PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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libertés, répression, discriminations depuis janvier 2023

  publié le 2 juin 2023

À Montluçon,
la CGT dénonce « l’acharnement judiciaire » contre ses militants

Nicolas Cheviron sur www.mediapart.fr

Au côté d’un secrétaire départemental de l’Allier détenant haut la main le record syndical de convocations au commissariat ou au tribunal, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a interpellé le gouvernement sur les libertés syndicales depuis le mouvement contre la réforme des retraites. 

Montluçon (Allier).– L’individu ne paie pas de mine. Avec sa petite taille, sa casquette, ses lunettes et sa barbiche, on l’imagine plus dans le rôle de Léon Trotski que dans celui de Spartacus, derrière une machine à écrire plutôt que sur une barricade. Secrétaire départemental CGT de l’Allier, Laurent Indrusiak, serait pourtant, à l’aune de ses démêlés judiciaires, le syndicaliste le plus dangereux de France, avec pas moins de vingt-huit convocations au commissariat ou au tribunal à son actif.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, ne s’y est pas trompée. Jeudi devant le palais de justice de Montluçon, elle a choisi de se tenir au côté du « dangereux récidiviste », selon ses termes, pour interpeller le gouvernement dans le cadre d’une journée nationale d’action contre la répression judiciaire qui s’abattrait actuellement sur les militants syndicaux.

Devant deux cents militant·es tout en chasubles et drapeaux, comme elle l’avait fait devant les caméras de Mediapart, la nouvelle patronne de la confédération a d’abord évoqué une situation inquiétante à l’échelle nationale : celle « des centaines de militants syndicaux poursuivis » par la justice depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, sous l’impulsion d’un pouvoir dont l’agressivité croissante compense le fait qu’il « n’a jamais été aussi minoritaire ». « Le problème, c’est que cet autoritarisme gouvernemental ruisselle sur les patrons. Il a pour corollaire une augmentation de la répression patronale, avec des centaines de convocations de militants syndicaux pour licenciement, en dépit du droit », a-t-elle souligné.

La dirigeante s’est ensuite penchée sur « le microclimat très particulier » de Montluçon et de ses alentours, soupesant les hypothèses : « Il y a deux possibilités. Soit on a une union départementale dirigée par des voyous et des délinquants, et dans ce cas il faut me donner tous les éléments pour me permettre d’agir, soit il y a un problème d’acharnement judiciaire. » Un rapide examen des faits reprochés à Indrusiak et ses comparses lui a permis d’atteindre la conclusion suivante : « Ces poursuites visent à déstabiliser la CGT parce que la CGT dérange le pouvoir, elle dérange le capital. » 

Laurent Indrusiak a été condamné à six reprises. À chaque fois, on lui a reproché l’organisation de manifestations non autorisées, assorties parfois de dégradations de mobilier urbain – des palettes brûlées par les manifestant·es  – et, dans un cas, une entrave à la circulation à l’occasion d’une opération escargot. « Jusque-là, que je sache, même si [Gérald] Darmanin a tendance à l’oublier, une manif non déclarée n’est pas une manifestation interdite », a commenté Sophie Binet.

Le dirigeant syndical a été jugé et relaxé à deux reprises pour des accusations de diffamation. La première fois, en 2018, il lui était reproché d’avoir dénoncé dans des tracts les conditions de travail délétères des salariés d’une entreprise locale de traitement de déchets électroménagers, Environment Recycling. « C’est grave, parce que la méthode est de plus en plus utilisée par le patronat. Si les pouvoirs publics donnent suite, c’est très grave car dénoncer les conditions de travail est au cœur des libertés syndicales », a souligné la secrétaire générale. La deuxième fois, on lui reprochait d’avoir qualifié les dirigeants de La Poste de « voyous » dans un contexte de conflit social grave entre ces derniers et leurs salarié·es.

Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal.

Le trublion de l’Allier a également été convoqué au commissariat pour avoir, en vrac, collé des affiches sur la permanence du Medef, coupé le courant du même Medef ou encore collé des autocollants sur des horodateurs. Il a bénéficié à chaque fois d’un classement sans suite.

Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal, le 8 février dernier, pour dénoncer la fermeture de deux écoles à Montluçon. Ce soir-là, les policiers appelés par le maire Frédéric Laporte (Les Républicains) pour chasser les manifestant·es « l’ont « collé contre le mur et [lui ont] fait des clés de bras pour [l]e menotter », indique l’intéressé. « J’ai pris des coups, mais c’est moi qu’on a convoqué. »

Interrogé par Mediapart sur les raisons de cette sollicitude judiciaire toute particulière, Laurent Indrusiak donne son sentiment : « D’abord, il y a le fait que je ne donne jamais d’informations aux renseignements territoriaux. Ensuite, neuf affaires sur dix émanent de constatations de la police. Il y a un problème avec la police à Montluçon. Au point que j’ai parfois le sentiment de ne pas être en sécurité dans les rues de la ville. »

Sur le secteur de Montluçon, trois autres militants CGT totalisent onze convocations au commissariat pour des faits similaires. À Vichy, Antoine Jubin, membre de la direction locale du syndicat, a passé 48 heures en garde à vue début avril à la suite d’un incident sur un rond-point. Il a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de manifester jusqu’à son audience, le 3 octobre prochain.

Libertés syndicales

Sophie Binet a enjoint au premier ministre de faire respecter les libertés syndicales à Montluçon. « Je demande à Élisabeth Borne d’intervenir immédiatement pour mettre fin à cette situation locale et donner des consignes très claires à la nouvelle préfète et aux forces de police », a-t-elle déclaré. Elle en a profité pour réclamer une amnistie pour les militant·es poursuivi·es dans le cadre de leurs actions syndicales et des mesures pour la réintégration de celles et ceux qui ont été indûment licenciés par leur entreprise.

La secrétaire générale a également appelé le maire de la ville à renoncer à son projet d’expulsion, au 1er juillet, de l’union locale CGT de la Maison communale, un lieu de mémoire des luttes ouvrières inauguré en 1899 par Jules Guesde, une des figures du socialisme français, et occupé depuis 1904 par le syndicat. « Le maire veut expulser la CGT d’un bâtiment construit par nous et pour nous, dans le cadre d’un projet idéologique visant à y installer un incubateur d’entreprises et un lieu de mémoire patronale, a martelé Sophie Binet. Nous ne le laisserons pas faire. »

Ville industrielle depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, Montluçon, 34 000 habitant·es aujourd’hui, a notamment été le point de départ de la grève générale de 1936. La dirigeante syndicale a par ailleurs souligné que des procédures similaires étaient en cours dans plusieurs villes de France, de Châteauroux à Montauban, en passant par Saint-Pourçain (Allier). « Demain, je vais adresser un courrier à la première ministre. Il faut aussi prendre des mesures législatives pour protéger les bourses du travail menacées, notamment dans les villes tenues par le Rassemblement national, mais pas seulement », a-t-elle indiqué à Mediapart.

Signalant que la préfète de l’Allier allait la recevoir en fin de journée pour évoquer toutes ces questions, Sophie Binet a conclu sous les vivats son intervention par un avertissement : « Je viendrai ici autant de fois qu’il le faudra. »

   publié le 29 avril 2023

Islamophobie : Gérald Darmanin ou la fabrique du déni

Lou Syrah sur www.mediapart.fr

Alors que la principale fête musulmane, l’Aïd-el-Kébir, prévue le 29 juin, arrive à grands pas, le ministère de l’intérieur maintient un silence pesant sur les atteintes aux mosquées. Une stratégie de la tension qui révèle un enfermement idéologique.

Depuis trois ans que Gérald Darmanin met le feu à la société civile musulmane en agitant des listes noires de mosquées et d’établissements musulmans à fermer, érigeant du jour au lendemain des « ennemis de la République » imaginaires, la ligne tenue est plutôt claire : parler de l’islam, oui, parler de l’islamophobie, non. 

Alors que les appels à « casser du bougnoule » à l’heure de la rupture du jeûne, relayés sur des boucles de discussion d’extrême droite, ont plané sur toute la période du ramadan, qui s’est achevé le 21 avril, l’insolent mutisme dans lequel le locataire de la Place Beauvau s’enferre donne malgré tout le vertige. 

Comment s’imaginer qu’un ministre de l’intérieur chargé des cultes, dont le gouvernement affiche la lutte contre le racisme comme une priorité du quinquennat, maintienne le silence face à un saccage de mosquée quelques jours avant le ramadan, comme ce fut le cas à Wattignies dans le Nord ? 

Comment comprendre son absence de prise de parole face au passage à tabac d’un fidèle à la mosquée d’Échirolles (Isère) avant la prière de l’aube, fin mars ?

Comment interpréter encore ce manque d’empathie publique après la destruction par le feu d’une boucherie halal, préalablement recouverte de croix gammées, au début de l’année 2022, dans la banlieue d’Agen ?

Pourquoi ne pas avoir signalé le fichage de mosquées en 2021 par l’extrême droite, en dépit des menaces ?

À cette dernière question, le ministère, contacté par Mediapart, répond qu’il n’a « pas de commentaire particulier » à faire, rappelle que « régulièrement, des instructions de sécurisation des lieux de culte sont transmises » aux préfectures et assure que « l’action du ministère contre l’ultradroite est résolue », renvoyant aux récentes dissolutions en la matière.

Le sous-texte, en vérité, est assez limpide : il n’y a pas d’islamophobie dans le pays. Gérald Darmanin ne le dit pas mais son inaction parle pour lui.

Car en refusant de prendre sérieusement en compte la charge raciste qui accompagne les attaques de mosquées, le ministre rabaisse les atteintes du lieu de culte à de simples dégradations matérielles. Autrement dit à de simples actes de délinquance.

Les enquêtes le montrent pourtant quand les faits sont judiciarisés. Derrière un simple tag peuvent se cacher une arme à feu et un exemplaire de Mein Kampf, comme dans le Doubs.

Sur la forme, la brouille sur laquelle s’appuie Gérald Darmanin pour invisibiliser le phénomène islamophobe est statistique.

Les actes antimusulmans seraient quantitativement moins importants que les autres. C’est ce que laissent penser les chiffres du Service central du renseignement territorial (SCRT), qui compile chaque année les « actes antireligieux » sous l’intitulé des « faits racistes ou xénophobes » pour la Place Beauvau et que Gérald Darmanin agite à l’envi. 

Sur les 1 659 faits antireligieux recueillis, le SCRT a compté 213 actes antimusulmans pour 2021. Un chiffre évalué à 188 pour l’année 2022.

Une opacité statistique qui conforte la théorie d’une chrétienté en péril

Devant une trentaine d’ambassadeurs de pays arabes, réunis le 5 avril à la Grande Mosquée de Paris pour la rupture du jeûne de ramadan, le ministre de l’intérieur se gargarisait de cette dernière cuvée 2022 récoltée par ses services, vantant la baisse des actes antimusulmans de 12 % par rapport à l’année précédente.

« C’est vrai que c’est 12 % d’actes en moins par rapport à l’année 2021, mais c’est 188 actes de trop, et c’est tous ceux qu’on ne déclare pas, parce qu’on a décidé de ne plus faire les démarches auprès de la police et de la gendarmerie, parce qu’on s’est habitués », nuançait toutefois le ministre.

Manière de dire que les musulmans sont les seuls responsables de ces défaillances statistiques qui alimentent le chiffre noir des discriminations.

Si le thermomètre est cassé, c’est pourtant aussi par sa faute. Car il a fait disparaître les seules associations indépendantes qui participaient à la remontée des chiffrages auprès des institutions et dans le débat public.

En 2020, le ministre procédait à la dissolution de deux associations de lutte contre l’islamophobie, dont le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), interlocuteur régulier de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et du Défenseur des droits. En 2021, il déclarait unilatéralement le Conseil français du culte musulman (CFCM) « mort ». « On l’a appris dans la presse », confirme-t-on en interne. 

C’est pourtant grâce à la convention du 17 juin 2010 signée avec cet organe rassemblant les principales fédérations de mosquées et revendiquant plus de mille lieux de culte que, pour la toute première fois, la Place Beauvau avait intégré la catégorie des actes antimusulmans dans ses listings annuels.

L’appellation apparaissait aux côtés notamment des actes antisémites recueillis par le Service de protection de la communauté juive (SPCJ). « Avant ce partenariat, cette catégorie n’existait tout simplement pas », confirme à Mediapart la CNCDH.

Résultat, en 2021, il ne se trouvait plus aucune association musulmane pour apporter une contribution chiffrée au rapport de la CNCDH, qui dresse chaque année le bilan de l’état des discriminations dans le pays.

Sans acteurs pour les analyser, les chiffres des atteintes aux musulmans se retrouvent noyés aux côtés d’une autre catégorie d’actes antireligieux surreprésentée dans le panel, les actes antichrétiens. 

L’intitulé ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de l’Église catholique elle-même. En 2019, le secrétaire général de la Conférence des évêques de France, Olivier Ribadeau-Dumas, reconnaissait la relativité de ces données, compte tenu du nombre d’églises, 45 000, contre environ 450 synagogues et 2 600 mosquées. Mais aussi en raison de la nature des faits. « Il y a des cambriolages, on vole des œuvres d’art. C’est une attaque à un lieu de culte mais ce n’est pas la même chose qu’une profanation. »

La catégorie « comporte majoritairement (87 % en 2021) des dégradations ou larcins ciblant les lieux de culte chrétiens, actes hostiles commis pour des motivations bien souvent étrangères au racisme », expliquait la CNCDH dans son rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie de 2021. « Considérant qu’il ne s’agit ni de racisme ni de xénophobie, la commission a pris le parti de ne pas produire d’analyse spécifique de ces données. » 

De toutes ces subtilités, Gérald Darmanin fait rarement mention.

Effets pervers inévitables : en balançant sans précaution dans le débat public cette batterie de chiffres, il participe non seulement à invisibiliser le phénomène islamophobe mais il offre aussi à l’extrême droite l’occasion de valider l’une de ses thèses favorites, qu’elle pousse activement depuis 2011 : il y aurait un racisme antichrétien que les médias, par « complaisance » avec l’islam, masqueraient volontairement aux yeux du monde. Une « christianophobie » invisibilisée pour des raisons idéologiques en somme. CNews en fait ses choux gras. « La christianophobie confirmée par les chiffres », titrait le site de la chaîne de télévision en 2022.

Une victimisation suspecte et criminalisée

Dans le fond, l’attitude du ministère illustre en fait un continuum idéologique. Portée originellement par l’extrême droite, l’idée que la lutte contre l’islamophobie cacherait une entreprise politique visant à mettre « à genoux la République », selon les termes de la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté, Sonia Backès, citée dans Le Figaro, tient lieu de boussole au gouvernement.

C’est cette même rhétorique d’une victimisation suspecte que l’on a retrouvée d’ailleurs à l’appui de la procédure de dissolution du CCIF mais dans la charte des imams.

« L’attitude victimaire ne repousse pas la haine, elle contribue à la nourrir », pouvait-on y lire sur les premières moutures du document.

Depuis le début du premier mandat présidentiel, cette pensée aux relents complotistes a fossilisé de nouveaux préjugés qui éclaboussent les musulmans victimes de discriminations, mais aussi leurs défenseurs, à l’image de la Ligue des droits de l’homme.

Le silence des élus, la peur des associations

Conséquence, côté victimes, le silence se fait. À la peur du gouvernement s’ajoute celle de l’extrême droite. « Darmanin a placé ses cibles, l’extrême droite est passée à l’action », résume un imam, sous couvert d’anonymat par crainte des représailles. Sur le terrain, les passages de témoin sont en effet troublants.

Exemple avec la mosquée de Pessac, en Gironde. Pris entre le marteau des identitaires et l’enclume de la Place Beauvau, le lieu de culte a subi tour à tour, et dans un laps de temps de trois ans, une perquisition administrative, une tentative de fermeture (toutes deux gagnées en justice) et deux descentes de groupe identitaires. Dans l’indifférence du ministère.

« Il a fallu la deuxième dégradation de l’extrême droite pour que la préfecture nous gratifie d’un communiqué de soutien. On était déjà très contents, pour ainsi dire », explique le responsable du lieu, Abdourahmane Ridouane.

Pour Adel Amara, élu de Villiers-sur-Marne en région parisienne, il ne fait nul doute que « l’État a lui-même participé à alimenter le climat islamophobe », notamment en marge de la loi « séparatisme » en 2021. Il cite également à titre d’exemple les « détournements des missions de l’inspection du travail » visant injustement des établissements musulmans dans le Val-de-Marne, que Mediapart avait documentés. Avec soixante-dix autres élu·es du département, il a lancé le 14 mars un « plan départemental de lutte contre l’islamophobie » pour combler le vide laissé dans le domaine.

Preuve que la thématique pétrifie, aux côtés de la quarantaine de conseillères et de conseillers municipaux et du député de La France insoumise (LFI), Louis Boyard, seul le maire communiste d’Ivry-sur-Seine a accepté de participer au projet.

Certains élus osent malgré tout donner de la voix. Même à droite. À Metz, où la mosquée franco-turque a fait l’objet d’une attaque au cocktail Molotov le 6 mai 2022, François Grosdidier (ex-Les Républicains) n’a pas hésité à parler « d’attentat », en organisant même un rassemblement de soutien devant sa mairie. 

« On peut toujours avoir les discussions sémantiques, mais le geste n’était pas juste fait pour souiller ou juste exprimer de la haine, mais bien réalisé dans le but de détruire, qu’il y ait eu des occupants à l’intérieur de la mosquée ou pas. C’est donc un attentat », justifie l’édile auprès de Mediapart.

Ouverte pour les faits de « dégradation volontaire par un moyen dangereux pour les personnes, et ce en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion », l’enquête a été confiée à un juge d’instruction, confirme le parquet de Metz. Elle suit son cours.

« Les représentants de l’État ne sont jamais très courageux, on ne peut pas attendre qu’ils réagissent. Mais il ne faut pas céder à la haine », tonne François Grosdidier.

À ce sujet, le ministère de l’intérieur rétorque un argument à la mesure. « Vous remarquerez que très souvent, Gérald Darmanin condamne sur ses réseaux sociaux ou retweete les tweets qui ont été demandés au préfet (instruction est donnée de condamner) », indique son entourage.

Mediapart les a comptés, justement, les gazouillis du ministre. Ils sont au nombre de douze. Douze tweets pour faire barrage à la haine ? C’est le début d’un naufrage.

  publié le 23 avril 2023

La guerre des manifs
est déclarée

Nadia Sweeny  sur www.politis.fr

La stratégie des opposants à la réforme des retraites fonctionne : la multiplication des manifestations partout sur le territoire entrave les déplacements ministériels. Les préfets tentent par tous les moyens de les interdire à coup d’arrêtés au contenu parfois ubuesque et publiés à la dernière minute. Un procédé illégal.

Ça fonctionne ! Les manifestations des opposants à la réforme des retraites prévues à chaque déplacement ministériel entravent avec brio les agendas des ministres. Face aux comités de « non-accueil » de la CGT ou des « CasserolesChallenge » d’Attac, nombreux sont les membres du gouvernement à annuler leurs déplacements. Ce 21 avril, François Braun, ministre de la Santé, devait se rendre à Neuilly-sur-Marne. Annulé. Olivier Klein, secrétaire d’État au Logement, devait visiter la Bourse départementale du travail à Bobigny. Annulé. Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la formation professionnels, devait se rendre dans deux lycées à Toulouse. Annulé. Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises a écourté son passage à La Baule.

Droit de recours

Pour tenter de limiter ces mouvements, l’État reprend ses méthodes préfectorales développées depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites : la publication d’arrêtés d’interdictions de manifester à la dernière minute, voire même après la date d’application. Et ce, en toute illégalité. Le 6 avril, le tribunal administratif de Paris avait déjà décidé que « le défaut de publicité adéquate (…) ainsi que leur publication tardive, faisant obstacle à l’exercice du référé liberté » portait « une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’exercer un recours effectif ». Quel que peu agacé, il a ordonné au préfet de publier ces arrêtés « dans un délai permettant un accès utile au juge des référés ».

Les délais ne permettent pas de saisir les tribunaux administratifs

Or les préfectures n’en tiennent pas compte. À Lyon, la préfecture du Rhône a publié le mercredi 19 avril, un arrêté d’interdiction de manifester qui s’appliquait la veille, le 18 avril à partir de 18 heures. Pour la manifestation du mercredi 19 au soir : l’arrêté est publié une heure avant son entrée en vigueur. Techniquement, cela empêche non seulement la publicité effective de cette décision et donc sa prise en compte par les citoyens – dont quatorze ont été verbalisés mercredi soir sur foi de cet arrêté – mais aussi toute voie de contestation devant le tribunal administratif.

Contacté, le cabinet de la préfète du Rhône, Fabienne Buccio, répond : « Les informations relatives aux arrêtés préfectoraux cités ont été publiées sur notre compte Twitter pour un relais, dans les minutes qui suivent, dans l’ensemble de la presse locale (radio, PQR, web et TV). » Or le tweet annonçant l’interdiction du mardi 18 avril a été publié à 18h24 – soit après l’entrée en vigueur, et celui du mercredi 19, à 16h59 – soit une heure avant. Autant de délais et de méthodes qui ne permettent toujours pas une saisine du tribunal administratif.

« C’est une nouvelle pratique qu’on a vu se développer ces derniers mois, constate maitre Jean-Baptiste Soufron, à l’origine du dépôt de plusieurs référé-libertés contre ces arrêtés. On essaye de saisir le plus vite possible c’est très difficile. »

« On détourne l’esprit des textes pour museler l’opposition »

Avec l’association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), il a contesté l’arrêté de la préfecture de l’Hérault prise en vue de la visite d’Emmanuel Macron à Granges et publié encore très tardivement. Cet arrêté mentionnait aussi l’interdiction dans un périmètre de sécurité, des « dispositifs sonores portatifs ». Ce qui s’est traduit sur place par la confiscation des casseroles et le développement, dans les médias, d’un discours étonnant de la part de majorité : « Être accueilli par des casseroles c’est un trouble à l’ordre public », a clamé Nadia Hai, députée Renaissance sur France info. « La confiscation des casseroles c’est une affaire de maintien de l’ordre », selon Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale.

Ils détournent les textes anti-terroristes pour en faire autre chose mais ça ne marche pas : ça devient ridicule

Pour interdire les « dispositifs sonores portatifs » la préfecture de l’Hérault a appliqué un périmètre de sécurité en utilisant  l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure. Ce même texte a aussi été utilisé par la préfecture du Bas-Rhin, pour interdire les manifestations mercredi 19 avril, lors de la visite du président. Or ce texte ne peut s’appliquer que pour prévenir des « risques d’actes de terrorisme ».

Son utilisation pour interdire les manifestations constitue un détournement des textes pour l’avocat de l’ADELICO. « Ils détournent les textes anti-terroristes pour en faire autre chose mais ça ne marche pas : ça devient ridicule et quand les choses deviennent ridicules, c’est qu’on est déjà dans l’abus de pouvoir, de décisions qui relèvent de l’autoritaire, insiste Jean-Baptiste Soufron. C’est du droit d’école de commerce et de sciences po : on joue avec les mots, on ignore l’esprit des lois pour priver les gens de leurs droits. On détourne l’esprit des textes pour museler l’opposition. »

Sans surprise, le tribunal administratif n’a pas eu le temps de se prononcer sur la légalité de l’arrêté de la préfecture de l’Hérault. L’exécutif « coupe court à toute forme d’exercice de contre-pouvoir, constate maître Soufron, ce sont les mêmes méthodes qu’avec le Parlement ». Mais les associations ne lâcheront pas, nous indique-t-on, et cherchent le moyen d’accélérer leur saisine.

De nouveau, ce vendredi à l’occasion de la visite d’Élisabeth Borne dans l’Indre, trois arrêtés préfectoraux d’interdictions de manifester ont encore été publiés le matin même pour une application dès… 9heures.

Questionné par France Info sur cette interdiction, Élisabeth Borne a nié : « Il n’y a pas une interdiction de manifester. » Ceci n’est donc pas une pipe.

publié le 15 avril 2023

La solidarité face aux intimidations de Darmanin, pétition de soutien à la LDH

Alexandre Fache sur www.humanite.fr

Libertés. Une semaine après l’offensive du ministre de l’Intérieur contre la Ligue des droits de l’homme, un large front se constitue pour défendre l’association. L’Humanité invite tous ses lecteurs à signer l’appel qu’elle lance

S’élever contre les injustices, défendre l’État de droit, résister. Voilà le programme que la Ligue des droits de l’homme (LDH) s’est assigné dès sa naissance, en 1898, dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Cent vingt-cinq ans plus tard, cette ligne directrice reste d’une ardente actualité. Surtout depuis que le ministre de l’Intérieur a cru bon, le 5 avril, devant la représentation nationale, de menacer publiquement l’association de lui retirer toute subvention publique. Visiblement décidé à tout oser au service de ses ambitions personnelles, Gérald Darmanin, pour justifier cette attaque, a accusé la LDH de cautionner, voire d’inciter aux violences commises lors de la manifestation de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), en voulant faciliter « le transport d’armes » lors de cette mobilisation. Un comble quand on connaît le combat pacifiste de l’organisation…

« Jamais la Ligue des droits de l’homme n’a été remise en cause de cette manière, sauf pendant une période noire de notre histoire qui est la période de Vichy », avait réagi, le 5 avril, le président de la LDH, l’avocat Patrick Baudouin. Pourtant, des attaques, l’association en a subi de nombreuses, y compris depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Venues de la droite souvent, parfois de la gauche, quand cette vigie des droits de l’homme avait par exemple combattu la politique algérienne menée par Guy Mollet (SFIO) ou critiqué la politique migratoire du gouvernement Jospin. « Notre boussole, c’est la défense de l’État de droit, explique Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH. Or, celui-ci dépend de l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais aussi entre démocratie politique et démocratie sociale. Sujet sur lequel le gouvernement actuel a tout faux… »

Justement, le gouvernement, que dit-il de la sortie pour le moins agressive de Gérald Darmanin ? Depuis une semaine, rien ou presque. Les demandes de rencontre avec la première ministre Élisabeth Borne, formulées par la Ligue, sont restées sans réponse. « La LDH est financée via l’État par le budget de la première ministre et le budget du ministre de l’Éducation nationale. Je crois que (ni l’une ni l’autre) n’ont exprimé la moindre intention de réduire les subventions », a tenté de rassurer Clément Beaune, dimanche, sur France Inter. Autrement dit, le locataire de la place Beauvau n’aurait exprimé là qu’une position personnelle, pas celle du gouvernement…

En attendant que celle-ci soit clarifiée, les responsables de l’association accueillent avec soulagement l’élan de solidarité formidable qu’ont provoqué, autour de la LDH, les déclarations belliqueuses de Gérald Darmanin. « Plusieurs centaines de nouvelles adhésions et plusieurs dizaines de milliers d’euros de dons » ont été enregistrées depuis une semaine, selon la Ligue, qui doit refaire un point sur le sujet ce jeudi. « Être attaqué aussi violemment, c’est difficile à vivre, confie Marie-Christine Vergiat. Mais être soutenu aussi massivement, ça fait chaud au cœur, c’est même émouvant. » Afin de prolonger au maximum cet élan, et de dire haut et fort que l’Humanité se tient aux côtés de la LDH, notre journal a décidé de lancer un appel. Il invite aujourd’hui toutes et tous à le signer – et le faire signer – le plus largement possible.


 

Pour signer : https://www.humanite.fr/petition-humanite-ldh

 

  publié le 13 avril 2023

Un rapport étrille les BRAV-M, des unités « répressives, violentes et dangereuses »

Pascale Pascariello et Camille Polloni sur www.mediapart.fr

L’Observatoire parisien des libertés publiques s’est penché sur l’action de ces brigades policières motorisées depuis leur création, en mars 2019. Dans un rapport publié jeudi 13 avril, il les accuse de pratiques « intimidantes » et « virilistes », susceptibles de « dissuader » les manifestations. 

SousSous le feu des critiques depuis des semaines, objets de plusieurs enquêtes et d’une pétition réclamant leur dissolution – enterrée par l’Assemblée nationale malgré ses 264 000 signatures –, les brigades de répression de l’action violente motorisées (BRAV-M), escouades de 36 policiers juchés par deux sur des motos, sont devenues le symbole ambulant de ce que les manifestant·es reprochent aux forces de l’ordre françaises : une violence imprévisible, indiscriminée et gratuite.

Le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, défend farouchement l’action de ces unités, lesquelles plaident « la fatigue morale et physique » pour justifier leurs dérives. 

L’Observatoire parisien des libertés publiques (OPLP), créé il y a trois ans à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du Syndicat des avocats de France (SAF), jette une nouvelle pierre dans son jardin.

Dans un rapport intitulé « Intimidations, violences, criminalisation : La BRAV-M à l’assaut des manifestations », publié jeudi 13 avril et fondé sur 90 observations des pratiques de maintien de l’ordre à Paris depuis le 1er mai 2019, il livre un réquisitoire sévère contre ces brigades « violentes et dangereuses, promptes à faire dégénérer les situations ».

« La BRAV-M a développé un style qui puise dans les répertoires de la chasse, du film d’action, du virilisme et de l’intimidation », écrivent les auteurs du rapport, qui voient dans cette « unité purement répressive » la traduction de « l’indifférence du pouvoir exécutif aux inquiétudes des citoyen·nes, ainsi qu’aux principes fondamentaux de l’idéal démocratique »

La première intervention officielle des BRAV-M dans les manifestations parisiennes date du 23 mars 2019, en plein mouvement des « gilets jaunes ». Mais ces unités étaient déjà en gestation. Dès décembre 2018, sur décision du ministre de l’intérieur Christophe Castaner et du préfet Michel Delpuech, des binômes de policiers motorisés, interdits depuis le décès de Malik Oussekine en 1986, refont leur apparition dans les rues de Paris. 

« Face aux violences commises lors des manifestations des gilets jaunes, il fallait des unités qui puissent faire des interpellations rapidement et en nombre si besoin », précise à Mediapart un haut fonctionnaire, en poste à l’époque à la préfecture de police de Paris. « On a mis en place les DARD [Détachement d’action rapide et de dissuasion – ndlr], des policiers à moto », poursuit-il. L’un conduit et son passager intervient à pied pour disperser ou interpeller. 

« Au début, on a essentiellement fait venir des agents des brigades anticriminalité (BAC), pas formés au maintien de l’ordre », reconnaît ce fonctionnaire qui a participé à la mise en place des DARD. Mais « ces brigades motorisées n’avaient pas vocation à se pérenniser », ajoute-t-il.

Autre problème : elles ont « échappé à la chaîne hiérarchique de commandement prévue habituellement lors des manifestations, notamment pour renforcer leur capacité à agir rapidement ». Au risque qu’elles soient « moins contrôlées », voire « difficilement contrôlables », admet-il. 

Des « unités anti-casseurs » 

Le ministre de l’intérieur Christophe Castaner et le directeur général de la police nationale (DGPN), Éric Morvan, tentent de généraliser ces unités sur l’ensemble du territoire. Hors de Paris, il n’est pas question de DARD mais de « dispositifs mixtes de protection et d’interpellation » (DMPI), également constitués d’agents de la BAC.

Dans une note du 21 mars 2019, que Mediapart s’est procurée, le ministre et le DGPN appellent ainsi l’ensemble des services de sécurité publique à organiser « des dispositifs de voie publique mobiles, dynamiques et réactifs », en renforçant les « dispositifs d’interpellation par l’activation systématique des DMPI ».

Selon le rapport de l’OPLP, ces unités répondent à une volonté du pouvoir exécutif de durcir les pratiques policières, « dans une logique répressive à l’égard des manifestations, perçues sous l’angle du groupement à disperser plutôt que sous celui de la liberté à protéger ».

En annonçant la nomination de Didier Lallement à la tête de la préfecture de police de Paris, en mars 2019, le premier ministre Édouard Philippe assumait de vouloir renforcer « la fermeté de la doctrine du maintien de l’ordre ». Pour cela, les DARD seront « transformés en unités anti-casseurs et dotés d’une capacité de dispersion et d’interpellation pouvant être engagée dès les premiers troubles ».

À Bordeaux, son poste précédent, Didier Lallement avait déjà appliqué cette stratégie « participant à l’escalade de la violence » entre policiers et manifestants, selon l’Observatoire girondin des libertés publiques (OGLP).

En avril 2021, cet équivalent local de l’OPLP dénonçait déjà la « politique d’intimidation » du préfet Lallement à l’égard des manifestant·es, notamment avec la mise en place des brigades de policiers motorisées. Tandis que lors d’une visite à Bordeaux, le 11 janvier 2019, le secrétaire d’État Laurent Nuñez avait félicité Didier Lallement pour sa gestion du maintien de l’ordre, peu avant sa nomination à Paris. 

« Les BRAV-M causaient trop de problèmes »

Au sein même de la police, comme le rappelle l’Observatoire parisien des libertés publiques, l’absence d’encadrement et de formation spécifique au maintien de l’ordre pour les BRAV-M fait grincer des dents. En mars 2020, Mediapart avait révélé plusieurs notes internes émanant de la gendarmerie et des CRS, faisant part d’ordres illégaux du préfet Lallement et de violences commises par ces brigades motorisées. 

S’inspirant des BRAV-M, la gendarmerie a constitué ses propres pelotons motorisés d’intervention et d’interpellation (PM2I), composés de gardes républicains, à partir d’avril 2019. « Ces unités agissent comme un “harpon” qui va disperser ou fixer l’adversaire », explique un haut gradé de la gendarmerie à Mediapart.

Mais sur le terrain, où policiers et gendarmes sont censés collaborer, « les BRAV-M causaient trop de problèmes », estime ce gendarme. « Ces policiers, qui ont une culture de la BAC, percutent les manifestants et sont davantage source de trouble et de panique. »  

À ses yeux, « la goutte d’eau » est survenue quand « un gendarme de ces pelotons a eu la mâchoire explosée par un manifestant ». Début 2020, la gendarmerie retire discrètement ses pelotons motorisés des manifestations parisiennes. « Les BRAV-M vont à l’encontre du droit de manifester, commente aujourd’hui ce haut gradé, on a dû s’en retirer. »

Selon une note de janvier 2023 que Mediapart s’est procurée, les BRAV-M sont désormais majoritairement constituées de membres des compagnies d’intervention (CI) de la préfecture de police de Paris comme passagers, et de fonctionnaires de la division régionale motocycliste comme conducteurs. 

Motos puissantes et tenues sombres : « le style BRAV-M » 

« Les observateurs et observatrices ont été témoins de nombreuses scènes de violences de la part des BRAV-M, quand iels n’en ont pas été directement victimes », écrit l’Observatoire parisien des libertés publiques, évoquant des charges qui sèment la panique dans les cortèges et un usage massif des armes (grenades et lacrymogènes). 

Au-delà de ces exemples, le rapport dissèque « le style BRAV-M », dont le nom évoque à dessein « la bravoure », avec ses agents « vêtus de couleurs sombres » qui se déplacent sur « des motos banalisées puissantes et sportives », sans signes distinctifs. 

En dépit des règles en vigueur, leur appartenance à la police nationale est en effet particulièrement discrète : « visages dissimulés malgré l’interdiction du port de la cagoule, RIO invisibles ou simplement non portés ». Même à pied, les BRAV-M gardent leurs casques de moto à visière fumée, qui les rendent encore moins identifiables.

Ce « penchant pour la dissimulation », allié à des « références à la prédation » sur leur tenue – notamment la marque de leur blouson, un logo à tête de fauve, gueule ouverte, tandis que leur écusson représente un frelon –, conforte ces agents dans leur « rôle de chasseurs », ancré dans « un imaginaire viriliste ».

Leur « arrivée bruyante produit sidération, terreur ou fascination ». Leur « proactivité », leur « autonomie tactique » et leurs « réactions démesurément brutales » contribuent, selon le rapport, à « instaurer la peur dans les manifestations » plutôt qu’à la désescalade. « Ceci fait de la simple présence de la BRAV-M un facteur de danger. » 

« Montrer les muscles » 

Pour l’observatoire, le manque de formation et de spécialisation ne suffit pas à expliquer ce phénomène. Au contraire, il estime que les autorités politiques assument ces « choix stratégiques », dans un contexte de remise en cause de l’action policière : « Alors qu’il est reproché aux forces de l’ordre de ne pas respecter les règles auxquelles elles sont soumises, on met en scène des agents bravant les interdictions que la loi leur impose. Alors que des citoyens expriment leur peur de la police, l’institution répond par des images d’agents cagoulés, en bande et aux postures menaçantes. »

En bref, les BRAV-M représenteraient « la réaction d’une institution qui, face aux accusations, sort les motos pour montrer les muscles »

Le nombre d’arrestations serait désormais envisagé comme « un indicateur de performance », au risque de « cibler n’importe qui » malgré des suites judiciaires peu convaincantes. « Loin d’incarner la présence rassurante à laquelle l’institution policière prétend parfois aspirer, la BRAV-M fait peur et dissuade de manifester », estiment les auteurs, constatant que cette unité « suscite en retour une animosité qui lui est spécifique »

Par analogie avec les policiers motards des années 1980, les membres de la BRAV-M ont spontanément été surnommés « les voltigeurs ». Les autorités rejettent ce qualificatif de triste mémoire, puisque deux de ces policiers avaient tué l’étudiant Malik Oussekine en 1986. Elles rappellent toujours que les BRAV-M interviennent à pied, à la différence des « voltigeurs » qui frappaient depuis leur moto avec leur « bidule »

« Ce n’est cependant pas cette pratique qui a conduit à la mort de Malik Oussekine, provoquée par les violences commises par des agents à pied » à l’intérieur d’un immeuble, rappellent les auteurs, pour qui le problème réside surtout dans l’approche portée par ce type d’unités.

Le rapport cite ainsi un article du Monde, daté du 9 décembre 1986 : « Les policiers des pelotons voltigeurs motorisés, une fois sur le terrain, avaient tendance à penser que tout manifestant, badaud ou curieux traversant leur chemin était l’un de ces “casseurs” qu’ils pourchassaient. » En cela, la comparaison entre les époques ne serait « pas sans fondement ».  

« Ce qui se fait de pire dans la police »

Sur l’organisation interne des BRAV-M, une certaine opacité règne. « Une série de questions ont été adressées par la LDH à la préfecture de police de Paris, mais cette dernière n’a pas donné suite. » En janvier 2023, la commission d’accès aux documents administratifs a donné raison à la LDH et rendu un avis favorable à la communication des documents qu’elle demandait. Mais là encore, la préfecture de police de Paris ne s’y est pas pliée. 

Malgré cette volonté de « se dérober au contrôle citoyen », certains commissaires à la tête des BRAV-M se sont toutefois rendus « célèbres pour des actes de violence », glisse l’observatoire, qui rappelle le cas de Paul-Antoine Tomi et celui du commissaire P. (sur lequel Le Monde avait publié une enquête vidéo).

Le nom de Patrick Lunel, ancien commandant de la CSI 93, est également cité. Son adjoint, un capitaine qui l’a rejoint au sein de la BRAV-M, est visé par une enquête pour avoir frappé un manifestant au visage lors d’une manifestation contre le passe sanitaire. 

Pour l’observatoire, les BRAV-M représentent « une illustration particulièrement éloquente de ce qui se fait de pire dans la police et les stratégies de maintien de l’ordre françaises ». Il s’inquiète, en conséquence, du satisfecit des autorités et d’un élargissement de leurs missions : envoyées en renfort pour le G7 de Biarritz, ces unités parisiennes seraient également déployées pour des opérations « anti-délinquance » en banlieue. 


 


 

« Des individus violents »
à la tête de la Brav-M, dénonce la LDH

Camille Bauer sur www.humanite.fr

Le rapport publié ce jeudi par l’Observatoire parisien des libertés publiques dresse le portrait de plusieurs chefs de cette unité de police, aux états de service inquiétants.

Qui dirige la Brav-M ? « Des commissaires célèbres pour des actes de violences, qui pourtant ont été médaillés, et qui continuent d’être envoyés en commandement sur le terrain », répond l’Observatoire parisien des libertés publiques (lancé par la Ligue des droits de l’homme) dans un rapport publié ce jeudi 13 avril, consacré à ces unités motorisées « violentes, dangereuses et promptes à faire dégénérer la situation ». Un casting d’autant plus regrettable que ces unités sont «  dotées d’une autonomie tactique qui signifie que les responsables de terrain sont amenés à prendre des décisions sans attendre les ordres venant du haut de la hiérarchie », précise le document.

Les vidéos explicites du commissaire tomi

Le plus connu de ces dirigeants est Paul-Antoine Tomi. Frère d’un parrain de la mafia corse, il était déjà à la tête de la division régionale des motocyclistes à la préfecture de police de Paris quand, en 2019, le préfet Lallement décide de créer la Brav-M. À ce poste, il « s’est fait connaître du grand public par des vidéos des journalistes Rémy Buisine et Clément Lanot qui le montraient en train de frapper avec acharnement à la matraque un manifestant tombé au sol », relate le rapport. C’est lui encore qui aurait dirigé « l’opération lors de laquelle des militant·e·s d’Extinction Rebellion, occupant le pont de Sully de manière pacifique, ont été aspergé·e·s de gaz lacrymogènes ». Une autre vidéo le montre en train de demander à ses troupes de «   dégager ces connards » lors d’une manifestation en mai 2021. Malgré son parcours, documenté par nos confrères de Streetpress et Mediapart, Tomi a reçu la médaille de la Sécurité intérieure et a été promu chef d’état-major adjoint de la direction de l’ordre public et de la circulation de Paris et de la petite couronne (DOPC). À ce poste, il s’est encore illustré par sa participation à la gestion désastreuse de la sécurité lors de la finale de la Champions League, le 28 mai 2022.

Autre dirigeant des unités dont la violence a fait l’objet de l’attention des médias, notamment du Monde : le commissaire P. Ce dernier aurait, selon le rapport, «  sévèrement blessé au visage un journaliste qui prenait des photos sans présenter la moindre menace. Dans la même charge, il a frappé à coups de matraque télescopique la tête de toutes les personnes qui ont eu le malheur de se trouver à sa portée, même parfois déjà blessées et au sol ». Le même a encore été identifié « menant des charges violentes au sein desquelles il portait les premiers coups ». Autre signe distinctif, l’intéressé arborait sur son casque la Thin Blue Line, «  symbole associé à l’extrême droite », jusqu’à son interdiction explicite en mars 2023 par l’IGPN.La liste ne s’arrête pas là. Ex-membre du commandement de la CSI 93, unité controversée, dont plusieurs membres viennent d’être jugés pour détention de drogue, vol, faux PV et violences (la décision a été mise en délibéré au 15 juin), Patrick L. a trouvé à exercer ses « talents » au sein de la Brav-M. Où a officié aussi son ancien adjoint à la CSI 93, qui s’est illustré « en donnant des coups de poing à des manifestants », lors d’une mobilisation contre le passe sanitaire, en juillet 2021, détaille le rapport.

Pour les organisations de défense des libertés, pas de doutes : « En envoyant ainsi sur le terrain des gradés notoirement connus pour leurs violences, la préfecture de police de Paris envoie aussi des messages. » Aux policiers comme aux citoyens, elle fait savoir que l’usage de la violence est autorisé. Pire, que celle-ci continuera d’être encouragée.

  publié le 12 avril 2023

À Sevran, des lycéens mineurs subissent plus de 30h de garde à vue et des humiliations après un blocage

Par Lisa Noyal sur https://www.streetpress.com

Le 27 mars, Raja, Raian, Henri et Ousmane sont interpellés en marge du blocage de leur lycée à Sevran. Trois d’entre eux, dont deux mineurs, sont placés en garde à vue et subissent des humiliations. Lycéens, parents et professeurs s'insurgent.

Sevran (93) – Le matin du 27 mars dernier, des pancartes et un caddie bloquent l’entrée principale du lycée Blaise Cendrars à Sevran. Des lycéens ont organisé un blocus pour protester contre la réforme des retraites et celle du baccalauréat. Vers 10h, un groupe met au milieu de la route deux poubelles et allume un feu qui s’éteindra tout seul au bout de quelques minutes. « C’était vraiment le blocus le plus calme de toute ma vie », décrit Charlotte (1), une professeure du lycée :

« J’étais loin d’imaginer tout ce qui allait se passer après… »

Raja, Raian, Henri et Ousmane – seul majeur du quatuor – (1) ont assisté au blocus. Tous vont être interpellés. Raja, Raian et Ousmane sont mis en garde à vue, pendant plus de 30 heures pour les deux derniers. Selon leurs dires, il leur serait reproché d’avoir dégradé « un bien public devant un établissement scolaire » et d’avoir « par effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes volontairement détruit des bennes à ordures au préjudice de la mairie de Sevran ». Dans les faits, Raja et Raian disent avoir mis une feuille d’arbre dans une poubelle enflammée et Ousmane avoir repoussé une poubelle tombée proche de lui.

« Ce ne sont pas du tout des élèves à problème. L’action était tolérée par tout le monde. La seule agressivité, c’était celle de la police. Ils ont décidé que, quoi qu’il arrive, c’étaient des délinquants… »

Les professeurs du lycée expliquent que deux élèves supplémentaires ont été arrêtés, dont un a été en garde à vue. Ils n’ont pas été identifiés par StreetPress. Léon, un de leurs professeurs, contextualise :

Des menottes « parce qu’il risque de s’enfuir »

Assis sur le banc d’un parc à Sevran, sous les rayons du soleil de la mi-journée, Raja, Raian, Henri et Ousmane enchaînent les blagues pour détendre l’atmosphère. « Qu’ils l’arrêtent lui ok, mais toi c’est impossible ! », rit l’un des lycéens. « Quoi, c’était toi le sixième ? Mais c’est impossible, t’es beaucoup trop sage ! », s’étonne son voisin. « Je me demande encore comment c’est possible que ça soit arrivé », lâche finalement une autre d’une voix grave.

Quand Henri arrive devant le lycée vers 11h, ce fameux 27 mars, il rejoint des camarades qui fabriquent des pancartes. L’un d’eux lance l’idée de peindre le slogan « Jeunes, fier-es et révolté-es » sur un mur du lycée. Le jeune homme de 17 ans et deux autres lycéens trempent leur doigt dans un pot de peinture noire et tracent les lettres sur le mur. Des policiers arrivent derrière lui. « L’un d’eux me dit : “Tu es au courant de ce que tu es en train de faire ? Ça s’appelle du vandalisme. Retourne-toi” », explique Henri. « J’étais très pacifiste, je me suis laissé faire. » Le lycéen aurait ensuite été menotté et mis dans la voiture devant certains de ses professeurs. « J’ai demandé pourquoi ils le menottent, ils m’ont répondu : “Parce qu’il risque de s’enfuir”. Ils ont ajouté sur un ton ironique : “On va bien s’occuper de lui, c’est pas la police de Paris ici” », raconte Léon, professeur de philosophie. Un policier lui aurait ensuite demandé de reculer de la voiture avant d’ajouter : « Je n’ai pas envie de me prendre un coup de couteau dans le dos. » Lorsque Léon demande s’il peut accompagner le lycéen mineur, un policier lui aurait dit :

« Vous n’avez qu’à marcher. »

Léon, ses collègues et des élèves se rendent donc au commissariat de Sevran vers 13h pour obtenir davantage d’informations, en vain. Finalement, après un contrôle d’identité, Henri sera libéré par une porte à l’arrière sans que la petite foule ne soit mise au courant. « Pendant qu’on attendait, on voit un homme arriver et tenter d’entrer dans le commissariat. On est allé lui parler, il nous a dits qu’il était le père de Raian. C’est là qu’on a compris qu’il y en avait d’autres… »

Des gardes à vue prolongées

Masbah, le père de Raian, est resté à la porte. « J’ai demandé des explications sur mon fils à un officier, il m’a répondu : “C’est un délinquant” », raconte-t-il. Des propos également rapportés par son prof’ Léon. Raian, 16 ans, aurait été interpellé aux abords du lycée un peu après 11h. « Une voiture s’est arrêtée. Deux policiers sont sortis. Ils m’ont attrapé le bras et m’ont mis dans la voiture. » En tout, il fera 30 heures de garde à vue.

« Dans la cellule, c’était très sombre. Quand on appelait pour dire qu’on avait faim ou qu’on voulait aller aux toilettes, les policiers fermaient la porte et nous ignoraient. »

Ousmane, qui est majeur, est lui aussi arrêté en rentrant chez lui. « La policière me dit de couper le contact et elle arrache mes clés de voiture. Elle me plaque contre la voiture et me met les menottes très serrées », décrit le jeune homme de 18 ans. « Quand je pose une question, elle me dit : “Ferme ta gueule.” » Ousmane sera mis en garde à vue, prolongée à 48 heures avant de passer en comparution immédiate au tribunal de Bobigny :

Racisme et moqueries

En fin de matinée, vers 11h45, c’est au tour de Raja d’être arrêtée au même endroit que Raian. « Ils n’interpellent pas devant le lycée, ils isolent. Comme ça, il n’y a pas de témoins des violences », lâche-t-elle dégoûtée. « La policière me plaque sur le capot de la voiture, elle me met les menottes. Quand je demande ce qu’il se passe, elle me dit “ferme ta gueule”. » La jeune femme de 17 ans entre dans la voiture de police, en larmes. Elle demande à plusieurs reprises ce qu’elle a fait, où elle va. « On me répond : “Tu vas rester en GAV et ne pas ressortir”. Un policier me dit : “Ferme ta gueule Fatoumata”. » Une fois au commissariat, Raja attend sur un banc et subit à nouveau des remarques racistes :

« J’entendais les policiers dire : “Regardez Fatoumata, elle pleure”. »

Pendant son contrôle d’identité, un policier lui aurait demandé pourquoi elle pleure. « Son collègue à côté répond : “Non non, pas de pitié pour les noirs ici” », se rappelle-t-elle, encore choquée.

Raja est ensuite amenée dans une pièce où une policière lui demande de se déshabiller entièrement pour la fouiller. « J’étais complètement nue, je me sentais comme une terroriste. » Elle dit que ses vêtements avec cordons (sweat, jogging) sont confisqués. Elle serait restée avec seulement son manteau, avant de récupérer une couette et un matelas pour rejoindre sa cellule. « Je ne faisais que pleurer, j’avais peur qu’ils me fassent ce qu’on voit dans ma cité. » Ousmane et Raian auraient subi la même fouille et seraient restés en short durant leur garde à vue. « Un des premiers trucs qu’ils nous ont dit, c’était ça. Qu’ils avaient eu froid », se souvient Charlotte, une professeure.

« J’étais terrorisée. Je voulais juste retrouver l’odeur de ma maison. La cellule ça pue, il y avait du caca sur les murs. »

Raja affirme également ne pas avoir eu le droit de boire d’eau et d’avoir eu un repas périmé depuis plusieurs mois, immangeable. Elle restera en garde à vue pendant neuf heures avant de rentrer avec sa mère :

Problèmes dans les procédures

« Quand la policière m’informe de mes droits, elle me dit que j’ai le droit à un avocat, mais que ça ne sert à rien », s’étonne Raja. Ousmane rapporte les mêmes propos quand il a demandé à voir son avocat de famille. Tout comme le père de Raian, lorsqu’il a été prévenu de l’interpellation de son fils.

« Les policiers m’ont donné une feuille et ils m’ont dit “signe”. Je ne savais même pas ce que c’était. Pour la prolongation, ils m’ont redit de signer alors je ne l’ai pas lu non plus. J’ai signé », décrit Raian. Raja et Ousmane décrivent des situations similaires. Les lycéens disent également ne pas avoir pu appeler leur famille durant leur garde à vue, ce qui fait pourtant partie de leurs droits. Les parents d’Ousmane ont donc appris l’arrestation de leur fils le soir en se rendant au commissariat. « J’en étais malade, je ne me sentais pas bien », se souvient inquiète sa mère.

Un pointage

« Ce n’est pas normal qu’un mineur reste plus de 24 heures en garde à vue. Je ne connaissais même pas son état de santé ! », s’insurge le père de Raian, qui dit vouloir porter plainte. Les élèves concernés et quelques professeurs doivent rencontrer une avocate cette semaine pour réfléchir aux suites possibles.

En attendant, Raja et Raian sont convoqués au tribunal en mai. Ousmane, le seul qui est passé devant les juges, a vu son audience être renvoyée en septembre prochain. Il doit néanmoins aller pointer tous les mois au commissariat et toutes les semaines en période de vacances.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Contactée, la préfecture de police de la Seine-Saint-Denis n’a pas donné suite à notre sollicitation.

Contacté, le lycée a renvoyé vers le rectorat, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.

  publié le 3 avril 2023

Manifestations :
alertes internationales face aux violences
de la police en France

par Rédaction sur https://basta.media

De l’Onu aux grandes ONG de défense des droits humains, les institutions internationales s’inquiètent des abus des forces de l’ordre face au mouvement contre la réforme des retraites et des dangers pour les libertés fondamentales.

« Je suis de très près les manifestations en cours et rappelle que les manifestations pacifiques sont un droit fondamental que les autorités doivent garantir et protéger. Les agents des forces de l’ordre doivent les faciliter et éviter tout usage excessif de la force ». La phrase concerne la situation en France, alors que les mobilisations contre la réforme des retraites se poursuivent fin mars.

Elle n’a pas été écrite par un·e élu·e de la France insoumise, mais par le rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d’association, Clément Voule.

De manifestation en manifestation, la réponse de la police française inquiète aussi hors de nos frontières les institutions et ONG internationales de protections des droits humains. « Dans le contexte du mouvement social contre la réforme des retraites en France, les libertés d’expression et de réunion s’exercent dans des conditions préoccupantes, a déclaré le 24 mars la Commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović. Il est de la responsabilité des autorités de permettre la pleine jouissance de ces libertés, en protégeant les manifestants pacifiques et les journalistes qui couvrent ces manifestations contre les violences policières et contre les individus violents opérant au sein des manifestations ou en marge de celles-ci. »

« Pas nouveau en France »

La commissaire constate aussi que « des incidents violents ont eu lieu, dont certains ont visé les forces de l’ordre ». Mais elle ajoute que « la violence sporadique de certains manifestants ne peut justifier l’usage excessif de la force par des agents de l’État ». Dunja Mijatović rappelle encore que « la première obligation de tous les États membres est de protéger les personnes sous leur juridiction et leurs droits humains ».

« L’usage excessif de la force par la police lors de manifestations n’est pas nouveau en France », note la chercheuse à l’ONG Human Rights Watch Eva Cossé. En décembre 2018 déjà, cette ONG avait documenté des blessures causées par des armes de la police lors des mobilisations des Gilets jaunes et de manifestations étudiantes, « notamment des personnes dont les membres ont été brûlés ou mutilés par l’utilisation présumée de grenades lacrymogènes instantanées »

« Nous avions également recensé les cas de personnes blessées par des balles en caoutchouc, ainsi qu’une utilisation disproportionnée de gaz lacrymogène et de grenades de désencerclement », ajoute la responsable de l’ONG.

Respecter les droits des manifestants

Pour Human Rights Watch, « les autorités françaises doivent respecter les droits des manifestants, vérifier que les tactiques policières sont nécessaires et proportionnées, enquêter sur les allégations d’usage excessif de la force et demander des comptes aux agents de police responsables d’abus. Elles doivent s’assurer que, lors des manifestations, les forces de l’ordre ne recourent à la force qu’en cas de stricte nécessité, conformément aux normes internationales. »

Les Principes de base sur le recours à la force par les responsables de l’application des lois des Nations unies indiquent notamment que « les responsables de l’application des lois doivent s’efforcer de disperser les rassemblements illégaux, mais non violents, sans recourir à la force et, lorsque cela n’est pas possible, limiter l’emploi de la force au minimum nécessaire ».

L’ONG Amnesty International alerte depuis le début du mouvement en janvier sur « le recours excessif à la force ». Parmi les abus, l’ONG a notamment recensé le cas d’un manifestant qui a dû être amputé d’un testicule après avoir reçu un coup de matraque à l’entrejambe lors de la mobilisation du 19 janvier. Le 23 mars, c’est un cheminot manifestant qui a été éborgné dans la manifestation par l’éclat d’une grenade de désencerclement.

« De façon proportionnée »

L’ONG note aussi que le 16 mars, 292 personnes ont été interpellées et mises en garde à vue durant la manifestation place de la concorde, mais 283 d’entre elles sont ressorties libres. « Les arrestations et gardes à vue abusives sont des atteintes sérieuses au droit de manifester », rappelle Amnesty.

Face à la situation en France, la Fédération internationale des droits humains (FIDH) a aussi tenu à rappeler que les États « sont tenus à s’abstenir du recours arbitraire à la force dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre. Ils ne peuvent y avoir recours qu’en dernier ressort. Et même dans ce cas, cela doit être fait de façon proportionnée, dans un objectif de maintien de l’ordre public et de sécurité. »

Alice Mogwe, présidente de la FIDH en appelle aux dirigeants français : « Le gouvernement français, qui ne perd que trop rarement une occasion de donner des leçons de démocratie et de respect des droits au reste du monde, devrait penser à être irréprochable sur ce point, comme sur celui des violences policières, parfaitement scandaleuses. »

  publié le 2 avril 2023

Dans le Tarn, la police se lève tôt pour arrêter des syndicalistes

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

À Albi, une opération matinale a été lancée, jeudi 30 mars, aux domiciles de six militants. Quatre d’entre eux, dont trois responsables syndicaux, ont été jugés, vendredi, en comparution immédiate.

«D e simples convocations auraient suffi. Ils les ont arrêtés comme s’ils s’agissaient de terroristes. » Benoît Foucambert, secrétaire départemental de la FSU dans le Tarn, n’en revient toujours pas. Ce jeudi 30 mars, à l’aube, la police nationale a débarqué en nombre et de façon simultanée au domicile de trois responsables syndicaux albigeois et de trois autres acteurs de la lutte contre la réforme des retraites. Interpellés, les six militants ont été placés en garde à vue et quatre d’entre eux jugés en comparution immédiate, vendredi. Pour l’intersyndicale, mobilisée jusqu’à leur libération, une telle répression policière n’avait jamais été observée.

« Bastien Alberti, secrétaire départemental du Snuipp, a vu entrer chez lui une dizaine de policiers en gilets pare-balles, devant sa compagne et son bébé de 2 ans », reprend le responsable de la FSU. « Le responsable de la Confédération paysanne, Daniel Coutarel, s’est même vu passer les menottes », complète une militante du syndicat Solidaires, dont le troisième responsable interpellé, Dimitri Cortese, 37 ans, est cosecrétaire départemental. Plusieurs dizaines de personnes se sont réunies toute la journée du 30 mars ­devant le commissariat d’Albi pour exiger la libération de leurs camarades. L’un d’entre eux a pu sortir en milieu de journée en raison de problèmes respiratoires et s’est rendu à l’hôpital.

« Les trois responsables syndicaux sont enfermés dans des cellules isolées, indiquait jeudi, en fin d’après-midi, le père de Dimitri, Jean-Louis Cortese, lui-même agent EDF à la retraite et syndiqué à la CGT. Les deux autres sont ensemble dans une seule pièce. »

Pour ce militant communiste, cet épisode marque une nouvelle étape dans la bataille engagée contre la réforme des retraites. Il en veut aux forces de police et au préfet de ce durcissement orchestré. « Mon fils est un homme responsable qui sait ce que c’est que l’engagement syndical, s’agace-t-il. Il n’y a aucune raison qu’il soit traité comme un délinquant. Les policiers matraquent, ils gazent pendant les manifestations et, là, ils refusent de nous donner des nouvelles de ceux qu’ils ont enfermés. » Toute la journée, la préfecture est, en effet, restée quasi muette. « Nous n’avons pas d’informations à donner. Ces interpellations relèvent de l’autorité judiciaire. Nous avons porté plainte pour dégradation de bâtiment », indiquait le cabinet du préfet, jugeant par ailleurs « tout à fait proportionnés » les dispositifs de sécurité mis en place à l’occasion du mouvement social en cours.

Le coup de filet lancé ce jeudi matin est, selon la procureure d’Albi, Stéphanie Bazart, « en lien avec des incidents qui se sont déroulés lors des manifestations ». En réalité, la plainte du préfet serait surtout une réponse musclée au rassemblement ayant eu lieu, dans la soirée du 16 mars, à la suite de l’annonce de l’utilisation du 49.3 par le gouvernement. Quatre des six militants sont finalement passés en comparution immédiate vendredi 31 mars. Un autre a lui aussi été libéré pour raison de santé. « Nos avocats ont demandé le report du jugement pour instruction, explique le responsable de la Confédération paysanne, 67 ans, à sa sortie du tribunal. Le chef d’inculpation n’a rien à voir avec ce qui s’est passé. On a mené une action symbolique et on m’accuse d’avoir cherché à détruire le portail de la préfecture. Au contraire, le 16 mars, avec l’intersyndicale, on s’est justement interposés entre les policiers et les quelques jeunes avec qui il y avait des altercations. On a calmé le jeu. »

Des choix démesurés en matière de maintien de l’ordre

Cinq cents personnes s’étaient retrouvées spontanément, ce soir-là, devant la préfecture du Tarn, pour exprimer leur colère. « Deux ou trois poubelles ont bien été incendiées, confie la conseillère régionale communiste, Géraldine Rouquette. C’est regrettable parce que ici, dans cette région rurale, les manifestations se passent toujours très bien. Mais c’est sans commune mesure avec ce qui peut se passer lors d’actions de la FNSEA, par exemple, qui n’a, elle, jamais à faire face à des dispositifs policiers tels que ceux qui sont déployés en ce moment contre le mouvement social. »

L’élue n’est d’ailleurs pas la seule à juger inappropriés les choix en matière de maintien de l’ordre du préfet François-Xavier Lauch, ancien supérieur hiérarchique d’Alexandre Benalla, en 2018, et ex-chef de cabinet d’Emmanuel Macron, entre 2017 et 2020. « On n’a jamais vu, dans le Tarn, des responsables syndicaux traités de cette manière », pointe la députée FI Karen Erodi, qui avait pu rendre visite, jeudi matin, aux militants incarcérés. « Il y a clairement une volonté, de la part des autorités, de faire de la répression antisyndicale pour tendre la situation. » Benoît Foucambert, de la FSU, abonde : «  On est face à une dérive sécuritaire très inquiétante. »

« On n’a jamais vu ça, même lors de la mobilisation des gilets jaunes »

Pour Dimitri, le dispositif policier mis en place pour son arrestation, comme pour son transfert au tribunal, en est une preuve de plus. « Il y avait trois cars de police, comme si nous étions de dangereux criminels, pointe-t-il, enfin libre. On n’a jamais vu ça à Albi, même pendant la mobilisation des gilets jaunes. » Ces arrestations sont faites pour l’exemple, affirme le syndicaliste, dans l’objectif de décourager ceux qui comptent continuer le combat contre la réforme des retraites malgré le passage en force du gouvernement.

Mais, à Albi en tout cas, l’événement pourrait bien avoir l’effet inverse. Ils étaient encore plusieurs dizaines devant le palais de justice pour accueillir, à leur libération, les responsables syndicaux. Et pour ces derniers, la motivation reste intacte. « On est sous le coup d’un contrôle judiciaire avec interdiction de nous rencontrer jusqu’au jugement, explique Bastien Alberti, 29 ans, aux abords du bar où il est allé partager un verre avec ses camarades après sa comparution. Mais rien ne nous interdit de participer à la prochaine manifestation… Et on ne va pas s’en priver ! »


 


 

« Les arrestations arbitraires ont vocation à empêcher les manifestations » 

Nadia Sweeny  sur www.politis.fr

« Il n’y a pas d’arrestation injustifiée » selon le préfet de Paris Laurent Nuñez. Faux, répondent une centaine de personnes et leurs avocats. Qui ont déposé ce vendredi au parquet de Paris des plaintes en masse. Entretien avec Me Coline Bouillon, une des vingt avocat.es de victimes.


 

Pourquoi déposez-vous plainte aujourd’hui ?

Maître Coline Bouillon : Nous déposons une centaine de plaintes contre les arrestations arbitraires entre le 16 et le 23 mars, au titre de l’entrave à la liberté de manifester. De notre point de vue, ces arrestations n’avaient vocation qu’à empêcher la manifestation populaire. La répression a été particulièrement violente : elle n’a fait aucune distinction entre les uns et les autres.

On a utilisé des infractions fourre-tout à l’encontre de manifestants qui n’en avaient commis aucune. En huit jours, il y a eu 940 interpellations et un peu moins d’une centaine de poursuites. Il y a donc eu très peu de déferrement – le moment où en enlève « les fers » pour présenter la personne à un juge.

On a utilisé des infractions fourre-tout à l’encontre de manifestants qui n’en avaient commis aucune.

Nous sommes très surpris par le nombre de classement sans suite dit « 11 » pour absence d’infraction alors que, d’habitude, le classement le plus utilisé par le parquet est le « 21 » – soit « infraction insuffisamment caractérisée ». Gérald Darmanin et Laurent Nuñez prétendent qu’il n’y aucune interpellation arbitraire puisque toutes se font sous le contrôle du procureur. Or ce même procureur – après avoir confirmé les gardes à vue de centaines de personnes – décide finalement de les classer pour absence d’infraction.

Pourquoi avoir opté pour la stratégie de la multitude de plaintes plutôt qu’une plainte collective ?

Maître Coline Bouillon : On avait déjà déposé une plainte collective au nom d’une vingtaine de plaignants dans le cadre de la lutte contre la loi sécurité globale. Le procureur de la République s’était contenté de demander des explications au préfet qui, lui, avait produit un rapport émanant de ses propres services pour justifier des interpellations qu’il avait lui-même ordonnées.

Sans surprise, le procureur de la République avait donc classé sans suite l’ensemble des faits dénoncés alors que les contextes pour chacun étaient différents. Aujourd’hui, nous déposons une centaine de plaintes identiques signée par vingt avocates et avocats. Nous sollicitons ainsi le parquet pour qu’il enquête sur la situation de chacun des plaignants interpellés et qu’il détermine dans quelles conditions ils ont été interpellés.

Nous sollicitons ainsi le parquet pour qu’il enquête sur la situation de chacun.

Comment se fait-il qu’ils aient pu, au détour d’une mesure de privation de liberté de dizaines d’heures, prendre des décisions d’absence d’infraction ? A-t-il même eu le temps de mener des investigations ? Ces classements s’interprètent comme la preuve que ces gardes à vue sont des sanctions dont le but est de dissuader les manifestants mais aussi de les ficher.

Que voulez-vous dire ?

Maître Coline Bouillon : L’ADN et les empreintes ont été demandées aux personnes avant même qu’elles ne voient un avocat et donc avant que celles-ci puissent être informées de leurs droits et de ce qu’est le fichage. L’enjeu du fichage apparaît si fort que le parquet a même déféré des personnes uniquement en raison de leur refus de donner leur signalétique et leur ADN, quand bien même elles n’étaient plus poursuivies pour les infractions principales. L’unique objectif étaient donc qu’elles donnent leurs empreintes.

Votre plainte est déposée contre X pour « atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l’autorité publique », « non-intervention pour l’arrêt d’une privation de liberté illégale » et « entrave à la liberté de manifester ». Vous visez ainsi directement les institutions...

Maître Coline Bouillon : Oui, bien sûr : qui d’autre que la préfecture ordonne les interpellations ? Qui d’autre que le parquet valide ces placements en garde à vue et décide de leur levée ? Nous demandons à ce que soient identifiées les personnes décisionnaires pour qu’elles s’expliquent sur cette politique de maintien de l’ordre et de répression.

Vous suivez les mécaniques répressives depuis quelque temps. Quelles évolutions voyez-vous ?

Maître Coline Bouillon : On passe des caps. Il y a de plus en plus d’interpellations et on multiplie les modes alternatifs de poursuites qui se résument en une politique du chantage.

Pouvez-vous nous expliquer ?

Maître Coline Bouillon : Il y a plusieurs sortes d’alternatives aux poursuites. L’avertissement pénal probatoire (APP), nouvelle création d’Éric Dupond-Moretti en vigueur depuis le 1er janvier 2023. L’idée est que toute personne ne faisant pas l’objet d’un classement sans suite doit avoir une sanction, une mesure de réparation ou un avertissement solennel. Sa particularité, c’est qu’il faut reconnaître les faits après 48 h en garde à vue et une vingtaine d’heures dans les geôles du tribunal. On leur met sous le nez un délégué du procureur qui n’a aucun pouvoir décisionnel et ne peut pas décider des conditions de cet APP ni même y renoncer. Il n’y a pas de contradictoire.

Il y a de plus en plus d’interpellations et on multiplie les modes alternatifs de poursuites.

Pareil pour le classement sous condition qui lui n’inclut pas une reconnaissance des faits et n’est pas susceptible de voies de recours. Il prévoit le classement sans suite de la procédure sous des conditions parfois inadaptées aux situations personnelles. On a des délégués du procureur qui notifient à des personnes après 72 h de privation de liberté : « Si vous signez, vous sortez tout de suite, sinon c’est la comparution immédiate ».

On constate aussi des propositions de transaction avec le procureur de la République qui vient dire à certains de nos clients « vous passez en comparution immédiate », puis, ils viennent les trouver en disant « si vous acceptez de donner vos empreintes, je classe sans suite ». On est arrivé à un point où la seule manière d’avoir du chiffre, c’est le chantage.

Quels sont les différences constatées avec les pratiques utilisées pendant les gilets jaunes ?

Maître Coline Bouillon : Pour les gilets jaunes, l’infraction de participation à un groupement en vue de commettre des violences permettait de nombreuses condamnations alors qu’aujourd’hui, c’est beaucoup plus rare d’être présenté à une juridiction de jugement simplement pour cette infraction. Il faut qu’il y ait un cumul avec d’autres infractions comme rebellions, violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique ou des refus de signalétique.

Il faut abroger l’infraction de participation à un groupement.

Cela dit l’infraction groupement est toujours utilisée pour placer en garde à vue. On suppose des intentions qu’on cherche à caractériser pendant le temps de leur privation de liberté. Le recours à cette infraction est une arme juridique répressive qui régularise et banalise les arrestations arbitraires. Des députés m’ont demandé : « Qu’est-ce qu’on peut faire contre les arrestations arbitraires ? ». Je n’ai qu’une réponse : il faut abroger l’infraction de participation à un groupement. Elle donne des pouvoirs exponentiels à des magistrats et à des policiers à l’encontre de personnes qui n’ont rien fait.

 

publié le 27 mars 2023

Les syndicats inquiets face à la répression tous azimuts

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

À l’approche de la 10e journée de mobilisation, prévue ce mardi 28 mars, les organisations syndicales s’alarment devant la hausse des cas de violences policières contre les manifestants.

«Où est la démocratie quand un gouvernement interdit les rassemblements et manifestations, réprime, tabasse, mutile le mouvement social ? » s’inquiètent, dans un communiqué, la fédération SUD rail et l’union syndicale Solidaires. Alors que la dernière journée de mobilisation a été marquée par un regain de participation de la population et un soutien populaire toujours plus fort, elle a également été le théâtre de nombreuses violences.

De nombreux incidents impliquant les forces de sécurité ont été dénoncés par des participants, dont Émilie Chloé Trigo. Secrétaire national de l’Unsa, elle a affirmé sur Twitter que les CRS « ont envoyé des bombes de gaz lacrymogène par dizaines » aux abords du carré de tête , jeudi dernier. « Je me suis retrouvée seule, dans un nuage blanc et opaque, pendant de longues minutes, ajoute-t-elle.  Pour la première fois depuis neuf manifestations, j’ai réellement eu très peur et je peux le certifier : le cortège intersyndical a été gazé pour qu’il n’atteigne pas Opéra. » Et la CGT de déplorer « des dizaines de blessés, dont certains gravement, à Paris et en province », le même jour, dans un communiqué. Des incidents parmi tant d’autres. À tel point que les organisations syndicales s’alarment de l’explosion de violences policières à la veille d’une nouvelle journée de grève et de manifestations. Laurent Escure, président de l’Unsa, a rebondi sur le témoignage d’Émilie Chloé Trigo, s’inquiétant notamment que « le droit de manifester pacifiquement ne soit pas respecté ».

« Une stratégie pour faire pourrir le mouvement »

« Nous mettons en garde le gouvernement sur sa stratégie de répression du mouvement social pour tenter de le faire taire ! » s’est insurgé de son côté SUD rail, au lendemain de la journée de mobilisation. « Un de nos camarades, agent de maintenance au matériel depuis plus de vingt-cinq ans à la SNCF, a été touché très gravement ; il a dû être opéré en urgence de l’œil. Un second a été roué de coups et a eu le crâne ouvert », a témoigné la fédération. Pour Catherine Perret (CGT), la méthode de l’exécutif, « c’est une stratégie minoritaire de faire pourrir un mouvement social et de faire peur aux gens en employant la violence, et j’ose parler de violences policières », observe-t-elle auprès de l’AFP.

Face à cette montée des violences, l’alliance écologique et sociale Plus jamais ça (une trentaine d’associations et de syndicats, dont la FSU, la CGT et Solidaires) a publié une tribune, la même matinée, dans le journal  le Monde. Intitulée « Nos organisations alertent sur l’arbitraire policier et juridique mis en place comme stratégie de répression des manifestations », elle condamne notamment la tactique orchestrée par les autorités publiques à l’encontre des personnes mobilisées comme à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), en octobre 2022. « Cette répression s’est d’abord illustrée par les poursuites engagées contre les manifestants opposés aux méga-bassines avec une dérive extrêmement grave de l’État visant à criminaliser, intimider et museler les mouvements sociaux », expliquent les signataires. Et pour le collectif, ce système d’entrave à la liberté de manifestation s’inscrit dans la continuité d’un autre mouvement social, celui des « gilets jaunes ».


 


 

Violences d'État. À Sainte-Soline, la fuite en avant

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Dans les Deux-Sèvres, samedi 25 mars, des dizaines de milliers d’opposants aux méga-bassines ont bravé l’interdiction de manifester. De violents heurts ont fait de nombreux blessés, tandis que l’arrivée des secours a été entravée par les gendarmes.

Météo France annonçait, samedi, de la pluie dans les Deux-Sèvres. Dans le petit village de Sainte-Soline, d’à peine 350 âmes, l’eau n’est finalement pas tombée. Mais, autour d’une méga-bassine de 628 000 mètres cubes en construction, il a plu, tout un après-midi, des grenades lacrymogènes et de désencerclement.

Plus de 4 000, selon un chiffre avancé par le ministre de l’Intérieur, au cours de violents heurts entre gendarmes et opposants à ces immenses retenues d’eau destinées à l’irrigation des cultures.

Le point de ralliement était fixé plus tôt dans la journée, dans la commune voisine de Vanzay, en bordure de la zone d’interdiction de circulation et de manifestation. Des convois de voitures vont s’étaler sur des kilomètres pour y accéder en contournant les barrages.

Une randonné champêtre d'environ une heure trente

Dans un champ des plus boueux servant d’arrière-base, on croise des drapeaux de Greenpeace, Solidaires, la CGT, la Confédération paysanne ou encore Extinction Rebellion. Les organisateurs parlent de 30 000 manifestants venus de toute la France et même de l’étranger avec un objectif commun : mettre hors d’état de nuire la méga-bassine, située à environ six kilomètres, qui servira à pomper l’eau des nappes phréatiques au bénéfice de quelques agriculteurs.

« Il y a six ans, on partait de rien, mais la médiatisation a fait grossir les rangs. Une bonne partie du pays sait maintenant ce qu’est une méga-bassine », se félicite Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci et figure de la lutte.

Vers 11 heures, et dans la bonne humeur, est donné le top départ d’une randonnée champêtre d’environ une heure trente pour rejoindre le chantier. Ils chantent On est l’eau sur l’air d’On est là. Baptisés de noms d’animaux menacés par le projet (outarde, loutre et anguille), trois cortèges se séparent. L’un regroupe de nombreuses familles et la plupart des élus. Les deux autres, plus mobiles, coupent à travers champs.

Le dispositif policier aurait coûté 5 millions d’euros

Sur le parcours, aucun policier, contrairement à la mobilisation d’octobre 2022, qui avait très vite dégénéré. Ce qui n’empêche pas les marcheurs du jour de craindre les échauffourées. « On ne vient pas pour ça mais si on nous attaque, on répondra, se désolent Isabelle et Éric. Il faut se battre contre cet accaparement de la ressource. On voit bien qu’il y a de moins en moins d’eau dans les rivières. »

Le mot « accaparement » revient souvent. « La guerre de l’eau a déjà commencé. Je viens car je suis inquiète pour l’avenir de mes petits-enfants », explique Maud, la cinquantaine, en sautant par-dessus un fossé. Au loin, un monticule de terre apparaît, en haut duquel des gendarmes sont juchés.

« Mettez vos lunettes (de piscine – NDLR), ça va piquer. Et restez groupés pour qu’on puisse vous protéger ! » lance un homme en bleu de travail, tenue emblématique de cette lutte, dans l’un des deux cortèges de tête.

Des milliers de personnes arrivent alors au pied de la méga-bassine. Tout autour de la retenue, des camions de gendarmerie en enfilade forment une muraille. D’après Benoît Biteau, eurodéputé écologiste, le dispositif policier (3 200 agents et plusieurs hélicoptères) aurait coûté 5 millions d’euros. « Voilà à quoi servent nos impôts : à protéger des intérêts privés ! » tance une trentenaire lyonnaise.

« No bassaran ! »

Très vite, les hostilités démarrent, sans que l’on sache qui les a lancées. Une petite partie du cortège– part à l’assaut en criant : « No bassaran ! » Les manifestants pacifiques, ultramajoritaires, restent en retrait. Beaucoup sont interloqués par la violence inouïe qui se déploie sous leurs yeux. Des pierres volent, des feux d’artifice explosent et des cocktails Molotov sont lancés.

Quatre véhicules sont incendiés. Les gendarmes répliquent avec des tirs de LBD, de gaz lacrymogène et de grenades. Ils défendent le fort, à savoir un cratère vide. Trop souvent des opposants crient « Médic ! » en pointant un blessé au sol.

« Évidemment que ça me fait peur, mais j’en avais marre de ne pas être dans l’action. Le futur m’angoisse et ça me fait du bien d’être avec tout ce monde. On a besoin de changer le niveau de radicalité », affirme Fantine, dans la foule paisible obligée de reculer, les yeux rougis par les gaz lacrymogènes.

Un peu plus loin, les blessés, qui affluent par dizaines, sont regroupés pour être soignés. Ils seront plus de 200, selon les organisateurs, dont 10 hospitalisations et un pronostic vital engagé.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déploré 28 gendarmes blessés. Des élus insoumis et écologistes en écharpe décident ensuite de faire une chaîne humaine, alors que des gendarmes voltigeurs sur des quads débarquent à vive allure. « Pas de provocation. On est là pour protéger les blessés ! » hurle Benoît Biteau pour calmer les quelques manifestants qui chantent Tout le monde déteste la police !

« Entrave à l’intervention des secours »

Il ne faut pas longtemps pour que les voltigeurs tirent dans le tas, en plein milieu des blessés au sol, transportés à la hâte un peu plus loin. Les grenades explosent, provoquant un mouvement de foule.

Les quelques centaines de personnes se trouvent coincées entre un fossé de deux mètres et le brouillard piquant. « Si les CRS étaient restés chez eux, il n’y aurait pas eu d’affrontements. C’est un trou avec de l’eau : il n’y a rien à casser. On en a ras le bol : on est venus parler d’écologie et le maintien de l’ordre, c’est du ressort du ministère de l’Intérieur », s’agace Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV.

Des élus de gauche « irresponsables », a jugé Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture. Sans qui, pourtant, les blessés – dont certains dans un état grave comme une jeune fille éborgnée – auraient attendu bien plus longtemps avant d’être pris en charge.

Il a fallu que Benoît Biteau joigne le cabinet de la première ministre pour débloquer les secours et que Marine Tondelier négocie pour que le Samu puisse intervenir. « Nos observateurs ont constaté l’entrave par les forces de l’ordre à l’intervention des secours pour une situation d’urgence absolue », a affirmé la Ligue des droits de l’homme.

Peu avant 16 heures, les derniers manifestants quittent le champ de bataille sur un constat amer. « Les capitalistes privatisent l’eau pour sécuriser leurs profits à nos frais, alerte Hugo Blossier, ancien secrétaire départemental PCF de la Vienne. Ils ont l’appui total du gouvernement, prêt à mettre tous les moyens pour accéder à leurs désirs, que ce soit pour nous faire bosser plus longtemps ou s’accaparer l’eau. » Les opposants aux méga-bassines le promettent déjà : ils reviendront.


 


 

Violences policières : la France montrée du doigt dans le monde entier

Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr

Les dérives du maintien de l’ordre en France depuis l’activation de l’article 49 alinéa 3 par le gouvernement ont depuis été dénoncées par l’ensemble de la société civile, les autorités administratives indépendantes, ou encore le Conseil de l’Europe et les Nations unies.

SiSi les images de violences policières accompagnent désormais chaque manifestation ou mouvement social, celles de ces deux dernières semaines, prises lors de manifestations contre la réforme des retraites et lors de celle de samedi à Sainte-Soline, suscitent une vague d’indignations rarement vue.

Dimanche 26 mars, un collectif d’ONG ayant envoyé sur le terrain des « observatoires » faisait un premier bilan du week-end de violences ayant fait plus de 200 blessés, dont 40 dans un état grave, parmi les manifestants et les manifestantes venues s’opposer au projet de mégabassines voulu par le gouvernement.

« Dès nos premières observations le vendredi, nous avons constaté le bouclage ultra-sécuritaire de la zone », explique le rapport provisoire, rédigé sur la base de constatations faites par six observatrices et observateurs appartenant à une dizaine d’associations dont la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Syndicat des avocats de France (SAF), le Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples (MRAP) ou encore l’Observatoire des libertés publiques.

Il décrit une répression implacable de la moindre tentative de rassemblement. « Dès l’arrivée des cortèges sur le site de la bassine, les gendarmes leur ont tiré dessus avec des armes relevant des matériels de guerre [...]. Des grenades ont été envoyées très loin et de manière indiscriminée », détaille le rapport.

« De manière générale, nous avons constaté un usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain », concluent les observatoires des associations.

Ces nouvelles scènes de violences arrivent alors que, depuis l’ouverture de la crise politique par l’usage de l’article 49 alinéa 3 par le gouvernement, les appels se multiplient pour demander au gouvernement de mieux encadrer les opérations de maintien de l’ordre et de garantir la liberté de manifester des citoyen·nes. Des appels émanant de la société civile mais également d’institutions, en France et à l’international.

Dès le lundi 20 mars, le rapporteur spéciale des Nations unies pour la liberté de réunion, Clément Voulé, faisait part de ses préoccupations à la vue des premières manifestations contre la réforme des retraites après le déclenchement de l’article 49 alinéa 3.

« Je suis de très près les manifestations en cours et rappelle que les manifestations pacifiques sont un droit fondamental que les autorités doivent garantir et protéger, écrivait-il sur Twitter. Les agents des forces de l’ordre doivent les faciliter et éviter tout usage excessif de la force. »

Les violences doivent cesser.

Vendredi dernier, c’est la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, qui publiait un communiqué s’inquiétant de l’évolution de la situation en France. « Les conditions dans lesquelles les libertés d’expression et de réunion trouvent à s’exercer en France dans le cadre de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites sont préoccupantes », écrivait-elle.

La commissaire prenait soin de préciser que des violences avaient également été commises par des manifestantes ou des manifestants. Mais celles-ci « ne sauraient justifier l’usage excessif de la force par les agents de l’État. Ces actes ne suffisent pas non plus à priver les manifestants pacifiques de la jouissance du droit à la liberté de réunion ».

« Les violences doivent cesser. C’est une condition nécessaire à l’exercice effectif des libertés d’expression et de réunion, ainsi qu’à la confiance entre la population et les forces de l’ordre », concluait Dunja Mijatović en citant les « recommandations » formulées par les deux autorités administratives indépendantes françaises chargées de la protection des droits humains, la Défenseure des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

La première a publié un communiqué mardi 21 mars dans lequel la Défenseure des droit, Claire Hédon, se disait « préoccupée par les vidéos circulant sur les réseaux sociaux, de nombreux articles de presse et saisines reçues par l’institution sur de possibles manquements déontologiques dans le maintien de l’ordre au cours des évènements des jours derniers ».

En conséquence, la Défenseure rappelait ses recommandations prévoyant, notamment, d’« encadrer strictement les contrôles d’identité, les fouilles et filtrages », de limiter le recours à la technique dite de la « nasse » à un usage nécessaire et proportionné, et de « recentrer le maintien de l’ordre sur la mission de police administrative de prévention et d’encadrement de l’exercice de la liberté de manifester, dans une approche d’apaisement et de protection des libertés individuelles ».

Les autorités publiques doivent rappeler fermement aux agents des forces de l’ordre le cadre légal.

La CNCDH se disait quant à elle, dans un communiqué diffusé jeudi 23 mars, « très préoccupée par certains agissements des forces de l’ordre observés » depuis l’activation de l’article 49 alinéa 3. « La multiplication des violences policières captées par des téléphones portables et diffusées sur les réseaux sociaux démultiplie leur impact sur la population et jette le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre soumis à un devoir d’exemplarité », écrivait la commission.

« Les autorités publiques doivent rappeler fermement aux agents des forces de l’ordre le cadre légal de leurs interventions, au service de la garantie des libertés fondamentales, poursuivait son président, Jean-Marie Burguburu. L’autorité judiciaire doit également pleinement jouer son rôle de gardien de la liberté individuelle. »

L’ensemble de la société civile concernée s’est également exprimée pour appeler le gouvernement à faire stopper les violences policières. « Le ministre de l’intérieur doit mettre fin aux violences policières contre les journalistes qui couvrent les manifestations contre la réforme des retraites », affirme ainsi Reporters sans frontières dans un communiqué publié vendredi 24 mars.

Le même jour, la LDH et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) publiaient un communiqué commun appelant « à l’arrêt immédiat des violences policières et à la reprise d’un débat démocratique serein dans le respect des principes constitutionnels ».

La veille, c’est Amnesty International qui dénonçait « un recours excessif à la force et aux arrestations abusives ». Dans son communiqué, l’ONG listait les manquements constatés : « utilisation abusive des matraques », « utilisation abusive des lacrymogènes », « utilisation abusive de grenades de désencerclement » et « arrestations abusives ».

Notre place n’est pas aux côtés des préfets pour préparer la répression des manifestants.

Du côté des organisations professionnelles du secteur de la justice, le Syndicat de la magistrature (SM) a dénoncé, lundi 20 mars, la multiplication des arrestations et des placements en garde à vue. Dans son communiqué, le SM appelait ses membres « à refuser de donner un vernis judiciaire à des opérations de police qui ne sont plus au service de la protection de la population mais de sa répression ».

« Notre place n’est pas aux côtés des préfets pour préparer la répression des manifestants mais de protéger les justiciables dans l’exercice de leur citoyenneté, poursuivait le syndicat. Notre contrôle de toutes les procédures initiées lors des manifestations doit être exigeant et minutieux. »

Le même jour, le Syndicat des avocats de France (SAF) appelait également les « magistrats saisis de ces affaires de faire preuve d’indépendance et de responsabilité, et de ne pas tomber dans une répression judiciaire disproportionnée qui viendrait s’ajouter à celle policière ».

C’est encore un collectif de trente-six avocates et avocats, dont le président de la LDH Patrick Baudouin, qui a pris la plume lundi 27 mars pour exprimer, dans une tribune publiée dans Le Monde, leur « plus grande préoccupation face à la politique d’arrestations préventives mise en œuvre sous l’autorité du préfet de police ».

« Non seulement cette politique contrevient aux plus essentielles de nos libertés individuelles et collectives, liberté d’aller et venir, liberté de se réunir, liberté de manifester, écrivent les signataires, mais encore, elle dissuade les citoyennes et les citoyens de participer aux manifestations et à la vie démocratique de notre pays ».

Dans le même temps, la LDH a lancé sur son site une pétition s’adressant directement à la première ministre, Élisabeth Borne, et son ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, pour leur demander de mettre fin « à l’escalade répressive ».

« Le territoire français et les grandes villes plus particulièrement sont depuis plusieurs jours le théâtre d’opérations de maintien de l’ordre de grande ampleur, violentes et totalement disproportionnées », y écrit Patrick Baudouin.

La pétition formule une série de demandes dont la suppression de la « BRAV-M », l’unité de policiers motorisés accusée de nombreuses violences, l’interdiction de la nasse ainsi que des techniques d’immobilisation mortelles et des armes de guerre ou encore la suppression de l’article 222-14-2 du Code pénal qui sert de base légale à de nombreuses interpellations préventives.

« C’est là le préalable à un avenir commun apaisé, insiste la LDH. Car le risque d’un ordre qui déborde, c’est d’être lui-même bientôt débordé face aux tensions et à la radicalité qu’il exacerbe. »


 


 

Tribune d’avocats contre le recours aux arrestations préventives et arbitraires” publiée dans le Monde

https://www.ldh-france.org

Tribune collective signée par Patrick Baudouin, président de la LDH

Ce jeudi 23 mars, le Préfet de police a affirmé qu’ « il n’y a pas d’interpellations préventives, ça n’existe pas dans notre pays ». La veille, le Ministre de l’Intérieur a affirmé, à tort, que la participation « à une manifestation non déclarée est un délit qui mérite interpellation ». Nous, avocates et avocats, exprimons notre plus grande préoccupation face à la politique d’arrestations préventives mise en œuvre sous l’autorité du Préfet de police dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites et le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Cette réforme, ainsi que les modalités de son adoption au Parlement, ont donné lieu à des mobilisations parmi les plus importantes que notre pays ait connues. Jusqu’à l’annonce par la Première ministre de l’engagement de la responsabilité de son gouvernement, elles se sont déroulées dans le calme. Depuis le 16 mars 2023, près de 900 personnes ont été interpellées et placées en garde à vue dans le cadre de manifestations à Paris. Largement évoquées par la presse, ces arrestations visent indifféremment touristes, promeneurs et manifestants, mineurs pour certains. À la suite de ces gardes à vue qui ont pu durer plusieurs dizaines d’heures, la grande majorité de ces personnes ont bénéficié d’un classement sans suite.


Ces éléments indiquent que le Préfet de police a intégré à sa politique de maintien de l’ordre le recours systématique aux interpellations préventives.

Cependant, d’interprétation stricte, la loi pénale n’autorise le recours à la garde à vue qu’à l’égard de la personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de penser qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. Force est de constater qu’en refusant de poursuivre les personnes interpellées, l’autorité judiciaire admet l’absence de la moindre infraction constituée à l’égard des intéressés. Les enquêtes journalistiques et les témoignages des personnes interpellées montrent que notre procédure pénale est instrumentalisée au profit d’une politique de maintien de l’ordre pour le moins particulière.

Soit ces arrestations, menées par l’autorité administrative, interviennent contre des individus dont on présume la volonté de commettre une quelconque infraction, elles sont alors préventives ; soit ces arrestations interviennent après qu’une infraction a été commise mais contre des individus pris au hasard dans la foule, elles sont alors arbitraires.

Dans un cas comme dans l’autre, elles sont illégales.

Non seulement cette politique contrevient aux plus essentielles de nos libertés individuelles et collectives, liberté d’aller et venir, liberté de se réunir, liberté de manifester, mais encore, elle dissuade les citoyennes et les citoyens de participer aux manifestations et à la vie démocratique de notre pays.

Nous nous opposons fermement à ces méthodes et appelons le Ministre de l’Intérieur et le Préfet de police à y mettre fin.

Signataires : Arié ALIMI, avocat au Barreau de Paris et membre du Bureau national de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Sophie ALLAERT, avocate au Barreau de Paris ; Patrick BAUDOUIN, avocat au Barreau de Paris, Président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Thomas BIDNIC, avocat au Barreau de Paris ; Thomas BODIN, avocat au Barreau de Paris ; Sophie BONAMOUR, avocate au Barreau de Paris ; William BOURDON, avocat au Barreau de Paris, Ancien Secrétaire de la Conférence ; Vincent BRENGARTH, avocat au Barreau de Paris ; Anne CHIRON, avocate au Barreau de Paris ; Lionel CRUSOE, avocat au Barreau de Paris ; Edouard DELATTRE, avocat au Barreau de Paris ; Léa DORDILLY, avocate au Barreau de Paris, Ancienne Secrétaire de la Conférence ; François EXPERT, avocat au Barreau de Paris ; Nina GALMOT, avocate au Barreau de Paris ; Marie GEOFFROY, avocate au Barreau de Paris ; Inès GIACOMETTI, avocate au Barreau de Paris ; Lisa GIRAUD, avocate au Barreau de Paris ; Elisa GRIMALDI, avocate au Barreau de Paris ; Constance HANNEL, avocate au Barreau des Hauts-de-Seine ; Sabrina HASSAINI RACHID, avocate au Barreau de Paris ; Manon HENRY, avocate au Barreau de Paris ; David KOUBBI, avocat au Barreau de Paris ; Anne-Sophie LAIRD, avocate au Barreau de Paris ; Gaspard LINDON, avocat au Barreau de Paris, Ancien Secrétaire de la Conférence ; Flora MAINARDI, avocate au Barreau de Paris ; Christelle MAZZA, avocate au Barreau de Paris ; Soraya NOUAR, avocate au Barreau de Paris ; Marie OLLIVIER, avocate au Barreau de Paris ; Marion OGIER, avocate au Barreau de Paris et membre du Comité national de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Félix PELLOUX, avocat au Barreau de Paris ; François SAINT-PIERRE, avocat au Barreau de Paris ; Jean-Baptiste SOUFRON, avocat au Barreau de Paris ; Georges TSIGARIDIS, avocat au Barreau de Paris ; Fanny VIAL, avocate au Barreau de Paris, Ancienne Secrétaire de la Conférence ; Hugues VIGIER, avocat au Barreau de Paris

Elèves-avocats à l’initiative de la tribune : Elliot BERSEGOL, élève-avocat à l’Ecole de formation des Barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris ; Théo LAMBALLE, élève-avocat à l’Ecole de formation des Barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris

Paris, le 27 mars 2023

publié le 26 mars 2023

Pour le sociologue Sebastian Roché 
« Les effets de la mauvaise police sont très corrosifs pour la démocratie »

ÉmilienUrbach sur www.humanite.fr

Suite aux dernières mobilisations contre la casse du système des retraites, de nombreux témoignages évoquent un usage disproportionné de la force par les forces de sécurité. Pour le sociologue Sebastian Roché, c’est un choix délibéré de l’exécutif.

Auteur d’une étude publiée chez Grasset en 2022, « La nation inachevée, la jeunesse face à l’école et la police », le sociologue Sebastian Roché, directeur de recherches au CNRS, analyse l’actuelle instrumentalisation de la violence policière par le gouvernement pour mater l’opposition populaire à sa réforme des retraites.

Les violences policières sont-elles le fruit d’une perte de contrôle du pouvoir ou d’une stratégie délibérée d’intimidation ?

Sebastian Roché : Les deux. Au plan politique, on assiste à une perte de contrôle. Le gouvernement s’est lui-même placé dans une situation de crise en décidant d’abréger le débat sur la réforme des retraite qui aurait pu durer plus longtemps avec une sortie plus honorable. Politiquement, c’est un gouvernement en perte d’autorité. Il n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée et sa réforme est massivement rejetée dans le dans le pays, particulièrement chez les travailleurs. Face à cette perte d’autorité, il fait le choix de la contrainte. Cela se traduit clairement dans le discours d’Emmanuel Macron, lorsqu’il parle de faction et de factieux, induisant l’idée d’une illégitimité des protestations de rue, contre toute évidence politique, historique et juridique. Le droit de manifester est un droit fondamental. Ce choix politique se décline principalement de deux manières. D’abord, en mettant en première ligne les Brigades de répression des actions violentes motorisées (Brav-M) et les brigades anti-criminalités (Bac). Ce sont des unités qui servent à aller au corps à corps et à faire, en théorie, des interpellations mais dans le fond, elle servent surtout à faire de l’intimidation. On le voit notamment à l’égard des journalistes et de tous ceux qui prennent des vidéos. Les gens qui filment sont menacés, frappés, leur matériel est cassé...

On ne contrôle pas la situation mais on va quand même essayer de contrôler les images... 

Sebastian Roché : En effet, même si c’est complètement vain. L’autre aspect, c’est la stratégie des nasses et des arrestations de masse revendiquée, d’ailleurs, par le ministre de l’Intérieur lorsqu’il déclare que se rassembler dans la rue est un délit. C’est, évidemment, juridiquement une erreur mais ce faisant, il qualifie d’infraction politique le fait d’être dans la rue. C’est ce qui explique le caractère indéterminé des actions de police menées actuellement. Le pouvoir dévoile sa stratégie de façon très transparente : On fait peur et on arrête un maximum de gens. C’est une punition même s’il n’y a aucune violation de la loi. Il est, de plus, complètement irresponsable juridiquement. Personne ne peut se retourner contre lui. À la suite d’une arrestation et une privation de liberté, dans le cadre d’une garde à vue levée au bout de 24 heure, il n’existe pas de recours juridique. Il n’y aura pas de sanction pour quiconque. La seule sanction possible, c’est les urnes. Le ministre lui est complètement immunisé. Il dit, maintenant qu’on va rechercher les quelques comportements intolérables chez certains agents. Les policiers sont des travailleurs. Quelques travailleurs seront donc punis pour avoir mis en œuvre les ordres du ministre.

Il semble y avoir une loyauté inébranlable des policiers envers l’autorité civile...

Sebastian Roché : Oui. On le retrouve dans l’instruction de maintien de l’ordre de la gendarmerie de 1930, dont la première phrase stipule que la gendarmerie répond à l’autorité civile. La gendarmerie et la police ne choisissent pas ce qu’elles vont faire par elles-mêmes. C’est un levier énorme pour l’autorité politique. Plus tard, les démocraties ont cherché à encadrer l’utilisation de la force en instaurant l’idée d’absolue nécessité et de proportionnalité. Ce sont des cadres juridiques mais, jusqu’à l’invention de la vidéo, personne ne pouvait vérifier que ces cadres étaient respectés. Le défenseur des droits ne peut pas être partout en France, dans toutes les nasses, et les juges non plus. Impossible de contrôler l’action de la police en grandeur réelle. Et si on ne peut pas exercer de contrôle pendant l’action, on ne peut pas l’arrêter. La seule chose qui peut freiner une pratique policière, c’est l’opinion publique. Les gens ont jugé, à un moment donné, qu’il était insupportable d’user de la violence par les armes, contre les manifestations de viticulteurs, par exemple. C’est devenu inacceptable de tuer des ouvriers au nom de la République. Aujourd’hui, en matière de limitation des libertés, on n’en est pas encore là. Une partie de la population pense encore qu’il est possible de priver des gens de liberté, même s’ils ont rien fait, pour garantir l’ordre. Tant que la population ne rejette pas les propositions des leaders, ils peuvent être réélus. Dans l’histoire, ces transformations s’étalent sur le temps long.

Quels garde-fous existent-ils dans les autres démocraties européennes ?

Sebastian Roché : Certains pays sont très attachés à la protection des droits. C’est le cas des démocraties nordiques. Elles interdisent l’usage des armes comme les LBD ou les grenades explosives. C’est acquis. On ne tire pas sur des gens même s’ils sont en colère, même s’ils commettent des infractions. Ça ne se fait pas. D’autres pays, comme l’Allemagne, ont des cours constitutionnelles dont le mandat de départ est la protection de la Constitution et pour qui le droit de manifester est inviolable. Ce n’est pas du tout le cas en France. Et puis, comme en Grande-Bretagne, c’est une tradition de considérer avec importance le consentement et la confiance de la population. La croyance collective considère que c’est une mauvaise idée d’utiliser la violence contre une manifestation. Lorsque cela se passe mal, cela peut se traduire par des émeutes, comme en 2011. C’est le drame et a posteriori, on se pose la question de comment faire pour moins utiliser la force. En France, on se demande plutôt quel équipement supplémentaire on va pouvoir utiliser pour user de plus de force contre les protestataires.

Quelles conséquences peut avoir le comportement violent de la police sur notre société ?

Sebastian Roché : Être frappé par la police est une expérience fondatrice de la citoyenneté. On se sent considéré comme un sous-citoyen, mis en dehors de la Nation et de la même manière, de la République. La croyance dans les institutions et dans la démocratie est profondément corrodée par les violences policières. Comment croire dans l’État de droit quand on est victime d’une violation du droit ? Quand on est arrêté pour rien, par des policiers qui eux-mêmes ne portent pas leur numéro d’identification pourtant obligatoire ? Les effets de la mauvaise police sont très corrosifs pour la démocratie et la cohésion nationale, de façon durable. Chez les adolescents, c’est une expérience fondatrice. Quand votre première expérience de citoyen est la violence policière, vous ne l’oubliez pas. 

Comment y remédier ?

Sebastian Roché : Le pouvoir devrait d’abord être en recherche d’un compromis politique. L’origine de la crise est politique, pas policière. La police va renforcer la mobilisation, comme on l’a vu d’ailleurs ce jeudi 23 mars. Mais la cohésion nationale n’est pas le point fort d’Emmanuel Macron. il en parle beaucoup, mais n’a pas beaucoup d’intuition de ce point de vue. Il faut, ensuite, absolument améliorer la responsabilité individuelle des policiers qui commettent des fautes. Il faut arrêter avec les numéros Rio de la taille d’un timbre-poste et leur faire porter des numéros d’immatriculation visible de loin afin que les violations des droits dans les manifestations puissent être amenées devant la justice et en finir avec le sentiment d’impunité chez les policiers et dans la population. Cette impunité est très mauvaise pour la confiance dans les institutions. Quand on est trahi par les institutions, on ne peut plus lui faire confiance. Il suffit d’acheter des morceaux de tissu de 20 cm par 20 cm qui se fixent dans le dos et de les faire porter à chaque agent. C’est simple, facile à mettre en œuvre et faisable à court terme.


 


 

Manifestations :
le malaise judiciaire

Nadia Sweeny  sur www.politis.fr

Alors que la répression contre la réforme des retraites se durcit, les comparutions immédiates ont vu jusque-là défiler très peu de dossiers de manifestants par rapport au nombre de placement en garde à vue. Pire : les dossiers poursuivis sont particulièrement légers.

Cette semaine, il flotte un air de délitement au tribunal judiciaire de Paris. Les journalistes vont et viennent d’une salle à l’autre à la recherche des rares dossiers de manifestants opposés à la réforme des retraite, qui passent en comparution immédiate (CI). Pour ne pas les rater, certains assistent, hagards, au cortège des affaires classiques de CI.

Des heures à voir défiler trafics de stups, vols, refus d’obtempérer, bagarres avant que, tout à coup, ne soient lancés les mots-clés tant attendus : dégradation, groupement, feu de poubelle, barricades… L’attention, alors, se réveille. Les corps se redressent. Le clapotis des claviers d’ordinateurs bruisse.

Trois dossiers lundi 20 mars. Cinq le mardi. Sept le mercredi. Il n’y a pas foule au portillon. Mais où sont donc passées les 442 personnes placées en garde à vue entre mercredi 15 mars et samedi 18 mars à Paris et les 52 personnes déférées devant un magistrat ? En réalité, 88 % des personnes interpellées ces jours-ci ont vu leur affaire classée sans suite.

D’après les observateurs, ce sont majoritairement des classements pour absence d’infraction. Alors que les récits de personnes emmenées par erreur, au commissariat – dont deux adolescents autrichiens en voyage scolaire – se multiplient, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez a réfuté l’existence d’« arrestations préventives ».

Ces chiffres montrent que les forces de sécurité intérieure utilisent très abusivement la garde à vue.

Pour le Syndicat de la magistrature, au contraire, « ces chiffres montrent que les forces de sécurité intérieure utilisent très abusivement la garde à vue » afin de « museler la contestation en brisant les manifestations en cours et en dissuadant – par la peur –  les manifestations futures ».

Il appelle les magistrats à « refuser le détournement de la procédure pénale au profit du maintien de l’ordre, à refuser de donner un vernis judiciaire à des opérations de police qui ne sont plus au service de la protection de la population mais de sa répression ».

Quelques jours plus tôt, dans une dépêche du 18 mars envoyée en interne aux magistrats, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a bien appelé à la fermeté face aux manifestants. Et force est de constater que les procureurs tentent de s’y plier, au risque de pousser artificiellement des dossiers difficiles à défendre.

Justice d’abattage

En comparution immédiate, beaucoup de dossiers « manifs » sont renvoyés à une date de jugement ultérieure : les militants aguerris refusent, par principe, ce qui est considéré comme une « justice d’abattage », notamment dans les dossiers les plus complexes. Mais quelques-uns décident tout de même d’être jugés tout de suite.

Ce tri permet de rendre visibles les affaires particulièrement légères pourtant considérées par le parquet comme solides, puisqu’elles ont été retenues et les personnes poursuivies devant un tribunal correctionnel en comparution immédiate, soit mesure d’urgence.

Lundi 20 mars, on tombe sur Edwige et Jonathan, deux étudiants arrêtés deux jours plus tôt dans le quartier de Chatelet-Les Halles, accusés d’avoir mis le feu à des poubelles. On écoute les éléments du dossier, la lecture du procès-verbal du policier, seul témoin, qui déclare avoir vu un individu « à capuche grise » allumer le feu.

On se tourne vers Edwige et Jonathan. Pas de capuche. On espère alors beaucoup de la vidéo-surveillance. « On voit que ce n’est pas vous qui mettez le feu, souffle la présidente. Vous mettez des gobelets dans la poubelle. Voilà ce qu’on a. » Résultat : relaxés.

Arrive ensuite Pierre, 19 ans, étudiant. Primo-manifestant, lui aussi accusé d’avoir mis le feu à une poubelle, le même soir mais place d’Italie. Le jeune homme reconnaît les faits mais dit que le feu, ce n’est pas lui, qu’il a juste poussé une poubelle dedans. Résultat : soixante-dix heures de travaux d’intérêt général.

Aucun témoin, aucune preuve

Le lendemain, trois jeunes gens d’une vingtaines d’années s’alignent dans la salle 6.04 du tribunal judiciaire de Paris. On rencontre Clothilde, en service civique – très émue par sa comparution – Margot, graphiste sans emploi et Martin, agent immobilier. Arrêtés le 19 mars dans le deuxième arrondissement de Paris, ils ont tous un casier judiciaire vierge et ont gardé le silence pendant leur garde à vue. Ils nient en bloc avoir mis le feu aux détritus.

Au fur et à mesure que les débats avancent, une fois encore, le dossier fond comme neige au soleil. Sur procès-verbal, les policiers affirment ne pas avoir vu le feu et évoquent « trois requérants », dont personne n’a pris les identités, qui auraient accusé des personnes « habillées de noir avec un masque sanitaire sur le visage » d’avoir mis le feu.

Ce dossier est symptomatique de ce que nous voyons en ce moment : de l’interpellation arbitraire.

Problème : le jeune homme porte un sweat shirt mauve et aucun masque n’a été retrouvé. Aucun témoin, malgré une recherche de voisinage active. Là encore, l’existence d’une vidéosurveillance donne une sorte d’espoir : il y a bien quelque chose de concret dans ce dossier.

Le résultat tombe à 20 h 28 : « Constatons l’impossibilité d’identifier les personnes ». Comment, alors, ces jeunes gens ont-ils pu être poursuivis ? « Ce dossier aurait dû être classé sans suite comme les autres, plaide maître Raphaël Kempf. Il est symptomatique de ce que nous voyons en ce moment : de l’interpellation arbitraire. »

« Il y a des choses qu’on n’a pas, reconnaît la procureure, visiblement embêtée. Pourtant, les policiers ont essayé. » Pour donner un peu de consistance à son dossier, elle questionne les prévenus : « Que pensez-vous des dégradations faites en ce moment ? » Chacun refuse de répondre à une question clairement orientée.

Alors elle clame : « C’est regrettable et dommageable de casser et d’incendier, car cela brouille le message des manifestants légitimes ». Et demande entre 140 et 175 heures de travaux d’intérêt général. Résultat : relaxe générale. Martin repart tout de même avec un mois de sursis pour avoir refusé de donner ses empreintes. Et ce, bien qu’il ait finalement accepté de le faire au bout de 48 heures de garde à vue.

Une journée en absurdie judiciaire

Ce soir-là, en sortant dans la rue adjacente du tribunal, vers 21 h 15, un groupe de jeunes gens s’avance vers nous. « Excusez-nous, savez-vous comment on peut avoir des nouvelles d’un de nos amis censé sortir à 13 h 30 : son dossier a été classé sans suite ». Ledit ami a été arrêté au Panthéon le samedi soir, accusé de groupement en vue de commettre des violences.

Une avocate décroche son téléphone et appelle le greffe. Personne ne semble savoir où en est le dossier de ce jeune homme : classé sans suite, puis en fait non, puis en fait oui. Une erreur d’envoi de fax semble être invoquée pour justifier le retard de libération. Vers 22 h, le jeune homme finit par sortir, clôturant une journée de plus en absurdie judiciaire.

Le lendemain, mercredi 22 mars, rebelotte : la plupart des dossiers « manifs » sont renvoyés à une date ultérieure mais pas celui de Clément, 26 ans. L’apprenti couvreur, en région parisienne depuis un mois, est déjà connu pour dégradation. Il est accusé d’avoir construit une barricade rue Saint-Sabin dans le 11e, et d’y avoir mis le feu. Mais il n’est pas interpellé tout de suite car, selon les policiers « c’est trop compliqué ».

Moi, j’ai l’impression que mon arrestation est politique.

C’est à quelques 400 mètres de là, place de la Bastille, que le policier déclare « l’avoir reconnu grâce à son jogging rouge aux bandes blanches ». Problème : dans le PV de la vidéo surveillance joint au dossier, il est inscrit : « Constatons individus construisant une barricade, ne constatons pas la présence de l’individu » pourtant clairement reconnaissable grâce à son jogging. La procureure ne se démonte pas et demande 8 mois de sursis. Résultat : relaxe.

Lorsque Clément dit à la barre « On continuera à se mobiliser contre cette réforme », la présidente du tribunal explique qu’il ne s’agit pas de juger des idéologies politiques et que la justice n’est pas une tribune. Et le jeune homme de rétorquer calmement : « Moi, j’ai l’impression que mon arrestation est politique ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   publié le 22 mars 2023

Retraites : l’Association de Défense des Libertés Constitutionnelles saisit la justice pour mettre fin aux arrestations préventives

sur https://www.blast-info.fr/

Des centaines de manifestants interpellés, puis relâchés sans aucune poursuite : c’est ce que l’on observe depuis jeudi 16 mars lors des rassemblements organisés en réaction au recours au 49-3 pour faire passer la réforme des retraites. Face à ces arrestations préventives, l’Association de Défense des Libertés Constitutionnelles a saisi, mercredi 22 mars, le tribunal administratif de Paris, afin qu’il prenne « toutes les mesures nécessaires » pour cesser d’atteindre aux libertés fondamentales des manifestants.

L'ADELICO est une association régie par la loi de 1901 qui, depuis 2017, est chargée d'assurer en France la promotion et la garantie des droits et libertés fondamentaux,  de veiller à la séparation des pouvoirs et d'oeuvrer à la protection et à l'indépendance des services publics, la transparence de l'action publique et la lutte contre les conflits d'intérêt et la corruption. L'association était intervenue en octobre 2020 auprès du juge des référés du Conseil d'Etat pour demander la suspension des mesures d'état d'urgence sanitaire relatives à la pandémie de Covid-19.

Gaz lacrymogènes, grenades de désencerclement, nasses, charges policières : dès le mouvement social des Gilets Jaunes, les manifestants français ont pris l’habitude de voir se durcir la doctrine du maintien de l’ordre. Mais depuis le rassemblement spontané à la Concorde du jeudi 16 mars, l’« interpellation préventive » fait polémique.

« Abusives » et « arbitraires » pour les parlementaires de gauche, « répression injustifiée » pour Philippe Martinez : les nombreuses arrestations de manifestants indignent l’opposition. Réponse du préfet de police de Paris : « Il n’y a pas d’interpellations injustifiées, je ne peux pas laisser dire ça », a-t-il déclaré sur BFMTV mardi 21 mars. 

Mais le lendemain, l’Association de Défense des Libertés Conditionnelles (ADELICO) a décidé d’aller plus loin en saisissant le Tribunal Administratif de Paris. Par le dépôt d’une requête de référé-liberté à l’encontre des méthodes de maintien de l’ordre du préfet de Paris Laurent Nuñez, l’association dénonce « le recours massif en préventif aux arrestations administratives de manifestantes et de manifestants » et enjoint le juge des référés à y mettre un terme au plus vite.

A Paris, dans la seule soirée du 16 mars, suite à l’annonce de l’enclenchement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par Elisabeth Borne, 283 interpellations sur 292 au total ont été classées sans suite. Preuve du caractère démesuré de ces arrestations pour l’association, qui dénonce « une atteinte grave aux libertés constitutionnellement garanties d’aller et venir, de réunion, de manifester, ainsi qu’au droit le plus élémentaire à la sûreté garantie par la Déclaration de 1789 ».

« Il est temps que quelqu’un rappelle à la préfecture de police qu’il faut y mettre fin »

Jean-Baptiste Soufron, avocat de l’ADELICO, justifie le dépôt du référé-liberté par ces mots. Il pointe une technique d’arrestation préventive « non seulement contraire au bon sens mais aussi parfaitement illégale », et souligne l’importance du contexte dans lequel elle est opérée.

« Il s’agit certes d’une atteinte à la liberté de manifester mais elle est aussi inscrite dans un environnement politique particulier : celui d’une opposition massive qui a le droit dans ce cadre d’exprimer son désaccord par la manifestation. (…) C’est d’autant plus légitime de laisser des manifestations s’exprimer aujourd’hui que la loi dont ils débattent est extrêmement importante et rejetée par la majorité de la population ».

C’est l’autre point d’inquiétude soulevé : le caractère dissuasif de ces interpellations. En plus d’alimenter les tensions entre police et population, ces méthodes de maintien de l’ordre suscitent la peur de manifester et entravent en partie la contestation.

Et surtout, elles risquent pour l’ADELICO de contribuer à mettre le pouvoir judiciaire au service de l’exécutif. « Il est absolument intolérable que cette pratique soit à nouveau banalisée et que l’appareil judiciaire soit instrumentalisé par l’autorité administrative et politique », rappelle le communiqué. 

« L’autorité judiciaire n’est pas au service de la répression du mouvement social »

C’est dans ce même esprit que le Syndicat National de la Magistrature a intitulé son communiqué du 20 mars. Les interpellations préventives y sont désignées comme une « utilisation dévoyée de la garde à vue » illustrant « les dérives du maintien de l’ordre, qui détourne l’appareil judiciaire pour le mettre à son service ».

La demande de référé-liberté de l’ADELICO s’inscrit en effet sur une liste qui commence à devenir longue. Le 19 mars, la Ligue des Droits de l’Homme alertait sur l’ « usage disproportionné et dangereux de la force publique », et faisait part de ses inquiétudes vis-à-vis de « ce tournant antidémocratique ». Le surlendemain, la Défenseure des Droits s’est dit « préoccupée par les vidéos circulant sur les réseaux sociaux, de nombreux articles de presse, des témoignages et saisines reçus par l’institution sur de possibles manquements déontologiques dans le maintien de l’ordre au cours des évènements des jours derniers ». Au sujet des interpellations préventives, Mme Claire Hédon « souligne que cette pratique peut induire un risque de recourir à des mesures privatives de liberté de manière disproportionnée et de favoriser les tensions », alors qu’Amnesty International France les qualifiait le même jour d’« atteintes sérieuses au droit de manifester ».

Mais pour l’ADELICO, l’heure n’est plus aux communiqués : le recours est légal. Et le référé-liberté se veut une procédure d’urgence : en principe, le juge est tenu de se prononcer dans un délai de 48h après le dépôt de la requête. S'il considère que la demande est irrecevable ou non-urgente, il peut la rejeter par une ordonnance rendue sans audience. S'il la considère comme fondée, il convoquera dans les plus brefs délais l'ADELICO et le préfet de police de Paris, et se chargera de prendre rapidement des mesures pour interdire aux forces de l'ordre leur recours abusif aux interpellations. 

Si Jean-Baptiste Soufron a bon espoir, il est aussi déterminé à obtenir gain de cause. « En cas d’échec ? On va recommencer, affirme-t-il. On ne va pas partir du principe que le tribunal administratif ne veut pas défendre le droit des manifestants, mais il n’y a pas de raison que la demande échoue ». Une procédure qui vient alimenter le lourd climat social et politique, qui ne semble pas être en voie de s’améliorer. 


 


 

Répression policière : « Des violences inacceptables dans un État de droit »

sur www.politis.fr

Des élu.es parisien.nes et francilien.nes dénoncent la violente répression policière qui a cours contre les manifestants, depuis le déclenchement du 49.3, qui installe un climat de peur et de haine.

Les violences commises ces derniers jours sont inacceptables dans un État de droit. À la violence sociale du projet de réforme des retraites s’est superposée la violence du recours au 49.3, arme constitutionnelle létale pour une démocratie déjà à bout de souffle. Le rejet de la motion de censure, à 9 voix près, a amplifié les mobilisations contre la réforme des retraites. 

Des manifestations spontanées se sont ajoutées aux actions des grévistes et aux rassemblements organisés par l’intersyndicale, dans un climat de colère inégalé jusqu’à présent. À cette colère, les forces de police répondent par un usage de la force souvent disproportionné et de trop nombreuses actions brutales.

La montée des tensions et des violences installe un climat de peur et de haine inacceptable.

Les images et les témoignages se multiplient, faisant constat de charges dangereuses de la BRAV-M ou encore de nasses organisées par les forces de l’ordre. Le Conseil d’État avait jugé une première fois illégal l’usage des nasses car entravant les libertés fondamentales, de circuler, de manifester et la liberté de la presse.

La nouvelle version du schéma national de maintien de l’ordre parle désormais de « techniques d’encerclement ». Des recours sont en cours, mais l’observation des élu•es comme des associations livre un constat sans appel : les dispositifs de médiation sont absents, de même que l’information et la possibilité systématique de sortir des manifestations. Les nasses sont encore employées pour casser les cortèges et intimider les manifestant•es.

La Cour de Cassation l’a pourtant rappelé en juin 2022 : le simple fait de participer à une manifestation non déclarée ne peut constituer une infraction. Pire, plusieurs témoins ont fait état de l’usage de lanceurs de balles de défense, responsables de blessures graves et pouvant être parfois mortelles. Et c’est sans compter sur le nombre inutilement élevé de gardes à vue avec l’objectif de ficher les manifestants.

Jeudi dernier, sur la place de la Concorde, ce sont 292 personnes interpellées pour seulement 9 d’entre elles déférées devant la justice. Ces gardes à vue nombreuses et qui ne donnent pas suite à des qualifications pénales servent à criminaliser le mouvement social et renforcer le fichage des manifestant•es.

Nous pensions avoir quitté définitivement l’ère Lallement, les violences policières impunies, et la tension entretenue face aux mobilisations des gilets jaunes. Ce n’est manifestement pas le cas. La violence arbitraire et les privations de liberté sans raison n’ont pas leur place dans un état de droit. Il faut revenir à un usage proportionné de la force et supprimer les brigades mobiles comme la BRAV-M, héritière des sinistres « voltigeurs », qui n’ont pour seul objectif d’effrayer les manifestant•es par la violence.

La démocratie n’est pas un supplément d’âme mais le fondement de notre République.

La montée des tensions et des violences installe un climat de peur et de haine inacceptable. Tout semble fait pour décourager les manifestant•es à participer aux rassemblements. Pourtant, leur interdire de s’exprimer dans la rue, même insidieusement, remet en cause un droit fondamental et pourrait aboutir au pire.

Nous, élu•es parisien•nes et francilien.nes, nous souhaitons que soit respecté le droit fondamental de se rassembler et d’exprimer ses opinions sans avoir à subir un usage disproportionné de la force, voire une répression violente. La démocratie n’est pas un supplément d’âme mais le fondement de notre République.

Signataires :

Jean-Baptiste PEGEON, Conseiller régional Île-de-France de Paris

Raphaëlle RÉMY-LELEU, Conseillère de Paris

Antoine ALIBERT, Adjoint du XXe arrondissement et Secrétaire départemental EELV Paris

David BELLIARD, Maire-adjoint de Paris en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie

Frédéric BADINA, Conseiller de Paris 

Sandrine CHARNOZ, Maire-adjointe de Paris en charge des sociétés d’économie mixte et sociétés publiques locales

Alice COFFIN, Conseillère de Paris 

Jean-Luc DUMESNIL, Conseiller régional Île-de-France de Paris

Guillaume DURAND, Adjoint à la Maire du XIVe arrondissement de Paris

Nour DURAND-RAUCHER, Conseiller de Paris

Jérôme GLEIZES, Conseiller de Paris 

Antoinette GUHL, Vice-présidente de la Métropole du Grand Paris

Frédéric HOCQUARD, Maire-Adjoint de Paris en charge du tourisme et de la vie nocturne

Anne-Claire JARRY-BOUABID, Conseillère régionale Île-de-France de Paris

Dan LERT, Maire-adjoint de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie

Emile MEUNIER, Conseiller de Paris

Aminata NIAKATE, Conseillère de Paris

Carine PETIT, Maire du XIVe arrondissement de Paris

Emmanuelle PIERRE-MARIE, Maire du XIIe arrondissement de Paris

Anne SOUYRIS, Maire-adjointe de Paris en charge de la santé 

Alice TIMSIT, Conseillère de Paris< Nouvelle image avec texte >>

  publié le 20 mars 2023

Frapper, cogner, frapper encore : voyage au cœur de la violence policière après le 49.3

Maxime Sirvins  sur www.politis.fr

Après plusieurs jours de mobilisations contre la reforme des retraites et l’utilisation du 49.3, la répression policière bat son plein entre charges, coups et interpellations abusives. Récit, au coeur des nasses.

L’ambiance est pesante en cette fin de rassemblement, vendredi 17 mars, sur la place de la Concorde à Paris. Une mobilisation qui était spontanée, pour protester contre le recours à l’article 49.3 de la Constitution, par un gouvernement entêté à réformer les retraites contre l’avis des Français.

Après un long moment de face à face entre forces de l’ordre et manifestants, les dernières personnes sont finalement nassées dans un coin de la place. La seule sortie possible se fait par le métro. Alors que des centaines de manifestants s’impatientent pour descendre les escaliers étroits, la police et la gendarmerie font des dizaines de percées dans la foule pour interpeller à tour de bras.

Le silence, des hurlements, le silence, des hurlements. Cette cueillette périlleuse va durer de trop longues minutes. D’un côté, les policiers foncent dans le tas, souvent violemment en attrapant des manifestants par la gorge ou les cheveux. De l’autre, dans le regard de certains gendarmes, parmi les plus jeunes, on peut voir de l’incompréhension, du doute et de la peur comme s’ils se demandaient : « Qu’est-ce qu’on fout, là ? Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? » 

Ne vous débattez pas, sinon ça sera encore pire.

Pour certains journalistes présents, c’est avec la boule au ventre que la scène est documentée. Face à cet instant qui paraît durer des heures, les regards se croisent et des mots s’échangent entre collègues. « C’est punitif. C’est angoissant. » Pendant que, chez les forces de l’ordre, certains parlent de « faire du chiffre et de bien compter tout le monde », les membres de la presse tentent de calmer les gens. « Ne vous débattez pas, sinon ça sera encore pire », lance un photographe, impuissant.

Du côté de la nasse, même son de cloche. Des journalistes et des badauds coincés invitent les gens à rentrer au plus vite dans le métro. Au même moment, une journaliste du Média est interpellée violemment, sans raison. Ce soir-là, pour la préfecture de police de Paris, il faut éviter de reproduire les erreurs de la veille. 

Ce jeudi 16 mars, en effet, lors du premier rassemblement sur la même place, il n’y a pas de nasse mais une sortie possible par une petite rue. Après des heures tendues, des centaines de manifestants en profitent pour se lancer dans des manifestations sauvages aux milieux des grands boulevards haussmanniens.

« On est en sous-effectif ! On a besoin de renfort ! »

Les BRAV-M (brigades de répression des actions violentes motorisées) tentent de rattraper les groupes qui brûlent des poubelles – bien remplies – sur les routes. Un policier dit à sa radio : « On est en sous-effectif pour les gérer ! On a besoin de renfort ! ». S’il y a bien eu faille dans le dispositif du maintien de l’ordre ce soir-là, 292 personnes sont interpellées de manière très aléatoire. Et souvent injustifiée : parmi elles, neuf seulement sont finalement déférées, soit à peine 3 %.

Les policiers n’hésitent pas à frapper. Ils courent, matraque à la main. Une jeune femme se fait attraper et frapper au bassin avant d’être relâchée. Pourquoi molester une personne sans volonté d’interpellation ? Pour intimider ? Ne pas l’y reprendre ? La dissuader de revenir les soirs suivants ? Quelques minutes plus tard, je reçois moi-même un coup à la hanche et un confrère est violemment frappé à la tête. Complètement sonné pendant plusieurs minutes, nous remercions toutes et tous son casque. Les policiers frappent sans raison.

Samedi 18 mars, une manifestation part de la place d’Italie. Des poubelles brûlent et des BRAV-M arrivent épaulés par des BRAV, des CRS, des gendarmes et un camion à eau. Dans les petites rues, de nuit, des gens se font charger, frapper puis sont laissés au sol. D’autres sont interpellés, dont un homme, statique, qui se fait aplatir au sol, la tête la première, après qu’un BRAV-M lui a sauté dessus à coup de bouclier.

Le même soir, une femme se prend un coup de poing dans le nez et finit en sang, des journalistes se font frapper et voient leurs matériels brisés. Un touriste qui a le malheur de passer là prend lui-aussi des coups de matraques en essayant de sortir d’une nasse. 

Chaos et résignation

Dans ladite nasse justement, le chaos règne. Une seule sortie possible : le métro. Mais il est fermé. Les CRS sont perdus. Un coup, la nasse se fait déplacer sur 200 mètres à droite vers une station fermée pendant qu’un CRS, clope au bec, avoue « ne rien comprendre à ce qu’il se passe. »

Un autre coup, on nous envoie toutes et tous vers une autre direction, sans réelle destination. Au bout de plusieurs minutes, les gens peuvent ressortir en forçant un peu et retourner sur la route que les forces de l’ordre venaient de sécuriser. C’est à n’y rien comprendre. 

Ils sont fichés maintenant, voilà.

Le lendemain, 19 mars : autre jour, autre nasse. Cette fois-ci, c’est dans le centre de Paris, à Châtelet-les-Halles, que les opposants à la réforme sont coincés pendant plus de trois heures. Au milieu de la foule, un homme demande à un policier : « Comment se fait-il que 96 % des personnes interpellées jeudi soir aient été relâchées sans la moindre poursuite ? » La réponse de l’agent est directe et révélatrice de la répression actuelle. « Ils sont fichés maintenant, voilà. » Ce soir-là, encore une fois, de nombreuses personnes seront interpellées. 

Après ces journées de mobilisation, la fatigue se fait ressentir. Des violences qui laissent des traces. On ne s’habitue jamais, même après des années de mobilisations sociales, synonymes de répression policière. Entre collègues, entre ami.es, nous allons boire un verre ou deux, pour parler, échanger, se rassurer. Dans ces sas de décompression, les mêmes questions : à quoi beau photographier, filmer, documenter ? Un  sentiment d’impuissance se dégage. Et de résignation parfois.

Alors que de nombreuses autres mobilisations sont prévues dans la semaine, tous les regards sont dirigés vers l’action répressive de certains agents et unités, qui ne fait que nourrir la colère d’un peuple. Un peuple qui semble plus déterminé que jamais. Là est le dangereux pari choisi par Emmanuel Macron. 


 


 

Manifestations. « Ils ne cherchent pas à sécuriser, mais à réprimer et punir » 

Embarek Foufa sur www.humanite.fr

Après le passage en force du gouvernement avec le 49.3, des manifestations spontanées ont eu lieu tout le week-end en France. La répression est montée d’un cran, comme l’a constaté, et subit, Ema, observatrice indépendante des pratiques policières en manifestation. Témoignage.

Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas et à observer les violences policières ?

Ema : Je n’ai pas commencé avec les manifestations. En premier lieu, je me suis rendue sur les camps des exilés à Stalingrad à Paris dans l’idée de documenter les violences policières. J’ai réalisé la vidéo qui a énormément tournée il y a quelques semaines sur le compte de Utopia 56, où l’on voit des CRS gazer les couvertures des demandeurs d’asiles dans la rue. Cette vidéo démontre une nouvelle fois l’importance des vidéos, en guise de preuve. 

Dans ette même démarche, le 15 mars dernier, vous étiez à Rennes pour suivre la 8e journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Vous avez été confrontée à la police, que s’est-il passé ? 

Ema : Je ne suis pas de Rennes, mais j’avais eu des échos sur des violences policières sur place depuis le début du mouvement. Malheureusement, cela se faisait sans image. Alors, avec AB7 Media (NDLR; un média indépendant) je suis allée sur place pour filmer et documenter au cas où.

Pour observer, je me suis tenue à distance raisonnable du cortège, équipée de lunettes et d’un masque pour me protéger. Je n’étais pas du tout habillée en noir. À un moment de la manifestation, des incidents ont éclaté, on avancait au niveau d’un croisement, sans aucune visibilité à cause des gaz lacrymogènes, et des policiers ont bondi sur nous.

Comme on le voit sur la vidéo, un policier m’a mis un coup de matraque dans le genou, m’a tiré les cheveux et retiré mon équipement de protection. Juste après, tout en me demandant de « dégager », il m’a poussée vers le cortège qui était noyé sous les gaz.

J’ai fait un malaise à ce moment-là. Il n’y avait quasimenent plus personne autour de moi, j’ai mis un peu de temps avant de me remettre de mes émotions. 

De retour à Paris ce week-end, vous avez suivi les différentes mobilisations. Comme beaucoup d’observateurs, avez-vous constaté une répression de plus en plus forte ?

Ema : C’était extrêmement intéressant d’observer la similitude entre les deux manifestations place de la Concorde, jeudi 16 et vendredi 17 mars.

Les policiers étaient placés au même endroit et bloquaient les mêmes accès, les manifestants rassemblés exactement au même endroit, avec un incendie aussi similaire. C’était très frappant.

La seule différence, c’était la présence le deuxième jour de la Compagnie d’intervention, avec son commissaire réputé pour sa gestion brutale en maintien de l’ordre et qui s’en est déjà pris à des journalistes.

J’ai été choquée par les arrestations arbitraires, les charges sur des gens immobiles présentant aucun danger. Sur toutes les scènes auxquelles j’ai assisté, la violence n’était jamais nécessaire.

Ils ne cherchent pas à sécuriser; mais à réprimer et punir. Parmi les centaines de personnes interpellées, au final il y a très peu de poursuites. Le pouvoir cherche à faire peur avec une violence physique couplée à des moyens légaux (arrestations, GAV). La suite s’annonce très intense, avec une répression qui rappelle celle que nous avons connue lors des Giles Jaunes. 


 


 

Interventions musclées et arrestations en nombre : le service après-vente du 49.3 façon Darmanin

Stéphane Guérard et Embarek Foufa sur www.humanite.fr

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin assume un tournant répressif dans le suivi du mouvement social, chauffé à blanc par l’utilisation du 49.3.

Le projet de réforme des retraites a un nouveau porte-parole. Depuis jeudi 16 mars et le 49.3, Gérald Darmanin s’est vu confier le service après-vente du texte gouvernemental. Le ministre de l’intérieur a depuis assumé un virage sécuritaire au suivi d’un mouvement social chauffé à blanc par le passage en force de l’adoption sans vote à l’Assemblée.

« L’opposition est légitime, les manifestations sont légitimes, le bordel ou la bordélisation non », a-t-il déclaré le 17 mars sur RTL, soulignant le bilan des interpellations en marge des manifestations de la veille : 310 personnes interpellées, dont 258 rien que pour le rassemblement de la Concorde, à Paris.

Les interventions se doublent d'une violence accrue

Bis repetita samedi soir, avec 169 interpellations, dont 122 dans la capitale. Les forces de sécurité justifient leur célérité par les incidents – feux de poubelle, bris de vitrines et de devantures de permanences de parlementaires – et les affrontements très localisés en marge de protestations à Paris, Amiens et Lille, Dijon, Bordeaux, Rennes, Lille, Lyon ou Strasbourg.

Mais leurs interventions se doublent d’une violence accrue. Ema, observatrice indépendante des pratiques policières en manifestation, l’a remarqué à Paris ce ­week-end : « Les deux rassemblements à la Concorde étaient similaires. La différence, c’était la présence samedi de la compagnie d’intervention avec son commissaire réputé pour sa gestion brutale. J’ai été choquée par les arrestations arbitraires, les charges sur des gens immobiles. On ne cherche pas à sécuriser, mais à réprimer et punir. Parmi les centaines d’interpellés, il y a très peu de poursuites. La suite s’annonce intense… »

Matthieu en témoigne. Samedi soir, après avoir quitté la place de la Concorde pour rentrer chez lui, il se trouve dans le quartier de l’Olympia à proximité d’une cinquantaine de personnes « parties » à la sauvage « mais qui ne représentaient pas de danger. La Brav-M (brigade de répression de l’action violente motorisée) nous a foncé dessus, chargeant tout le monde et interpellant à tour de bras ».

« Les policiers dissuadaient les personnes arrêtées de faire appel à un avocat ou à un médecin  »

Interpellé, le jeune homme a été privé de liberté plus de 20 heures durant, à l’issue desquelles aucune charge n’a été retenue contre lui. « La garde à vue, c’est une maltraitance en soi, souligne-t-il. Mais le plus choquant, c’est que les policiers dissuadaient les personnes arrêtées de faire appel à un avocat ou à un médecin, affirmant qu’ils resteraient plus longtemps. Ce qui est faux. »

Chercheur au CNRS spécialiste de l’usage de la force par la police en France, Fabien Jobard décrypte la nouvelle situation sécuritaire : « Tant que le projet de réforme était au Parlement, il y avait un lieu de discussion. Dès lors que ce lieu n’existe plus, les manifestants qui privilégient les actions plus directes se retrouvent plus nombreux dans les cortèges, plus souvent en première ligne et plus légitimes au regard des autres manifestants. D’autant que dans le même temps, le 49.3 a changé la donne. Depuis 2003, tous les gouvernements avaient fait leur le slogan de Raffarin “la loi ne se fait pas dans la rue mais au Parlement”. Ce n’est plus le cas. C’est le gouvernement qui fait la loi. La vraie radicalisation relève de la perte de confiance dans la démocratie représentative. »

(1) Le prénom a été modifié.

publié le 13 mars 2023

Le harcèlement
contre Salah Hamouri
se poursuit en France

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Dix-neuf associations et organisations syndicales ont écrit à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour lui demander de protéger la liberté d’expression et de réunion alors que des pressions s’exercent pour empêcher les villes d’organiser des rencontres avec l’avocat franco-palestinien

Depuis qu’il a été déporté par les autorités israéliennes et revenu en France, Salah Hamouri doit de nouveau affronter les soutiens les plus zélés à Israël. Parmi eux, on ne trouve pas que Meyer Habib, grand copain de Netanyahou et dont les photos le montrent aux côtés de l’actuel ministre d’extrême-droite Bezalel Smotrich.

Il y a d’abord le mininstre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui s’est activé pour faire en sorte qu’une table ronde sur les accords d’Oslo prévue à Lyon en présence de l’avocat franco-palestinien et défenseur des droits humains, ne puisse se tenir. Parlant de « projet mortifère », il laissait entendre qu’une telle réunion relevait de l’antisémitisme.

Les menaces se multiplient via les réseaux sociaux

Le même Darmanin a avait été saisi par un député macroniste, Mathieu Lefèvre. Un parlementaire qui reprend d’ailleurs, sans ciller, des tweets de la « Brigade juive », groupe sioniste ultra-violent. L’attitude des membres de Renaissance est d’ailleurs sans ambiguïté, à l’instar de Deborah Abisror-de Lieme. Candidate dans la 8e circonscription des Français de l’étranger (celle où était élu Meyer Habib qui se représente), elle a, en février dernier, indiqué qu’elle considérait Salah Hamouri comme un « terroriste ».

Tout est fait aujourd’hui pour tenter d’empêcher Salah Hamouri de s’exprimer en France. Les menaces se multiplient via les réseaux sociaux, sans doute encouragées par l’attitude du ministre de l’Intérieur.

Devant cette situation, dix-neuf associations et organisations syndicales ont écrit (voir ci-dessous) à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour lui demander de protéger la liberté d’expression et de réunion, de clarifier la position du gouvernement sur Salah Hamouri, et de renoncer à tout amalgame entre la critique de l’État d’Israël et la lutte légitime contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme.


 


 

Le droit de s’exprimer et de se réunir sur la question palestinienne en France : 19 organisations écrivent à la Première ministre

sur https://www.ldh-france.org/

Lettre ouverte de 19 associations, dont la LDH, et organisations syndicales

Alors que le gouvernement israélien, massivement contesté en Israël même, s’est engagé dans un développement accéléré de la colonisation et une répression sans limite contre les Palestiniens, on assiste en France à des prises de position inquiétantes pour nos libertés : des pressions inadmissibles ont abouti à l’annulation d’une réunion à Lyon, le ministre de l’Intérieur s’est associé à ces pressions en reprenant le narratif israélien contre notre compatriote Salah Hamouri, et des député-es, notamment de la majorité présidentielle, s’attaquent à leurs collègues dès qu’elles font entendre une voix critique par rapport à la politique israélienne.

C’est dans ce climat inquiétant que 19 associations et organisations syndicales ont écrit à la Première ministre pour lui demander d’agir en tant que cheffe du gouvernement et cheffe de la majorité. Ils lui demandent de protéger la liberté d’expression et de réunion, de clarifier la position du gouvernement sur Salah Hamouri, et de renoncer à tout amalgame entre la critique de l’État d’Israël et la lutte légitime contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme.

La lettre des 19 organisations, envoyée le lundi 6 mars, n’ayant toujours pas reçu de réponse, les organisations signataires ont décidé de la publier.

 

Madame la Première ministre,

Le 29 décembre dernier, l’État d’Israël s’est doté du gouvernement le plus marqué par l’extrême-droite de son histoire, au sein duquel des ministres condamnés pour incitation à la haine raciale occupent des responsabilités clés dans l’oppression du peuple palestinien. Ce gouvernement fait aussi figurer le développement de la colonisation de peuplement, qui constitue un crime de guerre, au premier rang de ses priorités. Les derniers événements à Huwara confirment malheureusement l’extrême menace que constitue cette politique pour le simple respect des droits humains.

Dans ces circonstances, on aurait pu penser que les partisans inconditionnels de la politique de l’État d’Israël feraient preuve d’une relative discrétion. Il n’en est malheureusement rien, et l’on voit se développer, au sein de votre gouvernement comme au sein de la majorité présidentielle, des pratiques qui sont à l’opposé des valeurs de notre République et qui menacent directement nos libertés.

Nous avons été particulièrement surpris et indignés d’entendre le ministre de l’Intérieur, lors de la séance des questions au gouvernement du 31 janvier, reprendre les positions des partisans les plus inconditionnels de la politique de l’État d’Israël, annoncer qu’il aurait fait interdire la réunion prévue par le maire de Lyon, tenir des propos haineux à l’encontre de Salah Hamouri et faire un amalgame honteux entre la critique de la politique de l’État d’Israël et l’antisémitisme. Il agissait ainsi en contradiction avec la décision du Tribunal administratif de Lyon. De plus, en mettant en avant l’argument des troubles à l’ordre public, il donnait une prime aux potentiels fauteurs de trouble au lieu de garantir la liberté d’expression.

Dans le même état d’esprit, des député·es de votre majorité, et même la Secrétaire générale du groupe Renaissance, multiplient les propos haineux et diffamatoires contre Salah Hamouri et se livrent sur les réseaux sociaux à des campagnes d’intimidation contre tous et toutes les député·es qui osent contester la politique du gouvernement israélien d’extrême-droite ou marquer leur soutien aux droits du peuple palestinien. Ils et elles pratiquent de la manière la plus éhontée l’amalgame entre la critique de la politique de l’État d’Israël et l’antisémitisme, alors même que cette politique est actuellement fortement contestée en Israël même.

Les attaques nombreuses, répétées, diffamatoires contre Salah Hamouri, de la part du ministre de l’Intérieur comme de député·es de la majorité inconditonnel·les de la politique de l’État d’Israël, vont à l’encontre de la politique affichée par le gouvernement et le président de la République. Faut-il rappeler que la France a condamné l’expulsion de Salah Hamouri, et a demandé à Israël qu’il puisse vivre librement à Jérusalem avec sa famille ? Faut-il rappeler que Salah Hamouri a été reçu au Parlement européen, qu’Amnesty International, qui met en œuvre des critères stricts et des enquêtes approfondies, le soutient en tant que défenseur des droits humains, et qu’il a reçu en décembre 2022 le prix des droits humains Engel – du Tertre de la fondation ACAT ? Et qu’il est également soutenu par la FIDH, directement et par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains ? Faut-il rappeler que, dans le passé, Salah Hamouri a tenu des dizaines de réunions publiques en France sans qu’aucune pose le moindre problème ? Avez-vous mesuré votre responsabilité, celle du gouvernement comme celle de plusieurs député·es de la majorité présidentielle, dans l’instauration d’un climat de haine qui peut même mettre en péril son intégrité physique ?

Il est important de s’arrêter sur les accusations d’antisémitisme portées contre toute personne qui conteste la politique de l’État d’Israël. Cet amalgame est une tactique constante de l’État d’Israël pour assurer son impunité face à ses violations constantes du droit international et des droits humains. Nos organisations, comme l’écrasante majorité du mouvement de soutien aux droits du peuple palestinien, sont particulièrement vigilantes contre toute manifestation d’antisémitisme. Nous tenons à vous mettre en garde contre la définition controversée dite « IHRA » de l’antisémitisme, et vous rappeler que les « exemples » associés à cette définition ont été explicitement exclus du vote de l’Assemblée nationale du 3 décembre 2019.

Dans un tel climat, nous vous demandons, Madame la Première ministre, d’agir de toute urgence pour que cessent ces menaces, ce climat d’intimidation et de chasse aux sorcières, au service de l’impunité d’un État tiers qui viole quotidiennement le droit international et les droits humains. Il y a là une menace contre la démocratie et l’image de la France dans le monde que nous vous demandons de prendre en considération.

Nous vous demandons également d’agir, Madame la Première ministre, pour que cessent les menaces et les diffamations contre notre compatriote Salah Hamouri, expulsé par Israël. Après avoir été interdit de vivre à Jérusalem-Est occupée et annexée, et d’y exercer son métier d’avocat pour les droits humains, Salah Hamouri est maintenant menacé d’interdiction de s’exprimer en France même. La position de votre gouvernement à son sujet doit être clarifiée : les propos tenus dans l’enceinte du Parlement français par le ministre de l’Intérieur ne peuvent rester sans réponse et correction.

Nous vous demandons d’agir plus largement pour protéger la liberté d’expression, et particulièrement la libre expression d’opinions politiques s’agissant d’Israël et de la Palestine. Les amalgames constamment entretenus entre la critique de l’État d’Israël et l’antisémitisme ne sont pas seulement une menace vis-à-vis de la liberté d’expression : ils affaiblissent la lutte indispensable contre l’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme, ils menacent nos valeurs républicaines et la cohésion de notre société.

Dans l’attente des suites que vous donnerez à nos demandes, nous vous demandons de bien vouloir nous recevoir et restons à votre disposition pour tout élément complémentaire à l’appui de notre analyse et de nos demandes.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Première ministre, l’expression de notre très haute considération.

Copies :

Monsieur le Président de la République

Monsieur le ministre de l’Intérieur

Madame la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères

Signataires :

Bertrand Heilbronn, président de l’Association France Palestine Solidarité

François Leroux, président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine

Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)

Philippe Martinez, Secrétaire général de la Confédération générale du travail

Benoît Teste, Secrétaire général de la Fédération Syndicale Unitaire

Cybèle David, Secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires

Thierry Jacquot, Secrétaire national aux questions internationales de la Confédération paysanne

Hervé Le Fiblec, Secrétaire national du SNES-FSU

François Sauterey, co-président du Mouvement contre le Racisme et pour l’amitié entre les peuples

Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la Paix

Pascal Lederer, et Oliver Gebuhrer, co-animateurs d’une Autre Voix Juive

Serge Perrin, animateur du réseau international du Mouvement pour une alternative non-violente

Fayçal Ben Abdallah, président de la Fédération des Tunisiens pour une communauté des deux Rives

Nacer El Idrissi, président de l’Association des Travailleurs maghrébins en France

Ivar Ekeland, président de l’Association des Universitaires pour le respect du droit international en Palestine

Lana Sadeq, présidente du Forum Palestine Citoyenneté

Perrine Olff-Rastegar, porte-parole du Collectif judéo-arabe et citoyen pour la Palestine

Maurice Buttin, président du Comité de Vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient

Raphaël Porteilla, membre du Bureau national du Mouvement de la Paix

Paris, le 6 mars 2023

  publié le 25 février 2023

Libertés publiques. Le destin de Vincenzo Vecchi se joue à Lyon

Loan Nguyen sur www.humanite.fr

Le militant altermondialiste italien comparaissait vendredi devant la cour d’appel de Lyon pour déterminer si la justice française devait ou non exécuter le mandat d’arrêt européen le livrant à l’Italie. En cas d’extradition, il devra purger douze ans et demi de prison en vertu d’une loi fasciste. Lyon, envoyée spéciale.

Ce qui frappe en premier, c’est le contraste formel. Aux chants qui résonnent sur le parvis du palais de justice de Lyon, ce vendredi, en soutien à Vincenzo Vecchi, s’opposent les prises de parole quasi inaudibles du juge et de l’avocat général de la cour d’appel. « Il n’a pas tué, n’a pas volé/Mais a manifesté/Depuis quand, prend-on douze ans/Pour exprimer ses idées », entonnent à l’extérieur les membres du comité de soutien au militant altermondialiste italien, condamné à douze ans et six mois de prison dans son pays pour des dégradations matérielles en marge des manifestations contre le G8 de Gênes, en 2001.

Des amis bretons mais aussi italiens de Vincenzo Vecchi ont fait le déplacement, de même que l’ancienne magistrate anticorruption Eva Joly et des représentants de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Après deux décisions de la cour d’appel de Rennes en 2019 puis de celle d’Angers en 2020 refusant d’exécuter le mandat d’arrêt européen visant le charpentier installé dans le Morbihan depuis treize ans - toutes deux ayant fait l’objet d’un pourvoi en cassation de la part du ministère public -, l’affaire était renvoyée devant la cour d’appel de Lyon ce vendredi.

« Une vieille mascotte mussolinienne »

« Ce qui lui est reproché, c’est tout au plus d’avoir dégradé du mobilier urbain, d’avoir pris deux planches pour faire une barricade et d’avoir brûlé un pneu il y a plus de vingt ans », résume l’un des avocats de Vincenzo Vecchi, Maître Maxime Tessier, qui souligne la disproportion de la peine prononcée. L’avocat général près la cour d’appel avance de son côté d’autres faits dont l’agression d’un photographe, l’incendie d’une banque et d’une voiture commis lors des événements de Gênes. Des faits prescrits d’une part, et, d’autre part, dont l’Italien ne serait « pas auteur », d’après ses conseils, mais pour lesquels il n’aurait eu comme tort que de se trouver « à proximité ». Qu’importe, pour les juges italiens, que Vincenzo Vecchi ait personnellement commis ou non ces faits. « Ils ont ressorti des oubliettes une vieille mascotte mussolinienne, la loi réprimant la »dévastation et le pillage« , inusitée depuis 76 ans. C’est un outil fasciste de répression des luttes sociales qui vous rend coupable de ce qui se passe à proximité, que vous soyez auteur ou non. Cela équivaut à sanctionner un concours moral ou une responsabilité passive, ce qui va totalement à l’encontre du principe de responsabilité personnelle consacrée par le droit français », explique Pascale Jaouen, ancienne avocate et ex-magistrate et membre du comité de soutien à Vincenzo Vecchi, qui rappelle que le militant italien a déjà subi quinze mois de détention provisoire dont trois mois en France.

« Vincenzo a une famille ici, il travaille dans une Scop de construction écologique. Pour nous, c’est déchirant de se réveiller la nuit en se disant que quelqu’un qu’on aime peut nous être enlevé », résume Jean-Baptiste Ferraglio, membre du comité de soutien de Rochefort-en-Terre (Morbihan), village dans lequel Vincenzo Vecchi possède de nombreuses attaches. Mais, au-delà du cas du militant italien, c’est autre chose de beaucoup plus important qui se joue, à en croire ses soutiens. « Vincenzo est devenu un symbole malgré lui mais cette affaire va au-delà de lui maintenant », ajoute Jean-Baptiste Ferraglio. « Nous sommes très préoccupés par le fait que cette loi »dévastation et pillage« soit validée en dehors de l’Italie », pointe Luca Vanetti, ami de Vincenzo, qui a fait le déplacement depuis Milan.

Un débat juridique autour du mandat d’arrêt européen

« On fait face à un acharnement judiciaire doublé d’un acharnement politique dans cette affaire, insiste Patrick Canin, représentant du bureau national de la LDH. Par deux fois, la procédure aurait pu s’arrêter lorsque la cour d’appel de Rennes puis celle d’Angers ont estimé qu’il ne fallait pas exécuter le mandat d’arrêt européen. Or, à chaque fois, le ministère public français s’est pourvu en cassation. » Lors du dernier pourvoi en cassation, les juges ont demandé que la Cour de justice de l’Union européenne soit saisie pour éclaircir un point soulevé par la cour d’appel d’Angers, à savoir : un État doit-il ou non exécuter un mandat d’arrêt européen se basant sur une qualification pénale – en l’espèce « dévastation et pillage » - n’existant pas dans son droit national ? À cette question, la juridiction européenne a répondu, le 14 juillet dernier, de manière défavorable aux partisans de Vincenzo Vecchi, estimant qu’il n’était pas nécessaire qu’il existe des infractions équivalentes dans les deux pays. « La chambre d’instruction de Lyon n’est pas obligée de suivre le même raisonnement juridique », pointe Maître Catherine Glon, conseil de Vincenzo Vecchi. « Votre juridiction reste souveraine pour exercer son contrôle de proportionnalité », insiste-t-elle. « Cela fait plus de vingt ans depuis Gênes qu’on attend une parole de justice. On espère que cette parole de justice puisse être prononcée en France », lâche Luca Vanetti. Réponse le 24 mars, au moment du délibéré de la cour d’appel de Lyon.


 


 

Le militant Vincenzo Vecchi à ses juges : « Vous avez un choix moral à faire »

Oriane Mollaret (Rue89 Lyon) sur www.mediapart.fr

La cour d’appel de Lyon a examiné, vendredi 24 février, l’affaire Vincenzo Vecchi. L’Italie réclame sans relâche ce militant italien, condamné à douze ans et demi de prison pour avoir participé au contre-sommet de Gênes, en 2001. En quatre ans, la cour d’appel de Lyon est la troisième à se pencher sur le dossier.

Ils sont une centaine à faire le pied de grue au pied des marches de la cour d’appel de Lyon, dans le Vieux Lyon. Des banderoles noires tendues de part et d’autre réclament la « liberté définitive pour Vincenzo Vecchi ». Juste à côté, une pancarte en carton s’indigne : « 12 ans pour une manif, vous êtes sérieux ?! » Car c’est bien ce que risque Vincenzo Vecchi si la France décide de le renvoyer en Italie.

Ce militant anticapitaliste et antifasciste italien est traqué par son pays natal depuis sa participation au contre-sommet de Gênes, en 2001. Entre le 20 et le 22 juillet 2001, 200 à 300 000 manifestants avaient convergé sur la ville italienne pour s’opposer à la tenue du G8. La répression avait été particulièrement violente, faisant des centaines de blessés et un mort.

En 2012, la justice italienne avait condamné une dizaine de manifestants, surnommés les « Dix de Gênes » à de sévères peines de prison. Parmi eux, Vincenzo Vecchi avait écopé de 12 ans et demi. Redoutant justement une sanction de cet acabit, le militant avait fui en France avant son procès. En 2012, l’Italie a émis un mandat d’arrêt européen à son encontre, pour les faits de Gênes, ainsi que pour avoir participé à une manifestation antifasciste à Milan en 2006. Vincenzo Vecchi vivait dans un petit village du Morbihan, où il avait trouvé refuge en 2011, jusqu’à son arrestation par la police française en août 2019.

Depuis, il refuse d’être restitué à l’Italie. L’affaire est déjà passée devant les cours d’appel de Rennes et d’Angers, qui sont allées dans son sens. Les deux fois, le ministère public a fait en pourvoi en cassation, et l’affaire a été renvoyée devant une autre cour d’appel. Ce vendredi 24 février, celle de Lyon est la troisième cour d’appel à se pencher sur l’affaire.

12 ans et demi d’emprisonnement en Italie

Cette troisième audience commence dans une ambiance fébrile. Tout le monde n’a pas pu entrer dans la salle exiguë de la cour d’appel de Lyon. Une trentaine de personnes se serrent sur les bancs de bois, alors que plusieurs dizaines d’autres ont choisi de rester dehors, sur les marches du tribunal. Sans surprise, la double incrimination, une des questions centrales de ce dossier, revient rapidement. C’est là-dessus qu’a buté la cour d’appel de Rennes, puis celle d’Angers. En clair, pour qu’un mandat d’arrêt européen s’applique, il faut que les infractions qui sont reprochées à la personne visée par le mandat, en l’occurrence Vincenzo Vecchi, existent dans les deux pays.

Concrètement, il est reproché à Vincenzo Vecchi quatre infractions, qui lui ont chacune valu des peines de prison différentes en Italie. Le fait d’avoir obligé, en réunion, par la violence et la menace, un photographe à ne pas prendre de photos des manifestants du contre-sommet de Gênes, et lui avoir volé son matériel : un an d’emprisonnement. Le fait d’avoir emporté un nombre indéterminé de cocktails Molotov et celui de les avoir fait exploser : neuf mois pour chacune de ces infractions. Et enfin, la fameuse qualification de « dévastation et pillage », soit la destruction d’aménagement public, le saccage d’une banque et de voitures, qui lui a valu à elle seule 10 ans de prison. Soit un total de 12 ans et demi d’incarcération.

Or, ce chef d’accusation n’existe pas en droit français. Lors du deuxième pourvoi en cassation, la Cour de cassation a sollicité l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur la question. Dans un arrêt en date du 14 juillet 2022, celle-ci a affirmé que la condition de double incrimination pouvait être considérée comme remplie si au moins certains des faits reprochés constituent une infraction dans les deux pays, même qualifiée différemment et avec une sanction bien différente. C’est à la suite de cette décision que la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Lyon.

La question de la double incrimination écartée

Cette absence de double incrimination, qui est l’un des arguments principaux de la défense, fera long feu à Lyon. Le président de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Lyon, Guy Pisana, le balaie dès le début de l’audience : « Avant la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire de décembre 2021, en cas d’absence de double incrimination la remise était impossible. Depuis cette loi, la remise peut quand même être accordée. » Pour lui, la double incrimination n’est donc pas la question. De son côté, l’avocat général, David Aumonier, a décidé de suivre l’avis de la CJUE, et requis « avec force et vigueur » la remise de Vincenzo Vecchi aux autorités italiennes.

Comment juger quelqu’un pour une infraction qui ne figure pas dans le droit français ? Me Glon, l’avocate de Vincenzo Vecchi, s’accroche. En 2020, la cour d’appel d’Angers a choisi de faire « l’autopsie » des faits, de prendre chaque infraction pour en trouver l’équivalence en français. Elle en a retenu sept, dont deux pénalement répréhensibles en droit français. Mais pour ces deux-là, « M. Vecchi n’était pas là !, affirme Me Glon. Il était à proximité, parmi les dizaines de milliers de manifestants. » Ce vendredi, la défense ne demande pas à la cour d’appel de Lyon de suivre la logique de celle d’Angers. « La défense a un raisonnement simple, basique : ça n’existe pas chez nous, ça n’existe pas chez nous. »

L’avocate sort alors un petit livre compact, d’apparence ancienne et couvert de post-it, qu’elle tend au président de la cour. Le livret semble impressionner le magistrat. Il s’agit d’un Code pénal français de 1832, dans lequel figurait, noir sur blanc, l’infraction « pillage et dévastation ». Celle-ci a disparu du droit français en 1994. « La France a mis fin à ça », insiste MGlon.

« Vincenzo Vecchi vit, travaille et paie ses impôts ici ! »

Cette fois-ci, c’est au tour de son confrère Maxime Tessier, second avocat de Vincenzo Vecchi, de prendre la parole. Lui va partir de l’hypothèse selon laquelle son client serait remis à l’Italie et incarcéré là-bas. Comment garantir qu’il n’y subirait pas des traitements inhumains et dégradants ? Dans son réquisitoire, l’avocat général avait aussi abordé cette question.

« Il y a des systèmes de détention particuliers pour certaines personnes dont les terroristes », avait-il argué. « M. Vecchi n’en relève pas », s’était-il hâté d’ajouter. Et de s’appuyer sur les taux d’occupation des prisons italiennes - « on n’est pas à 100 % » – pour en conclure que les conditions de détention n’y sont pas si différentes qu’en France. « Ça ne peut pas être un argument, réagit MTessier. Ça revient à dire que la situation pénitentiaire est au moins aussi pire en France et en Italie. On ne peut pas s’en satisfaire. »

L’avocat poursuit sur l’atteinte à la vie privée que représenterait pour Vincenzo Vecchi sa restitution à l’Italie. Réfugié en France depuis 2011, Vincenzo Vecchi travaille actuellement comme charpentier dans le Morbihan. Il vit là-bas, dans un petit village breton, avec sa conjointe et les enfants de celle-ci. Elle a fait le déplacement depuis la Bretagne et se tient raide, tendue, deux rangées derrière Vincenzo Vecchi.

Ses collègues aussi sont venus, reconnaissables à leurs parkas floquées du nom de leur boîte, « Écho Paille ». Sans parler du solide comité de soutien qui s’est monté dès son arrestation à Rochefort-en-Terre, toujours dans le Morbihan, en août 2019.

Me Tessier s’appuie sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il rappelle que c’est sur cet article que s’est également appuyée la cour d’appel de Paris dans une décision récente qui va dans le sens de Vincenzo Vecchi. Dix militants d’extrême gauche italiens, ex-membres des Brigades rouges, réfugiés en France depuis plusieurs dizaines d’années, étaient eux aussi sous la menace d’un aller simple pour l’Italie.

Celle-ci les réclamait pour des faits de terrorisme commis lors des « années de plomb » italiennes, dans les années 1970-1980. En juin 2022, la cour d’appel de Paris a refusé leur extradition. « Ils étaient membres des Brigades rouges, et la cour d’appel de Paris a refusé, souligne Me Tessier. Là, tout ce qu’on peut reprocher à M. Vecchi, c’est d’avoir dégradé du mobilier urbain et des parterres de fleurs. Est-ce qu’il y a besoin de déraciner M. Vecchi, le privant de sa famille, 20 ans après les faits ? »

L’extrême droite italienne en filigrane

Tout au long de cette audience, plane une menace sur laquelle les avocats de Vincenzo Vecchi ne s’appesantissent pas. Pas besoin. Dans la salle, Français comme Italiens ont en tête le visage de Giorgia Meloni, nouvelle première ministre italienne, et son parti Fratelli d’Italia, héritier du parti néofasciste Mouvement social italien (MSI). De quoi raviver les inquiétudes concernant le devenir des militants d’extrême gauche comme Vincenzo Vecchi, une fois en Italie.

Il faut aussi préciser que les murs de la cour d’appel de Lyon ont une lourde charge symbolique. C’est dans la salle voisine que fut jugé Klaus Barbie en 1987. « Je ne sais pas si l’histoire fait bien les choses, mais elle envoie des signes », remarquait MTessier avant d’entrer dans la salle d’audience. Il a décidé de poursuivre sa plaidoirie dans ce sens, en citant une tribune en faveur de Vincenzo Vecchi écrite par l’écrivain lyonnais, Éric Vuillard. « Petit-fils du bâtonnier du barreau de Lyon Paul Vuillard, résistant », précise-t-il avant de conclure.

Au terme d’une audience de plus de trois heures, le président de la cour d’appel de Lyon demande à Vincenzo Vecchi de s’approcher. Le militant italien ne fait pas ses 50 ans. Cheveux ras, lunettes à montures d’écaille et pull rayé, Vincenzo Vecchi ressemble fortement à M. Tout-le-Monde. D’un pas discret, presque timide, il s’avance. « Je ne voudrais pas être à votre place aujourd’hui, lance-t-il avec douceur au magistrat. J’ai reconnu ce qui m’était reproché, je suis ici parce que j’étais en manif. Maintenant, vous avez un choix à faire, un choix moral et éthique. »

Après cette déclaration, Vincenzo Vecchi quitte tranquillement la cour d’appel de Lyon, l’air serein, sous les applaudissements de la foule qui l’attend dehors. Discret, comme toujours, il s’empresse de disparaître dans un coin, fuyant les questions.

La cour d’appel de Lyon rendra sa décision le 24 mars. En cas de refus de restituer Vincenzo Vecchi à l’Italie, le ministère public pourrait, une fois de plus, former un pourvoi en cassation. Et cette affaire, dont les faits remontent maintenant à plus de 20 ans, continuer son ping-pong judiciaire.

   publié le 13 février 2023

Réforme des retraites : chaînes d’info continue et journaux télévisés roulent-ils pour le gouvernement ?

par Samuel Gontier (journaliste et chroniqueur à Télérama) sur https://basta.media

70 % des Français sont opposés à la réforme selon les sondages. « C’est la proportion inverse sur les plateaux », observe le journaliste Samuel Gontier. Qui note toutefois une évolution, consécutive au succès des mobilisations.

La composition des intervenants sur des chaînes d’info comme BFM ou LCI, et dans les JT de TF1 et France 2, était très caricaturale au début du mouvement. Lorsque Élisabeth Borne présente le projet de réforme des retraites le 10 janvier, c’est une pluie de louanges des éditorialistes politiques et des experts libéraux invités en plateau. La réforme est « bonne », « nécessaire », « sociale », « redistributive », « équitable » avec de « vraies avancées »...

À ce moment-là, la parole des représentants des syndicats est très minoritaire, ensevelie sous les diagnostics d’experts, d’éditorialistes et de présentateurs. Ces derniers propagent l’idée qu’ « il n’y aura pas de mobilisation » et que « les gens sont résignés »… tout en alertant sur le risque d’un mouvement qui pourrait « bloquer le pays ».

Il y a un entre-soi sociologique des intervenants pour parler face caméra de réalités qu’ils ne connaissent pas. On n’entend pas les concernés, celles et ceux ayant les métiers pénibles, les femmes qui ont eu des interruptions de carrières, les ouvriers, les précaires. Le soir du 10 janvier, dans le JT de TF1, un micro-trottoir doit permettre d’évaluer le « sentiment des Français ». Sur 4 personnes interrogées, 4 personnes convaincues. 100 % des gens seraient donc favorables à la réforme des retraites !

La grande majorité du temps d’info sert à dénigrer le mouvement

Malgré le succès des mobilisations, les chaînes TV et rédactions sont marquées par une forte inertie. Au soir du 19 janvier, le JT de TF1 dédie au total 17 minutes à la mobilisation, mais seulement 3 aux manifestations. Tout le reste du temps est consacré aux désagréments, la « galère » des usagers des transports, des services publics, de l’école... Un récent reportage s’est encore terminé sur les paroles d’un passant pour lequel « c’est toujours pénible de prendre les usagers en otage ».

Il suffit qu’une poubelle brûle pour que les chaînes info diffusent son agonie pendant de longues minutes

La grande majorité du temps d’info sert à dénigrer le mouvement. Pour évoquer les journées de mobilisation, on parle systématiquement de « mardi noir », de « jeudi noir », voire de « février noir ». Le contraste avec les images était saisissant le 31 janvier avec des gens très mobilisés contre la réforme, mais très enthousiastes aussi, sous un grand soleil... Les titres ne collaient pas du tout !

En outre, l’épouvantail des violences dans les cortèges est toujours agité. Vu le bon déroulement des manifestations, c’est un angle d’attaque moins utilisé, ce qui n’empêche pas d’insister sur le risque (et la rare survenue) de « tensions », de « heurts ». Il suffit qu’une poubelle brûle pour que les chaînes d’info diffusent son agonie pendant de longues minutes.

Le traitement a évolué à mesure que le rejet de la réforme a progressé

Selon les sondages, environ 70 % des Français s’opposent à la réforme : c’est la proportion inverse chez les experts des plateaux. Cependant, le traitement a évolué à mesure que le rejet de la réforme et le niveau de soutien à la mobilisation ont progressé. Dans les studios et dans les reportages, on a entendu davantage de paroles d’opposants, de travailleurs notamment, qui expliquent pourquoi ils ne veulent pas travailler plus longtemps et qui reviennent sur la pénibilité de leur métier. C’est moins caricatural qu’au début du mouvement social et par rapport à de précédentes mobilisations comme celle des cheminots en 2018 qui faisait l’unanimité contre elle à la télé.

Les rédactions sont obligées de tenir compte du rejet massif de la réforme, sinon elles se couperaient de leur public

Cette fois, les rédactions sont obligées de tenir compte du rejet massif de la réforme, sinon elles se couperaient de leur public. C’est plus nuancé, on sent d’ailleurs certains mal à l’aise, s’empêchant d’être trop caricaturaux, admettant que les adversaires de la réforme ont des raisons légitimes de s’exprimer.

D’habitude, par exemple, les chaînes opposent les manifestants, les grévistes aux « Français » comme si les premiers n’étaient pas de la même nationalité. Depuis le succès des manifestations du 19 janvier, elles parlent désormais des « Français » pour désigner des opposants à la réforme. « Les Français » rentrent dans le champ des contestataires. Reste le problème du dispositif des débats en plateau, où représentants syndicaux et responsables politiques de gauche, toujours en minorité, servent souvent de punching-ball aux « experts » éditorialistes et présentateurs favorables à la réforme.

Les éditorialistes, porte-voix du patronat et du gouvernement

Les éditorialistes et les experts restent pour la plupart les porte-voix du patronat et du gouvernement. À la veille de la grève du 7 février, deux économistes libéraux invités simultanément sur BFMTV ont martelé que la réforme était toujours nécessaire et indispensable. On reste dans les éléments de langage : « le gouvernement n’a pas le choix », « le président l’a promis », « notre système de retraites est en danger », « c’est une question de démographie ».

Quand Franck Riester (ministre chargé des Relations avec le Parlement) reconnaît que « les femmes sont un peu pénalisées », les éditorialistes parlent de « bourde » alors que c'est un aveu

Quand Franck Riester reconnaît que « les femmes sont un peu pénalisées », les éditorialistes parlent de « bourde » alors que c’est un aveu. Quand les auditeurs ont la parole sur BFMTV pour soumettre leur cas, une journaliste du service social-économie rassure chacun : « la réforme l’a pris en compte », « vous partirez tôt à la retraite »...

Alors qu’une nouvelle séquence s’ouvre avec le débat parlementaire, les éléments de langage du gouvernement sont encore repris tels quels, le 7 février, par la journaliste Apolline de Malherbe face à la députée Sandrine Rousseau : « On avait promis du bordel (selon les mots du ministre de l’Intérieur), et ça a bordelisé ». Si ça se « bordélise », ce serait donc la faute à la gauche, à celles et ceux qui s’opposent à la réforme.

« Les chaînes d’info et les JT n’envisagent pas d’autres possibilités de financements »

Ce qui perdure également, ce sont les omissions et le manque d’explications qui présentent la réforme sous un jour favorable. La première semaine après l’annonce, les chaînes info et les JT ont répété que tout le monde aurait droit à une retraite minimale à 1200 euros sans préciser les conditions. Même chose sur les carrières longues avec des chaînes qui produisent des tableaux sur l’âge de départ sans mentionner les critères. 

Ils n’envisagent pas non plus d’autres possibilités de financements. La taxation du capital est immédiatement évacuée. C’est flagrant dans le vocabulaire employé : on parle d’« impôt », de « charges supplémentaires », sans parler de cotisations. Les chaînes recourent également très fréquemment aux exemples d’autres pays : si tout le monde le fait, pourquoi pas les Français ?

Les reportages et les graphiques se sont multipliés pour nous comparer à des Allemands, des Espagnols ou à des Japonais qui travaillent parfois jusqu’à 80 ans, sur le refrain « on vit dans un pays merveilleux, ne nous plaignons pas par rapport à ce qui se passe ailleurs ». Sauf que les comparaisons sont biaisées, incomplètes. Elles sont établies sur l’âge légal de départ sans prendre en compte la durée de cotisation. Et ne précisent jamais que le taux de pauvreté des retraités est bien supérieur dans ces pays à ce qu’il est en France.

Recueillis par Sophie Chapelle

  publié le 22 janvier 2023

Secret des affaires :
la censure préventive du site Reflets levée en appel

Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr

La cour de Versailles a infirmé le jugement en référé du tribunal de commerce de Nanterre qui avait interdit aux journalistes de Reflets de publier de nouveaux articles utilisant des informations issues d’un piratage dont a été victime le groupe Altice de Patrick Drahi.

La cour d’appel de Versailles a annulé, jeudi 19 janvier, la décision du tribunal de commerce de Nanterre qui avait ordonné une censure préventive du site d’information Reflets demandée par le groupe Altice au nom du secret des affaires.

« Le secret des affaires ne peut être opposé aux journalistes de Reflets qui ont fait leur travail d’investigation », affirme l’arrêt, consulté par Mediapart, qui valide sans ambiguïté la série d’articles que le site d’information a continué à publier, malgré l’interdiction qui lui en avait été faite.

Cette censure préventive avait été ordonnée le 6 octobre dernier par le tribunal de commerce de Nanterre, saisi en référé par le groupe Altice. Au mois d’août, un groupe de pirates informatiques, baptisé Hive, avait réussi à s’introduire dans les serveurs du groupe présidé par Patrick Drahi, à copier les données et à y déposer un ransomware, ou rançongiciel, qui a chiffré l’intégralité des données.

Les hackeurs de Hive avaient également laissé un message réclamant le versement d’une rançon, fixée par la suite à 5 550 000 euros, en échange d’un logiciel permettant de déchiffrer les données.

La société de Patrick Drahi ayant refusé de payer la rançon, Hive avait mis en ligne, le 25 août, environ 25 % des données qu’il possède sur un « hidden service », un site internet non référencé et uniquement accessible via le logiciel Tor et un navigateur spécifique. La publication de ces données avait rapidement circulé sur les réseaux sociaux et, entre les 5 et 7 septembre, Reflets avait publié une première série de trois articles les exploitant.

Le 16 septembre, le groupe Altice avait saisi en référé le tribunal de commerce pour demander la suppression des articles au nom d’un « trouble manifestement illicite » que causerait leur publication. Il invoquait également un potentiel « dommage imminent » qui résulterait de la publication de nouveaux articles par Reflets, et demandait donc qu’il lui soit interdit d’exploiter plus avant les données piratées.

Parmi les faits caractérisant le « trouble manifestement illicite » et le « dommage imminent », Altice mettait en avant plusieurs arguments, comme le fait que Reflets se rendait complice de « recel de piratage de données », qu’il faisait le jeu des pirates en accentuant la pression pour payer la rançon ou encore que les publications étaient une infraction au « secret des affaires ».

Ce dernier argument avait suscité une vive émotion au sein du monde de la presse. Lorsqu’ils commettent des délits de presse, les journalistes relèvent en effet normalement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui prévoit une procédure spécifique devant des magistrats spécialisés du tribunal judiciaire, et offrant certaines garanties.

Pour traîner Reflets devant le tribunal de commerce, le groupe Altice a eu recours à la loi relative à la protection du secret des affaires du 30 juillet 2018. Ce texte avait été à l’époque vivement contesté par les associations de défense de la liberté de la presse et par de nombreux journalistes et juristes qui pointaient justement son risque d’instrumentalisation.

Dans son jugement, le tribunal de commerce avait écarté tout « trouble manifestement illicite ». Mais il avait estimé que la publication de futurs articles par Reflets faisait peser sur Altice le risque d’un « dommage imminent », à savoir la violation de son secret des affaires.

« En conséquence », le juge des référés avait ordonné à Reflets « de ne pas publier […] de nouvelles informations, dont il n’est pas contesté qu’elles ont été obtenues illégalement par le groupe Hive, quand bien même ce dernier les aurait déjà mises en ligne ».

Reflets avait immédiatement interjeté appel, ainsi qu’Altice. Le groupe de Patrick Drahi demandait en effet que soit reconnu le « trouble manifestement illicite » et donc la suppression des articles, dont ceux que Reflets a continué à publier malgré la décision du tribunal de commerce.

Dans la partie de son arrêté consacrée au secret des affaires, la cour d’appel de Versailles prend soin de rappeler l’exception au bénéfice des journalistes inscrite à l’article L. 151-8 du Code de commerce. Celui-ci dispose en effet que le secret des affaires « n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue […] pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse ».

Le secret des affaires ne peut être opposé aux journalistes de Reflets qui ont fait leur travail d’investigation.

L’arrêt n’en conclut pas pour autant à une immunité générale des journalistes. Pour chaque passage incriminé par Altice, la cour a vérifié s’il correspondait bien à l’exercice du « droit à la liberté d’expression et de communication » tel que prévu par l’article L. 151-8 du Code de commerce. Et, à chaque fois, elle a conclu que c’était le cas. « Le secret des affaires ne peut être opposé aux journalistes de Reflets qui ont fait leur travail d’investigation », affirme-t-elle ainsi pour l’un d’eux.

La cour d’appel a également mené « un contrôle de proportionnalité […] entre les intérêts contradictoires qui se font face, d’une part ceux des journalistes, tenant de la liberté d’informer, d’autre part ceux d’Altice qui se dit fragilisée par les publications litigieuses ». « Il est d’abord relevé qu’aucun manque de fiabilité des informations publiées n’est rapporté », pointe l’arrêt.

Altice reprochait notamment à Reflets de donner trop de détails sur les moyens de consulter les données piratées, et sur les diverses utilisations frauduleuses qui pourraient en être faites. Or, « ces informations publiées relèvent d’un débat d’intérêt général justement parce que ces faits se multiplient et qu’il faut les connaître pour pouvoir s’en défendre », répond la cour.

Concernant le risque que la révélation de ces données ferait peser sur Altice, l’arrêt souligne que « pour toutes ces informations, le risque encouru est de même nature, avec ou sans les articles parus sur Internet, dès lors que ces données sont rendues publiques ».

La cour d’appel a par ailleurs refusé de se pencher sur les accusations de « recel de données piratées ». « Dans le cadre de la présente procédure, il n’est ni question de rechercher la responsabilité pénale » de Reflets « ni question, à l’inverse, d’accorder une immunité systématique aux journalistes », balaye l’arrêt.

Enfin, l’arrêt répond à l’accusation de « sensationnalisme » qu’Altice portait à l’encontre des articles de Reflets. « Le sensationnalisme allégué n’est illustré […] par aucun propos probant […] qui figurerait dans les articles litigieux, et ne ressort pas de la lecture des articles qui sont essentiellement factuels », affirme la cour d’appel.

En conséquence, la cour d’appel estime qu’Altice n’est ni victime d’un « trouble manifestement illicite » ni menacé par un « dommage imminent ». Elle refuse d’ordonner la suppression des articles publiés et de ne pas en publier des nouveaux. Enfin, elle condamne le groupe Altice à payer, au titre des frais de justice, 5 000 euros à Reflets et 2 000 euros au Syndicat national des journalistes (SNJ) qui s’était joint à la procédure.

Parallèlement à ce référé, le groupe Altice avait également lancé une demande de censure sur le fond. Celle-ci sera étudiée dans les mois à venir.

  publié le 18 janvier 2023

La doctrine antisyndicale de Macron

Denis Sieffert  sur www.politis.fr

Emmanuel Macron ne veut pas seulement « sa » réforme des retraites. Il veut, en arrière-plan de cette bataille, instituer un autre ordre social : dépolitiser les syndicats.

Laissons aux candides l’illusion vertueuse. Non, Emmanuel Macron ne veut pas sauver un système qu’il sait n’être pas en péril. Et si tel était vraiment son objectif, il aurait bien d’autres solutions que le report de l’âge de la retraite.

Malheureuse coïncidence de calendrier, trois jours avant la manifestation du 19 février, l’ONG Oxfam vient de lui suggérer, dans son rapport annuel, la plus évidente des solutions. Il suffirait que l’on prenne aux 42 milliardaires français 2 % de leur fortune pour résorber le déficit du régime des retraites. Mais il n’en fera rien.

Dans la logique libérale, même les inégalités les plus folles appartiennent à l’état de nature. Pire ! Ce sont ces déséquilibres qu’il faut protéger. On aurait parlé autrefois d’un projet de classe. C’est toujours mon vocabulaire. Les mots passent, mais les réalités demeurent. Car c’est bien dans cette perspective que s’inscrit l’offensive actuelle.

Macron ne veut pas seulement sa réforme des retraites. Il veut, en arrière-plan de cette bataille, instituer un autre ordre social. Il veut une société flexible, durablement soumise aux intérêts financiers. Et il lui faut pour cela briser toute résistance. C’est le syndicalisme comme institution démocratique qui est dans le collimateur.

Son modèle est Margaret Thatcher au moment de la grande grève des mineurs de 1984-1985. Encore s’agissait-il, à l’époque, de la fin programmée de l’industrie du charbon. Aujourd’hui, la modernité est du côté des syndicats qui défendent le droit au temps libre.

On assiste en vérité à une tentative de mise en œuvre de ce qu’on pourrait appeler la doctrine Macron. Nous avons souvent critiqué la façon dont les corps intermédiaires ont été oubliés, voire méprisés au cours du premier quinquennat. Il s’agit en vérité de beaucoup plus que cela. Dès sa première campagne présidentielle, Emmanuel Macron n’avait pas caché ses intentions.

Il avait annoncé, bravache, qu’il allait « promouvoir un syndicalisme d’entreprise ». Autrement dit, les syndicats n’ont rien à faire dans la rue pour défendre nos retraites. Leur place est dans l’entreprise. Des super-délégués du personnel, en quelque sorte. « Je souhaite un syndicalisme moins politique, avait-il confessé en 2017, on a besoin de corps intermédiaires, mais à la bonne place. »

La « bonne place », pour lui, c’est dans le huis clos avec le chef d’entreprise. Là où le rapport de force est le plus défavorable. Là où les solidarités interprofessionnelles sont impossibles. Dans ses déclarations, Macron poussait sa logique jusqu’au bout. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas aider les entreprises à favoriser l’éclosion de sections syndicales limitées à des tâches de formation et à l’apprentissage de négociations empreintes de courtoisie ?

Avec cette floraison de syndicats « maison », on se dit que le syndicalisme vertical, qui est aux antipodes de la culture démocratique, n’est pas très loin. En bon petit soldat du capitalisme financier, Macron n’a pas renoncé à ces objectifs. Ils font assurément partie de ses motivations actuelles.

Défendre la démocratie sociale est donc l’un des enjeux de la mobilisation qui monte dans le pays. Emmanuel Macron n’a pas « les yeux de Caligula » (puisque c’est ainsi que François Mitterrand voyait Margaret Thatcher), il ne porte pas sur le visage les signes d’une haine du peuple. Juste de l’arrogance.

Mais il ne faut pas sous-estimer la violence et la cohérence de son projet. Il rêve d’une postérité qui n’est pas seulement celle d’un président réactionnaire qui aurait limité le droit à la retraite. Il veut être celui qui aura institué durablement un rapport de force favorable au capitalisme financier. Son projet comporte cependant des risques qu’il n’est pas difficile d’anticiper.

Notre société en a déjà connu les prémices. Des syndicats affaiblis et débordés, cela se voit de plus en plus fréquemment. Et c’est souvent de leur responsabilité. On pense évidemment aux gilets jaunes ou à des collectifs récents à la SNCF. Mais on est encore dans l’ordre de mouvements organisés.

L’ordre social dont rêve Emmanuel Macron, avec des syndicats interdits de politique et rendus indifférents à l’intérêt général, est tout autre. Il nous promet plutôt le chaos. Si ce scénario « macronien » triomphait, il ne pourrait que profiter à l’extrême droite. C’est tout cela aussi qui se joue dans la bataille des retraites. Autant de bonnes raisons de se mobiliser

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