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mise en ligne le 18 mai 2025
Scarlett Bain sur www.humanite.fr
Pour Eric May, médecin généraliste et directeur du Centre Municipal de Santé de Malakoff, les deux propositions de lois qui viennent d’être adoptées pour lutter contre les déserts médicaux ne répondent pas aux besoins réels des populations et du maillage du territoire.
Pour lutter contre les déserts médicaux, deux lois ont été votées en première lecture à quelques jours d’intervalles. La première, la loi Garot, défendue par la gauche, adoptée le 7 mai à l’Assemblée nationale, porte le principe de régulation de médecins. La seconde, dite loi Mouiller présentée par la droite, votée le 13 mai au Sénat, défend la notion d’encadrement. Cette dernière est soutenue par le gouvernement, qui a déclenché son examen en lecture accélérée. Membre de l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé (USMCS), Eric May propose une autre voie pour garantir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire.
Quelle est votre position par rapport à la proposition de loi du sénateur Les Républicains Philippe Mouiller ?
Eric May : Ce projet de loi porte la notion d’encadrement et non pas de régulation de l’installation des médecins. Elle ne répond pas aux enjeux et nous amènerait droit dans le mur. Les propositions qu’elle comporte reprennent des éléments du plan d’action élaborée à la hâte par François Bayrou et y ajoutent du flou. Le nombre d’interventions d’un médecin qui s’installerait dans une zone surdotée et qui devrait compenser par une présence chronique dans une zone sous-dotée n’est plus renseigné.
Le premier ministre l’avait fixée à deux jours, ce qui ne répondait déjà en rien aux besoins réels mais au moins une indication était donnée. Cependant, dans tous les scénarios, une présence hachée ne peut répondre ni à la qualité ni à la continuité des soins. Ce projet de loi porte la notion d’organiser la « solidarité » des médecins. Moi, j’appelle cela de la charité. Ce n’est pas ce dont la population a besoin.
Soutenez-vous davantage la proposition de loi transpartisane portée par le député socialiste Guillaume Garot ?
Eric May : La régulation de l’installation des médecins est un passage nécessaire. Il faut arrêter de rester arc bouté sur le principe de la liberté de l’installation dont nous allons fêter les cent ans l’année prochaine. Cette charte des médecins libéraux est datée et a montré les limites de son efficacité, aggravée notamment par le numerus clausus. Au moment où justement les ressources sont rares, la question de leur bonne répartition se pose logiquement et pour une raison simple : l’égalité d’accès aux soins pour les patients sur l’ensemble du territoire.
Mais cette régulation doit aller de pair avec l’organisation des soins de premiers recours sans quoi on continuera de créer des déserts médicaux. En cela dans les deux propositions de loi, il reste un impensé : l’avenir du secteur 2. Ces médecins, le plus souvent spécialisés, pratiquent des dépassements d’honoraire. Ils sont aussi mal répartis sur le territoire : des zones se retrouvent surdotées en secteur 2 et sous-dotées en secteur 1. En réalité, il est question d’un choix de société : celui de développer un réel service public de la santé.
En tant que directeur du Centre Municipal de Santé de Malakoff, vous défendez le maillage du territoire par une offre de soin publique. Selon vous, la simple régulation ne peut être suffisante ?
Eric May : Non, elle est une étape. La solution doit passer par la création de centres de santé public, qui sont des structures pluriprofessionnelles avec obligation de pratiquer le tiers payant et de respecter les tarifs opposables. Il faut que les politiques publiques investissent dans la création d’un service public de santé de proximité pour mailler l’ensemble du territoire. Il ne s’agit pas de s’opposer à la médecine libérale mais de venir compléter ou palier les besoins de la population qui se trouve dans une situation d’urgence.
Le coût de leur création et de leur maintien est un choix. Sans remettre en cause le droit des professionnels de santé à un exercice libéral, il faut dans chaque territoire un centre de santé public en lien avec un hôpital public et des services publics de santé préventive tels que la santé scolaire ou la PMI… Soigner, éduquer, garantir l’accès aux services de santé de qualité : ce sont là les missions de la République. La santé ne peut plus dépendre des choix individuels d’installation ou d’exercice de professionnels de santé. Elle doit faire l’objet d’une organisation fondée sur l’intérêt général, au service de tous, lisible et garantie sur tout le territoire. De par mon expérience, je sais que ce modèle de travail en équipe dans des centres pluridisciplinaires et équipés en conséquence peut séduire de nombreux médecins.
mise en ligne le 15 mai 2025
Ludovic Simbille sur https://rapportsdeforce.fr/
Candidat à l’élection de la présidence de Les Républicains, Laurent Wauquiez a déclaré vouloir limiter le RSA à deux ans et généraliser des heures de travail obligatoire en contrepartie. A rebours de la réalité, cette surenchère droitière intervient alors que la loi plein emploi prévoit dès le 1er juin de suspendre le RSA en cas de non respect des 15 heures d’activités imposées. Et que le Conseil national de lutte contre la pauvreté demande un moratoire.
« C’est à propos du RSA ? Faut aller bosser gratuitement dans les bagnes à saint Pierre et Miquelon ? ». Agathe n’était pas au courant de la dernière déclaration de Laurent Wauquiez sur les titulaires du Revenu de solidarité active avant qu’on ne lui demande son avis. « Mais de manière générale, j’ai juste hâte qu’il arrête de parler », s’exaspère cette auto-entrepreneuse bretonne au Rsa.
En campagne pour la présidence du parti Les Républicains (LR) ne cesse de faire des propositions chocs, reprises par la presse, pour se démarquer davantage vers la droite de son concurrent, Bruno Retailleau. Après avoir invité à rassembler les personnes sous OQTF à Saint-Pierre et Miquelon, le député de Haute-Loire a proposé de sortir du « Rsa à vie » qui coûte 12 milliards d’euros. Ce revenu « doit être une aide temporaire quand on a eu un accident de la vie. Il faut le limiter à deux ans pour les Français qui sont aptes au travail ». Car, « le vrai social, c’est le travail », croit savoir ce fils d’industriels pour qui « il est temps d’arrêter l’assistanat dans notre pays »…
30 à 100 % du RSA suspendu
Comme Agathe, on se serait bien passé de commenter les élucubrations de cette figure de la droite, si elle ne faisait pas des émules, impactant la vie des plus démunis. Dans l’Allier, le département veut également limiter la durée de versement de l’indemnité à 36 mois. Une pétition a même été lancée en faveur « d’une vraie réforme qui favorise le travail ». Tous les départements de droite ont refusé d’appliquer la revalorisation légale de la prestation à 1,7% prévue au 1er avril. Motif ? « On dévalorise le travail », explique le président du Conseil départemental d’Ardèche. « On n’en peut plus : c’est trop ! », s’emportait celui de la Marne.
Ce discours antisocial n’est pas nouveau. Déjà en 2011, le même L. Wauquiez, à qui l’on peut reconnaître une certaine constance, déposait une loi imposant des missions aux destinataires d’aides sociales afin d’éradiquer ce « cancer de l’assistanat ». Presque quinze ans plus tard, ses volontés ont été exaucées par la loi dite du plein emploi. Entrée en vigueur en janvier 2025, cette réforme contraint l’ensemble des éloignés de l’emploi à s’inscrire à France Travail, l’organisme qui remplace Pole Emploi. Et chaque signataire d’un contrat d’engagement réciproque (CER) s’engage à effectuer 15 heures d’activité hebdomadaires pour espérer toucher ses 646, 52 euros… Sous peine de voir cette somme suspendue ou de se voir radié. Attendus pour le 1er juin, les décrets ne sont toujours pas publiés. Mais le journal Le Monde a révélé que 30 à 100 % de l’indemnité pourra être suspendue pendant quatre mois en cas de manquements aux engagements.
Dans un avis du 07 mai dernier, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) alerte sur ce principe de « suspension-mobilisation », prévu par ce nouveau RSA. Cet organisme officiel propose plutôt « d’introduire un premier niveau de sanction qui serait une convocation pour un rappel aux obligations » des allocataires et d’allonger le délai de recours à trente jours, au lieu de dix actuellement. Il signale « le risque de ruptures d’égalité devant le droit ».
Tout comme les syndicats, associations et mutuelles réunis dans Le Pacte du Pouvoir de Vivre, le CNLE demande don un moratoire sur ce régime de sanctions, contraire à la constitution de 1946. Son article 11 prévoit « le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Ce signalement institutionnel s’ajoute à la déclaration de la Commission nationale consultative des droits de l’homme de décembre dernier dénonçant une « atteinte aux droits humains ». Du côté syndical, la Cfdt et l’UNSA vantent l’accompagnement plutôt que le contrôle quand la Cgt réclame l’abrogation de cette loi dont les contours demeurent flous.
Pas de lien entre sanction et retour à l’emploi
Généralisée en 2025, cette réforme du RSA a d’abord été testée dans 49 territoires, sans qu’un réel bilan n’ait été mené par les pouvoirs publics. Les premiers retours n’ont pour l’instant rien donné de concluant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son « efficacité » demeure mitigée, comme l’a documenté l’économiste Michel Abhervé à partir des données publiques « une indication que l’obligation et la sanction non seulement n’améliorent pas les résultats, mais au contraire que leur absence améliore ceux-ci ». L’étude de la Dress faisant état d’une hausse d’un nombre d’allocataires du RSA en 2024 vient également étayer cette idée. Idem pour les chiffres du chômage fournis par France Travail. « Ce qui est sûr c’est que s’il y avait eu dans leurs données, une preuve d’un lien entre sanction ou contrôle et retour à l’emploi, ils ne se seraient pas privés de la publier, or il n’y a rien là-dessus », remarque une fine connaisseuse de l’opérateur.
Mettre la pression sur les précaires ne fait que marginaliser les publics les plus vulnérables. A commencer par les mères isolées, représentant près de 30 % des bénéficiaires. Le risque « de non-recours aux droits et la pauvreté » dont s’inquiète le CNLE existe déjà. Le taux de renoncement au RSA a augmenté de 10, 8 % dans les territoires pilotes, révélait un rapport au vitriol de plusieurs associations. Dans le Nord, tout ou partie tout ou partie du RSA est suspendue en cas d’absence à un rendez-vous, depuis octobre. Résultat, nombre de bénéficiaires décrochent d’eux-même par peur de l’institution ou sont radiés. De quoi afficher un nombre important de sorties du RSA pour les départements, sans qu’on sache s’il s’agit ou non d’un retour à l’emploi. « À quoi sert d’avoir moins d’allocataires si la pauvreté augmente », rétorquait un élu d’opposition du Finistère auprès de Rapports de Force.
L’emploi précaire, un retour à la dignité ?
Si contrôler et punir les sans-emploi ne permet pas d’améliorer leur sort, rien ne montre non plus que le « vrai social » soit nécessairement le travail, comme l’avance L. Wauquiez. Le CNLE, encore lui, vient de révéler qu’en France le taux de pauvreté avait sensiblement augmenté ces dernières années alors que dans le même temps le taux de chômage diminuait. La faute, notamment aux emplois précaires… Celles et ceux qui dégotent un boulot ne sortent toujours pas la tête de l’eau. Dans sa dernière étude, la Dares donne un panorama peu reluisant de la situation professionnelle des détenteur de l’allocation au trois lettres. Seuls 10% de l’ensemble des Rsa-istes étaient en emploi, dont 4, 5 % en CDI et 2,3 % en CDD de plus de 6 mois. Et le nouvel « accompagnement rénové » n’y change pas grand-chose. En juin 2024, seuls 16 % des participants aux expérimentations avaient un emploi durable, loin des 50 % affichés en son temps par le premier ministre Gabriel Attal pour vanter la réforme.
Sortir du minima social pour un boulot de courte durée n’aide pas à s’extirper de la précarité. Pire, cela « crée des interruptions de revenus du fait des délais de traitement de dossiers », nous expliquait un professionnel de l’accompagnement. D’autant que « l’obligation de résultat conduit à les orienter vers les boulots difficiles dont personne ne veut », se désespérait Olivier Treneul, de Sud-Solidaires. Ce qui, au passage, n’incite pas vraiment les entreprises à améliorer leurs conditions de travail qui ne sont pourtant pas les dernières responsables des difficultés de recrutements.
D’autant plus que 82 % des personnes au Rsa ont un frein à l’emploi. 28 % sont en mauvaise santé, et disent être restreintes dans leur quotidien. « La conditionnalité des 15 h n’y fera rien si ce n’est aggraver la situation de ces personnes », souligne la CGT. Le candidat à la présidence des LR ne s’en formalise pas : « Près de 40 % des bénéficiaires du RSA ont moins de 35 ans. Qui peut croire qu’ils sont tous dans l’impossibilité de travailler ?, a-t-il lancé avant de s’improviser économiste. Alors qu’il existe 500 000 emplois vacants dans les services à la personne, l’hôtellerie-restauration, l’aide à domicile… » Même à supposer que tous ces freins soient levés, cette logique purement arithmétique se heurte à la dureté du marché du travail. Le besoin conjoncturel de main d’œuvre dans le privé est estimé pour 2025 à 2,4 millions de postes à pourvoir. Soit bien en-dessous des 5,77 millions d’inscrits à France Travail. Et seuls 44% de ces projets de recrutement promettent un CDI. Il n’y aurait de toute façon que des bouts de boulot à décrocher. Peu importe pour les partisans de l’emploi à tout prix : « Le retour au travail, même précaire, est un pas vers la dignité », assume le département du Finistère.
Quitte à miser sur l’employabilité à marche forcée… Les activités obligatoires prévues actuellement dans la loi ne semblent pas à aller assez loin aux yeux de L. Wauquiez qui souhaite « la généralisation de vraies heures de travail en contrepartie » du RSA. Recherche d’emploi, bénévolat, immersion professionnelle, la confusion entretenue par le gouvernement autour de ces 15 heures hebdomadaires n’aide déjà pas à contenir les dérives vers du travail gratuit… qui s’opèrent déjà. L’exemple le plus récurrent reste ces rsa-istes recrutés pour entretenir le cimetière de la commune de Villers-en-Vexin dans l’Eure qui n’a « pas les moyens d’embaucher du personnel ». Initiées dans les pays anglo-saxons, ces politiques de responsabilisation des chômeurs dites du « Workfare » n’ont fait que créer à terme une nouvelle classe de « travailleurs forcés », qu’a étudié la sociologue Maud Simonnet, tirant vers le bas les salaires de l’ensemble du salariat.
« Un boulot de dingue »
De fait, les personnes hors emploi s’adonnent déjà à un « boulot de dingue » dont le Secours Catholique dévoilait l’étendue dans son rapport du même nom. Ce sont ces tâches du quotidien, dont l’utilité sociale est parfois plus prégnante que celles des salariés valorisant du capital, qu’oublient de mentionner Laurent Wauquiez et consorts. Sans parler des agriculteurs, dont nombre d’entre eux, perçoivent le RSA. Après des mois d’interrogation, un accord entre France Travail et la MSA prévoit de les dispenser des fameuses heures imposées. Du moins pour ceux ayant un revenu supérieur à 500 euros.
Ce travail non marchand pourrait se voir reconnaître par une rémunération conséquente non conditionnée. Le CNLE qui déplore une actuelle « aide sociale vitale de l’État ne permettant souvent que de survivre, loin des conditions d’une vie digne », préconise la mise en place d’un revenu plancher. Dans son évaluation des réformes du chômage, publiée en avril 2025, la Dares montre que celles et ceux qui s’en sortent le mieux ont eu droit à un véritable « filet de sécurité ». Et remplacer le RSA par un salaire ? C’est ce que prône, le secrétaire du parti communiste, Fabien Roussel. Cela aurait au moins l’avantage d’ouvrir des droits par le biais de cotisations, maladie ou retraite…
« On ne peut pas continuer à payer des gens à rester chez eux, continue Laurent Wauquiez qui veut « la fusion de toutes les aides sociales en une seule plafonnée à 70 % du Smic ». Car « aujourd’hui, une personne qui travaille pour 3 000 € brut, aura 2 200 € pour faire vivre sa famille ; tandis qu’un couple au RSA avec 3 enfants touchera 2 300 € ». Ce qui est totalement faux : on ne gagne pas plus avec les allocations qu’en travaillant.
Agathe a finalement lu son Wauquiez dans le texte. Elle s’en désole : « Je ne sais même pas où commencer. Le montant n’est pas 2300 euros mais 1600 euros. Il oublie aussi de préciser que les personnes qui travaillent touchent aussi des aides » RSA complémentaire, prime activité, allocations familiales. « Par ailleurs parler de gaspillage d’argent public, c’est quand même du gros foutage de gueule vu qu’il invite ses copains à des repas à 100 000 euros avec l’argent de la région », ajoute-t-elle en référence à l’affaire des dîners fastueux sur le dos du contribuable qui implique l’ex-président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes… De ce côté aussi, « Il est temps d’arrêter l’assistanat dans notre pays ».
mise en ligne le 12 mai 2025
Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr
Dans l’ouest de la Sarthe, il y a trois fois moins de médecins que dans le reste de la France, et la plupart ont plus de 60 ans. La catastrophe sanitaire est déjà là, et va s’aggraver si rien n’est fait. Habitants et médecins réclament d’urgence une régulation de l’installation des médecins.
La Ferté-Bernard, Tuffé et Vibraye (Sarthe).– « Aberrant », « une honte », « une catastrophe », « la dégringolade », « le délabrement », « l’abandon » : les habitant·es de la Sarthe déroulent le champ lexical de la désolation et de la colère quand on les interroge sur leur accès aux soins. « Je ne veux pas en parler, cela me met trop en colère ! », s’exclame Jacqueline, 86 ans. « Cela me révolte ! On vote, on paie nos impôts comme tout le monde », dit Janine, 94 ans. Aux urgences de La Ferté-Bernard, elle fulmine, dans l’attente d’un scanner. Sa fille Martine, 70 ans, tapote sa jambe pour l’apaiser, en vain.
Janine et Jacqueline sont toutes deux venues de Tuffé, gros village de 1 669 habitant·es situé à vingt minutes de route de La Ferté. Le dernier médecin est parti il y a quatre ans. Ensuite, des doctrices espagnoles recrutées par des agences d’intérim se sont succédé dans la maison de santé construite dans la commune. Toutes sont parties. Depuis un an, il n’y a plus de médecin.
Tous les habitant·es et les médecins croisé·es dans ce coin ouest de la Sarthe réclament une régulation de l’installation des médecins, a minima comme le proposent les député·es qui ont largement adopté, mercredi 7 mai, une proposition de loi limitant les installations en zones surdotées.
Le texte doit encore passer par le Sénat… qui examine, lundi 12 mai, un autre texte qui veut contraindre les médecins qui s’installent en zone surdense à travailler à temps partiel dans un désert médical. De son côté, le gouvernement veut les faire travailler deux jours par mois en zone sous-dense. La pression politique est donc forte sur la médecine de ville.
En attendant, il faut un réseau pour retrouver un médecin traitant dans la Sarthe. « Quand notre médecin espagnole est partie, on a cherché partout, il n’y avait pas de place. On en a retrouvé une à Bonnétable [quinze minutes de voiture – ndlr] grâce à une collègue de travail qui nous a prévenues, explique Martine. Ma mère a trouvé un dentiste à Sillé-le-Guillaume [quarante-sept minutes de route – ndlr] grâce à mon frère, qui est psychologue et qui a demandé au maire. Moi, pour mes dents, je vais à Lorient, chez mes enfants. Et comme je ne parviens pas à trouver un cardiologue, ma médecin généraliste renouvelle les ordonnances. »
Enchaîner les kilomètres pour être soigné
À la « graineterie-fleurs-café » de Tuffé – c’est écrit sur la devanture années 1950 –, Jacqueline boit, en fin de matinée, ses deux portos de la journée, « pas plus », jure-t-elle. « Avant, il y avait trois médecins, une pharmacie, raconte-t-elle. J’ai retrouvé un médecin à Connerré [dix minutes de voiture – ndlr]. Mais il a 65 ans, il m’a prévenue qu’il allait bientôt partir. »
Qu’importe, Jacqueline ne « croit plus aux médecins ». Elle montre ses yeux qui coulent depuis deux mois, en raison d’une infection. Rien n’y a fait : ni son médecin ni les urgences. Son découragement s’étend aussi à la politique. Jacqueline votait à gauche. « Depuis cinq ou six ans, je ne vote plus. Cela ne m’intéresse pas, je n’attends rien d’eux. »
Aux urgences de La Ferté-Bernard, Claire et Daniel Girard, 62 et 68 ans, ont roulé trente minutes depuis Saint-Calais, où le service d’urgences est fermé ce jour-là. Ils accompagnent la sœur de Daniel et son beau-frère, atteint d’une leucémie, qui souffre des lourds effets secondaires de ses traitements.
Daniel est le seul à conduire. Ils n’ont trouvé un médecin traitant qu’à Ceton, à quarante minutes de chez eux. Claire a des problèmes cardiaques et doit aller à Tours, à plus d’une heure de route, pour voir un spécialiste. « À ce rythme, on ne va pas vivre vieux », disent-ils.
Claire a été comptable puis gardienne d’immeuble, Daniel ouvrier agricole. « On a travaillé toute notre vie, on a payé nos impôts. Mais les jeunes médecins ont un boulot en or et ne veulent pas venir dans un coin perdu. Les politiques n’ont aucune volonté, ils s’en foutent des Français. » Leurs opinions politiques ont bougé, de gauche à l’extrême droite : « Cela ne peut pas être pire. Au moins ils seront plus fermes. »
La Ferté-Bernard fête ses 1 000 ans cette année. La ville derès de 9 000 habitant·es est dominée par la massive église Notre-Dame-des-Marais. Les marais en question ont été asséchés par un réseau de canaux qui sillonne la ville. On y trouve les restes d’un château, une porte médiévale, des maisons à colombages. Dans ce recoin de l’est de la Sarthe débute le parc naturel régional du Perche : bocages, forêts vert pimpant troué du blanc des fleurs d’acacias, villages historiques.
Le maire, Didier Reveau, soucieux de donner une bonne image de sa commune, fait la liste de tous ses atouts : un bassin de population de 30 000 habitant·es, le plein emploi dans un « territoire d’industrie », une gare, deux lycées et deux collèges, publics et privés, une crèche, un centre aquatique, « tous les sports possibles », etc.
Une terre de conquête pour le RN
Mails, coups de téléphone, rien n’y fait : impossible d’interroger la déléguée départementale du Rassemblement national (RN), Marie-Caroline Le Pen. Le parti d’extrême droite est pourtant en train de réussir son implantation dans la Sarthe. Aux dernières législatives, il n’est pas parvenu à faire élire de député·es, mais a doublé son nombre de voix. Dans trois circonscriptions, il a perdu d’un cheveu.
Dans la quatrième, Élise Leboucher (La France insoumise, LFI) n’a eu que 225 voix d’avance sur la sœur de Marine Le Pen. « Pour le RN, la Sarthe est la porte d’entrée vers la Bretagne », estime la députée, qui voit sa concurrente RN « et son mari, le député européen Philippe Olivier, tracter sur les marchés ». Leur premier argumentaire politique reste la lutte contre l’immigration.
« Quand on fait du porte-à-porte, les gens nous parlent de leurs problèmes d’accès aux soins. On leur dit que le RN ne propose rien de nouveau sur le sujet. Ils sont surpris », rapporte Élise Leboucher, qui a activement participé au groupe de travail transpartisan sur la régulation de l’installation des médecins. Sur le sujet des déserts médicaux, le Rassemblement national est le seul parti à voter comme un seul homme contre toute régulation de l’installation des médecins.
Tuffé a aussi sa gare, sur la ligne Le Mans-Paris, à deux heures trente de la capitale. Sylvain*, 36 ans, nouvel habitant, travaille quatre jours par semaine dans une grande administration à Paris. Il a gagné en qualité de vie, mais peine comme les autres à trouver un médecin : « J’ai un médecin traitant en Seine-Saint-Denis. Comme moi, plusieurs amis prennent le train pour se soigner dans des centres de santé autour de la gare Montparnasse. Financièrement, il faut se le permettre. »
À ses côtés, Alexandre, 36 ans, n’a pas de médecin traitant. Il a vu une fois « un médecin retraité dans un Médibus », un cabinet médical itinérant payé par la région. Sinon, en cas de maladie, il attend que ça s’aggrave puis se rend aux urgences. Dans ses bras, Tess, 2 ans, s’y est rendue quelques fois. Ses parents racontent : « [On a passé] du temps sur Doctolib, et au téléphone. Certains cabinets médicaux ne décrochent même pas s’ils ne connaissent pas le numéro. On a trouvé un pédiatre sur Le Mans, mais il faut prendre un rendez-vous six mois avant. » Donc elle aussi fréquente les urgences pour une grosse fièvre ou une bronchiolite.
Sylvain et Alexandre se demandent « comment résoudre ça ». « Si j’étais médecin, je ferais comme eux, j’irais au bord de la mer. La seule solution est de les contraindre à s’installer là où il y a de la demande », estime Alexandre. Dans la Sarthe, ils ne seraient pas malheureux, estime Sylvain : « Un médecin qui s’installe ici fait fortune. »
Les mois d’attente et les dépassements d’honoraires
Étienne, Francis et Daniel sont des pompiers volontaires retraités. Au fil des années, ils ont pris en charge des malades pour les convoyer à l’hôpital de La Ferté-Bernard ou du Mans, et ne sont pas spécialement remerciés de leur engagement. Eux aussi ont de grandes difficultés d’accès aux soins.
Étienne va à Angers, à 240 kilomètres, pour voir un dentiste. Francis a « la chance d’avoir un pied-à-terre sur la côte, à Pornic (Loire-Atlantique). Il y a deux à trois mois d’attente pour voir un ophtalmologue ou un dermatologue. Ici c’est un an. » Daniel, lui, se plaint des dépassements d’honoraires : « On n’a pas le choix, on est obligé de les accepter. J’ai payé 400 euros de ma poche pour me faire opérer dans une clinique. »
La doctrice Laure Artru est une rhumatologue retraitée de la Sarthe, aujourd’hui présidente de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux. Au cours de sa carrière, elle a vu l’offre de soins se dégrader à grande vitesse dans le département : « En 2020, 50 000 habitants de la Sarthe étaient sans médecin traitant. En 2025, ils sont 100 000 habitants », dans un département qui en compte 566 000.
Les pauvres en santé paient pour les riches en santé ! Laure Artru, présidente de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux
Certain·es de ses patient·es se plaignaient de douleurs qui s’expliquaient parfois par un retard de soins. « J’ai vu arriver des patients rouges comme des coqs, avec une grave hypertension non diagnostiquée. » Elle se souvient aussi « d’une jeune femme avec une sclérose en plaques sans médecin traitant ». Ou de cet homme qui avait mal aux épaules et a fini avec « trois pontages coronariens ».
Elle rappelle les chiffres de la mortalité dans les déserts médicaux fournis par l’Association des maires ruraux de France. Selon une étude, « il y a 14 000 décès par an en plus dans les zones rurales que ce qui serait attendu si l’espérance de vie y était identique à celle des villes ».
Vigoureusement, la doctrice plaide pour un encadrement de l’installation des médecins, en donnant l’exemple de sa génération : « Dans les zones surdenses, certains médecins ne voient que 500 patients par an. Pour vivre, ils multiplient les consultations et les examens. Ils font de la surfacturation ! Les pauvres en santé paient pour les riches en santé ! »
Dans les années 1980 et 1990, quand les médecins étaient très nombreux, « [les médecins] s’installait là où il y avait de la place. C’est [s]on cas », confie-t-elle. En Sarthe, la qualité de vie n’est finalement pas si mauvaise : avec son mari Bernard, cardiologue, ils ont acheté un magnifique corps de ferme auquel ils consacrent une belle partie de leur retraite.
Des aides à l’installation tous azimuts
Des dispositifs existent déjà : les médecins qui s’installent dans la quasi-totalité de la Sarthe, classée en zone sous-dense, reçoivent 50 000 euros s’ils travaillent quatre jours par semaine. Ils doivent y exercer pendant cinq ans. S’ils partent, ils doivent rembourser « au prorata de la durée restant à couvrir », détaille l’assurance-maladie.
Et s’ils s’installent dans certaines communes aux alentours de La Ferté-Bernard, classées en zone de revitalisation rurale, ils sont en prime exonérés de tout impôt pendant cinq ans. C’est le cas de Vibraye, à vingt minutes de La Ferté-Bernard, qui n’a jamais attiré un seul médecin.
Dans la file d’attente chez le pharmacien, des patient·es s’inquiètent pour l’un des deux derniers médecins, sexagénaire, de ce gros village. « Il est fatigué, il a des cernes. Il y a un monde dans la salle d’attente ! » Le maire de Vibraye, Dominique Flament, ne sait plus quoi faire. La région déploie un « Médibus », un « cabinet médical itinérant », à Saint-Calais, la ville la plus proche, mais il ne poussera pas jusqu’à Vibraye.
Entre les villes et les villages, la concurrence est rude. Comme à Tuffé, la mairie a fait construire une maison médicale, sans succès. Le maire a médiatisé la situation du village sur TF1. Aujourd’hui, il se tourne vers un cabinet de recrutement, en espérant pouvoir attirer, et fidéliser, un médecin étranger.
« L’accès aux soins est au cœur de notre combat. On fait de gros investissements, sans résultats », se désole-t-il. La grosse pharmacie du village s’est dotée d’une cabine de téléconsultation, « mais c’est du dépannage », estime le maire.
À La Ferté-Bernard, l’ambition est bien plus grande, mais les difficultés identiques. Le Pôle santé Simone-Veil s’appuie sur toutes les innovations possibles pour soulager les médecins et leur permettre de voir plus de patient·es. En 2017, sur dix-sept médecins, « huit sont partis d’un coup à la retraite ». « Avec un autre médecin, on n’a pas eu le cœur d’abandonner la population », explique Didier Landais, l’un des généralistes du pôle, 75 ans.
Ils ont donc monté ce centre de santé, où tous les professionnels sont salariés. « Je ne reviendrai pour rien au monde à l’exercice libéral », affirme-t-il. Le bâtiment a été construit par la commune, qui le met à disposition gratuitement. Le maire de La Ferté-Bernard, Didier Reveau, souligne le faible coût pour le faire tourner. « L’an dernier, il nous a coûté 60 000 euros en fonctionnement, en raison du manque de médecins. S’il y en avait assez, le centre de santé serait à l’équilibre », affirme-t-il.
Au côté des médecins – 3,8 postes à temps plein – travaillent deux et bientôt trois infirmières de pratique avancée (IPA). Elles font des préconsultations, pour faciliter le travail du médecin. « La demande est énorme, explique Didier Landais. On ne peut plus voir les patients trente minutes, comme le faisaient les médecins de famille. » Aujourd’hui, ils voient quinze minutes l’infirmière et quinze minutes le médecin. « Et ils sont heureux, assure Elisa Marais, IPA, parce qu’on prend le temps de revoir leur traitement, de parler de leurs difficultés. » Les IPA assurent aussi un suivi des malades chroniques entre deux consultations médicales.
« Foutu pour foutu, on innove », sourit Elisa Marais. Le centre de santé a inventé l’infirmière boussole, qui trie les patients qui s’adressent en urgence au pôle santé : elle évalue si la demande est prioritaire, ou si elle peut attendre. C’est une première en France, qui est en train de faire ses preuves.
Elisa Marais ne supporte plus d’entendre les arguments des médecins contre la régulation : « Il faut passer avant leurs choix de vie. Mais ils ne savent rien sur nos territoires. On ne serait pas attractifs, disent-ils. Nous, on comprend qu’on ne mérite pas d’être soignés. »
mise en ligne le 3 mai 2025
Par Jean-Christophe Le Duigou sur www.humanite.fr
Les choix d’une austérité renforcée qui s’annoncent font peser une incertitude quant au devenir de l’État pour la période qui s’ouvre. Sa situation financière dégradée, qui se manifestera au fil des budgets par un coût de la dette publique croissant, comptera beaucoup. Les marchés financiers vont faire peser une hypothèque sur les dépenses utiles. Il ne suffira pas dès lors au président de la République d’invoquer, au fil de ses interventions sa conviction que « l’État tient la Nation ». L’addition risque d’être lourde. À l’opposé, l’irrésistible montée des besoins de services, donc aussi de services publics, ne pourra être ignorée.
L’avenir de la puissance publique
Le devenir de la puissance publique sera largement influencé par la nature des arguments que les forces sociales auront la capacité d’imposer. Le mouvement syndical et plus largement le mouvement social et politique sont légitimes à imposer une véritable confrontation sur l’avenir de la puissance publique. Le peuvent-ils ?
Au-delà des luttes tenaces qui marquent un certain nombre de secteurs (hôpital, recherche, université, poste, finances…), au-delà des batailles pour relégitimer des politiques publiques dignes de ce nom comme en matière industrielle, d’énergie, de transport, de logement, quelques initiatives transversales sont nées dans la dernière période.
Ces initiatives, qui participent pleinement du mouvement d’opposition aux mises en cause des services publics, peinent cependant à déboucher sur des mobilisations massives, en tout cas suffisantes pour créer le rapport de force indispensable. Est en cause notre capacité collective à définir et porter les lignes directrices d’une véritable réforme de l’État. Cet effort de proposition est pourtant indispensable. Il implique de répondre à une série de questions nouvelles qui balisent la voie pour un nouveau modèle de pouvoir.
Le nouveau profil du pouvoir de demain va se jouer en fait autour de plusieurs questions essentielles qui renvoient aux fondements des missions publiques : que peut apporter la puissance publique à une nouvelle logique de développement ? Quels seront le sens et la place de la loi et de la gestion publique ? Que sera l’intervention publique notamment dans les champs économiques et sociaux ? Quel sera le rapport entre droits individuels et systèmes collectifs de solidarité ?
Ne s’agit-il pas en fait, après « l’État monopoliste social » de tracer les contours d’un nouveau type d’État, « l’État-social-développeur ».
mise en ligne le 11 mars 2025
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
Unanimes, des enseignants-chercheurs aux étudiants en passant par les parents, la communauté universitaire se rassemble, ce mardi 11 mars, dans la rue, pour dénoncer une situation qui a atteint un point de non-retour.
Que veut faire la France de son enseignement supérieur ? La question doit être posée, aujourd’hui, alors que l’ensemble de la communauté universitaire se donne rendez-vous dans la rue (à Paris, à 12 h 30, place de la Sorbonne) pour dénoncer la menace qui pèse sur les universités, leur personnel, leurs étudiants, leurs diplômes.
Asphyxiés par le sous-financement depuis (au moins) 2007 et la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) portée à l’époque par Valérie Pécresse, les établissements d’enseignement supérieur ont atteint les limites ultimes de leurs capacités de résilience. On ne saurait s’y prendre de manière à la fois plus violente et plus efficace pour les conduire vers un projet qui ne serait plus celui de l’université française.
Selon les modes de calcul, les chiffres divergent. Mais ils demeurent impressionnants : selon le Snesup-FSU, principal syndicat des enseignants à l’université, il manque 8 milliards à l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR) pour « financer les 150 000 places qui manquent pour les étudiants, la transition écologique et la rénovation du bâti, la revalorisation des salaires, l’amélioration des taux d’encadrement avec des enseignants-chercheurs », énumère sa cosecrétaire générale, Anne Roger.
L’équivalent de la fermeture de 7 universités
Selon l’Union étudiante, la loi de finances adoptée le 5 février par 49.3 programme « 1,5 milliard de coupes budgétaires » pour l’enseignement supérieur. Soit, selon le syndicat, l’équivalent de la fermeture des universités de Rennes II, Montpellier-Paul-Valéry, Sorbonne Université, Aix-Marseille, Lyon III, Chambéry et Pau (chère au cœur de François Bayrou).
L’alerte avait déjà été donnée en décembre dernier par les présidents d’université eux-mêmes, au moment où 80 % (60 sur 75) des établissements dont ils ont la charge risquaient de se retrouver en cessation de paiements. Ce qui permet de pointer une des premières perversions du système : « l’autonomie » d’universités dont l’activité demeure, de par la nature des missions qui leur sont confiées, étroitement dépendante des financements publics, consiste essentiellement à se débrouiller avec ce que l’État veut bien leur donner.
Voter une loi de finances qui stagne ou baisse, comme c’est le cas depuis des années, c’est de facto les mettre dans l’impossibilité matérielle d’accueillir tous les étudiants, de financer les rémunérations de leur personnel, de rénover leurs bâtiments qui sombrent parfois dans un état de délabrement indigne au point de rendre impossible leur utilisation. C’est encore les contraindre à fermer l’hiver pour réduire les dépenses énergétiques (surtout avec des bâtiments-passoires), ou à renoncer aux cours à distance qui facilitent l’accès des étudiants salariés à l’université…
Pour faire face, les responsables mettent en œuvre des solutions qui sont en réalité des expédients, sciant la branche sur laquelle est assise l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français (ESR). Certaines universités ont déjà commencé à envisager de supprimer des formations entières : c’est la partie visible de l’iceberg.
D’autres, après avoir accepté l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants hors Union européenne, réfléchissent à le faire pour tous les autres. Plus insidieuse est la suppression de groupes de travaux dirigés, qui permet de mettre autant d’élèves devant moins d’enseignants… au détriment des conditions d’études et de l’attention portée à chacun. Surtout quand, pour les mêmes raisons économiques, les enseignants-chercheurs titulaires sont remplacés par du personnel précaire – dont l’infinité des statuts offre l’embarras du choix.
Dans un tel contexte, « l’affaire du Hcéres » (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) ne tombe pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Pour résumer, les universités voient leurs formations évaluées tous les cinq ans, par roulement, par ce Haut Conseil. Cette année, c’était le tour de la « vague E », c’est-à-dire les établissements d’Île-de-France hors Paris, de Lille, d’Amiens, mais aussi de La Réunion et Mayotte.
Mettre à genoux l’université publique
Résultat (provisoire) de ce travail : selon les cas, entre le quart et la moitié des formations ont reçu un avis défavorable. Lire ces documents, trois pages à peu près pour chaque licence ou master, est… instructif. La qualité de ces formations y est souvent louée, avant une balance points forts/points faibles, des recommandations pour s’améliorer et un avis… le plus souvent défavorable, qui n’hésite pas à contredire tout ce qui a précédé ! Une étrangeté qui conduit certains à s’interroger sur d’éventuelles manipulations du Hcéres.
Mais ce qui frappe surtout, ce sont les reproches qui sont formulés : « taux d’encadrement insuffisant », « manque de lien avec la recherche », « suivi insuffisant du devenir des étudiants », exigence d’« accroître la dimension professionnalisante via des stages », « internationalisation qui peine à décoller », manque de dispositifs de remédiation, etc.
Qui ne verrait le lien entre ces remarques et l’état d’asphyxie financière des universités tel qu’il vient d’être décrit ? A fortiori concernant les universités en question, qui recrutent plus que d’autres des étudiants issus de milieux populaires, parce qu’elles sont implantées dans des territoires défavorisés sur le plan socio-économique – ce qui, par exemple, ne facilite ni les voyages à l’étranger, ni le lien avec le tissu économique quand celui-ci est ravagé…
Autrement dit, on reproche aux universités de subir les conséquences de la politique qu’elles subissent ! Et, accessoirement, de renâcler à rendre leurs étudiants « employables », alors que ce n’est pas leur mission – et qu’on n’hésite pas, « en même temps », à leur reprocher de s’éloigner de la recherche. Il ne s’agit pas d’incohérences : c’est la politique de l’ESR que l’Union européenne a adoptée depuis plusieurs années.
Mettre à genoux l’université publique, c’est ouvrir le marché aux fonds de pension qui se jettent sur le très lucratif « marché » du supérieur privé, avec l’aide de Parcoursup… et les conséquences catastrophiques pour les étudiants qu’on ne parvient plus à masquer. Et peu importe que les étudiants eux-mêmes vivent aujourd’hui dans des conditions indignes, ou que la recherche française s’effondre. L’enjeu dépasse largement, on le voit, la communauté universitaire qui s’unit aujourd’hui pour résister à ces orientations mortifères.
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
Selon Anne Roger, secrétaire générale du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP-FSU), derrière l’asphyxie budgétaire et les injonctions pédagogiques, un changement de modèle de l’université française se dessine… et une menace sur la recherche elle-même.
Les universités françaises sont-elles au bord du précipice ?
Anne Roger : En deux ans, depuis la loi de finances 2024, nous avons perdu plus d’un milliard d’euros de financements. À la fin de l’année 2024, avant la mise en œuvre de plans de retour à l’équilibre financier – qui n’ont pas été sans conséquences – 80 % des universités affichaient un budget déficitaire. 30 établissements (sur 75) ont aujourd’hui une capacité d’autofinancement égale à zéro : il n’y en avait aucun en 2021.
Ces quelques chiffres valent mieux que tous les discours. Une partie de notre problème vient du fait que cela ne se voit pas, parce qu’on trouve toujours des solutions pour maintenir le navire à flot : il y a toujours des cours, des diplômes délivrés… Mais c’est au prix de groupes de TD supprimés en surchargeant ceux qui restent, de l’arrêt du renouvellement des fonds documentaires des bibliothèques universitaires qui deviennent peu à peu obsolètes, du remplacement des départs en retraite par des enseignants précaires eux-mêmes surchargés de cours… Et ce sont les étudiants qui en font les frais.
Quelles peuvent être les conséquences concrètes des évaluations très négatives que le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) vient de livrer sur de nombreuses formations ?
Anne Roger : Cela peut aller jusqu’à la fermeture des formations, si les universités concernées le décident. Le ministère peut aussi le leur demander. Il faut mesurer ce que cela signifie : sur toute la « vague E », cela pourrait concerner jusqu’à 60 000 étudiants ! Autre effet : ces évaluations sont publiques, puisque mises en ligne sur le site du Hcéres. Loin de les aider, l’impact sur l’image de ces licences ou masters serait très négatif. Un cercle vicieux, puisque cela ne manquerait pas d’aggraver le manque d’attractivité… qui est un des reproches formulés par le Hcéres à leur encontre.
Enfin il existe un autre risque, plus insidieux : les recommandations formulées par ces évaluations reviennent à imposer certaines orientations pédagogiques. Par exemple, le reproche récurrent sur l’insuffisance de l’approche par compétences peut devenir une injonction à transformer les formations, les modèles pédagogiques, vers plus de professionnalisation – avec le risque d’un appauvrissement de contenus en termes de savoirs et de connaissances. Sur ce sujet, il n’est pas inutile de rappeler que le Code de l’éducation donne mission aux universités de former des citoyens, de développer leur sens critique, de lutter contre les discriminations… Peut-être certains devraient-ils le relire ?
Tout cela ne risque-t-il pas de faire le jeu du supérieur privé ?
Anne Roger : Aujourd’hui déjà, un quart des étudiants sont dans le privé. En affaiblissant les universités, on crée des niches favorables au privé, qui est sur le rythme d’un développement tranquille mais sûr. Pourtant, et l’actualité récente vient de le confirmer, s’il existe des établissements privés de qualité, on voit surtout se développer des lieux où on bourre les cours pour obtenir plus de financements, avec des formations dégradées, des enseignements très peu adossés à la recherche… et des publicités mensongères. Sur les salons étudiants, on en voit qui vendent surtout leurs séminaires d’intégration et les voyages à l’étranger !
Pensez-vous que la mobilisation d’aujourd’hui vous permettra d’être entendus ?
Anne Roger : Oui, même s’il n’y aura pas forcément d’effets immédiats. Nous voulons surtout que nos collègues – qui sont épuisés, qui se questionnent eux, mais pas le système –, en voyant cette large mobilisation, très unitaire, sortent la tête du sable et osent dire que ça ne va plus. Nous avons besoin de nous appuyer sur notre force collective, d’autant plus à l’heure où les attaques contre la science et les chercheurs ne se limitent pas aux frontières des États-Unis. Nous le savons puisque nous avons déjà eu, ici, notre lot de procès en « islamogauchisme », en « wokisme », voire en antisémitisme.
mise en ligne le 10 mars 2025
Gérard Le Puill sur www.humanite.fr
Nous approchons de la journée d’action du 20 mars qui sera conduite dans toute la France par le « groupe des neuf » syndicats et associations de retraités pour regagner la perte de pouvoir d’achat de ces dernières années. Ils ont cotisé pour cela. Mais leurs droits sont contestés par des décideurs politiques et des commentateurs qui, parallèlement, préconisent des dépenses sans limites dans les armes de guerre.
Nous sommes à 9 jours de la journée de rassemblements et de manifestations organisées le 20 mars par 9 organisations syndicales et associations de retraités en France pour la revalorisation des pensions. Avant , comme après la mise en place du gouvernement Bayrou, économistes libéraux et journalistes de même tendance ont plaidé sans répit pour faire baisser les pensions de retraite des 17 millions d’hommes et de femmes qui ont cotisé durant leur vie active pour acquérir leurs droits. Ces pensions ne représentent pourtant que 13,5 % du Produit Intérieur Brut (PIB) de la France pour 25% de la population française.
Ces mêmes commentateurs occultent le fait qu’en janvier 2023, 3.382.500 personnes était inscrites à Pôle emploi en catégorie A, sans une seule heure de travail dans le mois. S’y ajoutaient 2.346.000 personnes en catégories B et C avec seulement quelques heures de travail précaire dans le mois. Beaucoup de ces personnes seraient au travail si les patrons des grandes firmes n’avaient pas fait perdre 2 millions d’emplois à notre industrie en délocalisant une grande partie de leur production industrielle dans des pays à bas coûts de main d’œuvre pour augmenter leurs profits. Nous voyons aussi que les enseignes de la grande distribution font croître les importations de produits alimentaires dans le seul but de faire baisser les prix payés aux paysans en France, ce qui réduit aussi les emplois dans notre industrie agroalimentaire .
72, 8 milliards d’euros de dividendes versés par 40 entreprises
En 2024, plus de 98 milliards d’euros de dividendes ont été versés aux actionnaires par les plus grosses entreprises françaises. Les sommes versées par celles du CAC 40 atteignaient 72,8 milliards d’euros, en augmentation de 8,5% par rapport à 2023. TotalEnergies avait octroyé 14,5 milliards d’euros. Fin 2024, on apprenait que 300.000 emplois risquaient d’être supprimés en ce début d’année 2025 sur plusieurs sites industriels en France, souvent pour cause de nouvelles délocalisations vers des pays à bas coûts de main d’œuvre.
L’an dernier, parallèlement, la Banque de France enregistrait une hausse de 10,8% des dossiers de surendettement par rapport à l’année 2023, qui
accusait déjà une augmentation de 8% sur 2022. Mais, dans «l’Express» daté du 13 février, un dénommé Bertrand Martinot, présenté comme un économiste, proposait
de « désindexer pendant plusieurs années les pensions. Une année de gel des pensions, c’est rendre entre 4 et 4,5 milliards d’’euros d’économies
», ajoutait-il. D’autres commentateurs désignent comme des privilégiés les retraités qui ont fini de payer leur logement alors qu’ils ont fait des
sacrifices durant leur vie de travail pour rembourser leur emprunt. Les mêmes commentateurs sont farouchement opposés au rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune
(ISF).
Les chiffres publiés plus haut montrent que les déficits des systèmes de retraite par répartition sont surtout sont imputables à la course aux profits les plus élevés possibles par
les banques et les grandes firmes privées. Les retraités et retraitées qui ont cotisé durant leur vie de travail pour acquérir des droits à pension ne doivent pas payer ces
additions.
Une pension nette moyenne juste au dessus du SMIC
Selon le rapport de la Cour des comptes rendu en février au gouvernement, la pension nette moyenne des personnes en retraite serait de 1.512€ par mois. C’est juste au dessus du SMIC à 1.426,30€ depuis novembre 2024. Mais l’Union Confédérale des retraités CGT rappelle que 60% des retraités et retraitées perçoivent une pension nette mensuelle inférieure au SMIC ; 31%, dont 74% de femmes, perçoivent moins de 1.000€ nets par mois et 11% de ménages de retraités vivent en situation de pauvreté et de misère avec une pension moyenne de 790€ par mois. Du coup, 700.000 personnes en retraite n’ont pas de complémentaire santé ou de mutuelle et 1,6 million de personnes en retraite ne se soignent plus ou peu.
Comme d’autres avant lui, le gouvernement Bayrou veut faire remonter l’âge de départ en retraite à 64 ou 65 ans et désindexer la revalorisation des pensions de la hausse moyenne des prix. Mais selon un sondage ELABE réalisé le 21 février, 65% des Français sont opposés au report de l’âge légal de départ à la retraite et 90% des retraités sont opposés à la sous indexation des pensions par rapport à l’inflation. Ces exigences sont en phase avec celle de l’UCR-CGT pour « l’augmentation immédiate de 10% de toutes les pensions et de 300 euros du minimum contributif ».
Les rassemblements et les manifestations du 20 mars, premier jour du printemps 2025, doivent montrer que les retraités et retraitées n’entendent pas se laisser faire. Les neuf organisations syndicales et associations que sont l’UCR-CGT, la FSU, Solidaires Retraités, la CFE-CGC, la CFTC, la FRG-FP, La LSR, Ensemble -Solidaires et l’UNRPA ont donc de bonne raison de continuer le combat. En attendant cette date chaque retraité et retraitée pourra dialoguer avec d’autres retraités afin de les motiver pour participer à cette journée d’action.
mise en ligne le 9 mars 2025
Gilles Rotillon sur https://blogs.mediapart.fr/
En instillant dans l'opinion l'idée de la nécessité d'une économie de guerre, c'est la protection sociale qui est visée
Comme c’était prévisible, l’élection de Trump a des répercussions inquiétantes sur la paix mondiale. Son entente avec la Russie pour négocier une paix en Ukraine sans les Ukrainiens, ses prises de position sur Gaza, le Canada, le Groenland, Panama et l’Union européenne indiquent à la fois la mise en œuvre du repli de l’Amérique sur ses seuls intérêts (du moins tels qu’ils sont compris par Trump), et une politique impérialiste d’annexion de territoires et des ressources qu’ils possèdent. Pour l’Europe, le retrait américain du soutien militaire à l’Ukraine et son exhortation à ce que les membres européens de l’OTAN consacrent 5% de leur PIB à leur budget de défense reposent la question des dépenses militaires nécessaires aussi bien pour continuer à soutenir l’Ukraine en se substituant à l’aide américaine défaillante que pour garantir sa propre défense.
Si la situation internationale de tension exige sans doute de se poser des questions de défense, donc de financement pour pouvoir les traiter et si on juge nécessaire la hausse des budgets qui leur sont consacrées, la manière dont ce sujet est abordé, tant dans les médias courroies de transmission de la doxa dominante, que chez les responsables politiques est pour le moins unilatérale. Pour eux, il n’y a effectivement pas de question à se poser sur le financement, ce ne peut être qu’un arbitrage entre les budgets militaires et la protection sociale, la seule interrogation portant sur l’ampleur des « sacrifices » qu’il faut accepter pour préserver « notre sécurité ». Un exemple caricatural de cette position est celui de Rémi Godeau, rédacteur en chef de L’Opinion dans son « billet libéral » sur la chaîne Xerfi canal, qui nous explique que « la seule solution budgétaire tenable pour financer l’effort de guerre, c’est une baisse drastique des dépenses sociales, à commencer par les retraites ». Et la même position est tenue par Nicolas Bouzou, que sa page Wikipédia présente comme « un essayiste spécialisé en économie et chroniqueur de télévision et de radio »[1]et qui s’est empressé d’écrire que « Face au risque de guerre, le France doit adopter un programme de puissance économique. Augmenter le temps de travail, partir en retraite plus tard, simplifier radicalement la vie des entreprises, libérer l’innovation, sont désormais des impératifs sécuritaires ».
On ne peut pas douter non plus que c’est le point de vue d’Emmanuel Macron qui refuse toujours d’augmenter les impôts (des plus riches) préférant faire appel à la patrie et à l’union nationale pour faire accepter cette casse des services publics qui ne peut être que l’issue du « débat » compte tenu de la manière dont il est posé.
Et si sacrifice il y a, ce ne peut pas être une baisse des subventions sans contreparties aux grandes entreprises (plus de 150 milliards d’euros par an quand on évoque une hausse nécessaire de 80 milliards pour le budget de la défense), sur les dividendes en hausse qui ne cessent d’être versés aux actionnaires ou sur le patrimoine des plus riches (la part de celui des 1% les plus riches est passé de 41,3% en 2010 à 47,1% en 2021 de la valeur totale du patrimoine des Français).
En revanche la tactique bien connue de la dramatisation du conflit avec la Russie permet d’insister sur la nécessité du sacrifice. C’est ce qu’a fait Emmanuel Macron dans son allocution en pointant toutes les actions russes qui justifieraient ce constat (assassinats d’opposants à l’étranger, cyberattaques, désinformation organisée, manipulation des élections), qui feraient de la Russie une menace existentielle pour l’Europe, et en généralisant immédiatement sur la prédiction qu’elle ne s’arrêterait pas aux frontières de l’Ukraine[2]. Il faut d’ailleurs noter que sa peur est sélective et que la condamnation de la « loi du plus fort » appliquée par la Russie envahissant l’Ukraine, ne s’applique pas à Israël faisant la même chose à Gaza.
Si le constat sur les actions hostiles de la Russie est juste, le passage à la prédiction est nettement plus problématique. Et quand le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot déclare dans Le Figaroque « la ligne de front ne cesse de se rapprocher de nous » en raison des « ambitions impérialistes » de la Russie, il est dans une surenchère qui ne s’appuie sur aucune réalité.
En fait, comme pour le recul de l’âge de départ en retraite, la première question qui doit être posée c’est celle du « pour quoi faire ? ». Quelles sont les raisons impératives qui exigent que tout le monde travaille plus longtemps ? Et de même, proclamer qu’une défense européenne est indispensable sans poser la question préliminaire de la stratégie commune qui la justifie c’est, dans l’état actuel des capacités de défense de l’Europe, avoir des budgets en hausse pour continuer à acheter des armements américains (55% du budget français est consacré à cela) et donc rester dépendant des USA. C’est aussi ravir les industries d’armement qui voient grimper leur cotation en Bourse (16% pour Thalès, 15% pour Dassault).
Ce faisant, on accroit encore les inégalités sociales ouvrant grand la porte à l’extrême droite, déjà au pouvoir dans de nombreux pays et de plus en plus puissante dans d’autres (en France, en Allemagne, en Suède, …).
D’autres moyens de financement des dépenses militaires supplémentaires ont été évoqués. L’un serait, en France, la création d’un livret d’épargne D (comme défense), sur le modèle du livret A pour capter une part de l’épargne populaire sans qu’en soient précisées pour l’instant les modalités (si son taux est de l’ordre du second, il serait peu attractif vu le niveau d’inflation actuel). Un autre serait de sortir les dépenses militaires de la dette publique ce qui permettrait de continuer à avoir la règle des 3% maximum de déficit laissant ainsi une plus grande marge aux États sur le plan budgétaire.
Outre la confirmation de la contrainte inutile de cette règle arbitraire que rien ne justifie, ni politiquement, ni économiquement, on peut aussi s’étonner qu’une telle proposition n’ait pas été formulée il y a longtemps pour avoir une politique écologique à la hauteur des enjeux et pour la construction d’une Europe sociale digne de ce nom.
On évoque aussi la confiscation des avoirs russes qui sont pour l’instant gelés. Mais si ce type d’annonce ne peut avoir qu’un effet positif sur l’opinion en faisant preuve de fermeté à l’égard de la Russie[3], il serait sans doute plus efficace si on expliquait par quels moyens légaux cette confiscation pourrait se faire. Le Canada l’a déjà tenté sans succès et pour l’instant ce genre de déclaration martiale est davantage un élément d’une politique de communication qu’une réponse opérationnelle. On comprend pourquoi c’est justement ce qu’a déclaré Attal, un expert des annonces sans lendemain, qui a subitement changer d’avis sur ce sujet.
Finalement, l’aggravation indéniable des tensions internationales ne sert finalement que de prétexte pour accélérer la disparition du modèle social européen déjà bien insuffisant qui était déjà au cœur des politiques néolibérales existantes.
[1] Si on peut s’interroger sérieusement sur la compétence en économie de cet « essayiste », il n’y a pas de doute sur son statut de « chroniqueur de télévision et de radio » tant il est souvent invité sur tous les plateaux. Ce qui en dit long sur l’objectivité des médias et leur pluralisme ou sur leur incompétence à juger de la qualité de leurs « chroniqueurs ».
[2] Si le constat sur les actions hostiles de la Russie est juste, le passage à la prédiction est nettement plus problématique
[3] Il faudrait d’ailleurs distinguer entre les avoirs des oligarques qui seraient une bonne chose et sur laquelle il n’y a pas de question de principe à opposer sinon sa possibilité dans le cadre du droit international et ceux détenus par la Banque centrale de Russie, dont la confiscation, si elle était juridiquement possible, ne manquerait pas d’exposer à des répliques de la part de la Russie qui auraient des répercussions sur l’euro difficiles à anticiper, mais sans aucun doute destabilisatrices.
mise en ligne le 7 mars 2025
Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr
Alors que les IVG médicamenteuses représentent près de 80 % des avortements, la France dépend d’un seul laboratoire privé, Nordic Pharma, pour la fourniture de comprimés abortifs. Une dépendance qui accentue le risque de pénurie et de restrictions d’accès à l’avortement pour les femmes, mais aussi de pression sur les prix.
Alors qu’aux États-Unis, l’accès à l’IVG est de plus en plus menacé, la France, devenue le premier pays au monde à reconnaître dans sa Constitution la liberté de recourir à l’avortement, fait figure d’exception. Sauf que la prépondérance de la méthode médicamenteuse – qui représente aujourd’hui 80 % des actes (contre 31 % en 2000 selon la Drees) – fait de la production et de l’approvisionnement des comprimés abortifs un enjeu central de l’accès à l’avortement.
Concrètement, pratiquer un avortement médicamenteux implique la prise de deux principes actifs administrés à 48 heures d’intervalle : le premier, le mifépristone (sous le nom de Mifegyne, plus connu sous le nom de RU486), interrompt la grossesse. Le second, le misoprostol, qui existe sous deux marques MisoOne et Gymiso, déclenche des contractions et provoque l’expulsion de l’embryon. La particularité, c’est que la production de ces médicaments est dans les mains d’un seul laboratoire, le groupe Nordic Pharma. Pour faire court, en cas de défaillance industrielle, il n’existe aucune solution alternative.
Risques de rupture de production et d’approvisionnement
Ce qui n’est pas sans risque, comme le pointe l’Institut national d’études démographiques (Ined) : « Le monopole d’un seul laboratoire pharmaceutique privé (Nordic Pharma) soulève des questions quant aux risques de pénurie, de problèmes d’approvisionnement et de pression sur les prix des comprimés abortifs. » Comme le résume Justine Chaput, chercheuse à l’Ined et coautrice d’une étude sur l’IVG parue en novembre dernier, « en creux, cela pose la question de comment garantir l’accès à l’avortement dans ces conditions ».
Une crainte qui est justement devenue réalité entre 2022 et 2023. Durant cinq mois, des problèmes de disponibilité ont été observés concernant le misoprostol (trois mois de rupture de Gymiso puis deux mois de tension sur le MisoOne).
Plusieurs associations féministes avaient alerté quant à l’impossibilité pour certaines patientes de recourir à l’IVG médicamenteuse. Des stocks, destinés à l’Italie, avaient alors été réorientés vers la France. Déjà en mai 2020, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes avait alerté sur les problèmes de disponibilité concernant notamment cette même molécule.
« Des conséquences catastrophiques »
« Un mois de tension sur un médicament peut sembler peu, mais les conséquences peuvent être catastrophiques lorsqu’il est question d’IVG », avait rappelé la sénatrice Laurence Cohen, rapportrice de la Commission d’enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments, créée en février 2023, afin de faire toute la lumière sur les causes de ces tensions. Auditionné dans ce cadre, le président de Nordic Pharma de l’époque, Vincent Leonhardt, avait concédé les difficultés et assuré que désormais, « il n’y a pas à craindre de pénurie ».
Depuis, c’est vrai, il n’y a pas eu d’autre alerte, reconnaît Sarah Durocher, la présidente du Planning Familial. Entre-temps, d’ailleurs, le misoprostol a été inscrit sur la liste de l’Agence nationale de sécurité et du médicament (ANSM) des « médicaments d’intérêt thérapeutique majeur », ce qui oblige le laboratoire à « détenir un stock minimal de sécurité de quatre mois ». « Cela implique de prévoir une chaîne de production plus sécurisée, mais c’est une façon assez limitée de régler le problème, car les médicaments se périment et cela demande une gestion des stocks complexes », nuance Philippe Abecassis, économiste de la santé, maître de conférences à l’université Paris 13.
Mais l’inquiétude quant à de possibles tensions demeure telle une épée de Damoclès, d’autant plus que le nombre de recours à l’avortement ne cesse d’augmenter. Il était ainsi de 242 000 en 2023 contre 218 000 en 2015. « Un problème d’approvisionnement pourrait avoir un impact sur la possibilité ou non de pratiquer des IVG. S’il fallait réorienter les patientes en raison d’un problème de disponibilité de ces médicaments, ce serait impossible et augmenterait les délais », analyse Justine Chaput. D’autant que la disponibilité de l’offre varie selon les territoires. « Dans certains départements, les avortements sont réalisés à près de 90 % par voie médicamenteuse », précise la militante du Planning, rappelant que « 130 centres IVG auraient fermé au cours des quinze dernières années ».
Une production européenne mais…
Certes, contrairement à une grande majorité de médicaments, les pilules abortives sont exclusivement produites en Europe. L’usine de principe actif de misoprostol et de Mifépristone est implantée en Angleterre. Les deux usines de production de MisoOne sont quant à elles basées en France. Les comprimés Gymiso, eux, sont fabriqués et conditionnés sur le site de Leon Pharma, en Espagne.
« Ce circuit de production peut minimiser les tensions. Plusieurs laboratoires peuvent produire, des flux sont possibles en dépannage, ce qui limite les risques, sans les retirer pour autant », pondère Philippe Abecassis. Car ce circuit reste dépendant des aléas des marchés privés. « Est-ce bien ou pas, ce n’est pas mon rôle d’y répondre. Mais il s’agit d’un laboratoire privé qui répond à des logiques d’intérêts privés, qui ne sont pas celles de la santé publique », rappelle Justine Chaput, de l’Ined.
Pas de générique de misoprostol
Et la perspective d’une pénurie est d’autant plus préoccupante qu’il n’existe pas de générique de misoprostol. Interrogé en mai 2023 par la commission d’enquête du Sénat, le directeur de Nordic Pharma reconnaissait que « des génériques seraient possibles sur ces produits »… tout en expliquant pourquoi il n’en existe pas : « Nous bénéficions d’un monopole de circonstance, qui n’est pas lié à un brevet. (…) Nous nous trouvons être l’exploitant des deux marques de misoprostol disponibles en France depuis que le laboratoire Linepharma, qui commercialisait le Gymiso, s’est retiré du marché. Aucun repreneur ne s’est manifesté pour assurer l’exploitation de ce médicament. »
Pourquoi ? Contacté par l’Humanité pour plus de précisions, le laboratoire n’a pas répondu. Comme le rappelle Philippe Abecassis, « pour fabriquer un générique, il faut des garanties, notamment de rentabilité. Dans le cas présent, le marché des pilules abortives présente déjà un gros taux de pénétration ».
Selon Nordic Pharma, la France représente en effet un tiers des ventes de Mifegyne, 65 % des ventes de MisoOne et 91 % des ventes de Gymiso. « Les perspectives de croissance du marché sont donc extrêmement faibles, avance l’économiste. En outre, il existe des tensions en Europe sur le sujet, des risques que des pays limitent l’avortement. Aucun laboratoire fabricant des génériques ne veut prendre ce risque », suppose l’économiste.
De fait, ce monopole, lié au statut de propriété intellectuelle, rend vulnérable la production face aux actions des lobbies anti-IVG. Avec la montée des mouvements anti-choix dans le monde et en Europe, une rupture de pilules abortives pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les femmes concernées, rappelle Sarah Durocher, du Planning familial.
« En Italie, 80 % des médecins sont objecteurs de conscience. Avec la droite conservatrice au pouvoir, qui nous dit que ce ne pourrait pas être le cas en France un jour ? » Présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes, Isabelle Derrendinger corrobore : « La constitutionnalisation de l’IVG est un acte très fort. Mais si l’accès à ces médicaments abortifs se restreint pour les patientes, ça leur fera une belle jambe de savoir que l’IVG est inscrit dans la Constitution. Les femmes avortent avec autre chose qu’un symbole. Il leur faut un accès aux thérapeutiques médicamenteuses. »
Un prix multiplié par 35
En attendant, cela profite à Nordic Pharma, qui, avec ce « monopole de circonstance », se voit assurer une belle rentabilité. Interrogé à ce sujet par les sénateurs, son dirigeant avait alors botté en touche « compte tenu du secret industriel ». Le coût d’une IVG médicamenteuse étant compris entre 305,62 euros et 353,64 euros selon le lieu où est réalisée l’intervention (hôpital ou médecine de ville), remboursé par l’assurance-maladie à 100 %, le gain est vite calculé.
Surtout quand on sait que Nordic Pharma a multiplié le prix du Gymiso par plus de 35 quand il en est devenu le détenteur… et qu’il n’a aucune concurrence d’un médicament générique, vendu environ 60 % moins cher que la molécule princeps. Résultat, la France est aujourd’hui dépendante d’un seul laboratoire alors même que ces médicaments sont indispensables à la garantie du droit des femmes à disposer de leur corps.
Alexandra Chaignon sur www.humanite.f’r
Que ce soit la mifépristone ou le misoprostol, les deux médicaments indissociables pour la pilule abortive ont connu des trajectoires troublées par les problèmes économiques, renforcées par les interventions des mouvements anti-IVG.
La découverte des propriétés abortives du RU 486 est faite en 1982 par le biologiste Étienne-Émile Baulieu, qui signe un accord avec l’OMS, en 1983, pour pouvoir utiliser mondialement cette molécule comme abortif. En France, malgré d’importantes actions des mouvements anti-avortement, le Mifegyne, produit par les laboratoires Roussel-Uclaf, est commercialisé en 1988 grâce à une injonction du ministre de la Santé, Claude Évin. En 1991, la molécule est associée avec le Misoprostol ou Cytotec pour une meilleure efficacité.
La pression des groupes anti-avortements
Propriété du groupe Hoechst après le rachat de Roussel-Uclaf, la pilule abortive est abandonnée en 1997 par le groupe allemand, qui cède aux menaces de boycott de l’ensemble de ses produits par les militants anti-avortement, en Allemagne et surtout aux États-Unis. En 2000, la molécule est cédée gratuitement au laboratoire Exelgyn, dirigé par le codécouvreur de la molécule, Édouard Sakis. C’est en 2010, après sa mort, que le laboratoire Exelgyn est racheté par Nordic Pharma, filiale de Nordic Group.
Médicament associé à la Mifegyne pour pratiquer les IVG médicamenteuses, le Misoprostol est confronté à une aventure similaire. Initialement utilisé dans le traitement des ulcères de l’estomac sous l’appellation Cytotec, il est commercialisé à partir de 1986 par le laboratoire américain Pfizer.
Mais constatant qu’il était utilisé majoritairement en gynécologie, essentiellement pour l’IVG et le déclenchement artificiel de l’accouchement à terme, le laboratoire l’a retiré du marché en 2018, en partie apeuré par les mouvements anti-IVG. Ne sont restés sur le marché que le Gymiso et le MisoOne de Nordic Pharma, contenant la même molécule, afin de sécuriser l’accès à l’IVG… mais à des prix dix fois plus élevés.
mise en ligne le 2 mars 2025
Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr
Le gouvernement Bayrou va augmenter la taxe sur les complémentaires santé de 1 milliard d’euros. Cette fiscalité déguisée est très inégalitaire : elle pèsera en premier sur les ménages les plus pauvres et les personnes âgées qui font le plus gros effort financier pour s’assurer.
AuAu moins 23 milliards d’euros. En 2025, le dérapage budgétaire de la Sécurité sociale, tel qu’il a été définitivement validé par le vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) le 17 février, devrait être spectaculaire. La cause est toujours la même : le manque de recettes sociales et fiscales à la hauteur de la croissance des dépenses, prévisible autant qu’inéluctable, en raison notamment du vieillissement de la population. Face au « trou » béant de la « Sécu », tous les gouvernements usent des mêmes ficelles : le retour des plans d’économie, sur l’hôpital notamment, ou encore le recul de l’assurance-maladie.
Pour économiser 1 milliard d’euros, le gouvernement Barnier avançait l’automne dernier une proposition qui avait au moins le mérite d’être honnête : diminuer la prise en charge par l’assurance-maladie des consultations médicales et des médicaments.
Le gouvernement Bayrou y a finalement renoncé : « Les Français ne paieront pas plus cher pour leur santé », a rassuré la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, Catherine Vautrin, le 15 janvier sur BFMTV. Mais, dans la foulée, elle a annoncé « la restitution » des 6 % d’augmentation du coût des contrats des complémentaires santé en 2025, annoncée par la Fédération nationale de la Mutualité française. Cette restitution, de 1 milliard d’euros également, sera versée « à l’État », sous la forme d’une taxe, puis réaffectée à l’assurance-maladie.
Le procédé est des plus retors, car les deux mesures reviennent à peu près au même : le coût des complémentaires santé va augmenter mécaniquement de 1 milliard d’euros. Ce sera donc un nouveau transfert de dépenses massif de l’assurance-maladie vers les complémentaires.
Le président de la Fédération nationale de la Mutualité française, Éric Chenut, rappelle à la ministre que « cette hausse des cotisations est justifiée par une hausse de [leurs] dépenses : la consultation médicale revalorisée à 30 euros, comme les tarifs de certaines professions paramédicales, et plus largement toutes les dépenses de santé, qui progressent au rythme de 4,5 à 5 % depuis le covid ». « Nous sommes des organismes non lucratifs, nous n’avons pas d’actionnaires ! », plaide-t-il.
Une taxe inégalitaire
L’économiste de la santé Brigitte Dormont, pourtant très critique du marché de la complémentaire santé, en convient : « Le gouvernement est dans l’enfumage. Cette augmentation de 6 % en 2025 était prévue avant les annonces du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Elle résulte en partie de la hausse du tarif de la consultation médicale. » Elle prévient : « Cette nouvelle taxe va augmenter les charges des complémentaires. » Et immanquablement faire exploser les cotisations en 2026.
Les complémentaires santé sont déjà taxées à 14 % : « Cette taxe pèse, non pas sur les résultats des complémentaires, mais sur les coûts des contrats, donc directement sur le montant des cotisations de nos assurés, précise Éric Chenut. Aujourd’hui, les cotisations de janvier et février partent en fiscalité. Si elle augmente de 1 milliard d’euros en 2025, ce sont deux mois et demi de cotisations qui partiront en taxe. À mes yeux, c’est une forme déguisée d’impôt ou de cotisation sociale pour financer le déficit de la Sécurité sociale. »
Il y a cependant une différence de taille entre cette taxe et un impôt et/ou une cotisation sociale. « Le coût de nos contrats n’est pas proportionnel aux revenus, rappelle le président de la Fédération française de la Mutualité française, Éric Chenut. La hausse de la fiscalité pèsera plus fortement sur les personnes aux contrats les plus onéreux : les personnes malades qui doivent augmenter leurs couvertures pour limiter leur reste à charge, les personnes âgées. »
« Les complémentaires sont très inégalitaires, complète Brigitte Dormont. Elles sont tarifées à l’âge, ce qui est une manière de tarifer au risque, puisque les personnes âgées ont en moyenne des dépenses de santé plus élevées. Même les mutuelles, qui communiquent beaucoup sur la solidarité, font la même chose. Si une mutuelle ne gère pas le risque comme Axa, elle est perdante. C’est la loi du marché. »
La grande Sécurité sociale devrait rembourser à 100 % les soins jugés essentiels auxquels tous devraient avoir accès sans se ruiner. Brigitte Dormont, économiste de la santé
« Parmi les retraités qui ont une complémentaire santé, poursuit l’économiste, les 20 % les plus riches consacrent seulement 4 % de leurs revenus à leur achat de couverture complémentaire et aux dépenses qui restent à leur charge. L’écart est énorme avec les 20 % les plus pauvres, qui sont au-dessus du seuil de la couverture santé solidaire [la complémentaire gratuite ou avec une participation limitée à 30 euros – ndlr]. Ceux-là y consacrent 10 % de leurs revenus ! »
Les mutuelles perdent la mise
À ce jeu-là, celui des inégalités entre riches et pauvres, malades et bien portants, ce sont sans surprise les assureurs privés lucratifs qui remportent la mise. En 2023, selon l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), « seules les sociétés d’assurance enregistrent un résultat technique positif, quoiqu’en repli. Les mutuelles et les institutions de prévoyance affichent des résultats techniques en diminution et déficitaires en 2023. »
Les mutuelles, à but non lucratif, perdent de l’argent, mais aussi des parts de marché. Ces actrices historiques de l’assurance santé, créées dès le XIXe siècle pour offrir un début de protection aux salarié·es, ont perdu leur hégémonie. Elles ne représentent plus que 46 % du marché de la complémentaire santé, qui pèse près de 40 milliards d’euros. Les assureurs privés le grignotent petit à petit (34 %). En dernier se trouvent les institutions de prévoyance (20 %), des organismes non lucratifs gérés par les syndicats qui vendent essentiellement des contrats collectifs d’entreprise.
Éric Chenut montre du doigt les « bancassureurs », ces banques qui proposent à leurs client·es de nombreux contrats d’assurance : habitation, voiture, santé…
« Ce n’est pas “sain” que les banques fassent de l’assurance, estime Éric Chenut. La banque sait tout de vous, même le détail de vos dépenses de santé si vous êtes assuré. Cela devrait nous questionner. »
Dysfonctionnement supplémentaire : les organismes gagnent de l’argent sur les contrats individuels, que paient entièrement les assuré·es, et en perdent sur les contrats collectifs d’entreprise, en partie pris en charge par l’employeur. « Les contrats individuels, ce sont les retraités, les chômeurs et les étudiants, explique Brigitte Dormont. Ce que signifient ces chiffres, c’est que ces personnes qui ne sont pas les mieux loties paient plus cher que les autres, pour nourrir la concurrence sur le marché collectif, où de vraies négociations ont lieu avec le patronat et les syndicats. C’est une véritable injustice. »
Cette machinerie complexe de l’assurance santé, qui mélange assurances publiques et assurances privées lucratives, non lucratives et paritaires, a un coût : 19,2 % du chiffre d’affaires des complémentaires santé (soit 8 milliards d’euros) s’évaporent en dividendes, pour les assureurs privés, et en frais de gestion. « Les frais de gestion ne sont pas seulement de la publicité, à laquelle nous consacrons en moyenne 20 centimes sur 100 euros de cotisation, se défend le président de la Fédération nationale de la Mutualité française. C’est le traitement des feuilles de soins, l’accueil physique et téléphonique basé en France, la pratique du tiers payant, nos actions de prévention. » Mais l’assurance-maladie affiche des frais de gestion bien moindres, de l’ordre de 5 %.
Le problème est structurel, insiste Brigitte Dormont : « Que des organismes publics et privés fassent la même chose – rembourser 70 % d’une consultation pour les uns, les 30 % restants pour les autres –, c’est totalement inefficace. C’est un vrai argument pour la grande Sécurité sociale, qui devrait rembourser à 100 % les soins jugés essentiels auxquels tous devraient avoir accès, sans se ruiner en reste à charge ou en frais d’acquisition d’une couverture. »
mise en ligne le 1er mars 2025
Clémentine Eveno sur www.humanite.fr
La CGT appelle à la mobilisation « pour gagner l’abrogation de la réforme » des retraites de 2023 le 8 mars, puis le 20 mars, dans un communiqué publié ce vendredi 28 février. Au-delà de ces deux premières dates, la CGT appelle à « une mobilisation d’ampleur » à terme.
Un appel à la mobilisation « pour gagner l’abrogation de la réforme » des retraites de 2023 a été lancé, par la CGT, ce vendredi 28 février, via un communiqué de presse. « Une majorité de Françaises et de français comme de député·es y sont favorables, la victoire est donc à portée de main », clame le syndicat.
Ainsi, l’organisation syndicale appelle à rejoindre les cortèges prévus le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, pour réclamer notamment « l’égalité salariale », présentée par la centrale comme étant une des solutions de financement du système.
Elle appelle également à rejoindre des cortèges le 20 mars « avec les organisations de retraités ». Au-delà de ces deux premières dates, la CGT appelle à « une mobilisation d’ampleur » à terme et invite « toutes les organisations syndicales à se rassembler pour construire le rapport de force ».
François Bayrou a évoqué un référendum
Le premier ministre François Bayrou a annoncé, la veille, jeudi 27 février au soir, dans un entretien au Figaro, qu’en « cas de blocage (…) le référendum est une issue », sans toutefois préciser la nature de ce blocage (négociations entre partenaires, au Parlement ou dans le pays…).
Pour rappel, le premier ministre avait chargé les syndicats et le patronat, en janvier, de renégocier, un nouveau cycle de concertations a ainsi été lancé pour renégocier la réforme des retraites d’avril 2023 (recul de l’âge légal de 62 à 64 ans), avec pour objectif d’aboutir à un accord fin mai.
Khedidja Zerouali et Mathias Thépot sur www.mediapart.fr
Dès son ouverture, la mascarade de la renégociation de la réforme des retraites se révèle pire qu’annoncée : FO claque la porte et Bayrou affirme qu’en cas de désaccord ce serait retour à la case départ ou référendum. Quant au patronat, il pousse pour introduire une dose de capitalisation dans le système.
Qu’il semble loin le temps où Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste (PS), se gargarisait d’avoir poussé le gouvernement à rouvrir le « chantier » des retraites. C’était pourtant le 16 janvier dernier, après que le parti à la rose avait refusé de voter la motion de censure déposée par LFI, car il avait obtenu de significatives avancées pour les Français. À commencer par la renégociation de la très impopulaire réforme des retraites, qui décale l’âge légal de départ de 62 à 64 ans.
Jeudi 27 février, l’ouverture de cette renégociation a présenté le décor d’une pièce de théâtre où chacun a joué son rôle. Pour la énième fois, les parties autour de la table ont redit leurs positions irréconciliables, telles qu’elles sont connues depuis des semaines. Les syndicats se sont mobilisés pour l’abrogation de la réforme des retraites, exigeant le retour de la retraite à 62 ans.
De leur côté, les organisations patronales, le Medef et la CPME, se sont dites favorables à l’introduction d’une dose de capitalisation, c’est-à-dire un système d’épargne dans lequel chaque retraité cotise pour sa future retraite. Le « patron des patrons », Patrick Martin, avait prévenu : « Si on doit reprendre le sujet des retraites, c’est pour améliorer le rendement de la réforme, certainement pas pour la détricoter. »
Force ouvrière (FO) a de son côté quitté la table des négociations, à peine un quart d’heure après s’y être assise, juste après avoir lu un communiqué. Pour eux, l’affaire est une « mascarade ». Aucune surprise, là encore, puisque FO avait annoncé avant même le début des négociations que le compromis ne serait pas possible. « La place du syndicat Force ouvrière reste évidemment à la table, s’ils souhaitent y revenir », a affirmé Matignon jeudi soir à l’AFP.
Les autres syndicats, eux aussi, aimeraient que FO revienne. « Ils ne nous avaient pas prévenus, commente Denis Gravouil, négociateur pour la CGT. On est bien d’accord sur le fait que le cadre ne nous convient pas, on est d’accord aussi sur le but : l’abrogation. Mais nous, on reste parce qu’il y a des chiffrages intéressants à obtenir, et surtout parce que claquer la porte sans avoir personne dans la rue, ça ne va pas nous apporter grand-chose. »
La CGT, elle, a enfin obtenu un chiffre qu’elle demandait depuis des mois : le coût d’un retour de l’âge de la retraite à 62 ans. « 10,4 milliards », a répondu l’exécutif. « Nous aurons des propositions pour les trouver » promet le deuxième syndicat du pays.
Une négociation torpillée
Plus vite encore que FO, François Bayrou a lui aussi fait preuve de célérité pour révéler le jeu de dupes en cours. Le premier ministre a torpillé cette négociation impossible avant même qu’elle ne commence (et alors qu’elle doit durer jusqu’au 28 mai), en annonçant dans un grand entretien au Figaro : « Si personne ne se met d’accord, nous l’avons dit, on en restera au système antérieur, défini en 2023. »
Pis, il affirme qu’en cas de « blocage », « le référendum est une issue ». Une façon d’acter d’ores et déjà ledit blocage, en court-circuitant une négociation qu’il a lui-même organisée. Et comme selon ses proches cette interview n’est pas une réponse au départ de FO, puisqu’elle aurait été faite avant, il faut bien comprendre qu’avant même la première journée de négociations, le premier ministre s’était déjà attelé à rendre la discussion caduque.
Pour rappel, lors de ses vœux de bonne année, Emmanuel Macron annonçait vouloir demander aux Français·es de trancher certains « sujets déterminants ». Depuis, ses ministres et son premier ministre lancent des idées à qui mieux mieux.
« Chiche !, lui répond Denis Gravouil de la CGT : faisons un référendum sur les retraites et on verra bien ce que répondent les Français. » Le syndicaliste est visiblement agacé par ce gouvernement qui tout d’un coup se sent d’humeur à entendre le peuple, après avoir interdit à ses représentant·es d’exprimer leur vote, préférant adopter la réforme au moyen de l’article 49-3.
« Par ailleurs, on a appris cette possibilité de référendum dans la presse comme tout le monde, poursuit-il. Quelle question sera posée ? Si c’est pour proposer une nouvelle réforme avec départ à 63 ans et l’introduction d’une part de capitalisation, ça ne nous intéresse pas. La seule question qui mérite d’être posée, et qui aurait dû être mise au vote, c’est : êtes-vous pour ou contre la réforme des retraites de 2023 ? »
Une lettre de cadrage impossible à tenir
Pour cet ersatz de négociation, François Bayrou a envoyé aux partenaires sociaux une lettre de cadrage pour le moins resserrée, exigeant des partenaires sociaux qu’ils trouvent des mesures pour un retour à l’équilibre financier du système des retraites à horizon 2030. Selon la CGT, cette lettre de mission est « impossible », puisqu’elle exige « de faire ce que les précédents gouvernements n’ont pas fait, à savoir remettre les comptes à l’équilibre ».
Et Michel Beaugas, négociateur pour FO, d’abonder : « D’une part, nous ne pourrons pas toucher à la borne d’âge et d’autre part, ce seront encore aux salariés que les efforts seront demandés. Or le déficit actuel est de 6 milliards d’euros alors que les aides publiques aux entreprises sans aucune contrepartie représentent 173 milliards d’euros. »
Mais Francois Bayrou n’en démord pas, il exige des économies drastiques sur le système des retraites, estimant qu’il existerait un déficit caché de 55 milliards d’euros par an, dont 40 à 45 milliards seraient empruntés chaque année. Une théorie qui a été démentie par tous les spécialistes, le Conseil d’orientation des retraites (COR) mais aussi par la Cour des comptes, dans un rapport datant du 20 février dernier.
Nous l’avons déjà raconté, la Cour des comptes rappelle que le système des retraites a été en excédent au début des années 2020, avec un solde positif de 8,5 milliards d’euros en 2023, en raison des réformes votées depuis une dizaine d’années. Mais le déficit se réinstalle et devrait atteindre 6,6 milliards d’euros cette année – c’est-à-dire un peu moins de 2 % des 337 milliards versés aux retraité·es par le régime général chaque année.
À l’horizon 2035, ce déficit devrait se stabiliser à 15 milliards, puis autour de 30 milliards en 2045. Si les chiffres peuvent paraître importants, il faut les comparer avec ceux des comptes publics qui, en 2023 et 2024, ont dérapé de 70 milliards d’euros par rapport à ce qui était prévu par le gouvernement.
Les pro-retraite par capitalisation s’organisent
Cette mascarade de réouverture des discussions sur le système des retraites permet enfin aux plus fervents défenseurs de la retraite par capitalisation – en opposition au système actuel par répartition – d’avancer leurs pions. Aux premiers rangs desquels les ministres de François Bayrou.
« Il faut lever ce tabou [de la retraite par capitalisation – ndlr] et mener la bataille culturelle », a confié le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, au Parisien. La ministre chargée du travail et de l’emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, estime pour sa part que l’idée d’introduire une part de capitalisation dans le système de retraites devait « faire partie des sujets de discussion » au sein du conclave.
Les ministres de la justice et de la santé Gérald Darmanin et Catherine Vautrin ont également fait des déclarations en ce sens. Le ministre de l’économie et des finances, Éric Lombard, se fait plus discret. Rappelons qu’il a été successivement patron des assureurs BNP Paribas Cardif et Generali France, deux institutions financières qui auraient beaucoup à gagner de l’instauration d’une dose de capitalisation dans le système des retraites. Un de ses proches cité dans Le Parisien confie ainsi qu’Éric Lombard ne serait « pas opposé » à l’idée d’une telle réforme.
Le Medef – il faut noter que sa négociatrice sur les retraites, Diane Deperrois, travaille pour l’assureur Axa – a déjà un projet clé en main à proposer au gouvernement et aux syndicats. Le président du Medef, Patrick Martin, plaide ainsi dans Le Monde du 27 février pour ouvrir la boîte de Pandore et affecter de manière obligatoire une partie des cotisations sociales des salarié·es à un fonds piloté par les partenaires sociaux, et qui investirait dans des produits financiers proposés par des banques, compagnies d’assurances et autres fonds de pension.
Le niveau des retraites des salarié·es dépendrait alors en partie des gains générés par ces placements. Pour compenser les pertes potentielles pour les branches famille et assurance-maladie de la sécurité sociale, le patron des patrons propose de lui transférer une part de TVA perçue par l’État.
Une proposition qui préfigure une financiarisation rampante de la protection sociale en France. Car au-delà d’introduire une dose de capitalisation, faire reposer le financement de la protection sociale sur une recette fiscale de l’État comme la TVA, et non plus sur des cotisations adossées aux salaires et gérées paritairement, c’est donner la possibilité aux futurs gouvernements de couper selon leur bon vouloir les vivres du système des retraites pour lui imposer l’austérité.
Ce qui engendrera mécaniquement un besoin croissant de capitalisation. Et tuera in fine le système universel des retraites par répartition basé, rappelons-le, sur des cotisations ouvrant le droit de bénéficier d’un salaire différé pour ses vieux jours.
mise en ligne le 26 février 2025
Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr
La Maison des chômeurs et citoyens solidaires de Montpellier, qui accompagne depuis 31 ans les privés d’emploi, pourrait fermer d’ici deux mois. Le département de l’Hérault a décidé de supprimer totalement sa subvention principale. Une catastrophe pour les bénéficiaires et les salariés de l’association.
Montpellier (Hérault).– À 62 ans, elle a signé « le premier CDI de sa vie » en juin 2024 et s’accroche à un double espoir : garder son emploi et voir l’association survivre. Embauchée comme coordinatrice à la Maison des chômeurs et citoyens solidaires de Montpellier, Claude demeure combative, face à la menace de fermeture de la structure, qui a fêté ses 31 ans en janvier.
Située à quelques encablures de la gare Saint-Roch, la structure accueille chaque jour, sans rendez-vous, des personnes sans emploi ou des travailleuses et travailleurs précaires en quête d’un coup de main administratif, d’un accès à un ordinateur mais aussi de lien social. L’an dernier, 2 000 personnes sont passées par la Maison des chômeurs ; 246 ont été accompagnées dans des recours administratifs et huit dossiers d’aide au logement ont été montés.
Début janvier, le département socialiste de l’Hérault, principal financeur du lieu géré par l’association Créer (Comité pour une répartition équitable de l’emploi et des revenus), a décidé de supprimer sa dotation annuelle de 38 112 euros au motif d’un « contexte budgétaire fortement contraint ». Privée de cette subvention, la Maison des chômeurs ne passera pas le printemps. « En mai, ça pourrait être terminé », soupire Claude, en se roulant une cigarette.
« C’est un endroit qui compte, souffle Denis, un habitué. Un lieu où on peut se poser, discuter, envoyer des CV et demander des conseils. » Sans emploi, bénéficiaire de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), le Montpelliérain a franchi pour la première fois la porte de la Maison des chômeurs il y a quatre ans. « Je suis passé devant, par hasard. J’ai vu le nom et je suis entré, pour voir. » Depuis, il vient quasiment tous les jours.
Du travail, Denis en cherche activement « dans tout et partout, et en particulier dans la restauration », précise celui qui vient de déposer un énième CV dans un café de la place de la Comédie, pour un poste de plongeur. « Je passe des entretiens, ça se passe bien mais on ne me rappelle jamais ! », déplore-t-il.
« Je l’ai vu se taper la tête contre les murs l’été dernier, raconte Claude. Les patrons de la région pleurent à la télé parce qu’ils ne trouvent personne mais lui, il n’était jamais pris ! » Récemment, il a eu une opportunité de travail sur la Côte d’Azur mais, comme toujours, la question du logement des travailleuses et travailleurs saisonniers est un frein. L’association l’aide donc dans ses démarches d’obtention d’un logement social.
« Denis est utilisateur de l’asso mais aussi bénévole, adhérent, pote et garde du corps personnel ! », sourit Claude, qui a su compter sur son soutien dans des moments difficiles. Âgé de 50 ans, l’homme fait partie de la centaine d’adhérent·es de l’association, dont près de la moitié résident en quartier prioritaire de la politique de la ville, selon les données 2024 de la structure.
Des gens seuls et exclus
68 % des adhérent·es ont au moins 50 ans et près de la moitié sont même âgé·es de 60 ans et plus. Ces profils, chômeuses et chômeurs séniors ou retraité·es en grande précarité, se retrouvent aussi chez les bénéficiaires, qui vont et viennent dans les locaux. « On a beaucoup de gens qui ne savent plus quoi faire, ni où aller, souligne Claude. Des gens exclus, vraiment très exclus. »
Des exemples, elle en a pléthore mais pense spontanément à celui qu’elle appelle « [s]on petit monsieur ». « Il a une soixantaine d’années, il est au RSA et est en très mauvais état physique après une vie de manœuvre sur les chantiers. Et puis l’année dernière, il a eu un très grave accident de la route, décrit-elle. Cet homme, il ne lit pas et n’écrit pas le français. Il est seul, vraiment tout seul… Il faudrait lui monter un dossier de reconnaissance de handicap. Il a une assistante sociale mais elle est débordée alors il finit toujours par venir chez nous. »
Les mains croisées sur les genoux, Bastien, assistant administratif de l’association, soupire : « Ils vont devenir quoi, ces gens, si on ferme ? Ils vont aller où ? » Sollicité par Mediapart sur la suppression de sa subvention et la menace de fermeture du lieu, le département de l’Hérault se dit dans « l’obligation de suspendre le versement de subventions de fonctionnement à certaines associations », évoquant « les différentes baisses de dotations et la non-compensation d’actions menées en lieu et place de l’État [qui] contraignent le département ».
La collectivité, qui sacrifie aussi le budget alloué à la culture, brandit depuis des mois la menace d’une « mise sous tutelle » de son budget et la nécessité de sortir « ciseaux, tronçonneuse et sécateur » pour l’éviter. « Le budget de l’État adopté récemment n’est finalement pas aussi raide pour les collectivités que celui préparé sous Barnier ! », pointe cependant Claude, qui espère que le département va revenir sur sa décision, et accordera une aide financière, même moindre, à la Maison des chômeurs.
Des liens avec France Travail
Interrogée sur ce point, la collectivité ne nous a pas répondu mais considère, pour justifier sa décision de couper la subvention, que « l’action de l’association Créer ne s’inscrit pas dans le cadre des compétences départementales obligatoires et s’adresse aux demandeurs d’emploi au sens large et non spécifiquement aux bénéficiaires du RSA ». Et poursuit : « Les actions d’accompagnement administratif menées par l’association Créer sont déjà assumées par les acteurs de droit commun que sont les CCAS [centres communaux d’action sociale – ndlr], les maisons France services et les services sociaux départementaux. »
Si elle comprend parfaitement la situation financière délicate du département, Claude est heurtée par les arguments. « Ça revient à dire que ce qu’on fait ne sert à rien, ne sert à personne... », s’émeut la coordinatrice. Depuis plusieurs semaines, elle remue ciel et terre en quête de financements par des appels au mécénat et aux dons. Claude s’obstine et refuse de parler des projets en cours au passé. « Un budget participatif nous a été accordé par la ville pour la rénovation des locaux et nous étions en pourparlers pour accueillir la permanence de la cinquième agence France services de Montpellier. »
Outre l’accompagnement personnalisé proposé par la Maison des chômeurs, Claude rappelle que la structure assure aussi, une fois par semaine, la permanence téléphonique nationale du MNCP, le Mouvement national des chômeurs et précaires.
Et la Maison des chômeurs participe également plusieurs fois par an aux comités de liaison de France Travail. « C’est important d’y être, détaille Claude. Ça permet de faire remonter des problèmes et de rester à jour. France Travail est à notre écoute et, parfois, nous envoie du monde. Récemment, ils nous ont adressé un allocataire qui ne sait pas utiliser un ordinateur. »
Voir tout ce travail sombrer, faute de financement, serait un crève-cœur. Sans parler du retour à la case chômage pour Claude, enfin embauchée après des années de galère. « L’asso me tient à cœur mais je ne vais pas être hypocrite, ma situation personnelle, aussi, me tient à cœur ! », lance la salariée, que Mediapart avait déjà rencontrée en 2022. À l’époque, elle était en contrat aidé au sein de l’association Créer et sortait la tête de l’eau après quatre années de chômage, avec 500 euros d’allocation mensuelle.
Une Maison des chômeurs obligée de licencier ! C’est vraiment hard. Claude
Assis en face d’elle, Bastien acquiesce. Le trentenaire a rejoint la Maison des chômeurs en 2024. Il a signé un contrat aidé, censé se prolonger jusqu’en novembre 2025. Son embauche en CDI, souhaitée par l’association, est remise en cause par la perte de la dotation du département.
« C’est vraiment le premier travail où je suis content de venir et totalement investi, souffle Bastien qui a jusqu’ici multiplié les contrats précaires – des chantiers d’insertion aux contrats de professionnalisation en passant par des CDD, parfois très courts.
Bastien rêvait d’être cuisinier mais a dû se réorienter dans l’administratif à la suite d’ennuis de santé et une reconnaissance de travailleur handicapé. Il a d’ailleurs pris l’initiative de monter une commission « handicap solidarité » à la Maison des chômeurs pour mieux accompagner toutes les personnes concernées.
« Si ça s’arrête, tout s’arrête », murmure-t-il, en secouant la tête. « Il n’y a aucun filet, pas de sauvetage possible pour les bénéficiaires. Et pour nos emplois, embraye Claude. Vous imaginez ? Une Maison des chômeurs obligée de licencier… c’est vraiment hard. »
La conversation est interrompue par un homme, à la taille imposante, qui entre dans le bureau. Il serre les mains, sans dire un mot, dépose un paquet de chips sur le bureau de Claude, accompagné d’un léger sourire. Puis s’en va s’installer devant un ordinateur, dans la salle attenante, toujours sans mot dire.
« C’est un petit cadeau, ça arrive, glisse Claude, amusée, en regardant le sachet. Parfois, j’ai des oranges aussi. » L’homme, raconte-t-elle, est originaire « des pays de l’Est » et a plus de 70 ans. « C’est un homme très lettré. Je crois qu’il était journaliste dans son pays. Il vient faire des démarches pour rester dans son foyer d’urgence. Apparemment ils veulent le virer... », murmure-t-elle.
La « petite sonate CNews »
Concentré et mutique, l’homme restera plus d’une heure devant un ordinateur. À l’évocation de son parcours, Bastien répète inlassablement la même interrogation : « Si on ferme, ils vont aller où ces gens ? » Assis près de la fenêtre, Denis tapote sur la table et répond, comme pour lui-même : « Ça ne fermera pas, c’est impossible que ça ferme, impossible... »
Interrogée sur la réaction des bénéficiaires face à cette menace de fermeture, Claude répond que la plupart sont résigné·es « et ce, depuis longtemps ». Elle a vu toute forme de combativité s’étioler avec les années, à coups de « réformes successives de l’assurance-chômage » et de « ségrégation des précaires ».
La coordinatrice de la Maison des chômeurs s’est risquée à lire les commentaires, sous un article en ligne du quotidien régional Midi libre, traitant de la perte de subvention de l’association. « Une horreur… La classique petite sonate CNews avec des propos contre “les assistés” et “les étrangers” qu’il faudrait arrêter de financer. Tous les effets de la stigmatisation permanente des chômeurs, depuis des années… »
mise en ligne le 25 février 2025
Clémentine Autain, Alexis Corbière, Gérard Filoche et Danielle Simonnet sur www.politis.fr
Le « conclave » voulu par François Bayrou ne vise qu’à empêcher démocratie et vote, une fois encore, alors qu’un simple vote au Parlement abrogerait la retraite à 64 ans, estiment les dirigeants de L’Après, Clémentine Autain, Alexis Corbière, Gérard Filoche et Danielle Simonnet.
La Cour des comptes, dans son rapport du 20 février, a démenti la tentative de François Bayrou d’accuser nos retraites de produire un déficit de 55 milliards. Elle n’a relevé que 6 milliards de « trou ». Ce qui est peu sur un budget total de 350 milliards. Et Bayrou est mal placé pour donner des leçons de morale, de déficit et de dette au moment même où Ursula von der Leyen – cédant à Donald Trump qui exige 5 % de dépenses de guerre par pays européen – assouplit officiellement les critères budgétaires de Maastricht en UE afin de permettre aux États membres de s’endetter davantage pour l’effort militaire. Ainsi l’argent magique existe, il est soudain découvert, déficits et dettes deviennent moins pressants, pas pour le social, pas pour nos retraites, mais pour les industries de guerre.
« Ils inventent de prétendues difficultés de financement alors que chacun sait que ça dépend des salaires nets et bruts. »
Notre point de vue est exactement à l’opposé : après une vie de travail difficile et longue, des centaines de milliers d’accidents du travail et de maladies professionnelles, la retraite est un droit fondamental des salariés. Il y a 13 ans d’écart de moyenne d’espérance de vie entre les plus riches et les plus pauvres. Un ouvrier vit 7 ans de moins qu’un cadre. Les femmes sont gravement lésées par le système. Le progrès social, ça consiste à permettre à tous ceux qui ont produit les richesses, de vivre leur retraite en bonne santé dans les meilleures conditions possibles. Si on gagne plus, si on vit plus longtemps, c’est pour en profiter plus longtemps.
La retraite par répartition n’est ni un impôt ni une épargne ; la solidarité intergénérationnelle s’effectue par le biais des cotisations qui sont reversées en direct, en temps réel, sous contrôle public, de ceux qui travaillent encore à ceux qui ne travaillent plus. C’est une caisse séparée de celle de l’État, et elle ne génère que 9 % de la « dette » présumée alors que l’état lui-même en génère 82 %.
Ces cotisations sont du solide et de la confiance car elles s’appuient sur le travail de tous les actifs sans cesse renouvelé, elles ne sont pas à la merci des spéculations boursières privées et opaques. Rien de pire que la « capitalisation » : n’y risquez pas un sou, les fonds de pension privés ne sont pas fiables, des millions de salariés anglo-saxons ont tout perdu à ce jeu de poker, dans les bourrasques monétaires à répétition.
En 1982, il a été acquis que le droit à la retraite en France était ouvert à partir de 60 ans pour toutes et tous, et parfois avant, de façon négociée, dans les métiers les plus difficiles. Aujourd’hui la France est quatre à cinq fois plus riche, et selon les exigences d’une juste répartition des richesses produites par les salariés, ceux-ci doivent en bénéficier à tous les niveaux, dont la hausse des salaires et la baisse de la durée du travail. Il est des métiers où, comme dans le bâtiment, la retraite devrait être à 55 ans.
Sans cesse patronat et financiers veulent rogner le coût de notre travail et hausser celui du capital. Ils veulent réduire la part du PIB consacrée aux retraites, actuellement de 14 %, à 11 %, alors que la démographie (actuellement 15,4 millions de retraité.es) impose de la faire évoluer vers 20 %. D’où une bataille incessante depuis des décennies pour reculer l’âge du droit au départ en retraite et le niveau des pensions. Ils veulent plonger la majorité des retraité.es dans la misère. Leur dernière offensive imposant le départ à 64 ans et visant même à baisser les pensions par désindexation sur les prix, a soulevé une opposition sans précédent : 14 manifestations unitaires, des millions de manifestants, 95 % de l’opinion des actifs contre, ils n’ont pas pu la faire voter et ont dû user de scandaleux coups de force avec des 49-3 à répétition.
« Nous demandons le vote au parlement pour abroger les 64 ans. »
Les derniers soubresauts des gouvernements Macron, Borne, Attal, Barnier, Bayrou visant à empêcher démocratie et vote, ont finalement débouché sur la mise en place d’un « conclave » soumis aux choix trop bien connus du Medef alors qu’un simple vote au Parlement, tout le monde le sait, abrogerait les 64 ans.
Ils inventent de prétendues difficultés de financement alors que chacun sait que ça dépend des salaires nets et bruts. Ajuster les cotisations pour garantir la prestation. Après des décennies de blocage, un rattrapage des salaires nets et bruts, incluant cotisations salariales et patronales est la solution directe, facile, incontournable pour financer la retraite à taux plein à l’âge choisi par la majorité du salariat.
Nous demandons le vote au parlement pour abroger les 64 ans.
Nous demandons un financement pérenne basé sur les cotisations salariales et patronales
mise en ligne le 20 février 2025
Hayet Kechit sur www.humanite.fr
Précarisation, fermeture de guichets, distributions de courrier ajournées, dégradation des conditions de travail… le malaise est croissant à La Poste. La Cour des comptes, dans un rapport publié le 17 février, enjoint pourtant à l’opérateur d’accélérer la cadence dans la baisse des coûts, au nom de la rentabilité.
Les véritables enseignements des rapports livrés par la Cour des comptes ne se nichent parfois pas là où on le croit. Ainsi en va-t-il de cette « analyse » sur « la Trajectoire financière de La Poste pour les exercices 2019 à 2023 », publiée lundi 17 février par la haute juridiction. Derrière les chiffres et les constats alarmistes se dessine avant tout une certaine vision du service public qui a le mérite de jeter une lumière crue sur l’origine des alertes émergeant partout en France de la part des syndicats.
Que peut-on y lire ? Que La Poste subit « une dégradation de sa situation financière ». La faute à une rentabilité « insuffisante » de ses « activités de diversification » (la logistique et la bancassurance notamment), mais aussi – et il faut croire que la Cour des comptes assume l’oxymore – à la « faible rentabilité » de ses missions de service public, notamment celles liées à la distribution du courrier, frappée par « une baisse marquée et inexorable, tout comme la fréquentation des bureaux de poste ».
En témoignerait la chute du résultat net du groupe, passé de 1,2 milliard d’euros en 2022 à moitié moins en 2023, soit 514 millions d’euros. « Des mesures de remédiation dans le cadre d’un nouveau plan stratégique », prenant en compte « la baisse des métiers historiques », et un « réexamen du contenu des missions de service public confiées au groupe » s’imposeraient donc selon les magistrats de la Rue Cambon.
« Un incubateur à précarisation de l’emploi »
Dans le viseur, notamment : la fréquence de la distribution du courrier (actuellement de six jours sur sept) et les bureaux de poste, la branche services-courrier-colis ne représentant « plus que 15 % du chiffre d’affaires, contre près de 50 % en 2010 ». Il en irait de la santé des finances publiques, l’État étant actionnaire au sein du groupe à hauteur de 34 %, aux côtés de la Caisse des dépôts et consignations (66 %).
À en croire les syndicats, la nouvelle orientation préconisée est pourtant déjà bien à l’œuvre, résultat du plan 2021-2030 mis en place, pour ajuster la stratégie de l’entreprise, par Philippe Wahl, le PDG de La Poste. Si la Cour des comptes le juge encore insuffisant, sur le terrain les secousses sont, elles, déjà redoutables pour les salariés et les usagers.
En décembre, quelque 20 000 intérimaires, qui enchaînaient des missions parfois depuis plus de dix ans, ont vu leur contrat brutalement interrompu. Mis sur le carreau, ils ont été la variable d’ajustement d’un système à partir duquel le groupe a depuis plusieurs années construit son modèle. « La Poste a cette particularité d’être un incubateur à précarisation de l’emploi. Que ce soit dans les agences de distribution ou les dépôts, il y a tellement de formes d’emploi que des dizaines de contrats différents se côtoient au sein d’un même site », pointe Laetitia Gomez, secrétaire générale de la CGT intérim.
Interrogée en décembre sur cette affaire, la direction de La Poste avait fait valoir « les recrutements supplémentaires de plus de 1 000 facteurs en CDI sur le dernier trimestre 2024, qui se rajouteront aux 2 300 recrutements externes de facteurs en CDI réalisés à fin septembre et aux 3 150 distributeurs de Mediaposte intégrés en février dernier ».
Pour Catherine Stolarz, pilote des activités poste à la fédération CGT FAPT, le compte n’y est pas : « Le départ des intérimaires est aussi une catastrophe pour ceux qui restent, parce qu’ils doivent assurer toute l’activité sans ce renfort qui était structurel. » La charge de travail serait à un niveau tel que les arbitrages dans le choix du courrier à distribuer seraient devenus monnaie courante. « La Poste est sur une politique uniquement de rentabilité et non plus de service public », conclut la syndicaliste.
L’inspection du travail alertée
Dans la Loire, le constat est partagé par les facteurs de la plateforme courrier du site de Champbayard, à Boën-sur-Lignon, et ceux du centre de courrier de Riorges, en grève depuis plus de deux semaines. Déjà sous pression, les premiers ont appris fin janvier la suppression de trois tournées, ainsi que la fermeture d’un guichet professionnel dans le centre de distribution, jugé trop peu fréquenté.
Une réorganisation décidée « sur un coin de table, sans en référer aux instances du personnel », selon Serge Ronze, secrétaire général CGT FAPT Loire, qui décrit des « salariés à bout, régulièrement en larmes », pour lesquels l’inspection du travail aurait été alertée.
Une détresse qui mêle épuisement, sentiment de mépris, mais aussi perte de sens. « On nous demande désormais de laisser dans les casiers le courrier jugé peu important, faute de bras. En fait, La Poste nous demande de mal faire notre travail et de ne plus remplir correctement nos missions », assène le syndicaliste. Pour mieux en justifier la suppression ?
mise en ligne le 19 février 2025
Par Ines Soto sur https://www.bondyblog.fr/
Installé en région parisienne, ce centre d’hébergement accueille de jeunes femmes de 18 à 25 ans victimes de violences. Fondée en 2021, cette structure prend en charge quelque 50 femmes en leur pourvoyant un logement et accompagnement spécifique. Reportage.
« Ce n’était pas censé être notre modèle de prise en charge au départ, mais l’équipe s’est rendu compte que cette tranche d’âge, les femmes de 18-25 ans sans enfant, était vulnérable et un peu oubliée de la prise en charge », introduit Violette Perrotte, directrice générale de la Maison des femmes. Cette association est la maison mère du centre d’hébergement Mon Palier.
L’équipe a été « dessinée en miroir de l’unité de soin de la Maison des femmes. On s’est inspiré du modèle de l’association FIT Une femme, un toit, qui se spécialise dans l’hébergement de ce public », précise la directrice. Après trois ans d’existence, les encadrantes mesurent son impact avec des sorties jugées positives.
Préserver l’adresse cachée
Un trait d’eye-liner rose est finement tracé au-dessus de ses yeux. Lina, 23 ans, est arrivée à Mon Palier il y a près d’un mois. Elle partage sa chambre avec une autre jeune femme, dans un appartement où elles vivent à quatre. Les sept logements sont agencés ainsi, munis d’une kitchenette et d’un sanitaire.
Subissant des violences intrafamiliales, Lina a été orientée par une assistante sociale vers ce centre. À son arrivée, ses besoins sont multiples. « D’abord celui de mise en sécurité, de logement et surtout de bien-être. Mais aussi d’être entourée et de ne pas être seule pour me reconstruire. »
Tout emménagement nécessite un entretien d’admission afin d’éviter l’inefficacité de la prise en charge et la mise en péril du collectif. Notamment concernant la mise en sécurité. « L’adresse secrète est une contrainte et, si on n’en a pas vraiment besoin, on peut faire moins attention », souligne Olivia Gayraud, la cheffe de service. Car, en pratique, les résidentes ne peuvent pas recevoir de proches ou de colis, ni se faire déposer devant la porte par un taxi.
Pour leurs allées et venues, elles sont libres, mais doivent tout de même prévenir lorsqu’elles découchent. L’équipe salariée est sur place de 9 heures à 21 heures, puis, des agentes de sécurité prennent le relais. Un déménagement vers un lieu plus grand est en préparation. « Là-bas, on aura la possibilité d’accueillir en urgence comme nous aurons des chambres individuelles », se réjouit Chloé Rinaldo, travailleuse sociale. La capacité d’accueil passera de 28 à 38 femmes.
Une période charnière
En 2023, à l’arrivée, 55 % des pensionnaires ont moins de 21 ans. « On parle beaucoup des victimes de violences conjugales, mais assez peu de la violence intrafamiliale. Il n’y a pas que l’inceste, il y a beaucoup de maltraitance, de violence physique, psychologique et notamment administrative », témoigne Olivia Gayraud.
Les violences conjugales sont également fréquentes au sein de jeunes couples. Sur la totalité des femmes accueillies en 2023, les types de violences se répartissent ainsi : 33 % intrafamiliales, 21 % conjugales, 11 % mariage forcé, 10 % inceste, 9 % viols, 8 % prostitution, 7 % excision, 1 % esclavage moderne.
« Il existe plusieurs types d’hébergement pour femmes, mais un lieu pour celles de 18 à 25 ans, avec une adresse cachée, c’est assez spécifique », souligne Chloé Rinaldo. Elle est vigilante à ne pas projeter des choses sur les femmes qu’elle accompagne, elle travaille autour de leurs envies et leurs valeurs. « On est là pour les guider. Même quand on n’a pas vécu de choses difficiles, c’est un âge où on peut être perdu. »
Venir ici et me libérer de tout ça m’a soulagée
L’accompagnement socio-éducatif est au cœur du projet, et les femmes qui les entourent constatent que c’est une période charnière. « On peut faire plein de choses avec elles, ça va vite. »
Avant d’arriver, Lina a subi des pressions. « Venir ici et me libérer de tout ça m’a soulagée. J’avais pas mal d’angoisses, du mal à manger et à dormir. Ici, j’ai reçu un bon soutien. Au niveau santé mentale, j’évolue beaucoup », reconnaît-elle d’une voix calme.
Un suivi sur mesure
Un contrat de séjour fixe la durée de l’hébergement, et peut être prolongé au besoin, jusqu’à deux ans. Puis un contrat d’objectif est établi avec la référente qui les reçoit chaque semaine, dans lequel chacune renseigne ses souhaits et les moyens d’y parvenir. « Ça peut être réussir à suivre un accompagnement psychologique, avec ou sans soutien de notre part, ou encore passer l’équivalence de leur permis en France », détaille Chloé Rinaldo.
À Mon Palier, en 2023, 28 % des résidentes sont sans papiers, 60 % n’ont aucune couverture médicale à leur arrivée. Certaines subissent la rétention de leurs documents administratifs. Dans un premier temps, il est donc urgent de gérer l’administratif, avec parfois le soutien d’une avocate bénévole. Toute une réflexion est également menée sur l’après, la réinsertion professionnelle, la recherche d’hébergement, etc.
Lina s’épanouit dans le milieu hospitalier et rêve d’un chez elle après le centre. « J’ai plusieurs accompagnements ici, je parle de tout ce qui est traumatisme avec la psychologue, je travaille sur les tensions au niveau du corps avec l’ostéopathe et, avec l’éducatrice, c’est plutôt l’administratif comme les déclarations d’impôts », détaille-t-elle.
Une maîtresse de maison est présente pour les accompagner : planning de ménage, ateliers de cuisine, gestion des courses. En “mode survie” avant leur arrivée, certaines ont aussi besoin d’aide pour gérer des actes du quotidien tels que le réveil ou le coucher. Une psychologue et un médecin interviennent régulièrement. Le centre propose aussi l’ostéopathie, la danse, l’art thérapie ou encore la psycho-éducation. La vie en communauté est également un apprentissage, des tensions apparaissent parfois, temporisées par l’équipe.
« Il y a beaucoup de vie ici »
« Quand je suis en repos, je discute avec mes colocataires, je vais dans la pièce commune en bas. » Lina essaie de participer aux activités, en plus de son suivi personnel. « À Noël, on a fait un grand repas, pour le 31 aussi, on a fait une raclette et je vais participer à des cours de danse cette semaine », raconte-t-elle. Soirées à thème, venue d’une célébrité de Danse avec les stars pour la galette…
« Il y a beaucoup de vie ici, des moments douloureux, mais aussi des moments de joie où on s’amuse. » Olivia Gayraud tient à cet aspect de l’accompagnement. « Il y a beaucoup de situations dramatiques, mais ce lieu ne l’est pas », souligne-t-elle. La cheffe de service veut transmettre l’espoir aux femmes qui franchissent la porte. « Quand elles ont compris qu’elles peuvent aller mieux, c’est une étape. »
Elles peuvent avoir des conduites à risque liées à leur traumatisme
L’étiquette de victime est lourde à porter, elle aspire à ce qu’elles s’en détachent. « On leur apprend aussi à repérer les situations de violence. Parfois, on a l’impression qu’elles vont un peu mieux, mais il va y avoir des sujets sur lesquels c’est plus délicat. Par exemple, elles peuvent avoir des conduites à risque liées à leur traumatisme. »
Les jeunes filles qui sont à Mon Palier, « sont certes sorties de l’enfance en définition légale, mais elles ont ici des accompagnements très importants, nécessaires », soulève Violette Perrotte qui lutte pour une revalorisation de la dotation journalière pour les plus de 18 ans pris en charge dans un foyer.
Celles qui n’ont pas de ressources reçoivent des tickets services, les autres contribuent en fonction de leurs revenus. Jusqu’ici, 43 % des résidentes ont bénéficié d’une sortie positive. Le nouveau lieu situé dans Paris, mis à disposition par un mécène, permettra d’améliorer la qualité de vie, le confort dans cette transition vers une nouvelle vie, une vie à elles.
mise en ligne le 13 février 2025
Lionel Venturini sur www.humanite.fr
Ils s’appellent BlackRock, Bridgepoint ou encore Ardian. Ces fonds d’investissement, après avoir phagocyté la biologie médicale ou les Ehpad, s’attaquent désormais au secteur de l’imagerie médicale. L’Académie de médecine alerte sur une « financiarisation de tous les dangers ». Avec déjà des conséquences perceptibles pour les patients… Vous êtes vous déjà demandé pourquoi les délais s'allongeaient pour pouvoir faire une mammographie ? Réponses.
Le scénario est rodé : approcher un cabinet de radiologie avec des médecins proches de la retraite, et mettre un pactole sur la table. « Historiquement, un radiologue qui partait à la retraite vendait ses parts autour de 300 000 euros à un jeune médecin débutant. Avec les montages actuels, il est possible de voir un investisseur non médecin payer dix fois plus », admet volontiers Joseph El Khoury de la banque d’affaires Natixis au média en ligne Imago.
La période est une aubaine pour les financiers : il y a en France un retard global d’équipement en imagerie lourde comparé à d’autres pays et le secteur a besoin de renouveler régulièrement ses machines. La croissance de l’activité est assurée, portée par le vieillissement de la population et les enjeux de prévention, le tout avec un risque limité. L’imagerie médicale dans le secteur libéral, c’est 3 milliards d’euros de recettes annuelles. De 20 % à 30 % du secteur serait déjà tombé dans l’escarcelle de financiers.
Convoqués devant le Sénat, qui a produit récemment un rapport d’information sur ces véritables « OPA sur la santé », des groupes d’imagerie ont dû avouer une belle rentabilité : selon Simago, qui exploite 115 IRM et scanners, les groupes d’imagerie peuvent afficher une marge sur résultat net de l’ordre de 10 %. Pour le groupe ImDev, elle a même dépassé les 30 % en 2023. Quant au groupe Vidi, il se fixe pour objectif de quintupler son chiffre d’affaires au cours des quatre prochaines années.
Tous les secteurs de la santé sont concernés
Pour acquérir ces labos, toute la panoplie des montages financiers exotiques y passe. LBO, OBO, BIMBO… Ces techniques de rachat par endettement, où la trésorerie de l’entreprise est pompée pour rembourser la banque et rémunérer les actionnaires, sont régulièrement utilisées dans l’espoir de revendre, au bout de cinq à sept ans, avec un maximum de bénéfice. Concentration, rentabilité accrue : les laboratoires d’analyses ont connu ce phénomène il y a vingt-cinq ans en France. Six groupes se partagent désormais les deux tiers des labos français, le processus s’étend aussi aux centres dentaires et ophtalmologiques.
Tous les acteurs de la radiologie, pourtant, mettent en garde contre cette financiarisation : le Conseil de l’ordre réclame des garde-fous législatifs, l’Académie de médecine prévient d’une « financiarisation de tous les dangers ». La Cnam admet que les offres des financiers « sont particulièrement difficiles à refuser ». Même la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé s’en inquiète, et a nommé un référent en la matière.
En principe pourtant, les financiers doivent être tenus à l’écart des soignants : depuis la loi du 31 décembre 1990, 75 % d’une société d’exercice libéral (SEL) doivent être détenus par des médecins. L’astuce des financiers est de contourner cette loi : ils achètent l’immobilier, le parc de machines – un IRM peut monter à 1,6 million d’euros – et proposent aux radiologues, afin de les rémunérer, des montages juridiques complexes.
« Ce qu’on m’a demandé de signer s’étalait sur plusieurs centaines de pages, assorties de multiples clauses de confidentialité », confie un radiologue. À la manœuvre, des avocats spécialisés, rompus aux montages limites depuis l’épisode des laboratoires d’analyses. On y parle cash flow, ou encore « panier moyen dépensé par le patient », selon un vocabulaire en vogue dans les écoles de commerce.
« Faire interpréter 80 examens en une seule journée à un radiologue, c’est l’exposer à des erreurs de diagnostic. »
Les clauses des contrats lient les mains des soignants. Un exemple : « Le président est désigné, renouvelé ou remplacé par décision des associés (…), sur proposition des titulaires d’actions ordinaires ». Or, les actions ordinaires sont détenues intégralement par… l’investisseur. De même, pour s’aliéner les radiologues dans le contexte actuel de pénurie de médecins, certains contrats prévoient que les praticiens qui veulent cesser leur activité s’engagent d’abord à plusieurs années de travail avant de percevoir la totalité du prix de vente du laboratoire.
Des patients à deux vitesses
Si vous devez attendre un mois pour une mammographie, mais seulement deux jours pour une IRM du genou, il y a une raison à cela. La seconde est rapide à mener et autorise des dépassements d’honoraires. La première, en dépit de son intérêt évident pour la santé publique et le dépistage du cancer du sein, est obligatoirement réalisée sans dépassement, mal cotée par la Sécu, et nécessite, dans les textes, la présence physique d’un médecin.
« Des ponctions de thyroïde, des biopsies, des interventions mini invasives sur des cancers, ce sont des actes réalisables en radiologie mais peu rentables car ils prennent du temps », précise le docteur Philippe Coquel, secrétaire général adjoint de la Fédération des médecins radiologues. Il suffit donc au centre de radiologie de limiter les créneaux disponibles pour une mammographie ou un contrôle de métastases hépatiques, et d’en ouvrir au contraire beaucoup pour les examens les plus rapides et rentables. En la matière, le cas de La Réunion est, pour le Dr Coquel, « l’expérimentation grandeur nature d’une financiarisation galopante ».
En mars dernier, le Conseil de l’ordre des médecins mettait en garde également contre la remise en cause de l’indépendance professionnelle, avec ces centres d’imagerie qui « orientent leur activité avec la lucrativité pour seule finalité, au détriment de la santé publique ». Devenant des « travailleurs non salariés » – n’étant ni en CDD ni en CDI, ils échappent au Code du travail – les praticiens s’aperçoivent que « l’enveloppe du financier n’est jamais négociable », résume devant les sénateurs Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les usagers au Conseil de l’ordre.
Pour augmenter le salaire du personnel, on demandera au radiologue d’ouvrir durant le week-end ou de réaliser plus rapidement certains examens. « Voilà comment, de façon très insidieuse, les professionnels sont amenés à modifier dangereusement leurs pratiques. »
Le fantasme de l’intelligence artificielle
Pour augmenter la productivité, les financiers misent sur le télétravail du radiologue et… l’intelligence artificielle. L’IA ? « C’est encore un mirage », pour le docteur Coquel, qui alerte : « Faire interpréter 80 examens en une seule journée à un radiologue », soit quelques minutes par patient, « c’est l’exposer à des erreurs de diagnostic ».
Cette financiarisation ne va pas sans quelques résistances. Un groupe financiarisé, Imapôle, est ainsi sous le coup de plusieurs demandes de radiation par l’Ordre des médecins – l’affaire sera jugée par le Conseil d’État début 2025. En janvier 2024 s’annonçait le plus gros « deal » du secteur, 650 millions d’euros pour racheter Excellence Imagerie. Six mois plus tard, l’acheteur, Antin Infrastructure Partners, renonce. Signe que l’environnement s’avère moins favorable ?
En février 2024 se constituait le réseau Radian (Réseau pour une approche durable et indépendante de l’activité nucléaire) par des internes de médecine nucléaire, qui entendent promouvoir d’autres modèles d’organisation et de travail. L’initiative suit de peu celle de Corail, le Collectif pour une radiologie libre et indépendante, créé en début d’année 2023.
Avec 2000 adhérents sur un peu plus de 5 300 radiologues libéraux, « c’est la preuve que l’arrivée des financiers qui tenaient un discours simple – “vous ferez de la médecine, nous, on gérera le reste” –, ne passe plus aussi bien aujourd’hui », souligne l’un de ses cofondateurs, le docteur Aymeric Rouchaud. « On sentait qu’on ne gagnerait pas immédiatement sur le plan législatif, poursuit-il, alors avec Corail, on joue sur le rapport de force : la démographie médicale est en notre faveur. »
« Le point de bascule, analyse encore le médecin, a été le “quoi qu’il en coûte” de Macron durant le Covid-19. » En 2020, les fonds d’investissement se sont dit que si la santé était à ce point sanctuarisée, ils auraient les coudées franches pour agir. C’est pourquoi on trouve également parmi les financeurs de ces rachats, outre les fonds d’investissement anglo-saxons, les principales banques françaises, mais aussi, plus curieusement, la banque publique Bpifrance, ou le fonds d’investissement Ardian, lancé initialement par Claude Bébéar, l’ancien PDG d’Axa. Fonds qui a recruté un ancien conseiller de l’Élysée, Emmanuel Miquel, macroniste de la première heure. Signe que la financiarisation de la santé a le feu vert au plus haut niveau.
À La Réunion, l’expérimentation grandeur nature de la financiarisation
« Faire interpréter 80 examens en une seule journée à un radiologue », soit quelques minutes par patient, « c’est l’exposer à des erreurs de diagnostic »L’île de La Réunion préfigure ce qui attend la métropole si rien n’est fait : la grande majorité des équipements IRM et scanners sont désormais aux mains de financiers, selon les relevés effectués en novembre 2024 par « le Quotidien de La Réunion ». Résultat : les plaintes de patients qui ne trouvent pas de rendez-vous à une date raisonnable pour certains examens s’accumulent à l’ARS. Cette dernière dresse un état des lieux inquiétant : « Une participation moins importante aux dépistages organisés des cancers, un accès aux soins plus difficile, une prévalence plus élevée de certaines maladies chroniques ou encore une situation socio-économique défavorisée. »
Cette dégradation de l’accès à l’imagerie médicale pèse d’autant plus que 36 % des Réunionnais vivaient en 2020 (derniers chiffres disponibles) sous le seuil de pauvreté, soit 2,5 fois plus que dans l’Hexagone. L’agence souligne aussi un sous-effectif de cancérologues. Une situation qui a poussé le député (GDR) Frédéric Maillot à écrire au ministère de la Santé en avril 2024, soulignant dans sa missive le retard sensible de La Réunion en matière de dépistage, comparé à l’Hexagone. Début 2025, la lettre n’avait toujours pas reçu de réponse. Il faut dire que, pour cause de dissolution par Emmanuel Macron, le ministère de la Santé a connu trois ministres en un an…
Lionel Venturini sur www.humanite.fr
Coauteur d’un rapport parlementaire intitulé « Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la santé ? » (septembre 2024), le sénateur (Place publique) Bernard Jomier analyse les mouvements à l’œuvre dans le secteur et avance des solutions pour y remédier.
En démarrant vos auditions, vous connaissiez le poids prépondérant de la financiarisation dans différents champs de la santé. Avez-vous néanmoins été surpris par son ampleur ?
Bernard Jomier : Ce qui nous est apparu le plus inquiétant, c’est la progression de la financiarisation dans le secteur des centres de santé, vécus dans l’opinion générale comme des lieux de non-profit, issus d’une histoire progressiste, instaurés souvent par des municipalités communistes, et par le mouvement mutualiste également – c’est ce dernier qui a porté le tiers payant. Aujourd’hui, l’appellation est devenue tout à fait trompeuse : beaucoup sont en fait des structures financiarisées.
Ce rapport, par définition transpartisan, semble faire largement consensus…
Bernard Jomier : On a assez vite acté qu’il fallait arrêter ce mouvement de financiarisation dans le secteur ambulatoire : ORL, dentistes, imagerie, médecine générale… Pourquoi sommes-nous tombés d’accord, par-delà les divergences politiques ? Parce que nous avons considéré que notre système, qui repose depuis la Libération sur deux piliers, une offre publique et une offre privée, ne devait pas être remis en cause. Et parce que ce modèle admet une part de régulation et de contrôle, il permet à la puissance publique de mener une politique de santé.
À partir du moment où on y substitue un capitalisme financier, le contrôle de la pertinence des actes effectués est sérieusement entaché. On l’a vu dans la dentisterie avec la multiplication de faux actes, d’actes inutiles ou surfacturés. Sages-femmes, kinés, médecins… il y a eu consensus de toutes les professions lors de nos auditions pour repousser ce capitalisme-là. Les ordres professionnels ont également brutalement pris conscience qu’ils ne pourraient plus remplir les missions sur l’indépendance professionnelle qui leur sont confiées par la loi.
Une évolution législative serait-elle suffisante pour contrecarrer les ambitions des financiers ?
Bernard Jomier : Notre rapport fait bouger les lignes. La Cour des comptes a lancé un observatoire de la financiarisation, l’inspection générale de la Sécurité sociale et celle des finances s’en saisissent également. Un seul acteur, durant nos auditions, n’a pas partagé ce consensus : le représentant de la direction générale des entreprises au ministère de l’Économie. Nous savons pourtant que le système bancaire traditionnel répond déjà aux besoins de financement des équipements lourds des cliniques ou des radiologues.
Alors pourquoi faire appel aux financiers ? Sa réponse fut en somme : « Nous appliquons de façon générale un principe qui est que la libre concurrence fait baisser les prix. » C’est donc bien une doctrine idéologique, particulièrement forte depuis qu’Emmanuel Macron est chef de l’État. L’agilité des acteurs financiers dépasse de très loin celle de l’État. En détenant 5 % du capital, ils peuvent empocher 90 % des bénéfices. Donc oui, il y a des dispositions législatives à prendre, mais aussi des outils réglementaires à donner aux acteurs pour dissuader les financiers.
Quels sont ces outils ?
Bernard Jomier : Les ARS délivrent les autorisations d’activité de soins ; elles peuvent être plus vigilantes pour garantir le maillage territorial. On doit revoir aussi les tarifs hospitaliers ainsi que les tarifs conventionnels, pour chasser les rentes de situation ou les actes techniques surcotés, ceux qui, comme par miracle, se multiplient dans les structures financiarisées.
Des radiologues me racontent comment on fait revenir un patient le lendemain pour un second examen, parce qu’il y a une minoration du deuxième acte s’il est effectué le jour même. Un radiologue est un médecin, il peut prescrire lui-même un examen pour de bonnes raisons, sans obliger le patient à retourner voir son généraliste. Sauf que tous ces processus sont fondés sur la pertinence des soins. Pas sur une logique de gain qui, aujourd’hui, l’emporte sur la logique de soin.
Il faut aussi être malin : le syndicat des dentistes l’a été en instaurant un conventionnement sélectif, qui revient à figer le rapport actuel entre 70 % de cabinets traditionnels et 30 % de financiarisés. Le syndicat de généralistes MG France a trouvé une autre forme de parade, en défendant la suppression a priori paradoxale des majorations pour jours fériés ou nuit. Parce que les centres de soins financiarisés ont un modèle économique qui repose sur les ouvertures tardives, le samedi… avec des consultations à 60 euros plutôt qu’à 26,50 euros. Supprimer ces majorations contribue à les étouffer.
mise en ligne le 11 février 2025
par Solenne Durox sur https://basta.media/
Confrontés à la désertification médicale et à la difficulté à se soigner, des élus des Côtes-d’Armor font tout leur possible pour pousser l’État à agir. Dans des cahiers de doléances, les habitants décrivent l’abandon qu’ils subissent.
« J’ai un message de la part de l’État : vous êtes des ploucs, payez vos impôts et taisez-vous ! » Matthieu Guillemot est porte-parole du comité de vigilance de l’hôpital de Carhaix (Finistère). Juché sur la remorque d’un tracteur, il invite son auditoire à laisser éclater sa colère. Une nuée de drapeaux et plus de 1500 manifestants ont investi le parvis de la gare de Guingamp (Côtes-d’Armor). « Du fric, du fric pour l’hôpital public ! » répond la foule.
L’un des organisateurs de la manifestation, Gaël Roblin, récupère le micro. « La santé est devenue un luxe. La pénurie de soignants touche l’ensemble du pays », s’indigne le conseiller municipal (Gauche indépendantiste bretonne) de Guingamp, fondateur du collectif Initiative urgence Armor santé. Élus, citoyens, soignants et syndicalistes ont défilé le 1er février dans les rues de cette ville costarmoricaine de 7000 habitants pour défendre les hôpitaux publics et le système de santé.
Ça fait des années que la maternité de Guingamp est menacée de fermeture. Les accouchements y sont suspendus depuis avril 2023. Elle ne fait plus que du suivi pré et post-accouchement. À 30 kilomètres de là, la maternité privée de Plérin, deuxième plus grand établissement du département, vient de perdre quatre pédiatres. L’activité est menacée.
« J’ai un message de la part de l’État : vous êtes des ploucs »
La presse se fait régulièrement l’écho de femmes qui accouchent sur la route, dans leur voiture, car elles sont désormais trop éloignées de l’établissement qui peut les prendre en charge. Les urgences des hôpitaux costarmoricains sont régulées, tout comme les maisons médicales de garde depuis janvier 2025 : il faut d’abord appeler le 15 avant de pouvoir s’y rendre. Obtenir un rendez-vous chez un médecin généraliste et encore pire, un spécialiste, relève du parcours du combattant.
2000 témoignages de citoyens désespérés
À force de crier dans le désert depuis des années, les Bretons savent qu’il en faut bien plus pour être entendu de Paris. Battre le pavé n’est pas suffisant. Alors, dans les Côtes-d’Armor, plus que n’importe où ailleurs en France, la population a décidé d’entrer en résistance. À Guingamp, les manifestants ne sont pas venus les mains vides. Ils ont apporté avec eux des cahiers de doléances patiemment collectées ces derniers mois sur le territoire auprès d’habitants de 198 communes, aussi bien en mairie qu’en ligne.
Au total : 2000 témoignages édifiants de citoyens privés de soins, désespérés, exaspérés de ne pas être entendus par l’État qui ferme des lits dans les hôpitaux. Les cahiers ont été remis au préfet par les élus. « Pour vivre heureux en Côtes-d’Armor ne soyez surtout pas malade », écrit un habitant. « Le Centre-Bretagne est un gigantesque désert médical et la dégradation des services de santé en ville, privés comme publics, rendra bientôt impossible le fait de se soigner en dehors de Brest et de Rennes », constate un autre.
Plus de 58 % des répondants n’ont pas accès à un dentiste. L’un explique que cela fait quatre ans qu’un abcès coule dans sa bouche : « Mes dents se cassent les unes après les autres et aucun dentiste ne veut me soigner, idem pour ma fille de 12 ans, pas moyen d’avoir une visite, plus de 70 dentistes contactés. »
Impossible d’aller chez le dentiste
Beaucoup de détresse s’exprime dans ces cahiers. « Je me sens abandonnée. Je vois les dents de ma fille pourrir depuis trois ans et je n’ai toujours pas trouvé de dentiste qui puisse la soigner, car sa pathologie nécessite des soins spécifiques. C’est très, très dur de ne pas pouvoir faire soigner son enfant », se désespère une mère. Obtenir un rendez-vous avec un médecin généraliste devient aussi très compliqué. La situation est forcément angoissante pour les patients.
« C’est très dur de ne pas pouvoir faire soigner son enfant »
« Nous avions un médecin qui a pris sa retraite. Dans la région, aucun cabinet médical n’accepte de nous recevoir et comme pour le dentiste la réponse est la même : allez aux urgences ou allez à Paris comme m’a conseillé le cabinet dentaire », dénonce un habitant de Plélo. Un autre s’énerve : « En milieu rural on a des urgences pour les animaux, mais pas pour les humains !! » Le sentiment d’injustice est général : « Nous payons les mêmes impôts que les Parisiens. Pourquoi sommes-nous abandonnés ? »
Partout en France, les élus et élues sont à l’avant-garde du combat pour la santé. En 2024, 57 maires de villes moyennes ou petites communes, de tous bords politiques, ont pris des arrêtés communs en réponse « aux troubles à l’ordre public suscités par une offre sanitaire manifestement insuffisante pour garantir l’égalité d’accès aux soins » de leurs administrés. Ils et elles sommaient l’État de mettre en place un « plan d’urgence d’accès à la santé » sous peine d’une astreinte de 1000 euros par jour.
Cette provocation leur a valu d’être assignés en justice par la préfecture, qui estimait qu’ils n’étaient pas compétents en la matière. Puis le tribunal administratif a suspendu les différents arrêtés. « Quand il s’agit d’aller sur le lieu d’un drame, de reloger en urgence une maman victime de violences conjugales, là, bizarrement, on est très légitimes et compétents, mais pas en matière de santé publique, s’étrangle Xavier Compain, maire de Plouha, 4600 habitants. Il y a 30 ans, jamais aucun préfet n’aurait envoyé des maires devant un tribunal. Ça dénote une considération hautaine de la fonction d’État. Ils prennent les petits élus de haut alors qu’on n’a aucune autre ambition que d’être les porte-voix de notre population. »
« Allez aux urgences ou allez à Paris, m'a conseillé le cabinet dentaire »
À presque chacune de leurs permanences en mairie, les édiles reçoivent des administrés qui se plaignent de leurs difficultés à se soigner. Ils n’ont malheureusement aucune solution à leur proposer. « On avait deux médecins. L’un a pris sa retraite, l’autre part bientôt. On n’a plus non plus de kinés », déplore François Le Marrec, maire de Belle-Isle-en-Terre, qui est aussi obligé de faire du bénévolat dans l’Ehpad faute de personnel.
L’établissement accuse un déficit de 300 000 euros. L’année dernière, avec quinze autres maires réunis dans le collectif Ehpad publics en résistance, François Le Marrec a attaqué l’État pour carence fautive afin de réclamer un vrai financement des Ehpad publics. Nombreux sont les élus à prendre ainsi le problème de la santé à bras le corps.
La commune de Bégard a récemment inauguré une maison de santé pluriprofessionnelle de 1200 m2. Coût : 4,5 millions d’euros. « 14 % de la population n’a pas de médecin traitant, mais dès l’ouverture, nous avons été obligés de mettre une affiche comme quoi on ne prenait plus de patients. Les gens ne comprennent pas. Ils pensaient qu’ils allaient enfin avoir un médecin. On a dû bunkériser l’accueil afin que la secrétaire soit en sécurité, car elle se fait agresser », raconte le maire, Vincent Clec’h.
« Je suis rarement malade, mais la dernière fois que ce fut le cas, j’ai dû me rabattre sur une borne visio à la pharmacie de Ploumagoar pour obtenir une consultation après avoir appelé tous les généralistes dans le secteur... C’est ça le futur ? », s’énerve un contributeur des cahiers de doléances. Dans les pires des cas, les lacunes du système de santé peuvent conduire à des situations dramatiques comme le relate cette Costarmoricaine à la place de son époux.
« Nous payons les mêmes impôts que les Parisiens. Pourquoi sommes-nous abandonnés ? »
« Signes d’AVC, appeler le 15, ambulance privée qui se déplace, emmené aux urgences à Lannion, ramené 5 h après à mon domicile sans examen. 3 heures après, le Samu est rappelé, ils ne veulent pas me ramener à l’hôpital. 5 heures après, il est 12 h, je suis hospitalisé, le lendemain matin je fais un scanner : AVC hémorragique... Plus de 24 heures se sont écoulés ». Son mari est décédé sept jours après, d’un « hématome irréversible ».
Faire venir des médecins de Cuba
Certes, les Côtes-d’Armor ne sont pas le seul département français à pâtir du déficit de professionnels de santé. Mais, selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès, les délais médians pour obtenir un rendez-vous médical y sont au moins deux fois supérieurs à la moyenne nationale. Dans le pays de Guingamp particulièrement, les besoins sont immenses, avec le taux de pauvreté le plus important en Bretagne, et une mortalité supérieure à la moyenne nationale.
Pour faire face à l’urgence dans les hôpitaux publics, plusieurs élus guingampais, dont Gaël Roblin, militent en faveur du déploiement d’un contingent de médecins cubains sur le territoire. Quelques-uns sont déjà intervenus aux Antilles en pleine crise du Covid-19, d’autres en Italie et en Andorre. En février 2024, Vincent Le Meaux, le président (socialiste) de Guingamp-Paimpol agglomération, a rencontré Otto Vaillant, l’ambassadeur de Cuba en France pour évaluer les bases d’un partenariat.
L’envoi de médecins cubains en mission à l’étranger, qui existe depuis de nombreuses années, est progressivement devenu la première source de revenus de l’île. Le dispositif lui rapporte entre six et huit milliards de dollars par an. « J’en ai parlé en avril dernier au ministère de la Santé qui devait nous répondre. Mais on attend toujours », explique-t-il. Après plusieurs années d’absence de dialogue, le nouveau préfet des Côtes-d’Armor et l’agence régionale de santé ont enfin reçu, le 5 février, une délégation d’une vingtaine de maires du département.
S’ils « ont ouvert la porte », ils n’ont « pas répondu à l’urgence des questions posées, ni même proposé de calendrier de rencontres », regrette le collectif Initiative urgence Armor santé. Les maires devront-ils embaucher les médecins cubains directement ?
mise en ligne le 5 février 2025
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Après le dépôt début janvier par la CGT du CHU d’un signalement pour danger grave et imminent, et face à la tension hospitalière due à un manque de moyens, le personnel des urgences s’est mis en grève ce mercredi 5 février. Ils demandent des recrutements à court terme et un renforcement de l’infrastructure de soins.
Devant les urgences de Lapeyronie, une quarantaine d’agents du CHU de Montpellier tentent de se réchauffer en musique, ce mercredi 5 février au matin. “Si il y a un préavis de grève illimitée et une mobilisation aujourd’hui, c’est parce que les agents ne se sentent pas satisfaits des réponses données par la direction lors de notre dernière rencontre”, explique Pierre Renard, délégué CGT. Dès les premiers jours de 2025, en pleine épidémie de grippe, le syndicat avait réalisé un signalement pour danger grave et imminent à la direction de l’hôpital face aux manques de moyens dont souffrait le personnel, et une rencontre s’était tenue le 14 janvier. “La direction nous parle d’un projet d’un nouveau bâtiment en 2028, mais 2028 c’est loin, et face à la situation démographique du département, c’est maintenant qu’on a besoin d’un agrandissement des infrastructure. Aujourd’hui, certains bâtiments n’ont même pas la climatisation”, détaille Pierre Renard. Selon Force Ouvrière et la CGT, qui ont appelé à la grève, les urgences du CHU ont connu 8,5% de passage supplémentaire en 2023 par rapport à l’année précédente, soit 5 600 patients en plus.
Pierre Renard déplore un sentiment d’épuisement généralisé des soignants : “Je n’ai jamais vu autant de départs de collègues, de maladies professionnelles, de reconversions. Les gens n’en peuvent plus. On manque de médecins, car pendant leur stages, les internes sont tellement pressurisés qu’ils ne veulent plus revenir travailler ici après leurs études.”
Philippe, infirmier en psychiatrie aux urgences, témoigne d’une surcharge due au manque de personnel : “Les gens peuvent passer dix ou douze heures dans une toute petite salle d’attente, les gens crient, vomissent, ou parfois. D’un point de vue des urgences psychiatriques, cette ambiance peut contribuer à aggraver des situations de détresse psychique.”
Pour Laurent Brun, secrétaire de Force Ouvrière au CHU, “il y a un besoin urgent de recrutement de personnel, notamment en salle d’orientation et dans les filières médico-chirurgicales.” Lors des dernières rencontres avec les syndicats, la direction évoqué l’ouverture de Quinze lits. “Mais on ne trouve pas de médecins”, souffle le représentant de FO. “Nous sommes dans un cercle vicieux, les conditions de travail se dégradent, donc les gens partent et ça rend le travail plus dur, et plus personne ne veut venir travailler ici.” Il ajoute : “Les patients sont plus agressifs et tendus qu’avant, si on a pas plus de moyens, ça va dégénérer.”
Pendant ce temps, l’UNSA veut des flics à l’hôpital
La sécurité des agents, c’est justement la préoccupation de l’UNSA. Si le syndicat n’a pas appelé à la grève, ils ont rencontré Yannick Neuder, ministre de la santé, lors de sa visite au CHU de Montpellier le 31 janvier, et ils lui ont demandé “la création d’une police hospitalière à l’instar de la police ferroviaire ou de la future police pénitentiaire avec des fonctionnaires hospitaliers assermentés ayant la qualité juridique d’Agents de Police Judiciaire (APJ).” Une revendication qui hérisse le poil d’un syndicaliste de la CGT avec qui nous avons pu discuter. “On veut des lits et des soignants, pas des matraques ! Si on a plus de moyens pour prendre en charge les gens, ils n’attendront pas douze heures sur un brancards et seront moins agressifs…”
Côté perspectives, nul ne sait, à l’heure actuelle, si la grève va être reconduite.
mise en ligne le 4 février 2025
Hélène May sur www.humanite.3fr
Jamais, depuis des années, le manque d’habitations disponibles n’a été aussi criant, repoussant davantage les plus précaires dans une position d’extrême fragilité. Une situation qui n’entraîne aucune remise en question du désinvestissement de l’État et de la foi dans les « vertus » du marché.
La question est presque absente du débat politique. Pourtant, le décalage entre l’offre et la demande de logements ne cesse de se creuser, plongeant un nombre croissant de personnes dans des situations de mal-logement, voire les privant de toit.
« On voit que la France s’enfonce dans la crise et les pouvoirs publics donnent l’impression de chercher des boucs émissaires plutôt que des solutions », résume Christophe Robert, délégué général de la Fondation pour le logement des défavorisés (FLD – ex-Fondation Abbé-Pierre). À l’occasion de la présentation du 30e rapport annuel de l’organisation, rendu public ce 4 septembre, il a appelé à « une large mobilisation transpartisane » sur ce thème.
Un déséquilibre entre l’offre et la demande
La raréfaction du nombre de logements disponibles s’observe dans tous les segments du secteur. La demande s’accroît du fait de l’arrivée à l’âge adulte de la génération du petit « baby-boom » des années 2000 et des décohabitations liées aux séparations. Premier touché, le logement social, « qui reste pourtant, rappelle Christophe Robert, le levier le plus fiable pour relancer le logement sans effet d’aubaine, sans alimenter la spéculation immobilière ».
À force de désinvestissement et de ponctions, la production a chuté à 86 00 nouveaux logements en 2024, contre 124 000 en 2016. Le nombre de postulants à une HLM, lui, continue de croître, s’approchant cette année des 2,8 millions, deux fois plus qu’il y a dix ans. Faute d’offre alternative, les locataires HLM ne libèrent pas leur appartement. Du coup, les attributions sont passées sous la barre des 400 000, soit 100 000 de moins qu’en 2016.
Des prix en hausse à la location
Pourtant supposé être dopé par une politique gouvernementale qui, depuis 2017, mise sur les vertus du marché, le secteur privé est lui aussi en chute libre. « Sur l’année 2024, 330 400 logements ont été autorisés à la construction, soit 46 300 de moins que lors des douze mois précédents (- 12,3 %) et 28 % de moins qu’au cours des douze mois précédant la crise sanitaire », a révélé, le 29 janvier, le ministère du Logement.
Si l’offre de logement neuf se tarit, c’est aussi le cas des locations disponibles, dont le nombre a baissé de 8,6 % rien qu’entre octobre 2023 et octobre 2024, selon le site SeLoger. Résultat, malgré une légère baisse à l’achat, le manque de biens à louer, dans le privé comme dans le public, alimente la hausse des loyers. Alors que les revenus, eux, sont en baisse, l’inflation ayant entraîné une hausse des dépenses des ménages évaluée à 1 230 euros par an. 600 000 personnes de plus qu’en 2017 vivent d’ailleurs sous le seuil de pauvreté.
Le mal-logement s’étend
Ce décalage entre des revenus en berne et des logements en nombre insuffisant et trop chers entraîne un accroissement du mal-logement. Au niveau géographique d’abord, la pénurie, longtemps cantonnée aux grandes villes, touche désormais de nombreuses régions. Il est devenu très difficile pour les étudiants ou jeunes salariés de trouver à se loger dans les zones touristiques, où Airbnb et résidences secondaires exercent une concurrence déloyale et font monter les prix. C’est vrai aussi dans les zones frontalières et dans certaines petites villes longtemps épargnées.
L’absence d’offre adaptée contraint également un nombre croissant de ménages à se tourner vers du logement inadapté voir insalubre. Autre forme du mal-logement qui se développe, la précarité énergétique : « 30 % des ménages ont souffert du froid l’hiver dernier. Ils étaient 14 % en 2020 », rappelle Christophe Robert. Les réductions de puissance et les coupures d’énergie en raison d’impayés ont, elles, atteint le million en 2023. C’est deux fois plus qu’en 2021.
Les plus pauvres et les sans-domicile de plus en plus nombreux
« Quand on voit plus de territoires et de ménages touchés par la crise du logement, on sait que cela a un impact, par effet domino, pour les plus pauvres, les sans-domiciles, les mal-logés. Quand plus de monde est contraint de se loger dans des habitations de moyenne qualité, on sait qu’ils seront les derniers servis », souligne le délégué général de la FLD. En atteste la hausse de nombreux indicateurs, comme le nombre de sans-domicile fixe, que l’organisation estime à 350 000, soit déjà deux fois plus qu’en 2012, mais « sans doute encore en dessous de la réalité ».
Malgré son augmentation, le parc d’hébergement d’urgence ne permet pas de répondre aux besoins de cette population. Tous les soirs, le 115 est dans l’incapacité de trouver une solution pour 5 000 à 8 000 personnes, dont près de 2 000 enfants. La situation ne devrait pas s’arranger, alors que les expulsions locatives avec le concours des forces de police ont atteint, en 2023, le chiffre record de 19 000, soit un bond de 17 % en un an, en grande partie en raison de la loi dite « anti-squat », portée par l’ex-ministre Guillaume Kasbarian, qui a facilité et accéléré les procédures.
L’État continue de se désengager
Malgré la multiplication de ces signaux d’alerte, l’inertie règne sur fond de rigueur budgétaire. « Il est clair que le logement n’est plus considéré comme une priorité de l’action publique et reste souvent perçu comme un gisement d’économie, alors qu’il joue un rôle central dans la vie de chacun », souligne Christophe Robert. Seule mesure positive en perspective, la promesse faite par la ministre du Logement, Valérie Létard, et qui devrait être maintenue dans le prochain budget, de réduire de 200 millions d’euros la ponction de 1,3 milliard réalisée tous les ans sur le budget des bailleurs sociaux sous forme de réduction de loyers de solidarité (RLS).
Mais, en dépit de ses échecs patents, le « tout-marché » continue d’être promu. Rien n’a été fait pour pérenniser et approfondir l’expérimentation de l’encadrement des loyers, censée prendre fin en 2026, qui, pourtant, fonctionne. La régulation des prix du foncier, dont l’explosion est le principal moteur de la hausse des prix, est restée dans les cartons, malgré le soutien de l’ensemble des acteurs du secteur lors du CNR logement de l’été 2023. À la place d’une remise à plat, « les coupables désignés des blocages sont le plus souvent les normes écologiques et les politiques d’aides aux mal-logés », dénonce la FLD. Plus inquiétant encore, les partisans d’une libéralisation encore plus poussée du secteur n’ont pas baissé les bras et restent en embuscade.
mise en ligne le 3 février 2025
Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr
Deux exemples récents des difficultés financières rencontrées par des hôpitaux illustrent la situation insoutenable de leur dette. Petit retour en arrière. En 2002, lors de la mise en place de l’euro et de la Banque centrale européenne, les hôpitaux se sont vu retirer la possibilité d’emprunter auprès de la Caisse des dépôts avec des intérêts très bas et des délais de remboursement possibles pendant soixante ans. Il leur a fallu se tourner vers des banques commerciales, pratiquant des taux d’intérêt qui ont pu atteindre près de 20 % avec des emprunts dits toxiques. Le résultat est aujourd’hui catastrophique.
Ainsi l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris, établissement de 450 lits, est en cessation de paiement du fait d’une dette cumulée de 120 millions d’euros due à sa reconstruction qui n’a pas été financée par l’État. À Marseille, l’Assistance publique affiche une dette de 840 millions d’euros qui l’empêche d’engager des opérations de rénovation de ses bâtiments vieillissants.
C’est pourquoi son directeur demande à l’État de reprendre cette dette à sa charge, considérant qu’il en est responsable, arguant que, sans cette mesure, il ne sera plus en capacité d’assurer le bon fonctionnement de l’hôpital. Il faut noter qu’il est exceptionnel qu’un directeur à la tête d’un des plus grands CHU de France mette ainsi l’État face à ses responsabilités.
Cette situation scandaleuse est dénoncée depuis des années. La seule charge des intérêts dépasse chaque année 1 milliard d’euros au grand bénéfice des banques. Ainsi, pour 2023, les bénéfices de la seule BNP ont atteint 11 milliards d’euros. Il est donc clair que la dette des hôpitaux a été créée par la logique néolibérale soutenue par Emmanuel Macron et l’Europe, qui enrichit les banques au détriment des services publics, notamment celui de la santé.
À la veille d’un nouveau 49.3 pour la loi de financement de la Sécurité sociale, il est important de rappeler cette situation aux députés qui ne voteraient pas la censure. Au-delà des chiffres, il y a des vies en jeu. Les fermetures des services d’urgence et les dysfonctionnements des Samu dus à un manque criant de moyens sont la cause directe de ce que nous appelons « des morts évitables », chiffrées autour de 1 500 à 2 000 par an.
La question de la dette doit effectivement être résolue, n’en déplaise à Bernard Arnault et à ses amis, en taxant un peu plus les milliardaires qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ce serait normal, car un rapport du ministère des Finances paru ces derniers jours indique que les impôts de 0,1 % les plus riches ont diminué entre 2003 et 2022 alors que ceux des 50 % les plus pauvres ont augmenté. Alors mesdames et messieurs les députés, allons chercher l’argent là où il est pour sauver des vies et arrêtons de nous bassiner avec la dette que nous allons laisser à nos enfants.
mise en ligne le 29 janvier 2025
Mathias Thépot sur www.mediapart.fr
Environ 24 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques : telle est la copie du budget 2025 rendue par le Sénat et qui sera proposée en commission mixte paritaire jeudi 30 janvier. La note finale s’annonce très salée.
Pour entrevoir des alternatives à cette austérité, on peut se rapporter à « Budget 2025 : non, l’austérité n’est pas le seul horizon possible » paru le 18 janvier dans cette même rubrique de 100-paroles.fr
C’est parti pour être l’une des cures d’austérité budgétaire les plus rudes d’une année sur l’autre. Les coupes dans les dépenses publiques prévues dans la copie du projet de loi de finances 2025 votée au Sénat le 23 janvier, et qui sera discutée en commission mixte paritaire (CMP) à partir 30 janvier, sont particulièrement rudes.
À ce stade, le texte prévoit 24 milliards d’euros de baisse des dépenses de l’État par rapport à ce qui aurait permis de maintenir le même niveau de financement des services publics qu’en 2024. C’est plus que ce qu’affichait le gouvernement Michel Barnier dans son projet de loi de finances pour 2025 (− 21,5 milliards).
Tel est le résultat des calculs du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric Coquerel, que l’Insoumis a recoupé à Bercy avec les cabinets des ministres des finances et des comptes publics.
Il faut ajouter à cela un coup de rabot d’environ 2 milliards d’euros dans le budget alloué aux collectivités locales et d’un peu plus de 8 milliards dans le budget de la sécurité sociale, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. Soit un total d’environ 35 milliards d’euros de baisse des dépenses publiques à ce stade.
Côté recettes fiscales, la hausse annoncée par le gouvernement de François Bayrou serait de 18 milliards d’euros en 2025. Soit peu ou prou ce que prévoyait il y a quelques mois le gouvernement de Michel Barnier, moins la très polémique taxe sur l’électricité qui n’est plus à l’ordre du jour.
La surtaxe sur l’impôt sur les bénéfices des entreprises réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, censée rapporter 8 milliards d’euros en 2025, sera maintenue. Une incertitude subsiste toutefois sur la taxe sur les hauts revenus, qui doit rapporter 2 milliards d’euros aux caisses de l’État, mais qui pourrait être remplacée par une contribution sur les plus hauts patrimoines qui nécessiterait vraisemblablement une autre loi fiscale.
Objectif : un déficit public à 5,4 % du PIB
Bref, on arriverait à ce stade à un effort global d’environ 53 milliards d’euros dans le budget 2025. Un montant énorme pour atteindre l’objectif fixé par le ministre de l’économie et des finances Éric Lombard : une réduction du déficit public de 6,1 % en 2024 à 5,4 % du PIB cette année. « Le Sénat s’est montré très dynamique » pour réduire les dépenses publiques, s’est ainsi félicité le ministre lors d’une rencontre le 28 janvier avec l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef).
Cela étant dit, ces nouvelles coupes actées par la chambre haute du Parlement ont souvent été de l’initiative du gouvernement Bayrou : selon Éric Coquerel, les amendements de l’exécutif ont en effet ajouté 7 milliards d’euros de baisse supplémentaire de dépenses de l’État en quelques jours.
La saignée budgétaire pour 2025 est donc totale. Parmi les missions qui prennent le plus cher, citons la mission « écologie, développement et mobilités durables », qui subirait à ce stade une coupe sèche de 2,9 milliards d’euros en volume dans son budget par rapport à 2024, mais aussi la recherche et l’enseignement supérieur (− 1,7 milliard), la mission « solidarité, insertion et égalité des chances » (− 1,4 milliard), l’enseignement scolaire (− 1,1 milliard), ou l’agriculture (− 400 millions).
Et encore, ce n’est pas fini. Car le gouvernement s’est fait retoquer par le Sénat pour 1,4 milliard d’euros d’amendements coupant aveuglement dans certaines missions de l’État comme le logement, l’éducation ou le sport. Il y a fort à parier qu’il reviendra à la charge sur ces thèmes via des amendements au texte qui sera étudié par la CMP le 30 janvier.
Celle-ci est, rappelons-le, composée de sept député·es et sept sénateur·ices, dont six sont membres des oppositions (quatre à gauche et deux au Rassemblement national) et huit du « socle commun » soutenant l’action du gouvernement, qui peut donc s’appuyer sur une majorité. Voilà pourquoi la CMP devrait être assez rapidement « conclusive ».
En fait, si Éric Lombard et le reste du gouvernement Bayrou continuaient encore récemment les négociations avec des forces de gauche (socialistes et écologistes), notamment, c’était pour anticiper le coup d’après et s’éviter la censure lors de la semaine du 3 février. Semaine au cours de laquelle l’Assemblée nationale devra selon toute vraisemblance entériner l’accord de la CMP, et où un 49-3 et une motion de censure sont attendus.
Gloire au marché
Mais même si Éric Lombard semble être très ouvert à la discussion, comme il aime le répéter aux journalistes, sa stratégie de convaincre une partie de la gauche butera inévitablement sur une contradiction évidente : le budget qu’il porte est le plus rude avec les services publics au XXIe siècle.
Et même du point de vue de la croissance économique, ce texte aura des effets délétères. Rappelons que le projet de budget de Michel Barnier, qui prévoyait un niveau global d’économies à peine supérieur à celui porté par François Bayrou, aurait réduit la croissance de 0,8 point de pourcentage, selon les calculs de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Il y a donc de fait à attendre un impact négatif du même ordre avec le projet de budget discuté actuellement pour 2025.
D’ailleurs, Éric Lombard l’a admis face aux journalistes le 28 janvier : « Ce budget qui réduit le déficit surtout par la baisse des dépenses aura un effet [négatif – ndlr] sur la croissance. » Cependant, il semble croire dur comme fer qu’il atteindra tout de même son objectif de croissance du PIB en 2025 – certes excessivement modeste à + 0,9 % – grâce à une force supérieure : celle du marché. La perte d’activité économique liée aux coupes budgétaires serait en effet, selon lui, « compensée par le fait que les entrepreneurs et les marchés financiers seront rassurés ». À la bonne heure !
Pour le principal locataire de Bercy, le vote d’un budget d’austérité sur les services publics aura en fait pour effet positif de redonner stabilité et confiance au monde des affaires. Pour s’en assurer, celui qui fut dans les années 2000 et 2010 un cadre dirigeant de la BNP Paribas et de l’assureur Generali multiplie d’ailleurs les petites promesses à l’endroit de son ancien monde : aux Échos, il a par exemple affirmé que « la surtaxe d’impôt sur les sociétés ne s’appliquera qu’un an, au lieu de deux dans le projet du précédent gouvernement ».
Mais aussi que « le relèvement de la flat tax de 30 % sur les revenus du capital n’est plus d’actualité, ni aujourd’hui ni demain ». Ouf ! Les riches et les grandes entreprises peuvent dormir sur leurs deux oreilles : avec Éric Lombard, ils ne seront pas mis outre-mesure à contribution pour redresser les comptes de la nation dans les prochaines années. Sera-ce également le cas des services publics et du modèle social ?
mise en ligne le 25 janvier 2025
par Guillaume Étievant sur https://www.frustrationmagazine.fr/
Se mettre en grève est toujours une décision délicate, que l’on évolue dans le secteur privé ou public. Les représailles des employeurs peuvent être lourdes, et tout le monde ne peut pas se permettre de renoncer à plusieurs jours de salaire. À l’hôpital, l’enjeu est d’autant plus complexe entre l’engagement des soignants à assurer la sécurité des patients et la nécessité de défendre leurs conditions de travail, qui ont un impact direct sur la qualité des soins. Pourtant, malgré ces obstacles, la lutte peut porter ses fruits. Les salariés de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) viennent d’en apporter une démonstration éclatante. Grâce à leur détermination, ils ont obtenu satisfaction sur l’ensemble de leurs revendications. Cette victoire syndicale illustre avec force que, même dans un secteur aussi sensible que la santé, la solidarité et la persévérance permettent d’imposer des avancées concrètes.
L’année a débuté dans la révolte aux urgences de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, où l’ensemble des soignants ont engagé un bras de fer avec la direction. Les conditions de travail y sont, comme dans de nombreux hôpitaux, absolument insoutenables, avec des dizaines de patients dormant sur des brancards, faute de lits disponibles, et obligés de se laver dans les couloirs entre deux paravents. Les difficultés se sont renforcées ces dernières années, avec la fermeture de plusieurs hôpitaux aux alentours. Les salariés se sont donc mis en grève, soutenus par la CGT, et la mobilisation fut impressionnante : elle a duré 11 jours, avec un taux de grévistes atteignant 100%. Les revendications portaient sur le manque criant de personnel, la saturation constante des urgences et l’insuffisance des moyens matériels. Grâce à leur détermination, les grévistes ont obtenu la satisfaction de l’intégralité de leurs demandes, en particulier la création de 14 emplois supplémentaires pour occuper 7 postes 24H/24H.
En se déclarant gréviste, le personnel envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne
Faire grève dans un hôpital n’a rien d’évident, car personne n’a envie de mettre en risque la santé des patients. Les soignants et les autres personnels hospitaliers disposent théoriquement du droit de cesser le travail pour défendre leurs revendications, mais l’hôpital public, en tant que structure assurant des soins vitaux, est soumis à l’obligation de continuité du service public de la santé. L’administration hospitalière établit ainsi une liste de personnels dits « assignables », c’est-à-dire qui seront obligés de travailler tout en se déclarant grévistes sans perdre en rémunération. “ Vu la situation de sous-effectif aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, 100% des grévistes étaient en réalité assignables”, nous explique David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne. Les grèves dans les hôpitaux prennent souvent d’autres formes que l’arrêt complet du travail, par exemple le personnel mettant des brassards, organisation des piquets de grèves, ou faisant des « grèves » administratives, c’est-à-dire suspendant certaines tâches administratives, telles que le codage des actes médicaux, la transmission de données ou les réunions budgétaires, tout en poursuivant pleinement les soins octroyés aux patients. Mais cela peut exposer à des sanctions disciplinaires.
« Puisque le personnel ne peut pas arrêter son travail auprès des patients afin de ne pas compromettre leur santé, la pression s’exerce autrement, par la présence aux piquets de grèves et par le fait qu’en se déclarant gréviste, il envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé », nous indique David Francois. « La grève permet aussi d’attirer l’attention médiatique », ajoute-t-il, ayant eu l’occasion d’être interrogé par BFM TV., dont la journaliste a elle-même admis l’utilité de la grève.
Les grèves se multiplient dans le secteur hospitalier
Les mouvements sociaux se multiplient dans le secteur hospitalier du Val-de-Marne en ce moment. Depuis le 3 décembre dernier, une grève illimitée se poursuit à l’hôpital gériatrique Émile-Roux de Limeil-Brévannes. Actuellement, 8 % des infirmiers et aides-soignants y sont en grève pour alerter sur la situation de sous-effectifs et la maltraitance des patients qu’elle favorise. Face à des situations de sous-effectifs chroniques (un agent pour 36 patients au lieu de deux précédemment), ils alertent sur des situations intenables, où souffrance au travail et maltraitance des patients se mêlent quotidiennement. Ils exigent l’embauche de quinze postes d’infirmiers et de 20 postes d’aides-soignants. Pour le moment, la direction ne répond à ces demandes concrètes que par des propositions abstraites de « Comité de suivi » et de « réflexions ». La grève a été reconduite le 16 janvier dernier. Elle s’étend peu à peu à d’autres établissements : trois services de l’hôpital Albert-Chenevier sont désormais également en grève pour exiger plus de moyens. En effet, la direction a imposé une diminution du ratio soignant / lit, qui n’est souvent pas atteint sans recours à l’intérim ou aux heures supplémentaires.
Autres exemples ailleurs en France : depuis le 15 janvier dernier, une grève illimitée a été lancée par la CGT à l’hôpital de Morlaix (Finistère), alors que la veille 21 patients avaient dormi dans les couloirs des urgences. Un préavis de grève vient également d’être déposé dans les hôpitaux publics marseillais face à la saturation des chambres mortuaires : sur une capacité de 74 places pour des défunts à la Timone, 82 sont en ce moment conservés sur place. Un corps en putréfaction a même dû être stocké au sous-sol de l’hôpital.
Quelques jours seulement après la fin de la grève aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, un événement tragique est venu y rappeler l’urgence de la situation dans les hôpitaux : le décès d’une jeune femme de 26 ans dans la salle d’attente de cet hôpital. Les morts dans les hôpitaux se multiplient ces dernières années, ce n’est malheureusement pas étonnant : une étude récente, publiée dans la revue scientifique JAMA Internal Medicine, a démontré une hausse de la mortalité de près de 40 % quand les patients sont obligés de passer la nuit sur les brancards à cause du manque de lits disponibles.
Depuis 2013, on dénombre 43 500 lits d’hôpitaux en moins en France
Cette situation ne vient pas de nulle part : près de 4 900 lits d’hospitalisation complète (avec nuitée dans l’établissement) ont été supprimés en 2023. Depuis 2013, c’est 43 500 lits qui ont été perdus en France. 160 hôpitaux, publics et privés, ont fermé entre 2013 et 2023. Rappelons qu’Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé macroniste, avait promis à l’automne 2023 de « rouvrir plusieurs milliers de lits d’ici la fin de l’année ». Ça n’a évidemment pas été le cas. Il est aujourd’hui député du NFP. La récente annonce par François Bayrou d’une augmentation de l’ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance maladie, fixé chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale) de 2,8 % à 3,3 % pour l’année 2025 semble convenir aux socialistes, mais elle est largement insuffisante. Elle sera en partie absorbée par l’inflation, qui entraîne des hausses des coûts de fonctionnement des hôpitaux, laissant ainsi peu de marge pour des améliorations concrètes des services de santé. La Fédération Hospitalière de France estime qu’une augmentation de l’ONDAM de l’ordre de 6 % serait nécessaire pour répondre adéquatement aux lourdes problématiques actuelles du système de santé, notamment en matière de recrutements et d’investissements.
Les grèves dans le secteur hospitalier, si difficiles à mettre en œuvre, ont une importance cruciale, pour améliorer immédiatement les conditions de travail des soignants et la qualité d’accueil des patients, c’est-à-dire, concrètement, éviter que des gens meurent sur des brancards. Au-delà des enjeux spécifiques au monde hospitalier, ces mobilisations rappellent à l’ensemble des travailleurs que la grève demeure l’un des outils les plus puissants pour défendre leurs droits et viser l’émancipation collective.
mise en ligne le 22 janvier 2025
Jean-François Poupelin (Mediavivant)
Dans cette nouvelle enquête sur scène, Mediavivant s’intéresse à la politique sociale du RN dans trois villes emblématiques administrées par des maires élus sous l’étiquette du Rassemblement national. ( https://youtu.be/kOnGoE42JBM )
Durant les dernières élections législatives, Marine Le Pen, la cheffe de file des député·es Rassemblement national (RN), haranguait : « Si vous voulez plus de social, votez RN ! »
Depuis sa prise de pouvoir en 2011, Marine Le Pen tente de « dédiaboliser » le parti d’extrême droite en se montrant plus préoccupée par les plus fragiles.
Mais ce positionnement ne résiste pas à la réalité. Pendant l’examen des projets de loi de finances 2025, les député·es RN ont avant tout défendu les plus riches. Ils ont par exemple rejeté la surtaxe exceptionnelle des entreprises et la taxation des patrimoines de plus de 1 million d’euros.
Il y a encore plus parlant : les politiques menées au niveau local par les maires d’extrême droite. Dans les villes, cela fait en effet longtemps qu’on « a essayé » le RN et ce, dès 1995, avec les victoires du FN à Toulon, Vitrolles, Marignane et Orange. Dix-sept villes sont aujourd’hui gérées soit par des majorités Rassemblement national, soit avec le soutien du parti ou celui de Reconquête, le parti du polémiste d’extrême droite Éric Zemmour.
Au-delà des trois piliers idéologiques – à savoir la baisse des impôts, le renforcement de la sécurité et la suppression des subventions aux associations jugées « communautaristes » –, leurs maires partagent la même passion pour la casse sociale.
Pour Mediavivant, Jean-François Poupelin s’est rendu dans trois villes dirigées par l’extrême droite – Orange, Mantes-la-Ville et Perpignan – pour y étudier leurs politiques en direction de la petite enfance, de la jeunesse, l’offre de services publics, d’accompagnement des plus précaires ou encore la gestion du personnel.
Orange, sous la dynastie Bompard
À Orange, cela fera trente ans en juin prochain que Jacques Bompard a fait basculer la deuxième ville du Vaucluse, avec 30 000 habitant·es, à l’extrême droite. Ces trois décennies permettent de voir les effets sur le long terme de cette idéologie.
Jean-François Poupelin a enquêté sur la situation dans les cités de Fourches-Vieilles et de l’Aygues. Sur scène, il interviewe des témoins directs de la dégradation des services publics.
« La ville s’est transformée. Il n’y a plus de lien social. Tout ce qui se passe est au sud de la ville, pour des populations qu’on va qualifier de “blanches”, déplore Brigitte Laouriga, fondatrice du centre social Pierre-Estève dans le quartier de l’Aygues. Les laissés-pour-compte, les quartiers populaires […] ont complètement été abandonnés. Il n’y a plus de centres sociaux à Orange. »
Kamel Majri, directeur de Laissez les fers, un chantier d’insertion installé dans le quartier périphérique de Fourches-Vieilles, regrette aussi le manque de soutien dans les quartiers populaires. « On a essayé de résister. On a créé une maison des services publics à un moment. […] On y est arrivés plus ou moins bien mais, petit à petit, on s’est épuisés », explique-t-il sur scène.
La génération perdue de Mantes-la-Ville
Mantes-la-Ville est la seule ville d’Île-de-France à avoir basculé à l’extrême droite. Mantes-la-Ville, c’est une petite cité-dortoir de 20 000 habitant·es posée au nord-ouest de Paris avec une forte population ouvrière et immigrée. L’ancien maire RN, Cyril Nauth, n’est resté qu’un mandat, entre 2014 et 2020. Mais ces six années lui ont suffi pour assécher des services publics et mettre à mal un tissu associatif souvent précieux pour les plus fragiles.
Les associations ont vu les subventions de la mairie se réduire de façon drastique, voire disparaître comme pour le FC Mantois, un club de foot. D’autres structures n’ont plus eu la possibilité d’utiliser des locaux municipaux, comme la Ligue des droits de l’Homme.
Dans cette partie, sur scène, la politologue Christèle Marchand-Lagier, spécialiste du vote d’extrême droite et maîtresse de conférences à l’université d’Avignon, explique que des pouvoirs locaux d’extrême droite vont accentuer le désengagement de l’État, créant une hiérarchie entre les populations, à Mantes-la-Ville comme dans les autres villes gérées par l’extrême droite.
« Vous avez des citoyens qui sont distingués comme étant des citoyens supérieurs dans ces communes du RN », analyse-t-elle. Christèle Marchand-Lagier expose également un désengagement des forces politiques dans certaines communes d’extrême droite : « À Orange, il n’y a plus de gauche, il n’y a plus de droite. Dans le nord du Vaucluse, on a le choix entre l’extrême droite et l’extrême droite. »
Perpignan, la purge sociale
Perpignan a basculé en 2020. C’est la plus grande ville gérée par le Rassemblement national, elle compte 120 000 habitant·es.
Elle est dirigée par Louis Aliot, vice-président du RN, un des moteurs de la « dédiabolisation » du parti fondé par Jean-Marie Le Pen, et ancien compagnon de Marine Le Pen. Il a aussi été député européen, ce qui lui vaut d’ailleurs d’être inquiété dans l’affaire des assistants parlementaires du FN. Il risque dix-huit mois de prison, dont six ferme, et trois ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Il pourrait donc devoir rendre son écharpe de maire et ne pas pouvoir se représenter en 2026.
Perpignan est aussi une ville extrêmement pauvre, avec neuf quartiers prioritaires de la politique de la ville.
« Je pense que le maire [Louis Aliot – ndlr] a le souci de marier le respect des grands équilibres financiers – car on lui reprocherait, s’il appauvrissait la ville – et, en même temps, de maintenir à niveau des politiques publiques qui sont demandées. Vous dites la sécurité, c’est aussi ce qui est demandé. […] La politique sociale ne va pas se réduire à ça, mais on a quand même une responsabilité du quotidien qu’il faut absolument préserver », défend Philippe Mocellin, le directeur général des services à la mairie de Perpignan.
Des associations qui interviennent en soutien aux plus démuni·es font pourtant les frais de cette politique. Dans cette partie, Jean-François Poupelin a enquêté sur la fragilisation de structures comme Le fil à métisser qui soutient des familles gitanes dans le quartier Saint-Jacques, ou le club sportif du Haut-Vernet.
Les maires ou anciens maires d’extrême droite de Mantes-la-Ville et d’Orange n’ont pas répondu aux sollicitations de Mediavivant.
« Extrême droite, la casse sociale », une enquête sur scène à regarder en intégralité sur Mediavivant. ( https://mediavivant.fr/extreme-droite-la-casse-sociale/non-classe/replay-extreme-droite-la-casse-sociale/ )
Boîte noire
Cette enquête est signée par Mediavivant, un jeune média marseillais partenaire de Mediapart, qui renouvelle radicalement les modes de récit journalistique : depuis un peu plus d’un an, l’équipe organise chaque mois la présentation, sur scène et en public, d’une enquête inédite, racontée par le ou la journaliste qui l’a menée. Ces récits restent ensuite accessibles sur le site de Mediavivant. ( https://mediavivant.fr/ )
mise en ligne le 19 janvier 2025
Pauline Achard sur www.humanite.fr
Les tarifs réglementés de vente d’électricité vont baisser de 15 % en moyenne au 1er février 2025, conformément à ce qu’a proposé la Commission de régulation de l’énergie ce jeudi. Une baisse atténuée par la fin du bouclier tarifaire.
Depuis cet été, les annonces contradictoires quant à l’évolution de la facture d’électricité au 1er février 2025 ont pullulé. À mesure que les gouvernements et projets de budget se succèdent, le sujet enflamme les débats opposant Matignon à une gauche soudée. À deux semaines de la date butoir, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a finalement tranché. L’autorité, dirigée par Emmanuel Wargon, a proposé ce jeudi 16 janvier dans un communiqué une baisse moyenne de 15 % pour les consommateurs souscrivant au Tarif réglementé de vente de l’électricité (TRVE).
Parmi ceux qui verront leur facture s’alléger à compter du 1er février : les 20,4 millions d’abonnés au « tarif bleu » d’EDF et les 4 millions de foyers inscrits aux offres qui y sont indexées. « Concrètement, les tarifs réglementés de vente de l’électricité s’élevaient en moyenne à 281 euros par mégawattheure (MWh) depuis le 1er février 2024. La CRE propose de les établir à 239 euros par MWh au 1er février 2025, soit une baisse en moyenne de 42 euros », précise le communiqué.
Cette baisse est en grande partie due au déclin des prix de marché de gros. Il s’agit en réalité d’un retour progressif à la normale après qu’une grave crise énergétique a éclaté en 2022, déclenchée par la guerre en Ukraine. « Cette baisse de 15 % est bien loin de rattraper les 40 % de hausse subie par les Français en trois ans, souligne le secrétaire national adjoint de la FNME-CGT, Fabrice Coudour. La CRE continue d’intégrer dans son calcul une part adossée aux prix des marchés de gros, alors que l’on voit bien que l’usager est toujours perdant ».
Fin du bouclier tarifaire
L’allègement de l’addition sera par ailleurs amoindri par la levée totale du « bouclier tarifaire ». En effet, pour enrayer les effets de la crise sur les factures des usagers, sous le coup d’une affolante flambée des prix, l’État avait abaissé en 2022 à moins d’un euro par MWh le prix de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Pour mémoire, début 2024, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, l’avait rehaussée à 21 euros, ce qui s’était traduit par une augmentation des factures de 10 % en février 2024, pour une hausse totale de 15 % sur l’année.
Après avoir échappé à une fixation à 50 euros par MWh voulue par gouvernement de Barnier, et qui aurait coûté 3 milliards d’euros par an aux consommateurs, cette accise retrouvera en fin de compte son niveau d’avant crise, un an plus tard, soit 33 euros par MWh. Si l’ancien locataire de Bercy a martelé qu’il faudrait à terme passer à la caisse pour rembourser ce bouclier tarifaire, le cégétiste Fabrice Coudour s’inquiète ainsi de voir cette taxe poursuivre son ascension dans les années à venir.
Des milliards investis dans le réseau
Par ailleurs, le Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE), qui représente environ 30 % de la facture d’électricité, sera lui aussi revu à la hausse. Cette rétribution de la part d’acheminement énergétique, fixé tous les quatre ans par la CRE, va bondir de 2,9 % au 1er février, après avoir augmenté de 4,8 %, soit 7,7 % au total.
« Cette augmentation est notamment due à une croissance forte des dépenses prévisionnelles d’investissement (de 2,1 milliards d’euros par an en 2023 à 6,4 milliards en 2028 pour RTE et de 4,9 milliards d’euros par an en 2023 à 7 milliards en 2028 pour Enedis (…), au développement de l’éolien en mer, à l’adaptation au changement climatique et à la modernisation du réseau vieillissant », précise le régulateur d’énergie. Au vu de l’importante baisse des prix de gros en 2024, la commission a décidé en décembre d’anticiper le mouvement tarifaire d’août 2025 à février 2025, pour éviter les effets yoyos. Les détails de ce programme d’investissement seront présentés par RTE à l’occasion d’une conférence de presse le 27 janvier prochain.
Enfin, Fabrice Coudour rappelle que cette baisse de 15 % est loin de concerner tous les usagers. Les plus de 11 millions de foyers qui ont choisi, eux, une offre de marché proposée par EDF, devraient, au contraire voir leur facture augmenter, après avoir bénéficié de baisses auparavant.
mise en ligne le 15 janvier 2025
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
La dette de l’État serait pour moitié due au financement des retraites ? Et la future négociation proposée aux syndicats et au patronat serait « sans tabou » ? Ce 14 janvier, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre François Bayrou a aligné au moins deux mensonges. Leur but ? Permettre que la réforme soit modifiée le moins possible. Décryptage avec l’économiste Michaël Zemmour.
1 : La dette publique serait due au financement des retraites
« Sur les plus de 1000 milliards de dette supplémentaire accumulés par notre pays ces dix dernières années, les retraites représentent 50 % de ce total. » C’est avec un mensonge que François Bayrou a commencé son discours de politique générale ce 14 janvier. « Il a repris une histoire qui a circulé il y a longtemps, selon laquelle le déficit du budget de l’Etat serait dû aux retraites…Ce n’est basé sur rien », souffle Michaël Zemmour.
Le calcul du Premier ministre semblait pourtant imparable. L’État finance chaque année 55 milliards d’euros de budget des retraites. Multiplié par 10, on atteint 550 Mds, soit un peu plus de la moitié des 1000 Mds de dettes. « Sauf que cela revient à considérer que chaque centime versé par l’État dans ce cadre est issu de l’emprunt, ça n’a aucun sens », poursuit l’économiste. Ce dernier rappelle que la France a choisi un mode de financement mixte pour son système de retraite. Avant tout un financement via cotisation sociales, complété par une somme versée par l’État.
« L’État paie les retraites des fonctionnaires, qui ne sont pas plus généreuses que celles du privé. D’autre part on a fait le choix de financer une partie du système des retraites par les ressources publiques parce qu’on ne voulait pas augmenter les cotisations. Dans ce cadre, considérer que la dette est due au financement des retraites n’a pas plus de sens que de considérer qu’elle serait, par exemple, due au budget du ministère des Armées. D’après le mode de calcul du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), on serait plutôt aux alentours de 60 Mds de dette sur dix ans dus au financement des retraites », continue l’économiste.
2 : Pour Bayrou, une renégociation des retraites « sans tabou »
Alors qu’une suspension de la reforme des retraites de 2023 était attendue par une partie de la gauche et semblait pouvoir le protéger d’une future censure, François Bayrou a finalement annoncé une simple phase de « renégociation rapide » de la réforme, sans aucune suspension. Pour mieux faire passer la pilule, le Premier Ministre a toutefois souhaité une négociation « sans aucun totem et sans aucun tabou, pas même l’âge de la retraite ». Seule ligne rouge : la nouvelle mouture de la réforme ne devra pas coûter plus cher que l’ancienne.
Les syndicats et le patronat sont ainsi invités à se réunir pour des négociations qui devraient durer 3 mois à partir de la date de remise d’un rapport de la Cour des comptes sur l’état actuel du système de retraites, demandé par le Premier ministre.
Mais la renégociation aura lieu dans un cadre particulièrement défavorable aux organisations de salariés. Tout d’abord parce que, « plus le temps passe, plus le nombre de personnes qui voient leur âge légal de départ et leur durée de cotisation décalés par la dernière réforme augmente », explique Michaël Zemmour. Mais surtout parce que « si aucun accord n’est trouvé, c’est la réforme actuelle qui s’appliquera », a assuré François Bayrou.
Or, qui peut croire que le patronat acceptera tranquillement de revenir sur une réforme qui lui convenait s’il n’y est pas contraint ? « On ne voit pas très bien ce qui empêche le MEDEF de venir à la table des négociations et de constater leur échec. C’est un scénario que l’on connait très bien car c’est celui que l’on observe lors des négociations sur l’assurance chômage (voir notre article)», estime Michaël Zemmour.
En effet, si les organisations syndicales veulent à la fois revenir sur les mesures d’âge et l’augmentation de la durée de cotisation sans creuser le déficit du régime, elles doivent aller chercher de nouvelles recettes. La CGT propose d’ailleurs de longue date des pistes pour récupérer jusqu’à 40 Mds d’euros pour les retraites. Le syndicat souhaite par exemple soumettre à cotisation l’intéressement et la participation, pour 2,2 Mds de recettes. Ou encore récupérer 24 Mds en soumettant les revenus financiers aux cotisations sociales.
Il va sans dire que l’augmentation de ces cotisations représente une ligne rouge pour les organisations patronales, qui se battent au contraire pour leur diminution. La future négociation « sans tabou » semble déjà bien contrainte.
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Non content de renvoyer la patate chaude des retraites aux « partenaires sociaux », chargés de s’accorder sur une réforme d’ici à l’automne, François Bayrou s’est lancé dans une démonstration malhonnête sur le financement du régime.
Ni suspension ni abandon, mais un chèque en blanc pour le patronat. Sur le sujet brûlant des retraites, François Bayrou n’a pas saisi la main tendue par une partie de la gauche pour apaiser le pays. A contrario, depuis la tribune de l’Assemblée nationale, le premier ministre s’est livré à un enfumage en règle.
D’abord sur le financement. « Notre système de retraite verse chaque année 380 milliards d’euros de pensions. Or, les employeurs et les salariés du privé et du public versent à peu près 325 milliards par an, en additionnant les cotisations salariales et patronales », assure le locataire de Matignon.
Et d’ajouter, au sujet des 55 milliards restants, qu’ils seraient déboursés « par le budget des collectivités publiques, au premier chef de celui de l’État, à hauteur de quelque 40 ou 45 milliards. Or nous n’en avons pas le premier sou. Chaque année le pays emprunte cette somme. »
« Une manipulation grossière des données »
La démonstration du premier ministre est malhonnête. En réalité, François Bayrou reprend à son compte la thèse du « déficit caché des retraites », brandie par Jean-Pascal Beaufret, haut fonctionnaire proche des milieux patronaux.
Ce dernier explique que les régimes de retraite des agents de l’État (fonctionnaires de l’État, agents des hôpitaux et des collectivités locales), présentés à l’équilibre, sont en réalité en déficit : c’est l’État employeur qui comble le trou, au moyen de surcotisations.
Mais ce qu’il présente comme une générosité indue de l’État n’est qu’une façon de compenser un déséquilibre démographique qu’il crée lui-même, comme le rappelle Régis Mezzasalma, de la CGT : « François Bayrou considère qu’il y a un déficit caché dans les retraites des fonctionnaires. Certes l’État compense avec son budget les reculs de cotisations des employeurs publics. Mais ces reculs sont dus aux non-recrutements de fonctionnaire et au gel des rémunérations », tance le conseiller confédéral sur les questions de retraite à la CGT.
De son côté, François Hommeril, président de la CFE-CGC, dénonce « une manipulation grossière des données. » « Le Premier ministre parle de l’équilibre du système sans différencier public et privé. Or les retraites des fonctionnaires ne sont pas un régime par répartition. Mais il entend faire contribuer collectivement l’ensemble des travailleurs, y compris du privé, pour compenser le non-équilibre du public par l’impôt », poursuit-il.
Une mission flash commandée à la Cour des comptes
Assurant que la réforme de 2023 était « vitale pour notre pays et notre modèle social », François Bayrou entend, en guise de diversion, « remettre en chantier la question des retraites. » D’abord, en commandant une mission flash à la Cour des comptes sur le financement de notre système de retraite.
Ensuite, en convoquant un « conclave » entre les syndicats et patronat, dès ce vendredi 18 janvier. Ces organisations devront parvenir en trois mois à un accord « d’équilibre et de meilleure justice », à compter de la remise du rapport de la Cour des comptes. Sans quoi la réforme de 2023 continuera de s’appliquer.
« En somme, on nous contraint à négocier avec un pistolet sur la tempe. C’est une impasse annoncée, résume Mezzasalma. Les précédentes négociations sur l’assurance-chômage et l’emploi des seniors montrent que le patronat n’est pas dans une démarche de mieux-disant pour les salariés. »
Dan Israel sur www.mediapart.fr
L’économiste, spécialiste du système des retraites, doute de la pertinence de la « remise en chantier » annoncée par François Bayrou. Pour l’heure, le patronat n’a aucun intérêt à trouver un accord avec les syndicats.
Les retraites avant tout. Le 14 janvier, le premier ministre François Bayrou a démarré sa déclaration de politique générale avec ses propositions pour le système de retraite français. Il a écarté toute « suspension » – alors que le Parti socialiste (PS) pensait avoir réussi à l’imposer – de la réforme de 2023, qui décale progressivement l’âge de départ légal à 64 ans et porte la durée de cotisation à quarante-trois ans.
C’est une simple « remise en chantier » qui a été proposée. Réunis une première fois le 17 janvier, les syndicats et le patronat devront s’appuyer sur le résultat d’une « mission flash » de la Cour des comptes portant sur l’état financier du régime. Ils auront trois mois pour rediscuter de la réforme, mais sans toucher à son cadrage financier. S’ils trouvent un accord, François Bayrou a promis que leurs propositions seraient reprises dans une loi. Mais s’ils échouent, la réforme de 2023 continuera à s’appliquer.
« C’est l’ingrédient pour des discussions qui ne mènent à rien : les gens pour qui la meilleure solution est de ne pas toucher à la réforme n’ont aucun intérêt à s’engager dans la négociation », souligne l’économiste Michaël Zemmour, l’un des meilleurs experts du système de retraite, très critique de la réforme de 2023 et de sa logique d’économie.
Il alerte également sur le fait que le premier ministre insiste sur une prétendue dette cachée du régime, qui est récusée par tous les spécialistes du sujet.
Mediapart : Dès le début de son discours, mardi, François Bayrou a insisté sur l’enjeu de la dette publique, assurant que le déficit du régime des retraites représentait la moitié des 100 milliards d’euros de dette accumulés en dix ans par la France. Il reprend là un calcul qu’il défend depuis décembre 2022, selon lequel le déficit du système serait de l’ordre de 40 à 45 milliards d’euros par an, alors que le système était bénéficiaire en 2022 et 2023, et déficitaire de seulement 6 milliards en 2024. Comment expliquer cette théorie ?
Michaël Zemmour : François Bayrou reprend à son compte une thèse assez fantaisiste qui est récusée par les économistes ou les spécialistes des retraites. Cette idée a fait l’objet de plusieurs démontages, notamment par le Conseil d’orientation des retraites (COR), par son ancien président Pierre-Louis Bras, mais aussi par l’actuel président Gilbert Cette [un économiste très proche d’Emmanuel Macron – ndlr], y compris dans le dernier rapport du COR.
Il s’agit d’une comptabilité alternative et fantaisiste. En France, le système de retraite repose sur un financement mixte : des cotisations [payées par les salarié·es et les employeurs – ndlr] et des contributions de l’État – pour plein de raisons différentes : il y a des fonctionnaires dont les retraites sont payées par l’État, des cotisations sociales à compenser dans certains cas, de la solidarité…
Le raisonnement de François Bayrou consiste à dire que tout ce qui est financé par l’État serait financé par de la dette. Une idée qui ne s’appuie sur… rien. Son discours est très inquiétant, parce qu’en inventant une dette cachée des retraites, il rejoue la dramatisation autour de l’idée que les caisses sont vides et qu’il faudrait trouver de nouvelles mesures d’économie.
Le système des retraites n’est donc toujours pas en danger ?
Michaël Zemmour : Le système de retraites est globalement financé. Dans sa comptabilité, le COR prévoit certes un déficit persistant, de l’ordre de 0,5 point du produit intérieur brut (PIB) [le COR prévoit 0,4 % de déficit à l’horizon 2030, soit une dizaine de milliards d’euros – ndlr], mais les dépenses sont stables, et tendanciellement un peu en baisse.
En revanche, alors que le nombre de retraité·es va augmenter, l’État a prévu de se désengager progressivement du financement, au nom du fait que le nombre de fonctionnaires diminue. Donc, le déficit qui est prévu à l’avenir ne vient pas d’une hausse des dépenses, mais d’une baisse des recettes, en raison de la baisse programmée de la partie financée par l’État.
Contrairement à ce qui était espéré par une partie de la gauche, François Bayrou n’a finalement proposé ni « abrogation » ni « suspension » de la réforme des retraites, mais une simple « remise en chantier ». Qu’est-ce que cela veut dire pour les personnes qui partent à la retraite dans les prochains mois ?
Michaël Zemmour : Dans l’immédiat, cela ne veut rien dire. Il n’y a pour l’instant aucune remise en cause de la réforme, qui se déroule comme prévu. À chaque fois qu’on avance dans le temps, on a de nouvelles générations touchées par la réforme, qui vont connaître des conditions de départ plus dures. Plus on attend pour prendre une décision, plus ces générations se voient appliquer la réforme.
Le fait que la réforme ne soit pas arrêtée et qu’elle continue à se dérouler joue sur la discussion, parce que plus la conclusion tarde, plus la réforme s’applique.
Si j’ai bien compris le discours de François Bayrou, il envisage une modification possible pour la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale, qui sera appliquée en 2026. Donc, la génération née en 1963, qui aura 62 ans en 2025, se verra appliquer pleinement la réforme, sans aucune restriction. Elle sera concernée par un âge de départ de 62 ans et 9 mois, et par une durée de cotisation de quarante-deux ans et demi.
Les discussions entre les syndicats et le patronat devraient s’engager dans les prochains jours. François Bayrou a indiqué que tous les paramètres seraient mis sur la table, y compris l’âge de départ, mais que le cadrage financier ne pourrait pas bouger. Cette négociation vous semble-t-elle bien partie ?
Michaël Zemmour : Non. Tout cela laisse plus que perplexe, pour plusieurs raisons. D’abord, le fait que la réforme ne soit pas arrêtée et qu’elle continue à se dérouler joue sur la discussion, parce que plus la conclusion tarde, plus la réforme s’applique.
La deuxième chose, c’est que, comme l’a dit le premier ministre, si les discussions à venir entre les syndicats et les organisations patronales ne débouchent pas sur un accord, la réforme s’appliquera. Ça, c’est l’ingrédient pour des discussions qui ne mènent à rien : les gens pour qui la meilleure solution est de ne pas toucher à la réforme n’ont aucun intérêt à s’engager dans la négociation.
Cette configuration est exactement celle qu’on a vue lors de toutes les négociations récentes sur l’assurance-chômage : l’État enjoint aux partenaires sociaux de négocier, mais en leur donnant un cadre de négociations dont on sait à l’avance qu’il ne peut pas aboutir. On ne peut jamais prédire l’avenir, mais cela rend quand même tout à fait improbable qu’il y ait un réel processus qui s’engage.
Et le troisième élément à garder en tête, c’est le discours du premier ministre sur cette espèce de dette cachée des retraites, une grille de lecture qui n’est pas conforme au consensus sur les retraites. Là où les partenaires sociaux cherchent une alternative à la réforme, et donc des financements pour revenir dessus, il leur dit en gros qu’avant cela, il leur faudra trouver d’autres financements pour le système actuel.
Peut-on rappeler quels sont les paramètres sur lesquels on pourrait jouer, hormis l’âge légal de départ ou la durée de cotisation ?
Michaël Zemmour : Les autres leviers d’équilibre macroéconomique du système de retraite sont les recettes, prioritairement les cotisations, et le montant des pensions. En théorie, les partenaires sociaux pourraient aussi discuter d’autres sujets, comme le calcul des droits, l’égalité femmes-hommes ou la pénibilité. Ces sujets n’ont pas été traités correctement par les réformes précédentes. Mais la tension actuelle et le poids de la réforme de 2023 sont tels que cela paraît très improbable. Il semble que pour la majorité des syndicats, arrêter la réforme de 2023 est un préalable à ce que des discussions sereines aient lieu.
Et on peut imaginer que les organisations patronales, qui ont soutenu la réforme de 2023, ne seront pas très motivées pour discuter.
Michaël Zemmour : La raison pour laquelle il n’y a pas eu le début d’un accord entre partenaires sociaux sur cette réforme, c’est que le gouvernement avait dit qu’il voulait ajuster le système, mais sans y mettre un centime de recettes supplémentaire.
Or, les organisations syndicales, dans leur diversité, disaient être favorables à l’équilibre financier, mais sans qu’il se fasse uniquement sur la réduction des droits des retraité·es. Elles estiment que l’équilibre doit se faire, en partie ou dans sa totalité, grâce à des recettes supplémentaires.
Le Medef [l’organisation patronale majoritaire – ndlr], lui, n’est pas d’accord pour mettre des recettes supplémentaires dans le régime, et on ne voit pas très bien ce qui le pousserait à s’écarter de cette position. Lorsque le premier ministre dit : « Venez négocier, mais s’il n’y a pas d’accord, la réforme continue à s’appliquer », cela n’ouvre donc pas de cadre de discussion nouveau.
Et même si un accord finissait par être trouvé, encore faudrait-il que le Parlement le vote, comme l’a promis François Bayrou…
Michaël Zemmour : Un vote serait effectivement très incertain. Nous avons cet engagement verbal du premier ministre. Mais il renvoie à un horizon où on n’est pas sûr que le gouvernement en place sera toujours là, ni qu’il aura une majorité pour valider l’accord qui aurait été trouvé.
Enfin, il y a une forme d’ambiguïté sur le rôle qui est donné aux partenaires sociaux. Autant pour l’Unédic [qui gère les caisses de l’assurance-chômage – ndlr] ou l’Agirc-Arrco [qui pilote les retraites complémentaires – ndlr], ils ont un intérêt concret à conclure des accords, car ils gèrent ensemble directement ces caisses. Mais pour le système des retraites [de base – ndlr], on leur demande de discuter, alors qu’ils n’ont finalement aucun pouvoir ni aucune certitude sur ce qu’il se passera derrière.
mise en ligne le 12 janvier 2025
Jean-Christophe Le Duigou sur www.humanite.fr
Le ballet semble bien orchestré. Alors que la pression s’accentue pour une « remise à plat de la réforme des retraites » patronat, macronistes et leaders de la droite se coalisent pour empêcher toute remise en cause substantielle du texte. Acte premier, le nouveau Président du Conseil d’orientation des retraites -imposé il y a quelques mois- alerte sur « la dégradation de l’équilibre de nos finances sociales ». Patrick Martin le Président du Medef se saisit de sa rencontre avec le nouveau Premier ministre pour appeler sur le perron de Matignon à « dépasser la concertation à venir sur l’aménagement de la dernière réforme des retraites pour remettre à plat le financement de la protection sociale dans son ensemble ». Est-ce à dire que le patronat est prêt à monnayer quelques concessions plus ou moins claires contre une mise en cause globale du système Entendez introduire la capitalisation et élargir le recours à la TVA, baptisée pour l’occasion « TVA Sociale » Il ne reste plus qu’à un ministre anonyme de susurrer que « le déficit est beaucoup plus important qu’annoncé » puis à quelques « experts » à prendre la plume pour vanter le régime de retraite par points.
Tous espèrent ainsi noyer le poisson. La priorité n’est-elle pas de revenir sur la réforme des retraites et l’allongement de la durée de cotisation ! Les salariés s’interrogent : où sont les marges de manœuvre ? Que veut dire rechercher un « compromis plus large » alors qu’il n’est pas question de sortir de l’approche comptable ? On s’y enfonce même un peu plus, ce que souhaite le gouvernement, en y impliquant les organisations syndicales.
« Priorité aux petites pensions » est une fausse fenêtre, bien vague, car il s’agit surtout exclure toute « hausse du coût du travail ». Ce qui veut bien dire que pour trouver 20 milliards d’euros les propositions, hormis quelques finasseries, devront nécessairement tourner autour de « nouveaux sacrifices »
Et si l’on discutait des vraies solutions ?
L’augmentation du nombre de retraités est bien sûr un défi. Mais qui peut réellement soutenir que les problèmes démographiques se sont brutalement aggravés dans la dernière période ? La réalité est plus simple, les marchés financiers sont là, estimant « illégitime » l’existence d’un système public de retraite par répartition, un système qui les prive d’un champ d’activités lucratives. Discuter du déficit dans le financement des retraites ou de la protection sociale en général n’a aucun sens, c’est un véritable débat sur une réforme des conditions générales de financement de l’État social qui est nécessaire.
Première mesure à envisager, remettre à plat le régime d’exonérations patronales si coûteux pour les comptes publics et si inefficace. Il y va de plus de 70 à 90 milliards d’euros. En second lieu des ressources additionnelles sont concevables en instaurant une contribution venant des revenus de la propriété et des revenus financiers des entreprises. Le surcroît de recettes pourrait atteindre 30 milliards d’euros.
Mais l’essentiel de la réponse dépend de l’emploi et d’une politique du travail ambitieuse. Le Conseil d’orientation des retraites avait produit il y a 10 ans un diagnostic sérieux montrant que la récession était à l’origine de la perte de beaucoup de cotisations, 20 milliards d’€ recettes annuelles pour le seul système de retraite, autant pour l’assurance maladie selon nous, soit beaucoup plus que le besoin de financement affiché pour l’ensemble des régimes sociaux.
L’assiette des cotisations c’est en effet la masse des femmes et des hommes qui travaillent. Une modulation des cotisations patronales en fonction des emplois créés ou supprimés par les entreprises pourrait contribuer à doper cette assise emploi/salaire.et à mieux répartir l’effort entre branches. L’évidence est là. Quand 6 à 7 millions de personnes sont, en France, écartées d’un véritable travail, il devient difficile d’assurer la pérennité des régimes de protection sociale.
mise en ligne le 11 janvier 2025
Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr
Cette année encore, les hôpitaux publics sont en tension, alors qu’approche le pic d’une épidémie de grippe qui présente de nombreuses formes graves. Dans des urgences saturées, le risque de « morts inattendues » est au plus haut.
Les épidémies respiratoires hivernales se succèdent sans jamais tout à fait se ressembler. Après les années du covid, il y a eu celle des bronchiolites, qui ont frappé les enfants en 2022-2023.. L’année suivante a été marquée par le retour du covid à un haut niveau, fin 2023, combiné aux bronchiolites et suivi par la grippe.
Fin 2024, à la mi-décembre, un pic modeste de bronchiolites a été passé. En ce début d’année 2025, le covid est presque absent (0,6 % des hospitalisations). Cette fois, c’est la grippe qui domine. La première semaine de janvier, 5 % des personnes admises aux urgences et des personnes hospitalisées ont été testées positives aux virus de type A ou B, qui circulent en même temps cette année, détaillait Santé publique France le 8 janvier. Le nombre de cas groupés de grippes dans les Ehpad est également au plus haut. 6 % des certificats électroniques de décès mentionnaient la grippe début janvier.
Toujours selon Santé publique France, le pic de cette épidémie de grippe est moins haut que l’année passée, mais les hospitalisations sont plus nombreuses. Le virus occasionne donc plus de formes graves.
Les conséquences sont en revanche toujours les mêmes, parfaitement prévisibles : les urgences sont débordées car il n’y a pas assez de lits pour hospitaliser les malades graves qui s’y présentent. Dans de très nombreux services d’urgence, les soignant·es travaillent dans des lieux encombrés de brancards occupés par des malades en attente d’une hospitalisation, des heures, voire des jours durant.
De nombreuses études montrent que le temps d’attente aux urgences est corrélé à une plus forte mortalité. Par exemple, un travail mené par des membres de la Société française de médecine d’urgence, publié dans le Journal of the American Medical Association (Jama), a comparé les taux de mortalité de 1 598 patient·es âgé·es de plus 75 ans, une partie ayant passé une nuit aux urgences, une autre partie ayant été hospitalisée rapidement dans des services.
Le taux de mortalité des premiers et premières est de 15,7 %, contre 11,1 % pour les deuxièmes. Le syndicat Samu urgences de France parle de « morts inattendues », qui ne seraient pas survenues si la prise en charge des patient·es avait été plus rapide.
Des morts suspectes
Sans surprise, des morts suspectes sont rapportées ces derniers jours, notamment en Île-de-France. Selon Le Parisien, une jeune femme d’une vingtaine d’années est décédée mercredi 8 janvier à l’hôpital de Longjumeau (Essonne) après une journée d’attente dans un box des urgences. Une enquête interne est en cours. Toujours selon Le Parisien, une autre jeune femme de 26 ans est morte ce vendredi 10 janvier dans la salle d’attente des urgences de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Une enquête est également en cours, à l’initiative de la police cette fois.
Le 10 janvier, le ministère de la santé a indiqué à l’AFP que 87 hôpitaux ont déclenché leur plan blanc, qui permet de rappeler du personnel et de déprogrammer des opérations non urgentes afin d’augmenter le nombre de lits disponibles. L’ouest de la France est particulièrement touché. Rien qu’en Bretagne, 34 établissements sont en plan blanc. L’agence régionale de santé l’a même déclenché au niveau départemental pour tous les établissements publics comme privés d’Ille-et-Vilaine. L’accès aux urgences est régulé au CHU de Rennes : avant de se présenter, les patient·es doivent passer par le 15, qui décide ou non d’un accès aux urgences.
Dans le Grand Est, région également très touchée, l’agence régionale de santé explique que le nombre de passages aux urgences pour syndrome grippal est, la première semaine de janvier, le « plus élevé observé ces dix dernières années ». Huit hôpitaux ont déclenché leur plan blanc, dont ceux de Reims (Marne) et de Metz (Moselle).
La situation est également très difficile en Loire-Atlantique : l’accès à tous les services d’urgence sera régulé à partir du 13 janvier, a annoncé l’agence régionale de santé des Pays de la Loire. Le CHU de Nantes et l’hôpital de Saint-Nazaire ont déclenché leur plan blanc. Dans Ouest-France, le directeur de l’hôpital de Saint-Nazaire explique qu’il « faudrait 30 places [d’hospitalisation] par jour alors qu’[il] ne peut en prendre que 20 », grâce au plan blanc. Ce sont donc dix malades en attente d’hospitalisation qui stagnent aux urgences, alors que celles-ci accueillent « entre 150 et 180 malades par jour », détaille le directeur.
Comme pour le covid, les plus à risque de formes graves sont les personnes âgées de plus de 65 ans et les personnes fragiles (immunodéprimées, diabétiques, atteintes de maladies respiratoires ou cardiovasculaires, etc.).
Tout porte à croire que, cette année encore, ces personnes fragiles se sont peu vaccinées, car les taux de vaccination contre la grippe sont en baisse constante, selon les données de Santé publique France. En 2023-2024, seules 47,7 % des personnes âgées de plus de 75 ans se sont vaccinées contre la grippe. En 2021-2022, ce taux était de 55,8 %.
Santé publique France rappelle les mesures de prévention à adopter : « le lavage des mains, l’aération des pièces et le port du masque en cas de symptômes (fièvre, mal de gorge ou toux), dans les lieux fréquentés et en présence de personnes fragiles ».
mise en ligne le 10 janvier 2025
Hayet Kechit sur www.humanite.fr
Contrôles accrus et sanctions, recours massif à la sous-traitance et à l’IA, moyens faméliques… La loi « plein emploi », entrée en vigueur le 1er janvier 2025, charrie une série de mesures délétères, dont les agents de France Travail et les usagers commencent déjà à faire les frais. Tandis que les chefs d’entreprise des secteurs en tension se frottent les mains.
La machine est cette fois bien lancée, et autant dire qu’elle semble se diriger à grande vitesse contre un mur. Après deux ans d’expérimentation dans plusieurs dizaines de départements et de bassins d’emploi, la loi dite pour le plein emploi est entrée en vigueur le 1er janvier 2025.
« La loi est passée, mais on ne sait pas comment ça va se passer. » La formule résume l’état d’esprit qui domine parmi les syndicats de France Travail. Le « nouveau réseau pour l’emploi », né de ces dispositions, promet en tout cas de susciter de redoutables secousses, tant pour les agents que pour les nouveaux demandeurs d’emploi affiliés, appelés à affluer dans les agences de l’opérateur public.
Quelque 1,2 million d’allocataires du RSA et leurs conjoints, les 1,1 million de 16-25 ans suivis par les missions locales ainsi que les 220 000 personnes en situation de handicap qu’épaule Cap emploi sont en effet désormais inscrits automatiquement dans les fichiers de France Travail, soumis à un contrat d’engagement imposant à une large part d’entre eux quinze heures d’activités hebdomadaires – dont les contours restent flous – sous peine de sanctions, qui peuvent aller jusqu’à la suspension de leur allocation.
« Il va falloir absorber le choc »
Le directeur général de France Travail, Thibaut Guilluy, a beau répéter à l’envi vouloir miser, à travers ce « nouveau réseau pour l’emploi », sur un « accompagnement rénové », syndicats et associations continuent de dénoncer l’esprit d’une loi essentiellement coercitive qui, selon les termes d’un rapport publié en décembre par le Secours catholique, « met au défi l’allocataire de démontrer qu’il mérite son RSA ». Sa mise en œuvre, sur fond de cure d’austérité, ne sera par ailleurs pas sans conséquences sur les fondements mêmes du service public de l’emploi.
Alors que les courriers annonçant les inscriptions automatiques ont commencé à partir et qu’un numéro vert a été diffusé, les agents de France Travail, chargés dans un premier temps d’orienter ces centaines de milliers de bénéficiaires auprès de leurs référents locaux ou nationaux, anticipent avec effroi la montagne à gravir.
« Cela va forcément entraîner un afflux de personnes dans les sites, où l’accueil repose sur très peu de collègues déjà à bout. Je ne vois par ailleurs pas comment on peut faire un suivi décent en gérant des portefeuilles de 500 personnes », pointe Francine Royon, représentante de la CGT France Travail en Île-de-France, selon qui, appliquer à la lettre cette loi supposerait que les conseillers « ne s’occupent plus du tout de l’accompagnement ».
Ce nouveau réseau fera certes intervenir plusieurs acteurs référents, dont les départements et les missions locales, mais ce sont bien les agents de France Travail qui seront aux premières loges. « Il va falloir absorber le choc », pointe Vincent Lalouette, secrétaire général adjoint de la FSU emploi.
Si l’opérateur public a échappé à la suppression de 500 postes prévue par le projet de loi de finances 2025 – avant son passage à la trappe par la censure à l’Assemblée nationale –, rien ne garantit qu’il ne sera pas sous le coup de la cure d’austérité annoncée par le gouvernement Bayrou. La question se pose dans les mêmes termes pour les conseils départementaux, également sous la menace de coupes budgétaires massives.
Thibaut Guilluy, lors d’une rencontre organisée en novembre dernier par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), avait reconnu ces entraves à demi-mot, concédant face à la mitraille de questions sur les moyens : « Je ne dis pas que ces 1,2 million de bénéficiaires du RSA retrouveront par enchantement un travail. »
Pour Denis Gravouil, secrétaire confédéral à la CGT, « Thibaut Guilluy est un boy-scout, qui en fait des tonnes sur l’accompagnement. Or, il sait pertinemment que cela demande des moyens considérables. Qui ne sont pas là ». Le représentant syndical en veut pour preuves « ces agents en pleurs, désemparés par les injonctions contradictoires, les incitant à satisfaire des taux de décrochés au téléphone, tout en étant tenus de ne pas accorder plus de douze minutes à chaque personne ». Même constat à la CFDT, qui estime que « ce projet de loi ne remplit pas la promesse d’un meilleur accompagnement vers un emploi durable et de qualité » car « (…) les moyens dédiés ne sont pas à la hauteur des ambitions ». Dès lors, comment faire plus avec moins ?
Augmentation de 60 % du budget dédié à la sous-traitance
« La sous-traitance est une conséquence logique de cette réforme parce que cela permet de contourner les plafonds d’emploi », répond Denis Gravouil. Guillaume Bourdic, représentant syndical à la CGT France Travail, estime même que le service public de l’emploi « va devenir une gare de triage au service des prestataires privés ». En 2024, le budget dédié à la sous-traitance aurait ainsi augmenté de 60 % par rapport à 2023, tandis que le budget prévu pour l’externalisation des relations entreprises s’élèverait à 9 millions d’euros, selon Francine Royon.
La syndicaliste voit depuis le début de l’année « s’enchaîner les signatures de contrats avec les boîtes privées ». Le dernier en date concernerait la prestation Agil’Cadres, destinée à faire assurer le suivi d’un tiers des publics cadres par des opérateurs privés de placement.
« La petite musique de la direction est déjà bien installée. Le discours se résume à cette logique : si on n’est pas capable de faire, c’est les autres qui feront », abonde Vincent Lalouette. Au détriment de la qualité d’accompagnement pour les usagers. Francine Royon évoque ainsi des témoignages faisant état d’une pression intenable exercée par les prestataires, tenus de remplir des objectifs de taux de retour à l’emploi, pour que les usagers acceptent sans broncher n’importe quel job.
C’est particulièrement flagrant, selon elle, dans le cas du contrat de sécurisation professionnelle (CSP), destiné aux personnes licenciées économiquement, un accompagnement privatisé à hauteur de 50 % en Île-de-France. « Les usagers nous disent qu’ils veulent absolument être suivis par des conseillers de France Travail car ils n’en peuvent plus des prestataires qui les envoient sur des postes très difficiles, uniquement des métiers en tension, au mépris de leur projet professionnel », relate la syndicaliste.
L’IA à tour de bras
Pallier l’absence de moyens, gagner du temps : ce sont aussi les exigences qui ont guidé un déploiement tous azimuts de l’intelligence artificielle (IA) au cours de ces deux années d’expérimentation. L’opérateur s’est ainsi doté de nouveaux outils, dont Chat FT, destiné à faciliter la rédaction des textes, surnommé par la direction « le compagnon de l’agent ».
Mais la loi plein emploi consacre l’usage de l’IA à plus grande échelle, à travers la plateforme unique et automatisée gérée par France Travail, regroupant l’ensemble des inscrits, qui seront dispatchés, selon leur profil supposé, en fonction d’éléments recueillis sur leur parcours, vers l’organisme dédié et dans les catégories jugées par l’algorithme appropriées.
« Le problème des algorithmes, c’est qu’on ne sait pas comment ils sont programmés », soulève Denis Gravouil. Pour Vincent Lalouette, cette automatisation va forcément conduire à des ratés : « Un charpentier, qui aura subi un accident du travail, sera renvoyé sur cette profession-là, alors que lui ne veut plus en entendre parler », pointe le représentant syndical.
Au-delà de l’orientation, l’IA sera également massivement mise à contribution pour le contrôle des demandeurs d’emploi. Les objectifs ne sont pas moindres, avec en vue un triplement du nombre de contrôles afin d’atteindre le chiffre de 1,5 million d’ici à 2027. Concrètement, cela se traduira par la généralisation d’un dispositif dit « CRE rénové » (contrôle de la recherche d’emploi) inclus dans le kit de la loi plein emploi. À savoir, une automatisation accrue des contrôles via des « faisceaux d’indice » émis par un système d’information, sur la base d’un algorithme générant des alertes, là où la compréhension des situations au cas par cas avait encore plus ou moins cours.
Une loi de la coercition
« Contrôle » et « sanctions ». La CGT chômeurs, au moment de la publication du projet de loi, avait fait le décompte de ces termes. Ils apparaîtraient plus de 80 fois. Pour Vincent Lalouette, la première mesure de coercition est l’obligation d’inscription faite à un public qui ne sera plus dans une démarche volontaire. « Concrètement, cela veut dire qu’une partie des gens qu’on va recevoir maintenant ne souhaitent pas être inscrits chez nous, au détriment de la relation de confiance qui doit s’établir entre les deux parties. »
Côté sanctions, si la parution du décret entérinant leur cadre n’est prévue que dans le courant du premier semestre 2025, des cas de suspension d’allocation auraient d’ores et déjà affecté des allocataires dans certains départements soumis à l’expérimentation. Cela aurait été notamment le cas dans le Nord, selon Vincent Lalouette.
Pour Francine Royon, ces sanctions sont révélatrices de « la véritable intention derrière cette loi, à savoir la volonté d’aller au plus près des demandes du patronat local, de faire correspondre la main-d’œuvre disponible aux besoins du patronat, sur des métiers en tension ».
C’est d’ailleurs la conclusion du bilan très critique de l’expérimentation menée dans les départements, publié en décembre dernier par des associations, dont le Secours catholique, qui montre que les embauches réalisées pendant cette période l’ont été essentiellement sur des emplois précaires dans des secteurs en tension, comme l’hôtellerie, la restauration, le soin à la personne.
Pour Guillaume Bourdic, de la CGT France Travail, « on est aux antipodes de l’accompagnement du demandeur d’emploi, mené en fonction de son histoire, ses qualifications, ses besoins, en tentant de faire le lien avec le marché du travail. Aujourd’hui, on part des besoins de l’employeur et on crée les conditions pour que les demandeurs d’emploi y répondent coûte que coûte ».
Des considérations qui semblent secondaires pour Emmanuel Macron qui, on a aujourd’hui tendance à l’oublier, avait fait de cette loi l’arme pour réduire le taux de chômage à 5 % d’ici à 2027.
Force est de constater, comme le souligne Denis Gravouil, que « cette réforme se fracasse aujourd’hui sur la réalité, alors que le chômage remonte à près de 8 % ». La question est de savoir pendant combien de temps encore l’exécutif pourra se permettre de cibler les plus précaires, à l’heure où les fermetures d’usines, les plans de suppression d’emplois et les licenciements économiques se succèdent en cascades.
Hayet Kechit sdur www.humanite.fr
La généralisation de la réforme du RSA, qui conditionne l’allocation à la réalisation de quinze heures d’activités par semaine, suscite la vive inquiétude de Claire Hédon. La Défenseure des droits pointe une réforme stigmatisante, aux antipodes du devoir de protection sociale.
Quelque 1,2 million d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) sont, depuis le 1er janvier 2025, inscrits d’office à France Travail et tenus, pour une large part d’entre eux, de s’acquitter d’au moins 15 heures d’activité hebdomadaire, via « un contrat d’engagement ». Cette réforme imposera en outre, selon des modalités qui restent à fixer par décret, la création d’une nouvelle sanction, dite de « suspension-remobilisation », susceptible de couper ce revenu de survie en cas de non-respect du contrat.
La Défenseure des droits, Claire Hédon, qui avait déjà rendu un avis très critique en juillet 2023 au moment des débats autour de ce projet de loi, continue de dénoncer une réforme « délétère », dont la généralisation précipitée à l’ensemble du territoire, sur fond d’absence de moyens, remettrait en cause, à ses yeux, la volonté affichée d’assurer un accompagnement de qualité.
Au moment des débats autour de la réforme du RSA, en juillet 2023, vous aviez émis un avis pointant des atteintes aux droits. Pouvez-vous préciser ce qui a motivé ces critiques ?
Claire Hédon : Nous avons fondé notre avis sur le rappel des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 qui imposent un devoir de protection sociale et de solidarité à la collectivité nationale, tenue de garantir aux plus vulnérables des moyens convenables d’existence.
Or ce conditionnement du RSA à quinze heures d’activité fragilise les effets de ce principe constitutionnel qui est censé garantir le droit à un revenu d’existence. On ne devrait pas pouvoir, par des sanctions, priver une personne de ses besoins élémentaires et donc de son reste à vivre.
Nous partageons le constat que la question de l’insertion a été de longue date bien trop négligée concernant les bénéficiaires du RSA, et avant cela du RMI (Revenu minimum d’insertion, qui a été remplacé par le RSA en 2009 – NDLR), mais je ne vois pas en quoi une amélioration de l’accompagnement, que nous estimons indispensable, devrait impliquer en parallèle des heures d’activité obligatoires et des sanctions.
Quelles sont aujourd’hui vos craintes alors que cette réforme vient d’entrer en vigueur ?
Claire Hédon : Notre première inquiétude concerne l’extension du dispositif, de manière précipitée, à l’ensemble du territoire, sans que soient prévus des moyens à la hauteur de l’enjeu. Cela risque tout simplement de rendre ineffectif le volet accompagnement de la réforme. Il faut noter que dans les départements ayant expérimenté ces quinze heures d’activité, il y a eu un renforcement important des moyens d’accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Comment les agents de France Travail, sans augmentation de leurs effectifs, vont-ils pouvoir assurer un accompagnement de qualité alors que les agences sont déjà pleines ? Or, si cet accompagnement fait défaut, les risques de suspension du RSA s’en trouveront multipliés.
« Nous craignons également les dérives liées aux « mises en situation professionnelle », contenues dans ces quinze heures d’activité, telles qu’elles ont été précisées par le décret du 30 décembre 2024. »
La deuxième inquiétude concerne le fait que la dispense d’activité hebdomadaire, prévue par la réglementation pour les personnes rencontrant notamment des difficultés liées à l’état de santé, au handicap, à la situation de parent isolé, reste à l’initiative des bénéficiaires du RSA. Or nous savons bien que pour les personnes les plus précaires, souvent peu familiarisées avec les codes administratifs, une telle démarche est loin d’être évidente.
Nous craignons également les dérives liées aux « mises en situation professionnelle », contenues dans ces quinze heures d’activité, telles qu’elles ont été précisées par le décret du 30 décembre 2024. Cela mérite attention : il faut avoir la garantie que ces mises en situation contribuent réellement à l’insertion professionnelle des personnes concernées, qu’elles soient compatibles avec la recherche d’un emploi et qu’elles ne constituent pas un détournement du droit du travail.
Avez-vous eu des saisines dans le cadre des expérimentations menées dans les départements ?
Claire Hédon : Nous n’avons pour le moment pas encore été saisis sur des situations de suspension de l’allocation, mais nous sommes aussi face à un public peu coutumier de ce genre de démarches. Ce qui sera très instructif, ce sera d’obtenir de la Cnaf les chiffres liés à ces suspensions, département par département, notamment pour évaluer les inégalités de traitement sur le territoire.
Nous avons par ailleurs eu, dans le cadre de notre comité d’entente sur la précarité, des échanges avec les associations ; nous avons également rencontré le Conseil national de lutte contre les exclusions, composé pour moitié par des personnes concernées et en situation de précarité.
Cela a été très instructif de les entendre faire part de leurs inquiétudes sur ces quinze heures d’activité. Je crois qu’on ne mesure pas l’angoisse qu’on génère en faisant des lois de ce type. Il y a vraiment pour les personnes la peur de tout perdre et nous aurions aimé que le législateur puisse aussi entendre ce discours-là.
Comment analysez-vous les premiers résultats communiqués par l’exécutif sur cette expérimentation ?
Claire Hédon : On a comparé des choses qui ne sont pas comparables. L’expérimentation s’est concentrée, et c’est très légitime, sur les personnes nouvellement allocataires du RSA et parmi les plus proches de l’emploi. Il est dès lors peu surprenant que cela ait donné de bons résultats. Un meilleur accompagnement, tout de suite après la mise en place du dispositif, donne de meilleurs résultats en termes d’insertion.
On ne peut cependant transposer cela à la situation de personnes qui sont au RSA parfois depuis plus de dix ans. Au-delà de cela, il faut noter que ces résultats montrent qu’on reste largement sur du contrat précaire. Cette évaluation a considéré comme résultat d’insertion positif le fait de décrocher un CDD de six mois, dont on sait la fragilité.
Cette réforme signe-t-elle un changement de philosophie ?
Claire Hédon : Il y a en tout cas avec cette loi, que je trouve délétère et inquiétante du point de vue des droits, la poursuite d’un glissement qui entretient un certain imaginaire au sein de la société. Celui de personnes qui seraient au RSA par plaisir, se complairaient dans un rôle d’assistés, seraient responsables de leur situation et refuseraient de travailler.
Or ma connaissance de la grande précarité me démontre exactement l’inverse. Les personnes ont envie de travailler parce que le travail est un des moyens d’insertion. On contribue à créer une image stigmatisante des personnes précaires.
Or la culpabilité n’est pas placée du bon côté. L’inconscient collectif renvoie les personnes à cette question : « Qu’avez-vous raté dans la vie pour vous retrouver dans cette situation ? » Et moi, je pense que c’est exactement l’inverse. On devrait plutôt s’interroger sur ce que la société a raté pour qu’ils se retrouvent dans cette situation.
mise en ligne le 6 jenvier 2025
par Rob Grams sur https://www.frustrationmagazine.fr/
Ce 1er janvier, la réforme du RSA, expérimentée jusqu’à présent dans certains territoires, a été généralisée à l’ensemble du pays. Concrètement, les allocataires du RSA (635,71 euros par mois pour une personne seule sans enfant, pour rappel) vont être inscrits d’office à France Travail, ex-Pôle Emploi, et devront réaliser obligatoirement 15h d’activités par semaine, qui vont de l’atelier réalisation de CV à de « l’immersion en entreprise », c’est-à-dire du travail gratuit. S’ils ne font pas leurs heures, les Conseils généraux, qui versent le RSA, pourront le suspendre et, concrètement, laisser ces gens déjà très pauvres crever de faim. Que l’on ne s’y trompe pas : la réforme du RSA est une mesure de mise au pas de toute la société, en terrorisant les plus pauvres et en faisant peur aux autres.
L’objectif de faire travailler les gens en contrepartie du RSA n’est pas juste celui, parfaitement ignoble, d’humilier les ultra-pauvres, les précaires, les chômeurs sans droits, les SDF, les jeunes, les gens fracassés par la vie qui ne sont plus en mesure de travailler. Il n’a pas pour simple vue de conforter les fractions les plus ignares des franges bêtement droitières et bourgeoises de la population dans leur vision stéréotypée et facile d’allocataires du RSA fumant des joints devant des documentaires animaliers, grassement nourris et logés sur l’argent du contribuable.
Il poursuit un second objectif, tout aussi grave que le premier : réduire le prix du travail à des niveaux en-dessous du seuil de subsistance. Car faire travailler en échange d’une allocation, ce n’est plus une aide sociale, c’est un nouveau type de contrat de travail, un contrat où l’on fera travailler les gens à des salaires qui ne leur permettent même pas de manger et de se loger. On a donc ici l’une des plus offensives les plus violentes de la bourgeoisie depuis au moins un siècle.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis le 19 décembre dernier. Cet avis devrait alerter tous les défenseurs de la démocratie puisqu’elle estime que la réforme du RSA « porte atteinte aux droits humains ». Elle dénonce notamment un « dispositif qui subordonne le versement d’un revenu minimum de subsistance à la réalisation d’une contrepartie », d’autant que le montant actuel du RSA (635,71 euros par mois pour une personne seule sans enfant) « ne permet, par ailleurs, pas de vivre de façon digne ».
La CNCDH « alerte également sur la régression du droit à l’accompagnement social s’il se transforme en un contrôle sur l’effectivité de la remise au travail. Il risque en effet de contribuer à la maltraitance institutionnelle – tant auprès de la population ayant besoin de cette protection et y ayant droit que du côté des agents des administrations chargés d’appliquer des règles imprécises et/ou incomprises. »
La réforme du RSA : la création d’un nouveau salaire minimum à moins de 500 euros par mois
Car dans un pays qui connaît un chômage de masse (environ 7,4%, auxquels il faudrait rajouter les nombreux radiés injustement) en raison des politiques lamentables de Macron, de sa clique de bourgeois et de ses prédécesseurs du Parti socialiste, faire travailler de force pour des tarifs grotesques (moins de 7 euros de l’heure, donc) les ultra-pauvres remplit une fonction : remplacer les emplois nécessitant peu ou pas de diplôme, normalement payés au SMIC, par des faux emplois, se rapprochant du travail forcé que l’on retrouve dans les dictatures très archaïques.
On retrouve un peu ce genre de dynamiques avec les stages étudiants : alors que l’on fait croire qu’ils sont censés bénéficier aux étudiants, ils permettent de remplacer et de mettre en concurrence les jeunes arrivants sur le “marché du travail” par des stagiaires dociles, sous-payés, à qui l’on apprend que se faire exploiter est une chance et une opportunité. Cela permet donc de faire drastiquement baisser les salaires à l’embauche de ces jeunes, ainsi que leur capacité de négociation et d’exigence, et donc, à moyen terme, de faire baisser le revenu des travailleurs en général.
Pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ?
Même chose pour les services civiques, dispositif créé en 2010 par Martin Hirsch sous Nicolas Sarkozy et censé favoriser “l’engagement de citoyenneté” des “jeunes de 16 à 25 ans” mais qui font en réalité passer pour du volontariat la situation de jeunes qui, ne trouvant pas de travail (comment en trouver si les postes ont été transformés en stages et en services civiques ?), n’ayant même pas encore l’âge pour toucher le RSA, sont donc obligés d’accepter de travailler pour 473 euros par mois.
De la même manière : faire travailler les gens au RSA, c’est mécaniquement mettre beaucoup plus de gens au RSA. Car pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ? Comme le soulignait à raison un internaute, faire travailler 20h par semaine le 1,95 million d’allocataires du RSA revient à trouver chaque mois 160 millions d’heures de travail. Où sont-elles alors que partout on cherche du boulot ? La réponse est simple : chez ceux et celles qui travaillent déjà.
Ainsi transformer le RSA en un salaire en-dessous des minima sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires.
Il permet également un net renforcement du rapport de force favorable à la bourgeoisie en rendant quasi-impossible la démission, déjà très compliquée en temps normal. Macron avait promis que nous pourrions toucher le chômage en cas de démission, ce n’est évidemment pas le cas (ou du moins il faut lire les astérisques pour comprendre les conditions délirantes dans lesquelles cela est possible). Le RSA est donc la seule garantie de pouvoir éventuellement subvenir à ses besoins vitaux si vous avez besoin de démissionner face à une situation insupportable. Avec cette mesure, vous saurez désormais que si vous démissionnez, vous ne quitterez votre travail que pour en trouver un autre, ou vous serez également exploités mais cette fois pour moins de 500 euros par mois.
Le chômage est un job à plein temps
En dépit d’un fantasme droitier où le chômage et le RSA seraient un loisir de oisif, beaucoup de gens cherchent du boulot et n’en trouvent pas. Trouver un travail dans ce pays où la bourgeoisie règne en maître et impose toutes ses règles tient du parcours du combattant et ce, à tout âge et presque à tous niveaux de diplôme.
La réforme renforce le flicage sur les chômeurs en se mêlant de tous les aspects de leur vie, et surtout de la façon dont ils occupent leurs journées. C’est pourquoi, dans son avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme estime que la réforme menace les libertés individuelles : « En renforçant le contrôle de l’emploi du temps des personnes sommées de s’investir pour un nombre d’heures donné dans une recherche professionnelle, certaines dispositions de la réforme renforcent les risques d’intrusion disproportionnée dans la vie privée des allocataires et de leur famille, du fait du partage de données personnelles sensibles à grande échelle. »
C’est évidemment quelque chose que les bourgeois et les macronistes (ce sont les mêmes) font semblant d’ignorer puisqu’ils n’ont jamais eu besoin de se bouger pour trouver un emploi : ça leur tombe dans les mains grâce au piston (on dit “réseau” chez eux) depuis qu’ils ont 20 ans.
Donc chercher un boulot, à considérer qu’on soit apte au travail – et ce n’est pas toujours le cas lorsque l’on est au RSA (pas seulement pour des raisons physiques, qui semblent être les seules parfois acceptées par les droitards) – est un travail à plein temps. Car oui : écrire et envoyer des lettres de motivation et des CV (surtout lorsqu’on est pas à l’aise avec l’informatique), passer des tas d’entretiens humiliants, faire des tonnes de rendez-vous inutiles de flicage au Pôle Emploi et des formations abrutissantes, se déplacer en direct dans les entreprises pour quémander un emploi… tout ça prend un temps et une énergie folle, que l’on n’a pas si l’on travaille en plus 20 heures par semaine.
Un projet qui traduit la nullité en économie de nos dirigeants
La vision du chômage comme un choix individuel montre bien le désintérêt complet et la parfaite nullité des bourgeois dans le domaine de l’économie (qu’ils confondent avec le “business”). Ou a minima leur profonde mauvaise foi. Le niveau de chômage d’un pays dépend évidemment de tendances macroéconomiques lourdes, de politiques économiques et de rapports de force entre les travailleurs et le capital. Quand, après 2008, le chômage explose, sans d’ailleurs jamais retrouver depuis son niveau antérieur, ce n’est pas parce que la crise des subprimes aurait subitement déclenché chez les gens une immense vague de flemme et de fainéantise. Et lorsque les Grecs furent touchés de plein fouet avec d’un coup plus de 50% de chômage chez les jeunes, ce n’est pas parce qu’ils avaient tous collectivement décidé de prendre une année sabbatique ! A quel degré de bêtise faut-il être pour penser ça ?
Ainsi, transformer le RSA en un salaire en-dessous des minima sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires.
Le taux de chômage et le nombre d’allocataires du RSA a autant à voir avec la motivation de ces derniers que le prix de l’essence à la pompe en a avec la vôtre quand vous allez à la station-service : on ne rend pas responsable un individu victime d’une situation économique nationale ou mondiale.
Dans cette logique, la transformation, en 2009, du RMI (le revenu minimum d’insertion, créé sous le gouvernement de Michel Rocard en 1988) en RSA (revenu de solidarité active), c’est-à-dire un an après le début d’une crise économique gravissime, avait déjà porté un premier coup de semonce à cette aide sociale en renforçant le flicage des allocataires (obligations de pointage à Pôle Emploi, de s’inscrire à des formations inutiles, etc.), rendant les concernés responsables de leur situation.
Ne pas être apte à travailler, ou ne pas pouvoir gagner sa vie grâce à son travail, ce n’est pas être un fainéant
L’idée répandue par des bourgeois sans aucune expérience, qui gagnent leur vie en faisant bosser les autres, que les allocataires du RSA seraient des “fainéants” ne résiste pas deux secondes à l’épreuve de la réalité.
Voici quelques exemples, parmi des milliers d’autres, où l’on peut être au RSA :
Vos enfants en bas âge viennent de mourir dans un accident de voiture. Les macronistes avaient voulu faire baisser le congé deuil d’un enfant de 12 à 5 jours avant de se rétracter devant le tollé. En réalité, endurer un deuil ne prend ni 12, ni 5 jours. Vous “décidez” alors de démissionner – vous ne toucherez pas le chômage, puisqu’on n’y a pas droit quand on démissionne. Vous êtes donc au RSA. Est-ce qu’il est normal de vous forcer à bosser ?
Les SDF, 300 000 en France, on les force à bosser? Les personnes qui ont eu un problème avec la drogue et qui essayent doucement d’en sortir, on les force à bosser ?
Les femmes harcelées sexuellement au travail, qui savent qu’elles n’ont aucune chance aux prud’hommes et qui décident donc de poser leur démission, on les force à bosser ?
Les agriculteurs qui bossent 80 heures par semaine mais qui ne gagnent pas un rond, on les fait bosser 20 heures de plus ? Les personnes qui ont un problème de santé (environ 40% des bénéficiaires du RSA) ou un problème de dépression (environ 36% des bénéficiaires du RSA), on les force à bosser ?
Et les plus âgés en fin de droits ? Ceux qui n’ont pas encore 64 ans si la réforme des retraites est maintenue et qui ne trouveront quand même plus de boulot parce que les employeurs leur riront au nez et qu’ils sont épuisés, on les force à bosser ?
J’ai moi-même été au RSA quelques mois. Je venais de finir mes études, et je n’avais plus droit à rien, si ce n’est à rembourser mon prêt étudiant. Au bout d’un mois et demi j’avais trouvé un job (ce qui est une chance). Sauf que paf, nous sommes en mars 2020 : Macron annonce le confinement généralisé. Mon employeur décale mon entrée jusqu’à nouvel ordre – 3 mois donc. Qu’est-ce que j’étais censé faire selon les bourgeois ? Demander le RSA a-t-il fait de moi un fainéant ? J’aurais dû manger des racines pendant trois mois et déménager dans un carton ? Ou bien aller à leurs travaux forcés et me mettre en danger ainsi que mes proches ?
Voilà les réalités derrière les a priori moisis de cette bourgeoisie cruelle, ignare, hors-sol, cynique à en crever.
Pas envie de bosser ? Et alors ?
Mais allons plus loin. Quand bien même une minuscule minorité “profiterait” du RSA, refusant de se tuer à la tâche pour le capital, de faire des jobs pourris, inintéressants, nuisibles pour l’environnement et pour l’intérêt commun, et alors quoi ? 500 euros c’est peu dire que ce n’est pas la grande vie : on sait que cet argent sera entièrement dépensé et donc réinjecté dans l’économie. En quoi cela serait si grave ? Leur absence de travail – et encore faudrait-il accepter la définition capitaliste du travail qui ne valorise que ce qui a une valeur marchande, c’est-à-dire une valeur pour le capital, car donner de son temps pour des associations c’est du travail, le travail domestique c’est du travail, écrire pour Frustration c’est du travail… – ne serait pas “récompensée”, on donnerait simplement à ces derniers de quoi se nourrir !
En quoi cela serait plus grave que le fonctionnement du capitalisme où les riches ne gagnent de l’argent ni par leur travail, ni par leurs efforts ou leur “mérite” mais par leur propriété, c’est-à-dire en faisant bosser les autres et en volant le fruit de leur travail ? Bernard Arnault cumule plus de 150 milliards d’euros, soit 25 millions d’années de RSA, et le problème ce serait des personnes qui n’ont pas de quoi se nourrir et se loger et à qui on donne 500 euros par mois ?
Il est plus qu’urgent que nous leur fassions changer de priorité.
Par Richard Dethyre, fondateur de l’Apeis et auteur de la pièce « comment ils ont inventé le chômage ». sur www.humanite.fr
Le RMI ancêtre du RSA a été créé en 1985 par le gouvernement Rocard pour verser une prestation minimale à tous ceux qui après avoir été licenciés avaient épuisé leur droit aux Assedic. Cette mesure inaugure en France toutes les actions destinées à « lutter contre cette nouvelle pauvreté issue du chômage de masse ».
Le I, l’insertion promise du RMI était l’habillage destiné à ne pas laisser s’installer les gens dans ce type de statut ni qu’on imagine qu’on pouvait percevoir une prestation sans contrepartie. L’insertion promise n’a jamais été garantie. Car l’emploi promis, l’insertion n’ont jamais été au rendez-vous. Ce sont des millions de sans travail qui ont dû se rabattre sur cette perfusion sociale minimale. Bien entendu, tous les plans relais, stages SIVP, TUC, SRA, etc. ont assuré au divers gouvernement que tous ceux qui passent par les dispositifs ne figurent pas dans les statistiques mensuelles du chômage.
Le relais pris par le RSA, n’a pas modifié les choses. Mais, nous sommes dans une société plus dure. Les campagnes permanentes contre les profiteurs, les feignants, ceux qui ne veulent même pas traverser la rue… alors qu’il n’y a qu’à se baisser, ont pour effet de retourner l’opinion contre la victime qui devient coupable. Aujourd’hui, une majorité des gens pensent que proposer une activité en échange du versement du RSA serait une bonne chose pour tout le monde. Bah c’est vrai quoi, les villes ne sont pas bien propres et on ne doit pas verser d’allocations sans contrepartie non ?
J’ai consulté à nouveau les études consacrées aux « bénéficiaires » du RSA : 85, 90, 95 % selon les années disent toutes que leur demande numéro un c’est d’accéder à un emploi… qu’on ne leur propose pas ! il y a officiellement malgré toutes les mesures destinées à le dissimuler 5 millions 750 000 chômeurs et seulement 350 000 emplois disponibles.
D’ailleurs, si les Wauquiez et autres ayatollahs du travail sans contrat regardaient les études de la DRESS accessible à tous, ils constateront le caractère récurrent de l’aller-retour entre l’emploi précaire, court et le retour au RSA. Car un contrat court, n’ouvre pas de droit à l’assurance chômage. Entre 2011 et 2020 : 2 sur 5 soit 40 % ont connu au moins une sortie et une nouvelle entrée. Et 1 sur 10 a connu au moins deux sorties suivies d’au moins deux entrées sur la période citée.
Plus de 5 milliards de fonds du RSA ne sont pas alloués à leurs bénéficiaires. Le non-recours est une spécialité bien française. Pourquoi ne perçoivent-ils pas cette prestation ? Pour une majorité, c’est « la honte qui arrive en tête », suivie par « croyant ne pas y avoir droit » et « découragé par les démarches »…
Ces hommes politiques, faut-il qu’ils n’aient aucune décence, aucune empathie, aucun respect de toutes celles et tous ceux, qu’ils considèrent être des gens en trop… Ces mères célibataires de plus en plus nombreuses, ces 6 chômeurs sur 10 non-indemnisés, ces trop vieux pour travailler mais pas assez pour la retraite.
Petit conseil aux prestataires visés par le retour du travail sans contrat. Si vous n’êtes pas encore bénévole actif d’une association, vous pourriez en créer une qui aurait pour objet : « informer et aider ceux qui ne perçoivent pas le RSA mais qui y ont droit à le percevoir »… ça aurait plein de vertus, briser l’isolement, se solidariser et pourquoi pas partir en manifestation collectivement pour aller botter le cul aux Wauquiez et consorts qui s’empiffrent avec l’argent public en réceptions obscènes où chaque repas coûte 1 100 euros.
mise en ligne le 3 janvier 2025
Par Lilia Aoudia sur https://www.bondyblog.fr
Cette année, ATD Quart Monde a fait de la lutte contre la maltraitance institutionnelle sa priorité. Dans son rapport sorti en septembre, l’association formule quatre propositions pour en sortir sur la base de témoignages de personnes en situation de pauvreté et de personnels maltraités par les institutions. Entretien avec Benoît Reboul-Salze, délégué national d’ATD Quart Monde.
C’est un baromètre d’un nouveau genre que propose ATD Quart Monde. À l’issue d’un travail de deux ans avec les personnes concernées, l’organisation documente la maltraitance institutionnelle à l’endroit des plus précaires et ouvre des pistes de changement. Entretien avec Benoît Reboul-Salze, délégué national d’ATD Quart Monde.
Benoît Reboul-Salze : Il y a la définition telle qu’elle a été prévue par la loi depuis 2022. Suite aux scandales dans les EHPAD et les crèches, la Commission pour la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance a été créée en 2018. Mais je préfère partir de l’avis des personnes avec qui nous sommes engagés.
La maltraitance institutionnelle, c’est un jeune de 17 ans qui dépend de l’aide sociale à l’enfance et qui va être lâché seul en plein vide une fois majeur. C’est une maman enceinte de son troisième enfant qui appelle à l’aide parce qu’elle est à la rue et à qui on répond après plusieurs heures d’attente : « Désolé, il n’y a pas de place pour vous, rappelez demain ». C’est une personne au RSA qui n’a pas vu passer un courriel atterri dans ses spams et qui se retrouve désinscrite et privée d’aide pendant un mois. Et on a plein d’exemples comme ça.
Les institutions ont été créées pour être garantes de l’accès au droit, mais aujourd’hui leur manière de fonctionner enfonce un peu plus les personnes pauvres dans la précarité
Il y a la maltraitance institutionnelle vécue du côté des personnes en situation de pauvreté, mais aussi celle vécue du côté des agents des institutions. Ces derniers souffrent de leur impuissance face à des demandes urgentes auxquelles ils ne peuvent pas répondre par manque de moyens ou d’organisation. Certains essayent des solutions à leur niveau. D’autres abandonnent parce qu’ils ont l’impression d’avoir perdu le sens de leur profession. Il y a un terrible paradoxe, car les institutions ont été créées pour être garantes de l’accès au droit, mais aujourd’hui leur manière de fonctionner enfonce un peu plus les personnes pauvres dans la spirale de la précarité.
Benoît Reboul-Salze : Elle est subie par énormément de personnes dans la société, mais elle s’installe beaucoup plus durablement chez les plus pauvres. D’abord parce qu’ils ont moins de moyens pour se défendre. Quand on a été discriminé toute sa vie, on a peur, on a honte. Ils accumulent des difficultés tous les jours et sur tous les sujets possibles. On l’a mesuré dans des territoires dans lesquels était expérimenté le RSA conditionné. Les employés de France Travail ont tendance à se concentrer sur les gens qui ont le plus de facilité à trouver un travail.
On veut une société dans laquelle tout le monde trouve sa place
Nous, on ne veut pas d’une société qui favorise l’exclusion sociale. On veut une société dans laquelle tout le monde trouve sa place. On parle toujours du devoir des personnes précaires, mais il ne faut jamais oublier qu’il y a d’abord les droits garantis par la Constitution et par les pactes internationaux que la France a signés.
Benoît Reboul-Salze : On a travaillé pendant deux ans avec des personnes en situation de pauvreté, des agents et des responsables institutionnels. À l’issue de ce travail, on a identifié 16 causes et mécanismes de la maltraitance institutionnelle qu’on a regroupées en quatre familles. La première famille de causes qu’on identifie correspond aux choix politiques qui ne répondent pas aux besoins de la lutte contre la pauvreté. Lorsque les politiques sont fondées sur des préjugés tels que « les pauvres sont des fainéants », « les pauvres sont des fraudeurs », « les pauvres ne sont pas en capacité d’aller travailler »… Et bien forcément, la politique élaborée va être faussée parce qu’elle n’aura pas été pensée avec les personnes concernées.
On part du principe que les bénéficiaires sont des fraudeurs. Aujourd’hui, plus on est pauvre, plus on est contrôlé
La deuxième famille est liée à la première : on vit dans une société de méfiance et d’incompréhension où on n’arrive pas à communiquer les uns avec les autres. Il faut qu’on soit solidaires, qu’on apprenne à se rencontrer. La troisième famille concerne la méfiance de la part des institutions. On part du principe que les bénéficiaires sont des fraudeurs. Aujourd’hui, plus on est pauvre, plus on est contrôlé. Mais la fraude des pauvres est une pauvre fraude quand on la compare à la fraude fiscale.
Cette méfiance institutionnelle provoque le non-recours, la non-effectivité des droits. Aujourd’hui, 50 % des gens qui ont droit à l’aide de solidarité pour les personnes âgées (ASPA) ne la demandent pas. 34 % des personnes éligibles au RSA ne le demandent pas. Des études publiques montrent que 17 % des Français ne demandent pas leur droit à des aides sociales parce qu’ils craignent le contrôle et l’intrusion des services sociaux dans leur vie. Enfin, la quatrième grande famille repose sur le fonctionnement des institutions. C’est la question de la dématérialisation par exemple.
De plus en plus, il faut avoir recours à Internet et c’est hyper maltraitant pour des gens qui ne savent pas lire, pas écrire, qui ne maîtrisent pas le calcul. Même des gens qui savent utiliser un smartphone ne sont pas forcément à l’aise pour envoyer un courriel à la Caisse d’allocation familiale de leur région. Les institutions veulent augmenter la dématérialisation pour des questions d’efficacité et de gestion de budget, mais dans les faits, ça pénalise beaucoup de gens.
Benoît Reboul-Salze : Les chiffres le confirment. Depuis une vingtaine d’années, on constate une vraie dégradation de la lutte contre la pauvreté et avec une réelle augmentation de l’exclusion sociale. Et c’est d’autant plus flagrant ces dernières années avec les réformes liées au logement qui ont entraîné des réductions de l’Aide personnalisée au logement (APL) ou encore un manque de logements sociaux.
Tous les politiques ont eu, à un moment ou à un autre, des petites phrases qui font mal et qui font que les gens se sentent encore plus stigmatisés
On peut parler aussi des domaines de la santé et de l’école. La dernière mesure sur les groupes de niveau est une catastrophe pour nous. Mais l’exclusion des plus précaires ne concerne pas uniquement le gouvernement Macron. Tous les politiques ont eu, à un moment ou à un autre, des petites phrases qui font mal et qui font que les gens se sentent encore plus stigmatisés.
Benoît Reboul-Salze : On peut parler de bienveillance institutionnelle lorsque l’institution joue son rôle de garante de l’accès au droit. C’est le cas lorsqu’une personne précaire trouve du soutien auprès d’une assistante sociale, par exemple. L’idée, c’est de réussir à placer le curseur entre les différentes situations du quotidien. Dans le cadre d’une liste de logements prioritaires, soit le logement proposé correspond aux attentes du demandeur et dans ce cas l’institution sera considérée comme bienveillante. Soit, le logement présenté est insalubre et dans ce cas, il y a maltraitance.
La violence systémique, c’est quand on ne donne pas les moyens à France Travail de remplir ses missions
Au-delà de la maltraitance institutionnelle, on trouve la violence systémique qui dépend de la structure sociale et qui induit une forme de reproduction. La violence systémique, c’est quand on ne donne pas les moyens à France Travail de remplir ses missions. Cette faille se répercute à la fois sur les agents qui se retrouvent à devoir accompagner 400 personnes dans un chemin de retour à l’emploi au lieu de 40. Mais aussi sur les bénéficiaires qui voient les délais de traitement de leurs démarches s’allonger.
Le passage de la bientraitrance à la maltraitrance tient en une question : est-ce que les institutions ont les moyens de leur ambition ? Certaines d’entre elles trouvent le moyen de dépasser cette maltraitance. Il y a des missions locales qui se sont affranchies du justificatif de domicile par exemple. Il est demandé par toutes les institutions dans le cadre de démarches administratives, mais selon la loi, il reste facultatif. Ça peut paraître anodin, mais en réalité, cette adaptation permet d’accueillir les jeunes plus librement sans qu’on leur demande un million de papiers pour justifier de l’aide qu’on leur apporte.
Dans le maltraitomètre, il existe plein d’autres situations : quand il n’y a plus de services publics dans le quartier, quand on n’écrit ou qu’on ne parle pas bien le français, quand on est en difficulté et qu’on a besoin d’être accompagné dans une démarche. Le maltraitomètre est un outil intéressant pour se situer, prendre conscience de sa place, dialoguer et se poser des questions.
Benoît Reboul-Salze : On a quatre grands axes. Le premier, c’est de respecter la Constitution. Il faut garantir des moyens convenables d’existence inconditionnels, insaisissables à tout le monde. Le terme “inconditionnel” n’est pas dans la constitution, mais c’est nous qui l’ajoutons parce qu’on souhaite que personne ne puisse se retrouver en dessous d’un certain seuil. Aujourd’hui, ce seuil, on estime qu’il est à 50 % du revenu médian, donc autour de 935 euros par mois pour une personne seule.
Le deuxième axe absolument essentiel, c’est de remettre de l’humain dans les services publics. Ça implique d’arrêter de dématérialiser à tout-va. On n’est pas contre la numérisation, mais il faut former des professionnels à accueillir les personnes très pauvres et ça passe par des moyens humains. Le troisième ensemble consiste à s’assurer de l’effectivité des droits. Une des raisons pour laquelle les droits ne sont pas effectifs, c’est souvent parce que les formulaires de démarches sont compliqués, d’autant plus pour les personnes qui ne sont pas à l’aise avec le vocabulaire administratif.
Si on n’arrive pas à respecter ce principe de confiance, on n’arrivera jamais à dépasser la maltraitance
Nous, on propose que les formulaires soient conçus avec les ayants droit pour plus de compréhension. Nos mesures existent pour tout le monde. Mais si on les bâtit avec ceux qui ont le plus de difficultés, on est sûrs que personne ne sera laissé sur le carreau. Enfin, le quatrième axe, c’est de faciliter les recours juridiques et administratifs. Aujourd’hui, si vous avez un trop perçu de la CAF, peu importe la raison, on va vous demander de rembourser. Il faut pouvoir faire un recours efficace, simple, immédiat, et pas un recours qui va prendre des mois.
Quand il y a des audiences devant la justice, il faut que les personnes concernées puissent avoir les documents suffisamment en avance pour les lire et les travailler. Des vies humaines sont en jeu. Les personnes en situation de pauvreté ont besoin d’être soutenues par des personnes qui s’engagent dans un accompagnement durable et bienveillant. Si on n’arrive pas à respecter ce principe de confiance, on n’arrivera jamais à dépasser la maltraitance.