PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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luttes sociales depuis janvier 2023

  publié le 29 novembre 2023

La lutte plutôt que l’exploitation, deux ans de combat pour les régularisations des Chronopost d’Alfortville

Simon Mauvieux sur https://rapportsdeforce.fr/

Le 7 décembre 2021, 18 travailleurs sans papier de l’agence Chronopost d’Alfortville ont déclenché une grève devant leur dépôt, pour dénoncer les conditions de travail indignes et demander leur régularisation. En deux ans, le mouvement est devenu incontournable dans la lutte des travailleurs sans-papiers. Il rappelle aussi que les régularisations peuvent s’obtenir par la lutte, plutôt que par l’exploitation au travail.

Tenir les comptes du nombre de manifestations organisées par les Chronopost d’Alfortville depuis deux ans relève de l’exploit, tant le petit groupe de travailleurs sans-papiers a su rester actif et mobilisé ces 24 derniers mois. Le siège de Chronopost porte d’Orléans, la préfecture du Val-de-Marne, l’Église de Créteil, ces lieux ils les connaissent par cœur, ils y ont battu le pavé des dizaines de fois, mégaphone et tambour à la main.

Malgré deux ans de lutte durant lesquelles très peu de personnes ont pu être régularisées, le mouvement n’a pas reculé d’un pouce. « Dans le marasme actuel, où le mouvement ouvrier se porte pas très bien, où la résistance de classe n’est pas facile, ils ont montré que des choses étaient encore possibles », résume admiratif Jean Louis Marziani, de SUD solidaires, présent depuis le début auprès des chronos. Fin 2021, des travailleurs sans-papiers de trois sites se mettent en grève : celui de Chronopost Alfortville, DPD au Coudray-Monceaux, et RSI à Gennevilliers.

À Alfortville, dès le départ, d’autres sans-papiers rejoignent la lutte des grévistes, élargissant alors les demandes de régularisation à tous les travailleurs sans-papiers présents sur le piquet de grève, devenu un camp permanent et désormais un lieu de lutte et de solidarité. Car le collectif permet de centraliser les demandes de régularisations, pour venir à bout collectivement de démarches administratives longues et complexes. Trente-deux dossiers ont été déposés en préfecture cet été, dont les 18 grévistes de Chronopost. Depuis, 14 personnes ont été régularisées, mais seulement trois sont issus du groupe de grévistes de Chronopost. Selon la préfecture, qui a communiqué le 24 novembre sur ces régularisations, le lien de travail n’a pas pu être avéré pour les autres anciens intérimaires de Chronopost. Une nouvelle accueillie froidement par les grévistes, qui entendent toujours poursuivre la lutte pour la régularisation de l’ensemble du collectif.

« On ne peut plus faire marche arrière », la détermination des chronopost reste intacte

Dans les bureaux de la préfecture du Val-de-Marne, immense bâtiment aux fenêtres orangées planté au bord du lac de Créteil, on doit connaitre par cœur les slogans demandant l’ouverture des guichets et la régularisation des travailleurs sans papiers. Lieu emblématique de la lutte, c’est ici que terminent généralement les manifestations des chronos. C’est ici aussi que la bataille pourrait s’achever, avec à la clé, les régularisations de tous les travailleurs sans-papiers du piquet, la revendication principale des grévistes depuis deux ans.

« Ouvrez les guichets, régularisez », une fois de plus, ces mots résonnent sur le boulevard qui mène à la préfecture, ce mercredi 22 novembre, où une centaine de travailleurs sans-papiers marchent au rythme des chants et des tambours. Dans le cortège, Demba* raconte ces deux ans de lutte, lui qui n’a pas travaillé chez Chronopost, mais qui vit les mêmes galères et les mêmes humiliations au travail, dans le BTP, dans des centres de tri ou des usines.  Il a rejoint la lutte dès le début, refusant parfois des journées de travail pour venir aux manifs. Il vit sur le piquet depuis deux ans avec ses camarades, et ne compte s’arrêter là. « On est déterminé, et on poursuit l’objectif qu’on s’est fixé dès le début : la régularisation. On n’arrêtera pas tant qu’on ne l’a pas obtenue, c’est la seule solution », lance-t-il avec conviction.

Tous ici partagent ce point de vue, impossible de s’arrêter maintenant tant les sacrifices ont été importants. « Deux ans c’est long, et c’est dur de vivre sur le piquet de grève, de dormir dehors, même un jour c’est difficile alors imaginez deux ans ! », s’exclame Mamadou Drame, lunettes de soleil sur le nez. « On restera jusqu’en 2026 s’il le faut, jusqu’à ce que tout le monde ait une carte de séjour », poursuit-il. Lui vient d’obtenir une carte d’un an, mais son engagement pour les régularisations de ses camarades reste intact : « Même si j’ai eu mon titre, je continue la lutte pour les autres », clame-t-il.

Forger la solidarité, étendre la lutte

 La grève des chronos ne se résume pas qu’à un piquet de grève. En deux ans, de solides liens se sont forgés entre ces travailleurs sans-papiers, qu’ils aient travaillé chez Chronopost ou non. « On est comme une famille », souligne Mamadou Drame. Alors que 18 anciens travailleurs de Chronopost n’ont pas repris le travail depuis deux ans, les soutiens eux, continuent d’aller travailler, dans le nettoyage, le BTP, ou la restauration, comme les centaines de milliers de sans-papiers qui travaillent en France. L’exploitation et les humiliations que dénoncent les chronos, ils les vivent au quotidien. Alors le collectif est devenu une arme face aux abus des « patrons voyous », comme on les appelle ici.

Mi-novembre, deux travailleurs sans-papiers du piquet, qui travaillaient sur un chantier de rénovation en Seine-et-Marne, ont alerté leurs camarades : leur patron avait arrêté de les payer. Une petite équipe se forme et une manif (déclarée en préfecture) s’organise pour aller réclamer leur salaire, directement sur le chantier. Le retour au piquet s’est fait dans la joie, les deux travailleurs ont récupéré les 1500 euros que leur patron refusait de leur verser. « C’est des choses concrètes comme celle-ci qui est permise par la force de ce collectif », résume Jean Louis Marziani de Sud Solidaires. Au long de ces deux dernières années, le syndicat a pu aider de nombreux travailleurs du piquet à obtenir des certificats de concordance ou le fameux Cerfa, ce document qui prouve l’embauche d’un salarié étranger, document central dans un dossier de régularisations.

 La Poste continue de jouer l’autruche à Chronopost

Employés par Derichebourg, un sous-traitant de Chronopost, les grévistes n’ont toujours pas obtenu la reconnaissance officielle de leurs liens avec leur ancien employeur. Une situation gênante pour la Poste qui a toujours affirmé ne pas être au courant des agissements de son sous-traitant. Aux yeux de la loi pourtant et en tant que donneur d’ordre, l’entreprise publique a l’obligation de veiller à ce que ses sous-traitants n’aient pas recours au travail dissimulé.

La Poste a justement rompu son contrat en 2022 avec Derichebourg pour la gestion du site d’Alfortville, mais aussi celui de DPD au Coudray Manceau (91), un autre site en lutte depuis 2021. « La poste, c’est toujours l’axe vertébrant de la lutte, c’est quelque chose d’emblématique pour montrer que l’État fabrique les lois pour rendre la vie impossible aux sans-papiers, mais les exploite aussi à travers ses entreprises », souligne Christian Schweyer, du collectif des travailleurs sans papier de Vitry (CTSPV). Assigné ne justice par Sud PTT, La Poste s’est retrouvé le 20 septembre face aux juges, accusées d’avoir manqué à son devoir de vigilance, notamment pour avoir laissé ses sous-traitants embaucher des sans-papiers. Le délibéré doit être prononcé le 5 décembre prochain.

Si cette assignation a été vécue comme une victoire pour les grévistes et les syndicalistes, derrière la Poste, c’est l’État et ses responsabilités qui sont aussi visées, de quoi rendre encore plus compliqué la résolution de ce dossier que l’État à tout intérêt à faire trainer. Le 31 octobre lors des questions au gouvernement, le Sénateur communiste Pascal Savoldelli a justement demandé des « réparations » à l’État, face à une situation « illégale » et « inhumaine ». La ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, Dominique Faure, qui lui a répondu, a indiqué que « l’inspection du travail mène à ce jour les investigations nécessaires concernant les salariés du site d’Alfortville ». Une information confirmée par la préfecture, qui a indiqué par voie de communiqué le 24 novembre que «les contrôles menés en 2022 sur le site de Chronopost à Alfortville n’ont pas démontré d’infractions liées au travail illégal».

 « Lors des contrôles, on nous demandait de nous cacher dans les toilettes »

 Pourtant, sur le piquet, personne n’a vu l’inspection du travail ni n’a été invité à fournir les preuves, pourtant abondantes, de l’emploi de travailleurs sans papiers chez Chronopost. Sur leurs téléphones, les grévistes auraient des choses à montrer à l’inspection du travail, notamment ces photos ou vidéos sur lesquelles ils apparaissent, gilet de sécurité sur le dos, triant des colis. Traoré*, l’un des grévistes a encore au travers de la gorge la manière dont ils ont été traités par Derichebourg, quand l’entreprise avait encore besoin d’eux dans le centre de tri, notamment pendant le Covid.

« On a travaillé là-bas comme des esclaves, ils nous ont traités comme des animaux », se rappelle-t-il. À chaque contrôle de l’inspection du travail, son chef d’équipe lui disait d’aller se cacher aux toilettes. « Et finalement, on a eu une inspection surprise un jour, l’inspecteur a bien vu que les papiers que je lui ai montrés n’étaient pas les miens. J’ai eu honte, mes collègues ne savaient pas que j’étais sans-papiers », dit-il. Ce dernier contrôle marquera la fin de ses missions dans ce centre, mais malgré tout, l’agence d’intérim le rappellera quelques jours plus tard pour aller travailler chez DPD, en Essonne. « Ils savaient très bien que je n’avais pas de papiers », affirme-t-il.

Prochaine étape : le combat contre la loi immigration

 Le prochain grand rendez-vous des grévistes a déjà été pris, ce sera dans la rue le 3 décembre, à l’occasion des 40 ans de la marche pour l’égalité de 1983 et le 18 décembre, pour la journée internationale des migrants. Des manifestations qui ont pour but de s’opposer au projet de loi immigration, dont le texte qui ferait pâlir d’envie l’extrême droite arrive à l’Assemblée nationale début décembre.  Une loi qui pourrait rendre encore plus difficile les régularisations et qui vise aussi à criminaliser et précariser les étrangers sans-papiers, en facilitant leur arrestation et leur expulsion et en supprimant la Sécurité sociale ou les allocations familiales.

« L’heure est grave, l’État a touché le fond, ils veulent nous priver de soins ou de l’aide sociale, ils veulent laisser les gens crever de maladie ou de faim. Nous on vient pour pouvoir vivre dignement, mais c’est l’impérialisme qui a décidé de lier l’histoire de France à la nôtre. La France a plein d’entreprises au Mali, au Sénégal, l’uranium des centrales françaises, il vient d’où ?! », clame Aboubacar Dembélé, l’un des porte-paroles des grévistes. « La loi elle va contre nous, alors qu’on travaille ici, restauration, bâtiment, logistique, manutention, qui fait ces boulots ? C’est les étrangers. Ils nous traitent comme des voleurs, comme des délinquants, alors qu’on est là pour travailler, c’est des hypocrites, il est temps qu’on se réveille ! », abonde Traoré.

Comme beaucoup de travailleurs sans-papiers, Traoré explique être parti de son pays pour retrouver des membres de leur famille, qui travaillent en France depuis plusieurs générations : « Moi, mon père, mon grand-père, ils ont tous travaillé ici comme des esclaves. Ils sont morts deux ans après leurs retraites tellement ils avaient travaillé. Moi je suis venu ici en tant qu’ancien colonisé par la France et ils nous traitent encore comme des animaux », ajoute-t-il. Ces deux ans de lutte auront profondément ancré les chronos et leurs soutiens dans le mouvement des luttes de l’immigration.  En rappelant que leur situation fait partie d’un continuum historique, ils ont choisi la voie de la lutte pour rappeler que l’amélioration de la vie des sans-papiers passe avant tout par le combat politique.

 

  publié le 28 novembre 2023

Intersyndicale:
pourquoi elle tangue, pourquoi elle tient

sur www.humanite.fr

Annoncée ce vendredi avec "du plomb dans l'aile" par l'AFP ou bientôt "en sommeil" par le Monde, l'intersyndicale, mise sur pied par les huit syndicats contre la réforme des retraites, traverse des turbulences. Analyse.

Il a fallu une dépêche AFP et un article du Monde ce vendredi matin pour que les suiveurs du mouvement syndical entrent en ébullition. La bonne entente qu’ont su créer la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA, Solidaires et la FSU pour mener le mouvement historique contre la réforme des retraites, “a du plomb dans l’aile”, selon l’agence de presse, va être mise “en sommeil”, écrit le quotidien du soir.

Les leaders de l’intersyndicale sont censés acter la nouvelle situation vendredi 1er décembre prochain, lors d’un rendez-vous fixé au lendemain de la journée de manifestation du 13 octobre, à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES), consacrée vendredi 13 octobre aux salaires, à l’égalité femme-homme et contre l’austérité budgétaire. Une réunion qui doit organiser la nouvelle salve de mobilisations européennes le 12 décembre prochain.

Les sources de division pèsent-elles désormais plus lourd que les revendications communes? Les huit centrales syndicales sont-elles en passent de renouer avec leurs anciennes divisions, avec d’un côté les “réformistes”, de l’autre les “contestaires”? La situation est bien plus nuancée.

Les raisons de la désunion

« Je pense que le moment est venu d’éclaircir les choses entre nous (…). Rien ne justifie aujourd’hui que l’intersyndicale perdure», explique François Hommeril, le président de la CFE-CGC, au Monde. “On a eu du mal à trouver la date et on s’était déjà vus beaucoup. Je crois qu’on n’avait pas tout à fait envie de se voir tous”, ironise Frédéric Souillot, numéro un de Force ouvrière à l’AFP à propos du rendez-vous de vendredi prochain. Dans ces articles, les deux responsables se montrent les plus tranchés quant à l’avenir de l’intersyndicale. Mais pas pour les mêmes raisons.

A Force ouvrière, Frédéric Souillot a été élu en juin dernier pour succéder à Yves Veyrier, avec le mandat d’augmenter l’audience syndicale de la confédération. “FO n’a pas vocation à rester sur la dernière marche du podium”, derrière la CFDT et la CGT, avait expliqué Yves Veyrier en préambule du congrès de Rouen, alors que le syndicat avait vu ses résultats stagnés lors des dernières élections professionnelles dans le public (18,1%, -0,5%, en 2018) comme dans le privé (15,24%, -0,36% en 2021).

A l’heure où 70% des instances représentatives des personnels sont en passe d’être renouvelées d’ici février 2024, FO doit donc montrer ses différences avec la CFDT et la CGT, lors des campagnes pour les élections aux comités sociaux et économiques dans les entreprises. Des campagnes qui, forcément, tendent les relations entre syndicats sur le terrain.

La CFE-CGC a elle-aussi des enjeux de représentativité. Le syndicat des cadres doit faire sa place parmi toutes les autres confédérations inter-catégorielles. A ce sujet, elle vient de frapper un grand coup dans l’énergie. Mais à cela s’ajoutent les suites de l’accord sur l’Assurance chômage. Trouvé mi-novembre et signé par les trois organisations patronales d’un côté, la CFDT, la CFTC et FO côté salariés, le texte a provoqué la colère de l’organisation présidée par François Hommeril qui, une fois n’est pas coutume, a quitté la table des négociations avant le terme des discussions.

Objet de l’ire: la dégressivité de l’allocation-chômage. Le syndicat demandait la suppression de cette mesure instaurée par les précédentes réformes de l’Unédic pilotées directement par le gouvernement, qui imposent une diminution des indemnités journalières supérieures à 91,02 euros par jour. Principaux visés: les salariés percevant un salaire brut de 4850 euros, avant perte d’emploi. Soit les cadres.

L’accord final ne propose qu’un gain minime, avec l’arrêt de cette mesure d’économie à 55 ans au lieu de 57 ans. “Il y avait une opportunité pour faire disparaitre cette mesure injuste et inefficace”, note dans son communiqué la CFE-CGC qui regrette: “Il y avait tant à gagner et à améliorer dans l’intérêt de toutes et tous, avec un budget en excédant à près de 8 milliards par an sur la période. Mais encore aurait-il fallu que cette volonté soit partagée par tous et résiste aux pressions extérieures ! Pour la CFE-CGC, ce type de négociation n’a aucun sens.” Les autres syndicats dits réformistes ont pourtant paraphé l’accord.

Les raisons de l’union

Nul donc que ce contexte tendu ne corse les relations entre centrales syndicales. Mais les raisons de ne pas tout casser sont réelles.

La première est que cette entente a déjà muté dès après l’adoption définitive à coup de 49.3 de la réforme des retraites. D’un front commun unanime sur ce sujet face à l’exécutif, à un format de discussion pour trouver les plus petits communs dénominateurs en terme de revendications.

Cheville ouvrière pour la CFDT de l’union des 8 syndicats, lors des six mois de mobilisations contre la réforme des retraites, Marylise Léon avait déjà acté ce changement de nature des relations entre les confédérations. Ce qu’elle avait résumé à la Fête de l’Humanité: “Nos organisations sont différentes. Mais après avoir été contre, l’idée est désormais de produire du positif pour les travailleurs, de donner des perspectives, de nouveaux droits. L’égalité salariale femmes-hommes nous rassemble. Les salaires, l’augmentation du pouvoir d’achat, bien sûr aussi, tout de suite. On doit aller chercher les employeurs sur le sujet. Et nous ne pouvons pas connaître en 2024 une année blanche pour les salaires des fonctionnaires.”

Si ces champs revendicatifs demeurent, les prochaines négociations sur “le nouveau pacte de vivre au travail”, queue de comète de la réforme des retraites, arrivent vite. La CFDT peut certes voir certaines de ces revendications exaucées, à l’image de la création d’un compte épargne temps universel permettant aux salariés de stocker leurs jours de congés. Mais la centrale de Belleville a besoin comme ses homologues de faire un minimum front commun face aux envies du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, d’aller plus loin dans la casse du modèle social pour parvenir à l’objectif des 5% de chômage, alors que le taux de privés d’emploi augmente.

La secrétaire générale de la CFDT reste donc très modérée quant à l’avenir de l’intersyndicale. Il y “aura un débat sur les prochaines étapes, sur ce qui est possible de faire ensemble ou pas”, explique-t-elle à l’AFP. “On a toujours dit que l’intersyndicale telle qu’elle existait pendant les retraites était utile et importante. On est dans un autre moment aujourd’hui.”

A la CGT, “l’attachement à l’unité” demeure forte. Citée par l’AFP, Sophie Binet estime qu’il faut “garder la dynamique unitaire, ne pas revenir aux tensions qui préexistaient”. “L’intersyndicale ne continue évidemment pas sous la même
forme puisqu’on n’est plus sur cette temporalité”
. Mais, lors de la conférence sociale du 16 octobre sur les bas salaires, “tous les syndicats sont arrivés unis, et tous les syndicats sont sortis unis. On a eu des mots différents mais globalement la tonalité était très partagée”, relève la secrétaire générale qui souligne “qu’il y a une demande d’unité très forte” de la part des salariés.

Ces citations ne dépareillent pas de ce que déclarait Sophie Binet à l’Humanité Magazine mi-octobre: “Le gouvernement est au service du patronat. L’extrême droite n’a jamais été aussi puissante et se nourrit de la violence des politiques néolibérales. Les travailleurs sont pris en étau. Pour empêcher la catastrophe fasciste, le syndicalisme doit être fort et rassemblé. Dans cette période troublée, l’intersyndicale est une boussole. Malgré nos divergences et différences de démarches, nous sommes unis sur l’essentiel. C’est la seule façon pour se faire entendre face au gouvernement.”

Signe des temps, la confédération de Montreuil a joint sa signature à celles de la CFDT, de la CFTC, de FO et de la CFE-CGC, sur l’accord fixant les nouvelles règles de gestion des retraites complémentaires Agirc-Arrco. Celles-ci ne satisfaisaient pas pleinement l’organisation. “La CGT signe pour s’opposer à la ponction du gouvernement sur l’argent des salarié.es et des retraité.es”, affirmait son communiqué.

Vendredi 1er octobre, les huit syndicats auront à peser tous ces pour et ces contre. Mais ils se retrouveront unanimes pour soutenir le second appel de la Confédération européenne des syndicats pour l’augmentation des salaires et la lutte contre l’austérité budgétaire.

 

   publié le 21 septembre 2023

Marche du 23 septembre :
« Tout l’enjeu est dans la mobilisation des quartiers populaires »

Simon Mauvieux sur https://rapportsdeforce.fr/

Deux mois après la mort de Nahel, abattu par un policier à Nanterre, et les révoltes qui ont suivi dans les quartiers populaires de France, l’unité politique autour des violences policières doit se concrétiser dans la rue ce samedi 23 septembre. Mais sur le terrain de la mobilisation, le travail reste immense.

 À la cité des Marguerites, à Nanterre, tout le monde est encore marqué par la mort de Nahel. Les murs des bâtiments aussi : « Nahel, 27/06 Allah y rahmo » (“Que Dieu lui accorde sa miséricorde”, invocation en arabe utilisée couramment pour dire “repose en paix”), peut-on lire sur l’un d’eux. Un paquet de tracts sous le bras, Mornia Labssi, de la Coordination des collectifs des quartiers populaires, et deux militants, sortent de leur voiture. Il est 16 heures, les parcs se remplissent d’enfants pendant que les mamans viennent s’asseoir sur les bancs.

« On organise une marche le 23 à Paris, contre les violences policières, contre le racisme, on parlera du voile et des abayas, faites circuler ou même soyez là ! », lancera-t-elle des dizaines de fois, récoltants des « mercis » ou « bon courage », déclenchant quelques conversations sur le clientélisme de la mairie, les jeunes dépolitisés par les réseaux sociaux ou le sentiment d’être chez soi nulle part, ni en France, ni au bled. Un échantillon d’opinions du quotidien, qui sortent parfois de la doxa de la gauche qui cherche pourtant désespérément à s’implanter ou se maintenir dans les quartiers populaires. Un homme accepte un tract, un peu gêné : « c’est compliqué, je suis policier », dit-il en souriant timidement. « C’est pas grave, vous pouvez être contre les violences policières ! », lui répond Mornia Labssi. « C’est vrai, c’est vrai », admet-il.

« Dans ce mouvement, tout l’enjeu est dans la mobilisation des quartiers populaires », soulève Farid Bennaï, militant au Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), membre de la coalition à l’appel de la marche du 23. « Mais on a très peu de moyens, et les difficultés que vivent les quartiers, nous aussi, en tant que militants, on les vit », enchaîne Mornia Labbsi, en sortant d’une imprimerie avec des centaines de tracts, payés de sa poche. “Nous on mobilise plus sur les réseaux sociaux mais on a aussi des associations qui font le relais dans notre ville », confie Assetou Cissé, la sœur de Mahamadou Cissé, tué par un ancien militaire le 9 décembre 2022 à Charleville Mézières.

 Islamophobie, logement : mobiliser au delà des violences policières

 Assis sur son scooter, un jeune homme, la trentaine, discute avec Mornia Labbsi des contrôles au faciès, des violences policières, de l’islamophobie. « Au final ils gagnent toujours les policiers », lâche-t-il. « Je ne vais pas te vendre du rêve et te dire qu’on va gagner samedi. Mais si on en est arrivé là, c’est par ce que l’État pensait qu’on était incapable de se bouger. Mais ils ont eu peur pendant les révoltes », répond la militante. « C’est vrai, sur l’islamophobie je suis d’accord. On a besoin de gens comme vous ! », lance-t-il. « Nous aussi on a besoin de gens comme toi. Essaie de passer samedi ».

La militante connaît son sujet et aussi son terrain. Elle a grandi ici, aux Pâquerettes, dans un HLM construit sur les cendres d’un des bidonvilles de Nanterre dans les années 60. « Les gens ici vivent plusieurs  discriminations. Si tu ne parles que des violences policières, tu neutralises toutes ces femmes qui vivent ici, qui se lèvent à quatre heures du mat’ pour trois francs six sous, il y a plein de formes de violence », explique-t-elle en pointant l’un des bâtiments de la cité. « Ici, l’immeuble a été rénové, c’est grâce à l’action de plein de femmes ! Le toit était troué pendant un an, de l’eau s’écoulait dès qu’il pleuvait. Et c’est l’action de ces femmes, bien seules, qui a fait bouger le bailleur. Le racisme systémique c’est aussi ça, on ghettoïse des Arabes et des Noirs et ne fait plus rien », poursuit la militante.

 Un cadre unitaire tiraillé entre la gauche institutionnelle et les collectifs de quartiers

 Initiée dans les jours qui ont suivi la mort de Nahel, la marche unitaire du 23 septembre a dû très vite chercher un débouché politique à la révolte des quartiers populaires, mais surtout à rassembler au-delà de la gauche institutionnelle. « Au début, on était une cinquantaine d’organisateurs, dont très peu de racisés, les principaux concernés n’étaient pas là. Ça s’est crispé, ça s’est braqué, puis on a fait venir des gens, des collectifs, habituellement défiants envers les organisations institutionnelles », se félicite Mornia Labbsi. Au total, près de 150 organisations se sont rassemblées pour organiser cette marche, une alliance qui rassemble les partis politiques (LFI, EELV, NPA..), syndicats (CGT, Solidaires, FSU..) et collectifs de quartiers et de victimes de violences policières.

« Les mouvements sociaux sont passés à côté d’une grande partie de la population prolétaire et racisée des quartiers, mais je ne vois pas une possible transformation sans eux, ce serait une faute politique majeure pour la gauche de passer à côté de ça », analyse Farid Bennaï.

Face à des organisations de gauche parfois frileuses sur les questions antiracistes, les collectifs de quartiers populaires ont dû taper du poing sur la table pour renverser le rapport de force au sein du cadre unitaire, sans toujours y parvenir : « On a dû batailler pour que soit inscrit « racisme systémique » dans les revendications », se remémore Mornia Labbsi, qui a aussi plaidé pour une manifestation en banlieue, plutôt que dans Paris. En vain, la marche partira de la gare du Nord. L’interdiction des abayas à l’école est d’ailleurs venue percuter cette fragile alliance. « Ces violences racistes et islamophobes doivent être combattues avec la plus grande fermeté. C’est un combat essentiel. Nos amis à gauche ne semblent pas avoir pris la mesure de la violence islamophobe d’une telle mesure. L’histoire nous regardera », avait déclaré le 13 septembre dernier Adel Amana, élu municipal de Villiers-sur-Marne et initiateur du collectif d’élus du Val-de-Marne contre l’islamophobie, comme pour remettre les pendules à l’heure.

 Le 23 septembre, « une première étape »

 Face au manque d’accroche des organisations de gauche auprès des quartiers populaires, les collectifs comptent bien ancrer la marche du 23 septembre dans une dynamique plus large. « Le point de bascule ne se fera pas sur cette marche, mais après : il y a tout à revoir, notamment le rapport qu’ont les organisations politiques avec les gens dans les quartiers », soutient Farid Bennaï. Mornia Labbsi abonde : « Je ne vois que la suite. Pour cette marche, il faut déjà des gens qui mettent la main dans le cambouis. Si on laisse ça aux autres, ça va tourner autour des libertés publiques et ça va faire un truc gnangnan ». Mais pour elle, la suite sera déterminée par les moyens mis sur la table pour organiser des assemblées, des réunions, des colloques et d’autres mobilisations. « Ça demande beaucoup d’énergie et on a très peu de moyens. Et quand on n’a pas l’argent, on n’a pas le rapport de force », soulève-t-elle.

La marche à Paris partira de la Gare du Nord à 14h, ce samedi 23 septembre. Une centaine de marches sont organisées le même jour partout en France.

publié le 21 septembre 2023

Esclavage moderne :
notre enquête sur les travailleurs sans-papiers qui produisent du champagne

Rosa Moussaoui sur www.humanite.fr

Un contrôle de l’inspection du travail a mis au jour l’exploitation et les conditions d’hébergement épouvantables de vendangeurs sans papiers dans la Marne. Le parquet de Châlons-en-Champagne a ouvert une enquête préliminaire pour traite d’êtres humains.

Ils ont été mis à l’abri dans le réfectoire d’un hôtel de Châlons-en-Champagne et sur un site de la Fondation de l’Armée du Salut, loin des contremaîtres qui les faisaient travailler sous la menace, loin des hébergements collectifs dans lesquels ils étaient logés dans des conditions sordides.

Mais plusieurs jours après avoir été soustraits à cet enfer, ces saisonniers étrangers enrôlés pour les vendanges dans le vignoble champenois sont encore sous le choc. Ils sont une soixantaine de travailleurs migrants, originaires d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Mauritanie, Guinée, Gambie), sans papiers pour la majorité d’entre eux.

Recrutés par Anavim, un prestataire spécialisé dans les travaux viticoles, domicilié rue de la Paix, à Paris, ils étaient censés être logés et nourris correctement, et percevoir une rémunération de 80 euros par jour. Rendez-vous pris porte de la Chapelle, dans la capitale, ils sont montés à bord d’un bus, direction la Marne.

Des travailleurs affamés, épuisés, dans un état de santé dégradé

Arrivés dans la nuit à Nesle-le-Repons, ils ont découvert, en guise d’hébergement, des locaux précaires, vétustes et insalubres, tenant moins du dortoir que du hangar, sans plafond, avec des murs de parpaings nus, un sol de terre et de pierraille. Lors d’un contrôle de routine, dans le cadre de leurs prérogatives de lutte contre le travail illégal, des agents de la Mutualité sociale agricole et des gendarmes de la Marne ont mis au jour ces conditions d’habitat indignes.

Ils ont aussi découvert des travailleurs affamés, épuisés, dans un état de santé dégradé pour certains d’entre eux. Le 14 septembre, un nouveau contrôle, conduit par l’inspection du travail celui-là, a permis de dresser un constat accablant, qui a conduit à la fermeture des lieux par arrêté préfectoral.

En guise d’hébergement, des locaux précaires, vétustes et insalubres, tenant moins du dortoir que du hangar

La décision, placardée aux portes de cet hébergement collectif, fait état de « la présence de nombreuses literies de fortune », relève « l’état de vétusté, de délabrement, d’insalubrité, d’absence de nettoyage et de désinfection » des locaux, constate « l’état répugnant des toilettes, sanitaires et lieux communs », avec « l’accumulation de matières fécales dans les sanitaires ». Autre source de danger pour les occupants, qui dormaient sous de la laine de verre à nu : des installations électriques non conformes.

Cadences folles et chaleur accablante

Avec ces « désordres sanitaires », dans cet « état d’insalubrité et d’indignité des logements et de leurs installations », plusieurs travailleurs sont tombés malades, souffrant notamment de troubles respiratoires et de diarrhées. Il faut dire qu’ils étaient d’autant plus fragiles que les inspecteurs du travail ayant procédé au contrôle les ont retrouvés dans un préoccupant état de sous-nutrition et de malnutrition.

« On avait chaud le jour et froid la nuit, on ne mangeait pas beaucoup, on était traités comme des esclaves. » Kalulou, un travailleur originaire du Mali

« On nous avait promis qu’on serait nourris, mais ils nous ont juste apporté un sac de riz, avec un peu de raisin pour tout le monde », témoigne l’un d’entre eux, Amadou, un Sénégalais joint par l’Humanité. « C’était très difficile, les conditions de boulot, les horaires. On partait le matin très tôt le ventre vide. À 13 heures, ils nous apportaient des sandwichs avariés. Je ne pouvais pas avaler ça », nous confie aussi Kalulou, un Malien disposant d’une carte de séjour, pris dans cette galère car il avait besoin d’un travail d’appoint pour payer une facture d’électricité trop salée.

S’ils se plaignaient de la faim, les contremaîtres affectés à leur surveillance, dont l’un était armé d’une bombe lacrymogène, déchaînaient sur eux leur colère, les enjoignant à aller « travailler ailleurs » s’ils n’étaient pas « contents ». Poussés par la faim, ces forçats ont fini par aller glaner quelques épis de maïs dans les champs voisins des parcelles de vigne où ils étaient affectés. « On avait chaud le jour et froid la nuit, on ne mangeait pas beaucoup, comme des chiens, on dormait comme des moutons, on se lavait à l’eau froide, on était traités comme des esclaves. Les toilettes étaient bouchées, ça sentait très mauvais. On a vraiment souffert », résume Mahamadou, originaire du Mali.

Alors que la déclaration préalable à l’embauche que certains se sont vu remettre prévoyait 35 heures de travail hebdomadaires sur deux semaines, avec une rémunération de 80 euros par jour et une embauche à 8 heures chaque matin, ces vendangeurs trimaient plutôt dix heures par jour ou davantage.

Avec des cadences folles, une charge de travail très lourde, sous les chaleurs accablantes qui ont causé la mort par arrêt cardiaque de cinq vendangeurs dans le vignoble champenois cette année. Réveillés aux aurores, vers 6 heures, ces travailleurs africains étaient entassés, jusqu’à plusieurs dizaines d’entre eux par véhicule, dans des fourgonnettes aveugles, aux vitres barrées de contreplaqué, qui les transportaient vers les lieux de récolte.

Des encadrants aux pratiques d’hommes de main

La patronne d’Anavim, le prestataire mis en cause, une quadragénaire née au Kirghizistan, est propriétaire des locaux dont la préfecture a décrété la fermeture. Pour esquiver le contrôle d’un second hébergement collectif dans les dépendances de son propre domicile, à Troissy, elle a fait évacuer les lieux. Des hommes d’origine ou de nationalité géorgienne épaulaient cette femme pour superviser ces travailleurs migrants, faire pression sur eux.

« On n’était pas fainéants, mais, eux, ils n’étaient pas faciles, soupire Kalulou. Ils nous mettaient violemment au travail. » Ces encadrants aux pratiques d’hommes de main les ont suivis jusque dans l’hôtel où ils ont trouvé refuge, les exhortant, sur un ton agressif, à reprendre leur besogne et à les suivre vers d’hypothétiques logements, leur promettant de leur verser les salaires dus. Sans effet.

« À ce jour, ces travailleurs saisonniers n’ont pas reçu la rémunération promise. Nous allons les accompagner pour saisir les prud’hommes et nous exigeons la régularisation de ceux d’entre eux qui sont sans papiers », prévient Sabine Duménil, secrétaire générale de l’union départementale CGT de la Marne, en plaidant pour qu’ils soient « soignés, hébergés dignement jusqu’à ce que la situation se décante ».

Qui étaient les propriétaires des parcelles de vigne sur lesquelles étaient exploités ces vendangeurs ? Pour l’instant, mystère. « Nous voudrions que les donneurs d’ordres soient connus et poursuivis, qu’ils rendent des comptes mais, pour l’instant, c’est l’omerta complète sur le sujet », déplore cette syndicaliste.

À Troissy, le maire, Rémy Joly, lui-même viticulteur, est dépité. « Beaucoup de vignerons donnent leurs vendanges à faire à des prestataires, à cause des difficultés de recrutement et des tracasseries d’hébergement. Et puis il y a ceux qui ne veulent pas s’embêter avec ça. Ça donne lieu à des abus, très peu, mais très peu, c’est déjà trop », tranche-t-il, en défendant ceux qui privilégient une « cueillette traditionnelle », sans intermédiaires, « respectueuse des travailleurs ».

Une précédente affaire retentissante

Dans cette affaire, deux personnes ont été placées en garde à vue, avant d’être relâchées. Le parquet de Châlons-en-Champagne a ouvert une enquête préliminaire pour conditions d’hébergement indignes et traite d’êtres humains. Une précédente affaire de cette nature avait donné lieu, en 2020, à un retentissant procès à Reims. Elle concernait des travailleurs afghans et africains victimes des mêmes infractions, eux aussi exploités, mal nourris et logés dans des conditions effroyables. Verdict : trois ans de prison dont un avec sursis pour le couple à la tête de l’entreprise sous-traitante mise en cause pour traite d’êtres humains.

Parmi les prévenus, du côté des donneurs d’ordres, le responsable des prestations viticoles et vendanges de la maison Veuve Clicquot, propriété du groupe de luxe LVMH, avait fini par être relaxé : il niait fermement avoir eu connaissance des conditions indignes dans lesquelles étaient hébergés ces vendangeurs. Aucune maison de champagne, en tant que telle, n’avait été mise en cause pénalement.

LE RÉDACTEUR EN CHEF D’UN JOUR

Lyonel Trouillot, écrivain et poète haïtien : « La mise en esclavage se perpétue »

« En Champagne se passe quelque chose qui pourrait ressembler à ce qu’on appelait autrefois la “traite”. C’était le privilège des États et des compagnies marchandes de se livrer à ce jeu-là.

Aujourd’hui, à une moindre échelle et sans prétexte idéologique, perdure une cupidité qui ne cherche pas à se justifier. Comme quoi les choses changent sans vraiment changer, à part la découverte tardive de l’indignité. Quant à la mise en esclavage du plus faible, elle se perpétue tant qu’elle peut demeurer à l’abri des regards. »


 


 


 

Au CHU de Montpellier, les agents d’entretien d’Onet sont en grève illimitée

sur https://lepoing.net/

Une quarantaine d’agents d’entretien qui font une partie du nettoyage au CHU Lapeyronie sont en grève depuis la semaine dernière. Ils et elles demandent de meilleurs salaires, plus de temps et moins de contrôle pour effectuer leurs missions

A cinq heures ce lundi 18 septembre matin, ils et elles étaient entre trente et quarante sur leur piquet de grève, soit 70 % des titulaires. Après une heure de débrayage mercredi dernier, une heure jeudi, une journée de grève vendredi et une réunion infructueuse avec la direction, les salariés de l’entreprise Onet, qui gère le nettoyage du CHU de Montpellier, sont entrés en grève illimitée. Ils demandent entre autres une augmentation de salaires, une prime équivalente au treizième mois et plus de temps pour effectuer leurs missions. « Les surfaces à nettoyer sont trop importantes par rapport au temps donné pour effectuer la tâche », déplore Khadija Bouloudn, déléguée syndicale CGT-Onet. Selon le syndicat, leurs rémunérations se situent déjà parmi les plus basses du salariat, l’inflation rend leurs conditions de vie encore plus difficiles.

Mais outre leurs conditions de travail, les salariés dénoncent une application de pointage et de contrôle : « On doit désormais sortir notre téléphone à chaque fois qu’on doit nettoyer un espace, c’est du temps en plus alors qu’on en manque, et ce dispositif a été mis en place sans en informer le CSE et les salariés », explique Khadija Bouloudn.

Pour les soutenir dans leur grève, une caisse de grève est disponible ici.

   publié le 20 septembre 2023

Sophie Binet : « Pour le capital, la démocratie est un problème »

Naïm Sakhi et Sébastien Crépel sur www.humanite.fr

La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, était l’invitée, samedi, de l’Agora de l’Humanité. La dirigeante estime que les syndicats ont « semé des graines », alors que la centrale cégétiste a réalisé 40 000 nouvelles adhésions.

La foule des grands jours pour Sophie Binet. Samedi, en début d’après-midi, la secrétaire générale de la CGT avait carte blanche à l’Agora de l’Humanité. Alors que la rentrée prend à la gorge une majorité de salariés et de familles qui n’arrivent plus à faire face à la cherté de la vie, la dirigeante cégétiste a avancé des propositions alternatives. Avec pour ligne de mire la mobilisation du 13 octobre pour les salaires et contre l’austérité, elle a aussi indiqué de nouveaux enjeux où se cristallise l’affrontement de classe.

Vous avez été élue en mars au congrès de Clermont-Ferrand, votre profil se différencie de ceux de vos prédécesseurs : vous êtes une femme, cadre, qui n’a pas fait ses armes au PCF. Que signifie votre élection à la tête de la CGT ?

Sophie Binet : La CGT est souvent caricaturée, mais les femmes ont toujours été présentes dans nos rangs. Notre congrès fondateur de 1895 a été présidé par une femme, Marie Saderne, une corsetière, à la tête d’une grève de quatre-vingt-dix jours. Le fait d’avoir une femme secrétaire générale n’est pas arrivé naturellement, mais concrétise l’aboutissement des combats féministes pour mettre des femmes à tous les postes de responsabilité dans la CGT.

Nous avons passé une étape importante, mais je ne dois pas être l’arbre qui cache la forêt : amplifions notre développement féministe et la syndicalisation des femmes.

L’année 2023 restera comme celle des grèves et manifestations intersyndicales contre la réforme des retraites. Que retenez-vous de cette lutte ?

Sophie Binet : Nous avons écrit, ensemble, une page de l’histoire sociale. Soyons fiers de ce que nous avons réalisé. Au regard du rapport de force, dans les autres pays européens qui ne sont pas sous le régime de la Ve République nous aurions gagné. Nous sommes à un point de bascule : pour le capital, la démocratie est un problème, alors que les populations sont de plus en plus lucides et refusent les réformes libérales.

Cela va de pair avec l’autoritarisme patronal dans les entreprises. Les banlieues ont été matées à coups de comparution immédiate. Oui, les vols et saccages sont inacceptables, mais ce sont des enfants. C’est une victoire à la Pyrrhus pour Macron.

Il n’a pas de majorité à l’Assemblée. Il ne peut pas inaugurer le Mondial de rugby sans se faire huer par 80 000 supporteurs. Et le match est ouvert au sein même de son gouvernement pour sa succession. Le pouvoir est affaibli par ce passage en force.

Peut-on parler d’un tournant dans l’histoire du mouvement syndical, en dépit de l’application du texte ? La CGT en sort-elle renforcée ?

Sophie Binet : Nous avons semé des graines. Les organisations syndicales sont revenues au centre du jeu. La CGT compte 40 000 nouvelles adhésions. C’est plus de 100 000 pour l’ensemble des centrales syndicales. Nous avons gagné la bataille de l’opinion. Mais cela n’a pas suffi. Nous devons gagner la bataille de la grève.

Elle ne se décrète pas, mais se construit. La CGT a réussi des grèves reconductibles, notamment dans l’énergie, les transports, le traitement des déchets, etc. Dans certains secteurs, la CGT est implantée, forte de ses nombreuses adhésions. Pour inverser le rapport de force, nous devons faire reculer les déserts syndicaux : 40 % des salariés du privé n’ont pas de syndicats dans leurs entreprises.

« Avec le 13 octobre, nous donnons ensemble le cap : mobilisons-nous pour les salaires. »

Le droit de grève y est théorique ; il n’y a pas d’action collective. Comme en 1936, en 1945, en 1968, enclenchons un grand mouvement de syndicalisation. Les conquêtes sociales ont été obtenues lorsque les organisations syndicales, et singulièrement la CGT, étaient au plus fort de leurs effectifs. L’unité syndicale est un grand acquis de ce mouvement, mais elle ne gomme pas les différences.

La CGT et la CFDT sont deux grandes centrales et nous pouvons débattre des jours durant de nos désaccords. Mais l’unité syndicale donne le cap et permet de rassembler largement le monde du travail. En face, la stratégie du capital est d’abord la répression, mais aussi la multiplication des débats identitaires pour empêcher la classe du travail de s’organiser. Avec le 13 octobre, nous donnons ensemble le cap : mobilisons-nous pour les salaires.

De nombreux cégétistes sont inquiétés pour leurs actions de grève. Le secrétaire général de la fédération des mines et énergie CGT, Sébastien Menesplier, a été convoqué par la gendarmerie. Peut-on parler de menaces sur les libertés syndicales en France ?

Sophie Binet : Je tire un signal d’alarme démocratique, non seulement sur les libertés syndicales, mais sur les libertés en général. On croit rêver quand le ministre de l’Intérieur ambitionne de ne plus subventionner la Ligue des droits de l’homme ou qualifie les lanceurs d’alerte environnementaux d’écoterroristes.

Sébastien Menesplier a été convoqué parce qu’il est le secrétaire général de la fédération fer de lance de la mobilisation contre la réforme des retraites. Nous sommes dans un ruissellement de la répression : taper sur les directions syndicales pour envoyer un message aux chefs d’entreprise afin d’encourager les licenciements dans les entreprises. Si l’extrême droite arrive au pouvoir, elle aura tous les outils constitutionnels et législatifs pour mettre à bas les conquis sociaux.

Une question de méthode : faut-il discuter avec le gouvernement ?

Sophie Binet : La CGT ne discute pas avec l’exécutif ou les patrons. La CGT négocie, sur la base d’un rapport de force et sur nos revendications. Grâce à l’unité syndicale, cette méthode est retenue par les autres organisations syndicales. Le patronat change un peu de ton. Et le gouvernement a découvert un nouveau mot : les salaires. Pourtant, il ne voulait pas d’une conférence sociale sur les salaires.

Les patrons ne supportent pas que le législatif dicte les hausses de salaire et déplorent même l’existence d’un Smic fixé par l’exécutif. La boucle prix-salaire n’existe pas, contrairement à la boucle prix-profit. La conditionnalité des aides publiques, 200 milliards chaque année, soit le tiers du budget de l’État, est une nécessité. Tout comme l’égalité femmes-hommes. La force du capitalisme est de récupérer des dynamiques dans la société à son avantage.

C’est le cas de l’index inégalité salariale. Il occulte les inégalités entre les femmes et les hommes et, avec des biais grossiers, permet à 95 % des entreprises d’avoir une bonne note. La CGT lie la lutte entre les rapports de domination du capital et celle contre le patriarcat.

Six saisonniers sont morts ces derniers jours durant les vendanges. Le patronat se plaint d’un problème de recrutement. Mais le problème n’est-il pas celui des conditions sociales et des salaires ?

Sophie Binet : D’abord, relativisons le problème du recrutement : 5 millions de personnes sont toujours privées d’emploi. Les métiers concernés sont ceux les moins bien payés avec les conditions sociales les plus difficiles. Dans ces secteurs, pour embaucher, il faut modifier les conditions de travail.

Mais la solution du patronat est de couper dans les allocations-chômage et contraindre les gens à accepter ces métiers difficiles. Dans le dossier de l’assurance-chômage, les organisations syndicales sont pour la première fois unies. Toutes refusent la lettre de cadrage du gouvernement. Le patronat se nie en parlant du non-recours aux droits sociaux, alors que ce phénomène concerne une majorité de chômeurs.

Dans les services publics, les besoins en personnel sont criants. Le discours de l’exécutif sur la réduction de la dette publique est-il audible ?

Sophie Binet : Les services publics se trouvent à un stade critique de paupérisation, alors que le budget de l’armement n’a jamais été aussi élevé. Cet été, parmi les 400 décès supplémentaires en raison des fortes chaleurs, combien sont liés à la fermeture des services d’urgence ? 50 % des établissements scolaires manquent d’au moins un enseignant. Les métiers de la fonction publique ont un problème d’attractivité.

Le recul des services publics s’accompagne d’une explosion du privé lucratif. Nous assistons à une offensive du privé contre la protection sociale. C’est le cas pour les retraites, mais aussi pour le secteur du soin et du lien, nouveau lieu d’affrontement avec le capital. Pas de subventions au privé lucratif ! Si l’on cherche des pistes économiques, elles sont de ce côté-là.

Après un été caniculaire, la question environnementale ne doit-elle pas devenir prioritaire dans les modes de production ?

Sophie Binet : La question environnementale est au cœur de l’affrontement de classe, comme à Sainte-Soline. L’eau est un nouveau lieu d’affrontement avec le capital. La chaleur tue des travailleurs en France, dans l’agriculture, dans le bâtiment, dans les métiers pénibles et d’extérieur. La CGT revendique l’interdiction du travail au-delà d’une certaine température. Nous devons évidemment rétablir les CHSCT.

Pour répondre au défi environnemental, nous ne pouvons pas nous limiter à la culpabilisation des pratiques individuelles. Nous devons transformer en profondeur l’outil productif. Le cas de STMicroelectronics en est l’illustration. Emmanuel Macron a annoncé le doublement de la production des puces électroniques sur le site, comme l’exigeait la CGT. Mais leur fabrication demande énormément d’eau. Et les aides gouvernementales ne sont pas conditionnées à des critères environnementaux.

La CGT formule une proposition : plutôt que d’utiliser de l’eau propre, recyclons la même eau pour éviter de consommer les ressources de la région. Mais cela coûte plus cher. À Thales, les camarades ont monté un projet d’imagerie médicale avec les technologies utilisées pour fabriquer des engins de guerre. Je pourrais multiplier les exemples. Mais, malheureusement, les militants CGT se retrouvent comme des passagers clandestins, sans pouvoir exposer leur projet. C’est pourquoi de nouveaux droits des salariés dans les entreprises sont à conquérir.

   publié le 18 septembre 2023

« Tout ce qu’on demande, c’est un peu de considération » :
grève chez Keolis

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

À Montesson dans les Yvelines, les conducteurs de bus sont en grève depuis plusieurs jours et dénoncent leurs mauvaises conditions de travail depuis le rachat du dépôt par Keolis en 2022. Aussi, ils demandent à recevoir de nouveau leurs primes de participation et d’intéressement. 

IlsIls découpent finement des tomates, de la mozzarella, des oignons, enduisent des cuisses de poulet d’épices et d’huile d’olive, font chauffer le barbecue. Dans le fond, une petite enceinte crache des musiques commerciales et du rap à l’ancienne. Les plus téméraires se sont installés là dès 3 h 30 du matin, leur heure de prise de service, les autres arrivent au compte-gouttes durant la journée. Ils discutent de leurs horaires qui changent sans cesse, de leur dos qui leur fait mal, des mots du patron qui ne passent pas. 

Depuis quatre jours, les chauffeurs Keolis du dépôt de Montesson dans les Yvelines sont en grève reconductible. Ce jeudi 15 septembre, comme les journées précédentes, les salariés tiennent le piquet de grève. La semaine dernière, ils avaient déjà paralysé tout le trafic local lundi et mardi. Selon Sud-Solidaires, les taux de grévistes atteignent les 90 % et plus aucun bus ne sort. Les quelques conducteurs non grévistes ont déposé leur droit de retrait. 

Ils racontent les restrictions budgétaires, la perte des primes, les journées hachées et une pression qui ne cesse de s’accroître depuis que le dépôt est passé sous le giron de Keolis en 2022. En grande couronne d’Île-de-France comme en province, tel est le visage de la mise en concurrence des transports publics qui devrait s’étaler jusqu’à la fin 2026 pour Paris et la proche banlieue.

Lors d’une réunion avec les salariés grévistes, le directeur du dépôt l’assumait en ces mots : « On a vécu la première vague de la mise en concurrence. Très clairement, les opérateurs ont été extrêmement agressifs commercialement pour essayer de prendre les contrats. C’est vrai de tous les opérateurs… L’ensemble des opérateurs aujourd’hui, sur ce modèle, perdent de l’argent. » Et, serait-on tenté de rajouter, pour essayer de rentrer dans leurs frais, pressurisent leurs salariés et abîment le service rendu aux usagers. 

Des primes d’intéressement et de participation supprimées

À Montesson, face à l’important taux de grève, la direction a décidé de fermer le dépôt. Des agents de sécurité et une huissière ont même été dépêchés pour surveiller les grévistes. « On n’est pas des voyous, souffle un conducteur. La plupart d’entre nous sont des pères de famille. Tout ce qu’on demande, c’est un peu plus de considération. » Seul acte de vandalisme assumé : le jet d’œufs sur les voitures de cadres qui entrent dans le dépôt cadenassé. 

La grève a été lancée selon un mot d’ordre : récupérer les primes d’intéressement et de participation que les conducteurs ne touchent plus depuis que Keolis a racheté le dépôt en 2022. Mais, dans les discussions et sur les banderoles, il est aussi largement question de pénibilité, de conditions de travail et de manque de reconnaissance. 

En ce qui concerne les primes d’intéressement et de participation, en tout, ce sont quelque 1 000 euros que les salariés ne touchent plus. De son côté, la direction assure que « compte tenu des résultats », ils sont « dans le regret de ne pas pouvoir réglementairement verser ces primes aux salariés ». À cela s’ajoutent toutes les primes spécifiques que les conducteurs ne touchent plus depuis le rachat par Keolis : la prime de qualité de service, de 45 euros par mois, la prime de non-accident, de 65 euros mensuels. Les conditions d’accès à la prime panier-repas ont aussi évolué : « Avant Keolis, tu la touchais que tu travailles la journée ou le soir, maintenant pour avoir ces 8,50 euros, il faut travailler de 11 heures à 13 heures, sinon tu la touches pas », s’agace Ismael, conducteur de 62 ans. La prime d’habillement, de 500 euros à l’année, qui leur permettait de s’acheter chemises et pantalons a aussi sauté. Désormais, on leur fournit des uniformes, la réduction des coûts est partout.

Alors que l’heure est aux restrictions budgétaires pour les conducteurs, les salariés du premier étage, employés ou agents de maîtrise, « les gens des bureaux » comme les appellent les conducteurs, auront leur prime de fin d’année. 

Pour Abdelkader, conducteur et délégué du personnel, le groupe s’est organisé de sorte à ne pas être en capacité de verser les primes d’intéressement et de participation. « Les grands groupes font tout pour ne pas rester des grands groupes, ils créent plusieurs filiales, découpent tout. Par exemple, Keolis, c’est 160 filiales différentes. Nous, on est déficitaires, mais d’autres filiales sont bénéficiaires et si on était tous dans la même entité, alors on aurait le droit à ces primes. » Avant 2022 et le passage du dépôt de Transdev à Keolis, les conducteurs, les agents d’entretien, les agents de sécurité étaient tous embauchés par la même entreprise. Depuis, tout a été parcellisé. Korriva, filiale de Keolis, s’occupe du réseau, des incidents, des retards. Les contrôleurs ont été envoyés dans une autre filiale, comme les agents de sécurité. Le nettoyage a été externalisé à une autre entreprise, Koala Propreté. 

« D’ailleurs, Koala non plus ils ne nous traitent pas bien, souffle l’une des femmes de ménage qui salue ses camarades grévistes avant d’aller travailler. On doit se battre pour le moindre seau d’eau savonneuse, pour un balai, pour tout. On n’est pas beaucoup payé·es et on travaille parfois deux ou trois heures seulement dans la journée. J’ai un collègue qui fait deux heures de trajet aller-retour pour venir travailler, il fait presque autant d’heures de ménage que d’heures de transport. » Pour l’heure, les agents d’entretien et les salariés de l’atelier n’ont pas rejoint la grève.

« En tout, on a perdu plus d’une centaine de collègues avec l’envoi de collègues dans les filiales et l’externalisation, reprend Abdelkader. Ce découpage de l’entreprise leur permet d’afficher des chiffres bas et de ne pas nous verser les primes, mais ça réduit aussi la représentation des salariés. » Plus une entreprise est petite, moins bien sont représentés les salariés et moins le comité social et économique (CSE) est financé. 

En moyenne, les conducteurs que nous avons interrogés touchent, selon leur ancienneté, entre 12 et 15 euros de l’heure, pour un salaire mensuel avoisinant les 2 000 euros net pour la plupart d’entre eux. « Moi je touche 2 200 euros net, mais il y a dix ans je touchais déjà 2 000 euros, vous voyez comme on évolue peu, avance Ismael, conducteur depuis 22 ans. Pour toucher 100 euros de plus par mois, parfois 150, j’enchaîne les soirs et les week-ends. Je travaille à peu près six week-ends sur sept, je vois pas beaucoup mes enfants. » 

« Ils nous mettent la pression, on manque de collègues parce que ce métier n’est plus attractif, alors chaque jour une dizaine de services tombent par terre, ajoute le conducteur. Quand on arrive et que le bus d’avant n’est pas passé, les usagers s’en prennent à nous, mais on n’y est pour rien. »

Des journées de travail hachées 

Mais ce qui occupe le plus Ismael et ses camarades, c’est la dégradation des conditions de travail. Ce sujet est de toutes les discussions, bien avant la suppression des primes. 

« Depuis que Keolis nous a racheté, on fait les mêmes trajets, mais sur des temps plus courts », expliquent-ils tous en cœur. Dans le détail, on leur demande de faire autant d’arrêts, mais plus rapidement. Par exemple, de la gare du Vésinet jusqu’à l’arrêt Hauts de Chatou, les conducteurs doivent mettre 12 minutes quand ils en avaient 15 avant Keolis. Sur la même ligne, ils doivent aussi réduire de trois minutes le trajet de la gare de Houilles jusqu’à Hauts de Chatou. Sur chaque ligne, sur chaque tronçon, des efforts ont été demandés aux conducteurs pour réduire le temps de trajet. « Alors on est stressés, on essaye d’aller plus vite, on n’y arrive pas toujours, et on va finir par faire plus d’accidents », s’inquiète El-Hassan, conducteur et régulateur depuis 2017.

 « On ne peut pas toujours s’arrêter pour aller aux toilettes, boire un coup, ça devient très difficile, abonde Amine, conducteur et délégué syndical Sud-Solidaires. Comme ils manquent de conducteurs, ils pressurisent à fond ceux qui sont déjà là. Un chauffeur ne fait plus cinq jours de travail pour deux jours de repos, désormais, la plupart travaillent six jours sur sept. Les conducteurs acceptent pour gagner un peu plus. » 

Par ailleurs, Keolis émince les journées de travail avec la même application qu’il découpe son entreprise en une myriade de filiales. Ainsi, nombre de conducteurs se retrouvent à devoir travailler très tôt le matin et très tard le soir, avec des coupures de 3, 4, 5 heures au beau milieu de la journée. « On a beaucoup de collègues qui ont des amplitudes de 6 heures du matin à 20 heures le soir, avec des heures non travaillées au milieu, ajoute Amine de Sud-Solidaires. La plupart restent sur le dépôt parce qu’ils habitent loin et n’ont pas le temps de rentrer chez eux et de revenir. » 

Abdelali, 52 ans, habite à 32 kilomètres du dépôt. Quand il a 4 ou 5 heures de coupure, il rentre chez lui à chaque fois. « Ça me fait des factures d’essence à 450 euros par mois, souffle-t-il. Une part importante de mon salaire. » 

D’autres n’ont pas ce luxe et épuisent leurs journées au dépôt, dans une salle de pause bien spartiate : des chaises et quelques tables. Ils ont bien essayé de demander des canapés, en vain. Les journées et les services en confettis sont le lot de nombre des grévistes, dont Oumi : « Je commençais à 6 heures jusqu’à 10 heures, puis j’étais en pause jusqu’à 16 heures, je reprenais ensuite jusqu’à 20 heures et comme ça toute la semaine. Puis il y avait une semaine où j’étais en horaires du matin, puis celle d’après en horaires du soir, puis je recommençais à avoir des semaines avec des services hachés… ça changeait tout le temps. » La conductrice habite à 30 kilomètres du dépôt, lorsqu’elle devait faire les services en deux fois, elle avalait 120 kilomètres par jour, « et ça fait beaucoup d’argent dans l’essence. Je suis épuisée, fatiguée moralement, physiquement. Je ne vois plus mes enfants »

Selon l’INRS, (Institut national de recherche et de sécurité), le travail en horaires fractionnés et le travail en horaires flexibles engendrent une dégradation de la santé des travailleurs. Selon l’organisme de référence dans le domaine de la santé au travail, « le travail flexible est associé à une mauvaise santé cardiovasculaire, à de la fatigue et à des effets sur la santé mentale »

Pour Oumi, ça n’a pas loupé, depuis l’arrivée en 2022 de Keolis et les changements qui sont allés avec, la mère célibataire a vu sa santé décliner. « J’ai fait un début de burn-out en décembre 2022, le métier m’a complètement flinguée. Je ne tenais plus. Le médecin du travail, le médecin généraliste, le psy m’ont dit que ça ne pouvait plus continuer. Ils m’ont fait passer en restriction, maintenant je ne travaille plus que le matin, j’avais un rythme infernal. » Avant les médecins, la conductrice avait tenté d’échanger avec la direction du site, en vain. « Ils n’ont rien voulu savoir, ils ne nous écoutent pas. D’ailleurs, quand on veut remonter des problèmes à la responsable d’exploitation, on n’a plus le droit d’aller la voir directement, on doit lui écrire sur un petit carnet qu’elle nous met à disposition et elle n’a jamais le temps pour nous. » 

Quelques jours avant la grève, une réunion d’une heure entre les conducteurs et la direction s’était tenue dans une ambiance tendue. Depuis, les discussions semblent complètement rompues. Auprès de Mediapart, Keolis assure rester « ouverte aux discussions qui continueront ce week-end avec les salariés en grève sur le site de Montesson. Une issue favorable ne pourrait avoir lieu qu’avec l’ensemble et l’accord des représentations ». Les grévistes, eux, ont dors et déjà annoncé poursuivre la grève la semaine prochaine. 


 


 

Une grève à Keolis Montesson
après l’ouverture à la concurrence

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Depuis le 12 septembre, une grève très suivie a lieu chez Keolis à Montesson (Yvelines). Les salariés des transports franciliens constatent la dégradation de leurs conditions de travail depuis le rachat de leur dépôt, auparavant détenu par Transdev. Cette grève s’inscrit dans le large contexte d’ouverture à la concurrence du réseau de transports francilien.

 Les salariés de Keolis à Montesson (Yvelines) sont en grève illimitée depuis près d’une semaine, avec un débrayage initié mardi 12 septembre. Selon Sud-Solidaires, les taux de grévistes atteignent les 90 % et plus aucun bus ne sort, rapporte Mediapart. Depuis le rachat par Keolis de leur dépôt, jusqu’ici tenu par Transdev, en janvier 2022, les salariés constatent la dégradation de leurs conditions de travail. Parmi leurs principales revendications aujourd’hui : le versement des primes d’intéressement et de participation, qui ne leur sont plus attribuées depuis le changement d’opérateur.

Cette grève chez Keolis s’inscrit dans le large contexte d’ouverture à la concurrence du réseau de transports francilien. De fait, les lignes de bus de la grande couronne francilienne ont été divisées en 36 lots. Depuis début 2021, ces 36 lots font l’objet d’appels d’offres, gérés par Ile-de-France Mobilités, l’autorité publique d’organisation des transports, administrée par la présidente de région Valérie Pécresse.

 Pour remporter ces appels d’offres, les sociétés comme Keolis jouent la carte du moins-disant social et rognent sur les coûts salariaux. Les chauffeurs de Céobus à Magny-en-Vexin, par exemple, ont été rachetés par Transdev Vexin. Depuis, « on a perdu 500 euros sur nos feuilles de salaire », témoignait Hafed Guerram, délégué syndical CGT, auprès du Parisien, fin 2021. Les salariés de Transdev en Seine-et-Marne avaient déjà sonné l’alarme. De septembre à fin octobre 2021, ces derniers avaient maintenu un bras-de-fer avec leur direction et Ile-de-France Mobilités, contre les nouveaux accords dégradant leurs conditions de travail. Ces réseaux de bus de moyenne et grande couronne vont être ainsi rachetés jusqu’en 2024.

 L’ouverture à la concurrence arrive à la RATP

 En 2025, la direction de la RATP, qui gère Paris et sa petite couronne, va à son tour lancer l’ouverture à la concurrence. Le groupe se prépare déjà à cet horizon : fin 2021, la direction a dénoncé les accords sur les conditions de travail des machinistes-receveurs (conducteurs). Tout le réseau de surface, c’est-à-dire les bus et les tramways, est concerné ; un délai légal de 15 mois est prévu entre la dénonciation d’un accord et la mise en place d’un nouveau. L’organisation et la rémunération du travail changent, aboutissant entre autres à « l’augmentation du temps de travail de 190 heures par an », ou encore à « l’augmentation de 30 % du nombre de services en deux fois en semaine », détaillait alors Jean-Christophe Delprat, de FO RATP, auprès de Rapports de Force.

Le réseau historique de la RATP va, à terme, être découpé en une douzaine de lots. Un appel d’offres régira chacun d’entre eux. Pour y répondre, la RATP compte de son côté créer des filiales privées, sortes de petites entreprises, pour chaque centre-bus. « Il n’y aura plus du tout de conditions de travail harmonisées, quand bien même les futurs lots dépendront de la même convention collective », nous expliquait ainsi Vincent Gautheron, secrétaire de l’union syndicale CGT RATP.

Pour rappel, « l’ouverture à la concurrence n’a jamais été une obligation légale », précisait Vincent Gautheron. « La loi autorisait à garder une sorte de monopole public. À condition de créer une entreprise ayant pour seule et unique mission de réaliser l’offre de service public, sans conquérir de nouveaux marchés extérieurs. » Ce qui n’a pas été le choix politique d’Ile-de-France Mobilités.

publié le 15 septembre 2023

Troisième site en grève
chez Emmaüs dans le Nord :
les salariés et les compagnons unis

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr

Depuis le 12 septembre, la totalité des compagnons sans-papiers d’Emmaüs à Tourcoing sont en grève. L’entrepôt et le magasin ne tournent plus. Comme à Saint-André-Lez-Lille et à Grande-Synthe, où les compagnons ont cessé le travail depuis des semaines, ils demandent la régularisation et l’obtention d’un contrat de travail. Cette fois, les salariés du site les ont rejoints.

 Installée sur un transat de toile, le dos tourné à l’immense entrepôt Emmaüs de la rue d’Hondschoote, à Tourcoing, Marlène se repose enfin. Ce mardi 12 septembre au matin, c’est la grève, elle n’aura pas à décharger, trier et entasser. « Il faut imaginer la température qu’il fait là-dedans, quand c’est l’hiver, quand il neige. On a froid, c’est un travail difficile », raconte la jeune mère. Venue du Gabon en 2015 pour ses études, elle est diplômée d’un DUT en génie électrique. Malgré les stages, elle ne parvient pas à obtenir de contrat de travail et la régularisation qui va avec. Alors, depuis deux ans, elle est compagnonne chez Emmaüs… et demande un titre de séjour « vie privée et familiale ». « Mais si je suis ici aujourd’hui, c’est surtout pour soutenir les autres. Ils travaillent dur. Pendant le Covid, ils ont fabriqué des visières de protection pour les hôpitaux. Ils ont même été récompensés par la mairie, jamais régularisés. »

A quelques mètres de Marlène : Karim. C’est le cuistot du groupe. Tous les jours, il assure le repas pour la quarantaine de compagnons hébergés par Emmaüs Tourcoing. Mais aujourd’hui, c’est détente, l’UL CGT de Tourcoing se charge du barbecue. « Ça fait cinq ans que je suis en France, trois ans à Emmaüs. J’ai fait des stages en électroménager chez Boulanger, je suis déclaré à l’URSSAF, j’ai passé le B1 [ndlr : niveau de langue] en français…», récite l’Algérien. Il montre avec ses mains : « A la préfecture, j’ai un dossier gros comme ça. Pourtant tout ce que j’ai réussi à avoir, c’est une OQTF [ndlr : obligation de quitter le territoire français] ».

La « promesse » d’Emmaüs

Algériens, Géorgiens, Gabonais, Camerounais, Marocains, Tunisiens, Albannais… Cela  fait 3, 5, parfois 8 ans qu’ils travaillent pour Emmaüs, qu’ils ont l’impression de « tout bien faire » et qu’ils attendent une régularisation qui ne vient pas. Un sentiment exprimé par les 36 compagnons entrés en grève ce 12 septembre à Emmaüs Tourcoing. Mais aussi par ceux des deux autres Emmaüs du département du Nord, mis à l’arrêt avant eux : Saint-André-Lez-Lille, en grève depuis 76 jours ; Grande-Synthe, depuis 24 jours. Tous dénoncent « la promesse d’Emmaüs » : obtenir leur régularisation au bout de trois années consécutives de travail au sein de la communauté.

 De fait, la loi immigration du 10 septembre 2018 donne la possibilité aux compagnons sans-papiers d’Emmaüs d’obtenir une carte de séjour sur la base de trois années d’expérience au sein des communautés. Mais, un an et demi après l’entrée en vigueur des textes, Emmaüs France a pu constater que cela n’avait rien d’automatique et différait en fonction des préfectures, rappelle le Gisti. « Les dossiers, on les dépose ! Mais ça fait deux ans qu’il n’y a plus de régularisations ! », confirme Marie-Charlotte. Assistante sociale à Emmaüs Tourcoing depuis 5 ans et demi, elle est entrée en grève ce 12 septembre, tout comme les 4 autres employés en CDI et 10 des 17 CDD d’insertion (CDDI) du site. Sur les trois Emmaüs du Nord en lutte, c’est la première fois que les salariés s’associent aux compagnons.

 Les salariés également en grève à Emmaüs Tourcoing

« On est là pour soutenir les compagnons, mais nous avons aussi des revendications propres », rappelle Marie-Charlotte. Pour les employés, la première d’entre elles demeure l’embauche d’un directeur à Emmaüs Tourcoing. « Depuis neuf mois, nous n’avons plus personne à la tête du site. L’ancien est parti après un burn out. C’est devenu ingérable et les compagnons sont les premiers à en faire les frais », continue l’assistante sociale. Alicia, employée en CDDI, confirme : « Quand je vois les conditions dans lesquelles travaillent les compagnons, j’ai honte. Il y a une invasion de rats dans les hébergements, depuis trois semaines, la salle de pause a été transposée dans une réserve… Je vous le demande : est-ce que c’est normal ? », interpelle la jeune femme.

A cela s’ajoutent les mauvaises conditions de travail de ces salariés en insertion. « Nous n’avons pas de convention collective, nous travaillons le dimanche et nous sommes payés en dessous du SMIC ! », poursuit-elle. Alors que le SMIC, indexé sur l’inflation, est aujourd’hui de 1383€ mensuels net, cette salariée serait payée 1280€ si elle était à temps plein.

 Les compagnons, bénévoles ou salariés ?

 Quant aux compagnons d’Emmaüs, ils sont rémunérés via une allocation communautaire d’environ 350€, mais ne sont pas salariés. Ils n’ont pas de contrat de travail et pas la possibilité non plus de passer par la case prud’hommes. Pour autant, le statut des organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires (OACAS), duquel dépend Emmaüs, leur « permet » de travailler jusqu’à 40 heures par semaine.

Reste que dans la mesure où ce public est particulièrement précaire, qu’il loge sur place et qu’il espère obtenir une régularisation par le biais d’Emmaüs, cette permission se transforme bien souvent en obligation, voire en contrat tacite. « C’est de l’exploitation, tout simplement », juge Mohammed, compagnon à Emmaüs Tourcoing depuis 8 ans et responsable d’un magasin.

Aussi, les grévistes de Tourcoing, comme ceux de Grande-Synthe et de Saint-André avant eux, demandent « la requalification en contrats salariés des statuts de “bénévoles” (étant entendu qu’on ne peut être bénévoles 40 heures par semaine pendant des années », souligne l’Union locale CGT de Tourcoing dans un communiqué. « Il y a d’autres Emmaüs où les compagnons finissent par être embauchés. Ici on nous dit qu’il faut aller ailleurs. Pourquoi ? », s’interroge Mohammed. Évidemment, la reconnaissance du statut des personnes accueillies dans les OACAS, comme étant un « contrat de travail », remettrait complètement en cause le fonctionnement national d’Emmaüs.

 Grève Emmaüs : les réactions des directions

 Emmaüs étant constitué d’associations indépendantes avec leurs propres conseils d’administration et leurs propres bureaux, chaque site en grève tente de trouver ses propres solutions. Selon la Voix du Nord, l’administration d’Emmaüs Tourcoing a proposé une augmentation de quelques dizaines d’euros de l’allocation communautaire ainsi qu’une médiation. A Grande-Synthe, la direction a une autre stratégie, et menace d’expulser les grévistes de leur lieu d’hébergement.

A Saint-André-Lez-Lille, premier site en grève, une enquête a été ouverte par le parquet de Lille pour « traite d’êtres humains » et « travail dissimulé » suite à un article de Streetpress. La directrice de cette communauté ne déclarait même pas ses compagnons à l’URSSAF.

  publié le 17 juillet 2023

Marche contre les violences policières  : «Nous refusons d’obtempérer
face au racisme »

Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

En interdisant coup sur coup les deux principales mobilisations contre les violences policières à Paris, le gouvernement entend, selon une coordination nationale, réduire au silence les proches de victimes. Malgré cette répression, la mobilisation s’étoffe encore.

Rebelote. Une semaine après celles de Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise) et de la place de la République à Paris, qui a eu lieu malgré tout, mais s’est soldée par une forme de vendetta de la Brav-M – elle a interpellé très brutalement et molesté Yssoufou Traoré, frère d’Adama, tué après une interpellation par des gendarmes en 2016 –, un défilé contre les violences policières était à nouveau interdit, ce samedi 15 juillet, sur la place de la République…

Sur injonction directe de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, la préfecture de police de la capitale a pris un nouvel arrêté d’interdiction contre l’appel de la Coordination nationale contre les violences policières – rassemblant de nombreux collectifs de familles et de proches de jeunes gens tués par des policiers.

Un appel pourtant soutenu par une centaine d’associations (LDH, Attac, Amnesty International, etc.) d’organisations syndicales (CGT, FSU, Solidaires et Unef) et politiques (FI, EELV et NPA). Et le tribunal administratif a validé, sans moufter, cette suspension des libertés d’expression et de manifestation.

« Darmanin nous inflige une double peine : après la mort de nos proches, il s’agit de nous invisibiliser, de nous réduire au silence »

De quoi susciter une bronca chez les organisateurs, qui avaient convoqué la presse, à quelques pas de la place de la République. « Nous étions pourtant allés très loin dans la conciliation en proposant de nous contenter d’un simple rassemblement, mais le gouvernement n’a rien voulu savoir, dénonce Omar Slaouti, l’un des porte-parole de cette coordination. C’est une double peine que Darmanin nous inflige : après la mort de nos proches, il s’agit de nous invisibiliser, de nous réduire au silence, alors que, pour des raisons que chacun comprendra aisément, il n’est pas question d’aller à la confrontation avec la police avec notre coordination qui rassemble des enfants, des parents et des grands-parents. »

Avant de se replier pour un meeting dans un gymnase, plein comme un œuf, du XX e arrondissement, ouvert en urgence pour l’événement par la mairie, une dizaine de représentants des collectifs témoignent devant les journalistes.

Sur les pancartes, ils réclament l’interdiction des techniques d’interpellation les plus dangereuses et même létales qui sont, pour certaines, interdites dans les pays européens ou aux États-Unis : plaquage ventral, clé d’étranglement, « pliage », etc.

À travers leurs récits, beaucoup dénoncent un traitement post-mortem indigne des victimes de violences policières. « Mon frère a été lynché par la police, puis il a été déshumanisé par l’institution judiciaire », dénonce ainsi Fatou Dieng, sœur de Lamine Dieng, mort au cours d’une interpellation en 2007 à Paris.

En plus de la suppression de l’IGPN, qui doit, selon eux, être remplacée par une « instance de contrôle indépendante de la police », tous réclament en chœur l’abrogation immédiate de l’article L. 435.1 du Code de sécurité intérieure, introduit dans la loi de 2017 par Bernard Cazeneuve et qui permet aux agents de police et aux gendarmes d’utiliser leurs armes à feu notamment dans les cas de refus d’obtempérer. « Nous refusons d’obtempérer face au racisme de la police et du gouvernement », retourne Issam El Khalfaoui, le père de Souheil, abattu par un policier en 2021 à Marseille.

 

publié le 13 juillet 2023

14 juillet :
« Notre fête nationale célèbre une émeute »

Rosa Moussaoui sur www.humanite.fr

Éric Vuillard, auteur de 14 Juillet et de la Guerre des pauvres, en appelle au legs de la Révolution française et des Lumières pour affronter une époque d’accroissement sans précédent des inégalités et de concentration du pouvoir et des richesses.


 

Le 14 Juillet n’est plus qu’un défilé militaire. Comment la commémoration de cet événement fondateur a-t-elle fini par le vider de toute substance politique, par gommer son caractère révolutionnaire ?

Éric Vuillard : Notre fête nationale célèbre une émeute. C’est un événement que les élites, tout au long du XIXe siècle, n’ont pas réussi à effacer, et qu’il est en quelque façon impossible de commémorer.

Le 14 Juillet qui se prépare est une fiction. Le ministère des Armées annonce que le slogan du défilé militaire de cette année est « Nos forces morales », vaste programme ! En réponse aux ­récentes émeutes, madame Borne promet « des moyens massifs pour protéger les Français ». On évoque même un décret interdisant les feux d’artifice, les Nîmois auront droit à un spectacle de drones, ce qui laisse rêveur.

Il est tout à fait improbable qu’une seule personne parvienne à entr’apercevoir, serait-ce même une caricature de la Révolution française, à travers une poignée de canons Caesar, un déploiement exceptionnel des forces de l’ordre autour des quartiers populaires, et un discours du chef de l’État.

Tout cela fait partie d’une représentation illusoire, postiche. Nous aurons donc un 14 Juillet officiellement contre le peuple, contre les banlieues. Un 14 Juillet pour vendre quelques rafales supplémentaires à l’Inde, nos fameuses « forces morales ».

Dans votre récit  14 Juillet, vous parlez des événements qui ont conduit à la prise de la Bastille comme d’une « émeute » dans laquelle vous vous fondez pour raconter « le grand nombre anonyme qui fut victorieux ce jour-là ». Sous votre plume, ce terme d’émeute n’a rien de dépréciatif. Qu’est-ce qui distingue l’émeute de la révolte, du soulèvement, de l’insurrection ?

Éric Vuillard : Le passage célèbre des Misérables où Hugo, dans un grand moment de prose exaltée, passe en revue ces termes, est sans doute ce qu’on a fait de mieux. Au-delà de toutes distinctions, son lyrisme établit un continuum, il définit l’émeute, réputée aveugle, ignorante de ses causes et de ses désirs, comme le premier pas vers un mouvement révolutionnaire, il se refuse à la disqualifier.

Il en fait une vérité abrupte, raboteuse, mais impérissable, qui revient sans cesse, contre un impôt scélérat, ou une énième violence de l’État. Elle est la réfutation spontanée, récurrente de ce qui opprime, une menace à l’ordre établi.

Ainsi, ne peut-on pas voir dans le soulèvement de ceux qu’offusque la mort d’un jeune homme, un chapitre déchirant de cette sourde douleur qui traverse la vie sociale ?

Et ne peut-on pas voir dans le fait que la plupart des personnes arrêtées étaient « sans antécédents judiciaires », non seulement un démenti flagrant de ceux qui attisent le mépris social, mais le signe d’une colère qu’il n’est pas indigne de partager ?

Votre livre s’ouvre sur le saccage de la folie Titon, une riche maison de plaisance : « La révolution commença ainsi : on pilla la belle demeure, on brisa les vitres (…). Tout fut cassé, détruit », écrivez-vous. Comment lisez-vous les pillages qui ont accompagné l’explosion de colère dans les banlieues, après la mort du jeune Nahel abattu par un policier à Nanterre ?

Éric Vuillard : À Tours, où je vis, deux personnes ont été interpellées et placées en garde à vue pour le pillage d’un Lidl. Ce sont des personnes de plus de 60 ans. On a retrouvé chez eux du dentifrice, de la mousse à raser, du gel douche, des boîtes de corned-beef, deux grille-pain et une machine à glaçons.

Ils ont déclaré que c’était pour leur famille, ils n’étaient jusque-là « pas connus de la justice ». Dans une période de chômage de masse, d’inflation aiguë sur les produits de première nécessité, dans un monde sans perspective d’émancipation, un Lidl, du corned-beef, du dentifrice, un grille-pain, de la part de retraités sans casier judiciaire, cela s’appelle les émeutes de la faim.

Le portrait que vous brossez de la France de 1789 entre en résonance avec notre présent d’inégalités : « Beaucoup de Parisiens ont à peine de quoi acheter du pain. Un journalier gagne six sous par jour, un pain de quatre livres en vaut quinze. Mais le pays, lui, n’est pas pauvre. Il s’est même enrichi. Le profit colonial, industriel, minier a permis à toute une bourgeoisie de prospérer. Et puis les riches paient peu d’impôts ; l’État est presque ruiné, mais les rentiers ne sont pas à plaindre. Ce sont les salariés qui triment pour rien (…). » Où se situe le point de rupture ?

Éric Vuillard : Nous vivons une époque sans précédent d’accroissement des inégalités, de concentration du pouvoir entre quelques mains, et la domination d’un petit groupe de privilégiés est sur le point de devenir mondiale. Nous assistons à une régression idéologique d’avant les Lumières. C’est pourquoi, dans le contexte où nous sommes, la pensée des Lumières redevient une ligne de défense. Contre les tenants hypocrites de Machiavel, il faut s’en tenir à Montesquieu et à Rousseau.

Le discours critique à l’égard des Lumières, qui était jadis émancipateur et souhaitait aller au-delà des exigences trop formelles des philosophes, doit aujourd’hui se raviser ; il faut défendre ces exigences formelles, puisqu’elles sont à présent menacées.

Puisque le contrôle continu et le grand oral ont remplacé la procédure anonyme du bac, ce n’est plus l’hypocrisie relative de la procédure anonyme qui doit être dénoncée avec Bourdieu, il faut lutter pour le retour de l’anonymat, qui fut la meilleure parade contre le règne sans partage des fils de famille.

Et puisque l’on peut condamner en comparution immédiate trois cent quatre-vingts personnes en à peine quelques jours et qu’il faudra des années pour juger le policier qui a tué Nahel, on voit bien que la simple égalité devant la loi devient de nouveau un enjeu.

Un syndicat de police en appelait ces jours-ci à la « guerre » contre les « nuisibles », les « hordes sauvages ».  La dimension raciste de cette déclaration est manifeste. Mais ces mots ne trahissent-ils pas, aussi, la vieille hantise des classes dangereuses ? On pense à Flaubert tenant les communards pour de « piètres monstres » et accusant la capitale insurgée de « dépasser le Dahomey en férocité et en bêtise ».

En un sens, la provocation de ce syndicat de police traduit une réalité, ne sommes-nous pas en guerre civile ? Les puissants ne sont-ils pas en guerre contre la majorité des gens, Bolloré ne cherche-t-il pas à s’approprier toute la chaîne du savoir : la presse, l’édition et maintenant les librairies ?

Et lorsque, après quelques jours d’émeute, le président de la République évoque comme « pistes de réflexion », alors que le tir à bout portant d’un policier a tué un jeune garçon, la suspension des réseaux sociaux et la sanction des parents irresponsables à ses yeux, ce sont bien des menaces réelles, menaces de censure, d’amende et de prison ; n’est-ce pas une guerre civile larvée qui est ici menée, une violence qui ne dit pas son nom ?

Et, pour reprendre le titre de Victor Hugo, qui est désormais celui de Ladj Ly et de toutes les banlieues françaises : les menaces du président de la République sont directement adressées aux Misérables.

Les classes dominantes ont substitué à l’idéal égalitaire de la Révolution française de brumeuses promesses d’« équité », d’« égalité des chances ». Comment ce principe d’égalité pourrait-il encore charpenter une politique d’émancipation ?

Éric Vuillard : Dans une période aussi rétrograde, toutes les luttes égalitaires sont bonnes à prendre. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le cœur du dispositif inégalitaire : la clé de répartition des richesses.

Au soir du 14 juillet, trente mille personnes des faubourgs ouvriers sont en armes, c’est sans précédent ; l’armée du roi incapable de tenir Paris, cela restructure les consciences. On se plaît à nous répéter que les gens d’aujourd’hui seraient trop dépolitisés, et ceux-là mêmes qui sont les plus réfractaires à tout changement font comme s’ils déploraient cette apathie populaire ! Mais ce qui m’a le plus frappé en travaillant sur le 14 Juillet, c’est la rapidité à laquelle chacun se politise.

Ainsi, un type se trouve du côté de Belleville le 12 juillet, des jeunes gens gueulent dans la rue et exigent qu’il hurle « Vive le tiers État ! », il refuse, demande ce que c’est que le tiers État, on lui répond : « Ce sont les pauvres ouvriers comme nous. » Deux jours plus tard, l’homme participe à la prise de la Bastille, quatre ans plus tard, il est général de la Convention.

 

Entre 1935 et 1936, les effectifs de la CGT sont multipliés par cinq en quelques mois. Et puisque ni les 40 heures ni les congés payés ne figuraient au programme du Front populaire, c’est avant tout de l’affrontement que cette politique d’émancipation est venue.

Selon une loi élémentaire de la physique sociale, on peut à coup sûr parier qu’un conflit d’une intensité plus forte eut encore permis de nouveaux progrès.

À la fin de La Guerre des pauvres, vous écrivez : « Le martyre est un piège pour ceux que l’on opprime, seule est souhaitable la victoire. Je la raconterai. » À quoi pourrait ressembler la victoire ?

Éric Vuillard : Il est curieux de constater combien les heureux du monde, pour emprunter l’ironique expression d’Edith Wharton, font l’éloge de la défaite, de la modestie qu’elle encourage, de ce qu’elle est censée nous apprendre.

Cette complaisance, à la fois paradoxale et banale, chez ceux qui souffrent le moins des rigueurs de la vie sociale, doit être repoussée. Oui, la victoire est souhaitable et possible.

Dans son fameux  Discours de la servitude volontaire, La Boétie se demandait comment il se fait, nous qui sommes si nombreux, que nous acceptions d’être dirigés par un seul, ou, ce qui revient au même, par un petit groupe de privilégiés. Depuis 1789, nous savons qu’en réalité, nous ne l’acceptons pas.

Si j’ignore à quoi pourrait ressembler la victoire, puisqu’un événement de cette ampleur reconfigurerait l’ensemble de la vie sociale, nous savons néanmoins tous, par les leçons de l’histoire moderne, que le jaillissement de l’événement nous surprendra, que sa forme nous déroutera, qu’il dissipera, serait-ce pour un temps, le brouillard de nos consciences.

Ainsi des gilets jaunes ; on les imaginait autrement, sans drapeaux français, sans  Marseillaise, sans ronds-points. Ce sont pourtant des gens bien réels, pas des petits bonshommes de papier qui, entre deux coups de Flash-Ball, ont écrit sur l’Arc de triomphe : « Les gilets jaunes triompheront ».

C’est pourquoi j’écris à la fin de mon petit livre que je la raconterai, après coup. Les soulèvements ne sont pas des créations littéraires


 


 

La Fête nationale défigurée

Sébastien Crépel sur www.humanite.fr

Les Français qui ont pris la Bastille sans demander l’autorisation des puissants, il y a 234 ans, mériteraient-ils de célébrer la Fête nationale cette année ? La question peut se poser, à l’heure où certains s’arrogent le droit de décider qui fait partie de la République et qui n’en est pas, dans une version dénaturée de cette grande œuvre du peuple de France. La gauche, héritière de Jean Jaurès qui n’a eu de cesse de se battre pour la construire et l’approfondir, est sur le point d’être excommuniée par le nouveau parti de l’ordre, rassemblant les élites « modérées » jusqu’aux droites extrêmes.

Profitant de l’exacerbation des tensions qui a suivi la mort de Nahel à Nanterre, certains poussent leur avantage en prétendant trier les « vrais » et les « faux » Français. De LR au RN, on traite les quartiers populaires comme une 5e colonne, tandis qu’est déniée, dans un langage qui n’a rien à envier au pire répertoire fasciste, l’appartenance à la nation de jeunes Français nés en France révoltés par les exactions de la police. En se servant de la figure de « l’émeutier » comme d’un repoussoir, les nouveaux Tartuffe cherchent à escamoter les clivages de classe pour fédérer le patron comme l’ouvrier des campagnes, le bourgeois des beaux quartiers et le travailleur précaire des cités, chacun étant mis en demeure de choisir son camp : qui n’est pas pour le « retour à l’ordre » est forcément complice du feu et du chaos.

On mesure la dérive idéologique de la droite quand on réécoute les paroles de Jacques Chirac après l’embrasement des cités de 2005 : « Je veux dire aux enfants des quartiers difficiles, quelles que soient leurs origines, qu’ils sont tous les filles et les fils de la République. » Ces mots d’un président qui n’avait pourtant rien de gauche – et qui ne les a nullement traduits en actes par la suite – lui vaudraient sûrement aujourd’hui un procès en trahison de la part de ses héritiers politiques. Emmanuel Macron s’honorerait pourtant à reprendre ces paroles à son compte, ce 14 Juillet, s’il ne veut pas d’une Fête nationale défigurée par les divisions et la haine qu’on attise jusque dans son camp.


 


 

Quartiers populaires : 
les oubliés du bal du 14 Juillet

Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr

La France célébrera, ce vendredi, une fête nationale synonyme de chute de l’Ancien Régime et d’acte de naissance de la République. Mais la promesse républicaine demeure ce grand inachevé, comme en témoigne le soulèvement des quartiers populaires.

Il plane sur ce 14 juillet 2023 une sale odeur de poudre et les mèches des feux d’artifice n’y sont pour rien. La France s’apprête à célébrer en grande pompe la République et la nation, tandis qu’une partie de sa population, coupable d’avoir laissé sa colère exploser après la mise à mort d’un adolescent, est accusée de toutes les sécessions.

Sur les Champs-Élysées, si près et en même temps si loin de Nanterre où un policier a tiré sur Nahel, ce sera, vendredi, le grand raout des régiments qui marchent au pas, de la République en bon ordre, des insignes et des flonflons. À la tribune officielle, Emmanuel Macron recevra en majesté le premier ministre indien, l’ultranationaliste hindou Narendra Modi, soucieux qu’il reparte à New Delhi avec, dans sa valise, 26 avions Rafale achetés au groupe Dassault. Étrange spectacle que celui de la déconnexion entre la célébration et l’objet célébré…

« Le 14 Juillet, dans nos banlieues, c’est au mieux un folklore national »

A-t-on perdu le sens du 14 Juillet ? On y marque le coup de la prise de la Bastille, des « tyrans descendus au cercueil », de l’effervescence politique révolutionnaire et de la démocratie comme horizon pour tous. Vraiment pour tous ?

La promesse sonne désormais comme une trahison, dans les quartiers populaires. « Le 14 Juillet, dans nos banlieues, c’est au mieux un folklore national, soupire Philippe Rio, maire PCF de Grigny (Essonne). La promesse républicaine n’est plus tenue depuis bien longtemps, ça relève davantage de la fable du père Noël. Elle est censée s’incarner dans le triptyque liberté-égalité-fraternité, or les habitants sont, au contraire, très conscients des inégalités, de la discrimination, des injustices. La République, pour eux, c’est ça. »

C’est qu’il ne suffit pas de psalmodier « République » et « arc républicain » tous les quatre matins sur les plateaux télé de Paris pour que l’idée prenne corps. Encore faut-il lui donner une contenance. L’égalité est gravée en lettres d’or sur le fronton des mairies mais, en Seine-Saint-Denis, on vit en moyenne quatre ans de moins que dans le département voisin des Hauts-de-Seine, le plus riche de France.

La désertification des services publics ronge tout le pays, mais les banlieues pauvres sont particulièrement mal servies : il y a cinq fois plus de bureaux de poste à Neuilly-sur-Seine qu’à Saint-Denis, pour une population deux fois plus nombreuse. Dans les immeubles haussmanniens chics du « 92 », des concierges plus ou moins affables veillent à la tranquillité des bourgeois. Dans le « 93 », l’ascenseur en panne depuis plusieurs mois pourrit le quotidien d’une tour de douze étages. 45 % des moins de 25 ans sont au chômage, dans les quartiers dits « politique de la ville ».

Au pied des cités, la République revêt bien trop souvent l’uniforme et la matraque

Au pied des cités, la République revêt bien trop souvent l’uniforme et la matraque. Les témoignages sur les petites humiliations policières, le contrôle au faciès, les insultes sont nombreux.

L’idée que les « flics assassins » ne sont jamais condamnés est largement partagée , alors que la justice – pour Zyed et Bouna, pour Adama, pour Nahel – est au cœur de toutes les revendications. «  Dans les faits, il y a une impunité judiciaire presque complète pour ces policiers, explique Yassine Bouzrou, avocat de la famille de Nahel, dans le Monde. La justice n’a jamais été aussi radicale dans l’exonération des policiers. »

Elle contraste avec les comparutions immédiates et les sanctions délivrées à rythme industriel pour les jeunes pris lors des pillages. « Le seul »dialogue« qui s’instaure entre l’État et les habitants, c’est souvent la répression », résume Lauren Lolo.

La jeune femme, cofondatrice de l’association Cité des chances, milite pour que les banlieues s’intéressent à la politique. Une gageure : « Il y a une grosse méfiance, beaucoup de »tous pourris« , mais aussi de la méconnaissance sur qui gère quoi… On leur a tellement répété que ce n’était pas leur affaire, voire pas leur pays quand ils sont racisés, que certains ont fini par y croire. »

La stigmatisation se déverse par tous les canaux médiatiques

La devise républicaine a bon dos quand la stigmatisation se déverse par tous les canaux médiatiques. On y crée des « sous-Français », des « pas-comme-nous ». « Les émeutiers, vous allez me dire qu’ils sont français. Oui, mais comment Français ? » s’interroge la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, quand son président de groupe Bruno Retailleau évoque sans sourciller « une régression » des immigrés « vers leurs origines ethniques ». 

Valeurs actuelles déclare les banlieues en « sécession », Paris Match noircit ses pages de « casseurs pilleurs qui mettent la France à feu et à sang ». Le RN parle de « Français de papier », de « nationalité faciale », relance le débat sur la déchéance de nationalité pour les binationaux.

Lauren Lolo en mesure les conséquences sur le terrain : « Les banlieues sont tellement stigmatisées, qu’a fini par s’y développer l’idée qu’il faudra se débrouiller sans l’État, sans la République. D’où tous ces discours d’apologie de l’autoentreprise, très start-up nation, qui marchent bien dans les quartiers. »

La combine est connue : plus un service public se dégrade, plus le discours pro-intérêts privés gagne du terrain. Quitte à éroder un peu plus la confiance. « Aujourd’hui, le citoyen français, a fortiori dans les banlieues populaires, se méfie des politiques, de la police et de la justice, évalue Philippe Rio. Plus vous lui parlez de République, moins il vous croit. La maison République est à rénover de fond en comble, pour retrouver le sens de notre devise et du 14 Juillet. »

Certaines banlieues n’auront d’ailleurs même pas le droit au folklore. À Sartrouville (Yvelines), le maire LR Pierre Fond a décidé d’annuler le spectacle traditionnel de la fête nationale. « Je ne suis pas un amuseur public », se défend l’élu, qui préfère voir « les forces de l’ordre prêtes à se projeter sur des violences potentielles » plutôt qu’à sécuriser les festivités. Mêmes décisions dans d’autres villes franciliennes, comme Chelles, Dammarie-les-Lys, Bussy-Saint-Georges, Claye-Souilly, Vaires-sur-Marne ou encore Jouy-le-Moutier. Histoire de rajouter de l’exclusion à l’exclusion. Le gouvernement veille : en tout, 130 000 policiers et gendarmes seront déployés dans le pays.

publié le 12 juillet 2023

Syndicats et patronat convoqués à Matignon :
ce qui peut en sortir

Théo Bourrieau sur www.humanite.fr

À Matignon, Élisabeth Borne reçoit syndicats et patronat ce mercredi 12 juillet. Si la première ministre espère tourner définitivement la page de la réforme des retraites, les syndicats comptent imposer leur agenda social.

La date est cruciale pour les syndicats, le patronat et l’exécutif. Les trois acteurs du «  pacte de la vie au travail » voulu par Emmanuel Macron doivent se rencontrer mercredi 12 juillet, soit un peu plus d’un mois après la dernière manifestation contre la réforme des retraites, mais surtout seulement deux jours avant la fin des « 100 jours d’apaisement » décrétés par le président de la République.

Cette réunion intervient également au moment où la perspective d’un remaniement occupe tous les esprits, et où le poste de chef du gouvernement est convoité par Gérald Darmanin, malgré ses fiascos à répétition. Si les syndicats vont essayer d’empêcher la page « réforme des retraites » de se refermer, ils vont surtout tenter de faire avancer leur propre agenda social.

Les cinq organisations syndicales représentatives (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) et les trois organisations patronales (Medef, CPME, U2P) rencontrent à partir de 10 heures la première ministre Élisabeth Borne, mais aussi le ministre du travail Olivier Dussopt. Deux nouveaux venus feront leur apparition : la nouvelle secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon, et le futur président du Medef Patrick Martin.

« Après la débâcle des 100 jours, il faut changer de cap ! »

« Après la débâcle des 100 jours, il faut changer de cap ! », affirme, dans un communiqué, la CGT qui assure de sa volonté de rappeler son opposition à la réforme des retraites. Cependant, contrairement aux précédentes rencontres avec l’exécutif, la suite des discussions ne sera pas soumise à l’issue des débats sur le sujet.

Le syndicat et sa secrétaire générale Sophie Binet prévoit d’aborder la réforme du RSA et de l’assurance chômage, la loi « plein-emploi  », le rôle de la police, les quartiers populaires, mais aussi le démantèlement du Fret ferroviaire et la situation de l’entreprise MG Valdunes ou celle des salariés de l’entreprise de logistique Sonelog.

Sur France Inter, Sophie Binet affirme également vouloir discuter de la situation au JDD, en grève depuis plusieurs semaines depuis l’annonce de l’arrivée du journaliste d’extrême droite Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction.

La question du salaire est « taboue » pour le gouvernement, a aussi fustigé la secrétaire générale de la CGT  sur France 2 la veille de la rencontre. Le mardi 11 juillet, la CGT avait déjà communiqué ses 100 «  mesures immédiates pour protéger et améliorer la vie des salarié.es  » construites autour de cinq axes : salaire, retraite, démocratie sociale, chômage et égalité femmes/hommes.

Borne fait les yeux doux au patronat

De son côté, Matignon explique que «  la première ministre aura l’occasion de saluer le travail des partenaires sociaux, de confirmer (…) l’engagement de transposer (dans la loi) les accords qui pourraient être trouvés » entre patronat et syndicats.

Sur son compte Twitter, Élisabeth Borne, après avoir remercié Geoffroy Roux de Bézieux «  pour son engagement » et félicité Patrick Martin «  pour son élection à la tête du Medef », promet de recevoir «  les partenaires sociaux pour bâtir ensemble un nouveau pacte de la vie au travail ».

Matignon a toutefois déjà annoncé sa réticence face aux revendications salariales, soulignant que le sujet pourrait revenir dans les discussions internes entre patronat et syndicats, en marge du «  volet déroulé de carrière et parcours professionnels ».

Le mercredi 12 juillet au matin, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, affirmait au micro de Franceinfo qu'il s'agissait d'« un jour important dans l'histoire social contemporaine de notre pays ». L'ancien ministre de la Santé, en reprenant les éléments de langage du gouvernement et du président de la République, promet que « ce qui va se nouer, ce sont les prémices d'un véritable pacte de la vie au travail ».

Les syndicats, la CGT de Sophie Binet en tête, réclament depuis plusieurs semaines une rencontre avec Emmanuel Macron. Olivier Véran reste évasif : « Personne ne dit qu'il n'y aura pas à un moment donné une rencontre ». À propos d'un éventuel remaniement, le porte-parole du gouvernement affirme que le gouvernement « ne réfléchit pas à la question ».


 


 

Matignon : après la débâcle des 100 jours,
il faut changer de cap !

 Communiqué CGT sur http://r.servicepresse.cgt.fr

La CGT affirmera et rappellera, en premier lieu, son opposition à la réforme des retraites qui s’appliquera, dès le 1er septembre, dans des conditions catastrophiques pour des millions de Françaises et Français. Nous dénonçons l’application de cette réforme, à marche forcée, et nous exigeons l’abrogation de la réforme.

La CGT affirmera et rappellera, en premier lieu, son opposition à la réforme des retraites qui s’appliquera, dès le 1er septembre, dans des conditions catastrophiques pour des millions de Françaises et Français. Nous dénonçons l’application de cette réforme, à marche forcée, et nous exigeons l’abrogation de la réforme.

Ce rendez-vous sera, aussi, l’occasion pour la CGT d’aborder plusieurs dossiers extrêmement inquiétants et urgents :

le démantèlement du FRET ferroviaire et la situation de l’entreprise MG Valdunes (fabriquant de roues de train) qui menace des milliers d’emploi, à contresens des besoins sociaux et environnementaux de notre société ;

la situation des salarié·es de l’entreprise de logistique Sonelog, au Pontet (84), dont le délégué syndical et 10 salarié·es grévistes ont été licenciés pour avoir fait grève ;

l’arrivée d’un rédacteur en chef d’extrême droite à la tête du JDD - dont les salarié·es sont en grève depuis plus de 3 semaines - qui menace l’indépendance juridique et éditoriale de leur journal. Le gouvernement doit conditionner les aides à la presse et renforcer la loi pour garantir l’indépendance de la presse.

Enfin, et surtout, la CGT portera les priorités des travailleurs et travailleuses. Dans un contexte où l’inflation atteint des records, les questions des salaires, de protection sociale ou encore d’égalité salariale sont complètements invisibilisées par le gouvernement et le patronat.

C’est pourquoi la CGT publie, aujourd’hui, ses 100 propositions pour protéger et améliorer la vie des salarié·es.

Ces propositions sont construites autour de 5 axes prioritaires :

les salaires pour lesquels la CGT demande l’indexation des salaires sur l’inflation, la revalorisation du Smic à 2000 euros pour faire face à l’inflation et un conditionnement des aides publiques aux entreprises à un avis conforme du CSE ;

• les retraites avec notamment : la négociation des retraites complémentaires AGIRC-ARRCO, les départs anticipés pour pénibilité et l’aménagement des fins de carrières ;

la démocratie sociale dont : les questions de libertés syndicales, les moyens alloués aux représentant·es du personnel pour revenir sur les « ordonnances Macron » ;

le chômage avec la remise en cause des violentes réformes du gouvernement qui ont drastiquement réduit les indemnités des privés d’emplois ;

l’égalité femmes/hommes pour garantir l’égalité salariale, la révision de l’index égalité et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

Comme le démontre l’échec des 100 jours, l’autoritarisme et la répression ne peuvent constituer la réponse à la défiance profonde et aux fortes attentes sociales. L’escalade de violence et de répression ne résoudra rien. Des réponses sociales urgentes doivent être données.

Montreuil, le 11 juillet 2023

  publié le 11 juillet 2023

Face aux violences policières,
une convergence des luttes inédite

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

En réponse à l’autoritarisme gouvernemental, de plus en plus aligné sur la violence verbale de l’extrême droite, et au déni du racisme et des violences policières, une riposte unitaire se construit, que beaucoup disent « inédite ».

« Le« Le climat est malsain », « Il n’y a plus aucune limite à l’autoritarisme de l’État », « On se fait rouler dessus par l’extrême droite »… Au téléphone, le 10 juillet, des militant·es antiracistes et de la gauche sociale et associative partagent un sentiment de désarroi. Celui-ci n’a fait que grandir depuis la diffusion des images de la mort de Nahel, 17 ans, tué à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 27 juin.

L’empathie pour la victime et la nécessité d’apporter une réponse politique digne ont très vite laissé place au racisme décomplexé dans les médias et sur les réseaux sociaux, et au déni du gouvernement pensant pouvoir se contenter d’une parade sécuritaire. La cagnotte en faveur du policier mis en examen après la mort de Nahel, lancée par le polémiste d’extrême droite Jean Messiha et qui a recueilli plus d’un million d’euros, est le symbole le plus cru de ce basculement.

Ces 7 et 8 juillet, l’interdiction du rassemblement organisé par le comité La vérité pour Adama, en hommage au jeune homme mort il y a sept ans dans les locaux de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise), et l’interpellation violente du frère d’Adama, Yssoufou, par la BRAV-M (brigade de répression de l’action violente motocycliste), qui a aussi frappé des journalistes, ont achevé de plonger toute une sphère politique et militante de gauche, organisée ou pas, dans la stupeur.

De l’effroi à l’action

Mais la riposte s’organise, avec « une convergence inédite d’associations, syndicats, partis et collectifs de quartiers populaires », souligne Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac France. « La mort de Nahel est un catalyseur », affirme-t-elle, pleine d’espoir dans ce sursaut politique et de la société civile.

D’une part, un collectif de 122 organisations s’est réuni derrière l’appel « Notre pays est en deuil et en colère ». Ce collectif a soutenu le comité Adama en réagissant à chaque nouvelle interdiction préfectorale par un communiqué. Plusieurs de ses membres, dont des dizaines de député·es de La France insoumise (LFI) et d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), étaient dans la rue le 8 juillet, lors de la manifestation interdite, et devant le commissariat du Ve arrondissement, où avaient été conduits Yssoufou Traoré et Samir Elyes (un militant historique des quartiers populaires, sur lequel Mediapart avait publié une enquête en 2022). 

Ce cadre unitaire est voué à perdurer. Ce 12 juillet, une nouvelle réunion aura lieu, notamment concernant la marche du 15 juillet, place de la République à Paris, à l’appel de la Coordination nationale contre les violences policières : « C’est la prochaine grosse échéance, un jalon de plus dans la convergence actuelle : compte tenu de la répression inacceptable, extrêmement grave de ce week-end, et de l’acharnement sur la famille Traoré, elle est d’autant plus nécessaire. Si on n’arrive pas à faire front commun, la répression aura le dessus, et on sera en incapacité de défendre nos droits et nos libertés », alerte Youlie Yamamoto.

D’autre part, la tribune publiée le 8 juillet dans le Club de Mediapart, signée par des artistes, militant·es associatifs et politiques, et des personnalités de la société civile, a dépassé en 48 heures les 7 000 signataires. On compte parmi eux des profils aussi divers que Virginie Despentes, Casey, Médine, Angèle, Annie Ernaux, Édouard Louis, Olivier Besancenot, Usul, Yelle, des député·es LFI, des membres d’EELV, du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ou encore Alternatiba Paris…

On a tenu à ce que les revendications des militants de terrain soient entendues.

Alignée sur les revendications de collectifs des quartiers populaires, comme celui d’Amal Bentounsi (« Urgence, notre police assassine »), cette tribune exige notamment l’interdiction du transfert de fonds de la « cagnotte de la honte », une refonte de la police, mais aussi « que cesse immédiatement le recours systématique aux détentions provisoires et aux comparutions immédiates dont nous avons pu voir ces derniers jours qu’elles aboutissent presque systématiquement à des peines de prison ferme ». « On a tenu à ce que les revendications des militants de terrain soient entendues », explique Chaïma, étudiante en M1 en communication, engagée dans le milieu associatif, à l’origine de cette initiative.

Une dynamique unitaire qui se poursuit

C’est elle qui a d’abord créé un groupe privé informel sur Instagram, dont l’objectif était d’obtenir la fermeture de la cagnotte de Jean Messiha : « C’est parti de l’effroi face à cette cagnotte. De fil en aiguille, c’est devenu une campagne de mobilisation digitale pour atteindre GoFundMe [la plateforme l’hébergeant – ndlr], puis une tribune », explique-t-elle. 

« Ce groupe est né d’une indignation collective étouffée. On est nombreux à être inquiets de la criminalisation des collectifs antiracistes politiques et du mouvement social, et on a trouvé intéressant de dire qu’ils ne sont pas seuls », abonde Zohra M., qui travaille dans le domaine des droits humains et fait également partie des instigatrices.

La journaliste à L’Obs Renée Greusard, qui a prêté main-forte au projet, affirme avoir depuis le sentiment de « sortir la tête de l’eau ». « On était tous révoltés, et ça nous booste d’être ensemble », explique-t-elle. « Nahel est un gamin dont la mort du fait d’un tir policier a été filmée, mais combien de fois il n’y a pas eu d’images ? Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas de réponse politique digne de ce nom. Il faut les réveiller, qu’ils ne puissent plus se contenter de dire que “c’est inexplicable” : il faut que la police soit réformée, la situation est hallucinante », défend-elle.

L’interdiction de la manifestation du comité Adama et l’interpellation violente d’Yssoufou Traoré ont accéléré la publication du texte. « On était déjà à bout, quand dans une même scène on a vu un militant se faire agresser par la BRAV-M, une jeune fille se faire pousser violemment et des journalistes se prendre des coups de matraque. On est horrifiés par la situation, et on est d’accord pour se faire l’écho des revendications des collectifs et citoyens qui tiennent à l’État de droit », résume Zohra M.

Par capillarité, le texte a circulé jusqu’à atteindre des milliers de signatures, comme celle de la militante écologiste Pauline Rapilly Ferniot. Jointe par Mediapart, celle-ci se félicite de voir cette réaction unitaire qui se hisse à la hauteur de l’urgence.

Ces violences sont devant nos yeux, et pour le gouvernement, c’est un non-sujet.

À force de répétition des mêmes scènes de violences, elle s’inquiétait d’une sorte d’accoutumance : « Avant, il y avait une indignation quand, par exemple, le journaliste Rémy Buisine se faisait taper dessus par les policiers. Maintenant, il n’y a même plus un seul membre du gouvernement qui fait semblant de s’indigner, alors qu’il y a des vidéos ! Linterpellation d’Yssoufou Traoré a été vue des millions de fois, ces violences sont devant nos yeux, et ils ne disent même pas qu’il y a un problème, c’est un non-sujet. On est tous sur le cul de ce qui nous arrive », témoigne-t-elle.

Samedi encore, la députée Renaissance Anne-Laurence Petel allait jusqu’à s’en prendre aux journalistes victimes de violences policières – « Un militant va au contact de la police un journaliste respecte les règles », a-t-elle sermonné sur Twitter. « Le climat est malsain, il y a une montée en puissance de l’autoritarisme gouvernemental, tout est prétexte à interdire les rassemblements. C’est indigne d’un pays qui se dit démocratique », s’inquiète aussi Alain Coulombel, membre du bureau exécutif d’EELV.

Après la répression des manifestations contre la réforme des retraites, celle de la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) et la dissolution des Soulèvements de la Terre (SLT), la nécessité d’une réponse forte et solidaire des révoltes dans les quartiers populaires a donc trouvé un débouché. Récemment encore, un rapport d’ONG sur Sainte-Soline dénonçait un « usage immodéré et indiscriminé d’armes de guerre », qui a failli coûter la vie à Serge D.

« Ces méthodes sont pratiquées depuis des années dans les quartiers populaires et les territoires ultramarins, maintenant elles touchent le mouvement social et écologiste », observe Youlie Yamamoto, d’Attac. De ce point de vue, la militante constate une solidarité nouvelle, qui fait la force de la mobilisation naissante : « Pour des raisons historiques, les réactions communes de ces luttes – qui ne travaillent pas sur le même terrain – n’étaient pas évidentes, mais désormais, c’est fini. Le lien est évident, car la répression a un même visage : celui de Macron, qui utilise l’arme policière et judiciaire au service de sa politique, contre toute forme de transformation sociale », conclut-elle.

   publié le 9 juillet 2023

Comité Adama. Pari réussi
contre les violences policières,
malgré les interdictions

Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

Convoqué par le comité La Vérité pour Adama Traoré, avec le soutien des syndicats (CGT, FSU, Solidaires) et de partis politiques, comme LFI, EELV et le NPA, le rassemblement avait été interdit à Beaumont-sur-Oise, puis dans la capitale. Dans le calme mais avec détermination, un millier de personnes ont bravé l’interdit afin d’exercer leur liberté de manifester, de s’exprimer et aussi leur droit d’honorer les morts.

Pari gagné pour le comité La Vérité pour Adama, du nom du jeune homme mort le 19 juillet 2016 au cours d’une interpellation par la gendarmerie à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise). Après l’interdiction par les autorités préfectorales du département de la manifestation qui se tient chaque année depuis le drame, initialement prévue à Persan et Beaumont, un millier de personnes ont, ce samedi après-midi, bravé la deuxième interdiction édictée à Paris, et se sont retrouvées, ce samedi après-midi, sur la place de la République, au centre de la capitale. « Ce sont des décisions politiques qui visent à nous empêcher de nous exprimer et à jeter de l’huile sur le feu », dénonce Assa Traoré, soeur d’Adama et porte-parole du comité. « A Beaumont, nous avons toujours défilé de manière organisée et dans le calme. Ils nous ont dit d’arrêter les révoltes dans les quartiers, puis quand on veut se rassembler, on prétend nous l’interdire, c’est inacceptable. Mais nous avons le dernier mot, personne ne peut nous interdire de marcher, de nous rassembler, de défendre notre pays et notre démocratie. »« 

Membre de la Coordination nationale contre les violences policières, Omar Slaouti abonde :  »En nous interdisant d’aller à Beaumont, on veut aussi nous empêcher d’avoir un élan d’amour, d’amitié et de sympathie pour Adama et ses proches. Nos morts parlent encore, ils nous réveillent la nuit, nos morts réclament justice« .Alors que l’information judiciaire sur le décès de son petit frère a été clôturée en fin d’année dernière mais que le parquet de Paris doit encore se prononcer pour requérir, ou non, le renvoi de l’affaire devant la justice, Assa Traoré rappelle encore, au cours d’un point presse improvisé, sans mégaphone, quelques minutes avant l’heure du rassemblement déjà nassé par les policiers et les gendarmes:  »Le jour où Adama est mort, c’était le jour de son anniversaire. Il avait mis sa plus belle chemise à fleurs, il avait enfilé un bermuda et pris son bob. Il voulait juste faire un tour en vélo, et il n’en est pas revenu. Sept ans après, on attend encore, la justice et la vérité doivent toujours être faites.« 

Cette année, après la mort du jeune Nahel, abattu à bout portant par un policier, le 27 juin, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le rendez-vous traditionnel organisé par le comité avait été inscrit au coeur d’un appel unitaire appuyé par des collectifs, des associations, des syndicats et des formations politiques. Après une évacuation précipitée par les sommations lancées par les policiers et les gendarmes, puis dans la manifestation qui remonte vers la Gare du Nord, on croise ainsi près d’une dizaine de députés insoumis, dont Mathilde Panot et Rachel Keke, ainsi que l’écologiste Sandrine Rousseau, la porte-parole de Solidaires Murielle Guilbert, mais également des représentants de la Fondation Copernic ou encore d’Attac. Au nom de la CGT, Céline Verzeletti dénonce  »une atteinte au droit à l’expression, au droit à la mémoire« .»Nous dénonçons la violence institutionnelle, le racisme, et nous revendiquons l’égalité sociale dans toutes ses dimensions, ajoute-t-elle. Mais ce gouvernement n’a strictement aucune réponse politique, et du coup, il n’est plus du tout légitime.« 

Après avoir défilé, sans le moindre heurt, sur quelques centaines de mètres, boulevard Magenta, Assa Traoré monte sur un abribus pour une dernière prise de parole avant d’appeler à la dispersion dans le calme.

»On pourchasse nos morts jusque dans leurs tombes, on veut nous interdire de les nommer, avance encore la jeune femme. En somme, on nie leurs existences jusque dans la mort... C’est une déshumanisation totale.« Pour Assa Traoré qui fait le décompte des jeunes gens tués, avant Nahel, pour »refus d’obtempérer« , il y a urgence :  »L’Etat doit reconnaître qu’il y a du racisme en France. Ce ne serait pas une faiblesse ! Reconnaître qu’il y a du racisme en France, c’est sauver des vies !« 

Sous les applaudissements et les slogans  »Pas de justice, pas de paix« , les manifestants se dispersent tranquillement. Quelques dizaines de minutes plus tard, une escouade de la Brav-M procède, malgré tout, à l’interpellation très brutale de deux des membres du comité La Vérité pour Adama. Au passage, les policiers bousculent violemment des manifestants et des journalistes. Sinistre hoquet de l’Histoire : Youssouf, l’un des propres frères d’Adama Traoré, est embarqué, après avoir été immobilisé par plusieurs agents entassés sur son torse, soit exactement les gestes qui ont pu conduire, d’après ses proches, au décès du jeune homme à Beaumont-sur-Oise il y a sept ans.

Selon Eric Coquerel, le membre du comité a dû être transporté à l’hôpital, tandis que la préfecture de police envisage, elle, de poursuivre Assa Traoré pour appel à participation à un rassemblement interdit. Signe évident, là encore, comme le dit le député insoumis, d’une  »persécution vis-à-vis de la famille Traoré« ​​​​​​​.


 


 

En hommage à Adama Traoré,
la convergence des colères
face aux interdictions

Clémentine Mariuzzo  sur www.politis.fr

Pour la septième année consécutive, 2 000 personnes se sont rassemblées, samedi 8 juillet, place de la République à Paris, en hommage à Adama Traoré. Bravant les interdictions des préfectures, les manifestants étaient portés par la mort de Nahel et les récentes révoltes en France.

Malgré deux interdictions préfectorales, la marche annuelle en hommage à Adama Traoré a eu lieu, samedi 8 juillet à Paris. Sur un abribus du boulevard Magenta, sur le bord de la fontaine place de la République ou sur un banc, Assa Traoré a dû se contenter d’estrades de fortune pour faire porter la voix de son frère. Alors que le rassemblement devait se tenir à Beaumont-sur-Oise, où est mort le jeune homme asphyxié par un gendarme le 19 juillet 2016, la préfecture du Val-d’Oise l’a interdit par peur des tensions. Le programme était pourtant clair : concert, jeux pour les enfants, débats. Rien ne laissait penser que des « éléments radicaux », comme le mentionne l’arrêté de la préfecture, auraient pu se déplacer. Mais, moins de deux semaines après le décès de Nahel, le tribunal administratif du Val-d’Oise a estimé que « bien que les violences aient diminué ces derniers jours, leur caractère extrêmement récent ne permet [pas] de présumer que tout risque de trouble à l’ordre public ait disparu ».

Alors, le collectif La Vérité pour Adama s’est rabattu sur la place de la République à Paris, « lieu d’expression et de liberté », comme l’a défini la sœur du défunt. Mais le verdict tombe la veille du rassemblement : la préfecture de police de Paris emboîte le pas de celle du Val-d’Oise et l’interdit pour les mêmes raisons. L’eau n’a pas encore coulé sous les ponts, après les révoltes qui ont émaillé la France des quartiers populaires, jusqu’aux centres urbains et villes moyennes. La colère fume encore. La préfecture craint une convergence et elle a raison : Nahel est sur toutes les bouches. « Ils ne veulent pas que nous rassemblions nos colères. Ils ont peur », dénonce Assa Traoré lors de sa première prise de parole, sur un coin de la place de la République, peu avant 15 heures. Car malgré « un arsenal de guerre », un rassemblement a lieu. Officiellement, une conférence de presse. Officieusement, le début de « la victoire pour la liberté de manifester », comme le clamera Assa Traoré.

Nous avons le droit de crier le nom de nos morts même si l’État ne le veut pas.. Assa Traoré

Par deux fois, le cordon policier est forcé. D’abord, pour rejoindre la fontaine de la Place de la République ou les députés insoumis et écologistes ont pris la parole. Puis, après une dernière sommation des policiers, pour débuter une marche sur le boulevard Magenta. Dans le calme, les quelques milliers de manifestants ont battu le pavé pendant moins d’une heure vers la Gare de l’Est en scandant : « Pas de justice, pas de paix ». Manifestation sauvage oblige, la circulation continue et les conducteurs se retrouvent dans la foule. Les organisateurs leur glissent un petit mot d’excuse par la vitre, l’ambiance n’est pas à l’affrontement.

Recueillement et injustice

Pour beaucoup, elle est au recueillement, notamment pour Noah* 39 ans. Cet entrepreneur habite Bordeaux mais a grandi en banlieue parisienne. « J’essaye de venir chaque année pour rendre hommage à Adama, ça aurait pu être mon petit frère » dit-il, ému. L’interdiction de la préfecture l’a touché, mais il « la comprend. Ils ont peur des débordements et ils ont peur de nous ». Mais malgré la tristesse ambiante du deuil se crée la colère de « l’injustice ». Assa Traoré n’a jamais la voix chevrotante mais dans ses déclarations l’émotion est là : « Nous avons le droit de crier le nom de nos morts même si l’État ne le veut pas. Ils ne reviendront pas mais nous sommes là pour les vivants et pour la liberté ». Pour Noah, comme pour Assa Traoré, « ce n’est pas au gouvernement de dire si l’on peut marcher pour nos morts ». C’est aussi ce que croit Alice Coffin, élue écologiste à la mairie de Paris, et comme elle le précise elle-même, « militante antiraciste et féministe ».

C’est par cette deuxième dénomination qu’elle est présente ce 8 juillet : « J’avais prévu de venir avec ou sans autorisation de la préfecture ». Pourtant, en tant qu’élue, elle dit s’être « battue avec le préfet de police de Paris pour autoriser la manifestation, mais ça n’a pas abouti ». Thomas Portes, député LFI, dit aussi avoir « fait son possible pour autoriser l’hommage ». Écharpes tricolores en guise de bouclier, lui et des élus de gauche défilent fièrement aux côtés des Traoré. Pourtant, la manifestation a divisé la Nupes. Le Parti communiste et le Parti socialiste ont refusé d’y prendre part. La France insoumise et Europe écologie Les Verts, eux, étaient bien présents. Tous dénoncent « fortement la répression de l’État et l’entrave à la liberté de manifester. », comme le souligne la députée LFI Mathilde Panot. Pas seulement présents pour rendre hommage à Adama Traoré, les élus sont aussi là pour « soutenir les organisateurs après cette décision antidémocratique » mais aussi et surtout, « pour que l’État reconnaisse le racisme dans la police ».

« La mort d’Adama est une conséquence du racisme dans la police »

Dans la foule, la présence des politiques « fait plaisir », confie Sarah, 24 ans, venue de Créteil pour marcher, « mais il ne faut pas qu’ils nous oublient quand ça sera fini. On verra s’ils seront là dans deux mois pour parler de nos problèmes. » Plus qu’un hommage à Adama Traoré, le rassemblement ressemble à un cri de colère contre les violences policières. Les « problèmes » sont dans les bouches. « La mort d’Adama est une conséquence du racisme dans la police, dénonce Sarah, c’est pour ça qu’on est là ». Les mobilisations simultanées dans les grandes villes en sont la preuve. D’après la police, 5 500 personnes ont marché en France contre les violences policières ce 8 juillet. Assa Traoré citera Nahel à plusieurs reprises, mais aussi Mahamadou et 11 victimes pour présomption de refus d’obtempérer. La volonté est claire : « Nous nous battons pour que l’État reconnaisse qu’il y a du racisme en France. Le reconnaître, ce n’est pas une faiblesse, c’est sauver des vies », expliquera la jeune femme perchée sur un abribus.

Bravant tous les interdits, Amina*, 73 ans, fait face aux policiers, elle a « l’habitude ». Prête à « prendre des risques » contre « l’injustice que ces gens vivent », elle n’a pas hésité à venir en sachant que le rassemblement était à côté de chez elle. « Interdit ou pas, je serais venue », s’exclame-t-elle. La retraitée est bénévole au DAL (Droit au Logement), arborant de petits stickers sur son gilet jaune « Non aux expulsions dans les quartiers ». « Tout cela est relié, la répression, le racisme systémique apporte la précarité et le mal logement. Elle continue : « Les jeunes qui ont été mis en prison après avoir participé aux émeutes, certaines de leurs familles ont déjà été expulsées à cause de ça. » À peine le temps de finir sa phrase, que les policiers chargent.

C’est à l’arrivée du cortège à la Gare de l’Est que l’ambiance tourne au vinaigre. Alors que la dispersion se passe dans le calme, une brigade de BRAV-M donne alors à voir une image tristement symbolique, avec l’arrestation par placage ventral et menottage de Youssouf Traoré, frère d’Adama Traoré. Soit la même position qui a entraîné la mort de son frère. Il sortira du commissariat du 5e arrondissement sur un brancard, blessé à l’œil. D’après BFMTV, une commissaire de police aurait porté plainte contre le jeune homme pour violences sur personne dépositaire de l’autorité publique. Une procédure judiciaire est également en cours contre Assa Troré pour délit d’organisation d’une manifestation non déclarée.

On a gagné, on leur a montré que nous avions eu le dernier mot. Assa Traoré

Assa TraoréLors de sa prise de parole finale, cette dernière conclut sagement : « On a gagné, on leur a montré que nous avions eu le dernier mot. Rentrons chez nous ». Une déclaration qui ne fait pas l’unanimité dans la foule. « Non, nous n’avons pas gagné. Pourquoi rentrer maintenant ? », s’interroge une manifestante tenant une pancarte affichant « Justice ? » dans les mains. Le 15 juillet, une seconde manifestation est annoncée, que les organisateurs espèrent voir autorisée. L’occasion de « s’organiser ensemble pour demander la justice, et dénoncer l’injustice », déclarera Assa Traoré, consciente que les enjeux sont cette année encore plus grands que l’hommage à son frère.

* Le prénom a été changé, comme tous ceux suivis d’une astérisque.


 


 

D’Adama Traoré à Nahel : la marche
contre les violences policières
brave les interdits

Mathieu Dejean et Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

En dépit de l’interdiction préfectorale, le comité Vérité et justice pour Adama a défilé à Paris contre les violences policières et le racisme. Dans le contexte de révolte des quartiers populaires après la mort de Nahel, la mobilisation pacifique, soutenue par la gauche sociale et politique, a donné lieu à l'interpellation violente d’un frère Traoré par la police.

LesLes autorités ont tout fait pour que la marche en mémoire d’Adama Traoré, mort il y a sept ans dans les locaux de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise), n’ait pas lieu. D’abord, la préfecture du Val-d’Oise a interdit le rassemblement qui devait se tenir, comme chaque année, le 8 juillet à Beaumont-sur-Oise – décision confirmée par la justice administrative. Par arrêté préfectoral, la circulation des trains de la RATP a ensuite été interrompue vers Persan-Beaumont. 

Enfin, le comité Vérité et justice pour Adama ayant décidé d’appeler à se réunir place de la République, à Paris, la préfecture de Paris a interdit le rassemblement à son tour. « Cette manifestation intervient dans un contexte encore sensible, après un épisode de violences urbaines survenues en Île-de-France, et notamment à Paris », argue la préfecture dans son communiqué. Le contexte, c’est aussi la mort de Nahel M., 17 ans, tué à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 27 juin. 

Une manifestation s’est pourtant bien lancée de la place de la République ce samedi 8 juillet, malgré une lourde présence policière. Les organisateurs ont, dans un premier temps, été nassés par la police mais, rapidement et sous l’impulsion du comité Vérité et justice pour Adama, le cordon policier a été forcé : une première fois pour accéder à la fontaine de la place de la République, une seconde pour débuter la marche. Elle aura duré moins d’une heure, dans le calme. 

La préfecture de Paris a annoncé une procédure judiciaire contre l’organisatrice, Assa Traoré, sœur d’Adama. Par ailleurs, deux interpellations ont été effectuées, les deux concernent des membres du comité Adama, dont l’un des frères Traoré, Youssouf, violemment arrêté comme en témoignent ces images. On y entend une militante répéter : « Pas à trois sur son dos, laissez le juste respirer. » Blessé à l’œil, Youssouf Traoré a été transféré du commissariat du Varrondissement à l’hôpital. Selon BFMTV, une policière a déposé plainte contre le frère d’Adama Traoré pour violences sur personne dépositaire de l’autorité publique. Le Comité Adama affirme ne pas avoir été informé du dépôt de cette plainte pour l'instant. 

Assa Traoré gagne un « bras de fer »

À 15 h 45, Assa Traoré monte sur un arrêt de bus, boulevard Magenta, vers la gare de l’Est, pour prendre la parole. Le cortège n’est pas allé plus loin. « Reconnaître qu’il y a du racisme en France, c’est sauver des vies. On a le droit de marcher pour nos frères. Vous allez rentrer chez vous avec fierté, honneur et dignité », lance-t-elle devant les manifestant·es bien encadré·es par des cordons de policiers. « C’est un hommage à Adama et pour toutes les victimes de violences policières : qu’elle dure une heure ou trois heures, peu importe, estime Omar Slaouti, militant historique des quartiers populaires. C’est un bras de fer : on sait qu’en face ils ne vont rien lâcher pour ne pas nous laisser s’exprimer. » 

Dans la foule, près de 2000 personnes, beaucoup de militant·es des quartiers populaires, de responsables politiques de La France insoumise (LFI) et d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), quelques rares chasubles syndicales aux couleurs des deux seules organisations de travailleurs présentes ce jour-là : la CGT et Solidaires. Les très jeunes habitant·es des quartiers populaires qui se sont révolté·es ces derniers jours et qui se succèdent en comparution immédiate en ce moment ne sont pas de la partie. Pour les personnes interrogées, cela s’explique par le fait que la marche s’est faite à Paris plutôt qu’à Beaumont-sur-Oise, et par la crainte que peut faire naître chez eux une présence policière accrue. 

Dans la famille, on est ACAB de père en filles.

Tala et Tasnim, deux sœurs, sont venues d’Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), battre le pavé aux côtés du comité Vérité et justice pour Adama. La première a 25 ans et travaille en tant que consultante dans la santé, la deuxième a 17 ans et vient d’obtenir son bac avec mention. Les deux jeunes femmes sont noires, portent le voile et racontent la violence du « racisme systémique », dans la rue pour leur frère et leur père, dans les études pour elles deux. « Mon père est un homme noir qui est arrivé en France dans les années 1980, alors les violences de la police, il connaît, commente Tala. Mon frère pareil. Nous aussi. Dans la famille, on est ACAB [All cops are bastards – ndlr] de père en filles. » 

La plus jeune répète ce que toutes les personnes racisées nous indiquent lors de cette marche : ça aurait pu être son frère. « Et quand on se révolte, nous, on nous réprime encore plus durement, s’inquiète Tasnim. Quand les habitants des quartiers populaires se mobilisent, c’est des émeutes. Quand ce sont des blancs, ce sont des manifestations engagées. J’ai pas l’impression d’être particulièrement agressive ou animale. »

Autour d’elles, les slogans fusent : « Tout le monde déteste la police », « Pas de justice, pas de paix », « Justice pour Adama », « Justice pour Nahel », « On ne nous empêchera pas de manifester, contre le racisme et l’impunité ». La voix de Tasnim se hisse au-dessus des mégaphones pour expliquer qu’elle n’a pas eu peur d’amener sa petite sœur dans une manifestation interdite par la préfecture : « On risque de se faire violenter et arrêter, mais, de toute façon, en tant que racisés, on risque tout cela tout le temps, manifs ou pas. Alors, les interdictions, on s’en fout. » 

Témoignages du racisme ordinaire de la police

Un peu plus loin, Fanta et Enora Gomes, elles, ne parlent pas au conditionnel quand elles disent que ça aurait pu être un membre de leur famille. Leur cousin, Olivio Gomes, est mort le 17 octobre 2020 de trois balles tirées par un policier de la BAC de Poissy (Yvelines), pour refus d’obtempérer. Comme Assa Traoré, elles répètent son nom, la date de sa mort, les conditions dans lesquelles celle-ci a eu lieu à de nombreuses reprises pour que le jeune homme de 28 ans ne tombe pas dans l’oubli. 

« C’est toujours la même histoire, souffle Enora. C’est juste les acteurs qui changent : il y a un refus d’obtempérer, et les policiers utilisent leurs armes pour tuer alors qu’il y a d’autres moyens d’interpeller. Ce qui s’est passé pour Nahel, c’est exactement la même chose, sauf que, pour nous, il n’y a pas de vidéo. » Les deux étudiantes, de 20 et 21 ans arborent un tee-shirt appelant à la « justice pour Olivio Gomes », racontent « l’angoisse permanente », ce poids qui leur reste sur le cœur chaque fois qu’elles aperçoivent un petit frère ou un petit cousin dans la rue, comme autant de potentielles victimes de violences policières. 

Les appels au calme sans justice sociale et sans moyens conséquents, ce n’est même pas entendable.

Elles se désolent d’une même voix que les « marches, les communiqués, ça ne sert plus à rien. Ça fait des années qu’on en fait, ça n’a rien changé, ils tuent encore. » Alors, si elles ne cautionnent pas les violences qui ont pu avoir lieu dans certains quartiers populaires après la mort de Nahel, elles comprennent : « Détruire notre milieu urbain à nous, c’est peut-être pas la meilleure solution, mais on n’a pas d’autres moyens de se faire entendre. »

Le constat est partagé par Farid Bennai du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP) : « Les jeunes qui se révoltent le font parce qu’ils savent très bien que ça aurait pu être eux-mêmes, leur frère, leur copain. » Alors que la plupart des responsables politiques ont appelé au calme, l’éducateur de rue estime que leurs prises de parole sont inopérantes : « Les pouvoirs publics violentent et créent une crispation dans les quartiers populaires et on demande ensuite aux éducateurs d’appeler au calme. Les appels au calme sans justice sociale et sans moyens conséquents, ce n’est même pas entendable. Ça ne veut rien dire. » 

Dans une même phrase, il raconte ces jeunes qui viennent le voir pour se plaindre des humiliations quotidiennes que leur font vivre la police, l’abandon progressif de l’État dans les quartiers les plus précaires et la marche impitoyable de « la machine répressive », faisant référence aux comparutions immédiates bâclées lors desquelles nombre de jeunes banlieusards ont pris des peines de prison ferme après les révoltes. Et de se souvenir d’une phrase qui, pour lui, résume tout : « Un jeune m’a dit un jour : “On nous traite comme des animaux, on se révolte comme des sauvages.” » 

Une gauche sidérée, mais solidaire

Quelques heures plus tôt, le collectif d’associations, de syndicats et de partis politiques de gauche, signataire de l’appel « Notre pays est en deuil et en colère », tenait une conférence de presse en catastrophe, près de la place de la République. Les mines sont ternes et la tension palpable. Éric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denis, confie sa colère face aux interdictions : « Le gouvernement met la France au ban des démocraties. Le droit de manifester est un droit constitutionnel, ils n’ont même plus de prétexte : cette marche commémorative a toujours été pacifique. C’est sidérant. » « Le droit à manifester devient à discrétion des préfets et du gouvernement, ce n’est pas possible. Il faut protéger les libertés publiques », abonde la députée écologiste Sandrine Rousseau. 

Pour l’Insoumis, le seul point positif, c’est le sursaut d’une partie de la gauche sociale et syndicale, qui ne laisse pas les quartiers populaires seuls dans la bataille : « En grande partie, la gauche considère que ce qui se passe est politique, et que ça la concerne. Mais le gouvernement est bien plus dur qu’en 2005 en termes de fuite en avant répressive. »

Du côté des partis, LFI, Europe Écologie-Les Verts (EELV) et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), notamment, étaient représentés – pas le Parti socialiste (PS), ni le Parti communiste français (PCF). La CGT, Solidaires ou encore Attac entouraient aussi Assa Traoré. Au micro, Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, rappelle le soutien de la confédération au comité et se désole de la réaction de l’exécutif : « La seule réponse du gouvernement, c’est la répression, les atteintes à tous les droits et aucune réponse sociale ou politique. Ce gouvernement n’est plus du tout légitime. »

« Nous empêcher de manifester, c’est nous empêcher de dire notre amour à l’endroit de ceux et celles qui devraient vivre aujourd’hui », déclare Omar Slaouti, évoquant un « tournant majeur » lors de la conférence de presse qui s’est tenue avant le départ du cortège. « On commence toujours par les quartiers, mais ça se termine dans tous les mouvements sociaux : ce qui se passe, c’est l’interdiction de tes libertés, en tant que femme, qu’écologiste, que syndicaliste », prévient-il. Et de rappeler le prochain rendez-vous : une marche contre les violences policières le 15 juillet, place de la République à Paris, à l'initiative de la Coordination Nationale contre les violences policières. 

À l’heure des questions, une seule journaliste prend la parole : « Assa Traoré, appelez-vous au calme ? » Et cette dernière de lui répondre : « Pourquoi me posez-vous cette question ? A-t-on déjà appelé à la violence ? »

  publié le 8 juillet 2023

Le sous-titre des émeutes

Christophe Deroubaix sur www.humanite.fr

« En dernière instance, une émeute est le langage de ceux qu’on n’entend pas. » Faut-il s’inspirer de Martin Luther King et donner du sens à ce qui est survenu depuis le meurtre de Nahel ? Si l’on en croit un sondage Elabe, une immense majorité de Français refusent de s’engager dans cette voie : 90 % estimeraient que la mort du jeune homme n’a constitué qu’un prétexte pour « casser ». Adopter cette thèse reviendrait dramatiquement à ne pas entendre. Ceci dit, que faut-il « entendre » dans des scènes de pillages et d’incendies qui ont produit autant d’images, mais aussi peu de paroles ? Notons au passage le vide organisationnel qui domine dans les quartiers populaires. Rien d’analogue au mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, qui avait, notamment après la mort de George Floyd, encadré les manifestations et assuré le « portage » revendicatif.

Faute de mots d’ordre et de slogans, il faut donc sous-titrer le film des « émeutes ». Selon le sociologue Romain Huët, elles « sont le signe d’une détresse politique ». Dans la « cité », ces jeunes ne sont jamais des jeunes : ils sont « des cités », des « banlieues », « issus de l’immigration »… L’accumulation de relégations, sociale, spatiale et symbolique, s’incarne dans une sorte de paradoxe ultime : les rencontres les plus fréquentes qu’ils ont avec des agents du service public – nous parlons ici de policiers – tournent trop souvent au contrôle d’identité sans raison, à l’intimidation, à l’humiliation. Et parfois à la mort. La liste est désormais trop longue et établie depuis trop longtemps (dès les années 1980) pour que persiste le déni : il y a bien un problème dans le rapport assigné par le pouvoir à l’institution policière.

La France de 2023 n’est pas l’Amérique de 1967, mais on ne manquera pas de trouver un puissant écho dans cette autre phrase du leader du mouvement des droits civiques : « Aussi longtemps que l’Amérique remettra la justice à plus tard, nous serons dans la position de voir se répéter des vagues de violence. »

  publié le 4 juillet 2023

En Macronie, surdité et répression

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Gilets jaunes, réforme des retraites, révoltes des quartiers populaires… Les crises s’enchaînent quasiment sans interruption pour un Emmanuel Macron autoritaire, qui ne veut ni entendre ni comprendre. Jusqu’à quand cela peut-il tenir ?

« Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » Manuel Valls, alors Premier ministre, après les attentats de novembre 2015. Huit ans ont passé. Une phrase devenue doctrine. Ne pas expliquer. Ne pas politiser. Condamner ou légitimer. Dans une dichotomie digne d’un roman de gare, la Macronie, suivie par une bonne partie des médias mainstream, renvoie une semaine de révolte à une violence injustifiée. Injustifiable. Inexplicable, en somme. La stratégie est désormais trop bien connue, trop bien huilée. Dévier les débats de fond pour se concentrer sur la forme. Puis tourner en boucle dessus. Même processus lors de la mobilisation des gilets jaunes. Ou encore, plus récemment, pendant le mouvement contre la réforme des retraites. Toujours la même injonction, hier et aujourd’hui : condamnez-vous ces violences ? Expliquer, essayer de comprendre, en revanche, n’est pas une discipline macroniste.

Dévier les débats de fond pour se concentrer sur la forme. Puis tourner en boucle dessus.

Preuve en est : ce bingo, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, de crises sociales qui s’enchaînent presque sans interruption. Les classes moyennes laborieuses : les gilets jaunes. Les fonctionnaires du service public : la crise sanitaire et de l’hôpital public. Les travailleurs, et surtout travailleuses, de la deuxième ligne : le mouvement social contre la réforme des retraites. La jeunesse des quartiers populaires : la mort de Nahel. À ces colères, légitimes, la seule réponse de ce pouvoir est celle de la surdité et de la répression. Ces derniers jours n’en sont qu’une cruelle illustration. Les jeux vidéo, les réseaux sociaux et le manque d’autorité parentale : voilà les vrais responsables du désordre, selon Emmanuel Macron, expert ès sciences sociales. Autant de déviations pour ne pas écouter. Des éborgnements, des arrêtés préfectoraux illégaux, une police toujours plus violente, des condamnations en comparution immédiate d’une extrême lourdeur : autant de répression pour faire taire. Jusqu’à quand cela tiendra-t-il ?

Ces méthodes ont un but évident. Éviter, à tout prix, de s’attaquer au fond des problèmes. Pourtant, parfois, il s’agirait d’écouter les sachants. Car comprendre, c’est pouvoir agir. Expliquer, c’est vouloir améliorer. « C’est dans cette histoire [coloniale] que se sont construits un répertoire policier (contrôles d’identité, fouilles corporelles…) et des illégalismes violents (bavures, ratonnades…) qui n’ont pas cessé avec les indépendances des années 1960 », souligne, par exemple, Emmanuel Blanchard, directeur adjoint de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, dans un entretien au Monde. Un racisme de la police pointé du doigt par l’ONU. Mais non, circulez, il n’y a rien à comprendre, ces « émeutiers » sont des « nuisibles » pour reprendre les termes d’Alliance et de l’Unsa Police, les deux principaux syndicats policiers. « La police est merveilleuse », a même osé la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.

Mais cette révolte ne dit pas que ça. Elle démontre une colère liée à l’abandon de ces quartiers. À la disparition des services publics, à l’incapacité de l’école à créer son rôle émancipateur, à l’insalubrité de logements sociaux vieillissants. À l’inflation, à laquelle les réponses gouvernementales sont restées au stade du pansement sur une fracture ouverte, aux inégalités fiscales, aux boulots pénibles, mal rémunérés, accidentogènes. Des phénomènes documentés, expliqués. Sans autre réponse politique à ces colères que celle de la répression, l’exécutif continue d’attiser la haine et la frustration. Jusqu’à quand cela tiendra-t-il ?


 


 

2005-2023 : mêmes causes, mêmes effets

Aurélien Soucheyre, Camille Bauer, Olivier Chartrain et Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

L’embrasement des quartiers populaires après l’assassinat de Nahel fait écho à celui qui, il y a dix-huit ans, avait fait suite à la mort de Zyed et Bouna. Depuis, malgré quelques velléités politiques, aucune mesure efficace n’a permis de mettre fin aux inégalités et la relégation des banlieues.

Zyed et Bouna, 17 et 15 ans, Nahel, 17 ans. En 2023 comme en 2005, après le choc, c’est le feu qui vient jeter une lumière crue sur les injustices entourant la mort tragique de ces adolescents de banlieue. En 2005, Jacques Chirac, alors président de la République, avait rappelé après le drame de Clichy-sous-Bois que « le devoir de la République, c’est d’offrir partout et à chacun les mêmes chances ». Dix-huit ans ont passé, et rien ne semble avoir changé. Entre-temps, les inégalités ont explosé.

Des relations dégradées entre la police et les habitants

« Les raisons pour lesquelles cela explose sont les mêmes depuis une quarantaine d’années en France, avance Anthony Pregnolato, docteur en sciences politiques et spécialiste des mobilisations contre les violences policières.  Depuis 2005, il y a eu d’autres rébellions dans les quartiers populaires suite à des morts ou des blessés graves par la police. Mais elles n’ont pas toujours été très médiatisées. » Ce qui participe, ou non, à la contagion de la colère.

Au début des années 2020, le collectif Réseau d’entraide vérité et justice est créé pour apporter un soutien financier, moral et juridique aux familles endeuillées et aux personnes blessées et mutilées. Cela procède d’un lent travail de visibilisation et de conscientisation de la violence et du harcèlement policiers contre les jeunes hommes issus des quartiers populaires.

Mais le délitement des relations entre la police et les habitants doit aussi beaucoup aux décisions régaliennes. Après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, Jacques Chirac avait annoncé la couleur : « La première nécessité, c’est de rétablir l’ordre public. » Ce mantra a la vie longue. Depuis, les gouvernements successifs, aiguillonnés par les syndicats majoritaires de la police, s’illustrent par une surenchère sécuritaire accompagnée d’un surarmement des policiers.

Cette politique se traduit par un renforcement de la présence policière et une augmentation du nombre de morts et de blessés durant les interventions. « Un certain nombre de pratiques renforcées et officialisées par l’état d’urgence, instauré en 2015 après les attentats, se sont généralisées. Plus récemment, le déploiement de l’amende forfaitaire pour usage et détention de cannabis, la multiplication des contrôles durant les confinements liés au Covid en 2020 et 2021 ont produit un effet d’accumulation, analyse Anthony Pregnolato. Tous ces éléments expliquent une montée des tensions entre la population des quartiers populaires et la police, bien que les discriminations et interventions policières mortelles, très peu jugées et encore moins condamnées, ne soient pas nouvelles et persistent depuis plus de cinquante ans. »

Pour le député de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu, « la suppression de la police de proximité (décidée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Jean-Pierre Raffarin – NDLR) se paie chaque année un peu plus. La dégradation de la relation entre la population et la police est une réalité absolue, notamment chez les jeunes. Tout le monde, les policiers, les éducateurs, les élus locaux, les habitants, reconnaissent qu’il y a une relation abîmée dont les effets sont délétères ».

Les chiffres étaient ce sentiment : Selon une enquête réalisée par l’association Médiation nomade et la LDH en septembre 2021, 30 % des garçons de moins de 30 ans habitant un quartier considéré par eux comme « ayant mauvaise réputation », ont été contrôlés plus de trois fois dans l’année, tandis que 67 % des habitants de quartiers ayant bonne réputation affirment n’avoir jamais été contrôlés.

Éducation, le grand « abandon »

Pour Stéphane Peu, « l’éducation aurait dû être la priorité parmi toutes les priorités, et elle a sans doute été la politique fondamentale de l’État la plus abandonnée, abîmée et dégradée depuis 2005. »

Territoire devenu symbolique depuis qu’Emmanuel Macron a décidé d’en faire le laboratoire de sa politique de la ville et de « l’école du futur  », Marseille illustre tout ce qui n’a pas été fait : « Hormis les dédoublements pour les CP-CE1 en éducation prioritaire, observe Ramadan Aboudou, secrétaire adjoint du Snes dans l’académie, tous les établissements REP (réseau éducation prioritaire – NDLR) ont vu leurs moyens rabotés. Et c’est la même chose sur le territoire : depuis 2005, pas d’ouverture de théâtre, de cinéma, des quartiers qui ne sont toujours pas desservis par le tramway… Nous vivons un véritable abandon par l’État. »

Sa collègue Marion Choupinet abonde : « Depuis le premier mandat Macron, 8 000 postes de prof ont été supprimés et nous affrontons à présent une crise de recrutement sans précédent. »

Or, depuis 2005, le constat de la dégradation de l’école est implacable : affaiblissement des réseaux d’éducation prioritaire, dégradation de la formation des enseignants et de leur recrutement, précarisation du métier, perte massive d’heures d’enseignement faute de remplaçants… sont autant de stigmates qui touchent en particulier les quartiers populaires, là où, au contraire, les meilleures compétences seraient requises.

Observant qu’à la différence de la région parisienne aucune école n’a brûlé à Marseille, Ramadan Aboudou l’explique par une ville « très unie », mais avertit : « La destruction des services publics, c’est la première des violences et c’est ce que nous subissons depuis trop longtemps. Il y a aujourd’hui une perte de sens de l’école, pour les personnels comme pour les familles, il ne reste plus que cette entreprise de tri social qui génère souffrance et colère. De quels moyens disposons-nous pour transformer toute cette colère en énergie utile ? »

Avec d’autres mots, le sociologue Michel Kokoreff, spécialiste des banlieues, pose un diagnostic similaire : « Les écoles, les mairies, les équipements publics incendiés le sont en tant que symboles d’une République qui discrimine les jeunes. L’école, souvent, est le lieu premier où ils font l’expérience de l’échec avant de décrocher, en gardant une rancœur à l’égard de l’institution. » Une expérience face à laquelle toutes les promesses républicaines ne servent à rien si elles ne sont pas tenues.

Des quartiers toujours sous-dotés

Pauvreté, relégation, faiblesse des services publics, les 1 514 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), cumulent les inégalités.

Parmi les 5,5 millions de personnes qui vivent dans ces territoires, 43,3 % vivent en dessous du seuil de pauvreté contre 14,5 % dans le reste de la France. Le taux de chômage y est également deux fois plus élevé qu’ailleurs (18,6 % contre 8,5 %), avec une part plus élevée d’emplois précaires (7,3 % d’intérim contre 2,1 % et 15,1 % de CDD contre 9,9 % dans le reste de la France).

« Ces quartiers continuent à concentrer des populations à faible revenu, avec des conditions de logement et d’emploi difficiles, des jeunes souvent en décrochage scolaire, des femmes plus éloignées de l’emploi et une part importante de ses habitants issus de l’immigration », résume le rapport de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) en 2020.

Pas un secteur n’est épargné : Il y a  37 % de professionnels de santé en moins par habitant dans les QPV que dans le reste du territoire. On trouve aussi 36 % de bibliothèques en moins, trois fois moins d’équipements sportifs et 10 % des QPV ne disposent d’aucune desserte de transport, notait un rapport publié en octobre 2020 par l’Institut Montaigne.

Cette grande fragilité des habitants des QPV s’est révélée pendant la crise sanitaire. Plus nombreux à vivre dans des logements exigus et surpeuplés, mais aussi parce qu’ils occupent davantage d’emplois de seconde ligne, ils ont été presque deux fois plus touchés par le virus que le reste de la population.

Aujourd’hui, ils prennent de plein fouet l’inflation, dont l’impact est d’autant plus fort que beaucoup ne parvenaient déjà pas à boucler leurs mois. « Des habitants sont contraints de ne pas manger à tous les repas, et le nombre de personnes qui font appel aux distributions d’urgence alimentaire ne fait qu’augmenter », rappelait fin mai une tribune de maires dans Le Monde intitulée « Les banlieues au bord de l’asphyxie ». Une alerte qui fait écho à l’appel de Grigny, lancé par une centaine de maires de tous horizons en… 2017.

Malgré ces accumulations de handicaps, et les appels à l’aide récurrents des élus locaux, l’investissement de l’État n’a pas été davantage au rendez-vous après les émeutes de 2005.

« Les quartiers populaires reçoivent plus d’argent que les autres. Toutes les politiques dérogatoires dites politiques de la ville, Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), zones d’éducation prioritaire, zones de reconquête, etc., ne compensent jamais le différentiel de moyens permanent lié à des politiques de droit commun inégalitaires », rappelle Stéphane Peu.

Les 12 milliards d’euros versés à la politique de la ville entre 2003 et 2021 ont servi pour l’essentiel à mener à bien la rénovation du bâti dans 600 quartiers, mais aussi à améliorer la vie d’habitants d’immeubles construits à la va-vite dans les années 1950-1960. Mais les rénovations n’ont souvent pas été précédées d’une concertation suffisante et ont pu se traduire par l’expulsion hors du quartier des plus vulnérables.

Cette tendance à mettre l’accent sur le bâti s’est encore accentuée avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, qui a supprimé les emplois aidés, portant un coup sévère aux réseaux associatifs en banlieue. En 2018, il a également enterré le rapport commandé à Jean-Louis Borloo.

Depuis, rien ou presque, sauf un conseil interministériel de rattrapage en Seine-Saint-Denis et une promesse durant la dernière campagne, d’un « plan banlieues 2030 », dont les contours, les objectifs et les financements restent flous.

Un climat politique volontairement excluant

Le climat politique a lui aussi considérablement évolué entre 2005 et 2023 et tend aujourd’hui à exclure davantage les habitants des quartiers populaires.

L’extrême droite est devenue omniprésente médiatiquement, et ses idées pénètrent de plus en plus le discours de la droite dite « républicaine ». Le président du parti LR, Éric Ciotti, mais aussi le RN de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour se livrent depuis le meurtre de Nahel à une forme de surenchère visant à faire passer les citoyens issus de « l’immigration extra-européenne » pour des ennemis de l’intérieur. « Nous sommes dans les prodromes d’une guerre civile. C’est une guerre ethnique, raciale », a lâché le fondateur de Reconquête, qui élude toute question sociale.

Au séparatisme économique et social imposé par des décennies de libéralisme s’ajoutent une essentialisation et une ethnicisation des citoyens des quartiers par l’extrême droite. Cette double attaque nourrit depuis des années le sentiment de relégation et de stigmatisation des habitants concernés, et creuse le fossé voulu par la droite et son extrême. Le RN et LR soutiennent ainsi le policier qui a tué Nahel et fustigent « l’immigration de masse », qu’ils lient aux dégradations.

Des propos qui choquaient en 2005, et semblent désormais banalisés. Lors de son allocution télévisée, le président de la République d’alors, Jacques Chirac, avait certes appelé à la « réussite de notre politique d’intégration » en se montrant « strict dans l’application des règles du regroupement familial » et en renforçant « la lutte contre l’immigration irrégulière », traçant un lien entre révoltes et immigration.

Mais son diagnostic allait bien plus loin. « Nous ne construirons rien de durable si nous laissons monter, d’où qu’ils viennent, le racisme, l’intolérance, l’injure, l’outrage. Nous ne construirons rien de durable sans combattre ce poison pour la société que sont les discriminations (et) si nous ne reconnaissons pas et n’assumons pas la diversité de la société française. » Face à la montée de l’extrême droite, Emmanuel Macron pourrait s’en inspirer.

   publié le 2 juillet 2023

Au Val Fourré, on comprend les plus jeunes, sans cautionner leurs actes

Caroline Coq-Chodorge et Célia Mebroukine sur www.mediapart.fr

À Mantes-la-Jolie, dans le quartier du Val Fourré, des bâtiments publics et des commerces ont été brûlés ou cambriolés après la mort de Nahel. Dans un même souffle, les habitants condamnent et comprennent. Car tous ont vécu, souvent de très près, des violences et incivilités policières au cours des dernières décennies.

Mantes-la-Jolie (Yvelines).– Au Val Fourré, c’est un samedi 1er juillet de fêtes, celles de la fin de l’année scolaire. Les enfants, très jeunes et moins jeunes, accompagnés ou pas de leurs parents, déambulent dans le dédale de ce quartier de Mantes-la-Jolie (Yvelines), une des plus grandes cités de France avec ses 21 000 habitant·es. Sur la vaste esplanade au cœur du quartier, une association a monté des jeux gonflables. Les clubs de sport organisent leur fête de fin d’année. Au stade se joue la CAN, la Coupe d’Afrique des nations de Mantes, où s’affrontent les jeunes, filles et garçons, répartis dans des équipes plus ou moins aux couleurs de leurs origines, tant elles sont diverses et mélangées.

Il y a des ombres au tableau : la façade crevée de l’annexe de la mairie, brûlée deux nuits plus tôt ; celle noircie de la banque, désormais inutilisable ; le centre des impôts, lui aussi rongé par les flammes. Le quartier s’est embrasé après la mort de Nahel, sans surprise, tant les violences policières émaillent son histoire, de génération en génération. 

Dans la nuit de vendredi à samedi, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin s’est déplacé à Mantes-la-Jolie, aux alentours de 3 heures du matin. Mais il est resté dans le centre-ville cossu, à un gros kilomètre du Val Fourré.

Un frère, mort en garde à vue en 1991

Au gymnase Souquet, les festivités du club de karaté se terminent. Sonia Mebarka, 54 ans, secrétaire exécutive du club, salue tout le monde : les bénévoles, les coachs, les jeunes adhérent·es, leurs mères, leurs frères et sœurs. À ses côtés, son fils Naoufel et son meilleur copain Ademe. Les jeunes adolescents veulent aller au tournoi de foot organisé un peu plus loin dans le quartier. Sonia hésite : « Jai peur, peut-être que les policiers vont s’acharner ce soir. »

Comme beaucoup dans cette ville des Yvelines, Sonia a vécu les violences policières dans sa chair. C’était il y a plus de trente ans. Le 27 mai 1991, son frère Aïssa Ihich est mort d’un malaise cardiaque en garde à vue. Il avait 19 ans. Deux jours plus tôt, raconte Sonia, Aïssa s’était retrouvé « au mauvais endroit au mauvais moment », en chemin vers le domicile d’un ami. Des policiers mobilisés dans le quartier du Val Fourré à cause d’émeutes  l’avaient arrêté et roué de coups. Asthmatique, Aïssa n’a pas survécu à sa garde à vue sans ses médicaments. 

Selon Sonia, « les policiers ont dit qu’ils avaient arrêté mon frère pour des jets de pierre, mais moi je sais que c’est faux. Il fallait juste lui coller quelque chose, c’est tout. »

Les deux policiers impliqués dans son arrestation et le médecin ayant validé la garde à vue ont été poursuivis. Onze ans plus tard, les policiers ont été condamnés pour « violences aggravées » et ont écopé de huit mois de prison avec sursis. « Ça fait trente ans que je dis qu’il y a une justice à deux vitesses en France », soupire Sonia. 

Pour elle, la détention provisoire du policier après la mort de Nahel ne change rien : « Cest pour calmer le peuple, c’est tout. Je ne pense pas qu’il sera condamné. Ils l’aideront à déménager, à être muté et il sera oublié. »

Ils sont trop jeunes pour construire un discours politique.

« Quand mon frère est décédé, je voulais que ce soit le dernier. Mais ça recommence sans cesse », ajoute Sonia, dépitée. « On a l’habitude », acquiesce son fils Naoufel, âgé d’à peine 14 ans. La mère de trois enfants, salariée à Pôle emploi, comprend l’exaspération des jeunes, parfois très jeunes, qui participent à la révolte. Mais selon elle, ils ne visent pas « les bonnes cibles », en référence aux commerces et à la salle de sport brûlés. 

Un constat que partage Nathalie Coste, une amie de Sonia qui, comme elle, est une ancienne élue d’opposition – de gauche – à la mairie. Elles se sont rejointes pour un café sur la dalle centrale du Val Fourré. « Ce qu’ils font ne nuit qu’à eux-mêmes », regrette Nathalie, ancienne professeure d’histoire-géographie, qui a enseigné pendant 38 ans au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie. Cette révolte est, selon elle, « autodestructrice » car elle fait la part belle à une « violence sans discernement et sans discours politique. » « Certes, ils sont trop jeunes pour construire un discours politique, tempère-t-elle. Car il y a aussi une faiblesse du tissu politique dans ces quartiers. »

« En 2005, on découvrait presque les violences policières, se rappelle Nathalie. Leur médiatisation était sporadique. Mais aujourd’hui, les histoires s’accumulent, c’est chronique. Ces jeunes disent qu’ils ne seront plus des victimes et c’est important. Même si ce n’est pas de la bonne manière. » 

Yazid Kherfi est de la même génération que Sonia et Nathalie. Et son analyse rejoint la leur. Cet ancien braqueur, devenu enseignant à l’université et formateur sur les questions de prévention de la délinquance, considère que ce qui se passe est « plus grave » qu’en 2005. « En 2005, il y avait des revendications en lien avec Zyed et Bouna mais aussi par rapport aux propos de Nicolas Sarkozy sur la “racaille”, explique-t-il. Aujourd’hui, casser un magasin et tout piller, quel rapport avec la mort de Nahel ? »

« On a les jeunes qu’on mérite », lance Yazid, faisant plutôt peser plutôt la faute sur les adultes qui entourent ces jeunes. Des parents aux maires, en passant par les éducateurs mais aussi les policiers. Depuis plus de dix ans, Yazid sillonne les quartiers populaires de France avec son camion pour créer des espaces de discussion, la nuit, avec les jeunes. Yazid ne comprend pas que les centres de vie sociale « ferment tous à 18 heures » alors que la nuit est le moment le plus propice pour créer du lien. Il regrette également qu’au cours de ses « 500 soirées », aucun policier n’ait jamais accepté de discuter avec les jeunes qu’il réunit. 

La peur des mères de famille

À la sortie du gymnase Souquet, trois mères de famille, d’abord réticentes, sont finalement soulagées de « vider leur cœur ». Toutes trois exigent l’anonymat, comme beaucoup d’habitant·es du quartier, tant l’atmosphère y est sensible, chancelante. Elles ont chacune quatre ou cinq enfants, âgés de 9 à 26 ans. Depuis la mort de Nahel, elles sont « au-delà de la colère. Les enfants d’aujourd’hui voient bien qu’il n’y a pas de justice. On a l’impression d’être abandonnés face à une police qui peut faire ce qu’elle veut. » 

Quand elles voient des policiers dans le quartier, toutes ont le même réflexe : « On les appelle tout de suite : “T’es où ? Tu fais quoi ? Rentre à la maison !” Eux nous répondent que ce n’est pas normal, qu’ils ne font rien de mal. Mais il faut voir comment les policiers abordent les jeunes qui discutent dans la rue : ils sont tout de suite dans l’agressivité. Et si nos enfants leur tiennent tête, ils finissent en garde à vue. »

Dans le quartier du Val Fourré vivent presque exclusivement des immigré·es et des enfants d’immigré·es racisé·es. La police est-elle raciste ? « Je n’aime pas ce mot, ça me touche, dit une mère. Mais je crois que ça existe, oui... » « On explique à nos enfants qu’ils sont comme tout le monde, qu’ils doivent s’intégrer, s’adapter, dit une autre. Qu’ils ne sont ni des victimes, ni des coupables. Mais ce qu’ils voient, c’est l’inverse... » 

Au stade Jean-Paul-David, plusieurs milliers de personnes assistent aux finales de la CAN de Mantes : chez les filles, le Maroc a dominé le Sénégal, chez les garçons, l’Algérie s’est imposée face à la Gambie. C’est la liesse autour des vainqueurs. Les jeunes ne veulent pas parler du reste. Sonia montre un garçon de 13 ans, passé à tabac en garde à vue, à la suite d’un mauvais mot contre un policier. On l’aborde, il refuse la conversation : « C’était mon frère, j’ai oublié. »

On arrache quelques mots à un lycéen, avant que ses amis le rejoignent et le chambrent, coupant court à la conversation : « Les policiers nous parlent mal, parce qu’on est des Noirs. Depuis ce qui s’est passé, je sors plus, mes parents me l’interdisent, c’est pour la bonne cause. Ce qu’ils ont fait à Nahel, c’est grave. Et cela me concerne, parce que cela peut arriver à tout le monde ici. »

Ça ne passe pas, ça ne passera jamais d’avoir été humilié de cette façon.

La nuit est tombée sur le Val Fourré. Face à la grande mosquée de Mantes-la-Jolie, Younès et Nadir se souviennent. « J’ai même noté la date dans mon calendrier, attendez, demande Younès. C’était le 6 décembre 2018. » « Un jeudi », précise Nadir. Ce jour-là, les deux jeunes hommes, âgés de 15 et 17 ans à l’époque, participent à une manifestation « calme » contre la réforme du bac et Parcoursup, aux abords de leur lycée Saint-Exupéry, dans le quartier du Val Fourré. Après quelques dégradations, la police intervient et nasse les jeunes manifestants. Il est 11 heures du matin lorsque Nadir, Younès et plus d’une centaine d’autres lycéens sont arrêtés par la police et mis à genoux, mains sur la tête, alignés les uns à côté des autres. Dans une vidéo qui fait le tour des réseaux sociaux, on entend un des policiers participant à l’opération lancer : « Voilà une classe qui se tient sage. »

Nadir et Younès restent plusieurs heures à genoux, mains sur la tête, dans le froid. « Ils voulaient nous humilier », raconte Nadir. « Ces policiers n’étaient pas à la hauteur de l’uniforme », ajoute Younès.

Une enquête administrative est menée. L’IGPN conclut à « l’absence de comportements déviants » de la part des policiers. Nadir, Younès et d’autres se constituent alors partie civile et obtiennent en 2020 l’ouverture d’une enquête par un juge d’instruction. Ce n’est que deux ans plus tard, en décembre 2022, que Younès et Nadir sont enfin entendus. Malgré la lenteur de la procédure, les deux jeunes hommes ont une « once d’espoir » que ce qui est devenu leur « cause » aboutisse.  

Lorsqu’ils ont appris la mort de Nahel, « ça a fait remonter des choses. » « Ça ne passe pas, ça ne passera jamais d’avoir été humilié de cette façon », souffle Nadir. « Depuis, je suis dans la crainte de ceux qui sont censés nous protéger », dit Younès. « Mais qui nous protège d’eux ? », demande son ancien camarade de classe. 

Même s’ils n’ont pas été surpris par la révolte, Nadir et Younès ne cautionnent pas tout. Comme leurs aînés, ils regrettent que les jeunes s’en prennent aux biens des personnes. Pour Younès, cette « prise de conscience » est « respectable » mais la violence relève d’un « processus d’autodestruction ». « C’est dommage qu’il n’y ait plus que ce canal pour exister, regrette-t-il. On a été relégués et oubliés. »

Dimanche 2 juillet, vers 1 heure de matin, un restaurant et plusieurs cafés sont encore ouverts sur la dalle du Val Fourré. Il n’y a plus que des hommes dans les rues. Les plus vieux jouent aux cartes, imperturbables. Des très jeunes observent, méfiants. Aux deux principales entrées de la zone commerciale, des commerçants veillent, pour quelques heures au moins. 

Ils racontent le cambriolage de la boutique de réparation de téléphone par « des petits, des 13-17 ans, la plupart avaient moins de 15 ans ». Eux aussi ne comprennent pas qu’ils s’en prennent « aux commerces, aux voitures des gens d’ici. Mais leur colère, on la comprend. Nous aussi on a la haine de la police, et ça changera jamais. On connaît tous des gens qui ne sont jamais sortis de garde à vue. La police est profondément raciste »

L’un d’eux raconte une anecdote : il est allé saluer un groupe d’hommes. Parmi eux, il y avait « des baqueux [des policiers membres de la BAC – ndlr] habillés comme des racailles. Ils ont refusé de me saluer, en me disant : “On n’est pas des vôtres.” Moi aussi, quand j’en verrai un se faire piétiner, je lui dirai : “Je ne suis pas des vôtres.” » Les anecdotes sur la police sont inépuisables. Mais ce commerçant, père de famille, a pris le parti d’en rire. 

Une autre histoire encore, toute récente : « Il y a deux nuits de cela, j’étais ici, à veiller. Les policiers arrivent et me disent : “Levez les mains !” Mais ils me connaissent ! Et j’étais comme maintenant : pieds nature, en claquettes ! Et genre, je vais être un émeutier ? »

La nuit est encore calme. Au loin, claquent les feux artifices, ces « mortiers » de pacotille. Les commerçants pensent que les jeunes, soixante environ, sont quelques rues plus loin. Ils pourraient arriver sur la dalle, masqués ou cagoulés. Un des commerçants enregistre un message vidéo sur Snapchat dans lequel il dit aux jeunes : « Je suis avec vous. » Il explique : « Je n’ai aucun pouvoir sur eux. Mais je leur dis qu’ils sont la famille et que je veille aux débordements. » Et qu’en cas d’affrontements avec la police, il « montrera ce qui se passe ».

publié le 30 juin 2023

L’apaisement
ne se décrète pas,
il se construit.

par Attac France sur https://france.attac.org/

Ce jeudi 29 juin était organisée une marche blanche en hommage à Nahel, tué à bout portant par un policier le 27 juin. Massivement suivie, cette marche blanche portait également un message : plus jamais ça.

La première pensée de l’association Attac va aux proches des victimes à qui nous exprimons notre émotion. Ce drame n’aurait jamais dû se produire. À l’instar des réactions suscitées par la mort de Zyed et Bouna, poursuivis par la police, en 2005, la mort de Nahel a provoqué des réactions, qualifiées d’émeutes. Celles-ci sont d’ores et déjà instrumentalisées par une partie de la classe politique, notamment au sein de la droite et de l’extrême droite, dans une surenchère particulièrement choquante et préoccupante.

En réalité, cette situation n’est pas une surprise. Dans de nombreux quartiers relégués, le quotidien est rythmé par des interpellations régulières perçues comme des humiliations par les jeunes qui en sont l’objet. Le contrôle au faciès par exemple, est de facto devenu la règle. Quant à la répression policière, si souvent impunie, son caractère raciste apparait une nouvelle fois clairement à travers cet assassinat inacceptable.

Si elle n’est, hélas, pas la première du genre, cette exécution s’est par ailleurs produite dans un contexte de net durcissement de l’attitude des forces de l’ordre et d’une dérive de plus en plus intolérante et autoritaire du pouvoir vis-à-vis des jeunes de quartiers délaissés mais aussi, et de plus en plus, du mouvement social. Certes, cette dérive avait été engagée depuis plusieurs années, avec notamment l’article 435-1 voté début 2017 sous le quinquennat Hollande et quelques années auparavant, la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy.

En 2019, la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU avait critiqué la France dans un rapport qui dénonçait l’usage excessif de la police lors des manifestations des « gilets jaunes ». Au printemps dernier, la France avait à nouveau été critiquée par des membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour les discriminations, les violences policières et plus précisément le recours à la force jugé excessif envers les manifestant·es opposé·es à la réforme des retraites.

Par ailleurs, de nombreuses organisations du mouvement social, dont Attac, ont dénoncé la dérive répressive et les violences policières. Le gouvernement a beau tenter de montrer qu’il veut calmer le jeu, il a refusé d’entendre ces alertes. Sa responsabilité est d’autant plus engagée qu’il s’est arrogé le monopole d’une légitimité qui lui échappe et s’est engagé dans une politique de répression inédite du mouvement social.

Les violences policières ne sont pas un fantasme ou une formule : elles sont une réalité. En les niant et en niant les causes des colères exprimées dans les quartiers ou au sein d’une grande partie de la population face aux mesures de régression sociale, le pouvoir et les responsables politiques de droite et d’extrême droite attisent les tensions et jettent de l’huile sur le feu. Ce faisant, ils se comportent comme des pompiers pyromanes.

Dans ce contexte social explosif, la stratégie de répression systématique de toute opposition mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur est un échec et n’a qu’une seule issue : une société toujours plus fracturée, plus injuste et plus violente. L’apaisement ne se décrète pas, contrairement à ce que voudrait penser le président de la République, il se construit.

Pour cela, nous demandons un changement radical de la politique du maintien de l’ordre avec en premier lieu la démission du ministre de l’Intérieur, l’interdiction d’utilisation d’armes de guerre, des techniques de maintien de l’ordre et d’interpellation au risque létal, et l’abrogation de l’article 435-1 du Code de la sécurité intérieure qui permet l’usage des armes en cas de refus d’obtempérer.

 

publié le 19 juin 2023

Réforme des retraites :
rien ne sera plus comme avant

sur https://www.cgt.fr/

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT s'est exprimée dans une tribune publiée dans Le Monde ce vendredi 16 juin. Elle revient sur la bataille contre la réforme des retraites et tous les combats qu'il reste à mener contre le projet de société mortifère que veut nous imposer Emmanuel Macron.

Malgré une mobilisation d'une durée et d'un niveau record, la réforme des retraites est adoptée. Faudrait-il en conclure que nous avons perdu ? Non.

Pour Emmanuel Macron et son gouvernement, tout va être plus compliqué maintenant, et le prix à payer sera élevé.

D'autres combats seront menés

La réforme des retraites sera la cocotte d'Emmanuel Macron jusqu'à la fin de son quinquennat. Et avec toutes celles de ses ministres, c'est une batterie de cuisine qu'il traîne derrière lui.

Nous allons maintenant utiliser tous les leviers à notre disposition pour continuer à dénoncer et empêcher l'application de cette réforme violente, injuste et injustifiée. Nous allons nous battre pour gagner par la fenêtre ce que nous avons perdu par la porte. Pour cela, nous appelons à l'ouverture de négociations dans toutes les entreprises et toutes les branches pour gagner des départs anticipés pour pénibilité et la prise en compte des années d'études.

Nous nous battrons pour que la négociation Agirc-Arrco, qui va s'ouvrir prochainement sur la retraite complémentaire des salariés du privé, permette d'améliorer le niveau des pensions. De nouvelles propositions de référendum d'initiative partagée seront déposées. Nous contesterons chaque décret de cette réforme injuste. Et le gouvernement ne pourra pas museler le Parlement pendant quatre ans.

"Ce qu'un président a fait, un président peut le défaire"

Rappelons-nous. Ce qu'un gouvernement a fait, un gouvernement peut le défaire. Ce qu'un président a fait, un président peut le défaire. Maintenant ou dans quatre ans. La fin du quinquennat sera longue, très longue pour Emmanuel Macron. S'il veut gouverner à nouveau le pays, il va falloir qu'il se préoccupe moins des grands patrons et davantage de la situation sociale du pays et des travailleuses et travailleurs.

Nous avons gagné sur trois points majeurs, qui sont de précieuses graines pour l'avenir. D'abord, nous avons gagné la bataille des idées. Malgré le « il n'y a pas d'alternative », [formule de Margaret Thatcher] et le matraquage médiatique sur la nécessité de « faire des efforts » , la quasi-totalité de la population est opposée au report de l'âge de départ en retraite.

Mieux : une large majorité de salariés est favorable au retour de la retraite à 60 ans, mesure de bon sens, tant il est impossible de travailler après 60 ans dans de nombreux métiers. Cette aspiration à ne pas perdre sa vie à la gagner, très forte chez les jeunes générations, représente un point d'appui déterminant.

Le travail reste central, mais il ne se suffit plus. Il faut qu'il ait un sens, avec notamment des exigences environnementales et sociales toujours plus fortes, mais aussi qu'il permette d'avoir une vie familiale, sociale et citoyenne. La mobilisation a donc créé un rapport de force pour réinterroger les conditions de travail, mais aussi la finalité et le temps de travail, avec l'aspiration à la réduction du temps de travail, longtemps minoritaire, qui fait son grand retour, notamment avec la semaine de quatre jours.

L'union fait la force

Ensuite, la mobilisation a permis de replacer le syndicalisme au centre, grâce à l'unité, à la responsabilité et à la détermination des organisations syndicales. Les résultats en sont tangibles : depuis le début du conflit, près de 80 000 salariés au moins ont fait le choix de rejoindre la CGT ou la CFDT.

La dynamique est la même pour les autres organisations syndicales. Et ce n'est qu'un début. Alors que, même dans les établissements de plus de dix salariés, 42,5 % des salariés du privé n'ont pas de syndicat, selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, cette dynamique d'adhésions est déterminante pour transformer le rapport de force pour la suite. Et c'est justement ce qui nous a manqué le 7 mars et après pour étendre la grève.

Grâce à l'appel de la CGT, les salariés de l'énergie, de la gestion des déchets, de l'industrie du verre et de la céramique, des ports et d'une partie des transports ont fait jusqu'à quarante jours de grève reconductible. Les difficultés à l'extension sont directement liées à la faiblesse du taux de syndicalisation. C'est ce qu'il faut changer pour généraliser les luttes gagnantes.

Réussir à maintenir l'unité syndicale, inédite depuis 2010, et à la décliner dans les branches et les entreprises, sera un levier pour reprendre la main sur les négociations. Quand les syndicats arrivent unis face au patronat, ils sont en situation de renverser la table et de reprendre la main pour que les négociations se fassent sur la base de leurs propositions.

Enfin, grâce à notre mobilisation, le gouvernement n'a plus ni majorité sociale ni majorité politique. Emmanuel Macron va devoir affronter durablement une défiance record. Il est minoritaire à l'Assemblée nationale et l'adoption de chaque projet de loi nécessitera un travail d'équilibriste à haut risque…

Malgré tous les efforts de l'exécutif pour verrouiller le travail parlementaire, les organisations syndicales disposent désormais d'innombrables possibilités pour faire voter des dispositions, à l'image de la proposition de loi de nationalisation d'EDF ou du maintien de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire gagnés par la CGT-Energie.

En position de force

Nous avons fait face à un pouvoir radicalisé, qui a fait passer sa réforme à tout prix. Au prix de la multiplication des passages en force et des remises en cause des libertés. Au prix de la montée de l'extrême droite – et grâce à elle. C'est son niveau inédit qui lui a permis de passer en force sans craindre une alternative politique. Une preuve supplémentaire du danger de l'extrême droite pour le monde du travail. Cette violence et ce cynisme n'ont pas comme précédent – ​​dans un pays démocratique – que ceux de Margaret Thatcher. Et encore. Thatcher, elle, avait une majorité parlementaire pour faire passer ses réformes. Oui, la Ve  République est « un coup d'Etat permanent » , comme le disait François Mitterrand, en 1964.

Nous sommes maintenant dans une course de fond. Contre Emmanuel Macron et son monde, mais aussi contre l'extrême droite qui a prospéré sur le « on a tout essayé » . Avec son passage en force, Emmanuel Macron tente de mettre les syndicats dans le même sac. C'est raté.

Nous sommes en position de force pour multiplier les conflits sur les salaires, à l'image de la magnifique victoire arrachée par les ouvrières de Vertbaudet .

Nous sommes en position de force pour remettre au goût du jour le projet révolutionnaire du Conseil national de la Résistance d'une sécurité sociale « protégeant de la naissance à la mort ». Nous sommes en position de force pour construire, dans toutes les entreprises, dans tous les territoires et toutes les professions, des plans syndicaux pour l'environnement afin de montrer que la réponse au défi environnemental exige une rupture avec les politiques capitalistes.

La dynamique, l'esprit de fête et la culture de la gagne ont fait la force du mouvement. Nous avons semé de précieuses graines pour l'avenir, à nous de les faire fructifier !

Déclaration de Sophie Binet, Secrétaire Générale de la CGT, publiée en Tribune par LeMonde en date du 17 juin 2023.

publié le 18 juin 203

Contre la ligne Lyon-Turin, « notre action relève de la légitime défense »

Christophe Gueugneau sur www.mediapart.fr

Interdite par la préfecture mais maintenue, la manifestation contre la ligne Lyon-Turin, contestée depuis des années, a rassemblé près de 4 000 personnes dans la vallée de la Maurienne. Il n’y a pas eu de gros heurts samedi. 

Vallée de la Maurienne (Savoie).– « On croyait qu’on finirait encore plus en colère et encore plus désespérés qu’avant et puis voilà… » Il est 17 heures passées, samedi 17 juin, à La Chapelle, petit village en vallée de la Maurienne (Savoie), et les sourires – qui tournaient depuis quelques heures à la grimace – sont soudain réapparus sur les visages des manifestant·es. 

Sur la route où, depuis plus de trois heures, environ quatre mille personnes (les organisateurs parlent de cinq mille personnes) opposées à la ligne à grande vitesse Lyon-Turin font plus ou moins du surplace, tous les regards se sont tournés pour regarder la rivière, en contrebas, puis l’autoroute, en face. Une dizaine de militant·es, une cinquantaine bientôt, sont parvenu·es bon gré mal gré à traverser la rivière et à bloquer l’autoroute. 

Les applaudissements sont à la hauteur de la frustration contenue depuis un bon moment déjà. Initiée par onze associations, certaines locales, d’autres nationales comme les Soulèvements de la Terre, la mobilisation – « La montagne se soulève » – a été interdite par la préfecture, jeudi 15 juin. Les associations qui avaient saisi la justice ont ensuite été déboutées vendredi.

Le rassemblement a finalement été maintenu à La Chapelle, village qui ne figurait pas dans l’arrêté d’interdiction car il n’était pas à proximité des divers chantiers de la vallée destinés à faire avancer, côté français, ce tunnel sous les Alpes, entre Saint-Jean-de-Maurienne et le val de Suse. Un ouvrage contesté depuis trente ans et dont on a découvert récemment qu’il menaçait seize sites d’eau potable. 

Légitime défense

Au petit matin, alors que le campement est à l’ombre des montagnes où l’on aperçoit encore quelques lambeaux de neige, c’est déjà l’agitation. La queue s’étend au stand café, des jeunes et moins jeunes arrivent du camping avec les yeux fatigués, certains ayant vu leur nuit compliquée par les coassements des grenouilles au bord de l’étang. Au point info, un jeune homme demande si on lui conseille de porter un casque pendant la manifestation. « Ça dépend de ton niveau d’engagement. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne s’improvise pas black bloc », lui répond-on. Il quitte le stand satisfait.

Telle une crieuse de journaux, une jeune femme masquée distribue les numéros des avocats à contacter en cas d’arrestation. Deux dames, la soixantaine, prennent le petit papier. L’une d’elles cherche un stylo pour écrire le numéro à même son bras. L’autre explique : « Un masque, c’est bon, j’en ai un, c’est le seul qui me reste du Covid. »

Peu avant 10 heures, les organisateurs donnent une conférence de presse. Philippe Delhomme, de Vivre et agir en Maurienne (VAM), rappelle que son association défend « depuis quarante ans les biens communs, l’eau, l’air, la terre ». Laure-Line Cochini, de la coordination des opposant·es au Lyon-Turin, rappelle qu’une ligne existe déjà entre la France et l’Italie, qu’elle a été rénovée pour un milliard d’euros, et que malgré cela, le nombre de camions transportés par rail a diminué.

L’Italien Lorenzo, du mouvement No TAV, se dit « très content de cette mobilisation qui était un pari difficile à tenir et qui est déjà une réussite ». Thierry Bonnamour, de la Confédération paysanne en Savoie, voit lui aussi une victoire au fait d’être ici. Julien Troccaz, secretaire fédéral Sud Rail, dénonce la « décision politique du préfet » et « la terreur mise en Maurienne ce week-end »

L’hélicoptère de la gendarmerie apparaît soudain, et fait des cercles de plus en plus bas. Pina, porte-parole des Soulèvements de la Terre, enchaîne. « C’était pour nous une évidence de rejoindre cette lutte qui dure depuis trente ans », et c’est « un honneur de faire de ce week-end la clôture de la sixième saison des Soulèvements ». À propos de la menace de dissolution du mouvement – qui devrait être prononcée mercredi 21 juin –, Pina trouve cela « drôle et inquiétant qu’un gouvernement s’attaque à un mouvement écolo et pas à ceux qui veulent nous faire cramer ».

La conférence de presse est terminée, l’hélicoptère est parti. Au loin passe un train de marchandises. C’est au tour des manifestant·es d’être briefé·es. « Notre action relève de la légitime défense car notre avenir est indissociable de notre environnement », insiste un intervenant. Mathilde Panot, cheffe du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, dénonce le fait que des « camarades italiens » soient bloqués à la frontière. Il s’agit de six bus. 

La manifestation finit par s’élancer peu après 12 h 30. Les quatre mille personnes – beaucoup de Français mais aussi des Italiens en nombre – marchent d’un bon pas. Aucun membre des forces de l’ordre n’est d’abord visible à l’horizon. On se dirige vers le sud quand la route parvient à un pont gardé par les gendarmes mobiles. 

Les élu·es et représentant·es partent négocier un itinéraire pour une manifestation qui, de fait, n’était pas déclarée. La négociation va durer une heure pour n’arriver à aucun résultat. Une heure passée sous un soleil de plomb, pendant laquelle le gros des manifestants et manifestantes s’échauffe. Certains reprochent aux élu·es de négocier en leur nom sans aucun mandat. Une élue régionale écolo commence à stresser : « Y a quatre mille personnes derrière qui attendent, là… »

« Nous, on veut aller au chantier »

Vers 14 h 30, le cortège repart sans qu’on sache bien si la négociation a abouti ou non. Il n’a pas fait cependant cent mètres qu’il se retrouve face à un mur de gendarmes. Les élu·es forment une chaîne humaine pour tenter d’éviter le contact. Sans succès. Quelques pierres volent, plusieurs dans la foule crient : « Nous, on veut aller au chantier », d’autres demandent où se trouve le tunnel, « qu’on puisse le reboucher »

En quelques dizaines de minutes, la manifestation est à nouveau bloquée, et cette fois-ci ce n’est pas à cause des négociations. Un nuage de lacrymogène flotte au-dessus de la tête de cortège, des centaines de personnes tapent en rythme sur les glissières, le boucan est énorme, la détermination totale. Mais vaine.

Plusieurs personnes blessées sont évacuées. On aperçoit un homme la main en sang. Un autre arrive avec l’épaule blessée et le visage amoché. Pour autant, nul ne recule. Le face-à-face dure près de deux heures. 

De temps à autre, des membres de l’organisation passent dans les rangs pour tenter de convaincre qu’un demi-tour serait plus malin : « Ce qu’on voulait, c’était aller sur l’autoroute mais ça ne va pas marcher. Les medics sont déjà bien occupés. Il ne sert à rien de se mettre en danger. Le cortège recule un peu, il ne faudrait pas que la distance avec le bloc soit trop grande. On ne veut perdre personne. »

Le gros du cortège commence à reculer et faire demi-tour. Et puis soudain, donc, tous les regards se tournent vers la rivière. Ils ne sont d’abord qu’une dizaine à traverser l’Arc pour aller vers l’autoroute A43. Ils seront vite une cinquantaine. Un autre bloc retourne au contact pour fixer des gendarmes mobiles qui commençaient à avancer. 

Bravache, une jeune femme, drapeau Extinction Rebellion à la main, s’avance seule sur l’autoroute à la rencontre de la poignée de camions de gendarmes qui avance. Une certitude : l’autoroute est bel et bien bloquée. Par les gendarmes. S’ensuivent plusieurs minutes de jeu du chat et de la souris. Les gendarmes avancent et arrosent allègrement de grenades lacrymogènes, y compris celles et ceux qui tentent de retraverser la rivière. 

Mouillé·es jusqu’à la taille, les manifestant·es arrivent un grand sourire aux lèvres, vident leurs chaussures trempées. Sur le chemin du retour, les heures de piétinement sont oubliées. La manifestation interdite a un peu eu lieu. L’autoroute a été bloquée. La mobilisation a tenu et mis la lutte contre la ligne Lyon-Turin à l'agenda des luttes, se félicitent les organisateurs.


 


 

Lyon-Turin : le train de la discorde

Marion d'Allard sur www.humanite.fr

La liaison ferroviaire transalpine a été pensée pour désengorger le trafic routier et favoriser le report modal vers le rail. Mais ce chantier de Titans est désormais percu par ses opposants comme d’un autre temps.

Le chantier de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin est-il en passe de devenir un nouveau Sainte-Soline ? Alors que le collectif des Soulèvement de la terre appelle, ce samedi, à une mobilisation internationale dans la vallée de la Maurienne - interdite par la préfecture mais maintenue par les organisateurs -, ce projet ferroviaire titanesque, cristallise les tensions. D’un côté ses promoteurs défendent le développement du rail pour désengorger le quart sud-est de la France, asphyxié par les milliers de poids-lourds qui le traversent chaque jour. De l’autre, ses détracteurs dénoncent un projet coûteux, inutile et néfaste pour l’environnement.

Le Lyon-Turin est un projet ancien, inscrit, dès 1994, dans la liste des « 14 projets prioritaires de transports » par l’Union européenne. Cette liaison transalpine à grande vitesse, combinée fret et voyageurs, est le maillon manquant pour mettre en réseau 5 000 kilomètres de lignes ferroviaires européennes existantes. Le Lyon-Turin permettra ainsi « de relier les ports de la Manche, la région parisienne, la péninsule ibérique et les villes françaises des Alpes et du Rhône à la plaine du Pô et au pays d’Europe de l’est », détaille Alain Ruiz, ancien secrétaire départemental du PCF de Savoie et ancien agent de conduite à la SNCF, dans les colonnes de la revue Progressistes. Pour ce fin connaisseur du dossier, l’enjeu est de taille tant la future ligne serait à même - enfin - d’  « obtenir un report modal de la route vers le rail ». Une priorité indispensable donnée au fret ferroviaire alors qu’ « entre 1991 et 2011, le transport de marchandises en France a crû de 34%, le transport routier de près de 60% et le fret ferroviaire a reculé de 35% », poursuit Alain Ruiz.

Une fois mise en service, la transalpine devrait permettre l’acheminement de 40 millions de tonnes de marchandises par an et 5 millions de voyageurs. Pour atteindre de tels objectifs, le tracé du Lyon-Turin prévoit le percement d’un tunnel sous les Alpes de 57 kilomètres pour un coût global estimé en 2002 à 12 milliards d’euros (cofinancé par la France, l’Italie et l’Union européenne), puis réévalué en 2012 par la Cour des Comptes européenne à plus de 26 milliards d’euros. Un montant contesté par les promoteurs de la ligne et sur lequel un groupe de travail réunissant des experts français et italiens planchent actuellement. Une évaluation définitive devrait être rendue publique dans les prochains jours. Si la ligne était initialement prévue pour être mise en service en 2015, les travaux du Lyon-Turin « n’ont commencé que pour les galeries de reconnaissance », détaille Alain Ruiz. En somme, le projet stagne, depuis une décennie, à l’état de chantier.

Des deux côtés des Alpes, des voix s’élèvent pour dénoncer le gigantisme d’un projet hors de prix et inutile, notamment parce que la voie ferroviaire transalpine existe déjà, de Lyon jusqu’à Turin, via Chambéry, Saint-Jean de Maurienne, puis , versant italien, Suse et Turin. Le passage de la frontière se faisant par le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis, inauguré en 1871. Pour les opposants à la future LGV, la ligne existante - actuellement sous exploitée - suffirait donc largement, moyennant quelques aménagements, à absorber le trafic. Des opposants qui mettent également en avant le coût astronomique du chantier. Ces milliards, « pourraient avantageusement être reportées sur les urgences actuelles : trains du quotidien, santé, éducation, retraites, transition écologique... », fait ainsi valoir Attac.

Mais surtout, c’est l’impact environnemental d’un tel chantier qui est aujourd’hui largement dénoncé par ceux qui se mobilisent ce week-end pour empêcher sa poursuite. Des impacts « considérables », dénonce le collectif Non au Lyon-Turin (qui rassemble une quinzaine d’organisations parmi lesquelles Attac, les Amis de la terre, la Confédération paysanne, mais également la France Insoumise et le syndicat de cheminots Sud-Rail). Selon lui, « 1 500 hectares de zones agricoles et naturelles seraient artificialisés, des millions de tonnes de déchets issus des galeries devraient être stockés, et les cycles naturels de l’eau seraient perturbés pour toujours. » Ce projet, poursuivent les opposants, drainera en outre « plus de 100 millions de m3 d’eau souterraine chaque année ».

C’est sur ce mot d’ordre environnemental que des centaines de manifestants convergent, ce week-end, dans la vallée de la Maurienne. Une mobilisation qui se veut « festive et familiale » contre un projet jugé « d’un autre siècle ».

 

  publié le 15 juin 2023

L’Union européenne organise une catastrophe ferroviaire

Fabien Gay sur www.humanite.fr

Le démantèlement de Fret SNCF a été annoncé par le ministre des Transports, Clément Beaune. Cette décision incompréhensible a été prise alors que l’opérateur public se porte mieux depuis deux ans, représente 60 % du marché en France et que le pacte vert européen fixe l’objectif de miser sur les rails pour transporter les marchandises et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Les technocrates de la Commission européenne poursuivent le gouvernement français, donc l’opérateur public, la SNCF, au nom du sacro-saint principe de la concurrence libre et non faussée. De 2005 à 2019, la France a épongé les dettes de la filiale fret de la SNCF et opéré une recapitalisation lors du changement de statut du groupe ferroviaire en 2018. Ce qui est interdit par les règles de la concurrence européenne. Tant pis si le fret a besoin d’être soutenu, si la SNCF dispose justement des équipements et des salariés bien formés pour répondre aux besoins du développement, et si le climat n’a pas le luxe d’attendre.

Le gouvernement avait deux choix. Contester, se battre et refuser ce diktat, avec le risque de perdre l’arbitrage et, le cas échéant, payer une amende de plus de 5 milliards d’euros, entraînant, selon le ministre, la fermeture de Fret SNCF et le licenciement de 5 000 salariés. Ou négocier. Il a préféré opter pour la deuxième solution, capitulant devant des règles absconses, qui ne servent ni la SNCF, ni le bien commun, ni l’intérêt général, mais bien les intérêts financiers et privés.

Ne rien dire et abdiquer, sans batailler et obtenir, c’est donner de la force aux discours belliqueux et racistes de l’extrême droite et lui ouvrir grand les portes du pouvoir. Car négocier revient à changer la forme juridique de la nouvelle entité, l’ouvrir à la privatisation à hauteur de 49 %, changer le périmètre d’action, devoir céder 20 % de son chiffre d’affaires et également 10 % de ses effectifs… ainsi que probablement le statut de cheminot pour ces derniers.

La Commission européenne veut même obliger la future entreprise à ne plus porter le nom de SNCF, comme pour mieux punir – en réalité, dépecer – l’opérateur public en espérant le démanteler petit bout par petit bout pour mieux le vendre aux appétits de ses concurrents privés. Le plus savoureux : les « trains dédiés », activités à client unique et rentables, seront cédés et pourront être, pendant trois ans, sous-traités à la nouvelle entité par l’opérateur privé qui aura remporté le marché ! Voilà où nous conduisent ces règles absurdes.

Il est essentiel que le changement de ces règles ainsi que la transformation du marché européen de l’énergie soient au cœur de la campagne pour l’élection des députés européens, afin de mettre l’Union européenne au service des peuples et de l’intérêt général. Pour l’heure, il y va de l’avenir du fret ferroviaire public dans notre pays.

Les cheminots, si souvent vilipendés en place publique par le pouvoir, ont notre total soutien. Nous refusons d’acter l’impuissance publique et l’absence de réponse aux besoins sociaux et environnementaux. Aucune négociation ne peut se faire sans les syndicats et les cheminots. Des lignes rouges ne peuvent être franchies : licenciements, privatisation des activités, mort du fret public. D’autant que des dérogations sont possibles pour soutenir l’activité non rentable, comme le fait l’Allemagne avec DB Cargo. Cette activité est nécessaire et doit être soutenue financièrement. Le combat ne fait que commencer, nous sommes aux côtés des cheminots.


 


 

Fret SNCF : comment le gouvernement organise la grande braderie

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Dix-sept ans après l’ouverture à la concurrence, Fret SNCF est sous le coup d’une enquête de la Commission européenne pour les aides publiques perçues entre 2007 et 2019. Le ministre Clément Beaune a fait le choix de liquider l’entreprise. Les syndicats appellent à une journée de grève, ce jeudi 15 juin.

Le gouvernement organise un démantèlement de Fret SNCF. L’entreprise devra céder 30 % de ses activités et 20 % de son chiffre d’affaires à ses concurrents © Demian Letinois Taillant

C’est un dossier à 5,3 milliards d’euros. Ces aides publiques perçues par Fret SNCF entre 2007 et 2019 valent à l’entreprise l’ouverture d’une enquête par Bruxelles, après le dépôt de trois plaintes de ses concurrents.

«Fret SNCF a subi pendant une longue période des pertes annuelles très importantes couvertes par l’État au détriment des concurrents qui n’ont pas eu accès à un tel soutien», a fait savoir Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission européenne, dans L'Opinion de mercredi (article payant).

459 emplois, soit 10 % des effectifs de Fret SNCF, sont d’ores et déjà visés

Pour éviter de rembourser cette somme, en cas de condamnation, Clément Beaune a présenté, le 23 mai, un plan de«discontinuité économique» . En clair : Fret SNCF va disparaître, remplacée par de nouvelles entreprises, afin que «la Commission constate une discontinuité économique entre Fret SNCF et les nouvelles entités», écrit le ministre des Transports, dans un courrier adressé à Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF.

Pour Thierry Nier, secrétaire général de la CGT cheminots, il s’agit, ni plus ni moins, d’une «liquidation de Fret SNCF, l’outil public tel qu’on le connaît aujourd’hui». Le tout s’accompagnant d’une impressionnante vague de suppressions de postes : 459 emplois, soit 10 % des effectifs de Fret SNCF, sont d’ores et déjà visés.

L’ensemble des organisations syndicales refuse cette perspective aberrante et appelle à la grève, ce jeudi 15 juin. Un rassemblement est prévu à 13 heures devant le siège de la SNCF, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Selon le projet de restructuration présenté en CSE, que l’Humanité a pu consulter, Fret SNCF sera scindée en deux. À compter du 31 décembre 2024, les activités de gestion capacitaire seront transférées dans une nouvelle filiale du groupe SNCF (pour l’heure appelée SNCF New-EF).

L’entreprise devra céder 30 % de ses activités et 20 % de son chiffre d’affaires à ses concurrents

Au sein de SNCF SA, cette dernière sera rattachée à la holding Rail Logistics Europe, qui intégrera également en son sein des sociétés de fret comme Captrain, de même que la future entité, dénommée provisoirement SNCF New-M et qui récupéra les activités de maintenance du fret.

De plus, ces entités ne pourront pas reprendre l’appellation de Fret SNCF. Mais ce n’est pas tout : l’entreprise devra céder 30 % de ses activités et 20 % de son chiffre d’affaires à ses concurrents. Cela concerne 23 flux de «train dédiés», affrétés par des clients uniques comme ArcelorMittal ou Novatrans.

Le train des primeurs entre Perpignan et Rungis en fait partie. Selon le calendrier, ces transferts devront être notifiés au 31 décembre 2023, avec un délai jusqu’au 1er juillet 2024, le cas échéant. Enfin, à compter du 1er janvier 2024, ni Fret SNCF, ni la future entité ne pourront candidater sur le marché de trains dédiés pour une période de dix ans.

Dans cette opération, Fret SNCF léguera 40 % de ses actifs immobiliers, dont la plateforme logistique de Saint-Priest (Rhône). L’entreprise devra vendre au prix du marché 39 de ses locomotives électriques et restituer 23 engins moteurs loués. Un appel à volontariat sera lancé pour une mobilité volontaire sécurisée ou une mise à disposition de conducteurs Fret SNCF auprès des concurrents privés.

Un démantèlement en bonne et due forme, exécuté sur l’autel de la concurrence «libre et non faussée», en décalage complet avec le plan national de 100 milliards d’euros d’ici à 2040 pour le ferroviaire, annoncé en février…


 


 

Pour les salariés en lutte de Fret SNCF : «Travailler pour un autre employeur est à exclure»

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

En grève depuis les annonces de Clément Beaune, les agents du train des primeurs s’inquiètent pour le fret des Pyrénées-Orientales. Entretien avec Mikaël Meusnier (CGT).


 

La ligne Perpignan-Rungis fait partie des 23 flux, détenus par Fret SNCF, livrés à la concurrence. Quelles sont vos craintes ?

Mikaël Meusnier : Au 1er janvier 2024, les salariés du train des primeurs vont perdre la totalité de leur charge de travail. Les agents sont déboussolés. Nous avons tous entre vingt et trente ans de service au sein de la SNCF. L’hypothèse de travailler pour un autre employeur est à exclure : nous n’aiderons pas le gouvernement à démanteler le service public.

Le train des primeurs, avec 5 allers-retours par semaine, correspond à 180 camions semaine. Mais ce n’est pas tout, avec ce plan, rien que dans les Pyrénées-Orientales, c’est l’ensemble de la charge de travail de Fret SNCF qui va basculer aux opérateurs privés. Soit 165 trains par semaine, l’équivalent de plus de 8 000 camions. Ces derniers vont nécessairement passer sur la route.

Alors que le gouvernement a annoncé 100 milliards d’euros pour le rail d’ici à 2040, cette décision est incohérente face à la volonté affichée de développer le ferroviaire. D’ailleurs, sans la subvention de 4 millions d’euros par an, le train des primeurs ne serait pas rentable. Ce n’est pas sa vocation. Enfin, sur les 459 suppressions d’emplois prévus par ce plan, 82 cheminots, au minimum, sont concernés dans les Pyrénées-Orientales.

Quelle mobilisation comptez-vous mener ?

Mikaël Meusnier : Nous sommes à l’arrêt depuis les annonces de Clément Beaune du 23 mai sur l’avenir de Fret SNCF. Sans un abandon de ce projet de démantèlement, nous ne reprendrons pas le travail. Sur Perpignan, l’emploi est en jeu.

Au-delà des cheminots, des emplois indirects sont concernés. Comme, par exemple les salariés de Primever, responsables du chargement du train des primeurs. Ces derniers sont dans l’inconnu et solidaires de notre bataille.

Il est toujours possible de développer cette liaison et le ferroviaire dans le département des Pyrénées-Orientales. Nous allons contrer le gouvernement sur ces annonces catastrophiques.

Justement, que propose la CGT ?

Mikaël Meusnier : Le cahier revendicatif de la CGT des cheminots de Perpignan est global. Nous l’avons présenté le 10 mai, lors d’une rencontre avec le cabinet du ministre des Transports, afin d’exposer notre projet de développement du rail autour de Perpignan.

Pour les voyageurs, deux lignes sont à rouvrir, en plus de la ligne à grande vitesse entre Béziers et Perpignan d’ici à 2040. S’agissant du Perpignan-Rungis, nous avons rappelé qu’un second chargeur (client – NDLR) est disponible pour accroître la capacité de transport.

À l’heure actuelle, l’exploitation du train des primeurs s’arrête durant l’été. Pendant cette période, nous proposons donc d’ajouter des wagons de marchandises porte-automobiles aux wagons frigorifiques conventionnels afin de compléter cette liaison. C’est un service qui peut renforcer les trains de nuit de voyageurs.

Il est aussi possible de connecter le site de Port-Vendres, place importante du fret maritime des Pyrénées-Orientales, au fret ferroviaire en remettant en état la voie entre la gare et le port. Le tonnage de fruits et légumes en transit par Port-Vendres, chaque jour, représente l’équivalent d’un train des primeurs, soit 300 trains à l’année.

Enfin, dans notre département, le développement de la plateforme fret de Rivesaltes, qui dispose d’un foncier disponible à un accroissement de l’activité, est possible, en complément de la ligne Perpignan-Saint-Charles.


 


 

Fret SNCF : Dijon, symbole du déclin du transport de marchandises

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Nœud ferroviaire et interface en Europe de l’Ouest, l’activité fret de Gevrey-Perrigny, la capitale de Bourgogne-Franche-Comté, Dijon, s’est évaporée au gré de la libéralisation du marché.

La vue a de quoi impressionner. Dans une plaine au sud de Dijon (Côte-d’Or), une vingtaine de voies dédiées au fret sont alignées sur le site de Gevrey. Au loin, on peut apercevoir les coteaux de l’Auxois, qui dévalent sur 40 kilomètres et font la réputation de la région.

L’activité de fret, elle, est au point mort. Ce mardi 13 juin, seul un train stationne sur les voies. Sa locomotive n’arbore pas la couleur verte de Fret SNCF, mais le jaune et bleu historique d’Euro Cargo Rail, rachetée en 2007 par l’allemand de la Deutsche Bahn (DB Cargo).

«Il y a 20 ans, Gevrey pouvait produire jusqu’à 2 500 trains en 24 heures»

«Il y a vingt ans, Gevrey pouvait produire jusqu’à 2 500 trains en 24 heures. Aujourd’hui, nous en trions dix fois moins», souffle, sur un pont au-dessus des rails, Vincent Jouille.

Ce cadre transport en mouvement (le gestionnaire des ressources pour la production de trains), âgé de 58 ans, est entré à la SNCF en 1985. Un temps aiguilleur, il rejoint Fret en 2001, avant l’ouverture à la concurrence à marche forcée par l’Union européenne en 2006.

Le site dijonnais est l’illustration parfaite du déclin du transport de marchandises ferroviaire. Avec 9,6 % de la part modale sur rail, le fret français est loin derrière la moyenne européenne (16,1 %).

Surtout, au gré de la casse de l’outil public SNCF, la part du ferroviaire a reculé de 16 points en trente ans, quand celle du camion a fait à bond de plus de 10 points (89 % du marché en 2018).

L’agglomération de Dijon comporte deux principaux sites de fret. Celui de Perrigny, pour la maintenance, l’aiguillage et le dépôt, et celui de Gevrey pour du tri à plat.

Dans ce dernier, les agents de la SNCF répartissent les wagons à l’aide d’une raquette pour les orienter vers des trains. La plateforme est aussi multimodale, permettant de transférer des conteneurs sur des wagons depuis des camions.

L’ensemble constitue un nœud ferroviaire coincé entre les façades maritimes et les pays frontaliers, en plus d’être dans l’axe Paris-Lyon-Marseille. «Les deux tiers des 23 flux qui vont être livrés à la concurrence avec le plan de démantèlement de Fret SNCF  passent ici, mesure Vincent Jouille. Nous allons, impuissants, les voir passer pour le Luxembourg, l’Espagne où encore l’Italie.»

«Depuis que je suis dans la société, je ne connais que des restructurations de personnel»

En 2021, le site de Gevrey a reçu une enveloppe de 2,6 millions d’euros pour la modernisation des voies de service du triage, dans l’optique affichée de franchir la barre des 20 % de part modale du fret ferroviaire d’ici à 2030.

Pourtant, «depuis que je suis dans la société, je ne connais que des restructurations de personnel», glisse Matthieu Kaboré. Ce conducteur de train de 40 ans, élu CGT, a débuté à Fret SNCF en 2007. Il raconte : «La SNCF choisit d’adapter ses moyens de production au trafic. Chaque perte de marché entraîne une diminution des équipes. De fait, il n’est pas possible de se développer.»

Malgré l’ouverture à la concurrence, Fret SNCF reste le premier transporteur ferroviaire, avec 49 % (2021) des parts de marché. Contre 57 % en 2018. L’entreprise publique est passée de 15 000 salariés à 5 000 en l’espace de dix ans. Sur les deux sites dijonnais, ils ne sont plus que 450, «contre trois fois plus en 2006», glisse Lemmy Léger.

L’agent de desserte ajoute : «Nous perdons tous les ans 5 à 10 % du personnel. Avec l’ouverture à la concurrence et la centralisation des marchés les plus rentables, les tarifs ont augmenté et des clients sont allés sur les routes.»

Un recul du fret qui a eu des conséquences sur les outils de production

Car, de fait, le maillage territorial de Fret SNCF permet, en Côte-d’Or, à l’entreprise de gérer les flux de céréales ou de fer encore présents dans la région. Des marchandises qui souvent sont rassemblées avec d’autres, pour les longs trajets.

Mais qui ont un coût de fabrication plus élevé que les trains dits dédiés, avec un client unique, où se concentrent les concurrents de Fret SNCF comme Captrain (14 % du marché détenu par la SNCF) et l’allemand DB Cargo (13 %). Illustration parfaite avec les eaux Vittel, passées à la concurrence en 2011, «parce que rentables, a contrario des dessertes locales», insiste Vincent Jouille.

À Gevrey, ce recul du fret ferroviaire n’est pas sans conséquences sur les outils de production. Auparavant, ce site utilisait la technique du tri «à la gravité». Les wagons étaient poussés par une locomotive en haut d’une bosse, puis séparés et aiguillés informatiquement sur les voies de triage pour former d’autres trains.

Ce système de traitement de wagons «isolés», les plus coûteux en production selon l’entreprise, a été stoppé en 2011, avec six autres sites en France. «Le transport de marchandises ferroviaire ne devrait pas être une logique de rentabilité, mais un service public», insiste Matthieu Kaboré.

 

   publié le 14 juin 2023

Discrimination de genre : le long combat de onze femmes pour obtenir des réparations de carrière

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

La cour d’appel de Grenoble se penche mercredi sur la discrimination sexuelle dont se disent victimes un groupe de salariées de l’entreprise STMicroelectronics. Depuis des années, elles mènent un combat acharné pour faire reconnaître qu’être des femmes les a freinées dans l’évolution de leur carrière et de leur salaire.

PourPour briser le plafond de verre, il faut d’abord l’éclairer. Mettre en lumière les discriminations. C’est le sens du combat mené par onze salariées de STMicroelectronics, un fabricant franco-italien de puces électroniques.

Elles tentent de démontrer, depuis plus de dix ans, qu’elles sont moins bien payées que les hommes de l’entreprise et que leur évolution professionnelle est plus lente. Un bras de fer d’abord mené en interne puis, de guerre lasse, par la voie judiciaire devant le conseil des prud’hommes, pour réclamer la reconnaissance d’une « discrimination sexuelle » et obtenir une réparation de carrière.

Ce mercredi 14 juin, les dossiers de dix d’entre elles sont examinés en appel, à Grenoble (Isère). Elles ont été déboutées en première instance, en 2018. Pour les juges, les éléments apportés étaient insuffisants pour caractériser des faits individuels de discrimination. La onzième femme – la seule à avoir gagné en première instance – a également fait appel pour obtenir une meilleure réparation. Son audience aura lieu ultérieurement.

Les onze salariées, syndiquées à la CGT, travaillent sur deux sites isérois de la société : à Crolles, l’usine de production et à Grenoble, le site de recherche et développement. Elles n’appartiennent pas aux mêmes catégories de personnel. Six sont cadres et cinq autres sont des « Oatam » : ouvrières, administratives et techniciennes et agentes de maîtrise.

Elles mènent cette bataille, qu’elles qualifient « d’éprouvante », en se serrant les coudes. « C’est notre force d’être unies et solidaires, témoigne l’une d’elles. On a pris la décision d’aller en justice pour ouvrir la voie pour toutes les femmes. »

Une discrimination « systémique »

Ces onze salariées l’affirment : elles sont moins bien payées que les hommes et stagnent ou évoluent moins rapidement dans l’entreprise. Sollicitée par Mediapart, STMicroelectronics affirme ne pas souhaiter commenter une procédure mais entend « partager quelques points clés ». Le premier étant que « ST ne tolère aucune discrimination qu’elle soit, d’âge, de sexe ou de handicap ». L’entreprise souligne également ceci : « Dans l’Index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes publié par le ministère du travail, ST atteint la note de 93/100 en 2022. »

Pour autant, plusieurs enquêtes de l’inspection du travail ont, par le passé, mis au jour des écarts injustifiés de rémunération entre les femmes et les hommes. La dernière en date, menée en 2021 sur le site de Crolles, est accablante pour STMicroelectronics. Les conclusions sur la situation des cadres de l’entreprise pointent « le caractère systémique du retard des femmes dans l’évolution de carrière comme dans les rémunérations moyennes et maximales ». Et poursuit : « Ce retard [dans l’évolution professionnelle des femmes – ndlr] apparaît se creuser au fur et à mesure du temps, dessinant un plafond de verre pour une grande majorité de femmes, alors que les hommes évoluent globalement de manière plus favorable. »

Concernant les différences de rémunération, le rapport donne un exemple, sur le cas précis d’une cadre de l’entreprise. Elle perçoit un salaire de 16 % inférieur aux hommes, « à coefficient d’embauche et ancienneté égale ». L’inspection du travail soupçonne par ailleurs que les femmes ayant connu un ou des congés maternité puissent être pénalisées et a demandé à l’entreprise de fournir des informations supplémentaires. « Lemployeur, dans sa réponse, affirmait vouloir transmettre ces données, ce qu’il n’a visiblement jamais fait par la suite », précise Xavier Sauvignet, l’avocat des onze femmes engagées dans la procédure prud’homale.

L’une d’elles, Élodie Saurat, en est convaincue : tout a changé après la naissance de son premier enfant. « Ça a été flagrant. J’étais toujours bien notée mais après ma grossesse, on ne m’a pas notée la première année. Puis systématiquement moins bien notée », décrit-elle. « J’ai senti une discrimination évidente. »

Tous les hommes entrés en même temps que moi, avec le même niveau à l’embauche avaient tous, sans exception, un ou deux coefficients de plus

Élodie Saurat est la seule à avoir fait condamner STMicroelectronics pour « discrimination sexuelle dans l’évolution professionnelle ». Son dossier avait été dépaysé à Valence (Drôme) car elle est conseillère prud’homale à Grenoble. « Le juge départiteur a retenu l’existence d’une discrimination générale à l’encontre des femmes au sein de STMicroelectronics », se félicite son conseil.

Arrivée dans l’entreprise en 2005, Élodie est chargée des contrôles qualité sur le site de Crolles et appartient à la catégorie des Oatam. « J’ai été embauchée avec un Bac +2 mais je n’ai même pas le statut de technicienne auquel j’aurais pu prétendre. En dix-huit ans, j’ai changé une fois d’atelier mais je n’ai jamais évolué. »

« Je n’ai pas changé de coefficient depuis vingt ans ! », raconte aussi Dominique Savignon, cadre sur le site grenoblois. Embauchée en l’an 2000, elle a une formation d’ingénieure mais a fait « beaucoup de fonctions supports », dans la société et regrette d’être cantonnée à un poste « bien en deçà » de ses capacités. « J’ai fait moult démarches pour demander des changements de poste et des formations de reconversion mais la réponse est toujours non. Même pour de la gestion de projet, c’est non. »

Les onze femmes commencent à nouer des liens dès 2006, quand leur entreprise ouvre une négociation en vue d’un accord sur l’égalité professionnelle. « C’était porteur d’espoir, se souvient Dominique. Mais finalement, l’accord sera réduit à de la pure communication. »

En 2011, un document interne fuite et fait l’effet d’une bombe. « Il y a eu une énorme boulette des RH qui ont diffusé la liste de tous les salaires, les dates d’embauche, les coefficients… la totale ! », raconte Dominique. « Ce que le fichier révélait est affligeant. Dans mon cas, tous les hommes entrés en même temps que moi, avec le même niveau à l’embauche avaient tous, sans exception, un ou deux coefficients de plus ! » En termes de salaire, l’écart est important : 15 % de différence, en défaveur de Dominique.

La « résistance » de l’employeur

La recevabilité de ce document est aujourd’hui contestée par STMicroelectronics. « L’employeur prétend que la communication de ces pièces, constituées de données personnelles issues des fichiers informatiques de l’entreprise, viole le droit au respect de la vie privée des salariés concernés et demande donc leur rejet des débats », indique Xavier Sauvignet dans ses conclusions. C’est après la diffusion de ce fichier que la véritable bataille commence. Pendant plusieurs années, les salariées réclament, en vain, des éléments précis de comparaison des salaires et carrières entre hommes et femmes afin de monter un panel. Et pouvoir précisément se comparer, au cas par cas.

« On y est allé étape par étape avant la voie judiciaire, poursuit Élodie Saurat. Nous avons utilisé toutes les instances de représentation du personnel, à tous les niveaux, mais la société nous a baladées et a toujours refusé. » En 2015, les salariées obtiennent de haute lutte une ordonnance, contraignant STMicroelectronics à transmettre des informations leur permettant de comparer leurs situations avec celles de leurs collègues masculins. « L’employeur résiste, évoquant… l’absence de salariés comparables ! », s’indigne l’avocat des onze femmes.

« Cinq ans plus tard, elles obtiennent enfin le plein panel mais, là encore, l’employeur fait preuve de mauvaise foi et nous adresse des documents anonymisés, déclassés et non numérisés. Le tout, dans des cartons, comme aux États-Unis ! », rit jaune Xavier Sauvignet. Ses clientes devront attendre l’été 2022 pour obtenir la transmission, en bonne et due forme, des éléments.

Un combat pour inspirer d’autres femmes

Il en ressort, selon l’argumentaire qui sera développé à l’audience, « que le processus d’évolution promotionnelle (passage à un coefficient supérieur) est particulièrement défavorable aux femmes, tous sites et toutes catégories confondues ». Les conclusions de Xavier Sauvignet indiquent également que « les hommes sont proportionnellement plus nombreux dans les jobs grade [catégories professionnelles – ndlr] les plus élevés ».

« En termes d’égalité femmes-hommes, la société mène depuis plusieurs années des actions volontaristes matérialisées notamment par des accords collectifs depuis 2006 », indique l’entreprise, dans les « points clés » apportés à notre connaissance. « ST a également mis en place des programmes de formations internes sur la question de l’égalité (par exemple “women in leadership”) destiné exclusivement au développement de carrière des femmes. »

Sur la question des salaires et de l’évolution de la carrière, la société répond que « chaque année le sujet est examiné devant le CSE [ comité social et économique –ndlr] sur la base du document de référence qu’est le rapport de situation comparé. C’est aussi un axe majeur de la politique salariale de l’entreprise. Nous avons mis en place dès 2011 la méthode des profils référents qui vise à assurer le principe de non-discrimination. »

Pour les salariées, cet appel de leur jugement, examiné ce mercredi après-midi, est « une étape vraiment importante ». Dominique Savignon tient à insister sur un point : « Cette procédure est difficile pour nous toutes. C’est dur financièrement mais aussi, émotionnellement. En face, ils ne lâchent rien et le combat est inégal. Mais nous, ce sont nos tripes qu’on engage ! Ce qui est miraculeux, c’est qu’on ne s’est jamais disputé, aucune n’a lâché le combat et c’est déjà une sacrée victoire. »

Dominique conclut : « Si c’était à refaire… je ne le referais peut être pas. Mais maintenant que j’y suis, je ne vais pas lâcher. Et si on gagne, je serais fière. Et j’espère que cela poussera des femmes à aller demander des comptes. »

Leur revendication qualifié de « petit problème »

Élodie Saurat tient le même discours : « On savait qu’on allait s’exposer et ça nous a demandé un sacré boulot. Je ne regrette pas, ça va m’aider pour l’avenir, je me battrai différemment, sans y laisser des plumes. » La salariée est aujourd’hui en burn out, essorée mais ce combat a ouvert une fenêtre, dans l’horizon de son avenir professionnel. « Je prépare une reconversion pour travailler dans le droit, aider les autres et informer, surtout en matière de violences sexistes et sexuelles. Je suis motivée, c’est comme ça qu’on arrivera à faire bouger les choses. »

Depuis le début de la procédure, trois salariées ont quitté l’entreprise, sans pour autant renoncer à leur combat judiciaire. L’une d’elles a fait une prise d’acte de son contrat de travail en janvier 2023, en raison du traitement discriminatoire dont elle se dit victime, depuis vingt-trois ans. Elle demande que son départ soit requalifié en licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et que soit reconnue, outre la discrimination sexuelle, l’existence d’un harcèlement moral à son égard.

Une enquête interne pour « harcèlement et violences au travail » avait été déclenchée en 2022 et les procès-verbaux des témoignages ont été versés au dossier par l’employeur, à la dernière minute. « L’enquête a été menée à charge, indique l’avocat, Xavier Sauvignet. Elle visait à retourner l’accusation contre ma cliente, qui n’a pourtant jamais fait l’objet d’aucune sanction auparavant. »

La lecture de ces PV s’est toutefois révélée fort instructive dans le cadre de la procédure pour discrimination sexuelle, mettant en lumière la manière dont plusieurs de ses supérieur·es perçoivent et qualifient le combat de la salariée. Il lui est par exemple reproché de tout ramener « à son petit problème ». L’un de ces anciens managers s’exprime aussi en ces termes : « Quand j’étais son manager, elle avait démarré son “truc” comme quoi elle était sous- payée », ajoutant : « Je suis une femme donc je suis sous-payée ».

Un « dénigrement » évident, aux yeux de Xavier Sauvignet. Et une attitude incompréhensible pour Élodie Saurat qui, elle-même, dit avoir été « atteinte personnellement ». Elle se désole : « J’ai morflé… et on a d’ailleurs toutes ramassé… alors qu’on veut juste défendre l’égalité. »

  publié le 14 juin 2023

Social : «Je dois m’occuper de cinq personnes par jour», le ras le bol des professionnels

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

Social et médico-social Pénibilité, bas salaires, temps partiels imposés… les salariés du lien et du soin sont à bout de souffle, alors que les besoins du secteur ne faiblissent pas.

De sa voix grave, Alexis l’avoue : « J’aime ce métier, mais j’arrive à un stade où je ne sais pas si je vais continuer. » À 35 ans, cet accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) officiant depuis neuf ans auprès d’une école élémentaire et maternelle à L’Horme (Loire) dénonce de pénibles conditions de travail. Son faible salaire, malgré une prime réseau d’éducation prioritaire, ne dépasse pas les 922 euros net par mois, par la faute d’un temps partiel imposé.

Comme ce syndiqué Snuipp-FSU, c’est tout une profession qui se retrouve à bout de souffle, alors que six syndicats appellent les AESH à se mettre en grève ce mardi 13 juin (lire page 12). La précarité, dénoncée par ces professionnels, est symptomatique des « métiers du soin et des liens », estime un rapport de l’Ires et de la CGT réalisé en janvier 2023, à savoir les métiers contribuant à des « tâches de soin, d’éducation, d’aide ou d’accompagnement », détaille le rapport.

« D’année en année, les tâches s’alourdissent »

L’un des points communs que partagent ces secteurs est la perte d’attractivité à laquelle ils sont confrontés. À tel point que beaucoup tirent désormais la sonnette d’alarme. C’est le cas de Mathieu Klein, président du Haut Conseil du travail social (HCTS) : « On peut parler d’une crise quand tous les employeurs – public et privé, gestionnaires de ­services et établissements essentiels à la population, et notamment aux personnes en situation de fragilité dans le handicap, l’enfance, les personnes âgées – rapportent à qui veut bien les entendre que la main-d’œuvre manque, que les recrutements sont très difficiles et que la qualité et même la réalité du service normalement dû aux personnes sont menacées », souligne-t-il. Une enquête réalisée par Pôle emploi en avril dernier appuie ses propos. L’étude révèle notamment que les aides à domicile figurent parmi les dix métiers où les recrutements sont jugés « difficiles ».

Pourquoi donc les travailleurs du lien ne répondent-ils plus à l’appel ? Les journées de travail épuisantes sont une première explication. « On doit tout savoir faire, que ce soit la toilette, l’habillage, les courses, cuisiner. On peut aussi s’occuper du courrier. Mais, d’année en année, les tâches s’alourdissent », prévient Louisa, professionnelle de l’aide et du maintien à domicile à Saint-Étienne pour l’ADMR, qui « tient particulièrement » à l’intitulé de son poste.

Des tensions sur le recrutement

Les pathologies des personnes dont cette syndiquée à la CNT-SO s’occupe sont « lourdes » : d’une personne atteinte d’Alzheimer à une autre aveugle et souffrant d’alcoolisme. « J’ai déjà été en difficulté avec une dame bipolaire non diagnostiquée et alcoolique. Un jour, elle en est arrivée à me poursuivre avec sa canne pour me battre », confie la Stéphanoise qui pointe le manque d’un autre aidant auprès des bénéficiaires.

De fait, les tensions sur le recrutement ont en effet de terribles conséquences sur le quotidien des professionnels. « Je me retrouve parfois à devoir m’occuper de cinq ­personnes dans la journée, ce qui n’est pas normal ! » lance Bassam, aide à domicile chez Objectif Émergence à Montpellier. Avec près de sept années d’expérience dans le métier, l’homme âgé de 39 ans dénonce désormais les « limites qui ont été franchies ». « Mon employeur m’a déjà envoyé auprès d’un usager pour réaliser des tâches ménagères alors que ce n’est pas mon rôle. Mais il manquait de personnel », ­regrette-t-il. Sans parler des amplitudes horaires qui l’amènent à réaliser des journées allant de « 9 heures à 21 heures » dans les cas les plus extrêmes.

Un salaire de misère

Difficile dans ces conditions de rendre les métiers plus attrayants. D’autant que l’exercice de la fonction s’accompagne d’un salaire de misère. Élisa, éducatrice de jeunes enfants à la Ville de Paris et représentante du personnel pour le Supap-FSU, gagne environ « 2 000 euros» par mois avec dix années d’ancienneté à temps complet. « J’exerce un métier qui est considéré comme féminin mais je m’oppose à la logique de certains qui veulent faire croire que s’occuper des enfants serait naturel, voire inné et ne nécessitant pas de diplôme pour les femmes. C’est faux ! » cingle-t-elle. Pis encore pour l’éducatrice, alors que des mesures de revalorisation ont été prononcées l’année dernière à l’occasion du Ségur de la santé – de nombreux professionnels des métiers du social et du médico-social ont pu bénéficier d’une prime de 183 euros –, ni Élisa ni ses collègues «n’ont obtenu quoi que ce soit ».

« Ce sont des professions très engageantes et pas suffisamment reconnues, notamment pour les échelons d’entrée dans le métier », reconnaît Daniel Goldberg, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux. Avant d’expliquer que les associations, dont la sienne, ne peuvent agir seules pour proposer de meilleurs salaires. (…) « Les ressources de nos associations non lucratives proviennent essentiellement de nos autorités de tarification et de contrôle, c’est-à-dire l’État, les départements, voire les deux. Mieux payer les salariés, assurer une meilleure qualité de vie au travail par des taux d’encadrement plus importants ne dépendent que des ressources qui nous sont octroyées », explique-t-il.

Un « Livre blanc » remis au ministre des Solidarités

Comment alors remédier à la crise qui touche ces métiers ? Voici une problématique sur laquelle le département de la Gironde et l’Institut régional du travail social en Nouvelle-Aquitaine se sont penchés. Ces deux acteurs publics, accompagnés de professionnels, ont organisé, le 7 juin, une journée dédiée à la recherche de solutions aux difficultés des travailleuses et travailleurs des métiers du lien. Un moment d’échange et de propositions, à la fois régionales et nationales, entre ces différents acteurs qui doivent alimenter le futur « Livre blanc du travail social », un document destiné à émettre des propositions de réformes et « des pistes à mener pour transformer le secteur du travail social », souligne Mathieu Klein.

Lancé par le HCTS, il devrait être remis au ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, et publié « à la fin de l’été », précise le président de l’instance consultative. Les pouvoirs publics s’inspireront-ils de ces travaux pour prendre les problèmes de ces métiers à bras-le-corps ? Investir dans les métiers du lien apparaît en tout cas comme un enjeu vital.


 


 

Vers la fusion des AESH et des AED :
« une insulte aux enfants
que l’on accompagne »

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) étaient en grève ce mardi 13 juin. Après une série de mobilisations autour des salaires et de l’organisation de leur temps de travail, ces professionnelles voient aujourd’hui leur métier menacé de fusion avec les assistants d’éducation (AED). 

À deux pas du ministère de l’Éducation nationale, une centaine d’AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) se masse sur une petite place parisienne. Ce mardi 13 juin signe une nouvelle journée de grève de ces professionnelles – en grande majorité des femmes -, précaires et exerçant le plus souvent à temps partiel. Elle a été initiée par une intersyndicale FSU, FO, CGT, Sud, Snalc et SNCL.

Dans plusieurs villes de France, des rassemblements se sont tenus devant les DSDEN (Direction des services départementaux de l’Éducation nationale) et les rectorats. Au coeur de la colère : les dernières annonces gouvernementales, en clôture de la Conférence nationale du handicap – un grand rendez-vous, fin avril, néanmoins boycotté par plusieurs associations.

C’est Emmanuel Macron lui-même qui a mis le feu aux poudres. Dans son discours, celui-ci a annoncé la création d’un nouveau métier : celui d’« accompagnant à la réussite éducative ». Dans le dossier de presse, le gouvernement détaille : « les fonctions des AESH et des assistants d’éducation seront progressivement réformées et regroupées pour créer un métier d’accompagnant à la réussite éducative ». Et de louer cette fusion comme une solution au temps partiel imposé : « les AESH pourront accéder à un temps plein (…) ils pourront ainsi déployer des compétences nouvelles et assurer le suivi des enfants sur le temps scolaire et périscolaire ».

Depuis, les syndicats sont dans le flou quant aux contours de cette nouvelle fonction et aux missions qui lui seront attribuées. Un comité social d’administration s’est tenu ce mardi. « Le ministère a indiqué qu’ils allaient mandater la DGESCO [direction générale de l’enseignement scolaire, ndlr] pour travailler dessus. C’est donc un vrai chantier, avec un groupe de travail, qui commence », rapporte Manuel Guyader, AESH et membre de l’intersyndicale pour SUD Éducation.

« On fusionne les AESH et les AED, et on nous dit : tenez, vous les avez vos 35 heures ! »

Depuis des années, les AESH revendiquent un réel statut dans la fonction publique, et l’obtention d’un salaire basé sur un temps plein – et non sur 24 heures de temps partiel imposé, ce qui concerne la majorité des professionnelles. Aujourd’hui plus que jamais, « on revendique notre statut d’AESH ; et les AED, leur statut d’AED. Parce que ce sont deux métiers différents », s’indigne un membre du SNALC (Syndicat national des lycées et collèges) au micro devant la petite foule rassemblée.

« Pour accompagner un enfant en situation de handicap, c’est mille et une choses qu’il faut savoir. On n’accompagne pas pareil un enfant autiste, ou TDAH [trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ndlr] », confie Marianne Petit, AESH avec 15 ans d’expérience derrière elle, qui parle de « mépris » pour son métier.

Cette professionnelle grimpe péniblement à 1200 euros, pour 24 heures de travail… « Alors que je fais de la préparation, je forme des coordonateurs, je fais beaucoup, beaucoup d’heures supplémentaires. » À ses côtés, Lénaïc, AESH depuis deux ans en lycée pro, gagne lui « 920 euros par mois » pour ces 24 heures.

« On fusionne les AESH et les AED, et on nous dit : tenez, vous les avez vos 35 heures ! Nous on ne veut pas ça ! », proteste une AESH syndiquée FO 93 au micro. « On veut être AESH. On a des diplômes. Ce n’est pas parce que l’on est AESH que l’on est rien… On a notre place dans les écoles. On fait notre travail, et on le fait très bien. Et ils ont besoin de nous ! »

« Une claque à la figure des AESH »

Près de 430 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés dans des établissements du milieu ordinaire pour cette année 2022-2023 – contre 320 000 en 2017. Les recrutements d’AESH ont suivi, avec une augmentation de 35% du nombre de professionnelles sur cinq ans. Si ces hausses sont à saluer, « ce bilan ne suffit toutefois pas à effacer les difficultés persistantes rencontrées encore par trop d’enfants en situation de handicap pour accéder à l’éducation, sans discrimination », rappelle un rapport de la Défenseure des droits paru en août 2022.

Pour 430 000 élèves, seules 132 000 AESH exercent aujourd’hui. Dont beaucoup à temps partiel comme Lénaïc et Marianne. « C’est très peu, c’est aberrant », commente une AESH syndiquée à la CGT éduc’action. « On se retrouve à faire du saupoudrage, de la présence très ponctuelle auprès d’élèves qui auraient droit à plus d’heures en théorie… Par exemple, des élèves qui ont droit à 24 heures mais que l’on accompagne que 3 heures par semaine, parce que l’on est pas assez nombreux », déplore Lénaïc.

Un « saupoudrage » aggravé, selon les grévistes, par les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés), un système de mutualisation objet de nombreuses mobilisations depuis son déploiement en 2021. Un rapport parlementaire a été présenté le 7 juin à l’Assemblée nationale, évaluant la loi Blanquer de 2019 qui a mis en oeuvre ces PIAL. La mission conclut à la dégradation des conditions de travail des AESH engendrée par ce système. « Au lieu d’écouter cela, le ministère nous sort la fusion des métiers d’AED et d’AESH », souffle Manuel Guyader de Sud Éducation.

« Ces annonces sont pour nous une claque à la figure des AESH », résume l’une d’elles, syndiquée FSU, sous les applaudissements de ses collègues. « Pour moi c’est une insulte que le gouvernement nous a fait. Une insulte aux enfants que l’on accompagne ».

Des avancées obtenues, mais insuffisantes

Les AESH syndiqués défilant au micro promettent de maintenir la pression ; et de poursuivre à la rentrée. Les quelques avancées récemment obtenues n’auront donc pas suffi à éteindre leur dynamique de mobilisation. Parmi ces mesures gagnées, fin 2022 : la CDIsation au bout de trois années de CDD.

Celle-ci devait être mise en oeuvre dès cette rentrée de septembre. Or, le décret d’application n’est toujours pas paru. « Les académies ont besoin d’avoir les infos maintenant », souligne Manuel Guyader. « La rentrée va donc être encore une fois une catastrophe ».

Surtout, cela ne règle pas la question de la précarité du métier. « Avoir un CDI avec 800 euros par mois… », soupire Marianne Petit. « Très peu de gens vont jusqu’à trois ans, c’est tellement mal payé », abonde Lénaïc.

Pour répondre à cette précarité, et au vu du contexte inflationniste, 10 % d’augmentation salariale ont été maintes fois promis par le gouvernement aux AESH, pour la rentrée 2023. Sauf que depuis avril, le ministère commence à évoquer, à la place, une revalorisation indemnitaire. « Une indemnité ce n’est pas du salaire, on ne cotise pas », réagit Manuel Guyader.

Le ministère a également mis sur la table un scénario de relèvement de la grille indiciaire : mais celui-ci a tout de suite été rendu caduque par le relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique en mai, expliquent les syndicats. « Une revalorisation qui ne passe que par de l’indemnitaire et par une grille à peine toilettée ne change en rien la précarité subie par les AESH », a réagi la FSU.

Depuis, pas de prochain rendez-vous prévu sur le sujet des salaires. Le ministère a indiqué lors du CSA de ce mardi que « tout était mis en suspens » pour le moment, relate Manuel Guyader – notamment du fait de la revalorisation du point d’indice pour les fonctionnaires annoncée hier.


 

 

Handicap à l’école : les AESH veulent rester au service des enfants, pas être «les bonnes à tout faire de l’école»

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Sous couvert d’inclusion, la Conférence nationale du handicap a accouché, fin avril, d’une bombe sociale : effacer la spécificité de ces professionnels pour en faire les bonnes à tout faire de l’école, au mépris des intérêts des élèves et de ceux de ces travailleurs précaires. Les AESH étaient en grève ce 13 juin.

Chakar, avec son tee-shirt vert siglé du syndicat FSU qui proclame «AESH c’est un vrai métier», a un message pour Pap Ndiaye : «Le ministre disait que 80 % des AESH n’ont pas le bac, moi j’ai un bac + 5 !»

Il a connu la valse des sigles dont on a affublé ce métier qu’il exerce depuis treize ans : AVS (auxiliaire de vie scolaire), AESH (accompagnant d’élèves en situation de handicap)… et bientôt ARE (accompagnant à la réussite éducative), comme annoncé le 26 avril dans les conclusions de la Conférence nationale du handicap ?

«Pour le gouvernement, on n’est que des sigles»

Comme tous les manifestants réunis ce mardi 13 juin à Paris, à l’appel de l’intersyndicale (CGT, FO, FSU, Snalc, SNCL, SUD Solidaires), à quelques pas du ministère de l’Éducation nationale, il refuse la perspective qui verrait fusionner deux fonctions bien distinctes : AESH et assistant d’éducation, les anciens surveillants.

Une fusion qui, pour les AESH, signifierait un recul terrible : «Pour le gouvernement, on n’est que des sigles, reprend Chakar, mais les enfants dont on s’occupe ne sont pas des enfants lambda. En devenant ARE, on ne serait plus ciblés sur les enfants en situation de handicap.»

Du haut de ses vingt années d’ancienneté, sa collègue Marièle renchérit : «On aura moins de temps de présence auprès des élèves qu’on accompagne, ce sera plus facile de nous utiliser pour tout et n’importe quoi.»

De fait, sous prétexte que «le quotidien de l’enfant ne s’arrête pas aux portes de la classe», les ARE seraient aussi utilisés pour les accueils du matin et du soir, pour la pause méridienne, la cantine, le périscolaire…

Des salaires souvent en dessous du seuil de pauvreté

Tout ça sous prétexte de répondre au – ­légitime – besoin des enfants handicapés d’être à l’école à temps plein, et pour satisfaire la – non moins légitime – revendication des AESH d’exercer à temps plein, au lieu des temps partiels contraints que beaucoup subissent aujourd’hui.

Avec pour conséquence des salaires souvent en dessous du seuil de pauvreté, d’autant que faute de revalorisation, les premiers échelons de leur grille salariale ont été écrasés par l’inflation.

«Faites le calcul, demande Malika, AESH à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), il y a 430 000 élèves en situation de handicap, et 132 000 AESH : comment pourrions-nous faire autre chose ? Ceux qui proposent cela pensent-ils aux enfants dont nous nous occupons ?»

«Parfois, on ne passe qu’une seule heure par semaine avec un enfant qu’on est censé accompagner, reprend Samira, on ne sait pas où il en est, on doit tout reprendre. Comment est-on censé les accompagner vers l’autonomie dans ces conditions ?»

Les faibles perspectives de carrière sont une autre préoccupation que ne résoudrait pas la transformation en ARE : «On a envie d’évoluer ! éclate Malika en expliquant qu’elle souhaiterait devenir aide médico-psychologique. Qu’on nous donne des formations !»

Les promesses de la Conférence nationale du handicap pouvaient paraître belles, mais les AESH ne s’y sont pas laissés prendre. Et leurs syndicats, ne doutant pas que les parents et leurs associations feront de même, donnent d’ores et déjà rendez-vous à une rentrée qui pourrait s’avérer caniculaire.


 


 

Métiers du lien : «Il est nécessaire que les conventions collectives soient revues», réclame Pascal Brice

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

Pourtant nécessaire, le secteur médico-social attire de moins en moins. La faute à des conditions de travail pénibles, des rémunérations en chute libre et un manque de respect pour leur expertise, pointe Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Celui-ci appelle à des revalorisation des salaires, alors que les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) sont en grève ce mardi. 

Quelles sont les professions concernées lorsque que l’on parle des «métiers du lien» ?

Pascal Brice : C’est très large. Cela englobe tout ce qu’on appelle les métiers de l’humain, du soin, plus globalement les métiers du social. On peut citer les éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, les assistantes sociales… De manière plus générale, le point commun de ces métiers, c’est l’accompagnement des fragilités humaines.

Comment expliquez-vous la crise qui les touche ?

Pascal Brice : La première explication est celle de la rémunération. Là où les travailleuses et travailleurs gagnaient auparavant deux fois le SMIC au bout de quelques années d’expérience, aujourd’hui c’est tout juste s’ils le dépassent. Certes, il y a eu une série de mesures de revalorisation utiles, qu’on appelle les mesures du Ségur, mais elles ont oublié une partie des travailleuses sociales. Il est nécessaire que les conventions collectives soient revues et que les rémunérations soient corrigées. 

Les salariés du lien passent leur temps à faire des rapports

Il y a aussi des questions de formation. Elle doit s’ouvrir plus largement à des thématiques de transformation écologique ou à la globalité de l’accompagnement social. Il y a également toute une série de choses qui pèsent sur la pratique sociale de ces métiers : de plus en plus de personnes souffrent de problèmes de santé mentale, or la psychiatrie en France est en difficulté et les travailleurs sociaux, qui ne sont pas des professionnels de ces pathologies, sont confrontés à des situations difficiles. 

Un autre problème concerne la bureaucratie. Les salariés du lien passent leur temps à faire des rapports ou à accompagner les bénéficiaires pour faire des déclarations administratives.

Vous expliquez que la bureaucratisation des tâches est un manque de respect pour les travailleurs sociaux, que vouliez-vous dire ?

Pascal Brice : Cette bureaucratie conduit à ce qu’on ne respecte pas l’expertise de ces professionnels. Ils en ont pourtant une : celle de l’accompagnement des personnes en fragilité, jeunes enfants, personnes à la rue, personnes souffrant d’addiction, etc. Ils ont été formés. Quand on multiplie les procédures qui visent à contrôler leurs compétences, c’est un manque de respect et c’est totalement décourageant.

  publié le 8 juin 2023

Les syndicats connaissent un regain d’adhésion malgré l’absence de victoire sur les retraites

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Le soutien aux mobilisations contre la réforme des retraites, menées par l’intersyndicale, a été largement majoritaire, affichant jusqu’à 70 % d’opinion favorable fin mars. Dans ce contexte de légitimité renforcée, les syndicats affichent une croissance importante des adhésions depuis le début de l’année. Même s’ils n’ont pas réussi à faire reculer le gouvernement.

 100 000 adhésions depuis janvier. C’est à peu de chose près le nombre de nouvelles et nouveaux syndiqués qu’enregistre la totalité des syndicats qui ont mené la bataille des retraites depuis janvier. Début juin, la première organisation représentative, la CFDT, disait afficher au compteur 43 116 adhésions pour 2023. Soit 30 % à 40 % de plus que l’année précédente, selon son service de presse. De son côté, la CGT annonçait au moment de son congrès fin mars, 30 000 nouveaux contacts et demandes d’adhésion en trois mois, dont 4500 en ligne via son site internet. Au 1er mai, près de 90 % d’entre elles se sont transformées en adhésions effectives, assure Thomas Vacheron, membre du bureau confédéral. Soit, pour les deux premiers syndicats du pays, un total d’environ 70 000.

Cette hausse des demandes d’adhésion irrigue aussi les autres membres de l’intersyndicale, même si leurs chiffres sont partiels ou non consolidés. Pour Force ouvrière, le nombre total n’est pas connu. La troisième force syndicale n’a pas de système centralisé en temps réel à l’échelle confédérale. Et il est encore trop tôt pour avoir des remontées suffisantes sur les adhésions dans ses syndicats professionnels et territoriaux. Pour autant, au 30 mai, elle compte déjà 3759 demandes d’adhésion via son site internet national, contre 5000 pour l’ensemble de l’année 2022. Avec les demandes faites directement auprès de ses syndicats et de ses unions départements, ce chiffre pourrait être multiplié par au moins deux ou trois.

L’Unsa profite également de la même tendance. Ce syndicat qui revendique 190 000 adhérents et une progression de 15 000 membres en quatre ans assure avoir trois fois plus de demandes depuis janvier que sur la même période en 2022. Si aucun chiffre ne nous a été fourni, ses effectifs devraient progresser de quelques milliers de membres supplémentaires. Solidaires n’échappe pas à ce phénomène. N’étant pas une confédération, mais une union de syndicats, leurs données sont fragmentaires, mais Murielle Guibert, sa porte-parole estimait le mois dernier à 3000 le nombre de personnes à avoir rejoint les syndicats SUD. De même, la FSU pour qui l’adhésion est annuelle et intervient généralement à la rentrée de septembre, dans son champ principal de syndicalisation, l’Éducation nationale, estimait à plus 1500 le nombre de nouvelles cartes. Nous n’avons pas pu avoir d’estimation pour la CFTC et la CFE-CGC, même si pour cette dernière « une tendance à la hausse se dégage » qui ne pourra être confirmé nous a-t-on expliqué qu’en fin d’exercice, lorsque ses syndicats auront fait remonter à la confédération leurs adhésions.

 Un retour en grâce des syndicats ?

« Nous avions déjà observé un regain d’intérêt à partir de 2019, après la lutte contre la retraite à points, puis suite à la Covid et au confinement », explique Cyrille Lama, secrétaire confédéral à Force ouvrière. Pour lui, le boom des adhésions en ce début d’année est le signe que « les travailleurs veulent revenir dans le jeu, et le jeu c’est les syndicats ». Ce que semble confirmer Benoît Teste, le secrétaire général de la FSU, pour qui la mobilisation de 2023 « pose aussi le débat de la démocratie sociale et le rôle des syndicats sur du long terme ».

S’il n’a pas gagné, le mouvement social sur les retraites, porté par les syndicats, a mis le gouvernement en difficulté et obligé celui-ci à user de tous les outils en sa possession pour passer en force. Avec comme effet, « une défiance moins importante vis-à-vis de l’intersyndicale que lors de précédents mouvements » analyse Benoît Teste. Mais peut-être aussi avec un sentiment de défaite moins présent ou moins dévastateur que par le passé. D’où des adhésions en plus grand nombre aujourd’hui, que lors des précédentes batailles sur les retraites. « En 2003 et 2010, il y avait un sentiment de défaite très dur » se rappelle Annick Coupé, ancienne porte-parole de Solidaires. « Jai le sentiment qu’on n’est pas dans le même état d’esprit. Je ne sens pas de regret d’avoir fait grève ou d’avoir manifesté. Cela ressemble plus à 1995 où les cheminots avaient gagné des choses, mais pas d’autres secteurs. Les gens exprimaient cependant le sentiment d’avoir relevé la tête ».

La différence avec 2010 et la mobilisation contre l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, sous Nicolas Sarkozy, Thomas Vacheron la voit aussi. « En 2010, quand je faisais les tournées syndicales après le mouvement, des délégués m’engueulaient et nous disaient : on a fait grève pour rien ». Un ressentiment et une démoralisation qui n’avaient pas entraîné une ruée vers les syndicats. Ce que confirme Cyrille Lama pour Force ouvrière : « pas de frémissement en 2010 sur les adhésions ». Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme, pense qu’il en va de même pour l’ensemble des syndicats. « Ni en 2003 ni en 2010, il n’y a eu de rebond des taux de syndicalisation », assure-t-il.

Des profils inattendus

Mais qui sont celles et ceux qui rejoignent les syndicats en ce début d’année 2023 ? « Des jeunes, des intérimaires, des précaires, des salariés de très petites entreprises ou de moins de 50 personnes », énumère Thomas Vacheron de la CGT. Avec une large prédominance du secteur privé et des adhésions nombreuses dans des entreprises qui étaient jusque-là des déserts syndicaux, assure-t-il. Beaucoup de jeunes et de femmes, explique de son côté la CFDT. Des profils nouveaux, confirme Cyrille Lama de FO: « des femmes de ménage, des chômeurs, des jeunes, des salariés de petites entreprises ». Et là aussi plus d’adhésions dans le secteur privé que dans le public « notamment des personnes qui veulent monter des listes pour les prochaines élections au Conseil social et économique (CSE) et qui étaient sans étiquette auparavant ».

Ce lien avec les élections dans les entreprises est également souligné par Thomas Vacheron. « La moitié des CSE seront renouvelés d’ici la fin de l’année », rappelle le membre du bureau confédéral de la CGT. Une réalité qui fait dire à Cyrille Lama de FO à propos de l’afflux d’adhésions que « les gens comprennent l’enjeu de la présence syndicale ». D’autant que Thomas Vachron l’assure : « en négociation les patrons cèdent plus facilement dans le contexte actuel d’inflation et de mobilisation sur les retraites ».

Une hirondelle ne fait pas le printemps

Si les adhésions sont nombreuses dans l’ensemble des syndicats depuis le début de l’année, cette augmentation du nombre de cartes est à relativiser. Elle ne modifiera pas en profondeur le poids du syndicalisme dans les rapports de force avec le patronat ou le gouvernement. En réalité, 100 000 adhérents supplémentaires représentent moins de 5 % de syndiqués en plus, sur les quelque 2,5 millions de membres que comptent l’ensemble des organisations qui composent l’intersyndicale. Ramenée à l’ensemble des 26,5 millions de personnes occupant un emploi salarié dans le pays, cette progression n’augmenterait que de moins d’un demi-point le taux de syndicalisation dans la population française, qui était de 10,3 % en 2019 selon la Dares.

De même, malgré des adhésions dans des entreprises qui ne connaissaient pas jusque-là de présence syndicale, cela ne comblera pas l’ensemble des trous. Loin de là. En 2021, seuls 13,1 % des entreprises de plus de 10 salariés avaient un délégué ou un représentant syndical en leur sein. Et 38,9 % une instance représentative du personnel selon la Dares. « Le syndicalisme n’est pas assez fort dans le pays, il y a trop d’entreprises dans lesquelles il n’y a pas de syndicats et il y a trop d’entreprises dans lesquelles il n’y a que quelques syndiqués », soulignait Sophie Binet, dans une interview donnée à Blast fin mai. Pour elle, une explication des difficultés à mettre totalement « La France à l’arrêt » le 7 mars. Et encore plus lors des jours suivants dans l’idée d’une grève reconductible : « Pour être solide, il faut avoir un socle de syndiqués, sinon on est trop fragile face au patron » certifie la numéro un de la CGT. Une difficulté qui en cache une autre. Selon l’étude de la Dares citée plus haut, 60 % des adhérents à un syndicat disent ne pas participer ou peu participer aux activités de leur syndicat. Pour Stéphane Sirot, « cest un problème évident, surtout lorsqu’il s’agit de déployer un mouvement social et encore davantage s’il s’agit de l’ancrer dans la pratique gréviste ».

 

publié le 7 juin 2023

Manifestation du 6 juin :
poursuivre le combat,
garder l’espoir,
préparer l’après

par Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr

Ce mardi 6 juin a lieu, partout en France, la 14e journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites. L’occasion de mettre la pression sur la majorité, 48 heures avant le passage à l’Assemblée nationale de la proposition de loi voulant l’abroger.

La fin de l’histoire ou le début d’un nouveau chapitre ? Voici la grande question qui plane à l’aube d’une 14e journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites qu’on annonce déjà comme moins fournie que les précédentes. Il est vrai que le cœur de ce mouvement social paraît derrière nous, niché au creux de l’hiver lorsque, chaque nouvelle journée de mobilisation donnait à voir des affluences records dans toutes les rues de l’hexagone. Le tout, dans une joie nouvelle colorant les luttes.

Comment peut-on imposer un projet de loi aussi antisocial en empêchant un vote ?

Près de cinq mois après la présentation du détail de sa réforme, l’exécutif n’a pas dévié d’un centimètre de sa trajectoire. A grand renfort de bisbilles constitutionnelles et de répressions policières et administratives, le gouvernement a refusé tout recul face à la rue et une large majorité de l’opinion publique. Ce 6 juin sera donc forcément teinté d’une amertume parsemée de colère et d’impuissance. Celle de n’avoir pas été entendu. Celle, surtout, d’avoir échoué. Depuis la promulgation de la loi et le double refus du Conseil Constitutionnel de valider la demande de référendum d’initiative partagée, l’application des principales mesures – dont le recul de l’âge légal de 62 à 64 ans – de la réforme au 1er septembre paraît inéluctable.

Petites doses d’espoir

Sauf que dans ce 6 juin, résident, aussi, des petites doses d’espoir. La première : l’examen de la proposition de loi du groupe Liot voulant abroger la réforme des retraites le 8 juin. Ce serait la première fois que les députés se prononceraient sur la mesure phare de la réforme. Lors d’une conférence de presse tenue une semaine avant la mobilisation du 6 juin, les organisations syndicales l’ont d’ailleurs rabâché à tour de bras. « Comment peut-on imposer un projet de loi aussi antisocial en empêchant un vote ? N’importe quel démocrate normalement constitué ne pourrait l’accepter », note Thomas Vacheron, secrétaire confédéral de la CGT. « Cette proposition de loi doit être débattue, et votée démocratiquement. C’est le seul message qu’on a à faire passer aujourd’hui », abonde Marylise Léon, future numéro 1 de la CFDT.

Malgré tout, la majorité présidentielle compte bien user de tous les moyens dont elle dispose pour éviter que cette proposition de loi soit votée en séance dans l’hémicycle. Et si ce mouvement social nous a bien appris quelque chose, c’est l’arsenal législatif et constitutionnel que l’exécutif est prêt à utiliser pour passer en force. C’est d’ailleurs, peut-être, a posteriori, la plus grosse erreur de l’intersyndicale sur ces cinq mois de mobilisation. Avoir trop voulu jouer le jeu des institutions, au détriment de l’instauration d’un rapport de force plus dur. Car à ce jeu, le pouvoir excelle de facto, déjouant, violemment et sans brio, les injonctions aux débats dans l’hémicycle, au vote de la loi, ou encore les différents recours au Conseil Constitutionnel.

Le 8 juin, tous ceux qui empêcheront un vote seront responsables de l’accident démocratique.

La niche parlementaire de Liot ce 8 juin ne devrait pas déroger à la règle. Déjà, la majorité présidentielle s’est armée de tout un tas d’artifice législatif pour éviter un vote qui paraît, aujourd’hui, presque improbable. « Le 8 juin, tous ceux qui empêcheront un vote seront responsables de l’accident démocratique qui pourrait en découler », prévient, malgré tout, Thomas Vacheron, sans vraiment réussir à convaincre qu’un nouveau tour de force gouvernemental pourrait lancer une nouvelle étape dans la mobilisation.

Face au micro, les représentants syndicaux assurent qu’il pourrait y avoir de futures dates de mobilisation. « Les suites dépendront du niveau de la mobilisation mardi et du vote le 8 juin. J’appelle donc tout le monde à descendre dans la rue », affirme par exemple Sophie Binet, la numéro 1 de la CGT, ce week end dans le JDD. Malgré tout, en off, plusieurs représentants syndicaux pronostiquent que ce 6 juin sera la dernière journée de mobilisation interprofessionnelle. Des députés de La France insoumise, eux, espèrent poursuivre la mobilisation en appelant, tous les soirs de cette semaine à des « apéros anti-Macron » dans plusieurs villes de France.

Rapport de force

Faut-il y voir la fin de l’histoire ? Sans doute pas. Et c’est sans doute là que réside l’espoir le plus grand. À défaut d’avoir obtenu le retrait de la réforme, l’intersyndicale, par son unité et sa capacité à construire un mouvement massif, a redoré les blasons bien ternis et poussiéreux des syndicats. « Cette mobilisation a démontré que lorsqu’on est uni, il y a du monde dans la rue, et un regain de confiance à l’égard des syndicats », analyse Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’UNSA.

Et ce coup de propre ne s’arrêtera pas au soir du 6 juin. Déjà, les organisations représentatives des salariés ont annoncé qu’elles poursuivraient leur travail en commun sur plusieurs thématiques : hausse des salaires, égalité hommes-femmes, pénibilité du travail… Autant de thèmes sur lesquels l’intersyndicale veut obtenir des « avancées sociales ». En s’appuyant, notamment, sur la force construite ces cinq derniers mois pour instaurer un vrai rapport de force avec le gouvernement et le patronat.

Enfin, pour les millions de personnes qui se sont mobilisées contre cette réforme des retraites, la lutte ne s’arrêtera pas le 6 juin au soir. « Il y a une très forte colère, qui grandi de semaines en semaines », souffle Marylise Léon. Une colère en forme de défiance qui entravera, forcément, les actions futures du gouvernement. Et qui, parfois, secteur par secteur, pourra vaincre. À Verbaudet, entreprise de vente de vêtements en ligne, les salariées ont ainsi obtenu gain de cause sur des hausses de salaires après un long combat collectif de deux mois. Un exemple sur lequel s’appuyer pour construire les luttes actuelles et futures. Parmi elles, celle contre la réforme des retraites en fait encore partie.


 


 

« Ça se paiera plus tard... » :
les opposants à la réforme des retraites
fiers, mais inquiets

Sarah Bosquet, Dan Israel et Martine Orange sur www.mediapart.fr

La quatorzième journée nationale de mobilisation, et sans doute la dernière, a bien moins rassemblé, mardi, que les précédentes. Syndicalistes et simples citoyens espèrent avoir marqué durablement les esprits. Mais l’inflexibilité du pouvoir assombrit les perspectives.

Nul doute que si on les avait interrogé·es individuellement, toutes et tous auraient rejeté le terme. Mais les interventions des dirigeant·es de l’intersyndicale, mardi 6 juin en ouverture de la quatorzième manifestation parisienne contre la réforme des retraites, avaient un sérieux parfum de bilan. Ce bilan qu’on pourrait dresser au terme de mois d’une mobilisation acharnée, lancée le 19 janvier, mais qui n’a pas atteint son but : promulguée le 14 avril, la loi décalant de deux ans l’âge légal de départ à la retraite devrait entrer en vigueur le 1er septembre 2023, ses premiers décrets d’application ayant été publiés dimanche 4 juin.

Les dirigeants des huit syndicats de salarié·es avaient donné rendez-vous aux journalistes à la mi-journée devant l’Assemblée nationale, deux heures avant le départ de la manifestation de l’esplanade des Invalides, quelques centaines de mètres plus loin, en direction de la place d’Italie. Une manière de souligner leur soutien à la proposition de loi du groupe Liot, visant à abroger le report de l’âge légal et qui est programmée pour être discutée à l’Assemblée jeudi 8 juin.

Mais les macronistes et leurs alliés ont réussi à vider le texte de sa substance en commission des affaires sociales, et ils devraient même obtenir qu’il ne parvienne finalement pas au vote. Dans ce cadre, difficile d’afficher la confiance des grands jours.

« Il n’y a pas de sujet de résignation, on arrivera à mobiliser encore aujourd’hui », peut bien assurer Frédéric Souillot, le dirigeant de Force ouvrière, assurant qu’il y aura « encore des choses à défendre et à revendiquer tous ensemble, sur les salaires et sur l’assurance-chômage », dans les prochains mois.

Tous les responsables syndicaux sont d’accord. Mais ils ne masquent plus une autre réalité. « Le match pour les retraites est en train de se terminer, qu’on le veuille ou non », est convenu Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. Le décompte du nombre de manifestants par le ministère de l’intérieur lui donne raison : 281 000 personnes pour toute la France – contre 900 000 manifestant·es selon la CGT.

C’est la plus faible affluence annoncée par le gouvernement depuis la première manifestation le 19 janvier. Le plus bas précédent était le 11 mars, avec 368  000 personnes. Loin du record historique du 7 mars, avec presque 1,3 million de personnes. L’écho est cruel avec cette confidence de Laurent Berger, lors de la journée du 13 avril : « On ne veut pas finir à 200 000 personnes dans toute la France, alors qu’on a réussi une mobilisation historique pendant trois mois. » Dans la capitale, 31 000 manifestant·es étaient présents selon la préfecture de police. La CGT en a compté trois fois plus .

Laurent Berger avait prévenu avant que le cortège s’élance : « C’est la dernière manifestation contre la réforme des retraites, sur ce format-là. » « Il y a toujours une colère et un ressentiment, analyse-t-il. Il va falloir qu’on cultive cette mobilisation pour continuer à travailler sur les salaires, le pouvoir d’achat, les conditions du travail et du dialogue social. »

Celui qui passera la main le 21 juin à sa numéro deux Marylise Léon a été interrogé sur son départ tout proche. « Je ne dis pas que je ne ressens pas un peu de mélancolie. C’est un peu atypique comme fin de mandat », a-t-il glissé, tout en se disant fier : « On a démontré la force du syndicalisme. » La CFDT revendique 43 000 nouvelles adhésions en 2023, après une légère hausse en 2022, ses effectifs devant désormais approcher les 650 000 membres.

À ses côtés, la nouvelle dirigeante de la CGT, Sophie Binet, a elle aussi regardé vers l’avenir. Même si « les retraites resteront toujours un combat », l’objectif est à présent de « gagner des avancées concrètes », a-t-elle affirmé, en répétant vouloir de « de vraies négociations », sur les salaires ou les « ordonnances Macron » ayant réformé le Code du travail à toute allure en 2017, ou sur « l’égalité femmes-hommes ».

« Tout ce qui s’est passé n’est pas vain. C’est peut-être une étape finale pour la mobilisation contre les retraites, mais sur les questions sociales, le mécontentement et la colère sociale, rien n’est terminé », estime elle aussi Murielle Guilbert, codirigeante de Sud-Solidaires.

« Certes, on a perdu dans l’immédiat, on le reconnaît. Mais ce mouvement a changé les choses : on ne parle plus de la même manière des syndicats, nous sommes à nouveau vus comme porteurs d’un intérêt général, espère lui aussi Benoît Teste, le dirigeant de la FSU. Le monde du travail a relevé la tête. »

Les responsables de l’intersyndicale ont prévu de confronter leurs points de vue le 13 juin, avant d’établir un plan pour la suite. Il est possible qu’ils se divisent également sur une hypothétique invitation à l’Élysée dans les jours qui viennent, la CFTC, et sans doute la CFDT, y étant favorable, à l’inverse de la CGT, de FO ou de la CFE-CGC.

 « C’est beau »

Dans le cortège, si le constat de l’essoufflement est partagé, les manifestant·es n’ont pas envie d’y voir une fin. Toutes et tous préfèrent souligner la « beauté » de ce qu’ils ont vu pendant six mois, pour reprendre un terme qui revient régulièrement.

« C’est un beau mouvement, les grèves ont été assez suivies, même dans notre petite association, et on voit que les gens se syndiquent de plus en plus, même si ça clairement, ce n’est pas lié qu’à la réforme des retraites, dit Valentin, 31 ans, psychologue dans une association et syndiqué à Sud depuis peu. On verra bien si le mouvement tient sur la durée. En attendant, nous on va continuer à être mobilisés contre le projet de loi immigration. »

Son acolyte Baptiste, 29 ans, intermittent, a comme Valentin aussi participé à plusieurs manifestations sauvages. « C’est beau de voir autant de gens différents dans la rue. De sentir que ça rassemble, de voir cette joie, ça émeut. Ça fait vraiment du bien de voir que la jeunesse est antiraciste et antifasciste », lance-t-il.

Coline, 29 ans, est montée en hauteur près du Jardin des plantes pour regarder défiler l’un des deux cortèges. Elle est cordiste, non syndiquée, travaille en intérim et est engagée dans les luttes écologistes : « J’habite dans le Tarn, mais je suis de passage à Paris, c’était l’occasion de continuer la lutte. Pour moi, c’est évident que l’écologie et le social vont de pair. C’est génial qu’il y ait encore autant de monde qui se mobilise, plein de syndicats différents, un melting-pot de luttes. C’est très motivant pour la suite ! »

Nils et Louise ont 20 ans et sont étudiants à l’antenne de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) de Sciences Po. Ils ont été de tous les défilés. Et ils sont optimistes : « Cette manifestation est peut-être une manifestation de dépit, de résignation. Mais cela ne doit pas cacher le reste. Il s’est passé un moment important pour le pays. Il y avait auparavant une sorte de mouvement populiste, ni de droite ni de gauche. Le mouvement a remis la lutte des classes sur le devant de la scène, le clivage droite-gauche existe à nouveau. Il y a une dynamique qui n’est pas près de disparaître. »

D’autres disent aussi leur fierté, mais sans cacher leurs inquiétudes pour l’avenir. « On n’est pas syndiqués, mais on se mobilise depuis le début dans toutes les manifestations, mais aussi pour des manifestations sauvages, et au rassemblement à Concorde le 16 mars, raconte Ghiles, conseiller principal d’éducation en Seine-Saint-Denis, venu avec des collègues, CPE et enseignants. On se dit que même si on n’a pas gagné la bagarre, on a gagné sur le plan des idées. Mais la manière dont le gouvernement a imposé le texte, ça génère du ressentiment et ça fait de la place à l’extrême droite. »

Une inquiétude qu’on retrouve fréquemment dans le discours des syndicalistes, encore plus présents que d’habitude dans le cortège, rétrécissement de la mobilisation oblige. Véronique, par exemple. Élue CFTC chez Saemes, une entreprise parisienne de parkings, onze manifestations au compteur, assurées tour à tour en déclarant des jours de grève et en posant des RTT.

« Nous avons tous conscience que ce mouvement est historique. Jamais la CFTC n’avait défilé aussi longtemps, et avec cette cohésion de tous les militants syndicaux, cela restera longtemps du jamais-vu, revendique-t-elle. Mais c’est d’autant plus exaspérant, incompréhensible, qu’on ne soit pas entendus ».

« Les gens sont désabusés, déçus et en colère contre ce gouvernement, qui n’écoute pas, qui n’entend rien. Et cette colère aura des répercussions, ça se paiera plus tard », pronostique elle aussi Corinne Bornes, infirmière et secrétaire départementale de la CFDT dans le Lot. Elle craint une abstention encore plus forte, et un vote RN qui monte en flèche.

« En allant un peu loin, je dirais qu’on vit dans une monarchie constitutionnelle, poursuit-elle. Le monarque décide et pendant que le petit peuple est dans la rue, il reçoit Elon Musk à Versailles [le patron de Tesla et de Twitter a été reçu par Emmanuel Macron le 15 mai, en marge du salon Choose France – ndlr]. Et le Parlement est composé de gens bien nés, qui appliquent ce que demande le chef, et qui ne connaissent pas le pays et ses habitants. »

Gwenaëlle, autre militante CFDT, de Seine-Saint-Denis, le dit brutalement : « Le gouvernement marche sur les syndicats depuis longtemps déjà, on se bat contre un mur. Ils sont hors sol, dans leur bulle, ils ne connaissent pas la réalité du terrain, ils sont arrogants. C’est effrayant. »

La colère n’est pas éteinte

Talula est salariée d’une compagnie d’assurance, et en est à sa huitième manifestation. La réforme n’est pas « une question d’intérêt personnel », précise-t-elle, elle qui a une fille jeune à qui elle devra payer des études et qui prévoit donc de travailler au-delà de 64 ans.

« Mais il n’est pas possible qu’un seul gouverne, en n’écoutant personne, s’indigne-t-elle. Il y a quelque chose de latent, de non résolu après ces mois de manifestations. Et cela va rester, il y a une colère, une grande frustration chez les gens. Je ne sais pas comment cela se traduire par la suite. Je me dis qu’il faut des actions plus fortes. Ne plus consommer par exemple, le gouvernement réagirait beaucoup plus vite. » Elle s’éloigne, puis revient quelques minutes plus tard : « Il y a quelque chose de très important que j’ai oublié de vous dire, notez bien : je ne voterai plus. »

Pour Geoffrey, chef cuisinier qui va ouvrir son restaurant dans quelques semaines dans le XXe arrondissement de Paris, « ce mouvement n’est peut-être qu’à son début, imagine-t-il. Quatre ans avec Macron, je ne sais pas comment on va faire, je n’ose même pas l’imaginer. Ce qu’il se passe actuellement, le déni démocratique auquel on assiste, est grave. Cette colère ne va pas s’éteindre comme cela. Il peut subvenir un événement déclencheur qu’on n’a pas prévu, qui conduirait à tout changer ».

Geoffrey tire volontiers des liens entre ce mouvement social et la lutte contre le dérèglement climatique, chantier prioritaire à ses yeux. Il est loin d’être le seul. Antoine, 18 ans, en terminale à Orsay (Essonne), prépare des pancartes à la sortie du métro Invalides avec ses camarades Tony et Alizée. Et lier les deux leur vient naturellement : « La réforme aura des conséquences sur les personnes les plus précaires, elle va aggraver leurs vies alors qu’ils sont déjà épuisés. On se dit qu’il y avait plus important que de faire travailler les gens deux ans de plus ; alors qu’on va se manger 4 degrés de plus. »

Au bout de six mois de mobilisation usante, reste encore le principal pour certains : dire et redire qu’ils n’envisagent pas de travailler plus. Et en cette quatorzième journée de manifestation, on trouve encore des personnes qui défilent pour la première fois.

C’est le cas de certaines des futures professionnelles de la petite enfance qui surgissent, vêtues d’un t-shirt aux couleurs du collectif « Pas de bébés à la consigne », qui réclame depuis des années de meilleures conditions de travail, et notamment un plafond de cinq enfants par adulte dans les crèches et autres lieux d’accueil.

Florence, Camille, Diana et Kalyne suivent la formation professionnalisante à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Alors que le gouvernement a annoncé vouloir créer 200 000 places d’accueil pour les bébés d’ici à 2030, sans considérer les 10 000 postes déjà non pourvus et la pénurie de candidat·es, le collectif avait appelé à manifester devant le ministère du travail dans la matinée.

Poursuivre contre la réforme des retraites dans l’après-midi était une évidence pour elles : « À 45 ans, déjà, les professionnelles présentent souvent de gros troubles musculo-squelettiques. Le métier est difficile physiquement, on va toutes devoir travailler jusqu’à 67 ans parce que nous n’avons pas des carrières complètes. Et on nous dit quoi tous les matins ? “Bonne journée, amusez-vous bien” ! » Alors, elles manifestent. Encore.

  publié le 6 juin 2023

En direct. Retraites : 300.000 manifestants à Paris, selon la CGT

Sur www.humanite.fr

L'intersyndicale appelait ce mardi 6 juin à une quatorzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Après six mois de lutte, et deux jours avant l'examen devant l'Assemblée nationale de la proposition de loi du groupe Liot qui vise à abroger la retraite à 64 ans, les manifestants se sont regroupés dans plus de 200 cortèges à travers la France.  Quelques échos :


 

Les leaders de l'intersyndicale préparent les luttes sociales à venir

Dans le carré de tête de la manifestation parisienne partie des Invalides vers 14 heures, les leaders des huit organisations syndicales unies contre la réforme des retraites se donnent des perspectives après cette quatorzième journée de mobilisation.

Pour Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT qui passera la main à Marylise Léon dans quinze jours, c'"est la dernière évidemment sur la question des retraites dans ce format-là", mais cette journée doit servir à "montrer la force du mouvement syndical pour relever les défis qui sont devant nous", notamment "le pouvoir d'achat, les salaires, le logement, les conditions de travail".

A ses côtés derrière la banderole de début de manifestation, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, assure que "les retraites resteront toujours un combat". Mais, l'objectif est aussi de "gagner des avancées concrètes" sur les salaires, "l'égalité femmes-hommes", mais aussi les "ordonnances Macron" sur le code du travail. Pour ce faire, "l'intersyndicale restera unie" estime-t-elle, jugeant "probable qu'il y ait d'autres manifestations au vu de la colère dans le pays""Nous voulons de vraies négociations", prévient-elle le gouvernement.

L'intersyndicale a prévu "un échange en visio" le 13 juin, indique Benoît Teste (FSU) pour "faire un bilan complet" de cette journée de manifestations et de grèves ainsi que du vote, jeudi, à l'Assemblée nationale, sur la proposition d'abrogation de la réforme des retraites.

Quant à une éventuelle invitation d'Emmanuel Macron à l'Elysée, l'hypothèse suscite des avis divergents. Cyril Chabanier (CFTC) "pense qu'il faut y aller car c'est un bon moment pour négocier sur d'autres sujets". Frédéric Souillot affirme en revanche que FO "n'ira pas" à cette simili conférence sociale. Idem pour la CFE-CGC, son président François Hommeril n'ayant "pas envie d'aller à une opération de communication du président de la République".


 

A Valenciennes, retraite et industrie, même combat

Les salariés de Valdunes, lâchés par leur actionnaire chinois, étaient en tête de manifestation. L’incertitude plane à la fois sur leurs emplois et sur leur future retraite.

« Il faut, il faut, la nationalisation ! » Poings levés, les salariés du fabricant ferroviaire Valdunes posent pour les photographes devant la gare de Valenciennes. Ils sont une centaine, travaillant sur le site d’usinage tout proche de Trith-Saint-Léger, en tête de la manifestation contre la retraite à 64 ans. En mai, leur actionnaire, le chinois MA Steel, a annoncé qu’il ne financerait plus l’entreprise, qui comprend également une forge près de Dunkerque. L’ensemble emploie 260 personnes. Le tribunal de commerce a enclenché une procédure de conciliation. Le ministère de l’Industrie, qui refuse toute nationalisation, même temporaire, ou entrée au capital, n’envisage qu’une aide financière pour un potentiel repreneur, que la Région Hauts-de-France promet d’abonder. L’incertitude a déjà poussé des salariés à démissionner. « Cette fuite de savoir-faire nous inquiète car pour avoir un repreneur, il faut aussi des salariés », commente Maxime Savaux, délégué CGT.

« Nous avons beaucoup d’interrogations », souffle Florence, commerciale embauchée il y a un an. Si la situation de Valdunes la préoccupe, la défense des retraites lui parle tout autant. « Imaginez la retraite qu’auraient ces 260 salariés, dont beaucoup ont plus de 50 ans, si ils perdaient leur emploi sans certitude d’en retrouver un », souligne-t-elle. « 64 ans, ça va être très long, confirme Christophe », la cinquantaine, qui, avant le vote de la loi, pensait pouvoir raccrocher à 63 ans. « Quand j’ai commencé à travailler, on partait avec 37 ans et demi de cotisation... », rappelle-t-il. Embauché comme technicien il y a 30 ans, il explique avoir « fait les postes continus pendant douze ans », un système qui alternait postes du matin, d’après-midi et de nuit. « C’est usant », assure-t-il, évoquant un « sommeil perturbé » et une vie de famille sacrifiée : « On n’avait qu’un week-end libre par mois. » Autant pour l’avenir de Valdunes que pour la défense de la retraite, « la lutte doit continuer, conclut-il, car il n’y a qu’en mettant la pression qu’on y arrive ».

 

A Marseille, on fait le bilan et on se projette

Stop ou encore ? Après six mois de mobilisation, ponctués de journées de grève et d’énormes manifestations, les grévistes qui battaient le pavé marseillais ce mardi matin avouent se poser la question. Il faut dire que l’étiquette syndicale joue beaucoup. « Si nous n’obtenons pas gain de cause le 8 juin, on arrêtera là, affirme sans ambages Malka Darmon, de la CFDT chimie-énergie. On ne va pas s’épuiser en vaines manifestation ». « Nous continuerons jusqu’au retrait, assure, pour sa part, Christophe Morard, de la CGT Cheminots de Miramas. Nous ferons tout ce qu’il faut pour poursuivre le mouvement social ».

Si les opinions divergent quant aux suites à donner aux mobilisations, il y a bien un terrain sur lequel les grévistes de la première heure se rejoignent, à l’heure de dresser un bilan d’étape : par-delà les étiquettes, tout le monde salue un mouvement historique, qui donne des idées pour la suite. « Nous avons montré à la France que nous étions capables de nous mobiliser tous ensemble, dans l’intérêt des travailleurs, se félicite Malka Darmon. On a montré notre force, et Emmanuel Macron sa faiblesse : il n’a pas l’étoffe d’un Président, tout juste celle d’un monarque ». Pour Gilles Moulin, de la CGT RTE, ce mouvement permet de mesurer le niveau de colère qui gronde dans le pays : « Il n’y pas que la retraite, les salaires aussi sont au cœur des préoccupations, avec l’inflation. Quand on voit que les camarades de Vertbaudet ont dû faire 60 jours de grève pour obtenir une juste rémunération de leur travail, cela dit quelque chose de l’inflexibilité patronale. »

Dans les entreprises, le mouvement social n’a fait qu’attiser une colère déjà présente, qui cible plus largement la politique néolibérale de l’exécutif. « A la SNCF, nous faisons face à une multitude d’attaques coordonnées, résume Christophe Morard. Il y a la réforme des retraites, bien sûr, mais aussi la liquidation programmée du fret ferroviaire, qui vient d’être confirmée et l’ouverture à la concurrence des TER. Nous allons continuer à nous y opposer, sans quoi la SNCF pourrait finir par disparaître. » De quoi alimenter les mobilisations à venir.


 

A Ancenis (Loire-Atlantique), la détermination est intacte

Ca nous a manqué”. Après un mois de pause, sous un soleil de plomb, les opposants à la réforme des retraites ont retrouvé la rue à Ancenis, en Loire-Atlantique. Au plus fort du mouvement, cette commune rurale qui compte 7 500 habitants avait accueilli jusqu’à 6 000 manifestants. Un record historique, pointe l’ancien secrétaire de l’Union locale CFDT, Roger Classin. Ce mardi, l’ambiance festive qui a rythmé les treize précédentes manifestations intersyndicales est toujours intacte, la détermination aussi. Dans ce territoire où se concentrent de nombreuses usines de l’agroalimentaire ou de la métallurgie, au milieu des forces syndiqués, de nombreuses ouvrières, qui se sont mobilisées pour la première fois, sont à nouveau présentes. C’est le cas de Laeticia, qui après 20 ans à la chaîne dans l’usine de fabrication des lardons du groupe Aubret, a déjà subi trois opérations à l’épaule à seulement 48 ans. Une femme “détruite par le travail”, comme de nombreuses autres, souligne Caroline aide-soignante, à Nantes. Elle aussi n’avait jamais manifesté, ni fait grève, mais cette fois, l’injustice était trop grande : “ En tant que professionnelle de santé, je vois de nombreuses professions qui techniquement ne pourront jamais aller jusqu’à 64 ans”.  

Le passage en force de la loi, ou encore “les magouilles” visant à empêcher un vote sur la proposition de loi d’abrogation Liot ce jeudi, sont autant de déceptions même si ici personne n’est vraiment surpris. “Cela fait longtemps que les politiques finissent par obtenir une fois au pouvoir ce qui avait déjà été décidé sans jamais tenir compte de notre opinion”, peste Charlotte. Avec le 49.3, Emmanuel Macron a montré qu’il n’avait plus “aucune limite” pour faire reculer l’âge de la retraite à 64 ans, estime la jeune lycéenne Lola. Ce qui n'empêche pas les 1 500 manifestants d’être persuadés que “rien n’est terminé”. “Les nerfs sont à vifs” et personne “ne sait vraiment quand ça va exploser”, poursuit Christophe, syndiqué chez FO.  D’une part “les décrets ne sont pas encore tous tombés”. D'autre part, “le mouvement social a planté des graines”, analyse Stéphane Godard, CGT Cheminot. “Dans les entreprises, dans nos directions, la peur des débordements est forte. Cela montre que quelque chose s’est créé”, explique-t-il.  


 

Sophie Binet (CGT) : "On est dans un pays de plus en plus autoritaire"

Cette réforme est très concrète pour des millions de salariés et c’est un scandale que le gouvernement prétende l’appliquer au 1er septembre alors qu’il a seulement publié 2 décrets sur 31”, a affirmé la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, sur BFMTV, mardi matin. Des Françaises et des Français seront “sacrifiés” avec une “absence d’anticipation”, des “difficultés pour le calcul de leur droit”, a fustigé la syndicaliste dénonçant également "les conditions de travail catastrophiques” des agents en charge des dossiers : “C’est complètement irresponsable de prétendre appliquer cette réforme dans ces conditions”. 

Dans aucun autre pays démocratique, un gouvernement n’appliquerait une réforme après six mois de contestation massive et sans vote du parlement. On est dans un pays de plus en plus autoritaire”, a-t-elle ajouté.  


 

Laurent Berger (CFDT) veut "transformer la colère en rapport de force"

Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a assuré, sur Europe 1 ce matin, que “ les travailleurs savent bien que sur les retraites, avec un décret sur les 64 ans qui est publié, ça devient de plus en plus compliqué". Sur les suites, "on décidera ensemble, a-t-il pousuivi, mais probablement que sur la réforme des retraites ce sera l’une des dernières journées de mobilisations. Raison de plus pour aller dans l’un des 250 cortèges”. Assurant qu’il y aura “beaucoup de monde”, il y voit “le signal de cette colère de ne pas avoir été écouté”. Et ajoute : “Cette colère, je veux la transformer en rapport de force pour obtenir des résultats sur le pouvoir d’achat, sur l’amélioration des conditions de travail, sur le dialogue social…” Le syndicaliste, qui passe prochainement la main à Marylise Léon, estime notamment que face à l’”affaiblissement des bas salaires” et aux “très hautes rémunérations qui explosent”, "il faut un maximum d’écart de 1 à 20. C’est aussi comme ça qu’on recréera du commun”.  


 

Retraite, salaires, RSA... les revendications s'élargissent

Si la lutte contre la réforme des retraites demeure la mère des batailles des syndicats avec les nombreux rendez-vous de mobilisation de ce 6 juin, ces derniers avancent sur des revendications et lignes rouges communes, de la conditionnalité du RSA dans le projet de loi France Travail à la retouche des ordonnances Macron, en passant par la question des salaires. 


 

Sophie Binet : “Notre objectif est que la réforme ne s’applique pas” 

 “Auprès des travailleurs, cette réforme ne passe toujours pas. Nous ne pouvons pas tourner la page”, affirme Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, dans les colonnes de l'Humanité au matin de la quatorzième journée de mobilisation contre la retraite à 64 ans. Alors que le 8 juin les députés doivent se prononcer sur la proposition de loi d’abrogation de la réforme, la syndicaliste estime aussi “de la responsabilité de Yaël Braun-Pivet (présidente Renaissance de l’Assemblée nationale, NDLR) de garantir le respect du droit des parlementaires” que jusque-là “la Macronie foule aux pieds”. 

publiéle 5 juin 2023

Manifestations contre la réforme des retraites : tous les rendez-vous du 6 juin

sur www.humanite.fr

L’intersyndicale appelle à une nouvelle journée d’action mardi 6 juin contre la réforme des retraites que le gouvernement tente d’imposer à marche forcée.

Des manifestations sont organisées à travers toute la France.

 

Plus d’un mois après le 1er Mai, qui avait vu 2,3 millions de personnes dans la rue, les salariés, étudiants, lycéens et privés d’emploi sont appelés, par l’intersyndicale, à manifester ce 6 juin contre le recul de l’âge de départ à 64 ans et la suppression des régimes pionniers. Une mobilisation qui s’inscrit deux jours avant l’examen de la proposition de loi d’abrogation de la réforme que le gouvernement espère torpiller. 

Plus de 200 cortèges sont organisés à travers la France. Vous pouvez les retrouver sur la carte des mobilisations de la CGT


 


 


 

Nous demandons l’abrogation de la réforme des retraites

sur www.humanite.fr

Le recul de l’âge légal de départ à 64 ans n’a pas été soumis à un vote de l’Assemblée nationale. Le 8 juin, le groupe Liot veut présenter une proposition de loi afin de donner le dernier mot au Parlement.


 

Le choix de la démocratie contre la honteuse combine

Stéphane Peu, Député PCF de Seine-Saint-Denis

Quel autre exemple pouvons-nous trouver dans l’histoire de la V e République d’un pouvoir qui aurait, avec autant de constance que d’hypocrisie, utilisé tant d’artifices pour faire obstacle à la démocratie et imposer une réforme dont le pays ne veut pas, ni l’écrasante majorité des salariés, ni l’inébranlable front syndical, ni en réalité une majorité de parlementaires, qu’ils s’y opposent par conviction ou par crainte d’un retour de bâton électoral ?

Après le mensonge pour déguiser les conséquences de sa réforme toxique des retraites, et après s’être appliqué à bâcler les débats de fond, en choisissant comme véhicule législatif une loi de finances rectificative…

Après avoir cherché en vain une majorité parlementaire, en allant jusqu’à soudoyer les voix de parlementaires indécis… Après avoir une fois de plus usé du 49.3, faute d’avoir su convaincre jusque dans son propre camp…

Et, enfin, après le coup de pouce opportun du Conseil constitutionnel pour faire obstacle à la demande d’un référendum d’initiative partagée (RIP), le gouvernement s’apprête à recourir à d’ultimes manœuvres jusqu’à l’utilisation de l’article 40 pour empêcher l’examen, le 8 juin, d’une proposition de loi visant à abroger sa réforme des retraites, proposition à l’initiative du groupe Liot.

Il est indispensable que l’Assemblée nationale puisse enfin se prononcer sur la mesure phare de cette réforme – le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite, ce qu’elle n’a pas pu faire jusqu’à présent. »

Le gouvernement doit renoncer à cette honteuse combine. D’abord parce qu’elle est sans fondement juridique, notamment selon la commission de Recevabilité des lois de l’Assemblée nationale.

En outre, s’agissant d’une loi examinée à l’occasion de la niche d’un groupe parlementaire, ce blocage gouvernemental sans précédent s’apparenterait à une censure de la liberté d’initiative législative. Il est indispensable que l’Assemblée nationale puisse enfin se prononcer sur la mesure phare de cette réforme – le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite, ce qu’elle n’a pas pu faire jusqu’à présent.

J’en suis convaincu, il pourrait se trouver sur ses bancs une majorité qui fasse un choix raisonnable. Celui d’entendre le puissant mouvement d’opposition à la réforme, qui en six mois n’a pas fléchi, bien au contraire. En votant la loi d’abrogation du groupe Liot, la démonstration serait faite que l’usage du 49.3 n’avait pas d’autre but que de contourner une introuvable majorité.

Le gouvernement et le président de la République doivent revenir à la raison et respecter le Parlement dans ses prérogatives. Un vote de l’Assemblée nationale n’ouvrirait pas une crise de régime. Il serait au contraire le moyen de replacer le débat parlementaire, nourri de l’apport des corps intermédiaires, au cœur de notre vie démocratique.

Ce serait enfin un acte concret dans les « 100 jours » qu’Emmanuel Macron s’est donné pour ramener le calme dans le pays. Par contre, s’il continuait à s’entêter ainsi en méprisant autant le peuple que le principe de séparation des pouvoirs, le président de la République prendrait une très lourde responsabilité. Il donnerait ainsi des arguments à tous ceux qui, n’ayant jamais cessé de mépriser le Parlement, cherchent le moyen d’imposer à la France un régime autoritaire.


 

Les députés doivent rétablir la justice sociale

Gérard Ré, Secrétaire confédéral de la CGT

Le 8 juin, une proposition de loi transpartisane doit être débattue à l’Assemblée nationale, pour abroger le départ à la retraite à 64 ans, principale disposition de la loi portée par Emmanuel Macron.

La CGT appelle au vote de ce texte. Il est en effet primordial que les élus du peuple que sont les députés puissent voter sur l’augmentation ou non de l’âge de la retraite. Ils doivent pouvoir rendre compte à leurs administrés, sachant que la population reste majoritairement opposée au fait de travailler deux ans de plus.

Le blocage de cette loi par le gouvernement serait un nouveau déni de démocratie particulièrement grave, un gouvernement ne peut indéfiniment gouverner contre son peuple et ses représentants.

Ce vote est pour nous un moyen d’affaiblir un peu plus l’exécutif dans sa volonté de passage en force et d’obtenir la non-application de sa loi « retraite ». C’est pourquoi, avec l’intersyndicale, nous avons décidé d’interpeller les députés au travers de la mise en place de la plateforme Jusquauretrait.fr, et d’appeler à une 14 e journée de mobilisation.

Nous voulons gagner le retrait par tous les moyens dans l’intérêt des travailleuses et travailleurs. La CGT ira jusqu’au bout, c’est pour nous une première étape avant de partir à la conquête de temps libre par la retraite à 60 ans et la diminution de temps de travail.

Cette réforme va plonger un peu plus dans la pauvreté ceux-là mêmes qui ont subi très souvent et le plus durement la précarité et la pénibilité du travail. Partir plus tard à la retraite, pour celles et ceux qui ne peuvent plus travailler, c’est synonyme d’une pension de retraite plus basse. »

Par quatre mois d’une lutte historique dans son ampleur, les travailleuses et travailleurs ont montré leur opposition au projet devenu une loi injuste, brutale, injustifiée.

Injuste car cette réforme va d’abord pénaliser celles et ceux qui sont le moins qualifié·es, avec les salaires les plus bas et dont le travail est souvent le plus pénible. Elles et ils ne peuvent souvent pas travailler jusqu’à la retraite et finissent leur carrière en incapacité de travail. Rappelons que la majorité des travailleuses et travailleurs ne finissent pas leur carrière en situation d’emploi.

Brutale, car cette réforme va plonger un peu plus dans la pauvreté ceux-là mêmes qui ont subi très souvent et le plus durement la précarité et la pénibilité du travail. Partir plus tard à la retraite, pour celles et ceux qui ne peuvent plus travailler, c’est synonyme d’une pension de retraite plus basse. C’est aussi condamner les jeunes au chômage en les privant d’entrer dans la vie active avec un CDI, en lieu et place des salariés plus âgés.

Injustifiée, car il n’y avait ni urgence ni impératif économique. Non seulement le système est stable financièrement, mais il dispose d’importantes réserves financières.

Le 8 juin les députés doivent rétablir la justice sociale, entendre et répondre à la légitime colère, qui s’exprime maintenant depuis plusieurs mois, en votant la proposition de loi pour abroger cette loi inique.

Les travailleuses et travailleurs, les précaires, les jeunes et les retraité·es doivent faire de ce mardi 6 juin une journée de grève et de manifestations de grande ampleur, pour exiger ce vote et poursuivre la mobilisation jusqu’au retrait.

 

  publié le 4 juin 2023

6 juin : gagnons le retrait de la réforme et obtenons des avancées sociales !

Communiqué intersyndical

L’intersyndicale appelle les travailleuses et les travailleurs, jeunes et retraité.es à faire du 6 juin une grande journée de grèves et de manifestations sur l’ensemble du territoire pour gagner le retrait de la réforme des retraites et des avancées sociales.

L’intersyndicale appelle les député.es à voter, le 8 juin prochain, la proposition de loi transpartisane abrogeant la réforme des retraites pour permettre enfin une sortie de crise. Dans le cas contraire, si encore une fois, le gouvernement s’obstinait à passer en force, en utilisant des artifices constitutionnels, la colère n’en serait que renforcée.

Cette réforme est brutale et injuste pour les travailleurs et les travailleuses et la jeunesse qui ont tous et toutes bien compris qu’ils et elles devront travailler plus longtemps sans que jamais le patronat, ni les employeurs publics ne soient mis à contribution.

Le retrait de cette réforme est indispensable et permettrait d’avancer enfin sur les préoccupations des travailleurs et travailleuses.

L’intersyndicale rappelle que le salaire relève du partage des richesses : l’augmentation des salaires, des retraites et pensions, des minimas sociaux et des bourses d’études est une priorité. Le SMIC doit demeurer un salaire d’embauche et ne peut pas être une trappe à bas salaires maintenant les salariés au SMIC toute leur carrière professionnelle.

L’Etat doit aussi montrer l’exemple en augmentant le point d’indice dans la Fonction publique. Aucune branche professionnelle ne doit avoir des minima inférieurs au Smic. Aucune pension pour une carrière complète ne doit être en-dessous du Smic. L’égalité salariale Femme-Homme doit être une réalité concrète sans délai.

Pour les seniors il y a nécessité à mettre en place de réels dispositifs de reconversion, des retraites progressives. Pour la pénibilité et les risques professionnels, la totalité des critères de pénibilité supprimés en 2017 doivent être réintroduits pour permettre de vrais départs anticipés. Pour protéger la santé des salarié.es, les commissions de santé sécurité et conditions de travail doivent être obligatoires dans les entreprises de 50 salariés et plus, avec des droits et des moyens renforcés.

Pour permettre une négociation collective de qualité dans le cadre d’une démocratie sociale avérée et afin d’améliorer le droit d’expression syndicale, l’intersyndicale demande d’améliorer et renforcer les moyens pour les représentants du personnel en termes d’heures de mandats, de systématisation des représentants de proximité, d’augmentation du nombre d’administrateurs/administratrices ainsi que la fin de la limitation des trois mandats successifs.

Pour gagner l’égalité Femme-Homme il faut notamment revoir en profondeur l’index égalité salariale, revaloriser les métiers féminisés, majoritairement les moins bien rémunérés, proscrire les temps partiels subis et instaurer un indicateur pour suivre les déroulés de carrière. Ces propositions renforceraient d’ailleurs l’équilibre financier du système de retraite par répartition. Les dispositions de la convention 190 de l’OIT contre toutes les violences et le harcèlement au travail, y compris les violences sexistes et sexuelles, doivent enfin être mises en œuvre.

Pour l’environnement, des droits et prérogatives supplémentaires doivent être donnés aux représentants du personnel afin d’agir pragmatiquement et efficacement pour exercer leur mandat.

Ensemble les organisations syndicales professionnelles et de jeunesse rappellent leur opposition à toute atteinte au principe de solidarité nationale avec la réforme du RSA ainsi qu’à la dégressivité des allocations chômage qui conduisent à stigmatiser les précaires ou privé.e.s d’emplois.

Ces propositions renforceraient l’équilibre financier du système de retraite par répartition, préservant et renforçant notre système de protection sociale collective.

Nous ne tournerons pas la page : ensemble, uni.es et déterminé.es pour gagner le retrait de la réforme et pour le progrès social, construisons partout les grèves et les manifestations le 6 juin !

Préparons la mobilisation du 6 juin et interpellons nos député.es pour le vote du 8 juin en allant et partageant le site intersyndical : https://jusquauretrait.fr

Paris le 30 mai 2023


 


 

Retraites : bâillonner les opposants à la réforme n’est pas gagner !

sur https://www.cgt.fr/actualites/

Imposée sans concertation ni vote, promulguée en catimini, … la réforme des retraites n’est pas légitime. Et ce n’est pas en bâillonnant les parlementaires et réprimant les manifestants qu’elle le sera.

Après un premier passage législatif en force en mars dernier, les parlementaires sont appelés à examiner une loi proposant d’abroger la réforme le 8 juin. Dans le cadre de la poursuite de la mobilisation, l’intersyndicale a lancé le site jusquauretrait.fr dans l’objectif d’interpeller les parlementaires pour les appeler à prendre leurs responsabilités et à voter cette loi.

Face à la pression, mercredi 31 mai, le gouvernement et sa majorité ont usé d’un ultime coup de force juridique pour empêcher l’opposition de s’exprimer.

Dans un communiqué, mercredi 31 mai, la CGT a dénoncé l’utilisation « inédite {de} tous les instruments constitutionnels.On connaissait le 49-3 et le 47-1, on découvre maintenant l’article 40 ! Après avoir fait supprimer l’article 1 de la proposition de projet de loi en Commission des Affaires sociales, ils veulent empêcher les député·es de le rétablir en séance plénière en invoquant cet article.»

Sur Twitter, la secrétaire générale de la CGT a réagit. " Après avoir empêché les syndicats de négocier, le parlement de voter, les opposants de manifester sereinement, le gouvernement fait encore une fois tout pour éviter un vote qu’il s’apprête à perdre. Cela ne nous arrêtera pas. L’intersyndicale appelle chacune et chacun à la manifestation et à la grève interprofessionnelle le mardi #6juin."

Le gouvernement essaye de tourner la page et détourne la colère sociale qui s’exprime depuis plusieurs mois. Mais les contre-feux et les mises en scène n’entachent pas la détermination de l’intersyndicale.

Outre la poursuite des mobilisations, mardi 30 mai, les huit syndicats et cinq organisations de jeunesse ont présenté des propositions communes sur les salaires et les conditions de travail.

La journée nationale de mobilisation du 6 juin marquera une nouvelle étape dans la lutte contre cette réforme et pour imposer le progrès.

Toujours soudées, les huit organisations syndicales appellent à une nouvelle journée nationale de grèves et de mobilisations, le 6 juin pour continuer à exiger le retrait de la réforme parce qu’elle reste injuste socialement et injustifiée économiquement.

L’urgence,
c’est d’augmenter les salaires,
pas l’âge de la retraite.

Rendez-vous le 6 juin pour gagner
le retrait de la réforme des retraites.

   publié le 3 juin 2023

Vertbaudet : victoire pour les grévistes, la fin d’une lutte sociale exemplaire

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Les 72 salariées de Verbaudet soutenues par la CGT, en grève pour leurs salaires, ont signé un protocole avec la direction, avec une augmentation de salaire à la clé.

 « Victoire », clame ce vendredi soir la CGT. Les 72 salariées de l’entrepôt logistique de Vertbaudet, à Marquette-lez-Lille (Nord), annoncent la fin de leur grève débuté le 20 mars dernier. 

« Le conflit est terminé, le travail reprend », a déclaré à l’AFP Amar Lagha, secrétaire général de la CGT commerce et services. Se félicitant d’une « victoire sans précédent », le cégétiste a confirmé les informations donné un peu plus tôt par la direction du groupe de puériculture. L’accord signé avec la CGT de l’entreprise, « comprend la levée du piquet de grève » à minuit « et le retour au travail des 72 grévistes » mardi, explique la direction, après un lundi consacré à « une journée d’apaisement et de discussion lundi », confirme Samuel Meegens, de l’Union locale CGT de Tourcoing.

De 4 à 7% d'augmentation

« Aucune sanction ne sera prise contre les grévistes, alors que certains avaient été convoqués pour des entretiens préliminaires à licenciement, et le versement aux grévistes du treizième mois sans déduction des jours de grève », a spécifié le représentant CGT.

La direction avait ouvert la voie à une fin de conflit en débutant entre le 26 mai et le 1er juin des négociations anticipées sur les salaires pour 2024. Celles-ci se sont conclues sur un projet d’accord prévoyant  « une refonte » de la grille salariale, l’une des grandes revendications des grévistes. L’accord débouchera ainsi sur « une revalorisation à hauteur d’au moins 1.860 euros brut par mois sur 13 mois (soit +7%) pour tous les employés ayant 12 ans d’ancienneté » et une « revalorisation du salaire minimum à hauteur de 1.810 euros brut par mois sur 13 mois (soit +4%) pour tous les salariés dès le 1er juillet 2023 », explique la CGT. Les représentants du personnels FO et CFTC, majoritaires au sein de Vertbaudet, qui n’ont pas soutenu la grève, s’engagent à signer cet accord.

Ce conflit social mené par des salariées sûres de la légitimité de leur revendication de 150 euros nets supplémentaires par mois, a pris une dimension nationale lorsque la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, est venue les soutenir mi-avril, appelant au boycott de la marque si la direction ne mettait pas fin à ses méthodes pour briser la grève (recours à des intérimaires, appel aux forces de police pour mettre fin au piquet de grève). La manifestation organisée devant le siège parisien de l’actionnaire principal de Vertbaudet, a fini de faire connaître ce mouvement social exemplaire.


 


 

Vertbaudet : fin de la grève, la CGT revendique la victoire

Yunnes Abzouz sur www.mediapart.fr

Après 75 jours de mobilisation, les grévistes de l’enseigne de puériculture du Nord ont cessé leur mouvement, après que la direction a accepté d’accorder des hausses de salaires, qu’elle refusait jusque-là.

75 jours de grève pour 72 salarié·es, majoritairement des femmes. Le mouvement social dans l’entrepôt de Marquette-lez-Lille (Nord) de l’enseigne de puériculture Vertbaudet, démarré le 20 mars, a cessé dans la soirée du 2 juin. La CGT, minoritaire dans l’entreprise mais menant la grève, ainsi que la CFTC et FO, qui ne faisaient pas partie du mouvement, ont trouvé un accord avec la direction.

Le travail reprendra mardi 6 juin. Une issue saluée triomphalement par la CGT. « Magnifique victoire des ouvrières de Vertbaudet : 90 à 140 euros net mensuels d’augmentation de salaire pour les près de 1 000 salarié·es du groupe, embauche de 30 intérimaires…Un exemple à suivre partout ! », a salué la secrétaire générale du syndicat, Sophie Binet.

« Vertbaudet annonce la conclusion d’un protocole de fin de grève avec les représentants de la CGT de l’entreprise », a indiqué la direction. L’accord de fin de conflit prévoit qu’aucune sanction ne sera prise contre les grévistes, alors que certains avaient été convoqués pour des entretiens préliminaires à licenciement.

L’issue a été rendue possible par l’avancée par la direction des négociations annuelles obligatoires (NAO) pour l’année 2024, démarrées dès le 26 mai. Le texte de l’accord prévoit « une refonte » de la grille salariale, comme le réclamaient les grévistes.

Cela permettra selon la direction une « revalorisation du salaire minimum à hauteur de 1 810 euros brut par mois sur 13 mois (soit + 4 %) pour tous les salariés dès le 1er juillet 2023 ». Les salarié·es bénéficiant d’au moins douze ans d’ancienneté aurotn droit à une revalorisation à « au moins 1 860 euros brut par mois sur 13 mois (soit + 7 %) ».

Les 72 grévistes (sur 320 salariés) réclamaient 150 euros net d’augmentation par mois, en réaction à un accord précédent qui prévoyait une augmentation nulle en 2023 et le versement d’une prime de 650 euros.

La lutte de ces femmes issues de milieu populaire était devenue un symbole. Mi-avril, Sophie Binet était venue leur rendre visite, et elle avait initié un mois plus tard une tribune signée par un collectif de personnalités féminines saluant la « lutte exemplaire » des employées de Vertbaudet, « à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste »

D’autres personnalités de gauche s’étaient succédé sur le piquet de grève, notamment le leader Insoumis Jean-Luc Mélenchon. Mais les tensions dans l’entreprise étaient fortes entre les grévistes et les non-grévistes.

La CGT a dénoncé des brutalités policières lors d’interventions contre le piquet de grève, contre une gréviste et un militant CGT extérieur venu en soutien. Le parquet a aussi ouvert une enquête sur des violences rapportées par un délégué CGT, qui aurait été molesté et volé par des personnes se présentant comme des « policiers en civil ».


 

Nous republions ci-dessous notre reportage parmi les femmes grévistes de Vertbaudet, publié le 29 mai.

Marquette-lez-Lille (Nord).– Lorsque la grève a commencé le 20 mars dernier, un braséro trônait au milieu du piquet. Il réchauffait les corps grelotants autant qu’il avivait les espoirs des 82 salariées de Vertbaudet mobilisées pour leur salaire. Deux mois plus tard, les premiers soleils sont apparus, mais toujours aucune revalorisation en vue. Les grévistes couchent même une serviette sur l’herbe pour y faire bronzette. « On pensait que la direction ferait un pas vers nous, qu’au bout d’une semaine, ce serait réglé », résume Jennifer. 

Après 68 jours de grève, l’inflexibilité de l’enseigne de puériculture, les interventions violentes de la police et l’agression d’un syndicaliste devant son domicile n’ont pas eu raison de la ténacité des 72 salariées de l’entrepôt encore mobilisées, majoritairement des femmes. Ces travailleuses de la minutie passent, pour 1 300 euros net par mois, la journée debout à tester, à préparer et à emballer les poussettes et gigoteuses commandées en ligne. 

Depuis plus de dix ans qu’elles travaillent pour Vertbaudet, c’est la première fois qu’elles font grève. En cause : l’accord salarial pour 2023, signé par les syndicats majoritaires, FO et la CFTC, mais pas par la CGT, et qui prévoit 0 % d’augmentation. À peine leur direction a-t-elle concédé aux salariées une prime de 650 euros, 115 euros de plus de prime repas et une journée déménagement. « Comme si, avec nos petits salaires, on pouvait se permettre de déménager tous les ans, enrage Maya*. Et puis, les primes, ça ne compte pas pour la retraite. » 

Surtout, le contraste entre les salaires qui piétinent et la « situation saine de la trésorerie » vantée en mars par le PDG de l’entreprise, Mathieu Hamelle, alimente la colère des préparatrices de commandes. « 0 %, c’est symboliquement une marque de mépris, s’agace l’une d’elles. Les anciennes directions nous augmentaient toujours au moins de 0,5 %, même quand l’entreprise se portait mal. »

 L’inflation, carburant des grèves pour les salaires

« J’avais réussi à m’élever un peu au-dessus du Smic, mais avec l’indexation du Smic sur l’inflation, je suis retombée au niveau du salaire minimum », désespère Sylvia, arrivée dans l’entreprise en 1986. Elle qui emballe des commandes depuis ses 17 ans est lassée de répéter inlassablement les mêmes gestes. 

Elle insiste, cette grève n’est pas un caprice : « On ne s’en sort pas avec nos salaires. J’ai la chance d’avoir un compagnon qui travaille, mais avec l’explosion des prix du gaz et les charges fixes, c’est un salaire entier qui s’envole au début du mois. Quand je fais les courses, j'achète les produits en fonction des promotions et plus en fonction de mes envies. » 

L’inflation record des derniers mois vient encore répandre du sel sur les plaies et donne une caisse de résonance nationale aux revendications des salariées de Vertbaudet. 

Plusieurs élu·es de gauche leur ont apporté leur soutien. Le député insoumis David Guiraud a interpellé à l’Assemblée nationale plusieurs ministres et a ainsi appelé au boycott de l’enseigne : « N’acceptez pas d’acheter à une marque qui brutalise les femmes. Boycottez Vertbaudet ! » Des leaders politiques et syndicaux ont rejoint les manifestations de soutien, à Tourcoing, lundi 22 mai, et le lendemain à Paris, devant le siège du fonds d’investissement Equistone, propriétaire de Vertbaudet. 

Une semaine auparavant, c’est Sophie Binet, fraîchement élue secrétaire générale de la CGT, qui se rendait sur place et donnait un large écho à la lutte des Vertbaudet. Le tissu ouvrier local, lui, n’a pas attendu l’engouement national pour témoigner de son soutien aux grévistes. Quand ils ne s’arrêtent pas pour déposer quelques victuailles, les automobilistes font au moins résonner un klaxon de solidarité. 

Vingt-huit ans d’ancienneté et toujours au Smic

« Tout ce soutien nous conforte dans notre combat. On se rend compte qu’on n’est pas les seules à se tuer la santé au travail pour un salaire médiocre. Et puis ça remplit la caisse de grève. Sans ça, je serais retournée à l’entrepôt depuis longtemps », s’enthousiasme Maya, 23 ans de maison. 

« Effectivement, il y a beaucoup d’anciennes et d’emballeuses sur le piquet », s’amuse Peggy, elle-même salariée de Vertbaudet depuis 28 ans. D’abord réticente, elle finit par se lever de sa chaise pliante pour déballer sa colère : « On nous traite comme ça parce qu’on est pour la plupart des mères isolées. La direction a compris qu’on avait besoin de ce travail pour la survie de nos familles. » Un discours qui résonne avec les mots de Sophie Binet, qui voit dans le combat de ces femmes un symbole de « l’émancipation des travailleuses par elles-mêmes »

À l’initiative de la secrétaire générale de la CGT, une tribune publiée dans Le Monde le 23 mai par un collectif de personnalités féminines salue la « lutte exemplaire » des employées de Vertbaudet. Elles « sont à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste », déplorent les signataires. 

Peggy peine à tenir les cadences infernales du travail à la chaîne. Depuis qu’elle a été déclarée inapte à certaines tâches en raison de ses problèmes de dos, elle travaille à l’emballage. « On approche toutes de la cinquantaine, donc le corps est déjà bien usé, on sait qu’on est fatiguées. »

Elle subvient seule aux besoins de sa fille de 13 ans. Depuis que son ado est assez grande pour rentrer en transport collectif de l’école, Peggy est repassée à une semaine travaillée de 35 heures, même si elle doit désormais payer le centre aéré, car on « ne vit plus d’un temps partiel ». En plus de son maigre salaire de 1 300 euros, elle cumule une vingtaine d’euros d’APL, la prime d’activité, et une petite pension alimentaire. « C’est malheureux de savoir qu’on travaille et qu’on doit compter sur les aides de l’État pour vivre, soupire-t-elle. Je pense que sans toutes ces aides, les patrons seraient obligés de nous augmenter. »

Avec leur salaire à peine suffisant pour nourrir leurs enfants, la grève des petites mains de Vertbaudet met en lumière une question centrale : comment les femmes peuvent-elles s’émanciper de leur conjoint sans indépendance financière ? 

Dans ces métiers, l’organisation du travail se fonde sur l’idée que les femmes n’ont pas de compétences, que faire preuve de minutie est naturel et n’est que le prolongement de leur rôle de mère.

L’historienne Fanny Gallot, spécialiste des inégalités de genre dans les conditions de travail, estime que le combat des ouvrières de Vertbaudet s’inscrit dans le prolongement des luttes des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles, ou plus récemment celui des AESH ou des Atsem dans l’Éducation nationale. Leur point commun : des femmes qui se mobilisent pour demander que leur travail soit valorisé et mieux payé. 

« Dans ces métiers, l’organisation du travail se fonde sur l’idée que les femmes n’ont pas de compétences, que faire preuve de minutie est naturel et n’est que le prolongement de leur rôle de mère, analyse la chercheuse. Elles sont déqualifiées, leurs compétences professionnelles sont naturalisées, et, en conséquence, elles sont sous-payées. » 

Jennifer, contrôleuse qualité, est logée à la même enseigne que ses collègues, après onze ans au service de Vertbaudet, dont six années en tant que vendeuse en boutique : 1 300 euros brut par mois. Elle raconte sa pénibilité au travail, cette réalité connue de ces ouvrières, et qui résonne comme une abstraction lorsqu’elle est discutée dans les médias ou sur les bancs de l’Assemblée. 

Dans l’entrepôt, elle déballe de gros colis, entre 30 et 50 kilos, et monte à même le sol des meubles, des jouets ou des lits superposés, pour en contrôler la qualité. Les jambes, le dos, les bras, tous ses muscles sont sollicités. L’hiver venu, s’ajoutent les couches de vêtements. Parfois, le thermostat affiche 9° dans le hangar. « En décembre, j’ai fait deux sinusites, mais j’ai continué à travailler, car avec trois jours de carence, je ne pouvais pas me permettre de perdre 300 euros pour une semaine d’arrêt », raconte-t-elle en tirant sur sa cigarette. 

Avec trois enfants à charge, cette mère célibataire doit tout assumer avec son Smic. L’inflation l’oblige à faire des sacrifices : « Je payais 150 euros de dépenses d’énergie, maintenant, c’est 350. Pour compenser, on a supprimé tous les plaisirs : plus de cinéma, et le traditionnel restaurant du mois a sauté. »

Une roue à changer ou un frigo à réparer : elle en a conscience, l’équilibre financier de son foyer tient à un imprévu près. « Je fais quoi pour subvenir aux besoins de mes enfants ? Je prends un deuxième travail ? Dans ce cas, je ne pourrai plus assurer le suivi scolaire, je n’aurai plus le temps de les voir, de les éduquer. Un deuxième travail pour se payer une maison, d’accord, mais là, c’est juste pour vivre dignement. »

Selon Fanny Gallot, ces configurations familiales illustrent « l’inégale répartition de la charge domestique où c’est aux femmes de gérer le budget et de boucler les fins de mois en plus de tout le reste. C’est encore plus vrai dans le cas des familles monoparentales ».  

« La direction cherche à semer la discorde »

Certaines salariées mobilisées appréhendent le retour à l’entrepôt. En cause, le fossé qui commence à s’installer entre grévistes et non-grévistes. Une lettre ouverte, écrite selon la direction à l’initiative de 400 salarié·es, dont un tiers travaillent au siège parisien de la marque, décrit une « ambiance de travail sereine et conviviale » et déplore, alarmé·es par les appels au boycott, l’attitude des grévistes qui « menace la pérennité de [leur] emploi »

Les salarié·es non grévistes ont même convié les journalistes à une conférence de presse « pour réagir aux déclarations syndicales et politiques du début de semaine ». Pour l’occasion, la direction a mis à disposition des salarié·es non grévistes une partie de l’entrepôt et leur a accordé une heure d’interruption de travail. 

« La direction cherche à semer la discorde, tance Maya. Plusieurs non-grévistes nous soutiennent, j’ai même une collègue qui me dépose tous les matins sur le piquet de grève, et rentre ensuite dans l’entrepôt pour travailler. La direction nous accuse de médiatiser l’affaire et de ternir la réputation de Vertbaudet alors qu’on est très attachées à la marque. On a tout connu dans l’entreprise, les risques de faillite, le confinement, on était là bien avant Equistone [le fonds d’investissement qui a repris Vertbaudet, il y a moins de deux ans – ndlr]. Vertbaudet, c’est nous. »

Après deux mois de lutte, l’espoir renaît ce vendredi 26 mai : Vertbaudet a consenti à une ouverture anticipée des négociations sur les salaires (NAO) prévue pour 2024. Une question demeure : la direction va-t-elle s’aligner sur les 150 euros d’augmentation demandés par les grévistes ? 

Boîte noire

* Les prénoms ont été modifiés à la demande de la personne interrogée.

Les grévistes étant en grande majorité des femmes, nous les avons genrées au féminin.

 

  publié le 2 juin 2023

À Montluçon,
la CGT dénonce « l’acharnement judiciaire » contre ses militants

Nicolas Cheviron sur www.mediapart.fr

Au côté d’un secrétaire départemental de l’Allier détenant haut la main le record syndical de convocations au commissariat ou au tribunal, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a interpellé le gouvernement sur les libertés syndicales depuis le mouvement contre la réforme des retraites. 

Montluçon (Allier).– L’individu ne paie pas de mine. Avec sa petite taille, sa casquette, ses lunettes et sa barbiche, on l’imagine plus dans le rôle de Léon Trotski que dans celui de Spartacus, derrière une machine à écrire plutôt que sur une barricade. Secrétaire départemental CGT de l’Allier, Laurent Indrusiak, serait pourtant, à l’aune de ses démêlés judiciaires, le syndicaliste le plus dangereux de France, avec pas moins de vingt-huit convocations au commissariat ou au tribunal à son actif.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, ne s’y est pas trompée. Jeudi devant le palais de justice de Montluçon, elle a choisi de se tenir au côté du « dangereux récidiviste », selon ses termes, pour interpeller le gouvernement dans le cadre d’une journée nationale d’action contre la répression judiciaire qui s’abattrait actuellement sur les militants syndicaux.

Devant deux cents militant·es tout en chasubles et drapeaux, comme elle l’avait fait devant les caméras de Mediapart, la nouvelle patronne de la confédération a d’abord évoqué une situation inquiétante à l’échelle nationale : celle « des centaines de militants syndicaux poursuivis » par la justice depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, sous l’impulsion d’un pouvoir dont l’agressivité croissante compense le fait qu’il « n’a jamais été aussi minoritaire ». « Le problème, c’est que cet autoritarisme gouvernemental ruisselle sur les patrons. Il a pour corollaire une augmentation de la répression patronale, avec des centaines de convocations de militants syndicaux pour licenciement, en dépit du droit », a-t-elle souligné.

La dirigeante s’est ensuite penchée sur « le microclimat très particulier » de Montluçon et de ses alentours, soupesant les hypothèses : « Il y a deux possibilités. Soit on a une union départementale dirigée par des voyous et des délinquants, et dans ce cas il faut me donner tous les éléments pour me permettre d’agir, soit il y a un problème d’acharnement judiciaire. » Un rapide examen des faits reprochés à Indrusiak et ses comparses lui a permis d’atteindre la conclusion suivante : « Ces poursuites visent à déstabiliser la CGT parce que la CGT dérange le pouvoir, elle dérange le capital. » 

Laurent Indrusiak a été condamné à six reprises. À chaque fois, on lui a reproché l’organisation de manifestations non autorisées, assorties parfois de dégradations de mobilier urbain – des palettes brûlées par les manifestant·es  – et, dans un cas, une entrave à la circulation à l’occasion d’une opération escargot. « Jusque-là, que je sache, même si [Gérald] Darmanin a tendance à l’oublier, une manif non déclarée n’est pas une manifestation interdite », a commenté Sophie Binet.

Le dirigeant syndical a été jugé et relaxé à deux reprises pour des accusations de diffamation. La première fois, en 2018, il lui était reproché d’avoir dénoncé dans des tracts les conditions de travail délétères des salariés d’une entreprise locale de traitement de déchets électroménagers, Environment Recycling. « C’est grave, parce que la méthode est de plus en plus utilisée par le patronat. Si les pouvoirs publics donnent suite, c’est très grave car dénoncer les conditions de travail est au cœur des libertés syndicales », a souligné la secrétaire générale. La deuxième fois, on lui reprochait d’avoir qualifié les dirigeants de La Poste de « voyous » dans un contexte de conflit social grave entre ces derniers et leurs salarié·es.

Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal.

Le trublion de l’Allier a également été convoqué au commissariat pour avoir, en vrac, collé des affiches sur la permanence du Medef, coupé le courant du même Medef ou encore collé des autocollants sur des horodateurs. Il a bénéficié à chaque fois d’un classement sans suite.

Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal, le 8 février dernier, pour dénoncer la fermeture de deux écoles à Montluçon. Ce soir-là, les policiers appelés par le maire Frédéric Laporte (Les Républicains) pour chasser les manifestant·es « l’ont « collé contre le mur et [lui ont] fait des clés de bras pour [l]e menotter », indique l’intéressé. « J’ai pris des coups, mais c’est moi qu’on a convoqué. »

Interrogé par Mediapart sur les raisons de cette sollicitude judiciaire toute particulière, Laurent Indrusiak donne son sentiment : « D’abord, il y a le fait que je ne donne jamais d’informations aux renseignements territoriaux. Ensuite, neuf affaires sur dix émanent de constatations de la police. Il y a un problème avec la police à Montluçon. Au point que j’ai parfois le sentiment de ne pas être en sécurité dans les rues de la ville. »

Sur le secteur de Montluçon, trois autres militants CGT totalisent onze convocations au commissariat pour des faits similaires. À Vichy, Antoine Jubin, membre de la direction locale du syndicat, a passé 48 heures en garde à vue début avril à la suite d’un incident sur un rond-point. Il a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de manifester jusqu’à son audience, le 3 octobre prochain.

Libertés syndicales

Sophie Binet a enjoint au premier ministre de faire respecter les libertés syndicales à Montluçon. « Je demande à Élisabeth Borne d’intervenir immédiatement pour mettre fin à cette situation locale et donner des consignes très claires à la nouvelle préfète et aux forces de police », a-t-elle déclaré. Elle en a profité pour réclamer une amnistie pour les militant·es poursuivi·es dans le cadre de leurs actions syndicales et des mesures pour la réintégration de celles et ceux qui ont été indûment licenciés par leur entreprise.

La secrétaire générale a également appelé le maire de la ville à renoncer à son projet d’expulsion, au 1er juillet, de l’union locale CGT de la Maison communale, un lieu de mémoire des luttes ouvrières inauguré en 1899 par Jules Guesde, une des figures du socialisme français, et occupé depuis 1904 par le syndicat. « Le maire veut expulser la CGT d’un bâtiment construit par nous et pour nous, dans le cadre d’un projet idéologique visant à y installer un incubateur d’entreprises et un lieu de mémoire patronale, a martelé Sophie Binet. Nous ne le laisserons pas faire. »

Ville industrielle depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, Montluçon, 34 000 habitant·es aujourd’hui, a notamment été le point de départ de la grève générale de 1936. La dirigeante syndicale a par ailleurs souligné que des procédures similaires étaient en cours dans plusieurs villes de France, de Châteauroux à Montauban, en passant par Saint-Pourçain (Allier). « Demain, je vais adresser un courrier à la première ministre. Il faut aussi prendre des mesures législatives pour protéger les bourses du travail menacées, notamment dans les villes tenues par le Rassemblement national, mais pas seulement », a-t-elle indiqué à Mediapart.

Signalant que la préfète de l’Allier allait la recevoir en fin de journée pour évoquer toutes ces questions, Sophie Binet a conclu sous les vivats son intervention par un avertissement : « Je viendrai ici autant de fois qu’il le faudra. »

   publié le 31 mai 2023

L’intersyndicale élargit
ses sujets d’union
pour durer au-delà des retraites

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Ce mardi matin, les huit syndicats qui composent l’intersyndicale ont appelé les salariés à se mettre en grève et manifester mardi 6 juin contre la réforme des retraites, ainsi que les députés à voter pour la proposition de loi transpartisane d’abrogation de la réforme le 8 juin. Mais l’intersyndicale appelle également à se mobiliser pour des avancées sociales, en mettant en avant de nouveaux sujets qui pourraient nourrir de nouvelles mobilisations.

 De l’exception à la norme ? C’est peut-être ce à quoi nous assistons aujourd’hui avec l’intersyndicale qui a ferraillé pendant des mois contre le gouvernement. Unis exclusivement sur la revendication minimale du refus de l’allongement à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, les syndicats qui composent l’intersyndicale travaillent ensemble sur d’autres sujets, depuis quelques semaines. Et ouvre peut-être une nouvelle ère dans les relations entre organisations de salariés, loin des conflits et déchirements auxquels elles ont habitué les salariés.

Une façon pour les syndicats d’afficher encore leur refus de tourner la page des retraites, alors que des discussions ont repris avec le gouvernement, depuis que la Première ministre a lancé des concertations en mai. Mais surtout un moyen de peser davantage face au gouvernement et au patronat, dans l’espoir d’obtenir quelques avancées sociales significatives. Et ainsi montrer que le combat syndical peut obtenir des victoires, alors que sur le dossier des retraites, le gouvernement a réussi jusque-là à passer en force. Ainsi, l’intersyndicale réunie ce matin a accouché comme attendu d’un communiqué commun pour mobiliser le 6 juin prochain. Mais cette fois-ci de nombreux thèmes ne concernant pas les retraites y sont aussi abordés.

Salaires, égalité femmes-hommes, nouveaux droits

 Premier des thèmes mis en avant, « l’augmentation des salaires, des retraites et pensions, des minimas sociaux et des bourses d’études », vue par l’intersyndicale comme une priorité, dans le privé comme dans le public, en ses temps d’inflation. Mais aussi « l’égalité salariale Femme-Homme » qui « doit être une réalité concrète sans délai ». Sur ce sujet, les syndicats avancent ce qui ressemble à l’ébauche d’un cadre commun revendicatif : « revoir en profondeur l’index égalité salariale », « revaloriser les métiers féminisés », « proscrire les temps partiels subis » et mettre en œuvre les « dispositions de la convention 190 de l’OIT contre toutes les violences et le harcèlement au travail, y compris les violences sexistes et sexuelles ».

Autre dossier qui a fait l’unanimité, l’opposition « à toute atteinte au principe de solidarité nationale avec la réforme du RSA ainsi qu’à la dégressivité des allocations chômage qui conduisent à stigmatiser les précaires ou privé.e.s d’emplois ». Un sujet sur lequel les syndicats avaient déjà eu des positions communes au moment des réformes de l’assurance chômage en 2019 et 2022. Enfin, les huit syndicats se sont mis d’accord pour demander des droits supplémentaires visant à « améliorer et renforcer les moyens pour les représentants du personnel », comme par exemple de nouvelles prérogatives en matières environnementales pour ces derniers. Toujours dans les entreprises, l’intersyndicale estime que « pour protéger la santé des salarié.es, les commissions de santé sécurité et conditions de travail doivent être obligatoires dans les entreprises de 50 salariés et plus, avec des droits et des moyens renforcés ».

Si ces points d’accords restent modestes, il se dégage tout de même la volonté de se doter d’un socle minimal commun sur plusieurs sujets, à l’instar de ce que les syndicats ont pratiqué pendant le conflit sur les retraites. Avec ce socle, les syndicats veulent gagner en force, sans empêcher pour autant chaque organisation de mettre en avant ses particularités. Comme dans le mouvements contre la réforme où certaines organisations revendiquaient la retraite à 60 ans et d’autres non sans que l’unité contre la réforme se brise. Reste à savoir si cette volonté ne se fracassera pas sur les stratégies différentes qui animent les syndicats, notamment lorsque des signatures d’accord seront en balance, ou sur des réalités d’entreprises où parfois les conflits sont rugueux entre organisations.

  publié le 29 mai 2023

Retraites.
« Le gouvernement finira par admettre qu’il s’est trompé »

Par asmine Djennane sur www.humanite.fr

Le collectifs contre la réforme des retraites de Bagnolet, les Lilas, Romainville et le Pré-Saint-Gervais, organise un pique-nique revendicatif pour mobiliser en vue du 6 juin, prochaine journée nationale de manifestations et de grèves à l’appel de l’intersyndicale. Michel Venon, de la CGT, nous explique pourquoi.

Le compte à rebours est lancé pour la manifestation du 6 juin. Les collectifs contre la réforme des retraites des quatre villes de Bagnolet, les Lilas, Romainville et le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) organisent un pique-nique revendicatif et festif afin de mobiliser les habitants et préparer la journée intersyndicale de manifestation et de grève du 6 juin. Prises de parole, concerts, jeux pour enfants. Le rendez-vous est donné le dimanche 28 mai à midi au Parc Lucie Aubrac aux Lilas.

Michel Venon, secrétaire général de l’union locale CGT Bagnolet les Lilas et responsable du collectif contre la réforme des retraites, explique l’initiative et fait un point sur le mouvement social local.

Un mois après la dernière grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites, ce pique-nique vise-t-il à relancer la lutte?

Michel Venon : Le mouvement social n’est pas terminé. Nous avons décidé de cette initiative afin de ne pas rester muet ni invisible durant ces quelques semaines entre le 1er Mai qui a connu une popularité sans précédent et le 6 juin. Nous sommes depuis le premier jour, comme la grande majorité des Français, opposés à une réforme que le gouvernement a décidé seul, plein de préjugés à l’égard des travailleurs, des chômeurs, des jeunes et des femmes. Allonger l’âge de départ à la retraite à 64 ans sans tenir compte des pénibilités par exemple, augmenter le nombre des annuités à 43, alors que l’ensemble de nos voisins européens sont dans une moyenne de 39 annuités est une infamie. Tout en continuant d’exonérer toujours plus les patrons de cotisations sociales. Ce pique-nique a pour objectif de réunir le plus grand nombre de personnes pour montrer que nous ne sommes pas seuls, et de maintenir la pression en vue du 8 juin prochain, date du vote de projet de loi d’abrogation déposée par le groupe LIOT.

Espérez-vous toujours que le gouvernement retire sa réforme?

Michel Venon : Je ne sais pas si le gouvernement finira par reculer. Mais il finira par admettre qu’il s’est trompé en passant en force une loi aussi impopulaire, injuste et brutale. Sa réforme des retraites, celle sur l’assurance chômage, du RSA comme celle des lycées professionnels ne servent qu’un objectif: abaisser le « coût du travail ». Les organisations syndicales n’ont cessé de faire des propositions de financements sur les retraites. Là encore, Macron n’a pas hésité à mentir aux Français en disant que rien ne lui était parvenu. Notre Union Locale CGT et notre collectif sont déterminés à gagner cette bataille et faire reculer le gouvernement.

Attendez-vous une forte mobilisation le 6 juin ?

Michel Venon : Il est toujours difficile de présager du nombre de personnes présentes lors d’une manifestation. Nous faisons le nécessaire pour qu’au minimum elle soit du même niveau que les précédentes. Comptabiliser les gens sur un parcours est certes un indicateur. Mais personne ne communique sur le nombre de salariés en grève dans les entreprises.

publié le 26 mai 2023

Les grévistes de Vertbaudet ont besoin de votre soutien

Sur le site de la CGT https://www.cgt.fr

Après deux mois de mobilisation pour des revalorisations de salaires, les grévistes de Vertbaudet ont besoin de soutien. C'est dans ce contexte qu'un appel a été lancé mardi 23 mai : « Les ouvrières de Vertbaudet, par leur lutte exemplaire, montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect ».

« On aurait dû se révolter bien avant », disait l’une d’elles au Monde à la fin du mois d’avril. Avec des salaires n’atteignant pas les 1 500 euros après plus de vingt ans d’ancienneté, les soixante-douze femmes grévistes de Vertbaudet ne comprennent pas pourquoi la direction de l’usine refuse catégoriquement d’augmenter leurs salaires. En effet, ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’accord salarial pour 2023 qui prévoit… 0 % d’augmentation de salaire, alors que l’inflation atteint des niveaux record.

Les travailleuses de l’entrepôt d’acheminement Vertbaudet de Marquette-lez-Lille sont en grève depuis le 20 mars 2023. Elles réclament une augmentation de leur salaire d’au moins 150 euros net et l’embauche d’intérimaires.

La spirale de l’intimidation et de la violence

Le 16 mai, au lieu d’organiser une médiation, la préfecture a envoyé la police évacuer le piquet de grève. Résultat : deux gardes à vue, une gréviste violentée puis hospitalisée avec quatre jours d’interruption temporaire de travail, six salariées convoquées pour un entretien préalable. La spirale de l’intimidation et de la violence a été franchie avec le guet-apens dont a été victime un délégué syndical CGT.

L’homme, embarqué devant sa maison, a été agressé par plusieurs hommes armés, ces derniers n’ont pas hésité à menacer son fils et son épouse. En 2023, en France, voilà ce que donnent neuf semaines de grève pour un meilleur salaire. Encore une fois, le gouvernement et le patronat font front contre le salariat.

Depuis, interpellée par la CGT, la première ministre s’est enfin engagée à cesser toutes les poursuites contre les ouvrières et à garantir une médiation avec la direction de l’entreprise. Cependant, plus de soixante jours après le début de la grève, la direction méprise toujours les soixante-douze salariées grévistes et refuse toute augmentation collective de salaire.

Cette violence et ce mépris que subissent les ouvrières de Vertbaudet, des milliers de grévistes les subissent alors qu’ils luttent contre la réforme des retraites, pour l’augmentation des salaires ou pour de meilleures conditions de travail. Les ouvrières de Vertbaudet sont à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste.

Leur grève met en lumière une question centrale. Comment, sans salaire digne, faire ses choix de vie, quitter son conjoint si on le souhaite et pouvoir nourrir ses enfants ? Comment être libre sans indépendance économique ?

Une lutte symbolique

On ne peut pas à longueur de journée déplorer les écarts de salaires entre les femmes et les hommes et, quand des femmes luttent pour gagner une revalorisation de leurs salaires, être aux abonnés absents. On ne peut pas en appeler aux employeurs pour qu’ils augmentent les salaires et, quand les salariés sont en grève, envoyer les forces de l’ordre pour casser leur piquet de grève !

Par leur lutte exemplaire, les ouvrières de Vertbaudet montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect. Féministes, nous les soutenons.

Vertbaudet est une entreprise connue en France. Connue des parents, qui sont nombreux à recourir à ses produits pour habiller leurs bébés. Mais aussi connue des dirigeants politiques. L’entreprise vient d’inaugurer son siège social à Tourcoing (Nord), ville dont le ministre de l’intérieur est toujours conseiller municipal. Elle a été rachetée par le fonds Equistone, un fonds d’investissement dirigé par Edouard Fillon, le fils de François Fillon. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas abandonner les ouvrières de Vertbaudet à leur sort et faire comme s’il s’agissait d’un conflit privé.

Il s’agit d’une lutte symbolique et nous soutiendrons les grévistes jusqu’à ce qu’elles obtiennent satisfaction.

Monsieur le PDG [Mathieu Hamelle], votre responsabilité est directement engagée. Nous vous appelons à ouvrir enfin des négociations pour concrétiser les augmentations de salaires revendiquées et abandonner immédiatement les sanctions contre toutes les grévistes. Nous appelons le gouvernement à agir réellement pour engager une procédure de médiation sérieuse et mettre sous pression l’entreprise pour que les négociations aboutissent.

Retrouvez la liste des premières signataires.


 


 

Les grévistes de Vertbaudet ont besoin de votre soutien

Pétition de soutien aux grévistes de Vertbaudet

 

Après deux mois de mobilisation pour des revalorisations de salaires, les grévistes de Vertbaudet ont besoin de soutien.

 C'est dans ce contexte qu'un appel a été lancé mardi 23 mai : « Les ouvrières de Vertbaudet, par leur lutte exemplaire, montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect ».


 

pour signer la pétition :

https://www.change.org/p/soutenir-les-salari%C3%A9es-gr%C3%A9vistes-de-l-usine-vertbaudet?utm_source=email&utm_campaign=Info%20spciale%20du%2025052023&utm_medium=email

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Comment la lutte des Vertbaudet devient une bataille nationale

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Alors que le conflit des femmes de Vertbaudet prend une ampleur nationale, Sophie Binet, tout fraîchement élue à la tête de la CGT, a promis un soutien fort du syndicat. Si le statu quo demeure, des actions sont envisagées, d’ici la fin de la semaine, dans les sites de l’entreprise partout en France.

C’est un geste fort. Plus de deux mois après le début de la grève dans l’enseigne de puériculture Vertbaudet, la secrétaire générale de la CGT a affirmé, ce mardi 23 janvier, que la centrale syndicale jetterait toutes ses forces dans la bataille. Dans l’entrepôt de Marquette-lez-Lille (Nord) 72 ouvrières – dans l’immense majorité des femmes – sont en grève depuis plus de deux mois pour exiger des augmentations salariales, l’embauche des intérimaires ou encore l’amélioration des conditions de travail (voir notre article).

Pour que leur conflit soit victorieux, Sophie Binet, venue devant le siège du groupe propriétaire de Vertbaudet Equistone Partners Europe, a lancé un ultimatum à la direction de l’enseigne. « D’ici vendredi (ndlr: 26 mai), si vous n’avez pas ouvert de négociation de fin de conflit, nous allons franchir un nouveau cap. Les 600 000 syndiqués de la CGT se mettront en action pour soutenir la lutte. Le message envoyé au patron est simple : il faut retrouver le chemin de la raison. »

Le niveau de la répression policière et patronale qui s’abat sur les grévistes fait également de cette grève un conflit hors normes. En guise de bilan : deux gardes à vue, une gréviste violentée puis hospitalisée avec quatre jours d’interruption temporaire de travail, six salariées convoquées pour un entretien préalable. Surtout, un des délégués syndicaux CGT du site a fait l’objet d’une opération « digne d’une milice patronale », selon les grévistes. Les agresseurs n’ont pas été identifiés mais le parquet a ouvert une enquête.

Alors que Jean-Luc Mélenchon était hier soir sur le piquet de Vertbaudet, les déclarations de la secrétaire générale de la CGT sont claires : cette lutte est devenue une bataille nationale. Sophie Binet y met en jeu sa crédibilité ainsi que celle de sa centrale syndicale.

Franchir un nouveau cap dans la lutte des Vertbaudet

Mais que signifie « franchir un nouveau cap » ? Quelles sont les actions envisagées par la CGT ? « Si rien ne se passe d’ici vendredi, nous appellerons à effectuer des actions en direction des magasins Vertbaudet partout en France », détaille Amar Lagha, secrétaire général de la fédération commerces et services de la CGT. La semaine dernière, un magasin Vertbaudet de Marseille avait déjà été envahi en soutien à la lutte des ouvrières du Nord. « Il s‘agira d’amplifier cela pour que, dans chaque union départementale, les militants de la CGT, qu’ils travaillent dans le commerce ou non, multiplient les actions », continue Amar Lagha.

Hausser le ton, pour la CGT, c’est aussi renouveler l’appel au boycott des produits Vertbaudet. Sophie Binet, présente sur le piquet de grève de Marquette-lez-Lille le 21 avril, avait déjà lancé un tel appel. « Cette fois, il s’agira de l’amplifier avec tous les moyens de communication à notre disposition », précise Amar Lagha.

À cela s’ajoute une tribune, signée par plus de 100 féministes, publiée aujourd’hui dans Le Monde et destinée à se transformer en pétition. Celle-ci rappelle la dimension éminemment féministe de la lutte des ouvrières de Vertbaudet. « Leur grève met en lumière une question centrale. Comment, sans salaire digne, faire ses choix de vie, quitter son conjoint si on le souhaite et pouvoir nourrir ses enfants ? Comment être libre sans indépendance économique ? », alertent les signataires.

publiéle 2 mai 2023

Au Havre,
un 1er Mai antifasciste

Hugo Boursier  sur www.politis.fr

Contre le Rassemblement national qui organisait sa « fête de la nation » dans la ville portuaire, une vingtaine d’associations ont tenu une « contre-fête » en plus du traditionnel cortège en solidarité avec les travailleurs et travailleuses. Reportage.

Des terres ouvrières, un port français face à une Manche traversée par le commerce mondial, et un avertissement au maire Horizons, Édouard Philippe, potentiel candidat pour les élections présidentielles de 2027. Le plan de communication de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, président du Rassemblement national, devait être réglé comme du papier à musique. Et pourtant. Au Havre, ce sont les 4 800 manifestants venus célébrer les travailleurs et travailleuses, en ce 1er Mai, qui se sont fait entendre à travers la ville. C’est trois fois plus qu’en 2022, où s’étaient rassemblées entre 1300 et 1500 personnes.

Imaginée par l’eurodéputé RN pour remplacer la traditionnelle gerbe de fleurs déposée depuis 1979 au pied de la statue de Jeanne d’Arc, à Paris, la « fête de la nation » n’a finalement pas pris. Bunkerisé dans un carré des Docks surveillé par le service d’ordre du parti, les DPS, l’événement, ramassé en quatre petites heures, a rassemblé trois fois moins de personnes que celui organisé par les syndicats et les associations.

Sous haute surveillance policière, et d’un drone dont l’utilisation a été limitée au Havre par le tribunal administratif, mais pas interdite, une soixantaine de manifestants ont tenté de rejoindre l’événement. Les CRS les ont dispersés en utilisant du gaz lacrymogène. Une personne s’est vue administrer un coup de matraque au visage. 

Une fois à l’intérieur de l’enceinte, la mise en scène se voulait « conviviale, comme en famille », selon les mots du député de la Moselle, Laurent Jacobelli. L’idée : montrer aux invités, constitués d’élus, de cadres ou de jeunes militants du RN ayant déboursé 20 euros, que le parti était bien celui des travailleurs populaires, en ce 1er Mai. La treizième journée de manifestation contre la réforme des retraites à l’appel de l’intersyndicale, qui se tenait pourtant le même jour, n’a pas été évoquée une seule fois.

Vin, terrine de canard et « crise civilisationnelle »

Dans le prolongement des longues tables bleu-blanc-rouge encombrées de vin, de terrine de canard et de volaille, Sébastien Chenu, vice-président de l’Assemblée nationale, a vanté le groupe RN qui siège au Palais Bourbon. « Le plus actif, le plus présent », s’est-il enthousiasmé devant un public à la bouche pleine.

Alors que le cadre du parti continuait d’égrainer lourdement les propositions de lois des députés RN, Jordan Bardella s’est inquiété par message auprès d’un de ses conseillers. Sébastien Chenu serait-il déjà « en campagne interne » ? « Le congrès est dans 3 ans, mais il faut commencer tôt ! », grince le conseiller auprès de l’eurodéputé RN, Jean-Lin Lacapelle. Ambiance.

Après l’interminable Sébastien Chenu, c’est au tour de Marine Le Pen de ressasser les mêmes hantises habituelles : « la crise civilisationnelle », « l’arme de fragmentation massive » que serait l’intersectionnalité, et cette « secte » de wokisme, en plus d’un Macron, unique « cause de nos maux », d’après elle.

En ce jour de « fête du travail et de la patrie », elle n’a pas réfléchi à de nouvelles propositions, ni à la moindre analyse neuve sur la séquence actuelle. Preuve d’une gêne vis-à-vis d’un mouvement social qui lui est opposé ? Sur une ligne de crête, l’ancienne candidate RN a préféré ressortir son programme de 2022. Son clip de campagne a même été diffusé.

Marine Le Pen maquille la discrétion dont on l’accuse depuis le 19 janvier en posture pacificatrice face aux « vociférantes » oppositions. À peine a-t-elle dessiné cette fumeuse « paix sociale », que son équipe vendait à chaque bâillement des convives, comme un « contrat passé avec le pays » basé sur « un engagement pour les entreprises, pour les salariés qui maintiennent seulement leur survie, et pour les cotisants ». Comprenne qui pourra.

« Casse-toi Bardella ! »

Ce manque d’imagination n’aurait pas surpris Stéphane Fourrier. Quelques heures plus tôt, alors que le défilé du 1er Mai grossissait autour de la Maison des Syndicats, l’enseignant syndiqué à la FSU observait du bleu de ses yeux rieurs le cortège des travailleurs sans-papiers. « Le Rassemblement national est incapable de proposer quoi que ce soit. Quand on regarde de près ce que leur groupe a voté à l’Assemblée, on constate qu’ils ont été contre l’augmentation du Smic, contre l’interdiction des jets-privés, etc. Bref : le RN vote toujours contre l’intérêt des travailleurs », explique-t-il.

Vous imaginez une Le Pen déambuler ici ? C’est impossible. Parce que la culture ouvrière du Havre est profondément antifasciste.

Ce mythe du parti d’extrême droite autoproclamé « parti des ouvriers » est à déconstruire. Michel, chauffeur-routier né au Havre, n’a de cesse de le répéter à ses collègues. « Marine Le Pen nous ment quand elle sort ces conneries. Après elle ose venir ici ? Je ne peux pas l’accepter », pointe-t-il du doigt, alors que le cortège CFDT lance des « c’est qui les casseurs, c’est eux, dehors ce gouvernement ».

Une fois arrivée sous les deux arches que forme la Catène de containers, monument typique du Havre depuis la transformation du port industriel, la foule a pu se disperser entre la scène et les différents stands des associations. « Vous imaginez une Le Pen déambuler ici ? C’est impossible. Pourquoi ? Parce que la culture ouvrière du Havre est profondément antifasciste », lance Olivier, dont plusieurs membres de sa famille travaillent au port.

Si le combat contre la retraite n’est « pas terminé », estime Marie-Laure Tirelle, responsable de l’union départementale de l’Unsa, il s’agissait aussi de montrer qu’au Havre, « on n’est absolument contre la venue du RN ». Du chamboule-tout à l’effigie d’Emmanuel Macron et de sa rivale d’extrême droite jusqu’aux harangues des artistes sur scène, la « contre-fête » tenait sur ses deux jambes : la fête des travailleurs contre la réforme des retraites, d’un côté, et la lutte antiraciste de l’autre.

Cette « intersectionnalité », pointée du doigt deux kilomètres plus loin au banquet-meeting du RN, fait la fierté de Médine – grande star locale et dernier artiste de la journée. « Les cadres du RN ont très peur de ce qui est incarné ici : la convergence des luttes syndicalistes, antiracistes, LGBTQI. J’essaie d’incarner ce croisement moi aussi, et je viens le célébrer ici », analyse celui dont les dates de tournée n’arrivent pas à être empêchées par les élus RN. « Quand on est populaire, comme s’estime Marine Le Pen, on marche dans la rue, on rencontre les gens. C’est exactement ce qu’elle n’a pas fait ».

Après les célèbres « Médine France » et « La France au Rap Français », c’est la très attendue « Puissance du Port du Havre » qui a retourné la foule. Jusqu’à faire tomber les barrières séparant la scène du public. « Il faut retenir ça : aujourd’hui, on a fait tomber les barrières, on est ensemble », lance Médine, comme un message antifasciste contre la venue du RN au Havre.

   publié le 1° mai 2023

2,3 millions de manifestants dans toute la France, un 1er Mai historique

 Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Il y a eu 550.000 manifestants à Paris selon la CGT. Le stand du PCF dans le cortège parisien a été visé avec un engin incendiaire, lorsqu'un cortège avec des slogans hostiles au PCF passait. Des tensions émaillent le cortège dans la capitale avec des charges policières à peine la manifestation partie, tandis qu'un important "black bloc" s'est formé en tête. Destruction également du stand de Siné-mensuel.

Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce d’ores et déjà historique. Par sa dimension rassembleuse d’abord, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à ­rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait également à la mobilisation, mais sans Force ouvrière, ni la CFTC.

Pour 64% des Français, la contestation sociale doit se poursuivre

Cette nouvelle manifestation intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.

Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont d’ores et déjà prévus, contre environ 200 à l’ordinaire. « Nous sentons une montée en puissance des manifestations, avec une volonté recherchée de rassembler au plus près des bassins d’emploi, explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui se joue, c’est la poursuite du mouvement. »

D’ailleurs, pour 64 % des Français, selon l’institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire est d’avoir identifié, à nouveau, le 1er Mai comme une date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront ainsi présents Esther Lynch, ­secrétaire générale de Confédération européenne des ­syndicats (CES) , et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).

La non-application de la réforme est possible

CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat première embauche (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la ­réforme des retraites, le 15 avril.

De fait, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, au Journal ­officiel écarte la possibilité de contraindre le président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet devant les députés. « Dès lors, si vous voulez revenir devant le Parlement, il faut déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil dès le début », précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.

Pour autant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut forcer le président de la République à ne pas publier les décrets d’application.

Seconde demande de RIP déposée par les parlementaire de gauche

Sur le plan parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de départ à la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.

« Mais cette requête reprend l’article unique de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’apportait pas de changement du droit, tempère Benjamin Morel, accompagné d’un second article visant à moduler les taux de CSG. Or, la jurisprudence issue du RIP sur les superprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »

Les sages rendront leur avis le 3 mai. La réussite du 1er Mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une issue démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des propositions de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront également amenés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.

Le mouvement renouvelle ses modes d’action

Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un déplacement houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et accueilli par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite du CHU de Poitiers ; les équipes d’Emmanuel Macron, qui prévoient un groupe électrogène de secours, en cas de coupure d’électricité durant les tournées présidentielles… À l’approche du 1er Mai, la contestation sociale a changé de nature.

La casserole, utilisée par des manifestants pour protester durant l’allocution élyséenne du 17 avril, est devenue le symbole de ces actions coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous voulions faire comprendre que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner son glas », assure Youlie Yamamoto, d’Attac.

L’organisation est à l’initiative de ces « casserolades », après un « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît la porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement fait par le syndicat Solidaires informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.

Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Élysée avec un camion affichant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique ont envahi le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».

L’intersyndicale réclame une refonte de la démocratie sociale

« La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce “en même temps” a fait une victime : la qualité du dialogue social », déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.

Le secrétaire général de la CFDT dénonçait ainsi la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir », analyse le sociologue Baptiste Giraud.

À l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, les syndicats sont désormais perçus à 52 % comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46 %, - 13 points).

La CFDT porte 10 propositions visant à redonner du pouvoir aux élus du personnel, dont la désignation de représentants de proximité dans les sociétés comptant plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT appelle à la remise en place des instances supprimées en 2017 et à la suspension « de l’ensemble des accords régressifs », dont les ruptures conventionnelles collectives.

Les travailleurs à l’offensive pour les salaires

L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus marquant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.

« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan, assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites participe au rapport de force dans l’entreprise. » Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros brut par mois d’augmentation. Un moyen pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Élisabeth Borne. 

 

  pubié le 1° mai 2023

Poursuivre les luttes, après le 1er-Mai : « C’est gagné, des graines ont été semées »

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Pour les travailleurs et travailleuses mais, surtout, contre la réforme des retraites. Ce 1er-Mai s’annonce colossal à l’appel d’une intersyndicale unie. En trois mois, le mouvement social a permis à ses artisans de tisser des liens, parfois hors des sentiers syndicaux, pour maintenir la lutte et en construire de nouvelles, partout en France.

Un 1er-Mai « historique », « massif » et « inédit » pour l’intersyndicale, unitaire pour la première fois depuis quatorze ans. « Sans précédent », « vengeur » et porté par un sentiment « de rancune », du point de vue des renseignements territoriaux, dont la note, aux relents angoissants, a opportunément « fuité » dans la presse.

En 2022, entre 116 000 et 210 000 personnes avaient manifesté partout en France le 1er-Mai, dont 24 000 à 50 000 dans la capitale. Ce lundi, rien qu’à Paris, les autorités s’attendent à 80 000 à 100 00 personnes de la place de la République à celle de la Nation. Sur l’ensemble du pays, il pourrait y avoir davantage de défilés qu’en 2022 : jusqu’à 300 selon la CGT, contre 278 l’an dernier.

Des appels à manifester sont en effet lancés dans des petites et moyennes villes, peu habituées à accueillir des défilés du 1er-Mai. C’est la suite logique : depuis plus de trois mois, le mouvement social mobilise fortement « les territoires », comme l’exécutif aime à les qualifier.

Alès, Morlaix, Mende, Vierzon, Maubeuge, Flers… Beaucoup se sont distingués, des semaines durant. Mediapart s’est ainsi rendu dans une commune de l’Yonne, Charny-Orée-de-Puisaye et ses 500 habitant·es, qui a vu défiler le 23 mars sa première manif du siècle, « et peut-être même du précédent ». 110 personnes dans la rue, du jamais-vu. L’île d’Ouessant (Finistère), et ses 830 âmes hors saison, s’est également illustrée le 13 avril, agrégeant 180 manifestant·es, contre 169 une semaine plus tôt.

« C’est complètement dingue ! », s’enthousiasme Théo Roumier, syndicaliste Sud Éducation et partisan de « l’autogestion généralisée », dans les entreprises – et en dehors. « Ce qu’il s’est produit à Ouessant montre que des gens se sont causé, ont organisé ça ensemble », poursuit l’enseignant, selon qui « l’auto-organisation est la clef de la victoire et du rapport de force ».

Sur son blog, il décrypte : « L’enjeu de l’auto-organisation la plus généralisée qui soit est justement de dépasser le cadre des seuls effectifs syndiqués, pour lui permettre de remplir deux rôles – pratique et politique – s’alimentant l’un l’autre. »

Faire entendre la voix des privés d’emploi 

C’est précisément ce qui est en train de naître entre le Gard et l’Hérault, où une « assemblée des précaires du Sud-Cévennes » s’est montée courant février. Elle se réunit toutes les semaines dans un lieu autogéré de Pont-d’Hérault, un ancien faubourg ouvrier entre Ganges (Hérault) et Le Vigan (Gard).

« On se demandait comment s’inscrire dans le mouvement social, raconte Ilyess*, l’un des membres de l’assemblée. La réflexion de départ était de se dire que le mouvement venait beaucoup du monde du travail et qu’il manquait une voix : celle des précaires et des privés d’emploi. »

D’après Ilyess, le collectif rassemble des anciens « gilets jaunes » et des personnes engagées dans divers combats comme « la lutte écolo ou le soutien à l’Ukraine ». Leur point commun : « On est tous précaires », souligne l’ancien facteur, n’ayant connu que des contrats à durée déterminée. « Nous sommes au RSA, intermittents, en intérim, paysans cotisants, ou allocataires de l’allocation adulte handicapé, énumère Ilyess. Pour nous, la retraite à taux plein est une chimère. Nos carrières sont hachées et incomplètes. »

Pour nous, le mouvement social permet une chose rare : voir nos patelins se bouger autrement.

Outre la bataille des retraites, l’assemblée des précaires s’engage concrètement dans l’entraide, en proposant des coups de main aux personnes en difficulté avec des organismes (la CAF, Pôle emploi…) ou des propriétaires de logement.

Quant aux questions sociales, elles ne manquent pas : « Inflation, réformes du RSA et de l’assurance-chômage, création de France Travail, accession au logement... » comptent parmi les sujets importants pour le collectif, qui ne revendique aucun leader, ni bureau politique.

« On a beaucoup tracté dans les manifs et attiré de nouvelles personnes. On ressent une envie de militer, de s’organiser », souligne encore Ilyess. « Pour nous, le mouvement social permet une chose rare : voir nos patelins se bouger autrement », sourit-il. Dans le Gard, six défilés sont annoncés pour le 1er-Mai, contre quatre en 2022. 

Un mouvement plus ancré

« Des graines ont été semées », se réjouit Théo Roumier, de Sud Éducation, devant « l’ancrage des petites et moyennes villes » dans le mouvement social. Il raconte avoir également observé des frémissements réjouissants « dans les grosses manifs des grosses villes ». Il décrit des cortèges d’entreprises, non menés par des permanents syndicaux mais « par des gens d’une même boîte qui se sont vus, ont parlé, se sont organisés, ont fabriqué ensemble une banderole ». « Tout ceci est fin. C’est petit, c’est sensible mais j’y suis très attaché car c’est pris, c’est gagné », ajoute l’enseignant.

Pour lui, la lutte contre la réforme des retraites est « un mouvement d’opinion » dont il ne faut pas se contenter. « On a besoin d’un mouvement plus ancré mais ça ne se fait pas en cinq minutes ! Le cadre de l’auto-organisation doit reposer sur des militants ouverts à cette question, tout en sachant s’effacer devant un collectif de travail. Le maillage syndical est important mais ce qui est intéressant, c’est quand ça déborde sur des non-militants. »

Pas question, donc, d’opposer syndiqué·es et non-syndiqué·es, plutôt perçu·es comme complémentaires. L’assemblée des précaires du Sud-Cévennes en fait d’ailleurs l’expérience. « Certains d’entre nous participent aux réunions de l’intersyndicale, d’autres non. Nous avons fait notre petit bloc avec nos pancartes et nous marchons côte à côte, avec les syndicats en tête de cortège », décrit Ilyess. Le collectif était également présent lors de la visite d’Emmanuel Macron à Ganges, le 20 avril.

« Notre volonté est de faire plein de trucs avec l’intersyndicale, pas de s’en démarquer. Mais nous restons attachés à la diversité des gens et des pratiques. » Et de conclure : « Faire des manifs, des concerts de casseroles, danser, ou taper au portefeuille du capitalisme : à chacun son mode d’action ! Mais je sens une vraie envie de s’inscrire dans la durée. »

  publié le 30 avril 2023

Baptiste Giraud, « L’unité syndicale cristallise des tensions qui dépassent cette réforme »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Bien qu’affaiblies par la « révolution » macronienne, les organisations syndicales ont affirmé leur rôle de contre-pouvoir à travers le mouvement historique contre la réforme des retraites. Une place qu’elles pourront renforcer, « à condition de trouver un second souffle », soutient le politologue Baptiste Giraud, avant ce 1er mai exceptionnel à l’appel de l’intersyndicale.

L’intersyndicale promet un 1er Mai historique. Les huit centrales restent unies dans l’objectif de la non-application de la réforme des retraites. Pour autant, les divisions stratégiques et revendicatives laissent planer un doute quant à la longévité du rassemblement, alors qu’Emmanuel Macron entend accélérer ses réformes, en avançant l’ouverture d’une grande négociation entre organisations patronales et syndicales, en vue d’abonder son « pacte de la vie au travail ».

Diriez-vous, pour l’heure, que les organisations syndicales sortent renforcées de ce conflit social malgré l’absence du retrait de la réforme ?

Baptiste Giraud : Objectivement, l’ampleur des mobilisations a démontré à ceux qui en doutaient la force de leur ancrage dans le monde du travail et leur capacité à s’imposer comme des acteurs centraux du jeu politique. Mais ce conflit est aussi une illustration supplémentaire de leur marginalisation par le pouvoir. Les organisations syndicales ont beaucoup communiqué sur le nombre d’adhésions réalisées depuis janvier. La difficulté reste à les transformer en engagement durable. La mobilisation a aussi joui d’un soutien massif parmi les actifs. C’est un point positif, mais paradoxal par rapport à la difficulté persistante des syndicats à le convertir en engagement plus massif dans les manifestations et encore plus dans la grève.

L’intersyndicale demeure toujours rassemblée. La CFDT, notamment, continue d’impulser la contestation sociale. L’absence de compromis et l’attitude brutale de l’exécutif sont-elles les seules explications ?

Baptiste Giraud : Elles ont été des facteurs décisifs. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les syndicats n’ont plus aucune marge de manœuvre. Cela vaut aussi pour les centrales réformistes qui ne peuvent plus valider leur engagement dans la négociation par l’obtention de compromis. De fait, elles sont contraintes à renouer avec des postures contestataires, délaissées depuis 2010. Cette unité syndicale cristallise donc des tensions qui dépassent le seul cadre de cette réforme. Notamment depuis la mise en place des ordonnances Macron et l’instauration des comités sociaux et économiques (CSE), dont la conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir.

« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »

Pensez-vous que le dialogue et la démocratie sociale sont à l’arrêt jusqu’à la fin du quinquennat ?

Baptiste Giraud : De toute évidence, elle ne fonctionne pas depuis 2017. Mais il est difficile d’imaginer l’exécutif diriger le pays quatre années durant sans avoir aucun interlocuteur syndical. Le refus de discuter sur d’autres réformes est d’ailleurs la principale arme des centrales pour perturber le pouvoir politique. Si le gouvernement se décide à donner des gages aux organisations réformistes sur les futurs arbitrages, pour ma part, je les imagine mal camper sur cette position de blocage. L’exécutif devra y mettre le prix. Restons prudents cependant. On aurait pu s’attendre à ce que la crise des gilets jaunes ait remis les syndicats au centre du jeu politique, en faisant la démonstration de la nécessité d’avoir des représentations organisées. Manifestement l’exécutif n’en a pas tiré de leçon, tout comme Emmanuel Macron a fait mine de ne pas comprendre qu’il n’a pas été réélu sur son programme.

Pour la suite, le gouvernement met sur la table une nouvelle loi travail, ainsi qu’un texte sur le partage de la valeur. Quelle va être l’attitude des centrales syndicales dans ces dossiers ?

Baptiste Giraud : Le caractère unitaire de ce mouvement n’a pas fait converger les syndicats vers des revendications alternatives communes. Ce qui le distingue, par exemple, des mobilisations de 2008 au moment de la crise financière, qui s’étaient construites autour d’une plateforme revendicative intersyndicale. L’unité des syndicats reste donc fragile dans le temps en raison de leurs divergences de position sur la protection sociale ou les politiques salariales. Elles se sont par exemple divisées sur le récent accord interprofessionnel sur le partage de la valeur ajoutée qui n’aborde pas la question des salaires, renvoyée aux négociations de branches et d’entreprises. Pour cette raison, la CGT a refusé de signer l’accord alors qu’il a été ratifié par les autres centrales. Sur les autres sujets, s’il y a des avancées, on peut penser que le gouvernement trouvera une oreille attentive du côté des organisations réformistes. Ces dernières prennent un risque en restant en dehors de toute forme de négociations avec le gouvernement et le patronat, car il s’agit là de leur marque de fabrique, leur identité militante. C’est ce qui les distingue et légitime leur rôle dans l’espace syndical. Pour rester au centre de ce dernier, il sera donc difficile pour elles de persister dans une posture de contestation.

Ce mouvement social est marqué par de fortes mobilisations de rue, avec 3,5 millions de personnes dans les cortèges les 7 et 23 mars. Y a-t-il un changement de paradigme dans les luttes, avec une prédominance des manifestations par rapport aux grèves ?

Baptiste Giraud : Ce n’est pas une nouveauté, cette tendance est perceptible depuis au moins trente ans. La manifestation, dans des journées d’action interprofessionnelle, apparaît comme la principale modalité de participation à l’action. Cela ne veut pas dire que les grèves n’existent pas. Mais elles sont assez circonscrites à l’énergie, le transport ferroviaire, l’éducation nationale ou encore aux raffineries. À noter que les éboueurs se sont plus mobilisés qu’à l’ordinaire. Mais en dehors de ces secteurs dits stratégiques, il n’y a pas eu d’extension de mouvements de grève reconductible. En dehors des journées d’action, la participation aux grèves a aussi été plus faible que par le passé, y compris chez les cheminots. Il n’y a pas de comparaison possible avec 1995, où la mobilisation à la SNCF était très ancrée sur la défense du statut, qui n’existe plus depuis 2020 pour les nouveaux embauchés. La morphologie de la mobilisation est en fait cohérente avec ce qu’on observe sur le temps long : une baisse du nombre de grèves, du taux de participation, mais aussi leur répartition très inégale dans le monde du travail. Les syndicats restent faiblement implantés auprès de salariés qui subissent des conditions de salaire et d’emploi précaires, au sein de collectifs de travail très éclatés. Il leur est donc très difficile d’y organiser des grèves. Le contexte de forte inflation a évidemment ajouté aux difficultés à mobiliser par la grève au profit de formes de mobilisation moins coûteuses comme les débrayages, l’utilisation des heures de délégation ou la pose de RTT.

Le rapport de la CGT à la contestation semble s’être durci à l’issue de son 53e congrès. Dans son duel à distance avec la CFDT, la mobilisation change-t-elle quelque chose pour la centrale ?

Baptiste Giraud : Il est assez compliqué de savoir qui sort vainqueur, dans le camp syndical, de cette séquence. La CGT a démontré son rôle moteur dans la mobilisation, notamment dans les secteurs stratégiques, en dépit de son affaiblissement électoral. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer pourquoi les organisations réformistes n’ont pas forcément intérêt à rester longtemps dans cette stratégie, qui redonne de la vigueur à une pratique plus contestataire du syndicalisme. Laurent Berger s’est imposé comme la figure syndicale médiatique de la mobilisation. La CFDT est d’habitude plus en retrait, sa parole apparaissait plus originale pour les médias. La CGT et la CFDT peuvent en sortir renforcées, à condition qu’elles trouvent un second souffle. La CGT ne peut rester durant des mois dans une posture de contestation permanente et doit trouver d’autres leviers pour obtenir des victoires justifiant l’efficacité de son action. La CFDT ne pourra revenir dans sa pratique de la négociation qu’à condition d’obtenir des acquis réels, en particulier sur la pénibilité.

L’arrivée de Sophie Binet à la tête de la CGT marque-t-elle un changement générationnel dans le syndicalisme ?

Baptiste Giraud : Tout à fait. Sophie Binet est la première femme à diriger cette confédération, cela a été souligné, tout comme son passage par le PS ou encore son parcours à l’Ugict (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT). Mais son élection, avec celle de Laurent Brun (secrétaire général de la fédération CGT cheminots – NDLR) comme administrateur, marque aussi l’arrivée de quadragénaires à la tête de la confédération. C’est également le cas pour Marylise Léon, qui va succéder à Laurent Berger à la CFDT. Ce renouvellement de génération peut favoriser l’ouverture des syndicats à de nouveaux combats, notamment sur le féminisme ou l’écologie qu’incarne Sophie Binet. En revanche, comme en témoigne par exemple l’arrivée de Laurent Brun, il n’implique pas forcément de rupture dans le logiciel idéologique de la centrale. On peut s’accorder sur le fait que ce renouvellement soit une bonne nouvelle, dans l’idée que cela rajeunit l’image du syndicalisme et tord le cou à l’idée qu’il ne serait qu’une affaire du passé. Au contraire, on observe que les syndicats ont la capacité de produire de nouvelles générations de dirigeants, de haut niveau, indépendamment de leurs lignes respectives.

« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »

Malgré un désert syndical chez les étudiants, les jeunes se sont mobilisés de manière plus importante après l’usage du 49.3. Ont-ils apporté un second souffle à cette mobilisation ?

Baptiste Giraud : C’est d’abord un révélateur de l’affaiblissement durable du syndicalisme étudiant, dans sa fonction mobilisatrice, directement lié au délitement de l’Unef. J’ajouterai deux éléments conjoncturels. Le CPE concernait en premier lieu les jeunes, contrairement à la retraite. Mais aussi le fait que le bac se déroule désormais en mars, pour certaines épreuves décisives pour Parcoursup. Le calendrier n’était pas optimal pour favoriser la mobilisation de la jeunesse. Cela ne signifie pas pour autant une dépolitisation. La mobilisation a changé de sens, passant d’un conflit social classique à un conflit englobant des aspects démocratiques, surtout après l’usage du 49.3. Cela a permis d’élargir la contestation aux jeunes et, sans doute, à d’autres catégories de salariés. Pour les centrales syndicales, l’un des enjeux à venir est de restructurer une capacité de mobilisation des jeunes, à l’université comme au travail.

Profil : Baptiste Giraud est maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille. Ses domaines de recherche se concentrent, entre autres, sur la sociologie du syndicalisme et de l’action collective, des organisations politiques, des relations professionnelles et de la santé au travail. Il est notamment le coauteur, en 2018, d’une « Sociologie politique du syndicalisme », aux éditions Armand Colin.

  publié le 29 avril 2023

Un 1er Mai déjà historique

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

En pleine bataille des retraites, la réussite de cette Journée internationale des travailleurs, où défilera l’intersyndicale, peut ouvrir des opportunités nouvelles au mouvement social, alors que le Conseil constitutionnel se prononce le 3 mai sur la seconde demande de RIP.

Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce d’ores et déjà historique. Par sa dimension rassembleuse d’abord, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à ­rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait également à la mobilisation, mais sans Force ouvrière, ni la CFTC.

Pour 64% des Français, la contestation sociale doit se poursuivre

Cette nouvelle manifestation intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.

Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont d’ores et déjà prévus, contre environ 200 à l’ordinaire. « Nous sentons une montée en puissance des manifestations, avec une volonté recherchée de rassembler au plus près des bassins d’emploi, explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui se joue, c’est la poursuite du mouvement. »

D’ailleurs, pour 64 % des Français, selon l’institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire est d’avoir identifié, à nouveau, le 1er Mai comme une date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront ainsi présents Esther Lynch, ­secrétaire générale de Confédération européenne des ­syndicats (CES) , et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).

La non-application de la réforme est possible

CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat première embauche (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la ­réforme des retraites, le 15 avril.

De fait, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, au Journal ­officiel écarte la possibilité de contraindre le président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet devant les députés. « Dès lors, si vous voulez revenir devant le Parlement, il faut déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil dès le début », précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.

Pour autant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut forcer le président de la République à ne pas publier les décrets d’application.

Seconde demande de RIP déposée par les parlementaire de gauche

Sur le plan parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de départ à la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.

« Mais cette requête reprend l’article unique de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’apportait pas de changement du droit, tempère Benjamin Morel, accompagné d’un second article visant à moduler les taux de CSG. Or, la jurisprudence issue du RIP sur les superprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »

Les sages rendront leur avis le 3 mai. La réussite du 1er Mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une issue démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des propositions de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront également amenés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.

Le mouvement renouvelle ses modes d’action

Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un déplacement houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et accueilli par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite du CHU de Poitiers ; les équipes d’Emmanuel Macron, qui prévoient un groupe électrogène de secours, en cas de coupure d’électricité durant les tournées présidentielles… À l’approche du 1er Mai, la contestation sociale a changé de nature.

La casserole, utilisée par des manifestants pour protester durant l’allocution élyséenne du 17 avril, est devenue le symbole de ces actions coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous voulions faire comprendre que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner son glas », assure Youlie Yamamoto, d’Attac.

L’organisation est à l’initiative de ces « casserolades », après un « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît la porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement fait par le syndicat Solidaires informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.Près de 300

Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Élysée avec un camion affichant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique ont envahi le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».

L’intersyndicale réclame une refonte de la démocratie sociale

« La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce “en même temps” a fait une victime : la qualité du dialogue social », déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.

Le secrétaire général de la CFDT dénonçait ainsi la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir », analyse le sociologue Baptiste Giraud.

À l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, les syndicats sont désormais perçus à 52 % comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46 %, - 13 points).

La CFDT porte 10 propositions visant à redonner du pouvoir aux élus du personnel, dont la désignation de représentants de proximité dans les sociétés comptant plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT appelle à la remise en place des instances supprimées en 2017 et à la suspension « de l’ensemble des accords régressifs », dont les ruptures conventionnelles collectives.

Les travailleurs à l’offensive pour les salaires

L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus marquant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.

« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan, assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites participe au rapport de force dans l’entreprise. » Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros brut par mois d’augmentation. Un moyen pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Élisabeth Borne. 

Près de 300 points de rendez-vous dans l’hexagone

Pour le 1er Mai comme pour les douze premières journées de mobilisation contre la réforme des retraites, la lutte se déploie sur l’ensemble du territoire. Au total, près de 300 cortèges sont prévus, selon la CGT. À Paris, la manifestation partira de la place de la République vers 14 heures, jusqu’à la place de la Nation. À Lyon, le cortège s’élancera depuis la place Jean-Jaurès à 10 heures. Même heure pour Marseille. À Urrugne, Bordeaux, Millau ou encore Perpignan, le rendez-vous est à 10 h 30. Militants communistes et syndicaux seront également à pied d’œuvre pour la traditionnelle vente du muguet.


 


 

La rédactrice en chef d'un jour.
Une manifestation
qui restera dans les mémoires

Sophie Binet - Secrétaire générale de la CGT

Le 1er Mai, Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, existe depuis près de cent trente- cinq ans, lancé par le mouvement ouvrier et la CGT pour exiger la réduction du temps de travail et la paix. Rien de neuf à venir défiler cette année, alors ? Eh bien, pas du tout ! Ce 1er mai 2023 sera inédit en France. Outre que ce sera la 13e journée de manifestation contre la réforme des retraites, c’est la première fois que l’ensemble des syndicats y appellent. C’est aussi la première fois que la dimension internationale va être ainsi affirmée, avec près de 100 syndicalistes venu·e·s des cinq continents pour afficher leur soutien à la mobilisation française. Il sera aussi familial, festif et populaire. Trois bonnes raisons d’y participer. Mais la quatrième est la plus importante. Notre nombre, le 1er Mai, est déterminant pour gagner. Le 8 juin, une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites sera examinée par l’Assemblée nationale. Et elle a toutes les chances d’être votée, si la mobilisation et la pression sur les député·e·s se maintiennent. Alors, ce 1er Mai, avec nos familles, nos ami·e·s, nos voisin·e·s et nos collègues, soyons au rendez-vous, prenons la rue pour enterrer la réforme des retraites et mettre à l’ordre du jour des perspectives de progrès !

   publié le 25 avril 2023

Casserolades. De l’Hôtel de ville de Paris à la Gare de Lyon,
« nous aussi on va passer en force »

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Un an après sa réélection, Emmanuel Macron a eu droit à des casserolades devant des mairies de la France entière lundi soir.

Après une visite perturbée à Lyon, le ministre de l'Education, Pap Ndiaye, a quitté la gare par une porte dérobée pour éviter les manifestants. © Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Le premier anniversaire de la réélection d’Emmanuel Macron aura été agité. Trois de ses ministres, Éric Dupond-Moretti, Pap Ndiaye et François Braun, ont effectué des déplacements perturbés à chaque fois par des casserolades et des manifestations durant la journée du 24 avril.

La soirée n’a guère été plus calme. Le mouvement Attac avait appelé à des concerts de casseroles à travers toute la France à partir de 20 heures, devant les mairies. Paris a eu droit aux siens. Devant les mairies d’arrondissement, et pour le rassemblement le plus important, à l’Hôtel de Ville. Plusieurs centaines de casseroles y ont ainsi tinté à l’heure prévue. Accompagnées de « Macron démission », chant des gilets jaunes, et d’autres slogans tels que « nous aussi on va passer en force »

Pap Ndiaye en retenue

Devant la mairie de Paris, le rassemblement sur place ne s’attarde cependant pas. Peu après 20 heures, le retour du ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui a dû essuyer des casserolades dans la capitale des Gaules plus tôt dans la journée, est annoncé à la Gare de Lyon aux alentours de 21 heures. Les manifestants se passent le mot, et s’engouffrent aussitôt dans le métro pour aller accueillir le ministre. Dans les couloirs puis le hall de la gare, ils se retrouvent à nouveau à plusieurs centaines. Une fois le train ramenant Pap Ndiaye à quai, les huées fusent. Le ministre est contraint d’emprunter un escalier menant à un couloir « sécurisé » par les forces de police afin d’éviter les manifestants…

Si l’ambiance est toujours au rendez-vous pour ces actions désormais quotidiennes, beaucoup de ceux qui viennent restent toutefois sans illusions sur leur effet sur le pouvoir. « Je continue à venir à chaque action », explique ainsi Emma, développeuse informatique et syndicaliste. « Mais je ne crois pas Macron va se lever un matin en se disant qu’il retire sa réforme ». Elsa et Philippe eux, en sont à leur première casserolade, mais leur « dixième manifestation » depuis le début du mouvement. « On se demande bien où ça va nous mener » interroge perplexe, Philippe. Professeur à la retraite, Elsa confie qu’elle « aimerait bien voir ses collègues réagir davantage à ce qui va leur tomber dessus ».

Le macronisme, « plus jamais ça »

Un an après sa réélection, Emmanuel Macron déroute autant les manifestants qu’il les irrite. Son intervention télévisée du 17 avril, son entretien dans le Parisien, où il réitère ses provocations suscitent à la fois rejet et incompréhension. « De toute façon, les propos de ce monsieur ne m’intéressent plus », balaie Elsa.

Lors des débats parlementaires sur la réforme des retraites, c’est la droite et la macronie qui ont le plus heurté. « On dit qu’à gauche c’était un peu le cirque, constate Emma, mais en comparaison de tout ce qui a pu se dire à droite, c’est rien ». Pour Philippe, « le blocage de la FI ne nous a pas choqué.  L’Assemblée n’est pas un endroit où on peut discuter tranquillement. Tout est joué d’avance ». Lui aussi fustige la majorité. « C’est une insulte permanente à l’intelligence, les propos des macronistes ! » tacle-t-il. Pour lui comme pour Elsa, le macronisme laisse des traces lourdes de conséquences à long terme. « On avait déjà été traumatisés par le vote pour Chirac en 2002. Mais là, plus jamais ça » prévient-il.

Des manifs qui font du bien

Employé à la propreté à la Mairie de Paris, Andy dit être là « pas dans la résignation, mais sans beaucoup d’espoir ». Si son emploi est administratif, il a suivi de près la grève des éboueurs. « Ils ont fait ce qu’ils ont pu. Je comprends aussi que les gens ne soient pas toujours là. Ils ont des charges à payer ». Il se réjouit cependant du soutien au mouvement dans les sondages. Pour cette soirée du 24 avril, il est venu avec sa fille, Darinka : « il y a plus de ferveur quand on est ensemble », dit-il en souriant. « Nous, on a vécu passivement entre nos 20 et nos 40 ans », raconte-t-il en faisant allusion à sa génération.

Malgré l’absence de tout fléchissement de la part d’Emmanuel Macron, ces mobilisations quotidiennes, bien que moins massives que les grandes journées d’action, font du bien. Voir un ministre sortir d’une gare par une porte dérobée procure un petit sentiment de victoire aux manifestants, et leur donne envie de passer à la suite. Les agendas du gouvernement ont rarement été autant scrutés. Celui du Conseil constitutionnel, qui doit encore rendre une décision le 3 mai sur la deuxième demande de RIP est dans les têtes, mais de façon plus secondaire. . « Si c’est validé, on soutiendra oui… », concède Philippe. « J’attends un peu de voir… », explique Emma avant de préciser, « mais non en fait ». Difficile d’y croire après la validation de la réforme et le rejet de la première demande.

C’est donc l’action dans la rue qui l’emporte, avec le 1er mai en ligne de mire. Et pour beaucoup, le retrait de la réforme ne serait même plus suffisant. « C’est un changement complet qu’il nous faut. Le mot révolution n’est pas galvaudé » après six ans de macronisme, conclut Philippe.


 


 

Casserolades, coupures de courant, manifestations : « On ne les lâche pas »

par Rédaction sur https://basta.media/

En signe de protestation contre la promulgation de la réforme des retraites, les casseroles sont de sortie lors des déplacements officiels du Président et des ministres. L’intersyndicale appelle à un « 1er mai unitaire et populaire pour le retrait ».

Les actions de mobilisations sonores dites « casserolades » et les comités de non-accueil se multiplient depuis la promulgation de la réforme des retraites le 15 avril. Sur les réseaux sociaux, c’est « l’intervilles des 100 jours » qui est lancé, en référence aux « 100 jours d’apaisement » évoqués lors de l’allocution d’Emmanuel Macron le 17 avril.

Casserolades et sifflements

Un hashtag #CasseroladeGénérale a appelé à une symphonie de cuivres de rue le le lundi 24 avril à 20 h. Plus de 450 actions ont été recensées selon l’association Attac. Une manière de signifier le mécontentement par des percussions de casseroles endiablées lors des déplacements gouvernementaux en région.

En conséquence, certains ministres ont déjà annulé leurs visites, à en croire la carte des mobilisations actualisée par Attac. Emmanuel Macron n’y échappe pas : après un accueil entrée huées et sifflements à Muttersholtz, en Alsace, le président de la République a annulé des déplacements, comme celui prévu à Toulon, où il devait participer à une réunion concernant le Service national universel (SNU) le 27 avril prochain.

Grevilla et 1er Mai

Des actions sont aussi menées dans le secteur de l’énergie. La Fédération CGT Mines-Energie a revendiqué la coupure d’électricité du collège Louise-Michel survenue à Ganges (Hérault) lors de l’arrivée d’Emmanuel Macron le 19 avril. Sans oublier le lendemain la « mise en sobriété  » de l’aéroport de Montpellier, avant l’arrivée du président. Dans un communiqué du 21 avril, elle annonce une « grevilla avec des perturbations énergétiques lors des déplacements et initiatives de l’exécutif, du Président et de ses amis ».

« Macron a promis 100 jours pour apaiser, nous lui promettons 100 jours d’actions et de colère, prévient le syndicat de l’énergie. Le Festival de Cannes, le Grand Prix de Monaco, Roland-Garros, le Festival d’Avignon pourraient se retrouver dans le noir. »

Dans un communiqué commun, l’intersyndicale a quant à elle appelé « tous les travailleurs et travailleuses, jeunes, retraité.es comme l’ensemble de la population à se rendre massivement à la manifestation, entre collègues de travail, amis, en famille » et à « faire du 1er mai une journée de mobilisation massive, unitaire et populaire contre la réforme des retraites, partout sur le territoire, dans le calme et la détermination ». Objectif de la mobilisation : obtenir l’abrogation de la réforme des retraites.


 


 

Retraites : La mobilisation
ne veut pas tourner la page

par Léon Crémieux sur https://www.cadtm.org

Les huit derniers jours ont vu un tournant dans le mouvement de grèves et de mobilisation. Se sont enchaînées, le jeudi 13 avril une 12e journée de mobilisation nationale appelée par l’Intersyndicale nationale, puis le 14 la validation du Conseil constitutionnel, le 17 une allocution télévisée « solennelle » de Macron et le 20 une série de manifestation et grèves d’une journée dans plusieurs secteurs.

L’expression du rejet de la réforme continue de se traduire par de très nombreuses manifestations, blocages, débrayages. Ni Macron, ni ses ministres ne peuvent effectuer de déplacement sans être confrontés à des manifestations populaires d’hostilité. De même, toutes les enquêtes d’opinion, indiquent un taux de 75% d’impopularité de Macron, un isolement croissant depuis les derniers jours.

Le 13 avril, 1,5 million de personnes se sont rassemblées dans les manifestations (380000 selon la police), en gros un tiers de moins que le 6 avril, poursuivant la pente descendante de la mobilisation, mais un chiffre encore très élevé, équivalent à beaucoup des plus grandes journées de grèves des dernières années. Le fléchissement est essentiellement dû à la fin des grèves reconductibles qui étaient de puissants moteurs de mobilisation (même si le 13 avril, à l’appel de la CGT, le secteur du ramassage des ordures repartait en grève reconductible), aux vacances de Pâques dans un tiers des départements et surtout évidemment à une situation d’attentisme. Le rapport de force n’ayant pas contraint Macron à reculer, les regards, même ceux de l’intersyndicale, se fixaient sur l’échéance du 14 avril avec les décisions du Conseil constitutionnel.

Durant les centaines d’initiatives locales du 13 avril, blocage, barrages filtrants, occupations de ronds-points, la répression policière a été la règle, avec garde à vue à la clef. L’isolement politique de Macron s’accompagne de l’accroissement des interventions policières, des violences. La défenseure des Droits (autorité administrative indépendante pouvant être saisie directement en défense des droits et libertés, notamment face aux administrations de l’Etat) Claire Hédon, a répertorié plus de 120 saisines de ses services pour violences policières depuis janvier 2023, dont l’immense majorité depuis la mi-mars, date du 49.3 : Les exactions se multiplient, interventions policières, nasses dans les manifestations, matraquages au sol, gardes à vue arbitraires.

Le lendemain du 13 avril, le Conseil constitutionnel rendait deux avis : un concernant la constitutionnalité de la loi sur les retraites et de la procédure suivie, un autre sur la demande par la NUPES de l’organisation d’un « référendum d’initiative partagé » (RIP) sur une loi disant que « l’âge légal de départ en retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Beaucoup espéraient que ce qui n’avait pas pu être obtenu par la motion de censure, les grèves et les manifestations puisse l’être par une décision du Conseil jugeant non conforme la loi et obligeant le gouvernement à retourner devant le parlement. Beaucoup espéraient aussi, au minimum, que puisse être organisée une campagne de recueil de signatures pour le RIP (environ 4,8 millions en 9 mois, 10% des électeur-trice-s inscrit-e-s). Scène digne des dictatures, le bâtiment du Conseil, au cœur de Paris, fut entouré, dès le 13 avril, de plus d’une centaine de CRS et gendarmes mobiles pour y interdire toute manifestation.

Même s’il y avait de très solides bases juridiques pour ne pas avaliser la loi, le faire aurait évidemment été un choix politique paradoxal venant d’une instance composée de neuf notables liéEs à Macron et à sa politique, de près ou de loin. Hors de question pour ce Conseil d’ouvrir plus largement la crise politique. De même, le choix fut très politique de refuser le RIP qui aurait pu devenir une épine dans le pied de Macron, l’infectant avec son gouvernement pendant au moins neuf mois.

Le soir du 14 avril, les rues de Paris et de dizaines de villes résonnaient de la colère des milliers de personnes, manifestant une nouvelle fois leur rejet de la réforme. L’intersyndicale, dès l’annonce de la validation de la loi, demanda à Macron de surseoir à la promulgation de la loi et de la recevoir. Celui-ci, bien au contraire, alors qu’il disposait de quinze jours pour le faire, s’empressa de promulguer, quelques heures après l’annonce de la validation. Ces avis du Conseil, derniers espoirs de bloquer légalement la loi, cette promulgation express, ont été vécus comme un nouveau diktat visant à faire taire la colère populaire.

Le lundi suivant, Macron a essayé une première « sortie de crise » télévisée par une allocution à 20h. Concéder l’évidence « Cette réforme est-elle acceptée ? A l’évidence, non », ne l’empêcha pas de rabâcher à nouveau ses arguments pour justifier sa réforme. Macron faisait furieusement penser au PDG d’une grande entreprise, justifiant à nouveau ses décisions durant un CSE face à des syndicats en grève contre un plan social. Comme le PDG n’a à consulter ni les syndicats ni les salariés, l’ancien banquier d’affaires considère évidemment qu’il n’a pour seule obligation que de remplir les objectifs financiers du capitalisme libéral et les impératifs communautaires de l’UE. Les institutions politiques ne sont pour lui qu’un accessoire, encombrant ; la voix populaire et majoritaire des grèves et de la rue, un contretemps gênant, mais sans conséquences, tant que ses donneurs d’ordre, ses commanditaires continuent à lui faire confiance. Dès lors, la seule preuve qu’il voulait apporter dans cette allocution était qu’il tenait toujours la barre. Il sait que son pouvoir réel, quotidien, il le tient des grands investisseurs, entreprises et institutionnels.

Son discours servait ainsi à se donner 100 jours en vue d’obtenir « un apaisement », en fermant « l’épisode des retraites », à parler de santé, de chômage, d’immigration, de sécurité, comme si toutes ces questions pouvaient lui permettre de tourner la page et n’étaient pas des domaines dans lesquels s’exercent la même politique de classe, d’inégalités et de discriminations. L’association ATTAC avait lancé l’idée de grands rassemblements de « casserolades », à l’heure de son allocution. Appel largement relayé, avec des milliers de personnes dans plus de 300 rassemblements.

Ces rassemblements de casseroles se renouvellent depuis, à chaque tentative de Macr