publié le 30 novembre 2023
Romaric Godin sur www.mediapart.fr
Le président élu d’Argentine s’est rapproché de la droite traditionnelle, notamment sur le plan économique. Désormais, la dollarisation n’est plus la priorité, mais l’austérité, elle, s’annonce ultraviolente.
Pendant sa campagne électorale, le président élu d’Argentine, Javier Milei aimait à se présenter en dynamiteur de la « caste » qui, selon lui, gérait l’État rapace et la Banque centrale voleuse. Avec son déguisement de « général Ancap », pour « anarcho-capitaliste », il entendait bien en finir avec la gestion technocratique de l’Argentine à coups de dollarisation et de dissolution de la Banque centrale.
Depuis son élection le 19 novembre, tout cela ne semble plus aussi évident. En une semaine, la « caste » semble déjà avoir pris sa revanche, notamment dans la définition de la future politique économique du nouveau président. Pour autant, l’Argentine semble bel et bien à la veille d’un choc libéral violent, relevant d’une forme de néolibéralisme radicalisé.
La première étape de la définition de la future politique de Javier Milei a été l’annonce de la structure de son gouvernement et des premières nominations. Le président élu a voulu satisfaire son électorat de premier tour en réduisant drastiquement le nombre de ministères, à seulement huit portefeuilles.
C’était un clin d’œil appuyé a une de ses plus fameuses vidéos de campagne où on le voyait balancer à terre la plupart des ministères existants avec de tonitruants « ¡ Afuera ! » (« Dehors ! »). Mais déjà la promesse n’est que très partiellement remplie.
Dans la vision minimaliste initiale du candidat, seules les fonctions régaliennes devaient rester dans le giron étatique : défense, sécurité, justice. Le président élu, lui, a plutôt décidé de regrouper les administrations autour de « grands ministères » aux noms ronflants empruntés au vocabulaire néolibéral.
Ainsi, l’éducation, la santé, le travail et le développement social seront regroupés dans un seul ministère du « capital humain ». De même, les transports, les travaux publics, l’énergie, les mines et les communications seront rassemblés dans un ministère des « infrastructures ».
Distribution de postes
Cette méthode est utilisée classiquement par les gouvernements néolibéraux « réformistes ». En 1986, en France, le gouvernement de Jacques Chirac, alors très thatchérien, avait limité le nombre de ministres à quatorze, par exemple. Mais ce qui est mis en place, ce sont des ministères géants regroupant des administrations existantes, ce qui, dans les faits, ne simplifie pas toujours la gestion publique, ni ne réduit la bureaucratisation, loin de là.
Cela permet, par ailleurs, de distribuer des postes de secrétaire d’État et de ministre à des alliés politiques. Dans le cas de Javier Milei, les premières nominations tendent à appuyer l’idée que l’influence de la droite traditionnelle, celle de l’ancien président Mauricio Macri (en poste de 2015 à 2019), que le libertarien avait attaqué sans relâche jusqu’au premier tour, sera décisive.
Le choix le plus symbolique est la nomination de son ancienne rivale à la présidentielle Patricia Bullrich au ministère de la sécurité, poste qu’elle occupait déjà sous Macri. Ici, le message de continuité est clair. On parle même du retour de l’ancien président de la Banque centrale, Federico Sturzenegger, à la tête d’un ministère de la « modernisation » chargé de réduire le rôle de l’État et qui avait déjà existé pendant le mandat de l’ancien président de droite.
Tout cela est assez logique, dans la mesure où, au Congrès, la droite traditionnelle a plus d’élus que le parti libertarien du nouveau président.
Plus significatif encore, la direction de la Sécurité sociale (Anses), qui était promise à une proche de Javier Milei, Caroline Pípero, a finalement été attribuée à un fonctionnaire de la province de Córdoba, Osvaldo Giordano, affilié au candidat péroniste « indépendant » Juan Schiaretti.
Cette influence du macrisme, et avec celui-ci, des milieux d’affaires argentins, ne semble se confirmer nulle part aussi bien que dans le domaine économique. Le portefeuille de l’économie et le poste de gouverneur de la Banque centrale argentine, la BCRA, apparaissent comme les deux postes stratégiques du nouveau mandat.
Caputo, pilier du mandat Macri, à l’économie
Javier Milei a fait une campagne centrée sur l’économie et la lutte contre l’inflation, c’est donc là le centre de sa particularité politique. Or, depuis une semaine, ceux qui ont contribué à construire le programme du président élu laissent, là aussi, la place à la vieille garde macriste.
Le ministre de l’économie pressenti est Luís « Toto » Caputo, un pilier du mandat de Mauricio Macri. Ancien de la Deutsche Bank, secrétaire d’État au budget puis ministre des finances, il a fini ce mandat comme président de la BCRA. Tout ce que déteste, en théorie, Javier Milei.
Caputo est un pur produit de cette « caste » où se mêlent hauts fonctionnaires et gestionnaires de grandes entreprises. Les vidéos du futur président hurlant tout le mal qu’il pense de Luís Caputo, en en faisant un des artisans de la crise actuelle, circulent d’ailleurs sur les réseaux sociaux depuis la fin de la semaine dernière.
Seulement, depuis quelques jours, Javier Milei n’a pas de mots assez élogieux pour l’ancien ministre. Certes, sa nomination n’a pas encore été confirmée, mais il n’y a quasiment aucun doute : ce dernier se comporte déjà comme un ministre en exercice, rencontrant les milieux bancaires et le secteur agricole, et accompagnant même Javier Milei à Washington ce 27 novembre pour entamer des discussions importantes avec le Fonds monétaire international (FMI) et le Trésor étasunien.
Or cette nomination n’est pas qu’une question personnelle ou d’influence, elle va déterminer en grande partie la nature de la politique du futur gouvernement, notamment sur les deux aspects clés du programme Milei : la dollarisation et la fermeture de la Banque centrale.
Au point que l’évidence de la nomination de Luís Caputo a provoqué l’éviction du principal conseiller économique du nouveau président, Emilio Ocampo, qui avait été présenté dès avant le premier tour par Javier Milei comme le nouveau gouverneur de la BCRA chargé de la « dissoudre ». Ocampo a annoncé qu’il renonçait à ce poste, en grande partie en raison de désaccords fondamentaux avec Caputo…
L’obsession des « lettres de liquidité »
Pour saisir cette différence et ses conséquences, il faut rappeler la logique qui était celle du programme Milei, préparé en grande partie par Emilio Ocampo. Coauteur d’un ouvrage prônant la dollarisation rapide, et auteur d’un blog où il précisait ses idées sur le sujet, ce dernier pense que l’Argentine connaît une « dollarisation spontanée » qui se traduit par une préférence générale pour la devise étasunienne, au détriment du peso argentin.
En donnant rapidement cours légal au billet vert, on libérerait les avoirs des épargnants, on réduirait les taux d’intérêt et on attirerait les capitaux étrangers débarrassés du risque monétaire et du contrôle des changes. Son programme était donc celui d’un choc monétaire où, rapidement, le peso disparaissait.
Dans ce schéma, un des obstacles était la gestion d’un instrument financier de la BCRA, les Leliq (pour « Lettras del liquidez » ou « lettres de liquidité »). Créé en 2018 par… Luís Caputo, c’est un placement en pesos à un terme relativement court, majoritairement autour de deux mois, qui présente un rendement réel souvent légèrement négatif, compensé par sa valeur en dollars au taux officiel. Autrement dit, par rapport à un placement en dollars, très encadré en Argentine, les Leliq sont plutôt une bonne affaire.
Le camp libertarien a fait des lettres de liquidité le nœud de tous les problèmes du pays.
La BCRA utilise cet instrument pour « geler » une partie de la masse monétaire en pesos sans dégrader le taux de change. En soi, cet instrument ne présente pas de difficulté particulière parce que sa rémunération réelle est négative, c’est-à-dire que sa valeur réelle a tendance à se réduire et qu’il est remboursé en pesos, c’est-à-dire en monnaie émise par la BCRA. Il ne peut donc pas y avoir de défaut sur ses titres, en théorie.
Mais le camp libertarien en a fait, à l’image d’Emilio Ocampo, le nœud de tous les problèmes du pays. La masse des Leliq représente environ 23 000 milliards de pesos, ce qui, au cours officiel, équivaut à 64 milliards de dollars étasuniens. C’est effectivement effrayant au regard des 22 milliards de dollars de réserves en devises de la BCRA. Mais le problème ne se présente réellement que si l’on doit rembourser ces Leliq en dollars, c’est-à-dire si on dollarise l’économie. Autrement dit, le problème, en ce cas, ce ne sont pas les Leliq mais la dollarisation.
Les partisans de Javier Milei accusent alors les Leliq d’être la source de l’inflation galopante que connaît le pays (143 % sur un an) parce qu’ils contribuent à faire émettre de plus en plus de pesos par la BCRA. C’est le fameux « effet boule de neige » : la rémunération des Leliq augmente avec l’inflation, ce qui amène à émettre plus de pesos, donc à faire augmenter l’inflation et donc à augmenter encore le taux des Leliq.
Cette vision aussi est contestable, dans la mesure où les taux sont toujours négatifs en termes réels et que les Leliq permettent malgré tout de « neutraliser » une partie importante de la masse monétaire en pesos. Si les Leliq sont « roulés », c’est-à-dire renouvelés sans cesse, l’effet sur la masse monétaire et la demande en pesos reste plus réduite que si on laissait ces pesos sur le marché.
Cela ne veut pas dire que cet instrument ne pose pas de problème du tout. Il a été utilisé massivement par les banques pour recycler l’épargne locale, qui est ainsi dirigée vers la Banque centrale plutôt que vers le crédit et l’investissement. Or le vrai problème de l’Argentine, c’est sa structure productive déséquilibrée, qui l’oblige à importer massivement en dollars.
Mais ce problème n’est pas traité par les libertariens. Car leur vrai objectif est de lever rapidement le contrôle des changes. Or, si le peso devient librement convertible, l’intérêt des placements en Leliq disparaît et les 23 000 milliards de pesos vont rapidement chercher à devenir des dollars. Cela va entraîner un effondrement massif du peso et, inévitablement, une explosion de l’inflation qui pourrait bien déboucher sur de l’hyperinflation (définie comme une augmentation de 50 % des prix par mois).
On aura alors non seulement de l’hyperinflation, mais aussi une dette publique en dollars ingérable pour l’État argentin. Sans compter que les banques argentines, qui détiennent la masse des créances en Leliq, se retrouveraient avec des difficultés majeures. Pour les libertariens, il est donc essentiel de régler la « bulle des Leliq » avant de lever le contrôle des changes. Et c’est ici que se dresse le fossé entre Emilio Ocampo et Luís Caputo.
Changement de priorités
Le premier estime qu’on doit rapidement « dollariser » à condition de transformer la Banque centrale en une sorte de fonds de défaisance des Leliq. Concrètement, cela reviendrait à titriser les actifs de la Banque centrale, principalement des créances sur l’État argentin, pour les vendre sur les marchés financiers internationaux. Le produit de cette vente permettrait de financer le remboursement et l’épurement des Leliq.
Plus besoin de banque centrale, mais seulement d’une institution gérée par un liquidateur chargé simplement de collecter les fonds et de rembourser les créanciers. C’est pourquoi, dans cette logique, dollarisation et fermeture de la Banque centrale vont de pair.
Mais le ministre annoncé de l’économie, Luís Caputo donc, a une autre vision. Lui aussi adopte un discours alarmiste en apparence sur les Leliq et annonce vouloir réduire cette « bulle ». Mais sa méthode est très différente. Selon ses déclarations rapportées par la presse argentine lors de la rencontre avec le secteur bancaire, Luís Caputo aurait deux plans pour tenter de maîtriser les Leliq.
Le premier est de proposer un échange « volontaire » de Leliq contre de la dette publique à long terme moins rémunératrice, mais garantie par les recettes des privatisations de l’entreprise pétrolière YPF, ainsi que par le fonds de garantie de la Sécurité sociale. On viendrait donc transférer une charge de la Banque centrale que cette dernière peut gérer vers le budget de l’État fédéral, alors même que l’on va chercher à réduire les dépenses publiques.
Le second plan consisterait à lever 15 milliards de dollars sur les marchés financiers pour réduire les besoins de couverture en devises des Leliq et ainsi réduire progressivement leur émission.
Dimanche, dans une émission télévisée, Javier Milei a estimé que Luís Caputo, jadis appelé le « Messi de la finance », était l’expert le plus apte à régler le problème des Leliq. Mais rien n’est moins sûr, au regard de ces choix. En effet, le recours à l’endettement ne peut que contribuer à réduire la confiance dans l’État argentin et, partant, à aggraver la crise.
Si ce n’est pas rentable pour le secteur privé, c’est parce que ce n’est pas socialement désirable. Javier Milei
Tout cela ressemble cependant à un compromis au sein du capital argentin. La droite traditionnelle de Macri, proche des milieux bancaires, n’est pas favorable à la dollarisation et à la disparition de la Banque centrale. La question des Leliq n’est pas centrale pour ce courant conservateur, et donc pour Luís Caputo.
Mais il faut donner des gages aux électeurs libertariens et au président élu. Ce dernier, vendredi 24 novembre, s’est même fendu d’un communiqué pour préciser que la fermeture de la Banque centrale n’était « pas négociable ». Mais il ne précise pas à quel horizon, ce qui est très différent des plans montés par Emilio Ocampo.
En tentant une solution « volontaire » aux Leliq, on va dans le sens de l’objectif fixé par le président sans réellement chercher à régler le problème puisque, sans contrôle des changes, le plan d’échange volontaire n’a aucun sens : les épargnants iront acheter du dollar plutôt que de prêter à l’État argentin en pesos à taux réduit.
Devant les banquiers, Luís Caputo a d’ailleurs bien précisé que la levée du contrôle des changes n’était pas immédiate. La BCRA n’est donc pas près de fermer. Mais du moins aura-t-on tenté. On pourra alors passer aux choses sérieuses, sur lesquelles droite conservatrice et droite libertarienne sont d’accord : réduire les dépenses de l’État à un point tel que l’on fera baisser les prix et que le recours aux lettres de liquidité deviendra inutile. On pourra alors lever le contrôle des changes puisque la confiance dans la monnaie argentine aura été en théorie rétablie.
Évidemment, les choses peuvent encore bouger et des conflits peuvent réapparaître. Ce week-end, le proche de Mauricio Macri pressenti pour prendre la tête de la BCRA, Demian Reidel, a, à son tour, jeté l’éponge. Il était partisan de la levée rapide du contrôle des changes. Il y a ainsi une inversion des logiques : l’austérité devient centrale, la dollarisation et la fin de la Banque centrale deviennent un objectif lointain et donc plus incertain.
Nouveau consensus néolibéral radicalisé
Dès lors, l’austérité devrait être le cœur de la politique du nouveau mandat. Les premières semaines du gouvernement Milei s’annoncent comme extrêmement violentes. Dès le 11 décembre, un « paquet de lois de réforme de l’État » sera proposé et transmis au Congrès, qui sera convoqué en session extraordinaire.
Les coupes budgétaires seront « uniques dans l’histoire nationale », a prévenu le président élu en route vers Washington le 27 novembre. Elles devront être générales, notamment dans le domaine des travaux publics. Avec cette doctrine comme référence : « Si ce n’est pas rentable pour le secteur privé, c’est parce que ce n’est pas socialement désirable. » Ici, le point de jonction entre libertariens et néolibéraux classiques est facile à trouver : on privatise, on remplace l’action publique par le privé et on garantit les créances du secteur financier.
« Il faut faire l’ajustement. Le seul sujet est de savoir si nous le ferons de façon désordonnée avec des choses dantesques dont nous mettrons beaucoup de temps à sortir, ou si nous ferons un ajustement ordonné avec une macroéconomie ordonnée », a indiqué dimanche Javier Milei, en admettant cependant qu’il « y aura des choses négatives mais de manière transitoire ».
C’est là le discours austéritaire classique, promettant le bonheur après une souffrance nécessaire et ordonnée. Mais la réalité défie toujours ces propos qui, par ailleurs, ont peu de sens, car une « macroéconomie ordonnée » avec de l’austérité ne veut pas dire grand-chose.
D’ailleurs, Javier Milei a convenu qu’il faudra prévoir un filet de sécurité social pour amortir le choc. Mais là encore, les exemples historiques montrent que le coût social de l’austérité est tel qu’il devient vite indispensable de couper dans ces budgets. D’autant que le futur président entend non seulement rembourser le FMI, mais prendre aussi de nouvelles dettes en dollars. Il faudra donc serrer la vis pour payer les intérêts.
Ce que cette première semaine permet de voir est une réunification entre le courant libertarien et le courant néolibéral autour d’une forme de néolibéralisme radicalisé, qui se débarrasse des formes les plus extrêmes – la dollarisation rapide – pour conserver un choc libéral austéritaire classique mais ultraviolent.
Ce genre de compromis peut laisser certains libertariens radicaux sur la touche, comme Emilio Ocampo ou Carlos Rodríguez, proche conseiller économique de Javier Milei qui a annoncé vendredi 24 novembre son départ du parti présidentiel La Libertad avanza. En temps de crise, les conflits internes au capital sont courants, mais les compromis sont toujours possibles, tant que la société paie pour le redressement des profits.
publié le 30 nov 2023
Emilio Meslet sur www.humanite.fr
Un mois et demi après la rupture liée aux positions des insoumis sur le conflit au Moyen-Orient, le rassemblement des gauches reste en suspens. Une situation flottante qui devrait perdurer au moins jusqu’aux européennes.
Depuis l’été, la connexion est coupée. Des semaines que Marine Tondelier (les Écologistes), Manuel Bompard (FI), Igor Zamichiei (PCF) et Pierre Jouvet (PS) n’ont pas cliqué sur le bouton « rejoindre la réunion ». Le traditionnel rendez-vous zoom du lundi matin, à 10 heures, des représentants des principaux partis de gauche appartient au passé : la Nupes ne se parle plus.
Idem à l’Assemblée nationale, où l’intergroupe ne s’est pas réuni depuis plus d’un mois et un dernier échange des plus tendus à la suite du refus de la France insoumise de qualifier le Hamas d’organisation terroriste. Une prise de position qui a conduit le parti socialiste à dégainer un « moratoire » sur sa « participation aux travaux de la Nupes », cette coalition que Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, juge « enterrée ».
La Nupes est-elle vraiment morte, ou peut-elle se réinventer après la crise ? Une certaine unanimité se dessine : peu de chance de revoir l’alliance sous le même format que entre juin 2022 et octobre 2023. La faute, notamment, aux velléités hégémoniques des insoumis, qui braquent de plus en plus leurs potentiels partenaires.
Des réunions tous les mardis matin comme avant ? Là où Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste, se dit « optimiste », son homologue socialiste répond que « ça sera compliqué avec certains interlocuteurs », ciblant, sans le citer, le noyau dur mélenchoniste de la FI. Malgré tout, Mathilde Panot, cheffe de file insoumise, continue à déclarer les siens « toujours disponibles » : « C’est aux autres forces politiques de clarifier ce qu’elles veulent. »
Meeting commun sur la loi immigration
Dans un courrier adressé à ses équivalents dans les groupes de gauche, le président du groupe communiste André Chassaigne a tenté une médiation et tracé une voie de sortie de crise en proposant que les différentes formations « se rencontrent rapidement pour définir ensemble les nouvelles modalités d’un travail commun (…), au service de nos concitoyennes et concitoyens, qui devra respecter les spécificités de chacun ».
Une missive restée lettre morte depuis le 30 octobre. « On a fait un geste, estime le porte-parole Pierre Dharréville (PCF), dont le groupe s’est prononcé en faveur du maintien des liens avec la Nupes. Les désaccords se sont exprimés. Ils sont manifestes. Voyons maintenant comment renouer le fil. »
Mais, dans les faits, la Nupes survit à l’échelle interpersonnelle. « En commission, on travaille comme avant », raconte le communiste Sébastien Jumel. Un an et demi à travailler ensemble, ça laisse des traces. C’est le cas notamment concernant le projet de loi immigration, dont la dureté oblige à l’union. « Tout le monde a conscience que c’est une bataille culturelle et morale qui se joue », résume Benjamin Lucas, chef de file écologiste sur le texte.
Plusieurs réunions se sont tenues sur le sujet et un meeting commun, organisé par Génération.s, est même prévu, le 4 décembre à la Bellevilloise (Paris). De même, les quatre groupes de gauche ont déposé, ensemble, un recours devant le Conseil constitutionnel sur la loi dite plein-emploi. Et, de son côté, l’insoumis Éric Coquerel travaille à réchauffer les relations, en particulier en tentant d’organiser un voyage commun à Rafah, à la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza.
Un Nupes alternative de façon plus ou moins informelle
Côté partis, les liens sont plus distendus. Un poil excessif, Manuel Bompard, coordinateur de la FI, les qualifie d’« inexistants ». « C’est normal : malgré nous, ils ont adopté les codes d’une Ve République qui ne connaît que le rapport de force », estime l’écologiste Sandra Regol.
Malgré quelques noms d’oiseaux échangés par réseaux sociaux interposés, des relations bilatérales subsistent cependant. « Il y a des échanges, notamment à propos des manifestations contre l’antisémitisme ou en soutien aux Gazaouis. On voit bien qu’il y a des tensions fortes entre PCF et FI, comme entre PS et FI, mais notre objectif est de dialoguer avec tous », affirme Olivier Bertrand, chargé des relations extérieures des Écologistes.
« J’espère que, d’ici les européennes, nous pourrons porter des combats communs sur le pouvoir d’achat, le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes, le recul sur le glyphosate ou encore le droit aux vacances, plaide Johanna Rolland, première secrétaire adjointe du PS. Les listes séparées ne doivent pas empêcher cela. » L’élection semble suspendre toute recomposition d’ici à juin 2024, où tout le monde est décidé à se compter pour rebattre les cartes.
En attendant, une Nupes alternative semble déjà se mettre en place de façon plus ou moins informelle. On l’a vu lors des récentes manifestations où Fabien Roussel, Marine Tondelier et Olivier Faure ont défilé ensemble. Une union ouverte aux insoumis mais pas à tous. Le secrétaire national du PCF dit, par exemple, n’avoir « aucune difficulté » à travailler avec ceux, à la FI, « qui ne partagent pas les prises de position que Jean-Luc Mélenchon et les leaders insoumis ont eues sur les récents événements internationaux ».
Un « problème Mélenchon » ?
Ceux qu’on appelle les frondeurs : Clémentine Autain, Raquel Garrido, François Ruffin, Alexis Corbière… « En général, les choses se passent bien jusqu’au moment où Jean-Luc Mélenchon twitte, avec une tendance à tout balancer par-dessus le bord », pense Pierre Jouvet, secrétaire général du PS.
Au PCF, au PS, chez les Écologistes et même parfois à la FI, on pointe régulièrement un « problème Mélenchon » qui écraserait les différentes composantes. Sans pouvoir le dire publiquement, beaucoup souhaitent que l’ancien candidat à la présidentielle, prompt à tout conflictualiser, « se taise ».
Malgré les vives tensions, socialistes et écologistes n’abandonnent pas leur projet de candidature unique de l’ensemble de la gauche en 2027. Une hypothèse qui peut séduire les insoumis, à condition que leur champion soit celui du rassemblement.
« Il y a deux options. Soit on rejoue chacun notre partition en solo en voulant plier le match et on reproduira la séquence 2017-2022. Soit on est convaincus qu’on doit travailler ensemble pour éviter que l’extrême droite ne gagne », pose Pierre Jouvet. « La question de fond n’est pas Jean-Luc Mélenchon : la gravité de la période implique de se retrouver pour éviter le pire », plaide Éric Coquerel. Mais pour Fabien Roussel : « 2027 n’est pas dans l’actualité : je suis inquiet de la montée de l’extrême droite aujourd’hui et la situation sociale explosive. »
publié le 29 novembre 2023
Simon Mauvieux sur https://rapportsdeforce.fr/
Le 7 décembre 2021, 18 travailleurs sans papier de l’agence Chronopost d’Alfortville ont déclenché une grève devant leur dépôt, pour dénoncer les conditions de travail indignes et demander leur régularisation. En deux ans, le mouvement est devenu incontournable dans la lutte des travailleurs sans-papiers. Il rappelle aussi que les régularisations peuvent s’obtenir par la lutte, plutôt que par l’exploitation au travail.
Tenir les comptes du nombre de manifestations organisées par les Chronopost d’Alfortville depuis deux ans relève de l’exploit, tant le petit groupe de travailleurs sans-papiers a su rester actif et mobilisé ces 24 derniers mois. Le siège de Chronopost porte d’Orléans, la préfecture du Val-de-Marne, l’Église de Créteil, ces lieux ils les connaissent par cœur, ils y ont battu le pavé des dizaines de fois, mégaphone et tambour à la main.
Malgré deux ans de lutte durant lesquelles très peu de personnes ont pu être régularisées, le mouvement n’a pas reculé d’un pouce. « Dans le marasme actuel, où le mouvement ouvrier se porte pas très bien, où la résistance de classe n’est pas facile, ils ont montré que des choses étaient encore possibles », résume admiratif Jean Louis Marziani, de SUD solidaires, présent depuis le début auprès des chronos. Fin 2021, des travailleurs sans-papiers de trois sites se mettent en grève : celui de Chronopost Alfortville, DPD au Coudray-Monceaux, et RSI à Gennevilliers.
À Alfortville, dès le départ, d’autres sans-papiers rejoignent la lutte des grévistes, élargissant alors les demandes de régularisation à tous les travailleurs sans-papiers présents sur le piquet de grève, devenu un camp permanent et désormais un lieu de lutte et de solidarité. Car le collectif permet de centraliser les demandes de régularisations, pour venir à bout collectivement de démarches administratives longues et complexes. Trente-deux dossiers ont été déposés en préfecture cet été, dont les 18 grévistes de Chronopost. Depuis, 14 personnes ont été régularisées, mais seulement trois sont issus du groupe de grévistes de Chronopost. Selon la préfecture, qui a communiqué le 24 novembre sur ces régularisations, le lien de travail n’a pas pu être avéré pour les autres anciens intérimaires de Chronopost. Une nouvelle accueillie froidement par les grévistes, qui entendent toujours poursuivre la lutte pour la régularisation de l’ensemble du collectif.
« On ne peut plus faire marche arrière », la détermination des chronopost reste intacte
Dans les bureaux de la préfecture du Val-de-Marne, immense bâtiment aux fenêtres orangées planté au bord du lac de Créteil, on doit connaitre par cœur les slogans demandant l’ouverture des guichets et la régularisation des travailleurs sans papiers. Lieu emblématique de la lutte, c’est ici que terminent généralement les manifestations des chronos. C’est ici aussi que la bataille pourrait s’achever, avec à la clé, les régularisations de tous les travailleurs sans-papiers du piquet, la revendication principale des grévistes depuis deux ans.
« Ouvrez les guichets, régularisez », une fois de plus, ces mots résonnent sur le boulevard qui mène à la préfecture, ce mercredi 22 novembre, où une centaine de travailleurs sans-papiers marchent au rythme des chants et des tambours. Dans le cortège, Demba* raconte ces deux ans de lutte, lui qui n’a pas travaillé chez Chronopost, mais qui vit les mêmes galères et les mêmes humiliations au travail, dans le BTP, dans des centres de tri ou des usines. Il a rejoint la lutte dès le début, refusant parfois des journées de travail pour venir aux manifs. Il vit sur le piquet depuis deux ans avec ses camarades, et ne compte s’arrêter là. « On est déterminé, et on poursuit l’objectif qu’on s’est fixé dès le début : la régularisation. On n’arrêtera pas tant qu’on ne l’a pas obtenue, c’est la seule solution », lance-t-il avec conviction.
Tous ici partagent ce point de vue, impossible de s’arrêter maintenant tant les sacrifices ont été importants. « Deux ans c’est long, et c’est dur de vivre sur le piquet de grève, de dormir dehors, même un jour c’est difficile alors imaginez deux ans ! », s’exclame Mamadou Drame, lunettes de soleil sur le nez. « On restera jusqu’en 2026 s’il le faut, jusqu’à ce que tout le monde ait une carte de séjour », poursuit-il. Lui vient d’obtenir une carte d’un an, mais son engagement pour les régularisations de ses camarades reste intact : « Même si j’ai eu mon titre, je continue la lutte pour les autres », clame-t-il.
Forger la solidarité, étendre la lutte
La grève des chronos ne se résume pas qu’à un piquet de grève. En deux ans, de solides liens se sont forgés entre ces travailleurs sans-papiers, qu’ils aient travaillé chez Chronopost ou non. « On est comme une famille », souligne Mamadou Drame. Alors que 18 anciens travailleurs de Chronopost n’ont pas repris le travail depuis deux ans, les soutiens eux, continuent d’aller travailler, dans le nettoyage, le BTP, ou la restauration, comme les centaines de milliers de sans-papiers qui travaillent en France. L’exploitation et les humiliations que dénoncent les chronos, ils les vivent au quotidien. Alors le collectif est devenu une arme face aux abus des « patrons voyous », comme on les appelle ici.
Mi-novembre, deux travailleurs sans-papiers du piquet, qui travaillaient sur un chantier de rénovation en Seine-et-Marne, ont alerté leurs camarades : leur patron avait arrêté de les payer. Une petite équipe se forme et une manif (déclarée en préfecture) s’organise pour aller réclamer leur salaire, directement sur le chantier. Le retour au piquet s’est fait dans la joie, les deux travailleurs ont récupéré les 1500 euros que leur patron refusait de leur verser. « C’est des choses concrètes comme celle-ci qui est permise par la force de ce collectif », résume Jean Louis Marziani de Sud Solidaires. Au long de ces deux dernières années, le syndicat a pu aider de nombreux travailleurs du piquet à obtenir des certificats de concordance ou le fameux Cerfa, ce document qui prouve l’embauche d’un salarié étranger, document central dans un dossier de régularisations.
La Poste continue de jouer l’autruche à Chronopost
Employés par Derichebourg, un sous-traitant de Chronopost, les grévistes n’ont toujours pas obtenu la reconnaissance officielle de leurs liens avec leur ancien employeur. Une situation gênante pour la Poste qui a toujours affirmé ne pas être au courant des agissements de son sous-traitant. Aux yeux de la loi pourtant et en tant que donneur d’ordre, l’entreprise publique a l’obligation de veiller à ce que ses sous-traitants n’aient pas recours au travail dissimulé.
La Poste a justement rompu son contrat en 2022 avec Derichebourg pour la gestion du site d’Alfortville, mais aussi celui de DPD au Coudray Manceau (91), un autre site en lutte depuis 2021. « La poste, c’est toujours l’axe vertébrant de la lutte, c’est quelque chose d’emblématique pour montrer que l’État fabrique les lois pour rendre la vie impossible aux sans-papiers, mais les exploite aussi à travers ses entreprises », souligne Christian Schweyer, du collectif des travailleurs sans papier de Vitry (CTSPV). Assigné ne justice par Sud PTT, La Poste s’est retrouvé le 20 septembre face aux juges, accusées d’avoir manqué à son devoir de vigilance, notamment pour avoir laissé ses sous-traitants embaucher des sans-papiers. Le délibéré doit être prononcé le 5 décembre prochain.
Si cette assignation a été vécue comme une victoire pour les grévistes et les syndicalistes, derrière la Poste, c’est l’État et ses responsabilités qui sont aussi visées, de quoi rendre encore plus compliqué la résolution de ce dossier que l’État à tout intérêt à faire trainer. Le 31 octobre lors des questions au gouvernement, le Sénateur communiste Pascal Savoldelli a justement demandé des « réparations » à l’État, face à une situation « illégale » et « inhumaine ». La ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, Dominique Faure, qui lui a répondu, a indiqué que « l’inspection du travail mène à ce jour les investigations nécessaires concernant les salariés du site d’Alfortville ». Une information confirmée par la préfecture, qui a indiqué par voie de communiqué le 24 novembre que «les contrôles menés en 2022 sur le site de Chronopost à Alfortville n’ont pas démontré d’infractions liées au travail illégal».
« Lors des contrôles, on nous demandait de nous cacher dans les toilettes »
Pourtant, sur le piquet, personne n’a vu l’inspection du travail ni n’a été invité à fournir les preuves, pourtant abondantes, de l’emploi de travailleurs sans papiers chez Chronopost. Sur leurs téléphones, les grévistes auraient des choses à montrer à l’inspection du travail, notamment ces photos ou vidéos sur lesquelles ils apparaissent, gilet de sécurité sur le dos, triant des colis. Traoré*, l’un des grévistes a encore au travers de la gorge la manière dont ils ont été traités par Derichebourg, quand l’entreprise avait encore besoin d’eux dans le centre de tri, notamment pendant le Covid.
« On a travaillé là-bas comme des esclaves, ils nous ont traités comme des animaux », se rappelle-t-il. À chaque contrôle de l’inspection du travail, son chef d’équipe lui disait d’aller se cacher aux toilettes. « Et finalement, on a eu une inspection surprise un jour, l’inspecteur a bien vu que les papiers que je lui ai montrés n’étaient pas les miens. J’ai eu honte, mes collègues ne savaient pas que j’étais sans-papiers », dit-il. Ce dernier contrôle marquera la fin de ses missions dans ce centre, mais malgré tout, l’agence d’intérim le rappellera quelques jours plus tard pour aller travailler chez DPD, en Essonne. « Ils savaient très bien que je n’avais pas de papiers », affirme-t-il.
Prochaine étape : le combat contre la loi immigration
Le prochain grand rendez-vous des grévistes a déjà été pris, ce sera dans la rue le 3 décembre, à l’occasion des 40 ans de la marche pour l’égalité de 1983 et le 18 décembre, pour la journée internationale des migrants. Des manifestations qui ont pour but de s’opposer au projet de loi immigration, dont le texte qui ferait pâlir d’envie l’extrême droite arrive à l’Assemblée nationale début décembre. Une loi qui pourrait rendre encore plus difficile les régularisations et qui vise aussi à criminaliser et précariser les étrangers sans-papiers, en facilitant leur arrestation et leur expulsion et en supprimant la Sécurité sociale ou les allocations familiales.
« L’heure est grave, l’État a touché le fond, ils veulent nous priver de soins ou de l’aide sociale, ils veulent laisser les gens crever de maladie ou de faim. Nous on vient pour pouvoir vivre dignement, mais c’est l’impérialisme qui a décidé de lier l’histoire de France à la nôtre. La France a plein d’entreprises au Mali, au Sénégal, l’uranium des centrales françaises, il vient d’où ?! », clame Aboubacar Dembélé, l’un des porte-paroles des grévistes. « La loi elle va contre nous, alors qu’on travaille ici, restauration, bâtiment, logistique, manutention, qui fait ces boulots ? C’est les étrangers. Ils nous traitent comme des voleurs, comme des délinquants, alors qu’on est là pour travailler, c’est des hypocrites, il est temps qu’on se réveille ! », abonde Traoré.
Comme beaucoup de travailleurs sans-papiers, Traoré explique être parti de son pays pour retrouver des membres de leur famille, qui travaillent en France depuis plusieurs générations : « Moi, mon père, mon grand-père, ils ont tous travaillé ici comme des esclaves. Ils sont morts deux ans après leurs retraites tellement ils avaient travaillé. Moi je suis venu ici en tant qu’ancien colonisé par la France et ils nous traitent encore comme des animaux », ajoute-t-il. Ces deux ans de lutte auront profondément ancré les chronos et leurs soutiens dans le mouvement des luttes de l’immigration. En rappelant que leur situation fait partie d’un continuum historique, ils ont choisi la voie de la lutte pour rappeler que l’amélioration de la vie des sans-papiers passe avant tout par le combat politique.
publié le 29 novembre 2023
Luis Reygada sur www.humanite.fr
Alors que nombre de chefs d’État affichent un soutien inconditionnel à Tel-Aviv, Leïla Shahid, ancienne déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France et à Bruxelles, souligne l’importance du contrepoids des peuples, possible levier pour atteindre une solution politique. Interview.
Face à la gravité de la situation, la solidarité avec la Palestine est-elle à la hauteur ?
Leïla Shahid : Il faut bien faire la différence entre les États et les peuples. D’un côté, les gouvernements sont d’une lâcheté totale face à l’occupation qui dure depuis maintenant cinquante-six ans. La tragédie du 7 octobre, avec toutes ces familles israéliennes assassinées, relève du crime de guerre, mais la réponse totalement disproportionnée de Tel-Aviv est aussi la conséquence de décennies d’impunité.
En cela, la responsabilité de la communauté internationale est majeure, de l’Union européenne (UE) à la Ligue arabe, en passant par les États-Unis d’Amérique et les Nations unies. Je salue d’ailleurs les récentes prises de position espagnoles et belges, à contre-courant de la ligne dominante au sein de l’UE.
Mais, de façon générale, tout le monde a laissé faire, même avec le retour au pouvoir de Benyamin Netanyahou à la tête d’un gouvernement suprémaciste juif. De l’autre côté, il y a la solidarité des peuples. Elle ne s’était jamais autant exprimée au niveau international.
À Londres, en Indonésie, en Amérique latine, en Espagne… des centaines de milliers de manifestants expriment leur soutien aux Palestiniens, même dans des pays qui ne s’étaient pas mobilisés auparavant pour cette cause. Il y a une réaction extraordinaire de la part des citoyens de ce monde. Ils se sentent réellement concernés par la tragédie en cours. C’est un véritable tournant dans l’histoire de la Palestine.
Comment expliquez que la jeunesse ait à ce point à cœur la cause palestinienne ?
Leïla Shahid : IElle concerne toute une génération qui n’a pas connu les guerres de 2014 et de 2018 et qui vit aujourd’hui un conflit presque en direct. Et ce, en dépit de la volonté d’Israël d’occulter l’horreur que subit la population civile – avec notamment l’interdiction aux journalistes étrangers d’entrer dans la bande de Gaza, ou encore l’absence de réseau Internet qui empêche les Gazaouis d’envoyer des vidéos à l’extérieur.
Il n’est plus possible de masquer la politique absolument criminelle de l’armée israélienne. Beaucoup de jeunes découvrent actuellement le niveau de violence et le degré de douleur endurés par les Palestiniens. Finalement, sans compter le courage et la bravoure des citoyens civils palestiniens, cette solidarité internationale est peut-être l’une des seules choses qui me redonne confiance.
Comment transformer cette énergie en actions concrètes pour faire évoluer le cours des choses ?
Leïla Shahid : ILa solidarité peut et doit servir à faire pression sur les gouvernements. Tout comme la société civile israélienne a imposé à Benyamin Netanyahou de s’occuper des otages, alors que ce sujet n’était pas une priorité compte tenu des objectifs militaires. J’ai l’impression que les citoyens se rendent compte qu’ils peuvent jouer un rôle de premier plan en réclamant à leurs gouvernements des explications.
La démocratie représentative n’est plus un blanc-seing, les structures gouvernementales sont redevables de leurs actes au quotidien, et notamment en matière de politique étrangère. Surtout lorsque, comme en Palestine, il s’agit d’une question de vie ou de mort pour des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.
Il faut user de toutes les formes d’actions possibles. Les manifestations sont le premier levier d’action. Elles matérialisent la pression de l’opinion publique sur l’Assemblée nationale, le Sénat, le gouvernement et la présidence. Il est également nécessaire d’exiger la reconnaissance de l’État Palestinien. Le fait que la France ne l’ait toujours pas fait est inconcevable. Cette reconnaissance est une forme de protection pour le peuple palestinien face à un occupant doté de l’arme nucléaire.
À d’autres niveaux, les coopérations municipales, associatives sont assez foisonnantes en France. Ces actions concrètes peuvent-elles servir d’exemple ?
Leïla Shahid : IIl faut poursuivre ce que fait le réseau des villes jumelées entre la Palestine et la France. Je compare souvent ces liens noués à de la politique solidaire, internationaliste. Il faut les intensifier. Nous sommes dans une phase où il ne suffit pas seulement de faire du militantisme classique, il est nécessaire de parvenir à créer des ponts entre les sociétés. C’est extrêmement important pour les Palestiniens qui sont un petit peuple, très courageux et digne.
« La réponse politique est nécessaire pour atteindre la paix, mais il faudrait un peu plus de courage de la part des gouvernements. » Leïla Shahid
Toutefois, n’oublions pas que la question de la Palestine n’est pas seulement humanitaire – même si la situation à Gaza est aujourd’hui terrible et extrêmement préoccupante. Elle est fondamentalement politique. Et de ce point de vue là également, l’action des sociétés civiles du monde entier pour imposer aux gouvernements de réagir est la seule chose sur laquelle nous pouvons compter.
Au risque de laisser Israël commettre le pire ? Il y a quelques semaines, sept rapporteurs spéciaux des Nations unies s’inquiétaient déjà d’un « risque de génocide » à Gaza.
Leïla Shahid : IIl ne faut pas sous-estimer combien ce qui se passe depuis le 7 octobre a changé la donne. La stratégie de l’État israélien confine au comportement suicidaire. Son gouvernement détruit toute possibilité de coexistence dans la région. Pas seulement avec les Palestiniens, mais avec tous les pays arabes.
Sans solution politique, ce conflit risque de s’étendre comme une traînée de poudre et d’enflammer tout le Moyen Orient. La réponse politique est nécessaire pour atteindre la paix, mais il faudrait un peu plus de courage de la part des gouvernements. Aujourd’hui, ceux qui peuvent les pousser à prendre leurs responsabilités sont les mouvements de solidarité issus notamment de la société civile.
publié le 28 novembre 2023
Nejma Brahim, Mathilde Goanec, Manuel Magrez et Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr
Le rassemblement violent de néonazis à Romans-sur-Isère met en lumière la litanie des agressions de l’extrême droite. Des militants associatifs, élus et acteurs de terrain racontent à Mediapart un climat de menaces et d’intimidations parfois « effrayant ».
L’expédition violente de militants néonazis à Romans-sur-Isère (Drôme), samedi 25 novembre, vient allonger une longue liste d’irruptions violentes de l’extrême droite à travers le pays. Des universités aux bars antifascistes, des quartiers populaires aux associations féministes, de Lyon à Rennes, en passant par Paris, Bordeaux ou Orléans, les agressions de bandes radicales se multiplient à travers le pays et dessinent, mises bout à bout, un climat d’affirmation de la fachosphère sur le terrain.
À Stains, les images de Romans-sur-Isère ont indigné Mehdi Messai, jeune élu local, par ailleurs professeur dans l’Éducation nationale. « On parle de groupuscules violents, de ratonnades, de mecs avec des battes de baseball, assure-t-il. C’est fou, quand même. Vous imaginez, si on parlait de mecs de quartier avec des battes et des armes, criant des slogans anti-France ou je ne sais quoi ? Le choc national que ça aurait été ! Là, on a l’impression que c’est normal. »
Pour une large partie des populations racisées ou du tissu associatif marqué à gauche, tout cela n’est pourtant pas une immense découverte. Les récits que nous font nos interlocuteurs et interlocutrices se ressemblent terriblement. Cela commence par des signaux faibles, des messages reçus comme des avertissements. À Saint-Brevin-les-Pins, la gauche et le tissu associatif local se souviennent des mois qui ont précédé le déménagement d’un Centre d’accueil pour demandeurs et demandeuses d’asile (Cada). L’installation du lieu, décidée par l’État, a été largement instrumentalisée par l’extrême droite après l’épisode de Callac (lire nos articles ici et là).
Président d’un collectif d’habitant·es qui viennent en aide aux demandeurs et demandeuses d’asile, Philippe Croze se souvient des « tentatives d’intimidation ». Il raconte le tract « très bizarre » déposé dans sa boîte aux lettres, qui décrivait les migrants comme « des délinquants dont il fallait se méfier » ; des articles de Riposte laïque, un site d’extrême droite, qu’il retrouvait « timbrés et à [son] nom ». Alors que, dans le même temps, la maison du maire de la commune est incendiée, Philippe Croze porte plainte à deux reprises. « J’étais clairement identifié comme étant un catho de gauche, assure-t-il. Ils étaient très bien renseignés. »
Durant des mois, un climat « malsain » s’installe à Saint-Brevin-les-Pins. À l’époque, la gendarmerie lui promet de « faire des rondes » autour de son domicile. Des parents d’élèves de l’école située près des futurs locaux du Cada reçoivent des mails visant à les intimider. Au marché, les discussions tournent parfois, raconte-t-il, autour des « migrants » qui arriveraient en ville. « C’est effrayant, commente-t-il aujourd’hui au sujet de l’extrême droite. Je pense qu’ils sont relativement peu nombreux mais qu’ils sont très organisés et mobiles. Sur les photos qui circulent, on retrouve les mêmes à Callac, Saint-Brevin ou Saint-Jean-de-Monts », trois lieux ciblés par ces réseaux pour les mêmes raisons.
Élue Europe-Écologie Les Verts (EELV), Véronique Rey-Thibault évoque quant à elle la « peur » qui traverse alors la commune. Les tracts pro-Zemmour, les messages sur les réseaux sociaux, les manifestations devant la mairie aux cris de « On ne t’entend plus, Clément Méric » (un militant antifasciste tué par l’extrême droite en 2013)… « À chaque fois, ces groupuscules étaient protégés par la police », déplore-t-elle. Ils reviennent régulièrement, jusqu’à ce colloque sur les migrations organisé en septembre dernier, où plusieurs lieux publics doivent fermer par mesure de sécurité. « On s’est retrouvés avec une protection policière folle », observe l’élue, à cause de groupuscules « bien plus dangereux que la prétendue ultragauche ». Mais l’État préfère selon elle pointer les « écoterroristes ».
À Rennes, la gauche locale a également connu son moment de terreur. Ciblée après l’attentat d’Arras, parce qu’elle avait protesté plusieurs années plus tôt contre l’expulsion de la famille du terroriste, la section communiste a été vandalisée. Sur la devanture du local, étaient inscrites les phrases « Traîtres à la France, PCF assassin » ou « aujourd’hui le PCF soutient les assassins islamistes comme autrefois il défendait les terroristes algériens du FLN ». Le tout entouré de faux sang et de cordons, comme pour mimer une scène de crime.
D’autres organisations, comme le Réseau éducation sans frontières (RESF), en ont fait les frais. « Il y a eu beaucoup d’appels en numéros privés, des insultes et des menaces par téléphone », raconte Joelle Quemener, militante de RESF. Ce harcèlement « a duré trois semaines environ, maintenant ça s’est calmé », retrace-t-elle. « J’ai peut-être tort mais je m’en fiche et je continuerai de militer. »
À Nanterre et à Stains, les menaces régulières
À Saint-Brevin comme à Rennes, le plus dur est, semble-t-il, passé. Ailleurs, on craint qu’il arrive seulement. À Nanterre (Hauts-de-Seine), par exemple, les bénévoles de la mosquée de la ville ont reçu le 8 novembre dernier une lettre des « amis de Charles Martel » les menaçant de « brûler au hasard » les « mosquées », les « quartiers », les « cités » et de « pourchasser » les musulmans « hors de France jusqu’au dernier ».
La mort de Nahel Merzouk, un adolescent tué par la police fin juin, puis les révoltes urbaines qui ont suivi ont déjà placé la commune de l’ouest parisien sous les projecteurs morbides de l’extrême droite. D’attaque frontale, il n’y a pourtant pas eu. Pour l’instant. « La réaction autour de moi était sur le mode : “Qu’ils viennent, on les attend !” », raconte Mornia Labssi, habitante d’une des cités de la ville et syndicaliste à la CGT. Ici, la ville a une longue histoire militante, mais aussi coloniale et de migrations, qui en fait à la fois une cible et un rempart.
« L’idée n’est pas d’aller à la confrontation mais ce n’est pas neutre comme narratif, poursuit Mornia Labssi. Cela dit bien le sentiment, conscient ou inconscient, qu’il y a très peu de prise en charge de ceux qui sont censés garantir notre sécurité, c’est-à-dire la police et la justice, et qu’on va devoir se défendre tout seuls contre l’extrême droite. »
Que ce soit après l’envahissement de la mairie de Stains, en Seine-Saint-Denis, par une dizaine de membres du groupuscule Action française il y un an, ou après les événements de Romans-sur-Isère, Mornia Labssi s’inquiète également des vocables ayant cours dans l’espace politique et médiatique pour les qualifier. « On parle trop souvent de “militants” d'extrême droite : ce n’est pas neutre et cela nous heurte !, lance-t-elle. Il s’agit d’une forme de normalisation de ces groupes et de leurs idées. »
Les responsables politiques n’ont pas pris la mesure de leurs discours. La haine s’est totalement libérée.
À Stains, justement, Mehdi Messai a vécu de près la manifestation violente organisée par l’Action française en octobre 2022. L’élu local, adjoint du maire communiste Azzedine Taïbi, raconte avec une banalité déconcertante les « menaces de mort hebdomadaires » reçues par l’équipe municipale. « On est obligés de faire des périmètres de sécurité régulièrement pour faire sortir le personnel municipal, poursuit le jeune élu. On a tellement de lettres menaçantes, de colis suspects et autres qu’on a appris à vivre avec ça. Et on a l’impression que ça n’intéresse personne. »
La montée de l’extrême droite indigne celui qui est engagé à gauche, mais aussi au sein d’une association d’amitié franco-algérienne. « Les immigrés d’hier qui étaient dans des métiers en bas de l’échelle sont aujourd’hui dans des postes à responsabilité, et ça fait peur à une partie de la France, pointe-t-il. Ajoutez à cela un contexte de guerre d’occupation en Palestine, de discussion d’une loi “immigration” très à droite, la stigmatisation quotidienne et l’ambiance anxiogène diffusée par la télévision… Tout ça fait un mélange explosif. Et chez certains, la peur et la haine de l’autre deviennent de la violence politique, armée. »
Le tout avec la complicité, au moins passive, des pouvoirs publics, selon Mehdi Messai. « La Marche des Beurs a 40 ans et les revendications d’égalité sont toujours là, souligne-t-il. Les responsables politiques n’ont pas pris la mesure de leurs discours. La haine s’est totalement libérée. Le moindre appel à la ratonnade rassemble des foules aujourd’hui. Et le ministère de l’intérieur a du mal à canaliser tous ces groupuscules. Rien n’est fait par les pouvoirs publics pour arranger les choses. On laisse passer. »
À Lyon, c’est très directement le conflit entre Israël et le Hamas qui a donné lieu à une attaque. Le 11 novembre au soir, alors qu’une conférence dédiée au blocus de la bande de Gaza organisée par le collectif Palestine 69 se tient dans le Vieux Lyon, un groupe de militants d’extrême droite tente de faire irruption dans la Maison des passages. Dans la rue attenante, les slogans des assaillants laissent peu de doute sur leur appartenance politique. « La rue, la France, nous appartient », est scandé par le groupe d’hommes encagoulés.
« J’étais inquiète », admet Nadine Chopin, présidente de la Maison des passages, qui dit cependant « ne pas être surprise » de cette attaque. « On est un lieu très identifié », explique-t-elle, faisant de cette salle une cible de choix pour l’extrême droite. Si le dernier événement d’une telle violence date d’il y a une dizaine d’années, Nadine Chopin se dit habituée. « Entre-temps, il y a eu des intimidations. Des jets de pierres dans la vitrine qui nous ont obligés à installer un rideau de fer, et des affiches collées presque tous les ans. Les dernières en date étaient celles de Zemmour », retrace la présidente de la Maison des passages.
« Cette fois-ci, on a eu beaucoup de messages de soutien, personne ne nous a dit qu’il ne viendrait plus par crainte, ce qui m’étonne moi-même », ajoute-t-elle. Avant de conclure : « En fait, les gens nous disent qu’ils veulent résister. »
publié le 28 novembre 2023
sur www.humanite.fr
Annoncée ce vendredi avec "du plomb dans l'aile" par l'AFP ou bientôt "en sommeil" par le Monde, l'intersyndicale, mise sur pied par les huit syndicats contre la réforme des retraites, traverse des turbulences. Analyse.
Il a fallu une dépêche AFP et un article du Monde ce vendredi matin pour que les suiveurs du mouvement syndical entrent en ébullition. La bonne entente qu’ont su créer la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA, Solidaires et la FSU pour mener le mouvement historique contre la réforme des retraites, “a du plomb dans l’aile”, selon l’agence de presse, va être mise “en sommeil”, écrit le quotidien du soir.
Les leaders de l’intersyndicale sont censés acter la nouvelle situation vendredi 1er décembre prochain, lors d’un rendez-vous fixé au lendemain de la journée de manifestation du 13 octobre, à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES), consacrée vendredi 13 octobre aux salaires, à l’égalité femme-homme et contre l’austérité budgétaire. Une réunion qui doit organiser la nouvelle salve de mobilisations européennes le 12 décembre prochain.
Les sources de division pèsent-elles désormais plus lourd que les revendications communes? Les huit centrales syndicales sont-elles en passent de renouer avec leurs anciennes divisions, avec d’un côté les “réformistes”, de l’autre les “contestaires”? La situation est bien plus nuancée.
Les raisons de la désunion
« Je pense que le moment est venu d’éclaircir les choses entre nous (…). Rien ne justifie aujourd’hui que l’intersyndicale perdure», explique François Hommeril, le président de la CFE-CGC, au Monde. “On a eu du mal à trouver la date et on s’était déjà vus beaucoup. Je crois qu’on n’avait pas tout à fait envie de se voir tous”, ironise Frédéric Souillot, numéro un de Force ouvrière à l’AFP à propos du rendez-vous de vendredi prochain. Dans ces articles, les deux responsables se montrent les plus tranchés quant à l’avenir de l’intersyndicale. Mais pas pour les mêmes raisons.
A Force ouvrière, Frédéric Souillot a été élu en juin dernier pour succéder à Yves Veyrier, avec le mandat d’augmenter l’audience syndicale de la confédération. “FO n’a pas vocation à rester sur la dernière marche du podium”, derrière la CFDT et la CGT, avait expliqué Yves Veyrier en préambule du congrès de Rouen, alors que le syndicat avait vu ses résultats stagnés lors des dernières élections professionnelles dans le public (18,1%, -0,5%, en 2018) comme dans le privé (15,24%, -0,36% en 2021).
A l’heure où 70% des instances représentatives des personnels sont en passe d’être renouvelées d’ici février 2024, FO doit donc montrer ses différences avec la CFDT et la CGT, lors des campagnes pour les élections aux comités sociaux et économiques dans les entreprises. Des campagnes qui, forcément, tendent les relations entre syndicats sur le terrain.
La CFE-CGC a elle-aussi des enjeux de représentativité. Le syndicat des cadres doit faire sa place parmi toutes les autres confédérations inter-catégorielles. A ce sujet, elle vient de frapper un grand coup dans l’énergie. Mais à cela s’ajoutent les suites de l’accord sur l’Assurance chômage. Trouvé mi-novembre et signé par les trois organisations patronales d’un côté, la CFDT, la CFTC et FO côté salariés, le texte a provoqué la colère de l’organisation présidée par François Hommeril qui, une fois n’est pas coutume, a quitté la table des négociations avant le terme des discussions.
Objet de l’ire: la dégressivité de l’allocation-chômage. Le syndicat demandait la suppression de cette mesure instaurée par les précédentes réformes de l’Unédic pilotées directement par le gouvernement, qui imposent une diminution des indemnités journalières supérieures à 91,02 euros par jour. Principaux visés: les salariés percevant un salaire brut de 4850 euros, avant perte d’emploi. Soit les cadres.
L’accord final ne propose qu’un gain minime, avec l’arrêt de cette mesure d’économie à 55 ans au lieu de 57 ans. “Il y avait une opportunité pour faire disparaitre cette mesure injuste et inefficace”, note dans son communiqué la CFE-CGC qui regrette: “Il y avait tant à gagner et à améliorer dans l’intérêt de toutes et tous, avec un budget en excédant à près de 8 milliards par an sur la période. Mais encore aurait-il fallu que cette volonté soit partagée par tous et résiste aux pressions extérieures ! Pour la CFE-CGC, ce type de négociation n’a aucun sens.” Les autres syndicats dits réformistes ont pourtant paraphé l’accord.
Les raisons de l’union
Nul donc que ce contexte tendu ne corse les relations entre centrales syndicales. Mais les raisons de ne pas tout casser sont réelles.
La première est que cette entente a déjà muté dès après l’adoption définitive à coup de 49.3 de la réforme des retraites. D’un front commun unanime sur ce sujet face à l’exécutif, à un format de discussion pour trouver les plus petits communs dénominateurs en terme de revendications.
Cheville ouvrière pour la CFDT de l’union des 8 syndicats, lors des six mois de mobilisations contre la réforme des retraites, Marylise Léon avait déjà acté ce changement de nature des relations entre les confédérations. Ce qu’elle avait résumé à la Fête de l’Humanité: “Nos organisations sont différentes. Mais après avoir été contre, l’idée est désormais de produire du positif pour les travailleurs, de donner des perspectives, de nouveaux droits. L’égalité salariale femmes-hommes nous rassemble. Les salaires, l’augmentation du pouvoir d’achat, bien sûr aussi, tout de suite. On doit aller chercher les employeurs sur le sujet. Et nous ne pouvons pas connaître en 2024 une année blanche pour les salaires des fonctionnaires.”
Si ces champs revendicatifs demeurent, les prochaines négociations sur “le nouveau pacte de vivre au travail”, queue de comète de la réforme des retraites, arrivent vite. La CFDT peut certes voir certaines de ces revendications exaucées, à l’image de la création d’un compte épargne temps universel permettant aux salariés de stocker leurs jours de congés. Mais la centrale de Belleville a besoin comme ses homologues de faire un minimum front commun face aux envies du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, d’aller plus loin dans la casse du modèle social pour parvenir à l’objectif des 5% de chômage, alors que le taux de privés d’emploi augmente.
La secrétaire générale de la CFDT reste donc très modérée quant à l’avenir de l’intersyndicale. Il y “aura un débat sur les prochaines étapes, sur ce qui est possible de faire ensemble ou pas”, explique-t-elle à l’AFP. “On a toujours dit que l’intersyndicale telle qu’elle existait pendant les retraites était utile et importante. On est dans un autre moment aujourd’hui.”
A la CGT, “l’attachement à l’unité” demeure
forte. Citée par l’AFP, Sophie Binet estime qu’il faut “garder la dynamique unitaire, ne pas revenir aux tensions qui
préexistaient”. “L’intersyndicale ne continue évidemment pas
sous la même
forme puisqu’on n’est plus sur cette temporalité”. Mais, lors de la conférence sociale du 16 octobre sur les bas
salaires, “tous les syndicats sont arrivés unis, et tous les syndicats sont sortis unis. On a eu des mots différents mais
globalement la tonalité était très partagée”, relève la secrétaire générale qui souligne
“qu’il y a une demande d’unité très forte” de la part des salariés.
Ces citations ne dépareillent pas de ce que déclarait Sophie Binet à l’Humanité Magazine mi-octobre: “Le gouvernement est au service du patronat. L’extrême droite n’a jamais été aussi puissante et se nourrit de la violence des politiques néolibérales. Les travailleurs sont pris en étau. Pour empêcher la catastrophe fasciste, le syndicalisme doit être fort et rassemblé. Dans cette période troublée, l’intersyndicale est une boussole. Malgré nos divergences et différences de démarches, nous sommes unis sur l’essentiel. C’est la seule façon pour se faire entendre face au gouvernement.”
Signe des temps, la confédération de Montreuil a joint sa signature à celles de la CFDT, de la CFTC, de FO et de la CFE-CGC, sur l’accord fixant les nouvelles règles de gestion des retraites complémentaires Agirc-Arrco. Celles-ci ne satisfaisaient pas pleinement l’organisation. “La CGT signe pour s’opposer à la ponction du gouvernement sur l’argent des salarié.es et des retraité.es”, affirmait son communiqué.
Vendredi 1er octobre, les huit syndicats auront à peser tous ces pour et ces contre. Mais ils se retrouveront unanimes pour soutenir le second appel de la Confédération européenne des syndicats pour l’augmentation des salaires et la lutte contre l’austérité budgétaire.
publié le 27 novembre 2023
sur https://www.politis.fr/
Face au regain des discours xénophobes, à l’exploitation politique indigente et délétère des peurs, Politis publie l’appel d’intellectuels et d’artistes en faveur du retrait du projet de loi immigration, et de la création d’un véritable service public d’accueil des exilés.
Nous, signataires du présent appel, exprimons notre consternation devant la teneur du débat qui se mène au Sénat sur la loi immigration. Son indigence réside dans la nature même du texte du ministre de l’Intérieur, aggravé aujourd’hui des concessions auxquelles celui-ci se prête avec complaisance. La question de l’accueil des exilés, qui, plus que toute autre, dessine le visage de la France, mérite mieux que l’opération de basse politique à laquelle se livrent MM. Macron et Darmanin, dont le seul but est de recomposer la droite à leur profit et d’intégrer le Rassemblement national dans une majorité de gouvernement.
Alors que l’immigration est loin d’être la préoccupation principale des Françaises et des Français, qui s’inquiètent de l’inflation, des effets des désastres climatiques, de la dégradation du service public d’éducation, des déserts médicaux, des discriminations, le gouvernement est prêt à toutes les compromissions pour séduire une droite extrême et une extrême droite qui veulent dicter leur logique identitaire. Pour cela, MM. Macron et Darmanin n’hésitent pas à instrumentaliser la peur de l’autre et à jouer de tous les amalgames entre immigration et délinquance, entre immigration et terrorisme – laissant entendre que le danger viendrait nécessairement de l’extérieur.
Ce n’est pas en dressant des murs de xénophobie et de haine que la France fera face à des mouvements de population désormais irréversibles, qui, d’ailleurs, concernent moins notre pays que ses voisins. La France, ce pays dans lequel une multitude d’individus, d’origines, de croyances et d’opinions vit ensemble, ce n’est pas ça ! Ce n’est pas cet esprit de forteresse assiégée. Ce n’est pas la remise en cause du droit du sol, l’un des grands acquis de notre histoire. Ce n’est pas sacrifier des droits d’asile inaliénables et indivisibles. Ce n’est pas le recours à la notion floue de « menace à l’ordre public ».
Au prétexte de sécurité et de préférence nationale, le gouvernement attaque le socle de notre État de droit.
La France que nous voulons, ce n’est pas livrer les exilés à une justice expéditive devant un juge unique. Ce n’est pas la multiplication des obligations de quitter le territoire, avec la seule obsession du chiffre. La France que nous voulons, ce n’est pas, au mépris de toute humanité, interdire aux médecins de prendre en charge les exilés malades avant qu’ils éprouvent une « douleur aiguë » ou souffrent d’un mal incurable. Où est la logique quand on privilégie la médecine d’urgence à la prévention ?
Au prétexte de sécurité et de préférence nationale, le gouvernement attaque le socle de notre État de droit. S’il y a un problème d’intégration des exilés, c’est d’abord un problème social. Nous rejetons toute logique identitaire. Nous nous prononçons pour un véritable service public d’accueil des exilés, les initiant à notre langue et les orientant vers l’emploi dans le respect du droit du travail. Les grands mouvements qui agitent la planète appellent une réponse faite de lucidité, d’ambition, de dignité et de générosité. Avec MM. Macron et Darmanin, nous en sommes loin. C’est pourquoi nous demandons le retrait d’un projet de loi menaçant pour les exilés et dangereux pour toute notre société.
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publié le 27 novembre 2023
par Luis Reygada sur https://www.humanite.fr/
Israël ne tolère aucune critique, pas même de ses alliés européens. Quitte à provoquer une crise diplomatique avec l’Espagne et la Belgique, en première ligne pour dénoncer les agissements de Tel-Aviv. Le premier ministre espagnol Pedro Sánchez, qui occupe actuellement le siège de la présidence du Conseil de l’UE, n'en reste pas moins ferme sur ses positions.
Le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez a profité de sa rencontre avec le premier ministre Benyamin Netanyahou, jeudi 23 novembre à Jérusalem, pour confirmer sa position au sein de l’Union européenne (UE) : l’Espagne reste le pays ayant adopté les positions les plus critiques à l’égard d’Israël concernant les bombardements sur l’enclave de Gaza.
« Le monde entier est choqué par les images que nous voyons quotidiennement. Le nombre de Palestiniens tués est vraiment insupportable », a ainsi exprimé Sánchez lors d’une réunion à laquelle participait aussi le premier ministre Belge Alexander De Croo. Contrairement à d’autres dirigeants enclins à adoucir leurs positions en présence du leader Israélien, Sánchez, n’a pas hésité à mentionner l’« urgente » nécessité de « mettre un terme à la catastrophe humanitaire » en cours.
L’Espagne hausse le ton
Le lendemain, Pedro Sánchez – qui occupe actuellement le siège de la présidence du Conseil de l’UE – et De Croo se sont rendus à Rafah, en Égypte, après s’être réunis avec les présidents palestinien Mahmoud Abbas à Ramallah et égyptien Abdel Fattah Al Sissi.
À quelques dizaines de mètre du point de passage permettant l’accès à la bande de Gaza, le chef du gouvernement espagnol y a jugé « totalement inacceptable » « la tuerie indiscriminée de civils innocents, dont des milliers d’enfants », avant d’appeler à la reconnaissance de l’État de Palestine.
À ce sujet, il a prévenu que « l’Espagne prendrait sa propre décision » si aucun accord n’était trouvé « ensemble » au sein de l’UE. De son côté, son homologue Belge a qualifié les bombardements sur Gaza de « destruction d’une société », avant d’appeler à mettre un terme à la violence des colons en Cisjordanie « et au massacre d’innocents ».
Des prises de position fortes considérées comme un « soutien au terrorisme » par les autorités israéliennes, au point de créer une crise diplomatique. Tel-Aviv a en effet convoqué les ambassadeurs d’Espagne et de Belgique « pour leur adresser une sévère réprimande », en réponse à quoi les deux pays européens ont fait de même afin de « clarifier la situation ».
Un exemple pour les autres pays européens ?
Moins d’une semaine après avoir été réélu, Pedro Sánchez avait promis que le « premier engagement » de son nouveau gouvernement en matière de politique étrangère serait de « travailler à la reconnaissance de l’État palestinien ».
Sa déclaration, au poste-frontière de Rafah, aux allures d’ultimatum – à propos d’une reconnaissance unilatérale –, intervient à un moment où de nombreux pays occidentaux font face à des critiques tant de la part de pays du Sud que de la part de leurs propres populations pour avoir été trop favorables au gouvernement de Netanyahou. En France, les prises de position du président Macron ont provoqué une opposition jusqu’au sein du Quai d’Orsay.
Avec une Allemagne totalement alignée sur la position américaine dans son soutien indéfectible à Israël, il est difficile d’imaginer que l’Espagne puisse avoir un effet d’entraînement sur le reste de l’UE. À ce jour, seuls sept pays reconnaissent l’État palestinien, parmi lesquels aucun des principaux États membres.
Toutefois, en montrant qu’il existe bien des sensibilités différentes au sein de l’Union, l’Espagne pourrait préparer le terrain à l’arrivée de son homologue De Croo à la présidence du Conseil, le 1er janvier prochain. Tout porte à croire que celui-ci poursuivra la ligne de son prédécesseur, soutenu notamment par sa vice-première ministre, Petra De Sutter, laquelle a déjà appelé à des sanctions contre Israël au Parlement fédéral belge.