ublié le 30 avril 2022
Sur https://solidaires.org/
Les élections présidentielles ont confirmé l’exaspération d’une grande partie des salarié·es et de la population devant les mesures anti-sociales prises par le gouvernement Macron, pour le plus grand bénéfice d’une minorité de riches et de grandes entreprises. Les politiques liberticides des gouvernements successifs enferment la société dans une spirale sécuritaire. Elles sont un tremplin pour l’extrême-droite.
Les élections ont aussi à nouveau été l’occasion pour l’extrême-droite d’instrumentaliser la peur du déclassement social, de la précarité et de la pauvreté, au point qu’une partie de la population a été séduite par ses fausses mesures sociales. Comme à son habitude, l’extrême-droite a tenu un discours de rejet et de haine des étranger.es et des immigré-es.
Emmanuel Macron et ses ami-es de tout bord entendent amplifier l’action entamée au précédent quinquennat : austérité pour les salarié-es et attaque contre la protection sociale avec l’annonce d’une nouvelle contre-réforme des retraites. C’est cette politique qui a constitué, pour une large part, le terreau sur lequel l’extrême droite ne cesse de se développer en entretenant un climat raciste et haineux.
Si Emmanuel Macron a été élu, c’est en grande partie pour éliminer la menace, pire encore. L’Union syndicale Solidaires a toujours combattu, et combattra les mesures qui, plutôt que de s’en prendre aux actionnaires, au patronat, opposent les travailleurs et travailleuses entre elleux, les pressurisent et pointent les immigré·es comme responsables de tous les maux. Notre Union rejette et combat le fascisme, la xénophobie, le racisme, l’impérialisme et la haine de l’autre.
Contre l’extrême-droite et l’ultralibéralisme, nous devons renforcer les luttes sociales et mettre plus que jamais en avant la solidarité et la paix entre les peuples. Seules les luttes à venir, des mobilisations massives pourront mettre le rapport de force du côté des intérêts des travailleur-euses, et de tous et toutes, et nous permettre de riposter aux attaques qui s’annoncent. Dans ce contexte, ce 1er mai revêt une importance toute particulière : il doit donc montrer que le mouvement social est présent et dans la rue !
Pour l’Union syndicale Solidaires, il est plus que jamais nécessaire de mener le combat pour les droits sociaux, les libertés publiques et l’égalité réelle. C’est l’ensemble de nos luttes, si essentielles, comme celles pour le climat, l’égalité femmes hommes, les droits des personnes discriminées, stigmatisées, handicapées, qui sont aussi en jeu à travers ce premier mai. Solidaires appelle l’ensemble des salarié·es, des privé·es d’emploi, des retraité·es, étudiant·es à la vigilance, à la mobilisation et à l’action.
publié le 30 avril 2022
« S’unir
pour réussir et gagner ! »
sur http://www.communcommune.com
Appel des maires pour un pacte législatif et de gouvernement populaire, social et écologiste
En empêchant une nouvelle fois l’extrême droite d’accéder au pouvoir, nous avons échappé au pire, mais nous n’avons pas hérité du meilleur, tant s’en faut.
Nous, maires des communes de France avec des majorités qui rassemblent sans les nier toutes les composantes de la gauche, nous savons que si le parti du président Macron obtient une majorité à l’Assemblée, il disposera des pleins pouvoirs pour réduire les services publics qui sont la richesse de ceux qui n’en ont pas, mettre à mal les fragiles équilibres écologiques, déstructurer les territoires, les villes et nos villages, accroître les inégalités qui fracturent notre pays, etc.
Avec le soutien de nos concitoyens épris de changement et de progrès, nous pouvons empêcher ce scenario et réparer l’élection présidentielle en portant une nouvelle majorité populaire, sociale et écologiste à l’Assemblée nationale à l’occasion des élections législatives de juin.
Majoritaires, nous pourrons imposer une équipe gouvernementale et un Premier ministre issus des rangs d’une majorité progressiste et humaniste. C’est un acte d’une grande portée qui ne peut se réduire à remplacer Jean Castex par un autre nom. L’objectif ne peut pas être de gérer en bon père de famille les intérêts que représente Emmanuel Macron. Il s’agit d’empêcher sa politique de prendre corps et, dans ce même mouvement, de faire reculer l’extrême droite qui risque d’avoir des dizaines de députés à l’Assemblée. Nous pensons que ce but peut être atteint. Pour y parvenir, il nous faut prendre appui sur la diversité des forces populaires, sociales et écologistes.
Rassemblés, nous pouvons associer à ce nouvel élan progressiste et humaniste les 11 millions de concitoyens qui ont voté à gauche. Nous pouvons redonner espoir aux 13 millions d’abstentionnistes. Nous pouvons transformer les votes de colère en votes pour le progrès.
Nous devons être ambitieux, avoir pour objectif de multiplier par deux le score cumulé de la gauche lors de la présidentielle. C’est possible. Cela passe par la coalition des meilleures propositions de chacune des composantes de la gauche. Cela passe par le respect des sensibilités profondes de toutes les électrices et de tous les électeurs.
Un pacte de législature et de gouvernement scellant une telle volonté et soutenu par les citoyens peut concrétiser cette belle ambition mise au service du peuple et de la nation.
Elus des villes et des campagnes, nous disons : il faut dire la vérité aux citoyens, c’est la base de la confiance. Expliquer les enjeux véritables de cette élection législative qu’on peut assimiler à un troisième tour si, rassemblée, la gauche populaire, sociale et écologiste est capable d’afficher une volonté commune de changer profondément une situation qui compromet l’avenir individuel et collectif de nos compatriotes.
Rassemblons-nous pour ces élections législatives, partout dans le pays, pour avoir à l’Assemblée nationale une majorité de gauche forte de députés ancrés dans les territoires et dans la vie quotidienne.
Rassemblons-nous, voyons la France en grand. Portons un pacte législatif et de gouvernement progressiste au sein duquel le meilleur de chaque composante de la gauche populaire, écologiste et sociale trouvera son expression dans l’intérêt de la nation.
S’unir pour gagner, c’est nécessaire, c’est possible, c’est urgent ! ».
liste des premiers maires signataires :
ABATE Patrick, Talange (57)
AGERT Marcel, maire d’Aucazein (09)
ALBIN Noël, maire de Touët-de-l’Escarene (06)
ASENSI François, maire de Tremblay-en-France (93)
ANDRÉ Sylvain, maire de Cendras (30)*
BARRIER Jean-François, maire de Velzic (15)
BARROS Pierre, maire de Fosses (95)
BELL-LLOCH Pierre, maire de Vitry-sur-Seine (94)
BESSAC Patrice, maire de Montreuil (93)
BEURIOT Valéry, maire de Brionne (27)
BLANCHET Michel, maire de Lanquais (24)
BLANDIOT-FARIDE Charlotte, maire de Mitry-Mory (77)
BONNARGENT Alexis, maire de Vidouze (65)
BONNERY Alain, maire de Nebias (11)*
BOUYSSOU Philippe, maire d’Ivry-sur-Seine (94)
BROSSAT Ian, président de l’ANECR
BRUNEAU Alban, maire de Gonfreville-l’Orcher (76)
CARVOUNAS Luc, maire d’Alfortville (94)
CERCEL Agnès, maire de Tourville-la-Rivière (76)
CHAMBON Denis, maire de Saint-Alban-du-Rhône (38)
CHARBONNIER Jacky, maire d’Orbigny (37)
CLAPIER Alain, maire de Vachères (04)
CLÉMENT Bernard, maire de Domessargues (30)*
COLBIAC Francis, maire de Trélissac (24)
de CORMAMOND Hélène, maire de Cachan (94)
CORZANI Olivier, maire de Fleury-Mérogis (91)
DAUMIN Stéphanie, maire de Chevilly-Larue (94)
DAVIAU Patrice, maire de Marcé (49)
DEYMIÉ Christine, maire de Valence-d’Albigeois (81)
DUPUIS Denis, maire de Breuil-le-Sec (60)
ESTIENNE Claude, maire de Le Chaffaut-Saint-Jurson (04)
FAVERJON Christophe, maire d’Unieux (42)
FORESTIER Denis, maire de Surgy (58)
GARZON Pierre, maire de Villejuif (94)
HAUTIN Maryvonne, maire de Saran (45)
JACOB Claude, maire d’Erondelle (80)
JURCZAK Serge, maire de Sérémange-Erzange (57)
LASSALLE Yvon, maire de Paihes (09)
LENEVEU Gérard, maire de Giberville (14)
MALAVIELLE Patrick, maire de La Grand-Combe (30)*
MARION Joël, maire de Compans (77)
MICHALAK Denis, maire de Lewarde (59)
MUZETTE Thierry, maire de Sainte-Anne-Saint-Priest (87)
NEDJAR Djamel, maire de Limay ( 78)
OZTORUN Denis, maire de Bonneuil-sur-Marne (94)
PALLAS Jacques, maire de Saint-Georges-sur-Arnon (44)
PARNIÈRE Jean-Claude, maire de Soumans (23)
PAUL Gérard, maire de Les Mées (04)
PETIT Arnaud, maire de Woincourt (80)
PRAT Claude, maire de Gilenat (15)
QUEIROS David, maire de Saint-Martin-d’Hères (38)
RANNOU Jacques, maire-délégué de Kernével, Commune nouvelle de Resporden (29)
RÉNAUX Jean-Claude, maire de Carnon (80)
RIO Philippe, maire de Grigny (91)
RODRIGUEZ Jean-Claude, maire de Brissac (34)*
RODRIGUEZ Raymond, maire de Gauriac (33)
SADI Abdel, maire de Bobigny (93)
SARRABEYROUSE Olivier, maire de Noisy-le-Sec (93)
TALLET Maud, maire de Champs-sur-Marne (77)
THEROND Flore, maire de Florac-Trois-Rivières (48)*
THIRIOT Christian, maire de Beauvoisin (26)
TORJMAN Patricia, maire de Gentilly (94)
TUJAGUE Francis, maire de Contes (06)
En caractères gras les premiers signataires de cet Appel, maires de communes situées en Languedoc-Roussillon.
Rosa Moussaoui et Stéphane Guérard sur www.humanite.fr
Entretien Après un premier quinquennat macronien d’une violence sans nom à l’égard des travailleurs, Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, appelle à donner, dès le 1er Mai, le ton d’une riposte d’ampleur propre à faire plier l’hôte de l’Élysée sur les retraites, sur les salaires, sur toutes les exigences sociales et environnementales.
Emmanuel Macron a fait campagne en rejetant le principe du front républicain, pour mieux se prévaloir des suffrages qui se sont portés sur lui pour barrer la route au RN. Il a défendu un programme de démolition sociale. Comment affronter ce projet, dans ces conditions ?
Philippe Martinez : Il avait adopté la même attitude en 2017. Il a fait campagne, au premier tour, en éludant son bilan, tout comme les mobilisations sociales qui ont rythmé son premier quinquennat. Et au second tour, il a voulu se prévaloir d’un vote d’adhésion à son programme. La meilleure réponse à lui apporter se trouve dans la rue, en intensifiant les mobilisations sur les questions sociales qui se sont imposées malgré tout dans cette campagne présidentielle. Ce 1er Mai, nous avons une occasion en or, une semaine après le second tour, de porter plus haut et plus fort des exigences sociales et environnementales aux antipodes de son programme. Il n’y a pas eu de trêve sociale pendant cette campagne, il n’y aura pas d’état de grâce. Emmanuel Macron a les pieds décollés du sol, mais il va redescendre : d’autres avant lui étaient droits dans leurs bottes et puis ils ont plié parce qu’il y avait du monde dans la rue. Le rapport de forces, ça reste une valeur sûre.
L’une de ses mesures phares : la retraite à 65 ans. Cette promesse de régression a soulevé un tollé… Devant cette ligne dure, comment le faire reculer ? Peut-on espérer la constitution d’un front syndical uni sur les retraites ?
Philippe Martinez : Les retraites sont un marqueur essentiel. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce sujet a fait l’objet de discussions ardues durant son précédent quinquennat : l’opposition à un nouveau recul de l’âge du départ à la retraite est claire et je ne comprends pas comment il espère nous refaire le coup de la « concertation ». On a assez usé notre salive. Le front syndical uni, sur ce terrain, existe dans les paroles. Il reste à le concrétiser dans les actes et à tout faire ensemble, dans la rue, dans les mobilisations, pour empêcher le report de l’âge de la retraite à 65 ans. Nous avons engagé, avec les autres centrales syndicales, de premiers échanges. L’opposition reste unanime.
L’opposition à un nouveau recul de l’âge du départ à la retraite est claire et je ne comprends pas comment il espère nous refaire le coup de la « concertation ».
Il est question d’une grande « conférence sociale », de consultation des partenaires sociaux sur la pénibilité, sur les mesures d’accompagnement. Y voyez-vous un changement de méthode ?
Philippe Martinez : Nous avons discuté pendant deux ans. Ce projet de réforme a donné lieu à l’une des plus grosses mobilisations du quinquennat, pendant trois mois. Tout le monde s’y oppose. Lors du premier quinquennat, la « concertation » s’est traduite par : « Donnez votre avis mais je fais ce que je veux. » Si Emmanuel Macron avait effectivement changé, il aurait tout simplement abandonné ce projet de porter l’âge de départ à la retraite à 65 ans.
C’est la bataille principale de ce début de quinquennat ?
Philippe Martinez : C’est une bataille cruciale, au même titre que les salaires. Nous vivons dans un pays où les salariés sont de plus en plus pauvres. Certains même basculent dans l’extrême pauvreté. L’augmentation des salaires est donc une priorité. Le Smic va augmenter : cela ne tient pas à une décision de l’Élysée mais à un calcul automatique. Ce n’est pas une décision politique, c’est une formule mathématique établie par des « experts ». Or, avec cette augmentation mécanique du Smic, on va se retrouver avec 171 minima de branches au-dessous du salaire minimum. Nous proposons donc une automaticité du relèvement des minima de branches quand le Smic augmente. Voilà une première mesure nécessaire et urgente que devrait prendre Emmanuel Macron au lendemain de son élection.
Le combat des travailleurs sans papiers met en lumière les responsabilités du capital, des grandes entreprises qui les exploitent par l’intermédiaire de sous-traitants pour disposer d’une main-d’œuvre sans droits et bon marché.
Comment évaluez-vous l’impact des luttes salariales qui rythment la vie sociale en France depuis l’automne dernier ?
Philippe Martinez : Ces luttes ont contribué à placer la question du pouvoir d’achat au cœur d’une campagne qui s’annonçait dominée par les thèmes de la sécurité et de l’immigration. Ces revendications n’ont pas commencé avec l’envolée de l’inflation et les effets de la guerre en Ukraine : elles ont émergé bien avant, avec le débat sur la reconnaissance des salariés qui se sont trouvés en première, en seconde ligne dans la pandémie de Covid-19.
Et ça continue, avec, par exemple, les salariés d’Amazon, ou encore ceux de Dassault, qui viennent de gagner une augmentation moyenne de 300 euros net par mois. Ces derniers ne sont pas les plus mal rémunérés de France mais leur victoire est très importante d’un point de vue symbolique puisque le PDG de Dassault, Éric Trappier, est en même temps président de l’UIMM. J’imagine qu’il a dû hésiter avant de plier devant la colère de ces salariés, vu le précédent qu’il entérine ainsi et la pression de ses collègues patrons de la métallurgie.
Le gouvernement avait annoncé entre les deux tours l’instauration d’un mécanisme pour empêcher le basculement des salaires des agents publics au-dessous du Smic.
Philippe Martinez : Pour l’instant, ce sont des promesses. Comme les promesses d’augmentation du point d’indice gelé depuis douze ans. Ce n’est pas seulement l’inflation qu’il faut rattraper, c’est douze ans de retard !
Le mouvement social a ses responsabilités, il essaie de les assumer, mais il y a un vrai problème de relais politique et les élections que nous venons de vivre posent cette question de façon plus aiguë encore.
Les centrales syndicales ont cultivé ces dernières années une stricte séparation du politique et du revendicatif. Cette stratégie ne trouve-t-elle pas ses limites dans la présente situation de crise démocratique marquée par des régressions, sans victoires significatives du mouvement social ? Un front de résistance et de progrès social peut-il prendre forme par-delà ces démarcations ?
Philippe Martinez : Je ne suis pas d’accord sur le fait que les syndicats aient entretenu une forme de neutralité dans le débat politique. Le rôle d’une organisation syndicale, c’est de changer le quotidien et de travailler pour l’avenir. On s’est quand même beaucoup exprimé dans la dernière période, avant le premier tour, entre les deux tours. Par exemple, que les secrétaires généraux de la CFDT et de la CGT s’expriment d’une voix pour faire entendre un message fort appelant à la bataille commune contre les idées fascistes et l’extrême droite, ce n’est pas anodin. Nous sommes indépendants, mais pas neutres. Ensuite, je crois qu’on fait peser beaucoup de responsabilités sur le mouvement social, alors même que nos luttes peinent à trouver des relais politiques. Peut-être que ceux qui nous renvoient la patate chaude devraient la garder dans leurs mains. Il y a eu beaucoup de mobilisations sociales ces cinq dernières années, et j’y inclus bien sûr les gilets jaunes. Comme secrétaire général de la CGT, j’ai été confronté à deux présidents de la République aux étiquettes politiques différentes, avec les mêmes résultats en matière de casse du Code du travail. Le mouvement social a ses responsabilités, il essaie de les assumer, il le fait imparfaitement mais il y a un vrai problème de relais politique et les élections que nous venons de vivre posent cette question de façon plus aiguë encore.
Le Rassemblement national confirme son ancrage électoral dans le monde du travail. Et parmi les sympathisants de syndicats, le vote d’extrême droite progresse : 21 % pour le RN au premier tour, soit 8 points de plus qu’en 2017, et 22 % chez les sympathisants de la CGT, malgré le travail dans ses rangs pour faire reculer les idées d’extrême droite. Comment l’expliquez-vous ?
Philippe Martinez : Le vote en faveur du RN est plus faible parmi les salariés proches des organisations syndicales ; cela dit, il progresse, quelle que soit la proximité syndicale. Ce qui veut dire que le travail important que nous faisons sur ce terrain n’est pas suffisamment efficace. Nous devons y réfléchir, nous adresser plus directement à ceux qui sont tentés par le vote d’extrême droite. Les formations que nous proposons confortent pour l’essentiel ceux qui sont déjà convaincus. On ne peut pas s’en tenir là. Il faut aller maintenant dans les syndicats, dans les entreprises, cesser d’éluder ces questions, discuter avec ceux qui votent RN plutôt que de les envoyer sur les roses.
Il faut aller maintenant dans les syndicats, dans les entreprises, discuter avec ceux qui votent RN plutôt que de les envoyer sur les roses.
Des secteurs entiers de l’économie s’effondreraient sans les travailleurs migrants. Les organisations syndicales, leur activité reflètent-elles cette réalité sociale française ?
Philippe Martinez : Je n’ai pas tendance à faire de l’autosatisfaction : nous devons faire mieux et plus. Cela dit, la CGT est l’une des rares organisations syndicales en France à lutter aux côtés des travailleurs sans papiers et c’est pour nous une grande fierté, malgré ce climat ambiant détestable. Leur combat met en lumière les responsabilités du capital, des grandes entreprises qui les exploitent par l’intermédiaire de sous-traitants pour disposer d’une main-d’œuvre sans droits et bon marché. Nous ne devons surtout pas lâcher ce combat auprès de ces travailleurs essentiels. Quand ils gagnent des droits, ils font reculer le dumping social ici même et font avancer les droits de tous.
Donc, de nombreuses raisons de manifester ce dimanche 1° mai,
à Montpellier c’est à 10h30 au Peyrou
publié le 29 avril 2022
Mathieu Dejean, Fabien Escalona et Pauline Graulle sur www.mediapart.fr
Entretien avec le député de la Somme, qui réfléchit à une stratégie pour convaincre l’électorat qui manque encore à la gauche. Soucieux d’un militantisme joyeux et de réhabiliter la culture populaire, il reste animé par l’ambition d’un Front populaire écologique.
Aller chercher « ceux qui manquent » pour passer d’une force de contestation à une force de gouvernement. Cet impératif stratégique avait été soulevé dans les rangs de Podemos, le parti populiste de gauche espagnol qui avait cru un temps détrôner les socialistes dans ce rôle. À sa façon, François Ruffin le met sur la table en France, à trois semaines d’un score considérable de Mélenchon au premier tour, mais insuffisant pour atteindre le second et laisser espérer l’exercice du pouvoir.
À Mediapart, il explique la nécessité de se tourner vers toutes les « France périphériques », une expression qu’il s’efforce de mettre au pluriel pour suggérer une alliance entre celles et ceux qui sont à mille lieues des centres de décision politiques ou médiatiques. Pour construire une hégémonie politique penchant vers la gauche, il souligne l’importance de bâtir des « bastions » au cœur de la société, là où « le camp du capital » dispose déjà des siens. Entretien avec le député de la Somme, qui lance sa campagne de réélection ce samedi à Flixecourt.
Quelle est votre analyse des résultats de l’élection présidentielle ? Avec la deuxième élimination consécutive du deuxième tour, la gauche est-elle condamnée à l’effacement ?
François Ruffin : Je regarde le chemin parcouru avec fierté. Deux éléments en particulier sont encourageants. Il y a d’abord le fait que plus d’un tiers des jeunes ait voté pour Jean-Luc Mélenchon : ce sont autant de graines plantées pour l’avenir. Ensuite, nous sommes parvenus à sortir de l’abstention et à faire voter à gauche de nombreuses personnes des quartiers populaires.
Au total, 22 % pour une gauche franche, c’est pas mal. Et Jean-Luc Mélenchon l’a aussitôt pris comme tel : non comme une défaite, mais comme une étape. Dans un contexte très difficile (après la pandémie, en pleine guerre en Ukraine…), on a ranimé la flamme et on ne l’a pas éteinte le soir du premier tour.
Surtout, le scrutin de dimanche l’a à nouveau traduit, le projet de Macron est en fait minoritaire dans le pays, et depuis longtemps. D’ailleurs, il a parlé de « traumatisme » pour évoquer le vote contre le traité constitutionnel pour l’Europe en 2005. Depuis lors, la classe dominante sait qu’elle doit imposer son projet dans la démocratie, mais sans le dèmos, contre le dèmos. La première méthode, c’est la force de la résignation : plus il y a d’abstention, plus ils sont contents. L’autre méthode, c’est la force de coercition : le 49-3 à l’Assemblée, les LBD dans la rue.
Nous vivons un temps de détachement populaire vis-à-vis de l’idéologie jusque-là dominante. Le triptyque « concurrence – croissance – mondialisation » ne fait plus envie. Au contraire, il inquiète voire dégoûte. De mon côté, je veux lui substituer le triptyque « entraide – partage – protection ».
Même si ce projet est « minoritaire » selon vous, Emmanuel Macron a été réélu et a de bonnes chances de disposer d’une majorité parlementaire. Comment voyez-vous les cinq années d’opposition que vous aurez – probablement – à traverser ?
François Ruffin : Je ne souhaite pas que ça dure cinq ans de plus. Le projet macroniste entre en tension avec une majorité du peuple français, et il va falloir que ça s’exprime. Ça va être un mandat de tensions, d’autant plus au vu de l’élection qui vient de se dérouler. Une non-campagne, un non-débat, un non-projet, un non-événement, Macron n’a été porté par aucun enthousiasme. Deux mille personnes sont allées le saluer à la tour Eiffel, pour une victoire présidentielle ! Vous imaginez le vide ? Son soutien dans le pays est ténu.
Le premier point de tension va être les retraites. On a gagné une première fois, j’espère bien qu’on le fera lâcher une deuxième fois sur le report de l’âge légal. Plus généralement, le programme présenté par le président sortant est flou, à l’image de son tract de campagne, plein de photos floues. Mais un contenu plus précis a été envoyé aux autorités européennes : il s’agit d’un « programme », là encore, mais de son « programme de stabilité budgétaire » : 3 % du PIB de coupes dans les dépenses publiques, 75 milliards d’euros par un an, un record ! Qui implique des coupes dans à peu près tout, l’école, l’hôpital, etc.
Le pays ne veut pas de ça, et je suis convaincu que l’histoire n’est pas finie. C’est pour cela que je vis la situation de manière moins découragée qu’il y a vingt ans. Nous sommes passés d’une histoire continue, plate, sans alternative visible, « le libéralisme gravé dans le marbre », l’alternance UMP-PS qui ne changeait rien, à une histoire discontinue, faite d’inédit et de moments de rupture.
Il y a une nécessité d’établir des jonctions entre les France périphériques.
Pour que cette rupture soit électorale, il manque encore des voix à la gauche. « Je ne veux pas qu’on devienne des perdants magnifiques », avez-vous récemment déclaré. Que vous manque-t-il pour devenir gagnants ?
François Ruffin : Nous devons constituer un bloc historique, qui est nécessairement une alliance de classes sociales. Notre problème est que la gauche, depuis quarante ans, a subi un double divorce.
D’abord, un divorce entre classes intermédiaires et classes populaires. En 1981, 74 % des ouvriers votaient François Mitterrand, et les profs massivement. Mais la mondialisation a tracé comme un fil à couper le beurre. Elle a fait diverger les destins de deux groupes : d’un côté les plus diplômés, les plus instruits, dont le sort est resté convenable, stable, en dépit ou grâce à cette mondialisation. Et de l’autre, les vaincus de la mondialisation, à savoir les ouvriers et les employés qui se sont payé le chômage, la précarité, la stagnation des salaires, l’inquiétude pour leurs enfants.
Tandis que les « diplômés » sont restés largement passifs, les milieux populaires ont pris la violence sociale de plein fouet. Et ils ont réagi, ils ont refusé, à leur manière. Le parti qui a le plus vite adapté son propos, c’est le Front national (FN). Alors qu’il était ultra-libéral et pro-européen, notamment pour faire face au bloc communiste, dès que celui-ci s’est effondré, il a renversé sa doctrine sur la mondialisation. En 1992, Le Pen père est anti-Maastricht. Pendant ce temps, le Parti socialiste fait le marché unique, envoie Jacques Delors à la tête de la Commission européenne, signe tous les traités de libre-échange, et place même l’un des siens, Pascal Lamy, à la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le second divorce à résoudre est interne aux milieux populaires, entre des classes populaires issues de l’immigration, qui vivent dans les banlieues des grandes villes, et des classes populaires « blanches » des France périphériques, qui se sont éloignées des métropoles pour causes de loyers trop élevés, de foncier inaccessible. Il y a une nécessité d’établir des jonctions entre ces deux pans. Cela fait quinze ans que j’insiste sur la nécessité de ces jonctions, qui ne se font jamais sans friction, pour unifier le camp populaire.
Vous parlez de « France périphériques » au pluriel. Le terme, au singulier, a été publicisé par le géographe Christophe Guilluy et a subi de lourdes critiques. Il lui a été reproché une grille de lecture binaire, des catégorisations « culturalistes » des milieux populaires… Ne craignez-vous pas de tomber dans ces écueils ?
François Ruffin : Karl Kraus [écrivain autrichien, 1874-1936 – ndlr] disait : « Plus on regarde un mot de près, plus il vous regarde de loin. » J’admets qu’il n’y a pas d’homogénéité sous l’expression de « France périphérique ». Quand j’ai lu l’Atlas des nouvelles fractures sociales publié par Christophe Guilluy en 2004, je m’y suis reconnu. C’est un ouvrage qui m’a fait du bien, parce qu’il posait des mots sur ce que je ressentais, ce que je rencontrais comme reporter dans mon coin. Mais ensuite, son discours a glissé vers l’idée que « les banlieues populaires des métropoles » seraient au fond favorisées en comparaison des « campagnes populaires ». Or, d’une part, cette concurrence me semble inutile, d’autre part, pour avoir passé trois années à Amiens-Nord, j’ai pu voir beaucoup de souffrances, trop de destins brisés.
Cela étant dit, le scrutin présidentiel est quand même net : ça pèche pour nous dans les anciens bassins industriels du Nord et de l’Est, dans d’anciennes terres rouges où la gauche est tombée bien bas. Si demain on veut crever un plafond électoral, il est impératif que l’on se redresse dans ces coins-là. C’est un devoir électoral, pour gagner, pour faire mieux. Mais c’est surtout pour moi un devoir moral, ma raison d’être politique : faire entendre ces voix qui sont aujourd’hui loin des médias, des partis, des syndicats, c’est ma mission depuis 23 ans. Et ne pas les abandonner au Front national.
La campagne des législatives peut-elle être l’occasion de réaliser ce travail ?
François Ruffin : Je suis lucide, ce n’est pas en six semaines que l’on va réussir à modifier des évolutions sociales et électorales qui se sont produites sur des années. Par ailleurs, un profil de campagne a été déterminé pour la campagne présidentielle, que l’on ne va pas soudainement changer.
C’est bien compréhensible : les choix faits ont été payants et pertinents, et de mon côté je ne peux pas garantir qu’on aurait fait mieux avec une stratégie tournée vers les France périphériques. Les législatives s’inscrivent dans une bataille déjà en cours. Mais je souhaite qu’à l’avenir, on discute et on affine le diagnostic que je viens de poser sur « ceux qui nous manquent ».
Concrètement, sur quoi déboucherait une stratégie « à la Ruffin » ? Par quels moyens opérer les jonctions que vous souhaitez entre des milieux populaires aujourd’hui divisés ?
François Ruffin : Si l’on veut convaincre les populations et les territoires dont je vous ai parlé, il y a d’abord un devoir d’y être et de s’y déplacer. Jean-Luc Mélenchon l’a fait dans les départements d’outre-mer avec beaucoup de réussite. Il a senti les choses. À la colère qui couvait aux Antilles ou à La Réunion, il a su offrir une issue de gauche en première instance. Si on fait ça dans la France périphérique, qui ne nous est pas acquise, on n’accèdera pas seulement au deuxième tour : nous deviendrons majoritaires.
Ensuite, j’ai bien sûr des intuitions sur des lignes à mettre en avant, et qui ne divisent pas avec les quartiers populaires. Y aller franchement sur la démondialisation, la souveraineté nationale, les protections, qui ne signifient pas une fermeture mais une régulation. La destruction des emplois industriels, ça touche autant les enfants des cités que des campagnes. Les déserts médicaux, bien sûr : la Mayenne en est un, mais la Seine-Saint-Denis également.
L’enjeu d’un « numérique humain » peut aussi être très rassembleur. À la campagne, comme dans les associations de quartier, les gens me décrivent leur galère sur les sites Internet pour une carte grise, la Caf, la déclaration de retraite… On considère que c’est un thème infra-politique, mais c’est le quotidien, des gens qui se retrouvent face à l’absence d’humains dans leurs démarches. Tous les jours, on m’en parle sur le terrain, mais à quel moment ce thème a-t-il été traité dans la présidentielle ?
Enfin, il faut adresser des messages et des réponses à plusieurs millions de salariés qui ne gagnent que le Smic ou moins, dans les métiers qu’on a pu dire de la « deuxième ligne », 4,6 millions de salariés d’après le ministère du travail. Je pense aux personnes qui travaillent dans la logistique, aux auxiliaires de vie sociale, aux agents d’entretien, aux vigiles... À Paris, ce sont des métiers de couleur, en province ce sont des métiers « blancs », mais il peut justement y avoir une reconnaissance de l’un dans l’autre, pas nécessairement une division ou une concurrence.
C’est ce que vous allez faire dans votre propre campagne législative, dans la Somme ?
François Ruffin : C’est dans ce sens que travaille « Picardie debout », oui. Dans notre coin, il ne nous suffit pas d’aller chercher les voix qui se sont portées sur Jean-Luc Mélenchon au premier tour, ça ne suffirait pas. Il n’est pas arrivé premier ou deuxième, mais troisième. Je ne me donne pas gagnant d’avance, je me considère comme un challenger. L’enjeu pour moi, c’est de réussir à tenir les deux bouts : les quartiers populaires d’Amiens Nord et la campagne populaire du Val de Nièvre.
Il va falloir aller chercher les gens en porte-à-porte, les sortir de la déprime, et le faire à travers la joie. Je lisais un livre sur les années 1930 en Allemagne, et l’auteur décrivait comment ses compatriotes ont – je cite – « sombré par millions dans la dépression ». Il montre combien celle-ci fut une alliée du nazisme. Je crois vraiment qu’au-delà des idées, il y a un état d’esprit pour résister à l’air du temps, pour éviter le laisser-aller, l’absence d’énergie, qui peuvent déboucher sur le pire. Donc de la joie, avec un karaoké géant avec Shirley et Dino, pour mon lancement de campagne samedi. Shirley et Dino, je les ai rencontrés un jour en Ardèche, alors qu’ils aidaient à projeter mon film dans un village, mais c’est aussi un projet politique : pas de mépris pour les goûts populaires.
Dans quelle mesure votre rôle de député peut-il concourir aux objectifs politiques que vous venez de développer ?
François Ruffin : Je l’ai déjà dit, répété, je n’ai pas d’illusion sur notre fonction législative : elle est nulle. Dans la Ve République, le président de la République décide des lois, qui sont ensuite enregistrées sans trop de difficultés à l’Assemblée nationale. Mais nous avons une autre fonction : tribunitienne, qui est utile, représenter les gens. Et la caisse de résonance a fonctionné au-delà de mes espérances. Quand une agent d’entretien vient me dire que je l’ai « soulagée », parce que quelqu’un a parlé pour elle, je me sens utile.
Mais on ne sera rien, pas grand-chose, si ça ne pousse pas dehors. Le moment des « gilets jaunes » l’a illustré : les mêmes mots, que j’avais déjà utilisés pour dénoncer la suppression de l’ISF, ont pris une puissance nouvelle parce qu’on parlait pour des millions de Français. Si on sent qu’il y a une base sociale, dans les sondages, les manifs, ou par d’autres canaux, on le sent physiquement, dans nos corps : on s’exprime avec moins de timidité, nos paroles sont davantage écoutées par nos adversaires, ils les reçoivent comme un souffle au visage.
Au moment où nous nous parlons, des négociations sont en cours pour un éventuel accord entre les gauches aux élections législatives. Certains craignent une volonté d’hégémonie de la part de La France insoumise. Vous qui avez plaidé pour un « Front populaire écologique », comment voyez-vous ces discussions ?
François Ruffin : Voilà un autre point positif à l’issue de l’élection présidentielle : nous assumons notre rôle de locomotive, en disant « montez dans les wagons ! ». Ce n’est pas facile, ni pour nous ni pour les autres partis. Un « Front populaire écologique » réclamerait sans doute une construction de longue haleine, là on improvise un peu en dernière minute, dans l’urgence. Mais cette démarche est une très bonne nouvelle.
Maintenant, s’il y a une locomotive et des wagons, il faut que le train avance sur de bons rails, vers une direction claire. Je vois trois lignes à ne pas abandonner. Premièrement, notre force est issue du « non » de gauche en 2005, c’est le point de départ de notre histoire. Nous devons assumer encore un rejet de la « concurrence libre et non faussée », de la « libre circulation des capitaux et des marchandises y compris avec les pays tiers » comme principes d’organisation de l’économie, de la société.
Deuxièmement, nous ne devons pas renoncer à la conflictualité sociale : il y a le travail contre le capital, « ceux d’en bas » contre « ceux d’en haut », les « salariés » contre les « actionnaires ». Troisièmement, la centralité de l’écologie doit perdurer : le logement, les transports, l’agriculture... tout doit être revisité à la lumière de la crise climatique en cours, qui réclame des ruptures. Il nous faut une économie de guerre climatique, comme Roosevelt a bâti en 1942 une économie de guerre.
Quels sont les partenaires les plus à même de cheminer sur ces « bons rails » ?
François Ruffin : On a selon moi un partenaire naturel qui est le Parti communiste. Nous appartenons à la même famille, nous avons déjà fait campagne ensemble en 2005, 2009, 2012, 2017, et le programme « L’Humain d’abord » a été écrit à quatre mains. Notre division est un non-sens.
Il y a ensuite la nécessité d’aller vers le mouvement écologiste, nous devons nous en enrichir. Pourquoi ? Parce qu’il y a deux sensibilités, presque opposées, et que nous devrions pourtant articuler. Je m’explique.
De leur côté, les écologistes pensent la transformation essentiellement par le bas, c’est le mouvement colibri, les municipalités, les Amap... À La FI, la tendance est plutôt de dire « on va diriger le pays, on va faire des plans », depuis le haut. En fait, les deux sont indispensables. C’est ce que montre l’exemple de la Sécurité sociale, qui commence par des caisses de solidarité mais finit par protéger tout le monde grâce à Ambroise Croizat, à un « vaste plan de Sécurité sociale » au niveau national.
Nous avons besoin de bastions durables dans la société.
Pour une dynamique de type « Front populaire » qui aille au-delà des partis, est-ce qu’un outil comme le parlement de l’Union populaire, lancé durant la campagne, vous semble approprié et à préserver ?
François Ruffin : Sans doute qu’il faut le faire perdurer, l’élargir, avec de nouvelles figures. Mais de façon plus large : entre deux élections présidentielles, nous avons insuffisamment construit de bastions pour asseoir notre « hégémonie culturelle », c’est-à-dire des revues, des médias, des think tanks, des lieux de discussions avec les intellectuels et les activistes, qui aillent au-delà d’un soutien déclaré dans une tribune à 48 heures du premier tour.
Macron a donné l’illusion que nous vivions une « guerre de mouvement » en politique, mais c’est faux. Son camp est celui du capital, et il dispose de bastions solidement formés dans la société, à commencer par les médias : Les Échos et Le Parisien de Bernard Arnault, etc. Notre problème, c’est que nous n’en avons pas ou plus. On connaît la fragilité des syndicats. Dans le champ des médias, Fakir, Blast ou Mediapart ne font pas le poids face à BFMTV.
Le premier bastion durable, c’est sans doute le groupe parlementaire. Mais il nous en faut d’autres. Sinon, on a l’impression de construire des châteaux de sable régulièrement emportés par les vagues, et par des vagues de résignation.
Qu’est-ce que cela implique pour le parti-mouvement qu’est La France insoumise ?
François Ruffin : Je ne suis pas un penseur du parti qui centralise tout. Mon penchant, ça serait plutôt de favoriser, de soutenir les bonnes volontés pour monter des bastions liés à notre force dans la société, mais avec une autonomie, une liberté, plutôt que de vouloir tout tenir. En gros, nous avons besoin de compagnons de route. Le Medef [syndicat patronal – ndlr] n’est pas intégré à LREM, et pourtant ils poussent dans le même sens.
Vous ne vous voyez donc pas un rôle nouveau dans le cadre de LFI ?
François Ruffin : Je pense qu’avec cet entretien, je joue mon rôle, et mon rôle de cadre : je propose un horizon stratégique, je dis aux sympathisants de gauche, aux militants de l’Union populaire, « c’est par là que nous pouvons mieux faire, que nous pouvons crever notre plafond de verre ». Il me semble que j’offre un chemin, à discuter.
publié le 28 avril 2022
par Denis Sieffert sur www.politis.fr
La gauche n’a jamais cessé d’exister, ni socialement ni anthropologiquement, mais elle a traversé une terrible crise de représentation qui a touché le fond avec le quinquennat Hollande. Elle peut aujourd’hui renaître, nouvelle et conquérante.
L e coup passa si près que le chapeau tomba. » Ce vers fameux de Victor Hugo, Emmanuel Macron pourrait le méditer « après la bataille » de ce 24 avril. Il est trop évident en effet que le score généreux obtenu par le président sortant est en trompe-l’œil. Le front républicain, que l’on disait d’un autre âge, a finalement fonctionné, une fois encore, pour éviter à notre pays une épreuve douloureuse. Mais comme en témoignent les 13 millions de suffrages recueillis par Marine Le Pen, la résistance est à bout de souffle, pour la bonne raison qu’elle n’a pas d’autre perspective que… de résister. Si rien ne change, le désastre interviendra à la prochaine échéance présidentielle, voire bien avant, en cas de crise sociale.
Comment l’éviter ? Faut-il compter sur le président réélu pour remettre le pays sur le chemin de la justice sociale ? On a bien entendu son acte de contrition, dimanche, au soir d’une fête triste : « Ce vote m’oblige pour les années à venir. » Version macronienne du « je vous ai compris » de De Gaulle en Algérie. Aussi flou et aussi ambigu. Mais au lieu du génie manipulateur du Général, on a plutôt l’impression ici d’un désarroi stratégique. Homme de droite, président estampillé « des riches », Emmanuel Macron sait devoir sa réélection en grande partie à la gauche. Peut-il, comme il le suggère à petites touches, réorienter son action vers plus de social, plus d’écologie, plus de démocratie ? Le voudrait-il qu’il ne le pourrait pas. Car si ce vote l’oblige, il est surtout d’abord l’obligé de ses créanciers politiques. Ceux qui l’inspirent, et dont il a âprement défendu les intérêts au cours des cinq dernières années.
Bref, ce n’est pas d’Emmanuel Macron qu’il faut attendre un tournant à gauche. Comme il y eut en 2017 la suppression de l’impôt sur la fortune, il y a en 2022 la promesse réitérée du report de l’âge de la retraite à 65 ans. Tout est dit. Osons donc ce truisme : il n’y aura pas mieux pour une politique de gauche que la gauche elle-même. Voilà qui place ses dirigeants devant de nouvelles responsabilités historiques. La gauche n’a jamais cessé d’exister, ni socialement ni anthropologiquement, mais elle a traversé une terrible crise de représentation qui a touché le fond avec le quinquennat Hollande. Elle peut aujourd’hui renaître, nouvelle et conquérante. Voilà peut-être enfin venu le moment de la gauche. Le score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle constitue évidemment le socle de cette renaissance.
Que faut-il pour transformer l’essai ? C’est une alchimie compliquée. Il faut d’abord que chacun reconnaisse le rôle central de La France insoumise dans cette nouvelle gauche. Mais, en retour, il faut que La France insoumise ne cherche pas à écraser les autres courants, communiste, écologiste, et même socialiste. Pas d’exclusive. La présidentielle est certes un paramètre essentiel – encore que déformé par le phénomène vote utile –, mais les régionales, les européennes, les municipales, plus décentralisatrices, et moins « Ve République », qui avaient livré une autre hiérarchie, ne doivent pas être jetées aux oubliettes. Ce n’est pas seulement affaire de concurrences, mais d’identités politiques.
Après la tribune inquiétante de la députée LFI Mathilde Panot (1), qui exigeait « en préalable » à toute négociation que les partenaires de LFI présentent leurs excuses pour leurs « attaques » contre Mélenchon, la raison semble avoir repris ses droits. On n’oublie pas les points névralgiques - l’Europe à la carte, les positions de Mélenchon pendant la guerre civile syrienne, et ses ambiguïtés au début de la crise ukrainienne. Mais, aujourd’hui, ces critiques doivent évidemment être mises en veilleuse. De là à exiger de ceux qui les ont formulées qu’ils s’excusent, ce serait un peu fort de café ! Ces problèmes de politique internationale ne sont pas réglés, mais il est raisonnable de les laisser de côté.
Car la gauche n’a pas l’éternité devant elle. Il faut être fin prête pour les législatives des 12 et 19 juin, où ses listes peuvent réaliser une percée historique, sinon être majoritaires comme l’espère l’aspirant Premier ministre Mélenchon. Cette accélération du calendrier est une chance. Au-delà des législatives, il s’agit de refaire de la gauche la grande force d’opposition à Macron. C’est possible. Les conditions programmatiques posées par LFI semblent utiles si la gauche veut être vraiment la gauche. Au passage, c’est une épreuve de vérité pour le PS. Est-il prêt à s’inscrire dans la dynamique nouvelle, ou s’accroche-t-il à un passé mortifère ? Il paraît qu’il y a débat.
Ce qui est souhaitable en tout cas, c’est que les différentes familles de la gauche mènent bataille sous un label commun qui constituera un véritable attracteur politique. Le maître mot de ces quelques semaines doit être « respect ». Une coalition plus qu’une fusion. Pas d’hégémonisme pour les uns, ni déni de réalité du nouveau rapport de force pour les autres. Mais nous savons bien que le diable est dans les détails : quel sort par exemple réserver aux sortants ? La page n’est jamais blanche. Les législatives ne sont pas une simple projection de la présidentielle. Tenir compte des implantations locales sans figer une photographie jaunie qui ne correspond plus à la réalité constitue une double injonction pas toujours facile à résoudre. Il faut de l’intelligence. Elle ne manque pas. Mais il faut aussi de la hauteur de vue et de la sincérité.
(1) JDD du 17 avril
publié le 28 avril 2022
Cyprien Boganda et Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr
MOBILISATION Une semaine après la réélection du président, le 1er Mai va prendre une coloration particulière. Les syndicats veulent lancer le début de la riposte dans la rue, face à un locataire de l’Élysée qui promet des lendemains très libéraux.
Un peu désuète, l’expression n’a jamais semblé aussi anachronique. « L’état de grâce », sorte de lune de miel supposée unir le dirigeant fraîchement intronisé avec les citoyens, n’aura même pas duré le temps d’une soirée. Président mal élu et déjà contesté, Emmanuel Macron va peut-être ressouder à ses dépens une forme d’unité syndicale, en accumulant des réformes très décriées : le recul de l’âge de départ à la retraite est ainsi dénoncé aussi bien par la CGT que par la CFDT, dont le dirigeant, Laurent Berger, évoque une mesure « injuste » et « brutale ». Ce dimanche 1er mai, les syndicats veulent sonner le début de la riposte, autour de mots d’ordre sociaux et politiques (lire aussi l’encadré page 4). « La meilleure réponse à apporter (à Emmanuel Macron) se trouve dans la rue, en intensifiant les mobilisations sur les questions sociales qui se sont imposées malgré tout dans cette présidentielle », prévient Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, dans l’Humanité magazine.
1. Retraites, une réforme rejetée en bloc
Le président-candidat a cherché à rassurer sur sa gauche, en promettant qu’il réformerait dans la « concertation ». Las ! Le lendemain de sa réélection, son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, ne fermait pas la porte à l’utilisation du 49-3 pour entériner l’une des réformes les plus explosives de son nouveau quinquennat, celle des retraites. De 62 ans aujourd’hui, l’âge de départ passerait à 64 ans vers 2027 (donc à la fin du quinquennat), avant d’être porté ensuite à 65 ans après une mystérieuse étape de « revoyure ». Pour les syndicats, c’est niet. « Nous considérons que cette réforme ne répond en rien à une nécessité incontournable », nous confiait Yves Veyrier, secrétaire général de FO, en début de semaine.
Pour Régis Mezzasalma, conseiller confédéral sur les retraites à la CGT, les deux mesures censées atténuer le choc – le maintien du dispositif « carrières longues », permettant à certains assurés de partir plus tôt, et la prise en compte de la pénibilité – ne constituent pas des contreparties acceptables. « Aujourd’hui, le dispositif “carrières longues” relève de plus en plus de la chimère : ses critères sont très restrictifs et les avantages peu généreux. Cela ne concerne que des gens justifiant d’une année de cotisation complète avant 20 ans, qui ont donc commencé à travailler extrêmement tôt. En comptant 43 annuités (désormais nécessaires pour partir à taux plein – NDLR), cela fait partir à 62 a ns… »
Quant à la prise en compte de la pénibilité promise par Emmanuel Macron, le syndicaliste demande à voir, mais critique la philosophie de la mesure : « Au lieu d’œuvrer à l’amélioration des conditions de travail en amont, on persiste dans une logique de réparation des dégâts en fin de carrière. » Reste à savoir si les syndicats, aujourd’hui opposés au principe même de la réforme, sauront faire front le cas échéant… Ils pourront en tout cas s’appuyer sur une opinion publique opposée, à 69 %, au recul de l’âge de départ, selon un sondage d’Elabe de mars 2022.
2. Les plus précaires pris pour cibles
Emmanuel Macron s’acharne à stigmatiser les chômeurs et les plus précaires, au nom d’une relecture punitive du contrat social selon laquelle les « devoirs » passeraient « avant les droits ». Sa proposition de conditionner le RSA à des heures de travail hebdomadaire plaît à la droite mais hérisse les syndicats. Même chose pour sa volonté d’accentuer la pression sur les chômeurs. « D’ici à la fin de l’année, nous allons devoir renégocier une convention d’assurance-chômage, rappelle Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO. Mais, depuis 2018, la loi prévoit que les syndicats doivent s’inscrire dans une lettre de cadrage du premier ministre : nous aurons très peu de latitude pour revenir, par exemple, sur la réforme restreignant l’accès aux indemnités chômage (entrée en vigueur fin 2021 – NDLR). On risque d’avoir droit à un nouveau tour de vis sur les chômeurs, pour les contraindre à accepter n’importe quel boulot… »
Le nouveau président a également l’intention de transformer Pôle emploi en un organisme nommé France Travail, avec la création d’un guichet unique réunissant les compétences de Pôle emploi, des communes et autres missions locales. « On se demande quelle forme cette fusion prendrait, s’inquiète Francine Royon, de la CGT Pôle emploi. Une chose est sûre : cette transformation est guidée par une volonté de réaliser des économies à tout prix, ce qui n’est jamais une bonne chose. La fusion de l’ANPE et des Assedic, décidée par Nicolas Sarkozy dans un souci de “simplification” (en 2008 – NDLR), a abouti à une dégradation de la qualité du service et des conditions de travail… »
3. Les salaires dans toutes les têtes
Chez les salariés, la colère suit la courbe des prix. Les annonces d’Emmanuel Macron au fil de sa campagne ont attisé la contestation sociale. Le chèque alimentaire n’a toujours pas de montant et la prime inflation s’est évaporée aussi vite qu’un plein d’essence. Les Français attendent toujours la réindexation des pensions de retraite à l’inflation ou le dégel du point d’indice des fonctionnaires. D’autant qu’aucun coup de pouce au Smic n’est envisagé.
Sur le terrain, la colère gronde toujours. Dans l’agroalimentaire, la CGT engrange les victoires sur les salaires, où les augmentations arrachées se situent en moyenne autour de 5 %. En ce moment, les actions se multiplient chez Danone, Évian, Badoit ou Volvic. Pour tenter d’apaiser ce climat social tendu, les patrons prennent exemple sur le gouvernement et multiplient les primes. À l’image du groupe Nestlé, qui a proposé aux syndicats une hausse de 2,3 % à laquelle s’ajoute un « abondement » de 850 euros à l’intéressement, permettant de faire gonfler l’enveloppe jusqu’à 2 000 euros.
D’autres préfèrent jouer la montre, en envoyant les CRS sur les piquets de grève. Chez RTE, dans les établissements de maintenance, les salariés débrayent depuis dix semaines. « À Lyon, l’arrêt de travail est de deux heures par jour », raconte le délégué syndical CGT Francis Casanova. Avec un salaire minimum de branche à seulement 30 euros au-dessus du Smic pour ces métiers très techniques, la proposition d’une revalorisation salariale de « 0,3 % » pour 2022 a fait descendre les techniciens de leurs poteaux. D’autant que le résultat net de l’entreprise, de 661 millions d’euros, est « pompé à 60 % par les actionnaires », lance le syndicaliste.
4. Un big bang pour les fonctionnaires
La poursuite de la réforme de la fonction publique inquiète les fonctionnaires. Le dégel du point d’indice ne va pas refroidir le climat. Attendu « avant l’été », celui-ci devrait être loin des attentes syndicales, qui prônent une hausse de 10 %. « Depuis 2011, la hausse des prix est supérieure à 13 %. Depuis le début du quinquennat actuel, elle est de l’ordre de 7,5 %. En juin 2022, les prévisions évoquent une inflation proche de 6 % sur un an. Il s’agit donc, à la fois, de rattraper, mais aussi d’anticiper », rappelle l’Unsa dans son communiqué.
Durant l’entre-deux-tours, le président de la République a annoncé vouloir « faire une réforme complète des grilles et de l’organisation » de la fonction publique, en indiquant qu’une partie de la rémunération se ferait au « mérite ». Car, a-t-il argumenté, « le système en catégories C, B et A a beaucoup de rigidités ». Une réforme dangereuse pour la représentante de la CGT, Céline Verzeletti, qui n’est toutefois pas opposée à « revoir la grille » sur la « question de l’égalité femme-homme » avec des « métiers fortement féminisés » du social, de la santé, de l’éducation, où les femmes se retrouvent dans les mêmes catégories, mais avec des grilles de rémunération différentes. En revanche, poursuit-elle, « les différentes catégories correspondent à la reconnaissance de nos qualifications ». Le risque pour les fonctionnaires est de se retrouver dans la même situation que les salariés du privé, où « les blocs de compétences n’ont rien à voir avec les diplômes », et d’exacerber encore plus les inégalités.
à Montpellier, manif du 1° mai : 10h30 au Peyrou
publié le 27 avril 2022
Gaël De Santis et Vadim Kamenka sur www.humanite.fr
Après la Turquie, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, devait arriver ce mardi 26 à Moscou, puis à Kiev. Cette visite vise à obtenir un cessez-le-feu ou une pause humanitaire.
Au bout de soixante-deux jours de guerre, Antonio Guterres œuvre pour arracher un cessez-le-feu. Le secrétaire général des Nations unies, qui a été particulièrement critiqué pour son inaction depuis l’invasion russe le 24 février, entame une semaine décisive.
Après avoir adressé en urgence une demande de rencontre officielle, le 18 avril, via une lettre diplomatique aux deux présidents, l’ancien premier ministre portugais doit arriver ce mardi à Moscou, avant de se rendre à Kiev.
Dans la capitale russe, Antonio Guterres doit rencontrer le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et le président Vladimir Poutine. Si le scénario d’une guerre longue apparaît de plus en plus probable, Antonio Guterres « espère parler de ce qui peut être fait pour ramener la paix en Ukraine de toute urgence », a déclaré Eri Kaneko, sa porte-parole. Une « pause humanitaire » et une trêve « immédiate » à Marioupol, où 100 000 civils seraient encore coincés, font partie des demandes réitérées de l’ONU. La guerre ayant déjà jeté sur les routes près de 13 millions de personnes, dont 5,2 millions ont fui l’Ukraine.
Les pourparlers semblent dans l’impasse
De son côté, le ministère russe de la Défense a annoncé que ses forces allaient « cesser unilatéralement » les hostilités sur Azovstal à partir de lundi après-midi, « retirer les unités à une distance sûre et assurer le départ » des civils « dans la direction de leur choix ». La réponse de Kiev a été immédiate : « Je déclare officiellement et publiquement que, malheureusement, il n’y a aucun accord concernant un couloir humanitaire depuis Azovstal », a affirmé la vice-première ministre ukrainienne, Iryna Verechtchouk.
Que peut obtenir le secrétaire général de l’ONU de cette visite en Russie et en Ukraine ? Afin de sortir de l’impasse, Antonio Guterres devait discuter, lundi, des divers potentiels points d’accord (garanties de sécurité pour l’Ukraine, neutralité militaire, Otan) avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan, rare intermédiaire entre les deux présidents Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine. « Les négociations n’étant plus à l’ordre du jour (y compris sur la neutralité de l’Ukraine semble-t-il), et une (semi-)défaite n’étant pas envisageable par le Kremlin, l’escalade est donc inévitable. Reste à savoir à quoi elle ressemblera », juge le directeur de l’Observatoire franco-russe, Arnaud Dubien, sur Twitter.
Clairement, les pourparlers entre les deux administrations semblent dans l’impasse. Le président russe apparaît déterminé à obtenir des succès militaires et des gains territoriaux importants avant toute nouvelle discussion. Le quotidien économique Financial Times, qui aurait eu des informations de l’entourage de Vladimir Poutine, confirme que celui-ci « ne voyait aucune perspective de règlement » , à la différence du mois dernier.
Fin mars, à Istanbul, Moscou et Kiev avaient évoqué des avancées. Entre-temps, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a accusé la Russie d’avoir commis des crimes de guerre contre des civils à Boutcha. Dernièrement, il menace de se retirer de tout processus si les soldats ukrainiens coincés à Azovstal étaient tués.
L’Ukraine est convaincue qu’elle peut repousser davantage les troupes russes. Et le soutien des États-Unis l’encourage dans ce sens. Le ministre américain de la Défense, Lloyd Austin, a déclaré, lundi : « La première chose pour gagner, c’est de croire que l’on peut gagner. Et ils sont convaincus qu’ils peuvent gagner (…). Ils peuvent gagner s’ils ont les bons équipements, le bon soutien », a-t-il affirmé, au lendemain de sa visite à Kiev, avec le secrétaire d’État, Antony Blinken, et leur rencontre avec Volodymyr Zelensky. Il s’agissait de la première visite de ministres américains depuis le début du conflit. « Nous voulons voir la Russie affaiblie à un degré tel qu’elle ne puisse pas faire le même genre de chose que l’invasion de l’Ukraine », a-t-il encore déclaré.
Une nette hausse des budgets militaires en 2022
Les livraisons d’équipements militaires et d’armes lourdes atteignent des records. La contribution seule des États-Unis atteint les 3,4 milliards de dollars (3,2 milliards d’euros), encourageant le président Zelensky à remercier Washington et le président Joe Biden « personnellement », pour leur soutien. À cette somme, il faut ajouter les autres envois d’armes des membres de l’Otan et européens. Cette « aide » sera au centre d’une réunion prévue mardi en Allemagne, réunissant le chef du Pentagone et les ministres de la Défense de 40 pays alliés.
Ce record confirme une tendance générale en 2022 de nette hausse des budgets militaires. Ainsi, les pays européens font assaut de promesses pour que leurs dépenses militaires atteignent 2 % de leur PIB, soit l’objectif fixé par l’Otan et par l’ancien président des États-Unis Donald Trump. Huit pays européens membres de l’Alliance atlantique atteignent déjà cette cible, relève lundi le rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). C’est « deux de plus par rapport à 2014 », relève le rapport du Sipri.
Le 27 février, l’Allemagne a annoncé la création d’un fonds de 100 milliards d’euros pour la Bundeswehr, son armée. Les 2 % du PIB de dépenses militaires devraient être atteints en 2022. D’autres pays, tels le Danemark ou la Pologne, ont, eux aussi, promis une hausse des dépenses.Une hausse débutée avant la guerre en Ukraine. Pour 2021, les dépenses militaires vont dépasser pour la première fois, à l’échelle de la planète, la somme de 2 000 milliards de dollars. Selon le Sipri, elles s’établissaient à 2 113 milliards de dollars (1 966 milliards d’euros). Cela représente 2,2 % du PIB mondial. En gros, pour 50 euros de richesse produite, 1 euro est affecté à la dépense militaire. Et les États-Unis tiennent la dragée haute aux autres forces armées. Leur budget militaire est de 801 milliards de dollars en 2021, soit 3,5 % de leur PIB. Cette somme équivaut au budget… des dix pays suivants dans le classement (Chine, Inde, Royaume-Uni, Russie, France, Allemagne, Arabie saoudite, Japon, Corée du Sud et Italie).
Un choix de société assumé. La progression du budget (100 milliards d’euros) de la Bundeswehr correspond à la promesse des accords de Paris de 2015, non réalisée, d’un fonds mondial de 100 milliards de dollars annuels pour financer la transition climatique…
Stéphane Sahuc sur www.humanite.fr
Ne pas laisser se fermer les portes du dialogue, et refuser toutes chimères d’un règlement militaire du conflit.
C’est une de ces phrases qui font froid dans le dos. Surtout lorsqu’on sait par qui elle est prononcée. Que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, déclare à la télévision publique qu’il y a un « danger réel » d’une « troisième guerre mondiale » montre bien que le conflit en Ukraine entre dans une nouvelle phase. Certes, cette déclaration s’adresse aux États-Unis, elle est une réponse à une petite phrase de Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense, qui, après sa visite à Kiev, donnait les objectifs de son pays : « Nous voulons voir la Russie affaiblie, incapable de mener le type d’action qu’elle a lancée sur l’Ukraine. » Si on traduit les propos de Lavrov en langage courant, ils signifient : « Américains, vous poussez le bouchon un peu trop loin. Attention ! »
Mais cette déclaration de Lavrov constitue aussi un coup de semonce et un tournant inquiétants dans la guerre. Les Russes tracent une ligne rouge qui coïncide avec l’accélération des livraisons d’armes américaines et occidentales à l’Ukraine. Chars Guepard allemands, missiles antichars Milan et canons Caesar français, et obusiers, drones tueurs et hélicoptères américains… autant de matériels qui vont un peu plus compliquer la tâche de l’armée russe. Une situation qui, comme l’explique Lavrov, signifie que « l’Otan est, en substance, engagée dans une guerre avec la Russie ». Le ministre précise que ces armes sont donc « des cibles légitimes ». De là à frapper des zones de stockage hors Ukraine, donc de fait des territoires de l’Otan ? La menace est implicite mais réelle.
Pour engager la désescalade, l’Otan ne doit pas se laisser entraîner dans le scénario d’une défaite militaire de la Russie, qui semble avoir désormais la faveur de certains de ses membres. Sans en rabattre sur le soutien à l’Ukraine agressée, la France doit rester sur sa ligne, peser de tout son poids pour ne pas laisser se fermer les portes du dialogue, et refuser toutes chimères d’un règlement militaire du conflit.
publié le 27 avril 2022
communiqué CGT, UNSA, Solidaires, FSU, UNEF, VL, MNL, FIDL
La situation économique et sociale est en effet marquée par l’aggravation des inégalités, de la précarité et par la crise écologique qui s’accélère dangereusement. Les questions des salaires, des services publics, de protection sociale et de transition écologique devraient être au cœur des débats et amener des réponses concrètes.
Enfin, l’exigence de paix est aussi une revendication syndicale dans le contexte terrible des guerres notamment en Ukraine. C’est pourquoi les organisations syndicales CGT, UNSA, Solidaires, FSU, UNEF, VL, MNL et FIDL appellent d’ores et déjà à préparer un 1 er mai revendicatif pour faire de cette journée un temps fort de la mobilisation pour les salaires, les pensions, la protection sociale, les emplois, les services publics, l’engagement de la rupture écologique, la paix.
Pour une rupture profonde en matière salariale et pour les pensions. Avec un taux d’inflation qui s’emballe, la situation faite aux agent-es du public comme aux salarié-es, aux retraité-es, aux privé-es d’emploi comme aux étudiant-es n’est plus tolérable tandis que les milliardaires en France ont accumulé 236 milliards supplémentaires lors de la pandémie. Dans le public comme dans le privé, le travail des salarié-es doit être reconnu à la hauteur de sa valeur, des richesses qu’il crée, et garantir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Les étudiant- es doivent pouvoir faire leurs études sereinement sans subir la précarité. Les pensions de retraites doivent être également revalorisées. Le 1 er mai, exigeons des mesures fortes et générales d’augmentation des salaires et des pensions, des bourses étudiantes et un plan de rattrapage des pertes accumulées.
Pour arrêter de malmener les services publics. Alors que les services publics contribuent à répondre aux besoins de la population et à réduire les inégalités, pour les organisations syndicales, il est aujourd’hui temps de reconnaitre la valeur et l’engagement de leurs agent-es en améliorant leurs conditions de travail et en revalorisant d’urgence le point d’indice. L’urgence est en effet au renforcement et à la consolidation des statuts, à l’embauche massive et à la juste rémunération de tous les fonctionnaires. Pour défendre et conforter notre modèle social. Les organisations syndicales continuent d’exiger la suppression de la réforme de l’assurance chômage, comme elles s’opposeront à tout projet visant à reporter l’âge légal de départ en retraite. La préservation de notre modèle social et de son financement passe par la lutte contre le chômage, par les augmentations de salaires, par la lutte contre l’évasion fiscale ou encore par la fin des exonérations de cotisations sociales non compensées par l’État.
Pour la transition écologique. Ce 1 er mai doit être l'occasion d'exprimer la nécessité de mesures fortes et immédiates pour éviter les conséquences dramatiques du dérèglement climatique pour les écosystèmes et les populations. Cette question concerne au tout premier chef le monde du travail.
Pour lutter contre les semeurs de haine. Les organisations s’indignent de la montée des discours d’extrême droite qui propagent la xénophobie, le racisme et l’antisémitisme et qui rejettent les luttes sociales, féministes, humanistes, ou encore d'identités sexuelles et de genre. Les organisations appellent à faire de ce 1 er mai un moment fort de réaffirmation des valeurs de solidarité et d’égalité et d’opposition à toutes les formes de discriminations.
Pour la paix et la solidarité internationale. Fidèle à sa tradition internationaliste, le mouvement syndical placera aussi ce 1 er mai sous le signe de sa solidarité avec le peuple ukrainien, et tous les peuples victimes des guerres. Les réfugié-es, d’où qu’elles et ils viennent doivent être accueilli-es dignement et sans discrimination, les citoyen-nes russes et biélorusses qui expriment leur opposition à la guerre doivent être soutenu-es. Nos organisations dénoncent l’agression de la Russie et militent pour la paix. Celle-ci passe par un retrait immédiat des troupes russes du sol ukrainien et par le retour à la diplomatie afin de dégager une solution respectueuse des droits des peuples et du droit international. Les crimes de guerre doivent être dénoncés et punis quel que soit le pays où ils sont commis. Enfin, les organisations syndicales exigent une politique d’accueil humaniste qui soit la même pour toutes et tous les réfugié-es quels que soient leurs pays d’origine.
Pour toutes ces raisons, la CGT, l’UNSA, Solidaires, la FSU, l’UNEF, la VL, le MNL et la FIDL appellent salarié-es, agent-es public-ques, jeunes, retraité-es ou encore les privé-es d’emploi à participer aux rassemblements et aux manifestations le plus massivement possible le 1er mai.
À Montpellier
la manifestation du 1° mai est à 10h30 au Peyrou
publié le 26 avril 2022
sur https://lepoing.net/
Le Poing a reçu ce communiqué de La Roya Citoyenne que nous relayons en cette période nauséabonde
“Sous le seul examen de la situation des enfants ukrainiens réfugiés en Europe, le Parlement européen a voté une résolution insistant sur la nécessité de couloirs humanitaires, de leur protection vis-à-vis des réseaux de traite, de la création de groupes responsables quant à toutes menaces aux frontières, pour identifier rapidement « les enfants vulnérables, enregistrer leur identité et leurs besoins spécifiques », etc.
Sans doute le parlement européen ignore-t-il l’existence d’une Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) qui depuis 1989 représente un texte qui a force de loi pour tout État l’ayant signée et qui englobe bien des dispositions que semble découvrir aujourd’hui l’Europe, qui baigne, depuis bien longtemps il est vrai, dans un véritable déni de justice sur ce plan-là.
Sans doute aussi, les parlementaires sont-ils émus par le carnage et par les crimes de guerre que Poutine perpètre en Ukraine. Mais ne pourraient-ils aussi, ces braves gens, se pencher sur les mêmes horreurs de guerres multiples qui endeuillent l’Afrique parfois même avec une complicité de la France en fournitures guerrières, sur l’exploitation négrière d’enfants en bas âge, là-bas, par des chefs d’entreprises européens, sur la faim qui constitue leur quotidien, … et qui bien souvent les conduit depuis des décennies à s’enfuir pour gagner l’Europe, et trop souvent se noyer en Méditerranée. Et quand ils y parviennent, et dans quel état, rien de ce que préconise subitement aujourd’hui le Parlement européen, et à quoi la CIDE oblige, n’est mis en œuvre pour les sauver et leur permettre d’accéder enfin à la vie.
Heureusement bien des Européen·ne·s solidaires, avec hélas des moyens insuffisants, en France et ailleurs, œuvrent depuis longtemps pour répondre aux besoins de ces enfants, quitte à subir devant les tribunaux des poursuites abjectes que les pouvoirs publics leurs imposent trop souvent.
Aujourd’hui si l’Ukraine ouvre enfin les yeux de parlementaires, pour ce pays martyre nous nous en réjouissons. Mais nous n’acceptons pas que les mêmes yeux se ferment sur le sort d’autres migrant·e·s depuis trop longtemps chassé·e·s à nos frontières et méprisé·e·s dans nos pays. La loi est avec nous pour permettre à ces enfants et à leurs parents de construire une destinée à visage humain.”
Nice le 14 avril 2022
SOMICO 06 (SOutien MIgrant.e.s COllectif 06) :
Artisans du monde 06 – ATTAC 06 – Citoyens solidaires 06 – CLAJ 06 – Collectif citoyen Bevera – FSU 06 – Habitat & Citoyenneté – LDH PACA – Mouvement de la paix 06 – MRAP 06 – Réseau décolonial 06 – Réseau Education Sans Frontière 06 – Solidaires étudiant.e.s Nice – Roya citoyenne – Tous citoyens – SAF (Syndicat des Avocats de France) – SUD-Solidaires 06 – UD CGT Alpes-Maritimes – Vallées solidaires
Avec le soutien de : Ensemble ! 06 – LFI 06 – NPA 06 – PCF 06
Mourad Guichard sur www,humanite,fr
Racisme Réfugiés à Orléans après avoir fui l’Ukraine, des étudiants africains ne bénéficient, du fait de leur origine, d’aucune des aides allouées aux autres exilés ukrainiens.
Pour répondre à l’élan de fraternité national, la ville d’Orléans ne s’est pas fait prier. L’artère principale a été pavoisée de drapeaux jaune et bleu, le pont de l’Europe symboliquement rebaptisé pont de l’Ukraine, des sommes importantes débloquées en conseil municipal et un voyage organisé en grande pompe vers la frontière polonaise par Serge Grouard, le maire LR de la ville. Sur le campus, la vingtaine d’étudiantes ukrainiennes qui bénéficient, depuis lundi, de cours de français langue étrangère ne peuvent que confirmer cette incroyable générosité et s’en féliciter. Elles qui ont obtenu la protection temporaire libérant des aides financières, le potentiel accès aux repas à 1 euro, l’inscription à l’université, la possibilité de faire une demande de logement étudiant…
« La seule solution de régularisation, c’est le retour au pays »
Mais tous les étudiants ayant fui la guerre et les bombardements en Ukraine ne bénéficient pas d’une telle attention. Pas ceux dont l’origine et la couleur de peau ne correspondent pas aux critères visiblement retenus. En l’occurrence, une dizaine d’étudiants originaires du Congo. Eux sont considérés comme des victimes de guerre de seconde zone et n’ont reçu qu’un titre de séjour d’un mois à leur arrivée. « J’ai rejoint l’Ukraine en 2017 pour poursuivre mes études en pharmacie, car le pays était abordable, notamment au niveau du logement », explique Kimi (1), 27 ans, étudiante en pharmacie. Et de poursuivre : « Quand des parents envoient un enfant à l’étranger, c’est pour obtenir un diplôme reconnu et ils investissent énormément pour cela. » Aujourd’hui, les autorités françaises lui demandent de prendre l’avion et d’effectuer une demande de visa auprès de l’ambassade de France au Congo. Elle qui n’a ni revenus ni protection. Même situation pour ses camarades, dont certains se sont retrouvés dépourvus de papiers d’identité du fait du chaos régnant en Ukraine. « Depuis plusieurs semaines, nous recevons de nombreuses demandes d’inscription provenant de la France entière. Mais la préfecture du Loiret est ferme, pour ne pas dire fermée. La seule solution de régularisation, c’est paradoxalement le retour au pays », déplore un agent de l’université, dépité.
Si Kimi a eu la chance de trouver un lieu d’accueil, elle vit la peur au ventre dans l’attente de l’expiration de son titre de séjour provisoire. « Je laisse mon numéro partout pour demander de l’aide ou une inscription dans une autre université, mais on ne me rappelle jamais, regrette-t-elle. Les Ukrainiens, on s’occupe bien d’eux pourtant. Moi, je vis dans le stress tous les jours. Qu’aurait-il fallu faire ? Me marier avec un Ukrainien pour obtenir des papiers ? C’est hors de question. »
Pour Deyve, 31 ans, étudiant en médecine, le chemin a pourtant été long pour gagner Paris, puis Orléans. « J’étais en Ukraine depuis une dizaine d’années, mais j’avais dû suspendre mes études pour des raisons financières, rapporte-t-il. J’ai alors vécu de petits boulots en continuant à me former par le biais de conférences et de séminaires. » Quand la guerre éclate, le 24 février, il décide de rester. Mais très vite, les choses empirent. « Les bombes ont commencé à tomber. Par instinct de survie, j’ai quitté le pays à pied et marché des kilomètres. » Sur son parcours, il voit les taxis et les trains réservés en priorité « aux Blancs » et facturés 300 euros le trajet vers la Pologne. « Arrivé à la frontière, on m’a demandé de faire demi-tour au motif que j’avais perdu mon passeport durant le périple. Mais j’ai réussi à franchir la frontière en déposant mes empreintes », dit-il. Après avoir été placé dans un campement, il est orienté vers Paris du fait de sa culture francophone. Son camarade Michel, un étudiant en pétrochimie, rapporte les mêmes discriminations. « Nous avons été plusieurs à pouvoir attraper un train, mais à la vue du nombre d’Africains présents à bord, les autorités lui ont fait faire machine arrière. Un autre train rempli de militaires a alors accepté de nous transporter, mais nous avons dû rester debout douze heures durant, pratiquement sans nourriture », se souvient-il. Il réussira à trouver une place dans une voiture avec sept autres passagers. Ils mettront deux jours à traverser la Pologne.
« Arrivée à la frontière polonaise, on m’a frappée pour m’empêcher de passer »
Nana, une étudiante en médecine de 26 ans, vit elle aussi très mal cette séquence. Elle a quitté Kharkiv, dans l’est du pays, dès l’annonce des combats. « Quand Poutine a dit qu’il ferait la guerre pour avoir la paix, j’ai compris que les choses allaient mal tourner, se remémore la jeune femme. Puis une nuit, alors que je dormais dans mon foyer, les bombardements ont commencé. » Nana aussi ne vit que par l’aide familiale et souhaite naturellement poursuivre ses études sur le sol français. « J’ai l’impression que la France ne veut pas de nous. À la préfecture, on nous laisse entendre que nous serions ici pour profiter de la situation, c’est traumatisant. » En tentant de quitter l’Ukraine, Nana a pourtant vécu des heures éprouvantes dont les autorités françaises ne semblent avoir cure. « À la gare, ils nous ont parqués dans les wagons à bagages, sans chauffage, alors que les Ukrainiens occupaient des voitures classiques. Arrivée à la frontière polonaise, on m’a frappée pour m’empêcher de passer. Je n’ai jamais vécu une telle violence raciste. »
À Orléans, la plupart des étudiants africains ayant fui l’Ukraine sont logés par une association dans un foyer situé au milieu de nulle part, sans connexion Internet. Ils disent n’avoir aucun accompagnement social et bénéficient tout juste de plateaux-repas. « Je suis allé chercher une carte SIM offerte par un opérateur aux déplacés ukrainiens, mais on m’a clairement dit que ça n’était pas pour des gens comme nous », explique l’un d’eux. Au-delà du 30 avril, date d’expiration de leur titre de séjour, ils ne savent pas s’ils pourront rester ou s’ils devront partir. « Mais pour aller où ? » s’inquiète Nana.
Contactée par l’Humanité, la préfecture campe sur ses positions, s’appuyant sur le texte réglementaire qui exclut théoriquement les étudiants étrangers des dispositifs de protection temporaire. La gouvernance de l’université d’Orléans est, elle, aux abonnés absents.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
publié le 26 avril 2022
sur www,humanite,fr
Dans le collimateur du patronat et des gouvernements libéraux, l’action syndicale concourt à l’expression démocratique des travailleurs.
Le syndicalisme permet par l’action collective de faire reculer le pouvoir unilatéral des employeurs et parfois même l’État. Maryse Dumas, ancienne secrétaire confédérale de la CGT (1995-2009)
La démocratie ne peut se résumer à mettre périodiquement un bulletin dans l’urne. Elle doit surtout permettre au plus grand nombre, de toutes catégories sociales, de peser sur toutes les décisions et lieux de pouvoir. C’est l’une des missions et non des moindres du syndicalisme.
Par nature, il intervient directement au cœur du système d’exploitation, là où se noue la contradiction fondamentale d’intérêts entre capital et travail qui se répercute sur toute la société. Par son implantation et sa pratique, il permet à celles et ceux que la société brime de trouver un chemin pour s’exprimer, se faire entendre et respecter. Par l’action collective, il fait reculer le pouvoir unilatéral des employeurs, voire du pouvoir politique.
Il fait entendre les réalités sociales et parvient souvent à les modifier. Ses valeurs intrinsèques sont à l’opposé du libéralisme. À la destruction des collectifs de travail et aux mises en concurrence des salariés entre eux, il oppose, en actes, la recherche de solidarités d’intérêts et de luttes. À l’obligation d’adhérer aux objectifs stratégiques de l’entreprise pour la rentabilité du capital, il oppose la valorisation du travail et l’objectif de sa transformation pour lui donner un sens d’utilité sociale au service du bien commun. Affaibli, il a du mal aujourd’hui à déployer toutes ses potentialités, et cela participe de la crise démocratique profonde que traverse notre pays.
Sur les trente dernières années, la courbe est presque parallèle entre, d’un côté, l’affaiblissement syndical, notamment là où est son essence, c’est-à-dire sur les lieux de travail, et, de l’autre, l’accentuation des phénomènes de ressentiment et de violence tous azimuts, exacerbés par les impasses auxquelles ils conduisent. Quand on se sent isolé, impuissant à changer sa situation, quand on n’est ni respecté ni entendu, on devient une proie facile pour toutes les formes de rejet de l’autre dont l’extrême droite fait son fonds de commerce.
« L’action syndicale reste un puissant levier d’émancipation collective et d’affirmation de soi. »
C’est en se ressourçant sur ses spécificités que le syndicalisme pourra le mieux se mettre à la hauteur des défis du moment. Comme le démontrent nombre de luttes récentes, l’action syndicale reste un puissant levier d’émancipation collective et d’affirmation de soi. La déployer au maximum, notamment dans les catégories les plus malmenées par le libéralisme, est un objectif majeur. Offrir à chacune et à chacun la possibilité de s’exprimer, de débattre, de se confronter avec d’autres avant de décider collectivement est la condition d’une inversion des rapports de forces à tous les niveaux.
Rien ne peut remplacer l’expérience de la construction de luttes collectives par les salariés eux-mêmes sur leurs lieux de travail, pour faire évoluer leurs conditions de travail et d’existence. C’est le point de départ, incontournable, pour vivifier des luttes d’ensemble aux objectifs plus vastes. C’est une condition essentielle de démocratie.
Le syndicalisme a contribué à « la démocratisation de la démocratie » en permettant la participation des classes populaires. Karel Yon, sociologue, Idhes (université Paris-Nanterre, CNRS)
On tend de plus en plus à vouloir confiner l’action des syndicats à la sphère de la démocratie sociale, souvent réduite à la pratique du « dialogue social » légitimée par les élections professionnelles. Or, le syndicalisme est essentiel à la démocratie « tout court ». Il a, pour commencer, joué un rôle décisif dans la démocratisation des sociétés nées du capitalisme industriel.
De la conquête « politique » des libertés collectives (d’organisation, de grève, de négociation) au tournant du XIX e siècle jusqu’à la construction de la Sécurité sociale au milieu du siècle suivant, syndicats et syndicalistes ont su édifier leurs propres institutions, façonner celles de l’État et des entreprises pour imposer des formes de citoyenneté sociale et industrielle qui ont permis que les classes populaires ne restent pas aux marges de la société.
« Les syndicats apparaissent aujourd’hui d’autant plus essentiels qu’ils se retrouvent bien seuls. »
Ce concours du syndicalisme à la « démocratisation de la démocratie » s’est longtemps fait de concert avec toute une nébuleuse de partis, associations et coopératives constituant le « mouvement ouvrier ». Mais force est de constater que les syndicats apparaissent aujourd’hui d’autant plus essentiels qu’ils se retrouvent bien seuls. Face à des mondes partisans, associatifs et mutualistes où les salarié·e·s du bas de l’échelle sont devenu·e·s rares, les syndicats restent l’un des rares cadres rendant possibles l’engagement de militant·e·s issu·e·s des classes populaires et leur promotion à des rôles de porte-parole.
Directement branché sur les espaces de travail – ce qui n’est pas le cas dans tous les pays –, le syndicalisme offre un espace de participation aux groupes socialement, symboliquement ou juridiquement dépourvus du droit de cité. En cela, il a été et reste à ce jour un puissant vecteur d’émancipation, au-delà même du périmètre institué de la citoyenneté politique, comme le rappellent régulièrement les remarquables grèves des travailleur·se·s sans papiers.
Mais cette vocation démocratique n’a rien de naturel. Elle dépend d’un travail militant et de pratiques organisationnelles. Les syndicats sont des caisses de résonance des contradictions de la société. En attestent les problèmes de violences sexistes dans certaines organisations, ou l’écho que rencontrent par endroits les idées d’extrême droite.
Maintenir l’actualité d’un syndicalisme inclusif, attentif à représenter la classe laborieuse dans sa diversité, suppose de multiples efforts : efforts d’éducation politique à l’histoire du mouvement ouvrier, aux valeurs et aux pratiques de la démocratie, de l’égalité et de la solidarité ; efforts de développement et d’intégration pour représenter les jeunes, les femmes, les étrangers, les fractions les plus précaires et les plus exploitées du monde du travail qui recoupent souvent toutes ces catégories. Un gouvernement soucieux de revitaliser la démocratie serait bien avisé de rendre aux syndicats les moyens de se consacrer à ces efforts.
À lire. Sociologie politique du syndicalisme par Sophie Béroud, Baptiste Giraud et Karel Yon, Armand Colin, 2019.
sur https://france.attac.org
Le scrutin présidentiel qui vient de se terminer par l’élection d’Emmanuel Macron, représentant du néolibéralisme autoritaire, laisse un goût amer pour toutes les forces qui se réclament des combats écologistes, de la justice sociale et de l’égalité des droits.
La défaite de Marine Le Pen écarte pour l’instant le danger d’une prise en main de l’État et de ses administrations par l’extrême droite. Mais le score très élevé des candidat·es d’extrême droite (Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan) au premier tour, confirmé par celui du second, est une alerte sérieuse, qui pourrait être la dernière si une alternative progressiste de gauche ne se renforce pas au plus vite. Cela devient même vital tant les groupes fascistes et identitaires ont montré ces derniers jours le vrai visage de l’extrême droite en multipliant les agressions à l’encontre de musulman·es, de syndicalistes, de militant·es de gauche, dans le silence assourdissant de la plupart des médias. Cela devient aussi vital pour tou·tes celles et ceux, en grande souffrance sociale qui verront se dégrader encore davantage leurs conditions de vie.
E. Macron porte une responsabilité majeure dans la progression de l’extrême droite : d’une part, en banalisant avec ses ministres les thématiques de l’extrême droite et, d’autre part, en creusant les inégalités et renforçant les injustices sociales durant son quinquennat.
Président mal élu et fuyant le débat, il accède une seconde fois à la présidence de la République sans projet légitimé. Sa persistance à aggraver les injustices fiscales et sociales, à vouloir faire payer la dette aux plus pauvres et sa proposition de repousser la retraite à 65 ans ne rencontrent pas l’adhésion. Ses annonces de dernière minute sur l’écologie, ou sur les droits des femmes, ne laissent personne dupe. E. Macron bénéficie d’un mode de scrutin majoritaire à bout de souffle qui oblige les électeurs et électrices à donner leur suffrage au moindre mal au second tour. L’abstention, qui atteint un nouveau record de 28,01 %, reflète un rejet de l’offre électorale.
Ce résultat électoral pourrait provoquer démoralisation et démobilisation. Dans la mesure de ses moyens, Attac doit, avec les autres mouvements sociaux, lutter contre ces deux phénomènes. C’est par les mobilisations que nous pouvons défaire le projet néolibéral macroniste. La construction de projets émancipateurs se fait au quotidien dans les cadres collectifs que sont les associations, les syndicats, les collectifs, à toutes les échelles. La vie démocratique ne s’est jamais résumée aux échéances électorales.
Les luttes collectives à mener dès maintenant sont confrontées à deux dangers : celui des régressions sociales néolibérales et la menace identitaire, nationaliste et xénophobe. Pour faire une première démonstration qu’une dynamique collective existe en faveur de la justice sociale, environnementale et de la solidarité, nous descendrons massivement dans la rue le 1er mai pour construire une large opposition aux projets d’E. Macron.
Renforçons nos campagnes pour un autre monde !
La progression des gauches lors du premier tour de la présidentielle, notamment autour du programme de l’Union Populaire, a vu de nouvelles et nouveaux électeurs se prononcer pour une rupture avec le libéralisme, pour la justice sociale et écologique, et la construction d’une société féministe et antiraciste. Les dynamiques au sein des quartiers populaires et de la jeunesse sont un encouragement à poursuivre nos combats afin de nous défaire du néolibéralisme et faire régresser l’extrême droite qui s’en nourrit.
La progression des idées de gauche dans cette séquence électorale est aussi le fruit des mobilisations de ces dernières années : le refus de l’allongement de l’âge de départ à la retraite s’est construit dans les mobilisations syndicales, l’exigence de justice fiscale et sociale n’aurait pas été aussi forte sans la présence des gilets jaunes sur les ronds-points, l’aspiration à répondre à l’urgence écologique a mûri grâce aux grandes manifestations pour le climat, la dénonciation du racisme systémique a été parmi les mobilisations les plus massives au sortir du confinement tandis que les luttes féministes ont montré leur force numérique depuis 2017 et le mouvement #MeToo.
Malgré leur dynamique, ces mouvements n’ont pas trouvé un débouché victorieux à cette élection présidentielle. Mais les législatives de juin peuvent permettre de renforcer un projet de rupture avec le néolibéralisme productiviste, fossoyeur du modèle social conquis par les luttes.
Attac, comme d’autres organisations, va une fois encore se retrouver en première ligne face aux offensives du pouvoir. Il s’agira de poursuivre notre action pour promouvoir des alternatives au service de la justice sociale, fiscale et environnementale, pour déconstruire les discours néolibéraux et lutter contre les attaques envers les services publics et la protection sociale menées au nom de la réduction du déficit et de la dette publique.
Le travail de notre association et de ses comités locaux a été précieux au cours de cette période électorale. Elle poursuivra ce travail en vue des législatives pour dénoncer les candidat·es des inégalités fiscales, sociales et climatiques.
Attac poursuivra ces actions pour imposer une première défaite à E. Macron sur la question des retraites. Elle s’appuiera pour cela sur les fortes dynamiques qui ont émergé en 2019 et qui sont parvenues à faire reculer le gouvernement.
Forte d’une centaine de comités locaux présents sur l’ensemble du territoire, notre association invite toutes les personnes qui aspirent à plus de justice et d’égalité à la rejoindre pour porter haut et fort l’ensemble de ces combats.
sur https://www.ldh-france.org
Les urnes ont tranché et Marine Le Pen est battue.
Si la Ligue des droits de l’Homme (LDH) salue cette conclusion, les résultats laissent un goût amer et de lourdes inquiétudes sur notre démocratie.
L’abstention à cette élection présidentielle atteint un niveau le plus élevé depuis 1969 et plus de 3 millions de bulletins sont blancs ou nuls ; le président réélu l’est sans adhésion à son programme mais largement en rejet de la menace de l’extrême droite qui atteint elle un score inégalé, lourd de sens et de menaces.
Autant de signes négatifs qui imposent d’agir d’urgence pour refonder notre démocratie et nos institutions. Il s’agit aussi de répondre aux aspirations sociales, environnementales, d’égalité, de justice et de participation effective laissées sans perspective.
Une majorité parlementaire est encore à constituer dans un paysage politique éclaté qui oblige à travailler les conditions d’un rassemblement positif face à l’extrême droite et à ses idées, comme aux logiques ultralibérales qui les entretiennent et contre lesquelles il sera nécessaire de se mobiliser encore.
La LDH participera activement à ces combats et portera, comme elle l’a fait durant le précédent quinquennat, ses mêmes exigences de réponses démocratiques, de lutte contre les injustices et les inégalités.
sur https://www.greenpeace.fr
Dimanche 24 avril, Emmanuel Macron a remporté l’élection présidentielle face à Marine Le Pen. Après une campagne où l’enjeu écologique a été largement négligé et où la menace de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir a une fois de plus été forte, Greenpeace France appelle la société civile à se mobiliser pour contraindre le prochain exécutif à un sursaut social et écologique absolument indispensable.
“La réélection d’Emmanuel Macron face à la candidate du RN ne signifie pas qu’il y a une adhésion forte à son projet. Au vu de son bilan sur le front climatique et écologique durant le dernier quinquennat, nous ne pouvons pas apporter de crédit aux quelques promesses qu’il a avancées de façon opportuniste pendant le second tour sur ces enjeux, nous jugerons sur pièce. Fondamentalement, son programme politique reste ancré dans une logique productiviste, libérale et technocentrée, incompatible avec les objectifs climat de l’accord de Paris qui impliquent une transformation profonde de nos modes de production et de consommation vers plus de solidarité, de justice sociale et de sobriété . Des enjeux qui semblent toujours échapper au Président Macron, au-delà de ses déclarations incantatoires.” réagit Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.
Alors que le GIEC vient une nouvelle fois de sonner l’alarme, Greenpeace France rappelle que la France a été condamnée deux fois par la justice en 2021 pour son inaction climatique.
“Hausse des températures, destruction des ressources planétaires, effondrement de la biodiversité, ces phénomènes atteignent un seuil critique. Face au déni ou au cynisme de certains décideurs politiques, Emmanuel Macron en tête, nous sommes nombreux et nombreuses à aspirer à une société respectueuse des limites planétaires, plus juste et plus solidaire. Avec le mouvement climat et le mouvement social, nous exercerons notre rôle de contre-pouvoir pour imposer la justice sociale et l’urgence écologique et climatique au cœur de l’agenda politique, du débat public et des prochaines échéances électorales. Chaque fois que cela sera nécessaire, nous dénoncerons les “fausses solutions”; “les petits pas” et les “grandes reculades.” poursuit-il.
A court terme, Greenpeace France appelle notamment tous les citoyens et les citoyennes à manifester le 1er mai dans la
rue, aux côtés des organisations syndicales et du mouvement social, pour faire entendre une voix forte de la société civile immédiatement après la réélection d’Emmanuel Macron.
Greenpeace France appelle également à se mobiliser massivement dans les urnes à l’occasion des élections législatives les 12 et 19 juin pour élire un maximum de député·es défendant une vision
ambitieuse et juste de l’écologie.
sur https://www.confederationpaysanne.fr
Réélu grâce à la mobilisation citoyenne contre Marine Le Pen, Emmanuel Macron entame un second mandat. Dont acte. A la veille du premier tour, nous avions dit en quoi notre projet d'agriculture paysanne, en capacité de répondre aux urgences sociales et environnementales, est aux antipodes du néolibéralisme antisocial et anti-écologique, obstacle à la mise en œuvre de politiques égalitaires et émancipatrices.
Le bilan agricole du précédent quinquennat est catastrophique : la promesse d'une loi foncière ambitieuse a accouché d'une souris ; les deux lois Egalim, dépourvues d'outil de régulation, n'ont évidemment rien réglé aux problèmes de revenu des paysans.nes ; une nouvelle PAC* dite de la « stabilité» arcboutée sur des aides à l'hectare avec un plan stratégique national dont le peu d'ambition agro-environnementale est dénoncée jusque dans les rangs de la Commission européenne ; aucun investissement dans la formation et l'installation alors que dans 8 ans la moitié du monde agricole partira à la retraite ; les mégabassines comme réponse aux enjeux de transition et d'adaptabilité de l'agriculture face à la raréfaction de l'eau ; une gestion catastrophique et dogmatique de la plus grave crise de grippe aviaire jamais survenue en France …. La liste est bien trop longue.
La responsabilité face aux enjeux de transition agro-écologique et de renouvèlement paysan oblige de ne pas perdre 5 années supplémentaires. Il est donc impossible de repartir dans la cogestion gouvernement-FNSEA*, portée à son paroxysme dans le précédent quinquennat. La ou le futur ministre de l'agriculture devra donc s'extraire de ce seul tête à tête.
La Confédération paysanne a des propositions qui ne sont ni la robotique, ni le numérique, ni la génétique, ni le « produire plus ». L'enjeu principal pour le monde agricole est de s'attaquer aux ravages du néolibéralisme et protéger économiquement les paysan.nes pour installer massivement, imposer une répartition équitable des richesses et permettre l'accès de toutes et tous à une alimentation de qualité.
Dès le premier mai, nous serons donc mobilisés pour faire vivre nos propositions dans la rue, dans les luttes, dans les débats politiques et dans les différents lieux de pouvoir. Les attentes et les urgences que nous portons au travers de notre projet de transformation agricole, alimentaire, sociale et environnementale doivent être prises en compte. En tant que syndicat, nous nous mobiliserons pendant la campagne des législatives pour que ces propositions soient portées par les député.es élu.es et réellement prises en compte dans le quinquennat qui débute.
Emilio Meslet sur www,humanite,fr
Dans la foulée d’une présidentielle où la planète est restée en marge des débats, les ONG veulent créer un nouveau souffle propice à l’engagement. Pour cela, une réorganisation paraît nécessaire.
« Une défaite pour le climat ». Au sein du mouvement climat, on peine à trouver d’autres mots pour décrire la séquence présidentielle qui s’est achevée, dimanche, par le moins terrible des deux scénarios. Emmanuel Macron est réélu, Marine Le Pen n’accède pas à l’Élysée. « Nous avons évité le pire, mais ce n’est pas pour autant qu’on a le meilleur », résume Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. Et Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba, de compléter : « Maintenant, on se remet au travail, cinq ans de lutte nous attendent. » À peine le temps de souffler qu’il faut déjà penser un après qui ne sera pas une sinécure pour l’environnement. Surtout que, dans l’entre-deux-tours, le greenwashing du président-candidat n’a pas pris sur les ONG. « Rien ne prouve qu’Emmanuel Macron numéro 2 va être meilleur que Macron numéro 1. Son bilan plaide contre lui, donc je le jugerai sur les actes », prévient Jean-François Julliard.
Une fois ce constat posé, il ne reste alors qu’une seule option : la riposte. Et elle commence tout de suite, disent les associations. Ce mardi, avec une série de manifestations et d’actions coups de poing dans le pays, Résistances locales, un agrégat de 120 collectifs, ouvre le bal pour mettre la pression. « Il n’y a que peu d’espoir à avoir dans la voie institutionnelle. Nous devons accentuer le rapport de forces. Et la meilleure stratégie, selon moi, est de se mobiliser localement, là où il y a le plus de brèches, donc de chances d’obtenir des victoires », appelle Léna Lazare, membre de Terres de luttes, qui veut mettre à profit une « culture de résistance » construite depuis l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Sans pour autant « oublier l’échelon national et international », précise la jeune militante.
« Vers un projet de société commun »
À court terme, les ONG ont coché deux dates sur leur calendrier : le 1er Mai, puis la mi-juin, avec les élections législatives. Des discussions sont en cours afin de définir le rôle que peuvent tenir les associations dans cette séquence électorale pour « envoyer un maximum de députés proches de (leurs) causes ». Ensuite, viendra le temps de la restructuration d’un mouvement climat assez hétérogène qui n’a eu que peu de succès face au mur Macron. « En 2019, on a gagné la bataille culturelle sur le changement climatique. Maintenant, on doit dépasser ce constat, préconise Élodie Nace. Pour cela, nous avons besoin de connecter la question climatique à la vie des gens en montrant que nous portons, avec d’autres mouvements sociaux (féministes, antiracistes…), un projet de société commun. »
Dans cette optique, même si « elles n’ont pas eu jusqu’ici l’impact escompté », selon Jean-François Julliard, les marches pour le climat continueront de façon à être une « porte d’entrée » vers la lutte. « Il nous faut continuer les recours juridiques comme la désobéissance civile pour rehausser notre influence », ajoute le patron de Greenpeace. Et Élodie Nace de conclure : « Il y a certainement encore plein de formes à inventer à partir du travail déjà effectué. »
publié le 25 avril 2022
par Ivan du Roy sur https://basta.media/
Emmanuel Macron a été réélu en partie grâce à l’électorat de gauche par devoir antifasciste. Après avoir évité le pire, il s’agit désormais de s’atteler à proposer le meilleur : une réelle alternative aux législatives de juin.
« La vraie bonne nouvelle, c’est la fin de la campagne présidentielle la plus raciste de l’histoire », a commenté l’avocat Yassine Bouzrou, habitué à défendre les personnes victimes de violences policières arbitraires [1]. Le « barrage » à l’accession au pouvoir de l’extrême droite a tenu, mais à quel prix ? Le délire raciste du « grand remplacement » s’est répandu jusque dans les rangs de la droite républicaine ; pendant des mois, l’extrême droitisation du débat a été allègrement relayée par certaines télévisions ; Marine Le Pen et son projet d’exclusion et de régression sociale ont été banalisés comme jamais ; les questions d’intérêt général ont été reléguées à quelques maigres débats.
Bien que défaite, l’extrême droite gagne du terrain
Pour la troisième fois en cinq élections présidentielles, l’extrême droite a accédé au second tour. Et pour la première fois elle dépasse la barre des 40 %, gagnant 2,6 millions de voix par rapport au scrutin précédent, arrivant en tête dans 30 départements (dont les cinq d’Outre-mer) contre deux en 2017. Marine Le Pen recueille près de 8 millions de suffrages supplémentaires par rapport à son père en 2002. C’est dire l’état du pays, quand plus de 13 millions d’électeurs et d’électrices sont prêts, par adhésion, par colère, par relativisme ou par totale défiance, à faire le choix de l’extrême droite. Seize millions d’abstentionnistes et votants blancs ou nuls ont refusé de se prêter à ce dilemme cornélien.
Macron ne doit sa réélection qu'à 5,5 millions de voix d'avance sur Marine Le Pen. Il en comptait 10 millions de plus en 2017, et Chirac 20 millions face à Jean-Marie Le Pen en 2002
En face, Emmanuel Macron ne doit sa réélection qu’à 5,5 millions seulement de voix d’avance sur Marine Le Pen. Il en comptait 10 millions de plus en 2017, et Jacques Chirac 20 millions face à Jean-Marie Le Pen en 2002. Voilà la tendance lourde qu’il va nous falloir contrecarrer, à moins de continuer à marcher, tels des somnambules, vers le désastre annoncé.
Emmanuel Macron a perdu deux millions de voix par rapport à 2017 (58,5 % des suffrages exprimés contre 66 % il y a cinq ans). Il ne recueille que 38,5% des voix, si l’on prend en compte l’ensemble des inscrits – l’un des plus bas socles électoraux sous la 5e République. Il ne doit ce second mandat qu’au douloureux report d’une grande partie de l’électorat de gauche, dont le niveau d’abnégation est à saluer. Pensons aux enseignants, aux soignants, à celles et ceux qui font malgré tout tourner les services publics, aux salariés, ouvriers, agriculteurs qui assurent la production de richesses et qui n’ont pas cédé aux sirènes de l’extrême droite, aux étudiants appauvris, tous et toutes largement méprisés pendant le premier quinquennat.
« J’ai conscience que ce vote m’oblige », a déclaré le président de la République devant ses partisans réunis sur le Champ de Mars, à Paris, le soir du 24 avril. À quelques centaines de mètres de là, les premières grenades lacrymogènes du quinquennat étaient tirée sur des manifestants, autour du Châtelet ou de la place de la République. On sait le peu de crédit que l’on peut placer dans la parole macronienne. D’autant que le discours présidentiel du 24 avril est aussi creux qu’un powerpoint réalisé par un cabinet de conseil grassement rémunéré : « Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève mais l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux au service de notre pays, de notre jeunesse », a-t-il lancé, au terme d’une campagne où le président sortant a refusé tout débat – sauf avec l’extrême droite – et tout véritable bilan critique de son premier quinquennat.
À gauche, la nécessité absolue de refonder une dynamique
Malgré ce sinistre contexte, les électeurs et électrice de gauche « ont fait le job ». Ils et elles ont, au premier tour, redonné quelques couleurs à la possibilité d’une véritable alternative entre le néolibéralisme méprisant du président sortant et la société d’exclusion et de discrimination souhaitée par Le Pen. Le « bloc de gauche » y a progressé de plus d’un million de voix, malgré ses divisions, malgré les ralliements opportunistes au macronisme, malgré les entraves médiatiques, malgré l’absence de débat de fond. Au second tour, en dépit du coût « moral », ils et elles ont largement contribué à ne pas donner donner les clés du pays à l’extrême droite.
La vie démocratique et la possibilité de construire des alternatives ne se résument pas à une frustrante tragédie électorale tous les cinq ans
Désormais, c’est aux états-majors des partis de gauche – Union populaire et insoumis, écologistes, communistes, socialistes, anticapitalistes – de prouver leur sens des responsabilités. Cela semble plutôt en bonne voie, un accord national en vue des élections législatives de juin est en train de se négocier pour éviter un mortifère éparpillement des candidatures. Objectif : imposer, au mieux, une cohabitation à Emmanuel Macron, ou, au minimum, renforcer de manière conséquente le nombre d’élus combatifs (la gauche, dans toutes ses composantes, ne comptait qu’un peu plus d’une soixantaine de député sur 577, 28 socialistes, 17 insoumis, 15 communistes, une poignée de non inscrits). Reste à sortir de l’entre-soi pour poursuivre la dynamique naissante, à convaincre un électorat lassé qui risque de s’abstenir, à montrer que des changements concrets, au-delà des beaux slogans, sont encore possibles. Ce ne sera pas une mince affaire.
Il n’y a pas que les partis : la vie démocratique et la possibilité de construire des alternatives ne se résument pas à une frustrante tragédie électorale tous les cinq ans. Les syndicats, les associations petites ou grandes, les collectifs de lutte, bref, toutes les forces œuvrant pour l’émancipation individuelle et collective, ont également leur rôle à jouer. Elles doivent, elles aussi, sortir d’un relatif entre-soi et s’ouvrir. En parallèle, nombre de citoyens doivent ré-apprendre à s’en servir et à s’y engager. Ce sera bien moins pénible et bien plus enthousiasmant que devoir s’infliger une nouvelle corvée électorale d’ici cinq ans. Avec un risque accru de se conclure tragiquement.
publié le 25 avril 2022
Florent LE DU sur www,humanite,fr
Selon l’historienne Ludivine Bantigny, des leçons doivent être tirées pour enrayer la croissance électorale de Le Pen et consorts. Ludivine Bantigny Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université de Rouen-Normandie
Jamais l’extrême droite française n’a été aussi forte depuis la Libération. Le soulagement de la défaite de Marine Le Pen ne peut faire oublier ce terrible constat. Face à un camp extrémiste qui n’en finit plus d’être normalisé et de progresser, le combat d’idées devient de plus en plus difficile mais d’autant plus nécessaire. Pour l’universitaire Ludivine Bantigny, coautrice de l’essai Face à la menace fasciste (Textuel, 2021), cette lutte doit être menée à deux niveaux : démonter sans relâche les impostures du RN et y opposer une autre alternative.
Marine Le Pen a réuni plus de 13 millions de voix au second tour. Malgré la défaite, cette présidentielle peut-elle être vue par l’extrême droite comme une victoire ?
C’est forcément une petite victoire. Ses thèses se sont encore plus banalisées pendant cette campagne, au point que Marine Le Pen puisse se faire passer pour une modérée. Et son score progresse. Des digues sont encore tombées dans l’entre-deux-tours. Des journalistes se sont même demandé si elle était vraiment d’extrême droite, de supposés intellectuels ont soutenu que non… Quant aux résultats, l’extrême droite atteint désormais un score d’autant plus terrorisant qu’on finit par s’y accoutumer. Cette progression paraît même parfois inéluctable, même si on peut et doit encore se battre pour qu’elle cesse. Les législatives seront une étape importante, avec le danger que l’extrême droite soit plus puissante politiquement, puisse se montrer parfaitement légitime dans le système et faire la démonstration qu’elle est prête à prendre le pouvoir.
Quand l’extrême droite est à ce point normalisée, comment peut-on la faire reculer ?
D’une part, il y a sans doute un travail journalistique qui doit être intensifié. Ce n’est pas acceptable que l’extrême droite argumente sans véritable contradiction comme aujourd’hui. On ne peut hélas plus vraiment compter sur ces médias détenus par des puissances d’argent. Ceux qui gardent une indépendance ont donc un travail immense à faire. Un travail d’explication du véritable projet de Le Pen, d’enquête aussi sur l’appareil du RN, ses cadres, à quelles idéologies ils se rattachent, leurs prises de décision… Il y a finalement, dans l’Histoire, assez peu d’exemples d’une extrême droite qui progresse mais a su être repoussée à temps. Au moment de l’affaire Dreyfus, elle était très haute et a pu être combattue par la construction d’une gauche forte. On peut penser aussi au Front populaire, qui a affaibli les ligues, bien qu’elles soient réapparues ensuite. Étant donné le cynisme des politiques actuellement menées et leur violence, il paraît compliqué d’imaginer que l’extrême droite va reculer. Mais la gauche peut progresser et montrer qu’il y a une autre alternative.
Le score relativement élevé d’une gauche de rupture au premier tour et la perspective d’un rassemblement pour les législatives constituent-ils des motifs d’espoir ?
Cette gauche de justice sociale doit devenir puissante, enthousiasmante. L’Union populaire a su convaincre grâce à un programme bien construit, avec un mélange de tradition réformiste, au sens vrai et fort du terme, et des traits d’anticapitalisme. La gauche doit savoir parler d’alternative, montrer que ce n’est pas en désignant des boucs émissaires que la situation va s’arranger. Parler à toutes les catégories populaires également : il existe encore un fort mépris de classe envers des personnes qui se tournent vers Le Pen parce qu’elles sont dans des situations de détresse sociale terribles. Pour trouver une puissance collective, l’unité est également très importante. La perspective d’avoir une opposition rassemblée, forte, à défaut de cohabitation, redonne de l’espoir. On a vu ces dernières années des députés de gauche qui savent se battre, proposer des alternatives. Avec l’appui des mobilisations sociales, il y a besoin de cette gauche pour montrer qu’une autre voie est possible.
Quel rôle peuvent avoir les mouvements sociaux dans la lutte contre l’extrême droite ?
Un mouvement social est l’occasion pour chacun de prendre la parole, de se sentir légitime à s’exprimer, à montrer sa réalité sociale. Cela permet aussi de créer des solidarités, de mettre des mots sur des colères et de sortir des gens de l’isolement. C’est fondamental car le RN se nourrit de ce désespoir et de cet isolement. Le mouvement des gilets jaunes n’était pas homogène politiquement, mais, partout où c’était possible, les discussions ont aussi consisté à contrer les idées de l’extrême droite, et sur les ronds-points beaucoup ont été convaincus. C’est par la lutte que les progrès sociaux peuvent arriver et qu’on peut montrer que les idées du RN n’apportent en réalité aucune réponse aux contestations. Le mouvement social est un moment de clarification.
publié le 24 avril 2022
Bruno Vincens sur www.humanite.fr
Les salariés aveyronnais mettent fin à leur présence continue, depuis cinq mois, dans la fonderie de Viviez. Leur objectif est atteint : l’outil de travail ne sera pas dilapidé. Le groupe MH Industries se positionne pour racheter l’entreprise
Toulouse (Haute-Garonne), correspondance.
Quelques larmes coulent. Un mélange de joie et d’émotion. L’assemblée générale vient de se terminer. Au 150e jour, ce jeudi 21 avril, les salariés de la SAM, à Viviez (Aveyron), ont voté à l’unanimité la fin de leur présence continue dans cette usine pour laquelle ils ont livré une incroyable bataille. Pour que cette fonderie à l’arrêt retrouve vie. Pour empêcher la dispersion et la vente aux enchères des machines-outils et du gigantesque stock de pièces en aluminium. Un candidat à la reprise de la SAM se profile : MH Industries, groupe industriel basé dans le Lot voisin. Les fours, espèrent les métallos aveyronnais, seront bientôt rallumés et l’aluminium liquide coulera dans les moules. Le site est appelé à produire de nouveau des pièces automobiles et, surtout, à se diversifier vers le ferroviaire et l’aéronautique.
Depuis le 23 novembre, les salariés de la SAM protégeaient jour et nuit leur outil de travail. Ce lundi, ils mettent fin au mouvement. À midi, ils se regrouperont une dernière fois puis se disperseront avec au cœur une immense satisfaction : au bout de cette longue lutte, de cette aventure collective, leurs revendications ont abouti. Jeudi, avant l’assemblée générale, une réunion en préfecture a en effet scellé un protocole qui comporte deux points essentiels : les mandataires liquidateurs de la SAM – le cabinet toulousain Egide – s’engagent par écrit à ne pas saisir et vendre les machines et le stock contenus dans l’usine ; une société de gardiennage va désormais veiller sur la fonderie. Le document est également signé par la région Occitanie, l’intercommunalité de Decazeville et les représentants du personnel.
Le protocole est valable jusqu’au 30 juin. Le groupe MH Industries dispose de ce délai pour confirmer sa reprise du sous-traitant automobile. Une étude de faisabilité est en cours et les négociations semblent, de source syndicale, assez avancées. Dans un premier temps, l’intercommunalité de Decazeville va prendre à sa charge les frais de gardiennage, renforcé par des rondes de la police municipale. Pas question que le lieu soit pillé ou vandalisé ! Surtout, MH Industries rachèterait les machines tandis que la région Occitanie ferait l’acquisition des murs, jusqu’ici propriété de la société chinoise Jinjiang.
Du côté des salariés, l’optimisme est de rigueur : la reprise de l’activité, prévue pour janvier 2023, aurait lieu dès le mois de septembre 2022. « C’est notre grande fierté : donner la possibilité à MH de concrétiser son projet industriel », s’écrie David Gistau (CGT).
Un combat historique, qui se poursuit aux prud’hommes
Cependant, une grande inconnue demeure : parmi les 333 emplois de la SAM, combien seront préservés par le repreneur ? « Le projet de MH Industries est ambitieux et la SAM serait la vitrine de ce groupe », estime le syndicaliste. D’où l’espérance de voir une majorité de salariés retrouver leur travail à la fonderie, même si beaucoup d’entre eux devront être formés à de nouvelles tâches. MH Industries ne cache pas son envie de grandir et veut doubler son chiffre d’affaires dès 2023. Son patron, Matthieu Hède, voit dans la SAM l’opportunité d’une diversification inscrite dans sa stratégie, après avoir acquis un site industriel à Brive (Corrèze) en 2019.
La région Occitanie s’est fortement engagée pour trouver une issue industrielle à la SAM et sa présidente, Carole Delga, entrevoit une « sortie de crise ». Elle souligne « l’abnégation et la responsabilité » des métallos de Viviez. Leur lutte figure d’ores et déjà dans l’histoire sociale du bassin de Decazeville, dans l’histoire de la classe ouvrière aveyronnaise. À la grève mythique des mineurs en 1961 et 1962, longue de 66 jours, où les gueules noires avaient passé le réveillon de Noël au fond des galeries, s’ajoute désormais le combat pour la SAM. Un combat déterminé et lucide. Depuis un an, les salariés de la fonderie ont organisé 83 assemblées générales ; 15 rassemblements ont permis à la population du bassin, et bien au-delà, de manifester sa solidarité. La lutte se poursuit désormais aux prud’hommes pour obtenir des indemnités supralégales du donneur d’ordres Renault, coupable d’avoir abandonné son fournisseur en pièces métalliques.
Au cours de ces cinq mois de présence permanente dans la fonderie, des liens très forts se sont créés entre ces femmes et ces hommes qui ont vécu une aventure commune. Ce lundi, à midi, viendra le moment de la séparation. « Ça va être très douloureux, prévoit David Gistau. Mais nous avons la fierté d’être allés au bout de ce qu’on pouvait faire. »
publié le 24 avril 2022
Arthur Hay sur www.humanite.fr
Pour cette chronique, j’ai décidé de vous faire part de mon analyse politique à propos de l’échec de la gauche afin d’en désigner les principaux responsables et de les conspuer sur la place publique. Je vais saupoudrer le tout de haine et de rancœur pour être sûr que mes paroles soient un crachat supplémentaire sur un éventuel travail en commun des différents courants de gauche. Ou alors non, en fait, je vais faire autre chose. Je pense que nous avons autour de nous assez d’experts politiques qui nous plombent le moral encore plus et rendent les réseaux sociaux infréquentables. Dans ce « chacun son équipe », le concours de mauvaise foi se joue surtout contre les spectateurs. Ceux qui regardent cette lutte dans les tribunes ne comprennent ni les règles ni le but des participants, alors ils quittent le stade.
Personnellement, je n’ai pas l’âme d’un supporter sportif. J’éteins ma télé, je me déconnecte des réseaux sociaux et j’attends que le match s’arrête. Autant certains débats entre syndicats peuvent me gaver un peu, mais là, ces derniers mois de campagne ne m’ont pas donné envie de remettre un pied dans un groupe de militants politiques avant un moment. Désolé, les camarades qui se sentent concernés, c’est un peu cru, malhabile, mais c’est mon ressenti d’aujourd’hui. Les années à suivre me permettront sûrement de changer d’avis. En attendant, je vais aller voter pour le second tour. En me bouchant le nez bien sûr, mais surtout en me faisant une promesse : celle de briser au moins quelques patrons voyous. Celle d’équilibrer mon vote à droite (quelle horreur quand même) par un massacre méticuleux d’entreprises d’ubérisation avec les copains syndicalistes, politiques, d’associations, etc. Celle de briser l’extrême droite, avec autre chose que des mots s’il le faut. Celle de taper constamment sur ce président et ses sbires dès qu’ils s’attaqueront à nos droits. Finalement, la promesse de faire payer mille fois la crapule de banquier pour qui l’élection la plus mal fichue de la V e République m’a obligé à voter. La gauche n’a pas complètement perdu cinq ans. L’ultralibéralisme désormais ambiant et l’exploitation qu’il induit nécessitent de toute façon plus qu’une présidence de gauche pour renverser la tendance. On a perdu cinq ans si on décide d’agir comme cela. Si nous sommes honnêtes, nous admettrons qu’aucun des candidats de gauche ne détient à lui seul le pouvoir de faire advenir le Grand Soir. Un parti de droite n’est rien sans le soutien du patronat et de son argent. Un parti de gauche n’est rien sans le soutien des organisations et de leurs luttes.
Alors prenons le temps de fortifier nos organisations, de les faire travailler ensemble. Ne nous battons pas, ne soyons pas le reflet de l’ambiance politique pour donner au politique l’envie d’être le nôtre. Il y a tellement de gens à qui montrer la voie de l’organisation collective pour gagner de meilleures conditions de vie. Tellement de luttes à gagner autres que la présidentielle. Accrochons-nous à cela. « Quand tu as le désert à traverser, il n’y a rien à faire sauf d’avancer. »
publié le 23 avril 2022
edito de l’Actu Hebdo CGT sur https://r.newsletter.cgt.fr/
Enfant, j’écoutais avec attention les histoires de mon grand père, soldat pendant la Seconde Guerre mondiale. À l’école, je découvrais les mécanismes de la montée du fascisme et les horreurs de la guerre.
Puis, dans mon parcours militant à la CGT, j’ai rencontré d’anciens résistants. J’écoutais Cécile Rol Tanguy m’expliquer, avec humilité, comment elle cachait “juste” – ce sont ses mots – des armes dans le landau de son bébé.
Comme de nombreux militants, je me suis souvent posé la question : moi, qu’aurais-je eu le courage de faire ?
Je n’ai jamais connu de situation aussi extrême… J’espère ne jamais en connaître. Mais cette histoire, ces histoires individuelles, font souvent écho à mon engagement quotidien.
Être là, ne pas se taire, sacrifier une journée de salaire ou encore glisser une enveloppe dans une urne pour barrer la route à l’extrême droite...
Ces gestes peuvent apparaitre dérisoires au regard de ce passé ou de ce qui se passe sur la planète. Pourtant, réunis, ils permettent de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société où nous pouvons vivre et lutter tous ensemble.
Alors, dimanche j’irai voter. Et lundi, quoi qu’il advienne, je poursuivrai le combat.
Plus que jamais, j’irai préparer le 1er mai, convaincre mes collègues d’aller manifester pour la paix, de meilleurs salaires et pour une retraite à 60 ans pour tous.
publié le 23 avril 2022
Mathilde Goanec sur www.mediapart.fr
Il y a cinq ans, une partie de l’électorat de gauche refusait de voter Macron au second tour de l’élection présidentielle, en raison de profonds désaccords politiques. Cinq ans plus tard, ces abstentionnistes font le chemin retour vers les urnes, afin d’éviter le possible accident électoral en faveur de Marine Le Pen.
Quelques jours après le premier tour, Mediapart a donné la parole aux électeurs et électrices, ayant le plus souvent voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour et qui s’apprêtaient à s’abstenir ou voter blanc pour le second. Dans un contexte de grande incertitude, incertitude qui perdure après le débat en demi-teinte entre Macron et Le Pen mercredi 20 avril 2022, la question des reports de voix de l’électorat de gauche reste l’une des clés du scrutin présidentiel.
Mais d’autres citoyennes et citoyens, souvent engagé·es politiquement ou dans le domaine associatif, prennent au contraire 2022 à rebours de 2017. Ils et elles se sont abstenu·es, et sans regret, il y a cinq ans, mais iront voter Macron cette fois-ci. Certain·es le clament même haut et fort, pour convaincre. Dans ces témoignages se lit bien sûr la peur de l’extrême droite, une colère intacte contre l’actuel président de la République, mais également plusieurs des fractures de la société, qui resteront béantes après le 24 avril.
Sarah*, fonctionnaire, votera Macron « sans aucun état d’âme »
« En 2017, j’ai voté blanc au second tour, pour la première fois de ma vie. Cela a été un tournant dans ma pratique du vote, clairement. J’ai compris que je pouvais ne pas choisir quand l’offre ne me convenait pas. Il faut dire que, vu mon âge, je n’ai pas voté en 2002 et qu’ayant grandi dans le Val-de-Marne, la gauche était le plus souvent au second tour. Dans l’entre-deux tours, en 2017, tout le monde avait cette discussion avec tout le monde, je me suis même disputée avec ma mère. Mais j’étais sûre de mon choix et je ne l’ai pas regretté. Depuis, aux élections locales et intermédiaires, je me suis abstenue plusieurs fois, quand le second tour se jouait à droite uniquement.
En 2022, je vais choisir le bulletin Macron sans aucun état d’âme, sans affect, car cette pratique de l’abstention m’a en quelque sorte libérée. Je mets moins de choses dingues dans un bulletin. Au premier tour cette année, j’ai voté Mélenchon après avoir passé cinq ans à me plaindre de la ligne stratégique de La France insoumise, simplement car c’était la première force à gauche. Le choix de ce second tour est tout aussi pragmatique, car les sondages ne donnent pas un gros écart entre Macron et Le Pen, or je veux sûre qu’elle ne passe pas.
L’ambiance médiatique, politique, est également différente. Il y a aujourd’hui effectivement trois blocs, un bloc autour de Macron, un bloc de gauche et un bloc d’extrême droite. La prise de pouvoir est possible aux législatives, avec une alliance entre le Rassemblement national, Reconquête! de Zemmour et la droite des Républicains. C’est ce qui me fait peur. Mais rien n’a donc changé dans mon rapport à Macron. Il a été président pendant cinq ans, je sais à quel point je suis opposée à son programme et à quel point il m’insupporte.
Ma volonté, c’est aussi qu’il y ait le plus d’écart possible entre les deux pour que passe le message de la spécificité du Rassemblement national, y compris vis-à-vis de mon camp politique. Même si, paradoxalement, je suis très contente de la position de Mélenchon, comme en 2017. Je vais voter Macron sans même y réfléchir, mais c’est très simple pour moi de comprendre pourquoi on ne peut pas. »
Mélanie, journaliste, votera pour la première fois au second tour depuis 2002
Ancienne militante à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), « fondamentalement d’extrême gauche », engagée dans le secteur associatif, Mélanie a participé à la manifestation contre l’extrême droite, dimanche 17 avril 2022 à Paris, avec cette pancarte qui résume sa position : « To do list : 24 avril, battre Le Pen ; 1er Mai dans la rue ; législatives, battre Macron. »
« En 2002, j’ai pris un bulletin Chirac sur lequel j’ai écrit “ni facho ni escroc”, un vote nul, à destination de celui qui dépouille ou des historiens. En 2017, je savais déjà qui était Macron, je connaissais son pedigree, je ne voulais absolument pas voter pour lui. Toute la journée de dimanche, j’étais mal quand même… Je suis mariée avec un Sénégalais – il a la nationalité française maintenant et va voter Macron –, nos enfants sont métis. Je ressentais un peu d’angoisse mais le rapport de force permettait que je vote blanc. Le lendemain de l’élection, il y a eu une manif contre le nouveau président à Paris, j’y suis allée, mais j’avais le dos bloqué, impossible de tourner la tête à gauche, ça m’a marquée !
Cette année la question s’est très peu posée. Je suis hyper inquiète. Même si les sondages disent que l’écart se desserre, je ne suis pas rassurée. J’ai même une copine, avec qui j’ai milité pourtant auprès des migrants, qui m’a annoncé qu’elle ne souhaitait pas la victoire de Macron contre Le Pen ! Mon vote ne sera pas un blanc-seing, et je sais bien qu’Emmanuel Macron va s’asseoir dessus. »
Guillaume Floris, bibliothécaire, syndiqué à la FSU, refuse le scénario hongrois ou brésilien
Il y a cinq ans, pas question pour ce militant insoumis de voter Macron. Pour le second tour de 2022, son positionnement a changé. Guillaume Floris a participé activement aux deux campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon, entre Montreuil et Poitiers.
« En 2017, je pensais sincèrement qu’il n’y avait aucun risque que Marine Le Pen gagne, et donc pas question en plus de cautionner la politique libérale et ultra autoritaire d’Emmanuel Macron, qu’on avait connu comme ministre de l’économie au moment de la loi Travail, sous François Hollande.
Ces cinq dernières années, je me suis dit que je ferais pareil. Ce sont les dernières semaines qui m’ont fait changer d’avis. Les sondages, bien sûr, mais aussi ce que je sens autour de moi. J’ai participé à de nombreuses manifestations de gilets jaunes ces dernières années et, dans ces réseaux, des gens ont basculé dans un vote viscéralement anti-Macron. Syndicalement, c’est la même chose, la politique économique “euphémisée” du précédent quinquennat, nous nous la sommes prise en pleine poire sous ce mandat. Et il annonce encore des mesures sociales terribles pour les cinq ans à venir.
J’entends dans ces deux milieux deux choses : des gens qui assument d’aller voter l’une contre l’autre, ou des silences, parfois éloquents. À ceux qui hésitent, je demande qu’on regarde ce qui se passe en Hongrie, au Brésil, le déchaînement des violences sociales et racistes. Cette année, Viktor Orbán a gagné pour la troisième fois en écrasant toute l’opposition unie. Il l’a pliée comme jamais car pendant les deux derniers mandats, il a réussi à mettre au pas les médias et la justice. On ne prend pas ce risque-là.
Il n’y a pas de désaccord entre ma position et celle de La France insoumise, auprès de laquelle je milite. L’introduction de la consultation des militants et militantes à ce sujet était très claire, il n’y a pas de maux pires que l’extrême droite. Mais il y a aussi une préoccupation dans ce choix de ne pas donner de consigne de vote, d’entendre que c’est une violence terrible de glisser un vote Macron pour certains, pour les éborgnés, pour les parents des enfants qu’on a mis à genoux, les mains sur la tête, à Mantes-la-Jolie. »
Pour Yasmina Kettal, infirmière, le « risque est plus grand car la société est à genoux »
Cette habitante de Saint-Denis, membre du collectif Inter-Urgences, très engagée, fut la présidente d’un jour de Mediapart le 31 janvier 2020. Yasmina Kettal était également présente dans la manifestation qui a tenté d’approcher Emmanuel Macron, lors d’un de ses rares déplacements de campagne, dans la commune de Saint-Denis (93), le 21 avril 2022, pour lui faire entendre les critiques sur sa politique sociale.
« J’ai changé d’avis, par rapport à 2017, par peur, il n’y a pas d’autres mots. À la fois du score de Marine Le Pen au premier tour, mais aussi parce que de plus en plus de gens, épuisés par les cinq années passées au pouvoir d’Emmanuel Macron, n’iront pas voter. Je comprends tout à fait ce refus de faire barrage : c’est comme à l’hôpital, nous prenons des coups toutes les cinq secondes, et c’est encore à nous de faire tenir l’édifice quand il va mal ! Mais j’habite en banlieue parisienne, je suis une Arabe. Pour moi et les miens, le danger avec Marine Le Pen est bien plus grand. S’il faut se salir les mains, je m’en tape. Oui, Macron a fait et dit des choses autoritaires, dangereuses, islamophobes, mais il n’est pas issu d’un parti nazi, qui a un programme affiché xénophobe, qui pour nous les binationaux est une terrible menace. Avec Marine Le Pen, tout sera permis.
Le risque est plus grand aussi parce que la société est à genoux ! En réalité, ce qui m’inquiète, ce ne sont pas les millions de personnes qui ont voté pour elle, mais surtout de ne pas être sûre que nous pourrons en face résister. Parce que ceux qui le faisaient à gauche sont épuisés, mais aussi parce que la masse n’a plus la capacité de résister.
Je vois bien, dans les milieux militants, que cette question fait débat : j’en conclus qu’on n’a pas la même vie ni les mêmes craintes. Là où je vis, on attend moins des politiques qu’ils changent notre vie, peut-être. Nous sommes bien au-delà de l’amertume, c’est quasiment de la survie.
Alors, entendre parler des législatives, du premier ministre, alors qu’on est tous morts de trouille, je ne comprends pas bien, même si je ne saisis pas tout des stratégies politiques. Concentrons-nous sur dimanche. Je trouve cela décalé et ça m’a un peu intriguée, pour le dire poliment. Je pense aussi que les consignes de vote sont parfois contreproductives, mais déjà si on pouvait parler de la victoire de Marine Le Pen comme d’un risque potentiel et problématique, cela me rassurerait.
J’ai vécu le Covid, première version, en Seine-Saint-Denis, dans l’un des hôpitaux les plus touchés par le virus, je vomis Macron à cause de ce qu’il nous a fait subir, mais vraiment, on n’a pas le choix. »
Omar Slaouti, élu d’opposition à Argenteuil (Val-d’Oise), refuse de passer d’une « sorte de racisme d’État à un État raciste »
Dans Mediapart, Omar Slaouti expliquait en 2017 les raisons de son abstention, pour « casser le cercle vicieux entre fascisme et néolibéralisme ». Cinq ans plus tard, le coauteur du livre Racismes de France, a rejoint avec d’autres militant·es des quartiers populaires l’initiative On s’en mêle, qui appelait à voter Mélenchon au premier tour, et Macron au second.
« Nous sommes un certain nombre à penser qu’il y a une différence de nature entre Macron et Marine Le Pen. L’un a largement aidé au processus de fascisation, via des dispositifs institutionnels comme la loi Séparatisme, l’autre est prête à graver dans le marbre de la Constitution la discrimination raciale et religieuse. On passerait en somme d’une sorte de racisme d’État à un État raciste.
Cette grille de lecture a été bien perçue dans les quartiers populaires, où le vote Mélenchon au premier tour était déjà un vote de raison et de sauvegarde. Il traduisait une adhésion à un partage des richesses, une société plus alerte sur les questions écologiques, mais aussi et parfois surtout un choix pour mettre fin aux propos et lois discriminatoires.
Et pour le second tour, il n’y a aucune raison que cette grille de lecture puisse se dissoudre. Si on veut le dire un peu vite, le vote blanc semble compliqué pour les non-Blancs car on joue notre peau, dans la période. Tout Français que nous sommes après la deuxième ou troisième génération, nous avons encore des familles qui ont une carte de résidence de dix ans et qui pourraient tout perdre, pour ne rien dire des sans-papiers et des migrants. On se rappelle aussi que nous avons eu un projet de déchéance de nationalité sous une présidence socialiste, qu’est-ce qui se passerait sous Le Pen ?
Contrairement à 2017, la crise institutionnelle est telle que celles et ceux qui nous gouvernent ont perdu toute crédibilité, l’abstention est souvent massive et donc les choses les plus obscures peuvent poindre. C’est beaucoup plus grave qu’il y a cinq ans, y compris parce que la construction d’un “ennemi intérieur” sous le macronisme laisse des traces.
L’extrême droite au premier tour, en comptant tous ses candidats en lice, a réalisé un score faramineux. Il y a une adhésion. Le seul ruissellement sous ce quinquennat auquel on a assisté, c’est celui de la discrimination, du racisme. Ça a si bien fonctionné que les Le Pen et Zemmour ont tiré les marrons du feu.
Il y a différentes logiques qui entrent en jeu dans ce second tour, et elles ne sont pas concurrentes. Si on parle de la tactique de Mélenchon, par exemple, elle répond à des logiques qui consistent à ne pas froisser, ne pas fissurer le cadre unitaire qui s’est constitué autour de lui. D’où nous parlons, nous avons les coudées plus franches, et nous pouvons parler plus cash.
Ce qui est sûr, c’est que tout ira plus vite, plus fort si Le Pen passe. C’est cette accélération de l’histoire qui nous fait dire qu’il va falloir avec beaucoup de difficulté voter Macron. Ce n’est pas un vote d’adhésion mais de raison, et il va nous permettre de nous compter. On peut jouer un troisième tour social, et au-delà pérenniser un bloc de gauche fort aux législatives. »
publié le 22 avril 2022
Par Kamelia Ouaissa sur https://www.bondyblog.fr/
Cette élection présidentielle est la première pour notre contributrice Kamélia Ouaissa. Mais après une campagne fantôme, marquée par l'absence de débats d'idées et la primauté l'extrême-droite, l'heure est maintenant venue de faire un choix pour le second tour. Alors que Marine Le Pen n'a jamais été aussi proche d'accéder au pouvoir, notre contributrice ne peut se résoudre à l'idée de lui laisser la chance de nuire aux plus fragiles. Edito
Après la tristesse, la déception puis la colère, c’est la peur et la confusion qui prennent place. Au lendemain des résultats du premier tour et même si la pilule est encore difficile à avaler, il faut réfléchir à quoi faire. Je me suis demandée si, au final, mon vote pouvait vraiment faire pencher la balance, pire encore si mon rôle de citoyenne avait, encore, une réelle valeur en France. Voter Emmanuel Macron pour faire barrage à l’extrême droite ou ne pas voter et laisser une potentielle voix gratuite au fascisme.
Inconcevable de laisser, par le vote blanc ou l’abstention, une possibilité à l’extrême droite d’être au pouvoir.
Je ne voulais pas que ce dilemme se pose une nouvelle fois, 5 ans après. Il est cependant inconcevable de laisser, par le vote blanc ou l’abstention, une possibilité à l’extrême droite d’être au pouvoir.
Peur d’être considérée comme française de seconde zone. Peur de l’État de non-droit dans lequel les résidents étrangers, les exilés, les musulmans et musulmanes visibles seront. Peur pour nos libertés d’expression, de culte, d’opinion, de conscience, ou de manifestation. Il va donc falloir aller voter pour le bourreau social de ce quinquennat et ce pour éviter à une Le Pen de diriger mon pays.
Malgré tout ce que veulent nous faire croire Gérald Darmanin et Emmanuel Macron depuis l’entre-deux tours, je n’oublierai pas que le Ministre de l’Intérieur avait qualifié Marine Le Pen de ‘trop molle’.
Cette élection se résume à un vote simple : voter pour le moins pire des pires, voter pour éviter la catastrophe. J’ai peur que le résultat de mon vote soit dévastateur. Mais je suis terrifiée que le Rassemblement National prenne le contrôle d’une laïcité déjà mise à mal. Une présidence qui mènerait vers tant de nouvelles discriminations avec une islamophobie accentuée lors de ce quinquennat. Malgré tout ce que veulent nous faire croire Gérald Darmanin et Emmanuel Macron depuis l’entre-deux tours. Et je n’oublierai pas que le Ministre de l’Intérieur avait qualifié Marine Le Pen de “trop molle” quand il s’agissait de laïcité.
Mon devoir citoyen a laissé place à l’urgence sourde contre la montée de l’extrême-droite provoquée par celui-là même qui était au pouvoir.
À 20 ans, ma première élection est aussi ma première expérience du « devoir de citoyenneté ». Je n’imaginais pas que ce vote soit aussi douloureux tant sur un plan humain que psychologique. Mon devoir citoyen a laissé place à l’urgence sourde contre la montée de l’extrême-droite provoquée par celui-là même qui était au pouvoir.
La préférence nationale prônée par Marine Le Pen, pour l’accès aux droits les plus élémentaires comme le logement, la protection sociale, ou l’emploi, m’empêche de laisser faire.
Le barrage à l’extrême droite repose principalement sur l’envie de protéger les miens, ceux qui me ressemblent, d’un sort qui pourrait leur être fatal. La préférence nationale prônée par Marine Le Pen, pour l’accès aux droits les plus élémentaires comme le logement, la protection sociale, ou l’emploi, m’empêche de laisser faire.
Ce qui est sûr c’est que les cinq prochaines années vont être douloureuses. Parce que je suis une jeune femme, maghrébine, musulmane, habitante d’un quartier populaire et issue d’une famille modeste.
Mon vote sera celui qui me permettra de moins souffrir et cette idée est déjà compliquée à imaginer.
Tout se profile à devenir de plus en plus compliqué au cours de ce prochain quinquennat, qui nous promet entre autres un RSA sous condition de travail, une retraite à 65 ans, alors qu’à 62 ans, 25% des Français les plus pauvres sont déjà morts.
On va continuer à protester, se mobiliser, regrouper tout ce qui est à notre portée pour se faire entendre. Ne pas faiblir c’est un peu l’idée. Mon vote sera celui qui me permettra de moins souffrir et cette idée est déjà compliquée à imaginer.
Kamelia Ouaissa
publié le 22 avril 2022
Ugo Palheta sur https://www.contretemps.eu/
Le premier tour nous enferme dans une situation désastreuse, coincés entre fascisation et fascisme. Pour autant, dans ces conditions détestables que nous n’avons pas choisies, nous sommes condamnés à prendre une décision parce qu’il sortira bien de cette élection un·e président·e : Macron ou Le Pen. L’abstention ou le vote blanc sont évidemment des options possibles, mais si une large part des électeurs·rices de gauche s’abstenaient ou votaient blanc, Marine Le Pen aurait de bonnes chances de l’emporter.
Il est donc important de savoir ce qu’il en est du danger que représente le FN/RN. Or, l’une des difficultés en la matière c’est l’incertitude qui entoure une éventuelle présidence Le Pen, alors qu’à l’inverse chacun·e sait par expérience ce que sera une présidence Macron : destruction sociale, répression des mobilisations, inaction climatique, stigmatisation des musulman·es, traitement ignoble des migrant·es, etc. En somme tout ce qui a été au cœur de son quinquennat – mais qui a commencé il y a plusieurs décennies.
Le Pen présidente, nous ne savons pas précisément comment les choses tourneront. Nous savons qu’elle s’en prendra en particulier aux migrant·es, aux étrangers·ères et aux minorités, mais nous ne savons pas à quel rythme et avec quelle intensité. Nous savons qu’elle cherchera à briser les oppositions mais nous ne savons pas pour quelle stratégie elle optera (guerre-éclair contre toute forme de contestation ou tentatives d’isoler la gauche sociale et politique de la majorité de la population), ni d’ailleurs quelles résistances lui seront opposées dans différents secteurs de la société, etc.
Il faut avoir cela en tête pour ne pas se trouver désorienté si jamais Le Pen était élue : un pouvoir d’extrême droite ne signifiera pas exactement la même chose aujourd’hui que dans l’entre-deux-guerres. Les conditions sociales, économiques, politiques et culturelles ont changé ; les dirigeant·es du FN/RN en sont parfaitement conscient·es, et ils savent qu’il leur faut adapter leurs stratégies, leurs discours, leurs manières d’exercer le pouvoir, etc.
Cela n’enlève rien au danger, car le projet de ce parti est bien celui d’une renaissance nationale par purification du corps social, ce qui suppose nécessairement de s’en prendre à celles et ceux qui empêcheraient la nation de demeurer elle-même et de retrouver sa « gloire » passée, en premier lieu les minorités (ethno-raciales, religieuses, de genre et sexuelles), mais aussi d’écraser politiquement (voire physiquement) toute forme d’opposition – syndicale, politique, associative, journalistique, artistique, etc.
Au vu des cinq dernières années, il y a mille raisons d’éprouver du dégoût et de la rage à l’idée de devoir utiliser un bulletin Macron pour écarter le danger Le Pen, au moins provisoirement, pour gagner du temps afin de renforcer l’antifascisme et construire une alternative politique. Mais la sous-estimation – ou pire encore la négation – du danger Le Pen ne sera jamais une bonne raison : celle-ci, son parti et l’extrême droite en général continuent de représenter un ennemi mortel pour les mouvements d’émancipation, pour tou·tes celles et ceux qui aspirent à l’égalité, à la justice sociale et à une démocratie réelle.
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« Le Pen ne peut pas gagner »
La première objection courante à l’idée d’un danger spécifique consiste à prétendre que Marine Le Pen n’aurait aucune chance de l’emporter. Il est vrai qu’au vu des sondages, ce n’est pas le plus probable ; mais cela ne paraît plus aujourd’hui impossible.
Ces sondages peuvent tout à fait manquer des tendances politiques importantes à l’œuvre dans une partie de la population, d’autant plus dans un scrutin qui comporte autant d’inconnus : quelle part de l’électorat de gauche mais aussi de droite voteront pour Macron, ou pour Le Pen, ou s’abstiendront ; nul ne peut le savoir précisément. Est-ce qu’une part de l’électorat qui s’est abstenu lors du 1er tour pourrait significativement aller voter Le Pen pour dégager Macron ? Là encore, personne ne peut le dire.
En tout cas les chiffres sont clairs : la progression électorale de l’extrême droite a été énorme au cours des dix dernières années, ce qui signale un succès réel de la stratégie de respectabilisation mise en œuvre par Marine Le Pen. En 2002, Jean-Marie Le Pen avait obtenu environ 18% en 2nd tour de l’élection présidentielle (soit à peu près 1 point de plus que son score du 1er tour). En 2017, Marine Le Pen a obtenu environ 34% au 2nd tour, près du double donc du score de son père quinze ans auparavant. Cette année, alors même qu’on la disait carbonisée après son débat raté de l’entre-deux-tours en 2017 et suite aux résultats décevants lors des dernières régionales, son score est estimé entre 43 et 49% et il pourrait encore évoluer, notamment en fonction du débat entre les deux candidats encore en lice.
Elle pourrait rater la marche cette année, si les électeurs·rices de gauche se mobilisent à nouveau significativement pour l’écarter, mais qu’en sera-t-il lors de la période à venir si rien n’évolue par ailleurs, en particulier si n’émerge pas une alternative politique puissante capable de s’appuyer sur des mobilisations et, espérons-le, des victoires sociales ?
« Le Pen n’est pas fasciste »
Courante, cette objection peut même se moduler en l’affirmation absurde, entendue plusieurs fois dans les médias dominants ces dernières années (dans la bouche récemment de Michel Onfray, Marcel Gauchet, etc.) : Marine Le Pen ne serait pas (ou plus) d’extrême droite. Absurde parce que toute l’histoire du FN/RN depuis sa fondation en 1972, toute la trajectoire militante de Marine Le Pen (depuis son adhésion au FN à l’âge de 18 ans en 1986), toutes ses alliances au niveau international, tout son programme, toutes ses références politiques principales, sont celles de l’extrême droite. Sans parler de toute la constellation de négationnistes, de nostalgiques du 3e Reich, de « philonazis » ou d’identitaires obsédés de « grand remplacement » qui continuent à être présents au sein du FN/RN.
La question du fascisme se pose un peu différemment parce que la caractérisation de fasciste est plus exigeante et parce que l’étiquette est si lourde à porter que la quasi-totalité des partis d’extrême droite la refusent pour des motifs tactiques évidents. Impossible d’obtenir une audience de masse en se revendiquant du courant politique sans doute le plus honni du 20e siècle (sans même parler de sa variété allemande, le nazisme, absolument indicible aujourd’hui sauf pour des groupuscules condamnés ipso facto à la marginalité).
Pour beaucoup, le simple fait que le FN/RN refuse le qualificatif d’extrême droite et a fortiori de fasciste suffirait à montrer que ses dirigeants se sont éloignés de la matrice originelle ; du moins pour celles et ceux qui savent que cette matrice fut effectivement néofasciste lors de la fondation du parti en 1972, et en réalité cela n’est guère connu à une échelle large. D’autres considèrent que ses inflexions programmatiques feraient du FN/RN un simple parti de la droite conservatrice. Sauf que l’on précise rarement l’étendue de ces inflexions – en réalité très limitées si l’on s’en tient aux mesures phares qui distinguent le plus nettement le FN/RN – et on se demande encore moins si elles signifient l’abandon de leur projet politique.
Comment définir ce projet dans son cœur, c’est-à-dire au-delà de ce qui a pu varier – voire ne cesse de varier – dans l’histoire du FN/RN (sur les questions économiques, sociales, internationales, etc.) ? Il peut s’énoncer facilement : combattre le « délitement » de la France en privant les « étrangers » de droits, au sens ethno-racial que prend le terme « étrangers » dans la logique de l’extrême droite, à savoir non pas seulement celles et ceux qui sont juridiquement étrangers (même si ces derniers·ères seront à l’évidence les premières cibles, notamment les étrangers·ères non-européen·nes), mais tout ce qui serait fondamentalement étranger et hostile à la France – en particulier les musulman·es, dont la plupart sont pourtant Français·es.
Il faut en outre prendre au sérieux l’idée que la permanence d’un tel projet a exigé des abandons partiels (de propositions, d’un vocabulaire, etc.) et des renouvellements (langagiers et politiques), outre les modifications cosmétiques bien connues : le « Rassemblement national » plutôt que le « Front national », la « priorité nationale » plutôt que la « préférence nationale », « Les Français d’abord » plutôt que « La France aux Français », etc. Cela est vrai en France, comme dans d’autres pays et pour d’autres forces (FPÖ en Autriche, Fratelli d’Italia en Italie, Vlams Belang en Belgique, etc).
Par exemple, Marine Le Pen a parfaitement compris – il ne fallait pas être une observatrice très fine de la vie politique il est vrai… – que la complaisance vis-à-vis de l’antisémitisme et du négationnisme est une ligne rouge depuis la Seconde Guerre mondiale et que les discours de son père pouvaient lui donner une aura de contestataire (du « système », du « politiquement correct », etc.) mais constituaient à long terme un lourd handicap électoral. À l’inverse, elle n’a jamais refusé d’employer les formules les plus violemment islamophobes (par exemple en considérant que le foulard serait le marqueur d’une « idéologie totalitaire ») ou xénophobes (« Combien de Mohamed Merah dans les bateaux, les avions, qui chaque jour arrivent en France remplis d’immigrés ? […] Combien de Mohamed Merah parmi les enfants de ces immigrés non assimilés ? » disait-elle en meeting en 2012).
Elle avance en outre des propositions qui, pour certaines, vont plus loin que le régime de Vichy (abroger la naturalisation par le mariage et supprimer le droit du sol pour les enfants nés en France de parents étrangers eux-mêmes nés en France), et pour d’autres (l’interdiction du foulard dans l’espace public), seraient quasiment uniques au monde, notamment parce qu’une telle mesure entre en contradiction directe avec la Déclaration des Droits de l’homme de 1948 (article 18).
De même, les revendications les plus habituelles à l’extrême droite de remise en cause du droit à l’IVG ou du « mariage pour tous » ont été mises en retrait parce que jugées minorisantes. Est-ce à dire que le FN/RN au pouvoir ne serait pas hostile aux droits des femmes et des LGBTQI ? Absolument pas : tous leurs votes en tant qu’élu·es, notamment au niveau européen, prouvent le contraire.
« Le Pen ne pourra pas obtenir une majorité parlementaire »
Selon un autre argument couramment employé, Marine Le Pen serait incapable d’obtenir une majorité parlementaire. Il est vrai que c’est un scrutin qui n’a jamais beaucoup réussi au FN/RN. À l’évidence, une victoire pour eux n’aurait rien d’assuré : il se pourrait bien qu’à défaut d’un vaste mouvement de rue contre l’extrême droite, on assiste alors à une mobilisation de type électorale. Mais une défaite non plus n’est nullement garantie, pour plusieurs raisons.
Il y a d’abord la prime au vainqueur de l’élection présidentielle. Depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, aucun parti l’ayant emporté à la présidentielle n’a été vaincu lors du scrutin législatif. Pour au moins deux raisons sans doute : une victoire galvanise les partisan·es du vainqueur ; une défaite décourage les sympathisant·es des vaincu·es. En outre, l’élection de Marine Le Pen aurait pour effet prévisible de la légitimer auprès d’électeurs·rices qui se refusaient à elle et à son parti jusque-là mais qui trouveraient dans son élection un motif supplémentaire de considérer qu’il s’agit d’un parti respectable. Sans parler de l’onction « démocratique » que donne l’élection au suffrage universel, et qui demeure intimidante pour beaucoup, malgré l’augmentation de l’abstention.
Ensuite, on présume trop vite que Marine Le Pen demeurerait isolée. On oublie alors plusieurs éléments :
– même isolé, le FN/RN pourrait obtenir un grand nombre de député·es dans le cadre de triangulaires ;
– historiquement, des pans entiers de la droite conservatrice et libérale ont donné leur appui à des gouvernements d’extrême droite, notamment au moment de leur instauration et y compris en occupant des postes de ministres (en Italie, en Allemagne ou encore au Portugal dans l’entre-deux-guerres) ;
– la droite parlementaire est composée de professionnels de la politique dont un grand nombre n’hésiterait pas longtemps à faire alliance avec le FN/RN pour conserver leurs postes s’ils estiment que, sur leur circonscription, une investiture LR ou LREM (autre option) ne permettrait pas leur réélection ;
– ce phénomène serait encore accentué par l’énorme crise dans laquelle le score de Valérie Pécresse a plongé le parti qui, historiquement, représentait politiquement la bourgeoisie française (le RPR devenu UMP puis LR) ;
– l’extrémisation de la droite au cours des quinze dernières années, jusqu’à la reprise par Pécresse du vocable fasciste de « grand remplacement », a rendu idéologiquement acceptable l’alliance avec le FN/RN ;
– le FN/RN est moins isolé qu’il y a cinq ans puisqu’à l’extrême droite a émergé un parti qui sera dans la période à venir à la fois un concurrent (pour capter la radicalité xénophobe et raciste) et un allié potentiel (pour gouverner).
Les élections législatives vont avoir une importance particulière cette année, en particulier pour le pôle populaire qu’a incarné Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle. Mais tout miser sur ces élections, c’est sous-estimer les éléments ci-dessus et faire ainsi un pari particulièrement risqué. Ajoutons en outre que l’absence d’une majorité parlementaire a déjà été prévue par le FN/RN, dès 2017, avec une stratégie claire et simple : réformer la loi électorale et dissoudre l’Assemblée nationale pour y obtenir, cette fois, une majorité, notamment via l’instauration d’une forte prime au vainqueur de l’élection.
« Le Pen sera mise en échec par les institutions »
Un autre argument revient fréquemment, en particulier dans ce qu’on peut appeler l’antifascisme républicain. Celui-ci prétend défendre les institutions contre les fascistes et assure que les institutions nous défendront contre les fascistes. Quelles sont ces institutions ? Qu’on prenne le problème par n’importe quel bout, il n’y a pas de quoi être rassuré.
S’il s’agit de la Constitution de la Cinquième République, celle-ci est parfaitement adéquate à un pouvoir d’extrême droite. Non seulement le pouvoir exécutif est doté en régime ordinaire de pouvoirs très importants, mais depuis novembre 2015 nous avons vécu une grande partie du temps en « état d’urgence » (au nom de la lutte contre la menace terroriste puis, à partir de la loi du 23 mars 2020, sous la forme de l’ « état d’urgence sanitaire », contre la pandémie).
Qu’il y ait eu à prendre des mesures exceptionnelles, c’est l’évidence ; que cela se traduise sous la forme d’une dérive autoritaire, c’est ce qui est inacceptable. Aussi, depuis octobre 2017, une partie des dispositifs associés à l’état d’urgence – donc à une situation temporaire et exceptionnelle – sont passées dans le droit commun (perquisitions administratives, assignations à résidence, fermeture de lieux de culte, etc.).
En outre, deux articles de la Constitution permettent au Président de la République de s’affranchir davantage encore de toute forme de contrôle : l’ « état de siège » et les « pouvoirs exceptionnels » (article 16). Dans les deux cas, les formulations employées dans la Constitution laissent une grande marge de manœuvre au Président de la République, notamment dans l’appréciation du « péril imminent » ou de la « menace grave et immédiate », et lui donnent des pouvoirs démesurés.
Si par « institutions » on entend l’État, il est à la fois certain qu’il y aura des résistances dans certains secteurs de l’État mais que d’autres, en particulier les principaux appareils répressifs d’État (police et armée) seront assurément au diapason du nouveau pouvoir, notamment parce que Le Pen avance des propositions qui renforceraient leur pouvoir et leur impunité (présomption de légitime défense indiscutable), pour peu que le FN/RN soit suffisamment habile pour ne pas se mettre à dos une partie des cadres de ces appareils.
On savait la police gangrénée par l’extrême droite et ses « idées », à tel point qu’une enquête du CEVIPOF montrait il y a un an que 74% des policiers actifs avaient l’intention de voter pour le RN, mais on a pu mesurer dans la dernière période, à travers des lettres ouvertes largement signées, qu’une partie importante de l’armée était également acquise à l’idée d’une nécessaire « reprise en main » (euphémisme pour désigner une offensive autoritaire) permettant de faire face au « délitement » de la France, notamment à ces fameuses « hordes de banlieue » qu’évoquait l’une de ces lettres (signée par vingt généraux).
Quant à l’administration et aux autres institutions d’État, la plupart des expériences gouvernementales de l’extrême droite au 20e siècle n’ont guère montré une désobéissance généralisée aux directives du pouvoir, y compris lorsque les minorités étaient attaquées explicitement (évidemment chacun·e pense ici au régime de Vichy et au traitement réservé aux Juifs·ves). Il y a bien sûr toujours eu des femmes et des hommes qui, dans ce type de situations, ont résisté courageusement et agi conformément à des principes de justice et d’égalité, mais ils et elles n’ont pas été la règle, plutôt l’exception.
« Le Pen ne pourra pas gouverner face à la rue »
Selon un argument différent, venant plutôt de la gauche radicale, on prétend que Le Pen ne pourra pas mettre en œuvre son projet parce que la résistance sociale sera trop importante. Dans une version plus optimiste encore, son élection serait l’étincelle tant attendue, le signal annonciateur d’un soulèvement plus ou moins irrésistible qui permettrait, enfin, de bousculer l’ordre social.
Là encore, il faut se garder des prédictions définitives. Il n’est pas absolument impossible qu’une large mobilisation émerge dans les zones de force de la gauche et du mouvement syndical, et/ou parmi les principales cibles de l’extrême droite. Mais on peut douter que cela se produise à froid et suite à ce qui serait une double défaite : ne pas avoir réussi à hisser la gauche de rupture au 2nd tour de l’élection présidentielle et ne pas avoir réussi à battre la force politique la plus réactionnaire et la plus raciste.
On peut le regretter, on devra appeler de manière volontariste à la révolte, mais en général les défaites ne produisent pas – en tout cas pas immédiatement – une volonté de se battre. Ce qui domine en général c’est un sentiment de sidération mais aussi d’abattement, de démoralisation, souvent à la mesure des espoirs suscités ; et l’on sait que beaucoup d’espoirs ont été placés dans la candidature de Jean-Luc Mélenchon, seul capable à gauche d’accéder au 2nd tour et de nous éviter le désastre d’un duel Macron/Le Pen.
À cela s’ajoute bien souvent la désorientation : on peut d’ailleurs considérer le vote Le Pen chez des électeurs·rices de Jean-Luc Mélenchon comme une forme extrême de désorientation, tant ce qu’a défendu ce dernier est à l’opposé des valeurs et des politiques qui sont celles de l’extrême droite, de Marine Le Pen. Bien sûr, il faudrait ajouter que cette désorientation est nourrie par cinq ans de brutalisation macroniste et favorisée par plusieurs décennies de banalisation des « idées » d’extrême droite dans les médias dominants mais aussi à travers les politiques menées par les gouvernements successifs (dans la période récente les lois dites « asile-immigration », « séparatisme », « sécurité globale », etc.).
Cela étant dit, si Le Pen était élue, l’essentiel se jouerait bien dans la capacité de mobilisation de la gauche politique et des mouvements sociaux : mobilisation sociale évidemment (manifestations, grèves, blocages, etc.) mais aussi électorale (les élections législatives seront un test assez crucial de ce point de vue). L’arrivée de Le Pen au pouvoir ne signifierait pas en un claquement de doigts l’impossibilité de lutter, comme l’ont montré les victoires de Trump aux États-Unis ou de Bolsonaro au Brésil.
Il faudrait alors enrayer le processus de fascisation de l’État par nos luttes, sociales et politiques, mais dans des conditions assurément plus difficiles que sous Macron : ce dernier étant largement délégitimée, les mobilisations sociales des années à venir pourraient s’appuyer sur les mouvements du quinquennat précédent. À l’inverse, Marine Le Pen bénéficierait sans doute, dans une partie de la population au moins, d’une sorte de bénéfice du doute, et elle pourrait naviguer habilement : faire quelques concessions à certains secteurs des classes populaires pour mieux s’attaquer à d’autres ; engager des compromis avec certaines organisations (syndicales par exemple) pour s’en prendre plus aisément aux syndicats les plus combatifs.
Ne minimisons pas en outre à quel point, sous un pouvoir d’extrême droite par définition radicalement hostile aux minorités et aux mouvements d’émancipation (et à l’inverse entièrement favorable à la police), le sentiment d’impunité de celle-ci s’élèvera à des niveaux inédits : vis-à-vis des exilé·es, des musulman·es, des Rrom·es, des quartiers populaires et d’immigration, des manifestant·es, des grévistes, etc.
« Le Pen ne correspond pas aux intérêts du patronat »
Un argument, là encore présent au sein de la gauche radicale, consiste à affirmer que l’extrême droite ne pourrait gouverner parce que son programme ne correspondrait pas aux intérêts du patronat. Si jamais Marine Le Pen était élue, le capital ferait obstacle à la mise en œuvre d’une partie importante de son projet.
Il est vrai que le RN n’est pas l’option première du grand patronat, et la grande majorité des médias et des idéologues bourgeois ont fait campagne pour Macron. Ils auraient également pu soutenir Valérie Pécresse mais il s’est rapidement avéré que cette dernière n’avait aucune chance : Macron est donc rapidement apparu comme le meilleur défenseur de l’ordre social, le seul capable d’aller jusqu’au bout du projet néolibéral de refonte des rapports sociaux dans le sens de la concurrence généralisée, de la privatisation, de la marchandisation, etc.
On peut pourtant objecter plusieurs choses à cet argument. Tout d’abord, le fascisme n’était pas non plus le premier choix de la classe dominante dans l’entre-deux-guerres ; ses leaders – Mussolini ou Hitler – ne faisaient pas partie du sérail, ils apparaissaient comme des personnages grotesques et imprévisibles. Cela n’a pas empêché une grande partie de la classe dominante, y compris certains de ses secteurs dominants, de se rallier au fascisme. D’autres secteurs ont pu lui être hostiles (soit initialement soit plus tardivement), mais pour l’essentiel ils s’y sont accommodés parce qu’ils y ont trouvé leur intérêt.
Il y a en effet un élément dans la politique fasciste ou néofasciste qui ne peut que provoquer l’assentiment des bourgeoisies, à savoir l’écrasement ou l’étouffement des mouvements de contestation sociale, en particulier des syndicats, car celle-ci permettrait de revenir rapidement sur les principales conquêtes sociales de la classe travailleuse (protection sociale, services publics et droit du travail notamment), qui restreignent le champ de l’accumulation du capital ou limitent l’exploitation.
Il y a des risques évidemment, notamment que face à une politique trop brutale vis-à-vis des mouvements sociaux, émerge une mobilisation radicale de masse, et les capitalistes préfèrent en général ne pas prendre ce risque. Mais si ces derniers ont le sentiment qu’une telle mobilisation est improbable, et que le pouvoir tiendra, ils peuvent être prêts à s’engager dans une telle voie, en l’encourageant pour certains ou en n’y faisant pas obstacle pour l’autre.
De même, la politique de l’extrême droite ciblant les travailleurs étrangers pourrait gêner formellement certains secteurs du patronat, ceux qui en emploient une part conséquente (le BTP par exemple). Mais ne doutons pas du fait que l’extrême droite pourrait trouver des compromis avec le patronat de la construction, sans parler du fait que la classe capitaliste dans son ensemble trouverait certainement avantage à une politique qui aurait pour effet évident d’accentuer toutes les divisions déjà existantes au sein de la classe travailleuse.
Il faut remarquer enfin que l’extrême droite bénéficie d’ores et déjà de soutiens dans les franges les plus réactionnaires de la classe dominante (qu’on pense à Bolloré). En outre, l’émergence politique de Zemmour a permis à l’extrême droite de s’implanter beaucoup plus largement dans des secteurs des classes dominantes qui soutenaient plutôt la droite conservatrice auparavant ; les votes pour Zemmour dans les beaux quartiers de l’Ouest parisien en témoignent, mais aussi la liste de ses soutiens et donateurs qu’avait publiée Mediapart il y a quelques mois.
« Le Pen se normaliserait une fois au pouvoir »
Il est encore une autre manière de sous-estimer le danger : prétendre qu’en arrivant au pouvoir, l’extrême droite se normaliserait et mènerait une politique plus ou moins identique aux gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis des décennies.
Ce n’est pas à exclure. Il n’est pas absolument impossible qu’en faisant alliance avec des secteurs de la droite, en accédant aux sommets de l’État, les tendances à la notabilisation du FN/RN s’accentuent et que ses dirigeants oublient leur projet fondamental et leurs propositions les plus notoirement d’extrême droite (« priorité nationale », interdiction du foulard, etc.), pour mieux se maintenir au pouvoir en apparaissant comme des gestionnaires sérieux et responsables du système.
Il s’agit pourtant d’une issue peu probable, pour au moins trois raisons. Si les dirigeant·es du FN/RN n’aspiraient qu’à accéder au pouvoir et n’étaient que de purs opportunistes sans projet spécifique, cela fait longtemps qu’ils auraient pu bénéficier de bien davantage d’élu·es en se débarrassant de leurs propositions historiques et en cherchant systématiquement à faire alliance avec la droite. Ce n’est pas ce qui s’est passé au cours des dernières décennies : ils ont presque toujours maintenu une indépendance vis-à-vis de la droite traditionnelle et n’ont pas abandonné leur programme, ce qui a très fortement limité leur capacité à obtenir des élu·es. Avec toujours le même objectif : une conquête du pouvoir seuls ou en position dominante, jamais comme partenaire subalterne.
Un autre élément important, c’est que leur électorat – qu’ils ont su élargir et stabiliser au cours des années 2010 – ne leur pardonnerait certainement pas de ne pas aller plus loin, et même beaucoup loin, que ce qu’ont fait les gouvernements précédents, vis-à-vis notamment des migrant·es, des étrangers·ères, des minorités (musulman·es, rrom·es, etc.), des quartiers populaires et de l’immigration. Un parti qui vient d’être élu cherche généralement à stabiliser sa base électorale, et pour cela à la satisfaire dans ses aspirations fondamentales. Or, on sait la place que prennent la xénophobie et le racisme dans les motifs du vote pour le FN/RN.
Ajoutons encore un point : l’émergence sur la scène politique de Zemmour et la création de son organisation (Reconquête) signifie comme on l’a dit plus haut qu’il y aura pour le FN/RN un allié possible mais aussi un concurrent, tendu vers l’objectif de dérober à Le Pen son électorat. En cas de victoire de celle-ci, Zemmour et son parti feront assurément de la surenchère anti-immigré·es et islamophobe, lui reprochant sans cesse de ne pas aller suffisamment loin. Cela aura pour effet de faire apparaître le FN/RN comme plus modéré et « républicain », donc à le légitimer et ses politiques avec, mais cela constituera aussi une pression à aller effectivement toujours plus loin pour ne pas perdre le monopole de la radicalité nationaliste et suprémaciste-blanche.
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Ugo Palheta est sociologue, maître de conférences à l’université de Lille, membre du Cresppa-CSU et co-directeur de la revue Contretemps. Il est l’auteur de nombreux articles pour Contretemps, de La Possibilité du fascisme (La Découverte, 2018), de Face à la menace fasciste (avec Ludivine Bantigny, éd. Textuel) et, tout récemment avec Omar Slaouti, de Défaire le racisme, affronter le fascisme (La Dispute, 2022).
publié le 21 avril 2022
Mathieu Dejean et Pauline Graulle sur www.mediapart.fr
Pour préserver la cohésion du mouvement qu’ils ont construit, et qui se scinde sur l’attitude à avoir face au second tour de la présidentielle, les cadres insoumis refusent d’appeler clairement à voter Macron. Quand bien même beaucoup s’apprêtent à le faire
Ne pas froisser les militants et électeurs insoumis les plus en colère. Ceux qui disent ne pas « pouvoir » voter Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle, tant sa politique les révulse. C’est la ligne rouge que les cadres de La France insoumise (LFI), qui appelaient pourtant à « faire barrage » à l’extrême droite dès le premier tour en votant pour Jean-Luc Mélenchon, se sont imposé de ne pas franchir depuis le 10 avril.
Pour ce faire, pas d’autre solution que de tourner autour du pot : ils se refusent donc à dire clairement ce qu’ils feront le 24 avril. Même si beaucoup laissent entendre en off qu’ils voteront pour Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine Le Pen.
Cette tentation semblait brûler les lèvres de Jean-Luc Mélenchon, mardi 19 avril, sur BFMTV. Interviewé par Bruce Toussaint qui a tenté de le pousser dans ses retranchements, il s’en est tenu à la ligne décidée par le mouvement. Après avoir demandé aux Français de l’« élire premier ministre » en offrant une majorité à l’Union populaire au « troisième tour » lors des législatives (les 12 et 19 juin prochains), il a rivalisé de contorsions sur l’affaire du second tour, arguant que sa « responsabilité politique » était de « garder uni un bloc de 11 millions de personnes [qui ont voté à gauche au 1er tour – ndlr]. Or elles sont divisées ».
Réitérant ses avertissements du soir du premier tour - voter Le Pen serait une « erreur colossale » –, il a cette fois tenté de dissuader les électeurs de s’abstenir : « Il y a des gens qui pensent qu’il faut s’abstenir. Moi, je leur dis votez ce que vous voulez [blanc ou Macron – ndlr], mais ne vous abstenez pas, restez acteurs de votre histoire », a-t-il lancé, précisant que les politiques de Macron et de Le Pen n’étaient pas de « même nature » - notamment parce que cette dernière ferait « la chasse aux musulmans » si elle était élue.
Un petit pas supplémentaire par rapport à 2017 - l’Insoumis avait alors renvoyé Le Pen et Macron dos à dos –, qui se faisait déjà sentir le 10 avril au soir. Lors de son discours actant sa défaite dimanche dernier, le candidat avait en effet, poussé par une poignée d’élus vigilants de son entourage, répété à quatre reprises qu’il ne fallait « pas donner une seule voix à Mme Le Pen ».
Les Insoumis sont pourtant toujours très divisés sur la question, d’où la pudeur des cadres du mouvement, conscients de danser sur un volcan. Le résultat de la consultation en ligne des personnes qui ont parrainé la candidature du chef de file de LFI (à laquelle 215 292 soutiens ont participé), publié le 17 avril, en témoigne : le vote blanc ou nul arrive en tête (37,65 %), suivi du vote Macron (33,40 %) et de l’abstention (28,96 %).
Chacun cherche sa ligne
Toujours pas de consigne, donc, mais un chemin désormais à peu près balisé, sans que jamais il ne soit explicitement énoncé. Au sein du mouvement « gazeux » (« ni vertical ni horizontal », pour reprendre la définition donnée par Jean-Luc Mélenchon), on argue de l’inefficacité des consignes politiques. « Les électeurs ne sont pas notre propriété, ni des moutons dont nous serions les bons bergers », a déclaré le député insoumis Adrien Quatennens sur France Bleu Nord mardi 19 avril.
« Les consignes de vote, c’est une manière de faire de la politique qui est dépassée, elles ne sont plus efficaces », abonde Pierre-Yves Cadalen, membre de LFI et probable candidat aux législatives à Brest (Finistère). L’Insoumis brestois renvoie par ailleurs au président sortant la responsabilité de faire acte de pédagogie : « Ce n’est pas à nous qu’on va faire le procès de la banalisation des idées d’extrême droite. On nous en demande beaucoup, mais au second tour, c’est à Macron de convaincre. »
L’ancienne porte-parole d’Attac, désormais à la tête du parlement de l’Union populaire, Aurélie Trouvé, approuve aussi cette stratégie de la consigne silencieuse, refusant d’entrer ainsi dans une sorte de chantage moral au vote Macron. « Il est hors de question de laisser entendre que nous pourrions soutenir Macron de près ou de loin, affirme-t-elle. Il s’agit de battre Le Pen au second tour, et Macron aux législatives. Il faut faire en sorte que Le Pen soit battue, mais je ne dirai jamais mon vote. Je comprends la colère des gens face à ce qu’a fait Macron, qui a nourri un monstre, l’extrême droite. Aujourd’hui, il fait face à ce monstre, c’est d’abord sa responsabilité. »
Selon elle, cela correspond d’ailleurs à l’attitude générale du mouvement social, dont elle vient : « Je pense que les consignes de vote ne fonctionnent pas, elles peuvent même être contre-productives. On ne fait jamais passer un message aussi bien que quand on fait réfléchir les gens, au lieu de leur imposer un avis de but en blanc. »
Même son de cloche de la part de David Guiraud, bien connu chez les Insoumis pour son appétence à se « payer les fachos » sur les plateaux de télévision. Désormais candidat aux législatives à Roubaix, il ne souhaite pas en dire davantage sur la teneur de son vote – blanc ou Macron – dimanche prochain.
J’ai confiance dans l’intelligence des gens : il faut faire le travail d’expliquer pourquoi Marine Le Pen est un danger pour la République.
« Mon ressenti, c’est qu’appeler à voter Macron est contre-productif, déclare-t-il. Son bilan, ajouté au fait qu’il n’a pas prévu de programme social, rend l’idée même du barrage compliquée. La colère ne vient pas de nulle part et je n’y suis d’ailleurs pas hermétique. »
Si les cadres insoumis font bloc dans cette stratégie, certains font cependant entendre quelques nuances. D’autant plus que le flou entretenu par Jean-Luc Mélenchon permet d’avoir plusieurs lectures sur l’attitude à adopter dans l’isoloir.
Faisant l’exégèse du mot d’ordre « pas une voix à Mme Le Pen », David Guiraud en tire la conclusion qu’« on ne dit pas “abstenez-vous”, on est quand même plutôt sur l’idée de faire barrage à Le Pen ».
Thomas Portes, président de l’Observatoire national de l’extrême droite et co-animateur du parlement de l’Union populaire, assume quant à lui de dire qu’« il faut battre Marine Le Pen le 24 avril », comme une manière de suggérer que les électeurs doivent se rendre dans les urnes et voter dimanche.
Reste que l’auteur d’Au cœur de la haine (Arcane 17, 2020) ne croit néanmoins pas un seul instant à l’impact des consignes de vote : « J’ai confiance dans l’intelligence des gens : il faut faire le travail d’expliquer pourquoi Marine Le Pen est un danger pour la République », juge Thomas Portes qui ne s’imagine pas un seul instant distribuer des tracts appelant à voter Macron.
Des appels plus explicites
Taha Bouhafs, soutien de l’Union populaire, ne ménage pas son énergie pour faire ce travail de conviction. « Il faut empêcher par tous les moyens Marine Le Pen d’être élue. C’est une question de vie ou de mort », a déclaré le journaliste sur Twitter. S’il se garde bien d’appeler à voter Macron, la gravité du message parle d’elle-même.
Joint par Mediapart, il se dit inquiet : « Autour de moi, les gens ne veulent pas faire barrage, c’est assez impressionnant. C’est déjà le cas chez des personnes lambda, mais là, on parle de militants. Après, les gens se décideront le dernier jour, en fonction des tendances », ce qu’il fera également.
Il estime pourtant que les mots de Jean-Luc Mélenchon ont été bien choisis : « C’est compliqué d’appeler à voter Macron tout en représentant l’opposition, plein d’électeurs se seraient sentis trahis. Évidemment, il y a une différence entre Macron et Le Pen, et les conséquences d’un quinquennat Le Pen seraient irréversibles, il a été clair là-dessus. »
Je galère à convaincre, car je ne suis moi-même pas enthousiaste à l’idée d’aller voter, mais je ne veux pas laisser la moindre chance à l’extrême droite.
Même discrétion du côté du député insoumis Alexis Corbière, qui refuse de dire publiquement s’il glissera un bulletin « Emmanuel Macron » dans l’urne dimanche : « J’ai pris soin de ne rien dire mais je souhaite très clairement la défaite de l’extrême droite. »
Pour Omar Slaouti, militant antiraciste et signataire de l’appel « On s’en mêle » regroupant plusieurs dizaines de figures de quartiers populaires qui avaient soutenu Jean-Luc Mélenchon au premier tour, à chacun son rôle : « Il y a des logiques internes propres à chaque organisation et qui sont légitimes. Dans cette affaire, il y a ceux et celles qui sont traumatisés dans leur chair au sens propre comme au figuré par le quinquennat Macron ; les militants des quartiers populaires, comme nous, qui ne peuvent pas se permettre de ne pas appeler à voter Macron contre Le Pen ; et ceux qui, au sein de l’appareil insoumis, tiennent à ne pas fissurer le cadre unitaire créé au premier tour, pour éviter des lendemains qui déchantent totalement. »
Dans le concert monocorde de l’« insoumission », Ali Rabeh fait entendre une voix différente. Contrairement à ses camarades, le maire de Trappes, membre du parlement de l’Union populaire, n’a eu aucun mal à expliquer, dès le lendemain du premier tour, qu’il appelait à utiliser le bulletin « Macron ». D’autant plus qu’il qualifie de « sérieuse » l’hypothèse d’une victoire de Marine Le Pen.
« Même à Trappes, où les habitants seraient directement touchés par une victoire de l’extrême droite, et même au sein des militants de gauche, le bulletin “Macron” est devenu un répulsif, explique Ali Rabeh à Mediapart. Je galère à convaincre, car je ne suis moi-même pas enthousiaste à l’idée d’aller voter. Mais je ne veux pas laisser la moindre chance à l’extrême droite, alors je dis qu’il faut se bouger pour le second tour et utiliser le vote comme quelque chose d’instrumental. »
Une position plus proche de celle des Verts et des socialistes, qui ont eux aussi immédiatement appelé à voter Macron le 10 avril. Le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Julien Bayou, a d’ailleurs répété (lui aussi) quatre fois, lors d’une conférence de presse le 14 avril : « Contre l’extrême droite, il ne faut pas s’abstenir », en clin d’œil critique à l’adresse de Jean-Luc Mélenchon.
Yannick Jadot, candidat écologiste malheureux à la présidentielle (il a réuni 4,6% des voix), a répété dans une tribune le 21 avril son appel à « voter Macron sans hésitation ». Au passage, il épingle ceux qui adoptent une posture « ni-ni » (ni Macron, ni Le Pen), en faisant référence de manière faussement sibylline à « certains responsables politiques, parfois si prompts à évoquer “l’Histoire”, avec un grand H » : « Quand le bloc d’extrême droite dépasse 30 % au premier tour, vanter le “ni-ni” revient à jouer à la roulette russe. Et miser sur la responsabilité des autres pour flatter une partie de son électorat n’est pas à la hauteur de l’enjeu de civilisation qui se pose. »
L’écologiste Sandrine Rousseau, qui avait pointé du doigt la « responsabilité historique » du président sortant à convaincre les électeurs de gauche écologistes, a également déclaré publiquement qu’elle voterait pour lui : « Pas une voix pour Le Pen, d’accord, mais la mienne ira à Macron, c’est plus sûr. On se battra aux législatives de toutes nos forces de gauche et écologistes unies. »
En attendant, l’Insoumis compte bien composer avec l’humeur dégagiste du pays, et ne veut pas repousser, avant ce « troisième tour » décisif, ceux qui se sont mis en état de « grève civique ». Ce bloc de douze millions de personnes qui n’ont pas voté au premier tour, et qu’il espère convaincre de venir aux urnes pour les législatives.
publié le 21 avril 2022
sur https://lepoing.net
Le Poing publie cette fiche d’information de l’Agence Média-Palestine sur la situation actuelle à Jérusalem pour un autre traitement médiatique!
Si vous avez écouté France Inter et d’autres médias «mainstream» ces derniers jours, il est normal que vous n’ayiez pas compris ce qu’il est se passe actuellement à Jérusalem et à la mosquée d’Al Aqsa.
Voici ou re-voici quelques éléments clés pour vous permettre de mieux comprendre la situation:
1) Ce n’est pas un « conflit religieux » ni des « heurts » comme vous avez pu l’entendre. Cette utilisation du terme «conflit religieux» ne permet pas de rendre compte de la situation d’oppression coloniale subie par les palestinien.ne.s. Cette nouvelle offensive contre les palestinien.ne.s à Jérusalem est avant tout l’attaque d’une puissance occupante lourdement armée, Israël, contre la population civile qu’elle occupe et qu’elle opprime continuellement et particulièrement pendant le ramadan, mois le plus saint de l’année pour les palestinien.ne.s musulman.e.s.
2) La police israélienne a envahi la mosquée Al Aqsa, l’un des sites les plus sacrés au monde pour les musulmans, attaquant les Palestiniens alors qu’ils se rassemblaient pour prier vendredi à l’aube. Elle a tiré des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles en acier recouvertes de caoutchouc sur des Palestiniens priant à l’intérieur de la mosquée, ainsi que sur des journalistes, des médecins, des personnes âgées et des enfants sur l’Esplanade, blessant au moins 158 Palestiniens depuis jeudi dernier. Plus de 400 palestiniens ont été arrêtés depuis vendredi dernier.
3) L’invasion d’Al-Aqsa par Israël est également une attaque contre l’identité et la culture palestiniennes. Au cours de cette attaque, la police israélienne a endommagé la structure historique de la sainte mosquée, brisant des vitraux et détruisant des murs qui ont résisté pendant des siècles.
4) Ce qui se passe actuellement était planifié. Israel attaque les fidèles palestinien.ne.s chaque mois de ramadan. Selon l’écrivain – journaliste palestinien Majd Kayyal interviewé par l’Agence Média Palestine le 17 avril 2022, l’une des particularités de cette nouvelle attaque est le nombre beaucoup plus important de l’unité « Mistarivim ». C’est l’unité la plus dangereuse pour les palestinien.ne.s, car ses soldats déguisés en palestiniens se dissimulent parmi des milliers de civils dans la vieille ville et utilisent en général des balles réelles contre la population.
5) Les Palestinien.ne.s ont un attachement particulier à la ville de Jérusalem, à la Mosquée d’Al Aqsa, pour des raisons aussi historiques. Toujours selon Majd Kayyal, le principal objectif d’Israël à travers ces attaques est d’essayer d’effacer l’identité palestinienne. C’est une guerre israélienne de contrôle de la ville de Jérusalem, et le nettoyage ethnique actuellement en cours dans la ville vise à maintenir une démographie juive à Jérusalem. 300 000 Palestiniens habitent à Jérusalem-Est aujourd’hui. On constate que le principal outil des autorités israéliennes pour essayer de les faire partir est de détruire les lieux de vie sociale des Palestinien.ne.s, c’est à dire les lieux où iels se réunissent, notamment Al Aqsa et la vieille ville et particulièrement la porte de Damas.
publié le 20 avril 2022
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/
C’est une condamnation qui ouvre une page importante dans la lutte des coursiers. Après une semaine de procès, du 8 au 16 mars, l’entreprise Deliveroo France vient d’être condamnée à la peine maximale encourue pour travail dissimulé. La justice reconnaît ainsi que les livreurs de la plateforme auraient dû être salariés, et non auto-entrepreneurs. Et que l’entreprise a dévoyé le cadre légal du travail.
« C‘est la première condamnation au pénal d’une plateforme de livraison. Et pas n’importe laquelle : la première d’entre elles ». Ainsi est résumée par Laurent Degousée, juriste pour la fédération Sud Commerces, l’importance du verdict rendu par le tribunal correctionnel de Paris. Début mars, Deliveroo France a répondu aux accusations de « travail dissimulé » pendant une semaine de procès. La justice vient de rendre son jugement, ce mardi 19 avril. L’entreprise est condamnée à la peine maximale prévue par la loi : 375 000 euros d’amende.
Le verdict est historique. Il reconnaît que les livreurs de cette plateforme auraient dû travailler comme salariés. Et non comme auto-entrepreneurs. Si des coursiers ont pu, par le passé, gagner aux Prud’hommes sur cette question, c’est la première fois qu’une condamnation au pénal est établie.
Au-delà de l’entreprise elle-même, trois ex-dirigeants étaient sur le banc des accusés. Hugues Decosse et Adrien Falcon sont condamnés à douze mois de prison avec sursis, et cinq ans avec sursis d’interdiction de diriger une société. Tous deux avaient occupé le poste de directeur général de Deliveroo France sur la période couverte par le procès, de 2015 à 2017. Les deux ex-DG écopent également, chacun, d’une amende de plus de 27 000 euros à verser à l’URSSAF.
Le troisième homme, Elie Demoustier, directeur des opérations jusqu’en 2018, est condamné en tant que salarié complice à quatre mois d’emprisonnement avec sursis.
Deliveroo doit des dommages et intérêts aux syndicats et aux livreurs victimes
Le jugement rendu par le tribunal correctionnel est resté fidèle aux réquisitions de la procureure énoncées le 16 mars. Lors du dernier jour du procès, raconté en détails par Les Jours dans une série dédiée, la procureure avait dénoncé « une instrumentalisation et un détournement de la régulation du travail ». De quoi construire un système de « dissimulation systémique » d’emplois, selon ses termes. Elle avait requis les peines aujourd’hui prononcées à l’encontre des ex-DG.
« Leur défense était catastrophique. On a des faits qui parlent pour nous. Et personne n’est mieux placé que nous pour les dire. On ne pouvait que gagner », réagit Jérémy Wick, coursier à Bordeaux, engagé au sein du premier syndicat CGT de livreurs.
Contactée, l’entreprise Deliveroo France n’a pas encore donné suite à notre demande de réaction.
Elle devra verser 50 000 euros de dommages et intérêts à chaque syndicat engagé dans les parties civiles. À savoir : la CGT, Solidaires, Sud Commerce et Services, la CNT-SO, et le Syndicat national des transports légers.
Des dommages et intérêts seront aussi versés aux 116 livreurs qui se sont portés partie civile. « Ils auront au minimum 1 500 euros de provisions », explique Laurent Degousée. Une audience portée sur l’intérêt civil précisera le montant de ces versements individuels. Elle aura lieu le 6 février 2023.
Enfin, ce jugement en première instance devra être rendu visible là où Deliveroo est présent en ligne. Et ce, durant un mois. L’affichage devrait se faire sur l’application mobile et/ou le site de l’entreprise. Les modalités restent, là aussi, à préciser.
Ce procès, « c’est une grenade dégoupillée »
« Ce procès va déboucher sur d’autres procès. C’est une grenade dégoupillée », croit Laurent Degousée. Le procès faisait suite à plusieurs enquêtes, dont celles de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (ex-DIRECCTE) et de l’Office central de lutte contre le travail illégal. Il ne couvrait qu’une période précise : du 20 mars 2015 au 12 décembre 2017. « Or, depuis, la situation s’est empirée. On a encore plus tiré vers le bas ces travailleurs », souligne le juriste.
« Ce qui se passait durant la période 2015-2017, est encore largement valable aujourd’hui. La géolocalisation permanente, l’auto-édition des factures… Tout cela continue », complète Jérémy Wick.
Ce procès au pénal fera donc jurisprudence, et les Prud’hommes seront au coeur de la tourmente. « On a déjà eu des cas de coursiers qui se sont faits indemniser 15 000, 20 000 euros », rappelle Laurent Degousée. D’autres dossiers sont en cours de traitement.
Jérémy Wick, par exemple, fait partie d’un groupe d’une vingtaine de coursiers de Bordeaux espérant faire requalifier leurs contrats de travail Deliveroo aux Prud’hommes. L’audience a eu lieu la semaine passée. Le jugement devrait être rendu mi-juin.
En juin également, une affaire importante concernant Frichti, une autre plateforme, sera jugée aux Prud’hommes de Paris. Il s’agit de « 99 dossiers d’auto-entrepreneurs sans-papiers. Ils veulent obtenir réparation, avec la possibilité, à terme, d’être régularisés », expose Laurent Degousée. Sud Commerces et la CNT-SO les accompagnent.
Dans la foulée du jugement de ce jour, la CNT-SO dépose une requête visant à l’annulation des élections professionnelles pour les travailleurs des plateformes, prévues entre le 9 et le 16 mai. « La formule de représentation au rabais prévue par le gouvernement n’est pas acceptable au vu de la condamnation », estime le syndicat. Sur la forme également, « le scrutin a été organisé dans des conditions matérielles et juridiques déplorables ».
L’enjeu global du travail ubérisé
La question de fond était de savoir si Deliveroo était une plateforme de simple mise en relation entre coursiers et clients ; ou une entreprise prestataire de services de livraison. La justice a conclu à la seconde option. Elle estime que les livreurs étaient donc soumis à un lien de subordination par rapport à leur employeur, Deliveroo France.
La Cour de Cassation définit la subordination comme « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné », dans son arrêt du 28 novembre 2018 sur Take Eat Easy.
Pour Laurent Degousée, ce procès s’inscrivait dans un enjeu global. Celui du travail ubérisé, et de sa « forme d’emploi atypique dont l’enjeu est qu’elle ne devienne pas la norme ».
« C’est une des petites pierres apportées à l’édifice. Il en faudra d’autres pour les faire tomber. Mais il y en aura d’autres », espère aussi Jérémy Wick. D’ici là, le jugement du jour « ne va pas bouleverser notre quotidien. Mais il nous légitime et nous conforte. Cela aura un effet boule de neige pour motiver d’autres livreurs et organisations ».
publié le 20 avril 2022
Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr
Depuis de nombreuses années, les défenseurs des droits humains alertent sur l’accumulation de textes sécuritaires et le risque que ceux-ci tombent un jour entre de mauvaises mains. À quelques jours du second tour, cette menace risque de devenir une réalité.
« Essayez la dictature, et vous verrez ! » Cette invitation faite en janvier 2020 sur le ton de la provocation par Emmanuel Macron prend, à l’approche du second tour de l’élection présidentielle, une tout autre tonalité. Alors que l’extrême droite n’a jamais été si proche d’accéder au pouvoir, la bravade du président lancée à ceux dénonçant sa dérive autoritaire sonne, deux années plus tard, comme une menace bien réelle. Et si les Français prenaient Emmanuel Macron au mot ?
Entre les lois sécuritaires votées sous le mandat de Nicolas Sarkozy, celle sur le renseignement sous celui de François Hollande, l’inscription dans le droit commun de l’état d’urgence sous celui d’Emmanuel Macron, et d’une manière générale l’explosion des dispositifs de fichage et de surveillance durant les trois derniers quinquennats, Marine Le Pen disposera, de fait, d’un arsenal juridique répressif inédit dans l’histoire.
De nombreuses voix se sont élevées ces dernières années pour dénoncer cette érosion progressive de notre État de droit déjà l’œuvre, et pour alerter sur le danger que représenterait l’arrivée au pouvoir d’un régime autoritaire qui n’aurait plus qu’à utiliser ces outils pour mener une politique de répression de toute opposition.
« Nous construisons avec ces lois sécuritaires les outils de notre asservissement de demain, prévenait ainsi au mois de novembre 2020 l’avocat Patrice Spinosi. Le risque est réel de la victoire en 2022 ou en 2027 d’un leader populiste, un Trump à la française, poursuivait-il. Il trouvera alors tous les outils juridiques lui permettant de surveiller la population et de contrôler ses opposants politiques. Il sera trop tard pour regretter d’avoir voté ces lois quand un président, avec une moindre ambition démocratique, les appliquera avec une intention bien différente du gouvernement actuel. »
Les majorités successives ont systématiquement ignoré ces mises en garde, en estimant, comme l’a fait Emmanuel Macron, que la France n’est pas une « dictature » et en faisant peser sur les électeurs la responsabilité de l’avènement d’un tel régime.
Ce fut le cas par exemple à l’occasion du vote de la loi « Renseignement » du 24 juillet 2015, l’un des grands textes liberticides de ces quinze dernières années. Pour rappel, celui visait à inscrire dans le droit commun les pratiques dîtes « a-légales », c’est-à-dire les techniques de surveillance non autorisées par la loi mais tout de même employées par les services de renseignement.
Pour cela, la majorité socialiste a prévu sept « finalités » pour lesquelles les services sont désormais autorisés à utiliser certaines « techniques » : la pose de micros ou de caméras, l’utilisation de logiciels espions, d’IMSI-Catcher (des appareils permettant d’intercepter les données des téléphones mobiles se trouvant à proximité) ou encore l’installation sur le réseau internet de « boîtes noires » permettant d’opérer une surveillance algorithmique du trafic.
Il y a des outils que nous encadrons, mais des outils qui peuvent être demain des dangers.
Ce projet avait suscité une mobilisation particulièrement importante de la société civile et avait été critiqué par la plupart des autorités administratives indépendantes, comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Au Parlement, plusieurs élus de tous bords avaient tenté d’alerter sur le caractère intrusif des techniques ainsi légalisées au regard des « finalités » extrêmement larges posées par la loi, pouvant facilement faire l’objet d’une instrumentalisation.
« Je ne veux pas que la loi, tombant dans des mains malintentionnées, soit un instrument qui porte atteinte à nos libertés fondamentales. Car, je le dis sereinement mais résolument, ce texte n’est pas un texte anodin : il revient à mettre des procédures d’exception dans le champ du droit commun », déclarait ainsi le député centriste Hervé Morin.
Avec ces nouvelles finalités, « les interceptions couvrent peu ou prou tout le champ de la vie nationale, poursuivait l’ancien ministre de la défense de Nicolas Sarkozy. Pour ne prendre que quelques exemples, la protection des engagements européens de la France, la défense des intérêts économiques “essentiels”, et non plus “majeurs”, la lutte contre les crimes et délits organisés, sans qu’il y ait de plancher de peine, les risques liés aux violences collectives, sont autant de champs permettant des atteintes graves à nos libertés, si les moyens mis en œuvres sont entre les mains de personnes mal intentionnées. »
Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale Bruno Le Roux avait d’ailleurs reconnu ce risque. « Il y a des outils que nous encadrons, mais des outils qui peuvent être demain des dangers, avait-il admis sur France Inter. Il y a eu quelques fois dans l’histoire de notre démocratie des politiques qui ont pris un certain nombre de libertés avec la façon d’utiliser ces moyens, avec la façon d’utiliser les dispositifs. » Mais, dans le même temps, le député PS balayait cette hypothèse en assurant : « Avec nous, vous n’avez rien à craindre sur l’utilisation de ces outils. »
Cet argument a également été avancé au moment de la polémique qui avait accompagné la création du fichier de Titres électroniques sécurisés (TES). Le dimanche 30 octobre 2016, le gouvernement avait discrètement publié un décret actant la création d’un méga-fichier devant centraliser l’ensemble des données relatives aux passeports et cartes d’identité des Français : identité civile, couleur des yeux, taille, données familiales, photographie, signature manuscrite, éventuellement e-mail et numéro de téléphone, ainsi que les empreintes digitales récoltées lors de la délivrance d’un titre biométrique.
Le projet avait, cette fois encore, suscité un tollé et une forte mobilisation des défenseurs des droits humains. La Cnil, entre autres, avait souligné le danger que pouvait représenter un fichier centralisant les données biométriques de l’ensemble de la population. « Les données biométriques présentent la particularité de permettre à tout moment l’identification de la personne concernée sur la base d’une réalité biologique qui lui est propre, qui est permanente dans le temps et dont elle ne peut s’affranchir, écrivait-elle. Ces données sont susceptibles d’être rapprochées de traces physiques laissées involontairement par la personne ou collectée à son insu et sont donc particulièrement sensibles. »
Alors que le gouvernement justifiait la constitution de ce fichier par un souci d’authentification des individus et de lutte contre le trafic de faux papiers, certains avaient rappelé à quel point la possibilité de dissimuler son identité avait pu être vitale dans l’histoire pour les personnes victimes de répression.
Dans un article publié en fin d’année 2017, le professeur d’informatique François Pellegrini et le professeur de sciences de l’information André Vitalis racontaient comment le zèle d’un inspecteur des registres de la population néerlandais avait servi l’occupant nazi durant la Seconde Guerre mondiale.
« Après avoir créé une carte d’identité infalsifiable, véritable chef-d’œuvre de documentation, écrivaient les deux universitaires, il mit au point un répertoire démographique général puis un répertoire alphabétique spécial pour les individus juifs, en recourant à la puissance de la mécanographie. Ces prouesses techniques servirent les responsables nazis dans leur politique d’extermination et conduisirent à la mort 73 % de la population juive vivant aux Pays-Bas. »
État d’urgence
Pourtant, interrogé sur ces dangers lors des questions au gouvernement du 15 novembre 2016, Bernard Cazeneuve avait repris le même argument que Bruno Le Roux. « Qu’adviendrait-il demain […] si un gouvernement d’une autre nature, animé de mauvaises intentions, arrivait aux affaires ?, s’interrogeait le ministre de l’intérieur. Tout d’abord, la meilleure façon d’éviter un tel gouvernement est de ne pas accorder ses suffrages à certains : que je sache, c’est la meilleure garantie politique pour éviter l’élection d’individus ayant des idées pernicieuses. »
Le mandat de François Hollande a également été celui de l’état d’urgence décrété au lendemain des attentats de Paris en novembre 2015 puis constamment renouvelé jusqu’à l’inscription par son successeur dans le droit de ses principales dispositions par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Silt) d’octobre 2017.
Désormais, les autorités administratives peuvent, sur la seule base d’informations fournies par les services de renseignement, ordonner des perquisitions, rebaptisées « visites domiciliaires », assigner une personne à un périmètre géographique limité, l’obliger à pointer chaque jour au commissariat, geler des avoirs ou encore ordonner la fermeture de lieux de cultes.
Réveillez-vous mes chers collègues !
« Réveillez-vous mes chers collègues ! Le jour où vous aurez un gouvernement différent, vous verrez, quand vous aurez une droite extrême au pouvoir, vous verrez, c’est une folie que de voter cela ! », s’exclamait encore, le mercredi 30 janvier 2019, le député centriste Charles de Courson alors que l’Assemblée nationale examinait l’article 2 de la loi « anticasseurs » permettant aux préfets d’interdire à des personnes de manifester si elles constituent « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».
La mesure avait finalement été retoquée par le Conseil constitutionnel. Mais les Sages avaient validé dans le même temps l’essentiel du texte dont les dispositions autorisent les policiers les véhicules et sacs en amont d’une manifestation et punissent d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende le fait de dissimuler, même partiellement, son visage dans un rassemblement.
Avalanche de textes sécuritaires
Une autre réforme menée sous le mandat d’Emmanuel Macron pourrait fortement intéresser un éventuel régime autoritaire. Au mois de décembre 2020, le gouvernement a publié une série de décrets modifiants le régime de trois fichiers : celui de la « prévention des atteintes à la sécurité publique » (PASP) utilisé par le renseignement territorial de la police, son équivalent pour la gendarmerie, celui de « gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique » (GIPASP) et enfin celui des « enquêtes administratives liées à la sécurité publique » (EASO) utilisé dans le cadre des enquêtes réalisées sur les candidats à certaines professions, comme policier, magistrat ou agent de sécurité privée.
Ces fichiers étaient déjà destinés à recenser les individus représentant une menace pour l’ordre public comme certains manifestants ou des supporters violents. Désormais, il vise toute personne menaçant la « sûreté de l’État » et, surtout, il peut inclure de nouvelles informations, notamment celles relatives « à des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale ».
Cette avalanche de textes sécuritaires a permis au Rassemblement national de se présenter comme un défenseur des libertés individuelles. Marine Le Pen a ainsi pu qualifier d’« atteinte à nos grandes libertés individuelles » la loi sur la sécurité globale, un texte adopté en avril 2021 élargissant le domaine de la vidéosurveillance, offrant un cadre légal à l’usage de drones par la police et étendant les pouvoirs des polices municipales.
Marine Le Pen s’était également opposée à la loi séparatisme adoptée en juillet 2021 et qui comporte une série de mesures sur la neutralité du service public, la lutte contre la haine en ligne, la protection des fonctionnaires et des enseignants, l’encadrement de l’instruction en famille, le contrôle renforcé des associations, une meilleure transparence des cultes et de leur financement, ou encore la lutte contre les certificats de virginité, la polygamie ou les mariages forcés.
Pour la candidate d’extrême droite, ce texte présente le défaut de s’attaquer « à toutes les religions, alors que ce n’est pas un problème religieux. L’islamisme, c’est un problème idéologique ». « Madame Le Pen dans sa stratégie de dédiabolisation en vient à être dans la mollesse, il faut prendre des vitamines ! », lui avait alors rétorqué le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin.
Les gouvernements successifs ont déjà largement étendu le champ d’application des textes sécuritaires en vigueur. Des militants écologistes assignés à résidence au début de l’état d’urgence aux militants antinucléaires du Bure visés par une procédure antiterroriste, les détournements des lois d’exception ne cessent de se multiplier. Au mois de mars dernier, c’est le Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale) qui a été visé par une procédure de dissolution fondée, pour la première fois, sur la loi séparatisme au motif qu’il provoquait « à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».
Comment imaginer que Marine Le Pen, si elle accédait au pouvoir, n’utiliserait pas cet éventail de mesures à sa disposition ? La candidate du Rassemblement national a déjà proféré à plusieurs reprises sa haine des « antifas », des « milices d’extrême gauche » qu’il faudrait dissoudre, des « punks à chien » de La France insoumise, des zadistes « crasseux » et autres « marginaux ». Pour arriver à ses fins, elle n’aurait qu’à suivre la voie tracée par ses prédécesseurs, donnant ainsi raison à ceux qui dénoncent depuis des années le caractère inique de tant de lois et la dérive sécuritaire de notre démocratie.
publié le 19 avril 2022
Petrs Borel professeur de français en lycée sur https://blogs.mediapart.fr
Je ne voterai pas Macron ce dimanche. Il ne s'agit nullement d'une manifestation de colère ou de dégoût mais d'un choix mûrement réfléchi dont je tiens à rendre compte pour répondre à ceux qui penseraient qu'une telle décision serait irresponsable.
Je ne voterai pas Macron dimanche. Et je tiens à préciser tout de suite que ma décision n’est pas l’expression d’un mouvement de colère ou de dégoût face à la politique de l’actuel locataire de l’Elysée mais résulte d’un choix mûrement réfléchi reposant sur une réflexion parfaitement rationnelle dont j’entends m’expliquer ici, non dans le but de convaincre qui que ce soit, mais pour qu’on ne considère pas que ma décision serait irresponsable.
Commençons d’abord par clarifier un point précis : je ne mets pas un signe égal entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Je sais que la politique de la première, si tant est qu’elle puisse la mettre en œuvre, serait pire que celle du second. Et pourtant ce n’est pas ce qui peut me convaincre de mettre un bulletin Macron dans l’urne ce dimanche, pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas suffisant, dans l’époque troublée où nous vivons, d’éviter momentanément le pire. Il faut réfléchir à long terme si on ne veut pas se retrouver dans cinq ans confrontés aux mêmes problèmes qui, s’ils ne sont pas réglés, reviendront encore et encore.
Je n’avais déjà pas voté Macron au deuxième tour de l’élection de 2017. Pour deux raisons. La première peut être considérée comme irrationnelle, elle reposait sur l’intuition, vague mais persistante, que Macron n’était pas le gentil démocrate qu’il avait l’air d’être et que derrière la figure du gendre idéal se cachait en réalité un personnage autoritaire ayant une conception verticale du pouvoir. La deuxième, parfaitement rationnelle quant à elle, reposait sur l’idée que la politique néolibérale qu’il entendait mettre en œuvre allait mécaniquement faire augmenter le taux de mécontentement dans ce pays et par là accroître l’assise électorale du Rassemblement national. Malheureusement, car j’aurais préféré que mes prévisions fussent fausses, je suis obligé de constater que sur ces deux points je ne m’étais pas vraiment trompé. Et j’avoue avoir eu beaucoup de mal à supporter, durant la campagne de second tour de 2017, le discours infantilisant d’une bonne partie des médias à l’égard de ceux qui avaient fait le même choix que moi.
Confrontés à un choix qui est le même que celui que nous avons dû faire il y a cinq ans, il nous faut donc nous livrer à un peu de prospective. Imaginons que ceux qui représentent les forces progressistes, mettons les électeurs de gauche, ceux qui ont voté Mélenchon et quelques autres, votent tous pour Macron pour assurer sa réélection, que se passerait-il ? Il serait bien sûr réélu, dans la foulée obtiendrait une majorité à l’assemblée, et il continuerait, comme il l’a déjà annoncé, à mener une politique néolibérale de casse du service public, de destruction du code du travail, de stigmatisation des chômeurs et des précaires. Le taux de pauvreté continuerait à augmenter tandis que les milliardaires continueraient d’accroître leurs fortunes. Comment imaginer dans ces conditions que le problème de la montée de l’extrême-droite auquel nous croyions avoir momentanément échappé en votant Macron puisse se résorber ? Il ne fera au contraire que croître.
Pour savoir de quoi le paysage électoral de demain sera fait, il faut observer le paysage actuel : on a constaté lors du premier tour que l’électorat se divisait en trois blocs sensiblement égaux. D’une part un bloc de gauche progressiste et réformiste représenté par les votes LFI, EELV, PCF, d’autre part un bloc de droite néolibérale représenté par les votes EM et LR, et enfin un bloc d’extrême-droite représenté par les votes RN, Reconquête et Debout la France. La question qui nous intéresse est évidemment de savoir comment et dans quel sens peut évoluer ce rapport de force. On peut raisonnablement penser que le bloc néolibéral sortirait affaibli d’un deuxième quinquennat Macron. D’abord pour des raisons purement mécaniques de pyramide des âges : l’électorat d’Emmanuel Macron se recrute essentiellement chez les plus de soixante-cinq ans. Ces électeurs seront donc dans cinq ans moins nombreux.
Si on regarde bien les chiffres, ce bloc sort en réalité considérablement affaibli du premier quinquennat de Macron : en 2017, les scores cumulés de Macron et Fillon représentaient au premier tour 44 % des suffrages exprimés ; en 2022, les scores de Macron et Pécresse ne représentent plus que 32 % soit une baisse de plus de dix points. Le bloc de gauche progressiste, lui se maintient à peu près, progressant légèrement de 27 % à 29 %. Le seul bloc qui connaisse une progression significative est celui constitué par l’extrême-droite, il s’établissait à 27 % en 2017, il est dorénavant à 32 %.
Comme il n’est pas raisonnable de penser que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, on peut imaginer que dans cinq ans, nous aurons un recul du bloc néolibéral, une légère progression du bloc de gauche progressiste et une forte augmentation du bloc d’extrême-droite. La question est de savoir dans quelles proportions. Imaginons qu’au deuxième tour le bloc néolibéral soit éliminé. On se retrouverait donc avec un second tour entre la gauche et l’extrême-droite. On le sait le barrage républicain fonctionne à gauche, assez peu à droite. Peu de chance donc que le bloc néolibéral se mobilise en faveur du bloc progressiste et social, ce qui donnerait toutes les chances à l’extrême-droite de remporter l’élection. Et le rapport de force ne serait pas le même qu’aujourd’hui.
Imaginons maintenant que Marine Le Pen soit élue en 2022. Les forces de résistance à l’extrême-droite sont encore vives dans le pays. On peut raisonnablement parier sur le fait que les électeurs s’opposant au RN se mobilisent pour les législatives. Et il suffit de regarder la carte électorale des résultats du premier tour pour constater que Marine Le Pen n’arrive en premier que dans une quarantaine de départements et encore parfois d’une courte tête devant Emmnuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon. Il serait donc pour elle particulièrement difficile, voire impossible d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale.
Nous nous retrouverions confrontés comme cela a déjà été le cas dans la cinquième République à un gouvernement de cohabitation. Mieux, il se pourrait qu’aucun des groupes parlementaires n’obtienne la majorité absolue, ce qui forcerait la présidente de la République à former un gouvernement de coalition. Il y aurait donc pendant cinq ans une forme de statu quo qui n’engagerait pas les réformes économiques et écologiques annoncées par la France Insoumise, mais qui ne se livrerait pas non plus à la casse sociale promise par Emmanuel Macron. On serait donc dans la politique du moindre mal. Une telle situation permettrait de surcroît de clarifier les positions de chacun, les débats à l’assemblée et au sein du gouvernement permettant à l’ensemble des citoyens de se faire une opinion sur les différentes options proposées, ce qui, généralement, se révèle favorable à la gauche.
Certes, me dira-t-on, mais pourquoi serait-il préférable que cette situation arrive maintenant plutôt que dans cinq ans ? Parce que, comme je le disais, dans cinq ans le rapport de force ne sera plus le même. Emmanuel Macron à l’orée de son quinquennat promettait d’être un rempart contre l’extrême-droite. Cinq ans ont passé et on a pu constater que l’actuel président ne s’est pas contenté d’être une passoire face au fascisme mais qu’il s’est révélé être une passerelle. Nous nous sommes habitués à l’intolérable, nous avons accepté l’inacceptable. Nous ne rappellerons pas les tentes de migrants lacérés, les mains arrachés, les yeux crevés, les morts, parce qu’il faut le souligner, le régime sous lequel nous vivons tue et a tué. Faut-il évoquer les discours de plus en plus droitiers qui trouvent notamment Marine Le Pen « un peu molle », la dérive autoritaire sans précédent qui fait de la France selon les observateurs internationaux « une démocratie défaillante » ?
Et comment pourrait-il en être autrement ? Face aux contestations sociales des politiques qu’il met en oeuvre, le bloc néolibéral est entraîné dans une escalade sans fin vers toujours plus de répression et d’autoritarisme. À mesure que ses forces s’affaiblissent, il est obligé de s’adosser au bloc d’extrême-droite pour pouvoir maintenir son emprise sur la société. La police a été ainsi laissée en roue libre. L’extrême-droitisation des discours dans la sphère médiatique est ainsi devenue la norme au point que Jean-Luc Mélenchon, le seul homme politique d’envergure à ne jamais avoir cédé sur les principes républicains, a été taxé d’ambiguïté. Au point que la candidate d’un parti censément républicain reprenne à son compte l’expression de « grand remplacement ». Macron réélu, il n’y a aucune raison pour que cette fuite en avant s’interrompe. Les discours d’extrême-droite vont continuer à saturer l’espace médiatique et vont infuser encore plus qu’ils ne l’ont déjà fait dans l’ensemble de la société.
Face à cela, quelle possibilité aurons-nous de répliquer ? Les syndicats ont été affaiblis, ils continueront à l’être. L’école pouvait jouer jusqu’ici le rôle de contre-pouvoir. Mais là encore, le travail de sape entamé avec Blanquer va se poursuivre et s’amplifier. On le voit déjà, les enseignants porteurs de valeurs de gauche sont menacés, ils le seront encore plus avec le pouvoir accru des chefs d’établissement et des directeurs d’école. L’école dans son ensemble va subir une caporalisation sans précédent où ceux qui prônent une éducation émancipatrice seront priés d’aller voir ailleurs et de dégager. Ce que nous annonce Emmanuel Macron a le mérite d’être assez clair : apprentissage dès la cinquième, augmentation des frais d’inscription à l’université. Le but évident est de transformer l’ensemble des classes populaires en employés corvéables à merci, surtout pas d’en faire des citoyens éclairés et émancipés.
Comment imaginer dans ces conditions qu’une conscience de gauche puisse émerger dans les jeunes générations qui obtiendront le droit de vote dans les cinq ans à venir ? Si l’on ajoute à cela la récente nomination d’un catho traditionaliste à la tête du conseil supérieur des programmes et le fait que la plupart des éditeurs de manuels scolaires soient tombés sous la coupe de Bolloré, le tableau a de quoi saisir d’effroi l’électeur de gauche.
On connaît la métaphore : plongée directement dans une casserole d’eau bouillante, une grenouille en saute immédiatement échappant ainsi à la mort. En revanche, plongée dans la même casserole d’eau tiède placée sur le feu, ses défenses s’affaiblissent progressivement et elle finit par mourir ébouillantée sans réagir. Emmanuel Macron nous amène inexorablement à nous habituer à l’inacceptable, il prépare ainsi bien plus sûrement la victoire idéologique de l’extrême-droite que pourrait ne le faire Marine Le Pen. Imagine-t-on la réaction des médias si Marine Le Pen avait fait en matière de répression ne serait-ce que la moitié de ce qu’Emmanuel Macron a accompli ? On imagine dorénavant l’argumentaire : « ce que nous faisons n’est pas pire que ce qu’Emmanuel Macron a fait ».
Arrivé à ce point de mon raisonnement, il convient d’envisager les principaux arguments que l’on pourrait m’opposer pour m’inciter à voter Macron. J’entends les examiner un par un afin de bien prouver que j’y ai réfléchi.
1. L’élection de Marine Le Pen encouragerait le passage à l’acte de factions d’extrême-droite qui prônent la violence.
Pas besoin d’être un observateur avisé pour se rendre compte que c’est, dans une large mesure, déjà le cas. On a pu assister à des appels au meurtre sur les réseaux sociaux sans que cela ne semble émouvoir grand monde. On assiste à des actions coups de poing contre des militants de gauche, les forces d’extrême-droite n’ont pas attendu l’élection de Marine Le Pen pour se manifester dans l’espace public. La question n’est pas tant de savoir si ces forces se manifesteraient que de déterminer quelle résistance la société serait en mesure de lui opposer. Mon analyse est qu’une élection de Marine Le Pen rendrait ces manifestations de force plus scandaleuse pour l’ensemble des médias et de l’opinion publique. Le rapport de force médiatique s’inverserait : l’extrême-droite redeviendrait l’ennemi puisqu’il s’agirait pour le bloc néolibéral de reconquérir le pouvoir, en s’alliant au besoin avec la gauche sociétale.
2. Marine Le Pen pourrait passer outre le pouvoir du parlement en utilisant le référendum pour imposer une modification de la constitution lui donnant davantage de pouvoirs.
Comme nous l’avons dit, le rapport électoral n’est pas favorable aux idées d’extrême-droite, on peut raisonnablement tabler sur le fait qu’une majorité de deux tiers des électeurs s’opposerait dans les urnes à un tel projet. Et comme nous l’avons dit, il y a des risques non négligeables que le rapport de force ne soit pas le même dans cinq ans.
3. Une fois au pouvoir, l’extrême-droite ne le lâche pas.
Sur quels exemples s’appuie-t-on pour étayer cette affirmation ? La Hongrie ? La Russie (si tant est que Poutine soit d’extrême-droite) ? Ce sont des régimes qui n’ont pas une culture démocratique bien ancrée et qui vivent dans la nostalgie d’une époque où leur place sur la scène internationale était liée à une forme de régime autoritaire. Les démocraties illibérales que sont en train de devenir la Turquie d’Erdogan et l’Inde de Modi ? Ces démocraties ont vécu pendant des années avec un parti dominant qui écrasait tous les autres et dont l’effondrement a permis l’émergence d’un pouvoir autoritaire marqué par l’intégrisme religieux. Si on veut comparer ce qui est comparable, il faudrait rapprocher la France d’autres pays semblables où l’extrême-droite a été amenée à exercer des responsabilités, soit l’Italie, l’Autriche ou encore les Etats-unis. On constatera que, dans ces trois exemples, l’alternance a eu lieu et que l’extrême-droite a été chassée par les urnes.
Fort de ce raisonnement et les principales objections qu’on pouvait lui opposer ayant été écartées, il conviendrait en toute logique que je ne me contente pas de ne pas voter Macron mais, comme certains électeurs de gauche comptent le faire, que j’aille jusqu’à poser un bulletin Marine Le Pen dans l’urne. Je ne le ferai pas. Pour deux raisons. La première est viscérale : tout dans mon parcours et dans ma vision du monde m’oppose au projet porté par Marine Le Pen et je me refuse à lui apporter ma caution même dans une perspective purement tactique. La deuxième est que mon analyse repose sur une série de suppositions qui ne sont que des suppositions. Autrement dit je ne suis pas certain d’avoir raison. Et je pourrais difficilement me pardonner de m’être trompé.
Je me cantonnerai donc à m’abstenir (ou à voter blanc, je n’ai pas encore décidé) en vertu du raisonnement qui me semble le plus rationnel dans la circonstance présente : si Marine Le Pen est élue cette fois-ci, c’est qu’elle le sera dans une proportion encore plus large en 2027. Plutôt que de jouer le castor, il convient donc de tout mettre en œuvre pour que cette élection soit la moins nocive possible.
J’ajouterai pour finir que mon choix n’est pas définitivement arrêté. Ceux qui pensent que j’ai intérêt à voter Macron peuvent encore essayer de me convaincre. Mais il va falloir être plus convaincant que les partisans de cette option ne l’ont été jusqu’à présent. Je m’étonne du fait que ceux qui se présentent comme le camp de la raison essayent essentiellement de peser sur mes affects. Donc je vous le dis de façon à ce que ce soit clair : inutile de jouer la carte de la culpabilisation, je ne suis pas responsable de la montée de l’extrême-droite, inutile également de jouer sur la peur. J’aurai de toute façon peur quelle que soit l’issue du scrutin, mais c’est précisément parce que je ne me laisse pas dominer par la peur qui est souvent mauvaise conseillère que je ne voterai pas Macron ce dimanche. Maintenant si vous avez des arguments rationnels à faire entendre, je suis prêt à en tenir compte.
Un commentaire, parmi d’autres
Par Gil DELHOUME
Merci pour ces éclairages très bienvenus ; je partage votre argumentaire très solide . Personnellement je vais voter Macron parce-que mon fils et mes frères ont de bonnes têtes d'arabes . Si aujourd'hui la BAC les arrête , les tutoie et les rudoie sans vergogne quasi toutes les semaines , que sera leur quotidien sous un régime qui autorisera/encouragera une totale désinhibition ? Quel sera le sort de mes élèves irakiens et syriens séjournant en France depuis peu avec des statuts provisoires ?
publié le 19 avril 2022
Albin Wagener - Enseignant-chercheur en analyse de discours et communication sur https://blogs.mediapart.fr
L’Histoire est pleine de ces moments où les citoyennes et les citoyens, en légitime état d’exaspération, ont fini par faire de très mauvais choix pour de très bonnes raisons. Et dans l’ambiance politique délétère et inquiétante de ce mois d’avril 2022, si le pire n’est jamais certain, il reste néanmoins possible.
Que les choses soient claires : non, je ne vais pas m’évertuer à donner des leçons de morale ou des consignes de vote. Tout simplement parce que je pense que tout le monde est suffisamment grand pour faire des choix en pleine intelligence, et aussi parce que je pense comprendre les raisons des tentations qui se trouvent désormais devant nous. Oui, la gueule de bois est encore palpable, quelques jours après les résultats de cet abominable 10 avril. Oui, nous aurions aimé, pour beaucoup, un second tour différent, avec une affiche qui ne serait ni une redite de 2017, ni la résultante de la prophétie auto-réalisatrice des instituts de sondage.
La campagne a été dure et épuisante. Dans nos cœurs, les braises de la colère sont encore vives, et il faudra beaucoup de temps pour faire oublier les trahisons et les attaques incompréhensibles, et encore plus pour solder sereinement ce qui méritera d’être discuté. Mais il faudra le faire, pour ne pas finir comme la queue de comète d’un Parti socialiste qui aura, jusqu’au bout, préféré le déni et la bassesse à la lucidité d’une auto-analyse qui l’aurait honoré. Les forces de gauche en sont donc là, divisées mais présentes, face à l’affiche d’un second tour qu’on déteste profondément, pour des raisons objectives qu’il s’agira de regarder en face. Laissons le temps aux émotions, elles doivent s’exprimer. Mais faut-il pour autant que ces émotions nous encouragent à faire un choix irréversible, ce dimanche 24 avril 2022 ?
Ne nous leurrons pas : nous n’allons pas élire un président, mais choisir l’ennemi contre lequel nous allons nous battre pour les cinq prochaines années – sauf si un heureux sursaut de l’Histoire permet à l’Assemblée nationale de nous offrir l’une de ces inspirantes cohabitations dont elle a le secret. D’aucuns diront que cela a sans doute statistiquement peu de chances d’arriver si l’on regarde l’Histoire récente, mais ceci ne doit pas pour autant nous empêcher de lutter pour tout faire pour le matérialiser. Après tout, l’Histoire, c’est aussi écrire de nouvelles pages.
Choisir son ennemi constitue un art délicat. Le choix que nous avons en face de nous peut paraître cornélien : la perversion méprisante du néolibéralisme d’un côté, et la monstrueuse tentation du fascisme de l’autre. Et en cette période pré-fasciste, on sait à quel point il ne faut pas grand-chose pour que les mauvais choix se concrétisent et se matérialisent rapidement. D’un côté, nous pourrions donc reconduire un Président contre lequel nous avons appris à nous battre, qui a tout fait pour banaliser l’extrême-droite et installer la casse sociale et climatique comme mantra politique. Oui, si nous choisissons Emmanuel Macron, tout cela continuera, c’est indubitable. De l’autre côté, nous pourrions tenter le saut vers l’inconnu, se dire qu’après tout, on a jamais essayé, et que « foutu pour foutu », on va « faire péter » le système en envoyant un « message » en votant Marine Le Pen.
Sauf qu’il n’est pas si inconnu que ça, ce saut. Et sans aller effleurer les points Godwin trop évidents dont regorge le XXè siècle, il suffit de regarder les évolutions récentes au sein de plusieurs démocraties, pour se rendre compte de ce que voter pour un parti d’extrême-droite signifie, concrètement. Donald Trump aux Etats-Unis, Jair Bolsonaro au Brésil, Viktor Orban en Hongrie, Vladimir Poutine en Russie, les frères Kaczynski en Pologne : les exemples sont nombreux et nous enseignent ce que nous sommes en droit de savoir avant de choisir. Avec, pour tous ces dirigeants, une constante qui n’aura échappé à personne : la tentation de modifier la loi et la constitution pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible, le musèlement rapide de toute opposition, la persécution officielle des minorités et des communautés, et l’excitation de groupuscules qui finissent par agir comme des milices violentes, légitimées par un pouvoir qui les adoube tacitement.
Qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? Le programme du Rassemblement National, si sa lecture vous en dit, fait froid dans le dos. Et si Marine Le Pen semble s’être refait une virginité en tant qu’éleveuse de chats, surfant avec paresse et facilité sur une banalisation de ses idées servie, au hasard, aussi bien par CNews, Cyril Hanouna ou Karine Lemarchand, il n’en reste pas moins que ses lieutenants n’ont rien de divertissants personnages ; certains d’entre eux pourraient même faire passer Eric Zemmour pour un provocateur gentillet. D’abord, il convient de tordre le cou à ce qui n’est qu’une hypothèse fragile : le fait que Marine Le Pen, une fois au pouvoir, n’aurait de toute façon aucune majorité pour pouvoir gouverner. D’abord, cela n’est pas écrit, et ce jeu est particulièrement dangereux ; le jeu des institutions ne garantit ni risque de réécriture constitutionnelle par référendum (les chefs d’Etat que j’ai cités ont tous tenté d’en passer par là, d’une façon ou d’une autre), et l’Histoire récente de la Vè République montre à quel point les législatives offrent bien souvent une majorité confortable à la personne à qui l’on offre le mandat présidentiel.
Plus concrètement, cela signifie que les plus fragiles seront les premières victimes d’une politique économique qui, par ailleurs, est à la fois particulièrement erratique et totalement incertaine. Je ne parle même pas de la banalisation du racisme, de l’islamophobie, de l’antisémitisme, de l’homophobie, de la transphobie, de l’oubli complet des personnes en situation de handicap, du recul très net des droits des femmes et de l’appauvrissement des plus précaires. Je ne parle pas non plus de l’arrivée au pouvoir d’une présidente qui devra bien plus au Kremlin qu’au mandat que les françaises et les français lui auront confié. Je ne parle pas non plus, enfin, des groupuscules d’extrême-droite qui se sentiront parfaitement légitimés pour passer à l’action – et qui feront passer les récentes agressions lyonnaises pour de gentils petits tours de chauffe.
Nous savons comment nous battre contre les infectes contorsions du néolibéralisme. Mais une chose est claire : nous savons que lorsque l’extrême-droite arrive au pouvoir, elle ne laisse aucun espace à celles et ceux qui luttent contre elle, parce qu’elle déteste la démocratie. Dans son ADN, c’est l’autoritarisme qui domine. Nous pourrons dire adieu à la presse libre, et bonjour à des verbalisations ou des emprisonnements de celles et ceux qui seront considérés comme des opposants : qu’il s’agisse des mouvements pour le climat ou de simples associations de quartiers, toutes celles et tous ceux qui auront pour ambition de faire vivre la vie démocratique en seront empêchés. Ce n’est pas une menace : c’est une réalité qui s’écrira ici, comme elle s'est déjà écrite ailleurs, parfois de manière irréversible.
Bien évidemment, alors que l’espace médiatique a très largement participé à la banalisation des idées d’extrême-droite et que les instituts de sondage sont devenus des acteurs à part entière de la vie démocratique et du processus électoral, on a l’impression que tout cela peut paraître exagéré. Est-ce si grave de voter pour quelqu’un qui, à la télé, a l’air plutôt sympa et que l’on traite avec déférence ? Est-ce si grave de voter pour quelqu’un devant qui les médias se couchent pour lui offrir le journaliste qu’elle désire pour une interview ? Est-ce si grave de voter pour quelqu’un dont on voit circuler les idées sur des émissions de divertissement que tout le monde regarde ? Oui. Ce n’est pas parce que l’espace médiatique est coupable de lâcheté et de complicité idéologique, ou que les instituts de sondage font mine d’observer la vie politique en produisant des enquêtes d’opinion toutes les 6 heures que la réalité n’en est pas moins celle-là : le fascisme existe, il est présent dans ce pays, il tue, il a déjà tué, et il tuera encore plus si nous lui donnons les clés du pouvoir.
Ce dimanche 24 avril, je n’irai pas élire un Président. J’irai choisir l’ennemi que je combattrai pour les 5 prochaines années, afin de structurer des luttes qui nous rendront plus solides pour les échéances électorales à venir. Je n’oublie rien. Je suis triste, amer et en colère, bien sûr. Je comprends que l’on soit tenté par un autre vote que celui d’Emmanuel Macron, si difficile à glisser dans l’urne, pour tant de raisons plus que légitimes. Je ne le ferai ni avec bonheur, ni avec sentiment du devoir accompli, et je m’en voudrai chaque jour qui passera. Mais jamais je ne pourrai supporter d’avoir contribué indirectement à l’installation d’un régime fasciste, qui ciblera mes frères, mes amies, les luttes en lesquelles je crois, les mouvements dans lesquels je m’engage. Et qui donnera une toute autre ampleur aux violences policières, au racisme systémique, aux discriminations abjectes et à la toxicité médiatique.
Nous avions tout pour faire changer notre société et imaginer un avenir meilleur. C’est décevant, c’est une occasion manquée, ça fait mal, c’est démoralisant, et nous enrageons toutes et tous – à raison, même si la projection des élections législatives doit nous permettre de conserver une véritable dynamique, pleine d'espoir. Oui, des gens vont souffrir sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, et nous devrons nous organiser pour lutter, rester solidaires, et aider celles et ceux qui en auront besoin. Cela ne sera pas facile, souvent décourageant, et toujours dégueulasse. Mais avec tout ce que ce prochain quinquennat m’inspire, je peux vous assurer d’une chose : ce qui nous attend, si nous choisissons le programme nationaliste et populiste de Marine Le Pen, n’aura vraiment rien à voir. Dans un cas, nous devront nous battre beaucoup pour limiter les dégâts et obtenir de maigres avancées : ce ne sera pas le paradis. Dans l’autre cas, ce sera l’enfer.
Et un commentaire parmi bien d’autres :
Par PoussiereDeGrizzly
Mais avec le choix de l'ennemi Macron, que vont apporter 5 années encore plus dures de droite néolibérale ? Ces 5 années risquent de muscler l'extrême droite et ce sera un raz de marée de fascisme à la prochaine présidentielle, un autoritarisme dévergondé et ravageur ! On peut se demander s'il ne vaut mieux pas affronter immédiatement un ennemi fachiste pas encore assez mûr... Depuis 2002 il paraît que la gauche recule pour mieux sauter ... Toujours avec le même résultat, l'affaiblissement constant. Donc je ne vois pas de solution miracle pour le vote du second tour, la seule carte positive étant d'obtenir un maximum de députés insoumis, ou proches, aux législatives. Je voterai blanc mais participerai encore plus aux luttes.
publié le 18 avril 2022
Par Astrid de Villaines sur https://www.huffingtonpost.fr/
LFI a lancé une grande consultation sur sa base de 215 292 soutiens apportés à Jean-Luc Mélenchon. Ils préfèrent le bulletin blanc, nul ou l'abstention.
POLITIQUE - Les urnes insoumises ont parlé. Comme en 2017, Jean-Luc Mélenchon a consulté sa base (environ 300.000 personnes) pour lui demander ce qu’elle comptait faire au second tour de la présidentielle 2022.
L’Insoumis en chef n’a pas proposé l’option “Marine Le Pen” qu’il combat et proposait à ses troupes trois options: vote blanc ou nul, abstention ou vote pour Emmanuel Macron. Les résultats sont sans appel: ce n’est pas le président de la République qui arrive en tête de cette consultation.
Selon les résultats transmis par le mouvement ce 17 avril, sur 215.292 participants au vote, 37,65% d’entre eux ont choisi le vote blanc ou nul et 28,96% disent qu’ils s’abstiendront, soit un total de 66,61% qui ne votera pas pour Emmanuel Macron.
Arrivé en deuxième position, le bulletin de vote pour le président sortant n’obtient que 33,40% des sondés, soit un tiers des personnes ayant répondu. “Le résultat de cette consultation n’est pas une consigne donnée à qui que ce soit (...) Chacun conclura et votera en conscience, comme il l’entend”, précise le communiqué de La France insoumise qui publie ces résultats.
En 2017, une consultation similaire avait amené environ 240 000 Insoumis à choisir à 36,12% pour le vote blanc ou nul, à 34,83% pour Emmanuel Macron, et à 29,05% pour l’abstention.
publié le 18 avril 2022
François Bonnet sur www.mediapart.fr
L’offensive russe attendue dans le Donbass décidera du sort de l’Ukraine. Les États-Unis et plusieurs pays européens livrent massivement des armes offensives. Vladimir Poutine se dit déterminé à aller jusqu’au bout. L’armée russe est accusée de nouveaux crimes, des viols et violences sexuelles. Tous les éléments d’une escalade sont réunis.
Ce doit être l’offensive décisive, celle qui mettra l’Ukraine à genoux et son armée en déroute. Elle devrait déboucher sur une partition du pays si la Russie l’emporte. La conquête de l’ensemble du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, de la ville martyre de Marioupol et des territoires du Sud menant à la Crimée annexée en 2014 est l’objectif annoncé depuis le 29 mars, lorsque l’état-major russe a dû prendre acte de sa défaite aux portes de la capitale, Kyiv (Kiev en russe).
Cette bataille du Donbass doit débuter dans les jours qui viennent, même si l’armée russe semble se heurter à de graves difficultés, un manque d’hommes et des problèmes répétés de réorganisation. Mais la commande politique est explicite et a été énoncée pour la première fois par Vladimir Poutine mardi 12 avril. Le but affiché est désormais « d’aider les gens du Donbass ». « Nos objectifs sont absolument clairs et nobles. Nous les atteindrons, il n’y aucun doute », a ajouté Vladimir Poutine.
L’assurance du président russe dit l’importance de ce qui est la deuxième phase de cette guerre d’invasion déclenchée le 24 février. Moscou doit impérativement l’emporter, tant cette guerre est « existentielle » pour la Russie, sauf à voir s’effondrer l’intégralité d’un projet politique et militaire élaboré depuis des années.
L’Europe et les États-Unis l’ont compris. Joe Biden a annoncé, mercredi 13 avril, de nouvelles livraisons d’armes à l’Ukraine, « adaptées à la large offensive que prépare la Russie dans l’est [du pays] ». Ce « paquet » de 800 millions de dollars, qui porte à 3,2 milliards de dollars le montant total de l’aide militaire américaine depuis le 24 février, est essentiellement constitué de matériels offensifs : hélicoptères, drones, pièces d’artillerie, obus et munitions, missiles antichars, systèmes de radar.
Plusieurs pays européens ont également décidé d’intensifier leurs livraisons d’armes à l’Ukraine. La République tchèque et la Pologne fournissent des chars T72 et des blindés légers, la Slovaquie un système de défense antiaérien et des transports de troupes, le Royaume-Uni plusieurs catégories de missiles, l’Australie des transports de troupes, etc. (lire ici un inventaire partiel des matériels fournis). L’Allemagne a déjà fourni des milliers de missiles antichars.
Les batailles qui se préparent dans le Donbass provoquent ainsi une escalade militaire massive dans ce qui ressemble de plus en plus à une confrontation entre la Russie et l’Occident.
L’analyse qui domine en Europe et aux États-Unis est qu’une victoire rapide de la Russie dans cette conquête de l’Est et du Sud rendrait inévitable une partition de l’Ukraine. Elle pourrait même inciter Moscou à relancer ensuite la guerre pour des conquêtes territoriales plus larges.
Encouragés par les échecs répétés de l’armée russe, le président Zelensky et l’armée ukrainienne se disent, eux, persuadés de pouvoir l’emporter si l’aide militaire ne fait pas défaut. « Les troupes russes doutent de leur capacité à nous briser, à briser l’Ukraine. Nous ferons tout pour justifier ces doutes. L’Europe doit gagner cette guerre et nous gagnerons », a déclaré Volodymyr Zelensky jeudi 14 avril, dans une vidéo. La veille, il énumérait une longue liste de systèmes d’armes dont son pays a « urgemment besoin ».
Jeudi 14 avril, le pouvoir ukrainien pouvait brandir un nouveau fait d’armes en revendiquant avoir partiellement détruit le navire amiral de la flotte russe de la mer Noire, le croiseur Moskva, qui devait couler quelques heures plus tard alors qu’il était remorqué vers le port de Sébastopol. Selon le gouverneur de l’oblast d’Odessa, le Moskva a été touché par deux missiles antinavires ukrainiens de type Neptune.
Le ministère russe de la défense a expliqué que le navire avait été dévasté par un incendie accidentel provoquant l’explosion de munitions, sans reconnaître l’attaque ukrainienne. Dans les deux cas, ce naufrage est un nouveau signe de la désorganisation des forces russes et du non-respect de procédures, les navires de ce type étant normalement surprotégés contre les risques de feu ou des attaques de missiles.
Vendredi 15 avril, après un mois de siège et de combats, des dizaines de milliers de morts, civils et militaires et la destruction totale de la ville, la prise complète de Marioupol par les forces russes paraissait imminente. Elle pourra être présentée comme une victoire importante par Moscou.
Sur le papier, la supériorité de l’armée russe paraît incontestable, en matériels, armes et hommes. Mais les pertes importantes subies en sept semaines de combats, les défaites et les problèmes multiples de commandement et de coordination laissent la place à de nombreuses interrogations. Explications en quatre points des enjeux de cette nouvelle guerre du Donbass.
1. Poutine dénonce une offensive générale de l’Occident
Le président russe a choisi, mardi 12 avril, de célébrer l’un des grands mythes soviétiques, Youri Gagarine et le premier vol spatial habité le 12 avril 1961, en se rendant au centre spatial de Vostotchny, dans l’Extrême-Orient russe. Il était accompagné, pour l’occasion, d’Alexandre Loukachenko, le dictateur biélorusse.
Vladimir Poutine avait plusieurs messages à faire passer, aussitôt massivement relayés par la machine de propagande étatique. Le premier a concerné la guerre puisque le président ne s’était pas exprimé en détail depuis l’annonce du retrait des forces russes des alentours de Kyiv et du nord du pays.
Les objectifs initiaux d’une prise de contrôle de la totalité du pays, de sa « démilitarisation » et de sa « dénazification » avaient alors été abandonnés. Ces échecs ont provoqué une purge au sein des services de renseignement et de certains départements militaires, purge qui semble d’une ampleur inédite (lire ici et là). Il s’avère, après 50 jours de guerre, que les plans d’invasion de l’Ukraine et les renseignements à partir desquels ils ont été construits étaient totalement inadaptés.
Nous allons agir de manière harmonieuse, calmement, en conformité avec le plan.
Vladimir Poutine a donc dû montrer qu’il contrôle pleinement la situation, s’affichant serein et rassurant, pour étouffer tout questionnement. « L’opération militaire spéciale se déroule selon les plans », a-t-il dit. La retraite de Kyiv et du nord du pays n’en est pas une, puisqu’il ne s’agissait alors que de « fixer les forces ukrainiennes, de détruire l’infrastructure militaire pour créer les conditions d’une opération plus active dans le Donbass ».
« Nous allons agir de manière harmonieuse, calmement, en conformité avec le plan proposé dès le départ par l’état-major », a-t-il ajouté. Poutine a également précisé que l’armée russe avait fait le choix de ne pas progresser plus vite pour « limiter les pertes ».
Le deuxième message a consisté à dénoncer une offensive générale de l’Occident, « l’hystérie antirusse », et la volonté des États-Unis d’imposer leur « domination mondiale ». « Les États-Unis sont prêts à combattre la Russie jusqu’au dernier Ukrainien », a-t-il ajouté, moquant par ailleurs les sanctions : « Notre système financier, notre industrie fonctionnent. »
Le troisième message a consisté à nier et à qualifier de « fake » les nombreux crimes de guerre et exactions commis par l’armée russe à Boutcha et dans les localités environnantes au nord de Kyiv. Il a comparé ces accusations à celles qui ont visé « le président syrien Bachar al-Assad et l’utilisation d’armes chimiques ». À ses côtés, le président Loukachenko a assuré que les crimes de Boutcha étaient « une opération spéciale montée par les services britanniques ».
Enfin, le président russe a fermé la porte aux pourparlers de paix en cours, dénonçant un pouvoir ukrainien « incohérent ». « L’opération militaire se poursuivra jusqu’à ce que tous nos objectifs soient réalisés », a-t-il conclu.
Cette détermination du président russe, prêt à toutes les escalades comme il l’avait annoncé dès le 24 février, ravive le scénario de l’utilisation de l’arme atomique. Ancien ambassadeur à Moscou et directeur de la CIA, c’est ce qu’a rappelé, jeudi, William J. Burns. « Compte tenu des revers militaires auxquels le président Poutine et le pouvoir russe ont été confrontés jusqu’à présent, aucun d’entre nous ne peut prendre à la légère la menace posée d’un recours potentiel aux armes nucléaires tactiques ou aux armes nucléaires à faible rendement », a-t-il indiqué, précisant aussitôt qu’il n’y avait pas de « preuves » à ce stade du déploiement de telles armes.
2. Les difficultés persistantes de l’armée russe
Le retrait des forces russes des alentours de Kyiv et du nord du pays n’a pas pour autant réglé les nombreux problèmes de l’armée. Il y a en premier lieu l’ampleur des pertes subies ces sept premières semaines de combats face à une armée ukrainienne beaucoup plus mobile, entraînée et connaissant parfaitement le terrain.
Les chiffres donnés par l’armée ukrainienne ou les services occidentaux de renseignement ne peuvent être vérifiés indépendamment. Mais le travail réalisé par plusieurs centres d’études, à partir de photos et vidéos vérifiées sur les réseaux sociaux, de documents et témoignages, permet d’aboutir à des ordres de grandeur à peu près crédibles. En sept semaines de guerre, près de 10 000 soldats russes auraient été tués. Trente mille hommes auraient été blessés ou mis dans l’incapacité de combattre.
Cela signifie que plus de 20 % des forces initialement déployées (150 000 à 200 000 hommes) seraient aujourd’hui neutralisées, un niveau de pertes jugé par les experts comme énorme. En complément, une étude récente des services de renseignement américains estime que sur les 130 bataillons tactiques groupés russes engagés depuis le 24 février, seuls 80 demeurent opérationnels.
Enfin tous les indices, éléments matériels et témoignages font état d’une troupe largement constituée de jeunes soldats mal formés, mal nourris et mal équipés et au moral très bas. À cet état dégradé de l’armée russe engagée en Ukraine s’ajoutent deux éléments.
Le premier est l’ampleur des pertes matérielles. Des évaluations crédibles font état de la perte de plus de 2 000 véhicules, transports de troupes, blindés légers, lanceurs multiroquettes et chars (480). En regard, l’armée ukrainienne en aurait perdu environ 800.
Le deuxième élément est le manque de coordination des forces sur le terrain et la médiocrité des systèmes de transmission. Il expliquerait pour une bonne part les échecs répétés des trois premières semaines de conflit. Pour y remédier, le pouvoir russe a décidé il y a quelques jours de créer un commandement unique de l’ensemble des opérations.
Ce commandement a été confié au général Dvornikov, qui dirigeait jusqu’alors les opérations menées dans le sud de l’Ukraine. L’homme est surtout connu pour avoir été le premier général à diriger l’intervention russe en Syrie, à partir de septembre 2015. Il y a gagné le surnom de « boucher d’Alep », même si les généraux russes qui lui ont succédé ont commis des crimes de guerre d’une même ampleur.
L’état réel de l’armée ukrainienne est impossible à évaluer.
Ce commandement unique ne devrait pas résoudre les deux principales difficultés rencontrées aujourd’hui par l’armée russe. La première est le manque d’hommes. Des témoignages sur les réseaux sociaux font état de recrutements forcés dans les républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk. L’état-major ukrainien estime que l’armée russe a cherché à mobiliser 60 000 à 70 000 hommes dans le Donbass et n’a atteint que 20 % de cet objectif.
La deuxième difficulté est que les forces russes demeurent engagées sur de multiples fronts : autour de Kharkiv, au Nord-Est, où les bombardements de la ville se poursuivent (plus de 1 500 bâtiments ont été détruits) ; dans l’oblast de Kherson, au Sud, où des attaques de l’armée ukrainienne bloqueraient des contingents russes ; Marioupol, toujours, où seraient présents 8 000 soldats russes, ainsi qu’à Zaporijia ; à Izioum, une ville entre Kharkiv et le Donbass, aujourd’hui totalement détruite après des semaines de combats.
Ces derniers jours, les offensives lancées par l’armée en divers points du Donbass, l’objectif étant de conquérir la totalité des oblasts de Louhansk et Donetsk (les républiques séparatistes actuelles ne représentent qu’un tiers de ces territoires), ont toutes été enrayées par l’armée ukrainienne.
Face à ces difficultés de l’armée russe, l’état réel de l’armée ukrainienne est impossible à évaluer. Aucune information détaillée et crédible n’est rendue publique. Tout juste sait-on que les forces ukrainiennes déployées dans le Donbass pourraient compter 20 000 à 30 000 hommes. Elles seraient les plus expérimentées, connaissant parfaitement le terrain et bénéficiant d’installations défensives construites ces huit dernières années de guerre.
Peuvent-elles tenir face aux déploiements massifs de matériels, chars et pièces d’artillerie venus de Russie ? Les semaines à venir le diront.
3. Les crimes de guerre et viols
A priori, les documentations de plus en plus précises de crimes de guerre massifs commis par les troupes russes et les accusations grandissantes de violences sexuelles et de viols ne devraient en rien gêner l’offensive russe sur le Donbass. Mais le déni systématique du pouvoir russe, sa propagande expliquant qu’il s’agit là de montages, de mises en scène construites par les services occidentaux ou de tueries faites par les forces ukrainiennes suffiront-ils ?
Le premier effet de la révélation de ces atrocités a été d’accélérer les livraisons d’armes à l’Ukraine. Le deuxième a été la mise en place rapide d’un groupe d’enquêteurs internationaux dépêchés à Boutcha et dans le nord de Kyiv pour documenter les différents crimes, tandis que la Cour pénale internationale a ouvert une enquête.
Nous ne pouvons donner à ce jour un chiffre mais ces crimes sexuels ont un caractère de masse.
Le troisième effet est de placer un peu plus encore la Russie au ban des nations. Jeudi 14 avril, la commissaire ukrainienne aux droits de l’homme, Lyudmila Denisova, a détaillé ce qu’elle estime être des violations systématiques du droit international de la guerre. Elle a ensuite fait le point sur les accusations de crimes sexuels.
« Nous ne pouvons donner à ce jour un chiffre mais ces crimes sexuels ont un caractère de masse. Par exemple, ces dernières 24 heures, 53 personnes ont appelé notre ligne d’urgence créée pour les victimes de viol par des militaires russes. Nous sommes en train de rassembler des preuves », a-t-elle expliqué.
Lyudmila Denisova a également affirmé disposer de preuves que 25 femmes, âgées de 14 à 24 ans, avaient été détenues à Boutcha dans un abri et régulièrement violées par des soldats. Neuf des 25 victimes seraient enceintes, dont une jeune fille de 14 ans. Aucune de ces informations n’a pu être vérifiée indépendamment. De son côté, le ministère ukrainien de la justice a annoncé que plus de 500 militaires russes avaient déjà été identifiés pour de possibles poursuites.
4. Les possibilités d’extension du conflit
Pour la première fois depuis le 29 mars, des missiles russes ont à nouveau frappé la capitale ukrainienne, vendredi 15 avril. La cible était une usine d’armement dans le sud-ouest de Kyiv, selon le ministère de la défense russe.
La veille, l’Ukraine avait été accusée d’avoir bombardé deux villages russes proches de la frontière, ce qu’a démenti l’armée ukrainienne. « Le nombre et l’ampleur des frappes de missiles sur des sites de Kiev augmenteront en réponse à toute attaque terroriste menée en territoire russe par le régime nationaliste de Kiev », avait averti le ministère russe de la défense.
Nous demandons aux États-Unis et à leurs alliés d’arrêter la militarisation irresponsable de l’Ukraine.
Un avertissement similaire a été adressé, mardi, aux États-Unis. Le Washington Post révèle, vendredi 15 avril, le contenu d’une note transmise par l’ambassade russe aux États-Unis et protestant contre les livraisons d’armes à l’Ukraine. Ces dernières pourraient avoir « des conséquences imprévisibles ». « Nous demandons aux États-Unis et à leurs alliés d’arrêter la militarisation irresponsable de l’Ukraine, aux conséquences imprévisibles pour la sécurité régionale et internationale », est-il écrit.
La note souligne « la menace de mettre des armes de haute précision dans les mains de nationalistes radicaux, d’extrémistes et de bandits en Ukraine » et accuse l’Otan de faire pression sur l’Ukraine pour saboter les négociations en cours « pour prolonger le carnage ».
Comme il l’avait déjà annoncé fin mars, le pouvoir russe se réserve ainsi le droit de frapper les convois d’armement acheminés en Ukraine. Ira-t-il au-delà en choisissant de frapper des sites de stockage d’armement dans les pays voisins de l’Ukraine et membres de l’Otan ? Un conflit avec les forces de l’Otan serait alors inévitable.
Enfin, une nouvelle menace d’escalade vers un conflit généralisé a été faite jeudi 14 avril par Dmitri Medvedev. L’ancien président et premier ministre, aujourd’hui vice-président du conseil de sécurité russe, s’en est pris au projet d’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande, aujourd’hui pays neutres.
En cas d’adhésion, « les frontières de l’Alliance avec la Russie feraient plus que doubler. Et ces frontières, il faudra les défendre […]. Dans ce cas, il ne pourra être question d’une mer Baltique non nucléaire », a averti Dmitri Medvedev. Évoquant les populations finlandaises et suédoises, il a ajouté que « personne de sain d’esprit ne peut souhaiter une hausse des tensions à sa frontière et avoir à côté de sa maison des missiles Iskander, des missiles hypersoniques et des navires avec des armes nucléaires ». Les deux pays pourraient prendre leur décision dans les semaines à venir.
La Russie aura-t-elle les moyens politiques et militaires d’aller jusqu’au bout de son projet, qui est de briser l’Ukraine et, au-delà, de reconfigurer l’ordre mondial ? La détermination affichée de Vladimir Poutine et la violence déchaînée de la propagande d’État en Russie ne cessent de l’affirmer. Le pouvoir russe est aujourd’hui dans une position qui lui interdit de reculer, sauf à disparaître. Cela interdit d’écarter le scénario du pire, celui d’une confrontation généralisée en Europe.
publié le 17 avril 2022
.James Gregoire et David Perrotin sur www.mediapart.fr
Des milliers de personnes ont défilé dans toute la France ce samedi pour « dire non à l’extrême droite ». Au sein de la gauche, comme dans le cortège parisien, deux tendances cohabitent : ceux qui iront faire barrage et les abstentionnistes
Ce samedi à Paris et en plein soleil, la foule était déterminée à dire « non à l’extrême droite » tout en dénonçant la politique d’Emmanuel Macron. Près de 22 000 personnes (dont 9 200 à Paris selon la préfecture et 40 000 selon les organisateurs) ont en effet répondu présent à l’appel unitaire à rassemblements - partout en France et dans la capitale - lancé par une centaine d’organisations de la société civile.
« En rejetant Marine Le Pen, il s'agit d'empêcher l'avènement d'un projet de société destructeur de l’État de droit, de la république démocratique sociale et solidaire que nous défendons chaque jour », précisait le communiqué publié la veille par les organisateurs, à l’instar de la LDH, SOS Racisme, la CGT, le Syndicat de la magistrature ou encore le Syndicat national des journalistes.
Si dans toutes les têtes s’imposaient les images des mobilisations massives de 2002 lorsque Jean-Marie Le Pen avait accédé au premier tour, tous se sont rendus à l’évidence : l’antifascisme mobilise beaucoup moins. « On voit que les idées d’extrême droite ont bien fait leur chemin depuis », regrette Cécile, 67 ans, qui est partagée entre colère et amertume face à une mobilisation « si faible ».
Ce 1er mai 2002, environ 1,3 million de personnes, dont 400 000 à Paris, avaient battu le pavé dans toute la France pour « faire barrage par leur vote à Jean-Marie Le Pen ». Une mobilisation qui restera comme une des plus importantes avec celles organisées après l’attentat contre Charlie Hebdo.
« Menu sur place ou à en pleurer »
Les temps ont cette fois-ci bien changé. Si Marine Le Pen n’a jamais été aussi proche d’accéder au second tour, l’inquiétude des personnalités politiques et syndicales s’est faite bien discrète. À l’exception de quelques têtes, (Olivier Besancenot, Audrey Pulvar, Danielle Simonnet, Jérôme Rodriguez…), la manifestation comptait surtout des militants ou des membres d'associations antiracistes. Depuis dimanche, la gauche n’a cette fois-ci pas su ou voulu déployer son énergie pour motiver les foules.
Les slogans déployés tout au long du parcours entre Nation et République, illustrent quant à eux le dilemme vécu aujourd’hui par une large partie de la gauche. Ceux pour qui « dire non à l’extrême droite » implique de voter « une fois encore » pour Emmanuel Macron et qui l’affichent de différentes manières sur leurs pancartes : « Mieux vaut un vote qui pue qu’un vote qui tue », « Ni Macron, ni Le Pen, mais surtout pas Le Pen », ou « Menu sur place ou à en pleurer ». Et les autres qui revendiquent leur future abstention.
Au milieu de nombreux chants revendicatifs, une voix grave et rocailleuse résonne. Les sourcils froncés, épais, mis en valeur par le kaki de sa veste,
Sylvain veut montrer son opposition pure et simple à Marine Le Pen : « Je viens d’une famille de travailleurs. On est des purs prolos. Voter Macron, ce n’est pas accepter le
capitalisme, c’est refuser le fascisme. »
Indépendamment de son origine sociale, Sylvain votera Emmanuel Macron dans une semaine, tout comme il avait voté Chirac en 2002. Il estime que le barrage républicain est plus important que
tout : « En 2017, je n’ai pas voté parce que c’était sûr que Macron allait gagner, mais là, quand tu vois le score que font Le Pen et Zemmour, je suis inquiet »,
confie-t-il.
Une crainte partagée par Anzoumane Sissoko, membre de la Marche des solidarités, qui a organisé la manifestation : « Le mot d’ordre est clair : aucune voix pour Le Pen ! » Mais avec cette marche, il souhaite aussi dénoncer « cinq ans de politique répressive d’Emmanuel Macron » et cite comme exemple la loi « séparatisme », les « détentions arbitraires de personnes exilées », et l’absence « d’avancée sociale en cinq ans ».
Au milieu des drapeaux qui s’agitent et de la foule qui chante, Alexis, 27 ans, avance tranquillement. Cet agent d’accueil a profité du week-end ensoleillé pour montrer son opposition au choix qui lui est « imposé » : « Je refuse de voir une raciste à la tête d’un pays comme la France », lance-t-il, tout en continuant de taper de mains pour soutenir les « siamo tutti antifascisti » de la foule. Lui qui a voté Yannick Jadot au premier tour et comptait s’abstenir avant de se raviser, tente alors une comparaison : « Macron ce n’est pas le mieux, loin de là, mais entre la gastro et le Covid, j’ai choisi. »
Dans le parcours, un cortège de la fédération parisienne du Parti socialiste ne passe pas inaperçu et reçoit quelques insultes. « C’était une évidence d’être ici aujourd’hui », insiste Alexandre, 50 ans et militant socialiste qui justifie malgré tout son vote pour Anne Hidalgo : « La question qu’on devrait me poser, c’est pourquoi je ne peux pas voter pour Mélenchon », poursuit-il. Il montre son T-shirt avec une inscription pro-Ukraine pour dénoncer les positions « pro-Poutine de Mélenchon ».
Des militants socialistes, communistes et de la LFI défilent
Plus loin dans le cortège, des militants du Parti communiste distribuent des tracts montrant Fabien Roussel appeler « au rassemblement ». Julien, 46 ans, a justement voté pour le candidat communiste et dit aujourd’hui « s’en mordre les doigts ». Avec sa pancarte « Ne cédez pas au R-haine » et son fils de 16 ans à ses côtés, il martèle l’importance de battre l’extrême droite dimanche 24 avril. « C’est trop dangereux de confier le pouvoir à l’extrême droite. Cinq ans de Macron seront difficiles, mais il faudra se battre pour défendre encore et encore nos droits », explique-t-il. Plus loin, Yann 35 ans, déambule avec la tête de Jean-Luc Mélenchon collée à son costard trois-pièces. Militant de La France insoumise, il défend le vote barrage : « On a le choix avec deux extrêmes droites au second tour, je voterai pour la moins pire des deux ».
Il aborde ensuite les sondages montrant que 30 % des électeurs de Mélenchon au premier tour voteraient Marine Le Pen au second, et veut relativiser. « Je n’y vois pas quelque chose de négatif. Cela signifie qu’on a réussi à faire en sorte que des gens qui auraient voté Le Pen au premier tour, ont finalement voté Mélenchon. Qu’on les perde face à Macron au second tour, c’était inéluctable », juge-t-il, estimant que c’est « déjà un petit pas contre l’extrême droite ».
Lucile, 39 ans, tient une pancarte avec cette interrogation : « Abstention = collaboration ? ». « Je veux faire réfléchir ceux qui comptent s’abstenir. Pour moi, ceux qui n’iront pas voter Macron, ne veulent pas voir que c’est un privilège. Le privilège de ceux qui ne sont pas directement concernés par la politique de Le Pen », explique-t-elle avant de dénoncer l’autre effet, selon elle, d’une abstention massive. « On croit que la France est massivement à droite, mais si les abstentionnistes votaient, on verrait que c’est une illusion ».
Le rejet du « vote barrage »
Comme à Marseille, Lyon, Poitiers ou Grenoble, les manifestants parisiens scandaient leur peur et leur colère de voir Marine Le Pen au pouvoir. De nombreux jeunes pourtant défilaient aussi pour rejeter cette fois-ci « tout barrage ». « Je suis abstentionniste, mais je suis présente aujourd’hui pour montrer qu’il y a une différence entre la politique et l’électoralisme », témoigne Laure, 35 ans.
« On a craché à la figure de tous les gens qui ne votent pas, mais les gens devraient ouvrir les yeux. La jeunesse de ce pays est ultra-politisée. Il va falloir comprendre qu’elle rejette désormais ce système et qu’un véritable changement passera par la rue », estime la jeune femme qui regrette « cette France de plus en plus à droite ». Le second tour se résume selon elle en un seul choix : « le fascisme ou l’autoroute vers le fascisme ». Face à elle, des pancartes affichent cette tendance plus radicale : « Nos pavés ne rentrent pas dans vos urnes », ou « À bas l’État, les flics et les fachos ».
Lucas, 24 ans, qui manifeste pour la première fois de sa vie, n’ira pas voter non plus pour le second tour. La pancarte qu’il tient sert de justification. Il exhibe le visage de Macron affublé d’un gilet jaune, un œil blessé par un LBD. « Je ne peux pas voter pour Macron, lui qui est responsable de toutes les violences policières qu’on a pu voir pendant le quinquennat. »
Si cette élection est pour beaucoup « un remake » de 2002 ou de 2017, la colère a pris le pas sur les certitudes de faire cette fois-ci barrage à Marine Le Pen. Ceux qui iront glisser un bulletin Macron, ne veulent même pas blâmer ceux qui resteront chez eux. « J’irai voter contre Le Pen tout en comprenant ceux qui n’y arrivent pas », explique Clémence 37 ans. Et de lâcher : « Faut bien que certains s’y collent ».
publié le 17 avril 2022
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr
Les grèves ne disparaissent pas entre les deux tours de l’élection présidentielle. Elles sont pourtant quasi absentes des discours des candidats. Ainsi, pendant que les caméras sont braquées sur Emmanuel Macron et Marine Le Pen, on en oublierait presque que les luttes continuent dans les entreprises. Tour d’horizon.
En 2017, il y avait Whirlpool. L’entreprise d’électroménager avait servi de ring de boxe à Emmanuel Macron et Marine Le Pen, dans l’entre-deux-tours de la présidentielle. Cinq ans plus tard, pas de grande rencontre orchestrée dans une usine en lutte pour tenter de s’attirer les grâces de la France qui fait grève.
Pourtant, les luttes continuent dans les entreprises. Près de Bordeaux, les employés de Capgemini sont entrés en grève jeudi 14 avril, et ce pour la première fois depuis 2008. Ils exigent des augmentations de salaire. Chez les hôtesses de l’air, les stewards et les pilotes de la compagnie espagnole à bas coût Volotea, un mouvement de grève est prévu à partir du 16 avril pour protester contre des salaires jugés indécents. A la SMAD, entreprise pharmaceutique près de Lyon, une centaine de salariés entament actuellement une grève reconductible, une fois encore sur la question des salaires. Dans les services publics, chez RTE, à la SNCF, les conflits régionaux et locaux ne s’arrêtent pas non plus en période présidentielle. Enfin, en grève depuis maintenant six mois, les travailleurs sans-papiers de La Poste demandant toujours leur régularisation.
La Sam aurait pu être le nouveau Whirlpool
Occupée depuis 144 jours, la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM) aurait pu être le Whirlpool de l’élection présidentielle 2022. La liquidation de l’entreprise aveyronnaise en novembre 2021 incarne la désindustrialisation des campagnes françaises. 347 salariés risquent de perdre définitivement leur travail et tout un bassin d’emploi est menacé.
Après une lutte longue de plus d’un an, les salariés attendent désormais beaucoup du plan de reprise, proposé par une entreprise du Lot : MH Industries. Une discussion rassemblant l’État, les collectivités, les salariés et cette entreprise devrait avoir lieu en juin ou en juillet.
En attendant, les fondeurs de la SAM se relaient nuit et jour pour « protéger l’outil industriel ». Comprendre : éviter que les machines ne soient vendues aux enchères. « Il y a, à la SAM, des machines et des savoir-faire que l’on ne trouve plus en France. Toute notre action aujourd’hui consiste à les préserver pour que nos métiers ne disparaissent pas », explique David Gistau, représentant CGT des ex-salariés de la Sam.
Dans le bassin decazevillois, pas question de faire appel à un providentiel candidat à l’élection présidentielle pour espérer sauvegarder des emplois. « Lors d’une AG, mercredi soir, nous avons décidé que ni Macron ni Le Pen ne seraient les bienvenus à la SAM dans le cadre de leur campagne. On ne pense pas que les promesses d’entre-deux-tours puissent nous apporter quoi que ce soit. Nous, on croit à la lutte », affirme David Gistau de la CGT.
Chez Amazon, bataille pour les salaires
Dans un contexte d’inflation généralisée, les luttes pour les augmentations de salaire se multiplient dans les entreprises françaises. Depuis peu, Amazon a ouvert des négociations autour des salaires de ses employés. Et cela se passe mal. Le géant du e-commerce a lui-même mis le feu aux poudres en annonçant son augmentation de salaire, via CHIME, la messagerie interne de l’entreprise.
L’anecdote vaut la peine d’être racontée tant elle en dit long sur la manière dont Amazon traite ses syndicats. « Le 31 mars, alors que tous les syndicalistes de la boîte sont réunis pour un comité social et économique (CSE) central, ils constatent, à la pause café, qu’Amazon annonce sur CHIME des augmentations de salaire de 3 %. Ils n’ont pourtant rien négocié du tout ! », s’indigne Jean-François Bérot, syndicaliste Sud-Commerce chez Amazon.
Lundi 4 avril, une intersyndicale rassemblant la totalité des syndicats français du géant du e-commerce annonce une série de débrayages pour une période indéterminée. « L’objectif c’est qu’Amazon nous lâche au moins 5 % d’augmentation. C’est un minimum dans un contexte où l’inflation atteint 4,5 % », fulmine Jérôme Guislain, de Sud-Commerce. Mais Amazon ne l’entend pas de cette oreille. Malgré une pression continue et des débrayages dans au moins 7 des 8 plus grands entrepôts de France, lors de la réunion de négociation ce jeudi 14 avril, la direction a concédé seulement 3,5 % d’augmentation. Trop peu pour les syndicats, qui prévoient de continuer leurs actions.
À la raffinerie de Donges, Total ne lâche rien
Malgré 20 jours de grève, la direction de la raffinerie Total de Donges reste inflexible. Pourtant, sur le papier, le rapport de force semblait en faveur des grévistes. La grève est massive (250 des 300 salariés postés), l’outil industriel est bloqué, alors même que la raffinerie entame son redémarrage, et les revendications des grévistes sont largement accessibles à une multinationale qui se targue d’avoir réalisé 13,5 milliards d’euros de profit en 2021. « On veut que la direction embauche 43 salariés précaires en CDI », rappelle David Arnould, élu CSE sur le site Total de Donges et militant CGT.
Niet. « Total est sur une ligne dure : refus absolu de négocier avec des grévistes. Du côté de l’État, la sous-préfecture a refusé de nous recevoir et de nommer un médiateur, sous prétexte que nous avions organisé une manifestation non déclarée devant ses fenêtres. » Pour les salariés de la raffinerie de Donges, l’embauche des précaires est aussi une question de sécurité. « Faire tourner une raffinerie avec autant de précaires c’est dangereux. On saura se rappeler l’attitude de la direction s’il y a un problème un jour », affirme David Arnould. Une assemblée générale des grévistes doit se tenir ce vendredi matin pour décider de la suite du mouvement.
Grève du nettoyage à l’ARS Marseille
Les grands collectifs de travail ne sont pas les seuls à être engagés dans de longues grèves dans cet entre-deux-tours. De nombreuses grèves ont lieu dans des entreprises de taille plus modeste. A Marseille, les 7 agents qui nettoient les locaux de l’agence régionale de santé (ARS) sont en grève depuis le 29 mars.
« Au départ ils étaient 8 à assurer le nettoyage de ces locaux, puis ils sont passés à 7 et finalement à 6. C’était impossible de nettoyer ces locaux en étant si peu, le chef d’équipe s’est opposé à cette décision… et il a finalement été muté. C’est ça qui a déclenché la grève », raconte Camille El Mhamdi, juriste à la CNT-SO, le syndicat des grévistes. Ces derniers exigent l’annulation de la mutation du chef d’équipe, le retour à 8 salariés et le paiement d’un certain nombre d’heures supplémentaires indues.
Comme souvent dans le nettoyage, ces agents – 3 hommes et 4 femmes – sont employés par une entreprise sous-traitante : Laser. Or, cette dernière refuse catégoriquement d’accéder à leur requête et envoie d’autres membres de ses équipes pour nettoyer l’ARS lorsque les grévistes ne sont pas sur le piquet.
publié le16 avril 2022
Ricardo Parreira sur : https://www.lamule.media/
Ce jeudi soir, 14 avril 2022, vers 21 : 30, entre dix et quinze militants d’extrême droite ont attaqué, pour la deuxième fois depuis l’ouverture du nouveau local (samedi 11 décembre 2021), l’association Le Barricade. Dans une action très rapide et de grande violence, les militants fascistes ont jeté un fumigène bleu à l’intérieur de l’espace, puis des bouteilles de vodka/Manzana vides et des pierres vers les personnes qui se tenaient tranquillement à l’intérieur. Également, la baie vitrée de l’entrée fut brisée.
Sous le choc, les personnes présentes ont tenté de se défendre ; « l’utra gauche, vas-y viens ! » Ont crié les fafs, qui ont rapidement commencé à fuir vers l’avenue de Maurin.
Évidement, le lieu associatif Le Barricade, qui rassemble des personnes d’horizons différents, luttant pacifiquement pour partager des idées sociales de gauche, dérange les fascistes à Montpellier. Ces fafs, violents et plein de rage, sans crainte de représailles, mettent consciemment en danger l’intégrité physique des paisibles usagers qui profitent de cet espace alternatif.
Pour un des membres de l’association, ce genre d’attaque peut avoir pour objectifs de susciter la peur et d’éloigner les nouveaux membres, car l’association devient de plus en plus populaire à Montpellier.
publié le 16 avril 2022
sur https://lepoing.net/
Dans le climat ambiant de cet entre deux tours nauséabond le Poing a reçu cette tribune signée par de nombreuses associations du mouvement social, nous la relayons
Depuis six mois, les dissolutions d’associations s’enchaînent à un rythme rarement connu sous la Ve République. Elles sont désormais annoncées triomphalement à la sortie du conseil des ministres ou sur twitter, contre un média, une association, un collectif… La loi « confortant le respect des principes de la République », dite « loi séparatisme », promulguée le 24 août 2021, a, comme le craignaient les opposant·es à son adoption, ouvert un boulevard aux pouvoirs publics désireux d’écarter celles et ceux qui entendent participer au débat démocratique par l’interpellation citoyenne et de faire taire les voix dissidentes, ou simplement critiques.
Après le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et la CRI ont été dissoutes les associations Palestine Vaincra et Comité Action Palestine, et récemment le groupe antifasciste lyonnais (GALE). À chaque fois, l’arbitraire administratif et politique joue à plein : accusations sans preuves, reproches concernant des intentions supposées, ou des « complicités de fait » non établies, mises en cause pour des actes non imputables aux structures visées, etc.
Ainsi, des campagnes « appelant au boycott des fruits et légumes made in Israël » par un collectif de soutien à la cause palestinienne sont assimilées dans le décret de dissolution de Palestine Vaincra à un « appel à la discrimination et à la haine envers Israël et les Israéliens ». En 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme a pourtant reconnu que l’appel au boycott relevait de la liberté d’expression et donné raison à onze militantes et militants français, condamnés après un tractage appelant à un tel boycott. Le boycott est un instrument politique et militant utilisé par de nombreuses associations et collectifs de consommateurs et ne saurait faire l’objet d’un encadrement conduisant à criminaliser celles et ceux qui le diffusent.
Sont également repris à l’encontre de ce collectif les arguments avancés hier pour dissoudre le Collectif contre l’Islamophobie en France. Il lui est reproché « de cultiver le sentiment d’oppression des « peuples musulmans » et ce « dans l’objectif de diffuser l’idée d’une islamophobie à l’échelle internationale ». Une cinquantaine d’associations, en novembre 2021, soulignaient déjà, dans un « Manifeste pour le droit des associations de choisir librement les causes qu’elles défendent [1] », l’étrange logique de cette accusation : « Des associations sont dissoutes par le gouvernement au motif absurde que dénoncer une injustice, ce serait justifier rétrospectivement – ou se rendre complice par avance – des actes violents, voire des actes de terrorisme, que d’autres ont commis ou commettront peut-être un jour en invoquant cette même injustice ».
Aux militants antifascistes lyonnais, dont le groupement a été dissout le 31 mars, il est reproché, en vrac, de participer à des manifestations non déclarées, autrement dit des « manif sauvages » et des « contre-rassemblements ». Le décret de dissolution indique notamment que « des sympathisants du GALE ont pris part à des manifestations contre le passe sanitaire, lesquelles se sont accompagnées de provocations et de jets de projectiles à l’encontre des forces de l’ordre », sans qu’il soit établi que ces personnes aient été effectivement membres de l’organisation dissoute, ni qu’elles aient participé à ces violences. Ce sont également des actions d’affichage dans les rues, ou de partage de visuels sur les réseaux sociaux, ainsi que des propos tenus par des artistes lors d’un festival, qui sont retenus dans l’acte de dissolution de l’organisation antifasciste lyonnaise.
Dans l’ensemble de ces cas de dissolutions, les services de police ont passé au scanner les réseaux sociaux des organisations ciblées à la recherche de commentaires haineux. Ce nouveau motif de dissolution est désormais autorisé, la loi sur « le respect des principes de la République » permettant de faire reposer sur les associations les propos tenus par des tierces personnes, même si celles-ci ne sont pas membres de l’organisation. À la lecture des décrets de dissolution on découvre pourtant que les investigations et les propos retenus à charge, portent sur des périodes largement antérieures à l’adoption de loi en août 2021, en violation manifeste du principe de non-rétroactivité.
Ces mesures de dissolution constituent une épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’ensemble des associations et demain de toutes les organisations du mouvement social, au risque d’obliger leurs membres à une autocensure dommageable à la cause défendue. On ne peut exclure de surcroît que des personnes mal intentionnées déposent sur les réseaux sociaux des commentaires empoisonnés dans le but de nuire à l’image de telle ou telle association, ainsi exposée à la menace de dissolution.
Tous les espaces démocratiques d’expression et de protestation de la population se restreignent peu à peu. Le contrôle sur les manifestations s’accroît – allant de la contestation des parcours à l’interdiction pure et simple, la répression et les violences policières contre les manifestant·es vont sans cesse en s’aggravant. Au-delà, ce sont tous les outils militants traditionnels de la liberté syndicale et associative (tracts, boycott, appel à mobilisation, réseaux sociaux…) qui sont de plus en plus gravement entravés.
Les libertés d’expression, d’opinion, de réunion et de manifestation, pourtant garanties par les principes constitutionnels et les textes internationaux, se retrouvent mises à mal par la dérive d’un pouvoir qui détourne des textes présentés comme destinés à lutter contre le terrorisme afin de s’en servir à l’encontre de mouvements, de groupes et d’associations qui ont le malheur de déplaire au pouvoir en place. Si l’on estime que des activités ou des propos imputables à une association tombent sous le coup de la loi, il appartient à la justice d’en juger. Et non au ministre de l’intérieur de diligenter des enquêtes à charge, de décréter que telle activité ou tel propos est condamnable, puis de prononcer une sentence de mort de l’association sans autre forme de procès.
Nous appelons l’ensemble des organisations du mouvement social à dénoncer cette chasse aux associations et à construire une large mobilisation, au nom de la préservation des libertés et du pluralisme démocratique.
Parmi les premiers signataires, figurent notamment : Alternatiba, Attac, Droit au logement – DAL, Fédération des Finances CGT, Fédération nationale de la Libre Pensée, Fondation Copernic, GISTI, Syndicat de la magistrature, Union Syndicale Solidaires … la liste complète est sur le site de Le Poing.
publié le 15 avril 2022
par Rémi Yang sur https://basta.media/
Depuis plus d’un mois, l’association Droit au logement a installé un campement en plein Paris pour exiger le relogement des 200 personnes. Des familles menacées d’expulsion ou logées dans un logement insalubre, pourtant reconnues comme prioritaires Dalo.
Cet après-midi, le soleil baigne le campement de l’association Droit au logement (DAL), place de la Bastille à Paris. Sur des chaises, à l’extérieur, un groupe d’adhérentes et d’adhérents se préparent à aller coller des affichettes alors que la sono crache tantôt du R&B, tantôt du reggae. Dans la tente, Passy, un militant du DAL, supervise la préparation de l’action de l’après-midi. « Le camp, on l’a installé pour les 15 ans de la loi Dalo [Droit au logement opposable]. On voulait marquer le coup. Ça fait trois semaines qu’on est là ! » Derrière lui, le sol est recouvert de tapis colorés, et du matériel de couchage est entreposé aux extrémités de la tente, qui s’allonge sur plusieurs mètres de profondeur. Une seconde zone, dans le fond du campement, abrite des tentes individuelles Quechua montées sur des palettes. « Ici, il y a des familles et des personnes isolées qui vivent dans des conditions indignes ou sous la menace d’une expulsion alors même qu’elles sont prioritaires Dalo », ajoute Passy. 200 familles en attente d’un relogement, dont l’urgence de la situation, comme celle de centaines de milliers de mal-logés, est ignorée par les deux finalistes de la campagne présidentielle.
« Il y a des familles et des personnes isolées qui vivent dans des conditions indignes ou sous la menace d’une expulsion alors même qu’elles sont prioritaires Dalo »
Depuis début mars, le DAL organise une « manifestation permanente » place de la Bastille pour réclamer leur relogement. La préfecture de police de Paris a bien essayé d’empêcher la tenue du rassemblement, mais l’arrêté produit par Didier Lallement a été retoqué au tribunal administratif. Le 7 mars, la juridiction a estimé que « l’interdiction partielle de la manifestation était disproportionnée par rapport aux impératifs de protection de l’ordre public », après avoir rappelé « que le droit de manifester était une liberté fondamentale ».
Les deux grandes tentes blanches ont été érigées près de l’accès au canal de l’Arsenal. Une cinquantaine de personnes y dorment tous les soirs, selon Passy. Toutes « auraient déjà dû être relogées en HLM mais l’État, responsable de la bonne application de la loi, et les autres réservataires de logements sociaux (maires, bailleurs HLM, dispositif du 1 % logement), sont souvent défaillants », dénonce le DAL. La loi Dalo, adoptée en mars 2007, oblige en théorie l’État à offrir un « logement décent et indépendant » à toute personne qui en est privée. Depuis son application, 209 770 demandeurs ont été relogés grâce à cette loi.
Appartements insalubres
Emmitouflée dans sa doudoune, Faïza garde un œil sur le camp. Elle en est un des piliers et sa présence est quotidienne. La quadragénaire rencontre des problèmes d’humidité dans le deux pièces où elle habite à Paris, avec son mari en situation de handicap, son fils de 20 ans, et sa fille de 21 ans. « Il y a une chambre, un salon, un petit coin et une salle de bain, décrit-elle. L’appartement est vraiment sale, surtout dans la cuisine, je dois toujours acheter des produits d’entretien chers pour nettoyer. Il faudrait aussi faire des travaux de plomberie, mais quand j’ai demandé à ma propriétaire, elle m’a dit qu’elle accepterait à condition d’augmenter le loyer de 200, puis de 500 euros. » Pour payer son loyer de 1000 euros actuellement, Faïza cumulait deux boulots pendant le confinement. Un travail d’après-midi qu’elle enchaînait avec un travail du soir. « Il n’y a pas de place pour dormir chez moi, alors des fois je m’endormais dans le métro ou sur les marches des stations parce que c’était plus confortable. »
À ses côtés, Francis s’occupe de la sécurité et de la sono du campement. Depuis sept ans, l’ancien agent de sécurité vit avec sa femme et ses trois filles dans un trois pièces insalubre. Comme Faïza, il raconte lutter contre l’humidité, qui a favorisé la propagation de moisissure. « La salle de bain n’est pas ventilée, explique-t-il. Les champignons ont commencé à atteindre le couloir, la cuisine, et là c’est entré dans le salon. J’ai essayé de les retirer et de mettre un revêtement spécial, mais ça reprend quand même. » Sa famille est logée via le dispositif Solibail, une association agréée par l’État qui sous-loue à des ménages aux revenus modestes et logés jusqu’ici à l’hôtel. Solibail est censée se charger de l’entretien de l’appartement et du suivi social des locataires. Mais l’accompagnement semble défaillant : Francis assure n’avoir jamais eu de nouvelles de son assistante sociale. « On a changé trois fois d’assistante sociale, et la dernière ne nous a jamais rencontrés. Je ne l’ai jamais vue, je connais juste son nom, rien de plus. »
Menacés d’expulsion sans option de relogement
Sur son téléphone, Faïza fait défiler les SMS de sa propriétaire. Celle-ci lui demande à plusieurs reprises son accord pour augmenter le loyer. Dans le dernier, la propriétaire fait part à Faïza de sa volonté de vendre l’appartement et lui demande de plier bagages. « Mon mari a un pacemaker, il est handicapé. Lorsqu’il a lu les messages sur mon téléphone, il a fait une crise. On a dû l’emmener à l’hôpital », raconte la mère de famille. Une lettre d’huissier exigeant de vider les lieux lui est parvenue en janvier dernier.
« En 2016, je suis passée devant le tribunal et le juge a dit “installez tout de suite cette famille”. Mais il n’y a aucun résultat ! »
Francis et sa famille vivent aussi sous le menace de l’expulsion. En 2020, le père de famille à la moustache fournie s’est cassé l’épaule en tombant sur une plaque de verglas. Un accident de travail qui l’a empêché de retourner bosser. La Sécurité sociale a tardé à reconnaître le handicap du quadragénaire, le privant d’allocation. Résultat, il n’a reçu aucun salaire pendant deux ans. « Du coup, on ne pouvait pas payer notre loyer - on payait des petites sommes mais bon… On est en train de régulariser, mais ils n’ont pas voulu reconduire le bail. Depuis août de l’année dernière, on est expulsable. » Un passage devant les tribunaux, avec l’appui de l’avocat du DAL, lui a permis d’obtenir un sursis de trois ans. Il n’empêche que pour la famille, déménager est devenu encore plus une urgence depuis la naissance de la petite dernière, en 2020.
Francis et Faïza sont pourtant reconnus prioritaires Dalo depuis 2009 pour le premier et 2016 pour la seconde. « Je suis passée devant le tribunal et le juge a dit “installez tout de suite cette famille”. Mais il n’y a aucun résultat ! » se désespère Faïza, qui garde la décision rendue par le tribunal administratif sous la main. « Il est enjoint au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, d’assurer le relogement de [Faïza et sa famille] », renseigne le document. Cinq ans plus tard, l’État refuse toujours de respecter la loi.
Repère : Les 10 % les plus pauvres consacrent plus de 40 % de leurs revenus pour se loger
Le coût du logement pèse de plus en plus sur la grande majorité des ménages français et leur pouvoir d’achat, en particulier les plus modestes : les 10 % les plus pauvres consacrent plus de 40 % de leurs revenus pour se loger (loyer, remboursement d’un emprunt...). Quatre millions de personnes sont considérées comme mal-logées. Malgré l’importance de ces questions, la campagne présidentielle n’a quasiment pas traité du logement. Le programme d’Emmanuel Macron sur le sujet se résume à deux proposition, très vagues, rappelant notamment qu’il faut sanctionner « les mauvais payeurs »... alors que plus de 14 millions de personnes sont fragilisées par la crise du logement, selon la Fondation Abbé Pierre. Quant au « projet pour la France » de Marine Le Pen, la question du logement est tout simplement totalement absente.
C’est tout le contraire pour les candidats de gauche, éliminés après ce 1er tour. L’Avenir en commun, porté par Jean-Luc-Mélenchon, propose d’inscrire « le droit à un logement digne » dans la Constitution, d’interdire les expulsions sans relogement, d’augmenter les contingents d’attribution de logements sociaux pour les personnes prioritaires (Dalo), d’encadrer les loyers à la baisse, et de produire un million de logements sociaux. Le mouvement a consacré un livret de son programme au logement. De son côté, EELV souhaitait créer 700 000 logements sociaux sur cinq ans, instaurer une « garantie universelle des loyers » et mettre en place un plan de « rénovation des logements et bâtiments de 10 milliards d’euros par an pour atteindre une réduction de 50 % de la consommation d’énergie ». La facture énergétique pour se chauffer pèse aussi considérablement sur de nombreux ménages. RY et IDR
14 millions de personnes vivaient dans des conditions de logement difficile en 2021. En 2019, 16 700 foyers ont été expulsés.
Une personne reconnue prioritaire au titre de la loi Dalo doit normalement se voir proposer une solution de relogement ou d’hébergement par la préfecture dans un délai de six mois. En six ans, Faïza raconte n’avoir eu qu’une proposition de relogement, qu’elle a acceptée. Mais son dossier n’aurait pas été retenu. « J’attends que tout le monde soit relogé dans de bonnes conditions, on n’en demande pas plus », revendique Francis. Selon les chiffres de la fondation Abbé Pierre, 14 millions de personnes vivaient dans des conditions de logement difficile en 2021. En 2019, 16 700 foyers ont été expulsés.
Mi-mars, après un rassemblement devant la préfecture de région, une délégation de militants a été reçue par les autorités. « C’était plutôt positif, on a senti qu’ils étaient prêts à négocier, mais nous n’avons toujours pas de retour concret, déplore Passy, qui précise avoir saisi le ministère et la préfecture en amont de l’installation du campement. Ils étaient au courant de l’action. »
Le QG des mal logés
Dans la tente du camp de Bastille, Francis exhibe fièrement son duvet militaire qu’il trimballe depuis 1996, un souvenir de ses années passées à l’armée, en volontariat. Il fait partie de la cinquantaine de personnes qui restent dormir sur le camp, chaque soir. Faïza, elle, pointe ici tous les jours, après le boulot. Elle ne rentre chez elle qu’à minuit pour s’occuper de son mari, nettoyer et se reposer un peu avant de prendre le travail.
« À 5 h du matin, un gros groupe part prendre les premiers transports pour aller bosser, amener les enfants à l’école, ou encore se reposer, parce que les nuits ici sont difficiles », explique Passy. « Les premières soirées, c’était dur. On n’était pas assez préparés, rembobine le militant, en faisant référence au froid des nuits de début mars. Mais ça commence à prendre forme. D’autres assos nous aident en nous donnant par exemple du matériel ou de la nourriture. » Les initiatives de solidarités se succèdent aussi. Un street-artist, Vince, est venu grapher en soirée une banderole de soutien aux demandeurs de logement. Elle est accrochée sur des palettes à l’entrée du camp. On peut y lire : « Un toit est un droit », « Le QG des mal logés », « Plus personne à la rue… tout le monde dans la rue ». Le campement sert aussi de QG pour préparer les prochaines actions. « Ils sont autonomes, je n’ai presque rien à superviser », s’amuse Passy.
Le 26 mars, de nombreux militants et militantes du camp se sont retrouvés place de la Bourse pour défiler jusqu’au ministère de la Transition écologique, dont dépend Emmanuelle Wargon, la ministre chargée du Logement. Avant de se mettre en marche, Faïza et Wassina ont pris le micro pour témoigner de leur situation devant une centaine de personnes. « Je serai expulsable après la trêve hivernale [le 31 mars 2022] et j’habite dans un logement insalubre où il n’y a ni douche, ni WC, affirme Wassina. Quand je dois descendre ou monter les marches pour accéder à mon appartement, je dois me mettre à quatre pattes, comme un animal », s’indigne-t-elle, dans son fauteuil roulant.
Dans la manifestation, Francis surveille la foule depuis la camionnette alors que Faïza rejoint le service d’ordre. En tête de cortège, Dalila bat le pavé pour la première fois de sa vie. La sexagénaire, lunettes de soleil sur le nez et long manteau noir sur le dos, habite dans un « tout petit studio » dont la proximité des quatre murs lui mine le moral. Son statut de prioritaire Dalo a été reconnu l’année dernière. Au même moment, elle a commencé à fréquenter le DAL et rend visite presque tous les jours à ses nouveaux amies et amis sur le campement. « Il y a de la solidarité ici, ça fait du bien », sourit-elle. Sur la pancarte qu’elle tient, il est écrit : « Il taxe l’APL et les HLM, c’est le président des riches et des rentiers ».
Le 12 avril, alors que ces « oubliés du Dalo » manifestent une nouvelle fois devant le ministère du Logement, les forces de l’ordre sont intervenues « brutalement ». « Elles ont violemment plaqué au sol Jean-Baptiste Eyraud [porte parole du DAL], tout en gazant les familles qui ont ensuite été nassées plus d’une heure », a dénoncé le DAL dans un communiqué. Jean-Baptiste Eyraud a été placé en garde à vue pour « rébellion » puis libéré dans la nuit. Plusieurs des manifestants ont été blessés, selon le DAL.
publié le 15 avril 2022
Lucie Delaporte sur www.mediapart.fr
Derrière sa fade campagne, la candidate d’extrême droite défend un programme brutal, profondément xénophobe et autoritaire, qui mettrait la France au ban des démocraties européennes.
Sourire, en toute circonstance, et mesurer chacun de ses mots en public. Dans cette campagne qu’elle a voulue « de proximité », et centrée sur le pouvoir d’achat, Marine Le Pen a joué la contre-programmation. Attendue sur les thématiques habituelles de l’extrême droite – immigration, insécurité, islam –, la candidate du Rassemblement national (RN), assurée pour sa troisième candidature d’être déjà parfaitement identifiée sur ces sujets, les a stratégiquement remisées à l’arrière-plan.
Écumant les marchés en faisant des selfies, celle qui s’est déclarée « lassée du bruit et de la fureur » a voulu se montrer proche des Français confrontés aux difficultés du quotidien. Face à la candidature d’Éric Zemmour qui multipliait les sorties racistes et xénophobes, Marine Le Pen a offert cette image « assagie », apparaissant miraculeusement « recentrée », en comparaison de l’ancien journaliste du Figaro.
Une prouesse au regard de l’incroyable brutalité de son projet, pourtant. Un projet qui, sur bien des aspects, ferait basculer le pays dans un régime autoritaire à la hongroise avec des conséquences humaines, sociales pour des millions de résidents étrangers difficile à imaginer.
Si la candidate du RN ne cesse de revendiquer son attachement aux « valeurs de la République » et au droit, rappelant à l’envi qu’elle est une ancienne avocate, son programme piétine en réalité tous les droits fondamentaux.
Pour habiller de légalité la « priorité nationale », soit la priorité d’accès à l’emploi, au logement ou aux aides sociales aux Français, Marine Le Pen s’est adjoint les services de l’ancien magistrat Jean-Paul Garraud. Afin d’écarter les critiques en « inconstitutionnalité » qui entourent depuis des années cette mesure phare du programme de l’extrême droite, l’ancien député Les Républicains (LR), rallié au RN, a déjà rédigé un projet de loi. « Nous sommes prêts à gouverner, nos mesures sont applicables », ne cesse d’ailleurs de répéter la candidate qui sait combien lui a coûté en 2017 son image d’amateurisme.
Marine Le Pen a décidé de passer par « un projet de loi sur l’immigration » soumis à référendum qui entérinerait la fameuse « priorité nationale ». Dans l’exposé des motifs, elle affirme qu’« organiser un référendum sur les questions essentielles de la maîtrise de l’immigration, de la protection de la nationalité et de l’identité françaises et de la primauté du droit national permettra de rétablir, par “la voie la plus démocratique qui soit”, pour reprendre l’expression du général de Gaulle, et donc de manière incontestable, la volonté souveraine du peuple français ».
Comme la « priorité nationale » est aujourd’hui anticonstitutionnelle, car contraire au principe constitutionnel d’égalité, la candidate RN veut faire sauter tous les verrous du droit susceptibles d’entraver sa politique xénophobe. Ne pouvant s’appuyer sur l’article 89 pour modifier la Constitution – lequel nécessite que le projet soit discuté à l’Assemblée nationale et au Sénat, avant d’être adopté en termes identiques par les deux chambres –, elle veut donc recourir à l’article 11, soit le recours au référendum, en arguant que de Gaulle l’a bien utilisé en 1962 dans ce cas de figure.
À l’époque, de Gaulle s’était assis sur les avis du Conseil constitutionnel, et depuis la jurisprudence est claire : l’article 11 ne peut servir à modifier le texte fondamental. Si elle décidait de passer malgré tout en force, le Conseil constitutionnel n’aurait plus son mot à dire car, détaille son programme, « le Conseil constitutionnel ne peut examiner une loi adoptée par référendum ». Interrogée sur France Inter sur les graves réserves émises par le constitutionnaliste Dominique Rousseau, Marine Le Pen l’a traité de « constitutionnaliste d’extrême gauche » et a raillé son « niveau d’incompétence », ce qui donne une idée assez claire de la manière dont, une fois au pouvoir, elle traiterait les contre-pouvoirs.
Son projet de « priorité nationale », rappellent tous les juristes consultés par Mediapart, contrevient pourtant à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui interdit d’opérer une distinction entre les Français et les étrangers dans l’accès aux droits fondamentaux. Le terrain est préparé puisque, dans sa famille politique, tout un travail de sape a été fait sur le « droitdelhommisme », accusé d’entraver la souveraineté populaire et dénoncé dès 1997 par Jean-Marie Le Pen.
L’idée de créer un « bouclier constitutionnel » établissant que la France ne serait plus soumise au droit international, et notamment européen s’il entre en contradiction avec la nouvelle Constitution, n’a, selon les juristes consultés par Mediapart, que peu de sens du point de vue du droit.
En droit, tout est possible et la France rejoindrait le club très fermé de la dictature des colonels et de la Russie.
« Le droit international des droits humains postule sa propre primauté à l’égard de toutes les normes juridiques internes », rappelle le juriste Yannick Lecuyer, maître de conférences à l’université d’Angers (Maine-et-Loire). L’argument avancé de la souveraineté ne tient pas, souligne-t-il, car « ces textes ont été ratifiés par la France. On est dans tout sauf de la négation de souveraineté ». Il rappelle aussi que la France peut évidemment choisir de tourner le dos à la Convention européenne des droits de l’homme : « En droit, tout est possible et la France rejoindrait le club très fermé de la dictature des colonels et de la Russie. »
Si les États européens ont ratifié ces traités, c’est précisément pour servir de garde-fou à une « dictature des majorités », c’est-à-dire empêcher qu’un dirigeant élu sur un programme qui contreviendrait à la dignité humaine ait les mains totalement libres. « On peut décider de ne pas suivre une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, il ne se passera rien, mais on se met au ban des démocraties qui ont décidé que le respect des droits humains était garant de la paix », renchérit Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université de Paris-Nanterre.
Appliquer aux ressortissants de l’Union européenne la « priorité nationale » contrevient également au droit européen. Refuser l’accès à l’emploi ou au logement social est contraire notamment à la charte des droits fondamentaux de l’UE. Ce serait une sorte de « Frexit » de fait, qui ne serait pas sans conséquence pour la France.
« La priorité nationale » aurait des conséquences dévastatrices pour des millions de personnes
Tout cela empêcherait-il Marine Le Pen d’appliquer son programme ? Sans doute que non. On sait qu’un habillage légaliste a permis à certains États européens de glisser vers des régimes de plus en plus autoritaires, à l’instar de la Hongrie de Viktor Orbán, qui constitue un modèle revendiqué pour Marine Le Pen.
Au-delà des considérations juridiques, « la priorité nationale » aurait des conséquences dévastatrices pour des millions de personnes. Priver potentiellement près de 5 millions de résidents étrangers, parmi lesquels 38 % d’Européens, de l’accès au travail, au logement social, au RSA, aux allocations familiales ou aux soins médicaux (hors situation d’urgence) provoquerait un chaos social difficile à imaginer.
« Penser que les étrangers quitteront le territoire parce qu’ils n’ont plus ces prestations, c’est le fantasme de l’extrême droite qui croit que ces étrangers sont venus pour les prestations sociales. Cela n’a rien à voir, on le sait, avec la réalité des migrations. Ceux qui sont là depuis longtemps ne repartiront pas mais certains seront plongés dans la misère », prévient Antoine Math, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales et expert pour le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés).
Le programme de la candidate du RN tend à rendre la vie des étrangers en situation régulière le plus difficile possible : suppression du regroupement familial, suppression du droit du sol et naturalisation « au mérite ». Un étranger qui n’aurait pas trouvé de travail au bout d’un an n’aurait plus droit au séjour en France, et l’aide médicale d’État serait aussi supprimée.
Pour les clandestins, le séjour illégal devenant un délit, les fonctionnaires auraient l’obligation de les dénoncer en vertu de l’article 40. En contradiction là encore avec le droit international et européen, l’asile dans la France de Marine Le Pen serait rendu pratiquement impossible.
Au-delà de cette xénophobie institutionnalisée, le programme de Marine Le Pen sur la sécurité pose aussi tous les jalons d’un exercice autoritaire du pouvoir. Dans un État qui se serait affranchi du carcan de la Déclaration universelle des droits de l’homme, comment interpréter la proposition d’instaurer une légitime défense pour les forces de l’ordre ?
La partie du projet consacrée à la lutte contre le terrorisme est l’une des plus inquiétantes de son programme en ce qu’il soumet la pratique de la religion musulmane à l’arbitraire le plus complet.
Le texte s’appuie sur le projet de loi de Marine Le Pen « visant à combattre les idéologies islamistes » et rédigé comme une contre-proposition à la loi sur le « séparatisme ». Peinant à définir précisément « l’idéologie islamiste » dans son premier article, il décline ensuite tous les moyens pour empêcher la diffusion de cette « idéologie » dans la société.
« Interdire une idéologie, on ne voit pas très bien la frontière avec le délit d’opinion. Si les mots ont un sens, une idéologie, c’est un système de pensée », prévient la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez, pour qui ce texte « est en rupture avec la Déclaration des droits de l’homme qui a fait entrer le droit français dans la modernité ».
La pratique de l’islam soumise au pouvoir discrétionnaire de l’administration
L’autrice de La Démocratie en état d’urgence (Seuil, 2022) pointe à ce sujet « la puissance rhétorique et politique du danger, de l’urgence, de l’exception qui s’est installée dans la manière de gouverner ». Et qui permet, au nom de la lutte contre le terrorisme, de revenir sur des droits fondamentaux comme la liberté de conscience ou la liberté de culte.
Alors que « l’idéologie islamiste » n’est pas clairement définie, le projet de Marine Le Pen prévoit un contrôle de la diffusion des livres jeunesse, des œuvres cinématographiques susceptibles de la propager. Pour ceux qui douteraient du caractère « extensif » de l’application d’une telle loi, c’est elle qui permettrait à Marine Le Pen d’interdire le voile dans l’espace public – d’ailleurs toutes les « tenues islamistes », sans plus de précisions, seraient interdites.
Son projet autorise aussi le licenciement de tout salarié ayant « diffusé » cette idéologie et permet qu’un fonctionnaire refuse un logement ou une prestation sociale à cet « islamiste » présumé. Autant dire une pratique de l’islam sous surveillance constante et soumise à un effrayant pouvoir discrétionnaire.
Difficile face à ce tableau de souscrire à l’idée d’une Marine Le Pen assagie, amie des chats et du karaoké.
publié le 14 avril 2022
Franck Cartelet sur www.humanite.fr
Depuis mercredi13 avril 2022, des étudiants occupent l’université de la Sorbonne à Paris. Ils protestent contre les choix de société prônés par Emmanuel Macron et Marine Le Pen, à une semaine du second tour de l’élection présidentielle. Et espèrent que leur mobilisation va s'étendre.
Certains ont passé la nuit là, investissent les amphithéâtres, manifestent devant le bâtiment. Plus d'une centaine d'étudiants de la Sorbonne et d’autres établissements du supérieur ont protesté ce jeudi 14 avril contre le « non-choix » qui s’offre à eux pour le second tour de l’élection présidentielle. Nombre d’entre eux ont l’impression d’être « laissés sur le carreau », « pas entendus », alors que les 18-24 ans ont voté à 31% pour Jean-Luc Mélenchon et que 40% des moins de 34 ne sont pas allés voter dimanche 10 avril.
« Nous, les jeunes, avons majoritairement voté à gauche, on veut avoir le choix de notre avenir » explique Lola, étudiante à Sciences Po Strasbourg. Elle refuse, comme beaucoup de ses camarades, de choisir entre « un gouvernement qui a sabré la jeunesse pendant 5 ans » et qui n’a pas embrassé les urgences climatiques et sociales comme priorités, et de l’autre côté « un pouvoir fasciste ».
S'abstenir ou non
« Aujourd’hui, soit on s’abstient, pour renvoyer un message fort… Ou alors on vote Macron, parce que ça sera toujours le moins pire », concède l’étudiante, qui réfléchit déjà à comment occuper la rue pendant les 5 prochaines années.
Après avoir affirmé ne pas savoir si elle allait s’abstenir ou non, Marie, étudiante en droit à Nanterre, semble néanmoins avoir déjà tranché: « C’est vrai que si l’extrême-droite passe, derrière, ce sont les minorités qui vont devoir subir ces choix-là », reconnaît l’étudiante qui questionne sa responsabilité dans un tel scénario. « Je pense que je vais voter Macron, même si ça me fait mal », finit-elle par lâcher, tout en insistant bien sur une chose : la nécessité de poursuivre la mobilisation après le vote, et de renforcer les ponts entre les divers mouvements de contestation.
La Sorbonne fermée
Antoine Boulanger, enseignant et élu CGT des enseignants à la faculté des lettres de la Sorbonne, se félicite de cet élan chez les étudiants. « Je pense qu’on ne peut être qu’enthousiasmés et heureux de voir que, loin d’être abattus par ce résultat catastrophique, les étudiants se mobilisent contre d’un côté l’ultra-libéralisme et de l’autre, un même programme ultra-libéral doublé d’une politique raciste et autoritaire », développe-t-il.
« Au lieu d’ouvrir les facs et de dire, “exprimez-vous, débattez”, le gouvernement envoie la police », regrette cet enseignant, alors que la direction de la Sorbonne a basculé les cours en distanciel et fermé ses portes aux étudiants jusqu’au 16 avril inclus.
Sébastien Bourdon sur www.mediapart.fr
À Paris, le syndicat étudiant « La Cocarde », proche du Rassemblement national, a revendiqué le déblocage d’un bâtiment de Sciences Po en compagnie de membres de l’UNI et de Génération Zemmour. L’occupation de la Sorbonne a également fait face à une attaque dans la nuit.
Depuis l’annonce des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, un mouvement étudiant naissant tente de faire entendre sa voix, notamment autour du slogan « Ni Macron ni Le Pen ». Les tentatives de blocages et d’occupations de bâtiments universitaires se multiplient en France, avec succès pour l’heure en ce qui concerne les locaux historiques de la Sorbonne à Paris, investis dans l’après-midi du mercredi 13 avril. Mais autour de plusieurs groupes d’extrême droite, une autre jeunesse se mobilise également pour leur faire face.
Jeudi matin, les occupants de la Sorbonne ont ainsi annoncé avoir fait face dans la nuit à une « attaque d’un groupe fasciste non identifié » tout en assurant sans plus de détails que « la situation a été maîtrisée ». Dans la foulée, un militant lié à un groupuscule d’extrême droite a revendiqué via Instagram sa participation aux événements en fanfaronnant sur le bilan : « 1 spotter [guetteur – ndlr] tabassé, 2 bloqueurs traumatisés, 5 vitres défoncées. »
Aux alentours de 16 heures, c’est près d’une trentaine de jeunes militant·es qui se sont rendus rue Saint-Guillaume, dans le VIIe arrondissement de Paris, pour débloquer les locaux de Sciences Po Paris, inaccessibles depuis le matin même. Aux cris de « Antifas casse-toi ! », ils ont déplacé les poubelles et barrières amassées devant l’entrée du bâtiment et arraché les banderoles qui s’y trouvaient. Certains avaient le visage masqué et étaient équipés de parapluies.
L’action, revendiquée via les réseaux sociaux, a été menée par le syndicat étudiant « La Cocarde » proche du Rassemblement national, qui assure avoir « pris les choses en main » en réponse « à l’inaction des directions et de l’État ». Y ont également pris part des membres de l’UNI et du mouvement Génération Zemmour. Le parti du candidat d’extrême droite ayant réuni 7,1 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle s’en est d’ailleurs officiellement réjoui via son compte Twitter : « Félicitations à cette jeunesse qui part à la Reconquête des universités ! »
S’ils n’ont pas quant à eux pas signé leur participation, des militants plus radicaux et plus habitués à faire le coup de poing étaient également présents aux côtés des « débloqueurs ». En témoigne la diffusion d’une autre revendication, photo à l’appui, via un canal de la messagerie Telegram bien connu de l’ultra-droite et de ses franges néonazies. Parmi eux, Mediapart a pu identifier Paul P., le leader du groupuscule versaillais Auctorum, également proche de l’organisation angevine L’Alvarium récemment dissoute. Contacté via son profil Instagram, il n’a pour l’heure pas répondu à nos questions.
Bien conscient·es que de telles attaques et tentatives de déblocages sont monnaie courante en période de mouvements étudiants, une vingtaine de militant·es antifascistes avaient pour leur part revendiqué leur présence dans le Quartier latin la veille, le mercredi 13 avril. La possibilité d’autres actions dans les prochains jours, particulièrement renforcée par le contexte électoral et le succès de l’extrême droite dans les urnes, laisse craindre plus de violences.
publié le 14 avril 2022
Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr
Fief de gauche aux municipales, la sixième ville de l’Hérault a placé Marine Le Pen en tête au premier tour de la présidentielle, comme en 2017. Chômage élevé, petits salaires et pression foncière nourrissent la colère dans cette ville désindustrialisée.
Frontignan (Hérault).– Tout au bout du quai Voltaire, longeant le canal du Rhône à Sète, se dressent les immenses cuves du dépôt de carburant de Frontignan. Vingt-quatre réservoirs pour une capacité de stockage de 966 000 mètres cubes. Ce dépôt, c’est tout ce qu’il reste de la raffinerie Exxon-Mobil, fermée en 1986 après quatre-vingts ans d’activité.
Les terrains vacants ont été revendus à la ville. Elle a obtenu, de haute lutte, qu’Exxon finance la dépollution du site, après la découverte d’hydrocarbures dans les sous-sols. Derrière un mur de brique, on distingue un bâtiment encore debout et le ronronnement des engins de chantier.
Surnommée « la Mobil », la raffinerie a marqué l’histoire industrielle de Frontignan et fait vivre des familles sur plusieurs générations. « C’était la grande époque ! », se souvient un ouvrier retraité, croisé sur le quai. À l’évocation de « la Mobil », son œil s’allume. Montrant l’autre rive, il dessine du doigt le souvenir de la tour de la raffinerie « et l’énorme flamme » qui en jaillissait. « À l’époque, il y avait du boulot partout, pour tout le monde ! Et des salaires vraiment intéressants. Maintenant, on n’est plus rien », conclut-il, plus sombre.
La fermeture de la raffinerie de pétrole a été le point de départ de la brutale désindustrialisation de la ville. Entre 1986 et 1989, Frontignan a vu disparaître la cimenterie Lafarge, l’usine Chambourcy-Lactel et la raffinerie de soufre. Aujourd’hui, il reste deux sites Seveso, classés « seuil haut » : GDH, le dépôt de carburant, et Scori, une usine de traitement de déchets. Ils font travailler, tout au plus, une centaine de personnes, selon les chiffres avancés par la ville.
Bordée par la mer et les étangs, Frontignan, « capitale mondiale du muscat », compte 23 000 habitant·es. C’est la sixième ville du département, à proximité de Sète et à une vingtaine de kilomètres de Montpellier. La population double en été dans cette station balnéaire familiale, quand Palavas-les-Flots voit la sienne multipliée par quinze. Le littoral frontignanais fait sept kilomètres et la plage la plus emblématique est celle des Aresquiers, qui subit l’inexorable montée du niveau de la mer.
À Frontignan, le plus gros employeur est la municipalité, avec sept cents agents. « Quand le public est le principal pourvoyeur d’emplois, c’est un signe de désindustrialisation », souligne Julien Rodrigues, agent à l’urbanisme et secrétaire général CGT des territoriaux du bassin de Thau. C’est aussi un marqueur de bas salaires. « 86 % des agents sont de catégorie C, dont les plus petits échelons sont sous le seuil du Smic », ajoute le syndicaliste, en pointant « une énorme problématique de pouvoir d’achat ».
Les prix poussent les Frontignanais dehors
Ici, Marine Le Pen est arrivée en tête du premier tour de l’élection présidentielle avec 33,3 %, loin devant Jean-Luc Mélenchon (20,3 %) et Emmanuel Macron (19,6 %). C’est le troisième scrutin présidentiel où le Rassemblement national est numéro un au premier tour. En 2017, Marine Le Pen l’avait également emporté au second tour.
Julien Rodrigues y voit le signe d’« une défiance » et sent monter « un sentiment de dépossession » lié à la pression immobilière. « Il y a des maisons à Frontignan-plage vendues à plus d’un million d’euros ! Les prix poussent les Frontignanais dehors, il faut s’enfoncer dans les terres pour acheter. À vingt kilomètres de la mer, ce n’est plus le même marché. »
En parallèle, poursuit-il, « des banlieusards de Montpellier » s’installent et un fossé se creuse avec « les Frontignanais pure souche ». En effet, les premiers occupent « plutôt des emplois tertiaires » à Montpellier, quand les seconds sont cantonnés « aux emplois locaux, pas forcément de bonne qualité ».
Quant au chômage, il est très élevé dans la zone d’emploi : 10,8 %. Trois points de plus que la moyenne nationale et quasi identique au taux du département (10,3 %). Un terreau fertile pour l’amertume et la colère, qui gronde depuis plusieurs années. Julien Rodrigues rappelle d’ailleurs que Frontignan a été « un gros bastion des gilets jaunes ».
Ras-le-bol et sentiment d’insécurité
Just Gonzalez en faisait partie. Pompier professionnel de 50 ans, il a endossé la chasuble dès le début du mouvement. « Animé par l’injustice », il a participé au blocage du dépôt de carburant et aux barrages sur l’autoroute A9. « On était nombreux », se souvient-il. Opposé à la violence, le quinquagénaire a finalement pris ses distances « quand c’est parti en cacahuète à Paris ».
L’homme est natif « d’une grande famille – onze enfants – de Frontignan ». Son père était employé de la mairie. Sa sœur y travaille aujourd’hui. Attablé dans sa cuisine, le pompier raconte avoir été adhérent du Parti socialiste « de par [son] éducation et [ses] valeurs ». Mais il a rendu sa carte en 2001, « en voyant comment certains étaient pourris et en prenant conscience qu’on était des pions ».
Le 10 avril dernier, Just Gonzalez a voté pour Jean Lassalle. Pas par conviction politique mais pour le personnage, qui lui plaît. « Je voulais qu’il fasse 5 % pour son remboursement de frais de campagne. »
Selon l’ex-gilet jaune, le vote RN à Frontignan traduit « un ras-le-bol de la politique actuelle ». Il cite aussi « ce qu’on voit aux infos : l’insécurité qui s’invite partout, même en zone rurale » et prend sa ville en exemple. « C’est pas Chicago, bien sûr. Mais les vols, les agressions dans la rue… ça augmente. »
Just Gonzalez a vu Frontignan devenir « une ville-dortoir où les habitants ne se sentent plus concernés » et regrette « une perte des valeurs traditionnelles ». Après avoir quitté les gilets jaunes, il a monté une liste, apolitique, pour l’élection municipale de 2020. Il y tient : « Ce n’était pas une liste gilets jaunes. » Son ambition : « Redonner de la lumière à Frontignan, en la rendant vivante et animée » et en s’attaquant « à l’insécurité et aux marchands de sommeil ». Sa liste a recueilli 5,38 % des voix. Satisfaisant pour un candidat « parti, tout seul, de la cave ».
Si le RN est en tête depuis dix ans à la présidentielle, Frontignan place clairement la barre à gauche aux scrutins locaux et en particulier à l’élection municipale. « C’est une ville de tradition ouvrière, à gauche depuis l’après-guerre », indique le maire, Michel Arrouy. Adhérent au PS, élu en 2020 « avec une liste de rassemblement », il a pris la succession de l’emblématique Pierre Bouldoire, qui a dirigé la ville pendant vingt-cinq ans. Le nouvel édile en a d’ailleurs été l’adjoint, sur l’ensemble des mandats.
Le RN en embuscade pour l’élection municipale
Frontignanais de naissance, « issu d’une famille modeste », Michel Arrouy se revendique « loin des appareils » et proche de ses administré·es. Il n’a pas le permis de conduire et « marche tout le temps », ce qui le rend « très accessible ». Selon lui, le vote RN à Frontignan est un vote de contestation. « C’est un cri et il faut l’entendre, commente-t-il gravement. Il y a une vraie colère face à laquelle les élus locaux sont bien démunis. Les gens ont l’impression d’avoir perdu tous leurs acquis. Ils me parlent retraite et pouvoir d’achat et m’interpellent sur leur situation qui ne s’améliore pas. »
S’il souligne « une déconnexion entre élection nationale et locale », Michel Arrouy le sait : le RN est en embuscade à Frontignan. « Ils ont mis beaucoup de moyens pour essayer de prendre la ville. Robert Ménard [le maire de Béziers, à 50 kilomètres de là –ndlr] essaie d’étendre son réseau d’influence. » Michel Arrouy s’est d’ailleurs retrouvé dans un duel de second tour en 2020 face à une liste d’union des droites (la stratégie de Robert Ménard) emmenée par Gérard Prato, désormais leader de l’opposition.
Gérard Prato a, depuis, quitté le Rassemblement national. En septembre 2021, il y dénonçait dans le quotidien Midi libre « l’amateurisme, les purges incessantes et le mépris des militants ». Cet inspecteur des finances publiques n’en demeure pas moins « patriote » et voit, dans le vote de Frontignan, bien plus qu’une protestation. « Au fond d’eux, ils sont Rassemblement national. Si la gauche l’emporte au local, c’est en promettant des logements ou du travail. C’est du clientélisme. Dans certains bureaux de vote, j’ai pris une casquette en 2020 mais le RN fait plus de 30 % en 2022, ça veut tout dire ! »
Face à la candidature de Gérard Prato, un petit collectif s’était monté pour distribuer des tracts thématiques, détaillant le programme RN. « Ça a beaucoup dérangé le Rassemblement national », se souvient Carole Rieussec, membre de la Coopérative intégrale du Bassin de Thau, une organisation « autogérée et libertaire ». Elle est aussi musicienne et forme, avec Jean-Christophe Camps, son compagnon, un duo baptisé Kristoff K Roll.
L’une de leurs créations, née dans la « jungle » de Calais, propose « un parcours autour de la migration ». Cela leur a valu quelques échanges de mots, par voie de presse, avec l’élu, ex-RN. « Il y a un mépris de la culture par le Rassemblement national, commente Carole Rieussec. Pour eux, la culture c’est de la propagande. »
Au premier tour de la présidentielle, le duo d’artistes est allé voter. « La tradition libertaire considère que la machine électorale ne broie que du vide, mais cette fois, après une discussion collective, plusieurs d’entre nous ont participé au scrutin », détaille la musicienne qui a placé un bulletin Jean-Luc Mélenchon dans l’urne. « La possibilité de changer de monde et de sortir de la finance, c’était un bel espoir. »
Interrogé sur le vote RN dans la ville, le couple est perplexe. « Je ne comprends pas, soupire Jean-Christophe Camps. Ça me dépasse. Ce n’est pas très cohérent avec l’histoire de la ville. Et puis franchement, ici, il fait bon vivre. » Dans l’Hérault, Frontignan est loin d’être une exception. Le Rassemblement national est arrivé en tête dans le département avec 28,9 %. Trois points de plus qu’en 2017.
Emmanuel Macron a une image de président des riches. N’importe qui, en face, aura l’image de candidat des pauvres.
Malgré tout le mal qu’il pense aujourd’hui de Marine Le Pen, Gérard Prato lui concède « une campagne maligne ». « Elle l’a joué finement et Zemmour lui a servi de paravent. Elle a été plus sociale que d’habitude. À Frontignan, il y a beaucoup d’insécurité, de chômage et de précarité. Les gens pensent qu’elle pourra leur apporter quelque chose. »
Marine Le Pen est également perçue comme un rempart au président sortant et à sa politique. « Emmanuel Macron a une image de président des riches. N’importe qui, en face, aura l’image de candidat des pauvres », analyse Michel Arrouy.
« Sa politique a été brutale, dans tous les sens du terme », commente pour sa part Just Gonzalez, le pompier professionnel. Il ne pardonne pas au candidat sortant « la façon dont il a traité les gilets jaunes » et exècre « son arrogance, sa manière de parler aux Français ». « S’il repasse, les gilets jaunes vont repartir de plus belle. Et les retraites, aussi, ça fera descendre du monde dans la rue. » Le 24 avril, Just Gonzalez ira voter. « Ce sera tout sauf Macron, vous l’interprétez comme vous voulez. »
Imagine-t-il Marine Le Pen au pouvoir ? « Après tout, on ne l’a jamais essayée. J’ai lu son programme, je n’y vois rien de raciste. Les personnes bien intégrées auront autant de droits que moi », répond le quinquagénaire, à propos de la « priorité nationale », point central du projet de « Marine », comme beaucoup l’appellent ici. « Moi j’aurais bien voté Marine », dit par exemple Nicolas, 21 ans. « Mais son idée d’interdire le voile, c’est trop », enchaîne le jeune homme, rencontré à Frontignan-plage. Il parle toutefois « d’arrêter l’immigration de masse » et de faire partir « les gens pas intégrés ».
Voter RN, c’est totalement exclu mais voter Macron, c’est violent
Issu d’une « famille de classe moyenne », Nicolas ne veut pas révéler son vote du 10 avril dernier. « Mais ce n’était surtout pas Mélenchon ! » Étudiant en alternance, il n’aimait pas l’idée « de donner mille euros à tous les jeunes » quand lui travaille quinze jours par mois en entreprise pour gagner cette somme. Au second tour, Nicolas se déplacera mais, là encore, souhaite garder son choix secret.
Le maire de Frontignan, lui, fera barrage. « Entre l’ultralibéralisme et l’extrême droite, je choisis le moins pire. » Il pense aussi aux législatives : « Si les gauches ne s’entendent pas sur une candidature commune, je ne soutiendrai personne. »
« Cette fois, il n’y aura pas de débat au sein du collectif, annonce de son côté la musicienne, Carole Rieussec. Y aller, ou pas, c’est trop compliqué, c’est trop caricatural. Voter RN, c’est totalement exclu mais voter Macron, c’est violent. » Citant les précédents de 2002 et 2017, elle conclut, dans un long soupir : « Et puis c’est bon maintenant, la répétition est fatigante. »
publié le 13 avril 2022
sur https://lepoing.net/
Ce mardi 12 avril, en fin de matinée, deux femmes portant le foulard se sont faites violemment agresser par un homme au niveau des Rives-du-Lez. La vidéo, devenue virale sur internet dans un contexte où l’extrême-droite est aux portes du pouvoir, nous rappelle l’importance de nous mobiliser contre le racisme ambiant.
C’est un fait, le climat politique ambiant décomplexe les fachos. Ce mardi 14 avril, près des Rives-Du-Lez, un homme attaque deux femmes, dont une porte le foulard, et essaie de lui enlever.
Sur le compte Twitter Decolonial News, l’une des victimes témoigne : “On était sur un banc, on riait, un homme passe et dit “c’est vraiment la religion la plus conne du monde”. On se lève pour lui demander ce qu’il a dit et il nous insulte de “p*te”, “sale race” et au moment où on commence à filmer, il attrape l’une de nos copines et l’étrangle”.
La scène a été filmée par une troisième personne. Sur les images, l’auteur jette violemment au sol le téléphone portable de la principale victime.
Vidéo à voir sur : https://twitter.com/i/status/1513882082912710676
Il faut dire que les cinq dernières années n’ont pas été de tout repos pour les musulmans de France : Loi sur les séparatismes,
épouvantail « d’islamo-gauchisme » rabâché à
toutes les sauces, dissolution d’associations et de collectifs anti-fascistes, et au niveau local, une « charte de la laïcité » à deux vitesses inspirée d’une vision Vallsiste de celle-ci.
Vous avez dit « rempart »,
ou « barrage » à l’extrême-droite ? Ici, on parlerait
plutôt de marchepieds.
Sans compter la réaction des autorités, partagée par Midi Libre : « Ce que les enquêteurs s’attachent à
faire dans les plus brefs délais. Pour comprendre, principalement, le mobile qui a poussé cet homme à agir ainsi. Mais aussi pour assurer sa protection car de nombreux messages de haines et
de représailles ont été postés sur les réseaux sociaux. » Les coupables deviennent victime, on est
presque à deux doigts du tant fantasmé « racisme anti-blanc ».
Si Macron et son gouvernement ont commencé à attiser la haine, relayée allègrement sur des plateaux-télés contrôlés par Bolloré et consort, l’élection de Marine Lepen rendrait la situation encore plus étouffante : la police et les groupuscules d’extrême-droite bénéficieraient d’un total blanc-sein pour agresser, voire tuer, tout ce qui ne correspondrait pas à leurs critères racistes et sexistes. Quel que soit le résultat des élections, seule une réaction antifasciste et de grandes mobilisations anti-racistes de l’ampleur des manifestations pour la mort de George Floyd (et plus encore) seront des ripostes efficaces face à la violence d’extrême-droite.
publié le 13 avril 2022
par Roger Martelli sur www.regards.fr
À l’issue du premier tour de l’élection présidentielle, la France est divisée en trois pôles. Jean-Luc Mélenchon prend clairement le lead de la gauche. Analyse de Roger Martelli.
Les résultats de cette campagne chaotique sont tombés. Après quelques rebondissements, le rapport des forces s’est précisé, confirmant les grandes tendances du début de soirée. Cette fois, le carré de tête se limite à un trio : Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon se partagent près des trois quarts des suffrages exprimés (72,95%). Derrière eux, seul Éric Zemmour dépasse le seuil des 5% (2,4 millions de voix, soit 7,07%), loin des 15 à 16% avec lesquels il flirtait quelques mois plus tôt.
Le Président sortant s’en sort mieux que ne l’indiquaient les ultimes sondages. Il progresse sensiblement sur 2017 (plus d’1.120.000 voix et 3,83%) et creuse l’écart qui le séparait alors de Marine Le Pen. Il a réussi à phagocyter la droite, condamnant Valérie Pécresse à un score inférieur à 5%, que ne compensent guère les 3,13% du surprenant Lassalle (qui gagne 660.000 voix et près de 2 points sur son score de 2017). Il est en tête dans 52 départements, notamment dans l’Ouest breton et normand, l’Auvergne, la Nouvelle Aquitaine, les Pays de la Loire, le sillon rhodanien et le massif alpin [1]. Macron avait déstabilisé la gauche en 2017 ; il a eu cette fois la peau des Républicains.
Marine Le Pen a surmonté le creux de la vague provoqué par l’entrée en lice de Zemmour. Avec plus de 8 millions de voix, elle améliore son score de 2017 (plus de 450.000 voix et 1,85 point supplémentaires). Elle est en tête dans 42 départements, essentiellement dans le Grand Est, la Bourgogne-Franche-Comté, les Hauts-de-France, le pourtour méditerranéen et la Corse. Au total, elle a su tirer profit de ce qui était une épine dans son pied. L’irruption de Zemmour l’a tout à la fois concurrencée et favorisée, en accentuant le long processus de sa « dédiabolisation ». Elle a ainsi piloté le renforcement sensible d’une extrême droite qui a gagné 6 points depuis 2017, passant de 27,1% à 32,29%.
Une gauche revigorée, un Mélenchon au taquet
Mais la surprise véritable est venue de la gauche, avec Jean-Luc Mélenchon. Alors qu’il avait recueilli 7 millions de voix en 2017, son départ précoce et solitaire dans la joute présidentielle a été des plus laborieux. À l’automne dernier, les sondages l’engluaient dans une zone décevante de 7 à 9%, tandis que ses concurrents de gauche, Yannick Jadot et Anne Hidalgo, le titillaient quand ils ne le devançaient pas. Au début de 2022, il dut même faire face à l’émergence inattendue de l’inconnu Fabien Roussel, de son dynamisme et de son franc-parler, qui donna l’impression aux communistes et à une part de l’opinion que le PCF était de retour, frôlant à plusieurs reprises le seuil symbolique (et financièrement attractif) des 5%.
Peu à peu, le leader de la France insoumise, rebaptisé « tortue sagace » par la même occasion, a pris l’ascendant sur le reste de la gauche, comme Macron a su le faire à droite et Le Pen à l’extrême droite. Son talent oratoire incontestable, sa force de caractère dans l’adversité, une confiance sans faille dans son destin, une dose de culot sans égale, une structure adaptée à son objectif (« l’union populaire »), une occupation remarquable de la sphère de plus en plus décisive des réseaux sociaux et un solide programme, dans la continuité de ce qui s’est construit à la gauche de la gauche depuis le début des années 2000… À la différence de beaucoup de personnalités politiques, Mélenchon n’hésite pas à adapter son discours, à changer de « logiciel », à tourner le dos à ses propos d’autrefois. Il a compris l’importance de la question écologique et des nouveaux enjeux anthropologiques, autour de la question des discriminations. Depuis peu de temps, il a su s’éloigner d’une vision figée de l’idée républicaine et de la laïcité qu’il a longtemps prônée. Bref, on doit lui reconnaître l’intelligence de vouloir se brancher sur les formes nouvelles de la critique et de l’engagement qui mobilisent désormais une large franche des jeunes générations.
Du coup, il a été celui qui a connu la plus spectaculaire progression dans les dernières semaines. Alors même que se dissipait l’espoir d’une baisse sensible du « ticket d’entrée » au second tour, tandis que les sondages laissaient entendre un écart de plus de 6% entre lui et Le Pen, il a ainsi profité d’un tassement in extremis dans la progression de sa grande rivale. Du coup, il est parvenu à réduire l’écart avec elle à 1,2%. Mais surtout, sa progression a permis à la gauche de se sortir d’une langueur qui l’enlisait, depuis 2017, dans les basses eaux du quart des intentions de vote. À l’arrivée, la gauche est passée de 27,7% en 2017 à 31,95% ce 10 avril.
Mélenchon a gagné près de 655.000 voix et 2,37 points sur son score de 2017, alors même qu’il était allié aux communistes et qu’il n’y avait pas de candidat écologiste. Il n’est certes en tête que dans cinq départements, l’Ariège et quatre départements franciliens (la Seine-et-Marne, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et le Val d’Oise). Et il se trouve même dans une fourchette de progression de 5 à 15% dans toute l’Île-de-France. Incontestablement, dans ce territoire francilien, il s’est installé plus spectaculairement qu’en 2012 et 2017, dans les territoires de la « banlieue rouge ». Dans les villes qui formèrent naguère l’ossature du « communisme municipal » il accumule les scores remarquables, écrasant son ancien allié communiste. Cette mobilisation fait même reculer l’abstention depuis des décennies si forte.
Il suffit de survoler les deux départements phares de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Qu’il s’agisse de villes toujours gérées par des maires communistes ou « apparentés », de villes perdues ou même de villes récemment récupérées par le PC, le constant est le même.
Savoir gérer le succès
Mélenchon ne sera pas au second tour. Mais, plus encore qu’en 2017, il aura marqué de son empreinte cette campagne. Il dispose désormais d’un écho territorial général : il fait partie de trio de tête dans la quasi-totalité des départements, il dépasse les 20% dans 39 départements et n’est au-dessous de 10% dans aucun. Plus encore qu’en 2017, il « cartonne » dans la jeunesse (plus du tiers des 18-24 ans selon Harris) et consolide ses positions dans les catégories populaires (24% contre 25% en 2017). Mais le constat positif ne doit pas masquer le revers de la médaille : au total, la gauche ne semble pas avoir progressé dans les milieux les plus modestes. L’ensemble des forces de gauche n’aurait attiré que 34% des catégories populaires, soit autant qu’en 2017, alors qu’en 1981, une nette majorité d’ouvriers et d’employés votaient à gauche (en 1978, 39% des ouvriers votaient pour le seul PCF). Ces catégories continuent, à 40% des suffrages exprimés (38% en 2017), de voter à l’extrême droite et 26% à droite (dont 20% pour Macron).
Au-delà, on ne saurait se cacher la persistante fragilité d’une gauche qui sort de la joute présidentielle plus fracturée que jamais. Elle dispose, avec le vote Mélenchon 2022, d’une base de reconquête inespérée il y quelques mois encore. Mais les clivages accumulés au fil des mois, qu’ils soient réels ou factices, ne vont pas se résorber si facilement. En 2017, Mélenchon, encore dans le sillage de ce qui fut le Front de gauche, avait réussi, après cinq années désastreuses de pouvoir « hollandais », à apparaître comme le candidat le plus à gauche et le plus crédible. En 2022, il a su bénéficier du mouvement de resserrement qui a touché aussi bien la gauche que la droite et l’extrême droite et qui a mis en tête Macron et Le Pen. Mais, de même qu’il ne fallait pas s’imaginer que tous les votes Mélenchon de 2017 étaient des votes d’adhésion à Mélenchon, il ne faudrait pas penser que les votants du 10 avril se sont « ralliés » à Mélenchon et à ses idées.
L’institut de sondage Harris-Interactive, sur un gros panel de 5000 interrogés, demandait si le vote du 10 avril était un vote « d’adhésion » à un candidat ou un vote « utile » ou « par défaut ». Pour l’ensemble, les réponses se tournent à 55% vers un vote d’adhésion et à 34% vers un vote utile ou par défaut. Or, dans le cas du vote Mélenchon, le même rapport s’établit à 45/44. L’institut Ipsos a de même demandé à son échantillon de dire s’il votait par adhésion ou par défaut. Le choix « par défaut » a été retenu par 41% des électeurs Mélenchon (les pourcentages sont respectivement de 34% pour Jadot, de 33% pour Macron, de 36% pour Pécresse, de 31% pour Le Pen et de 19% pour l’électorat Zemmour, plus « idéologique » que les autres).
Mélenchon a eu l’immense mérite de redynamiser une gauche en souffrance, le temps d’une élection. Mais cette gauche reste dans ses basses eaux, bien plus bas que les niveaux qu’elle a connus entre les années 1970 et 2017. Après 2017, on pouvait croire que les électeurs de gauche portés au vote Macron reviendrait dans la « famille » : ils ne sont revenus qu’à la marge et les nouveaux de 2022 n’ont pas compensé la perte enregistrée alors.
En 2017, le vote Mélenchon et la débâcle du socialisme ouvraient la voie à quelque chose de nouveau, pour relancer la machine et porter la gauche vers de nouvelles dynamiques majoritaires. Mais Mélenchon, après son succès, a tourné le dos à la « gôche » (comme il disait alors…) et a préféré s’adresser au « peuple », sans autre intermédiaire que le dispositif de la France insoumise. Le PCF a choisi de relancer son « identité », au risque de revenir à l’enfermement identitaire qui avait tant contribué à son déclin : il en paie chèrement l’addition, ne dépassant que faiblement le score communiste de la présidentielle 2007. Quant aux Verts, comme on l’a écrit ici à plusieurs reprises, ils ont pensé que l’urgence écologique les dispenserait de choisir entre l’insertion dans les logiques systémiques du capitalisme et le projet d’un processus de rupture.
Or ni les approches « populistes », ni les crispations identitaires, ni les balancements entre rupture et accommodement ne sont en état de répondre pleinement aux exigences de l’époque : retisser les liens de la combativité sociale et des constructions politiques, réconcilier la gauche et les catégories populaires, relégitimer l’action politique organisée, redonner à chaque programme et à chaque proposition le souffle d’un projet alternatif, casser la dynamique mortifère de l’extrême droite. Aucune de ces hypothèses n’est en état de maîtriser véritablement ce qui, depuis plus de deux siècles, est une contradiction incontournable. Comment respecter la diversité constitutive de la gauche, sans la transformer en « guerre des gauches » ? Mais comment respecter cette diversité – ce qui exclut ralliement et hégémonie contraignante – et en même viser à constituer des majorités durables, sans lesquelles aucune rupture n’est véritablement possible ?
Dans l’immédiat, il n’y a pas d’autre objectif que de dire non à la perspective solide d’une victoire des héritiers des fascismes. Si la simple abstention pouvait dire ce refus, sans quelque risque que ce soit, on pourrait se résoudre à l’idée qu’un non-vote ait la même légitimité qu’un vote contre. Mais dans un deuxième tour où deux candidats seulement restent en lice, on ne peut pas réfléchir comme si l’extrême droite était morcelée. Elle est rassemblée et des ponts redoutables ont commencé à se construire entre elle et une droite dite « classique » désormais vouée au ressentiment.
publié le 12 avril 2022
Marc de Miramon sur www.humanite.fr
Ukraine Le sulfureux bataillon Azov, cerné dans le port stratégique par l’armée russe, dénonce l’usage d’« armes chimiques » alors que le Donbass se prépare à une bataille aussi décisive pour le Kremlin que meurtrière pour les civils de la région.
Ils ne seraient plus qu’une poignée de milliers de combattants ukrainiens, essentiellement issus du bataillon d’inspiration néonazie Azov, retranchés dans l’immense complexe industriel métallurgique d’Azovstal, qui jouxte la zone portuaire de Marioupol. Ville martyre presque entièrement détruite par les combats et les bombardements, hautement stratégique puisqu’elle donnerait aux forces pro-russes le contrôle quasi total de la mer d’Azov et permettrait la jonction de la péninsule de Crimée avec les territoires du Donbass, Marioupol est aussi le théâtre d’une intense guerre de l’information entre Kiev et Moscou. Après avoir évoqué il y a quelques jours le chiffre de 5 000 civils tués par l’armée russe, ses supplétifs tchétchènes et les forces séparatistes du Donbass, le maire de la ville, Vadym Boïtchenko, brandit dorénavant un bilan supérieur à 10 000 morts, tandis que le gouvernement de Volodymyr Zelensky évalue les pertes civiles en « dizaines de milliers ». Et le dernier quarteron des miliciens d’Azov, officiellement incorporés au sein de l’armée ukrainienne, accuse l’armée russe d’avoir utilisé des armes chimiques pour les déloger de l’usine d’Azovstal. Volodymyr Zelensky indique prendre « très au sérieux » ces informations issues du bataillon, lequel témoigne sur sa chaîne Telegram avoir été victime de substances toxiques larguées au-dessus du complexe par des drones russes.
Le Royaume-Uni, par la voix de la ministre des Affaires étrangères, Liz Truss, a pour sa part déclaré qu’il travaillait « de toute urgence avec (ses) partenaires pour vérifier ces renseignements ». De son côté, le porte-parole du Pentagone, John Kirby, explique ne pas pouvoir confirmer ces informations, qui, « si elles sont vraies, sont très préoccupantes et reflètent les inquiétudes que nous avons eues quant à la possibilité pour la Russie d’utiliser divers agents antiémeute, notamment des gaz lacrymogènes mélangés à des agents chimiques en Ukraine ». Pour mémoire, l’utilisation des soldats d’Azov comme source légitime par Kiev avait provoqué la semaine dernière un tollé en Grèce, après la diffusion du témoignage d’un de ces miliciens au Parlement, en même temps qu’un discours de Volodymyr Zelensky. « C’est une honte historique. La solidarité avec le peuple ukrainien est une évidence. Mais les nazis ne peuvent avoir leur mot à dire au Parlement », s’était par exemple indigné Alexis Tsipras, leader de Syriza.
Une propagande de guerre qui implique évidemment Moscou : depuis plusieurs jours, des comptes pro-russes annoncent l’arrestation imaginaire, près de Marioupol, du général major américain Roger L. Cloutier, détaché auprès des forces de l’Otan, comme celles de membres des forces spéciales européennes, britanniques ou françaises, censées encadrer les néonazis d’Azov. Et qui intervient alors que s’annonce la grande « bataille pour le Donbass », au cours de laquelle « nos villes pourraient être complètement détruites » sur la base du « scénario de Marioupol », prédit Sergueï Gaïdaï, gouverneur ukrainien de la région de Lougansk.
Francis Wurtz sur www.humanite.fr
Les images qui nous parviennent d’Ukraine sont insoutenables. Nul besoin d’être un partisan de l’Otan pour être révolté par la cruauté de la guerre russe contre ce pays ! Il suffit pour cela d’être attaché au droit international le plus élémentaire et d’avoir un peu de cœur ! Pourtant, les circonstances tragiques de ce conflit offrent aux thuriféraires de « l’Occident » (merci M. Poutine !) une occasion rêvée de tenter de réhabiliter la vieille logique des deux « camps » : quiconque ne se retrouve pas dans l’un est sommé de faire allégeance à l’autre. L’Union européenne est, à cet égard, dans l’œil du cyclone : toute critique entamant l’unité de la « famille occidentale » est assimilée à de la complaisance envers le Kremlin.
C’est le retour aux mœurs détestables de la guerre froide ou encore du début des années 1990, quand s’opposer à la guerre du Golfe vous classait parmi les soutiens à Saddam Hussein ! Le « camp occidental » est si verrouillé que la timide réserve formulée par Emmanuel Macron à propos du qualificatif dont Joe Biden a affublé son homologue russe passerait presque pour de l’impertinence. Y compris les dirigeants de l’UE qui se voulaient naguère si attachés à « l’autonomie stratégique » de l’Europe placent désormais, comme au bon vieux temps, le « chef du monde libre » sur un piédestal. C’est si vrai que, fin mars, le président américain a participé à la réunion du… Conseil européen. Les deux principaux sujets à l’ordre du jour de ce sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UE étaient l’alourdissement des sanctions contre la Russie (qui ne coûtent pas cher à Washington) et le renforcement de la sécurité énergétique de l’Europe (qui lui rapporte gros). En prime a été réaffirmée à cette occasion « la coopération solide entre l’Otan et l’UE ».
Il faut espérer que ces pressions ne réussiront pas à altérer la pensée critique ni à instaurer une quelconque autocensure parmi nos concitoyens et concitoyennes ! Ainsi, ne laissons pas la légitime aspiration des Européens à veiller à leur sécurité face à un pouvoir russe, plus que jamais vécu comme une menace, se traduire par une folle course aux armements réclamée par Washington et le complexe militaro-industriel. Rappelons que, d’ores et déjà, les dépenses militaires des seuls pays de l’UE sont quatre fois supérieures à celles de la Russie. En cas d’agression, ils auraient largement les moyens d’assurer, en coopération, leur défense commune.
Plutôt que de se lancer dans une nouvelle orgie d’armements et de s’abriter sous l’illusoire « parapluie nucléaire » américain, les Européens seraient bien inspirés d’approfondir sérieusement leur politique de prévention des tensions et des conflits sur le continent ! Et, de ce point de vue, l’Otan s’est davantage révélée comme pourvoyeuse de crises que comme facteur de confiance – cet ingrédient indispensable à la construction d’une paix durable. Les ennemis de nos ennemis ne sont pas toujours nos amis.
publié le 12 avril 2022
par Olivier Doubre sur www.politis.fr
Le sociologue Ugo Palheta a publié plusieurs ouvrages sur la montée de l’extrême droite et le durcissement autoritaire des États occidentaux. Il souligne le risque réel, trop souvent nié, d’un projet néofasciste en France.
Spécialiste de la question scolaire ou des dominations et des inégalités, collaborateur de l’Institut national d’études démographiques (Ined) dans son unité « Migrations internationales et minorités », Ugo Palheta analyse, non sans inquiétude, l’actuelle « dynamique néofasciste » à l’œuvre dans des États reposant pourtant a priori sur des principes démocratiques. Une tendance due aux « effets politiques des contre-réformes néolibérales ». Avec l’accroissement des inégalités sociales, « la possibilité du fascisme », entre aiguisement des nationalismes et intensification du racisme, est selon lui un risque à appréhender. Il rappelle que les Brésiliens avec Bolsonaro, les Hongrois avec Orban ou les États-uniens avec Trump en ont déjà fait l’amère expérience. La France est-elle le prochain pays sur cette liste ?
La plupart des commentateurs n’ont cessé de présenter comme « impensables », à la veille des élections dans ces pays, les victoires de Trump, de Bolsonaro ou des ultraconservateurs polonais du PiS. Comment expliquer ce refus d’appréhender ces réalités ?
Ugo Palheta : Je vois plusieurs raisons. L’une des plus importantes, dans le Nord global, c’est que nous imaginons souvent que nos pays en auraient fini avec les formes de barbarie des siècles précédents, alors même que celles-ci ont eu principalement l’Europe pour épicentre. Que ce soit l’esclavage, le colonialisme, le fascisme, les guerres mondiales et bien sûr le génocide des juifs d’Europe et des Roms commis par les nazis ; cela sans nier les atrocités commises ailleurs par des pouvoirs tyranniques. Disons que, dans l’imaginaire dominant des pays d’Europe, on réserve la barbarie, la dictature ou les politiques d’épuration ethnique à des pays lointains, d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie. Or ce nationalisme radical de purification qu’est le fascisme est bien né sur le Vieux Continent et n’a pas disparu dans les décombres du bunker d’Hitler en 1945, comme le rappelait souvent l’historien du fascisme Zeev Sternhell.
Dans l’imaginaire dominant européen, on réserve la barbarie à des pays lointains.
Après l’éclipse de l’après-guerre, dans une Europe traumatisée par le second conflit mondial, le fascisme a été contraint de muter pour renaître et reprendre sa marche en avant. À partir des années 1970, chaque crise lui a permis de progresser, à des rythmes différents selon les pays. En centrant son activité sur la scène électorale et médiatique, il a adopté la guerre de position comme stratégie politico-culturelle, au sens de Gramsci. Même si des petits groupes violents se développent dans son sillage en cherchant à tenir la rue et, pour cela, en commettant des agressions contre les minorités (ethno-raciales, de genre, sexuelles) et les militant·es féministes, antiracistes, antifascistes et de gauche. Jusqu’à commettre des attentats, pour certains militants fascistes isolés.
Diriez-vous qu’un même déni est, sinon en cours, du moins tout à fait semblable, en France ?
Je dirais que le déni a longtemps été plus fort en France qu’ailleurs, parce qu’on s’imagine bien souvent que notre pays serait une sorte de phare de l’humanité : la « patrie des droits de l’homme ». Certains historiens ont même prétendu que la France avait été « allergique » au fascisme au XXe siècle : du fait notamment de la profondeur de l’ancrage des idées républicaines et de l’existence d’autres traditions à droite, le fascisme n’aurait pas pu trouver de terrain favorable et donc se développer. Or c’est oublier qu’il y eut des mouvements de masse authentiquement et indéniablement fascistes dans les années 1930 (par exemple le Parti populaire français de Jacques Doriot), que d’autres mouvements de masse (comme les Croix-de-Feu) avaient plus qu’un air de famille avec le fascisme, et que le régime de Vichy fut une dictature qui emprunta nombre de ses traits au fascisme (en particulier à sa variété portugaise que fut le salazarisme).
C’est aussi oublier à quel point l’un des principaux axes de propagande des fascismes européens, à savoir l’antisémitisme, fut central et endémique dans la politique française dès la fin du XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est oublier enfin combien la République fut compatible avec l’entreprise coloniale, et tout ce que celle-ci comportait de politiques de déshumanisation, de hiérarchisation raciale, d’accaparement de biens, etc. Des traits qui sont bien communs avec le projet fasciste. Rien d’étonnant, donc, à ce que, parmi les fondateurs du FN, se soient mêlés des collaborationnistes (pétainistes) et des nostalgiques de l’Algérie française – dont certains se vantaient même d’avoir torturé pendant la guerre coloniale.
Quels sont les signes qui vous laissent penser que cette « possibilité du fascisme », pour reprendre le titre d’un de vos récents livres, n’est peut-être pas aussi lointaine ? Que cela n’arrive pas « qu’aux autres » ? Et comment les réseaux numériques accroissent-ils un tel risque ?
On ne compte plus les « symptômes morbides », pour parler comme Gramsci. Il y a par exemple les dissolutions de collectifs antiracistes luttant contre l’islamophobie (CCIF et CRI), de collectifs anticolonialistes (Palestine vaincra) ou antifascistes (Gale, à Lyon) (1). Il y a également les lois jumelles liberticides imposées il y a deux ans, dites « sécurité globale » et « contre les séparatismes », qui conjointement intensifient l’autoritarisme et institutionnalisent encore un peu plus l’islamophobie. On pourrait évoquer évidemment aussi les politiques antimigratoires et leurs conséquences criminelles depuis plusieurs décennies, ou l’indifférence généralisée vis-à-vis du sort terrible que subissent les exilé·es et la manière dont les appareils de répression de l’État les brutalisent continûment.
Le fascisme a adopté la guerre de position comme stratégie politico-culturelle.
Il y a aussi la manière dont fonctionnent les institutions politiques en France, avec un pouvoir énorme concentré dans l’exécutif et une marginalisation de l’Assemblée nationale, qui n’est plus pour l’essentiel qu’un théâtre d’ombres : pendant la crise sanitaire, toutes les décisions étaient prises par le président de la République en conseil de défense, soit en toute opacité. Si les institutions de la Ve République ont toujours été bien peu démocratiques, le macronisme en a encore accentué les traits les plus autoritaires, à tel point que nous ne nous situons déjà plus dans le cadre de ce qu’on appelait les « démocraties bourgeoises ». Enfin, il faut rappeler les violences policières, presque toujours impunies, qui sont historiquement endémiques dans les quartiers populaires et d’immigration, et qui se sont largement intensifiées contre les mouvements sociaux depuis 2016, puis la répression policière et judiciaire ahurissante durant le mouvement des gilets jaunes.
Vous vous méfiez beaucoup des anachronismes ou des comparaisons aventureuses ou simplistes chevauchant les époques. Le terme « fascisme » convient-il pour décrire les régimes de Trump, Bolsonaro et consorts ? Convient-il aussi pour celle qui pourrait arriver au pouvoir en France ?
Il est intéressant de voir combien nombre de chercheurs sont gênés par la comparaison des extrêmes droites contemporaines avec le fascisme historique, mais emploient volontiers la catégorie « populisme », celle-ci renvoyant à des mouvements passés (les populismes russe et états-unien du XIXe siècle, ou les populismes latino-américains) qui n’ont à peu près rien à voir avec les extrêmes droites d’aujourd’hui.
En vérité, il y a de nombreux traits communs entre le fascisme historique et ces extrêmes droites, avec des différences qui justifient le fait de parler – pour être tout à fait précis lorsqu’on caractérise le projet de la plupart des organisations d’extrême droite – de « néofascisme ». C’est-à-dire une forme nouvelle de fascisme. Il est vrai toutefois que cette catégorisation « fasciste » ne convient effectivement pas pour décrire leur régime puisque, précisément, ils ne sont pas parvenus – pour l’instant dans le cas de Bolsonaro – à utiliser leur victoire électorale pour transformer profondément l’État et bâtir une dictature. Preuve qu’il ne suffit pas pour les fascistes de gagner une élection pour être ispo facto en capacité de mettre en place un régime à leur entière botte, parce qu’ils rencontrent nécessairement des résistances (mouvements sociaux, secteurs de la classe dominante rétifs par intérêt à une solution ultra-autoritaire, etc.). D’autant plus que les néo-fascistes ne disposent pas (sauf peut-être en Inde aujourd’hui) du type d’organisations de masse que les fascistes historiques avaient su créer jadis.
Dans notre livre avec Ludivine Bantigny, nous parlons de « fascisation » pour désigner précisément un processus, à la fois idéologique et matériel, de transformation de l’État dans un sens fasciste. Un·e leader ou une organisation néofasciste peut parvenir au pouvoir sans réussir à mener jusqu’au bout le processus de fascisation. Par ailleurs, ce type de processus peut s’enclencher sans que des forces fascistes soient au pouvoir ; c’est la manière dont nous analysons ce qui se joue en France depuis quelques années, avec notamment le macronisme, cet autoritarisme du capital qui est allé de manière systématique sur le terrain des réactionnaires (comme les lois déjà évoquées, la loi « asile et immigration » ou la dénonciation du prétendu « islamo-gauchisme », etc.). Évidemment, l’arrivée au pouvoir de Le Pen aurait pour conséquence d’accélérer ce processus, en intensifiant l’assujettissement et la brutalisation des minorités, et l’écrasement des mouvements de contestation sociale.
(1) Lire « Dissolution de la Gale : une décision sans précédent », Politis.fr, 5 avril 2022.
Ugo Palheta Sociologue à l’université de Lille. Derniers ouvrages publiés : Face à la menace fasciste (avec Ludivine Bantigny), Textuel, 2022 ; Défaire le racisme, affronter le fascisme (avec Omar Slaouti), La Dispute, 2022. Lire également : La Possibilité du fascisme. France, la trajectoire du désastre, La Découverte, 2018.
publié le 11 avril 2022
Benjamin König sur www.humanite.fr
La candidate du RN, avec 23,3 %, accède à nouveau au second tour, tandis qu’Éric Zemmour obtient 7,2 %. La menace de la voir à l’Élysée n’a jamais été aussi grande.
Un nouveau « 21 avril ». Encore un. Le troisième, vingt ans quasiment jour pour jour après l’irruption au second tour de Jean-Marie Le Pen en 2002. Depuis, l’expression est entrée dans le langage courant, mais le fait politique n’est plus le même. En se qualifiant au second tour avec 23,3 % des voix, selon les estimations Ifop disponibles à 22 heures, l’héritière du clan Le Pen parvient à dépasser son score du premier tour de 2017 (21,3 %). Cependant, en cinq ans, la donne a radicalement changé : une victoire de l’extrême droite n’est plus du domaine de l’hypothèse surréaliste. Selon l’Ifop, elle est donnée à 49 % au second tour, dans la marge d’erreur. Sur TF1, le président du RN, Jordan Bardella, n’a pas manqué d’en appeler « à tous les amoureux de la France qui ne veulent pas d’un second quinquennat d’Emmanuel Macron ». Et lors de son allocution au quartier général de campagne du RN, Marine Le Pen en a appelé « aux forces de redressement du pays », face à un « choix de société et même de civilisation », clin d’œil aux électeurs d’Éric Zemmour, qui avait fait de cette expression un slogan.
Des réserves de voix importantes pour le second tour
« Je suis prête à gouverner », avait-elle asséné tout au long de cette campagne, notamment le 6 avril, dans un entretien au Figaro. « On va gagner », hurlaient en écho, hier, les militants nationalistes au siège du parti. Plusieurs éléments permettent aujourd’hui d’accréditer cette funeste thèse : la saturation médiatique par les thèmes de l’extrême droite et donc leur banalisation ; l’émergence d’un candidat pétainiste qui a considérablement élargi l’audience et l’électorat du camp nationaliste, apportant pour la première fois à Marine Le Pen des réserves de voix non négligeables ; enfin, la politique antisociale et autoritaire de ce quinquennat qui ouvre une voie royale à la cheffe du RN. L’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg estime ainsi qu’ « Éric Zemmour a évidemment permis (à Marine Le Pen) de se recentrer. (…) Sur le créneau de la droite sociale, elle est seule », ajoute le chercheur.
Car ce nouveau duel Macron-Le Pen, pourtant rejeté par les Français tout au long de ces cinq années, est aussi le résultat d’une campagne axée, notamment, sur le pouvoir d’achat et la défense des libertés. Une récupération ahurissante, quand on connaît la tradition politique de l’extrême droite et les véritables intentions de Marine Le Pen, dont le libéralisme est davantage assumé qu’en 2017. Son programme ne laisse pas de place au doute : sa première mesure serait le « référendum contre l’immigration », projet qui remettrait en cause l’égalité des citoyens devant la loi et instaurerait la préférence nationale en matière de logement, emploi et aides sociales. La seule façon de le faire : changer la Constitution. « Grâce à notre référendum sur l’immigration, nous rendons inapplicable en droit interne les textes internationaux contraires à la Constitution, tout en constitutionnalisant la lutte contre l’immigration : c’est plus malin », se vantait-elle dans le Figaro.
Cette possibilité de victoire de l’extrême droite résulte également du cumul des scores. Avec 7,2 % des suffrages et malgré une rivalité de chapelles, Éric Zemmour apporte à Marine Le Pen des réserves de voix et un nouvel électorat, celui d’une droite plus bourgeoise, enthousiasmée par la candidature de l’ex-chroniqueur de CNews. Ce dernier a posé les jalons d’une « victoire qui viendra bientôt », signe que sa stratégie de recomposition et d’union des droites, renforcée par son avance sur Valérie Pécresse, reste d’actualité. Car malgré un score en deçà de ses attentes après un battage médiatique qui l’avait porté en février autour de 15 % des intentions de vote, l’idéologue raciste a martelé qu’il « n’en restera pas là ». Surtout, Éric Zemmour a appelé ses « électeurs à voter pour Marine Le Pen » malgré des « désaccords ». Nul doute que son électorat se reportera massivement : selon un sondage du « jour du vote » de l’Ifop, ils étaient 76 % à vouloir le faire. Un tiers des électeurs de Valérie Pécresse exprimait également leur intention de voter pour Marine Le Pen au second tour. Son concurrent à la primaire de LR, Éric Ciotti, a affirmé ce dimanche qu’il « ne votera pas Macron », sans réfuter un vote pour la cheffe du RN. Enfin, Nicolas Dupont-Aignan a obtenu 1,9 % et, comme en 2017, a appelé à voter pour elle.
Sous le discours social de façade, les antiennes de l’extrême droite
Malgré le bon score obtenu par Emmanuel Macron, qui distance finalement Marine Le Pen de près de 5 points, sa responsabilité est écrasante. Après un quinquennat de violence sociale et de division, le président sortant a tout fait pour installer à nouveau ce duel face à l’extrême droite. Ses seules propositions d’une campagne éclair auront été la retraite à 65 ans et le conditionnement du RSA, contribuant à fissurer un peu plus le front républicain. Jordan Bardella s’est engouffré dans la brèche et pointé la « casse sociale » et le « mépris » du président. Et désormais, la représentante de l’extrême droite a beau jeu de poser en recours « social » face au chef de l’État et jouer la carte du référendum anti-Macron. Hier, lors de son allocution, Marine Le Pen a opposé les « deux visions », celle d’un Macron basée sur « les divisions, l’injustice et le désordre », et la sienne, le « rassemblement autour de la protection sociale (…) sur la base millénaire de la nation et du peuple ». Et a même osé défendre « la place que nous voulons donner aux personnes face au pouvoir de l’argent ». Mais sous ce discours de façade sont vite revenues les antiennes de l’extrême droite : la défense des « us et coutumes de nos régions et le mode de vie des Français », et « la politique migratoire et sécuritaire ».
« Sans lui, avec Marine » : le slogan figure déjà en bonne place sur les affiches du Rassemblement national. Sa cheffe a prévu deux meetings : en Avignon le 14 avril, puis peu avant le second tour, à Arras. La date est lourde de sens : le 21 avril. Avec un total de 32,4 % pour trois candidats, l’extrême droite est aujourd’hui une force politique qui compte plus que jamais. Face à ce péril imminent pour notre démocratie, la mobilisation générale est de mise pour le 24 avril.
publié le 11 avril 2022
Joseph Confavreux sur www.mediapart.fr
Le piège du scrutin présidentiel s’est refermé sur les fidèles aux idées de gauche. Avant de tenter de retrouver son sang-froid pour réfléchir au second tour, il est permis d’exprimer sa rage face à la stratégie électorale d’Emmanuel Macron et de ses adversaires de gauche, tant l’issue de cette campagne dessine une catastrophe politique.
Tous. Tous les pièges tendus pour cette élection présidentielle ont fonctionné alors même qu’ils étaient repérés depuis le départ et exprimés depuis des mois : la qualification du prétendu « camp de la raison » et de l’escroquerie du « en même temps », la pseudo-dédiabolisation de Marine Le Pen catalysée par la candidature Zemmour, les divisions des gauches dont l’ensemble des responsables sont comptables, l’abstention la plus forte de la Ve République à un premier tour de scrutin présidentiel à l’exception de 2002…
Face au résultat du scrutin de ce dimanche 10 avril, le sentiment dominant chez celles et ceux qui se reconnaissent encore dans ce qu’on pourrait encore appeler la gauche, ou partagent sincèrement et simplement le minimum syndical qu’est censée être notre devise républicaine - Liberté, Égalité, Fraternité –, ne peut alors guère être que la rage.
Le poète et cinéaste Pier Paolo Pasolini (1922-1975) avait donné ce titre, La rage, au poème filmique qu’il écrivit, il y a tout juste soixante ans, et qui débutait par cette interrogation : « Pourquoi notre vie est-elle dominée par le mécontentement, l’angoisse, la peur de la guerre, la guerre ? »
La question non seulement demeure pendante, mais prend une dimension inédite, tant il est légitime de penser que ce second tour, identique dans la forme à ce qu’il était à 2017, est encore plus inquiétant dans le fond qu’il ne l’était alors. Ce résultat a en effet toutes les raisons d’être synonyme d’un futur fait de guerre identitaire ou de guerre sociale, sur fond d’effondrement écologique en radicalisant à chaque instant les termes.
Même en refusant fermement de mettre le moindre signe d’égalité entre l’héritière du fascisme français et le poulain du capitalisme mondialisé, on voit mal comment le bilan de ce scrutin pourrait susciter autre chose que de l’effroi, ni le prochain quinquennat promettre autre chose que du sang et des larmes.
Marine Le Pen a capitalisé sur les colères attisées par le quinquennat Macron et le président sortant se retrouve sans dynamique politique ni solide réserve de voix pour affronter sereinement la candidate d’extrême droite dans quinze jours. L’apprenti sorcier aura du mal à convaincre les électeurs et les électrices d’éteindre les braises de l’extrême droite sur lesquelles il a soufflé. Le « triangulateur » à succès de 2017 aura du mal à persuader les électeurs et électrices de gauche de voter pour lui quand il ne fait que s’attirer des quolibets en reprenant le slogan du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) lors de son meeting à La Défense. Et même si son arrogance, sa politique assumée de « président des riches » et les reniements de ses engagements de 2017, lorsque, à peine élu, il avait reconnu qu’il ne disposait pas d’un « blanc-seing » et qu’il respecterait les Françaises et les Français qui avaient voté pour lui « simplement pour défendre la République face à l’extrémisme » ne l’empêchent pas d’obtenir un second mandat, il n’y aurait pas de quoi se réjouir.
Il peut certes toujours paraître facile et/ou dangereux de jouer les Cassandre, mais que peut-on imaginer d’autre que l’accroissement des déflagrations sociales et/ou identitaires, à part – ce qui serait peut-être pire - une atonie politique et sociale renforcée, liée à une répression policière sans cesse accrue et un contrôle social catalysé par les moyens numériques mis en œuvre à l’occasion de l’épidémie de coronavirus, et facilité par nos auto-aliénations digitales en forme de « technococons », pour reprendre le néologisme de l’écrivain Alain Damasio, auteur d’un texte intitulé « Immunité partout, Humanité nulle part » dans le dernier numéro de la Revue du Crieur ?
Marine Le Pen accédant à la magistrature suprême, ce ne serait pas seulement une déflagration morale, mais aussi la promesse d’une guerre identitaire. Derrière la façade, c’est bien un programme d’extrême droite qu’elle mettrait en œuvre, xénophobe, hostile aux plus fragiles, menaçant pour les institutions démocratiques et faisant peser un danger existentiel sur de larges pans de la société civile.
Même si la présidente du Rassemblement national n’a eu de cesse de peaufiner sa stratégie de « dédiabolisation », allant jusqu’à affirmer « je n’entends pas m’attaquer à l’islam, qui est une religion comme une autre », bien aidée en cela par la majorité présidentielle et le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin la trouvant alors « un peu molle », elle reste l’héritière assumée d’un parti raciste, et l’alter ego français des partis d’extrême droite qu’elle côtoie au Parlement européen.
Elle appartient de plain-pied à un ensemble gagnant en puissance, dont le nationalisme étroit demeure la colonne vertébrale, et dont les comportements du Fidesz d’Orbán contre les migrants, du BJP de Modi contre les musulmans, du PiS de Kaczyński contre les LGTB+ rappellent l’essence fondamentalement violente. Et dont la trajectoire d’un Poutine, avec lequel elle s’est compromise, souligne les radicalisations possibles.
Emmanuel Macron cinq ans de plus à l’Élysée, en dépit de ses fraîches tentatives de n’être pas entièrement assimilé à la droite républicaine envers laquelle il a multiplié les emprunts et les baisers de la mort, demeure la promesse d’une guerre sociale toujours plus violente. Il faut se trouver dans une situation économiquement et socialement privilégiée pour ne pas entendre celles et ceux qui disaient voilà quelques jours, en appelant à voter Mélenchon : « Nous, la fraction la plus fragile de la société, nous n’avons pas le luxe de subir un deuxième mandat Macron. »
Emmanuel Macron n’est pas le libéral qu’il a prétendu être. Ou plutôt il est l’un des représentants de la captation de cette tradition libérale, complexe et autrefois émancipatrice, par le néolibéralisme, dont le tournant brutal ne cesse de s’étendre d’un continent à l’autre.
En matière de casse sociale, Emmanuel Macron a mis ses pas dans le quinquennat Hollande. En matière de désignation de boucs émissaires, il n’a fait que prolonger le quinquennat Sarkozy. Mais les mains arrachées et les éborgnés de différentes manifestations ayant émaillé son mandat constituent la marque de ce nouveau régime politique dont trois traits constitutifs sautent désormais au visage.
Le premier est le mouvement de tenaille qui durcit la main droite et répressive de l’État au fur et à mesure que la main gauche se retire : on « réforme » l’assurance-chômage et, en même temps, on mutile les « gilets jaunes » ; on supprime des milliers de lits à l’hôpital et, en même temps, on réprime les manifestations de soignants ; on accroît les inégalités jusqu’au vertige et, en même temps, on « conditionne » les prestations sociales.
Le second, pour reprendre les mots du philosophe Grégoire Chamayou qui avait fait la genèse de ce « libéralisme autoritaire » dans son ouvrage La Société ingouvernable, est que le néolibéralisme est moins une grande idéologie qu’une technologie politique décidée à discipliner les citoyens « non pas tant par la répression de leurs grands désirs que par la réorientation de leurs plus petits choix », afin d’éluder « la grande question du choix de société » pour la dissoudre « dans les minuscules questions d’une société de choix ». D’où le vernis « raisonnable » et « technocratique » qui entoure la candidature Macron et lui fait office de viatique présidentiel.
Le troisième est que, contrairement à ce que suggère encore l’équation longtemps posée entre libéralisme et « laisser-faire », le néolibéralisme propose une nouvelle organisation du monde dans lequel l’État a toute sa place à jouer, à condition d’être transformé dans son fonctionnement et réorienté dans ses intentions.
Ainsi que le note l’historien canadien Quinn Slobodian, dans un livre traduit ces jours-ci au Seuil et intitulé Les Globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme, les artisans de la mise en œuvre du néolibéralisme voient dans les « États et les institutions internationales de possibles instruments pour protéger les marchés contre les effets de la souveraineté nationale, les changements politiques et les turbulences des revendications démocratiques ».
L’État du monde néolibéral n’est ni l’État-providence ni l’État réduit à ses fonctions régaliennes et répressives. Il est un domaine poreux et composite destiné à légitimer le pouvoir du capital et à continuer de le faire fructifier, comme l’affaire McKinsey qui cerne Emmanuel Macron et en est le dernier symptôme en date. Même si ce recours aux cabinets privés n’est pas, ainsi que l’actuel président s’en est défendu, propre à son quinquennat, et qu’il suffit de lire le dernier livre du prix Goncourt Nicolas Mathieu pour saisir comment ce métier de consultant qui « consiste quand même à ranger des pièces vides » a infusé à tous les échelons des organisations publiques, il est emblématique d’un moment où la ligne de clivage politique principale ne se situe plus entre étatistes et libéraux, mais entre néolibéralisme et altermondialisme, selon des termes radicalisés, par rapport à 2001, par l’urgence climatique.
La publication, lundi 4 avril, du sixième rapport du Giec laisse à ce sujet un goût amer, comme s’il n’était plus qu’un exercice rituel tout aussi inquiétant qu’incapable de faire renoncer nos sociétés aux énergies intenables, à enclencher le débat de fond sur le changement de nos modes de vie et à définir les contours d’une inévitable sobriété.
La vérité actuelle de ce que sont devenus l’alerte écologique, le discours de la catastrophe, l’angoisse climatique ou la solastalgie est apparue, à l’instar du petit Jésus, un soir du 24 décembre, avec la diffusion par Netflix du film Don’t look up : à savoir une tragicomédie dont il ne reste plus qu’à rire (jaune) pour ne pas désespérer.
Il faut en effet bien dresser ce constat difficile : si le Covid, grande répétition de la catastrophe climatique, qu’il s’agisse d’un virus échappé d’un laboratoire ou d’une mutation en milieu naturel effectuée sous la prédation de l’urbanisation, n’a pas réussi à faire dérailler le cours des choses, la catastrophe climatique planétaire est inévitable sauf rupture politique aussi massive que radicale.
Aujourd’hui, la certitude de la catastrophe semble plutôt paralyser l’action.
Pour l’exprimer comme le philosophe Bruno Latour dans son dernier ouvrage, Mémo sur la classe écologique (La Découverte) : « Aujourd’hui, la certitude de la catastrophe semble plutôt paralyser l’action » alors que « les alertes sonnent depuis quarante ans ; depuis vingt ans, elles vrillent les oreilles de tout le monde ; et depuis la dernière décennie – particulièrement pendant la dernière année – la menace est gravée au fer rouge dans l’expérience de centaines de millions de gens. »
Ce fond matériel et climatique de nos expériences et existences politiques alourdit considérablement le résultat du scrutin de dimanche 10 avril. Bien sûr, le vote ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la politique et ce scrutin présidentiel n’est pas la fin d’un processus électoral qui durera jusqu’aux législatives de juin. Bien sûr, les élections sont à maints égards devenues un rituel vidé de son sens, voire la façade de démocraties représentatives qui ne représentent plus le peuple qui les habite, et cela n’est pas si neuf puisque, dès 1893, Émile Zola pouvait professer sa détestation de la politique électoraliste « pour le tapage vide dont elle nous assourdit, et pour les petits hommes qu’elle nous impose » comme le rappelait aujourd’hui le site RétroNews.
Bien sûr aussi, il faut entendre les voix de toutes celles et ceux qui ont refusé ou négligé d’aller voter ce dimanche, même si elles ne se sont pas exprimées dans les urnes, car cette désaffection du scrutin, alors que les enjeux de l’élection ont rarement été aussi intenses, constitue en soi un nouveau séisme politique. Cependant, même pour celles et ceux qui n’ont jamais fait du vote le moment le plus intense de notre condition politique, ce scrutin a un goût particulièrement amer.
D’abord en raison d’un contexte international qui oblige à se souvenir que la personne qui dirige la France, pays doté d’un droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU et d’une force de dissuasion nucléaire, possède une puissance diplomatique et internationale non négligeable.
Ensuite, parce qu’ainsi que nous l’écrivions dans un article récent consacré au « dilemme du vote utile » à gauche, l’atonie actuelle du mouvement social est aussi réelle que les limites du vote. À côté d’échecs patents, à l’instar de la marche « contre le fascisme » du 12 juin dernier ou de celle du dimanche précédant l’élection, les mobilisations réussies ne se traduisent guère par des politiques publiques pesant sur la vie des gens.
Et si le nombre d’alternatives territoriales, d’engagements solidaires, de modes de vie en rupture sont des signes que la politique se déploie de manière intense et novatrice ailleurs que dans les isoloirs, ces espaces ne paraissent guère en mesure de constituer un contre-système ou alors sont brisés par l’autorité détentrice de moyens contraignants, comme ce fut le cas à Notre-Dame-des-Landes.
On peut ainsi difficilement se contenter de miser sur les expériences et expérimentations qui constituent pourtant des socles sur lesquels fonder un monde de demain qui ne serait pas celui d’hier en pire. On peut certes abonder aux termes récents de l’anthropologue Philippe Descola et juger que « c’est la diffusion de ces initiatives, qui rendra possibles des transformations profondes de notre société. Le XXIe siècle va être un moment de reconfiguration des rapports entre humains et non-humains, et de profond changement pour l’État-nation tel que nous le connaissons. Comme en Italie à la fin du Moyen Âge, on pourrait avoir des combinaisons explosives et conflictuelles avec des communes aristocratiques, d’autres démocratiques, des territoires gérés par des multinationales… ».
Mais peut-on vraiment croire à ce modèle de diffusion d’une autre politique et à cette relégation de l’État-nation aux oubliettes de l’histoire politique ? N’avons-nous pas plutôt le sentiment que ces lieux ne parviennent – même si c’est déjà beaucoup - qu’à créer de précieux réseaux et de fragiles archipels ?
L’astrologie a définitivement vaincu la sociologie comme déterminant des urnes.
Quoi qu’il en soit, l’alignement des planètes, pour un Emmanuel Macron servi en 2017 par la décision inédite d’un président de la Ve République de ne pas se représenter après son premier mandat puis l’explosion en vol de François Fillon et aujourd’hui avantagé par un statut de chef des armées en guerre, comme pour une Marine Le Pen bénéficiant d’un boulevard ouvert par la majorité pour se présenter comme la candidate du peuple et d’un chroniqueur fasciste pour paraître présentable et présidentiable, a été tel qu’il pourrait donner le sentiment que l’astrologie a définitivement vaincu la sociologie comme déterminant des urnes.
Cet alignement des planètes des deux vainqueurs du premier tour ne dispense toutefois pas d’une introspection nécessaire pour toutes celles et ceux qui ont porté ou soutenu les couleurs de la gauche, et se retrouvent interdits de second tour pour la deuxième fois consécutive. Même si l’on sait que l’élection présidentielle, et sa personnalisation, est structurellement compliquée pour la gauche qui souffre, de part et d’autre de l’Atlantique, de l’adage selon lequel « Democrats want to fall in love, Republicans want to fall in line », elle devra rendre compte de ces divisions et de ses incapacités à mobiliser davantage.
Jean-Luc Mélenchon n’a cessé d’appeler, dans la dernière ligne droite, à la responsabilité individuelle. La sienne n’est pas moindre que les autres candidats de gauche qui n’ont pas su créer de dynamique commune ou dépasser des candidatures de façade ou de témoignage. Être le meilleur orateur et avoir un programme cohérent et solide n’empêche pas le leader insoumis d’avoir prétendu passer par un « trou de souris » avec un comportement parfois proche de celui d’un éléphanteau socialiste confondant vote utile et chantage à l’extrême droite, méprisant les communistes et s’avérant incapable d’envoyer un signal d’apaisement à des électeurs sociaux-démocrates troublés par certaines de ses déclarations passées sur la Syrie ou la Russie.
La faiblesse de l’écart entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen est un argument réversible, qui constitue un élément rageant dans la rage générale. Il peut bien sûr autant susciter l’agacement vis-à-vis de celles et ceux qui, à gauche, ont porté leur suffrage sur un autre candidat, qu’être un révélateur des limites, pour la troisième fois, de la stratégie insoumise.
Même si le mandat au Palais-Bourbon des députés insoumis restera l’un des honneurs de ce quinquennat infernal politiquement, l’ancien sénateur socialiste et sa garde rapprochée devront assumer cette stratégie solitaire et manquée, qui ne leur donne pas grand droit sur les recompositions prochaines de l’opposition de gauche au prochain locataire de l’Élysée. Et la relève que Mélenchon a permis de faire émerger, de Clémentine Autain à Danièle Obono, d’Adrien Quattenens à François Ruffin, devra s’autoriser d’un droit d’inventaire si ces député·es veulent rendre un véritable espoir au peuple – qu’il se dise de gauche ou non.
Dans son dernier ouvrage, intitulé Les Trente Inglorieuses (La Fabrique), le philosophe Jacques Rancière juge que, depuis trois décennies, « le fonctionnement régulier de la machine dominante a pu traiter de la même manière toutes perturbations, petites ou grandes : une attaque terroriste comme un indice boursier, une pandémie comme une manifestation de rue ». Telle est, selon lui, la « logique du consensus. Il proclame sa paix qui a pour cœur l’identification du pouvoir de la richesse avec l’absolu du droit. Il déclare abolies les anciennes divisions du conflit politique et de la lutte des classes. Il ne connaît plus du même coup qu’une seule forme d’altérité, l’altérité de celui qui est dehors, qui est absolument autre : empire du mal contre lequel toute violence est légitime ou victime absolue dont on s’approprie le droit sans limite ».
Alors que la lutte pour le second tour commence déjà et s’avère plus incertaine que jamais, l’enjeu n’est rien de moins que préparer déjà la riposte à une présidence Macron qui continuerait de confondre démocratie et consensus imposé par le bloc bourgeois, alors que la démocratie ne peut être que l’organisation du dissensus, ou à la possibilité d’un quinquennat Le Pen qui menacerait directement la démocratie elle-même.
Emilio Meslet sur www.humanite.fr
Absentes du second tour, les forces progressistes en appellent à Macron pour convaincre leurs électeurs de s’opposer à l’extrême droite dans les urnes. Et s’interrogent déjà sur les législatives.
Emmanuel Macron doit comprendre ce qu’il n’a pas voulu comprendre en 2017, répètent les oppositions de gauche. Comprendre que les appels au barrage contre l’extrême droite ne valent ni soutien ni blanc-seing. Au lendemain d’un premier tour qui laisse un bloc de gauche à 32 % pour six candidatures, tous (sauf Nathalie Arthaud) peuvent s’accorder sur un point : Marine Le Pen ne doit pas gagner et le président-candidat doit « mettre de l’eau dans son vin » pour convaincre les électeurs de gauche de la faire battre. Car le report des voix PCF, FI, EELV ou même PS vers un bulletin Macron synonyme de retraite à 65 ans, de RSA conditionné ou d’inaction climatique est loin d’être garanti.
« Il faut qu’il entende la colère populaire. S’il présente le même programme au second tour qu’au premier, le risque d’une victoire de l’extrême droite est encore plus fort », prévient Ian Brossat, directeur de campagne du communiste Fabien Roussel. Il attend un geste fort. Même exigence côté insoumis avec le député Adrien Quatennens : « La responsabilité totale de ce qui va se passer au second tour incombe au principal protagoniste, Emmanuel Macron. C’est à lui de faire le nécessaire. » Face au rejet que l’actuel chef de l’État inspire, les écologistes disent qu’ils ne pourront « pas convaincre tout seuls » les hésitants : « Il faut qu’il aille les chercher », alerte le maire de Grenoble, Éric Piolle. Il rappelle aussi que « les castors sont fatigués de construire des barrages ». Les insoumis, eux, n’appellent en revanche pas directement à voter Macron mais à ce que « pas une voix (n’aille) à Marine Le Pen ».
De prétendus « candidats de trop »
Pour le reste, malgré une progression par rapport à 2017, la gauche se réveille avec une sévère gueule de bois. Chacun se renvoyant la responsabilité d’une troisième élimination du duel final en vingt ans. La tension, nourrie par la déception, n’a pas tardé à monter dès dimanche soir avec, par exemple, Ségolène Royal, soutien de Jean-Luc Mélenchon (21,95 %), s’en prenant aux « ego » de Fabien Roussel (2,28 %), Yannick Jadot (4,63 %) et Anne Hidalgo (1,75 %) sans qui, pense-t-elle, son candidat serait « au second tour ». Dépités d’avoir terminé à seulement 400 000 voix de Marine Le Pen, les cadres insoumis reprennent la rhétorique. Celle qui consiste à faire porter le chapeau de la défaite à de prétendus « candidats de trop », comme ce fut le cas, en 2002, avec Christiane Taubira, jugée responsable de la chute de Lionel Jospin. Cette fois, pour la FI, le Taubira de 2022 se nomme Fabien Roussel : « Oui, ses voix nous ont manqué, incontestablement », regrette Adrien Quatennens, qui aurait souhaité que les communistes fassent candidature commune avec les siens, comme en 2012 et 2017, escamotant leur propre responsabilité dans la non-construction de cette union.
Les autres candidats et leurs équipes ont eu une autre explication moins court-termiste. « En 2002, le total des voix de gauche était de 40 %, aujourd’hui, on en est loin. La gauche doit se remettre en cause et ce n’est pas seulement une question d’union, assure Ian Brossat. C’est une question de discours, de capacité à parler aux milieux populaires qui se sont éloignés de la gauche. Fabien Roussel a fait ce travail. » Un cadre écologiste, qui ne désespère pas d’un futur accord législatif, lâche aussi : « Jean-Luc Mélenchon avait cinq ans pour rassembler après son score de 2017. Il ne l’a pas fait, préférant le rapport de forces, et vient se plaindre aujourd’hui tout en refaisant la même erreur au soir du premier tour… »
L’ensemble des forces de gauche comptent maintenant sur les législatives, qui seront, selon le secrétaire national d’EELV, Julien Bayou, le « troisième tour ». Un scrutin lors duquel la France insoumise « veut imposer une cohabitation » à Macron, d’après Adrien Quatennens. Sans pour autant proposer d’alliance aux autres afin de créer cette hypothétique majorité. À l’inverse, Fabien Roussel et Olivier Faure, premier secrétaire du PS, ont respectivement appelé toute la gauche à « reconstruire (ensemble) l’espoir » dès juin et à « construire ensemble un pacte (législatif) pour la justice sociale et écologique ». De leur côté, bien qu’un temps réticents à discuter, les écologistes ont aujourd’hui tout intérêt à ouvrir les négociations. Ne serait-ce que pour sauver un parti menacé par le non-remboursement de ses frais de campagne et qui a lancé un appel aux dons pour trouver 2 millions d’euros en deux semaines. Le PCF, EELV et le PS espèrent un « rééquilibrage » des forces lors des législatives, où la dynamique de « vote utile » pour la FI devrait être moins prégnante.
publié le10 avril 2022
Deux prises de position rapides
pour le 2° tour
parues sur le site www.humanite.fr
Pour le MRAP, "faire barrage à la bête immonde"
Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples réagit dans un communiqué au duel Macron-Le Pen au deuxième tour en lançant "un cri d’alarme: il faut tout faire pour battre l’extrême-droite, et ce, avec le score le plus large possible! Il est encore fécond le ventre d'où est sortie la bête immonde, il faut utiliser son bulletin de vote à faire barrage! Le MRAP appelle donc à aller voter pour le candidat de la démocratie."
Son bureau national rappelle que "le MRAP s’est opposé aux mesures liberticides adoptées au cours du dernier quinquennat, comme il a combattu les obstacles faits aux personnes étrangères ou migrantes désireuses de régulariser leur situation, les difficultés faites aux associations qui les défendent. Pour autant, on ne combat pas un danger en laissant advenir un danger plus grand".
"Le choix de l'extrême droite est un danger grave" pour le syndicat Solidaires
Réagissant au résultat du premier tour, le syndicat Solidaire réaffirme "que le RN n’est pas un parti comme les autres. Emprunt d’une idéologie nationaliste, sexiste, raciste, le choix de l’extrême droite est un danger grave. Il ne fera qu’empirer la crise sociale et la crise écologique, générer et attiser la haine, le racisme et la violence, désigner les étranger-es et les immigré-es comme boucs émissaires". Avant de conclure qu'"il n’y a aucune réponse pour améliorer nos vies chez le RN qui travestit son programme néolibéral par un affichage social (en particulier sur les retraites) mais c’est un piège grossier et dangereux! Oui, notre colère contre ce système d’exploitation et de domination est forte et légitime, mais jamais Marine Le Pen ne sera une solution : elle fait partie du système et du problème, elle le renforce même."
publié le 10 avril 2022
Bruno Vincens sur www.humanite.fr
Depuis plus de quatre mois, les employés de la Société aveyronnaise de métallurgie veillent sur la fonderie d’aluminium de Viviez, alors qu’un projet de reprise semble possible. Une présence jour et nuit qui a renforcé les liens de solidarité.
Viviez (Aveyron), envoyé spécial.
Une pancarte égrène le temps qui passe : 137 e jour, ce vendredi, de présence dans l’usine. Des conteneurs alignés protègent l’entrée. Un petit groupe s’affaire à la cuisson des merguez pour le couscous préparé au même moment par Zine. Près du barbecue, Nathalie raconte qu’elle a consacré vingt-six ans de sa vie à la SAM (Société aveyronnaise de métallurgie) : « Je m’occupais de la conception des moules (qui produisaient les pièces pour automobiles – NDLR). » Nathalie est là « depuis le premier jour », le 22 novembre, lorsque le personnel du sous-traitant de Renault décida de veiller 24 heures sur 24 sur les machines-outils, les moules, l’immense stock de pièces usinées. Pas question de voir l’outil de travail s’envoler ! Face au retrait du constructeur, la lutte est tenace pour maintenir la fonderie d’aluminium à Viviez, dans le bassin de Decazeville.
« Je serai là jusqu’au dernier jour ! »
Comment tuer le temps dans une usine à l’arrêt ? « Je trouve à m’occuper, répond Nathalie. Je fabrique des tracts, des affiches. Il y a toujours un sujet de conversation avec les collègues ou un journal qui traîne avec un sudoku à faire. » Les concours de belote ? « Non, je connais à peine les règles. Mais on a en permanence des gâteaux apportés par des habitants du bassin. Certains ont pris des kilos ! »
Nathalie l’avoue tout de même : « Parfois, les journées sont longues. » Près du barbecue, Bernard est attentif aux merguez. Cet ancien responsable de l’équipe de nuit à la fonderie totalise trente-sept ans d’ancienneté à la SAM. Comme beaucoup, il assure ici une présence régulière : « Et je serai là jusqu’au dernier jour ! Avec cette lutte, on a créé des liens forts. Des collègues de travail sont devenus des copains. Cette amitié, c’est énorme, et personne ne pourra nous l’enlever. »
« Même pas peur ! »
Bernard raconte les journées : « On parle de chasse, de pêche, de tout, de la vie. Avec certains, on parle de la présidentielle. » Il ajoute, l’œil malicieux : « J’ai parié avec un collègue que Macron ne serait pas au second tour. »
Le couscous est fin prêt. Zine, aux fourneaux depuis la veille, est le boute-en-train de l’équipe : « J’usinais des pièces pour Renault, maintenant je suis cuistot. Il faut savoir tout faire à la SAM ! » explique celui qui porte un tablier à l’effigie de la Joconde. En sortant de la cuisine, il montre un carter d’embrayage qu’il a produit : « C’est vache ce que nous a fait Renault, alors qu’on commençait à travailler pour des véhicules électriques. »
Depuis le 5 avril, la présence des salariés dans les murs de l’usine est jugée illégale par le tribunal de Rodez. « Les CRS peuvent venir avec leurs boucliers et leurs matraques ! Même pas peur ! » rigole Zine. Comment se passent les journées ? « On parle de nos déboires, alors qu’on ne boit pas ! »
Le bâtiment de maintenance, transformé en salle à manger
Les couscoussiers sont posés sur un Fenwick qui d’habitude transporte de l’aluminium liquide. L’engin est conduit par JR. Il peste contre les mandataires du cabinet toulousain Egide qui veulent l’évacuation de la fonderie et, sans doute, vendre tout ce qu’elle contient : « Ils n’ont pas d’âme, ils ont un cœur de pierre. » Mais, pour Zine : « Les mandataires sont tombés sur plus forts qu’eux ! »
Vient le moment tant attendu de la dégustation avec 70 convives attablés dans le bâtiment de maintenance, transformé en salon-salle à manger et lieu de vie. Applaudissements pour le cuistot. Ici sont pris les repas. Ici les métallos aveyronnais ont suivi sur un écran plat la marche du XV de France vers le Grand Chelem.
« Plus jamais de ma vie je n’achèterai une Renault ! »
Au moment du café, Joris, 30 ans, explique qu’il y a passé les 24, 25 et 31 décembre : « Je n’ai pas vu ma famille à Noël. C’est atypique de passer les réveillons dans une usine ! » Avant de s’orienter vers la métallurgie, il avait obtenu un bac professionnel hôtellerie : « Ça me sert pour la préparation des repas ! L’après-midi, je m’occupe des dossiers pour les prud’hommes (282 salariés demandent des indemnités supra- légales à Renault – NDLR). » Si la voiture de Joris arbore un losange, il assure : « Plus jamais de ma vie je n’achèterai une Renault ! »
Embauchée en 1996, Stéphanie a été ouvrière de production avant de travailler au service des expéditions et emballages. « À 20 ans, je pleurais pour ne pas rester à la SAM, aujourd’hui je pleure pour ne pas en partir. »
« Tant qu’on est ensemble, ce n’est pas fini »
Elle est née « à Decaze », y a toujours vécu, a vu ses parents perdre leur emploi. « C’est la tragédie du bassin. » Les dirigeants de Renault ? « Ils ont arrêté nos projets de vie. Ils n’ont pas le droit ! » Stéphanie, « maman solo », parle de Lucas, son fils de 11 ans : « Quand on a un enfant, on a envie de lui promettre plein de belles choses. »
Tous les jours, elle est donc présente et espère voir aboutir le projet de reprise par MH Industries : « Tant qu’on est ensemble, ce n’est pas fini. » Joris approuve : « Il y a un horizon pour la SAM, sinon je ne serais pas là. » Dans cette fonderie d’aluminium, c’est Zine qui le dit : « J’y crois dur comme fer. »
publié le 9 avril 2022
par Arthur Hay coursier syndicaliste sur www.humanite.fr
J’ai reçu ma première carte électorale avec joie. C’était en 2007, pile-poil pour l’élection présidentielle. À l’époque, j’avais envie de participer à l’effort démocratique. La veille du second tour, avec des amis, on avait passé toute la nuit à boire et convaincre un copain qu’il fallait absolument aller voter le lendemain. Cinq ans plus tard, pour ma deuxième carte électorale, je ne me rappelle plus si je l’ai jetée au tri ou dans le tout-venant. La troisième, je l’ai recyclée en la transformant en filtre à cigarette. Vous l’aurez compris, je n’ai pas été un citoyen assidu des bureaux de vote durant une bonne partie de ma courte vie d’adulte.
Il faut dire qu’en tant que jeune, peu engagé, il est facile de se désintéresser de la question politique. Toutes celles et tous ceux qui ont des responsabilités semblent mentir facilement. Ils semblent vivre loin des préoccupations du citoyen lambda, chercher la belle phrase plutôt que la bonne solution.
Mais j’en suis revenu. Je n’ai pas eu d’hallucination révélatrice à même de me redonner une foi absolue en la démocratie, sauce V e République. Mais, depuis six ans que je m’implique syndicalement contre des multinationales qui nous exploitent, j’ai appris certaines choses, j’ai rencontré certaines gens. J’ai appris que lorsqu’une plateforme de travail nous exploite, elle ne détruit pas que nos vies, elle détruit aussi les acquis des luttes sociales menées par des militants qui ont risqué gros.
Comme pour le vote, notre modèle social est basé sur ces luttes passées. Rien n’est définitif, rien n’est jamais obtenu pour toujours. En six ans, j’ai pu rencontrer nombre de militants qui perpétuent ces luttes, qui sont les gardiens de nos acquis et l’avenir de jours meilleurs. Beaucoup sont des syndicalistes, bien sûr. D’autres sont des politiques. Pour moi, un politique, c’était forcément un carriériste imbu de sa personne. Alors à quoi bon voter pour des gens qui n’ont pour idéal que le pouvoir et un mandat rémunérateur ? Mais parmi ceux qui sont venus apporter leur soutien à la lutte des livreurs, il y a des personnalités qui m’ont fait évoluer, qui m’ont fait changer d’avis. De vrais gens de gauche, sincères, militants actifs.
Plus que les candidats de gauche à la une de la présidentielle, ce sont ces politiques rencontrés sur le terrain qui m’ont redonné un peu d’espoir en la démocratie représentative. Parce qu’ils ne sont pas venus demander un soutien électoral ; ils sont venus apporter leur pouvoir à la lutte. Je crois que seule la lutte des travailleurs peut changer radicalement les choses. Mais si un parti politique est la prolongation ou la traduction des luttes menées, alors donner mon vote me semble utile.
Je n’ai pas le courage de vous dire pour qui je vote. Les échanges sur les réseaux sociaux entre militants du PCF, de la FI ou du NPA sont d’une violence que je souhaite éviter. Mais bon passage aux urnes à vous, en espérant avoir un candidat anticapitaliste au deuxième tour. Mais, quoi qu’il arrive, je vous dis à bientôt dans la rue.
Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr
Coincés entre leurs convictions, les divisions entre partis et l’envie d’éviter le même second tour qu’en 2017, les électeurs de gauche se montrent très hésitants cette année.
Que se passe-t-il dans la tête des électeurs de gauche ? À quelques jours du premier tour, ils sont à peine plus d’une moitié à être certains de leur vote, et ce quel que soit l’institut de sondage. Ainsi, 50 % de ceux qui ambitionnent de voter Fabien Roussel précisent qu’ils pourraient changer d’avis une fois dans l’isoloir. Et 58 % des électeurs qui prévoient de se saisir d’un bulletin au nom de Yannick Jadot se disent capables de changer d’avis au dernier moment. Des chiffres stables depuis des mois. Seul Jean-Luc Mélenchon progresse sur ce plan, puisqu’il est passé en quelques semaines de 66 % à 79 % d’électeurs potentiels se disant définitivement convaincus de voter pour lui.
« Un œil sur les sondages »
Malgré cette évolution notable pour l’un des candidats, la volatilité observée à gauche reste très forte pour les autres, ce qui rend le scrutin de dimanche d’autant plus illisible. « J’hésite sans cesse entre Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel. Entre se donner une chance de battre Le Pen ou donner du poids à une candidature qui reconstruit la gauche », souffle ainsi Bouchra, juste après avoir vu le candidat communiste en déplacement au marché de Gentilly (Val-de-Marne). « D’un côté, je suis plus proche du projet de Roussel, notamment sur le nucléaire, et puis Mélenchon n’a rien fait de ses 19 % en 2017. Mais, d’un autre côté, éliminer Le Pen d’emblée, puis avoir une confrontation et un débat public entre Mélenchon et Macron au second tour, c’est tentant », ajoute-t-elle. Le candidat insoumis est d’ailleurs celui qui bénéficie le plus d’un « vote de barrage » ou « vote contre », au premier tour, puisque 21 % de ceux souhaitant voter pour lui disent le faire afin d’empêcher un autre candidat d’y accéder, selon les enquêtes d’opinion. Bouchra n’a pas rejoint ces électeurs-là. Elle hésite encore. « Je garde un œil sur les sondages et je verrai au dernier moment », conclut-elle.
Une indécision qui se retrouve de la sortie de la station de métro Jules-Joffrin jusqu’à la fin de la rue commerçante du Poteau, à Paris, où militants PCF, FI, EELV et PS tractent régulièrement. « Moi, ne me demandez pas, je vote Hidalgo, je suis déjà prêt à prendre une claque ! » assène Gérard, quand d’autres électeurs historiques du PS confient hésiter entre Roussel, Mélenchon et Jadot. « Je change d’avis tout le temps. Un coup, je me dis que mon vote naturel va à Yannick Jadot ; un coup, je me dis qu’à en croire les sondages, si je veux qu’il y ait un candidat qui défende la bifurcation écologique au second tour, il va falloir que je vote Mélenchon, même si je ne peux pas le supporter. Et puis, je me dis que, de toute façon, Mélenchon va rater le second tour, alors je repars sur Jadot, et mon raisonnement tourne en boucle », confie Marc.
« Si c’est juste pour faire barrage…»
« C’est perdu d’avance. Mélenchon sera en haut d’un champ de ruines, dont il est l’un des grands responsables, avec François Hollande. Alors moi, je vote pour repartir sur des bases saines. J’ai toujours voté PCF, et la gauche a besoin d’un PCF fort. Dans son histoire, elle n’a jamais rien fait de bien sans ce parti », mesure pour sa part Fanny, qui trouve que Fabien Roussel a réussi sa campagne. « Il risque de se faire siphonner un peu à la fin. L’argument du vote utile en faveur de celui qui est en tête à gauche, ça marche toujours, surtout quand l’extrême droite est en embuscade. Mais le fait que Mélenchon ne soit pas clair sur sa consigne de vote en cas de duel Macron-Le Pen, franchement, ça ne me donne pas envie de voter pour lui », regrette Paolo, qui ne sait toujours pas ce qu’il fera le 10 avril.
Par rapport à 2017, le nombre de Français ne se déclarant pas certains d’aller voter a augmenté de 11 %. « Je n’ai pas trop suivi cette année. Je m’en fous un peu. On sait très bien que Macron et Le Pen sont donnés devant depuis des mois, mais la gauche n’a rien tenté pour gagner cette élection. J’aurais bien voté Taubira. Une candidature de rassemblement avec un programme qui va à tout le monde à gauche, c’était une bonne idée. Je n’ai pas compris pourquoi personne n’a suivi », regrette Stéphanie, qui ira sans doute voter « pour faire barrage à Le Pen, quand même ». « Si c’est juste pour faire barrage, je vais plutôt attendre le second tour et voter pour un candidat qui me plaît au premier tour, reste à savoir qui entre Jadot et Hidalgo, car c’est un peu la même chose, non ? » expose ensuite Valérie. Sa fille, qui n’a pas encore le droit de vote, à deux mois près, lève les yeux au ciel. « Moi non plus, je ne sais pas ce que j’aurais fait car les partis de gauche se font la guerre pour rien, alors que l’urgence est là ! » tance-t-elle.
publié le 8 avril 2022
Luis Reygada et Joseph Korda sur www.humanite.fr
La mobilisation est sans précédent. Les huit grands centres logistiques que compte le géant du e-commerce en France sont en grève. L'objectif : obtenir une revalorisation bien plus haute que celle de 3 % proposée par la direction de la filiale hexagonale. La bataille est d'envergure, malgré les pressions. Récit.
La mobilisation est sans précédent. Voilà en effet plusieurs jours que les salariés des huit grands centres logistiques que compte la filiale tricolore d’Amazon sont en grève, à l’appel d’une large intersyndicale, pour réclamer de meilleurs salaires.
Fruit de négociations annuelles obligatoires dans lesquelles la direction campe sur une augmentation salariale de 3 %, la contestation s’est propagée ce jeudi à huit entrepôts de préparation de commandes du géant du commerce en ligne. Entre 1 200 et 1 500 salariés (selon SUD) auraient cessé le travail sur les sites de Brétigny-sur-Orge (Essonne), Boves (Somme), Saran (Loiret), Montélimar (Drôme), Lauwin-Planque (Nord), Metz (Moselle), Senlis (Oise), et Sevrey (Saône-et-Loire).
Une hausse minimale de 5 % pour entamer de véritables discussions
Sur le site de Saran, qui compte 2 200 salariés, des salariés avaient spontanément cessé le travail avant même que les cinq syndicats représentatifs (CAT, CFE-CGC, CFDT, CGT et SUD) n’aient lancé le mouvement, lundi dernier. « Ça s’est passé vendredi 1er avril, explique Jean-François Bérot, représentant syndical SUD. Une trentaine de collègues ont débrayé pour protester, entre autres, contre la proposition de la direction. »
Alors que l’inflation fait s’envoler les prix, il précise que les organisations syndicales tablent sur une hausse minimale de 5 % pour entamer de véritables discussions. « Il faut voir l’argent qu’ils se mettent dans les poches depuis la crise sanitaire ! renchérit-il. Au lieu d’augmenter les salaires, ils proposent de revaloriser la prime de départ à la retraite, ainsi que les ruptures conventionnelles pour les employés présents depuis plus de quatorze ans. Ce qui n’arrive quasiment jamais sur nos sites. »
Filtrage des camions à l’entrée du site
Ses camarades grévistes du site de Boves montrent sur les réseaux sociaux une détermination entière et une organisation à faire pâlir d’envie leur employeur : stocks de palettes et de pneus, braseros copieusement alimentés, barnums ornementés de drapeaux aux couleurs de l’intersyndicale et même présence d’un DJ pour ambiancer le tout…
Des dizaines de travailleurs en tenue, chasuble orange de sécurité de rigueur, apparaissaient dans l’après-midi à l’entrée de l’entrepôt situé en périphérie d’Amiens, tandis qu’un barrage filtrant ne laissant passer les transporteurs qu’au compte-gouttes créait une file d’attente de camions. « C’est parti pour un bon moment, prévient dans une vidéo un représentant du personnel CGT d’Amazon France Logistique. Tant qu’on n’aura pas gain de cause, on continuera. Aujourd’hui on (sera) là jusqu’à minimum minuit, une heure, voire jusqu’à demain matin… »
Certains sites s’étaient déjà mis en grève quelques semaines auparavant, mais c’est la première fois que les huit méga-entrepôts placés au cœur du dispositif logistique du numéro un mondial de la livraison à domicile coordonnent une action en même temps. Et coupent ainsi l’herbe sous le pied aux dirigeants de la filiale aux 7,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires (2020), habitués à dérouter les livraisons lorsque l’entreprise doit faire face à des mobilisations ponctuelles.
Des pressions pour briser le mouvement
Pour l’heure, les témoignages faisant état de « pressions » de la part des managers pour briser le mouvement s’accumulent. Dans une communication, la CGT Beauvais dénonce une « entrave au droit de grève » et prévient : « L’inspection du travail va être saisie. » Joint par téléphone, Mathieu Ciserane, représentant du personnel SUD à Brétigny-sur-Orge, confirme : « Des managers sous-entendent aux grévistes qu’ils n’auront pas d’avancement, ni de prime ou d’intéressement… » Pas de quoi casser, selon lui, le « ras-le-bol général. Les cadences sont toujours plus élevées et on est de plus en plus surveillés. Au pack, si tu es à 60 colis préparés à l’heure, ils viennent te voir pour te demander de monter à 100 ».
Une « intensification de la charge de travail » que met en lumière un nouveau rapport rendu en février par Progexa, missionné par le CSE d’Amazon. « L’amélioration des conditions de travail devra être un des défis majeurs » des années à venir, indiquait le cabinet indépendant, tout en soulignant une « précarisation de la rémunération ».
L’actuel mouvement social semble confirmer cette tendance. La multinationale se glorifiait de payer ses employés au-dessus du Smic. Mais les seules revalorisations successives et mécaniques de ce dernier, du fait de l’augmentation de l’inflation, risquent de voir la majorité des payes versées par la multinationale rejointes par le salaire minimum légal.
Pour l’heure, la direction justifie sa proposition de faible augmentation collective par « des augmentations de salaire supérieures à la moyenne de la branche transport et logistique, ainsi que d’autres avantages ». L’argument tiendra-t-il encore, jeudi 14 avril, date de l’ultime réunion de négociation avec l’intersyndicale ?
publié le 8 avril 2022
Marie-Noëlle Bertrand sur www.humanite.fr
Dès ses prémices, le mouvement populaire a eu quelque chose à dire sur ce sujet, bien au-delà de la seule question de se nourrir à sa faim, rappelle le politologue. Le lien a ressurgi durant la campagne présidentielle.
Stigmatisée par les débats sur la viande, l’alimentation s’est malgré tout incrustée dans la campagne présidentielle. Que veut dire bien manger pour soi et pour la planète ? La gauche, les gauches n’ont pas la même réponse. Fabien Roussel, le candidat communiste, a marqué les esprits avec sa « bonne viande » et son « bon fromage » accessibles à tous. Jean-Luc Mélenchon, celui de la France insoumise, fait quant à lui cause commune avec les mouvements vegans. Mais dans les deux cas, la gauche (re)commence à s’exprimer sur la question après l’avoir longtemps négligée. Elle qui, dès ses prémices, s’était pourtant intéressée de près au bien-manger, en en faisant un objet politique sur le fond et sur la forme, nous rappelle Paul Ariès, politologue qui, en 2016, publiait Une histoire politique de l’alimentation du Paléolitique à nos jours (1).
La lutte des classes se joue aussi à table, dites-vous. Y a-t-il une assiette de gauche et une assiette de droite ?
Manger a toujours été un fait social total qui engage toute notre personne individuelle et toute la société. Car manger n’est jamais simple. D’un point de vue anthropologique, c’est introduire dans notre corps quelque chose qui lui est étranger, faire du moi avec de l’autre. La crainte d’une contamination, bactériologique ou culturelle, est omniprésente : si je mange quelque chose qui ne m’est pas destiné, je risque de devenir un autre. Cela s’illustre par d’anciennes peurs, comme celle de faire manger du lapin aux femmes enceintes au risque de rendre leur enfant peureux. Finalement, cela concerne notre corps biologique, notre corps religieux, notre corps social et même notre corps culturel. Enfin, cela concerne notre corps politique. Dès ses prémices, la gauche a eu quelque chose à dire sur l’alimentation, bien au-delà de la seule question de manger à sa faim. Un personnage a ainsi couru toute la littérature populaire du XV e au XVIII e siècle : Bon Temps, capable de faire baisser le prix du blé et de la viande, il annonçait le retour de l’abondance. Son adversaire s’appelait Faute d’argent. Cette allégorie a inspiré plusieurs mouvements sociaux.
Cela reste encore dans le registre du « manger à sa faim »…
Cela a peu à peu changé. Dans la Cité du Soleil, le moine Tommaso Campanella, en 1604, définit une sorte de république idéale. Pour la première fois dans l’histoire, il pense un droit à l’alimentation. Pas uniquement celui de recevoir les nutriments nécessaires : pour lui, ce droit inclut celui à la bonne chère. On considère souvent qu’il est l’un des ancêtres de l’idée communiste : non seulement, Campanella soutient l’idée que cette alimentation idéale est strictement collective – il évoque les banquets spartiates –, mais il plaide pour une alimentation biologique.
Que veut dire biologique à une époque où les produits de synthèse n’existent pas ?
Campanella réfute l’idée d’utiliser des excréments humains et leur préfère des fumures animales. Il prohibe aussi l’usage de certaines boues. Il dépasse de façon manifeste la seule approche quantitative pour intégrer la dimension qualitative par la forme et la nature du repas. Plus on avance dans l’histoire, plus cet intérêt de ce que l’on appellera la gauche pour l’alimentation devient présent. On voit des conflits sociaux importants éclater. Par exemple, celui contre la pomme de terre royaliste…
La patate a été royaliste ?
Elle a été l’aliment voulu par les riches pour les pauvres. On l’a opposée à ce que l’on appelait alors le « pain de bois », à savoir la châtaigne, alimentation populaire par excellence. Les penseurs de la bonne société l’accusent d’entretenir la fainéantise – pas besoin de travailler beaucoup pour se nourrir – et de remettre en cause l’inégalité « naturelle » entre les genres – pas besoin d’avoir de gros muscles pour la ramasser. Enfin, on l’accuse d’être révolutionnaire : rapide à récolter, elle laisse du temps aux gens, entre autres pour se retrouver dans les cafés et parler de politique. Sous la monarchie et jusqu’au XIX e siècle, on a ainsi arraché des millions de châtaigniers. Et dans les trois quarts de la France, des mobilisations populaires ont cherché à protéger les arbres face aux dragonnades, puis à l’armée, passé la Révolution.
Sous la Révolution, Gracchus Babeuf est responsable de l’approvisionnement alimentaire de Paris. Il va penser les conditions d’une alimentation suffisante et de qualité. Il avance l’idée que la farine ou la viande ne doivent pas dépasser un certain prix.
Quand et comment la gauche s’empare-t-elle définitivement des questions alimentaires ?
Grâce à deux personnages essentiels. Charles Fourier, l’inventeur du mot socialisme, avance la notion de gastrosophie – sophie, comme sagesse. Il s’agit « d’offrir à tous les raffinements de la bonne chère que la civilisation réserve aux oisifs ». Il va même plus loin, arguant que la gastrosophie vise « à organiser la voracité », non pas au sens moderne, mais au sens de gourmandise. L’autre nous rapproche encore plus du mouvement communiste. Il s’agit de Gracchus Babeuf. Sous la Révolution, il est responsable de la commission chargée de l’approvisionnement alimentaire de Paris. Il va penser les conditions d’une alimentation suffisante et de qualité. Il avance l’idée que la farine ou la viande ne doivent pas dépasser un certain prix. Autrement dit, et si l’on traduit en jargon moderne, il dit que l’alimentation n’est pas une marchandise – grand slogan de l’altermondialisme en France. D’autres personnages joueront eux aussi un rôle important. Paul Lafargue, gendre de Marx, écrit un petit opuscule sur ce que l’on appelle les falsifications alimentaires. Car, si le XIX e siècle est celui de la bonne table pour la bourgeoisie, il est le siècle noir pour l’alimentation des classes populaires. Les puissants ont en tête de faire manger n’importe quoi au petit peuple. On veut développer de la fausse viande, du faux pain, du faux vin. Lafargue soutient la lutte contre ces falsifications, et par là même le droit au bien-manger. Raspail sera, lui, le José Bové de l’époque : il organise concrètement la lutte contre ce que l’on ne nomme pas encore la « malbouffe ».
Les banquets, racontez-vous, prennent une place importante dans ce mouvement…
Ils sont à la fois enjeu et forme politiques. Ils anticipent la création des partis politiques. Tout au long du XIX e siècle, on banquète comme plus tard on militera, tout simplement parce que les réunions publiques sont interdites. La révolution de 1848 naît, d’ailleurs, d’une interdiction de banquet. Certains sont des banquets républicains, organisés par la bourgeoisie éclairée, qui excluent le peuple en raison de leur prix. Ce sont les banquets de ceux qui souhaitent la réforme plutôt que la révolution. Le peuple est convié à écouter les discours, mais pas à manger. Quand il s’impose, il provoque des désordres… Les premiers banquets populaires sont créés en 1848, par le journal le Père Duchesne, qui les propose à 25 centimes et pose ainsi le principe du droit aux banquets pour tous. Jusqu’à la fin du siècle, alterneront ainsi banquets républicains bourgeois, banquets révolutionnaires et pique-niques anarchistes. Partout, on y recherche, politiquement, le bien-manger et le bien-boire. Et si l’on y mange de la viande, c’est en fricassée, afin que les morceaux nobles soient mélangés aux autres, et que chacun mange « l’équivalence ».
C’est cette tradition qui perdure à la Fête de l’Humanité ?
Pas uniquement. Au XX e siècle, cette relation aux banquets se retrouve durant les grèves. Pas de mouvements sociaux sans repas collectifs. Ni sans musique, chanson ou danse. Ce mariage de la gastronomie, de l’art et de la politique explique le succès de la Fête de l’Humanité – ou de celle de l’Unita, en Italie. On s’y réapproprie une gastronomie créée au XIX e siècle par des revanchards. Tous les premiers grands chefs se disaient ouvertement contre- révolutionnaires. Pour eux, il s’agissait de lier la table bourgeoise à la table aristocratique. Grimod de La Reynière, inventeur de la critique gastronomique, l’a élevée au rang d’idéologie de classe et de mépris aristocratique.
Que reste-t-il, dans les débats d’aujourd’hui, de ce lien entretenu par les gauches avec l’enjeu alimentaire ?
La gauche au XX e siècle a conservé cette centralité de la table, mais a cessé de la théoriser. Un des symptômes en est l’échec du mouvement Slow Food en France – dont le président-fondateur vient pourtant du Parti communiste italien. Pourquoi cela n’a-t-il pas pris de notre côté ? Parce que la gauche a oublié de penser politiquement ces questions. Elle a laissé, de ce fait, la place aux identitaires et à la droite. Cela fait vingt ans que j’appelle la gauche à redéfinir des politiques alimentaires parallèlement aux politiques agricoles. C’est une attente des milieux populaires. L’importance du repas familial, amical, militant continue d’exister. On le voit lorsque Fabien Roussel fait une intervention sur le droit à la bonne alimentation pour tous : il provoque des réactions très négatives, mais aussi un écho très favorable, et gagne dans la foulée un point dans les sondages. Malheureusement, il est le seul à pouvoir, aujourd’hui, tenir ce discours sur le bien-manger au sens politique. L’ouverture de Jean-Luc Mélenchon vers Aymeric Caron l’empêche de se porter à la défense de la bonne viande ou du bon fromage, au risque de mécontenter cet électorat recherché. De fait, les deux grands enjeux de ces prochaines décennies ne sont pas abordés frontalement : veut-on d’une agriculture sans élevage ? Et veut-on d’une alimentation sans agriculture ? L’agriculture cellulaire commence par la fausse viande, le faux fromage, le faux miel. Elle va se poursuivre avec des faux légumes, le développement de fermes-usines, et l’illusion que les villes pourraient se passer des campagnes.
Cela fait vingt ans que j’appelle la gauche à redéfinir des politiques alimentaires parallèlement aux politiques agricoles. C’est une attente des milieux populaires. L’importance du repas familial, amical, militant continue d’exister.
L’agriculture urbaine est-elle une porte d’entrée pour l’agriculture cellulaire ?
Je ne parle pas des jardins ouvriers ou partagés. Ce qui est en jeu ici, c’est le modèle de Singapour. Car la vraie alternative ne se joue pas entre les protéines animales et les protéines végétales, comme on voudrait nous le faire croire, mais entre la production industrielle de ces protéines et la défense d’une agriculture paysanne et familiale. Des experts nous assurent qu’avec 150 vaches on pourrait produire toute la viande dont on a besoin grâce à l’agriculture cellulaire. La question est celle-ci : pense-t-on pouvoir nourrir 8 milliards d’humains avec 400 000 agromanagers, ou faut-il miser sur un milliard et demi de petits paysans ? Veut-on des fermes high tech en ville ou une agriculture paysanne défendue par la Via Campesina, la Confédération paysanne, le Modef ? On a le même souci avec ce que l’on appelle agriculture intelligente – façon de dire que les paysans d’avant étaient des stupides. Cette technologisation de l’agriculture sans limites, cette numérisation, cette informatisation impliquent des investissements considérables. Les rentabiliser va nécessiter de concentrer les exploitations. C’est la faillite programmée de ce qu’il reste de l’agriculture paysanne.
Pourquoi le débat se focalise-t-il sur la viande ?
Manger de la viande a toujours été compliqué. C’est consommer ce qui nous est le plus proche. En outre, les puissants n’ont jamais cessé, depuis l’Antiquité, de vouloir interdire la viande au peuple. Au XIX e siècle, on a cherché à le rendre végétarien, afin qu’il ne soit plus révolutionnaire. Mais si la viande prend aujourd’hui tant d’importance, c’est parce que ce discours rencontre celui des grandes firmes. Jusqu’à présent, le prototype même d’une ferme écolo était une ferme qui produisait des céréales, des fruits, des légumes, des œufs, du poulet, du cochon, du lait… et de la bonne terre, grâce aux fumures animales. Supprimez l’élevage et l’on n’a plus de fumier. Et, pour le coup, on a besoin d’engrais chimiques.
Le mouvement vegan en a-t-il conscience ?
Il est lui-même divisé entre ceux qui se battent pour un légitime mieux-être des animaux d’élevage et ceux qui, tel Aymeric Caron, plaident l’abolitionnisme. Mais, globalement, on se retrouve coincé entre viandards identitaires et vegans. C’est un débat qui ne pose résolument pas la question des modes de production. En France, la gauche elle-même accepte beaucoup trop facilement d’essentialiser la viande. Or, « la » viande n’existe pas. Il n’y a rien de commun entre une viande industrielle et une viande issue d’un élevage paysan. Zemmour se dit défenseur de l’agriculture française, tout en prônant le libéralisme, c’est incompatible ! Le libéralisme est justement ce qui détruit le bien-manger. Le système voudrait faire des cultures gastronomiques populaires un sous-produit. Il faut riposter. L’agriculture paysanne et biologique n’est pas une niche réservée à quelques-uns, mais le modèle à développer pour tous. En France, nous disposons d’un vrai levier : la restauration collective. Un repas sur deux y est consommé. C’est une formidable façon de faire que la table redevienne un espace commun.
(1) Éditions Max Milo, 445 pages, 24,90 euros
publié le 7 avril 2022
sur www.humanite.fr
Relations internationales Après les accusations de crimes de guerre commis à Boutcha, Moscou reproche à Kiev de saborder les négociations de paix. Le Parlement européen réclame un embargo total sur le gaz, le pétrole et le charbon russes, tandis que l’ONU vient de voter la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme.
Maintenir ou non le dialogue, alors que l’armée russe a délaissé Kiev et se prépare à une nouvelle offensive vers l’Est et le Donbass, et que l’Ukraine s’apprête à subir de longues semaines de combats et de destructions. Voilà le dilemme des négociateurs réunis sous la houlette de la Turquie, et qui continuent d’avancer des propositions forcément fluctuantes en fonction du rapport de forces sur le terrain comme au sein des différents cénacles internationaux.
Selon le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dans un contexte d’accusations de crimes de guerre, voire, dixit Volodymyr Zelensky, de « génocide », « la partie ukrainienne » aurait « présenté au groupe de négociateurs un projet d’accord dans lequel il est évident qu’elle revient sur les dispositions les plus importantes déterminées le 29 mars à Istanbul ». La volte-face de Kiev, accuse Lavrov, concernerait l’inclusion de la péninsule de Crimée – annexée par la Russie en 2014 –, des garanties de sécurité et d’intégrité territoriale, ou encore l’exigence d’une négociation directe entre le président ukrainien et son homologue russe, Vladimir Poutine, concernant les statuts futurs de la Crimée et du Donbass ukrainien, dont Moscou a reconnu les pouvoirs séparatistes juste avant son offensive militaire du 24 février.
Fidèle à la ligne du Kremlin depuis le début de la guerre, Sergueï Lavrov continue de marteler que « le régime de Kiev est contrôlé par Washington et ses alliés, qui poussent le président Zelensky à continuer le combat », assurant néanmoins que la Russie poursuivrait « le processus de négociations », sans rien dévoiler du contenu de son propre projet d’accord. Autre pomme de discorde, la participation réclamée aux pourparlers de la Biélorussie, principal allié régional de Moscou. « Nous considérons cela comme une guerre qui est juste à la porte de notre pays. Et elle a des effets sérieux sur (notre) situation. C’est pourquoi il ne peut pas y avoir d’accord dans notre dos », a ainsi déclaré le 7 avril Alexandre Loukachenko. Si le président biélorusse a laissé la Russie utiliser à sa guise son territoire pour mener son invasion de l’Ukraine, il demeure un paria à l’échelle internationale et n’entretient presque plus aucun contact avec les chancelleries occidentales. Quant aux lourdes sanctions économiques infligées dans le cadre de sa participation à l’effort de guerre russe, elles ont encore renforcé sa dépendance vis-à-vis de Moscou.
Prochaine étape, « mener une enquête »
Les images des massacres perpétrés à Boutcha ou Irpin, près de Kiev, ont « éclipsé » les pourparlers initiés entre la Russie et l’Ukraine, a regretté jeudi le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu. L’heure semble effectivement davantage aux punitions qu’aux discussions. Le Parlement européen a ainsi voté, à une écrasante majorité, une résolution réclamant un embargo « total et immédiat » sur le gaz, le pétrole et le charbon russes, alors que la Commission européenne propose un arrêt sur les seuls achats de charbon – qui représentent 45 % des achats de l’Union européenne – et la fermeture de tous les ports européens aux navires russes. Le Parlement européen réclame également que « toutes les mesures nécessaires » soient prises pour que « les actes de Vladimir Poutine et d’Alexandre Loukachenko soient poursuivis comme crimes de guerre et crimes contre l’humanité », et s’est prononcé en faveur de la création d’un « fonds analogue au plan Marshall » pour reconstruire l’Ukraine après la guerre.
À l’occasion d’un déplacement à Boutcha, l’un des théâtres de massacres de civils attribués à l’armée russe par le gouvernement ukrainien, le secrétaire général adjoint de l’ONU pour les Affaires humanitaires, Martin Griffiths, a promis à un responsable de la mairie de la ville martyre que « la prochaine étape » sera de « mener une enquête ».
En attendant le durcissement des sanctions et le résultat des enquêtes internationales sur les crimes de guerre imputés à l’armée russe, les États-Unis ont provoqué en urgence, ce jeudi, un vote à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, pour la suspension de Moscou du Conseil des droits de l’homme. Celle-ci a recueilli, sur 192 pays, 98 voix pour, 24 contre et 58 abstentions. « En fait, nous voyons chaque jour (…) des rapports déchirants sur le peu d’intérêt qu’elle porte aux droits de l’homme. La participation de la Russie (au Conseil) est une farce. C’est pourquoi nous pensons qu’il est temps que l’Assemblée générale la suspende », avait précisé Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice américaine à l’ONU.
publié le 7 avril 2022
sur www.regards.fr
J-5 avant le premier tour de l’élection présidentielle : le sénateur communiste, Pierre Ouzoulias, soutien de Fabien Roussel, est l’invité de #LaMidinale.
Sur la campagne de Fabien Roussel
« Dans cette campagne, Fabien Roussel a apporté de la visibilité, de la fraîcheur, de la sincérité et de l’authenticité. »
« Pour les plus anciens, les gens sont heureux de retrouver le Parti communiste tel qu’ils l’avaient connu. Pour les plus jeunes, c’est un sujet d’interrogation. »
« Ce qui intéresse les jeunes - et que Roussel a montré pendant la campagne - c’est que le Parti communiste est le parti des communs. »
« Il était très utile que, dans cette campagne, les thèmes qui sont historiquement portés par le PCF mais aussi les thèmes nouveaux, apparaissent et Fabien Roussel l’a très bien fait. »
« Il y a une fierté communiste. »
« J’aurais eu un immense malheur de voir que notre génération aurait été incapable de continuer à perpétuer la fierté communiste et ce qu’on a apporté à la France et à son histoire. »
« Beaucoup de personnes, y compris à droite - je le vois au Sénat -, sont contentes de retrouver un Parti communiste. »
« Pour que la droite aille mieux, il faut que le PCF aille mieux. »
« Le combat politique, c’est avant tout de la lisibilité. »
Sur la gauche
« Les sondages reflètent ce qu’est aujourd’hui la proportion de la gauche dans notre pays, c’est-à-dire par grand chose. »
« On a besoin d’une conscience de classe et c’est ce qui manque. »
« Les formes de la domination économique ont changé. »
« Les formes sociales de l’exploitation ont changé et nos discours doivent s’adapter. »
« Quand la gauche a été au pouvoir, même à l’époque de la gauche plurielle, elle n’a pas mené les politiques de rupture par rapport au néolibéralisme. »
« L’exemple chilien est merveilleux. D’abord, il y a deux ministres communistes au gouvernement. Et en plus, l’alliance de la gauche s’est faite sur une base idéologique très simple et très claire qui est la rupture avec le néolibéralisme qui a été importé avec Pinochet. »
« Le programme économique de l’extrême droite, que ça soit de Pinochet ou de Le Pen, est un programme économique néolibéral - ce qui est un changement par rapport à ce qu’a été le fascisme italien ou hitlérien. »
« Il faut refonder la gauche sur la base d’un rejet total du néolibéralisme. »
« La gauche a besoin de se reparler mais elle a besoin de mieux diffuser ses idées dans la société. »
« Il y a un affaiblissement des partis mais aussi des syndicats - notamment chez les étudiants. »
Sur les polémiques
« J’ai l’habitude de regarder les campagnes électorales, quelles qu’elles soient, depuis le village de ma famille en Haute-Corrèze sur le plateau de Millevaches. Et là, ce que m’ont dit mes voisins c’est que cette campagne était parisienne. »
« Quand vous êtes paysans sur le plateau de Millevaches et que vous entendez dire que manger de la viande c’est pas bien ou que la chasse c’est mal, qu’il faut baisser le chauffage, ça leur paraît complètement lunaire. »
« Si la gauche continue de s’adresser aux bobos des centres villes ou des grandes métropoles, on va continuer à descendre. »
« Ce qui a manqué dans cette campagne, c’est un discours qui s’adresse à l’ensemble de la population. »
« Bien manger, c’est la culture communiste. »
« Ce que me disent les journalistes qui suivent cette campagne c’est qu’autour et avec Fabien Roussel c’est la Fête de l’Huma permanente : une forme de bonne humeur, de joie de vivre, des apéros bien charpentés. Mais ça, c’est notre culture et on ne va pas tricher. »
Sur les clivages à gauche
« Il nous manque un espace où il pourrait y avoir une confrontation mais pas des idées simples, des idées complexes. »
« Si j’étais face à madame Rousseau, en tant qu’historien et archéologue qui s’est beaucoup intéressé à l’alimentation, je lui dirais que la révolution néolithique s’est fondée sur les céréales et l’élevage. Peut-on penser une agriculture sans élevage au XXIè siècle ? Je pense que non. »
« En Haute-Corrèze, le revenu des paysans, c’est 100% de l’élevage. »
« Il faut trouver des espaces pour discuter et les médias n’offrent plus ces espaces pour une pensée complexe. »
Sur le vote utile à gauche face au risque Le Pen
« Le Pen est la seule candidate qui a une progression continue depuis un mois et on ne sait pas où ça va s’arrêter. »
« Je crains, et c’est une forte probabilité, qu’elle soit devant Macron au premier tour. »
« Le fait historique de cette élection c’est que pour la première fois Le Pen a un réservoir de voix. Elle peut récupérer les voix de Zemmour, de Pécresse et malheureusement aussi une partie de l’électorat de Mélenchon. »
« Il est très important qu’à gauche on ait un discours clair sur ce que nous ferions au second tour pour écarter l’extrême droite du pouvoir. »
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À J-3 du premier tour de l’élection présidentielle, Olivier Besancenot, porte-parole de Philippe Poutou, est l’invité de #LaMidinale.
Sur les enjeux de l’élection présidentielle
« L’enjeu de cette élection présidentielle, c’est de poser des bases pour l’avenir. »
« Pour le mouvement ouvrier et la gauche sociale et politique, l’enjeu, c’est de préparer les meilleures conditions pour que la gauche se réinvente, se reconstruise et se retrouve sur des terreaux communs, notamment sur la question antifasciste et du danger de l’extrême droite ou sur la question de répartition des richesses. »
« La suite de l’élection présidentielle, ce n’est pas simplement se préparer à résister aux mauvais coups qu’il y aura probablement mais d’accompagner toutes les mobilisations, notamment sur la question des salaires. »
Sur le vote utile à gauche au premier tour
« On accompagne la mobilisation unitaire contre le fascisme mais renoncer à la candidature alors que même Jean-Luc Mélenchon ne l’a jamais demandé - je rappelle qu’il a parrainé la candidature de Philippe Poutou -, non. J’imagine qu’il est au courant qu’il y a des sensibilités politiques qui font que l’on est indépendant mais on sera unitaire pour 1000 dès qu’il faudra avancer. »
« Je ne suis pas paternaliste, les gens font en conscience, je ne suis pas là pour leur mettre une pilule dans la tête. »
« La candidature de Philippe Poutou, elle porte du coeur mais aussi de la raison, c’est-à-dire qu’elle porte un programme, des idées politiques et des positions internationalistes. »
« Philippe Poutou n’est pas un politicien professionnel, il ne suit pas les codes du sérail de la classe politique. »
« Il faut regarder vers l’avenir et ne pas s’enferrer dans des débats qui ne vont pas être super productifs… »
Sur la perspective d’un second tour Macron-Le Pen
« On ne votera jamais pour l’extrême droite. Jamais. »
« Si c’est ce scénario-là, ça va être 15 jours d’engueulade dans toutes les familles de gauche et tout le monde aura le bon argument. »
« Là où le mouvement a su se retrouver, c’est aussi dans les grands combats contre l’extrême droite. »
« J’ai 47 balais, je milite depuis l’âge de 14 ans, il y a des choses que j’entends et d’autres que je vois auxquelles je ne pensais jamais devoir être confronté de ma vie : des manifestations avec des bras tendus… »
« Le problème politique, c’est que l’on n’est pas confronté simplement à différentes gammes de libéralisme où tout se vaut. »
« Au-delà des individus, il faut voir les forces politiques qui sont derrière. »
« Il y a quelque chose de substantiel à cette élection présidentielle : la gauche est dans les eaux basses. Et la polarisation à la droite et à l’extrême droite est un phénomène majeur : on le voit du point de vue des idées. »
« L’histoire est là pour nous rappeler que la percée politique de l’extrême droite et des mouvements populistes fascistes, ce n’est jamais un seul candidat : c’est un processus politique au long cours où la gauche court après la droite, où la droite court après l’extrême droite et où l’extrême droite s’est extrême droitisée elle-même. »
« On est obligé de se dire que des seuils qualitatifs sont franchis quand une famille politique, dans un torrent d’insultes ouvertement racistes, islamophobe, sexistes, homophobes cherche à réhabiliter les pages les plus sombres de l’histoire. »
« Si la gauche est aujourd’hui dans les eaux basses, c’est qu’on n’a pas appris à être aussi décomplexé que l’extrême droite. »
Sur le mouvement ouvrier
« Le mouvement ouvrier existe encore. »
« Il y a des raisons d’espérer parce qu’il y a eu des mobilisations nouvelles : les mobilisations climatiques, les mobilisations de la jeunesse, les mobilisations dans les quartiers, notamment autour du Comité Adama… »
« On doit entrer dans une phase de reconstruction du mouvement social de manière générale en réhabilitant de façon unitaire en son sein une dynamique anticapitaliste. »
« Il faut que les uns et les autres aient un peu d’humilité pour trouver une manière de dénouer les désaccords politiques qui existent. »
« Il faut que l’on soit tous dans une logique de dépassement. »
« J’entends Jean-Luc Mélenchon avoir des références explicites au mouvement ouvrier, comme nous, comme au Parti communiste. »
« Du point de vue du mouvement ouvrier, il y a des histoires longues en termes d’espace politique. Il est donc difficile d’imaginer qu’une seule forme ou qu’un seul courant politique puisse prétendre cristalliser toutes les formes de radicalité, même celles qui sont exprimées de nos jours. »
« Quand c’est la crise pour la gauche radicale, c’est la crise pour tout le monde. Quand c’est la dynamique, c’est la dynamique pour tout le monde. »
Sur le NPA
« [Le dépassement du NPA], je ne sais pas exactement ce que cela veut dire. Mais on est un certain nombre à penser, pour ceux et celles qui se côtoient dans les combats du quotidien depuis des années, à la France Insoumise, au Nouveau Parti Anticapitaliste, à Lutte ouvrière, chez des libertaires, dans les partis communistes et chez beaucoup de gens qui sont dans aucune organisation politique mais qui sont dans des organisations syndicales ou des collectifs, qu’il faut que l’on avance ensemble. »
« Les circonstances vont faire pression sur nous : on parle du danger fasciste donc ça veut dire avoir la compréhension que, eux, face à nous, ils ne feront pas de distinction. Les fascistes au pouvoir, quelle que soit leur variante, ils ne vont pas s’encombrer de nos discussions sémantiques ou stratégiques - même quand elles peuvent avoir un sens. »
« Il faut avoir un cadre commun face à l’extrême droite et une unité commune. »
Sur les fractures politiques à gauche
« Il y a une fracture politique qui continue à exister à gauche : il y a celle qui s’inscrit dans le cadre de l’économie de marché avec des marges plus ou moins substantielles et les forces qui veulent en sortir avec des variantes. Mais c’est une fracture politique que l’on retrouve sur chaque proposition. »
« Il y a des questions majeures qui sont importantes comme l’Ukraine : je suis un internationaliste, au NPA, on est internationaliste, c’est-à-dire qu’on est toujours du côté des opprimés, jamais du côté des oppresseurs. Raison pour laquelle, dès le départ, on a affirmé notre solidarité avec les Ukrainiens et les Ukrainiennes en réclamant le retrait des troupes russes immédiatement, sans les “si, peut-être, virgule, point, note de bas de page”. Après, ça ne nous empêchera pas de dire que l’OTAN ne fait pas partie de la solution parce qu’elle fait partie du problème mais là, à gauche, quand on voit le débat où, dès que tu dis que tu es pour le retrait des troupes russes, on te regarde comme si tu flirtais avec la CIA et, à l’inverse, quand tu commences à dire du mal de l’OTAN, un autre camp politique te soupçonne d’avoir des relations avec le KGB ou le FSB, il y a un problème avec la notion de complexité qui fait pourtant partie de notre héritage politique. »
« On a eu des rendez-vous ensemble pendant le quinquennat de Macron, pas avec tout le monde mais quand même : les gilets jaunes, qui étaient globalement un rendez-vous manqué du mouvement ouvrier mais on était là, avec notamment la France insoumise et des courants libertaires. »
Sur l’identité politique du NPA
« Je ne suis pas sûr que Philippe Poutou se revendique d’abord et avant tout comme un candidat trotskiste : c’est un candidat ouvrier, anticapitaliste. »
« Le NPA a cherché à fédérer des gens qui ne sont pas de la filiation trotskiste. »
« Le NPA a toujours cherché à prendre le meilleur des traditions du mouvement ouvrier quelles qu’elles soient. »
« L’espace du NPA n’est pas celui de la LCR. »
« On est dans une logique de dépassement. Un outil politique n’est jamais une fin en soi : ça n’est qu’un moyen. Dès qu’il y a une occasion d’en trouver un meilleur, plus efficace, plus rassembleur, sur des bases claires, on est disponible pour ça. Et on réaffirme cette disponibilité. »
Sur les élections législatives
« On n’a pas discuté des législatives. »
« Je ne peux pas te dire de quelle manière on sera présent ou non. On en n’a pas discuté. »
Sur cinq ans de Macron
« Ça va se passer dans la rue mais pas uniquement. Y’a pas d’un côté le NPA : c’est la rue et de l’autre les élections : c’est La France insoumise. Il faut trouver une synthèse entre les deux. »
« Dans la dernière séquence de la gauche radicale, on a tous appris que l’accident de parcours du point de vue de la crise politique mais qui surgirait dans notre camp cette fois-ci, peut apparaître sur le terrain de la rue, de la contestation sociale, comme sur le terrain électoral. »
« J’ai compris qu’un accident de parcours sur le terrain électoral qui surgisse dans notre camp n’est plus à exclure. Ce que je n’ai pas pensé pendant très longtemps. »
« On a envie qu’un gouvernement anticapitaliste voit le jour. »
par Denis Sieffert sur www.politis.fr
Malgré nos doutes et les contre-arguments, c’est donc tout de même ce fragile principe de réalité qui nous guidera dans l’isoloir.
L ’Ecclésiaste nous a enseigné qu’il y a un temps pour tout. Un pour vivre et un pour mourir. Il y a donc aussi un temps pour débattre et un autre pour décider. Nous voilà entrés dans ce moment sacré où l’on tire le rideau de l’isoloir sur nos débats pour accomplir un acte civique longuement muri. Sauf que, cette fois, tout n’est pas aussi simple. La querelle des arguments entre gens de bonne foi se prolonge. Les doutes ont la vie dure. C’est que la gauche a été incapable de construire une alternative qui fasse consensus. La faute à qui ? Redisons-le inlassablement, la faute d’abord à une sociale-démocratie de tous les reniements, celle du triste tandem Hollande-Valls. La faute aussi, mais très secondairement, à Jean-Luc Mélenchon, lui qui avait toutes les cartes en main au soir du premier tour de 2017. Et dans cette hiérarchie négative, personne n’est complètement innocent, pas même Yannick Jadot, qui a sans doute cru son heure arrivée après les municipales. Si bien que nous en sommes réduits aujourd’hui à faire, avec Mélenchon, la part entre la séduction d’un talent maintes fois démontré, le travail admirable de ses équipes, et une obstination hégémonique mortifère. Pour nous débarrasser de nos doutes, il faudrait, en plus, passer par pertes et profits ses faiblesses pour Poutine, en Syrie et même en Ukraine, « ce pays qui a tant de mal à en être un », comme il disait naguère. Au lendemain du massacre de Boutcha, on ne peut s’empêcher de repenser aux attaques chimiques sur La Ghouta, dans la banlieue de Damas, dont Mélenchon avait fait mine de douter, jusqu’à suggérer que ce pouvait être un coup des Américains et des rebelles, pour finalement trouver normal le veto russe à toute enquête. L’exact discours de Poutine. Ce qui fait parfois du candidat insoumis un étrange homme de gauche.
Devant tant d’injonctions contradictoires, on a cru trouver le Graal avec la fameuse formule du « vote utile ». Ce vote utile de premier degré, c’est évidemment Mélenchon. Le candidat insoumis est de loin le mieux placé à gauche. Les sondages le donnent une dizaine de points devant Yannick Jadot. Il est le seul à pouvoir concurrencer une Marine Le Pen faussement « dédiabolisée » par le néo-pétainiste Zemmour. Mais ce vote utile premier degré pose autant de questions qu’il en résout. Malin, Mélenchon l’a d’ailleurs rapidement déconseillé à ses amis, lui préférant le « vote efficace ». Utile à qui ? Utile à quoi ? S’il s’agit de borner notre horizon au 10 avril, l’affaire est entendue. Mais qu’en est-il au-delà ? À moins que le candidat insoumis remporte le jackpot au second tour, il faudra bien poser des bases nouvelles pour reconstruire une gauche unie. L’utilité peut donc se mesurer à la capacité de chacun à rassembler. Mélenchon saurait-il réussir ce qu’il n’a pas su ni voulu faire au lendemain de la présidentielle de 2017 ? Le passé ne plaide pas en sa faveur. La perspective de repartir pour une nouvelle foire d’empoigne de cinq ans n’est guère encourageante.
En attendant, cette campagne a fini par tourner à l’avantage de l’insoumis. Après avoir failli se jouer sur la question ukrainienne, elle se jouera sur le pouvoir d’achat. La résistance des Ukrainiens ayant inscrit le conflit dans la durée, et le poison inodore de l’habitude ayant commencé à anesthésier les cœurs, c’est moins la guerre que ses conséquences économiques et sociales qui occupent ces derniers jours. Elles sont venues dramatiser un thème du pouvoir d’achat que nous imposait déjà la politique libérale d’Emmanuel Macron. C’est la raison principale de la progression de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon. La première s’est emparée de cette question par pur opportunisme, réussissant à faire oublier ses obsessions xénophobes. Le second, au contraire, occupe là son terrain naturel, celui de la justice sociale. Son programme est le plus abouti et le plus convaincant. Sans compter qu’avec la complicité involontaire de Macron, il a pu faire de l’âge de la retraite un marqueur entre politiques libérales et sociales.
Et puis, il y a cette affaire McKinsey,