PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

septembre 2022

publié le 30 septembre 2022

29 septembre : encourageante mobilisation héraultaise contre « une dégradation historique
des conditions de vie »

sur https://lepoing.net/

1000 personnes à Béziers, 3500 à Montpellier : pour une mobilisation de rentrée, les cortèges héraultais organisés en lien avec la journée de grève interprofessionnelle du 29 septembre ont été relativement fournis.

Dès le milieu de matinée, environ un millier de manifestants se sont rassemblés devant la Bourse du Travail de Béziers pour défiler en cette journée de grève interprofessionnelle appelée par la CGT, la FSU, l’Union syndicale Solidaires et les syndicats étudiants et lycéens UNEF et FIDL.

Plus tard dans la journée, le cortège montpelliérain a lui aussi marqué une mobilisation encourageante dans la rue. Ni raz de marée, ni défilé de cadres syndicaux, puisque 3500 personnes ont battu le pavé entre la gare Saint-Roch et la place de la Comédie, via le boulevard du Jeu de Paume, le Peyrou et la rue Foch.

Coût de la vie et de l’énergie en nette augmentation, augmentations des salaires, des minimas sociaux et des pensions insuffisantes pour rattraper l’inflation : les représentants des confédérations syndicales présentes sont venus rappeler lors d’une prise de parole en clôture de manif que la guerre n’est pour rien dans cette « dégradation historique des conditions de vie », à l’heure où les grandes entreprises distribuent des dividendes records à leurs actionnaires. Dans le viseur également, la réforme des retraites, que le gouvernement Macron entend faire passer en force à grand renfort de concertations dans lesquelles personnes ne semble croire dans le cortège.

Encourageante journée de manifestation donc, surtout quand on prend en compte un contexte plus général. Cette journée du 29 septembre n’était effectivement pour les syndicats qu’une mobilisation de rentrée, une manière de prendre la température alors que l’envolée des coûts de l’énergie prépare un hiver particulièrement difficile pour toutes celles et ceux qui déjà ont du mal à boucler les fins de mois. Elle n’était appelée que par trois des grands syndicats, même si certaines fédérations comme la CFDT Cheminots ont pu rejoindre la grève. Elle s’adosse à un nombre très importants de luttes locales dans les entreprises, comme dans de nombreux autres pays européens, qui ne se traduisent pas forcément par une participation aux grandes journées interprofessionnelles mais offrent des victoires aux salariés. A titre d’exemple, le site d’Enedis Béziers est bloqué à l’appel d’une intersyndicale depuis cette matinée du 29 septembre par ses salariés, et ce jusqu’à nouvel ordre, pour des augmentations de salaires et des embauches. Notons également que la manif montpelliéraine était beaucoup structurée autour de cortèges de secteurs plus qu’autour des cortège de confédérations, signe que la lutte a un important ancrage dans les entreprises et les différents services publics.

A l’échelle nationale, les syndicats se félicitent de l’ampleur de la mobilisation. Si les cortèges n’étaient pas parmi les plus fournis de ces dernières années, le taux de grévistes est important dans certains secteurs, le nucléaire par exemple. Dans l’Éducation Nationale, le SNES-FSU compte 30% de grévistes en collèges et lycées. Le privé aura été également parti prenante de la mobilisation, avec de nombreux débrayages et des grèves importantes, que ce soit chez le constructeur automobile Stellaris, ou dans la chimie et la pétro-chimie.

Prélude à de grandes luttes nationales pour l’automne et l’hiver ? Possible. En attendant, le 3 octobre prochain seront invités dans les locaux de l’UNSA l’ensemble des syndicats français pour une intersyndicale qui décidera des modalités des mobilisations unitaires à venir. Des journées d’actions sont aussi prévues dans certaines branches, comme dans le secteur de l’énergie le 6 octobre. Et on ignore encore l’ampleur et l’impact que pourrait avoir la marche contre la vie chère programmée par la coalition de gauche NUPES le 16 octobre. Laquelle devra se passer de l’appui direct des confédérations syndicales, malgré de profondes divisions sur le sujet chez les syndicalistes.

Retrouvez dès demain notre reportage réalisé dans le cortège montpelliérain sur les perspectives de mobilisation à venir.

 

 

 

 

Montpellier, 29 septembre : une large colère qui se cherche des perspectives

sur https://lepoing.net/

La manif de ce jeudi 29 septembre aura rassemblé près de 3500 personnes dans les rues de Montpellier

Avec 250 000 manifestants revendiqués par la CGT, et des grèves importantes dans certains secteurs, la journée de grève et de manifestation interprofessionnelle du 29 septembre aura été plutôt encourageante, en tout cas sur Montpellier. Le Poing s’est entretenu avec quelques manifestants dans le cortège montpelliérain, fort de 3500 personnes, entre témoignages sur une dégradation historique des conditions de vie et de travail et perspectives de résistances à venir.

Une colère profonde et large

Appelée par la CGT, la FSU, Solidaires, les syndicats étudiants et lycéens UNEF et FIDL, et localement par le Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier (SCUM), la journée de mobilisation interpro du 29 septembre peut être qualifiée de succès relatif, en tout cas à Montpellier. Si les salaires étaient cette fois-ci au cœur des préoccupations syndicales, personne n’oublie que se préparent d’autres grands reculs sociaux, dans la droite ligne du premier mandat Macron et de plusieurs décennies néo-libérales. Dans les rangs des manifestants, la colère est grande, le constat est fait d’une société laminée par les offensives capitalistes et réactionnaires.

Valérie, ancienne employée de l’hôtellerie aujourd’hui en invalidité à 56 ans, arbore un badge de la coalition de gauche NUPES dont elle est sympathisante. « Je suis écœurée. », commence-t-elle. « Écœurée  par l’injustice de la réforme des retraites qui vient [NDLR : pour des explications sur la communication dont le gouvernement enrobe son projet antisocial, lire cet article du média Rapports de Force], écœurée par l’évasion fiscale, par l’absence de barrage au Rassemblement National de la part des macronistes aux élections législatives, pour éviter la NUPES. Écœurée aussi des reculs en matière de droit à l’IVG, aux USA, peut-être bientôt en Italie : il nous faut inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française. »

Laurence, psychologue syndiquée à la CGT du CHU de Montpellier, a participé à un rassemblement en préambule de la manif du jour avec une cinquantaine de collègues, devant l’Opéra Comédie, pour rendre plus visible les revendications de sa profession. Elle s’indigne que les salaires ne suivent pas l’inflation, avec tout ce que la chose inclut de recul du niveau de vie : « Ces dernières années nous les psys ont a été moins revalorisés que les aides-soignants, alors que notre niveau de diplôme est supérieur. »

Dans le cortège, des salariés de l’Éducation Nationale, bastion syndical qui voit de plus se multiplier les luttes de personnels précaires ces dernières années, témoignent de l’état de délabrement du service public. « C’est une catastrophe, le service public est en lambeaux. », constate Mylène, syndiquée à la CGT, et qui tient la banderole de tête du cortège des ATSEM. [NDLR : l’Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles, qualifié par l’obtention d’un CAP Petite Enfance est en théorie chargé de seconder les enseignants dans les classes maternelles, de préparer les activités scolaires, de veiller au bien-être des enfants, d’animer certains ateliers. Le métier, largement féminin, est aussi l’un des postes les plus mal payés et les plus précaires de l’Éducation Nationale. D’importants mouvements sociaux des ATSEM ont eu lieu récemment dans les écoles de Montpellier contre le passage aux 1607 heures de travail par an, soit 70 de plus qu’avant la loi de transformation de la Fonction Publique du 6 août 2019. ] « On se retrouve avec une multitude de casquettes qu’on ne devrait pas avoir. Les ATSEM servent à absorber le manque de postes, le manque d’AESH [NDLR : Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap] et d’AVS [NDLR : Auxiliaires de Vie Scolaire]. Encore plus depuis que l’école a été rendue obligatoire dès l’âge de trois ans. Si on s’en tenait aux missions incluses en théorie sur la fiche de poste des ATSEM, le service ne tournerait plus. En plus de ça on a toujours pas été incluses au Ségur. Alors la grève aujourd’hui a été,assez,bien suivie : sur les 400 ATSEM de Montpellier, 20% sont en grève. »


 

Et il n’y a pas que chez les précaires des écoles que la coupe est pleine. Même si la mobilisation dans l’Éducation Nationale reste bien plus faible que celle du 13 janvier 2022 (75% de grévistes dans le primaire), Magalie, instit syndiquée au SNUIPP-FSU, témoigne de la lassitude de nombre de ses collègues : « La rentrée a été difficile, la colère est grande dans les écoles avec en plus l’inflation et la réforme des retraites qui arrive… »

Et la résignation semble un obstacle plus grand que la communication libérale de la majorité au pouvoir, qui a de moins en moins de prise. « L’argent, on le trouve. », résume Valérie. Lucide, quand on sait que la fraude fiscale représente environ 100 milliards d’euros de manque à gagner pour l’État chaque année, et que des records historiques ont été battus ces dernières années dans le montant des dividendes distribués aux actionnaires des grandes entreprises.

Marche de la NUPES contre la vie chère du 16 octobre : les syndicats à priori absents, avec des bases peu au courant

Sur une proposition de la France Insoumise au mois de juillet, la coalition de gauche NUPES organise le 16 octobre une marche contre la vie chère et l’inaction climatique dans les rues de Paris. Si la thématique de cette mobilisation est ostensiblement liée à cette journée d’action du 29 septembre, les organisations syndicales se montrent réticentes à y appeler clairement. L’Union Syndicale Solidaires a refusé de signer l’appel de la NUPES, après un vote de ses fédérations adhérentes favorable à une participation, mais sur une majorité jugée trop courte pour ne pas diviser les troupes. Mi-septembre le secrétaire général de la FSU Benoît Teste décrivait son organisation syndicale comme peu encline à signer un appel à rejoindre la marche. Quant à la CGT, elle déclarait dans le même temps attendre de voir le succès de la mobilisation du 29 septembre avant de prendre une décision. Au cours des réunions préparatoires de l’été, l’attitude et les déclarations des leaders de la NUPES, et notamment de Jean-Luc Mélenchon, ont confirmé les craintes de nombreux syndicalistes, à savoir une inféodation de l’agenda social à un agenda politique. Il est en fait probable que l’objectif de la NUPES en cas de crise sociale importante soit de pousser à la dissolution de l ‘Assemblée Nationale et à l’organisation de nouvelles élections législatives.

Un tel mélange des genres contrarie les tendances à l’indépendance syndicale. Bien que des pans entiers de la CGT aient clairement appelé à envoyer des députés progressistes à l’Assemblée lors des dernières législatives, Mylène nous rappelle dans le cortège montpelliéraine que « la CGT est assez méfiante par rapport à la politique ». Ce sur quoi renchérit Magalie de la FSU : « la situation entre syndicats et partis politiques est actuellement assez tendue. »

Les enjeux autour de la participation syndicale à cette marche ne semblent pas avoir été débattus largement dans la base militante. Laurence n’est même pas au courant qu’une manif est organisée par la gauche le 16 octobre. « En ce qui concerne le 16 octobre, l’info n’est pas arrivée aux syndicats de base. Certains syndicats, certaines fédérations, certaines unions locales appelleront néanmoins à y participer », diagnostique Lénaïc, éducateur dans la protection de l’enfance syndiqué à la CGT, pour laquelle il exerce un mandat, et qui se décrit lui-même comme « radicalisé parce qu’épuisé. »

Dans le cortège on croise Richard, inspecteur du travail à la retraite passé par à peu près toutes les organisations syndicales possibles et imaginables. Aujourd’hui il participe à l’animation du groupe de gilets jaunes du rond-point du Près d’Arènes, qui continue des diffusions de tracts tous les mardis et les tous les samedis. « On a quelques copains du rond-point qui monteront à Paris pour la marche du 16 octobre. », annonce-t-il. Un positionnement qui ne fait pas l’unanimité au sein de ce qu’il reste du mouvement entamé à l’automne 2018, tant celui-ci se retrouve tiraillé entre l’évidente préoccupation des fins de mois de plus en plus dures à boucler, et les profondes méfiances qu’on lui connaît envers les politiciens de tous bords…

Comment mettre fin à cette « dégradation inédite des conditions de vie et de travail » ?

Mais alors comment mettre fin à cette « dégradation inédite des conditions de vie  et de travail» pointée du doigt par la CGT à la fin du cortège montpelliérain de ce jeudi 29 septembre ?

Même pour Valérie, la sympathisante NUPES, c’est la lutte sociale qui semble primer sur l’agenda de la politique institutionnalisée. « Il ne nous reste que la rue », nous lance-t-elle dans le défilé. Même son de cloche chez Mylène, pour qui il faudrait se mettre à « bloquer le pays pour de bon. » Néanmoins chacun reste bien conscient des difficultés rencontrées. Ce sont les échecs du passé, et le poids d’une répression de plus en plus brutale, qui freine l’émergence d’une véritable révolte sociale pour Valérie. «Beaucoup de gens ne veulent plus descendre en manif à cause de la peur des violences policières », analyse-t-elle, « surtout avec les proportions que ça a pris depuis le mouvement des gilets jaunes. »

Mylène voit un autre aspect du problème : « Trop de personnes vivent encore dans trop de confort pour réellement s’engager dans une lutte dure et accepter les sacrifices qui vont avec. » Dans l’univers de syndicaliste de Lénaïc, la thèse de Mylène a un certain succès. « De nombreux camarades du syndicat pensent que les choses vont s’accélérer dès la fin du bouclier tarifaire mis en place sur l’énergie, prévue pour le mois de novembre. », nous confie-il. Dans la foulée, le voilà qui nuance la perception qu’on peut avoir du syndicalisme actuel comme une force capable à elle seule de renverser la vapeur : « La CGT en ce moment est traversée par beaucoup de courants contradictoires. Beaucoup de syndiqués sont excédés par les journées d’action isolées, mais dès qu’il s’agit de se mettre d’accord sur d’autres modalités d’action les divergences ressortent. Là on est face à une difficulté supplémentaire pour la mobilisation des syndicats sur des bases efficaces : les élections professionnelles arrivent, ce qui brouille les pistes dans la mobilisation par une superposition d’enjeux différents… Ça ressemble à un concours de quéquettes parfois… »

Au milieu de ce mélange de colère, d’inconfort, d’inquiétudes et de manque de perspectives nettes, grandit aussi le spectre du ressentiment. Amanda*, 70 ans, porte son drapeau de la FSU fièrement, « pour les enfants et les petits-enfants, parce que pour moi c’est déjà un peu fini. » Après avoir accueillie par de chaleureux encouragements notre présentation de la dernière version papier du Poing, elle concède : « Moi je fais toutes les manifs depuis plusieurs décennies. Et je vais continuer. Mais sincèrement, je ne crois plus en leur efficacité. A lors j’ai réfléchis ces dernières années, et je me suis choisis d’autres options politiques que les vôtres. Ce qu’il faudrait c’est que tous les pays de l’Union Européenne restent soudés, mais qu’on ferme les frontières. Ça ça emmerderait bien nos dirigeants. Il faut se réjouir de la victoire de Giorgia Meloni en Italie !» [Giorgia Méloni est la cheffe de file de la coalition dite de centre droit, en fait coalition d’extrême-droite regroupant l’ancien président Silvio Berlusconi, Salvini de la Ligue du Nord et le parti Fratelli d’Italie, que dirige Georgia Meloni et qui ne cache que depuis quelques mois sa sympathie pour l’ère fasciste de Benito Mussolini. Elle a été élue avec le soutien d’une part importante du patronat italien, sur la base d’un programme conservateur et ultra-libéral proche de celui d’un Zemmour et très hostile aux salariés, auxquels elle promet des lendemains qui chantent par la privation de droits pour les étrangers.]

publié le 30 septembre 2022

« Les personnes indignées
sont de plus en plus nombreuses »

Solidarité Une marche contre les politiques migratoires de l’Union européenne est organisée, les 30 septembre et 1er octobre, à Bruxelles. Michel Rousseau, cofondateur du collectif briançonnais Tous migrants, explique l’objectif de cette initiative.

Émilien Urbach sur www.humanite.fr


 

Des associations, venues de plusieurs pays, ont décidé de converger vers le Parlement européen pour l’interpeller sur les politiques migratoires conduites par l’UE à ses frontières. Quel est l’objectif de cette action interassociative ?

Michel Rousseau : Les politiques migratoires menées par l’Union européenne ont fait plus de 28 000 morts depuis 2014. Cette initiative est l’occasion, pour nous, de renforcer les liens entrehttps://www.humanite.fr/societe/accueil-des-migrants/les-personnes-indignees-sont-de-plus-en-plus-nombreuses-765696 associations pour partager nos expériences, agir de façon plus concertée, mieux faire entendre notre voix et peser le plus possible pour obtenir un changement de politique.

Comment se traduisent ces politiques mortifères à Briançon ?

Michel Rousseau : Depuis maintenant sept ans, la frontière entre la France et l’Italie a été rétablie, sous prétexte de terrorisme. En réalité, l’État veut empêcher les 3 000 à 5 000 personnes – qui chaque année passent par le col de Montgenèvre – d’entrer en France pour venir demander l’asile ou poursuivre leur voyage. Les effectifs de la police aux frontières ont doublé. Un escadron de gendarmes mobiles est venu en appui, puis un second. Avec comme conséquences la mort de huit personnes et de nombreuses victimes d’accidents graves en tentant d’éviter les contrôles et les refoulements systématiques.

Blessing Matthew est l’une de ces victimes identifiées…

Michel Rousseau : Oui, elle est morte le 7 mai 2018, vers 5 heures du matin, en tombant dans une rivière dans les Hautes-Alpes. Que peut le droit européen ? Que peuvent les parlementaires européens pour nous aider à établir la vérité et rendre justice à Blessing, et au-delà, pour changer ces politiques qui bafouent les droits humains fondamentaux ? C’est ce que nous sommes venus demander en participant à cette marche. C’était normal pour nous de nous joindre à cette initiative puisque ce qui se passe chez nous n’est pas seulement le fruit d’une politique propre à la France, mais le résultat d’une politique menée à l’échelle européenne.

La population européenne ne s’est-elle pas habituée aux exilés mourant à nos frontières, en mer ou en montagne ?

Michel Rousseau : Il y a, en effet, un phénomène de banalisation, favorisé par le silence des médias. Mais, parallèlement, les personnes indignées sont de plus en plus nombreuses. Et cela ne concerne pas seulement la question migratoire. C’est vrai aussi pour les enjeux climatiques, par exemple. Face au sentiment d’impuissance ressenti par les citoyens, les politiciens au pouvoir n’offrent aucune perspective, avec pour conséquence soit l’indifférence, soit la colère. Les exilés deviennent les boucs émissaires de l’inaction des dirigeants. Parce qu’ils fuient tout ce que tout le monde redoute, la guerre, la misère, les catastrophes climatiques, ils concentrent toutes les grandes questions auxquelles est actuellement confrontée l’humanité. Leur rejet se traduit par l’accession au pouvoir des partis d’extrême droite. Ce qui se passe actuellement en Italie est particulièrement inquiétant, même si je pense que ce n’est pas une victoire des fascistes. C’est l’abstention qui a gagné. Ceux qui sont élus dans nos pays, aujourd’hui, le sont par de toutes petites minorités. C’est la conséquence de l’absence de perspectives dans les propositions des politiciens.

publié le 29 septembre 2022

Réforme des retraites : démontez les arguments du gouvernement en 5 minutes

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

La réforme des retraites est déjà impopulaire, puisque 70 % des Français sont opposés à un recul de l’âge légal de départ (sondage Elabe du 22/09) et 19 % seraient prêts à aller manifester (sondage Odoxa du 21/09). Mais pour convaincre vos collègues de travail ou leur donner des arguments face à ceux du gouvernement, Rapports de force revient point par point sur les discours de justification de la majorité.

 Ça y est, la bataille des retraites commence. Ce jeudi 29 septembre, le gouvernement a finalement annoncé qu’il présenterait en janvier un projet de loi pour reculer à 65 ans l’âge de départ à la retraite. D’ici là, il ouvrira des concertations à la marge avec les organisations de salariés et le patronat. Mais dès à présent, attaquons-nous aux arguments tronqués du gouvernement pour tenter de convaincre l’opinion du bien-fondé de sa réforme.

 Argument n°1 : Macron a été élu pour faire la réforme des retraites

 Avant de s’attaquer au fond, commençons par la forme. Lundi 26 septembre, à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances en Conseil des ministres, Bruno Le Maire a affirmé à propos des retraites : « il est tout à fait possible de mener une réforme juste et efficace dans un délai raisonnable. Et d’autant plus que le président de la République a reçu un mandat du peuple français pour faire cette réforme ». Et bien… en fait… heu… non !

S’il a bien reçu un mandat, parce qu’il a été élu président de la République au printemps, il n’a pas réellement été mandaté pour réformer les retraites. Revenons cinq mois en arrière. Emmanuel Macron l’emporte face à Marine Le Pen avec 58 % des suffrages exprimés. Outre que l’abstention, les votes nuls et blancs représentent plus 34 % des inscrits, une estimation de l’institut Ipsos-Sopra Steria sortie des urnes souligne que 42 % des électeurs d’Emmanuel Macron au second tour ont voté pour lui pour faire barrage à Marine Le Pen. Au final, il reste moins de 11 millions de votes d’adhésion sur plus de 48 millions d’inscrits. Soit 22,3 % du corps électoral. Et encore, il n’est pas sûr que tous ceux qui ont choisi Emmanuel Macron au premier tour souhaitaient une réforme des retraites.

Le locataire de l’Élysée avait même convenu le soir de sa victoire : « Je sais que nombre de nos compatriotes ont voté pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Ce vote m’oblige pour les années à venir. » Sans grande surprise, cette promesse a été bien vite oubliée.

 Argument n° 2 : les déficits rendent nécessaire la réforme des retraites

Passons de la forme au fond. À l’occasion de la remise du dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), les membres du gouvernement ont insisté sur la nécessité financière de la réforme. « Ce rapport dit que le système de retraites connaît un très léger excédent en 2021-2022, mais que dès 2023 ce sont presque deux milliards d’euros de déficit, en 2027 plus de 12 milliards de déficits, et en 2030 une vingtaine de milliards de déficits. Ces chiffres nous montrent qu’il faut agir pour améliorer le système de retraites et le préserver dans le temps », expliquait Olivier Dussopt, le ministre du Travail, le 20 septembre sur RTL.

Pourtant, ce ne sont pas vraiment les conclusions du COR. À l’inverse, celui-ci affirme que « les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique incontrôlée des dépenses de retraite ». En clair, il y a des déficits, mais dans des proportions maîtrisées. À la place du solde des régimes en milliards d’euros, le COR compte en pourcentage des richesses produites (PIB), « un indicateur déterminant pour évaluer la soutenabilité financière du régime de retraite ». Et là, les variations ne sont pas alarmantes : globalement stable entre 2021 et 2027 (13,8 % à 13,9 % du PIB), la part des dépenses augmenterait entre 2027 et 2032 (14,2 à 14,7 % du PIB) pour se stabiliser ou diminuer à partir de 2032 jusqu’à se situer en 2070 dans une fourchette comprise entre 12,1 % et 14,7 % du PIB. Et encore, l’augmentation de la période 2027-2032 est en partie liée à l’écart entre le taux de chômage prévu par le gouvernement de 5 % et celui projeté du COR à 7 %. Ces deux points de différence induisant en effet un autre niveau de cotisations.

Il reste cependant à déterminer quoi faire avec les déficits annoncés. Ils pourraient être transformés en dette comme bien d’autres dépenses gouvernementales, en considérant qu’assurer des retraites aux travailleuses et travailleurs dans les conditions d’aujourd’hui est une volonté politique. Qu’elle a un coût. Et que celui-ci n’est pas exorbitant. Il serait également possible de jouer sur d’autres paramètres, les dépenses ou les recettes, puisqu’un déficit n’est qu’un déséquilibre entre les deux. Mais nous allons revenir sur ce point essentiel.

 Argument n°3 : pour ne pas baisser les pensions ou augmenter les cotisations, il faut travailler plus longtemps

 Certes, présenté ainsi, aucun retraité ne trouverait grâce à une baisse de sa pension, surtout dans un contexte de forte inflation. Pas plus qu’un salarié ne voudrait voir son taux de cotisation augmenter, ce qui ferait baisser son salaire net. Mais d’autres variables sont envisageables.

C’est un peu enfoncer des portes ouvertes, mais pour réduire un déficit, il faut soit réduire les dépenses, soit augmenter les recettes. Emmanuel Macron en bon libéral a fait son choix : baisser les dépenses publiques en repoussant l’âge de départ à la retraite. Mais la question des recettes du système de retraite reste posée. À ce titre les dizaines de mesures d’exonération de cotisations sociales prises par tous les gouvernements ces dernières décennies ont un coût pour les finances publiques, caisses de retraite incluses, puisque ces exonérations ne sont pas toutes compensées par l’État. En 2019, année avant la crise sanitaire, celles-ci étaient estimées à 66 milliards d’euros par la Cour des comptes, dont 52 milliards de cotisations patronales. La part manquante au financement des régimes de retraite s’élevait à 9,75 milliards. De quoi relativiser la charge pour les dépenses publiques des déficits envisagés par le COR pour les régimes de retraite.

Autre élément sur les recettes, le niveau des cotisations. Aujourd’hui, elles représentent 79 % du financement des retraites (rapport du COR). Sur les 21 % restant, 12 % proviennent de la CSG. Les recettes dépendent donc très fortement du niveau d’emploi, c’est-à-dire du nombre de personnes en activité à partir desquelles salariés et employeurs payent des cotisations. Mais elles dépendent également du niveau des salaires, puisqu’il s’agit d’un pourcentage de celui-ci. De ce point de vue, les excédents des régimes de retraite en 2021 et 2022 présentés dans le rapport du COR sont révélateurs. Le fort rebond de l’activité économique a eu pour effet de repasser dans le vert les comptes en augmentant le nombre de cotisations versées. Même constat pour les comptes de la Sécurité sociale dont le déficit a nettement baissé cette année. Une amélioration en partie due à l’inflation et l’augmentation du SMIC qui a mécaniquement fait grimper le niveau des cotisations salariés et employeurs.

Voilà clairement un paramètre majeur. Et un choix politique. Celui du gouvernement de préférer des primes défiscalisées et désocialisées à une pression sur le patronat pour augmenter les salaires prive toute la protection sociale, retraites incluses, de recettes importantes. La qualité des emplois, trop souvent au ras du SMIC, pèse sur le système de retraite en limitant le niveau des cotisations sociales. Un autre partage de la valeur, en clair de la rémunération de travail et de celle du capital, générerait des recettes qui pourraient faire revenir les comptes au vert.

 Argument n° 4 : il faut travailler plus longtemps pour financer l’école, l’hôpital, etc.

 C’est probablement l’argument le plus fou de la majorité. Et peut-être aussi le plus flou. Pour les uns la réforme des retraites servira à financer l’éducation et l’hôpital. Pour Bruno Le Maire, elle permettra de financer des cadeaux aux entreprises sous forme de fin des impôts de production. Pour d’autres, elle financera le chantier de la dépendance ou la transition climatique. Bref, un peu tout. Mais ici, c’est clairement un mensonge. À ce jour, aux dires de l’exécutif, l’allongement de l’âge de départ à la retraite concernerait les salariés nés en 1966 et après. En clair, des salariés qui liquideraient leurs droits à la retraite, si rien n’était modifié, que dans sept à huit ans. Soit vers 2029 ou 2030. Les économies envisagées étant pour plus tard, comment la réforme des retraites pourrait-elle financer aujourd’hui des réformes à l’hôpital ou dans l’éducation ? En fait, elles ne le pourraient pas.

Mais au-delà de cet élément tronqué, c’est une rupture inédite du pacte social. Jamais à ce jour un gouvernement n’avait proposé de réorienter les dépenses de retraites issues des cotisations sociales vers d’autres types de dépenses de l’État. Et là encore, si l’argent manque pour engager certains chantiers, il faut chercher du côté des choix politiques libéraux du gouvernement qui assèchent les recettes du budget de l’État au profit des plus aisées. Et la liste est longue des manques à gagner en dizaine de milliards annuels : de la suppression de l’ISF à la flat tax qui a baissé les prélèvements sur les entreprises en passant par le CICE qui était censé créer des emplois et a coûté une centaine de milliards. Tout n’est donc que question de choix politique, voire idéologique.

publié le 29 septembre 2022

Pourquoi est-il si difficile de critiquer
la politique d’Israël ?

Latifa Madani sur www.humanite.fr

Géopolitique Les initiatives pour alerter sur la situation en Palestine et avancer vers un règlement du conflit ont du mal à se faire entendre. Comment sortir de cette impasse ?

Critiquer Israël et défendre les droits des Palestiniens deviennent de plus en plus périlleux, alors que la perspective d’une solution politique n’a jamais semblé aussi éloignée. Une proposition de résolution, déposée mi-juillet à l’initiative du député PCF Jean-Paul Lecoq, « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » a suscité une vive polémique.

Le terme apartheid est-il impropre pour qualifier la politique de colonisation israélienne et ses conséquences ?

Nitzan Perelman En Israël, nous utilisons le terme apartheid depuis le début des années 2000. Puis, il y a eu les rapports détaillés et argumentés d’ONG israéliennes comme B’Tselem et Yesh Din et ceux d’organisations internationales (ONU, Conseil de l’Europe) et non gouvernementales (Human Rights Watch et Amnesty International) qui ont démontré que les lois, politiques et pratiques mises en place par les autorités israéliennes ont progressivement créé un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien. L’ONG B’Tselem a observé et démontré que, sur la totalité du territoire, s’exercent des politiques qui favorisent clairement les juifs au détriment des Palestiniens, qui, eux, vivent sous le régime de l’armée israélienne d’occupation. Nous observons aussi un apartheid foncier à l’intérieur même d’Israël. Depuis 1948, pas un seul village, pas une seule ville arabe n’y ont été fondés. À peine 3 % des terres appartiennent aux citoyens arabes. Ils ne peuvent pas vivre ou acheter un terrain ou une maison là où ils voudraient. La loi fondamentale dite de l’État-­nation, votée en juillet 2018, énonce que « l’État considère le développement de la colonisation juive comme un objectif national et agira en vue d’encourager et de promouvoir ses initiatives et son renforcement ». Cela ouvre le droit de confisquer des terres appartenant à des Palestiniens, qu’ils soient de Cisjordanie, de Jérusalem ou citoyens d’Israël. Et c’est ce qui se passe.

Jérôme Guedj Je crois que nous sommes tous sincèrement défenseurs d’une solution à deux États, d’une paix juste et durable, de la sécurité d’Israël et de la défense des droits des Palestiniens. Nous partageons ces objectifs mais pas forcément le chemin pour les atteindre. J’ai l’impression que le sentiment d’échec et d’impuissance à faire aboutir une solution donne lieu à une surenchère qui consiste, avec le terme d’apartheid, à vouloir donner un grand coup de pied, pensant que cela éveillera les consciences. Or, nous devons poser la question des raisons de cet échec, qui laisse l’extrême droite israélienne gagner en partie la bataille culturelle. Au lieu de cela, je trouve hasardeux le parallélisme avec l’Afrique du Sud. Je partage les objectifs, mais je conteste le moyen, pas seulement parce que je le trouve inefficace, mais parce que je le trouve contre-productif et même dangereux.

Pour quelles raisons ?

 Jérôme Guedj Une grille de lecture binaire et globalisante empêche de prendre en compte la complexité de la situation. Le danger le plus important à mes yeux est l’instrumentalisation du débat national par l’usage de ce terme. L’apartheid est défini par l’ONU comme « des actes inhumains commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial sur un autre groupe racial et de l’opprimer systématiquement ». On tombe dans le piège de la racialisation et de l’essentialisation d’un conflit qui est en réalité celui de deux nationalismes légitimes, israélien et palestinien, et non pas celui entre juifs et musulmans. En voulant introduire cette réponse nouvelle, on prend le double risque que le conflit change de nature et qu’on l’importe sur le territoire national. Je ne fais pas de procès d’intention aux militants sincères qui pensent que c’est la bonne manière de faire avancer les choses. Mais en tant que lanceur d’alerte, je mets en garde. Le recours au terme d’apartheid délégitime l’interlocuteur et donne du crédit à ceux qui continuent à poser la question de l’existence même d’Israël. Cette notion est un cheval de Troie. En Afrique du Sud, cela s’est traduit par un renversement du régime. Si vous dites qu’Israël est un régime d’apartheid, par quoi le remplacez-vous ?

Pierre Laurent La fin du régime d’apartheid d’Afrique du Sud n’a pas entraîné la fin de l’Afrique du Sud mais la mise en place d’un autre régime politique. Cela dit, l’usage du terme apartheid dans la résolution qui a provoqué ce débat ne relève d’aucune surenchère. Il s’agit au contraire de sortir du déni de réalité et d’en finir avec l’impunité. Ce mot est revenu récemment au premier plan à propos du conflit israélo-palestinien. J’ai été moi-même très attentif avant de l’utiliser. Ceux qui, comme moi, se sont rendus régulièrement, ces dix dernières années, dans les territoires occupés, à Jérusalem-Est et à Gaza (où j’ai pu entrer, exceptionnellement, avec une délégation parlementaire en juin dernier), ont pu observer une situation de fait d’institutionnalisation d’un apartheid. Nous sommes face à une entreprise de domination et d’oppression systématique, sans perspective de reconnaissance des droits des Palestiniens. La solution à deux États est de plus en plus sabotée par les gouvernements israéliens successifs, qui essaient d’organiser une situation d’irréversibilité pour la rendre impossible. Enfin, le changement de paradigme est le fait de la loi fondamentale dite de l’État-­nation adoptée en juillet 2018 par le Parlement israélien. Elle institue elle-même la discrimination. Intitulée « Israël en tant qu’État-nation du peuple juif », elle stipule dans l’article 1 : « L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservé au peuple juif. »

Jérôme Guedj Que l’on soit d’accord ou pas, rappelons qu’Israël est le foyer national du peuple juif depuis sa création et sa construction. Notre modèle universaliste, je le regrette, ne s’y applique pas.

Nitzan Perelman Si, au niveau international, on évoque encore la solution à deux États, en Israël on ne parle plus de solution, ni même d’occupation. On ne parle même plus de paix, sauf pour dire bonjour (salam shalom). C’est maintenant qu’il faut réagir parce que la situation se dégrade très vite. Cela fait plus de dix ans que les voix critiques contre les gouvernements et contre l’occupation sont délégitimées en Israël même. Les opposants sont taxés de traîtres, d’ennemis intérieurs. Moi-même j’ai hésité pendant des années à utiliser le terme d’apartheid, mais quand on regarde la réalité, on ne trouve pas d’autre mot pour la décrire. Oui, il faut à tout prix éviter de donner une dimension religieuse au conflit. Ceux qui le font sont les dirigeants israéliens eux-mêmes, lorsqu’ils assimilent les Palestiniens aux Iraniens, aux islamistes djihadistes. Ce sont ces voix qui délégitiment ceux qui critiquent Israël en les accusant d’antisémitisme, et c’est cela qui est très inquiétant. Les Israéliens regardent les Palestiniens comme des musulmans (alors qu’il y a des Palestiniens chrétiens…) et non plus comme des citoyens qui revendiquent des droits et un État. Il faut le dire clairement pour que ceux qui sont à l’extérieur en aient conscience.

Pourquoi la Palestine semble-t-elle de plus en plus une cause perdue ?

Pierre Laurent Les Palestiniens sont abandonnés de toute la communauté internationale, des grandes nations, y compris la France qui ne prend plus aucune initiative pour relancer un processus. Avec le projet de résolution qui a soulevé la polémique mais qui demande de l’explication et du dialogue, nous voulons dire la vérité sur une situation extrêmement dangereuse pour les Palestiniens, mais aussi, à terme, pour Israël. Bien sûr, il ne s’agit sûrement pas de transformer le conflit en conflit religieux, mais d’attirer l’attention sur la négation de fait des droits de tous les Palestiniens. C’est extrêmement préoccupant et cela doit être dénoncé. Dans le cas contraire, nous ne rouvrirons pas la voie à une négociation pour une solution politique et pacifique. En juin dernier, avec la délégation sénatoriale, j’étais inquiet d’entendre des dirigeants israéliens de la Knesset dire que, pour eux, le problème palestinien n’est plus le problème essentiel.

Jérôme Guedj L’apartheid est une définition juridique qui fait mention de la domination d’un groupe racial sur un autre. Quel est le groupe racial qui domine un autre groupe racial ? Les Israéliens. Les Palestiniens sont-ils un groupe racial comme le furent, en Afrique du Sud, les Blancs (10 % de la population) et les Noirs (90 % de la population) ?

Nitzan Perelman Rappelons que l’article 1 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination dit que race ou racial inclut la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique.

Pierre Laurent Ajoutons que, de plus en plus, les définitions internationales de l’apartheid vont bien au-delà de la question raciale, elles intègrent les dimensions de domination et d’oppression systématiques et institutionnelles d’un groupe ou d’une partie de la société sur une autre.

Jérôme Guedj Il y a des situations discriminatoires de droit ou de fait en Israël comme malheureusement dans beaucoup d’autres pays. Elles sont plus importantes en Israël. Mais les questions de l’occupation et de la colonisation ont disparu du débat. Elles sont considérées comme un fait acquis, surtout depuis que Donald Trump a validé la logique d’annexion. Faisons front commun pour remettre sur la table ce combat. Mais je persiste à mettre en garde contre les dangers de l’importation de ce conflit chez nous. J’ai le souvenir de la Deuxième Intifada et des cocktails Molotov contre la synagogue à Massy. Je ne veux pas revivre cela.

Pierre Laurent La politique d’Israël conduit à une impasse dramatique pour les Palestiniens et pour les Israéliens, et pour la région tout entière. Dénoncer cela n’est pas sombrer dans la mise en cause d’Israël, ni dans la désignation des juifs comme étant responsables de cette situation. Si nous ne faisons rien, ce sera à nouveau l’explosion car les Palestiniens sont là, ils ne partiront pas.

Comment ne pas abandonner le soutien à la cause palestinienne sans être accusé d’antisémitisme ? Surtout depuis que le Parlement européen ainsi que d’autres pays dont la France ont adopté des définitions qui tendent à assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme.

Jérôme Guedj Les causes internationales perdues et oubliées sont malheureusement nombreuses dans le monde ; les Arméniens du Haut Karabakh, les Ouïghours ou les Yéménites ne sont pas en haut de la pile des priorités internationales. Je ne veux rien exonérer, mais la question de la Palestine ne doit pas être le thermomètre, l’étalon de la qualité des relations internationales ou de la vitalité démocratique. C’est souvent vécu comme tel. On peut et on doit critiquer, mais n’ayons pas la naïveté de ne pas voir qu’il y a un renouveau de l’antisémitisme qui nourrit la détestation d’Israël. Je ne fais pas d’amalgame et j’ai horreur de ce terrorisme intellectuel qui, derrière l’accusation d’antisémitisme, consiste à fermer la porte au débat. Mais, dans le même temps, il y a des gens qui, délibérément, diront « sale sioniste » plutôt que « sale juif ». Il faut comprendre la sensibilité d’une grande partie de nos concitoyens. L’antisémitisme a tué dans notre pays des Français de confession juive. Je rêve qu’il y ait une remobilisation sur l’occupation, la colonisation, l’impunité de certains dirigeants israéliens. Mais ne créons pas de clivages supplémentaires. Je dis cela en défenseur sincère de la cause palestinienne. Parfois, le remède est pire que le mal que l’on veut soigner.

Nitzan Perelman Je suis complètement d’accord au sujet de l’antisémitisme. Surtout, mettons-nous d’accord sur sa définition. Il est alarmant que l’on mette sur le même plan un réel acte antisémite comme agresser un homme parce qu’il porte une kippa et le fait de dire qu’Israël commet des actes de guerre. C’est dangereux car cela vide de sens la notion d’antisémitisme qui renvoie, elle, à des événements très graves dans l’histoire. Par ailleurs, cette confusion paralyse complètement le combat politique contre la colonisation et l’occupation. Désormais, dans la société israélienne, on considère que ceux qui critiquent le gouvernement sont antisémites. C’est un vrai danger auquel il faut prêter attention.

Pierre Laurent La résurgence de l’antisémitisme est une réalité en France, en Europe, dans le monde, de même que la résurgence d’idéologies racistes nauséabondes. Attention à ne pas attribuer cette résurgence à ceux qui défendent la cause palestinienne. Les forces d’extrême droite, qui portent en elles l’antisémitisme historique et qui progressent dans nos sociétés, sont un grave danger. De même que les forces islamistes radicales qui ont perpétré d’horribles attentats sur le territoire français. Mais, parce que nous avons ces combats à mener, je pense que la confusion entretenue entre les défenseurs de la cause palestinienne et les autres alimente le discours en Israël des forces extrémistes de droite, qui utilisent elles-mêmes l’argument d’antisémitisme contre des forces de gauche israéliennes. À mal désigner les causes de la résurgence de l’antisémitisme, on peut non seulement ne pas le combattre, mais désarmer les consciences. Les communistes n’ont jamais failli contre l’antisémitisme, et ils resteront fermes aussi sur la défense des Palestiniens

publié le 27 septembre 2022

Jeudi 29 septembre : grève nationale interprofessionnelle

Paru sur http://www.communcommune.com

Pour les salaires, les pensions, les bourses d’études, les minima sociaux, de vrais services publics : la CGT, la FSU , Solidaires ainsi que les syndicats étudiants et lycéens appellent à une journée de grève et de manifestation le jeudi 29 septembre.

Les mesures gouvernementales annoncées sur le pouvoir d’achat sont en dessous de la situation de paupérisation de la population. La loi votée cet été se contente de poser quelques rustines et, à travers les exonérations de cotisations, ampute le salaire socialisé, fragilisant la protection sociale.

Dans la fonction publique, la revalorisation de 3,5% de la valeur du point d’indice est en deçà de l’urgence à relever l’ensemble des rémunérations de 10% au moins tout de suite pour préserver les conditions de vie de tous.

De même pour les retraités, les 4% de revalorisation des pensions ne correspondent pas à l’inflation, la situation des retraités continue donc de se dégrader.

La crise énergétique pèse déjà fortement sur la population, particulièrement les plus précaires, tandis qu’aucune mesure réelle n’est prise pour une transition écologique juste. Le gouvernement se contente d’incitations à des économies d’énergies culpabilisantes, tandis que d’autres pays européens s’engagent dans la taxation des superprofits des entreprises du secteur énergétique et que d’autres mettent en place des passes ferroviaires gratuits !

Le gouvernement poursuit aussi une politique fiscale qui assèche les comptes de l’Etat au profit des grandes entreprises et au détriment des services publics (santé, éducation,) et du financement de la transformation écologique.

Par ailleurs, il prévoit une réforme de l’assurance chômage qui va à l’encontre du droit des travailleurs de la possibilité d’avoir des indemnisations du chômage justes, une réforme du RSA qui le conditionnerait à une obligation de travailler de 15 à 20h hebdomadaires, et continue d’envisager une réforme des retraites qui exigerait de travailler davantage et pourrait conduire à amputer encore davantage le montant des pensions.

En ce qui concerne les jeunes et leurs familles, les aides (bourses, ARS) ne sont pas suffisantes pour compenser l’inflation. Une revalorisation significative des bourses scolaires et de l’ARS est nécessaire pour pallier le prix de la rentrée (qui avec l’inflation a grimpé de 5 à 10 %). De plus, trop peu de familles bénéficient de cette aide en raison du plafond de ressources à ne pas dépasser. 

C’est pourquoi la CGT, l’Union syndicale Solidaires, la FSU, l’UNEF, la VL, la FIDL et le MNL appellent dès à présent à une journée de grève interprofessionnelle le jeudi 29 septembre qui doit s’inscrire dans une mobilisation large et dans la durée.

publié le 27 septembre 2022

Italie : l’abstention
a fait le match

Romaric Godin et Donatien Huet sur www.mediapart.fr

La victoire de la droite et de l’extrême droite en Italie en sièges cache une stabilité de son électorat. L’Italie n’a pas tant viré à droite sur le plan électoral que dans une apathie et une dépolitisation dont le post-fascisme a su tirer profit.

À première vue, la victoire de la droite et de l’extrême droite en Italie ressemble à un raz-de-marée. La coalition de « centre-droit » regroupant principalement Forza Italia (FI) de Silvio Berlusconi, la Lega de Matteo Salvini et Fratelli d’Italia (FdI) de Giorgia Meloni obtient une confortable majorité en sièges dans les deux assemblées du Parlement italien, tant à la Chambre qu’au Sénat.

En termes de voix, le raz-de-marée apparaît du même ordre : la coalition cumule 43,84 % des suffrages exprimés au niveau national (hors Val d’Aoste et Italiens de l’étranger) à la Chambre et 44,10 % au Sénat. Un tel score renvoie le centre-gauche à plus de 18 points. Le scrutin uninominal qui permet d’élire les candidats arrivés en tête vient confirmer la vague : 49 sièges sénatoriaux sur 67 attribués au scrutin uninominal vont au « centre-droit », ainsi que 116 sur 146 à la Chambre (l’intégralité des sièges n’est pas encore attribuée au moment de la rédaction de cet article).

Quels mouvements dans l’électorat ?

Pourtant, les mouvements n’ont pas forcément eu lieu là où on le croit. Lorsque l’on compare en nombre de voix obtenues les scores des coalitions en lice, on constate effectivement un autre paysage. En 2018, la coalition de droite et d’extrême droite était arrivée en tête avec 37 % des voix à la Chambre et 12 152 345 voix. Quatre ans plus tard, ce score est extrêmement proche en nombre de voix : 12 289 518 voix. Le gain est donc très faible.

Ce fait vient mettre en doute l’image d’un net « virage à droite » de l’électorat italien. Il y a bien une croissance des voix en faveur du « centre-droit », mais la hausse reste réduite, et nullement en phase avec l’idée d’un raz-de-marée. D’autant que si ce score de 2018 était supérieur de près de 3 millions de voix à celui de 2013, il était encore très éloigné des scores du « centre-droit » de la grande époque de Silvio Berlusconi : 17,4 millions de voix en 2008, près de 19 millions en 2006 et 18,4 millions en 2001.

Autrement dit, historiquement, le score de la droite italienne ce 25 septembre n’a rien d’exceptionnel, loin de là. D’ailleurs, les trois oppositions cumulées (centre-gauche, Mouvement 5 Étoiles et « troisième pôle » centriste) à ce bloc sont presque majoritaires.

Ce qui est frappant, par ailleurs, c’est que cette relative stabilité en voix se retrouve aussi pour le centre-gauche. L’alliance autour du Parti démocrate avait, en 2018, obtenu 7 372 072 voix pour le scrutin de liste à la Chambre, ce qui représentait alors 22,45 % des suffrages exprimés. Il faut y ajouter la liste de gauche indépendante « Liberi e Uguali » (LeU) qui obtenait 1 114 799 voix (soit 3,99 % des exprimés) et qui était, cette fois, intégrée à l’alliance de centre-gauche sous l’étiquette Sinistra Italiana-Verdi (Gauche italienne et Verts). En tout, donc, 8,49 millions de voix.

En 2022, la coalition de centre-gauche peut revendiquer 26,12 % des suffrages exprimés, mais avec un nombre de voix très proche de celle de 2018 : 7 327 135. En ajoutant les centristes du Terzo Polo (TP), autour de Matteo Renzi et Carlo Calenda, qui étaient encore en 2018 dans le PD et qui ont obtenu 7,8 % des voix et 2,2 millions de voix cette année, on obtient 9,49 millions de voix, soit un million de plus qu’en 2018 ; cette hausse profite uniquement au Terzo Polo. L’alliance autour du PD perd en réalité près d’un million de voix.

La centralité de l’abstention

Le sentiment est donc bien qu’il n’y a pas eu de grands mouvements ni à droite ni à gauche. Les flux de voix ont profité principalement aux centristes, qui étaient absents en 2018, mais ces derniers réalisent cependant un score somme toute médiocre et bien inférieur à celui de la coalition autour de Mario Monti qui, en 2013, avait frôlé les 10 %.

Mais le fait majeur de cette élection, c’est que l’effondrement du vote Mouvement 5 Étoiles (M5S) est allé principalement alimenter l’abstention. Et c’est ce double fait qui a placé la droite en tête partout, sans qu’il y ait eu besoin d’un mouvement massif d’électeurs vers ses listes et ses candidats. La seule condition à cette traduction directe était l’absence d’unité en face. L’impossible entente entre le PD et le M5S et la décision du Terzo Polo de faire cavalier seul ont rendu impossible tout autre scénario que la victoire de la droite.

Le mouvement fondé par Beppe Grillo, désormais dirigé par l’ancien président du Conseil Giuseppe Conte, obtient ce 25 septembre 4 323 444 voix, soit 15,41 % des exprimés contre 10 732 066 voix (et 32,68 % des voix) voilà quatre ans. Ces 6 millions d’électeurs sont allés massivement grossir le rang des abstentionnistes. Ce scrutin du 25 novembre est en effet le plus délaissé de l’histoire de la République italienne avec une participation de 63,9 % des inscrits, contre 72,94 % en 2018, qui était déjà la plus faible de l’histoire.

Cette baisse de 9 points de la participation représente près de 5 millions de voix. Et l’on voit clairement une corrélation entre l’abstention et le fort vote M5S en 2018, puisque c’est dans les bastions du sud du pays que l’abstention baisse le plus : toutes les régions méridionales affichent des taux de participation inférieurs à 60 %. La hausse de l’abstention atteint 15 points en Campanie (région de Naples) et en Sicile, 14 points en Calabre (où la participation n’est que de 50,8 %), 12 points dans les Pouilles et en Sardaigne.

Dans ces conditions, le fait majeur a bien été le désintérêt pour cette élection. C’est ce désintérêt, qui s’est traduit en abstention, qui a permis la victoire du centre-droit. Et c’est un élément qui était palpable tout au long de cette campagne courte et qui a eu peu d’impact sur le terrain : une grande partie de la population italienne se sent envahie par un sentiment d’impuissance du politique et par un rejet de l’offre politique.

En cela, le chemin depuis le centre-gauche vers le M5S et l’abstention d’une partie de cette population semblent logiques. Désabusés par une gauche néolibérale incapable de proposer des alternatives, certains avaient pu voir dans le M5S une possibilité de faire de la politique autrement. Mais la participation de ce dernier au jeu gouvernemental, ses errances multiples (soutenant un temps le durcissement de la politique migratoire, puis défendant et lâchant Mario Draghi) et ses divisions depuis 2018 ont mené à ce sentiment d’impasse qui, pour beaucoup, se traduit par l’abstention.

Ce sentiment s’est renforcé avec la crise inflationniste, alors même que la rhétorique de défense des libertés et des droits, développée notamment par le chef du PD Enrico Letta, n’a pas réellement conduit à une mobilisation massive. C’est donc un phénomène complexe mêlant des causes conjoncturelles et structurelles qui a conduit à cette abstention et, partant, au triomphe de la droite et de l’extrême droite.

Le glissement à droite de la coalition de centre-droit

Pour autant, il s’est bien passé quelque chose de majeur ce dimanche en Italie. Non pas tant au niveau des blocs qu’au sein même des blocs. À droite, Fratelli d’Italia a englouti l’immense partie des électeurs de la droite italienne telle qu’elle s’était constituée depuis le milieu des années 1990. Fratelli d’Italia, sur le scrutin de liste de la Chambre, passe de 4,1 % en 2018 à 26,01 % ce dimanche. En nombre de voix, cela représente près de 6 millions d’électeurs.

Parallèlement, Forza Italia (FI) recule de 14,4 % à 8,1 % et perd près de 2 millions de voix. FI est un parti désormais lié à un homme âgé, Silvio Berlusconi, et, comme le programme économique de Giorgia Meloni était proche, la fuite des électeurs était inévitable. Mais le coup est surtout rude pour la Lega de Matteo Salvini. Premier parti de droite en 2018 avec 17,6 %, il perd cette fois près de la moitié de son électorat, pas loin de 3,2 millions de voix, en retombant à 8,8 % des voix.

C’est une véritable gifle pour l’ancien ministre de l’intérieur qui, en 2013, avait repris une Lega exsangue à 4,09 % des exprimés. Il en avait fait un parti non plus régional, mais national, jouant sur l’insécurité, l’identité italienne et la peur de l’immigration. En 2018, le succès était en apparence total. Au point que, dans les premiers temps de l’alliance avec le M5S, en 2018-2019, la Lega était donnée par les enquêtes d’opinion premier parti d’Italie à 30 %. Mais Matteo Salvini a ouvert une boîte de Pandore.

Giorgia Meloni a pu profiter d’un débat centré sur les obsessions de l’extrême droite, tout en affichant un profil plus cohérent de nationaliste italienne, et non pas d’ancienne régionaliste, et en jouant le contre-pied où elle le jugeait utile : sur la guerre en Ukraine, par exemple, elle a développé un profil très atlantiste permettant de mettre en exergue les soupçons de collusion de la Lega avec Moscou. Enfin et surtout, FdI a pleinement profité de son opposition au gouvernement Draghi que FI et la Lega ont soutenu. Elle a ainsi pu apparaître comme le principal véritable parti d'opposition. 

Le résultat est que Fratelli d’Italia est apparu comme plus cohérent et plus sérieux que ses partenaires. La Lega a alors commencé à reculer. Le score de dimanche est un désastre pour Matteo Salvini, qui se voyait il y a encore un an et demi au palais Chigi, le Matignon italien. Certes, Giorgia Meloni aura besoin de lui pour former un gouvernement, mais il sera un partenaire mineur, équivalant à Forza Italia.

Le parti est d’ailleurs fortement atteint dans ses bastions. En Lombardie, il tombe à 13,87 %, contre 28,05 % en 2018 et 27,6 % pour FdI. C’est presque autant qu’en 2013, année terrible pour la Lega. En Vénétie, il se limite à 14,6 % des exprimés au Sénat, loin des 31,8 % de 2018. De son côté, FdI s’impose dans cette région en passant de 4,2 % à 32,8 %. Certes, la Lega conserve des scores entre 5 et 10 % dans le reste de l’Italie, mais la question de l’identité politique du parti va nécessairement se poser. Et certains dans le parti, à commencer par le très populaire président de la région Vénétie, Luca Zaia, vont sans doute demander des comptes à Matteo Salvini.

La bascule en faveur de FdI se traduit donc par une emprise sur les voix de droite. Le parti est en tête de la droite partout dans le pays, sauf dans une circonscription de Calabre qui va à Forza Italia. Giorgia Meloni a su profiter des faiblesses de ses partenaires. Elle recueille là les fruits d’un travail engagé par ces deux alliés, par Berlusconi d’abord, qui a banalisé les post-fascistes avec Gianfranco Fini, dès les années 1990, et a joué pleinement la bataille culturelle contre la gauche, et par Matteo Salvini, qui a pensé pouvoir prendre la place du FN/RN en France, mais a déroulé le tapis rouge à FdI.

Le PD encore affaibli, le M5S rassuré

Du côté de la nouvelle opposition, le bilan est préoccupant. Le centre-gauche mené par le PD est affaibli. On a vu qu’il a perdu près de 1,5 million de voix en intégrant le score de 2018 de l’alliance sur sa gauche. Enrico Letta n’a jamais vraiment convaincu, en dépit d’une volonté de dramatiser l’enjeu de l’élection. Le PD, même allié à la gauche italienne, ne parvient pas à reprendre le terrain qu’il a perdu entre 2013 et 2018, avec les gouvernements Renzi et Letta.

Certes, il parvient à résister dans quelques bastions : en Émilie-Romagne, autour de Bologne et Reggio Emilia, ou en Toscane, autour de Florence.

Mais dans ces deux régions, la droite est en tête au niveau global et le nombre de voix de la coalition, lorsqu’on le compare au score centre-gauche et LeU en 2018 est en recul net : 200 000 voix en Émilie-Romagne et 100 000 voix en Toscane. Et au scrutin uninominal, la plupart des circonscriptions échappent au centre-gauche. Le PD et ses alliés semblent désormais des forces majeures surtout dans les centres urbains. Ce sont dans ces centres que les rares élus directs de la coalition ont été glanés. C’est le cas à Milan, à Turin, à Bologne, à Florence et à Rome.

Le fait majeur pour le PD et ses alliés est donc son incapacité à profiter de l’effondrement du M5S tout en perdant un peu de terrain au profit du « troisième pôle » centriste. La coalition ne parvient ainsi pas à reprendre deux anciens bastions de la gauche passés à droite en 2018 avec un M5S fort, comme l’Ombrie et les Marches.

Quant au Mouvement 5 Étoiles, on l’a dit, il s’effondre, passant au niveau national de 32,68 % à 15,42 %. Pourtant, le mouvement a quelques raisons de se réjouir. Compte tenu des scores qui lui étaient promis par les sondages, ce résultat est plutôt positif, quand bien même il est inférieur à celui de 2013 (25,56 %). L’épreuve du pouvoir a été rude pour le mouvement qui, néanmoins, y a gagné un nouveau chef, Giuseppe Conte.

Et celui-ci a fait une campagne très active ces dernières semaines, pour tenter de limiter les dégâts. Il a répondu notamment aux attaques d’Enrico Letta sur la chute de Mario Draghi qu’il a provoquée et a mis en avant un programme social en évitant la dramatisation d’un retour au fascisme. Cela lui a permis de tenir bon et de rester le troisième parti du pays, pas très loin d’ailleurs du PD (qui a obtenu 19 % au scrutin de liste national).

L’autre aspect positif pour le M5S, c’est qu’il confirme son ancrage dans le Mezzogiorno. Malgré l’importance de l’abstention et les pertes qu’elle suppose pour le M5S dans cette partie du pays, les ex-« grillistes » remportent 10 sièges directs à la chambre et 5 au Sénat, principalement dans l’agglomération napolitaine, dans les Pouilles et autour de Palerme en Sicile. Le M5S est d’ailleurs le premier parti de la région Campanie et il est second derrière le centre-droit partout ailleurs dans le sud et en Sicile.

Enfin, la scission du M5S menée par le ministre des affaires étrangères Luigi Di Maio, qui s’était allié sur une ligne centriste avec le PD, a échoué avec fracas. À Naples, ce dernier est battu sèchement par son ancien camarade de parti, Costa Sergio, par 39,7 % contre 24,4 %. Dans cette circonscription, le parti de Luigi Di Maio n’obtient que 2,38 % des voix. Et au niveau national, son score est de 0,6 %.

Cela signifie qu’il n’y a pas de flux du M5S vers le centre-gauche. Et si les électeurs qui ont abandonné le M5S se sont réfugiés dans l’abstention, c’est qu’ils ne souhaitent toujours pas voter pour le PD et ses alliés ou pour la droite. Autrement dit, ils constituent une réserve potentielle pour le M5S. Reste désormais à Giuseppe Conte de construire une nouvelle identité pour le mouvement, mais il est parvenu à sauvegarder une base de reconstruction.

À l’issue de ces élections, on ne constate donc pas une droitisation de l’électorat qui serait reflétée par la droitisation du Parlement. Le mode de scrutin et l’abstention ont permis à une droite radicalisée, mais globalement stable, de l’emporter largement en sièges. Mais dans les faits, l’Italie reste coupée en trois, comme depuis 2013. Avec une nuance, désormais plus claire : le PD et ses alliés dominent l’opposition à la droite au nord et au centre, le M5S dans le sud.

Reste maintenant à tirer les leçons de ce scrutin sur le plan politique. L’incapacité du PD à s’imposer comme une opposition crédible a déjà entraîné l’annonce du retrait d’Enrico Letta. Le débat à venir devra résoudre une équation difficile : parvenir à redonner au PD une dynamique qui parvienne à convaincre les électeurs du M5S et les abstentionnistes. C’est un débat fondamental et il n’est pas sûr que ce parti en soit capable.

À droite, la question va également se poser pour la Lega. Mais elle est encore plus difficile. Après le scrutin, Matteo Salvini a annoncé qu’il était « déçu » mais ne « démissionnait pas ». L’inévitable règlement de comptes dans ce parti devra être suivi de près, car il doit aussi déterminer l’orientation de la Lega et sa place dans le futur gouvernement Meloni.

Romaric Godin et Donatien Huet

Cet article a été réalisé avec les données du ministère de l’intérieur italien. Au moment de sa rédaction, 99,95 % des bureaux de vote avaient transmis leurs résultats, mais une répartition définitive des sièges n’était pas encore disponible. 

Sauf précision contraire, les pourcentages concernent le scrutin en Italie, hors du Val d’Aoste et des Italiens de l’étranger, qui ont un mode de scrutin particulier.

publié le 25 septembre 2022

Pourquoi la CGT passe son tour pour la marche du 16 octobre

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Mobilisations. À la suite des refus de Force ouvrière, Solidaires ou de la FSU de participer au 16 octobre, Philippe Martinez a aussi pris position. Il considère que la journée de grève et de manifestation du 29 septembre affiche des mots d’ordre plus clairs et des modes d’action plus efficaces. Les organisateurs de la marche nationale appellent le syndicat à poursuivre les réflexions communes.

Philippe Martinez a devancé l’appel. Sans attendre le prochain rendez-vous du 4 octobre des organisateurs de la « marche contre la vie chère et l’inaction climatique », le secrétaire général de la CGT a annoncé que son syndicat ne participera pas au défilé du 16 octobre.

Une prise de position entendue par les partis de gauche et associations citoyennes et environnementales, parties prenantes ou non de cette initiative, qui appellent à poursuivre les discussions pour de futures mobilisations.

Pour le leader de la CGT, la priorité demeure la journée interprofessionnelle sur les salaires, initiée par sa confédération, la FSU, Solidaires et par des organisations de jeunesse. « Il faut réussir la mobilisation du 29. Et nous avons besoin de mots d’ordre clairs. Il est question d’une “marche contre la vie chère”, à laquelle on a ajouté “contre l’inaction climatique” pour des questions d’élargissement de cette manifestation. Les mots d’ordre doivent être plus offensifs », a-t-il expliqué sur LCI.

Pour Aurélie Trouvé, députée FI, l’absence du syndicat ne remet pas en cause l’action du 16 octobre.

À la suite des refus de Force ouvrière, Solidaires ou de la FSU de participer au 16 octobre, Philippe Martinez réaffirme l’autonomie de l’action syndicale. « Nous acceptons les soutiens politiques. Mais, de tout temps, l’action collective et notamment la grève ont été les meilleurs moyens de pression pour obtenir la satisfaction de nos revendications », pointe le responsable syndical, qui doute par ailleurs de la capacité matérielle des non-Parisiens à participer à la marche nationale de mi-octobre dans les rues de la capitale.

Prochain point d’étape entre partis et syndicats : le 4 octobre

Pour Aurélie Trouvé, députée FI, l’absence du syndicat ne remet pas en cause l’action du 16 octobre. « On avait bien dit que nous soutenions toutes les autres initiatives et que cette marche était complémentaire. Mais, en l’état, aucune autre initiative prévue un dimanche n’est annoncée pour permettre la participation du plus grand nombre. Or, des attaques extrêmement violentes vont arriver sur les retraites, l’assurance-chômage… On ne bougera pas les choses que depuis l’Assemblée nationale. Ça passera aussi par la rue. »

L’élue insoumise donne rendez-vous à la CGT au prochain point d’étape, prévu le 4 octobre entre partis, syndicats et associations, sur les mobilisations. Idem pour Hélène Hardy, d’EELV, qui relève la difficulté d’établir « des liens entre, d’un côté, la recherche des syndicats de gains concrets, sur les salaires comme sur les conditions de travail ; de l’autre côté, la recherche de solutions plus globales portées par les mouvements politiques. Or, les revendications salariales et la lutte contre l’inactivité climatique avec la taxe sur les superprofits constituent les deux faces d’une même réponse à la vie chère. Le rapprochement entre partis et syndicats est un mouvement lent, qui ne se limitera pas au 16 octobre ».

Christian Picquet voit lui aussi plus loin. Pour le membre du PCF qui « n’appelle pas en l’état à la marche du 16 octobre, rien ne peut se faire sans le succès des mobilisations du 29. Des réunions vont avoir lieu ensuite. Il faut tout faire pour appeler les partenaires de la Nupes et les participants au 16 octobre à un rassemblement plus large, sans aucun préalable sur les revendications et les formes de participation. »

publié le 25 septembre 2022

L’inflation, symptôme d’un modèle néolibéral
en bout de course

par Pierre Khalfa et Jacques Rigaudiat sur www.fondation-copernic.org

(les intertitres sont du site 100paroles.fr)

Pourquoi l’inflation, disparue depuis 40 ans, revient-elle en force ?

L’inflation est de retour. En comprendre les raisons suppose, avant tout, de savoir pourquoi elle a été quasi absente ces dernières décennies. Avec la rupture introduite par le néolibéralisme dans les années 1980 et la mondialisation qui l’a accompagnée s’est mis en place un modèle économique bien particulier. Basé sur la création de valeur pour l’actionnaire, il vise à réduire les coûts par tous les moyens possibles avec une priorité absolue donnée à l’augmentation des profits. Cela a conduit à une « modération salariale » généralisée dans les pays développés, à la délocalisation de nombre d’activités productives dans des pays à bas salaires, au chômage donc et à l’éclatement des process de production en de multiples segments de « chaînes de valeur ». Ceci s’est combiné avec une politique de zéro stock et une organisation en flux tendus, supposée permettre de répondre en temps réel aux besoins des consommateurs, alors qu’il ne s’agit que de limiter le capital immobilisé.

Cette chasse aux coûts a pour objectif de garantir aux actionnaires des multinationales une distribution de dividendes conséquente, en augmentation quasi constante, en dépit de la faiblesse extrême des gains de productivité. Mais elle a aussi permis des prix bas et stables pour les consommateurs, ce qui compensait en partie la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée, les banques centrales augmentant leurs taux d’intérêt au moindre soupçon inflationniste. Tout le monde était censé y trouver son compte, sauf évidemment les impératifs écologiques, mis à mal, entre autres, par le développement vertigineux du transport des marchandises. Sauf, aussi, les salariés, ceux des pays du Sud, qui travaillent dans des conditions d’exploitation inouïes, comme ceux du Nord, qui, outre qu’ils doivent faire face au chômage, voient leurs droits réduits progressivement au nom de la compétitivité et doivent s’endetter pour faire face à la stagnation salariale.

C’est ce modèle qui est en train de craquer sous nos yeux. La crise financière de 2007-2008, suivie par la grande récession de 2009 avait déjà laissé les économies européennes dans un état exsangue, malgré le fait que la Banque centrale européenne (BCE) ait inondé les marchés financiers de liquidités et mis en œuvre des taux d’intérêt réels (défalqués de l’inflation) négatifs. La politique d’austérité, plus ou moins massive suivant les pays et les rapports de forces sociaux, a débouché sur une quasi-stagnation de l’activité économique. Avant même, donc, la crise sanitaire, les économies développées donnaient de très sérieux signes de fatigue.

Les erreurs d’analyse des économistes libéraux

La Covid-19, puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, sont analysées par les économistes mainstream comme des chocs exogènes dont les conséquences sont certes gênantes, mais se résorberont dans le temps. Tout devrait donc, selon eux, rapidement revenir à la normale. C’est oublier que la crise sanitaire est à rebondissement, car elle touche « l’usine du monde », la Chine, et que les problèmes géopolitiques créés par la guerre en Ukraine ne sont pas prêts de se résorber. La désorganisation des chaines de production, les goulets d’étranglement, les pénuries de matières premières, de composants électroniques, de pièces détachées se combinent avec une crise énergétique, aggravée par la folie spéculative, pour alimenter la hausse des prix. L’augmentation des prix du pétrole est due à une politique de restriction de l’offre organisée sciemment par l’OPEP et la Russie, qui veulent profiter de prix élevés à la veille d’une transition énergétique qui les pénalisera et limite d’ores et déjà les investissements dans le secteur. Enfin, le péril climatique se combine avec la crise géopolitique pour aggraver les pénuries alimentaires sur des marchés agricoles non régulés. Les périls sont encore devant nous.

Cette augmentation des prix est entretenue, non par une boucle prix-salaires comme voudraient nous le faire croire les gouvernants – les salaires réels (défalqués de l’inflation) baissent – mais par une boucle prix-profits. Jamais les dividendes versés aux actionnaires et les rachats d’actions, dont l’objectif est d’en faire monter les cours, n’ont été aussi importants. Les entreprises répercutent les augmentations de prix améliorant leur marge au passage ; l’exemple des raffineurs dont le taux de marge a été multiplié par plus de 2300 % en un an en est l’exemple caricatural. Et que dire du prix de l’électricité tiré par celui du gaz, alors même que celui-ci n’a qu’une place extrêmement réduite dans le mix français …

La désorganisation des chaines industrielles risque d’autant plus de se pérenniser, et avec elle, l’inflation, que nous sommes dans une situation où commence à se mettre doucement (trop) en route la transition vers une économie décarbonée. L’impossibilité de coordonner réellement l’offre et la demande, par exemple des métaux rares ou des puces électroniques, entraine de multiples déséquilibres sectoriels qui, tous, génèrent une hausse des prix. S’entremêlent donc pour expliquer la situation actuelle des causes conjoncturelles, liées à des évènements précis (crises sanitaire et géopolitique), et des causes structurelles, liées à l’impasse dans lequel se trouve le néolibéralisme.

Les fausses solutions des gouvernements occidentaux

Dans cette situation, la réaction des pouvoirs publics vise avant tout à éviter de remettre en cause ce qui est l’essence du modèle néolibéral : la priorité absolue donnée aux profits des entreprises. Il s’agit donc, d’abord, d’éviter la hausse des salaires. Les gouvernements laissent filer à la baisse en termes réels les revenus fixes (salaires, pensions, minimas sociaux), se contentant au mieux de mesures d’accompagnement limitées, leurs pseudos « boucliers », qui sont loin de compenser les pertes de pouvoir d’achat. Face à cette situation, les banques centrales augmentent, leurs taux d’intérêt, ou s’apprêtent à le faire. Cette réaction est à la fois inefficace et dangereuse. Inefficace, car on ne voit pas comment des légères augmentations de taux pourraient casser une inflation dont la racine vient non d’une demande qui explose, mais, au contraire, de pénuries liées à des problèmes d’offre. Pour que cela puisse être efficace, il faudrait mettre en œuvre une thérapie de choc, telle que l’avait fait le président de la Fed Paul Volcker – le taux directeur réel de la Fed était passé de 1,8 % en 1980 à 8,6 % en 1981 – mais cela entraînerait une crise généralisée de la dette, une récession massive et brutale et rendrait encore plus difficile la transition écologique en freinant fortement l’investissement. Elle serait, de plus, dangereuse, car même si les taux réels restent encore largement négatifs, le signal psychologique donné sera désastreux, alors même que le PIB en termes réels baisse en Europe, ainsi qu’aux États-Unis, et qu’une crise financière pointe son nez avec le krach pour l’instant rampant des places boursières. L’augmentation des taux ne peut aujourd’hui en rien être la solution pour réduire l’inflation.

Ce qu’il conviendrait de faire

Que faire alors ? Tout d’abord protéger la population par un blocage et un contrôle des prix, au-delà même des augmentations de salaire nécessaires. Cela est d’autant plus possible que, pour nombre de produits, nous avons affaire à des prix administrés par des entreprises en situation oligopolistique. Une baisse des taxes à la consommation (TVA, TICPE) ne peut se concevoir que dans une réforme fiscale d’ensemble, seule à même de redonner des marges de manœuvre à la puissance publique et de rétablir une justice fiscale aujourd’hui mise à mal. Au-delà, il faut s’engager à marche forcée dans la transition écologique, ce qui suppose des investissements massifs. Ils devront viser tant la recherche d’une meilleure efficacité énergétique, – ce qui vaudra pour l’industrie, comme pour le logement -, et la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. Cela suppose une planification écologique, mais aussi, on l’oublie trop souvent, une politique monétaire qui soit mise au service de cette transition.  Autrement dit, des taux d’intérêt réels négatifs, le prolongement des achats de titres publics par la BCE, des facilités de crédit particulières pour les secteurs industriels engagés dans la transition écologique et la poursuite d’une politique d’emprunt européen pour l’accompagner.

L’objectif d’un retour à une inflation maitrisée ne signifie donc pas faire de la stabilité des prix l’alpha et l’oméga de la politique économique et monétaire. Se focaliser sur le seul chiffre magique de 2 % d’inflation, comme l’a fait pendant des décennies la BCE sous l’emprise des théories monétaristes, ne peut que mener à une situation déflationniste. Ce serait tomber de Charybde en Scylla.

Pierre Khalfa et Jacques Rigaudiat, économistes, membres de la Fondation Copernic

publié le 23 septembre 2022

De la Suède à l’Italie,
la résistible ascension
de l’extrême droite européenne

par Emma Bougerol sur https://basta.media/

Partout en Europe, l’extrême droite gagne du terrain. En Suède, le parti nationaliste, deuxième force politique après les législatives, pourrait bientôt jouer un rôle central. À Rome, les post-fascistes de Frères d’Italie s’approchent du pouvoir.

Drapeau dans une main, banderole dans l’autre. Au milieu des cabanons de campagne des partis politiques, à Stockholm, le groupuscule « Mouvement de résistance nordique » s’installe. L’organisation néonazie attire les regards des passants, en cet après-midi de début septembre. Les élections législatives se déroulent dans quelques jours. « Vous pouvez voter pour nous à cette élection, se vante l’un des militants en treillis. On ne croit pas en la démocratie, mais c’est bien que les gens puissent nous voir. » Ils passeront quelques heures sur la place, à distribuer des tracts, sous le regard attentif de la police suédoise. « C’est terrifiant. Il y a quelques années, c’était impensable de voir des gens ouvertement vanter ces idées », commente Gabriella, militante sociale-démocrate.

Quelques jours plus tard, la montée des idées d’extrême droite se concrétise dans les urnes : le parti des Démocrates de Suède, fondé par des nationalistes et des néonazis à la fin des années 1980, réalise 20 % des voix, derrière les sociaux-démocrates. Il permet à la coalition de droite, dont il fait partie, de battre sur le fil le bloc de gauche (sociaux-démocrates, écologistes et gauche radicale). L’extrême droite pourrait ainsi entrer au gouvernement. La négociation est encore en cours avec les autres partis de droite. Quoiqu’il arrive, l’extrême droite aura une influence importante au sein de l’alliance avec les conservateurs, les démocrates-chrétiens et les libéraux. On pensait le pays scandinave fief inébranlable de la social-démocratie. Le parti d’extrême droite est désormais la deuxième force politique du pays.

Aujourd’hui la Suède, demain l’Italie ?

Les élections italiennes arrivent à grands pas, et la perspective est tout aussi sombre. Georgia Meloni, cheffe du parti d’extrême droite les Frères d’Italie (Fratelli d’Italia) est en bonne position dans les sondages. À la fin de l’été, elle était créditée de près de 25 % des intentions de vote pour les élections anticipées du 25 septembre [1]. Elle envisage une alliance avec la Ligue du Nord, parti de Matteo Salvini également à l’extrême droite, et Forza Italia, le parti (très) à droite de l’ancien Premier ministre Silvio Berlusconi. Leur coalition pourrait, comme en Suède, obtenir la majorité, et Georgia Meloni est bien placée pour devenir la prochaine présidente du Conseil.

« Le mouvement néonationaliste prétend que les questions climatiques sont un canular ou, pour les moins extrêmes, que c’est la Chine ou l’Inde qui doit résoudre le problème »

En Suède, la campagne a été largement dominée par les thèmes de l’insécurité et de l’immigration, les sujets de prédilection de l’extrême droite, particulièrement depuis 2015. Les problématiques d’intégration des immigrés, en particulier ceux originaires du Moyen-Orient, sont utilisées pour expliquer l’augmentation des règlements de compte entre gangs, le plus souvent liés au trafic de drogue. Si la criminalité demeure faible, les fusillades entre gangs défraient la chronique. Plus d’une quarantaine de personnes, des jeunes de quartiers pauvres, ont été tuées au cours de ces règlements de compte. À droite comme à gauche, les partis se sont saisis de ses questions et ont durci leurs positions sur l’immigration. « Aborder les thèmes de l’extrême droite les légitime dans l’espace médiatique », analyse Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques et spécialiste de l’extrême droite.

La fin du « cordon sanitaire » entre droite et extrême droite

La montée en puissance de l’extrême droite a fini par submerger la digue qui la dissociait de la droite classique. « La droite conservatrice traditionnelle est en grand danger de disparaître. Elle n’a absolument pas pris la mesure du phénomène et se retrouve dans une position d’affaiblissement. Dans la majorité des pays, elle perd son leadership. » Pour s’assurer une place au pouvoir, cette droite en déclin envisage désormais tranquillement une coopération plus ou moins approfondie avec l’extrême droite. C’est la fin du « cordon sanitaire ». Il y a encore quatre ans, en Suède, il était impensable de négocier avec les nationalistes. « À moins que le ciel nous tombe sur la tête », le leader de la droite traditionnelle Ulf Kristersson avait juré ne jamais travailler avec les Démocrates de Suède. Mais en Suède, comme en Italie, la politique se fait par alliances. Pour la droite scandinave, il était impossible de former une coalition majoritaire sans eux. Alors les grands principes ont été mis de côté. L’extrême droite est désormais présentée comme «  respectables ». Les fondateurs néonazis à l’origine du parti sont négligemment oubliés.

« Il y a une normalisation des idées traditionnelles de l’extrême droite, et pas seulement en Suède, explique Jan Christer Mattson, sociologue à l’université de Göteborg (Suède). Les organisations que nous avions l’habitude d’appeler "extrémistes" étaient les Démocrates de Suède, tout comme le Front national... Nous avons désormais cessé de les appeler ainsi. Non pas parce qu’ils ont changé d’idéologie, mais parce qu’ils se sont fondus dans le débat public. »

« Sverige ska bli bra igen » (La Suède va redevenir bien), « Make America great again » (Redonnons sa grandeur à l’Amérique), « Pronti a risollevare l’Italia » (Prêts à relancer l’Italie) … Les slogans des candidats d’extrême droite font appel à la même nostalgie d’un pays dominant. Ils surfent sur le mythe du déclin et promettent d’inverser la tendance. « Il y a des similitudes sur la question européenne et celles du triptyque identité-insécurité-immigration pour tous ces partis en Europe, souligne Anaïs Voy-Gillis, chercheuse spécialiste des partis nationalistes européens. En revanche sur le plan économique, les démocrates de Suède sont plus proches du RN que des partis italiens. »

En parallèle, les groupes encore plus extrêmes se font de plus en plus remarquer. En témoignent la multiplication des projets d’attentats et des violences de plus en plus fréquentes. Selon Jan Christer Mattson, ces groupes d’« ultra droite » permettent de rendre « acceptables » les partis d’extrême droite en voie de banalisation dans le jeu politique : « Les partis extrêmes des mouvements, ceux qui saluent Hitler ou font l’apologie du fascisme, deviennent l’exemple commun de ce qui n’est pas acceptable. »

Grand remplacement, antiféminisme et relativisme climatique

Le sociologue suédois constate cependant l’existence d’une vision commune à l’extrême droite, des partis comme le RN, les Frères d’Italie ou les Démocrates de Suède aux groupuscules identitaires, fascistes ou néonazis : « Ils partagent un ensemble commun de valeurs, d’attitudes, qui les orientent dans leur perception de la réalité. Il y a trois composantes principales, l’idée d’un grand remplacement des blancs, la croyance en l’État profond – l’idée que les personnes sont manipulées, qu’elles ne contrôlent pas leur propre État –, et une forte notion d’antiféminisme. » La question écologique n’est pas non plus au cœur de leur discours. En Suède, « le mouvement néonationaliste prétend que les questions climatiques sont un canular ou, pour les moins extrêmes, que c’est la Chine ou l’Inde qui doit résoudre le problème », explique Jan Christer Mattson, de l’Université de Göteborg.

Point commun entre les Frères d’Italie et les Démocrates de Suède : ils se sont développés assez vite. L’extrême droite suédoise ne pesait que 6 % des voix il y a une décennie, quand son homologue italien ne dépassait pas 4 %. Ces partis sont désormais aux portes du pouvoir. Une dynamique qui s’explique, selon Anaïs Voy-Gillis, par « la recherche de normalisation et de dédiabolisation », mais aussi par « leur professionnalisation ». Selon la chercheuse, ils bénéficient également d’un avantage : ils peuvent se présenter comme des outsiders, les seuls qui n’ont jamais exercé le pouvoir. Un discours que l’on retrouve autant en Suède – les Démocrates de Suède n’ont jamais intégré l’une des coalitions gouvernementales – qu’en Italie – le parti de Georgia Meloni n’a pas rejoint le gouvernement d’alliance nationale de Mario Draghi. Et Fratelli d’Italia était resté à l’écart de la précédente coalition « populiste » autour de Matteo Salvini.

Les exceptions allemande et britannique

« Il y a une dynamique européenne, voire mondiale, qui profite à ces partis et aux idées nationalistes identitaires », constate la chercheuse Anaïs Voy-Gillis. Et dans ce domaine, le laboratoire européen est italien : l’extrême droite y a pour la première fois participé à une coalition gouvernementale en 1994 (La Ligue du Nord et l’Alliance nationale autour de Silvio Berlusconi). Quelques années plus tard, en 2000, le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ, fondé notamment par d’anciens SS, entrait au gouvernement. « C’était une première depuis la Seconde Guerre mondiale, et l’émoi politique fut grand dans les pays de l’Union européenne », écrivait alors la géographe Béatrice Giblin dans la revue de géopolitique Hérodote. Depuis, des partis nationalistes ou ultraconservateurs sont arrivés au pouvoir en Europe de l’Est – Hongrie et Pologne notamment – ou ont intégré des coalitions en Finlande ou en Norvège.

« Cela peut n’être qu’une phase de l’histoire politique, à la condition que partout la gauche sorte de sa posture morale »

La France ne fait pas exception à cette montée des extrêmes, avec un record historique de sièges à l’Assemblée nationale pour le RN en avril. Pour Jean-Yves Camus, seuls deux pays européens échappent en partie à la montée de l’extrême droite : l’Allemagne et le Royaume-Uni. « Au Royaume-Uni, le système électoral est uninominal à un tour. Cela crée une situation de bipartisme pratiquement parfait, qui rend improbable l’émergence d’un tiers parti. En Allemagne, c’est différent. À cause de son histoire, jusqu’à l’entrée de l’AfD [Alternative für Deutchland] au Bundestag en 2017, la simple idée que l’extrême droite puisse siéger au parlement était impensable. » L’AfD compte quand même 79 députés (sur 736) au Bundestag, mais pour le moment le cordon sanitaire entre droite classique et extrême droite n’a pas été rompu.

Une tendance lourde ?

Cette montée de l’extrême droite est-elle inexorable ? « Cela peut n’être qu’une phase de l’histoire politique, à la condition que partout la gauche sorte de sa posture morale, avance Jean-Yves Camus. On ne peut évacuer le débat à la manière de Macron : ni en disant "on ne parle pas avec les fascistes ", ni en disant qu’on ne l’a pas vu venir… La riposte doit être politique et sociale, par tout ce qui parle aux classes populaires – le maillage associatif, des partis de masse, par l’éducation populaire. »

Penser que l’exercice du pouvoir peut nuire à l’extrême droite est une erreur, selon Anaïs Voy-Gillis. « Une étude du Tony Blair Institute démontre que les "populistes" peuvent se maintenir au pouvoir, appuie la chercheuse. Six ans après leur première élection, les dirigeants populistes ont deux fois plus de chances que leurs homologues non populistes de conserver les rênes du pouvoir. » « Les cas de la Hongrie et de la Pologne illustrent bien cette affirmation, ajoute l’universitaire – Viktor Orban y est Premier ministre depuis douze ans. L’étude montre également que les populistes sont plus susceptibles de porter atteinte de manière durable à l’État de droit et aux institutions démocratiques par des réformes remettant en cause le principe de séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice ou encore la liberté de la presse. »

Le Suédois Björn Söder, ancien numéro deux du parti nationaliste au Parlement, ne s’est pas retenu longtemps avant de critiquer les journalistes de son pays. Il a exprimé son mécontentement envers la télévision publique après un reportage un peu trop critique à son goût. « La fonction publique doit être réformée en profondeur ! » a-t-il tweeté. Une attaque qui fait écho, en France, à la volonté de Marine Le Pen de privatiser le service public audiovisuel. Avant même leur arrivée officielle au pouvoir, les Démocrates de Suède ont déjà montré leur hostilité envers la presse libre.

publié le 23 septembre 2022

Militantisme. Du syndicalisme rassemblé au rassemblement syndical, quel outil pour y parvenir ?

par Latifa Madani, Sébastien Crépel et Rosa Moussaoui sur www.humanite.fr

La CGT, l’Union syndicale Solidaires, la FSU appellent, avec l’Unef et des mouvements lycéens, à une grève interprofessionnelle le 29 septembre pour les salaires, les pensions, les bourses d’études et les minima sociaux. Comment faire de cette journée le point de départ d’une mobilisation unitaire plus large, inscrite dans la durée ? Les responsables de ces trois organisations en ont débattu au Forum social.


 


 

Les rendez-vous de la rentrée sociale prennent souvent un tour rituel. Comment aller plus loin, être plus unitaires, renverser le rapport de forces ?

 

Murielle Guilbert (Solidaires) : Nous sommes dans un contexte d’urgence sociale et climatique. La crise énergétique nous oblige à lier, concrètement, question sociale et environnementale. Comme pour les mobilisations sur la réforme des retraites, il nous faudra rapidement poser la question des suites.

Benoît Teste (FSU) : On ne va pas se mentir, il est difficile de faire prendre conscience que la question salariale dépasse celle de l’entreprise ou du secteur. Nous devons politiser le sujet, engager un rapport de forces. Ce que nous ferons le 29 septembre sera déterminant pour tous les combats à venir, y compris sur les retraites. Si nous sommes forts le 29, cela pèsera pour la suite. La question des salaires reste urgente, l’inflation prend les gens à la gorge. Nous pouvons gagner car, dans un contexte de « pénurie » de recrutements, de difficultés à trouver les qualifications nécessaires dans les entreprises et dans les services publics, nous répondons : augmentez les salaires ! Nous avons donc le rapport de forces en notre faveur. Faisons fructifier le 29 septembre !

« La question des salaires reste urgente, l’inflation prend les gens à la gorge. »  Benoît Teste, secrétaire général de la FSU

Philippe Martinez (CGT) : Nous sommes dans une situation assez inédite. Depuis le début de l’année, il n’y a jamais eu autant de grèves pour les salaires, jusque dans des entreprises où les salariés n’avaient jamais fait grève. Cette rentrée doit pouvoir fédérer toutes ces luttes. Pourquoi avons-nous du mal à concrétiser la convergence que nous appelons de nos vœux à chaque fois ? Le niveau de la colère et l’ampleur des revendications pour une augmentation générale des salaires sont tels que nous devons faire la démonstration, ensemble, que nous pouvons gagner. Pendant que les dividendes versés aux actionnaires battent des records, l’exigence de partage des richesses est forte. Le vrai défi est de faire de ce 29 septembre le début d’un rassemblement.

Vous employez les termes de « recomposition », « refondation intersyndicale », « outil syndical commun ». Qu’entendez-vous par là ?

 

Benoît Teste (FSU) : Les divisions sont ancrées dans l’histoire. Néanmoins, il est absolument nécessaire de proposer un syndicalisme plus unitaire, s’adressant à davantage de salariés. Tel est l’enjeu. C’est la raison pour laquelle, à la FSU, nous employons le terme « refondation ». Car il ne s’agit pas seulement d’additionner des forces existantes. Si déjà nos trois organisations arrivent à donner un chemin plus clair, plus efficace avec un outil unitaire pérenne qui traite les questions sur le fond et qui soit identifié par les salariés, je suis persuadé que cela entraînera d’autres forces. Nos divisions empêchent de toucher une grande part de salariés, particulièrement cette population en précarité, aux marges du salariat – je pense notamment aux gilets jaunes. Avec un outil refondé, nous devons arriver à mobiliser cette population, l’intégrer aux luttes, notamment aux luttes féministes et contre les discriminations. D’où la notion de « syndicalisme à vocation majoritaire ». C’est un peu incantatoire, mais l’objectif est de rassembler.

Simon Duteil (Solidaires) : Le moment historique que nous vivons nous impose une recomposition. En 2019, nous avons gagné notre combat commun contre la dernière réforme des retraites. Ce n’est pas suffisant. Notre analyse de la montée de l’extrême droite, dans le monde du travail, a fait bouger les lignes à Solidaires. La responsabilité du syndicalisme de luttes et de transformation sociale est engagée pour aller plus loin.

« Quelle que soit l’étiquette, notre rôle est d’essayer d’améliorer le quotidien. »  Simon Duteil, porte-parole de Solidaires

Philippe Martinez (CGT) : La question sera posée et discutée à notre prochain congrès. Nous devons, par exemple, aborder le sujet des « parenthèses électorales » qui paralysent et divisent l’action syndicale. Nous devons aussi analyser les raisons pour lesquelles il y a trop de salariés non syndiqués. Nous devons trouver des réponses à toutes ces questions.

Un tel horizon syndical au plan organisationnel pose des questions de fond. Quelles sont les grandes lignes de vos convergences sur le projet de société ?

 

Murielle Guilbert (Solidaires) : Solidaires, qui porte depuis plusieurs années la vocation d’un syndicalisme de transformation sociale, fait le constat que l’on se rejoint de plus en plus dans de nombreux combats. Nous avons réussi à travailler ensemble, notamment dans les intersyndicales femmes, depuis plus de vingt ans. L’alliance Plus jamais ça (syndicats et associations environnementales) a montré toute la pertinence de lier écologie et combat social. La répression que nous avons subie du fait des lois liberticides d’Emmanuel Macron nous a fait nous retrouver sur ces sujets alliant lutte contre le capitalisme et lutte contre les dominations. Malgré des différences d’approche, le travail commun a pu avancer sur l’écologie, le féminisme ou l’antiracisme, tant au niveau national que local. Le syndicalisme de transformation sociale qui caractérise nos trois organisations favorise cette dynamique.

Philippe Martinez (CGT) : Sur beaucoup de points, dont le combat féministe et la lutte contre l’extrême droite, nous sommes d’accord et nous nous organisons pour que la riposte soit unitaire. Il s’agit de valeurs fondatrices de la CGT. Nous avons un socle commun très important de revendications, d’idées de transformation. Ce débat ne doit pas rester un débat de chefs. Un échange d’expériences doit se faire dans les entreprises et sur les territoires.

D’autres acteurs, au-delà des syndicats, peuvent être intéressés à des combats communs. Quels sont les lieux d’intersection possibles ?

 

Benoît Teste (FSU) : Le collectif Plus jamais ça est l’un de ces lieux. Le syndicalisme que nous défendons est celui qui fait le lien entre la défense des conditions de travail, l’intérêt général et le projet de société. Pour nous, il n’y a pas de séparation. À ceux qui pensent que « les syndicats n’ont pas à s’occuper de l’écologie » ou que « ces questions relèvent de la politique, ce n’est pas l’affaire des syndicats », nous répondons que ce sont les salariés qui transforment le monde. Ils ont la capacité et la légitimité à s’exprimer sur la manière, par exemple, dont on produit pour protéger la planète. La tentation du corporatisme et du repli sur soi ne peut que servir les gouvernements qui veulent nous neutraliser, comme on a pu le voir avec les lois affaiblissant les institutions représentatives.

FO – qui vient d’annoncer qu’elle ne participerait pas à la journée du 29 septembre – et la CFDT sont deux importantes organisations. Comment vous positionnez-vous à leur égard ?

 

Philippe Martinez (CGT) : La CGT veut travailler avec tout le monde. À chaque fois que l’on a conquis quelque chose, c’est parce qu’il y avait du monde dans les grèves et dans les mobilisations. Ne tombons pas dans le piège de la division entre contestataires et réformistes. Il y a des mobilisations unitaires dans les entreprises, dans les services et la fonction publiques. Lorsque la base secoue, elle fait bouger les lignes. Cela dit, il y a des divergences de fond avec la CFDT, qui admet l’individualisation des droits alors que nous nous battons pour des garanties et des droits collectifs. Quant à FO, avec qui nous avons mené la bataille contre la réforme des retraites, je n’ai pas encore compris son refus de s’unir pour les salaires. Nous devons garder cet objectif d’un rassemblement le plus large possible, mais on ne peut attendre indéfiniment pour avancer.

Murielle Guilbert (Solidaires) : La recherche de l’unité syndicale est commune à nos trois organisations, mais pas à n’importe quel prix. Si le constat est commun sur la paupérisation des travailleuses et des travailleurs et sur la pression de l’inflation sur la population, des divergences demeurent au sujet de la stratégie et du rapport de forces, des questions centrales.

« Nous devons réfléchir à nos pratiques internes de démocratie. »  Murielle Guilbert, secrétaire nationale de Solidaires

Simon Duteil (Solidaires) : Nous n’avons pas la même vision de la lutte des classes, pas le même horizon, mais les lignes de fracture ne sont pas toujours aussi fortes qu’on le croit. Quelle que soit l’étiquette, notre rôle est d’essayer d’améliorer le quotidien. Or, la réalité aujourd’hui, c’est plutôt la faiblesse, voire l’absence de syndicalistes sur le terrain.

À quelles conditions un outil syndical commun permettrait-il de surmonter la désyndicalisation massive, en particulier dans les franges les plus précaires du salariat et chez les plus jeunes?

 

Philippe Martinez (CGT) : L’outil syndical commun ne réglera pas tout, si on ne tient pas compte des évolutions du monde du travail, si on ne touche pas ceux qui en souffrent, et qu’on ignore les travailleurs ubérisés, ceux des TPE, la jeunesse étudiante salariée, les retraités et les chômeurs. Cette « refondation » ne vise pas à changer la nature de notre syndicalisme mais à l’ancrer davantage dans la diversité du monde du travail et auprès de ceux qui ne nous voient pas et qui ont envie de s’organiser et de lutter.

Murielle Guilbert (Solidaires) : Nous devons réfléchir à nos pratiques internes de démocratie. Les travailleurs sans papiers de Chronopost sont en grève depuis neuf mois. Comment les intégrer ? C’est un défi à inscrire dans notre réflexion.

La montée de l’extrême droite chez les salariés rend-elle plus pressantes la volonté unitaire et la nécessité de faire front ?

 

Benoît Teste (FSU) : L’extrême droite est un ennemi mortel pour nous. Nous ne devons pas cesser de lutter contre ses idées, de démontrer que ce sont les solidarités et pas les stigmatisations qui sont la réponse aux difficultés sociales. Un sondage récent montre la progression du RN chez les fonctionnaires, y compris chez les enseignants, le plus souvent dans des endroits où il n’y a pas de syndicats, d’où l’importance du collectif.

Simon Duteil (Solidaires) : À Solidaires, c’est la montée de l’extrême droite qui nous fait poser la question de la recomposition syndicale. Nous devons faire face ensemble en portant concrètement des propositions alternatives. L’urgence climatique aussi nous oblige. Notre syndicalisme a du retard sur le sujet, sur notre rapport à la production. Sans réponses sur ces questions, d’autres s’en chargeront, pour le pire.

« Le vrai défi est de faire de ce 29 septembre le début d’un rassemblement. »  Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT

Philippe Martinez (CGT) : L’antifascisme, l’antiracisme, l’internationalisme sont dans les racines du syndicalisme. Nous avons besoin de nous ressaisir collectivement pour empêcher la banalisation du discours et des idées d’extrême droite dans les entreprises et dans les services. J’entends des camarades militants, parfois élus, esquiver la discussion parce que ce serait compliqué. Ici, à la Fête de l’Humanité, lors de l’inauguration du Forum social, un camarade est venu me dire qu’il avait voté RN et qu’il était content d’y avoir adhéré et de lui donner de l’argent. C’est la réalité. Le RN fait croire qu’il défend l’augmentation des salaires et du Smic, mais à l’Assemblée nationale, ses députés sont Macron compatibles, ils sont pro-capital. Le combat contre l’extrême droite est essentiel, c’est ce qui nous fédère en France et en Europe. Laissons de côté nos petites histoires. Nous avons une lourde responsabilité. Ne passons pas à côté.

publié le 22 septembre 2022

Pour les salaires, les pensions, les bourses d’études, les minima sociaux :

en grève le 29 septembre !

sur www.cgt.fr

Communiqué commun de CGT, Solidaires, FSU, UNEF, VL, FIDL et MNL

Les mesures gouvernementales annoncées sur le pouvoir d’achat sont en dessous de la situation de paupérisation de la population. La loi votée cet été se contente de poser quelques rustines et, à travers les exonérations de cotisations, ampute le salaire socialisé, fragilisant la protection sociale. Dans la fonction publique, la revalorisation de 3,5% de la valeur du point d’indice est en deçà de l’urgence à relever l’ensemble des rémunérations de 10% au moins tout de suite pour préserver les conditions de vie de tou-tes. De même pour les retraité-es, les 4% de revalorisation des pensions ne correspondent pas à l’inflation, la situation des retraité-es continue donc de se dégrader.

La crise énergétique pèse déjà fortement sur la population, particulièrement les plus précaires, tandis qu’aucune mesure réelle n’est prise pour une transition écologique juste. Le gouvernement se contente d’incitations à des économies d’énergies culpabilisantes, tandis que d’autres pays européens s’engagent dans la taxation des superprofits des entreprises du secteur énergétique et que d’autres mettent en place des passes ferroviaires gratuits !

Le gouvernement poursuit aussi une politique fiscale qui assèche les comptes de l’Etat au profit des grandes entreprises et au détriment des services publics (santé, éducation,) et du financement de la transformation écologique. Par ailleurs, il prévoit une réforme de l’assurance chômage qui va à l’encontre du droit des travailleur-euses de la possibilité d’avoir des indemnisations du chômage justes, une réforme du RSA qui le conditionnerait à une obligation de travailler de 15 à 20h hebdomadaires, et continue d’envisager une réforme des retraites qui exigerait de travailler davantage et pourrait conduire à amputer encore davantage le montant des pensions.

En ce qui concerne les jeunes et leurs familles, les aides (bourses, ARS) ne sont pas suffisantes pour compenser l’inflation. Une revalorisation significative des bourses scolaires et de l’ARS est nécessaire pour pallier le prix de la rentrée (qui avec l’inflation a grimpé de 5 à 10 %). De plus, trop peu de familles bénéficient de cette aide en raison du plafond de ressources à ne pas dépasser.

C’est pourquoi la CGT, l’Union syndicale Solidaires, la FSU, l’UNEF, la VL, la FIDL et le MNL appellent dès à présent à une journée de grève interprofessionnelle le jeudi 29 septembre qui doit s’inscrire dans une mobilisation large et dans la durée.

publié le 22 septembre 2022

Joseph Gerson : « Guerre en Ukraine : toujours une crise des missiles cubains au ralenti »

sur www.humanite.fr

Joseph Gerson est président de la Campagne pour la paix, le désarmement et la sécurité commune, vice-président du Bureau international pour la paix.

Au cours des premiers jours de la guerre en Ukraine, l’ancien sénateur Sam Nunn a averti que la guerre en Ukraine était une crise des missiles cubains au ralenti. Cet avertissement a récemment été réitéré par des analystes de haut niveau à Moscou dans des conversations officieuses. La guerre concerne l’Ukraine et bien plus encore : le pouvoir, les privilèges, le désordre sécuritaire en Europe ; l’avenir du règne de Poutine ; et lutte pour renforcer l’hégémonie américaine face aux pressions pour un ordre mondial bipolaire ou multipolaire.

Alors que le débat fait rage sur Internet, il est clair que l’invasion mal conçue, illégale et brutale l’Ukraine par Poutine a été déclenchée dans une combinaison d’ambitions impériales russes frustrées et de l’expansion arrogante de l’OTAN par Washington aux frontières de la Russie. Le tournant a eu lieu en 2008 quand, contre l’opposition des Français et des Allemands, W. Bush a pressé l’OTAN de s’étendre à l’Ukraine et à la Géorgie. Avec l’histoire des invasions de l’Occident via Napoléon, le Kaiser et Hitler, un puissant refoulement – bien qu’illégal – de Moscou était inévitable. Et maintenant, nous avons une guerre par procuration, avec les États-Unis et l’OTAN engagés à affaiblir la Russie et à renforcer l’hégémonie des États-Unis en Europe.

Malgré les déclarations contraires de Poutine, d’anciens hauts responsables russes admettent que les récentes pertes russes dans la région de Kharkiv lui ont créé des problèmes politiques. Ajoutez à cela la distanciation de Xi et Modi… Avant même que Poutine n’émette de nouvelles menaces et que le président Biden ne mette en garde contre l’escalade et l’utilisation possible d’armes de destruction massive, les conseillers russes et les anciens généraux ont prédit que l’escalade serait la réponse inévitable. Les Russes, ont-ils dit, « feront tout ce qui est nécessaire pour gagner. » Malgré le « Ne le faites pas » de Biden, le spectre d’une éventuelle attaque nucléaire, ou d’armes chimiques, projette son ombre sur la guerre et l’humanité.

Pourquoi ? Parce que la doctrine nucléaire russe appelle à l’utilisation d’armes nucléaires si et quand l’État russe est en danger, et Poutine est l’État russe. Si cela devenait une guerre prolongée qui saigne les ressources et la puissance russes ou si les forces russes devaient faire face à une éventuelle défaite militaire majeure, Poutine pourrait lancer des armes nucléaires tactiques pour terroriser Kiev. La doctrine américaine impose l’utilisation possible d’armes nucléaires lorsque ses intérêts vitaux et ceux de ses alliés et partenaires sont menacés. L’utilisation par la Russie d’armes nucléaires tactiques pourrait ainsi déclencher un échange nucléaire cataclysmique.

Dans les conversations avec les Russes de haut rang, nous entendons dire qu’accepter quoi que ce soit de moins que les exigences minimales de Poutine (assurer un contrôle sûr du Donbass et de la Crimée et créer l’Ukraine en tant qu’État neutre) saperait sa capacité de rester au pouvoir. Lors d’une réunion officieuse, l’un des plus hauts membres démocrates du Congrès a réitéré qu’il était prêt à risquer une guerre nucléaire pour s’assurer que Kiev reprenne le contrôle de sa côte de la mer Noire. Le président Zelensky, soutenu par le secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg, s’est engagé à lutter pour libérer toute l’Ukraine occupée par la Russie. Et à Washington, les démocrates du Congrès sont tous prêts pour la guerre, la grande majorité s’opposant même à demander à Biden de conditionner les milliards de transferts d’armes vers l’Ukraine par un appel à un cessez-le-feu et à des négociations.

Nous sommes donc confrontés à une longue guerre, avec le danger d’escalades en spirale qui nous amènent à devoir regarder droit dans les yeux la confrontation nucléaire.

Le poète et auteur-compositeur canadien Leonard Cohen a enseigné qu’« il y a une fissure dans tout/c’est ainsi que la lumière pénètre ». Notre responsabilité est de continuer à faire pression pour un cessez-le-feu et des négociations menant à la création d’une Ukraine sûre et neutre, à la création d’une nouvelle architecture de sécurité européenne juste et à la détente. Dans la nouvelle guerre froide américano-russe 2.0, avec suffisamment de pression, nous pouvons forcer les puissances en place à trouver les compromis parmi les fissures de leurs engagements qui assurent notre avenir.

 

publié le 20 septembre 2022

Énergie : l’irresponsable procrastination du gouvernement

Martine Orange sur wwwmediapart.fr

Le déni et la procrastination sont parmi les marques de fabrique des gouvernements d’Emmanuel Macron, lorsqu’il est confronté à quelque difficulté. La crise énergétique sans précédent que traversent la France et l’Europe ne fait pas exception à cette règle.

En dépit des menaces qu’elle fait peser sur tous, le gouvernement élude la question, tergiverse, entretenant l’illusion d’un retour à la normale, dans un futur plus ou moins proche. Le bouclier tarifaire s’inscrit dans cette perception : il se veut une mesure exceptionnelle pour une période de gros temps, appelée à disparaître dès que possible.

Balayant les critiques d’immobilisme, le gouvernement met en avant sa réaction rapide « bien avant tous les autres pays européens », comme il ne manque pas de le rappeler, quand il a pris la décision en janvier d’instaurer le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité pour les ménages. « Une mesure qui a permis de protéger le pouvoir d’achat des ménages », souligne-t-il à l’envi. Et aussi de limiter une inflation qui aurait pu mettre à mal la politique de l’offre du gouvernement.

C’est à nouveau sous l’angle budgétaire que la première ministre Élisabeth Borne continue d’aborder la crise énergétique européenne et française. Elle a annoncé le 14 septembre la reconduction du bouclier tarifaire l’an prochain, limitant à 15 % les hausses des prix de l’électricité et du gaz pour les ménages et les petites collectivités locales.

Alors que tout le monde s’affole face à l’explosion des prix de l’énergie, un dispositif financier pour contrecarrer les effets dévastateurs de ces hausses est certes indispensable, sous peine d’étrangler progressivement les ménages, comme en Grande-Bretagne et même en Belgique. Les chèques de 100 ou 200 euros versés aux foyers les plus précaires risquent toutefois de ne pas suffire à les préserver de la précarité énergétique et du surendettement.

Cette réponse financière, dans tous les cas, ne saurait suffire pour faire face à une crise énergétique multidimensionnelle portant à la fois sur l’offre et la demande, nos schémas industriels de production, nos modes de consommation, l’organisation de nos marchés, notre goût pour les énergies fossiles, jamais vraiment combattu en dépit de grandes déclarations.

Au-delà de la spéculation qui s’est abattue sur tous les marchés de l’énergie et qui a porté ces derniers temps les cours à des niveaux insensés, l’envolée des prix dès l’été 2021 est la résultante de ces dysfonctionnements et erreurs passés.

Des mesures à très court, à moyen et à long terme s’imposent pour remédier à ces tensions, bâtir un nouveau système permettant d’assurer à la fois la sécurité et le respect des objectifs climat. Cela suppose aussi une sensibilisation, voire une mobilisation générale, pour faire accepter les changements, tant les bouleversements et les ruptures que porte cette crise à très brève échéance et sur des années vont bousculer nos habitudes et nos modes de vie.

La question de l’énergie éludée

Mais de tout cela, le gouvernement ne parle jamais. Le sujet de la crise énergétique n’a pas été une seule fois sérieusement abordé pendant les campagnes présidentielle et législatives, la foire d’empoigne autour du nombre d’EPR à construire étant censée résumer tous les enjeux.

La question n’a pas plus été évoquée lors de la session parlementaire extraordinaire de l’été. Et malgré l’intensité du choc, toute délibération parlementaire sur le sujet est repoussée après le 3 octobre, puisque le gouvernement a estimé qu’il n’y avait aucune urgence à convoquer l’Assemblée plutôt.

Nous en sommes donc réduits, comme au temps du Covid, à attendre un énième Conseil de défense, les décisions impériales d’Emmanuel Macron et les résultats des réunions organisées par le ministère de la transition écologique, qui au mieux aboutiront à la mi-octobre.

Quels moyens convient-il de mettre en œuvre pour réduire de 15 % notre consommation de gaz, de 10 % notre consommation électrique, et même de 5 % aux heures de pointe, comme la Commission européenne le préconise ? La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a évoqué la possibilité de prendre des mesures contraignantes et obligatoires, dans son discours sur l’état de l’Union le 14 septembre. Comment se répartira la charge de ces efforts entre les ménages, les entreprises ? Qui arbitrera ? Selon quels critères ? Nous n’en savons toujours rien.

Des plans d’économie dans toute l’Europe, sauf en France

Dès le mois d’avril, le gouvernement italien a adopté une série de mesures contraignantes portant notamment sur la limitation de la température dans les bâtiments publics, l’éclairage nocturne, l’interdiction des publicités lumineuses.

Le gouvernement espagnol a entrepris une démarche comparable, limitant la consommation d’énergie dans les bâtiments publics, l’éclairage urbain et la publicité lumineuse. Après avoir obtenu de ne plus être dans le marché électrique européen – d’un coup, le prix du MWh est descendu autour de 100 euros, contre plus de 500 pour les autres –, Madrid n’a pas relâché ses efforts, et continue de travailler et d’inciter la population à faire autant d’économies d’énergie que possible.

Au printemps, le gouvernement allemand a établi, en concertation avec le Bundestag et les Länder, un plan détaillé, en fonction du degré de tension, sur les mesures à prendre et qui serait concerné. Chacun, grands groupes comme ménages, connaît sa feuille de route.

Dans le même temps, une grande campagne de sensibilisation a été lancée auprès de toute la population, pour engager des économies d’énergie, allant jusqu’à demander à raccourcir le temps des douches et de les prendre à l’eau froide. « Tous les gestes, même les plus petits, comptent », insistent les responsables allemands.

En France, il a fallu attendre la rentrée pour que le mot « sobriété » fasse son apparition dans le vocabulaire gouvernemental, ce dernier jugeant sans doute que les termes « économies d’énergie » ont une connotation trop « amish ». Pour le reste, rien de précis, de vagues incitations, tout étant laissé à l’appréciation des ménages, des collectivités locales, des entreprises, abandonnés dans le flou.

Lors de la conférence de presse sur la situation énergétique, le 14 septembre, la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a malgré tout révélé qu’elle disposait d’une arme de dissuasion massive : « Dans les moments de tension électrique, j’ai la possibilité de commander l’extinction de tous les écrans publicitaires », a-t-elle insisté. C’est toujours mieux que rien !

Novembre et décembre pourraient être aussi risqués que janvier.

Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE

L’urgence du moment, pourtant, ne permet plus cette procrastination, comme l’ont rappelé avec insistance les responsables du gestionnaire du réseau de transport d’électricité, RTE, lors de leur conférence du 14 septembre. La situation est même si tendue que ce dernier a décidé d’avancer la période d’hiver dès octobre. « Novembre et décembre pourraient être aussi risqués que janvier », a mis en garde Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE.

Les incertitudes pesant sur le système électrique français sont partout. Personne ne peut dire à cette heure si EDF a la capacité ou non de remettre en route une partie de son parc nucléaire – 30 réacteurs sur 56 sont aujourd’hui à l’arrêt. Des doutes pèsent sur les autres moyens de production disponibles. Et les conditions météorologiques sont totalement inconnues. « Le scénario du pire [conduisant à des mesures de délestage auprès des particuliers – ndlr] est assez improbable », dit Xavier Piechaczyk.

Le gestionnaire de réseau fait en tout cas tout pour l’éviter, en insistant sur la nécessité de lancer des économies d’énergie immédiatement. Il a établi des mesures claires, compréhensibles par tout le monde, pour faire face aux tensions immédiates.

Baisser le chauffage de quelques degrés pour le ramener à 19 °C permet d’économiser l’équivalent de la production de deux centrales nucléaires. Changer les vieilles ampoules par des LED et fermer la lumière dans les pièces inoccupées, c’est plus d’un gigawatt d’économisé. Ne pas faire fonctionner les appareils électroménagers, et notamment le four, pendant les périodes de pointe (entre 8 heures et 13 heures, puis à nouveau entre 18 heures et 20 heures), c’est autant d’électricité économisée qui permet de réduire les tensions et les risques sur le système électrique.

En complément, il a renforcé son dispositif d’alerte Écowatt, comparable à celui de Météo-France avec ses vigilances orange et rouge, afin de pouvoir alerter dans les trois jours précédant les périodes difficiles la population et l’inciter à d’autres mesures d’économie.

En prenant ces initiatives, RTE assume totalement son rôle de gestionnaire de réseau. Mais il est bien le seul à se montrer responsable dans ce moment. Sa parole dessine en creux l’inexistence du gouvernement sur ces sujets. Il est plus que temps de parler à tous les niveaux politiques d’économies d’énergie et d’ouvrir le débat public.

publié le 20 septembre 2022

Énergie. Matignon invente le « payer plus et consommer moins »

Par : Marion d'Allard et Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Élisabeth Borne a annoncé, mercredi, une augmentation de 15 % des factures d’électricité et de gaz. Alors que l’hiver s’annonce compliqué, selon RTE, le gouvernement mise sur la sobriété, sans jamais remettre en cause la loi du marché.

Bousculé par la crise énergétique que traverse l’Europe sur fond de guerre en Ukraine et de mise à l’arrêt d’une partie du parc nucléaire, le gouvernement a annoncé la prolongation du bouclier tarifaire pour 2023, permettant de « contenir » l’augmentation des factures à 15 % en début d’année. Alors que le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE met en garde contre des risques de coupures cet hiver, Élisabeth Borne table sur la sobriété et la solidarité européenne pour faire face. À gauche, comme à la CGT, la revendication première demeure la sortie du bien commun qu’est l’énergie des logiques du marché.

Une explosion des tarifs

Les Français sont prévenus : les factures de gaz et d’électricité vont augmenter de 15 % dès février. Une augmentation « contenue », s’est félicitée Élisabeth Borne, grâce à la prolongation du « bouclier tarifaire pour les ménages, les copropriétés, les logements sociaux, les petites entreprises et les toutes petites communes ».

« Ils sont en train de nous faire croire que c’est normal de payer cher. C’est la double peine pour des consommateurs à qui on demande plus de sobriété », a réagi Fabrice Coudour, de la FNME-CGT. Pourtant, des leviers existent pour faire baisser durablement les prix de l’énergie. Mais « à aucun moment, ce gouvernement ne remet en cause le marché sur le fond », regrette le syndicaliste. Pas plus qu’il n’évoque « la nationalisation des filières électricité et gaz », « le retour au tarif réglementé pour tout le monde, particuliers, collectivités et entreprises », ou la modulation de la TVA, dont se sont pourtant saisies l’Allemagne et l’Espagne pour faire baisser la note.

En amont de l’intervention d’Élisabeth Borne, Bruno Le Maire s’est appliqué à préparer les esprits. « Il serait complètement irresponsable de faire peser ces hausses uniquement sur le budget de l’État », a affirmé le ministre de l’Économie, se gardant bien de préciser que l’objectif est aussi de respecter la trajectoire de réduction des déficits à « 3 % du PIB en 2027 ». En maintenant par ailleurs les baisses d’impôts pour les plus fortunés et la réduction de la contribution des entreprises, « le gouvernement fait le choix de donner 150 milliards d’euros d’aides publiques aux grandes multinationales qui réalisent des profits et refuse de les mettre à contribution, mais n’hésite pas à taper dans le porte-monnaie des Français et à mettre en péril certaines activités industrielles », a fustigé Fabien Roussel, secrétaire national du PCF.

Un accompagnement insuffisant

«  Cette augmentation de 15 % n’est pas anodine pour de nombreux Français », a cependant reconnu Élisabeth Borne, qui a annoncé un nouveau chèque énergie versé de manière « exceptionnelle », « d’ici la fin de l’année », aux « 12 millions de foyers les plus modestes » (contre 6 millions auparavant) et d’un montant « de 100 ou 200 euros, selon le revenu ». Un tel dispositif « va coûter 16 milliards d’euros aux contribuables, alors que si on bloquait les prix, cela empêcherait un certain nombre de très grandes entreprises d’engranger un fric monstre », pointe la députée FI Aurélie Trouvé. Et ce chèque, « qui ne compensera pas la totalité de la hausse, ne concerne que 12 millions de ménages alors que 30 % de foyers ne bénéficient pas du bouclier tarifaire car ils passent par un fournisseur alternatif. Les collectivités et les entreprises non plus. Pour tous ceux-là, la facture n’augmentera pas de 15 % mais de bien plus », ajoute-t-elle.

Pour les entreprises, Bruno Le Maire, outre de nouveau critères d’aides à compter du 1er octobre pour certaines, n’a pas mis grand-chose de neuf sur la table alors que les difficultés s’accélèrent, notamment dans les secteurs très énergivores. La déception des collectivités est également à la hauteur de l’explosion des factures. La première ministre s’est contentée de rappeler que les toutes petites communes ont accès aux tarifs réglementés, que les mécanismes en place ont limité les augmentations pour les autres et qu’une enveloppe de 500 millions de soutien face à l’inflation a été votée cet été. « C’est insupportable, elle ne nous annonce toujours pas de retour au tarif régulé. Dans notre budget 2023, on devrait prévoir entre 1,7 et 2,5 millions pour l’électricité à la place des 660 000 euros de cette année, on n’inscrira que 750 000 euros et au-delà on ne paiera plus », réagit le maire de Montataire (Oise), Jean-Pierre Bosino (PCF), qui a lancé un appel en ce sens avec une vingtaine d’édiles.

Des risques de coupures

Malgré l’optimisme affiché du gestionnaire du réseau de transport d’électricité, l’urgence de la situation a contraint RTE à présenter, avec deux mois d’avance, son « étude prévisionnelle pour l’hiver 2022-2023 ». Mercredi, Xavier Piechaczyk, président de RTE, a prévenu d’emblée que « le risque de tension » sur le réseau électrique cet hiver était « accru », se refusant même à exclure « totalement » le « risque de coupures ». Pour autant, « en aucun cas la France ne court un risque de black-out », a-t-il insisté.

L’étude prévisionnelle repose sur trois scénarios dépendant eux-mêmes d’une série de facteurs plus ou moins difficiles à prévoir : évolution du marché de gros, disponibilité en gaz, état du parc nucléaire français, aléas climatiques et météorologiques. Dans son scénario intermédiaire – le plus probable –, « les risques se manifestent essentiellement en cas d’hiver froid », explique RTE, qui pourrait alors déclencher son signal écowatt rouge. Sorte de météo de l’électricité, ce système d’alerte permet d’évaluer les ressources disponibles en fonction des besoins et, le cas échéant, de mettre en œuvre des « mesures de sauvegarde ». Graduelles, elles vont de la « mobilisation pour baisser les consommations » à des « coupures organisées ». Dans le scénario le plus pessimiste, qui repose notamment sur l’hypothèse d’une « pénurie de gaz », les « recours au moyen de sauvegarde » seraient très fréquents, prévient Xavier Piechaczyk.

Pour « réduire largement ce risque », RTE table sur la « sobriété » et la remise en état rapide du parc nucléaire. En matière de sobriété, Élisabeth Borne a réaffirmé l’objectif de réduction de 10 % « de notre consommation d’énergie par rapport à l’année dernière » en « réduisant un peu le chauffage » et en « évitant les consommations inutiles ». Un plan dédié devrait être présenté début octobre.

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