publié le 28 mai 2023
Par Roger Martelli sur www.regazrds.fr
L’historien Roger Martelli déconstruit le projet des LR sur la question migratoire. Et rappelle les arguments pour que la gauche ne lâche pas le combat.
« Le parti Les Républicains montre les muscles sur l’immigration », nous dit Le Monde. L’organisation affaiblie veut faire monter les enchères face à une macronie aux abois. Elle pense concurrencer le Rassemblement National en faisant un copier-coller de ses idées. Ce faisant, elle ment aux Français et fait le lit de Marine Le Pen.
Les Républicains envisagent de déposer deux lois au Sénat, une ordinaire, l’autre constitutionnelle. La loi ordinaire vise à durcir la législation existante, en criminalisant un peu plus l’immigration illégale, en pénalisant le regroupement familial, en limitant l’immigration étudiante et en conditionnant l’aide au développement à l’organisation du retour des illégaux. Quant à la loi constitutionnelle, elle légitime le primat du droit français sur le droit international, veut rendre possible un référendum sur l’immigration et permettre au Parlement de fixer des quotas. Le parti se veut dans la continuité de la philosophie sarkozyste ; elle légitime un peu plus le fonds de commerce de l’extrême droite.
La droite des fake news
Un tout récent sondage d’Elabe suggère que la moitié des personnes interrogées surestiment le poids de l’immigration dans la population française. Alors que la part des immigrés oscille – selon les modes de calcul – entre un peu plus de 10 % et moins de 12 %, 39 % la situent au-delà de 20 %, dont 15 % au-delà de 40 % ! Les fake news à la Donald Trump sont devenus un outil politique universel pour orienter l’opinion. Pourquoi la France y échapperait-elle ? Dans l’arsenal idéologique de la droite française, on ne trouve qu’un seul fait avéré : l’immigration en France est un phénomène croissant. Pour le reste, tout est faux [1] :
La France n’est pas le pays le plus attractif d’Europe : en vingt ans, le nombre d’immigrés a augmenté de 62 % dans le monde, de 58 % en Europe occidentale et de 36 % en France ;
Dans les dernières années, la France n’a pas été le pays européen qui a le plus contribué à l’accueil des réfugiés, ni ceux du Moyen-Orient, ni ceux de la guerre en Ukraine. Compte tenu de sa population et de sa richesse, elle est loin de la « France généreuse » qui est théoriquement sa marque de fabrique ;
La France n’accueille pas toute la misère du monde. À l’échelle mondiale, les plus pauvres qui se déplacent vont vers les pays les plus pauvres et non pas vers les riches. Alors que les déplacements liés aux guerres et aux désastres climatiques explosent à l’échelle mondiale, les catégories qui contribuent le plus à l’augmentation française des titres de séjour sont les étudiants internationaux, les travailleurs qualifiés et les réfugiés connus et régularisés.
Il n’y a aucun risque de « grand remplacement ». Seuls 5 % des adultes ont quatre grands parents nés étrangers à l’étranger. Pour les 25 à 28 % qui ont entre un et trois grands-parents dans ce cas, la réalité est donc celle des unions mixtes, Cela confirme que nous restons dans la logique de ce métissage qui est en France la base de constitution du peuple et de la nation.
Les dangereux miroirs aux alouettes
La droite dans toutes ses composantes n’a que faire de la réalité, celle que révèlent inlassablement des études et enquêtes, tout aussi inlassablement renvoyées au « laxisme », à « l’angélisme » et au « politiquement correct ». Une seule chose lui importe : faire l’amalgame entre la croissance de l’immigration, l’inquiétude devant les violences internes et externes, le fantasme de l’islamisation et l’obsession de la « perte de l’identité ».
La droite classique vit dans la conviction qu’elle va casser la dynamique du Rassemblement national en se plaçant ouvertement sur son terrain et en n’hésitant pas à user des mêmes mots. Sarkozy n’avait-il pas laminé le « vieux » Jean-Marie Le Pen en 2007, en déployant son libéral-populisme « décomplexé », autoritaire et cocardier ? Force est alors de constater que, une fois élu, il a voulu pousser plus avant sa logique en lançant une grande campagne sur « l’identité française ». Son projet a fait long feu. En 2012, il a perdu, la gauche a gagné dans sa variante droitière et Marine Le Pen – qui a compris qu’il fallait changer pour continuer – a amorcé la dynamique que l’on connaît.
L’exécutif choisit la voie cynique. Le marché libre régule et l’État corrige, au double sens de la correction : la compensation à la marge et la répression. Aux Républicains qui proposent de s’abstraire de la loi européenne pour limiter de façon drastique l’immigration, la majorité macroniste s’insurge en lui reprochant de proposer un nouveau Brexit sans le dire. Elle a raison de dire que les clins d’œil au souverainisme sont un trompe-l’œil et une impasse. Elle a raison d’affirmer que le retour à la situation européenne d’avant 1958 serait un régression historique. Mais elle a tort de ne rien dire d’une politique des la frontière européenne qui vise à restreindre au maximum l’arrivée en Europe des flux de la détresse, à confier à des États, souvent douteux, la sélection des immigrés « recevables » (le système des hot-spots) et de sous-traiter le contrôle policier à une institution – l’agence Frontex – plus que critiquable dans ses données de référence comme dans ses méthodes. Vouloir défendre la réalité d’une Europe au-dessus des nations séparées est un chose ; la maintenir en l’état, y compris que le dossier migratoire, est une faute.
Dans les colonnes de Libération, le président Renaissance de la commission des affaires européennes de l’Assemblée, Pieyre-Alexandre Anglade, explique que l’objectif de la majorité est de soutenir une politique qui vise à « mieux contrôler les flux migratoires, expulser ceux qui n’ont rien à faire sur le territoire national, régulariser ceux qui contribuent à la vie de la Nation ». Les Républicains se coulent dans la logique de l’extrême droite, en espérant tarir les flux qui se portent vers le parti de Marine Le Pen. La majorité présidentielle accepte avec la droite la logique de la restriction des flux migratoires en en proposant une gestion « adoucie ». A l’arrivée, les uns et les autres entérinent la légitimité du projet de l’extrême droite et ne font que nourrir l’idée, attestée par les sondages, que Marine Le Pen est la mieux placée pour limiter le spectre du « grand remplacement ».
Il ne sert à rien de nier que, pour l’instant, l’extrême droite a gagné la bataille des idées sur le terrain de l’immigration. Elle a pu le faire parce que la droite a capitulé, notamment depuis le grand débat sarkozien sur « l’identité nationale ». Et on n’aura pas ici le mauvais esprit de rappeler que, trop longtemps, une partie de la gauche a eu des complaisances, avec l’idée que la souveraineté nationale était menacée, que la libre circulation était une idée libérale et que la frontière était une protection absolue.
L’honneur de la gauche
La gauche ne peut en aucun cas admettre les tenants et les aboutissants du projet et du discours de l’extrême droite. Que la droite et la macronie les entérinent, en en proposant une version théoriquement moins brutale, est une chose. La gauche, elle, doit tourner le dos définitivement aux demi-mesures, au « la droite pose de bonnes questions, mais offre de mauvaises réponses » ou au « « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Le discours franc sur la réalité des faits et le respect absolu des valeurs désignent la seule voie juste et réaliste.
Le débat qui oppose la frontière-muraille et le no border n’est pas de saison. La frontière est une construction artificielle, mais elle est une réalité, la délimitation légale d’un espace de souveraineté, à l’intérieur duquel un État limité et contrôlé a un droit de régulation et où des individus ont des droits inaliénables, indépendamment de leur nationalité. Au-delà, l’image de la frontière infranchissable est un illusion. Au mieux, la frontière-muraille est une ligne Maginot : on sait quelle fut son efficacité en mai-juin 1940 !
Dans la pratique, la frontière n’est rien d’autre qu’une fabrique à produire du clandestin. Juridiquement, la clandestinité est l’espace par excellence du non-droit. Sur le marché du travail, elle produit donc des travailleurs sans droits. Au fond, ce qui tire vers le bas la masse salariale, ce n’est pas tant l’immigré que le clandestin sans droits. À l’échelle planétaire, où règne la concurrence « libre et non faussée », ce ne sont pas les mouvements migratoires qui augmentent la rentabilité du capital en baissant la valeur globale de la force de travail. C’est au contraire le maintien sur place d’une population à faible revenus, dont la mondialisation telle qu’elle est fait une armée de réserve, souvent qualifiée mais de faible coût. Ce faisant, l’insertion du clandestin par la régularisation et l’accès au droit est la meilleure façon de travailler à tirer vers le haut la condition salariale en général et pas seulement celle des immigrés.
En vingt ans, la part des immigrés dans le monde a augmenté de près des deux tiers. Le mouvement ne se tarira pas dans les décennies à venir. Même si de nombreux pays du Sud connaîtront un développement plus ou moins soutenu, à l’instar de la Chine ou de l’Inde, cela n’empêchera pas que les dérèglements climatiques et les guerres augmenteront la part des réfugiés. Cela n’empêchera pas que, partout, pays plus ou moins riches ou plus ou moins pauvres, une part de la population la moins démunie ira chercher une vie meilleure dans les pays les plus riches, tandis qu’une part des plus démunis chercheront la survie dans des pays un peu moins pauvres. Quand on sait que l’essentiel des déplacements des pauvres se font aujourd’hui vers le Sud, est-ce l’intérêt bien compris des pays du Nord que d’aggraver un peu plus les difficultés de ceux qui les cumulent déjà ? Au-delà même de la pourtant nécessaire morale, n’est-ce pas courir le risque d’un accroissement des inégalités, du ressentiment et, partant, de la violence et de l’instabilité mondiale ?
Si la migration est un fait inéluctable : s’en protéger est au mieux un illusion, au pire un facteur de régression matérielle, morale et politique. Il n’y a pas d’autre solution que de s’y adapter. Et pour s’adapter en évitant le pire (le repliement sur soi excluant et cloisonnant), la seule option est le partage de la souveraineté sur la base de l’affirmation du droit et de la citoyenneté, le partage et la préservation des ressources en mettant en valeur les biens communs, l’affirmation d’une universalité qui ne s’accommoderait plus ni de l’uniformité, ni de l’hégémonie, ni du repli sur soi de communautés obstinément fermées.
Dans tous les cas, l’obsession de la protection et le fantasme de la clôture sont des carburants pour une aggravation des frustrations, des inquiétudes et du ressentiment généralisé. Dans un monde de plus en plus instable, la « souveraineté historique » sera un bien piètre rempart et la « continuité nationale » de la France un formidable miroir aux alouettes. Sous pression de l’extrême droite, la droite dite de gouvernement et la macronie s’apprêtent à intérioriser un recul de civilisation. La gauche doit donc relever le gant. Convenons que, si la tâche n’est pas insurmontable, elle est aujourd’hui redoutable.
[1] On ne peut, sur ce point, que conseiller la lecture du nouvel essai de François Héran, Immigration : le grand déni, Seuil, 2023
publié le 26 mai 2023
Andrea de Georgio sur https://afriquexxi.info/
Enquête · Tout semblait devoir aller très vite : début 2022, l’Union européenne propose de déployer sa force anti-migration Frontex sur les côtes sénégalaises, et le président Macky Sall y semble favorable. Mais c’était compter sans l’opposition de la société civile, qui refuse de voir le Sénégal ériger des murs à la place de l’Europe.
Cette enquête a été réalisée en collaboration avec les journalistes Abdoulaye Mballo et Philippe Davy Koutiangba dans le cadre du projet « Nouvelles Perspectives », financé par le Fonds Asile, Migration et Intégration (Fami) de l’Union européenne.
Agents armés, navires, drones et systèmes de sécurité sophistiqués : Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes créée en 2004, a sorti le grand jeu pour dissuader les Africains de prendre la direction des îles Canaries – et donc de l’Europe –, l’une des routes migratoires les plus meurtrières au monde. Cet arsenal, auquel s’ajoutent des programmes de formation de la police aux frontières, est la pierre angulaire de la proposition faite début 2022 par le Conseil de l’Europe au Sénégal. Finalement, Dakar a refusé de la signer sous la pression de la société civile, même si les négociations ne sont pas closes. Dans un climat politique incandescent à l’approche de l’élection présidentielle de 2024, le président sénégalais, Macky Sall, soupçonné de vouloir briguer un troisième mandat, a préféré prendre son temps et a fini par revenir sur sa position initiale, qui semblait ouverte à cette collaboration. Dans le même temps, la Mauritanie voisine, elle, a entamé des négociations avec Bruxelles.
L’histoire débute le 11 février 2022 : lors d’une conférence de presse à Dakar, la commissaire aux Affaires intérieures du Conseil de l’Europe, Ylva Johansson, officialise la proposition européenne de déployer Frontex sur les côtes sénégalaises. « C’est mon offre et j’espère que le gouvernement sénégalais sera intéressé par cette opportunité unique », indique-t-elle. En cas d’accord, elle annonce que l’agence européenne sera déployée dans le pays au plus tard au cours de l’été 2022. Dans les jours qui ont suivi l’annonce de Mme Johansson, plusieurs associations de la société civile sénégalaise ont organisé des manifestations et des sit-in à Dakar contre la signature de cet accord, jugé contraire aux intérêts nationaux et régionaux.
Une frontière déplacée vers la côte sénégalaise
« Il s’agit d’un dispositif policier très coûteux qui ne permet pas de résoudre les problèmes d’immigration tant en Afrique qu’en Europe. C’est pourquoi il est impopulaire en Afrique. Frontex participe, avec des moyens militaires, à l’édification de murs chez nous, en déplaçant la frontière européenne vers la côte sénégalaise. C’est inacceptable, dénonce Seydi Gassama, le directeur exécutif d’Amnesty International au Sénégal. L’UE exerce une forte pression sur les États africains. Une grande partie de l’aide européenne au développement est désormais conditionnée à la lutte contre la migration irrégulière. Les États africains doivent pouvoir jouer un rôle actif dans ce jeu, ils ne doivent pas accepter ce qu’on leur impose, c’est-à-dire des politiques contraires aux intérêts de leurs propres communautés. » Le défenseur des droits humains rappelle que les transferts de fonds des migrants pèsent très lourd dans l’économie du pays : selon les chiffres de la Banque mondiale, ils ont atteint 2,66 milliards de dollars (2,47 milliards d’euros) au Sénégal en 2021, soit 9,6 % du PIB (presque le double du total de l’aide internationale au développement allouée au pays, de l’ordre de 1,38 milliard de dollars en 2021). « Aujourd’hui, en visitant la plupart des villages sénégalais, que ce soit dans la région de Fouta, au Sénégal oriental ou en Haute-Casamance, il est clair que tout ce qui fonctionne – hôpitaux, dispensaires, routes, écoles – a été construit grâce aux envois de fonds des émigrés », souligne M. Gassama.
« Quitter son lieu de naissance pour aller vivre dans un autre pays est un droit humain fondamental, consacré par l’article 13 de la Convention de Genève de 1951, poursuit-il. Les sociétés capitalistes comme celles de l’Union européenne ne peuvent pas dire aux pays africains : “Vous devez accepter la libre circulation des capitaux et des services, alors que nous n’acceptons pas la libre circulation des travailleurs”. » Selon lui, « l’Europe devrait garantir des routes migratoires régulières, quasi inexistantes aujourd’hui, et s’attaquer simultanément aux racines profondes de l’exclusion, de la pauvreté, de la crise démocratique et de l’instabilité dans les pays d’Afrique de l’Ouest afin d’offrir aux jeunes des perspectives alternatives à l’émigration et au recrutement dans les rangs des groupes djihadistes ».
Depuis le siège du Forum social sénégalais (FSS), à Dakar, Mamadou Mignane Diouf abonde : « L’UE a un comportement inhumain, intellectuellement et diplomatiquement malhonnête. » Le coordinateur du FSS cite le cas récent de l’accueil réservé aux réfugiés ukrainiens ayant fui la guerre, qui contraste avec les naufrages incessants en Méditerranée et dans l’océan Atlantique, et avec la fermeture des ports italiens aux bateaux des ONG internationales engagées dans des opérations de recherche et de sauvetage des migrants. « Quel est ce monde dans lequel les droits de l’homme ne sont accordés qu’à certaines personnes en fonction de leur origine ?, se désole-t-il. À chaque réunion internationale sur la migration, nous répétons aux dirigeants européens que s’ils investissaient un tiers de ce qu’ils allouent à Frontex dans des politiques de développement local transparentes, les jeunes Africains ne seraient plus contraints de partir. » Le budget total alloué à Frontex, en constante augmentation depuis 2016, a dépassé les 754 millions d’euros en 2022, contre 535 millions l’année précédente.
Une des routes migratoires les plus meurtrières
Boubacar Seye, directeur de l’ONG Horizon sans Frontières, parle de son côté d’une « gestion catastrophique et inhumaine des frontières et des phénomènes migratoires ». Selon les estimations de l’ONG espagnole Caminando Fronteras, engagée dans la surveillance quotidienne de ce qu’elle appelle la « nécro-frontière ouest-euro-africaine », entre 2018 et 2022, 7 865 personnes originaires de 31 pays différents, dont 1 273 femmes et 383 enfants, auraient trouvé la mort en tentant de rejoindre les côtes espagnoles des Canaries à bord de pirogues en bois et de canots pneumatiques cabossés – soit une moyenne de 6 victimes chaque jour. Il s’agit de l’une des routes migratoires les plus dangereuses et les plus meurtrières au monde, avec le triste record, ces cinq dernières années, d’au moins 250 bateaux qui auraient coulé avec leurs passagers à bord. Le dernier naufrage connu a eu lieu le 2 octobre 2022. Selon le récit d’un jeune Ivoirien de 27 ans, seul survivant, le bateau a coulé après neuf jours de mer, emportant avec lui 33 vies.
Selon les chiffres fournis par le ministère espagnol de l’Intérieur, environ 15 000 personnes sont arrivées aux îles Canaries en 2022 – un chiffre en baisse par rapport à 2021 (21 000) et 2020 (23 000). Et pour cause : la Guardia Civil espagnole a déployé des navires et des hélicoptères sur les côtes du Sénégal et de la Mauritanie, dans le cadre de l’opération « Hera » mise en place dès 2006 (l’année de la « crise des pirogues ») grâce à des accords de coopération militaire avec les deux pays africains, et en coordination avec Frontex.
« Les frontières de l’Europe sont devenues des lieux de souffrance, des cimetières, au lieu d’être des entrelacs de communication et de partage, dénonce Boubacar Seye, qui a obtenu la nationalité espagnole. L’Europe se barricade derrière des frontières juridiques, politiques et physiques. Aujourd’hui, les frontières sont équipées de moyens de surveillance très avancés. Mais, malgré tout, les naufrages et les massacres d’innocents continuent. Il y a manifestement un problème. » Une question surtout le hante : « Combien d’argent a-t-on injecté dans la lutte contre la migration irrégulière en Afrique au fil des ans ? Il n’y a jamais eu d’évaluation. Demander publiquement un audit transparent, en tant que citoyen européen et chercheur, m’a coûté la prison. » L’activiste a été détenu pendant une vingtaine de jours en janvier 2021 au Sénégal pour avoir osé demander des comptes sur l’utilisation des fonds européens. De la fenêtre de son bureau, à Dakar, il regarde l’océan et s’alarme : « L’ère post-Covid et post-guerre en Ukraine va générer encore plus de tensions géopolitiques liées aux migrations. »
Un outil policier contesté à gauche
Bruxelles, novembre 2022. Nous rencontrons des professeurs, des experts des questions migratoires et des militants belges qui dénoncent l’approche néocoloniale des politiques migratoires de l’Union européenne (UE). Il est en revanche plus difficile d’échanger quelques mots avec les députés européens, occupés à courir d’une aile à l’autre du Parlement européen, où l’on n’entre que sur invitation. Quelques heures avant la fin de notre mission, nous parvenons toutefois à rencontrer Amandine Bach, conseillère politique sur les questions migratoires pour le groupe parlementaire de gauche The Left. « Nous sommes le seul parti qui s’oppose systématiquement à Frontex en tant qu’outil policier pour gérer et contenir les flux migratoires vers l’UE », affirme-t-elle.
Mme Bach souligne la différence entre « statut agreement » (accord sur le statut) et « working arrangement » (arrangement de travail) : « Il ne s’agit pas d’une simple question juridique. Le premier, c’est-à-dire celui initialement proposé au Sénégal, est un accord formel qui permet à Frontex un déploiement pleinement opérationnel. Il est négocié par le Conseil de l’Europe, puis soumis au vote du Parlement européen, qui ne peut que le ratifier ou non, sans possibilité de proposer des amendements. Le second, en revanche, est plus symbolique qu’opérationnel et offre un cadre juridique plus simple. Il n’est pas discuté par le Parlement et n’implique pas le déploiement d’agents et de moyens, mais il réglemente la coopération et l’échange d’informations entre l’agence européenne et les États tiers. » Autre différence substantielle : seul l’accord sur le statut peut donner – en fonction de ce qui a été négocié entre les parties – une immunité partielle ou totale aux agents de Frontex sur le sol non européen. L’agence dispose actuellement de tels accords dans les Balkans, avec des déploiements en Serbie et en Albanie (d’autres accords seront bientôt opérationnels en Macédoine du Nord et peut-être en Bosnie, pays avec lequel des négociations sont en cours).
Cornelia Ernst (du groupe parlementaire The Left), la rapporteuse de l’accord entre Frontex et le Sénégal nommée en décembre 2022, va droit au but : « Je suis sceptique, j’ai beaucoup de doutes sur ce type d’accord. La Commission européenne ne discute pas seulement avec le Sénégal, mais aussi avec la Mauritanie et d’autres pays africains. Le Sénégal est un pays de transit pour les réfugiés de toute l’Afrique de l’Ouest, et l’UE lui offre donc de l’argent dans l’espoir qu’il accepte d’arrêter les réfugiés. Nous pensons que cela met en danger la liberté de circulation et d’autres droits sociaux fondamentaux des personnes, ainsi que le développement des pays concernés, comme cela s’est déjà produit au Soudan. » Et d’ajouter : « J’ai entendu dire que le Sénégal n’est pas intéressé pour le moment par un “statut agreement”, mais n’est pas fermé à un “working arrangement” avec Frontex, contrairement à la Mauritanie, qui négocie un accord substantiel qui devrait prévoir un déploiement de Frontex. »
Selon Mme Ernst, la stratégie de Frontex consiste à envoyer des agents, des armes, des véhicules, des drones, des bateaux et des équipements de surveillance sophistiqués, tels que des caméras thermiques, et à fournir une formation aux gardes-frontières locaux. C’est ainsi qu’ils entendent « protéger » l’Europe en empêchant les réfugiés de poursuivre leur voyage. La question est de savoir ce qu’il adviendra de ces réfugiés bloqués au Sénégal ou en Mauritanie en cas d’accord.
Des rapports accablants
Principal outil de dissuasion développé par l’UE en réponse à la « crise migratoire » de 2015-2016, Frontex a bénéficié en 2019 d’un renforcement substantiel de son mandat, avec le déploiement de 10 000 gardes-frontières prévu d’ici à 2027 (ils sont environ 1 500 aujourd’hui) et des pouvoirs accrus en matière de coopération avec les pays non européens, y compris ceux qui ne sont pas limitrophes de l’UE. Mais les résultats son maigres. Un rapport de la Cour des comptes européenne d’août 2021 souligne « l’inefficacité de Frontex dans la lutte contre l’immigration irrégulière et la criminalité transfrontalière ». Un autre rapport de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), publié en mars 2022, a quant à lui révélé des responsabilités directes et indirectes dans des « actes de mauvaise conduite » à l’encontre des exilés, allant du harcèlement aux violations des droits fondamentaux en Grèce, en passant par le refoulement illégal de migrants dans le cadre d’opérations de rapatriement en Hongrie.
Ces rapports pointent du doigt les plus hautes sphères de Frontex, tout comme le Frontex Scrutiny Working Group (FSWG), une commission d’enquête créée en février 2021 par le Parlement européen dans le but de « contrôler en permanence tous les aspects du fonctionnement de Frontex, y compris le renforcement de son rôle et de ses ressources pour la gestion intégrée des frontières et l’application correcte du droit communautaire ». Ces révélations ont conduit, en mars 2021, à la décision du Parlement européen de suspendre temporairement l’extension du budget de Frontex et, en mai 2022, à la démission de Fabrice Leggeri, qui était à la tête de l’agence depuis 2015.
Un tabou à Dakar
« Actuellement aucun cadre juridique n’a été défini avec un État africain », affirme Frontex. Si dans un premier temps l’agence nous a indiqué que les discussions avec le Sénégal étaient en cours – « tant que les négociations sur l’accord de statut sont en cours, nous ne pouvons pas les commenter » (19 janvier 2023) –, elle a rétropédalé quelques jours plus tard en précisant que « si les négociations de la Commission européenne avec le Sénégal sur un accord de statut n’ont pas encore commencé, Frontex est au courant des négociations en cours entre la Commission européenne et la Mauritanie » (1er février 2023).
Interrogé sur les négociations avec le Sénégal, la chargée de communication de Frontex, Paulina Bakula, nous a envoyé par courriel la réponse suivant : « Nous entretenons une relation de coopération étroite avec les autorités sénégalaises chargées de la gestion des frontières et de la lutte contre la criminalité transfrontalière, en particulier avec la Direction générale de la police nationale, mais aussi avec la gendarmerie, l’armée de l’air et la marine. » En effet, la coopération avec le Sénégal a été renforcée avec la mise en place d’un officier de liaison Frontex à Dakar en janvier 2020. « Compte tenu de la pression continue sur la route Canaries-océan Atlantique, poursuit Paulina Bakula, le Sénégal reste l’un des pays prioritaires pour la coopération opérationnelle de Frontex en Afrique de l’Ouest. Cependant, en l’absence d’un cadre juridique pour la coopération avec le Sénégal, l’agence a actuellement des possibilités très limitées de fournir un soutien opérationnel. »
Interpellée sur la question des droits de l’homme en cas de déploiement opérationnel en Afrique de l’Ouest, Paulina Bakula écrit : « Si l’UE conclut de tels accords avec des partenaires africains à l’avenir, il incombera à Frontex de veiller à ce qu’ils soient mis en œuvre dans le plein respect des droits fondamentaux et que des garanties efficaces soient mises en place pendant les activités opérationnelles. »
Malgré des demandes d’entretien répétées durant huit mois, formalisées à la fois par courriel et par courrier, aucune autorité sénégalaise n’a accepté de répondre à nos questions. « Le gouvernement est conscient de la sensibilité du sujet pour l’opinion publique nationale et régionale, c’est pourquoi il ne veut pas en parler. Et il ne le fera probablement pas avant les élections présidentielles de 2024 », confie, sous le couvert de l’anonymat, un homme politique sénégalais. Il constate que la question migratoire est devenue, ces dernières années, autant un ciment pour la société civile qu’un tabou pour la classe politique ouest-africaine.
publié le 27 avril 2023
Appel et pétition dont la LDH est signataire sur https://www.ldh-france.org
L’examen de la loi asile et immigration au Sénat, qui devait débuter le 28 mars, a été reporté par le gouvernement.Ce projet de loi était unanimement contesté par les parlementaires de gauche et de droite, dénoncé par les associations, la Défenseure des droits et la communauté scientifique. L’annonce du découpage en plusieurs textes du projet de loi fait déjà l’objet d’une forte opposition. Dans un climat de forte contestation sur les retraites, nous citoyens, chercheurs, personnalités, associations appelons le Chef de l’Etat à saisir la chance d’un débat apaisé. Demandons à Emmanuel Macron la tenue d’une convention citoyenne sur la migration.
Campagne “Pour un débat apaisé”
3 citoyens lancent en janvier 2023 la campagne “Pour un débat apaisé”, portée par l’association “Pour une Convention citoyenne sur la migration”. Cette campagne est soutenue par plus de 70 organisations, 300 scientifiques et des dizaines de personnalités pour demander à Emmanuel Macron l’organisation d’une Convention citoyenne sur la migration. Ensemble ils soutiennent l’appel de Lauren 25 ans et Antonin 81 ans lancé sur change.org. Les retours sont extrêmement positifs : ce projet peut voir le jour en 2023. Il ne manque qu’une chose pour réussir : la mobilisation citoyenne !
Pourquoi une convention citoyenne ?
Une convention citoyenne permet à des citoyens tirés au sort de se rencontrer, d’apprendre des consensus de la recherche scientifique, d’entendre différents points de vue, et de faire ensuite des propositions de politiques publiques. Le tout dans un cadre apaisé, loin des plateaux télé. Ce dispositif démocratique a été testé une première fois en France sur le sujet du climat en 2019. En ce moment même, 150 citoyennes et citoyens se penchent sur la question de “la fin de vie”. Sur un sujet de société aussi important que la migration, nous avons la conviction qu’une Convention citoyenne est le meilleur moyen d’apaiser le débat public, et dessiner des propositions consensuelles, bénéfiques à toutes et tous.
signer l’Appel pour l’organisation d’une Convention Citoyenne sur la migration
80% des Français pensent que l’immigration est un sujet dont on ne peut pas parler sereinement. De fait, en famille, entre amis, sur les plateaux de télévision et même à l’Assemblée Nationale, dès qu’on aborde le sujet ce sont invectives, vociférations, postures irréconciliables qui s’affrontent.
Je m’appelle Vanessa, j’ai 36 ans, je suis restauratrice.
En 2016 ma vie bascule lorsque je croise la route d’un couple de réfugiés syriens contraints à la mendicité pour nourrir leurs enfants. Mon histoire familiale se rappelle alors à moi : mes grand-parents, fuyant les persécutions en Pologne avant de trouver refuge en France, mon père qui a passé ses premières années d’enfance en camp de réfugiés, resté apatride jusqu’à sa majorité…
Je fonde alors l’association Le RECHO et pars sur les routes de France cuisiner avec et pour les réfugiés. Nous avons partagé des dizaines de milliers de repas. Nous avons provoqué des milliers de rencontres entre Français et personnes exilées. Ce qui m’a le plus frappée c’est l’image d’une France bienveillante, solidaire, parfois inquiète mais malgré tout accueillante, c’est l’idée que la migration, les gens avaient besoin d’en parler
En décembre dernier, avec d’autres citoyens engagés, j’ai lancé la campagne Pour un débat apaisé, un appel au Président de la République à montrer un signal fort de sa volonté d’apaisement, de concertation, d’écoute sur un sujet qui divise profondément les français.
Avec cette pétition, je demande à Emmanuel Macron de tenir, dès 2023, une Convention Citoyenne sur la Migration.
Une convention citoyenne pour permettre un débat apaisé sur un sujet au cœur de notre société.
L’examen d’une nouvelle loi asile et immigration devrait intervenir au Parlement sous peu. Pour différentes raisons, ce projet de loi est unanimement contesté par les parlementaires de gauche et de droite, dénoncé par les associations, la Défenseure des droits et la communauté scientifique. Il laisse penser qu’il suffirait d’une loi de plus – la 22e en 30 ans – pour régler la question. C’est illusoire !
La migration mérite un débat citoyen apaisé, éclairé par des experts : une convention citoyenne.
Une convention citoyenne permet à des citoyens tirés au sort de se mettre autour de la table, d’auditionner les experts, chercheurs, les politiques de tous bords, d’entendre différents points de vue, et de faire ensuite des propositions de politiques publiques. Le tout dans un cadre apaisé, loin des plateaux télé. Une convention citoyenne sur la migration sera une chance unique pour nous, citoyennes et citoyens, de débattre et construire une vision commune, apaisée, efficace et juste sur la question de la migration.
Pour cela nous avons besoin de vous: signez et partagez le plus largement possible cet appel, pour demander à Emmanuel Macron de tenir une convention citoyenne sur la migration dès 2023.
Signer l'appel https://www.change.org/p/immigration-donnons-la-parole-aux-citoyens-pour-un-d%C3%A9bat-apais%C3%A9-demandons-%C3%A0-e-macron-l-organisation-d-une-conventioncitoyenne-rejoignez-notre-appel
La campagne Pour un débat apaisé appelant à la convention citoyenne sur la migration est soutenue par plus de 80 associations, 70 personnalités et 400 chercheurs. Toutes les infos: https://pourundebatapaise.com/
publié le 18 avril 2023
Communiqué commun LDH, Cimade, Saf, Gisti, ADDE, Secours Catholique-Caritas France sur https://www.ldh-france.org
Il a fallu attendre dix mois pour que le gouvernement se décide à tenir compte de la décision du Conseil d’Etat demandant de prévoir des modalités de substitution au téléservice ANEF. La nouvelle réglementation issue du décret du 22 mars 2023 reste toutefois encore ineffective, faute d’arrêté précisant le dispositif. Sur le terrain, les préfectures ne respectent toujours pas les obligations imposées par la jurisprudence.
Le 3 juin 2022, le Conseil d’Etat, saisi par nos organisations, annulait partiellement le décret du 24 mars 2021 rendant obligatoire le dépôt dématérialisé des demandes concernant certains titres de séjour dont la liste s’allonge progressivement. La Haute juridiction reprochait au ministère de l’intérieur de ne pas avoir prévu de modalité de substitution au téléservice (dénommé ANEF pour Administration numérique des étrangers en France) afin de permettre l’enregistrement des demandes en cas de dysfonctionnement de la procédure dématérialisée. Dans cette même décision, le Conseil d’Etat censurait également partiellement un arrêté pris en application du décret, au motif qu’il ne détaillait pas les modalités de l’accueil et de l’accompagnement devant être offert, y compris physiquement, aux personnes accomplissant leur démarche numérisée.
Le Conseil d’Etat consacrait ainsi deux obligations pour les pouvoirs publics : proposer un accueil et un accompagnement aux personnes en difficulté avec les démarches numérisées ; prévoir une modalité de substitution pour enregistrer les demandes en cas de bug du téléservice.
Le 23 mars 2023, soit avec dix mois de retard, le ministère a enfin publié le décret n°2023-191 du 22 mars 2023. Il prévoit qu’une « solution de substitution prenant la forme d’un accueil physique permettant l’enregistrement de la demande » doit être mise en place pour les personnes qui, malgré l’accompagnement proposé par l’administration, « se trouve[nt] dans l’impossibilité constatée d’utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception ou au mode de fonctionnement de celui- ci ». Mais la mise en conformité de la réglementation avec la jurisprudence n’est pas achevée : le décret renvoie à un arrêté pour fixer « les conditions de recours et modalités de mise en œuvre de la solution de substitution », ainsi que « les modalités de l’accueil et de l’accompagnement » devant être offert aux usagers depuis la création du téléservice ANEF. Cet arrêté n’est toujours pas publié à ce jour, alors que le ministère de l’intérieur a entre-temps, à compter du 5 avril 2023, ajouté à la liste des procédures totalement dématérialisées les demandes déposées par les membres de famille de personnes françaises et européennes, ainsi que celles par les travailleurs saisonniers.
Le Conseil d’Etat avait parallèlement précisé qu’il incombait aux préfectures de respecter ces obligations sans attendre la modification réglementaire. Or depuis dix mois, les préfectures ont pour la plupart persisté dans la voie du tout numérique, contribuant à une dégradation toujours plus flagrante des conditions d’accès aux procédures de demande de titre de séjour. Elles se sont contentées de créer des « points d’accès numériques », ersatz de guichets quasiment inaccessibles au public, faisant souvent appel au volontariat du service civique et proposant un accompagnement minimaliste – comme si elles faisaient semblant de mal comprendre le sens de la jurisprudence, confondant totalement les notions d’accueil et d’accompagnement, de solution de substitution et même d’alternative au numérique. Alors que la plupart des contentieux engagés par nos organisations en 2021 pour avoir imposé la dématérialisation illégalement sont encore pendants devant les tribunaux, de nouveaux recours ont dû être formés, telle la requête déposée cette semaine par nos organisations contre la préfecture des Bouches-du-Rhône.
Nos organisations exigent que soient tirées toutes les conséquences de la décision du Conseil d’Etat, même si elles continuent à regretter qu’il n’ait consacré qu’une alternative au rabais, laissée à la discrétion des préfectures. Nous avons conscience que la solution proposée ne suffira pas en tout état de cause à apporter aux personnes en difficulté face à la dématérialisation l’aide dont elles ont besoin, aussi longtemps que les moyens consacrés à l’accueil et à l’accompagnement des personnes concernées continueront à être sous-dimensionnés : il appartient au gouvernement de prendre les mesures adéquates pour restaurer les conditions d’un accès normal au service public dans toutes les préfectures.
Paris, le 18 avril 2023
publié le 7 avril 2023
Lilia Blaise sur www.mediapart.fr
Dans un climat socio-économique détérioré, les autorités tunisiennes tentent de lutter contre la recrudescence des départs irréguliers avec des moyens limités et sans politique migratoire sur le long terme. Les migrants, eux, meurent en mer.
Sfax (Tunisie).– Dans une maison dont le chantier est à peine achevé, en périphérie de la ville de Sfax, à l’est de la Tunisie, Lionel, Camerounais de 30 ans, cuisine des pâtes et une omelette aux légumes. L’occupation, triviale et méthodique, lui permet d’oublier momentanément le naufrage auquel il a survécu in extremis vendredi 24 mars. Le bateau dans lequel il se trouvait, chargé de quarante-deux personnes, dont cinq bébés, a chaviré.
Lionel se souvient par flash-back d’avoir lutté pour rester en vie. C’était la nuit et il n’a pas pu voir clairement ce qui se passait autour de lui. « Je me suis laissé entraîner par les vagues, on avait tous des chambres à air autour du cou, cela a aidé certains, d’autres sont morts noyés, d’autres ont paniqué », raconte ce père de deux enfants, venu en Tunisie un an plus tôt, dans l’unique objectif d’aller en Europe pour soutenir financièrement sa famille restée au pays.
C’est sa troisième tentative de traversée à se solder par un échec. Sauvé par des pêcheurs le lendemain du naufrage et à peine débarqué sur les rives de Sfax, Lionel planifie déjà de repartir, avec ses amis qui attendent une opportunité. « En ce moment, tout le monde est prêt à prendre le risque de partir, surtout dans le contexte actuel où on ne se sent plus les bienvenus dans le pays. »
Une référence aux propos du président Kaïs Saïed, le 21 février, sur les « hordes » de migrantes et migrants subsahariens dans le pays. Ces déclarations ont entraîné des violences contre les exilé·es, expulsé·es manu militari de leurs logements par leurs propriétaires ou licencié·es du jour au lendemain, à cause des contrôles renforcés sur le travail non déclaré des personnes en situation irrégulière.
Depuis le tollé suscité par les propos présidentiels, près de 3 000 Subsaharien·nes ont été rapatrié·es par leurs ambassades, et les départs en mer se sont accélérés, pour les plus désespérés. « On a de plus en plus de mal à trouver du travail et, de toute façon, avec la situation économique, ce que l’on gagne ne nous permet plus d’envoyer de l’argent à la famille et de payer nos factures, donc mieux vaut prendre le large. On dit toujours “l’Europe c’est le meilleur des risques” », explique Lionel. Il a payé 1 500 dinars sa traversée (450 euros). Des prix deux fois moins élevés qu’il y a quelques mois et des départs qui se multiplient : une « grande braderie migratoire » selon Frank, acteur de la société civile à Sfax.
Crise économique et précarité
« C’est difficile d’estimer s’il y a plus de départs ou pas après les propos de Kaïs Saïed mais ce qui est sûr, c’est que la loi de l’offre et de la demande est à son pic. Vous avez des passeurs qui font miroiter des traversées en publiant les photos des moteurs du bateau sur les forums de discussion, des bateaux qui sont construits en moins de deux jours avec du fer et du mastic », explique un Camerounais qui a souhaité rester anonyme. Selon les chiffres du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies, 22 440 migrant·es sont arrivés sur les côtes italiennes entre le 1er janvier et le 19 mars 2023, une augmentation de 226 % par rapport à 2022. La moitié seulement des migrant·es ont la nationalité tunisienne.
À Sfax, poumon économique du pays, la communauté subsaharienne est présente en grand nombre car la ville offre de nombreuses opportunités de travail : cueillette des olives, chantiers de construction ou emplois ouvriers dans le port. Déjà, la pandémie avait fortement éprouvé les Subsaharien·nes, qui peinent encore à trouver un travail correctement payé. « Un emploi dans la restauration était payé 500 dinars avant le Covid, plus que 300 après, car les employeurs ne veulent plus prendre de risque, c’est pourquoi on observe une accentuation de la précarité chez les communautés subsahariennes et ce, depuis 2022 », explique Yosra Allani, coordinatrice de l’ONG Terre d’asile à Sfax.
Aujourd’hui, la situation a empiré. L’inflation atteint 10,4 % et l’Union européenne parle d’un « risque d’effondrement de l’économie » si le pays ne parvient pas à trouver un accord avec le Fonds monétaire international au printemps. Un prêt de 1,9 milliard de dollars (1,74 milliard d’euros) est en cours de négociation.
À Sfax, la crise se ressent partout. Les ONG confirment que beaucoup de migrant·es peinent à retrouver du travail malgré un relatif retour au calme, plus d’un mois après les propos de Kaïs Saïed. Devant le marché aux poissons au cœur de la ville, de plus en plus de femmes migrantes subsahariennes vendent à même le sol leurs produits importés de leur pays d’origine. « Avant nous avions des échoppes que nous louions à des Tunisiens mais la police est intervenue pour nous contrôler donc nous avons dû quitter les lieux. Désormais, nous n’avons plus le choix, c’est la vente à la sauvette qui prime », explique Ange, une Ivoirienne qui vend des épices dans la rue.
La situation sociale reste tendue. « Nous avons toujours une vraie demande sociale de personnes à la rue car elles ne trouvent pas un propriétaire qui peut leur louer un logement, des migrants qui frappent aussi à nos portes après un naufrage parce qu’ils ont tout perdu, d’autres qui sont sans emploi », ajoute Yosra Allani. Elle explique que si, auparavant, les départs en mer augmentaient à l’approche de l’été, « désormais c’est tout le temps, quelles que soient les conditions météorologiques ».
Pourchassés en mer
Les autorités gèrent une crise migratoire pluridimensionnelle. En mer, la garde maritime intercepte chaque nuit des centaines de personnes à bord de « bateaux de pacotille [qui] prennent très vite l’eau », explique un colonel qui souhaite rester anonyme. Lors des patrouilles en mer, les autorités repèrent les bateaux à leur impact au sol lorsqu’ils sont déchargés du camion sur la plage. Grâce au son du moteur, différent de celui des bateaux de pêche, les autorités arrivent à suivre leur trace et à les intercepter en mer.
S’ensuivent alors de longues négociations pour convaincre les migrant·es de monter dans le Zodiac de la Garde nationale. « On leur enlève le moteur, pour leur montrer qu’ils ne pourront pas aller bien loin mais, malgré cela, beaucoup s’acharnent. C’est très compliqué à gérer car ils sont souvent trente à quarante personnes et tout mouvement de foule peut faire chavirer le bateau ou le nôtre », explique le garde-côte.
Certains migrants connaissent la manœuvre de la Garde nationale pour les arrêter et parfois, en geste de désespoir, placent un bébé sur le moteur, afin d’empêcher le garde-côte d’y toucher. « Mettez-vous à notre place, on nous chasse du pays en nous disant qu’on n’a pas le droit d’être ici et en nous insultant, et après, même quand on essaye de fuir, la Garde nationale nous suit en mer pour nous ramener sur la terre ferme, c’est absurde », explique Lionel.
Souvent, la confrontation en mer avec la Garde nationale tourne mal, si les migrant·es n’obtempèrent pas, comme l’a dénoncé l’ONG Alarm Phone dans un rapport publié en janvier 2022 faisant état de « tirs en l’air, coups de bâton et même remplissage du bateau avec un bidon à eau par les autorités pour le forcer à couler ». « L’impunité des autorités étatiques et la difficulté d’enquêter sur leurs opérations illégales et meurtrières en mer persistent », selon Alarm Phone.
Pressions italiennes et européennes
Car il faut faire du chiffre, et montrer que la Tunisie fait un effort pour contenir le flux migratoire vers les côtes italiennes. La Tunisie a reçu pour cela 47 millions d’euros de la part de l’Italie depuis 2011, selon le rapport d’Alarm Phone. Dans le journal italien La Repubblica, le ministre tunisien des affaires étrangères a demandé davantage de soutien.
La Tunisie « continue de jouer le rôle du bon élève de l’Union européenne, et actuellement les pressions italiennes visent à ce que le pays accepte d’autres compromis en échange de soutien financier : une coopération plus accrue avec Frontex pour identifier les migrants qui arrivent sur les côtes italiennes » par exemple, selon Romdhane Ben Amor, chargé de communication au Forum tunisien des droits économiques et sociaux. Il estime que la Tunisie est condamnée à faire le gendarme en mer, mais sans pouvoir gérer les migrant·es présent·es sur son sol.
« C’est éreintant », explique le garde-côte. « Désormais, lorsque vous déjouez une opération, vous en avez dix autres qui se reconstituent derrière. Idem pour la logistique, poursuit-il. Lorsque vous confisquez les moteurs, ils sont mis sous scellés par la douane et, quelques mois plus tard, ils doivent être mis aux enchères. Ceux qui vont les acheter sont les mêmes qui ensuite peuvent les revendre sur le marché noir, c’est sans fin », conclut-il.
« Sfax est la ville où se concentre toute la matière première pour les constructions navales et la main-d’œuvre, donc vous avez un vivier d’artisans qui savent construire des bateaux et le matériel à disposition aussi », explique encore le garde-côte.
Depuis le début de l’année, les autorités tunisiennes ont intercepté près de 14 000 personnes, tunisiennes et subsahariennes, tentant de traverser la Méditerranée, quatre fois plus que l’année précédente pour la même période. 30 000 personnes ont été interceptées au total en 2022. « Mais une fois au port, nous n’avons pas d’autre choix que de les relâcher, en sachant que la moitié repartiront dès qu’ils en auront l’occasion », conclut le garde-côte.
Au tribunal de Sfax, le porte-parole, Faouzi Masmoudi, parle de moyens plus ciblés pour démanteler les réseaux de passeurs ou « toute personne qui contribue à mettre en place une opération de migration clandestine ». Les écoutes téléphoniques sont de mise, la loi sur la traite des personnes votée en 2016 est de plus en plus utilisée pour condamner les passeurs ou leurs complices. Le tribunal traite trente à quarante affaires de migration clandestine chaque mois.
Quant aux disparu·es dans les naufrages, ce sont aussi les autorités tunisiennes et les pêcheurs qui sont chargés de la dure tâche de repêcher les corps. « La morgue de Sfax est déjà saturée », alerte le directeur régional de la santé, Hatem Cherif. Près de 29 corps ont été repêchés dimanche 26 mars après cinq naufrages en deux jours. La semaine qui a suivi, 42 corps étaient à la morgue de l’hôpital universitaire Habib-Bourguiba à Sfax. « Nous manquons de place pour enterrer les corps dans les cimetières. Il faut à tout prix éviter une redite de l’année dernière où nous avons atteint le pic d’une centaine de morts à la morgue sans pouvoir nous en occuper correctement », met en garde le médecin qui craint une augmentation des naufrages.
« C’est ce qui nous préoccupe le plus, souligne Romdhane Ben Amor. Il risque d’y avoir une pression migratoire accrue cette année en Méditerranée, et donc nous craignons que la mer ne se transforme une fois de plus en un cimetière à ciel ouvert. »
publié le 24 mars 2023
Communiqué interassociatif signé par la LDH
Les organisations signataires prennent acte de la décision du gouvernement de reporter l’examen du projet de loi Asile et Immigration, qui devait être débattu en séance publique au Sénat à partir du 28 mars 2023.
Le président de République vient d’annoncer que le projet de loi ne sera pas retiré mais que les propositions du gouvernement seront reprises dans le cadre de différents textes, “présentés dans les semaines à venir.”
epuis plusieurs mois, les associations et collectifs dénoncent les effets délétères des mesures contenues dans ce projet de loi sur les droits et conditions de vie des personnes exilées. Mercredi dernier, l’examen du texte en commission des lois au Sénat les a même considérablement aggravés.
Les organisations signataires appellent le gouvernement à prendre en compte leurs nombreuses propositions pour la mise en place d’une politique migratoire fondée sur l’accueil, le respect des droits fondamentaux et la dignité humaine.
Elles demandent au gouvernement de ne pas faire passer des dispositions, qu’elles soient législatives ou réglementaires, qui ne feront que fragiliser et restreindre les droits des personnes exilées.
Les associations et collectifs appellent donc le gouvernement à abandonner définitivement ce projet de loi.
Liste des organisations signataires :
Amnesty International France, Anafé, Anvita, Ardhis, CCFD-Terre Solidaire, Cimade, Centre Primo Levi, Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry, Coordination des sans-papiers 75, Crid, Dom’Asile, Etokinekin diakité, Emmaüs France, Femmes de la Terre, Fondation Abbé Pierre, Gisti, Human Rights Watch, LDH (Ligue des droits de l’Homme), LTF, Médecins du Monde, Paris d’Exil, Secours catholique – Caritas France, Solidarité Asie France, Thot, Tous migrants, Union des étudiants exilés, Union syndicale Solidaires, UniR
Paris, le 22 mars 2023
sur www.humanite.fr
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déposé son texte législatif le 1er février. Lourd de dangers pour les droits des étrangers, il suscite une vive opposition des associations engagées sur le terrain.
Depuis deux décennies, la situation s’aggrave. En instrumentalisant l’ordre public, cet énième texte s’inscrit dans la logique du bouc émissaire.
par Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH)
Depuis vingt ans, la répression à l’égard des étrangers n’a cessé de s’aggraver rendant de plus en plus précaire la situation de certains de ceux qui vivent sur notre territoire. Un étranger, cela peut être un Allemand, un Ukrainien, un Tunisien, un Afghan et bien d’autres ressortissants du monde entier, mais les uns et les autres sont traités bien différemment quand ils arrivent en France. Pire, ce sont ceux qui ont le plus besoin de protection, ceux qui fuient leur pays d’origine quelle qu’en soit la motivation (politique, économique, climatique) dont les visas sont refusés, qui sont refoulés aux frontières et qui sont maltraités quand ils arrivent à rejoindre notre pays. Un nouveau projet de loi sur l’immigration a été déposé. Il se heurte à l’opposition unanime de l’ensemble des organisations qui travaillent sur ces questions.
À l’avenir, aucune personne étrangère ne sera à l’abri d’un risque d’expulsion.
Pour faire adopter son texte, Gérald Darmanin a besoin, quoi qu’il en coûte, du soutien des LR. Il a enfourché le cheval de l’invasion migratoire et alimente le fantasme de l’étranger délinquant. Sur une telle base, toutes les régressions peuvent se justifier : expulsions, multiplication des obligations de quitter le territoire (OQTF) et des interdictions de revenir sur le territoire (IRTF), y compris à l’encontre de personnes inexpulsables (parents d’enfants français, conjoints de Français ou ressortissants de pays où la répression fait rage, Syrien·ne·s, Afghan·e·s, Soudanais·es, etc.), rétablissement de la double peine… À cela s’ajoute le rabaissement de toutes les procédures judiciaires : réduction des délais de recours et de jugement, généralisation de la visioconférence (justice « dématérialisée »), juge unique, recours à des procédures accélérées.
En bref, une justice au rabais pour empêcher l’effectivité de droits eux-mêmes au rabais. Et ce n’est pas la création expérimentale d’un titre de séjour dit « métiers en tension » qui peut masquer les freins mis pour faire obstacle à la délivrance ou au renouvellement de titres de séjour, y compris de la carte de résident. Tous les prétextes sont bons comme le montre, au motif de meilleure intégration, le rehaussement de l’exigence de maîtrise de la langue française sans tenir compte des vulnérabilités dues à l’âge, au handicap, à la santé ou à la situation économique et sociale.
Mais le pire est sans doute l’instrumentalisation de l’ordre public à travers des notions comme celles de menaces à l’ordre public ou d’atteintes graves aux principes républicains dont l’imprécision ouvrira grand la porte à l’arbitraire des préfets. À l’avenir, aucune personne étrangère ne sera à l’abri d’un risque d’expulsion. Les amendements en cours d’adoption au Sénat vont encore aggraver les choses : ils mettent en cause l’aide médicale d’urgence (AME), le regroupement familial, la naturalisation, les titres de séjour pour raisons de santé et fragilisent un peu plus les jeunes majeurs. La situation de toutes les personnes étrangères va être encore plus précarisée. C’est plus que jamais la logique du bouc émissaire qui est à l’œuvre. Quoi de mieux en période de crise sociale et politique…
Ce projet de loi est d’abord un acte politique d’un ministre qui cherche à ratisser large jusqu’à l’extrême droite. Il entraîne une grande précarité.
par Kaltoum Gachi, François Sauterey et Jean-François Quantin, coprésidents du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap)
L’annonce d’une nouvelle loi sur l’immigration par Gérald Darmanin, en juillet 2022, est en soi, avant tout, un geste politique. Tout ministre de l’Intérieur se doit de laisser son nom à une loi sur ce sujet, imposé par l’extrême droite depuis quarante ans, comme problème majeur prétendu. Et ce d’autant plus lorsque le ministre en question se construit un profil de présidentiable et espère ratisser large jusqu’à l’extrême droite.
Un premier volet de ce projet devrait satisfaire un fantasme cher à certains : expulser ! rejeter ! Une série de mesures vise ainsi à limiter le regroupement familial et à intensifier l’exécution des mesures d’éloignement, en popularisant leur nom : les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Quitte à limiter les quelques droits dont disposent encore les étrangères et les étrangers. Et pour faire bonne mesure, on viserait essentiellement les étrangers délinquants, entretenant cet autre fantasme : l’immigration a un lien étroit avec la délinquance…
Les États européens s’ingénient à restreindre l’application du droit d’asile.
Un autre volet affecte le droit d’asile, pourtant ancré dans la tradition française, mais qui embarrasse les pays européens depuis que des persécutés du monde entier demandent légitimement leur protection. Les États s’ingénient alors à en restreindre l’application. Le projet de loi propose de réduire le délai d’instruction de neuf mois à six mois. L’intention serait louable si elle ne débouchait pas sur un examen expéditif des situations. L’organe chargé de cet examen, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), pourrait également perdre son indépendance au profit de bureaux « France Asile » implantés en préfecture. Quant à l’organe d’appel, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), elle serait régionalisée et réduite à un juge unique là où la collégialité constituait une garantie.
Avec un volet « intégration », le projet se veut équilibré, mot magique du macronisme. Il introduit l’idée qu’une certaine régularisation des « sans-papiers » serait possible. Cette possibilité n’est en réalité pas une nouveauté, étant, de fait, pratiquée depuis 2012. Le nouveau titre proposé créerait certains droits nouveaux, mais serait surtout d’une extrême précarité. Limité à un an, il enfermerait les bénéficiaires dans des métiers dits « en tension ». Ce serait une régularisation opportuniste, réponse provisoire aux difficultés d’une partie du patronat. Le débat parlementaire devrait commencer fin mars et ne peut aboutir qu’avec la complicité de la droite au prix de concessions aisément imaginables.
Mais, nous aussi, nous faisons de la politique, au sens noble, et continuons à prôner la solidarité, l’égalité des droits, ainsi que la régularisation de tous les étrangers. Ce n’est pas l’étranger le problème, mais bien le rejet de l’autre. Le Mrap persistera, avec tous les antiracistes, à combattre le racisme, sous toutes ses formes et à promouvoir la fraternité entre les peuples.
publié le 28 février 2023
Zoé Neboit sur www.politis.fr
L’extrême droite voulait empêcher le déménagement d’un centre d’accueil dans cette petite ville de Loire-Atlantique. Elle s’est heurtée samedi à la mobilisation de ses habitants. Entretien avec Philippe Croze, retraité et président du collectif local de solidarité avec les migrants.
Depuis qu’elle a réussi à empêcher l’installation d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (cada) à Callac dans les Côtes-d’Armor, l’extrême droite se sent pousser des ailes. Et c’est à Saint-Brévin-les-Pins, ville de 14 000 habitants près de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) qu’elle a décidé de mener sa prochaine bataille.
L’objet : un cada, toujours, qui cette fois doit être simplement déplacé ailleurs dans la ville, en l’occurrence près d’une école élémentaire. Il n’en fallait pas plus pour que des militants de Reconquête, du RN – dont les dirigeants se sont officiellement désolidarisés – et d’autres groupuscules appellent à se mobiliser.
Samedi, ils étaient 300 tout en costumes de Chouans et drapeaux français face à 1 000 locaux et antifascistes. Philippe Croze, 73 ans, retraité et président du collectif local de solidarité avec les migrants, « Brévinois attentif et solidaires », s’en félicite mais appelle à rester vigilant.
Avec la mobilisation de samedi, peut-on parler de victoire face à l’extrême droite ?
Philippe Croze : Je n’aime pas forcément le vocabulaire du combat, car c’est eux qui l’utilisent. Un de leurs slogans, c’est « Callac, la mère des batailles », pour évoquer ce qu’il s’est passé là-bas. Au reste, je suis très content qu’on ait réussi à mobiliser autant de personnes, et surtout plus qu’eux. Mais ça ne m’étonne pas.
On peut compter sur les doigts d’une main les Brévinois qui étaient du côté des opposants. C’était surtout des gens de l’extérieur, qui d’ailleurs ne s’en cachaient pas. En fait, il suffit de discuter un petit peu avec les habitants pour se rendre compte que le fait que des migrants vivent ici ne dérange et ne questionne pas grand monde !
Car en vérité, Saint-Brévin accueille des migrants depuis des années…
Philippe Croze : Oui ! Notre commune a commencé à accueillir des réfugiés depuis 2016. Ils venaient alors principalement de la jungle de Calais. Plusieurs centaines sont passés par le centre actuel. En ce moment, la plupart sont originaires de Roumanie, de Lituanie, d’Ukraine, du Brésil. Beaucoup travaillent au chantier naval de l’Atlantique à Saint-Nazaire. Ils font leur vie et ne dérangent absolument personne.
On a souvent une fausse image de l’accueil des réfugiés en France.
Le Cada va simplement être déplacé à la fin de l’année car ERDF, qui est propriétaire du local, va le vendre. Il va être transféré dans les bâtiments municipaux qui servaient jadis aux colonies de vacances, désaffectés depuis plusieurs années.
Que vous a appris l’expérience d’accueil de migrants ?
Philippe Croze : C’est un apprentissage mutuel. Il se manifeste de notre côté par la transmission du français, des sorties culturelles, la fourniture de vélos et leur réparation… Ça se joue dans de petites choses. Il y a « le vestiaire » : un endroit d’échanges mine de rien très important pour eux et pour nous, où des bénévoles fournissent des vêtements.
Nous avons connu des moments festifs magnifiques avec des échanges de culture, de musique et de repas. Nous aimerions que Saint-Brévin incarne un modèle de solidarité, même s’il y a plein d’autres communes en France où l’accueil se passe très bien aussi. Malheureusement, on a souvent une fausse image de l’accueil des réfugiés en France.
Comment expliquer cette mauvaise image ?
Philippe Croze : Je pense que ça s’explique par un repli sur soi, des idées racistes et xénophobes, la peur de l’autre en général. Mais ces derniers temps, on constate une libération de la parole xénophobe, qui est effarante. Nous ce qu’on regrette, c’est que sur le plan politique, les partis du centre et de la droite s’effacent face à cette montée du racisme. Pire, le projet de loi « Asile et immigration » du gouvernement, qui prévoit de durcir les conditions d’accueil et raccourcir les délais d’instruction, donne des gages à l’extrême-droite.
Alors, comment lutter contre ces idées et répondre à ces attaques ?
Philippe Croze : Je milite activement pour une convention citoyenne sur la migration. Je pense que ce serait une façon d’apaiser le dialogue, de mettre à plat les vrais chiffres sur l’immigration et combattre les contre-vérités. Sans vouloir convaincre la poignée de personnes haineuses, il est crucial de faire comprendre à une majorité de la population que l’immigration peut être tout à fait positive pour le pays. Associer migration et insécurité, c’est tout simplement faux. Saint-Brévin en est le témoin.
Associer migration et insécurité, c’est tout simplement faux. Saint-Brévin en est le témoin.
Je suis issu du mouvement de l’éducation populaire qui prônait l’autogestion, le militantisme et la solidarité. Ce sont des valeurs qui me suivent. Je pense qu’à présent, tout est lié : le climat, la biodiversité, l’immigration.
Alors, il faut lutter sur tous les plans. Il va y avoir à l’avenir des déplacements de populations liés à ces problèmes planétaires, c’est inéluctable, ça ne sert à rien de vouloir l’empêcher. Je reste optimiste même si de temps en temps, ça me fait un peu peur. Tout ce que je fais à mon âge, je le fais pour mes enfants, mes petits-enfants et les générations à venir.
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
Le naufrage d’une embarcation au large de la Calabre remet l’Union européenne face à ses responsabilités. Alors que plus de 2 500 exilés sont morts en mer en 2022, le gouvernement italien d’extrême droite décide de s’en prendre aux ONG.
Des débris de bois éparpillés sur une plage calabraise, quelques gilets de sauvetage et des corps sans vie… C’est tout ce qu’il reste des quelque 200 personnes qui avaient embarqué à bord du bateau venu s’échouer, dimanche 26 février, à l’aube, aux abords de la ville italienne de Crotone. 81 exilés, pour la plupart afghans et iraniens, ont été sauvés par les pompiers et garde-côtes. 62, dont quatorze enfants, ont été repêchés noyés. Des dizaines d’autres, disparus, ont rejoint les profondeurs.
2 500 exilés morts en mer en 2022
Le 15 février, au large de Qasr Al Kayar, en Libye, 73 personnes connaissaient le même sort. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) avait appelé les États membres de l’Union européenne (UE) « à agir de façon concrète : en augmentant les capacités de sauvetage en mer, en établissant des mécanismes clairs et sûrs de débarquement, mais aussi des règles régulières pour les migrations légales ».
Pas certain, cependant, que ces nouveaux drames fassent réagir les dirigeants européens. Avec plus de 2 500 exilés morts en mer en 2022, ils ne sont toujours pas parvenus à trouver un accord autour du plan d’action pour la Méditerranée centrale, ni sur le pacte sur la migration et l’asile, censé mieux répartir les responsabilités dans l’accueil des exilés entre pays de l’UE.
Nouveau « code de conduite »
Pire, en Italie, le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni a même décidé de s’en prendre directement aux ONG qui affrètent des bateaux de sauvetage en mer, en leur imposant depuis début janvier un nouveau « code de conduite ».
Celui-ci interdit aux navires d’intervenir auprès d’une embarcation en détresse s’ils ont déjà à leur bord des rescapés d’une première opération de sauvetage. « Avec les nouvelles règles (…), nous serons contraints de laisser vides les zones de sauvetage en mer Méditerranée, avec une augmentation inévitable du nombre de morts », a réagi dans un communiqué Médecins sans frontières.
Cet aspect de la nouvelle réglementation italienne est d’ailleurs en totale violation des lois internationales et des conventions maritimes qui obligent tous les navires à aider un autre en danger. Une autre disposition prévue par le gouvernement Meloni impose aux ONG d’enregistrer les demandes d’asile à bord des bateaux de sauvetage, afin que les procédures administratives soient à la charge du pays correspondant au pavillon du navire. Cela risque surtout de compliquer encore un peu plus l’accès des exilés à une protection internationale.
Jusqu’à 50 000 euros d’amende
Mais peu importe, ce gouvernement prévoit des amendes allant jusqu’à 50 000 euros à l’encontre du commandant de bord d’un bateau qui ne respecterait pas la nouvelle législation. Et en cas de récidive, les autorités pourraient même séquestrer le navire. « Les opérations de secours demandent des moyens, et ces amendes pourraient nous mettre en difficulté avec nos donateurs, en Italie mais également dans toute l’Europe », s’inquiète SOS Méditerranée. L’objectif de Giorgia Meloni est bel et bien d’organiser la disparition des ONG des zones de sauvetage.
publié le 26 février 2023
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, François Gemenne pose un regard critique sur le débat actuel autour des migrations.
François Gemenne : Spécialiste des questions migratoires et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, François Gemenne déplore l’approche électoraliste des dirigeants français en matière d’immigration. Il appelle à la mise en œuvre de politiques prenant davantage en compte les réalités contemporaines.
Quel regard portez-vous sur le débat public actuel concernant l’immigration ?
François Gemenne : Ce débat est complètement déconnecté du réel. Il est guidé soit par l’idéologie, soit par les prescriptions des sondages. Parce que c’est un enjeu de société essentiel, nous avons besoin d’y réintroduire de la rationalité. L’idée d’une Europe submergée par la migration africaine est complètement fausse. Seuls 14 % des migrants en provenance d’Afrique choisissent l’Europe. Et la France ne fait absolument pas face à une immigration hors de contrôle. Certains disent que la qualité de l’accueil dans un pays détermine le nombre de personnes qui y viennent. C’est l’idée de l’appel d’air. Mais aucune étude empirique ne montre que les gens choisissent leur destination en fonction du niveau de l’aide sociale. Le débat public ne s’appuie que sur des présupposés détachés de la réalité.
Que peut-on attendre du projet de réforme du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) porté par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin ?
François Gemenne : Ce projet de loi est en décalage avec les réalités de l’immigration. Je ne nie pas les transformations de la société engendrées par la migration, mais ce qui est vraiment frappant, c’est à quel point on cherche avant tout à flatter un certain électorat, plutôt qu’à améliorer le sort des personnes migrantes et les conditions de leur migration. Sans doute parce qu’elles ne font justement pas partie de l’électorat.
Quelles sont les transformations de la société imputables à l’immigration actuelle ?
François Gemenne : On observe d’abord une transformation en termes de visibilité des personnes migrantes. Contrairement à l’immigration essentiellement européenne des années 1950 ou 1960, les immigrés, en grande partie, ne sont pas blancs et ne sont pas, non plus, catholiques ou athées. Certains secteurs de l’économie reposent aussi largement sur les migrations. On assiste également à une forme de transformation culturelle. Dans certains collèges ou lycées, des questions se posent parfois face à une approche différente de la laïcité, par exemple. Tout cela interroge la société, indéniablement.
Doit-on y voir un danger ?
François Gemenne : Ces transformations sont impossibles à empêcher. Tant que l’idée sera de résister aux migrations, l’entreprise sera vaine. L’enjeu est principalement d’organiser la migration en veillant à ce qu’elle se passe au mieux dans l’intérêt des immigrés, de la société d’accueil et de la société de départ. Cela demande du courage politique. Nous attribuons trop souvent des qualités particulières aux immigrés. Les uns les voient comme des sortes de prix Nobel ou de médaillés olympiques en puissance. Les autres, à l’inverse, comme des délinquants ou des terroristes. La réalité : les immigrés ne sont pas différents de nous. Ils nous sont, au contraire, profondément semblables. Le débat public, tel qu’il est posé, nous impose de les voir soit comme une opportunité, soit comme un fardeau ou une menace. Nous ne nous permettrions pas ce genre de raisonnement avec d’autres corps de la société. On n’imagine pas qu’un débat soit possible sur la menace ou l’opportunité que représentent les personnes en situation de handicap.
Pourquoi une telle défiance persiste-t-elle à l’égard des étrangers ?
François Gemenne : Les pouvoirs publics considèrent le verbe intégrer comme strictement intransitif. Il s’agirait de s’intégrer, mais jamais d’intégrer. Les conséquences de cette logique, c’est la création de ghettos, des situations de très grande précarité économique et sociale, de grande précarité légale aussi. De plus, depuis le début de la crise syrienne, en 2014, on utilise un jugement normatif négatif sur les migrants économiques. Ils sont montrés du doigt pour faire accepter l’accueil des réfugiés syriens. Or, la désignation de catégories de bons réfugiés et de mauvais migrants ne recoupe aucune réalité empirique. Ce sont des constructions politiques. Les motifs des migrations sont de plus en plus mixtes et s’influencent mutuellement. Le véritable problème, c’est qu’en réduisant drastiquement les voies d’immigration économique, on a fait de l’asile la seule porte d’entrée légale sur le territoire. C’est pour ça qu’on a une demande d’asile en perpétuelle augmentation et des obligations de quitter le territoire dans une quantité telle qu’elles ne peuvent pas toutes être exécutées. C’est tout le système qui est à repenser.
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
On ne compte plus les sorties malveillantes qui alimentent la controverse autour de l’accueil des immigrés. À la veille des débats autour d’une énième loi sur l’immigration, l'Humanité rétablit la vérité sur certaines d’entre elles.
L’aide médicale d’État, qui permet aux immigrés en situation irrégulière une prise en charge de leurs soins, ne pèse pas sur les comptes de la Sécurité sociale, comme veulent le faire croire certains. Elle représente à peine 0,5% des dépenses de santé, selon la sénatrice communiste Laurence Cohen. © Jean-Philippe Ksiazek/AFP
Le débat public autour de l’immigration est régulièrement gangrené par des contre-vérités émanant de presque toutes les tendances politiques, depuis le sommet de l’État jusqu’aux égouts idéologiques de l’extrême droite. En s’appuyant sur des données réelles, on s’aperçoit que de nombreux préjugés n’ont aucun fondement. Nos dirigeants seraient bien inspirés de faire preuve du courage politique nécessaire à la mise en place de réelles politiques d’accueil, plutôt que d’écouter ou d’entretenir les balivernes xénophobes. Le sort de milliers de nos semblables venus d’ailleurs comme celui de toute la société s’en trouveraient, de fait, améliorés. Petit exercice de désintox.
La submersion continue. Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale (janvier 2020)
« Submersion migratoire », « grand remplacement », « invasion », la France fait-elle face à une immigration incontrôlée ? En réalité, dans l’Hexagone, depuis plusieurs années, le flux des arrivées de personnes migrantes stagne autour de 0,40 % de la population. C’est deux fois moins que la moyenne des pays membres de l’OCDE. Concernant les réfugiés et demandeurs d’asile, avec environ 85 personnes accueillies pour 10 000 habitants, la France se situe au neuvième rang des pays européens. Au niveau mondial, la Turquie, par exemple, accueille 486 personnes pour 10 000 habitants, soit 5,7 fois plus que la France.
L’immigration vient (…) alimenter le chômage.Marion Maréchal, vice-présidente de Reconquête (décembre 2022)
L’idée que les étrangers viendraient prendre le travail de Français est une contre-vérité reprise année après année par les xénophobes en tout genre. Bien au contraire, « l’immigration a un effet positif, à la fois sur les salaires et l’emploi des natifs de même niveau de qualification », indiquait, en 2021, le très officiel Conseil d’analyse économique. Le travail des immigrés crée même de la richesse. L’OCDE indique qu’entre 2006 et 2018, les immigrés ont, chaque année, généré en moyenne 1,02 % du PIB.
Les mesures que (le gouvernement) propose sont un formidable appel d’air. Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat (novembre 2022)
Le mythe de « l’appel d’air » revient régulièrement dans les discours hostiles aux politiques d’accueil des immigrés. Or, ce concept, basé sur l’idée que les bonnes conditions d’accueil prévues par un État, comme l’octroi de droits sociaux, seraient déterminantes dans le choix des immigrés de se rendre dans un pays, n’a aucun fondement scientifique. « Ce n’est pas l’ouverture des frontières qui crée l’appel d’air, mais les conditions structurelles des situations de départ, propices ou non aux migrations », rappelle régulièrement Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS. En outre, un étranger en situation régulière, en France, n’a en réalité pas immédiatement accès aux prestations sociales. Elles sont pour la plupart soumises à une durée minimale de présence : cinq ans, par exemple, pour le RSA et dix ans pour le minimum vieillesse.
Des cars (d’immigrés) arriveront dans les rues de votre commune, que des hommes. Car il s’agit la plupart du temps d’hommes. Éric Zemmour, président de Reconquête (septembre 2022)
Les hordes de jeunes hommes immigrés menaçant nos paisibles places de village sont un autre fantasme largement diffusé par la droite et l’extrême droite. Dans les faits, depuis une quinzaine d’années, l’immigration féminine est majoritaire en France métropolitaine. Les femmes représentaient, selon l’Insee, près de 51,5 % des immigrés en 2020. Elles sont majoritaires, précise l’Institut, « en particulier parmi ceux originaires de Russie (66 %), de Chine (61 %), du Brésil (57 %) ou encore d’Algérie (56 %). Elles sont également plus diplômées que les hommes » ; 46 % des immigrées arrivées en 2019 étaient diplômées du supérieur, contre 39 % des hommes.
La moitié au moins des faits de délinquance vient de personnes qui sont des étrangers. Emmanuel Macron, président de la République (octobre 2022)
Le lien artificiel entre délinquance et immigration ou entre terroristes et immigrés sert régulièrement à justifier les politiques répressives. Fermetures des frontières, contrôles au faciès, etc. sont souvent justifiés par ces associations d’idées pourtant mensongères. 15 % des personnes condamnées en France sont de nationalité étrangère, c’est vrai, mais « dans 99,2 % des condamnations de personnes de nationalité étrangère, les infractions sont des délits et dans seulement 0,8 %, des crimes », indique l’institut Convergences Migrations, affilié au CNRS. Et de préciser, en outre, que ces délits sont « pour l’essentiel des infractions liées à la régularité du séjour en France ». Par contre, les étrangers sont bel et bien discriminés par la police et la justice. Une étude du CNRS, de 2020, affirme que « les représentations racistes orientent la vigilance policière, contribuant de fait à la surreprésentation des personnes immigrées (…) parmi les personnes interpellées et condamnées ».
Il est urgent d’envoyer un signal ferme en mettant fin aux incitations à l’immigration massive comme l’aide médicale d’État. Alexandre Loubet, vice-président du groupe RN à l’Assemblée nationale (octobre 2022)
L’extrême droite et la droite fustigent régulièrement l’aide médicale d’État (AME), un dispositif qui permet aux immigrés en situation irrégulière de bénéficier d’une prise en charge de leurs soins de santé. Le sénateur LR Christian Klinger dénonçait, en novembre 2022, une augmentation « continue et non maîtrisée des dépenses » de l’AME, prouvant que le gouvernement souhaite encourager « une poursuite de la progression du nombre d’étrangers en situation irrégulière. » En réalité, l’AME n’a quasiment aucun impact sur le budget de la Sécurité sociale. Elle ne représente « que 0,5 % des dépenses de santé », a d’ailleurs insisté la sénatrice communiste Laurence Cohen, lors des débats sénatoriaux à ce sujet. De plus, depuis 2020, l’obtention de cette aide est conditionnée à une durée minimale de séjour de trois mois. Et depuis 2021, le bénéfice de certaines prestations non urgentes ne peut intervenir qu’après neuf mois d’inscription comme bénéficiaire.
publié le 2 février 2023
tribune sur https://basta.media/
Le gouvernement doit présenter ce mois-ci son projet de loi sur l’immigration. Un collectif d’associations et de syndicats s’y oppose dans cet appel, car cette réforme priverait encore plus de droits les personnes étrangères en France.
Nous refusons le nouveau projet de loi asile et immigration !
Le nouveau projet de loi asile et immigration du gouvernement conduit à une négation radicale des droits fondamentaux des personnes migrantes. Il a pour objectif de graver dans le marbre et de radicaliser les pratiques préfectorales arbitraires et répressives : systématisation des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des interdictions de retour sur le territoire français (IRTF), dans la suite des instructions déjà prises pour augmenter les assignations à résidence et le nombre de centre et locaux de rétention administrative.
Le projet s’inscrit délibérément dans une vision utilitariste et répressive dont témoigne l’obsession des expulsions et l’inscription des sans-papiers au fichier des personnes recherchées. Les personnes migrantes sont déshumanisées et considérées uniquement comme de la main d’œuvre potentielle, qui n’a droit qu’à des propositions de régularisations précaires, limitées aux métiers dits “en tension”.
Alors que la dématérialisation prive de l’accès au séjour de nombreux personnes étrangères, le droit du séjour et le droit d’asile vont être encore plus restreints. Le projet prévoit des moyens pour empêcher d’accéder ou de rester sur le territoire, au lieu de les utiliser pour accueillir dignement celles et ceux qui fuient la guerre, les persécutions, la misère ou les conséquences du dérèglement climatique...
Les droits sont de plus en plus bafoués
Les droits protégés par les conventions internationales sont de plus en plus bafoués (asile, droit de vivre en famille, accueil des femmes et des personnes LGBTIA+ victimes de violences…) y compris ceux des enfants (enfermement, non-respect de la présomption de minorité, séparation des parents…). Les droits des personnes étrangères sont de plus en plus précarisés.
Nous appelons à nous mobiliser contre cette réforme qui, si elle était adoptée, accentuerait encore le fait que les personnes étrangères en France sont considérées comme une population de seconde zone, privée de droits, précarisée et livrée à l’arbitraire du patronat, de l’administration et du pouvoir.
Il est de la responsabilité de nos organisations, associations, collectifs et syndicats de réagir. Nous appelons à la mobilisation la plus large possible sur tout le territoire dans les prochaines semaines. Nous appelons à la mobilisation devant toutes les préfectures le 1er février, et durant le mois de février devant les centres de rétention administrative. Nous préparons une mobilisation nationale début mars.
Premiers signataires : Association Bagagérue, Association française des juristes démocrates, Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF) Attac France, CGT, La Cimade, CNT-Solidarité Ouvrière, CTSPV (Collectif des Travailleurs Sans-Papiers de Vitry), collectif Vigilance pour les droits des étrangers Paris 12e, Coordination des sans papiers paris CSP75, FASTI, FEMMES DE LA TERRE, FSU, GISTI, Groupe Accueil et Solidarité, Ligue des Droits de l’Homme, Marche des Solidarités, Médecins du Monde, Pantin solidaire, Paris d’Exil, Solidarités Asie France (SAF), Syndicat de la Magistrature, Syndicat des Avocats de France, Tous Migrants Briançon, Tous Migrants 73, Union syndicale Solidaires.
publié le 23 janvier 2023
Christophe Gueugneau surwww.mediapart.fr
L’abandon d’un projet d’installation de réfugiés dans la petite ville des Côtes-d’Armor est vue comme une victoire pour l’extrême droite. Sur place, les partisans de l’accueil tentent de comprendre pourquoi ils ont perdu. Ailleurs en France, les campagnes de haine se multiplient.
Callac (Côtes-d’Armor) et Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique).– « Du Béarn, je veux dire bravo à mes militants Reconquête! qui ont bataillé depuis le premier jour aux côtés de tous les patriotes, pour empêcher ce funeste projet de répartition des migrants à Callac. Vive la France ! » Sur Twitter, le 11 janvier dernier, le président du parti d’extrême droite Reconquête, Éric Zemmour, laisse éclater sa joie. Le projet d’accueil de quelques familles de réfugié·es dans le petit village costarmoricain de Callac est officiellement abandonné, après plusieurs mois de pressions, manifestations et menaces plus ou moins voilées, de la part de l’extrême droite, locale et nationale.
Callac et ses 2 200 habitant·es sont devenus malgré eux le théâtre d’un affrontement politique qui a largement dépassé les frontières de cette commune située à une vingtaine de kilomètres de Guingamp. Le projet, baptisé Horizon, n’était pourtant pas aberrant : il s’agissait d’accueillir une poignée de familles de réfugié·es dans cette commune qui perd depuis plusieurs années des habitant·es. Le projet était porté par le fonds de dotation Merci (fonds privé à but non lucratif qui finance aussi, grâce à des dons, des projets d’accès à l’éducation ou d’inclusion sociale), géré par la famille Cohen, propriétaire des magasins Bonpoint et Merci.
La « mère des batailles contre le grand remplacement »
Mais dès la première réunion publique présentant le projet, en avril, et dans les semaines qui ont suivi, une poignée d’opposants, d’abord locaux, puis venus de plus loin, a fait monter la tension. Le maire divers gauche, Jean-Yves Rolland, a fini par se murer dans le silence face aux menaces. Sa ville a été le théâtre de deux manifestations et contre-manifestations. Sur les réseaux sociaux, la « bataille » de Callac est devenu la « mère des batailles contre le grand remplacement » pour l’extrême droite et en particulier Reconquête.
Au cœur de ce « tsunami de violences », selon ses propres termes, Laure-Line Inderbitzin, maire adjointe PCF de la ville, par ailleurs professeure de breton au collège municipal, et qui a porté le projet de bout en bout. Dès le 16 avril, une première plainte est déposée, suivie par d’autres, pour « diffamation », « menaces de mort », de « viol », « menaces » sur sa famille.
Quand nous la retrouvons ce lundi de janvier dans un restaurant près de la gare, Laure-Line Inderbitzin est certes déçue de l’abandon du projet mais pas découragée. Elle dédouane le maire, « acculé », et le répète : « C’était une obligation morale de ne pas lâcher, de tenir face aux fachos. »
Elle continue de penser que le projet était bon pour la ville. « Dans le centre-ville, il y a 38 % de vacance de logements, beaucoup de logements insalubres... Ce que proposait Horizon, c’était justement de loger des familles de réfugiés dans de l’habitat diffus, pour ne pas créer un ghetto », expose-t-elle. La jeune femme rappelle également que Callac accueille d’ores et déjà une petite quarantaine de réfugié·es, « sans que la gendarmerie ne constate aucun problème ».
Ancienne maire de Callac, aujourd’hui élue dans le groupe « minoritaire » – elle préfère ce terme à celui d’« opposition » –, Lise Bouillot nous reçoit dans sa vaste cuisine-salle à manger. Autour d’elle, Martine Tison et Jean-Pierre Tremel, également élus de la « minorité ».
« Nous étions pour le projet Horizon », expose en préambule Lise Bouillot, qui insiste sur le fait que Callac est une « terre d’accueil », que des réfugiés républicains espagnols avaient déjà été accueillis par la ville à la fin des années 1930, que lors de son mandat, avant 2020, la ville avait hébergé des réfugié·es avec « beaucoup d’enthousiasme et de générosité ».
Mais pour l’élue, le projet a péché dès le départ par un « problème de communication ». « La première réunion publique a été une catastrophe, les gens sont sortis de là sans rien savoir du projet, dit-elle. Le maire a été extrêmement maladroit : c’est lui, devant témoins, qui a parlé de 60 familles et de l'avenir démographique de Callac. »
Cette question des 60 familles est loin d’être anodine. Le projet Horizon a toujours consisté à accueillir quelques familles. Mais dès le mois d’avril, c’est le chiffre de 70 familles ou bien celui de 500 personnes, qui circule parmi les opposants, à commencer par le collectif Pour la défense de l’identité de Callac, créé par Danielle Le Men, Michel Riou et Moulay Drissi. Tous trois habitent Callac. Michel Riou est un ancien élu de gauche de la ville. Moulay Drissi, quant à lui, s’est présenté hors parti aux dernières élections législatives et n’a recueilli que 0,85 % des votes (327 voix).
Une demande de référendum
Dès juin, dans une lettre ouverte au maire de Callac, les trois membres de ce collectif demandent l’organisation d’un référendum. « L’arrivée de 70 familles extra-européennes bouleverserait totalement la vie de la commune et du canton », écrivent-ils notamment. « Les gens sont partis sur cette idée de référendum, alors que la majorité n’a pas été capable d’expliquer son projet », relève Lise Bouillot.
« Nous-mêmes nous n’avons été associés au projet Horizon qu’en septembre, et c’est à ce moment-là que nous avons vraiment adhéré, explique l’ancienne maire. On ne peut pas être contre l’accueil de personnes fracassées par la vie. Horizon, c’était un projet global : humanitaire, social, culturel, original. Qui, de plus, se proposait d’accompagner les réfugiés pendant 10 ans ! »
Nous rencontrons chez eux Denis et Sylvie Lagrue. Lui, membre d’un collectif qui propose aux familles réfugiées, depuis les premières arrivées, des cours de français ou un accompagnement aux rendez-vous médicaux, est par ailleurs responsable d’une association d’aide aux familles en difficulté. Elle gère depuis 30 ans le cinéma local. Se trouve également présent Erwan Floch’lay, qui a rejoint voici quelque temps l’équipe du cinéma.
Tous trois étaient présents lors de la première réunion publique de présentation du projet. Pour eux, cette réunion ne s’est pas trop mal passée. Même si, selon Erwan Floch’lay, « trois membres de l’extrême droite locale se trouvaient dans le fond de la salle, mais dans l’ensemble, les gens ont semblé impressionnés ».
Quand la bascule a-t-elle eu lieu ? Dans le courant de l’été, et surtout à la rentrée de septembre. Une seconde réunion publique était prévue le 23 septembre. Elle n’aura jamais lieu car entre-temps, l’extrême droite a débarqué dans la ville.
Alliance de circonstance
Catherine Blein, ancienne figure bretonne du Rassemblement national (RN), exclue du parti lepéniste après avoir tweeté « œil pour œil » à propos de l’attentat islamophobe de Christchurch, a rejoint l’association des opposants. Edwige Vinceleux, ancienne « gilet jaune » passée candidate Reconquête aux législatives de juin, fait publiquement de Callac un combat personnel. Bernard Germain, enfin, candidat Reconquête lui aussi dans la circonscription voisine, est de la partie.
« Ces gens-là avaient les réseaux sociaux, des médias comme le site d’information locale d’extrême droite Breizh Info, et ils sont implantés en Bretagne », analysent deux militants syndicaux de gauche, mandatés par leur fédération pour observer l’évolution de l’extrême droite en Bretagne. À quoi ils ajoutent l’alliance de circonstance entre les « nationalistes bretons du PNB et Reconquête et Action française ».
Une première manifestation est organisée le 17 septembre. Quelques centaines de personnes opposées au projet – dont seulement une vingtaine de personnes de Callac, selon plusieurs sources – se retrouvent face à un nombre légèrement supérieur de personnes favorables – elles aussi en grande partie extérieures à la ville – ou du moins opposées à l’extrême droite. « Cette première manifestation fait peur aux gens », estime Denis Lagrue.
Suffisamment en tout cas pour que la seconde réunion publique, prévue la semaine d’après, n’ait pas lieu. Dans les semaines qui suivent, la situation se tend encore. Il y a d’abord ce dîner-débat organisé par Reconquête dans la ville voisine de Chapelle-Neuve, le 19 octobre. Le maire Les Républicains (LR) de la ville, Jean-Paul Prigent, explique benoîtement avoir accepté de prêter une salle sans avoir bien conscience d’accueillir une opération de Reconquête.
On a même vu un drapeau suprémaciste flotter sur Callac !
Des manifestant·es tentent d’empêcher l’événement, se retrouvent gazé·es, voire matraqué·es. La réunion a tout de même lieu. Et une nouvelle manifestation contre le projet est organisée le 5 novembre. Cette seconde manifestation réunit un peu plus d’opposant·es au projet, et plus aussi d’opposant·es aux opposant·es. Aujourd’hui encore, les pro-Horizon s’étonnent que cette seconde manifestation ait été autorisée.
« Sur cette deuxième manifestation, il y avait tout ce que l’extrême droite compte d’infréquentables ! On a même vu un drapeau suprémaciste flotter sur Callac ! », dénonce Gaël Roblin, conseiller municipal de la gauche extra-parlementaire à Guingamp. Une contre manifestation est organisée, générant quelques affrontements sporadiques avec les forces de l’ordre.
C’est suffisant pour alerter un peu plus les Callacois et Callacoises, si l’on en croit Lise Bouillot. « On pense aussi que la population a basculé après les manifestations, surtout la deuxième avec des bombes lacrymogènes partout. Le marais a basculé sur le thème “il est temps que ça cesse” », estime l’élue.
« Depuis septembre et jusqu’à aujourd’hui, l’extrême droite tient le narratif », enrage Erwan Floch’lay. « Il y a une inversion totale où eux sont les résistants et nous les collabos », abonde Sylvie Lagrue, qui poursuit : « Certains disent que si on n’avait rien fait, rien dit, l’extrême droite se serait calmée. » « Mais ça veut dire quoi, “calmée” ? », s’interroge Denis Lagrue.
« On aurait difficilement pu faire plus ou différemment », estime de son côté Gaël Roblin, qui insiste sur l’organisation « dans l’urgence » de ces deux contre-manifestations. Celui-ci pose tout de même la question du rôle du préfet. Mis au courant des menaces lourdes et répétées qui ont pesé sur les élu·es de Callac, sa réponse est jugée plutôt timide, voire absente. Pour les deux militants syndicaux, la « victoire de l’extrême droite à Callac, c’est avant tout la victoire de l’impunité ».
« Le pire du pire de la mentalité humaine »
Lise Bouillot, qui a vu les messages de menace adressés à la majorité (« une horreur, le pire du pire de la mentalité humaine ») « enrage de voir Reconquête crier victoire ».
Le déroulé de toute cette séquence est en tout cas regardé de près, et avec inquiétude, à quelque 150 kilomètres au sud de Callac. À Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), un bâtiment situé à côté d’une école subit actuellement des travaux en vue de sa transformation en centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada).
Michel Sourget et Yannick Josselin, tous deux militants pour un accueil solidaire des migrantes et migrants, nous reçoivent dans la maison du premier, à quelques mètres de la plage. Ici aussi, les opposants locaux ont été rejoints par l’extrême droite nationale. « On a vu Pierre Cassen, fondateur du site d’extrême droite Riposte laïque, venir défiler le 11 décembre. Il y a très peu de parents d’élèves dans le collectif d’opposants, justement à cause de la présence de l’extrême droite », expose Michel Sourget.
Comme à Callac, la ville reçoit déjà des réfugié·es « et les gens constatent que ça se passe bien », note Yannick Josselin, ancien éducateur spécialisé. L’association qui va gérer le Cada, Aurore, a reçu deux personnes du collectif d’opposants, « alors ils ne peuvent pas dire qu’ils ne sont pas informés ».
Pour ces deux habitants de Saint-Brévin, le plus dur est de ne pas savoir « comment les choses vont tourner ». Ils notent que le maire semble tenir bon face à l’extrême droite, ce qui s’explique peut-être aussi par le fait que Saint-Brévin est une ville plus grande, avec plus de 13 000 habitant·es. Par ailleurs, les travaux ont déjà démarré et une tentative d’occupation des locaux par l’extrême droite a tourné au fiasco, car les occupants n’étaient pas assez nombreux.
Qu’importe pour Reconquête. Si Saint-Brévin est l’une des cibles du moment, le mouvement d’Éric Zemmour n’en manque pas. Dans les Côtes-d’Armor, ses militants et militantes ont tenté, sans succès, de faire annuler une animation intitulée « Uniques en son genre » impliquant la venue de drag-queens de la compagnie rennaise Broadway French, à la bibliothèque de Lamballe.
Dans ce même département, Reconquête dénonce le fait que des élèves soient invités à échanger avec des migrants pour un concours régional sur « l’immigration à l’échelle locale ». Le parti d’extrême droite tente également d’empêcher le démontage d’une statue de la Vierge sur l’île de Ré. Tout comme il est parvenu, il y a quelques semaines, à clouer au pilori, via une campagne de harcèlement, une enseignante qui voulait emmener des élèves de prépa voir des migrants à Calais.
Autant de campagnes à l’échelle microlocale pour un parti qui n’a obtenu aucun·e député·e lors des dernières élections législatives, et qui ne peut rester dans les radars que par des coups d’éclat permanents. Au risque, bien réel, d’inscrire la théorie complotiste du « grand remplacement » dans le débat public. A fortiori si la gauche peine à trouver la parade.