PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

publié le 21 septembre 2021

 

Sans papiers mais pas sans droits : deux ans de

 

prison ferme pour le patron de MT-BAT-Immeubles

 

sur le site www.cgt.fr

Nouvelle victoire pour les travailleurs sans papiers de l'avenue de Breteuil à Paris : le patron qui les exploitait hors de tout cadre légal vient d'être sanctionné par la justice.

Le gérant de fait de l'entreprise MT-BAT-Immeubles vient d'être condamné pour travail dissimulé, emploi d'étranger sans titre et conditions de travail indignes. Il écope de deux ans de prison ferme, 40 000 euros d'amende et une interdiction de gérer de quinze ans avec mandat d'arrêt.

Petit rappel des faits : en septembre 2016, 25 travailleurs sans papiers sortent de l'ombre suite à l'accident de travail de l'un des leurs.

Travaillant depuis plusieurs semaines au 46, avenue de Breteuil, dans le très huppé 7e arrondissement de Paris, ils ne sont pas déclarés. Ils se mettent en grève, accompagnés par l'union départementale de Paris, l'union locale du 7e arrondissement, le collectif confédéral Migrants, mais aussi la Fédération construction, bois et ameublement et la Fédération banques et assurances (le propriétaire des lieux ou maître d'ouvrage est Covéa, qui possède notamment GMF, MMA et la MAAF).

L'implication de toutes ces structures permet de faire pression sur le maître d'ouvrage et sur le donneur d'ordre et d'obtenir « un protocole atypique traité avec l'ensemble des acteurs », salue Marilyne Poulain, secrétaire de l'UD de Paris, membre de la direction confédérale et responsable du collectif Migrants.

À l'issue du conflit, les travailleurs sans papiers obtiennent leur régularisation sur la base de la reconnaissance de leur travail.

Alors qu'ils travaillaient pour la petite entreprise sous-traitante MT-BAT-Immeubles, ils sont embauchés par le donneur d'ordre, Capron.

C'est ensuite le Défenseur des droits et le conseil des prud'hommes de Paris qui pointent pour la première fois la « discrimination systémique » : si tous les travailleurs du chantier sont des Maliens sans titres de séjour, ce n'est pas un hasard, il s'agit bien d'une organisation réfléchie.

La condamnation du gérant de l'entreprise MT-BAT-Immeubles constitue une nouvelle étape dans la lutte des travailleurs sans papiers. « Les coiffeuses sans papiers qui travaillaient au noir boulevard de Strabourg avaient obtenu leur régularisation sur la base de la reconnaissance de la traite des êtres humains. Cette fois, les ouvriers de Breteuil ont été régularisés sur la base de leur travail. Le travail indigne a été reconnu. On avance… » commente Marilyne Poulain.

La CGT défend l'égalité de traitement et l'application du droit du travail français pour tous les salariés qui travaillent en France.

Elle prône la reconnaissance du travail et la régularisation administrative des travailleurs sans papiers surexploités parce que sans droits. Qu'ils aient ou non une autorisation de séjour et de travail, ce qui importe, c'est qu'ils travaillent et vivent ici.

 

publié le 18 septembre 2021

Les « sept de Briançon » relaxés !

par Pierre Isnard-Dupuysur www.politis.fr

 

La cour d'appel de Grenoble a relaxé la semaine dernière les « 7 de Briançon », qui avaient manifesté le 22 avril 2018 pour dénoncer l'action anti-migrants de Génération identitaire au col de l’Échelle. Ils avaient été condamnés en première instance pour « aide à l'entrée irrégulière d'étrangers en France ».

 

Tout ça pour ça ! » À la sortie du Palais de justice de Grenoble, Agnès Antoine de l'association Tous Migrants ne mâche pas ses mots malgré sa satisfaction. Ce jeudi 9 septembre, la cour d'appel vient de clore l'affaire des « sept de Briançon » par une relaxe. Le 22 avril 2018, Lisa, Mathieu, Juan, Benoit, Eleonora, Theo et Bastien avaient participé à une manifestation transfrontalière de l'Italie à la France pour dénoncer l'action anti-migrants engagée la veille par Génération identitaire, ainsi que « la militarisation de la frontière ». Le groupe d’extrême droite a été dissout depuis, en mars 2021, par le ministère de l'Intérieur.

 

Fin 2018, les « sept de Briançon » avaient été condamnés pour « aide à l'entrée irrégulière d'étrangers sur le territoire national » à des peines de six mois de prison avec sursis pour cinq d'entre eux, à douze mois dont quatre fermes pour les deux autres. Les enquêteurs ont affirmé qu'une vingtaine de personnes en situation irrégulière avaient pu venir en France grâce à la manifestation.

 

« Il n’est pas démontré que cette marche a été organisée avec l’intention d’aider des étrangers à entrer irrégulièrement en France, cette marche constituant à l’évidence une réaction à la présence de Génération identitaire », considère l'arrêt de la cour d'appel.

 

« C'est un très bon message pour les maraudeurs »

« C'est un signal positif pris par des magistrats qui ont su se montrer indépendants », se réjouit Me Vincent Brengarth. L'avocat de cinq des prévenus regrette toutefois que les questions préjudicielles qu'il avait demandé de transmettre à la Cour de justice européenne aient été rejetées. Ils pointait des incohérences entre le cadre juridique européen et le droit des étrangers en France.

 

« On savait depuis le début qu'il n'y avait pas matière à poursuivre. Le droit de manifestation est quelque chose que l'on ne peut pas nous enlever », affirme pour sa part Agnès Antoine. Elle dénonce au passage trois ans et demi de pression non seulement sur les prévenus mais aussi sur l'ensemble des solidaires, par la crainte de la condamnation et s’étrangle :

 

On a dépensé beaucoup d'argent et d'énergie pour la justice, alors qu'on aurait pu les dépenser pour mieux accompagner des exilés.

 

Du côté de Lisa, Benoît et Mathieu, les trois prévenus venus entendre le délibéré, le soulagement prédomine après de longues minutes de circonspection. « Ça va faire du bien dans le Briançonnais. On était inquiet pour l'hiver qui va arriver et de l'aide extérieure que l'on va recevoir. Cette décision va nous aider à nous organiser », dit Benoît Ducos, les yeux rougis après avoir laissé échapper quelques larmes.

 

« Si ça fait jurisprudence, c'est un très bon message pour les maraudeurs », se réjouit le Belgo-Suisse Theo Buckmaster, joint par téléphone. Principalement l'hiver, des maraudeurs bénévoles se rendent chaque nuit en montagne afin de mettre à l'abri les personnes exilées qui transitent à pied en essayant d'échapper aux forces de l'ordre.

Condamnation pour « rébellion »

Seul bémol dans la décision rendue ce jeudi, Mathieu Burelier voit sa condamnation pour « rébellion » maintenue. Il écope de 4 mois de prison avec sursis ainsi que de 300 euros à verser à chacun des sept policiers qui ont tenté de l'arrêter au titre de préjudices moraux et 1.000 euros en tout pour leurs frais de justice. « Je me retrouve inscrit dans ce que beaucoup de personnes subissent après avoir subi des violences policières. La rébellion et l'outrage ça tape dure », expose Mathieu, qui a fait constater 10 jours d’interruption temporaire de travail suite à une entorse cervicale consécutive aux faits. Me Vincent Brengarth dénonce un « dossier artificiellement gonflé par les fonctionnaires de police. » Son client a déposé pour cela une plainte, d'abord classée par le parquet. Puis il s'est constitué partie civile, ouvrant une instruction judiciaire en juillet dernier. Les « sept de Briançon » c'est fini, mais l'affaire dans l'affaire se poursuit.


 

publié le 16 juillet 2021

Méditerranée.
Migrants et réfugiés dans l’enfer libyen

Nadjib Touaibia sur www.humanite.fr

Viols, travail forcé, tortures… les passagers capturés par les gardes-côtes libyens et livrés aux milices vivent l’horreur avec la complicité de l’Union européenne, selon un rapport d’Amnesty International.

La scène a lieu le 30 juin. Une traque meurtrière en Méditerranée filmée par l’ONG allemande Sea-Watch. Les gardes-côtes libyens ciblent une embarcation de fortune transportant 45 personnes, des réfugiés, dont de nombreux enfants, au large de l’île italienne de Lampedusa. Le bateau accoste le canot en tirant dans l’eau à balles réelles, tourne autour, prend de la vitesse, tente de le percuter, son équipage lance des objets dans sa direction. Mis en danger durant une heure et demie, les migrants échappent miraculeusement à l’opération criminelle quand leurs agresseurs en uniformes, solidement armés, abandonnent enfin et rebroussent chemin faute de carburant, rapporte l’ONG. L’incident a eu lieu dans la zone de secours de Malte. « En 2019, nous avons assisté à une scène similaire. (…) Mais ce qui s’est passé cette fois est encore plus brutal. C’est d’une violence que nous avons jamais vue jusqu’ici », commente Félix Weiss, membre de Sea-Watch. Les rescapés arriveront finalement sains et saufs sur les côtes italiennes. Stoppés par les gardes-côtes, ils auraient fini en territoire libyen, à Al-Mabani ou à Shara al-Zawiya, ces lieux d’esclavage, d’asservissement, d’humiliation, de sévices épouvantables. C’est là que sont détenus les réfugiés capturés et les migrants qui échappent au naufrage en haute mer. Des pratiques odieuses en cours depuis une décennie.

Sauvagerie organisée

Elles se sont poursuivies durant les six premiers mois de 2021, selon Amnesty International dans un récent rapport intitulé « La détention abusive des personnes réfugiées et migrantes débarquées en Libye ». Diana Eltahawy, directrice adjointe de l’ONG au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, parle d’un texte « terrifiant » et d’un nouvel éclairage sur ces souffrances révélées une fois de plus au grand jour, mais en vain. Plus de 7 000 personnes interceptées en mer ont été envoyées de force à Al-Mabani au cours de cette année. Ces détentions arbitraires se prolongent dans la barbarie. Tortures, violences sexuelles, travail forcé sont le lot quotidien des détenus. Les femmes, notamment, confient leur soumission forcée sous menace de viol, en échange d’une libération ou d’un produit de première nécessité, y compris d’eau potable. Ces horreurs ont lieu avec le consentement implicite des autorités libyennes. Celles-ci s’engagent à agir, à boucler les centres dénoncés, mais ferment l’œil en réalité.

Des sites informels de captivité, sous contrôle de milices, ont été rattachés au ministère de l’Intérieur, sans plus. L’administration a même « récompensé des personnes raisonnablement soupçonnées d’avoir commis ce type de violations en leur offrant des postes de pouvoir ou une promotion, ce qui signifie que nous risquons de voir les mêmes horreurs se reproduire encore et encore», souligne Amnesty International. Mais pas seulement. Cette sauvagerie organisée se déploie sur le lit de la coopération européenne avec la Libye en matière de contrôle de l’immigration et des frontières.

« Preuves accablantes »

Entre janvier et juin 2021, les gardes-côtes libyens ainsi soutenus ont intercepté en mer et reconduit en Libye quelque 15 000 personnes lors de « sauvetage » – soit plus que sur toute l’année 2020. « Malgré les preuves accablantes du comportement irresponsable, négligeant et illégal des gardes-côtes libyens en mer et des violations systématiques commises dans les centres de détention après le débarquement, les partenaires européens continuent d’aider les gardes-côtes libyens à renvoyer de force des personnes victimes d’atteintes aux droits humains, qu’elles tentaient de fuir en Libye », dénonce Diana Eltahawy.

Certains témoignages de ce qui se passe en mer sont glaçants. Des personnes se seraient noyées après le chavirement de leur canot, sous les yeux des gardes-côtes occupés à filmer avec leurs téléphones. Des passagers confrontés à un risque de péril imminent voient souvent passer des avions – l’agence Frontex exerce une surveillance aérienne – et des bateaux naviguer dans les mêmes eaux. Mais nul ne viendra à leur secours avant l’arrivée des gardes-côtes libyens, à l’évidence très bien informés. Selon Amnesty International, il n’y a presque plus de navires européens en Méditerranée centrale, histoire de ne pas avoir à secourir de malheureux naufragés. L’Europe forteresse est loin de mettre fin à ces arrangements sans égard aucun pour la dignité de milliers de réfugiés. « Encore une fois, notre Parlement et le gouvernement signent leur propre complicité avec les horreurs et les violations systématiques des droits humains et du droit international qui sont perpétrées en Libye et sur la route de Méditerranée centrale », note Nicola Fratoianni, député et secrétaire de la Gauche italienne, après le vote, jeudi 15 juillet, de la poursuite de l’aide militaire et matérielle aux gardes-côtes libyens.

publié le 10 juillet 2021

Exil. Après une semaine d’errance, l’Ocean Viking accoste en Italie

Emmanuelle Chaze sur www.humanite.fr

L’Ocean Viking a échappé au drame ce jeudi soir, quand l’Italie a finalement accepté de laisser accoster le navire de SOS Méditerranée. Il aura fallu six demandes officielles pour permettre aux 572 personnes secourues en mer de débarquer, avant qu’elles ne manquent de nourriture et de médicaments.

Il aura fallu pas moins de six demandes officielles à l’Ocean Viking pour obtenir enfin un port sûr, après une semaine d’errance en mer près des côtes européennes. Ce jeudi 8 juillet au soir, le navire de l’organisation citoyenne SOS Méditerranée a enfin obtenu l’autorisation de débarquer les 572 personnes secourues ces derniers jours en Méditerranée, dans le port d’Augusta, en Sicile. C’est la fin d’une mission difficile pour l’un des rares navires d’ONG encore opérationnel.

Jeudi soir, à l’annonce de l’obtention d’un lieu sûr pour débarquer les centaines de personnes à bord, le soulagement était palpable sur le pont de l’Ocean Viking. Depuis quelques jours, et malgré les demandes répétées faites auprès des autorités responsables, la situation s’était dégradée dans le navire de sauvetage. Une fois en sécurité, beaucoup de personnes secourues se sont effondrées. L’incertitude quant au débarquement n’a fait qu’ajouter au désespoir déjà immense de ces personnes qui ont tout perdu, et dont le seul espoir reste celui d’une vie meilleure en Europe. Mercredi soir, un jeune Tunisien s’est jeté par-dessus bord. Il a été secouru, à nouveau, par les équipes de SOS Méditerranée, et a expliqué son geste : « Si je savais quand nous débarquons, je pourrais tenir. Mais je ne peux plus supporter cette incertitude ». D’autres rescapés ont exprimé ces mêmes sentiments, et la coordinatrice des recherches et sauvetages, Luisa Albera, s’est insurgé contre cette situation intenable : « Faire attendre les rescapés sur le pont de notre navire, exposés au soleil et aux éléments, est inhumain. Cela dépasse l’imagination. Inévitablement, les tensions et l’épuisement sont à l’extrême à bord de l’Ocean Viking ».

L’Ocean Viking est un navire de sauvetage. Il n’est pas fait pour accueillir des centaines de personnes traumatisées sur la durée, mais pour les secourir d’une embarcation en détresse et les acheminer en lieu sûr le plus rapidement possible. La lenteur des autorités à répondre aux demandes répétées de débarquement aurait pu avoir des conséquences encore plus dramatiques, comme l’explique Claire, chargée de communication à bord de l’Ocean Viking :  « Ce vendredi a eu lieu la dernière distribution de nourriture possible aux rescapés. Cela veut dire qu’à partir de samedi, nous n’aurions plus eu assez de rations d’urgence pour tout le monde. C’est donc un grand soulagement de pouvoir considérer notre mission de sauvetage comme terminée, car ceci ne peut être le cas que lorsque les personnes secourues ont été amenées en lieu sûr ».

Selon la convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes, ou convention SAR, établie en 1979 et amendée en 2004, toute personne rescapée doit être acheminée, dans les plus brefs délais, dans un lieu sûr, où ses droits fondamentaux seront respectés. L’obligation légale de pourvoir à ce lieu sûr échoit aux États côtiers. Mais cette responsabilité ne semble être prise qu’avec une extrême lenteur de la part des autorités compétentes. Pendant des jours, les 572 personnes secourues ont dormi à même le sol, dans un espace restreint, avec peu de possibilité de se mouvoir tant le pont était surpeuplé. Le nombre de personnes à bord signifie également que l’accès de tous aux douches est difficile. Certains doivent être pris en charge médicalement, d’autres sont en situation de handicap. Tous sont traumatisés par le temps qu’ils ont passé en Libye. Un choc auquel s’ajoute celui de l’expérience de mort imminente en mer : avant d’être secourus, ils ont dérivé des heures, parfois des jours, comme cela a été le cas pour le bateau en bois dont les 369 personnes ont été secourues dans la nuit du 4 au 5 juillet. Maintenant secourus, certains des rescapés veulent alerter sur ce qu’ils viennent de vivre, comme ce jeune Togolais : « Je suis parti du Togo, j’ai 19 ans. Ce n’est pas facile de vivre là d’où je viens, et quand on devient un homme on se doit de soutenir sa famille. Aussi, il fallait que je parte. En Libye, la souffrance, je l’ai connue. Mais je ne sais même pas par où commencer. J’ai été en prison deux fois. (…) Je ne saurais vous expliquer cette souffrance, c’est inimaginable. Je ne sais pas si des soldats ont déjà vécu pire que ce que j’ai pu vivre. Pour la traversée (de la Méditerranée), il n’y a pas de solution. Nous partons en comptant sur la chance, parce que les Libyens sont toujours là pour nous rattraper. Ils sont là pour te ramener en prison, parce que quand ils t’attrapent, ça leur fait de la monnaie. En prison, il faut payer 1000 dollars pour en sortir. Ils appellent ça “flouze”. Un Black, un Noir ça fait un, deux, ou trois flouzes. Le Noir est une marchandise, et ce sont nos parents qui paient (cette rançon). Et si tu n’as personne dehors pour payer, c’est fini pour toi. Il n’y a pas de pitié en Libye. »

Pour ce jeune homme comme pour les 571 personnes secourues, l’enfer libyen est terminé. Parmi les rescapés, une majorité de Bangladais, Érythréens, Soudanais, Égyptiens et Libyens. Le plus jeune passager, Amine, est venu de Guinée Conakry avec sa maman. Il a quatre mois. Les familles et les 159 mineurs non accompagnés ont pu débarquer ce vendredi, le reste des rescapés sera évacué samedi. Le parcours européen de ces candidats à l’exil débute ainsi dans le port d’Augusta, en Sicile, dans un ferry de quarantaine où ils passeront plusieurs semaines, avant l’examen de leur situation individuelle. Mais un Ocean Viking à quai pour les prochaines semaines signifie qu’aucun navire de sauvetage n’opère actuellement en Méditerranée centrale. Pourtant, chaque jour, poussées par le désespoir, des centaines de personnes continuent de quitter les côtes nord-africaines. Depuis 2016, l’Organisation internationale pour les Migrations estime à plus de 20 000 le nombre de personnes mortes en Méditerranée. Dans le même temps, l’ONG SOS Méditerranée en a sauvé 33 519, alors que du côté de l’Union Européenne, il n’y a toujours pas de mécanisme coordonné d’organisation et d’assistance au sauvetage en mer.

publié le 6 juillet 2021

La retraitée et le réfugié sont devenus inséparables

par : Olivier Vilain sur le site https://www.secourspopulaire.fr/

Pendant les différents confinements, Cathy, retraitée, a hébergé dans son pavillon de Bègles Adam, alors demandeur d’asile. Ils sont devenus inséparables. Ils ont tiré de leur histoire un livre qui offre une bouffée d’humanité pour la journée mondiale des réfugiés, ce 20 juin.

Printemps 2020, Cathy, alors 64 ans, est penchée sur sa machine à coudre. Les personnels non soignants de l’hôpital de Centujean, à un kilomètre de là, lui ont demandé de confectionner des masques pour les protéger du virus Covid-19, alors que l’épidémie fait rage. Pour Cathy, il est hors de question de passer cette première vague en restant les bras croisés quand d’autres risquent leur vie. Alors, assise dans son salon, dans le coin le plus proche de la cuisine, elle taille le plus de masques possible – sans s’arrêter.

Installé chez elle depuis mars 2020, Adam sort de sa chambre qui donne sur le salon et voit la jeune retraitée, de dos, s’afférer. Le jeune homme de 21 ans lui propose de l’aider. Cathy lui fait de la place ; et là, c’est la surprise : non seulement il prend le coup de main de suite, mais en plus « il faisait dix masques le temps que j’en termine un seul », s’amuse encore Cathy, un an après.

Les deux "colocataires" se sont découvert des points communs inattendus. Avant même de se connaitre, ils nourrissaient l'espoir en un avenir meilleur.

« C’est à ce moment-là que je lui ai dit que j’avais été apprenti-tailleur à partir de 12 ans. J’allais après l’école dans un atelier près du marché », dit le jeune homme qui a fui le Tchad par peur de la répression. Adam Ahmat-Ali a toujours été scolarisé, mais a occupé en parallèle des petits boulots dans le secteur informel pour aider sa mère qui a dû s’occuper seule de ses quatre enfants. « Je lui ai raconté qu’à 6 ans, j’étais vendeur ambulant de cubes Maggi et de poches en plastiques sur le marché, Cathy a été beaucoup émue », raconte Adam.

Né dans le sud-est du Tchad, il y a 22 ans, le jeune homme a fui un quotidien proche de la misère. « J’allais à l’école avec de vieux vêtements, parfois sans chaussures et j’emportai le matin une galette et du sucre pour le midi. » Une fois à l’université de droit de N’Djamena, il a animé un mouvement étudiant critique à l’égard du régime allié de la France. Après des manifestations contre la « vie chère », lui et ses amis ont été incarcérés, puis ont subi une intimidation permanente de la part de la police. « Cela allait mal finir, ma vie était menacée. Je me suis décidé à partir. »

La rue, les squats et les hébergements d'urgence

Le 23 septembre 2019, il atterrit à Orly. Puis, ayant entendu dire qu’il y avait des compatriotes susceptibles de l’aider à Bordeaux, il descend en bus vers la ville qui s’est enrichie en exportant ses vins, mais aussi avec la traite d’esclaves, appelée aussi « commerce triangulaire ». Avec pour tout bagage un sac et son téléphone portable, il recherche des associations pour s’occuper et devient bénévole au Secours populaire. Toute la journée, il fait la ramasse des invendus alimentaires avec d’autres bénévoles. Il s’occupe des stocks de nourriture, assure des livraisons… Mais, le soir venu, il retourne dormir dans des cartons, d’abord au dépôt de bus, gare Saint-Jean, puis au marché des Capucins. « Au cours de la journée, je repérais des machines dégageant de la chaleur, des endroits où dormir. »

Pendant des semaines, il ne dit rien aux autres membres du Secours populaire. Mais bientôt il se lie avec plusieurs, en particulier avec Vincent, le fils de Cathy : « Il est vraiment de bonne compagnie. » « Bon, quand on a appris sa situation, ça nous serrait le cœur de le voir partir le soir », dit ce dernier, l’air pensif. Très vite, les bénévoles assurent un roulement. Adam va dormir chez les uns, puis chez les autres, entre deux places en foyer d’hébergement : « Heureusement, car la rue, c’est violent et dangereux », confie Adam dans un frisson. Invité à déjeuner, il fait la connaissance de la famille de Vincent. Jusqu’à l’annonce du confinement, début mars. « Là, j’ai tout de suite proposé à ma mère de l’héberger. Adam a tout de suite été d’accord. Il ne se voyait pas passer des mois dans une chambre avec sept inconnus », raconte Vincent, assis près de la bibliothèque sur laquelle les photos de famille sont disséminées entre la poésie d’Aragon et les œuvres reliées de Jean Jaurès.  

Un hébergement, des échanges

« J’avais perdu mon mari un mois avant le confinement et, avec ma sclérose en plaque, j’appréhendais de rester isolée pour un temps indéfini », se rappelle l’ancienne petite main de la Manufacture des tabacs de Bordeaux, qui marche avec l’aide d’une canne. A 65 ans, elle dégage une sacrée joie de vivre malgré les coups durs : la fermeture de son usine, sa reconversion à la mairie, sa maladie et le décès de Pierrot, son mari.  Elle a ouvert à Adam les portes de son « pavillon Phénix, construit à la fin des années 1980 », bordé par un petit jardin. « Le pauvre Adam, à peine arrivé en France, il est confiné avec une grand-mère », s’amuse Cathy, qui jette un coup d’œil complice à Adam, qui rit de bon cœur.

Les deux se sont soutenus pendant le premier confinement, puis pendant les couvre-feux. La vie à deux s’est vite organisée. Ils discutent beaucoup ; se racontent leur vie. Elle lui fait découvrir la cuisine française. Il assure une partie des tâches domestiques. Le soir venu, un rituel a été instauré : « On passait en revue des classiques de la culture populaire française : les Tontons flingueurs, les vieux films avec Belmondo, Amélie Poulain… » Et les deux mois de présence se sont transformés en dix mois et en de nombreux fous-rires. Dans le département, d’autres bénévoles vivent le même genre d’expérience que Cathy et Adam.

Confiné dans la solidarité

En accueillant Adam, l’ancienne déléguée CGT a pallié une carence collective. « Nous vivons pourtant dans un pays riche et une terre d’accueil », souligne la sexagénaire. Les traités internationaux font de l’accueil des exilés une obligation au regard de la dignité humaine. Le souvenir des luttes syndicales, l’entraide entre voisins et l’espoir partagé d’une vie meilleure font que Bègles est restée une commune ouvrière même après la disparition de ses industries. « On a d’abord accueilli des Républicains espagnols après la victoire de Franco et longtemps après des enfants palestiniens pour les vacances », observe la jeune retraitée. « Les migrants ne demandent qu’à se bâtir, dans la dignité, une vie meilleure », affirme Adam, d’un ton montrant que cette idée ne l’a jamais quitté.

Les pays européens ont restreint drastiquement l’accès à leurs territoires et aux procédures d’asile. Mais les jeunes sont poussés par la nécessité.

Tomáš Bocek, représentant spécial du secrétaire général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés (archive 2018)

Vincent connait bien les squats des environs de Bordeaux où vont se protéger les jeunes migrants, quand ils ne dorment pas le long des quais de la Garonne. « On se détourne de ces jeunes, qui désirent juste un avenir meilleur ici à défaut de pouvoir le construire là-bas, au nom de la fantasmagorie de ‘‘l’appel d’air’’ », râle Vincent. En effet, confirme le démographe François Héran, lors de l’une de ses nombreuses conférences au Collège de France, qui font référence sur le sujet des migrations : « ‘‘L’appel d’air’’ est sans cesse invoqué dans le débat public mais aucun démographe ne l’a jamais observé nulle part, ni même théorisé. » Bref, ''l’appel d’air'' c’est du vent…

Etudiant et toujours bénévole au Secours pop

Aujourd’hui, Adam a obtenu son statut de réfugié. Il a une chambre universitaire et poursuit ses études, tout en militant au sein d’un syndicat étudiant. « Je trouve encore le temps d’être bénévole au Secours populaire. » Après dix mois de « colocation », ces deux-là sont devenus inséparables. « La rencontre avec Cathy, c'est comme un rêve. J'ai retrouvé une maison, une famille et Cathy est devenue ma seconde maman », dit-il. « C’est devenu un membre de la famille », répondent Cathy et Vincent. De leur expérience est né un livre (voir encadré). En ce début d’été 2021, ils entament les séances de dédicaces dans une librairie de Soulac-sur-Mer. « Il y a un an j’étais dans mon pays. Maintenant, j’ai fait un livre et des dédicaces », rigole Adam.

publié le 24 juin 2021

La Grèce construit des camps barricadés pour isoler les réfugiés

Par Elisa Perrigueur sur le site www.mediapart.fr

L’Union européenne a investi cette année 276 millions d’euros pour la construction de camps de réfugiés sur cinq îles grecques. À Leros, où un camp de 1 800 places ouvrira bientôt, habitants et ONG s’indignent contre cet édifice barricadé. Le gouvernement assume.

Leros, Athènes (Grèce).– Le champ de conteneurs blancs s’étale sur 63 000 mètres carrés sur une colline inhabitée. Depuis les bateaux de plaisance qui pénètrent dans la baie de Lakki, dans le sud de Leros, on ne voit qu’eux. Ils forment le tout nouveau camp de réfugiés de 1 860 places, interdit d’accès au public, qui doit ouvrir ses portes d’ici à la rentrée sur cette île grecque de 8 000 habitants, qui compte aujourd’hui 75 demandeurs d’asile.

« Il sera doté de mini-supermarchés, restaurants, laveries, écoles, distributeurs d’argent, terrains de basket », détaille Filio Kyprizoglou, sa future directrice. Soit un « village, avec tous les services compris pour les demandeurs d’asile ! », s’emballe-t-elle.

Mais le « village » sera cerné de hauts murs, puis d’une route périphérique destinée aux patrouilles de police, elle aussi entourée d’un mur surplombé de barbelés. Depuis sa taverne sur le port de Lakki, Theodoros Kosmopoulou observe avec amertume cette « nouvelle prison », dont la construction a démarré en février, sur des terres appartenant à l’État grec.

Ce nouveau centre barricadé est l’un des cinq camps de réfugiés grecs en construction sur les îles à proximité de la Turquie et ayant connu des arrivées ces dernières années. Ces structures sont financées à hauteur de 276 millions d’euros par l’Union européenne (UE). Si celui de Leros est bien visible dans la baie de Lakki, les centres qui s’élèveront à Kos, Samos, Chios et Lesbos seront, eux, souvent isolés des villes.

Ces camps dits éphémères pourront héberger au total 15 000 demandeurs d’asile ou des personnes déboutées. Ils seront tous opérationnels à la fin de l’année, espère la Commission européenne. Celui de Samos, 3 600 places, sera ouvert cet été, suivi de Kos, 2 000 places, et Leros. L’appel d’offres pour la construction des camps de Chios (de 1 800 à 3 000 places) et Lesbos (5 000 places) a été publié en mai.

Si l’Europe les qualifie de « centres de premier accueil multifonctionnels », le ministère grec de l’immigration parle, lui, de « structures contrôlées fermées ». Elles doivent remplacer les anciens camps dits « hotspots », déjà présents sur ces îles, qui abritent maintenant 9 000 migrants. Souvent surpeuplés depuis leur création en 2016, ils sont décriés pour leurs conditions de vie indignes. Le traitement des demandes d’asile peut y prendre des mois.

Des compagnies privées pour gérer les camps ?

Dans ces nouveaux camps, les réfugiés auront une réponse à leur demande dans les cinq jours, assure le ministère grec de l’immigration. Les personnes déboutées seront détenues dans des parties fermées – seulement les hommes seuls - dans l’attente de leur renvoi.

Un membre d’une organisation d’aide internationale, qui s’exprime anonymement, craint que les procédures de demande d’asile ne soient « expédiées plus rapidement et qu’il y ait plus de rejets ». « Le gouvernement de droite est de plus en plus dur avec les réfugiés », estime-t-il. Athènes, qui compte aujourd’hui quelque 100 000 demandeurs d’asile (chiffre de mai 2021 donné par l’UNHCR), a en effet durci sa politique migratoire durant la pandémie.

La Grèce vient aussi d’élargir la liste des nationalités pouvant être renvoyées vers le pays voisin. La Turquie est désormais considérée comme un « pays sûr » pour les Syriens, Bangladais, Afghans, Somaliens et Pakistanais.

Pour la mise en œuvre de cette procédure d’asile, le gouvernement compte sur l’organisation et surtout la surveillance de ces camps, au regard des plans détaillés que Manos Logothetis, secrétaire général du ministère de l’immigration, déplie fièrement dans son bureau d’Athènes. Chaque centre, cerné de murs, sera divisé en zones compartimentées pour les mineurs non accompagnés, les familles, etc. Les demandeurs d’asile ne pourront circuler entre ces espaces séparés qu’avec une carte magnétique « d’identité ».

Je doute qu’une organisation de défense des droits humains ou de la société civile soit autorisée à témoigner de ce qui se passe dans ce nouveau camp

Celle-ci leur permettra également de sortir du camp, en journée uniquement, avertit Manos Logothetis : « S’ils reviennent après la tombée de la nuit, les réfugiés resteront à l’extérieur jusqu’au lendemain, dans un lieu prévu à cet effet. Ils devront justifier leur retard auprès des autorités du centre. » Les « autorités » présentes à l’ouverture seront l’UNHCR, les services de santé et de l’asile grec, Europol, l’OIM, Frontex et quelques ONG « bienvenues », affirme le secrétaire général - ce que réfutent les ONG, visiblement sous pression.

Le gouvernement souhaite néanmoins un changement dans la gestion des camps. « Dans d’autres États, cette fonction est à la charge de compagnies privées […]. Nous y songeons aussi. Dans certains camps grecs, tout a été sous le contrôle de l’OIM et de l’UNHCR […], critique Manos Logothetis. Nous pensons qu’il est temps qu’elles fassent un pas en arrière. Nous devrions diriger ces camps via une compagnie privée, sous l’égide du gouvernement. »

« Qui va venir dans ces centres ? »

À Leros, à des centaines de kilomètres au nord-ouest d’Athènes, ces propos inquiètent. « Je doute qu’une organisation de défense des droits humains ou de la société civile soit autorisée à témoigner de ce qui se passe dans ce nouveau camp, dit Catharina Kahane, cofondatrice de l’ONG autrichienne Echo100Plus. Nous n’avons jamais été invités à le visiter. Toutes les ONG enregistrées auprès du gouvernement précédent [de la gauche Syriza jusqu’en 2019 – ndlr] ont dû s’inscrire à nouveau auprès de la nouvelle administration [il y a deux ans - ndlr]. Très peu d’organisations ont réussi, beaucoup ont été rejetées. »

La municipalité de Leros s’interroge, pour sa part, sur la finalité de ce camp. Michael Kolias, maire sans étiquette de l’île, ne croit pas à son caractère « éphémère » vendu aux insulaires. « Les autorités détruisent la nature pour le construire ! », argumente celui-ci. La municipalité a déposé un recours auprès du Conseil d’État pour empêcher son ouverture.

Ce camp aux allures de centre de détention ravive également de douloureux souvenirs pour les riverains. Leros porte, en effet, le surnom de l’île des damnés. La profonde baie de Lakki a longtemps caché ceux que la Grèce ne voulait pas voir. Sous la junte (1967-1974), ses bâtiments d’architecture italienne sont devenus des prisons pour des milliers de communistes. D’autres édifices néoclassiques ont également été transformés en hôpital psychiatrique, critiqué pour ses mauvais traitements jusque dans les années 1980.

C’est d’ailleurs dans l’enceinte même de l’hôpital psychiatrique, qui compte toujours quelques patients, qu’a été construit un premier « hotspot » de réfugiés de 860 places, en 2016. Aujourd’hui, 75 demandeurs d’asile syriens et irakiens y sont parqués. Ils s’expriment peu, sous la surveillance permanente des policiers.

Il n’y a presque plus d’arrivées de migrants de la Turquie depuis deux ans. « Mais qui va donc venir occuper les 1 800 places du nouveau camp ?, interpelle le maire de Leros. Est-ce que les personnes dublinées rejetées d’autres pays de l’UE vont être placées ici ? » Le ministère de l’immigration assure que le nouveau camp n’abritera que les primo-arrivants des côtes turques. Il n’y aura aucun transfert d’une autre région ou pays dans ces centres des îles, dit-il.

La Turquie, voisin « ennemi »

Le gouvernement maintient que la capacité importante de ces nouveaux camps se justifie par la « menace permanente » d’arrivées massives de migrants de la Turquie, voisin « ennemi », comme le souligne le secrétaire général Manos Logothetis. « En Grèce, nous avons souffert, elle nous a attaqués en mars 2020 ! », lâche le responsable, en référence à l’annonce de l’ouverture de la frontière gréco-turque par le président turc Erdogan, qui avait alors entraîné l’arrivée de milliers de demandeurs d’asile aux portes de la Grèce.

Selon l’accord controversé UE-Turquie de 2016, Ankara doit, en échange de 6 milliards d’euros, réintégrer les déboutés de l’asile - pour lesquels la Turquie est jugée « pays sûr » - et empêcher les départs de migrants de ses côtes. « Elle ne collabore pas […]. Il faut utiliser tous les moyens possibles et légaux pour protéger le territoire national ! », avance Manos Logothetis.

Pour le gouvernement, cela passe apparemment par la fortification de sa frontière en vue de dissuader la venue de migrants, notamment dans le nord-est du pays. Deux canons sonores viennent d’être installés sur un nouveau mur en acier, le long de cette lisière terrestre gréco-turque.

De l’autre côté de cette barrière, la Turquie, qui compte près de quatre millions de réfugiés, n’accepte plus de retours de migrants de Grèce depuis le début de la pandémie. Elle aura « l’obligation de les reprendre », répète fermement Manos Logothetis. Auquel cas de nombreux réfugiés déboutés pourraient rester longtemps prisonniers des nouveaux « villages » de l’UE.

publié le 13 juin 2021

Yaya Karamoko, 28 ans, meurt noyé
à la frontière franco-espagnole

Par Nejma Brahim sur le site www.mediapart.fr

 

Il avait 28 ans et rêvait de rejoindre la France dans l’espoir d’un avenir meilleur. Yaya Karamoko, originaire de Mankono en Côte d’Ivoire, est mort noyé dans la Bidassoa en voulant traverser le fleuve à la frontière franco-espagnole, le 22 mai. Mediapart retrace son parcours.

 

«Il avait l’intention de s’installer en France… Il voulait travailler et sortir sa famille de la galère », souffle Hervé Zoumoul. Depuis deux semaines, cet activiste des droits humains, bénévole à Amnesty International France, remue ciel et terre pour mettre un nom et un visage sur celui qui s’est noyé le 22 mai dernier, à l’âge de 28 ans, en traversant la Bidassoa, un fleuve à la frontière franco-espagnole, dans le Pays basque. Il s’appelait Yaya Karamoko et avait commencé son périple depuis la Côte d’Ivoire, en passant par le Maroc, les Canaries et l’Espagne continentale.

 

Selon Xabier Legarreta Gabilondo, responsable chargé des migrations et de l’asile au Pays basque espagnol, c’est la première fois qu’une personne exilée meurt dans la Bidassoa en empruntant cette route migratoire. « La police autonome de l’Euskadi m’a appelé le 22 mai pour m’apprendre que le corps de Yaya avait été retrouvé dans le fleuve. Le gouvernement basque souhaite dire toute sa consternation face à un événement si triste : il est choquant qu’une personne perde la vie en essayant de rechercher une opportunité. »

 

Dans les jours qui suivent le décès, les autorités semblent perdues. « C’est moi qui ai appelé les proches de Yaya, avec l’aide de la communauté ivoirienne, pour les mettre au courant de son décès », confie l’écrivaine et militante Marie Cosnay, qui découvre avec surprise qu’aucune « information officielle » ne leur est parvenue en Côte d’Ivoire. La voix brisée et les silences songeurs, elle est encore sous le choc. Usée, aussi, par ses efforts d’investigation.

 

« J’ai appelé la police basque et la cour d’Irun, mais ils ne savent rien. Je n’arrive pas à connaître le protocole dans un tel cas, tout le monde est très démuni. Il y a une faillite des États et des institutions légales », pointe-t-elle dix jours après le drame, avant de préciser que le corps du jeune homme était, à ce stade, toujours à l’institut médicolégal de San Sebastián, et que les proches présents sur le territoire français devaient « se constituer parties civiles » pour pouvoir le voir. « Nous avons tenté de faciliter les échanges entre le juge en charge du dossier de Yaya et les membres de sa famille, afin que le contact puisse être établi », assure de son côté le responsable des migrations et de l’asile du gouvernement basque, sans donner plus de détails.

 

Au lendemain du drame, alors que la presse locale évoque le corps d’un « migrant » retrouvé dans la Bidassoa, un collectif de soutien aux exilés organise un rassemblement spontané sur le pont Santiago aux abords du fleuve. Près de 1 000 personnes sont là pour protester contre les frontières et les politiques migratoires qui conduisent à la mort les personnes en exil, à la recherche d’un pays sûr ou de meilleures conditions de vie. À cet instant, pour Marie Cosnay, présente dans la foule, l’urgence est aussi de retracer l’histoire de Yaya afin qu’il ne tombe pas dans l’oubli.

 

« Son seul objectif était d’aller en Europe »

 

Le visage rond et le regard vif, le jeune Ivoirien rêvait « d’une vie meilleure », confie un ami à lui, qui a partagé sa chambre durant plusieurs mois à Dakhla, au Maroc. « Comme tout jeune Africain, il était passionné de football. Ici, on n’a pas la télévision alors on allait voir les matchs dans un café. Il adorait le club de Chelsea ! », se souvient-il. Et d’ajouter : « C’était quelqu’un de sympa, tranquille, qui ne parlait pas beaucoup. Il était souvent triste, son seul objectif était d’aller en Europe. »

 

Originaire de Mankono (Côte d’Ivoire), où il grandit et quitte le lycée en classe de terminale, il travaille un temps comme chauffeur de taxi à Abidjan, puis dans le BTP. « On a grandi ensemble dans le même village, raconte son cousin Bakary tout en convoquant ses souvenirs. On partageait tout, même nos habits et nos chaussures. Il était ouvert aux autres et aimait rassembler les gens. » Souriant, drôle et taquin, aussi. « Il aimait beaucoup jouer au foot mais ne marquait jamais », ajoute-t-il dans un éclat de rire teinté de tristesse.

 

Son père décédé, c’est pour aider sa famille qu’il décide de tenter sa chance en Europe début 2021, rapporte Hervé Zoumoul qui a retrouvé un certain nombre de ses proches pour remonter le fil de sa courte vie. Yaya s’envole au Maroc, où il travaille durant plusieurs mois d’abord comme maçon, puis dans une usine de conservation de poissons pour financer la traversée auprès d’un passeur qui lui demande 2 500 euros. À ses côtés, dans la pirogue qui lui promet une vie nouvelle, il prend soin de son neveu, âgé de seulement 11 ans. Ses parents ont fourni à Yaya une autorisation parentale, que Mediapart a pu consulter, l’autorisant à « effectuer un voyage [au] Maroc » en sa compagnie.

 

« Il m’a raconté la traversée du Maroc aux Canaries et ce n’était vraiment pas facile, poursuit l’ami de Yaya basé à Dakhla. Ils se sont perdus et sont restés cinq jours en mer. Des personnes se sont jetées à l’eau, il y a eu des morts. Selon ses dires, le capitaine du convoi et plusieurs autres ont été arrêtés parce qu’ils n’ont pas déclaré les disparus aux autorités à leur arrivée [le 16 mars – ndlr]. » Depuis 2020, cette route particulièrement dangereuse via les Canaries s’est réactivée, notamment depuis le Sénégal et le sud du Sahara occidental, faisant gonfler le nombre d’arrivées sur l’archipel espagnol (lire ici notre entretien, ou là notre reportage).

 

« L’enfant qui accompagnait Yaya a finalement été pris en charge dans un centre pour mineurs aux Canaries et y est resté », explique Marie Cosnay. « Yaya a poursuivi sa route, enchaîne Hervé Zoumoul. Il était avec un groupe de personnes transféré le 22 avril en Espagne continentale. » Lui et trois de ses compagnons de route arrivent d’abord à Malaga et remontent petit à petit vers le nord, de Grenade à Madrid, jusqu’à atteindre Irun dans le Pays basque le 15 mai.

 

Ils sont accueillis dans un centre d’accueil pour migrants de la Croix-Rouge, placé sous l’autorité de la communauté autonome du Pays basque espagnol. Ils quittent les lieux le 16 mai, précise Hervé Zoumoul, également à l’origine de la plateforme « Protégeons les migrants, pas les frontières ». « À partir de là, ni ses amis ni sa famille n’ont réussi à joindre Yaya. Ils ont supposé qu’il avait changé de numéro ou perdu son téléphone... » Jusqu’à la terrible nouvelle.

 

Les trois amis de Yaya, avec qui il a traversé l’océan Atlantique depuis Dakhla jusqu’aux Canaries, puis rejoint l’Espagne continentale un mois plus tard, ont tous gagné la France. Contacté par Mediapart, l’un d’entre eux a préféré rester silencieux. « C’est très difficile pour eux. Ils ont été obligés de se séparer pour ne pas être repérés par la police. Yaya n’a pas réussi à traverser, eux ont survécu », résume Hervé Zoumoul.

 

Yaya Karamoko laisse derrière lui une mère âgée et plusieurs frères et sœurs sans ressources. « Il représentait tous mes espoirs. C’est grâce à lui que je suis ici, il m’a aidée à fuir mon domicile au pays car j’étais victime de violences conjugales, sanglote Aminata, une cousine de Yaya, actuellement au Maroc. Il devait m’aider pour la suite... Comment je vais faire sil ne vit plus ? »

 

Celle qui avait pour projet de le rejoindre en France se dit aujourd’hui perdue. « Les gens à Mankono n’arrivent pas à croire qu’il est décédé, complète son cousin Bakary. Je ne sais pas si sa mère tiendra longtemps avec cette nouvelle. Je ne pourrai jamais l’oublier. » Faute de moyens, le corps de Yaya ne pourra pas être rapatrié en Côte d’Ivoire. « Sa famille ne peut pas se permettre de payer pour cela. Il sera donc enterré en Espagne », précise Hervé Zoumoul.

 

Combien de morts devra-t-il encore y avoir aux portes de l’Europe et de la France pour espérer voir une once de changement dans nos politiques migratoires ? « Il est temps d’exiger des engagements collectifs tant au Pays basque qu’en Espagne et en Europe. Il est temps de revendiquer de l’humanité et des droits dans les politiques migratoires, d’accueil et de transit », conclut Xabier Legarreta Gabilondo. Le gouvernement basque a demandé au gouvernement espagnol l’organisation d’une réunion pour en discuter. »


 

publié le 3 juin 2021

Procès des "7 de Briançon" : manifestation à Grenoble
contre la "répression de la solidarité" envers les migrants


 

Sur la site france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes


 

Sept personnes étaient jugées en appel jeudi 27 mai à Grenoble pour avoir facilité l'entrée en France d'une vingtaine de migrants. Une manifestation s'est tenue devant le palais de justice avant le début de ce procès devenu un symbole.

 

Une manifestation a été organisée le 27 juin 2021 devant le palais de justice de Grenoble pour dénoncer la "répression de la solidarité" envers les migrants. • © Damien Borrelly / France 3 Alpes

Isère Grenoble

Un rassemblement a été organisé jeudi 27 mai devant le palais de justice de Grenoble pour dénoncer la "répression de la solidarité" envers les migrants et les sans-papiers. Le même jour, sept prévenus comparaissaient devant la cour d'appel de Grenoble pour avoir facilité l'entrée en France d'une vingtaine de migrants.

En première instance, les "sept de Briançon" ont été condamnés à des peines allant jusqu'à quatre mois d'emprisonnement. Le tribunal correctionnel de Gap avait prononcé le 13 décembre 2018 une peine de six mois de prison avec sursis à l'encontre de cinq d'entre eux : deux Français, une Italienne, un Suisse et un Belgo-Suisse aux casiers judiciaires vierges. Les deux autres, des Français déjà condamnés par le passé - dont un est également poursuivi pour rébellion dans ce dossier - avaient écopé de douze mois de prison, dont quatre ferme.

"On entrave les humanitaires dans leur mission d'assistance"

Ce procès est devenu un symbole dans les Hautes-Alpes où les réfugiés affluent. "L'enjeu est de taille puisque c'est un des plus gros procès concernant la répression de la solidarité envers les personnes exilées. Leurs propres droits sont bafoués et on est confrontés à des mesures d'intimidation, de pressions qui peuvent aller jusqu'à des poursuites judiciaires, ce qui est vraiment le monde à l'envers", estime Michel Rousseau, membre du comité de soutien aux prévenus.

"On habite dans ces montagnes. C'est insupportable pour nous d'accepter que notre propre pays utilise les montagnes comme des cimetières pour empêcher les gens de venir", complète-t-il. Depuis quelques années, le col de l'Echelle, entre Italie et France, est devenu un point de passage. La solidarité s'est organisée pour porter assistance aux réfugiés. Et les associations de dénoncer la militarisation de la frontière.

"Depuis 2018, on subit une répression constante à la frontière, constate Agnès Antoine, coordinatrice du comité de soutien aux prévenus. Les humanitaires sont entravés dans leur mission d'assistance. C'est vrai en France, en Grèce, en Turquie, en Croatie. C'est partout pareil, on entrave les humanitaires dans leur mission d'assistance. C'est scandaleux (...) Ce qui se joue, c'est le rejet de l'autre. La déshumanisation d'une partie de l'humanité à qui on refuse le droit même de respirer." 

Procès politique

En avril 2018, les sept prévenus participaient à une manifestation contre le groupuscule d'extrême-droite Génération identitaire. C'est dans ce cadre, alors que le cortège avait franchi la frontière franco-italienne, que le ministère public leur reproche d'avoir facilité l'entrée en France d'une vingtaine de migrants. Au terme du procès en première instance, les militants avaient dénoncé "l'extrême sévérité" des peines prononcées et "un coup d'arrêt" à "une plus grande humanisation du délit de solidarité" avant d'interjeter appel. L'un des avocats de la défense parle d'un procès politique.

"Ces jeunes gens payent une forme d'asymétrie de traitement des pouvoirs publics, c'est-à-dire, à l'époque, la bienveillance vis-à-vis de ce mouvement néofasciste (Génération identitaire, NDLR). Et en même temps, le soupçon permanent à leur endroit alors qu'ils mettent toute leur vie en jeu pour porter secours à des personnes en danger", estime Me William Bourdon, avocat de cinq prévenus. A l'heure de la publication de cet article, l'audience était toujours en cours. Des concerts de soutien ont lieu jusqu'à 20 heures aux abords du palais de justice.

publié le 20 mai 2021

Conflit à Gaza:
les gauches françaises entre indignation et tétanie

par Fabien Escalona et Pauline Graulle du site Mediapart

 

Alors que volent les allégations d’antisémitisme et que le sentiment d’impuissance face à cet interminable conflit s’accroît, la cause palestinienne ne semble plus portée par la gauche avec autant de vigueur qu’il y a dix ans. Certains réclament davantage de « courage ».


 

La gauche française a-t-elle encore quelque chose à dire sur l’interminable conflit israélo-palestinien ? Depuis une semaine, les bombes pleuvent sur Gaza. Mais, à gauche, peu de voix fortes se sont publiquement élevées pour porter une lecture politique du conflit.

Vu des réseaux sociaux, le week-end dernier offrait un contraste saisissant : alors que les bâtiment de l’agence américaine Associated Press et de la chaîne télévision qatarie Al Jazeera étaient pulvérisés par l’armée israélienne, défilaient des images des principaux responsables de gauche et de l’écologie faisant campagne, tout sourire, pour les élections régionales.

Des morts par dizaines, une guerre qui pourrait embraser la région, un gouvernement français passif qui ne condamne pas la politique de colonisation du gouvernement israélien et une gauche atone ?

Depuis le (re)surgissement des violences, tous les partis, des Verts au PS en passant par le PCF, ont publié des communiqués condamnant la « colonisation » des territoires palestiniens par Israël, appelant au respect du droit international et invoquant la solution des deux États comme voie de sortie de ce conflit vieux de sept décennies.

Plus prolixe que les autres, le groupe parlementaire de La France insoumise (LFI) a produit trois textes sur le sujet. « On veut tenir la tranchée et Jean-Luc Mélenchon ne se cache pas sur ce sujet, ce qui n’est pas le cas de tout le monde », martèle le député insoumis Éric Coquerel, qui explique que si son candidat n’a pas abordé la question lors de son meeting en Aveyron ce dimanche, c’était pour ne pas masquer par des questions d’actualité la problématique sociale au cœur de son discours.

Reste qu’à gauche aucune (ré)action collective n’a encore eu lieu. Certes, à l’inverse de la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, qui a qualifié de « sage » la décision de Gérald Darmanin d’interdire la manifestation propalestinienne de samedi à Paris, les chefs de parti – Olivier Faure pour le PS, Jean-Luc Mélenchon pour LFI, Julien Bayou pour les Verts et Fabien Roussel pour le PCF – se sont élevés contre cette mesure jugée anticonstitutionnelle. Et Fabien Roussel a été manifester à Lille.

Mais, contrairement au NPA, à Lutte ouvrière et au l’union syndicale Solidaires, aucun n’a bravé l’interdit pour se rendre dans le quartier parisien de Barbès et tous ont refusé de signer l’appel à la manifestation « interdite » aux côtés du NPA et d’Attac.

Une prudence qui n’a pas échappé à bon nombre de militants propalestiniens. « C’est vrai que, dans les rangs des collectifs de soutien à la Palestine, cette “timidité” a été remarquée, témoigne Julien Salingue, du NPA. On sent qu’il reste encore des réflexes au niveau des organisations nationales pour condamner les bombardements. Mais revendiquer un pacifisme abstrait en demandant “l'arrêt des violences” et dénoncer la colonisation, ce n’est pas s’engager clairement dans le soutien aux Palestiniens face à Israël. »

« À gauche, on n’est pas nombreux à parler haut et fort sur ce sujet, qui est pourtant capital », pointe de même la députée de LFI Clémentine Autain, qui s’étonne que les Verts, par exemple, « qui ont pourtant une tradition forte sur le sujet », ne soient pas davantage à l’offensive.

« On voit que la tendance actuelle, aussi bien à droite qu’à La République en marche, voire chez certains à gauche, c’est de dire qu’il faut défendre la démocratie israélienne contre les islamistes du Hamas, ou a minima, de renvoyer dos à dos Israéliens et Palestiniens, ce qui est insupportable », ajoute la candidate LFI en Île-de-France.

La députée communiste Elsa Faucillon a été la seule, avec Clémentine Autain, à intervenir sur le sujet à l’Assemblée mardi dernier lors de la séance de questions au gouvernement. Elle renchérit : « Ce n’est pas en marchant sur des œufs qu’on va s’en sortir, il faut au contraire assumer de mener la bataille au lieu de bégayer. La gauche a normalement en son cœur les valeurs pour l’amitié entre les peuples, la lutte pour les opprimés et l’anticolonialisme. Or, certains se réfugient en évitant le sujet ou en en parlant de manière dépolitisée. »

Panne stratégique

Il faut dire que les temps ne sont pas simples. Fini, la décennie 2000-2010, lorsque le conflit faisait partie du vade-mecum de base des militants de la gauche « de gauche ». Marginalisée par l’espoir suscité par le Printemps arabe, la question palestinienne a peu à peu disparu des radars médiatiques et politiques, même si les campagnes de boycott et les réunions de comités locaux se sont poursuivies loin des caméras.

« L’affaiblissement du mouvement de solidarité est aussi le reflet de la crise du mouvement national palestinien et des difficultés de mobilisation dans les territoires occupés, avec une population palestinienne qui a essayé de vivre comme elle pouvait l’occupation », souligne Julien Salingue.

Face à ce conflit aussi inextricable qu’ancien, un sentiment d’impuissance a, en outre, gagné les représentants nationaux de la politique partisane. « En réalité, la gauche n’a pas réfléchi à ce sujet depuis des années et elle n’a rien à proposer, regrette la sénatrice (EELV) et historienne du judaïsme Esther Benbassa. Signer des lettres et des tribunes, c’est bien, mais, dans le fond, à quoi cela sert-il ? »

« Que peut-on faire ? », interroge, lui aussi, le candidat écologiste à la candidature présidentielle, Yannick Jadot. « En tant que député européen, je me suis battu pour bloquer les préférences dont bénéficient les produits issus des colonies, j’ai soutenu la Cour pénale internationale… Mais ni la France ni l’Europe ne sont à la hauteur face à la dégradation des relations ces dernières années, entre un Mahmoud Abbas d’une faiblesse crasse et un Netanyahou qui construit une majorité avec l’extrême droite », ajoute, un peu désespéré, l’eurodéputé.

« Nous sommes nombreux à être dans une panne stratégique vis-à-vis de la question palestinienne, abonde le militant altermondialiste Christophe Aguiton. Depuis les accords d’Oslo [signés en 1993 par le premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, et le leader palestinien Yasser Arafat – ndlr], la ligne c’était en quelque sorte “la paix des braves”, basée sur la solution des deux États. Mais, aujourd’hui, plus personne n’y croit vraiment. Les politiques successives des gouvernements israéliens ont rendu extrêmement compliqué l’avènement d’un État palestinien, tant son territoire supposé est aujourd’hui morcelé, désarticulé. »

L’option d’un État laïc plurinational, avec des droits égaux pour tous, commence certes à gagner du terrain dans certains milieux militants. Comparant cette stratégie à une réclamation de droits civiques telle qu’elle a pu être portée par Nelson Mandela et son mouvement en Afrique du Sud, Christophe Aguiton la juge encore trop peu crédible : « Les haines sont tellement recuites qu’il est difficile d’envisager une Israélo-Palestine sereine. »

Par ailleurs, fait-il remarquer, une telle stratégie exigerait dans un premier temps que l’Autorité palestinienne se saborde, en refusant de jouer le jeu des Israéliens. Or de nombreuses personnes vivent aujourd’hui du statu quo financé par l’aide internationale.

À la complexité politique du terrain s’ajoutent des cultures différentes à gauche, qui ne facilitent pas des actions communes ni des expressions identiques. Si le PCF est de longue date très engagé auprès des Palestiniens, le PS est historiquement marqué par une tradition pro-israélienne, tardivement tempérée. « L’ancêtre du PS est la SFIO de Guy Mollet, qui, en tant que chef de gouvernement en 1956, est tout de même celui qui a entraîné la France dans l’expédition de Suez contre le régime de Nasser en Égypte », rappelle Jean-Paul Chagnollaud, président de l’Institut de recherches et d’études Méditerranée/Moyen-Orient (Iremmo).

« Plus tard, poursuit-il, c’est seulement après être devenu président de la République que Mitterrand a pris des initiatives allant dans le sens de la cause palestinienne, en évoquant la création d’un État palestinien à la Knesset ou en contribuant à légitimer Yasser Arafat comme interlocuteur. Et, au tournant des années 1990, le processus de paix et l’évolution des travaillistes israéliens eux-mêmes ont encouragé les socialistes français à tenir une position équilibrée. En résumé, il y a eu un passage de l’ignorance des Palestiniens à l’adoption de la solution des deux États. Mais des sensibilités différentes n’ont cessé de coexister à l’intérieur du parti, d’où des positions officielles assez molles. »

De quoi expliquer la pondération d’Olivier Faure, qui, interrogé par Mediapart, ne veut pas « entrer dans l’argumentaire des parties en présence, ce qui reviendrait à se condamner à ce que la solution ne puisse venir que de la victoire d’un camp sur l’autre ». Le premier secrétaire du PS dénonce aussi bien « la politique de colonisation dans les territoires occupés que l’instrumentalisation du peuple palestinien par le Hamas et les tirs de roquettes sur Israël ».

Chasse aux sorcières

Outre l’affaiblissement structurel de la gauche, la lassitude et les divisions historiques, c’est enfin le contexte politique actuel, fait d’extrême-droitisation des débats et de confusionnisme ambiant, qui entrave la mobilisation.

La hantise d’être accusé d’antisémitisme n’est pas nouvelle. Le risque d’amalgame avec l’antisionisme a déjà été soulevé à l’occasion du vote d’une résolution controversée par l’Assemblée nationale le 3 décembre 2019, ceci deux ans après une déclaration d’Emmanuel Macron en ce sens, en présence du premier ministre israélien, Netanyahou.

Déjà en 2014, lors des précédentes mobilisations pour Gaza, Manuel Valls avait justifié des restrictions au droit de manifester au moyen de cette rhétorique. Mais, plus récemment, les débats sur le séparatisme, sur la Marche contre l’islamophobie ou la traque gouvernementale d’un prétendu « islamogauchisme » ont été traumatiques. 

Au point que certains de ceux qui avaient embarqué, dans les années 2010, sur les flottilles pour Gaza afin de dénoncer le blocus israélien aimeraient dorénavant ne pas trop rafraîchir les mémoires. Trop peur de se prendre une flambée d’accusations et de menaces. « La pression est terrible : dès qu’on s’engage pour les Palestiniens, on est soit taxé d’antisémitisme, soit, si on est juif, d’être des traîtres. Après, pour qu’on avance, il faut aussi que les associations de défense des Palestiniens soient totalement clean », soupire Esther Benbassa, qui avait subi les foudres d’une partie de la classe politique pour avoir participé à la Marche contre l’islamophobie en octobre 2019.

« Ces accusations d’islamogauchisme, c’est une tache indélébile. Il est très difficile de s’en relever », dit avec une émotion contenue la sénatrice, qui vient de publier une tribune sur le sujet dans Libération. « L’ambiance est dingue, la disqualification des concurrents politiques est devenue la règle. Or la question israélo-palestinienne est sans cesse instrumentalisée dans des enjeux de politique nationale », s’exaspère Yannick Jadot, qui trouve « insupportable que le débat politique se résume à 280 caractères sur Twitter, surtout sur des sujets aussi complexes, avec tout le harcèlement qui s’ensuit ».

D’où cette fébrilité, voire cette « autocensure », estime Jean-Paul Le Coq, député communiste du Havre, qui a hurlé un « Rendez-nous Chirac ! » remarqué dans l’hémicycle la semaine dernière lors des QAG. « Il y avait un temps où dire que le droit des Palestiniens, c’est notre droit à tous, était commun à gauche, et même dans une partie de la droite, rappelle-t-il. Mais, en pleine séquence électorale et dans cette époque où les contestations, quelles qu’elles soient, sont criminalisées, il faut plus de courage pour dire les choses comme elles sont. »

Un point de vue partagé par Eva Sas, porte-parole d’EELV, qui réclame le retour aux frontières de 1967 avec Jérusalem comme capitale. « Il peut y avoir des dérives antisémites dans certains mouvements propalestiniens, reconnaît-elle. Mais il ne faut pas que cela nous empêche de nous exprimer sur une question de politique internationale. Au contraire, c’est en s’exprimant qu’on évitera les affrontements entre communautés. Mettre la poussière sous le tapis ou dire aux gens de se taire, cela ne fait que jeter de l’huile sur le feu. »

« Oui, les temps sont durs, et oui, il y a une offensive de gens qui reprennent les discours d’extrême droite, mais on ne va pas se laisser impressionner », avance, de son côté, Éric Coquerel. Clémentine Autain ne dit pas autre chose : « On ne fait que perdre des plumes en perdant notre âme ! »

Samedi prochain, un appel à manifester pourrait néanmoins être lancé par le Collectif national pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens. Existant depuis novembre 2000, ce rassemblement de 52 organisations est respecté des responsables politiques, du moins ceux des partis de gauche qui en font partie, dont EELV, le PCF et le Parti de gauche (membre de LFI). À voir si, cette fois, ils seront présents au rendez-vous.

publié le 18 mai 2021

Aujourd’hui en Palestine : des bombes, une grève générale, et un rassemblement de soutien à Montpellier

Sur le site lepoing.net

 

Après la grande manifestation du 15 mai, un nouveau rassemblement de soutien à la Palestine a eu lieu ce mardi 18 mai devant la préfecture de Montpellier. Plus d’une centaine de personnes, des associations (AFPS, BDS…), organisations et syndicats. Le Poing fait avec vous à cette occasion un retour sur cette nouvelle journée de souffrances palestiniennes.

Aujourd’hui les Palestiniens de Jérusalem et de toute la Palestine historique observent une grèvegénérale pour protester contre les massacres perpétrés par Israël à Gaza, la répression coloniale et d’apartheid et le nettoyage ethnique contre les communautés palestiniennes partout dans le monde.

Aujourd’hui le bilan se monte à 222 morts à Gaza dont 67 enfants.

Aujourd’hui l’ONG Care déclare : «  L’urgence à Gaza ce n’est plus le Covid, la seule clinique faisant les tests a été bombardée, l’urgence c’est comment rester vivant… »

Aujourd’hui Netanyaohu a déclaré «  Nous continuerons de bombarder pour ramener le calme…. »

Aujourd’hui le bureau du BDS en Palestine déclare : « Dans le cadre de la guerre qu’elle mène actuellement contre les deux millions de Palestiniens de la bande de Gaza occupée et assiégée, l’armée de l’air israélienne a détruit, le 15 mai 2021, un « immeuble de 11 étages situé dans la ville de Gaza et abritant une soixantaine d’appartements résidentiels et un certain nombre de bureaux, dont ceux d’Al Jazeera Media Network et de l’Associated Press », après avoir averti ses habitants pendant une heure qu’ils devaient l’évacuer. 

Les responsables militaires israéliens ont affirmé que des responsables de la résistance palestinienne avaient pris des bureaux dans ce bâtiment, une affirmation de propagande réfutée par AP.

Indépendamment du discours d’Israël et du fait que les attaques d’Israël contre les journalistes sont routinières et systématiques, cette dernière attaque israélienne à Gaza, comme beaucoup d’autres, constitue une punition collective, un crime de guerre en vertu du droit international. La couverture par les médias principaux de l’assaut israélien contre Gaza jusqu’à ce jour porte une part de responsabilité dans la réalisation de ce crime…

Aujourd’hui comment nous citoyen(ne)s du monde et de France pouvons-nous agir pour que la France et l’Europe prennent des sanctions contre l’état d’ISRAEL, État criminel et mettent fin à leur coopération militaire et sécuritaire ?

En participant à toutes les prochaines initiatives qui iront dans ce sens…..


 

publié le 16 mai 2021

 

À Montpellier, le quartier de la Paillade soutient la Palestine

 

sur le site lepoing.net

 

De nombreuses villes de France et du monde entier sont descendues dans la rue aujourd’hui et le feront dans les jours qui viennent pour soutenir la Palestine. De Paris à Sao Paulo, de Bologne à Sydney en passant par Londres : des manifestations de soutien au peuple palestinien se déroulent partout à travers le monde.

Aujourd’hui, ironie du sort, c’est le 15 mai l’anniversaire de la Nakba : la catastrophe, l’expulsion des Palestiniens de leurs terres et de leurs villages en 1948. Les palestiniens de Gaza à Jérusalem en passant par les palestiniens d’Israël appelaient ce samedi 15 Mai à être toutes et tous dehors dans la rue pour mettre fin à la Nakba qui ne cesse de continuer et au massacre de Gaza assiégée.

La manifestation a été interdite à Paris par Darmanin et son préfet Lallemand, les organisateurs(trices) ont employé tous les recours juridiques possibles pour la maintenir et dénoncent la criminalisation du droit à manifester.

À Montpellier le rassemblement était appelé à l’arrêt de tramway Saint-Paul dans le quartier populaire de la Paillade, et le pari fût plus que réussi : un rassemblement puis une manifestation composée de nombreu(ses)x habitant(e)s et jeunes du quartier et de Montpellier, la cause palestinienne a réalisé une véritable unité des associations, partis et mouvements dont celui des gilets jaunes et des occupant(e)s de lieux culturels. Entre deux cents et trois cents personnes étaient présentes au début du rassemblement, jusqu’à 600 au plus fort de la manifestation.

Le choix de La Paillade n’était pas anodin, il a permis de remettre au centre la loi sur « les principes républicains » et ses conséquences désastreuses dans les quartiers populaires. De nombreuses prises de paroles place Saint-Paul ont amorcé cette matinée de soutien à la Palestine. Le “Front Uni des Quartiers Populaires” qui a notamment dénoncé la gestion coloniale des quartiers populaires, le mouvement “Boycott Désinvestissement Sanctions” pour démontrer l’utilité du boycott des produits, évènements, marques et accords commerciaux comme moyen de lutte contre l’apartheid… Le collectif des musulmans de Montpellier a également rappelé “qu’à force des répéter des mensonges ils deviennent des vérités, les médias en sont parfois spécialistes”.

Puis se sont succédés l’Union Juive française pour la Paix, le Parti Communiste, le Parti Ouvrier International, les Gilets Jaunes, la Libre Pensée, le Nouveau Parti Anticapitaliste, l’association des Palestiniens du Languedoc-Roussillon et l’association “France Palestine Solidarité” qui appelle à un rassemblement devant la préfecture mardi 18 mai à 16H : en espérant n’avoir oublié personne !

La manifestation s’est ensuite mise en route vers les halles de la Paillade, la dalle du grand mail et quand elle est passée près des commerces des jeunes assis sur un banc se sont exclamés «  oh franchement il y a du monde ! » En remontant vers Saint-Paul elle s’est arrêtée devant la CAF où il n’y a pas si longtemps Macron et Darmanin étaient reçus par M. Delafosse, moment où un citoyen de la Paillade a expliqué comment les habitant(e)s de la Paillade n’avaient justement pas été reçu(e)s ce jour-là mais repoussé(e)s par les forces de l’ordre ! C’est là que le slogan «  Macron démission » s’est élevé de la foule après celui de «  Israël assassin Macron complice » d’ailleurs on peut en lire la confirmation dans la déclaration de Benjamin Netanhyaou au Times of Israël : « Je voudrais dire un mot de remerciement à mon ami le président Biden, à d’autres amis – le président de la France, le Premier ministre du Royaume-Uni, le chancelier de l’Autriche, le Premier ministre de l’Allemagne et d’autres. Ils ont défendu notre droit naturel et évident de nous défendre, d’agir en légitime défense contre ces terroristes qui attaquent à la fois des civils et se cachent derrière des civils. Cela ne les aidera pas, nous continuerons. »

La manifestation est finalement remontée sur Saint-Paul pour se dissoudre avec la promesse d’un agenda chargé d’actions et d’initiatives dans les jours qui viennent, il faudra se tenir au courant ! Pendant ce temps-là, la manifestation parisienne – interdit par le préfet de police sous ordre du Ministre de l’Intérieur – s’est vu infligé une répression brutale, avant même le début du rassemblement. Après de multiples charges de police, l’utilisation répétée de gaz lacrymogène, canon à eau et autres tirs de LBD, le pouvoir politique parvint finalement à obtenir les images de violence qu’il attendait. Seulement, une tâche vient assombrir le tableau : le rassemblement sur Paris a été le seul interdit, et le seul à prendre cette tournure – tandis que des milliers de personnes manifestaient pacifiquement dans tout le pays. Un calcul grossier de la part de Darmanin, laissant apparaitre au grand jour une minable stratégie de mise en tension, appliquée aux mouvements sociaux dès lors que le gouvernement ne cautionne pas les revendications portées par les contestataires.

Des mots résonnent encore dans le quartier de la Paillade «  Justice, justice en Palestine, la jeunesse soutient la Palestine » et surtout un slogan énoncé en arabe et largement repris qui disait «  Notre sang et notre âme pour Gaza ».

 


 

publié le 2 février 2021

 

 

Fabrègues, une bouffée d'oxygène de 6 mois

pour Souleymane Sow menacé d'expulsion

 

 

Par Clara Guichon sur www.francebleu.fr

 

 

 

Ce vendredi 29 janvier 2021, la Préfecture de l'Hérault a délivré une autorisation de séjour provisoire de 6 mois à Souleymane Sow. Alors qu'il venait de signer un CDI dans une boulangerie de Fabrègues, ce jeune Guinéen avait reçu une obligation de quitter le territoire (OQTF) avant la fin du mois.

 

 

 

La Préfecture de l'Hérault offre un sursis à Souleymane Sow : ce vendredi 29 janvier 2021, elle lui a délivré une autorisation de séjour provisoire de 6 mois. Deux semaines plus tôt, ce jeune Guinéen avait reçu une obligation de quitter le territoire (OQTF) avant la fin du mois, alors qu'il venait de signer un CDI dans la boulangerie Pain et Partage de Fabrègues (Hérault).

 

Ce samedi 30 janvier, les 150 personnes réunies devant la mairie de Fabrègues, en soutien à Souleymane Sow, partagent les mêmes sentiments : de la satisfaction, mais aussi beaucoup d'inquiétude. "Souleymane peut rester 6 mois de plus, mais dans des conditions compliquées", explique Géraldine Geffriaud. Cette orthophoniste est la "marraine de cœur" du jeune homme de 24 ans. Elle le suit depuis son arrivée en France, lui a donné des cours de français et l'a accompagné dans ses démarches administratives.

 

La Préfecture a fait ce geste pour que Souleymane Sow, qui souffre de problèmes de santé, puisse se soigner en France, avant de repartir en Guinée pour régulariser sa situation. C'est de là-bas, dit la Préfecture, qu'il pourra faire sa demande de Visa, qui lui permettrait de travailler en France. "Pour lui, c'est une vraie source d'inquiétude, car il se demande s'il pourra revenir en France après", poursuit Géraldine Geffriaud.

 

 

 

"Je ne comprends pas la décision de la Préfecture, lâche Souleymane Sow. Pourquoi ne veut-elle pas me régulariser? J'ai trouvé un travail en France, j'ai appris la langue, je m'intègre à la société. Je n'ai fait que des choses bien! La Préfecture dit que c'est parce que je suis arrivé en France illégalement. Mais je n'avais pas le choix !"


 

publié le 23 janvier 2021

 

Nouveau rassemblement de soutien pour Souleymane

 

 

A l’appel du Comité de Soutien < soutien.souleymane@yahoo.com >, ce sont 150 personnes environ, qui se sont rassemblées ce samedi 23 janvier à Fabrègues, faisant suite au premier rassemblement du vendredi 15.

 

Rappel. Souleymane, jeune réfugié guinéen travaille depuis plus d’un an dans la boulangerie solidaire « Pain et Partage » à Fabrègues.

Sa demande d’asile a été repoussée. Et malgré son CDI, la Préfecture lui a refusé une carte de séjour au titre de salarié. Il est maintenant menacé d’expulsion.

 

Lors du rassemblement, Souleymane est intervenu au micro pour dire son souhait de continuer à vivre et travailler en France.

Sa « marraine » qui l’aide depuis son arrivée à Montpellier a décrit son itinéraire d’intégration au cours de ces 2 années.

Les représentants de la Ligue des Droits de l’Homme et de la Cimade ont expliqué la situation juridique de Souleymane et les raisons qui justifient son droit à séjourner et travailler en France.

 

Puis, les députés Patrick Vignal et Muriel Ressiguier, le sénateur et conseiller régional Hussein Bourgui, la maire de Murviel et vice-présidente de la Métropole Isabelle Touzard, ainsi que le conseiller métropolitain Serge Desseigne ont pris la parole pour soutenir la demande de régularisation de Souleymane et expliquer leurs démarches en ce sens auprès de la Préfecture.

 

Serge Ragazzaci, secrétaire de l’Union Départementale de la CGT a resitué le cas de Souleymane parmi les très nombreuses situations de réfugiés qui, après les épreuves de l’exil et les dangers vécus en Méditerranée, sont en butte aux tracasseries de l’administration.

 

Enfin, un animateur du Comité de Soutien a remercié les personnes venues soutenir Souleymane et a annoncé que d’autres actions seront organisées tant que la régularisation ne sera pas obtenue.

Et c'est le groupe de percussion de djembés, dont Souleymane est membre, qui a clôturé le rassemblement.

 

 

Rappel de la pétition demandant sa régularisation :

https://www.change.org/p/emmanuel-macron-contre-l-expulsion-de-souleyane-jeune-boulanger-guin%C3%A9en-en-cdi?recruited_by_id=860c06a0-4a7b-11eb-b7ac-d5254b44d8

Publié le 19/01/2021

 

 

Un jeune réfugié menacé d’expulsion à Fabrègues


 

Communiqué du Comité de Soutien


 

Souleymane, Guinéen de 24 ans, travaille depuis plus d’un an dans une boulangerie bio (l’association d’insertion Pain et Partage) de Fabrègues (Hérault).

Il est arrivé en France il y a 2 ans et bénéficiait jusqu’à maintenant d’une autorisation de travailler qui va bientôt prendre fin car le statut de demandeur d'asile lui a été finalement refusé. Il a alors fait une demande de carte de séjour salarié auprès de la Préfecture de l’Hérault, puis, après un premier refus, un recours gracieux ; à ce jour il n’a reçu aucune réponse si ce n’est une OQTF (obligation de quitter le territoire français).

Il est donc susceptible d’être expulsé à tout moment. Il ne comprend pas ce rejet de la part du seul pays où il a pu commencer à construire une vie digne et libre.

De plus, il se trouve dans une impasse complète et risque de devenir apatride puisque, menacé d'expulsion, il ne peut retourner dans son pays d’origine, la Guinée, car il n'a pas de passeport lui permettant de rejoindre ce pays qui ne l'acceptera pas sans papiers.

Il a donc déposé un recours devant le tribunal administratif de Montpellier qui statuera fin février.

 

L’itinéraire de Souleymane

 

En Guinée, Souleymane était victime de violences familiales tant physiques que psychologiques qui l’ont notamment empêché d’être scolarisé. Il garde de lourdes séquelles physiques de ces violences. C’est la raison qui l’a poussé à quitter son pays d’origine.

Au cours d’un itinéraire long et compliqué comme tous les migrants, il est passé par le Maroc où il est resté quelques mois, survivant difficilement et préparant son passage en Europe. Puis, il a traversé la Méditerranée sur un zodiac. Débarqué en Espagne, il y est resté quelques temps et est arrivé en France en décembre 2018.

Avec l’aide d’un avocat de Ligue des Droits de l’Homme (Me Sophie Mazas), il dépose alors une demande d'asile Réfugié. Le dépôt de cette demande lui permet d'obtenir un hébergement et l’accès à des cours de français, langue qu’il maîtrisaît très mal n’ayant pas été scolarisé.

 

Une bonne intégration…

 

Grâce à ses efforts personnels, il parle maintenant parfaitement notre langue, condition nécessaire pour son intégration professionnelle. Parallèlement, il entre en contact avec une association l’AHM (Association Humanitaire de Montpellier) qui lui apporte un soutien matériel et l’aide à s’insérer.

C’est ainsi que son intérêt pour le métier de boulanger peut se matérialiser. Il débute par des stages, puis un CDD et depuis fin 2020 il obtient un CDI dans l’atelier de fabrication de l’entreprise d’insertion Pain et Partage à Fabrègues. Cette boulangerie solidaire approvisionne en pain bio les cantines, collectivités et association humanitaires de la région de Montpellier. Par son sérieux et son professionalisme, il est devenu rapidement un élément essentiel de l’entreprise, assurant la production et formant les nouveaux embauchés qui restent peu de temps vu la difficulté du métier.

Cette stabilisation professionnelle lui fournit l’occasion de mieux s’établir : il achète un scooter et passe le brevet pour le conduire ce qui lui facilite grandement ses trajets vers son travail de nuit à Fabrègues car il est toujours hébergé à Montpellier.

En accord avec son employeur, il projette maintenant une formation en alternance pour un CAP boulangerie.

 

 ...balayée par la Préfecture

 

Mais le refus de l’administration française de lui délivrer un titre de séjour de salarié et l’ordre de quitter le territoire lui interdisent désormais tout travail.

Avec son avocat, Souleymane a déposé un recours contre la décision de la Préfecture auprès du Tribunal Administratif qui statuera fin février. En attendant, l’obligation de quitter le territoire est suspendue mais il y a toujours interdiction de travailler.

Plus que son équilibre personnel, si durement acquis, c'est son existence même d'homme libre qui est mise en péril, puisque interdit de séjour en France et empêché d'entrer en Guinée. Par ailleurs, le bon fonctionnement de l’entreprise d’insertion Pain et Partage est gravement menacé car il lui sera quasi impossible de remplacer Souleymane tant il est difficile de recruter et garder des salariés dans ce secteur où le travail est dur.


 

Le soutien s’organise

 

 

Nous avons organisé un premier rassemblement de soutien à Souleymane le vendredi 15 janvier devant la boulangerie. Plus de quarante personnes étaient présentes, notamment un des responsables de la Cimade et un représentant de la Ligue des Droits de l’Homme.

 

Lors de cette matinée, le député Patrick Vignal est venu rencontrer Souleymane et son employeur. P. Vignal a annoncé qu’avec sa collègue députée Muriel Ressiguier, ils allaient intervenir auprès de la Préfecture. Un adjoint au Maire de Montpellier nous a contactés pour concrétiser un soutien de la municipalité.

 

Une pétition demandant sa régularisation est disponible :

https://www.change.org/p/emmanuel-macron-contre-l-expulsion-de-souleyane-jeune-boulanger-guin%C3%A9en-en-cdi?recruited_by_id=860c06a0-4a7b-11eb-b7ac-d5254b44d8

 

Un nouveau rassemblement de soutien est prévu le samedi 23 janvier à 10h00 devant la boulangerie, 71 rue Mézière Christin (zone industrielle) à Fabrègues.


 

Pour contacter le Comité de Soutien : soutien.souleymane@yahoo.com

 Publié le 22/12/2020

Méditerranée. Avec les pilotes qui volent au secours des réfugiés

 

Émilien Urbach (site humanite.fr)

 

Depuis une semaine, pour aider au sauvetage des exilés partis de Libye sur des embarcations de fortune, Pilotes volontaires, une association d’aviateurs solidaires, a repris ses missions d’observation depuis les airs. Reportage.

Îles siciliennes, envoyé spécial.

Ils sont quatre, chaque jour, dans l’exiguë carlingue du Colibri-2, à survoler l’immensité bleue qui s’étend 1 500 pieds sous les ailes de leur petit avion bimoteur. Près de six heures d’affilée, accrochés à leurs jumelles, ils observent sans répit les flots de la Méditerranée centrale, à l’affût de la moindre petite tache chahutée par les vagues. Leur but : repérer les bateaux d’exilés à la dérive qui, depuis les côtes libyennes, ont pris la mer avec comme seul bagage l’espoir d’une vie meilleure.

Couvrir la zone la plus grande

Depuis ce samedi 12 décembre, après une année clouée au sol à cause d’obligations administratives imposées par les autorités italiennes héritières des années Salvini, l’équipe des Pilotes volontaires a repris ses missions. Ils ont participé, entre janvier 2018 et décembre 2019, au sauvetage de près de 6 000 personnes en détresse sur des esquifs prêts à sombrer. Leur premier objectif était de venir prêter main-forte aux bateaux de sauvetage des ONG. « On a pu collaborer à plusieurs reprises, mais dans les faits, à cause des contraintes et interdictions imposées par les autorités italiennes et maltaises, nous avons très peu eu l’occasion de voler en même temps qu’ils étaient sur zone », confie José Benavente, fondateur de l’association, dans l’appartement loué à l’occasion de ce nouveau départ sur la plus grande des îles Pélages. « La question s’est posée de reprendre ou non nos activités, alors que plus aucun bateau de la société civile n’est présent, reprend-il. Mais notre mission est d’aider à sauver des vies, quelles que soient les conditions. Les départs de Libye continuent. Nous sommes revenus sur place dès que cela a été possible. » Il a fallu acheter un nouvel avion, vendre l’ancien et lever des fonds. Pour l’heure, les pilotes n’ont de quoi tenir que quatre ou cinq semaines. Il leur faut collecter environ 300 000 euros pour rester opérationnels une année entière.

Ici, sur la table de la cuisine, ils ont installé leurs ordinateurs et le matériel radio. Le soir, Émeric, un jeune agriculteur qui, au sein de l’équipe, a pris la casquette d’observateur référent, trace des traits sur une carte : la route aérienne que prendront le lendemain les aviateurs. Son objectif : faire en sorte de couvrir la zone la plus grande, près de 18 000 km2 chaque jour, en prévoyant que le regard humain, à l’aide de jumelles, porte à environ 6 milles nautiques depuis l’avion. Dans la même pièce, Thaïs, étudiante en biologie, a la fonction d’agent de liaison. Pendant les missions, en compagnie de Franck, un autre observateur, elle reste en communication permanente avec l’avion grâce à un téléphone satellite embarqué. Si les aviateurs repèrent des exilés en difficulté, leur rôle est de prévenir en urgence le MRCC (Centre maritime de coordination et de sauvetage) le plus proche.

« Les Libyens ne répondent jamais », regrette José, qui connaît bien le continent africain et se lamente de voir la Libye sombrer chaque jour un peu plus dans le chaos. « Il ne faut pas oublier que les premières victimes du conflit en cours dans ce pays sont les civils, poursuit-il.  Par ailleurs, du fait de ce chaos, aucun port ne peut y être considéré comme sûr pour y débarquer des rescapés. Alors, nous alertons automatiquement le MRCC de Malte et les Italiens. Ensuite, nous mettons en copie ouverte les ONG qui sont présentes sur zone, ce qui leur permet de proposer leurs services aux centres de coordination. » Dans les faits, c’est l’intervention des gardes-côtes libyens que privilégie le plus souvent le MRCC. Cette année, dans le cadre d’accords entre des pays européens et les milices de la Tripolitaine, « plus de 11 000 personnes ont (…) été renvoyées en Libye, au risque d’être exposées à des violations des droits humains, à la détention, aux abus, au trafic et à l’exploitation », indiquait, à la mi-novembre, un communiqué de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Près d’un millier ont, pour leur part, trouvé la mort, dont plus d’une centaine le mois dernier, sur cette route migratoire la plus meurtrière au monde.

Espaces maritimes interdits

Pour résister à cette funeste réalité, ce mardi 15 décembre, José, Kevin, un autre pilote, et Émeric ont rendez-vous à « 7 heures zoulou » (horaire universel dans le langage aéronautique) sur le tarmac de l’aéroport, pour effectuer le second vol de cette reprise de la mission des Pilotes volontaires. Après une méticuleuse inspection du Colibri-2, ils décollent vers Abram, un point aérien virtuel situé à environ 70 milles nautiques à l’ouest de Tripoli. C’est la porte d’entrée de la zone, qu’ils vont scruter six heures durant. Peu avant midi, Émeric repère une tache blanche persistante à la surface de l’eau. Kevin coupe le pilote automatique, prend les commandes. L’aéronef entame une descente, fait un virage, un second. « Peut-être une épave semi-­flottante », suggère José.

Nous considérons comme probable le fait qu’il y ait toujours eu des naufrages en mer dont on n’a pas connaissance. Flavio Di Giacomo Responsable de la communication de l’OIM

Il n’est pas rare d’en rencontrer. Il peut s’agir de navires abandonnés qui n’ont pas coulé après que les gardes-côtes sont venus les détruire à la suite d’un sauvetage. C’est la pratique habituelle. Mais ces restes d’embarcation à moitié engloutie peuvent tout aussi bien être les tragiques reliques ballottées par les flots de centaines de vies perdues loin des yeux. « Nous considérons comme probable le fait qu’il y ait toujours eu des naufrages en mer dont on n’a pas connaissance », déclarait, au printemps dernier, Flavio Di Giacomo, le responsable de la communication de l’OIM.

 « J’aurais aimé que quelqu’un le voie pour confirmer ! » lance Émeric à son tour. C’est comme cela que ça fonctionne à bord du Colibri, si l’un des observateurs aperçoit quelque chose, on s’approche pour qu’un autre fasse le même constat. Ce mardi, au cours des 6 h 30 de vol, aucune personne en danger n’aura finalement été repérée. « La météo était pourtant propice au départ, affirme José. Il est probable que les gardes-côtes libyens en aient interpellé plusieurs avant qu’elles sortent des 20 milles nautiques. » Une zone où seuls les bateaux libyens ont le droit d’intervenir. C’est un espace maritime national. Le Colibri n’a pas l’autorisation de le survoler. S’il en avait eu le droit, peut-être aurait-il pu empêcher la disparition de plusieurs dizaines d’exilés survenue ce même jour, dans la région de Zawiya, à 45 kilomètres de Tripoli…

Allures carcérales

La nouvelle est tombée mercredi. La Croix-Rouge a annoncé la découverte des corps de quatre enfants âgés de 5 à 10 ans, sur une plage à l’ouest de la capitale libyenne. « Nous avons été informés de la présence d’une embarcation en train de couler avec trente personnes à bord », a déclaré à l’AFP Hassan Mokhtar Al Bey, du Croissant-Rouge. Au moins 126 autres ont été interceptées en mer par les milices libyennes.

D’autres ont réussi à rejoindre l’île italienne de Lampedusa. « Ce mardi, trois bateaux sont arrivés de façon autonome », indiquent Niccolo et Marta, attablés dans un bar à proximité du port. Ils sont bénévoles au sein du programme Mediterranean Hope, initié en 2013 par les églises protestantes italiennes. « On a comptabilisé environ 300 personnes, continuent-ils en montrant les photos de trois embarcations ne dépassant pas 8 mètres de longueur. Pour la moitié, il s’agissait de mineurs. Des femmes sur le point d’accoucher aussi. Quand ils ont été débarqués, nous leur avons apporté de l’eau et des couvertures avant que les gardes les conduisent au hotspot. » Le centre d’identification est situé à un kilomètre au nord-est du port. Ce complexe aux allures carcérales se cache au fond de la vallée Imbriacola, qui sillonne l’île d’est en ouest. Prévu pour accueillir moins de 200 personnes et dans un état particulièrement délabré, il aurait vu transiter pas moins de 1 500 exilés, le mois dernier.

Avant d’atterrir, mardi soir, les Pilotes volontaires observent, sur le rivage ouest de l’île, un ferry de la compagnie italienne GNV, l’ Azzurra, étrangement placé au mouillage à l’extérieur du port. Dès le mercredi, les 300 exilés fraîchement arrivés et 50 autres enfermés depuis quelques jours au hotspot y sont embarqués. C’est la nouvelle stratégie italienne en cette période de pandémie de Covid-19 : depuis le mois de mars, tous les exilés primo-arrivants sont placés sur des ferrys transformés en centres de quatorzaine flottants. Une démarche dénoncée, en novembre, par près de 150 organisations italiennes et internationales qui y voient une « violation des droits humains » et le moyen de nourrir une propagande sur les « migrants infectés ». Ce jour-là, les autorités ont dû juger préférable de pas montrer un hotspot trop surchargé au ministre italien des Transports qui devait le visiter le lendemain…

 

Parmi les avions et les hélicoptères entourant celui du ministre transalpin, les Pilotes volontaires croisent alors sur le tarmac un autre aéronef de petite taille. Quatre personnes en combinaison orange s’affairent autour.  Ce sont les aviateurs de l’ONG allemande See-Watch, venus eux aussi survoler la Méditerranée à bord du Moonbird. Tant que les deux équipes de pilotes solidaires en auront les moyens, elles se relaieront pour pallier le renoncement des États membres de l’Union européenne à secourir les milliers de nos semblables qui risquent quotidiennement leur vie, en quête d’un refuge, sur les rivages occidentaux de la Méditerranée.

L’indispensable présence des navires d’ONG

Un nouveau bateau, affrété par des militants et députés de la gauche italienne, doit bientôt prendre la mer. À l’initiative du Collectif Mediterranea, le Mare-Jonio-2 sera pourvu d’un hôpital et pourra accueillir environ 1 000 rescapés. Il sera équipé de drones et de ballons volants afin de survoler la zone de recherche et de sauvetage. Il faudra cependant attendre avril avant de le voir naviguer en Méditerranée centrale, où, pour l’heure, plus aucun bateau d’ONG n’est présent. L’organisation Moas (Migrant Offshore Aid Station), qui avait quitté la zone en 2017 à la suite des restrictions imposées par l’Italie, vient aussi d’annoncer son retour. La structure maltaise, partenaire de l’ONG allemandeSea-Eye, espère reprendre ses missions en février avec le Sea-Eye-4.L’Aita-Mari, affrété par des bénévoles espagnols, s’est, pour sa part, mis en route vers la Libye, la semaine dernière. Les Français de SOS Méditerranée, après plusieurs modifications imposées par l’administration italienne sur Ocean-Viking, espèrent quant à eux reprendre leurs missions dès le début 2021. « Qu’il y ait des bateaux ou pas en mer, ça n’a aucune influence sur les départs (d’exilés – NDLR). Or, on a dit dans les capitales européennes que c’était la présence d’ONG qui avait un effet magnétique sur les départs », déclarait Vincent Cochetel, du haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, au début du mois. À l’heure actuelle, huit bateaux d’ONG sont toutefois interdits d’intervenir pour des raisons administratives ou judiciaires.

Publié le 14/12/2020

Dans l’Aude, une tombola de Noël pour les prisonniers politiques gilets jaunes

 

(site lepoing.net)

 

Dans le mouvement social aussi on prépare les fêtes ! Le collectif audois “Cool-actif 11 vous soutient”, créé pour organiser la solidarité avec les gilets jaunes emprisonnés, organise, comme l’an dernier, une tombola de Noël, le 26 décembre à 14h30.

Les billets sont proposés à un prix oscillant entre deux et cinq euros et l’intégralité des bénéfices sera reversé aux détenus, notamment les quatre personnes toujours derrière les barreaux, selon nos informations, dans l’affaire de l’incendie du péage de Narbonne-Sud (l’un serait sorti en octobre).

Près de deux milles euros avaient été récoltés via la cagnotte en ligne toujours active, mais début octobre, les caisses étaient quasiment vides, et pour cause. Le coût de la vie est estimé à deux cents euros par mois en détention selon l’Observatoire internationale des prisons. L’administration pénitentiaire ne fournit que le minimum : deux repas par jour – de qualité médiocre et pas toujours en quantité suffisante –, et des kits d’hygiène et d’entretien. La télévision est louée à 7,50 euros par mois, le réfrigérateur quatorze euros. Comptez soixante-dix euros par mois pour vingt minutes d’appels quotidien en utilisant les téléphones mis à disposition dans les cours de promenade (raison pour laquelle les détenus achètent souvent leur propre téléphone malgré un risque d’être placé en quartier disciplinaire).

Le collectif, qui ne peut plus tenir de brocantes de soutien en raison du confinement, a maintenant besoin de votre soutien. Pour participer à la tombola ou avoir plus d’informations, envoyez leur un message via leur page facebook ou leur mail : soutienincarcere11[at]gmail.com. La tombola se tiendra le 26 décembre à partir de 14h30, en direct sur facebook. Voici les lots :

  1. Une corbeille de Noël (toasts et délice de poivrons, pâté du dimanche au foi de canard, délice au foi de canard au vin blanc, confit de canard et ses marrons, confiture de pain d’épice, chocolats et pâtes de fruits de nougat, vin rouge et bulles, bon d’achat de 25€ à la boulangerie « Aux délices de Salléles » (à Sallèles-d’Aude) ;
  2. Panier de douceurs de la nature ;
  3. Boite de chocolats Rochers ;
  4. Tableau village de Sylvie ;
  5. Pochon de produits de soin naturels Just ;
  6. Tableau mer de Sylvie ;
  7. Chapeau garni de produits de beauté ;
  8. Tableau gilet jaune d’Hélène ;
  9. Sac organza avec des produits Just ;
  10. Sac organza avec des produits Just ;
  11. Petite glacière garnie de produits Just.

Entre novembre 2018 et mars 2019, près de deux mille gilets jaunes ont été condamnés par des tribunaux, dont 762 à du ferme, dont 313 qui n’ont pas eu le droit à un aménagement de peine et qui ont donc été derrière les barreaux, parfois pour plusieurs années, et dans des conditions souvent indignes. Et ces chiffres ne prennent pas en compte les condamnations en cours, pour des affaires remontant parfois aux premiers mois de la mobilisation.

Ne laissons pas les prisonniers du mouvement social isolés : face à la répression, la solidarité est notre arme !

 Publié le 03/11/2020

Dans la vallée dévastée de la Roya, la solidarité et le bénévolat pallient les carences de l’État

 

par Jean de Peña, Nina Hubinet (site bastamag.net)

 

Ils déblaient les routes et les maisons, reconstruisent des ponts provisoires, distribuent de l’aide alimentaire, visitent les personnes âgées isolées. Trois semaines après le passage de la tempête Alex qui a dévasté la vallée de la Roya, ils sont des dizaines de bénévoles, venus de toute la France et même d’Italie, à aider les sinistrés à reprendre pied. Basta ! est allé à leur rencontre.

Une élégante façade aux volets rouges, trois arches qui abritent une loggia, et une vigne, au-dessus de l’escalier central, où quelques grappes brunes sont restées accrochées… Malgré les dégâts, cette maison de Breil-sur-Roya a conservé son charme. On imagine facilement les longues soirées d’été que ses habitants ont pu savourer sur la terrasse qui surplombait le petit lac aux eaux turquoise – désormais une étendue de boue séchée, où quelques carcasses de voitures gisent encore sur le toit. « Quand je me suis réveillé le 3 octobre, le lendemain de la tempête, et que j’ai regardé par la fenêtre, je n’en ai pas cru mes yeux », raconte Albert Ipert, 76 ans, Breillois de naissance. « Trois mots me sont venus à l’esprit : déluge, désastre, désolation. » Sur son visage aux belles rides, l’émotion resurgit en les prononçant à nouveau. « Mais heureusement il y a tous ces bénévoles qui nous remontent le moral ! », se reprend-il, sourire aux lèvres.

Armées de pelles, seaux et brouettes, une vingtaine de personnes s’activent autour de lui, déblayant les abords de la demeure et les pièces qui ont été inondées. Une trentenaire fluette, carré blond et muscles tendus, est courbée en deux dans la cave, en train de remplir des seaux de boue. « Je suis arrivée hier d’Armentières, près de Lille. J’ai vécu un an à Nice et je suis tombée amoureuse de la région... Alors quand j’ai vu ce qui se passait ici, ça m’a beaucoup touchée », raconte Séverine Plateau, coach sportif. Les rotations des hélicoptères l’obligent à hausser la voix. « J’ai créé une page Facebook pour collecter des dons pour les sinistrés, et dès que j’ai pu, j’ai rempli ma voiture à ras bord et je suis partie avec mon amie Lydie, qui est pompier. »

 « Ce n’est pas une catastrophe naturelle, c’est une catastrophe surnaturelle »

Comme elle, des centaines de personnes, venues des Alpes-Maritimes, mais aussi de Marseille, Tarbes, de Bretagne ou des Ardennes, ont afflué dans la Roya pour venir en aide aux sinistrés de Breil ou Tende. Tous ont été choqués par les images des flots déchaînés de la rivière, gonflés par les pluies diluviennes, emportant tout sur leur passage : arbres, routes, ponts (11 sur les 13 que comptait la vallée), et maisons...

On déplore un mort, et cinq personnes sont également toujours portées disparues dans la Roya. Comme dans les vallées voisines de la Vésubie et de la Tinée, les dégâts sont d’une ampleur inimaginable.

Sept familles ont perdu leur toit à Breil, et une vingtaine de bâtiments ont été placés sous arrêté de péril. Il faudra des années pour reconstruire, et pour redonner à la Roya et ses affluents, dont le lit a souvent triplé de largeur, leur aspect d’origine. « Ce n’est pas une catastrophe naturelle, c’est une catastrophe surnaturelle », assène Albert Ipert. Comme d’autres Breillois, ce qui lui a permis de tenir le coup depuis trois semaines, c’est cette solidarité spontanée, d’abord au sein des villages, puis à l’échelle nationale. Et même au-delà des frontières, puisque les voisins italiens – la vallée de la Roya est à cheval sur les deux pays – ont aussi prêté main forte, en particulier pour aider les éleveurs de la vallée à rapatrier leurs troupeaux en lieu sûr.

Culture de la débrouillardise

Nathalie Masseglia habite sur les hauteurs de Breil. Clown et metteure en scène, cette native de la vallée se remémore le choc ressenti le lendemain de la tempête. « J’ai d’abord vu les arbres arrachés, les éboulements, notre jardin qui avait disparu… Puis j’ai commencé à paniquer en m’apercevant qu’il manquait deux maisons au bord de la Roya, et que la rivière n’avait plus du tout la même forme. Quand je suis descendue au village, c’était cataclysmique. Toute mon enfance avait disparu. » Elle dit s’être alors « écroulée ». Les portables ne passaient plus, il n’y avait plus d’eau courante, plus d’électricité, donc plus d’internet. La route menant à sa maison était en partie effondrée. Puis, par le bouche-à-oreille, elle entend parler d’Hervé Benna, un entrepreneur du bâtiment qui ouvre les routes avec son tractopelle. « Sans lui, je crois que je me serais découragée. »

Comme beaucoup d’habitants du village, Nathalie tient à rendre hommage à ce maçon, devenu l’un des héros locaux de l’entraide. Au Café des Alpins, le seul bar ouvert le soir à Breil depuis la catastrophe, le jeune homme de 32 ans évoque lui aussi un paysage d’apocalypse. Le lendemain du désastre, il ne réfléchit pas longtemps : il monte dans son tractopelle et s’attaque au col de Brouis, qui relie Breil à Sospel, et qui reste aujourd’hui le seul accès routier au village. « Avec deux gars à la pelle, on a déblayé la route. Ensuite on a fait pareil avec d’autres petites routes du village. Puis on a sorti les voitures de la boue, participé à l’aménagement des pistes… En une semaine, j’ai passé 90 heures dans mon engin. »

Hervé revendique cette « culture de la débrouillardise », propre au territoire marginal et enclavé qu’est la Roya. « Ici, on a l’habitude de faire seuls. » Il dit avoir fait ce qui lui semblait « logique », puisqu’il avait les compétences et le matériel adapté pour le faire, au moment où ces moyens-là n’était pas présents, selon lui, du côté des autorités publiques. « Plein d’hélicos passaient dans le ciel, mais pour aller vers la Vésubie et la Tinée. Le deuxième jour après la tempête, la Sécurité civile et les militaires du génie sont enfin arrivés. Ils ont été très efficaces mais ils sont repartis sans avoir aménagé un accès au haut de la vallée, vers Tende. »

Sentiment d’abandon

Cette impression d’être la dernière roue du carrosse, d’être toujours oubliés par « ceux d’en haut », est très largement partagée dans la Roya. On mentionne souvent le fait que le député et conseiller départemental des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, est originaire de la Vésubie, pour expliquer pourquoi la vallée voisine serait mieux lotie en termes d’aides publiques. Ou que l’édile, partisan d’une « immigration zéro », est peu enclin à venir au secours de la Roya, dont il n’a pas manqué, depuis 2016, de vilipender les réseaux d’aide aux exilés... Certains habitants précisent surtout que la Tinée et la Vésubie font partie de la riche métropole de Nice, tandis que les villages de la Roya sont inclus dans la petite « Communauté d’agglomération de la Riviera française ».

Audrey Rossi, première adjointe au nouveau maire (LR) de Breil, Stéphane Olharan, attribue surtout le « décalage » dans l’arrivée des secours à la rupture des communications téléphoniques au lendemain de la tempête. « Le 3 octobre, en fin d’après-midi, le maire est monté au col de Brouis pour avoir du réseau et joindre le préfet. Celui-ci lui a passé Jean Castex, et le gouvernement a alors pris conscience de la gravité de la situation dans la Roya. » Le lendemain, la Sécurité civile, le génie militaire et des renforts de pompiers et sauveteurs débarquaient sur les lieux, suivis de la Croix-Rouge.

Eau non potable, groupes électrogènes, route provisoire « dans un ou deux mois »

Depuis, Breil est devenue une « plaque tournante » pour ravitailler les villages du haut de la vallée, toujours inaccessibles par la route. Pendant deux semaines, les hélicoptères en décollaient pour assurer un pont aérien vers Tende. La liaison ferroviaire étant désormais rétablie jusqu’à Saint-Dalmas-de-Tende, le gros de l’aide arrive par les rails. « Cette ligne de train qui était menacée de fermeture parce que "non rentable", on se rend bien compte maintenant à quel point elle est vitale ! », souligne Nathalie Masseglia. Et si l’eau courante coule à nouveau à Tende, elle n’est pas potable et ne sort des robinets que quelques heures par jour... Quant à l’électricité, certaines maisons sont encore alimentées par des groupes électrogènes. Au PC de crise de Breil, Audrey Rossi s’inquiète pour les habitants du haut de la vallée. « Une route provisoire va être construite, mais elle ne sera prête que dans un ou deux mois... »

Comme l’ensemble de l’équipe municipale, elle est sur le pont de 8h à 20h depuis trois semaines. Au gymnase de Breil, rare édifice public intact, on s’active aussi au milieu de centaines de paquets de couches, de biscuits, de boîtes de conserve, rangés tant bien que mal sur des étagères métalliques… autant de dons venus de toute la France. « Certains ont honte de venir. Donc c’est souvent une voisine qui nous alerte : telle vieille dame n’a plus rien à manger, il faudrait lui apporter quelque chose », racontent Claudette Roy et Carine Djerourou, employées de la mairie de Breil devenues coordinatrices humanitaires. Elles reconnaissent un point positif à cette catastrophe : « Ça nous a permis de découvrir des gens du village qu’on connaissait à peine. Des liens forts se sont formés. » Même constat pour Baptiste et Jordan, deux lycéens du village qui aident aux distributions de nourriture et pensent que ce réseau de solidarité créé par le drame va « servir pour la reconstruction ».

Reconstruire la Roya : industrie ou vallée verte ?

La solidarité spontanée entre voisins peut-elle gommer les divisions de Breil-sur-Roya, où la question de l’aide aux exilés est devenue une ligne de fracture depuis 2016 ? Laurent Collard, cordiste de métier et guide de kayak et rafting, aimerait y croire. À quelques mètres de la maison de sa compagne, la rivière est totalement sortie de son lit, emportant 2000 m2 de terrain et les chemins menant aux maisons voisines. Le week-end du 17 octobre, ce sont près de 200 personnes, locaux et bénévoles venus de loin, qui sont venues les aider à recanaliser le cours d’eau, rétablir des ponts, reconstruire les murs des restanques… « Il y avait autant Cédric Herrou et les compagnons d’Emmaüs que des Breillois pas très favorables aux migrants. Dans ce moment d’entraide, les tensions des dernières années étaient oubliées », souligne Laurent.

Il n’est pourtant pas certain que cette union sacrée de l’après-catastrophe résiste aux débats sur la reconstruction. Tous s’accordent sur le fait qu’il ne faut plus construire de bâtiments en bord de rivière, et que la ligne ferroviaire doit être renforcée. Mais au-delà, les avis divergent. « Il faudrait percer des tunnels, plutôt qu’avoir des routes le long de la Roya », estime Hervé Benna, l’entrepreneur du bâtiment. Alors que la situation de la commune, dans le parc national du Mercantour, limite drastiquement les constructions, il pense qu’il faudrait ouvrir de nouvelles zones constructibles, quitte à couper quelques arbres. L’équipe municipale de Breil va dans le même sens, quand certains habitants plaident eux pour une « vallée verte », où le train serait préféré à la route…

Pour ce qui est de la relance économique, tous font le même constat : le tourisme lié aux sports d’eau vive et même à la randonnée – les chemins étant très endommagés – ne va pas reprendre avant, au mieux, des années. Mais les solutions, là aussi, diffèrent radicalement. « Pour éviter la désertification, on pourrait envisager de se tourner vers l’industrie », avance Audrey Rossi, la première adjointe. « Par exemple une cimenterie, ça créerait des emplois et on produirait une matière première dont on a besoin pour reconstruire. » De son côté, Laurent Collard est en train de monter, avec d’autres Breillois, une association pour réfléchir à l’après dans une perspective écologique.

Dans son oliveraie, Cédric Herrou est conscient que les discussions autour de la reconstruction de la Roya risquent d’être vives. « Si l’on n’arrive pas à se mettre d’accord, il n’est pas impossible que la vallée s’oriente vers une sorte de ZAD », estime l’agriculteur devenu célèbre pour avoir aidé des centaines d’hommes et de femmes qui passaient la frontière franco-italienne. Dans les jours qui ont suivi la catastrophe, il a logiquement aidé ses voisins, prêtant main forte pour déblayer son village avec les compagnons d’Emmaüs. Il a aussi donné la moitié de sa production d’œufs aux habitants. Maintenant, il réfléchit à la suite avec le Secours populaire. « On voudrait embaucher quelqu’un pour encadrer les bénévoles. L’objectif est de créer du lien social autour de l’entraide. » S’ils trouvent un terrain d’entente, les habitants de la Roya pourraient bien faire de leur vallée meurtrie un laboratoire de la transition écologique et humaine, au-delà de la catastrophe.

 

Nina Hubinet / Collectif Presse-Papiers

 Publié le 15/10/2020

Avec les « sans papiers », enfants de Républicains espagnols et de Brigadistes

 

(site legrandsoir.info)

 

Maité Pinero, Georges Bartoli, José Fort, Olivia Ruiz, Lydie Salvayre (site legrandsoir.info)

Cet appel, issu d’une mémoire commune, pour soutenir la Marche des « sans-papiers » qui manifesteront à Paris le 17 octobre, provient d’un échange (Maité Pinero, Georges Bartoli, José Fort, Olivia Ruiz, Lydie Salvayre). Il est ouvert à tous. Nous ne sommes pas les seuls, en France, à avoir en héritage une mémoire douloureuse. Le passé ne passe pas, disait Faulkner. Il n’est qu’une dimension du présent (« le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé »). A quoi sert la mémoire, sinon aussi à tenter d’améliorer le monde aujourd’hui et demain ? Merci de signer, de diffuser.
http://chng.it/m6BCQQMt

Comme des millions de Françaises et Français, nous sommes enfants, petits-enfants d’« indésirables », les Républicains espagnols, ceux aussi des volontaires des Brigades Internationales. Nous affirmons notre soutien total à la marche et à toutes les revendications des « sans-papiers » qui manifesteront à Paris le 17 octobre.

Ce n’est pas la même histoire, ce ne sont pas les mêmes personnes, cependant le malheur est le même. 80 ans après, nous refusons la répétition de l’ignominie.

En 1939, les nôtres, 500 mille Espagnols qui fuyaient l’horreur franquiste, les bombes et la misère, furent parqués dans les camps de concentration sur la plage où les femmes creusaient des trous dans le sable, les premières nuits, pour protéger les enfants, où des milliers moururent de leurs blessures, de maladie, de désespoir, où des gendarmes à cheval chassaient ceux qui s’approchaient des barbelés pour leur venir en aide.

Nos parents, si maltraités, si humiliés par la France officielle, furent ensuite parmi les premiers à se lever contre l’occupant nazi. Dés 1941, les guérilleros espagnols entrèrent dans la lutte armée.

C’est La Nueve, la compagnie de la 2ème DB, composée de Républicains espagnols, qui entra la première dans Paris. En même temps qu’au général Leclerc, c’est à un brigadiste français, le colonel Rol Tanguy, que le général nazi commandant la place de Paris, restitua les clefs de la capitale. Depuis, nous mêmes, par notre travail, notre amour pour la France, avons largement remercié la solidarité que le peuple et ses organisations témoignèrent aux nôtres.

Aujourd’hui, 350 000 mille migrants, chassés par les bombes et la misère, sont sur notre sol. A Calais, des femmes, des nourrissons, dorment à même le sol, cachés dans des buissons, quelles que soient les conditions climatiques. Il est interdit aux associations de leur distribuer des vivres en ville. A Paris, 500 mineurs ont dormi dans la rue, à la veille de la rentrée scolaire. Le dernier rapport de la Cimade souligne que de plus en plus d’enfants sont placés derrière les barreaux des centres de rétention.

Les Moussa, Mamadou, Siaka, Fatima, tous les « sans papiers », les clandestins, sont nos amis. Pendant le confinement, nous les avons vus prendre le métro, le train, le bus, pour aller entretenir les rues et les bureaux déserts, faire la plonge et le ménage dans les maisons de retraite, poursuivre les travaux sur les chantiers, ramasser nos poubelles. Et puis, rentrer dans des squats surpeuplés et insalubres. Ils vivent ici, ils travaillent ici, ils sont et seront d’ici.

Enfants des maçons, journaliers, femmes de ménage, médecins, enseignants et intellectuels espagnols, enfants des volontaires des Brigades Internationales, notre mémoire française est emplie des souffrances et humiliations des nôtres, de leur espoir invaincu. Elle ne se confine pas au musée, elle ne se contente pas de témoigner, de commémorer. Elle est vivante et solidaire, elle interprète le présent et anticipe l’avenir. Nous refusons que d’autres générations grandissent parmi nous, la mémoire pleine de cicatrices.

Avec les 230 associations et les syndicats qui les soutiennent, nous exigeons :
- la régularisation de tous les « sans papiers ».
- la fermeture des centres de rétention.
- Un logement pour tous.

Nous affirmons que, pour mettre fin aux trafics d’être humains, il faut aller chercher ceux qui se noient en mer, ceux qui, début septembre, ont vu brûler le camp grec de Moria (12 700 personnes dont 4 000 enfants).

Alors que l’hiver approche, les pays de l’Union Européenne négocient misérablement lequel en accueillera 10 ou 50.

L’Europe, la France, qui, au fil des siècles, ont envoyé des millions de migrants se réfugier au « Nouveau monde », coloniser l’Afrique, dont les ports se sont enrichis avec le commerce d’esclaves, traitent les migrants d’aujourd’hui comme des chiens. Nous ne laisserons pas faire.

Derrière chacun des maltraités, humiliés d’aujourd’hui, nous voyons se dresser l’ombre de nos parents. La négation des droits des « sans-papiers », de leur humanité, est telle qu’elle autorise un commentateur comme Zemmour à affirmer sur CNews que « tous » les enfants migrants sont « violeurs, sont assassins, sont voleurs ».

Nous avons été ces enfants, sommes leurs enfants et petits-enfants. Nous sommes emplis d’effroi et de chagrin. Nous sommes en rage, la mémoire nous brûle. Cela suffit ! Basta ya !

Nous espérons que ceux qui partagent nos souvenirs, celles et ceux qui connaissent, s’indignent et s’émeuvent encore devant ce chapitre de l’histoire signeront et relaieront cet appel.

D’ores et déjà, des amis de l’Espagne Républicaine ont tenu à s’y associer.

Sylvie Allouin. Administratrice de « Réfugiés Espagnols En France ». Marie Thérèse Anton. Traductrice-interprète. Diego Arrabal. Écrivain. Aline Barbier. Enseignante d’arts plastiques. Francisco Barreira. Administrateur de « Réfugiés Espagnols en France ». Georges Bartoli. Photographe. Cali. Auteur, compositeur, interprète. Pierre Carles. Réalisateur. Raymond Cubells. Président de l’Amicale Du Camp De Concentration Du Vernet. Gonzalo Dorado. Cadre Territorial. Geneviève Dreyfus Armand Auvray. Historienne. Claudine Ducol. Journaliste. Céleste Escudero. (veuve de Lény Escudero) Henri Farreny. Président De l’Amicale Des Anciens Guérilleros Espagnols En France-FFI. José Fort. Journaliste. Geneviève Feixas. Psychologue. José Gonzàlez. Infirmier psychiatrique. Anna-Maria Guerrero. Éclairagiste spectacle. Maria Lorente. Administratrice de « Réfugiés Espagnols En France ». Eloy Martinez Monegal. Président de l’ASEREF (Association Pour Le Souvenir De L’exil Républicain En France). Jean Ortiz. Universitaire. Joachim Pano. Administrateur de « Réfugiés Espagnols En France ». Maité Pinero. Journaliste. Écrivaine. Sabine Reynosa. Informaticienne. Madeleine Riffaud. Résistante, poétesse, correspondante de guerre. Claire Rol Tanguy. Militante associative. Olivia Ruiz. Auteure-compositrice-chanteuse. Réalisatrice. Écrivaine. Raymond San Geroteo. Directeur commercial. Marie-Françoise Sanchez. Cadre action sociale de l’énergie. Laurent Sanchis. Éducateur spécialisé. Émile Turlan. Cadre territorial. Maxime Vivas. Écrivain. Administrateur du site legrandsoir.info.

Merci de vous joindre à eux http://chng.it/m6BCQQMt

Publié le 03/09/2020

Des plumes empoisonnées

Si les « fake news » véhiculées par des « trolls » sur les réseaux sociaux abîment la vie publique, certaines fausses nouvelles produites par l’élite journalistique peuvent détruire la vie de personnes accusées sur la base d’enquêtes frelatées. C’est ce type de journalisme policier qui a contribué à faire condamner à perpétuité, au milieu des années 1980, le militant anti-impérialiste Georges Ibrahim Abdallah.

 

par Pierre Carles & Pierre Rimbert  (site monde-diplomatique.fr)

 

Un homme croupit dans les geôles françaises depuis plus de trente-cinq ans : M. Georges Ibrahim Abdallah. Arrêté en octobre 1984, ce militant de la Fraction armée révolutionnaire libanaise (FARL) écope deux ans plus tard d’une courte peine pour association de malfaiteurs et détention d’explosifs (1). Mais, alors qu’il attend son second procès, en février 1987, pour complicité dans l’assassinat en France d’un attaché militaire américain et d’un diplomate israélien plusieurs vagues d’attentats ensanglantent les rues parisiennes, notamment en mars et septembre 1986. Un Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient (CSPPA) revendique les explosions. Le ministre de l’intérieur Charles Pasqua et son ministre délégué à la sécurité Robert Pandraud incriminent alors M. Abdallah et ses frères. « Je me suis dit qu’au fond mettre en avant la piste Abdallah ne ferait pas de mal, même si ça ne faisait pas de bien, admettra plus tard Pandraud. En réalité, nous n’avions alors aucune piste (2).  » Les auteurs des attentats seront finalement identifiés (des militants du Hezbollah liés à l’Iran) (3) mais, entre-temps, la justice a condamné M. Abdallah à perpétuité.

« Je me suis dit qu’au fond mettre en avant la piste Abdallah ne ferait pas de mal, même si ça ne faisait pas de bien », admet Robert Pandraud

Sitôt le nom « Abdallah » jeté en pâture, l’ensemble de la presse française le reprend avec d’autant plus d’entrain que le quotidien français « de référence », Le Monde, a lui-même mordu à l’hameçon du ministère de l’intérieur. Compte tenu de son influence sur le reste de la presse, la ligne suivie par ce journal revêt une importance particulière. « Derrière le CSPPA se cacheraient les amis de Georges Abdallah Ibrahim (sic), et l’enjeu véritable des attentats est la libération de celui-ci », écrit en reprenant l’hypothèse policière Edwy Plenel (Le Monde, 3 septembre 1986), qui couvre l’affaire avec son confrère Georges Marion. Le conditionnel ne tiendra pas longtemps. Le 16 septembre, après l’explosion d’une bombe à la préfecture de police de Paris la veille (un mort et cinquante-six blessés), Plenel évoque la « folie meurtrière des amis de Georges Ibrahim Abdallah », alors que ces derniers n’ont aucun lien avec l’attentat, comme l’établira l’instruction.

Portraits placardés dans toute la France

Quand, le 17 septembre, une bombe explose devant le magasin Tati de la rue de Rennes, à Paris (sept morts, cinquante-cinq blessés), les services de sécurité français attribuent l’attentat à M. Émile Abdallah, l’un des frères de Georges, après que MM. Maurice et Robert Abdallah — deux autres membres de la fratrie soupçonnés par la police d’avoir commis cinq jours plus tôt un attentat à la Défense — voient leurs portraits placardés dans toute la France avec la promesse de 1 million de francs (4) aux informateurs. Le jour même du carnage, les suspects clament leur innocence lors d’une conférence de presse qu’ils donnent à Tripoli (Liban), distant de 3 500 kilomètres de Paris. Plenel et Marion concluent à « une mise en scène bien orchestrée » (19 septembre) et poursuivent la piste tracée par Pasqua et Pandraud : portraits à charge (« Maurice et Robert Abdallah, deux frères sous influence », 18 septembre), affirmation à l’indicatif de la « participation de Robert aux attentats récents » (20 septembre) et désignation de la « tête pensante. Il s’agit d’Émile Ibrahim Abdallah, l’un des frères de Georges », reconnu sur photos par « des témoins fiables et précis » (19 septembre). Las, M. Émile Abdallah a été vu au Liban, par les correspondants locaux de l’Agence France-Presse (AFP), quelques heures à peine après l’attentat. La couverture médiatique du quotidien du soir frappe par le poids écrasant des sources policières.

Une mécanique du scoop inchangée depuis le milieu des années 1980, avec des « révélations » fondées sur des sources policières

C’est au milieu des années 1980, période marquée par la montée en puissance de la télévision, avec notamment les journaux télévisés de TF1 et France 2, que se met en place un schéma désormais classique : un journaliste publie un scoop dans la presse écrite puis le démarque dans les médias audiovisuels pour capter une nouvelle audience, avant de revenir sur l’affaire plusieurs jours de suite dans son journal — ce qu’on appelle « feuilletonner un scoop ».

Dans son édition datée du 30 octobre 1986, Le Monde publie à la « une » : « Le gouvernement aurait obtenu une trêve avec le clan Abdallah », sur la foi d’une « confidence d’un responsable policier » recueillie par Plenel — une fake news au carré puisque, M. Abdallah n’étant pas lié à cette affaire, sa famille n’avait pas de raison de conclure de trêve avec le gouvernement français. Le soir même, Plenel, auteur avec Marion de ces « révélations », est l’invité du journal télévisé de TF1, où il débobine à l’affirmatif son scénario imaginaire : « Les Algériens et les Syriens ont dit au clan d’Abdallah et au réseau des FARL d’arrêter de poser des bombes dans la mesure où plus les attentats continuaient à Paris, plus le but qu’ils recherchaient, c’est-à-dire la libération de Georges Ibrahim Abdallah, s’éloignait. » Cette thèse sera développée le lendemain et le surlendemain dans les pages du quotidien. Lequel persistera à soutenir la piste de la culpabilité de M. Abdallah dans le sillage de la police judiciaire, y compris après l’arrestation des vrais coupables en mars 1987 — des activistes iraniens — par un service concurrent, la direction de la surveillance du territoire (DST). Vingt-cinq ans plus tard, l’ancien juge antiterroriste Alain Marsaud confie dans ses Mémoires : « Il est désormais évident qu’Abdallah fut en partie condamné pour ce qu’il n’avait pas fait (5).  »

L’annonce de la réclusion criminelle à perpétuité prononcée contre lui début mars 1987 suscite un large consensus chez les journalistes (sauf à L’Humanité) — un « verdict courageux », écrit même Marc Kravetz dans Libération (2 mars 1987). Ce condamné-là n’était-il pas un peu le leur ? Sur les plateaux de la balance, leurs plumes faussées avaient pesé.

 

Pierre Carles & Pierre Rimbert

Publié le 27/08/2020

 

Pour complaire aux États-Unis, la détention perpétuelle de Georges Ibrahim Abdallah

« Terroriste » un jour, terroriste toujours ?

 

(site monde-diplomatique.fr)

 

La convention européenne des droits de l’homme interdit de maintenir un condamné en prison « sans aucun espoir de sortie ». Cela semble pourtant correspondre au sort du militant communiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, incarcéré en France depuis plus d’un tiers de siècle. La prolongation de sa détention doit beaucoup au climat créé par des attentats auxquels il est étranger.

par Pierre Carles 

 

 Fin mars 2020, afin de désengorger des prisons françaises à un moment où la pandémie de Covid-19 risque d’y faire des ravages, la ministre de la justice Nicole Belloubet ordonne la libération de 13 500 détenus dans les deux mois qui suivent. Il s’agit surtout de personnes ayant purgé l’essentiel de leur peine. Au moment où Mme Belloubet prend cette décision, la maison d’arrêt de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) héberge M. Georges Ibrahim Abdallah, un militant communiste libanais, qui a combattu l’occupation de son pays par Israël en 1978. Il a achevé sa peine incompressible depuis le 27 octobre 1999. L’homme est donc libérable depuis… le siècle dernier (1).

En 2020, il vit sa trente-sixième année d’incarcération. Un « record de France » depuis un demi-siècle pour un militant politique. Exception faite de l’Italie, une incarcération d’une telle longueur est exceptionnelle dans les pays de l’Union européenne.

M. Abdallah a été jugé et condamné pour complicité d’homicide volontaire. Aux yeux de la justice, il n’est pas un meurtrier. Lors de son procès, il a nié avoir participé aux actions pour lesquelles il a été arrêté et condamné. Mais il s’est déclaré solidaire de certaines luttes militantes radicales, a exprimé son soutien aux Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), un groupe de résistants communistes qui a pris les armes et qui a assassiné, en 1982, l’attaché militaire de l’ambassade des États-Unis, Charles Ray, ainsi qu’un fonctionnaire israélien membre du Mossad (les services secrets israéliens), Yacov Barsimentov, l’un et l’autre en poste à Paris.

Cette année-là, Israël attaquait le Liban, avec la bénédiction de l’administration Reagan, pour tenter d’anéantir l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), tuer ou capturer Yasser Arafat, le leader de la résistance palestinienne. Aux yeux des FARL, les deux assassinats commis à Paris constituaient un acte de résistance armée à une agression militaire. Et, lors de son procès aux assises, en février 1987, M. Abdallah lança : « Si le peuple ne m’a pas confié l’honneur de participer à ces actions anti-impérialistes que vous m’attribuez, au moins j’ai l’honneur d’en être accusé par votre cour et de défendre leur légitimité face à la criminelle légitimité des bourreaux. »

« Tous les barbus se ressemblent »

Quelle autre raison peut justifier la non-libération, en 2020, d’un complice d’homicide ayant purgé plus de trente-cinq années d’incarcération ? Son comportement en détention inspire le respect aux gardiens, et le directeur de la maison d’arrêt apprécie de discuter avec lui de la situation au Proche-Orient. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce sont même des surveillants syndiqués du centre pénitentiaire qui, ne comprenant pas pourquoi leurs camarades tarbais ne se mobilisaient pour réclamer sa libération, ont alerté les militants de la cellule communiste de Tarbes de la présence de ce marxiste libanais en longue détention.

Mais sa non-libération trouve une explication dans les propos de la garde des sceaux à l’Assemblée nationale le 8 avril dernier, en pleine pandémie. Ce jour-là, Mme Belloubet précise qu’elle exclut des libérations anticipées « les criminels, les personnes condamnées pour des faits de violences intrafamiliales et les détenus terroristes ». Or, bien que le groupe armé auquel M. Abdallah est censé avoir appartenu n’ait pas commis d’actions terroristes au sens où on l’entend habituellement (attentats aveugles, pose de bombe dans la rue, assassinats de civils destinés à terroriser la population), la justice française le qualifie de « terroriste ». Pourquoi ? En raison d’actes assurément criminels, mais dont les FARL ne sont pas les auteurs…

Car, quelques mois avant la comparution de M. Abdallah devant la cour d’assises, à Paris, fin février 1987, des attentats ont endeuillé la capitale (RER, bureau de poste, magasin Tati). Bilan : quatorze morts et plus de deux cents blessés. La plupart des grands médias (Le Monde, Libération, Le Figaro, RTL, France Inter, Europe 1, les principales chaînes de télévision) reprennent alors les propos du ministre de l’intérieur Charles Pasqua et de son ministre délégué de la sécurité Robert Pandraud (2). Tous deux attribuent aux FARL et aux frères de M. Abdallah la responsabilité de ces actions terroristes. Or, comme Pandraud et Pasqua l’admettront quelques années plus tard, ils jettent en pâture à la presse le nom « Abdallah » afin de dissimuler qu’ils ne savent pas sur le moment qui sont les poseurs de bombe : « Nous avions lancé la piste des FARL sur la base des premiers témoignages, même si nous savions que pour des Français, qui pensaient avoir reconnu les frères Abdallah sur les lieux des attentats, tous les barbus proche-orientaux se ressemblent, reconnaît Pandraud. Je me suis dit que mettre en avant la piste Abdallah ne ferait pas de mal, même si ça ne faisait pas de bien. En réalité, nous n’avions alors aucune piste (3).  »

Des journalistes influents (Edwy Plenel et Georges Marion, alors enquêteurs au Monde, Charles Villeneuve, de TF1, Hervé Brusini, d’Antenne 2, etc.) accréditent la « piste Abdallah ». Ils prétendent que les frères de M. Abdallah auraient voulu faire pression sur le gouvernement français afin d’obtenir sa libération en faisant exploser ces bombes. Mais, en réalité, les attentats terroristes de 1986 ont été commis par des membres du Hezbollah libanais instrumentalisés par Téhéran. À l’époque, l’Iran en veut à la France d’appuyer militairement l’Irak de Saddam Hussein dans sa longue guerre contre la République islamique (1980-1988), qui a provoqué un million de morts.

Les FARL, elles, ne pratiquaient pas d’actes terroristes contre les civils, mais des assassinats ciblant des militaires. Toutefois, influencée par les fausses informations délivrées par les médias, la justice française n’a pas douté du caractère « terroriste » des actes reprochés à M. Abdallah et aux FARL. Depuis, impossible de décoller cette étiquette.

Le 25 février dernier, à Beyrouth, M. Bruno Foucher, ambassadeur de France au Liban, reçoit une dizaine de journalistes à déjeuner. Entre le dessert et le café, il est interpellé par un correspondant français sur le cas de M. Abdallah.

Le diplomate peut difficilement feindre d’ignorer ce dossier. Tous les 14 Juillet, à Beyrouth, des centaines de manifestants se postent devant son ambassade pour réclamer la libération de leur compatriote. Depuis 2004, date du rejet en appel de la première demande de libération conditionnelle, le militant libanais s’est vu refuser sa libération à neuf reprises. Comme on pouvait s’y attendre, M. Foucher répond que l’affaire relève de la justice et non de la diplomatie ou du pouvoir politique. Pourtant, on va le voir, sous la présidence de M. François Hollande, M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, est intervenu directement pour bloquer la libération de M. Abdallah.

Le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), M. Fabien Roussel, a adressé le 14 avril 2020 un courrier à la garde des sceaux, Mme Belloubet. Il y réclame la libération de M. Abdallah, estimant que « personne ne peut aujourd’hui affirmer qu’il représenterait un quelconque danger pour notre pays ». M. Roussel devance ainsi les assertions du gouvernement américain pour qui « l’emprisonnement à vie [est] approprié aux graves crimes perpétrés par M. Abdallah, et il est légitime de s’inquiéter du danger qu’il représenterait pour la communauté internationale s’il était libéré (4)  ». Député du Nord, le dirigeant du PCF sait que, dans les fiefs communistes de l’ancien bassin minier, M. Abdallah est parfois présenté comme un « Nelson Mandela du Proche-Orient ». Les communes de Grenay et de Calonne-Ricouart (Pas-de-Calais) en ont fait un citoyen d’honneur.

Mme Belloubet a répondu à M. Roussel le 6 mai dernier : « Il n’appartient pas au ministre de la justice de donner quelque instruction que ce soit aux procureurs dans le cadre de dossiers individuels, ni d’interférer dans les procédures judiciaires. (…) L’octroi d’un aménagement de peine relève de la seule compétence des juridictions de l’application des peines qui apprécient souverainement et en toute indépendance l’opportunité d’accorder une telle mesure. » Mais, six semaines plus tôt, le gouvernement français relâchait M. Jalal Rohollahnejad, un ingénieur iranien arrêté à l’aéroport de Nice sur demande américaine. La justice avait donné un avis favorable à son extradition vers les États-Unis ; l’homme était sur le point d’être remis aux autorités américaines. Mais l’Iran a alors proposé à la France de l’échanger contre la libération du chercheur français Roland Marchal. Et, le 20 mars 2020, M. Rohollahnejad embarqua dans un avion vers Téhéran pendant que Roland Marchal prenait le chemin inverse. Lorsqu’il s’agit de M. Abdallah, en revanche, le pouvoir politique français le maintient en détention pour complaire à Washington.

L’ingérence américaine n’a jamais cessé dans cette affaire. Le 21 novembre 2012, alors que le tribunal de l’application des peines (TAP) se prononçait en faveur de la libération de M. Abdallah, l’ambassadeur des États-Unis en France, M. Charles Rivkin, faisait savoir dans un communiqué qu’il « déplorait la décision du TAP d’accorder la liberté conditionnelle au terroriste reconnu coupable Georges Ibrahim Abdallah ». Il ajoutait : « J’espère que les autorités françaises feront appel de la décision prise aujourd’hui et qu’elle sera annulée. » Le parquet fit appel de la décision. Et cette fois, le 10 janvier 2013, la cour d’appel confirma que M. Abdallah devait être libéré. N’ayant pas la nationalité française, ni titre de séjour, il ne lui restait plus qu’à quitter le territoire français. Son avocat Jacques Vergès exultait déjà : « J’accueille avec satisfaction cette décision, car j’avais demandé à la justice française de ne plus se comporter comme une putain face au maquereau américain. » La libération de son client n’attendait plus que la signature d’un arrêté d’expulsion — une formalité.

Mais, le lendemain de la décision de la cour d’appel, la porte-parole du département d’État américain, Mme Victoria Nuland, lâche : « Nous sommes déçus par la décision de la cour [d’appel] française (…). Nous ne pensons pas qu’il doive être libéré et nous poursuivons nos consultations avec le gouvernement français à ce sujet (5).  » Alors secrétaire d’État du président Barack Obama, Mme Hillary Clinton escompte en effet que certains membres du gouvernement français, dont le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, se montreront réceptifs aux demandes de l’administration américaine. Après la décision de la cour d’appel, alors qu’elle s’apprête à quitter le département d’État, elle lui fait passer le message suivant : « Bien que le gouvernement français ne soit pas légalement autorisé à annuler la décision de la cour d’appel du 10 janvier, nous espérons que les autorités françaises pourraient trouver une autre base pour contester la légalité de la décision (6).  » Mais répondre positivement à cette demande imposait le concours de la ministre de la justice française Christiane Taubira. Laquelle avait, quelques mois plus tôt, pris une circulaire lui interdisant, ainsi qu’à tout autre membre de l’exécutif, d’adresser des instructions aux magistrats du parquet.

Emmanuel Macron interpellé à Tunis

Sur qui pouvaient donc compter les États-Unis et M. Fabius pour faire capoter, malgré cela, la libération de M. Abdallah ? La réponse est venue trois jours plus tard. Le 14 janvier 2013, le ministre de l’intérieur Manuel Valls refuse de signer l’arrêté d’expulsion de M. Abdallah. Surprise par cette intervention d’un membre de l’exécutif dans une affaire judiciaire — ce qui contredisait sa circulaire de septembre 2012 , la ministre de la justice, Mme Taubira, réclame l’arbitrage du président de la République. M. Hollande n’intervient pas. Il laisse agir son ministre de l’intérieur, alors beaucoup plus populaire que lui. Et le militant communiste libanais reste en prison. Au Liban, sa famille avait déjà pris le chemin de l’aéroport de Beyrouth pour l’accueillir.

M. Emmanuel Macron a été interpellé sur le cas Abdallah lors de sa pre- mière visite officielle en Tunisie, le 1er février 2018. Alors qu’il déambule dans la médina de la capitale, des militants tunisiens se mettent à scander « Libérez Abdallah ! ». Sur les images des téléphones portables ayant immortalisé la scène, on voit que le président de la République se retourne interloqué vers ses conseillers. Il semble ne pas comprendre ce qui se passe, jusqu’à ce qu’un officiel tunisien accompagnant la délégation lui explique qui est cet Abdallah.

Après le dernier avis négatif rendu par la Cour de cassation, le 7 septembre 2016, écœuré par la partialité de l’exécutif français et par le traitement d’exception qu’il subit, M. Abdallah a demandé à son avocat de cesser d’effectuer des démarches pour obtenir sa libération. Toutefois, une grâce présidentielle relève du seul président de la République.

Pierre Carles

Réalisateur de Who Wants Georges Ibrahim Abdallah in Jail ? (C-P Productions, film en cours de réalisation).

Publié le 29/07/2020

[COMMUNIQUE] L’Ocean Viking détenu en Italie

SOS MEDITERRANEE condamne un harcèlement administratif cynique qui entrave sa mission de sauvetage.

(site sosmediterranee.fr)

Aujourd'hui, après une inspection de 11 heures menée par les garde-côtes italiens dans le port de Porto Empedocle en Sicile, l'Ocean Viking est détenu par les autorités italiennes. SOS MEDITERRANEE condamne une flagrante manipulation visant à entraver la mission vitale des navires humanitaires.  
 

Le principal motif de détention notifié par les garde-côtes italiens s’énonce comme suit : "le navire a transporté plus de personnes que le nombre autorisé par le certificat de sécurité pour navire de charge”. Plus d'un an après avoir été affrété et exploité par SOS MEDITERRANEE, l'Ocean Viking a déjà prouvé qu'il répondait à des normes de sécurité élevées, plus que ce qui est habituellement demandé à un navire. Nous ne comprenons pas pourquoi des remarques mettant en cause la sécurité du navire sont faites maintenant, alors que rien de tel n’a été notifié à ce sujet au cours de quatre inspections, dont deux récentes, effectuées par la même garde-côte italienne, et qu'il n'y a eu aucun changement dans les règlements de sécurité sur ce qui est aujourd’hui mis en cause. 
 

"L'armateur norvégien de l'Ocean Viking, ainsi que SOS MEDITERRANEE en tant qu'affréteur, ont toujours respecté et garanti un niveau de sécurité maximum pour l'équipage et les rescapés à bord du navire. Ce qui est clair pour nous maintenant, c'est qu'au cours des trois derniers mois, le même argument sur la sécurité a été systématiquement utilisé par les autorités italiennes pour arrêter quatre navires d'ONG menant des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. En parallèle, on se demande pourquoi la sécurité n'a pas davantage préoccupé les autorités maritimes alors que, au début du mois, l'Ocean Viking a dû attendre 11 jours pour qu'un port sûr lui soit assigné et qu'un état d'urgence a dû être déclaré à bord", indique Frédéric Penard, directeur des opérations de SOS MEDITERRANEE. 

 
Opérer en Méditerranée centrale implique par nature d'être confronté à des situations de détresse répétées avec à chaque fois un nombre potentiellement important de personnes en situation de danger immédiat à secourir (généralement de 50 à 200 personnes). Au cours de la dernière décennie, les garde-côtes italiens ont eux-mêmes secouru plusieurs centaines de personnes à la fois, parfois en quelques heures seulement. C'est bien la réalité de la crise humanitaire de grande ampleur qui se déroule en Méditerranée. En effet, en menant des opérations de sauvetage, conformément à l’obligation qu’a tout capitaine de navire de porter assistance aux personnes en détresse en mer, l'Ocean Viking se retrouve dans la situation de devoir transporter plus de personnes que le nombre spécifié dans les documents de sécurité du navire. Ceci est lié à la nature même des situations d'urgence et de détresse. Cependant, il est très important de rappeler que ces personnes mises en sécurité à bord de l'Ocean Viking doivent, selon le droit maritime, être considérées comme des rescapés, des personnes secourues d’une situation de détresse extrême, et en aucun cas comme des passagers. Les définir comme passagers est une interprétation disproportionnée du cadre juridique maritime dans lequel nous opérons, et constitue un grave mépris pour la situation des multiples embarcations impropres à la navigation que nous avons dû secourir de situations périlleuses au cours des quatre dernières années. Cette interprétation est très préoccupante pour une organisation professionnelle et civile de recherche et de sauvetage telle que SOS MEDITERRANEE.  En effet, les règlements maritimes internationaux qui précisent les normes minimales de construction, d'équipement et d'exploitation des navires, comme la Convention SOLAS, établissent que les naufragés qui se trouvent à bord, conformément à l'obligation  du capitaine de porter assistance, ne doivent pas être comptabilisés dans la vérification de la conformité du navire à la disposition prévue dans la Convention  (article IV (b) de la convention SOLAS)
1

La conséquence du harcèlement administratif systématique auquel sont soumises les ONG est qu’il n'y a actuellement que très peu de navires de sauvetage en capacité de mener des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. Pendant ce temps, des personnes continuent de fuir la Libye, surtout l’été lorsque les conditions météorologiques le permettent, et des embarcations se retrouvent en détresse en Méditerranée centrale.  Des corps flottant au milieu de la mer ont été repérés.  
 
"Il y a une tendance claire à exercer de manière excessive et abusive un harcèlement administratif continu envers les ONG, dont le seul but est d'empêcher leurs activités de sauvetage qui comblent le vide laissé par les États européens en la matière. Mais stopper l'ambulance n'empêchera pas la blessure de saigner", ajoute Frédéric Penard. 

_____

1.   "Les personnes qui se trouvent à bord d'un navire en raison d'un cas de force majeure ou par suite de l'obligation faite au capitaine de transporter des naufragés ou d'autres personnes ne sont pas prises en compte pour déterminer si des dispositions de la présente Convention s'appliquent à un navire". Article IV de la Convention SOLAS. 


Note aux éditeurs 
 

  • Trois contrôles de l’État du port (PSC)  pour l’Ocean Viking en un an - seules des anomalies mineures ont été détectées. 

L’Ocean Viking a précédemment été reconnu comme navire de secours/sauvetage et a opéré en tant que tel dans le cadre juridique strict de l'industrie maritime norvégienne et britannique. À l'époque, le navire, comme tout autre navire de sauvetage opérant dans l'un des secteurs maritimes exigeant les normes de sécurité les plus strictes, n'était pas tenu de remplir certaines des caractéristiques que les garde-côtes italiens considèrent aujourd'hui comme des motifs d'immobilisation.  
 

Depuis son affrétement par SOS MEDITERRANEE, soit un an, l’Ocean Viking a subi et passé trois contrôles de l’État du port (PSC) - une inspection permettant aux pays de contrôler les navires immatriculés à l'étranger dans des ports autres que ceux de l'État du pavillon - y compris une inspection en Pologne avant de commencer sa mission en Méditerranée centrale en juillet 2019. Selon le profil de risque du navire (Ship Risk Profile) – un système d’évaluation du  niveau de priorité d’inspection du navire, de l’intervalle requis entre les inspections et de l’étendue de ces dernières – l'Ocean Viking est  évalué à risque “standard”. De ce fait, il devrait normalement être soumis à des contrôles périodiques tous les 10 à 12 mois suivant la dernière inspection menée dans la zone européenne du Mémorandum d'entente de Paris sur le contrôle des navires par l'État du Port (Memorandum de Paris) - un accord signé par 26 États européens et le Canada, afin de mettre en oeuvre un système harmonisé de contrôle par l’État du port. En dépit de cela, l’Ocean Viking avait déjà été inspecté par le régime PSC des garde-côtes italiens à deux reprises (en septembre et novembre 2019), avant ce contrôle mené à Porto Empedocle aujourd’hui. 


Les deux premiers contrôles par l’État du port effectués en Italie, au cours desquels le navire a été soumis à une inspection approfondie pendant environ 9 heures, n'ont permis de déceler que quelques anomalies mineures qui ont été rapidement corrigées et qui ne constituaient pas un motif d'immobilisation. Étonnamment, malgré ces précédentes inspections approfondies, les autorités maritimes italiennes ont considéré, à la suite de l'inspection d'aujourd'hui, que certains des certificats et dispositifs du navire - qui n'ont pas changé depuis la première inspection - constituaient cette fois-ci des motifs d'immobilisation.  
 

  • Récapitulatif de la dernière mission en mer de l'Ocean Viking au cours de laquelle un état d'urgence a dû être déclaré - une étape sans précédent pour SOS MEDITERRANEE :  

Après avoir effectué quatre sauvetages dans les régions italiennes et maltaises de recherche et de sauvetage les 25 et 30 juin, l'Ocean Viking a déclaré l'état d'urgence suite à huit jours durant lesquels les autorités maritimes compétentes ont refusé d'attribuer un lieu sûr pour le débarquement de 180 survivants qui pour certains étaient dans une détresse psychologique insupportable. Onze jours après le premier sauvetage et trois jours après la déclaration de l'état d'urgence, l'Ocean Viking a reçu l'ordre de débarquer les rescapés à Porto Empedocle, en Sicile. L'équipage a ensuite été mis en quarantaine pendant 14 jours à bord de l'Ocean Viking, au large de la Sicile. Après la désinfection du navire, les autorités italiennes ont procédé à un contrôle par l'État du port, qui a conduit à l'immobilisation administrative du navire.

Publié le 23/06/2020

Résistance des régions, coopérative ferroviaire : ces alternatives face à l’ouverture du train à la concurrence

 

par Rachel Knaebel (site bastamag.net)

 

Plusieurs régions gérées par la gauche ont décidé de ne pas ouvrir à la concurrence leurs trains express régionaux. Une coopérative ferroviaire « citoyenne » tente aussi de se lancer sur quelques lignes pour assurer un service que la SNCF n’assume plus.

Entre le mouvement de grève pour les retraites et l’arrivée du Covid-19, le bouleversement en cours du système ferroviaire français a presque été oublié. Le réseau des trains express régionaux (TER) est officiellement ouvert à la concurrence depuis le 3 décembre 2019. Cette ouverture à la concurrence concernera les lignes TGV en décembre prochain ainsi que plusieurs lignes intercités (un appel d’offre est en préparation pour les lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon). Ce calendrier est inscrit dans la loi « pour un nouveau pacte ferroviaire », adoptée en 2018. Cette loi entérine aussi la fin du statut de cheminot et la transformation de la SNCF, d’un établissement public en une société anonyme. L’ouverture du rail à la concurrence est nouvelle une étape vers la privatisation, voire le démantèlement, de la SNCF.

La fin du service public ferroviaire est-elle inéluctable ? « Soit on laisse faire l’ouverture à la concurrence, et nous aurons des entreprises qui vont se focaliser sur des lignes rentables, et le reste sera laissé aux régions qui sont limitées dans leurs compétences et leur moyens. Soit on développe un modèle alternatif pour montrer qu’on peut proposer autre chose que le modèle ultra-libéral appliqué au ferroviaire », estime Nicolas Debaisieux, directeur générale d’une toute jeune coopérative ferroviaire, Railcoop, créée en novembre 2019.

Plusieurs régions françaises gérées par des majorités de droite ont déjà annoncé qu’elles lanceraient des appels d’offres pour leurs TER (Hauts-de-France, Grand-Est, Pays-de-la-Loire, Paca). En Paca, le conseil régional, où ne siègent presque que des élus LR et RN (ex-FN), a voté pour une « procédure de délégation de service public » mi-décembre, en plein mouvement de grève des cheminots. Elle veut livrer au privé la ligne Marseille-Toulon-Nice dès 2022, ainsi que plusieurs lignes locales, entre Nice, Grasse et Cannes notamment [1].

Face à une SNCF qui veut réduire l’emploi, des négociations compliquées

D’autres régions, dirigées par des majorités de gauche, comme la Bretagne et l’Occitanie, ont choisi une autre voie : ne pas déléguer leurs TER à des opérateurs privés. Elles le peuvent jusqu’en 2023, et plus tard encore si leur convention actuelle avec la SNCF dépasse cette date. La région Occitanie a ainsi signé, en 2018, une nouvelle convention avec la SNCF qui court jusqu’en 2025. « C’était une négociation compliquée. Elle nous a pris presque 18 mois, il a fallu tenir ferme. Car la SNCF d’aujourd’hui n’est pas la même que celle avec laquelle mes prédécesseurs avaient traité », raconte Jean-Luc Gibelin (PCF), vice-président de la région, chargé des Transports.

L’élu régional s’est retrouvé à négocier au moment même où la SNCF se préparait à devenir une société anonyme. « Quand j’ai commencé les discussions, je me suis trouvé face à un interlocuteur SNCF qui avait un plan de réduction de l’emploi, un objectif de moins de présence humaine dans les trains et moins de présence humaine dans les gares. » La région Occitanie est finalement parvenue à un compromis qu’elle juge acceptable. La SNCF voulait une convention qui ne durerait que deux ans, ce qui aurait conduit à une ouverture à la concurrence plus rapide. La région a obtenu que la convention dure huit ans. « Et nous avons imposé qu’il y ait le même nombre d’emplois entre le début et la fin de la convention », ajoute l’élu communiste.

« En face, nous avons un opérateur qui n’est plus dans une logique de service public »

Plusieurs lignes fermées seront rouvertes aux voyageurs – Rodez-Sévérac, Limoux-Quillan, Montréjeau-Luchon, Alès-Bessèges ainsi que les lignes de Nîmes et Pont-Saint-Esprit aujourd’hui réservées au fret. La région s’est engagée à verser 300 millions par an à la SNCF, et à investir 5 milliards d’euros, notamment pour l’achat de nouvelles rames. L’élu régional défend ces dépenses : « Nous avons fait le choix du ferroviaire, la question centrale, ce n’est pas l’argent, même si nous négocions évidemment toutes les factures. Le problème, c’est qu’en face, nous avons un opérateur qui n’est plus dans une logique de service public. »

La région n’a pas réussi à faire plier la SNCF sur un point : que l’opérateur abandonne l’expérimentation du dispositif « agent seul », quand le conducteur est le seul personnel de la SNCF à bord. Ce modèle « à bas-coût » avait conduit au droit de retrait de conducteurs à travers toute la France à l’automne 2019, suite à une collision avec un véhicule coincé sur un passage à niveau à Saint-Pierre-sur-Vence (Ardennes). Le conducteur du TER, lui-même blessé, s’était retrouvé seul responsable à bord pour mettre en sécurité les passagers.

« Dans le pire des cas, on ne s’interdira pas de créer une compagnie régionale »

« "Vous voulez des lignes, vous les financez", c’est désormais le message de la SNCF aux régions », résume Yannick Tizon, secrétaire régional de la CGT cheminots en Bretagne. La région a signé en début d’année sa nouvelle convention avec la SNCF, en vigueur jusqu’en 2029. Les élus ont refusé l’ouverture du transport ferroviaire régional à la concurrence « parce que nous voulons une offre de qualité pour toute la Bretagne », dit à Basta ! Gérard Lahellec (PCF), le vice-président responsable des transports. « Nous ne voyons pas comment on pourrait "détacher un lot" du réseau ferroviaire de Bretagne pour le soumettre à la concurrence sans risquer de détériorer la desserte du secteur concerné. »

Le TGV qui relie Paris à Brest et Quimper n’est en revanche pas du ressort de la région. Or, les lignes TGV seront ouvertes à la concurrence à partir de 2021. « Pour le TGV, le segment qui intéressera la concurrence, c’est Paris-Rennes. Quelle compagnie de train privée irait jusqu’à Brest et Quimper ? », interroge l’élu breton. « Une chose est claire : rien ne nous fera renoncer à ce que le meilleur du ferroviaire aille jusqu’à Brest et Quimper. Dans le pire des cas, on ne s’interdira pas le droit de créer une compagnie ferroviaire régionale. »

Une compagnie régionale pour maintenir localement le service public du train, à l’image des régies municipales de l’eau ou de l’énergie, ne risque-t-elle pas de favoriser, malgré elle, le démantèlement d’un service public ferroviaire national ? « Envisager une compagnie régionale, c’est la position d’un élu qui veut un service public de qualité. Mais une régie régionale poserait la question du statut des agents, et aussi d’organisation, sachant qu’on est sur un réseau partagé avec le TGV. Ce serait une petite guerre entre deux entreprises ferroviaires, alerte Yannick Tizon, de la CGT cheminots. À la CGT, nous défendons un système ferroviaire intégré. »

Des compagnies sont aussi en train de se placer pour exploiter des lignes interrégionales entre grandes villes, sous forme de « notification de service ferroviaire librement organisé ». Ce service ferroviaire « libre » sera possible dans quelques mois, à partir de décembre 2020. Il ne s’agit pas ici d’une délégation de service public, il n’y a pas d’appel d’offre. Les entreprises se placent librement sur des lignes de leur choix, en demandent l’autorisation d’exploitation à l’autorité de régulation des transports, et paieront des redevances à la SNCF réseau – qui gère les voies – quand elles feront rouler leur train.

Une coopérative veut faire renaître la ligne Lyon-Bordeaux

Les compagnies qui se préparent à concurrencer la SNCF sous cette forme peuvent être à but tout à fait lucratif, comme Thello, filiale de la compagnie italienne Trenitalia, qui fait déjà rouler un Paris-Venise. Ou d’intérêt collectif, comme Railcoop, une coopérative qui prévoit de lancer, à partir de 2022, des trains de type intercités entre Bordeaux et Lyon, desservant notamment Périgueux, Limoges, ou Montluçon. Cette ligne a été abandonnée par la SNCF il y a huit ans. La coopérative compte commander des rames neuves à Alstom, pour environ 60 millions d’euros d’investissement. « Notre projet est de mettre en place un opérateur ferroviaire dont la mission principale ne sera pas de gagner de l’argent. On nous dit qu’on pourrait se porter candidats sur les délégations de services publics de TER, mais nous estimons que notre mission n’est pas de prendre des parts de marché à la SNCF », explique Nicolas Debaisieux, le directeur générale de la coopérative. Railcoop, « pionnier du ferroviaire citoyen français » compte pour l’instant quelque 300 sociétaires [2].

Leur équipe est composée d’ingénieurs, de personnes qui viennent de coopératives citoyennes d’énergies renouvelables, et de cheminots, retraités ou travaillant pour des entreprises privées de fret. Le projet est de relier des villes sans devoir passer par Paris et de relancer des petites lignes dans des zones délaissées. « Le système ferroviaire actuel est centré sur Paris, les liaisons de province à province sont considérées comme un mal nécessaire. Et la SNCF s’est surtout positionnée sur la grande vitesse. Notre plan pour le Lyon-Bordeaux est de faire rouler trois trains par jour, sans grande vitesse. C’est presque de l’artisanat ! Nous avons mené des études de marché, la ligne a du potentiel, mais c’est sûr que ce n’est pas une ligne qui intéressera les fonds de pension ! », poursuit le fondateur de Railcoop.

 « Travailler avec les communes » pour relancer des petites lignes

La coopérative envisage ensuite, avec les bénéfices issus de ses liaisons intercités, de créer des lignes locales, où le modèle économique est plus incertain. Elle est ainsi en discussion avec le Syndicat ferroviaire du Livradois-Forez, en Auvergne, géré par des communautés de communes, qui exploite des trains touristiques dans le parc naturel régional du même nom et est propriétaire de ses infrastructures. « On lance une réflexion avec eux pour voir ce qu’on peut expérimenter sur ces territoires pour faire revenir les gens vers le train. Nous avons monté la société coopérative pour pouvoir aussi travailler avec des communes. »

Railcoop prévoit également de transporter du fret, secteur totalement délaissé par l’État et la SNCF (moins de 10 % des marchandises circulant en France le font via le train). Une première ligne ouvrira entre Figeac et Toulouse (sur 130 km), à partir de l’été 2021. Le fret étant déjà totalement ouvert à la concurrence, il suffit d’un certificat de sécurité et d’une licence pour faire rouler des trains. Une coopérative qui ambitionne de défendre le ferroviaire d’intérêt général tout en profitant de la brèche de l’ouverture à la concurrence, n’est-ce pas contradictoire ? « Nous n’aurions aucune raison d’exister si tout ce que nous sommes en train de faire, la SNCF le faisait. Sauf qu’aujourd’hui, nous constatons que la SNCF ne le fait pas, répond Nicolas Debaisieux.

 

Rachel Knaebel

Notes

[1] Voir l’annonce du marché ici.

[2] Voir le site de la coopérative.

Publié le 26/12/2019

Julian Assange : ce que nous savons.

 

Viktor DEDAJ (site legrandsoir.info)

 

Nous savons que : Julian Assange est un citoyen australien. La société de publication qu’il a co-fondée (Sunshine Press) est domiciliée en Islande et leur site Wikileaks est hébergé.. euh... quelque part.

Nous savons qu’Assange n’a violé aucune loi d’une juridiction dont il dépendait. Aucune. Jamais. Nous savons en effet qu’il n’a jamais été accusé de viol en Suède (si vous avez l’impression du contraire, débrouillez-vous avec votre source d’information préférée). Nous comprenons donc que « l’enquête préliminaire » interminable d’une procureure suédoise n’a jamais été qu’une opération de rabattage du gibier Assange vers le piège états-unien.

Nous savons aussi que Julian Assange n’a jamais été sous une juridiction US. Et donc qu’une « extradition » de Julian Assange vers les Etats-Unis ne sera pas une décision de justice en application de je ne sais quelle loi, mais bel et bien l’aboutissement d’une opération d’enlèvement par les Etats-Unis d’un journaliste étranger, enlèvement décidé et préparé de longue date et sous couvert d’un « droit » qui a été bafoué de bout en bout dans cette affaire. Nous savons donc que ce qui se prépare contre lui n’est pas une « extradition » mais un enlèvement, un kidnapping, une « remise forcée ».

Nous savons que les Etats-Unis prétendent malgré tout lui infliger 175 ans de prison au nom d’une loi (Espionage Act de 1917) et dans la cadre d’un grand jury qui interdit à l’accusé d’invoquer ses motivations et qui ramène les droits de la défense à zéro.

Nous savons maintenant que ses moindres faits et gestes et ceux de ses visiteurs à l’ambassade étaient espionnés et que ses privilèges client/avocat et patient/médecin ont été violés et que toutes ces données communiqués - ainsi que tous ses effets personnels - aux Etats-Unis.

Nous savons qu’Assange ne purge actuellement aucune peine (oui, vous avez bien lu (*) ) mais est en « détention préventive », qu’il est maintenu en isolement dans une prison de haute sécurité. Nous savons aussi qu’il est gravement malade et qu’il n’est pas soigné. Nous savons donc qu’Assange est volontairement maltraité par les autorités britanniques, un traitement que le rapporteur spécial de l’ONU - après un examen médical du prisonnier effectué par des spécialistes en la matière - assimile à de la torture. Nous savons que sa vie est littéralement en danger.

Nous savons que l’administration pénitentiaire ne lui accorde que peu de contacts avec ses avocats, très peu de visites, aucun contact avec les autres détenus, et qu’il ne peut consulter les éléments de « preuves » présentés contre lui et n’a aucun moyen matériel pour préparer un semblant de défense.

Nous avons vu lors d’auditions surréalistes qu’il est si mal en point qu’il arrive à peine à prononcer son nom et sa date de naissance et où la juge Vanessa Baraitser affiche ouvertement son mépris pour lui et ses avocats et prend - au vu et au su de tous - ses instructions auprès des représentants des Etats-Unis présents dans la salle. Nous avons même vu un greffier demander au prisonnier de confirmer sa nationalité... suédoise (pour vous donner une idée du sérieux avec lequel cette affaire est menée).

Nous savons qu’Assange est un des journalistes les plus primés du 21ème siècle. Nous savons qu’il a encore reçu 3 titres de reconnaissance journalistique alors qu’il se trouvait en prison. Nous savons qu’il a été nominé sept fois au prix Nobel de la Paix. Nous savons que le patron de la Fédération Internationale de Journalistes (qui dit représenter 600.000 professionnels du métier) a pris position en faveur d’Assange. Nous savons que les trois principaux syndicats de journalistes français ont rédigé une lettre ouverte à Macron au sujet d’Assange. Nous savons que plusieurs centaines de journalistes à travers le monde ont signé une pétition récente pour sa libération, etc.

Nous savons aussi qu’Amnesty International doit avoir de la merde devant les yeux pour ne pas reconnaître un prisonnier politique torturé au cœur de Londres. Nous savons depuis longtemps que Reporters Sans Frontières se couvre les yeux, les oreilles et la bouche chaque fois que les Etats-Unis sont en cause.

Nous avons compris que les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) exercent une censure discrète sur toute communication relative à Assange et/ou Wikileaks, en limitant drastiquement sa diffusion.

Et nous savons que de tout cela, vous n’en saurez rien.

Car nous savons que les "grands" médias ont décidé de limiter au maximum leur couverture de « l’Affaire Assange » et ne laissent passer les informations qu’au compte-goutte...

Nous savons par exemple qu’un grand quotidien (« progressiste ») britannique comme The Guardian peut publier un article à charge contre Assange, inventé de toutes pièces. Nous avons constaté que les autres "grands" médias n’en tiennent pas rigueur à leur confrère (Tiens, finalement, la solidarité au sein de la profession existe bien !)

Nous savons qu’une journaliste du Monde est capable de vous regarder droit dans les yeux et de dire sans scrupules un truc comme « Assange n’a que ce qu’il mérite parce qu’il a fait perdre Hillary Clinton ». L’argument débile par excellence. Chez un journaliste. Horreur assurée. Cheveux dressés sur la tête garantis.

Bref, Nous savons maintenant que les "grands" médias sont en grande majorité animés par ce qu’il faut bien appeler des salauds.

Nous savons que les médias dits alternatifs - incroyable mais vrai - qui se mobilisent pour Assange (et Wikileaks) sont encore trop rares. Les autres pensent probablement pouvoir ignorer ou ne pas être concernés par l’affaire – ou sont encore (comble de l’ironie) sous l’influence de la propagande mainstream.

Mais nous savons aussi que les années de calomnies et de mensonges déversés sur lui et son organisation commencent à faire long feu et que la montée en puissance de la solidarité avec Julian Assange connaît depuis quelques mois une progression fulgurante. Hier encore, les appels et interventions en sa faveur – journalistes, médecins, personnalités, responsables politiques, ONU - se comptaient en dizaines, et aujourd’hui se comptent en centaines, en milliers. Le silence médiatique n’est pas encore brisé, mais il commence à se fissurer. Ce combat est parti de trop loin pour ne pas se donner des raisons d’espérer, alors ne lâchons rien. Avec ce combat, et le reste, 2020 pourrait bien être une bonne année pour la justice

Viktor Dedaj
qui pense que c’est le procès des médias qu’il faudrait faire

(*) après son enlèvement de l’ambassade d’Equateur, le 11 avril 2019, J. Assange fut immédiatement condamné pour avoir "violé les conditions de sa libération en résidence surveillée" (bracelet à la cheville et signalement quotidien à un poste de police) - violation commise lorsqu’il a demandé l’asile politique à l’Equateur en Juin 2012 (décision contestée par des juristes dans la mesure où demander l’asile est un droit fondamental - et ce n’est pas comme si on ne savait pas où il était). Il fut condamné à la peine maximum pour un tel délit (qui n’en était pas vraiment un) qui se solde généralement en GB par une simple amende. JA était libérable à la moitié de la peine mais la juge a refusé sa libération et décidé sa détention préventive jusqu’au procès d’ "extradition". Le tout dans une prison de haute sécurité, sans contacts et sans soins.

MAJ 20/12/2019 : premier recul de la "juge" Vanessa Baraitser. Le procès en extradition pourra durer "3 ou 4 semaines" au lieu des "4 ou 5 jours" qu’elle prétendait imposer.

25 députés allemands, italiens et européens annoncent qu’ils assisteront au procès dit d’extradition.

Publié le 09/08/2019

Le père d’Assange: «La détermination de Julian est farouche»

Par Oscar Grenfell

(site mondialisation.ca)

John Shipton, le père de Julian Assange et l’un des principaux militants pour sa liberté, a parlé dimanche avec le World Socialist Web Site (WSWS) à Sydney des conditions de détention de son fils en Grande-Bretagne et de la lutte pour empêcher son extradition vers les États-Unis. Le fondateur de WikiLeaks risque 175 ans de prison aux États-Unis pour son rôle dans la dénonciation des crimes de guerre américains.

Shipton s’était adressé à une petite manifestation devant la New South Wales State Library, où le gouvernement australien accueillait le secrétaire d’État américain Mike Pompeo pour des consultations ministérielles annuelles entre l’Australie et les États-Unis. Pompeo cherche à obtenir un soutien pour les préparatifs américains de la guerre contre l’Iran et pour sa confrontation avec la Chine.

Pompéo a joué un rôle central dans la persécution d’Assange. En tant que directeur de la CIA, il a déclaré en 2017 que WikiLeaks était un «service de renseignement hostile non étatique» et qu’Assange était un «démon» qui ne méritait pas les protections du premier amendement de la Constitution américaine. En tant que secrétaire d’État, il a été intimement impliqué dans la campagne américaine visant à faire pression sur l’Équateur pour qu’il mette fin illégalement à l’asile politique d’Assange.

S’adressant aux protestataires, Shipton a déclaré que la visite de Pompeo était une autre «occasion pour l’Australie d’accueillir en son sein un belliciste ou un meurtrier de masse, de le serrer dans ses bras et de se faire mordre par la vipère».

S’adressant au WSWS, il a dit: «Nous sommes choqués que le gouvernement accueille Pompeo. Il y a tellement à critiquer des États-Unis. On pourrait remplir des bibliothèques sur les difficultés de traiter avec les États-Unis à n’importe quel niveau géopolitique.»

«Pompeo est ce qu’on appellerait en Australie une grande gueule, un vantard. Personne ne fait attention à ce qu’il dit. La déclaration qu’il a faite, selon laquelle WikiLeaks est un «service de renseignement hostile non étatique», ne se reflète pas dans les procès qui ont été intentés contre Julian, qui ont confirmé son statut de journaliste et d’éditeur.»

Shipton a condamné le refus du gouvernement australien de soulever la question d’Assange avec les États-Unis, ou de prendre des mesures pour sa défense. «Le silence est complicité», a-t-il déclaré.

Le WSWS a interrogé Shipton au sujet du rejet, la semaine dernière, d’une action civile intentée par le Comité national démocrate américain (CND) contre Assange.

L’action en justice avait prétendu que la publication par WikiLeaks en 2016 de courriels divulgués, exposant les tentatives du CND de truquer les primaires du Parti démocrate contre Bernie Sanders, socialiste démocrate autoproclamé, ainsi que les discours secrets tenus par Hillary Clinton aux banques de Wall Street, était illégale.

Shipton a commenté que le verdict était «extraordinaire». Le CND a intenté une action civile contre WikiLeaks, Julian Assange et quelques autres moins notables, comme Trump et la Russie. Le juge a statué, sur la base de la jurisprudence du Pentagon Papers, que ce que WikiLeaks avait publié était dans l’intérêt public, et a rejeté l’affaire civile que le CND avait introduite. Le CND semble être une organisation profondément corrompue, comme le prouvent les courriels que WikiLeaks a publiés.

«Il y a de l’action parmi les avocats qui disent que cela se répercute sur les accusations portées contre Julian pour espionnage. Pour le moment, cependant, les avocats de WikiLeaks doivent se pencher sur l’affaire d’extradition qui est en cours d’examen devant le tribunal en Angleterre. C’est la première chose. Ils doivent y gagner ou interjeter appel devant la Cour suprême d’Angleterre. Mais les fondements des accusations américaines, à mon avis, n’ont jamais été substantiels.»

M. Shipton a décrit les conditions draconiennes de la détention d’Assange à la prison de haute sécurité de Belmarsh, en Grande-Bretagne. «Pour l’instant, il n’y a pas d’accès à la bibliothèque, pas d’accès aux ordinateurs, 23 heures par jour dans une cellule et un accès limité aux avocats», dit-il. «J’imagine que c’est délibéré. Les gouverneurs de la prison veulent montrer leur autorité, alors ils rendent les choses aussi inconfortables que possible.»

La peine d’emprisonnement d’Assange pour de fausses accusations de non-respect de conditions expirera en septembre et il sera placé en détention provisoire. M. Shipton a expliqué que cela entraînerait un assouplissement de ses conditions, y compris le droit à «trois visites par semaine, plus l’accès aux ordinateurs, l’accès aux bibliothèques et le libre accès à ses avocats».

M. Shipton a souligné la détermination de WikiLeaks et de ses avocats à rejeter la demande d’extradition américaine. Il a raconté que «dans une interview avec le commissaire de la police métropolitaine du Royaume-Uni, Gareth Pierce, l’avocat de Julian, a déclaré: «Si vous arrêtez Julian Assange, nous combattrons cette extradition jusqu’à la fin des temps». Sa détermination est farouche, comme celle de Julian, la mienne et celle de tous ceux qui luttent pour sa liberté.»

Le père d’Assange a fait état d’une atteinte plus large aux droits fondamentaux. «Ce qui me préoccupe, c’est de défendre notre droit à la liberté d’expression ici en Australie, a-t-il dit. Il est clair que ce gouvernement a l’intention de restreindre notre accès à Internet et c’est ce qui me préoccupe. Je vois ça comme une attaque contre notre droit à l’information.»

Shipton a noté le rôle pernicieux joué par la presse officielle: «Le centre de gravité, pour utiliser un terme clausewitzien, du savoir, c’est les médias de masse. Ils contrôlent ce que nous pensons et la façon dont nous interprétons les événements, de sorte que notre première attaque vise les médias de masse, à travers les médias alternatifs, les blogues, les forums et un peu de Twitter mais pas Facebook.»

Il a commenté une récente émission du réseau ABC en deux parties, «Four Corners», sur Julian Assange. «Les deux épisodes ont passé un temps excessif à diffuser des attaques subjectives sur la personnalité d’Assange. Ils ont donné libre cours aux opposants d’Assange, y compris les partisans du gouvernement américain, pour le calomnier.»

M. Shipton a déclaré que les programmes étaient «épouvantables». Une honte stupéfiante en fait. Nous déposerons une plainte officielle auprès de l’ABC à ce sujet.

«Je vais l’illustrer par un point. Domscheit-Berg [un critique d’Assange qui a été présenté dans le programme] était impliqué dans WikiLeaks il y a neuf ans. Il a été congédié parce qu’il avait volé 3,5 gigaoctets de fuites et les serveurs sur lesquels elles étaient installées. Il n’a rien à voir avec la vidéo du meurtre collatéral. Il s’est enfui d’Islande parce qu’il avait peur. L’utiliser comme témoignage est tout simplement absurde.

«Alan Rusbridger [ancien rédacteur en chef du Guardian, qui a également fait l’objet d’un reportage dans l’émission] a participé avec Julian et WikiLeaks durant deux semaines, il y a neuf ans, à la publication des journaux de guerre en Irak et en Afghanistan et des câbles diplomatiques américains. Depuis, ils n’ont plus rien à voir avec WikiLeaks, ils ne sont donc plus en mesure de faire des commentaires.

«Le Guardian a depuis poursuivi Julian, au point de falsifier complètement les preuves contre lui.»

Shipton a noté que le Guardian a publié en novembre dernier un article affirmant que le lobbyiste politique américain Paul Manafort a rencontré Assange à l’ambassade équatorienne en 2013, 2015 et début 2016. L’affirmation visait à lier Assange à Manafort, qui a ensuite servi de conseiller de la campagne Trump et a été une cible centrale de l’enquête américaine sur la prétendue collusion entre Trump et la Russie.

«Julian était surveillé 24 heures sur 24 à l’ambassade, et il n’y avait aucune preuve d’une visite, donc c’était une fabrication complète,» a déclaré Shipton.

En conclusion, le père d’Assange a souligné l’importance pour les gens ordinaires de prendre position pour défendre le fondateur de WikiLeaks. «Faites pression sur vos membres du parlement, les députés fédéraux, les députés d’État, les députés locaux. Écrivez-leur et demandez-leur: «Qu’est-ce qui se passe ici? C’est un Australien qui veut rentrer chez lui, il est enfermé depuis neuf ans. Notre gouvernement peut y remédier, mais seulement avec vos encouragements.»

Oscar Grenfell

 

Article paru en anglais, WSWS, le 5 août 2019

La source originale de cet article est wsws.org

Copyright © Oscar Grenfell, wsws.org, 2019


Publié le 22/06/2019

Assurance chômage : 3,4 milliards d’économies sur le dos des chômeurs, zéro sur celui du patronat

Stéphane Ortega (site rapportsdeforce.fr)

Le patronat, principal responsable de l’échec des négociations sur l’assurance chômage, se voit récompensé par le gouvernement. Le bonus-malus sur les contrats courts reste symbolique et ne rapportera rien à l’Unédic. De leurs côtés, les salariés les plus précaires subiront une double peine en devenant des chômeurs précaires, pas ou peu indemnisés.

C’est un des paradoxes de la réforme : alors que selon la communication du ministère du Travail, les contrats courts représentent un coût de 9 milliards d’euros par an pour l’Unédic, la seule mesure affectant les employeurs ne dégage aucun gain financier pour l’assurance chômage. Le bonus-malus sur les contrats à durée déterminée de moins d’un mois, avancé depuis plus d’un an par le gouvernement comme la mesure étendard d’une réforme équilibrée, accouche d’une souris. D’abord, les pénalités ne concerneront que les entreprises privées. L’État, premier patron de France et gros pourvoyeur d’emplois précaires, reste hors du champ d’application du dispositif.

Ensuite, seuls sept secteurs d’activité sur trente-huit ont été retenus, ignorant ainsi 66 % des ruptures de contrats de travail, selon les chiffres du ministère. Le BTP ou le médico-social qui emploient massivement des contrats courts sont laissés de côté. Et même pour les secteurs concernés, le malus exclut les sociétés employant moins de 11 salariés. Et encore, pour les plus grosses, il ne concerne que les entreprises qui ont un taux de séparation supérieur à 150 %. C’est à dire, celles dont le nombre de fins de contrats dépasse de 50 % la totalité des emplois en CDI : par exemple 150 précaires pour 100 emplois pérennes. Enfin, le niveau de pénalité est essentiellement symbolique : +0,95 point de cotisation chômage.

Une mesure à coût zéro

Une bonne affaire pour les organisations patronales qui ont tout fait depuis l’ouverture des négociations en novembre 2018 pour faire capoter le bonus-malus sur les contrats courts. De contre-propositions en rupture des discussions à la fin du mois de janvier, le Medef, la CPME et l’Union des entreprises de proximité (U2P) ont livré une guérilla incessante qui s’est prolongée ces derniers jours par d’ultimes tractations avec l’exécutif. Résultat : aucun gain financier pour l’Unédic. Les cotisations des entreprises dont le taux passera de 4,05 % à 5 % seront compensées par celles qui bénéficieront d’un taux réduit à 3 %, même si elles emploient par exemple 100 précaires pour 100 CDI. Une sorte de prime à la précarisation vertueuse.

Ainsi, le « coût du travail » ne sera pas modifié à l’échelle d’un secteur et le ministère s’attend à des transferts entre les entreprises des sept secteurs retenus de l’ordre de 300 à 400 millions d’euros. Alors, certes le gouvernement et Emmanuel Macron peuvent afficher une promesse présidentielle tenue, mais la contrepartie est en réalité dérisoire. Par contre, l’autre objectif : celui de procéder à une économie de 3 à 3,7 milliards d’euros sur trois ans, présent dès la première lettre de cadrage du gouvernement, est bel et bien au rendez-vous. Le montant définitif est de 3,4 milliards d’ici 2022. Et comme ce n’est pas le patronat qui payera la facture, ce sont les chômeurs qui vont en faire les frais.

Une réforme de l’assurance chômage sur le dos des plus précaires

Même Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a eu des mots très durs contre les choix du gouvernement à la sortie, hier matin, de la réunion de présentation de la réforme de l’assurance chômage à Matignon. Et pour cause. Les mesures d’économies sont toutes obtenues par une réduction des droits à l’indemnisation des demandeurs d’emploi. Ainsi, les chômeurs devront travailler six mois au lieu de quatre, sur une période de 24 mois au lieu de 28, pour ouvrir des droits. Avec cette mesure, le gouvernement entend récupérer 160 millions d’euros par an. Mais selon les syndicats de salariés, ce changement des règles d’indemnisation exclura plus de 200 000 précaires du système.

Le gouvernement introduit également une dégressivité des droits à partir de 6 mois pour les cadres dont le salaire en activité était supérieur à 4500 € brut. Par là, il déconnecte les droits aux allocations des cotisations versées et affaiblit l’esprit du système assurantiel de chômage. Autre mesure contestée, l’allongement à 6 mois de travail pour recharger ses droits à indemnisation. Elle pourrait concerner 900 000 allocataires, et Muriel Pénicaud a avancé le chiffre de 2,85 milliards récupérés sur trois ans avec cette modification des règles. Il s’agit du plus gros poste d’économie et il touche spécifiquement les plus précaires.

Peut-être la raison du lapsus de la ministre hier pendant la conférence de presse lui faisant dire : « C’est une réforme résolument tournée vers le travail, vers l’emploi, contre le chômage et pour la précarité. » Ce qui semble évident, c’est qu’il ne s’agit pas d’une réforme permettant de réduire le coût pour l’assurance chômage des quelque 17 millions de CDD et 20 millions de missions intérim chaque année, dont l’écrasante majorité ne dépassent pas un mois

 

Publié le 20/06/2019

Antonin Bernanos en détention préventive et à l’isolement depuis 2 mois

Nouvel épisode dans la répression de l’antifascisme - Entretien avec Geneviève Bernanos

paru dans lundimatin#196, (site lundi.am)

 

Tout le monde se souvient des polémiques qui ont accompagné l’apparition du mouvement des Gilets jaunes en novembre dernier. Pour le gouvernement, comme pour une partie non négligeable de la gauche et de l’extrême gauche, ce soulèvement populaire et spontané ne pouvait qu’être intrinsèquement réactionnaire ou souterrainement manipulé par les fascistes.

La facilité avec laquelle s’est propagée cette hypothèse, d’un bord à l’autre, de réseaux sociaux en conférences de presse ministérielles, nous renseigne assez sur les desseins qu’elle a pu servir. Au reste, il y avait bien les premières semaines des groupuscules d’extrême-droite dans les rues de Paris, de Lyon, de Montpellier et d’ailleurs. Identitaires, Soraliens, résidus du GUD et autres clampins royalistes ont tenté de toutes leurs forces de s’infiltrer dans le mouvement en espérant s’y imposer. Dès lors, à Lyon comme à Paris mais certainement aussi ailleurs, le terrain de bataille s’est complexifié : il s’agissait de tenir face au déferlement de brutalité de l’État tout en réduisant au minimum les marges de manœuvre de l’extrême-droite et des groupuscules fascistes.
De fait, la rue a été tenue et les fascistes défaits.
Mais la victoire du mouvement antifasciste au sein des Gilets jaunes ne se limite pas à la rue ou à la confrontation physique : bouter l’extrême-droite des manifestations n’était pas seulement une œuvre de salubrité publique, c’était aussi rendre inopérante l’opération gouvernementale qui consistait à assimiler gilets jaunes et fascistes pour les décrédibiliser et les couper de leur énorme soutien populaire. La répression orchestrée par le gouvernement ne pouvait dès lors plus s’appuyer sur ce confusionnisme là, les éléments de langage des communicants de M. Macron se retrouvaient à tournoyer dans le vide : ce n’était pas le péril fasciste qui justifiait que l’on tabasse, mutile et interpelle les manifestants par milliers. Défaire l’extrême-droite dans la rue, c’était aussi défaire la propagande du gouvernement.

C’est à partir de ce contexte politique que nous pouvons pleinement comprendre la dernière offensive répressive à l’encontre des militants antifascistes parisiens. Le 15 avril 2019, huit personnes sont interpelées et placées en garde à vue. On leur reproche une altercation avec des membres des groupuscules d’extrême-droite Zouaves Paris, Milice Paris et Génération Identitaire dont l’un des membres est par la suite allé déposer plainte au commissariat de police. Parmi elles, cinq personnes seront mises en examen dont Antonin Bernanos, figure du milieu antifasciste parisien déjà inquiétée et condamnée dans l’affaire du Quai de Valmy. Quatre sortiront de garde à vue avec un contrôle judiciaire alors qu’Antonin Bernanos sera immédiatement incarcéré à Fresnes sous le régime de la détention provisoire. En attendant qu’une juge d’instruction mène l’enquête sur cette terrible affaire de bagarre, le jeune Bernanos est soumis à un régime carcéral particulier. Placé à l’isolement depuis deux mois, toute activité sportive ou professionnelle lui est interdite et il n’est pas en mesure de poursuivre son cursus scolaire. Parallèlement, son courrier est filtré et ses parents ont dû attendre deux mois avant d’obtenir de la juge l’autorisation de lui rendre visite au parloir. Nous nous sommes entretenus avec Geneviève Bernanos, sa mère, après qu’elle ait enfin pu voir son fils incarcéré. Elle raconte la prison de Fresnes, les conditions de détention et le traitement spécial réservé à son fils.
 

Vous avez obtenu votre premier parloir avec votre fils Antonin, hier, comment va-t-il ?

Il va bien et réussi à se maintenir en bonne santé malgré des conditions très difficiles au centre pénitentiaire de Fresnes, bien connu pour son insalubrité et son indignité.

Antonin reste fort, il lit, tente de poursuivre son mémoire de master de sociologie qu’il mène à l’EHESS.
Ce centre pénitentiaire mériterait un arrêté d’insalubrité irrémédiable et d’une interdiction d’habiter de la part du préfet !
Pour rejoindre le parloir, nous avons cheminé dans des couloirs aux peintures galeuses et cloquées, des plafonds crevés desquels pendent des fils électriques et suintants d’eau, le tout dans une odeur très marquée de… rats. Le parloir en lui-même est un petit cagibi d’un mètre de large sur 1,5m de longueur (j’ai mesuré avec mes pieds), au sol en béton usé et crasseux, des plaques de contreplaqué crevées des coups donnés par les occupants laissant apparaitre la brique et les joints de mortiers gonflés d’humidité. Nous avons donc tenu à 4 dans cet espace sur de petits tabourets de plastiques. Pour tout dire, quand nous avons été enfermés dans cet espace, où nous tenions à peine debout à 3 en attendant l’arrivée d’Antonin, nous avons été pris d’un fou rire … nerveux, n’y croyant pas nos yeux, nos narines, nos poumons !

L’arrivée d’Antonin a été un vrai bonheur, lui aussi riant de la situation ridicule dans laquelle nous étions placés. Nous avons donc tenu un parloir en nous blottissant les uns contre les autres pour ne pas toucher les parois sales, et en essayant de ne pas être perturbés par les conversations de nos voisins, puisqu’il n’y a aucune insonorisation.

Il est important de dénoncer ces conditions chaque fois que possible, car cette indignité quotidienne dans laquelle on maintient les détenus, pour une grande part d’entre eux non jugés, donc présumés innocents, touche aussi leurs proches et leurs familles : devons-nous accepter d’être traités de la sorte par l’Etat ?

Comment se fait-il qu’il n’ait pu recevoir de visites avant alors qu’il est incarcéré depuis quasiment deux mois ?

Nous avons déposé nos demandes de permis de visite le 24 avril auprès de la juge d’instruction en charge du dossier d’Antonin, Sabine Khéris, doyenne des juges d’instruction à Paris.

Ces permis sont généralement instruits rapidement et transférés ensuite par courrier aux centres de détention pour permettre aux proches de prendre des rendez-vous.

Dans notre cas, malgré nos vaines relances téléphoniques (le greffe de la juge est resté fermé et sans intérim jusqu’au 17 mai), malgré ma lettre de relance RAR début mai, malgré les interventions de notre avocat, nous n’avons eu aucune suite à nos demandes. Nous avons dû faire appel auprès de la chambre d’instruction pour obtenir une décision favorable le 7 juin dernier. Nos documents semblant avoir été égarés par la juge, nous avions renvoyé début juin de nouveaux dossiers au tribunal. La décision de la chambre a dû « réveiller » Mme Khéris, puisque nous avons obtenu un accord de Fresnes pour prendre nos rendez-vous mardi dernier.

Preuve s’il en fallait de l’indigence de la juge sur cette démarche de droit, et qui apporte le soutien moral indispensable aux détenus.

Dans le communiqué du comité de soutien « Libérons-les », il est stipulé qu’Antonin a été placé à l’isolement depuis le 9 mai. Savez-vous vous ce qui a justifié cette sanction de la part de l’administration pénitentiaire ? Qu’est-ce qu’une mise à l’isolement signifie pratiquement pour un détenu en termes de restrictions des libertés ?

Nous n’avons pas eu de réponse écrite à la question des décisions qui ont présidé à cette mise à l’isolement : dès que nous avons appris sa mise à l’isolement, son avocat a saisi le tribunal administratif dans le cadre d’un référé liberté pour faire appel de cette décision, qui semble avoir été prise par l’administration pénitentiaire elle-même. Cette demande a été rejetée, car cet isolement médiatique semble être une spécificité de Fresnes qui n’existe pas ailleurs, d’où la difficulté à la contrecarrer juridiquement, puisqu’elle ne relève pas d’une catégorie de détention habituelle.

Nous verrons comment poursuivre cette procédure. Mais l’administration pénitentiaire est rarement contredite par les tribunaux administratifs, qui laissent faire les directeurs pénitenciers, seuls à même d’apprécier les conditions de sécurité nécessaires au fonctionnement de leurs établissements. Si des instructions sont venues de plus haut – c’est-à-dire des ministères… on peut le penser – nous n’en aurons jamais la preuve.

Ce qu’Antonin nous a confirmé, c’est qu’il est placé à l’isolement médiatique, procédure appliquée aux détenus susceptibles d’avoir une forte couverture médiatique, et parce qu’il est considéré comme un militant d’extrême gauche ayant participé aux mouvements des gilets jaunes. Il y aurait donc un traitement spécifique des prévenus « politiques » si ce terme a un sens …

De ce fait, il est seul dans une cellule, et participe à la promenade quotidienne avec les autres isolés médiatiques, mais en petit nombre. Il a donc très peu de contacts avec les autres détenus.

Il vient de se voir refuser sa demande de travailler à la prison sur ce même motif : pas de travail pour les isolés médiatiques ; il n’a pas accès non plus au centre scolaire pour le même motif ; ni à la salle de sport.

Il nous a aussi informé que Fresnes chercherait à supprimer cet isolement médiatique, qui ne semble pas avoir de fondement juridique ; de ce fait, sa situation serait peut être amenée à changer dès demain lundi 17 juin : soit il est rapatrié dans les cellules classiques de détention, soit il est maintenu à l’isolement avec les détenus dit « fragiles » qu’il faut protéger des autres du fait des motifs de leur incarcération (violeurs, pédophiles etc). Nous en saurons plus à notre prochaine visite prévue mardi 18 juin.

Nous constatons également depuis le début de son incarcération que ses courriers sont retenus par la juge Khéris. J’ai reçu sa dernière lettre le 21 mai et elle datait du 9 mai. Il reçoit aléatoirement des courriers, et ne sait pas si les siens sont envoyés. Didier Fassin son tuteur de master à l’EHESS m’a alertée que son courrier expédié depuis les Etats-Unis où il enseigne, lui a été retourné par Fedex. Des amis qui ont tenté de lui envoyer des livres, m’ont informé également des retours de leurs envois.

Nous ne pouvons que continuer à lui écrire, en espérant que certaines lettres passeront selon des critères qui nous échappent, et qu’à un moment la juge Khéris sera enfin « assouvie » de ces lectures.

Nous assistons donc par toutes ces brimades une opération de désinsertion sociale menée par la justice et l’administration pénitentiaire contre un étudiant brillant, qui avait montré sa capacité à réussir dans des conditions extrêmes, puisqu’il avait déjà validé sa licence en détention à Fleury.

La situation d’Antonin nous permet d’éclairer et d’alerter sur les conditions carcérales de près de 72000 personnes détenues en France, pour 60000 places qui violent les droits humains les plus élémentaires, situation encore dénoncée par Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, en mai dernier. Faut-il rappeler que la France a une densité carcérale de 117% en moyenne soit la plus élevée en Europe, juste derrière la Roumanie et la Macédoine selon le conseil de l’Europe d’avril 2019 ? qu’elle enferme systématiquement les personnes jugées « déviantes » qui porteraient atteintes à la sécurité de la société – ou plutôt des intérêts du gouvernement et des puissants, qu’ils soient migrants, ou militants ? que la prison a des résultats lamentables sur la prévention des violences, comme le souligne une étude récente publiée sur la revue américaine Nature et relayée dans Le Monde le 13 mai dernier, qui remet en question l’intérêt de la prison dans la prévention des violences : « l’emprisonnement augmente la violence après la libération ou dans le meilleur des cas, n’a aucun effet ni positif ni négatif » ; faut-il rappeler la faillite de la mission de réinsertion des centres pénitenciers, ou encore la volonté manifeste de ne pas utiliser les moyens de contraintes pénales alternatifs à la prison (surveillance électronique sous bracelet etc…)

Et puis, sur cette question de violence enfin, il faut souligner le dernier rapport de l’OIP qui dénonce la violence des personnels pénitentiaires sur les prisonniers, sujet qui reste encore malheureusement peu mis en lumière, malgré les suicides, les tortures, les coups, les brimades infligées à l’abri des regards de la société.

Il devient donc urgent de penser une société sans prison, ce qui est une idée difficile à défendre aujourd’hui, parce qu’on pense la justice comme une justice punitive ; pourtant elle n’a jamais réinséré ou corrigé les « déviances », en témoignent le niveau de récidive ou la prévention inefficace des violences, comme je le rappelais plus haut. Or la prison produit quantités de souffrances tant pour les prisonniers, que les personnels pénitentiaires, que pour les proches et familles de prisonniers, et les condamnations pénales ne réparent pas les victimes. Cette justice pénale participe à l’oppression des populations racisées des quartiers populaires ou de militants victimes des crimes d’Etat : en France Rémi Fraisse mort en 2014 à Sievens ou toutes les victimes de violences policières Adama Traoré, Lamine Dieng, Théo, Zined et Bouna, Ali Ziri etc etc etc …et partout en Europe Carlo Giuliani en 2001 au G8 de Gènes ; jamais ces victimes n’ont eu justice face à l’Etat.

Parce qu’il est difficile voire pervers de réformer ou d’améliorer la prison, parce qu’il n’y a que des fausses bonnes idées ou de vraies mauvaises idées (téléphones qui devient payant pour les prisonniers, dématérialisation des audiences qui déshumanisent les procédures pour répondre à la question des transferts qui sont dangereux pour les détenus et coutent chers à l’administration etc) , parce qu’elle doit réinterroger toute la société elle-même dans ce qu’elle produit, je rejoins les idées de ceux qui portent l’abolitionnisme comme Gwenola Ricordeau, qu’il y a nécessité de poser la question de l’abolition du système carcéral et du système pénal, pour faire avancer les idées d’une justice transformative qui implique la société toute entière, et ceux qui sont concernés : ceux qui ont causés des torts et ceux qui les ont subis, qui sont les mieux placés pour résoudre les problèmes individuels et tous différents générés par ces torts.

Enfin, la détention d’Antonin ne doit pas être déconnectée du contexte actuel de répression de masse contre les mouvements sociaux, syndicaux, ouvriers, et les gilets jaunes, et elle s’inscrit dans un tournant autoritaire du gouvernement qu’il ne faut pas sous-estimer.

Partout en Europe, ceux qui sont aux avant-postes de la lutte contre les idées de l’extrême-droite sont ciblés, visés.

La situation d’Antonin nous permet aussi d’alerter sur tous les moyens d’une justice d’exception qui s’est abattue ces derniers mois contre tous ceux qui ont osé dire leur refus de ce monde, et pas seulement les jeunes des quartiers populaires ou les militants ; arsenal judiciaire qui n’a cessé de gonfler depuis ces dernières années. Je me permets de le rappeler les chiffres de la chancellerie comptabilisant entre novembre et mars 2019 plus de 8500 gardes à vue, 800 condamnations à de la prison ferme, 388 mandats de dépôt.

Mais dans ce contexte, il me semble important de rappeler la présence précieuse des antifascistes dans les cortèges et dans l’espace public pour chasser la présence des groupuscules néo nazis.

Les antifas ont empêché l’amalgame que l’Etat, dépassé par les mouvements de contestation sociale, a voulu faire entre gilets jaunes et fascistes, les faisant passer pour des racistes, islamophobes, antisémites portant les idées de l’extrême droite, etc… Il fallait décrédibiliser un mouvement de masse de révolte que plus personne ne contrôlait, à la veille des élections européennes… qui ont été remportées par le Rassemblement National ! Le gouvernement quand il est mis en danger par les contestations sociales – ce fut le cas avec la loi Travail en 2016, et maintenant avec les gilets jaunes - utilise systématiquement les mêmes stratégies : La République En Marche de Macron serait le seul rempart contre la montée du Rassemblement National de Le Pen, c’est le discours que l’on entend à chaque élection.

Antonin subit cette répression car il a aussi lutté auprès des gilets jaunes, et parce qu’il représente pour l’Etat et ses institutions un danger, il est désigné comme une ennemi de la République, et paie ses engagements d’un acharnement policier et judiciaire qui atteint sa liberté.

Ses amis parlent de « vengeance d’Etat » et de mon côté, je ne peux que faire de tristes constats : d’abord souligner que pendant toute la durée des mouvements sociaux, la presse a cherché à relayer de fausses informations, mentionnant qu’Antonin et son frère avait été arrêtés avec Julien Coupat avant une manifestation des gilets jaunes, ce qui était faux, ce jour-là Antonin était à l’étranger, et son frère manifestait avec moi ; le Journal Du Dimanche évoquait qu’il avait été vu dans tel ou tel quartier de Paris aux abords de faits de violence, alors qu’il était en province ce jour-là ; d’ailleurs les renseignements généraux le savaient bien puisqu’ils se postaient tous les samedi matin en bas de mon domicile pour nous suivre ; ils ont même arrêté son frère le 1er mai dernier à 50 mètres de la maison pour l’empêcher de manifester, le maintenir en garde à vue 24h et le faire comparaitre pour un rappel à la loi devant la justice… Alain Bauer lui-même a indiqué sur BFM que depuis que certains militants antifascistes avaient été arrêtés et incarcérés la participation des black blocs à la manifestation du 1er mai s’était dégonflée.

Je ne peux aussi que constater que les assassins de Clément Méric sont en liberté actuellement, Antonin est en prison ; ceux qui se sont opposés aux militants de Génération Identitaire au col de l’échelle en 2018 qui empêchaient les migrants de passer au péril de leur vie, ont été condamnés, les militants fascistes n’ont pas été arrêtés. Les groupuscules fascistes, les représentants de l’extrême droite ont pignon sur rue, leur idéologie répugnante est partout dans les médias et dans nos institutions.

Ce n’est pas une vision « complotiste » de ma part mais [je lis encore sur Médiapart la semaine passée, qu’une majorité de policiers impliquée dans les enquêtes IGPN de violences policières sont des sympathisants de l’extrême droite, ou membres de syndicats d’extrême droite (fédération professionnelle indépendante de la police FPIP ou France Police (policiers en colère) ou l’ancien syndicat Front National Police… Je lis encore dans Liberation cette semaine que les syndicats de policiers font la police dans les tribunaux : Alliance et Unité SGP-Police font pression sur les juges, quand il est évoqué de faire passer en correctionnelle des policiers d’ici la fin de l’année ; ils se mobilisent systématiquement pour invoquer la légitime défense et un usage légitime de la force ; ils menacent les politiques d’une sorte de vacance de la force publique, d’un droit de retrait, de débrayage qui affole politiciens et gouvernements, obnubilés par la menace terroriste, qu’ils ont contribués à fabriquer ; en témoignent les supports fidèles du Ministre Castagner et de son secrétaire d’Etat Nunez à leurs troupes ; les juges les craignent car ils ont besoin d‘eux pour mener leurs enquêtes.

Selon la presse, la justice reproche à Antonin et certains de ses amis d’avoir participé à une altercation avec un groupuscule d’extrême-droite à Paris dont un des membres à ensuite déposé plainte. Connaissez-vous les chefs d’inculpations précis qui pèsent sur lui ? Dans le communiqué du comité de soutien « Libérons-les », il est précisé que le dossier serait vide, pouvez-vous nous en dire davantage ?

Sur les chefs d’inculpation, Antonin et certains des autres interpellés sont accusés de violence en réunion et de vol avec violence ayant entrainé une incapacité de travail de 10 jours, mais antonin est le seul à avoir été incarcéré à la suite de sa garde à vue et de sa comparution devant la juge Khéris.

Sur l’avancement de l’enquête, le magistrat instructeur ne s’est pas plus montrée diligente que pour nos permis de visite et ne semble pas avoir commencé ses investigations ; l’enquête policière n’avance pas, et pour cause, puisqu’ils n’ont pas d’éléments contre Antonin.

Donc on rétablit les processus bien connus de l’affaire Tarnac ou de celle du quai Valmy : on sur-interprète les faits, on construit un récit, on gonfle les dommages ; on crée de nouvelles affaires dans lesquelles il serait supposé avoir participé pour alourdir son profil. Injustement, on arrête des militants connus et participant au mouvement social, puis on construit un dossier… Une fois de plus, le même processus de « l’enquête à l’envers » que j’avais déjà dénoncé lors de l’affaire du Quai Valmy en 2016.

Sa détention est uniquement fondée sur son profil de militant et sa condamnation dans l’affaire du quai Valmy : on construit un personnage autour d’Antonin qui va « du petit bourgeois blanc étudiant parisien » au militant d’ultra gauche, au black bloc, au « chef de réseau qui conduit des guerillas urbaines » (selon les dires de l’avocat de la partie civile présent à l’audience d’appel mardi dernier pour une demande de remise en liberté rejetée par la juge Kheris et le juge des libertés et de la détention Charles Pratz. On construit son illégitimité sociale et culturelle, pour dépolitiser son action militante, pour le criminaliser

Antonin a un traitement tout à fait spécifique dans cette affaire : alors qu’il a été envoyé en prison, les autres mis en cause dans cette affaire ont été placés sous simple contrôle judiciaire, situation d’ailleurs tout à fait conforme à ce qui peut être exigé dans une affaire de bagarre ; et les fascistes n’ont absolument pas été inquiétés. Je ne peux que constater aussi qu’Antonin a été arrêté le 15 avril, soit 5 jours après la fin de sa peine exécutée pour l’affaire du quai Valmy en 15 mois de détention à Fleury, 6 mois de bracelet électronique, et 6 mois de liberté conditionnelle, période qui venait de s’achever le 10 avril 2019.

Me Arié Alimi, l’avocat d’Antonin, a fait appel de sa mise en détention provisoire, mais le jugement a été confirmé. Comment expliquez-vous qu’il soit maintenu si longtemps en détention provisoire pour de simples soupçons de participation à une bagarre ? Quelles sont les prochaines échéances pour lui ?

La détention provisoire a été prononcée sans aucun rapport avec l’infraction présumée et est en tout état de cause disproportionnée par rapport aux faits qui lui seraient éventuellement reprochés et qu’il conteste.

Mardi dernier la chambre d’instruction de Paris que nous avions saisie en appel des rejets de notre demande de liberté sous assignation à résidence et sous surveillance électronique, a refusé la libération d’Antonin. Il reste donc en prison jusqu’au 18 aout au moins, et il est malheureusement probable que cette mesure soit reconduite encore au-delà de cette date. Arié Alimi l’avocat d’Antonin n’a toujours pas eu communication du jugement et donc des justifications de ce rejet ; mais au vu des arguments avancés par la procureure mardi dernier, il semble que les critères liés au risque de réitération de l’infraction ont été mis en avant ; ces critères restent vagues et utilisables sans véritable justification dans presque tous les cas de détention provisoire, ce que souligne aussi Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans son rapport de mai dernier.

Antonin n’est maintenu en détention provisoire que pour lui faire subir une nouvelle peine avant tout jugement, et chercher à pétrifier ses soutiens.

C’est pourquoi, nous nous battrons donc encore pour Antonin, pour faire reconnaitre d’abord et encore une fois, qu’il n’est pas responsable des faits qu’on lui reproche, pour obtenir sa libération et lui permettre de préparer son procès dans de bonnes conditions ; et lui permettre de reprendre le cours de sa vie, ses études et ses justes combats. Faire en sorte qu’il reste avant tout un homme libre.

Une vidéo de soutien à Antonin Bernanos circule depuis la semaine dernière sur les réseaux sociaux. On peut y voir de nombreux militants et syndicalistes appeler à sa libération.

Malgré les difficultés d’acheminement que semble rencontrer le courrier adressé à Antonin Bernanos (il fait probablement un détour par le cabinet du Juge Khéris), il n’est certainement pas inutile d’insister :

Antonin Bernanos numéro d’ecrou 1004464
Centre pénitentiaire de Fresnes
1 allée des Thuyas
94261 Fresnes cedex

 

Publié le 17/04/2019

"On ne peut pas faire autrement que les aider" : une nuit avec les montagnards sauveurs de migrants

Par Vladimir de Gmeline (site marianne.net)

 

Toutes les nuits, les "maraudeurs" arpentent la montagne, à la rencontre des réfugiés égarés. Habitants de la vallée et volontaires venus d’ailleurs se relaient sans discontinuer pour ne laisser "personne mourir en montagne".

La nuit n’est pas encore tombée mais le froid, lui, s’abat sur la ville en même temps que le soleil disparaît derrière les pics enneigés. Les familles en tenue d’après-ski rentrent d’une journée à dévaler les pistes, fourbues et heureuses. Les parkings des grandes surfaces se remplissent. On prépare le dîner, la raclette, on achète de la bière et du vin, du fromage et du jambon. A la piscine municipale, les entraînements battent leur plein et on se délasse au spa dans les vapeurs d’eau chaude. Juste en face, la patinoire résonne du bruit des palets frappés à pleine vitesse. Dans cette enceinte mythique, l’équipe des « Diables rouges » se prépare à son prochain affrontement. Les bars sont bondés. La rivière qui longe la route, près de la zone commerciale, charrie une eau glacée. Il ne ferait pas bon y tomber. Les compétitions de kayak reprendront au printemps. Là-haut, les pentes enneigées et les forêts profondes basculent dans l’obscurité.

Chutes, noyades, hypothermies

Au « Refuge solidaire », non loin de la gare de Briançon, c’est l’heure du dîner. Les bénévoles servent les repas à la cinquantaine de réfugiés qui sont hébergés ici et passent leurs journées, désœuvrés, à écouter de la musique, à jouer au foot ou à regarder des vidéos sur leur portable. Quelques jours de repos avant d’entamer la suite de leur périple. On joue aux cartes. Un jeune homme, sourire aux lèvres, se met à rire aux déconvenues du chat dans les aventures de « Tom et Jerry ». Sur la terrasse à l’arrière du bâtiment, certains terminent de faire leur lessive. En contrebas, un petit local. Des hommes et des femmes en tenue de randonnée arrivent les uns après les autres. Ce soir, comme tous les soirs, un petit groupe va partir en montagne, du côté du col de Montgenèvre. Car tous les soirs, des groupes de réfugiés tentent de passer la frontière entre l’Italie et la France. Ils prennent les derniers bus jusqu’à Clavières, puis s’engagent dans les bois pour contourner Montgenèvre, où se trouve le poste de la PAF (Police Aux Frontières). Du côté italien, à Oulx qu’ils ont la plupart du temps rejoint en train, des associations leur ont fourni des vêtements chauds et des chaussures. Mais ils ne connaissent rien de cet environnement hostile. La neige, les bois la nuit, les pentes caillouteuses, les pistes qui se perdent et les ravins au détour d’un chemin. Le froid glacial. Des risques naturels aggravés par la peur de la police. En voulant éviter les contrôles, les réfugiés s’engagent sur des terrains escarpés et en altitude, se mettant dans des situations toujours plus dangereuses. En trois ans, plusieurs personnes sont mortes. Chutes, noyades, hypothermies. Les blessures sont nombreuses, de la fracture aux engelures, dont certaines ont mené à l’amputation.

 « On ne peut pas faire autrement que les aider, c’est complètement naturel pour nous », explique Benoît Ducos, menuisier et ancien pisteur-secouriste. Membre de l’association « Tous migrants », Benoît participe aux maraudes depuis les débuts, à l’hiver 2016. Moins souvent aujourd’hui, depuis qu’il est dans le collimateur de la justice pour avoir transporté dans sa voiture une famille rencontrée à proximité du col de l’Echelle, dont la mère, enceinte de huit mois et demie. Quelques heures plus tard, elle avait donné naissance à un petit garçon à l’hôpital de Briançon. Si cette affaire, pour laquelle il était poursuivi pour « aide à l’entrée illégale sur le territoire français », a été classée sans suite par le tribunal de Gap en raison de son caractère humanitaire, il n’en a pas été de même pour celle dite des « sept de Briançon ». Lors d’une manifestation visant à protester contre la présence de militants identitaires au col de l’Echelle, plusieurs personnes avaient été interpellés puis jugées là aussi pour « aide à l’entrée irrégulière d’un étranger en France ». Benoît a écopé de six mois de prison avec sursis, quand d’autres ont été condamnés à des peines de prison ferme pour rébellion. Le menuisier-secouriste a donc du réduire sa participation aux maraudes. Un prochain contrôle pourrait l’envoyer en prison. Sans compter que ces trois ans d’intense activité ont usé les organismes. Les aides extérieures sont donc les bienvenues. Des bénévoles venus de toute la France, certains politisés, d’autres mus seulement par des motifs humanitaires, des étrangers, hollandais, anglais, allemands, des Italiens de l’autre côté de la frontière. Il y a ceux qui ne veulent pas entendre parler de journalistes, suppôts évidents du capital et de l’Etat répressif, ceux qui ne savent pas trop, et ceux qui, comme Benoît, rappellent que sans la presse, les radios et la télévision, les dons et les aides, matérielles et humaines, n’auraient pas été aussi nombreux. Sa parole et son autorité de montagnard aux traits creusés par le grand air, son expérience, les risques qu’il a su prendre, en imposent à ceux qui sont de passage.

Cache-cache avec la police

Ce soir, parmi les maraudeurs, il y a Patrick et sa fille, Julie. Elle a vingt ans, est étudiante en psycho et effectue un stage au « Refuge solidaire ». Patrick, agriculteur dans le Lot et Garonne, membre du réseau des « Semences paysannes », est de ces hommes qui fonctionnent à l’indignation et au combat. Il est déjà venu, et se souvient avec émotion de ses premières escapades sur la route sinueuse qui mène de Briançon au col de Montgenèvre, en pleine tempête de neige. Avec Julie, ils partent en maraude un soir sur deux, histoire de récupérer de ces heures d’attente, de marche et de tension à la recherche de réfugiés égarés.

Au local, l’organisation est sérieuse et le briefing d’avant départ ne laisse guère de place au hasard. On boit du thé, on mange pour prendre des forces, on étudie les itinéraires et les points de passage, on repère les zones dangereuses. Les moins expérimentés sont toujours contents de partir avec des maraudeurs plus aguerris. Ce sera ensuite à leur tour de passer le relais. « Après une nuit comme celle que l’on va passer, on n'est plus pareil, ce qu’on voit et ce qu’on vit secoue inévitablement », disent-ils. Ils tiennent évidemment à une chose : qu’on ne révèle rien de leurs procédures. Certains, fatalistes ou lucides, pensent que les forces de l’ordre les connaissent de toutes façons. « Depuis le temps qu’on se croise, ils ne sont pas idiots », lâche l’un d’eux. On superpose les couches de vêtements, les bonnets, les gros gants et les écharpes coupe-vent sont vivement conseillés. Dans les sacs à dos, des boissons chaudes et de la nourriture, des habits secs pour les candidats au passage, souvent frigorifiés et trempés.

Une fois à Montgenèvre, les maraudeurs se répartissent des secteurs et partent dans la nature. Le bourg est illuminé et chaleureux, les pizzerias remplies. A la sortie, le poste de la PAF, à l’approche duquel les véhicules ralentissent. Certains sont contrôlés, fouillés. Il arrive que les abords de la guérite redoublent d’activité, que les voitures aillent et viennent en permanence, comme prises d’une fébrilité soudaine. Et certains soirs, morne plaine, calme plat.

Ce soir, c’est une sorte de compromis. Peu de voitures de police en ville, mais alors que les maraudeurs remontent le long des pistes pour aller explorer les bois, deux lumières trouent la nuit. Des hommes remontent derrière eux. Les maraudeurs se cachent. Policiers ? Simples randonneurs ? Policiers déguisés en randonneurs ? Difficile à savoir, et difficile d’aller leur demander qui ils sont et ce qu’ils font. Puis c’est une moto-neige qui remonte à pleine puissance, un homme en bleu juché dessus, scrutant l’espace entre les arbres. Là, difficile d’avoir un doute sur ce qu’il cherche.

Recherches épuisantes

Les heures s’écoulent. Il fait de plus en plus froid. Les maraudeurs alternent entre l’immobilité, l’observation, et les périodes de mouvement. Une des difficultés auxquelles ils sont confrontées vient du fait que les réfugiés peuvent les prendre pour des policiers… déguisés en randonneurs. « C’est très bizarre de venir ici régulièrement skier, faire de la luge avec nos enfants, vivre ces moments de bonheur ordinaire, et de savoir qu’au même endroit, quelques heures plus tard, des gens risquent leur vie », s’étonne un maraudeur lors d’un moment d’attente. Et puis soudain, cette drôle d’apparition… Un homme d’une trentaine d’années, la silhouette athlétique classique du moniteur de ski, bandeau dans les cheveux et bracelets aux poignets, surgit silencieusement dans la nuit. Juste un léger glissement sur la neige dans le sous-bois. Pierre* n’était pas à la réunion au local mais il est venu ensuite, seul, et arpente les hauteurs en ski de randonnée. Il connaît la montagne par cœur, se repère partout dans la nuit. Le ciel est magnifique, les étoiles brillent par milliers dans le ciel clair et pourtant, par endroits, la brume est tombée.

A une heure du matin, toujours pas de trace du moindre réfugié… Sont-ils déjà passés, se sont-ils perdus, ont-ils étés interceptés ? Cinq motos-neige ont traversé la station, venant du côté le plus proche de la frontière, puis ont basculé de l’autre côté, vers les chemins de randonnée qui mènent à la vallée. On se demande quoi faire. La nuit est peut-être finie. Personne ne sera passé ce soir.

Et puis, alors qu’on hésite encore sur la conduite à tenir, un maraudeur tourne la tête. Deux silhouettes incongrues marchent sur la piste, le long du sous-bois. Emmitouflées dans des blousons qui ressemblent sur elles à des vêtements d’enfants, bonnet enfoncés jusqu’au yeux, capuches remontées et sacs sur le dos, elles descendent vers la route, au risque de se faire intercepter. Pierre les rattrape a ski, et les rassure immédiatement sur sa présence. Les deux hommes sont originaires respectivement de Côte d’Ivoire et de Guinée. Les maraudeurs les font asseoir, leur offrent des dates et leur font boire du thé brûlant. Ils disent qu’un autre groupe de trois personnes n’était pas loin derrière eux mais qu’un autre homme, qui les accompagnait, n’est plus avec eux.

Ce troisième homme, les maraudeurs vont le chercher jusqu’à cinq heures du matin, arpentant les chemins, remontant le long des rivières. Angoissés à l’idée de savoir qu’un homme seul erre dans les montagnes, ces montagnes où il est si facile de se perdre et de tomber, à la merci d’une nature hostile. Les recherches ne donneront rien. Restent deux options. Ou bien il a été intercepté par les forces de l’ordre, et renvoyé en Italie. Ou il faut espérer qu’il ne lui est rien arrivé, qu’il s’est perdu et que le l’arrivée du jour le sortira d’affaire.

Les maraudeurs finiront par rentrer se coucher, fourbus mais répétant que leur fatigue n’est rien au regard de ce qu’éprouvent ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces mineurs isolés qui ont tout perdu, tout quitté. Car à leur fatigue à eux, à leurs blessures, à leurs traumatismes, à leurs angoisses, à leur solitude et à leur sentiment d’exil et d’arrachement, s’ajoutent la peur et le sentiment de n’être pas les bienvenus. A ce dernier, les maraudeurs veulent apporter un démenti depuis maintenant trois ans, chaque nuit. Le lendemain matin, à onze heures, frigorifiés, les lèvres et le nez gelés, Traoré, tombé dans un trou et miraculeusement réchappé, a poussé la porte du Refuge.

 

https://www.marianne.net/societe/ne-peut-pas-faire-autrement-que-les-aider-une-nuit-avec-les-montagnards-sauveurs-de-migrants

Publié le 18/02/2019

« Ce qui se passe ici, cette entraide, je n’avais jamais vu ça » : reportage à la maison du peuple de Saint-Nazaire

par Nolwenn Weiler (site bastamag.net)

 

A Saint-Nazaire, les gilets jaunes ont leur quartier général : la « maison du peuple », un ancien bâtiment du Pôle emploi qu’ils occupent depuis la fin novembre. Dans le bouillonnement des discussions, des débats et des actions, travailleuses précaires, retraités, chômeuses ou SDF s’y politisent à grande vitesse. Dans ce territoire marqué par une forte culture ouvrière, leur action s’articule avec celle des syndicats, dont ils reçoivent le soutien. Après bientôt trois mois d’une mobilisation nourrie par cette force collective, tout retour en arrière leur semble impossible : « Le mépris et la violence n’ont fait qu’accroître notre détermination. » Reportage.

L’après-midi touche à sa fin à la « maison du peuple » de Saint-Nazaire. Ce bâtiment de 900 m2 est occupé depuis deux mois par des gilets jaunes. Les manifestants, qui battent le pavé depuis le petit matin, ce 5 février, jour de « grève générale », arrivent au compte-goutte. Certains repartent illico rejoindre leurs « collègues », qui improvisent des soirées festives sur les ronds points occupés. Pour la première fois depuis le début du mouvement, la CGT avait appelé à rejoindre les gilets jaunes pour cette journée de mobilisation. Chacun fait part de son expérience : est-ce qu’il y avait du monde ? Comment cela s’est-il passé avec les syndicats ? Y avait-il beaucoup de policiers ? Les vannes fusent. Tout le monde rit. « C’est tellement agréable, après une journée de manif dans le froid de revenir à la maison du peuple. Il fait bon, il y a du café, et tous les gens », se réjouit Céline, qui a rejoint le mouvement courant décembre.

« Chaque fois que l’huissier se pointe pour que l’on dégage, les dockers menacent de se mettre en grève »

Héritière des bourses du travail et des usines occupées, espace d’élaboration politique et d’organisation d’actions, la maison du peuple (MDP) de Saint-Nazaire a éclos le 24 novembre. Ce jour-là, les manifestants se dirigent vers la sous-préfecture locale pour y tenir une assemblée citoyenne, comme dans bien d’autres endroits en France [1]. Ils trouvent porte close et décident alors de se diriger vers l’ancien bâtiment du Pôle emploi, inoccupé depuis des années. « Nous avons décidé d’y aller pour tenir notre assemblée. Et nous y sommes restés. C’est devenu un lieu d’organisation du mouvement, dit Philippe, habitué des luttes sociales et encore étonné de cette action très spontanée. Ce n’était pas du tout prévu. Peu de gens, parmi nous, avaient déjà occupé des lieux. »

Si fin novembre, beaucoup de gilets jaunes battent le pavé pour la première fois, plusieurs sont aussi syndiqués depuis longtemps. « Nous sommes dans un bassin ouvrier important. Avec une forte tradition syndicale », remarque Philippe. Plus de deux mois après le lancement du mouvement, les rangs se tiennent bien serrés. Deux des ronds points occupés dans la zone portuaire ont encore des cabanes. Et personne n’a l’intention de les laisser être détruites. « C’est grâce au soutien des dockers et des travailleurs portuaires que l’on tient depuis si longtemps, assure Philippe. Chaque fois que l’huissier se pointe pour que l’on dégage, ils menacent de se mettre en grève et la direction renvoie l’huissier chez lui. » Début décembre, le maire de Donges, commune limitrophe de Saint-Nazaire, avait également refusé de détruire les cabanes situées dans la ville, ce que le préfet lui avait demandé.

« Des mères au foyers, des chômeurs, des intérimaires font partie des piliers de la maison du peuple »

Les liens noués entre gilets jaunes et syndicats se sont faits plus formels depuis peu. Le rassemblement du 5 février est la première action conjointe officielle. Avant cela, « on a organisé des rencontres ici, à la maison du peuple. Chacun a fait part de sa méfiance et de ses attentes », se remémore Philippe. Les gilets jaunes craignaient d’être trahis et de voir la lutte centrée autour du travail, alors que leurs mobilisations parlent aussi du handicap, des services publics, des minima sociaux. « Des personnes éloignées du travail – mères au foyers, chômeurs, intérimaires… – font partie des piliers de la maison du peuple », ajoute Philippe. Côté syndical, on se demandait où étaient les gens en 2016, lors des gros mouvements qui ont agité la France contre la loi Travail. Ils avaient aussi peur de la casse.

Finalement, chacun a accepté les limites des autres. Et il a été décidé de profiter de cette situation pour inventer autre chose. « Les syndicats ont une implantation dans les entreprises que nous n’avons pas. Il y a parmi nous des travailleurs éloignés des syndicats qui peuvent, du coup, se rapprocher d’eux. Voire envisager de créer une section syndicale dans leur entreprise, parce qu’ils réalisent en discutant que c’est une façon de faire respecter leurs droits. » Les syndicats permettent de grossir les rangs des rassemblements qui se tiennent devant les tribunaux quand des gilets jaunes sont convoqués par la Justice, tandis que la maison du peuple offre à tout le monde une solide base arrière pour organiser des actions. « Le blocage du port, ce n’est pas une mince affaire. Il faut bloquer six entrées et cela demande pas mal de boulot. »

 

Le 5 février, deux ronds points ont été bloqués sur le port. Défilant à proximité d’un gigantesque paquebot sur le point d’être mis à l’eau, les manifestants ont tâché de débaucher les travailleurs d’Arcelor Mittal. Ils ont pu entrer dans l’entreprise, le temps de glisser un mot aux travailleurs, et de montrer que non, ils n’avaient pas l’intention de tout casser. « C’était fort de rentrer comme ça sur les lieux de travail », notent des retraités eux-aussi mobilisés ce 5 février. « Allez-y rentrez, c’est chez nous ! », glissait un gilet jaune aux manifestants intimidés de passer la porte de l’entrepôt.

« Ici il y a des gens qui bossent et qui dorment dans leur bagnole. On est dans le concret de la précarité »

Au fil des soirées à refaire le monde et des actions menées sur les ronds points, les liens se resserrent. « Je n’avais jamais vu ça. Tellement de gens différents dans un mouvement, dit « Jojo », un habitué des luttes sociales qui a notamment passé du temps sur la zad de Notre-dame-des-Landes. Yann, chômeur mobilisé dès le début du mois de novembre, et présent aux premiers jours de la Maison du peuple, lui renvoie le compliment : « Je me retrouve avec des jeunes qui se sont battus sur la zad. Je n’ai jamais compris le sens de leur lutte là bas. Et je ne comprends toujours pas, d’ailleurs. Mais on est là, ensemble, on discute, on s’engueule, on s’embrasse. Ce qui se passe ici entre nous, cette entraide, je n’ai jamais vu ça. C’est incroyable. C’est devenu comme une drogue. » « C’est la première fois que je côtoie des SDF au quotidien, raconte Céline, qui est institutrice. Avant, tisser des liens avec eux aurait été impensable pour moi. »

« Ici, il y a beaucoup de cabossés de la vie, ajoute Yann. Perso, je suis un enfant de la Dass, j’ai connu la violence. Quand j’écoute les anciens parler entre eux, ce que j’entends me fait mal. Il y en a qui ont eu des vies vraiment dures. » « Il y a beaucoup d’histoires personnelles de précarité, reprend Jojo. Un travailleur handicapé, qui fait 35h par semaine, nous a amené sa fiche de paie : 633 euros. Ça nous a fait bizarre. Il y a des gens qui bossent et qui dorment dans leur bagnole. On est vraiment dans le concret de la précarité. Ça pique. » Les vingt chambres de la maison du peuple sont occupées par des personnes en galère. Jojo habite l’une d’elles depuis le premier jour. « C’est mon premier logement, dit-il. En attendant que ma demande de logement social aboutisse. »

« J’étais dans ma petite vie, vautré dans mon canapé en train de regarder BFM. Ici, mon cerveau s’est remis à fonctionner »

« On fait beaucoup de social, reprend Yann. Les restos du cœur, le 115, les maraudes, ils viennent toquer chez nous. Mais on a dû clarifier les choses quand même, et dire que les gens étaient les bienvenus, y compris ceux qui avaient besoin de dormir au chaud, mais en précisant qu’ils étaient ici pour la lutte. On ne voulait pas que ce soit le bordel. » Très ordonnée, et bien tenue, la maison du peuple ne tolère ni drogue, ni alcool.

Autant qu’une base arrière pour les actions, la maison du peuple est devenue un lieu de formation. L’endroit fourmille de discussions en tout genre, d’échanges plus ou moins informels, d’ateliers, de conférences et d’assemblées générales. Il y a aussi des pièces de théâtre, des soirées cinéma, des dîners collectifs. « Ici c’est vivant H24, décrit Jojo. On parle de politique à longueur de journée, alors qu’avant les gens s’en foutaient. » « J’étais dans ma petite vie, vautré dans mon canapé en train de regarder BFM, s’esclaffe Yann. Ici, mon cerveau s’est remis à fonctionner. » Ce qui soude les gens, politiquement, est une volonté farouche de voir les richesses mieux partagées, et un effarement total face aux milliards de l’évasion fiscale.

« Ça fait douze semaines que ça dure. On dirait que les gens sont infatigables »

« On ne se rendait pas compte, avant, qu’il y avait tant et tant d’argent public volé, explique Céline. Ce n’est pas possible pour nous d’être traités d’enfants gâtés alors que les plus riches se gavent. Dans le débat national, il nous est clairement demandé quel service public il faut supprimer. Ils n’ont vraiment rien compris à ce que l’on veut. On lutte pour le maintien de tous les services publics. » « Il y a largement de quoi financer tout ça, si on arrête de filer le pognon aux riches », glisse Denis, ouvrier dans une entreprise d’insertion. Eric intervient et parle de « ces gros patrons qui négocient leurs primes de départ au moment où ils sont embauchés et avant même d’avoir prouvé quoi que ce soit ». Eric, Yann et Céline approuvent, évoquant aussi « les entreprises qui font des bénéfices et qui licencient quand même ».

« D’habitude, on entend une info, ça nous écœure, et puis on retourne au boulot. On reprend le rythme. Maintenant, on est dans la lutte. On se dit que ce n’est vraiment pas possible, tempête Céline. Et plus on est informés, plus on trouve ça injuste et écœurant. » La motivation s’aiguise au fil de la formation politique informelle et collective que les uns et les autres reçoivent à la maison du peuple. « Les ouvriers et ouvrières qui viennent à la maison ou sur les ronds points avant ou après leurs journées de travail sont increvables, admire Jojo. Ça fait douze semaines que ça dure. On dirait que les gens sont infatigables. »

 

Pour Céline, « le mépris et la violence n’ont fait qu’accroître notre détermination ». « Nous avons eu deux blessés graves ici », affirme Yann. Philippe est l’un d’eux : « Le 8 décembre, j’ai reçu un tir de LBD qui m’a provoqué une grave hémorragie interne. Je suis resté deux semaines à l’hôpital. » Le 29 décembre, un autre vent de panique a secoué le cortège des gilets jaunes. Le bruit a couru un instant qu’une personne de la maison du peuple était morte, frappée par un tir de LBD. « Tout le monde s’est tu. On a senti une grande angoisse, c’était terrible », se souvient « Kiki », un adolescent de 14 ans, le « bébé révolutionnaire » de la maison du peuple. Adrien, 22 ans, n’est pas mort ce jour là. Mais il a été salement amoché, avec plusieurs fractures au crâne [2]. « En janvier, quatre membres actifs de la maison du peuple ont été interpellés chez eux ou au travail. Trois d’entre eux passent au tribunal jeudi 14 février pour dégradations », ajoute encore Philippe.

L’autre menace judiciaire, c’est le risque d’expulsion, réclamée par le promoteur qui possède les lieux. Une audience aura lieu à la fin du mois de février, après avoir été reportée deux fois. « Ce qui se vit ici est tellement fort que même si le mouvement est écrasé, il en restera quelque chose », relativise Jojo. « La maison du peuple n’est pas qu’un bâtiment, elle se déplace avec nous », affirment plusieurs habitants dans une vidéo publiée le 1er février, qui appelle tous les gilets jaunes à ouvrir des maisons du peuple partout en France, « pour s’organiser durablement face à un pouvoir de plus en plus répressif. »

Côté action, la prochaine grande échéance, à Saint-Nazaire, est l’organisation de la seconde « assemblée des assemblées » au début du printemps [3], dans la droite ligne de la dynamique initiée, dans la Meuse, par les gilets jaunes de Commercy.

Nolwenn Weiler

Notes

[1] Ce projet d’assemblée locale citoyenne a été lancé sur Facebook le 20 novembre. La vidéo a été vue un million de fois. Les gilets jaunes de la zone portuaire de Saint-Nazaire appelaient toutes les villes de France à organiser le même jour à la même heure une assemblée dans les lieux d’exercice du pouvoir exécutif. « Nous demandons aux autorités publiques de laisser le peuple entrer dans ces locaux qui sont les siens, qu’il a construit de ses mains », disaient-ils.

[2] Voir la conférence de presse donnée par sa mère ici.

[3] La première assemblée des assemblées s’est tenue à Commercy, dans l’est le 26 janvier dernier. Voir notre reportage.

Publié le 12/10/2018

Migrations, le débat, pas la guerre : réponse à Jean-Luc Mélenchon

Par Roger Martelli | (site regards.fr)

Le débat politique n’est pas la guerre. Tout désaccord n’implique pas la haine et la rupture. En politique, la formule du "Qui n’est pas avec moi est contre moi" est la plus mauvaise des conseillères.

Dans son blog en date du 8 octobre, Jean-Luc Mélenchon s’en prend au Manifeste pour l’accueil des migrants. Il cible la responsabilité de ses initiateurs éditoriaux, Mediapart, Politis et Regards. Il oublie qu’un texte ne vaut pas d’abord par ceux qui l’écrivent, mais par ceux qui s’y reconnaissent : aujourd’hui, ce sont 50.000 personnes et un nombre impressionnant d’associations et de journaux. Tout ce monde n’est pas un ramassis de gogos abusés, engagés malgré eux dans on ne sait quelle croisade contre tel ou tel parti ou mouvement. Les signataires prennent parti sur un point et sur un seul : ils ne veulent pas laisser l’extrême droite pourrir l’espace public européen par ses idées sur l’immigration.

Ne pas se tromper d’adversaire

Je n’ai pas à répondre au nom de qui que ce soit et ne le ferai donc qu’en mon nom propre. Je rappelle tout d’abord que ce texte, dans sa formule initiale, n’a été signé que par des personnalités de la culture, des arts et du monde associatif. Il n’y avait volontairement pas de responsables politiques dans les 150 premiers signataires et il n’était pas question que sa rédaction et sa diffusion soient, au préalable, soumises à l’appréciation de quelque Bureau politique que ce soit. Il est tout de même incroyable que, en 2018, je sois obligé d’énoncer ce rappel démocratique minimal. Ne pas en avoir informé les autorités de la FI, pas plus que n’importe quelle autre instance, est-il un signe de défiance ? Faudrait-il que Mediapart, Politis et Regards s’excusent de ne pas avoir informé les partis ? Mais dans quel pays vivons-nous ?

J’ajoute que je n’ai pour ma part rien à dire contre le programme de la France insoumise. Il est dans la lignée directe des propositions qui ont été celles la gauche de gauche depuis au moins le début de ce siècle. Je n’ai rien contre l’activité du groupe parlementaire FI : avec celles et ceux du groupe constitué par le PC, ses membres mènent le combat contre tous les aspects de la politique Macron, y compris sur le dossier des réfugiés et sur la politique européenne de gestion des flux migratoires.

Je n’ai pour ma part jamais taxé Jean-Luc Mélenchon et la FI de complaisance à l’égard du Front national. En revanche, j’ai critiqué ouvertement les propos tenus par Djorge Kuzmanovic qui, eux, me paraissaient très critiquables, sur la référence allemande, sur la question migratoire et sur les questions dites "sociétales". J’aurais aimé alors que Jean-Luc Mélenchon prenne, sur le fond et non sur la méthode, ses distances avec celui que l’on présentait alors, à tort ou à raison, comme son "conseiller". Il ne l’a pas fait.

LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR >> Migrants : une question politique et morale, pas un micmac partisan

Du temps où j’étais membre du PCF et de sa direction, j’ai pris l’habitude de dire ce que je pensais devoir dire. On ne manqua pas alors, à bien des niveaux, de me faire savoir que je participais à d’odieuses campagnes de dénigrement contre le parti et que, ce faisant, je jouais contre mon camp. Cela ne m’a jamais intimidé et j’ai, aujourd’hui encore, la faiblesse de penser que ce n’est pas de mes propos de l’époque que le parti a souffert, mais plutôt d’un certain autisme et d’une culture détestable de la citadelle assiégée.

Voilà des années que je dis et que j’écris mon inquiétude de ce que l’extrême droite ait imposé son obsession de l’identité, la peur viscérale de "ne plus être chez soi", le désir de protection contre un ennemi que, faute de visibilité des responsables vrais, on situe classiquement du côté de l’autre, de l’étranger, du migrant. J’ai souvent écrit mon regret de ce qu’une partie de la gauche baisse la garde. J’ai trouvé cette tendance dans la "Gauche populaire" du PS, dans le "Printemps républicain" avec lequel Emmanuel Maurel a naguère flirté, dans les publications de Laurent Bouvet sur « l’insécurité culturelle » et la nécessité de « comprendre » les angoisses des « petits Blancs », dans les propos de Jean-Claude Michéa brocardant la gauche dite « sociétale » et rêvant du retour au village, dans les développements de Christophe Guilluy expliquant que le clivage du « centre » et de la « périphérie » l’emportait désormais sur le clivage dominants-dominés, dans les dérives de Jacques Sapir affirmant que, dès l’instant où la question de la souveraineté nationale était centrale, le rapprochement des "souverainistes" des deux rives était possible.

LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR >> Le Printemps républicain, ce boulet aux pieds du Parti socialiste

Voilà qui fait beaucoup d’exemples et qui justifie largement, me semble-t-il, que le Manifeste évoque la « petite partie de la gauche » tentée de prendre au sérieux les « questions » posées par l’extrême droite. Pourquoi Jean-Luc Mélenchon fait-il comme si ce membre de phrase le concernait ? À trop y insister, ne risque-t-il pas d’accréditer l’idée que ses propos peuvent effectivement relever de cette mise en garde ? Pour l’éviter, et plutôt que de vitupérer le Manifeste, il serait mieux inspiré de dire clairement ce qui l’éloigne des tentations énoncées ci-dessus, comme des énoncés de Djordje Kuzmanovic. Dès cet instant, on pourrait enfin débattre de vraies questions et de désaccords éventuels, qu’il ne faut sans doute pas sous-estimer, mais dont rien ne dit au départ qu’ils vont installer des lignes de fracture au sein de la gauche de rupture.

Peser les termes de la question migratoire

Le premier débat concerne la manière de penser aujourd’hui les phénomènes migratoires sous le seul prisme de la contrainte. Ce n’est pas faux dans l’absolu : la grande majorité des départs, et pas seulement au temps du capitalisme dominant, ont historiquement été motivés par l’exigence du mieux vivre, quand ce n’était pas celle de la survie. Mais le paradoxe de l’histoire est que ces mouvements contraints n’ont pas été pour rien dans la marche en avant de l’humanité. Que serait devenue l’Europe sans l’apport de vagues incessantes de migrations ? Les États-Unis seraient-ils devenus une grande puissance, s’ils n’avaient pas été un melting pot ? La France se serait-elle enrichie de son industrie et de son cadre urbain, sans les apports stimulants de l’exode rural, puis de l’immigration extérieure ? L’histoire a fait des migrations à la fois une douleur et une plénitude, le fruit du dénuement et la possibilité d’y échapper durablement. Que l’immigration pose des problèmes, aux sociétés de départ comme aux sociétés d’accueil, est une chose ; qu’elle soit en elle-même un problème en est une autre. Entre les deux affirmations, la ligne de partage est celle du vrai et du faux.

Je reviens sur la question des migrations contraintes. Qu’il faille réduire la part de cette contrainte est d’une évidence désarmante. Comment pourrait-on s’opposer à des politiques qui ont pour objectif de réduire la spirale des inégalités, des discriminations et des gaspillages qui sont le lot de nos sociétés contemporaines ? Comment ne pas tout faire pour réduire le poids de cette conflictualité incessante, qui épuise l’Afrique et ses peuples et que nourrissent les intolérables trafics d’armes, dont les grandes puissances font ouvertement et impunément commerce ? Comment dès lors contourner la nécessaire boussole de l’anticapitalisme ? Mais si l’on suit cette piste, ne nous cachons pas qu’il faut le faire de façon conséquente et jusqu’au bout. "L’aide au développement" est une nécessité, mais n’est qu’un simple correctif à la spirale inégalitaire. La règle de la "protection" partielle d’un territoire peut-être un passage obligé ; mais l’absolutisation de la protection, c’est-à-dire le "protectionnisme" est une impasse, quand bien même on y ajoute un adjectif – "solidaire" - qui le contredit. En bref, la protection, oui ; le protectionnisme, non.

S’attaquer à la puissance de la finance est une nécessité historique et la gauche au pouvoir s’est cassé les dents à s’accommoder de ses contraintes au lieu de la combattre. Mais ce combat est un processus global de long souffle. Et, en attendant qu’il soit parvenu à son terme, que fait-on ? Le flux des migrations – au demeurant exagéré par l’extrême droite et ses fantasmes de "l’invasion" – va-t-il se résorber et se tarir à court et à moyen terme ? L’expérience en cours montre que ce n’est pas vrai. L’amorce de développement des "émergents" n’affaiblit pas la tendance au départ, mais la stimule au contraire, car ceux qui partent vers les destinations les plus lointaines – les nôtres – ne sont pas les plus indigents.

Dans un premier temps, le développement ne ralentit donc pas les déplacements, mais accentue leur caractère inégalitaire : les plus pauvres – et notamment les réfugiés – se déplacent vers les pays pauvres du "Sud", les moins pauvres vers les pays du "Nord". De la même manière, il faut certes espérer que des mesures seront prises, dans l’urgence, pour éviter la dégradation incessante des équilibres climatiques. Mais, même dans l’hypothèse où cette rupture intervient dans le très court terme, il faudra un certain temps pour enregistrer leurs effets globaux. Nous devrons donc faire face à des risques de déplacements massifs de population provoqués par des catastrophes écologiques ou des conflits locaux. Nous le devrons d’autant plus que tout volontarisme doit mesurer ses limites, s’il ne veut pas s’abîmer dans le renoncement, dès le premier obstacle venu. Sur la question de l’aide à l’Afrique, par exemple, la France peut beaucoup, infiniment plus qu’elle ne le fait aujourd’hui. Mais elle ne réglera pas à elle seule l’une des questions les plus capitales, celle du devenir de ce continent africain dont on sait qu’il sera celui du XXIe siècle, comme l’Europe fut celui du XIXe siècle et l’Asie celui du XXe siècle.

Auquel cas, je me permets de poser à nouveau la question à laquelle il n’est pas répondu pour l’instant. Si les flux de migrations se maintiennent, que ferait une France choisissant la voie de la rupture ? Continuera-t-elle d’accepter l’infamie qui voue les pays du Sud à recevoir 80% du flux des réfugiés ? Et si elle constate la persistance de flux de ce type en direction de l’Europe, comment réagira-t-elle ? Suivra-t-elle la logique égoïste à courte de vue de l’Union européenne et de ses États ? A fortiori, laissera-t-elle se généraliser la logique inadmissible, inhumaine et irréaliste de ceux qui prônent le blocage des frontières ?

"No border" ? de qui se moque-t-on ?

Venons-en, d’ailleurs, à cette question des frontières et du chiffon rouge du "no border", repris par Jean-Luc Mélenchon. Il est en fait facile de s’inventer des ennemis qui, peut-être, n’existent pas, et en tout cas pas chez ceux que l’on désigne explicitement ? Au fond, le leader de la France insoumise, laisse entendre qu’il n’y a que deux options possibles, quand on pense la frontière. D’un côté, le no border qui est renvoyé aux limbes de l’utopie, de l’autre « l’éloge de la frontière » cher à Régis Debray.

Je n’ai nulle envie, et depuis longtemps, de m’enfermer dans ce dualisme. La frontière n’est pas une réalité naturelle, mais une construction historique, imposée à la fin du XVIIIe siècle et généralisée aux XIXe et XXe siècles. Politiquement, elle désigne la limite à l’intérieur de laquelle se dénombrent les composantes du peuple souverain et où s’exerce la souveraineté politique. Par fondation, la frontière est à la fois inclusive (le territoire de la citoyenneté partagée) et exclusive (la distinction du national et de l’étranger). Elle a nourri aussi bien le patriotisme démocratique que le nationalisme d’expansion et le chauvinisme cocardier.

Aujourd’hui, la frontière est dans une contradiction. D’un côté, elle est relativisée par la fluidité des échanges commerciaux et financiers et par la montée des déplacements humains de tous types. D’un autre côté, cette fluidité est contredite par le contrôle étroit de la mobilité des personnes. La frontière devient ainsi tout à la fois un lieu flou d’échanges, une sorte d’hypermarché frontalier et une clôture qui prend volontiers la forme d’un mur. Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

La nation, bien délimitée par ses frontières, reste un cadre de souveraineté qu’il ne sert à rien de vouloir rayer d’un trait de plume. Mais l’apologie de la frontière, en privilégiant la différence et l’identité au détriment du commun et de l’égalité, risque aujourd’hui de donner de l’eau au moulin de l’esprit de fermeture et au fantasme de la protection absolue. La question la plus décisive n’est donc pas de savoir s’il faut garder la frontière ou la détruire, à court terme en tout cas – à long terme, l’utopie d’un monde sans frontières reste une nécessité. L’essentiel est plutôt de dire quelle conception on a de la frontière : simple bornage du lieu d’exercice d’une volonté commune ou symbole intangible d’une fermeture à un extérieur vécu sur le registre de la menace ?

Si c’est cela le choix nécessaire et s’il faut privilégier son second terme, je complète les questions précédentes, très concrètes, que ne peuvent esquiver ceux qui aspirent au pouvoir. S’il s’avère demain, une gauche bien à gauche une fois installée « aux affaires », que les énormes mesures existantes de contrôle s’avèrent incapables de réguler complètement les passages, que fera-t-on ? Continuera-t-on la spirale européenne prônée par Frontex, en accroissant démesurément les techniques de contrôle, de répression et de refoulement ? Cherchera-t-on à maintenir au maximum les plus pauvres chez les déjà pauvres ? Ou bien se résoudra-t-on à suivre la seule politique possible à l’intérieur de nos frontières : la liberté de circulation, l’accueil, l’égalité d’accès de tous à des droits étendus, l’inversion des logiques de flexibilisation, de précarisation et de recul des services publics et l’extension de la citoyenneté à l’ensemble des résidents ?

LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR >> "Migrants. Mener la bataille.", par Clémentine Autain

Pas de cadeau à l’extrême droite

Cessons donc d’agiter les sujets qui divisent au lieu de rassembler : protectionnisme contre libéralisme, "pro border" contre "no border", souverainisme contre fédéralisme. Sur la question des migrants, en revanche, l’alternative est simple. L’extrême droite fait son fonds de commerce de l’affirmation selon laquelle l’immigration est une plaie dont la résorption conditionne la possibilité de toute politique en faveur des "nationaux". Face à elle, il n’y a pas d’autre solution que d’affirmer que l’immigration n’est pas un problème, mais une chance et cela jusqu’à aujourd’hui. Si elle pose des problèmes, c’est parce que nous sommes dans un monde, dans une Europe, dans une France où l’on préfère la liberté des circuits financiers, la libre circulation des marchandises à la libre circulation des hommes, où l’on préfère la dérégulation et la privatisation à la stabilité des statuts et à l’appropriation sociale. Un monde, une Europe et une France, où l’on préfère la peur et le repli identitaire à la solidarité et à la mise en commun.

Accepter ou refuser : cela s’appelle un choix de société. Le Manifeste appelle en creux à faire ce choix. Qui, à gauche, peut se permettre de mégoter sur les possibles politiques que cela ouvre ? La montée de l’extrême droite européenne oblige en effet à poser en grand la question des dynamiques politiques nécessaires pour la contrer. On ne peut s’en remettre à la droite pour cela : elle est en train de craquer devant la pression de ses extrêmes. Se confier aux rassemblements plus ou moins centristes, en vitupérant les "extrêmes" qui se touchent ? Impossible : c’est cette logique d’accommodement qui a radicalisé la droite en épuisant la gauche. Si quelque chose se passe, c’est donc à gauche qu’on l’observera. Mais dans quel rapport à l’extrême droite ? En contournant le problème, en expliquant que la question migratoire n’est pas la question centrale ? En concédant à cette extrême droite qu’elle met au centre la question du peuple de sa souveraineté ? Pour ma part, je ne pense pas cette façon de faire recevable. Je la crois même dangereuse.

L’extrême droite se bat en démontant pièce par pièce ce qui la porte, ses pratiques, ses projets, mais aussi ses idées et ses mots. Pas plus en Italie, qu’en Hongrie, qu’aux États-Unis ou en France, la logique souverainiste de l’exclusion ne protège les peuples. Au contraire, elle accroît les inégalités, les tensions et les frustrations. Il en est de même pour la philosophie frontiste des migrations : on ne transige pas avec elle, ni dans les mots ni dans les actes.

L’immigration n’est pas un problème ; l’environnement global des politiques qui l’entourent en est un, et de taille. Ne créditons pas l’extrême droite de ce qu’elle a raison en recouvrant les deux.

Publié le 12/10/2018

Immigration : plus de sérieux, moins de petits jeux

(blog de Jean Luc Mélenchon du 8/10/2018 – site de JLM)

Un article de « Libération » fait un récit inacceptable d’une discussion du groupe parlementaire « La France insoumise » à propos d’un texte diffusé par Regards, Mediapart et Politis sur l’immigration. Cet article de « Libération » appelle plusieurs mises au point. La première pour garantir notre liberté collective.

En effet notre groupe doit pouvoir continuer à discuter librement des questions qui sont posées à ses membres sans que ces discussions soient aussitôt retranscrites sous la forme de psychodrame de « division » ou de « déchirements » par un média qui écoute aux portes et prétend avoir ses « informations » de l’intérieur. Faute de quoi aucune discussion n’est plus possible et une ambiance mortifère de méfiance mutuelle rend impossible toute vie commune. C’est sans aucun doute le but recherché ici.

La seconde concerne la liberté de chacun des membres du groupe. Celle-ci reste totale. Elle n’est pas mise en cause. Chacun d’entre nous reste maître de son point de vue et de son expression publique y compris quand il y a désaccord. Chacun naturellement doit évaluer l’intérêt d’une expression publique de ses divergences. Car afficher systématiquement sa « différence » comme moyen d’exister est aussi source de confusion même si cela peut flatter son égo. Et cela produit une image collective qui rappelle trop les nids d’intrigues habituels des partis de gauche et d’extrème gauche de toute taille. Chez eux toute l’activité est introvertie, se résume à des intrigues internes et consiste a se valoriser en dépréciant les autres. Le PS et diverses organisations d’extrême gauche ont beaucoup pratiqué ces mœurs, au prix d’une ambiance interne suffocante et d’une visibilité démoralisante. C’est avec cela que nous disions avoir tous voulu rompre pour retrouver un engagement positif, concret et aussi convivial que possible.

La troisième concerne le sujet en débat. Tout le groupe venait de découvrir un texte auquel seule une d’entre nous avait eu partie liée lors de sa rédaction et de la patiente collecte des 150 premières signatures. Aucun d’entre nous ne fut prévenu de rien pendant cette période de préparation. Or nous venions de mener collectivement le débat public des jours durant à l’Assemblée avec la loi « asile immigration » de Macron. Nous venions de présenter collectivement nos amendements et de publier ensemble une brochure sur le thème. Une certaine exaspération s’est donc en effet exprimée à se voir soudain mis en cause et interpellés sur des points déjà tranchés collectivement au fil de l’action parlementaire et dans le soutien sans faille aux actions de luttes de terrain. D’ailleurs, des propositions nouvelles étaient contenues dans nos amendements comme celle de créer un statut de réfugiés économique et climatique pour pourvoir apprécier les situations et décider sur une base légale ouverte. Autrement dit : pour rompre le cercle infernal du droit d’asile ou de l’expulsion.

Nous pensions avoir tout dit et mis au point une position globale, concrète et réaliste conforme à tout l’arc des principes dont se réclame la tradition humaniste. Personne ne nous a fait la moindre remarque sur ces prises de parole ni sur nos documents écrits. Aucun des signataires ne nous a non plus exprimé le moindre soutien dans la bataille parlementaire. Et je regrette d’ailleurs que le texte ne fasse aucune allusion à nos propositions et ne reprenne aucune de nos solutions concrètes. Mais je peux dire que nous restons disponibles pour discuter de toutes ces propositions. Cela alors même que plusieurs des signataires du manifeste se sont adressé à nous sur ce thème avant cela de façon… violente, pour ne pas dire davantage. Ou bien alors que certains ont appartenu ou soutenu le gouvernement Valls et son texte sur l’immigration et donnent à présent des leçons.

J’ai bien compris qu’en décidant de cette publication sans nous, sans avoir proposé la moindre discussion sur ce texte et sans aucun échange sur les solutions concrètes,  les signataires ont voulu marquer leur distance avec le travail de parlementaire que nous avons mené. C’est leur droit, cela va de soi. Pour autant, était-il nécessaire d’insinuer contre nous après avoir condamné la politique du « bouc émissaire » ? Une semaine après les diatribes que l’on sait, dans l’acharnement contre nous qui est visé, par la phrase : « il  ne faut faire aucune concession à ces idées, que l’extrême droite a imposées, que la droite a trop souvent ralliées et qui tentent même une partie de la gauche ».

Quoi qu’il en soit, si la méthode a choqué, le fond du désaccord est dans les termes qu’utilise le texte publié. « Il est illusoire de penser que l’on va pouvoir contenir et a fortiori interrompre les flux migratoires » déclarent Regard, Politis, Médiapart et leurs 150 signataires. Cela revient à renoncer purement et simplement à toute action politique contre les causes du départ. Cela revient à amnistier la responsabilité des gouvernements français et de la France-Afrique dans la misère et la corruption. Et surtout cela amnistie l’Union européenne pourtant particulièrement impliquée par ses soit disant « partenariats économiques » et ses « accords de pêche ». Le refus de mettre en cause l’Union européenne peut conduire aux pires aberrations.

Mais la suite du texte laisse pantois. Rajouter « A vouloir le faire, on finit toujours par être contraint au pire. La régulation devient contrôle policier accru, la frontière se fait mur » revient à dire que les frontières ne sont plus assumées. Ce n’est pas du tout notre point de vue. Nous croyons au bon usage des frontières. Sans elles, comment organiser « le protectionnisme solidaire » de notre programme économique, l’interdiction du statut de travailleur détaché, les obligations de ferroutage et ainsi de suite. Notre rapport aux frontière n’est pas idéologique. Il est concret dans un monde où celles-ci n’ont cessé d’exister que pour le capital et les riches et où nous avons l’intention de les rétablir contre eux. Disons-le clairement nous ne sommes pas d’accord pour signer à propos d’immigration un manifeste « no border », ni frontière ni nation. Nombre de nos amis les plus chers qui ont signé ce texte disent à présent n’avoir pas repéré cette phrase que les rédactions « no border » ont su placer.

Peut-être les formulations de Regards, Politis et Mediapart  sont-elles seulement maladroites ou involontairement ambigues. Peut-être sont-elles du registre du commentaire médiatique davantage que du domaine du concret et de ses luttes. Donc, on se serait évité tout cela en parlant du texte avant de le publier. Quoi qu’il en soit on peut y réfléchir sans s’insulter. Je veux de nouveau résumer notre point de vue.

Nous ne croyons pas que ce débat doivent être le centre du débat des européennes. Le faire serait faciliter le travail de Macron et de l’extrême droite qui se sert du sujet pour éviter tous les autres. Mais une fois le débat ouvert, nous croyons d’abord qu’il faut combattre les causes de départ et rappeler que les gens ne partent pas par plaisir ! Renoncer à ce combat c’est cesser la lutte contre cet ordre du monde et rayer le sens du combat que mènent nos amis dans ces pays pour en finir avec les causes de l’émigration. Avec cela, soyons tout aussi fermes pour dire : le devoir de secours aux détresses en mer ou ailleurs doit rester inconditionnel. Pour autant, qui est partisan d’un droit automatique d’installation ? Pas nous. Nous avons proposé de créer un statut de réfugié climatique ou économique pour apprécier légalement les situations de tous les réfugiés. Mais il faut aussi interdire le statut des travailleurs détachés. Et donner des papiers aux travailleurs étrangers sous contrat de travail. C’est un tout.

Pour ma part, je veux le préciser : personne ne m’a proposé de  signer. J’aurais dit pourquoi je suis en désaccord. Je suis internationaliste. Pas mondialiste. Je crois au bon usage des frontières, j’ai dit pourquoi. Je ne confond pas la coopération avec la libre circulation sans passeport ni visa. Je crois à un monde organisé par l’ONU. Comme je suis certain que nous gouvernerons tôt ou tard, je suis certain que mieux vaut avoir les idées claires sur ces sujets avant. En ce sens, la discussion n’est pas inutile si son but n’est pas de stigmatiser.

Car il est douloureux pour nous d’être traités de la sorte et d’avoir le sentiment que nos combats sont niées, que l’ambiguïté calculée d’un texte baptisé « manifeste » suffise à nous ranger dans un camp qui n’est pas le nôtre. Il est douloureux que mes discours de Marseille en pleine présidentielle sur ce thème, ceux de mes camarades à la tribune de l’Assemblée ne soient rien au point qu’on ne pense même pas à nous proposer de relire ensemble un texte sur le sujet. Un texte qui finalement ne connait aucune autre publicité que celle de la polémique et la division qu’il allume contre nous. Il est insupportable qu’un journal comme « Libération » en profite pour essayer de donner de notre groupe une telle image à ce point inverse à ce qu’il est, et à son fonctionnement réel.  Comme s’il n’y avait rien de plus urgent pour ce journaliste que de tout flétrir de ce que nous sommes : notre identité collective et notre vie de groupe, nos efforts et notre travail. Comme si sur un tel sujet il y avait trop de combattants. L’invention d’une gauche anti-migrant en France comme en Allemagne est tout simplement un renfort pour nos ennemis communs de toujours.

Publié le 06/10/2018

Migrants : une question politique et morale, pas un micmac partisan

Par Roger Martelli | (site regards.fr)

Déjà près de 45.000 signataires pour le Manifeste pour l’accueil des migrants ! Un succès populaire qui rappelle que la question mérite mieux que les divisions partisanes, selon l’historien et directeur de la publication de Regards Roger Martelli.

Le Manifeste pour l’accueil des migrants, signé dans un premier temps par 150 personnalités, n’est pas passé inaperçu. La presse en a largement rendu compte, même si quelques grands médias sont curieusement restés discrets. Depuis sa sortie, d’autres journaux se sont joints à Mediapart, Politis et Regards. Des dizaines de personnalités se sont ajoutées aux initiateurs et, plus encore, le texte est signé aujourd’hui par des dizaines de milliers d’individus. Il est parti du monde de l’art, de la culture et des associations. Il est soutenu maintenant par plusieurs organisations de défense des migrants et des droits. Des responsables politiques ont pris le relais, couvrant tout l’arc des sensibilités de la gauche.

L’ampleur du rassemblement et la diversité de ses composantes découragent ainsi toute lecture étroitement partisane. Comment pourrait-il en être autrement ? Tout, dans ce pays comme dans toute l’Europe, ne se ramène certes pas à la seule question des migrations. Sur beaucoup de dossiers cruciaux, économiques, sociaux, institutionnels, la gauche tout entière ne converge pas et rien ne serait plus dérisoire que de l’ignorer. Mais il est des points qui constituent des lignes de partage distinguant ce qui relève de la gauche et ce qui en éloigne. À la charnière des XIXe et XXe siècles, ce fut l’affaire Dreyfus qui catalysa cette forte réalité.

Certains, à gauche, expliquèrent alors que le combat de cet officier de bonne famille n’était pas celui des prolétaires et que le seul combat qui valait la peine était le combat de classe, autour de la grande et décisive question sociale. Jaurès eut l’immense mérite de convaincre les socialistes que l’engagement aux côtés du capitaine Dreyfus participait de la lutte universelle pour la dignité et l’émancipation. Quelques décennies plus tard, quand le fascisme se mit à occuper dangereusement l’espace public, les communistes commencèrent par dire que l’opposition du fascisme et de la démocratie était un piège, où s’engluerait le combat ouvrier. Pas d’issue dans la gauche : le seul combat valable était celui d’une lutte classe contre classe. Là encore, la force du PCF fut de prendre conscience suffisamment tôt de l’impasse de cette ligne. Les communistes décidèrent de mettre au cœur de leur action la lutte antifasciste. Dans la foulée, il y eut le Front populaire et la plus grande avancée sociale de l’histoire contemporaine.

Ne faire aucune concession à l’extrême droite

J’estime pour ma part que l’attitude à l’égard des migrations est désormais une de ces questions où se joue l’hégémonie des idées. Je considère donc que toute timidité et toute hésitation sur ce point portent en germe les déroutes futures.
Que dit le Manifeste ? Il ne prétend pas que la question migratoire est l’alpha et l’oméga de tout combat émancipateur. Mais il constate que son traitement politique, par l’Union européenne et par ses États, est l’occasion de dénis humains d’une incommensurable ignominie. Il ajoute qu’elle structure partout la poussée de l’extrême droite, que la droite européenne est en train d’être parasitée par elle et qu’une partie de la gauche, surtout quand elle est au pouvoir, se laisse gagner par la thématique de la crise migratoire. L’affirmation centrale du manifeste est dès lors simple et claire : on ne laissera plus l’extrême droite pourrir le débat public ; on ne fera aucun cadeau, aucune concession à ses idées identitaires et sécuritaires sur les migrations. Rien de plus, rien de moins…

Il ne sert à rien de s’imaginer que l’on va contourner le problème, en expliquant que l’enjeu migratoire n’en est pas un et qu’il faut se contenter d’insister sur le dossier économico-social. L’espace politique est depuis longtemps occupé par les migrations et cela va encore structurer les consciences à court terme, pour une part non négligeable. Ou bien on dispute le terrain à l’extrême droite, ou l’on accepte qu’elle impose ses idées comme des évidences. Car ce n’est pas pour rien qu’elle cherche à imposer sa thématique d’exclusion en usant de la hantise de l’invasion migratoire. Voilà plusieurs décennies qu’elle explique que l’égalité n’est plus la question centrale et que, désormais, tout tourne autour de l’identité. Et si elle porte les feux sur ce sujet aujourd’hui, c’est parce qu’elle sait qu’elle peut surfer sur les désastres de la mondialisation capitaliste. Pour elle, l’ouverture des frontières a été la cause de tous nos malheurs, c’est à cause d’elle que l’on n’est plus chez nous, que les étrangers viennent manger le pain des Français.

Le ressort de l’extrême droite, c’est l’incompréhension des causes réelles des désordres du monde. Et quand on ne sait pas où sont les causes, quand on ne voit pas où se trouvent les responsabilités, on se tourne vers les boucs émissaires. Si l’on veut contredire l’ouverture, quoi de plus facile que de fermer un peu plus la frontière aux hommes, puisque c’est ce que l’on fait déjà ? La finance et les marchandises ne connaissent pas, ou si peu, les frontières ; les hommes, eux, n’ont cessé de se heurter à elles. Mais cette facilité de la protection par la clôture est un leurre absolu ! Ce qui pèse sur le marché du travail se trouve avant tout dans la dérégulation, la fin des statuts et des protections, la précarisation du travail. Or ces dérives n’ont pas besoin des migrations pour se déployer. Si quelque chose pèse à la marge contre la part salariale, ce n’est pas la masse des migrants, mais le nombre des clandestins. Or qu’est-ce qui fabrique le clandestin, si ce n’est la clôture hermétique de la frontière ?

Des flux humains croissants

Au fond, ce qui joue à la baisse sur le marché du travail, c’est l’extension planétaire d’un salariat dont la médiocrité des ressources et des protections tire vers le bas la part globale réservé au salaire. C’est l’accumulation de ces salariés démunis qui justifie chez nous les discours de la compétitivité, de la flexibilité et de l’austérité salariale. À l’extrême limite, on pourrait presque dire que c’est en restant chez eux, dans les conditions de chez eux, que ces légions d’exploités servent bien malgré eux d’alibi au capital. Pas en venant « chez nous », comme l’affirme la doxa d’extrême droite. C’est pourquoi il faut se battre pour réduire, à l’échelle planétaire, les mécanismes déprédateurs qui déstabilisent les sociétés locales, épuisent les ressources, fragilisent les écosystèmes et contraignent trop de femmes et d’hommes au départ forcé. C’est pourquoi il faut lutter pour que s’impose ce que réclament tant d’individus, d’organisations et même d’institutions internationales : passer d’une logique d’accumulation infinie et prédatrice des biens, des marchandises et des profits à une logique sobre de développement des capacités humaines.

Mais toutes les analyses montrent que, à court et moyen terme, continueront tout à la fois les flux des migrations choisies et ceux des déplacements contraints. Toute force qui aspire à gouverner doit donc dire de façon claire, non pas ce qu’elle fera dans 50 ans ou dans un siècle, mais dès demain. Ces flux migratoires planétaires, persisterons-nous à accepter qu’ils aillent avant tout dans les pays pauvres, ce qui ajoute de la misère au dénuement, déstabilise un peu plus les sociétés et fragilise l’équilibre mondial ? Et si, pour « protéger » les ressortissants de nos pays et constatant que les moyens utilisés ne parviennent pas à tarir les entrées, que fera-t-on, non pas dans les beaux mots de l’anticapitalisme, mais dans les faits ? On cherchera à rendre les frontières de plus en plus imperméables, comme entre les USA et le Mexique ? On dépensera de plus en plus d’argent pour la surveillance, l’édification de clôtures et de murs ? Si l’on est sérieux, c’est à ces questions qu’il faut répondre. Et pour cela, il ne suffira pas des vertueuses indignations contre l’irréalisme supposé du « no border ». L’irréalisme est aujourd’hui du côté du « border first » : aucune frontière, aucune clôture, aucun mur ne dissuade du passage, quand l’enjeu de ceux qui les franchissent est la survie. Les migrations ne se régulent pas par la clôture : elles s’humanisent, en faisant reculer peu à peu la part des déplacements contraints, en acceptant l’accueil et en confortant l’égalité des droits pour tous. Ce n’est pas une logique de protection qui rendra possible cette humanisation nécessaire, mais une logique de mise en commun planétaire, de partage et de solidarité. Telle est la seule voie raisonnable possible.

Un combat pour la gauche

Je crois qu’il est bon que la gauche, toute la gauche sans exception, s’interroge sérieusement sur un passé récent. À partir des années 1980, la social-démocratie a considéré que l’on ne pouvait plus combattre frontalement la doxa néolibérale, qu’il fallait accepter les paradigmes indépassables de la compétitivité, de la rentabilité et de la flexibilité. L’objectif n’était plus de contester la logique financière du capitalisme, mais d’en rendre le cours plus supportable. On sait les désastres de ces choix : nous les payons encore. Dans un moment où l’extrême droite montre les dents sur tout le continent, alors même qu’une part de la droite, à l’instar de Boris Johnston et de bien d’autres, envisage des rapprochements politique avec elle, ne tombons pas dans les mêmes illusions et ne faisons pas les mêmes erreurs. Faire reculer l’extrême droite suppose d’être impitoyable contre toutes ses idées.

Sur l’immigration, elles sont condamnables en bloc. On ne contournera donc pas le travail patient pour les détricoter, une par une, sans biaiser avec le problème. Si nous ne le faisons pas, que risque-t-il d’arriver ? L’extrême droite ne se gênera pas pour jouer la fibre sociale, le recours aux protections, le contrôle accru des frontières. Dans les promesses, elle ne sera pas hostile à ce que les travailleurs français reçoivent davantage. Elle ajoutera seulement que, pour que le gâteau à partager soit suffisant, il vaut mieux qu’il y ait moins de convives à table. Je souhaite alors bien du plaisir à ceux qui, sur cette base, voudront faire la différence. Et je redoute par avance de constater, plus tard, qui tirera les marrons du feu à l’arrivée.

Quels que soient les clivages qui traversent le monde politique, quels que soient les dissensions à l’intérieur de la gauche – et elles ne manquent pas -, il est bon que, sur la question migratoire se trace une ligne rouge séparant ce qui est tolérable et ce qui ne l’es

Publié le 27/09/2018

150 personnalités signent le Manifeste pour l’accueil des migrants

Les rédactions de Regards, Politis et Mediapart s’associent afin de lancer le Manifeste Pour l’accueil des migrants signé par 150 intellectuels, artistes, militants associatifs, syndicalistes et personnalités de la société civile.

Regards, Politis et Mediapart ont aussi lancé une pétition : signez-la et partagez-la !

 

Partout en Europe, l’extrême droite progresse. La passion de l’égalité est supplantée par l’obsession de l’identité. La peur de ne plus être chez soi l’emporte sur la possibilité de vivre ensemble. L’ordre et l’autorité écrasent la responsabilité et le partage. Le chacun pour soi prime sur l’esprit public.

Le temps des boucs émissaires est de retour. Oubliées au point d’être invisibles, la frénésie de la financiarisation, la ronde incessante des marchandises, la spirale des inégalités, des discriminations et de la précarité. En dépit des chiffres réels, la cause de nos malheurs serait, nous affirme-t-on, dans la « pression migratoire ». De là à dire que, pour éradiquer le mal-être, il suffit de tarir les flux migratoires, le chemin n’est pas long et beaucoup trop s’y engagent.

Nous ne l’acceptons pas. Les racines des maux contemporains ne sont pas dans le déplacement des êtres humains, mais dans le règne illimité de la concurrence et de la gouvernance, dans le primat de la finance et dans la surdité des technocraties. Ce n’est pas la main-d’œuvre immigrée qui pèse sur la masse salariale, mais la règle de plus en plus universelle de la compétitivité, de la rentabilité, de la précarité.

Nous ne ferons pas à l’extrême droite le cadeau de laisser croire
qu’elle pose de bonnes questions. Nous rejetons ses questions, en même temps que ses réponses. 

Il est illusoire de penser que l’on va pouvoir contenir et a fortiori interrompre les flux migratoires. À vouloir le faire, on finit toujours par être contraint au pire. La régulation devient contrôle policier accru, la frontière se fait mur. Or la clôture produit, inéluctablement, de la violence… et l’inflation de clandestins démunis et corvéables à merci. Dans la mondialisation telle qu’elle se fait, les capitaux et les marchandises se déplacent sans contrôle et sans contrainte ; les êtres humains ne le peuvent pas. Le libre mouvement des hommes n’est pas le credo du capital, ancien comme moderne.

Dans les décennies qui viennent, les migrations s’étendront, volontaires ou contraintes. Elles toucheront nos rivages et notre propre pays, comme aujourd’hui, aura ses expatriés. Les réfugiés poussés par les guerres et les catastrophes climatiques seront plus nombreux. Que va-t-on faire ? Continuer de fermer les frontières et laisser les plus pauvres accueillir les très pauvres ? C’est indigne moralement et stupide rationnellement. Politique de l’autruche… Après nous le déluge ? Mais le déluge sera bien pour nous tous !

Il ne faut faire aucune concession à ces idées, que l’extrême droite a imposées, que la droite a trop souvent ralliées et qui tentent même une partie de la gauche. Nous, intellectuels, créateurs, militants associatifs, syndicalistes et citoyens avant tout, affirmons que nous ne courberons pas la tête. Nous ne composerons pas avec le fonds de commerce de l’extrême droite. La migration n’est un mal que dans les sociétés qui tournent le dos au partage. La liberté de circulation et l’égalité des droits sociaux pour les immigrés présents dans les pays d’accueil sont des droits fondamentaux de l’humanité.

Nous ne ferons pas à l’extrême droite le cadeau de laisser croire qu’elle pose de bonnes questions. Nous rejetons ses questions, en même temps que ses réponses.

Les 150 signataires :

Christophe AGUITON sociologue, Christophe ALEVEQUE humoriste et auteur, Pouria AMIRSHAHI directeur de Politis, Ariane ASCARIDE comédienne, Jean-Christophe ATTIAS universitaire, Geneviève AZAM économiste, Bertrand BADIE politiste, Sébastien BAILLEUL DG du CRID, Josiane BALASKO comédienne, Étienne BALIBAR philosophe, Ludivine BANTIGNY historienne, Pierre-Emmanuel BARRE auteur, humoriste, Lauren BASTIDE journaliste, féministe, Christian BAUDELOT sociologue, Edmond BAUDOIN auteur, dessinateur de BD, Alex BEAUPAIN auteur, compositeur, interprète, François BEGAUDEAU écrivain, Yassine BELATTAR humoriste, Hourya BENTOUHAMI philosophe, Alain BERTHO anthropologue, Pascal BLANCHARD historien, Romane BOHRINGER comédienne, Benoît BORRITS chercheur militant, Patrick BOUCHAIN architecte, Alima BOUMEDIENE-THIERY avocate, Rony BRAUMAN médecin, cofondateur de MSF, Michel BROUE mathématicien, Valérie CABANES juriste internationale, Hélène CABIOC’H présidente de l’Ipam, Julia CAGE économiste, Robin CAMPILLO réalisateur, Aymeric CARON écrivain, journaliste François CHAIGNAUD chorégraphe, Patrick CHAMOISEAU écrivan, Paul CHEMETOV architecte, Monique CHEMILLIER-GENDREAU juriste, Mouhieddine CHERBIB Respect des libertés, Jean-Louis COHEN historien, Cristel CORNIL enseignante-chercheuse, Marie COSNAY écrivaine, Annick COUPE syndicaliste, Alexis CUKIER philosophe, Jocelyne DAKHLIA historienne, Jean-Michel DAQUIN architecte, Françoise DAVISSE réalisatrice, Philippe DE BOTTON président de Médecins du monde, Laurence DE COCK historienne, Catherine DE WENDEN politologue, Christine DELPHY féministe, Christophe DELTOMBE président de la Cimade, Rokhaya DIALLO journaliste, écrivaine, Georges DIDI-HUBERMAN philosophe, Bernard DREANO président du Cedetim, Michel DRU anesthésiste-réanimateur, Françoise DUMONT présidente d’honneur de la LDH, Annie ERNAUX écrivaine, Éric FASSIN sociologue, anthropologue, Corentin FILA comédien, Geneviève FRAISSE philosophe, Bernard FRIOT économiste et philosophe, Isabelle GARO philosophe, Amandine GAY réalisatrice, Raphaël GLUCKSMANN essayiste, Yann GONZALEZ réalisateur, Robert GUEDIGUIAN réalisateur, Nacira GUENIF sociologue et anthropologue, Janette HABEL politologue, Jean-Marie HARRIBEY économiste, Serge HEFEZ psychanalyste, Cédric HERROU militant associatif, Christophe HONORE réalisateur, Eva HUSSON réalisatrice, Thierry ILLOUZ auteur et avocat pénaliste, Pierre JACQUEMAIN rédacteur en chef de Regards, Geneviève JACQUES militante associative, Chantal JAQUET philosophe, JULIETTE chanteuse parolière et compositrice, Gaël KAMILINDI pensionnaire de la Comédie-Française, Pierre KHALFA syndicaliste et coprésident de la Fondation Copernic, Cloé KORMAN écrivaine, Bernard LAHIRE professeur de sociologie à l’ENS de Lyon, Nicole LAPIERRE anthropologue et sociologue, Mathilde LARRERE historienne, Henri LECLERC président d’honneur de la LDH, Raphaël LIOGIER sociologue et philosophe, Isabelle LORAND chirurgienne, Germain LOUVET danseur étoile de l’Opéra de Paris, Gilles MANCERON historien, Philippe MANGEOT enseignant, Patrice MANIGLIER philosophe, Philippe MARLIERE politologue, Roger MARTELLI historien et directeur de la publication de Regards, Christiane MARTY ingénieure-chercheuse, Corinne MASIERO comédienne, Gustave MASSIAH altermondialiste, Nicolas MAURY comédien, Marion MAZAURIC éditrice, Caroline MECARY avocate, Philippe MEIRIEU pédagogue, Phia MENARD jongleuse performeuse et metteure en scène, Céline MERESSE présidente du CICP, Guillaume MEURICE auteur et humoriste, Pierre MICHELETTI médecin et écrivain, Jean-François MIGNARD secrétaire général de la LDH, Véronique NAHOUM-GRAPPE anthropologue, Stanislas NORDEY directeur du Théâtre national de Strasbourg, Ludmila PAGLIERO danseuse étoile à l’Opéra de Paris, Willy PELLETIER sociologue, Nora PHILIPPE auteure et réalisatrice, Thomas PIKETTY économiste, Edwy PLENEL journaliste et cofondateur de Mediapart, Emmanuel POILANE président du CRID, Thomas PORCHER économiste, Didier PORTE humoriste, Mathieu POTTE-BONNEVILLE philosophe, Olivier PY auteur metteur en scène et directeur du Festival d’Avignon, Bernard RAVENEL historien, Éric REINHARDT écrivain, Prudence RIFF co-présidente du FASTI, Michèle RIOT-SARCEY historienne, Vanina ROCHICCIOLI présidente du Gisti, Paul RODIN directeur délégué du festival d’Avignon, Marguerite ROLLINDE politologue spécialiste du Maghreb, Alexandre ROMANES cofondateur du cirque Romanès, Délia ROMANES confondatrice du cirque Romanès, Paul RONDIN directeur délégué du Festival d’Avignon, Alain RUSCIO historien, Malik SALEMKOUR président de la LDH, Sarah SALESSE avocate, Christian SALMON écrivain, Odile SCHWERTZ-FAVRAT ex-présidente de la Fasti, Denis SIEFFERT président de la SAS Politis, Catherine SINET directrice de la rédaction de Siné Mensuel, Evelyne SIRE-MARIN magistrat, Romain SLITINE enseignant à Sciences Po, Pierre TARTAKOWSKY président d’honneur de la LDH, Lilian THURAM fondation Lilian Thuram-Éducation contre le racisme, Sylvie TISSOT sociologue, Michel TOESCA acteur et réalisateur, Marie TOUSSAINT militante associative et présidente de Notre affaire à tous, Assa TRAORE comité Adama, Enzo TRAVERSO historien, Catherine TRICOT architecte-urbaniste, Aurélie TROUVE altermondialiste et agronome, Fabien TRUONG sociologue, Michel TUBIANA président d’honneur de la LDH, Dominique VIDAL-SEPHIHA journaliste, Jean VIGREUX historien, Thierry VILA écrivain, Arnaud VIVIANT écrivain et critique littéraire, Sophie WAHNICH historienne, Jacques WEBER comédien, Serge WOLIKOW historien.

Associations
Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (ACORT), Auberge des migrants, Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (BAAM), CCFD - Terre solidaire 93, Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM), Centre international de culture populaire (CICP), Coalition internationale des sans-papiers et migrants (CISPM), Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), Coordination 75 des sans-papiers, Coordination 93 de lutte pour les sans-papiers, CSP92, DIEL, Fédération des associations de solidarité avec tous·te·s les immigré·e·s (Fasti), Fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), Gisti, Initiatives pour un autre monde (IPAM), La Cimade, Ligue des droits de l’homme, Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie, Roya citoyenne, Syndicat des avocats de France (SAF), Union juive française pour la paix (UJFP), Utopia 56

Publié le 13/08/2018

L'Aquarius exhorte les gouvernements européens à désigner au plus vite un lieu sûr de débarquement après deux sauvetages en Méditerranée

(site l’humanité.fr)

 

Répondant à la crise humanitaire toujours en cours en Méditerranée centrale, l'Aquarius, le navire affrété par SOS MEDITERRANEE et opéré en partenariat avec Médecins Sans Frontières (MSF), a secouru 141 personnes vendredi 10 août. Les deux organisations exhortent désormais les gouvernements européens à désigner de toute urgence le lieu sûr le plus proche, comme le prévoit le droit maritime international, afin de pouvoir y débarquer les rescapés et continuer à fournir une assistance humanitaire d'urgence en mer.

Vendredi 10 août dans la matinée, l'Aquarius a procédé au sauvetage de 25 personnes, retrouvées à la dérive à bord d'une petite embarcation en bois et sans moteur. Elles erraient probablement en mer depuis près de 35 heures.  Quelques heures après, l'Aquarius a repéré un second canot en bois, dans lequel s'entassaient 116 personnes, dont 67 mineurs non accompagnés. Parmi les rescapés, sept sur dix sont originaires de Somalie et d'Erythrée. Si l'état de santé global des rescapés est stable pour l'instant, beaucoup sont très affaiblis et dénutris. Nombre d'entre eux ont également fait part aux équipes des conditions inhumaines dans lesquelles ils ont été détenus en Libye. 

 

L'Aquarius fait route vers le Nord, sans avoir obtenu confirmation d'un lieu sûr où accoster

 

Au cours des deux opérations de sauvetage, l'Aquarius a informé l'ensemble des autorités compétentes de son activité, y compris les Centres de coordination des secours maritimes italien, maltais et tunisien (MRCCs) et le Centre conjoint de coordination des secours (JRCC) libyen. Celui-ci a confirmé qu'il était l'autorité en charge de la coordination de ces sauvetages. Le JRCC libyen a toutefois informé l'Aquarius qu'il ne lui indiquerait pas de lieu sûr pour le débarquement, et lui a enjoint de s'adresser à un autre Centre de coordination des secours (Rescue coordination centre, RCC). L'Aquarius fait donc à présent route vers le Nord et va solliciter la désignation d'un lieu sûr de débarquement auprès d'un autre RCC.

 

« Nous suivons les dernières instructions du JRCC et allons, comme il se doit, contacter d'autres RCCs afin qu'un lieu sûr nous soit désigné pour débarquer les 141 rescapés qui sont à bord de l'Aquarius », a confirmé Nick Romaniuk, Coordinateur des secours pour SOS MEDITERRANEE à bord de l'Aquarius. « L'essentiel est que les rescapés soient débarqués sans délai dans un lieu sûr, où leurs besoins fondamentaux seront respectés et où ils seront à l'abri d'abus ». 

 

« Les gouvernements européens ont concentré tous leurs efforts à la création d'un JRCC en Libye, mais les événements de vendredi illustrent bien l'incapacité de ce dernier à coordonner intégralement une opération », a souligné Aloys Vimard, coordinateur de projet pour MSF à bord de l'Aquarius. « Un sauvetage n'est pas terminé tant qu'un lieu sûr de débarquement n'a pas été indiqué. Or, le JRCC libyen nous a clairement signifié qu'il ne le ferait pas. Il ne nous a pas non plus informés des signalements de bateaux à la dérive dont il avait connaissance, alors que l'Aquarius se trouvait sur zone et avait offert son assistance. En réalité, ces embarcations en détresse ont eu de la chance que nous les repérions par nous-même », conclut le coordinateur de projet de MSF.

 

Le déploiement d'une assistance humanitaire en Méditerranée est à nouveau entravé

 

Fait troublant, les rescapés ont indiqué aux équipes à bord qu'avant que l'Aquarius n'intervienne, cinq navires différents ne leur avaient pas porté secours. « Le principe même de l'assistance portée à toute personne en détresse en mer semble désormais menacé », s'inquiète Aloys Vimard. « Des navires pourraient être tentés de ne pas répondre aux appels de détresse en raison du risque de rester bloqués en mer, sans qu'aucun lieu sûr où débarquer ne leur soit désigné. Les politiques visant à empêcher à tout prix que les gens n'atteignent l'Europe ne font qu'accroître la souffrance et le danger des traversées qu'entreprennent ces personnes, pourtant déjà fort vulnérables ».

 

MSF et SOS MEDITERRANEE se déclarent, une nouvelle fois, extrêmement préoccupées par les politiques européennes actuellement menées. Celles-ci constituent une véritable entrave au déploiement effectif d'une assistance humanitaire efficace, et n'ont eu pour effet que de faire exploser le nombre de morts en mer ces derniers mois. L'Aquarius est désormais l'un des deux derniers navires humanitaires de recherche et sauvetage présents en Méditerranée centrale. La criminalisation et l'obstruction du travail des organisations humanitaires sont le reflet d'un système européen de l'asile en échec, et de la défaite des Etats membres de l'Union européenne à relocaliser les demandeurs d'asile qui arrivent en Europe.

 

SOS MEDITERRANEE et MSF exhortent une nouvelle fois tous les gouvernements européens ainsi que les autorités maritimes compétentes à reconnaître la gravité de la crise humanitaire qui sévit en Méditerranée, à garantir un accès rapide à des lieux sûrs où débarquer les rescapés, et à faciliter plutôt qu'entraver le déploiement d'une assistance humanitaire essentielle en Méditerranée centrale.

Publié le 15/07/2018

Ces simples citoyens qui sauvent l’honneur d’une République en faillite morale en ouvrant leurs portes aux exilés

par Linda Maziz (site bastamag.net)

Ils et elles sont plus fidèles aux valeurs de la République que tout le gouvernement réuni : des réseaux de citoyens se sont organisés à Paris et en banlieue, comme dans toute la France, pour héberger chez eux les exilés les plus vulnérables, familles, enfants et adolescents isolés ou femmes seules. Ils font ainsi vivre au quotidien le principe de fraternité, réaffirmé par le Conseil constitutionnel, pendant que le gouvernement abandonne les exilés, démantèle leurs campements sans proposer de solutions, ferme les points d’eau, entrave leurs démarches administratives, ordonne aux forces de l’ordre de les harceler. Rencontre avec une habitante de Saint-Denis, qui a déjà accueilli 200 exilés chez elle et avec des bénévoles qui tentent, chaque jour, de les aider.

C’est toujours un bonheur d’écouter Olympe parler étymologie [1]. « En latin, hostis veut dire l’étranger, qui donne à la fois hospitalité et hostilité. Dans l’action même de l’accueil va se jouer le fait que l’autre se transforme en ennemi ou en ami », explique-t-elle. Cette habitante de Saint-Denis, mère de famille de 45 ans, travaille comme enseignante-chercheuse à l’université. Elle est bien placée pour parler « hospitalité » : depuis l’automne dernier, elle a hébergé plusieurs dizaines de familles en détresse !

« Cela a démarré en octobre, je rentrais d’un séjour à Dakar et je me suis retrouvée toute seule dans un grand appartement vide. Puis je vois passer un message sur Facebook. L’association Utopia 56 qui vient en aide aux migrants Porte de la Chapelle lançait un appel à la solidarité pour héberger le soir-même une cinquantaine de personnes qui n’avaient nulle part où dormir, raconte Olympe. J’avais des chambres libres chez moi et il y avait des gens dehors, je n’ai pas réfléchi plus longtemps. » Quelques heures plus tard, un bénévole arrive accompagné d’une famille afghane qui a ainsi pu trouver chez la Dionysienne un refuge pour la nuit. Rebelote le lendemain soir, et tous les suivants.

« Depuis cet automne, j’ai dû héberger plus de 200 personnes »

« J’ai eu jusqu’à trois familles en même temps. Depuis cet automne, j’ai dû héberger plus de 200 personnes. » En quelques mois, Olympe a l’impression de rencontrer « le monde entier ». Ses hôtes viennent du Burkina, d’Érythrée, d’Éthiopie, du Nigeria, du Mali, de Somalie, du Soudan, mais aussi de Syrie, d’Irak, ou encore du Bangladesh. Des familles, des femmes seules ou accompagnées d’enfants, parfois très jeunes, qui ont tous en commun de chercher asile en France et d’avoir été refoulées des dispositifs d’hébergement d’urgence.

Olympe, comme des dizaines de milliers d’autres citoyens, n’a pas craint d’être accusée de « délit de solidarité ». Ni attendu le 6 juillet, et la réaffirmation par le Conseil constitutionnel du principe de fraternité comme valeur essentielle inscrite dans notre constitution [2]. « La devise de la République est "Liberté, Égalité, Fraternité". La Constitution se réfère également [...] à l’“idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité". Il découle de ce principe la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national », précise le Conseil constitutionnel. Ce principe de fraternité, les hébergeurs citoyens le mettent en œuvre au quotidien.

« Des familles entières se retrouvaient dehors, avec des enfants, des bébés, des femmes enceintes »

C’est en 2017 que l’association humanitaire Utopia 56 a lancé ce réseau d’hébergement citoyen sur Paris et la petite couronne, pour tenter d’offrir mieux qu’un sac de couchage posé à même le sol aux personnes exilées les plus vulnérables [3]. Son action s’est d’abord concentrée sur la situation des mineurs isolés étrangers contraints d’errer le soir dans les rues faute d’une prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance. À leur détresse s’est ajoutée il y a un peu plus d’un an celle de familles et de femmes, laissées pour compte elles aussi par les pouvoirs publics.

« Avec la fin de l’hiver, beaucoup de structures ont fermé. Des familles entières se retrouvaient dehors, avec des enfants, des bébés, des femmes enceintes... On ne pouvait pas laisser faire ça, se souvient la bénévole Fanny Lepoivre, qui assure alors un rôle de coordinatrice de terrain auprès des migrants regroupés par centaines Porte de la Chapelle. J’ai commencé à poster des messages sur Facebook, que je faisais tourner dans les réseaux de soutien aux réfugiés en demandant s’il n’y avait pas quelqu’un qui pouvait accueillir une mère et ses deux enfants, juste pour une nuit. C’est parti comme ça. L’été dernier, nous tournions avec 20 hébergeurs, aujourd’hui nous en avons réuni près de 240. » Malgré cette montée en puissance de la solidarité citoyenne, la situation reste critique. « Aujourd’hui, concrètement, nous manquons de bénévoles sur le terrain. Beaucoup de nos hébergeurs partent en vacances, et, comme l’été dernier, nous constatons une recrudescence du nombre de familles à la rue », témoigne la bénévole.

Points d’eau coupés et harcèlement policier

« Cela fait longtemps que la soirée n’a pas été aussi compliquée », dit aussi Louis, un trentenaire qui vient Porte de la Chapelle un à deux soirs par semaine depuis décembre, après le travail. Vu la situation ce 2 juillet, « compliquée » est un euphémisme. Louis croule sous les demandes. Des centaines de migrants, dans le dénuement le plus total, jouent ici leur survie. Ils ont faim, ils ont soif et n’ont nulle part où aller et rien pour dormir. Après le démantèlement des campements en juin, les points d’eau ont été coupés. Reste le harcèlement policier pour les dissuader de tout nouveau regroupement, ce qui oblige « les exilés à se cacher et à vivre dans une rare précarité », comme l’a dénoncé une nouvelle fois un collectif d’associations dans un communiqué commun fin juin. Après trois opérations de démantèlement des campements parisiens en juin, entre 300 et 500 exilés se retrouvent en errance dans le Nord de Paris et à Saint Denis.

 

Ce soir-là, il n’y a que très peu de bénévoles pour tenter de répondre à l’urgence et aux besoins. Un homme cherche un pansement, un autre une carte sim. Un troisième attend désespérément un t-shirt, car il n’a à se mettre qu’un pull épais, totalement inadapté en cet épisode de forte chaleur. Louis, qui reçoit toutes ces requêtes, doit aussi rester concentré sur sa mission principale : celle de trouver un hébergement pour les familles et les femmes à qui on a dit qu’elles pouvaient se présenter à partir de 19 h devant ce local associatif du boulevard Ney pour espérer une mise à l’abri.

Pour une famille protégée pour la soirée, treize en attente

Elles étaient quatre dès le début de la soirée, mais il en arrive de nouvelles en permanence. Dans le chaos ambiant, il faut aller à leur rencontre, parfois contacter un service d’interprétariat à distance pour recueillir quelques informations sur leur situation quand la famille ne parle ni français, ni anglais. Date d’arrivée en France, composition familiale... Plusieurs ont rendez-vous le lendemain en préfecture où à la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile. La plupart ont appelé le 115, sans succès, alors elles sont venues là. C’est le cas de deux familles moldaves, d’une autre bangladaise et d’un couple éthiopien qui a aussi besoin de lait pour pour ses jumeaux de 18 mois. « Please, no sleep, no food », c’est aussi ce qu’explique une mère afghane, en désignant ses trois enfants.

Il y a également quatre femmes seules qui se sont accroupies côte à côte dans un coin, en espérant être bientôt emmenées loin de cet enfer. Louis saisit toutes les demandes d’hébergement sur son téléphone pour les transmettre au bénévole d’astreinte, chargé de faire le lien depuis chez lui avec les hébergeurs citoyens inscrits sur le réseau, pour savoir si certains sont disponibles pour accueillir. « C’est bon, nous avons trouvé un hébergement sur Paris pour l’une des familles moldaves, celle qui a trois enfants. On attend la distribution de repas à Aubervilliers, et dès qu’ils ont mangé, un bénévole va les accompagner. » Voilà déjà une famille de protégée pour la soirée. Mais le temps passe vite, et il reste encore treize solutions à trouver, soit une quarantaine de personnes à héberger.

« Quand les gens qui ont vécu ces violences se retrouvent dans ton salon, cela devient très concret »

Chez Olympe, certaines familles ne sont restées qu’une nuit, d’autres une semaine, d’autres encore plus d’un mois. « Ce n’est pas prévu comme ça. Normalement, les gens repartent le lendemain matin. C’est moi qui ai demandé à ce que les gens restent quand j’ai vu revenir chez moi des familles que j’avais déjà accueillies trois jours auparavant. Plutôt qu’elles soient ballotées d’un endroit à l’autre, un coup dehors, un coup au chaud, autant qu’elles se posent là le temps d’avoir une solution. » Olympe a pour habitude de ne jamais poser de questions. « Je ne connais leurs histoires que lorsque les gens ont voulu m’en parler. »

Souvent, au bout de deux ou trois jours, ils ont envie de raconter. Leur vie d’avant, le choc traumatique qui a provoqué leur départ et les horreurs subies pour arriver jusqu’ici. « Par les médias, les ONG, on peut s’informer sur les situations d’extrêmes violences, ce qui se passe en Libye et dans quelles conditions les gens traversent la Méditerranée. Mais quand les gens qui ont vécu cela se retrouvent dans ton salon, cela devient très concret. Et c’est souvent pire que tout ce que l’on peut imaginer », rapporte l’universitaire. De ce qu’elle a observé, les gens malgré tout vont « plutôt bien » dès lors que le noyau familial a été préservé. « C’est pour cela que certaines grandes familles refusent des hébergements, parce qu’elles préfèrent rester ensemble à la rue plutôt que séparés. »

« Un gouvernement qui laisse des femmes et des enfants à la rue, c’est cela qui n’est pas normal »

« Chez les gens, tout se passe toujours très bien, tient à préciser Fanny Lepoivre. D’ailleurs, cela fait six mois que nous avons arrêté de communiquer. Le réseau s’agrandit naturellement par le biais du bouche à oreille. Les familles hébergées sont plus que discrètes et reconnaissantes. Quand elles arrivent chez l’habitant, elles sont souvent épuisées. Tout ce qu’elles veulent, c’est éventuellement prendre une douche et dormir avant de repartir le lendemain matin pour poursuivre leurs démarches administratives. »

Ce fonctionnement est d’ailleurs décrit dans une convention qu’un référent vient présenter au domicile de tous ceux qui souhaitent rejoindre le réseau de l’hébergement citoyen. « Nous leur expliquons la démarche, comment cela se passe sur un plan pratique, juridique. S’ils sont d’accord, ils nous donnent leurs disponibilités. Certains vont nous demander de leur envoyer un texto dès qu’il y a un besoin et ils nous répondront par oui ou non. D’autres ne peuvent héberger que le week-end, d’autres que le lundi ou le mercredi, mais pas plus d’une fois par mois, et nous nous adaptons. »

Quand quelqu’un lui fait remarquer que ce qu’elle fait pour ces familles réfugiées est assez exceptionnel, Olympe dément : « Non, ce n’est pas ce que je fais qui est exceptionnel, c’est l’État d’exception dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui, avec un gouvernement et des pouvoirs publics qui laissent des femmes, des enfants et des bébés à la rue. C’est cela qui n’est pas normal. Dans ce contexte, où nous sommes poussés à une forme d’acceptation de l’inacceptable, l’évidence, c’est de ne pas les laisser dehors, c’est d’accueillir chez soi. » Hospitalité, toujours.

Linda Maziz

Publié le 19/06/2018

Valencia aux exilés : « bienvenue chez vous ! »

Aquarius

émilien urbach

 

L'Humanité.fr

Ce dimanche, à Valence en Espagne, des milliers de citoyens se sont rassemblés pour accueillir les réfugiés abandonnés en mer par les dirigeants d’une Europe xénophobe et meurtrière.

Au soleil levant, elles dansent, chantent et s’enlacent les yeux rivés sur les rivages ibériques qui se dessinent sur l’horizon. C’est la première scène filmée et publiée sur les réseaux sociaux, hier matin à l’approche des côtes espagnoles, par l’équipage de l’Aquarius. Rescapées, avec plus de 600 autres exilés africains, d’une journée entière passée sur un canot pneumatique à la dérive, ces femmes ont été prises en charge par les sauveteurs de SOS Méditerranée, il y a plus d’une semaine. Avant de pouvoir enfin poser le pied sur une terre hospitalière, elles ont dû attendre et naviguer plus de 1 500 kilomètres, à bord du navire de l’ONG, empêché dimanche dernier d’accoster en Italie par le ministre de l’Intérieur xénophobe, Matteo Salvini. Parmi ces femmes africaines en liesse qui, pendant plus d’une semaine, ont dû faire face à une mer parfois démontée, certaines sont enceintes, d’autres souffrent de brûlures : toutes viennent de connaître l’enfer libyen.

À terre, près 2 000 citoyens espagnols solidaires se sont rassemblés sur le port de Valence pour accueillir ces 630 réfugiés épuisés et proposer leurs services aux associations pour traduire, soigner, nourrir, habiller leurs hôtes sauvés des eaux. « Bienvenue chez vous ! » pouvait-on lire en plusieurs langues sur une banderole accrochée à proximité du lieu d’amarrage.

« Des centaines de personnes vous attendent pour prendre soin de vous ! lance aux exilés prêts à descendre du navire l’un des bénévoles de SOS Méditerranée, juste avant l’accostage. Mais le débarquement va prendre plusieurs heures. Il va falloir encore être patient. »

Les opérations de « triage » ont en effet commencé dès 6 h 30, à l’arrivée du navire de la marine italienne, le Dattilo, transportant une partie des 630 personnes secourues. Après l’accueil sanitaire, les dispositifs d’identification et d’enregistrement ont immédiatement été mis en œuvre selon les protocoles voulus par les architectes de l’Europe forteresse : prises d’empreintes, entretiens, fichage…

Le coup de force des Italiens et l’émotion qu’il a suscitée donnent un caractère particulier à ce débarquement. Et cela n’a pas échappé à Emmanuel Macron, qui après plusieurs jours d’un mutisme criminel a proposé par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, de venir en aide à l’Espagne en accueillant les exilés « qui répondraient aux critères du droit d’asile après examen de leur situation ». Une annonce qui cache mal l’hypocrisie du président de la République française, déclarant vendredi après-midi : « Quand un bateau arrivera dans nos eaux, nous en aurons la charge » alors que, la nuit précédente, l’Aquarius passait à moins de 4 milles marins des côtes corses sans pouvoir y accoster. Hypocrisie encore du chef de l’État dénonçant « le cynisme et l’irresponsabilité » des dirigeants italiens, mardi, pour finalement recevoir le président du Conseil des ministres Giuseppe Conte, jeudi, appelant à ce que « la France et l’Italie travaillent ensemble, main dans la main, pour porter des initiatives et apporter des réponses ». Des réponses auxquelles souscrivent déjà les dirigeants européens les plus réactionnaires et consistant à externaliser les politiques migratoires de l’Union européenne (UE) vers des contrées où on bafoue allègrement les droits de l’homme. Hypocrisie à laquelle les dirigeants européens nous ont déjà habitués, à l’image du processus de « relocalisation » adopté en septembre 2015, qui prévoyait de répartir, avant l’automne 2017, 160 000 demandeurs d’asile entre les 28 États membres de l’UE pour n’accueillir finalement que 27 000 personnes.

« L’inaction des États de l’UE a fait plus de 13 000  morts depuis 2014 »

C’est dans cette même logique donc que la France accueillera quelques dizaines de personnes, parmi les 630 exilés victimes de l’inique décision italienne de dimanche dernier, tout en fermant les yeux sur les 200 corps repêchés le lendemain, au large des côtes libyennes, et sur les centaines d’autres personnes qui quotidiennement embarquent sur les mêmes canots de fortune. Dans le même temps, toujours au pays des droits de l’homme, la loi asile-immigration, dont débattront les sénateurs à partir de mardi, tout comme les circulaires du ministère de l’Intérieur à l’intention des préfets renforcent l’arsenal répressif à l’égard des étrangers, notamment des demandeurs d’asile « dublinés », alors même que les accords de Dublin, qui obligent les exilés à demander la protection internationale dans le premier pays de l’UE par lequel ils transitent, sont justement à la source du coup de force de l’extrême droite au pouvoir en Italie.

Hier, à Valence, le calvaire maritime des 630 réfugiés abandonnés par les dirigeants italiens a pris fin, laissant s’exprimer un formidable élan populaire de solidarité. Ceux qui leur ont tendu la main en mer ont cependant tenu à envoyer un message très clair : « L’inaction des États européens est criminelle, ont dénoncé les responsables de SOS Méditerranée. Elle a fait plus de 13 000  morts en Méditerranée depuis 2014, alors que, face à la tragédie de Lampedusa en 2013, les dirigeants de l’UE s’étaient insurgés : “Plus jamais !” L’Europe porte ces morts sur sa conscience. » Médecins sans frontières, en charge des actes médicaux à bord de l’Aquarius, ne s’est pas privé d’enfoncer le clou, accusant pour sa part « les gouvernements européens de marchander des vies humaines » et d’entraver les actions humanitaires « par la multiplication d’obstacles bureaucratiques, de mesures d’intimidation et des procédures judiciaires ».

Une fois ces clarifications apportées, l’équipage de l’Aquarius devait reconditionner le navire pour retourner au plus vite sur la zone de sauvetage, au large de la Libye… Assuré du soutien renouvelé de milliers de citoyens européens.

Emilien Urbach

Journaliste

Publié le 22/05/2018

Migrants. La culture, actrice de la solidarité

Marie-José Sirach avec Émilien Urbach

L'Humanité.fr

Le sort réservé aux migrants en France et en Europe suscite une chaîne de solidarité sur tout notre territoire. Femmes et hommes de culture se mobilisent, totalement impliqués dans des réseaux citoyens.

C’était l’été dernier, au Festival d’Avignon. Nadège Prugnard, auteure, comédienne et metteure en scène, donne lecture de No Border. Un long poème épique, une tirade coup de poing pour raconter une expérience de vie, deux ans durant, dans la jungle de Calais. Devant les scènes de chasse à l’homme à Sangatte, son sang ne fait qu’un tour. Elle fonce à Calais. Avec des fleurs. Elle offrira des fleurs aux enfants de la jungle. En signe de bienvenue. Que pouvait-elle faire d’autre, elle qui n’a, pour seule arme, que les mots ? Elle a noté le nom de tous les réfugiés qu’elle a côtoyés. Scrupuleusement, un à un. Un rempart contre l’oubli, l’indifférence. Elle enrage de ça. De cette indifférence, de cette peur qui ne dit pas son nom, de cette chasse à l’étranger orchestrée au plus haut niveau.

La mobilisation revêt aujourd’hui d’autres formes

Le monde de la culture souffre des discours xénophobes décomplexés. Les films, les livres, les travaux plastiques, les pièces de théâtre témoignent de sa préoccupation, de son engagement aux côtés des réfugiés. Bravant le sentiment d’impuissance face aux lois répressives, il se fait un devoir d’humanité de ne pas céder à l’indifférence. Si, dans les années 1990, les cinéastes étaient au premier rang des manifestations de rue pour les sans-papiers, aujourd’hui la forme a changé. Les temps ont changé, aussi. Les nationalismes et populismes semblent avoir le vent en poupe. Les gouvernements européens jouent avec le feu, refusant la réalité, la présence de ces réfugiés ici et là. On peut dresser des barbelés, des murs, pratiquer la reconduite aux frontières, les guerres, la misère continuent de pousser des milliers d’hommes et de femmes sur les routes de l’exil.

La mobilisation revêt donc d’autres formes. Moins visible, peut-être moins relayée par les médias, elle est pourtant présente sur l’ensemble du territoire. Aux côtés d’associations traditionnelles, d’autres ont vu le jour, plus informelles, tout aussi efficaces. Ça passe par joindre le geste à la parole. Surtout, ne pas se contenter de bons sentiments.

Carole Thibaut, auteure, metteure en scène, dirige le Centre dramatique national de Montluçon. Du 4 au 15 octobre 2017, le théâtre a accueilli spectacles, films, conférences regroupés sous l’intitulé : « Théâtre et politique : représenter les migrations ». Avec un speed-telling organisé dans toute la ville : 7 minutes pour raconter son histoire familiale d’immigration qui a donné lieu à une carte de France-Tout-Monde. Carole Thibaut n’a pas le stylo dans la poche. Elle écrit un cri dans la nuit, « pour qui voudra bien entendre et aller un peu là-bas apporter du soutien, du fric, un toit, une salle de bains, un coup de main administratif, du café chaud, des couches, ce que tu pourras, mais, par pitié, vas-y, pour elles et eux, pour ces enfants qui seront des adultes demain et que nous détruisons à petit feu en ce moment en ne faisant rien, pour nous, pour notre dignité humaine, au nom de la fraternité, parce que, sinon, tous nos combats sont vains et sans fondement, tous nos engagements minables et sans poids, parce qu’on ne peut pas ne pas s’engager, parce que, en ne faisant rien, on est quand même engagé.e, oui, quand même, mais de l’autre côté, celui de l’indifférence (…) Vas-y, prendre ta part d’humanité cette nuit, ou demain, après-demain ».

« Ils sont des enfants avant d’être des étrangers »

Comme elle, David Bobée, metteur en scène et directeur du Centre dramatique de Rouen, a décidé d’ouvrir grand les portes de son théâtre : « Un devoir de désobéissance pour compenser l’indignité des politiques migratoires. » Autour du théâtre, un réseau de citoyens s’est créé pour offrir qui un toit, qui des repas chauds, qui des cours de français, ou accompagner des réfugiés dans leurs démarches administratives. À Rouen, « plus aucun mineur ne dort dehors. Nous partons du principe que ce sont des enfants avant d’être des étrangers. Et ces enfants, livrés à la rue, sont en danger ». David Bobée insiste : « La mobilisation, la solidarité dépassent le seul théâtre. Des galeristes, l’opéra, des commerçants de la ville s’engagent. Ce que nous faisons est un devoir d’humanité. Le théâtre nous le rappelle sans arrêt. Depuis cinq ans, on fait des spectacles avec eux et leur présence provoque de belles rencontres, de belles histoires. »

Au palais de Tokyo, des plasticiens mobilisés

Les artistes britanniques du Good Chance Theatre avaient décidé d’installer, dès 2015, au sein du plus grand bidonville d’Europe, à Calais, leur premier théâtre nomade sous la forme d’un grand dôme géodésique. Ils y ont accueilli, deux années durant, de nombreuses compagnies théâtrales venues de toute l’Europe, animé des ateliers hebdomadaires auxquels les exilés ont participé, et créé une multitude de petites formes scéniques issues de ces rencontres.

Côtés plasticiens, photographes aussi, on tente de sensibiliser le public. En septembre 2017, avec l’exposition « We dream under the same Sky » au palais de Tokyo, à Paris, plus de vingt-cinq artistes plasticiens ont offert des œuvres au profit de Migreurop, l’Anafé, la Cimade, le Centre Primo Levi et le Thot. Le plasticien Frédéric Kleinberg est aussi un exemple d’artiste immergé. Son exposition « Odyssée », mise à l’honneur lors de la dernière Fiac à Paris, a été imaginée au cours de périodes de création et d’ateliers au sein des camps de fortune sur l’île grecque de Lesbos, dans les campements parisiens et la « jungle » de Calais.

Le photographe Samuel Bollendorff est retourné sur les traces des migrants. Son travail a donné lieu à une exposition sous la Canopée du Forum des Halles « la Nuit tombe sur l’Europe », l’an dernier. « Je me suis demandé comment resensibiliser le public à la réalité de la brutalité, à l’insoutenable traumatisme que vivent ces milliers de femmes, hommes et enfants, errant sur les routes de l’exil. Les images ne manquent pas qui témoignent de l’horreur de ces situations, sans pour autant provoquer de changement dans les politiques qui font la honte de l’Europe. Les opinions publiques, désarmées, sont certes touchées, mais pas assez pour que les dirigeants tiennent compte des élans de solidarité qui peuvent s’exprimer. Pire, ils les condamnent », dit-il.

Les activités de la Maison des jeunes et de la culture (MJC) de Martigues (Bouches-du-Rhône) offrent un autre exemple de solidarité du monde de la culture avec les réfugiés. Aux alentours de l’étang de Berre et du golfe de Fos, plusieurs centres d’accueil et d’orientation ou autres foyers d’hébergement pour demandeurs d’asile. La MJC a, depuis plusieurs années, décidé de permettre un accès gratuit à l’ensemble de ses activités au public hébergé dans ces centres. Elle a mis en place, deux fois par semaine, des groupes de conversation, et le musicien marseillais Jean-Jacques Blanc y dirige la chorale d’Ici, d’ailleurs, constituée de chanteurs amateurs français et de demandeurs d’asile. De cette présence quotidienne des exilés au sein de la MJC est né le festival Routes et déroutes. « Cette année, nous comptons nous appuyer sur les chanteurs de rap et ceux qui écrivent, parmi les réfugiés afghans actuellement accueillis à Martigues, pour produire un disque, nous confie Leyla Cherif, un des piliers de la MJC. L’idée vient d’eux. Contribuer collectivement à une œuvre et la restituer ensemble, c’est la démarche qui est le fondement des propositions de la MJC. »

En février dernier, alors même que le ministère de l’Intérieur élaborait son projet de loi asile et immigration, la ministre de la Culture lançait un appel au milieu culturel et artistique pour faciliter aux exilés l’accès à la culture. Une déclaration qui avait suscité un tollé chez les intéressés, qui lui avaient rappelé qu’ils ne l’avaient pas attendue pour se mobiliser et qu’ils espéraient de sa part un engagement plus fort sur le sujet contre la loi de son collègue de l’Intérieur.

Le Syndeac, qui regroupe les directrices et directeurs de théâtre public, a depuis lancé, il y a quelques semaines, un appel à tous les théâtres à afficher à leur fronton la lettre H, comme Hospitalité.

L’appel de patrick le hyaric

Dans son dernier ouvrage Et nos frères pourtant, l’eurodéputé communiste Patrick Le Hyaric, directeur de votre journal et militant politique, livre sa réflexion sur le drame humain vécu par les exilés venus d’Afrique et du Proche-Orient, devant lesquels les dirigeants européens dressent des murs de haine, de peur et de fils barbelés. « Ce petit fascicule se veut un appel à la raison et à la vérité contre la vulgarité des nationalismes populistes », prévient-il. Le texte rappelle à ceux qui siègent dans les plus hautes instances européennes leur responsabilité devant ces milliers de nos semblables qui meurent sur le chemin de l’exil ou vivent dans des conditions inhumaines, contraints par les logiques internationales de domination culturelle, capitaliste et militaire. L’auteur rend également hommage aux artistes, intellectuels, militants syndicaux et associatifs, à toutes les citoyennes et citoyens solidaires qui se font acteurs d’une mondialité toujours à inventer et sauvent notre humanité. « Ils sont, pour Patrick Le Hyaric, les descendants des révolutionnaires français qui, en 1793, inscrivirent dans la Constitution un devoir d’asile, cent cinquante-huit ans avant la convention de Genève. » Ceux-là avaient compris que «  l’exil n’est pas un choix. L’exil est une douleur. L’exil est une violence. L’exil est un cri ! » rappelle le directeur de l’Humanité.

Marie-José Sirach

Chef de la rubrique culture

 

Publié le 21/04/2018

Les usages douteux de la "crise migratoire"

Roger Martelli | (site regards.fr)

Avant de se prononcer sur le dossier des migrations, la gauche devrait regarder de façon plus attentive leurs réalités, hors des fantasmes et des idées reçues. Tour d’horizon sur une "crise" bruyamment proclamée… et difficile à trouver.

Les migrations ont bon dos

"Brexit", montée des extrêmes droites nationalistes, discrédit des institutions continentales… Constater que l’Union européenne ne va pas bien est désormais une banalité. On pourrait penser que les ressorts du malaise doivent se chercher au plus profond des mécanismes communautaires, dans son socle néolibéral ou dans les pratiques opaques de sa "gouvernance". À lire bien des écrits et à écouter bien des discours, la morosité viendrait d’ailleurs.

Dans un essai brillant paru en 2017, Le Destin de l’Europe, le politologue bulgare Ivan Krastev énonce ce qu’il estime être la clé du problème : « Plutôt que la crise économique ou l’aggravation des inégalités sociales, c’est l’échec du libéralisme à traiter le problème migratoire qui explique que l’opinion publique se soit retournée contre lui ». L’auteur est bien trop subtil pour se risquer à affirmer qu’une bonne politique migratoire rétablirait le cours vertueux de la construction européenne dont il rêvait. Mais si l’on suit sa pente d’analyse, les politiques migratoires publiques devraient à tout le moins atténuer les peurs et les colères de l’opinion. S’il y a "trop" d’immigrés perçus, le « moins » d’immigration constaté ne serait-il pas la condition d’un apaisement des esprits ?

C’est en grande partie la conclusion pratique qu’ont tirée les responsables de l’Union européenne, Commission, conseils et États. À l’Ouest comme à l’Est du continent, à droite comme à gauche, que l’on soit ouvertement xénophobe ou que l’on vitupère le "populisme", la propension quasi générale des gouvernants est à la limitation maximale des flux entrants. Au plus fort de l’afflux des réfugiés syriens et afghans, en 2015, tous les pays européens n’ont certes pas refusé le principe des quotas d’accueil, comme l’ont fait la République tchèque, le Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. A fortiori, très peu ont repris les propos du Hongrois Viktor Orban récusant violemment l’immigration en général, qu’il considère comme une menace pour l’identité chrétienne de l’Europe. Mais bien peu ont mis sérieusement en pratique la solidarité de répartition qu’impliquait la règle des quotas, au demeurant de façon bien rabougrie.

Alors que le terme de "migrants" regroupe une variété extrême de statuts, volontaires ou forcés, migrants économiques, regroupements familiaux, migrants humanitaires, réfugiés ou demandeurs d’asile, c’est le réfugié, a priori suspect d’être un "faux réfugié", qui devient le prototype même du migrant international et la source de toutes les phobies. De ce fait, le renforcement des contrôles aux frontières et l’extension des procédures de limitation de l’accueil sont devenus des normes de fait avec le siècle en cours. Au fil des années, de nombreux pays européens ont ainsi durci les conditions d’octroi de la protection internationale pour les réfugiés et demandeurs d’asile. C’est le cas somme toute peu surprenant de l’Autriche, mais c’est aussi celui de la Suisse ou de pays scandinaves réputés plus accueillants, Suède, Danemark, Norvège et Finlande.

L’afflux massif de réfugiés venus de Syrie et d’Afghanistan n’a fait qu’élargir une logique de contrôle accru mise en place dès 2004, sous l’égide de l’agence européenne Frontex, qui joue à la fois le rôle de fournisseur – douteux – de statistiques, d’expert en politique migratoire et de gendarme omniprésent des frontières de l’espace Schengen. Que l’on s’en réclame ou non, le modèle de gestion des confins des États-Unis et du Mexique fonctionne désormais comme un paradigme universel. La gestion de l’immigration s’est transformée, sur toute la planète, en obsession de la lutte contre l’immigration clandestine.

Or il en est de la proscription du clandestin comme de toute prohibition : elle avive la propension à la transgression, davantage qu’elle ne la décourage. De ce fait, la transformation des frontières politiques en une barrière infranchissable s’avère un processus tout aussi aléatoire que coûteux. Sur les quinze premières années du siècle, des estimations placent les dépenses liées à la lutte contre l’immigration clandestine à un niveau proche des 13 milliards d’euros. Entre 2006 et 2017, le budget de Frontex a été à lui seul multiplié par 17 et le Royaume-Uni a dégagé plus de 50 millions d’euros pour "sécuriser" la frontière franco-britannique.

L’UE s’est donc attachée à compléter la surveillance de l’espace Schengen par des négociations visant à sous-traiter la gestion des flux à la Turquie, à l’Afrique du Nord et, plus généralement, au continent africain dans son ensemble. S’est ainsi mise en place, d’abord en Grèce et en Italie, une logique désignée aujourd’hui comme celle des "hotspots", qui n’est pas sans évoquer, dans un autre domaine, celle des maquiladoras, ces entreprises américaines installées de l’autre côté de la frontière avec le Mexique et destinées à fixer sur place une main-d’œuvre bon marché attirée par le grand rêve américain.

La solution très tôt adoptée est toute simple : le hotspot est un point de concentration de réfugiés, situé dans les zones de transit les plus recherchées et où va s’opérer préventivement le tri entre les cas acceptables et ceux que l’on refuse d’accueillir. Le but est de faciliter sur place l’identification des demandeurs d’asile, d’éviter les procédures de relocalisation entre les pays de l’Union et d’organiser au plus vite et à moindre coût le retour des indésirables. Pour soutenir la mise en place de ces véritables centres de triage, l’Europe propose une aide économique aux pays nord-africains et sahéliens qui s’engagent à endiguer le flux des migrants vers l’Europe.

En novembre 2015, a été créé un Fonds fiduciaire associant l’Union européenne et l’Afrique. Théoriquement, il s’agit d’une enveloppe financière destinée au développement, mais qui inclut dans ses attributions l’aide au retour volontaire de migrants bloqués en Afrique du Nord. Un lien direct est ainsi établi entre l’aide au développement et l’allègement des flux migratoires en direction de l’Europe. Des accords complémentaires signés avec le Niger, le Mali, le Sénégal et l’Éthiopie renforcent depuis l’intrication des "pactes migratoires", des relations commerciales et du soutien au développement. Autant dire franchement que l’on confie la gestion de flux migratoires à des régions du monde qui sont le moins à même de l’assumer, en tout cas dans des conditions tolérables pour des populations déjà plus que fragilisées.

À la fin de 2017, l’UE a cherché à compléter son dispositif en prévoyant le renvoi automatique, vers un « pays tiers sûr » [1], des demandeurs d’asile dont on peut prouver qu’ils ont transité dans un de ces pays avant d’accéder au territoire de l’Union. Au départ, il ne s’agit de rien d’autre que de codifier la méthode retenue en 2015 par la Grèce, qui a refoulé vers la Turquie les réfugiés syriens et afghans qui avaient franchi massivement la frontière gréco-turque. Or cette option d’un cynisme absolu – la Turquie fait ainsi partie des pays retenus pour leur respect des droits de l’homme… – rompt purement et simplement avec la Convention de Genève sur les réfugiés, en légitimant l’examen accéléré des demandes, les appels non suspensifs, les rejets probables et le renvoi massif des expatriés vers les pays de provenance [2].

Le continent des droits de l’Homme peut ainsi, sans autre forme de procès, revenir en deçà des avancées humanitaires formulées au lendemain de la victoire sur les fascismes. En son temps, François Hollande n’avait pas osé aller jusque-là. Gérard Collomb, lui, ne manifeste aucune hésitation à s’y engager, même s’il a dû, le 20 décembre dernier, retirer l’inscription de la notion de « pays sûr » dans son projet de loi sur l’immigration… en attendant l’adoption annoncée d’une directive européenne.

Disons-le autrement : au mépris de ses valeurs fondamentales, l’Europe accumule elle-même, à proximité de ses frontières, la poudre qui peut exploser d’un moment à l’autre et menacer son environnement le plus proche. « Nous ne pouvons accueillir tout le monde », a déclaré Emmanuel Macron dans ses vœux du 31 décembre 2017. La formule, déjà employée avant lui, a l’apparence de l’évidence. Mais si les pays les mieux nantis ne peuvent accueillir les populations chassées par la guerre, la famine ou les dérèglements climatiques, comment les plus fragiles peuvent-ils y parvenir, sans que se créent de nouveaux désordres, de nouveaux déséquilibres et de nouvelles situations d’urgence ? Jusqu’où ira-t-on dans la recherche d’illusoires solutions ?

Qu’importe que l’on recense 4.000 cas de malnutrition dans les camps de rétention libyens, que la maltraitance et le travail forcé y prospèrent impunément et qu’une partie de l’appareil d’État libyen traite discrètement avec des réseaux de passeurs : l’essentiel est que l’Europe se décharge de ses responsabilités, quitte à considérer sans doute que la Libye est un « pays sûr ». Contrôle accru des frontières externes de l’Europe, état d’urgence en Hongrie, détentions illégales en Italie, maltraitance en Grèce, déplacements autoritaires dans des centres de rétention en France : tristes vertus de la realpolitik…

La "crise migratoire" annoncée en 2015 a été effectivement contenue. Le nombre de migrants venus de Méditerranée est passé d’un million en 2015 à 360 000 en 2016 et 250 000 en 2017. Mais à quel prix réel ?

Les politiques de l’autruche

Les migrations sont le terrain par excellence de tous les fantasmes. Leur réalité se charge pourtant de les démentir régulièrement. Mais encore faut-il que l’on ne passe pas, en permanence, de l’aveuglement à l’affolement.

Les êtres humains se déplacent, depuis la nuit des temps, et leur mobilité a été dès le départ un facteur structurant de notre commune humanité. Avec le temps, il est vrai, le déplacement s’est fait plus marginal et ses rythmes plus aléatoires. Aujourd’hui, les migrants internationaux sont évalués par l’ONU à 258 millions, ce qui ne représente que 3,4% de la population mondiale. Ce chiffre est, il est vrai, en augmentation depuis une trentaine d’années : les migrations se situaient à 77 millions en 1975 et à 150 millions au début du XXIe siècle. Elles ont donc triplé en trois décennies et ont augmenté de 50% depuis l’an 2000.

Contrairement à ce que l’on pense souvent, l’essentiel des migrations n’est pas l’effet de la misère extrême. C’est plutôt l’amorce du développement, l’ouverture des opportunités et le désir d’exploiter au mieux ses capacités qui poussent une part des moins démunis à chercher ailleurs une amélioration de leur destinée. Il fut un temps où l’Europe démographiquement expansive et de plus en plus industrielle "exportait" ainsi ceux qui pensaient trouver ailleurs une vie plus digne. Aujourd’hui, la planète entière est en mouvement.

La plupart des déplacements se font à l’intérieur des États ou à l’intérieur de zones géographiques voisines. On oublie trop qu’il y a autant de migrants chinois à l’intérieur de la Chine que de migrants internationaux à l’échelle de la planète. Quant à l’Union européenne, ses statistiques officielles relativisent sérieusement les images de l’invasion ou de la « ruée vers l’Europe » trop souvent évoquées par l’imagerie courante.

En 2015, année de la plus forte pression migratoire, on dénombre 4,8 millions d’immigrants dans l’Union et 2,8 millions en sont sortis. Sur ces immigrants, le partage se fait presque exactement entre ceux qui viennent d’un autre pays de l’Union et ceux qui arrivent d’un pays tiers. Faut-il alors parler de crise migratoire ? Sur les 2,4 millions venant de l’extérieur de l’UE, 40% se sont portés sur la seule Allemagne, le Royaume-Uni n’en ayant recueilli qu’un peu plus de 11% et la France moins de 8%. L’Allemagne y a-t-elle pour autant perdu la place centrale qui est la sienne en Europe et que son faible croît naturel et son vieillissement ne peuvent plus garantir ?

Incontestablement, les pays à haut revenus sont ceux qui attirent le plus grand nombre de migrants de toute origine (un peu moins de 60% du total des migrants internationaux). Mais si l’on raisonne en termes de flux, ceux qui vont vers le Sud (du Sud au Sud et du Nord au Sud) sont à peine inférieurs aux mouvements qui se dirigent vers le Nord (du Nord au Nord et du Sud au Nord).

Les plus pauvres vers les pays riches ? Les migrants qui se déplacent du Sud vers le Nord ne représentent qu’un peu plus d’un tiers des migrants internationaux, soit un total qui se situe autour de 85 millions de personnes. Les pays d’origine des migrants dans les pays les plus riches, ceux de l’OCDE, restent en gros les mêmes depuis le début du siècle : la Chine, la Roumanie, la Pologne, l’Inde, le Mexique et les Philippines. Seule l’année 2015 a conjoncturellement modifié le classement, en propulsant la Syrie à la deuxième place des pays de départ. Or tous ces foyers de migration sont loin d’être les pôles contemporains de la détresse humaine.

Quand ils le peuvent, les plus démunis ne vont pas vers les zones les plus riches de la planète. Pour le décider, il faut en effet pouvoir faire la balance des risques et des avantages du grand départ et il faut disposer des ressources nécessaires pour financer un transport souvent coûteux. Les plus pauvres vont donc prioritairement du Sud au Sud, et en général vers les zones les plus proches, souvent à peine mieux loties que les territoires de départ. Significativement, plus de 85% des réfugiés à l’échelle mondiale se dirigent vers un pays du Sud, tandis que les pays de l’OCDE accueillent, à parts égales, une population vouée à des tâches répétitives et une autre qui s’insère dans des circuits de qualification plus élevée. Quel que soit l’angle d’observation, nous voilà bien loin de l’accueil chez nous de « toute la misère du monde ».

Les pays les plus riches travaillent activement à maintenir cette situation avantageuse. La plupart ont adopté les vieilles habitudes du brain drain (le "drainage des cerveaux") qui consiste à attirer une migration hautement qualifiée, qui combine le quadruple avantage d’accepter des revenus moins élevés que les cadres locaux, de dépenser l’essentiel de leurs revenus sur place, de recourir moins que les plus pauvres aux aides publiques et de laisser au pays de départ… le coût de leur formation initiale.

Des dispositifs légaux encouragent donc directement l’installation des travailleurs les plus qualifiés, en les écartant des exigences de quotas. L’Union européenne a étudié la possibilité de directives en ce sens (comme la directive relative à la "Carte bleue européenne"). La France a lancé le « passeport talent » en 2016. Le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Canada et bien d’autres agissent dans la même direction.

Les riches tolèrent l’arrivée chez eux des moins pauvres, tandis que les moins riches sont voués à l’accueil des miséreux. Telle est la mise en application concrète de ce que l’on aime désigner, dans l’arène internationale, comme le principe "d’équité".

L’anticipation de la solidarité

L’année 2015 nous a valu l’irruption, dans le discours politique, du terme de "crise migratoire". Or, si crise il y eut, elle a été d’abord celle des politiques migratoires appliquées dans les territoires de l’Union. Car si le nombre total de déplacés en 2015 a été exceptionnel dans le monde (sans doute 53 millions de déplacements forcés de toute nature, à l’intérieur des pays ou à l’extérieur), il n’avait rien d’insupportable pour une Europe qui n’a accueilli que 15% environ des quelque 20 millions de déplacés internationaux (l’Afrique subsaharienne, bien plus pauvre, en a reçu 25% !). Et, surtout, il n’avait rien d’inattendu. Depuis le début du conflit syrien, les réfugiés se sont portés massivement vers la Turquie et vers le Liban (1 million de réfugiés pour 4 millions d’habitants). Comment pouvait-on penser que cette situation d’instabilité et de déséquilibre, tout comme celle de l’Afrique sahélienne, pouvait se maintenir indéfiniment ?

Les officiels européens furent ainsi victimes d’abord de leur courte vue. Les yeux rivés sur les courbes de la dette publique, ils en oublièrent que la vie des hommes ne se réduit pas à l’examen des ratios financiers. Ce court-termisme risque hélas de coûter plus cher encore dans les décennies à venir.

Il n’y a en effet aucune raison de penser que les migrations internationales vont cesser de croître. La faute à la mondialisation ? Elle a accru le désir de se déplacer et élargi les possibilités de le faire. Mais la dominante financière et marchande de ses procédures a reproduit, dans les mécanismes mêmes du déplacement, la polarité croissante que le capitalisme imprime de façon universelle au mouvement des sociétés. D’un côté, s’observe la possibilité de se déplacer librement pour les nantis et les moins démunis et, d’un autre côté, l’obligation de l’exil pour les plus fragiles.

On dit parfois que le développement généralisé devrait tarir peu à peu les engagements au départ. On explique encore que l’aide au développement est la meilleure façon de résoudre la question de l’afflux des clandestins, en limitant les situations qui contraignent des populations entières à quitter leur lieu de vie. En réalité, cela n’a rien d’évident. Sans doute le développement concerté finira-t-il par réduire la part des cas d’urgence et des migrations forcées. Il n’arrêtera pas de sitôt le mouvement de déplacement des zones les moins développées vers les zones les plus prospères.

Ainsi, on pouvait penser que l’essor des pays émergents attirerait vers eux une part croissante des migrations internationales et fixerait sur place les populations locales jusqu’alors vouées au départ. Pour une part, le constat s’est révélé juste et les pays émergents sont devenus des territoires d’accueil. Mais, outre le fait que la croissance accélérée de ces pays toussote et qu’elle s’accompagne terme le désir de trouver mieux encore, dans des pays qui, par comparaison, disposent de standards de vie toujours nettement supérieurs à ceux des "émergents". L’aide au développement est nécessaire, parce qu’elle est juste et parce qu’elle est la seule qui puisse aider à l’équilibre à long terme de la planète. Mais elle n’est pas l’opérateur principal d’une politique raisonnable de gestion des flux migratoires.

Le plus raisonnable est de partir de l’idée que la croissance démographique forte de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie méridionale et les effets du changement climatique vont maintenir à terme une pression migratoire importante, accompagnée de poussées plus ou moins fortes selon la conjoncture climatique ou sociale. Cette croissance prévisible conjuguera donc, plus que jamais, la migration volontaire et les départs forcés, le déplacement planifié et légal et le transfert illégal de populations en nombre variable. Et il est tout aussi raisonnable de penser que les pays les plus riches vont attirer vers eux davantage de migrants, même s’il est vraisemblable que, plus que jamais, il faudra cesser d’y voir la « ruée » vers l’Occident de « toute la misère du monde ».

Si la croissance des migrations va se poursuivre, indépendamment des volontés des États, mieux vaut se dire que leur maîtrise équilibrée et donc le sens du partage seront les seules manières d’éviter les rancœurs, les situations humaines insupportables et les violences de plus en plus incontrôlées, quel qu’en soit l’habillage, ethnique, religieux ou politique. Jusqu’à ce jour, qu’on le veuille ou non, a primé la logique de la distribution inégale des richesses et des rapports des forces. Alors que l’essor des échanges nécessitait une mise en commun étendue, les institutions de régulation internationale, et en premier lieu le système onusien, ont vu leur rôle décliner inexorablement.

Le poids du "chacun pour soi", fût-ce sous les auspices de la souveraineté, a globalement accru les difficultés des plus fragiles. Le 19 septembre 2016, les Nations unies ont pourtant adopté la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants qui décidait d’engager l’élaboration d’un Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. La méthode ouvrait ainsi la voie à une construction commune permettant de remettre le droit et les droits au premier plan, au lieu d’une extension des interdictions et des contraintes. Or, il y a quelques semaines, l’administration Trump a décidé de se retirer du processus, au risque d’en torpiller définitivement le déroulement.

C’est pourtant dans cette direction que réside la possibilité d’éviter la spirale de l’illégalité, de la dangerosité des parcours et de l’exacerbation des haines, de part et d’autre. Que la frontière, construction politique par excellence, garde cette vertu politique en circonscrivant le cadre territorial des souverainetés étatiques-nationales est une chose. Qu’elle devienne une barrière discriminante, le symbole du repli et de l’exclusion de ceux qui sont "out" est le contraire de la valorisation citoyenne. Aucune frontière ne peut empêcher le passage de ceux qui font de son franchissement le passage obligé du mieux-vivre. Quand la frontière se fait mur, matériel ou technologique, cela n’interrompt pas le passage mais accroît la violence et le désastre humain. Dans un monde interpénétré, le mur dit avant tout le refus du partage ; en cela, il est à la fois un désastre éthique et une protection illusoire et dangereuse, pour ceux-là mêmes qui se croient à l’abri.

Il est absurde de penser que peut perdurer une méthode globale qui, au lieu de faire des migrations un outil du développement durable et sobre, en fait le support d’une croissance des inégalités, aiguillant les migrations qualifiées vers les plus riches et les situations personnelles et familiales difficiles vers les plus pauvres.

Sans doute est-il difficile de plaider le bon sens du partage, quand les passions mauvaises confondent l’égoïsme et le réalisme. Mais à quoi sert la gauche si son combat de long souffle ne vise pas à démontrer, par le verbe et par l’action, que la solidarité et la mise en commun, à toutes les échelles, sont les seules manières d’éviter un monde invivable et sans protection véritable ? À quoi sert-elle, si elle ne montre pas, faits à l’appui, que le respect des droits et la protection sans réserve des plus fragiles sont d’un coût bien moindre que les dépenses somptuaires du contrôle et de la sécurité ? À quoi sert-elle, si elle ne s’attache pas, résolument, à montrer que la mondialité du développement partagé vaut mille fois mieux que la mondialisation de la marchandise et de la finance, ou que l’égoïsme à courte vue des protections de nantis ?

Notes

[1] Un « pays sûr » est théoriquement un pays présentant des garanties démocratiques de protection pour les réfugiés prévues dans la Convention de Genève sur les réfugiés (1951). L’UE a ainsi établi d’ores et déjà une liste de sept pays européens sûrs (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Kosovo, Monténégro, Serbie, Turquie).

[2] Le 19 décembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a émis un avis défavorable sur l’introduction de la notion de « pays tiers sûr » dans le droit français.

 

Publié le 19/04/2018

Pablo Pillaud-Vivien (site regards.fr)

"La loi Asile et Immigration est une insulte à notre impératif de solidarité"

Toute cette semaine, le projet de loi Asile et immigration est débattu en séance publique à l’Assemblée nationale. Dimanche après-midi et lundi midi avaient lieu des rassemblements et des manifestations de résistances, d’autant plus suivis que l’époque est à la convergence des luttes...

 « La loi Asile et Immigration est une insulte à notre impératif de solidarité. » Claude, pas militante, pas syndiquée, pas même « politisée » nous dit-elle, « juste citoyenne » a décidé de descendre dans la rue ce dimanche 15 avril, pour aller manifester contre le projet de loi du gouvernement. Sur le parcours entre l’Assemblée nationale et le Sénat, ils sont plusieurs milliers à avoir fait comme elle, revendiquant « une France, terre d’asile » et s’opposant farouchement à la « criminalisation des migrants ».

A l’initiative du Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (BAAM), beaucoup d’associations ont répondu présentes : d’Act-Up à l’Ardhis, en passant par L’auberge des migrants ou Fumigène, tous étaient présents dimanche. Les formations et mouvements politiques étaient aussi de la partie : parmi eux, la France insoumise (LFI), le Parti communiste français (PCF) ou Europe Ecologie Les Verts (EELV). Les syndicats, souvent concernés pour la défense des travailleurs sans papiers sont aussi présents : Solidaires ou la Confédération générale du travail (CGT). Enfin, chaudement applaudis, la Coordination des Sans-Papiers du 75 est venue renforcer les rangs de cette manifestation dominicale.

Le mot d’ordre était simple : le retrait pur et simple du projet de loi. C’est d’ailleurs ce qu’a défendu la députée LFI Danielle Obono, présente aux côtés du député du même groupe Eric Coquerel et de la sénatrice EELV Esther Benbassa : « la politique menée par le gouvernement est inique et indigne. » Avec la députée PCF Elsa Faucillon notamment, ils ont ainsi mené un intense travail d’opposition au Parlement et déposé une centaine d’amendements. Car, au-delà de la philosophie le loi Asile et immigration examinée en ce moment au Parlement et qu’ils qualifient presque unanimement de « délétère », c’est une véritable usine-à-gaz qui va créer une foultitude de problèmes et d’entraves pour les demandeurs d’asile. « Une remise en cause historique de l’histoire et de la tradition d’accueil » poursuit même Alexei…

Aujourd’hui, comme toute la semaine d’ailleurs, des résistances s’organisent dans Paris et un peu partout en France. Les débats risquent aussi d’être musclés à l’Assemblée où les frondeurs En Marche pourraient prendre leurs distances voire, pour certains d’entre eux, s’opposer au projet de loi Asile et immigration. La France est en (quasi) ébullition : les cheminot-es, Air France, La Poste, Carrefour, les étudiants… les motifs de colère sociale continue de s’accumuler et on peut penser que cette « simultanéité » finisse par payer. C’est d’ailleurs une militante LGBTIQ qui le dit le mieux – lors de cette manifestation de dimanche : « la convergence des luttes, c’est maintenant tout de suite. Cette loi est fasciste, elle ne doit pas passer. Et on doit tous s’y mettre. »

Lire aussi :
 Gérard Collomb ou la politique de l’autruche
 Les usages douteux de la "crise migratoire"

 

Publié le 23/03/2018

« On organise le dysfonctionnement des services publics en les étranglant »

A Montpellier, l'intersyndicale CGT, FSU, Solidaires, FO alertent sur les conséquences sociales dramatiques de la casse organisée d'un système qui assure l'égalité de tous les citoyens sur le territoire.

 

« On a abandonné l'idée que chacun peut réussir, a le droit de vivre décemment de son travail et d'accéder aux soins. On est face à un véritable changement de société », déplore Eric Bachelart, secrétaire départemental de la FSU 34. Un changement de société qui passe, après le coup de butoir ultra libéral des ordonnances Macron sur le code du travail, par « la casse programmée du service public, lequel garantit l'équité des citoyens sur le territoire », estime Gisèle Amouroux, secrétaire départementale de la Fédération générale des fonctionnaires FO 34. Elle en veut pour preuve la situation à la direction générale des finances publiques de l'Hérault, dont elle est retraitée depuis un mois : « En 15 ans, on est passé de 57 à 29 sites au niveau du département. Ce qui veut dire que les citoyens ont deux fois moins d'endroits où se rendre », illustre-t-elle.

Une tendance que le gouvernement actuel a la ferme intention d'accentuer, en poursuivant la réduction des effectifs de fonctionnaires (120 000 suppressions prévues sur le quinquennat) et en s'attaquant désormais ouvertement au statut des fonctionnaires, présentés à l'envi comme des nantis. « Le statut n'est pas protecteur pour l'individu, mais pour le rendu homogène de la mission sur tout le territoire », rétablit Eric Bachelart (FSU).

« Partout on constate que la fonction publique agonise »

« On est montrés du doigt comme si on était des privilégiés, mais le salaire moyen dans la fonction publique est de 1800 euros et nombreux sont ceux qui partent à la retraite avec une pension de 1000 euros », recadre Raphaël Gutierrez, secrétaire général FO territoriaux. « Le gel du point d'indice depuis 2010 - à l'exception de hausses symboliques de 0,6% à deux reprises - représente une perte de pouvoir d'achat de près de 10% », renchérit Hervé Floquet, secrétaire départemental de l'UD CGT 34.

Dans son secteur, la santé, les suppressions d'emplois font des ravages. « Aujourd'hui on meurt aux urgences fautes de soins adéquats [allusion au décès, il y a quelques jours, d'une sexagénaire aux urgences du CHU de Rennes, où elle avait été installée sur un brancard dans l'attente d'une auscultation par un médecin, Ndlr]. Partout on constate que la fonction publique agonise.

Par exemple à Lodève, pour un bassin de vie de 80 000 habitants, il n'y a plus de service d'urgences ni de maternité », illustre-t-il. Sans parler des emplois qu'il faudrait créer dans les Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) - 2000 dans le seul secteur public sur l'Hérault selon lui - afin de respecter le taux d'encadrement d'un agent par patient prescrit par le Plan grand âge de 2006. Et assurer des conditions de travail et un accueil dignes, ce qu'ils ne sont plus de l'avis général.

« Un modèle social à la française qu'on fait voler en éclats »

« On organise le dysfonctionnement des services publics en les étranglant au niveau des moyens et du personnel », résume Marie-Pierre Zabalete, secrétaire départementale Solidaires Finances publiques. « Pendant ce temps, on privatise toujours plus », poursuit-elle, l'exemple récent des cartes grises à l'appui, dont les guichets usagers ont fermé dans les préfectures au profit de démarches en ligne. De quoi faire le miel - ou plutôt le beurre - d'entreprises qui monnayent ce service jusque là gratuit, sautant sur l'aubaine de la dématérialisation à tout crin. « Quand il faudra sortir sa carte bancaire pour tout, on va laisser de plus en plus de gens sur le bord de la route. Les services publics sont le bien commun. En les cassant et les privatisant, c'est tout un modèle social à la française qu'on fait voler en éclats », dénonce la représentante de Solidaires.

Aussi ils seront nombreux ce matin, représentants de chacune des trois fonctions publiques, aux jardins du Peyrou à 11h pour un départ en cortège. Une manifestation à laquelle se joindront les étudiants actuellement mobilisés contre la sélection à la fac.

A.G.

 

 

Publié le 22/03/2018

Convoqué par la police après avoir sauvé du froid une femme enceinte et deux enfants

Par Bastamag.net

Le week-end dernier, lors d’une maraude dans les Alpes, à la recherche de migrants perdus dans le froid de l’hiver, un citoyen a secouru une famille transie et épuisée. Il a donné aux deux jeunes enfants de 2 et 4 ans et à leurs parents de quoi se réchauffer. Puis, comprenant que la femme est enceinte de 8 mois et demi, il décide de l’emmener à l’hôpital. Arrêté en chemin par les douaniers, il se voit reprocher de transporter des personnes en situation irrégulières et il est sommé de se présenter à la Police aux frontières le mercredi 14 mars à 9h. Un rassemblement de soutien aura lieu ce même jour. Témoignage..

Une maraude ordinaire comme il s’en passe tous les jours depuis le début de l’hiver. Au pied de l’obélisque, une famille de réfugiés marche dans le froid. La mère est enceinte. Elle est accompagnée de son mari et de ses deux enfants (2 et 4 ans). Ils viennent tout juste de traverser la frontière, les valises dans une main, les enfants dans l’autre, à travers la tempête. Nous sommes deux maraudeurs à les trouver là, désemparés, frigorifiés. La mère est complètement sous le choc, épuisée, elle ne peut plus mettre un pied devant l’autre.

Nos thermos de thé chaud et nos couvertures ne suffisent en rien à faire face à la situation de détresse dans laquelle ils se trouvent. En discutant, on apprend que la maman est enceinte de 8 mois et demi. C’est l’alarme, je décide de prendre notre véhicule pour l’ emmener au plus vite à l’hôpital. Dans la voiture, tout se déclenche. Arrivés au niveau de la Vachette (à 4km de Briançon), elle se tord dans tous les sens sur le siège avant. Les contractions sont bien là… c’est l’urgence. J’ accélère à tout berzingue. C’est la panique à bord.

Barrage douanier

Lancé à 90km/h, j’ arrive à l’entrée de Briançon... et là, barrage de douane. Il est 22h. « Bon sang, c’est pas possible, merde les flics ! ». Herse au milieu de la route, ils sont une dizaine à nous arrêter. Commence alors un long contrôle de police. « Qu’est ce que vous faites là ? Qui sont les gens dans la voiture ? Présentez nous vos papiers ? Où est ce que vous avez trouvé ces migrants ? Vous savez qu’ils sont en situation irrégulière !? Vous êtes en infraction !!! »… Un truc devenu habituel dans le Briançonnais. Je les presse de me laisser l’emmener à l’hôpital dans l’urgence la plus totale. Refus !

Une douanière me lance tout d’abord : « Comment vous savez qu’elle est enceinte de 8 mois et demi ? » puis elle me stipule que je n’ai jamais accouché, et que par conséquent je suis incapable de juger de l’urgence ou non de la situation. Cela m’exaspère, je lui rétorque que je suis pisteur secouriste et que je suis à même d’évaluer une situation d’urgence. Rien à faire, la voiture ne redécollera pas. Ils finissent par appeler les pompiers. Ces derniers mettent plus d’une heure à arriver. On est à 500 mètres de l’hôpital. La maman continue de se tordre sur le siège passager, les enfants pleurent sur la banquette arrière. J’en peux plus. Une situation absurde de plus.

Convocation par la Police des frontières

Il est 23h passés, les pompiers sont là... Ils emmènent après plus d’une heure de supplice la maman à l’hosto [1]. Les enfants, le père et moi-même sommes conduits au poste de police de Briançon à quelques centaines de mètres de là. Fouille du véhicule, de mes affaires personnelles, contrôle de mon identité, questions diverses et variées, on me remet une convocation pour mercredi prochain à la PAF de Montgenèvre. C’est à ce moment-là qu’on m’explique que les douaniers étaient-là pour arrêter des passeurs.

Le père et les deux petits sont expulsés vers l’Italie [2]. Pendant ce temps-là , le premier bébé des maraudes vient de naître à Briançon. C’est un petit garçon, né par césarienne. Séparé de son père et de ses frères, l’hôpital somme la PAF de les faire revenir pour être au côté de la maman. Les flics finissent par obtempérer. Dans la nuit, la famille est à nouveau réunie.

La capacité des douaniers à évaluer une situation de détresse nous laisse perplexes et confirme l’incapacité de l’État à comprendre le drame qui se trame à nos maudites frontières.

Quant à nous, cela nous renforce dans la légitimité et la nécessité de continuer à marauder... toutes les nuits.

Signé : Un maraudeur en infraction.

 

Publié le 14/02/2018

Robin Renucci : « Nous déclarons à présent nous rendre coupables de délit de solidarité »

Robin renucci

Mardi, 13 Février, 2018

Humanite.fr

 

« Nous faisons, nous, artistes, acteurs et actrices culturelles, tout ce qui est en notre pouvoir pour soulager la misère.»

Lettre de l'acteur et réalisateur, Robin Renucci adressée à la ministre de la Culture, Françoise Nyssen.

Madame la ministre de la Culture,

Vous avez convié certain.e.s d’entre nous à la fin de l’automne à un dîner pour parler de nos différentes actions auprès des exilé.e.s qui cherchent actuellement refuge en France. Nous vous avons proposé alors d’organiser une commission dont nous étions prêt.e.s à prendre la charge, afin d’établir un dialogue avec le ministère de l’Intérieur. Nous avons insisté sur la nécessité et l’urgence d’ouvrir ce dialogue entre les artistes, les acteur.trice.s culturel.le.s et le ministère de l’Intérieur, dialogue sans lequel tous nos efforts, tout notre travail en direction des milliers d’éxilé.e.s restent une goutte d’eau dans l’océan des violences qu’ils et elles subissent aujourd’hui sur notre territoire, dans cette France qui pour elles et eux représentait pourtant la patrie des droits de l’homme, une terre d’asile et de refuge, et qui n’est plus aujourd’hui, pour ces femmes, ces enfants et ces hommes, qu’un endroit de violence et de rejet.

Notre demande est restée lettre morte.

Vous avez lancé récemment un appel au milieu culturel et artistique à faciliter aux éxilé.e.s l’accès à la culture, à développer des ateliers artistiques avec elles et eux, pour les aider à patienter le long des files d’attentes administratives.

Madame la ministre, sachez que voici des mois, des années, que nous menons ces actions, que nous faisons, nous, artistes, acteurs et actrices culturelles, tout ce qui est en notre pouvoir pour soulager la misère, l’impact des violences subies, à tous les endroits où nous pouvons agir, que ce soit en tant que directeur.trice.s de structures culturelles, de lieux de création, que ce soit en tant qu’artistes. Quels que soient nos moyens, nous sommes des milliers en France à tenter d’agir avec d’autres citoyen.e.s et des associations qui luttent quotidiennement, pour aider, soutenir, accompagner ces vies blessées, ces parcours meurtris, ces frères et sœurs humaines qui ont tout perdu, tout laissé derrière eux, non pas pour « profiter » des « pavés dorés » de notre République, mais par nécessité vitale. On ne quitte pas son pays, ceux qu’on aime, son histoire et sa vie, par envie de confort, mais parce qu’on ne peut pas faire autrement.

Nous ne menons pas ces actions parce que nous sommes artistes et gens de culture, nous le faisons, Madame la ministre, parce que nous sommes avant tout des citoyen.ne.s, qui, comme des milliers d’autres citoyen.ne.s, de tous bords, de tous milieux, voient en ces exilé.e.s des frères et sœurs humains en souffrance. Nous le faisons en ayant chaque jour un peu plus honte de notre pays, de la façon dont ce pays que nous aimons et dont nous défendons avec fierté et force l’expression culturelle, trahit ses engagements, sa devise et son histoire, ampute son avenir. Nous le faisons en ressentant de la honte devant l’étonnement et le désespoir de ces femmes et hommes qui ne parviennent pas à comprendre que ce soit ça, la France, un pays où on fait la chasse aux éxilé.e.s, aux réfugié.e.s, où on brutalise des enfants, où on use de la matraque contre eux, où on détruit les pauvres tentes dans lesquelles se réfugient des familles, ces tentes posées au milieu de l’hiver glacé sur l’asphalte de nos grandes villes, au milieu de nos illuminations de Noël.

On ne mène pas un atelier de théâtre, de danse, d’art plastique, d’écriture, de vidéo, avec des enfants en exil pour ensuite les remettre dehors dans le froid sans se soucier de ce qu’ils mangeront le soir et s’ils dormiront dans la rue. On n’accueille pas des femmes et des hommes à un spectacle ou à un film pour ensuite les mettre à la porte sans se soucier de la faim et de la peur qui les tenaillent. On ne monte pas une chorale avec des femmes et des enfants pendant des mois pour ensuite leur tourner le dos quand ils reçoivent contre toute attente une injonction de reconduite à la frontière, vers la prison, la faim, les tortures, le viol ou une mort certaine.

Non, Madame la ministre, on ne fait pas du théâtre ou de la musique avec des femmes, des enfants et des hommes dans cette situation, en se contentant de leur apporter un peu de la « culture française ». Et, non, Madame la ministre, on ne leur ouvre pas les portes de notre culture. Ce sont des rencontres, des échanges permanents, d’une richesse et d’une complexité infinie, qui nous bousculent autant qu’eux alors. C’est magnifique, puissant et fragile. Et dans cette rencontre, comme dans toutes formes d’art véritable, ce qu’on rencontre avant tout c’est l’humain. Chaque personne que nous rencontrons ainsi est une personne avec sa vie, son parcours, sa richesse, ses blessures, et pas un numéro ou une statistique. Chaque personne rencontrée alors devient un frère ou une sœur, et cela nous engage humainement.

Un frère ou une sœur, et encore d’avantage un enfant, on ne le laisse pas à la rue une fois la rencontre faite. On ne le laisse pas se débrouiller seul.e devant des policiers qui chargent, qui gazent, devant des circulaires qui font la chasse à l’homme. Non ! On l’aide comme on peut, on l’accompagne, on l’héberge, on lui ouvre nos théâtres, nos salles de répétition, nos maisons, pour le ou la protéger de la rue et de ses violences, on évite les contrôles de police avec lui ou elle, on le fait ou la fait changer de domicile en pleine nuit quand on sait qu’il va y avoir une descente de police, on monte des dossiers, des recours, on le ou la cache, on l’aide à circuler, à trouver de quoi manger. On noue des solidarités, avec tel.le policier.e qui vous prévient anonymement qu’un tel va être arrêté, avec tel.le enseignant.e qui fait l’impossible pour empêcher qu’un enfant soit retiré de son école, qui passe son temps libre à donner bénévolement des cours de français, avec telle famille qui va accueillir chez elle un mineur isolé sans papier et tenter de l’accompagner dans la jungle administrative actuelle, avec tel médecin, qui va soigner sans rien demander en retour, et surtout pas les «papiers».

Aujourd’hui il ne s’agit pas de faire des ateliers de théâtre ou de dessin. Aujourd’hui, Madame la ministre, nous luttons contre les pouvoirs publics, contre les injonctions et les blocages kafkaïens des administrations, contre les contrôles, contre les refus de protection des mineur.e.s, contre les violences policières.

Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans l’obligation morale de désobéir pour compenser l’indignité d’une politique migratoire parmi les plus inhumaines de notre histoire contemporaine.

Aujourd’hui, nous sommes, nous, artistes, acteurs et actrices du monde de la culture, en lutte et en résistance contre l’état français, par solidarité humaine, par fierté d’être de ce pays, non pas de la France qui rejette et pourchasse, violente et opprime les plus démuni.e.s, les plus pauvres, celles et ceux qui demandent aide et assistance, mais la France terre d’asile, la France pays des droits humains, la France telle que l’ont imaginée ces milliers d’éxilé.e.s, ces milliers de personnes fuyant la violence sous toutes ses formes et qui trouvent ici une violence qu’ils ne comprennent pas et qui les terrorise. Nous le faisons aussi parce que l’histoire nous jugera et que le jugement de nos enfants et de nos petits enfants sera terrible si nous ne faisons rien.

Aujourd’hui nous sommes devenus, par la force des choses, coupables de délit de solidarité, nous sommes passibles de sanctions pour aider, soutenir, de toutes les manières possibles, des gens en souffrance qui sont pourchassés de manière inique par l’État français.

Aujourd’hui, donc, Madame la ministre, nous nous dénonçons.

Votre appel au milieu de la culture et de l’art nous permet de nous avancer à la lumière et d’affirmer haut et clair ce que nous faisons aujourd’hui. Nous sommes fier.e.s et heureux.ses de vous compter parmi nous, comme résistante à la violence actuelle instaurée par l’état, car nous comptons sur vous pour aller au bout de la logique de votre appel.

Ainsi nous vous invitons à nous prêter main forte en exigeant l’ouverture d’un réel dialogue avec le ministère de l’intérieur, d’exiger que ses circulaires ne viennent pas détruire tout ce que nous tentons de mener jour après jour, d’exiger au contraire que tous les moyens soient mis en place pour soutenir l’effort des citoyens et citoyennes qui chaque jour partout dans ce pays œuvrent pour tenter de suppléer avec leurs faibles moyens aux manquements criminels de l’État. Nous demandons à l’État d’ouvrir un véritable dialogue avec la société civile, avec toutes celles et tous ceux qui œuvrent auprès des réfugié.e.s dans notre pays, pour réfléchir et mettre en œuvre concrètement des solutions d’accueil.

Nous en appelons à un réveil de la conscience de celles et ceux qui ont été élu.e.s par le peuple face à ce drame humain et sociétal que l’État orchestre à l’intérieur de ses frontières. Nous vous appelons à soutenir nos actions en permettant qu’elles ne soient pas annihilées par des contre-mesures de répression d’État et à peser de tout votre poids pour cela.

Si notre appel n’est pas entendu, Madame la ministre, sachez que nous poursuivrons notre action et que nous déclarons à présent nous rendre coupables de délit de solidarité.

Robin Renucci

acteur et réalisateur

 

Publié le 12/02/2018

Louis Gallois : "Je déplore une volonté politique de minorer le nombre de SDF"

Journal du dimanche – 12/02/2018

Le président de la Fédération des acteurs de la solidarité Louis Gallois évoque dans une interview au JDD la situation des sans-abris et n'hésite pas à épingler le gouvernement.

Louis Gallois revient sur les polémiques des derniers jours sur les SDF. (Eric Dessons/JDD)

Partager sur :

Ancien président de l'Aérospatiale, de la SNCF ou d'EADS, Louis Gallois préside aujourd'hui la Fédération des acteurs de la solidarité, qui réunit près de 900 associations engagées dans la lutte contre la pauvreté et l'exclusion et gèrent 80 à 90 % des centres d'hébergement. Il réagit aux polémiques des derniers jours sur les SDF. Revenant notamment sur la déclaration d’Emmanuel Macron qui ne voulait "plus personne dans les rues" avant la fin 2017, Louis Gallois demande au président de la République "d’entreprendre un travail de fond" plutôt que "de fixer un délai irréaliste".

Lire aussi : Julien Denormandie s’explique après ses propos polémiques sur les SDF

Peut-on dire, comme le secrétaire d'Etat Julien Denormandie, que le nombre de personnes isolées dormant à la rue en Île-de-France correspond à une cinquantaine?
Ces propos, repris par certains parlementaires, sont insupportables. Aucun Parisien ne peut donner foi à de telles déclarations. Il suffit de suivre une maraude ou de regarder les campements porte de la Chapelle! C'est tellement étranger à la réalité que cela décrédibilise la parole publique. Le Samu social de Paris estime à 2.000 à 3.000 le nombre de personnes durablement à la rue à Paris. Un comptage va être fait par un millier de bénévoles, le 15 février, pendant la Nuit de la solidarité initiée par la Ville de Paris. On verra bien quel est le chiffre. Mais je déplore une volonté politique de minorer le nombre de SDF.

C'est-à-dire?
Des préfets demandent aux Samu sociaux, qui organisent les maraudes pour les grands exclus, de vérifier si ceux qui appellent le 115, le numéro pour l'hébergement d'urgence, sont bien à la rue. Ce n'est pas leur métier. Et quand on sait quelle galère c'est d'appeler le 115, on imagine mal des gens faisant cela par plaisir. Certains préfets excluent les célibataires de leur comptage. D'autres écartent les personnes vivant sous une tente. Dans le Rhône, le préfet a demandé de ne pas compter un campement d'Albanais. Ces comptages n'ont pas grand sens. Je pense que les préfets se sentent liés par l'engagement pris par le Président, qu'il n'y ait plus personne à la rue fin 2017. Je ne crois pas qu'on résoudra le problème des SDF par un traitement comptable!

Le Samu social de Paris estime à 2.000 à 3.000 le nombre de personnes durablement à la rue à Paris

Le député parisien Sylvain Maillard estime que pour l'immense majorité des SDF passant la nuit dehors, c'est leur choix…
Lorsqu'un gymnase est ouvert, il est le plus souvent rempli en quelques heures. Ce qui prouve bien que les gens, lorsqu'on leur propose des solutions, même précaires, s'y précipitent. Bien sûr, certains SDF ne veulent pas aller en foyer : parce que leur chien n'est pas admis, parce qu'ils ont des problèmes psychiques ou parce qu'ils ne veulent pas perdre leur tente pour quelques jours d'hébergement. Mais ces cas restent marginaux. En faire une règle générale, c'est extrêmement choquant.

Que constate-t-on sur le terrain?
Les maraudes croisent énormément de personnes qui ne font plus le 115 car leurs appels précédents n'ont rien donné. Ce sont le plus souvent des célibataires, mais aussi des familles. Beaucoup d'étrangers ne connaissent pas le numéro d'urgence, ou craignent, s'ils sont en situation irrégulière, de se rendre en centre d'hébergement. La circulaire du 12 décembre, qui prévoit la possibilité de contrôler les situations administratives des personnes hébergées, n'a fait qu'amplifier le phénomène. Plusieurs associations ont constaté que des migrants ne venaient plus, par peur d'être identifiés avec un risque d'expulsion. Ce texte, contre lequel nous avons déposé un référé, va accroître la population à la rue.

Cette affaire de comptage, très choquante, vient polluer quelque chose de positif : le développement des places d'hébergement

Combien de SDF n'obtiennent pas de réponse en appelant le 115?
Entre 60 et 80% des demandes adressées au 115 reçoivent une réponse négative. Des départements franciliens comme Paris ou la Seine-Saint-Denis sont saturés (en novembre, respectivement 75% et 83% des demandes n'ont pas abouti à un hébergement). Mais le Rhône est également très chargé. Cela ne veut pas dire que les personnes ayant essuyé un refus ne réessayent pas le lendemain. On constate d'ailleurs un système de portes tournantes très préoccupant : les gens sont hébergés trois-quatre jours puis remis à la rue pour laisser la place à d'autres.

Combien manque-t-il de places d'hébergement?
Nous ne sommes pas en capacité de les chiffrer. D'autant que nous ne gérons plus la collecte des données remontant des 115. Depuis le début de l'année, c'est l'Etat qui le fait. Nous demandons malgré tout au gouvernement d'avoir accès aux chiffres bruts pour pouvoir les traiter, et non uniquement aux chiffres retraités par la Direction générale de la cohésion sociale.

Le Président ne voulait plus voir personne dans les rues à la fin 2017. C'est un échec?
Son objectif était extrêmement ambitieux. Moi, je ne veux pas nier les efforts du gouvernement. Cette affaire de comptage, très choquante, vient polluer quelque chose de positif : le développement des places d'hébergement. Au total, nous sommes passés de 131.300 (places pérennes et temporaires) en janvier 2017 à 145.800 cet hiver, sans compter le plan grand froid et ses 1.000 places. Soit une hausse de 11%. C'est significatif même si cela reste insuffisant.

Que faut-il faire de plus?
Il faudrait améliorer la qualité des nouvelles places. Car il s'agit souvent de gymnases, de structures très précaires. Nous souhaitons qu'il y ait plus d'accompagnement : une aide pour les formalités administratives, des consultations santé, un soutien moral… Ensuite se pose la question de la fin de la période hivernale. Le précédent gouvernement avait ouvert 10.800 places l'hiver dernier (contre 13.800 cette année) mais il en avait pérennisé la moitié au 31 mars 2017. Là, nous n'avons aucune information sur la suite. Nous demandons au gouvernement de pérenniser les places ouvertes cet hiver. Le sans-logement, ce n'est pas seulement l'hiver.

Il faut construire plus de logements très sociaux

Que pensez-vous du plan "Logement d'abord" présenté en septembre dernier?
Nous soutenons sa logique : faire en sorte qu'on puisse accéder directement au logement sans passer par la case hébergement. Les objectifs fixés par le Président vont dans le bon sens : 40.000 PLAI (logements très sociaux) par an (nous en réclamions 60.000), 10.000 places en pension de famille et 40.000 places en intermédiation locative d'ici à la fin du quinquennat. Nous sommes assez inquiets devant les moyens mis en œuvre – 10 millions d'euros pour 15 territoires pilotes – c'est très peu mais nous jugerons par rapport à la réalisation des objectifs. Nous regrettons aussi la chute, en parallèle, des constructions de PLAI en Île-de-France dans la deuxième partie de l'année (– 22%); ce sont les seuls logements réellement accessibles aux plus démunis. Est-ce que les offices HLM sont devenus prudents après l'affaire des APL? Nous attendons une réaction du gouvernement.

Combien y a-t-il de SDF en France?
Le dernier comptage de l'Insee dénombrait 143.000 SDF en France en 2012. Parmi eux, la population classique des sans-abri, mais aussi de plus en plus de familles, et beaucoup de migrants. Il faudrait mener une nouvelle enquête pour avoir des chiffres actualisés.

Comment faire, selon vous, pour qu'il n'y ait plus personne à la rue?
Il faut d'abord construire plus de logements très sociaux, s'assurer que leurs loyers restent accessibles aux plus précaires dans les zones tendues (où le foncier est cher), sortir les familles des chambres d'hôtel et, pour cela, désengorger les centres d'hébergement. Nous demandons en particulier au gouvernement de donner aux migrants qui sont en France depuis plus de deux ans un titre de séjour leur permettant de travailler et de se loger. A l'heure actuelle, ils sont obligés d'aller en centre d'hébergement ou dans des campements.

Nous attendons toujours un plan de résorption complète des personnes à la rue

Quel message aimeriez-vous adresser à Emmanuel Macron?
L'objectif annoncé par le chef de l'Etat – ne plus avoir de personne à la rue – est clairement positif, mais plutôt que de fixer un délai irréaliste et d'amener les préfets à faire de l'équilibrisme pour dégager des chiffres cohérents avec la promesse présidentielle, mieux vaut entreprendre un travail de fond, qui traite les problèmes des personnes à la rue, en campement, sous la tente, dans les squats. Cela prend du temps. Le plan "Logement d'abord" est une étape. Mais nous attendons toujours un plan de résorption complète des personnes à la rue.

Vous défendiez aussi un revenu minimum décent?
Une concertation sur la stratégie contre la pauvreté, centrée sur les enfants et leurs familles, est actuellement menée par Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. C’est dans ce cadre que nous proposons un revenu minimum décent de 850 euros, pour tous, y compris les 18-25 ans. Ce ne serait pas un revenu universel, mais un revenu différentiel : si une personne touche 700 euros de ressources, elle reçoit 150 euros de plus. Cela permettrait, non pas de sortir de la pauvreté - le seuil est au-dessus -, mais de la très grande pauvreté. Les minima sociaux ont un effet extrêmement puissant : en 2016, la prime d’activité a permis une baisse de 0,4% du taux de pauvreté en France.

Faut-il réquisitionner le Val de Grâce comme le souhaite la maire de Paris?
Je ne sais pas quel est l’état du Val de Grâce, mais nous sommes favorables à ce qu’un certain nombre de bâtiments soient réquisitionnés pour constituer des centres d’hébergement. Il y a des précédents.

Sur le même sujet :

Publié le 07/02/2018

Éric Toussaint* « La dette, une arme de domination politique depuis deux siècles »

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CYPRIEN BOGANDA ET LUCIE FOUGERON

Dimanche, 4 Février, 2018

Humanité Dimanche

 

« La crise des dettes publiques du sud de l'Europe est due au laxisme des gouvernements grecs et espagnols » ; « Annuler les dettes est une vue de l'esprit »... Ces idées reçues envahissent le débat public depuis dix ans. Dans son dernier livre, Éric Toussaint, historien et fondateur du CADTM international (Comité pour l'abolition des dettes illégitimes), s'attache à les déconstruire méthodiquement. 

Replaçant le problème de l'endettement public dans l'histoire longue du capitalisme, l'auteur montre comment les pays impérialistes utilisent la dette publique comme arme de domination des pays pauvres depuis le début du XIXe siècle, avec la complicité de leurs bourgeoisies respectives. Arguments juridiques et historiques à l'appui, il donne aussi des pistes pour se débarrasser de ce carcan. Entretien.

HD. Vous montrez dans votre livre comment la dette souveraine est utilisée par les puissances capitalistes (le « centre ») comme instrument de domination politique des pays pauvres (« périphériques »). À quand remonte ce phénomène ?

ÉRIC TOUSSAINT. Cela commence à faire système à partir des années 1820, au moment où de grandes puissances utilisent la dette souveraine d'autres États pour les soumettre, dans le cadre de politiques que l'on qualifiera ensuite d'impérialistes. Des États d'Amérique latine qui se sont arrachés au colonialisme re-

plongent malgré eux dans une nouvelle forme de dépendance, celle de la dette extérieure. Les jeunes États, en mal de financement, empruntent des montants considérables auprès des banquiers de Londres à des taux très élevés, mais ne reçoivent qu'une somme très faible en raison, notamment, du montant des commissions. Les pays périphériques se trouvent piégés par des logiques qui leur échappent et qui concernent le fonctionnement cyclique du capitalisme. Dans les périodes d'expansion économique, les banquiers des pays du centre investissent leurs capitaux excédentaires dans les dettes souveraines des pays périphériques. Lorsque les crises financières éclatent, comme la crise bancaire anglaise de 1825, ces mêmes banquiers coupent le robinet des prêts, privant les pays périphériques des moyens de rembourser ce qu'ils doivent. En réalité, ce sont presque toujours les pays du centre qui provoquent les crises économiques des pays périphériques, contrairement à ce que prétend la narration dominante. C'était le cas en 1825, ça l'est de nouveau avec la crise de la dette grecque, déclenchée dans la foulée du krach de 2008 à Wall Street.

HD. L'idée n'est pas non plus d'exonérer les pouvoirs locaux de leurs responsabilités : à chaque fois, vous soulignez que les bourgeoisies locales prospèrent elles aussi sur ces dettes extérieures...

E.T. : C'est bien pour cela que je parle d'un « système dette ». Il y a une complicité entre les classes dominantes des pays du centre et celles des pays périphériques. Ces dernières trouvent leur avantageE. T. C'est bien pour cela que je dans les stratégies d'endettement : leur gouvernement emprunte pour financer les politiques publiques, au lieu de les taxer ! Dans le même temps, les classes dominantes achètent des titres de dettes qui leur assurent une rente appréciable. C'est pour cela que les bourgeoisies locales ne se prononcent pas pour l'annulation des dettes de leur pays : elles en tirent profit !

« Les classes dominantes des pays créanciers et débiteurs prospèrent sur l'endettement public. »

HD. C'est toujours le cas aujourd'hui...

E. T. Les classes dominantes de pays tels que les États-Unis ou la France, même si elles peuvent tenir un discours démagogique sur les « excès » de l'endettement public, tirent profit de celui-ci. C'est un investissement parfaitement sûr, puisque garanti par l'État.

HD. Vous montrez que la dette, devenant système, occupe une place majeure dans le fonctionnement du capitalisme. Est-elle primordiale, selon vous ?

E. T. Oui, même si je ne me limite pas à la dette : les accords de libreéchange, par exemple, constituent un autre vecteur de domination, utilisé dès le XIXe siècle. Les puissances du centre obligeaient les pays périphériques à conclure ces accords, qui les privaient de fait d'une partie de leur souveraineté.

« Les citoyens acquièrent désormais les outils pour remettre en cause les dettes illégitimes. »

HD. Vous revenez aux origines de la doctrine de la dette odieuse : à quoi correspond-elle ?

E. T. Le juriste Alexandre Sack, enétudiant les jurisprudences sur la résolution des litiges en matière de dettes, a formulé cette doctrine en 1927 : si un prêt est accordé à un État manifestement à l'encontre de l'intérêt de sa population et si le créancier en était conscient ­ ou était en mesure de l'être ­, une dette peut être considérée comme odieuse et donc déclarée comme nulle. Il l'a élaborée pour défendre les intérêts des banquiers, qu'il prévenait ainsi des risques qu'ils prendraient, en particulier en cas de changement de régime dans le pays débiteur.

HD. Justement, vous développez de nombreux exemples historiques d'annulations de dettes...

E. T. En deux siècles, le systèmedette a produit de multiples réactions aboutissant à la répudiation de dettes sur la base du fait que le prêt n'avait pas servi aux intérêts de la population : c'est ce qu'ont fait, parmi beaucoup d'autres, quatre États des États-Unis dans les années 1830, le Mexique en 1861, ou encore le gouvernement soviétique en février 1918...

HD. En quoi la doctrine de Sack reste-t-elle pertinente ?

E. T. Ses deux critères sont tout à fait valables dans le cas de la Grèce aujourd'hui ! Les dettes réclamées par la troïka ont été contractées par ses gouvernements successifs pour mener des politiques contre les intérêts de sa population. Les gouvernements français et allemand, notamment, ont créé la troïka pour prêter de l'argent à la Grèce, à condition que celle-ci rembourse les intérêts aux banques privées de leurs pays respectifs et qu'elle privatise, réduise les salaires et les retraites, ferme des hôpitaux... En outre, les créanciers avaient tous les éléments pour savoir qu'ils dictaient des conditions allant à l'encontre des intérêts du peuple grec et violant la Constitution du pays, tout comme le droit international. On est presque face à une dette odieuse pure.

HD. Mais, n'est-il pas illusoire d'appeler à l'annulation de la dette grecque au vu du rapport des forces en Europe ?

E. T. N'est-il pas illusoire, en continuant à payer la dette, d'espérer obtenir justice ? Les gouvernements grecs l'ont fait, et la soumission n'est pas récompensée. La Grèce est une victime expiatoire, elle incarne la menace que font peser les grandes puissances sur d'autres peuples européens de la périphérie.

HD. Si l'annulation de la dette est un combat majeur, vous affirmez également qu'il n'est pas suffisant...

E. T. Annuler une dette sans toucheraux politiques monétaires, fiscales, au système bancaire, aux accords commerciaux et sans établir la démocratie politique condamnerait à un nouveau cycle d'endettement ­ de très nombreux exemples dans l'histoire le montrent.

HD. Du point de vue des combats que vous menez depuis plus de vingt-cinq ans en tant que fondateur et porte-parole du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes, quelles avancées observez-vous ?

E. T. Les expériences antérieures de répudiation de dettes étaient des initiatives d'États avec le soutien populaire, mais les citoyens n'y participaient pas directement. Par ailleurs, le combat pour l'annulation de la dette du tiers-monde, à l'origine de notre action, s'est transformé : de plus en plus de citoyens du Nord prennent conscience que le système de la dette leur est également préjudiciable. Depuis une dizaine d'années, les citoyens acquièrent des outils pour mettre en cause le paiement des dettes illégitimes, avec notamment l'audit à participation citoyenne de l'Équateur auquel j'ai pris part en 2007-2008, la commission d'audit créée en Grèce en 2015 par la présidente du Parlement et que j'ai coordonnée, ou encore la centaine de municipalités espagnoles qui mènent des actions dans ce sens. Le mouvement se propage !

* Historien, porte-parole du CADTM international (comité pour l'abolition des dettes illégitimes)

 

Publié le 04/02/2018

Chroniques Latines

Retour à l'accueil du blog« Chroniques Latines »

Les chroniques Latines de Jean Ortiz portent un regard loin des clichés sur les luttes de libération du continent sud-américains... Toujours un oeil vif sur l'Espagne et les enjeux sous-jacents du quotidien...

 

Jean Ortiz

Dimanche, 28 Janvier, 2018 - 10:39

Plus les riches sont riches, moins les pauvres et les mietteux sont pauvres. CQFD. Imparable ! Le darwinisme, camarades !

Il était une fois un monde à l’envers... « Bona annada » et que le soleil n’éteigne jamais nos colères ! D’abord la colère.

Plus les inégalités se creusent, plus s’opère la sélection « naturelle », plus c’est bon pour l’économie et la société. Plus je m’esbaudis devant Macron. Les « meilleurs » gagnent. Chacun a la place qu’il mérite, elle s’obtient de haute lutte, quitte à écraser les autres, les « maillons faibles ». Le libéralisme, comme son nom l’indique, est une société de liberté. Ceux qui ne deviennent pas milliardaires, c’est qu’ils ne le veulent vraiment pas, préférant glander, dealer, à bosser. Ainsi s’opère la sélection entre premiers et derniers de cordée. Par la théorie du dromadaire (la bosse).

 

Une société sans patrons richissimes, sans actionnaires repus s’apparente à un cimetière. Concurrence à tout berzingue et exploitation quasi coloniale sont les deux mamelles fécondes du modèle libéral. Le seul, l’unique.

 

Le communisme, c’est pour les insectes...

 

Selon l’OXFAM et l’OBSERVATOIRE DES INEGALITES, officines bolchéviques s’il en est, en France 10% des plus riches possèdent plus de la moitié des richesses. Alors que 50 %, les plus pauvres, se partagent 5% de la pizza aux patates. Entre 2004 et 2014 leur modèle capitaliste (pardon : « libéral ») a produit en France un million de pauvres en plus. Ces fainéants, ces assistés, préfèrent vivre des minimas sociaux que trimer pour le bien commun, pour un Smic copieux. La stimulante pauvreté, chacun le sait, est un état naturel des sociétés libres. On peut y échapper en devenant actionnaire. En 2017, à l’échelle de la planète, la fortune des milliardaires qui, c’est bien connu, suent la chemise, a grandi (explosé) de 762 milliards de dollars. Sept fois plus qu’il ne faudrait pour en finir avec l’extrême pauvreté disent les cocos et beaucoup d’autres illuminés. Assez de misérabilisme, de balivernes ! Cet état salutaire de sélection biologique oxygène tout le monde. Tout cela démontre que les inégalités relèvent d’un phénomène normal, bénéfique. Le marché, le forum économique de Davos, régulent la jungle. Pas d’intérêt général, pas d’État, pas de république, hors la loi du marché. Il renforce la démocratie et la volonté politique n’y fait rien ; le partage, les besoins, la dignité, est le hochet de vieux soixante-huitards poussiéreux, attardés, attachés à des utopies totalitaires, anachroniques. L’idée communiste, l’exigence de biens communs, Cohn-Bendit, « Le Monde », « Libé » et moult intellectuels, en sont revenus. Le dérèglement climatique n’a rien à voir avec les logiques capitalistes ; ce n’est qu’une trumperie. Les « pulsations de leur folie », comme disait Jaurès, ont pourtant de quoi réchauffer la planète.

 

Et nous ? Et nous ? Et nous ?

 

Il était une fois un monde à l’envers... « Bona annada » et que le soleil n’éteigne jamais nos colères ! D’abord la colère.

 

Publié le 25/01/2018

Monsieur le Président, vous avez instauré à Calais un protocole de la bavure 

Par Yann Moix, écrivain, chroniqueur notamment à "On n'est pas couché" — 21 janvier 2018 à 20:36 

Une semaine après la charge d’Emmanuel Macron à Calais contre les associations de soutien aux migrants, l’écrivain et réalisateur interpelle le chef de l’Etat, dont il dénonce la politique migratoire. Il affirme avoir filmé, dans le cadre d’un documentaire qu’il est en train de réaliser sur place, des «actes de barbarie».

Monsieur le Président de la République,

Chaque jour, vous humiliez la France en humiliant les exilés. Vous les nommez «migrants» : ce sont des exilés. La migration est un chiffre, l’exil est un destin. Réchappés du pire, ils représentent cet avenir que vous leur obstruez, ils incarnent cet espoir que vous leur refusez. C’est à leur sujet que je vous écris.

Vous avez affirmé, dans votre discours de Calais, que «ceux qui ont quelque chose à reprocher au gouvernement s’attaquent à sa politique, mais qu’ils ne s’attaquent pas à ses fonctionnaires». Je ne m’en prendrai ici qu’à vous. Et à vous seul.

Je ne suis pas, comme vous dites, un «commentateur du verbe» : je suis un témoin de vos actes. Quant à votre verbe, il est creux, comme votre parole est fausse et votre discours, double.

J’affirme, monsieur le Président, que vous laissez perpétrer à Calais des actes criminels envers les exilés. Je l’ai vu et je l’ai filmé.

J’affirme, monsieur le Président, que des fonctionnaires de la République française frappent, gazent, caillassent, briment, humilient des adolescents, des jeunes femmes et des jeunes hommes dans la détresse et le dénuement. Je l’ai vu et je l’ai filmé.

J’affirme, monsieur le Président, que des exilés non seulement innocents, mais inoffensifs, subissent sur notre territoire des atteintes aux droits fondamentaux de la personne. Je l’ai vu et je l’ai filmé.

Vous menacez de saisir la justice si les «faits dénoncés» ne sont pas «avérés». Voici donc, monsieur le Président, les images des conséquences obscènes de votre politique.

Ces actes de barbarie, soit vous les connaissiez et vous êtes indigne de votre fonction ; soit vous les ignoriez et vous êtes indigne de votre fonction. Ces preuves, si vous les demandez, les voici ; si vous faites semblant de les demander, les voici quand même. Les Français constateront ce que vous commettez en leur nom.

«Je ne peux pas laisser accréditer l’idée que les forces de l’ordre exercent des violences physiques», avez-vous dit. Ajoutant : «Si cela est fait et prouvé, cela sera sanctionné». D’abord, vous menacez de procès en diffamation ceux qui démasquent votre politique ; ensuite, vous menacez de procédures de sanction ceux qui l’appliquent.

«La brutalité du monde»

Journalistes, policiers : avec vous, tout le monde a tort à tour de rôle. Les uns d’avoir vu, les autres d’avoir fait. Tout le monde a tort sauf vous, qui êtes le seul à n’avoir rien vu et le seul à n’avoir rien fait. On attendait Bonaparte, arrive Tartuffe.

Soit les forces de l’ordre obéissent à des ordres précis, et vous êtes impardonnable ; soit les forces de l’ordre obéissent à des ordres imprécis, et vous êtes incompétent. Ou bien les directives sont données par vous, et vous nous trahissez ; ou bien les directives sont données par d’autres, et l’on vous trahit.

Quand un policier, individuellement, dépasse les bornes, on appelle cela une bavure. Quand des brigades entières, groupées, dépassent les bornes, on appelle cela un protocole. Vous avez instauré à Calais, monsieur le Président, un protocole de la bavure.

Quand une police agit aussi unie, pendant si longtemps, elle ne peut le faire sans se plier à un commandement. Est-ce bien vous, monsieur le Président, qui intimez aux policiers l’ordre de déclencher ces actions souillant la dignité de l’homme ? Vous y avez répondu vous-même : «Dans la République, les fonctionnaires appliquent la politique du gouvernement.»

L’histoire a montré qu’on peut parfois reprocher à un policier de trop bien obéir. Mais elle a surtout montré qu’on doit toujours reprocher à un président de mal commander, précisément quand le respect humain est bafoué. En dénonçant les violences policières, en cherchant à savoir qui est le donneur de ces ordres, je ne fais que défendre la police, parce que lui donner de tels ordres, c’est justement porter atteinte à son honneur.

«La situation est ce qu’elle est par la brutalité du monde qui est le nôtre», dites-vous. Peut-on attendre, monsieur le Président, qu’une situation aussi complexe soit démêlée par une pensée aussi simpliste ? Que des décisions si lourdes soient compatibles avec des propos si légers ? On attendait Bonaparte, arrive La Palisse.

Serez-vous plus enclin à l’émotion qu’à la réflexion ? Ecoutez la voix de ces jeunes qui, fuyant les assassins et la dictature, rançonnés puis suppliciés en Libye, traversent la Méditerranée sur des embarcations douteuses pour accoster, à bout de forces, dans une Europe que vous défendez par vos formules et qu’ils atteignent par leur courage.

Vous avez osé dire : «Notre honneur est d’aider sur le terrain celles et ceux qui apportent l’humanité durable dans la République.» Au vu de ce qui semblerait être votre conception de «l’humanité», les associations préfèrent l’aide que vous leur avez refusée à celle que vous leur promettez. A Calais, on vous trouve plus efficace dans la distribution des coups que dans la distribution des repas.

Ces associations, monsieur le Président, font non seulement le travail que vous ne faites pas, mais également le travail que vous défaites. Quant à votre promesse de prendre en charge la nourriture, elle n’est pas généreuse : elle est élémentaire. Vous nous vendez comme un progrès la fin d’une aberration.

La colonisation en Algérie, monsieur le Président, vous apparut un jour comme un «crime contre l’humanité». Ne prenez pas la peine de vous rendre si loin dans l’espace et dans le temps, quand d’autres atrocités sont commises ici et maintenant, sous votre présidence. Sous votre responsabilité.

Faites, monsieur le Président, avant que l’avenir n’ait honte de vous, ce qui est en votre pouvoir pour que plus un seul de ces jeunes qui ne possèdent rien d’autre que leur vie ne soit jamais plus violenté par la République sur le sol de la nation. Mettez un terme à l’ignominie. La décision est difficile à prendre ? On ne vous demande pas tant d’être courageux, que de cesser d’être lâche.

Saccages d’abris, confiscations d’effets personnels, pulvérisation de sacs de couchage, entraves à l’aide humanitaire. Tel est le quotidien des exilés à Calais, monsieur le Président. Hélas, vous ne connaissez rien de Calais. Le Calais que vous avez visité mardi dernier n’existe pas : c’était un Calais pipé ; c’était un Calais imaginaire et vide ; c’était un Calais sans «migrants». Un Calais sur mesure, un Calais de carton-pâte. Le Calais que vous avez visité, monsieur le Président, ne se trouve pas à Calais.

Crime

Le Défenseur des droits a dénoncé, lui aussi, le «caractère exceptionnellement grave de la situation», qu’il n’hésite pas à décrire comme étant «de nature inédite dans l’histoire calaisienne». Une instance de la République, monsieur le Président, donne ainsi raison à ceux à qui vous donnez tort. Mais je vous sais capable de ne pas croire vos propres services, tant vous donnez si souvent l’impression de ne pas croire vos propres propos.

Comme on se demande à partir de combien de pierres commence un tas, je vous demande, monsieur le Président, à partir de combien de preuves commence un crime.

Je citerai enfin les conclusions de la «mission IGA-IGPN-IGGN relative à l’évaluation de l’action des forces de l’ordre à Calais et dans le Dunkerquois» d’octobre 2017 - mission qui dépend du ministère de l’Intérieur : « L’accumulation des témoignages écrits et oraux, bien que ne pouvant tenir lieu de preuves formelles, conduit à considérer comme plausibles des manquements à la doctrine d’emploi de la force et à la déontologie policière, principalement à Calais. Ces manquements portent sur des faits de violences, sur un usage disproportionné des aérosols lacrymogènes, la destruction d’affaires appartenant aux migrants ainsi que le non-respect de l’obligation du matricule RIO [le référentiel des identités et de l’organisation]

Permettez-moi, monsieur le Président, de traduire cette phrase dans un français non policier : «Nous croulons sous les preuves de violences policières, notamment de gazages, mais nous refusons de les considérer comme des preuves au sens strict, car cela risquerait de froisser monsieur le ministre de l’Intérieur, qui serait obligé d’enquêter sur l’épidémie d’anonymat qui saisit ses troupes au moment de l’assaut contre les migrants.»

Vous dites : « Je ne peux laisser accréditer l’idée que les forces de l’ordre utilisent la violence.» Les violences vous dérangeraient-elles moins que le fait qu’on les laisse accréditer ?

A l’heure, monsieur le Président, où vous décrétez ce qui est, ou n’est pas, une «fake news», vous nous rappelez de manière salutaire que vous êtes prompt au mensonge éhonté. On attendait Bonaparte, arrive Pinocchio.

Mesures antimigratoires

Je ne sais exactement de quoi vous êtes responsable ; je sais seulement en quoi vous êtes irresponsable. Le grand mérite de votre politique, c’est qu’on peut la voir à l’œil nu.

Surtout à Calais, où tout est fait pour rendre impossible aux exilés l’accès à l’Angleterre. Non seulement ils n’ont pas le droit de rester, mais ils n’ont pas la possibilité de partir. Que doivent-ils faire ? Attendre qu’on leur brûle la rétine ? Ou bien jouer leur destin en tentant la traversée ?

Vous menacez en tout, monsieur le Président, des gens qui ne nous menacent en rien. Votre politique ne fait pas que trahir nos valeurs, elle les insulte. Les mesures antimigratoires sont toujours populaires. Mais voulant faire plaisir à la foule, vous trahissez le peuple.

Le préfet du Pas-de-Calais m’a appelé, furieux, osant se réclamer de Jean Moulin ; mais Jean Moulin s’est battu pour faire cesser la barbarie, non pour intimider ceux qui la dénoncent. Les exilés sont des victimes. Laissez les martyrs morts en paix ; cessez de faire la guerre aux martyrs vivants.

Jean Moulin fut supplicié pour une France qui accueille les hommes, pas pour une France qui les chasse. Dites à votre préfet que se réclamer d’un héros de la Résistance quand, dans sa sous-préfecture, Erythréens, Afghans et Soudanais sont harcelés, délogés, gazés nuit et jour, c’est prendre Jean Moulin en otage. Et c’est le trahir une deuxième fois.

Ce n’est plus vous qui êtes en marche, monsieur le Président, c’est la vérité. Vous pouvez porter plainte contre moi pour diffamation ; la postérité portera plainte contre vous pour infamie.

Yann Moix écrivain, chroniqueur notamment à "On n'est pas couché"

 

Serge Paugam : « Le regard des riches sur les pauvres signale un danger pour nos sociétés »

entretien réalisé par Lucie Fougeron

Jeudi, 28 Décembre, 2017

Humanité Dimanche

Ce que les riches pensent des pauvres : cet intitulé, faussement anodin, recouvre une vaste et novatrice enquête sociologique. Dans le contexte de la concentration croissante des richesses et de l’aggravation des inégalités, les travaux sur la pauvreté et ceux sur les catégories supérieures ne s’étaient pas encore croisés. 

C’est à l’exploration de ce lien qu’est consacrée l’enquête comparative menée par les sociologues Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti et Jules Naudet. Ils ont interrogé les riches des beaux quartiers de trois métropoles – en France, au Brésil et en Inde – pour analyser leur perception des pauvres et des inégalités. Et, partant, leur vision de la société en régimes démocratiques, à l’heure de la globalisation. Entretien avec Serge Paugam, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS.

HD. Pourquoi consacrer aujourd’hui une enquête sociologique à « ce que les riches pensent des pauvres », et la mener à Paris, São Paulo et Delhi ?

Serge Paugam. Dans de nombreuses métropoles on constate une augmentation de la ségrégation spatiale du fait de la concentration de la richesse dans certains espaces : les riches vivent dans des territoires de plus en plus repliés sur eux-mêmes, coupés des autres couches de la population. Au-delà d’un processus d’agrégation affinitaire déjà bien renseigné, cela ne correspondrait-il pas aussi à une attitude de distanciation à l’égard des catégories les plus défavorisées, aboutissant à une ségrégation discriminante ? Nous avons alors choisi d’explorer le rapport à l’altérité dans ces quartiers. En nous demandant aussi si perdurait l’identification montrée par Louis Chevalier des « classes laborieuses » à des « classes dangereuses » par l’élite bourgeoise de la France du XIXe siècle, et qui fondait leur mise à distance. Pour cela, étudier non seulement la métropole parisienne, mais aussi des métropoles de pays émergents, où les inégalités sont encore plus fortes, est intéressant : la richesse y est très concentrée, la globalisation les conduit à une certaine uniformisation, ce sont des métropoles mondiales et elles connaissent des flux importants de migrations.

HD. Quelle vision des pauvres les riches de ces trois métropoles ont-ils en partage ?

Serge Paugam. A partir des entretiens qui y ont été menés, la méthode comparative a permis d’observer, sur la base de ce qui est récurrent chez les riches des quartiers les plus exclusifs, comment se construit le processus de stigmatisation des pauvres et de leur discrimination. A partir de questions sur le choix du quartier, la façon dont elles y vivent, etc., ces personnes ont en fait abordé d’elles-mêmes ce qui les distingue de ceux qui vivent dans les autres quartiers et, à partir de là, la représentation qu’elles ont des pauvres.

Apparaît tout d’abord la production d’une « frontière morale » : les interviewés sont persuadés d’être porteurs d’une supériorité morale, à préserver de toute contamination pouvant venir du contact avec les autres couches sociales, qui sont donc à mettre à distance. Leur quartier auto-ségrégué constitue cette protection. Ainsi, quand la mairie de Paris a décidé d’implanter un centre d’hébergement pour des SDF et des réfugiés à la lisière du XVIe arrondissement, cette angoisse du contact a violemment ressurgi.

Second élément récurrent : la répulsion physique. Elle est d’abord liée à  l’insécurité : à São Paulo et à Delhi, cette angoisse sécuritaire conduit à vivre dans des condominiums ultra sécurisés interdisant toute intrusion, à craindre les déplacements en voiture et à sélectionner les lieux où se rendre. Si les riches parisiens éprouvent également ce sentiment d’insécurité, il reste toutefois moins intense. La répulsion renvoie aussi à la peur d’être contaminé par le contact du corps du pauvre, porteur de maladies, etc. A São Paulo et à Delhi, ces riches ne prennent pas les transports en commun, ne touchent pas le mobilier dans les lieux publics… Ils expriment un profond dégoût à l’égard des pauvres, de leur apparence, etc., et n’évoquent jamais la possibilité de politiques pour changer les conditions de vie dans les bidonvilles.

En France, on n’en est pas à ce niveau de répulsion, mais la racialisation est frappante chez ces élites pourtant dotées d’un art du contrôle social. La menace est celle des pauvres venus d’ailleurs, soupçonnés de manquement « culturel » aux savoirs élémentaires d’hygiène : les Roms, les réfugiés... La saleté des quartiers est associée à un comportement jugé non civilisé de « certains » types de populations.

HD. Dans ces situations d’inégalités criantes, comment la représentation qu’ont ces riches des pauvres s’articule-t-elle avec leur perception d’eux-mêmes?

Serge Paugam. Cela les amène au besoin de justifier leurs privilèges, qui passe par la justification du sort des autres, et donc de ces écarts. On remarque alors deux tendances. Les pauvres sont perçus comme n’ayant d’autre destin du fait de différences d’aptitudes, quasi génétiques, et ce ne sont pas des programmes sociaux qui pourront changer leur sort. C’est la naturalisation de la pauvreté et des inégalités, qui est une évidence pour les interviewés de Delhi : les classes inférieures constituent une humanité différente. 

En France, les riches tiennent compte de l’imprégnation des principes républicains, de ce qu’ont pu apporter la société salariale et les programmes sociaux au bien-être de la population. Mais s’ils reconnaissent des déterminismes sociaux, ils recourent, en la dévoyant, à l’idée du mérite comme justification des privilèges : les riches sont riches parce qu’ils ont… plus de mérites que les autres, faisant fi de ce qui relève largement d’inégalités sociales. Le terme « injustice » n’est jamais prononcé. 

HD. Peut-on voir dans ces entretiens l’empreinte d’un discours néolibéral globalisé ?

Serge Paugam.  Dans les trois métropoles reviennent les mérites vantés par le néolibéralisme : prise d’initiative et de risque, responsabilité individuelle à laquelle est liée la valorisation du mérite, au détriment de la responsabilité sociale. A ceux qui ne réussissent pas, on attribue des comportements paresseux, une incapacité à faire les bons choix, etc. A Delhi et à São Paulo, ces arguments s’ajoutent à ceux de la naturalisation : ils sont compatibles. On observe ainsi une convergence idéologique néolibérale.  Je constate d’ailleurs dans la société française que  la richesse est de plus en plus valorisée en tant que telle comme idéal de réalisation de soi. Le problème de ce discours décomplexé est qu’il s’accompagne très souvent d’un mépris à l’égard des pauvres et d’une justification idéologique de leurs échecs ou de leurs malheurs.

HD.  Les résultats de votre enquête interrogent frontalement la notion de solidarité… Quelles conséquences en tirez-vous ?

Serge Paugam. Dans les pays très inégalitaires, les riches s’organisent entre eux, les pauvres survivent entre eux, les liens s’expriment en termes d’utilisation des services des seconds par les premiers. La comparaison entre ces trois métropoles montre que dans une société salariale comme la nôtre, où il y a eu des conquêtes sociales, où on a appris que la solidarité nationale est un effort de chacun pour faire face aux aléas de la vie à travers des systèmes de protection au profit de l’ensemble du corps social, les risques de fragmentation sociale sont de plus en plus visibles. Ce qui faisait tenir ensemble des individus au sein d’une société démocratique et ouverte à tous s’affaiblit au profit de solidarités organisées à l’intérieur de groupes restreints. C’est tout à la fois la mixité sociale, la notion d’espace public, la confiance mutuelle qui risquent d’être emportés par ce processus. Cette logique d’entre-soi progresse et est terriblement menaçante, elle interroge le potentiel de cohésion de nos sociétés. C’est ce que montre l’écart entre le besoin de se considérer comme des citoyens solidaires les uns des autres et cette réalité que nous dévoilons – là réside la dimension critique du travail sociologique – et analysons.

POUR EN SAVOIR PLUS

Ce que les riches pensent des pauvres, de Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti, Jules Naudet, éditions du Seuil, 2017, 352 pages, 23 euros.

 

 

Si les inégalités sont désormais reconnues comme « risque mondial » jusque dans les plus hautes sphères de décideurs – à l’instar du Forum de Davos en 2017 –, apprendre la façon dont les élites les envisagent vraiment est un questionnement original. Cette enquête sociologique en est une première étude, fructueuse. Fondée sur une démarche scientifique – dont la méthodologie est précisément exposée, rappelant utilement ce qu’est le travail sociologique –, elle aboutit, à partir d’entretiens approfondis menés dans trois métropoles mondiales, à établir des invariants dans les perceptions de la pauvreté qu’ont les riches refusant la mixité résidentielle, défendant âprement la frontière de classe. À l’heure du néolibéralisme globalisé, leur convergence idéologique dans la justification des inégalités vient percuter le principe de solidarité au cœur de la citoyenneté dans les sociétés démocratiques. Ces entretiens et leur analyse dévoilent une réalité qui tend à progresser dans nos sociétés et les menacer. Aux acteurs du débat public de s’en saisir.

Lucie Fougeron

Humanité Dimanche

Publié le 16/12/2017

Les politiques néolibérales ont fait exploser les inégalités

Cinq chercheurs, réunis autour de Thomas Piketty, ont compilé les données mondiales sur les inégalités et livrent un constat qui dément la théorie du « premier de cordée », chère à Emmanuel Macron.

Cet article est en accès libre. Politis ne vit que par ses lecteurs, en kiosque, sur abonnement papier et internet, c’est la seule garantie d’une information véritablement indépendante. Pour rester fidèle à ses valeurs, votre journal a fait le choix de ne pas prendre de publicité sur son site internet. Ce choix a un coût, aussi, pour contribuer et soutenir notre indépendance, achetez Politis, abonnez-vous.

 

C’est un travail colossal, qui a mobilisé une centaine de chercheurs à travers le monde, et combiné les données disponibles dans 180 pays. Le « rapport sur les inégalités mondiales 2018 », coordonné par cinq chercheurs réunis autour de Thomas Piketty et publié ce jeudi, tente d’apporter une « information plus rigoureuse et transparente sur les revenus et les patrimoines ».

Premier constat, les inégalités de revenus ont augmenté dans presque toutes les régions du monde ces dernières décennies, mais à des rythmes différents. Elles ont ainsi explosé dans les anciens pays communistes ou « dirigistes » (Russie depuis 1990, puis Chine et Inde après 2000). Elles suivent une courbe plus douce en Europe, où les inégalités de revenu sont également les moins élevées : les 10 % des plus riches captent 37 % du revenu national, contre 61 % au Moyen-Orient, région la plus inégalitaire au monde.

Le rapport met à l’index les conséquences de quatre décennies de politiques néolibérales. Concernant les inégalités de patrimoine, la tendance à la baisse observable depuis un siècle s’est retournée au moment du tournant libéral impulsé depuis les États-Unis.

 

Capture du Rapport sur les inégalités mondiales 2018, laboratoire sur les inégalités mondiales, 2017

Cette inversion de la courbe est due, estime le groupe d’experts, à « l’accroissement des inégalités de revenu et les transferts considérables de patrimoine public au secteur privé ».

Pour un impôt progressif

Preuve supplémentaire de l’impact des doctrines économiques, l’Europe de l’Ouest et les États-Unis, qui affichaient des niveaux d’inégalités de revenu comparables en 1980, se trouvent aujourd’hui « dans des situations radicalement différentes ». La courbe du revenu capté par les 1 % d’ultra-riches est édifiante. Elle s’envole aux États-Unis depuis trente-cinq ans (les 1% les plus riches possèdent un cinquième de la richesse nationale en 2015). Tandis qu’elle augmente faiblement en Europe, au dessus de 10 %.

Cela « s’explique en grande partie par une inégalité considérable en matière d’éducation, associée à une fiscalité de moins en moins progressive », analysent les chercheurs. Remèdes fiscaux néolibéraux, qui ont été appliqués en Europe avec moins de force.

Cette réalité tend également à se durcir, car la croissance profite prioritairement aux plus riches. Le gâteau du revenu mondial a grossi depuis 1980, mais les 1 % des plus riches ont capté à eux seul 27 % des richesses nouvelles, quand les 50 % les plus pauvres se partageaient 12 % du pactole.

Pour empêcher cette fuite en avant, les chercheurs défendent un principe simple : l’impôt progressif. Il a le double mérite de rééquilibrer les richesses, d’une part, et de calmer les ardeurs des plus grosses fortunes : « La progressivité des taux […] décourage les hauts revenus de s’approprier une part toujours plus importante de la croissance en négociant des rémunérations excessives et en concentrant les patrimoines. »

Autrement dit, le parfait contre-pied des politiques conduites actuellement par Donald Trump et Emmanuel Macron, en faveur des plus riches. Les deux Présidents ont fortement baissé l’impôt sur les sociétés et allégé les taxes sur les plus riches (quasi suppression de l’impôt sur les successions aux États-Unis, suppression partielle de l’impôt sur la fortune en France), comme l’a récemment relevé Thomas Piketty sur son blog.

/////////////

NB : L’étude se fonde sur une combinaison des données disponibles sur les revenus et patrimoines totaux estimés dans les comptabilités nationales ; les enquêtes déclaratives sur le revenu et le patrimoine des ménages ; les données fiscales issues de l’impôt sur le revenu ; données fiscales et administratives sur les successions et les patrimoines et classements des grandes fortunes. Données consultables sur wir2018.wid.world.


 

par Erwan Manac'h
publié le 14 décembre 2017

Version imprimable | Plan du site
© pcf cellule st Georges d'Orques