Mathieu Dejean sur www.mediaprt.fr
Le sociologue Christian Laval analyse la nomination de Michel Barnier à Matignon sous l’angle de la « fédération des droites » contre l’accession au pouvoir de la gauche. Un déni de démocratie « logique », selon lui, au regard de l’histoire longue du néolibéralisme.
Comment expliquer l’insolente aisance – même s’il a pris son temps – avec laquelle Emmanuel Macron a nommé un premier ministre de droite, Michel Barnier, après que la coalition de gauche, le Nouveau Front populaire (NFP), est arrivée en tête des élections législatives du 7 juillet ?
Pour le sociologue Christian Laval, auteur de nombreux ouvrages sur le néolibéralisme (parmi lesquels La Nouvelle Raison du monde en 2010 et Ce cauchemar qui n’en finit pas. Comment le néolibéralisme défait la démocratie en 2016, avec le philosophe Pierre Dardot), ce coup de force institutionnel qui vient piétiner les messages des urnes a tout à voir avec le projet économique et politique néolibéral.
« Ce que les néolibéraux refusent et perçoivent comme une véritable pathologie sociale, c’est que les “masses” puissent, en se coalisant – y compris dans le cadre légal de la démocratie participative –, remettre en cause le fonctionnement auto-équilibré du marché », écrivait-il dans un livre collectif, Le Choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme (Lux, 2021). C’est à cette aune qu’il interprète la fusion des droites opérée par Emmanuel Macron et l’avènement d’un « véritable cordon sanitaire punitif » pour faire barrage à la gauche.
Mediapart : Emmanuel Macron vient de nommer Michel Barnier à Matignon. Comment interprétez-vous cette décision ? Quel est le calcul politique ?
Christian Laval : Après avoir essayé, en vain, de diviser le Nouveau Front populaire, Emmanuel Macron n’a plus eu d’autre solution que de chercher à obtenir la fédération des droites : le macronisme, Les Républicains et l’extrême droite. La nomination de Michel Barnier lui permet à la fois de préserver les acquis du macronisme – la réforme des retraites, celles de l’assurance-chômage, la politique de l’offre – et de donner des gages au Rassemblement national (RN). Michel Barnier est l’homme du référendum sur l’immigration, du « bouclier constitutionnel » [contre « la poussée migratoire » et « l’immigration subie » – ndlr], celui qui a proposé de déroger aux traités européens en matière de justice.
C’est donc un calcul de rassemblement, non pas des Français, mais des droites. C’est l’inverse du front républicain : un front anti-populaire pour assurer une politique qui mélange la xénophobie du RN et la politique pro-néolibérale du macronisme. Le coût politique de cette opération est élevé : le gouvernement se met sous le contrôle du RN, qui lui dictera sa ligne de conduite sur la question de l’immigration. Au passage, le RN va complètement abandonner le volet social de son programme. D’une certaine façon, la vraie nature du RN apparaîtra : un néolibéralisme masqué, qui veut combiner une politique de forteresse et une politique pro-capitaliste assumée.
Emmanuel Macron a justifié son refus de nommer Lucie Castets à Matignon au nom de la « stabilité institutionnelle ». Mais celle-ci ne semble guère plus assurée avec ce premier ministre, qui pourrait lui aussi être censuré s’il n’a pas le « soutien sans participation » du RN. Que cache en vérité cet argument ?
Christian Laval : En écartant Lucie Castets, Macron est surtout guidé par un impératif, qui est la quintessence de son double mandat : en aucun cas et sous aucun prétexte il ne faut appeler une première ministre qui risquerait d’appliquer la partie la plus dangereuse du programme du NFP, notamment le détricotage des réformes néolibérales les plus emblématiques et les plus impopulaires dans l’opinion, mais les plus populaires parmi les classes dirigeantes françaises et européennes.
Il lui faut donc un homme qui reste sous contrôle des droites, c’est-à-dire dans les limites qu’il a lui-même fixées, celles de la conservation à tout prix de la logique pro-business et des politiques favorables aux intérêts des classes dominantes dont il est le mandataire.
Pour vous qui avez étudié l’histoire du néolibéralisme, cette suspension du résultat d’un vote démocratique au nom d’impératifs économiques est-elle surprenante ?
Christian Laval : Non, c’est même dans la logique des choses. Le résultat du vote n’a de conséquences que facultatives, car la démocratie ne consiste pas pour les néolibéraux à respecter le suffrage universel mais à défendre par-dessus toutes les contingences électorales l’ordre de marché, les « lois économiques » et le sacro-saint droit du capital à gouverner nos existences. L’État de droit a pour eux un sens très particulier, c’est l’État du droit de la propriété et du capital. Autrement dit, l’État de droit en régime capitaliste, c’est d’abord l’État du droit privé, et la démocratie, c’est toujours l’affaire de l’oligarchie « raisonnable ».
Évidemment, c’est un peu gênant pour ceux qui croient à la démocratie libérale parlementaire, au suffrage universel, à la souveraineté du peuple ou à la République. Comment faire pour rendre compatibles cet ordre de marché et un suffrage universel toujours potentiellement risqué ? On ne peut pas faire un coup d’État tous les matins pour garantir « l’ordre normal des choses », ce serait assez mal vu, et le calcul coûts-bénéfices ne serait pas forcément favorable.
Du côté de la Macronie, le NFP c’est le mal absolu, à côté duquel le RN n’est qu’un mal relatif.
On peut faire revoter par exemple quand le vote n’est pas conforme aux attentes, cela s’est déjà vu. Ou on peut contester le résultat du vote, ça s’est vu aussi, c’est ce qui se passe aujourd’hui. Personne n’a gagné, personne n’a perdu. C’est un tour de passe-passe à trois temps : nier la réalité, mobiliser toutes les droites pour faire barrage à la gauche, diviser la gauche.
Pour ce faire il faut un diable, il est tout trouvé. Mélenchon est instrumentalisé par les droites et les médias contre le NFP, et la radicalité parlementaire de LFI est elle-même retournée comme un argument contre le NFP. En ce sens, LFI, tout à ses dépens, acquiert son utilité dans ce tour de prestidigitation mis en scène par Macron. Mélenchon a essayé de contrer la manœuvre par sa proposition de soutien sans participation à un gouvernement Castets. Mais, de toute façon, au-delà de la comédie élyséenne, Macron ne comptait pas la nommer première ministre.
Au cours de son histoire, le néolibéralisme a pris des formes diverses, y compris parfois violentes en faisant « le choix de la guerre civile », pour reprendre le titre d’un livre collectif auquel vous avez participé. Ce à quoi nous assistons en France est-il une sorte de retour à une version autoritaire du néolibéralisme ?
Ce n’est certainement pas un « retour » à une version autoritaire, car le néolibéralisme est en lui-même autoritaire. Pour une raison simple : le néolibéralisme est beaucoup plus qu’une idéologie ou une politique économique favorable au capital. C’est une stratégie qui consiste à mettre en œuvre par tous les moyens un certain type de société conçue comme un marché concurrentiel et à imposer une certaine anthropologie de l’homme identifié à une sorte d’entreprise. En somme, pour les néolibéraux, il s’agit de défaire ce qui se présente comme autant de limites à l’expansion de la raison capitaliste dans la société, et de construire une réalité sociale et humaine nouvelle, en harmonie avec la logique du capital, et cela dans tous les secteurs de l’existence bien au-delà de l’économie stricto sensu.
Les moyens peuvent être ouvertement brutaux, parfois très violents – on le voit en ce moment en Argentine. Ou plus doux, par la propagande, par le contrôle des médias, par la transformation des programmes scolaires, que sais-je encore. La combinaison des moyens est le cas le plus fréquent. En France, on joue aussi bien de la matraque policière que du matraquage des médias, et depuis longtemps déjà. Pensons aux « gilets jaunes » ou à la répression des mouvements écologistes.
Ce que nous avons montré dans Le Choix de la guerre civile, à partir d’une relecture systématique des principaux doctrinaires du néolibéralisme, c’est que cette entreprise politique a une grande cohérence stratégique et une tout aussi grande variété de moyens. L’objectif à atteindre est répété à longueur de discours et d’éditoriaux, et il est devenu d’autant plus « évident » qu’un système de contraintes objectives a fini par le rendre naturel, acceptable, voire désirable.
On a vu comment on a méprisé le résultat du référendum sur le traité européen en 2005, on a vu comment la « troïka » a traité la Grèce de Syriza en 2015. Toutes les recettes sont bonnes, elles peuvent être d’ailleurs anciennes. L’un des procédés les plus courants, c’est de faire peur. Effrayer, diaboliser, faire horreur. Trouver des boucs émissaires, des ennemis intérieurs, des islamo-gauchistes à toutes les portes, des wokistes à tous les carrefours. Les droites réunies se livrent à une guerre culturelle permanente, et nombre d’intellectuels y participent.
Ces derniers jours, on a observé une convergence entre le RN et la Macronie dans le rejet du programme du NFP, qui conduirait, selon eux, à un « effondrement économique du pays ». Comment interpréter ce rapprochement ?
Christian Laval : Pour que rien ne change vraiment dans la redistribution des richesses, ou disons plus globalement dans l’ordre économique, il faut l’union des trois droites : droite du centre, droite de droite et extrême droite. C’est indispensable. Le RN n’a aucun intérêt à ce qu’une politique de gauche authentique advienne, car la prospérité de son fonds de commerce démagogique – les « petits », les « oubliés », les « sans-grade », etc. – risquerait d’en souffrir en faisant revenir vers la gauche une fraction des classes populaires qui l’a désertée.
La loi immigration peut aujourd’hui être relue comme un petit cadeau de bienvenu préparatoire à la coalition des droites contre la gauche.
Du côté de la Macronie, le NFP, c’est le mal absolu, à côté duquel le RN n’est qu’un mal relatif. Et c’est bien normal car il y a plus de proximité entre les trois droites qu’entre chacune des droites et le NFP. C’est ce que Macron a voulu vérifier en recevant des droites successivement l’assurance de la motion de censure contre un gouvernement NFP. Le NFP fait ainsi l’expérience de son isolement lorsque les droites construisent autour de lui un véritable cordon sanitaire punitif, lorsqu’elles se liguent pour lui faire barrage.
Craignez-vous que l’extrême droite profite de la situation ?
Christian Laval : L’extrême droite est très forte, plus forte que jamais, mais elle a été mise en échec au second tour des législatives anticipées. Elle tient pourtant sa revanche en montrant son utilité pour le maintien de l’ordre des choses. Le Pen ne dit rien, mais sa force tient justement dans la silencieuse menace qu’elle fait peser sur la suite. Les gouvernements à venir ne vont tenir que par la bienveillance des droites mais aussi du RN devenu indispensable au barrage contre la gauche. Il faudra bien lui donner des gages et le remercier d’une manière ou d’une autre.
C’était déjà le cas avec la majorité relative de la précédente assemblée. La loi immigration peut aujourd’hui être relue comme un petit cadeau de bienvenue préparatoire à la coalition des droites contre la gauche.
Des appels à mobilisation sont lancés sur les mots d’ordre de « respect de la démocratie » et de « destitution » de Macron. Les mouvements sociaux ont été mis à rude épreuve ces dernières années. Peuvent-ils encore quelque chose ?
Les mouvements sociaux ont montré leur force par le nombre de gens mobilisés et par leur détermination, mais aussi leur faiblesse : ils n’ont pas gagné, ils ont été méprisés, ils se sont arrêtés sur des échecs. Peuvent-ils encore quelque chose ? La réponse tient au rapport des mouvements sociaux à la politique. Il faut reposer la question du cloisonnement entre le social et le politique. Les syndicats sont censés ne pas intervenir sur le terrain politique, ne pas se mêler de politique. Mais le Medef, la CGPME ou la FNSEA se gênent-ils pour faire de la politique active, pour être des acteurs politiques à part entière ?
Les choses peuvent changer. Le NFP pourrait offrir un cadre plus large que les partis. Ce cadre devrait pouvoir être investi par toute la société, par toutes les victimes des politiques néolibérales, par les citoyens engagés, les syndicats de salariés, les associations, les artistes, les chercheurs, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, et bien d’autres. Si le NFP reste une alliance électorale entre partis, il risque fort d’avoir le même destin que le Front de gauche ou la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale – ndlr]. Il sera vite la proie des rivalités de partis et de leurs chefs.
Il faut d’urgence « démocratiser » le NFP, en faire un bien commun de tous les gens de gauche. Ce sera la condition d’avoir un candidat unique en 2027. Sinon on recommencera toujours la même histoire. Il faudra encore et encore faire barrage à l’extrême droite en votant pour un clone de Macron à la prochaine élection présidentielle. Il n’est d’ailleurs pas certain que ce sera toujours le cas. Mais on peut craindre que les partis n’y consentent pas facilement d’eux-mêmes, car cela les mettrait sous la pression unitaire de la base et des citoyens.
mise en ligne le 16 juillet 2024
Luis Reygada sur www.humanite.fr
Aux antipodes des prédictions des conservateurs, l’Espagne, gouvernée par une coalition progressiste, voit sa croissance largement surpasser la moyenne des pays de la zone euro.
Janvier 2020. Le socialiste Pedro Sánchez passe un accord de gouvernement avec Unidas Podemos (UP) – composé de partis situés à sa gauche – sur la base d’un programme résolument progressiste. Un gouvernement de coalition est formé, il vise à faire de l’Espagne une « référence pour la protection des droits sociaux en Europe », soit résorber les mesures néolibérales et antisociales qui flagellent la population depuis plus de dix ans.
Abrogation des aspects les plus néfastes de la réforme du travail, réforme fiscale ambitieuse avec des hausses d’impôts pour les plus riches et les grandes entreprises, augmentation du salaire minimum, mesures en matière de logement, de transition écologique, de lutte contre les inégalités, etc. L’accent social – ainsi que féministe – est omniprésent et fait alors hurler les porte-voix de la bourgeoisie et du grand patronat.
Du jamais vu en 15 ans
Le moment est historique – il s’agit du premier gouvernement de coalition depuis 1936 – et toute la droite pousse des cris d’orfraie, dénonce l’alliance du PSOE avec la « gauche radicale », et accuse Sánchez de pousser le pays vers l’abîme avec une politique « irresponsable et dangereuse ». Le devenir de la stabilité économique, prétendument au cœur de leurs préoccupations, vise surtout à effrayer l’opinion publique.
Pour les conservateurs, pas de doute : avec les hausses des dépenses publiques et les mesures de protection sociale, le programme de la coalition « embrasse le communisme bolivarien », décourage les investisseurs, augmente la dette publique, nuit à l’emploi et à la compétitivité espagnole. Sans parler de la discipline budgétaire. Quatre ans après, force est de constater que c’est tout le contraire qui s’est produit.
La droite n’y croit pas, la gauche le fait
Les résultats macroéconomiques du gouvernement de coalition – qui a vu Sumar remplacer UP en novembre 2023 – sont bons, voire très bons, malgré l’impact de la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine. Les politiques de relance, qui forment un bouclier social protecteur vis-à-vis des familles, des travailleurs et des PME, ont porté leurs fruits et permis d’atteindre des chiffres records en matière d’emploi – jamais vus en quinze ans.
À cela s’ajoutent la hausse du salaire minimum (passé en quatre ans de 900 à 1 134 euros), les réformes qui ont permis aux travailleurs de recouvrer des droits, l’augmentation des retraites ou encore la création d’un revenu de solidarité active.
Les budgets « anti-austéritaires », la mise en place d’une taxe sur les transactions financières, sur les grandes fortunes ou encore sur les bénéfices exceptionnels des grands groupes financiers et de l’énergie, les plus de 200 autres lois approuvées depuis 2020 n’ont pas freiné l’économie.
La situation budgétaire a été plus solide que prévu l’an dernier. Avec une croissance annuelle de 2,5 %, l’économie espagnole a largement dépassé la moyenne de la zone euro (cinq fois inférieure), allant même jusqu’à se hisser sur la première marche du podium devant les autres principales économies européennes. La droite espagnole ne voulait pas y croire, la coalition progressiste au pouvoir l’a pourtant fait.
mise en ligne le 15 juillet 2024
par Jean de Peña, et Nina Hubinet sur https://basta.media/
Un millier de personnes, souvent néo-militantes, ont participé à la campagne du Nouveau Front populaire à Marseille. Le mouvement, nommé “Réserve citoyenne”, entend bien continuer la bataille culturelle contre l’extrême droite.
La buvette est fermée, et aucun concert ou spectacle n’est prévu ce soir au jardin Levat. Mais près de 200 personnes se pressent devant la petite scène de cet ancien couvent reconverti en lieu culturel, dans le quartier de la Belle-de-mai, à Marseille.
La chaleur commence à retomber, et à l’ombre d’un des hauts murs du jardin, on s’embrasse, tout sourire, malgré les traits tirés. Celles et ceux qui se saluent chaleureusement ne se connaissaient pas, pour la plupart, il y a un mois. Mais ils et elles ont livré une bataille commune ces trois dernières semaines, de celles qui créent des liens forts.
Ce mercredi 10 juillet, trois jours après une victoire mêlée de surprise, de liesse, et de la conscience qu’il s’agit d’un sursis – en particulier dans les Bouches-du-Rhône, où 11 députés RN ont été élus, pour 5 du Nouveau Front populaire – une partie des membres de la Réserve citoyenne se retrouve pour envisager l’avenir de ce mouvement né de l’urgence.
« On va commencer par un jeu ’’brise-glace’’ : vous êtes des pissenlits et vous allez vous disséminer parmi vos voisins, pour vous asseoir à côté de quelqu’un que vous ne connaissez pas », annonce Quentin, l’un des « coordos » de la Réserve. Le vocabulaire évoquant un management bienveillant déclenche quelques rires, mais tout le monde s’exécute de bonne grâce, et chacun·e engage la conversation avec des inconnu·es.
« Pour la suite, il faut vraiment qu’on arrive à créer des espaces de rencontre et de discussion, dans tous les quartiers », pointe Alexandra. « Sans être dans une attitude descendante », souligne-t-elle. Son interlocuteur, Mathieu, opine du chef. « Cette campagne, ça m’a aidé à mieux comprendre pourquoi les gens votaient pour l’extrême-droite. Maintenant j’aimerais aller aider les militants dans les bastions RN autour de Marseille », embraye-t-il.
L’échange est à l’image de l’état d’esprit de la Réserve citoyenne, lancée par un militant marseillais bien connu, Kevin Vacher, au lendemain des élections européennes. Les techniques sont à première vue les mêmes que celles des partis politiques en période électorale : le millier de personnes qui ont été actifs sur le terrain – sur les 3000 inscrits sur les groupes Whatsapp – ont fait principalement des porte-à-porte et tractages, en particulier dans trois « swing circos », où la victoire du NFP était loin d’être acquise, mais pas impossible.
« Dans nos formations express, on a insisté sur la posture d’écoute et l’humilité… L’inverse du paternalisme longtemps pratiqué par la gauche », explique Kevin, 34 ans, engagé pour le logement digne, mais aussi en faveur d’une véritable démocratie participative, depuis plus d’une décennie.
Une humilité essentielle, d’autant que les néo-militants de la Réserve citoyenne sont socialement très homogènes : majoritairement des classes moyennes blanches du centre-ville. « J’avais peur que les gens ne soient pas très accueillants en voyant une bobo qui débarque dans les quartiers nord », raconte ainsi Julia, la trentaine, devenue rapidement l’un des piliers du groupe de la Réserve citoyenne dans la troisième circonscription, à cheval sur les 13e et 14e arrondissements de la ville, mélange de grandes cités déshéritées et des zones résidentielles acquises au RN.
« Mais en fait les gens étaient contents qu’on soit là. Et la discussion permettait souvent de dépasser un raisonnement motivé par la colère… On a eu le sentiment d’être utile », poursuit cette urbaniste, qui connaissait ces quartiers par son travail sur la rénovation urbaine à Marseille, « sans connaître les gens ».
« Ça faisait un moment que je m’étonnais de la déconnexion des militants du centre-ville vis-à-vis des quartiers nord, et que je voulais m’y investir, précise-t-elle. L’énergie de la réserve a été énorme… Maintenant j’ai envie de continuer. » Marie, Raphaël, Jordane, Sandro, Laure ou Maïté, camarades de porte-à-porte de Julia dans les 13e et 14e arrondissements, affichent la même envie. Reste à savoir comment la mettre en œuvre.
Ils et elles ont en tout cas bien conscience que le chemin sera long : malgré tous leurs efforts, le tout jeune candidat du NFP sur cette circonscription, Amine Kessaci (EELV), a finalement été battu par la députée RN sortante, à 835 voix près.
« Un grand merci à la Réserve citoyenne, sans laquelle rien n’aurait été possible », lançait celui-ci dimanche 7 juillet, en direction de la dizaine de « réservistes » présents à son QG de campagne. On le retrouve le 10 juillet au jardin Levat, où il est venu écouter les échanges. « Je sortais de la campagne des européennes, mes équipes étaient prêtes à mener bataille, mais déjà épuisées… Les gens de la réserve citoyenne ont été les moteurs de cette campagne dans ma circo, je leur dois beaucoup. » Le candidat EELV a ainsi réduit l’écart avec sa concurrente RN, passant de plusieurs milliers de voix en 2022 à moins d’un millier cette fois-ci, notamment grâce à l’action de la Réserve.
Même si ces derniers sont des nouveaux venu·es en politique, les dizaines de conversations qu’ils et elles ont eues avec les habitant·es de ces quartiers les vaccinent d’une certaine naïveté vis-à-vis de l’immense tâche dans laquelle ils veulent maintenant s’engager. Maïté évoque par exemple un monsieur rencontré le vendredi précédent, lors de son dernier porte-à-porte, à la cité des Lauriers. « Il a commencé par une blague, disant qu’il allait tirer à pile ou face pour choisir son bulletin. »
Ce manager d’hôtel d’une cinquantaine d’années, d’origine marocaine, s’est avéré finalement être plutôt à gauche, et conscient de la menace que représentait le RN. Mais la boutade exprimait le fait qu’il était désabusé, lassé des promesses non tenues de la gauche, tout autant que blessé par le racisme ambiant. « Il m’a raconté que les clients de l’hôtel où il travaille étaient toujours étonnés que ce soit lui le manager, parce qu’il est arabe… ça m’a touchée », raconte Maïté, qui a travaillé un temps dans les quartiers nord, pour une association qui aide à l’implantation d’entreprises.
Les uns et les autres ont aussi pu mesurer l’ampleur de la « bollorisation » des esprits. Qu’il s’agisse de personnes racisées soutenant que Marine Lepen et son parti n’était pas raciste, ou d’électeurs de droite ou centristes considérant LFI comme un danger plus grand que le RN.
Laure se souvient d’une femme particulièrement véhémente, rencontrée aussi lors du dernier porte-à-porte de vendredi. « Pour elle, il était inconcevable de voter NFP à cause des Insoumis : “Ils ont foutu le bordel à l’Assemblée, c’est eux qui sont responsables de la situation dans laquelle on est !”, disait-elle. »
Et lorsque Laure lui a dit qu’elle militait pour le climat et avait peur d’être arrêtée si le RN arrivait au pouvoir, la dame en question a répliqué : « C’est le genre d’argument qui va plutôt me pousser à voter RN que NFP ! » Laure ne se fait pas d’illusion : reconstruire des repères politiques prendra des années. « Mais on a senti qu’il se passait quelque chose pendant ces portes-à-portes, que les rencontres et les discussions d’égal à égal pouvaient avoir un impact… C’est pour ça qu’on veut revenir régulièrement dans ces quartiers », témoigne-t-elle.
« Atelier de réarmement civique » ou concerts
Comment trouver les bons arguments face aux électeurs du RN ? Comment sortir de l’entre-soi ? Comment impliquer des habitant·es des quartiers populaires dans la Réserve ? Quelles relations doit-elle entretenir avec les partis politiques ? Les questions pleuvent, et les réponses ne seront logiquement pas apportées lors de cette soirée « défrichage ».
Mais après le grand débat, lors des ateliers thématiques en plus petits groupes, où l’on propose des actions concrètes, les réservistes semblent renouer avec l’enthousiasme de la campagne. « Il faut retourner dès cet été dans les quartiers où l’on est passé, pour conserver le lien avec les habitant·es », juge Marie, professeure des écoles à la retraite, et l’une des rares militantes encartées (au NPA) de la Réserve. « C’est la continuité et la régularité qui feront la qualité de ce lien. »
Pour la rentrée, les idées fusent aussi : Nicolas, urbaniste et artiste, veut organiser des « ateliers mobiles de réarmement civique », pour aider à s’inscrire sur les listes électorales. « Dans le bureau du 13e où j’étais assesseur, une vingtaine de personnes ont constaté le jour du vote qu’elles n’étaient pas inscrites. Et on a calculé qu’avec dix voix de plus par bureau, Amine aurait été élu », souligne-t-il.
Francisco suggère d’organiser des soirées culturelles, avec spectacle sur un thème en lien avec les préoccupations des habitant·es, en y réfléchissant en amont avec elleux, et en se coordonnant avec des associations locales qui font déjà un travail similaire. Et pourquoi pas coupler ces moments conviviaux avec l’inscription sur les listes électorales ?
« Moi je voudrais simplement mettre en place des rencontres régulières dans un quartier pour discuter des infos de la semaine », propose Luisa, elle-même habitante du 14e arrondissement. « A la fois pour démonter les intox des médias Bolloré et montrer l’impact de la politique sur la vie des gens. » Ça tombe bien, Clément a peu ou prou la même idée… On s’inscrit pour organiser ces futures actions, de nouveaux groupes Whatsapp dédiés sont créés.
À l’apéro qui suit cette première réunion « post-électorale » de la Réserve, on décide de créer encore un autre groupe… pour organiser des sit-in devant la Préfecture, jusqu’à ce que Emmanuel Macron nomme un Premier ministre issu du NFP. « Pour que les gens fassent à nouveau confiance à la gauche, il faut que les mesures sur lesquelles on a fait campagne soient appliquées. Sinon ça ne marchera pas », s’inquiète Marie. Toutes et tous ont bien conscience que ce qui joue là est de l’ordre de la dernière chance, et que « faire pression » sur ce qui se passe « dans les hautes sphères », est tout aussi essentiel que de repolitiser les habitant·es des quartiers populaires de Marseille.
mise en ligne le 14 juillet 2024
Samuel Eyene sur www.humanite.fr
Huit mois après avoir remis en marche l’usine, les travailleurs de l’usine de papier emblématique de la Meuse se retrouvent à nouveau en difficulté. Des promesses non tenues par leur ancien propriétaire et un sous-investissement du nouveau renvoie l’entreprise en redressement judiciaire.
C’est l’histoire d’une reprise d’activité qui ne s’est pas passée comme prévu. Un an seulement après son rachat par le fonds allemand Accursia Capital, la papeterie Stenpa (ex-Stenay Papers) anciennement détenue par le groupe finlandais Ahlstrom, a été placé en redressement judiciaire, vendredi 5 juillet, par le tribunal de commerce de Bar-le-Duc. « Accursia Capital et Ahlstrom ne semblent pas respecter leurs engagements vis-à-vis des salariés », a dénoncé l’intersyndicale CGT-FO dans un communiqué.
« Le nouvel actionnaire n’a pas eu de projet industriel »
Un nouveau coup de massue pour les 124 salariés de l’usine spécialisée dans la fabrique de papiers destinés à l’emballage ou encore à la fabrication d’étiquettes. Déjà, en mars 2023, ils avaient dû faire face à la décision d’Ahlstrom de cession du site en raison d’une baisse du nombre de commande. Un plan social avait alors été lancé le 7 avril 2023 avant qu’un repreneur, trouvé en urgence, ne fasse irruption.
Des nouvelles bobines de papiers avaient vu le jour en novembre 2023. Et les travailleurs, las d’une longue lutte de cinq mois, se croyaient sauvés. Retour à la case départ, un an plus tard. La faute à des accords non respectés par l’ancien propriétaire, d’après les syndicats.
« Pour faire simple, lors de la reprise de la papeterie, l’ancien propriétaire Ahlstrom s’est engagé à trouver des commandes afin de l’aider à redémarrer. L’accord devait durer six mois. Cela a bien fonctionné au début. L’usine a repris son activité en octobre de l’année dernière avec près de 100 tonnes de commandes », raconte Alain Magisson, secrétaire du comité social et économique (CSE) et délégué CGT.
Mais la suite a été plus laborieuse. Le nombre de commandes a diminué et le précédent propriétaire a cessé de jouer « son rôle dans l’accompagnement. Il s’est même placé en concurrence de la papeterie de Stenay », poursuit le cégétiste.
Seulement, Ahlstrom n’est pas le seul tenu pour responsable dans les nouvelles difficultés. Les erreurs proviennent également « du nouvel actionnaire, qui n’a pas eu de projet industriel ni les moyens pour soutenir la société », précise Matej Kurent, directeur général de la papeterie Stenpa.
Ainsi, le CSE a alerté la direction et sommé Accursia de venir sur le site. Ce qu’elle n’a pas fait, contraignant une partie des délégués syndicaux à se déplacer en juin au siège munichois du fonds d’investissement pour obtenir des réponses… insatisfaisantes.
« La direction d’Accursia nous a expliqué comment elle opère. Elle reprend des entreprises dont les actions chutent à zéro et s’occupent de les relancer sans toutefois y investir le moindre centime, s’indigne Alain Magisson. Si la papeterie devient rentable, elle empruntera de l’argent auprès des banques. Mais Accurcia, lui, n’avance ni n’investit aucune somme. Il ne prend aucun risque ».
Difficile, dans ces conditions pour l’intersyndicale d’entrevoir un avenir radieux. L’usine meusienne fait donc face au péril d’une liquidation judiciaire au 30 septembre si aucun repreneur ne se fait connaître d’ici là.
mise en ligne le 13 juillet 2024
Cyprien Boganda, Pierric Marissal et Gaël De Santis sur www.humanite.fr
Les porte-flingue du patronat et de tous ceux qui ont profité des années Macron multiplient les outrances et tirent à boulets rouges sur le programme de la gauche afin de l’empêcher de parvenir à Matignon.
Il ne manque guère que les invasions de sauterelles. Des éditorialistes libéraux et économistes orthodoxes au patron des patrons jusqu’à Bercy et au plus haut sommet de l’État, tous récitent la même messe depuis dimanche soir dernier et promettent l’apocalypse en cas de nomination d’un premier ministre de gauche.
Dans l’Opinion, Nicolas Beytout exhorte les Français à « se réveiller », pour ne pas succomber à la « radicalité » du programme du Nouveau Front populaire (NFP). Le Figaro met en garde contre un « suicide économique », citant Bruno Le Maire en roue libre : « C’est un délire total, c’est 1981 puissance 10, c’est l’assurance du déclassement, du chômage de masse et de la sortie de l’UE. » Rien que ça !
Leurs outrances sont proportionnelles aux changements que la gauche a portés dans les urnes. Le NFP à Matignon, c’est la mise au rebut du ruissellement, du tout pour les premiers de cordée, des niches fiscales et exonérations en faveur de ceux qui ont déjà trop. Vus sous ce prisme, les anathèmes lancés cette semaine prennent un tour nouveau.
« La hausse du Smic est une mesure qui augmenterait la pauvreté. » Gilbert Cette, économiste, le Point, 9 juillet
Le Nouveau Front populaire cherche à améliorer le sort des plus précaires en portant le Smic à 1 600 euros net, contre environ 1 400 euros ? Pour les libéraux, cette hausse plongerait les travailleurs dans le chômage et donc la misère en raison des suppressions d’emplois induites par un alourdissement du « coût » du travail. Ce scénario catastrophe ne s’est pourtant jamais observé dans les pays qui ont décidé d’instaurer et/ou d’augmenter leur salaire minimum, au cours des dernières années.
C’est le cas du Royaume-Uni, qui a créé son National Minimum Wage (NMW) en 1998, avant de l’augmenter de près de 40 % entre 2000 et 2017 (près de deux fois plus vite qu’en France). 30 % des salariés britanniques ont profité des hausses du NMW.
Dans une étude publiée en avril 2019, la Low Pay Commission (groupe d’experts auprès du gouvernement) dresse un bilan historique complet : « Au lieu de détruire des emplois, comme c’était prévu à l’origine (…), le salaire minimum a atteint ses objectifs d’augmenter les rémunérations des plus bas salaires sans mettre en danger leurs perspectives d’emplois. »
En France, les économistes du NFP ont conscience qu’une augmentation de 15 % du salaire minimum ne se fait pas d’un claquement de doigts. Pour aider les PME à absorber le choc, ils proposent plusieurs pistes : réorientation des 200 milliards d’euros d’aides aux entreprises en direction des plus petites, création d’un fonds d’aide aux PME ou encore, comme le préconise le PCF, système de prêts bancaires à taux d’intérêt très faibles, voire négatifs.
« L’annulation de la réforme des retraites nuirait à la pérennité de notre système par répartition. » Patrick Martin, président du Medef, 9 juillet
Usé jusqu’à la corde pendant la dernière réforme des retraites, l’argument est ressorti opportunément à la veille d’une possible arrivée au pouvoir de la gauche. Abroger la réforme de 2022 (recul de l’âge légal de 62 à 64 ans) conduirait à la ruine de notre régime universel de retraite. C’est supposer qu’il y avait urgence à réformer à l’époque, ce qui n’a jamais été démontré : le Conseil d’orientation des retraites (COR) estimait, fin 2022, que ses résultats « ne validaient pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ».
Et d’ajouter qu’après avoir été excédentaire en 2021 et 2022, le régime resterait déficitaire jusqu’en 2032, mais dans des proportions parfaitement contrôlables – entre 0,5 point et 0,8 point de PIB (un point de PIB = 1 % du PIB). Pierre-Louis Bras, ancien président du COR, avait même enfoncé le clou, en février 2023, en affirmant, au grand dam de la Macronie, que « les dépenses de retraite ne dérapent pas ».
L’abrogation du recul de l’âge de départ à la retraite, qui a pénalisé de nombreux travailleurs, n’aurait donc rien du suicide économique décrit par certains. « En termes de faisabilité, revenir en arrière à 62 ans est tout à fait possible d’autant que la réforme a à peine commencé à s’appliquer, rappelle l’économiste Michaël Zemmour dans la Dépêche du Midi. Pour cela, il suffit de trouver des ressources, et pas dans des proportions démesurées. Ça pourrait passer par des réductions d’exonérations ou d’exemptions de cotisations dans les entreprises, ou alors un très léger relèvement des cotisations sociales étalé dans le temps. Il y a vraiment un choix politique à faire. »
« Les propositions économiques du NFP représentent un danger vital pour la France. » Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, 11 juillet
Il a beau reconnaître être sur le départ, Bruno Le Maire continue de donner des leçons à tout-va. « Le programme économique du NFP est irréaliste : les dépenses envisagées sont irresponsables et les augmentations d’impôts s’approchent du vol », assène-t-il, ce jeudi.
En même temps, celui qui a passé un septennat à Bercy annonce 5 milliards d’euros de gel de crédits dans les budgets des ministères, car les 10 milliards déjà rabotés au premier semestre ne suffisent plus à limiter les déficits publics. « Il n’y a pas eu besoin d’attendre le Nouveau Front populaire pour être dans une situation de déficit. La France est déjà sous contrôle européen », ironise Jean-Marc Durand, rédacteur en chef de la revue Économie et politique. La dette publique a bondi de 1 000 milliards d’euros depuis sept ans. Une moitié suite à la crise du Covid, l’autre du fait des cadeaux fiscaux offerts aux entreprises et aux plus riches.
« Toutes les mesures de notre programme sont assorties d’une recette », soutient le député FI Gabriel Amard. La suppression des niches fiscales inefficaces doit rapporter 25 milliards d’euros ; l’impôt progressif sur l’héritage 14 milliards ; la taxation du capital au même niveau que le travail 2,7 milliards ; l’impôt sur les multinationales 26 milliards ; le renforcement de la taxe sur les transactions financières, 3 milliards. L’égalité salariale hommes-femmes entraînera des recettes estimées à 10 milliards d’euros.
« En matière de fiscalité, il faut toujours miser sur l’élargissement de l’assiette des prélèvements, qui génère des recettes », rappelle Jean-Marc Durand. Le programme du NFP « inverse le paradigme » et promeut une reprise de l’activité avec des mesures en faveur du pouvoir d’achat et de l’investissement des entreprises.
« Si on paie mieux les gens, qu’on en met à la retraite et qu’on embauche aussi, cela génère de la croissance », et des recettes fiscales, décrypte cet ancien de la Direction générale des finances publiques, qui affirme que « le NFP dispose de propositions qui relancent la machine économique, avec le pôle public bancaire, les mesures en faveur des TPE et PME pour faire face à la hausse du Smic ». De plus, le NFP défend un conditionnement des aides aux entreprises qui permettrait de réduire cette enveloppe, actuellement de 200 milliards d’euros.
« Le rétablissement de l’ISF ferait partir les riches. » Patrick Martin, 9 juillet
L’argument est éculé. On l’a déjà entendu en 1981, à la création de l’impôt sur les grandes fortunes ; en 1989 à sa transformation en ISF, etc. Pourtant, en plus de trente ans d’existence, cet impôt n’a pas fait fuir grand monde. Seuls 0,2 % des assujettis étaient des exilés fiscaux, avançait même un rapport de la Direction générale des finances publiques, datant du milieu des années 2010. En 2006, l’économiste Gabriel Zucman pointait déjà que, s’il y avait bien quelques départs, ceux-ci « ne représentent pas des pertes de recettes fiscales significatives : au grand maximum, 10 % de ce que l’ISF rapporte ».
Pourtant, « cet argument est le premier présenté par les libéraux dès qu’on évoque l’ISF », déplore Anne Guyot-Welke. « Une chose est sûre, la suppression de l’ISF n’a pas amené un retour significatif d’expatriés », remarque la secrétaire nationale de Solidaires finances publiques.
Le bouclier fiscal mis en place par Sarkozy en 2007 n’avait pas non plus freiné l’exil des fortunes. Vraiment, depuis quarante ans qu’il est rabâché et que sa nullité fut maintes fois démontrée, l’argument de la fuite des capitaux aurait dû faire long feu… En revanche, les réformes de l’ère Macron (fin de l’ISF et création de la flat tax) ont permis que les versements de dividendes battent de nouveaux records chaque année.
En outre, dans le programme du NFP, l’ISF reviendrait accompagné d’une exit tax cohérente. « Cette taxe concerne les personnes qui ont plus de 1,3 million d’euros de patrimoine, qui se sont expatriées dans des pays à la fiscalité avantageuse, et qui voudraient en profiter pour vendre leur patrimoine mobilier, comme leurs actions », explique Laurent Perin de la CGT finances. Juste au cas où.
mise en ligne le 12 juillet 2024
par Rachel Knaebel sur https://basta.media/
Les troubles ne se sont pas arrêtés en Nouvelle-Calédonie avec la suspension de la réforme du corps électoral. Le sénateur écologiste Thomas Dossus a rendu visite à l’une des indépendantistes de la CCAT emprisonnée en métropole depuis fin juin.
La situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie est passée sous les radars avec les législatives. Mais un homme y a été tué mercredi 10 juillet par les forces de l’ordre. C’est le dixième mort depuis le début des troubles dans l’archipel en mai. À l’origine du regain de violence : la contestation d’un projet de réforme du corps électoral pour les élections provinciales calédoniennes. Cette réforme est pour l’instant suspendue suite à la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin.
Le 19 juin, 13 personnes membres du groupe indépendantiste Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) ont été arrêtées en Nouvelle-Calédonie. Sept ont été éloignées de l’archipel et incarcérées en métropole, à plus de 16 000 kilomètres de chez elles. Les autorités reprochent à la CCAT son rôle dans les émeutes de mai et juin. La leader de la CCAT, Christina Tein, est à l’isolement au centre pénitentiaire de Mulhouse.
Le 1er juillet, cinq sénateurs et sénatrices écologistes, dont le sénateur du Rhône Thomas Dossus, ont rendu visite aux membres de la CCAT incarcérés en métropole, dans les centres pénitentiaires de Mulhouse, Riom, Blois et Dijon.
Basta! : Vous avez rendu visite à l’une des membres de la CCAT emprisonnée en métropole, Brenda Wanado Ipeze, à la maison d’arrêt de Dijon. Que vous a-t-elle dit sur les conditions de son arrestation et de sa détention ?
Thomas Dossus : C’est l’une de deux femmes qui ont été arrêtées et placées en détention en métropole. L’autre est Frédérique Muliava. Les deux femmes sont aujourd’hui [9 juillet] sorties de détention, sous contrôle judiciaire. Mais elles sont assignées à résidence en métropole. Les cinq hommes, eux, restent en détention provisoire en métropole.
Quand j’ai vu Brenda Wanado Ipeze, elle était encore sous le choc de la façon dont tout cela s’était passé. Elle n’a pas compris pourquoi elle devait être éloignée alors qu’elle – c’est en tous cas la manière dont elle le présente - n’a pas une fonction très opérationnelle au sein de la CCAT : elle est chargée de la communication.
« Brenda Wanado Ipeze a fait les 16 000 kilomètres menottée, sans pouvoir dire à ses enfants qu’elle partait »
Très rapidement après son arrestation, on l’a fait embarquer, elle a fait les plus de 16 000 kilomètres menottée, en plusieurs étapes, sans pouvoir dire à ses enfants qu’elle partait. Quand je l’ai vue, une semaine après son arrivée en métropole, elle n’avait toujours pas eu de contact téléphonique avec ses enfants. C’est cela qui la préoccupait le plus. Son ressenti, c’est que c’est une procédure d’intimidation.
Et quelle est votre analyse ? Pourquoi ces membres de la CCAT ont été envoyé·es en métropole ?
Thomas Dossus : C’est une décision du juge. Ce n’est pas à nous de la commenter. Mais nous pensons que ça remet de l’huile sur le feu. Cela n’aura aucune conséquence d’apaisement là-bas. L’objectif de nos visites à ces membres de la CCAT emprisonnés en métropole – et ces visites vont se poursuivre - c’est de mettre de la lumière sur cette situation et de demander au moins la fin de l’éloignement, que les personnes puissent être emprisonnées sur place en Nouvelle-Calédonie. Les indépendantistes ont besoin que ça se sache qu’il y a des personnes qui ont été envoyées en métropole où elles sont enfermées.
Que leur est-il reproché ?
LThomas Dossus : es chefs d’inculpation sont assez lourds, comme « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime » [1]. C’est un chef d’inculpation qu’on retrouve en général dans les accusations contre les mouvements indépendantistes, notamment pour les Corses et les Basques.
Je n’ai pour ma part pas à qualifier ce qui est vrai ou pas, la procédure est en cours. Ce que nous constatons simplement, c’est que globalement, cela ne va pas apaiser la situation là-bas de les avoir fait venir ici. En tant que groupe écologiste au Sénat, nous pensons qu’avec ce projet de réforme du corps électoral, l’État est sorti de sa position de neutralité, qui était celle des accords de Nouméa et Matignon. Ces accords stipulaient que l’État organise le débat sur l’indépendance et la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, mais ne prend pas partie.
Depuis que Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu ont repris le dossier, c’est-à-dire depuis le troisième référendum de 2021, l’État a changé de posture. L’État a globalement pris partie pour les loyalistes. En nommant Sonia Backès au gouvernement [présidente de l’assemblée de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, cheffe de file des loyalistes, Sonia Backès a été secrétaire d’État à la Citoyenneté au sein du gouvernement Borne de juillet 2022 à octobre 2023], en reconnaissant en 2021 un référendum sur l’indépendance qui était complètement biaisé par le Covid, l’État a changé de posture. Et pour nous, la gestion du dossier est toujours dans cette ligne, l’État prend fait et cause pour les loyalistes et mène une offensive contre les indépendantistes. Ces éloignements de membres de la CCAT s’inscrivent dans ce cadre.
Êtes-vous aussi en lien avec des élus Kanaks ?
Thomas Dossus : Un sénateur Kanak, Robert Xowie [sénateur de la Nouvelle-Calédonie, membre du [groupe Communiste républicain citoyen et écologiste-Kanaky], a lui aussi visité les prisonniers indépendantistes juste après qu’ils et elles sont arrivés en métropole. On a commencé à organiser le travail en commun avec ses collaborateurs. Et on attend Emmanuel Tjibaou, fils du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou [assassiné en 1989], qui vient d’être élu à l’Assemblée nationale pour le Nouveau Front populaire. On va essayer d’organiser une rencontre avec lui rapidement.
Que pourrait et devrait-faire selon vous un éventuel gouvernement de gauche, ou en partie de gauche, au sujet de la Nouvelle-Calédonie ?
Thomas Dossus : Pour nous, l’urgence, c’est de revenir à la méthode des accords de Nouméa et Matignon. C’est-à-dire de nommer des tiers qui seraient de confiance pour tout le monde. Ce n’est pas simple, mais il faut trouver des personnalités qui pourraient remettre tout le monde autour de la table, avec aussi la CCAT. Car les membres de la CCAT sont traités de terroristes mais ce sont aussi eux qui organisent le mouvement indépendantiste. Certains parlaient de Lionel Jospin comme personnalité tiers. Il y a aussi des hauts fonctionnaires qui ont travaillé sur la question. On pourrait trouver. L’idée c’est qu’elles soient acceptées par les deux camps.
« Aucune solution ne peut émerger si l’État ne revient pas à une posture d'arbitre, comme il l'avait avant »
Il faut vraiment qu’on arrive à apaiser la situation, car là-bas c’est toujours compliqué, il y a des barrages et des affrontements. Je pense qu’un gouvernement de gauche, et même Emmanuel Macron s’il le voulait, devrait nommer rapidement des personnalités qualifiées qui pourraient reprendre la logique des accords de Nouméa et Matignon, celle de l’État impartial, et revenir un peu à ce qui a fonctionné au moment de ces accords. Aucune solution ne peut émerger si l’État ne revient pas à une posture d’arbitre, comme il l’avait avant. Pour nous, c’est là l’urgence, il faut changer de braquet.
Vous parliez des mouvements indépendantistes corses et basques. Faites-vous un parallèle entre ces situations et la Nouvelle-Calédonie ?
Thomas Dossus : Non, ce n’est pas la même chose. Je ne pense pas que la Corse soit colonisée. Il y a peut-être une nouvelle relation à construire entre la Corse et le continent, mais ce n’est pas une colonie. Alors que l’ONU reconnaît encore aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie comme un territoire colonisé.
On est encore sur des logiques coloniales là-bas, qu’il faut travailler. On a un problème en France quand on traite ce genre de problématiques : c’est tout ou rien. C’est soit le territoire est complètement indépendant, soit il est complètement intégré dans la République. Or, je pense qu’il y a des chemins d’autonomie partagée. On peut travailler des choses comme l’Angleterre a su le faire avec ses anciennes colonies. Il faut qu’on trouve une voie pour sortir du tout noir ou tout blanc.
[1] Un article du Monde publié le 10 juillet liste ainsi les chefs d’inculpation à l’encontre du leader de la CCAT Christian Tein : « complicité de meurtre », « vol en bande organisée avec arme », « destruction en bande organisée du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes », « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime » et « d’un délit », « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destruction de biens ».
mise en ligne le 11 juillet 2024
Denis Sieffert sur www.politis.fr
La dissolution sauvage décidée par Emmanuel Macron a rebattu les cartes politiques d’un pays blessé. Si le RN a été contenu grâce à une forte participation, il a fortement progressé. Le Nouveau Front populaire a, lui, réussi un coup de maître, mais le plus dur commence.
Cette dissolution sauvage aura finalement quelques effets positifs. Elle aura infligé une défaite cuisante à Macron, l’apprenti sorcier, désormais seul en son palais, abandonné par un premier ministre qui travaille pour son propre compte. Mais méfions-nous tout de même de l’eau qui dort. Macron ne désespère pas de pourrir encore un peu plus la situation et d’inventer, le moment venu, une coalition de bric et de broc. Il a pour ça un avantage : les principes ne l’encombrent pas. En attendant, sa dissolution aura permis de dissiper en partie l’illusion d’une extrême droite « relookée ».
Le Rassemblement national n’a pas résisté à l’épreuve de la loupe. Derrière les bonnes manières d’une poignée de dirigeants propres sur eux, le couvercle s’est soulevé sur une puanteur de candidats racistes, antisémites, nazifiés, rémanence du pétainisme et de l’Algérie française. L’autre leçon positive de ces quelques jours qui ont ébranlé la France, c’est évidemment l’apparition éclair du Nouveau Front populaire. En une nuit, le 10 juin, le slogan lancé par François Ruffin a pris corps. Marine Tondelier, Olivier Faure, Manuel Bompard et Fabien Roussel ont montré une conscience aiguë de la gravité de la situation. On retiendra de cet épisode l’apparition d’une génération de dirigeants qui ont montré ce que peut la volonté en politique.
Mais, cela étant dit, ne nous laissons pas abuser par le miroir déformant de la mécanique électorale. L’extrême droite a été éloignée du pouvoir, pour un temps au moins, mais la réalité ne se compare pas à des sondages qui nous prédisaient le pire. La réalité, ce sont 10 millions de voix pour le RN, 143 sièges, soit 54 de plus qu’en 2022. La réalité, c’est surtout un pays blessé par sept ans de mépris de classe, de réformes imposées à coups de 49.3, et de manifestations durement réprimées, et qui veut que ça change. Certes, le Nouveau Front populaire a réussi un coup de maître, mais le plus dur commence. Les déclarations du dimanche soir manifestant une volonté d’appliquer « tout » le programme du Nouveau Front populaire sont de bonne guerre. Peuvent-elles résister au principe de réalité ?
On a beau nourrir les rêves les plus fous, il va bien falloir négocier. La gauche, son futur premier ministre ou sa future première ministre, va devoir extraire quelques points forts qui constitueront une ligne rouge et qui délivreront rapidement à nos concitoyens un message social clair pour une amélioration immédiate de la vie des gens. On ne cite plus beaucoup Lénine, et on a raison, mais le gauchisme est toujours « une maladie infantile ». À moins de vouloir absolument provoquer une crise dans la crise en forçant Macron à la démission. Mais en prenant alors le risque d’offrir à Marine Le Pen l’occasion d’une revanche. Et puis il y a à espérer un changement de méthode. La question n’est pas secondaire. « Passer du bruit et la fureur à la force tranquille », a résumé Ruffin.
Rompre avec la vieille politique. Celle que l’on a encore vue à l’œuvre en Seine-Saint-Denis, à Paris 20e et à Marseille, où Alexis Corbière, Danielle Simonnet et Hendrik Davi ont dû dépenser leur énergie à résister à des candidats dépêchés par la direction de LFI pour, avec des arguments de caniveau, régler des comptes internes à ce mouvement. Stalinisme pas mort ! On se félicite de leurs victoires à plates coutures qui sont celles de la démocratie. La morale de l’histoire, c’est qu’en quittant le groupe, ceux qui ont déplu à Jean-Luc Mélenchon, il y faut ajouter Clémentine Autain, risquent de renverser le rapport de force aux dépens de LFI. Enfin, dernière leçon de ce scrutin, soulignons cet autre effet réjouissant. On a enregistré un record de participation. On nous a si souvent dit que les élections n’intéressaient plus les Français. C’est tout le contraire, quand nos concitoyens pensent que leur vie peut s’en trouver changée.
Et puis, on m’autorisera un petit plaisir personnel en saluant la défaite de l’horrible Meyer Habib, ami de Netanyahou et des pires colons israéliens. Malheureusement, Yaël Lerer, qui a mené la bataille dans la circonscription des Français d’Israël, n’en a pas profité personnellement. Mais éloignons-nous un instant de l’Assemblée, car tout ne se joue pas au Palais-Bourbon. Le mouvement social, les syndicats peuvent peser à la rentrée sur le rapport de force. Puisqu’il est question de Front populaire, n’oublions pas que celui de 1936 n’aurait pas légué l’héritage social que l’on sait sans les grandes grèves et la mobilisation ouvrière. « Front populaire », les mots ont un sens.
mise en ligne le 10 juillet 2024
Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr
Une mobilisation historique de la société civile a permis au Nouveau Front populaire de déjouer les pronostics le 7 juillet. Malgré cette première victoire, tous et toutes appellent à la vigilance et à la construction d’un vrai mouvement de fond pour contrer l’extrême droite.
Le ouf a été immense. Au niveau du gouffre qui menaçait. En élisant 182 députés du Nouveau Front populaire (NFP) – plus 13 « divers gauche » – dimanche 7 juillet, les Français ont accordé à la gauche une majorité relative. Une victoire aussi réjouissante qu’inattendue qui doit beaucoup à une forte mobilisation de nombreux acteurs de la société civile. « C’est vraiment réjouissant que ça ait dépassé les partis », souligne Lumir Lapray, activiste au sein de collectifs citoyens qui ont activement participé à la campagne sur le terrain. « Donc, bien sûr, il faut savourer, mais aussi se placer dans une perspective de long terme. Et c’est peu dire qu’on n’a pas le vent dans le dos », poursuit-elle.
Ce son de cloche est partagé par l’intégralité de nos interlocuteurs, qu’ils soient leaders de syndicat, d’association environnementale ou chercheurs. « Il ne faut surtout pas baisser la garde. Maintenant il faut battre le fer, ne rien lâcher », assène Dominique Corona, numéro 2 de l’Unsa, qui fait partie des cinq syndicats à avoir explicitement appelé à faire barrage au RN.
Il ne faut surtout pas baisser la garde. Maintenant il faut battre le fer, ne rien lâcher. D. Corona
Tous s’accordent pour dire que la première chose à faire pour faire reculer l’extrême droite est, le plus rapidement possible, de mettre en œuvre les politiques sociales ambitieuses du NFP. « Notre rôle, justement, est de continuer à pousser pour que le NFP tienne ses engagements », explique l’économiste Julia Cagé, qui liste trois mesures sur lesquelles un futur gouvernement du NFP ne devra absolument pas tergiverser. « La hausse du Smic à 1 600 euros, l’abrogation de la réforme des retraites, la mise en place d’un ISF efficace. Sur ces sujets-là, il ne faudra pas couper la poire en deux. Nous serons là pour le leur rappeler », promet-elle.
« Même avec un gouvernement du NFP, il y aura besoin de nos luttes sociales et écologiques, abonde Murielle Guilbert, codéléguée générale à l’Union syndicale Solidaires, à la fois pour appuyer ce qui se fait dans l’Hémicycle en montrant la légitimité des revendications sociales dans une assemblée où la gauche n’est pas majoritaire, et pour aller plus loin. » Elle rappelle ainsi que son organisation syndicale reste indépendante du NFP, et donc libre de toutes ses actions. Tout comme Greenpeace France qui le souligne, par la voix de son directeur général, Jean-François Julliard : « Dès le début, on a dit qu’on soutenait ce programme car c’est le plus ambitieux, mais ce n’est pas pour autant un chèque en blanc. Notre rôle sera d’être une vigie démocratique pour que les mesures soient réellement mises en œuvre. »
Reconquérir les électeurs du RN
Tous, forcément, ont en tête les dernières fois où la gauche a accédé au pouvoir. De l’attente que cela a créé, et de la déception qui a été engendrée par de trop nombreux renoncements et, pire, par l’application de réformes libérales. « Là, il faut montrer aux électeurs du RN qu’une vraie politique de gauche ambitieuse leur bénéficiera. En se donnant les moyens financiers de construire de nouveaux hôpitaux, de mieux couvrir le territoire de trains, en faisant la gratuité réelle de l’école, les électeurs RN reviendront vers la gauche », veut croire Julia Cagé.
La question de la reconquête des électeurs du Rassemblement national est en effet dans toutes les têtes. Car si la forte mobilisation populaire a évité le pire ce 7 juillet, le parti à la flamme a encore gagné plus de cinquante députés par rapport à 2022. S’installant, ainsi, toujours plus dans l’Hémicycle et sur le territoire. D’ailleurs, la polarisation entre territoires ruraux et urbains n’a jamais été aussi forte. De quoi questionner la stratégie à mener.
« Il faut peut-être qu’on lutte contre l’extrême droite de manière un peu différente en étant plus ancrés dans un certain nombre de lieux et de territoires où nous sommes très peu présents aujourd’hui », s’interroge Jean-François Julliard, qui concède que son association est « essentiellement basée en région parisienne et dans les grandes villes ». « C’est une réalité, pas un choix. Il y a des choses à repenser là-dessus », souffle-t-il.
Combien de territoires ruraux historiquement ancrés à gauche a-t-on perdus ? L. Lepray
Un travail de terrain qu’ont mené, ces trois dernières semaines, plusieurs milliers de militants qui ont passé leur journée et leur soirée à tracter, à faire du porte-à-porte ou du phoning dans les circonscriptions les plus incertaines. « On a gagné parce qu’on a outillé et organisé des gens », assure Lumir Lapray, qui craint que les partis politiques l’oublient un peu vite.
« Il faut déjà qu’ils se rendent compte du travail qui a été effectué. Et, ensuite, ils doivent nous donner un mandat et des fonds pour faire ce travail de terrain, chronophage mais plus que jamais nécessaire », poursuit la jeune femme, particulièrement inquiète que se reproduise la même chose qu’après les législatives en 2022. « J’ai été tellement déçue par la Nupes. Rien n’a été fait sur le terrain, rien. Et combien de territoires ruraux historiquement ancrés à gauche a-t-on perdus ? Il faut que les partis s’en rendent comptent et se mettent à notre service comme on s’est mis, bénévolement, au leur ces dernières semaines. Parce que le but, c’est de gagner en 2027 ! »
Dans le monde du travail aussi le chantier est immense, alors que les catégories populaires – ouvriers et employés – se sont massivement tournées vers le Rassemblement national. « Lorsqu’on a pris position contre le RN, on a eu des remontées qui montraient un fort risque de division au sein du monde du travail, y compris dans notre syndicat », raconte Murielle Guilbert, pour qui « un énorme travail nous attend ». « Il faut parler de la question sociale et de la répartition des richesses sans occulter la problématique du racisme », poursuit la leader de Solidaires, qui assure que son syndicat va mettre les bouchées doubles sur les formations sur l’antiracisme.
Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée. CGT
Face à un monde du travail de plus en plus atomisé, le dur rôle des syndicats est, dans cette période, de réinstaurer des collectifs forts, vraie barrière contre le vote RN. Pour cela, les organisations attendent beaucoup des mesures du Nouveau Front populaire. Mais comptent aussi sur leur unité qui leur a permis, ces derniers mois, de revenir sur le devant de la scène. « Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée. Depuis les élections européennes, des milliers de salarié·es et de retraité·es ont fait le choix de se syndiquer à la CGT. Cette dynamique doit s’amplifier pour permettre aux travailleuses et aux travailleurs de reprendre le pouvoir sur leur travail et leur vie », écrit ainsi la CGT dans un communiqué publié au lendemain du second tour.
Chez Solidaires, on confie aussi que le nombre d’adhésions est en forte hausse ces dernières semaines. « Plus, même, que lors de la réforme des retraites », glisse Murielle Guilbert. Face au danger de l’extrême droite, la société civile s’est donc largement mobilisée et outillée, permettant d’obtenir « un sursis ». Mais il appartient désormais au NFP de lui trouver un débouché politique dans les semaines, mois et années à venir. Urgemment. Sous peine de laisser l’extrême droite se rapprocher toujours plus du pouvoir.
Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr
La députée de Seine-Saint-Denis explique le chemin que le Nouveau Front populaire peut prendre pour gouverner malgré sa majorité relative. Elle acte aussi sa rupture avec La France insoumise et annonce la création d’une nouvelle force politique « au service du rassemblement ».
Sa victoire surprise à peine savourée, le 7 juillet au soir, le Nouveau Front populaire (NFP) doit affronter une équation complexe. Comment gouverner sans majorité absolue ? Quelles leçons tirer d’un scrutin qui a vu le Rassemblement national (RN) bondir de 88 à plus de 140 député·es ? Comment éviter que l’union de la gauche et des écologistes se fracture à nouveau ? Prise dans ce tourbillon, Clémentine Autain prend le temps d’analyser un paysage politique bouleversé.
La députée de Seine-Saint-Denis, réélue dès le premier tour avec plus de 62,65 % des suffrages exprimés, s’oppose à tout accord gouvernemental avec la Macronie et compte sur la mobilisation de la société civile pour soutenir le NFP. Elle acte aussi sa rupture avec La France insoumise (LFI) et affirme « entamer un processus de création d’une nouvelle force politique », avec d’autres, « pour donner une perspective à tous les orphelins d’une gauche radicale et démocratique ».
Mediapart : Le 7 juillet, le risque d’une majorité RN a été écarté et la gauche unie est arrivée en tête malgré la campagne menée par les médias Bolloré. L’hégémonie culturelle est-elle en train de changer de camp ?
Clémentine Autain : Le deuxième tour a corrigé l’élan du premier au lieu de l’amplifier. C’est un immense soulagement. On doit ce barrage réussi à la responsabilité des gauches et des écologistes qui se sont unis, alors que l’on n’y croyait plus, mais aussi à la mobilisation de syndicalistes, d’activistes, d’intellectuels et de très nombreuses citoyennes et citoyens. De l’appel initié par Julia Cagé aux Convois de la victoire, des milliers de personnes ont prêté main-forte partout, en s’auto-organisant, notamment dans des territoires qui ne nous étaient pas favorables.
Cette victoire est aussi liée au changement d’ambiance médiatique dans l’entre-deux-tours. C’est comme si des journalistes de grands médias, notamment du service public et de la presse locale, avaient été finalement pris de vertige. Enfin ils ont cessé de traquer les candidats LFI pour s’intéresser à ceux du RN qui donnent si bien la boussole de ce camp fait de racisme et de haine. La leçon générale qu’on peut en tirer, c’est que notre pays a de la ressource, il ne veut pas de l’extrême droite au pouvoir. Mais il ne faut pas que ce sursaut ne soit qu’un sursis. Si on ne traite pas les causes profondes qui poussent de plus en plus d’électeurs à se tourner vers le RN, qui passe malgré tout de 89 à 140 députés, nous irons dans le mur.
L’union des gauches et des écologistes sur un projet de transformation profonde, que j’ai défendue parfois contre vents et marées, a été efficace électoralement. Elle constitue un levier extraordinaire pour créer de l’espoir. Nous sommes maintenant au pied du mur : il faut consolider, structurer le NFP. Si ce rassemblement explose comme la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale], on passera à côté de nos responsabilités historiques. Nous n’avons pas encore de majorité, il reste la prochaine législative et la présidentielle à gagner. Dimanche soir, c’est notre point de départ. Et il est sacrément encourageant. C’est le début de quelque chose. Maintenant, il ne faut pas se rater.
Les responsables de gauche se disent prêts à gouverner et attendent d’Emmanuel Macron qu’il se tourne vers eux. Mais comment faire, alors que vous êtes encore plus minoritaires que les macronistes en 2022 ?
Clémentine Autain : L’extrême droite s’est pris une claque, elle ne peut pas gouverner. La Macronie est défaite, quoi qu’elle raconte sur les plateaux télé. Ce qui ressort du vote, c’est une envie de rompre avec quarante ans de politiques qui ont fait grandir le mal-travail et les inégalités, qui ont désindustrialisé le pays, maltraité les services publics, méprisé la voix du peuple, des décennies aussi meurtries par l’inaction climatique. Il y a de la rage dans ce pays, et l’envie d’autre chose. Le président de la République a dit qu’il entendait le résultat des urnes : il doit prendre acte que son orientation ne peut répondre à cette aspiration. Nous sommes les seuls à pouvoir apaiser les Français en leur apportant de la justice sociale et du respect. Nous y sommes prêts et nous devons au plus vite faire une proposition à Emmanuel Macron de premier ou première ministre.
Nous ne sommes pas au bout de la réflexion stratégique pour parler à toutes les catégories populaires, partout en France.
Des mesures très fortes peuvent être prises, y compris avec une majorité relative. D’abord, il faut gouverner sur une base claire, celle du programme du NFP, et pas dans le cadre d’une coalition avec Renaissance, qui serait le bricolage de deux visions de la société qu’on ne peut pas raccorder. On peut obtenir à l’Assemblée nationale une majorité texte par texte sur des sujets qui vont améliorer immédiatement la vie des Français, comme l’abrogation de la réforme des retraites. D’autres sujets ne passent pas par des lois mais par des décrets, comme le blocage des prix ou le Smic à 1 600 euros. Enfin, la majorité du pays soutient des pans entiers de notre programme. C’est cette force qu’il faudra donner à voir si nous gouvernons. En 1936, les congés payés ont été adoptés parce qu’une mobilisation immense réclamait à cor et à cri cette mesure qui n’était même pas dans le programme.
Il est faux de dire qu’on ne peut rien faire, tout comme il est faux de dire qu’on peut tout réaliser de nos engagements dans un cadre où on n’a pas de majorité. Mais ce qui est sûr, c’est que nous sommes les seuls à avoir la solution pour donner immédiatement du pouvoir de vivre dans la dignité. Si dans quinze jours on gouverne, la différence sera immédiatement perçue. Il se dit que la Macronie cherche une autre configuration, avec une alliance entre elle et Les Républicains. Un tel scénario serait une folie.
Malgré le succès du NFP, des circonscriptions de gauche ont basculé sous la poussée de l’extrême droite. « Attention aux illusions. En deux ans, l’extrême droite s’installe dans les terres ouvrières », a prévenu François Ruffin. Comment la gauche peut-elle réparer ce basculement d’une partie du vote populaire ?
Clémentine Autain : Il faut que l’on traduise les aspirations des habitants de tous les territoires, qu’ils et elles partout se sentent concernés par notre discours. Nous avons encore un gros travail à faire en la matière. Pour moi, la question des services publics est très importante pour faire reculer l’extrême droite et pour fédérer les mondes populaires de Sevran et de Pamiers, des Minguettes et d’Abbeville. Il y a une corrélation entre le dépérissement des services publics et le vote RN. Le sentiment de déclin sur lequel prospère l’extrême droite, c’est aussi la désindustrialisation. Il faut s’y attaquer, en relocalisant l’économie tout en la recentrant sur la satisfaction des besoins véritables. Ce sont deux piliers essentiels.
Mais si nous essuyons des défaites dans les circonscriptions de Fabien Roussel, de Caroline Fiat, de Pascale Martin ou encore de Charlotte Leduc, c’est-à-dire dans les territoires ruraux, c’est aussi parce que le discours de la gauche y a perdu pied. Le profil de LFI, qui lors des européennes s’est centrée quasi exclusivement sur la si juste cause palestinienne, a permis de créer un affect dans les quartiers populaires à forte population issue de l’immigration. Mais si on pense que c’est uniquement en confortant ces points de force qu’on peut être majoritaires dans le pays, on fait fausse route. Nous ne sommes pas au bout de la réflexion stratégique pour parler à toutes les catégories populaires, partout en France.
Par ailleurs, si le NFP progresse globalement, l’équilibre à l’intérieur de la gauche a bougé en faveur du PS et en défaveur de LFI. Attribuez-vous cela aux mêmes causes ?
Clémentine Autain : Nous sommes plusieurs dans le groupe LFI à avoir alerté sur le fait que notre stratégie depuis 2022 conduisait à ce rétrécissement. Nous sentions que l’adoption d’un profil très clivant, la dissonance féministe dans la gestion de l’affaire Quatennens, le défaut criant de démocratie interne ou encore le positionnement si critique des syndicats au moment de la réforme des retraites allaient conduire à un recul.
De même, nous aurions perdu moins de plumes et emmené bien plus largement dans la lutte pour le peuple palestinien massacré si nous avions été capables de poser les mots justes sur l’attaque du 7 octobre et si nous avions exprimé notre empathie à l’égard des juifs qui ont ressenti un traumatisme. Si certains mots posés par Jean-Luc Mélenchon étaient juste maladroits, s’ils avaient simplement été mal compris, pourquoi ne pas avoir réussi à éteindre la polémique insupportable visant à assimiler LFI à une bande d’antisémites ?
Je sais parfaitement la manipulation de l’opinion par nos ennemis sur ce sujet. Nous ne sommes pas dans un contexte bienveillant, nos adversaires se chargent de tout traquer et de tout amplifier, de manière totalement mensongère au besoin. Mais face à cela, au lieu de clarifier, de corriger, on a laissé une forme d’incompréhension s’installer. La voix de LFI a manqué de clarté. Certaines phrases, comme « l’antisémitisme est résiduel », font très mal.
Pour avoir formulé des critiques sur tous ces sujets, vous avez été exclue de facto de LFI. Sans appareil, n’avez-vous pas perdu la bataille, malgré la réélection des députés sortants non réinvestis par LFI (à l’exception de Raquel Garrido) ?
Clémentine Autain : D’abord, les électeurs ont tranché : les députés sortants non réinvestis Alexis Corbière, Hendrik Davi et Danielle Simonnet ont été réélus, et Raquel Garrido réalise un score très important dans un contexte local plus difficile. Quand on voit l’énergie démente dépensée par la direction insoumise dans cette campagne pour les faire perdre, au détriment de l’investissement contre le RN, on se dit que la victoire est immense. Et que l’appareil ne fait pas tout. C’est l’orientation la plus juste qui l’a emporté.
Le peuple de gauche veut la démocratie, il veut le pluralisme, il veut un autre profil que le bruit et la fureur. Comme tous ceux qui ont fait campagne ont pu le constater, une grande partie de nos électeurs sont en colère contre la stratégie de Jean-Luc Mélenchon depuis 2022. Celle-ci a laissé l’espace aux héritiers de la social-démocratie pour nous tondre la laine sur le dos. Résultat : ce sont eux qui progressent, pas nous – et les revers en ruralité sont sévères.
Le fait d’acter la rupture avec LFI est aussi pour moi un moyen de sortir des guerres fratricides pour me concentrer sur l’essentiel.
Pour autant, oui, il faut le dire : la bataille interne était en réalité perdue d’avance, car il n’y a pas de cadres de régulation démocratique à LFI, et donc de possibilité d’exprimer une autre option d’orientation que celle décidée par Jean-Luc Mélenchon et de la faire trancher par les militants. Au fond, comme disait Charlotte Girard, corédactrice du programme de 2017 qui a été poussée sans ménagement vers la sortie, « il n’y a pas moyen de ne pas être d’accord ». J’ai plusieurs fois émis des alertes à ce sujet. Après les législatives de 2022, j’ai pensé que nous saurions nous hisser à la hauteur de la nouvelle période politique. J’ai eu tort. Pourtant, sans régime interne démocratique, on ne peut pas devenir une force à vocation majoritaire.
La « purge » des députés sortants critiques de la direction de LFI pourrait être éclipsée par le contexte politique. A-t-elle laissé des traces ?
Clémentine Autain : Ce qui me frappe, c’est qu’une culture politique s’est installée dans les rangs de LFI, celle de la peur qui éteint les cerveaux. Quel message envoie-t-on aux militants et aux élus quand on ne réinvestit pas, et de façon si brutale, des sortants comme Alexis Corbière, porte-parole et figure historique du mouvement ? Ce qui est clairement exprimé, c’est que si on ose critiquer, n’importe qui peut être dessoudé en vingt-quatre heures, sans même un coup de fil. Dans un groupe de soixante-quinze, seuls deux députés en dehors des concernés, de François Ruffin et de moi-même, ont dit publiquement leur désapprobation – Loïc Prudhomme et Michel Sala.
Je sais que ce n’est pas le reflet de la réalité : beaucoup estiment que cette façon de faire est inadmissible. Pourtant, le silence est d’or. Mais si l’on accepte de telles méthodes, le risque est de tout avaler par la suite. Et à la fin, même les purgeurs d’hier finiront par être les purgés de demain.
Ne nous y trompons pas : tout cela n’est pas une question purement interne qui serait déconnectée des grands enjeux politiques. Ce que l’on donne à voir de nous-mêmes ne peut pas être en contradiction totale avec les principes démocratiques et les slogans comme « l’humain d’abord », que nous prétendons vouloir mettre en œuvre dans le pays. À l’évidence, ces comportements jettent un soupçon sur ce que nous ferions si nous avions le pouvoir.
Désormais, où allez-vous siéger à l’Assemblée nationale, et comment allez-vous faire valoir l’enjeu démocratique à l’intérieur du NFP ?
Clémentine Autain : J’aurais aimé que nous ayons un groupe Nouveau Front populaire. Nous n’en prenons pas le chemin. Pour ma part, je n’ai qu’une obsession : conforter et développer l’union sur la base d’un projet porteur de changements profonds, sociaux et écologiques. Cela suppose de bâtir un mode de fonctionnement commun, avec a minima un intergroupe à l’Assemblée nationale, un cadre régulier d’animation du NFP et la possibilité d’adhésions directes. Jean-Luc Mélenchon lui-même m’a donné ce point au sujet du Front de gauche, en admettant que j’avais eu raison de plaider pour des adhésions directes à l’époque. Ne refaisons pas les mêmes erreurs.
Le NFP ne peut pas se résumer à un cartel d’organisations. Pourquoi le soir des résultats, le 7 juillet, n’y a-t-il pas eu l’image de l’union mais une succession de prises de parole des chefs de parti ? Si on veut donner de l’espoir, il faut donner à voir que ce rassemblement existe, qu’il est vivant, qu’il y a un cadre auquel on peut se référer, qui peut accueillir l’énergie militante qui s’est levée. Beaucoup veulent adhérer ou contribuer au NFP sans forcément choisir l’un des partis qui le composent. Si on permet ces adhésions directes, si on crée des espaces de dialogue avec le monde associatif, syndical, culturel, alors on sera à la hauteur du moment.
Il ne s’agit pas de faire le parti des “Insoumis insoumis”, même si les rassembler est déjà une étape.
Soyons lucides : le NFP est fragile. Je veux m’engager au service de tout ce qui peut cimenter l’union. Le fait d’acter la rupture avec LFI est aussi pour moi un moyen de sortir des guerres fratricides pour me concentrer sur l’essentiel : construire une majorité dans le pays pour combattre le mal-être, les injustices, l’inaction climatique. Pour contribuer à pérenniser le NFP, et sur une base réellement transformatrice, pour donner une perspective à tous les orphelins d’une gauche radicale et démocratique, je veux avec d’autres entamer un processus de création d’une nouvelle force politique.
Avec qui aura lieu ce processus ?
Clémentine Autain : Avec des groupes politiques déjà constitués, des activistes, des militants des quartiers populaires, de la jeunesse… Je propose un processus, la porte est ouverte. Il ne s’agit pas de faire le parti des « Insoumis insoumis », même si les rassembler est déjà une étape. Il y a la place pour une force qui porte un projet qui prenne les problèmes à la racine, avec une stratégie de conquête du pouvoir et un mode de vie interne qui respire, qui estime le vote légitime pour trancher les dissensus, et qui considère le pluralisme comme une richesse. Nous avons besoin d’un nouvel outil organisationnel au service du rassemblement, qui ouvre les bras aux militants déçus de LFI comme aux nouvelles énergies disponibles pour ce projet.
Je veux que ce soit un lieu où on travaille sur le fond, sur la stratégie, et pas en vase clos. Car il faut être lucide, on n’y est pas. J’en appelle au monde intellectuel : aidez-nous. On a des éléments de réponse : François Ruffin sur le mal-travail, moi sur les services publics comme fédérateur potentiel. Mais nous n’avons pas toutes les solutions. On a encore du chemin à faire, il faut un espace commun de travail et d’action.
Qui peut être premier ou première ministre du NFP ?
Clémentine Autain : Les députés du NFP ont leur mot à dire sur cette question. On ne peut pas être simplement une chambre d’enregistrement de la décision prise dans le cadre du cartel des partis, même si leur accord est essentiel. J’ai appelé à une réunion de l’ensemble des députés du NFP pour en débattre. Je ne désespère pas qu’elle ait lieu. La majorité du groupe le plus important en nombre du NFP ne peut pas décider pour tout le monde. C’est une règle qui n’est pas bonne. Je le dis dans un moment où on ne sait pas avec précision quel groupe du NFP sera le plus important. Il ne faudrait pas que LFI, qui a clamé que c’était le groupe arrivé en tête qui déciderait, se fasse prendre à son propre piège. Nous sommes très attendus. Il serait incompréhensible que l’on mette un temps infini à dégager une personnalité qui permette à toutes et tous de s’y retrouver. Ici comme ailleurs, nous n’avons pas le droit de décevoir.
mise en ligne le 9 juillet 2024
sur https://www.cgt.fr/actualites
La mobilisation citoyenne a déjoué le scénario catastrophe d’Emmanuel Macron qui, par sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, a créé le chaos et déroulé le tapis rouge au Rassemblement National. Une large majorité d’électeurs et d’électrices ont clairement exprimé leur refus de donner les clés du pays à l'Extrême droite.
Le Nouveau Front Populaire, porteur d’un programme prévoyant notamment l'augmentation des salaires et des pensions, l'abrogation de la réforme des retraites et l'investissement dans nos services publics, est arrivé en tête.
Espagne, Grande-Bretagne et maintenant la France : les réactionnaires sont battus sur la base d’attentes sociales fortes. En Europe, le choix est désormais clair : progrès social ou fascisme, le libéralisme n’est plus une alternative.
Le président de la République a été sévèrement sanctionné.
Il a été totalement irresponsable en tentant jusqu’au bout de mettre dos à dos l’Extrême droite avec la gauche, contribuant ainsi à la légitimation du
Rassemblement National et de son idéologie.
Heureusement, la majorité des organisations syndicales, la société civile, la jeunesse et les partis politiques républicains ont pris
leurs responsabilités. Fidèle à son histoire, la CGT a continué de rappeler très fermement
que le Rassemblement National est toujours un parti raciste, antisémite, homophobe, sexiste et violent et qu’il ne doit jamais être considéré comme
un parti comme les autres.
Au-delà, les leçons doivent être tirées en profondeur pour contrer la progression continue du Rassemblement National, qui a obtenu un nombre de député·es record.
La CGT alerte. Les exigences sociales doivent être entendues : le travail doit permette de vivre dignement et les services publics doivent être développés dans tous les territoires.
Pas question que le patronat, qui a brillé par sa complaisance envers l’Extrême droite, ait encore gain de cause.
Il faut rassembler le pays qui a été clivé de façon très violente et lutter avec détermination contre le racisme, l'antisémitisme et l'islamophobie. Il faut aussi renforcer les obligations déontologiques et l’indépendance des médias actuellement dans les mains de quelques milliardaires.
Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée.
Depuis les élections européennes, des milliers de salarié·es et retraité·es ont fait le choix de se syndiquer à la CGT.
Cette dynamique doit s’amplifier pour permettre aux travailleuses et travailleurs de reprendre le pouvoir sur leur travail et leur vie. Partout dans les territoires, la CGT va rencontrer les député·es républicains pour porter les exigences du monde du travail.
La CGT va réunir ses instances de direction pour décider de toutes les initiatives nécessaires et échanger avec l’intersyndicale et les associations pour continuer à avancer dans l’unité la plus large.
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Après la « victoire incroyable » de la gauche, Sophie Binet exige du président de la République qu’il respecte le verdict des urnes. La secrétaire générale de la CGT livre sa réflexion sur l’urgence de renouer avec le monde du travail et ses revendications. Une intersyndicale doit avoir lieu ce 9 juillet.
Au second tour, le barrage républicain a empêché le RN de faire main basse sur Matignon. Est-ce une satisfaction ?
Sophie Binet : C’est une victoire incroyable. La mobilisation citoyenne a réussi à déjouer tous les scénarios catastrophes préparés depuis l’Élysée. Emmanuel Macron organise le chaos pour dérouler le tapis rouge à Jordan Bardella.
La gauche a su s’unir sur un programme de rupture avec le macronisme malgré des divergences fortes. La majorité des syndicats, CGT et CFDT en tête, ont pris leurs responsabilités en appelant à barrer la route de Matignon à l’extrême droite.
La clarté des désistements a contribué à battre en brèche la stratégie du « ni, ni » de la Macronie. Nous avons forcé la droite et le centre à reconstruire un barrage républicain, même fragile. Les électeurs ont pris leurs responsabilités. Le peuple français a réaffirmé que notre République, ce n’était pas l’extrême droite.
La CGT a soutenu le programme du Nouveau Front populaire (NFP). La gauche, en majorité relative, devra faire des compromis. Quelles sont vos lignes rouges ?
Sophie Binet : Les exigences sociales doivent être entendues. La CGT scrutera de près les contenus sociaux du prochain exécutif. À commencer par l’abrogation de la réforme des retraites. C’est un point majeur. L’opposition à cette réforme a pesé lourd dans ce scrutin. Grâce à la pugnacité des organisations syndicales, nous avons déjà gagné l’abandon de la réforme de l’assurance-chômage.
Ce n’est pas une petite victoire. La CGT veut des réponses claires sur l’augmentation des salaires, du point d’indice des fonctionnaires et des pensions. Le Smic à 1 600 euros était dans le programme du NFP.
Cela correspond aux revendications de la CGT. Un calendrier doit préciser sa mise en œuvre. L’indexation des salaires est un impératif, car le RN prospère sur le déclassement du travail. Enfin, des moyens doivent être débloqués pour nos services publics.
Quelles places pour les questions industrielles ?
Sophie Binet : Quand on ferme une usine, c’est un député du RN qui est élu. Les aides versées aux entreprises doivent être remises à plat et conditionnées. Le septennat d’Emmanuel Macron a été extrêmement profitable aux grandes entreprises. Elles ont bénéficié d’au moins 60 milliards de cadeaux supplémentaires en termes de baisse d’impôts et profitent chaque année de 170 milliards d’aides sans condition, ni contrepartie.
Il faut une autre répartition des richesses. Le patronat doit passer à la caisse. La CGT attend des actes forts et rapides, notamment dans les luttes sociales en cours. L’avenir des centrales de Cordemais et Gardanne, mais aussi de la papeterie Chapelle Darblay, doit être garanti. La CGT réclame un moratoire sur les licenciements en cours.
Enfin, la privatisation de Fret SNCF doit cesser, avec un moratoire sur le plan de discontinuité. La CGT se tient prête à proposer un plan de développement du ferroviaire au prochain gouvernement.
Quel profil doit aller à Matignon ?
Sophie Binet : La CGT n’a pas à faire le casting du futur exécutif. Mais une aspiration au renouvellement a émergé dans cette dynamique populaire. La gauche est en situation de cohabitation avec Emmanuel Macron. Jusqu’au bout, le président essayera d’empêcher une politique de justice sociale, avec la complicité du patronat. Il continuera à jouer les pyromanes.
« Nous avons besoin d’une gauche de rupture capable de gouverner et d’apaiser le pays. »
Le futur gouvernement doit se donner les moyens de durer, il doit être composé de personnalités qui rassemblent et répondent aux exigences sociales du monde du travail. Le pays est fracturé. Nous avons besoin d’une gauche de rupture capable de gouverner et d’apaiser le pays.
La stratégie de clivage, du bruit et de la fureur, de polarisation, profite in fine à l’extrême droite. Nous n’avons pas besoin de jeter du sel en permanence sur le débat public. Le NFP a une obligation de réussite, il ne doit ni trahir ni décevoir.
Vous craignez des manœuvres de l’Élysée pour empêcher la gauche de gouverner ?
Sophie Binet : Par son silence, Emmanuel Macron cherche à s’asseoir sur le résultat des urnes. Le chef de l’État souhaite un gouvernement technique dans la continuité de sa politique néolibérale. Le résultat, nous le connaissons par avance et nous l’avons vu en Italie.
Une coalition sans contenu social propulsera Marine Le Pen à l’Élysée en 2027. Il serait irresponsable de repartir sur une majorité relative composée des macronistes et des LR.
Quelles initiatives la CGT va-t-elle prendre dans les jours à venir ?
Sophie Binet : Une intersyndicale se tiendra ce mardi soir. Avec les autres organisations syndicales, nous continuerons à chercher à rassembler le pays autour de nos revendications sociales et à empêcher un hold-up démocratique. Le patronat a brillé par sa complaisance envers l’extrême droite. Il n’est pas question qu’il bloque de futures avancées sociales.
La société civile a maintenu une pression populaire sur les partis de gauche. Cet attelage doit-il perdurer ?
Sophie Binet : La CGT rencontrera tous les députés élus, sauf ceux de l’extrême droite. Sans la mobilisation de la société civile, des députés républicains de tous bords n’auraient jamais été élus. Durant ce mois de campagne, une repolitisation de la société s’est opérée : la jeunesse, le mouvement ouvrier, les intellectuels, une partie du monde de la culture et du sport, des journalistes…
Les initiatives se sont multipliées. Il ne faut surtout pas laisser la politique aux politiciens. Ce souffle ne doit pas retomber, sinon Emmanuel Macron jouera avec le RN pour créer le chaos. La CGT continuera à se mêler des affaires politiques.
Le 7 juillet, le RN et ses alliés ont recueilli plus de 10 millions de voix. Le vote d’extrême droite progresse inexorablement dans le salariat. Comment inverser cette tendance ?
Sophie Binet : Nous sommes en sursis d’une arrivée du RN au pouvoir. La CGT alertait, souvent seule, de la progression de l’extrême droite chez les travailleurs. On ne pourra pas lutter contre le racisme sans lutter contre l’antisémitisme, car ces discriminations prennent des formes distinctes mais ont des ressorts communs.
Attention à ne minimiser ni l’un ni l’autre de ces fléaux et à surtout cesser de les mettre en opposition. Les actes racistes et islamophobes ont explosé ces dernières semaines sur les lieux de travail.
Par exemple, à Enedis, une salariée s’est fait traiter de sale négresse. La CGT va interpeller le patronat : quelle politique va-t-il mettre sur pied pour lutter contre le racisme ? Nous proposerons à l’intersyndicale de se saisir de ces enjeux.
Les formations de gauche sont-elles encore audibles dans le monde du travail ?
Sophie Binet : C’est un axe de travail que nous devons aborder avec la gauche politique. Des bastions ouvriers, comme dans les Bouches-du-Rhône, l’Est, le Nord, la Seine-Maritime basculent à l’extrême droite. Ce n’est pas qu’un vote sanction vis-à-vis d’Emmanuel Macron.
Dans une grande partie du salariat, l’extrême droite est un vote d’adhésion. Dans des duels face à la gauche, des salariés ont choisi le bulletin RN. La déstructuration du travail et l’explosion des collectifs de travail sont des accélérateurs de la progression du RN.
La question du travail doit-elle être centrale pour reconquérir les classes populaires ?
Sophie Binet : Oui. La gauche a trop délaissé le travail, tout comme les enjeux industriels. La gauche qui a gouverné sous François Hollande a démissionné face à la finance et a organisé le partage de la pénurie au sein du salariat, en opposant les cadres et les ouvriers. Des partis de gouvernement ont eu pour seule proposition aux présidentielles le revenu universel.
« La gauche doit redevenir le parti du monde du travail. »
Au lieu de parler de salaire, la gauche a parlé de pouvoir d’achat. Des formations ont abandonné le combat pour l’amélioration collective des conditions de travail, en apportant des réponses segmentées pour la seule frange de celles et de ceux les plus en difficulté, en développant les aides sociales, tout en renonçant à affronter le capital. La gauche doit redevenir le parti du monde du travail.
Peut-on parler d’une même voix aux classes populaires de Seine-Saint-Denis, de Flixecourt ou de Saint-Amand-les-Eaux ?
Sophie Binet : C’est l’enjeu qui est devant nous. Sous le poids des mutations du travail, les catégories populaires sont devenues diverses. Ces dernières sont profondément clivées par le vote RN. La question sociale rassemble largement. Nous devons faire comprendre aux travailleurs l’importance d’une expression de classe. Sinon, le patronat continuera de dérouler son projet antisocial.
C’est en ce sens que l’extrême droite est le pire ennemi des travailleurs : elle les fracture en les mettant en opposition selon la religion, la couleur de peau, la nationalité ; pendant ce temps-là le patronat a une paix royale et se frotte les mains ! Cependant, l’abstention reste le premier parti des ouvriers. Nous devons aussi les convaincre de l’utilité de voter.
Comment analysez-vous le rôle de la CGT dans cette séquence ?
Sophie Binet : Je suis très fière du déploiement de la CGT depuis l’annonce de la dissolution. Plus de 3 000 adhésions ont été réalisées. La CGT aurait pu agir comme d’autres, en faisant primer ses intérêts électoraux, et ne pas affronter certains salariés.
De nombreuses circonscriptions ont été gagnées à une poignée de voix. Sans l’investissement de la CGT, le résultat des urnes aurait été différent. Nous sommes restés fidèles à notre histoire. À chaque fois qu’une menace fasciste planait, la CGT a pris ses responsabilités. Nous avons tenté d’être à la hauteur de l’héritage de Benoît Frachon, Georges Séguy, Martha Desrumaux et Henri Krasucki.
mise en ligne le 8 juillet 2024
Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr
Alors que les instituts de sondages, au soir du premier tour, annonçaient une potentielle majorité absolue au Rassemblement national, une forte mobilisation populaire a permis au Front populaire d’être la plus importante force politique à l’Assemblée nationale. Il faut, désormais, construire dessus.
« Bonjour Madame, est-ce qu’on pourrait parler quelques minutes des élections législatives ? » Cette phrase, cette semaine, a été répétée des milliers de fois. Des dizaines de milliers de fois, sans doute. Après l’annonce, par Emmanuel Macron, de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, une véritable mobilisation populaire est née pour faire face à la vague brune du Rassemblement national.
Celle-ci a pris plusieurs formes. Mais la principale, sans aucun doute, ce sont ces centaines de personnes qui ont décidé de se lancer, corps et âme, dans une campagne incertaine, au bord du vide. Comme nous vous l’avons raconté dans Politis, ce sont, en effet, des centaines – certainement des milliers – de citoyens, qui, chaque soir sont allés dans des circonscriptions « serrées » pour toquer, porte après porte, pavillon après pavillon, pour convaincre les indécis, pour expliquer les enjeux de cette élection. Et ainsi, contrer ce qu’on voulait, à tout prix, nous faire croire comme inéluctable : une majorité pour le Rassemblement national.
D’ailleurs, le leader de la France Insoumise ne s’y est pas trompé. Pour commencer sa prise de parole, Jean-Luc Mélenchon a tenu à saluer « l’effort et la mobilisation des milliers de femmes et d’hommes qui se sont dévoués sans compter pour parvenir au résultat qui est acquis ce soir ». Ceux-là mêmes, qui, par la force de leur conviction, ont déjoué tous les pronostics. Car il faut bien le dire : si le « barrage républicain » a permis aux macronistes de ne pas être totalement ridiculisés ce dimanche 7 juillet, ce n’est pas lui qui a donné la victoire au Nouveau Front populaire.
On ne gagne pas une élection sans faire campagne. On ne braque pas la démocratie sans convaincre.
En effet, selon une enquête d’Ipsos pour Le Parisien, près de 3 électeurs sur 4 du Nouveau Front Populaire au premier tour sont allés voter pour un candidat de l’ex majorité présidentielle en cas de duel face au Rassemblement national. C’est moins d’un électeur sur deux dans le cas inverse. Seulement 43 % des électeurs macronistes ont glissé un bulletin La France insoumise dans l’urne en cas de duel face au RN. Ce chiffre monte, maigrement, à 54 % dans un duel entre le RN et un candidat PS, Les Écologistes ou PCF. Pour les leçons de « républicanisme », on repassera.
Cette victoire est donc avant tout populaire. Elle est issue d’un travail de terrain que ni le Rassemblement national, ni la majorité présidentielle n’ont su effectuer. Et c’est peut-être le plus grand succès de ces résultats. On ne gagne pas une élection sans faire campagne. On ne braque pas la démocratie sans convaincre. De ce postulat, sain, il faut désormais construire. Maison par maison, foyer par foyer. Parce que si la victoire, ce 7 juillet, est aussi belle qu’inattendue, elle reste relative. Le Rassemblement National continue de progresser fortement avec plus de 50 nouveaux députés à l’Assemblée Nationale.
Cette vague brune, si elle n’a pas le tsunami que certains prédisaient, a quand même fait des dégâts.
Cette vague brune, si elle n’a pas le tsunami que certains prédisaient, a quand même fait des dégâts. Plusieurs députés importants de l’ancienne Nupes ont ainsi été défaits dans les urnes ce dimanche. Pour ne citer qu’eux, Rachel Keke, Pierre Darrhéville ou Sébastien Jumel. Des parlementaires qui étaient élus, bien souvent, dans des circonscriptions rurales. Et qui, malgré une intense mobilisation, ont échoué à quelques centaines de voix.
Ces défaites locales doivent nous laisser en éveil. Oui, le Nouveau Front populaire est désormais le bloc politique le plus important à l’Assemblée Nationale. Mais le plus dur reste à venir. En premier, réussir à maintenir cette forte mobilisation populaire dans des territoires où le RN prospère. Ce n’est que par ce travail de terrain, d’implantation, que la gauche réussira à faire reculer le parti de Marine Le Pen et ses idées. La nouvelle élection de François Ruffin – la troisième d’affilée – dans la première circonscription de la Somme, où le RN avait fait d’importants scores aux européennes, en est une bonne illustration. Là est son salut.
Mais pour cela, il faut que les nouveaux parlementaires du Nouveau Front populaire soient à la hauteur du moment. Ces milliers de citoyens, bien souvent non encartés, qui se sont mobilisés ces dernières semaines ne pardonneraient pas une énième trahison libérale. Ses électeurs non plus. « Le seul vote pour tout changer », pouvait-on lire en gras sur les tracts distribués dans les quatre coins du pays pour le NFP. Il faut, désormais, tenir la promesse.
mise en ligne le 6 juillet 2024
Luis Reygada sur www.humanite.fr
Des experts de l’ONU avertissent des entreprises d’armement et leurs financeurs des possibles conséquences juridiques de leurs transactions avec Israël. Une filiale du Crédit agricole est nommément visée.
Après les États qui exporteraient des armes vers Israël, ce sont maintenant les entreprises d’armement qui sont directement visées à l’ONU. Celles-ci pourraient en effet être appelées à rendre des comptes en se voyant accusées de « complicité » dans la commission de crimes internationaux, « y compris éventuellement de génocide ».
C’est ce qui ressort d’un communiqué de presse diffusé le 20 juin par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Dans le document, trente experts de l’ONU préconisent aux « fabricants d’armes qui fournissent Israël » de « mettre fin aux transferts, même s’ils sont exécutés dans le cadre de licences d’exportation existantes ».
Les entreprises américaines Boeing, Oshkosh, Caterpillar, General Dynamics, Lockheed Martin, Northrop Grumman, RTX, allemandes Thyssenkrupp, Rolls-Royce Power Systems, Rheinmetall AG et britannique BAE Systems sont nommément visées. Au vu des récentes révélations du média d’investigation Disclose, il ne serait pas improbable que des sociétés françaises y figurent aussi.
Les vendeurs d’armes qui fournissent Israël dans le viseur des experts de l’ONU
En faisant parvenir, même indirectement, des armes, des pièces, des composants ou des munitions qui seraient utilisés par les forces israéliennes – notamment dans le cadre des attaques en cours contre Gaza –, « ces entreprises risquent d’être complices de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international ».
Les experts onusiens ont ainsi averti ces poids lourds de l’industrie mondiale de l’armement – qui génèrent chaque année des centaines de milliards d’euros de bénéfices – que la poursuite de leurs échanges commerciaux avec Israël pourrait « être considérée comme une aide apportée en toute connaissance de cause (…) de la récente décision de la Cour internationale de justice (du 26 janvier dernier – NDLR) ayant reconnu un risque plausible de génocide à Gaza ».
« C’est une prise de position importante qui nous montre que les entreprises privées peuvent bien être tenues responsables lorsqu’elles choisissent de faire commerce avec un État qui enfreint le droit international. Cela donne raison à la mobilisation internationale pour l’arrêt du commerce d’armement avec Tel-Aviv », considère Laura Z., représentante de Stop Arming Israel France. « D’autant plus que les entreprises se cachent toujours derrière les décisions de l’État pour se dédouaner de toute responsabilité », ajoute-t-elle.
« Encore faut-il être en mesure de déterminer la liste des entreprises d’armement impliquées et le matériel en cause, considère de son côté Tony Fortin, chargé d’étude à l’Observatoire des armements. En France, il y a un réel manque de transparence sur le sujet ; il est essentiel que la commission parlementaire de contrôle des exportations d’armes réalise une enquête pour pousser l’État à agir. »
Une filiale du Crédit Agricole potentiellement complice « de crimes d’atrocité »
Donnée majeure à souligner : les experts de l’ONU ont aussi pointé du doigt la responsabilité des institutions financières qui investissent dans ces entreprises d’armement. Au milieu des vingt et une sociétés mentionnées – parmi lesquelles nous retrouvons des acteurs majeurs de la gestion d’actifs tels que BlackRock, Bank of America, Citigroup ou encore JP Morgan Chase –, figure aussi le numéro un européen : la française Amundi Asset Management.
Une filiale du groupe Crédit agricole qui se targue d’être « l’acteur de référence en matière d’investissement responsable » 1. Comme ses consœurs, elle se voit pourtant priée d’agir pour « prévenir ou atténuer (ses) relations commerciales avec (les) sociétés qui transfèrent des armes à Israël », sous peine de se voir non seulement « directement liée aux violations des droits de l’homme » mais aussi accusée d’y contribuer, s’ensuivant une potentielle complicité dans la commission « de crimes d’atrocité » 2.
Contacté par l’Humanité, le secrétariat du Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme (dont plusieurs membres ont participé au panel d’experts s’étant exprimé devant le HCDH le 20 juin dernier) a rappelé l’importance pour les entreprises de faire preuve de « diligence renforcée en matière de droits de l’homme », et tout particulièrement dans les situations de conflit. Un Code de conduite responsable qui doit servir de guide aux entreprises du secteur de l’armement a d’ailleurs été publié à cet effet en 2022, afin notamment que leurs pratiques commerciales soient conformes aux principes directeurs des Nations unies. Le secrétariat a aussi rappelé que c’est aux États qu’incombe la responsabilité première de prendre des mesures visant à empêcher stopper tout commerce de matériel qui pourrait être utilisé pour violer le droit international.
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU avait déjà adopté, début avril, une résolution interpellant les gouvernements en réclamant un embargo sur les armes à destination de Tel-Aviv. « Tous les États (doivent) cesser la vente, le transfert et la livraison d’armes, de munitions et d’autres équipements militaires à destination (de la) puissance occupante afin de prévenir de nouvelles violations du droit international », indiquait ainsi le document A/HRC/55/L.30. Une résolution à laquelle s’étaient notamment opposés les États-Unis et l’Allemagne.
Etablir un rapport sur la vente d’armes vers Israël et analyser les conséquences juridiques
Dans la même résolution, le Conseil avait aussi demandé à une commission internationale indépendante d’établir un rapport sur la vente d’armes vers ce pays, notamment pour « déterminer (le matériel) utilisé au cours de l’opération militaire israélienne menée à Gaza depuis le 7 octobre 2023 » et analyser les conséquences juridiques. Celui-ci devrait être présenté lors de sa cinquante-neuvième session, en juin 2025.
« Il est important pour Stop Arming Israël de rappeler que les prises de positions de l’ONU ne sont pas contraignantes », signale Laura Z., qui y voit toutefois un point d’appui pour « continuer la mobilisation populaire, essentielle pour mettre la pression » sur les entreprises et les forcer à arrêter réellement tout commerce d’armement avec Israël.
Face à l’urgence alors que les attaques de l’armée israélienne ont déjà provoqué la mort de plus de 37 000 personnes et 84 000 blessés – desquels l’Onu estime que 70 % seraient des femmes et des enfants – l’Observatoire des armements demande aux salariés des groupes d’armement français de passer à l’action.
« Les sections syndicales peuvent interpeller leur direction, à l’image des trois cents membres de la CGT de l’entreprise STMicroelectronics (un des plus grands acteurs de la production des semi-conducteurs en lien avec Israël, NDLR) qui ont écrit une lettre ouverte à leur directeur général demandant la fin du partenariat de leur entreprise avec Israël », précise Tony Fortin.
L’expression onusienne « crimes d’atrocité » fait référence aux crimes de génocide, de guerre, contre l’humanité ainsi que de nettoyage ethnique.
mise en ligne le 5 juillet 2024
Léo Schilling sur www.humanite.fr
La dirigeante d’une entreprise de nettoyage francilienne a tenu des propos racistes envers ses employés, en grève depuis le 20 juin. Elle a néanmoins dû négocier avec ses salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables
Ces propos racistes n’en finissent pas de susciter l’indignation. Alors que les travailleurs sans papiers du groupe francilien de nettoyage et d’entretien HNET étaient en grève depuis le jeudi 20 juin pour obtenir les documents auprès de la société pour lancer des procédures de régularisation, ainsi que des augmentations de salaires, la direction de l’entreprise est montée d’un cran ce mardi dans sa violence à l’encontre des travailleurs.
Ce jour-là, la cheffe d’entreprise, qui refusait jusque-là de négocier depuis plus de 10 jours, au point d’engager un maître-chien pour éloigner les grévistes, puis d’envoyer des lettres de convocation pour licenciement, est finalement allée à la rencontre de ses salariés. Devant plusieurs journalistes, elle a assuré d’abord, contre toute évidence, « il n’y a pas de travailleurs sans papiers », avant de tenir des propos ouvertement racistes : « Je suis une blanche, avec tous ces noirs, vous croyez qu’on n’a pas peur ? »
Gain de cause
Soutenus par la CNT, les travailleurs sans papiers ont finalement pu négocier avec la direction mardi 2 juillet au soir, et ont obtenu certaines garanties : la revalorisation de 10 % des salaires, ainsi que l’arrêt des procédures de licenciement, selon le syndicat. De plus, l’accord prévoit un « processus de régularisation et une future réunion sur les contrats et conditions de travail », à la rentrée, poursuit la CNT.
Dans un contexte politique nauséabond, cette victoire est une bouffée d’air frais pour ces salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables (sept jours sur sept, heures supplémentaires non rémunérées…), malgré vingt ans d‘ancienneté pour certains d’entre eux.
Et sur l’origine de cette grève :
Léo Schilling sur www.humanite.fr
En grève depuis jeudi 20 juin, des salariés sans papiers du groupe de nettoyage HNET continuent de revendiquer l’amélioration de leurs conditions de travail devant le siège de l’entreprise, pour le moment sans réponse de la part de leur employeur.
Sur les treize travailleurs sans papiers en grève, neuf sont présents ce mercredi 26 juin, dans le quinzième arrondissement de Paris, pour manifester devant les locaux de leur employeur, le groupe de nettoyage HNET. Ils scandent en chœur « pour tous les travailleurs, solidarité », et agitent des drapeaux de la Confédération Nationale des Travailleurs (CNT) Solidarité Ouvrière, qui les soutient, tout en tapant dans leurs mains et sur une poubelle. Un syndicaliste se tient à leurs côtés, avant qu’ils ne soient rejoints par un juriste de la CNT, chargé de défendre leurs droits.
« Non-respect du droit du travail »
Devant le siège de HNET, barricadé par la direction du groupe durant le week-end, le juriste Etienne Deschamps explique la situation et les revendications de ces travailleurs, des déclarations confirmées par les grévistes. Chargés de nettoyer et d’entretenir les parties communes de copropriétés ou encore de gérer les poubelles et le tri sélectif, ils pointent tous les manquements au droit du travail : « Les employeurs savent parfaitement que ces salariés sont sans papiers, sinon ils se comporteraient différemment. Certains travaillent sept jours sur sept, reçoivent des contrats de travail à temps partiel illicites, qui ne comportent pas les mentions légales, notamment la répartition des horaires dans la semaine ou le mois. Les heures supplémentaires ne sont pas forcément rémunérées, et les frais d’essence des salariés se déplaçant en scooter ne sont pas pris en charge. Depuis des années, les méthodes de l’entreprise sont celles d’un autre monde. »
Selon Etienne Deschamps, les mails et SMS envoyés aux employeurs pour proposer de négocier les conditions de travail des salariés n’ont pas trouvé de réponse, le groupe HNET se contentant de nier l’emploi de travailleurs sans papiers. La première étape est de porter la demande de régularisation des travailleurs : « Ils remplissent tous les critères de la circulaire Valls (texte administratif décrivant les critères de délivrance des titres de séjour), qui est toujours d’actualité : plus de trois ans d’ancienneté sur le territoire, vingt-quatre bulletins de salaire… l’un d’entre eux travaille pour l’entreprise depuis plus de dix ans. Il faut que les entreprises comprennent qu’il faut négocier avec les salariés qui les enrichissent depuis des années. »
Un contexte électoral qui risque de précariser davantage ces travailleurs
Après une première journée de manifestation jeudi 20 juin, les grévistes ont été accueillis le lendemain par des maîtres-chiens, qui avaient apparemment du mal à maîtriser leurs animaux. « Une porte s’est ouverte, un chien est sorti sans laisse ni muselière, ce qui est illicite, et a mordu la première personne venue, un des collègues », raconte le juriste. D’après les déclarations des travailleurs, le maître-chien concerné aurait été embarqué par la police peu après. Les forces de l’ordre sont également revenues voir où en était la situation ce lundi, se contentant de discuter avec les grévistes, puis de quitter les lieux.
Contacté, le groupe HNET n’a pas répondu aux sollicitations de L’Humanité.
Pauline Achard sur www.humanite.fr
Les femmes de chambres du luxueux hôtel Radisson à Marseille, ne sont pas parvenues à faire plier leur direction à l’issue d’une médiation engagée, ce jeudi 4 juillet. Pour leur 44e jour de grève, elles poursuivront donc leur mobilisation ce vendredi, dès 9 heures 30, devant les portes de l’établissement, sur le Vieux-Port.
Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyée spéciale
Il est midi lorsque les 14 femmes de chambre de l’Hôtel Radisson Blu, se rejoignent lessivées, mais non moins déterminées devant la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS), ce jeudi 4 juillet. Alors en grève depuis 43 jours, ces salariées de l’entreprise Acqua, sous-traitante pour le ménage de l’établissement donnant sur le Vieux-Port de Marseille se mobilisent chaque jour et sans relâche pour réclamer de meilleures conditions de travail et des revenus dignes.
Par leurs actions, et notamment, le piquet de grève qu’elles tiennent presque tous les matins, dès 9 h 30 devant l’entrée de l’hôtel de luxe, en pleine saison estivale, les femmes de ménage ont bien l’intention de se faire entendre par des chants, des bruits de casseroles ou des banderoles explicites. « Malgré la fatigue, l’impact de la lutte sur notre vie privée et sur notre santé, nous tenons bon car nous sommes désormais une famille », assure Fatima, en attendant ce premier rendez-vous de médiation à l’inspection du Travail, Boulevard Périer, vers le Prado.
Déboutées de leurs demandes
Depuis le 24 mai, les femmes de ménage revendiquent le droit à un 13e mois, de même que leurs collègues du même sous-traitant sur les autres sites, en vertu du droit à l’égalité. Mais aussi, une prime annuelle pour la pénibilité de la saison estivale, l’augmentation de la prime panier et des qualifications dans la grille des salaires, deux jours maximum de remplacements imposés dans d’autres hôtels où l’employeur est prestataire, prévenus 48 heures à l’avance.
Inquiète de l’image renvoyée à sa clientèle, la partie adverse avait dans un premier temps cédé sur le principe d’un 13e mois, mais progressif, pour une effectivité totale dans 4 ans. La direction leur avait également proposé de plafonner les déplacements dans d’autres lieux à 4 jours par mois, sans délai. Elle proposait en échange d’un tel accord, une prime exceptionnelle de 200 euros. « Les moyens ils les ont, mais ils ne veulent pas partager avec nous, alors que sans nous, l’hôtel ne peut pas tourner », regrette la représentante du personnel, en poste depuis 5 ans, Ansmina Houmadi, refusant ces propositions arrachées.
Faute d’accord à l’amiable, l’inspectrice du Travail, Véronique Gras, s’était donc autosaisie afin de lancer une procédure de médiation, entre la société elle-même propriété du groupe d’hôtellerie Accelis, et ses salariées mobilisées, accompagnées par la juriste de la CNT-SO 13, Lara Schäfer.
Quelques minutes avant que les partis ne s’engouffrent dans le bâtiment de la DDETS pour entamer les négociations qui dureront 4 heures, le représentant d’Acqua, Nazim Almi, déboule de Paris en grande pompe. À son arrivée, le directeur d’exploitation de la boîte actionnaire, a jeté un froid sur le groupe de femmes, dont certaines ont même refusé la poignée de main. « On a déjà fait un pas, il faudrait désormais qu’un effort soit fait de la part des grévistes », lance amèrement le patron, après s’être plaint des difficultés rencontrées en route, pour se rendre au rendez-vous.
Conditions de travail indignes
« En plein cœur de Marseille, avec une piscine panoramique surplombant le Vieux-Port », peut-on lire sur le site de l’établissement quatre étoiles, dont le tarif moyen tutoie les 260 euros la nuit. La promesse d’un standing assez élevé pour ses clients, bien loin du traitement que réserve la direction de la société d’entretien à ses salariées.
« Nous sommes chargées de nettoyer et contrôler les chambres, d’équiper les minibars, la réception, les toilettes, le restaurant, de faire le linge, et sommes obligées d’effectuer des remplacements au pied levé parfois très loin », explique Dirce Maria Pina Xavier, l’une des employées, après avoir refusé de saluer son directeur.
Elle éprouve un important sentiment d’injustice depuis le début de ces négociations, au cours desquelles elle estime « ne pas avoir été considérée » bien qu’elle « fasse le travail de cinq personnes ». De son côté, Ansmina, raconte avoir fait, de même que ses collègues, l’objet d’intimidation : « Quand un client refuse de quitter sa chambre, nous devons effectuer des heures supplémentaires, souvent non rémunérées. Autrement, la hiérarchie nous menace de nous coller des rapports, ou de refuser nos vacances. » Elle ajoute que « ce phénomène est souvent amplifié lors de remplacements impromptus, sur des sites, où les gouvernantes peuvent être particulièrement irrespectueuses » à leur égard.
Cette tentative de médiation s’est également soldée par un échec, car la direction n’avait rien à offrir de plus qu’une prime exceptionnelle de 250 euros, contre 200 lors des dernières discussions, et 3 jours de remplacements par mois au lieu de 4, toujours sans délai. « Nous sommes face au même discours, que depuis le 24 mai, nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant », persiste la représentante du personnel.
Un large soutien populaire
En effet, hors des questions de baisser les bras, pour les 14 grévistes, qui sont dès ce vendredi matin de retour devant l’hôtel pour scander leurs
revendications. Leur force, elles l’ont puisée aussi dans le large soutien populaire qu’elles continuent à recevoir depuis le début du mouvement.
« Les clients de l’hôtel sont très sensibles à leur combat. Bien souvent, ils s’arrêtent pour leur parler, contribuer à la caisse de grève et leur souhaite bon
courage », explique Julien Ollivier, secrétaire CNT Solidarité Ouvrière 13, très actif dans la lutte. Depuis 44 jours,
l’organisation indemnise toutes celles qui souhaitent cesser de travailler pour rejoindre la mobilisation. Côté politique, elles ont déjà reçu la visite des députés insoumis Sébastien Delogu, ou
encore Rachel Keke, qui avait elle-même été porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles entamée en 2019. Des associations telles que « Stop Arming Israel »,
ont aussi mis la main à la poche en finançant une partie de la caisse de grève. En juin, un collectif d’habitant de la Belle-de-Mai CHO3 s’était aussi montré solidaire en proposant une projection du
film « Les Petites mains » au cinéma Gyptis, de façon à récolter des fonds.
Dans un contexte où l’extrême droite gagne du terrain, les femmes de chambre de l’hôtel Radisson, précaires et pour certaines détentrices d’un titre de séjour, sont très inquiètes pour leur avenir et celui de leurs enfants. Une raison de plus pour ne pas plier, aujourd’hui, face au groupe d’hôtellerie.
Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr
Quelques heures après la rupture avec La France insoumise, le candidat de la première circonscription de la Somme est venu rendre visite, pour la troisième fois en une semaine, aux éboueurs d’Abbeville en grève contre la suppression d’une prime importante.
Ici, «la politique parisienne », on s’en fiche. 14h, ce jeudi, à la déchetterie d’Abbeville. Ni journaliste ni député à l’horizon, pour l’instant. Cela fait six jours que 57 des 59 salariés du site sont en grève. Une première. Et pour cause : la communauté d’agglomération de la Baie de Somme (CABS) et son président Pascal Demarthe (UDI) ont décidé de leur supprimer la majoration qu’ils touchaient sur l’heure de nuit, de 5 à 6 heures du matin. Tout comme les heures supplémentaires du week-end, tout bonnement effacée. Une perte de pouvoir d’achat de 150 à 400 euros par mois, par salarié. Un gouffre. Un « crachat sur notre travail et sur nous », confie, amer, Jean-Jacques, éboueur depuis trente ans à la CABS. En un mois, son salaire est passé de 2 200 à 1 850 euros.
Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie. Christophe
À l’entrée de la déchetterie, une grande benne dégage une épaisse fumée noire, régulièrement alimentée par des pneus. Derrière, la bonne humeur règne, pique-nique, musique à fond et discussions. Cependant, quand on entre pour discuter, l’ambiance se crispe. « Vous venez encore parler de politique c’est ça ? » interroge, méfiant, un salarié.
Et pour cause, voilà une semaine que leur lutte est venue percuter de plein fouet une campagne à couteaux tirés entre Nathalie Ribeiro-Billet (RN), arrivée en tête au premier tour des élections législatives, et François Ruffin (Nouveau Front populaire), le député sortant. Dans deux heures, celui-ci a d’ailleurs prévu, avec l’accord de tous les salariés consultés la veille, de tenir une conférence de presse devant la déchetterie.
Un affrontement qui, pour plusieurs salariés, relègue au second plan leur combat. « Moi je m’en fous de la politique. Ce n’est pas la politique qui va remplir mon porte-monnaie », souffle un autre salarié. On leur promet donc qu’on parlera de leur lutte. Là, les langues se délient. La CFDT de la CABS, à l’origine de cette grève, nous explique en détail le « mépris » de l’agglomération. Des négociations au point mort après leur refus d’une mesure compensatoire de 100 euros par mois – donc bien inférieure à la perte de pouvoir d’achat initiale. La tentative de casse de leur grève par Pascal Demarthe, qui a envoyé des agents municipaux ramasser les ordures pour ne pas gêner le passage de la flamme olympique. Et sa demande auprès des autorités, il y a 48 heures, de les réquisitionner.
« On se sent insulté dans notre chair. Vous imaginez, on bosse ici depuis trente ans, peu importe le temps, qu’il pleuve, qu’il neige. Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie », s’indigne Christophe qui s’insurge que le président de la CABS n’ait même pas daigné se déplacer pour leur rendre visite. « Il est fermé comme une huître à la discussion. Il nous chie dessus, tout simplement », glisse un autre salarié. Pour le dernier des quatre travailleurs avec qui on discute, c’est simple : cette perte de salaire équivaut à ces sept ans d’ancienneté. « Je gagne moins que quand je suis rentré dans l’entreprise, à 19 ans. »
Pour Ruffin, tous les grands médias ont fait le déplacement
Malgré tout, la politique ne peut pas rester totalement à l’écart de cela. L’avant-veille, la candidate du Rassemblement national est venue leur rendre visite, quelques jours après François Ruffin. Une visite qu’on n’hésite pas, sous couvert d’anonymat, à qualifier « d’opportuniste ». « Elle nous a ramené des Pitch et du Coca. Elle a cru qu’on était à un goûter de maternelle ? » François Ruffin est, lui, moins critiqué. « Il était déjà là avant d’être en campagne. Il était déjà venu nous voir en 2021. Et aussi pendant les retraites », se souvient Jean-Jacques. La CFDT confie que c’est à son initiative qu’une caisse de grève a été créée. Avec sa résonance sur les réseaux sociaux, celle-ci a déjà recueilli plus de 7 000 euros.
15 h 45. Le député sortant va arriver d’un instant à l’autre. Les premières caméras de télévision commencent à apparaître. Les salariés sont frileux. « On a parlé à France 3, ils ont tout coupé au montage, sauf la partie politique », regrette Christophe. Tous, admettent, toutefois, que c’est aussi un formidable coup de projecteur. « S’il n’avait pas été là, vous ne seriez pas là », nous lance-t-on. TF1, France Info, Le Monde, l’AFP, BFMTV, tous les grands médias ont fait le déplacement. Mais pas forcément pour eux. Le matin même, dans une interview à l’agence France Presse, François Ruffin a en effet acté son divorce avec La France insoumise, qualifiant même Jean-Luc Mélenchon de « boulet ».
Le député de la Somme le sait d’ailleurs très bien. À son arrivée, peu avant 16 heures, il s’assure de serrer toutes les mains de la petite cinquantaine de salariés et de syndicalistes venus en soutien. Il connaît le terrain, les têtes. Auprès de Valérie Lecul, en charge des négociations à la CFDT, il prend les dernières nouvelles. « On n’en peut plus, on en a ras le bol, ras le bol. Tout le monde est gonflé à bloc », lui glisse Florent*.
* Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
Tous les salariés se placent derrière lui. Au fond, une pancarte sur laquelle on lit « Non à la baisse des salaires, population en colère et solidaire. » François Ruffin place à côté de lui Valérie Lecul. Chacun à leur tour, la syndicaliste et trois salariés prennent la parole. Ils expliquent la réalité de cette baisse de salaire. « Je partirai en vacances dans mon jardin. Je planterai la tente pour m’y croire », rit jaune Jean-Jacques.
« On ne peut pas abandonner ces classes ouvrières »
Vite, cependant, l’actualité politique reprend ses droits. « Le score du Rassemblement national est très fort ici chez vous. Est-ce que c’est la faute de Jean-Luc Mélenchon ? » interroge un journaliste. « Non, la responsabilité incombe à Emmanuel Macron qui a gouverné avec arrogance et toute puissance. C’est cela qui a fait monter le Rassemblement national. Mais il y a une gauche qui ne répond pas aux attentes des gens ici. Il faut parler de la question sociale parce que c’est ça qui fait leur existence. La gauche n’a pas la responsabilité de la crise mais elle ne permet pas d’ouvrir un débouché d’espérance », répond le député, fidèle à sa stratégie théorisée depuis désormais plusieurs années.
Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est
certain.
F. Ruffin
Pas besoin de détailler davantage sa réponse, elle fera – fait même déjà, sans doute, à l’heure de publier ces lignes – le tour des télévisions. Florent l’a d’ailleurs bien compris. « Vous ne couperez pas tout au montage », assène-t-il aux journalistes lorsqu’ils repartent. Au moment de lui dire au revoir, quelques larmes coulent sur ces joues. « Je suis à bout, on est à bout. On a besoin de vous », nous glisse-t-il.
François Ruffin, lui, ne promet rien. « Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est certain. Mais c’est la seule chose que je peux vous garantir », explique-t-il. Le député repart en porte à porte, comme depuis le début de la journée. En off, il assure que, déjà, sa prise de distance avec LFI facilite le contact avec les gens. « On ne peut pas abandonner ces territoires, ces campagnes populaires, ces classes ouvrières », souligne-t-il. Avant de quitter les lieux, Jean-Jacques lui confie alors, un peu honteux, ne pas s’être déplacé, dimanche dernier, pour voter. Dimanche prochain, il promet au député qu’il ne manquera pas à l’appel. « Et dès 8 heures, sans faute ! »
mise en ligne le 4 juillet 2024
Stéphane Guérard, Nadège Dubessay et Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
Le programme du Nouveau Front populaire donne un cap aux futurs députés pour engager le bras de fer à l’Assemblée et changer le quotidien. La preuve par quatre.
Quels que soient la configuration de l’Assemblée dimanche soir et le rapport de force qui s’en dégage, les députés de gauche comptent imposer des mesures chocs afin de répondre aux demandes de changement qui se sont fait jour lors de ces législatives.
Porter le Smic à 1 600 euros net
Dans la foulée du programme du NFP, les députés de gauche de la future Assemblée comptent batailler pour que le Smic soit porté à 1 600 euros net, soit une hausse d’environ 15 % par rapport au niveau actuel. Pour répondre aux libéraux qui agitent le spectre d’une multiplication des faillites d’entreprises en cas d’envolée de leurs « coûts » salariaux, le NFP fait valoir plusieurs arguments.
D’abord, qu’une hausse des bas salaires relancera la consommation (moins on est riche, moins on épargne et plus on injecte son revenu supplémentaire dans l’économie), donc l’activité. Ensuite, qu’aucun des États qui a augmenté fortement son salaire minimum au cours des vingt dernières années (tels le Royaume-Uni, l’Ontario aux États-Unis, etc.) n’a connu de catastrophe économique, au contraire. Enfin, qu’il est toujours possible d’aider les PME à amortir le choc salarial que cela représenterait, par la création d’un fonds de compensation notamment.
Abroger la retraite à 64 ans
Adoptée par 49.3 il y a un an malgré un mouvement social historique, la réforme des retraites est revenue comme un boomerang au visage des macronistes. L’abrogation de l’âge légal de départ à 64 ans est tout à fait envisageable et apaiserait les esprits. Contrairement à ce qu’a affirmé Gabriel Attal, le régime universel des pensions ne ferait pas banqueroute en revenant aux 62 ans.
D’une part, la réforme de 2023 se met progressivement en place et n’a pas eu le temps de produire ses effets d’économies. D’autre part, l’augmentation du nombre d’années cotisées nécessaires (43 annuités) figurait déjà dans la réforme Touraine précédente, que l’actuelle ne fait qu’accélérer. Enfin, parce que le NFP propose de très nombreuses pistes de financement pour pallier le manque à gagner de l’abrogation (autour de 22 milliards d’euros, selon l’économiste Michaël Zemmour) ainsi que le sous-financement chronique dont souffre le régime.
La hausse de 0,25 point par an des cotisations sociales des salariés et employeurs prônée par le NFP couvrirait les deux tiers du coût de l’abrogation, en cinq ans. La taxation des revenus désocialisés ou défiscalisés (épargne salariale, prime Macron, intéressement, participation, dividendes, rachats d’actions…) ferait le reste.
Muscler l’émancipation par l’éducation
L’instruction est un ressort fondamental de lutte contre les idées d’extrême droite. Dans la dynamique du Nouveau Front populaire, les députés de gauche comptent bien renforcer le système scolaire grâce à trois mesures d’urgence : augmenter les salaires des enseignants comme de l’ensemble de la fonction publique pour rendre les carrières attractives ; abroger le « choc des savoirs » d’Attal en renforçant la liberté pédagogique des enseignants ; instaurer une « gratuité intégrale à l’école » (cantine, fournitures, transports, activités périscolaires) pour muscler le pouvoir de vivre des familles.
En confrontation directe avec le programme rance du RN, qui veut faire de l’école « le conservatoire vivant du patrimoine des savoirs accumulés depuis des siècles », la gauche entend aussi rompre avec la vision utilitariste de la Macronie d’un système éducatif orienté vers les seuls besoins des entreprises.
L’émancipation des élèves passe par un réinvestissement dans les locaux scolaires, la modulation des dotations des établissements – y compris privés – pour renforcer la mixité sociale, ainsi que l’abolition de Parcoursup et de la sélection dans les universités publiques.
Réanimer le système de santé
Relancer un système de santé atrophié par des années de sous-financements, alors que les besoins de la population vont grandissants, nécessite de changer les règles. Pour ce faire, les députés de gauche élus dimanche soir pourront s’inspirer des mesures phares contenues dans le programme NFP.
La lutte contre les déserts médicaux implique la régulation de l’installation des médecins et la participation des cliniques privées à la permanence des soins, avec la garantie d’un reste à charge zéro. Un plan de « rattrapage des postes manquants de fonctionnaires », particulièrement à l’hôpital public, un autre de recrutement dans le médico-social (Ehpad, IME, aide à domicile…) s’accompagneraient de la revalorisation des métiers et des salaires.
La constitution d’un pôle public du médicament combattrait efficacement les pénuries de médicaments. Et une vraie politique de prévention implique de s’attaquer aux polluants éternels (Pfas).
mise en ligne le 3 juillet 2024
Aurélien Soucheyre et Margot Bonnéry sur www.humanite.fr
Une petite musique monte selon laquelle le temps serait venu de donner sa chance au Rassemblement national, au motif qu’il n’a jamais été « essayé ». Rien n’est plus faux : dans les villes comme au Parlement, il pourrit depuis des années la vie de la population.
La phrase revient dans la bouche de plus en plus de Français, comme une fausse évidence : « Le Rassemblement national, on n’a jamais essayé. » Comme s’il ne restait comme solution qu’un saut dans l’inconnu afin de régler les problèmes du pays. Et pourtant, ces Français se trompent.
L’extrême droite, on a déjà essayé. Elle est aujourd’hui au pouvoir dans de nombreuses villes de France. Elle empêche déjà des textes de loi progressistes d’être adoptés à Paris ou à Bruxelles. Elle gouverne des pays en Europe. Et elle a dans l’histoire maintes fois montré son véritable visage.
Un climat délétère dans les communes
Depuis 2014, le RN gère dix villes en France. Vont-elles mieux ? Donnent-elles envie d’étendre la recette de l’extrême droite à l’ensemble du pays ? Certainement pas. L’une des premières décisions de Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont (Nord), a été de « supprimer les financements de l’antenne locale de la Ligue des droits de l’homme, en plus de l’expulser de ses locaux ! » s’indigne l’ancien conseiller municipal d’opposition PCF David Noël.
À Hayange (Moselle), Fabien Engelmann a coupé le gaz et l’électricité au Secours populaire français, « faisant perdre tous les vivres conservés au congélateur à destination des plus modestes », dénonce Céline Léger, candidate FI aux législatives. Syndicats, associations de défense de droits, collectifs de solidarités sont régulièrement visés et taxés de « communautaristes » par les maires RN. Les subventions municipales leur sont coupées. Les clubs de sports collectifs trinquent aussi, au profit du développement des sports de combat.
Qu’y gagnent les citoyens ? De meilleurs services publics ? À Perpignan (Pyrénées-Orientales), Louis Aliot a « bloqué l’installation d’un foyer pour l’aide sociale à l’enfance », dénonce Michel Coronas, porte-parole départemental du PCF. Le maire RN a aussi privatisé la crèche, le funérarium et la piscine, ce qui a fait augmenter les prix. Partout les moyens sont alloués à la vidéosurveillance et au renforcement des équipes de police, comme si la sécurité était le seul besoin et la réponse à tout.
Les fonctionnaires, à Beaucaire (Gard), dénoncent être « poussés à bout et mis sous pression en permanence dans un climat délétère ». Les élus d’opposition et toutes les associations qui portent un autre message que celui du RN sont combattus sans relâche. « Nous sommes des pestiférés », témoigne un acteur culturel de Fréjus (Var) qui a dû déménager. À Perpignan, le directeur du Théâtre de l’Archipel a été viré et le festival de street art supprimé au motif que la programmation déplaisait.
« Ce qui caractérise la gestion du RN, c’est l’austérité, avec une baisse des dépenses publiques qui nuit avant tout aux plus pauvres et aux immigrés, lesquels sont sans cesse ciblés », mesure Alain Hayot. Le sociologue, anthropologue et ancien vice-président PCF de la région Paca pointe également l’offensive culturelle et identitaire du RN.
À Cogolin (Var), le maire Marc-Étienne Lansade a fait interdire des soirées de danse orientale. Et la municipalité de Beaucaire impose des menus avec du porc à l’école, officiellement au nom de la laïcité (ici détournée) et officieusement pour discriminer les musulmans et les juifs. « La création est attaquée. Toute la politique culturelle passe dans une défense d’un patrimoine fantasmé, comme au Puy du Fou », ajoute Alain Hayot.
Des votes antisociaux et réactionnaires au Parlement
Le RN est arrivé en tête au premier tour des législatives, dimanche 30 juin. Mais les députés d’extrême droite à l’Assemblée nationale, on n’aurait jamais essayé, vraiment ? Depuis 2022, ils sont 88 à siéger au Palais Bourbon. Que votent-ils qui permettrait de changer la vie des Français et d’améliorer leur quotidien ? Rien de rien. Tout comme les troupes d’Emmanuel Macron, ils se sont prononcés contre une hausse du Smic et des salaires, privant les Français d’un gain légitime en pouvoir d’achat.
Hostiles à une meilleure répartition des richesses, ils n’ont pas non plus soutenu, à l’instar encore une fois des macronistes, la proposition de la gauche d’indexer les salaires sur l’inflation. Et ce n’est pas fini : les députés RN ont voté contre le gel des loyers, pour la réduction des droits à l’assurance-chômage, contre le rétablissement de l’ISF, se plaçant résolument comme le gouvernement du côté des plus riches. Ils ont même voté contre une loi visant à lutter contre les déserts médicaux et contre la création d’un service public de la petite enfance, en plus de s’abstenir concernant l’instauration de prix planchers pour les agriculteurs.
Ils empêchent de fait, depuis des mois, l’adoption de réformes qui amélioreraient la vie des Français. Sur le plan économique et social, le bilan d’Emmanuel Macron est aussi le leur. Sans oublier ses choix au Parlement européen où le RN montre également son véritable visage, avec des votes défavorables à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, à la lutte contre les discours de haine à l’égard les personnes LGBTI+, à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, à un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et à l’instauration d’une taxe sur les superprofits. En résumé, le RN, les Français essaient déjà, et ça ne leur fait pas du bien.
De sulfureux alliés européens
Le panorama serait incomplet si on ne se penchait pas sur les alliés européens de Marine Le Pen et Jordan Bardella, et sur ce qu’ils mettent en place quand ils sont au pouvoir. S’il est exact que les Français n’ont jamais essayé Viktor Orban ou Giorgia Meloni, les Hongrois et les Italiens, eux, sont en train de le faire. Et ce qui arrive sur place est édifiant : à Budapest, le premier ministre en place impose aux femmes d’écouter les battements de cœur du fœtus avant tout avortement.
En Italie, Giorgia Meloni rend de plus en plus impossible l’accès à l’IVG. Les deux convergent aussi pour réformer les institutions : à Rome, la première ministre veut élaborer une Constitution taillée sur mesure permettant délire au suffrage universel direct le président du Conseil, selon un mode de scrutin qui lui assurerait la majorité absolue au Parlement.
Une dangereuse dérive qui soumettrait le pouvoir législatif à l’exécutif. En Hongrie, Viktor Orban a modifié le mode de scrutin électoral à son seul profit et mis la justice au pas, en plus de mettre en place des sanctions afin de soumettre la presse. Les droits de l’homme y sont de plus en plus bafoués concernant les réfugiés et les SDF. Ce qui n’empêche pas les ouailles de Le Pen de le citer en modèle.
mise en ligne le 2 juillet 2024
par Corentin Léotard (pigiste à Mediapart ) sur https://blogs.mediapart.fr/
La Hongrie de Viktor Orbán est le laboratoire européen des politiques antilibérales que le Rassemblement National voudrait porter en France. Kristóf Szombati, universitaire et militant de gauche écologiste, a été aux premières loges pour observer l’avènement de l’« orbánisme » puis la mise en coupe réglée de la Hongrie. Entretien.
Kristóf Szombati est anthropologue et sociologue. Il a participé à la construction du parti écologiste LMP à la fin des années 2000, au moment où la gauche s’effondrait et laissait le terrain aux nationalistes. Il est actuellement chercheur postdoctorant à l’Université Humboldt de Berlin et est auteur de The Revolt of the Provinces: Anti-Gypsyism and Right-Wing Politics in Hungary, une analyse ethnographique et politique de la montée de la droite radicale en zones rurales en Hongrie.
Le Courrier d’Europe centrale : Êtes-vous surpris par le poids acquis par l’extrême-droite en France et par le fait que le Rassemblement National se trouve aujourd’hui aux portes du pouvoir ?
Kristóf Szombati : Pas tellement, vu comment le vent politique a tourné vers les nationalismes radicaux et un capitalisme national presque partout en Europe dans les dernières années. Le grand économiste politique Karl Polanyi nous a notamment appris que lorsque les élites politiques mettent en œuvre des politiques de marchandisation radicale qui nuisent à de larges pans de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie, cela engendre des contre-mouvements sociaux qui promettent de défendre la société contre les excès les plus évidents de la marchandisation et les dislocations sociales les plus graves. Ces mouvements peuvent s’appuyer sur diverses idéologies et s’associer à des partis de gauche et de droite pour faire entendre leur voix et leurs revendications.
Alors que dans la période qui a suivi la grande récession de 2007-2008, nous avons vu émerger des contre-mouvements populistes de gauche, avant tout en Europe du Sud, mais aussi à d’autres endroits de l’UE, ces mouvements semblent aujourd’hui épuisés, laissant les griefs des perdants de l’austérité rampante et du recul lent mais certain de l’État-providence ouverts à la récupération par les nationalistes radicaux. Les contre-mouvements sociétaux sont particulièrement susceptibles de s’orienter vers la droite nationaliste et de s’y associer dans les situations où l’austérité est poursuivie par des partis prétendument de gauche, comme ce fut le cas en Hongrie entre 2006 et 2010. Les choses sont un peu différentes dans des pays comme la France, où seule une partie de la gauche a adopté un programme néolibéral et où les réformes néolibérales de la dernière décennie ont été imposées par un président libéral. Dans ce cas, la gauche est en mesure de conserver le rôle de défenseur de la société, du moins dans les zones urbanisées où les associations de gauche sont actives.
Pouvez-vous retracer succinctement la progression de l’extrême-droite en Hongrie au cours des années 2000 avec Jobbik, puis comment le Fidesz l’a porté au pouvoir ?
Kristóf Szombati : En Hongrie, une variante antisémite du nationalisme radical est apparue dès 1990[i]. Toutefois, le parti qui portait ce programme n’a pas réussi à s’imposer, en partie parce que les communistes réformateurs ont d’abord réussi à se présenter comme les adversaires les plus crédibles du gouvernement de centre-droit et en persuadant les gens ordinaires qu’ils défendraient leurs intérêts. Les choses ont radicalement changé en 2006, lorsque le pays a été secoué par un énorme scandale politique après qu’il est apparu que les socialistes avaient menti aux électeurs sur le niveau du déficit budgétaire pour gagner les élections. Au lieu de présenter ses excuses et de démissionner, le Premier ministre Ferenc Gyurcsány est resté au pouvoir et a commencé à mettre en œuvre un programme d’austérité sévère qui allait à l’encontre de la promesse sociale-démocrate de dédommager la classe moyenne pour les sacrifices qu’elle avait dû consentir au cours de la décennie qui a marqué la transition du socialisme d’État au capitalisme.
La gauche a perdu sa légitimité et plus de la moitié de ses électeurs en quatre années (de 2006 à 2010), et ses alliés libéraux ont été éjectés du parlement en 2010. L’effondrement de la confiance dans le gouvernement de centre-gauche a permis l’émergence d’une nouvelle variante du nationalisme radical. Il s’agit du parti Jobbik, qui a formulé son projet politique autour de la question sociale, en concentrant son attention sur la sous-classe racialisée des Roms et en promettant de mettre en œuvre un programme sévère de maintien de l’ordre, parallèlement à la ré-institutionnalisation de la ségrégation ethno-sociale dans les écoles. Ce programme radical a été bien accueilli dans les zones rurales, qui ont ressenti le plus durement l’impact des mesures d’austérité et du ralentissement de l’activité économique mondiale. Toutefois, en dehors de ces zones, les électeurs ont soutenu le programme politique apparemment plus modéré du parti Fidesz, qui ne promettait pas une rupture totale avec le néolibéralisme, mais plutôt une série d’éléments compensatoires pour la classe moyenne et le retrait de l’aide sociale aux personnes « réfractaires au travail ».
Une fois au pouvoir en 2010, le Fidesz a pris de court ses opposants en s’empressant d’occuper tous les postes de pouvoir et de rédiger une nouvelle constitution à Parti unique, sur laquelle ni les citoyens ni l’opposition n’ont été consultés. Cependant, le glissement du Fidesz d’un nationalisme modéré vers un nationalisme plus radical a réellement commencé en 2015 avec l’arrivée en Europe des réfugiés de Syrie. La campagne anti-immigrés du Fidesz s’est progressivement étendue à un programme antilibéral plus global, permettant à Orbán de s’ancrer dans le rôle de leader de la droite dure eurosceptique. Un rôle qu’il savoure manifestement, malgré le fait que son pouvoir en Europe est en déclin depuis son éjection du Parti Populaire européen en 2021 et l’apparition de Giorgia Meloni sur la scène politique. Toutefois, en Europe centrale, il reste le leader incontesté de l’illibéralisme, comme il aime à appeler son programme nationaliste radical.
Vous avez publié un ouvrage intitulé « The Revolt of the Provinces » (La révolte des provinces) qui analyse la progression de l’extrême-droite en Hongrie au cours des années 2000. Quels sont ses principaux enseignements ?
Kristóf Szombati : L’austérité économique mise en œuvre par la gauche a joué un rôle important. Mais à côté de cela, dans les régions agricoles telles que celle où j’ai fait de la recherche anthropologique entre 2011 et 2014, l’adhésion à l’Union européenne a également joué un rôle. Avec le recul, il est clair que les petits et moyens entrepreneurs agricoles n’étaient pas bien préparés à affronter la concurrence sur le marché commun européen. Dans la région viticole où j’ai travaillé, l’afflux de vin bon marché en provenance d’Italie, d’Espagne et d’autres pays a durement frappé les petits et moyens producteurs, ne laissant survivre que ceux capables de produire des produits de qualité supérieure ou de combiner la viticulture avec le tourisme. Ce groupe social, que j’appelle la post-paysannerie pour signifier que ses membres ne vivent que partiellement du travail de la terre, s’est détourné pour de bon du parti socialiste au profit du Fidesz et du Jobbik. À cet égard, il convient de noter que le gouvernement Fidesz a fait beaucoup pendant les dernières quatorze années pour soutenir les viticulteurs hongrois et promouvoir la consommation du vin, ce qui a été très populaire et a aussi eu un impact économique dans ces régions.
Une dernière chose que je voudrais souligner dans la montée du Fidesz et du Jobbik a été la mise en œuvre d’une politique d’émancipation en faveur des Roms stratégiquement erronée. Le problème n’est pas que la gauche ait poussé à la déségrégation des écoles et à une réforme de l’aide sociale favorisant le groupe social le plus pauvre et le plus marginal de la société. Le problème est qu’elle a combiné ce programme d’émancipation de la sous-classe racialisée avec un programme néolibéral plus large, qui a nui aux travailleurs et à la petite bourgeoisie rurale, tout en promouvant un type de discours qui ne reconnaissait que les griefs des minorités opprimées. Ce mélange s’est avéré toxique dans la mesure où il a constitué un terrain fertile pour l’émergence de puissants ressentiments parmi les travailleurs et la petite bourgeoisie à l’égard des Roms marginalisés, qu’ils considéraient comme moins méritants qu’eux-mêmes, et à l’égard de l’élite dirigeante, dont ils percevaient les politiques comme fondamentalement injustes. Ce ressentiment à l’égard des minorités et le sentiment d’abandon et de colère à l’égard de l’élite de gauche-libérale ont poussé la majorité des travailleurs et de la petite bourgeoisie des zones rurales et en parties dans les moyennes villes dans les bras de la droite.
En France, lorsque l’on regarde à l’international, c’est avec l’Italie de Meloni que l’on compare la situation française. En Europe de l’Ouest, il y a cette tendance à considérer le phénomène Orbán comme un exotisme propre à l’ex-« bloc de l’Est ». Comment évalues-tu la place de la Hongrie d’Orbán par rapport à ce mouvement global de progression des nationalismes ?
Kristóf Szombati : Je pense que nous devons considérer la situation hongroise comme faisant partie intégrante de l’évolution du vent politique dans l’ensemble de l’Europe. Il est clair que l’Europe de l’Est, et en particulier la Hongrie, a subi la Grande Récession de 2007/2008 plus durement que l’Europe de l’Ouest. En d’autres termes, l’Europe occidentale disposait à l’époque de plus de réserves pour défendre les remparts du modèle social-démocrate. Ce dont nous avons été témoins au cours des 15 dernières années constitue un changement important à cet égard. Des pays comme l’Allemagne – où je vis et travaille actuellement – sont les témoins d’une crise profonde du modèle socio-économique d’Etat-providence, qui se traduit pour les gens ordinaires par l’application de l’austérité, accompagnée du détournement des électeurs ruraux du centre-gauche. L’argument que j’ai avancé concernant le mélange toxique de politiques réformistes néolibérales et d’émancipation des minorités s’applique également dans une certaine mesure à des pays comme l’Allemagne, où une partie de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie éprouve clairement du ressentiment à l’égard des populations immigrées et estime que, dans une situation socio-économique difficile, les dépenses sociales et les promesses de solidarité devraient être réservées à ceux qui sont nés dans le pays. L’émergence du parti social-conservateur Bündnis Sarah Wagenknecht (BSW) témoigne clairement de cette dynamique.
En d’autres termes, l’Europe occidentale semble avoir « rattrapé » l’Europe de l’Est, dans la mesure où les élites politiques se trouvent de plus en plus réticentes et incapables de protéger les citoyens les plus vulnérables contre les chocs de la guerre en Ukraine, la faiblesse relative de l’Europe face à ses principaux concurrents mondiaux et les coûts économiques et sociaux de la transition vers l’abandon des combustibles fossiles. Cette convergence de l’économie politique ne signifie évidemment pas que la situation est la même partout. Les généalogies culturelles, sociales et politiques jouent un rôle important dans la montée de la droite radicale nationaliste, mais aussi dans la capacité de la société civile à résister ou au moins encadrer cette progression.
Dans le cas de la Hongrie, d’une part le Fidesz s’appuie fortement sur la logique culturelle historiquement sédimentée des relations patron-client. Mes recherches dans les petites villes de province montrent que le clientélisme est un mode efficace de consolidation du pouvoir, dans la mesure où il permet à ceux qui se situent au bas de cette hiérarchie pyramidale de jouir d’une certaine marge de manœuvre et de négocier avec ceux qui sont au-dessus d’eux pour accéder à certaines ressources et à certaines opportunités. Les observateurs occidentaux partent souvent du principe que le régime autoritaire d’Orbán piétine toutes les libertés. Si, du point de vue des droits formels, il est indéniable que les droits sociaux ont été réduits et que les citoyens sont exclus de la prise de décision politique en dehors des élections, les observateurs extérieurs ne voient souvent pas que le renforcement des réseaux informels de pouvoir permet à ceux qui sont prêts à négocier avec les détenteurs du pouvoir d’obtenir des faveurs importantes. Cela donne aux régimes autoritaires comme celui d’Orbán une grande flexibilité, tout en encourageant les citoyens à suivre la voie privée du clientélisme plutôt que les voies collectives et politiques du lobbying, de la pression et de la négociation.
On peut considérer qu’avec la Fidesz, la droite radicale et national-conservatrice est au pouvoir depuis quatorze ans en Hongrie. Quelles sont les conséquences les plus profondes, les plus graves pour le pays et la société ?
Kristóf Szombati : C’est précisément cette « informalisation » du pouvoir que je trouve la plus inquiétante, car l’une de ses conséquences est que les personnes qui n’ont pas accès aux réseaux informels de pouvoir se retrouvent marginalisées. Si, au cours des premières années, le gouvernement Fidesz a consacré beaucoup de ressources aux communautés les plus pauvres dans le cadre de son programme de travail public, ces dernières ont été fortement réduites au cours des dernières années. Le régime a essentiellement laissé les citoyens les plus pauvres et les plus marginalisés aux soins des églises chrétiennes qui, même si certaines d’entre elles font du bon travail, contribuent essentiellement à la consolidation de la marginalisation socio-économique dans la périphérie intérieure du pays. Cette décision d’abandonner les pauvres est tragique pour l’avenir du pays et laissera au régime qui lui succédera la tâche de développer la périphérie intérieure, ce qui sera très coûteux.
Mais en prenant du recul, nous voyons aussi que le modèle socio-économique du Fidesz ne repose pas seulement sur le dumping social, mais aussi sur la dévaluation délibérée de l’éducation publique, des soins de santé publics et, en fait, de tout le domaine public. Cette stratégie est censée, d’une part, servir les besoins de la compétitivité : des dépenses sociales moins élevées permettent de réduire les recettes, ce qui permet à l’État de maintenir les impôts sur le travail et les sociétés à des taux comparativement très bas. Le lent démantèlement des services publics – qui a des conséquences très réelles, comme le taux de décès élevé pendant la période du Covid, dépassant celui de la plupart des autres pays européens – fait donc partie de la stratégie économique plus large du régime, qui consiste à maintenir la main-d’œuvre hongroise à bas coût et à l’offrir aux capitaux manufacturiers étrangers. Il y a cependant un calcul politique plus cynique derrière tout cela. Il s’agit de la conviction qu’une société privatisée qui a renoncé à tout effort collectif et à tout réseau de solidarité – à l’exception de la famille sacralisée, qui est chargée de s’occuper de toutes sortes de problèmes – est plus facile à soumettre. Les dirigeants actuels de la Hongrie ne sont certainement pas les seuls à suivre ce calcul, mais ils l’ont poussé assez loin.
Tout n’est bien sûr pas transposable de la Hongrie à la France. Mais sur la base de cette expertise, vu de Hongrie, risquons-nous à faire un peu de prospective. Quels risques ferait porter un gouvernement RN pour la société française ? A quoi faudrait-il s’attendre ?
Kristóf Szombati : Je suis absolument certain qu’en France, sous un gouvernement dirigé par le RN, les choses se passeraient très différemment qu’en Hongrie. D’une part, bien que la France soit également un pays fortement centralisé, je ne pense pas qu’elle puisse être mise en coupe réglée comme un pays plus petit comme la Hongrie. D’autre part, je ne vois pas le RN acquérir une super-majorité parlementaire, comme l’a fait le Fidesz en Hongrie. Je suis à peu près certain que la société civile française opposera une plus grande résistance aux efforts visant à transformer les fondements du modèle social du pays. La gauche est moins délégitimée et beaucoup mieux ancrée socialement qu’elle ne l’était en Hongrie, et c’est une ressource sur laquelle nous n’avons pas pu compter en Hongrie.
L’expérience hongroise montre que le Fidesz, même dans une situation où il contrôle tous les leviers du pouvoir et une grande partie de l’espace médiatique, a été très sensible aux manifestations de grande ampleur qui touchent le cœur et les sautes d’humeur de sa base. Malgré la faiblesse générale des protestations et des pressions civiques, le gouvernement a toujours fait marche arrière lorsque les opposants – citoyens et politiques – ont été en mesure de formuler une critique d’une manière qui s’adressait à une partie significative de la base électorale du parti au pouvoir. C’est la bonne nouvelle, pour ainsi dire. La moins bonne nouvelle, c’est qu’Orbán a excellé dans l’art de proposer des politiques populaires qui lui permettent de conserver sa large base électorale interclassiste, et dans l’art d’engager des combats stratégiques avec des ennemis réels et imaginaires de manière à élaborer un récit de salut national.
Comme nous l’avons vu plus haut, il a également élaboré une stratégie économique qui convient au capital national et international. Enfin, et c’est un point que nous n’avons pas abordé, il a trouvé le moyen de maintenir la bureaucratie d’État à ses côtés et, malgré de graves tensions au sein du pouvoir judiciaire, d’établir un contrôle sur la quasi-totalité de l’appareil d’État.
Sachant à quel point certaines prédictions des sciences sociales ont échoué par le passé, je voudrais être très prudent. Disons donc que je ne serais pas très surpris si le RN, au cas où il parviendrait à s’emparer à la fois du poste de premier ministre et de la présidence, réussissait également à bâtir une hégémonie. N’oublions pas qu’une « Internationale » nationaliste radicale est quasiment en place : Le Pen a scruté de près Orbán et s’intéresse actuellement de très près à Meloni. Il s’agit donc d’un processus d’apprentissage collectif. Pour risquer un pronostic, si Bardella parvient à construire une majorité parlementaire, je m’attends à ce qu’il construise sa politique de pouvoir gouvernemental lentement et prudemment, en se concentrant sur l’équilibre entre les mesures phares du RN et celles qui sont populaires en dehors de la base du parti, en travaillant en coulisses pour construire un nouveau compromis entre le capital national et international, et en négociant avec les représentants clés de la bureaucratie d’État. Dans le cas de la France, ce dernier point semble être beaucoup plus difficile à résoudre qu’il ne le fut en Hongrie.
En parallèle de votre carrière universitaire, vous avez milité avec un parti de gauche écolo au tournant des années 2010, donc au moment même où Orbán s’emparait du pouvoir et commençait à le verrouiller. Avez-vous des conseils ou des réflexions utiles pour les militants de gauche en France ?
Kristóf Szombati : Rétrospectivement, je suis très critique à l’égard de nos efforts, par ailleurs héroïques, pour construire une alternative verte à partir de 2007. Nous avons commis une série d’erreurs stratégiques. Mais la tâche à laquelle nous étions confrontés, à savoir construire un parti vert à partir de rien, sans que la question du climat ne figure parmi les principales préoccupations des citoyens et sans pouvoir compter sur une infrastructure associative forte, sans parler de la situation politique, était très différente de celle à laquelle la gauche française et les forces écologistes sont confrontées aujourd’hui. Je trouve encourageante la volonté des différents mouvements de gauche de mettre de côté leurs différences et, en s’appuyant sur le modèle historique très important du Front populaire, de construire une alliance commune pour cette élection. J’espère que cette alliance se maintiendra après le vote des électeurs, car vu l’état du camp présidentiel, la société française ne sera probablement pas en mesure de résister à un gouvernement nationaliste radical sans une critique et une vision commune de la gauche et de l’écologie.
[i] Le Parti de la justice hongroise et de la vie, MIEP.
mise en ligne le 1er juillet 2024
La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/
Le premier tour des élections législatives anticipées a eu lieu ce dimanche 30 juin. Forte participation, Rassemblement national en tête, triangulaires à venir, désistements, etc… Rapports de force vous résume ce que l’on peut en retenir.
Un taux de participation proche d’une présidentielle
Avec un taux de participation de 66,71 %, le premier tour des élections législatives du 30 juin 2024 a un caractère hors norme. Surtout en considérant que les Français se sont déjà rendus aux urnes trois semaines plus tôt pour les Européennes. La participation est quatorze points au-dessus du scrutin du 9 juin 2024 qui a conduit à la dissolution de l’Assemblée nationale.
Elle est également au plus haut niveau des élections législatives de ces 25 dernières années. Pour trouver un taux de participation supérieur à ce dimanche, il faut remonter au scrutin de 1997 (68%), lorsque Jacques Chirac avait lui aussi dissous l’Assemblée. À titre de comparaison, le premier tour de la présidentielle de 2022 avait enregistré un taux de participation de 73 %.
Le Rassemblement national fait nettement plus que le plein de ses voix
L’alliance du Rassemblement national et d’une partie des Républicains autour d’Eric Ciotti arrive en tête du scrutin avec 33,15 % des suffrages exprimés et 10,6 millions de voix. Il enregistre 2,5 fois plus de votes que lors des législatives de 2022, où la participation n’avait pas atteint les 50 % et où il s’était présenté sans alliés.
Mais compte tenu du caractère particulier de ces élections législatives anticipées, dont l’enjeu ressemble à ceux d’une élection présidentielle, un comparatif avec le premier tour de la présidentielle de 2022 nous semble éclairant. Cette fois-là, le RN faisait 8 133 828 voix. Comparée à ses seules voix du 30 juin 2024 (9 377 297), sa progression est de 1,24 million de voix. En ajoutant les suffrages des ciottistes, cette progression est de quasiment 2,5 millions (+30%).
Avec de tels scores ce dimanche, l’extrême droite envoie à l’Assemblée nationale 39 candidats dès le premier tour. Une situation impensable en 2022. Par ailleurs, le RN sera présent au second tour dans 444 circonscriptions supplémentaires, et se retrouve dans 305 triangulaires et 5 quadrangulaires si l’on s’en tient aux résultats de dimanche soir, avant que ne soit connu l’étendue des désistements. Sur ces 444 circonscriptions où il reste qualifié, le Rassemblement national est en tête dans 258 d’entre elles, ce qui montre la force de sa poussée.
Nouveau Front Populaire : 32 élus, en tête dans 156 circonscriptions
Avec près de 9 millions de voix soit 27,99% des suffrages exprimés, le Nouveau Front populaire devrait pouvoir prétendre à 130 à 190 sièges. Les sondages sont toutefois à prendre avec d’immenses précautions puisqu’ils n’anticipent pas les effets des potentiels désistements du camp macroniste. Une majorité parlementaire du NFP semble cependant fortement improbable, rendant la question d’un éventuel premier ministre issu de ses rangs caduque.
Le NFP fait toutefois mieux que la Nupes en 2022 (25,78%), même si le taux de participation est différent de celui des législatives d’alors. La gauche unie emporte la première place dans 156 circonscriptions, avec 32 élus d’office. Mais elle se désiste, pour l’heure, dans 122 autres – lorsqu’elle arrive en 3e position – pour faire barrage à l’extrême droite.
Au sein de l’alliance de gauche, les Insoumis comptent d’ores et déjà 20 députés élus dès le premier tour, les socialistes 5, les écologistes 5, et les communistes 2. Le numéro un du Parti Communiste français Fabien Roussel a toutefois déjà été battu, dans sa circonscription, face à un candidat RN élu à la majorité absolue.
La coalition gouvernementale désavouée
L’échec est cuisant pour le camp présidentiel, dont le passage d’un statut de majorité à celui de minorité au sein de l’Assemblée nationale est bel et bien acté. Réunies sous la bannière Ensemble, les trois partis du camp présidentiel – Renaissance, Horizons et le Modem – agrègent péniblement 20,04 % des voix.
Seuls deux députés Ensemble ont été élus d’office au premier tour. Pour le reste, des candidats Ensemble sont qualifiés au second tour dans 319 circonscriptions, dont une soixantaine en occupant la première place. Lors des législatives en 2022, ils s’étaient qualifiés dans 417 circonscriptions. D’après les projections de sièges à l’assemblée, entre 60 et 90 sièges pourraient être obtenus… Contre 245 jusqu’ici.
Désistements en cas de triangulaire : que reste-t-il du barrage républicain ?
Du fait de la participation record à ces législatives, pas moins de 306 triangulaires et cinq quadrangulaires sont en jeu. Les candidats ont jusqu’à ce mardi 18h pour se maintenir ou se désister, au nom du barrage républicain contre le RN (voir la carte du journal Le Monde mise à jour au fil des déclarations).
Du côté du Nouveau Front Populaire, le message est clair : en cohérence avec le mot d’ordre « pas une voix pour le RN », les représentants du NFP ont affirmé que leurs candidats arrivés en troisième position se désisteront « sans condition » partout où le RN est en tête. C’est le cas dans 122 circonscriptions.
Le camp présidentiel fait davantage de circonvolutions. Près de 96 candidats Ensemble sont qualifiés au second tour en troisième position. Or, les prises de parole laissent entendre des désistements au cas par cas dans les circonscriptions où le candidat de gauche investi est issu de La France Insoumise. Dans son discours dimanche soir, Gabriel Attal a appelé aux désistements en faveur de tout candidat « qui défend comme nous les valeurs de la République ». Ce lundi matin, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a également appelé aux désistements et au vote en faveur du « camp social-démocrate », en excluant la France Insoumise. Édouard Philippe (Horizons) assume lui aussi une ligne ni RN, ni LFI. On comptabilise, à l’heure où nous écrivons ces lignes, 46 désistements chez Ensemble.
Du côté de Les Républicains, un communiqué paru dimanche soir tranche la question : aucune consigne de vote, aucun désistement. Les LR renvoient dos-à-dos les « outrances d’une extrême-gauche dominée par La France Insoumise » et le « programme démagogique » du RN.
Les Républicains : après la brèche ouverte par Ciotti, un maintien fragile
C’était une première dans l’histoire des Républicains : Éric Ciotti, le patron du parti, avait initié une alliance avec le RN dans la foulée de la dissolution. 63 candidats avaient été investis dans le cadre de cette alliance, dont une vingtaine seulement déjà engagés en politique avec l’étiquette LR. La quasi-totalité – 60 – s’est qualifiée pour le second tour.
Le canal historique et majoritaire des Républicains, rejetant cette alliance, obtient 6,6 % des voix. Soit 4 % de moins qu’au premier tour des législatives 2022. Parmi les 101 circonscriptions dans lesquelles des candidats LR ou divers droite se sont qualifiés hier, seuls une trentaine y sont arrivés en tête. LR risque donc de voir son effectif de 61 parlementaires s’effriter, au vu de la force du RN et de la division créée par l’alliance Ciotti.
Après le 7 juillet : une majorité relative d’extrême-droite, une coalition centrale, ou une assemblée ingouvernable ?
Jordan Bardella martelait qu’il ne serait pas Premier ministre sans majorité absolue. Au lendemain du premier tour, décrocher les 289 sièges sur 577 nécessaires va être difficile pour le RN (mais pas impossible), au vu des désistements annoncés pour lui faire barrage. Ceci étant, après le 7 juillet, les alliances LR-RN vont être hautement stratégiques pour l’extrême-droite à l’Assemblée Nationale. Car le RN n’exclut pas de gouverner s’il « trouve des soutiens » pour construire une majorité relative, a souligné Sébastien Chenu, porte-parole du RN, réélu député hier. Reste à savoir si la ligne Ciotti peut embarquer davantage de députés LR dans son sillage.
Extrêmement affaiblie par cette dissolution et ces législatives, la minorité présidentielle commence, de son côté, à imaginer la constitution d’une nouvelle coalition centrale pour sauver les meubles. Dans son discours dimanche soir, Gabriel Attal a proposé de construire « des majorités de projets et d’idées » au sein de la nouvelle Assemblée. Mais qui pour répondre à un tel appel, à l’heure où le camp macroniste, critiqué de toutes parts, ne représentera a priori que la troisième force parlementaire ?
Il est probable, aussi, qu’aucune majorité ne puisse être obtenue par le jeu des alliances ou des coalitions. Auquel cas l’Assemblée nationale risque d’être « ingouvernable ». Pour faire passer les textes de loi de son gouvernement sans encombre, le Premier ministre doit pouvoir s’appuyer sur sa majorité au Parlement. Sans majorité claire, les oppositions parlementaires peuvent aisément adopter des motions de censure. Celles-ci provoquent le renversement du gouvernement. En outre, aucune nouvelle dissolution de l’Assemblée n’est possible avant au moins un an. Même une démission d’Emmanuel Macron suivie d’une présidentielle anticipée ne remettrait pas ce compteur à zéro.
C’est un match dans le match qui s’est joué en terre insoumise à l’occasion de ces élections législatives. Plusieurs contestataires de la ligne imprimée par Jean-Luc Mélenchon avaient été débarqués des investitures de La France insoumise, malgré que l’accord express conclu entre les formations du Nouveau Front populaire ait prévu de reconduire les députés sortants. Mais Alexis Corbière, Raquel Garrido, Hendrik Davi et Danielle Simonnet se sont maintenus dans leur circonscription, face à des candidat.e.s nouvellement inverti.e.s par LFI.
Trois d’entre eux s’imposent au sortir du premier tour. Alexis Corbière devance Sabrina Ali Benali de presque quatre points en Seine-Saint-Denis, pendant qu’Hendrik Davi bascule juste devant Allan Popelard avec seulement 565 voix d’écart. Par contre, le résultat est sans appel dans la 15e circonscription de Paris. Danielle Simonet (41,87%) écrase Céline Verzeletti (22,87%) qui avait dû démissionner de ses mandats confédéraux de la CGT pour mener la bataille fratricide pilotée par la direction de LFI. Seule Raquel Garrido est largement battue par le candidat officiel LFI Aly Diouara en Seine-Saint-Denis : 23,65 % contre 33,11 %.
Quant à François Ruffin qui s’est écarté publiquement, avec fracas, de la ligne Mélenchon et pourrait faire les frais d’une défaite dans sa circonscription de la Somme : il est en ballottage défavorable face au Rassemblement national. Arrivé second et en recul par rapport à 2022, il bénéficiera cependant du désistement de la candidate Renaissance arrivée en troisième position. La seconde mi-temps commence donc.
Signe que les électeurs d’extrême droite imaginent la victoire de leur camp possible pour la première fois depuis 1945, le « vote utile » a joué à plein dans leurs rangs, à l’occasion de ce premier tour des législatives. Le parti d’Eric Zemmour n’enregistre que 240 000 voix (0,75%) dans 330 circonscriptions (sur 577) dans lesquelles il a présenté un candidat.
Lors des législatives de 2022, malgré une participation nettement inférieure, le parti d’Eric Zemmour cumulait quatre fois plus de voix : 964 775 (4,24%). Il y a encore trois semaines lors des élections européennes, Reconquête affichait 1,35 million de suffrages, malgré une assez faible participation à 51,5 %.
Raphaël Arnault et Philippe Poutou au second tour
Raphaël Arnault et Philippe Poutou, investis par la France insoumise sous la bannière du Nouveau Front Populaire, ont été utilisés comme des épouvantails par une grande partie de la classe politique lors de ces trois semaines de campagne. Le premier pour une supposée fiche S, liée à son activité de porte-parole au sein de l’organisation antifasciste Jeune garde.
Le second pour les positions de son parti le Nouveau Parti Anticapitaliste sur la situation en Palestine et les attaques du 7 octobre. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, est même allé jusqu’à propager le mensonge selon lequel Phillipe Poutou aurait été condamné pour apologie du terrorisme.
Dans leurs circonscriptions, ces candidats ont tous deux eu à faire face à des candidatures dissidentes de gauche. Ils sont pourtant parvenus à se qualifier pour le second tour. Pour Philippe Poutou, la bataille sera rude. « Mais comme on est un peu dingos on y croit », sourit-il sur ses réseaux sociaux. Ayant réuni 18,7% des suffrages, le candidat se retrouve opposé au député RN sortant, Christophe Barthès, qui a frôlé la majorité absolue au 1er tour (49,3%). Le candidat dissident de gauche est éliminé avec 12,7%, tout comme le macroniste (16,8%).
Pour Raphaël Arnault, la partie est mieux engagée. Dans la première circonscription du Vaucluse, le RN caracole en tête à 34,6%. Mais le porte-parole de la jeune Garde a réuni 24,7% des suffrages et pourra profiter du report des voix du candidat socialiste dissident qui avait réuni 18,2% des voix au 1er tour.
mise en ligne le 28 juin 2024
Hugo Boursier et Pauline Migevant sur www.politis.fr
L’agriculteur évoque ses craintes et ses espoirs depuis la vallée de la Roya, laboratoire de la répression migratoire à la frontière franco-italienne. « Pessimiste maintenant, optimiste plus tard », il appelle la gauche à s’enrichir des résistances de terrain.
"La gauche a abandonné la question de la migration. Elle pense que les gens ne sont pas aptes à comprendre. C’est dire la déconnexion de nos représentants politiques avec le mal-être de la population. "
Cédric Herrou est un agriculteur et activiste aidant les personnes migrantes à la frontière franco-italienne dans la vallée de la Roya. Après 11 gardes à vue et plusieurs procès pour « aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers », il a été relaxé en 2021 grâce au principe de fraternité consacré par le Conseil constitutionnel. Pour pérenniser l’accueil d’urgence, il a cofondé une communauté Emmaüs mêlant agriculture et social.
Les gens disent ouvertement qu’ils votent pour un parti raciste. Ils ne se cachent plus.
La campagne des législatives a été plombée par les thèmes imposés par l’extrême droite. Alors que le premier tour aura lieu à la fin de la semaine, quels seraient les bons termes du débat, selon vous ?
Cédric Herrou : Je fais partie des gens qui sont dégoûtés de la politique. Est-ce qu’on a envie du pouvoir quand on est de gauche ? Est-ce que le système actuel donne de la place aux gens dénués d’égoïsme, d’une quête de profit personnel ? Est-ce que le pouvoir ne pervertit pas toujours ? Ce sont des questions que je me pose. Les élections ne répondent pas aux attentes des gens, et encore moins des précaires. La société se dépolitise. J’ai 45 ans, et depuis que j’ai commencé à lutter contre l’extrême droite, on me dit qu’elle va accéder au pouvoir tôt ou tard. Et quand elle arrive, les gens sont scotchés sur TikTok. À chaque scrutin, on ne réfléchit plus, on bricole des schémas. Le socle commun disparaît. Il s’effrite. Et le résultat qu’on a, ce sont deux mondes parallèles. C’est à se demander si on ne cherche pas la crise, collectivement. On affronte des problèmes climatiques immenses et pourtant on se préoccupe de choses futiles. On débat sur des choses qui ne sont pas à débattre.
Pensez-vous que la gauche est assez solide sur la compréhension des enjeux migratoires ?
Cédric Herrou : La gauche tente à nouveau de comprendre. En 2016, quand j’ai commencé à mener des actions, personne ou presque n’est venu me voir. Ce n’était vraiment pas un sujet qui intéressait. À droite, les élus n’envisagent ce sujet que dans une visée électoraliste. La question de la migration est difficile à aborder parce qu’elle est complexe. Sauf à la considérer comme la droite le fait, c’est-à-dire de manière simpliste en disant « non aux étrangers ». Défendre l’accueil, c’est bien plus exigeant intellectuellement que de dire stop à l’immigration. C’est pour cette raison que j’ai refusé plusieurs fois l’invitation de Cyril Hanouna à venir sur son plateau. Il me mettait face à Damien Rieu. C’est impossible de débattre avec quelqu’un d’aussi raciste. J’aurais eu besoin de trois minutes quand lui aurait lâché ses « arguments » en trente secondes.
C’est pour ça que la gauche a abandonné la question de la migration. Elle pense que les gens ne sont pas aptes à comprendre. C’est dire la déconnexion de nos représentants politiques avec le mal-être de la population. Pour moi, traiter les électeurs du RN de fachos, c’est une connerie. Je ne parle pas des militants, bien sûr. Les autres sont des gens paumés qui ont peur que la télé devienne réelle. J’ai vu beaucoup de personnes solidaires avec des exilés mais qui votent extrême droite, juste parce que c’est facile à comprendre. Demandez le programme du RN dans la rue, les gens l’ont tous en tête : baisse des impôts, arrêt de l’immigration, lutte contre la violence. Le problème, c’est que les idées infusent. Et les gens disent ouvertement qu’ils votent pour un parti raciste. Ils ne se cachent plus.
Emmanuel Macron a qualifié d’« immigrationniste » le programme du Nouveau Front populaire. Est-ce le signe ultime de la radicalisation du président sur l’enjeu des frontières ?
C’est un gars dangereux, Macron, parce qu’il nous emmène vers une forme de fascisme.
Cédric Herrou : Les personnalités politiques manipulent : elles apprennent à sourire, à dire telle ou telle connerie au bon moment. Quand il dissout l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron pensait que la gauche ne pouvait pas se fédérer. Il s’est dit que le PS n’allait jamais se mettre avec La France insoumise. Ce calcul l’a conduit à prendre une tôle. Il voulait défoncer les LR, il l’a fait, mais la gauche a réussi à s’unir. Je me rappelle qu’Emmanuel Macron est passé dans la vallée de la Roya avant la tempête Alex, en 2020. On avait discuté. Il disait que c’était bien, ce que je faisais. Et après, il m’a dit qu’il fallait comprendre la peur du terrorisme que ressentaient les gens. Il a fait de lui-même le lien entre immigration et terrorisme. C’est un gars dangereux, Macron, parce qu’il nous emmène vers une forme de fascisme. Et il tire toute la politique dans cette direction : le licenciement de Guillaume Meurice à France Inter en est en quelque sorte un exemple. Il y a dix ans, ce ne serait jamais arrivé. Preuve supplémentaire que l’on glisse petit à petit vers l’extrême droite.
L’accession au pouvoir de Giorgia Meloni en Italie a-t-elle changé quelque chose pour les personnes qui arrivent dans la vallée de la Roya ?
Cédric Herrou : Je n’ai pas l’impression qu’il y a eu beaucoup de changements avec l’arrivée de Meloni. Auparavant, on entendait beaucoup parler de mafias qui venaient chercher de la main-d’œuvre directement dans les centres d’accueil de migrants. J’entends moins cela maintenant, parce qu’il y a moins de monde. En 2016, on distribuait 1 000 repas par soir à Vintimille. Là, on est entre 40 et 60 repas. La moitié des personnes qui en bénéficient se sont « sédentarisées » sur place, c’est-à-dire qu’elles sont SDF. Par contre, on nous rapporte le récit d’Italiens qui renvoient en Grèce des personnes qui ont été dénudées ou attachées sur les bateaux.
On s’attend à ce que ces violences soient légitimées à l’encontre des personnes militantes et des personnes étrangères.
Que craignez-vous d’un gouvernement d’extrême droite pour la gestion des frontières ?
Cédric Herrou : Il faut rappeler que le contrôle aux frontières est rétabli depuis 2015. Ce que préconise l’extrême droite est déjà effectif. Et ça n’a pas stoppé les flux migratoires. L’extrême droite est un mouvement d’idéologues qui stipule que mettre des flics aux points centraux de passages suffirait. Mais ça ne marche pas. La seule conséquence, c’est que les personnes mettent beaucoup plus de temps à passer et elles sont bien plus précaires quand les blocages se multiplient. Ce sont les points de fixation qui font naître les problèmes de passeurs, de proxénétisme et de pédophilie. On a oublié ce que ça voulait dire, dormir à la rue.
Tous les demandeurs d’asile ont dormi au moins une semaine dehors. Et bien plus longtemps pour une très grande majorité. Ça détruit les gens. Ça les rend fous. Et Emmanuel Macron le sait parfaitement. Il a créé les conditions d’un très bon accueil pour les Ukrainiens. Aucun Ukrainien n’a dormi à la rue. Quand j’entends qu’Éric Ciotti veut retirer l’aide médicale d’État, c’est un drame. La lecture médiatique, c’est d’un côté la gauche bisounours, de l’autre la droite pragmatique et l’extrême droite xénophobe. Mais ne pas soigner, ce n’est pas être pragmatique.
Craignez-vous que la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite décomplexe des violences émanant de citoyens ?
Cédric Herrou : On s’attend à ce que ces violences soient légitimées à l’encontre des personnes militantes et des personnes étrangères. La montée de l’extrême droite va rendre cela possible. On sait qu’on va avoir des problèmes. On en parle entre nous. La question est de savoir comment on continue à faire ce qu’on fait. Nous, à Emmaüs Roya, on ne dépend pas de subventions publiques. Mais je pense à tous les organismes qui accueillent les personnes étrangères avec ou sans papiers, il va y avoir un énorme problème. Précariser les personnes étrangères, les personnes qui ont la double nationalité, et entraver ces milliers d’associations qui les aident, ça va entraîner une précarité incroyable. Économiquement, il va être impossible de compenser l’arrêt des subventions. Rien que pour nous, il est compliqué de trouver de l’argent alors qu’on a une activité lucrative avec l’agriculture. Les chantiers d’insertion, le 115, si tout cela est précarisé, ça va être très difficile !
La démocratie, c’est quelque chose qui se crée, qui se partage.
À quel point pensez-vous que les réseaux de solidarité sont suffisamment solides dans la société civile pour pouvoir résister ?
Cédric Herrou : On restera en minorité. Il y a un glissement général à l’extrême droite. Je ne crois pas à un sursaut citoyen. Il faut réfléchir pour retrouver ce socle commun qui s’effrite. Et pour ça, il faudrait un choc. En attendant, l’union de la gauche est obligatoire, mais ce qu’il faut sur du long terme, c’est l’éducation populaire, aller parler aux gens. La démocratie, c’est quelque chose qui se crée, qui se partage. Il n’y a pas d’effet d’immédiateté. Il faut être nombreux, fédérer, et se faire le relais après la crise qui va venir. Sans une crise forte, je ne pense pas qu’on puisse prendre conscience de ce qu’est l’extrême droite.
Vous considérez que la société doit imploser pour créer un horizon nouveau ?
Cédric Herrou : Je crains qu’il faille en arriver là pour qu’on prenne conscience. Les gens ont la tête dans le guidon et se préservent dans ce monde fou. Sans forcément comprendre le monde extérieur. Les gens font du développement personnel et se coupent du monde. Ils travaillent sur eux. Il est dangereux de suivre un raisonnement pareil. Le développement se fait collectivement, pas personnellement. Il faut redonner aux gens le goût de faire les choses ensemble. C’est ce qui avait été initié par les gilets jaunes, un mouvement populaire dans lequel on a vu des gens se retrouver sur des ronds-points pour discuter.
Jusqu’à quel point peut-on faire confiance à l’institution judiciaire et administrative pour éviter le pire ?
Cédric Herrou : Ça va être compliqué. Je pense qu’on se retrouve à compter sur eux, mais qu’il faut s’en méfier. L’extrême droite va tout fragiliser. Je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourra s’opposer à elle. Elle va changer la Constitution, elle en est capable si elle fait de la bonne manipulation populiste. Malgré tout, je suis pessimiste pour maintenant, mais optimiste pour la suite. Il faut se réveiller, ensuite c’est la révolution, on fait le tour du cycle.
Il faut vraiment que la gauche retrouve le contact avec la population.
Pourtant, en 2018, le Conseil constitutionnel avait fini par reconnaître la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. Ne pensez-vous pas que cette institution, que le système judiciaire dans son ensemble puisse limiter la casse ?
Cédric Herrou : J’ai quand même été en procès et j’ai effectué douze gardes à vue. Les Ciotti et autres luttent contre les principes républicains. Ce sont des gens aux antipodes de notre devise nationale. Si on la critique souvent, la justice reste un contre-pouvoir nécessaire, mais on risque de perdre cette institution. Peut-être qu’on ne parle pas assez de la chance d’être en France et d’avoir un système de santé, une école, une justice qui sont censés nous protéger.
Vous dites qu’il est dur de se fier à quoi que ce soit. En quoi croyez-vous ?
Cédric Herrou : Je suis en contact avec énormément d’acteurs de la société civile et on attend de la gauche qu’elle aille sur le terrain pour convaincre la population. Pour avoir des idées. On a l’impression que les politiques sont en vase clos et ne sont pas en lien avec les acteurs de terrain. Ils viennent nous voir, mais ne nous écoutent pas. Concernant l’immigration, il faut fédérer tous les acteurs qui gèrent l’immigration et la précarité à la place de l’État. Il faut développer un ministère de l’Immigration pour que celle-ci ne soit plus gérée par le ministère de l’Intérieur, qui ne l’appréhende que comme un potentiel trouble à l’ordre public. C’est un ministère paranoïaque.
Il faudrait solliciter les acteurs locaux, les scientifiques et les chercheurs. Mais aujourd’hui, les politiques demandent à des boîtes de conseil privées des idées de programme. Il faut vraiment que la gauche retrouve le contact avec la population. Le travail est déjà fait, il faut que les politiques le synthétisent en travaillant sur le terrain. Les politiques et les médias ont une responsabilité énorme. Dans un monde parfait, la solution, on la trouve parce qu’elle existe déjà. Il faut se mettre autour d’une table avec des gens qui savent et non pas des gens qui sentent.
On vit dans une société où les politiques doivent tout savoir, mais c’est bien parfois de reconnaître qu’on ne sait pas. Aujourd’hui, on nous fait croire qu’on vote pour un premier ministre. On prend les gens pour des cons. Plus de 50 % de personnes ne votent pas. Lors de l’élection présidentielle de 2022, on avait fait un apéro chez moi pour regarder les résultats. Avec des gens qui ont une conscience politique. Pourtant, la moitié des personnes présentes n’avaient pas voté. C’est un problème démocratique énorme.
Les solutions ne sont pas dans leur permanence parlementaire.
Vingt millions de personnes ne votent pas, 30 % votent RN, mais ça reste très minoritaire. Enfin, on peut le voir comme ça. Beaucoup de gens ont délaissé le système politicien. Les gens comme moi, qui sont intéressés, doivent voter. Il faut que nos idées soient représentées. Leurs plans carriéristes à deux balles, je n’en ai rien à foutre : les Ruffin, Glucksmann, Tondelier, je m’en fiche. Je veux juste que nos idées soient représentées. Qu’ils viennent nous voir et nous écoutent. Les solutions ne sont pas dans leur permanence parlementaire. Les solutions sont sur le terrain, en bas de chez eux.
mise en ligne le 27 juin 2024
La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/
Plusieurs syndicats se sont lancés dans la bataille contre l’extrême droite en vue des prochaines élections législatives. Concrètement, cela signifie partir à la rencontre de ses collègues pour les convaincre. Rapports de force donne la parole à plusieurs d’entre eux pour un retour d’expérience.
Médico-social : la « déception » des oubliés du Ségur coûte cher politiquement
Pascal Letertre, secrétaire départemental Sud Santé Sociaux dans le Finistère :
« Dans le social et médico-social, les professionnels qui vont le plus voter pour le RN ne sont pas forcément dans l’éducatif, mais plutôt dans les métiers type agents techniques, administratifs, qui attendaient la prime Ségur et en ont été exclus. Cette exclusion a été très délétère dans notre secteur. Beaucoup de salariés disent : “on voit bien ce que le gouvernement actuel n’a pas fait pour nous. Et les syndicats ne servent à rien, ça fait trois ans que ça ne donne rien… Donc on va aller voter pour l’extrême droite”. Ces oubliés du Ségur, c’est à peu près 120 000 postes, 20 % des salariés du médico-social. Ça pèse très lourd, cette déception.
Les personnes ne vont pas forcément se confier à nous quand on va les voir sur site, mais on peut retrouver aussi ce type de discours sur des groupes Facebook, comme “les oubliés du Ségur”. À chaque fois, on essaie de leur expliquer les choses, en tant que syndicats, mais on s’en prend plein la tronche. Nous venons de signer l’extension du Ségur pour ces personnels là ; mais les gens ont du mal à avoir les bonnes informations et la façon dont ce dossier est géré par le gouvernement ajoute de la confusion.
Le côté positif tout de même, c’est que beaucoup de personnes sont revenues vers notre syndicat ces dernières semaines. On pensait que le contexte politique allait les effrayer, avec cette extrême droite dont l’un des objectifs est de faire sauter la “caste des syndicalistes”. Mais c’est l’inverse qui se produit.
On concentre donc nos forces dans des réunions les plus ouvertes possibles, en interprofessionnel. On crée aussi un maximum de liens avec d’autres types d’organisations et de collectifs, pour apporter les informations aux personnes qui ne souhaitent pas forcément se syndiquer mais essaient elles aussi de se mobiliser. Au-delà du Ségur, ou de ces élections, je trouve que quelque chose de fort est en train de se construire. »
Cheminots : « Il n’y a eu qu’un seul rendu de carte »
Camille Cochin, syndicaliste CGT à la gare du Nord
« Dès la dissolution du 9 juin, on a commencé à s’agiter sur notre groupe WhatsApp. Le lendemain, on avait une réunion syndicale prévue dans la boîte et la question de faire barrage à l’ordre du jour était posée. Dans la foulée, nous avons organisé des tournées syndicales. Il a fallu expliquer à quelques jeunes adhérents que la CGT n’était pas un syndicat neutre mais sinon c’était assez évident pour tout le monde. Nous n’avons eu qu’un seul rendu de carte. On reste une profession particulière, avec une forte histoire d’engagement syndical. On a beaucoup de camarades au PCF. Tout cela donne une bonne capacité de mobilisation pour organiser des tournées. Le choc de la dissolution et la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite ont aussi fait revenir des adhérents qu’on ne voyait plus trop. Finalement, les retours sont plutôt bons, les personnes qui votent RN vont plus difficilement l’assumer devant nous parce qu’elles savent qu’il y aura du répondant. »
Industrie automobile : « Pas simple de discuter avec les collègues » quand l’extrême-droite gagne du terrain
Rachid Karroumi, délégué syndical central adjoint de la CGT Renault :
« Chez nous, pas mal de salariés se sont orientés vers un vote extrême droite. Y compris au sein même du syndicat. On a d’abord adressé un courrier aux syndiqués pour leur rappeler nos valeurs et nos revendications… Tout en essayant d’être extrêmement habiles sur la manière dont on communique, puisque ce n’est pas simple de discuter avec les collègues sur ces sujets-là. D’ailleurs on nous reproche, souvent, d’être trop politiques.
Au sein de notre organisation syndicale, on se doit d’en prendre conscience : tout ce qui concerne le racisme et les autres formes de discrimination, ce sont nos valeurs et ça fait partie de nos revendications. Pourtant, concrètement, sur le terrain ou même dans nos syndicats, nous n’avons pas ces discussions-là. On devrait s’en emparer et les mettre sur la table au quotidien, en rediscuter sans cesse. Je crois que cela nous servira de leçon pour l’avenir.
La population s’est rajeunie dans le groupe Renault ces dernières années : la moyenne d’âge est en baisse, autour de 40 ans. Il y a un gros boulot à faire auprès de tous ces jeunes qui sont arrivés. La génération actuelle se désintéresse de la politique, mais par contre la politique, elle, s’intéresse à eux : il y a de nouvelles formes de communication, via TikTok notamment, et l’extrême droite vient vers cette jeunesse en promettant de leur apporter du sens, du pouvoir d’achat…
Il y a donc tout un travail de culture syndicale et politique à mener. Il faut insister sur les conditions de travail, sur la politique d’austérité menée par la direction de Renault, être présents sur les problématiques du quotidien des travailleurs. On a la certitude que les salariés, y compris les jeunes, feront alors le lien avec les enjeux politiques nationaux. L’extrême droite promet d’éliminer les organisations syndicales contestataires… C’est en valorisant sur le terrain sur ce que l’on a à proposer en termes de conditions sociales et conditions de travail que l’on pourra contrecarrer ces programmes politiques qui nous sont hostiles. »
Logistique : « On travaille à Rungis, on commence à 4h du matin, ça va changer quoi pour nous ? »
Leïla*, employée de la logistique à Rungis (Val-de-Marne), ex-ouvrière syndiquée :
« Je travaille dans les fruits à Rungis, je fais du 39 heures semaine, on travaille 8 heures tous les jours. Nos heures supplémentaires sont payées à la toute fin de l’année, et si à l’inverse tu n’as pas fait tes 39h, ils te retirent le 13e mois. Franchement, c’est quoi ces règles, on est pas en France… Quand on parle politique, entre collègues, les gens se ferment vite et se désintéressent, ils disent : « ça va changer quoi pour nous ».
Surtout les jeunes qui sont au travail avec moi, ils s’en foutent, ils me disent : « on travaille à Rungis, on commence à 4h du matin, ça va changer quoi pour nous ? » Pour eux, c’est déjà perdu. Il y a un garçon qui a bac+2 et qui travaille dans les fruits avec moi. Il m’a dit « ils sont tous pareils : même si le RN passe, on aura rien, ça ne sera pas mieux ». C’est triste !
Je retrouve les mêmes discours dans ma cité : il y a des gens qui me disent « ça va changer quoi pour nous », « moi je ne vote pas », ou « il faut faire des procurations c’est compliqué ». Alors que si le RN passe, c’est fini pour nous. Moi je travaille, mais ça me fait peur quand même, je porte le voile dans la rue et tout… Après j’ai déjà 47 ans, c’est surtout pour les jeunes que ça m’inquiète !
J’étais syndiquée avant, mais suite à la fermeture de mon usine, j’ai eu du mal à retrouver du travail, alors je me tiens à distance de tout ça pour le moment. Mais au quotidien, je donne quand même des conseils à mes collègues. Je leur parle de tout ça, du travail, du code du travail, je leur dis « il faut faire ça, pas ça… » Les gens n’ont pas le choix d’accepter les conditions de travail car il faut manger, payer le loyer à la fin du mois, bien sûr. Mais il faut quand même être respecté ! »
Éducation : « En salle des profs, on en parle peu, mais tout le monde stresse »
Roumana Nguyen, AESH dans un collège de Seine-Saint-Denis, syndiquée Sud :
« Au sein du collège, on en parle peu. Mes collègues, ça les affecte, ils savent tous pour qui ils vont voter. Tout le monde stresse. Mais on en parle seulement en off, entre personnes partageant les mêmes idées. On ne va pas développer en salle des profs, car on ne connaît pas le ressenti de chacun. Moi-même j’évite par exemple de relayer des contenus dans nos groupes Whatsapp, pour éviter qu’on dise : “elle fait de la propagande politique“.
Au niveau de mon syndicat, la période créée une émulation : on a eu quelques nouvelles adhésions. Et bien que Sud ne soit pas un gros syndicat, on arrive à rameuter pas mal de monde autour de nos actions. On invite à faire barrage au RN, mais sans appeler à voter Nouveau Front Populaire pour respecter la charte Amiens.
Après, moi je milite à côté de ça pour le candidat NFP de ma circonscription, député sortant réinvesti. Je vais dans la rue, sur les marchés. Je parle moins d’éducation : pour les gens ici, pour beaucoup issus de communautés africaines, maghrébines ou asiatiques, c’est le portefeuille qui les impacte, la précarité. Donc je fais plutôt de la pédagogie sur le sujet du social, de l’immigration, du racisme et de l’islamophobie. Mais ce qui est sûr c’est qu’ici, jeunes comme vieux, tout le monde sait très bien ce qu’est le RN et son histoire. »
Commerce : « On a fait évoluer notre tract pour expliquer comment faire une procuration »
Marlène Papai, élue CGT au CSE de la FNAC Paris :
« Au magasin de la FNAC Saint-Lazare, il y a de nombreux jeunes salariés. Lors de notre premier tractage nous avons surtout dû expliquer le fonctionnement et l’importance du vote, détailler comment faire une procuration, car beaucoup l’ignoraient. Si bien qu’on a fait ajouter toute une partie sur la procuration à notre tract pour les diffusions à venir. Finalement on est assez peu entré dans une forme d’appel à vote. On a expliqué qu’on allait avoir un nouveau Premier ministre et qu’il allait prendre en charge la politique intérieure. On a insisté sur le fait que si le RN passe les travailleurs et les syndicats allaient en payer le prix.
Les retours étaient plutôt bons. C’est un magasin où la CGT est première aux élections professionnelles, où je travaille et où les employés ont l’habitude de voir des élus CGT. On passe régulièrement les voir tant pour les informer, obtenir des retours du terrain que pour leur parler de sujets sociétaux, comme la réforme des retraites. À l’époque on avait même réussi à constituer un cortège intersyndical en manifestation ! On s’occupe aussi des œuvres sociales… tout cela contribue à faire de nous des personnes écoutées. »
mise en ligne le 25 juin 2024
communiqué de la CGT sur https://www.cgt.fr/actualites/f
Bardella a fait croire qu’il reviendrait sur la retraite à 64 ans... mais finalement, il fait machine arrière.
Même chose pour les salaires. Ils prétendent augmenter le salaire net en supprimant les cotisations sociales. Mais sans cotisations, pas de droits à la retraite, au chômage ou à l’assurance maladie.
Les masques tombent, et ça n’est que le début.
L’extrême droite c’est aussi la fin du droit de grève et des négociations salariales dans les entreprises.
À l’Assemblée nationale, le RN a voté contre l’augmentation du Smic, contre l’indexation des salaires sur l’inflation, contre la revalorisation des petites retraites. Des député·es RN ont même voté contre la constitutionnalisation de l’avortement.
Ils préparent une destruction des services publics en les privatisant, alors que nous en avons déjà de moins en moins.
Bardella est le faux ennemi choisi par Macron qui continuera à œuvrer pour le patronat en dézinguant nos conditions de travail, nos salaires et nos services publics.
C’est un danger pour nos libertés et la démocratie.
Le RN n’est pas un parti comme les autres. Une fois entré à Matignon, il voudra garder le pouvoir à tout prix en s’attaquant à la justice, à la presse, aux syndicats et associations. C’est un danger mortel pour notre démocratie !
On ne se trompe pas de colère, on fait front !
La situation est tellement grave que, dans l’unité, les syndicats prennent leurs responsabilités pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’une extrême droite raciste, antisémite, homophobe et sexiste.
Depuis les élections européennes une vague populaire s’est levée : nous avons été des centaines de milliers à participer aux manifestations unitaires et populaires !
Ils nous divisent, la CGT rassemble
Le Nouveau Front Populaire doit répondre aux exigences sociales, comme en 1936 lorsque les salarié·es avec la CGT ont gagné les congés payés !
Rien ne nous sera donné : alertons nos familles, nos ami·es et nos collègues de travail du danger de l’extrême droite.
Le 30 juin et le 7 juillet, nous pouvons mettre enfin à l’ordre du jour des avancées sociales. Pas une voix ne doit manquer !
Partout, mobilisons-nous et votons pour :
Indexer tous les salaires sur les prix
Augmenter le Smic à 1600 € net (soit 2000 € brut), tous les salaires et les pensions de retraite
Gagner l’annulation de la retraite à 64 ans et le retour à 60 ans
Des services publics partout pour toutes et tous et des moyens pour l’école et l’accès à la santé
Réindustrialiser le pays et répondre aux enjeux climatiques
Prendre en compte enfin la parole des salarié·es
La CGT appelle à s’organiser partout pour convaincre ses collègues, se réunir et participer aux mobilisations populaires pour nos droits et nos salaires.
Jeudi 27 juin, au travail et dans la rue mettons partout la pression populaire !
mise en ligne le 24 juin 2024
Pierre Khalfa et Jacques Rigaudiat sur www.regards.fr
Pierre Khalfa et Jacques Rigaudiat, économistes et coauteurs de « Quoi qu’il en coûte. Sortir la dette des griffes de la finance » (Textuel, 2022), reviennent sur la programme économique de la gauche dévoilé ce vendredi pour les élections législatives.
Le programme du Nouveau Front populaire (NFP) représente une rupture majeure avec les politiques menées depuis des décennies. Il permet d’engager la bifurcation rendue nécessaire par la double crise, écologique et sociale. Comme à chaque fois que la gauche propose des mesures audacieuses, les commentateurs traditionnels de la vie politique s’insurgent, moins contre le contenu précis de ces mesures, que sur la question de leur financement. L’originalité des arguments n’est pas vraiment au rendez-vous et nous assistons ainsi à un débat convenu. Même s’il est donc sans surprise, ce débat n’en est pas moins inévitable, car il renvoie au fameux « mur de l’argent » sur lequel tout projet émancipateur peut se briser.
Il faut d’abord remarquer qu’il n’est pas possible de présenter un programme de transformations profondes qui soit complètement « bouclé » macroéconomiquement, c’est-à-dire dont toutes les mesures seraient a priori équilibrées. En effet, les modèles économétriques de prévision, qui se veulent l’image fidèle de l’économie telle qu’elle est, postulent par construction une stabilité des comportements, alors que l’objet même des politiques économiques et sociales projetées est de les transformer.
Dire cela n’empêche pas d’avoir pleinement conscience des forces qui voudront contrarier la mise en œuvre du projet et des contraintes qu’elles s’efforceront de lui opposer ; il faut bien sûr, essayer de s’en prémunir. Nous n’insisterons pas sur la nécessaire réforme fiscale d’ampleur, qui vise à la fois à installer une justice fiscale et à redonner des marges de manœuvre financière à la puissance publique. Les baisses d’impôts ou de prélèvements en faveur des ménages les plus riches et des grandes entreprises se sont multipliées, elles coûtent chaque année 76 milliards au budget de l’État ; si on leur ajoute les subventions sans contrepartie accordées aux entreprises, de l’ordre de 170 milliards, qui font de ce modèle un « capitalisme sous perfusion », les marges de manœuvres, on le voit, sont réelles. Cette situation ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui ; déjà, en 2010, le rapport Champsaur-Cotis avait alerté sur ce problème et souligné que « en l’absence de baisse des prélèvements, la dette publique serait d’environ 20 points de PIB plus faible ». La situation n’a, depuis, fait qu’empirer.
Il est vrai cependant qu’une réforme fiscale, aussi importante soit-elle, ne suffira pas à financer les investissements massifs qui sont nécessaires tant pour remettre à niveau et développer des services publics en voie de déshérence, que pour lutter contre le dérèglement climatique. Outre, une remise en cause du partage actuel de la valeur ajoutée, il faudra donc s’endetter. Nous entendons déjà le cœur de nos contempteurs s’indigner en soulevant le niveau actuel de la dette et du déficit public. Au-delà du caractère convenu du discours, et du fait que le coût des intérêts de la dette n’a représenté en 2023 que 1,8 % du PIB contre près de 4 % à la fin des années 1990, nous ne pouvons balayer cette remarque d’un revers de main. Les turbulences actuelles sur le marché secondaire des obligations d’État ne sont qu’un avant-goût de ce qui risque de se passer si le NFP gagne les élections. En effet, il est clair que les marchés financiers ne vont pas s’accommoder sans réagir de la mise en œuvre d’un programme contradictoire avec leurs intérêts.
Disons-le, un bon État est un État qui s’endette. En effet la dette joue un rôle intergénérationnel. S’imposer un quasi-équilibre budgétaire, comme les règles actuelles de l’Union européenne le prescrivent, signifie, outre la purge austéritaire que cela implique, que les investissements de long terme seront financés par les recettes courantes. Or ces investissements seront utilisés des décennies durant par plusieurs générations, il est donc absurde que leur financement ne soit assuré que par les recettes du moment. Respecter ces règles entraîne l’impossibilité, de fait, d’investir pour l’avenir. La dette permet de faire financer par des générations successives des infrastructures qu’elles utilisent. Elle joue donc un rôle fondamental dans le lien entre les générations. Le problème fondamental n’est pas la dette, mais le fait qu’elle soit sous l’emprise des marchés financiers.
Remarquons que certaines économies avancées comme le Japon ou les États-Unis ont un endettement bien plus élevé que celui de la France sans que cela ne pose problème. En effet dans ces deux pays, la dette n’est pas soumise à la loi des marchés financiers, car ce sont essentiellement des institutions publiques nationales (banque centrale, institutions financières publiques) qui en achètent les titres. Il est donc nécessaire de dégager durablement le financement public de l’emprise des marchés.
Il faut pour cela créer un dispositif qui, comme jusqu’aux années quatre-vingt, garantira la stabilité du financement ; son cœur sera formé par un pôle public bancaire, édifié autour des institutions financières déjà existantes ; il permettra d’orienter l’épargne populaire vers les investissements sociaux et écologiques stratégiques décidés démocratiquement. N’étant pas soumis à la logique de la rentabilité financière, il pourra ainsi être un acheteur important et stable de titres de la dette publique. Par ailleurs, ce pôle pourra avoir accès aux liquidités fournies par la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre de ses opérations de refinancement, comme le permet l’article 123-2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les titres de dette publique constituant un collatéral de très bonne qualité. Les institutions financières privées doivent quant à elles être soumises à un contrôle strict et avoir l’obligation de placer une partie de leurs actifs en titres de la dette au taux fixé par la puissance publique.
Face au risque de se fracasser sur « le mur de l’argent », il faut reprendre le contrôle de la finance.
mise en ligne le 22 juin 2024
Luis Reygada sur www.humanite.fr
Deux nouveaux rapports présentés par les Nations Unies pointent le niveau de violence inouï déployé en toute illégalité par l’armée israélienne depuis le 7 octobre dans la bande de Gaza.
Deux nouveaux rapports ont été présentés ce mercredi à l’Office des Nations Unies à Genève concernant les opérations militaires menées par Israël à Gaza depuis le 7 octobre. Leurs conclusions sont absolument accablantes pour l’État dirigé par le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou.
Dans le premier de ces documents, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) s’est penché sur six attaques israéliennes qualifiées d’« emblématiques des tactiques israéliennes dans cette guerre », impliquant l’utilisation présumée de bombes pesant jusqu’à 920 kg sur des bâtiments résidentiels, une école, des camps de réfugiés et un marché.
Le HCDH conclut que l’examen de cette série de frappes indique que les lois de la guerre auraient été « constamment violées » par l’armée israélienne « en ce qui concerne l’utilisation de bombes extrêmement puissantes et l’absence présumée de distinction entre les combattants et les civils », d’après une note de presse diffusée ce 19 juin.
Plus de 60 % des infrastructures à Gaza sont détruites ou endommagées
« L’obligation de choisir des moyens et des méthodes de guerre qui évitent ou, à tout le moins, minimisent dans toute la mesure du possible les dommages causés aux civils semble avoir été systématiquement violée dans la campagne de bombardement d’Israël », a déclaré dans un communiqué, Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.
Deux mois après le début des bombardements, en décembre 2023, celui-ci s’indignait déjà de la « punition collective » infligée à la population civile palestinienne, « piégée dans un enfer vivant », allant jusqu’à évoquer une situation « apocalyptique ».
L’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) déclarait également que plus de 60 % des infrastructures de Gaza avaient été détruites ou endommagées, avec plus de 90 % des 2,3 millions d’habitants déplacés, qualifiant alors de « stupéfiant et sans précédent » le niveau de destruction et de déplacement forcé en cours.
« Pas de distinction effective entre les civils et les combattants »
« Aucun endroit n’est sûr à Gaza. Ni les hôpitaux, ni les abris, ni les camps de réfugiés. Personne n’est en sécurité. Ni les enfants. Ni les travailleurs de la santé. Ni les humanitaires. Ce mépris flagrant des bases de l’humanité doit cesser », exigeait alors Martin Griffiths, coordinateur de l’aide d’urgence de l’ONU, prévenant l’existence d’« un risque accru » que les plus graves crimes soient commis, conséquences des pilonnages incessants et indiscriminés.
« Nous ne sommes pas dans l’erreur de ciblage, le carnage est totalement assumé par Israël » exprimait à l’époque Guillaume Ancel, ancien officier spécialiste des opérations militaires extérieures ; « quand on fait autant de bombardements chaque jour – entre 400 et 500 frappes – avec des charges de 250 kg, on commet des dégâts énormes » expliquait-il, pointant du doigt la stratégie du gouvernement Netanyahou de confondre la population palestinienne et le Hamas.
Violation du droit international humanitaire
Six mois plus tard, avec un bilan qui dépasse les 37 400 victimes palestiniennes et 85 600 blessés, le rapport du HCDH confirme que « les méthodes et moyens choisis par Israël pour mener les hostilités à Gaza depuis le 7 octobre, notamment l’utilisation massive d’armes explosives à large rayon d’action dans des zones densément peuplées, n’ont pas permis de faire une distinction effective entre les civils et les combattants ».
Soit une claire violation du droit international humanitaire, exemplifiée par les équipes du Chef des droits de l’homme de l’ONU par l’analyse de frappes réalisées sur Ash Shuja. Dans ce quartier situé au nord de la frange côtière, les auteurs du rapport ont noté des zones de destruction mesurant environ 130 mètres de large, causées par « environ neuf bombes GBU-31 » – fabriquées par l’industriel américain Boeing – qui ont démoli quinze bâtiments. Au moins 60 personnes auraient été tuées lors de ce bombardement.
« Crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, violations du droit international… »
En écho à ce document du HCDH, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a engagé, aussi ce mercredi, un dialogue autour d’un autre rapport – répertorié A/HRC/56/26 et publié la semaine dernière – présenté par la présidente de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-est, et en Israël, Navi Pillay.
La Commission qu’elle a dirigée a aussi constaté que le nombre considérable de victimes civiles à Gaza et la destruction généralisée de biens et d’infrastructures civils résultat des opérations militaires menées par Israël depuis le 7 octobre relevaient « d’une stratégie intentionnelle visant à causer le maximum de dégâts, au mépris des obligations juridiques de distinction, de proportionnalité et de précautions adéquates ».
« Israël a le droit de protéger ses citoyens (…) mais doit aussi respecter le droit international »
Pour cette Commission d’enquête, les conclusions sont sans appel : les autorités israéliennes sont responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme, notamment d’extermination, de meurtre ou d’homicide volontaire, d’utilisation de la famine comme méthode de guerre, de déplacement forcé, de persécution sexiste visant les hommes et les garçons palestiniens, de traitements cruels ou inhumains ainsi que de violences sexuelles et sexistes assimilables à de la torture, « commises dans le but d’humilier et de subordonner davantage la communauté palestinienne ».
La Commission s’est aussi penchée sur les exactions commises par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens lors de l’attaque du 7 octobre 2023 en Israël, et a déterminé une responsabilité en matière des crimes de guerre suivants : attaque intentionnelle contre des civils, meurtre ou homicide volontaire, torture, traitements inhumains ou cruels, destruction ou saisie des biens d’un adversaire, atteinte à la dignité de la personne et prise d’otages.
« Israël a le droit de protéger ses citoyens de la violence des groupes armés palestiniens ; mais doit aussi respecter le droit international, tout comme le Hamas », a-t-elle indiqué.
Un châtiment collectif
Dans la présentation du document de vingt pages, Navi Pillay a dénoncé un « siège total de la bande de Gaza imposé par Israël » qualifié de « châtiment collectif » provoquant famine et affectant de manière disproportionnée les femmes et les enfants gazaouis. « Les forces de sécurité israéliennes ont tué et mutilé des dizaines de milliers d’enfants, et des milliers d’autres restent probablement sous les décombres », a-t-elle poursuivi devant l’organe onusien.
Les conclusions extrêmement graves décrites dans ces deux récents rapports présentés et discutés ce mercredi viennent s’ajouter à celles déjà présentées par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés.
Le 26 mars dernier, devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Francesca Albanese avait soutenu qu’il existait « des motifs raisonnables » de croire qu’Israël avait commis plusieurs « actes de génocide », évoquant aussi un « nettoyage ethnique ».
mise en ligne le 21 juin 2024
Hugo Boursier sur www.politis.fr
Alors que le Planning familial a appelé à voter pour le Nouveau Front populaire, Sarah Durocher, sa présidente, revient sur cette décision et appelle à se mobiliser à la manifestation du 23 juin pour préserver les droits des femmes et des personnes LGBTQI+ face à l’extrême droite.
Le Planning familial, ce sont 450 000 personnes accompagnées chaque année, en plus des 150 000 jeunes dans 3 000 établissements scolaires. Des dizaines de milliers de femmes, souvent précaires, qui demandent des conseils pour un contraceptif, un avortement, entreprendre des démarches administratives ou pour dénoncer des violences conjugales. Et autant de personnes gay ou trans qui ont besoin de réconfort, de soin, d’informations ou d’aide face aux agressions qu’elles subissent.
Cette organisation, installée dans 80 départements, pourrait être rayée de la carte en cas de majorité de l’extrême droite à l’Assemblée nationale. Des risques importants en termes de rupture de droit et d’accès aux soins que Sarah Durocher, sa présidente, développe pour Politis, alors qu’une manifestation féministe est prévue à l’appel de nombreuses organisations ce dimanche 23 juin.
Pourquoi votre appel à voter Nouveau Front populaire vous semblait aussi nécessaire ?
Sarah Durocher (Planning familial) : On avait déjà appelé à voter pour un candidat : c’était en 1981 pour François Mitterrand, et en 2007, pour Ségolène Royal. Mais là, la situation est exceptionnelle, d’autant plus depuis notre position où l’on subit les conséquences de la montée en puissance de l’extrême droite depuis plusieurs années. Pour le Planning familial, c’était une question de survie, et donc pour les 450 000 personnes que l’on accueille tous les ans. On a décidé de se positionner clairement puisqu’on avait devant nous deux projets de société : un qui poursuivait notre politique d’accès aux droits pour les personnes qui en sont le plus éloignées, et l’autre qui veut censurer, attaquer, et assécher les finances du Planning. On n’avait pas le choix. Il fallait se positionner.
Les femmes pauvres, les femmes seules, non-blanches, handicapées ou sans-papiers, nous serons les premières ciblées.
Si le Rassemblement national arrive au pouvoir, que pourrait-il décider pour le Planning familial ?
Sarah Durocher : Les femmes pauvres, les femmes seules, non-blanches, handicapées ou sans-papiers, nous serons les premières ciblées. Depuis plusieurs années, des parlementaires demandent la baisse de nos financements, tout comme des élus locaux pour nos antennes départementales. Le Planning a toujours été attaqué parce qu’il veut une société plus juste. Les 89 députés du Rassemblement national légitiment l’action violente des mouvements d’extrême droite. Des locaux sont attaqués.
Plus le RN a de députés, plus les femmes sont en danger dans leurs droits les plus élémentaires. Nos financements seraient coupés, nos actions d’accompagnement pour avorter, de sensibilisation sur l’éducation sexuelle et affective, d’accès au droit et aux soins seraient limitées voire annulées. Comment les 150 000 jeunes vont-ils s’informer librement ? Où vont aller les femmes qui veulent avorter ? Le RN est un ennemi du droit des femmes.
La politique du RN aura des conséquences sur nos mères, nos sœurs, nos amies, nos voisines, mais sur vous-même aussi.
Après l’attaque des locaux du Planning familial en Gironde, dans la nuit du mardi au mercredi 8 février 2023, vous dénonciez le double jeu de l’extrême droite : « dédiabolisation d’un côté », « attaques répétées envers des organisations de l’autre ». Craignez-vous que son accession au pouvoir renforce cette logique ?
Sarah Durocher : Il y a un lien évident entre le RN et les groupuscules ultraviolents. L’extrême droite est la même partout : le fascisme, cela ne s’essaie pas parce que ce serait nouveau. Au lendemain des élections européennes où le RN est arrivé en tête, un jeune homosexuel s’est fait tabasser. Plus le RN est haut, plus il légitime ces exactions.
Dans une vidéo postée ce lundi, Jordan Bardella se présente comme un défenseur des « droits de la femme ». Il promet « le droit fondamental à disposer de son corps ». Pourtant, pour citer un exemple parmi d’autres, la moitié des députés RN (42 sur 88) a voté contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Votre prise de position est-elle aussi là pour soulever cette hypocrisie ?
Sarah Durocher : Il faut rétablir certaines vérités : le RN n’a aucune définition d’un programme féministe. Pas plus sur les questions LGBTQIA+. D’ailleurs, dans sa vidéo, Jordan Bardella n’en parle même pas. Comme si ces personnes n’existaient pas. Et sur l’avortement, déjà la moitié des députés a voté contre sa constitutionnalisation, mais en plus, ils se sont toujours opposés à l’allongement des délais d’IVG. Ils instrumentalisaient le droit des femmes. Jordan Bardella utilise le droit des femmes pour s’attirer leur vote ; pourtant, dès que l’extrême droite arrive au pouvoir, les femmes déchantent et luttent contre leur projet de société réactionnaire.
Le Planning familial est présent dans 80 départements. Jusqu’à quel point vous affaiblir aurait des conséquences sur la santé des femmes précaires, dont se réclame pourtant le RN ?
Diviser les femmes, c’est une spécialité de l’extrême droite. Pour nous, il n’y a pas de division.
Sarah Durocher : On a deux formes d’actions : des personnes viennent nous voir, et il y en a d’autres que l’on rencontre en se déplaçant dans des centres sociaux, des centres d’hébergement, des maisons à caractère social. Tout cela risque d’être sérieusement fragilisé. La politique du RN aura des conséquences sur nos mères, nos sœurs, nos amies, nos voisines, mais sur vous-même aussi, parce que l’on est tous et toutes concernées. Le RN a une politique nataliste et hétérocentrée. Ils repoussent l’idée d’un droit à l’avortement et placent l’hétérosexualité au rang de modèle. Mais le 8 juillet, on sera prêtes à riposter. On discutait déjà avec les Colombiennes et des Argentines pour savoir comment elles avaient lutté contre le fascisme chez elles. On pensait avoir 3 ans devant nous ; on a trois semaines.
« Le RN souhaite ramener les femmes à la maison et leur dire de faire des enfants »
Quand il s’adresse aux femmes, le RN cherche beaucoup à les diviser pour mieux discriminer celles que le parti rejette, à savoir les femmes racisées et surtout musulmanes. Comme si ces femmes s’opposaient. Que voudriez-vous répondre à cette stratégie ?
Sarah Durocher : On est un mouvement féministe et intersectionnel qui propose un accueil inconditionnel des personnes. On prend en compte l’ensemble des dominations que peuvent subir les personnes qui viennent nous voir. Diviser les femmes, c’est une spécialité de l’extrême droite. Pour nous, il n’y a pas de division. Si certaines femmes sont privilégiées, on vit toutes le patriarcat. D’ailleurs, vous avez déjà entendu le RN parler de patriarcat ? Jouer sur les questions d’insécurité migratoire en parlant des violences, c’est méconnaître ce fait établi par toutes les études : l’immense majorité des violeurs font partie de l’entourage de la victime. Le discours du RN n’est pas un discours d’émancipation des femmes : il souhaite les ramener à la maison et leur dire de faire des enfants.
Emmanuel Macron plonge dans l’électoralisme de bas étage et participe à l’exclusion de toute une partie de la population.
Il y a deux ans, votre campagne sur l’accueil d’hommes enceints au Planning avait suscité une vague de violence sur les réseaux sociaux de la part de l’extrême droite. Deux ans plus tard, c’est Emmanuel Macron lui-même qui déclare qu’il serait possible de « changer de sexe en mairie » si le NFP arrivait au pouvoir. Que signale ce glissement du macronisme à l’extrême droite ?
Sarah Durocher : On observe une offensive antitrans à travers toute la planète depuis plusieurs semaines. Le macronisme n’a jamais rien fait pour améliorer le quotidien des personnes trans ; pire, il laisse l’extrême droite les violenter. Emmanuel Macron plonge dans l’électoralisme de bas étage et participe à l’exclusion de toute une partie de la population. Cela s’accompagne aussi d’une désinformation générale et d’une invisibilisation des personnes trans que l’on ne voit jamais sur les plateaux télé. Le 8 juillet, je serai très inquiète pour elles. Mais le Planning sera toujours à leur côté.
Alors qu’un nouveau programme va être mis en place autour de la vie affective et sexuelle, des associations de la droite conservatrice et d’extrême droite, comme Parents vigilants, issus du mouvement de Zemmour, ont multiplié les pressions contre l’administration et les établissements scolaires. La sexualité a-t-elle été un sujet abandonné par la gauche ?
Sarah Durocher : L’éducation à la sexualité, c’est un projet de société. C’est une société moins violente, moins LGBTphobe, moins confrontée aux IST et au VIH. Cette société-là, c’est notre projet. C’est pour cette raison que nous sommes violemment attaquées par des associations fascistes comme Parents vigilants ou SOS Éducation. Parce que connaître ses droits, pouvoir choisir, c’est émancipateur. Or le projet de société que propose le RN est à mille lieues de celui-là. Mais la gauche ne s’en est pas saisie. Il faut désormais qu’elle dispose du courage politique suffisant pour faire siens ses sujets.
Le RN réserve l’éducation à la sexualité au cercle familial. Mais souvent, comme le montrent les études de sciences sociales, les familles peuvent aussi perpétuer voire renforcer les souffrances ou les oppressions…
Sarah Durocher : L’école, pour nous, doit parler d’éducation à la sexualité. La famille ne peut pas être toujours sécurisante sur ce sujet. Si vous avez un test de grossesse positif, vous pouvez être virée de chez vous. Si vous faites votre coming out, vous pouvez être viré de chez vous. Pourtant, le RN met en avant la famille comme si c’était un lieu où tout devait se régler. Alors que pour nous, les violences, la sexualité, c’est politique. Et ça doit être débattu, appréhendée collectivement. Le RN mène une stratégie de privatisation de questions dont doit s’emparer la société entière.
mise en ligne le 20 juin 2024
Mathilde GOLLA sur https://www.ouest-france.fr/
Dans une interview à « Ouest France », Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, appelle à voter pour le nouveau Front populaire aux élections législatives, et à se mobiliser pour faire barrage au Rassemblement national.
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, prend la parole après la dissolution décidée par le président de la République, Emmanuel Macron, et avant les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet. Elle appelle à voter pour le Nouveau Front Populaire et à faire barrage au Rassemblement national.
Vous appelez à voter pour le Front populaire. N’est-ce pas une décision inédite pour la CGT ?
Sophie Binet : La CGT ne donne pas de consigne de vote mais nous donnons notre avis à partir des programmes. Ce n’est pas la première fois de notre histoire, loin de là ! On l’a fait quand l’extrême droite était en situation d’accéder au pouvoir en 2002 en 2017 ou en 2022 où nous avions appelé à faire barrage.
Nous sommes dans un contexte où l’enjeu n’est pas seulement d’empêcher le pire mais aussi de gagner le meilleur.
Déjà en 1936 la CGT avait appelé à voter pour le Front populaire puis en 1945 pour la coalition des forces de gauche qui portaient le programme du conseil national de la résistance, et encore en 1974, en 1981 mais aussi en 2012 où la CGT avait appelé à battre Nicolas Sarkozy.
Suspension de Guillaume Meurice de Radio France : la liberté d’expression est-elle en danger ?
Notre position n’est donc pas inédite, la CGT a toujours pris ses responsabilités de façon très claire. Nous sommes indépendants mais pas neutres ! Cette décision forte a été prise collectivement, par le parlement de la CGT à l’issue d’un vote quasi unanime. Cela s’explique, car il y a le feu au lac : si on ne fait rien, l’extrême droite peut arriver au pouvoir. La CGT ne peut pas rester les bras croisés. Nous devons mettre toutes nos forces dans cette bataille contre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
Cette décision entraîne-t-elle des divisions au sein de la CGT ?
Sophie Binet : Non, car on a pris cette décision ensemble après une semaine de débats. Les seuls que cela dérange sont ceux qui sont favorables au Rassemblement national mais nous allons au débat de façon frontale avec eux. La position de la CGT est très claire. On ne peut pas être militant de la CGT et encore moins aux responsabilités, si on est au Rassemblement national. C’est incompatible.
On ne peut pas être militant à la CGT si on est au Rassemblement national Sophie Binet
Mais 24 % de vos sympathisants ont voté pour le RN. N’allez-vous pas vous priver d’eux ?
Sophie Binet : Oui c’est un risque, mais être très clair nous permet aussi de gagner de nouveaux et nouvelles syndiqués. Depuis dix jours, notre nombre d’adhésions a été multiplié par quatre (par jour par rapport à la normal, ndlr). 24 % c’est une proportion importante, mais c’est dix points de moins qu’à l’échelle nationale. L’extrême droite, le racisme, l’antisémitisme ou le sexisme sont incompatibles avec les valeurs de la CGT. On a déjà exclu des syndiqués pour ça et on n’hésitera pas à le refaire. Le RN n’est pas un parti comme les autres. Nous avons une position constante : on ne débat pas avec le Rassemblement national, on le combat.
Emmanuel Macron a une responsabilité très forte quant à la situation actuelle. Je suis tellement en colère contre lui et ce choix de dissolution, qui n’était pas justifié. C’est la décision d’un seul homme, ce qui confirme que le président a trop de pouvoir.
Quand un homme seul peut lancer une « grenade dégoupillée », c’est grave, car c’est de nos vies dont il s’agit. J’ai beaucoup de mal à dormir depuis dix jours à cause de ça. Je pense que je ne suis pas la seule.
La gauche a aussi sa responsabilité et on leur a demandé de s’unir et d’arrêter de trahir les attentes des travailleuses et des travailleurs. C’est pour cela que la CGT a lancé un appel à l’union, mais sur un programme de rupture avec le néolibéralisme. On est très content de voir que cet appel a été entendu.
Vous souscrivez à tout le programme du nouveau Front populaire ?
Sophie Binet : Non, ce n’est pas le programme de la CGT même s’il reprend beaucoup de nos idées notamment les dix propositions de l’intersyndicale. Notamment le fait d’abroger la réforme des retraites et de l’assurance chômage, d’investir dans les services publics, d’augmenter les salaires, de relocaliser l’industrie. Il reprend aussi beaucoup de propositions de la CGT comme la retraite à 60 ans, l’indexation des salaires sur l’inflation, l’augmentation du Smic à 2 000 euros bruts, le fait de créer un pôle public du médicament ou un pôle public bancaire. Ces mesures sont positives mais il y a aussi des manques : on demande un moratoire sur les licenciements en cours. Il faut aussi mettre en place une sécurité sociale professionnelle et environnementale pour ne pas opposer le social et l’environnemental. Enfin, il faut sortir les prix de l’énergie de la spéculation pour baisser les tarifs pour les ménages comme pour les entreprises.
Comment financer toutes ces mesures ?
Sophie Binet : Ces réformes, évidemment il faut qu’elles soient financées. Il y a des leviers à actionner et notamment les aides publiques aux entreprises qui atteignent un record, c’est 170 milliards d’euros chaque année. Un exemple : Sanofi a touché un milliard de crédit impôt recherche pour les entreprises en dix ans tout en divisant par deux ses effectifs de chercheurs.
Il faut aussi supprimer les 50 milliards de cadeaux fiscaux offerts par Emmanuel Macron aux plus riches en commençant par rétablir l’ISF et la CVAE. Il faudrait aussi taxer les dividendes et les rachats d’action. Enfin ce que je note, c’est que dès que l’on parle d’avancées sociales on nous culpabilise sur le financement. Mais à quoi sert l’économie si elle n’améliore pas le quotidien des gens et pas seulement celui des plus riches ?
Le risque, aussi, des mesures proposées, c’est de smicardiser encore un peu plus la France et d’accentuer le sentiment de déclassement ?
Sophie Binet : Non, c’est un sujet auquel la CGT est très attachée. Le RN prospère sur cette idée de déclassement et au contraire on veut clairement y répondre. C’est pour ça que c’est très important d’indexer les salaires sur les prix. Ce n’est pas seulement le Smic que l’on veut augmenter, c’est tous les salaires pour garantir la reconnaissance des qualifications.
Mais cela ne nourrit-il pas l’inflation ?
Sophie Binet : Non, en Belgique ou au Luxembourg, les salaires sont indexés sur les prix. Il n’y a pas particulièrement plus d’inflation mais cela a augmenté les salaires et réduit le chômage. Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation.
Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation. Sophie Binet
En plus de vos consignes de vote, qu’allez-vous faire pour faire barrage au RN ?
Sophie Binet : On va se mobiliser avec les féministes ce week-end, et on va montrer combien le RN est un danger pour les droits des femmes. Nous avons aussi des grèves dans pas mal de professions : l’énergie, la chimie ou l’agroalimentaire, la culture. Elles sont mobilisées ce jeudi 20 juin 2024 et font le lien entre les licenciements, les revendications de salaires et aussi le danger du RN.
Et si le RN arrive au pouvoir, que ferez-vous ?
Sophie Binet : On met toutes notre énergie pour éviter l’arrivée de Jordan Bardella au pouvoir. On fait monter les luttes pour que le débat se fasse sur les questions sociales et pas sur les enjeux d’immigration. Ensuite on prendra nos décisions par étapes et collectivement, nous savons nous rassembler sur l’essentiel. Mais on ne débat pas avec l’extrême droite, on la combat.
Le patronat reste très silencieux, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Sophie Binet : Je suis très en colère contre le patronat. Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir en Italie, car elle est soutenue par les milieux d’affaires. C’est pareil pour le RN, c’est pour ça qu’il rétropédale sur la retraite. Ce sont des milliardaires qui font monter le RN, le rôle de Vincent Bolloré est connu, il a œuvré au rapprochement d’Éric Ciotti avec le RN.
Le patronat ne prend pas ses responsabilités, il est d’un silence coupable face au danger de la montée de l’extrême droite. Il ne fait que faire primer ses intérêts financiers. Pour une partie du patronat, l’extrême droite n’est plus un problème.
Le patronat ne prend pas ses responsabilités. Sophie Binet
Concernant les accusations d’antisémitisme portées contre certains candidats, que dit la CGT ?
Sophie Binet : Le programme est très clair, il est spécifiquement contre l’antisémitisme et l’islamophobie.
mise en ligne le 19 juin 2024
par Nolwenn Weiler sur https://basta.media/
Le Rassemblement national compte sur le vote des femmes pour l’emporter aux législatives. Jordan Bardella et son parti sont pourtant de piètres défenseurs de leurs droits et s’opposent le plus souvent à leur émancipation.
En cinq ans, le Rassemblement national a beaucoup progressé dans l’électorat féminin. 30 % des femmes ont voté pour ce parti aux élections européennes du 9 juin, alors qu’elles n’étaient que 20 % en 2019. Leurs voix sont devenues si importantes que Jordan Bardella leur a lancé un appel ce lundi 17 juin via le réseau social X (anciennement Twitter) : « Femmes de France, le 30 juin et le 7 juillet vous voterez aussi pour vos droits. Je compte sur vous, votez ! » Mais les femmes peuvent-elles vraiment compter sur le RN pour défendre leurs droits ? Il est permis d’en douter.
Égalité salariale : un « non-sujet » pour les élu·es du RN
« A l’assemblée nationale nos députés se battent au quotidien pour obtenir des avancées », affirme Jordan Bardella dans sa courte allocution ce 17 juin appelant les femmes à voter aux élections législatives. Fin 2021, ces député·es ont pourtant choisi de ne pas prendre part au vote de la loi Rixain sur l’égalité salariale (à poste égal, une femme perçoit en moyenne un salaire inférieur de 10,5% à celui d’un homme). Et en juillet 2023, ils ont voté contre la loi renforçant l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique.
Au niveau européen, on relève également une franche hostilité aux droits des femmes à gagner correctement leur vie. En 2022, ils votent contre le salaire minimum européen, fondé sur « un niveau de vie décent » pour chaque État membre sachant que cette mesure concerne en grande majorité des femmes, les plus nombreuses parmi les bas et très bas salaires. En mai 2023, le RN s’abstient à propos de la directive européenne sur la transparence et l’égalité des rémunérations, dont le but était d’appliquer l’égalité de salaires entre femmes et hommes pour un travail identique ou de même valeur....
Violences sexistes et sexuelles : le RN méconnaît et nie le réel
Quand le RN dénonce les violences faites aux femmes, ils les lie systématiquement aux étrangers, alors même que les enquêtes de terrain – et ce depuis des années – documentent que le danger pour les femmes et les enfants vient très largement de leur entourage proche, tous milieux sociaux confondus. « Si je deviens Premier ministre, j’irai plus loin dans la défense des droits des femmes », « nous mènerons une lutte implacable contre l’insécurité », « nous reprendrons le contrôle de notre politique migratoire en expulsant les délinquants et criminels étrangers, en renforçant sévèrement les sanctions contre les violences faîtes aux femmes », répète ainsi Jordan Bardella en dépit de la réalité.
« Jordan Bardella est resté coincé sur l’image du violeur de rue, l’inconnu repoussant, comme si personne ne lui avait dit que dans 90 % des cas l’agresseur est quelqu’un que l’on connaît, souvent un proche. »
« Il est resté coincé sur l’image du violeur de rue, l’inconnu repoussant, comme si personne ne lui avait dit que dans 90 % des cas l’agresseur est quelqu’un que l’on connaît, souvent un proche », a répondu sur Twitter Hélène Devynck, l’une des victimes du présentateur vedette de TF1 Patrick Poivre d’Arvor, accusé d’avoir violé de très nombreuses femmes.
« Jamais aucune femme ne devrait craindre de sortir dans les rues quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit », a encore déclaré Jordan Bardella. La liberté des femmes est certes restreinte dans l’espace public, dessiné par et pour les hommes. Mais c’est bien au sein de leur foyer qu’elles sont le plus en danger face au violences physiques ou sexuelles, de même que les enfants.
En 2022, Marine Le Pen promettait (dans le cahier sécurité de son programme) que les conjoints ou ex-conjoints violents seraient « jugés dans des délais très brefs » et que les mesures de protection des victimes seraient « efficaces ». En 2018, pourtant, les députés de son parti s’étaient abstenus de voter la loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Marine Le Pen n’était même pas présente le jour du vote. En 2021, tous ses eurodéputés ont voté contre une résolution renforçant la lutte contre le harcèlement sexuel au sein des institutions de l’Union européenne, adoptée dans la foulée du mouvement MeToo.
En 2023, le RN s’est abstenu lors du vote du Parlement européen à propos de l’adoption de la Convention d’Istanbul sur « la prévention de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ». Ce texte, juridiquement contraignant, oblige les gouvernements à prendre des mesures pour prévenir les violences, protéger les victimes et poursuivre les agresseurs.
Droits reproductifs : un soutien rare et hypocrite
La lutte contre les « déserts gynécologiques » fait partie des promesses annoncées par Jordan Bardella. L’expression avait été utilisée dès 2022 par Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle. Pour autant, elle ne mentionnait pas une seule fois le mot « femme » dans son livret Santé.
En mars 2024, une majorité des député·es RN ont voté pour l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution (46 sur 88). Les autres ont voté contre (12), se sont abstenu·es (14) ou n’étaient pas là (16). Mais en février 2022, alors que les député·es discutent d’un allongement du délai d’IVG de douze à quatorze semaines, les élu·es RN déposent un amendement contre.
Au niveau international, le soutien à l’IVG se révèle également à géométrie variable. En novembre 2020, le Parlement vote une résolution qui condamne les restrictions drastiques du droit à l’IVG en Pologne. Les 23 eurodéputé·es du RN votent contre cette condamnation. Ils récidivent un an plus tard considérant que le texte porte atteinte à la « souveraineté de la Pologne ».
En juillet 2022, alors que la Cour suprême des États-Unis vient de supprimer la protection constitutionnelle du droit à l’avortement, les eurodéputé·es adoptent une résolution pour affirmer la « nécessité de protéger ce droit ainsi que la santé des femmes, y compris dans l’Union européenne ». Mais les élu.es RN sont absents... Le 11 avril 2024, ces mêmes euro député·es se sont abstenu·es sur l’introduction du droit à l’avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux.
Une vision fantasmée de la famille française
Des incitations fiscales aux prêts à taux zéro en passant par les subventions au troisième enfant, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella dessine un portrait très traditionnel de la famille, nombreuse de préférence. « Faire le choix de la natalité, c’est s’engager à assurer la continuité de la Nation, et la perpétuation de notre civilisation », lit-on dans le programme politique publié en 2022, qui omet de préciser que la parentalité reste un puissant facteur d’inégalité entre les femmes et les hommes en France. Le parti encourage le fait d’avoir des enfants avant trente ans, par des incitations financières, mettant de côté la réalité des femmes, qui ont leur premier enfant à 31 ans en moyenne désormais, notamment parce qu’elles choisissent de se consacrer à leur travail avant de devenir mères.
Évidemment, toutes les allocations et primes de politique familiale seront « réservées, exclusivement, aux familles dont au moins l’un des deux parents est Français ». Même l’allocation de soutien familial (ASF) ] – destinée aux familles monoparentales – sera réservée « aux familles françaises ». Qu’en sera-t-il pour les femmes étrangères, qui élèvent, seules, leurs enfants ? Et dont les pères, français, sont démissionnaires, quand ils ne sont pas carrément absents voire violents ? On l’ignore. La complexité du réel ne peut pas se fondre dans le programme du RN.
Enfonçant le clou, et creusant l’abîme pour les femmes sans papiers, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella s’est insurgé récemment de l’ouverture du droit à l’aide juridictionnelle aux personnes étrangères, mettant en ligne une pétition dénonçant un « gaspillage d’argent public ». Ce faisant, le parti d’extrême droite « omet » que les femmes étrangères sont, elles aussi, victimes de violences conjugales et qu’elles peuvent avoir besoin d’aide pour financer leurs procédures judiciaires. De plus, être étrangère met les femmes dans une position de grande vulnérabilité, en particulier vis à vis des violences sexuelles, et notamment à cause de leur précarité résidentielle.
Les droits menacés des LGBTQI+
En avril 2024, les eurodéputé·es RN on voté en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité et de la transidentité. Mais ce soutien aux minorités est rare. Le 11 mars 2021, ils ont refusé de déclarer l’UE « zone de liberté LGBTIQ » en réaction au recul des droits des minorités sexuelles en Hongrie et en Pologne. Même chose en octobre 2022, quand le Parlement européen avait dénoncé les crimes contre les personnes LGBTQI+ suite à un meurtre homophobe en Slovaquie.
« Dans tous les pays du monde ou l’extrême droite est au pouvoir, les droits des femmes, des minorités et des plus vulnérables sont ciblés », a rappelé la Fondation des femmes au lendemain des élections européenne du 9 juin. Le risque de hausse des agressions physiques dans l’espace public est réel, et il hante de nombreuses personnes. « En tant que personnalité publique lesbienne, très concrètement, ce serait pour moi vivre sous la menace directe de la mort. Les LGBTI déjà attaqués aujourd’hui seront véritablement en danger de mort demain » , affirmait l’élue parisienne Alice Coffin dans un article de Mediapart consacré à la « dédiabolisation » du RN et à sa possible accession au pouvoir.
« Les idées d’extrême droite sont allées jusqu’à inspirer plusieurs réformes délétères en France ces dernières années avec des conséquences particulièrement lourdes pour les femmes et toutes les minorités (loi immigration, réforme des retraites, assurance chômage, etc). Ces réformes liberticides et antisociales ont fait le lit de l’extrême droite accentuant le désespoir et la souffrance de toute une population », regrette un collectif de plus de 150 organisations françaises qui ont décidé de sonner des « alertes féministes » partout en France ce dimanche 23 juin. A rebours du programme qui nous attend si le RN arrivait au pouvoir, ce mouvement nous rappelle que les droits des femmes ne sont pas divisibles. S’en prendre à l’une d’entre elles revient à leur déclarer la guerre à toutes.
mise en ligne le 17 juin 2024
Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr
Le programme du RN pour la Sécurité sociale est encore pire que ce qu’a fait Macron depuis son accession au pouvoir. Sa principale proposition pour augmenter les salaires est de supprimer une partie des cotisations sociales afin que les augmentations de rémunération ne coûtent quasiment rien aux employeurs. Il s’agit donc d’une mesure ultralibérale qui conduit à une casse de notre système de protection sociale, qui obligera chacun à payer directement son assurance santé auprès d’un assureur privé et son fonds de pension pour sa retraite.
La première étape décrite dans le programme, selon les économistes de l’Institut Montaigne très proches du patronat, chiffre à 10 milliards le manque de recettes pour la Sécurité sociale, soit autant que son déficit total en 2023. Il s’agit donc bien d’une politique qui vise à encore plus amputer les ressources de la Sécu qui sont déjà aujourd’hui insuffisantes pour répondre aux besoins de la population.
La conséquence est simple : pour pouvoir se soigner, il faudra payer de sa poche une assurance complémentaire dont le coût augmentera régulièrement, en proportion de la baisse des recettes de la Sécu. Mais cela est valable pour ceux qui pourront se la payer, ce qui ne sera sûrement pas le cas des petits salaires. Il y a donc bien tromperie sur la marchandise pour les ouvriers et les employés qui, en votant pour le RN, croient que cela améliorera leur pouvoir d’achat. Bien au contraire, ce sera une baisse globale.
Autre élément du programme du RN, la suppression de l’AME. En termes de santé publique, ce serait catastrophique, comme en témoigne l’exemple de l’Espagne qui a supprimé l’accès gratuit aux soins pour les étrangers en 2012 : hausse des maladies infectieuses avec une augmentation de la mortalité dans la population générale, car les microbes n’ont pas de nationalité.
Or, les bénéficiaires de l’AME dépensent annuellement 15 % de moins qu’un assuré social classique. Autre argument constamment mis en avant par le RN : la fraude des assurés sociaux, plus particulièrement d’origine immigrée, qui profiteraient honteusement du système. Là aussi, il s’agit d’un mensonge, les chiffres de l’assurance-maladie désignent clairement les fraudeurs : pour 80 %, les fraudes sont imputables aux professionnels de santé toutes catégories confondues, contre 20 % aux assurés sociaux.
Bien d’autres propositions du programme du RN concernant la santé s’appuient sur des mensonges désignant à tort les immigrés comme les responsables de toutes les difficultés de notre système de protection sociale. Ceux qu’il faut montrer du doigt et à qui il faut demander de rendre l’argent, ce sont les patrons et les professionnels de santé fraudeurs. Alors oui, il est légitime d’être en colère contre la dégradation de notre système de santé, mais ne nous trompons pas sur les causes et les responsables. Faites-le savoir autour de vous.
mise en ligne le 16 juin 2024
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
En Cisjordanie se déroule l’autre guerre d’Israël, faite d’incursions militaires à répétition. Il ne se passe pas une journée sans que l’armée de l’État hébreu envahisse un camp de réfugiés, une ville ou un village. Reportage dans le nord de la Cisjordanie.
Tulkarem (Cisjordanie).– Sabri a cessé de compter. Il est fatigué d’égrener les dates. « Au moins cinquante », lâche-t-il, quand on lui demande combien de fois l’armée israélienne a mené des incursions dans le camp de réfugié·es de Nour Shams, en bordure de la ville palestinienne de Tulkarem, depuis octobre 2023.
Israël mène aussi une guerre en Cisjordanie, parallèlement à celle qu’il a lancée contre la bande de Gaza après les massacres du 7 octobre 2023 commis par le Hamas et d’autres factions palestiniennes.
Elle est certes moins massive, moins meurtrière. Elle se déroule comme à bas bruit, sans grande attention des dirigeants mondiaux et des médias occidentaux.
Mais pour Sabri et les 12 000 habitant·es de Nour Shams, c’est bel et bien une guerre. Ils ont d’ailleurs surnommé le camp de réfugié·es « le petit Gaza », pour dire l’ampleur des destructions humaines et matérielles.
« Cinquante-sept martyrs sont tombés depuis juillet 2023, la plupart depuis octobre », affirme Sabri ce 8 juin, usant du vocable traditionnel pour désigner les personnes mortes pendant les opérations militaires israéliennes. Un chiffre d’autant plus énorme que cette communauté est soudée par une origine semblable : toutes les familles, qui s’entassent dans les immeubles exigus en béton serrés le long des ruelles pentues, sont originaires de Haïfa.
Toutes ont dû quitter leurs terres et leurs maisons, parfois cossues, en 1948, chassées par les groupes combattants juifs ou par la peur instillée par les massacres. Elles se sont d’abord installées près de Jénine, plus au nord. Mais les tentes ont été balayées par une tempête de neige. Elles se sont alors encore déplacées. Le camp a été établi en 1952, à l’entrée orientale de Tulkarem.
Tulkarem, ville du nord de la Cisjordanie, a comme caractéristique d’être quasiment sur la ligne verte séparant la Cisjordanie et Israël, à l’endroit où l’État hébreu est le plus étroit. Netanya, ville côtière israélienne, est à 15 kilomètres. À vol d’oiseau, car aujourd’hui la cité palestinienne est collée au mur de séparation construit par Israël à partir de 2003. Les quinquagénaires se souviennent qu’ils allaient se baigner dans la Méditerranée. De la mer, les jeunes ne connaissent que l’air gorgé d’humidité salée.
Le message de l’armée israélienne : ni stabilité ni sécurité
Sabri a donné rendez-vous à l’entrée principale du camp. Ce qui a dû être une placette bordée de boutiques est aujourd’hui un amas de ruines. Le petit bâtiment de l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée de l’assistance aux réfugié·es palestinien·nes, est éventré, sa fonction reconnaissable uniquement au drapeau des Nations unies peint sur un des murs à moitié écroulé. À côté, la façade d’un immeuble de plusieurs étages porte des traces d’incendie, le rez-de-chaussée est entièrement brûlé.
Face à lui, un tas de gravats, avec quelques effets à peine reconnaissables au milieu des morceaux déchiquetés de béton et de métal. « Une grande maison de quatre étages, soupire Sabri. Ils l’ont détruite au D9. Avant le 7 octobre. Depuis, c’est pire. »
« Ils » désigne les soldats de l’État hébreu et « D9 », prononcé « Di Nine », un bulldozer énorme et blindé utilisé par les forces israéliennes lors des incursions, engin aussi redoutable que terrifiant, capable de tout arracher et de tout aplanir sur son passage.
À chaque fois, ils détruisent les infrastructures, les conduites d’eau, le réseau électrique, celui d’Internet, les égouts. Ça coûte une fortune que nous n’avons pas. Sabri, comité des services de Nour Shams
Sur un côté de l’ancienne placette, des hommes s’affairent dans des rez-de-chaussée, manient la truelle et le ciment frais, réparent des fils électriques, juchés sur des échelles. Il y avait ici des magasins. Plus loin, les volets métalliques restent tordus, à moitié arrachés, et les boutiques fermées. La vitrine du barbier est constellée d’impacts de balles, mais elle tient encore, et le coiffeur s’affaire à l’intérieur.
La dernière incursion a eu lieu le 4 juin dernier, quelques jours avant notre visite. Alors, une nouvelle fois, les habitants réparent les dégâts comme ils le peuvent. Et Sabri, membre du « comité de services » du camp, équivalent de la municipalité, a dépassé l’épuisement. « Il faut sans cesse recommencer. À chaque fois, ils détruisent les infrastructures, les conduites d’eau, le réseau électrique, celui d’Internet, les égouts. Ça coûte une fortune que nous n’avons pas », soupire-t-il.
Son homologue du deuxième camp de réfugié·es de Tulkarem, plus grand et plus peuplé, fait le même constat. « Nous avons estimé les dégâts pour les infrastructures uniquement à dix millions de dollars. À chaque fois que nous réparons, ils reviennent, et détruisent à nouveau tout », précise Zaki.
Dans le camp de Tulkarem, 180 habitations, 170 magasins et 120 voitures ont été totalement détruits. À Nour Shams, 50 maisons ont été totalement ruinées et 200 sont inhabitables.
Les véhicules cahotent dans la rue principale sur une chaussée de pierres et de sable. Ils soulèvent des nuages de poussière qui recouvrent de gris les quelques arbres. En plusieurs endroits, l’asphalte a été pulvérisé plusieurs fois par les blindés et les bulldozers. Celui de l’avenue principale de Tulkarem qui passe, depuis l’est, devant les deux camps était tout neuf. « En Cisjordanie, le revêtement des routes coûte une fortune car nous manquons de matériaux. Cette route venait juste d’être refaite, grâce à des fonds donnés par l’USAID [l’agence d’aide au développement américaine – ndlr] », souligne avec ironie Ismat Quzmar, économiste.
Dans les deux camps de Tulkarem, les destructions répétées sont telles que l’UNRWA n’a pas les fonds pour réparer.
La répétition des incursions militaires, partout en Cisjordanie mais plus particulièrement dans le nord du territoire, maintient des villes comme Tulkarem, Jénine, Naplouse ou Toubas dans un état d’instabilité et de crainte permanent.
« Les attaques de l’armée israélienne ne datent pas d’hier, et nous avons été très ciblés en 2023 avant même octobre. Mais depuis, c’est encore plus dur que pendant la deuxième Intifada », reprend Sabri, devant une école primaire éventrée par le D9 dans le quartier d’Al-Manshiyyeh, à Nour Shams.
Le soulèvement armé palestinien entre 2000 et 2005, ponctué de batailles urbaines et d’attentats suicides, s’était accompagné d’une répression massive. Ainsi, le camp de réfugié·es de Jénine avait été totalement rasé en 2002 lors d’une opération militaire israélienne de grande ampleur. Tulkarem et ses deux camps avaient aussi payé le prix fort. D’autant que l’attentat qui l’avait déclenchée avait été commis par un habitant de Tulkarem.
Des groupes armés locaux, sans direction nationale
La brutalité de l’occupation est encore plus extrême, aujourd’hui, jugent unanimement les Palestiniens et Palestiniennes rencontré·es partout en Cisjordanie. Ce ne sont pas Sabri ou Zaki qui les démontiront.
« Les Israéliens mènent contre nous une guerre de revanche, reprend Sabri. Ils veulent en finir avec les Palestiniens, faire une nouvelle Nakba [“la Catastrophe” en arabe, nom donné à l’expulsion de 700 à 750 000 Palestinien·nes de leurs terres en 1948 – ndlr]. Ils s’en prennent surtout aux camps de réfugiés car ils s’imaginent qu’en finir avec les réfugiés, c’est en finir avec la résistance. »
La « résistance », comme les Palestiniens et Palestiniennes nomment l’ensemble des groupes armés, nous la croisons là, dans une ruelle du camp de Tulkarem, sous la forme d’une dizaine de jeunes hommes minces et très méfiants, près d’une maison brûlée lors du dernier raid de l’armée. Ils s’enquièrent de la nationalité du visiteur étranger, de sa profession, puis le laissent passer, les accompagnateurs, eux-mêmes du camp, servant de garants.
La défiance est d’autant plus grande que l’armée israélienne envoie souvent en éclaireurs des mousta’ribin – mista’arvim en hébreu –, soldat·es d’élite déguisé·es en Palestinien·nes, pratiquant toutes les nuances des dialectes et des manières d’être. Toute personne étrangère, dès lors, devient suspecte.
Ce sont des groupes sans hiérarchie, sans leadership national. [...] ils ne supportent pas de voir l’occupant dans leur camp, leur village ou leur ville. Ibrahim S. Rabaia, chercheur en sciences politiques
À Nour Shams, en voilà cinq, de la « résistance », tranquillement assis autour d’une table basse installée dans une des rues du camp. Trois d’entre eux sont équipés de fusils d’assaut de type kalachnikov visiblement très bien entretenus ou neufs. Deux couteaux de combat sont posés sur la table.
Eux aussi se montrent soupçonneux, et peu bavards. Tout juste consentent-ils quelques phrases, expliquant qu’il n’existe plus de différences entre factions palestiniennes. Ils refusent de dire à quel mouvement ils appartiennent ou se sentent affiliés. « Nous sommes la résistance, et nous ne faisons qu’un, lâche le moins taiseux. Notre objectif est de défendre notre peuple et d’empêcher les sionistes [les soldats israéliens – ndlr] d’attaquer le camp. » Quant aux moyens utilisés : « Nous avons les fusils et nous posons des pièges explosifs », conclut-il.
« La résistance est très différente aujourd’hui des séquences précédentes comme la deuxième Intifada, explique Ibrahim S. Rabaia, chercheur en sciences politiques et originaire de Jénine. Ce sont des groupes sans hiérarchie, sans leadership national. La plupart de ces jeunes sont issus ou proches du Fatah [parti de Yasser Arafat et de Mahmoud Abbas – ndlr] mais ne s’en revendiquent pas. Simplement, ils ne supportent pas de voir l’occupant dans leur camp, leur village ou leur ville. Cette absence de structure pose un problème aux Israéliens : ils ne savent pas qui ils combattent. »
Derrière les jeunes hommes armés du camp de Nour Shams, des affiches collées sur le mur d’une maison, et sur les affiches, des portraits. « Lui, lui et lui, ce sont des innocents, ils n’ont jamais porté les armes, s’énerve l’un d’eux en désignant des visages juvéniles. Et lui, Youssef, il avait 9 ans ! » Un grand portrait en pied d’un enfant souriant est accroché à côté de l’entrée d’une épicerie.
C’était le 19 octobre 2023. Un tir de drone, juste à l’endroit où les jeunes armés ont installé leur table basse. Il a tué douze personnes, dont quatre enfants. Les impacts sont encore visibles, sur le sol et sur les murs.
Depuis, système D contre hautes technologies, le ciel au-dessus des ruelles est caché par des bâches en plastique noir visant à rendre aveugles les drones. Et depuis le 19 octobre 2023, Oum Kaissar est inconsolable. Elle porte en médaillon la photo de son fils Kaissar tué ce jour-là.
Un autre de ses enfants, Mahmoud, 28 ans, a été gravement blessé. La partie droite du crâne enfoncée, il a perdu l’usage de son bras et parle avec grande difficulté. « Les soldats israéliens avait envahi le camp au milieu de la nuit et puis on a cru qu’ils s’étaient retirés, alors j’ai envoyé Kaissar et Mahmoud chercher de quoi manger, raconte Oum Kaissar dans la petite pièce où son mari, gravement malade, gît sur un lit d’hôpital. Mais le drone a tiré. »
Le désastre économique se rajoute à la catastrophe humaine
Mahmoud était carreleur. Jusqu’au 7 octobre, il travaillait en Israël, avec un permis en bonne et due forme. Comme beaucoup de travailleurs de cette ville frontalière.
Tous se sont retrouvés sans emploi et donc sans revenus après le 7 octobre. Dans la famille d’Ahmed, jardinier paysagiste, plus personne ne travaille. « Je trouve à m’employer ici ou là, mais comme personne n’a d’argent, c’est très rare d’avoir des clients, soupire-t-il. Je ne sais pas comment je vais réussir à continuer à financer les études de mon fils aîné, à l’université. »
Certains, comme Eid, du camp de Tulkarem, ont en plus vu leur habitation gravement endommagée pendant une incursion de l’armée israélienne, et n’ont d’autre choix que de louer un autre logement en ville. « Nous venons dans la journée faire de petits travaux pour essayer de réparer ce qui l’est. Mais j’ai perdu mon travail, je dois débourser 1 500 shekels [375 euros] pour le logement de remplacement et je ne reçois aucune aide, alors c’est vraiment très difficile », lâche-t-il.
Le samedi, jour de congé hebdomadaire en Israël, est traditionnellement la journée la plus active de la semaine. Les Palestinien·nes de 1948, citoyen·nes d’Israël, viennent faire leurs courses dans les cités frontalières, Tulkarem et Jénine, beaucoup moins chères, et visiter leur famille élargie.
Mais les points de passage sont fermés et les gens ont peur. Le camp militaire israélien est accolé au mur de séparation, les jeeps, les transports blindés, les bulldozers et le D9 peuvent débouler en quelques minutes.
« Notre vie est suspendue », soupire Sabri, désolé de voir les mères de Nour Shams aller fleurir les tombes de leurs enfants dans le petit cimetière, juste de l’autre côté de la route défoncée par les incursions.
mise en ligne le 15 juin 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
Environ 7000 personnes ont participé à la manifestation contre l’extrême droite à Montpellier, ce vendredi 14 juin. Des chiffres qui laissent présager que la mobilisation sera importante dans les près de 200 autres communes mobilisées ce week-end.
Vendredi, 18 heures. L’heure et le jour de la manifestation contre l’extrême droite ne sont pas habituels dans la capitale héraultaise, mais la situation politique ne l’est pas plus, puisque Jordan Bardella (RN) pourrait devenir Premier ministre dans trois semaines.
Le rassemblement appelé par une cinquantaine d’organisations syndicales – dont la CGT, la CFDT, la FSU, l’UNSA, et Solidaires – politiques et associatives ne cesse d’enfler, en moins d’une heure, il passe de quelques centaines à quelques milliers. Pour accueillir les retardataires qui sortent du travail, le camion-sono de la CGT crache la chanson anti-raciste des Berurier Noir « Salut à toi ». Un peu plus loin, l’organisation antifasciste Jeune Garde regroupe ses troupes autour d’un immense étendard signé de son logo et d’une banderole où est inscrit « Unité face à l’extrême droite, la jeunesse en première ligne ».
Les jeunes justement, et même parfois les très jeunes, sont particulièrement nombreux dans le défilé qui réunira jusqu’à près de 7000 personnes (4000 selon la police, 10 000 selon la CGT). Mais contrairement à la première protestation du lundi 10 juin, au lendemain de la dissolution, ils ne représentent pas 80 % des manifestants. Ce coup-ci, les organisations syndicales signataires de l’appel national ont mobilisé leurs militants. De même que les partis politiques qui composent le Front populaire qui s’est doté d’un programme de gouvernement, présenté le matin même, lors d’une conférence de presse à Paris.
Le Front populaire comme horizon
Parmi les retardataires, le maire PS de Montpellier, Michael Delafosse rejoint la manifestation avant qu’elle ne s’élance. Poignées de main enjouées aux responsables syndicaux présents en tête de cortège et échanges tout sourire avec les représentants du Parti communiste et ceux, adversaires de la veille, de la France Insoumise. L’ambiance est à l’union et elle infuse jusque dans le carré de tête syndical.
« En faisant la réforme contre tous les syndicats et contre la population, Macron a pris une lourde responsabilité antidémocratique. Il a fait le choix de faire monter l’extrême droite, a repris ses thèses racistes, il a fait passer la loi immigration et veut maintenant faire passer sa réforme de l’assurance chômage », fustige Serge Ragazzacci, secrétaire général de l’Union départementale CGT 34, s’exprimant au nom de l’intersyndicale locale. Il fustige le chef de l’État et le Rassemblement national, « toujours défavorables aux travailleuses et aux travailleurs » et voit le salut dans la toute récente unité politique à gauche.
« Nous devons poursuivre dans l’unité du Front populaire jusqu’à être majoritaires dans le pays », assure le syndicaliste qui n’hésite pas à exhorter les manifestants à « aller voir les camarades abstentionnistes et ceux qui se sont trompés de bulletin de vote ». Quitte à faire un pas de côté vis-à-vis de la position traditionnelle de la CGT, de non-appel au vote pour un parti en particulier. Un peu plus nuancée après de nombreuses expériences de gauche déçues, la représentante locale de la Ligue des droits de l’Homme prévient : « on ne donne pas un blanc-seing aux politiques, il faut qu’ils travaillent avec le mouvement social ».
Une première manifestation massive
Derrière le premier tiers de la manifestation emmenée par l’intersyndicale locale, dans lequel les partis socialistes et communistes se mêlent aux syndicalistes, le cortège est plus bigarré. Les organisations de l’extrême gauche montpelliéraine sont toutes représentées et La France insoumise fait nombre. Dans cette partie du défilé, l’ambiance est plus revendicative, le public plus jeune et les non-habitués des manifestations munis de pancartes fabriquées à la main, plus nombreux. Les drapeaux ou banderoles des différents acteurs du mouvement social, de Greenpeace à la Confédération paysanne, en passant par Médecin de monde, le syndicat des avocats de France ou encore de la marche des fiertés, se mélangent. Enfin, on trouve un bloc antifasciste massif et particulièrement animé, dont la partie la plus structurée est conduite par la Jeune Garde.
A Lyon, le collectif « Fermons les locaux fascistes » organisait aussi une manifestation contre l’extrême droite ce vendredi, avant celle de l’intersyndicale dimanche. Sur la place des Terreaux, là aussi, des milliers de manifestants contre l’extrême droite (2000 selon la police, 5000 selon les organisateurs). Des chiffres qui laissent présager que la mobilisation sera importante dans l’ensemble des autres villes.
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
La manifestation du vendredi 14 juin à Montpellier, contre la montée de l’extrême-droite, a rassemblé 10 000 personnes selon la CGT et 4 000 selon la police. Les syndicats appellent à la mobilisation, voire à la grève, en vue des législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet prochains pour ne laisser “aucune voix au Rassemblement National”
Un mouvement social est-il en train de naître pour pousser les candidatures du nouveau front populaire ? C’est ce que la manifestation montpelliéraine du 14 juin contre la montée de l’extrême-droite laisse entendre. Après une première mobilisation lundi 11 juin, tous les syndicats, à l’exception de Force Ouvrière et de la CGE avaient appelé à ce rendez-vous, qui a rassemblé 10 000 personnes selon les organisateurs et 4 000 selon la police. L’organisation antifasciste Jeune Garde était également présente avec un immense étendard signé de son logo et d’une banderole où l’on pouvait lire « Unité face à l’extrême droite, la jeunesse en première ligne ». A noter, la présence du maire de Montpellier, Michaël Delafosse, au début de la manifestation. L’édile PS, aussi anti-NUPES soit-il, s‘est prononcé cette semaine en faveur d’une union de la gauche “la plus large possible”.
“La CGT appelle à voter ET à faire grève”
“Nous sommes fiers que nos syndicats soient unis pour que ce front populaire puisse repousser l’extrême-droite et obtenir une majorité de gauche !”, s’exclamait Serge Ragazzacci, secrétaire général de l’Union départementale CGT 34, s’exprimant au nom de l’intersyndicale locale. “Jordan Bardella ne retirera pas la réforme des retraites, car il veut rassurer le patronat. L’extrême-droite est toujours défavorable aux travailleuses et aux travailleurs. Nous appelons à voter, et à faire grève dès la semaine prochaine pour soutenir le front populaire.” Des mouvements syndicaux sont dore et déjà attendus dans l’énergie, et chez les cheminots le 21 juin. Des cheminots qui seront en meeting à Montpellier le 27 juin avec les candidats du front populaire pour évoquer la question des transports. “Nous devons nous servir du contexte pour mettre la pression sur les conditions de travail, le ciment du front populaire c’est le mouvement social”, a précisé Serge Ragazzacci.
Si un mouvement social est en train de naître, les syndicats vont-ils appeler ouvertement appeler à voter pour l’union de la gauche ? “Le SNESUP-FSU va soutenir le Front Populaire”, répondait Yann Leredde, enseignant-chercheur à l’Université de Montpellier et syndiqué au SNESUP. “La prochaine étape, c’est que tous les syndicats appellent à voter front populaire. Tant pis pour la charte d’Amiens [texte fondateur du syndicalisme en France qui revendique l’indépendance vis-à-vis des partis politiques et de l’État, NDLR], c’est ça ou la peste brune. En tout cas, la situation nous soude, on est là avec la CFDT alors que d’habitude on ne se parle pas. Bon, on les chambre un peu sur Laurent Berger [ancien patron de la CFDT dont le nom a été évoqué comme un potentiel premier ministre en cas de victoire du Front Populaire aux législatives, NDLR], mais on est ensemble.”
Chez Solidaires, l’appel au vote pour le Front Populaire semble moins évident, comme l’expliquait David, syndiqué à Sud Education. “Notre mot d’ordre, c’est pas une voix pour l’extrême-droite. L’objectif répond à deux urgences : battre le RN pour éviter de devoir lutter contre dans la rue, en dévoilant sa supercherie sociale, et imposer nos idées pour une vraie rupture sociale en construisant des mobilisations contre un potentiel gouvernement de gauche.”
Même la Confédération Paysanne a rejoint l’appel de l’intersyndicale. Pour Amandine Mallantes, représentante de la zone Méditerranéenne du syndicat agricole, l’enjeu est de dénoncer la récupération politique du RN sur la crise agricole. “Ils ont joué sur l’antilibéralisme pour séduire les agriculteurs, oui, ils ont peur qu’on interdise les pesticides et que ça impacte leurs rendements. Le point positif, c’est que la FNSEA [syndicat agricole majoritaire, NDLR], a appelé à faire barrage contre l’extrême-droite. De notre côté, on va aller voir les candidats du Front Populaire pour les pousser à s’engager sur la question des prix planchers et des revenus pour qu’on puisse vivre de notre travail.”
La manifestation s’est ensuite dispersée au Peyrou, et un gros millier de jeunes ont continué de défiler dans les rues en scandant “La jeunesse emmerde le front national”.
Du côté des perspectives, un rassemblement pour dénoncer les violences d’extrême-droite, appelé par plusieurs syndicats et organisations (Solidaires, l’UCL, le NPA…) a été annoncé samedi 22 juin à 11 heures sur la place Krasucki, lieu où un militant syndical a été agressé par des néonazis pendant le festival des fanfares.
mise en ligne le 14 juin 2024
La rédaction sur www.humanite.fr
Lors de la première conférence de presse du mouvement, ce vendredi 14 juin à Paris, les représentants des forces de gauche ont présenté un programme de gouvernement articulé autour de 3 temps : les 15 premiers jours, les 100 premiers jours et les mois suivants. Voici les principales mesures annoncées.
Les forces de gauche se sont accordées « pour faire front populaire » autour d’un programme partagé et soutenir des candidatures uniques. L’alliance rassemble les Écologistes, La France insoumise, le Parti communiste français, le Parti socialiste, Génération·s, le NPA et la Gauche républicaine et socialiste tout en poussant à une mobilisation des associations, des forces syndicales et des acteurs de la société civile.
Les mesures qui seraient prises dans les tout premiers jours :
Décréter l’état d’urgence sociale
Bloquer les prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants par décret, et renforcer le bouclier qualité-prix pour les outre-mer
Abroger immédiatement les décrets d’application de la réforme d’Emmanuel Macron passant l’âge de départ à la retraite à 64 ans, ainsi que les réformes de l’assurance-chômage
Augmenter le minimum contributif (pension de retraite pour une carrière complète) au niveau du SMIC et le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté
Augmenter les salaires par le passage du SMIC à 1 600 € net, par la hausse de 10 % du point d’indice des fonctionnaires (intégralement compensée pour les collectivités territoriales), augmenter les indemnités des stagiaires, le salaire des apprentis et des alternants
Engager les négociations commerciales en garantissant un prix plancher et rémunérateur aux agriculteurs et en taxant les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution
Revaloriser les APL de 10 %
Relever le défi climatique
Décréter un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières
Adopter un moratoire sur les mégabassines
Mettre en place des règles précises de partage de l’eau sur l’ensemble des activités
Défendre le droit au logement
Relancer la construction du logement social en revenant sur les coupes de Macron pour les organismes HLM de 1,4 milliard d’euros annuels
Créer les places d’accueil d’hébergement d’urgence permettant un accueil inconditionnel et procéder dans les situations d’urgence à la réquisition des logements vides nécessaires pour loger les sans-abri
Réparer les services publics
Organiser une conférence de sauvetage de l’hôpital public afin d’éviter la saturation pendant l’été, proposer la revalorisation du travail de nuit et du week-end pour ses personnels
Redonner à l’école publique son objectif d’émancipation en abrogeant le « choc des savoirs » de Macron, et préserver la liberté pédagogique
Faire les premiers pas pour la gratuité intégrale à l’école : cantine scolaire, fournitures, transports, activités périscolaires
Augmenter le montant du Pass’Sport à 150 euros et étendre son utilisation au sport scolaire en vue de la rentrée
Apaiser
Relancer la création d’emplois aidés pour les associations, notamment sportives et d’éducation populaire
Déployer de premières équipes de police de proximité, interdire les LBD et les grenades mutilantes, et démanteler les BRAV-M
Retrouver la paix en Kanaky-Nouvelle Calédonie
Abandonner le processus de réforme constitutionnelle visant au dégel immédiat du corps électoral. C’est un geste fort d’apaisement qui permettra de retrouver le chemin du dialogue et de la recherche du consensus. À travers la mission de dialogue, renouer avec la promesse du « destin commun », dans l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa et d’impartialité de l’État, en soutenant la recherche d’un projet d’accord global qui engage un véritable processus d’émancipation et de décolonisation.
Mettre à l’ordre du jour des changements en Europe
Refuser les contraintes austéritaires du pacte budgétaire
Proposer une réforme de la Politique agricole commune (PAC)
Les grandes orientations pour répondre à « l’urgence de la paix »
Plusieurs mesures sont proposées visant à répondre à cette urgence, autour de trois axes :
Promouvoir une diplomatie française au service de la paix
Agir pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza et pour une paix juste et durable
Défendre l’Ukraine et la paix sur le continent européen
Le programme du Nouveau Front Populaire s’articule autour de trois temps :
15 premiers jours : la rupture. « Une seule priorité pour le gouvernement du Nouveau Front Populaire dès son installation : répondre aux urgences qui abîment la vie et la confiance du peuple français. Nous en finirons avec la brutalisation et la maltraitance des années Macron. Nous adopterons immédiatement 20 actes de rupture pour répondre à l’urgence sociale, au défi climatique, à la réparation des services publics, à un chemin d’apaisement en France et dans le monde. Pour que la vie change dès l’été 2024. »
100 premiers jours : l’été des bifurcations. « Passés les 15 premiers jours, une session extraordinaire s’ouvrira à l’Assemblée nationale, où les groupes du Nouveau Front Populaire sont majoritaires, puis une seconde à la rentrée, après la fin des Jeux Olympiques et Paralympiques. Le Parlement tient une place beaucoup plus importante dans le type de gouvernement promu par le Nouveau Front Populaire. Les députés sont particulièrement associés et/ou à l’initiative de 5 paquets législatifs pour amorcer les grandes bifurcations dont le pays a besoin. D’abord, à la suite des mesures d’urgence par décret, la présentation d’une grande loi permet de rattraper et d’améliorer la situation sociale des Français grandement paupérisés par 7 ans de macronisme et 3 ans d’inflation. Deux grandes lois permettront d’entamer la reconstruction des deux services publics les plus cruciaux : santé et éducation. Une loi énergie climat permettra de jeter les bases de la planification écologique. Enfin, le premier projet de loi de finances rectificative sera présenté pour abolir les privilèges des milliardaires. »
Les mois suivants : les transformations. « Une fois ces grands chantiers lancés, tout reste à faire pour tout changer ! Ce sera la tâche du gouvernement et des députés du Nouveau Front Populaire, en lien constant avec la société mobilisée, notamment les syndicats, associations, collectifs. L’ambitieux programme législatif de transformation que le Nouveau Front Populaire se fixe pour les mois suivants est largement issu des propositions et revendications produites par cette société mobilisée. Sa cohérence globale c’est l’application pleine et entière du programme suivant : liberté, égalité, fraternité. Son cap c’est l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. »
Dans le préambule de ce programme, les formations de gauche expliquent : « Le Nouveau Front Populaire rassemble des femmes et des hommes issus d’organisations politiques, syndicales, associatives et citoyennes qui s’unissent pour construire un programme de rupture avec la politique d’Emmanuel Macron, répondant aux urgences sociales, écologiques, démocratiques et pour la paix.
Nous combattons le projet raciste et de casse sociale de l’extrême droite et voulons l’empêcher d’arriver au pouvoir. Nous refusons les attaques contre nos libertés démocratiques et la répression vis-à-vis des forces sociales et associatives, particulièrement bafouées ces dernières années.
Nous luttons contre la multiplication des discours de haine et contre la prolifération des menaces et des violences qui abîment notre démocratie.
C’est pourquoi notre majorité et nos parlementaires s’engagent à porter ces principes éthiques tout au long de la mandature en refusant la diffusion de fausses informations, la calomnie, le cyberharcèlement, et les incitations à la haine, y compris sur internet.
En donnant une majorité de députés au Nouveau Front Populaire, les Françaises et les Français écriront une nouvelle page de l’histoire de France. »
mise en ligne le 13 juin 2024
Youmni Kezzouf et Mathias Thépot sur www.mediapart.fr
Jordan Bardella ne veut plus abroger la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, revenant sur une promesse du mouvement d’extrême droite. Une nouvelle preuve du glissement néolibéral du programme économique du RN qu’il n’assume pas encore clairement.
Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. En l’espace de quelques jours, les cadres du Rassemblement national (RN) ont de nouveau illustré la capacité de leur mouvement à dire tout et son contraire en matière d’économie, cette fois-ci au sujet de l’abrogation de la réforme des retraites de 2023 d’Emmanuel Macron repoussant l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Réforme combattue farouchement par les député·es RN à l’Assemblée nationale.
Dans la droite ligne du programme de Marine Le Pen en 2022, qui refusait tout allongement de l’âge de départ, le député RN Thomas Ménagé déclarait lundi 10 juin sur BFMTV, au lendemain de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron : « Nous reviendrons sur la réforme injuste des retraites portée par Emmanuel Macron. »
Et de préciser qu’en cas d’accession du parti xénophobe à Matignon, « il y aura une réforme juste, celle que Marine Le Pen proposait pendant la présidentielle, que [le RN a] proposée dans l’hémicycle, lors du débat des retraites il y a quelques mois », soit concrètement le retour à la retraite à 60 ans pour les personnes entrées dans la vie active avant l’âge de 20 ans.
Mais le lendemain, questionné sur RTL sur une éventuelle abrogation de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, le président du RN, Jordan Bardella, s’est montré beaucoup plus mesuré : « Nous verrons... J’ai la lucidité et l’honnêteté de dire aux Français que la situation économique dont nous allons hériter dans un pays qui pulvérise sous Emmanuel Macron les records de déficits commerciaux, de déficits publics et de dettes, sera compliquée. »
Au journal Le Monde, Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée, a même confirmé que le retour à la retraite à 60 ans pour les personnes ayant travaillé avant 20 ans, l’une des mesures phares du programme de Marine Le Pen de 2022, ne figurerait pas dans la plateforme programmatique du parti pour les prochaines élections législatives. Un sacré rétropédalage !
En façade, le Rassemblement national explique son revirement par la situation dégradée des finances publiques laissée par le chef de l’État. « L’ardoise d’Emmanuel Macron va être terrible », prévenait Sébastien Chenu sur le plateau de CNews mardi. Mais l’argument est un peu court. Et ce, pour une raison simple : le niveau élevé du déficit public ne date pas d’hier.
Lorsque le RN proposait il y a peu l’abrogation de la réforme Macron de 2023, les finances publiques étaient sensiblement dans le même état qu’actuellement. Il y a certes eu, fin mars, une réévaluation à la hausse du déficit public par l’Insee de 4,9 % à 5,5 % du PIB pour 2023. Mais avouons qu’il en faut tout de même peu pour que le RN tourne casaque et perde de vue ses supposés grands principes sociaux.
Alliance avec LR
Une raison plus évidente au revirement du Rassemblement national sur les retraites est la perspective d’une alliance électorale pour les législatives avec le parti Les Républicains (LR) annoncée mardi 11 juin par son président Éric Ciotti – depuis exclu du parti. Les LR militent historiquement pour les réformes néolibérales, dont le recul de l’âge de départ à la retraite à 65 ans.
Pour le RN, il faut donc montrer patte blanche auprès d’un parti qui juge sévèrement les positions économiques du mouvement d’extrême droite. Pour preuve le 23 mars, sur la scène d’un meeting de sa tête de liste François-Xavier Bellamy, Éric Ciotti n’avait pas de mots assez durs sur le programme de celui qui est désormais son allié. « N’égarez pas votre vote au Rassemblement national !, exhortait-il. Ils accentueraient la dégringolade financière et budgétaire avec leur programme économique qui réhabilite l’assistanat. Ils nous isoleraient davantage dans le monde. »
Pour ne pas brusquer les LR, le député RN Julien Odoul tempérait lui aussi mercredi sur France Info l’idée de s’accrocher coûte que coûte à l’abrogation de la réforme des retraites de Macron : « Quand vous constituez un gouvernement d’union nationale, vous mettez autour de la table des gens qui ne pensent pas tous la même chose, a-t-il argué. Notre combat pour une retraite juste avec départ à 60 ou 62 ans, nous y sommes profondément attachés. Mais dans le cadre de cette union, l’objectif, c’est de se rassembler sur des points qui font consensus avec Les Républicains. »
Et le député RN de lister le « grand nombre de points d’accord » qu’il partage avec LR sur les questions d’autorité ou d’immigration. Certes, pour connaître clairement les points d’accord sur le terrain économique, il faudra repasser.
Peut-être en apprendrait-on davantage si le programme économique du RN, préparé par le député Jean-Philippe Tanguy, chargé de ces questions au parti, et censé être prêt depuis le mois de janvier, était publié. Interrogée sur TF1 sur l’imminence de cette publication avant le scrutin du 30 juin, Marine Le Pen a répondu... par un éclat de rire : « On pourrait le publier, mais la réalité, c’est que le président de la République a choisi vingt jours pour ces élections, nous allons concentrer nos efforts sur des propositions très claires issues de notre projet. »
À droite en économie
Du reste, il y a fort à parier que le prochain millésime économique du RN sera plus libéral que le précédent qui avait été publié pour l’élection présidentielle de 2022 ; le programme de 2022 ayant été lui-même plus libéral que celui de 2017. La prise de position récente de Jordan Bardella sur le sujet des retraites est, de ce point de vue, cohérente avec la droitisation des propositions économiques du RN.
Rappelons que les mesures empruntées à la gauche – retraite à 60 ans pour tous, défense des 35 heures, sauvegarde du statut de la fonction publique, remise en cause de la loi travail –, qui avaient permis au parti d’extrême droite de gagner un électorat populaire en 2017, n’avaient pas été préservées dans le programme de 2022.
Outre les mesures économiques xénophobes de « préférence nationale » pour l’attribution des aides sociales – qui sont une constante à travers les années chez le RN –, le programme économique de 2022 faisait en effet la part belle aux baisses d’impôts (TVA, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, impôt sur l’héritage, etc.) et de cotisations sociales. Des mesures que des partis comme LR ou LREM n’auraient pas reniées.
Une critique macroniste à côté de la plaque
Plutôt que d’élaborer une critique clinique de la faisabilité des propositions économiques du Rassemblement national (RN), la Macronie préfère lui intenter un procès… en socialisme. Il fallait oser. « Votre programme économique est le plus marxiste qui n’ait jamais été proposé en France depuis une quarantaine d’années », martelait le 4 juin dernier Bruno Le Maire à l’Assemblée nationale à l’endroit des député·es RN, entretenant le confusionnisme le plus total : il n’est jamais question, ni de près ni de loin, de lutte des classes dans le programme économique du parti d’extrême droite.
L’exécutif aurait pu axer sa critique sur les propositions indignes du RN visant à instaurer la « préférence nationale » pour l’attribution des aides sociales. Que nenni ! Il préfère cibler les rares mesures d’inspiration de gauche reprises par l’extrême droite : la nationalisation des autoroutes et la restauration de l’âge de la retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans. « Comment financeront-ils ce qu’ils ont proposé, la fin de la réforme des retraites et les 60 ans ? La renationalisation des autoroutes et tant et tant de réformes ? », a fait mine de questionner Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse qui s’est tenue le mercredi 12 juin. À chacun ses combats…
Des propositions réellement de « gauche », il ne restait dans le programme de 2022 du RN que la nationalisation des autoroutes et le retour de l’âge du départ à la retraite – certes édulcoré par rapport à 2017 – à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans.
Depuis lors le RN poursuit, discrètement mais sûrement, la droitisation de son discours économique, se rapprochant de plus en plus des positions du parti présidentiel. Il n’y avait qu’à voir la campagne de Jordan Bardella pour les élections européennes, durant laquelle il a tout fait pour plaire aux lobbys économiques.
À chaque intervention face à une fédération patronale, il multipliait les phrases de type « économiquement, je suis raisonnable » ou « il faut que le décideur politique ait conscience qu’il ne sait pas mieux que le chef d’entreprise ». Difficile de faire plus pro-business.
« On m’a fait savoir que je devais rassurer les milieux économiques », assumait-il face aux dirigeants du Mouvement des entreprises de France (Medef), leur assurant qu’il était « pro-start-up », pro « croissance » et même favorable à l’union des marchés de capitaux en Europe. Voilà qui a (enfin) le mérite de la clarté.
mise en ligne le 12 juin 2024
par Maël Galisson sur https://basta.media/
Les succès électoraux des partis d’extrême droite en Europe, et la perspective d’une victoire de Marine Le Pen en France en 2027, vont-ils contribuer à « libérer » encore plus la violence des groupes racistes ? Le chercheur Jean-Yves Camus répond.
Jean-Yves Camus est directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès.
Basta! : Quelle lecture faites-vous de cette série d’actes violents perpétrés par l’extrême droite en Bretagne depuis fin 2022 ?
Jean-Yves Camus : Ces évènements détonnent un peu dans une région qu’on a souvent décrite comme étant moins perméables que les autres régions de France au Front national (FN), devenu Rassemblement national (RN). Dans une partie de la Bretagne, il y a une tradition de gauche assez vivace. Je pense par exemple à Saint Brieuc, dans les Côtes d’Armor, où l’extrême droite s’est pourtant manifestée de manière violente à plusieurs reprises ces derniers mois. Dans les années 60/70, Saint-Brieuc a été une des rares municipalités tenues par le Parti socialiste unifié (PSU), symbole d’une « Bretagne rouge » qu’on retrouve encore par exemple avec le maire de Carhaix.
Ceci étant, il s’est effectivement déroulé récemment toute une série d’évènements extrêmement importants en Bretagne, en particulier cette campagne d’intimidations des élus de la mairie de Callac qui a abouti au retrait du projet d’implantation de familles de réfugiés. Face à la pression des manifestations, face à la tournure médiatique que prenait l’affaire et aux menaces proférées sur les élus, la mairie a fini par jeter l’éponge. Je pense que ça a été perçu par l’extrême droite comme une première brèche dans laquelle il fallait s’enfoncer. La seconde brèche, c’est ce qu’il s’est passé à Saint-Brévin-Les-Pins[Début 2023, le projet d’ouverture d’un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) à Saint-Brévin-les-Pins (44) a suscité une violente opposition alimentée par de nombreuses organisations d’extrême droite, parmi lesquelles le parti d’Éric Zemmour, Reconquête !. Cette violence a culminé le 22 mars 2023 quand le domicile du maire, Yannick Morez, a été la cible d’un incendie volontaire, entraînant la démission de l’élu.]].
Comment caractériser les groupes à l’origine de ces violences ? Peut-on distinguer des différences idéologiques, des stratégies et modalités d’actions différentes ?
Jean-Yves Camus : Le mouvement antifasciste a réalisé une cartographie assez précise des groupes d’extrême droite radicale, qui se sont multipliés depuis les différentes vagues de dissolution en 2013, en 2019 et 2021.
En Bretagne, ce qui me frappe quand on regarde cette carte, c’est qu’il existe désormais non seulement des groupes assez conséquents dans les deux grandes métropoles que sont Nantes et Rennes, mais également dans des villes plus modestes, telles que Vannes, où s’est implanté le groupuscule An tour-tan. Par ailleurs, des membres de l’ex Alvarium, désormais Rassemblement des Étudiants de Droite (RED) basé à Angers, viennent très souvent intervenir en Bretagne.
Il y a également des actions disséminées un petit peu partout sur le territoire breton, notamment par exemple à Lorient ou à Saint Brieuc. Il s’agit-là d’un phénomène assez nouveau. Saint-Brieuc est une ville sans tradition d’extrême droite. Pourtant, ces derniers mois, plusieurs lieux alternatifs ont été confrontés à des agressions de cette mouvance.
Violences d’extrême droite
Basta! a recensé une cinquantaine d’exactions de janvier 2023 à mai 2024 commises en Bretagne et Loire-Atlantique. Elles sont classées en quatre catégories, par ordre de gravité, des tags racistes ou néo-nazis aux violences physiques, en passant par les menaces et les incendies (contre la maison d’un élu) et tentatives d’incendie (contre des mosquées notamment).
On peut distinguer un certain nombre de « sous familles » dans cette extrême droite radicale. Il existe des groupes issus de scissions de l’Action Française, en particulier représentés par L’Oriflamme à Rennes et par Korser à Nantes. On recense également des groupes de hooligans politisés relativement actifs, notamment à Rennes.
Il y a aussi un petit milieu d’extrême droite dont la base idéologique reste l’autonomisme breton, qui s’est compromis de manière conséquente dans la collaboration avec l’Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale. Le Parti National Breton (PNB) se raccroche à ce courant et est toujours actif dans la région.
Une des autres particularités de l’ouest de la France, ce sont les catholiques intégristes. On retrouve ainsi des traditionnalistes restés fidèles à Rome, tels que la Fraternité Saint-Pierre, qui en général ne s’engagent pas dans des actions violentes, mais aussi des traditionnalistes de la Fraternité Saint-Pie X, ainsi qu’une implantation de Civitas (dissoute en août 2023), qui eux sont davantage portés sur l’action militante.
Et puis sont présents également des sédévacantistes, qui considèrent que le trône pontifical est vacant depuis Pie XII [décédé en 1958, dont le pontificat a été très critiqué pour sa complaisance vis à vis du fascisme et du nazisme, ndlr] et que tous les papes ultérieurs ont été élus de manière illégitime. Ils ne sont pas très nombreux, mais ils sont très nettement surreprésentés dans les départements d’Ille-et-Vilaine et des Pays-de-Loire, notamment dans la région nantaise. Leurs fils de discussion Telegram sont particulièrement actifs et guère sympathiques.
Le site internet Breizh info, qui se présente comme un média, a pris également de l’ampleur ces dernières années et contribue à la visibilité de toute cette mouvance.
Que permet ce type d’actions violentes ? Est-ce une manière de recruter de nouveaux militants ?
Jean-Yves Camus : Incontestablement, ce genre d’actions leur donne de la visibilité. Certains groupes décident aussi d’investir un « lieu de vie » afin de faire de la formation militante, à l’image par exemple de ce qu’ont fait les militants de l’Alvarium à Angers ou du Bastion social à Lyon. Il s’agit de lieux de rencontres, d’échanges et de projections qui visent à rompre avec la routine sectaire consistant à ne se réunir qu’entre-soi mais, au contraire, cherche à recruter de nouveaux militants à l’extérieur.
Quels liens existent entre cette série d’actes violents et des partis tels que Reconquête ! ou le Rassemblement National ?
Jean-Yves Camus : Reconquête ! s’est greffé très rapidement sur les manifestations de Callac et de Saint-Brévin, avant de s’éclipser – a priori suite aux consignes de la direction du parti – après l’incendie volontaire dont a été victime le maire, Yannick Morez.
Dans sa logique de dédiabolisation, le Rassemblement National s’est tenu à l’écart. Après, je ne dis pas qu’aucun militant ou sympathisant du RN n’est venu participer, mais pour le RN, il n’y avait aucun intérêt à ce que ses militants affichent leurs couleurs dans le cadre de manifestations assez peu maîtrisables.
Est-ce que ce phénomène de violences de l’extrême droite se retrouve ailleurs, en France ou en Europe ?
Jean-Yves Camus : En France, on observe une augmentation des attaques de l’extrême droite, dans la région lyonnaise notamment, mais aussi à Bordeaux, où le groupuscule Bordeaux nationaliste a été dissous début 2023, ou encore à Paris, où des actions violentes en marge du match de foot France-Maroc ont toutefois pu être empêchées grâce à l’intervention des forces de l’ordre.
Au niveau européen, en particulier en Pologne, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France, on observe une montée des intimidations à l’encontre des élus provenant, notamment mais pas uniquement, de groupes nationalistes et xénophobes qui les interpellent sur des questions d’immigration et de droit d’asile.
Toutefois, la situation varie selon les pays. En Allemagne, l’État est dans une optique de répression systématique. Les mesures de surveillance ont ainsi été renforcées autour de l’Alternative für Deutschland (AFD), qui est pourtant un parti politique légal et représenté au Bundestag et au Parlement européen.
Dans d’autres pays, la réaction est beaucoup plus faible. En Grèce, où l’Aube Dorée était devenue un véritable gang criminel qui n’hésitaient pas à tuer un certain nombre de ses adversaires politiques, l’État a fini par reprendre la main. Un certain nombre des dirigeants de ce groupe ont été condamnés. Malgré cela, depuis leur cellule, les dirigeants tentent de relancer leur mouvement.
La possible perspective d’une victoire du RN lors des élections législatives début juillet, voire de Marine Le Pen à la présidentielle de 2027 risquerait-elle de libérer encore davantage cette violence des groupes fascistes ?
Jean-Yves Camus : Un tel évènement pourrait avoir un effet de décompensation chez des militants actifs depuis longtemps, qui ont rongé leur frein depuis des années sans réussir à conquérir le pouvoir et qui sont plein de hargne envers leurs adversaires, dont la liste est longue : les « gauchistes », les personnes LGBTQI+, les immigrés, les Juifs, les magistrats… Certains militants seront peut-être effectivement tentés de se dire : « On a le champ libre ».
Cette liste sans fin d’ennemis illustre une vision du monde totalitaire et paranoïaque. Rien d’autre qu’eux n’a le droit de s’exprimer librement.
L’État use de dissolutions et d’interdictions de colloques, de concerts et autres évènements pour lutter contre ces groupes. Mais une fois dissous, ces groupes se reconstituent aussitôt sous un autre nom. Par ailleurs, ces séries de dissolutions et d’interdictions mettent « une pression sous le couvercle de la cocotte-minute » qui pourra s’avérer un jour difficile à gérer. Le nombre de personnes appartenant à ces groupes d’extrême droite est estimé à environ 3500 personnes, dont 1300 fichés S. C’est loin d’être sans importance.
mise en ligne le 11 juin 2024
Pierre Jacquemain sur www.politis.fr
Après le score historique de l’extrême droite aux européennes, l’heure est à la mobilisation. Il reste deux semaines pour expliquer le danger républicain du RN et faire émerger un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, ramenant les citoyens vers un chemin d’espoir.
Un espoir nommé Front populaire Front populaire : naissance d’un accord, renaissance de l’espoir Face à l’extrême droite, un bloc syndical et citoyen déterminé
Macron, démission ? Et si le président ne finissait pas son second mandat
Interrogeons-nous sérieusement un instant : qui aurait le plus à craindre d’un gouvernement dirigé par une probable coalition allant de Jordan Bardella à Marion Maréchal en passant par Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau ? Si l’on en juge les expériences politiques de nombreux pays dirigés par l’extrême droite, les femmes, les étrangers, les jeunes, les pauvres, les racisés, les militants écologistes et syndicaux, les personnes LGBTI seraient les principales victimes de cette coalition.
Comment expliquer, alors, que les ouvriers de France ont voté à 52 % pour le RN aux élections européennes – même si le RN arrive en tête désormais dans toutes les catégories socioprofessionnelles ? Comment comprendre que les jeunes sont toujours plus nombreux qu’aux élections précédentes à voter pour eux – avec + 11 % ? Ou encore que les femmes, qui ont toujours moins voté pour les partis d’extrême droite, soient aujourd’hui 32 % à leur faire confiance – c’est dix points de plus qu’en 2019 ?
TikTok, le réseau social où Bardella semble séduire une partie de la jeunesse, n’est pas une explication à la hauteur du succès. Pas plus que la sympathie de Marine Le Pen pour la famille des félidés. Les raisons sont à chercher ailleurs, et il se peut qu’elles se situent entre colère sociale et ressentiment d’une grande partie de la population qui ne considère plus la gauche et les écologistes comme porteurs d’un projet émancipateur qui réponde à ses attentes.
Dans un excellent article de nos amis de Basta !, les régimes hongrois et polonais sont décrits comme le modèle de ce qui pourrait nous arriver en France : contrôle de la justice, de la presse et des arts par le gouvernement, attaques contre les ONG, racisme et xénophobie d’État, remises en cause des libertés et droits fondamentaux, enfermement systématique des exilés. On peut aussi aller faire un tour du côté de l’Italie pour voir comment sa nouvelle égérie, Giorgia Meloni, a supprimé les minima sociaux et expédié durablement plusieurs millions de personnes dans la misère.
Sur le même sujet : En Italie, l’extrême droite accable les pauvres
Pas franchement les amis des plus faibles, les copains de Marine Le Pen. Pas plus les amis des femmes, en ouvrant la voie aux anti-IVG dans les hôpitaux. Ou encore des homosexuels, en interdisant par exemple aux autorités locales d’enregistrer à l’état civil les enfants de couples gays et lesbiens. Les intellectuels et la culture sont pareillement dans le viseur de Meloni, qui assume mener une guerre civilisationnelle, à l’instar de Viktor Orbán ou encore Javier Milei en Argentine qui, après six mois de pouvoir, a vu la moitié de sa population plonger dans la pauvreté.
Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République.
Mais alors, se peut-il que près de 40 % des électeurs soient à ce point naïfs quant au sort qui les attend en plébiscitant celles et ceux qui légiféreront contre leurs intérêts ? Non, et le croire serait une erreur, de même que penser qu’il y aurait 40 % de xénophobes en France serait faire fausse route. La gauche et les écologistes devront s’interroger sérieusement sur leur abandon, parfois leur mépris, des classes populaires. Toute la gauche. Les partis, les syndicats, les intellectuels, les artistes, les associations.
Sur le même sujet : Front populaire : à gauche, la naissance d’un accord signe d’espoir
Mais l’heure est à la mobilisation. Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République. Pas seulement de marteler qu’il est d’extrême droite : cela ne suffit plus. Pas plus qu’il ne suffira de « faire barrage » – même s’il faut s’y résoudre partout où cela sera nécessaire, alors que le patron des LR Éric Ciotti annonce un accord avec le RN. Car au-delà du barrage, la perspective d’un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, peut ramener les citoyens vers un chemin d’espoir. Politis y prendra toute sa part.
mise en ligne le 10 juin 2024
Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr
Après la sidération, place à l’action. Au lendemain du coup de tonnerre de la dissolution, annoncée par Emmanuel Macron, la mobilisation est engagée pour mettre en échec le RN. La société civile entend bien se faire entendre : personnalités du monde du travail, de la culture, syndicalistes, militants associatifs multiplient les appels à une union de la gauche.
Beaucoup appréhendaient le jour où l’extrême droite se hisserait aux portes du pouvoir. Ce moment tant redouté est arrivé. Mais après le choc du score de l’extrême droite au scrutin européen du 9 juin et la stupéfaction suscitée par Emmanuel Macron avec l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, l’heure est à l’action.
Alors que les formations de gauche cherchent le chemin d’un rassemblement, avec l’horizon d’un « front populaire » aux élections législatives anticipées du 30 juin, la société civile n’entend pas rester spectatrice.
C’est le sens de l’appel lancé par 350 personnalités du monde politique, intellectuel, militant et artistique, parmi lesquelles Julia Cagé, Esther Duflo, Didier Fassin, Hervé Le Tellier, Lydie Salvayre, Cyril Dion ou encore Ariane Ascaride, paru dans le Monde, le 10 juin. « Les partis politiques n’y arriveront pas seuls. Il faut que les citoyens et citoyennes s’en mêlent pour qu’une dynamique de mobilisation voie le jour », écrivent-ils, dans cette tribune intitulée « L’union des gauches et des écologistes, maintenant ! »
Devant le constat d’échec de la gauche, qui vient de démontrer que lorsqu’elle est désunie, elle ne pèse guère, la société civile appelle à faire bloc. « L’extrême droite arrive toujours au pouvoir quand la gauche est divisée », déclarait il y a quelques semaines Sophie Binet. L’histoire lui a malheureusement donné raison.
Dimanche soir, sur le réseau social X, la secrétaire générale de la CGT n’a d’ailleurs pas manqué de pointer la responsabilité du président de la République : « L’extrême droite atteint ce soir un niveau record. Emmanuel Macron en porte la première responsabilité et joue avec le feu en organisant des élections en moins de trois semaines. »
« Je ne veux pas avoir peur »
Comme souvent, les premiers à avoir réagi sont les jeunes, qui dès l’annonce de la dissolution de l’Assemblée, dimanche soir, se sont rassemblés place de la République, à Paris. Pancartes en main, certains d’entre eux ont escaladé la statue centrale pour y inscrire au feutre noir les slogans « Union des gauches » et « Union contre le capital et le fascisme ».
Pour la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), l’Unef (Union nationale des étudiants de France) et les manifestants présents, affiliés ou non à une organisation, l’objectif était le même : lancer un appel populaire exhortant les formations de gauche à se rassembler. « Si je suis venue ce soir, c’est parce que je ne veux pas avoir peur. J’ai besoin de me sentir entourée, de chanter et de crier », confie Shania, qui a voté dimanche pour la première fois.
« Les jeunes doivent continuer à se mobiliser. Cette jeunesse est en colère. Elle a honte de ce qui s’est passé ce soir », témoigne la secrétaire générale de l’Unef, Hania Hamidi, en appelant à la mobilisation dans la rue et dans les urnes pour « sortir du libéralisme et du fascisme que Macron instaure ».
Venu dire sa colère lors de ce rassemblement spontané, Paul n’a qu’un mot à la bouche : le sursaut de la gauche. « Nous avons besoin de mettre en avant nos idées communes : politiques sociales, environnementales, messages forts pour la paix. »
Les partis invités à « mettre leurs divergences de côté »
Malgré les dissonances à gauche, tous appellent, pour contrer le RN, à faire cesser les querelles entre les différents partis. Triste mais pas résigné, Fouad supplie les rivaux de gauche de « mettre leurs divergences et leur ego de côté » pour convaincre ceux qui se sont abstenus ou même qui se sont tournés vers l’extrême droite. « Les Français, notamment les jeunes, sont en perte de repères politiques. Certains se tournent vers des partis qui promettent monts et merveilles, mais qui ne tiendront pas leurs promesses une fois au pouvoir. »
Les craintes sont largement partagées. Certains sont gagnés par le doute, comme l’agriculteur Cédric Herrou, militant de la solidarité avec les migrants, qui attend de voir : « Je les jugerai en fonction de leur capacité au sacrifice pour l’intérêt commun. »
D’autres, comme le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), lancent un appel très concret : « Dans chaque circonscription, il ne doit y avoir qu’un seul candidat de notre camp, celui de ceux qui se sont opposés à la loi travail, à la réforme des retraites, à la loi asile et immigration, à la casse de l’assurance- chômage. » « Séparés, nous ouvrons la voie du pouvoir à l’extrême droite », prévient la tribune publiée dans le Monde.
Sollicité par l’Humanité, l’écrivain Laurent Binet ne dit pas autre chose : « Il revient à une gauche divisée d’essayer de sauver ce qui peut l’être encore, à savoir, pour aller vite, un État de droit qui tienne à peu près debout. (…) Cette fois, sans vouloir être trop grandiloquent, c’est vraiment l’union ou la mort. Il va donc falloir se mettre d’accord très vite. »
Depuis dimanche soir, des personnalités de tous horizons, de Greenpeace au collectif #NousToutes, s’expriment en faveur d’un front uni de la gauche pour un projet de justice féministe, sociale, antiraciste, écologiste.
Le mouvement social s’inscrit dans cet élan. « Pour battre l’extrême droite, le monde du travail a besoin d’espoir et de perspectives en rupture avec la politique d’Emmanuel Macron. Il faut répondre à l’urgence sociale et environnementale, avec des propositions fortes pour augmenter les salaires et les pensions, défendre notre industrie et nos services publics, et gagner le droit à la retraite à 60 ans », invite la CGT. La CFDT appelle elle aussi « plus que jamais à combattre l’extrême droite ». L’intersyndicale devait se réunir ce lundi soir pour décider de la marche à suivre.
« En nous serrant les coudes, nous pouvons gagner »
Pour tous, la menace de l’extrême droite au pouvoir n’est pas une fatalité. « Si les bonnes volontés parviennent à lever ces obstacles, alors rien n’empêche de transformer la crise dans laquelle le macronisme nous a plongés en opportunité », écrit avec espoir Laurent Binet, dans une allusion à février 1934 : « Les ligues fascistes défilaient dans les rues mais le fascisme n’était pas une fatalité puisque, deux ans plus tard, advenait le Front populaire. »
Chez Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac et cofondatrice du collectif Les Rosies, l’optimisme est aussi de mise : « Dans ces heures sombres, la sidération ne doit pas prendre le dessus. Car tout n’est pas perdu, loin de là : en nous serrant les coudes, nous pouvons gagner. Les forces politiques et sociales de gauche ont une responsabilité historique. »
mise en ligne le 9 juin 2024
par Nicolas Framont sur https://www.frustrationmagazine.fr/
On s’étonne souvent de la faiblesse du taux de syndicalisation en France – environ de 8 % dans le secteur privé et 18 % dans le public – en mettant ce faible engagement sur le compte du « repli individualiste » ou de « l’atomisation des collectifs de travail ». Ces deux idées reçues ne suffisent pas à expliquer ce phénomène de baisse de la syndicalisation, qui était de 30% au début des années 50. D’abord, une grande partie du salariat du privé reste subordonné à de grandes entreprises, et il en va de même des fonctionnaires qui évoluent dans d’importantes structures (administration, hôpitaux etc.). Ensuite, si le mode de management agressif et individualisant joue un rôle important dans la peur de se syndiquer, si les compromissions répétées de plusieurs grands syndicats avec le gouvernement et le patronat explique aussi le manque de confiance que les citoyens ressentent envers eux (40% ont confiance dans les syndicats selon la dernière étude du CEVIPOF, loin devant les partis politiques à 20%), il y a une explication qui est nettement moins mise en avant, et qui dit pourtant beaucoup de l’époque autoritaire dans laquelle nous vivons : les discriminations, violences et intimidations judiciaires dont sont victimes les syndicalistes dans ce pays. Loin d’être un phénomène isolé, ces comportements anti-syndicaux sont devenus, de la part des directions d’entreprise, de véritables stratégies, avec la bénédiction de l’Etat, comme en témoigne le succès du hashtag StopDictaturePatronale sur les réseaux sociaux.
1 – Le capitalisme s’est construit contre les syndicats
Ce n’est pas quelque chose que l’on apprend à l’école mais la Révolution Française, si elle a permis de nouvelles libertés publiques dans la sphère privée et politique, a réduit les libertés des travailleuses et travailleurs. En effet, la montée en puissance de la classe bourgeoise – très largement représentée parmi les députés du tiers état qui étaient majoritairement des professions libérales – provoque en 1791 l’adoption de la loi « Le Chapelier », du nom de l’avocat breton l’ayant défendue. Cette loi met fin en quelques mois au système des corporations qui organisait le travail depuis le moyen-âge, avec des règles de métiers, d’apprentissage, de concurrence… et interdit au passage tout groupement professionnel, tout syndicat naissant et le droit de grève. Cette loi radicale est votée en réaction aux revendications salariales qui s’étendent dans tout le pays parmi le groupe montant des ouvriers et des petits artisans : ils réclament de meilleurs salaires et commencent à développer des sociétés de secours, c’est-à-dire des organismes d’entraides, ancêtre des mutuelles et de la sécurité sociale. Or, ce genre d’organisation est insupportable pour la bourgeoisie au pouvoir. Isaac Le Chapelier explique lui-même, devant la toute jeune Assemblée Nationale, le principe de sa loi :
« Il doit sans doute être permis à tous les citoyens de s’assembler ; mais il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s’assembler pour leurs prétendus intérêts communs ; il n’y a plus de corporation dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu, et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. […] Il faut donc remonter au principe que c’est aux conventions libres d’individu à individu à fixer la journée pour chaque ouvrier. »
Cette déclaration résume parfaitement l’idéologie bourgeoise du travail salarié telle qu’elle est encore en vigueur de nos jours : il y a d’un côté un intérêt général abstrait et de l’autre l’intérêt particulier de chaque individu. Il est fondamentalement intolérable de chercher à se rassembler entre semblables pour obtenir un rapport de force. C’est au nom de cette idéologie que les corporations sont interdites, puis les syndicats (il faudra attendre 1884 pour qu’ils soient à nouveau autorisés).
Contrairement à ce que l’on raconte dans les livres d’Histoire, il n’y a pas eu de « compromis ». Pas plus qu’il n’y eut de « Trente glorieuses » durant lesquelles la richesse créée en France et dans le monde aurait été miraculeusement partagée entre capital et travail.
Mais avec le développement de l’industrie qui se fait au détriment des travailleurs, l’organisation devient urgente pour faire face aux conditions de travail les plus déplorables : les combats du mouvement ouvrier font peu à peu disparaître le mythe du libre contrat passé entre un salarié et son patron. Quand, en 1906, l’immense catastrophe de Courrières – l’explosion d’une mine et la disparition de plus de 1 000 ouvriers – met en lumière l’immense responsabilité qu’a le patronat dans l’atteinte à la santé et à la vie des travailleuses et travailleurs, l’illusion ne tient plus, même aux yeux de la bourgeoisie intellectuelle.
Tout au long du XXe siècle, les conquêtes s’enchaînent, au terme de confrontations violentes où les travailleurs, organisés collectivement, se heurtent aux intérêts de la classe bourgeoise. Contrairement à ce que l’on raconte dans les livres d’Histoire, il n’y a pas eu de « compromis ». Pas plus qu’il n’y eut de « Trente glorieuses » durant lesquelles la richesse créée en France et dans le monde aurait été miraculeusement partagée entre capital et travail. Tout au long de cette période, la guerre des classes a fait rage et la bourgeoisie a perdu du terrain. Si elle en a beaucoup regagné ces dernières décennies, c’est notamment parce qu’elle a su neutraliser en partie la puissance du syndicalisme, et qu’elle continue de le faire.
2 – La violence envers les syndicalistes augmente…
À l’usine agro-alimentaire Neuhauser, située en Moselle, bastion ouvrier, Christian, délégué CGT et figure locale ayant participé à tous les combats sociaux des dernières années, est accusé par sa direction de “harcèlement moral” et menacé de licenciement. Il a été défendu par ses collègues, qui ont lancé plusieurs actions de grève, avant d’être réintégré sur demande de l’inspection du travail, qui a jugé que c’était le syndicaliste qui était visé par le licenciement, pas le salarié.
Le PDG de Neuhauser est Thierry Blandinières. Son groupe, InVivo, union de coopératives agricoles, compte 14 500 salariés, réalise 12,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans 35 pays et contrôle 40% des exportations de céréales françaises. Dans ce secteur, les conditions de travail sont particulièrement dégradées, et garantissent d’importants profits. En se syndiquant et en syndiquant ses collègues, Christian Porta est parvenu à obtenir d’importantes améliorations. Désormais, un tiers de l’usine est syndiqué. Autant dire qu’il a joué un rôle moteur dans la mise en place d’un collectif uni et combatif. On comprend pourquoi il est devenu l’homme à abattre.
En région parisienne, Mouloud, délégué syndical CGT dans un entrepôt de logistique de Geodis (filiale de la SNCF), a subi le même genre d’intimidation, avec des convocations répétées à des entretiens de licenciement. Depuis plusieurs années, il s’investit pour améliorer la protection de ses collègues contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, dans un secteur où le travail est dur, en partie nocturne, avec des installations anciennes. Il a participé au mouvement des gilets jaunes en 2018 et il a subi depuis d’importantes représailles.
En mai 2023, un délégué syndical de l’entreprise Vertbaudet, alors en plein mouvement de grève pour des augmentations de salaire, a été frappé, gazé puis séquestré, au cri de “sale gréviste”, dans un véhicule par des personnes se présentant à son domicile comme des policiers en civil, qui l’ont ensuite relâché, délesté de son portefeuille, dans la ville voisine, le tout en partie sous les yeux de son fils de 16 ans. Depuis, et malgré cette intimidation, les salariés de Vertbaudet ont obtenu victoire après plusieurs semaines de grève.
“Près d’une personne syndiquée sur deux déclare avoir été discriminée en raison de son activité syndicale au cours de sa vie professionnelle”. RAPPORT DU DÉFENSEUR DES DROITS SUR LA DISCRIMINATION SYNDICALE, 2019
Partout dans le pays, des syndicalistes subissent ce genre d’actions malveillantes de la part de leur direction. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, estime que nous vivons « un contexte de répression antisyndicale inédit depuis l’après-guerre ». Elle comptabilise « au moins 17 secrétaires généraux d’organisations CGT, convoqués du fait de leur qualité de secrétaire général » et qui ont fait l’objet de poursuites, et « plus de 1 000 militants de la CGT sont poursuivis devant les tribunaux ».
Dans sa dernière étude consacrée aux discriminations syndicales, le Défenseur des droits estime que “pour la population active comme pour les personnes syndiquées, la peur des représailles est la première cause explicative du non-investissement des salariés dans l’activité syndicale” puisque “près d’une personne syndiquée sur deux déclare avoir été discriminée en raison de son activité syndicale au cours de sa vie professionnelle”. D’après leur enquête, près de la moitié (46%) des personnes syndiquées estiment avoir déjà été discriminées au cours de leur carrière professionnelle en raison de leur activité syndicale. Pour 51% d’entre elles, leur activité a représenté un frein à leur évolution professionnelle. Plus de quatre personnes syndiquées sur dix (43%) estiment que les relations avec leur hiérarchie se sont dégradées en raison de leur activité syndicale. Cette tendance est plus marquée dans le secteur privé que dans le public, ce qui peut expliquer les différences de taux de syndicalisation entre les deux secteurs. C’est d’autant plus vrai que les fonctionnaires ont une certaine sécurité de l’emploi que les salariés du privé n’ont pas.
Dans un contexte économique précaire, avec une forte inflation et un chômage de masse, se syndiquer est donc perçu à juste titre comme quelque chose de risqué, qui peut empêcher toute promotion. L’étude du Défenseur des droits montre que près de la moitié des personnes syndiquées, qui ont des mandats (au Comité Social et Économique ou comme délégué syndical) ne bénéficient pas d’aménagement de leur charge de travail, contrairement à ce que prévoit le Code du travail. Parconséquent, se syndiquer a pour conséquence de les surcharger de travail.
3 – … parce que le patronat a peur (et il a raison)
Le syndicalisme demeure, pour les directions d’entreprise, le danger numéro 1. Car le 20e siècle a prouvé que si un partage de la richesse produite pouvait advenir, c’était d’abord du fait de leur action, avant même celle des partis politiques. En France en 1936, ce sont les grèves massives avec occupation d’usine qui ont permis des avancées sociales encore plus fortes que celles contenues dans le programme du Front populaire, élu la même année. Le patronat a plus perdu du fait des grèves de 1968 que de l’élection de François Mitterrand (qui, à terme, lui a fait beaucoup gagner). Encore aujourd’hui, partout dans le monde, les grèves permettent aux travailleurs d’obtenir davantage de progrès sociaux que les élections. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni comme au Bangladesh, ce sont des grèves massives, ces dernières années, qui ont permis d’obtenir des augmentations très significatives de salaires, même sous des gouvernements conservateurs ou dictatoriaux.
Si Le syndicalisme demeure, pour les directions d’entreprise, le danger numéro 1, c’est parce que le 20e siècle a prouvé que si un partage de la richesse produite pouvait advenir, c’était d’abord du fait de leur action, avant même celle des partis politiques.
Le patronat français a raison de craindre les syndicalistes car il commence à faire face à une remontée de la conflictualité au travail : en 2022, 2,4 % des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole (employant 25 % des salariés de ce champ) connaissent un ou plusieurs arrêts collectifs de travail. Cette proportion “augmente nettement”, nous indique la DARES (ministère du travail), de 0,8 point par rapport à 2021. D’une façon générale, sur le temps long, le nombre de jours de grève pour 1 000 salariés est relativement stable entre 2008 et nos jours, avec une remontée récente, donc. Par ailleurs, les études du ministère du travail montrent aussi que la conflictualité au travail permet d’obtenir des améliorations pour tout le monde. Investir collectivement dans une grève est donc très rentable pour les salariés.
Et pour cela, il faut des syndicalistes. Ces « grandes gueules » qui nourrissent la rébellion et le goût du mieux dans le cœur de leurs collègues, font peur au patronat. Donnons lui davantage de raisons de trembler : rejoignons-les.
mise en ligne le 8 juin 2024
Lola Ruscio sur www,humanite,fr
La gauche propose d’imposer les plus grosses fortunes dans chaque pays d’Europe, pour financer l’urgence sociale et la transition écologique. Plus de 200 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires pourraient être récupérés, selon une étude.
Cette idée fait (presque) l’unanimité à gauche. Alors que les ménages voient leurs factures s’envoler, mettre à contribution les grandes fortunes au niveau européen, au moment où celles-ci affichent des revenus insolents, est devenu un impératif, selon les insoumis, les écologistes et les socialistes. Ces derniers veulent créer un impôt sur la fortune (ISF) à l’échelle continentale.
Manon Aubry, cheffe de file des insoumis aux élections du 9 juin, table sur une taxe visant les « 1 à 2 % les plus fortunés ». Marie Toussaint, tête de liste des Écologistes, s’appuie pour sa part sur une étude réalisée en 2023 par son groupe au Parlement européen.
Celle-ci indique qu’une taxation de 0,5 % des plus riches, au sein de chaque État européen, rapporterait 213 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires, dont 65 milliards d’euros pour la France. Et Raphaël Glucksmann, qui porte la liste PS, participe à l’initiative citoyenne européenne « Tax The Rich », qui prévoit que « les contribuables dont le patrimoine dépasse 100 millions d’euros paient l’équivalent de 2 % de leur fortune en impôts en Europe ».
Empêcher une « concurrence fiscale délétère »
Les communistes, évidemment, veulent eux aussi taxer les plus gros patrimoines. Mais ils ne souhaitent pas que l’Union européenne puisse elle-même collecter l’impôt. Frédéric Boccara, économiste et candidat sur la liste PCF menée par Léon Deffontaines, voit dans la création d’un ISF européen une « fuite en avant vers le fédéralisme ». Il invite donc à ce que chaque pays s’entende pour se doter d’un ISF national.
Plutôt qu’une taxe continentale unique, le PCF prône une « convergence fiscale » vers le haut avec la mise en place de niveaux d’imposition plancher, dans le cadre d’une « Europe de coopération entre les peuples ». Il s’agit d’empêcher une « concurrence fiscale délétère » entre les États membres et de renouer avec le principe de subsidiarité régissant les relations au sein de l’UE. « En défendant un ISF européen, on passe à côté de certains enjeux. Il faut agir sur la Banque centrale européenne. Nous proposons de créer un fonds européen pour les services publics, qu’elle alimenterait avec sa création monétaire », plaide Frédéric Boccara.
Plus largement, toute la gauche déplore un traitement injustement différencié entre, d’un côté, une poignée d’ultraprivilégiés à qui l’on permet d’échapper à l’impôt, de l’autre, les citoyens ordinaires à qui l’on demande sans cesse des efforts supplémentaires. « Nous, ce que l’on veut montrer, c’est que l’Europe peut être un vecteur de progrès social et de justice », assure Raphaël Glucksmann.
« Les ultrariches ne sont quasiment plus taxés dans l’Union européenne », dénonce également sa colistière Aurore Lalucq, alors que, au-delà des particuliers, l’ensemble de la gauche appelle à ce que chaque pays taxe les superprofits des entreprises.
À droite, pas question de taxer les riches
Pour la droite, en revanche, il n’est pas question de renflouer les comptes en taxant le capital. À chaque fois que la question de l’ISF européen a été remise dans le débat des européennes, Valérie Hayer a refusé sa création. Ni la crise sanitaire, ni la flambée des prix, ni la montée de l’extrême droite, surfant sur les fractures sociales, ni le besoin de financer la transition climatique n’ont entamé ses certitudes.
Interrogée à ce sujet, le 21 mai, sur LCI, l’eurodéputée sortante estime que toute tentative d’harmonisation fiscale à l’échelle de l’Europe serait vouée à l’échec au motif que « les ultrariches iraient alors s’installer à Dubai ou ailleurs ». « Pour les faire rester en Europe, la taxation des ultrariches doit se faire au niveau international », assure-t-elle. Le premier problème, c’est qu’aucune étude économique ne valide les propos de la candidate sur une prétendue fuite des riches. Le deuxième, c’est que la Macronie fait tout pour éviter d’instaurer un ISF, qu’il soit national, européen ou international…
Reste à savoir que faire des recettes fiscales générées. Les très riches étant les plus gros pollueurs, Marie Toussaint souhaite les mettre à contribution avec un « ISF climatique ». « Il faut dégager des moyens publics d’investissement pour financer la transition écologiste », estime la tête de liste des Verts. Mais le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, fidèle défenseur des intérêts des milliardaires, écarte déjà toute possibilité de débat : « Un ISF vert qui toucherait 10 % des contribuables, je dis non. » Depuis le Parlement européen, la gauche devrait poursuivre le combat pour plus de justice fiscale.
mise en ligne le 7 juin 2024
Fabien Escalna sur www,mediapart,fr
Après des candidatures uniques aux législatives, était-il pertinent de présenter au moins quatre listes de gauche ? Les programmes révèlent des approches distinctes de l’intégration européenne, mais laissent penser que des regroupements étaient possibles.
En juin 2022, ils étaient quatre partis à avoir lié leur sort dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) : La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) et Les Écologistes. À l’approche du scrutin des européennes du 9 juin, les mêmes se présentent en ordre dispersé, malgré les espérances en faveur de l’union.
Les quatre listes concurrentes proposent quatre programmes différents, désormais disponibles et comparables. Ces textes reflètent des logiques de distinction visibles dans la campagne en cours mais aussi, plus profondément, des identités partisanes anciennes. En ce sens, la pluralité des listes à gauche n’est pas complètement artificielle. Néanmoins, des regroupements sur le fond auraient été possibles, permettant de minimiser le risque de « gâcher » des voix si des listes ne franchissent pas le seuil des 5 % de suffrages exprimés, indispensable pour obtenir des sièges.
Seuls deux types de rapport à l’Union européenne (UE) émergent. Sans surprise, les communistes et les Insoumis s’avèrent plus critiques que les socialistes et les écologistes, et moins favorables à la perspective d’approfondir l’intégration dans un sens supranational. Les premiers avaient d’ailleurs fait liste commune à l’époque du Front de gauche, en 2014, et font la même référence au « non » bafoué du peuple français au traité établissant une Constitution pour l’Europe, lors du référendum de 2005. Les seconds assument explicitement de vouloir des avancées fédérales.
En deçà de ces différences de conception de l’intégration, qui n’occupent pas le Parlement européen au quotidien, plusieurs propositions se retrouvent sur l’ensemble des listes. Leur existence est cohérente avec une homogénéité de vote assez élevée des eurodéputé·es français·es de gauche lors de la législature finissante, malgré leur appartenance à des groupes différents. C’est ce que remarquait la politiste Laura Chazel dans une note en faveur de l’union. Elle y repérait une « convergence » à l’œuvre sur toutes les questions, y compris institutionnelles, à rebours des oppositions caricaturales entre « eurosceptiques » et « proeuropéens ».
Des orientations communes
Les quatre listes partagent par exemple plusieurs revendications concernant les droits des femmes et des minorités sexuelles. Elles défendent l’inscription du droit à la contraception et à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, et la « clause de l’Européenne la plus favorisée », qui consisterait en un alignement contraignant des législations nationales sur les dispositions les mieux-disantes pour les femmes. Toutes les listes défendent également la reconnaissance des unions entre personnes de même sexe et des liens de filiation à travers toute l’UE, afin que couples et familles y circulent sans entrave.
La critique de la politique migratoire de l’UE les réunit aussi, notamment à travers la remise en cause de Frontex, qualifiée d’« agence meurtrière » par LFI. Les quatre programmes proposent de garantir le sauvetage en mer des exilé·es et évoquent « des voies légales et sécurisées » de migration. Une position qui peut sembler classiquement humaniste, mais qui fonde une opposition au pacte récemment adopté sur la question par l’UE, et se heurtera à la demande d’un nouveau tour de vis répressif de la part de quinze États membres.
L’ensemble de la gauche défend des projets pour davantage de justice fiscale.
Avec davantage de variations dans le détail et la radicalité des propositions, d’autres orientations communes sont repérables. Le libre-échange jusque-là pratiqué par l’UE est dénoncé, au profit d’une politique commerciale subordonnée à des objectifs écologiques, sociaux et de développement des pays tiers.
Les quatre listes se retrouvent aussi pour demander un rôle actif de la Banque centrale européenne (BCE) dans la transition écologique (à travers une sélectivité du crédit) et dans la libération des États membres de la dépendance aux marchés financiers (en prenant en charge directement une partie de leur endettement).
Toujours sur le terrain économique et social, l’ensemble de la gauche défend des projets pour davantage de justice fiscale, avec des impositions minimales ou supplémentaires des multinationales, des ménages les plus riches et des transactions financières. Tous les partis proposent aussi un changement de logique dans la politique agricole commune, pour garantir des revenus décents mais conditionner les aides, et mettre fin à leur biais en faveur des grandes exploitations. Enfin, sur le plan institutionnel, même les moins fédéralistes partagent l’exigence de plus de pouvoirs pour le Parlement européen vis-à-vis de la Commission.
Des priorités différentes
Cela étant dit, la rhétorique et les thèmes mis en avant par les quatre listes diffèrent assez nettement.
Les écologistes affirment d’emblée avoir été « les seuls à dire la vérité sur la crise environnementale ». Parmi leurs « dix combats pour la justice et le vivant », les cinq premiers concernent directement des politiques d’atténuation et d’adaptation au « nouveau régime climatique ». Si la guerre en Ukraine est mise en avant pour pointer les « dépendances énergétiques » de l’UE, c’est la pandémie du covid qui est surtout mobilisée pour légitimer un projet orienté vers « la pleine santé des personnes et la pleine santé de la planète ».
Favorables à un « saut fédéral » préparé par une « assemblée constituante », les écologistes espèrent carrément la mise en place d’une « armée européenne ». Le PS et Place publique se gardent bien d’aller jusque-là, mais ont choisi de dramatiser le scrutin autour de la capacité des démocraties libérales européennes à se protéger d’agressions extérieures et de leurs propres dérives internes.
« La première priorité, c’est de donner à l’Europe les moyens de se défendre », peut-on lire dans un programme qui plaide pour une « puissance écologique européenne » – notion défendue par Raphaël Glucksmann dans une longue tribune publiée par Le Grand Continent. Tout le texte peut être lu comme une façon de conjurer une situation dans laquelle « l’Europe est consommatrice de sécurité américaine, d’énergie qatarie ou saoudienne et de biens chinois ». Comme la liste des Écologistes, celle du PS souligne que les objectifs écologiques et sociaux sont aussi une manière de reproduire la viabilité et la légitimité de nos États de droit.
Du côté du PCF et de ses alliés rangés sous la bannière de la Gauche unie, l’ensemble du propos est centré sur les intérêts du « monde du travail ». Le conflit sur les retraites et les protestations des agriculteurs sont ainsi évoqués dès l’introduction. La liste, qui refuse la notion d’« économie de guerre », fustige à plusieurs reprises la dépendance de l’UE envers l’impérialisme des États-Unis (le seul ciblé aussi explicitement) et son « bras armé » l’Otan. « La social-démocratie et les écologistes, est-il écrit, s’engagent dans une dynamique fédéraliste et atlantiste incapable de répondre aux exigences populaires. »
Symétriquement, un coup de griffe est donné à LFI en affirmant que « ne parler que de désobéissance […] n’ouvrirait pas la moindre perspective positive ». Pourtant, la liste du PCF est celle qui va le plus loin dans cette direction en appelant « à garantir la primauté de la Constitution française, et celle des autres États membres, sur le droit européen ». La phrase fait écho à une polémique déclenchée en 2021, lorsque la Pologne gouvernée par des ultraconservateurs avait tenté de défendre ses réformes judiciaires selon ce principe.
La perspective de votes à la majorité qualifiée, en politique étrangère et de défense, est refusée par le PCF et LFI.
Les Insoumis, eux, se contentent de prévenir qu’ils sont prêts à la désobéissance envers les « règles incompatibles avec [leur] programme » national. La mention, qu’ils avaient réussi à introduire dans les engagements de la Nupes aux législatives, n’est reprise ni dans le programme du PS ni dans celui des Écologistes.
Les premiers chapitres du texte insoumis sont centrés sur la sortie des politiques néolibérales. La notion de « planification écologique », déclinée à l’échelle de l’UE, reprend l’objectif des écologistes d’un « mix énergétique 100 % renouvelables en 2050 » – autrement dit sans nucléaire, au contraire des communistes et des socialistes.
« L’Europe de la défense » est qualifiée de « miroir aux alouettes », et la perspective de votes à la majorité qualifiée, en politique étrangère et de défense, est refusée. Ce dernier point est partagé avec le PCF, contre les socialistes et les écologistes. Le programme insoumis pointe « l’alliance militaire que les États-Unis créent contre [la Chine] » et plus largement « la stratégie états-unienne d’escalade des tensions à travers le globe ».
Il évoque toujours, à propos de l’Ukraine, l’idée contestée d’une « conférence sur les frontières et la sécurité collective en Europe ». Et consacre une section entière à la situation à Gaza, signe de l’importance singulière accordée à cet enjeu en comparaison des autres listes.
De manière générale, la lecture des quatre documents confirme la difficulté de l’exercice programmatique dans le cadre des élections européennes. Cette remarque vaut pour l’ensemble des listes, mais s’applique particulièrement à gauche où la volonté de transformation des politiques publiques et de l’ordre institutionnel est la plus forte.
Les ambitions affichées sont en effet très élevées au regard de ce que permet réellement le scrutin du 9 juin, à savoir déterminer les eurodéputé·es français·es qui rejoindront une institution qui n’est qu’un des rouages – et pas le plus puissant – de la mécanique décisionnelle de l’UE.
Beaucoup des dispositions proposées nécessitent un changement des traités, ou au moins des rapports de force impliquant les exécutifs des États membres. La faiblesse de la gauche radicale, dans ce système complexe qui déjoue ses préférences fondamentales, rend assez logique son tropisme envers la désobéissance. En décalage avec son slogan de campagne – « La force de tout changer » –, LFI est d’ailleurs assez franche sur « les premières tâches » de ses eurodéputé·es : « Bousculer les institutions, lancer l’alerte, bloquer la Commission européenne et arracher des avancées. »
De leur côté, les socialistes et les écologistes affirment crânement le « réalisme » de leurs propositions face aux risques de « chaos » liés au statu quo. Ils comptent davantage sur des relais dans les gouvernements nationaux, mais risquent eux aussi de se retrouver dans une position très défensive lors de la prochaine législature.
Face au sabotage de nombreux textes progressistes par le gouvernement d’Emmanuel Macron, toutes les forces de gauche pourront au moins se retrouver dans l’idée qu’une alternance nationale en 2027 est indispensable à leurs projets européens. Leur capacité à la susciter est cependant plus douteuse que jamais.
mise en ligne le 6 juin 2024
Martial Toniotti, économiste au LIDAM/CORE (Louvain
Institute of Data Analysis and Modeling in economics and statistics) de l’UCLouvain, membre
de Carta Academica, un collectif d'universitaires belges (https://www.cartaacademica.org/).
sur https://blogs.mediapart.fr/
Durant cette campagne électorale, le sujet de la taxation du patrimoine est au centre de beaucoup de discussions. Et ce n’est pas le cas uniquement en Belgique. Il fait l’objet d’une attention croissante dans de nombreux pays. Mais au fond, pourquoi taxer le patrimoine ? Par Martial Toniotti.
Dans le sillage des travaux des économistes Thomas Piketty, Gabriel Zucman et Emmanuel Saez, le sujet des inégalités est de nouveau au centre des débats depuis quelques années. Face à ce constat, des voix diverses, allant des syndicats à certains milliardaires philanthropes en passant bien évidemment par des partis politiques, mettent à l’agenda la taxation du patrimoine. Selon la plupart des propositions, ce sont les 1 %, voire les 5 % des plus nantis, qui sont visés. L’objectif est qu’ils contribuent davantage à l’effort collectif. À l’inverse, les détracteurs d’une telle taxe mettent en avant ses dangers potentiels : d’abord, elle risquerait de faire fuir le capital vers les pays voisins dès lors que les personnes visées tenteraient d’éviter cet impôt. Ensuite, elle nuirait à la prospérité en réduisant les moyens des plus fortunés pour investir dans l’économie belge et générer de la croissance.
C’est dans ce contexte que j’ai publié le 23 mai dernier une étude dans la revue Regards Économiques, dont l’objectif est d’estimer le revenu que génèrerait une telle taxe. En prenant une méthodologie semblable à celle du Bureau Fédéral du Plan, je suis arrivé à une fourchette entre 8.9 milliards et 13.2 milliards d’euros de revenu. Pour arriver à ce résultat, j’ai pris des données publiées par la Banque Nationale de Belgique au début de l’année et y ai appliqué la proposition dites « 1-2-3 », 1 % de taxation à partir d’un patrimoine d’un million d’euros, 2 % à partir de 2 millions et 3 % au-delà de 3 millions. Quelques jours plus tard, une lettre ouverte signée par 600 capitaines d’industrie a voulu remettre au centre de l’attention les effets néfastes que la taxation du patrimoine aurait sur l’économie belge.
Revenons sur quelques aspects de ce débat et ce qu’en dit la recherche en économie.
L’évasion fiscale est limitée.
Lorsque des économistes calculent les revenus qui seront générés par une taxation du patrimoine, ils prennent en compte qu’une partie des individus soumis à la taxe changent leur comportement pour l’éviter. Pour ce faire, ils se basent sur les données des taxes ayant été instaurées dans le passé ou dans d’autres pays. Dans mon étude, je reprends la méthodologie que le Bureau Fédéral du Plan a adoptée dans un travail publié en début d’année. L’étude en question, publiée dans le journal Fiscal Studies, arrive à la conclusion, en se basant sur la littérature existante, que si une taxe sur le patrimoine est mise en place correctement, elle devrait provoquer une élasticité de l’assiette taxable par rapport à la taxation entre 7 et 17. Cela veut dire que si 100 € sont soumis à la taxation du patrimoine, si la taxe est de 1 %, il devrait rester, après ajustement des comportements des individus, entre 83 et 93 € à taxer.
L’évitement de la taxe reste donc limité. Si on regarde maintenant l’exemple de la France, où un impôt sur la fortune a été appliqué pendant de nombreuses années, les résultats sont les mêmes : l’exode fiscal s’est avéré limité, comme le montre l’étude à ce sujet de Gabriel Zucman. Ainsi, contrairement à une croyance tenace à ce sujet, les “Riches” ne vont pas tous fuir.
Le revenu du capital est moins taxé que le revenu du travail
Une étude de l’Université d’Anvers a montré la différence en termes de taxation dans plusieurs pays d’Europe entre un ménage dont le revenu serait issu du travail et un autre ménage qui aurait le même revenu, mais venant d’un revenu du capital. Le constat est sans appel : la différence en termes de taxe est énorme.
Cela vient au moins en partie du fait qu’il est difficile de taxer les gains sur le capital. Imaginons que j’aie des parts comme actionnaire dans une entreprise. Cette année, elles augmentent d’un million d’euros en valeur. Doit-on taxer cette augmentation comme un revenu ? Auquel cas, que faisons-nous si l’année suivante la valeur baisse ? Même s’il arrive dans un second temps, l’impôt sur le patrimoine permet en partie de corriger cette inégalité face à l’impôt sur le revenu entre, d’une part, la personne qui travaille et, d’autre part, celle qui perçoit des gains sur capitaux.
Les inégalités ne peuvent pas augmenter sans fin
Il est bien documenté que dans la plupart des économies occidentales, les inégalités de patrimoine et de revenu augmentent depuis les années 70. Même si les données pour la Belgique sont parcellaires et se contredisent, selon la World Inequality Database, le top 1 % des ménages les plus fortunés dans notre pays possède deux fois plus que la moitié la plus pauvre de la population.
Un impôt sur le patrimoine permettrait de s’assurer que ces inégalités restent sous contrôle. Cela pourrait permettre d’éviter la polarisation que l’on voit à l’œuvre en Europe et que tant déplorent. Dans un récent rapport, l’OCDE indique qu’un des arguments pour l’instauration d’un impôt sur le patrimoine est le fait que cela encouragerait l’égalité des chances entre les individus. Ici même, en Belgique, l’économiste Paul De Grauwe rappelle régulièrement le danger démocratique de laisser les inégalités augmenter.
Un impact économique, certes, mais lequel ?
L’impact sur l’activité économique d’un impôt sur le patrimoine ne fait pas consensus. Le Bureau Fédéral du Plan pense que cet impact sera modérément faible. Dans le cas de la France, une étude citée par le Bureau Fédéral du Plan montre même que cet impact fut nul ou très faible avec l’introduction de l’Impôt sur la Fortune (ISF). Ce n’est pas un supposé « impact économique » qui a poussé la France à retirer cette mesure mais des choix politiques.
Mais ce n’est pas toute l’histoire : un article récent publié par le très prestigieux Quarterly Journal of Economics montre qu’un impôt sur le patrimoine permettrait en fait d’augmenter l’activité économique, augmenter la productivité et diminuer les inégalités. Par quel mécanisme ? Étant donné que la taxation ne dépend pas du revenu du patrimoine, mais seulement de sa valeur, cela donne une incitation à rediriger le capital vers des usages plus productifs. Ce qui augmenterait la prospérité collective.
Pour un vrai débat démocratique sur la question, contre la défense d’intérêts particuliers
Quand on l’analyse de plus près, un impôt sur le patrimoine n’a pas nécessairement les défauts qu’on lui attribue, que ça soit la supposée fuite des capitaux ou l’atteinte à l’activité économique. Avec le pacte budgétaire voté au niveau européen en avril 2024, la prochaine législature devra d’une manière ou d’une autre trouver de l’argent ; on parle de 30 milliards d’euros chaque année. Et cela, sans compter les investissements nécessaires pour décarboner notre économie, qui profiteront aux générations futures et sont essentiels au maintien d’une croissance économique à l’avenir. Un impôt sur le patrimoine est une des solutions permettant de trouver une partie de cet argent. Il existe beaucoup d’autres dispositifs pour arriver au même objectif, il s’agit maintenant de trouver ceux qui sont politiquement désirables.
Il faut un vrai débat démocratique sur la question, où les arguments scientifiques et politiques s’entremêlent pour décider quels dispositifs seront mis en place. C’est le cœur même d’une campagne électorale.
L’objectif de cette chronique est surtout d’ouvrir ce débat en se basant sur des faits et en explicitant les visions du monde divergentes. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une bataille d’intérêts particuliers. Notre démocratie mérite mieux.
mise en ligne le 5 juin 2024
Dominique Plihon sur www,politis,fr
La menace plane de l’élection d’une majorité de droite et d’extrême droite au Parlement européen. Face à elle, à défaut de liste unique, les partis de gauche doivent s’entendre sur des combats communs prioritaires.
La campagne électorale pour les européennes se déroule avec une gauche divisée. Il est vrai qu’il n’y a jamais eu de liste commune pour cette élection et que l’Europe a toujours constitué une pomme de discorde pour la gauche française. Cette situation s’explique en grande partie par les idées fausses qui règnent autour des positions des uns et des autres, sur la base de différences souvent surjouées par les partis eux-mêmes. La question de l’Ukraine est ainsi instrumentalisée alors même que la politique étrangère et de défense est l’affaire des États et du Conseil européen, le Parlement communautaire n’ayant qu’un rôle consultatif.
Et si des divergences réelles existent sur les conditions d’éventuelles négociations et l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, tous les partis de gauche ont fermement condamné l’agression de la Russie et soutenu le droit du peuple ukrainien à se défendre. Plus récemment, ils ont condamné les déclarations d’Emmanuel Macron sur l’envoi de troupes au sol.
Comme l’a montré la Fondation Rosa-Luxemburg, les positions des partis de gauche sur l’Europe sont plus proches qu’elles ne l’ont jamais été, ce que démontrent les votes convergents à près de 80 % en moyenne de leurs eurodéputés sur la dernière législature (1). En janvier, Les Écologistes, LFI et le PS ont voté au Parlement européen d’une même voix pour s’opposer au nouveau cadre de discipline budgétaire proposé par la Commission.
La menace que l’on voit poindre actuellement est l’élection d’une majorité de droite et d’extrême droite au Parlement européen. En Italie et dans les pays scandinaves (Finlande, Suède, Danemark) sont venues au pouvoir des coalitions dominées par des partis adversaires de l’immigration et des politiques écologiques, défenseurs de l’identité nationale, qui rejoignent en cela le gouvernement autoritaire et nationaliste de la Hongrie. Cette nouvelle majorité pourrait agréger des partis nationalistes décidés à bloquer les politiques communes européennes.
Face à cette menace, à défaut de liste unique, les partis de gauche devraient admettre publiquement qu’ils peuvent s’entendre sur des combats communs pour construire une Europe enfin démocratique, sociale et écologique (2). Ces combats doivent en priorité inverser le cours néolibéral de l’intégration européenne. Les partis de gauche sont tous d’accord pour faire cesser la primauté du droit de la concurrence sur les droits sociaux, pour promouvoir une politique d’investissement pour la bifurcation écologique, ou encore pour instaurer un ISF vert européen et faire de l’Europe le premier continent à lutter efficacement contre la fraude fiscale. Qui peut croire à une divergence réelle entre Les Écologistes, LFI, le PCF et la direction actuelle du PS sur ces questions ?
(1) L’union fait la force ?, Laura Chazel, Fondation Rosa-Luxemburg, Bruxelles, mars 2023.
mise en ligne le 4 juin 2024
Faïza Zerouala sur www,mediapart,fr
Le collectif Le Revers de la médaille, qui regroupe une centaine d’associations accompagnant les plus précaires, publie un rapport qui documente la manière dont Paris et sa région traitent les sans-abri avant les JO. On constate une hausse des expulsions ou des évacuations de lieux de vie informels.
Le collectif Le Revers de la médaille s’est trouvé fort démuni face à certaines sollicitations de la presse, internationale en particulier, voulant constater « de leurs yeux » le « nettoyage social » à l’œuvre à Paris et en Île-de-France dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques (JOP).
Cette agrégation de plus d’une centaine d’organisations, d’associations et de fédérations en lien avec des personnes en grande précarité s’est rendu compte qu’il devenait de plus en plus difficile d’accéder à cette demande. Et pour cause. « L’État a tellement expulsé, tellement dispersé, tellement invisibilisé, qu’il n’y avait plus rien à montrer. On est arrivés à la fin d’un cycle d’expulsion très fort », explique à Mediapart Paul Alauzy, coordinateur chez Médecins du monde et porte-parole du Revers de la médaille.
Pour documenter cette situation, le collectif a compilé des données chiffrées précises (basées sur des témoignages de personnes concernées, des recensements, des documents et des échanges avec les autorités) sur le sort des populations les plus précarisées : personnes à la rue, en habitat précaire ou dépendant de l’espace public pour vivre et travailler.
Le rapport de quatre-vingts pages qui en résulte, rendu public le 3 juin 2024 et baptisé « Un an de nettoyage social avant les JOP : “Circulez, y a rien à voir” », les chiffres recueillis démontrent une nette augmentation des évacuations de lieux d’habitat précaire ou des lieux de vie informels.
Le collectif a calculé que, pour la période d’avril 2023 à mai 2024, 12 545 personnes ont été expulsées dans toute l’Île-de-France, soit une augmentation de 38,5 % par rapport à la période 2021-2022. Parmi ces personnes, 3 434 étaient mineures, soit deux fois plus que l’an dernier, et presque trois fois plus qu’en 2021-2022.
Par ailleurs, plus 4 000 personnes ont été envoyées vers des « sas régionaux » à la fin 2023. La préfecture de la région Île-de-France indique, révèle France Info, que plus de 5 224 personnes ont été déplacées d'Île-de-France pour aller vers d'autres régions, depuis la mise en place de ce dispositif en avril 2023.
Les associations considèrent qu’un « double mouvement de dispersion » s’exerce. L’objectif : disperser et éloigner les personnes très précaires qui occupent l’espace public au quotidien.
Le Revers de la médaille souligne que ces logiques sont préexistantes à la compétition sportive et s’inscrivent dans un continuum de la politique répressive du gouvernement à l’égard des populations migrantes et sans abri. Mais il assure aussi que les JO agissent comme un « un accélérateur », de même que dans d’autres villes hôtes des Jeux par le passé.
L’ampleur de ces pratiques d’expulsion et d’évacuation, mais aussi de « harcèlement des populations qui vivent aux abords des sites accueillant des épreuves des olympiades », dévalue selon les organisations l’argument selon lequel « cela n’a rien à voir avec les JOP », répété à l’envi par les autorités.
La région Île-de-France et les abords des sites olympiques commencent à être « nettoyés », mais ce ne sont pas les seuls endroits touchés. À Bordeaux, un bidonville habité par près de 500 personnes, sur un terrain jouxtant le stade Matmut Atlantique, qui doit accueillir certaines épreuves de football lors des Jeux olympiques, a été démantelé.
Le directeur de cabinet de la préfecture de Gironde avait ainsi annoncé : « La préparation des JOP nous oblige à un niveau de sécurisation élevé et, pour ce faire, il y a un certain nombre de périmètres de sécurité qui ont dû être établis autour du stade Matmut. »
La date d’avril 2023, qui marque le départ du calcul du Revers de la médaille, n’est pas anodine : c’est celle de l’expulsion du squat Unibéton, lieu de vie de 500 personnes exilées, situé aux abords d’un village olympique à L’Île-Saint-Denis. C’est le début d’une surenchère de déplacements de population, avec par exemple les envois vers les sas régionaux mis en place en mars 2023 et prévus pour durer jusqu’à la fin 2024.
Depuis cette date, on compte dix expulsions de squats habités par des personnes exilées très précarisées dans toute la région francilienne, pour un total de 1 967 personnes expulsées. « Ces occupations représentent pourtant de rares alternatives au campement et à la vie à la rue, en l’absence de possibilité d’accéder à l’hébergement institutionnel », peut-on lire dans le rapport.
Les associations ont également constaté « une forte propension » des autorités franciliennes à utiliser des arrêtés d’évacuation afin d’expulser les lieux de vie rapidement, plutôt que d’attendre des décisions de justice. Le nombre d’expulsions liées à des arrêtés d’évacuation en Île-de-France a plus que triplé.
Idem pour les arrêtés préfectoraux en vue d’une expulsion d’habitat informel de l’espace public depuis février 2024. Entre mai 2021 et janvier 2024, seulement deux expulsions étaient liées à un arrêté préfectoral. Le collectif en a recensé huit en seulement quatre mois entre février et mai 2024.
Théodore Malgrain, responsable de la coordination au Barreau de Paris Solidarité, confirme à Mediapart cette augmentation et explique que ces expulsions ont une base légale, mais que « les motifs évoqués ne sont pas forcément légitimes » : « Parfois, le péril imminent est invoqué alors que des personnes sont dans les lieux depuis plusieurs mois et que cela n’avait jamais été évoqué auparavant. »
Ces personnes sont déplacées de campement en campement, sans qu’il y ait de diagnostic social en amont et de proposition adaptée à leur situation. Aurélia Huot
À Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), un bidonville a été expulsé le 7 février 2024 sur la base d’un arrêté municipal mentionnant notamment la localisation du site à proximité de voies ferrées, établissant un « lien incompréhensible » entre l’expulsion et « l’urgence à préserver la régularité des trains, notamment dans une période très particulière des prochains Jeux olympiques et paralympiques ».
Durant la période étudiée par le collectif, la majorité des habitant·es des lieux de vie expulsé·es se sont trouvé·es sans solution d’hébergement. Seul·es 35 % ont eu droit à une solution de repli proposée par l’État. Ce dernier est pourtant tenu, selon l’instruction du 25 janvier 2018, de proposer un relogement et l’accompagnement des personnes expulsées. Une règle de moins en moins respectée, souligne encore le collectif.
D’autres personnes expulsées sont orientées vers les sas régionaux, « avec une promesse d’un hébergement stable à la clef et d’une possibilité d’examen ou de réexamen de leur demande de séjour », écrit le collectif. Difficile dans ces conditions de s’assurer du consentement réel des personnes à se déplacer, souligne Le Revers de la médaille. A contrario, si elles refusent, « elles ne peuvent pas espérer, à part dans certains cas précis, se voir proposer une place d’hébergement d’urgence en Île-de-France, contrairement à ce que prévoit le droit ».
Des mineurs non accompagnés ont aussi fait les frais de ces pratiques expéditives. Par exemple, l’un de leurs lieux de vie sur les berges de la Seine a été évacué en février 2024. Problème : aucun acte administratif n’a jamais été retrouvé. De plus, la mairie de Paris a rapidement annoncé n’avoir pas donné son aval à la préfecture. « Une expulsion totalement illégale, qui ne s’est donc pas accompagnée d’une mise à l’abri des personnes », relève le rapport.
Une fois privés de logement, ces groupes sont condamnés à l’errance dans la ville. Et les délais contraints compliquent la défense, puis la prise en charge de toutes les personnes expulsées. Aurélia Huot, directrice adjointe du pôle Accès au droit et à la justice de Barreau de Paris Solidarité, le déplore. « Ces personnes sont déplacées de campement en campement, sans qu’il y ait de diagnostic social en amont et de proposition adaptée à leur situation », souligne-t-elle.
Les travailleurs et travailleuses du sexe et les personnes victimes de traite des êtres humains sont particulièrement confronté·es « à un haut niveau de violence et d’abus », indique le collectif. Ces personnes dénoncent une intensification des contrôles policiers et administratifs à leur égard. L’ensemble des associations intervenant au bois de Vincennes ont effectivement constaté une « nette augmentation des contrôles de la situation administrative des femmes nigérianes du bois ».
Certains contrôles se déroulent avec violence selon de nombreux témoignages : présence de chiens policiers, insultes, poursuites dans les fourrés, extractions forcées des camionnettes, refus de laisser les femmes se rhabiller, etc. « Du 1er juin 2023 à la fin du mois de mars 2024, 20 opérations ont été diligentées par la préfecture de police, aboutissant au contrôle de 203 personnes, détaille le rapport. 44 d’entre elles ont été placées en retenue administrative (13 hommes et 31 femmes), 37 OQTF (obligation de quitter le territoire français) ont été notifiées, 2 placements en CRA ont été effectués. »
Des arrêtés préfectoraux couvrant de larges périmètres à Paris, renouvelés tous les mois, interdisent le regroupement de consommateurs de drogues.
Aurélia Huot constate que cette pression des contrôles dissuade ces personnes de travailler. Il y a encore un an, une certaine tolérance de la police primait, raconte-t-elle. « Elles étaient vues comme des victimes avant d’être des étrangères, maintenant c’est l’inverse », explique l’avocate. « Il y a énormément de femmes dont on a perdu la trace, car elles ont été emmenées en rétention administrative ou parce qu’elles ne viennent plus voir les associations qui les aident, déplore-t-elle. Sachant qu’on accompagne des victimes de traite dans leur parcours de sortie de prostitution ou de sortie des réseaux de traite. »
Les usagers de drogues subissent aussi les conséquences des opérations « Place nette », visant à lutter contre le trafic de drogue. L’avocat Théodore Malgrain rappelle que des arrêtés préfectoraux couvrant de larges périmètres à Paris, renouvelés tous les mois, interdisent le regroupement de consommateurs de drogue. « Cela a des impacts très négatifs sur ces personnes, qui sont obligées de plus en plus d’aller loin, de se cacher et d’éviter les lieux où elles pourraient être contrôlées. » Toute la politique sanitaire et sociale engagée depuis quelques années est ainsi dévitalisée.
Les préconisations du collectif sont simples. Il réclame un travail social profond en amont de toute expulsion. Il plaide pour que l’État « garantisse la continuité de l’ensemble des dispositifs sociaux avant et pendant les Jeux ». Le Revers de la médaille demande la création nette de 20 000 places d’hébergement à l’échelle nationale, dont au moins 7 000 en Île-de-France, et la mise en place pérenne d’un centre de premier accueil humanitaire des personnes exilées à Paris.
Paul Alauzy, porte-parole du collectif, est pessimiste et craint que les pratiques qui se sont mises en place s’installent pour de bon une fois la compétition achevée. Elles sont, il est vrai, idéales pour conserver une image « aseptisée » de la capitale, et pour rendre la misère presque invisible.
mise en ligne le 3 juin 2024
paru sur https://www.politis.fr/
Auxiliaire de vie sociale en Normandie, Ludivine raconte son parcours et les multiples facettes de son métier. Elle décrit des conditions de travail difficiles et une situation de précarité qui ne favorisent pas les vocations. Or les soins apportés aux bénéficiaires par les auxiliaires de vie sont essentiels pour leur assurer des conditions justes et dignes de vie et de fin de vie.
J’ai 31 ans et cela fait bientôt cinq ans que je suis auxiliaire de vie sociale. Mère de deux enfants, je vis en Normandie et travaille pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile qui assurent la prise en charge des personnes âgées, handicapées et atteintes de pathologies cognitives. J’aime mon métier plus que tout. Le problème, aujourd’hui, c’est que les conditions ne sont plus adaptées pour permettre à tous, auxiliaires de vie, bénéficiaires, personnel administratif et hospitalier, de travailler ensemble.
Pour la hiérarchie, les bénéficiaires restent des numéros de dossier auxquels ‘il ne faut pas s’attacher ’.
Dans notre métier, le travail s’organise autour du mantra « efficacité » ; il faut répondre à la demande des bénéficiaires, assurer nos missions, même en cas d’imprévu ou d’urgence. Il est inenvisageable pour nous de laisser les gens seuls, sans passage et sans soins ; c’est là l’essence de notre métier, privilégier l’humain avant tout. Mais à l’heure actuelle, dans notre équipe, il manque quasiment la moitié des effectifs. Surcharge des plannings, multiplication des trajets en voiture, amplitude des horaires non respectée – même à temps partiel – en sont les conséquences directes.
Le rythme des visites, à flux tendu, a évidemment un impact psychologique sur nous, sur notre travail et sur les bénéficiaires. Oui, nous assurons l’accompagnement aux gestes essentiels et activités ordinaires des bénéficiaires – habillage, toilette, repas, literie et ménage –, mais notre devoir est aussi de leur apporter bien-être et confort, les accompagner, les écouter. Cela passe par la création de liens forts, bien souvent remis en cause par la hiérarchie : les bénéficiaires restent des numéros de dossier auxquels « il ne faut pas s’attacher ».
On devient multifonctions et on sort souvent du champ de nos compétences. C’est la problématique de la pyramide inversée. La toilette médicalisée, par exemple, réservée à la base aux infirmières, est reléguée aux aides-soignantes puis finit par devenir notre tâche. Parfois, il nous faudrait effectuer des gestes qui ne relèvent pas de nos compétences. Or, si un accident survient, à qui la faute ? De même, le lien avec le personnel médical ne se fait pas toujours, ou alors nous sommes considérés comme « non qualifiés » pour juger des situations. Le confort et le bien-être devraient l’emporter sur la hiérarchie médico-sociale et la reconnaissance de notre métier doit passer par le dialogue. Tant que les différents corps de métiers ne se rencontrent pas, ne se mettent pas à la place les uns des autres, on restera dans l’impasse.
Le service à la personne est le secteur le plus touché par les arrêts maladie et les maladies professionnelles.
Améliorer nos conditions de travail permettrait que nous puissions vivre de notre métier et lui redonner du sens. On aimerait être payés sur nos temps de travail effectifs, c’est-à-dire sur l’intégralité de la journée. Aujourd’hui nos temps de trajet en voiture – entre les domiciles des bénéficiaires – ne sont pas comptabilisés. Nous sommes payés 1 heure tous les 100 km alors que nous roulons en moyenne à 50/70 km/h. Récemment, notre agence a mis à disposition des voitures de service. Auparavant, j’ai effectué les trajets avec ma voiture personnelle pendant cinq ans. Or les frais kilométriques proposés par l’agence sont insuffisants pour couvrir les frais d’entretien (vidange, pneus, entretien).
Lors de nos interventions auprès des bénéficiaires, on porte des charges lourdes, on effectue des transferts de personne, de matériel quotidiennement. Certaines de mes collègues souffrent de troubles musculosquelettiques. Le service à la personne est le secteur le plus touché par les arrêts maladie et les maladies professionnelles, cela ne facilite pas l’embauche. Or, il est nécessaire de rendre le métier d’auxiliaire de vie sociale attractif. Il est donc essentiel de couvrir nos frais de transport, de nous fournir un local chauffé pour la pause déjeuner (nous mangeons dans la voiture par – 4 °C l’hiver), de repenser le lien avec le personnel médical et les familles, amis, voisins.
J’aimerais que nous aussi on nous respecte.
Si notre métier n’est pas reconnu, valorisé, c’est un système entier qui risque de s’effondrer et les conditions justes et dignes de vie et de fin de vie de nos bénéficiaires. Pour ma part, je continuerai de faire de mon mieux. Présence, écoute, douceur, persévérance, discrétion, compréhension et patience : l’aide à la personne est un tout mais commence souvent par le respect. Et j’aimerais que nous aussi on nous respecte.
mise en ligne le 1er juin 2024
Catherine Tricot sur | https://regards.fr
Face à l’incapacité de la Macronie à contrer Le Pen, Ruffin veut croire que la gauche, elle, le peut.
Dans deux semaines on aura voté. Bien sur les élections européennes ne décident pas des équilibres institutionnels français. Mais par le fait politique qu’elles constituent, par la photo du rapport de force qu’elles révèlent, elle comptera pour la suite. Gabriel Attal face à Jordan Bardella n’est pas parvenu à enrayer la punition annoncée pour les macronistes.
Alors Emmanuel Macron, en sauveur, veut s’y coller. Il défi en duel Marine Le Pen. Évidemment, ce débat-là n’aura pas lieu. Le RN continue de monter à la faveur des images violentes qui nous parviennent jour après jour de Nouvelle Calédonie ou d’ailleurs. Il leur suffit d’attendre.
Les macronistes sont bien incapables de répondre à la colère et aux demandes de changement. Seule la gauche peut le faire. Les deux semaines qui nous séparent de l’élection doivent en être une occasion. Les arguments se cherchent pour contrer l’impression d’inexorable ascension de l’extrême droite. Ils ne forment pas encore une langue commune mais on voit que la gauche veut s’y mettre. Pas seulement la gauche politique mais aussi sociale (écoutez la prise de position de la présidente de la ligue des droits de l’homme dans #LaMidinale de Regards), syndicale (entendez Sophie Binet sur Mediapart).
Écoutez encore la conférence donnée par François Ruffin sur le plateau des Glières affirmer que « la colère fait des émeutes, seul l’espoir fait des révolutions ». Le fil rouge de cette intervention a été de convaincre qu’on peut battre Marine Le Pen en 2027. Ruffin a encore du mal à embarquer les foules quand il lance son slogan « Et à la fin c’est nous qu’on va gagner ». Dans l’assistance polie, rares sont ceux qui y croient. Lui en tout cas le veut. Et pour cela il livre ses propositions. Parmi les plus martelées : donner espoir, cesser d’être le parti de la litanie des catastrophes. Deuxième proposition : parler à tous, y compris aux électeurs du RN. Troisième idée développée : pas seulement vivre ensemble mais faire ensemble. Et enfin, ne pas revenir aux échecs du passé : assurer une rupture, « faire l’unité dans la clarté ».
Ruffin est un homme mobile intellectuellement. À la bonne heure. Comment ne pas s’interroger avec inquiétude ? Il ne renonce pas à son credo : rassembler autour de la question sociale. Mais il renonce à la valorisation de « la haine » au profit de la construction d’un espoir. Il tire parti de son désenclavement et affirme : « Je suis social et démocrate ».
Ruffin ne fait pas mystère de se préparer pour être le possible candidat de rassemblement de toute la gauche en 2027. Il n’est pas le seul. Mais pour être celui ou celle qui peut gagner, il faudra être la personne mieux capable d’embarquer les différentes forces politiques de gauche mais aussi et surtout les forces sociales, syndicales, les militants et les motivés. Ça, ce n’est pas encore à son agenda. Le peut-il ?
mise en ligne le 30 mai 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
Avec cette réforme, combien seront-ils de salariés à se retrouver sans droits au chômage à l’issue d’un CDD de 6 mois ? Combien seront-ils à basculer vers le RSA, en à peine plus d’un an, suite à un licenciement venant conclure une vie de travail ? Assurément, des centaines de milliers. Durant le week-end, Gabriel Attal a annoncé les mesures qui s’appliqueront au 1er décembre aux personnes privées d’emploi. Avec Bastamag, nous revenons sur une des réformes de l’assurance chômage les plus dures, depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
« Ce n’est pas une réforme d’économie, mais de prospérité et d’activité », assure Gabriel Attal dans son interview accordée à La Tribune du dimanche (parue dans la soirée du 25 mai), à laquelle il a réservé ses annonces sur la réforme de l’assurance chômage. Pourtant, c’est bien des économies que le gouvernement a réalisées le 28 décembre dernier, en publiant au Journal officiel un arrêté ponctionnant 12 milliards d’euros à l’Unédic (chargée de la gestion de l’assurance chômage, en coopération avec France Travail), pour la période 2023-2026. Des milliards soustraits à la couverture du risque de perte d’emploi, majoritairement réaffectés à l’aide aux entreprises pour développer l’apprentissage. Aujourd’hui, le gouvernement réduit encore les droits au chômage. Le ministère du Travail a affirmé en attendre 3,6 milliards d’économies par année pleine. Soit trois fois plus que lors de la grande réforme du chômage de 2019.
Pour ce qui est de la « prospérité », elle ne concernera pas les demandeurs d’emploi. Pour elles et eux, et en premier lieu les 2,6 millions de personnes indemnisées (moins de la moitié des demandeurs d’emploi le sont), ce sera une nouvelle punition à compter du 1er décembre 2024, le temps que France Travail mette à jour ses logiciels. Les demandeurs d’emploi de demain auront moins de possibilités d’ouvrir des droits à l’assurance chômage, avec une durée d’indemnisation encore réduite et des protections supprimées pour les chômeurs les plus âgés.
Quant à la réforme « d’activité », elle sera bien modeste, de l’aveu même du gouvernement, puisque celui-ci espère 90 000 personnes supplémentaires en emploi avec cette réforme, sur plus de 6 millions d’inscrits à France Travail, soit… 1,5 % des demandeurs d’emploi actuels.
Privation de droits au chômage
Qu’en sera-t-il une fois cette énième réforme mise en œuvre ? À la fin d’un CDD ou d’une mission d’intérim de six mois : rien ! Aucun droit ouvert. Et évidemment, pas d’allocation. À compter du 1er décembre, il faudra avoir travaillé huit mois, au lieu de six aujourd’hui, pour bénéficier d’un revenu de remplacement pendant une durée similaire à sa période travaillée.
En quelques années, le nombre de mois travaillés pour bénéficier d’une allocation aura donc doublé – avant la réforme de 2019, il n’en fallait que quatre. Dans le même temps, la période de référence sur laquelle l’ensemble des temps d’emploi comptent aura été réduite. Avec la réforme annoncée dans la presse ce week-end, les huit mois travaillés seront comptés sur une période de 20 mois, contre 24 mois auparavant et 28 mois avant 2019. Avec pour effet d’exclure certains demandeurs d’emploi de l’indemnisation.
« Le ministère nous a dit qu’il y aurait 185 000 personnes par an en dessous du seuil », assure Denis Gravouil, le négociateur CGT pour l’assurance chômage, qui accompagnait Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, le 23 mai, au ministère du Travail. Près de 200 000 personnes ayant travaillé moins de huit mois verront ainsi leur indemnisation soit supprimée, soit retardée le temps qu’elles retrouvent un emploi pour atteindre le nouveau seuil de huit mois. Un document de l’Unédic du 17 mai 2024 avait évalué les effets d’une augmentation du nombre de mois travaillés, avec plusieurs scénarios compris entre sept mois et douze mois. Ses résultats sont sans appel. Pour un passage à sept mois (l’Unédic n’a pas évalué l’hypothèse à huit mois), 11 % des allocataires verraient l’ouverture de leurs droits retardés. Presque une personne sur deux concernée par ce retard aurait des droits au chômage décalés d’au moins un an, pour cause de période d’emploi trop fractionnée. Le choix du gouvernement s’étant finalement fixé à huit mois, le pourcentage d’allocataires concernés sera donc supérieur.
« Cette mesure est particulièrement dure pour les jeunes de moins de 25 ans, surreprésentés parmi les précaires », expliquait la CGT, après son entrevue avec Catherine Vautrin, dans un communiqué de presse. Après six mois de travail, ceux-ci ne pourraient prétendre qu’au contrat d’engagement jeune pour avoir des ressources, explique Denis Gravouil. Soit une allocation de 528 euros par mois si la ou le jeune salarié est rattaché à un foyer fiscal non imposable (316 euros sinon).
Intérimaires et CDD sont particulièrement ciblés. « La moitié de ceux qui sont inscrits à Pôle emploi le sont après des CDD », rappelle le négociateur CGT pour l’assurance chômage. Déjà en 2019, le passage de quatre mois travaillés à six mois pour ouvrir des droits avait eu pour effet d’exclure de nombreux demandeurs d’emploi de l’indemnisation. Selon le « suivi et effets de la réglementation d’assurance chômage », publié en février 2024 par l’Unédic, on compte 30 000 ouvertures de droits de moins chaque mois suite à la réforme de 2019. Ce sont principalement celles et ceux – jeunes ou peu diplômés – « ayant généralement des parcours d’emploi discontinus, près de 9 intérimaires sur 10 sont impactés par la réforme », explique l’Unédic. Pendant que deux tiers des « personnes entrées après une fin de CDD » sont également concernées.
Pour se représenter l’impact de cette mesure allongeant la période travaillée, le gouvernement attend qu’elle rapporte 2,8 milliards par année pleine, sur les 3,6 milliards d’économies attendus par la réforme. Les autres économies seront réalisées sur la baisse de la durée d’indemnisation et sur la suppression d’aménagements dont bénéficiaient les seniors.
Baisse de la durée d’indemnisation
Non content de rendre l’assurance chômage inaccessible à près de 200 000 salariés arrivant en fin de contrat, le gouvernement va également réduire la durée d’indemnisation pour tous les autres. Celle-ci était déjà passée de 24 mois à 18 mois en février 2023. Mais en inscrivant une période de référence de 20 mois pour l’ouverture de droit, il réduit la durée d’indemnisation mécaniquement. La réforme de 2023, dite de la contracyclicité, prévoit que si le taux de chômage est inférieur à 9 %, la durée maximale d’indemnisation diminue de 25 %. Aujourd’hui, elle est de 18 mois maximum, parce que la durée de référence est de 24 mois (donc 24 mois moins 25 %, soit six mois de moins, puisque le taux de chômage est de 7,5%). Après le 1er décembre, la durée maximale d’indemnisation passera à 20 mois, à laquelle il faut soustraire 25 % si le taux de chômage ne remonte pas. La nouvelle durée d’indemnisation sera donc de quinze mois.
Ainsi, en deux ans, la couverture du risque lié à la perte d’emploi est passée de 24 mois maximum à quinze mois maximum. Et elle pourrait même baisser encore si le taux de chômage descendait en dessous de 6,5 %, un nouveau palier que l’exécutif a annoncé ce week-end. Dans ce cas, elle dégringolerait à douze mois, ce qui représenterait la moitié de la durée d’indemnisation d’avant 2023.
Il est encore tôt pour mesurer pleinement les effets de la réforme de 2023, puisqu’un an après son entrée en vigueur, l’Unédic expliquait qu’elle ne concernait pour l’heure que 12 % de l’ensemble des allocataires. Cependant, dans son document d’évaluation du 17 mai dernier, l’association gestionnaire estime que le passage à douze mois maximum d’allocations dégraderait la situation d’un million d’allocataires.
Une boucherie pour les seniors
Gabriel Attal a annoncé que le décret qui sera publié le 1er juillet modifiera profondément les droits au chômage des salariés privés d’emploi les plus âgés. Parce qu’il est plus difficile de trouver un travail après 50 ans, les plus de 53 ans bénéficiaient avant 2023 de 30 mois d’indemnisation et les plus de 55 ans de 36 mois. Après un premier coup de rabot l’an dernier, le gouvernement leur impose une double peine.
En plus de devoir travailler deux ans de plus pour partir à la retraite, ceux-ci devront attendre l’âge de 57 ans pour obtenir une durée d’indemnisation plus longue que les quinze mois que le gouvernement réserve maintenant aux chômeurs. La borne d’âge de 53 ans est purement et simplement supprimée et celle de 55 ans est décalée de deux ans, à 57 ans. Ainsi, un salarié licencié à l’âge de 55 ans aura perdu 58 % de sa durée d’indemnisation par rapport à 2022, puisque celle-ci sera passée de 36 mois à quinze mois. Et même à l’âge de 57 ans, il ne bénéficiera de son allocation que pendant 22 mois et demi contre 27 mois après la réforme de 2023.
À côté de cette saignée, le gouvernement créé un « bonus emploi senior » qui consiste à compléter le revenu d’un senior qui aurait pris un emploi à un salaire inférieur à celui qu’il avait pour ouvrir des droits. Mais seulement pendant un an. Une mesure considérée comme une déqualification et rejetée par l’ensemble des syndicats de salariés. Un cadeau pour le patronat, explique le syndicat des cadres CFE-CGC : « Je suis une entreprise, je balance tout le monde à 55 ans, et après deux ans de chômage je les récupère à moitié prix », s’insurgeait son président, François Hommeril, dans les colonnes de Libération en fin de semaine dernière.
mise en ligne le 28 mai 2024
Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr
L’indignation suscitée par les frappes israéliennes sur un camp de réfugiés palestiniens met en relief l’inertie de l’exécutif français. De La France insoumise au Parti socialiste, en passant par Les Écologistes et les communistes, les responsables demandent d’avantage que des mots, des sanctions.
Trop court, trop faible, trop tard – au regard d’une guerre qui dure depuis huit mois dans un rapport de force radicalement déséquilibré. Le message lapidaire publié sur le réseau social X par Emmanuel Macron au lendemain des frappes israéliennes qui ont fait au moins quarante victimes – la plupart des femmes et des enfants – dans un camp de réfugié·es près de Rafah, a mis une fois de plus en relief l’inertie de l’exécutif face au massacre des Palestinien·nes.
« J’appelle au plein respect du droit international et au cessez-le-feu immédiat », a écrit le président de la République, en se disant « indigné », mais sans évoquer la moindre sanction. À ce jour, le chef de l’État n’a toujours pas décrété d’embargo sur les armes livrées à Israël (le gouvernement argue que ces livraisons ne concernent que « les capacités défensives et le Dôme de fer ») et se refuse à reconnaître l’État de Palestine.
Il fait ainsi preuve d’une insoutenable légèreté au regard des images choquantes diffusées le 26 mai, montrant l’atrocité du bombardement. Ces images ont haussé d’un degré supplémentaire l’indignation collective face aux crimes de guerre commis par le gouvernement israélien de Benyamin Nétanyahou, qui ont fait au moins 36 050 morts, essentiellement des civil·es, selon le ministère de la santé du Hamas, en réponse à l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre.
Dès le 26 mai au soir, des élu·es de gauche se sont fait l’écho de ces événements en plaidant pour sanctionner concrètement Israël. « Toutes les pressions doivent être employées pour faire cesser cette abomination », a écrit Jean-Luc Mélenchon, fondateur de La France insoumise (LFI), énumérant un certain nombre d’entre elles : « Rupture de la coopération avec le gouvernement Nétanyahou et son économie, embargo sur les armes, reconnaissance de l’État de Palestine. Macron ne fait rien. Pas en notre nom ! » Les député·es LFI ont été les plus prompts à réagir à ce sujet sur X.
Depuis la décision, en janvier, de la Cour internationale de justice (CIJ) ordonnant à Israël d’empêcher un génocide à Gaza, LFI dénonce la commission d’un crime de « génocide » en Palestine. Le bombardement du camp de réfugié·es près de Rafah, que l’armée israélienne justifie par « l’utilisation de la zone par le Hamas », sonne pour le parti comme une confirmation de ses alertes, qui ont parfois été critiquées.
La présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, qui a relayé les images du carnage, a ainsi réagi de ce seul mot dans la nuit : « Génocide. » « Que la honte s’abatte sur nos gouvernants qui peuvent agir mais détournent les yeux par lâcheté coupable », a-t-elle ajouté.
La passivité d’Emmanuel Macron mise en cause
Toutes et tous sont en proie au scepticisme sur un éventuel changement d’attitude de la France, mais les événements donnent néanmoins plus de force à leurs revendications. « C’est un massacre de plus, mais ce n’est pas le premier, y compris avec des images. Macron parle mais il n’y a pas d’actes », regrette ainsi Éric Coquerel, député LFI, interrogé par Mediapart. « Que faut-il pour qu’on aille plus loin ? Cela me désespère un peu », poursuit-il.
Depuis lundi matin, la gauche dans son ensemble réclame des comptes à Emmanuel Macron. « La France et l’Union européenne doivent opérer une rupture en urgence dans leur action diplomatique pour stopper ce massacre : respect du droit international et sanctions, cessez-le-feu, libération des otages, reconnaissance de la Palestine », a écrit la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, critiquant la vacuité du communiqué présidentiel et rappelant que, deux jours plus tôt, la CIJ demandait à Israël d’arrêter « immédiatement » son offensive militaire à Rafah.
« Que fait la France pour mettre [Nétanyahou et son gouvernement d’extrême droite – ndlr] hors d’état de nuire ? Rien. Passivité coupable », a également accusé Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français (PCF).
C’est la suite logique de l’impunité dans laquelle la furie destructrice de Nétanyahou a été laissée depuis quelques années. Elsa Faucillon, députée communiste
Si la pression est telle, c’est aussi qu’Emmanuel Macron dispose de leviers qu’il n’active pas. Le 28 mai, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège vont officiellement reconnaître l’État de Palestine. Elles espéraient entraîner avec elles d’autres pays de l’Union européenne (UE) mais, pour l’instant, leur initiative est restée cantonnée. La reconnaissance de la Palestine n’est « pas un tabou », mais ce n’est pas le bon moment, a prétendu Stéphane Séjourné, chef de la diplomatie française, dans une déclaration écrite à l’AFP.
Des voix s’élèvent pourtant jusque dans le camp présidentiel pour se ranger du côté de celle-ci. L’ancien ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, dont la voix reste influente, la juge « indispensable », a-t-il déclaré au Parisien le 24 mai.
« Je crains que la France finisse par être obligée de le faire avec trois trains de retard et que ça perde de sa force, regrette la députée communiste Elsa Faucillon. C’est l’illustration du fait que Macron est empêtré dans sa ligne stratégique vis-à-vis d’Israël et de la Palestine. C’est la suite logique de l’impunité dans laquelle la furie destructrice de Nétanyahou a été laissée depuis quelques années. » Selon elle, les menaces réputationnelles n’ont aucune efficacité contre le premier ministre israélien, il faut donc passer un cap dans les sanctions et travailler à son « isolement ».
Un manque de mobilisation européenne
Le fait que la Cour pénale internationale (CPI) a requis, le 20 mai, des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et son ministre de la défense Yoav Gallant, aurait ainsi pu être davantage soutenu. « Mais la position de la France a été timorée, remarque Elsa Faucillon. C’est pourtant un point d’appui dans le droit international, pourquoi la France ne s’en saisit pas ? »
Depuis le 7 octobre, force est de constater que même le fait d’imposer le mot d’ordre du cessez-le-feu ou des corridors humanitaires à Gaza n’a été possible que grâce à la mobilisation de l’opinion publique française et internationale, après que des journalistes et des humanitaires ont été tués. Un retard à l’allumage qu’Elsa Faucillon n’attribue pas qu’à la France, mais qui ne l’épargne pas : « Les réactions des dirigeants des principales puissances occidentales sont toujours largement en dessous de la révulsion que les images devraient provoquer, et qu’elles provoquent effectivement chez les peuples de ces puissances occidentales. »
Interrogée par Mediapart, la porte-parole du Parti socialiste (PS) Chloé Ridel, qui plaide notamment pour que l’UE suspende son accord d’association avec Israël, est alignée avec l’idée qu’Emmanuel Macron n’est pas à la hauteur du rôle que la France pourrait jouer pour parvenir à un cessez-le-feu.
« On n’active pas les moyens de pression nécessaires », observe-t-elle, en notant par exemple que le président de la République n’a pas tenté, lors de son déplacement en Allemagne, de détourner son homologue Olaf Scholz de sa position de déni sur les massacres en cours en Palestine. « Il est pris à défaut de son manque de mobilisation européenne sur le sujet », dénonce encore la socialiste, en rappelant pourtant que des alliés existent, de Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, à António Guterres, secrétaire général des Nations unies. L’UE avait pris des sanctions, en avril, contre des colons israéliens pour « de graves violations des droits de l’homme », preuve qu’une action concrète est possible.
Par ailleurs, depuis le mois de février, les gauches convergent pour réclamer « un embargo sur la fourniture d’armes et de composants militaires à Israël », selon les mots de Mathilde Panot à l’Assemblée. Des ONG, dont Amnesty International, sont montées au créneau pour le réclamer, tant sur le plan judiciaire que par lettre ouverte, en vain.
Pour le député LFI Éric Coquerel, seules des sanctions économiques seraient à même de faire céder le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, comme autrefois un boycott citoyen puis étatique avait conduit à la libération de Nelson Mandela et à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Elsa Faucillon, qui est restée « pétrifiée » devant les images du 26 mai, conclut : « On ne peut pas attendre des mois devant des corps calcinés, brûlés vifs, sur la décision d’un gouvernement qui donne des ordres à son armée. »
Manuel Magrez sur www.mediapart.fr
Une foule massive de manifestants a gagné les rues de Paris dans la soirée du lundi 27 mai, à l’appel de plusieurs collectifs, après les bombardements ravageurs d’un camp de réfugiés à Rafah.
Dans les rues de la capitale, la stupeur a laissé un court instant la place à l’enthousiasme. Dans la foule, les sourires se dessinent sur les visages, dans un sentiment contradictoire au vu de l’enjeu, mais tout le monde est trop heureux de voir autant de drapeaux palestiniens flotter dans le ciel parisien. En ce début de soirée, lundi 27 mai, plusieurs milliers de manifestant·es se sont rassemblé·es place Saint-Augustin, dans le chic VIIIe arrondissement de Paris. Mot d’ordre initial : rallier à pied l’ambassade d’Israël, en réaction au bombardement par Tsahal d’un camp de réfugié·es à Rafah la veille.
L’attaque, qui a fait 45 morts et plus de 200 blessés selon le bilan du ministère de la santé de la bande de Gaza, administrée par le Hamas, a bousculé tous les manifestants sur place, à l’image de la communauté internationale pour une fois quasi unanime. Le gouvernement israélien, lui, a réagi dans l’après-midi, concédant simplement une « erreur tragique ».
Alors, dans les rues de Paris, ils étaient 10 000 à s’être rassemblés pour crier leur colère, selon les chiffres de la préfecture de police, que tout le monde met en doute ici. La place est noire de monde, il faut jouer des coudes pour se frayer un chemin. Des drapeaux palestiniens flottent un peu partout, parfois sur le dos de manifestant·es, un peu plus loin hissés sur les abribus. Le tout est quadrillé par les CRS, qui ont déployé un canon à eau pour barrer l’avenue qui mène à l’ambassade d’Israël, à laquelle les manifestant·es ne pourront pas accéder de toute la soirée.
L’ampleur de la manifestation impressionne d’autant plus ses participant·es que le mot d’ordre a été donné il y a moins de vingt-quatre heures. « On voyait des posts d’appel à la mobilisation partout, tout le monde les partageait », témoigne Amel, impressionnée par la réponse.
Keffieh rouge sur les épaules, Sarah observe la scène hissée sur le bord d’un trottoir pour tenter de deviner jusqu’où s’étend la foule. Pour elle, c’était « plus que nécessaire de venir ici aujourd’hui ». Alors elle a complètement chamboulé son agenda du jour pour se dégager ce temps précieux. « On a tendance à penser que notre petite personne n’a pas de pouvoir. Mais il faut être ici, mettre la pression », insiste la Parisienne.
Celle qui suit de près la situation à Gaza n’a qu’un mot pour décrire ce qu’elle a vu : « abominable ». Car comme toutes et tous ici, elle a vu les images prises juste après les bombardements, montrant des cadavres calcinés, parfois même décapités. Sarah se les ressasse, et espère même « que ces images ont pu se propager », comme pour servir de déclic.
Lacrymogène
Ce sont ces mêmes images, qui ont circulé toute la nuit sur les réseaux sociaux, qui ont poussé Khadidja à participer à la première manifestation de sa vie. « Dans ma vie, j’ai vu beaucoup de guerres, j’ai lu des choses à propos de guerres, et là j’ai vu ces images. On s’attaque à des enfants, c’est intolérable », clame-t-elle. À ses côtés, Jade brandit l’autre bout de la pancarte en carton qui dit « Stop au génocide ». Si elle n’en est pas à la première manifestation de sa vie, elle ne s’était rendue à aucune de celles dédiées au soutien au peuple palestinien, la faute à la « peur de manifester ».
Devant les cars de CRS, Amina a les yeux rougis par la salve de gaz lacrymogène qu’elle vient de subir. Le désagrément est loin de la décourager. « Je participe à ma première manifestation, mais certainement pas la dernière », annonce-t-elle.
Elle et sa camarade Emma se sont grimées pour l’occasion. Au feutre rouge, les étudiantes ont écrit « free » sur les joues, et « Palestine » sur le front. « Jusqu’ici, je me sentais tellement impuissante que j’avais arrêté de regarder les images de Gaza. Cette impuissance était insupportable. Cette fois-ci, c’est le trop-plein », justifie l’étudiante, qui a « été socialisée à la lutte pour la Palestine depuis jeune ».
À quelques pas de la cohue, la famille de Fadila renoue aussi avec ses réflexes de manifestation. Les quatre habitants de Corbeil-Essonnes s’étaient mobilisés une fois au tout début des bombardements sur la bande de Gaza. « On a assisté à un pic de barbarie tout à fait insupportable, alors on se devait d’être ici. Ce matin, avant même de savoir si un rassemblement allait être organisé, on s’est dit qu’il fallait qu’on se mobilise », plaide Fadila.
Leïla, l’une de ses deux filles, a été encore plus convaincue de l’intérêt de cette manifestation par le traitement médiatique réservé à l’épisode tragique de la nuit passée. « Au JT, ils ont passé dix minutes à parler d’un youtubeur et une minute seulement de Rafah », s’émeut l’adolescente.
Non loin de là, Sarah observe la foule avec un brin de soulagement. La mobilisation est pour elle à la hauteur de l’enjeu. Celle qui a été de « presque toutes les manifestations depuis octobre » arbore fièrement son pin’s « Free Gaza » sur sa veste grise. « Ces derniers temps, il y avait moins de monde aux manifestations, et c’est normal », explique la Parisienne de 23 ans. Mais cette « remobilisation », elle la croit pérenne.
« Faire pression sur le gouvernement français »
De toute façon, c’est sa seule arme. « L’objectif, il est de faire pression sur le gouvernement français », précise Sarah. « C’est assez décevant de voir que le gouvernement français ne veuille pas se mouiller, contrairement à l’Espagne et l’Irlande [qui ont officiellement annoncé vouloir reconnaître l’État palestinien – ndlr]. On attendait mieux de la France », défend la jeune femme.
Au niveau du camion sono, au milieu de la place, le son de cloche est le même. « Des sanctions, des sanctions, des sanctions », clame la foule, répétant les mots d’une militante juchée sur une estrade, micro en main. « On a bien pris ces dispositions pour la Russie, alors il faut les prendre maintenant contre Israël », répond Sabrina Sebaihi, députée écologiste des Hauts-de-Seine juchée elle aussi quelques instants plus tard sur l’estrade.
« Israël assassin, Macron complice », a alors scandé la foule tout au long de la longue déambulation dans les rues de Paris, pour mettre la pression à sa manière. Des heures durant, des groupes scindés ont défilé dans les rues de la capitale parfois sans trop savoir où aller, en passant devant la gare Saint-Lazare, l’église de la Madeleine ou encore l’Opéra Garnier, sous l’œil amusé des touristes.
Au bout de trois heures de rassemblement et de déambulation sans incident apparent, les forces de l’ordre ont voulu sonner la fin de la manifestation à coups de gaz lacrymogène et de tentative de blocage des cortèges maigrissant. En vain jusqu’à une heure avancée de la soirée.
Observant la scène sur le bord de la route, un syndicaliste venu avec quelques camarades manifester se réjouit de voir « ces jeunes mobilisés en très grand nombre. Le président n’est pas près de les faire rentrer chez eux ». Le syndicaliste a une image en tête : « Il y a une expression qui résume bien la situation dans ce genre de cas. Il est plus facile de faire sortir le dentifrice du tube que de l’y faire rentrer. »
mise en ligne le 27 mai 2024
Benjamin König sur www.humanite.fr
Il en est beaucoup, y compris à gauche, qui voudraient que le dossier de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie demeure strictement franco-français. Mais, comme pour tous les territoires colonisés de la planète, il s’agit d’abord de droit international, comme le rappelle Mickaël Forrest, de l’Union calédonienne.
Alors qu’Emmanuel Macron, à Nouméa, n’a pas annoncé le retrait du dégel du corps électoral et parle en priorité de « rétablissement de l’ordre républicain », le monde regarde d’un œil inquiet la situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie (KNC). Laquelle relève du droit international, et non pas de ce seul « ordre républicain ». Entretien avec l’homme chargé du suivi des relations extérieures dans le gouvernement collégial calédonien, à majorité indépendantiste, dirigé par Louis Mapou.
Vous revenez d’une réunion de travail des Nations unies à Caracas, au Venezuela, au sein du comité de décolonisation. Quelle voix portez-vous lors de ces échanges diplomatiques ?
Mickaël Forrest : Un des articles de l’accord de Nouméa stipule que les Nations unies sont informées et doivent suivre le processus de décolonisation. D’autre part, la Kanaky-Nouvelle-Calédonie a été réinscrite le 2 décembre 1986 sur la liste des Nations unies des territoires à décoloniser.
Tous les ans, l’Assemblée générale de l’ONU adopte une résolution concernant ces 17 territoires, parmi lesquels la Polynésie française, Guam, le Sahara occidental, Gibraltar, etc. Je suis parti de KNC vingt-quatre heures avant le début des révoltes, invité par le comité spécial de décolonisation des Nations unies (créé en 1961, il comprend 29 membres – NDLR) à un séminaire régional.
Quelle était la teneur des discussions ?
Mickaël Forrest : Il s’agissait de la deuxième des cinq dates annuelles qui constituent les étapes du travail du comité. Ce séminaire régional se tient une fois par an, soit dans les Caraïbes, soit dans le Pacifique : l’année dernière en Indonésie, cette année au Venezuela. En juin, nous entrerons sur le fond des thèmes abordés, avec la session annuelle du comité, à New York. Le député Jean-Paul Lecoq y participe d’ailleurs. Puis le comité présente un rapport à l’Assemblée générale.
Avez-vous abordé la situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie lors de ces échanges dans le cadre de l’ONU, qui semble-t-il regarde les événements d’un œil inquiet ?
Mickaël Forrest : Bien sûr, et nous avons fait en sorte qu’ils s’inquiètent un peu plus. J’ai demandé au nom de notre gouvernement plusieurs mesures, à commencer par une mission de visite du comité spécial sur notre territoire, ce qui permet d’apprécier au plus près la situation. Depuis 2015, neuf missions d’observation électorale ont été dépêchées en KNC, car nous dénonçons toujours ce que nous considérons comme une fraude électorale organisée par l’État français avec la venue massive de métropolitains, ce qui continue de noyer le peuple kanak.
Cette année, j’ai demandé une médiation internationale, car cela fait plusieurs mois que le dialogue est coupé entre les parties. Ainsi que la nomination d’un envoyé spécial de l’ONU (nommé par le secrétaire général des Nations unies, à l’instar de Francesca Albanese pour la Palestine – NDLR), une personne neutre qui pourrait aider à renouer le dialogue et poser un cadre politique transparent.
Une représentante du FLNKS était également présente, pour exposer les arguments du mouvement indépendantiste. Une fois n’est pas coutume, plusieurs personnes du camp anti-indépendantiste, des proches de Mme Backès et de M. Metzdorf, étaient également présents. Visiblement, ils découvraient le comité spécial et n’ont bien sûr pas parlé de décolonisation. Pour utiliser un proverbe transposé en français, je dirais qu’ils sont venus planter de la vigne dans une terre préparée pour des poireaux… Cela a été mal perçu par les membres du comité.
Le premier ministre du Vanuatu, au nom du Forum des îles du Pacifique, vous a apporté son soutien. L’Australie dit être « attentive » à la situation et évacue ses ressortissants. Quelles sont vos relations avec les pays voisins ?
Mickaël Forrest : Au Venezuela, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, un État important de la diplomatie régionale, a délivré un discours clair pour que le comité adopte les mesures nécessaires afin que notre droit à l’autodétermination soit effectif. Au sein du Pacifique, le premier appui est celui du Groupe fer de lance mélanésien (GFLM, alliance regroupant les îles Salomon, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu, les Fidji, l’Indonésie et le FLNKS, créé en 1988 et proche du Mouvement des non-alignés – NDLR).
Je participe à une mission avec 16 autres ministres des pays du Forum des îles du Pacifique (FIP, organisation régionale fondée en 1971 qui comprend tous les pays d’Océanie, plus la Polynésie et la KNC depuis 2016 – NDLR) pour renforcer les liens avec d’autres pays, notamment Singapour. À cette occasion, nous avons beaucoup échangé sur la situation actuelle en KNC. De nombreux pays, ONG et organismes internationaux du Pacifique ont dénoncé l’action de la France sur notre territoire.
Sur le fond, la question est-elle celle du viol du droit international par la France ?
Mickaël Forrest : Oui, tout à fait. La KNC n’est plus une affaire interne à l’État français. Je vais me rendre bientôt en Europe pour discuter également avec des leaders indépendantistes du continent qui nous soutiennent depuis plusieurs décennies : basques, catalans, corses… Nous aborderons le sujet des élections européennes : même si pour le peuple kanak cela ne veut pas dire grand-chose, ce scrutin revêt des enjeux politiques forts, y compris pour nous. Il existe des jeux politiques par rapport à nous.
Que répondez-vous aux accusations d’ingérence de la part de l’Azerbaïdjan ou de la Chine ?
Mickaël Forrest : Il faut revenir à des choses claires : la meilleure réponse est celle de M. Victorin Lurel, l’ancien ministre PS des Outre-mer, qui dit que la France n’a jamais su décoloniser. Et l’État français a des projets pour l’axe indo-pacifique. Notre gouvernement n’a aucune difficulté avec quelque pays que ce soit.
La Chine, par exemple, est notre premier partenaire commercial, elle achète notamment 80 % de notre nickel. Quand on veut avoir une lecture géopolitique, il faut l’avoir également en matière économique, sociale, culturelle, etc. Quant à l’Azerbaïdjan, il présidait le Mouvement des non-alignés, qui nous a toujours soutenus et dont nous sommes membres observateurs. Pour nous, dans notre situation coloniale, ce sont des soutiens anciens, qui nous accompagnent dans notre lutte.
mise en ligne le 24 mai 2024
Muriel Steinmetz sur www.humanite.fr
L’ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco publie un livre écrit à chaud sur la situation de son pays en proie à un conflit qui, selon lui, peut déboucher sur le « transfert » définitif de son peuple.
Une grande voix de la Palestine répond à nos questions. Il s’agit de l’écrivain Elias Sanbar, engagé dès 1967 dans le mouvement national palestinien. On lui doit de nombreux ouvrages sur l’histoire et la culture de son pays natal, qu’il ne cesse de défendre et illustrer à l’échelle internationale. Il a occupé, de 2006 à 2021, la fonction d’ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco après avoir participé à la conférence de paix de Madrid en 1991, puis aux négociations bilatérales à Washington.
Il a été, de surcroît, de 1994 à 1997, chef de la délégation palestinienne aux négociations de paix sur les réfugiés. De 1980 à 2006, il a animé l’importante Revue d’études palestiniennes (éditions de Minuit). Il sort, ces jours-ci, un livre qu’il a écrit intitulé la Dernière Guerre ? Palestine, 7 octobre 2023-2 avril 20241. Ami et traducteur du poète Mahmoud Darwich, il en cite, en conclusion, ces vers déchirants : « Laissez donc, ô invités du lieu, quelques sièges libres pour les hôtes, qu’ils vous donnent lecture des conditions de la paix avec les défunts. »
Dans ce livre, vous revenez aux sources historiques du conflit…
Elias Sanbar : La guerre actuelle a trois éléments qui la rendent identique à l’autre, originelle, commencée le 29 novembre 1947, au moment de l’adoption du plan de partage de la Palestine, terminé le 14 mai 1948, lorsque les premiers soldats arabes sont entrés sur le territoire palestinien, à la proclamation de l’État d’Israël. À ce moment-là, nous, Palestiniens, étions déjà réfugiés. Le pays avait déjà été vidé. L’essentiel de la Nakba (l’expulsion de près de 800 000 Palestiniens – NDLR) a eu lieu durant ces cinq mois et demi.
Le « transfert » – le mot est de Ben Gourion – et le remplacement ont déjà eu lieu. Cette première guerre s’est soldée par la défaite du camp palestinien. La Nakba est déjà terminée quand les soldats arrivent avec l’idée de récupérer la Palestine. Elle est déjà perdue. Or, on présente notre expulsion comme la conséquence d’une agression arabe.
Quel projet final guide le gouvernement d’extrême droite israélien aujourd’hui ?
Elias Sanbar : Il n’en a pas. Il y a une explication qu’on retrouve partout : cet homme, Benyamin Netanyahou, n’a d’autre projet que de rester au pouvoir. C’est un peu court ! Le crime de guerre commis par le Hamas le 7 octobre n’était pas un débordement d’action incontrôlée. Je n’en fais pas l’éloge. Il a été conçu pour passer des bombardements habituels orchestrés par Israël à un embourbement de l’armée israélienne à Gaza. Cette stratégie a été menée avec une profonde connaissance de la société israélienne.
Il savait qu’en frappant une société convaincue d’être en danger de disparition, rien ne se solderait par une riposte simple. Israël a repris la main en menant une guerre totale à Gaza. Y ont été ajoutés d’autres champs de bataille : Cisjordanie, Jérusalem-Est, réfugiés de 1948… Le slogan de 1948, « Il est temps de terminer ce que Ben Gourion n’a pas achevé », a été repris.
Que n’a-t-il pas achevé ? Le « transfert » de la Cisjordanie, le « transfert » de Gaza, le « transfert » des 152 000 Palestiniens restés dans ce qui allait devenir Israël et le règlement définitif des 800 000 réfugiés de 1948, qui sont aujourd’hui 6 millions. Le concept de « jour d’après » est celui d’une Palestine totalement « nettoyée ». Le projet en cours est voué à l’échec. Israël n’arrive pas à achever le travail de Ben Gourion et il ne le terminera pas.
Pourquoi ?
Elias Sanbar : Israël existe et a produit une entité, l’Israélien, qui est juif, mais qui n’est pas LE juif. C’est fondamental. Les Israéliens sont à 80 % de religion, d’idéologie, d’identité juive mais ce ne sont pas les juifs. Aujourd’hui, quand on parle d’Israéliens – lesquels ont une mentalité coloniale –, les gens s’imaginent que vous parlez de Freud, de Mahler, de Walter Benjamin, d’Hannah Arendt, de Spinoza… Non ! Ceux-là étaient des Européens juifs. Cette confusion a donné une forme d’immunité aux actions inacceptables d’Israël. Cette guerre est en train de faire voler en éclats l’idée de l’armée la plus morale du monde.
« Tu restes, tu meurs. Tu pars, tu vis. »
La seconde chose, c’est la question du sentiment d’être en danger. Si Israël était vraiment en danger, la totalité des grandes puissances de la planète débarqueraient pour le sauver. Par contre, dans le ressenti israélien – qui est une réalité –, les gens réagissent comme s’ils étaient en danger de disparition réelle. En face, les Palestiniens, eux, sont en train de disparaître. De part et d’autre, le conflit prend la forme d’une question de vie ou de mort. L’idée de deux États, ce pour quoi nous nous sommes battus, moi le premier, n’est plus sur la table. Ils veulent finir le travail !
Une Nakba bis ?
Elias Sanbar : Plutôt un parachèvement de la Nakba, avec la réalisation du « transfert ». La Nakba signifie la catastrophe, l’effet causé par l’absence : un pays disparaît tout à coup, corps et biens. Le transfert est une action militaire, coloniale, de remplacement d’un peuple par l’autre. C’est en jeu depuis le début. Il s’agit d’une colonisation très particulière. Sa seule colonisation jumelle, c’est la conquête de l’Ouest américain.