PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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mai 2024

  mise en ligne le 30 mai 2024

Reconnaissance de la Palestine : Macron en retard d’une guerre

Pierre Barbancey su www,humanite,fr

Après la décision forte de l’Espagne, l’Irlande et la Norvège de reconnaissance de l’État de Palestine, tous les yeux se tournent vers Paris, dont la prise de position pourrait entraîner d’autres pays d’Europe. Mais Emmanuel Macron s’empêtre dans ses contradictions, malgré l’urgence.

Israël a furieusement réagi à la décision de l’Espagne, de l’Irlande et de la Norvège de reconnaître l’État de Palestine. Tel-Aviv a immédiatement retiré ses ambassadeurs. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a convoqué les diplomates de ces trois pays, en poste en Israël, à une réunion où ils ont visionné des images de l’incursion du Hamas le 7 octobre comme preuve que leur gouvernement ne devrait pas reconnaître la Palestine, oubliant sciemment que Madrid, Dublin et Oslo ont tous les trois condamné l’attaque de l’organisation islamiste.

Pourquoi Israël freine des quatre fers

C’est dire si les dirigeants israéliens craignent une telle éventualité. Pourquoi ? Parce qu’ils savent que la reconnaissance de l’État de Palestine est un acte de poids pour aider à une solution à deux États. Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a déclaré, ce 28 mai, que « la reconnaissance de l’État de Palestine n’est pas seulement une question de justice historique », mais aussi « une exigence essentielle si nous voulons tous parvenir à la paix ». À ses yeux, ce mouvement est « le seul moyen d’avancer vers ce que tout le monde reconnaît comme la seule solution possible pour parvenir à un avenir pacifique, celui d’un État palestinien qui vit aux côtés de l’État israélien dans la paix et la sécurité ».

Dans les colonnes de l’Humanité, le député du Sinn Féin à Dublin, Matt Carthy, insistait : « J’espère vraiment que d’autres pays nous emboîteront le pas. Comment l’Union européenne peut-elle parler de droit international, de droit international humanitaire, de la charte des Nations unies ou de la nécessité d’adhérer aux normes démocratiques et aux droits de l’homme lorsque nous facilitons les actions d’Israël grâce à nos traitements préférentiels dans le commerce et l’économie ? »

« Nous devons faire vivre la seule alternative offrant une solution politique à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens : deux États, vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité », soutient le premier ministre norvégien, Jonas Gahr Store, en lançant un « appel fort » à d’autres pays pour qu’ils rejoignent cette initiative. « Je suis absolument certain que d’autres pays nous rejoindrons bientôt, confiait au Figaro le ministre norvégien des Affaires étrangères, Espen Barth Eide, « et il y en a plus que ceux qui sont évoqués dans la presse ».

Macron à la traîne du Parlement français

De fait, tous les yeux sont maintenant tournés vers la France. Il y a quelques années, un ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne expliquait à l’Humanité, sous couvert d’anonymat, que « si la France reconnaît un État de Palestine, une dizaine d’autres pays de l’UE suivront. Car l’UE elle-même est incapable de prendre une telle décision, notamment parce que l’Allemagne l’en empêchera ». Effectivement, toutes les tentatives en ce sens ont échoué, tuées dans l’œuf, en particulier par Berlin.

En février 2014, l’Assemblée nationale française votait à une large majorité un texte invitant le gouvernement à reconnDes dissensions dans le camp présidentielUne décision reportée jusqu’à quand ?aître l’État de Palestine. Ce qu’aucun gouvernement n’a encore fait. Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron assurait que cette question n’était pas « taboue ». Mardi soir, il a botté en touche depuis l’Allemagne : « Je considère que cette reconnaissance doit arriver à un moment utile, à un moment où elle s’inscrit dans un processus dans lequel les États de la région et Israël se sont engagés, et qui permet, sur la base d’une réforme de l’Autorité palestinienne, de produire un résultat utile. Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion. »

Il a ainsi dévoilé le fond de sa pensée et son positionnement. Il considère que l’État de Palestine ne verra le jour qu’à l’issue d’un processus de paix. Un État de Palestine qui devait déjà exister en vertu des accords d’Oslo signés en 1993. Ceux-ci prévoyaient la reconnaissance d’Israël par l’OLP, la création d’une Autorité palestinienne à Gaza et sur une partie de la Cisjordanie, ainsi qu’une période de transition de cinq ans devant conduire à un État palestinien indépendant. Cela fait donc plus de vingt-cinq ans, depuis 1998, un quart de siècle, que cet État aurait dû exister (et même, depuis 1947, si l’on se réfère au partage de la Palestine mandataire par l’ONU).

Une décision reportée jusqu’à quand ?

« Cela fait maintenant plus de trente ans que les Palestiniens attendent, insiste Dominique Vidal, journaliste et spécialiste du Moyen-Orient. Si, aujourd’hui, le moment n’est pas venu, alors quand ? Faut-il attendre qu’Israël ait complètement ravagé la bande de Gaza et la Cisjordanie pour reconnaître l’État de Palestine ? À ce moment-là, on nous dira qu’il n’y a plus de partenaires palestiniens. Alors que le problème, depuis 2000, est qu’il n’y a plus de partenaires israéliens. Je trouve cette façon, de la part d’Emmanuel Macron, de renvoyer la balle dans le camp palestinien, tout à fait incorrecte. »

Interrogé par le quotidien USA Today, Marc Weller, juriste et professeur de droit international et d’études constitutionnelles à l’université de Cambridge, relève que « les États qui reconnaissent la Palestine disent qu’ils vont changer son statut pour passer d’une entité qui n’est pas encore un État à un véritable État ». Selon lui, les annonces récentes de l’Espagne, de l’Irlande et de la Norvège « sont délibérément formulées pour s’opposer aux affirmations de Netanyahou selon lesquelles il ne peut y avoir de solution à deux États. C’est en fait un outil politique puissant pour aider à isoler le déni d’Israël sur l’État palestinien ».

Des dissensions dans le camp présidentiel

Emmanuel Macron est donc face à ses propres contradictions. Même Jean-Yves Le Drian, son ex-chef de la diplomatie et actuel envoyé spécial personnel au Liban, qui pilote le comité de soutien de Valérie Hayer, la candidate de Renaissance aux européennes, considère que ce geste diplomatique est devenu « indispensable si l’on veut maintenir en vie la solution à deux États ».

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, rappelle ici qu’« un génocide perpétré par le gouvernement de Benyamin Netanyahou est en cours contre le peuple palestinien » et que « tous les discours qui visent à réduire le peuple palestinien au Hamas ou le peuple israélien au gouvernement de Benyamin Netanyahou sont des discours qui ne conduiront pas à la paix entre ces deux peuples ». Reconnaître immédiatement un État de Palestine, c’est aider à construire une paix juste et durable. Cet État de Palestine est la base du processus de paix, pas son aboutissement.

 

  mise en ligne le 30 mai 2024

Droits au chômage :
Gabriel Attal dévoile une réforme extrêmement violente

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Avec cette réforme, combien seront-ils de salariés à se retrouver sans droits au chômage à l’issue d’un CDD de 6 mois ? Combien seront-ils à basculer vers le RSA, en à peine plus d’un an, suite à un licenciement venant conclure une vie de travail ? Assurément, des centaines de milliers. Durant le week-end, Gabriel Attal a annoncé les mesures qui s’appliqueront au 1er décembre aux personnes privées d’emploi. Avec Bastamag, nous revenons sur une des réformes de l’assurance chômage les plus dures, depuis l’élection d’Emmanuel Macron.

 « Ce n’est pas une réforme d’économie, mais de prospérité et d’activité », assure Gabriel Attal dans son interview accordée à La Tribune du dimanche (parue dans la soirée du 25 mai), à laquelle il a réservé ses annonces sur la réforme de l’assurance chômage. Pourtant, c’est bien des économies que le gouvernement a réalisées le 28 décembre dernier, en publiant au Journal officiel un arrêté ponctionnant 12 milliards d’euros à l’Unédic (chargée de la gestion de l’assurance chômage, en coopération avec France Travail), pour la période 2023-2026. Des milliards soustraits à la couverture du risque de perte d’emploi, majoritairement réaffectés à l’aide aux entreprises pour développer l’apprentissage. Aujourd’hui, le gouvernement réduit encore les droits au chômage. Le ministère du Travail a affirmé en attendre 3,6 milliards d’économies par année pleine. Soit trois fois plus que lors de la grande réforme du chômage de 2019.

Pour ce qui est de la « prospérité », elle ne concernera pas les demandeurs d’emploi. Pour elles et eux, et en premier lieu les 2,6 millions de personnes indemnisées (moins de la moitié des demandeurs d’emploi le sont), ce sera une nouvelle punition à compter du 1er décembre 2024, le temps que France Travail mette à jour ses logiciels. Les demandeurs d’emploi de demain auront moins de possibilités d’ouvrir des droits à l’assurance chômage, avec une durée d’indemnisation encore réduite et des protections supprimées pour les chômeurs les plus âgés.

Quant à la réforme « d’activité », elle sera bien modeste, de l’aveu même du gouvernement, puisque celui-ci espère 90 000 personnes supplémentaires en emploi avec cette réforme, sur plus de 6 millions d’inscrits à France Travail, soit… 1,5 % des demandeurs d’emploi actuels. 

Privation de droits au chômage

 Qu’en sera-t-il une fois cette énième réforme mise en œuvre ? À la fin d’un CDD ou d’une mission d’intérim de six mois : rien ! Aucun droit ouvert. Et évidemment, pas d’allocation. À compter du 1er décembre, il faudra avoir travaillé huit mois, au lieu de six aujourd’hui, pour bénéficier d’un revenu de remplacement pendant une durée similaire à sa période travaillée.

En quelques années, le nombre de mois travaillés pour bénéficier d’une allocation aura donc doublé – avant la réforme de 2019, il n’en fallait que quatre. Dans le même temps, la période de référence sur laquelle l’ensemble des temps d’emploi comptent aura été réduite. Avec la réforme annoncée dans la presse ce week-end, les huit mois travaillés seront comptés sur une période de 20 mois, contre 24 mois auparavant et 28 mois avant 2019. Avec pour effet d’exclure certains demandeurs d’emploi de l’indemnisation.

« Le ministère nous a dit qu’il y aurait 185 000 personnes par an en dessous du seuil », assure Denis Gravouil, le négociateur CGT pour l’assurance chômage, qui accompagnait Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, le 23 mai, au ministère du Travail. Près de 200 000 personnes ayant travaillé moins de huit mois verront ainsi leur indemnisation soit supprimée, soit retardée le temps qu’elles retrouvent un emploi pour atteindre le nouveau seuil de huit mois. Un document de l’Unédic du 17 mai 2024 avait évalué les effets d’une augmentation du nombre de mois travaillés, avec plusieurs scénarios compris entre sept mois et douze mois. Ses résultats sont sans appel. Pour un passage à sept mois (l’Unédic n’a pas évalué l’hypothèse à huit mois), 11 % des allocataires verraient l’ouverture de leurs droits retardés. Presque une personne sur deux concernée par ce retard aurait des droits au chômage décalés d’au moins un an, pour cause de période d’emploi trop fractionnée. Le choix du gouvernement s’étant finalement fixé à huit mois, le pourcentage d’allocataires concernés sera donc supérieur.

« Cette mesure est particulièrement dure pour les jeunes de moins de 25 ans, surreprésentés parmi les précaires », expliquait la CGT, après son entrevue avec Catherine Vautrin, dans un communiqué de presse. Après six mois de travail, ceux-ci ne pourraient prétendre qu’au contrat d’engagement jeune pour avoir des ressources, explique Denis Gravouil. Soit une allocation de 528 euros par mois si la ou le jeune salarié est rattaché à un foyer fiscal non imposable (316 euros sinon).

Intérimaires et CDD sont particulièrement ciblés. « La moitié de ceux qui sont inscrits à Pôle emploi le sont après des CDD », rappelle le négociateur CGT pour l’assurance chômage. Déjà en 2019, le passage de quatre mois travaillés à six mois pour ouvrir des droits avait eu pour effet d’exclure de nombreux demandeurs d’emploi de l’indemnisation. Selon le « suivi et effets de la réglementation d’assurance chômage », publié en février 2024 par l’Unédic, on compte 30 000 ouvertures de droits de moins chaque mois suite à la réforme de 2019. Ce sont principalement celles et ceux – jeunes ou peu diplômés – « ayant généralement des parcours d’emploi discontinus, près de 9 intérimaires sur 10 sont impactés par la réforme », explique l’Unédic. Pendant que deux tiers des « personnes entrées après une fin de CDD » sont également concernées.

Pour se représenter l’impact de cette mesure allongeant la période travaillée, le gouvernement attend qu’elle rapporte 2,8 milliards par année pleine, sur les 3,6 milliards d’économies attendus par la réforme. Les autres économies seront réalisées sur la baisse de la durée d’indemnisation et sur la suppression d’aménagements dont bénéficiaient les seniors. 

Baisse de la durée d’indemnisation

 Non content de rendre l’assurance chômage inaccessible à près de 200 000 salariés arrivant en fin de contrat, le gouvernement va également réduire la durée d’indemnisation pour tous les autres. Celle-ci était déjà passée de 24 mois à 18 mois en février 2023. Mais en inscrivant une période de référence de 20 mois pour l’ouverture de droit, il réduit la durée d’indemnisation mécaniquement. La réforme de 2023, dite de la contracyclicité, prévoit que si le taux de chômage est inférieur à 9 %, la durée maximale d’indemnisation diminue de 25 %. Aujourd’hui, elle est de 18 mois maximum, parce que la durée de référence est de 24 mois (donc 24 mois moins 25 %, soit six mois de moins, puisque le taux de chômage est de 7,5%). Après le 1er décembre, la durée maximale d’indemnisation passera à 20 mois, à laquelle il faut soustraire 25 % si le taux de chômage ne remonte pas. La nouvelle durée d’indemnisation sera donc de quinze mois.

Ainsi, en deux ans, la couverture du risque lié à la perte d’emploi est passée de 24 mois maximum à quinze mois maximum. Et elle pourrait même baisser encore si le taux de chômage descendait en dessous de 6,5 %, un nouveau palier que l’exécutif a annoncé ce week-end. Dans ce cas, elle dégringolerait à douze mois, ce qui représenterait la moitié de la durée d’indemnisation d’avant 2023.

Il est encore tôt pour mesurer pleinement les effets de la réforme de 2023, puisqu’un an après son entrée en vigueur, l’Unédic expliquait qu’elle ne concernait pour l’heure que 12 % de l’ensemble des allocataires. Cependant, dans son document d’évaluation du 17 mai dernier, l’association gestionnaire estime que le passage à douze mois maximum d’allocations dégraderait la situation d’un million d’allocataires. 

Une boucherie pour les seniors

 Gabriel Attal a annoncé que le décret qui sera publié le 1er juillet modifiera profondément les droits au chômage des salariés privés d’emploi les plus âgés. Parce qu’il est plus difficile de trouver un travail après 50 ans, les plus de 53 ans bénéficiaient avant 2023 de 30 mois d’indemnisation et les plus de 55 ans de 36 mois. Après un premier coup de rabot l’an dernier, le gouvernement leur impose une double peine.

En plus de devoir travailler deux ans de plus pour partir à la retraite, ceux-ci devront attendre l’âge de 57 ans pour obtenir une durée d’indemnisation plus longue que les quinze mois que le gouvernement réserve maintenant aux chômeurs. La borne d’âge de 53 ans est purement et simplement supprimée et celle de 55 ans est décalée de deux ans, à 57 ans. Ainsi, un salarié licencié à l’âge de 55 ans aura perdu 58 % de sa durée d’indemnisation par rapport à 2022, puisque celle-ci sera passée de 36 mois à quinze mois. Et même à l’âge de 57 ans, il ne bénéficiera de son allocation que pendant 22 mois et demi contre 27 mois après la réforme de 2023.

À côté de cette saignée, le gouvernement créé un « bonus emploi senior » qui consiste à compléter le revenu d’un senior qui aurait pris un emploi à un salaire inférieur à celui qu’il avait pour ouvrir des droits. Mais seulement pendant un an. Une mesure considérée comme une déqualification et rejetée par l’ensemble des syndicats de salariés. Un cadeau pour le patronat, explique le syndicat des cadres CFE-CGC : « Je suis une entreprise, je balance tout le monde à 55 ans, et après deux ans de chômage je les récupère à moitié prix », s’insurgeait son président, François Hommeril, dans les colonnes de Libération en fin de semaine dernière.

   mise en ligne le 28 mai 2024

Européennes 2024 : « Monsieur Bardella,
vous êtes un faussaire
de la question sociale 
»

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Huit des principales têtes de liste aux élections européennes ont débattu lundi 27 mai au soir sur BFMTV. Le candidat du Rassemblement national Jordan Bardella a tenté de se présenter en défenseur des classes populaires mais a été ramené à la réalité des votes de l’extrême droite par le communiste Léon Deffontaines et l’insoumise Manon Aubry.


 

« À l’Assemblée nationale, lorsqu’il y avait une opportunité d’améliorer le pouvoir d’achat, d’augmenter les salaires, vos députés ont voté contre », a recadré Léon Deffontaines face au candidat d'extrême droite.

À moins de deux semaines des élections européennes du 9 juin, les huit principales têtes de liste ont débattu lundi 27 mai sur BFMTV. Parmi les thèmes abordés, l’écologie, la défense européenne, l’immigration mais aussi le pouvoir d’achat. Sur ce terrain, le candidat du Rassemblement national a tenté de jouer la carte sociale face à la Macronie. Une victoire de Valérie Hayer, tête de liste Renaissance, signifierait une « réforme de l’assurance-chômage, augmentation des prix du gaz, désindexation des pensions de retraite sur l’inflation, fin des moteurs thermiques à l’horizon 2035 », a-t-il notamment lancé. Mais, tout au long du débat, il a trouvé du répondant.

« Vous pensez voter pour des colombes, vous votez pour des rapaces »

« Systématiquement, à l’Assemblée nationale, lorsqu’il y avait une opportunité d’améliorer le pouvoir d’achat des Françaises et des Français, d’augmenter les salaires, monsieur Bardella, la main dans la main avec Emmanuel Macron, vos députés ont voté contre », a rappelé la tête de liste communiste Léon Deffontaines. « La réalité, c’est que vous êtes un faussaire de la question sociale », a-t-il embrayé rappelant que, de son côté, il « souhaite que chaque Français puisse acheter un poulet fermier, mais si on veut leur permettre d’acheter un poulet fermier français, eh bien faut que les Français vivent mieux. Et donc ça pose la question de l’indexation des salaires sur l’inflation ».

Quant au niveau de vie des retraités dont fait mine de se préoccuper le candidat d’extrême droite : « Votre projet politique, c’est d’exonérer davantage de cotisations sociales. Moins de cotisations sociales, ça veut dire plus de sécurité sociale, donc plus de droit à la retraite, plus d’assurance maladie. Ça veut dire que c’est le système à l’américaine. Ce que nous ne dépensons dans les cotisations sociales, ce sera multiplié par deux ou trois », a déroulé Léon Deffontaines, face à un Jordan Bardella lançant : « Mais de quoi vous parlez ? » En l’occurrence, de la proposition du RN, défendu notamment lors de la dernière présidentielle, qui consiste à aller piocher dans le salaire brut pour augmenter le net.

Et s’adressant aux potentiels électeurs du RN : « À celles et ceux qui par désespoir de cause pensent voter contre Macron en votant Jordan Bardella : on est déjà en train d’essayer, c’est la même politique économique. Vous pensez voter pour des colombes, vous votez pour des rapaces qui vous font les poches, voilà la réalité de l’extrême droite », a lancé le candidat communiste.

« Un Emmanuel Macron de rechange »

Terrain glissant également sur le prix de l’électricité pour le patron du Rassemblement national, qui a expliqué vouloir faire « le choix de sortir des règles de tarification des prix au niveau européen [afin que] la France bénéficie d’un prix français de l’électricité » et refuser « le principe qui consiste à permettre à l’Allemagne de décider du montant de l’électricité et du montant des factures pour les familles françaises et pour nos entreprises ». Et ce, alors qu’au Parlement européen, il a « refusé de s’opposer » au marché européen de l’électricité, lui a fait remarquer la tête de liste insoumise Manon Aubry qui l’avait d’ailleurs interpellé sur le sujet.

« Vous prétendez souvent défendre les Françaises et les Français, mais la réalité monsieur Bardella c’est que quand il s’agit de voter sur l’ISF, sur l’augmentation du salaire minimum, sur la réduction des écarts de salaire au sein des entreprises, vous votez systématiquement contre, aux côtés d’ailleurs des macronistes. Avec vous, les grandes fortunes et les plus riches ont en quelque sorte trouvé un Emmanuel Macron de rechange » a-t-elle lancé, avant d’interpeller le candidat d’extrême droite : « Dites aux Françaises et aux Français ce que vous avez voté sur le marché européen de l’électricité ? » Sans succès.

Jordan Bardella a aussi tenté l’invective, en appelant « Staline » le candidat communiste : « L’héritage de mon parti en France, c’est Manouchian au Panthéon, et vous, c’est Pétain à l’île d’Yeu. À chaque fois que l’on parle des travailleurs, à chaque fois que je m’exprime, vous êtes mal à l’aise », a répliqué Léon Deffontaines.

  mise en ligne le 28 mai 2024

Après le massacre à Rafah,
la gauche met la pression sur Macron

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

L’indignation suscitée par les frappes israéliennes sur un camp de réfugiés palestiniens met en relief l’inertie de l’exécutif français. De La France insoumise au Parti socialiste, en passant par Les Écologistes et les communistes, les responsables demandent d’avantage que des mots, des sanctions.

Trop court, trop faible, trop tard – au regard d’une guerre qui dure depuis huit mois dans un rapport de force radicalement déséquilibré. Le message lapidaire publié sur le réseau social X par Emmanuel Macron au lendemain des frappes israéliennes qui ont fait au moins quarante victimes – la plupart des femmes et des enfants – dans un camp de réfugié·es près de Rafah, a mis une fois de plus en relief l’inertie de l’exécutif face au massacre des Palestinien·nes.

« J’appelle au plein respect du droit international et au cessez-le-feu immédiat », a écrit le président de la République, en se disant « indigné », mais sans évoquer la moindre sanction. À ce jour, le chef de l’État n’a toujours pas décrété d’embargo sur les armes livrées à Israël (le gouvernement argue que ces livraisons ne concernent que « les capacités défensives et le Dôme de fer ») et se refuse à reconnaître l’État de Palestine. 

Il fait ainsi preuve d’une insoutenable légèreté au regard des images choquantes diffusées le 26 mai, montrant l’atrocité du bombardement. Ces images ont haussé d’un degré supplémentaire l’indignation collective face aux crimes de guerre commis par le gouvernement israélien de Benyamin Nétanyahou, qui ont fait au moins 36 050 morts, essentiellement des civil·es, selon le ministère de la santé du Hamas, en réponse à l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre. 

Dès le 26 mai au soir, des élu·es de gauche se sont fait l’écho de ces événements en plaidant pour sanctionner concrètement Israël. « Toutes les pressions doivent être employées pour faire cesser cette abomination », a écrit Jean-Luc Mélenchon, fondateur de La France insoumise (LFI), énumérant un certain nombre d’entre elles : « Rupture de la coopération avec le gouvernement Nétanyahou et son économie, embargo sur les armes, reconnaissance de l’État de Palestine. Macron ne fait rien. Pas en notre nom ! » Les député·es LFI ont été les plus prompts à réagir à ce sujet sur X. 

Depuis la décision, en janvier, de la Cour internationale de justice (CIJ) ordonnant à Israël d’empêcher un génocide à Gaza, LFI dénonce la commission d’un crime de « génocide » en Palestine. Le bombardement du camp de réfugié·es près de Rafah, que l’armée israélienne justifie par « l’utilisation de la zone par le Hamas », sonne pour le parti comme une confirmation de ses alertes, qui ont parfois été critiquées.

La présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, qui a relayé les images du carnage, a ainsi réagi de ce seul mot dans la nuit : « Génocide. » « Que la honte s’abatte sur nos gouvernants qui peuvent agir mais détournent les yeux par lâcheté coupable », a-t-elle ajouté. 

La passivité d’Emmanuel Macron mise en cause

Toutes et tous sont en proie au scepticisme sur un éventuel changement d’attitude de la France, mais les événements donnent néanmoins plus de force à leurs revendications. « C’est un massacre de plus, mais ce n’est pas le premier, y compris avec des images. Macron parle mais il n’y a pas d’actes », regrette ainsi Éric Coquerel, député LFI, interrogé par Mediapart. « Que faut-il pour qu’on aille plus loin ? Cela me désespère un peu », poursuit-il.

Depuis lundi matin, la gauche dans son ensemble réclame des comptes à Emmanuel Macron. « La France et l’Union européenne doivent opérer une rupture en urgence dans leur action diplomatique pour stopper ce massacre : respect du droit international et sanctions, cessez-le-feu, libération des otages, reconnaissance de la Palestine », a écrit la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, critiquant la vacuité du communiqué présidentiel et rappelant que, deux jours plus tôt, la CIJ demandait à Israël d’arrêter « immédiatement » son offensive militaire à Rafah.

« Que fait la France pour mettre [Nétanyahou et son gouvernement d’extrême droite – ndlr] hors d’état de nuire ? Rien. Passivité coupable », a également accusé Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français (PCF). 

C’est la suite logique de l’impunité dans laquelle la furie destructrice de Nétanyahou a été laissée depuis quelques années. Elsa Faucillon, députée communiste

Si la pression est telle, c’est aussi qu’Emmanuel Macron dispose de leviers qu’il n’active pas. Le 28 mai, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège vont officiellement reconnaître l’État de Palestine. Elles espéraient ​​entraîner avec elles d’autres pays de l’Union européenne (UE) mais, pour l’instant, leur initiative est restée cantonnée. La reconnaissance de la Palestine n’est « pas un tabou », mais ce n’est pas le bon moment, a prétendu Stéphane Séjourné, chef de la diplomatie française, dans une déclaration écrite à l’AFP.

Des voix s’élèvent pourtant jusque dans le camp présidentiel pour se ranger du côté de celle-ci. L’ancien ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, dont la voix reste influente, la juge « indispensable », a-t-il déclaré au Parisien le 24 mai. 

« Je crains que la France finisse par être obligée de le faire avec trois trains de retard et que ça perde de sa force, regrette la députée communiste Elsa Faucillon. C’est l’illustration du fait que Macron est empêtré dans sa ligne stratégique vis-à-vis d’Israël et de la Palestine. C’est la suite logique de l’impunité dans laquelle la furie destructrice de Nétanyahou a été laissée depuis quelques années. » Selon elle, les menaces réputationnelles n’ont aucune efficacité contre le premier ministre israélien, il faut donc passer un cap dans les sanctions et travailler à son « isolement »

Un manque de mobilisation européenne

Le fait que la Cour pénale internationale (CPI) a requis, le 20 mai, des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et son ministre de la défense Yoav Gallant, aurait ainsi pu être davantage soutenu. « Mais la position de la France a été timorée, remarque Elsa Faucillon. C’est pourtant un point d’appui dans le droit international, pourquoi la France ne s’en saisit pas ? » 

Depuis le 7 octobre, force est de constater que même le fait d’imposer le mot d’ordre du cessez-le-feu ou des corridors humanitaires à Gaza n’a été possible que grâce à la mobilisation de l’opinion publique française et internationale, après que des journalistes et des humanitaires ont été tués. Un retard à l’allumage qu’Elsa Faucillon n’attribue pas qu’à la France, mais qui ne l’épargne pas : « Les réactions des dirigeants des principales puissances occidentales sont toujours largement en dessous de la révulsion que les images devraient provoquer, et qu’elles provoquent effectivement chez les peuples de ces puissances occidentales. »

Interrogée par Mediapart, la porte-parole du Parti socialiste (PS) Chloé Ridel, qui plaide notamment pour que l’UE suspende son accord d’association avec Israël, est alignée avec l’idée qu’Emmanuel Macron n’est pas à la hauteur du rôle que la France pourrait jouer pour parvenir à un cessez-le-feu. 

« On n’active pas les moyens de pression nécessaires », observe-t-elle, en notant par exemple que le président de la République n’a pas tenté, lors de son déplacement en Allemagne, de détourner son homologue Olaf Scholz de sa position de déni sur les massacres en cours en Palestine. « Il est pris à défaut de son manque de mobilisation européenne sur le sujet », dénonce encore la socialiste, en rappelant pourtant que des alliés existent, de Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, à António Guterres, secrétaire général des Nations unies. L’UE avait pris des sanctions, en avril, contre des colons israéliens pour « de graves violations des droits de l’homme », preuve qu’une action concrète est possible. 

Par ailleurs, depuis le mois de février, les gauches convergent pour réclamer « un embargo sur la fourniture d’armes et de composants militaires à Israël », selon les mots de Mathilde Panot à l’Assemblée. Des ONG, dont Amnesty International, sont montées au créneau pour le réclamer, tant sur le plan judiciaire que par lettre ouverte, en vain. 

Pour le député LFI Éric Coquerel, seules des sanctions économiques seraient à même de faire céder le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, comme autrefois un boycott citoyen puis étatique avait conduit à la libération de Nelson Mandela et à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Elsa Faucillon, qui est restée « pétrifiée » devant les images du 26 mai, conclut : « On ne peut pas attendre des mois devant des corps calcinés, brûlés vifs, sur la décision d’un gouvernement qui donne des ordres à son armée. »


 


 

Après les bombardements à Rafah, dans la mobilisation parisienne : « Des sanctions, des sanctions, des sanctions »

Manuel Magrez sur www.mediapart.fr

Une foule massive de manifestants a gagné les rues de Paris dans la soirée du lundi 27 mai, à l’appel de plusieurs collectifs, après les bombardements ravageurs d’un camp de réfugiés à Rafah.

Dans les rues de la capitale, la stupeur a laissé un court instant la place à l’enthousiasme. Dans la foule, les sourires se dessinent sur les visages, dans un sentiment contradictoire au vu de l’enjeu, mais tout le monde est trop heureux de voir autant de drapeaux palestiniens flotter dans le ciel parisien. En ce début de soirée, lundi 27 mai, plusieurs milliers de manifestant·es se sont rassemblé·es place Saint-Augustin, dans le chic VIIIe arrondissement de Paris. Mot d’ordre initial : rallier à pied l’ambassade d’Israël, en réaction au bombardement par Tsahal d’un camp de réfugié·es à Rafah la veille.

L’attaque, qui a fait 45 morts et plus de 200 blessés selon le bilan du ministère de la santé de la bande de Gaza, administrée par le Hamas, a bousculé tous les manifestants sur place, à l’image de la communauté internationale pour une fois quasi unanime. Le gouvernement israélien, lui, a réagi dans l’après-midi, concédant simplement une « erreur tragique ».

Alors, dans les rues de Paris, ils étaient 10 000 à s’être rassemblés pour crier leur colère, selon les chiffres de la préfecture de police, que tout le monde met en doute ici. La place est noire de monde, il faut jouer des coudes pour se frayer un chemin. Des drapeaux palestiniens flottent un peu partout, parfois sur le dos de manifestant·es, un peu plus loin hissés sur les abribus. Le tout est quadrillé par les CRS, qui ont déployé un canon à eau pour barrer l’avenue qui mène à l’ambassade d’Israël, à laquelle les manifestant·es ne pourront pas accéder de toute la soirée.

L’ampleur de la manifestation impressionne d’autant plus ses participant·es que le mot d’ordre a été donné il y a moins de vingt-quatre heures. « On voyait des posts d’appel à la mobilisation partout, tout le monde les partageait », témoigne Amel, impressionnée par la réponse.

Keffieh rouge sur les épaules, Sarah observe la scène hissée sur le bord d’un trottoir pour tenter de deviner jusqu’où s’étend la foule. Pour elle, c’était « plus que nécessaire de venir ici aujourd’hui ». Alors elle a complètement chamboulé son agenda du jour pour se dégager ce temps précieux. « On a tendance à penser que notre petite personne n’a pas de pouvoir. Mais il faut être ici, mettre la pression », insiste la Parisienne.

Celle qui suit de près la situation à Gaza n’a qu’un mot pour décrire ce qu’elle a vu : « abominable ». Car comme toutes et tous ici, elle a vu les images prises juste après les bombardements, montrant des cadavres calcinés, parfois même décapités. Sarah se les ressasse, et espère même « que ces images ont pu se propager », comme pour servir de déclic.

Lacrymogène

Ce sont ces mêmes images, qui ont circulé toute la nuit sur les réseaux sociaux, qui ont poussé Khadidja à participer à la première manifestation de sa vie. « Dans ma vie, j’ai vu beaucoup de guerres, j’ai lu des choses à propos de guerres, et là j’ai vu ces images. On s’attaque à des enfants, c’est intolérable », clame-t-elle. À ses côtés, Jade brandit l’autre bout de la pancarte en carton qui dit « Stop au génocide ». Si elle n’en est pas à la première manifestation de sa vie, elle ne s’était rendue à aucune de celles dédiées au soutien au peuple palestinien, la faute à la « peur de manifester ».

Devant les cars de CRS, Amina a les yeux rougis par la salve de gaz lacrymogène qu’elle vient de subir. Le désagrément est loin de la décourager. « Je participe à ma première manifestation, mais certainement pas la dernière », annonce-t-elle.

Elle et sa camarade Emma se sont grimées pour l’occasion. Au feutre rouge, les étudiantes ont écrit « free » sur les joues, et « Palestine » sur le front. « Jusqu’ici, je me sentais tellement impuissante que j’avais arrêté de regarder les images de Gaza. Cette impuissance était insupportable. Cette fois-ci, c’est le trop-plein », justifie l’étudiante, qui a « été socialisée à la lutte pour la Palestine depuis jeune ».

À quelques pas de la cohue, la famille de Fadila renoue aussi avec ses réflexes de manifestation. Les quatre habitants de Corbeil-Essonnes s’étaient mobilisés une fois au tout début des bombardements sur la bande de Gaza. « On a assisté à un pic de barbarie tout à fait insupportable, alors on se devait d’être ici. Ce matin, avant même de savoir si un rassemblement allait être organisé, on s’est dit qu’il fallait qu’on se mobilise », plaide Fadila.

Leïla, l’une de ses deux filles, a été encore plus convaincue de l’intérêt de cette manifestation par le traitement médiatique réservé à l’épisode tragique de la nuit passée. « Au JT, ils ont passé dix minutes à parler d’un youtubeur et une minute seulement de Rafah », s’émeut l’adolescente.

Non loin de là, Sarah observe la foule avec un brin de soulagement. La mobilisation est pour elle à la hauteur de l’enjeu. Celle qui a été de « presque toutes les manifestations depuis octobre » arbore fièrement son pin’s « Free Gaza » sur sa veste grise. « Ces derniers temps, il y avait moins de monde aux manifestations, et c’est normal », explique la Parisienne de 23 ans. Mais cette « remobilisation », elle la croit pérenne.

« Faire pression sur le gouvernement français »

De toute façon, c’est sa seule arme. « L’objectif, il est de faire pression sur le gouvernement français », précise Sarah. « C’est assez décevant de voir que le gouvernement français ne veuille pas se mouiller, contrairement à l’Espagne et l’Irlande [qui ont officiellement annoncé vouloir reconnaître l’État palestinien – ndlr]. On attendait mieux de la France », défend la jeune femme.

Au niveau du camion sono, au milieu de la place, le son de cloche est le même. « Des sanctions, des sanctions, des sanctions », clame la foule, répétant les mots d’une militante juchée sur une estrade, micro en main. « On a bien pris ces dispositions pour la Russie, alors il faut les prendre maintenant contre Israël », répond Sabrina Sebaihi, députée écologiste des Hauts-de-Seine juchée elle aussi quelques instants plus tard sur l’estrade.

« Israël assassin, Macron complice », a alors scandé la foule tout au long de la longue déambulation dans les rues de Paris, pour mettre la pression à sa manière. Des heures durant, des groupes scindés ont défilé dans les rues de la capitale parfois sans trop savoir où aller, en passant devant la gare Saint-Lazare, l’église de la Madeleine ou encore l’Opéra Garnier, sous l’œil amusé des touristes.

Au bout de trois heures de rassemblement et de déambulation sans incident apparent, les forces de l’ordre ont voulu sonner la fin de la manifestation à coups de gaz lacrymogène et de tentative de blocage des cortèges maigrissant. En vain jusqu’à une heure avancée de la soirée.

Observant la scène sur le bord de la route, un syndicaliste venu avec quelques camarades manifester se réjouit de voir « ces jeunes mobilisés en très grand nombre. Le président n’est pas près de les faire rentrer chez eux ». Le syndicaliste a une image en tête : « Il y a une expression qui résume bien la situation dans ce genre de cas. Il est plus facile de faire sortir le dentifrice du tube que de l’y faire rentrer. »

mise en ligne le 26 mai 2024

Montpellier : 500 personnes manifestent pour la Palestine malgré l’interdiction d’un premier rassemblement

sur https://lepoing.net/

Environ 500 personnes ont manifesté ce samedi 25 mai en soutien au peuple palestinien, malgré la confusion apportée par l’interdiction d’un premier rassemblement plus tôt dans la journée.

C’est encore sur les marches de l’Opéra Comédie que des centaines de personnes se sont retrouvées en fin de journée ce samedi 25 mai, pour manifester leur solidarité avec le peuple palestinien. Les prises de parole ont débuté à l’arrivée sur la Comédie des membres du groupe « Wheels of Justice », partis de la fac de sciences. Deux personnes se sont relayées pour expliquer la démarche du groupe : « Nous avons choisi le vélo pour symboliser le fait que la roue de la justice doit se remettre à tourner. Et en soutien aux Gaza Sunbirds, une équipe de paracyclistes qui ont réalisé l’exploit de venir jusqu’à Paris en vélo. Nous organiserons prochainement de nouvelles déambulations à vélo, auxquelles tout le monde peut participer, il suffit d’un vélo, d’un keffieh et d’un drapeau palestinien. » Le groupe a un compte Instagram sur lequel on peut se tenir informés de leurs actions, ici.

Des militant.es du groupe Boycott Désinvestisssements Sanctions de l’Hérault (BDS 34) ont ensuite pris la parole : « La Cour Internationale de Justice a ordonné vendredi 24 mai l’arrêt des bombardements et des actions militaires sur Rafah. Malgré ça l’armée israélienne continue ses exactions, avec des dizaines de morts chaque jour. Mais les mobilisations dans le monde, bien que plus fortes dans les pays du Sud global qu’en Occident, portent leurs fruits. L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont récemment reconnu l’existence d’un État palestinien. »

Avant de revenir sur l’interdiction d’un premier rassemblement montpelliérain prévu sur la Comédie toute la journée : « La préfecture a émis un arrêté d’interdiction de notre occupation de la Comédie, sans que la manifestation de ce soir soit elle empêchée. Ce qui explique certainement que nous soyons moins nombreux aujourd’hui à cause de la confusion provoquée. Ce matin la police nationale est passée plusieurs fois pour chercher à disperser notre rassemblement sur la Comédie. La troisième fois ils sont venus avec l’arrêté dans les mains, et en nous menaçant de poursuites pénales. Nous avons donc décidé de démonter le barnum. »

L’ Association France Palestine Solidarité (AFPS) a ensuite fait une intervention pour dénoncer les entraves à la liberté d’expression sur la question palestinienne : « Sur Montpellier il y eu des interdictions de banderoles, de conférences, de manifestations et de rassemblements, sur des prétextes fallacieux comme des risques de troubles à l’ordre public, alors qu’aucune mobilisation pour la Palestine à Montpellier n’a suscité le moindre désordre. » José Luis Moraguès, militant de BDS 34, passera d’ailleurs en procès pour diffamation après une plainte déposée par le sénateur PS Hussein Bourgi pour la diffusion de cette affiche. Ce sera le jeudi 6 juin, un rassemblement solidaire est déjà prévu à 13h30 devant le Tribunal Judiciaire, place Pierre Flotte.

L’AFPS a ensuite continué en parlant de la situation en Cisjordanie : « L’insupportable massacre en cours à Gaza masque la situation en Cisjordanie. Israël profite que tous les yeux soient rivés sur Gaza pour poursuivre sa politique de colonisation en Cisjordanie. Des bâtiments sont incendiés, plusieurs centaines de palestiniens de Cisjordanie ont été tués. Des avant-postes sont mis en place pour voler les terres aux palestiniens. Nous demandons l’arrêt de la colonisation de la Cisjordanie, l’arrêt du blocus à Gaza, un cessez le feu immédiat, des sanctions contre Israël, l’arrêt des livraisons d’armes, l’arrêt du génocide à Gaza. »

La manifestation, forte d’environ 500 personnes, a ensuite démarré en direction de la gare Saint-Roch. Un arrêt a été marqué devant le Mac Donald’s, pour appeler au boycott de la chaîne de fast food accusée d’avoir des restaurants dans les territoires occupés et d’envoyer de la nourriture aux soldats israéliens. Le défilé a ensuite rejoint Plan Cabanes par les boulevards du Jeu de Paume et Gambetta, avant de remonter sur le Peyrou et de rejoindre la Comédie via la préfecture et la rue de la loge.

Prochain rendez-vous : les 24h des quartiers populaires contre le génocide. Dès le matin du vendredi 31 mai, des militants sillonneront les Zones Libres d’Apartheid Israélien (ZLAI, des zones où de nombreux commerçants ont choisi le boycott) de la Paillade. Le soir un grand meeting aura lieu sur le Grand Mail à 18h, en présence de militants palestiniens, de militants de Marseille, et du groupe de juifs antisionistes Tsedek. Le lendemain un tournoi de foot pour les enfants aura lieu, puis une manifestation s’élancera à 16h des Hauts de Massanne pour traverser La Paillade en défilant dans le plus de rues possible. De plus amples informations seront disponibles prochainement.

  mise en ligne le 27 mai 2024

Kanaky-Nouvelle-Calédonie : « Nous demandons
un envoyé spécial de l’ONU »

Benjamin König sur www.humanite.fr

Il en est beaucoup, y compris à gauche, qui voudraient que le dossier de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie demeure strictement franco-français. Mais, comme pour tous les territoires colonisés de la planète, il s’agit d’abord de droit international, comme le rappelle Mickaël Forrest, de l’Union calédonienne.

Alors qu’Emmanuel Macron, à Nouméa, n’a pas annoncé le retrait du dégel du corps électoral et parle en priorité de « rétablissement de l’ordre républicain », le monde regarde d’un œil inquiet la situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie (KNC). Laquelle relève du droit international, et non pas de ce seul « ordre républicain ». Entretien avec l’homme chargé du suivi des relations extérieures dans le gouvernement collégial calédonien, à majorité indépendantiste, dirigé par Louis Mapou.

Vous revenez d’une réunion de travail des Nations unies à Caracas, au Venezuela, au sein du comité de décolonisation. Quelle voix portez-vous lors de ces échanges diplomatiques ?

Mickaël Forrest : Un des articles de l’accord de Nouméa stipule que les Nations unies sont informées et doivent suivre le processus de décolonisation. D’autre part, la Kanaky-Nouvelle-Calédonie a été réinscrite le 2 décembre 1986 sur la liste des Nations unies des territoires à décoloniser.

Tous les ans, l’Assemblée générale de l’ONU adopte une résolution concernant ces 17 territoires, parmi lesquels la Polynésie française, Guam, le Sahara occidental, Gibraltar, etc. Je suis parti de KNC vingt-quatre heures avant le début des révoltes, invité par le comité spécial de décolonisation des Nations unies (créé en 1961, il comprend 29 membres – NDLR) à un séminaire régional.

Quelle était la teneur des discussions ?

Mickaël Forrest : Il s’agissait de la deuxième des cinq dates annuelles qui constituent les étapes du travail du comité. Ce séminaire régional se tient une fois par an, soit dans les Caraïbes, soit dans le Pacifique : l’année dernière en Indonésie, cette année au Venezuela. En juin, nous entrerons sur le fond des thèmes abordés, avec la session annuelle du comité, à New York. Le député Jean-Paul Lecoq y participe d’ailleurs. Puis le comité présente un rapport à l’Assemblée générale.

Avez-vous abordé la situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie lors de ces échanges dans le cadre de l’ONU, qui semble-t-il regarde les événements d’un œil inquiet ?

Mickaël Forrest : Bien sûr, et nous avons fait en sorte qu’ils s’inquiètent un peu plus. J’ai demandé au nom de notre gouvernement plusieurs mesures, à commencer par une mission de visite du comité spécial sur notre territoire, ce qui permet d’apprécier au plus près la situation. Depuis 2015, neuf missions d’observation électorale ont été dépêchées en KNC, car nous dénonçons toujours ce que nous considérons comme une fraude électorale organisée par l’État français avec la venue massive de métropolitains, ce qui continue de noyer le peuple kanak.

Cette année, j’ai demandé une médiation internationale, car cela fait plusieurs mois que le dialogue est coupé entre les parties. Ainsi que la nomination d’un envoyé spécial de l’ONU (nommé par le secrétaire général des Nations unies, à l’instar de Francesca Albanese pour la Palestine – NDLR), une personne neutre qui pourrait aider à renouer le dialogue et poser un cadre politique transparent.

Une représentante du FLNKS était également présente, pour exposer les arguments du mouvement indépendantiste. Une fois n’est pas coutume, plusieurs personnes du camp anti-indépendantiste, des proches de Mme Backès et de M. Metzdorf, étaient également présents. Visiblement, ils découvraient le comité spécial et n’ont bien sûr pas parlé de décolonisation. Pour utiliser un proverbe transposé en français, je dirais qu’ils sont venus planter de la vigne dans une terre préparée pour des poireaux… Cela a été mal perçu par les membres du comité.

Le premier ministre du Vanuatu, au nom du Forum des îles du Pacifique, vous a apporté son soutien. L’Australie dit être « attentive » à la situation et évacue ses ressortissants. Quelles sont vos relations avec les pays voisins ?

Mickaël Forrest : Au Venezuela, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, un État important de la diplomatie régionale, a délivré un discours clair pour que le comité adopte les mesures nécessaires afin que notre droit à l’autodétermination soit effectif. Au sein du Pacifique, le premier appui est celui du Groupe fer de lance mélanésien (GFLM, alliance regroupant les îles Salomon, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu, les Fidji, l’Indonésie et le FLNKS, créé en 1988 et proche du Mouvement des non-alignés – NDLR).

Je participe à une mission avec 16 autres ministres des pays du Forum des îles du Pacifique (FIP, organisation régionale fondée en 1971 qui comprend tous les pays d’Océanie, plus la Polynésie et la KNC depuis 2016 – NDLR) pour renforcer les liens avec d’autres pays, notamment Singapour. À cette occasion, nous avons beaucoup échangé sur la situation actuelle en KNC. De nombreux pays, ONG et organismes internationaux du Pacifique ont dénoncé l’action de la France sur notre territoire.

Sur le fond, la question est-elle celle du viol du droit international par la France ?

Mickaël Forrest : Oui, tout à fait. La KNC n’est plus une affaire interne à l’État français. Je vais me rendre bientôt en Europe pour discuter également avec des leaders indépendantistes du continent qui nous soutiennent depuis plusieurs décennies : basques, catalans, corses… Nous aborderons le sujet des élections européennes : même si pour le peuple kanak cela ne veut pas dire grand-chose, ce scrutin revêt des enjeux politiques forts, y compris pour nous. Il existe des jeux politiques par rapport à nous.

Que répondez-vous aux accusations d’ingérence de la part de l’Azerbaïdjan ou de la Chine ?

Mickaël Forrest : Il faut revenir à des choses claires : la meilleure réponse est celle de M. Victorin Lurel, l’ancien ministre PS des Outre-mer, qui dit que la France n’a jamais su décoloniser. Et l’État français a des projets pour l’axe indo-pacifique. Notre gouvernement n’a aucune difficulté avec quelque pays que ce soit.

La Chine, par exemple, est notre premier partenaire commercial, elle achète notamment 80 % de notre nickel. Quand on veut avoir une lecture géopolitique, il faut l’avoir également en matière économique, sociale, culturelle, etc. Quant à l’Azerbaïdjan, il présidait le Mouvement des non-alignés, qui nous a toujours soutenus et dont nous sommes membres observateurs. Pour nous, dans notre situation coloniale, ce sont des soutiens anciens, qui nous accompagnent dans notre lutte.

  mise en ligne le 24 mai 2024

Débrayage à Teleperformance, entreprise du CAC 40
championne
de l’écart salarial

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Une journée de grève et de mobilisation a été lancée par Sud PTT ce jeudi, jour de l’assemblée générale de Teleperformance, leader mondial des centres d’appel, dont le siège se trouve en France. Le syndicat dénonce des négociations salariales au point mort, alors que l’écart salarial à Teleperformance est tel que le PDG y gagne 1 400 fois plus que les employés, selon l’ONG Oxfam.

Ce jeudi, à l’entrée de l’assemblée générale de Teleperformance, la direction et les actionnaires ne seront pas tout à fait tranquilles. Le syndicat Sud PTT a lancé un appel à la manifestation sur les lieux, dans le cadre d’une journée de grève des employés du leader mondial des centres d’appel.

Pas de quoi assombrir non plus la journée de ces actionnaires : le groupe, membre du CAC 40, se félicitait fin avril d’une croissance de +26,7%. Pas moins de 244 millions d’euros leur seront donc reversés cette année sous forme de dividendes, expose un communiqué de Solidaires et Sud PTT.

Malgré ces résultats florissants, la direction a en revanche informé les organisations syndicales « qu’elle ne souhaite pas d’augmentation des salaires », épingle Sud PTT. Les NAO (négociations annuelles obligatoires) sont en cours dans l’entreprise depuis le 26 mars. Or, cette année, leur budget a été divisé par trois, « passant d’un million d’euros à 350 000 euros », précise Issam Baouafi, délégué syndical central Sud à Teleperformance.

« La direction nous a bien fait savoir qu’elle ne ferait pas beaucoup d’efforts pour nos salaires cette année », abonde encore Issam Baouafi, plus de vingt ans d’expérience dans l’entreprise au compteur. « Pour nous c’est impensable, au regard de l’inflation et des petits salaires dans l’entreprise ».

Record de l’écart salarial chez Teleperformance : le PDG gagne 1453 fois plus que les employés

 Le salaire moyen mensuel chez Teleperformance est en effet inférieur à 1200 euros. Le PDG Daniel Julien, lui, gagne 19 millions d’euros par an. Soit 1453 fois plus que les salariés, d’après une étude d’Oxfam parue fin avril. Teleperformance remporte ainsi le titre de l’entreprise du CAC40 championne de l’écart salarial, selon l’ONG. Et « de loin ».

Contactée par l’AFP, Teleperformance s’est défendue en dénigrant un calcul « purement théorique et non réel » de la part de l’ONG, dans la mesure où la rémunération du PDG inclut des « actions de performance » dépendant des objectifs réalisés et du cours de la Bourse – où le groupe voit sa cote baisser.

En moyenne, les patrons du CAC 40 ont gagné 130 fois plus que le salaire moyen dans leurs entreprises en 2022, synthétise Oxfam. Cet écart salarial a augmenté d’environ 17 % depuis 2019. « Il est urgent de lutter contre cette injustice salariale et de mobiliser les salarié·e·s pour des conditions plus équitables », insiste Sud PTT dans son communiqué.

La séance de NAO lors de laquelle la direction de Teleperformance devait donner sa position finale aurait dû avoir lieu hier, mercredi. Elle a finalement été reportée au 6 juin.

En 2022, les syndicats avaient obtenu 80 euros d’augmentation des salaires. En 2023, les syndicats étaient plus divisés – contrairement à d’autres, Sud PTT n’avait pas signé : « il y avait trop de différenciation dans les augmentations », explique Issam Baouafi. « Certains avaient obtenu 25 euros, d’autres 120, d’autres rien du tout . Cette année, son syndicat exige 100 euros d’augmentation. « Pour tout le monde », insiste-t-il.

 Des débrayages depuis le début de l’année

Mi-mars et fin janvier, les téléconseillers des centres d’appel français, notamment chez Teleperformacnce, avaient débrayé à l’appel d’une intersyndicale (CFDT, CFTC CGC, FO, CGT Sud-Solidaires). À l’issue de la grève de janvier, les employeurs de la branche avaient proposé « près de 2% d’augmentation, pour remonter juste au-dessus du SMIC les plus bas salaires », nous racontait Frédéric Madelin, négociateur de branche P2ST (prestataires de services du secteur tertiaire) pour Sud PTT.

Pas de quoi rattraper le décrochage : depuis 2005, les salariés du secteur ont perdu « entre 60 et 300 euros mensuels », par comparaison avec l’évolution du SMIC, estime le syndicaliste. « Il nous faut la mise en place d’une grille suffisante pour les prochaines augmentations du SMIC, pour faire face à l’inflation, à la hausse des prix de l’énergie… On ne demande pas juste à être au SMIC : on demande un vrai salaire ».

La journée de mars, ensuite, a pris une dimension internationale, avec de fortes mobilisations en Grèce. Les grévistes de Teleperformance, comme de Concentrix – autre acteur majeur du secteur – y avaient obtenu, sur les sites les plus mobilisés, l’ouverture de négociations sur des revalorisations salariales.

   mise en ligne le 24 mai 2024

Elias Sanbar : « Israël mène
une guerre totale à Gaza »

Muriel Steinmetz sur www.humanite.fr

L’ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco publie un livre écrit à chaud sur la situation de son pays en proie à un conflit qui, selon lui, peut déboucher sur le « transfert » définitif de son peuple.

Une grande voix de la Palestine répond à nos questions. Il s’agit de l’écrivain Elias Sanbar, engagé dès 1967 dans le mouvement national palestinien. On lui doit de nombreux ouvrages sur l’histoire et la culture de son pays natal, qu’il ne cesse de défendre et illustrer à l’échelle internationale. Il a occupé, de 2006 à 2021, la fonction d’ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco après avoir participé à la conférence de paix de Madrid en 1991, puis aux négociations bilatérales à Washington.

Il a été, de surcroît, de 1994 à 1997, chef de la délégation palestinienne aux négociations de paix sur les réfugiés. De 1980 à 2006, il a animé l’importante Revue d’études palestiniennes (éditions de Minuit). Il sort, ces jours-ci, un livre qu’il a écrit intitulé la Dernière Guerre ? Palestine, 7 octobre 2023-2 avril 20241. Ami et traducteur du poète Mahmoud Darwich, il en cite, en conclusion, ces vers déchirants : « Laissez donc, ô invités du lieu, quelques sièges libres pour les hôtes, qu’ils vous donnent lecture des conditions de la paix avec les défunts. »

Dans ce livre, vous revenez aux sources historiques du conflit…

Elias Sanbar : La guerre actuelle a trois éléments qui la rendent identique à l’autre, originelle, commencée le 29 novembre 1947, au moment de l’adoption du plan de partage de la Palestine, terminé le 14 mai 1948, lorsque les premiers soldats arabes sont entrés sur le territoire palestinien, à la proclamation de l’État d’Israël. À ce moment-là, nous, Palestiniens, étions déjà réfugiés. Le pays avait déjà été vidé. L’essentiel de la Nakba (l’expulsion de près de 800 000 Palestiniens – NDLR) a eu lieu durant ces cinq mois et demi.

Le « transfert » – le mot est de Ben Gourion – et le remplacement ont déjà eu lieu. Cette première guerre s’est soldée par la défaite du camp palestinien. La Nakba est déjà terminée quand les soldats arrivent avec l’idée de récupérer la Palestine. Elle est déjà perdue. Or, on présente notre expulsion comme la conséquence d’une agression arabe.

Quel projet final guide le gouvernement d’extrême droite israélien aujourd’hui ?

Elias Sanbar : Il n’en a pas. Il y a une explication qu’on retrouve partout : cet homme, Benyamin Netanyahou, n’a d’autre projet que de rester au pouvoir. C’est un peu court ! Le crime de guerre commis par le Hamas le 7 octobre n’était pas un débordement d’action incontrôlée. Je n’en fais pas l’éloge. Il a été conçu pour passer des bombardements habituels orchestrés par Israël à un embourbement de l’armée israélienne à Gaza. Cette stratégie a été menée avec une profonde connaissance de la société israélienne.

Il savait qu’en frappant une société convaincue d’être en danger de disparition, rien ne se solderait par une riposte simple. Israël a repris la main en menant une guerre totale à Gaza. Y ont été ajoutés d’autres champs de bataille : Cisjordanie, Jérusalem-Est, réfugiés de 1948… Le slogan de 1948, « Il est temps de terminer ce que Ben Gourion n’a pas achevé », a été repris.

Que n’a-t-il pas achevé ? Le « transfert » de la Cisjordanie, le « transfert » de Gaza, le « transfert » des 152 000 Palestiniens restés dans ce qui allait devenir Israël et le règlement définitif des 800 000 réfugiés de 1948, qui sont aujourd’hui 6 millions. Le concept de « jour d’après » est celui d’une Palestine totalement « nettoyée ». Le projet en cours est voué à l’échec. Israël n’arrive pas à achever le travail de Ben Gourion et il ne le terminera pas.

Pourquoi ?

Elias Sanbar : Israël existe et a produit une entité, l’Israélien, qui est juif, mais qui n’est pas LE juif. C’est fondamental. Les Israéliens sont à 80 % de religion, d’idéologie, d’identité juive mais ce ne sont pas les juifs. Aujourd’hui, quand on parle d’Israéliens – lesquels ont une mentalité coloniale –, les gens s’imaginent que vous parlez de Freud, de Mahler, de Walter Benjamin, d’Hannah Arendt, de Spinoza… Non ! Ceux-là étaient des Européens juifs. Cette confusion a donné une forme d’immunité aux actions inacceptables d’Israël. Cette guerre est en train de faire voler en éclats l’idée de l’armée la plus morale du monde.

« Tu restes, tu meurs. Tu pars, tu vis. »

La seconde chose, c’est la question du sentiment d’être en danger. Si Israël était vraiment en danger, la totalité des grandes puissances de la planète débarqueraient pour le sauver. Par contre, dans le ressenti israélien – qui est une réalité –, les gens réagissent comme s’ils étaient en danger de disparition réelle. En face, les Palestiniens, eux, sont en train de disparaître. De part et d’autre, le conflit prend la forme d’une question de vie ou de mort. L’idée de deux États, ce pour quoi nous nous sommes battus, moi le premier, n’est plus sur la table. Ils veulent finir le travail !

Une Nakba bis ?

Elias Sanbar : Plutôt un parachèvement de la Nakba, avec la réalisation du « transfert ». La Nakba signifie la catastrophe, l’effet causé par l’absence : un pays disparaît tout à coup, corps et biens. Le transfert est une action militaire, coloniale, de remplacement d’un peuple par l’autre. C’est en jeu depuis le début. Il s’agit d’une colonisation très particulière. Sa seule colonisation jumelle, c’est la conquête de l’Ouest américain.

Ce sont les deux seules colonisations sans métropole. Le transfert est une activité génocidaire, de nettoyage ethnique, d’ethnocide. Avec une nuance d’importance, s’agissant de l’actuel transfert : si les Palestiniens acceptent de partir, on ne les tue pas. Ceux qui meurent sont ceux qui n’ont pas compris qu’il fallait qu’ils partent. D’où cet acharnement, cette folie meurtrière et ces appels incessants aux Gazaouis d’aller en Égypte. Tu restes, tu meurs. Tu pars, tu vis.

Ce qui se passe à Gaza fait presque oublier ce qui a lieu en Cisjordanie et à l’intérieur même d’Israël…

Elias Sanbar : Ce qui se déroule dans les autres régions de la Palestine, à Jérusalem-est, en Cisjordanie, c’est précisément la fin du boulot… En riposte à l’attaque du Hamas, Israël a rouvert tous les fronts. Il ne se confine pas au champ de bataille de Gaza. En Cisjordanie, c’est un grignotage incroyable pour assurer la mainmise des colonies sur tout le territoire. Il y a une semaine, ils ont fondé 26 nouvelles colonies !

Le transfert est en cours. Il y a plus d’un millier de morts. L’un des principaux députés palestiniens à la Knesset, communiste, me dit qu’en Galilée, les gens se demandent si l’armée israélienne ne va pas maintenant venir vers eux et leur refaire le coup de la Nakba.

Un nouvel exode des Palestiniens est-il pensable ?

Elias Sanbar : On ne sait ce qu’il adviendrait en cas de défaite militaire totale. Si les Israéliens n’accèdent pas à une victoire totale, que vont-ils faire ? La situation sera beaucoup plus dangereuse pour eux que ce qu’ils s’imaginent. Si les Palestiniens perdent, que se passera-t-il ? Nous en sommes au septième mois, avec une des armées les plus puissantes de la planète… En tonnage d’explosifs et de bombes, c’est déjà quatre fois Hiroshima !

Sur un territoire de 320 km2, soit un rectangle de 32 km sur 10. Un homme normalement constitué peut parcourir 4 km/h à pied. En huit heures, il traverse toute la bande de Gaza du nord au sud. En deux heures, il va de l’est jusqu’à la mer. Imaginez que, sept mois plus tard, une armée suréquipée, avec déjà 107 à 108 ponts aériens américains de munitions, n’arrive pas à déloger des hommes et des femmes qui sortent de leurs tunnels en tongs, voire pieds nus, armés d’un simple RPG (lance-roquettes) pour les harceler et repartir.

Nous en sommes à je ne sais combien d’annonces sur le fait que, sur les 20 divisions du Hamas, il en reste 4 et que tout est pacifié, sauf ce trou au sud. Depuis les cinq derniers jours, les batailles les plus fortes se déroulent au nord, dans des zones (vers le camp de réfugiés de Jabalia) annoncées comme totalement pacifiées, nettoyées depuis octobre par l’armée israélienne. Les bataillons, côté palestinien, du Hamas – il n’y a pas que lui – se reforment dès qu’ils sont décimés. Un classique des guerres coloniales.

À quelles conditions une solution politique pourrait enfin voir le jour dans la perspective de deux États ?

Elias Sanbar : Je ne sais pas et je crois que personne ne le sait. La guerre est en cours. Il n’y a pas de conflit qui n’ait de solution. Cela ne marchera que si une partie et l’autre ont le sentiment que la justice est au rendez-vous. Sinon, le conflit re-explosera. Quant à deux États, je n’y crois plus.

La réalité du terrain en a anéanti définitivement la possibilité. Je ne dis pas l’idée. Pourquoi ? Je ne sais quelle armée se dévouerait pour aller sur place et vider les colons des territoires qu’ils ont volés. C’est trop tard. Je ne vois pas quel pays va s’y risquer. Les deux États ont été mis à mort.

On parle peu de l’importante diaspora palestinienne de par le monde. A-t-elle un rôle à jouer ?

Elias Sanbar : La diaspora est partout. Regardez les manifestations : 300 000 à 400 000 personnes à Londres, en Suède, Norvège, Mexique, Argentine, Pakistan, Malaisie. La diaspora est extrêmement active et les élites palestiniennes des exils le sont aussi. Nous sommes très installés dans toutes les universités au monde.

Pas seulement du côté des étudiants. Il y a énormément de professeurs palestiniens. Cette diaspora a une puissance intellectuelle qu’on ne soupçonne pas. C’est là que se joue la réputation d’Israël. Israël est en train de détruire sa moralité. Quand on est face à des milliers d’enfants morts… Ce qu’a fait le Hamas n’enlève rien à tous ces cadavres.

Ces gosses ont été assassinés. Des choses se préparent à la Cour pénale internationale (CPI) avec des mandats d’arrêt en cours. Il y a une semaine, j’ai vu des médecins revenir des hôpitaux du nord de la bande de Gaza. Sept charniers ont déjà été découverts avec des centaines de cadavres, mains et pieds ligotés ! J’ai vu ce que ces médecins ont filmé. Ils ont analysé l’état des corps. Ils ont trouvé des cadavres avec des cathéters !

Ces gens ont été assassinés dans leur lit ! Il y a eu un carnage, avec des traces de torture sur beaucoup de corps2. Ils sont en train de devenir fous. Nous en sommes au 150e journaliste palestinien abattu. Pour qu’il n’y ait pas de témoins du crime. Un très grand nombre de médecins palestiniens ont été assassinés. Durant la guerre du Vietnam, la stratégie américaine était la suivante : puisqu’on n’arrive pas à pêcher tous les poissons, on va vider l’eau. Ils sont en train de vider l’eau à Gaza : pas de vivres, pas de médicaments, pas de médecins, pas d’images…

L’éventuelle libération de Marwan Barghouti pourrait-elle ouvrir une perspective neuve au devenir du peuple palestinien ?

Elias Sanbar : Je ne crois pas qu’ils le feront. Ils savent ce qu’il arriverait s’ils le libéraient. Seront-ils un jour forcés de le faire, je ne sais pas.

En ces heures, vous devez sans doute penser très fort à votre ami, le poète Mahmoud Darwich, ce grand donneur de force et d’espoir.

Elias Sanbar : Le poème que je cite dans le livre date de 1992. Nous sommes en 2024. Il semble avoir été écrit avant-hier ! C’est dire sa force. C’est grâce à la poésie de Mahmoud Darwich que nous avons en partie tenu le coup de la disparition et de l’absence. En arabe, le vers se dit « beit » et la maison aussi.

Nous avons habité les poèmes de Darwich. Il nous a amené nos maisons à nous qui en étions privés. Allez dans une rue arabe, prenez un passant, dites « Mahmoud Darwich », il vous récitera par cœur deux ou trois vers. La traduction des œuvres de cet ami intime a pris vingt-huit années de ma vie. On se voyait tous les jours.


 

Note :

  1. Chez Gallimard, collection « Tracts », n° 56, 48 pages, 3,90 euros, numérique, 3,50 euros. Du même auteur, Figures du Palestinien. Identité des origines, identité de devenir, Folio Histoire, 309 pages, 9,40 euros. ↩︎

  2. Cet entretien a été réalisé quelques jours avant la demande mandat d’arrêt de la CPI contre Benyamin Netanyahou, Yoav Gallant et trois responsables du Hamas pour « crimes de guerre ». ↩︎

 

  mise en ligne le 22 mai 2024

Sur les barrages à Nouméa : « Ils sont venus nous flinguer comme des chiens »

Johanna Tein sur www.humanite.fr

Pour le gouvernement français et les partisans de l’ordre colonial, la jeunesse kanak n’existe pas, sauf en tant qu’émeutiers radicalisés à mater. Mais sur les barrages, celle-ci raconte ouvertement ses espoirs, ses peurs et sa colère brute et pourquoi sa lutte, qui a embrasé le pays, s’inscrit dans les pas des « anciens ».

Nouméa (Kanaky-Nouvelle-Calédonie), correspondance particulière.

Sur la presqu’île de Nou, là où fût implanté le bagne de la Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle, un groupe de jeunes hommes ont érigé un barrage. Ils bloquent la seule voie qui mène à plusieurs infrastructures importantes du pays : deux hôpitaux, l’université de la Nouvelle-Calédonie et sa cité universitaire, où sont logés de jeunes étudiants venant de tout l’archipel.

À dix mètres de cette barricade, de jeunes Kanak stoppent les personnes et les voitures. Un homme vient à notre rencontre, salue avec gentillesse. Il n’a pas d’arme et s’appelle Phil, originaire de l’île de Lifou : « Vous pouvez passer, le barrage est simplement filtrant. » Plusieurs véhicules circulent sans encombre : ambulances, médecins, familles avec enfants, habitants du quartier. On se salue, on échange un mot. Certains passagers s’arrêtent pour distribuer des boissons ou de quoi manger.

Phil est le plus âgé du groupe : à ce titre, c’est lui qui fait office de porte-parole. Il tient à exposer les raisons de l’engagement de ces militants. « On est là pour dire non au dégel du corps électoral. C’est un acquis de nos papas, quand ils ont fait la première lutte dans les années 1980, avec le FLNKS. On a compris, on se lève aujourd’hui pour dire que le dégel du corps électoral, cela veut dire noyer la revendication kanak dans ce pays. Et nous, on ne voudra jamais ça. »

La tension reste palpable sur le caillou

Fatigués, tous barbouillés du noir de la fumée, ils ressemblent à leurs ancêtres guerriers qui autrefois s’enduisaient de noix de bancoule avant d’aller au combat. Peu après, Phil exhorte : « Mettez-vous à l’abri, avancez votre voiture vers le barrage, à côté des jeunes, là ! » dit-il, désignant des militants de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), une émanation de plusieurs mouvements indépendantistes qui organise la contestation depuis plus de six mois. L’un des jeunes exprime sa colère en lançant des cailloux sur une carcasse de voiture calcinée.

La tension demeure extrêmement vive. L’un des membres du groupe, Louis *, prend la parole : « Une demi-heure avant votre arrivée sur le barrage, on a été la cible d’individus armés dont on ne connaît pas l’identité. Je tiens à dire qu’une milice existe. Elle semble travailler en parallèle avec la police. On ne sait pas s’ils sont avec elle ou pas mais, à chaque fois, ils se suivent. » Des hommes armés étaient à bord d’un 4×4 et leur ont tiré dessus. « Ils sont venus nous flinguer comme des chiens. Mais il n’y a pas de morts, ni de blessés. » Phil, qui se dit chrétien et kanak, remercie « Dieu et les esprits de l’endroit de les avoir épargnés ».

Depuis le 13 mai, plusieurs jeunes ont été tués, trois officiellement, mais d’autres sont portés disparus. À ce jour, personne ne connaît le nombre exact de blessés et de morts. Pour l’heure, le bilan fait état d’au moins un décès à la Vallée du Tir, et de deux autres à Ducos : une jeune fille de 17 ans et un homme de 36 ans, originaires de Canala, sur la côte est du pays.

C’est pour ces raisons que le groupe se dit farouchement opposé à l’entrée des forces de police à Nouville et craint que les renforts de métropole ne soient pas là « pour protéger les habitants des exactions de la milice” ». L’évocation de ces « milices européennes » n’est pas nouvelle dans l’histoire : dans les années 1980, elles agissaient souvent impunément, comme lors de l’assassinat de Pierre Declercq, alors secrétaire général de l’Union calédonienne, tué le 19 septembre 1981, dans sa propre maison. Ses assassins n’ont jamais été arrêtés.

Les jeunes que l’on voit sur ces barrages sont issus essentiellement des quartiers populaires du Grand Nouméa, comme Tuband, Magenta, Nouville, Koutio. Des zones où les forces de police sont intervenues en priorité et de manière musclée depuis les premiers heurts et le meurtre du jeune Djibril, 20 ans, originaire de l’île de Maré et abattu par un homme en civil, le 15 mai. Au total, on dénombre plus de 300 arrestations.

Dans les quartiers aisés de Nouméa, notamment ceux du sud, il ne fait pas bon être kanak ou océanien. Les accès sont fermés, même pour aller faire des courses. Pourtant, à la plage de l’Anse Vata, cœur du littoral touristique, les terrasses et la plage sont ouverts, comme si le temps s’était arrêté, comme si, sur cette terre, les uns et les autres ne vivaient pas dans le même monde.

L’histoire des luttes kanak profondément ancrée dans la mémoire des kanak

Pour tous ces jeunes Kanak, la question reste celle de la dignité de leur peuple. N’ont-ils pas le droit de rêver une vie meilleure, pour leur propre société, non soumise à la rentabilité, non rythmée par le temps de la montre et de la façon de vivre des Occidentaux ? Comme le disait Jean-Marie Tjibaou, ancien leader du FLNKS assassiné en 1989 : « Il est difficile de suivre celui qui cherche sa route. »

Retour à Nouville, où Phil et ses camarades saluent la mémoire des leaders indépendantistes abattus par le GIGN, « comme Éloi Machoro et Marcel Nonnaro », en 1985. Mais aussi des dix de Hienghéne, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, assassinés par des opposants loyalistes qui furent acquittés. Enfin, de ceux de la célèbre grotte de Gossanah à Ouvéa en 1988, dont Wenceslas Lavelua et ses compatriotes, abattus également lors de cette opération militaire nommée « Victor ». Cette histoire est ancrée profondément, celle d’une guerre civile qui leur a permis d’enfin exister et d’être reconnus pleinement légitimes sur cette terre désormais nommée « Kanaky », le mot d’ordre brandi sur les barrages.

Ces jeunes ont aussi en mémoire la longue histoire de la résistance à la domination française, depuis la prise de possession de l’archipel en 1853, et les maintes « révoltes » et « situations insurrectionnelles » brutalement réprimées. « Depuis le 24 septembre 1853, lorsqu’ils ont levé le drapeau à Mahamate (aujourd’hui Pouébo, dans le nord de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie – NDLR), il y a eu des morts. »

Loin de l’image de jeunes émeutiers incontrôlables, le leader du petit groupe précise : « Aujourd’hui, le 20 mai 2024, à 13 h 22, cela fait une semaine que nous sommes là. Il y a des jeunes qui ont été tués, mais nous, nous n’avons pas d’armes. C’est un barrage pacifique. Ici, à Nouville, on a deux hôpitaux et l’université : on ne peut pas bloquer complètement la route », finit-il, solennel.

« Résister, ce n’est pas mourir »

Pour ces militants, la partialité de l’État français les a motivés à organiser une résistance pacifique avec la CCAT. « C’est pour faire entendre nos voix et nos rêves pour notre pays et nos enfants que nous sommes là. » Depuis la mobilisation massive du samedi 13 avril 2024 sur la place de la Paix, la CCAT a coordonné des nombreux regroupements, à chaque fois sans heurts, afin de montrer au peuple de France que le peuple kanak réclame justice et équité.

Près du barrage, Raphaël (*) engage le dialogue : « Aujourd’hui, c’est toujours la même chose : ils lèvent le drapeau français mais il y a des morts de l’autre côté. On fait de la résistance, mais résister, ce n’est pas mourir. Nous, on se bat pour notre dignité, sans armes à feu, comme nos anciens faisaient. On accompagne un gouvernement légitime, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie – Kanaky. »

Avant de partir, le petit groupe tient à faire passer un message, comme un manifeste de sa lutte. « On demande à tout le monde d’avoir un œil bienveillant pour le combat des enfants de Kanaky, le nom de ce pays. Kanaky ne veut pas dire qu’on va exterminer tout le monde et qu’il y aura une seule race. Non ! On demande la nationalité kanak ou la nationalité calédonienne, mais il ne faut pas faire passer le dégel avant la nationalité. Kanaky vaincra ! »

Comme un lointain écho à la pensée de Jean-Marie Tjibaou, retranscrite dans son livre, la Présence kanak, publié en 1996 chez Odile Jacob : « Pour nous, il y a ici un peuple indigène, c’est le peuple kanak. Nous voulons d’abord la reconnaissance de ce peuple et son droit à revendiquer l’indépendance de son pays. Ce n’est pas plus raciste que de parler de citoyenneté française. »

* Le prénom a été modifié

 

mise en ligne le 22 mai 2024

Loi logement :
« Dans les années à venir, les ménages précaires
vont tout simplement
trouver de moins en moins
à se loger
»

Par Lisa Sourice sur https://www.bondyblog.fr

Le ministre du Logement a présenté son projet de loi réformant le logement social en conseil des ministres, jeudi 2 mai. Ce texte prévoit une révision de la loi SRU, qui oblige les maires à construire 25 % de logements sociaux dans leur commune. Une menace pour le droit au logement prévient la fondation Abbé Pierre. Interview.

Quatre millions, c’est le nombre de personnes qui ne parviennent pas à se loger correctement aujourd’hui en France. Et, c’est dans ce contexte que le ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, a présenté une loi qui prévoit notamment de freiner la construction de nouveaux logements sociaux.

Les maires pourront désormais intégrer, dans la part des 25 % de logements sociaux obligatoires, la construction de logements intermédiaires destinés à des familles de profession cadres et cadres supérieurs.

De nombreux chercheurs et associations dénoncent la violence de cette loi qui remet en cause le droit au logement. Aujourd’hui, 2,6 millions de personnes sont sur liste d’attente pour un logement social. Pour le Bondy Blog, Noria Derdek, responsable d’études juridiques à la Fondation Abbé Pierre, revient sur les risques qu’entraîne une telle loi pour les foyers les plus précaires. Interview.

Beaucoup d’associations et de chercheurs se sont positionnées contre le projet de loi porté par le ministre du Logement. Pourquoi ?

Noria Derdek, (Fondation Abbé Pierre) : Les constats qu’on fait à la Fondation Abbé Pierre, c’est que le mal-logement s’installe. Il y a 4 millions de personnes qui sont mal logées et des situations toujours plus dramatiques concernant les foyers les plus modestes. La demande de logement social a augmenté de 21 % en trois ans. On a 2,6 millions de demandes sur seulement 400 000 attributions par an, à peine un quart, avec des durées d’attente qui s’allongent. Et on a une production de logements sociaux qui ne cesse pas de se réduire.

Pour le contexte, il y a trois types de logements sociaux qui peuvent être financés : les PLAI, les PLUS et les PLS. Les PLS, c’est ce qu’on appelle du logement social assez élevé où 70 % de la population peut déjà y accéder. Le logement social classique, c’est plutôt le PLUS, ce qui représente environ 56 % de la population. Le logement très social au plafond de loyers les plus bas, c’est le PLAI.

70 % des demandeurs de logements sociaux ont des ressources en dessous des plafonds des logements très sociaux

Nous, ce qu’on voit, c’est que 70 % des demandeurs de logements sociaux ont des ressources en dessous des plafonds des PLAI. De manière générale, les loyers sont parfois trop élevés pour une partie des demandeurs de logements sociaux.

Ici, le gouvernement parle d’une production de logements locatif intermédiaire, centrale dans le projet de loi. Il se situe entre le PLS et le logement du marché. On est sur des tranches hautes de la population avec des plafonds de ressources à 45 000 euros pour une personne seule. En comparaison, pour un logement social classique, on est à 26 000 euros.

Les plafonds de loyer pour les logements locatifs intermédiaires, sont fixés en fonction du marché privé, ils sont de 10 à 15 % en dessous du marché. Pour les logements sociaux, une convention plafonne le loyer, il ne peut pas dépasser un certain niveau.

La baisse de production de logements sociaux a été significative ces deux dernières années

La baisse de production de logements sociaux a été significative ces deux dernières années. On est passé sous la barre des 100 000 logements sociaux produits. Et, elle est vraiment essentiellement due à la baisse du financement public du logement social. C’est pour ça que les associations et aussi les chercheurs, qui n’ignorent pas ces données-là, réagissent très fortement contre le projet de loi.

En face de tout cela, les solutions qui sont proposées par le gouvernement, c’est essentiellement d’affaiblir la loi SRU, qui est un moteur essentiel pour la production de logements sociaux et qui est destiné à assurer un équilibre dans la répartition géographique des logements sociaux.

Et dans ce projet de loi, les logements intermédiaires, sont pris en compte dans la part des 25 % des logements sociaux qui doivent être construits ?

Noria Derdek : Oui, les objectifs de la loi SRU vont permettre justement de produire une part des objectifs en logement locatif intermédiaire au lieu de les produire en logements sociaux. Et ça, c’est faire un cadeau aux maires récalcitrants à la production de logements sociaux sur leur territoire. On aurait dû, au contraire, renforcer la loi SRU, renforcer les sanctions et les rendre plus systématiques, quitte à ce que l’état produise à la place des communes.

Produire de logements locatifs intermédiaires va avoir un effet d’évincement sur le logement social

Si on veut produire du logement locatif intermédiaire en plus du logement social, pourquoi pas. Mais là, le problème, c’est qu’on sait très bien que permettre de produire de logements locatifs intermédiaires va avoir un effet d’évincement sur le logement social.

Quelles autres mesures posent particulièrement problème dans ce projet de loi ?

Noria Derdek : Une autre mesure qui est proposée, c’est l’augmentation des loyers des logements sociaux. Un logement social qui a été produit il y a 10 ans ou 40 ans a des plafonds de loyer qui sont plus bas que les logements neufs. C’est un peu comme l’inflation en général, ce qui coûtait un certain prix il y a 40 ans aujourd’hui ne coûte plus le même prix. Ici, ils vont permettre d’augmenter le plafond de loyer à l’équivalent d’un logement neuf. Et ça, ça va avoir pour conséquence la disparition progressive du parc HLM qui était restée à un bas niveau de loyer.

Une dernière chose qui est très étonnante, c’est que l’État va déléguer ses droits de réservation dans le parc HLM aux maires et à Action logement. C’est-à-dire que l’État, en échange de ses financements, a un droit de réservation de 25 % du parc HLM. C’est ce qui est censé garantir qu’il y aura des logements qui seront bien attribués au ménage prioritaire et puis aussi au personnel de santé, aux fonctionnaires, etc.

Et on sait déjà que ça ne va pas fonctionner. La délégation au maire avait été supprimée en 2017 par la loi égalité et citoyenneté. Justement, en faisant le constat à l’époque que l’État avait délégué son droit de réservation et que cela ne lui permettait pas de répondre à ses obligations en matière de DALO (droit au logement opposable).

Les maires auront donc un certain pouvoir sur les attributions de ces logements ?

Noria Derdek : Une présélection est déjà faite en amont. Parmi la liste des demandeurs, on va déterminer quels sont les demandeurs prioritaires. Il y a trois candidats qui sont présentés pour un logement. C’est parmi ces trois candidats-là que le maire va pouvoir organiser un ordre de priorité. Il va pouvoir dire : « moi, je pense que celui-là passe en premier, celui-ci en deuxième, celui-ci en troisième. » La commission d’attribution va en choisir un. Si le maire n’est pas d’accord, il peut émettre son droit de veto. Un seul droit de veto par logement. Donc, a priori, s’il donne son droit de veto pour le premier, ça devra être le second qui passe.

Le Conseil d’État a rappelé dans son avis, le maire doit respecter la loi qui, elle, établit une liste de ménages prioritaires. Et, elle considère également que les ménages DALO sont prioritaires parmi les prioritaires. Il arrive quand même, très souvent, que les trois candidats, ou au moins, deux des trois, soient des ménages prioritaires. Donc, comment on arbitre entre deux ménages prioritaires au regard de la loi ? C’est là que ça devient obscur et qu’il y a une marge de manœuvre possible pour le maire.

Ça peut inciter un certain nombre de discriminations. Il y a des ménages qu’il pourrait considérer comme trop pauvres pour être accueillis sur sa commune

Le maire pourra choisir de pratiquer une préférence communale. Ça peut inciter un certain nombre de discriminations. Et notamment, des discriminations socio-économiques. Il y a des ménages qu’il pourrait considérer comme trop pauvres pour être accueillis sur sa commune.

Il est important que les attributions ne soient jamais décidées à juge unique. Surtout, dans ces cas-là, quand il n’y a pas de critères clairs pour dégager un candidat parmi les autres, quand ils sont tous prioritaires. Et encore moins à la personne du maire, qui est quand même le plus exposé au clientélisme, à la préférence communale, des politiques passées.

Ce projet de loi s’inscrit dans une volonté de l’État de baisser ses dépenses dans le secteur du logement ?

Noria Derdek : Exactement. Quand on veut baisser les dépenses dans le secteur du logement et qu’on ne veut pas financer le logement social, on va promouvoir le logement intermédiaire.

Quand on ne veut pas financer non plus les bailleurs sociaux pour pratiquer des loyers qui soient compatibles avec les ressources des demandeurs de logement social, alors, on leur permet d’augmenter leur loyer.  Et ce n’est plus l’État qui finance, ce sont les locataires. Ce qui entrave non seulement l’accès, mais rend la chose plus coûteuse. C’est donc grâce à l’augmentation des loyers que l’État compte augmenter les ressources des bailleurs sociaux et ainsi ne pas mettre la main à la poche.

L’augmentation des loyers n’est pas la seule raison pour laquelle le gouvernement compte augmenter les ressources des bailleurs sociaux. Ils vont aussi pousser à la vente des logements sociaux. Et là, ça commence à être plutôt incitatif.

Surtout qu’il y a des autorisations de vente de logements qui étaient quand même soumises au préfet, pour vérifier les conditions dans lesquelles ça se fait. Parce que si on est dans un territoire, où on manque cruellement de logements sociaux, les vendre n’est pas la bonne stratégie. Maintenant, certaines ventes pourront avoir lieu sans l’autorisation préalable du préfet, et sur seule autorisation du maire.

Dans le contexte actuel où la crise de logement est vraiment à son comble, qu’est-ce que représente ce projet de loi ?

Noria Derdek : Ça représente un leurre. On dit qu’on veut produire du logement abordable. C’est plutôt une excellente intention. Mais on ne précise pas pour qui.

Si on voit pour qui, on voit que c’est essentiellement pour les classes moyennes supérieures, au détriment de la production de logements sociaux. En réduisant, au final, le logement abordable pour les plus modestes.

Les ménages précaires vont être relégués sur d’autres solutions, que ce soit des solutions d’hébergement ou de mal-logement

Dans les années à venir, les ménages précaires vont tout simplement trouver de moins en moins à se loger. Alors que c’est la vocation première du parc social de répondre à leur possibilité de logement. Ils vont être relégués sur d’autres solutions, que ce soit des solutions d’hébergement ou de mal-logement. Et ils vont être plus nombreux à vivre en suroccupation, en habitat indigne.

  mise en ligne le 20 mai 2024

Johann Soufi :
« C’est officiel,
Benjamin Netanyahou
est un criminel de guerre »

Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr

Spécialiste du droit international, l‘avocat Johann Soufi analyse, pour l‘Humanité, la démarche du procureur de la CPI, Karim Khan.


 

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) vient de demander à la Chambre préliminaire de délivrer des mandats d‘arrêt contre Benyamin Netanyahou, son ministre de la Défense ainsi que trois responsables du Hamas. Sa démarche vous a-t-elle surpris ?

Johann Soufi : On savait depuis plusieurs semaines, grâce à des fuites, que le procureur examinait la possibilité de tels mandats d‘arrêt. Mais on ignorait où il en était. En faisant cette annonce publiquement, Karim Khan neutralise les pressions qui, depuis le début, pèsent sur cette procédure. Cette annonce met fin à une pratique qui, jusqu’à présent, consistait à attendre que les mandats d‘arrêt soient émis pour communiquer.

Et sur le fond ?

Johann Soufi : On parle d‘extermination, de crimes contre l‘humanité, de persécutions, d‘actes inhumains. On accuse les dirigeants israéliens d‘affamer délibérément des civils. Les qualifications retenues sont extrêmement larges, on est à la limite du génocide.

Karim Khan a tenu à préciser que, pour forger sa décision, il avait procédé à une analyse globale et consulté les plus éminents juristes – parmi lesquels Amal Clooney ou Theodor Meron. La communauté internationale est donc avertie. Il reviendra aux juges de la Chambre préliminaire, à présent, d’examiner plus précisément sa requête.

Quelle est leur marge de manœuvre ?

Johann Soufi : Ces trois juges, qui se prononcent chacun en leur nom propre, ne refont pas l’enquête. Ils étudient la requête du procureur – probablement des centaines de pages – et vérifient si les preuves rapportées correspondent aux qualificatifs retenus. Cela peut prendre un ou deux mois, mais pas davantage. Le cas échéant, les magistrats peuvent écarter des accusations ou procéder à des requalifications.

En 2009, la Chambre préliminaire a ainsi accepté de délivrer un mandat d’arrêt pour « crimes conte l’humanité » et « crimes de guerre » à l’encontre du président du Soudan Omar el-Béchir, mais a refusé de le poursuivre pour « génocide », comme le souhaitait le procureur. Il y a donc une certaine marge de manœuvre mais, de mémoire, jamais une Chambre préliminaire n’a refusé de délivrer un mandat d’arrêt que lui réclamait le procureur.

Quelles seront les conséquences de ces mandats d’arrêt ?

Johann Soufi : Pour les intéressés, d’abord : même s’ils ne sont pas arrêtés immédiatement, même s’il ne faut pas espérer un procès avant longtemps, leur avenir politique est désormais bloqué. Regardez Vladimir Poutine : il a pu aller en Chine, certes, mais il ne s’est pas rendu à l’assemblée générale de l’ONU, il ne voyage pas en Europe, il n’a pas participé à la réunion des Brics à Johannesburg, il ne sera pas présent aux cérémonies du 6 juin en France. Trop risqué.

Car lorsqu’un mandat d’arrêt est délivré par la CPI, les États parties ne doivent pas se contenter d’être passifs, ils doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’il soit exécuté. Il y a une obligation d’agir. Cela passe par des pressions politiques, par des sanctions économiques. Le but, c’est que le criminel soit arrêté et jugé.

Une fois délivré, un mandat d’arrêt peut-il être levé ?

Johann Soufi : Non. Les faits ont été commis, ils doivent être jugés. Il y a cependant deux hypothèses dans lesquelles un mandat d’arrêt peut prendre fin. La première, c’est que la personne visée décède. La deuxième, c’est qu’elle puisse prouver qu’elle a fait l’objet, pour les faits qui lui sont reprochés, d’un procès juste, équitable et impartial.

Je doute que Benjamin Netanyahou soit jamais jugé, en Israël, pour les faits dont il est aujourd’hui accusé. Il faudra donc, comme les quatre autres responsables visés par la requête, qu’il soit un jour traduit devant la Cour pénale internationale.

Comment les États-Unis vont-ils réagir ?

Johann Soufi : Les États-Unis ne sont pas membres de la CPI, ils ne sont donc pas tenus de mettre à exécution les mandats qu’elle délivre. Mais ça devient très compliqué, pour Joe Biden, de figurer sur la même photo que Benjamin Netanyahou. Aux yeux de la communauté internationale, c’est officiel, il est un criminel de guerre.

Parallèlement à ces poursuites, qui visent des personnes physiques, l’État d’Israël est aussi mis en cause devant la Cour internationale de justice (CIJ). Ces deux procédures s’articulent-elles ?

Johann Soufi : Non. Ces instances et ces procédures sont totalement indépendantes les unes des autres. Mais réclamer l’arrestation de Benjamin Netanyahou n’est pas neutre. Cela ne peut que renforcer l’analyse, déjà faite par les juges de la CIJ, d’une volonté génocidaire d’Israël à l’égard du peuple palestinien.

Convention des partis d'extrême droite à Madrid : les alliés peu présentables du Rassemblement National

Renaud Dély sur www.francetvinfo.fr

À moins d'un mois des élections européennes, l'extrême-droite européenne s'est rassemblée dimanche à Madrid dans le cadre d'un meeting organisé par le parti nationaliste espagnol Vox. Sur place, Marine Le Pen, a appelé au rassemblement de l'ensemble des formations souverainistes afin de "réorienter" l'UE".

Marine Le Pen a participé, dimanche 19 mai, à Madrid à une convention de dirigeants d’extrême droite organisée par le parti espagnol Vox. Officiellement, elle voulait soigner sa stature internationale en s’affichant aux côtés de quelques dirigeants étrangers, comme le président argentin Javier Milei ou la présidente du conseil italien Giorgia Meloni qui s’est d’ailleurs contentée d’envoyer un message vidéo.  

Marine Le Pen a aussi profité de cette tribune pour s’attaquer au "duo Macron- Von der Leyen" qu’elle accuse de s’être mis au service du "séparatisme et de la submersion migratoires" en voulant "faire disparaître les frontières". Une charge qui ne l’empêche pourtant pas de ne plus vouloir sortir de l’espace Schengen, qui a instauré la libre circulation des personnes en Europe.

Deux groupes pour les formations d'extrême droite

Marine Le Pen a aussi plaidé pour l'union des partis nationalistes en Europe. Ce n'est pas gagné quand on observe les profondes divisions qui opposent les formations d’extrême droite. Au Parlement européen, elles sont divisées en deux groupes, celui des "Conservateurs et réformistes européens", dominé par Giorgia Meloni, plutôt libéral, résolument atlantiste et soutien de l’Ukraine, et l’autre, baptisé "Identité et démocratie", au sein duquel siègent les élus du RN, très étatiste, foncièrement pro-russe et séduits par Vladimir Poutine. C’est toujours une gageure de bâtir une alliance européenne de partis nationalistes qui sont, par définition, attachés à la défense de leur pré carré national. S’afficher avec ses alliés étrangers, c’est souvent assez risqué pour le RN.

 Certains de ces partis sont peu présentables et continuent de dire tout haut ce que Marine Le Pen s’interdit de susurrer tout bas au nom de la fameuse "dédiabolisation". Ainsi, le parti espagnol Vox s’applique-t-il à réhabiliter la mémoire et l’héritage du dictateur Franco. Les Allemands de l’AfD, absents dimanche à Madrid mais alliés du RN à Strasbourg, ont rencontré à l’automne des cadres néonazis pour envisager l’expulsion de plusieurs millions d’étrangers ou d’Allemands d’origine étrangère.

L’initiative avait froissé le RN. Sans oublier le président argentin, Javier Milei, qui s’attaque, comme il l’avait promis de façon drastique et brutale aux dépenses sociales de l’État. Marine Le Pen pourfend l’ultra-libéralisme à Paris mais applaudit son champion argentin de passage en Europe. "Avoir un bon copain, c’est ce qu’il y a de meilleur au monde", disait la chanson. Il y a en quand même certains que Marine Le Pen devrait éviter si elle veut faire croire que l’extrême droite a vraiment changé.

  mise en ligne le 19 mai 2024

Derrière la
« nouveauté » Glucksmann,
le vieux PS en embuscade

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Loin du renouveau de la social-démocratie écologique qu’ambitionne de porter l’essayiste de Place Publique, bon nombre de candidats éligibles sur la liste socialiste sont de purs apparatchiks. Parmi eux : un aficionado de CNews, une défenseuse de l’A69 ou une macrono-compatible.

Attention, un candidat peut en cacher d’autres. Déjà critiquée en interne pour son manque de représentativité sociale, la liste emmenée par Raphaël Glucksmann (Place Publique) aux européennes, officiellement publiée ce samedi par le ministère de l’intérieur, en dit long sur les contradictions idéologiques au sein du parti à la rose, qui tente d’afficher, depuis quelques années, une rupture claire avec les années Hollande.

Bon nombre de place éligibles (une quinzaine) ont ainsi été confiées à des profils bien loin de la promesse de renouvellement incarnée par l’eurodéputé sortant. La faute aux « affres de la démocratie », plaide-t-on chez les proches d’Olivier Faure, où l’on rappelle que la liste a été constituée selon les règles de l’art solférinien. Autrement dit, en fonction du résultat récolté par chaque texte d’orientation lors du dernier congrès de Marseille, où le premier secrétaire est arrivé dans un mouchoir de poche avec son opposant interne, Nicolas Mayer-Rossignol, dont la candidature coagulait trois pourfendeuses de l’alliance avec les Insoumis : la maire de Vaulx-en-Velin Hélène Geoffroy, la maire de Paris Anne Hidalgo et Carole Delga.

C’est ainsi grâce à son « poids » dans l’appareil que la présidente du conseil régional d’Occitanie a imposé, à la 12e place, Claire Fita, sa vice-présidente à la culture à la région. Fille d’un maire PS local, biberonnée à la « gauche cassoulet » en vigueur dans le Sud-Ouest, cette ancienne vallsiste défend avec le même acharnement que son mentor la construction de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse.

Un projet contesté par l’ensemble des écologistes mais aussi par… Olivier Faure (il s’en expliquait ici) et Raphaël Glucskmann qui, récemment interrogé sur ce point par Reporterre, a voulu rassurer ses futurs électeurs : « L’A69 n’est pas un projet européen. [...] De toute façon, lorsque des partis forment une alliance, ça ne signifie pas pour autant qu’ils partagent les mêmes positions sur l’ensemble des projets menés à l’échelle locale. Ces désaccords n’influencent en rien le programme que nous comptons porter au Parlement européen avec le Parti socialiste. »

Après une âpre bataille interne, Anne Hidalgo a quant à elle réussi à hisser son mari, Jean-Marc Germain, à la 7e place, lui assurant de fait une élection dans un fauteuil. Relativement discret, ce polytechnicien n’en est pas moins un pur apparatchik du PS, où il est entré il y a une trentaine d’années pour y réaliser une carrière à l’ombre de Martine Aubry, puis de sa propre épouse, qu’il a conseillée avec l’insuccès que l’on sait lors de sa désastreuse campagne présidentielle.

Ancien « frondeur » sous l’ère Hollande, lors de laquelle il a été le rapporteur du contesté accord national interprofessionnel (ANI) flexibilisant le marché du travail – « un bon accord de sécu-sécurité » (sic) dira-t-il à l’époque dans une formule à tout le moins sibylline –, il tentera d’ailleurs sa chance, en vain, pour intégrer le gouvernement de Manuel Valls.

François Kalfon, le « sniper » de CNews

Mais c’est sans conteste la candidature de François Kalfon, devenu en quelques semaines la tête de Turc des concurrents insoumis sur les réseaux sociaux, qui semble le plus dépareiller avec le « style » politique d’une Aurore Lalucq ou d’un Raphaël Glucksmann.

Résolument opposé à la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) – comment s’associer à un parti ayant dans ses rangs Taha Bouhafs ?, avait-il argué au moment de la conclusion de l’accord –, cet ex-chevènementiste a écumé, comme collaborateur, les cabinets ministériels et municipaux, passant par à peu près tout ce que la rue de Solférino comptait de chapelles.

Cofondateur du courant « Gauche populaire » avec, entre autres, le fondateur du Printemps républicain Laurent Bouvet, puis membre du premier cercle de Dominique Strauss-Kahn pour la présidentielle de 2012, François Kalfon, qui fut le conjoint de la communicante d’EuroRSCG Anne Hommel, réalisera par la suite un virage sur l’aile en se faisant nommer directeur de campagne d’Arnaud Montebourg en 2016. En 2018, il rejoint la motion « arc-en-ciel » de Luc Carvounas au congrès d’Aubervilliers après avoir soutenu Benoît Hamon à la présidentielle.

Accumulant les échecs électoraux, comme sa défaite aux municipales à Melun (Seine-et-Marne) en 2014, il ne parviendra jamais à être élu sur son nom, obtenant, par les bonnes grâces de Claude Bartolone, une place tout en haut de la liste aux régionales de 2015 en Île-de-France. Lors de la campagne du printemps 2021, il est pourtant sèchement rayé de la liste d’union de la gauche par Olivier Faure – qu’il exècre, et réciproquement –, qui lui préfère un... camarade du PRG (Parti radical de gauche).

À défaut de s’imposer par les urnes dans le jeu politique, l’ancien « monsieur opinion » du PS a su faire fructifier son capital médiatique. Celui qui a longtemps eu son rond de serviette sur CNews – il jure à Mediapart n’avoir « jamais touché un euro » pour ses prestations – est rapidement devenu le bon client « toutologue » sur les plateaux télé, devisant, jusqu’à très récemment, avec Eugénie Bastié ou Mathieu Bock-Cotté sur « l’écoterrorisme » ou la « récession sexuelle ».

Désormais prié par Raphaël Glucksmann de déserter les chaînes de l’empire Bolloré, il n’aime pourtant rien tant que sortir le Kärcher contre un Jean-Luc Mélenchon qualifié tantôt de « criminel », tantôt de « tyran d’extrême gauche », pourfendre les « dingos wokistes », déplorer la « police des mœurs » instaurée, selon lui, par le « néoféminisme », ou dézinguer l’écologie « dogmatique » et ses représentants – à l’instar de Greta Thunberg, qui lui fait dire « qu’on a loupé quelque chose dans notre éducation ».

Un CV qui fait s’interroger beaucoup de monde, même au PS : comment François Kalfon a-t-il réussi à se voir proposer sur un plateau d’argent un siège en or au Parlement européen ? En réalité, le meilleur ennemi du premier secrétaire n’en serait-il pas arrivé là sans Philippe Doucet, avec lequel il a mené la fronde contre Olivier Faure derrière la hollandaise Hélène Geoffroy. Condamné mi-décembre 2023 à deux ans d’inéligibilité pour une histoire de marchés truqués, l’ancien maire d’Argenteuil (Val-d’Oise) a bien été obligé de céder sa place, pour le plus grand bonheur de son acolyte.

Ce dernier n’a pourtant jamais caché qu’il ne portait pas spécialement Raphaël Glucksmann dans son cœur, estimant, comme d’autres éléphants du parti, que sa première candidature aux européennes 2019 incarnait « l’effacement » du PS. Mais depuis, le vent a tourné à mesure que grimpait la courbe des intentions de votes : « Raphaël Glucksmann a pris une densité très forte », jure aujourd’hui François Kalfon, qui estime que « si on est de gauche et un peu écolo, cette candidature “attrape-tout”, au bon sens du terme, [leur] permettra de battre Valérie Hayer ».

S’il est élu le 9 mai, François Kalfon retrouvera en tout cas sur les bancs du Parlement européen sa collègue de motion et protégée d’Hélène Geoffroy Murielle Laurent. Illustre inconnue, y compris au PS, la maire de Feyzin, commune de moins de 10 000 habitants de l’agglomération lyonnaise, a elle aussi été propulsée à la 6e place à la surprise générale.

Un choix d’autant plus déroutant que l’intéressée s’est, comme l’a révélé Mediacités, plusieurs fois rapprochée de La République en marche (LREM), préférant donner son parrainage à Emmanuel Macron plutôt qu’à Benoît Hamon en 2017, ou figurant sur la liste de David Kimelfeld, dissident macroniste, lors des élections métropolitaines à Lyon en 2020.

« Son flirt avec La République en marche lui vaut d’être déférée devant la commission des conflits du Parti socialiste », qui décidera de ne pas la suspendre, raconte Mediacités, auprès de qui l’édile s’est récemment justifié : « C’est Macron qui a changé de cap politique, pas moi. Je suis socialedémocrate. Je ne regrette pas d’être restée au PS. » On ne saurait mieux dire.

  mise en ligne le 19 mai 2024

Dans la France
des héritiers,
le travail paie
de moins en moins

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

C’est le revers (logique) de la médaille : pendant que les actionnaires et les rentiers s’enrichissent, les salariés ont de plus en plus de mal à récolter le fruit des richesses qu’ils produisent.

« L’utilisation des profits à des fins essentiellement de rentabilité financière est un puissant levier de modification de la répartition de la valeur ajoutée », notent les économistes.

Dans la France de 2024, les rentes rapportent de plus en plus et le travail de moins en moins. Le rapport parlementaire de Nicolas Sansu (PCF) et Jean-Paul Mattei (Modem), publié en septembre dernier, montrait déjà que le 1 % des héritiers les plus riches peut désormais, grâce à ses seules rentes, gagner plus d’argent au cours d’une vie que le 1 % des salariés le mieux rémunérés.

Si la divergence se vérifie au sommet de la pyramide, elle est évidemment tout aussi valable pour l’ensemble des travailleurs. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le salaire a très peu contribué à l’évolution du pouvoir d’achat en France entre 2019 et 2023, puisque l’inflation a rogné les fiches de paie. Les revenus du patrimoine ont à l’inverse connu une hausse notable, sous l’effet notamment de la remontée des taux d’intérêt qui a dopé les rendements du capital.

Distribuer des dividendes plutôt qu’augmenter des salaires

À plus long terme, divers travaux montrent une déformation du partage de la valeur ajoutée créée par les entreprises, au détriment des revenus du travail. Dans une note publiée en juin 2023, les Économistes atterrés s’intéressent à la répartition des profits en France(1). Trois grandes phases se dessinent :

  • De 1971 au début des années 1980 (c’est-à-dire, approximativement, de la fin des Trente Glorieuses à l’avènement du néolibéralisme), la part salariale au sein de la valeur ajoutée brute augmente de 4,5 points, pour atteindre 73,5 % en 1981.

  • Ensuite, du milieu des années 1980 (c’est-à-dire depuis le « tournant de la rigueur » entamé sous François Mitterrand) au début des années 2000, on observe une chute brutale de la part des salaires, qui retombe sous la barre des 64 % en 2001.

  • Enfin, cette part stagne jusqu’en 2021, pour atteindre 65,4 %.


 

Deux grands facteurs expliquent cette érosion.

  • D’une part, le ralentissement des gains de productivité, lié à la fois au basculement des économies vers les services, à une diminution de l’investissement productif ou à une dégradation des conditions de travail.

  • D’autre part, la baisse du pouvoir de négociation des travailleurs, dans un double contexte de flexibilisation du marché du travail et de financiarisation de l’économie.

« L’utilisation des profits à des fins essentiellement de rentabilité financière est un puissant levier de modification de la répartition de la valeur ajoutée, notent les économistes. En témoigne l’arbitrage fait de distribuer des dividendes aux actionnaires et de racheter ses propres actions par l’entreprise plutôt que d’augmenter les investissements nets et/ou la masse salariale. » Et le mouvement continue : près de 100 milliards d’euros ont été reversés aux actionnaires du CAC 40 l’an passé…

  1. T. Dallery, J.-M. Harribey, E. Jeffers, D. Lang et S. Treillet, « La répartition de la valeur ajoutée », 29 juin 2023. ↩︎

 

  mise en ligne le 17 mai 2024

Guerre à Gaza : les mobilisations en soutien à la Palestine s’étendent en Europe

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

Des mobilisations à Londres et à Berlin sont prévues pour commémorer la Nakba, le déplacement massif de Palestiniens en 1948 et pour demander la fin des ventes d’armes à Israël, contre la guerre à Gaza, samedi 18 mai. Depuis début mai, des mobilisations ont lieu partout chez nos voisins européens.

Des mobilisations à Londres et à Berlin sont prévues pour commémorer la Nakba, le déplacement massif de Palestiniens en 1948 ainsi que pour demander la fin des ventes d’armes à Israël dans le cadre de la guerre contre la guerre à Gaza, samedi 18 mai. Les mobilisations s’accumulent chez nos voisins européens. Retour sur quelques-unes d’entre elles, depuis début mai.

Des occupations d’universités dans de nombreux pays d’Europe

Au Royaume-Uni, plusieurs universités britanniques ont été occupées. La première université à se mobiliser a été celle de Warwick, dans le centre de l’Angleterre. Le mouvement a ensuite gagné les villes de Newcastle, Édimbourg, Manchester, Cambridge et Oxford. En Italie, des « comités contre la guerre » organisent des occupations et des cortèges dans différentes universités comme à Milan, Naples, Turin, Bologne, Padou. En Espagne, le mouvement de protestation en soutien au peuple palestinien continue de s’étendre dans différentes villes, vendredi 17 mai.

Des réponses répressives

À Athènes, vingt-huit personnes ont été arrêtées mardi 14 mai 2024. Elles occupaient l’Université de droit d’Athènes depuis la veille, en « solidarité avec la Palestine ». Parmi ces vingt-huit personnes arrêtées, neuf d’entre elles étaient des ressortissantes étrangères. Parmi elles, trois étaient françaises. Elles sont aujourd’hui menacées d’expulsion selon nos confrères de Libération. Les personnes sont accusées de « délits de trouble à l’ordre public, de dommages aux biens de tiers et de désobéissance ».

En Suisse, après sept jours de siège, la police a évacué la cinquantaine de manifestants installés dans l’Université de Genève, lundi 13 et mardi 14 mai. À l’Université d’Amsterdam, la police néerlandaise a annoncé avoir arrêté 125 personnes, mardi 7 mai, selon l’agence de presse turque Anadolu.

Plus de 37 personnes interpellées en Allemagne, lors d’un rassemblement à l’université Humboldt de Berlin le 3 mai. Des manifestants viennois ont quant à eux tenté d’occuper le campus de l’Université. Mais la police a immédiatement évacué le campement.

Des mobilisations victorieuses

Des étudiants avaient installé des dizaines de tentes pour protester contre l’offensive israélienne à Gaza, le vendredi 3 mai au Trinity College, à Dublin, en Irlande. Cinq jours plus tard, l’Université et les manifestants ont trouvé un accord : l’Université a accepté de rompre ses liens avec « les entreprises israéliennes qui ont des activités en territoire palestinien occupé et apparaissent sur la liste noire des Nations unies à cet égard ». En Norvège, cinq universités ont aussi décidé de suspendre toutes les collaborations en cours qu’elles avaient avec des universités israéliennes, rapporte Le Monde.

Un syndicat de journalistes mène une action pendant l’Eurovision

Un syndicat de la chaîne de télévision publique belge VRT a brièvement interrompu la demi-finale de l’Eurovision, jeudi 9 mai. Le message en néerlandais affiché était le suivant : « Ceci est une action syndicale. Nous condamnons les violations des droits de l’homme commises par l’État d’Israël. De plus, l’État d’Israël détruit la liberté de la presse.

C’est pourquoi nous interrompons brièvement l’image. #CeaseFireNow StopGenocideNow ». Le syndicat ACOD-VRT, à l’origine s’est exprimé sur son compte Facebook : « Ne rien faire, se contenter de regarder, n’est plus une option ».

  mise en ligne le 17 mai 2024

Nouvelle-Calédonie : le dramatique retour du refoulé colonial

Carine Fouteau sur www.mediapart.fr

Pour sauver le processus de décolonisation débuté il y a près de quarante ans, l’exécutif doit comprendre que la réforme du corps électoral sur laquelle il s’est fracassé est une question de survie pour les Kanaks, liée à leur minoration démographique, au cœur de la domination française depuis le XIXe siècle.

ManqueManque d’écoute et de considération, passage en force législatif, envoi du GIGN et du Raid, couvre-feu, état d’urgence… Alors que cinq personnes ont été tuées (trois Kanaks et deux gendarmes) et de nombreuses autres blessées dans les affrontements survenus à Nouméa et ses environs au cours des derniers jours, l’exécutif est aspiré par la spirale de violence qu’il n’a pas su désamorcer, voire qu’il a contribué à réveiller.

Les tirs à balles réelles, sur fond d’incendies, de barrages routiers et de pillages, font ressurgir le spectre de la guerre civile entre indépendantistes et loyalistes dont le point culminant a été atteint en mai 1988 avec la mort de dix-neuf Kanaks et de deux militaires lors de l’assaut de la grotte d’Ouvéa. Déjà, l’enjeu du corps électoral était au cœur de ce que l’on a hypocritement appelé les « événements ».

En raison de sa désinvolture et de son impréparation, tant l’histoire semble se répéter, l’exécutif fait prendre à la France le risque de réduire en cendres près de quarante ans d’un patient processus de décolonisation, qui avait permis jusque-là, dans un savant apprentissage des forces en présence, de maintenir la paix civile en Nouvelle-Calédonie et dont certains, y compris parmi les officiels, ont longtemps espéré qu’il symbolise la première décolonisation « réussie », c’est-à-dire sans violences, de notre pays.

Lors d'une manifestation contre l'élargissement du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, le 13 avril 2024. © Photo Nicolas Job / Sipa

Aujourd’hui, le fil des échanges et de l’équilibre sur lequel s’est construit le destin commun en Nouvelle-Calédonie semble cassé, malgré les appels au calme qui se font entendre de toutes parts, côté loyaliste et côté indépendantiste.

Emmanuel Macron en porte la responsabilité, au regard des fautes accumulées par l’exécutif. Plutôt que d’entendre les alertes des indépendantistes lancées depuis des mois sur les conséquences d’un élargissement du corps électoral susceptible de marginaliser les Kanak·es dans la répartition des sièges dans les provinces, l’exécutif a choisi de les mépriser. Plutôt que de persister dans la nécessité d’un dialogue, tout complexe soit-il, il a choisi de passer en force son projet à l’Assemblée nationale.

Plutôt que de saisir la gravité du moment en tirant les leçons des expériences passées, le président refuse de faire une pause sur le fond de la réforme contestée, recourt à l’état d’urgence – inscrit dans la loi en 1955 pour faire face aux « événements » d’une autre ex-colonie, l’Algérie – et envoie les troupes.

Des blessures ravivées

Après avoir alimenté le chaos, il promet une réponse « implacable » à l’embrasement des rues. Pour faire bonne figure face à la brutalité de sa stratégie, il « invite » désormais les délégations calédoniennes à venir discuter à Paris, tout en prévenant qu’il maintiendrait la réunion du congrès à Versailles « avant la fin juin » pour entériner la révision constitutionnelle si aucun accord n’était trouvé d’ici là. Des négociations avec un ultimatum… pas sûr que les intéressés apprécient.

Le ministre de l’intérieur le dit à sa manière, encore moins policée : « La République ne tremblera pas. Oui au dialogue comme l’a dit le premier ministre, autant qu’il faudra, où il le faudra, avec qui il faudra, mais jamais la République ne doit trembler devant les kalachnikovs », a affirmé Gérald Darmanin, après avoir salué la mémoire du gendarme décédé sans un mot pour les autres victimes.

Compte tenu de son implication dans le processus décolonial, l’État français devrait pourtant le savoir : on ne met pas fin impunément à un héritage de conquête, d’asservissement et de ressentiment sans rompre avec les méthodes brutales et expéditives qui ont façonné le passé.

Loin de l’apaisement escompté, le chef de l’État ravive douloureusement les blessures d’une histoire de domination jamais complètement refermée, malgré les accords de Matignon de 1988, consécutifs à la tragédie d’Ouvéa, puis de Nouméa de 1998, dont le préambule a, pour la première fois, officiellement reconnu le fait colonial de la République française.

Ces accords ont manifesté la volonté partagée de « tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité », comme l’État avait obtenu de l’inscrire dans le marbre. Il semble, au regard de la situation actuelle, que l’exécutif ait oublié de lire la page jusqu’au bout, avant de la tourner. Car même si le « non » aux référendums d’autodétermination l’a emporté trois fois, le processus de décolonisation, contrairement à ce qu’il aimerait croire, n’est pas achevé pour autant. Selon ce qui a été dit et écrit, un accord global sur l’avenir institutionnel de cet archipel du Pacifique, toujours considéré par l’ONU comme un territoire non autonome à décoloniser, doit encore être conclu.

On ne se débarrasse pas ainsi d’un substrat colonial qui imprègne encore le présent du pays, sans l’avoir regardé en face. Sur une terre où les habitant·es et les institutions ont su faire preuve d’intelligence collective et d’accommodements raisonnables, la gestion managériale et policière, sans passé ni futur, de ce dossier brûlant est vouée non seulement à l’échec, mais aussi au drame.  

« Le temps viendra où le désir de dominer, de dicter sa loi, de bâtir son empire, la fierté d’être le plus fort, l’orgueil de détenir la vérité, seront considérés comme un des signes les plus sûrs de la barbarie à l’œuvre dans l’histoire des humanités » : ces lignes des écrivains Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau (ici et ) devraient résonner aux oreilles d’Emmanuel Macron. Écrites en 2007, elles ne faisaient pas référence à la situation calédonienne, mais répondaient au sinistre « débat » sur l’« identité nationale », dont on mesure, rétrospectivement, à quel point il a réactivé de vieilles matrices racistes.

Les fautes du président

Comment en est-on arrivé à ce qui pourrait se transformer en point de non-retour ? Depuis l’Hexagone, Nouméa a paru s’embraser en un rien de temps, alors que les débats parlementaires touchaient à leur fin. Mais la colère couvait depuis bien plus longtemps. La faute originelle du chef de l’État remonte à 2021 quand l’exécutif a exigé le maintien du troisième référendum sur l’indépendance, pourtant boycotté par les indépendantistes. En dépossédant les premiers concernés de l’expression de leur voix, le scrutin perdait de facto toute légitimité.

La confiance perdue, les relations avec les principales composantes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) se sont considérablement tendues, jusqu’à entraver la reprise des discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

En 2022, les indépendantistes ont perçu comme un manque évident d’impartialité de l’État la nomination au gouvernement de Sonia Backès, fer de lance de la droite loyaliste. Ces derniers temps, leur courroux a fini par se fixer sur la personne de Gérald Darmanin, qui a repris le dossier en main, en rupture avec la tradition de le confier à Matignon, et dont les manœuvres politiciennes cadrent mal avec la recherche du consensus et le crédit à la parole donnée au centre de la culture politique en Nouvelle-Calédonie.

L’étincelle finale est ainsi venue du projet de réforme porté par le ministre de l’intérieur. Depuis la révision constitutionnelle de 2007, découlant de l’accord de Nouméa, seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant la date de l’accord pouvaient voter aux élections provinciales – une dérogation à la loi française visant à atténuer le poids des nouveaux venus et à permettre aux Kanak·es de continuer d’influer sur le cours des décisions les concernant.

Au mépris de cet engagement, Gérald Darmanin, désireux de tourner la fameuse page de l’Histoire, a jugé que ce principe n’était « plus conforme aux principes de la démocratie ». Après avoir boycotté le troisième référendum en raison du non-respect de la période de deuil kanak post-Covid, les indépendantistes ont instantanément vu le dégel du corps électoral comme une mise en minorité supplémentaire, les Kanak·es ne représentant plus que 41 % de la population selon le dernier recensement.

Une question de survie

La question est existentielle pour eux : faute de majorité démographique, leur destin politique leur échappe, eux qui soutiennent ultra-majoritairement le chemin de l’indépendance, face aux héritiers des colons blancs, et aux Calédonien·nes d’origine européenne en général, faisant le choix inverse. Et ils ont de quoi se méfier des intentions de l’État tant la France, dès qu’elle s’est installée en Océanie, en a fait un enjeu stratégique au service de sa politique de colonisation et de remplacement.

Dès la prise de possession de l’île en 1853 sur ordre de Napoléon III, les spoliations foncières, les déplacements et le travail forcé de la population autochtone ont eu pour effet de la réduire numériquement. Au recensement de 1921, il ne restait plus que 27 100 Kanak·es, soit environ 80 % de moins qu’en 1774.

Dans les années 1950, après la fin de l’indigénat en 1946, alors que les mouvements de décolonisation s’intensifiaient partout dans le monde, la France, à contre-courant, a amplifié sa stratégie de peuplement en Nouvelle-Calédonie. Après avoir déporté des bagnards, des communards et des Algériens dans la deuxième moitié du XIXe siècle, elle a, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, considéré l’immigration comme une nécessité pour maintenir sa présence dans cette partie du globe. Puis, au cours des années 1970, avec le boom du nickel, cette vague de « migrants économiques », principalement venus des îles Wallis et Futuna, a fait basculer le peuple kanak dans la minorité numérique.

La circulaire du premier ministre Pierre Messmer du 19 juillet 1972 est des plus explicite : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones, appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer devrait permettre d’éviter ce danger, en maintenant ou en améliorant le rapport numérique des communautés. À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. » Voilà, tout est dit.

Dans le même temps, les revendications kanakes deviennent si fortes que l’État ne peut plus les ignorer. Les indépendantistes estiment qu’outre les Kanak·es, celles et ceux qu’ils appellent les « victimes de l’Histoire », c’est-à-dire les personnes forcées par l’administration coloniale de venir s’installer dans l’archipel, devraient être autorisé·es à s’exprimer sur l’avenir du pays. Les bases d’une négociation en vue de l’autodétermination sont jetées en 1983 lors d’une table ronde organisée à Nainville-les-Roches, en Essonne. Dès lors, la question du corps électoral est posée. Elle ne cessera de l’être, notamment en 1988, mais aussi lors du premier référendum d’autodétermination en 2018… jusqu’à aujourd’hui.

  mise en ligne le 15 mai 20244

Montpellier : la présidence de Paul Valéry épinglée lors d’un nouveau rassemblement pour la Palestine

sur https://lepoing.net/

Un nouveau rassemblement pour la Palestine a eu lieu à l’université Paul Valéry ce mardi 14 mai, alors qu’une délégation était reçue pour discuter de la résiliation d’accords avec des universités israéliennes.

Plus d’une cinquantaine de personnes se sont à nouveau rassemblé.es sur le campus de l’université Paul Valéry ce mardi 14 mai, à l’appel du Comité universitaire de soutien à la Palestine.

Après plusieurs rassemblements pour la résiliation d’accords institutionnels entre Paul Valéry et certaines universités israéliennes jugées complices du génocide en cours, les membres du comité, étudiant.es et professeurs des fac de lettres et de science, devaient être reçus ce 14 mai par la présidence de Paul Valéry.

Les manifestant.es se sont vite abrité.es d’une pluie battante sous le parvis des amphis ABC, où des prises de parole ont eu lieu. « Il est important pour nous d’imposer le boycott des universités israéliennes, qui participent en toute violation du droit international à la colonisation puisque certaines sont implantées en territoire occupé. », a introduit un étudiant du collectif.

Marc Lenormand, professeur de Paul Valéry syndiqué à Sud Éducation, a ensuite pris le relais au micro : « La semaine dernière la présidence de Paul Valéry s’est exprimée publiquement pour la toute première fois sur les mobilisations en cours pour la Palestine, malgré une motion déposée plus tôt dans l’année par le SNES-UP, via un mail. Est-ce que la présidence s’est émue de la situation actuellement catastrophique dans la bande de Gaza ? Non. Est-ce que la présidence s’est émue du rôle que jouent les universités israéliennes dans la politique menée en Palestine ? Non. La présidence s’est exprimée pour condamner la mobilisation, en accusant de manière fallacieuse le comité universitaire pour la Palestine de violences. Les messages pourtant très policés envoyés à la présidence se voient transformer en menaces. Et nos revendications concernant la résiliation des accords avec les universités israéliennes ont déjà été écartées, avant même le rendez-vous prévu aujourd’hui. Au nom des libertés académiques. Alors il faut revenir sur cette notion de libertés académiques. Dans le droit français, la liberté académique, c’est le droit pour un chercheur de mener ses recherches et ses enseignements en toute liberté. Il n’y a donc aucune contradiction entre les libertés académiques et le boycott, puisque ce sont les institutions qui sont ciblées, pas les individus. Il n’y a pas besoin de partenariat entre deux institutions pour que des chercheurs travaillent ensemble. Les accords entre institutions universitaires sont un élément de politique publique et internationale. Et c’est à ce titre que nous appuyons le boycott des institutions universitaires israéliennes, comme le demandent nos homologues palestinien.nes. Comme pour l’apartheid sud-africain c’est une manière très efficace de faire pression sur la société civile pour la désolidariser du régime. »

Une délégation de quatre personnes a ensuite été reçue par la présidence de l’université, tandis que le rassemblement se déplaçait en soutien devant l’entrée du bâtiment administratif.

Comme annoncé, la présidence a refusé de prendre en compte les revendications de boycott portées par les délégué.es du comité universitaire de soutien à la Palestine. En annonçant toutefois réfléchir à un partenariat avec l’université palestinienne de Beir Zeit.

La mobilisation universitaire va donc se poursuivre. Un nouveau rassemblement est déjà programmé ce jeudi 16 mai à 13h à Paul Valéry.

Après une occupation de 24h de la place de la Comédie et une manif dynamique le week-end dernier, une nouvelle marche est appelée par l’ensemble des organisations mobilisées sur la ville pour la Palestine, ce samedi 18 mai à 15h place de la Comédie.

Le lendemain, dimanche 19 mai, c’est le local associatif Les Bouz’arts qui accueillera au 3 avenue Saint-Lazare la journée « Art & Culture against apartheid ». Au programme, des expositions d’œuvre, un atelier débat dès 15h, des lectures de poèmes palestiniens à partir de 16h30, un concert pour 17h30 et le DJSet FourByFour & Kbira pour 20h.

  mise en ligne le 15 mai 2024

Emmanuel Macron et sa majorité ont remis le feu à la Nouvelle-Calédonie

Ellen Salvi sur www.mediapart.fr

En trois ans, l’exécutif a bouleversé l’équilibre fragile qui régnait dans l’archipel depuis des décennies. Des violences y ont éclaté en marge de l’examen d’une révision constitutionnelle à laquelle les indépendantistes s’opposent. Le chef de l’État entend désormais sauver une situation qu’il a lui-même rendue désespérée.

UnUn débat désolant, loin, très loin du compromis qui a permis en 1988 aux habitant·es de la Nouvelle-Calédonie de « tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix ». Ces mots, extraits de l’accord de Nouméa signé dix ans plus tard, ont difficilement résonné lundi soir, dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, où les député·es commençaient l’examen du projet de réforme constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral pour les élections provinciales, qui doivent se tenir avant le 15 décembre.

Ce scrutin est réservé depuis plusieurs années aux personnes disposant de la citoyenneté calédonienne selon certaines conditions. Une décision prise à l’époque dans le cadre du processus de décolonisation afin d’atténuer le poids du peuplement récent et de permettre aux Kanaks de peser dans les décisions politiques. Mais qui « n’est plus conforme aux principes de la démocratie », selon Gérald Darmanin, qui est allé jusqu’à évoquer une « obligation morale pour ceux qui croient en la démocratie ».

À l’Assemblée, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a martelé le caractère urgent de cette réforme, censée entrer en vigueur le 1er juillet. En jouant les hommes pressés malgré l’opposition des indépendantistes, il poursuit la méthode mise en œuvre par Emmanuel Macron dès son premier quinquennat : imposer ses choix au mépris de l’intelligence collective, de l’inventivité institutionnelle et du dialogue constant qui ont permis à l’archipel de maintenir la paix civile depuis près de quarante ans.

Bouleverser un équilibre précaire n’est pas sans conséquences. En Nouvelle-Calédonie, elles peuvent être particulièrement violentes, comme en témoignent les scènes décrites depuis deux jours dans l’agglomération de Nouméa, où un couvre-feu a été établi pour la nuit de mardi à mercredi. Magasins pillés, maisons et véhicules incendiés, « milices de quartier », tirs tendus avec des armes de gros calibre... Et intervention des gendarmes du GIGN. « Je suis très inquiet », a témoigné lundi soir le député Renaissance Philippe Dunoyer, originaire de l’archipel.

Parlant d’un « pays qui est en train de replonger quarante ans en arrière dans les pires heures de son histoire », l’élu a appelé la représentation nationale à la prudence. Or c’est précisément ce qui a manqué à l’exécutif depuis décembre 2021, date à laquelle le président de la République avait exigé le maintien du troisième référendum, pourtant boycotté par les indépendantistes. À l’époque, le processus de décolonisation, dentelle patiemment tissée depuis 1988, s’était ainsi conclu en l’absence du peuple colonisé. Une aberration politique et un calcul dangereux.

De nombreux manquements à l’impartialité

Depuis le fiasco de la dernière consultation prévue par l’accord de Nouméa, les relations entre l’État et les principales composantes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) n’ont cessé de se dégrader, empêchant la reprise des discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. En 2022, la nomination au gouvernement de Sonia Backès, figure de proue de la droite de l’archipel et présidente de la province Sud, a été perçue par les indépendantistes comme un énième coup de boutoir contre le principe d’impartialité de l’État. Une nouvelle humiliation.

La colère des indépendantistes a fini par se cristalliser sur Gérald Darmanin, dont les manœuvres politiciennes sont en décalage complet avec la façon dont la politique se noue en Nouvelle-Calédonie, où l’on apprécie la nuance, la palabre et le temps long. Ses différentes interventions à l’Assemblée, au cours de l’examen de la révision constitutionnelle, l’ont d’ailleurs encore prouvé. Plutôt que de prendre la mesure du moment et d’adapter son propos à sa gravité, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a profité de l’occasion pour attaquer ses adversaires politiques, à commencer par La France insoumise (LFI).

« Rien ne prédispose La France insoumise à menacer des familles et des enfants, partout dans le territoire national, y compris en Nouvelle-Calédonie ! », a-t-il notamment lancé dans son propos liminaire. Lundi soir, pendant plusieurs heures, il a ainsi ferraillé avec les bancs de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), dont toutes les composantes sont farouchement opposées au projet gouvernemental. Comme il l’aurait fait sur n’importe quel texte, il a utilisé toutes les ficelles de la joute verbale, jonglant avec les petites phrases, les invectives et la mauvaise foi.

Au nom de quoi on peut ici, à Paris, décider à marche forcée au nom du peuple kanak ? Jean-Victor Castor, député GDR de Guyane

Une façon de procéder qui a logiquement électrisé l’hémicycle. Cris, rappels au règlement, accusations d’obstruction et de menaces... Le spectacle observé dès l’ouverture des débats ne faisait franchement pas honneur, comme l’ont souligné plusieurs de ses participant·es, à un sujet qui aurait pourtant mérité de la tenue, tant il brasse – derrière des dispositions d’apparence technique – nombre de principes fondamentaux. Car toucher au corps électoral en Nouvelle-Calédonie, c’est aussi repenser la question même de la citoyenneté dans l’archipel.

Cette réforme aura en effet « une influence sur l’identité commune », pour reprendre les mots du député socialiste Arthur Delaporte, qui a défendu – en vain – une motion de rejet. Or c’est justement sur ce principe de « destin commun » que s’est construit le processus de décolonisation depuis les événements de 1984-1988. C’est grâce à celui-ci que la paix civile a été maintenue pendant plus de trente ans. Et c’est parce qu’il est aujourd’hui brutalement remis en cause qu’elle est de nouveau menacée.

De la même façon que le troisième référendum s’est tenu sans les principaux concernés en décembre 2021, les discussions autour du dégel du corps électoral se font aujourd’hui en leur absence. « Les Kanaks ne sont pas représentés dans cette Assemblée, a souligné le député Gauche démocrate et républicaine (GDR) de Guyane Jean-Victor Castor, lundi soir. Et on leur dit au nom de notre démocratie occidentale : vous devez accepter d’être minoritaires. [...] Au nom de quoi on peut ici, à Paris, décider à marche forcée au nom du peuple kanak ? »

Oblitérer le processus de décolonisation

Rarement les différences auront autant été exacerbées dans l’hémicycle. Entre les élu·es ultramarin·es et les autres. Entre les connaisseurs du dossier et ceux qui le découvrent. Entre les parlementaires qui considèrent que la décolonisation est « un concept » appartenant au passé – comme le député Renaissance Nicolas Metzdorf, rapporteur du texte et Calédonien connu pour ses positions anti-indépendantistes – et ceux qui rappellent que l’archipel est toujours inscrit par l’ONU sur la liste des territoires non autonomes et à décoloniser.

Usant des mêmes arguments que le Rassemblement national (RN) – qui dédaigne tellement le sujet que son représentant a préféré parler de Marine Le Pen et de la présidentielle de 2027 –, Gérald Darmanin a plusieurs fois convoqué des parallèles douteux. Il a notamment pointé la « contradiction » de celles et ceux qui défendent le droit de vote des étrangers sur le sol national, mais refusent que les natifs d’un territoire ou ceux qui y vivent depuis longtemps puissent participer à sa vie électorale.

Convoquant à l’excès la notion d’universalisme, le ministre et le rapporteur ont ainsi traversé les débats comme si la colonisation était un spectre lointain, une considération de livre d’histoire qui n’avait plus grand-chose à faire dans la discussion. « Non, la décolonisation ne s’est pas achevée avec les trois référendums, a rectifié le socialiste Jérôme Guedj. Je suis un universaliste républicain, mais je sais qu’en Nouvelle-Calédonie, nous avons emprunté un chemin différent en reconnaissant des communautés, un peuple kanak, de la discrimination positive... »

Récemment, trois anciens premiers ministres – Édouard Philippe, Manuel Valls et Jean-Marc Ayrault – ont plaidé pour un changement de méthode de l’exécutif.

La plupart de celles et ceux qui maîtrisent le dossier l’ont répété dans l’hémicycle et ailleurs : la Nouvelle-Calédonie a besoin de temps. Rien ne peut s’y faire à marche forcée, selon la méthode trop souvent éprouvée par Emmanuel Macron en métropole. Le court-termisme, si cher à ce pouvoir, n’y a pas sa place. Et les coups de menton de Gérald Darmanin n’impressionnent personne. « Vous jouez avec le feu déjà bien vif », a alerté l’élu Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) de Guadeloupe Olivier Serva, regrettant que l’exécutif ait « opté pour le jusqu’au-boutisme ».

Les alertes étaient pourtant nombreuses. Récemment, trois anciens premiers ministres ayant traité le dossier calédonien – celui-ci était traditionnellement porté par Matignon avant que Jean Castex et ses successeurs ne s’en désintéressent – ont plaidé pour un changement de méthode de l’exécutif. Auditionnés par l’Assemblée dans le cadre du projet de loi, Édouard Philippe, Manuel Valls et Jean-Marc Ayrault ont tous trois demandé que Gabriel Attal reprenne la main sur le sujet – pour l’heure, celui-ci s’est contenté de condamner les violences.

Comme les indépendantistes et l’ensemble des composantes de la Nupes, Jean-Marc Ayrault a également estimé qu’une « mission de dialogue » serait sans doute nécessaire « pour trouver une porte de sortie ». « Il faut trouver de nouveaux interlocuteurs, peut-être une mission dépêchée par le gouvernement français ou des profils tels que celui d’Édouard Philippe », avait aussi affirmé Roch Wamytan, président indépendantiste du Congrès de Nouvelle-Calédonie, fin mars, après la venue du maire du Havre (Seine-Maritime) dans l’archipel.

Moins de caricatures sur place

De passage à Paris il y a quelques semaines, le maire de Houaïlou Pascal Sawa, premier secrétaire général adjoint de l’Union calédonienne (UC) et membre du bureau du FLNKS, confiait à Mediapart la nécessité impérieuse de « remettre du lien et de la confiance » entre les différents partenaires. « On est d’accord pour ouvrir le corps électoral, mais il faudrait analyser les choses de façon plus fine pour éviter le déséquilibre, insistait-il. Contrairement à ce qui est dit, nous sommes conscients des enjeux. Nous considérons simplement qu’ils doivent s’inscrire dans un accord global. »

Même le choix de Nicolas Metzdorf comme rapporteur du texte pose question. Pour l’ex-rapporteur du statut de la Nouvelle-Calédonie René Dosière, le rapport signé par le député Renaissance « fait honte à l’Assemblée nationale et ne peut que renforcer la colère des Kanaks et de tous les artisans de paix ». C’est « un brûlot anti-indépendantiste qui réécrit à sa manière l’histoire politique récente », affirme-t-il sur son blog. Lundi soir, à l’Assemblée, Nicolas Metzdorf s’offusquait d’ailleurs au moindre rappel historique, faisant mine de penser que ses adversaires « hiérarchisent les populations ».

L’élu a aussi attaqué les bancs de la gauche, accusant les élu·es de la Nupes de « soutenir les indépendantistes les plus radicaux » au détriment des forces de l’ordre – un refrain également entonné par le ministre de l’intérieur, comme si quelqu’un pouvait se réjouir que les armes soient de nouveau sorties dans l’archipel. Sur place, la situation n’est évidemment pas aussi binaire que voudraient le faire croire ceux qui pensent que les responsabilités ne pèsent jamais sur leurs épaules. Les appels au calme se sont d’ailleurs multipliés, lancé notamment par le président indépendantiste du gouvernement calédonien Louis Mapou.

Le contexte reste explosif et les perspectives peu réjouissantes. Ne rechignant jamais à passer pour le sauveur des situations qu’il détériore lui-même, Emmanuel Macron a annoncé le week-end dernier qu’il ne convoquerait pas le Congrès de Versailles « dans la foulée » de l’adoption du projet de loi constitutionnelle. Et ce, a argué son entourage, pour laisser une dernière chance au dialogue entre les différents partenaires du dossier calédonien. Un espoir auquel s’accrochent ses soutiens, mais une bien mauvaise nouvelle pour celles et ceux qui savent qui est le véritable responsable de cet immense gâchis.

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