publié le 2 juin 2023
Nicolas Cheviron sur www.mediapart.fr
Au côté d’un secrétaire départemental de l’Allier détenant haut la main le record syndical de convocations au commissariat ou au tribunal, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a interpellé le gouvernement sur les libertés syndicales depuis le mouvement contre la réforme des retraites.
Montluçon (Allier).– L’individu ne paie pas de mine. Avec sa petite taille, sa casquette, ses lunettes et sa barbiche, on l’imagine plus dans le rôle de Léon Trotski que dans celui de Spartacus, derrière une machine à écrire plutôt que sur une barricade. Secrétaire départemental CGT de l’Allier, Laurent Indrusiak, serait pourtant, à l’aune de ses démêlés judiciaires, le syndicaliste le plus dangereux de France, avec pas moins de vingt-huit convocations au commissariat ou au tribunal à son actif.
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, ne s’y est pas trompée. Jeudi devant le palais de justice de Montluçon, elle a choisi de se tenir au côté du « dangereux récidiviste », selon ses termes, pour interpeller le gouvernement dans le cadre d’une journée nationale d’action contre la répression judiciaire qui s’abattrait actuellement sur les militants syndicaux.
Devant deux cents militant·es tout en chasubles et drapeaux, comme elle l’avait fait devant les caméras de Mediapart, la nouvelle patronne de la confédération a d’abord évoqué une situation inquiétante à l’échelle nationale : celle « des centaines de militants syndicaux poursuivis » par la justice depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, sous l’impulsion d’un pouvoir dont l’agressivité croissante compense le fait qu’il « n’a jamais été aussi minoritaire ». « Le problème, c’est que cet autoritarisme gouvernemental ruisselle sur les patrons. Il a pour corollaire une augmentation de la répression patronale, avec des centaines de convocations de militants syndicaux pour licenciement, en dépit du droit », a-t-elle souligné.
La dirigeante s’est ensuite penchée sur « le microclimat très particulier » de Montluçon et de ses alentours, soupesant les hypothèses : « Il y a deux possibilités. Soit on a une union départementale dirigée par des voyous et des délinquants, et dans ce cas il faut me donner tous les éléments pour me permettre d’agir, soit il y a un problème d’acharnement judiciaire. » Un rapide examen des faits reprochés à Indrusiak et ses comparses lui a permis d’atteindre la conclusion suivante : « Ces poursuites visent à déstabiliser la CGT parce que la CGT dérange le pouvoir, elle dérange le capital. »
Laurent Indrusiak a été condamné à six reprises. À chaque fois, on lui a reproché l’organisation de manifestations non autorisées, assorties parfois de dégradations de mobilier urbain – des palettes brûlées par les manifestant·es – et, dans un cas, une entrave à la circulation à l’occasion d’une opération escargot. « Jusque-là, que je sache, même si [Gérald] Darmanin a tendance à l’oublier, une manif non déclarée n’est pas une manifestation interdite », a commenté Sophie Binet.
Le dirigeant syndical a été jugé et relaxé à deux reprises pour des accusations de diffamation. La première fois, en 2018, il lui était reproché d’avoir dénoncé dans des tracts les conditions de travail délétères des salariés d’une entreprise locale de traitement de déchets électroménagers, Environment Recycling. « C’est grave, parce que la méthode est de plus en plus utilisée par le patronat. Si les pouvoirs publics donnent suite, c’est très grave car dénoncer les conditions de travail est au cœur des libertés syndicales », a souligné la secrétaire générale. La deuxième fois, on lui reprochait d’avoir qualifié les dirigeants de La Poste de « voyous » dans un contexte de conflit social grave entre ces derniers et leurs salarié·es.
Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal.
Le trublion de l’Allier a également été convoqué au commissariat pour avoir, en vrac, collé des affiches sur la permanence du Medef, coupé le courant du même Medef ou encore collé des autocollants sur des horodateurs. Il a bénéficié à chaque fois d’un classement sans suite.
Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal, le 8 février dernier, pour dénoncer la fermeture de deux écoles à Montluçon. Ce soir-là, les policiers appelés par le maire Frédéric Laporte (Les Républicains) pour chasser les manifestant·es « l’ont « collé contre le mur et [lui ont] fait des clés de bras pour [l]e menotter », indique l’intéressé. « J’ai pris des coups, mais c’est moi qu’on a convoqué. »
Interrogé par Mediapart sur les raisons de cette sollicitude judiciaire toute particulière, Laurent Indrusiak donne son sentiment : « D’abord, il y a le fait que je ne donne jamais d’informations aux renseignements territoriaux. Ensuite, neuf affaires sur dix émanent de constatations de la police. Il y a un problème avec la police à Montluçon. Au point que j’ai parfois le sentiment de ne pas être en sécurité dans les rues de la ville. »
Sur le secteur de Montluçon, trois autres militants CGT totalisent onze convocations au commissariat pour des faits similaires. À Vichy, Antoine Jubin, membre de la direction locale du syndicat, a passé 48 heures en garde à vue début avril à la suite d’un incident sur un rond-point. Il a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de manifester jusqu’à son audience, le 3 octobre prochain.
Sophie Binet a enjoint au premier ministre de faire respecter les libertés syndicales à Montluçon. « Je demande à Élisabeth Borne d’intervenir immédiatement pour mettre fin à cette situation locale et donner des consignes très claires à la nouvelle préfète et aux forces de police », a-t-elle déclaré. Elle en a profité pour réclamer une amnistie pour les militant·es poursuivi·es dans le cadre de leurs actions syndicales et des mesures pour la réintégration de celles et ceux qui ont été indûment licenciés par leur entreprise.
La secrétaire générale a également appelé le maire de la ville à renoncer à son projet d’expulsion, au 1er juillet, de l’union locale CGT de la Maison communale, un lieu de mémoire des luttes ouvrières inauguré en 1899 par Jules Guesde, une des figures du socialisme français, et occupé depuis 1904 par le syndicat. « Le maire veut expulser la CGT d’un bâtiment construit par nous et pour nous, dans le cadre d’un projet idéologique visant à y installer un incubateur d’entreprises et un lieu de mémoire patronale, a martelé Sophie Binet. Nous ne le laisserons pas faire. »
Ville industrielle depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, Montluçon, 34 000 habitant·es aujourd’hui, a notamment été le point de départ de la grève générale de 1936. La dirigeante syndicale a par ailleurs souligné que des procédures similaires étaient en cours dans plusieurs villes de France, de Châteauroux à Montauban, en passant par Saint-Pourçain (Allier). « Demain, je vais adresser un courrier à la première ministre. Il faut aussi prendre des mesures législatives pour protéger les bourses du travail menacées, notamment dans les villes tenues par le Rassemblement national, mais pas seulement », a-t-elle indiqué à Mediapart.
Signalant que la préfète de l’Allier allait la recevoir en fin de journée pour évoquer toutes ces questions, Sophie Binet a conclu sous les vivats son intervention par un avertissement : « Je viendrai ici autant de fois qu’il le faudra. »
publié le 31 mai 2023
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr
Ce mardi matin, les huit syndicats qui composent l’intersyndicale ont appelé les salariés à se mettre en grève et manifester mardi 6 juin contre la réforme des retraites, ainsi que les députés à voter pour la proposition de loi transpartisane d’abrogation de la réforme le 8 juin. Mais l’intersyndicale appelle également à se mobiliser pour des avancées sociales, en mettant en avant de nouveaux sujets qui pourraient nourrir de nouvelles mobilisations.
De l’exception à la norme ? C’est peut-être ce à quoi nous assistons aujourd’hui avec l’intersyndicale qui a ferraillé pendant des mois contre le gouvernement. Unis exclusivement sur la revendication minimale du refus de l’allongement à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, les syndicats qui composent l’intersyndicale travaillent ensemble sur d’autres sujets, depuis quelques semaines. Et ouvre peut-être une nouvelle ère dans les relations entre organisations de salariés, loin des conflits et déchirements auxquels elles ont habitué les salariés.
Une façon pour les syndicats d’afficher encore leur refus de tourner la page des retraites, alors que des discussions ont repris avec le gouvernement, depuis que la Première ministre a lancé des concertations en mai. Mais surtout un moyen de peser davantage face au gouvernement et au patronat, dans l’espoir d’obtenir quelques avancées sociales significatives. Et ainsi montrer que le combat syndical peut obtenir des victoires, alors que sur le dossier des retraites, le gouvernement a réussi jusque-là à passer en force. Ainsi, l’intersyndicale réunie ce matin a accouché comme attendu d’un communiqué commun pour mobiliser le 6 juin prochain. Mais cette fois-ci de nombreux thèmes ne concernant pas les retraites y sont aussi abordés.
Salaires, égalité femmes-hommes, nouveaux droits
Premier des thèmes mis en avant, « l’augmentation des salaires, des retraites et pensions, des minimas sociaux et des bourses d’études », vue par l’intersyndicale comme une priorité, dans le privé comme dans le public, en ses temps d’inflation. Mais aussi « l’égalité salariale Femme-Homme » qui « doit être une réalité concrète sans délai ». Sur ce sujet, les syndicats avancent ce qui ressemble à l’ébauche d’un cadre commun revendicatif : « revoir en profondeur l’index égalité salariale », « revaloriser les métiers féminisés », « proscrire les temps partiels subis » et mettre en œuvre les « dispositions de la convention 190 de l’OIT contre toutes les violences et le harcèlement au travail, y compris les violences sexistes et sexuelles ».
Autre dossier qui a fait l’unanimité, l’opposition « à toute atteinte au principe de solidarité nationale avec la réforme du RSA ainsi qu’à la dégressivité des allocations chômage qui conduisent à stigmatiser les précaires ou privé.e.s d’emplois ». Un sujet sur lequel les syndicats avaient déjà eu des positions communes au moment des réformes de l’assurance chômage en 2019 et 2022. Enfin, les huit syndicats se sont mis d’accord pour demander des droits supplémentaires visant à « améliorer et renforcer les moyens pour les représentants du personnel », comme par exemple de nouvelles prérogatives en matières environnementales pour ces derniers. Toujours dans les entreprises, l’intersyndicale estime que « pour protéger la santé des salarié.es, les commissions de santé sécurité et conditions de travail doivent être obligatoires dans les entreprises de 50 salariés et plus, avec des droits et des moyens renforcés ».
Si ces points d’accords restent modestes, il se dégage tout de même la volonté de se doter d’un socle minimal commun sur plusieurs sujets, à l’instar de ce que les syndicats ont pratiqué pendant le conflit sur les retraites. Avec ce socle, les syndicats veulent gagner en force, sans empêcher pour autant chaque organisation de mettre en avant ses particularités. Comme dans le mouvements contre la réforme où certaines organisations revendiquaient la retraite à 60 ans et d’autres non sans que l’unité contre la réforme se brise. Reste à savoir si cette volonté ne se fracassera pas sur les stratégies différentes qui animent les syndicats, notamment lorsque des signatures d’accord seront en balance, ou sur des réalités d’entreprises où parfois les conflits sont rugueux entre organisations.
publié le 29 mai 2023
Par asmine Djennane sur www.humanite.fr
Le collectifs contre la réforme des retraites de Bagnolet, les Lilas, Romainville et le Pré-Saint-Gervais, organise un pique-nique revendicatif pour mobiliser en vue du 6 juin, prochaine journée nationale de manifestations et de grèves à l’appel de l’intersyndicale. Michel Venon, de la CGT, nous explique pourquoi.
Le compte à rebours est lancé pour la manifestation du 6 juin. Les collectifs contre la réforme des retraites des quatre villes de Bagnolet, les Lilas, Romainville et le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) organisent un pique-nique revendicatif et festif afin de mobiliser les habitants et préparer la journée intersyndicale de manifestation et de grève du 6 juin. Prises de parole, concerts, jeux pour enfants. Le rendez-vous est donné le dimanche 28 mai à midi au Parc Lucie Aubrac aux Lilas.
Michel Venon, secrétaire général de l’union locale CGT Bagnolet les Lilas et responsable du collectif contre la réforme des retraites, explique l’initiative et fait un point sur le mouvement social local.
Un mois après la dernière grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites, ce pique-nique vise-t-il à relancer la lutte?
Michel Venon : Le mouvement social n’est pas terminé. Nous avons décidé de cette initiative afin de ne pas rester muet ni invisible durant ces quelques semaines entre le 1er Mai qui a connu une popularité sans précédent et le 6 juin. Nous sommes depuis le premier jour, comme la grande majorité des Français, opposés à une réforme que le gouvernement a décidé seul, plein de préjugés à l’égard des travailleurs, des chômeurs, des jeunes et des femmes. Allonger l’âge de départ à la retraite à 64 ans sans tenir compte des pénibilités par exemple, augmenter le nombre des annuités à 43, alors que l’ensemble de nos voisins européens sont dans une moyenne de 39 annuités est une infamie. Tout en continuant d’exonérer toujours plus les patrons de cotisations sociales. Ce pique-nique a pour objectif de réunir le plus grand nombre de personnes pour montrer que nous ne sommes pas seuls, et de maintenir la pression en vue du 8 juin prochain, date du vote de projet de loi d’abrogation déposée par le groupe LIOT.
Espérez-vous toujours que le gouvernement retire sa réforme?
Michel Venon : Je ne sais pas si le gouvernement finira par reculer. Mais il finira par admettre qu’il s’est trompé en passant en force une loi aussi impopulaire, injuste et brutale. Sa réforme des retraites, celle sur l’assurance chômage, du RSA comme celle des lycées professionnels ne servent qu’un objectif: abaisser le « coût du travail ». Les organisations syndicales n’ont cessé de faire des propositions de financements sur les retraites. Là encore, Macron n’a pas hésité à mentir aux Français en disant que rien ne lui était parvenu. Notre Union Locale CGT et notre collectif sont déterminés à gagner cette bataille et faire reculer le gouvernement.
Attendez-vous une forte mobilisation le 6 juin ?
Michel Venon : Il est toujours difficile de présager du nombre de personnes présentes lors d’une manifestation. Nous faisons le nécessaire pour qu’au minimum elle soit du même niveau que les précédentes. Comptabiliser les gens sur un parcours est certes un indicateur. Mais personne ne communique sur le nombre de salariés en grève dans les entreprises.
publié le 26 mai 2023
Sur le site de la CGT https://www.cgt.fr
Après deux mois de mobilisation pour des revalorisations de salaires, les grévistes de Vertbaudet ont besoin de soutien. C'est dans ce contexte qu'un appel a été lancé mardi 23 mai : « Les ouvrières de Vertbaudet, par leur lutte exemplaire, montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect ».
« On aurait dû se révolter bien avant », disait l’une d’elles au Monde à la fin du mois d’avril. Avec des salaires n’atteignant pas les 1 500 euros après plus de vingt ans d’ancienneté, les soixante-douze femmes grévistes de Vertbaudet ne comprennent pas pourquoi la direction de l’usine refuse catégoriquement d’augmenter leurs salaires. En effet, ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’accord salarial pour 2023 qui prévoit… 0 % d’augmentation de salaire, alors que l’inflation atteint des niveaux record.
Les travailleuses de l’entrepôt d’acheminement Vertbaudet de Marquette-lez-Lille sont en grève depuis le 20 mars 2023. Elles réclament une augmentation de leur salaire d’au moins 150 euros net et l’embauche d’intérimaires.
La spirale de l’intimidation et de la violence
Le 16 mai, au lieu d’organiser une médiation, la préfecture a envoyé la police évacuer le piquet de grève. Résultat : deux gardes à vue, une gréviste violentée puis hospitalisée avec quatre jours d’interruption temporaire de travail, six salariées convoquées pour un entretien préalable. La spirale de l’intimidation et de la violence a été franchie avec le guet-apens dont a été victime un délégué syndical CGT.
L’homme, embarqué devant sa maison, a été agressé par plusieurs hommes armés, ces derniers n’ont pas hésité à menacer son fils et son épouse. En 2023, en France, voilà ce que donnent neuf semaines de grève pour un meilleur salaire. Encore une fois, le gouvernement et le patronat font front contre le salariat.
Depuis, interpellée par la CGT, la première ministre s’est enfin engagée à cesser toutes les poursuites contre les ouvrières et à garantir une médiation avec la direction de l’entreprise. Cependant, plus de soixante jours après le début de la grève, la direction méprise toujours les soixante-douze salariées grévistes et refuse toute augmentation collective de salaire.
Cette violence et ce mépris que subissent les ouvrières de Vertbaudet, des milliers de grévistes les subissent alors qu’ils luttent contre la réforme des retraites, pour l’augmentation des salaires ou pour de meilleures conditions de travail. Les ouvrières de Vertbaudet sont à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste.
Leur grève met en lumière une question centrale. Comment, sans salaire digne, faire ses choix de vie, quitter son conjoint si on le souhaite et pouvoir nourrir ses enfants ? Comment être libre sans indépendance économique ?
Une lutte symbolique
On ne peut pas à longueur de journée déplorer les écarts de salaires entre les femmes et les hommes et, quand des femmes luttent pour gagner une revalorisation de leurs salaires, être aux abonnés absents. On ne peut pas en appeler aux employeurs pour qu’ils augmentent les salaires et, quand les salariés sont en grève, envoyer les forces de l’ordre pour casser leur piquet de grève !
Par leur lutte exemplaire, les ouvrières de Vertbaudet montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect. Féministes, nous les soutenons.
Vertbaudet est une entreprise connue en France. Connue des parents, qui sont nombreux à recourir à ses produits pour habiller leurs bébés. Mais aussi connue des dirigeants politiques. L’entreprise vient d’inaugurer son siège social à Tourcoing (Nord), ville dont le ministre de l’intérieur est toujours conseiller municipal. Elle a été rachetée par le fonds Equistone, un fonds d’investissement dirigé par Edouard Fillon, le fils de François Fillon. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas abandonner les ouvrières de Vertbaudet à leur sort et faire comme s’il s’agissait d’un conflit privé.
Il s’agit d’une lutte symbolique et nous soutiendrons les grévistes jusqu’à ce qu’elles obtiennent satisfaction.
Monsieur le PDG [Mathieu Hamelle], votre responsabilité est directement engagée. Nous vous appelons à ouvrir enfin des négociations pour concrétiser les augmentations de salaires revendiquées et abandonner immédiatement les sanctions contre toutes les grévistes. Nous appelons le gouvernement à agir réellement pour engager une procédure de médiation sérieuse et mettre sous pression l’entreprise pour que les négociations aboutissent.
Retrouvez la liste des premières signataires.
Les grévistes de Vertbaudet ont besoin de votre soutien
Pétition de soutien aux grévistes de Vertbaudet
Après deux mois de mobilisation pour des revalorisations de salaires, les grévistes de Vertbaudet ont besoin de soutien.
C'est dans ce contexte qu'un appel a été lancé mardi 23 mai : « Les ouvrières de Vertbaudet, par leur lutte exemplaire, montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect ».
pour signer la pétition :
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Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Alors que le conflit des femmes de Vertbaudet prend une ampleur nationale, Sophie Binet, tout fraîchement élue à la tête de la CGT, a promis un soutien fort du syndicat. Si le statu quo demeure, des actions sont envisagées, d’ici la fin de la semaine, dans les sites de l’entreprise partout en France.
C’est un geste fort. Plus de deux mois après le début de la grève dans l’enseigne de puériculture Vertbaudet, la secrétaire générale de la CGT a affirmé, ce mardi 23 janvier, que la centrale syndicale jetterait toutes ses forces dans la bataille. Dans l’entrepôt de Marquette-lez-Lille (Nord) 72 ouvrières – dans l’immense majorité des femmes – sont en grève depuis plus de deux mois pour exiger des augmentations salariales, l’embauche des intérimaires ou encore l’amélioration des conditions de travail (voir notre article).
Pour que leur conflit soit victorieux, Sophie Binet, venue devant le siège du groupe propriétaire de Vertbaudet Equistone Partners Europe, a lancé un ultimatum à la direction de l’enseigne. « D’ici vendredi (ndlr: 26 mai), si vous n’avez pas ouvert de négociation de fin de conflit, nous allons franchir un nouveau cap. Les 600 000 syndiqués de la CGT se mettront en action pour soutenir la lutte. Le message envoyé au patron est simple : il faut retrouver le chemin de la raison. »
Le niveau de la répression policière et patronale qui s’abat sur les grévistes fait également de cette grève un conflit hors normes. En guise de bilan : deux gardes à vue, une gréviste violentée puis hospitalisée avec quatre jours d’interruption temporaire de travail, six salariées convoquées pour un entretien préalable. Surtout, un des délégués syndicaux CGT du site a fait l’objet d’une opération « digne d’une milice patronale », selon les grévistes. Les agresseurs n’ont pas été identifiés mais le parquet a ouvert une enquête.
Alors que Jean-Luc Mélenchon était hier soir sur le piquet de Vertbaudet, les déclarations de la secrétaire générale de la CGT sont claires : cette lutte est devenue une bataille nationale. Sophie Binet y met en jeu sa crédibilité ainsi que celle de sa centrale syndicale.
Franchir un nouveau cap dans la lutte des Vertbaudet
Mais que signifie « franchir un nouveau cap » ? Quelles sont les actions envisagées par la CGT ? « Si rien ne se passe d’ici vendredi, nous appellerons à effectuer des actions en direction des magasins Vertbaudet partout en France », détaille Amar Lagha, secrétaire général de la fédération commerces et services de la CGT. La semaine dernière, un magasin Vertbaudet de Marseille avait déjà été envahi en soutien à la lutte des ouvrières du Nord. « Il s‘agira d’amplifier cela pour que, dans chaque union départementale, les militants de la CGT, qu’ils travaillent dans le commerce ou non, multiplient les actions », continue Amar Lagha.
Hausser le ton, pour la CGT, c’est aussi renouveler l’appel au boycott des produits Vertbaudet. Sophie Binet, présente sur le piquet de grève de Marquette-lez-Lille le 21 avril, avait déjà lancé un tel appel. « Cette fois, il s’agira de l’amplifier avec tous les moyens de communication à notre disposition », précise Amar Lagha.
À cela s’ajoute une tribune, signée par plus de 100 féministes, publiée aujourd’hui dans Le Monde et destinée à se transformer en pétition. Celle-ci rappelle la dimension éminemment féministe de la lutte des ouvrières de Vertbaudet. « Leur grève met en lumière une question centrale. Comment, sans salaire digne, faire ses choix de vie, quitter son conjoint si on le souhaite et pouvoir nourrir ses enfants ? Comment être libre sans indépendance économique ? », alertent les signataires.
publiéle 2 mai 2023
Hugo Boursier sur www.politis.fr
Contre le Rassemblement national qui organisait sa « fête de la nation » dans la ville portuaire, une vingtaine d’associations ont tenu une « contre-fête » en plus du traditionnel cortège en solidarité avec les travailleurs et travailleuses. Reportage.
Des terres ouvrières, un port français face à une Manche traversée par le commerce mondial, et un avertissement au maire Horizons, Édouard Philippe, potentiel candidat pour les élections présidentielles de 2027. Le plan de communication de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, président du Rassemblement national, devait être réglé comme du papier à musique. Et pourtant. Au Havre, ce sont les 4 800 manifestants venus célébrer les travailleurs et travailleuses, en ce 1er Mai, qui se sont fait entendre à travers la ville. C’est trois fois plus qu’en 2022, où s’étaient rassemblées entre 1300 et 1500 personnes.
Imaginée par l’eurodéputé RN pour remplacer la traditionnelle gerbe de fleurs déposée depuis 1979 au pied de la statue de Jeanne d’Arc, à Paris, la « fête de la nation » n’a finalement pas pris. Bunkerisé dans un carré des Docks surveillé par le service d’ordre du parti, les DPS, l’événement, ramassé en quatre petites heures, a rassemblé trois fois moins de personnes que celui organisé par les syndicats et les associations.
Sous haute surveillance policière, et d’un drone dont l’utilisation a été limitée au Havre par le tribunal administratif, mais pas interdite, une soixantaine de manifestants ont tenté de rejoindre l’événement. Les CRS les ont dispersés en utilisant du gaz lacrymogène. Une personne s’est vue administrer un coup de matraque au visage.
Une fois à l’intérieur de l’enceinte, la mise en scène se voulait « conviviale, comme en famille », selon les mots du député de la Moselle, Laurent Jacobelli. L’idée : montrer aux invités, constitués d’élus, de cadres ou de jeunes militants du RN ayant déboursé 20 euros, que le parti était bien celui des travailleurs populaires, en ce 1er Mai. La treizième journée de manifestation contre la réforme des retraites à l’appel de l’intersyndicale, qui se tenait pourtant le même jour, n’a pas été évoquée une seule fois.
Vin, terrine de canard et « crise civilisationnelle »
Dans le prolongement des longues tables bleu-blanc-rouge encombrées de vin, de terrine de canard et de volaille, Sébastien Chenu, vice-président de l’Assemblée nationale, a vanté le groupe RN qui siège au Palais Bourbon. « Le plus actif, le plus présent », s’est-il enthousiasmé devant un public à la bouche pleine.
Alors que le cadre du parti continuait d’égrainer lourdement les propositions de lois des députés RN, Jordan Bardella s’est inquiété par message auprès d’un de ses conseillers. Sébastien Chenu serait-il déjà « en campagne interne » ? « Le congrès est dans 3 ans, mais il faut commencer tôt ! », grince le conseiller auprès de l’eurodéputé RN, Jean-Lin Lacapelle. Ambiance.
Après l’interminable Sébastien Chenu, c’est au tour de Marine Le Pen de ressasser les mêmes hantises habituelles : « la crise civilisationnelle », « l’arme de fragmentation massive » que serait l’intersectionnalité, et cette « secte » de wokisme, en plus d’un Macron, unique « cause de nos maux », d’après elle.
En ce jour de « fête du travail et de la patrie », elle n’a pas réfléchi à de nouvelles propositions, ni à la moindre analyse neuve sur la séquence actuelle. Preuve d’une gêne vis-à-vis d’un mouvement social qui lui est opposé ? Sur une ligne de crête, l’ancienne candidate RN a préféré ressortir son programme de 2022. Son clip de campagne a même été diffusé.
Marine Le Pen maquille la discrétion dont on l’accuse depuis le 19 janvier en posture pacificatrice face aux « vociférantes » oppositions. À peine a-t-elle dessiné cette fumeuse « paix sociale », que son équipe vendait à chaque bâillement des convives, comme un « contrat passé avec le pays » basé sur « un engagement pour les entreprises, pour les salariés qui maintiennent seulement leur survie, et pour les cotisants ». Comprenne qui pourra.
Ce manque d’imagination n’aurait pas surpris Stéphane Fourrier. Quelques heures plus tôt, alors que le défilé du 1er Mai grossissait autour de la Maison des Syndicats, l’enseignant syndiqué à la FSU observait du bleu de ses yeux rieurs le cortège des travailleurs sans-papiers. « Le Rassemblement national est incapable de proposer quoi que ce soit. Quand on regarde de près ce que leur groupe a voté à l’Assemblée, on constate qu’ils ont été contre l’augmentation du Smic, contre l’interdiction des jets-privés, etc. Bref : le RN vote toujours contre l’intérêt des travailleurs », explique-t-il.
Vous imaginez une Le Pen déambuler ici ? C’est impossible. Parce que la culture ouvrière du Havre est profondément antifasciste.
Ce mythe du parti d’extrême droite autoproclamé « parti des ouvriers » est à déconstruire. Michel, chauffeur-routier né au Havre, n’a de cesse de le répéter à ses collègues. « Marine Le Pen nous ment quand elle sort ces conneries. Après elle ose venir ici ? Je ne peux pas l’accepter », pointe-t-il du doigt, alors que le cortège CFDT lance des « c’est qui les casseurs, c’est eux, dehors ce gouvernement ».
Une fois arrivée sous les deux arches que forme la Catène de containers, monument typique du Havre depuis la transformation du port industriel, la foule a pu se disperser entre la scène et les différents stands des associations. « Vous imaginez une Le Pen déambuler ici ? C’est impossible. Pourquoi ? Parce que la culture ouvrière du Havre est profondément antifasciste », lance Olivier, dont plusieurs membres de sa famille travaillent au port.
Si le combat contre la retraite n’est « pas terminé », estime Marie-Laure Tirelle, responsable de l’union départementale de l’Unsa, il s’agissait aussi de montrer qu’au Havre, « on n’est absolument contre la venue du RN ». Du chamboule-tout à l’effigie d’Emmanuel Macron et de sa rivale d’extrême droite jusqu’aux harangues des artistes sur scène, la « contre-fête » tenait sur ses deux jambes : la fête des travailleurs contre la réforme des retraites, d’un côté, et la lutte antiraciste de l’autre.
Cette « intersectionnalité », pointée du doigt deux kilomètres plus loin au banquet-meeting du RN, fait la fierté de Médine – grande star locale et dernier artiste de la journée. « Les cadres du RN ont très peur de ce qui est incarné ici : la convergence des luttes syndicalistes, antiracistes, LGBTQI. J’essaie d’incarner ce croisement moi aussi, et je viens le célébrer ici », analyse celui dont les dates de tournée n’arrivent pas à être empêchées par les élus RN. « Quand on est populaire, comme s’estime Marine Le Pen, on marche dans la rue, on rencontre les gens. C’est exactement ce qu’elle n’a pas fait ».
Après les célèbres « Médine France » et « La France au Rap Français », c’est la très attendue « Puissance du Port du Havre » qui a retourné la foule. Jusqu’à faire tomber les barrières séparant la scène du public. « Il faut retenir ça : aujourd’hui, on a fait tomber les barrières, on est ensemble », lance Médine, comme un message antifasciste contre la venue du RN au Havre.
publié le 1° mai 2023
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Il y a eu 550.000 manifestants à Paris selon la CGT. Le stand du PCF dans le cortège parisien a été visé avec un engin incendiaire, lorsqu'un cortège avec des slogans hostiles au PCF passait. Des tensions émaillent le cortège dans la capitale avec des charges policières à peine la manifestation partie, tandis qu'un important "black bloc" s'est formé en tête. Destruction également du stand de Siné-mensuel.
Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce d’ores et déjà historique. Par sa dimension rassembleuse d’abord, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait également à la mobilisation, mais sans Force ouvrière, ni la CFTC.
Pour 64% des Français, la contestation sociale doit se poursuivre
Cette nouvelle manifestation intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.
Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont d’ores et déjà prévus, contre environ 200 à l’ordinaire. « Nous sentons une montée en puissance des manifestations, avec une volonté recherchée de rassembler au plus près des bassins d’emploi, explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui se joue, c’est la poursuite du mouvement. »
D’ailleurs, pour 64 % des Français, selon l’institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire est d’avoir identifié, à nouveau, le 1er Mai comme une date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront ainsi présents Esther Lynch, secrétaire générale de Confédération européenne des syndicats (CES) , et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).
La non-application de la réforme est possible
CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat première embauche (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la réforme des retraites, le 15 avril.
De fait, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, au Journal officiel écarte la possibilité de contraindre le président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet devant les députés. « Dès lors, si vous voulez revenir devant le Parlement, il faut déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil dès le début », précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.
Pour autant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut forcer le président de la République à ne pas publier les décrets d’application.
Seconde demande de RIP déposée par les parlementaire de gauche
Sur le plan parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de départ à la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.
« Mais cette requête reprend l’article unique de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’apportait pas de changement du droit, tempère Benjamin Morel, accompagné d’un second article visant à moduler les taux de CSG. Or, la jurisprudence issue du RIP sur les superprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »
Les sages rendront leur avis le 3 mai. La réussite du 1er Mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une issue démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des propositions de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront également amenés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.
Le mouvement renouvelle ses modes d’action
Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un déplacement houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et accueilli par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite du CHU de Poitiers ; les équipes d’Emmanuel Macron, qui prévoient un groupe électrogène de secours, en cas de coupure d’électricité durant les tournées présidentielles… À l’approche du 1er Mai, la contestation sociale a changé de nature.
La casserole, utilisée par des manifestants pour protester durant l’allocution élyséenne du 17 avril, est devenue le symbole de ces actions coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous voulions faire comprendre que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner son glas », assure Youlie Yamamoto, d’Attac.
L’organisation est à l’initiative de ces « casserolades », après un « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît la porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement fait par le syndicat Solidaires informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.
Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Élysée avec un camion affichant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique ont envahi le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».
L’intersyndicale réclame une refonte de la démocratie sociale
« La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce “en même temps” a fait une victime : la qualité du dialogue social », déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.
Le secrétaire général de la CFDT dénonçait ainsi la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir », analyse le sociologue Baptiste Giraud.
À l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, les syndicats sont désormais perçus à 52 % comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46 %, - 13 points).
La CFDT porte 10 propositions visant à redonner du pouvoir aux élus du personnel, dont la désignation de représentants de proximité dans les sociétés comptant plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT appelle à la remise en place des instances supprimées en 2017 et à la suspension « de l’ensemble des accords régressifs », dont les ruptures conventionnelles collectives.
Les travailleurs à l’offensive pour les salaires
L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus marquant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.
« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan, assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites participe au rapport de force dans l’entreprise. » Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros brut par mois d’augmentation. Un moyen pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Élisabeth Borne.
pubié le 1° mai 2023
Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr
Pour les travailleurs et travailleuses mais, surtout, contre la réforme des retraites. Ce 1er-Mai s’annonce colossal à l’appel d’une intersyndicale unie. En trois mois, le mouvement social a permis à ses artisans de tisser des liens, parfois hors des sentiers syndicaux, pour maintenir la lutte et en construire de nouvelles, partout en France.
Un 1er-Mai « historique », « massif » et « inédit » pour l’intersyndicale, unitaire pour la première fois depuis quatorze ans. « Sans précédent », « vengeur » et porté par un sentiment « de rancune », du point de vue des renseignements territoriaux, dont la note, aux relents angoissants, a opportunément « fuité » dans la presse.
En 2022, entre 116 000 et 210 000 personnes avaient manifesté partout en France le 1er-Mai, dont 24 000 à 50 000 dans la capitale. Ce lundi, rien qu’à Paris, les autorités s’attendent à 80 000 à 100 00 personnes de la place de la République à celle de la Nation. Sur l’ensemble du pays, il pourrait y avoir davantage de défilés qu’en 2022 : jusqu’à 300 selon la CGT, contre 278 l’an dernier.
Des appels à manifester sont en effet lancés dans des petites et moyennes villes, peu habituées à accueillir des défilés du 1er-Mai. C’est la suite logique : depuis plus de trois mois, le mouvement social mobilise fortement « les territoires », comme l’exécutif aime à les qualifier.
Alès, Morlaix, Mende, Vierzon, Maubeuge, Flers… Beaucoup se sont distingués, des semaines durant. Mediapart s’est ainsi rendu dans une commune de l’Yonne, Charny-Orée-de-Puisaye et ses 500 habitant·es, qui a vu défiler le 23 mars sa première manif du siècle, « et peut-être même du précédent ». 110 personnes dans la rue, du jamais-vu. L’île d’Ouessant (Finistère), et ses 830 âmes hors saison, s’est également illustrée le 13 avril, agrégeant 180 manifestant·es, contre 169 une semaine plus tôt.
« C’est complètement dingue ! », s’enthousiasme Théo Roumier, syndicaliste Sud Éducation et partisan de « l’autogestion généralisée », dans les entreprises – et en dehors. « Ce qu’il s’est produit à Ouessant montre que des gens se sont causé, ont organisé ça ensemble », poursuit l’enseignant, selon qui « l’auto-organisation est la clef de la victoire et du rapport de force ».
Sur son blog, il décrypte : « L’enjeu de l’auto-organisation la plus généralisée qui soit est justement de dépasser le cadre des seuls effectifs syndiqués, pour lui permettre de remplir deux rôles – pratique et politique – s’alimentant l’un l’autre. »
Faire entendre la voix des privés d’emploi
C’est précisément ce qui est en train de naître entre le Gard et l’Hérault, où une « assemblée des précaires du Sud-Cévennes » s’est montée courant février. Elle se réunit toutes les semaines dans un lieu autogéré de Pont-d’Hérault, un ancien faubourg ouvrier entre Ganges (Hérault) et Le Vigan (Gard).
« On se demandait comment s’inscrire dans le mouvement social, raconte Ilyess*, l’un des membres de l’assemblée. La réflexion de départ était de se dire que le mouvement venait beaucoup du monde du travail et qu’il manquait une voix : celle des précaires et des privés d’emploi. »
D’après Ilyess, le collectif rassemble des anciens « gilets jaunes » et des personnes engagées dans divers combats comme « la lutte écolo ou le soutien à l’Ukraine ». Leur point commun : « On est tous précaires », souligne l’ancien facteur, n’ayant connu que des contrats à durée déterminée. « Nous sommes au RSA, intermittents, en intérim, paysans cotisants, ou allocataires de l’allocation adulte handicapé, énumère Ilyess. Pour nous, la retraite à taux plein est une chimère. Nos carrières sont hachées et incomplètes. »
Pour nous, le mouvement social permet une chose rare : voir nos patelins se bouger autrement.
Outre la bataille des retraites, l’assemblée des précaires s’engage concrètement dans l’entraide, en proposant des coups de main aux personnes en difficulté avec des organismes (la CAF, Pôle emploi…) ou des propriétaires de logement.
Quant aux questions sociales, elles ne manquent pas : « Inflation, réformes du RSA et de l’assurance-chômage, création de France Travail, accession au logement... » comptent parmi les sujets importants pour le collectif, qui ne revendique aucun leader, ni bureau politique.
« On a beaucoup tracté dans les manifs et attiré de nouvelles personnes. On ressent une envie de militer, de s’organiser », souligne encore Ilyess. « Pour nous, le mouvement social permet une chose rare : voir nos patelins se bouger autrement », sourit-il. Dans le Gard, six défilés sont annoncés pour le 1er-Mai, contre quatre en 2022.
Un mouvement plus ancré
« Des graines ont été semées », se réjouit Théo Roumier, de Sud Éducation, devant « l’ancrage des petites et moyennes villes » dans le mouvement social. Il raconte avoir également observé des frémissements réjouissants « dans les grosses manifs des grosses villes ». Il décrit des cortèges d’entreprises, non menés par des permanents syndicaux mais « par des gens d’une même boîte qui se sont vus, ont parlé, se sont organisés, ont fabriqué ensemble une banderole ». « Tout ceci est fin. C’est petit, c’est sensible mais j’y suis très attaché car c’est pris, c’est gagné », ajoute l’enseignant.
Pour lui, la lutte contre la réforme des retraites est « un mouvement d’opinion » dont il ne faut pas se contenter. « On a besoin d’un mouvement plus ancré mais ça ne se fait pas en cinq minutes ! Le cadre de l’auto-organisation doit reposer sur des militants ouverts à cette question, tout en sachant s’effacer devant un collectif de travail. Le maillage syndical est important mais ce qui est intéressant, c’est quand ça déborde sur des non-militants. »
Pas question, donc, d’opposer syndiqué·es et non-syndiqué·es, plutôt perçu·es comme complémentaires. L’assemblée des précaires du Sud-Cévennes en fait d’ailleurs l’expérience. « Certains d’entre nous participent aux réunions de l’intersyndicale, d’autres non. Nous avons fait notre petit bloc avec nos pancartes et nous marchons côte à côte, avec les syndicats en tête de cortège », décrit Ilyess. Le collectif était également présent lors de la visite d’Emmanuel Macron à Ganges, le 20 avril.
« Notre volonté est de faire plein de trucs avec l’intersyndicale, pas de s’en démarquer. Mais nous restons attachés à la diversité des gens et des pratiques. » Et de conclure : « Faire des manifs, des concerts de casseroles, danser, ou taper au portefeuille du capitalisme : à chacun son mode d’action ! Mais je sens une vraie envie de s’inscrire dans la durée. »
publié le 30 avril 2023
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Bien qu’affaiblies par la « révolution » macronienne, les organisations syndicales ont affirmé leur rôle de contre-pouvoir à travers le mouvement historique contre la réforme des retraites. Une place qu’elles pourront renforcer, « à condition de trouver un second souffle », soutient le politologue Baptiste Giraud, avant ce 1er mai exceptionnel à l’appel de l’intersyndicale.
L’intersyndicale promet un 1er Mai historique. Les huit centrales restent unies dans l’objectif de la non-application de la réforme des retraites. Pour autant, les divisions stratégiques et revendicatives laissent planer un doute quant à la longévité du rassemblement, alors qu’Emmanuel Macron entend accélérer ses réformes, en avançant l’ouverture d’une grande négociation entre organisations patronales et syndicales, en vue d’abonder son « pacte de la vie au travail ».
Diriez-vous, pour l’heure, que les organisations syndicales sortent renforcées de ce conflit social malgré l’absence du retrait de la réforme ?
Baptiste Giraud : Objectivement, l’ampleur des mobilisations a démontré à ceux qui en doutaient la force de leur ancrage dans le monde du travail et leur capacité à s’imposer comme des acteurs centraux du jeu politique. Mais ce conflit est aussi une illustration supplémentaire de leur marginalisation par le pouvoir. Les organisations syndicales ont beaucoup communiqué sur le nombre d’adhésions réalisées depuis janvier. La difficulté reste à les transformer en engagement durable. La mobilisation a aussi joui d’un soutien massif parmi les actifs. C’est un point positif, mais paradoxal par rapport à la difficulté persistante des syndicats à le convertir en engagement plus massif dans les manifestations et encore plus dans la grève.
L’intersyndicale demeure toujours rassemblée. La CFDT, notamment, continue d’impulser la contestation sociale. L’absence de compromis et l’attitude brutale de l’exécutif sont-elles les seules explications ?
Baptiste Giraud : Elles ont été des facteurs décisifs. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les syndicats n’ont plus aucune marge de manœuvre. Cela vaut aussi pour les centrales réformistes qui ne peuvent plus valider leur engagement dans la négociation par l’obtention de compromis. De fait, elles sont contraintes à renouer avec des postures contestataires, délaissées depuis 2010. Cette unité syndicale cristallise donc des tensions qui dépassent le seul cadre de cette réforme. Notamment depuis la mise en place des ordonnances Macron et l’instauration des comités sociaux et économiques (CSE), dont la conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir.
« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »
Pensez-vous que le dialogue et la démocratie sociale sont à l’arrêt jusqu’à la fin du quinquennat ?
Baptiste Giraud : De toute évidence, elle ne fonctionne pas depuis 2017. Mais il est difficile d’imaginer l’exécutif diriger le pays quatre années durant sans avoir aucun interlocuteur syndical. Le refus de discuter sur d’autres réformes est d’ailleurs la principale arme des centrales pour perturber le pouvoir politique. Si le gouvernement se décide à donner des gages aux organisations réformistes sur les futurs arbitrages, pour ma part, je les imagine mal camper sur cette position de blocage. L’exécutif devra y mettre le prix. Restons prudents cependant. On aurait pu s’attendre à ce que la crise des gilets jaunes ait remis les syndicats au centre du jeu politique, en faisant la démonstration de la nécessité d’avoir des représentations organisées. Manifestement l’exécutif n’en a pas tiré de leçon, tout comme Emmanuel Macron a fait mine de ne pas comprendre qu’il n’a pas été réélu sur son programme.
Pour la suite, le gouvernement met sur la table une nouvelle loi travail, ainsi qu’un texte sur le partage de la valeur. Quelle va être l’attitude des centrales syndicales dans ces dossiers ?
Baptiste Giraud : Le caractère unitaire de ce mouvement n’a pas fait converger les syndicats vers des revendications alternatives communes. Ce qui le distingue, par exemple, des mobilisations de 2008 au moment de la crise financière, qui s’étaient construites autour d’une plateforme revendicative intersyndicale. L’unité des syndicats reste donc fragile dans le temps en raison de leurs divergences de position sur la protection sociale ou les politiques salariales. Elles se sont par exemple divisées sur le récent accord interprofessionnel sur le partage de la valeur ajoutée qui n’aborde pas la question des salaires, renvoyée aux négociations de branches et d’entreprises. Pour cette raison, la CGT a refusé de signer l’accord alors qu’il a été ratifié par les autres centrales. Sur les autres sujets, s’il y a des avancées, on peut penser que le gouvernement trouvera une oreille attentive du côté des organisations réformistes. Ces dernières prennent un risque en restant en dehors de toute forme de négociations avec le gouvernement et le patronat, car il s’agit là de leur marque de fabrique, leur identité militante. C’est ce qui les distingue et légitime leur rôle dans l’espace syndical. Pour rester au centre de ce dernier, il sera donc difficile pour elles de persister dans une posture de contestation.
Ce mouvement social est marqué par de fortes mobilisations de rue, avec 3,5 millions de personnes dans les cortèges les 7 et 23 mars. Y a-t-il un changement de paradigme dans les luttes, avec une prédominance des manifestations par rapport aux grèves ?
Baptiste Giraud : Ce n’est pas une nouveauté, cette tendance est perceptible depuis au moins trente ans. La manifestation, dans des journées d’action interprofessionnelle, apparaît comme la principale modalité de participation à l’action. Cela ne veut pas dire que les grèves n’existent pas. Mais elles sont assez circonscrites à l’énergie, le transport ferroviaire, l’éducation nationale ou encore aux raffineries. À noter que les éboueurs se sont plus mobilisés qu’à l’ordinaire. Mais en dehors de ces secteurs dits stratégiques, il n’y a pas eu d’extension de mouvements de grève reconductible. En dehors des journées d’action, la participation aux grèves a aussi été plus faible que par le passé, y compris chez les cheminots. Il n’y a pas de comparaison possible avec 1995, où la mobilisation à la SNCF était très ancrée sur la défense du statut, qui n’existe plus depuis 2020 pour les nouveaux embauchés. La morphologie de la mobilisation est en fait cohérente avec ce qu’on observe sur le temps long : une baisse du nombre de grèves, du taux de participation, mais aussi leur répartition très inégale dans le monde du travail. Les syndicats restent faiblement implantés auprès de salariés qui subissent des conditions de salaire et d’emploi précaires, au sein de collectifs de travail très éclatés. Il leur est donc très difficile d’y organiser des grèves. Le contexte de forte inflation a évidemment ajouté aux difficultés à mobiliser par la grève au profit de formes de mobilisation moins coûteuses comme les débrayages, l’utilisation des heures de délégation ou la pose de RTT.
Le rapport de la CGT à la contestation semble s’être durci à l’issue de son 53e congrès. Dans son duel à distance avec la CFDT, la mobilisation change-t-elle quelque chose pour la centrale ?
Baptiste Giraud : Il est assez compliqué de savoir qui sort vainqueur, dans le camp syndical, de cette séquence. La CGT a démontré son rôle moteur dans la mobilisation, notamment dans les secteurs stratégiques, en dépit de son affaiblissement électoral. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer pourquoi les organisations réformistes n’ont pas forcément intérêt à rester longtemps dans cette stratégie, qui redonne de la vigueur à une pratique plus contestataire du syndicalisme. Laurent Berger s’est imposé comme la figure syndicale médiatique de la mobilisation. La CFDT est d’habitude plus en retrait, sa parole apparaissait plus originale pour les médias. La CGT et la CFDT peuvent en sortir renforcées, à condition qu’elles trouvent un second souffle. La CGT ne peut rester durant des mois dans une posture de contestation permanente et doit trouver d’autres leviers pour obtenir des victoires justifiant l’efficacité de son action. La CFDT ne pourra revenir dans sa pratique de la négociation qu’à condition d’obtenir des acquis réels, en particulier sur la pénibilité.
L’arrivée de Sophie Binet à la tête de la CGT marque-t-elle un changement générationnel dans le syndicalisme ?
Baptiste Giraud : Tout à fait. Sophie Binet est la première femme à diriger cette confédération, cela a été souligné, tout comme son passage par le PS ou encore son parcours à l’Ugict (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT). Mais son élection, avec celle de Laurent Brun (secrétaire général de la fédération CGT cheminots – NDLR) comme administrateur, marque aussi l’arrivée de quadragénaires à la tête de la confédération. C’est également le cas pour Marylise Léon, qui va succéder à Laurent Berger à la CFDT. Ce renouvellement de génération peut favoriser l’ouverture des syndicats à de nouveaux combats, notamment sur le féminisme ou l’écologie qu’incarne Sophie Binet. En revanche, comme en témoigne par exemple l’arrivée de Laurent Brun, il n’implique pas forcément de rupture dans le logiciel idéologique de la centrale. On peut s’accorder sur le fait que ce renouvellement soit une bonne nouvelle, dans l’idée que cela rajeunit l’image du syndicalisme et tord le cou à l’idée qu’il ne serait qu’une affaire du passé. Au contraire, on observe que les syndicats ont la capacité de produire de nouvelles générations de dirigeants, de haut niveau, indépendamment de leurs lignes respectives.
« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »
Malgré un désert syndical chez les étudiants, les jeunes se sont mobilisés de manière plus importante après l’usage du 49.3. Ont-ils apporté un second souffle à cette mobilisation ?
Baptiste Giraud : C’est d’abord un révélateur de l’affaiblissement durable du syndicalisme étudiant, dans sa fonction mobilisatrice, directement lié au délitement de l’Unef. J’ajouterai deux éléments conjoncturels. Le CPE concernait en premier lieu les jeunes, contrairement à la retraite. Mais aussi le fait que le bac se déroule désormais en mars, pour certaines épreuves décisives pour Parcoursup. Le calendrier n’était pas optimal pour favoriser la mobilisation de la jeunesse. Cela ne signifie pas pour autant une dépolitisation. La mobilisation a changé de sens, passant d’un conflit social classique à un conflit englobant des aspects démocratiques, surtout après l’usage du 49.3. Cela a permis d’élargir la contestation aux jeunes et, sans doute, à d’autres catégories de salariés. Pour les centrales syndicales, l’un des enjeux à venir est de restructurer une capacité de mobilisation des jeunes, à l’université comme au travail.
Profil : Baptiste Giraud est maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille. Ses domaines de recherche se concentrent, entre autres, sur la sociologie du syndicalisme et de l’action collective, des organisations politiques, des relations professionnelles et de la santé au travail. Il est notamment le coauteur, en 2018, d’une « Sociologie politique du syndicalisme », aux éditions Armand Colin.
publié le 29 avril 2023
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
En pleine bataille des retraites, la réussite de cette Journée internationale des travailleurs, où défilera l’intersyndicale, peut ouvrir des opportunités nouvelles au mouvement social, alors que le Conseil constitutionnel se prononce le 3 mai sur la seconde demande de RIP.
Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce d’ores et déjà historique. Par sa dimension rassembleuse d’abord, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait également à la mobilisation, mais sans Force ouvrière, ni la CFTC.
Pour 64% des Français, la contestation sociale doit se poursuivre
Cette nouvelle manifestation intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.
Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont d’ores et déjà prévus, contre environ 200 à l’ordinaire. « Nous sentons une montée en puissance des manifestations, avec une volonté recherchée de rassembler au plus près des bassins d’emploi, explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui se joue, c’est la poursuite du mouvement. »
D’ailleurs, pour 64 % des Français, selon l’institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire est d’avoir identifié, à nouveau, le 1er Mai comme une date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront ainsi présents Esther Lynch, secrétaire générale de Confédération européenne des syndicats (CES) , et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).
La non-application de la réforme est possible
CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat première embauche (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la réforme des retraites, le 15 avril.
De fait, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, au Journal officiel écarte la possibilité de contraindre le président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet devant les députés. « Dès lors, si vous voulez revenir devant le Parlement, il faut déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil dès le début », précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.
Pour autant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut forcer le président de la République à ne pas publier les décrets d’application.
Seconde demande de RIP déposée par les parlementaire de gauche
Sur le plan parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de départ à la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.
« Mais cette requête reprend l’article unique de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’apportait pas de changement du droit, tempère Benjamin Morel, accompagné d’un second article visant à moduler les taux de CSG. Or, la jurisprudence issue du RIP sur les superprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »
Les sages rendront leur avis le 3 mai. La réussite du 1er Mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une issue démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des propositions de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront également amenés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.
Le mouvement renouvelle ses modes d’action
Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un déplacement houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et accueilli par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite du CHU de Poitiers ; les équipes d’Emmanuel Macron, qui prévoient un groupe électrogène de secours, en cas de coupure d’électricité durant les tournées présidentielles… À l’approche du 1er Mai, la contestation sociale a changé de nature.
La casserole, utilisée par des manifestants pour protester durant l’allocution élyséenne du 17 avril, est devenue le symbole de ces actions coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous voulions faire comprendre que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner son glas », assure Youlie Yamamoto, d’Attac.
L’organisation est à l’initiative de ces « casserolades », après un « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît la porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement fait par le syndicat Solidaires informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.Près de 300
Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Élysée avec un camion affichant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique ont envahi le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».
L’intersyndicale réclame une refonte de la démocratie sociale
« La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce “en même temps” a fait une victime : la qualité du dialogue social », déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.
Le secrétaire général de la CFDT dénonçait ainsi la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir », analyse le sociologue Baptiste Giraud.
À l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, les syndicats sont désormais perçus à 52 % comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46 %, - 13 points).
La CFDT porte 10 propositions visant à redonner du pouvoir aux élus du personnel, dont la désignation de représentants de proximité dans les sociétés comptant plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT appelle à la remise en place des instances supprimées en 2017 et à la suspension « de l’ensemble des accords régressifs », dont les ruptures conventionnelles collectives.
Les travailleurs à l’offensive pour les salaires
L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus marquant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.
« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan, assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites participe au rapport de force dans l’entreprise. » Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros brut par mois d’augmentation. Un moyen pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Élisabeth Borne.
Près de 300 points de rendez-vous dans l’hexagone
Pour le 1er Mai comme pour les douze premières journées de mobilisation contre la réforme des retraites, la lutte se déploie sur l’ensemble du territoire. Au total, près de 300 cortèges sont prévus, selon la CGT. À Paris, la manifestation partira de la place de la République vers 14 heures, jusqu’à la place de la Nation. À Lyon, le cortège s’élancera depuis la place Jean-Jaurès à 10 heures. Même heure pour Marseille. À Urrugne, Bordeaux, Millau ou encore Perpignan, le rendez-vous est à 10 h 30. Militants communistes et syndicaux seront également à pied d’œuvre pour la traditionnelle vente du muguet.
Sophie Binet - Secrétaire générale de la CGT
Le 1er Mai, Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, existe depuis près de cent trente- cinq ans, lancé par le mouvement ouvrier et la CGT pour exiger la réduction du temps de travail et la paix. Rien de neuf à venir défiler cette année, alors ? Eh bien, pas du tout ! Ce 1er mai 2023 sera inédit en France. Outre que ce sera la 13e journée de manifestation contre la réforme des retraites, c’est la première fois que l’ensemble des syndicats y appellent. C’est aussi la première fois que la dimension internationale va être ainsi affirmée, avec près de 100 syndicalistes venu·e·s des cinq continents pour afficher leur soutien à la mobilisation française. Il sera aussi familial, festif et populaire. Trois bonnes raisons d’y participer. Mais la quatrième est la plus importante. Notre nombre, le 1er Mai, est déterminant pour gagner. Le 8 juin, une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites sera examinée par l’Assemblée nationale. Et elle a toutes les chances d’être votée, si la mobilisation et la pression sur les député·e·s se maintiennent. Alors, ce 1er Mai, avec nos familles, nos ami·e·s, nos voisin·e·s et nos collègues, soyons au rendez-vous, prenons la rue pour enterrer la réforme des retraites et mettre à l’ordre du jour des perspectives de progrès !
Diego Chauvet sur www.humanite.fr
Un an après sa réélection, Emmanuel Macron a eu droit à des casserolades devant des mairies de la France entière lundi soir.
Après une visite perturbée à Lyon, le ministre de l'Education, Pap Ndiaye, a quitté la gare par une porte dérobée pour éviter les manifestants. © Geoffroy Van der Hasselt / AFP
Le premier anniversaire de la réélection d’Emmanuel Macron aura été agité. Trois de ses ministres, Éric Dupond-Moretti, Pap Ndiaye et François Braun, ont effectué des déplacements perturbés à chaque fois par des casserolades et des manifestations durant la journée du 24 avril.
La soirée n’a guère été plus calme. Le mouvement Attac avait appelé à des concerts de casseroles à travers toute la France à partir de 20 heures, devant les mairies. Paris a eu droit aux siens. Devant les mairies d’arrondissement, et pour le rassemblement le plus important, à l’Hôtel de Ville. Plusieurs centaines de casseroles y ont ainsi tinté à l’heure prévue. Accompagnées de « Macron démission », chant des gilets jaunes, et d’autres slogans tels que « nous aussi on va passer en force »…
Pap Ndiaye en retenue
Devant la mairie de Paris, le rassemblement sur place ne s’attarde cependant pas. Peu après 20 heures, le retour du ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui a dû essuyer des casserolades dans la capitale des Gaules plus tôt dans la journée, est annoncé à la Gare de Lyon aux alentours de 21 heures. Les manifestants se passent le mot, et s’engouffrent aussitôt dans le métro pour aller accueillir le ministre. Dans les couloirs puis le hall de la gare, ils se retrouvent à nouveau à plusieurs centaines. Une fois le train ramenant Pap Ndiaye à quai, les huées fusent. Le ministre est contraint d’emprunter un escalier menant à un couloir « sécurisé » par les forces de police afin d’éviter les manifestants…
Si l’ambiance est toujours au rendez-vous pour ces actions désormais quotidiennes, beaucoup de ceux qui viennent restent toutefois sans illusions sur leur effet sur le pouvoir. « Je continue à venir à chaque action », explique ainsi Emma, développeuse informatique et syndicaliste. « Mais je ne crois pas Macron va se lever un matin en se disant qu’il retire sa réforme ». Elsa et Philippe eux, en sont à leur première casserolade, mais leur « dixième manifestation » depuis le début du mouvement. « On se demande bien où ça va nous mener » interroge perplexe, Philippe. Professeur à la retraite, Elsa confie qu’elle « aimerait bien voir ses collègues réagir davantage à ce qui va leur tomber dessus ».
Le macronisme, « plus jamais ça »
Un an après sa réélection, Emmanuel Macron déroute autant les manifestants qu’il les irrite. Son intervention télévisée du 17 avril, son entretien dans le Parisien, où il réitère ses provocations suscitent à la fois rejet et incompréhension. « De toute façon, les propos de ce monsieur ne m’intéressent plus », balaie Elsa.
Lors des débats parlementaires sur la réforme des retraites, c’est la droite et la macronie qui ont le plus heurté. « On dit qu’à gauche c’était un peu le cirque, constate Emma, mais en comparaison de tout ce qui a pu se dire à droite, c’est rien ». Pour Philippe, « le blocage de la FI ne nous a pas choqué. L’Assemblée n’est pas un endroit où on peut discuter tranquillement. Tout est joué d’avance ». Lui aussi fustige la majorité. « C’est une insulte permanente à l’intelligence, les propos des macronistes ! » tacle-t-il. Pour lui comme pour Elsa, le macronisme laisse des traces lourdes de conséquences à long terme. « On avait déjà été traumatisés par le vote pour Chirac en 2002. Mais là, plus jamais ça » prévient-il.
Des manifs qui font du bien
Employé à la propreté à la Mairie de Paris, Andy dit être là « pas dans la résignation, mais sans beaucoup d’espoir ». Si son emploi est administratif, il a suivi de près la grève des éboueurs. « Ils ont fait ce qu’ils ont pu. Je comprends aussi que les gens ne soient pas toujours là. Ils ont des charges à payer ». Il se réjouit cependant du soutien au mouvement dans les sondages. Pour cette soirée du 24 avril, il est venu avec sa fille, Darinka : « il y a plus de ferveur quand on est ensemble », dit-il en souriant. « Nous, on a vécu passivement entre nos 20 et nos 40 ans », raconte-t-il en faisant allusion à sa génération.
Malgré l’absence de tout fléchissement de la part d’Emmanuel Macron, ces mobilisations quotidiennes, bien que moins massives que les grandes journées d’action, font du bien. Voir un ministre sortir d’une gare par une porte dérobée procure un petit sentiment de victoire aux manifestants, et leur donne envie de passer à la suite. Les agendas du gouvernement ont rarement été autant scrutés. Celui du Conseil constitutionnel, qui doit encore rendre une décision le 3 mai sur la deuxième demande de RIP est dans les têtes, mais de façon plus secondaire. . « Si c’est validé, on soutiendra oui… », concède Philippe. « J’attends un peu de voir… », explique Emma avant de préciser, « mais non en fait ». Difficile d’y croire après la validation de la réforme et le rejet de la première demande.
C’est donc l’action dans la rue qui l’emporte, avec le 1er mai en ligne de mire. Et pour beaucoup, le retrait de la réforme ne serait même plus suffisant. « C’est un changement complet qu’il nous faut. Le mot révolution n’est pas galvaudé » après six ans de macronisme, conclut Philippe.
par Rédaction sur https://basta.media/
En signe de protestation contre la promulgation de la réforme des retraites, les casseroles sont de sortie lors des déplacements officiels du Président et des ministres. L’intersyndicale appelle à un « 1er mai unitaire et populaire pour le retrait ».
Les actions de mobilisations sonores dites « casserolades » et les comités de non-accueil se multiplient depuis la promulgation de la réforme des retraites le 15 avril. Sur les réseaux sociaux, c’est « l’intervilles des 100 jours » qui est lancé, en référence aux « 100 jours d’apaisement » évoqués lors de l’allocution d’Emmanuel Macron le 17 avril.
Casserolades et sifflements
Un hashtag #CasseroladeGénérale a appelé à une symphonie de cuivres de rue le le lundi 24 avril à 20 h. Plus de 450 actions ont été recensées selon l’association Attac. Une manière de signifier le mécontentement par des percussions de casseroles endiablées lors des déplacements gouvernementaux en région.
En conséquence, certains ministres ont déjà annulé leurs visites, à en croire la carte des mobilisations actualisée par Attac. Emmanuel Macron n’y échappe pas : après un accueil entrée huées et sifflements à Muttersholtz, en Alsace, le président de la République a annulé des déplacements, comme celui prévu à Toulon, où il devait participer à une réunion concernant le Service national universel (SNU) le 27 avril prochain.
Grevilla et 1er Mai
Des actions sont aussi menées dans le secteur de l’énergie. La Fédération CGT Mines-Energie a revendiqué la coupure d’électricité du collège Louise-Michel survenue à Ganges (Hérault) lors de l’arrivée d’Emmanuel Macron le 19 avril. Sans oublier le lendemain la « mise en sobriété » de l’aéroport de Montpellier, avant l’arrivée du président. Dans un communiqué du 21 avril, elle annonce une « grevilla avec des perturbations énergétiques lors des déplacements et initiatives de l’exécutif, du Président et de ses amis ».
« Macron a promis 100 jours pour apaiser, nous lui promettons 100 jours d’actions et de colère, prévient le syndicat de l’énergie. Le Festival de Cannes, le Grand Prix de Monaco, Roland-Garros, le Festival d’Avignon pourraient se retrouver dans le noir. »
Dans un communiqué commun, l’intersyndicale a quant à elle appelé « tous les travailleurs et travailleuses, jeunes, retraité.es comme l’ensemble de la population à se rendre massivement à la manifestation, entre collègues de travail, amis, en famille » et à « faire du 1er mai une journée de mobilisation massive, unitaire et populaire contre la réforme des retraites, partout sur le territoire, dans le calme et la détermination ». Objectif de la mobilisation : obtenir l’abrogation de la réforme des retraites.
par Léon Crémieux sur https://www.cadtm.org
Les huit derniers jours ont vu un tournant dans le mouvement de grèves et de mobilisation. Se sont enchaînées, le jeudi 13 avril une 12e journée de mobilisation nationale appelée par l’Intersyndicale nationale, puis le 14 la validation du Conseil constitutionnel, le 17 une allocution télévisée « solennelle » de Macron et le 20 une série de manifestation et grèves d’une journée dans plusieurs secteurs.
L’expression du rejet de la réforme continue de se traduire par de très nombreuses manifestations, blocages, débrayages. Ni Macron, ni ses ministres ne peuvent effectuer de déplacement sans être confrontés à des manifestations populaires d’hostilité. De même, toutes les enquêtes d’opinion, indiquent un taux de 75% d’impopularité de Macron, un isolement croissant depuis les derniers jours.
Le 13 avril, 1,5 million de personnes se sont rassemblées dans les manifestations (380000 selon la police), en gros un tiers de moins que le 6 avril, poursuivant la pente descendante de la mobilisation, mais un chiffre encore très élevé, équivalent à beaucoup des plus grandes journées de grèves des dernières années. Le fléchissement est essentiellement dû à la fin des grèves reconductibles qui étaient de puissants moteurs de mobilisation (même si le 13 avril, à l’appel de la CGT, le secteur du ramassage des ordures repartait en grève reconductible), aux vacances de Pâques dans un tiers des départements et surtout évidemment à une situation d’attentisme. Le rapport de force n’ayant pas contraint Macron à reculer, les regards, même ceux de l’intersyndicale, se fixaient sur l’échéance du 14 avril avec les décisions du Conseil constitutionnel.
Durant les centaines d’initiatives locales du 13 avril, blocage, barrages filtrants, occupations de ronds-points, la répression policière a été la règle, avec garde à vue à la clef. L’isolement politique de Macron s’accompagne de l’accroissement des interventions policières, des violences. La défenseure des Droits (autorité administrative indépendante pouvant être saisie directement en défense des droits et libertés, notamment face aux administrations de l’Etat) Claire Hédon, a répertorié plus de 120 saisines de ses services pour violences policières depuis janvier 2023, dont l’immense majorité depuis la mi-mars, date du 49.3 : Les exactions se multiplient, interventions policières, nasses dans les manifestations, matraquages au sol, gardes à vue arbitraires.
Le lendemain du 13 avril, le Conseil constitutionnel rendait deux avis : un concernant la constitutionnalité de la loi sur les retraites et de la procédure suivie, un autre sur la demande par la NUPES de l’organisation d’un « référendum d’initiative partagé » (RIP) sur une loi disant que « l’âge légal de départ en retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Beaucoup espéraient que ce qui n’avait pas pu être obtenu par la motion de censure, les grèves et les manifestations puisse l’être par une décision du Conseil jugeant non conforme la loi et obligeant le gouvernement à retourner devant le parlement. Beaucoup espéraient aussi, au minimum, que puisse être organisée une campagne de recueil de signatures pour le RIP (environ 4,8 millions en 9 mois, 10% des électeur-trice-s inscrit-e-s). Scène digne des dictatures, le bâtiment du Conseil, au cœur de Paris, fut entouré, dès le 13 avril, de plus d’une centaine de CRS et gendarmes mobiles pour y interdire toute manifestation.
Même s’il y avait de très solides bases juridiques pour ne pas avaliser la loi, le faire aurait évidemment été un choix politique paradoxal venant d’une instance composée de neuf notables liéEs à Macron et à sa politique, de près ou de loin. Hors de question pour ce Conseil d’ouvrir plus largement la crise politique. De même, le choix fut très politique de refuser le RIP qui aurait pu devenir une épine dans le pied de Macron, l’infectant avec son gouvernement pendant au moins neuf mois.
Le soir du 14 avril, les rues de Paris et de dizaines de villes résonnaient de la colère des milliers de personnes, manifestant une nouvelle fois leur rejet de la réforme. L’intersyndicale, dès l’annonce de la validation de la loi, demanda à Macron de surseoir à la promulgation de la loi et de la recevoir. Celui-ci, bien au contraire, alors qu’il disposait de quinze jours pour le faire, s’empressa de promulguer, quelques heures après l’annonce de la validation. Ces avis du Conseil, derniers espoirs de bloquer légalement la loi, cette promulgation express, ont été vécus comme un nouveau diktat visant à faire taire la colère populaire.
Le lundi suivant, Macron a essayé une première « sortie de crise » télévisée par une allocution à 20h. Concéder l’évidence « Cette réforme est-elle acceptée ? A l’évidence, non », ne l’empêcha pas de rabâcher à nouveau ses arguments pour justifier sa réforme. Macron faisait furieusement penser au PDG d’une grande entreprise, justifiant à nouveau ses décisions durant un CSE face à des syndicats en grève contre un plan social. Comme le PDG n’a à consulter ni les syndicats ni les salariés, l’ancien banquier d’affaires considère évidemment qu’il n’a pour seule obligation que de remplir les objectifs financiers du capitalisme libéral et les impératifs communautaires de l’UE. Les institutions politiques ne sont pour lui qu’un accessoire, encombrant ; la voix populaire et majoritaire des grèves et de la rue, un contretemps gênant, mais sans conséquences, tant que ses donneurs d’ordre, ses commanditaires continuent à lui faire confiance. Dès lors, la seule preuve qu’il voulait apporter dans cette allocution était qu’il tenait toujours la barre. Il sait que son pouvoir réel, quotidien, il le tient des grands investisseurs, entreprises et institutionnels.
Son discours servait ainsi à se donner 100 jours en vue d’obtenir « un apaisement », en fermant « l’épisode des retraites », à parler de santé, de chômage, d’immigration, de sécurité, comme si toutes ces questions pouvaient lui permettre de tourner la page et n’étaient pas des domaines dans lesquels s’exercent la même politique de classe, d’inégalités et de discriminations. L’association ATTAC avait lancé l’idée de grands rassemblements de « casserolades », à l’heure de son allocution. Appel largement relayé, avec des milliers de personnes dans plus de 300 rassemblements.
Ces rassemblements de casseroles se renouvellent depuis, à chaque tentative de Macron, de Borne ou de ses ministres de se déplacer. A tel point que mercredi 19 avril, alors que Macron se rendait dans une petite ville du Sud-Ouest, Ganges, le préfet du département a pris un arrêté pour « instaurer un périmètre de protection » en invoquant les menaces d’attentats, les lois antiterroristes qui, une nouvelle fois, sont utilisées de fait pour interdire la liberté de manifester. Pire, les forces de police, s’appuyant sur l’arrêté, ont systématiquement confisqué les casseroles et boites de conserves dont s’étaient dotés les manifestantEs bien décidés à se faire entendre de Macron. Une nouvelle fois la contestation sociale est assimilée à une entreprise terroriste.
Les signes de dérives du pouvoir se multiplient, au-delà de l’épisode de Ganges. Les menaces contre la Ligue des Droits de l’Homme proférées par Darmanin, ont été suivies de celles de Borne. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), dont le rapport 2023 ne confirmait pas le roman de Macron sur la catastrophe annoncée, a subi depuis des pressions pour que son rapport 2024 soit conforme à la version officielle du pouvoir.
A la demande de Macron, et pour rassurer les agences de notation sur la « qualité de gestion » du pouvoir, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des finances, vient de sortir sa nouvelle « feuille de route des finances publiques ». Alors que la hausse des taux d’intérêt est maintenue par la BCE, il veut accélérer l’application des critères de convergence avec comme objectif pour 2027 la réduction du déficit du budget à 2,7%, et celle de la dette à 108,3% du PIB. L’année dernière, Bruno Le Maire prévoyait seulement 2,9% et 112,5%. Cette année Le déficit budgétaire devrait être de 4,9%. En conséquence, tous les ministères viennent de recevoir des lettres de cadrage prévoyant 5% d’économies pour avancer vers l’objectif fixé par Le Maire. Baisser radicalement le montant des dépenses publiques va aggraver davantage la pénurie dans les services publics.
Dans ce contexte, le mouvement de mobilisation, malgré la colère sociale, marque le pas. Ce qui est en jeu c’est la capacité ou non d’imposer à Macron un recul sur les 64 ans, malgré la promulgation de la loi. Il est évident que cela dépendrait toujours de la capacité à élargir la crise politique et à paralyser le gouvernement. La paralysie parlementaire va subsister puisqu’il est clair désormais que les Républicains ne noueront pas d’alliance parlementaire pour asseoir une majorité. Mais Borne et Macron espèrent néanmoins passer au travers de nouvelles motions de censure et continuer à gouverner en louvoyant et en procédant au maximum par des décrets qui n’impliquent pas de vote du parlement. Seule la mobilisation populaire pourrait permettre réellement de faire mettre genou à terre au gouvernement.
L’objectif annoncé par l’Intersyndicale est de faire du 1er Mai la prochaine échéance par des manifestations unitaires dans toutes les villes. Certes, cela sera une première historique puisque, depuis 1945, le mouvement syndical en France, n’a jamais été réuni dans une même manifestation le 1er Mai. Cela témoigne positivement du rapport de force construit dans le mouvement. Mais quel en est l’objectif ? En faire un point de départ pour un second souffle, un nouvel élan pour affronter Macron ? Cela serait évidemment décisif pour imposer une défaite à Macron, mais cela renvoie aux limites de l’Intersyndicale. L’unité est maintenue sur le rejet des 64 ans et le refus de dialoguer avec Macron sans recul sur sa réforme et cela est un facteur de dynamisation des mobilisations toujours nombreuses dans tout le pays. Mais quel sera l’objectif après le 1er Mai ?
Fixer de nouveaux leviers de mobilisations, contre les 64 ans, en élargissant aux questions sociales les plus urgentes, à commencer par les salaires et le coût de la vie, en gardant la dynamique unitaire mais en avançant vers un nouvel affrontement pour faire céder Macron, seront les enjeux des jours qui viennent.
publié le 24 avril 2023
Par Inès Belgacem sur https://www.streetpress.com
Les femmes en grève de l’usine d’acheminement de Vertbaudet entament leur sixième semaine de blocage. Elles réclament une augmentation de salaire et la direction refuse toute négociation. Un bras de fer impossible.
Marquette-lez-Lille (59) – « Lever la tête, bomber le torse, sans cesse redoubler d’efforts ! » Sur l’air d’Amel Bent, Viser la Lune, bras dessus, bras dessous, le groupe de femmes chante en chœur devant les appareils photo et les caméras. « Malgré le Smic, et puis la Caf, l’humiliation dans le flicage, moi je lèverai le poing, encore plus haut encore plus loin. » Ce 14 avril, les femmes en grève de Vertbaudet terminent leur quatrième semaine de blocage de leur usine. Elles sont 83 – dont quelques hommes – à réclamer, notamment, une augmentation des salaires.
Le bras de fer tendu depuis 26 jours, avec la direction de l’usine d’acheminement de la marque de prêt-à-porter pour enfants, n’a pas permis d’ouvrir le dialogue. Alors ce vendredi matin, la toute nouvelle secrétaire de la CGT, Sophie Binet, s’est rendue sur le piquet de grève, à moins d’une dizaine de kilomètres de Lille (59). Des politiques, des journalistes et des cégétistes de la région ont fait le déplacement pour l’occasion. Devant la petite foule, feuille de papier en main, la syndicaliste chante avec les grévistes le temps d’une chanson, avant de promettre de bloquer les magasins parisiens de l’enseigne si la porte des négociations ne s’ouvrait pas :
« Visez la thune, ça ne me fait pas peur ! Même à l’usure, j’y crois encore et en cœur. »
« On survit »
« “Vertbaudet, les enfants d’abord”, disent-ils. » Sandrine (1) oscille entre colère et fatigue. « C’est vrai pour tous les enfants sauf ceux de leurs salariées ! Ils n’en ont rien à faire que les nôtres mangent à leur faim. » Une fois la cohue passée, il ne reste que quelques femmes et une poignée de soutiens cégétistes du coin, réunis autour de la tonnelle rouge qui leur sert de camp de base. « Mon grand garçon est manager. Il m’a dit : “Maman, ce n’est pas normal tes conditions de travail”. » Sandrine a haussé les épaules :
« Peut-être, mais l’important c’est la sécurité. Faut bien manger. »
La mère de quatre enfants – deux adultes et deux ados – les pousse à entreprendre de longues études. Elle, n’en a pas fait. La petite-fille de mineur a été embauchée en 1997 chez Cyrillus, avant d’être déplacée sur le site de Vertbaudet – les deux enseignes font partie d’un même groupe à l’époque. À 48 ans, après 26 ans d’ancienneté, son salaire affiche 1.200 euros net par mois :
« J’ai l’impression de vivre le même quotidien que ma grand-mère. Je ne vais plus acheter de baguette fraîche depuis l’augmentation des prix et l’inflation. C’est Germinal ! »
« C’est difficile de se dire qu’on travaille consciencieusement, comme tout le monde, pour être à découvert le 20 du mois », confie Caroline. Sa fille est au lycée. Séparée de son père, elles habitent à deux, et doivent s’en sortir avec son seul salaire de 1.200 euros net par mois. Caroline a quelques avantages, dont un contrat avec les mêmes congés que les vacances scolaires de sa fille. Mais ça ne paie pas son loyer de 450 euros, à quoi s’ajoutent les charges, les courses et les petits tracas de leur quotidien à deux :
« Son père lui paie des vêtements ou des sorties à la foire. Moi, je ne peux pas. Moi, je survis. »
La mère célibataire raconte faire ses courses en ligne sur l’application Picnic. « Comme ça, je ne prends que ce dont j’ai besoin et je reste dans mon budget au centime près. » Elle prend toujours des tartes et des pizzas, pour les couper et en faire deux repas. Si Caroline a besoin d’un meuble, direction Emmaüs. Pour les vêtements, c’est le Secours populaire. Le neuf ne lui est plus accessible. Et finalement, elle participe chaque jour à l’expédition de produits qu’elle n’est plus en mesure de s’offrir.
« Nous sommes méprisées »
Chez Vertbaudet, il y a deux étages : les bureaux au premier occupés par les cols blancs et l’entrepôt au rez-de-chaussée, d’où partent les camions chargés de marchandises par les ouvriers. Ils livrent les magasins de la marque et les particuliers, en meubles, jouets et vêtements pour les enfants. Schématiquement, il y a trois équipes : le prélèvement, l’emballage et l’expédition. « Au prélèvement, ils vont chercher les commandes. C’est plutôt des postes qu’on donne aux jeunes, parce que c’est physique », explique Justine, neuf ans de contrat à Vertbaudet et gréviste de la première heure. La plupart des salariés de l’entrepôt sont des femmes. « On m’a mise à l’emballage des commandes maintenant. Mes deux coudes sont morts et je force sur mes épaules », raconte Carole, 51 ans et presque la moitié d’ancienneté à Vertbaudet. Elle marche entre 15 et 25 kilomètres par jour, comme ses collègues. « C’est un métier épuisant : on tire, ou soulève, on pousse des chariots très lourds », complète Aïcha, petite nouvelle de 33 ans, embauchée il y neuf mois après plusieurs années d’intérim.
« La demande de rendement est plus importante », poursuit Aïcha. Avec sa casquette de marin noire, installée sur un banc de palettes du piquet, la trentenaire enchaîne les anecdotes :
« On est surveillées : les patrons passent pendant nos pauses déj’ pour vérifier qu’on ne dépasse pas notre temps à la minute prêt. »
« Dix minutes, c’est la règle », explique sa collègue Justine : « Pour manger, passer aux toilettes, prendre un café – sachant qu’il n’y a qu’une seule machine pour nous tous, utilisable qu’à la pause. » Pas de passages aux WC hors temps de repos, assure-t-elle. Seules les bouteilles d’eau sont acceptées dans l’entrepôt. « Pas de grenadine ou de sirop de citron dedans, c’est interdit. » Elle conclut :
« On est infantilisés. »
Elles ont bien essayé d’en discuter, notamment par l’intermédiaire de leur représentante syndicale Manon Ovion, une des leaders du mouvement, elle aussi salariée de l’entrepôt. Elle aurait reçu une fin de non-recevoir :
« “Mais vous, vous êtes au niveau zéro”, m’ont-ils dit. Sous-entendu : il n’y a que les cadres du premier étage qui peuvent réclamer quelque chose. »
Des négociations impossibles
« Ça y est, il sort ! » Ça crie sur le piquet. Deux grosses voitures arrivent aux grilles de l’entreprise. Le patron de l’usine est au volant, accompagné de deux huissiers. Les femmes grévistes restent à distance, mais le ton monte avec un cégétiste de la région. Le directeur regarde droit devant lui, froid et impassible.
Ce matin-là, des individus ont fait tomber une grille pour entrer dans l’entreprise. La direction de Vertbaudet dénonce des violences et des dégradations survenues ces 11 et 14 avril. Le week-end qui suit, « des dégradations volontaires dont un départ de feu » auraient également été constatées par la direction, qui assure que des plaintes ont été déposées. « Nous faisons la différence entre les grévistes et des individus externes, violents », a-t-elle déclaré, ajoutant :
« Les événements sont extrêmement violents pour les salariés qui continuent de travailler. Trois blessés légers ont été pris en charge par les pompiers. »
La direction n’a pas donné davantage d’info sur les blessures de ses salariés. Elle a cependant fait parvenir une pétition, signée par plus de 150 non-grévistes, qui s’opposeraient au mouvement social : « Nous, salariés non-grévistes, ressentons un bien-être sur notre lieu de travail. Il y règne une bonne ambiance. Nous sommes solidaires [de la direction]. (…) Nous avons certains avantages non négligeables (…) Cette situation génère une peur de la perte de notre emploi qui nous permet de faire vivre notre famille. »
Sur les 327 salariés de l’entrepôt, un quart est en grève avec la CGT ce vendredi 14 avril. « Ce conflit social est mené par une minorité », estime l’entreprise, qui refuse de revenir sur les négociations annuelles. Elles se sont soldées début mars par un accord signé par Force Ouvrière (FO) et la CFTC, qui représentent 63% des salariés syndiqués. La CGT, minoritaire, s’y est refusée.
« Dites que FO n’est pas avec nous ! Ça c’est grave ! » s’indigne Sandrine, la petite-fille de mineur, sur le piquet. « C’est un travail qui n’évolue jamais, qu’on ait 20 ou 40 ans. Aucun changement de salaire, aucune évolution de carrière, le monde du travail ne devrait pas être ça ! » La direction considère que leurs employées de l’entrepôt ont une rémunération supérieure au Smic de 17%, grâce à différentes primes. Elle a aussi proposé de faire des heures supplémentaires, « pour augmenter rapidement le pouvoir d’achat ». Carole, la mère célibataire, dénonce :
« Ce ne sont pas les primes qui paient notre retraite. On ne cotise pas. On voudrait que notre salaire brut augmente. »
Mais les deux étages ne semblent plus pouvoir se comprendre.
Cinq semaines de bras de fer
« À table ! Quand c’est plus chaud, c’est plus chaud ! » crie JR, autoproclamé chef du barbecue cégétiste de la région. Ce matin, une autre camarade de la CGT leur a offert un agneau entier. Des voisins leur ont déjà apporté des gâteaux et des soupes à la tente. Et les klaxons de soutien rythment leurs longues journées. « Heureusement qu’on a tout ce soutien, parce que ça commence à faire long. Et au début c’était compliqué », raconte Justine, pour qui c’est la première grève. Jour un : l’Union locale de Tourcoing lance le blocage pour manifester contre la réforme des retraites et soutenir les revendications salariales des représentants de l’usine. Les femmes suivent. Mais sans manteau, cache-nez, cigarettes ou nourriture. Rien. Justine en rit :
« Les nuls font la grève. On ne savait pas ce que ça voulait dire de tenir un piquet toute la journée. Ça demande de l’organisation et beaucoup d’énergie. Et la première gelée et la première pluie, on n’a rien vu venir ! »
Et puis tout s’est organisé, progressivement, à mesure que le bras de fer s’est durci avec la direction. Après le passage de sept camions de CRS la première semaine, leur campement, installé devant l’entrée de l’entreprise, a déménagé à quelques mètres, pour libérer la route empruntée par les camions. L’usine voisine d’Ikea leur ouvrait gracieusement leurs toilettes. La direction aurait passé un coup de fil pour y mettre un terme. Pareil pour l’entreprise qui fournissait le piquet en palettes.
Il y a ensuite eu l’arrivée des 84 intérimaires, « pour remplacer les 82 salariés grévistes », note l’inspecteur du travail alerté par la CGT. Une notification de l’Inspection du travail, que StreetPress a pu consulter, épingle l’entreprise et rappelle que « le code du travail interdit le recours (…) aux travailleurs intérimaires pour remplacer les grévistes ». À ce jour, Vertbaudet emploie toujours ces intérimaires et explique attendre la réception du procès-verbal définitif pour contester les faits.
Et la suite ?
« Vivement qu’on en finisse », tranche Justine, déterminée mais fatiguée, comme la plupart de ses camarades. « Surtout qu’on n’a pas toujours été mal ici », racontent-elles. Chacune a son petit souvenir : la Sainte-Catherine, où les plus anciennes confectionnaient des chapeaux aux nouvelles ; le patron qui passait avec des chocolats ou du champagne pour les fêtes ; ou simplement le temps où le café et les casse-dalles étaient autorisés dans l’entrepôt. Une époque qui leur semble bien loin.
La direction réitère à StreetPress : elle refuse catégoriquement d’ouvrir de nouvelles négociations sur l’augmentation des salaires. Les représentants CGT annoncent quant à eux, une reconduction de la grève. Ce lundi 24 avril, les femmes de Vertbaudet entament leur sixième semaine de blocage.
publié le 23 avril 2023
Nelly Metay sur www.humanite.fr
Le collectif McDroits s’est donné rendez-vous au McDonald’s de Parmentier, vendredi 21 avril, à l’occasion de sa réouverture officielle. Entre deux tracts et un flashmob, ils ont dénoncé l’inaction de la firme face au harcèlement au travail.
« On est là, même si McDo le veut pas nous on est là ». Créé en mars 2020, le collectif McDroits multiplie les actions à l’encontre de l’enseigne américaine. Salariés du groupe ou simples soutiens extérieurs, ils se mobilisent depuis maintenant trois ans afin de dénoncer les abus dans la chaîne de restauration rapide. « Nous étions là en octobre 2020 au siège à Guyancourt pour dénoncer les discriminations systématiques, nous sommes ici aujourd’hui pour les mêmes choses », relate Antoine, salarié de l’entreprise et membre de la CGT McDonald’s Paris.
Un accueil musclé
Animations, musiques, ballons, tracts et influenceuse cotée… Le groupe au M doré a tout prévu pour attirer les badauds. Une flashmob est même organisée en partenariat rémunéré avec la tiktokeuse Camille la danseuse, l’ambiance se veut festive. Au coin de la rue Oberkampf, les membres du collectif Mc Droits préparent leurs banderoles et mettent leurs t-shirts, mais la préparation est de courte durée. Les responsables du restaurant les ont repérés et partent à leur rencontre. Habitués à des accueils toujours mitigés, ils prennent les devants et se postent à l’entrée du fast-food, au moment même où la musique démarre. « On veut perturber leur flashmob, qu’ils n’aient pas d’autre choix que de nous écouter s’ils veulent poursuivre leur événement », développe Anna co-organisatrice de l’action, quelques instants avant de passer à l’acte.
Pourtant, tout ne se passe pas comme prévu. À peine sont-ils en place que plusieurs responsables déboulent sur eux, ciseaux à la main pour tenter de découper leur banderole sur laquelle on peut lire le fameux slogan « Venez comme vous êtes » suivi des actes reprochés « Harcelé.es, attouché.es, humilié.es, abusé.es, rabaissé.es ». Très vite la tension monte, ils sont priés de remballer leur matériel. « J’ai eu un peu peur quand on m’a saisi le bras violemment et griffé », confie Rémi, encore choqué des menaces proférées selon lui par les responsables, qui n’ont pas souhaité réagir à nos sollicitations. Après d’intenses négociations, le collectif peut prendre la parole devant une petite foule agrégée devant l’entrée du restaurant. « Nous sommes ici pour lire des témoignages de salariés qui ont subi du harcèlement, des menaces, des pressions, du racisme et des violences sexuelles », scande Antoine. Malgré leurs mines déconfites, les gérants du magasin mettent fin à l’action et reprennent tant bien que mal leur cérémonie d’inauguration. Une reprise qui tarde… car l’influenceuse invitée s’est évaporée durant l’action du collectif McDroits.
« Des pressions systématiques »
Si certains membres du groupe ont été chahutés, le collectif est satisfait d’avoir pu mener à bien son action. « C’est important pour nous que les gens entendent ces témoignages, nous en avons recueilli des centaines qui dénoncent les conditions de travail honteuses », assure Mathilde, qui participe elle aussi à l’action. Collectés pendant des mois en ligne ou en physique sur les campus universitaires, ces témoignages proviennent d’actuels ou anciens salariés victimes d’abus en tout genre. Bien souvent jeunes et précaires, les personnes qui acceptent de raconter leur expérience au sein du géant du fast-food relatent une pression systématique, exercée aussi bien sur le lieu de travail que par le biais de l’application de messagerie en ligne WhatsApp. « On est contacté par nos supérieurs à des heures improbables, on nous demande parfois de surveiller nos collègues. On nous impose des responsabilités et cela ne représente que la partie émergée de l’iceberg » déplore Antoine, consterné par cette réalité.
McDonald’s s’était engagé à lutter contre le harcèlement
Si cette action n’est pas la première et sûrement pas la dernière, elle rappelle surtout l’inaction de la firme. Appelé à agir en interne en 2020 suite à l’action faite au siège par le collectif, McDonald’s s’était engagé à lutter contre le harcèlement moral et avait promis un protocole d’écoute et de prise en charge des victimes. Pourtant, selon le collectif, plusieurs personnes s’étant plaintes de leurs conditions de travail n’ont jamais vu la concrétisation de ces annonces, se résignant à laisser l’entreprise qui emploie le plus de jeunes en France, perpétuer sa triste omerta.
publié le 22 avril 2023
Marceau Taburet et Diego Chauvet sur www.humanite.fr
Tout le week-end, les opposants à la construction du nouveau tronçon entre Toulouse et Castres manifestent dans le sud du Tarn. Le ministre de l’Intérieur attise les tensions.
Ce samedi 22 avril, le sud du Tarn doit connaître un week-end de mobilisation à haut risque, moins d’un mois après les affrontements de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Les opposants à la construction d’une autoroute entre Toulouse et Castres appellent à un rassemblement à Saix pour manifester leur opposition à ce projet jugé « anachronique ».
Caisses à savon, Caddie de supermarché, karts désaffectés et autres luges à roues, des bolides de toutes tailles et toutes formes
Les initiatives annoncées se veulent festives et bon enfant. Les organisateurs (les Soulèvements de la Terre, la Confédération paysanne…) ont prévu de monter samedi à bord de bolides. De toutes formes et de toutes tailles. Caisses à savon, Caddie de supermarché, karts désaffectés et autres luges à roues feront l’affaire pour participer à la course.
L’idée étant de franchir la ligne d’arrivée en moins de douze minutes, soit le temps qu’est supposée faire gagner l’A69 aux automobilistes
L’idée étant de franchir la ligne d’arrivée en moins de douze minutes, soit le temps qu’est supposée faire gagner l’A69 aux automobilistes. Ces derniers jours, entre 2 000 et 3 000 personnes se sont montrées intéressées sur les groupes de discussion.
Long de 44 kilomètres, cet axe autoroutier est dans les cartons depuis le début des années 2000. « Cela fait des années que des gens se battent sur place. Là, on entre dans une nouvelle phase puisque les travaux ont commencé et des arbres ont déjà été abattus », explique Mathieu, membre des Soulèvements de la Terre.
Artificialisation de 366 hectares et destruction de zones boisées et humides
Ce qui suscite leur indignation, c’est avant tout la non-prise en compte des impacts sociaux et environnementaux du projet. Artificialisation de 366 hectares, destruction de zones boisées et humides, déplacement d’espèces végétales et animales…
« L’utilité de cette autoroute n’a jamais été démontrée. Elle ne sera pas rentable », estiment les militants locaux d’Europe Écologie-les Verts dans un communiqué. Les mots « climat » et « biodiversité » sont les grands absents de l’exposé des motifs qui tente de justifier le caractère d’utilité publique de l’autoroute.
Selon les premières estimations, ce nouveau tronçon payant (autour de 7 euros à chaque passage), construit en parallèle de la nationale, serait emprunté chaque jour par près de 6 000 usagers. Ce qui semble bien faible au regard de ses conséquences écologiques, jugent les membres du collectif local la Voie est libre.
Ce tronçon autoroutier « ne répond pas aux attentes et aux besoins des citoyens et du territoire »
Au sein de la gauche régionale, la communiste Géraldine Rouquette, conseillère régionale et ex-élue municipale de Castres, estime que ce tronçon autoroutier « ne répond pas aux attentes et aux besoins des citoyens et du territoire ». Il laisse des angles morts : « Le désenclavement ne doit pas se faire que vers Toulouse », explique l’élue communiste, qui considère que « le développement du ferroviaire » aurait également dû être une piste de travail, arguant que « faire rouler des trains c’est mieux pour l’environnement ».
La présidente socialiste de la région, Carole Delga, appuie en revanche le projet au nom du « désenclavement du sud du Tarn ». En 2021, avant les élections régionales, elle rappelait en outre que l’État avait donné son feu vert « après une large concertation ».
En lieu et place du projet autoroutier, les communistes auraient eux préféré un doublement de l’actuelle route nationale, de façon à en faire une deux fois deux voix, et plaideront le cas échéant pour la gratuité de ce tronçon pour les usagers.
« Le gouvernement croit que tout le monde veut des ZAD partout »
Mais, au-delà de ces débats, le souvenir des violences à Sainte-Soline autour des méga-bassines, le 25 mars, est dans toutes les têtes. « On espère qu’il n’y aura pas de provocation de la part de la police, assure Mathieu. Le gouvernement est dans un délire de croire que tout le monde veut mettre des ZAD partout. »
Selon lui, l’exécutif poursuit bille en tête sa stratégie de « criminalisation des mouvements sociaux et environnementaux ». Preuve en est, la volonté affichée par Gérald Darmanin de dissoudre les Soulèvements de la Terre.
Le locataire de la place Beauvau a déjà annoncé, sous forme de prophétie, que « l’autoroute entre Castres et Toulouse sera le prochain objectif de l’ultragauche ». Le préfet du Tarn, qui a autorisé la manifestation, promet de mener « un dialogue constructif » avec les organisateurs.
Il reste à savoir si l’État pourrait revenir sur son projet. Selon des informations publiées par Mediapart, ce 20 avril, le ministre des Transports, Clément Beaune, « a souhaité réexaminer l’ensemble des projets autoroutiers actuellement envisagés, et le projet d’A69 ne fait pas exception ». L’entourage du ministre assure que, « dans ce cadre, rien n’est définitif ».
À la veille du week-end de mobilisation, une opération de com destinée à calmer le jeu n’est pas exclue. À moins que le gouvernement, déjà malmené après la réforme des retraites, ne renonce à souffler sur les braises pour ce projet d’autoroute.
Emmanuel Riondé sur www.humanite.fr
La présidente de la région Occitanie défend l’autoroute Castres-Toulouse. Mais au sein de sa majorité, Verts et communistes se démarquent de sa position. Et en dehors, beaucoup pointent la contradiction entre son affichage écolo et son soutien à ce projet climaticide et dépassé.
Toulouse (Haute-Garonne).– Les oreilles de Carole Delga devraient encore siffler ce week-end, du côté de Castres. La présidente socialiste de la région Occitanie est dans le viseur des opposant·es au projet d’A69, cette autoroute devant rallier Toulouse et Castres, dont la réalisation apparaît totalement à contre-courant des attentes et urgences écologiques de la période (lire l’article de Jade Lindgaard).
Samedi 22 et dimanche 23 avril, le collectif La Voie est libre, la Confédération paysanne, Extinction Rebellion (XR) et les Soulèvements de la Terre organisent un rassemblement, « A69 Sortie de route », contre ce projet. Le camp où se retrouveront les manifestant·es a été dressé sur la commune de Saix, à proximité de Castres (Tarn). Non loin d’un tronçon où de premières coupes d’arbres ont été effectuées en mars, dans le cadre des travaux préparatoires du chantier.
Dans un communiqué diffusé jeudi 20 avril, les organisateurs notent que « l’installation de ce camp est un premier coup porté à la politique de Carole Delga dont le courage politique n’a d’égal que le mensonge ». La veille, trois militants de Dernière Rénovation aspergeaient de peinture orange la façade et l’esplanade de l’hôtel de région, à Toulouse, pour dénoncer « un projet insensé, catastrophique pour la biodiversité, la vie rurale et la santé des sols, [qui] n’a vocation qu’à enrichir des investisseurs déconnectés de l’urgence climatique ».
La région Occitanie contribue à hauteur de 6 millions d’euros au plan de financement de l’autoroute. Une somme versée dans le cadre de la subvention d’équilibre publique de 23 millions (dont 11,5 millions de l’État et 3,14 millions du département du Tarn) qui représente environ 6 % du budget d’investissement global (389 millions). Mais elle n’est ni maîtresse d’ouvrage ni initiatrice du projet. Pourquoi, dès lors, sa présidente, réélue haut la main en 2021, est-elle visée par les opposant·es ?
« Je pense que c’est parce qu’elle est active sur l’écologie que Delga est interpellée avec insistance sur ce dossier : il y a une contradiction qui soulève des interrogations », propose Benjamin Assié, président du groupe Occitanie Pays-Catalan Écologie (OPCE), le bloc écologiste de la majorité de Delga au conseil régional.
Une contradiction dont le groupe OPCE et ses sept élu·es se tiennent à bonne distance : « Nous allons nous rendre à la manifestation de ce week-end, on n’a aucune difficulté là-dessus, assure l’élu. Ce n’est pas la position de la majorité régionale mais nous sommes en cohérence avec nos valeurs : nous nous sommes toujours opposés à ce projet qui avait peut-être une raison d’être il y a 40 ans mais plus du tout aujourd’hui. »
Autre composante de la majorité régionale, le groupe Communiste républicain et citoyen, 15 élu·es, n’est guère plus enthousiaste concernant l’A69 : « Le PCF avait pris position localement et nationalement pour une réhabilitation de la RN126 à double voie. On acte que le choix de l’État et de la région est celui de l’autoroute mais on y reste opposés. Notamment au fait que cette liaison soit désormais payante », explique Pierre Lacaze, président du groupe.
Carole Delga a un affichage de convictions écologistes mais quand il s’agit d’aller sur des projets structurants, elle n’avance pas.
Vincent Garel, à la tête des 18 élu·es du Parti radical de gauche et citoyens de la région, principale force alliée au groupe socialiste de Delga, n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais l’élu tarnais, président régional du Parti radical de gauche, dont il vient d’être nommé premier vice-président national, est un fervent défenseur de l’A69. Et politiquement, il « accompagne la démarche de Bernard Cazeneuve autour de son mouvement “La Convention” », ce qui le rapproche encore un peu plus de Carole Delga. Au printemps dernier, entre présidentielle et législatives, la présidente de la région s’était affirmée comme l’une des figures majeures des socialistes opposé·es à l’intégration du PS au sein de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes).
S’ils assument leur opposition au projet d’A69, écolos et communistes de la région se gardent de trop critiquer leur présidente. « Ce projet a été conçu il y a plusieurs décennies et il ne correspond plus à ce que nous devons transformer. Mais la position de Delga, nous n’allons pas la commenter », tranche Agnès Langevine, élue OPCE, deuxième vice-présidente de la région chargée du « climat, pacte vert et habitat durable ». « Je ne peux pas parler à sa place », élude de son côté Pierre Lacaze, président du groupe Communiste républicain et citoyen.
Sollicités par Mediapart, ni Carole Delga, ni son cabinet, ni deux proches élu·es n’ont donné suite. Mais la position de la présidente de région, qui revendique ses bons liens avec le patronat et, comme le rappelle Mediacités, est proche des dirigeants des laboratoires Fabre, initiateurs du projet d’autoroute dans les années 1980, est connue et assumée de longue date : « En matière de désenclavement, d’attractivité et de déplacements, la nécessité de cette liaison autoroutière n’est plus à prouver, estimait-elle en avril 2022 après la publication du décret approuvant le contrat de concession entre l’État et Atosca, qui va construire et exploiter l’autoroute. La région est pleinement engagée pour faire aboutir ce projet utile au territoire. »
« On n’est pas surpris, assure Régis Godec, cosecrétaire d’Europe Écologie-Les Verts (EELV)-Midi-Pyrénées. Carole Delga a un affichage de convictions écologistes mais quand il s’agit d’aller sur des projets structurants, elle n’avance pas. » Membre de la majorité « gauche plurielle » de la première mandature de Delga à la région, EELV n’a pas intégré la nouvelle coalition en 2021. Parmi les dossiers de rupture, celui de l’A69.
Toutes les lignes budgétaires de la collectivité sont cotées au regard de leurs émissions carbone.
Lors de la campagne, José Bové avait proposé un référendum sur le sujet. « Je fais partie de ceux qui ne sont pas favorables à ce projet, expliquait-il à la presse. Mais ça ne m’empêche pas de soutenir la région. Pourquoi pas trancher tout cela par un vote ? » Avant de préciser : « Je ne mets pas un caillou dans la chaussure de Carole Delga, mais je lui présente une solution pour sortir d’un conflit qui s’enkyste. »
Deux ans plus tard, le conflit entre pro et anti-autoroute s’est durci, et le caillou dans la chaussure commence à ressembler à un gros pavé dans la mare, même si Agnès Langevine défend le volontarisme écologique de Carole Delga. « Toutes les lignes budgétaires de la collectivité sont cotées au regard de leurs émissions carbone », se félicite la vice-présidente, vantant « la politique de transport, la reconnaissance européenne sur l’agriculture bio, et sur le deuxième mandat, le pacte vert avec une appréhension plus systématique où toutes les politiques publiques doivent prendre en compte le climat » comme les « marqueurs écolos » de la région.
Parmi ces « marqueurs », Carole Delga a choisi de mettre l’accent sur l’importance qu’elle accorde aux transports… ferroviaires. Avec une tribune dans Le Monde en septembre 2022, et une interview au JT de 13 heures de TF1 mardi 18 avril, dans lequel, interrogée par Marie-Sophie Lacarrau, elle assure que « les transports en commun doivent être gratuits […]. C’est bon pour le pouvoir d’achat, c’est bon pour la planète et c’est bon pour la souveraineté industrielle ».
Le basculement attendu de Carole Delga
Cette montée au créneau pour la gratuité des transports en commun a provoqué quelques grincements. « Rien que sur le trajet Toulouse-Castres, en matière de TER, le compte n’y est pas, épingle un connaisseur des transports en Occitanie, souhaitant conserver l’anonymat. Les premiers TER en provenance de Castres arrivent à Toulouse-Matabiau après le départ du premier TGV pour Paris, et les derniers en repartent avant son retour… Delga avance des grands projets sur le ferroviaire mais concrètement, pour désenclaver Castres, elle n’améliore pas cette offre TER. »
Et soutient l’installation sur le même trajet d’une autoroute dont l’aller simple sur soixante kilomètres coûtera 8,40 euros ! Un prix qui, en plus d’être particulièrement élevé, pose la question de la destination des fonds publics : il englobe les déviations de Soual et Puylaurens, réalisées en 2000 et 2008 sur la RN126 aux frais des contribuables… qui vont désormais en repayer l’usage à un opérateur privé chaque fois qu’ils prendront l’A69.
Autre contradiction relevée par les opposant·es au projet : Carole Delga a fait connaître son opposition à l’installation d’une usine d’enrobage (goudron) à Gragnague, un village de Haute-Garonne situé sur le tracé de l’autoroute. L’usine est censée rester quatre mois dans le cadre de travaux de réfection d’une portion de l’autoroute A68 à laquelle se raccordera l’A69. « Elle est pour l’autoroute mais contre le goudron… Elle a cru qu’ils allaient faire une autoroute en paille ? », ironise un membre de La Voie est libre, le collectif d’habitant·es de la vallée en lutte contre l’autoroute.
En réalité, la socialiste apparaît aujourd’hui isolée sur un dossier qui cristallise le rejet et l’opposition d’un spectre politique et citoyen de plus en plus large. Le Nouveau Parti anticapitaliste, EELV, le Parti de gauche, La France insoumise, Archipel citoyen ont signé l’appel à manifester ce week-end, comme de nombreux syndicats (FSU, GGT 81...), aux côtés d’associations et collectifs. « Le rapport de force évolue plutôt en notre faveur et Carole Delga a beaucoup de choses à prouver sur ce dossier, note l’écologiste Régis Godec. C’est à elle de faire le pas, de basculer. On peut imaginer que dans quelques semaines, elle se mettra autour d’une table. Nous, en tout cas, on sera là le week-end des 22 et 23 avril. »
Tout comme Benjamin Assié, président du bloc écologiste à la région : « Du point de vue d’un certain nombre de gens de la majorité qui portent ce projet, il y a l’idée que c’est trop tard pour revenir en arrière, regrette-t-il. Mais la réalité, c’est qu’à la fin, on va se retrouver avec une autoroute surcalibrée, juste à côté de la nationale… On ne désespère pas de la faire changer de position. Notre job, c’est de tenir la nôtre à l’intérieur du conseil régional. »
Ce week-end, à Saix, les opposant·es au projet entendent bien elles et eux aussi « faire leur job » : « On ne fait pas de politique politicienne, lâche Nicolas, de Dernière Rénovation. Notre objectif, c’est juste de faire en sorte que Delga et l’État renoncent à ce projet. »
publié le 21 avril 2023
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Partout en France, les cheminots mais aussi les salariés ont répondu à l’appel de l’intersyndicale. Avec un objectif en tête : vivre une Journée internationale des travailleurs historique.
« Le pouvoir fait comme si on pouvait tourner la page tout simplement et passer à autre chose. Non, ça n’est pas possible », a lancé ce jeudi 20 avril depuis Gardanne (Bouches-du-Rhône) la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, au sujet de la réforme des retraites. Aux quatre coins du pays, les cheminots et les salariés ont manifesté tout au long de la journée avec un objectif en ligne de mire : la réussite du 1er Mai.
À Gardanne, la CGT maintient le cap
Accueillie sous les acclamations de centaines de militants enthousiastes, jeudi, sur le site de la centrale thermique de Gardanne, en lutte depuis près de cinq ans pour le maintien de l’outil industriel et de l’emploi, Sophie Binet est restée ferme, à la fois sur les retraites et sur la question de l’indépendance énergétique.
Reçue par Olivier Mateu, le secrétaire départemental (Bouches-du-Rhône) de la CGT, mais aussi par Jean-Michel Roccasalva, secrétaire CGT de la centrale, et Pascal Galéoté, secrétaire CGT du Grand Port maritime de Marseille, elle a rappelé l’importance de ce nouveau jour de mobilisation, notamment chez les cheminots.
Quand on entend notre président de la République, on a l’impression qu’il a passé trois mois dans son Falcon et qu’il n’a pas compris ce qui se passait dans la rue. Mais aussi parce qu’il y aura, à Paris mais pas seulement, des syndicalistes du monde entier qui vont venir nous soutenir » Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT
« La CGT et l’intersyndicale se mettent en situation d’avoir un 1er Mai d’un niveau exceptionnel et inédit parce que, pour la première fois en France, l’ensemble des organisations manifesteront ensemble. Il s’inscrit dans une mobilisation exceptionnelle parce que, quand on entend notre président de la République, on a l’impression qu’il a passé trois mois dans son Falcon et qu’il n’a pas compris ce qui se passait dans la rue. Mais aussi parce qu’il y aura, à Paris mais pas seulement, des syndicalistes du monde entier qui vont venir nous soutenir », a lancé, chapeau rouge sur la tête, Sophie Binet, avant de poursuivre : « Il n’a pas compris que notre détermination était liée au fait que, cette réforme, c’est nous voler deux ans de vie. Ce que fait le gouvernement depuis le début du conflit abîme l’image de la France à l’international. [...] Avec un problème, je le dis, de radicalisation du pouvoir et une répression qui se développe partout. »
De son côté, Jean-Michel Roccasalva a résumé la longue lutte pour sauver l’emploi dans la centrale thermique, qui a brutalement cessé de fonctionner au charbon, entraînant de nombreux licenciements, et surtout rappelé l’urgence du dossier. Si la transition vers le méthane n’avance pas, 30 autres salariés risquent de se retrouver à Pôle emploi dès août prochain.
« Ce dossier démontre l’impasse de la prétendue transition écologique sans gestion sociale », résume la secrétaire générale. « La fermeture a causé la suppression de 200 emplois directs, 500 en tout, auxquels aucune réponse n’a été apportée. Il faut une planification environnementale et industrielle. »
Donnant la date limite du 15 mai pour ce dossier, Sophie Binet a indiqué préparer une lettre à Élisabeth Borne. Après son intervention, un militant se montrait rassuré : « Elle a pour mandat de ne rien lâcher et a l’air de s’y tenir ».
À Paris, la « colère cheminote » grandit
Ne pas laisser de répit à Emmanuel Macron. C’est l’objectif de cette journée de mobilisation de l’intersyndicale à la SNCF. « Nous sommes ici pour dire qu’on ne le lâchera pas. Il était important de construire des initiatives locales », assure Samy Charifi, responsable CGT des cheminots du secteur Paris-Est.
Sur le parvis de la gare parisienne du même nom, une soixantaine de cheminots ont répondu à l’appel, réunis en assemblée générale à 11 heures. Venue de la gare voisine de Paris-Nord, Amélie Nobrega évoque « une bataille longue et difficile » pour obtenir le retrait de la réforme des retraites.
Pour autant, la cégétiste l’assure, « une grosse journée se profile le 1er Mai ». Et d’ajouter : « Les gens se posent des questions, au-delà des retraites. C’est pour cela que nous devons élargir le champ des revendications. En ce qui concerne les cheminots, c’est la bataille pour le service public ferroviaire qu’il faut relancer. »
Illustration du soutien des Français à la mobilisation, l’accueil des voyageurs est plutôt chaleureux
« Grève, blocage et Macron dégage ! », assène Didier Macé de FO, en concluant les prises de parole syndicales. Les manifestants du jour se dirigent ensuite à l’intérieur de la gare de l’Est, avant de rejoindre celle du Nord. Illustration du soutien des Français à la mobilisation, l’accueil des voyageurs est plutôt chaleureux.
En parallèle, ceux de la gare de Lyon ont rejoint la Défense pour envahir les locaux d’Euronext, la Bourse de Paris. Dans l’après-midi, un millier de grévistes convergent devant l’hôtel de ville de Paris, accompagnés de jeunes et d’étudiants. Sous les ballons de Sud-Rail, de la CGT-Paris et de FO, Mirko porte sa pancarte : « Le Raincy on est là aussi ».
Ce lycéen de 16 ans, venu de Seine-Saint-Denis avec des amis, a tenté en vain de bloquer son lycée ce matin : « La direction et la police nous ont empêchés de prendre les encombrants. Nous avons alors fait un barrage filtrant. » Le militant du syndicat La Voix lycéenne, qui a rejoint les cortèges dès la mi-février, l’assure : « Macron n’écoute personne et le ras-le-bol se généralise. Chez les lycéens aussi, l’idée d’aller dans les manifs le 1er Mai commence à prendre. »
À Rennes, un nouveau « tour de chauffe »
À l’appel de l’intersyndicale, à l’exception de la CFDT, 5 000 manifestants ont défilé à Rennes. Dans la foule, Olivier Le Moigne, retraité de 63 ans, estime « qu’on peut prendre cette manifestation comme un petit tour de chauffe avant le 1er Mai, où j’espère qu’on sera très, très, très nombreux. C’est par des vagues qui peuvent paraître petites qu’à force de répétition on envoie quand même un message ».
La mobilisation s’est déroulée globalement dans le calme, même si de nouveaux heurts ont été signalés entre un groupe de manifestants et la police, selon l’AFP. De son côté, la secrétaire départementale de la CGT, Dominique Besson-Milord, interrogée par le Mensuel de Rennes, constate que la colère monte de jour en jour : « Ne lâchons rien. Il y aura un 1er Mai historique. »
Ailleurs en Bretagne, une soixantaine de syndicalistes, notamment de la CGT cheminots, ont bloqué jeudi matin un passage à niveau à Lorient (Morbihan), entraînant des retards de plusieurs heures pour quatre TGV et cinq TER. À Vannes (Morbihan), le trafic des bus était également perturbé.
publié le 21 avril 2023
Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr
Déplacement d’Emmanuel Macron ce jeudi à Ganges, dans l’Hérault, sur le thème de la ruralité et de l’éducation. Il n’est pas allé au contact de la foule mais elle a bruyamment fait entendre sa colère. Reportage dans le comité d’accueil cévenol.
Ganges (Hérault).– Quand passer des casseroles en douce devient un acte de résistance. À Ganges, ce jeudi matin, l’interdiction préfectorale (lire notre article sur la légalité contestable de cette interdiction) de détenir tout « dispositif sonore portatif » est prise très au sérieux par certains gendarmes, qui n’hésitent pas à confisquer casseroles et tambourins aux points de filtrage de la commune, quelques heures avant l’arrivée d’Emmanuel Macron en terre cévenole.
« Ce n’est pas grave, le bistrot nous a passé des casseroles ! », rigole un cégétiste, chasuble jaune usée sur les épaules. Les ustensiles de cuisine, de toute sorte et de tous diamètres, sont effectivement bien visibles dans la foule. Et surtout, très sonores.
Car le comité d’accueil du président, mille à deux mille personnes dans une commune de quatre mille âmes, fait du bruit, beaucoup de bruit. Infatigables, les manifestant·es chantent, dansent, huent, sifflent et tambourinent sur des panneaux de signalisation ou des poubelles trois heures durant, sans jamais s’arrêter une seconde. Et sans jamais apercevoir Emmanuel Macron, en visite au collège Louise-Michel sur les thèmes de l’éducation et de la ruralité.
« Il y a un avant et un après Alsace », souffle un représentant de l’État, en référence au fiasco du déplacement présidentiel de la veille. Cette fois, pas de bain de foule. Emmanuel Macron veut de belles images pour ses annonces sur les salaires des enseignant·es (lire notre article), mais surtout pas le son. Dès son arrivée, se déclarant prêt à discuter avec les opposant·es, il ajoute d’ailleurs : « Si c’est juste pour les œufs et les casseroles, c’est pour faire la cuisine chez moi. »
La messe est dite : aujourd’hui, le président n’ira pas « au contact ». En tout cas, pas à Ganges. Car avant de repartir à Paris, il réalise une visite « imprévue » à Pérols, près de l’aéroport de Montpellier pour « discuter avec les Français ». L’imprévu a ceci de bon : les casseroles n’ont pas le temps de sortir et les images de « déambulation » tranquille sous le soleil, captées par la presse, sont bien différentes de Ganges et son joyeux vacarme.
Le courant coupé au collège
Car à Ganges, les mécontent·es sont tenu·es à bonne distance du collège, où Emmanuel Macron rencontre profs et élèves. La manifestation, qui voulait passer devant l’établissement, reste cantonnée à quelques rues alentour. Les accès menant à l’établissement sont barrés par des gendarmes mobiles devant lesquels la foule, de tous âges, entonne sans relâche des « On est là », « On est déter pour bloquer le pays » et autres « Macron démission ».
Vers 11 heures, quand le président arrive - avec du retard – personne ne le voit mais les huées se font plus fortes. L’électricité est coupée au collège Louise-Michel, durant près de deux heures. La CGT revendique l’action qui contraint la table ronde prévue à s’organiser dehors. Plus tôt, c’est l’aéroport de Montpellier qui a été placé sous « sobriété énergétique ».
« Macron, il va faire tout noir chez toi ! », s’époumone la foule. « On va passer en force ! », crient ensuite des manifestant·es. Ils tentent de franchir le barrage, la gendarmerie réplique par des tirs de gaz lacrymogène. L’ambiance se tend mais redevient rapidement euphorique et déterminée. Le tout, sous l’œil de la résistante Lucie Aubrac, dont le visage orne la médiathèque qui porte son nom. Des messages « une tournée qui tourne à vide », « démocratie abîmée », « Macron ras et bas dans ses bottes » sont collés sur la façade, entourant le mot « Résistance », inscrit en hommage à la figure féministe. Il n’y a quasiment plus de slogans sur la réforme des retraites. Toute la colère est dirigée vers le président, son attitude, sa méthode.
Il n’a pas une attitude de chef de l’État. Il est dirigé par l’orgueil et fait ses petites colères !
Annie se promène devant la médiathèque avec pancarte « cousue main hier soir ». « Trop de 49-3 et de CRS. Trop de matraques. Trop de mépris et de mensonges », a inscrit la sexagénaire, qui porte un masque noir barré d’un « 49-3 ». Elle vient du Gard – dont la frontière est toute proche de Ganges- et compare Emmanuel Macron à « un gamin qui tape du pied quand il est contrarié ». « Il n’a pas une attitude de chef de l’État. Il est dirigé par l’orgueil et fait ses petites colères, c’est insupportable ! »
Annie évoque aussi la répression de Saint-Soline : « Est-ce qu’il se rend compte qu’il a massacré des gens qui défendent le bien commun à sa place ? », s’énerve-t-elle. Elle aimerait lui poser la question. « Je crois que je lui dirais juste : pourquoi ? »
Des banderoles vantant la jonction des luttes sociales et climatiques sont accrochées. À l’entrée de Ganges, le péril est visible : un cours d’eau est complètement à sec. Le coin est connu des amatrices et amateurs de baignade en rivière. Les gorges de la Vis ne sont pas loin. Le fleuve Hérault traverse la commune.
Au fil de la matinée, deux rassemblements se forment : un par barrage, à chaque extrémité de la rue faisant face à la mairie. Entre les deux, une manifestation tourne joyeusement en rond, dans le petit périmètre autorisé, emmenée par un camion de la CGT. Sans sono, sans musique : ça aussi, c’est interdit.
« On n’a rien entendu depuis le collège », témoigne d’ailleurs un enseignant qui était à l’intérieur pendant la visite du président. « Tout a dû être bien pensé pour ça », ajoute-t-il, relatant un échange « calme » lors de la table ronde organisée à l’extérieur, faute de courant dans la salle prévue.
Un corbillard, pour l’ex-maternité de Ganges
À quelques centaines de mètres de là, descendu·es des montagnes cévenoles ou venus de Béziers, Montpellier, Le Vigan, et autres villages proches de Ganges, les manifestant·es occupent encore et toujours le terrain. Des banderoles sont déposées autour d’un rond-point.
Une immense affiche « EDF-GDF 100 % public » est accrochée sur des échafaudages, sous les hourras de la foule. « Hasta siempre ! », crie une dame âgée devant le spectacle. « Alors on est de sortie ? », rigole-t-elle, en étreignant l’une de ses copines. « Je n’ai jamais vu autant de monde ! », s’enthousiasme une Gangeoise, qui n’en perd pas une miette avec son appareil photo.
Par moment, des rumeurs circulent : il se dit que président va déjeuner dans tel restaurant de la ville ou qu’il va emprunter telle route pour repartir. « Il ne partira pas d’ici ! », tonne une femme, chasuble CGT sur le dos. À côté d’elle, des syndicalistes font chauffer les barbecues, devant la police municipale, pour distribuer des merguez à prix libre, en vue d’alimenter la caisse de grève. Des billets de 10 ou 20 euros s’entassent dans l’urne.
Un corbillard barré des mots « démocratie » et « maternité » déambule au milieu de la foule. Il est porté par deux femmes, tout de noir vêtues, l’air grave. L’une d’elles, Héloïse, est membre du collectif citoyen « Maternité à défendre », qui milite pour la réouverture de l’établissement fermé en décembre 2022 (voir notre reportage).
« Des femmes enceintes qui avaient démarré leur suivi ici sont obligées d’aller à Montpellier [à 50 km de là – ndlr] ou ailleurs car il n’y a pas toujours de place, explique Héloïse. On en connaît une qui a dû aller à Sète ! [à 78 km]. Les femmes sont lâchement abandonnées ! », s’emporte-t-elle. Agricultrice à Bréau-Mars, village du Gard, elle a un message à passer à Emmanuel Macron : « Il veut nous parler de ruralité ? Eh bien, c’est ça notre ruralité ! La fermeture des services publics ! »
La visite a semé la zizanie au sein du collège
Les fourgons de gendarmerie essuient des jets d’œufs et de citrons, et, dans la foule, des quolibets et autres surnoms sont lancés, à destination du président rebaptisé « le kéké », « le sourd » ou encore « le guignol ». C’est Gilbert, 73 ans, qui l’affuble de ce qualificatif dans un accent cévenol inimitable. Gilbert est descendu « de la montagne, d’un petit village de nos Cévennes » pour dire sa colère. « C’est de la provocation ! Macron vient dans une école alors que la maternité a fermé et que les enfants ne pourront plus naître ici ! »
Un peu plus loin, Audrey, venue de Montpellier, raconte s’être « motivée » ce matin pour monter à Ganges. « Louise-Michel, c’était mon collège, et ça me met très en colère qu’il vienne ici. On ne veut pas de lui et il ne veut pas l’entendre ! Moi, je ne m’invite pas chez quelqu’un qui ne m’aime pas, je ne vais pas m’imposer », ironise-t-elle.
Au collège, certains professeurs se sont mis en grève, pour protester contre la venue du président. « Je suis plus utile dehors que dedans », lance l’un d’eux, parlant sous couvert de l’anonymat. Il est très remonté. « On nous a mis la pression, en nous rappelant notre devoir de réserve. Et le chef d’établissement nous a officiellement informés la veille du déplacement de Macron alors que c’était dans la presse depuis lundi ou mardi », affirme-t-il.
Quatre de ses collègues ont été choisis pour discuter avec le président. « Pourquoi ? Comment ? », s’agace ce professeur. La visite présidentielle a, selon lui, tendu les relations dans le collège qui pourrait tenir un conseil d’administration extraordinaire pour revenir sur le sujet. « Pour ne pas laisser passer et essayer de ramener la sérénité », ajoute-t-il, avant de conclure, l’air narquois : « Ça me fait penser à la BD d’Astérix : La Zizanie ! Partout où il passe, Macron sème la zizanie ! »
« Est-ce qu’on ne lui fait pas de la pub, en faisant tout ce bruit ? », s’interroge Véronique, tout en tapant sur un plat à paella, qui semble avoir bien vécu. « On s’est demandé, en venant, si ce n’était pas contre-productif de manifester. Et puis finalement, on est là ! »
À ses côtés Laurent, percussionniste, expose ses « petits plats asiatiques » en inox et fait la démonstration de leur bruit suraigu. « Ça sonne bien, hein ! » Tous deux viennent d’Aulas, dans le Gard. Ils évoquent le mouvement social, son « bel élan ». « Au moins, on aura essayé », souffle Véronique. Puis elle se souvient que le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision, le 3 mai, sur le second référendum d’initiative partagée. Un petit espoir renaît. Et Laurent, de conclure : « Maintenant qu’on en est là… tout ce qui semble un peu positif est bon à prendre ! »
publié le 19 avril 2023
Par Meline Escrihuela sur https://www.bondyblog.fr/
En réaction à la visite du chef de l’État, venu assister à un concert à Saint-Denis, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés mardi 18 avril. Pour les habitants de Saint-Denis, les colères locales vont de pair avec le mouvement social qui secoue le pays. Reportage
Jusqu’à la dernière minute, la question demeure : Emmanuel Macron sera-t-il bien là ? À la vue du dispositif policier qui quadrille le parvis de la mairie de Saint-Denis en cette fin d’après-midi du 18 avril, les doutes s’estompent. « Je ne te dis pas le bordel que c’est », s’offusque au téléphone une personne âgée, observateur mi-amusé mi-agacé de la scène.
L’allure de forteresse qu’a pris le centre-ville de Saint-Denis (93) est le seul indice d’une présence présidentielle. Absent de son agenda comme sur celui du lycée de la Légion d’Honneur, la venue du Président de la République à Saint-Denis se voulait discrète. Pourtant, plusieurs centaines d’opposants à la politique du gouvernement entament les premiers slogans contestataire dès 18 heures.
Y’aurait-il une taupe à l’Élysée ? L’hypothèse fait sourire Karim Bacha, représentant du syndicat FSU 93 qui a appelé au rassemblement. « Je ne sais pas vraiment d’où vient la rumeur », admet-il. « Quelqu’un a appelé la mairie de Saint-Denis pour chercher à savoir si cela était vrai et un employé a tout avoué », assure l’instituteur.
Les drapeaux des organisations syndicales – CGT, FSU – et des partis politiques (Parti Communiste) flottent dans les airs. « Nous sommes aussi bien organisés que la police », ironise une Cégétiste qui file aux cris de « Macron Démission » avant que l’on n’ait eu le temps de lui demander son prénom.
Les membres du gouvernement ne seront jamais tranquilles
En plus des syndicalistes, des figures associatives de Saint-Denis et des habitants ont fait le déplacement. Certains – la majorité peut-être – viennent de tout le département. « Cela fait du bien de ne pas avoir à passer le périph », remarque Claire*, une habitante de Saint-Ouen habituée des manifestations. « Cela ne changera pas grand-chose, mais on montre que l’on a un vrai pouvoir de nuisance. Les membres du gouvernement ne seront jamais tranquilles, même si cela doit durer 4 ans et que l’on s’épuise à la tâche », affirme la jeune femme. Au même moment, la visite des ministres Geneviève Darrieussecq et Jean-Christophe Combe à la CAF de Paris était perturbée par un comité d’accueil du même genre.
Le Président en visite au lycée de la Légion d’Honneur
« On ne tournera pas la page », confirme Karim Bacha. « Emmanuel Macron met en scène un retour à la normale en venant ici », analyse-t-il.
À moins de 300 mètres, en effet, se trouve le président de la République. Chaque année, le lycée de la Légion d’Honneur – réservé aux filles, petites-filles et arrière-petites-filles des décorés français et étrangers de l’ordre national de la Légion d’honneur- organise son traditionnel concert. Emmanuel Macron s’y est rendu au moins deux fois, en 2018 puis en 2021. L’ancien président François Hollande en était également féru.
Emmanuel Macron vient à Saint-Denis dans le seul truc bourgeois de la ville
L’établissement y cultive une culture de l’excellence depuis deux siècles et parfois des règles surannées : internat strict et port de l’uniforme obligatoire. Les élèves côtoient peu les autres jeunes de la ville. « Malheureusement » glissent en plaisantant Thomas et Ewen, deux jeunes de 22 et 17 ans venus participer au rassemblement car « les retraites concernent tout le monde ».
« Emmanuel Macron vient à Saint-Denis dans le seul truc bourgeois de la ville », raille de son côté Claire. « Il y a un marqueur social fort qui repose sur la lignée. On est vraiment dans une caricature macronienne », poursuit-elle.
À 19 heures, la pluie s’invite, mais n’entame en rien la motivation des manifestants. Les chants et slogans se poursuivent. Une maman, sa fille sur ses épaules, lance un chant : « On est là, même si Hanotin [le maire de Saint-Denis, NDLR] ne veut pas, nous on est là ».
« Je viens car c’est important, mais j’ai l’impression que tout empire avec le temps », s’alarme Bader, un habitant de Saint-Denis. Depuis des mois, les habitants protestent contre la politique sécuritaire mise en place par le maire qui a armé les policiers municipaux. Le jeune homme se sent peu représenté dans le mouvement social actuel, qui aborde trop peu la question des violences policières dans les quartiers selon lui. « Les bavures policières (sic), on n’en parle que lorsqu’elles se déroulent à Paris », déplore-t-il en montrant sa cicatrice près de l’arcade sourcilière, infligée par un policier cinq ans plus tôt.
Le jeune papote avec deux amis, Ryan et Gilles. Les trois hommes parlent tout à tour des violences policières et de l’augmentation des loyers due aux Jeux Olympiques. Sur le sujet économique aussi, le président a déçu les quartiers populaires. « Emmanuel Macron est venu à Saint-Denis pendant l’entre-deux-tours. Et puis rien », s’agace Jamila, casserole en main.
Les politiques ne parlent des pauvres que pour les utiliser
« C’est le fil rouge de ce gouvernement. Il utilise les inégalités et la misère dans les quartiers populaires pour faire passer leurs politiques inégalitaires », fustige Karim Bacha.
La visite du président de la République passe d’autant plus mal que le jour même, ses ministres marquaient une nette inflexion à la droite de la droite. Sur BFMTV, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a ciblé les « personnes [qui] peuvent bénéficier d’aides, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs, alors qu’ils n’y ont pas droit ». Sans appuyer son propos par des éléments tangibles. Sur LCI, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonce, lui, vouloir lutter contre « la délinquance étrangère ». À ce sujet, Karim Bacha résume bien le sentiment partagé à Saint-Denis : « Les politiques ne parlent des pauvres que pour les utiliser ».
publié le 17 avril 2023
par Attac France sur https://france.attac.org
Depuis la promulgation précipitée de la réforme des retraites, des appels à rassemblements se multiplient partout en France pour devant les mairies à 20h ce lundi, pour boycotter l’intervention télévisée du monarque présidentiel et pour faire entendre notre opposition. Attac se fait le relais de ces initiatives citoyennes et appelle à rejoindre ces rassemblements dans toute la France.
Nous avons recensé ici (https://france.attac.org/se-mobiliser/retraites-pour-le-droit-a-une-retraite-digne-et-heureuse/article/carte-des-casserolades-du-17-avril-a-20h) les différents rassemblements annoncés ce soir à 20h devant les mairies.
Après s’être précipité pour promulguer la réforme des retraites suite à la décision du Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron intervient ce soir à la télévision pour tenter de « tourner la page ». Mais il n’a pas compris qu’il n’est pas maître du calendrier et que la mobilisation contre la réforme des retraites, historique par son ampleur et sa durée, va se poursuivre et s’amplifier.
Dans l’opinion publique, les sondages successifs montrent qu’une large majorité de français·es sont toujours opposé·es à cette réforme injuste et injustifiée. Selon une récente étude d’opinion, 64% des français·es souhaitent la poursuite du mouvement contre la réforme des retraites et 45% souhaitent même que le mouvement « se durcisse ».
64 ans c’est toujours non !
Des appels à rassemblements se multiplient partout en France devant les mairies à 20h ce lundi, pour boycotter l’intervention télévisée du monarque présidentiel. Ces casserolades visent à montrer que notre détermination est intacte : le gouvernement ne nous volera pas les meilleures années de notre retraite !
Dans la tradition carnavalesque du charivari utilisé depuis le Moyen-Âge, ce mode d’action fait écho aux cacerolazos en Argentine contre l’austérité et se veut complémentaire d’autres formes d’action, notamment les appels à couper l’électricité entre 20h et 20h30.
Avec le même objectif : boycotter l’intervention présidentielle tout en rendant visible notre colère et notre détermination à obtenir le retrait de la réforme, en multipliant les formes d’actions. Soyons nombreuses et nombreux pour l’affirmer haut et fort : « 64 ans c’est toujours non ! ». Ces initiatives préparent également le raz de marée populaire auquel appelle l’intersyndicale unie le premier Mai prochain.
publié le 16 avril 2023
Etienne Balibar (philosophe) sur https://blogs.mediapart.fr
Après la promulgation de la loi de "réforme" des retraites par Emmanuel Macron, le mouvement de résistance à ce coup de force légal ne s'arrêtera pas. Mais il est à un tournant. Quelles propositions peut-on formuler pour contribuer à son élargissement en face de la violence du pouvoir? Quel modèle de démocratie préfigurent-elles à l'encontre du présidentialisme autoritaire comme du néofascisme?
(la mise en gras de certains passages sont le fait du site 100-paroles.fr)
J’écoute attentivement, depuis ce matin[1] : l’indignation, la rage, l’inquiétude, la détermination, les propositions, les dissonances et les points d’accord…
Nous sommes clairement arrivés, après la décision de cette nuit, à un nouveau tournant du mouvement, après celui qui avait suivi l’utilisation du 49-3. On verra dans les prochains jours, je ne sais pas ce qui va se passer, mais sûrement le 1er Mai sera le test du rapport des forces entre les deux camps, celui du président des riches et celui du peuple des travailleurs et des contribuables.
L’appareil d’Etat, dont fait très clairement partie le Conseil Constitutionnel, a fait bloc autour de la loi antipopulaire, témoignant chaque jour de plus de surdité, plus d’arrogance, plus d'arbitraire, plus de brutalité. Mais le mouvement, quant à lui, s’obstine, il ne se décourage pas malgré le temps qui passe et les sacrifices plus lourds à porter chaque jour. Il est fort mais il a aussi des faiblesses. Il découvre la nécessité de se relancer sur la durée et de s’élargir.
C’est un mouvement qui a une signification de classe aveuglante, touchant toutes les générations, les salariés, les retraités, les chômeurs, les précaires, les sans-papiers, les étudiants, les jeunes et moins jeunes des quartiers, les hommes et les femmes dont toute la vie est en jeu à travers la question des retraites. Non sans « contradictions au sein du peuple », comme disait Mao - des contradictions qu’il importe de discuter et de surmonter. Mais convergeant avec d’autres oppositions au monde actuel : en particulier le mouvement écologiste de base, en « soulèvement » pour un avenir vivable dans cette société et sur cette terre. J’ai proposé ailleurs de parler d’une insurrection de masse, pacifique et démocratique.[2]
En effet la question de la démocratie est au cœur du mouvement. Ce qui est à l’ordre du jour : sa défense contre l’illibéralisme qui va partout gagnant du terrain en Europe et dans le monde, contre l’autoritarisme gouvernemental et l’instauration d’un état d’exception permanent au service de l’oligarchie financière. Mais c’est aussi sa refondation, par-delà les limites devenues manifestes d’un parlementarisme soi-disant « rationalisé », c’est-à-dire corseté, réduit à l’impuissance, délégitimé et même ridiculisé – ce qui ne va pas sans danger. D’autres circonstances historiques l’ont démontré.
Il s’agit de refonder la démocratie sociale : le socle de droits fondamentaux acquis historiquement dans les luttes, la légitimité des « corps intermédiaires » ou des contre-pouvoirs en face de l’Etat (mais aussi en son sein, dans les administrations publiques), les valeurs de solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle comme seul principe d’organisation et de gestion de la sécurité sociale. Pour aller dans ce sens, on va maintenant pouvoir compter sur un retour en force du syndicalisme, marqué par l’unité d’action, la détermination, la responsabilité, la qualité de ses dirigeants, qui exerce aujourd’hui de facto une fonction politique, non pas comme un retour au « corporatisme », mais comme un levier d’avenir, implanté dans la « société civile ». C’est cela que Macron, à la Thatcher, voudrait casser pour de bon, en cachant mal son exaspération devant l’obstacle qu’il a rencontré. Il faut que ce soit lui qui s’y casse les dents, sans que pour autant l’extrême droite tire les marrons du feu.
Ni Macron ni Le Pen, tel est bien le sens profond du mouvement qui s’est développé autour des syndicats français refusant la « réforme » des retraites. Il n’a jamais quitté l’esprit des manifestants des trois derniers mois et de ceux qui les appellent à occuper la rue semaine après semaine.
Démocratie sociale, mais plus généralement démocratie conflictuelle, militante, que je propose d’appeler « oppositionnelle » (en souvenir d’un livre important de la « théorie critique » allemande)[3]. En effet il n’y a pas de citoyenneté active sans débat, sans controverse, sans conflit dans l’espace public, inventant ses propres règles et donc sans limites préétablies. Mais non sans responsabilité, car il y a évidemment des risques. Le conflit n’est pas la guerre civile, dont certains gouvernements seraient plutôt les fauteurs. Mais il n’est pas non plus la domestication, la canalisation des luttes et de la liberté d’expression sous le contrôle de l’exécutif et la surveillance de la police, restreignant par avance l’espace terrien, urbain, juridique, professionnel, des contestations. Même l’ordre public dont la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) proclame qu’il ne faut pas le « troubler » (article 10), ne s’identifie pas à un régime d’autorité, imposé d’en haut. L’Etat démocratique n’en est que le garant, qui a lui-même besoin d’être constamment contrôlé dans son action. En dernière analyse ce sont les citoyens qui sont juges et partie prenante à la fois, donc ce sont eux qui devront faire face aux conséquences éventuellement indésirables de leurs actes.
D’où, me semble-t-il, un double impératif de notre actualité :
D’abord et avant tout il faut restaurer, élargir, garantir légalement et constitutionnellement les libertés individuelles et collectives, la sûreté des citoyens, les droits civiques à commencer par celui d’association et de manifestation. Et donc il faut que soient abrogées les lois discriminatoires et liberticides comme la loi contre le « séparatisme », et que soit démantelé, interdit dans ses moyens et dans sa mise en œuvre l’instrument de répression militarisé qui s’est construit au cours des dernières décennies et qui se renforce tous les jours de façon monstrueuse, celui qui piétine, qui blesse et qui tue. La voilà, la guerre civile ! Ces exigences ne doivent plus quitter le premier plan, elles doivent mobiliser toutes nos ressources expressives, militantes, juridiques, représentatives.
Ensuite, il faut élargir la base du mouvement de masse, diversifier ses composantes, en tenant compte des modes de lutte qu’invente chaque groupe social, mais en recherchant les formes les plus unitaires, les plus démocratiques elles-mêmes, à la fois librement autogérées et potentiellement majoritaires dans le pays. Pas de limites, donc, à l’imagination qui s’exerce dans les occupations, les blocages, les grèves, les marches et défilés, les taggages et les collages, sans exclure la désobéissance civique, l’autodéfense des manifestations. Pas de légalisme artificiel. Mais pas non plus de complaisance pour le mirage d’une contre-violence inspirée par la « haine des flics », si compréhensible soit-elle subjectivement et affectivement. Une guérilla urbaine ou campagnarde ne fera que donner des prétextes à la violence d’Etat – une violence incomparablement supérieure et qui se déchaîne, comme dit l’autre, « quoi qu’il en coûte » et ne s’embarrasse d’aucun scrupule. La contre-violence est vouée à l’échec et conduit droit dans le piège du pouvoir.
La non-violence n’est pas toujours possible, mais elle est, à long terme et même à court terme, la plus efficace politiquement. On doit pouvoir inventer une insurrection civilisée. Ce qui ne veut pas dire une insurrection passive, ou impuissante.
La démocratie n’est pas un acquis, c’est une conquête et une reconquête permanente. C’est la société qui s’émancipe et qui se gouverne.
Note :
[1] Intervention lue aux Assises Populaires pour nos Libertés, Bourse du travail, Paris, samedi 15 avril 2023. Version corrigée et complétée.
[2] E. Balibar, « Inventer une insurrection démocratique », L’Humanité, Mercredi 12 Avril 2023.
[3] Oskar Negt : L’espace public oppositionnel, traduction française, Payot 2007. L’original allemand (2001) avait été publié en collaboration avec Alexander Kluge.
publié le 15 avril 2023
Communiqué du syndicat Solidaires sur https://solidaires.org
Seulement quelques heures après la décision du Conseil Constitutionnel et les manifestations qui l’ont suivi un peu partout en France, Emmanuel Macron a décidé de promulguer sa réforme des retraites en pleine nuit.
Alors que depuis le début de ce mouvement inédit des millions de personnes sont dans la rue pour dire non à cette réforme des retraites, ce président nous démontre une nouvelle fois son mépris total à l’encontre de la jeunesse, des travailleurs∙euses et des retraité∙es. Il n’entend rien depuis le début de ce mouvement et persiste à mettre de l’huile sur le feu en promulguant sa loi alors que l’intersyndicale a renouvelé hier soir sa demande solennelle de ne pas la promulguer.
A nos revendications, à la colère sociale, Emmanuel Macon fait le choix de n’avoir pour seule réponse que la répression. Interpellations, gardes à vue, nasses, coups de matraques, grenades sur les manifestant∙es visant à dissuader les lycéen∙nes, étudiant∙es, travailleurs∙euses et retraité∙es de manifester.
L’Union syndicale rappelle que manifester est un droit, et que la participation à une manifestation non déclarée ne constitue pas un délit. Elle condamne la multiplication des arrestations arbitraires suite aux cortèges spontanés, dont celles de plusieurs des camarades de l’Union et exige leur libération immédiate.
L’Union syndicale Solidaires appelle à poursuivre la mobilisation pour l’abrogation de cette loi. Elle réunira l’ensemble de ses structures (unions départementales, fédérations et syndicats professionnels) dès la semaine prochaine, afin de décider collectivement des suites à donner à la mobilisation.
Avec l’intersyndicale, elle soutient d’ores et déjà les rassemblements, actions et initiatives qui seront décidées localement dans les jours à venir.
Elle appelle à déferler massivement le 1er mai partout dans le pays et de faire de cette journée celle de l’expression de la colère populaire contre la réforme, le déni de démocratie et pour un meilleur partage des richesses.
publié le 14 avril 2023
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
Réforme des retraites - La Ve République a permis au gouvernement de malmener citoyens, syndicats et parlementaires. Quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel rendue ce vendredi, notre régime est plus que jamais en crise. Mais une tout autre République est possible.
Le Conseil constitutionnel a l’occasion ce vendredi de repousser la réforme des retraites, de considérer qu’elle constitue une violence inadmissible contre notre modèle social, institutionnel et démocratique, et un danger pour la République. Mais, même si les sages venaient à censurer la copie du gouvernement, prouvant que certains des garde-fous de notre régime fonctionnent encore, la crise politique resterait entière dans notre pays. « Chaque étape de cette réforme a constitué une nouvelle forme d’effraction contre la démocratie. L’ensemble n’a été rendu possible que par les pouvoirs exorbitants accordés à l’exécutif par une Ve République qui montre son pire visage », mesure le député PCF Pierre Dharréville. « Cela fait longtemps que je suis pour le passage à une VIe République, mais cette séquence des retraites devrait finir de tous nous convaincre que quelque chose ne tourne pas rond dans ce régime et qu’il fonce dans le mur », abonde Clémentine Autain, députée FI. Car cette Ve République offre tous les outils pour se passer du peuple, des syndicats et du Parlement, et permet même de gouverner contre eux, en imposant une loi contre l’avis de tous. « Il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française », résume le docteur en science politique Fabien Escalona. Et de nombreux espaces de démocratie à reconquérir.
La question d’une VIe République, régulièrement mise sur la table, se pose donc avec une urgence renouvelée. Mais quel en serait le contenu et jusqu’où aller ? « Il faut tout refaire. La crise sur les retraites résulte certes d’un choix politique : ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron a un marteau pour taper sur tout le monde qu’il est obligé de le faire. Mais les outils de son autoritarisme doivent être retirés pour que plus personne ne puisse les réutiliser », mesure Marie-Charlotte Garin. La députée EELV a ainsi signé avec de nombreux parlementaires de la Nupes une proposition de loi visant à supprimer le 49.3, déposée par l’écologiste Jérémie Iordanoff. « Il faut bien sûr aller bien plus loin, redonner du sens au vote, rendre le pouvoir au Parlement, et permettre une implication citoyenne permanente. La question centrale, ce n’est pas tant le numéro de la République que la redémocratisation du régime », observe Arthur Delaporte, député PS.
La meilleure façon d’y parvenir serait de mettre fin à la monarchie présidentielle et de « convoquer une Constituante pour que le peuple définisse lui-même son organisation collective, se réapproprie la démocratie », argumente Clémentine Autain. Mais, en attendant que ces travaux démarrent un jour, les partis de gauche ont une idée très précise de quelle République serait à bâtir. Dans son programme pour les législatives 2022, la Nupes formule plusieurs propositions, qui étaient pour la grande majorité déjà présentes sur chacun des programmes des différents candidats de gauche à la présidentielle.
Permettre l’émancipation des consciences
Proportionnelle aux législatives, reconnaissance du vote blanc, droit de vote pour les résidents étrangers aux élections locales, mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC) et de conventions citoyennes pour forger les projets de loi sont au menu, l’idée étant de « stopper la confiscation de la construction de la loi par quelques-uns, et de mettre en forme et en actes une démocratie directe », projette la sénatrice PCF Éliane Assassi, dont le parti propose aussi de supprimer l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Mais la question des institutions, du vote et de la lutte contre l’abstention n’est pas le seul chantier. La gauche appelle à mettre en place une véritable démocratie sociale en renforçant les pouvoirs des salariés et des syndicats dans les entreprises, et à lancer un plan de « séparation de la finance et de l’État ».
« Il faut que chaque travailleur se réapproprie son outil de production. Il ne s’agit pas seulement de répartir les richesses, nous voulons décider de comment nous les produisons et pour quoi », plaide le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. « Le pouvoir économique est aujourd’hui l’un de ceux qui échappent le plus aux citoyens, et l’appareil d’État – comme l’illustre parfaitement le macronisme – est gangrené par les intérêts privés, le pantouflage, les lobbies, les cabinets de conseil, la culture de l’impunité, de la collusion et du secret », ajoute Marie-Charlotte Garin. L’enjeu est de s’assurer, par la participation citoyenne et la mise en place d’un cordon sanitaire avec les intérêts privés, que la décision soit à la fois le reflet de la volonté générale et de l’intérêt général. L’inverse de ce qu’il se passe sur la réforme des retraites, en somme.
À ce sujet, réanimer notre démocratie passe aussi par la question de permettre à chacun de se forger sa propre opinion en totale liberté. La gauche entend ainsi garantir l’indépendance de la presse et des médias et rompre avec la mainmise qu’exercent sur eux les milliardaires et les grands groupes capitalistes. L’objectif étant, à travers un pluralisme retrouvé, de permettre l’émancipation des consciences. Reprendre la plume pour changer notre Constitution serait enfin l’occasion « de nouvelles conquêtes, de nouveaux droits et de nouvelles protections pour les femmes, pour les travailleurs, pour la planète et pour le partage pérenne et équitable des ressources. Il me semble indispensable de protéger des appétits financiers des biens communs et vitaux, comme l’eau par exemple, qui appartiennent à tous et dont la gestion doit être assurée par tous », insiste Pierre Dharréville.
Une tout autre République est ainsi possible. Loin d’une Ve qui permet un exercice du pouvoir solitaire et autoritaire. Loin d’un gouvernement qui méprise syndicats et opposants, réprime les manifestations via un usage dévoyé de la police et criminalise le moindre citoyen souhaitant battre le pavé. Loin d’un système électoral qui ne reflète pas l’expression du vote. Loin d’un modèle qui ferait pleinement le jeu de l’extrême droite si elle arrive au pouvoir. « La démocratie a ceci de particulier qu’elle est à la fois un type de société (plutôt égalitaire) et un système de gouvernement (proche de l’autogouvernement) », écrit Denis Ferré dans la Démocratie française, de la Révolution au 49.3 (éditions Eyrolles). La Ve République permet de tourner le dos à cette définition. « En France, plus encore qu’ailleurs, la crise de confiance dans la représentation remet en question tous les fondements, la démocratie se libéralise en même temps qu’elle se “dé-républicanise”. Notre modèle a besoin d’une redéfinition par les citoyens et leurs représentants, faute de quoi la démocratie s’étiolera jusqu’à extinction », prévient-il.
Conseil constitutionnel : un rip validé ou retoqué ?
Si le Conseil ne censure pas la réforme des retraites, va-t-il au moins valider la procédure de RIP engagée par 252 parlementaires ? Les sages donneront leur décision demain, sur la proposition de loi visant « à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Ils doivent vérifier que le texte porte bien « sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale ».
Selon les juristes, le terme de « réforme » pourrait poser question et, en fonction de son interprétation, amener à un rejet du RIP. Un risque qui a poussé la gauche à déposer, jeudi, un second texte : « Nous avons voulu mettre toutes nos chances de notre côté et ajouté un élément de financement, avec la mise à contribution des dividendes », explique le député PCF Pierre Dharréville. L’institution aurait un mois pour prendre sa décision mais pourrait le faire dès vendredi. En cas de validation, la seconde étape consistera à récolter 4,8 millions de signatures sur une période de neuf mois.
publié le 13 avril 2023
sur www.humanite.fr
Avant la décision très attendue du conseil constitutionnel sur la réfome des retraites vendredi, une douzième journée de mobilisations avec grèves et manifestations se déroule aujourd'hui. Les enjeux, les actions, les commentaires : suivez notre direct toute la journée.
(les dépèches sont classées en ordre chronologique inverse, les plus récentes sont en tête, la mise à jour a été arrêtée à 15h55)
Fabien Roussel continuera de se battre « quel que soit la décision du Conseil constitutionnel »
« Quand bien même le Conseil Constitutionnel dirait que la loi est constitutionnelle, nous on dira: quand bien même elle est constitutionnelle, elle est mauvaise et on continuera de se battre pour qu'elle soit retirée », a expliqué abien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, présent dans le cortège parisien. L'élu communiste du Nord s'est aussi exprimé au sujet du RIP (Référendum d'initiative partagée) et a déclaré qu'il s'agit « de la plus belle porte de sortie pour tout le monde du meilleur moyen de sortir de cette crise ».
« Les Français ne rentreront pas chez eux », selon Marine Tondelier (EELV)
« Neuf Français sur dix sont contre cette réforme. C'est la 12e fois qu'ils manifestent qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente. Même si le Conseil constitutionnel tranche que la réforme est légale, les Français ne rentreront pas chez eux », a lancé la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier, depuis la manifestation parisienne, à la veille de la décision des Sages sur le texte reportant le départ à la retraite à 64 ans. « Il ne faut pas compter sur la lassitude ou la fatigue des Français, a-t-elle ajouté. Si le Conseil constitutionnel déclare que la réforme est légale, je souhaite bon courage au gouvernement. Il ne faut pas penser que l'on prépare la révolution dans des sous-sol, elle sera spontanée. »
Olivier Faure (PS) appelle la gauche à ouvrir un « débouché politique »
Le premier secrétaire du PS, présent à la manifestation parisienne, a jugé que « la gauche va devoir donner un débouché politique à la mobilisation par le Rip », dont il espère la validation par le Conseil constitutionnel qui doit rendre son avis ce vendredi. « Mais également, a poursuivi Olivier Faure, par la capacité à organiser un projet de coalition pour rassembler ces millions de femmes et hommes qui ont marché pendant des mois et ont exprimé leur rejet a la reforme ». Et le socialiste d'en appeler à l'apaisement des tensions : « Nous devons éviter les pièges qui nous sont tendus, celui de l'extrême droite et celui de la diabolisation des uns et des autres. Quand on attaque un parti de la gauche, c'est toute la gauche qui est attaquée », a-t-il estimé ajoutant que la Nupes allait « continuer de mettre la pression avec les syndicats qui ont demandé ce matin a ce que le président ne promulgue pas la loi". "Même si le Rip n'est pas validé, nous pourrons tout de même exiger le référendum », assure le député de Seine-et-Marne.
La CFDT déterminée à continuer le combat, même en cas de validation de la réforme.
La CFDT reste déter. Dans la droite ligne de son secrétaire général, Laurent Berger, plus tôt dans la journée, les syndicalistes présents dans le cortège parisien affichent leur optimisme : actions en cas de validation de la réforme par le Conseil constitutionnel et pointent l'horizon d'un 1er mai unitaire, dans le prolongement de la mobilisation intersyndicale conte la réforme des retriates.
À Madrid aussi on manifeste
L'ambassadeur de France en Espagne ne les a pas reçus. Qu'à cela ne tienne: des manifestants étaient bien présents à Madrid, « en solidarité avec les travailleurs Français », pour demander la retrait de la réforme des retraites menées Outre-Pyrénées. « Actuellement en France, l'âge moyen de départ à la retraite est plus élevé que celui en Espagne », note le leader de l'UGT.
Pour Manon Aubry (FI) : quoi qu'il arrive vendredi le combat continue
Depuis le cortège parisien, l'eurodéputée FI Manon Aubry a listé "trois scénarios" possibles après la décision des Sages attendue vendredi sur la réforme des retraites. Soit "le Conseil constitutionnel censure la loi et on a gagné. Soit il valide l’essentiel de la loi, et notamment le report de l’âge de depart, auquel cas il faudra continuer la bataille. Et si le Rip est validé, on part en campagne directement", a-t-elle commencé. Dernier cas de figure : ni censure, ni Rip. "Ce serait un coup de force du Conseil constitutionnel contre la démocratie et dans ce cas là, la colère populaire va monter le ton, a estimé l'insoumise. Penser que Macron va pouvoir tourner la page et mettre un pied dehors sans qu’on lui rappelle sa brutalité politique, c’est se tromper - on l’a vu au pays bas. Les gens n’oublieront pas ce qu’il s’est passé".
Les manifestants se regroupent devant le Conseil constitutionnel
La foule afflue devant le Conseil constitutionnel, bloqué brièvement plus tôt dans la journée.
Les syndicats déterminés à faire plier le gouvernement
Toujours motivés, les syndicats sont présents dans le cortège parisien, bien décidés à montrer leur opposition pour la douzième fois depuis l'annonce du projet de réforme des retraites.
Le cortège parisien passera non loin du Conseil constitutionnel
Pour cette 12e journée de mobilisation, la manifestation parisienne part de la place de l'Opéra et se dirge vers la place de la Bastille. Le cortège passera non loin du Conseil constitutionnel, qui siège rue Cambon (Ier arrondissement). Le parcours passera par la rue de Rivoli, la rue Saint-Antoine et terminera sur la place de la Bastille.
Sophie Binet répond "lol" à la proposition de rencontre de Macron
"J'avais envie de dire lol" a réagi en souriant et à brûle-pourpoint la nouvelle secrétaire générale de la CGT lorsqu'elle a été interrogée ce jeudi sur la proposition émise par Emmanuel Macron, d'"un échange qui permettra d'engager la suite et de tenir compte" du verdict du Conseil, avec les syndicats, le tout "dans un esprit de concorde".
"C'est bien qu'il ait tout à coup envie de rencontrer les syndicats, explicite Sophie Binet. Ca fait deux mois qu'on lui a demandé et qu'il a réfusé. Le problème, c'est l'ordre du jour. Le notre, c'est le retrait de cette réforme des retraites. Là, il nous propose un hors-sujet. On n'ira pas pour parler de questions qui ne sont pas posées dans la mobilisation d'aujourd'hui. Si l'ordre du jour est "je promulgue et après on se rencontre", non ce n'est pas possible."
Dans le carré de tête de la manifestation parisienne, en compagnie des leaders des sept autres organisations de l'intersyndicale, la leader de la CGT a affirmé que "contrairement à ce qu'espère le gouvernement, le mouvement n'est pas fini". Le président "ne peut pas gouverner le pays tant qu'il ne retire pas cette réforme".
Ce jeudi matin, Sophie Binet s'est joint au regroupement devant l'accès à l'incinérateur d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) pour soutenir les éboueurs et agents énergéticiens en grève. "Ce n'est pas le dernier jour de mobilisation, on va se revoir encore beaucoup", a-t-elle affirmé.
Laurent Berger envisage la suite de la mobilisation
Alors que le cortège parisien devrait s'élancer d'ici quelques minutes de la place de l'Opéra en direction de la Bastille, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, s'est exprimé sur les poursuites du mouvement social à l'issue de la décision du Conseil constitutionnel. Il espère d'Emmanuel Macron « une concorde avec les partenaires sociaux » s'il en vient à la promulagation de la loi et évoque l'existence de l'article 10 pour faire une nouvelle lecture de la réforme à l'Assemblée nationale. « Le combat syndical est loin d’être terminé » assure-t-il.
À Marseille, 130 000 manifestants selon la CGT, 6600 selon la police...
Selon la CGT, 130 000 manifestants étaient présents ce matin dans les rues de la cité phocéenne contre 170 000 le 6 avril dernier. La police en décompte de son côté seulement 6 600. Si l'écart paraît choquant, les deux constatent une baisse significative.
La CGT dévoile ses observations envoyées au Conseil constitutionnel
Unie depuis ces trois derniers mois à la tête du mouvement social contre la réforme des retraites, l'intersyndicale a poursuivi sa coordination serrée pour porter ses objections auprès du Conseil constitutionnel. Dans un communiqué publié ce jeudi, la CGT dévoile ses arguments adressés aux "Sages".
Premier argument, le détournement de la procédure parlementaire par le gouvernement, "en utilisant un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour faire passer sa loi, ce qui lui a permis d’imposer un énième 49.3. Et ce, alors qu’une réforme des retraites d’une telle ampleur n’a rien à faire dans un projet de loi rectificatif pour 2023, et devrait passer par le biais d’une loi normale, afin de permettre un vrai débat démocratique".
Le syndicat a souligné aussi "les effets qu’aura cette réforme des retraites sur les femmes", ainsi que "les inégalités de traitement", selon les générations impactées par cette réforme. Mesure d'accompagnement proposée par la droite sénatoriale et retenue par le gouvernement, le CDI séniors est lui aussi pointé, autant d'"exonérations aux entreprises pour un impact qui sera quasi nul sur l’emploi des séniors".
La confédération de Montreuil a enfin mis en lumière l'attaque des "régimes pionniers" (ou spéciaux, en faveur des agens des industries électriques et gazières comme de la RATP, ndlr), "de manière illicite, via un PLFRSS pour 2023, alors que la suppression de ces régimes n’aura que très peu d’effet sur les finances de 2023. Il ne prendra tous ses effets que lors des années suivantes, ce qui constitue encore une fois un contournement grave de la procédure parlementaire".
Quimper, les jeunes à la préfecture
Alors que deux manifestations sont prévues aujourd'hui à Quimper, plusieurs jeunes se sont réunis devant la préfecture pour toquer et escalader les grilles du bâtiment.
Une manifestation sauvage sur les Champs-Élysées
Une manifestation sauvage s'est élancée sur les Champs-Élysées. Les manifestants ont d'abord envahi durant quelques minutes un magasin Louis Vuitton, situé sur l'avenue.
Météo France Toulouse bloquée, une première depuis 15 ans
Pour Renaud Tzanos, du syndicat Solidaires Météo France cité par France 3, "c'est une décision du personnel de l'AG de montrer que le ton monte parce que la colère monte. Il est de plus en plus question d'aller au-delà de la réforme des retraites, même si cela reste l'exigence centrale".
Outre le recul de l'âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans, les réductions d'effectifs successives au sein de l'établissement public attisent la colère des agents de Météo France depuis plusieurs années.
Dans la manifestation bordelaise, les jeunes en veulent à Emmanuel Macron
« Je suis dégoûtée parce que j’ai l’impression que le gouvernement va aller jusqu’au bout de la réforme », se désole Malie, 20 ans, étudiante troisième année de Lettres à Bordeaux Montaigne. « Il est obstiné, entre l’usage du 49.3 ou les allocutions de Macron, alors que la population continue de manifester. » Au-delà des manifestations, « La réforme de Macron s’inscrit dans une politique libérale », regrette Titouan, 18 ans, lui aussi étudiant à Bordeaux III. « C’est un choix politique de taxer la vie des français plutôt que les entreprises. C’est pour ça qu’on est contre. »
Huit manifestants interpelés devant le Conseil constitutionnel
Sud éducation 93 condamne par voie de communiqué l'arrestation de plusieurs manifestants, dont certains sont adhérents du syndicat, qui s'étaient regroupés quelques heures ce jeudi matin devant le Conseil constitutionnel. Une action symbolique menée dans le cadre de la douzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
Intervention policière musclée au centre de tri des déchets d'Aubervilliers
Deux sommations, puis une charge sévère des CRS à l'encontre des manifestants, s'achevant sur l'arrestation au hasard de sept d'entre eux. Voilà ce qu'ont vécu les salariés du garage de maintenance des camions de collecte de tri à Aubervilliers, ainsi que leurs 150 soutiens qui bloquaient pacifiquement l'entrée du site depuis 5 heures 30 ce jeudi matin.
Selon une source syndicale, les forces de sécurité sont intervenues vers 8 heures 30 pour permettre l'accès aux camions bennes. Une décision "incompréhensible", pour les représentants CGT SGLCE présents sur les lieux: "Il n'y avait aucune raison de débloquer le site alors que les salariés allaient y tenir une demi-heure plus tard leur assemblée générale à 9 heures en vue de voter la grève. A partir de ce moment, il était évident que plus aucun camion n'allait être pris en charge. On est clairement dans une opération d'intimidation".
La CGT de la filière déchets et assainissement de Paris a annoncé la veille sa détermination à mener un "acte 2" de la mobilisation des éboueurs contre la réforme des retraites en émettant un nouvel appel à la grève reconductible à partir de ce jeudi. L'opération policière n'a permis de faire aller et venir que cinq camions bennes sur le site d'Aubervilliers.
L'union locale CGT d'Aubervilliers condamne l'intervention entreprise par la direction et la police. Elle déplore par voie de communiqué une "charge policière gratuite et dangereuse qui a blessé plusieurs d'entre nous" ainsi que l'interpellation de quatre militants syndicaux, dont trois de la CGT, tout cela "pour faire sortir cinq camions de collecte pour la vingtaine de minutes restantes pour la tournée. Aucun ramassage sérieux n'était envisageable dans ces conditions"
Les sept personnes arrêtées, assistées chacune par des avocats en lien avec la CGT, se trouvaient toujours en fin de matinée au commissariat d'Aubervilliers devant lequel une cinquantaine de manifestants revendiquaient leur libération. Selon la député insoumise de Seine-Saint-Denis Nadège Abomangoli qui a pu entrer dans le commissariat pour obtenir de leurs nouvelles, "on leur reproche un refus d'obéissance à l'ordre donné de dégager la voie car la manifestation n'était pas déclarée. Mais aucune justification ne m'a été donnée sur le choix d'arrêter ces personnes-ci plutôt que d'autres manifestants". La CGT appelle à un regroupement devant le commissariat à 18 heures 30 pour obtenir leur libération.
À Bordeaux, la CGT Gironde appelle à se rassembler place de la Bourse
Comme partout en France, l'intersyndicale appelle à descendre dans les rues pour protester contre la réforme des retraites. À Bordeaux, le rendez-vous se fera place de la Bourse à midi.
Dans un tract diffusé jeudi, la CGT Gironde réclame « la juste rémunération du travail et des qualifications » et cela passerait par :
l’indexation des salaires sur les prix et le rétablissement de l’échelle mobile des salaires
l’augmentation du Smic à 2000 euros brut
l’augmentation de 10 % du point d'indice des fonctionnaires.
Déjà des blocages en cours
Des blocages étaient en cours autour de plusieurs villes de l'ouest, notamment à Caen, Brest et Rennes où le dépôt de bus était également bloqué. "Il faudra voir ce que ça donnera demain", après la décision du Conseil Constitutionnel, "si ça va redémarrer de plus belle", considère auprès de l'AFP Philippe Simon, 56 ans, délégué syndical UNSA, au barrage dressé à l'entrée de la zone d'activités de la Plaine de Baud, à Rennes, empêchant notamment les bus du réseau Star d'entrer et de sortir. "Sinon, il faudra monter à Paris" pour manifester, estime-t-il.
A Rennes, des barrages filtrants ont été établis sur certaines sorties de la rocade, en particulier les portes de Beaulieu et de Bréquigny. De même, des ralentissements étaient enregistrés sur la RN 157, qui donne accès à Rennes après la fin de l'autoroute venant de Paris.
Autour de Caen, des déviations ont été mises en place à la suite de blocages, notamment à Solierse à l'échangeur Mondeville/Vallée sèche, selon la préfecture.
A Brest, le rond-point de Pen-ar-C'hleuz, principal débouché de la RN12, venant de Rennes, pour entrer dans la ville, est également bloqué, entraînant des embouteillages.
La RN 12 est également bloquée dans le sens Rennes-Brest à Morlaix (Finistère) et à Guingamp (Côtes d'Armor) des ralentisements sont observés dans les deux sens sur la RN12.
Des barrages filtrants étaient également signalés aux abords d'Angers et de Chartres et les voies ferrées ont été envahies en gare de Quimper vers 8H30.
Des avocats s'inquiètent d'un fichage de manifestants
Une centaine de personnes a déposé plainte pour "détention arbitraire" le 31 mars, via un collectif d'avocats. Selon la Chancellerie, 1.346 personnes ont été placées en garde à vue entre le 16 et le 25 mars en France. Ces gardes à vue, dont 75% se sont soldées sans poursuites, ont "un triple sens" selon ces avocats: "dissuader, sanctionner et ficher".
"Quasiment à chaque fois", les empreintes - et parfois l'ADN - ont été collectés avant l'arrivée de l'avocat au commissariat, explique Me Camille Vannier, membre du collectif.
Ces interpellations réalisées "de manière aveugle", "ça nous inquiète énormément", ajoute-t-elle, parlant d'un "fichage généralisé des manifestants".
Ces données sont enregistrées dans le Fichier automatisé des empreintes digitales (Faed) et le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), qui visent à identifier les auteurs de crimes ou délits, des personnes disparues ou décédées.
Refuser est une infraction, passible d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.
En cas d'acquittement ou de relaxe à l'issue d'un procès, l'effacement des empreintes est "de plein droit", souligne-t-on à la Chancellerie.
En revanche, pour les personnes qui font l'objet d'un classement ou d'un non-lieu, le procureur peut décider de conserver la fiche selon les "circonstances" et la "personnalité".
L'effacement n'est pas "pas automatique", insiste Me Vannier, qui a été recontactée à ce sujet par des manifestants qu'elle avait assisté. Fin 2021, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) avait rappelé à l'ordre le ministère de l'Intérieur au sujet du Faed et demandé d'en exclure toutes les personnes mises hors de cause. Malgré de multiples sollicitations, Beauvau n'a pas répondu.
publié le 12 avril 2023
Nelly Metay sur www.humanite.fr
Les éboueurs et agents de traitements des déchets de la ville de Paris ont voté, mercredi 12 avril, pour mettre en place « l'acte 2 » d'une grève reconductible contre la réforme des retraites. Dès jeudi soir, les trois incinérateurs seront bloqués et la collecte des déchets à l'arrêt.
C'est reparti pour un tour, après quinze jours de disparition progressive, les tas de poubelles devraient faire leur grand retour dans les rues de Paris. Les éboueurs de la régie municipale ont voté mercredi, à l’appel de la filière traitement des déchets de la CGT, pour une nouvelle grève reconductible afin de protester contre la réforme des retraites. Cet appel à la mobilisation est aussi adressé au secteur privé.
Une réforme qui « entend les condamner à une mort prématurée »
Effective à partir de jeudi et reconductible sur décision de censure ou non de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel, cette seconde grève entend être d'une plus grande ampleur que celle menée entre le 6 et le 29 mars.
Lors du précédent épisode, plus de 10 000 tonnes d'ordures s'étaient amoncelées dans les rues de la capitale. Faute de grévistes et remplacés par des entreprises privées dans certains arrondissements, les éboueurs avaient repris amèrement le chemin du travail au bout de 23 jours de grève.
Espérant pour de bon être entendus par Emmanuel Macron, les agents dénoncent une réforme qui « entend les condamner à une mort prématurée ». Dans un communiqué daté du 12 avril, la CGT promet de « travailler à reconduire et à étendre cette mobilisation, dans le cadre intersyndical le plus large, jusqu’au retrait de la contre-réforme des retraites Macron-Borne ». Dès jeudi soir, les trois incinérateurs seront bloqués et la collecte des déchets à l'arrêt.
publié le 11 avril 2023
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
En cette veille de journée de mobilisation, les caisses de soutien se remplissent à un rythme inédit, et l’adhésion populaire ne faiblit pas. Une incitation assumée à la grève.
Si son employeur savait à quoi Anthony consacre son salaire, il crierait probablement au fou, ou au détournement de fonds. Ingénieur informaticien, Anthony travaille pour une de ces multinationales américaines où le terme de « grève », même quand il est prononcé en anglais, sonne comme une langue étrangère.
Et pourtant, depuis début janvier, le trentenaire a envoyé plus de 2 000 euros aux caisses de grève, pour soutenir la bataille des retraites. « Dans l’absolu, c’est une somme, mais pour moi ce n’est pas grand-chose, ironise-t-il. Je gagne 11 000 euros par mois, ce qui est affolant quand on y pense ! D’un point de vue marxiste, je suis un exploité, mais extrêmement bien payé… »
Il est entré dans le camp des opposants à la réforme par des voies plus intimes qu’idéologiques
Sans jamais se départir d’une forme de lucidité sarcastique, le trentenaire raconte comment il est entré dans le camp des opposants à la réforme, par des voies plus intimes qu’idéologiques : à 55 ans, sa mère trime comme serveuse, ce qui lui vaut des problèmes de dos en pagaille et une carrière en pointillé.
Sa vie offre un démenti cinglant à la propagande gouvernementale qui maquille la réforme en bénédiction pour les femmes. « Les patrons ont toujours déclaré ma mère partiellement, ce qui est courant dans le secteur de la restauration, dit-il. Elle a donc moins cotisé. Par ailleurs, elle m’a élevé jusqu’à un an et demi, ce qui lui a également enlevé des trimestres. Mais la pénibilité de son métier rend inacceptable la perspective de tenir deux ans de plus. »
Anthony n’aime pas trop le cap pris par la France sous Emmanuel Macron (« de plus en plus à droite », précise-t-il au cas où on se méprendrait), mais il ne se voit pas débrayer tout seul dans son coin, d’où son choix de contribuer financièrement à l’effort collectif.
À 800 kilomètres de là, la même analyse a conduit Anaïs, 38 ans, à donner à une caisse de grève. « Je bosse à temps partiel dans une association qui travaille auprès des jeunes des quartiers Nord, explique la Marseillaise. Avec mon salaire actuel – 750 euros net par mois –, je ne me voyais pas faire grève. J’ai préféré donner l’équivalent d’une demi-journée de paye à des grévistes qui, au moins, avaient un impact sur l’économie… »
Les sondages d’opinion mesurent comme ils le peuvent cette lame de fond
Depuis janvier, la France compte des dizaines de milliers d’Anaïs et d’Anthony. Des petits mots de soutien qu’on lance en passant jusqu’aux chèques à quatre chiffres envoyés aux caisses de grève, des collectes de légumes jusqu’aux soirées solidaires, c’est tout un pays qui se dresse contre la réforme des retraites, en marge de l’agitation médiatique.
Les sondages d’opinion mesurent comme ils le peuvent cette lame de fond : 62 % des Français estimaient, fin mars, que le mouvement social devait « se durcir pour faire reculer l’exécutif », selon l’Ifop.
Autre baromètre, les caisses de grève se garnissent à une vitesse inédite. a caisse de solidarité intersyndicale gérée par Info’Com-CGT et SUD poste 92, vient de franchir la barre des 3,4 millions d’euros récoltés, record historique. « En moyenne, nous recevons plus de 100 000 euros de dons par jour, ce qui est considérable », précise Romain Altmann, d’Info’Com-CGT.
Un tiers de retraités, un tiers de cadres et un tiers d’ouvriers ou employés
Les syndicalistes gérant la caisse ont cherché à en savoir plus sur le profil sociologique de cette France solidaire, à partir d’un questionnaire rempli en ligne par quelque 8 000 donateurs. Verdict : un tiers de retraités, un tiers de cadres et un tiers d’ouvriers ou employés. « Les premiers sont dans un combat intergénérationnel, analyse Romain Altmann. Beaucoup envoient un petit mot disant qu’ils se sont battus pour les 60 ans et que leurs petits-enfants doivent en profiter aussi. »
Les CSP + interrogés estiment compliqué ou inutile de se mettre en grève, en raison du caractère « non stratégique » de leur secteur, et préfèrent remplir les caisses. Quant aux catégories populaires, « ce sont des gens modestes, avec des situations personnelles compliquées, qui font parfois des dons de quelques euros, explique le syndicaliste. Un bel exemple de solidarité ouvrière ».
La première fois, j’en aurais pleuré. C’est beau de voir les mondes ouvrier et paysan unis dans la lutte. » Florent Anger, chef de gare à Saint-Malo et élu CGT au comité social et économique des TER de Bretagne
Sur le terrain, les grévistes voient se construire des convergences inattendues. À Rennes et à Versailles, des paysans de la Confédération paysanne apportent de la nourriture aux cheminots en grève : tous les vendredis, ils remplissent une salle de cageots débordant de légumes frais, fromage, farine, œufs, etc.
« La première fois, j’en aurais pleuré, s’émeut Florent Anger, chef de gare à Saint-Malo et élu CGT au comité social et économique des TER de Bretagne. C’est beau de voir les mondes ouvrier et paysan unis dans la lutte. » Une rencontre tout sauf symbolique, selon lui : « Vous repartez avec un cageot qui vous aurait coûté 60 euros dans une Biocoop ! Cela permet de nourrir sa famille le week-end sans faire les courses, ce qui n’est pas négligeable quand vous avez cumulé quinze jours de grève… »
Tous les militants décrivent un élan de générosité inédit. L’explication réside dans le rejet massif de la réforme, qui transcende en partie les clivages de classe et de génération, et met en mouvement grandes villes et villes moyennes. Les soirées de solidarité avec les grévistes se déroulent ainsi aux quatre coins du pays, dans les métropoles comme dans les villages reculés.
« Les gens diffusent nos films dans des granges, des appartements, des petits villages »
Coopérative cinématographique de production, les Mutins de Pangée ont proposé à plusieurs réalisateurs de mettre leurs films à disposition du mouvement social : n’importe qui peut organiser des projections publiques, à condition de reverser l’argent récolté aux caisses de grève.
« Nous avons obtenu le soutien de nombreux réalisateurs, raconte Olivier Azam, cofondateur des Mutins. 95 films sont à disposition, parmi lesquels la Sociale, de Gilles Perret, Un pays qui se tient sage, de David Dufresne, ou Comme des lions, de Françoise Davisse. »
Un succès colossal : 620 projections ont été organisées dans tout le pays, pour 114 000 euros récoltés. « Nous voyons apparaître de nouveaux lieux de projection, en marge des réseaux classiques, se félicite Olivier Azam. Les gens diffusent nos films dans des granges, des appartements, des villages de quelques milliers d’habitants parfois… En un sens, cela colle avec la sociologie des dernières mobilisations, avec des manifestations énormes dans des petites villes. »
Dans trente ans, les professeurs de communication politique se pencheront peut-être sur le spectaculaire accident industriel que constitue la réforme des retraites. Dans les décombres, ils exhumeront l’éditorial signé par Élisabeth Borne accompagnant le dossier présenté à la presse, le 10 janvier : « Aujourd’hui, nous présentons un projet de justice, d’équilibre et de progrès », affirmait-elle gravement.
Ces trois mots que les macronistes ont eu tant de mal à incarner n’ont jamais convaincu Jean-François Le Dizès, retraité grenoblois de 76 ans et éternel militant de gauche. « C’est une question de choix de société ! assène-t-il. Veut-on continuer à tout miser sur la production de richesses matérielles, ou sur la valorisation du temps de vivre ? »
Dans les années 1990, le sociologue Henri Vacquin avait forgé l’expression de « grève par procuration »
Le retraité a signé deux chèques de 3 000 euros pour soutenir les grévistes, mais s’inquiète des faiblesses du mouvement social : « En Mai 68 comme en 1995, nous avions réussi à bloquer l’économie, ce qui nous avait permis d’obtenir gain de cause. Ce n’est pas le cas cette fois-ci, en dépit de grèves très suivies dans certains secteurs. »
Une avant-garde mobilisée – les énergéticiens, les raffineurs, les cheminots, etc. –, soutenue financièrement par une majorité généreuse mais non gréviste : dans les années 1990, le sociologue Henri Vacquin avait forgé l’expression de « grève par procuration » pour décrire ce phénomène.
Le terme ne rebute pas Florent Anger : « La grève générale reconductible, on est pour, mais gare à l’incantation ! Le monde du travail a changé : je vois beaucoup de salariés qui aimeraient faire grève mais qui n’en ont pas les moyens. Les gens font ce qu’ils peuvent. »
Le cheminot préfère voir le verre à moitié plein : « Ce qui me plaît dans ce mouvement, c’est qu’on a dépassé le seul cadre de la retraite. On parle du sens du travail, de l’amassement indécent des grandes fortunes, du capitalisme… L’ampleur du soutien populaire montre à quel point les gens s’approprient ces enjeux. »
Où donner sur internet ?
La caisse de grève de l'intersyndicale https://caisse-solidarite.fr/
La caisse de grève de la CGT https://www.leetchi.com/c/solidarite-cgt-mobilisation
publié le 7 avril 2023
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
L’intersyndicale, qui se réunissait vendredi soir (au siège de Force ouvrière, fixe comme prochaine date de grèves et de manifestations le jeudi 13 avril contre la réforme des retraites.
Sans réelle surprise, la douzième journée de mobilisation tombera jeudi 13 avril. Soit la veille de la décision du Conseil constitutionnel qui validera, ou non, tout ou partie de la réforme des retraites. Mais également la veille d’une décision donnant son possible aval à la proposition de loi pour un référendum d’initiative partagée, qui fixerait un âge légal maximum de départ à la retraite à 62 ans.
Une date de mobilisation assez incontournable, choisie dès mardi après-midi, lors de la réunion des numéros un des huit syndicats pour préparer la rencontre de mercredi 5 avril avec Élisabeth Borne. Une nouvelle journée de grèves et manifestations le 13 avril décidée pour peser le plus possible sur les neuf Sages de la rue Montpensier. Mais une date choisie à l’aveugle, avant de connaître l’état des mobilisations de ce jeudi. Finalement, contrairement aux prophéties et aux espérances d’Olivier Dussopt, tablant sur un essoufflement du mouvement, ce matin sur BFMTV, la onzième journée reste d’un assez haut niveau avec 570 000 manifestants dans toute la France, selon le ministère de l’Intérieur (2 millions selon l’intersyndicale). Malgré une certaine fatigue et des retenues de salaires qui pèsent sur le niveau des grèves, la mobilisation tient.
La grande inconnue du Conseil constitutionnel
La semaine prochaine, l’intersyndicale fera l’impasse sur le rendez-vous traditionnel du soir de manifestation. En effet, selon les décisions que prendra le Conseil constitutionnel, la situation politique et l’avenir de la réforme des retraites seront bien différents. En cas d’absence totale de censure, le gouvernement aura le feu vert pour promulguer la loi et pourra tenter d’insister sur sa légitimité à la faire, malgré le 49-3 utilisé à l’Assemblée nationale. Cela pourrait décourager une partie des personnes mobilisées, au moment où les vacances scolaires par zone défavorisent les manifestations massives. A l’inverse, une censure totale du texte enterrerait la réforme et signerait une victoire du mouvement social.
Mais le plus probable reste une censure partielle de la réforme. Celle-ci serait un désaveu pour le pouvoir, un de plus, écornant encore sa légitimité sur les retraites, sans pour autant l’empêcher de promulguer la loi. Enfin, si le Conseil constitutionnel donne son aval à la proposition de référendum d’initiative partagée, une nouvelle ère de grande incertitude s’ouvre. L’exécutif ne serait pas obligé de ne pas promulguer la loi, mais cela apparaîtrait comme un nouveau passage en force. Passage en force qui pourrait de surcroît être annulé neuf mois plus tard. Avec autant d’aléatoires, les huit syndicats attendront vendredi 14 avril en fin de journée pour décider des suites de la mobilisation, avec déjà en ligne de mire le 1er mai.
Vers 1er mai unitaire historique ?
Impossible de savoir aujourd’hui quelles seront les mobilisations proposées au-delà du 13 avril, mais déjà, l’intersyndicale anticipe un 1er mai unitaire. Une situation qui ne s’est pas produite depuis des décennies. En 2010, malgré une réforme des retraites contre laquelle tous les syndicats étaient mobilisés, Force ouvrière avait fait cavalier seul. De même en 2002, pour un 1er mai qui tombait avant le second tour de la présidentielle et avait vu Le Pen père se qualifier.
Mais cette fois-ci, l’unité de l’intersyndicale depuis trois mois pourrait déboucher sur un 1er mai regroupant l’ensemble des syndicats. Autre élément qui pourrait peser sur les choix de l’intersyndicale, Marine Le Pen tiendra sa « fête de la Nation » au Havre le 1er mai. Un hold-up sur la journée de lutte des travailleurs que l’intersyndicale pourrait tenter de contrer dans cette ville symbolique des mobilisations, avec son port mainte fois bloqué ces dernières semaines. Réponses à certaines de ces questions le 14 avril au soir.
La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/
Une jeunesse nombreuse, une grève qui continue d’exister même à faible niveau, des manifestations fournies quoiqu’en légère baisse et toujours des blocages et des actions. On a bien du mal à dire si l’élément notable de la journée demeure le léger étiolement du mouvement ou son incroyable persistance. Aperçu de la mobilisation du 6 avril.
Onzième journée de manifestations…et toujours plus d’un million de manifestants dans la rue, comptent les syndicats. Si ce 6 avril a été légèrement plus faible que le 28 mars précédent, on a bien du mal à dire si l’élément notable de la journée demeure le léger étiolement du mouvement ou son incroyable persistance. A Lyon, 13 000 personnes ont manifesté selon la préfecture – à qui la CGT a tenté de couper l’électricité -, 32 000 selon les syndicats. Un chiffre équivalent à celui de la semaine précédente. A Paris, la CGT annonce 400 000 manifestants, à peine un peu moins que les 450 000 de la semaine précédente. A Marseille, la préfecture annonce 10 000 manifestants, la CGT 170 000. A Clermont-Ferrand, le comptage policier monte à 7500, celui des organisateurs à 20 000. A Nantes : 15 000 contre 50 000.
La jeunesse prend la relève ?
Léa* est lycéenne, aujourd’hui son lycée est bloqué et elle participe à sa première manifestation. « J’avais envie de participer à une action citoyenne, mais d’habitude, mes parents ne me laissaient pas faire les manifestations. Je suis là pour d’autres causes que la réforme des retraites, Parcours Sup par exemple. » La présence des jeunes, plutôt discrets lors des premiers mois de la mobilisation, se confirme ce 6 avril dans les manifestations. Les organisations lycéennes annonçaient 400 lycées mobilisés aujourd’hui en France. Du côté des facs, le syndicat l’Alternative comptabilise 90 facs et écoles mobilisées, un record toutes dates confondues. « La mobilisation des étudiants, c’est important. Ils sont nombreux et le nombre fait la force. On a vu que dans tous les mouvements leur mobilisation avait une importance », estime Eric, personnel administratif à l’université Paris Dauphine et syndiqué chez Sud.
En revanche, depuis quelques semaines, les attaques des militants d’extrême droite contre la mobilisation étudiante s’amplifient. Ce matin, ils ont sillonné le centre ville de Lyon pour mettre la pression sur les lycées. Le syndicat La Voix Lycéenne dénonce le « tabassage » d’un lycéen de 16 ans à 10 contre 1.
Une grève qui se maintient dans la fonction publique
Une relève des jeunes face à une mobilisation enseignante qui s’étiole légèrement ? Ce 6 avril le niveau de grève enseignante est stable par rapport au 28 mars, dernière journée de grève interprofessionnelle, puisqu’il avoisine les 8%. Le Snuipp-FSU annonce de son côté 20% de grévistes. Une dynamique de persistance de la grève, à un niveau toutefois faible, commun à toute la fonction publique. Dans la territoriale, ils sont 3,9% de grévistes ce jeudi à la mi-journée, contre 3,4% le 28 mars, selon les chiffres du ministère. Dans la fonction publique hospitalière ce taux remonte à 5,9% contre 5,4% lors de la précédente journée de mobilisation.
Les grèves reconductibles, une « colonne vertébrale »
Présente sur le piquet de grève de Gournay-sur-Aronde, en soutien aux salariés des industries électriques et gazières (IEG) mobilisés, Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT, a rappelé l’importance des grèves reconductibles, qu’elle juge être « la colonne vertébrale » du mouvement. Si les IEG sont toujours mobilisés, multipliant les grèves stratégiques (quelques heures pour bloquer la production) et les actions, la reconductible a du plomb dans l’aile dans les transports, notamment à la RATP.
Ce 6 avril, le trafic a été « quasi normal » pour le métro et le RER. De son côté, la SNCF a fait rouler trois TGV sur quatre, un TER sur deux et un Intercité sur quatre. Il y a toutefois des exceptions : au technicentre de Châtillon, la grève reconductible est forte depuis le 7 mars. « Tu as vu au technicentre de Châtillon ? On est très mobilisés ! C’est vrai qu’on se sent particulièrement concernés parce que notre travail est très physique, estime José, syndiqué Sud-rail. » Toujours aussi déterminé, cet employé du technicentre veut croire à un « printemps du 49.3 ».
Raffineries : les réquisitions retoquées
La grève reconductible continue également dans certaines raffineries, avec une bonne nouvelle : « Le préfet de la Seine-Maritime a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève », estime ce matin le tribunal administratif de Rouen. Les dernières réquisitions en date sont donc suspendues. Selon le préfet de Seine Maritime, elles avaient pour but d’endiguer les pénuries de carburant avant le week-end de Pâques. Mais au regard des décisions de tribunal administratif de Rouen, l’argument est fallacieux. « La reprise de la plate-forme Total Energie ne permettra d’assurer l’approvisionnement de la région Ile de France que dans 5 jours et de la région Centre Val de Loire que dans 7 jours », écrit ce dernier. Soit bien après le week-end de Pâques.
En revanche, moins bonne nouvelle : les salariés de la raffinerie Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-sur-Seine ont arrêté ce jeudi leur mouvement de grève et les expéditions vont repartir. « Il n’y avait plus assez de grévistes par quarts pour maintenir l’arrêt des expéditions », explique Germinal Lancellin, élu CGT de la raffinerie à France Bleu Normandie. La grève a été levée à 14 heures ce jeudi.
Mobilisation du 6 avril : toujours des blocages
Enfin, outre les grèves et les manifestations, des actions de blocage ou de tractage ont eu lieu partout en France. Notamment autour des centres d’incinération des déchets, considérés comme des lieux stratégiques depuis le début du mouvement. Ainsi ce matin, une centaine de personnes bloquaient l’incinérateur de la SETM à Toulouse. D’autres se rassemblaient devant la TIRU d’Ivry pour tenter également de la bloquer.
Autre type de blocage : à Marseille, les travailleurs de l’éducation se sont réunis dès sept heures devant la tour La Marseillaise, qui accueille une partie des services de la métropole Aix-Marseille Provence, pour la bloquer. L’intersyndicale a bloqué la zone commerciale sud d’Amiens. A Paris, les locaux du gestionnaire d’actifs Blackrock ont été envahis par des manifestants.
Rose-Amélie Bécel sur www.politis.fr
Pour la 11e journée nationale de grève et de manifestation contre la réforme des retraites, près de 20 000 personnes ont défilé dans les rues de Rennes selon les chiffres syndicaux. Avec certains collectifs peu habitués des mobilisations. Reportage.
À Rennes, la manifestation de ce 6 avril – la 11e au niveau national à l’appel des syndicats – avait beau commencer à 11 heures, certains étaient mobilisés à l’aube pour mener une opération « ville morte ». Dès 7 heures, le collectif de la Maison du Peuple bloque un rond-point au sud de la capitale bretonne. Un emplacement stratégique, très fréquenté des automobilistes, qui permet de rejoindre la rocade qui entoure la ville.
Les gens détestent tellement Macron. Ils nous disent qu’ils comprennent ce qu’on fait.
En contrebas, d’autres militants ont installé un barrage filtrant directement sur la quatre-voies, à l’aide de barrières et de caddies enflammés. Voitures et camions s’agglutinent sur la rocade, formant un bouchon dans lequel plusieurs automobilistes affirment avoir été bloqués pendant plus de deux heures.
Furieux, certains franchissent le barrage à toute allure en faisant vrombir leur moteur et crisser leurs pneus. Preuve des vives tensions, un chauffeur manque même de renverser des militants avec son camion. Mais d’autres, nombreux, affichent leur solidarité. « Les gens détestent tellement Macron que même après avoir attendu des heures dans leur voiture, ils nous disent qu’ils comprennent ce qu’on fait », plaisante Camille* au passage d’un automobiliste qui franchit le barrage aux cris de « Macron démission ».
* Les prénoms ont été modifiés.
Sur le rond-point, aucun drapeau syndical. Le blocage est porté par la Maison du Peuple, un collectif né au début des mobilisations contre la réforme des retraites. « L’idée c’était d’occuper un lieu pour former un QG des luttes à Rennes. Nous avons essayé d’investir la salle de la cité, puis le cinéma l’Arvor, mais nous avons rapidement été délogés. Donc le collectif poursuit ses assemblées hors les murs », explique Camille. Depuis, le groupe a organisé six opérations « ville morte » en coordination avec les assemblées générales étudiantes des universités de Rennes 1 et Rennes 2.
À force d’étaler les rendez-vous, on risque de perdre des plumes.
Laurent, enseignant chercheur, observe depuis un pont le barrage filtrant installé par ses camarades en contrebas. « L’objectif, c’est de rendre la contestation plus visible en organisant un blocage économique. Les manifestations, c’est bien mais c’est davantage symbolique. Maintenant, il faut passer à l’action », défend-il.
Ben, ouvrier dans une usine, partage le même constat mêlé d’inquiétudes : « J’ai l’impression que le mouvement perd de l’ampleur, que la mobilisation syndicale ralentit. Il ne faudrait pas faire seulement une manifestation par semaine, mais bloquer le pays plusieurs jours d’affilée. À force d’étaler les rendez-vous, on risque de perdre des plumes. »
Blocage historique à la faculté de droit
À 6 heures du matin, Juliette* ne bloquait pas les ronds-points. Mais, avec un petit groupe, elle initiait le premier blocage de la faculté de droit de Rennes. « Des enseignants sont passés nous voir pour nous soutenir en nous disant qu’en 40 ans ils n’avaient jamais vu ça », se réjouit l’étudiante en première année de licence de droit. Historiquement classée à droite, la faculté de droit de Rennes prend le même chemin que le campus parisien de Panthéon-Assas, bloqué le 23 mars pour la première fois depuis le début du mouvement.
Principale revendication des étudiants mobilisés : dispenser les étudiants de présence en cours au moment des manifestations, pour leur permettre de s’y rendre sans être pénalisés par des absences injustifiées. « C’est difficile de mobiliser autour de cette question. Dans mon groupe de cours, les étudiants sont assez peu politisés. Il y a un grand désintérêt pour l’actualité et la mobilisation en cours ne les atteint pas », déplore Juliette.
Sur le chemin vers la place de Bretagne, où débute la manifestation à 11 heures, le cortège des étudiants de la faculté de droit croise celui d’un autre établissement peu habitué des mobilisations : l’INSA Rennes, une école d’ingénieurs.
« Les gens ont sérieusement commencé à se mobiliser après le 49.3, le déni de démocratie inacceptable a réveillé tout le monde », raconte Titouan, étudiant de 2e année. « Notre mobilisation en tant qu’étudiants ingénieurs, dans un milieu peu politisé, créé aussi un cercle vertueux. J’ai plein d’amis de l’école qui ont fait récemment leur première AG et leur première manif », s’enthousiasme Nelly, également étudiante en 2e année.
À la faculté de Rennes 2, plus habituée à participer aux mouvements sociaux, les cours sont supprimés les jours de manifestation pour permettre aux étudiants et aux personnels de s’y rendre. « Le reste du temps, il y a des cours et des événements organisés par l’AG. Si on bloquait la fac tout le temps, les étudiants ne viendraient pas et on ne pourrait pas organiser nos ateliers et y tenir nos assemblées. Ça rendrait impossible la création d’espaces de politisation dont on a besoin », explique Hugo, étudiant en mathématiques et sciences sociales et membre de l’Union Pirate, syndicat majoritaire de l’université.
À Rennes, la réforme des retraites rassemble contre elle des collectifs de plus en plus variés, pas toujours habitués des manifestations. Ceux qui, parmi les élus et éditocrates, parient sur un essoufflement des mobilisations, risquent d’être déçus.
publié le 6 avril 2023
Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr
Onzième mobilisation nationale contre la réforme des retraites ce jeudi 6 avril. Manifestations, blocages et débrayages rythment à nouveau la journée. L’exécutif, lui, durcit encore le ton. Pour Emmanuel Macron, le pays n’est pas à l’arrêt, et si les gens ne voulaient pas de la réforme, il ne fallait pas l’élire.
À ce stade, ce n’est même plus un gouffre qui sépare l’exécutif et les opposant·es à la réforme des retraites. La rupture est abyssale. Le premier, pressé de passer à autre chose, feint de ne rien voir tout en multipliant les provocations. Les deuxièmes défilent, bloquent et débrayent pour la onzième fois en trois mois, sidéré·es face à tant de déni et de surdité.
« On est chez les fous ! », a lâché ce jeudi Laurent Berger sur RTL. Le leader de la CFDT est bouche bée. La veille, il a dénoncé – comme l’ensemble de l’intersyndicale – « une grave crise démocratique », à l’issue d’une courte, et ratée, rencontre avec la première ministre.
La réponse a rapidement fusé. Des propos, d’abord attribués à « l’entourage d’Emmanuel Macron » en visite en Chine, sont venus rappeler que le président ne reculerait pas et ne prendrait pas de décision « en fonction de l’opinion ».
Quelques heures plus tard, le journal Le Monde a brisé le « off » présidentiel et révélé la pensée profonde, et limpide, du président. « Les mots ont un sens et si on les galvaude, on fait monter les extrêmes, rétorque ainsi Emmanuel Macron depuis Pékin. Qu’un président élu, avec une majorité élue, certes relative, cherche à mener un projet qui a été porté démocratiquement, ça ne s’appelle pas une crise démocratique. Si les gens voulaient la retraite à 60 ans, ce n’était pas moi qu’il fallait élire comme président de la République. »
Pour le chef de l’État, le mouvement social est quasi terminé, plié, épuisé : « Quel est le taux de grévistes depuis quinze jours ? Il est à un niveau historiquement très faible. De l’Éducation nationale à l’énergie, aux transports… Qu’on n’aille pas m’expliquer que le pays est à l’arrêt. Ce n’est pas vrai ! »
À propos de la CFDT, il réaffirme sa vision, présentée comme une « vérité » : « Pour la première fois de son histoire contemporaine, la CFDT n’a proposé aucun autre projet – ni l’accélération ni l’augmentation de la durée de cotisation. »
Appelant au calme et « à garder ses nerfs », Laurent Berger demande en retour au président de ne pas « balancer des petites phrases » et jure n’avoir mené aucune « attaque personnelle » en évoquant une « crise démocratique ».
Ne pas lâcher après onze journées
Ces deux mots ont alimenté toutes les matinales radio et télé. Olivier Dussopt a joué l’ébahi sur RMC : « Une crise ? Quelle crise ? Il y a une crise sociale mais pas de crise démocratique », tandis qu’Olivier Véran pensait à la place de Laurent Berger : « Le connaissant un peu, je pense qu’il n’est, au fond, pas d’accord lui-même avec ce qu’il dit. »
Sur France Inter, Olivier Véran a également bien résumé l’état d’esprit de l’exécutif, souhaitant « qu’on arrive un jour à s’entendre et se comprendre […] pour que chacun puisse appréhender le fait que cette réforme était nécessaire ». En d’autres termes : nous avons raison, et il faudra s’entendre là-dessus.
Mais la rue, elle, ne veut rien entendre. Si les troupes sont fatiguées, si « l’essoufflement » tant espéré par le gouvernement se ressent, bon nombre de personnes restent déterminées, convaincues d’être « à quelques jours de grève de la victoire », comme le pressent un cégétiste aveyronnais interrogé par Mediapart. « On a atteint un cap, c’est la onzième manif, on ne peut plus lâcher, c’est impossible après autant d’investissement ! », maintient également une manifestante.
Alors, pendant que les ministres péroraient sur les antennes, les premiers blocages s’organisaient partout en France, sur des routes et ronds-points, à Brest, Amiens, Caen, Lyon, Marseille ou encore dans la Vienne et les Deux-Sèvres. À Paris, plusieurs centaines de cheminots ont également envahi le siège de la multinationale BlackRock dans le IIe arrondissement. Une intervention éclair et sans heurts, relatée dans le « live » du journal Le Parisien.
Des universités sont également bloquées à la Sorbonne et Assas – pour la deuxième fois –, mais aussi à Rennes et Lyon 2, où les trois campus sont fermés. Côté lycées, le syndicat FIDL dit en recenser plus de quatre cents bloqués dans tout le pays.
Côté Éducation nationale, le ministère annonce près de 8 % de grévistes, un taux similaire à celui de la précédente journée de mobilisation. La veille, le Snuipp-FSU, premier syndicat dans les écoles maternelles et élémentaires, évoquait 20 % de grévistes, soit dix points de moins que le 28 mars. « On sent que ça devient de plus en plus compliqué de faire grève pour les collègues car les retraits de salaire commencent à peser », commente la secrétaire générale du syndicat auprès de l’Agence France-Presse.
Ce qui est sûr, c’est qu’on ne sortira pas indemnes de ce mouvement social.
À Paris, le cortège s’est élancé et va relier les Invalides à la place d’Italie. Le lieu de rendez-vous de l’intersyndicale avait quelque chose d’ironique. C’est à quelques pas du ministère du travail, qui symbolise désormais l’impasse du dialogue entre syndicats et exécutif, que les dirigeants syndicaux ont tenu leur traditionnel point presse avant le départ de la manifestation.
Face aux micros et caméras, la nouvelle secrétaire générale de la CGT a critiqué « un président qui gouverne contre son pays, contre son peuple ». « La stratégie consistant à compter sur le fatalisme et la fatigue des Français, ça ne passe pas, a ajouté Sophie Binet. Parce que derrière, il y a l’extrême droite. Emmanuel Macron n’a pas été élu pour réformer les retraites, il a été élu pour lutter contre l’extrême droite, et il ne respecte pas du tout son mandat, ce pour quoi les Français lui ont donné leurs voix. »
Laurent Berger a maintenu ses déclarations sur la « crise démocratique » et évoqué la suite : « Ce qui est sûr, c’est qu’on ne sortira pas indemnes de ce mouvement social. Nous agirons toujours dans l’intérêt des travailleuses et des travailleurs, et on verra le moment venu, mais la CFDT ira toujours discuter avec le gouvernement pour ça. Mais il va falloir bien reprendre la méthode, et il ne suffira pas d’une petite réunion pour remettre les choses dans l’ordre. »
Même Cyril Chabanier, président de la très sage CFTC, fait le constat que quelque chose est cassé. « Plus personne ne croit qu’on pourra sortir par le haut en discutant tranquillement autour d’une table. On ne voit pas très bien la sortie de crise, sauf peut-être grâce au Conseil constitutionnel. J’ai même l’impression que certains dans la majorité et au gouvernement espèrent que le Conseil va arrêter tout ça en censurant la loi. »
La menace démocratique, c’est la violence, selon le président
Avant Paris, les premières manifestations se sont élancées dès le matin à Marseille, où la préfecture dénombre 10 000 personnes, contre 170 000 selon la CGT. Le 28 mars, entre 11 000 et 180 000 manifestant·es avaient défilé dans la cité phocéenne. Légère baisse aussi à Nantes, où entre 15 000 et 50 000 personnes, selon les sources, ont battu le pavé, contre 18 000 à 60 000 la semaine précédente. À Lyon, des tensions émaillent actuellement le cortège, selon le site Actu.fr, qui suit en direct la manifestation.
À propos des violences, Emmanuel Macron a d’ailleurs, depuis Pékin, évoqué des violences « opportunistes », encouragées « par des forces d’extrême gauche, en particulier ». « Ceux qui considèrent qu’en venir aux mains, aux armes, serait légitime, c’est ça, la menace démocratique », a-t-il également déclaré, selon ses propos rapportés par Le Monde.
Alors que la onzième journée de mobilisation anime le pays, l’aveuglement reste total. Des records ont été allègrement battus dans les cortèges à plusieurs reprises ? — Oui mais il y a peu de grévistes, répond l’exécutif. L’intersyndicale, unie comme jamais, appelle le pouvoir à la raison ? — Elle fait monter les extrêmes.
Concernant la suite du mouvement, une nouvelle réunion de l’intersyndicale est prévue dans la soirée au siège de Force ouvrière. Une nouvelle journée de mobilisation, la douzième, pourrait être annoncée avant la décision du Conseil constitutionnel, attendue le vendredi 14 avril.
sur www.humanite.fr
A huit jours de la décision du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites, les syndicats ont organisé une onzième journée de mobilisation.
400 000 manifestants à Paris, 170 000 à Marseille, 60 000 à Bordeaux, 32 000 à Lyon, 24 000 à Caen, 20 000 à Rennes, Nîmes, Avignon et Nice, 12 000 à Montpellier et Strasbourg... La mobilisation, bien qu'en retrait par rapport à la journé précédente, reste forte.
L’intersyndicale, sortie hier de la rencontre avec Elisabeth Borne en dénonçant un discours irresponsable du gouvernement, a prévu de se réunir dans la soirée pour annoncer une nouvelle journée de mobilisation.
QUELQUES ÉCHOS DE LA JOURNÉE :
Prochaine manifestation : le 13 avril envisagé par plusieurs syndicats
Elle est à confirmer, mais la date du 13 avril pour une prochaine journée de mobilisation est envisagée par plusieurs syndicats. Une réunion intersyndicale devrait avoir lieux dans les heures qui suivent pour valider ou non cette date.
Rennes, Vannes, Quimper...la Bretagne toujours très mobilisée
Selon les chiffres de la CFDT Bretagne, plus de 90 000 personnes étaient aujourd'hui mobilisées dans les cortèges bretons. Dans les rues de Rennes, certains ont même entamé une chenille pour faire barrage au passage des forces de l'ordre.
15 000 manifestants dans les rues de Toulouse
Plus de 15 000 manifestants étaient présents pour fouler le pavé dans la Ville rose selon la Police. Malheureusement, des heurts auraient éclaté dans le quartier Arnaud-Bernard conduisant à l'arrestation d'une dizaine de personnes.
Encore 400 000 manifestants dans les rue de Paris, 57 000 selon la police
Selon la CGT, 400 000 manifestants seraient présents dans le cortège parisien, soit 50 000 de moins par rapport à la semaine dernière.
La police a quant à elle annoncé un nombre bien en deça de 57 000 manifestants.
Sophie Binet « ne souhaite pas répondre à CNEWS »
La nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet qui succède à Philippe Martinez est aujourd'hui présente dans le cortège parisien pour manifester en ce 11e jour de mobilisation contre la réforme des retraites. Interrogée par la chaine télévision Cnews, elle a expliqué son refus de répondre, et qu'elle « préfère répondre aux médias qui garantissent une pluralité et une liberté d'expression ».
Marseille, 170 000 manifestants selon les syndicats, 10 000 selon la police
Dans les Bouches-du-Rhône, les manifestants sont encore au rendez-vous pour protester dans les rues. Les syndicats présents sur place dénombre 170 000 manifestants là où la police estime en compter seulement 10 000. Il est important de noter une baisse de 10 000 manifestants par rapport à la semaine dernière dans la cité phocèenne.
Au siège du groupe Natixis, l'intersyndicale présente pour un blocage
Des 8h30 ce matin, les syndicats, CGT, Attac, Solidaires et FSU étaient présents au siège du groupe bancaire Natixis pour protester contre la réforme des retraites mais aussi contre l'évasion fiscale
publié le 5 avril 2023
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Face au refus de la première ministre d’abroger la réforme des retraites, les syndicats ont coupé court à leur réunion. Le gouvernement s’enfonce dans une stratégie « violente » et « irresponsable », dénoncent-ils.
Qui aurait pu prédire que la réunion entre Élisabeth Borne et l’intersyndicale, ce mercredi matin, se solderait par un échec ? Les représentants des salariés avaient anticipé l’obstacle, et prévenu avant leur entrée dans la cour de Matignon que tout refus de la part du gouvernement de retirer la réforme des retraites entraînerait la fin de leur rencontre.
Le déroulé des évènements n’a pas donné tort à leurs prédictions. « La première ministre nous a opposé une fin de non-recevoir et nous a renvoyé dans la rue », a dénoncé Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT, pointant du doigt une « stratégie violence et jusqu’au-boutiste » du gouvernement.
Bec et ongle
La première ministre s’est en effet entêtée dans la défense bec et ongle de son texte injuste. Selon le récit fait de leur échange par les organisations syndicales, la locataire de Matignon a commencé par rappeler le « contexte de la réforme », insistant sur ses bienfaits pour les travailleurs aux carrières longues, pour ceux occupants des métiers pénibles et pour la santé de l’emploi.
« Mais nous étions venus demander à la première ministre de retirer cette réforme. Nous avons donc tous conclu nos propos par cette même phrase : Madame la Première ministre, il faut retirer cette loi, allez-vous le faire ? », relate Frédéric Souillot, de FO. Faute de réponse positive, le numéro un de la CFDT, Laurent Berger a mis fin à la réunion au nom de l’intersyndicale.
« Nous pointons la responsabilité de ce gouvernement »
Interrogée à l’issue de la réunion, Élisabeth Borne a quant à elle loué la qualité de la réunion. « C’était un échange respectueux ou chacun a pu s’exprimer et s’écouter. Il était important dans le moment que nous vivons que nous puissions nous parler avec l’ensemble de l’intersyndicale », a-t-elle déclaré. Et d’assurer : « J’ai entendu leur désaccord sur le relèvement de l’âge et j’ai pu leur dire ma conviction et celle de mon gouvernement de la nécessité de cette réforme. »
Un discours irresponsable, ont rétorqué les parties prenantes de l’intersyndicale. « Cette réforme injuste et brutale, et nous pointons du doigt la responsabilité de ce gouvernement. Ne pas entendre le mouvement social, c’est faire le jeu de l’extrême droite et nier les urgences des travailleurs », a lancé Murielle Guilbert, de Solidaires.
Unies sur le perron de Matignon, les huit organisations syndicales ont appelé d’une même voie les travailleurs à répondre à ce nouvel affront du gouvernement par un déferlement populaire dans les rues, lors de la onzième journée de grève et de manifestations, ce jeudi. « La conclusion de cet échange est limpide, c’est que nous allons être nombreux dans la rue », a affirmé Sophie Binet de la CGT.
« L’opinion n’a pas bougé depuis début janvier, voire s’est accentuée contre la réforme. Le nombre de travailleurs mobilisés est toujours aussi important, il y a toujours la même détermination », constate, de son côté, Laurent Berger de la CFDT. Les syndicats l’ont promis, ceux-ci ne prendront part à aucune concertation tant que l’exécutif n’aura pas prêter attention à la colère populaire contre sa réforme des retraites.
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Mobilisations Sécuriser, soigner, plaider… À l’heure où se durcit la répression de la contestation de la réforme des retraites, nombreux sont ceux qui donnent de leur temps pour garantir le bon déroulé des manifestations. Un appui solidaire précieux.
Voilà désormais un rituel immanquable, les syndicats en sont sûrs, pour des millions de travailleurs. Ce jeudi, les représentants des salariés appellent, pour la onzième fois depuis janvier, les Français à se mobiliser largement contre la réforme des retraites en faisant grève et en manifestant dans les rues. Au lendemain de l’échec de la réunion entre Élisabeth Borne et l’intersyndicale, et une bonne semaine avant la décision du Conseil constitutionnel, qui pourrait décider de censurer le texte, les raisons de battre le pavé sont nombreuses. Si la détermination des 70 % de Français et 90 % de salariés opposés à la réforme du gouvernement sur les retraites reste intacte, les mobilisations des dernières semaines ont été entachées d’un durcissement de la réponse policière. Dès lors qu’a été appliqué le 49.3, le 23 mars, les gardes à vue arbitraires se sont multipliées et les violences policières ont émaillé les rassemblements, blessant parfois gravement les manifestants.
Face à la force de cette réponse répressive, certains ont décidé, souvent bénévolement, de donner de leur temps pour garantir à tous les meilleures conditions pour exprimer leur mécontentement contre la réforme. Qu’il s’agisse de sécuriser les manifestations, de porter secours aux personnes blessées au cours des rassemblements ou de fournir une assistance juridique aux gardés à vue ou déférés, les salariés mobilisés peuvent compter sur des centaines de protecteurs du mouvement social.
Laurent Mouloud sur www.humanite.fr
Depuis quinze jours, Gérald Darmanin déploie, avec une gourmandise inquiétante, tout l’arsenal de la surenchère sécuritaire. Pendant qu’Élisabeth Borne joue la montre en recevant – pour la forme – les syndicats à Matignon, l’ambitieux ministre de l’Intérieur, lui, endosse le rôle du pompier pyromane. Avec un zèle déplorable, il matraque l’espace public de ses formules incendiaires empruntées à l’extrême droite, fait assaut d’une mauvaise foi patente pour couvrir les violences policières, ignore les millions d’opposants à la réforme des retraites en agitant le mistigri du « terrorisme d’ultragauche ». Une stratégie de la tension bien huilée que le locataire de la place Beauvau a encore déroulée, mercredi, devant les parlementaires, allant jusqu’à envisager – dans une énième provocation – la remise en cause des subventions allouées à la Ligue des droits de l’homme. Tout un symbole.
Ces manœuvres sont pathétiques. Gérald Darmanin ne tire, malheureusement, aucune leçon des gilets jaunes et des multiples gueules cassées. Enferré dans un déni irresponsable, il balaie toute idée de révision de la doctrine du maintien de l’ordre à la française, dont une pléiade d’associations et d’observateurs (Défenseure des droits, Conseil de l’Europe, Nations unies…) pointent pourtant le caractère disproportionné et antidémocratique. Cette dérive lui passe au-dessus du képi. Pour cause. Sa priorité à lui n’est pas d’organiser la désescalade de la violence, l’encadrement raisonné des cortèges. Mais, bien au contraire, de criminaliser cette lutte sociale à coups d’arrestations préventives et de tonfa pour mieux en masquer le caractère profondément politique et les revendications.
La réponse à ce processus répressif se joue, pour partie, dans la mobilisation d’aujourd’hui. Son ampleur et sa constance sont la meilleure arme à opposer à un exécutif aux abois qui rêve d’étouffer le débat public par le mépris et par la poigne.
publié le 4 avril 2023
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
Alors que l’intersyndicale ira parler des retraites à la première ministre, la mobilisation continue. Jeudi 6 sera la prochaine journée d’action.
Les grèves reconductibles se maintiennent dans plusieurs secteurs en cette douzième semaine de mobilisation contre la réforme des retraites. Dans les industries électriques et gazières, dans les raffineries – malgré de nouvelles réquisitions – dans le ferroviaire même si elle a faibli, dans l’aviation civile, où chaque jour 20 % des vols sont annulés dans plusieurs aéroports, dont celui d’Orly. De même, malgré la reprise du travail des éboueurs à Paris, la filière déchet reste très perturbée dans plusieurs communes, mais aussi en Île-de-France avec des mouvements qui se poursuivent sur plusieurs sites. Jeudi, l’ensemble des salariés et des fonctionnaires sont appelés à se mettre en grève pour la onzième journée de mobilisation contre la réforme.
Tous les jours des actions
Ce mardi, comme chaque jour depuis le 7 mars, des actions et des blocages ont eu lieu sur l’ensemble du territoire affectant des secteurs divers. Un blocage à la raffinerie de Feyzin a été délogé par la police ce matin. Des opérations villes mortes étaient programmées à Nantes et Grenoble, avec plusieurs actions touchant les infrastructures de transport. D’autres blocages routiers ont eu lieu à Saint-Brieuc ou au Mans par exemple. Le secteur de la logistique a également été visé à Bourges et un entrepôt Amazon bloqué à Amiens. La Filière déchet reste mobilisée à Nantes, en région parisienne, à Niort comme à Toulouse, où collecte et centres d’incinération ont été affectés par des blocages. Des coupures de gaz ou de courant ont aussi eu lieu dans la journée dans les Alpes-Maritimes ou à Bordeaux.
Du côté de la jeunesse, plusieurs lycées étaient encore bloqués ce matin, notamment au Havre ou à Albertville, alors qu’à Paris une manifestation s’est déroulée cet après-midi à l’appel d’une coordination nationale étudiante. En Ardèche, la contestation a pris une forme inédite dans un collège où les parents ont refusé d’envoyer leurs enfants en classe. Résultat : 60 % des élèves absents.
Les éboueurs parisiens de nouveau en grève à partir du 13 avril
A Paris, la CGT FTDNEEA, qui regroupe notamment les éboueurs et les égoutiers, a déposé un nouveau préavis de grève à partir du 13 avril. Le syndicat avait suspendu la grève le 29 mars, après plus de 20 jours. « Nous n’avons presque plus de grévistes », concédait-il. Mais le mouvement continue sous une autre forme, puisque des actions ont régulièrement lieu pour perturber le bon fonctionnement du secteur. Ce 4 avril, deux des trois incinérateurs de déchets ont été bloqués. A Aubervilliers, Ivry-sur-Seine ou Romainville, les camions-bennes sont sortis de leur garage avec plusieurs heures de retard, grâce à des blocages total ou filtrant.
Solidarité internationale
La Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) appelle au blocage du dépôt Total d’Anvers jeudi 6 avril, date de la prochaine journée de mobilisation nationale en France contre la réforme des retraites.« Le groupe TotalEnergies se vante de livrer du carburant en provenance de Belgique vers la France, ce qui n’arrive jamais d’habitude », explique le syndicat qui dénonce « des tactiques de briseurs de grève » de la multinationale.
sur : https://www.ldh-france.org/
Communiqué commun LDH, Syndicat des avocats de France (Saf), Syndicat de la magistrature (SM) et l’Union syndicale Solidaires
Depuis le 24 mars, la préfecture de police de Paris prend quasiment quotidiennement des arrêtés d’interdiction de manifester, couvrant l’essentiel de la ville, dissimulés en fonction des jours par :
– un affichage illisible devant la préfecture ;
– des publications sur des sites internet différents ;
– des mises en ligne après le début de la période d’interdiction, voire le lendemain.
Cette stratégie visant à empêcher les justiciables d’en prendre connaissance et de les contester a porté ses fruits : multiples verbalisations, rejet à deux reprises des référés initiés par le Syndicat des avocats de France (Saf), la LDH (Ligue des droits de l’Homme), le Syndicat de la magistrature (SM) et l’Union syndicale Solidaires, en raison de l’impossibilité pour le juge administratif de se prononcer à temps.
Pour la première fois, un arrêté a été publié le 1er avril 2023, dans un délai permettant au juge des référés du tribunal administratif de Paris de statuer à temps.
Le juge administratif constate son caractère manifestement illégal portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux et ordonne sa suspension.
Le Saf, la LDH, le SM et l’Union syndicale Solidaires demandent à la Préfecture de police d’en tirer les conséquences en cessant ces atteintes à la liberté de manifester et au droit à un recours juridictionnel effectif.
La liberté de manifester est un droit fondamental démocratique : nous ne laisserons pas l’autorité préfectorale la piétiner !
Paris, le 3 avril 2023
publié le 1° avril 2023
Cécile Rousseau sur www.humanite.fr
Six ans après leur épique combat contre le dépeçage de l’usine creusoise, l’avenir reste incertain pour les rescapés du site mais ils ne lâchent rien. Les salariés du sous-traitant automobile, rebaptisé LSI, mènent leurs anciens donneurs d’ordres devant les tribunaux. L’« HM » les a rencontrés à la veille d’une journée d’action contre la réforme des retraites.
La Souterraine, envoyée spéciale
À deux pas de l’entrée de l’usine LSI, un tas de cagettes en bois et de pneus ne demande qu’à s’embraser. Chez le sous-traitant automobile basé à La Souterraine (Creuse), ex-GM&S, la colère semble juste en sommeil. « On a mis ce futur brasero ici en prévision d’une montée de température, explique malicieusement Jean-Marc Ducourtioux, technicien d’atelier, assis sur le canapé du local syndical CGT. Se battre, c’est dans notre ADN. » En ce moment, c’est la réforme des retraites qui active les troupes.
À la veille de la manifestation du 23 mars à Guéret, l’heure est aux préparatifs : acheter de quoi faire des litres de café, des kilos de merguez, etc. Car les salariés ont leur rituel : « C’est barbecue automatique », rit Dominique Pelletier, employé au contrôle qualité et élu CGT au CSE.
Jean-Marc Ducourtioux rebondit : « On en a tellement mangé pendant notre combat, jusqu’à quatre fois par semaine, que j’ai ensuite fait une cure de désintoxication pendant trois ans ! »
Opérations coups de poing les 7 et 23 mars
Dans ce haut lieu de la lutte sociale, les souvenirs affleurent. Au tout début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, en 2017, les ouvriers de GM&S avaient fait parler d’eux en menaçant de faire sauter leur usine. Après des mois de mobilisation pour sauver leurs emplois, ils avaient percé le mur du silence.
Partout en France, ils s’étaient déplacés pour bloquer certaines entreprises des donneurs d’ordres Renault et PSA. Sur le site automobile de Sept-Fons dans l’Allier, le filtrage fut tellement efficace que la marchandise a dû être acheminée en hélicoptère. Des engins volants que l’on retrouve sur l’affiche du documentaire « On va tout péter », réalisé par Lech Kowalski, qui retrace leur bataille exemplaire (1).
« Il y a aussi une BD et un livre qui racontent notre histoire. Mais c’est vrai que, quand nous sommes allés au Festival de Cannes, en 2019, et que nous avons vu notre film projeté, j’ai lâché une larme », s’émeut Jean-Marc Ducourtioux, avant d’ajouter : « On a su se faire entendre, ce n’est pas parce qu’on est petit qu’on ne peut pas avoir une grande gueule ! » Comme 156 autres salariés, le délégué CGT avait pourtant été licencié en 2017. Mais il a pu être réintégré en 2021, chez LSI (La Souterraine Industry), sur décision du tribunal administratif, après l’annulation définitive du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) par le Conseil d’État.
Avant le traumatisme des suppressions de postes, les ouvriers avaient rivalisé de créativité. « Nous avions un tableau où nous notions nos idées d’action et un autre, avec de fausses informations, que l’on mettait en avant quand les gendarmes venaient jeter un œil », sourit Dominique Pelletier. En même temps qu’il se remémore cette anecdote, il s’aventure dans un atelier rempli de presses à souder abandonnées depuis le plan social. Conscient du gâchis, il ne cède pas pour autant à la nostalgie. « C’est passé. En ce moment, on est dans la réforme des retraites ! tranche-t-il. On aimerait bien accentuer la pression sur le gouvernement. On en a marre de juste faire le petit tour de la ville de Guéret, et basta ! Notre technique de se poser à un endroit stratégique et d’y rester avait plutôt bien marché, en 2017. » Le 23 mars, ils ont donc bloqué un rond-point de la préfecture de la Creuse. À chaque fois, les ex-GM&S, en experts de la mobilisation sociale, sont les moteurs des initiatives coups de poing aux alentours. « Le 7 mars, on a bloqué la circulation sur la RN145, au niveau de La Croisière, où des milliers de camions passent par jour. On a aussi mené une opération escargot entre La Souterraine et Gouzon. Nous donnons l’impulsion et d’autres nous rejoignent. Il faudrait encore pousser : s’allier avec les militants de la Haute-Vienne et bloquer l’autoroute A20 qui mène à Toulouse », réfléchit à haute voix Dominique Lacherade, élu CGT au CSE.
« On est obligés de se battre »
Sur les 99 salariés de LSI, une trentaine est en mouvement contre ce texte de loi. Si les bonnes blagues fusent, tous sont sur la même longueur d’onde quand il s’agit de hausser le ton : « Il faudrait réussir à stopper l’économie. On pourrait aussi envisager de monter à Paris pour qu’on nous voie, avance Dominique Pelletier, qui a été de toutes les dernières actions en grève et en heures de délégation syndicale. D’autres collègues participent également en fonction de leurs horaires de travail », note-t-il, tout en pointant au passage « les oui-oui et les anguilles » qui ne manifestent pas au sein de l’usine. Avec une moyenne d’âge de 56 ans, une majorité d’entre eux seraient rapidement impactés par cette réforme. D’autant que l’avenir de LSI est incertain. À la pause-déjeuner, Thierry Dufour, employé au contrôle qualité et élu CGT, résume la situation : « On vivote depuis la reprise. GMD (le repreneur) nous a toujours dit qu’il ne voulait pas investir un centime ici et que nous n’aurions pas de nouveaux projets. Nous avons du vieux matos et on ne produit que des anciennes pièces de voiture », résume-t-il alors que le tarif des matières premières a explosé mais que le prix des pièces, lui, n’aurait pas augmenté. En ce moment, la société dégage environ 12 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, mais aurait besoin de 17 à 18 millions pour être rentable, selon le syndicat.
De nouveaux nuages viennent assombrir ce ciel lourd. Début 2024, LSI perdrait la production d’un carter d’huile qui génère 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. « En janvier, nous avons aussi découvert qu’un bouchon que nous avons développé et que nous produisons pour Air Liquide allait être fabriqué en partie ailleurs », poursuit Dominique Lacherade. Surnommé « Charlot » par ses collègues pour son côté gouailleur, Gilbert Aucharles n’a plus du tout envie de blaguer : « C’est révoltant, on ne laissera pas faire ça ! » Malgré l’usure, pas question de regarder l’entreprise mourir en restant les bras croisés. En 2022, le site a obtenu in extremis 4 millions d’euros de la part de Bercy. Mais ensuite ? « Ils ne voulaient pas que l’on remette le bordel, analyse Dominique Pelletier. On est obligés de se battre, sinon on va aller bosser où ? chez Rioland, le maroquinier (qui vient de s’établir dans la Creuse – NDLR) ? Ça ne suffira pas pour recaser tout le monde. Nous sommes nombreux à être proches de la retraite et à pouvoir partir plus tôt en “carrière longue”. Si on veut en bénéficier, il ne faut pas rester plus d’un an au chômage », anticipe-t-il alors que la durée d’indemnisation des seniors a été réduite par une précédente réforme. D’autres rêvent même d’une nouvelle reprise pour enfin sortir la tête de l’eau.
Tous savent que, pour les 157 laissés-pour-compte du PSE de 2017, la suite a été compliquée. Une cinquantaine d’entre eux sont toujours dans la précarité et une dizaine, en très grande difficulté. Dans le secteur, l’emploi industriel ne court pas les rues. « Un collègue est décédé d’un cancer, à 54 ans, dans la misère la plus totale, soupire Gilbert Aucharles, employé à la maintenance et retraité dans quelques jours. Il était seul. On passait le voir et on essayait de l’aider. Un autre est resté bloqué psychologiquement. Il est assis toute la journée au bout de sa table, à taper du poing. » L’association de soutien et de défense des ex-GM&S fait ce qu’elle peut, donnant des coups de pouce financiers et récoltant de l’argent pour les procédures en justice. « Ça permet de garder le lien avec les anciens et de se mobiliser pour sauver LSI. C’est aussi un lieu d’échange », précise Vincent Labrousse qui la préside et travaille désormais dans une imprimerie.
Une solidarité en acier
Pour Christian Bourroux, tout juste retraité, le passage par la case chômage a été un choc. Le dynamique sexagénaire, également pompier volontaire, ne mâche pas ses mots : « C’était la panade. J’ai envoyé énormément de CV, un seul employeur m’a répondu. J’ai été recruté mais ce n’est pas facile de se couler dans un autre poste quand on est resté plus de trente-cinq ans au même endroit, avec une certaine façon de s’organiser. Je n’ai pas très bien vécu ma fin de carrière », témoigne ce futur grand-père qui a participé à toutes les manifestations contre le recul de l’âge légal à 64 ans.
Jean-Pierre Momaud, 62 ans, continue lui aussi à battre le pavé. Volontaire pour partir en 2017, il pensait ensuite pouvoir bénéficier d’une retraite anticipée, compte tenu de son incapacité de 35 % à la suite d’un accident du travail quand il travaillait dans une mine de fluorine. Mais, une fois quittés les murs de GM&S, ce fut la douche froide : ce droit était remis en cause. « J’ai passé trois ans au chômage. Après, j’ai été pris en intérim chez LSI et j’ai été recruté aux espaces verts d’une commune. J’aurais préféré partir plus tôt. Après des années passées dans l’humidité de la mine et du travail posté, je ne l’aurais pas volé ! » assure celui qui apprécie de retrouver ses anciens collègues autour d’un gueuleton ou d’un café. Ces épreuves ont forgé un esprit de famille. Les boutades permanentes sont le reflet d’une solidarité en acier. Sur les murs du local syndical trônent d’ailleurs des caricatures humoristiques relatant leur épopée, mais aussi des photos de Yann Augras, le délégué syndical CGT, figure de la lutte passée, décédé dans un accident de voiture en 2020.
La bagarre continue aujourd’hui, devant la justice. En mode David contre Goliath, 118 ex-GM&S ont assigné Renault et PSA (Stellantis) pour avoir asséché leurs carnets de commandes. Le délibéré sera rendu le 23 mai. « Depuis 2014, on sait qu’ils avaient “doublé” (fait produire ailleurs – NDLR) nos pièces, expose Gilbert Aucharles. On ne va peut-être pas gagner, mais on est déterminés à les embêter. Nous sommes un des premiers prestataires à les avoir attaqués. Nous attendons aussi de pouvoir représenter notre projet de loi devant l’Assemblée et le Sénat (avec le soutien du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste – NDLR) destiné à responsabiliser les donneurs d’ordres vis-à-vis des sous-traitants. » Une procédure visant Altia, leur ancien actionnaire entre 2009 et 2014, et des dossiers d’indemnisations devant les prud’hommes sont également en cours. Si tous sont sommés de rester aux aguets pour défendre leurs droits et maintenir leurs jobs, la flamme est prête à se rallumer à tout moment.
(1) Un livre-DVD du film vient de sortir. Pour le commander : www.lechkowalski.com/fr/shop/items ou par e-mail à l’éditeur odileallard@me.com
publié le 31 mars 2023
Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr
La nouvelle secrétaire générale de la CGT, élue vendredi à Clermont-Ferrand, a averti d’emblée le chef de l’État et la première ministre de la détermination intacte de son syndicat à obtenir le retrait de la réforme des retraites. Elle s’est félicitée que sa centrale ait réussi à se rassembler au terme d’un congrès difficile, en « évitant l’éruption sur cette terre volcanique », a-t-elle déclaré.
Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), envoyée spéciale.
Les yeux fatigués, emplies d’émotion, un dernier souffle avant d’arriver à la tribune du congrès. Forte des encouragements des mille délégués, soutenue par l’exécutif nouvellement élu en appui derrière elle, la nouvelle secrétaire générale de la CGT n’était pas seule pour vivre ce moment. Sophie Binet s’est élancée au pupitre. Vendredi, ses premiers mots ont été pour les congressistes. « À tous les délégués qui ont vécu un congrès difficile, nous avons su, par notre sens de responsabilité collectif, sortir avec une CGT largement rassemblée. (…) Sur cette terre volcanique, la CGT a évité l’éruption », a-t-elle lancé. Ce congrès, « au cœur du mouvement social qui dure depuis deux mois et demi », restera dans les annales. Il marquera aussi les esprits par sa « violence qui n’a pas sa place dans les rapports militants », a regretté la première femme élue à la tête de la centrale, avant d’appeler à travailler pour « retrouver des relations apaisées, pacifiées » et faire du « militantisme un havre de paix, de ressourcement pour retrouver les forces face aux attaques du capital ».
Sophie Binet s’est aussi placée comme la garante des orientations de la CGT, votées jeudi à plus de 70 %, et du renforcement du syndicat. À ce titre, elle envisage de lancer une « grande campagne de syndicalisation » pour permettre « à la CGT de franchir un cap ». Dans sa feuille de route, Sophie Binet a particulièrement insisté sur les enjeux environnementaux, autour d’un plan de reconquête et de transformation industrielle. « Nos orientations (sont) claires sur la question environnementale et sur les questions sociales, parce que la marque de fabrique de la CGT est d’être capable de porter au même niveau l’environnement et le social, la fin du monde et la fin du mois, et de sortir des oppositions délétères, stériles entre le social et l’environnemental, a-t-elle développé. Il nous faut travailler à partir de ce que nous savons faire, c’est-à-dire partir (de la question) du travail. » La secrétaire générale a également insisté sur les enjeux du féminisme, en citant notamment l’égalité femme-homme ou la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : « La CGT a su être précurseure. Ces questions ne peuvent être secondaires ».
Philippe Martinez salué pour avoir réussi à faire élire une femme à la tête de la CGT
Dans cette volonté d’apaisement et de rassemblement de l’organisation, Sophie Binet n’a pas oublié de remercier le secrétaire général sortant, Philippe Martinez et « ses moustaches célèbres ». « On dit même qu’un certain nombre de personnes se syndiquent pour ces moustaches », s’est-elle amusée devant les congressistes. Avant de louer sa réussite pour « être parvenu à amener pour la première fois une femme à la tête de la CGT ». La nouvelle secrétaire générale a également tendu la main aux autres postulants à la fonction de numéro un de la centrale syndicale. À commencer par Marie Buisson, candidate proposée par Philippe Martinez, qui n’est pas parvenue à s’imposer. « Marie a vécu des choses dures, violentes. Je tiens à te dire que tu pourras compter sur l’organisation pour les mois et les années à venir », a déclaré Sophie Binet. Puis elle s’est adressée à Olivier Mateu, secrétaire de la CGT des Bouches-du-Rhône, en vantant son « apport déterminant à la lutte et à l’élévation du rapport de force ».
Les deux pieds dans la bataille des retraites, Sophie Binet s’est ensuite tournée vers les congressistes, en commençant par les féliciter pour leur « lutte historique », dans laquelle les militants ont mis « la CGT et le syndicalisme à la place qui est la (leur) ». Puis le ton a changé lorsque la responsable, jusqu’à ce vendredi, des cadres, ingénieurs et techniciens de la CGT a adressé « un message fort, déterminé » à Emmanuel Macron : « Nous ne lâcherons rien, à commencer par notre exigence de retrait de cette réforme. Il n’y aura pas de trêve, pas de suspension, pas de médiation. On ne reprendra pas le travail tant que cette réforme ne sera pas retirée ». C’est dans cette optique que la secrétaire générale a fixé son agenda pour la semaine prochaine. Le 5 avril, avec ses homologues de l’intersyndicale, Sophie Binet sera au rendez-vous avec Élisabeth Borne : « Nous irons, toute l’intersyndicale unie, pour exiger le retrait de cette réforme, ce qui nous permettra de passer enfin aux vraies priorités. Parce qu’il ne s’agit pas de répondre à un déficit budgétaire qui n’existe pas, mais d’augmenter les salaires ». Puis, si « la réforme n’est pas retirée », Sophie Binet a appelé « à une marée déferlante dans tout le pays » le 6 avril, prochaine journée d’action interprofessionnelle décidée par l’intersyndicale.
sur : https://lepoing.net
Des menaces téléphoniques pro-RN ont été proférées à l’encontre de l’Union Locale Bassin de Thau ce mercredi 29 mars. La structure syndicale dénonce ”une extrême-droite qui révèle son vrai visage, celui d’un ennemi des travailleuses et travailleurs.”
Lors d’une réunion tenue ce mercredi 29 mars dans les locaux de l’UL CGT Bassin de Thau, des coups de fil menaçants ont été passés aux syndicalistes. ”On vous soutient dans votre mouvement contre la réforme des retraites, mais ceci ne serait pas arrivé si vous aviez appelé à voter pour la bonne personne au second tour”, déclare dans un premier temps l’auteur du coup de téléphone, encore inconnu des syndicalistes à ce stade. Avant que le ton ne monte, rapidement, vers des menaces beaucoup plus directes. ”On va venir tout casser par chez vous”, poursuit l’homme.
Peu précautionneux, celui-ci n’avait pas pris soin de masquer son numéro avant l’appel, et a pu donc être identifié par les syndicalistes présents dans les locaux grâce à un simple annuaire. Il s’agit d’un patron d’une boîte de BTP.
Arnaud Jean, secrétaire de l’Union Locale CGT Bassin de Thau, contacté par Le Poing, a tenu à réagir à ce petit incident : ”A l’Union Locale, on est prêts à recevoir la visite de n’importe quel facho, sans inquiétudes. Ces gens là ne partagent pas nos valeurs. Les connaissant, on sait très bien qu’ils ne viendront pas, ça va finir par des tags ou des dégradations sur nos locaux. Ça peut paraître anodin ce genre d’incident, mais ça ne l’est pas. L’extrême-droite s’était jusqu’ici faite très discrète autour du bassin de Thau depuis le début du mouvement social contre la réforme des retraites, très gênée et paralysée dans son hypocrisie. Cet appel est un révélateur de la vraie nature de l’extrême-droite, quoi qu’elle en dise : des ennemis des travailleuses et des travailleurs. Quand ceux-ci se lèvent dans un puissant mouvement social pour défendre leurs droits, elle ne le supporte pas.”
Stéphane Guérard sur www.humanite.fr
En Seine-Maritime, l’intersyndicale alterne les formes de mobilisation. Décryptage avec Cyril Dhaussy, de la CGT mines-énergies.
L’assemblée générale des salariés de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher a voté jeudi la reconduction de la grève jusqu’au lundi 3 avril. Un vote soutenu par plusieurs centaines de travailleurs des entreprises du Havre, réunis devant le site de TotalEnergies. Cyril Dhaussy, militant de la CGT mines-énergies à l’initiative du rassemblement, explique la stratégie de l’intersyndicale de Seine-Maritime pour faire durer le mouvement social.
Quelle utilité a ce rassemblement par rapport aux journées nationales de mobilisation ?
Cyril Dhaussy : L’objectif premier était d’apporter un soutien massif aux salariés de la raffinerie en grève. Le second était de remettre la lumière sur ce mouvement social qui ne faiblit pas, mais au contraire s’accentue grâce aux différentes formes qu’il prend. Il y a bien sûr les journées de grève et de manifestations. Les deux dernières ont réuni entre 45 000 et 50 000 personnes au Havre. Mais il y existe aussi, entre ces temps forts, toute une organisation moins visible mais tout aussi importante. En arrêtant l’activité, les travailleurs du pétrole, de l’énergie, les cheminots, les portuaires, les dockers, les éboueurs… tous ces salariés pèsent sur l’économie. La résistance à l’immobilisme de Macron sur la question des retraites est en marche. Et elle est très bien organisée !
Comment fonctionne-t-elle ?
Cyril Dhaussy : Cela fait deux mois que tous ces salariés, ces métiers, agissent en cohérence et synchronisent leurs actions. Concrètement, nous nous voyons entre syndicats tous les jours pour définir nos modes d’action. Cette semaine, par exemple, les salariés de la CIM, société de stockage des hydrocarbures et de services pétroliers, n’ont sorti aucune goutte de kérosène, ni d’essence ou de gazole. Mardi, les raffineurs ont pris le relais. Mercredi, les portuaires ont organisé une journée port mort. Le courant de l’usine Bolloré Logistics a aussi été coupé. Et notre action devant la raffinerie TotalEnergies de Normandie a montré le soutien des salariés de Safran et d’une vingtaine d’autres entreprises de l’agglomération havraise à tous ces secteurs en grève. Chacun a, à son échelle, conscience du rôle qu’il peut jouer.
Tout cela en intersyndicale ou seulement entre fédérations de la CGT ?
Cyril Dhaussy : En intersyndicale. Mais il est sûr que chacune de ces composantes apporte ce qu’elle sait faire. Certaines sont extrêmement présentes lors des journées de manifestations. Pour les actions de blocage de l’économie, les fédérations CGT sont en revanche plus représentées. C’est cette addition de formes de mobilisation, très organisées et coordonnées, qui fait notre force.
Comment évaluez-vous l’efficacité de cette stratégie ?
Cyril Dhaussy : Notre première victoire réside dans le fait que les salariés ont bien compris que si le gouvernement reste sourd au mouvement social, il est en revanche très à l’écoute des intérêts économiques du capital. Or, celui-ci commence à ressentir les conséquences de nos mobilisations. C’était le sens de la coupure d’électricité sur le site de Bolloré. Les travailleurs ont compris que l’oligarchie s’immisce de plus en plus dans les processus de décision gouvernementale. En la ciblant, on oblige le gouvernement à prendre en compte la contestation sociale.
Les réquisitions judiciaires de personnel dans les raffineries ne mettent-elles pas en échec votre stratégie ?
Cyril Dhaussy : On sait bien qu’en face, le gouvernement et l’oligarchie disposent d’outils pour imposer leur réforme. Ils se servent des réquisitions comme des violences policières. Nous contestons à chaque fois en justice ces réquisitions.
Avez-vous une idée des pertes économiques liées aux grèves ?
Cyril Dhaussy : Le PIB journalier de la France se situe aux alentours de 10 milliards d’euros. Si nos blocages permettent de le diminuer de 5 ou 6 milliards, nous ferons mal au capital. On sait que la répartition des blocages n’est pas homogène sur le territoire et que certains pèsent plus que d’autres. Quand les ports du Havre ou de Marseille sont à l’arrêt, le poids de cette paralysie se fait davantage ressentir.
Jusqu’à quand pouvez-vous tenir ?
Cyril Dhaussy : Jusqu’à la gagne ! Jusqu’au retrait ! Dans l’esprit des salariés rassemblés ce jeudi, la décision du Conseil constitutionnel sur la recevabilité de la réforme des retraites, attendue le 14 avril, ne représente même pas une étape. S’il y a une attente, c’est sur le référendum d’initiative partagée. Les salariés sont prêts à s’engager à fond.
Les pertes de salaires liées aux jours de grève ne jouent-elles pas contre la mobilisation ?
Cyril Dhaussy : On sait bien que la situation financière individuelle est notre talon d’Achille. Mais, là encore, l’intersyndicale travaille et se coordonne depuis deux mois. L’organisation collective des mobilisations et des caisses de grève nous permet de dire que le mouvement social peut encore durer longtemps.
publié le 30 mars 2023
Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr
Les syndicats envisagent de répondre favorablement à la rencontre proposée par la première ministre, à condition que la réforme soit au menu des discussions.
Pour la première fois depuis le début du mouvement social, le 19 janvier, l’exécutif ouvre la porte à une rencontre avec les représentants de l’intersyndicale, après en avoir fermé beaucoup d’autres. Par de brefs e-mails envoyés mardi 28 mars, la première ministre, Élisabeth Borne, a fait savoir qu’elle était prête à recevoir les organisations syndicales en début de semaine prochaine, lundi, mardi ou mercredi.
« Aborder l’ensemble des sujets »...mais pas le report à 64 ans
L’ordre du jour de cet entretien n’a pas été précisé. « Les organisations syndicales pourront aborder l’ensemble des sujets qu’elles souhaitent », ont assuré des proches de Matignon cités par BFM. Pourtant, des membres de la majorité qui se sont chargés mercredi matin du service après-vente de la proposition gouvernementale ont expliqué que le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite ne serait pas au programme.
« C’est le cœur de la réforme, sur lequel, depuis le départ, il n’y a pas d’accord », a justifié sur Public Sénat le ministre des Relations avec le Parlement, Franck Riester, appelant à « ne pas se focaliser sur les sujets où on n’est pas d’accord » et à parler plutôt du « travail », de la « pénibilité » ou des « reconversions ». « Les 64 ans sont dans le texte, (…) on ne peut pas changer de ligne à ce point », a confirmé François Bayrou, président du Modem, sur le plateau de France 2.
« Une nouvelle preuve de l’enfermement du gouvernement dans ses certitudes »
Un discours qui passe mal auprès de l’intersyndicale, alors qu’une dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé, mardi 28 mars, « plus de deux millions de personnes » dans les rues, selon la CGT, et que le mouvement social est toujours massivement soutenu par l’opinion publique dans les sondages.
« Si on pense qu’on peut parler d’autre chose que de la mesure d’âge, on ne comprend pas grand-chose à ce qui se passe actuellement dans ce pays. C’est grave, et c’est une nouvelle preuve de l’enfermement du gouvernement dans ses certitudes », alerte le secrétaire général de la FSU, Benoît Teste. « En plein conflit social, c’est complètement irréaliste de penser qu’on puisse parler d’autre chose que de la réforme des retraites », confirme Murielle Guilbert, codéléguée générale de Solidaires.
En l’absence d’ordre du jour figé, les organisations syndicales envisagent cependant de répondre favorablement à l’invitation de la première ministre. « On ira. On pense collectivement qu’on doit y aller pour faire entendre nos propositions », a indiqué dès mardi Laurent Berger. Et le secrétaire général de la CFDT de prévenir : « J’en parlerai (de la réforme des retraites). Et si on me dit “vous ne pouvez pas en parler”, alors on partira »
« Oui pour y aller, mais à condition de parler retraites » : la CFTC et la FSU, entre autres, sont sur la même ligne. Du côté de Solidaires, Murielle Guilbert annonce une « consultation » interne et souligne que « la logique est toujours d’avancer en intersyndicale, avec l’objectif d’un retrait de la réforme ».
Quant à la CGT, sa décision est suspendue le temps du congrès confédéral, qui s’est ouvert lundi à Clermont-Ferrand et s’achèvera vendredi. « La direction sortante ne s’exprimera pas. Ce sera à la nouvelle direction issue du congrès d’en décider », nous a fait savoir Angeline Barth, membre du bureau confédéral sortant. Rencontre avec Élisabeth Borne ou pas, l’intersyndicale a d’ores et déjà annoncé une onzième journée de mobilisation, jeudi 6 avril.
publié le 29 mars 2023
Nejma Brahim, Cécile Hautefeuille et Karl Laske sur www.mediapart.fr
La participation à la dixième journée de mobilisation est en baisse par rapport au 23 mars, mais elle reste élevée partout en France. L’intersyndicale appelle à une onzième journée d’action le 6 avril, alors que l’exécutif demeure inflexible. La médiation proposée par l’intersyndicale a été sèchement refusée. Mais Matignon lui a lancé une invitation la semaine prochaine, sans plus de détails.
Un recul mais pas un gros décrochage. Si la mobilisation a incontestablement décliné par rapport aux chiffres historiques des rassemblements « post 49-3 », elle revient à des niveaux, déjà remarquables, constatés en janvier puis février. Et elle témoigne d’un mouvement qui ne lâche pas, même après deux mois et demi de bataille.
Mardi 28 mars, la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé 740 000 personnes partout en France, dont 93 000 à Paris, selon le ministère de l’intérieur. La CGT avance deux millions de manifestant·es, dont 450 000 à Paris.
Lors de la précédente journée, le 23 mars, la CGT avait revendiqué 3,5 millions de manifestant·es en France. À Paris, la préfecture de police avait recensé 119 000 personnes soit le chiffre le plus important de ce mouvement social dans la capitale, mais aussi le plus gros jamais mesuré pour une manifestation syndicale. Les 93 000 personnes recensées ce mardi sont donc loin de traduire un essoufflement.
Et la bagarre n’est pas terminée. L’intersyndicale appelle ce soir à une nouvelle « grande journée » d’action le jeudi 6 avril. Par la voix des deux représentants de Solidaires, Murielle Guilbert et Simon Duteil, elle invite aussi « les travailleurs, les jeunes et retraités » à « des rassemblements de proximité » le week-end prochain.
« L’absence de réponse de l’exécutif conduit à une situation de tension qui nous inquiète fortement », a lancé la co-déléguée générale de Solidaires. Car le pouvoir reste inflexible, voire provocateur. Avant même que les premières manifestations ne s’élancent, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a en effet donné le ton : le gouvernement ne bougera pas, quelle que soit la mobilisation.
Ça va commencer à suffire, les fins de non-recevoir à la discussion et au dialogue !
Dans la matinée, des membres de l’intersyndicale, Philippe Martinez et Laurent Berger en tête, avaient appelé à mettre la réforme « en pause » pendant « un mois, un mois et demi », pour sortir de la crise par le biais d’une médiation. « C’est un choix politique et social qu’il faut faire », avait argué le leader de la CFDT.
Fin de non-recevoir du gouvernement. À la sortie du Conseil des ministres, Olivier Véran a laissé la porte fermée à triple tour à toute conciliation, tout en prétendant le contraire. « On n’a pas besoin de médiation pour se parler, on peut se parler directement », a répondu le porte-parole du gouvernement, ajoutant que « la première ministre se tient à disposition des syndicats ».
Dans la soirée, Laurent Berger annonçait d’ailleurs que la cheffe du gouvernement venait d’inviter l’intersyndicale à Matignon en début de semaine prochaine, sans préciser l’ordre du jour. « On ira. On pense collectivement qu’on doit y aller pour faire entendre nos propositions », a-t-il ajouté. « On a encore besoin d’en discuter en intersyndicale», a nuancé Murielle Guilbert, souhaitant mettre « des conditions avant de s’asseoir à une table ». « Ça nécessite une discussion entre nous au préalable », a également indiqué François Hommeril, président de la CFE-CGC.
Emmanuel Macron, lui, ne parlera pas aux partenaires sociaux avant la décision du Conseil constitutionnel, qui se prononcera d’ici quelques semaines, probablement dans la deuxième quinzaine du mois d’avril. Or, c’est bien au président de la République que s’adressent, depuis le début du mouvement social, les membres de l’intersyndicale unis contre le report de l’âge légal de départ à la retraite.
Mais cette question est un sujet clos pour l’exécutif. Il n’y a rien à négocier sur ce point. Le pouvoir s’installe dans un bras de fer avec les manifestant·es, pariant sur la lassitude, l’épuisement et même le lâchage d’une partie de l’opinion publique. « Ça va commencer à suffire, les fins de non-recevoir à la discussion et au dialogue. […] C’est insupportable que la réponse soit une fin de non-recevoir », a répliqué Laurent Berger en réponse à l’intervention d’Olivier Véran.
Même le président la Conférence des évêques de France s’en est mêlé. « La crise autour de la réforme des retraites met en question fortement les processus de concertation et de décisions collectives prévus par nos institutions ou, à tout le moins, leur mise en œuvre concrète », a déclaré mardi matin Éric de Moulins-Beaufort.
L’ombre de Sainte-Soline dans le cortège parisien
Le recul du nombre de manifestant·es dans les rues, par rapport au 23 mars, ne manquera pas d’être commenté par les Cassandre qui veulent y voir la fin du mouvement. La mobilisation était ainsi en baisse de près d’un tiers à Rennes (13 600 à 25 000 personnes) et Marseille (11 000 à 180 000, un grand écart classique entre police et CGT ) et de moitié à Montpellier (10 000 à 20 000).
Mais d’autres signaux continuent de s’allumer. La jeunesse, entrée tardivement dans la danse, reste fortement mobilisée. Plus de cinq cents lycées ont été bloqués partout en France, selon la FIDL, le syndicat lycéen qui évoque un chiffre historique. D’ailleurs, et alors que les images de violences policières se multiplient, le ministre de l’intérieur a envoyé un SMS aux préfets, obtenu par Mediapart, pour leur recommander de faire « très attention » aux cortèges syndicaux et aux jeunes.
En début de soirée à Paris, place de la Nation, les affrontements ont repris après la dispersion du cortège vers 19 heures. Les forces de l’ordre ont fait de nombreuses charges et ont évacué la place plus d’une heure et demie plus tard, en la plongeant sous les gaz lacrymogènes.
Plus tôt, sur le cortège de tête déplumé, en tout cas atone, l’ombre des affrontements et des victimes de la police à Sainte-Soline a pesé silencieusement. « C’est calme, morbide, ennuyeux », commentait un manifestant dans l’après-midi. Au cœur du rassemblement, on se répétait la rumeur - infondée – selon laquelle un des blessés de Sainte-Soline était « mort au bloc ». Un petit tract signé des « camarades de S. », le militant blessé, a finalement été distribué, précisant que son pronostic vital est toujours engagé. Ce tract appelle à « prendre les rues […] pour S et tous les blessés et les enfermés du mouvement ».
Sur le parcours, des vitrines ont été taguées : « Sainte-Soline, du courage d’un côté, 4000 grenades de l’autre », « Darmanin assassin ». Et des feux allumés au niveau du métro Rue-des-Boulets. Ils ont brûlé longtemps, puis les compagnies d’intervention et les gendarmes ont fait leur apparition aux coins des rues. Ils ont chargé en courant sur le boulevard et la foule s’est agglutinée face aux coups de matraque qui tombaient. De toutes parts, des insultes ont fusé. « Qu’ils me massacrent, j’ai des convictions », a hurlé un homme furieux devant un cordon de policiers.
La grève des éboueurs suspendue à Paris
Dans la capitale, les personnes étrangères, avec ou sans papiers, ont également défilé, comme depuis le début du mouvement, espérant une convergence des luttes dans le contexte du projet de loi immigration à venir. Mamadou, 58 ans, se sent particulièrement concerné par le sujet de la retraite. « Je travaillais de temps en temps, mais ce n’était jamais déclaré. Ça veut dire qu’on ne cotise pas forcément pour notre retraite, ce qui est anormal », dénonce le Malien régularisé un an plus tôt, avec l’aide de la Coordination des sans-papiers de Paris (CSP75), après onze ans de vie en situation irrégulière et de précarité.
Du côté des grèves dans les transports, le trafic SNCF était moins perturbé que lors de la dernière journée de mobilisation avec 60 % des TGV Inoui et Ouigo, un quart des Intercités et la moitié des TER. Le trafic a par ailleurs été fortement perturbé au départ et à l’arrivée de la gare de Lyon à Paris après l’envahissement des voies par des cheminots, en soutien à leur collègue, syndiqué Sud Rail, qui a perdu un œil à cause d’une grenade de désencerclement dans le cortège parisien du 23 mars.
Dans l’Éducation nationale, le ministère a recensé 8,3 % d’enseignants grévistes, tous degrés confondus contre 21,41% lors de la neuvième journée de mobilisation.
À Paris, où les ordures s’amoncellent depuis le 6 mars, la grève des éboueurs et le blocage des incinérateurs seront suspendus dès demain, mercredi 29 mars. Annonce de la CGT qui reconnaît manquer de grévistes et entend « rediscuter avec les agents de la filière déchets et assainissement de la Ville de Paris afin de repartir plus fort à la grève ».
Dans les raffineries, la reconduction de la grève a en revanche été votée jusqu’à jeudi midi à Gonfreville-l’Orcher en Normandie. Le site est à l’arrêt, tout comme les expéditions de la raffinerie de Donges, en Loire-Atlantique. À Feyzin (Rhône), le site fonctionne « en débit réduit », selon la direction citée par l’Agence France-Presse.
Une catastrophe évitée à Frontignan, sur le blocage d’un dépôt
La pénurie de carburants s’accentue et commence à toucher certains départements d’Île-de-France. Dans le Val-de-Marne, 44 % des stations manquent d’au moins un carburant et 37 % dans l’Essonne. Au niveau national, 15,5 % des stations-service sont touchées et près de 7 % sont totalement à sec. Selon l’AFP, le département le plus touché est désormais la Mayenne avec 50 % des stations en pénurie d’au moins un carburant. Haute-Garonne (41 %) et Bouches-du-Rhône (39 %) restent également très impactées.
L’un des plus importants dépôts pétroliers du sud de la France, celui de Frontignan dans l’Hérault, a été bloqué pendant plusieurs heures par une centaine de personnes venues de Sète et Montpellier après les rassemblements du matin. Les camions ne pouvaient ni entrer ni sortir du terminal pétrolier. Dans ses vingt-quatre réservoirs, la capacité de stockage est de 966 000 mètres cubes. Le blocage a provoqué des embouteillages monstres sur les routes alentour.
Comme lors de la neuvième journée de mobilisation nationale, les CRS sont intervenus pour débloquer l’accès au site, en usant de gaz lacrymogène. « Vous en avez marre ? Nous aussi ! », leur a lancé un manifestant. « Allez, mettez-vous en grève avec nous et dans deux jours, c’est fini ! »
Une catastrophe a par ailleurs été évitée de justesse : un feu de broussailles s’est déclenché au bord de la départementale, menaçant directement des habitations.
Il a été rapidement maîtrisé par les pompiers. Les policiers sont accusés par les manifestants de l’avoir déclenché par un tir de grenade lacrymogène. Sur Twitter, la préfecture a vivement réagi, dénonçant de « fausses informations ». Les services de l’État assurent au contraire que des fumigènes ont été retrouvés à proximité immédiate du départ de feu.
« Le reste de fumigène, j’ai vu un policier le ramasser au milieu de la route ! », raconte à Mediapart Sébastien Rome, député LFI de l’Hérault qui était sur place. Il décrit une intervention « totalement désorganisée » avec des CRS qui ont « tiré dans tous les sens » et qui auraient pu provoquer le feu par mégarde. Une hypothèse confirmée selon l’élu par un habitant d’une des maisons menacées.
Dans les rangs des manifestant·es, la colère et la détermination étaient plus que palpables. Guillaume, venu de Sète pour soutenir le blocage, appelle à « encore plus de radicalité ». « J’ai fait tous les cortèges interprofessionnels mais les manifs, je n’y crois plus, explique-t-il. La radicalité. Il n’y a plus que ça qui marche. » Et de conclure, l’air sombre : « Mais le problème, c’est dans quel camp ça va tomber… »
« Tu parles de quoi ? De morts ?, lui demande Philippe, cinéaste et membre de la CGT Spectacle. « Des morts, il y en aura, parce que ce pouvoir est fou. Et parce que la police, dont on sait qu’elle vote surtout pour le Rassemblement national, cherche à provoquer l’explosion sociale », poursuit Philippe, qui a connu ses premières manifs « contre la loi Debré », en 1973.
S’il n’est pas très optimiste quant au retrait de la réforme, il voit dans la mobilisation des dernières semaines des signes prometteurs pour l’avenir. « Les ouvriers commencent à reconquérir leur identité de prolétaire. C’est devenu une lutte anticapitaliste qui fait la jonction avec l’écologie. Les jeunes sont remontés comme des pendules. Il y a quelque chose qui se reconstruit, en positif. »
Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr
Mobilisés depuis des semaines contre la réforme des retraites, les salariés du grand port maritime étaient de nouveau au rendez-vous, mardi. La manifestation a réuni 180 000 personnes, selon les syndicats.
Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyé spécial.
Entrée 2C du port maritime de Marseille, 9 h 30. Des palettes carbonisées, un brasero froid et des tags rouges sur les murs rappellent les multiples mobilisations qui ont perturbé l’activité du site depuis le début du mouvement social.
Pour ce 28 mars, la CGT appelle à une grève de 24 heures, puis à des grèves de quatre heures par jour jusqu’à la fin de la semaine. Et après ? « On ne va pas lâcher maintenant, après tout ce qu’on a fait. Il faut qu’on montre au gouvernement qu’on est capables de s’inscrire dans la durée », énonce Pascal Galéoté, le secrétaire général CGT du Grand Port, pas découragé par l’adoption du texte via le rejet de la motion de censure contre le gouvernement, le 20 mars.
« Le 49.3, c'est limite de la provocation »
Autour de lui, ses collègues sautent dans leur voiture pour rejoindre la manifestation intersyndicale qui part du Vieux-Port, comme de coutume dans la préfecture des Bouches-du-Rhône.
« Le 49.3 (utilisé par la première ministre le 16 mars), c’est limite de la provocation. Quand on voit la manière dont se comporte ce gouvernement, alors que la majorité de la population est contre la réforme, on se demande si on est encore en démocratie », enrage Valentin (1), employé dans les cuisines du port.
Didier, 55 ans, dont plus de trente-cinq passés dans les activités portuaires à travailler en trois-huit, abonde : « On nous impose une réforme injuste sans aucune discussion. » Celui qui exerce désormais le métier de docker du côté de Fos-sur-Mer raconte sa fatigue chronique, ses difficultés à trouver le sommeil et ses conversations avec son médecin, qui lui répète que « le corps n’est pas fait pour travailler la nuit ».
Ils ont perdu le compte de leurs jours de grève : 15 ? 20 ?
« Mais ce n’est pas seulement une question de pénibilité », opposent Philippe et Carine, deux agents portuaires qui ont perdu le compte de leurs jours de grève – 15 ? 20 ? « Il y a une réflexion philosophique à avoir sur la manière dont les travailleurs peuvent disposer de leur temps. Quand on entend qu’on devrait travailler plus parce qu’on vit plus, c’est violent. On veut pouvoir vivre en bonne santé après le travail », exposent-ils.
Un peu avant 11 heures, le précortège des salariés portuaires, fort de quelque 200 personnes, débarque sur le Vieux-Port et se fond dans la foule qui martèle pour la dixième fois son opposition à la réforme des retraites.
Étudiants nombreux et bruyants qui scandent leur détermination au rythme du tambour, salariés de l’énergie qui défilent derrière un camion bleu Enedis sur lequel est monté un militant en surchauffe, manifestants de la CFDT rassemblés derrière une banderole « Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on dit non, on dit non », en forme de clin d’œil à Georges Brassens…
Au total, 11 000 personnes sont présentes, selon la police, et 180 000, selon l’intersyndicale. Un chiffre considérable, mais en nette baisse par rapport à jeudi dernier, quand l’intersyndicale avait annoncé 280 000 manifestants, un record depuis janvier.
Yunnes Abzouz et Lucie Delaporte sur www.mediapart.fr
Les jeunes étaient présents en nombre pour participer à cette dixième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites. Étudiants comme lycéens ont exprimé leur colère face au 49-3, aux violences policières, et plus largement contre « ce système qui veut les faire produire plus », en dépit de l’urgence climatique.
À Paris, les étudiants du Quartier latin s’étaient donné rendez-vous place du Panthéon pour un départ groupé. Parmi les facs représentées, les étudiants de l’ENS (École normale supérieure) font partie des plus discrets. « On est deux fois moins nombreux que la semaine dernière, regrette Mathis, normalien et membre du syndicat Solidaires. L’attaque de la semaine dernière en a dissuadé plus d’un », en référence à la violente agression du cortège, jeudi 23 mars, par un commando d’extrême droite.
Si certains habitués des manifs ont fait faux bond, leur absence est largement compensée par les indignés du 49-3, ces étudiants qui ont rejoint les cortèges depuis le passage en force du gouvernement. Comme Solène, 22 ans et étudiante à l’École des arts décoratifs, qui entend signaler au gouvernement que « la démocratie, ce n’est pas le 49-3 ». Elle et ses camarades ont transformé depuis quelques semaines leur université en lieu de formation militante. Chaque jour se tiennent des ateliers, au choix de fabrication de banderoles ou de construction de chars, ainsi que des conférences animées par d’anciens élèves, façon retour d’expérience de Mai 68.
Dans une note consultée lundi par Le Parisien, le renseignement territorial estimait que le nombre de jeunes manifestants pourrait tripler ce mardi 28 mars. Difficile de dire si le compte y est. Une chose est sûre : lycéens et étudiants sont venus massivement grossir les rangs de cette dixième journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites.
« La mobilisation se maintient alors que la violence de l’État se déchaîne »
« On ne doit pas laisser la mobilisation s’essouffler, pense Solène. On doit tirer des leçons du mouvement des “gilets jaunes” pour dire à Macron que, cette fois, les gaz lacrymogènes ne nous arrêteront pas. » Les scènes de violences de la semaine dernière sont dans toutes les têtes, et la répression policière dans toutes les bouches. « Le 49-3 a signé la fin de nos droits politiques, les réquisitions, la fin du droit de grève et les violences policières, c’est la cerise sur le gâteau », enrage Juliette, étudiante à l’ENS et présente à Sainte-Soline ce week-end, pour manifester contre le projet de mégabassine. Elle est rentrée dimanche des Deux-Sèvres, où elle se souvient d’« avoir regardé le ciel avec anxiété pour voir si une grenade n’allait pas lui tomber sur la tête ». À peine s’est-elle accordé une journée de repos qu’elle a repris le chemin des manifestations : « On a l’impression de participer à un moment historique : la mobilisation se maintient alors que la violence de l’État se déchaîne. »
À mesure que le cortège d’étudiants s’approche de la place de la République, départ de la manifestation parisienne, la procession est rejointe par plusieurs universités franciliennes, celles de Saint-Denis et de Nanterre entre autres. À l’arrivée au pied de la statue de la République, une voix dans le mégaphone perce les chants de la foule : « Faites du bruit pour nos camarades cheminots. » Des applaudissements appuyés suivent. « Si les travailleurs sont empêchés de manifester à cause des réquisitions, c’est à nous, étudiants, de prendre le relais », appuie Cécilia, étudiante en master à l’université de Saint-Denis.
À côté d’elle, Lucile a d’ores et déjà fait une croix sur sa retraite mais estime que la lutte contre cette réforme engage un combat plus large : « Ce système qui veut nous faire travailler plus longtemps pour produire et consommer plus est responsable de la crise sociale et climatique. »
« La précarité quand tu es étudiant, c’est ton quotidien, cela fait partie de ta vie », explique Mar, membre du pink bloc, et qui tient à rappeler que « dans ce pays riche, des étudiants se sont suicidés parce qu’ils ne s’en sortaient pas ». « On est jeunes, déters » [déterminés – ndlr] et révolutionnaires », scande un groupe de très jeunes manifestants à l’approche de la place Voltaire. À côté des étudiants, les lycéens sont aussi venus en nombre.
Fabio, 17 ans, lycéen à Cachan et proche du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), raconte avoir fait presque toutes les manifs depuis le début du mouvement. « Depuis le 49-3, on fait aussi les manifs sauvages à Concorde, des blocus de lycées », précise-t-il. Comme bon nombre de lycéens rencontrés ce mardi, il affirme que la question des retraites est un motif, parmi d’autres, de sa présence dans le défilé : « On vient aussi parce qu’on est contre le Service national universel, contre la loi Darmanin et, plus largement, contre [l]a politique libérale [de Macron]. »
À ses côtés, Sharona et Arena, dans le même lycée que Fabio, font leur première manif. Le blocus de leur lycée, après le 49-3, a été leur baptême du feu militant. « C’est intéressant d’être ici. On apprend beaucoup », assure Sharona, qui reconnaît n’avoir pas été très intéressée par la politique jusque-là. « Cela me rappelle ce qu’on apprend en SES [sciences économiques et sociales – ndlr] sur les inégalités sociales. »
En première au lycée Balzac à Paris, Irini, 16 ans, fait aussi le récit d’une politisation « express ». « Je suis dans un lycée “engagé”. Il y a eu beaucoup d’AG ces dernières semaines », explique-t-elle. Comme ses camarades, elle assure s’être aussi beaucoup formée aux enjeux de la réforme via les réseaux sociaux, et notamment en suivant le compte du jeune député La France insoumise (LFI) Louis Boyard, qu’elle « adore ».
Dans les cortèges, ce mardi, il y avait aussi des étudiants salariés, un pied dans un monde du travail qui ne les fait pas franchement rêver.
Face à l’église de la Madeleine, une petite dizaine d’employés de Decathlon avaient installé un piquet de grève à partir de midi. Leur cinquième depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites. Une mobilisation inédite dans ce magasin à la faible culture syndicale, où un très fort turn-over empêche généralement l’action collective.
La fronde contre la réforme des retraites a cristallisé chez ces jeunes salariés – dont beaucoup sont des étudiants qui travaillent à mi-temps – un malaise grandissant. Thomas*, 23 ans, étudiant en sociologie à Paris-Diderot, a déjà – au bout de sept mois à mi-temps dans l’enseigne – une interdiction de porter des charges lourdes à cause d’une tendinite à l’épaule.
« Ici, être vendeur ou vendeuse, c’est faire de la manutention, de la logistique. Le matin, on va vider les camions avec des transpalettes. On manipule des charges qui sont parfois de 600 kilos. Nos heures sont annualisées, donc certains jours on commence à 7 heures du matin, d’autres à 15 heures. Ce sont des rythmes très fatigants », décrit Cyrielle, qui travaille dans le magasin depuis six ans. Une ancienneté que très peu atteignent ici.
Soutenir le rythme des études avec ce travail harassant n’est pas évident. « Quand je commence à 7 heures ici, il m’arrive de m’endormir en amphi l’après-midi », raconte Thomas, qui redouble sa troisième année.
Étudiante en master d’études ibériques, Emma, qui travaille 19 heures par semaines comme vendeuse, assure que ce n’est pas forcément pour sa retraite à elle qu’elle s’engage aujourd’hui : « La retraite, cela semble très loin, et quand on voit tous les problèmes écologiques, notre futur paraît vraiment incertain. Mais ma mère est assistante maternelle, elle va devoir travailler jusqu’à 70 ans si elle veut une retraite. Pour moi, c’est très concret. »
Le recours au 49-3 l’a beaucoup choquée, et plus encore les violences policières des derniers jours. « Le gouvernement nous impose des choses de force sans comprendre ce que vivent les jeunes. On a une vraie colère et ils ne veulent pas l’écouter », poursuit celle qui s’est fait gazer dans une nasse à la dernière manifestation. « On manifestait tranquillement. Qu’est-ce qu’il faut faire alors pour être entendus ? », s’émeut-elle.
publié le 28 mars 2023
Martine Orange sur www.mediapart.fr
Avant même le début des manifestations mardi, le gouvernement a répondu par une fin de non-recevoir à toutes les tentatives de conciliation. Si la participation est en baisse par rapport au 23 mars, elle reste élevée. Les violences policières signent pour les manifestants la politique du pire. Synthèse à la mi-journée.
L’exécutif a choisi : il ne bougera pas. Avant même que les premières manifestations ne s’élancent en France ce 28 mars pour la dixième journée de protestations organisée à l’appel de l’intersyndicale, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a donné le ton. Le gouvernement restera inflexible, quelle que soit la mobilisation ou la détermination des manifestants et manifestantes. La porte de la conciliation restera fermée.
Mardi matin, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a pourtant essayé à nouveau d’esquisser une tentative d’ouverture : il a proposé une « médiation », afin de renouer les fils entre syndicats et pouvoir, et de mettre la réforme « sur pause » pendant six mois, le temps de rouvrir le débat à la fois sur le travail et les retraites. Plusieurs responsables et constitutionnalistes suggéraient de leur côté de remettre le texte en discussion à l’Assemblée nationale.
Même le président la Conférence des évêques de France s’en est mêlé. « La crise autour de la réforme des retraites met en question fortement les processus de concertation et de décisions collectives prévus par nos institutions ou, à tout le moins, leur mise en œuvre concrète », a déclaré mardi matin Éric de Moulins-Beaufort.
Toutes ces tentatives d’ouverture se sont heurtées à une fin de non-recevoir. Il n’y a « pas besoin de médiation pour se parler. Le président de la République est prêt à recevoir les syndicats dès lors que le Conseil constitutionnel se sera positionné sur la réforme », a répondu Olivier Véran, porte-parole du gouvernement. Bref, pour l’exécutif, la réforme des retraites est un sujet clos. Il n’y a rien à négocier. L’exécutif s’installe dans un bras de fer avec les manifestant·es, pariant sur la lassitude, l’épuisement et même le lâchage d’une partie de l’opinion publique.
« Ça va commencer à suffire, les fins de non-recevoir à la discussion et au dialogue. […] C’est insupportable que la réponse soit une fin de non-recevoir », a répliqué Laurent Berger en réponse à l’intervention d’Olivier Véran. « La posture idéologique du président nuit gravement à la santé démocratique », rappelait ce matin Christophe Nguyen, un syndicaliste CFTC de toutes les manifestations dans le Cantal depuis le début du mouvement.
Car, face à l’exécutif, la détermination des manifestant·es n’est pas ébranlée, même si des signes de fatigue refont surface après ces deux mois et demi de protestations sociales. « La grève, ça coûte cher », rappelait un syndicaliste pour expliquer la baisse du taux de grévistes.
À la SNCF, ils n’étaient plus que 16,5 %, selon la direction, à faire grève ce 27 mars, contre près du double la semaine dernière. Même chute dans l’Éducation nationale, où le nombre d’enseignants en grève est tombé à 8,38 % selon le ministère (30 % selon le syndicat Snuipp-SNU).
Mais dans les raffineries, les ports, le secteur de l’énergie et des déchets, le mouvement tient toujours. D’autres viennent les rejoindre. Après le musée du Louvre en grève la semaine dernière, la tour Eiffel a à son tour fermé.
À ces mouvements de grève viennent s’ajouter des opérations de blocage. Une grande opération « ville morte » avait été lancée ces deniers jours en Bretagne. Ce mardi matin, les périphériques et rocades de Rennes, Caen, Quimper ou Brest ont été bloqués pendant plusieurs heures. Mais d’autres opérations similaires ont été menées un peu partout dans le reste de la France, les étudiants et étudiantes venant souvent se joindre aux syndicalistes.
Ce que le gouvernement espérait éviter depuis le début du mouvement se concrétise : les jeunes ont rejoint les manifestant·es dans le mouvement contre la réforme des retraites. Souvent descendus dans la rue pour la première fois le 23 mars pour protester contre la réforme des retraites et surtout contre le 49-3, ils se sont à nouveau retrouvés aujourd’hui. De nombreuses universités, à l’instar de Paris I, Lyon 3, Toulouse 2, Cergy, Lille 1 et 3, Sciences Po et même Dauphine sont en grève et bloquées depuis ce matin.
Les lycéens, qui pour la plupart n’ont plus d’épreuves anticipées du bac, les ont rejoints un peu partout en France, mettant en place des blocages filtrants devant leurs établissements. À la retraite, ils ajoutent leurs propres revendications contre le Service national universel (SNU), la réforme des lycées professionnels. Le mouvement s’étend dans toute la France, y compris dans des villes moyennes. Selon la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL), cinq cents établissements étaient bloqués ce matin.
Tous se retrouvent dans les manifestations. La mobilisation n’est pas aussi ample que le 23 mars. Mais la participation reste cependant très élevée : 13 600 manifestant·es à Rennes selon la police (25 000 selon les syndicats) ; 11 000 à Clermont-Ferrand selon la préfecture (35 000 selon la CGT) ; 24 000 à Brest selon l’intersyndicale ; 10 000 à Saint-Nazaire selon Ouest-France.
La participation reste forte aussi dans les villes moyennes, très présentes depuis le début du mouvement. Quelque 2 800 personnes selon la police (15 000 selon l’intersyndicale) ont défilé ce matin au Puy-en-Velay. À Tarbes, qui avait connu une participation historique lors de la neuvième journée, 5 000 personnes selon la police (15 000 personnes selon l’intersyndicale) ont à nouveau défilé ce matin, tout comme à Pau (9 000 selon la République des Pyrénées).
Les mots d’ordre n’ont pas changé depuis deux mois : le retrait de la réforme des retraites est demandé par toutes et tous, partout. « On ne lâchera pas, 64 c’est non », témoigne au Monde Marcel, 58 ans, militant CFDT . Une colère sourde s’exprime souvent face à l’obstination du pouvoir, son refus de ne pas entendre, de ne pas bouger. À cela s’est ajouté un nouveau sujet de colère et de crispation : les violences policières.
Les images d’affrontement lors de la dernière manifestation et encore plus celles des assauts menés à Sainte-Soline ce week-end révulsent tous les participant·es. Ce déferlement de violences ne les a pas dissuadé·es de venir manifester mais vient nourrir encore plus leur révolte et le rejet du gouvernement. Pour beaucoup, le gouvernement choisit la politique du pire.
Signe de ce rejet : la pétition pour la suppression des BRAV-M lancée sur la plateforme de l’Assemblée nationale il y a quatre jours avait déjà recueilli 126 000 signatures ce matin.
Face à une population toujours aussi hostile au projet de réforme des retraites, Emmanuel Macron se coupe toujours un peu plus du pays et s’isole à l’Élysée. Après avoir renoncé à se rendre au Stade de France par peur de devoir affronter des huées, il a annulé ce matin son déplacement à Toulon, où il devait parler du Service national universel.
Pierre Isnard-Dupuy (Marsactu) sur www.mediapart.fr
Dès 4 heures du matin, salariés, chômeurs, étudiants et gilets jaunes ont bloqué mardi la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, l’une des plus importantes d’Europe, pour protester contre la réforme des retraites. « Il faut continuer à alimenter la protestation », exhorte un militant.
Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône).– Le rendez-vous est donné à 3 heures du matin, mardi 28 mars, dans l’obscurité de la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, au milieu des innombrables entrepôts rectangulaires. Le lieu voit transiter toutes sortes de marchandises par camions entre les grandes villes de la région, le grand port de Marseille et des ailleurs européens. Quarante-cinq minutes plus tard, avec l’aide de quelques palettes et de pneus, il a suffi d’une centaine de personnes pour bloquer les cinq accès de cet interminable zone de 500 hectares, dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites et l’usage du 49-3 par le gouvernement.
Aucun camion n’est entré ou sorti jusqu’à 10 heures, moment où les protestataires avaient décidé de lever le camp. Ils étaient « 200 [manifestants] au plus fort », précise la préfecture de police, qui n’a pas engagé la force publique. Les salarié·es avec leur véhicule personnel pouvaient toutefois rejoindre leur lieu de travail. Dès 7 heures, le blocage a provoqué un immense désordre sur tous les axes internes et à proximité, avec des kilomètres de bouchons jusque sur la RN113 (d’Arles à Salon) et la RN568 (de Fos à Saint-Martin). Le ramassage scolaire a aussi été touché, le dépôt des cars se trouvant sur la zone.
« Quand tu as connu le blocage à 30 il y a quatre ans, être aussi nombreux, c’est insolent », salue un ancien « gilet jaune » venu là avec des compagnons. « Nous sommes un collectif interprofessionnel. Nous sommes là en soutien des salariés syndiqués CGT de la zone. Nous sommes très contents de monter d’un cran ici », expose Camille* (prénom d’emprunt) lors du briefing, après une semaine passée entre Fos et Martigues. Pour les manifestantes et manifestants, bloquer les rouages de la logistique, c’est s’attaquer à un pilier indispensable d’une économie mondialisée dans laquelle les marchandises ne cessent de voyager. Amazon, Decathlon, Castorama, Maison du monde, le distributeur pour la restauration Transgourmet sont autant de sociétés qui dépendent d’entrepôts saint-martinois.
Tous les bloqueurs rencontrés témoignent d’une même envie de passer à autre chose que les manifestations en ville, qui jusque-là n’ont pas fait bouger le gouvernement. « Ça suffit de tourner en rond. C’est un lieu stratégique, un des plus grands pôles européens », expose Myriam Ghedjati, conseillère municipale La France insoumise (LFI) à Port-Saint-Louis-du-Rhône. « Il faut continuer à alimenter la protestation pour faire échouer cette contre-réforme par tous les moyens », exhorte de son côté un militant du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) venu de Saint-Chamas.
D’Arles, de Marseille ou d’ailleurs dans le département, les manifestants et manifestantes représentent une constellation d’organisations et de collectifs de gauche. Tous types de catégories sociales sont représentés : des ouvriers et ouvrières, des profs, des chômeurs et chômeuses, des étudiant·es… et les gilets jaunes, de nouveau de sortie. À 3 h 45, les phares des premiers camions commencent à éclairer les barricades de palettes. La plupart des chauffeurs sont compréhensifs, à l’exception de quelques-uns qui tentent de négocier ou de forcer le passage.
« Vendeurs de précarité »
Au bout de longues minutes passées à s’ennuyer dans leur cabine, deux routiers descendent se faire offrir le café par les bloqueurs et bloqueuses. Ils trouvent du réconfort à la lueur d’un feu de palettes bien attisé par un mistral mordant. « Les retraites, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. J’ai commencé quand j’avais 20 ans. On avait de quoi arroser les copains en boîte et il nous restait de l’argent. Aujourd’hui, quand on va faire les courses, on pleure », raconte le premier, un grand gaillard aveyronnais de 50 ans. Il n’a fait que passer la nuit à Saint-Martin, avec son chargement de lait pour la Corse, pris en charge à Montauban et qu’il doit laisser à Marseille. Son copain de circonstance doit transporter des meubles et objets de décoration vers les magasins Maison du monde de Bretagne.
Ici, comme dans d’autres agoras du mouvement social en France, les travailleuses et travailleurs dissertent sur leurs conditions de travail. « C’est de pire en pire. Je dois charger 28 palettes à l’heure, avant, c’était 26, témoigne un cariste qui travaille sur la zone. À 43 ans, j’ai le dos fracassé tous les jours, alors quand on me dit qu’il faudrait que j’aille jusqu’à 64 ans… » Puis il se livre à une analyse plus politique : « Ici, cela représente tout ce que l’on combat, le capitalisme. Ce sont des vendeurs de précarité, qui ne proposent quasiment que de l’intérim et ne payent quasiment aucune taxe. »
Présente parmi les protestataires, la conseillère municipale d’Arles et philosophe de l’environnement (CNRS) Virginie Maris voit ici « l’incarnation de ce qui étouffe les humains et le vivant ». Elle rappelle que la zone a été bâtie « sur le milieu des Coussouls de Crau, qui est une plaine steppique unique en Europe ».
À 7 h 30, un chauffeur nantais déambule au milieu des camions arrêtés en vrac sur la chaussée avec un bulldog en laisse. « Avec tous les blocages, je suis encore moins à la maison. Alors maman [son épouse – ndlr] en a eu marre et elle m’a mis dehors avec le chien », explique-t-il sous sa casquette sans visière. Malgré son désarroi, il vient témoigner de son soutien à un piquet de blocage. À toutes les entrées du site, les palabres se poursuivent jusqu’à 10 heures du matin. À ce moment-là, les manifestantes et manifestants quittent leur poste, comme ils l’avaient prévu. La circulation, au vu des centaines de camions bloqués au cours de la matinée, ne reprendra complètement qu’un peu plus tard.
par Rédaction sur https://basta.media
Une pétition du président de la Ligue des droits de l’Homme et une autre déposée auprès de l’Assemblée nationale demandent la suppression des Brav-M, les brigades de polices motorisées qui terrorisent en manifestation.
« La répression policière qui s’abat sur notre pays doit conduire à remettre à l’ordre du jour l’impératif démantèlement de la Brav-M », défend l’auteur d’une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale. La Brav-M est la brigade de répression de l’action violente motorisée mise en cause dans nombre de cas de violences policières.
« Brigade créée en mars 2019 sous l’impulsion du préfet Lallement pour bâillonner le mouvement des Gilets Jaunes, elle est devenue l’un des symboles de la violence policière, dit encore la pétition. Le pays étouffe de témoignages d’exactions violentes et brutales commises par ces brigades motorisées à l’encontre des manifestants qui tentent de faire entendre leur opposition à un projet de régression sociale. »
La pétition lancée le jeudi 23 mars a déjà réuni plus de 125 000 signatures. Si elle en recueille plus de 500 000, elle devra être discutée à l’Assemblée nationale.
Nasses illégales, interpellations indiscriminées
Face aux excès de violences de la police ces dernières semaines en France, le président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) Patrick Baudouin demande lui aussi dans une pétition une réforme de fond du maintien de l’ordre.
« Le territoire français − et les grandes villes plus particulièrement − sont depuis plusieurs jours le théâtre d’opérations de maintien de l’ordre de grande ampleur, violentes et totalement disproportionnées », résume-t-il dans le texte déposée sur la plateforme Change.
« Ces derniers jours ont vu le retour des nasses illégales, de l’usage d’armes mutilantes comme le LBD et les grenades de désencerclement ou explosives, du gazage à outrance, de l’emploi de policiers non formés au maintien de l’ordre et réputés pour leur violence, en particulier la brigade de répression de l’action violente motorisée et les brigades anti-criminalité, avec des interpellations et des verbalisations indiscriminées, du matraquage systématique et des violences gratuites et attentatoires à la dignité, parfois même à l’intégrité physique des personnes. »
Le président de la LDH juge que la politique du gouvernement « plonge aujourd’hui le pays dans une situation particulièrement alarmante pour la démocratie ».
Avec sa pétition, la LDH demandent à la Première ministre et au ministre de l’Intérieur :
– l’interdiction des techniques d’immobilisation mortelles et des armes de guerre ;
– une révision des méthodes d’intervention de maintien de l’ordre, notamment la suppression de la Brav-M et de la nasse ;
– la suppression du délit de participation volontaire à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations et la fin des gardes à vue « préventives », de la politique du chiffre sur les interpellations ;
– un traitement judiciaire équitable des faits de violences policières et un meilleur encadrement des procédures d’outrage et rébellion ;
– une réforme des conditions autorisant les contrôles d’identité, aujourd’hui détournés de leur objet à des fins de pression et de répression ;
– le respect de la qualité des observatrices et observateurs indépendants et des journalistes, et plus généralement de la liberté d’informer et de rendre compte des pratiques des forces de l’ordre.
« C’est là le préalable à un avenir commun apaisé », conclut la pétition.
Voir la pétition qui demande la dissolution des Brav sur le site de l’Assemblée
nationale
Voir La pétition en ligne de la LDH
publié le 27 mars 2023
par Sophie Chapelle sur https://basta.media/
Des produits frais et locaux sont distribués sur les piquets de grève de Touraine. Objectif : aider les salariés en lutte à tenir et favoriser les discussions entre mondes ouvrier et paysan. A la manœuvre : une cantine, La Louche finale.
Ces paniers de fruits et légumes locaux réchauffent les cœurs des grévistes, et celui de Romain Henry, paysan, qui assure la distribution aux cheminots. « Ravitailler les piquets de grève est essentiel pour construire un rapport de forces victorieux sur le terrain », estime le porte-parole de la Confédération paysanne d’Indre-et-Loire.
60 paniers de légumes, pain, pommes et fromages de brebis ont ainsi été livrés le 7 mars aux soixante grévistes du technicentre SNCF de Saint-Pierre-des-Corps, à côté de Tours. « On organise le soutien avec un sens énorme de solidarité. Les collègues savent la valeur qu’il y a dans le panier, ça a beaucoup de sens de faire ça », ajoute l’agriculteur.
Le 14 mars, c’était au tour des gaziers en grève sur le site de Storengy à Céré-la-Ronde de bénéficier de denrées produites localement. Et le 20 mars, les grévistes de la centrale nucléaire de Chinon ont vu ainsi leur petit déjeuner offert sur le piquet de grève qu’ils tenaient.
Au cœur de cette logistique se trouve La Louche finale, une cantine de luttes créée fin 2022 en Touraine. « La Louche finale a organisé la collecte à prix coûtant des produits de nos fermes », explique Romain Henry. « On veut être un outil d’appui à des moments de luttes », précise Violette*, bénévole à la Louche finale.
Défendre un modèle paysan
La structure a un souci constant : soutenir les productrices et producteurs locaux en s’approvisionnant en priorité auprès d’eux et en les rémunérant. « Il s’agit de défendre un modèle paysan avec ce qu’on cuisine. » À chaque mobilisation depuis le 19 janvier 2023, des fermes locales d’Indre-et-Loire approvisionnent via cette cantine le mouvement social.
L’idée d’approvisionner les lieux de luttes remonte, dans la région, à 2019 lors du mouvement d’alors contre la réforme des retraites, qui voulait instaurer une retraite à points. « Les mobilisations de convergence étaient très fortes, se souvient Romain Henry. On savait qu’on ne pouvait pas quitter nos fermes, car les seules personnes qu’on allait bloquer, c’était nous-mêmes. Mais on était plusieurs collègues paysans à vouloir contribuer en approvisionnant les piquets de grève, soit en dons, soit en prix coûtant. » Avec cette conviction : « Les grandes conquêtes sociales se sont faites quand les mouvements paysans et les ouvriers ont été ensemble. Nos luttes paysannes sont les mêmes que celles des salariés, il faut s’unir. »
« Les grandes conquêtes sociales se sont faites quand les mouvements paysans et les ouvriers ont été ensemble. »
Si la grève prit fin en décembre 2019, la dynamique s’est poursuivie avec l’organisation d’un immense banquet populaire dans les rues de Tours. Plus de 500 repas sont alors assurés, une radio des luttes accompagne le mouvement, des conférences d’éducation populaire se multiplient ainsi que des concerts dans les rues, avec des prix libres qui alimentent les caisses de grève. Le collectif FestiLuttes en Touraine naît de cette dynamique.
« L’abandon de la réforme des retraites à points a suspendu tout cela, mais quand Macron est reparti avec cette réforme, on a embrayé directement, explique Romain Henry. On savait qu’on n’avait pas les moyens d’organiser nous-mêmes des repas, et qu’on avait besoin d’intermédiaires entre nos fermes et les lieux de luttes pour approvisionner. »
Logistique de la cuisine
C’est finalement un collectif militant, La Louche finale, qui se monte fin 2022 pour être l’intermédiaire entre les fermes et les lieux de luttes. « La Louche finale est née de la volonté d’un collectif militant à Tours d’assurer un soutien logistique pour les événements militants en s’occupant de la logistique cuisine de façon bénévole et les services de repas sur différentes manifestations et événements, explique Vince*. C’est monté en puissance grâce au mouvement contre la réforme des retraites. » « On est sur quasiment toutes les manifs qui ont lieu à Tours pour servir des soupes, des fromages, des crêpes, du pain et du café à prix libre », ajoute Violette.
La Louche finale repose sur un collectif de volontaires. « Il y a une équipe de bénévoles pour faire la cuisine la veille de l’événement et une équipe pour assurer le service le lendemain », détaille Vince. Si le collectif est très demandé pour assurer des repas, de plus en plus de manifestants se portent volontaires pour aider à la logistique. On est aussi ouverts aux dons de matériel de cuisine », précise le bénévole [1].
Distribution de paniers
La Louche finale oscille entre dons, prix libre et prix coûtant. « Ce qui est important pour nous, c’est que ce soit des prix libres pour les manifs. Les gens mettent et prennent ce qu’ils veulent », insiste Violette. Ce mode autogestionnaire a rapidement permis de générer une économie permettant à La Louche finale de s’équiper en matériel pour cuisiner, et de rémunérer les productrices et producteurs.
« L’argent supplémentaire dégagé nous a également permis d’organiser la distribution de paniers de fruits et légumes pour les gens faisant des piquets », note Vince. Le principe ressemble à celui des Amap (associations de maintien pour l’agriculture paysanne) : « On collecte les produits chez les paysans qu’on rémunère. Parfois, les productrices et producteurs nous font un prix réduit ou militant, mais ce n’est pas obligé : on a à cœur de rémunérer les paysans pour leur travail. On distribue ensuite ces paniers individuellement à chaque gréviste. Tout cela est financé par les surplus du prix libre. »
Depuis quelques semaines, La Louche finale assure aussi des petits déjeuners sur des piquets de grève. « On sait que les meilleures discussions ont lieu près de la machine à café, remarque Romain Henry. Créer de la convivialité permet à des gens à la fin de rester et de poursuivre la lutte. On crée les possibilités pour des personnes de s’investir et de contribuer. »
Notes
[1] Pour les contacter, écrire à lalouchefinale@proton.me
Antoine Perraud sur www.mediapart – 27 mars 2023
« La Joconde est en grève et la momie aussi ! » Le Louvre a été bloqué, lundi 27 mars, par une action de l’intersyndicale des personnels du musée. Le philosophe Jaques Rancière et le romancier Laurent Binet sont venus apporter leur soutien au mouvement.
Musée du Louvre (Paris).– La colère gagne par capillarité. La détermination s’amplifie dans la joie d’une lutte sociale en devenir. Il y a, au Louvre, ce lundi 27 mars en fin de matinée, tout ce que ne peuvent comprendre un président de la République en état de glace et un gouvernement borné : des soubresauts annonciateurs, des révoltes logiques, des échines bafouées qui se redressent. Une pincée de ressentiments dignes de 1871, un doigt d’aspirations propres à 1936, un zeste de radicalité badine à la Mai-68...
Mehenna Belaïd, de Sud Culture, qui veille la nuit sur les trésors du musée, se montre fier et heureux d’une mobilisation qui pourrait entraîner d’autres institutions culturelles dans la danse, même si, pour l’instant, on est encore loin d’une vague générale : « Nous avons pu bloquer les quatre accès avec une centaine de personnes mobilisées de part en part. »
Des grévistes issus des rangs du Mobilier national ou du Centre Pompidou sont venus prêter main forte, par solidarité, pour tâter le terrain, afin de manifester cet écœurement, national, qui couve et qui gronde, face à un pouvoir inflexiblement obtus. Ce n’est déjà plus le petit matin, ni encore le grand soir. Mais devant la pyramide de Pei, une faction factieuse s’en donne à cœur joie, persuadée que la lutte continue ; histoire de sentir la fraternité, de comprendre la justice, d’éprouver les conquêtes sociales.
Le sociologue Jean-Marc Salmon, 80 ans, vétéran du bouillonnement de 1968 et de l’université de Vincennes, coanime une cellule informelle visant à « ranimer la figure de l’intellectuel engagé ». Non pas pour guider le Peuple mais pour écouter les travailleurs, voire les épauler, dans la mesure du possible. Tout a commencé au moment de la « loi travail » (El Khomri) en 2016, à propos de violences policières qui font écho à celles d’aujourd’hui : un étudiant avait été éborgné à Rennes par un tir de LBD et un syndicaliste de Sud avait été gravement blessé par une grenade de désencerclement.
« Nous avions alors lancé une pétition, explique Jean-Marc Salmon, contre l’armement quasi létal confié aux forces de l’ordre. Notre réseau a repris du service au moment de la grève des cheminots en 2018. Cette grève perlée était moquée par tous les médias dominants méprisants. Nous avons alors lancé une cagnotte, qui a recueilli 1,3 million d’euros, tout en créant du lien : les messages accompagnant les dons devenaient des fils de discussions passionnants. Ensuite, avec Annie Ernaux, Étienne Balibar, Jacques Rancière, ou encore Laurent Binet, nous avons soutenu le mouvement. »
Ce groupe d’hommes et de femmes de lettres, ami des séditions et des luttes sociales, a été contacté par Mehenna Belaïd et l’intersyndicale (CGT Culture et CGT Spectacle en particulier), pour venir appuyer leur blocage du Louvre – celui du 23 mars ayant été peu remarqué, noyé dans les manifestations de masse de ce jour-là.
C’est ainsi que ce lundi 27 mars, Jacques Rancière, philosophe de l’émancipation ouvrière qui va sur ses 83 ans, a pris la parole. Son maître livre, La Nuit des prolétaires – qui était à l’origine sa thèse d’État –, montre à quel point, au XIXe siècle, la classe ouvrière ne s’est pas contentée de réparer sa force de travail mais, assoiffée de culture et de temps libéré des besognes, s’est échappée des stéréotypes liés à sa condition de dominée, d’exploitée, de corvéable à merci. Avec des mots clairs et nets, Jacques Rancière a rappelé la stratégie des technocrates comprador qui nous gouvernent.
À la porte des Lions, ils ne sont qu’une petite poignée, à l’heure du déjeuner, à garder fermée cette autre entrée du Louvre. Ils travaillent dans les ateliers, voient s’assécher le recrutement de fonctionnaires en interne. Leurs collègues en CDD, ou appartenant à des entreprises extérieures sous-traitantes, sont dépourvus de culture ouvrière héritée du XIXe siècle et n’ont, de surcroît, pas les moyens de se mettre en grève – en particulier celles et ceux travaillant à temps partiel.
Un « bloqueur », bonnet vissé sur la tête, affirme crânement : « Peut-être nous faudra-t-il revoir nos moyens d’action. La grève, l’occupation et le blocage sont sans doute des passages obligés. Mais moi, je ne veux plus discuter avec le patronat pour quémander des miettes. »
Retour à la pyramide, où le romancier Laurent Binet, 50 ans, s’apprête à prendre le microphone à son tour. Il revient de loin. Il avait écrit son récit de la campagne de François Hollande en 2012 : Rien ne se passe comme prévu. Mais en 2014, dans une tribune publiée par Le Nouvel Observateur et titrée « Plaisir de trahir, joie de décevoir », Laurent Binet étrillait les socialistes en peau de lapin au pouvoir : « Il restera quand même ce mystère : quelle ivresse, quelle étrange perversité les aura conduits à exhiber, à mettre en scène de façon aussi spectaculaire leur duplicité ? »
Aujourd’hui proche de cette nébuleuse de plus en plus large, que le pouvoir et ses relais médiatiques désignent avec une rage pavlovienne comme « l’extrême gauche », Laurent Binet fait l’éloge de la foule consciente et mobilisée, ainsi que de la convergences des luttes. Celle-ci, partout en France, dans les villes comme dans les campagnes, petit à petit, ferait son nid pour tirer l’esprit du cachot...
publié le 26 mars 2023
Éditorial sur https://www.frustrationmagazine.fr
Mercredi 22 mars, un bourgeois en costume bleu et une montre valant deux SMIC venait s’adonner sous nos yeux à une séance d’auto-congratulation doublée d’insultes envers sa population. Il a tout bien fait, nous a-t-il dit, son seul tort c’est que nous ne soyons pas convaincus qu’il veut notre bien en nous faisant du mal, et d’ailleurs les gens au SMIC sont plein aux as, l’inflation est jugulée et, “oh, regardez, un allocataire du RSA !”. Le message officiel du président était “il n’y a pas de sujet, rentrez chez vous”. Selon les renseignements, ce message aurait été interprété par de nombreuses personnes comme “une déclaration de guerre”. Non, vous croyez ?
Le lendemain, jeudi 23 mars, à 10h30, 9000 personnes défilaient à Saintes, ma ville de 30 000 habitants. Et une incroyable bonne humeur traversait la foule. Comment peut-on avoir tant de rage et sourire autant ? C’est la question que je me suis posée tout le long du défilé : nous écumions de rage envers ce président pathétique et détestable, mais nous nous parlions, nous souriions. Et surtout, ce flot était désormais libre, comme si Macron nous avait autorisé, par son 49-3 et son discours lamentable, à sortir des limites que nous nous imposons si souvent (et que les syndicats et partis fixent généralement). Au programme : traversée de l’hypermarché puis blocage du péage d’autoroute dans une ambiance euphorique.
Comment peut-on avoir autant la rage et sourire autant ? C’est ce qui arrive lorsque l’on sent que la victoire s’approche et que l’on éprouve la fierté d’être en nombre et en force.
Et ce scénario s’est reproduit dans toutes les villes de France. Sans se consulter, sans consignes de chefs ou d’organisation, tous les manifestants ont fait la même chose : sortir des parcours déclarés et aller bloquer physiquement les flux de l’économie capitaliste ou tenter d’envahir les lieux du pouvoir d’Etat.
Comment peut-on avoir autant la rage et sourire autant ? C’est ce qui arrive lorsque l’on sent que la victoire s’approche et que l’on éprouve la fierté d’être en nombre et en force. C’est le sourire de celles et ceux qui sentent leurs différences ordinaires se dissoudre dans un objectif et des intérêts communs. Faire tomber Macron, défier la bourgeoisie en la privant de son meilleur défenseur et de sa réforme rêvée, celle qui correspond à ses idéaux – nous faire trimer plus – et ses intérêts – ouvrir le juteux marché de la retraite par capitalisation et faire maigrir l’anomalie que reste pour elle la sécurité sociale.
Peut-on dire que face à la puissance de la bourgeoisie nous aurions retrouvé une conscience de classe ? Pas seulement : aussi et surtout une confiance de classe. Ce sentiment d’appartenance à un même groupe uni dans sa diversité – à Frustration nous disons « la classe laborieuse » – qui se double enfin d’une conscience de sa force nouvelle et de la fierté de la voir croître.
La fierté, enfin : celle des gilets jaunes qui ont montré la voie. Celles des grévistes qui tiennent toujours. Celles de tous les autres, enfin sortis du rythme lancinant et désespérant des mouvements sociaux perdants, ceux où plus l’on chante « on lâche rieeeeen » plus on lâche. Tout ça, c’est terminé.
Et la bourgeoisie le sent.
Peut-on dire que face à la puissance de la bourgeoisie nous aurions retrouvé une conscience de classe ? Pas seulement : aussi et surtout une confiance de classe.
Vendredi 24 mars : plus gris qu’à l’ordinaire, les présentateurs de BFM TV commentent l’actualité tandis que derrière eux des vidéos de flammes dans les rues de France se succèdent. Une ambiance de deuil règne sur le plateau. Le deuil d’un dossier qu’ils croyaient classé.
Programme suivant : Apolline de Malherbes interroge François Ruffin. Le député NUPES est soumis à un interrogatoire. L’objectif de l’éditocrate la plus aristo du PAF est clair : il s’agit de demander à l’insoumis de choisir son camp. Va-t-il aider la bourgeoisie à restaurer l’ordre ou va-t-il attiser les flammes de la révolte ? Le député, mal à l’aise, appelle au calme, tout en défendant le mouvement social comme il sait le faire. Mais une référence à 1789 lui vaut la colère de la gardienne de l’ordre établi. “Vous souhaitez une nouvelle révolution française François Ruffin, c’est ça que vous voulez dire ?!”. Le ton est sec et cassant, une réponse est exigée. Le député s’exécute, s’excusant presque, déclare que ce n’est pas ce à quoi nous assistons, actuellement. “Les gens veulent juste être écoutés”, implore-t-il.
Arf, mais ça c’était avant, François. En janvier et février, les défilés pacifiques et sympathiques étaient entièrement soumis à une stratégie syndicale d’interpellation du gouvernement pour obtenir justice. “Maintenant, ils vont nous écouter”, concluait Laurent Berger, le leader de la CFDT à chaque manifestation dépassant le million. En vain. Et ce temps là est révolu. On ne veut plus être écoutés, on veut décider. Car au-delà de la réforme des retraites, c’est tout un système politique (qui est, il ne faut plus avoir peur de le dire, une dictature -pas militaire, pas nazie, pas russe, mais française et bourgeoise), qui nous rend fou. “Oui mais il a été élu” est devenu le dernier argument des éditocrates pour défendre cette réforme. Et la répétition continuelle de cette phrase est venue mettre à nue l’illégitimité totale de nos institutions. “Oui mais il a été élu”. Et alors ? Qui a vraiment l’impression de vivre un grand moment démocratique pendant les élections en République française ? Les plus diplômés et les plus aisés, oui. Car le système leur profite. Mais les autres ?
“Oui mais il a été élu” est devenu le dernier argument des éditocrates pour défendre cette réforme. Et la répétition continuelle de cette phrase est venue mettre à nue l’illégitimité totale de nos institutions. “Oui mais il a été élu”. Et alors ?
Désormais, il ne s’agit plus de lutter pour stopper une réforme injuste – ça c’est une première étape indispensable. Mais également de reprendre en main la décision politique et économique dans notre pays. Nous évoluons en ce moment comme nous avons avancé au moment des gilets jaunes : d’abord critiquer une mesure injuste puis exiger que le système politique qui a rendu possible cette injustice soit changé. Et tant qu’à faire, dégommer cet appareil répressif totalement en roue libre, avec des policiers à la violence décomplexée.
Et la bourgeoisie n’a plus rien à nous proposer pour faire semblant de répondre à ces revendications. Le “grand débat national” ? Au fond des archives de sous-préfecture. La “convention citoyenne pour le climat” ? Enterrée. Des élections ? Sauf démission, la constitution nous impose de nous taper Macron encore 4 ans. Les défenseurs petits bourgeois de la bourgeoisie, les grandes gueules sur RMC, étaient bien emmerdés ce matin. Que faire pour obtenir un retour au calme ? En plateau, la petite bourgeoisie des commerçants et des restaurateurs chouine sur son chiffre d’affaires. Comme d’habitude ils jouent leur rôle : simuler la défense “par en bas” de la classe dominante. Surjouer le malheur et exagérer le sentiment de chaos. Ça marcherait peut -être si nous n’en avions pas tous ras le cul des restaurateurs, de leurs marges exorbitantes, de leurs jérémiades constantes et de leurs pratiques salariales déplorables : même leurs travailleurs ne veulent plus d’eux.
Admettons maintenant que le scénario désormais le moins probable se passe – une défaite à cause de la répression – eh bien nous n’aurions pas tout perdu. Loin de là.
Les auditeurs de RMC appellent et se ressemblent : des salariés, des artisans, parfois même des petits patrons qui ont plus de haine pour Macron que pour les manifestants. Et même au standard, on se rebelle “attendez, laissez moi parler, vous avez l’antenne tous les jours, pas moi”, proteste un salarié interrogé avant d’appeler ses concitoyens à “prendre les armes”, sous les cris horrifiés des “grandes gueules” qui portaient bien mal leur nom ce matin. Et ils ont beau tenter, l’opinion ne se retourne pas. Sur France info à midi on se lamente sur Paris, cette ville qui ne ressemblera pas, une fois encore, à la carte postale que les touristes s’attendaient à voir. Bien essayé, mais nous avons mieux à faire qu’à pleurer sur le sort de voyageurs fortunés.
Et maintenant, que faire ? Continuer. Et visiblement personne n’a besoin de mode d’emploi. Ce mouvement commence à ressembler à un mix gagnant entre les gilets jaunes, les mouvements étudiants et les grèves. Qui peut résister à ça ?
Admettons maintenant que le scénario désormais le moins probable se passe – une défaite à cause de la répression – eh bien nous n’aurions pas tout perdu. Loin de là. Car l’expérience que nous faisons tous en ce moment, cette rage joyeuse et cette confiance de classe, ne nous quittera pas demain. Quand on ressent à ce point sa force, on y prend goût. La guerre des classes, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas.
publié le 25 mars 2023
Emilio Meslet sur www.humanite.fr
Des milliers d’opposants à ces retenues d’eau géantes sont attendus dans les Deux-Sèvres, malgré les interdictions. La répression s’annonce sévère.
Il se pourrait bien que la matraque ne soit pas uniquement réservée aux opposants à la réforme des retraites. Dans les Deux-Sèvres, le gourdin policier devrait aussi s’abattre, ce week-end, sur les manifestants hostiles aux méga-bassines.
« La préfecture a laissé entendre que Gérald Darmanin n’envisage pas de nous stopper autrement que par la répression. On s’y prépare du mieux possible », explique Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci, collectif coorganisateur de la mobilisation avec les Soulèvements de la Terre et la Confédération paysanne. Mardi 21 mars, près de 1 500 personnes ont participé, en ligne, à un « brief juridique pour savoir comment se protéger », assure celui qui est batelier dans le Marais poitevin.
Venus de toute l'Europe
Si bien que, malgré les interdictions de manifester, les renseignements territoriaux attendent au minimum entre 7 000 et 10 000 personnes, d’après RTL, pour la journée de samedi, temps fort de ces « manif-actions ».
Ils seront « plusieurs dizaines de milliers », venus de toute l’Europe, selon Julien Le Guet, pour dire non à ces gigantesques retenues d’eau – de pluie ou pompée, en hiver, dans les nappes phréatiques – censées servir à irriguer, en période de sécheresse, des cultures majoritairement liées à l’agro-industrie.
D’où un dispositif policier conséquent, à l’instar de celui qui avait violemment réprimé une mobilisation similaire en octobre 2022, avec plus de 1 700 agents. À l’époque, les affrontements avaient blessé 61 gendarmes, d’après le ministre de l’Intérieur, et une soixantaine de manifestants, selon les organisateurs. Gérald Darmanin les avait alors qualifiés, toute honte bue, d’ « écoterroristes » de façon à criminaliser les opposants et à se poser en garant de l’ordre.
Pour l’heure, le tracé de la manifestation de samedi, soutenue par plus de 200 organisations syndicales, associatives et politiques, dont EELV, la FI et le PCF, n’est pas encore connu de façon à compliquer la tâche des autorités, qui, elles, soutiennent ces projets de privatisation de l’eau.
Trois options sont sur la table : une marche vers la méga-bassine de Sainte-Soline, dont la taille équivaut au Stade de France, un cortège vers celle de Mauzé-sur-le-Mignon ou bien, s’il y a beaucoup de monde, les deux. « Nous serons nombreux dans les champs du Poitou. Nous viendrons impacter matériellement les chantiers de méga-bassines : nous sommes déterminés à ce qu’elles ne se construisent pas », promet Léna Lazare, figure de la génération climat et représentante des Soulèvements de la Terre.
La manifestation sera ponctuée d’ « actions de désobéissance civile et paysanne », annonce-t-on, quand les services de police craignent « des violences et des dégradations ».
Le collectif Bassines non merci réclame un moratoire
Interdit de territoire dans les deux communes concernées et sous surveillance policière, Julien Le Guet prévient, lui, vouloir « coûte que coûte » stopper les méga-bassines. Plusieurs associations ont déposé des référés-liberté contre les interdictions de manifester et de circulation du matériel agricole : « S’ils ont peur que ça se passe mal, ils n’ont qu’à autoriser les mobilisations et rouvrir le dialogue », demande Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne.
« Nous ne voyons pas comment les sanctions infligées aux anti-bassines, tout comme le déploiement annoncé des forces de gendarmerie samedi seraient de nature à permettre un dialogue avec les membres du collectif Bassines non merci et leurs soutiens », dénonce dans un communiqué de la fédération communiste du 79.
Car, de dialogue, il n’en existe plus entre les défenseurs des méga-bassines et leurs adversaires. D’un côté, le gouvernement se fait l’avocat de ces projets privés au service de l’agro-industrie notamment souhaités par la FNSEA, premier syndicat agricole.
Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau loue un modèle « vertueux » et le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu accuse la gauche d’ « hystériser » le débat. Des opposants qui, pourtant, ne manquent pas d’arguments appuyés sur une récente contre-expertise à une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
« Tous les usages doivent entrer dans la sobriété, affirme Julien Le Guet. Je veux bien faire pipi sous la douche mais pas si je continue à voir les champs de maïs arrosés tout l’été, grâce aux méga-bassines, quand les cours d’eau d’à côté sont à sec. »
Alors que la France a connu une période de forte sécheresse estivale suivie d’une inédite sécheresse hivernale qui dure, la question du partage de la ressource en eau et de son utilisation se place au cœur des enjeux. Et questionne de fait le recours aux méga-bassines, dont le bénéfice ne profite qu’à certains agriculteurs.
« La question qu’on doit se poser ne tourne pas autour du stockage de l’eau. C’est un combat qui n’oppose pas écologie et agriculture. Il faut se demander : quelle agriculture ?, quelle alimentation ?, continue-t-on à irriguer ?, où prend-on l’eau ?, pour qui ? », interpelle Nicolas Girod, qui demande la « suspension des travaux ».
Quid des évaporations et de la qualité de l’eau ?
Au-delà de l’accès à l’eau quand les nappes phréatiques sont à sec, ces retenues d’eau à ciel ouvert interrogent quant à leur efficacité. Quid des évaporations ? Sans parler de la qualité de cette eau stagnante : « On sait bien que l’eau stockée dans les nappes est de meilleure qualité que celle stockée en plein soleil », martèle Nicolas Girod, quand Julien Le Guet évoque un potentiel risque de pandémie et de contamination.
Surtout lorsqu’elles sont situées à proximité d’élevages de volaille, avec le risque de grippe aviaire. « Au fond des bassines, il y a des cadavres d’oiseaux », assure la figure de la mobilisation, qui évoque aussi la présence de « cyanobactéries ».
Autant de questionnements et d’alertes qui ne se traitent pas par la répression policière. Le collectif Bassines non merci demande un moratoire sur ces immenses bassins.
Mais l’exécutif reste sourd, même lorsque quelques projets sont déclarés illégaux par la justice, comme c’est le cas en Charente-Maritime. Ce qui inquiète Nicolas Girod : « Il y a eu un 49.3 social sur les retraites qui met le pays dans une grande tension. Il ne faudrait pas un 49.3 écologique sur les bassines. »
Mathilde Doiezie sur www.politis.fr
À l’appel de Bassines Non Merci, des Soulèvements de la Terre, de la Confédération paysanne et d’autres collectifs et associations, un rassemblement de trois jours a lieu du 24 au 26 mars dans les Deux-Sèvres pour lutter contre les mégabassines. Ce, malgré l’interdiction de la préfecture.
Les premiers « No Bassaran » de la mobilisation contre les mégabassines retentiront dans les Deux-Sèvres, au moment de la clôture de la Conférence des Nations unies sur l’eau, la première rencontre intergouvernementale sur le sujet organisée depuis 1977. Jusqu’ici, la question de la ressource en eau ne faisait pas vraiment de vagues… Voilà qu’elle devient de plus en plus scrutée, parmi les crises écologiques multiples auxquelles nous faisons face.
En particulier en France, où le collectif Bassines non merci milite depuis 2017 contre l’installation dans le Poitou de mégabassines, d’impressionnantes piscines d’environ 10 hectares ou plus. Destinées à des agriculteurs faisant face à des sécheresses de plus en plus récurrentes, elles sont censées offrir une solution au manque d’eau en été.
Avec une particularité qui les distingue d’autres retenues d’eau : elles ne se contentent pas de récupérer de l’eau de pluie, mais puisent dans les nappes phréatiques en hiver, au moment où celles-ci sont censées être les plus remplies. Un raisonnement qui pourrait paraître presque logique, sans ce gros hic : la sécheresse continue même en cette saison hivernale.
Sur les 18 derniers mois, 15 ont été déficitaires en pluviométrie. En début d’année, la France métropolitaine a battu son record de nombre de jours sans pluie : 32 jours, du jamais vu depuis le début des enregistrements en 1959, selon Météo France. Le mois de février a ainsi été le plus sec jamais enregistré, avec un déficit de précipitation de plus de 50 %. Soit pile à la période où les nappes phréatiques doivent se remplir.
Les dernières données les concernant sont inquiétantes : « 80 % des niveaux [des nappes] sont modérément bas à très bas », a détaillé mi-mars le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Des arguments, en plus d’autres impacts écologiques, qui ont conduit à deux décisions de justice défavorables à l’utilisation de certaines bassines en février.
Pourtant, « pas d’agriculture sans eau », comme le clame dans ses différentes apparitions le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Mais toutes les solutions ne se valent pas, lui répondent les opposants aux mégabassines. Le gouvernement soutient la construction de ces immenses réserves d’eau, dont une centaine de projets sont à l’étude dans toute la France.
C’est dans l’Ouest, dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente-Maritime, que l’appétit est le plus dévorant. Un projet de 16 bassines est porté depuis 2018 par la Coopérative de l’eau 79. Et début novembre, la préfecture de la Vienne a validé la création de 30 autres bassines.
Une annonce qui a fait office de goutte d’eau supplémentaire dans un vase débordant déjà. Quatre jours plus tôt, 7 000 personnes s’étaient réunies dans le village de Sainte-Soline pour arrêter le chantier d’une mégabassine de 16 hectares, demandant l’arrêt des travaux et un moratoire sur la création de ces réserves d’eau.
La manifestation d’ampleur, interdite par la préfecture, avait donné lieu à une cinquantaine de blessés côté manifestants, une soixantaine côté forces de l’ordre. Elle avait rendu visible au niveau national la lutte contre les mégabassines, aussitôt taxée « d’écoterrorisme » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
Sans signe de ralentissement du côté des mégabassines, le collectif Les Soulèvements de la Terre – qui rassemble 150 organisations, syndicats ou collectifs écologistes locaux – a appelé dès le 17 novembre à un nouveau rassemblement d’ampleur ce 25 mars 2023. Depuis, des réunions publiques ont été organisées un peu partout en France pour parler de l’enjeu de la ressource en eau et appeler le plus grand nombre de personnes à venir.
Face-à-face en vue
Le rendez-vous s’est transformé en « mobilisation internationale pour la défense de l’eau » sur trois jours – ces 24, 25 et 26 mars –, avec des moments festifs, des conférences et une manifestation prévue le samedi matin. Le lieu sera communiqué au dernier moment. A priori pour remettre le couvert, soit à Sainte-Soline, soit à Mauzé-sur-le-Mignon, où une autre mobilisation avait eu lieu en novembre 2021. L’objectif ? « Impacter concrètement les projets de bassines et leur construction. »
De leur côté, les autorités se sont aussi préparées et le face-à-face risque d’être très tendu, dans un contexte de mobilisation sociale déjà très intense. Le 17 mars, la préfecture des Deux-Sèvres a publié un arrêté interdisant manifestations et attroupements dans 18 communes, dont Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline.
Le même jour, Julien Le Guet, porte-parole de Bassines Non Merci, était placé en garde à vue puis déféré devant le parquet de Niort. Il a été placé sous contrôle judiciaire et a interdiction de paraître à Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline jusqu’à son procès, prévu le 8 septembre. Une sentence « politique » à quelques jours de la mobilisation qui, l’espérait-il à sa sortie du tribunal, « ne va faire qu’amplifier le son de nos revendications ».
Marion Briswalter sur www.mediapart.fr
Ce samedi, une grande mobilisation réunit les opposants des mégabassines à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres voisines, face à laquelle le ministère de l’intérieur a annoncé l’envoi de de 3 200 gendarmes et policiers. Vingt-cinq réserves d’eau ont été creusées en quinze ans sur le pourtour nord du Marais poitevin. La chambre d’agriculture des Pays de la Loire réclame une généralisation des retenues artificielles qui divisent à bas bruit le monde rural.
La Roche-sur-Yon, Les Magnils-Reigniers, Lairoux, Les Autizes (Vendée).– Depuis quinze ans, une politique de construction de bassines est à l’œuvre dans le Sud Vendée. Vingt-cinq ouvrages de stockage de 11 millions de mètres cubes d’eau ont été construits en bordure nord du Marais poitevin.
Ce territoire alterne entre terres inondables, pâturages et grandes cultures céréalières. Il fournit des semences céréalières, des tourteaux pour les animaux, des melons, des légumes bio, du bœuf, le blé des pâtes. Dans quelques mois, le maïs recouvrira un quart des champs. 35 % à 45 % des terres y sont irriguées, contre 7 % au niveau national.
Jusqu'à ces derniers temps, et alors qu’une grande manifestation est attendue ce samedi à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres voisines (et pour lequel le ministère de l’Intérieur a annoncé vendredi l’envoi de 3 200 gendarmes et policiers), l’expérience vendéenne est jusqu’à présent restée loin des projecteurs. Mais elle est actuellement scrutée par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne qui souhaite en « tirer les enseignements » pour la révision de son schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et les futurs projets qui en découleront, déployés sur un quart de la France, du Finistère aux portes de l’Ardèche.
La construction de ces mégaréserves d’eau a nécessité 63 millions d’euros d’investissement, dont 38 millions (60 %) de financements publics. Trois programmes successifs ont été décidés dès 2006 par les acteurs publics et privés pour limiter l’assèchement de la zone humide, trop pompée et trop drainée, tout en soutenant le système agroalimentaire en place, en proie à des risques de baisses de rendement lors des étés secs.
À cette époque justement, l’Europe avait sommé la France de placer au cœur de la préservation du Marais poitevin un basculement vers une agriculture « respectueuse de l’environnement », notamment moins gourmande en eau.
« On est parti d’un état de “far west”, avec une surexploitation de la ressource en été qu’il a été difficile de faire admettre » aux agriculteurs, se remémore Yves Le Quellec, président de France Nature Environnement Vendée. « Cette surexploitation est devenue admissible dès qu’il y a eu cette porte de sortie de déporter les prélèvements. La solution [les bassines – ndlr], c’est peut-être une cote mal taillée mais c’était probablement la seule qui permettait de débloquer politiquement ce sujet [l’assèchement du marais – ndlr] qui n’avait déjà que trop duré. »
Dans les années 2000, l’écologiste maraîchin s’était opposé aux réserves devant la justice. Il a depuis changé de position car « la substitution », qui consiste à remplir en hiver les réserves d’eau artificielles par des pompages dans les nappes souterraines pour les substituer aux pompages du printemps et de l’été, « produit des effets ».
Les effets ? En 2020, la culture du maïs est en retrait, un glissement s’est opéré vers des variétés de maïs plus résistantes au manque d’eau, ainsi qu’une amplification du maraîchage, des prairies, du bio et des semences et une diversification des céréales. Cependant, la substitution n’explique pas à elle seule des choix de cultures aussi fortement conditionnées par les marchés et le prix de l’électricité.
Au conseil départemental, cofinanceur, on s’enthousiasme de la politique des bassines en mettant en avant des avancées : un portage politique qui pacifie la gestion collective de l’eau même en situation de crise et un encadrement des prélèvements par l’Établissement public du Marais poitevin (EPMP), alors qu’ailleurs en France les chambres d’agriculture et les sociétés privées ont plus de latitude. La collectivité défend aussi les effets positifs de la mutualisation des coûts et des quotas d’irrigation entre les 500 fermes irrigantes, branchées ou non aux bassines.
Pour Arnaud Charpentier, conseiller départemental (Union de la droite) et membre de la commission agriculture et eau, « le bilan, au bout de vingt ans, c’est que cet été les nappes étaient trois à quatre mètres plus hautes que ce qu’elles étaient dans les années 1990. Et au printemps, on a des canaux qui vont mettre beaucoup plus de temps à être à sec, ce qui veut dire que les réserves ont permis de préserver le milieu ».
« Mettre en évidence l’effet de la politique [des bassines – ndlr] sur la biodiversité ou sur des niveaux d’eau du marais, c’est une étude en soi qui n’est pas près d’être terminée et qui demande un gros dispositif d’acquisition de données », lui répond Anne Bonis, chargée de recherche en écologie au CNRS et membre du conseil d’administration de l’EPMP.
Un rapport de 2021 de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne se montre également prudent. Dans les plaines, « il est impossible de statuer sur l’efficacité des différentes actions, le recul n’étant pas assez important », concluent les auteurs, incapables de démêler finement l’effet de la substitution de celui des quotas d’eau imposés ces dernières années et des arrêtés sécheresse. Quant aux incidences sur le cœur de la zone humide, le rapport confirme le « besoin de définir » des indicateurs plus précis.
Des études Hydrologie, milieux, usages et climat (HMUC) attendues dans les prochains mois devraient aider à actualiser les réponses et, pourquoi pas, comme dans la Vienne, à redéfinir à la baisse les quotas d’irrigation. « Il est hors de question que la profession agricole perde ne serait-ce que l’ombre d’un mètre cube », alors que des « efforts considérables ont été consentis durant les vingt dernières années », prévenait Brice Guyau, le président (FNSEA) de la confédération générale de l’agriculture de la Roche-sur-Yon, dans un courrier adressé en mai 2021 au ministère de la transition écologique, en réponse à un recours devant la justice administrative porté par Nature Environnement 17 réclamant un plafonnement des prélèvements annuels.
Le milieu est détraqué à mort.
Sur le bassin des Autizes, à l’est du département, David Briffaud, paysan boulanger membre de « Bassines non merci », dénonce « les discours qui visent à dire que pour remplir les bassines, on prend de l’eau l’hiver quand elle est abondante. C’est complètement faux ! ».
« Cet hiver, le niveau [des rivières et des nappes – ndlr] était catastrophiquement bas. Le milieu est détraqué à mort », s’alarme aussi Olivier Cotron, maraîcher et arboriculteur bio installé non loin du marais. Pour le paysan, voisin d’une bassine vaste comme 240 piscines olympiques, ce système, s’il a permis de mieux encadrer les prélèvements l’été, conforte néanmoins la mainmise des gros céréaliers sur la terre et l’eau.
Pour Yann Pajot, délégué « eau » à la Confédération paysanne de Vendée, « tout n’est pas négatif » dans la politique sud-vendéenne en cours, « mais il faut engager une vraie transition agricole et revoir les volumes attribués et les plafonner ».
Lorsque les programmes furent signés en 2006 puis au mitan des années 2010, peu voire aucune contrepartie environnementale n’a été demandée en échange des 38 millions d’euros de subventions publiques.
Alors d’ouest en est, la plaine offre un paysage toujours désolé, sans réembocagement ni haies épaisses. Concernant l’utilisation des pesticides, la poussée du bio donne une indication. Cependant, la chambre d’agriculture dit conditionner la baisse de leur utilisation à « l’amélioration » de la « performance » du matériel et au montant des aides financières pour compenser le « manque à gagner ». Pour le conseiller départemental Arnaud Charpentier, la question de la pollution agricole est hors sujet : « Les pilules des femmes polluent beaucoup plus l’eau que d’autres résidus. Le matériel agricole est aujourd’hui bien plus sophistiqué et précis », ose l’élu.
Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité.
Concernant les économies d’eau, la régulation de l’arrosage par des sondes remporte un vif succès mais en quinze ans, la part de la surface irriguée n’a pas reculé. La diversification vers des espèces moins gourmandes en eau et à fort potentiel mellifère n’est pas au rendez-vous.
« Il faut aller sur l’économie d’eau mais si nous voulons préserver notre souveraineté alimentaire, tout le monde va devoir se mettre dans la tête que nous devons trouver les moyens pour stocker cette eau, car il en faut à disposition l’été », assène Joël Limouzin, président (FNSEA) de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.
Désormais, la chambre d’agriculture veut généraliser les aménagements pour brancher au plus vite l’ensemble des irrigants du Sud Vendée à des bassines et ceux du Nord Vendée à des réserves collinaires, ces plans d’eau artificiels déjà largement utilisés par les éleveurs du bocage. « On est prêts à prendre le pari que ces stockages seront multifonctionnels pour la biodiversité, l’agriculture, l’eau potable et contre les incendies. Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité », déroule Joël Limouzin.
Cet état d’esprit est qualifié par certain·es de « fuite en avant ». « Il y a une forme d’optimisme, voire de naïveté, de confiance envers un monde agricole qui depuis trente ans n’arrive pas à relever les défis de la restauration écologique des milieux. Il existe des modèles autres que cette fuite qui va vers plus de production, de céréales, de pompage, de puissance, de vitesse et qui ne colle pas avec la résilience », regrette Frédéric Signoret. L’éleveur et quinze confrères ont mené une petite révolution dans le département cet été, en démontrant qu’un troupeau herbivore de taille modeste et une rotation bien sentie dans des pâturages partiellement réensauvagés et inondables produisent leurs effets même en août.
Le plan gouvernemental adopté en février 2022 prévoit de soutenir « les investissements dans les projets collectifs pour l’amélioration ou la création d’infrastructures hydrauliques », c’est-à-dire les réserves de stockage artificielles d’eau pour l’irrigation.
« On ne peut peut-être pas généraliser ce dispositif » à toute la France, nuance le conseiller départemental Arnaud Charpentier. Pour le président de France Nature Environnement Vendée, « certains s’emparent du Sud Vendée pour en faire un exemple en disant “le stockage ne pose pas de problème”. Dire les choses comme ça, c’est une arnaque ! ».
publié le 24 mars 2023
Dan Israel, avec la rédaction de Mediapart sur www.mediapart.fr
Loin d’être un baroud d’honneur, la neuvième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites a rassemblé des manifestants en masse dans toute la France. La colère, voire la haine, se concentre sur Emmanuel Macron. Incendies et violences policières ont marqué la fin de journée.
Lilian, 27 ans, et Margaut, 33 ans, sont soudeurs dans une PME de Romorantin (Loir-et-Cher) qui fabrique des chauffages design. Ce 23 mars, ils ont manifesté pour la première fois contre la réforme des retraites, à l’occasion de la neuvième journée de mobilisation nationale organisée par les huit syndicats de salarié·es. Ils ont occupé un rond-point pour ralentir le passage des poids lourds : « Notre cheffe occupe le rond-point du Super U et nous a demandé de bloquer celui-ci. »
Les deux soudeurs n’ont pas dépareillé lors de cette journée singulière, où les manifestant·es ont défilé contre une loi définitivement adoptée – mais pas encore promulguée, en attendant l’avis du Conseil constitutionnel, qui devrait être rendu dans le courant de la semaine prochaine.
Comme Lilian et Margaut, les primo-manifestant·es n’étaient pas rares dans les cortèges (lire notre récit en direct de la journée, partout en France). Et leur mode d’action illustre une radicalisation à l’œuvre depuis l’adoption du texte à l’Assemblée par le biais de l’article 49-3, jeudi 16 mars. Radicalisation dont les traces ont été notables dans les manifestations partout en France.
La colère qui s’est exprimée, parfois librement, ce jeudi n’a qu’une cible : Emmanuel Macron. Ils sont très nombreux à ne lui pardonner ni le 49-3, ni son intervention télévisée autosatisfaite de mercredi, appuyée par un tweet clamant : « Je suis sûr qu’on saura s’unir, se réunir pour l’avenir du pays. » Le sentiment commun a été résumé par le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, au départ de la manifestation parisienne : par ses mots, le chef de l’État « a jeté un bidon d’essence sur le feu ».
Effet garanti : selon la préfecture de police, 119 000 personnes ont défilé à Paris. C’est le chiffre le plus important de ce mouvement social dans la capitale, mais aussi le plus gros jamais mesuré pour une manifestation syndicale. Dans toute la France, le ministère de l’intérieur a compté 1,1 million de manifestant·es, pas loin des deux pics du 31 janvier (1,2 million) et du 7 mars (1,3 million). La CGT en a dénombré 3,5 millions. Et l’intersyndicale ne désarme pas : dans la foulée de ce succès, elle a annoncé une nouvelle journée de manifestations pour ce mardi 28 mars.
Le mouvement touche désormais des lieux qui se tenaient jusque-là à l’écart des grèves.
Comme depuis le début de la contestation, des manifestations étaient organisées sur tout le territoire, quelle que soit la taille des communes, dans 300 lieux différents. Et côté grévistes, la mobilisation était à la hausse après des journées moins suivies. Le trafic des trains, métros et RER a été fortement perturbé toute la journée, et à Paris, 140 des 645 écoles primaires ont fermé.
L’essence se raréfie aussi dans les stations-service en raison des blocages des dépôts pétroliers et de l’arrêt progressif des raffineries : 15,14 % des stations françaises étaient en pénurie d’au moins un des carburants jeudi matin, et les chiffres montent à 40 % dans les départements de l’ouest de la France, et à 53 % en Loire-Atlantique, du fait du blocage du dépôt et de la raffinerie de Donges.
Autre fait frappant, le mouvement touche désormais des lieux qui se tenaient jusque-là à l’écart des grèves : agent·es de l’Insee, de la Cour des comptes, du Mobilier national… Pour la première fois depuis trente ans, les dockers de Dunkerque ont arrêté le travail. Tout aussi inédit, la faculté de droit Assas-Panthéon a été bloquée par une partie de ses étudiant·es.
La haine contre le chef de l’État s’exprime désormais librement
Partout, les mêmes termes reviennent pour décrire Emmanuel Macron. À Lyon, une syndicaliste CGT dénonce le « roi », un nouveau « Louis XVI » auquel il est rappelé que « lorsque le peuple se soulève, il fait tomber la monarchie ». À Rennes, Bertrand, délégué syndical CGT chez Lafarge, le constate, « la haine » s’est installée envers le chef de l’État. « Savez-vous quelle réserve de rage vous venez de libérer ? », interrogeait ce week-end dans Mediapart l’écrivain Nicolas Mathieu. Des mots prémonitoires.
Dans la petite ville universitaire de Lannion (Côtes-d’Armor), Florestan, 20 ans, participe au blocage de l’IUT. Il a manifesté pour la première fois de sa vie en février, et mercredi, il a écouté « l’allocution » de Macron : « Quand le président dit que les syndicats n’ont pas cherché le dialogue, j’ai pris ça comme un foutage de gueule. Ensuite je me suis demandé : pourquoi cherche-t-il à ce point à alimenter le feu ? »
À Romorantin, Marc a lui aussi écouté le président. « Et j’ai failli exploser ma télé tellement il se prenait pour un monarque. Ce type est en train de bousiller tous nos acquis, et on devrait fermer notre gueule ? » , s’insurge ce chauffeur routier de 60 ans, en préretraite et qui craint que la réforme ne l’oblige à retourner au travail pour compléter ses trimestres.
À Paris, c’est Stéphane, agent communal à Chilly-Mazarin (Essonne), affilié à l’Unsa, syndicat peu connu pour ses outrances, qui laisse déborder sa haine : « S’il était en face de moi, je l’accrocherais en haut de la colonne de la Bastille, et j’attendrais de voir son vêtement craquer. Et je filmerais. »
« Sans même parler de sa réforme, qui est une régression sociale scandaleuse, les méthodes de notre président relèvent de la haute trahison, insiste-t-il. Il fait énormément de mal au pays, il ouvre un boulevard à l’extrême droite. »
Même les adhérents CFDT veulent bloquer le pays
L’exaspération palpable conduit à un net durcissement des actions et des discours. À Pluzunet (Côtes-d’Armor), l’incinérateur, où on trie et brûle d’ordinaire tous les déchets du Trégor, est bloqué depuis lundi. « Le 49-3 nous a décidés à monter d’un cran, en touchant l’économie », explique Benoît Dumont, de la CGT Lannion.
Marie et Freb, eux, travaillent dans un supermarché de Seine-et-Marne, où ils sont militants CFDT. Et ils s’impatientent : « En haut, à la CFDT, ils sont restés longtemps dans une posture de négociation plutôt que d’action. Puis Laurent Berger a bien constaté qu’il avait atteint une limite et qu’il fallait s’engager dans le mouvement, parce qu’Emmanuel Macron se foutait de lui », analyse Freb.
Et les sages adhérents de la CFDT se révèlent « aussi remontés que ceux de la CGT » : « Maintenant, on espère qu’ils ne s’arrêteront pas. On en est arrivés à un point où il faut aller plus loin : les manifestations, même de masse, le pouvoir s’en moque totalement. Il faut bloquer le pays, avec les transports, les raffineries, les routiers. Tout bloquer. Si possible sans violence. »
Dans une note interne consultée par Mediapart, la direction nationale de la CFDT s’inquiétait justement dans la semaine que ses adhérent·es « ne cèdent à la radicalité » : « L’extrême gauche va essayer de récupérer des colères. [...] Nous devrons être attentifs à ne pas renier ce que nous sommes : réformistes et responsables. »
Il n’est pas certain que ces efforts de la centrale de Laurent Berger payent : ce jeudi, les manifestant·es ont dit de plus en plus clairement qu’ils ne s’interdisaient plus rien. Y compris lorsqu’ils défilent au milieu des drapeaux orange de la CFDT, comme Jessica à Rennes. « La violence du gouvernement rend les gens ultra vénères. Les policiers sont agressifs. On n’est pas à l’église ici, on ne tend pas l’autre joue », considérait la jeune femme, qui s’occupe de l’accueil des étudiantes et étudiants étrangers dans une école de commerce.
Incendies et violences policières
Les violences sont bien apparues. Et les flammes ont frappé. À Lorient (Morbihan), où environ 300 manifestant·es ont allumé un feu tout contre le commissariat. Des vitres ont été brisées, la grille d’entrée brûlée. À Paris, la soirée a été marquée par les incendies qui ont frappé le quartier de l’Opéra et le IIe arrondissement, à la suite des feux allumés en fin de manifestation par certains participants. Et à Bordeaux, c’est l’entrée de la mairie qui a été incendiée.
« Je suis assez marqué par la colère qu’il y a aujourd’hui. L’utilisation du 49-3 a cristallisé un nouveau truc, prévenait quelques heures plus tôt un vieux routier des mobilisations sociales à Paris. Dans ce mouvement, les manifestations de masse, la grève et les occupations ouvrières ne s’opposent pas à la colère qui peut s’exprimer plus fortement. »
À Paris, les agressions contre les manifestants se sont multipliées.
Durcissement contre durcissement, la journée a aussi vu les violences policières se multiplier. À Rouen (Seine-Maritime), une manifestante a eu un pouce arraché par un tir de grenade des forces de l’ordre. Le député Renaissance Damien Adam a demandé une enquête.
À Paris, les agressions contre les manifestantes et manifestants se sont multipliées, relayées par les vidéastes indépendants qui parcourent les cortèges de tête : coup de matraque en plein visage, policiers s’acharnant sur des manifestants à terre les mains levées dans une immense cohue, début d’attaque du service d’ordre entourant le carré syndical officiel…
Autant d’actes qui donnent raison au communiqué diffusé quelques heures plus tôt par la Ligue des droits de l’homme : « On ne décrète pas par l’usage de la force la fin d’un mouvement social dans un État de droit », y clamait l’association, appelant « le gouvernement à la raison et le ministre de l’intérieur au respect des droits fondamentaux ».
À Foix, dans l’Ariège, on a beau être loin de la capitale, les esprits n’en sont pas plus sereins. « Macron ne lâchera pas. Il est fou. Il va aller jusqu’à l’insurrection », se désespère Noël, technicien de maintenance à la retraite de 65 ans. Et Jeanine, ancienne institutrice de 90 ans, qui manifeste pour la cinquième fois, a un pressentiment : « Ça va mal finir. Je pense à Mai-68, à la Révolution. Les gens ne vont pas se laisser faire. »
sur https://lepoing.net/
40 000 personnes dans les rues de Montpellier : il faut croire que le discours de Macron du 22 mars a encore jetté de l’huile sur le feu de la contestation
De mémoire de Montpelliérain.e, on avait pas vu ça depuis des années à Montpellier. Un raz de marée. Ce 23 Mars contre la réforme des retraites, la CGT annonçait 40 000 personnes dans les rues du Clapas, et le syndicat Force Ouvrière parlait quant à lui de 60 000 personnes dans son communiqué.
A partir de 11 h 10 et pendant plus d’une heure, c’est un flux constant ininterrompu et surtout bien serré qui est parti de la place Zeus en direction du Peyrou. Macron a au moins réussi une chose : réveiller le pays ! Chaque cortège syndical était très fourni, la jeunesse etait très représentée, qu’elle soit des universités, des lycées ou des collèges, les chorales et orchestres se sont multiplié et chantaient aussi l’ Internationale, qui sera reprise par le corps de la manifestation.
Après avoir descendu le boulevard Henri IV et à la fin du boulevard Louis Blanc, un grand trou s’était formé dans le cortège, et alors que tout le monde pensait remonter sur la Comédie, des grappes de manifestant.e.s étaient dirigé.e.s vers le lycée Mermoz. Interrogé sur la suite du parcours, un syndiqué du service d’ordre de Force Ouvrièr a répondu : « C’est l’intersyndicale qui a décidé ce parcours avec le préfet pour éviter la casse… »
A partir de là, le cortège s’est scindé en deux, avec des grappes de personnes perdues sur la signification de ce trajet. Arrivé.e.s Place de l’Europe, fin supposée de nombreuses personnes ne comprenaient plus la situation, sans savoir qu’une partie conséquente de la manifestation avait scindé le cortège. En effet, à l’initiative d’une partie plus combative et plus déterminée de la manifestation, des milliers de personnes ont suivi la banderole des étudiants de Paul Valéry pour remonter sur l’Esplanade, puis le Polygone, qui a encore dû fermer ses rideaux de fer, avant de rejoindre la préfecture.
Un cadre de la CGT commentera à propos du trajet qu’il y avait trop de monde et pas assez de Service d’Ordre » pour canaliser la foule.
Après la manifestation, de nombreuses actions se sont déroulées : les étudiants de la faculté Paul Valéry ont voté le blocage de la fac en assemblée générale, le dépôt pétrolier de Frontignan a été bloqué puis réprimé, et une nouvelle manifestation sauvage a encore embrasé le centre-ville. Plus d’infos sur les réseaux sociaux du Poing en attendant un prochain article.
publié le 23 mars 2023
sur www.humanite.fr
C'est aujourd'hui que se déroule la nouvelle journée d'action organisée par l'intersyndicale. Une journée qui s'annonce sui vie.
Découvrez la carte des mobilisations
Voir aussi :
Retraites. Une 9e journée de mobilisation chauffée à blanc par Emmanuel Macron
Emmanuel Macron n'a annoncé lors de son entretien télévisé du mercredi 22 mars ni le retrait de sa réforme, ni un remaniement, ni une dissolution, ni le référendum réclamé par les oppositions. Il fait le pari d'un pourrissement du mouvement et mise sur la répression policière.
Voir aussi :
Mobilisations retraites. Violences policières : ces vidéos accablantes
La réaction syndicale ne s'est pas fait attendre : Laurent Berger accuse Macron de « déni et de mensonge » concernant la position de la CFDT. Pour Philippe Martinez, les propos de Macron sont « du mépris pour les millions de personnes qui manifestent ».
Bien au contraire il assure que la réforme entrera en vigueur d'ici la fin de l'année. Fragilisé par une motion de censure couperet qui l’a manqué de peu, l’exécutif est dans une impasse.
L'idée d'un référendum commence à s'imposer comme un moyen de continuer et délargir le mouvement
A Rouen, un nouveau cas de violence policière
Selon plusieurs médias locaux, une enseignante opposée à la réforme aurait eu le pouce arraché par une grenade de désencerclement, à Rouen, où 22 000 personnes ont manifesté (syndicats).
La députée France insoumise de la circonscription, Alma Dufour, dénonce un "retour à la même violence que contre les gilets jaunes".
A Bordeaux, manif record et lacrymos
Les syndicats annoncent un chiffre record de 110 000 manifestants à Bordeaux (Gironde). La préfecture de police n'en a comptabilisé que 18 200. Dans tous les cas c'est plus du double des journées du 11 et 15 mars, qui faisaient craindre un essoufflement (15 000 le 11 mars, 50 000 le 15 mars, selon les syndicats).
La situation s'est tendue entre certains manifestants et les forces de l'ordre, à partir de 15h30.
Le cortège parisien refait le plein
La CGT annonce 800 000 manifestants à Paris, ce 23 mars. Le 49-3 et l'intervention d'Emmanuel Macron ont donc fortement remobilisé les opposants à la réforme. Le 11 mars, le syndicat annonçait 300 000 personnes dans les rues de la capitale et le 15 mars, 450 000.
Manifestation record à Marseille
A Marseille, le cortège affole les compteurs ce jeudi. L'intersyndicale annonce 280000 manifestants pour cette neuvième journée de mobilisations. La police tente le grand écart renversé, avec 16000 participants.
Il n'empêche, les photos et vidéos publiées sur les réseaux sociaux, entre le Vieux-Port et la Porte d'Aix, attestent d'une manifestation massive.
Même la cathédrale de la Major, au passage des manifestants, semblait avoir pris partie, avec une gigantesque banderole déployée au sommet d'une de ses coupoles: "Nik le 49.3, grève générale". "Je veux voir ma mamie maintenant, pas dans deux ans !!", réclamait de son côté sur sa pancarte un petit garçon de 8 ans et demi.
Emmanuel Macron au centre des slogans
L'interview du président de la République, mercredi, a beau ne pas avoir fait recette, avec un total par 11,5 millions de téléspectateurs, ses propos sont bien au coeur des cortèges de cette neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
“Le président est méprisant, il ment, et tout le monde en a conscience. Il nous crache à la figure en nous disant qu’on n’est pas légitime. Aujourd’hui, on lui montre notre légitimité, on lui fait entendre notre voix, qu’il le veuille ou non. Et on va continuer comme ca jusqu’à la victoire”, fulmine ainsi Henry, syndiqué à Force ouvrière, rencontré dans la manifestation parisienne.
Un peu plus tôt dans la matinée, lors de l'occuption de la garde de Lyon, Cédric Liechti ne décolère pas: "Son discours a remis un coup d'essence sur le brasier". Au côté du responsable CGT-Energie Paris, Béranger Cernon, son homologue de la CGT-Cheminots, accuse: "Insulter des millions de salariés de factieux et nous comparer à ceux qui ont envahi le Capitole, c'est pire qu'une insulte".
"Je voudrais dire merci à Emmanuel Macron. Il est tellement arrogant et à côté de ses pompes qu'à chaque fois qu'il parle, t'as qu'une envie c'est de prendre ton drapeau pour partir en manif", s'époumone Fabien Villedieu, délégué syndical SUD-Rail sous les applaudissements.
Charles III ira-t-il rendre visite aux grévistes?
Pour sa première visite en tant que nouveau roi d'Angleterre, Charles III devrait recevoir un accueil tout particulier alors que les mobilisations contre la réforme des retraites connaissent un nouveau pic ce jeudi.
"Il y aura des initiatives autour de cette visite" royale, explique à l'AFP une source à la CGT cheminots, confirmant que la visite du roi était "dans le viseur" des manifestants. A Bordeaux, deuxième étape du périple, "il est quasiment certain que le roi ne pourra pas prendre le tramway", sourit Pascal Mesgueni, du syndicat CFTC, cité par le journal Sud-Ouest. Il y aura "possiblement des perturbations sur le réseau", a confirmé un porte-parole de l'entreprise de transport.
Le gouvernement britannique a indiqué jeudi "ne pas être au courant d'un quelconque changement de plan" concernant la visite de Charles III, toujours attendu à Versailles pour un "banquet d'Etat"
Fonction publique : participation à la grève en hausse
Un peu plus d'un agent sur six (15,5%) était en grève jeudi à la mi-journée dans la fonction publique d'Etat. Soit une participation en forte hausse par rapport à la précédente journée de mobilisation en semaine, le 15 mars, lors de laquelle elle avait chuté à moins de 3%.
La mobilisation est également plus importante jeudi à la mi-journée dans les deux autres grandes branches de la fonction publique. Dans la fonction publique territoriale (près de deux millions d'agents), le taux de grévistes atteignait 6,5%, contre 2,2% le 15 mars, tandis que la mobilisation atteignait 8,1% dans la fonction publique hospitalière (1,2 million d'agents), contre 4,5% précédemment.
35000 manifestants à Rennes
À Rennes, l'intersyndicale annonce 35 000 participants (22200). Soit plus du double par rapport à la huitième journée de mobilisation du 15 mars.
Des heurts ont opposé des manifestants aux forces de l'ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogène et de canon à eau.
Les leaders de l'intersyndicale font bloc contre la réforme
"Ce n'est que par la mobilisation et la grève qu'on arrivera à les faire reculer", assure Frédéric Souillot au départ du cortège parisien. Au côté du secrétaire général de Force ouvrière dans le "carré de tête", Laurent Berger ressent un "regain de mobilisation" pour cette neuvième journée de mobilisation intersyndicale. "Jusqu'au bout il va falloir garder l'opinion, c'est notre pépite", et pour cela "il faut des actions non violentes, qui n'handicapent pas le quotidien des citoyens", souligne le leader de la CFDT qui appelle "au respect des biens et des personnes, à la non-violence".
Pour Cyril Chabanier (CFTC), la prestation télévisée du chef de l'Etat, mercredi, a donné un coup d'accélérateur aux manifestations et grèves du jour: "Le discours de Macron nous aide à mobiliser". Murielle Guilbert (Solidaires) complète, estimant avoir senti "beaucoup de fébrilité dans les déclarations" de l'hôte de l'Elysée, Dominique Corona (Unsa) jugeant que "le président de la République a la monnaie de sa pièce".
Tous se tournent désormais vers le Conseil constitutionnel, qui doit se prononcer sur le texte dans moins d'un mois. "On a un horizon de mobilisation au moins jusqu'à sa décision", a prévenu Benoit Teste (FSU), pour qui "c'est dans l'intérêt de la société de continuer un mouvement encadré et coordonné".
Philippe Martinez: "Emmanuel Macron a jeté un bidon d'essence sur le feu"
"Il a jeté un bidon d'essence sur le feu", a déploré ce jeudi après-midi le numéro un de la CGT, Philippe Martinez à propos d'Emmanuel Macron et de son intervention télévisée de mercredi. Alors que le cortège parisien s'élançait en cette neuvième journée de mobilisations contre la réforme des retraites, le leader de la confédération de Montreuil a rappelé que les syndicats avaient écrit au chef de l'Etat pour l'alerter sur la "situation explosive" du pays. Mais "il s'en fout", pointant "une stratégie du gouvernement de mettre en avant des incidents". "Il y a une grande colère", a-t-il insisté. "Aujourd'hui il y a beaucoup de lycéens, d'étudiants, il y a des facs qui sont bloquées, c'est plutôt une bonne chose".
Fabien Roussel (PCF) : "Macron fait le pari du chaos"
Depuis le cortège de la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a estime que "Macron fait le pari de la violence, du chaos dans le pays" alors que son "gouvernement ne tient plus qu’à un fil".
"En quelques jours, on est passé du débat sur les retraites aux violences policières. Le président de la République se comporte comme un casseur", a dénoncé le député du Nord qui "appelle à élargir la mobilisation, à mettre le pays à l’arrêt". "Il faut aller taper dans l’économie", ajoute-t-il invitant "les forces de l’ordre à rejoindre le mouvement car ils sont concernés".
"Nous sommes respectueux de ce que décide l’intersyndicale, et c'est à elle de déterminer les suites de la mobilisation", a poursuivi le communiste avant d'évoquer le référendum d'initiative partagée, initié par les parlementaires de gauche cette semaine, qui "doit être un argument valable pour que le gouvernement suspende son projet" afin de laisser s'exprimer les citoyens.
"Nous faisons la démonstration qu’il y a un espoir de voir la gauche gagner", juge-t-il. Et Fabien Roussel de renouveler son appel lancé en début de semaine à "la creation d'une union entre la gauche et les organisations syndicales pour travailler main dans la main".
Des transports fortement perturbés
Selon une recension de l'AFP:
A Rennes, le réseau de bus est "très fortement perturbé".
A Saint-Brieuc et Evreux, le trafic est quasiment paralysé.
A Toulouse, des barrages filtrants sont organisés, selon la CGT, aux dépôts de bus Tisséo de la région toulousaine mais sans blocage.
A Nice, la moitié des lignes de bus environ sont à l'arrêt, tout comme les trois lignes de tramway.
A Marseille, 16 lignes de bus sur 80 sont à l'arrêt.
A Paris, la RATP fait état d'un trafic "très perturbé" dans le métro parisien, avec une trentaine de stations "fermées au public".
A la SNCF, seule la moitié des TGV Inoui et Ouigo et le tiers des TER circulent.
La Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies d'annuler 30% de leurs vols à Paris-Orly et 20% à Marseille-Provence, Toulouse-Blagnac et Lyon-Saint-Exupéry en raison de la grève des contrôleurs aériens. Les aéroports de Montpellier et Pau ont été brièvement fermés jeudi matin en raison de l'absence de contrôle aérien.
Jérôme Guedj (PS) appelle le gouvernement à arrêter de "jouer avec le feu"
"C'est la 9e mobilisation et rien que cette enumération en dit long sur le rejet de la réforme exprimé par les Francais", a rappelé le socialiste Jérôme Guedj, lors du point presse de la Nupes depuis la manifestation parisienne. "C’est une mesure de regression sociale à laquelle se sont ajoutés les outils de la brutalité démocratique. J’alerte le gouvernement. Il ne faut pas jouer avec le feu", a également insisté le député. "Le levier de la mobilisation sociale est cruciale, et nous ne désespérons pas de mener notre travail parlementaire", a-t-il ajouté évoquant notamment le référendum d'initiative partagée (RIP) pour lequel "il faut aller chercher ces 4 millions de signatures".
Des manifestations et des blocages
Cette neuvième journée nationale de mobilisations, à l'appel de l'intersyndicale et contre la réforme des retraites, a été marquée ce matin par de très nombreux blocages et barrages.
Dans les villes côtières se déroulent des opérations "port mort". A Boulogne-sur-Mer, très tôt, des manifestants soutenus par des étudiants ont érigé des barrages avec des barrières, poteaux électriques couchés, palettes, à l'entrée du port et de la zone industrielle de Resurgat, sous le regard du député LFI François Ruffin. A Caen, le port est également bloqué. A Calais, des retards sont enregistrés sur les ferries traversant la Manche et le monde portuaire transmanche est fortement représenté dans la manifestation qui s'est élancée dans la ville.
Ces blocages touchent aussi les transports publics. Ainsi, à Paris, plusieurs centaines de manifestants ont envahi dans la matinée les voies Gare de Lyon, tout comme à Brest ou à Narbonne.
De semblables opérations militantes se sont déroulées sur le périphérique toulousain, sur la rocade lilloise. A Argoeuves près d'Amiens, des barrages filtrants sont organisés dans une zone industrielle. A quelques kilomètres de là, dans l'Oise, sur l'A1, un échangeur à Chevrières et les bretelles d'accès sont fermées en raison de manifestations.
A l'aéroport de Roisy-Charles-de-Gaulle, environ 70 personnes ont bloqué jusqu'à 10 heures l'accès au terminal 1, mettant en place un barrage filtrant pour ralentir les passagers quittant l'aéroport.
En Meuse, des barrages filtrants sont organisés à Bar-le-Duc et Verdun.
Tout comme à Montélimard:
Clémentine Autain (FI) fustige un "président irresponsable"
La députée insoumise Clémentine Autain a dénoncé, lors du point presse de la Nupes à la manifestation parisienne, le cynisme de l'exécutif. “On a un président qui est irresponsable, qui n’entend pas les Francais, qui piétine la démocratie. Il se comporte comme un chef d’entreprise et certainement pas comme un homme d’Etat”, a fustigé l'élue de Seine-Saint-Denis.
Marine Tondelier (EELV) : "On n'a pas envie de crever donc on continue de marcher"
«On voit bien qu’avec ce gouvernement c’est “marche ou crève” et nous n’avons pas envie de crever donc on va continuer de marcher», a lancé la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier, lors de la conférence de presse commune de la Nupes dans le cortège parisien. «On suivra évidemment les décisions prises par l’intersyndicale qui n’a visiblement pas envie de se résigner. La priorité aujourd’hui est de faire monter la pression dans la rue, et on voit que le mépris avec lequel le gouvernement nous traite va alimenter cette mobilisation», a-t-elle ajouté, rappelant que la mouvement dispose aussi de «la carte du référendum populaire qui est notre ultime recours».
Quant à la gauche, «il est sûr que la coalition que nous formons depuis les législatives va devoir prendre un nouveau tournant parce qu'on a tous en tête de gagner en 2027 et que cela ne peut être uniquement derrière l'idée d'un candidat unique», a-t-elle ajouté alors que le patron du PS, Olivier Faure, évoque ce jeudi dans Libération un «projet de coalition qui incarne l'alternative».
La grève, c'est aussi dans les entreprises privées
Paris: opération "Robin des bois" à la mairie du 5ème
La mairie de cet arrondissement central de Paris, qui inclut le Quartier Latin, est restée sans électricité une partie de la matinée de ce jeudi matin. Cette opération de "sobriété" s'est accompagnée de la "mise en gratuité" d'un hôpital parisien.
Florence Berthout, maire Horizons, parti de l'ex-Premier ministre Edouard Philippe favorable à la réforme, é déploré "les conséquences en termes de sécurité" d'une telle action, notamment avec des personnes potentiellement "bloquées dans l'ascenseur". "On reçoit du public, des seniors ou personnes en situation de handicap, peut-être agoraphobes et claustrophobes", a-t-elle ajouté à l'AFP
Deux fois plus de manifestants à Clermont-Ferrand
En Auvergne, les cortèges ont pris de l'ampleur par rapport à la huitième journée d'action. A Clermont-Ferrand, la police a décompté 13500 manifestants, contre 6500 le 15 mars dernier.
L'intersyndicale revendique un cortège de 3000 personnesà Aurillac, de 4000 manifestants à Guéret. Quant à Tulle, le quotidien régional La Montagne décompte 2000 personnes.
Un quart des énergéticiens d'EDF en grève
Les personnels des industries électriques et gazières justifient à nouveau leur qualificatif de fer de lance du mouvement social contre la réforme des retraites. Un peu plus d'un quart des salariés d'EDF (25,3%) avait cessé le travail ce jeudi à la mi-journée, pour la neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, selon la direction.
Une participation en légère hausse par rapport à la précédente journée de mobilisation en semaine, le 15 mars, lors de laquelle la direction avait comptabilisé 22,45% de grévistes à mi-journée par rapport aux effectifs totaux de l'entreprise.
Actuellement ce sont 21 862 MW ⚡ aux mains des grévistes, retirés du réseau dans les productions d'électricité thermiques, hydrauliques et nucléaires
Dans l'Énergie la #GreveReconductible est toujours là et s'amplifie, par ex de nouvelles bases Enedis sont bloquées depuis lundi
— CGT Énergie Lyon (@CgtLyonEnergie) March 23, 2023
Les enseignants grévistes soutiennent la grève reconductible
Les personnels de l’Éducation nationale sont au rendez-vous des grèves et des cortèges de cette neuvième journée nationale contre la réforme des retraites. Selon leur ministère de tutelle, le taux de grévistes se montent ce jeudi à 21,41%, dont 23,22% dans le primaire et 19,61% dans le secondaire (collèges et lycées).
Pour le Snes-FSU, premier syndicat du secondaire, ce niveau de mobilisation conséquent (pour certains personnels, il s'agit de leur neuvième journée sans salaire) s'explique par "la très grande colère de la profession nourrie par l'utilisation du 49.3 et les dernières déclarations du président de la République: jouant la carte de la provocation et du déni de réalité, Emmanuel Macron souffle sur les braises de la crise sociale et démocratique". L'organisation assure qu'elle "soutiendra toutes les actions de reconduction". "L'expérience a montré qu'il était possible de gagner face à un texte passé en force par un gouvernement qui foule au pied la démocratie sociale, à l'image du CPE en 2006", ajoute-t-il dans un communiqué.
Les Grecs solidaires
SOLIDARITÉ AVEC LE PEUPLE FRANÇAIS RÉVOLTÉ
Rassemblement à l’Ambassade de France à Athènes#antireport #greve23mars #ReformesDesRetraites pic.twitter.com/pP9S7rN2l1
— Από τη σπίθα στη φλόγα (@SpithaFloga) March 22, 2023
La journée s'annonce massive
Comme depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, des manifestations seront organisées partout en France ce jeudi 23 mars par l'intersyndicale. Ce sont près de 240 points de rassemblements qui ont été communiqués par les syndicats (CGT, FO, CFDT, FSU, Unsa, CFTC, Solidaires, etc.).
publié le 22 mars 2023
sur https://lepoing.net
Ce mardi 21 mars, la journée à été bien remplie pour le mouvement montpelliérain contre la réforme des retraites. Le matin, quatre barrages filtrants ont été installés aux entrées de la ville. Un peu plus tard, environ 800 personnes ont manifesté entre la gare et Rondelet, entre repas en soutien aux caisses de grève, envahissement de la direction régionale de la SNCF et coupures d’électricité.
Des barrages filtrants tout autour de Montpellier
Dès les premières heures de la mâtinée, des barrages filtrants ont été organisés sur quatre gros rond-point d’accès à la ville, avec diffusion massive de tracts sur les prochaines mobilisations contre la réforme des retraites. L’Union Locale CGT était présente sur le rond-point du grand M, côté Saint-Jean de Védas. L’assemblée des grévistes de l’Éducation Nationale et le comité de mobilisation de la fac de sciences tenaient le rond-point de Château d’Ô, au nord de la ville. Également au nord, le rond-point de la Lyre, investi lui par les personnels des différents Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) de la ville. Enfin, on trouvait sur le rond-point du Près d’Arènes le groupe de gilets jaunes installés là-bas depuis plusieurs années et l’assemblée ”Montpellier contre la vie chère”.
Ces barrages filtrants ont occasionné en début de mâtinée des kilomètres de bouchon autour de Montpellier, les plus importants, au Nord, remontant jusqu’à Saint-Gély du Fesc.
Début de pénurie d’essence confirmée
Le Sud de la France est particulièrement impacté par le début de pénurie d’essence qui se profile, dans la foulée des grèves en cours dans les raffineries et des nombreux blocages de dépôts pétrolier. Ce mardi 21 mars de nombreuses stations services de l’agglo montpelliéraine et des alentours étaient touchées, comme la station essence Total Energies avenue de la Pompignane, en rupture totale. Ce matin du 22 mars les pénuries, partielles ou totales, concernaient plusieurs dizaines de stations essence dans l’agglo.
Les conséquences commencent à s’en faire sentir dans les commerces, quand on trouve des affichettes annonçant des ruptures de stock sur certains produits liées à l’impact du manque d’essence sur les livraisons, comme dans la rue du Faubourg de la Saunerie.
Une manif interpro envahit la Direction Régionale de la SNCF
En fin de mâtinée, une manif interprofessionnelle appelée par les cheminot.e.s grévistes a commencé au départ de la gare Saint-Roch, dont l’entrée était gardée par six camions de CRS. Après un début de rassemblement à 11h, où les participant.e.s étaient environ deux cent, le cortège a copieusement gonflé, jusqu’à atteindre 800 personnes. Avant départ sur les coups de midi vers le bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, via les rails du tram.
Dans la foule, de très nombreux cheminot.e.s de tous syndicats : ils étaient venus de toute l’ancienne région Languedoc-Roussilon, avec de grosses délégations de Nîmes, Béziers, Agde, Narbonne… Mais aussi des personnels hospitaliers, des étudiant.e.s, des membres de l’assemblée de grévistes de l’Éducation Nationale, des syndicalistes de l’enseignement supérieur, des travailleurs sociaux, des gilets jaunes, des jeunes.
Après un repas à prix libre proposé par la CGT, au profit des caisses de grève, un gros quart de la manif, soit environ deux cent personnes, ont pénétré dans le bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, peuplé des cadres et de la hiérarchie de l’entreprise. De nombreux slogans ont été chantés, comme ”Rendez l’argent”, alors que les sonnettes d’alarme incendie étaient régulièrement activées dans les couloirs du bâtiment. Pendant que certain.e.s arrachaient tout ce qui se trouvait accroché aux murs, d’autres reprenaient l’hymne des cheminot.e.s qui a inspiré les gilets jaunes : ”On est là, on est là, pour l’honneur des cheminot.e.s et pour l’avenir de leur marmots, même si Macron ne veut pas nous on est là !”. Quelques tags également sur les murs du bâtiment, tout à fait sévères face à la politique de la direction de la SNCF et demandant des augmentations de salaire.
Les manifestant.e.s auront pu sortir du bâtiment sans intervention des policiers de la CDI postés prêt de l’arrêt Rondelet.
Dans le même temps, une coupure d’électricité était déclenchée par les grévistes sur une partie du quartier de la gare. La poste Rondelet a été impactée, de même que le nouvel Intermarché du coin, alors que les panneaux de tramway annonçaient une suspension des lignes à cause des coupures.
Des initiatives quasi-quotidiennes sur Montpellier
En plus de la grande manif intersyndicale et interprofessionnelle du 23 mars, à 10h30 place Zeus, d’autres défilés sont prévus mercredi et jeudi soir à 18h devant la préfecture [NDLR : Le Poing revient très bientôt sur celle de mardi soir], puis samedi à 14h sur la Comédie, avec pour projet de converger avec la mobilisation contre les lois Darmanin et Kasbarian, qui sabrent respectivement les droits des étrangèr.e.s en situation irrégulière et ceux des locataires et squatteurs (cette seconde manif est prévue elle aussi le samedi à 14h, toujours sur la Comédie), côté office du tourisme.
La prochaine assemblée interprofessionnelle aura lieu le jeudi 23 à 18h30 à Paul Valéry, après une AG étudiante à 15h30. Ce mercredi 22, une nouvelle AG de travailleurs sociaux aura lieu à partir de 18h au bar Le Dôme.
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
Actions, blocages et manifestations
Impossible de recenser l’intégralité des actions sur l’ensemble du territoire. Mais pour en citer quelques-unes : une opération « ville morte » avec des barrages filtrants à Lyon ce matin. Et des actions similaires à l’entrée des villes de Nantes, Montpellier, Le Havre, Rennes, Toulouse. Cet après-midi, c’est au tour du tunnel Saint-Charles à Marseille.
Autres blocages : Airbus à Toulouse, plusieurs sites de la filière déchet à Nantes, Poitiers, Brest ou encore Lannion, la zone industrielle d’Avignon nord et du Havre, le dépôt pétrolier de Lorient, la centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain.
Et après la sobriété énergétique, la motion de censure énergétique. Les énergéticiens en grève ont revendiqué des coupures aux sièges de la Société Générale, de la RATP, de la BNP ou encore à la direction générale de la SNCF à Montpellier, après une manifestation à l’initiative des cheminots de la région en fin de matinée qui a réuni 1500 personnes.
La bataille des dépôts pétroliers
Dans la nuit, les gardes mobiles ont délogé les grévistes du blocage du terminal pétrolier de Donges (Loire-Atlantique) qui durait depuis une semaine. Toujours cette nuit, le préfet des Bouches-du-Rhône annonçait réquisitionner des grévistes du dépôt pétroliers de Fos-sur-Mer. En réaction, la CGT 13 a appelé à converger en opération escargot vers le dépôt et à s’y rassembler à 9h30. S’en est suivi un face-à-face tendu avec les CRS déployés qui s’est soldé par trois policiers blessés selon les autorités. Les syndicalistes quittaient les lieux en milieu d’après-midi.
Pour Fabien Cros, le délégué de la CGT Total la Mède, « la réquisition de grévistes, c’était l’acte de trop qui ne fallait pas mettre en place », rapporte La Marseillaise.
Éboueur : grève reconduite à Paris et qui commence à Marseille
Selon la CGT Services Publics, les grévistes ont décidé hier soir, après le rejet de la motion de censure, de reconduire leur grève jusqu’au lundi 27 mars. L’ensemble de la filière déchets est concernée : éboueurs fonctionnaires, du secteur privé, et salariés des usines d’incinération. Selon le syndicat, d’autres métropoles pourraient rejoindre le mouvement.
A Marseille, les éboueurs ont entamé leur mouvement mardi soir et ce mercredi la grève du ramassage des ordures a commencé, fait savoir FO Territoriaux, qui explique que ce sont les agents qui ont demandé à « entrer dans le dur ». Déjà lundi, des salariés étaient en grève au dépôt de la Cabucelle et au centre de transfert des déchets des quartiers nord, expliquait la CGT. Ce mercredi, FO territoriaux demande à son union départementale de lancer un appel pour le privé.
« Répression du mouvement social »
Plusieurs députés de la Nupes et le Syndicat de la magistrature sont montés au créneau pour dénoncer les violences exercées par la police lors des manifestations nocturnes contre la réforme des retraites. Et les gardes à vue arbitraires signant « une répression du mouvement social ». De nombreuses images circulent sur les réseaux sociaux, montrant des scènes choquantes. Selon le parquet de Paris, 425 personnes ont été placées en garde à vue entre jeudi et samedi dernier et 52 d’entre elles font l’objet de poursuites. Hier soir, 300 personnes ont été interpellées lors des manifestations ayant suivi le rejet de la motion de censure, dont 234 à Paris. De nouvelles manifestations sont prévues ce soir à Paris et dans d’autres villes.
Le Conseil constitutionnel saisi
Les oppositions ont fait connaître leur intention de saisir le Conseil constitutionnel sur la validité du texte, en l’occurrence un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale. Celui-ci a normalement un mois pour se prononcer sur les saisines. Mais Élisabeth Borne saisira elle-même le Conseil constitutionnel pour un examen dans les meilleurs délais, a-t-elle fait savoir cet après-midi. La Première ministre pourrait demander un examen en urgence. Soit sous huit jours.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel doit examiner la recevabilité d’une demande de référendum d’initiative partagée, lancé par des députés et sénateurs de gauche.
Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr
À l’appel des étudiants, un millier de personnes a défilé de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine à la gare d’Austerlitz, à Paris. Les éboueurs étaient peu présents, mobilisés par le blocage de l’incinérateur, mais des cheminots et des enseignants ont rejoint les étudiants, avant de poursuivre la mobilisation ailleurs.
Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).– « Il était temps », se réjouit Frédéric, en voyant débarquer à Ivry-sur-Seine plusieurs centaines d’étudiantes et d’étudiants venus de toute l’Île-de-France, mardi 21 mars. Il est magasinier-cariste au dépôt des camions-bennes situé à côté du plus gros incinérateur d’Île-de-France.
Depuis trois semaines, dans le ciel parisien, manquent les deux panaches de fumée blanche crachés par ses cheminées. L’usine qui brûle une grande partie des ordures des Franciliens est occupée par les grévistes, à l’arrêt. « Et il faudra une semaine pour la relancer », précise Frédéric.
Une nouvelle manifestation s’est élancée à 14 heures, en direction de la gare d’Austerlitz à Paris, encadrée par des policiers. Celle-ci était autorisée, le parcours ayant été déposé, dimanche, par la Coordination nationale étudiante, qui réunit des représentant·es de toutes les universités mobilisées et des organisations étudiantes.
Par les réseaux sociaux et les messageries WhatsApp, la nouvelle a fait le tour des universités, et au-delà. Près de mille personnes sont parties d’Ivry, beaucoup d’étudiant·es de toute l’Île-de-France, mais aussi des cheminot·es, des enseignant·es.
Les éboueurs, eux, n’étaient pas nombreux. « Ils ont compris que, s’ils font grève, ils doivent rester chez eux. Sinon, ils sont réquisitionnés », explique Matthieu Carrier, de la CGT du Centre d’action sociale de la Ville de Paris, venu en soutien.
Depuis la semaine dernière, les forces de l’ordre se présentent chaque matin pour délivrer des ordres de réquisition. Didier, conducteur et syndicaliste Force ouvrière (FO), a dû monter dans un camion ce matin.
« On y va lentement, je n’ai ramassé qu’une demi-rue. Et, de toute manière, on ne peut pas vider les bennes : aujourd’hui, en plus d’Ivry, l’incinérateur d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et le centre de transfert de Romainville (Seine-Saint-Denis) sont bloqués. L’incinérateur de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ne laisse passer que quatre camions par heure. » Résultat : les éboueurs employés par des entreprises privées doivent « aller loin, en Seine-et-Marne et dans le Val-de-Marne ».
Selon Julien, un éboueur en grève qui occupe l’incinérateur d’Ivry, il reste « 10 000 tonnes de reliquat d’ordures dans les rues de Paris, autant qu’avant les réquisitions le 16 mars ». « Nous tenons bon », se félicite-t-il. « C’est la guérilla des poubelles », résume Matthieu Carrier.
« Cela fait trois semaines que cela dure, cela commence à être dur pour certains collègues, financièrement, nuance Frédéric, le magasinier-cariste. Il faut que d’autres corporations nous soutiennent. »
Les étudiant·es ont bien cerné l’enjeu : « La clé de la victoire, c’est de faire en sorte que les grèves reconductibles tiennent, s’étendent, qu’elles soient soutenues par des manifestations de masse », explique Victor Mendez, étudiant à la faculté de Nanterre, membre de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) Jeunes.
L’occupation de la faculté de Tolbiac, lundi 20 mars, a été mise en échec par une centaine de CRS qui, à la demande de la présidence de l’université, ont bloqué les entrées et empêché la tenue d’une assemblée générale « inter-facs ».
« En début de soirée, nous étions encore deux cents, mais nous avons décidé de quitter les lieux, explique Hortense, du NPA Jeunes, l’une des organisatrices de la mobilisation étudiante. Il y a eu des violences policières aux grilles. Des étudiants ont été gazés alors qu’ils essayaient d’en faire entrer d’autres par une issue de secours. »
La jeune militante en convient : en occupant l’université de Tolbiac, les étudiant·es perdaient en mobilité, alors que le mouvement social se démultiplie. « Il y a des mobilisations tous les jours, dans de nombreux endroits, on essaie d’être présents partout », confirme Imane Ouelhadj, présidente du syndicat Unef.
Ils ne peuvent plus nous canaliser.
« Chaque jour, en assemblée générale, on décide de nouvelles actions, explique Salima, cheminote de Sud Rail. Alors, ils ne peuvent plus nous canaliser. » Cet après-midi, elle est aux côtés des étudiant·es, puis à 18 heures en manifestation intersyndicale, peut-être. « On ne sait pas, on va aller voir. Cela nous fait de grosses journées », plaisante-t-elle.
En lettres rouges sur fond noir se détache la banderole du lycée professionnel Jacques-Brel de Choisy-le-Roi. Quelques dizaines d’enseignant·es, de quatre établissements de cette ville du Val-de-Marne, marchent avec les étudiant·es. Eux aussi sont en grève reconductible, ils tractent tous les matins devant leurs lycées, collèges, écoles.
Grégory Germain, professeur de français et d’histoire, raconte « des échanges chaleureux avec les lycéens. Ils ne sont pas seulement heureux de ne pas avoir cours. Ils nous soutiennent sincèrement, c’est rare. En lycée professionnel, ils savent qu’ils vont commencer à travailler jeunes, que cette réforme aura des conséquences pour eux ».