ont autoriser de telles constructions, dans une zone aussi connue pour être sismique. À Malatya, à 200 kilomètres de là, la vidéo d’un bâtiment, lui aussi vendu comme antisismique et qui s’est effondré d’un coup, a énormément tourné.

Sur d’autres images, des experts, sous couvert d’anonymat, montrent des fondations très peu profondes d’immeubles de plusieurs étages, d’autres dénoncent le « sable » qui aurait été utilisé pour couler du béton ou la suppression de poutres porteuses pour rendre la construction plus aisée.

Car, si certains clament que le séisme était d’une telle violence que les effondrements ne pouvaient pas être prévisibles, beaucoup répondent que le drame aurait pu être évité. « Ce ne sont pas les séismes qui tuent, mais les constructions » , ne cessent de répéter les chambres de différents corps de métier, architectes, urbanistes ou ingénieurs.

Et la taxe « séisme », prélevée depuis 1999 en Turquie, a quant à elle été utilisée pour construire… des routes, des logements, des aéroports, de l’aveu même de l’ex-ministre des Finances Mehmet Simsek.

À Istanbul, la plus grande ville du pays, elle aussi placée sur une faille sismique, les aires sécurisées, prévues pour que la population puisse se retrouver en cas de tremblement de terre – généralement des jardins publics ou des terrains vagues –, ont très souvent été transformées en centres commerciaux.

« Il n’y a pas que l’amnistie qui a augmenté l’ampleur du séisme, mais aussi la corruption politique. C’est elle qui explique les autorisations qu’ont pu avoir certaines constructions, des constructions qui n’auraient jamais dû voir le jour ! martèle Pelin Pinar Giritlioglu. Les coupables ne sont pas que les promoteurs, mais aussi les responsables politiques, ceux qui ont fait les contrôles… »

Il n’y a pas que l’amnistie qui a augmenté l’ampleur du séisme, mais aussi la corruption politique. C’est elle qui explique les autorisations qu’ont pu avoir certaines constructions qui n’auraient jamais dû voir le jour ! Pelin Pinar Giritlioglu,  la présidente de la chambre des urbanistes turcs

Sur les réseaux sociaux, beaucoup ne se cachent plus pour critiquer vertement cette gestion. Plusieurs arrestations ont d’ailleurs déjà eu lieu et le gouvernement s’est indigné contre ceux qui tentent de répandre des fausses informations.

Pour se donner bonne conscience et devant l’ampleur de la contestation, il a d’ailleurs indiqué qu’une centaine de promoteurs étaient recherchés dans le pays. Le promoteur du Rönesans, Mehmet Yasar Coskun, a d’ailleurs été arrêté à l’aéroport d’Istanbul alors qu’il tentait de fuir le pays. La vidéo de son arrestation a fait le tour des réseaux sociaux. En tout, des centaines de promoteurs seraient toujours recherchés, a annoncé le ministre turc de la Justice, Bekir Bozdag.

Devant la résidence Rönesans, Gülsüm n’a plus vraiment d’espoir de retrouver sa mère vivante. Elle voudrait juste que son corps ne soit pas emporté par les pelleteuses qui déblaient les gravats et enterré à la va-vite. Parfois, les secouristes sortent un cadavre, dressent un petit drap blanc et demandent à la ronde aux badauds quel genre de personnes ils recherchent. « Une femme ? Un homme ? Quel âge ? »

Les cadavres sont ensuite installés dans des bâches en plastique noires et posés à même le sol, en attendant que les camionnettes-corbillards qui sillonnent la ville passent par là et les ramassent. À Antakya, il y a tellement de cadavres que leurs chauffeurs conduisent au hasard dans les rues et s’arrêtent pour les prendre. « Je n’ai plus de larmes, avoue Gülsüm doucement. Je n’arrive même plus à être en colère. À quoi bon ? Ça ne me les ramènera pas. »

 


 

Moins de 30 secondes

Stéphane Sahuc sur www.humanite.fr

Douze étages, 249 appartements flambant neufs et garantis normes antisismiques… Et, pourtant, la résidence Rönesans s’est effondrée moins de trente secondes après le début du séisme du 6 février, engloutissant des centaines d’habitants. À quelques dizaines de mètres de l’amas de gravats, d’autres bâtiments sont abîmés, mais toujours debout. Terrible acte d’accusation contre le promoteur véreux et avide qui a bâti cette immense tombe.

Et pourquoi s’en serait-il privé ? Rien que dans la région d’Antakya (Antioche), ce sont des dizaines de milliers d’édifices qui ont été érigés sans tenir compte des normes. Des millions dans le pays. Depuis les années 2000 et l’arrivée au pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan, le secteur immobilier fait partie des enfants gâtés du régime. La frénésie immobilière a dopé l’économie turque et, selon un rapport de 2020, le nombre d’entreprises opérant dans ce secteur avait augmenté de 43 % en dix ans. Argent facile et sans risque, sauf pour les habitants. Les promoteurs misent sur « l’amnistie ». Un dispositif de 2018 qui leur permet de ne payer qu’une simple amende pour des bâtiments qui n’auraient jamais dû voir le jour, car enfreignant les règles de sécurité. Des pots-de-vin légaux, en quelque sorte. Plus de 3 millions de logements ont ainsi été régularisés, rapportant quelque 4 milliards d’euros à l’État. Sans le tremblement de terre, rien n’aurait empêché le promoteur de Rönesans de bénéficier, lui aussi, de ce type de dispositif puisque, ironie macabre, le Parlement turc était justement saisi d’une nouvelle loi d’amnistie.

Si rien ne change, on sait d’ores et déjà que le prochain séisme dans ce pays à haut risque sera tout aussi meurtrier. Si un tremblement de terre d’une magnitude de 7,5 touchait Istanbul, 50 000 à 200 000 bâtiments pourraient s’effondrer et entraîner la mort de centaines de milliers d’habitants, selon les experts. Contre cette corruption légale, le peuple turc a l’occasion de tourner la page Erdogan dès l’élection présidentielle, en mai prochain.

publié le 22 février 2023

Chercher
le chemin de la paix

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Un an déjà ! Un an d’une injustifiable guerre déclenchée par le pouvoir poutinien au cœur de L’Europe. Un an de tragédie contre le peuple ukrainien. Plus de 300 000 morts, des centaines de milliers de blessés, l’exode forcé de dizaines de milliers d’Ukrainiens, d’enfants déplacés, de familles séparées. Chaque jour l’armée russe bombarde, tue, viole, détruit des équipements civils pour priver les citoyens ukrainiens de leurs écoles, des jardins d’enfants, de l’accès à l’eau ou à l’énergie. Deux peuples cousins, aux familles mêlées, se haïssent désormais pour longtemps. Il y a besoin d’une mobilisation internationale exceptionnelle pour arrêter les chars de Poutine et l’engrenage guerrier en cours. Il y a besoin de hisser le rapport de force, non pas pour poursuivre la guerre, mais pour ouvrir les chemins de la paix. Or, il semblerait que depuis quelques jours on assiste à de nouvelles poussées guerrières. Le président Ukrainien, à lui-même révélé que ses alliés ne considéraient plus l’envoi de missiles de moyenne portée comme « tabou ».

Miné par les inégalités, par de multiples conflits et guerres, par les modifications climatiques, les insécurités sociales, alimentaires, sanitaires, le monde a pourtant besoin de paix et de coopération. À cette heure, ni Poutine, ni les forces de l’Otan n’empruntent ce chemin. Au contraire. De part et d’autre on s’apprête à livrer une bataille de positions de chars telle que l’Europe n’en a pas connu depuis 1945.

Cela signifie que dans les semaines à venir les vastes champs détrempés ukrainiens vont être le théâtre de combats de chars et d’une guerre de tranchées qui opposera les armes russes aux armes occidentales. C’est ce genre de conflit que nous souhaitions ne plus connaître sur le sol européen.

La Russie mobilise trois cent mille jeunes recrues pour les jeter dans la mêlée guerrière. L’Ukraine reçoit des pays occidentaux notamment des États-Unis d’Amérique, de plus en plus d’engins de guerre toujours plus sophistiqués. Une course à la production d’armements, inégalée depuis très longtemps, est enclenchée.

Après la livraison de chars, on s’apprête à franchir un nouveau cap. L’un des dirigeants d’une entreprise d’armements américaine – Lookeed- a déclaré au journal The Guardian, « qu’on parlait beaucoup du transfert par une tierce partie » d’avions F16, tandis que la presse polonaise a révélé que le pays a déjà livré en secret plusieurs MIG 29 à l’Ukraine.

En Russie comme aux États-Unis, les usines d’armements tournent à plein. Et, le secrétaire général de L’Otan vient de commander aux membres de l’alliance atlantique de décréter «  l’économie de guerre ».

L’utilisation de ces mots indique que nous passons un cran supplémentaire dans l’escalade militaire et guerrière. Celui-ci exige de faire fonctionner à plein toutes les usines d’armements, voire de réquisitionner d’autres entreprises pour les transformer en unités de production militaire. Ajoutons que l’utilisation de ce concept est souvent le prétexte à une soumission encore plus grande des peuples.

Elle servira demain à justifier les réductions de dépenses publiques pour les biens communs indispensables au profit des budgets de surarmement. Elle peut justifier aussi la limitation de droits démocratiques jusqu’à rendre illégaux des mouvements sociaux ou des grèves.

Aucun mot n’a été prononcé lors de la récente conférence de Munich en faveur de la recherche d’un cessez-le-feu ouvrant les voies d’une paix durable sur le continent européen. Il semble même que, lors de la prochaine conférence de Ramstein au mois d’avril, l’envoi d’avions de combat à l’Ukraine sera mis officiellement à l’ordre du jour.

Cette escalade devient dangereuse et rend le monde encore plus insécure. Un monde qui sous le double effet de la guerre et de la recomposition du capitalisme s’est beaucoup modifié en un an.

Par effet domino, M. Poutine a contribué à ressusciter l’Otan et a permis le retour des États-Unis en Europe. Il a ouvert la voie au réarmement de l’Allemagne et au renforcement de l’armée polonaise. Le maître du Kremlin n’a donc atteint aucun des objectifs qu’il avait proclamé en déclenchant cette sale guerre. Il a considérablement desservi les mouvements pour la paix. Certes la guerre n’est pas mondiale, mais elle est mondialisée, au sens où elle touche toutes les citoyennes et tous les citoyens du monde.

La combinaison des tensions géopolitiques sur fond de recomposition du capitalisme mondialisé est en train de provoquer une tragédie sociale : Selon un rapport des Nations Unies ; 1,2 milliard de personnes vivant dans 94 pays se trouvant « en pleine tempête » sont exposées aux trois insécurités alimentaire, énergétique et financière issues des crises et conflits actuels.

L’insécurité sociale avec les hausses de prix fait mal aux travailleurs et aux populations en Europe et ailleurs. Les insécurités alimentaires, sanitaires, climatiques, environnementales ne trouveront pas de solutions sous le bruit sourd des chenilles des chars, le bourdonnement d’avions de combat ou le sifflement des obus et des missiles.

Les responsables des pays qui n’ont pas soutenu l’invasion russe, tout en refusant de s’aligner sur l’Otan et le dollar, combattent cet ordre du monde et explorent d’autres voies que celles proposées par les pays occidentaux qui visent à mettre sur pied une « Otan économique » pour la mise à l’écart de la Russie et de la Chine, afin de constituer une nouvelle «  géopolitique des chaînes d’approvisionnements ».

Un comble de la contradiction du monde capitaliste quand on pense que ce projet est contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce !

L’ensemble de ces pays « non alignés » représentent les deux tiers de l’humanité. Ils peuvent jouer un rôle décisif auprès de M. Poutine sans s’aligner sur l’Otan.

De ce point de vue, l’initiative du président Lula est extrêmement importante et doit être soutenue avec force. Il s’agit de créer un groupe de contact pour la paix réunissant plusieurs pays, dont la France, sous l’égide de l’ONU.

Le président de La République doit sortir du covoiturage avec M. Biden et l’Otan et saisir cette proposition de Lula afin d’engager la France dans un patient travail diplomatique pour la paix. Cette initiative peut être l’ébauche de la réunion d’une conférence internationale visant la construction d’une architecture de paix, de désarmement et de sécurité commune en Europe.

Compte tenu de la transformation du conflit en une guerre Russie contre Otan, les grands pays tiers comme la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud deviennent les plus utiles et les plus efficaces pour réussir un tel projet. Et ils peuvent être les garants de la sécurité de l’Ukraine comme de celle de la Russie et donc de tout le continent européen.

La diversité des initiatives pour la paix dans les villes européennes ces 24 et 25 février peut contribuer à mettre la paix et la sécurité humaine à l’ordre du jour du calendrier du monde. C’est urgent ! C’est vital ! Toutes les informations qui parviennent des chancelleries européennes, de la maison blanche comme du kremlin ne portent pas à l’optimisme. Raison de plus pour se faire entendre !


 


 

Guerre en Ukraine.
La Chine peut-elle jouer
la négociatrice ?

Lina Sankari sur www.humanite.fr

Ukraine La France, le Brésil et d’autres poussent Pékin à s’engager davantage et à convaincre la Russie d’entamer des pourparlers.

Il y a quelques années, Donald Trump s’émouvait de l’influence de la Chine aux Nations unies en dépit des faits. Les États-Unis doivent aujourd’hui observer avec effroi le fait que la France presse Pékin de s’investir pour la paix en Ukraine. À l’issue de la rencontre à Paris, le 15 février, entre le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, et Emmanuel Macron, les deux pays ont exprimé « le même objectif de contribuer à la paix » « dans le respect du droit international ». À cet égard, la France demande à la Chine de convaincre la Russie de s’asseoir à la « table des négociations », comme elle l’avait fait lors du G20 de Bali, en novembre.

À cette époque, d’aucuns avaient noté le retour de la Chine sur la scène internationale après une longue période de repli liée au Covid. Le président Xi Jinping était alors intervenu pour promouvoir l’interdiction de « tout recours à l’arme nucléaire ». Soit une critique à peine voilée des menaces de guerre atomique proférées par le Kremlin. Sa stratégie fut la même en Ouzbékistan lors du dernier sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, en septembre. Secondé par l’Inde et les pays d’Asie centrale issus de l’ex-Union soviétique, Xi Jinping avait exhorté Moscou à travailler à la « stabilité ».

La gouvernance mondiale en question

L’appel à un engagement plus poussé de la Chine est également venu du président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, et de Josep Borrell, le vice-président de la Commission européenne. Sur quelles traductions concrètes peuvent déboucher ces interpellations ? La position traditionnelle d’équilibre, de respect de la souveraineté et de l’intégrité des territoires de Pékin implique à la fois de soutenir l’allié russe face aux risques liés à une intégration de l’Ukraine dans l’Otan et d’appuyer Kiev contre une agression extérieure. La Chine, qui ne livre pas d’armes à Moscou, a clairement profité de la guerre pour placer Moscou en état de vassalisation. Dans sa rivalité stratégique avec Washington, elle s’appuie en outre sur l’allié russe pour formuler une proposition alternative de gouvernance mondiale.

Wang Yi, qui sera à Moscou le 24 février, jour du déclenchement de la guerre il y a un an, dispose en théorie des leviers pour se poser en médiateur. La Chine n’a aucun intérêt à se couper de l’Europe et à voir son économie découplée de celles du continent. Si elle parvenait à convaincre la Russie de s’asseoir à la table des négociations, sa stature internationale s’en verrait renforcée. Toutes initiatives que les États-Unis voient d’un mauvais œil dans le cadre de la compétition stratégique engagée avec Pékin pour le leadership mondial, d’autant qu’ils profitent, pour l’heure, du conflit pour reconfigurer le capitalisme.

  publié le 21 février 2023

Amira Bouraoui :
« Le pouvoir algérien

ne veut plus d’opposants,
de médias indépendants 
»

Rosa Moussaoui sur www.humanite.fr

Son départ clandestin pour rejoindre la France, via la Tunisie, a déclenché une crise diplomatique. L’opposante algérienne Amira Bouraoui revient sur les raisons et sur les conditions de sa fuite, pour échapper à la répression qui s’abat, impitoyablement, sur les voix discordantes. Entretien coréalisé par Rosa Moussaoui (L’Humanité) et Rachida El Azzouzi (Mediapart).

Quatre ans après le début du hirak, le soulèvement populaire pacifique qui avait poussé des millions de personnes dans la rue et chassé du pouvoir le fantomatique Abdelaziz Bouteflika après vingt ans de règne, la dérive autoritaire et répressive du pouvoir algérien étrangle les aspirations démocratiques du peuple et d’une jeunesse qui ne rêve plus que d’ailleurs.

Pas une semaine ne passe sans l’annonce de nouvelles arrestations, de nouveaux emprisonnements. « L’Algérie nouvelle » exaltée par le président Abdelmadjid Tebboune broie, pousse en prison ou à l’exil des milliers d’opposants, tout particulièrement les plus actifs du hirak.   

Amira Bouraoui par exemple, 46 ans, activiste franco-algérienne connue depuis 2014 pour s’être opposée, avec le mouvement Barakat, au quatrième mandat de Bouteflika. Elle tire de longues bouffées sur sa cigarette, le regard inquiet, sur ses gardes, « comme une bête traquée », dans un troquet de la banlieue parisienne. Elle est « épuisée », veut « que le cauchemar s’arrête ».

La mise sous scellés de l’un des derniers médias indépendants

Sa fuite d’Algérie a fait grand bruit ; elle est à l’origine d’une crise diplomatique entre Paris et Alger, au plus mauvais des moments, à l’heure où le président français Emmanuel Macron et son homologue algérien s’apprêtaient à célébrer une « nouvelle ère de la relation bilatérale », qui devait se traduire entre autres par une visite d’État d’Abdelmadjid Tebboune en France au courant du mois de mai. 

Alger, qui a aussitôt rappelé son ambassadeur en France pour consultations, accuse Paris d’avoir exfiltré clandestinement et illégalement Amira Bouraoui le 6 février de Tunisie où elle s’était réfugiée pour échapper à l’emprisonnement en Algérie. L’APS, l’agence officielle, a carrément pointé du doigt dans une dépêche « les barbouzes français » de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui « cherchent la rupture définitive avec l’Algérie ».

Les proportions prises par « l’affaire Bouraoui » seraient risibles si elles ne braquaient pas la lumière sur le terrible sort fait aux voix libres et aux médias indépendants en Algérie. Une tendance sensible dans tout le Maghreb, de Casablanca à Tunis, comme en témoigne ce qui arrive à Radio Mosaïque, la radio la plus écoutée de Tunisie, dont le directeur vient d’être incarcéré. Partout en Afrique du nord, l’État de droit s’étiole, les libertés reculent. 

La fuite d’Amira Bouraoui intervient après la mise sous scellés de l’un des derniers médias indépendants, Radio M, et l’incarcération de son directeur, Ihsane El Kadi, en décembre dernier, après la dissolution de la Ligue algérienne des droits de l’homme dans le sillage de celle du Rassemblement Actions Jeunesse, de SOS Bab-El-Oued.

Amira Bouraoui a accepté de répondre aux questions de l’Humanité et Mediapart.

Vous attendiez-vous à la crise diplomatique provoquée par votre fuite d’Algérie vers la France, via la Tunisie ?   

Amira Bouraoui : Absolument pas. C’est vrai que c’est une manière assez spéciale de se sauver, mais je ne m’attendais pas du tout à cela. Si j’avais eu le choix, j’aurais préféré venir en France comme j’y suis toujours venue. Si j’avais su que cela prendrait de telles proportions, j’aurais privilégié une autre voie : prendre la mer sur une embarcation de fortune, comme des centaines d’Algériens, d’Africains qui partent ainsi chaque jour vers l’Europe. Mais la voie terrestre était plus sûre que de partir en mer, en plein mois de février… 

Vous avez pris part à tous les mouvements démocratiques en Algérie ces dernières années. Vous aviez cofondé en 2014 le mouvement Barakat opposé à un quatrième mandat du président Bouteflika – « L’Algérie n’est ni une monarchie ni une dictature, disiez-vous alors - » Et vous avez participé en 2019 au hirak. Ces mobilisations n’ont pas abouti aux changements espérés. Quelles leçons en tirez-vous ?  

Amira Bouraoui : Je milite depuis plus de dix ans pour avoir plus de liberté en Algérie, pour une démocratie telle que l’ont rêvée de nombreux militants idéalistes, dont j’ai été. En 2011, on est sorti pour demander l’abolition de l’état d’urgence qui nous privait du droit de manifester dans la rue. En 2014, avec Barakat, nous nous opposions à un quatrième mandat de Bouteflika ; en tant que médecin, je voyais bien qu’il n’était plus capable de diriger le pays. Et en 2019, tout un peuple est sorti pour le changement.

J’ai un temps espéré que la présidence d’Abdelmadjid Tebboune puisse faire office de transition, même si j’étais contre la manière dont il avait été élu. Par la suite, il y a eu comme un élan de vengeance contre les militants qui s’étaient mobilisés : comme si avoir poussé Abdelaziz Bouteflika vers la sortie avait relevé du crime de lèse majesté. C’est comme ça que de nombreux militants ont fini derrière les barreaux.

Je milite depuis plus de dix ans pour avoir plus de liberté en Algérie, pour une démocratie telle que l’ont rêvée de nombreux militants idéalistes, dont j’ai été. Amira Bouraoui 

Comment décririez-vous cette mécanique répressive ? A quel moment, et comment s’est-elle mise en marche ? 

Amira Bouraoui : Cela a commencé avant l’élection d’Abdelmadjid Tebboune en décembre 2019. Quand le général Ahmed Gaïd Salah, alors chef de l’état major de l’armée, a pris les rênes du pays, au lendemain de la démission d’Abdelaziz Bouteflika, des militants, des chefs de partis ont été emprisonnés. J’espérais encore alors que l’on puisse avancer ; je savais que le président parfait n’existait pas. Mais c’est devenu de plus en plus dur.

Avant même le hirak, depuis 2017, je n’arrivais plus à exercer mon métier de médecin : on m’en voulait de m’opposer au système. J’avais beau écrire au ministère de la Santé, je ne pouvais pas  exercer mon travail. Il y a eu les accusations, les procès, la prison. Puis il y a eu cette interdiction de sortie du territoire, alors qu’elle n’était pas justifiée constitutionnellement. C’était une mesure injuste. Je me suis battue pour lever cette interdiction, j’ai écrit des dizaines de courriers au procureur de la République en Algérie pour que cette interdiction soit levée. Si j’en suis arrivée là, c’est parce que je ne voyais plus aucune issue. 

Vous avez fait l’objet de maintes poursuites, dont certaines pour « offense à l’islam », « offense au prophète ».  Vous avez également été traduite en justice pour « atteinte à la personne du président de la République » et « diffusion d’informations susceptibles d’attenter à l’ordre public », « atteinte à l’unité nationale ». Comme de nombreux détenus politiques et d’opinion en Algérie. Qui les avait initiées et pour quelles raisons ?

Amira Bouraoui : Lors d’un interrogatoire, une fois, à la gendarmerie, on m’a rappelé un propos que j’avais posté en 2014 sur Facebook : “Enlevez nous ce monsieur qui ne parle plus, on veut au moins un président qui parle, qui marche”. L’agent qui m’interrogeait m’a dit :  “Mais celui-là, il marche et il parle, pourquoi vous vous opposez encore?” J’ai répondu qu’on reconnaissait une nation forte à la liberté d’expression dont jouit l’opposition. En Algérie, on ne veut plus d’opposants, de médias indépendants. Quand un journaliste, un militant sort de prison, un autre le remplace aussitôt. On s’en prend au noyau dur du hirak. 

Sur les accusations d’offense à l’islam, mon grand-père était imam, j’ai grandi dans un quartier populaire, à Bab el Oued, j’ai toujours résisté à l’obscurantisme religieux, tout en distinguant le musulman qui vit sa foi en respectant les autres et l’islamistes qui instrumentalise la religion à des fins politiques. On m’a collé cette étiquette d’ennemie de la religion ; les procès ont eu lieu le même jour : j’étais désignée, dans le même mouvement, comme l’ennemie du prophète et celle du président Tebboune. 

Quand un journaliste, un militant sort de prison, un autre le remplace aussitôt. Amira Bouraoui 

Certaines rumeurs ont laissé entendre que j’aurais bénéficié d’une grâce présidentielle. C’est faux. Je n’ai jamais bénéficié d’une grâce présidentielle, mais d’une libération provisoire, le 2 juillet 2021, après avoir purgé un mois de de prison. Les procédures sont toujours en cours. 

Vous êtes médecin, gynécologue de profession. Le ministre algérien de la Communication , Mohamed Bouslimani, insiste sur le fait que vous n’êtes pas journaliste. Néanmoins, vous animiez sur Radio M depuis septembre 2022 une émission hebdomadaire, le Café presse politique. Vos démêlés avec le pouvoir sont-ils aujourd’hui liés à ceux de ce média, fermé et placé sous scellés, et à ceux de son directeur Ihsane el Kadi, lui aussi visé par des poursuites et emprisonné ?   

Amira Bouraoui : Voilà des années que je subis des pressions. Ce qui a fait déborder le vase, c’est l’emprisonnement de Ihsane el Kadi. Cela me plaçait dans la ligne de mire car le Café presse politique était l’émission phare de Radio M. J’ai continué à l’animer via Zoom. Pour le dernier numéro, que j’ai animé depuis la Tunisie, je recevais l’islamologue Saïd Djabelkhir, condamné pour « offense aux préceptes de l’islam » et finalement relaxé. Ihsane el Kadi est aujourd’hui derrière les barreaux pour avoir voulu débattre de la candidature de Tebboune à un second mandat. La Constitution le lui permet, mais qu’on puisse en débattre, qu’il puisse y avoir une parole contradictoire, que d’autres candidats puissent se présenter, être reçus sur les plateaux TV, défendre d’autres projets. C’est ce qu’on espérait mais malheureusement, il n’y a pas de place pour le débat en ce moment en Algérie. 

Citée dans les années 90 comme un modèle de liberté de ton, la presse algérienne n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même. Des journaux ont fermé. D’autres agonisent. Comment en est-on arrivé là ?

Amira Bouraoui : ’est vrai qu’après 1988, beaucoup de journaux se sont créés, une certaine liberté de la presse s’est imposée. Comment en est-on arrivé là ? Je pense que ça a commencé sous l’ère Bouteflika. N’oublions pas que dès le premier mandat, il avait traité les journalistes de “tayabate el hammam”, de commères de hammam. N’oublions pas qu’il a jeté en prison Mohammed Benchicou, le directeur du quotidien Le Matin

C’est d’ailleurs ce qui a fait de moi une militante. Cet emprisonnement avait profondément choqué la jeune femme que j’étais. À l’époque, on commençait à avoir accès à internet. J’ai commencé, en 2007, à suivre le blog de Benchicou sur sur la toile. J’avais lu ses livres : qu’on ait pu ou non les apprécier, trouver certains de ses écrits de mauvais goûts, soit. Mais de là à le jeter en prison, c’était inconcevable, profondément injuste. Par la suite, on a vu éclore une multitude de chaînes privées arabophones destinées à endoctriner l’opinion. 

Les journaux encore imprimés sont soumis à un chantage à la publicité. Quand je lis aujourd’hui que Le Soir d’Algérie, que j’ai toujours défendu, me présente comme une renégate, une traître, oui, ça me choque. 

Vous avez connu l’épreuve de la détention. La crainte de retourner en prison vous a-t-elle poussée au départ ? 

Amira Bouraoui : Oui. Je ne voulais pas retourner en prison pour des broutilles. Vous savez, lorsque j’ai été placée en détention en Tunisie, je n’en voulais à personne : j’avais commis un délit en entrant illégalement en territoire tunisien? Par contre, lorsque vous vous retrouvez en prison alors que vous n’avez rien fait, juste pour des posts sur Facebook…

Comment avez-vous passé la frontière ? 

Amira Bouraoui : J’ai traversé le poste-frontière dans un taxi collectif en utilisant le passeport de ma mère. Elle n’était pas au courant.Elle a été arrêtée pour cela, elle est aujourd’hui placée sous contrôle judiciaire…

Huit personnes ont été arrêtées, certaines d’entres elles ont été placées sous mandat de dépôt, comme le journaliste Mustapha Benjamaa, rédacteur en chef du journal indépendant Le Provincial, votre cousin Kamel Bentayeb, ainsi qu’un brigadier de la Police aux Frontières (PAF) et le chauffeur de taxi qui vous a conduite d’Annaba vers la Tunisie. Cinq personnes sont aujourd’hui poursuivies pour “association de malfaiteurs dans le but d’exécuter le crime d’organisation clandestine dans le cadre d’une organisation criminelle .

Amira Bouraoui : Ma mère qui a 73 ans n’était pas au courant que j’avais l’intention d’utiliser son passeport. Je le vis très mal : je sens que c’est une prise d’otage pour faire pression sur moi. Des membres de ma famille, des proches, des journalistes ont été arrêtés, alors qu’ils n’ont rien à voir avec ma “fuite”. Personne ne m’a aidée, je n’ai aucun complice. 

Que s’est-il passé quand vous êtes arrivé à l’aéroport de Tunis et que vous avez présenté votre passeport français ? 

Amira Bouraoui : On m’a arrêtée à ce moment-là. 

N’ayant pas de tampon d’entrée sur le sol tunisien, vous vous en doutiez? 

Amira Bouraoui : J’ai joué le tout pour le tout. 

Donc vous avez été arrêtée, puis conduite devant une juge

Amira Bouraoui : J’ai d’abord été mise en détention pendant trois jours, avec des détenues de droit commun. Nous étions douze femmes dans une même cellule. 

Quand j’ai comparu devant la juge tunisienne, elle m’a bien engueulée. Elle avait raison, parce que ce n’était pas normal de ne pas avoir de preuve d’entrée. Je ne me suis pas étalée sur ma situation bien sûr. Sur l’utilisation du passeport de ma mère, à laquelle je voulais épargner des ennuis. Je lui ai simplement dit que je n’avais pas de preuve de mon entrée en Tunisie mais que j’avais mon passeport français en règle. Elle me remet alors mon passeport en main, elle me libère, elle me convoque le 23 février pour mon procès. 

C’est à ce moment-là que les choses se sont accélérées, puisqu’à la sortie, sous l’œil des avocats, alors que je ressortais libre, j’ai été ramassée une nouvelle fois par deux agents en civil qui ont confisqué mon passeport. Je leur ai demandé où ils avaient l’intention de conduire. Ils m’ont ordonné de me taire. Aux avocats qui insistaient, ils ont répondu qu’ils m’emmenaient à l’aéroport. En fait, la destination était la direction générale de la police des frontières et des étrangers.

Ce sont les avocats qui ont prévenu les autorités consulaires françaises?

Amira Bouraoui : Non. Ils ont prévenu des médias, des ONG comme Amnesty international et Human Rights Watch, c’est comme ça que le consulat a pris connaissance de l’affaire. 

Quand les autorités françaises ont été mises au courant, quel type d’appui vous ont-elles apporté ? 

Amira Bouraoui : J’ai reçu une visite consulaire sur le lieu de ma détention. 

Au moment où j’ai appris le rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France, j’ai pris la mesure de la crise. Amira Bouraoui 

Comment avez-vous réagi en prenant connaissance du récit fait en Algérie de votre fuite ?

Amira Bouraoui : C’était sidérant. Comment ont-ils pu raconter que j’ai été accueillie à l’aéroport Saint-Exupéry par un colonel de la DGSE ? Je suis arrivée à Lyon, personne ne m’attendait, j’ai pris un taxi qui m’a coûté 78 euros pour rejoindre un hôtel proche de la gare où j’ai passé la nuit avant de prendre le train le lendemain pour Paris. 

Au début, j’ai mis ça sur le compte de rumeurs. Je suis habituée. Depuis 2014, on me fait passer tour à tour pour une agent des services français, du Mossad. Mais au moment où j’ai appris le rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France, j’ai pris la mesure de la crise. J’étais choquée. 

Quelle place cette rhétorique de l’ingérence étrangère pour discréditer et réduire au silence les opposants a-t-elle pris, ces dernières années, en Algérie? 

Amira Bouraoui : Dès qu’un militant assume publiquement son opposition, on en revient à la “main étrangère”, on finit par l’accuser de travailler pour des forces occultes. 

Comment avez-vous accueilli les commentaires acerbes sur votre binationalité? 

Amira Bouraoui : Je n’ai jamais gardé le secret sur ma binationalité. Je pensais que les gens étaient au courant, j’en avais déjà fait état publiquement. Tout le monde savait que j’avais épousé un binational dont la mère était française, vivant et travaillant en Algérie. 

Mes enfants sont franco-algériens, et j’ai décidé en 2007 de prendre la nationalité de mes enfants il y a longtemps. Certains récits faits lors de mon départ laissent entendre que j’aurais obtenu mon passeport français en Tunisie, ce qui relève du mensonge. En fait, ce qui les étonne, c’est qu’en étant binationale, je sois restée tout ce temps en Algérie pour militer. A leurs yeux, c’est suspect. 

Comment voyez-vous votre avenir ? 

Amira Bouraoui : Pour l’instant, je vis dans l’instant présent. La situation de ma mère et de mes proches poursuivis en Algérie, qui subissent l’arbitraire, occupe l’essentiel de mes pensées. J’essaye de trouver un hébergement pérenne. À plus long terme, j’aimerais reprendre l’exercice de mon métier, que j’aime tant. J’ai choisi la médecine par passion. J’ai commencé à prendre contact avec des maternités, pour des stages bénévoles, dans un premier temps, en attendant de régulariser ma situation professionnelle. 

Est-ce que vous recevez aujourd’hui des autorités françaises un appui particulier? 

Amira Bouraoui : Pas plus que n’importe quelle citoyenne se trouvant dans la détresse. 

Vous espérez retourner en Algérie ? 

Amira Bouraoui : Oui, je l’espère, j’aime ce pays. Mais probablement pas dans l’immédiat.  

Et probablement pas pour y revivre ? 

Amira Bouraoui : Je suis chez moi partout. Je suis militante. On ne peut pas être militant sans un certain optimisme, sans se dire que le bout du tunnel existe. En 2019, pendant le hirak, il n’y avait plus de harragas. Désormais, la jeunesse algérienne n’arrive plus à rêver, elle ne ne pense plus qu’à fuir vers l’Europe. Mais ce pays est magnifique, il a tout pour lui, il finira bien par se reconstruire. 

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui et Rachida El Azzouz

publié le 17 février 2023

Ukraine. L’Otan veut
mettre en scène
sa stratégie de l’escalade

Bruno Odent sur www.humanite.fr

Des avions de combat, des missiles de longue portée : l’Alliance atlantique entend présenter son projet de monter en gamme dans sa guerre par procuration avec la Russie, à la conférence sur la sécurité de Munich. Où les militants antiguerre se mobilisent aussi.

Plus de cent chefs d’État et de gouvernement, dont le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président français, Emmanuel Macron, les poids lourds mondiaux de l’industrie de l’armement et les stratèges en chef de l’Alliance atlantique (Otan) sont attendus ces 17 et 18 février à la traditionnelle conférence sur la sécurité de Munich. Une occasion pour l’Otan de préciser l’évolution de sa stratégie en Ukraine.

La conférence aurait ainsi rien de moins qu’une mission de salut public mondial contre les autocrates de l’acabit de Vladimir Poutine, agresseur de l’Ukraine, et « leur révisionnisme qui menace les démocraties », a lancé le patron de ce forum, Christoph Heusgen, un ex-conseiller d’Angela Merkel.

De quoi revoir, au sein de l’Otan, toutes les règles, dit-il, en brandissant le rapport 2023 de la réunion intitulé « Re : Vision ». Une façon d’indiquer l’ampleur des efforts à accomplir dans la recherche d’un alignement maximum du monde sur Washington et l’Otan. Des pays dits du « Sud global », réticents à leur emboîter le pas, ont été très démonstrativement invités à participer à la conférence. Pas sûr qu’ils se laissent séduire, sachant les dangers induits et le poids des contentieux qui demeurent entre l’Occident et les principaux pays émergents.

Quoi qu’il en soit, les militants de la paix veulent aussi se faire entendre à Munich. Une grande manifestation est prévue, ce 18 février, dans les rues de la ville. Pour dénoncer l’impérialisme russe mais aussi celui de l’Otan et les risques de déflagration irréparable que nourrissent le bellicisme de Poutine comme la montée en puissance guerrière de l’Alliance. Des militants de dizaines d’ONG, comme Attac Allemagne, ou du seul parti antiguerre outre-Rhin, Die Linke, s’y sont donné rendez-vous.

Le périmètre du Bayerischer Hof, l’hôtel de luxe qui accueille la conférence, a été placé sous haute surveillance policière. Très symboliquement, jamais n’y fut enregistrée la présence d’une délégation états-unienne aussi considérable : Kamala Harris, la vice-présidente, Antony Blinken, le secrétaire d’État, Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense, sont venus, entourés de plus d’une trentaine de membres du Congrès.

À l’Élysée, on fait valoir une volonté d’éviter un « risque escalatoire »

Les nouvelles armes que réclame Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, promettent de constituer un temps fort du débat. Heusgen, le patron du forum, a d’ores et déjà annoncé la couleur : « Il faut fournir des avions de combat à Kiev » ; en dépit de la position du chancelier Scholz, peu enclin à céder à la surenchère après avoir longtemps hésité à accepter l’envoi de chars Leopard 2 sur le champ de bataille. Le chef du gouvernement allemand veut préserver son pays d’une confrontation directe avec la Russie et maintenir « au moins un contact avec le Kremlin ».

À l’Élysée, on fait valoir aussi, de façon plus discrète, une volonté d’éviter un « risque escalatoire », tout en ne cachant pas sa frustration de voir s’évanouir les ambitions d’une « Europe de la défense » plus autonome et carénée par les champions tricolores de l’armement. Quand Berlin consacre – en vertu du changement d’époque annoncé par le chancelier – 100 milliards d’euros supplémentaires à la Bundeswehr, l’armée allemande, qu’il veut propulser au troisième rang mondial. Tout en passant quasi exclusivement commandes aux géants états-uniens Lockheed Martin et Boeing, plutôt qu’à Dassault et Airbus.

Les partisans d’une implication toujours plus forte de l’Otan se promettent d’infléchir le reste de réserves franco-allemandes. L’attitude des plus ultras, comme les gouvernants polonais, dont le pays est présenté comme le meilleur élève du surarmement (4 % de son PIB), est traitée avec beaucoup de complaisance. Si ce n’est montrée en exemple. Oubliées les récriminations de tous ceux qui s’émouvaient, il y a peu de temps, jusqu’au sein de l’UE, du caractère « illibéral » de la droite polonaise au pouvoir.

La dangereuse émergence d’une logique d’affrontement interimpérialiste

Ces super-atlantistes peuvent compter sur l’appui de personnalités locales, comme l’organisateur allemand de la conférence. Mais aussi sur des figures de la coalition tripartite aux affaires à Berlin comme la ministre allemande verte des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. En pleine polémique sur le bien-fondé de livrer des chars Leopard 2 à Kiev, ne s’est-elle pas exclamée, à l’occasion d’une rencontre au Conseil de l’Europe à Strasbourg : « Nous menons la guerre contre la Russie, pas entre nous. » Un abus de langage dans le feu de la conversation en anglais, a-t-elle plaidé, un peu plus tard. Sans vraiment convaincre tant elle appuie ouvertement, depuis des semaines, l’envoi d’armes lourdes supplémentaires à Kiev.

De quoi approfondir une ligne de fracture à Berlin entre ministère des Affaires étrangères et chancellerie, au point de renvoyer sine die la création d’une nouvelle instance allemande dévouée à la « stratégie de sécurité nationale », qui devait être présentée à Munich, à la veille de la conférence. Les querelles au sein du pouvoir allemand, si elles alimentent toutes les spéculations sur la survie de la coalition au pouvoir, épousent aussi des dissensions stratégiques plus larges au sein de l’Otan.

Présent à Munich, le géant allemand de l’armement Rheinmetall, fabricant des chars Leopard 2, n’est pas franchement du côté des « tièdes ». Son PDG, Armin Papperger, se dit favorable à la livraison à Kiev, non plus seulement de Leopard 2 mais de ses blindés dernier cri, Lynx et Panther. Et envisage même la création, dans le journal économique Handelsblatt, d’une usine en Ukraine pour les fabriquer. Pas sûr qu’une telle sortie contribue à détendre le climat avec Moscou, tant elle illustre la dangereuse émergence d’une logique d’affrontement interimpérialiste, relevé par l’historien communiste français Jean-Paul Scot, dans la revue Commune.

Il est temps d’arrêter la course à l’abîme d’une troisième guerre mondiale qui fait planer une « menace existentielle sur l’humanité », dénoncent les organisateurs de la manifestation anti-guerre de ce samedi 18 février, à Munich. Ils réclament « un cessez-le-feu et des négociations immédiates   ». La seule voix praticable, celle de la raison.

publié le 16 février 2023

Séisme en Turquie :
la colère prend le pas
sur le deuil

Zafer Sivrikaya sur www.mediapartfr

La mauvaise gestion des secours et l’absence flagrante d’une politique publique parasismique, par un État qui depuis vingt ans a construit sa politique économique sur un secteur du BTP laissé sans aucun contrôle, ont causé des milliers de morts et déchaînent la fureur des victimes.

Antakya, Adana, Osmaniye (Turquie).–  « Antakya a disparu », répètent en boucle ses habitant·es, errant dans les rues le regard vide, exténué·es et horrifié·es, comme si la répétition de ces mots terribles les aidait à se convaincre de la réalité de la catastrophe. L’antique Antioche est une des villes les plus durement touchées par le double séisme d’une magnitude de 7,7 et 7,6 qui a frappé la Turquie le 6 février et causé au moins 32 000 morts, selon un bilan officiel encore très provisoire. Selon le ministère de l’intérieur, la moitié des bâtiments de la ville se sont effondrés ou ont subi des dommages irréparables.

Pourtant, malgré l’ampleur des destructions dans cette ville, où le nombre de victimes serait le plus élevé du pays, les autorités de l’État y étaient encore pratiquement invisibles mardi 7 février, au lendemain de la catastrophe. Désemparé·es, frigorifié·es, les survivant·es cherchaient à sortir leurs proches des décombres.

« J’ai réussi à quitter la maison avec mes deux enfants, mais mes beaux-parents, qui habitaient au premier étage, sont toujours sous les gravats, témoignait en larmes Hüseyin Kosan. Je les entendais hier mais depuis je n’entends plus rien », s’inquiète le jeune homme, qui s’indigne que personne ne vienne à son secours. « Pas de secouristes, personne n’est là ! J’ai croisé un groupe de gendarmes qui m’ont dit qu’il fallait que je me débrouille pour dénicher un tractopelle, déblayer les gravats et les sortir, mais où voulez-vous que je trouve ça tout seul ? », se révolte-t-il.

Après plusieurs jours et avec l’aide de ses voisins, il finira par accéder aux corps de ses beaux-parents, morts. Des tragédies comme celle-là, la ville en compte des milliers, peut-être des dizaines de milliers. Combien de personnes auraient-elles pu être extraites des décombres si les services de l’État avaient été plus réactifs ? s’interrogent les rescapés.

La question est jugée presque indécente par le pouvoir et ses soutiens, majoritaires dans le paysage médiatique turc, qui se contentent de parler de la « catastrophe du siècle », comme si l’ampleur de l’événement, un double séisme de forte magnitude et de surface, à seulement 17,9 kilomètres de profondeur, à proximité de zones densément peuplées, suffisait à absoudre les manquements des services publics.

Comme il l’avait fait l’année dernière, lors de la catastrophe minière d’Amasra, qui avait coûté la vie à quarante-trois mineurs, le président turc a invoqué la main du « destin », se référant à la théologie islamique selon laquelle le moment et les circonstances de la mort des individus sont écrits dès leur naissance. « Pourtant, après le tremblement de terre de 1999 [à Izmit, non loin d’Istanbul, qui avait fait 18 000 victimes – ndlr], il ne se privait pas de critiquer le gouvernement, il n’y avait pas de destin à l’époque », s’emporte un sauveteur de l’association Marsar, à l’aéroport d’Adana.

Les sauveteurs empêchés

Marsar, Gea, Sar, Magame, Anda, Akut... dans un pays soumis à un risque sismique constant et où le séisme de 1999 a laissé des traces dans la mémoire collective, les associations de secouristes sont nombreuses. Épaulées par des alpinistes, des mineurs de fond, des conducteurs d’engins de chantier, elles ont tenté de prendre le relais d’un État absent. Mais la force de la société civile turque a été mise à rude épreuve par des années de gestion autoritaire du pouvoir par le parti-État islamo-nationaliste de l’AKP, suspicieux à l’égard du monde associatif.

« Ils ont saboté ces organisations, tenté de tout centraliser autour de leur création, l’Afad, censée gérer et organiser la réponse à ce type de crise, et voilà le résultat », peste Nasuh Makuri, le fondateur d’une des principales associations de secouristes, Akut, très active lors du séisme de 1999. Les positions critiques du pouvoir de ce kémaliste nationaliste lui ont valu d’être poussé dehors en 2018. « Un conseiller d’Erdoğan, membre de sa famille, a exigé ma démission sans quoi il menaçait d’interdire à mon association d’accéder aux terrains et de saisir nos locaux », se souvient-il.

L’Afad, organisme de gestion des catastrophes naturelles créé en 2009, cristallise les critiques. La presse d’opposition turque souligne l’étrange CV de son directeur, Ismail Palakoglu, symbole d’un système qui fait prévaloir la proximité idéologique et la loyauté sur les compétences. Palakoglu est diplômé d’un lycée d’imams, d’une faculté de théologie, et a passé l’essentiel de sa carrière au ministère des affaires religieuses. Un ministère dont le budget est plus de quatre fois supérieur à celui de l’Afad, et en hausse de 56 % dans le budget 2023, alors que les fonds de l’Afad y ont été réduits de 33 %.

« Nous sommes arrivés en Turquie le lendemain du séisme, mais il a fallu plus de six heures à l’Afad pour trouver un véhicule pour nous transporter sur la zone de secours depuis l’aéroport », regrette un membre d’une équipe de secours internationale. « J’ai entendu parler de la situation à Antakya et j’ai voulu m’y rendre tout de suite, mais l’Afad m’a demandé de partir à Mersin, où il n’y avait pourtant aucun dégât. J’ai démissionné, je suis monté dans une voiture et je suis venue ici », témoigne Deniz Çağlar, secouriste bénévole formée par l’Afad et la municipalité d’Ankara.

De décombres en décombres, les équipes de secouristes ont tenté d’extraire les survivant·es coincé·es sous les gravats, les mieux équipées, en majorité venues de l’étranger, disposant de caméras thermiques et de chiens dressés spécialement pour repérer l’odeur des vivants. Un aboiement ou une patte qui gratte le sol et elles creusaient à travers des mètres de béton. Les équipes locales, elles, ne pouvaient souvent compter que sur les survivants eux-mêmes, qui tentaient de signaler leur présence par des appels ou des coups sur les murs. À intervalles réguliers, les travaux étaient interrompus par un silence absolu pour que retentisse l’appel aux éventuel·les rescapé·es : « Quelqu’un entend ma voix ? »

« Dans le quartier d’Ürgen Paşa, devant l’appartement d’une amie que je connaissais d’Ankara, nous entendions des bruits provenant des gravats, nous avons demandé à une pelle mécanique d’intervenir pour soulever des blocs de béton qui bloquaient l’accès, mais ils nous ont répondu qu’ils ne pouvaient rien faire sans un ordre de l’Afad qui n’est jamais venu... Le troisième jour, les bruits ont cessé », sanglote Deniz qui, à une autre occasion, a échappé de peu au lynchage en raison du gilet siglé Afad qu’elle porte sur le dos.

Ils ont basé toute leur politique économique sur le béton.

L’ampleur de l’incurie des services de l’État autorise même les pires questions : « Est-ce que c’est parce qu’ils sont alévis que l’on a laissé mourir ces gens ? », s’interroge Deniz, alors qu’Antakya, comme la ville voisine de Samandag, compte historiquement un nombre important d’alévis (adeptes d’une croyance hétérodoxe qui s’inspire du chiisme mais aussi de croyances chamaniques turques) et surtout de Turcs et Turques arabophones et alaouites.

« Sommes-nous des citoyens de seconde zone ? Pourquoi l’État décide ainsi de nous abandonner ? Parce que nous lui sommes opposés ? », s’interroge en écho Metin Horoz, habitant rescapé. Pelotonné avec sa famille autour d’un feu, il dort dans un abri de fortune, sa voiture accueillant le corps d’un voisin que les services publics tardent à récupérer. Des scènes de violence ont aussi eu lieu dans la prison d’Antakya. Une émeute, dont les circonstances restent à élucider, a causé la mort de trois détenus, tués par les gendarmes, tandis qu’un habitant, Ahmet Güreşçi, arrêté par la police pour une suspicion de « pillage », serait mort sous la torture lors de sa garde à vue.

Corruption et laisser-faire

Si la gestion des secours suscite l’indignation, c’est surtout l’état d’impréparation et l’absence de politique parasismique qui déchaînent la colère de la population turque. Le risque, extrêmement élevé, est pourtant bien connu des sismologues, géophysicien·nes et même des historien·nes : Antakya, par exemple, a été rasée au IIe siècle par un séisme, et un autre, en 1822, a fait 20 000 victimes. Les scientifiques ne cessaient de prévenir de l’imminence d’un incident sismique sur la faille sud anatolienne, sans trouver d’écho dans les politiques publiques.

Sismologue de renom, le professeur Naci Görür tire depuis des années la sonnette d’alarme sur cette faille, comme sur le risque d’un séisme d’une magnitude supérieure à 7 en mer de Marmara, qui détruirait des pans entiers d’Istanbul. La veille du séisme, il avertissait du manque de préparation des autorités et de la dangerosité du parc immobilier stambouliote, critiquant la promesse électorale du gouvernement de bâtir 200 000 nouveaux logements sociaux dans le pays, « alors qu’actuellement des centaines de milliers de personnes sont en danger de mort dans leurs domiciles ».

« Cela fait plus de vingt ans qu’ils sont au pouvoir, ils y sont parvenus après le séisme de 1999, ils auraient pu en tirer des leçons, mais rien n’a été fait, au contraire ils ont basé toute leur politique économique sur le béton », critique Baris Atay, député du parti des travailleurs (gauche) originaire d’Antakya.

L’amour de l’AKP pour les grands chantiers de logements et d’infrastructures n’est plus à démontrer. « Le gouvernement a choisi ces quinze dernières années de multiplier les grands travaux, les ponts, les routes, les nouveaux aéroports ou encore le projet de nouveau canal à Istanbul, plutôt que de privilégier la rénovation du parc immobilier existant », estime Gencay Serter, président de la chambre des urbanistes de Turquie. La proximité du parti au pouvoir avec certaines grandes holdings de la construction et les accusations de corruption dans l’attribution de contrats publics déchaînent depuis des années la colère de l’opposition, qui menace régulièrement les « cinq bandits », comme elle surnomme les principales entreprises du secteur, de représailles dans l’éventualité d’une conquête du pouvoir.

Après le séisme de 1999, un impôt spécial sur les télécommunications avait pourtant été mis en place, connu dans le pays comme « l’impôt sur le séisme ». Mais ces prélèvements, qui ont rapporté 36 milliards de dollars à l’État, semblent en fait avoir été dépensés dans divers secteurs. Interrogé à ce sujet après le tremblement de terre de 2011 dans la ville de Van, qui avait fait 644 victimes, Mehmet Şimşek, ministre des finances, expliquait que l’argent avait été utilisé « dans la santé, la construction d’aéroports, de routes à doubles voies ». Interrogé à son tour par l’opposition en 2020 après le séisme d’Elazığ (41 victimes), le président turc avait été plus laconique : « Il est dépensé là où il doit l’être, nous n’avons pas le temps de rendre des comptes sur ce genre de choses. »

Les promoteurs immobiliers, boucs émissaires du pouvoir ?

Au milieu des ruines, parfois, se dresse un immeuble intact. Dans d’autres quartiers, à l’inverse, c’est un seul et unique bâtiment qui gît sur le sol. « Ce ne sont pas les séismes qui tuent, ce sont les bâtiments », s’acharnent à répéter les expert·es. Alors pourquoi tels ou tels immeubles se sont-ils transformés en cimetières ?

La faute aux promoteurs immobiliers peu scrupuleux, accusent les victimes. Pour économiser sur les coûts de construction, certains auraient ainsi recours à du béton non armé, c’est-à-dire non renforcé par des tiges en acier, supposé offrir une résistance à la traction, ou équipé de ferraillage de mauvaise qualité. D’autres ont même fait le choix de détruire les colonnes de soutènement des bâtiments dans des immeubles de centre-ville, afin d’y organiser au premier étage des boutiques ou des supermarchés.

Ces manquements ne permettent pas aux bâtiments de résister aux séismes et produisent des effondrement « en crêpes » : chaque étage s’effondre verticalement sur celui du dessous, les dalles de béton ainsi empilées ne laissant aucune chance de créer des poches de survie.

« Après les opérations de secours et avant que les gravats ne soient déblayés, il faut absolument que le procureur et un expert prélèvent des échantillons du béton et du ferraillage » pour documenter les futures enquêtes, réclame ainsi la responsable de la chambre des architectes, Mucella Yapici, depuis la prison où elle est enfermée depuis avril 2022, condamnée à dix-huit ans d’incarcération pour son rôle dans la défense du parc de Gezi en 2013, un des seuls espaces verts restants à Istanbul et un des rares espaces potentiels de regroupement d’urgence en cas de séisme.

Je n’ai jamais vu un seul contrôle sur les chantiers où j’ai exercé.

Plus d’une centaine d’enquêtes ont déjà été ouvertes à l’encontre des promoteurs de la région sinistrée, et la presse turque sonne l’hallali : untel serait en fuite, un autre aurait été arrêté à Chypre, un autre interpellé à l’aéroport d’Istanbul. « Il faut faire attention à la tentation du bouc émissaire, prévient le député Baris Atay. Il s’agit d’un problème systémique, et la responsabilité pèse sur tout le monde, depuis le sommet de l’État jusqu’aux administrations intermédiaires qui ont autorisé ces constructions. »

Un mécanisme de contrôle du respect des normes parasismiques dans la construction existe pourtant. Créé après 1999, sous la supervision du ministère de l’environnement et de l’urbanisme, il est confié à des entreprises privées, tirées au sort pour éviter les complaisances. Il ne concerne néanmoins pas les structures de moins de 200 mètres carrés, ni celles construites par les organismes publics du logement. Surtout, son contournement quasi systématique est de notoriété publique, témoigne Büşra, architecte stambouliote trentenaire, diplômée d’une université réputée.

« Je n’ai jamais vu un seul contrôle sur les chantiers où j’ai exercé », affirme-t-elle. Le prix de l’inspection, fixé par le ministère en fonction de la surface à contrôler, beaucoup trop bas selon elle, et l’impunité quasi garantie, poussent les entreprises de contrôle à ne pas effectuer leur travail et à falsifier les documents : « Je connais de très nombreux architectes qui, contre une petite rémunération mensuelle, fournissent leur carte professionnelle à ces entreprises, qui les font passer pour leurs salariés et imitent ensuite leurs signatures sur les documents d’inspection, c’est une pratique courante », déplore la jeune femme.

À Antakya, placée en état d’urgence, les autorités préfectorales ont eu une initiative surprenante : dans la nuit du 11 février, et alors qu’aucun travail de ce type n’a débuté ailleurs, elles ont mobilisé des bulldozers pour raser l’antenne locale du ministère où étaient justement conservés les documents et les échantillons issus des contrôle des chantiers de la ville, dénonce l’avocate Bedia Büyükgebiz.

La délivrance des permis de construire, entachée parfois de népotisme, de corruption ou d’un laisser-faire généralisé, est aussi en cause. À 130 kilomètres au nord, la ville d’Osmaniye, bastion de l’AKP et de son allié d’extrême droite du MHP, est largement pourvue en sauveteurs. En comparaison d’Antakya, elle déplore peu de dégâts, mais plusieurs dizaines de bâtiments s’y sont effondrés. En particulier dans certains quartiers, relève Ayse Bitçer, une habitante : « Le quartier d’Esenevler a beaucoup souffert, ce n’est pas une surprise, il a été bâti sur une zone marécageuse, je me demande bien comment ils ont pu donner les autorisations », s’interroge-t-elle.

Financés par des prêts à taux minimes, encouragés par la complaisance du pouvoir, promoteurs et particuliers ont multiplié les constructions et les agrandissements sans permis, tantôt complètement illégaux, tantôt en dérogeant à certaines normes. Ils pouvaient être certains qu’à l’approche d’une élection, le pouvoir annoncerait une « amnistie générale » qui, moyennant une simple amende (qui a tout de même rapporté plusieurs milliards de dollars à l’État), régulariserait leurs constructions.

En 2019, lors d’une visite dans la ville de Maras (située à 50 kilomètres de l’épicentre, la ville a particulièrement souffert du séisme), le président Erdoğan se faisait le chantre de l’amnistie prononcée l’année précédente avant les élections : « Avec cette amnistie immobilière, nous avons réglé le problème de 144 556 habitants de Maras », se félicitait-il. Quatre ans plus tard, combien ont attendu, en vain, les secours sous les décombres ?

publié le 14 février 2023

En Syrie, on meurt aussi
des sanctions occidentales

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Séisme Les États-Unis et leurs alliés sont contraints de lever en partie les mesures punitives prises contre le président Bachar Al Assad.

Au lendemain du tremblement de terre qui a ravagé le sud de la Turquie et le nord-ouest de l’Iran, Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, se vante dans un tweet : les États-Unis sont le « principal donateur humanitaire » et l’aide « ira au peuple syrien, pas au régime ». Avant le séisme, déjà, l’acheminement de l’aide dans toutes les régions de la Syrie ravagée par la guerre était semé d’embûches politiques et logistiques. Ces obstacles n’ont fait que se multiplier à la suite de la catastrophe qui a tué des dizaines de milliers de personnes et détruit des milliers de bâtiments. Et les dommages causés aux routes et à d’autres infrastructures dans le sud de la Turquie ont empêché l’aide d’atteindre le nord de la Syrie.

Le gouvernement de Bachar Al Assad à Damas est toujours un paria pour une grande partie de la communauté internationale, sanctionné par les États-Unis et les pays européens, qui sont réticents à acheminer l’aide directement par le gouvernement. Alors que les secouristes affirmaient que les retards pourraient coûter des vies, que les équipes de secours locales luttaient pour extraire les familles et les enfants des décombres et trouver un logement aux survivants dans un hiver brutal, les responsables américains et européens continuaient d’affirmer que leur position ne changerait pas.

Lors d’une conférence de presse, la semaine dernière, à Damas, le chef du Croissant-Rouge arabe syrien, Khaled Hboubati, a déclaré que son groupe était « prêt à fournir une aide humanitaire à toutes les régions de la Syrie, y compris les zones qui ne sont pas sous contrôle gouvernemental ». Il a appelé l’Union européenne à lever ses sanctions contre ce pays, à la lumière des destructions massives causées par le tremblement de terre. Les sanctions exacerbent la « situation humanitaire difficile », a-t-il insisté. « Il n’y a même pas de carburant pour envoyer des convois d’aide et de sauvetage, et c’est à cause du blocus. » Des convois d’aide et des sauveteurs de plusieurs pays, notamment de la Russie ainsi que des Émirats arabes unis, de l’Irak, de l’Iran, de la Chine et de l’Algérie, ont atterri dans des aéroports en Syrie contrôlés par le gouvernement.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a été, lui aussi, très clair : vu l’ampleur du désastre et des besoins, aucune sanction ne peut interférer avec l’aide à la population. Dès lors, il est devenu difficile pour les États-Unis de maintenir leur position intransigeante. Le département du Trésor américain a donc annoncé la levée temporaire de certaines sanctions. Cette mesure « autorise, pour 180 jours, toutes les transactions liées à l’aide aux victimes du tremblement de terre, qui seraient autrement interdites » par les sanctions envers la Syrie. Reste à voir l’attitude des djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), une émanation d’al Qaida, qui contrôle la région d’Idleb (Nord-Ouest). Son chef, Abou Mohammed Al Jolani, a exprimé son refus de l’arrivée des aides depuis les territoires contrôlés par Damas.

publié le 12 février 2023

Diplomatie. Le groupe de paix de Lula se heurte aux intérêts de Washington

Lina Sankari sur www.humanite.fr

À l’issue de la visite du président brésilien à son homologue Joe Biden, le communiqué conjoint évoque un élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU. Il pose des conditions à l’initiative diplomatique dans la guerre en Ukraine, dont la reconnaissance de la seule responsabilité russe.

Les puissances occidentales le préfèrent parlant d’environnement ou de démocratie plutôt que de paix. Reçu vendredi 10 février par son homologue états-unien Joe Biden, le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva s’est heurté aux intérêts nord-américains dans les domaines de l’armement, de l’énergie, de l’agroalimentaire et des transports qui profitent de la guerre en Ukraine pour amasser des capitaux et reconfigurer le capitalisme.

À partir du constat que le Conseil de sécurité de l’ONU est à dessein mis en échec par les parties belligérantes, Lula a défendu à Washington une nouvelle « gouvernance mondiale » et un élargissement de l’instance. Le communiqué final rédigé par Brasilia et Washington évoque la nécessité de parvenir à une réforme significative du Conseil de sécurité qui aboutirait à des sièges permanents pour l’Afrique, l’Amérique latine et les Caraïbes. Sur inspiration du prix Nobel de la paix et président du Timor-oriental, José Ramos-Horta, le président brésilien a déjà plaidé auprès du président Macron et du chancelier Olaf Scholz pour la création d’un groupe de paix afin de parvenir à une solution négociée sur l’Ukraine.

Il est temps pour la Chine de se salir les mains et d’essayer d’aider à trouver la paix entre la Russie et l’Ukraine. Lula, président du Brésil

« Si je vais en Chine en mars, c’est l’un des sujets dont je veux discuter avec le président Xi Jinping. Il est temps pour la Chine de se salir les mains et d’essayer d’aider à trouver la paix entre la Russie et l’Ukraine », expliquait Lula, deux semaines avant son envol vers les États-Unis . Le groupe pourrait compter d’autres pays comme l’Indonésie, la Turquie (membre de l’Otan), qui ont tous deux exprimé leur intérêt pour le groupe émergent des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Lula entend aujourd’hui profiter du poids du Brésil pour pousser ses partenaires sur la voie du dialogue.

Ces dernières semaines, les États-Unis et la France pressent pourtant les pays du Sud, dont nombre s’étaient abstenus de condamner la Russie lors du vote à l’Assemblée générale des Nations Unies, l’an dernier, de rallier le camp occidental. Lors de sa campagne électorale, le chef d’État brésilien s’était fait le porte-voix de ces pays non-alignés, estimant que Volodymyr Zelensky et l’Otan, par l’installation de bases militaires dans l’environnement russe, portaient une partie de la responsabilité de cette guerre, s’attirant le courroux de l’Ukraine et de ceux qui, à force de livraisons d’armes, s’apprêtent à entrer dans le camp des cobélligérants afin de porter le coup fatal au rival stratégique russe.

Un « en même temps » de Paris

À l’issue de la rencontre entre Joe Biden et Lula, le communiqué conjoint acte que toute initiative diplomatique devra répondre à certaines exigences, notamment au fait de reconnaître que la violation du droit international incombe à un seul acteur, à savoir la Russie. Le communiqué condamne ainsi la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, l’annexion de la Crimée et du Donbass. Nulle mention, en revanche, de la proposition d’un groupe de contact formulée par Lula.

Le président Emmanuel Macron s’est aussitôt empressé de réagir par tweet interposé : « La paix était au cœur de nos discussions à Paris durant la visite historique du président Zelensky, (et) avec le chancelier Scholz. L’Ukraine a fait preuve de courage en initiant cette conversation avec son plan de paix en 10 points. Continuons ensemble sur cette base Lula », écrit-il. Un « en même temps » diplomatique qui lui permet de ne pas perdre le contact avec le Brésil, tout en posant comme préalables la « restauration de l’intégrité territoriale » de l’Ukraine et le retrait des troupes russes. Des conditions d’ores et déjà rejetées par Moscou.

  publié le 9 février 2023

L’Algérie dissout sa principale organisation de défense des droits

En matière de répression, la boucle est bouclée

par Eric Goldstein, Directeur adjoint, div. Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch, sur https://www.hrw.org/

Peu après mes débuts professionnels dans le domaine des droits humains en 1986, Amnesty International a lancé une alerte au sujet d’un groupe d’Algériens qui venaient d’être condamnés à des peines allant jusqu’à trois ans de prison, pour avoir créé la première organisation indépendante de défense des droits humains dans leur pays.

Les choses ont changé après les manifestations populaires qui ont secoué l’Algérie en 1988, forçant cet État à parti unique à adopter des réformes qui incluaient la légalisation des associations indépendantes en 1989. Parmi celles-ci figurait la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), dont les fondateurs faisaient l’objet du bulletin d’alerte d’Amnesty International.

Cette Ligue est devenue une pilier du mouvement transnational de défense des droits humains dans les pays arabes au début des années 1990.

Ces événements me sont revenus à l’esprit lorsque j’ai appris la décision d’un tribunal algérien, prise en 2022 mais rendue publique en janvier 2023, de dissoudre la Ligue, suite à une requête du ministère de l’Intérieur. Le tribunal a estimé que l’organisation avait violé la loi algérienne restrictive sur les associations, en « ne respectant pas les constantes et les valeurs nationales » lorsqu’elle se réunissait avec des organisations non gouvernementales « hostiles à l’Algérie » et se livrait à des « activités suspectes » telles qu’« aborder … la question de l’immigration clandestine » et « [accuser] les autorités de réprimer les manifestations ».

La LADDH a vivement dénoncé les abus commis lors de la décennie sanglante des années 1990. Après que le terrorisme et l’impitoyable répression de cette décennie ont cessé, la Ligue a accompagné les familles des personnes disparues en réclamant des réponses et que justice soit rendue. Récemment, elle a soutenu les manifestants du mouvement pacifique du Hirak, qui a émergé en 2019 en exigeant des réformes politiques. Ali Yahia Abdennour, qui était parmi les personnes arrêtées en 1985 et le président de la LADDH pendant des décennies, est mort en 2020, à l’âge de 100 ans.

La LADDH est la dernière des organisations indépendantes en date à avoir été dissoute sous des prétextes fallacieux par les autorités. Celles-ci ont emprisonné des centaines de manifestants du Hirak pour s’être exprimés pacifiquement et ont pratiquement anéanti les médias indépendants d’Algérie, un autre fruit des réformes de 1989. L’arrestation le 24 décembre dernier d’Ihsane El Kadi et la mise sous scellés des locaux de ses deux médias en ligne, Radio M et Maghreb Émergent, en sont l’exemple le plus récent.

Craignant d’être arrêtés, des activistes ont fui le pays lorsqu’ils n’ont pas été arbitrairement bloqués à la frontière. Parmi eux, trois membres renommés de la Ligue qui sont désormais exilés en Europe.

Les prétextes invoqués pour dissoudre l’organisation phare de défense des droits humains en Algérie ne sont pas moins absurdes que ceux qui ont été utilisés pour condamner ses fondateurs il y a quatre décennies. Bien que beaucoup de choses aient changé depuis les manifestations de 1988, l’Algérie est une nouvelle fois gouvernée par des individus qui ne tolèrent pratiquement aucune contestation.

  publié le 9 février 2023

Françafrique : Macron
ne fait même plus semblant

Justine Brabant sur www.mediapart.fr

Le président clame à qui veut l’entendre qu’il est en train d’écrire une nouvelle page des relations entre la France et le continent africain. Il aura pourtant rencontré, en l’espace d’un mois, trois des dirigeants incarnant le mieux le vieux monde rance de la Françafrique et un chef de gouvernement accusé de crimes contre l’humanité.

C’étaitC’était en 2017. L’amphithéâtre était chauffé à blanc. Les étudiant·es de l’université Ki-Zerbo de Ouagadougou, au Burkina Faso, attendaient le président français de pied ferme. Là, devant un public « marxiste et panafricain », Emmanuel Macron, élu depuis six mois, avait promis de tout changer. Sous sa présidence, la politique africaine de la France ne serait plus la même. Adieu Françafrique, inconscient raciste, corruption, népotisme et ingérences : le chef de l’État avait parlé « liberté », « émancipation », « Afrique indépendante », « révolution » et « changement de regard ». Il avait même souhaité « solennellement rendre hommage » à Thomas Sankara, révolutionnaire burkinabé, figure marxiste, panafricaniste et anticolonialiste majeure.

Cinq ans ont passé et les occasions de constater que ces mots étaient vains n’ont pas manqué. En guise de « révolution », Emmanuel Macron a avalisé un coup d’État constitutionnel au Tchad afin de porter au pouvoir un dirigeant favorable aux intérêts français. L’opération Barkhane s’est ensablée au Sahel et n’a quitté le Mali que contrainte et forcée, sans que les autorités françaises songent à tirer un bilan critique et honnête de leur engagement militaire sur le continent. Et le « changement de regard » à propos de l’Afrique ne concerne manifestement pas la diplomatie française, dont certains représentants continuent de s’illustrer plus ou moins glorieusement.

Mais jusque là, l’Elysée s’efforçait de préserver les apparences. À défaut du grand chamboulement annoncé, on empilait les symboles et éléments de langage comme autant de preuves d’un supposé changement : on se gargarisait d’organiser un sommet « Afrique-France » (et non plus France-Afrique) ; on donnait dans le participatif en inventant des « grandes consultations » sur des sujets anecdotiques et des « échanges » dûment médiatisés avec des représentant·es de la diaspora trié·es sur le volet. Preuve que la révolution était en route : tout était, tout le temps, « nouveau ». De « nouveaux outils de coopération », de « nouveaux acteurs du changement », de « nouveaux liens qui libèrent »... Le mot est décliné à 175 reprises dans le rapport commandé par Emmanuel Macron à l’intellectuel camerounais Achille Mbembe sur les « nouvelles » (forcément) « relations Afrique-France ».

Il semblerait que désormais, même ces apparences ne comptent plus beaucoup. Le chef de l’État et ses conseillers ont décidé, en ce début d’année, de pulvériser ce qui restait du vernis de « rupture » avec la Françafrique et ses fantômes.

En l’espace d’un mois, le président français va rencontrer trois incarnations paroxystiques de ce monde dont il avait juré se débarrasser : le Tchadien Mahamat Idriss Déby (fils de feu Idriss Déby), le Gabonais Ali Bongo et le Congolais Denis Sassou-Nguesso. Si cela ne suffisait pas, il s’est aussi offert un dîner – et une émouvante embrassade – avec un dirigeant accusé de crimes de guerre et de nettoyage ethnique, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed.

Le Tchadien Mahamat Idriss Déby, qu’il a reçu à déjeuner le 6 février, a pris le pouvoir à la mort de son père Idriss Déby en avril 2021. Déby père, resté trente ans au pouvoir, faisait disparaître ses opposants et mettre des sacs contenant du piment sur la tête des contestataires lors de leurs interrogatoires. Déby fils a pris sa suite au mépris de la constitution, assurant qu’il n’était là que pour assurer une « transition » rapide. Près de deux ans plus tard, Mahamat Idriss Déby est toujours là, ses forces de sécurité tirent à balles réelles contre les manifestant·es opposé·es à la prolongation de sa « transition », et ceux qui ne sont pas tués sont transférés par milliers dans des prisons de haute sécurité où la torture est une « pratique généralisée et structurelle », selon les ONG. Le 20 octobre dernier, au Tchad, en une seule journée, 50 manifestant·es ont été tué·es et 300 blessé·es. Ce sont les chiffres des autorités, donc probablement sous-évalués.

Le déjeuner du 6 février entre Emmanuel Macron et Mahamat Idriss Déby était cordial. Ils y ont échangé, entre autres, sur « la poursuite du processus de transition politique au Tchad ». Les deux hommes se sont donné une « forte accolade pour marquer cet instant de convivialité » a relevé la télévision tchadienne.

Le lendemain, mardi 7 février, le président français s’attablait de nouveau. Cette fois avec le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, pour le dîner. Abiy Ahmed a ordonné, en novembre 2020, le lancement d’une « opération de maintien de l’ordre » dans la région du Tigré, au nord de l’Éthiopie. Il s’agissait en réalité d’une guerre, ouverte et meurtrière, durant laquelle l’armée fédérale éthiopienne et ses alliés ont entrepris un nettoyage ethnique contre les Tigréen·nes (voir notre émission). L’un des conseillers d’Abiy Ahmed, le pasteur Daniel Kibret, a déclaré en 2021 que les Tigréens devaient « disparaî[tre] une bonne fois pour toutes ».

Pendant plus d’un an, Abiy Ahmed et son gouvernement ont soumis le Tigré à un blocus, privant ses 6 millions d’habitant·es de nourriture, de médicaments, d’aide humanitaire, d’électricité, d’internet et de télécommunications. Des expert·es de l'ONU estiment qu’il existe des « motifs raisonnables » de croire que ce blocus était constitutif de « crimes contre l’humanité ». Un fragile accord de paix a été signé le 2 novembre dernier. Il n’est encore que partiellement appliqué. Les douilles sont encore fumantes mais la crème des entreprises françaises de défense, de cybersécurité et de surveillance est déjà dans les starting blocks pour décrocher de nouveaux contrats avec Addis-Abeba.

Le dîner, lui, a semblé réussi. À l’issue de la sauterie, Abiy Ahmed a remercié son « ami » Emmanuel Macron pour son accueil « chaleureux ». Les photographes ont immortalisé leur franche accolade.

Le président français va poursuivre sa tournée au mois de mars. Le 2 mars, il rencontrera Ali Bongo au Gabon. Les Bongo, Omar puis Ali, sont à la tête de cet État pétrolier depuis 55 ans. Le nom du père est associé à l’affaire Elf, au scandale des biens mal acquis et aux plus riches heures de la Françafrique. Le fils a acquis ces dernières années de nombreux biens immobiliers à Paris grâce à des malversations (selon un magistrat financier français), et son épouse dépense littéralement des centaines de milliers d’euros pour acheter des bijoux et vêtements de luxe lors de ses déplacements en France.

Lorsqu’il ne profite pas de son immeuble de 5 487 mètres carrés rue de l’Université, à Paris, Ali Bongo fait emprisonner ses adversaires – politiciens, syndicalistes et étudiants – dans des cellules en béton sans lumière et trop petites pour dormir. Mais il semble aimer les arbres : il coprésidera début mars, avec le président Macron, un sommet dédié à la préservation des forêts tropicales. À six mois de la prochaine élection présidentielle gabonaise, l’opposition y voit surtout une marque de soutien malvenue au président candidat.

Après ce passage à Libreville, le chef de l’État français se rendra à Brazzaville, afin d’y rencontrer Denis Sassou-Nguesso. Ce dernier est président de la République du Congo depuis 38 années, pays où les dirigeants d’organisation de défense des droits humains sont arrêtés devant leur domicile par des hommes non identifiés puis interdits de consulter un médecin lorsque leur état de santé se dégrade en détention. La famille de Denis Sassou-Nguesso aurait détourné 70 millions de dollars de fonds publics, selon l’ONG Global Witness. De récentes révélations dans le journal Libération détaillent les circuits de détournement du pétrole congolais au profit du président et de son entourage. L’histoire ne dit pas si ces millions seront mis à profit pour offrir à Emmanuel Macron un déjeuner ou un dîner, ni si l’accolade sera aussi « chaleureuse » qu’avec ses autres amis despotes.

Les quatre dirigeants ont pour point commun d’être à la tête d’États vus comme « stables » et francophiles – des qualités certainement appréciées à Paris, en ces temps où d’autres capitales africaines, Bamako en tête, sont tentées de couper les ponts avec l’ancien colonisateur et de se rapprocher de Moscou, Pékin ou Ankara. C’est oublier que si les Déby ou les Bongo finissent par passer, les Tchadien·nes, Burkinabé·es, Congolais·es ou Gabonais·es, eux, restent. Et ils sauront se souvenir en temps voulu d’où se trouvait la France alors qu’ils tentaient de se défaire de leurs autocrates de dirigeants : à table.

  publié le 7 février 2023

Contre le Parlement européen, l’ambassadeur français vole au secours du Maroc

Ludovic Lamant sur www.mediapart.fr

Dans un climat de vives tensions autour des ingérences étrangères au Parlement de Strasbourg, le représentant de la France à Rabat estime que la résolution des eurodéputés qui demande au Maroc de respecter la liberté d’expression « n’engage aucunement la France ».  

PourPour une présidence française qui a fait de son engagement pro-européen l’une de ses marques de fabrique, la sortie de l’ambassadeur français au Maroc, en fin de semaine dernière, a de quoi sidérer. En poste depuis décembre 2022 à peine, Christophe Lecourtier a fait savoir, à la une de l’hebdomadaire marocain Tel Quel publié le 3 février, qu’une résolution critique du Maroc en matière de droits humains, adoptée au Parlement de Strasbourg il y a quelques semaines, « n’engage aucunement la France ».

« Nous, on est comptables des décisions des autorités françaises, le Parlement européen est loin de notre autorité, ce sont des personnalités qui ont été élues. On y trouve une diversité de groupes et de courants d’idées », avance le diplomate, qui insiste : « Le gouvernement français ne peut pas être tenu pour responsable des eurodéputés. »

D’un point de vue technique, Christophe Lecourtier n’a pas tort : ce sont bien des eurodéputé·es qui ont voté ce texte, et pas les capitales de l’UE, représentées, à Bruxelles, par une autre institution, le Conseil. Surtout, ces résolutions sur les droits humains ne sont pas contraignantes, d’un point de vue juridique.

D’un point de vue politique, c’est une tout autre histoire. D’abord parce que cela revient, pour Paris, à prendre ses distances avec une résolution qui défend la liberté d’expression et des médias dans un pays qui la met à mal. Ensuite parce qu’au Parlement européen, toute la délégation Renaissance, à commencer par Stéphane Séjourné, très proche conseiller d’Emmanuel Macron, a bien voté ce texte sans ciller - on pensait donc jusqu’alors qu’il s’agissait bien de la position française.

Joint dimanche matin par Mediapart, le porte-parolat du Quai d’Orsay n’avait pas encore, au moment de la publication de cet article lundi, répondu à nos sollicitations, pour commenter les déclarations de celui qui fut par le passé ambassadeur de France en Australie, avant de prendre la tête en 2017 de Business France, en remplacement de l’ancienne ministre Murielle Pénicaud.

Une résolution adoptée à une large majorité, sans les socialistes espagnols

De quelle résolution est-il question ? Le texte a été adopté le 19 janvier à Strasbourg. Si les eurodéputé·es ont l’habitude de voter des résolutions critiques des violations de droits humains un peu partout sur la planète, c’était, en ce qui concerne le Maroc, une première depuis 27 ans (et ce, même si des textes condamnant la politique migratoire du royaume ont été votés plus récemment à Strasbourg).

Le Parlement a exhorté Rabat à respecter la liberté d’expression et de la presse et plaidé pour une libération provisoire immédiate de journalistes emprisonnés, dont Omar Radi. À l’initiative du groupe des Verts, un amendement avait été ajouté au texte : il demande de bloquer l’accès au Parlement à des représentant·es du Maroc, sur le modèle de ce qui a déjà été décidé pour le Qatar, en réaction au scandale d’ingérence supposé du Qatar et du Maroc dans l’UE.

Cette résolution avait été adoptée à une large majorité (356 voix pour, 32 contre, 42 abstentions), dans un hémicycle peu fourni en raison du refus du premier groupe (la droite du PPE) de voter des résolutions d’urgence, depuis les premières révélations sur le « QatarGate ». Du côté français, une majorité des élu·es prenant part au vote a soutenu le texte, y compris, donc, la délégation Renaissance.

Ce jour de janvier, ce sont les socialistes espagnols, au pouvoir à Madrid, qui s’étaient fait remarquer en s’opposant au texte (tout comme des député·es français du RN et de Reconquête!). Ce qu’avait assumé sans ciller le chef du gouvernement, Pedro Sánchez, jugeant, en marge du sommet franco-espagnol de Barcelone le 19 janvier, que son parti, le PSOE, ne « partage[ait] pas certains éléments » de la résolution, sans être plus précis.

Dans son ensemble, cette résolution marquait un durcissement de la position du Parlement. Une courte majorité d’élu·es était déjà parvenue, mi-décembre, à épargner le Maroc pour mieux critiquer le Qatar, sur fond de divisions, à l’époque, de la délégation macroniste sur le sujet.

Rabat dénonce le « harcèlement » du Parlement européen et des « machinations »

Ce vote d’un texte pourtant non contraignant a suscité l’ire de Rabat. Dès le 23 janvier, les parlementaires marocains disaient, dans une résolution, avoir enregistré « avec beaucoup de surprise et de ressentiment cette recommandation qui a mis à mort la confiance entre les institutions législatives marocaines et européennes », sur fond d’une « campagne tendancieuse qui cible le royaume ».

De son côté, un parlementaire marocain, Lahcen Haddad, est allé jusqu’à dénoncer « l’État profond français » qui serait à l’origine de cette résolution du Parlement européen, s’inquiétant de voir qu’« un proche de la présidence française », en l’occurrence Stéphane Séjourné, en ait été « l’un des architectes ».

Ces passes d’armes entre Strasbourg, Paris et Rabat intervenaient quelques jours après la visite officielle au Maroc de Josep Borrell. Dans un contexte déjà tendu par les révélations du « QatarGate », le chef de la diplomatie de l’UE avait prévenu lors d’un point presse à Rabat qu’« il ne peut y avoir d’impunité pour la corruption – tolérance zéro ».

De son côté, le ministre marocain des affaires étrangères, Nasser Bourita, avait dénoncé le « harcèlement » du Parlement européen, parlant de « machinations » et d’une « volonté de nuire » au partenariat UE-Maroc.

La sortie de l’ambassadeur français au Maroc s’inscrit dans ces turbulences, et alors que la perspective d’une visite d’État d’Emmanuel Macron, un temps annoncée en tout début d’année, semble s’être éloignée. Les tensions avec Paris, qu’essaient manifestement d’atténuer l’ambassadeur, contrastent, de fait, avec l’attitude très conciliante de Madrid.

Pedro Sánchez s’est rendu au Maroc pour une spectaculaire visite d’État la semaine dernière, flanqué de douze ministres (mais pas un seul de son partenaire de coalition Unidas Podemos, de la gauche radicale), afin d’ancrer un « partenariat stratégique ».

C’était un épisode prévisible, après le tournant diplomatique espagnol de mars 2022, lorsque Madrid a accepté de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, ce territoire du Nord-Ouest africain, frontalier de la Mauritanie, annexé en 1975 par le Maroc. Mais la presse conservatrice à Madrid n’a pas manqué de dénoncer une « soumission inexplicable » de l’Espagne vis-à-vis du Maroc, durant cette visite.

Le scandale Pegasus aussi en arrière-plan

Sans surprise, la question particulièrement sensible de la souveraineté du Sahara occidental, l’un des derniers conflits postcoloniaux encore pendants devant les Nations unies, est un fil rouge des tensions entre Marocains et Européens. Elle semble être au cœur de l’enquête menée par les enquêteurs belges depuis l’été 2022 sur ce qui s’appelle désormais le « QatarGate » et le « MarocGate », puisque la supposée ingérence du Maroc dans l’hémicycle aurait servi à influencer des votes sur le Sahara occidental.

Le Maroc est aussi dans le viseur des eurodéputé·es via la commission d’enquête lancée au printemps 2022 sur le recours au logiciel d’espionnage Pegasus. À l’été 2021, des médias avaient révélé des écoutes d’Emmanuel Macron pour le compte du Maroc.

En Espagne, une ancienne ministre des affaires étrangères, Arancha González Laya, avait accusé Rabat, en juin 2021, d’avoir fait écouter son téléphone portable, et celui du chef du gouvernement, Pedro Sánchez.

C’est dans ce contexte particulièrement houleux qu’une enquête interne a été ouverte à BFMTV, première chaîne d’info de France, en raison de soupçons visant Rachid M’Barki. Ce présentateur des journaux de la nuit avait notamment lancé un sujet, qui n’avait pas été validé par la rédaction en chef, en parlant du « Sahara marocain » au sujet du Sahara occidental, nourrissant des spéculations, là encore, sur une forme d’ingérence extérieure.

publié le 6 février 2023

Royaume-Uni :
grève record des soignants

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Après une journée de grève massive dans l’éducation le 1er février au Royaume-Uni, c’est au tour des infirmières et des ambulanciers de se mobiliser ce 6 février pour exiger des augmentations de salaire. Avec plusieurs dizaines de milliers de grévistes, la journée est d’ores et déjà considérée par les syndicats comme historique.

A en croire les syndicats, Unite, GMB et Royal College of Nursing (RCN), le Royaume-Uni vient de vivre, ce lundi 6 février, « la mobilisation la plus massive de l’histoire du National Health Service (NHS) », le système public de santé britannique. Des dizaines de milliers d’infirmiers et d’ambulanciers, principalement anglais, sont entrés en grève. Ils et elles demandent des augmentations de salaire permettant de faire face aux 10,5% d’inflation. Or pour l’heure, seule une augmentation de 4% leur a été proposée.

Les journées de grève dans ce secteur sont rares, notamment à cause des règles d’encadrement du droit de grève au Royaume-Uni. « Pour les secteurs clés de l’économie comme les transports ou de la santé, le seuil pour passer à l’action est élevé, puisqu’il faut que 40 % du corps électoral vote pour la grève », rappelait l’universitaire Marc Lenormand dans une interview à Rapports de Force fin août.

Une longue séquence de grève interprofessionnelle

Or, depuis la mi-décembre les grèves s’enchainent dans la santé. A noter : ce lundi 6 janvier c’est la première fois qu’infirmières et ambulanciers cessent de travailler le même jour, ce qui va entraîner d’importantes perturbations dans les hôpitaux, déjà dans une situation très préoccupante. Selon le directeur de NHS Providers, Julian Hartley, environ 88 000 rendez-vous médicaux ont déjà été annulés en raison des grèves.

« Si quelqu’un met [la vie des patients] en danger, c’est ce gouvernement ! 500 personnes meurent chaque semaine à cause du manque d’ambulances. Et il manque 130 000 personnels au NHS, c’est comme s’il y avait grève tous les jours ! », a réagi la syndicaliste Sharon Graham auprès du journal Le Monde.

La mobilisation du jour est à replacer dans un contexte plus général de forte de grève dans les services publics au Royaume-Uni depuis plusieurs mois. Le 1 février, « pour la première fois depuis 12 ans, la quasi-totalité du système éducatif s’est arrêté : 85% des écoles étaient concernées, de la maternelle à l’université », rappelle la CGT, soutien attentif du mouvement, dans un communiqué confédéral. En grève également le jeudi 2 février : « la fonction publique et une partie des transports et des trains », continue la CGT. La semaine prochaines, les cheminots, les postiers et les douaniers ont également prévu une journée de grève. Ces mouvements sociaux ne sont pas nouveaux. Dès la fin de l’été, les salariés britanniques des postes, des ports ou encore de l’industrie s’étaient massivement mis en grève pour leurs salaires.


 

  publié le 5 février 2023

Israël-Palestine : 
le grand silence de Macron

René Backmann sur www.mediapart.fr

Encore une fois, Emmanuel Macron a manqué l’occasion de faire observer au premier ministre israélien Benyamin Netanyahou que tout le monde n’approuve pas son alliance avec l’extrême droite raciste, son refus de négocier avec les Palestiniens, ses projets d’annexion et l’orientation autoritaire qu’il entend donner à l’État d’Israël.

AbbaAbba Eban, politicien travailliste israélien qui fut, de 1966 à 1974, ministre des affaires étrangères de son pays, avait, paraît-il, l’habitude de dire que « les Palestiniens ne manquent jamais une occasion de manquer une occasion ».

Dans les relations franco-israéliennes, la même formule pourrait s’appliquer à Emmanuel Macron. Car le président français ne manque jamais une occasion de manquer l’occasion de dire au premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ce qu’il devrait entendre de la bouche d’un chef d’État ami d’Israël. D’un chef d’État parlant au nom de la France, attaché – en principe – au respect des droits humains et du droit international, et en particulier des résolutions des Nations unies et des Conventions de Genève.

On avait déjà pu le déplorer en novembre lorsque Emmanuel Macron avait été l’un des premiers à féliciter Netanyahou pour sa victoire sans le mettre en garde sur les périls que représentait, pour la démocratie israélienne, pour les perspectives de paix avec les Palestiniens, et donc pour les relations entre Israël et ses amis, son alliance avec l’extrême droite suprémaciste.

Une visite très discrète

C’est encore ce qu’on a pu constater jeudi lors de la visite à Paris du premier ministre israélien, désormais chef du gouvernement et de la coalition les plus à droite, les plus religieux et les plus racistes de l’histoire de l’État d’Israël.

Improvisée à l’initiative de Benyamin Netanyahou, cette visite très discrète a été organisée au lendemain de l’attentat qui a fait sept morts, le 27 janvier, à proximité d’une synagogue non pas de Jérusalem, mais de Neve Yaacov, une colonie en majeure partie peuplée de religieux, à la périphérie de la ville. Attentat qui faisait suite à un raid lancé la veille par l’armée israélienne dans la ville palestinienne de Jénine, au cours duquel dix Palestiniens avaient été tués.

Cette opération, la plus meurtrière depuis 20 ans en Cisjordanie, arrivait au terme d’un mois au cours duquel au moins 29 Palestiniens – un par jour – avaient été tués par l’armée israélienne. Au cours d’une conversation téléphonique avec le premier ministre israélien deux jours après l’attaque de Neve Yaacov, Macron avait « condamné cet attentat abject ».

Il a de nouveau fait part à Benyamin Netanyahou, lors du « diner de travail » donné jeudi à l’Élysée, de la « solidarité pleine et entière de la France, après l’attaque ignoble » à proximité de la synagogue. Il a aussi, selon le communiqué publié vendredi par la présidence, « rappelé l’importance d’éviter toute mesure susceptible d’alimenter l’engrenage de la violence qui a déjà fait trop de victimes innocentes parmi les civils palestiniens et israéliens ».

En fait, selon le centre israélien des droits de l’homme B’Tselem, les forces israéliennes ont tué en 2022, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, 146 Palestiniens (le bilan le plus lourd depuis 2004), dont cinq femmes, 34 enfants (le plus jeune avait 12 ans) et sept hommes de plus de 50 ans (le plus âgé avait 78 ans). Huit Palestiniens ont été tués dans des « incidents » où des soldats et des civils israéliens armés étaient impliqués, et 32 autres ont trouvé la mort dans la bande de Gaza.

Du côté israélien, 17 civils et 4 membres des forces de sécurité ont été tués en 2022.

Un silence choquant

Sur les « mesures susceptibles d’alimenter l’engrenage de la violence » qu’il importe aujourd’hui d’éviter, Emmanuel Macron s’est montré très discret. Le communiqué de l’Élysée rappelle l’opposition de la France « à la poursuite de la colonisation, qui sape les perspectives d’un futur État palestinien autant que les espoirs de paix et de sécurité pour Israël ». Rappel utile au moment où les statistiques officielles israéliennes révèlent que le nombre des colons atteint le demi-million en Cisjordanie – une progression de 16 % en cinq ans – et dépasse 200 000 à Jérusalem-Est.

Mais discours aussi rituel que vain, qui relève de l’incantation quand il n’est accompagné d’aucun rappel du droit et d’aucune proposition ou menace de sanction. Et quand il « oublie » de mentionner l’occupation militaire des territoires palestiniens, laquelle permet cette « poursuite de la colonisation ».

Le silence d’Emmanuel Macron sur ces points, aussi bien dans les propos tenus à table face au premier ministre et rapportés par les témoins que dans les communiqués officiels, est d’autant plus choquant – voire inacceptable pour les Palestiniens – que l’occupation, la colonisation et l’annexion des territoires palestiniens sont au cœur du programme politique de la coalition au pouvoir. Et constituent le ciment de l’alliance conclue entre Netanyahou et ses deux alliés de l’extrême droite nationaliste et religieuse, Itamar Ben-Gvir, aujourd’hui ministre de la sécurité, et Bezalel Smotrich, ministre des finances, partenaires indispensables de son projet de réforme de la justice.

Essentiellement destiné à permettre au premier ministre, poursuivi pour « corruption », « fraude » et « abus de confiance », d’échapper à ses juges, cette réforme menace de détruire le pouvoir de la Cour suprême, unique contre-pouvoir institutionnel du gouvernement. Le danger que constitue cette réforme pour le maintien de l’État de droit et de la démocratie est à l’origine des manifestations massives et des protestations d’économistes, de juristes qui se multiplient dans le pays depuis un mois.

Lors de sa visite en Israël et dans les territoires palestiniens, il y a une semaine, le secrétaire d’État américain Antony Blinken n’a pas hésité, lors de la conférence de presse tenue aux côtés de Netanyahou, visiblement crispé et mal à l’aise, à rappeler que « les relations entre les États-Unis et Israël sont fondées sur des intérêts et des valeurs partagées : les principes fondamentaux et les institutions de la démocratie, le respect des droits humains, une justice égale pour tous, des droits égaux pour les groupes minoritaires, le règne de la loi, une presse libre et une robuste société civile ».

En d’autres termes, si ces principes sont bafoués, nos relations ne pourront pas ne pas en être affectées. Il avait aussi souligné, à l’intention du puissant clan des colons au sein de la coalition, « l’opposition des États-Unis au développement des colonies, aux projets d’annexion, aux démolitions et au changement de statut des Lieux saints ». Et en réponse aux ennemis de la solution à deux États qui entourent Netanyahou, il avait tenu à répéter que « le président Biden reste convaincu que pour que les Palestiniens et les Israéliens puissent bénéficier de manière égale de la sécurité, de la liberté, de la justice, de la confiance dans l’avenir et de la dignité auxquelles ils ont droit, il n’y pas d’autre moyen que de mettre en œuvre notre vision : deux États pour deux peuples ».

Emmanuel Macron, pour des raisons obscures, car jusqu’à présent sa stratégie diplomatique au Proche-Orient n’a pas débouché sur des succès spectaculaires ni permis des percées historiques, a choisi de continuer à ménager le premier ministre israélien.

Alors que Netanyahou n’a toujours pas été invité à Washington depuis qu’il a repris la tête du gouvernement et que son voyage aux Émirats a été reporté (ce devait être, symboliquement, la première visite à l’étranger de son nouveau mandat), c’est donc pour Paris qu’il s’est envolé. Peut-être, avance un diplomate israélien qui se dit « effaré par les embardées idéologiques » de son premier ministre, « parce que Macron a un tel désir ou besoin d’exister sur la scène internationale qu’il est prêt à accueillir n’importe qui ».

Selon Le Monde, le président français aurait, au cours du dîner, « exprimé sans détour ses craintes face à la réforme de la justice voulue par Netanyahou et ses partenaires du gouvernement ». Il aurait aussi mis en garde contre une évolution institutionnelle qui « dégagerait Israël d’une conception commune de la démocratie ».

Mais de cela il n’est pas question dans le communiqué officiel de l’Élysée. Non plus que d’autres sujets qui auraient pu fâcher, comme les punitions collectives contre les Palestiniens, l’expulsion récente de l’avocat franco-palestinien Salah Hammouri ou le refus d’ouvrir une enquête crédible sur les conditions de la mort de la journaliste palestinienne Shirin Abou Akleh, tuée par l’armée israélienne à Jénine en mai 2022 – enquête qu’Emmanuel Macron avait demandée au premier ministre israélien du moment, Naftali Bennett.

Il y aura bientôt vingt ans, le ministre des affaires étrangères français Dominique de Villepin prononçait devant le Conseil de sécurité un discours vibrant pour expliquer l’opposition de la France à l’intervention militaire internationale contre l’Irak. Il invoquait alors le « vieux pays, la France », au nom duquel il s’exprimait, « debout face à l’histoire et devant les hommes ».

Aujourd’hui, le jeune président de ce vieux pays reçoit à sa table un politicien corrompu et cynique qui a déjà transformé l’État des rescapés du génocide en un régime d’apartheid, et qui s’apprête à détruire ce qu’il reste des institutions démocratiques d’Israël pour échapper à la justice.  


 

 

 

Lettre ouverte au Président de la République concernant la venue officielle du Premier ministre israélien

sur https://www.france-palestine.org

par Bertrand Heilbronn, Président de l’Association France Palestine Solidarité

Le 1er février 2023,

Objet : visite officielle du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou.

Monsieur le Président de la République,

Ce jeudi 2 février, vous vous apprêtez à recevoir officiellement le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Nous en sommes stupéfaits et profondément indignés.

Faut-il revenir sur le passé de ce sinistre personnage ? Vous souvenez-vous qu’il était à la pointe de la campagne de haine qui a abouti à l’assassinat de Itzhak Rabin en 1995 ? Vous souvenez-vous de l’offensive meurtrière qu’il a ordonnée contre la population de la Bande de Gaza en juillet et août 2014, qui a fait 2220 morts dont 550 enfants, et de celle de mai 2021, d’une incroyable violence, dont les Palestiniens de Gaza, et particulièrement les enfants, sont encore loin d’être remis ? Vous souvenez-vous qu’il a toujours développé la colonisation de la Palestine, qu’il n’a jamais caché ses opinions suprémacistes, qu’il est l’artisan de la loi « État-Nation du peuple juif » qui a fait entrer ses conceptions suprémacistes dans la loi constitutionnelle israélienne ?

Mais c’est la situation présente qui nous indigne encore plus. Netanyahou a constitué un gouvernement qui fait la part belle à des ministres ouvertement racistes, fascistes, suprémacistes, à qui il a donné les clés du développement de la colonisation et de la répression contre les Palestiniens. Dans un mépris total du droit international, il a placé au premier rang des priorités de son gouvernement le développement de la colonisation. Oui, nous en sommes là : le gouvernement israélien n’en est plus à tergiverser avec le droit international, il le foule ouvertement aux pieds, il l’assume dans le cynisme le plus total. Et parmi les provocations de ce gouvernement, le ministre Ben-Gvir n’hésite pas à aller parader sur l’Esplanade des Mosquées.

Comment est-il possible de se réclamer du droit international en Ukraine et de le laisser fouler aux pieds en Palestine ? Ne voyez-vous pas que votre parole, et de ce fait la parole de la France, sera décrédibilisée par la manière dont vous recevez officiellement ce criminel à l’Élysée ?

C’est un engrenage tragique qui est à l’œuvre en Israël et en Palestine. Les Palestiniens vivent le cauchemar des offensives quotidiennes sans la moindre retenue de l’armée israélienne d’occupation dont les soldats ont reçu un blanc-seing pour tuer comme bon leur semble : l’attaque contre Jénine jeudi dernier, qui, a été d’une sauvagerie inouïe et a fait 10 morts palestiniens, en témoigne, comme en témoignent les 36 Palestiniens tués par l’armée israélienne depuis le début de l’année. Les Palestiniens subissent dans le même temps les exactions de colons haineux et fanatisés, armés et protégés par l’armée israélienne, qui ont lancé des dizaines d’attaques contre eux pas plus tard qu’hier. Qui est là pour les protéger ? Quant aux Israéliens, à qui l’on n’a jamais demandé aucun compte, ils sombrent de ce fait dans la spirale du racisme et de la haine de l’autre, qui se retournera un jour contre eux-mêmes.

Vous ne manquerez pas d’exprimer votre émotion sur les 7 Israéliens de la colonie de Neve Yaakov à Jérusalem-Est qui ont été tués vendredi dernier par un jeune Palestinien de Jérusalem. Ces 7 morts, comme tous les autres, sont des morts de trop. Mais avez-vous mesuré la violence quotidienne subie par les Palestiniens de Jérusalem, les dizaines de morts, les expulsions, les destructions de maison, les humiliations, les provocations ? Peut-on évoquer cet événement sans le replacer dans son contexte ? Peut-on accepter les punitions collectives annoncées par le gouvernement israélien ?

Et c’est maintenant en France que les exactions du gouvernement israélien trouvent leur prolongation. L’ambassadeur d’Israël se permet d’intervenir sur la tenue d’une réunion publique à Lyon, il est soutenu par des députés de votre majorité, puis par le CRIF qui confond très dangereusement son rôle de représentation communautaire avec la défense inconditionnelle de l’Etat d’Israël et de son gouvernement. Et lorsque Salah Hamouri, victime de l’arbitraire israélien contre lequel vous n’avez pas su le défendre, est honteusement attaqué par un député de votre majorité, le ministre de l’Intérieur n’hésite pas, dans sa réponse, à le diffamer et à menacer sa liberté d’expression en France.

Monsieur le Président de la République, vous devez en être bien conscient : si Benyamin Netanyahou est reçu à l’Elysée, il exploitera politiquement cette visite pour renforcer son pouvoir. Vous vous serez alors rendu complice de sa politique, de ses crimes, de l’impasse dans laquelle il entraîne le peuple israélien, de la situation désastreuse subie de son fait par le peuple palestinien. Ce ne sont pas quelques expressions convenues d’appel à la retenue ou du rappel purement formel d’une solution à deux Etats déjà en ruines qui y changera quoi que ce soit.

Monsieur le Président de la République, nous vous demandons solennellement de ne pas recevoir ce criminel à l’Elysée, et d’avoir enfin une parole claire pour ne laisser aucune place aux ingérences directes ou indirectes de l’État d’Israël dans notre vie démocratique.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.

Bertrand Heilbronn

Président de l’Association France Palestine Solidarité

Copie de cette lettre envoyée à : Catherine Colonna, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.

publié le 3 février 2023

La « sale guerre » sans fin d’Erdogan contre le peuple kurde

sur https://cqfd-journal.org

L’attentat contre un centre culturel kurde à Paris le 23 décembre 2022, des soupçons d’utilisation d’armes chimiques par la Turquie au Kurdistan… L’actualité nous ramène sans cesse au drame du peuple kurde et à son combat pour l’émancipation. Evîn, militante internationaliste pro-kurde, revient sur les dernières évolutions du conflit.

Malgré le « cessez-le-feu » du 17 octobre 2019 et la fin de l’opération militaire classique des forces turques au Rojava (le Kurdistan syrien), les offensives acharnées contre les Kurdes ne se sont jamais arrêtées. La Turquie diversifie ses attaques et bombarde désormais les territoires kurdes des pays voisins : n’arrivant pas à ses fins dans les montagnes turques et irakiennes contrôlées par la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), elle se tourne vers les plaines syriennes et irakiennes. Et poursuit plus que jamais contre le peuple kurde une guerre, entamée il y a des décennies, dont seules les modalités varient.

De la guerre de « basse intensité »…

L’expression « de basse intensité » désigne un conflit qui ne dit pas toujours son nom, un état de guerre permanent, normalisé1. Ce qui implique de changer ses méthodes : contre la résistance au Rojava, la Turquie se sert de ses barrages pour limiter le débit des eaux de l’Euphrate et du Tigre, multiplie les attaques de drones, mène des opérations de déforestation massive… Dans le même temps, des bombardements quotidiens plus « classiques » ciblent des infrastructures civiles, plombant la vie quotidienne. Clément*, un militant internationaliste actuellement au Rojava, témoigne : « Dans la nuit du 20 novembre, des avions turcs ont bombardé une centrale électrique à Derîk, tuant onze civils et coupant l’électricité de toute une région. L’insécurité actuelle a aussi entraîné la fermeture d’un certain nombre d’écoles dans les régions les plus durement attaquées. »

En parallèle, l’État turc poursuit ses tentatives d’anéantissement du mouvement en visant ses leaders, comme le dénonce Clément : « Les drones turcs ont assassiné des dizaines de civils ainsi que des militaires tous les mois, voire toutes les semaines. Parmi eux, Ferhat Şibli, artisan infatigable de la construction de l’AANES2, tombé martyr en Irak le 17 juin, et trois femmes combattantes fin juillet. » Cette guerre de basse intensité rend difficile le maintien d’un large mouvement de solidarité sur du long terme : comment mobiliser alors que les attaques sur tous les fronts – militaires comme politiques – sont quotidiennes ?

à l’intensification de la guerre

« La Turquie n’attaque pas seulement le long de la frontière, mais aussi jusqu’à 80 km à l’intérieur du territoire »

Depuis avril 2022, le conflit s’intensifie à nouveau. C’est à cette date que l’armée turque a commencé à bombarder massivement, par voie terrestre et aérienne, les montagnes du Bashur (Irak) d’où opère la guérilla du PKK. Au Rojava aussi, les zones de conflit s’étendent, témoigne Clément : « Aujourd’hui, les attaques aériennes se poursuivent dans toute la région. La Turquie n’attaque pas seulement le long de la frontière, mais aussi jusqu’à 80 km à l’intérieur du territoire. »

Cette recrudescence guerrière coïncide avec un agenda politique tendu. Au pouvoir depuis vingt ans, Recep Tayyip Erdoğan est candidat à sa réélection au mois de juin dans un contexte de grave crise économique. Encore une fois, il brandit la « guerre contre le terrorisme » pour l’emporter. Et s’active pour faire taire les oppositions, en faisant notamment arrêter responsables politiques, artistes et journalistes3.

Le président turc entend notamment profiter de l’anniversaire du traité de Lausanne pour porter encore davantage son discours nationaliste4. Signé il y a un siècle avec les pays occidentaux vainqueurs de la Première Guerre mondiale (et plus particulièrement la France et l’Angleterre), celui-ci revenait sur le découpage initialement prévu de l’Empire ottoman déchu. Il reste, aujourd’hui encore, synonyme dans la mémoire collective turque d’une certaine humiliation. Tout à sa nostalgie de l’époque des sultans, Erdoğan souhaite élargir ses frontières, et s’y emploie en multipliant les tentatives de conquêtes territoriales sur les régions à majorité kurdes.

L’attentat du 13 novembre 2022 à Istanbul lui a fourni un prétexte parfait pour lancer de nouveaux raids aériens au Rojava et menacer la région d’une invasion terrestre5. Depuis le 20 novembre, cette nouvelle offensive, baptisée « Griffe épée » par le régime turc, vient faire suite aux tristes opérations « Rameau d’olivier » à Afrin en 2018 et « Source de paix » à Serêkaniyê en 2019.

Des frappes aux armes chimiques

Le 17 octobre dernier, des vidéos, insoutenables de violence, ont montré des combattants du PKK agonisant après ce qui ressemble à s’y méprendre à une attaque aux armes chimiques. Les résultats d’une mission d’enquête indépendante, dépêchée un mois plus tôt sur place au Kurdistan irakien, semblent confirmer l’utilisation de ces armes pourtant interdites depuis trente ans par le droit international6.

Au Kurdistan, cette utilisation n’est hélas pas une nouveauté. En 1988 déjà, Halabja, en Irak, était la cible de bombardements aux gaz chimiques par le régime de Saddam Hussein. En 2015, Daech aurait à son tour fait usage d’armes chimiques contre les populations kurdes. Depuis 2019, des soupçons toujours plus lourds d’utilisation de ce type de techniques contre ces mêmes populations kurdes irakiennes et syriennes pèsent sur la Turquie…

« Si on pousse l’enquête sur ces armes chimiques, on remarquera qu’elles sont fabriquées avec des composants qui viennent d’Allemagne, des États-Unis ou d’Angleterre »

L’année qui vient de s’écouler marque un durcissement dramatique : le PKK et les organisations qui lui sont affiliées ont dénoncé près de 1 300 attaques chimiques depuis le mois d’avril 2021 7, des chiffres qui peuvent être plus importants selon les sources. Deux dates sont particulièrement mémorables : le 17 octobre 2022, 17 combattants du PKK succombaient aux attaques aux armes chimiques ; puis onze autres le 5 novembre 2022. Dans le silence assourdissant de la communauté internationale.

Il faut dire que ces exactions probables de la Turquie sont susceptibles d’éclabousser ladite communauté internationale, qui jusqu’ici n’a pas demandé à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) d’enquêter. Pour Azad*, membre de la diaspora kurde à Strasbourg, la raison est simple : « Si on pousse l’enquête sur ces armes chimiques, on remarquera qu’elles sont fabriquées avec des composants qui viennent d’Allemagne8, des États-Unis ou d’Angleterre. Ces pays devraient rendre des comptes, c’est pour cela qu’ils refusent d’appeler à des enquêtes. »

Daech en embuscade

Pour couronner le tout, ces incessantes attaques empêchent les combattants kurdes de faire reculer la menace Daech, toujours présente dans la région. « Récemment, la campagne de lutte contre les groupuscules de l’État islamique au Rojava a dû être interrompue pour pouvoir riposter aux attaques turques », explique Clément. Le 26 décembre dernier, six membres kurdes des Forces démocratique syriennes (FDS) ont trouvé la mort alors que Daech tentait un assaut contre une prison abritant des djihadistes.

Une double menace qui met en danger l’expérience du confédéralisme démocratique – dont les piliers sont la liberté des femmes, des différentes ethnies et religions ainsi que l’écologie sociale – menée par les populations kurdes. Et qui appelle à une solidarité internationale sur le long terme pour, qu’enfin, cesse la « sale guerre » d’Erdoğan.

Evîn

1 « Reconnaître une guerre quand on en voit une », Riseup 4 Rojava et Secours Rouge International, 2020 (riseup4rojava.org).

2 Administration Autonome du Nord-Est de la Syrie, l’entité qui gère le Rojava.

3 « L’État turc fait la chasse aux journalistes kurdes », CQFD n°215 (novembre 2022).

4 « En 2023, le traité de Lausanne prend fin. Les frontières de la Turquie dessinées par ce traité seront-elles caduques ? », Afrique Asie, 10 octobre 2022 (Afrique-asie.fr).

5 Dimanche 13 novembre, une bombe explosait dans la grande artère d’Istiklal à Istanbul. Ankara accuse le PKK et le PYD d’avoir fomenté cet attentat, ce qu’ils démentent.

6 « Soupçon chimique sur les opérations d’Erdogan contre les Kurdes en Irak et en Syrie », L’Humanité, 5 décembre 2022.

7 Ibid.

8 Les armes chimiques peuvent être fabriquées avec des composants à usages multiples, comme le fluor qui peut servir aussi à faire du dentifrice. « Armes chimiques au Kurdistan : “Des questions assez sérieuses pour justifier une enquête” », L’Humanité, 4 décembre 2022.

publié le 30 janvier 2023

Ukraine : la solidarité
passe-t-elle  par les chars ?

Francis Wurtz sur www.humanite.fr

«J’aime jouer aux échecs. Vous devez déplacer une pièce et les autres suivront.» C’est par cette image, plutôt légère dans le contexte actuel, que le président lituanien, Gitanas Nauséda, soutenu par ses homologues polonais, finlandais et britannique, a justifié la pression croissante exercée par les dirigeants européens les plus bellicistes sur le chancelier allemand, Olaf Scholz, pour l’amener à autoriser l’exportation de chars Leopard vers l’Ukraine. S’il finit par céder, tous les pays qui en possèdent pourront en livrer à Kiev.

Ainsi pousse-t-on toujours plus loin cette redoutable fuite en avant : le Leopard est devenu le nouvel emblème de la solidarité avec le peuple ukrainien. Exprimer ses réticences quant au franchissement de ce pallier supplémentaire dans l’horreur, sans compter le risque de basculement dans la guerre ouverte Otan-Russie, est vu, peu ou prou, comme un signe d’indifférence au martyre des Ukrainiens, voire une marque de complaisance envers Poutine.

Cette stratégie de l’escalade a été lancée le 26 avril dernier sur la base militaire américaine de Ramstein, en Allemagne, par le secrétaire américain à la Défense : «Ils (les Ukrainiens) peuvent gagner s’ils ont les bons équipements», avait lancé Lloyd Austin, à partir du constat que la Russie «a déjà perdu beaucoup de capacités militaires et beaucoup de troupes (…), et nous ne voudrions pas qu’elle puisse rapidement reconstituer ses capacités». Neuf mois ( !) et plusieurs dizaines de milliards de dollars d’aide militaire plus tard, où en sommes-nous ? Moscou, à coup sûr, a subi des pertes humaines et matérielles colossales, mais les Ukrainiens se sont-ils rapprochés pour autant d’un iota de la paix, malgré l’enfer quotidien qu’ils ont subi ? Quel nouveau seuil d’armement faudra-t-il franchir quand on constatera que les fameux chars n’ont pas arrêté l’agression russe ?

Est-ce manquer de solidarité avec le peuple ukrainien que de reconnaître, à l’instar d’un autre haut gradé américain, le chef d’état-major des armées en personne, que «la victoire n’est probablement pas réalisable par des moyens militaires» et qu’«il faut donc se tourner vers d’autres moyens» ? C’était il y a plus de deux mois ! (1) Ces «autres moyens» existent. Ils consistent, par exemple, à l’opposé du pari sur la «victoire» militaire, dans la tenue de discussions exploratoires avec des pays tels que la Chine, l’Inde – non sans influence sur le pouvoir russe et, à l’évidence, opposés à cette guerre – ou/et avec tout autre pays en mesure de peser positivement sur le Kremlin, afin de tenter l’impossible pour faire taire les armes et entamer les incontournables pourparlers entre Kiev et Moscou ?

Au point de férocité et de haine réciproque où en est arrivé ce conflit, aucun des deux belligérants ne prendra de sitôt l’initiative de cette issue pourtant indispensable. Raison de plus pour ne pas, de l’extérieur, jeter de l’huile sur le feu, mais pour, au contraire, consacrer désormais tous les efforts à la recherche de la moindre «fenêtre d’opportunité» susceptible de donner une chance à la paix.


 


 

Die Linke s’élève
contre la livraison
des chars Leopard 2

Bruno Odent sur www.humanite.fr

Allemagne. Face à un consensus favorable à l’équipement de Kiev en armes lourdes qui rallie la droite (CDU/CSU) et les trois partis de la coalition gouvernementale (SPD, Verts et FDP), Die Linke fait front contre l’escalade guerrière et ses immenses dangers.

Dietmar Bartsch, le président du groupe parlementaire de Die Linke, a dénoncé solennellement devant le Bundestag la décision d’Olaf Scholz et de son gouvernement d’autoriser la livraison de chars Leopard 2 à l’Ukraine. Le parti de gauche s’oppose à la participation de l’Allemagne à une nouvelle escalade dans un conflit qui a déjà fait 280 000 morts civils et militaires, alors que tout devrait être fait, à l’inverse, « pour chercher, imposer une solution diplomatique ».

Bartsch rappelle combien son parti « condamne l’agression de Poutine ». L’urgence est de mettre fin à la tuerie le plus rapidement possible et non pas de contribuer à l’étendre. « La désescalade devrait être notre priorité », lance-t-il, citant les propos tenus, il y a peu de temps encore, par le chancelier lui-même. S’adressant aux députés de la CDU, du centre libéral (FDP) et des Verts, tous favorables à la livraison d’armes lourdes à Kiev, il leur recommande de ne pas se fier au seul registre de l’émotionnel, « il vous ment », et de ne pas « se shooter aux slogans de la presse de boulevard qui n’a de cesse d’alimenter la guerre ».

Aux arguments insensés réitérés ici et là par de pseudo-experts faisant état de la nécessité de fournir à Kiev les moyens de « gagner la guerre » et de récupérer par la force tous les territoires perdus, Dietmar Bartsch oppose l’avis très autorisé du plus haut gradé de l’armée états-unienne, le général Mark Milley. Lequel considère que la possibilité d’un tel scénario « n’est militairement pas très élevée ». Ce qui fait d’une solution diplomatique négociée la seule issue vraiment possible.

« Argument insensé »

Si un consensus favorable à l’envoi de blindés d’assaut existe au Bundestag, « il ne concerne pas la majorité de l’opinion publique », souligne Bartsch, qui précise : « Dans l’est de l’Allemagne vous ne trouverez même qu’un tiers de la population pour le soutenir. » Et le dirigeant de Die Linke de démonter « l’argument insensé » plaidant que, sinon, l’Allemagne serait isolée. « La majorité de la communauté internationale, a-t-il lancé , n’a pas livré la moindre balle dans ce délire guerrier. La majorité de la communauté internationale sait qu’une puissance nucléaire ne peut être vaincue militairement. »

L’histoire de l’Allemagne devrait plaider pour la prudence en matière militaire. La retenue, relève le dirigeant de Die Linke, quant à l’envoi de Panzer allemands dans une bataille contre des soldats russes « est plus que justifiée. Au regard des 27 millions de citoyens soviétiques tués » par les troupes de l’Allemagne nazie. L’escalade guerrière profite d’abord aux marchands d’armes allemands. « La vérité, a lancé Bartsch à la tribune du Bundestag, c’est qu’une fois le feu vert de Berlin donné les cours des actions de Rheinmetall (le fabricant du Leopard 2 – NDLR) ont bondi à un niveau record permettant à l’entreprise de rentrer au DAX 30 (les leaders de la cote à la Bourse de Francfort – NDLR). Fabuleux résultat. »

Faisant allusion aux surenchères permanentes des dirigeants ukrainiens, Bartsch a pointé : «  Demain, des bateaux de guerre, après-demain des avions de combat, Tornado, Eurofighter, des zones d’exclusion aériennes, ensuite des soldats de l’Otan ? Où cela doit-il s’arrêter ? » Le dirigeant de Die Linke se tourne vers le gouvernement allemand pour lui demander de ne plus participer à cette escalade et, au contraire, mettre en œuvre, « enfin, une vraie initiative européenne de paix ».

publié le 29 janvier 2023

Pérou. Les clivages
de la société se font jour

Romain Migus sur www.humanite.fr

La contestation populaire engendrée par la destitution du président de gauche Pedro Castillo ne faiblit pas. La tenue d’élections en 2023, une des revendications des manifestants, vient d’être refusée par le Parlement. Puno (Pérou), correspondance.

La plaza de Armas de Juliaca, dans la région de Puno, est noire de monde. Au centre stationnent trois bus dans lesquels s’engouffrent des dizaines de personnes sous les vivats et les embrassades des manifestants. Une femme aymara (peuple originaire de la région du lac Titicaca) fend la foule pour atteindre la porte d’un des autocars. En pleurs, elle remet un sac de pommes de terre à un étudiant en l’avertissant : « Ne revenez que lorsque Dina aura démissionné. » Dina, c’est Dina Boluarte, la présidente par intérim.

Dans tout le pays, le peuple en lutte a désigné ses représentants pour aller à Lima faire entendre la contestation et que le pouvoir daigne enfin écouter leurs revendications. Des centaines de bus et de vans ont pris la direction de la capitale. Massés à l’arrière de pick-up ou dans des camions à bestiaux, des milliers de Péruviens se sont joints à ces cortèges pour ouvrir une nouvelle ligne de front après des semaines de manifestations dans les provinces.

  « Dans les campagnes, nous avons une vie misérable. Je suis prêt à mourir pour que mes enfants puissent avoir une vie meilleure. » Carlos, un paysan de la région d’Apurimac 

« Les mobilisations sont financées par le narcotrafic et les mineurs illégaux », prétend Dina Boluarte. Sa déconnexion avec le pays réel est flagrante. Celle qui occupe la présidence ne peut plus sortir du siège de l’exécutif sous peine d’être conspuée et agressée. Le nombre de manifestants assassinés dépasse celui de ses jours passés à la tête de l’État. À Cuzco (sud-est), et lors de sa seule sortie en province, elle n’a dû son salut qu’à l’intervention de son service de protection. À Lima, lors d’un déplacement dans un centre de soins, le personnel hospitalier a fait bloc pour rejeter sa présence.

L’opération policière à l’université San Marcos a été un déclic

Milagros, 24 ans, est venue de Puno à Lima en bus. Les quarante-huit heures de voyage n’ont pas affecté la détermination de son groupe d’étudiants. Ils sont de toutes les manifestations dans le centre de la capitale. En première ligne. Certains apportent des soins aux manifestants blessés tandis que d’autres s’affairent à désamorcer les bombes lacrymogènes. « Nous sommes ici pour exiger la justice pour les 18 personnes assassinées par la police à Puno, le 9 janvier. Nous ne repartirons que lorsque nous aurons obtenu la démission de Dina Boluarte, la fermeture du Parlement et la convocation à une Assemblée constituante », dit la jeune femme. Même son de cloche chez tous les manifestants venus de province. Carlos, un paysan de la région d’Apurimac, précise : « Dans les campagnes, nous avons une vie misérable. Je suis prêt à mourir pour que mes enfants puissent avoir une vie meilleure. »

Le soir, après les manifestations quotidiennes, la petite troupe d’étudiants de Puno rejoint le campus de l’université nationale d’ingénierie, où un campement de fortune a été installé pour accueillir les délégations régionales. « La solidarité des habitants de Lima est immense. Chaque jour, nous recevons des dons pour nous permettre de continuer notre lutte », explique Milagros. Devant l’université, de nombreux citoyens apportent victuailles, eau, médicaments, papier toilette… Une partie de la classe moyenne urbaine soutient désormais le mouvement. La grotesque opération policière à l’université San Marcos a été un déclic pour cette catégorie de la population.

Le patronat est pragmatique

La Confiep, la puissante organisation patronale qui a soutenu sans faille le coup d’État contre Castillo, plaide dorénavant pour une « réconciliation nationale » dans le but de « garantir la stabilité pour le développement des activités économiques ». Le patronat est pragmatique. Le secteur du tourisme doit faire face à 80 % d’annulation des réservations internationales jusqu’en avril 2023. L’agro export et le secteur minier sont à la merci des blocages. Comme l’explique Manlio, un industriel qui exporte des produits de la mer en Corée du Sud et aux États-Unis : « Hier, j’ai failli perdre une cargaison de 50 000 dollars d’oursins. J’ai eu de la chance car la police a réussi à lever une barricade pendant deux heures, et j’ai pu arriver au port. Mais ça ne peut pas durer comme ça.»

Plus que jamais, les clivages qui défigurent la société péruvienne se font jour. L’Institut d’études péruviennes, excluant pourtant les habitants des campagnes, a montré que 45 % des Péruviens soutenaient la décision du président Castillo de dissoudre le Parlement. 69 % veulent une Assemblée constituante et 75 % souhaitent la démission de Dina Boluarte. Celle-ci se prononce maintenant pour des élections anticipées en 2023 mais, samedi, le Parlement en a refusé le principe. Ce même jour, un manifestant a été tué à Lima, portant à 48 le nombre de morts depuis décembre.


 


 

 

La répression au Pérou témoigne
d’une « militarisation de la vie politique »

Ludovic Lamant sur www.mediapart.fr

L’historienne Carla Granados Moya revient sur le rôle d’anciens hauts gradés militaires devenus députés dans la violente crise qui secoue le Pérou. Leurs discours d’extrême droite, issus d’une culture qui remonte aux tactiques contre-terroristes à l’époque de la guérilla du Sentier lumineux, ont gagné en influence à Lima ces dernières années.

ParPar trois fois lors d’une conférence de presse, la présidente Dina Boluarte a formulé des excuses auprès des étudiant·es de l’université San Marcos à Lima, après la violente descente de police sur le campus le 21 janvier. « La forme [de l’intervention] n’était peut-être pas adéquate », a-t-elle reconnu mardi.

Pas moins de 192 personnes avaient été arrêtées : des étudiant·es mais aussi des personnes venues à Lima pour manifester contre l’exécutif et le Congrès, et qui étaient hébergées sur le campus par solidarité. Depuis une semaine, les témoignages se multiplient sur la violence des méthodes de la police durant l’intervention.

Depuis la tentative manquée de coup d’État de Pedro Castillo le 7 décembre 2022, le Pérou est plongé dans une crise politique profonde. Des manifestant·es dans les Andes réclament pour certain·es le retour de l’ancien chef d’État – originaire du monde andin et un temps étiqueté de gauche –, pour d’autres la convocation immédiate de nouvelles élections.

À Lima, le Congrès, dont la majorité est conservatrice, et l’exécutif dirigé par Dina Boluarte ont répondu par la manière forte, au risque d’aggraver chaque semaine davantage le face-à-face. Les forces de l’ordre sont accusées d’être responsables de la mort d’au moins 46 manifestant·es, sans compter dix autres personnes décédées en marge de blocages liés aux mobilisations.

Pour l’historienne Carla Granados Moya, jointe par Mediapart, cette répression des forces de l’ordre, manifeste dans les rues des villes andines depuis mi-décembre comme sur le campus de San Marcos à Lima en fin de semaine dernière, s’explique notamment par une « militarisation croissante de la vie politique » au Pérou.

Dès le jeudi précédant l’opération policière sur le campus de San Marcos, un député d’extrême droite, l’amiral Jorge Montoya, était ainsi monté au créneau lors d’une émission de radio. Il affirmait avoir appris, par les réseaux sociaux, qu’il était devenu la cible d’étudiants de l’université San Marcos : « Ils veulent mon sang, ils demandent ma tête. »

L’ancien militaire, membre du parti Renovación popular, plaidait alors pour une « expulsion » de ces « terroristes » par les forces de l’ordre. Sans surprise, il s’est félicité de l’action de la police péruvienne, dans la journée de samedi, qui a rétabli le « principe d’autorité ».

Au Congrès, quatre anciens hauts gradés de l’armée

Pour Carla Granados Moya, l’épisode prouve que Jorge Montoya est l’un de ceux qui donnent le la du débat à Lima. « Il est un des quatre militaires à la retraite devenus députés au Congrès qui exercent une influence croissante sur la vie politique au Pérou », avance la chercheuse, une ancienne employée de l’armée à Lima, qui écrit désormais une thèse sur les vétérans de la guerre contre le Sentier lumineux, à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL), à Paris.

D’après Granados Moya, c’est l’intervention de Montoya, avec d’autres, qui a préparé le terrain à l’intervention violente à San Marcos. Il a fourni de pseudo-preuves, même si le profil du supposé « étudiant terroriste » censé l’avoir menacé renvoie, d’après elle encore, au compte d’un étudiant… proche d’officiels de l’armée.

Habitué des prises de position ultra-radicales, Montoya est l’auteur de messages sur les réseaux sociaux dont la rhétorique se retrouve souvent dans la bouche de l’exécutif : « Il faut déclarer l’état d’urgence à Puno [ville du sud du pays, l’un des épicentres de la contestation dans les Andes – ndlr], ce ne sont plus des mobilisations mais du terrorisme », a-t-il par exemple écrit le 19 décembre.

Ancien amiral lui aussi, José Cueto, son collègue député au sein de Renovación popular, s’est également fait remarquer, dès la fin décembre, en proposant sur un plateau télé d’« éliminer ces gens », en parlant des manifestant·es dans les Andes, qui se rassemblent en soutien à l’ancien président Castillo et/ou pour demander de nouvelles élections générales.

L’influence des militaires hauts gradés est manifeste dans cette rhétorique qui fait des manifestants des “terroristes”.

L’universitaire relève aussi que Jorge Montoya et José Cueto sont parmi les premiers à avoir plaidé, au Congrès, pour la mise en place d’un « état de siège ». Cette mesure a entraîné le déploiement de militaires dans les villes andines, dont certains sont responsables de la répression en cours, par exemple dans les villes d’Ayacucho ou de Juliaca.

« Leur influence est manifeste dans cette rhétorique qui fait des manifestants des “terroristes”, et de n’importe quel adversaire politique un “ennemi de l’intérieur” », poursuit la doctorante. Vingt-deux ans après la fin de la dictature d’Alberto Fujimori, les termes d’une culture démocratique encore fragile se brouillent, au profit d’un langage militaire qui reprend le dessus. 

L’actuel président du Congrès, José Williams Zapata, est aussi un ancien chef militaire, du côté de l’armée de terre cette fois, connu pour avoir conduit l’opération dite « Chavín de Huántar » qui avait permis de libérer 71 personnes prises en otage à l’ambassade du Japon par le Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA) en 1997.

Ni Montoya ni Cueto n’ont combattu sur le terrain durant la guerre entre le Sentier lumineux et le MRTA d’un côté, et les forces militaires et paramilitaires de l’autre, dans les années 1980 et 1990. Le conflit a provoqué environ 69 000 morts, dont quelque 20 000 disparu·es, en majorité dans le centre des Andes.

La figure du militaire en politique n’est pas neuve au Pérou. Juan Velasco Alvarado installa une dictature militaire de 1968 à 1975, durant laquelle il réhabilita la figure de Túpac Amaru II, qui avait combattu la présence des Espagnols. Il prit aussi des mesures de gauche radicale, dont la redistribution des terres détenues par quelques grands propriétaires fonciers aux paysans.

Plus récemment, Ollanta Humala est devenu en 2011 le premier président vétéran de la guerre contre-terroriste contre le Sentier lumineux. À la différence de Montoya ou de Cueto, Humala fut un simple combattant, sans grade. 

Près de 500 000 vétérans de la guerre contre le Sentier lumineux

« Mais la participation d’anciens hauts gradés militaires à la politique péruvienne s’est aggravée ces dernières années », insiste Carla Granados Moya. La doctorante fait référence autant à la reconversion dans la politique institutionnelle de militaires retraités (liste à laquelle il faudrait ajouter le frère d’Ollanta Humala, Antauro Humala, sorti de prison en 2022 et qui veut se présenter à la présidentielle), qu’à la présence de militaires et de policiers dans le débat public, souvent pour légitimer les pouvoirs en place.

Ce fut par exemple le cas en septembre 2020, lors d’une conférence de presse en soutien au président d’alors, Martín Vizcarra, menacé de destitution par le Congrès. Le premier ministre, lui-même ancien général, s’était présenté flanqué de cinq militaires et policiers en activité, pour mettre en scène la solidité du pouvoir, épisode de ce que les médias appelaient alors une « guerre politique ».

La situation est d’autant plus explosive que le pays compte encore près de 500 000 vétérans, âgés de 35 à 55 ans, regroupés dans un réseau d’associations de terrain impliquées dans le monde andin et en Amazonie. « Ils ont été abandonnés par l’État durant les vingt ans de démocratie, et sont animés d’un fort ressentiment vis-à-vis des autorités », précise Carla Granados Moya, qui les suit de près pour sa thèse.

Pour la plupart, ces vétérans partagent les revendications des populations andines mobilisées contre les élites politiques et économiques de Lima, et pour la tenue d’élections anticipées dès 2023. La stratégie du pouvoir pourrait bien inciter certains d’entre eux à se radicaliser, redoute l’universitaire.

« Les élections de 2021 [remportées par Pedro Castillo – ndlr] ont démontré qu’il était possible pour la population rurale, historiquement exclue, de gagner dans les urnes. La classe politique actuelle, la police et les forces armées sont traversées par cette peur de perdre, de nouveau, les prochaines élections. La violence actuelle, c’est comme dire à ces gens-là : “Vous ne pouvez pas gouverner ce pays” », analyse encore Carla Granados Moya.

Pour la plupart, ces vétérans partagent les revendications des populations andines mobilisées contre les élites politiques et économiques de Lima, et pour la tenue d’élections anticipées dès 2023. La stratégie du pouvoir pourrait bien inciter certains d’entre eux à se radicaliser, redoute l’universitaire.

« Les élections de 2021 [remportées par Pedro Castillo – ndlr] ont démontré qu’il était possible pour la population rurale, historiquement exclue, de gagner dans les urnes. La classe politique actuelle, la police et les forces armées sont traversées par cette peur de perdre, de nouveau, les prochaines élections. La violence actuelle, c’est comme dire à ces gens-là : “Vous ne pouvez pas gouverner ce pays” », analyse encore Carla Granados Moya.

publié le 27 janvier 2023

Nouveau massacre de l’armée israélienne à Jénine

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Cisjordanie. Le 26 janvier, un raid a tué neuf Palestiniens, dont deux adolescents et une femme. Le personnel médical a été empêché d’approcher la zone.

La ville de Jénine, au nord de la Cisjordanie, a été une fois de plus la cible des opérations de l’armée d’occupation israélienne. Neuf Palestiniens ont été tués lors de ce raid présenté comme une « opération ­antiterroriste ». Deux d’entre eux étaient des adolescents. Une femme a également trouvé la mort.

Le ministère palestinien de la Santé a indiqué que plus de vingt personnes ont été blessées, dont quatre dans un état critique. « La plupart des blessures des victimes qui sont arrivées à l’hôpital aujourd’hui étaient dans la région de la tête et de la poitrine, a déclaré le ministère de la Santé dans un communiqué, le 26 janvier. Cela signifie que les tirs à balles réelles sur les habitants ont été effectués dans l’intention de tuer. »

« Attaque féroce et barbare »

La ministre de la Santé, Mai Al Kailah, a dénoncé l’attitude des forces israéliennes qui ont « empêché » les ambulances d’évacuer les blessés du camp pendant le raid et restreint l’accès des médecins. Les médias locaux ont rapporté que des ambulances ont même essuyé des tirs. Elle a également fait état de tirs de gaz lacrymogène sur l’unité pédiatrique de l’hôpital public de Jénine.

« Nous condamnons avec la plus grande ­fermeté ce qui s’est passé… en termes d’attaque féroce et barbare contre le personnel médical et d’urgence, et l’obstruction de son travail dans le transport des blessés et le traitement des patients. » Tor Wennesland, l’émissaire de l’ONU pour le Proche-Orient, s’est dit « profondément alarmé et attristé par la poursuite du cycle de violences en Cisjordanie occupée. La mort aujourd’hui de neuf Palestiniens, dont des militants et une femme, lors d’une opération d’arrestation israélienne à Jénine, en est un autre exemple frappant ». Ce massacre survient alors que le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, doit se rendre en Israël et en Cisjordanie, lundi et mardi. La journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh a été tuée au printemps dernier, par l’armée israélienne, dans cette même ville de Jénine. Washington n’a pris aucune ­mesure de rétorsion à l’égard d’Israël.


 


 


 

En 2023, déjà un Palestinien tué par jour ...

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Dix personnes sont mortes suite à une opération militaire israélienne à Jénine. L’Autorité palestinienne dénonce un « massacre » et suspend sa coopération sécuritaire avec Tel Aviv. Les chancelleries occidentales réagissent du bout des lèvres.

Pour le gouvernement israélien, la vie des civils palestiniens ne compte pas. Benjamin Netanyahou, le premier ministre a dit son « appréciation pour la bravoure et le dynamisme des soldats ». Ces soldats venaient d’attaquer le camp de réfugié de Jénine, en Cisjordanie. Bilan : neuf morts. Parmi les victimes, une femme de 61 ans, morte chez elle. Cette intervention a entraîné, dans les heures qui ont suivi des manifestations à Naplouse, Ramallah et Al-Ram, où un Palestinien de 22 ans a été tué.

Des gaz lacrymogènes dans un service pédiatrique

Les autorités israéliennes justifient leur massacre sous le vocable d’ « opération de contre-terrorisme », selon les mots employés par le ministre de la Défense Yoav Gallant, membre du Likoud. Les forces répressives devaient éliminer les frères Mohammad et Nureddin Ghneim, ainsi qu’un troisième membre du Jihad islamique, organisation accusée de fomenter un attentat en Israël. Ces derniers ont résisté et l’armée a fait tirer sur le bâtiment dans lequel ils se trouvaient, en plein camp de réfugié, à la roquette antichar.

Dans l’opération, des gaz lacrymogènes, une arme interdite par la Convention de Genève sur la guerre, ont été employés, atteignant le service pédiatrique d’un hôpital voisin. Les enfants ont dû être évacués. « Personne n’a tiré du gaz lacrymogène volontairement dans un hôpital (…) mais l’opération se déroulait non loin de l’hôpital et il est possible que du gaz lacrymogène soit entré par une fenêtre ouverte », a justifié à l’AFP un porte-parole militaire israélien. 

La ministre de la Santé Mai al Kaileh a dénoncé le fait que les ambulances du Croissant rouge n’aient pu accéder aux lieux des heurts.

30 morts en 26 jours

Ce massacre intervient alors que le gouvernement d’extrême droite et de droite israélien est entré en fonction le 29 décembre dernier. Alors que l’on dénombre 200 Palestiniens tués - la plupart des civils – sur l’année 2022, on compte déjà 30 morts depuis le 1er janvier. Soit plus d’un par jour.

La situation promet d’être tendue. Itamar Ben-Gvir, dirigeant d’extrême droite qui a mis le feu aux poudres en décembre en visitant l’Esplanade des Mosquées, a récemment demandé que les règles d’emploi des armes à feu par les policiers et militaires soient assouplies.

Gaza bombardée

Si Benjamin Netanyahou a prétendu ne pas vouloir d’escalade de violences, il a enjoint son armée à se préparer à tous les scenarii. Dès la nuit de jeudi à vendredi, il a fait bombarder la bande de Gaza où le Hamas, parti islamiste qui contrôle le territoire avait promis, par la voix de Saleh al-Arouri, que « l’occupation paiera le prix pour le massacre de Jénine ». Le gouvernement a dit que ces deux séries de frappes répondaient à des tirs de projectiles en provenance de la bande de Gaza.

Des faits traduits devant la Cour pénale internationale

Du côté de l’Autorité palestinienne (AP), la réponse a été forte. Suite à ce qu’elle qualifie de « massacre », une plainte sera déposée devant l’ONU, et les événements de ce jeudi 26 janvier seront versés au dossier, déjà lourd, déposé par Ramallah devant la Cour pénale internationale (CPI). « À la lumière des agression répétées contre notre peuple et des violations d’accord signés, notamment sécuritaires, nous considérons que la coordination sécuritaire avec le gouvernement d’occupation israélien cesse d’exister à partir de maintenant », a indiqué le président de l’AP Mahmoud Abbas par communiqué. Une mesure de rétorsion rare : une telle coopération avait été suspendue de mai à novembre 2020, suite à l’annexion de territoires occupés par Israël.

Les réactions internationales se sont montrées très faibles. Ainsi, la France a, par communiqué de son Ministère des Affaires étrangères, exprimé « sa vive préoccupation face au risque d’escalade » et souligné, alors que 30 personnes palestiniennes ont perdu la vie depuis le début de l’année, « son attachement au respect du droit international humanitaire et à l’impératif de protection des civils ». Elle souligne le besoin de travailler à une solution à deux États.

Les Émirats arabes unis réclament une réunion du Conseil de sécurité

Washington, principal allié d’Israël, a déploré la décision de Mahmoud Abbas de suspendre la coopération sécuritaire. Anthony Blinken, secrétaire d’État des États-Unis, sera lundi et mardi en Israël et Cisjordanie. Il s’est limité à dire « la nécessité urgente de prendre des mesures de désescalade ». Les Émirats arabes unis, qui entretiennent des relations diplomatiques avec Israël depuis trois ans ont « condamné l’assaut des forces israéliennes » et demandé une réunion « urgente du Conseil de sécurité ». 

À l’heure où nous écrivions ces lignes, celui-ci n’était pas convoqué. L’une des condamnations les plus dures est venue de la rapportrice des Nations unies pour la Palestine, Francesca Albanese. 

« Je suis extrêmement alarmée par les informations d’un renouveau de la violence létale à Jénine. Alors que les faits et circonstances doivent être établis, je rappelle l’obligation de la puissance occupante de s’assurer que les personnes civiles soient protégées de toute formes de violence à tout moment », a-t-elle réagi sur Twitter, ajoutant « également que la punition collective d’une population civile est absolument prohibée, constitue un crime de guerre, tout comme le fait de tuer délibérément. » 

Jénine, camp de réfugiés palestinien fondé en 1953, résume les affres de la colonisation. Y vivent 23 000 personnes. C’est là qu’en mars 2022, Shireen Abu Akleh, journaliste d’Al-Jazeera avait été tuée, au moment où elle couvrait un raid israélien. C’est encore là, qu’en 2002, Israël avait commis un massacre, faisant plus de 52 morts.

  publié le 26 janvier 2023

Chlordécone aux Antilles :
le non-lieu judiciaire alimente
la défiance vis-à-vis de l’État français

Amandine Ascensio sur www.mediapart.fr

Le non-lieu rendu dans l’affaire de ce pesticide qui a empoisonné les Antilles françaises pour plusieurs siècles accentue le sentiment d’impuissance généralisée face à un fléau accusé de provoquer des cancers de la prostate. La réponse des autorités semble bien insuffisante.

LesLes colères sont sourdes et impuissantes. L’ordonnance de non-lieu rendue le 2 janvier par la justice dans l’affaire du scandale du chlordécone a été accueillie dans un calme relatif. Alors qu’on aurait pu s’attendre à des manifestations populaires, seuls quelques communiqués d’élu·es ou des prises de position outrées de personnalités influentes ou plus anonymes sur les réseaux sociaux ont été relayés.

« Ça n’est pas une surprise, cette décision nous pendait au nez depuis déjà longtemps, il y a un effet d’accoutumance », constate Janmari Flower, écologue et vice-président de l’association guadeloupéenne Vivre, qui s’était constituée partie civile. En novembre 2022, le procureur de Paris avait déjà annoncé dans le quotidien France-Antilles avoir requis un non-lieu en raison de la « prescription des faits ».

Dans leur décision, les juges d’instruction écrivent s’être heurtées à la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits dénoncés (...) commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes », et rappellent l’état des connaissances scientifiques à l’époque (décalage constituant un « problème récurrent dans les dossiers de santé publique »).

Mais elles parlent aussi d’un « scandale sanitaire » et d’« une atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » des Antilles. Elles ciblent, en outre, les « comportements asociaux de certains des acteurs économiques de la filière banane », qui ont été « relayés et amplifiés par l’imprudence, la négligence, l’ignorance des pouvoirs publics ». (Voir l’intégralité de l’ordonnance publiée par Mediapart)

Pour rappel, le chlordécone, pesticide ultra-toxique épandu durant une vingtaine d'années dans le but de lutter contre le charançon de la banane (un insecte ravageur pour l’or jaune des Antilles), y compris après son interdiction en France, est lourdement suspecté d’être responsable des taux majeurs de cancer de la prostate sur les deux départements ultramarins, mais aussi d’accouchements prématurés, de retards de croissance d’enfants, etc.

Selon un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), rendu en novembre dernier, « une partie de la population antillaise présente un risque de surexposition au chlordécone ».

En effet, l’agence évalue à 14 % en Guadeloupe et 25 % en Martinique la part des populations touchées qui « présentent un dépassement de la valeur toxique de référence chronique interne » (soit plus de 0,4 microgramme par litre de plasma concentré dans le sang). Elle estime aussi de « 2 à 12 % de la population antillaise » qui « présente des dépassements de la valeur toxique de référence chronique externe [fixée à “0,17 microgramme par kilo de poids corporel par jour”] », c’est-à-dire l’exposition par voie alimentaire.

« C’est colossal », affirme Janmari Flower, qui rappelle qu’un rapport en 2019 publié par Santé publique France affirmait déjà que plus de 90 % de la population antillaise comptait du chlordécone dans le sang.

Incompréhension populaire

Lors de la publication du rapport, l’abasourdissement général n’en était pas un localement. Car le sujet alimente les conversations et les journaux télévisés depuis plus de 30 ans, a minima depuis les premières plaintes sur le sujet un peu avant le début des années 2010. Le scandale sanitaire a même été une des raisons avancées pour expliquer le refus des Guadeloupéens et des Martiniquais de se faire vacciner contre le Covid-19 durant la pandémie. « Absence de confiance dans la politique sanitaire de l’État », disait-on en rappelant que l’État avait autorisé l’utilisation du produit aux Antilles, par dérogation, après son interdiction en France en raison de sa toxicité.

« L’État, dans cette histoire, s’est mis au service des intérêts privés, au détriment du bien commun », analyse Fred Reno, professeur de science politique à l’université des Antilles. « Tout le monde n’est pas juriste, alors il est difficile de comprendre ces motifs de prescription des faits, détaille l’universitaire. D’autant que les avocats des parties civiles dans le scandale du chlordécone assurent que la lecture de l’affaire peut être faite de manière à ne pas voir de faits prescrits. » Il précise : « Dans cette histoire, le crime est identifié, les coupables sont identifiés, on comprend donc mal qu’en dépit de tout, il n’y a aucune sanction qui tombe. »

Une affaire aux conséquences lourdes et durables, qui se répète aux Antilles où l'histoire est émaillée de responsabilités étatiques non reconnues, non réparées. Et qui, selon le professeur, participent « à alimenter la défiance envers l’État français et ses représentants », menant à des explosions sociales subites comme en novembre 2021, quand la Guadeloupe et, dans une moindre mesure, la Martinique ont été secouées par plusieurs semaines de violentes contestations où se mêlaient un peu tous les sujets. C’est aussi le message des abstentions record aux dernières élections, ou de la part belle faite au vote pour l’extrême droite (près de 70 % à Marine Le Pen au second tour en Guadeloupe).

L’impuissance des politiques locaux

En décembre dernier déjà, Serge Letchimy, le président du Conseil exécutif de Martinique, avait dans un courrier interpellé le président Macron pour lui demander de lever la prescription sur les faits. « L’empoisonnement [au chlordécone – ndlr] dépasse le cadre d’une décision de justice, expliquait-il, mais relève de l’espoir et des attentes de deux peuples blessés par l’inconsistance avec laquelle leur intégrité et leur dignité ont été bafouées depuis maintenant près de trente ans ». Et de rappeler que « les populations ne sauraient se satisfaire de cette situation qui piétinait la vérité, absoudrait les coupables et mépriserait les victimes. L’empoisonnement fait partie de ces affaires, complexes et longues, mêlant responsabilités publiques et privées, recherche de la vérité et quête de la nécessaire réparation ».

En réaction à l’ordonnance de non-lieu, le président du département de Guadeloupe, Guy Losbar, a de son côté dénoncé un « déni de démocratie qui oblige les élus, les institutions et la société civile à faire bloc face à l’impact conjugué de la pollution sur la santé de nos compatriotes, l’agriculture et sur la pêche ». Les parties civiles ont d’ores et déjà annoncé leur intention d’interjeter appel de la décision.

Selon Janmari Flower de l’association Vivre, « l’absence de réponse judiciaire ne laisse la place qu’à une réponse politique ». Laquelle tarde à venir malgré des plans de rattrapage qui ont tenté de mitiger les effets du désastre environnemental et sanitaire.

Car même si des collectifs regroupant des organisations politiques et citoyennes se sont montés pour « dépolyé » (dépolluer) les deux îles, proposer des stratégies, demander une loi pour « reconnaître et réparer le crime », les acteurs locaux attendent une réponse toujours plus forte de l’État. « C’est tout le paradoxe antillais », note l’universitaire Fred Reno. « Ici, on ne fait pas confiance à l’État, on s’en défie, on veut même, parfois, s’en défaire, mais c’est quand même lui qu’on appelle à la rescousse, y compris chez les organisations les plus anti-État que portent nos territoires », souligne-t-il, pour expliquer l’avidité de reconnaissance renforcée par le non-lieu judiciaire.

Rattraper sans réparer ? 

« Le président de la République est le premier à avoir reconnu solennellement la part de responsabilité de l’État », tente de rappeler un communiqué du gouvernement, prenant acte de l’ordonnance de non-lieu. En effet, en 2018 et alors qu’un débat similaire sur le glyphosate faisait rage en France métropolitaine, Emmanuel Macron avait reconnu, lors d’un déplacement en Martinique, le « scandale environnemental » du chlordécone, et annonçait la reconnaissance comme maladie professionnelle de l’exposition à la molécule.

Depuis 2008, des plans d’action ont été élaborés par les gouvernements successifs pour améliorer la connaissance scientifique, penser la communication autour du sujet et tenter d’atténuer les effets de la pollution sur les sols et les corps. Dernier en date, le plan chlordécone IV, lancé en 2021 et en vigueur jusqu’en 2027, continue de financer la recherche scientifique, et permet à tout un chacun de faire un test de chlordéconémie sur simple prescription médicale, afin de mesurer le taux de concentration de la molécule dans son sang grâce à un prélèvement, et d’entrer dans un parcours de soins en cas de dépassement de la valeur toxique de référence.

« Il y a un premier bilan à domicile, pour évaluer les modes de vie et de consommation alimentaire, puis des ateliers collectifs pour travailler sur les modes alimentaires », détaillait à l’AFP en septembre dernier Caroline Corlier, chargée de mission chlordéconémie de l’Agence régionale de santé, qui compile les résultats. Car, rappellent les autorités de santé, le chlordécone dans le sang s’élimine en quelques mois quand l’exposition cesse, nuançant ainsi la gravité des effets de l’exposition.

« L’État nourrit régulièrement une ambiguïté de communication sur le sujet », note Janmari Flower, pour qui les politiques publiques soufflent le chaud et le froid à propos de la dangerosité de la molécule. Dans le plan IV, des aides financières ont également été abondées pour les pêcheurs par exemple, ou pour indemniser les victimes de maladies professionnelles, notamment de cancer de la prostate dû à une exposition aux pesticides, ou encore pour les enfants concernés en raison de l’exposition professionnelle d’un des deux parents. 

Mais, pour les associations en mal de justice, cela ne suffit pas. « Quid des autres ? », martèlent-elles, rappelant l’empoisonnement chronique des Antillais·es vu la rémanence du produit qui, malgré les avancées de la recherche en matière de dépollution, est encore là pour des siècles et des siècles.


 


 

Un goût de justice post-esclavagiste

Philippe Rio sur www.humanite.fr

« Tous les hommes ont les mêmes droits. Mais du commun lot, il en est qui ont plus de pouvoirs que d’autres », disait Aimé Césaire, poète et homme politique martiniquais. De 1972 à 1993, la Martinique et la Guadeloupe ont été arrosées, chaque année, par 270 000 tonnes de chlordécone, un pesticide toxique visant à éliminer un insecte du nom de charançon du bananier qui ravageait les cultures de banane.

Malgré son classement comme cancérogène dès 1979 par l’OMS, le chlordécone, sous la pression des industriels, n’a été interdit en Métropole qu’en 1990 et permis par dérogation aux Antilles jusqu’en 1993. De quoi meurtrir durablement la terre et les êtres. À ce jour, il reste présent dans les veines de plus de 90 % des Antillais, après une transmission par l’alimentation, particulièrement, en circuit court. Un crime de masse qui a fait quadrupler le nombre de naissances prématurées et instiller le cancer de la prostate chez près de 1 000 Antillais par an. Un désastre écologique qui s’est propagé aussi, par la chaîne alimentaire, dans le bétail et la volaille, mais également, à travers le littoral marin, dans les poissons et crustacés.

Ces vérités scientifiques et médicales ont pourtant entraîné, le 2 janvier, un non-lieu par le tribunal judiciaire de Paris qui, pour nos compatriotes d’outre-mer, a le goût des raisins de la colère et de justice post-­esclavagiste. Pour les travailleurs qui ont gagné leur vie en la perdant pour permettre à des industriels de construire des fortunes ! Mais aussi pour toutes les victimes par ricochet ! On ne comprend au fond l’affaire du chlordécone que si l’on veut bien voir qu’elle met du sel sur les plaies non refermées du système esclavagiste. Il fut, comme chacun le sait mais comme il reste bon de le rappeler, une négation totale de l’humanité des esclaves et de celle perdue de leurs bourreaux.

On ne peut que rendre hommage à la mobilisation des Français d’outre-mer face à ce crime sanitaire méconnu en Métropole. Avec leurs associations et les élus locaux, ils ont fait éclater la vérité qui est le commencement de la justice. Pour l’institution judiciaire aveugle, les faits sont prescrits, mais ce scandale sanitaire et écologique est bien vivant.

Dans son bien nommé « Rapport spécial à la cohésion des territoires », le député communiste Nicolas Sansu y dessine le chemin d’une véritable justice : « Le rapporteur spécial appelle à ce que l’État compense intégralement les impacts de l’exposition au chlordécone par une indemnisation complète des personnes malades. Les personnes malades à cause du chlordécone, pour les pathologies dont le lien avec le chlordécone a été établi, ne devraient pas avoir à apporter les preuves de leur exposition. »

  publié le 21 janvier 2023

Parlement européen.
Qatargate ? Non, Marocgate

par Ignacio Cembrero sur https://orientxxi.info/

Le Maroc a confié la gestion de son réseau d’influence à son service secret extérieur, ce qui a suscité l’ouverture d’un débat au Parlement européen sur les allégations de corruption et d’ingérence étrangère de Rabat, alors même que l’institution s’apprête à voter pour la première fois depuis un quart de siècle une résolution critiquant la situation des droits humains dans ce pays.

À l’automne 2021, les 90 députés membres des commissions des affaires étrangères et du développement du Parlement européen ont dû, comme chaque année, choisir les trois candidats sélectionnés pour obtenir le prix Sakharov des droits de l’homme, le plus prestigieux de ceux que décernent les institutions européennes. Au premier tour sont arrivés ex aequo Jeanine Añez, l’ancienne présidente de la Bolivie, candidate présentée le parti d’extrême droite espagnol Vox au nom du groupe Conservateurs et réformistes, et l’activiste saharaouie Sultana Khaya, parrainée par Les Verts et le Groupe de gauche. La première des deux femmes purge une peine de prison dans son pays pour « terrorisme, sédition et conspiration » à la suite du coup d’État qui a mis fin à la présidence d’Evo Morales en novembre 2019. La deuxième était, en octobre 2021, depuis un an en réclusion à son domicile de Boujador (Sahara occidental) et affirme avoir été violée, ainsi que sa sœur, par les forces de l’ordre marocaines.

Pour départager les deux candidates, il a fallu revoter pour que l’une ou l’autre rentre dans la short list de trois sélectionné·es susceptibles de recevoir le prix. Tonino Picula, un ancien ministre socialiste croate, a alors envoyé un courriel urgent à tous les députés de son groupe, leur demandant de soutenir Jeanine Añez. Ce n’était pas une initiative personnelle. Il a précisé qu’il avait écrit ce courriel au nom de Pedro Marqués, député portugais et vice-président du groupe socialiste. Celui-ci agissait vraisemblablement à son tour sur instruction de la présidente du groupe, l’Espagnole Iratxe García. Añez est donc sortie victorieuse de ce deuxième tour de vote.

Les socialistes bloquent les résolutions sur les droits humains

Cet épisode illustre à quel point le Maroc a été, depuis des décennies, l’enfant gâté du Parlement européen. Socialistes, surtout espagnols et français, et bon nombre de conservateurs, ont multiplié les égards vis-à-vis de la monarchie alaouite. Alors que de nombreux pays tiers ont fait l’objet de résolutions critiquant durement leurs abus en matière de droits humains, le Maroc a été épargné depuis 1996. « Pendant de longues années, les socialistes ont systématiquement bloqué tout débat ou résolution en séance plénière qui puisse déranger un tant soit peu le Maroc », regrette Miguel Urban, député du Groupe de gauche.

Rabat n’a été épinglé que dans de très rares cas pour sa politique migratoire. Il a fallu que plus de 10 000 immigrés irréguliers marocains, dont 20 % de mineurs, entrent le 17 et 18 mai 2021 dans la ville espagnole de Ceuta, pour que le Parlement européen se décide à voter, le 10 juin 2021, une résolution appelant le Maroc à cesser de faire pression sur l’Espagne. L’initiative est partie non pas des socialistes ni des conservateurs, mais de Jordi Cañas, un député espagnol de Renew Europe (libéraux). Elle a obtenu 397 votes pour, 85 contre et un nombre exceptionnellement élevé d’abstentions (196). Parmi les abstentionnistes et ceux qui s’y sont opposé figuraient nombre de députés français.

Un réseau de corruption

Derrière la longue liste de votes favorables aux intérêts du Maroc, empêchant d’aborder les questions gênantes en matière de droits humains, ou sur des sujets plus substantiels comme les accords de pêche et d’association, il n’y a pas eu que le réseau de corruption que la presse appelle « Qatargate » alors que, chronologiquement, c’est davantage d’un « Marocgate » qu’il s’agit. Il y a eu d’abord ces idées répandues entre eurodéputés que le voisin du Sud est un partenaire soucieux de renforcer ses liens avec l’Union européenne ; qu’il est en Afrique du Nord, et même dans le monde arabe, le pays le plus proche de l’Occident et celui dont les valeurs et le système politique ressemblent davantage à une démocratie.

Nul besoin donc, apparemment, de mettre en place un réseau de corruption quand la partie était pratiquement gagnée d’avance. C’est pourtant ce que le royaume a fait depuis une douzaine d’années d’après les fuites sur l’enquête menée depuis juillet 2022 par le juge d’instruction belge Michel Claise, spécialisé dans la criminalité financière, et publiées par la presse belge et italienne depuis la mi-décembre. « Le Maroc ne se contentait pas de 90 %, il voulait les 100 % », expliquent, en des termes identiques, les députés espagnols Miguel Urban, du Groupe de gauche, et Ana Miranda, des Verts.

L’engrenage du Marocgate est né en 2011 quand s’est nouée la relation entre le député européen socialiste italien Pier Antonio Panzeri et Abderrahim Atmoun, député marocain du parti Authenticité et modernité, fondé par le principal conseiller du roi Mohamed VI, et coprésident de la commission parlementaire mixte Maroc-UE jusqu’en juin 2019. Cette année-là il fut nommé ambassadeur du Maroc à Varsovie.

Révélations de Wikileaks

Les révélations de ce que l’on a appelé le Wikileaks marocain révèleront, fin 2014, à quel point les autorités marocaines apprécient Panzeri. Des centaines de courriels et de documents confidentiels de la diplomatie marocaine et du service de renseignements extérieurs (Direction générale d’études de documentation) ont alors été diffusés sur Twitter par un profil anonyme qui se faisait appeler Chris Coleman. On sait aujourd’hui qui se cachait derrière cet anonymat : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Les services secrets français se vengeaient ainsi de plusieurs coups bas que leur avaient infligés leurs collègues marocains, à commencer par la divulgation par Le 360, un journal proche du palais, du nom de leur cheffe d’antenne à Rabat.

Dans ces câbles diplomatiques marocains, Panzeri est décrit comme « un allié pour combattre l’activisme grandissant des ennemis du Maroc en Europe ». Il a occupé, pour cela, des postes clefs au Parlement, comme celui de président de la délégation pour les relations avec les pays du Maghreb et de la sous-commission droits de l’homme. Selon l’enquête du juge Claise, Panzeri a impliqué son ex-femme et sa fille, mais surtout Eva Kaili, vice-présidente socialiste du Parlement européen, et Francesco Giorgi, qui fut son assistant parlementaire et qui était en couple avec la députée grecque. Il a été le premier à avouer, lors d’un interrogatoire en décembre 2022, qu’il travaillait pour le Maroc. Il a signé mardi 17 janvier un mémorandum avec le procureur fédéral (en vertu de la loi sur les repentis) dans lequel s’engage à faire « des déclarations substantielles, révélatrices, sincères et complètes » dans le cadre de l’enquête pour corruption.

La justice belge a aussi demandé la levée de l’immunité parlementaire de deux autres socialistes, le Belge Marc Tarabella, et l’italien Andrea Cozzolino. Ce dernier avait partiellement pris le relais de Panzeri dans les deux organes qu’il présidait. Il s’était aussi montré très actif, tout comme Eva Kaili, au sein de la commission d’enquête parlementaire sur Pegasus et autres logiciels espions qui concerne de près le Maroc. « Kaili a cherché à freiner l’enquête sur le logiciel Pegasus », a affirmé, le 19 décembre, Sophie in’t Veld, la députée néerlandaise qui a rédigé le rapport préliminaire sur ce programme informatique d’espionnage, dans une interview au journal italien Domani.

L’« équipe Panzeri », qui compterait d’autres membres non encore dévoilés, aurait reçu 50 000 euros pour chaque amendement anti-Maroc torpillé, selon le quotidien belge De Standaard. La somme semble modeste en comparaison de celles supposément versées par Ben Samikh Al-Marri, ministre d’État du Qatar, pour améliorer l’image du pays qui s’apprêtait à accueillir la Coupe du monde de football à Doha. L’essentiel du million et demi d’euros en liquide saisi par la police fédérale belge lors des perquisitions effectuées à la mi-décembre proviendrait de l’émirat. Il s’est apparemment servi du réseau constitué par Panzeri. Celui-ci a continué à fonctionner après sa défaite aux élections européennes de 2019. Pour ce faire le député battu a d’ailleurs fondé une ONG bidon à Bruxelles, Fight Impunity.

En marge des bribes de l’enquête publiées par la presse, Vincent Van Quickenborne, le ministre belge de la Justice, a laissé entrevoir l’implication du Maroc dans ce réseau, le 14 décembre, sans toutefois le nommer. Il a fait allusion à un pays qui cherchait à exercer son influence sur les négociations de pêche menées par l’UE, or c’est avec le Maroc que la Commission a signé son plus gros accord, et sur la gestion du culte musulman en Belgique. Les immigrés marocains constituent la plus importante communauté musulmane en dans ce pays.

Passage de relais aux services

En 2019, Abderrahim Atmoun, l’homme politique marocain devenu ambassadeur, est passé au second plan. La DGED, le service de renseignements marocain à l’étranger, a pris le relais et commencé à chapeauter directement le réseau Panzeri, d’après les informations recueillies par la presse belge. Concrètement, c’est l’agent Mohamed Belahrech, alias M 118, qui en a pris les rênes. Panzeri et Cozzolino auraient d’ailleurs voyagé séparément à Rabat pour y rencontrer Yassine Mansouri, le patron de la DGED, le seul service secret marocain qui dépend directement du palais royal.

Belahrech n’était pas un inconnu pour les services espagnols et français. Sa femme, Naima Lamalmi, ouvre en 2013 l’agence de voyages Aya Travel à Mataró, près de Barcelone, selon le quotidien El Mundo. On le revoit après à Paris, en 2015, où il réussit à être le destinataire final des fiches « S », de personnes fichées pour terrorisme, qui passent entre les mains d’un capitaine de la police aux frontières en poste à l’aéroport d’Orly, selon le journal Libération.

L’intrusion des espions marocains dans les cercles parlementaires bruxellois attire rapidement l’attention des autres services européens. Vincent Van Quickenborne a confirmé que l’investigation a été menée, au départ, par la Sûreté de l’État belge, le service civil de renseignements, avec des « partenaires étrangers ». Puis le dossier a été remis, le 12 juillet 2022, au parquet fédéral. Il Sole 24 Ore, quotidien économique italien, précise que ce sont les Italiens, les Français, les Polonais, les Grecs et les Espagnols qui ont travaillé d’arrache-pied avec les Belges.

Ces derniers ont, tout comme les Français, des comptes à régler avec les Marocains. En 2018 ils avaient déjà détecté une autre opération d’infiltration de la DGED au Parlement européen à travers Kaoutar Fal. Ce fut le député européen français Gilles Pargneaux qui lui a ouvert les portes de l’institution pour organiser une conférence sur le développement économique du Sahara occidental. Elle a finalement été expulsée de Belgique en juillet de cette année, car elle constituait une « menace pour la sécurité nationale » et collectait des « renseignements au profit du Maroc », selon le communiqué de la Sûreté. En janvier 2022, il y a eu une autre expulsion : celle de l’imam marocain Mohamed Toujgani, qui prêchait à Molenbeek (Bruxelles). Il cherchait, semble-t-il, à mettre la main sur les communautés musulmanes de Belgique pour le compte de la DGED.

Si le réseau Panzeri avait fonctionné correctement au service du Maroc du temps où il était en apparence géré par Abderrahim Atmoun, quel besoin de recourir il y a quatre ans aux hommes de l’ombre pour le piloter au risque d’ameuter des services européens ? Aboubakr Jamai, directeur du programme des relations internationales de l’Institut américain universitaire d’Aix-en-Provence, ose une explication : « Les services secrets sont enhardis au Maroc ». « La diplomatie y est menée par le contre-espionnage et d’autres services intérieurs. L’État profond, le makhzen, est aujourd’hui réduit à sa plus simple expression : son expression sécuritaire ». Et cette expression manque de tact quand il s’agit de mener la politique étrangère du royaume. Le ministre marocain des affaires étrangères Nasser Bourita a, lui, un autre point de vue sur le scandal