PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

société de juillet à décembre 2022

  publié le 26 décembre 2022

Vincent Jarousseau :
« Pour une auxiliaire de vie, il faut attendre 15 ans pour atteindre le Smic »

par Maÿlis Dudouet sur https://basta.media/

Elle sont aides à domicile ou éducatrices. Trois millions de femmes travaillent dans les métiers essentiels du lien, souvent dans l’ombre. Dans Les Femmes du lien, le journaliste Vincent Jarousseau leur donne une voix et un visage. Entretien.

Elles sont aides à domicile, assistantes maternelles, auxiliaires de vie sociale ou encore accompagnantes éducative et sociale. Leurs salaires sont faibles et leurs conditions de travail difficiles. Le photographe Vincent Jarousseau est allé à la rencontre de huit femmes qui exercent ces métiers dits « du lien », pour raconter leur travail et leur quotidien.

 basta!  : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ces métiers ?

Vincent Jarousseau : Le choix initial était de mener un projet sur les métiers du lien au sens large, et qui correspond à une accumulation d’observations au cours de mes deux précédents ouvrages, L’Illusion nationale, coécrit avec Valérie Igounet et pour lequel on avait enquêté sur les électeurs du Front national dans trois villes dirigées par le parti et Les Racines de la colère, qui était un travail d’enquête à Denain, dans le Nord, sur la mobilité des classes populaires. Cet ouvrage s’achève sur la naissance du mouvement des Gilets jaunes.

Je travaille depuis plus de dix ans sur la fracture française et les populations invisibilisées. Au cours de ces différents projets, j’ai souvent croisé la route de femmes du lien. Pour paraphraser le sociologue Benoît Coquard, on retrouve « ceux qui restent » dans les territoires enclavés, tandis que les plus diplômés s’en vont [1].

On retrouve les hommes dans les métiers de la route et du BTP et les femmes dans ces métiers du lien, qui ont des positions centrales sur ces territoires. Avec François Ruffin, on a observé les mêmes choses. Lui, il a fait un travail parlementaire sur les métiers du lien. Et il m’a sollicité avec l’aide à domicile Marie-Basile, que j’ai connue pendant le premier confinement.

Comment avez-vous choisi les territoires sur lesquels vous avez travaillé pour cet ouvrage ?

Vincent Jarousseau : Mon choix, c’était de partir de la réalité des femmes qui travaillent dans ces métiers dans la France périphérique. Je me suis intéressé à l’Avesnois, au sud de Maubeuge, un décor postindustriel avec une culture ouvrière très présente, où ce sont les « filles du coin » (du livre de la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy, Les Filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural, ndlr). Ce sont des femmes aux rôles d’aidantes, et qui incarnent aussi un fort investissement local associatif.

Je suis également allé en banlieue périphérique. La différence dans les milliers urbains et périurbains, c’est que ces métiers sont souvent occupés par des femmes nées à l’étranger. Elles n’ont pas d’attaches locales, elles habitent loin, leurs temps de trajets sont très importants, et elles subissent plus fortement la pression du logement. Marie-Basile, aide à domicile, a l’impression d’être une ombre. Pourtant, ces femmes discrètes, on les croise tout le temps, sans les voir : elles sont dans les transports en commun.

Vous précisez à chaque fois le salaire de ces travailleuses, entre 875 euros et 1900 euros nets, soit environ 1,5 Smic pour une éducatrice spécialisée. Comment expliquez-vous que ces métiers essentiels soient si peu payés ?

Vincent Jarousseau : Pour une auxiliaire de vie, le salaire moyen est de 950 euros, il faut attendre 15 ans pour atteindre l’équivalent du Smic mensuel. En plus, les trajets ne sont pas comptabilisés. Ce sont donc des femmes qui travaillent à temps plein, mais qui sont payées partiellement. Julie, par exemple, est éducatrice spécialisée. Elle a de l’ancienneté, avec une vingtaine d’années d’expérience et un master. Elle est très diplômée, mais elle ne gagne que 1900 euros par mois. C’est une profession qui s’est considérablement dégradée dans sa reconnaissance sociale et salariale - les éducateurs spécialisés gagnaient l’équivalent de deux Smic il y a 40 ans - de manière concomitante avec la féminisation du métier.

« Les femmes du lien, c'est une travailleuse sur quatre. Tout le monde - y compris la gauche - a oublié ces métiers »

Bien sûr, il y a beaucoup d’explications à cette situation. Nombre de ces professions sont nées assez récemment. Il n’y en avait que 40 000 aides à domicile en 1974. Aujourd’hui, avec le vieillissement de la population, elles sont 15 fois plus. Auparavant, ces tâches étaient davantage prises en charge gratuitement par des femmes, tout cela s’est professionnalisé. Dans l’inconscient collectif, il y a un peu une façon de compter sur le « don de soi » des femmes, même si ce n’est pas ce que je pense.

Outre les différences salariales hommes-femmes, si les métiers du lien sont aussi mal rémunérés, c’est aussi parce que la prise en charge du soin est socialement peu valorisée. La question n’est pas que politique, mais aussi sociétale. C’est un investissement général : quelle est notre contribution à la prise en charge de la dépendance et de la fragilité ? Il y a eu des débuts d’évolution avec le Covid, mais elles ont vite été oubliées.

Les femmes du lien représentent trois millions de travailleuses. C’est environ une salariée sur quatre. Tout le monde - y compris la gauche - a oublié ces métiers. Or, les métiers dont on parle, ce sont les métiers du vivant : elles gèrent des situations de vulnérabilité. On sait que la société vieillit, les besoins de ces métiers sont croissants. Il va falloir mettre les moyens, car on est arrivés à une situation extrêmement critique. Aujourd’hui au plan national, on a 20 % de refus de prise en charge dans les services d’aides à domicile pour les personnes en situation de dépendance.

En voiture ou en transports en commun, ces travailleuses semblent toujours en mouvement. Ces déplacements incessants aggravent-ils encore les conditions de travail ?

Vincent Jarousseau : Les auxiliaires de vie en milieu rural font beaucoup de kilomètres et travaillent majoritairement avec leur propre véhicule. Elles ont des frais kilométriques partiellement remboursés, mais elles restent extrêmement soumises aux variations des frais de l’essence. Récemment, il y a eu une petite amélioration salariale, mais qui a totalement été absorbée par la hausse des prix du carburant. Elles ont beau essayer de limiter la longueur des trajets, en milieu rural, c’est difficile de faire autrement. En milieu urbain, elles ont aussi de longs trajets domicile-travail. La rémunération du temps passé dans les transports est une question centrale.

Quels sont les impacts physiques de ces métiers sur la santé ?

Vincent Jarousseau : Ce sont des métiers où le taux de sinistralité, soit le pourcentage d’accidents du travail et de maladies professionnelles, est extrêmement élevé. Pour des métiers comme aides-soignantes ou auxiliaire de vie, on est sur des taux de 30 %, supérieurs à ceux des ouvriers du BTP.

« Ce sont des métiers où le pourcentage d’accidents du travail et de maladies professionnelles est extrêmement élevé »

C’est un métier dans lequel on est souvent en invalidité à 50 ans, pour plein de raisons. Par exemple, Marie-Basile souffre de lombalgie, a été arrêtée six mois. Il y a certes des machines comme les lève-personnes, mais vous ne pouvez pas les utiliser pour tout. C’est par exemple difficile pour le geste du coucher.

Une partie de vos portraits se déroulent durant le Covid. Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté la vie et le métier des ces femmes ?

Vincent Jarousseau : Elles ont essayé de continuer le plus normalement du monde. Ça les a affectées parce qu’il y avait la peur du virus. Rachel, accompagnante éducative et sociale, était frappée de plein fouet par un cluster dans son Ehpad. Marie-Basile, aide à domicile, n’avait pas le choix et déposait sa fille chez une voisine qu’elle connaissait à peine parce qu’il n’y avait pas de système de garde d’enfants à l’école.

Il y a aussi Marie-Ève, assistante familiale. Elle a fait un burn out pendant le confinement, car elle a continué à gérer des enfants. C’était la première fois de sa vie qu’elle en faisait un, à 57 ans, en fin de carrière. Les enfants dont elle s’occupait ont été placés en relais dans un foyer. Je l’ai rencontrée après. Cet épisode a été une énorme remise en cause pour elle. À l’été 2020, il y a eu le Ségur de la santé, qui a décidé de la prime Covid pour les métiers du soin. Toutes les professions dont je parle dans le livre, à l’exception de Marie-Claude, aide-soignante en hôpital, ont été les oubliées de ce dispositif. Marie-Claude dit : « Ces applaudissements on a l’impression que c’était pas du tout pour nous. »

Vous notez qu’il arrive que dans une même famille, plusieurs générations de femmes se succèdent dans ces mêmes métiers. Est-ce une forme de reproduction sociale ?

Vincent Jarousseau : Ces femmes ont connu des contraintes sociales différentes, souvent des assignations sociales de genre. C’est pour ça que chaque femme « s’autobiographie » dans la partie BD du livre. Elles racontent leur vie et leur enfance. Il y a des exceptions. Marie-Claude, aide-soignante franco-camerounaise travaillant à Bobigny, avait fait une formation technique d’électricité à Yaoundé avant de devenir aide-soignante en France. Un autre point commun à toutes ces femmes, c’est qu’elles sont souvent très attachées à l’idée de ne pas dépendre d’un homme.

« Un point commun à toutes ces femmes, c'est qu'elles sont souvent très attachées à l’idée de ne pas dépendre d’un homme »

Je n’ai pas envie de parler d’assignation, mais de transmission. C’est vrai que le champ des possibles se réduit quand on habite une zone enclavée et que maman gagne 1300 euros par mois. Pour une jeune de 18 ans dans cette situation, aller faire des études ne serait-ce que dans une ville voisine, c’est très compliqué. C’est un sujet sur lequel travaillent des associations comme Chemins d’avenir.

Pourquoi ces métiers restent-ils aussi invisibilisés par les médias comme par les politiques ?

Vincent Jarousseau : Il y a une avancée des politiques en général. Mais, même si certains s’y intéressent, il n’y a pas d’imaginaire collectif autour de ces professions. J’ai appelé ce livre les « femmes du lien » parce que je pense que c’est important de relier ensemble ces métiers du lien social.

Je ne dis pas qu’il faut créer un grand service public centralisé, parce que les Ddass (Directions départementales des affaires sanitaires et sociales, ndlr) ce n’était pas bien mieux. En revanche, une question se pose sur la place des opérateurs privés à but lucratif, qui font des marges importantes.

Selon vous, quelles politiques devraient être menées, en priorité, en faveur de ces métiers ?

Vincent Jarousseau : Si on veut arriver vers une société du care, une société où l’on prend soin des autres, ça suppose un investissement. Qu’est-ce qui est important ? Générer du profit dans des activités destructrices de l’environnement, ou privilégier la prise en charge du vivant ? Il faut faire le ménage et sortir du champ concurrentiel. Aujourd’hui, le social, ce n’est pas du tout la priorité du gouvernement, malgré tout ce qui a été dit pendant la pandémie. La bonne volonté ne suffit pas. Il faut dégager les quelques milliards supplémentaires pour ces professions sous-rémunérées, pour travailler dignement à la fois pour les personnes et la qualité de la prise en charge. Mais il ne s’agit pas seulement des politiques. Il faut aussi que les gens se saisissent de ces questions.

Notes

[1] Voir le livre Ceux qui restent- Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Benoît Coquard, La Découverte.

publié le 14 décembre 2022

Vers une année noire pour
les personnes à la rue et mal-logées ?

sur https://www.ldh-france.org

Communiqué du Collectif associations unies (CAU) dont la Ligue des Droits de l’Homme est membre

Alors que plusieurs départements ont déclenché leurs plans « grand froid » pour faire face aux températures hivernales qui touchent la France, les inquiétudes des associations pour les personnes à la rue et mal-logées restent fortes et nombreuses.

Des records de demandes non pourvues au 115 sur certains territoires :

Malgré le maintien salué par nos associations, des 197 000 places d’hébergement en fonctionnement et la promesse du ministre du Logement qu’il n’y ait plus aucun enfant à la rue cet hiver, la situation reste dramatique pour un nombre très important de personnes sans domicile. Et pour cause, le 5 décembre 2022, 5014 personnes ont appelé le 115 sans obtenir de places d’hébergement. 56 % de ces demandes concernaient des familles, dont 1346 enfants. Mais ces chiffres ne reflètent pas l’intégralité des situations vécues par les personnes. Pour exemple, en Seine-Saint-Denis, entre 1500 et 2000 appels saturent quotidiennement la plateforme d’appel au 115 sur ce département, et seuls 350 à 500 parviennent à joindre les équipes d’écoutants. Avec presque 100 % de demandes non pourvues ces dernières semaines sur ce département, 70 % des personnes se découragent et cessent de recourir à ce numéro d’urgence1. Les écoutants 115, dont les conditions d’exercice sont de plus en plus difficiles, attendent toujours l’engagement du gouvernement sur le fait d’obtenir la prime Ségur dont ils ont été exclus. Les situations de sous-effectif dans les équipes s’amplifient. Pleinement engagés dans la politique du logement d’abord, nous ne pouvons que constater que celle-ci ne permet pas aujourd’hui de répondre aux besoins importants qui s’expriment en urgence faute d’ambition de construction de logements sociaux adaptés et d’engagement pluriannuel.

Une remise en cause de l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence :

C’est dans ce contexte déjà très tendu, et alors que plus de 600 personnes meurent à la rue2 chaque année, que le secteur associatif déplore un risque de recul du droit à l’hébergement et au logement. En effet, dans un texte du 17 novembre 2022 relatif à l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), le ministre de l’intérieur a notamment demandé aux préfets de suspendre la prise en charge des personnes concernées dans l’hébergement d’urgence et le logement social. Aucune condition de régularité de séjour, et a fortiori d’absence d’OQTF, n’est pourtant établie par la loi pour permettre l’accès ou le maintien dans un hébergement d’urgence, ni pour procéder à une rupture de bail. Ces instructions créent des situations de non-recours pour les publics mettant gravement en danger leur santé et sécurité. Elles entrainent une fragilisation des structures associatives et des travailleurs sociaux en première ligne face à ces situations de détresse.

Le vote à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi favorisant les expulsions de logement :

Comme si cela ne suffisait pas, le 2 décembre a été votée en 1ère lecture à l’Assemblée nationale une proposition de loi criminalisant les victimes de la crise du logement, qui trouvent refuge dans un bâtiment vide et désaffecté, qui s’installent dans un logement vacant et inutilisé par son propriétaire, ou qui sont confrontées à un impayé de loyer à la suite d’un accident de la vie. En plus d’être en incohérence avec la politique de prévention des expulsions et au plan Logement d’abord mis en place par le gouvernement, l’adoption de cette loi contreproductive pourrait provoquer un engorgement de la justice et un accroissement du nombre d’expulsions locatives. Nos associations demandent instamment au Parlement de ne pas poursuivre sur ce chemin honteux.

Impact de la crise énergétique sur les plus précaires :

Dans les mois à venir, les conséquences de la hausse des prix de l’énergie conjugués à une inflation croissante viendront également impacter la situation des plus fragiles et de ceux qui les accompagnent. Les centres d’hébergement, les accueils de jour, les résidences sociales, les foyers de jeunes travailleurs, tous sonnent l’alarme face aux moyens insuffisants à leur disposition pour continuer à assurer leurs missions. En effet, leur modèle économique ne leur permet pas d’absorber la hausse des factures d’énergie, même après l’application des boucliers tarifaires. Pour les acteurs du logement social, l’inquiétude est double : la hausse des charges locatives liée à la crise de l’énergie va rendre encore plus difficile l’accès au logement social des ménages précaires jugés insolvables, et les locataires en place risquent de devoir faire des arbitrages impossibles sur leur budget quotidien, au risque de se retrouver en situation d’impayés3. Cette menace pèse également sur les ménages précaires logés dans le parc privé, qui en l’absence d’aides structurelles à la hauteur des besoins ne pourront pas faire face à la hausse programmée de 15 % des prix du gaz et de l’électricité en janvier et février 2023.

Alors qu’un Conseil national de la refondation consacré au logement est lancé depuis quelques semaines, le Collectif des associations unies demande au gouvernement la mise en place d’actions cohérentes, concrètes et structurelles pour éviter la bombe sociale qui nous attend.

Paris le 14 décembre 2022

1. Une étude réalisée en juin 2022 par Interlogement 93 (SIAO de Seine-Saint-Denis) auprès de plusieurs accueils de jour en Seine-Saint-Denis révèle que 70% des personnes ayant dormi à la rue n’avait pas contacté le 115, 85% pour les hommes seuls.
2. Au moins 623 personnes sans domicile sont mortes des conséquences de la rue en 2021, à 48,5 ans en moyenne, selon le Collectif les morts de la rue.
3. Communiqué de presse, « Hausse des coûts de l’énergie et logement/hébergement des plus modestes : tout un secteur de la solidarité en fragilité », 12 décembre 2022, USH, UNAFO, UNAHJ, FAS.


 


 

Hébergement à l’hôtel :
le 115 démuni face à l’urgence

par Margaux Dzuilka, Névil Gagnepain sur https://www.bondyblog.fr/

Chaque nuit, en Seine-Saint-Denis, 12 500 personnes sont hébergées à l'hôtel via le 115. Pénurie de places, explosion des demandes… Le dispositif d'accueil est en crise. Dans une série de trois articles, le Bondy Blog retrace le parcours de familles pour qui l’hôtel est le dernier rempart à la rue. Premier volet : immersion dans le centre d’appel du 115 à Montreuil.

Sur le plateau d’écoute d’Interlogement 93 à Montreuil, les conversations s’enchaînent et se ressemblent : « J’ai relancé votre demande Monsieur, il faut rappeler demain à partir de 6h », « C’est normal Madame, au bout de 3h, ça coupe, il faut renouveler votre appel », « On sait que c’est dur, mais on n’a pas de disponibilité cet hiver ». Ce soir-là, aucun appelant ne trouvera de place au chaud. Dans le département le plus pauvre de France métropolitaine, les 12 500 places en hôtel sont déjà saturées.

2 000 appels de détresse par jour

Chaque jour en Seine-Saint-Denis, 2 000 personnes contactent le 115 pour tenter de trouver une place à l’hôtel ou en centre d’hébergement. Au bout de longues heures d’attente, seuls 15% d’entre eux parviennent à avoir un interlocuteur au bout du fil. De l’autre côté de la ligne, 24 employés se relaient jour et nuit pour répondre à ces appels de détresse. « Avec les difficultés de recrutement et le problème du turnover, ils sont plutôt 17, ça fait en moyenne 8 appels par heure pour chaque écoutant », calcule Corentin Bourgeaux, responsable du pôle 115 mise à l’abri pour Interlogement 93.

Avec la loi anti-squat, on s’attend à ce que la demande explose

Depuis 2010, Interlogement 93 (fédération de 42 associations de lutte contre l’exclusion sociale et la précarité) répond pour le compte de l’État au 115, le numéro d’hébergement d’urgence. « Depuis trois ans, on observe une augmentation de 10% des demandes chaque année. Avec la récente loi anti-squat, qui vise à faciliter les expulsions locatives des ménages déjà en difficulté, on s’attend à ce que la demande explose », s’inquiète Valérie Puvilland. La directrice opérationnelle du 115 de Seine-Saint-Denis rappelle qu’en 2010, il y avait six fois moins de personnes hébergées à l’hôtel.

Une pénurie de place plus violente cette année

« Madame, je suis dehors, sur le trottoir, j’ai trois enfants, j’ai froid, très froid. Ça fait six mois, j’ai appelé plein de fois, j’ai peur. » Au téléphone, une femme, des sanglots dans la voix, appelle à l’aide. Dans la rue, près du marché de Saint-Denis, la famille subit les premières températures hivernales. Malini, l’écoutante, tente de la rassurer, tout en lui faisant comprendre qu’elle n’a pas de solution à lui proposer : « Madame, concentrez-vous sur ma voix. Il faut vous ressaisir : vous êtes la maman, vos enfants ont besoin de vous. »

D’ordinaire chaque hiver dans le département, entre 500 et 1000 places en centres d’hébergement temporaire étaient ouvertes pour faire face à la recrudescence des demandes. Cette gestion au thermomètre a pris fin l’année dernière. L’État a souhaité transformer ces accueils temporaires en structures plus pérennes.

Mais les places promises tardent à voir le jour. Outre la contrainte de trouver du bâti, ces structures nécessitent de former des équipes de travailleurs sociaux, secteur également en tension. « En plus, ces places pérennes sont réservées à certains types de publics », déplore Valérie Puvilland.

Sur les réseaux sociaux, Interlogement 93 a récemment lancé son « calendrier de l’attente » pour alerter les pouvoirs publics sur la « situation dramatique » en Seine-Saint-Denis. La fédération réclame des places de mise à l’abri déblocables immédiatement et de manière inconditionnelle.

Les maraudes comme seul recours

Il faut nous appeler tous les jours Monsieur, c’est important pour que votre demande soit relancée.

Sur le plateau d’écoute, aucune sonnerie ne retentit. Les appellants, signalés sur un logiciel, patientent en file d’attente. Cette fois, c’est un homme qui appelle. Il a deux enfants, de 2 et 4 ans et « passe la nuit avec eux dans la rue » vers la Basilique de Saint-Denis. Anouk*, salariée depuis deux ans, remarque qu’il a appelé, pour la dernière fois, il y a une semaine : « Il faut nous appeler tous les jours Monsieur, c’est important pour que votre demande soit relancée. On va finir par vous trouver une place. »

On ne peut pas rester au même endroit, il faut qu’on bouge pour ne pas mourir de froid.

L’homme explique que ses petits ont froid, que l’un d’eux est malade, qu’il a le ventre qui gonfle. Anouk enclenche immédiatement la demande de maraude auprès des équipes de la Croix-Rouge et du Samu Social. Elle coche : thé, café, kit sanitaire, sac de couchage. « La demande a été envoyée, mes collègues passeront vers 22 heures, restez bien vers la Basilique », conseille Anouk*. « On ne peut pas rester au même endroit, il faut qu’on bouge pour ne pas mourir de froid », lui répond l’homme de l’autre côté du téléphone.

Le « tableur Excel de l’enfer »

« 115 du 93, bonsoir. » Anouk décroche son quatorzième appel de la soirée. Une jeune femme de 19 ans, enceinte de quatre mois. L’appel dure près de dix minutes et se conclut par un « signalement périnate » à la cellule d’Interlogement 93 en charge des personnes prioritaires. Anouk soupire en ouvrant « le tableur Excel de l’enfer ». Sur le fichier, plusieurs onglets et une succession infinie de noms. Il permet aux équipes d’Interlogement 93 de recenser les situations jugées les plus préoccupantes. L’écoutante énumère : « pathologies lourdes, maladies chroniques, bébé de 9 mois, handicap, personne en deuil, sortie de prison… »

En vérifiant que le nom de la jeune fille enceinte de quatre mois figure bien dans ce fichier, Anouk tombe des nues : 146, 153… 200 demandes non pourvues (DNP). L’écoutante s’arrête un temps, ahurie. Elle réalise qu’un appelant a cumulé 200 DNP. Cet homme, qui figure en première ligne du tableau Excel, a donc appelé 200 fois sans qu’aucune solution ne puisse lui être proposée. Jamais à sa connaissance, des appelants n’avaient cumulé autant de DNP.

Une situation difficile à vivre pour les écoutant.es. « Ça nous épuise psychologiquement, on ramène ça chez nous », souffle Malini, en poste depuis 5 ans pour Interlogement 93.

Grâce à nous, 13 000 personnes ne dorment pas dans la rue chaque soir.

Malini a débuté comme travailleuse administrative au sein de la structure et a choisi de devenir écoutante par conviction. Après un mois de formation interne, chacun.e des écoutant.e enchaîne les communications, sur des plages horaires de 7 heures, le jour ou la nuit. « C’est pénible la nuit… Enfin la journée aussi. Mais j’aime ce travail, je me dis que grâce à nous, 13 000 personnes ne dorment pas dans la rue le soir », se rassure Anouk en reposant sa tasse de café.

Des files d’attentes sans fin

48 appels en attente… La file affichée sur l’un des deux écrans d’Anouk* ne désemplit pas : 1h19 à patienter pour les appelants, affiche le logiciel. « Quand ça arrive à 100 appels, je speed un peu, admet-elle. Mais je préfère prendre moins d’appels et passer plus de temps avec chaque famille, sinon c’est inhumain. »

Chaque jour dans le département, le numéro d’urgence sonne dans le vide pour près de 1 700 personnes. En 2021, 87 481 demandes effectuées n’ont pas pu être pourvues, selon le rapport annuel d’Interlogement 93. Sans compter le pourcentage étourdissant de non-recours. Corentin Bourgeaux rappelle que « plus de 70% des hommes seuls à la rue ne prennent même plus la peine de nous appeler ». Enième preuve, s’il en fallait, que le système est à bout de souffle.


 


 

Face à l’hébergement d’urgence,
le gouvernement à la rue

Kareen Janselme sur www.humanite.fr

Trente-neuf associations dénoncent « une année noire » pour les personnes mal logées ou sans abri, avec la crise énergétique et des décisions gouvernementales qui aggravent la situation.

«  Urgence » grand froid, manque d’hébergements d’urgence »… Il faut agir impérativement, alertent les 39 membres du Collectif des Associations Unies (CAU), alors que le thermomètre ne cesse de baisser et que les plans grand froid s’égrènent dans les départements. « Le 5 décembre dernier, 5400 personnes ont appelé le 115 sans obtenir de logement ou d’hébergement d’urgence, et parmi eux, 1346 enfants », déplore Nathalie Latour, la directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). En Seine-Saint-Denis, entre 1500 et 2000 appels saturent quotidiennement la plateforme téléphonique 115. « Seuls 350 à 500 appels sont décrochés par nos écoutants », regrette Valérie Puvilland, directrice du SIAO (Service intégré de l’accueil et de l’orientation) de Seine-Saint-Denis. « Le taux de non-recours était de 70 % en juin dernier, reprend-elle, et de 85 % pour les hommes seuls, car on remarque une augmentation massive des demandes venant de familles. Toutes ces personnes qui n’arrivent pas à nous joindre deviennent invisibles, avec une situation de précarité s’étalant sur des années. Il devient alors très difficile pour elles d’en sortir. 130 places grands froids ont été ouvertes et pourvues mardi 13 décembre mais ces personnes seront de retour à la rue lundi prochain... ». 

« Les citoyens se substituent au principe de solidarité inscrit dans la loi. C’est totalement inédit et dramatique »

Le  ministre du Logement, Olivier Klein, s’était engagé à ce qu’il n’y ait pas « d’enfants à la rue cet hiver ». Promesse non tenue. Déjà, de janvier à septembre 2022, la Fédération des acteurs de la solidarité avait constaté leur multiplication par deux. Face à l’imposant nombre de familles sans abri, le collectif citoyen Jamais sans toit est né à Lyon en 2014. Depuis, il fédère des dizaines de comités de soutien et héberge des familles, la nuit, dans des établissements scolaires. Plus de 500 enfants ont été ainsi mis à l’abri et le réseau s’étend désormais à d’autres villes : Grenoble, Rennes, Saint-Nazaire, Strasbourg, certains arrondissements de Paris… Une situation qui se voulait temporaire pour héberger et alerter les collectivités. Mais « l’État et les villes se satisfont que les citoyens viennent en aide aux familles, s’indigne Raphaël Vulliez , enseignant et membre du collectif.  Les citoyens se substituent au principe de solidarité inscrit dans la loi. C’est totalement inédit et dramatique. Lyon et Strasbourg se demandent d’ailleurs s’ils ne vont pas attaquer l’État en justice ».

« Bombe Sociale »

La solidarité n’est pas le seul principe qui recule. Les associations pointent aussi la circulaire du 17 novembre du ministre de l’Intérieur, qui demande aux préfets de suspendre la prise en charge de personnes concernées par des obligations de quitter le territoire ( OQTF). « La circulaire Darmanin va directement à l’encontre du principe d’inconditionnalité du recours à l’hébergement d’urgence », insiste Valérie Puvilland. Par ailleurs, dans un contexte de raréfaction des logements sociaux, d’une inflation galopante, les associations redoutent une hausse des expulsions suite à l’initiative parlementaire, début décembre, contre les squatteurs. Il ne s’agit pas seulement, via la proposition de loi, de criminaliser et punir d’emprisonnement l’occupation de domicile avec défaut de paiement, mais aussi celles de hangars ou autres abris désaffectés. Les 39 associations soulignent une « incohérence avec la politique de prévention des expulsions et le plan ’Logement d’abord’ mis en place par le gouvernement » car « l’adoption de cette loi contreproductive pourrait provoquer un engorgement de la justice et un accroissement du nombre d’expulsions locatives. Nos associations demandent instamment au Parlement de ne pas poursuivre sur ce chemin honteux  ».

Enfin, la hausse des prix de l’énergie de 15 % risque d’avoir un effet délétère sur les plus précaires. « Les conséquences de la hausse du prix de l’énergie risquent d’être très compliquées, notamment dans les foyers dépendant d’un chauffage collectif », alerte Manuel Domergue. Le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre remarque que « les appels de charges ont doublé : les copropriétés fragiles peuvent être mises en difficulté si les impayés de charges se multiplient. Et la hausse du taux du Livret A pourrait priver les bailleurs sociaux de moyens ».  Le modèle économique des centres d’hébergement, accueils de jour, résidences sociales, foyers de jeunes travailleurs ne leur permet pas non plus d’endosser cette hausse tarifaire sans dommages.

Face à la « bombe sociale » qui s’annonce, les 39 associations réclament une politique structurelle ambitieuse et la fin d’un « stop and go permanent » du gouvernement au gré du thermomètre.

publié le 4 décembre 2022

Coupures d’électricité :
les zones d'ombre de la circulaire envoyée aux préfets

Florent LE DU sur www.humanite.fr

L'exécutif a envoyé une note aux préfets pour préparer de possibles délestages à partir de janvier qui pourraient concerner 60 % de la population. Écoles, services publics, transports, internet... Plusieurs points devront vite être éclaircis pour éviter le chaos.

Dans un style très macronien, Olivier Véran résume la situation : « Ça ne veut pas dire qu’il y aura des coupures. Ça veut dire attention (…), on pourrait être amenés à rencontrer des situations obligeant à couper pendant une heure ou deux l’électricité », a déclaré jeudi le porte-parole du gouvernement.

L’exécutif annonçait la veille l’envoi aux préfets d’une circulaire pour préparer d’éventuelles coupures programmées d’électricité, qui pourraient concerner 60 % de la population. Alors qu’une pénurie d’énergie pourrait se profiler en janvier, un plan pour « éviter le black-out » a été élaboré afin de permettre si besoin des coupures temporaires, appelées délestages. Aucun site critique (pompiers, hôpitaux…) ou client prioritaire ne serait concerné, comme les patients dépendants d’un équipement médical à domicile.

6 millions de personnes potentiellement touchées en même temps

Ces délestages de deux heures au maximum sur un même territoire, pouvant toucher simultanément 6 millions de personnes, seraient rendus nécessaires par la conjonction de plusieurs facteurs. « On ne couperait que si le froid se confirme, qu’on a un problème de production ou d’interconnexion avec les pays voisins et si la consommation ne baisse pas », a précisé le gouvernement.

Ces coupures, qui auraient lieu uniquement au moment des pics de consommation, entre 8 heures et 13 heures le matin, et entre 18 heures et 20 heures le soir, concerneraient aussi bien des services publics, les entreprises que les particuliers. Via Internet, un « signal Ecowatt rouge » serait émis trois jours avant la coupure possible. Puis, la veille, à 17 heures, arriverait la confirmation que l’électricité sera coupée à 8 heures le lendemain. « L’idée est que personne ne soit surpris », souligne le gouvernement. Personne, sauf ceux qui n’ont pas accès à Internet, alors que la fracture numérique concerne 17 % de la population selon l’Insee.

Une possible fermeture des écoles

Avec cette circulaire, la tâche laissée aux préfets paraît ardue, tant les zones d’ombre sont nombreuses. Notamment pour les services publics, alors que des collectifs d’usagers commencent à se mobiliser. Pour une école concernée par un délestage, il est prévu une fermeture le matin, puis un accueil pour le repas du midi et l’après-midi. Mais les questions de la cantine sans électricité, des transports scolaires dans les milieux ruraux, de la garde des enfants le matin, des internats n’ont pour l’heure aucune réponse.

Le gouvernement est également flou sur les coupures des réseaux Internet, sur la continuité des réseaux de trains et de métros, sur l’accès aux numéros d’urgence… Dans sa communication, il veut ménager la population pour ne pas provoquer la pagaille. Elle sera inéluctable, si ce plan reste aussi vague en janvier.

 publié le 1° décembre 2022

Les coupures d'électricité non ciblées, ce sont les inégalités aggravées

Maxime Combes sur https://blogs.mediapart.fr/

Le gouvernement prévoit de possibles coupures d'électricité cet hiver : j'ai vraiment hâte de voir comment seront justifiées l'annulation de trains et la fermeture d'écoles pendant que les remontées mécaniques de Megève ou Courchevel continueront à fonctionner. Non ciblées sur les activités « non essentielles », ces coupures d'électricité pourraient aggraver les inégalités.

Le gouvernement prévoit de possibles coupures d'électricité cet hiver. Dans de nombreux d'articles de presse du jour, vous lirez que ces coupures pourraient concerner jusqu'à 60% de la population. Vous y lirez aussi qu'il pourrait être « déconseillé de monter dans un ascenseur ou de prendre sa voiture en cas de coupure en soirée ». « Ascenseur et feux de circulation pourraient ne pas fonctionner ». « Pour éviter que des trains ne soient bloqués deux heures au milieu d’une voie », la SNCF pourrait supprimer des trains, car le système de signalisation, relié au réseau général, pourrait être coupé.

Mieux. Des écoles pourraient être fermées le matin. Et vous n'avez pas la garantie à ce stade que les numéros d'urgence seront accessibles partout et tout le temps. Rassurez-vous néanmoins puisque les hôpitaux, prisons, casernes de pompiers, gendarmeries, commissariats et voisins immédiats de ces édifices resteront alimentés : vous ne pourrez peut-être pas appeler les secours, mais vous pourrez courir aux urgences. On nous promet que les coupures pourraient avoir lieu entre 8 heures et 13 heures et entre 18 heures et 20 heures mais qu'elles ne dureront pas plus de deux heures consécutives et qu'« une même zone ne sera pas délestée deux fois de suite ».

Hors infrastructures vitales et de sécurité, il semble donc n'y avoir aucune réflexion sur l'utilité sociale, économique et écologique des activités qui pourraient ne plus être alimentées.

J'ai hâte. Oui, j'ai hâte de voir comment seront justifiées l'annulation de trains et la fermeture d'écoles pendant que les remontées mécaniques de Megève ou Courchevel continueront à fonctionner.

Hâte de voir la piscine en plein air chauffée à 28°C du Lagardère Paris Racing dans le 16ème à Paris (quartiers riches) continuer à distraire ses membres sélectionnés quand les ascenseurs des tours des quartiers populaires d'Aubervilliers, Bobigny, Clichy-sous-Bois, Grigny seront arrêtés.

Hâte aussi de voir l'aéroport de Roissy-CDG continuer à fonctionner quand la Ligne 13 du métro à Paris sera mise à l'arrêt.

Hâte enfin de voir comment sera justifiée l'absence de courant en début de soirée dans une petite ville pendant que le stade de foot, le gymnase et le cours de tennis de la ville d'à-côté pourront continuer à éclairer des mecs tapant dans un ballon ou une balle. (précision : taper dans un ballon, c'est cool).

J'ai hâte, oui. Vraiment hâte, tellement je n'en reviens pas. Tellement tout cela me met en colère. Pour trois raisons au moins :

1) Ce possible rationnement imposé de l'accès à l'électricité que nous allons devoir supporter ne vient pas de nulle part. Il serait trop facile d'en reporter la seule responsabilité sur Vladimir Poutine et sa guerre en Ukraine. Que l'on soit clair : Poutine est un criminel et cela fait des années que nous le savons. Mais ce rationnement imposé à des populations qui ne sont pas préparées est directement le résultat de l'incurie de gouvernements actuels et passés qui ont été incapables de mettre en oeuvre une politique de transition énergétique qui aurait réduit nos besoins et nous aurait affranchi de nos dépendances fossiles et géopolitiques.

On ne le rappellera jamais assez : si les objectifs du Grenelle de l'Environnement (2008) en matière d'isolation des bâtiments avaient été tenus, nous économiserions l'équivalent du gaz que nous importions de Russie avant le début de la guerre en Ukraine. Quand on constate que le gouvernement vient de rejeter les propositions visant à augmenter les crédits dévolus à la rénovation énergétique des bâtiments, avec pour conséquence le fait qu'on va moins isoler de logements en 2023 qu'en 2022, on comprend qu'aucune leçon n'en a été manifestement tirée.

2) Puisque ces mesures de rationnement imposé semblent inéluctables, leur mise en œuvre devrait s'appuyer sur un débat public démocratique de qualité pour savoir où, quand et comment les appliquer. A la place, nous avons l'alliance d'une technocratie d'Etat et d'un gouvernement enfermé dans sa tour d'ivoire en charge de prendre des décisions qui ont des répercussions sur l'ensemble d'entre nous et pour lesquels ils n'ont reçu aucun mandat. Quelle légitimité auront ces décisions ?

3) Ce plan de rationnement de l'électricité vient après un plan de sobriété fondé sur des engagements volontaires et des incitations non contraignantes, qui faisait l'impasse sur l'essentiel : stopper les productions superflues ; réduire les inégalités ; financer les services publics (transports...) et isoler les logements. Nous l'avions résumé ainsi : 1) La sobriété sans égalité, c'est l'austérité pour les plus pauvres ; 2) La sobriété sans interdiction des activités nocives, c'est une politique de classe qui s'affirme ; 3) La sobriété sans services publics, c'est l'austérité pour la majorité ; 4) La sobriété sans isolation généralisée, c'est la précarité énergétique prolongée.

Impréparation. Incurie. Eloignement. Illégitimité. Contradictions et impasses multiples : n'avons-nous pas déjà vu ce film ? En est-on réduit à espérer que l'hiver ne soit pas trop froid ?

publié le 18 novembre 2022

Violences
faites aux femmes :
le gouvernement,
toujours pas à la hauteur

Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce.fr/

Samedi 19 novembre, la manifestation contre les violences faites aux femmes, organisée par le collectif Nous Toutes aura lieu pour la cinquième fois. Si d’année en année, les participantes et participants sont chaque fois plus nombreux, le problème ne semble pas considéré à sa juste valeur par les pouvoirs publics. La faute à un budget insuffisant.

 « Il y a des choses qui ont changé, mais ce n’est pas suffisant ». En évoquant les maigres progrès accomplis dans la lutte contre les violences de genre, Diane Richard est amère. Depuis 2018, le collectif Nous Toutes dont elle est l’une des coordinatrices nationales, organise une manifestation, en amont de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes qui a lieu le 25 novembre. Alors qu’il s’agira cette année de la cinquième édition, le bilan qu’elle dresse de l’action du gouvernement sur ce sujet est peu flatteur.

Des lois ont certes été votées, notamment pour mieux accompagner les victimes. Mais elles restent insuffisamment appliquées. « Par exemple, 4 femmes sur 10 demandant un hébergement d’urgence n’en ont pas », rappelle-t-elle d’emblée.

Ce qu’Emmanuel Macron avait présenté comme la « grande cause du quinquennat » ne paraît pas justifier qu’on y accorde suffisamment de moyens. Selon l’association Nous Toutes, 2 milliards d’euros seraient nécessaires pour lutter contre les violences faites aux femmes. Mais pour Diane Richard, le compte n’y est pas du tout. Or, « Ce qu’il faut pour appliquer une loi, c’est du budget et de la volonté », souligne-t-elle.

Des services publics en détresse, des violences qui continuent

Louise Delavier, responsable des programmes pour l’association En Avant Toutes, dresse le même constat. « Il y a eu beaucoup de communication sur le sujet de la part de l’État. Le côté positif, c’est que cela anime le débat public à ce niveau et que cela permet un meilleur financement des associations. Mais la plupart des services manquent de personnel. Il y a un appauvrissement du service public ».

Faute de moyens, les actions de sensibilisation de son association dans les établissements scolaires, sont difficiles. « Les professeurs n’ont pas le temps pour ce sujet, et on ne peut pas les en blâmer ! », regrette-t-elle. Depuis 2001, une loi impose trois séances d’éducation à la sexualité par an. « Mais ce n’est pas appliqué puisqu’il n’y a que 13 % des séances qui sont véritablement dispensées », souligne Diane Richard.

Ce manque de moyens a également des conséquences sur la prise en charge des victimes. « Dans les hôpitaux, les médecins ont moins de temps avec les patientes et donc moins de temps pour repérer des signes », s’agace Louise Delavier.

La violence au travail, autre grande oubliée des politiques publiques

Sur leur lieu de travail, les femmes sont loin d’être épargnées par la violence. « 30 % des femmes sont victimes de harcèlement sexuel au travail » pointaient les autrices d’unhttps://rapportsdeforce.fr/pas-de-cote/violences-femmes-gouvernement-pas-a-la-hauteur-111815285e tribune parue dans Libération en juin 2021. Elles y soulignaient que « 70 % des victimes de violences au travail déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur. Et pour cause, quand elles le font, 40 % estiment que la situation s’est réglée en leur défaveur, par une mobilité forcée, voire un licenciement ». Elles proposaient ainsi plusieurs mesures concrètes comme l’interdiction du licenciement des victimes de violences conjugales, une augmentation des moyens attribués aux référents harcèlement ou des aménagements d’horaires pour permettre à ces femmes d’effectuer des démarches juridiques ou sociales.

Un an et demi plus tard, la situation ne semble pas avoir évolué. « On peut republier la tribune telle quelle », s’insurge Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT en charge de l’égalité femmes-hommes. Pire : l’une des maigres consolations des signataires de la tribune paraît s’être envolée. À l’époque, le gouvernement travaillait en effet sur un projet de loi visant à ratifier une convention de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) pouhttps://rapportsdeforce.fr/pas-de-cote/violences-femmes-gouvernement-pas-a-la-hauteur-111815285r lutter contre les violences faites aux femmes dans le cadre du travail. Le texte enjoignait ses signataires à « respecter, promouvoir et réaliser le droit de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement ». Cette ratification était avant tout symbolique puisque le gouvernement n’envisageait pas de modifier la loi pour atteindre ce but, considérant qu’à moyen égal, l’objectif pouvait être rempli. Mais finalement, l’effort a dû lui sembler encore trop important : « il n’est même pas allé jusqu’au bout du processus de ratification ! », s’exaspère Sophie Binet.

En 2022, 110 femmes ont été assassinées en raison de leur genre, selon le Collectif Féminicides, qui a entrepris un recensement de ces meurtres. Dans l’immense majorité des cas, le meurtrier était un compagnon ou un ex-compagnon de la victime. Des manifestations auront lieu dans toute la France ce samedi 19 novembre. À Paris, le rendez-vous est donné à la place de la République à 14 h.

A Montpellier, la manifestation est à 14h30 sur la Comédie

publié le 9 octobre 2022

Amine Kessassi, à 18 ans,
sur tous les fronts
pour les quartiers nord

Lola Ruscio sur www.humanite.fr

Ce gamin du Frais Vallon, cité ravagée comme tant d’autres à Marseille par la criminalité, a fondé l’association Conscience avec un objectif : « que plus une maman ne pleure la mort de son enfant ». Et un mot d’ordre, l’action. Éducation, sécurité, logement, santé, culture... Amine ne lâche rien.

À l’heure où la chaleur s’intensifie dans les rues de Saint-André, un quartier populaire du 16e arrondissement marseillais, des femmes se réunissent dans le local de l’association Conscience. Elles arrivent de plusieurs coins des cités Nord de Marseille, bouillonnantes d’énergie et d’idées, mobilisées pour tenir leur permanence.

Une mauvaise nouvelle interrompt soudainement la conversation. « Vous avez entendu la dernière ? » demande l’une d’elles en sortant son téléphone portable de sa poche de jean. Elles hésitent. Sûrement une énième fusillade ou un énième décès sur fond de trafic de stupéfiants.

Ici, le sujet est particulièrement sensible. Elles ont toutes perdu un fils, un cousin, un proche, une connaissance. Souad, la soixantaine, baisse la tête et témoigne : « Il y a quelques années, mon fils et mon mari ont disparu. C’est dur ce qu’on vit, on se sent seules, abandonnées. »

« J’en veux beaucoup aux narcotrafiquants qui montent les jeunes les uns contre les autres. Jamais je n’aurais imaginé qu’on aurait tué Brahim en le brûlant. »

Amine Kessaci, 18 ans, le visage juvénile, nous fait visiter les locaux de la structure qu’il a fondée cinq ans auparavant. Le projet Conscience, dans un premier temps tourné vers l’écologie, concentre désormais l’essentiel de ses missions sur la lutte contre la précarité et la criminalité qui pourrissent la vie dans les quartiers Nord.

Une évidence après la mort de son frère aîné, Brahim, retrouvé calciné dans le coffre d’une voiture en 2020. « On était très proches, il venait me chercher chaque jour à la sortie de l’école, se souvient Amine Kessaci. J’en veux beaucoup aux narcotrafiquants qui montent les jeunes les uns contre les autres. Celui qui a tué mon frère était son ami. Jamais je n’aurais imaginé qu’on aurait tué Brahim en le brûlant. » Un séisme qui a changé sa trajectoire, le plongeant d’abord dans une profonde tristesse, avant de forger son engagement et sa détermination.

« La solution viendra des femmes »

Le jeune homme se demande alors comment les habitants peuvent s’opposer tous ensemble à ce fléau qui brise des vies. Car « rien n’est fait pour aider les familles, regrette-t-il. Très souvent, les mamans en prennent plein la tronche, on les culpabilise en disant que si leur enfant est devenu un narcotrafiquant, c’est parce qu’elles l’ont mal élevé. C’est insupportable à entendre. »

Loin des clichés, son association part à la rencontre des familles endeuillées. « On présente nos condoléances, on discute. Souvent, elles n’ont pas beaucoup de ressources économiques et ne savent pas vers qui se tourner. Nous, on les met en contact avec des psychologues, des avocats, on les invite à se porter partie civile pour avoir accès aux pièces du dossier », explique-t-il depuis son bureau.

Un ordinateur, quelques pochettes colorées de dossiers à suivre, une photo de lui gamin, rien d’autre n’encombre son espace de travail. Une phrase placardée sur la porte de la pièce révèle sa philosophie de vie : « La meilleure manière de commencer, c’est d’arrêter de parler et de s’y mettre. »

Le jeune homme tient à l’idée que les familles s’investissent dans l’association. « Les mamans sont les piliers de Conscience, elles font partie du conseil d’administration, mènent des maraudes, des distributions alimentaires, assistent aux réunions, donnent leur avis sur tout. Elles s’expriment par elles-mêmes et pour elles-mêmes. C’est essentiel, sinon on passe complètement à côté des enjeux. La solution viendra des femmes », pense-t-il. Amine Kessaci pose ici les fondations d’un mouvement de fond.

Ce sera long, bien sûr. Tout juste majeur, le jeune homme n’a qu’un bac pro gestion et administration, mais passe son temps libre à se cultiver – « je lis chaque soir de 22 heures à 1 heure du matin » – et s’investit pleinement dans l’associatif. Amine Kessaci rencontre une cinquantaine de familles sur la seule année 2020, écoute d’interminables récits d’habitants confrontés au deal, développe une dizaine d’antennes à travers la France, au point de compter à ce jour 1 700 adhérents. C’est un engagement à plein temps, parfois ingrat, mais le militant sait que la lutte contre le trafic de drogue ressemble à un casse-tête chinois.

Pour les travaux pratiques, il suffit de se rendre à la cité des Micocouliers (14e arrondissement marseillais), tristement connue pour ses guerres de territoires. « Depuis un mois, il y a des tirs chaque semaine », déplore Amine Kessaci, en garant sa voiture à l’entrée de la cité, à quelques mètres du rond-point où les guetteurs ont leurs habitudes. Récemment, des tirs ont sidéré les habitants du quartier. Le choc est encore palpable.

Soraya Larbi, éducatrice, membre de l’association de défense des locataires, commence par nous montrer les impacts de balles sur une voiture. Avant de lâcher, très énervée : « Les gens ont peur, ils n’osent même plus sortir de chez eux. Regardez les conditions dans lesquelles on vit ! Il n’y a aucune sécurité, les ascenseurs ne marchent pas, on n’est pas des animaux, on est français, on ne peut pas vivre comme ça ! ».

Les discours de Taubira, un éveil

Misère sociale, logements insalubres, trafics à gogo, etc. Le cocktail est explosif. Une mère de famille veut bien nous parler, mais elle refuse que son nom soit publié. Ici, mieux vaut ne pas faire de bruit, ne pas se mêler des affaires des autres. Direction son appartement dans lequel une fenêtre donnant sur la chambre de sa fille a reçu une balle par ricochet. « Vous imaginez si elle avait été à la fenêtre ce jour-là ? Elle serait peut-être morte ! Je n’ose plus mettre un pied dehors quand ils sont là. C’est pas normal qu’on soit obligés de vivre ça. » L’émotion suscitée par cet événement entraîne une discussion franche dans la cuisine.

Son fils aîné, qui porte un tee-shirt de l’Olympique de Marseille, lance : « Tant que des élus font le boulot, on s’en fout du bord politique. Il faut qu’on retrouve un semblant de vivre-ensemble, la paix. On est contents de voir les CRS, mais ça ne sert à rien de venir une heure et de repartir en laissant le quartier aux mains des dealeurs. » Difficile de lui donner tort : seulement trente minutes après le départ des policiers, un adolescent reprend le poste de guet à l’entrée de la cité.

Dans la voiture qui file à Frais Vallon (13e arrondissement), coincée entre la rocade L2, la quatre-voies de l’avenue Fleming et une colline verdoyante, Amine Kessaci commente, navré, l’emprise du trafic de drogue sur les cités. « Avant, ils se cachaient pour vendre, aujourd’hui ils font ça devant tout le monde. C’est complètement banalisé. » Sur la route, il s’arrête un instant pour saluer une famille qu’il connaît depuis sa tendre enfance. « Le papa va bien ? » lui demande l’homme d’un certain âge. « Oui, il va bien, hamdoulah », répond, chaleureusement, le jeune homme.

Amine Kessaci a grandi dans cette cité des quartiers Nord – « la plus grande de Marseille », répète-t-il, le sourire aux lèvres. Il n’en garde que de beaux souvenirs : « Je passais beaucoup de temps au centre social, j’aidais volontiers les gens à monter leurs courses, et je kiffais de rester avec les mamies pour discuter. » Sa mère, femme de ménage, le déposait, avant de se rendre au travail, devant un établissement scolaire du centre-ville de Marseille. « L’école, la lecture m’ont sauvé », reconnaît-il.

Passionné de politique, il s’imprègne des discours de Christiane Taubira, qu’il apprenait par cœur lorsqu’il était plus jeune. Amoureux des lettres, il se nourrit des ouvrages de Philippe Pujol, Albert Camus, ou encore de Catherine de Médicis.

« Ici, plein de Maghrébins ont voté Le Pen »

Son parcours l’amène à s’investir en politique. Pendant la campagne présidentielle, il a participé au projet « Ta voix compte » avec d’autres jeunes qui ont élaboré une liste de propositions à soumettre aux candidats à l’Élysée. L’objectif est surtout d’inciter les jeunes à voter, en leur disant notamment qu’ils ont « leur mot à dire sur l’avenir du pays », explique Amine Kessaci.

Avec son association Conscience, il a aussi fait la tournée des quartiers Nord pour inscrire les populations sur les listes électorales. Il avait appelé à voter en faveur de Mohamed Bensaada, candidat malheureux de la Nupes dans la troisième circonscription de Marseille, battu au second tour de 2 582 voix par la candidate d’extrême droite Gisèle Lelouis. La victoire du parti de Marine Le Pen à Frais-Vallon ne passe pas. « Le FN, c’est comme ça que je l’appelle, c’est le parti qui a tué Ibrahim Ali, et ça, je ne l’oublierai jamais !» martèle Amine Kessaci, en référence à ce jeune Franco-Comorien abattu en 1995 par des colleurs d’affiches du Front national, à Marseille.

Le militant est inquiet de voir les idées du Rassemblement national imprégner les esprits, y compris dans les quartiers. « Plein de Maghrébins et de femmes portant le voile ont voté Le Pen, car ils sont déçus par la gauche et la droite. Marine Le Pen a fait campagne sur le thème du pouvoir d’achat, et la dédiabolisation du FN a bien fonctionné, voilà qui explique son bon score », s’étrangle le jeune homme.

«Il n’existe plus aucun dialogue entre les habitants des quartiers populaires et la police. Il faut sortir absolument de cette logique de conquête des territoires et retrouver des bases saines. »

Sur les plateaux de télévision, il défend ardemment la légalisation du cannabis et le rétablissement de la police de proximité. « Il n’existe plus aucun dialogue entre les habitants des quartiers populaires et la police. Il faut sortir absolument de cette logique de conquête des territoires et retrouver des bases saines. »

Il voit également les contrôles au faciès comme « le gros problème » à régler. Lui-même a été contrôlé et palpé pour la première fois « à l’âge de 12-13 ans », alors qu’il était à la Timone avec un groupe d’amis, tous blancs. « J’ai compris ce jour-là qu’Enzo et moi, on n’allait pas avoir les mêmes problèmes dans la vie », raconte-t-il en rigolant aujourd’hui.

Désormais, l’heure est-elle venue pour lui de jouer les premiers rôles à gauche ? Patience. « Les prochaines législatives, c’est dans cinq ans », lâche, confiant, ce membre du parlement de la Nupes. En attendant, Amine Kessaci se mobilise pour organiser, le 15 octobre prochain, une grande manifestation à Marseille, trente-neuf ans après la Marche pour l’égalité et contre le racisme.

publié le 15 juillet 2022

Mirage du geyser

par Antonin Amado sur www.politis.fr

Face aux phénomènes météorologiques extrêmes, les services de l’État font défection

Les canicules charrient désormais leurs lots de clichés, inlassablement ressassés sur les chaînes d’infos en continu : dans les quartiers pauvres, de jeunes adultes et quelques adolescents, écrasés de chaleur dans des paysages urbains pollués et dénués de verdure, déverrouillent des bouches à incendie. Les geysers qui jaillissent immanquablement sont l’occasion de filmer quelques belles images qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Sur les plateaux de télévision, des « spécialistes » autoproclamés viennent déplorer le gâchis et « l’ensauvagement » de ces « gens-là » qui « décidément ne respectent rien ». S’il est inutile et absurde à tous points de vue d’ouvrir ainsi ce type de vannes sur la voie publique, la nature de cette dégradation mérite d’être disséquée. Dans les quartiers populaires, les habitants sont désormais confrontés à des situations dangereuses, générées par la mauvaise qualité de leur logement. Le paysage urbain vieillissant n’est pas adapté pour résister à des températures extrêmes, encore moins lorsque celles-ci s’étalent sur plusieurs jours. Qui n’a jamais vécu à plusieurs une canicule dans un appartement exigu et dans lequel les murs de béton mal isolés continuent de diffuser la chaleur en plein milieu de la nuit devrait se garder de tout jugement hâtif.

Face à ces phénomènes météorologiques extrêmes, dont la violence et l’accélération de la fréquence alarment même les spécialistes les plus pessimistes, les services de l’État font défection. Le nouveau ministre de la Santé, François Braun, ne s’est livré à aucune communication sur le sujet. Pas davantage que les services dont il a la charge. Seule ressource à la disposition du public, un communiqué datant du 16 juin dernier publié sur le site Internet du ministère, dans lequel figurent les recommandations de base. Un numéro de plateforme téléphonique y est indiqué : 0 800 066 666. Comble de « malchance », lorsque l’usager tente de joindre le téléservice en question, il découvre qu’il est désormais fermé. On lui suggère alors de… consulter la page web sur laquelle apparaît le numéro qu’il vient de composer, en vain.

Il y aurait pourtant beaucoup à proposer pour aider les plus fragiles à traverser ces épisodes. Par exemple, proposer des lieux publics climatisés réservés à nos anciens, aux personnes malades et aux enfants en bas âge. Ou instaurer un système de veille collective afin que ne se reproduise pas la vague de décès de 2003, encore présente dans les mémoires. En cas de malaise, le gouvernement vous incite à composer le 15, dont le rôle est désormais de filtrer les entrées aux urgences constamment engorgées des hôpitaux publics. La décomposition de notre système de soins s’accélère. Jusqu’à quand l’accepterons-nous ?

publié le 13 juillet 2022

Éditorial. Ouvrir les yeux

Par Laurent Mouloud sur www.humanite.fr

En astronomie, tout est question de profondeur. Profondeur de champ : plus vous scrutez loin dans l’Univers, plus l’image des objets qui vous revient est ancienne. Mais aussi profondeur de vue, tant il est vrai qu’aucune autre discipline scientifique ne parvient à susciter autant de réflexions existentielles. À ce titre, les images spectaculaires et inédites du télescope James-Webb, dévoilées depuis lundi, ouvrent un nouveau chapitre dans la quête perpétuelle de savoirs et de sens qui a toujours guidé l’humanité. Les somptueux clichés montrant des galaxies formées peu après le big bang, il y a plus de 13 milliards d’années, ne peuvent qu’interroger chacun d’entre nous. Ils sont autant un exploit technologique qu’un exercice d’humilité face à l’immensité de notre monde et la place que nous y occupons.

Levez le nez au ciel reste, sans doute, l’une des plus vieilles activités humaines. Que ce soit pour admirer une voûte étoilée, y dénicher un dieu quelconque, se repérer en mer, mesurer le temps, marquer les saisons, savoir planter les graines au moment opportun, l’astronomie a toujours été au cœur de nos sociétés, de ses bouleversements et de ses avancées. Songeons au révolutionnaire Copernic, révélant que la Terre n’était pas au centre de l’Univers, obligeant la science de l’époque et les dogmatismes religieux à s’adapter à cette nouvelle vision du monde, plus complexe, plus réelle. Levez le nez au ciel, donc, pour mieux ouvrir les yeux.

Nul ne sait encore ce que va nous révéler précisément le télescope James-Webb dans les années à venir. Il tentera d’en savoir plus sur les premiers instants de notre monde. Peut-être parviendra-t-il à détecter des signes de vie – végétale ou animale – sur de lointaines exoplanètes ? Cette incertitude fait l’essence même des sciences fondamentales dont l’astronomie est la plus vieille représentante. GPS, scanners, satellites, téléphones mobiles… La recherche sur les étoiles a toujours entraîné dans son sillage nombre de progrès plus terre à terre. À des années-lumière de cet utilitarisme, dont certains veulent parer d’avance toute recherche, ces images à couper le souffle rappellent que l’émerveillement et l’exaltation de mieux se connaître doivent rester le propre de l’Homme.

publié le 11 juillet 2022

Un miroir de la « prolophobie »

par Benoît Bréville  sur www.monde-diplomatique.fr

La Seine-Saint-Denis est le département de France métropolitaine où l’on vote le plus à gauche (la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale y a réalisé un carton plein lors des élections législatives). C’est également celui où l’on s’abstient le plus, celui qui affiche le plus fort taux de pauvreté, la proportion d’immigrés la plus élevée, la plus forte part de logements sociaux…

À l’heure des vacances, certains déboursent des fortunes pour trouver le dépaysement à l’autre bout du globe. M. Éric Zemmour, lui, a juste besoin de se munir d’un ticket de métro. À quelques stations de Paris, il peut ainsi se rendre en Seine-Saint-Denis, un département qui, selon lui, « n’est plus la France ». « Il y a des îlots français, concédait le président du parti Reconquête après les incidents qui ont émaillé la finale de la Ligue des champions de football, à Saint-Denis en mai dernier, mais pour le reste, ce sont des enclaves étrangères », où s’agitent « banlieusards, voleurs, pillards et tutti quanti » et qui « ont largement voté pour Jean-Luc Mélenchon » au premier tour de l’élection présidentielle de 2022  (1). Pour Mme Marine Le Pen, ce département serait d’ailleurs « hors de contrôle », une « zone de non-droit » livrée aux mains de la « racaille ».

En matière de théorie paranoïaque, la Seine-Saint-Denis en a vu d’autres. Elle illustre par exemple, depuis des années, le moindre sujet sur l’« islamisation de la banlieue ». En 2015, sitôt perpétrés les attentats du 13 novembre, Le Figaro Magazine se lance dans une périlleuse enquête « En Seine-Saint-Denis, chez les salafistes » : « Notre reporter a plongé au cœur d’une banlieue, dans un de ces foyers de l’islam radical qui se réclame ouvertement de l’État islamique », précise l’accroche (2). L’hebdomadaire remet le couvert l’année suivante, avec un long article sur l’« islamisme au quotidien » à Saint-Denis, la principale ville du département, rebaptisée pour l’occasion « Molenbeek-sur-Seine », du nom d’une commune de Bruxelles d’où étaient originaires plusieurs des terroristes de 2015. En 2017, c’est au tour de l’émission « Enquête exclusive », sur M6, de s’intéresser à la cité des rois, prise en « étau entre un communautarisme grandissant et une très forte délinquance ». Et en 2018, à celui des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui publient un livre sur L’Islamisation à visage découvert. Une enquête spotlight sur la Seine-Saint-Denis (Fayard). Même les médias étrangers se joignent à la chorale, à l’image du Daily Mail britannique, qui, le 28 juillet 2018, se fend lui aussi d’un reportage sur Saint-Denis, « un État parallèle où l’allégeance à l’islam passe avant la fidélité à la France ».

Cela fait plus de trente ans que l’on soupçonne ce territoire de ne pas appartenir pleinement à la nation. En 1990, de retour d’un « Voyage au cœur des Francs-Moisins » — la « cité » la plus pauvre de Saint-Denis —, un autre journaliste comparait déjà ce quartier à Alger et au ghetto de Los Angeles (3). Évoquant la présence de musulmans — lesquels se reconnaîtraient par leur salut (« une main portée rapidement sur le cœur puis aux lèvres ») —, il s’inquiétait d’« une Intifada aux portes de Paris, qui pousse à crier “Vive Saddam Hussein” ». La Seine-Saint-Denis en a vu d’autres, donc.

« Ça sent Aubervilliers »

Historiquement populaire, ouvrier, immigré, ce territoire cristallise les grandes peurs sociales depuis près de deux siècles. Il concentre les paniques, généralement forgées dans les milieux bourgeois et parisiens, mais qui finissent par gagner de larges fractions de la société. La généalogie de cette stigmatisation commence au moment où la banlieue de Paris, en particulier sa partie nord — qui ne s’appelle pas encore la Seine-Saint-Denis (4) —, se couvre de centaines d’usines. Cette ceinture industrielle et les prolétaires qui viennent y travailler effraient d’emblée le pouvoir. Dès 1830, alors que le phénomène ne fait que balbutier, le préfet de la Seine, Gaspard de Chabrol, avertit le roi Louis-Philippe : « Vos préfets de police laissent bloquer la capitale par une ceinture d’usines. Sire, ce sera la corde qui l’étranglera un jour (5).  » La crainte des faubourgs industriels agitera la bourgeoisie de la capitale pendant près d’un siècle.

Les marges urbaines, alors conçues comme des espaces de relégation où Paris rejette les fonctions qu’il juge indésirables (cimetières, hospices, champs d’épandage, usines…), apparaissent comme des lieux sales, malsains, nauséabonds, dont l’air vicié pervertit les habitants. La « banlieue noire », avec ses fumées épaisses, ses taudis sombres, ses chemins boueux, répugne aux gens de bonne éducation, férus de thèses hygiénistes (6). « Ça sent Aubervilliers », se gaussait-on dans le Paris de la fin du XIXe siècle quand des mauvaises odeurs traversaient la capitale. Saint-Denis était parfois surnommé « Saint-Denis-la-Suie », comme dans ce poème de Fabrice Delphi, en 1907 : « Oui, la suie qui règne en maîtresse / Et qui fait à not’ pauv’ Saint-D’nis / Si blanc jadis, à c’qu’on m’a dit / Un teint ignoble de mulâtresse (7).  » Pour analyser les effets de cette souillure sur l’âme humaine, des médecins et des « enquêteurs sociaux » sont dépêchés sur place, qui reviennent avec le même diagnostic, assimilant « classes laborieuses » et « classes dangereuses » (8).

C’est ainsi que s’impose, à l’aube du XXe siècle, le mythe des apaches, sobriquet donné aux jeunes voyous qui vivent au pied des fortifications et que la police s’emploie à rejeter hors de la capitale. « La sécurité fait défaut. Elle fait défaut, au moins, dans les grandes villes et dans leurs banlieues. Les apaches y règnent en maîtres. Les apaches sont rois », s’alarme le très populaire Petit Parisien, le 7 avril 1907. Dans ce numéro, la rubrique « Autour de Paris », qui se délecte chaque jour de faits divers sordides, indique : « Saint-Denis. Mlle Gross, couturière, demeurant passage Choiseul, suivait hier matin la rue de la Fromagerie. Soudain, un homme se précipita sur elle et la frappa à l’abdomen d’un coup de couteau. » Le lendemain, dans la même rubrique : « Saint-Denis. Des cambrioleurs se sont introduits, la nuit dernière par escalade, dans l’usine Ternois. » « Castrons les apaches ! », préconisait le docteur Viaud-Conand, dans la Chronique médicale, en 1909 : « La collectivité humaine a le devoir de se protéger contre ces horribles déchets humains et surtout contre la descendance de ces procréateurs dégénérés » (9).

À partir de l’entre-deux-guerres, la peur de la banlieue industrielle, poisseuse, puante et mal famée laisse place à (ou se chevauche avec) une nouvelle angoisse : la « banlieue rouge », qui ferait planer le spectre révolutionnaire sur la capitale. Lors des élections législatives de 1924, le tout jeune Parti communiste français (PCF) crée la surprise en séduisant 26 % des inscrits en Seine-Banlieue et 24,2 % en Seine-et-Oise, pour un total de neuf élus. Le 13 mai, Paul Vaillant-Couturier s’exalte dans L’Humanité : « C’est autour de Paris une large tache rouge qui s’étend. La victoire révolutionnaire, au point de vue stratégique, est incontestable. Paris, capitale du capitalisme, est encerclé par un prolétariat qui prend conscience de sa force ; Paris a retrouvé ses faubourgs ! » Le thème de l’encerclement communiste sera dès lors ressassé, non seulement par le PCF — pour mobiliser ses partisans et effrayer ses adversaires —, mais aussi par l’intelligentsia bourgeoise, subitement emportée par la « psychose d’une Commune banlieusarde à la mode bolchevique », selon l’expression de l’historien Jean-Paul Brunet (10).

Tandis que le PCF confirme son implantation en banlieue — il contrôle, au milieu des années 1930, plus de cinquante municipalités en région parisienne (Bobigny, Saint-Denis, Saint-Ouen, Ivry...) —, de nombreux auteurs exploitent ce filon angoissant. C’est le cas de Gustave Gautherot, avec Le Monde communiste (SPES, 1925), ou d’Édouard Blanc, avec La Ceinture rouge. Enquête sur la situation politique, morale et sociale de la banlieue de Paris (SPES, 1927), dans lequel l’auteur évalue à 300 000 le nombre de « Moscoutaires » tapis en Seine-Banlieue et prêts à prendre les armes (le PCF n’y compte alors que 15 000 membres) (11). Le père Pierre Lhande fait quant à lui sensation dans les milieux catholiques avec son Christ dans la banlieue (Plon, 1927), dont il vend des centaines de milliers d’exemplaires. Dans un récit digne d’un missionnaire, le « reporter-jésuite » s’inquiète de la propagation des idées communistes dans le monde ouvrier. « Il faut avoir vu, écrit-il pour décrire les bistrots banlieusards, à travers les vitres embuées des estaminets, ces masques figés de travailleurs se serrer autour de la table de planches, ces mentons volontaires empaumés dans la main calleuse, ces regards où flamboie la double hallucination d’un alcool non contrôlé et des visions brutales du Grand Soir évoqué par l’orateur. »

Cette psychose, qui culmine dans l’entre-deux-guerres, s’estompe pendant les « trente glorieuses », alors même que le PCF renforce sa présence autour de la capitale. Mais la banlieue parisienne, théâtre de mutations urbaines brutales, n’en finit pas d’inquiéter. À la manière des cheminées d’usine au XIXe siècle, des « grands ensembles » y poussent comme des champignons, en particulier dans les banlieues ouvrières et communistes de l’actuelle Seine-Saint-Denis. Des barres et des tours, fruits de l’industrialisation et de la rationalisation du secteur de la construction, ainsi que d’un financement massif du logement social. Après une courte période d’engouement, pendant laquelle on s’ébahit devant ces immeubles rectilignes, symboles de modernité, des critiques ne tardent pas à apparaître, conférant à la banlieue parisienne son image de « banlieue grise », celle du béton et de l’ennui.

Le magazine Science et Vie inaugure la mode médiatique dès septembre 1959, avec un article intitulé « Psychiatres et sociologues dénoncent la folie des grands ensembles ». L’expression « cages à lapin » se répand. Journalistes, chercheurs et dirigeants politiques se mettent à dénoncer un urbanisme pathogène, où la monotonie du bâti, la séparation entre lieux de vie et de travail, l’absence d’espaces de loisirs et de lieux de rencontres produiraient, en particulier chez les femmes, fatigue, accablement, isolement et dépression. Cette maladie des villes modernes trouve rapidement un nom, popularisé en 1963 par une série d’articles de France Soir sur « Le mal des grands ensembles » : la « sarcellite ».

Présenté comme un modèle au moment de sa construction, le grand ensemble de Sarcelles (plus de dix mille logements, dans l’actuel Val-d’Oise) focalise en effet les premières critiques. Le 14 janvier 1960, Le Figaro compare ainsi la ville à un « silo à hommes », un « univers concentrationnaire où les gens ne chantent plus ». Cinq ans plus tard, le sujet s’étale à la télévision, dans le magazine « Seize millions de jeunes » (ORTF), qui consacre une émission à « La vraie crise du logement » (4 mars 1965) où Sarcelles se trouve encore une fois présentée comme le symbole de ce nouvel urbanisme déshumanisant : « On est un numéro, on n’est rien, on n’est rien du tout, on est un sur 80 000 », témoigne une habitante (12). Désertée par les hommes qui partent travailler en journée, la banlieue-béton se voit accusée de dépraver les mœurs, de dissoudre les familles, en poussant les femmes à l’adultère ou à la prostitution. Jean-Luc Godard se joue d’ailleurs de ce thème dans « Deux ou trois choses que je sais d’elle » (1967), quand Marina Vlady, résidente de la cité des 4 000 à La Courneuve, fait commerce de ses charmes, par manque d’argent ainsi que par ennui.

Fantasmes sur la Seine-Saint-Denis

Dans les années 1980, à la banlieue pathogène vient se greffer le thème de la banlieue criminogène, produisant délinquance, violence, trafic de drogues… Rapidement baptisé « problème des quartiers », ce thème n’a plus quitté l’actualité. Il s’est même peu à peu enrichi de nouvelles menaces (invasion étrangère, communautarisme, radicalisation religieuse…) que les journalistes adorent illustrer en se rendant en Seine-Saint-Denis. Tout est d’ailleurs bon pour alimenter la machine, même les bons résultats de M. Mélenchon dans ce département lors du premier tour de l’élection présidentielle — 49 % des suffrages, avec des pointes à 80 % dans certains bureaux de vote de cités populaires. Pour La Revue des deux mondes (11 avril 2022), le candidat de La France insoumise (LFI) serait parvenu à conquérir « un vote musulman, notamment en Seine-Saint-Denis et à Roubaix », grâce à « sa nouvelle stratégie islamo-gauchiste ». Ainsi la peur de la banlieue rouge rejoint-elle celle de la « banlieue verte », islamisée, selon une expression chère à l’extrême droite. Il y a dix ans, M. François Hollande avait remporté 40 % des voix au premier tour de la présidentielle dans le département, et 65,3 % au second, mais personne n’avait parlé de « vote musulman » ; on y avait plutôt vu un vote utile pour bouter M. Nicolas Sarkozy hors de l’Élysée.

Depuis deux siècles, les fantasmes accolés à la Seine-Saint-Denis ne se sont jamais réalisés. Les apaches n’ont pas déferlé sur la capitale, pas plus que les ouvriers ivrognes, les communistes hirsutes ou les moudjahidins embusqués dans les cités. Mais ce département de tous les records (plus fort taux de pauvreté de France métropolitaine, plus forte proportion d’immigrés…) continue de fonctionner comme un miroir grossissant des paniques contemporaines, témoignant de la constance d’une « prolophobie » qui dépasse l’origine, la nationalité ou la religion de ses habitants.

(1) Europe 1, 30 mai 2022.

(2) « En Seine-Saint-Denis, chez les salafistes », Le Figaro Magazine, Paris, 20 novembre 2015.

(3) « Voyage au cœur des Francs-Moisins », Le Parisien, 27 novembre 1990.

(4) Ce territoire prend son nom et sa forme actuelle en 1964, à l’occasion du redécoupage de la région parisienne. Auparavant divisée en trois départements (Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne), elle en comptera désormais huit.

(5) Cité dans Jean-Paul Brunet, « Ouvriers et politique en banlieue parisienne », dans Jacques Girault (sous la dir. de), Ouvriers en banlieue (XIXe-XXe siècle), Les Éditions de l’Atelier - Les Éditions ouvrières, Paris, 1998.

(6) Cf. Annie Fourcaut, « Comprendre l’histoire de la Seine-Saint-Denis », dans La Seine-Saint-Denis : des représentations aux… réalités, Actes des rencontres de Profession Banlieue, Saint-Denis, 2002.

(7) Fabrice Delphi, Outre-Fortifs, R. Malot Éditeur, Paris, 1904, www.gallica.fr

(8) Cf. Louis Chevallier, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle, Plon, Paris, 1958.

(9) Cité dans Anne Carol, « Médecine et eugénisme en France, ou le rêve d’une prophylaxie parfaite (XIXe - première moitié du XXe siècle) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 43, n° 4, Paris, 1996.

(10) Jean-Paul Brunet, op. cit.

(11) Annie Fourcaut, Bobigny, banlieue rouge, Les Éditions ouvrières - Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1986.

(12) Camille Canteux, « Sarcelles, ville rêvée, ville introuvable », dans Société & Représentations, vol. 17, n° 1, Paris, 2004.

publié le 3 juillet 2022

« On sera toujours obligé de se battre »

Kareen Janselme sur www.humanite.fr

IVG Des milliers de personnes ont défilé le 2 juillet, en France, pour soutenir le droit à l’interruption volontaire de grossese et réclamer son inscription dans la Constitution.

«L e droit à l’IVG, on s’est battu pour le gagner, on se battra pour le garder. » Des milliers de personnes ont scandé cette phrase, ce samedi, en soutien au droit à l’avortement, mobilisées en France dans plusieurs villes comme Paris. Dans la capitale, 1 500 manifestantes et manifestants (d’après le ministère de l’Intérieur) répondaient ainsi à l’appel du Collectif Avortement en Europe contre la décision de la Cour suprême des États-Unis, qui permet désormais à plusieurs États d’interdire l’interruption volontaire de grossesse. Un demi-siècle de droit effacé.

« En France aussi, ce droit peut être remis en cause, alerte Sarah Durocher, coprésidente du Planning familial, association membre du collectif organisateur. Gratuité, prise en charge, délais : tout pourrait être réduit. Il faut donc ­réaffirmer ce droit fondamental en le constitutionnalisant. Il existe maintenant trois propositions de lois pour inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. Nous, nous voulons un projet de loi pour que le gouvernement s’engage, qu’il aille au-delà de la parole et du symbole politique. »

« Avorter est un droit fondamental » , rappelait la banderole de tête du cortège, en lettres violettes, couleur symbole de la lutte pour les droits des femmes. En première ligne, la députée EELV de Paris et féministe Sandrine Rousseau, portant écharpe tricolore, estimait nécessaire cette inscription dans la Constitution : « Ce sera ainsi plus difficile de supprimer ce droit et c’est un message aux États-Unis, pour que les femmes là-bas sachent que nous sommes solidaires. » Tout au long du parcours apparaissaient des cintres, accrochés à des calicots CGT, cousus plus loin sur des bannières Solidaires ou FSU, pendus à un drapeau PCF, arrimés à un fanion NPA. Brandis par des mains rouge sang, ces outils barbares utilisés par les « faiseuses d’anges » lors des opérations clandestines matérialisaient bien la crainte d’un retour aux âges sombres. Déjà, en Pologne, en Hongrie, en Slovaquie, les femmes ont vu leurs droits rognés. Et l’arrivée en France de 89 élus du Rassemblement national (RN) à l’Assemblée inquiète quant à une possible alliance pour faire reculer les droits reproductifs. « Marine Le Pen a mis la question en débat dans son parti et les hésitations du RN sont déjà une réponse, avertit Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF. On n’hésite pas sur ce droit à l’avortement. Et il faut le faire vivre. Plus de cent centres ont fermé en France depuis dix ans. De nombreuses femmes de milieux populaires n’ont souvent pas accès à ce droit dans notre pays : il faut rouvrir des centres de Planning familial et lutter contre les déserts médicaux. »

« C’est scandaleux, On décide encore à la place des femmes »

Léonie, 21 ans, est venue en groupe. Un groupe mixte, car ce droit « nous concerne tous ». « J’ai avorté il y a un mois et ça me touche encore. Je me dis que si j’étais née aux États-Unis, je n’aurais pas pu avorter. C’est bien de pouvoir vous en parler, je me sens allégée. Ça fait du bien de pouvoir l’assumer. Cette manifestation signifie aussi un retour en arrière. On sera toujours obligé de se battre. » Marion aussi est venue rejoindre des amis, anciens collègues de l’éducation nationale. « C’est scandaleux, s’exclame la sexagénaire. On décide encore à la place des femmes. Aux États-Unis, certaines vont risquer de mourir dans la clandestinité. Et en France, il faut rester bien sûr en alerte vu notre situation politique inquiétante. » Devant elle, Lauranne Garcia-Cousteau milite bénévolement au Planning familial des Hauts-de-Seine. Elle a réalisé un diagnostic territorial sur l’accès à la santé sexuelle alarmant, relevant le manque de professionnels et de moyens des structures publiques empêchant une pleine accessibilité. Mais, sur les réseaux sociaux, c’est la désinformation organisée par les mouvements réactionnaires qui l’épouvante le plus.

Avec la chaleur, les vestes sont tombées. Une femme et sa fille aux tee-shirts jumeaux reprennent des chants. « Ensemble pour la liberté », peut-on lire sur leurs vêtements faits maison où une main aux ongles rouges se termine en symbole de Vénus. « Jade a 7 ans, mais est sensibilisée depuis toute petite, explique sa mère Anaïs. C’est important qu’elle se rende compte que, pour garder ses droits, elle devra militer pour ça. » Occupée par son sac de bonbons, Jade relève la tête et avoue qu’elle « est contente d’être là » parce que « c’est important que les femmes ­décident de ce qu’elles veulent faire et pas que les hommes ». Comme le confirment la majorité des pancartes agitées ce jour-là à Paris, Strasbourg, Lyon, Toulouse, Bordeaux, ­affichant comme slogan : « Mon corps, mon choix ».

Version imprimable | Plan du site
© pcf cellule st Georges d'Orques