publié le 30 avril 2023
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Bien qu’affaiblies par la « révolution » macronienne, les organisations syndicales ont affirmé leur rôle de contre-pouvoir à travers le mouvement historique contre la réforme des retraites. Une place qu’elles pourront renforcer, « à condition de trouver un second souffle », soutient le politologue Baptiste Giraud, avant ce 1er mai exceptionnel à l’appel de l’intersyndicale.
L’intersyndicale promet un 1er Mai historique. Les huit centrales restent unies dans l’objectif de la non-application de la réforme des retraites. Pour autant, les divisions stratégiques et revendicatives laissent planer un doute quant à la longévité du rassemblement, alors qu’Emmanuel Macron entend accélérer ses réformes, en avançant l’ouverture d’une grande négociation entre organisations patronales et syndicales, en vue d’abonder son « pacte de la vie au travail ».
Diriez-vous, pour l’heure, que les organisations syndicales sortent renforcées de ce conflit social malgré l’absence du retrait de la réforme ?
Baptiste Giraud : Objectivement, l’ampleur des mobilisations a démontré à ceux qui en doutaient la force de leur ancrage dans le monde du travail et leur capacité à s’imposer comme des acteurs centraux du jeu politique. Mais ce conflit est aussi une illustration supplémentaire de leur marginalisation par le pouvoir. Les organisations syndicales ont beaucoup communiqué sur le nombre d’adhésions réalisées depuis janvier. La difficulté reste à les transformer en engagement durable. La mobilisation a aussi joui d’un soutien massif parmi les actifs. C’est un point positif, mais paradoxal par rapport à la difficulté persistante des syndicats à le convertir en engagement plus massif dans les manifestations et encore plus dans la grève.
L’intersyndicale demeure toujours rassemblée. La CFDT, notamment, continue d’impulser la contestation sociale. L’absence de compromis et l’attitude brutale de l’exécutif sont-elles les seules explications ?
Baptiste Giraud : Elles ont été des facteurs décisifs. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les syndicats n’ont plus aucune marge de manœuvre. Cela vaut aussi pour les centrales réformistes qui ne peuvent plus valider leur engagement dans la négociation par l’obtention de compromis. De fait, elles sont contraintes à renouer avec des postures contestataires, délaissées depuis 2010. Cette unité syndicale cristallise donc des tensions qui dépassent le seul cadre de cette réforme. Notamment depuis la mise en place des ordonnances Macron et l’instauration des comités sociaux et économiques (CSE), dont la conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir.
« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »
Pensez-vous que le dialogue et la démocratie sociale sont à l’arrêt jusqu’à la fin du quinquennat ?
Baptiste Giraud : De toute évidence, elle ne fonctionne pas depuis 2017. Mais il est difficile d’imaginer l’exécutif diriger le pays quatre années durant sans avoir aucun interlocuteur syndical. Le refus de discuter sur d’autres réformes est d’ailleurs la principale arme des centrales pour perturber le pouvoir politique. Si le gouvernement se décide à donner des gages aux organisations réformistes sur les futurs arbitrages, pour ma part, je les imagine mal camper sur cette position de blocage. L’exécutif devra y mettre le prix. Restons prudents cependant. On aurait pu s’attendre à ce que la crise des gilets jaunes ait remis les syndicats au centre du jeu politique, en faisant la démonstration de la nécessité d’avoir des représentations organisées. Manifestement l’exécutif n’en a pas tiré de leçon, tout comme Emmanuel Macron a fait mine de ne pas comprendre qu’il n’a pas été réélu sur son programme.
Pour la suite, le gouvernement met sur la table une nouvelle loi travail, ainsi qu’un texte sur le partage de la valeur. Quelle va être l’attitude des centrales syndicales dans ces dossiers ?
Baptiste Giraud : Le caractère unitaire de ce mouvement n’a pas fait converger les syndicats vers des revendications alternatives communes. Ce qui le distingue, par exemple, des mobilisations de 2008 au moment de la crise financière, qui s’étaient construites autour d’une plateforme revendicative intersyndicale. L’unité des syndicats reste donc fragile dans le temps en raison de leurs divergences de position sur la protection sociale ou les politiques salariales. Elles se sont par exemple divisées sur le récent accord interprofessionnel sur le partage de la valeur ajoutée qui n’aborde pas la question des salaires, renvoyée aux négociations de branches et d’entreprises. Pour cette raison, la CGT a refusé de signer l’accord alors qu’il a été ratifié par les autres centrales. Sur les autres sujets, s’il y a des avancées, on peut penser que le gouvernement trouvera une oreille attentive du côté des organisations réformistes. Ces dernières prennent un risque en restant en dehors de toute forme de négociations avec le gouvernement et le patronat, car il s’agit là de leur marque de fabrique, leur identité militante. C’est ce qui les distingue et légitime leur rôle dans l’espace syndical. Pour rester au centre de ce dernier, il sera donc difficile pour elles de persister dans une posture de contestation.
Ce mouvement social est marqué par de fortes mobilisations de rue, avec 3,5 millions de personnes dans les cortèges les 7 et 23 mars. Y a-t-il un changement de paradigme dans les luttes, avec une prédominance des manifestations par rapport aux grèves ?
Baptiste Giraud : Ce n’est pas une nouveauté, cette tendance est perceptible depuis au moins trente ans. La manifestation, dans des journées d’action interprofessionnelle, apparaît comme la principale modalité de participation à l’action. Cela ne veut pas dire que les grèves n’existent pas. Mais elles sont assez circonscrites à l’énergie, le transport ferroviaire, l’éducation nationale ou encore aux raffineries. À noter que les éboueurs se sont plus mobilisés qu’à l’ordinaire. Mais en dehors de ces secteurs dits stratégiques, il n’y a pas eu d’extension de mouvements de grève reconductible. En dehors des journées d’action, la participation aux grèves a aussi été plus faible que par le passé, y compris chez les cheminots. Il n’y a pas de comparaison possible avec 1995, où la mobilisation à la SNCF était très ancrée sur la défense du statut, qui n’existe plus depuis 2020 pour les nouveaux embauchés. La morphologie de la mobilisation est en fait cohérente avec ce qu’on observe sur le temps long : une baisse du nombre de grèves, du taux de participation, mais aussi leur répartition très inégale dans le monde du travail. Les syndicats restent faiblement implantés auprès de salariés qui subissent des conditions de salaire et d’emploi précaires, au sein de collectifs de travail très éclatés. Il leur est donc très difficile d’y organiser des grèves. Le contexte de forte inflation a évidemment ajouté aux difficultés à mobiliser par la grève au profit de formes de mobilisation moins coûteuses comme les débrayages, l’utilisation des heures de délégation ou la pose de RTT.
Le rapport de la CGT à la contestation semble s’être durci à l’issue de son 53e congrès. Dans son duel à distance avec la CFDT, la mobilisation change-t-elle quelque chose pour la centrale ?
Baptiste Giraud : Il est assez compliqué de savoir qui sort vainqueur, dans le camp syndical, de cette séquence. La CGT a démontré son rôle moteur dans la mobilisation, notamment dans les secteurs stratégiques, en dépit de son affaiblissement électoral. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer pourquoi les organisations réformistes n’ont pas forcément intérêt à rester longtemps dans cette stratégie, qui redonne de la vigueur à une pratique plus contestataire du syndicalisme. Laurent Berger s’est imposé comme la figure syndicale médiatique de la mobilisation. La CFDT est d’habitude plus en retrait, sa parole apparaissait plus originale pour les médias. La CGT et la CFDT peuvent en sortir renforcées, à condition qu’elles trouvent un second souffle. La CGT ne peut rester durant des mois dans une posture de contestation permanente et doit trouver d’autres leviers pour obtenir des victoires justifiant l’efficacité de son action. La CFDT ne pourra revenir dans sa pratique de la négociation qu’à condition d’obtenir des acquis réels, en particulier sur la pénibilité.
L’arrivée de Sophie Binet à la tête de la CGT marque-t-elle un changement générationnel dans le syndicalisme ?
Baptiste Giraud : Tout à fait. Sophie Binet est la première femme à diriger cette confédération, cela a été souligné, tout comme son passage par le PS ou encore son parcours à l’Ugict (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT). Mais son élection, avec celle de Laurent Brun (secrétaire général de la fédération CGT cheminots – NDLR) comme administrateur, marque aussi l’arrivée de quadragénaires à la tête de la confédération. C’est également le cas pour Marylise Léon, qui va succéder à Laurent Berger à la CFDT. Ce renouvellement de génération peut favoriser l’ouverture des syndicats à de nouveaux combats, notamment sur le féminisme ou l’écologie qu’incarne Sophie Binet. En revanche, comme en témoigne par exemple l’arrivée de Laurent Brun, il n’implique pas forcément de rupture dans le logiciel idéologique de la centrale. On peut s’accorder sur le fait que ce renouvellement soit une bonne nouvelle, dans l’idée que cela rajeunit l’image du syndicalisme et tord le cou à l’idée qu’il ne serait qu’une affaire du passé. Au contraire, on observe que les syndicats ont la capacité de produire de nouvelles générations de dirigeants, de haut niveau, indépendamment de leurs lignes respectives.
« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »
Malgré un désert syndical chez les étudiants, les jeunes se sont mobilisés de manière plus importante après l’usage du 49.3. Ont-ils apporté un second souffle à cette mobilisation ?
Baptiste Giraud : C’est d’abord un révélateur de l’affaiblissement durable du syndicalisme étudiant, dans sa fonction mobilisatrice, directement lié au délitement de l’Unef. J’ajouterai deux éléments conjoncturels. Le CPE concernait en premier lieu les jeunes, contrairement à la retraite. Mais aussi le fait que le bac se déroule désormais en mars, pour certaines épreuves décisives pour Parcoursup. Le calendrier n’était pas optimal pour favoriser la mobilisation de la jeunesse. Cela ne signifie pas pour autant une dépolitisation. La mobilisation a changé de sens, passant d’un conflit social classique à un conflit englobant des aspects démocratiques, surtout après l’usage du 49.3. Cela a permis d’élargir la contestation aux jeunes et, sans doute, à d’autres catégories de salariés. Pour les centrales syndicales, l’un des enjeux à venir est de restructurer une capacité de mobilisation des jeunes, à l’université comme au travail.
Profil : Baptiste Giraud est maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille. Ses domaines de recherche se concentrent, entre autres, sur la sociologie du syndicalisme et de l’action collective, des organisations politiques, des relations professionnelles et de la santé au travail. Il est notamment le coauteur, en 2018, d’une « Sociologie politique du syndicalisme », aux éditions Armand Colin.
publié le 30 avril 2023
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
En déplacement dans les Pyrénées-Orientales, le ministre de la Transition écologique n’avait aucune perspective à proposer à un département en situation de crise aiguë.
On ne peut pas vraiment le confondre avec une grenouille météo : Christophe Béchu n’a ni la même manière de s’exprimer ni la peau verte et luisante. Sur le plan fonctionnel, en revanche, la confusion reste possible : sorti du bocal ministériel pour grimper sur son échelle médiatique, le ministre de la Transition écologique commente le temps qu’il fait mais, visiblement, n’a aucun pouvoir d’agir face à la sécheresse qui plonge déjà une grande partie du pays dans l’angoisse. « Je ne suis pas venu pour annoncer des crédits, des fonds ou des choses de ce type », a-t-il ainsi annoncé d’emblée, jeudi 27 avril, à peine le pied posé dans les Pyrénées-Orientales, département particulièrement frappé par le manque d’eau précoce.
Pas de fonds de solidarité pour les agriculteurs
Une fois le périmètre et les ambitions de son déplacement ainsi circonscrits, le ministre a pu présider le comité d’anticipation et de suivi hydrologique convoqué par le préfet Rodrigue Furcy, à l’issue duquel il n’a, fort logiquement, rien annoncé sinon une cellule ministérielle qui se penchera sur le cas des communes confrontées au manque d’eau potable.
Quatre sont déjà dans ce cas dans le département. Mais pas de fonds de solidarité, demandé par les agriculteurs – surtout les maraîchers et fruitiers –, qui savent déjà qu’ils vont perdre la plus grande partie de leurs récoltes et de leurs revenus : le ministre a renvoyé la balle à son collègue de l’Agriculture, Marc Fesneau. Pas non plus de mise à disposition d’un hélicoptère bombardier d’eau, réclamé en début de semaine par la présidente du conseil départemental, Hermeline Malherbe (PS), afin de mieux lutter contre les incendies, comme celui qui a dévasté plus de mille hectares autour de Cerbère en début de mois.
Ce mois d'avril « sera vraisemblablement le plus sec depuis 1959 dans les Pyrénées-Orientales »
Pourtant, la situation est déjà très compliquée. Selon Météo France, ce mois d’avril « sera vraisemblablement le plus sec depuis 1959 dans les Pyrénées-Orientales », et le niveau d’humidité des sols correspond déjà au « niveau de sécheresse que l’on rencontre en temps normal au mois d’août ».
Le département se serre déjà la ceinture, les différents acteurs économiques – en particulier dans le secteur du tourisme – s’étant déjà engagés à réduire drastiquement leurs consommations. Et le département ne sera certainement pas le seul à devoir en passer par là, puisque 40 autres sont déjà en vigilance ou en alerte sécheresse et que les trois quarts des nappes phréatiques sont au-dessous de leur niveau normal.
Dans un tel contexte, le caractère purement gesticulatoire du passage de Christophe Béchu en terres catalanes augure mal des réponses que le gouvernement pourra donner : le pays manque d’eau mais le robinet des moyens, lui, restera bien fermé.
par Sophie Binet - Secrétaire générale de la CGT
Cette année, la sécheresse est inédite. Il va pourtant falloir s’y habituer car il s’agit de l’une des conséquences durables du changement climatique. Impossible donc de continuer, comme le fait le gouvernement, à gérer le sujet à la petite semaine, au gré des lobbies. Il faut d’abord renforcer les effectifs du ministère de l’Environnement, chargés de surveiller la gestion de l’eau. En effet, alors que les conflits d’usage entre industrie, agriculture et habitants vont se multiplier, il est indispensable de renforcer les acteurs à même de faire primer l’intérêt général. Il faut bien sûr revoir en profondeur le modèle agricole, sortir de la logique productiviste et renouer avec une agriculture ancrée sur les besoins et les contextes locaux. Et pas question d’y répondre en multipliant les méga-bassines ! L’industrie est également à interroger. Le gouvernement s’est félicité de l’extension de l’usine de puces électroniques de STMicroelectronics à Crolles en Isère, sans s’inquiéter de son impact sur les ressources en eau potable. Pourtant, cette industrie pourrait tout à fait fonctionner en réutilisant plusieurs fois la même eau, c’est le projet porté par la CGT mais ralenti à ce stade pour raisons financières. Enfin, alors que la consommation d’eau des particuliers est directement corrélée au niveau de revenus, mettre en place une tarification progressive de l’eau permettrait de lier justice sociale et environnementale. Plus possible de multiplier les piscines !
Par Lorène Lavocat et David Richard sur https://reporterre.net/
Les Pyrénées-Orientales sont à sec. Certes, des mesures de court terme viennent d’être prises. Mais des années d’inaction politique ont ancré la crise de l’eau : trop d’urbanisation, trop de siphonnage des rivières...
Dans les Pyrénées-Orientales, l’eau manque partout : six communes connaissent déjà des coupures au robinet, une vingtaine d’autres pourraient bientôt être concernées ; les réserves d’eau servant en cas d’incendie sont au plus bas. « Il n’y aura pas assez d’eau pour couvrir tous les besoins d’ici la fin de l’été, a convenu le préfet Rodrigue Furcy, mardi 25 avril. La situation est extrêmement dégradée, le mois d’avril est le plus sec jamais enregistré depuis 1959. » La crise actuelle de l’eau est (aussi) le résultat de choix – et d’inactions – politiques, qui ont laissé le champ libre à des pratiques agricoles et économiques délétères.
« Il y a une forme de déni, on n’a pas pris les mesures au moment où on aurait dû le faire », estime Agnès Langevine, vice-présidente de la région Occitanie, originaire du département. Pendant des années, les Catalans ont fait comme si l’eau était une ressource infinie. Il finirait bien par pleuvoir ; il y aurait toujours les montagnes et leur or blanc ; il resterait toujours la possibilité de forer dans les nappes. « On s’est un peu comportés comme des enfants pourris gâtés », a admis un représentant des entreprises de tourisme, présent à la préfecture.
L’irrigation est à ce propos un cas d’école. Pour arroser les vergers du Roussillon, les agriculteurs ont toujours compté sur l’eau de la Têt. Et même un peu trop. Avec l’aval de l’État, les irrigants pompaient dans la rivière bien au-delà des limites réglementaires définies par la loi sur l’eau [1]... jusqu’à la fin de l’année dernière, quand la justice a cassé les arrêtés préfectoraux.
En parallèle, nombre d’agriculteurs – mais aussi des particuliers – se sont mis à puiser dans les nappes phréatiques. Sans toujours déclarer leurs forages. Résultat, impossible de connaître aujourd’hui avec précision l’état de la ressource en eau profonde. « Pour l’irrigation agricole, on compte sur 2 000 forages [sur le secteur de la plaine du Roussillon], moins de 50 % en situation régulière », estimait la Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales (Frene 66) dans une contribution adressée au Sénat fin 2022. Les pouvoirs publics prévoyaient un recensement et une opération de régularisation en… 2018. Cinq ans plus tard, « le travail est toujours en cours », assure-t-on à la préfecture.
Du retard a également été pris quant à la rénovation des canaux, qui amènent le précieux liquide de la Têt jusqu’aux parcelles agricoles : d’après des études effectuées en 2011, ces conduits dérivent chaque année 275 millions de mètres cubes de la Têt ; or les besoins des plantes irriguées s’élèveraient à 51 millions de mètres cubes annuels. Il y a donc là une importante marge de manœuvre pour économiser l’eau, notamment en luttant contre les fuites. Sauf que les travaux tardent à venir. Le gouvernement a annoncé qu’il débloquerait 180 millions d’euros par an pour réparer « en urgence » les fuites d’eau dans les canalisations. Dans 170 communes, les pertes atteignent 50 % : un litre sur deux perdu. 14 de ces communes se trouvent dans les Pyrénées-Orientales.
Autre exemple de cet aveuglement, l’urbanisation. « Alors que la situation climatique devrait nous conduire à stopper l’arrivée de nouveaux habitants, comme certains maires l’ont décidé dans le Var, et à désimperméabiliser les sols pour permettre à l’eau de s’infiltrer, ici, on en est loin », regrette Joseph Genébrier, membre de Frene 66. Les zones pavillonnaires – avec piscines – ont fleuri sur le territoire. Sur le bassin de la Têt, la Frene 66 a constaté des projets de lotissements à Argelès-sur-Mer, à Sorede, à Banyuls… Pour un total de 1 700 logements et une artificialisation de 70 hectares.
Une division par dix de la consommation pour les golfs
Pour faire face, la préfecture a bien décrété la mobilisation générale, chaque secteur étant sommé de se serrer la ceinture. « Il faut passer d’une logique de passager clandestin à une logique de solidarité », a martelé le préfet lors de la conférence de presse. Les acteurs du territoire lui ont remis leurs bonnes résolutions. 500 000 mètres cubes d’économie pour l’hôtellerie-restauration ; une division par dix de la consommation pour les golfs ; 50 % de réduction et une réutilisation des eaux usées pour les parcs aquatiques. « On prélève 75 % d’eau en moins qu’en année normale », a assuré la présidente de la Chambre d’agriculture, Fabienne Bonet, la mine grave, avant de prévenir : « On est en mode survie, on ne peut pas aller plus loin. » Le préfet a salué « un effort collectif ».
Mais si élus, agriculteurs et acteurs touristiques se réveillent, pas sûr qu’ils soient prêts pour la révolution écologique qui s’impose. « Bien sûr, il faut gérer au mieux les mois qui s’annoncent, mais il nous faut aussi nous adapter. Et pour ce faire, il faut du courage politique », estime Agnès Langevine. Aucun édile n’a pour le moment emboîté le pas au maire d’Elne par exemple, qui a interdit les nouvelles piscines. Sceptique lui aussi, le militant écologiste de longue date Joseph Genébrier critique ce regain de mobilisation qu’il juge complètement hors sujet : « Les acteurs économiques, les élus, les agriculteurs continuent de raisonner les économies en litres alors qu’il faudrait penser en mètres cubes, résume-t-il. Il nous faut des mesures fortes. » Interdire les usages trop gourmands en eau, stopper l’urbanisation, transformer l’agriculture.
Mais les députés et conseillers municipaux du Rassemblement national – le parti d’extrême droite a remporté une victoire historique aux législatives dans le département – ont brillé par leur discrétion sur ce sujet de la sécheresse. En mars, plusieurs chercheurs, dont le climatologue et auteur du Giec Christophe Cassou, ont tenu à Perpignan une conférence sur la pénurie d’eau. Aucun élu de droite ni d’extrême droite n’a fait le déplacement. Le même jour, des adjoints de Louis Aliot (maire RN de la capitale catalane) annonçaient la tenue d’une procession religieuse pour implorer la pluie.
Principale réaction – du moins la plus visible – des responsables politiques et agricoles : des manifestations et des prises de position véhémentes contre les écologistes. « On désigne les coupables, qui seraient les écolos… c’est sans doute plus simple que de s’atteler aux problèmes de fond », constate, amère, Agnès Langevine.
publié le 29 avril 2023
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
En pleine bataille des retraites, la réussite de cette Journée internationale des travailleurs, où défilera l’intersyndicale, peut ouvrir des opportunités nouvelles au mouvement social, alors que le Conseil constitutionnel se prononce le 3 mai sur la seconde demande de RIP.
Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce d’ores et déjà historique. Par sa dimension rassembleuse d’abord, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait également à la mobilisation, mais sans Force ouvrière, ni la CFTC.
Pour 64% des Français, la contestation sociale doit se poursuivre
Cette nouvelle manifestation intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.
Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont d’ores et déjà prévus, contre environ 200 à l’ordinaire. « Nous sentons une montée en puissance des manifestations, avec une volonté recherchée de rassembler au plus près des bassins d’emploi, explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui se joue, c’est la poursuite du mouvement. »
D’ailleurs, pour 64 % des Français, selon l’institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire est d’avoir identifié, à nouveau, le 1er Mai comme une date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront ainsi présents Esther Lynch, secrétaire générale de Confédération européenne des syndicats (CES) , et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).
La non-application de la réforme est possible
CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat première embauche (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la réforme des retraites, le 15 avril.
De fait, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, au Journal officiel écarte la possibilité de contraindre le président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet devant les députés. « Dès lors, si vous voulez revenir devant le Parlement, il faut déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil dès le début », précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.
Pour autant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut forcer le président de la République à ne pas publier les décrets d’application.
Seconde demande de RIP déposée par les parlementaire de gauche
Sur le plan parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de départ à la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.
« Mais cette requête reprend l’article unique de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’apportait pas de changement du droit, tempère Benjamin Morel, accompagné d’un second article visant à moduler les taux de CSG. Or, la jurisprudence issue du RIP sur les superprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »
Les sages rendront leur avis le 3 mai. La réussite du 1er Mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une issue démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des propositions de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront également amenés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.
Le mouvement renouvelle ses modes d’action
Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un déplacement houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et accueilli par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite du CHU de Poitiers ; les équipes d’Emmanuel Macron, qui prévoient un groupe électrogène de secours, en cas de coupure d’électricité durant les tournées présidentielles… À l’approche du 1er Mai, la contestation sociale a changé de nature.
La casserole, utilisée par des manifestants pour protester durant l’allocution élyséenne du 17 avril, est devenue le symbole de ces actions coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous voulions faire comprendre que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner son glas », assure Youlie Yamamoto, d’Attac.
L’organisation est à l’initiative de ces « casserolades », après un « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît la porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement fait par le syndicat Solidaires informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.Près de 300
Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Élysée avec un camion affichant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique ont envahi le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».
L’intersyndicale réclame une refonte de la démocratie sociale
« La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce “en même temps” a fait une victime : la qualité du dialogue social », déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.
Le secrétaire général de la CFDT dénonçait ainsi la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir », analyse le sociologue Baptiste Giraud.
À l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, les syndicats sont désormais perçus à 52 % comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46 %, - 13 points).
La CFDT porte 10 propositions visant à redonner du pouvoir aux élus du personnel, dont la désignation de représentants de proximité dans les sociétés comptant plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT appelle à la remise en place des instances supprimées en 2017 et à la suspension « de l’ensemble des accords régressifs », dont les ruptures conventionnelles collectives.
Les travailleurs à l’offensive pour les salaires
L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus marquant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.
« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan, assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites participe au rapport de force dans l’entreprise. » Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros brut par mois d’augmentation. Un moyen pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Élisabeth Borne.
Près de 300 points de rendez-vous dans l’hexagone
Pour le 1er Mai comme pour les douze premières journées de mobilisation contre la réforme des retraites, la lutte se déploie sur l’ensemble du territoire. Au total, près de 300 cortèges sont prévus, selon la CGT. À Paris, la manifestation partira de la place de la République vers 14 heures, jusqu’à la place de la Nation. À Lyon, le cortège s’élancera depuis la place Jean-Jaurès à 10 heures. Même heure pour Marseille. À Urrugne, Bordeaux, Millau ou encore Perpignan, le rendez-vous est à 10 h 30. Militants communistes et syndicaux seront également à pied d’œuvre pour la traditionnelle vente du muguet.
Sophie Binet - Secrétaire générale de la CGT
Le 1er Mai, Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, existe depuis près de cent trente- cinq ans, lancé par le mouvement ouvrier et la CGT pour exiger la réduction du temps de travail et la paix. Rien de neuf à venir défiler cette année, alors ? Eh bien, pas du tout ! Ce 1er mai 2023 sera inédit en France. Outre que ce sera la 13e journée de manifestation contre la réforme des retraites, c’est la première fois que l’ensemble des syndicats y appellent. C’est aussi la première fois que la dimension internationale va être ainsi affirmée, avec près de 100 syndicalistes venu·e·s des cinq continents pour afficher leur soutien à la mobilisation française. Il sera aussi familial, festif et populaire. Trois bonnes raisons d’y participer. Mais la quatrième est la plus importante. Notre nombre, le 1er Mai, est déterminant pour gagner. Le 8 juin, une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites sera examinée par l’Assemblée nationale. Et elle a toutes les chances d’être votée, si la mobilisation et la pression sur les député·e·s se maintiennent. Alors, ce 1er Mai, avec nos familles, nos ami·e·s, nos voisin·e·s et nos collègues, soyons au rendez-vous, prenons la rue pour enterrer la réforme des retraites et mettre à l’ordre du jour des perspectives de progrès !
publié le 29 avril 2023
Lou Syrah sur www.mediapart.fr
Alors que la principale fête musulmane, l’Aïd-el-Kébir, prévue le 29 juin, arrive à grands pas, le ministère de l’intérieur maintient un silence pesant sur les atteintes aux mosquées. Une stratégie de la tension qui révèle un enfermement idéologique.
Depuis trois ans que Gérald Darmanin met le feu à la société civile musulmane en agitant des listes noires de mosquées et d’établissements musulmans à fermer, érigeant du jour au lendemain des « ennemis de la République » imaginaires, la ligne tenue est plutôt claire : parler de l’islam, oui, parler de l’islamophobie, non.
Alors que les appels à « casser du bougnoule » à l’heure de la rupture du jeûne, relayés sur des boucles de discussion d’extrême droite, ont plané sur toute la période du ramadan, qui s’est achevé le 21 avril, l’insolent mutisme dans lequel le locataire de la Place Beauvau s’enferre donne malgré tout le vertige.
Comment s’imaginer qu’un ministre de l’intérieur chargé des cultes, dont le gouvernement affiche la lutte contre le racisme comme une priorité du quinquennat, maintienne le silence face à un saccage de mosquée quelques jours avant le ramadan, comme ce fut le cas à Wattignies dans le Nord ?
Comment comprendre son absence de prise de parole face au passage à tabac d’un fidèle à la mosquée d’Échirolles (Isère) avant la prière de l’aube, fin mars ?
Comment interpréter encore ce manque d’empathie publique après la destruction par le feu d’une boucherie halal, préalablement recouverte de croix gammées, au début de l’année 2022, dans la banlieue d’Agen ?
Pourquoi ne pas avoir signalé le fichage de mosquées en 2021 par l’extrême droite, en dépit des menaces ?
À cette dernière question, le ministère, contacté par Mediapart, répond qu’il n’a « pas de commentaire particulier » à faire, rappelle que « régulièrement, des instructions de sécurisation des lieux de culte sont transmises » aux préfectures et assure que « l’action du ministère contre l’ultradroite est résolue », renvoyant aux récentes dissolutions en la matière.
Le sous-texte, en vérité, est assez limpide : il n’y a pas d’islamophobie dans le pays. Gérald Darmanin ne le dit pas mais son inaction parle pour lui.
Car en refusant de prendre sérieusement en compte la charge raciste qui accompagne les attaques de mosquées, le ministre rabaisse les atteintes du lieu de culte à de simples dégradations matérielles. Autrement dit à de simples actes de délinquance.
Les enquêtes le montrent pourtant quand les faits sont judiciarisés. Derrière un simple tag peuvent se cacher une arme à feu et un exemplaire de Mein Kampf, comme dans le Doubs.
Sur la forme, la brouille sur laquelle s’appuie Gérald Darmanin pour invisibiliser le phénomène islamophobe est statistique.
Les actes antimusulmans seraient quantitativement moins importants que les autres. C’est ce que laissent penser les chiffres du Service central du renseignement territorial (SCRT), qui compile chaque année les « actes antireligieux » sous l’intitulé des « faits racistes ou xénophobes » pour la Place Beauvau et que Gérald Darmanin agite à l’envi.
Sur les 1 659 faits antireligieux recueillis, le SCRT a compté 213 actes antimusulmans pour 2021. Un chiffre évalué à 188 pour l’année 2022.
Une opacité statistique qui conforte la théorie d’une chrétienté en péril
Devant une trentaine d’ambassadeurs de pays arabes, réunis le 5 avril à la Grande Mosquée de Paris pour la rupture du jeûne de ramadan, le ministre de l’intérieur se gargarisait de cette dernière cuvée 2022 récoltée par ses services, vantant la baisse des actes antimusulmans de 12 % par rapport à l’année précédente.
« C’est vrai que c’est 12 % d’actes en moins par rapport à l’année 2021, mais c’est 188 actes de trop, et c’est tous ceux qu’on ne déclare pas, parce qu’on a décidé de ne plus faire les démarches auprès de la police et de la gendarmerie, parce qu’on s’est habitués », nuançait toutefois le ministre.
Manière de dire que les musulmans sont les seuls responsables de ces défaillances statistiques qui alimentent le chiffre noir des discriminations.
Si le thermomètre est cassé, c’est pourtant aussi par sa faute. Car il a fait disparaître les seules associations indépendantes qui participaient à la remontée des chiffrages auprès des institutions et dans le débat public.
En 2020, le ministre procédait à la dissolution de deux associations de lutte contre l’islamophobie, dont le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), interlocuteur régulier de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et du Défenseur des droits. En 2021, il déclarait unilatéralement le Conseil français du culte musulman (CFCM) « mort ». « On l’a appris dans la presse », confirme-t-on en interne.
C’est pourtant grâce à la convention du 17 juin 2010 signée avec cet organe rassemblant les principales fédérations de mosquées et revendiquant plus de mille lieux de culte que, pour la toute première fois, la Place Beauvau avait intégré la catégorie des actes antimusulmans dans ses listings annuels.
L’appellation apparaissait aux côtés notamment des actes antisémites recueillis par le Service de protection de la communauté juive (SPCJ). « Avant ce partenariat, cette catégorie n’existait tout simplement pas », confirme à Mediapart la CNCDH.
Résultat, en 2021, il ne se trouvait plus aucune association musulmane pour apporter une contribution chiffrée au rapport de la CNCDH, qui dresse chaque année le bilan de l’état des discriminations dans le pays.
Sans acteurs pour les analyser, les chiffres des atteintes aux musulmans se retrouvent noyés aux côtés d’une autre catégorie d’actes antireligieux surreprésentée dans le panel, les actes antichrétiens.
L’intitulé ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de l’Église catholique elle-même. En 2019, le secrétaire général de la Conférence des évêques de France, Olivier Ribadeau-Dumas, reconnaissait la relativité de ces données, compte tenu du nombre d’églises, 45 000, contre environ 450 synagogues et 2 600 mosquées. Mais aussi en raison de la nature des faits. « Il y a des cambriolages, on vole des œuvres d’art. C’est une attaque à un lieu de culte mais ce n’est pas la même chose qu’une profanation. »
La catégorie « comporte majoritairement (87 % en 2021) des dégradations ou larcins ciblant les lieux de culte chrétiens, actes hostiles commis pour des motivations bien souvent étrangères au racisme », expliquait la CNCDH dans son rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie de 2021. « Considérant qu’il ne s’agit ni de racisme ni de xénophobie, la commission a pris le parti de ne pas produire d’analyse spécifique de ces données. »
De toutes ces subtilités, Gérald Darmanin fait rarement mention.
Effets pervers inévitables : en balançant sans précaution dans le débat public cette batterie de chiffres, il participe non seulement à invisibiliser le phénomène islamophobe mais il offre aussi à l’extrême droite l’occasion de valider l’une de ses thèses favorites, qu’elle pousse activement depuis 2011 : il y aurait un racisme antichrétien que les médias, par « complaisance » avec l’islam, masqueraient volontairement aux yeux du monde. Une « christianophobie » invisibilisée pour des raisons idéologiques en somme. CNews en fait ses choux gras. « La christianophobie confirmée par les chiffres », titrait le site de la chaîne de télévision en 2022.
Une victimisation suspecte et criminalisée
Dans le fond, l’attitude du ministère illustre en fait un continuum idéologique. Portée originellement par l’extrême droite, l’idée que la lutte contre l’islamophobie cacherait une entreprise politique visant à mettre « à genoux la République », selon les termes de la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté, Sonia Backès, citée dans Le Figaro, tient lieu de boussole au gouvernement.
C’est cette même rhétorique d’une victimisation suspecte que l’on a retrouvée d’ailleurs à l’appui de la procédure de dissolution du CCIF mais dans la charte des imams.
« L’attitude victimaire ne repousse pas la haine, elle contribue à la nourrir », pouvait-on y lire sur les premières moutures du document.
Depuis le début du premier mandat présidentiel, cette pensée aux relents complotistes a fossilisé de nouveaux préjugés qui éclaboussent les musulmans victimes de discriminations, mais aussi leurs défenseurs, à l’image de la Ligue des droits de l’homme.
Le silence des élus, la peur des associations
Conséquence, côté victimes, le silence se fait. À la peur du gouvernement s’ajoute celle de l’extrême droite. « Darmanin a placé ses cibles, l’extrême droite est passée à l’action », résume un imam, sous couvert d’anonymat par crainte des représailles. Sur le terrain, les passages de témoin sont en effet troublants.
Exemple avec la mosquée de Pessac, en Gironde. Pris entre le marteau des identitaires et l’enclume de la Place Beauvau, le lieu de culte a subi tour à tour, et dans un laps de temps de trois ans, une perquisition administrative, une tentative de fermeture (toutes deux gagnées en justice) et deux descentes de groupe identitaires. Dans l’indifférence du ministère.
« Il a fallu la deuxième dégradation de l’extrême droite pour que la préfecture nous gratifie d’un communiqué de soutien. On était déjà très contents, pour ainsi dire », explique le responsable du lieu, Abdourahmane Ridouane.
Pour Adel Amara, élu de Villiers-sur-Marne en région parisienne, il ne fait nul doute que « l’État a lui-même participé à alimenter le climat islamophobe », notamment en marge de la loi « séparatisme » en 2021. Il cite également à titre d’exemple les « détournements des missions de l’inspection du travail » visant injustement des établissements musulmans dans le Val-de-Marne, que Mediapart avait documentés. Avec soixante-dix autres élu·es du département, il a lancé le 14 mars un « plan départemental de lutte contre l’islamophobie » pour combler le vide laissé dans le domaine.
Preuve que la thématique pétrifie, aux côtés de la quarantaine de conseillères et de conseillers municipaux et du député de La France insoumise (LFI), Louis Boyard, seul le maire communiste d’Ivry-sur-Seine a accepté de participer au projet.
Certains élus osent malgré tout donner de la voix. Même à droite. À Metz, où la mosquée franco-turque a fait l’objet d’une attaque au cocktail Molotov le 6 mai 2022, François Grosdidier (ex-Les Républicains) n’a pas hésité à parler « d’attentat », en organisant même un rassemblement de soutien devant sa mairie.
« On peut toujours avoir les discussions sémantiques, mais le geste n’était pas juste fait pour souiller ou juste exprimer de la haine, mais bien réalisé dans le but de détruire, qu’il y ait eu des occupants à l’intérieur de la mosquée ou pas. C’est donc un attentat », justifie l’édile auprès de Mediapart.
Ouverte pour les faits de « dégradation volontaire par un moyen dangereux pour les personnes, et ce en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion », l’enquête a été confiée à un juge d’instruction, confirme le parquet de Metz. Elle suit son cours.
« Les représentants de l’État ne sont jamais très courageux, on ne peut pas attendre qu’ils réagissent. Mais il ne faut pas céder à la haine », tonne François Grosdidier.
À ce sujet, le ministère de l’intérieur rétorque un argument à la mesure. « Vous remarquerez que très souvent, Gérald Darmanin condamne sur ses réseaux sociaux ou retweete les tweets qui ont été demandés au préfet (instruction est donnée de condamner) », indique son entourage.
Mediapart les a comptés, justement, les gazouillis du ministre. Ils sont au nombre de douze. Douze tweets pour faire barrage à la haine ? C’est le début d’un naufrage.
publié le 28 avril 2023
Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr
Plus de trois ans après le décès de son mari, Alexandre Bento, dans une blanchisserie industrielle, Johanna Daire-Bento se désole de la durée des procédures judiciaires.
« Un jour, mes enfants me demanderont comment leur papa est mort. Il faudra bien que je leur réponde. Qu’est-ce que je vais leur dire ? » Trois ans après le décès de son mari Alexandre Bento, le 3 avril 2020, Johanna Daire-Bento cherche toujours des réponses aux questions qu’elle se pose sans arrêt, tous les jours et toutes les nuits.
De l’accident du travail qui a coûté la vie au père de ses deux enfants, désormais âgés de 7 ans et 3 ans, elle sait qu’il est survenu dans une blanchisserie industrielle située à Brie-Comte-Robert, en Seine-et-Marne.
Employé en CDI comme technicien de maintenance dans cette usine qui traite, au moment du drame, les quantités de tissu envoyées par les hôpitaux débordés par la pandémie de Covid, Alexandre Bento intervient dans un sèche-linge quand la machine se remet soudain en route, après que la porte s’est refermée. Selon les conclusions de l’autopsie, le salarié succombe à une « asphyxie », le corps couvert de contusions et de brûlures. Il a 36 ans.
« Quelque chose cloche » dans ce dossier
Comment un tel accident a-t-il pu survenir ? Pourquoi le tableau électrique n’a-t-il pas été mis en sécurité avant l’intervention d’Alexandre Bento, à l’aide des cadenas prévus à cet égard ? Tenu par le Code du travail de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité » de ses salariés, l’employeur de la victime a-t-il commis une faute ?
Une première enquête diligentée par le parquet de Melun est classée sans suite « à l’issue des premières investigations écartant l’hypothèse d’un geste volontaire », c’est-à-dire d’un suicide, nous précise le parquet. Selon Michel Ledoux, l’avocat de Johanna Daire-Bento, le ministère public a considéré que les circonstances de l’accident étaient « indéterminées » et que celui-ci pouvait trouver son origine dans une « négligence » de la victime.
Alexandre avait une formation d’électricien, et il était très pointilleux sur la sécurité. S’il avait eu un cadenas le jour de l’accident, je suis certaine qu’il s’en serait servi » Johanna Daire-Bento
Impossible, proteste la veuve (elle a obtenu l’autorisation d’un mariage à titre posthume), désormais âgée de 40 ans. « Alexandre avait une formation d’électricien, et il était très pointilleux sur la sécurité. S’il avait eu un cadenas le jour de l’accident, je suis certaine qu’il s’en serait servi », insiste-t-elle. Et de confier que son conjoint s’était déjà plaint auprès d’elle du nombre trop faible de cadenas à disposition des techniciens en intervention.
Fin octobre 2022, à la suite de la remise du rapport de l’inspection du travail, le parquet ouvre une nouvelle enquête pour homicide involontaire, qu’il confie au commissariat de Melun. Pour Johanna Daire-Bento, qui l’a appris quatre mois plus tard, après avoir sollicité par téléphone le cabinet du procureur de la République de Melun, c’est une lueur d’espoir, la confirmation que « quelque chose cloche » dans ce dossier, comme elle le raconte dans le salon de sa maison francilienne, assise devant une tasse de café près d’une commode blanche sur laquelle trône une photo de son défunt mari. Mais les interrogations demeurent.
Les parquets sont débordés
« Je ne sais absolument rien de ce que l’inspection du travail a découvert », résume l’intéressée, qui s’agace de la durée de la procédure. Trois ans, déjà, ont passé depuis la mort d’Alexandre Bento, et l’enquête préliminaire est toujours en cours, ce qui l’empêche d’accéder au dossier.
Cela complique également la reconnaissance par le pôle social du tribunal judiciaire d’une éventuelle faute inexcusable de l’employeur, qui ouvrirait la voie à une indemnisation majorée pour l’ancienne cheffe de réception dans un hôtel, désormais demandeuse d’emploi. « Malheureusement, un tel délai d’enquête n’est pas totalement anormal par rapport aux délais habituels. Les parquets sont débordés, notamment en région parisienne, et les accidents du travail ne sont pas automatiquement des priorités pour eux », indique l’avocat Michel Ledoux, spécialiste des questions de santé et sécurité au travail.
En attendant de voir son dossier avancer, Johanna Daire-Bento a rejoint le collectif de familles de victimes Stop à la mort au travail (constitué en novembre 2022), dont elle est désormais secrétaire. Le 4 avril, deux membres du groupe ont été reçus place Vendôme par des représentants du ministère de la Justice.
Parmi leurs doléances, la « nomination quasi systématique d’un juge d’instruction » dans les affaires d’accident mortel du travail et la « facilitation » et l’« accélération » de l’accès des familles au dossier judiciaire. « Quand la justice va-t-elle se mettre à notre place ? interroge Johanna Daire-Bento. On nous demande toujours d’être patient. Mais certaines familles attendent depuis cinq ou dix ans. Qu’est-ce qu’on fait en attendant ? »
Sophie Binet (Secrétaire générale de la CGT) :
Chaque jour, en France, ce sont plus de deux personnes qui meurent au travail et 2 500 qui sont victimes d’accidents. Ces chiffres astronomiques sont pourtant minorés, car ils ne prennent en compte ni la fonction publique d’État ni les régimes spéciaux (marins, cheminots, énergie…). Et encore moins les accidents non déclarés du fait des pressions patronales, évalués par certains chercheurs à 750 000 par an… Si les accidents du travail concernent les hommes à 63 %, leur augmentation depuis 2013 est due à l’explosion des accidents du travail des femmes, qui augmentent de 18 %, notamment dans le secteur du soin et du lien. Les causes sont connues : la pression temporelle, le travail en urgence et l’exigence de productivité. Plus largement, l’accroissement du pouvoir patronal contraint toujours plus les salarié·e·s à travailler dans n’importe quelles conditions. La suppression des CHSCT et des délégués du personnel en 2017, la saignée des effectifs de l’inspection et de la médecine du travail nous privent de contre-pouvoirs collectifs indispensables pour pouvoir imposer des politiques de prévention. La France est le pays d’Europe qui compte le plus d’accidents et de morts au travail. Malgré cette hécatombe, le sujet est totalement absent du débat public. Pire, gouvernement et patronat font comme si les conditions de travail permettaient un report de l’âge de départ en retraite ! Métro, boulot, caveau, pour nous c’est non ! Vive la retraite à 60 ans !
publié le 28 avril 2023
Par Pierre Khalfa sur www.regards.fr
La France connaît un mouvement social d’une ampleur considérable tant par sa massivité que par sa durée, le plus important depuis celui de décembre 1995. Pourtant, ce mouvement n’a pas, pour l’instant, réussi à faire fléchir le pouvoir. Cela n’est d’ailleurs pas la première fois.
Si l’on prend comme point de départ la décennie des années 1990, un fort mouvement de la jeunesse en 1994 avait certes forcé le Premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, à reculer sur son projet de contrat d’insertion professionnelle (CIP) et le mouvement de décembre 1995 en France contre le plan Juppé sur la Sécurité sociale s’était soldé par une demi-victoire. Depuis, à l’exception de 2006 contre le Contrat de première embauche (CPE), et d’une mobilisation atypique, celle des gilets jaunes en 2019, toutes les luttes contre un projet gouvernemental se sont soldées par des échecs, que ce soit contre les réformes des retraites – particulièrement celles de 2003 et de 2010 – ou contre la loi Travail en 2016.
Ces luttes ont vu pourtant un degré de massivité extrêmement fort avec un mouvement qui a irrigué tout le tissu social mais, surtout, qui gagnait aussi en profondeur. En effet, plus les villes étaient petites et plus, proportionnellement, les manifestations étaient importantes. Dans ces conditions, l’impossibilité du mouvement social à acquérir par sa dynamique propre une victoire interroge d’abord sur la stratégie à employer face à un pouvoir qui ne veut rien lâcher, ensuite sur le rapport du mouvement social au politique dans la perspective d’une alternative politique.
De l’unité syndicale et de ses limites
Le mouvement de 2023 a été marqué par une unité syndicale sans faille qui a été un moteur majeur de l’isolement du gouvernement et du caractère massif de la mobilisation ayant permis de mettre des millions de personnes dans la rue. Il en avait été de même, à une échelle un peu moins importante, en 2010 où une intersyndicale, avec la CFDT, avait piloté la mobilisation. Cependant, en 2010, le degré d’affrontement porté par l’intersyndicale était moindre qu’en 2023. Ainsi en 2010, la majorité de l’intersyndicale avait refusé le mot d’ordre de retrait de la réforme, partageait l’idée qu’un affrontement avec le gouvernement pouvait être évité et n’avait jamais appelé à « mettre le pays à l’arrêt ». En 2023, au contraire, le mot d’ordre de retrait a été dès le départ celui de l’intersyndicale qui savait, toutes composantes réunies, qu’elle était engagée dans un bras de fer avec le pouvoir.
Le caractère répétitif des « journées de grèves et de manifestations » a permis de faire la démonstration de la capacité de mobilisation de l’intersyndicale, ce qui était le préalable pour asseoir la légitimité du refus de la réforme. Cela n’a pas suffit à faire céder le gouvernement. D’où l’appel « à mettre le pays à l’arrêt » le 7 mars, qui a marqué la volonté de franchir un pas supplémentaire dans l’affrontement. Mais évidemment, un tel appel comportait un risque, celui de ne pas être suivi d’effet. De ce point de vue, il faut bien dire que le bilan du 7 mars a été en demi-teinte : les manifestations ont été très massives – les plus massives depuis le début du mouvement d’après même le comptage policier – mais le blocage du pays a été limité.
La mise à l’arrêt n’a été que partielle même si des secteurs significatifs ont été en grève et l’ont reconduite quelques jours par la suite. La journée du 7 mars n’a donc pas permis de franchir le saut qualitatif nécessaire dans la construction du rapport de force avec le pouvoir. Pire, elle a montré que l’intersyndicale était incapable de bloquer le pays, même un seul jour. Or, à la suite du 7 mars, l’intersyndicale n’a pu que reproduire une suite de journées de mobilisation plus ou moins massives suivant le moment, alors même qu’il était de plus en plus évident que le pouvoir ne lâcherait rien et avait pour objectif d’infliger une défaite en rase campagne au mouvement social.
Le mythe de la grève générale reconductible
Que ce soit en 2010, en 2016 contre la loi Travail ou en 2023, il y a eu des grèves reconductibles dans certains secteurs, beaucoup plus d’ailleurs en 2010 qu’en 2023. Elles ont eu lieu dans des entreprises se caractérisant par une présence syndicale forte. Mais les secteurs en grève reconductible n’ont pas été rejoints par les autres salariés. Il n’y a eu aucune extension de la grève reconductible. Les grèves ne se sont donc pas généralisées alors même que le pouvoir campait sur ses positions, jouait sur le pourrissement du mouvement et que les journées à répétition de l’intersyndicale montraient leurs limites. De plus, les enquêtes d’opinion indiquent que si une très large majorité était opposée au projet du gouvernement et soutenait les mobilisations, une large majorité pensait aussi dans le même temps que la réforme serait appliquée. Ce paradoxe explique peut-être que les salariés, ne croyant pas à la possibilité d’un succès, ne se sont pas lancés dans une grève qui leur paraissait inutile et coûteuse. La hauteur des enjeux a pu être un frein.
Une grève générale reconductible se déploie par capillarité à partir des secteurs les plus mobilisés qui décident localement de se lancer. Les militants syndicaux peuvent la proposer. Les organisations syndicales au niveau national peuvent relayer le mouvement de manière à l’amplifier. Mais elles n’en sont pas à l’origine.
Dans cette situation, une série de critiques ont été faites à l’intersyndicale. Elle aurait été coupable de ne pas avoir lancé « d’appel clair et net à une grève générale reconductible » et, pire, de n’avoir ni préparé ni construit en amont une telle possibilité. Or, toute l’expérience historique en France montre justement qu’une grève générale reconductible n’est pas le fruit d’un long travail de maturation. Que ce soit juin 1936 ou mai 1968, non seulement aucune organisation n’avait anticipé ces mouvements, mais aucune n’a appelé à la grève générale reconductible. Les conditions de déclenchement d’un tel mouvement sont en fait assez mystérieuses. On peut simplement après coup l’expliquer ou indiquer que les « conditions objectives » étaient réunies pour qu’elle ait lieu. En fait, on constate qu’une grève générale reconductible se déploie par capillarité à partir des secteurs les plus mobilisés qui décident localement de se lancer. Les militants syndicaux peuvent la proposer. Les organisations syndicales au niveau national peuvent relayer le mouvement de manière à l’amplifier. Mais elles n’en sont pas à l’origine. Croire qu’il suffit d’un appel « clair et net » pour la lancer est d’autant plus chimérique qu’il y a hélas bien longtemps que le mouvement syndical a perdu l’implantation nécessaire dans les entreprises pour qu’un tel mot d’ordre ait la moindre chance d’être suivi d’effet, alors même que l’éclatement du salariat et la disparition des grosses concentrations ouvrières jouent à plein.
George Sorel définissait la grève générale comme un mythe, mais un mythe mobilisateur. Les mythes, disait-il dans Réflexions sur la violence, « ne sont pas des descriptions des choses, mais des expressions de volonté ». Peu importait pour lui qu’une grève générale ait lieu ou pas, cette idée, implantée dans la classe ouvrière, devait avoir un effet galvanisant. Outre qu’hélas cette vision est restée à l’époque largement lettre morte, force est aujourd’hui de constater que, loin d’être un moteur de l’action, l’idée de grève générale reconductible reste non seulement très largement la rhétorique d’une minorité, mais est un obstacle à une réflexion de fond sur les formes d’action. Comme l’indiquait déjà en 2010 Philippe Corcuff, « dans certains usages dogmatiques, la grève générale peut toutefois se transformer en mythologie morte bloquant l’imagination et l’action, si on n’envisage pas d’autres moyens de généralisation que le "tous ensemble en grève au même moment" […] la grève générale doit être considérée comme un outil pour nous aider dans l’action, mais pas comme un dogme susceptible d’entretenir la déception, ou comme une identité vaguement rebelle qu’on trimbale dans les manifs pour se la jouer ».
Il faut donc s’interroger en permanence sur le recours au thème de la grève générale reconductible qui peut effectivement se transformer en rhétorique creuse. Si la seule solution pour gagner est une grève générale reconductible que l’on est incapable d’organiser, que faire donc une fois ce mirage dissipé ? Sommes-nous condamnés à choisir entre la répétition de journées de mobilisations qui, même très massives, ne font pas reculer le pouvoir et l’attente quasi messianique d’une grève générale qui, année après année, apparaît de plus en plus incertaine ? S’il ne s’agit pas d’abandonner cette perspective, en faire l’alpha et l’oméga de la stratégie syndicale ne peut mener qu’à une impasse.
Relancer le débat stratégique
Le mouvement syndical a montré qu’il était encore capable de mobiliser des millions de personnes et d’avoir le soutien de l’opinion. C’est un acquis considérable mais fragile car exposé au résultat concret des mobilisations. Comment sortir de l’impuissance ? Il faut tout d’abord reconnaître qu’il y a un problème et engager le débat publiquement avec les équipes syndicales et plus largement avec les salariés et la population. L’intersyndicale, ou à défaut certaines de ses composantes, pourrait en prendre l’initiative, ce qui permettrait aux organisations syndicales de combattre un possible abattement et surtout de préparer les combats futurs en essayant de faire participer les salariés à la détermination des formes de leur mobilisation. Il s’agirait aussi, face à la stratégie de la tension mise en œuvre par le pouvoir, de marginaliser les tentations de répondre au coup par coup sur le même terrain que la violence du pouvoir. Comme l’écrit Étienne Balibar : « Une guérilla urbaine ou campagnarde ne fera que donner des prétextes à la violence d’État – une violence incomparablement supérieure et qui se déchaîne, comme dit l’autre, "quoi qu’il en coûte" et ne s’embarrasse d’aucun scrupule. La contre-violence est vouée à l’échec et conduit droit dans le piège du pouvoir ».
Après l’échec du mouvement sur les retraites de 2010, un débat sur les formes de lutte s’était esquissé. Ainsi Pierre Dardot et Christian Laval, dans Le retour de la guerre sociale, écrivaient : « Ce qui fait de plus en plus son chemin, c’est l’idée que l’on peut parvenir à tout bloquer sans avoir à déclencher une grève générale » [1]. Le capitalisme contemporain est organisé suivant une logique de flux que permet le libre-échange avec la liberté de circulation des marchandises. Pour des raisons liées à la rentabilité du capital, les stocks sont très faibles, voire inexistants. Empêcher la circulation des marchandises permettrait de bloquer le système. Les actions de blocage deviendraient la forme la plus efficace de la lutte des classes. « Pourquoi en effet perdre des jours en pure perte » en faisant grève ? [2]
L’analyse paraît séduisante. Elle pêche cependant par plusieurs aspects. La question qui se pose est de savoir qui bloque. Le blocage du pays était auparavant le résultat de la grève, non seulement parce qu’elle touchait des secteurs stratégiques, comme par exemple les cheminots, mais surtout parce que plus la grève s’étendait, plus l’activité économique déclinait jusqu’à la paralysie. Celle-ci relevait de l’engagement massif des salarié.es. Le schéma proposé ici est tout autre. Si les gens sont au travail, les actions de blocage des nœuds stratégiques ne peuvent concerner qu’une frange militante réduite. Si techniquement, il est toujours possible de bloquer tel ou tel point sensible à quelques centaines de personnes, l’escalade dans l’affrontement ne peut reposer sur une petite minorité qui bloque alors même que la grande masse de la population, même si elle sympathise avec ces actions, a une attitude de spectateur. De plus, si la situation devient critique, le pouvoir peut tout à fait employer les moyens qu’il a à sa disposition pour débloquer la situation.
Romaric Godin, dans un article récent de Mediapart, propose une autre stratégie, organiser « un travail plus long et plus systématique sur la société pour organiser une forme de déstabilisation permanente du système productif. L’idée est en effet de permettre l’organisation d’un mouvement de grande ampleur fondé non pas sur un "grand moment" mais, au contraire, sur une myriade d’actions déterminées et successives dans les entreprises, venant perturber la sécurité économique et cherchant à imposer en permanence un ordre du jour politique ». Il s’agirait donc d’organiser une guérilla économique, une « agitation économique permanente, précisément parce que ce qui fonde le système productif, c’est avant tout la stabilité, la prévisibilité et la confiance dans l’avenir. En frappant ici, on touche l’économie en profondeur ».
Là aussi la perspective est séduisante mais demande à être précisée. Quelles formes concrètes prendrait cette « déstabilisation permanente du système productif » : des grèves perlées, où les salariés travaillent de façon volontairement ralentie, des grèves du zèle qui désorganisent la production, des débrayages ponctuels sans préavis ? Dans tous les cas, cela suppose un fort degré d’engagement à la fois individuel et collectif. Tiendra-t-il dans la durée face à une répression patronale qui ne manquera pas de se faire sentir et si la présence syndicale est faible, voire absente ? Mais surtout, même si « les syndicats ont sans doute un rôle à jouer dans la coordination et l’entretien du mouvement », le risque est grand que chacune et chacun se retrouvent isolés dans son entreprise. Certes des assemblées générales interprofessionnelles locales peuvent réduire ce risque, mais elles ne le suppriment pas avec le spectre de l’étiolement du mouvement comme horizon.
L’expérience des gilets jaunes, avec l’occupation des ronds-points, le « mouvement des places » qui a vu le jour il y a quelques années dans nombre de pays et l’obsession du gouvernement contre les ZAD peuvent inspirer une autre solution. Il aurait peut-être été possible de tenter des occupations massives de places publiques organisées par tout ou partie de l’intersyndicale ce qui aurait changé notablement la nature de l’affrontement. Combinée avec les manifestations régulières massives, des grèves dans certains secteurs stratégiques, comme les transports, les raffineries ou les éboueurs, elle auraient permis de durcir le mouvement, de franchir ainsi un saut qualitatif dans la mobilisation et peut-être de reposer dans des termes nouveaux la question de la généralisation de la grève. Évidemment cela sortait de la stratégie habituelle du mouvement syndical et aurait nécessité une prise de risque certaine, le pouvoir n’allant pas laisser faire cela sans réagir.
Quoi qu’il en soit, même si l’on voit bien qu’il n’y a pas de solution miracle, il est clair qu’il y a une nécessité absolue de discuter des formes d’action sous peine de reproduire mouvement social après mouvement social l’incapacité à faire céder le pouvoir.
Du nouveau sous le soleil syndical ?
Une telle perspective pose évidemment la question de l’intersyndicale et de son fonctionnement. Son unité, avec l’implication de la CFDT, a été un facteur décisif de l’isolement du pouvoir et du caractère massif de la mobilisation. Cependant il serait illusoire de penser que les divergences entre organisations syndicales auraient, comme par miracle, disparu. L’engagement sans faille de la CFDT dans la lutte contre le projet du gouvernement repose, au-delà même de la question des retraites, sur le refus du pouvoir macroniste d’accorder au syndicalisme la place que la CFDT revendique, celle d’un interlocuteur privilégié avec lequel le pouvoir et le patronat négocient. La CFDT défend un syndicalisme d’accompagnement qui, face aux projets de transformation néolibérale du monde du travail et de la société, a choisi de les négocier, espérant ainsi les amender. Ainsi par exemple, la CFDT a soutenu, in fine, la loi El Khomry en 2016, se félicitant de l’avoir améliorée, alors même que cette loi constitue une régression majeure des droits des salariés.
Cette orientation suppose que le gouvernement l’accepte comme un partenaire au niveau national et soit capable de lui faire quelques concessions. Or la volonté d’E. Macron est de cantonner les organisations syndicales au cadre des relations professionnelles dans l’entreprise ou au mieux dans la branche, ce qui est pour la CFDT inacceptable car lui faisant perdre son rôle interprofessionnel. La CFDT s’était ainsi inscrite dans le projet de réforme des retraites de 2019, instaurant une retraite par points, pensant pouvoir l’infléchir sur certains aspects, notamment sur les critères de pénibilité et en lui faisant retirer l’instauration d’un âge pivot à 64 ans. Or elle avait échoué devant l’intransigeance du gouvernement. Elle avait subi le même échec au moment de la loi sur l’assurance-chômage. Dans le projet macroniste, il n’y a pas de place pour le syndicalisme, ni même pour un syndicalisme d’accompagnement et donc pour la CFDT.
C’est dans cette optique qu’il faut comprendre l’engagement de la CFDT dans le refus de la réforme des retraites de 2023. Au-delà donc de la question des retraites, l’enjeu pour la CFDT était de ne pas se laisser marginaliser par le pouvoir macroniste avec l’ambition de redevenir l’interlocuteur incontournable du pouvoir. De ce point de vue, le mouvement actuel, quelle que soit son issue, peut lui être profitable. L’affaiblissement notable du pouvoir macroniste, son isolement politique le forcent à retisser des liens avec le mouvement syndical pour l’associer aux « réformes ». La CFDT a donc aujourd’hui une opportunité de revenir dans son jeu traditionnel… après « un délai de décence » selon les mots mêmes de Laurent Berger.
De fait, c’est la CFDT qui a dirigé l’intersyndicale. Au nom de l’unité nécessaire, ce leadership a été accepté par tous, y compris par la CGT, ce qui explique au moins en partie les déconvenues de la direction sortante de la CGT lors de son congrès. Or, la stratégie mise en œuvre, pour efficace qu’elle ait été au départ, a atteint aujourd’hui ses limites. Aurait-il été possible d’en changer sans casser l’intersyndicale et provoquer le départ de la CFDT, perspective que le pouvoir attendait depuis le début ? Il est évidemment toujours très délicat de faire de l’histoire contrefactuelle. On peut simplement noter qu’un retrait de la CFDT de l’intersyndicale aurait été payé au prix fort par cette dernière puisqu’il se serait effectué sans la moindre concession du pouvoir. En fait, à partir du moment où la CFDT avait fait du retrait de la mesure d’âge le point central de l’affrontement, il lui était impossible de se dégager du cadre unitaire sans avoir obtenu une quelconque avancée sur ce point, avancée que le pouvoir lui refusait. D’où d’ailleurs ses tentatives un peu désespérées de jouer sur le vocabulaire en demandant que l’on « mette sur pause la réforme des retraites », espérant ainsi amadouer Emmanuel Macron qui n’entendait céder sur rien. Dans une telle situation, et même en cas de refus de la CFDT, une partie de l’intersyndicale – la CGT, la FSU et Solidaires – aurait pu prendre l’initiative de proposer des formes d’action complémentaires des journées de manifestations sans rompre avec le cadre unitaire. Cela aurait supposé une réflexion en amont sur les formes de lutte et un approfondissement des liens entre ces trois organisations pour remettre en cause le leadership de la CFDT. Cela ne s’est pas fait.
Les divergences sur la tactique parlementaire entre LFI et l’intersyndicale en ont rajouté dans l’incompréhension réciproque. Pourtant, ce qui est aujourd’hui posé est la question de l’alternative politique alors même que le pouvoir macroniste se durcit jour après jour et que l’extrême droite croit son heure arrivée.
Le rapport au politique
Les rapports entre partis politiques et syndicats sont marqués par une méfiance réciproque. Sans refaire ici l’historique complexe de ces relations, il faut noter que le passé récent n’a pas permis de les améliorer alors même que la création de la Nupes, instaurant un cadre unitaire de la gauche et de l’écologie politique, aurait dû, a priori, être favorable à une relation plus apaisée. Cela s’explique assez facilement dans le cas de la CFDT qui a toujours été hostile à une gauche de rupture et n’a pas manqué toutes les occasions possibles de critiquer LFI. Cela s’explique aussi dans le cas de FO professant une indépendance sourcilleuse qui n’empêche pas les contacts discrets et les petits arrangements, y compris avec la droite. Cela est plus étonnant dans le cas de la CGT, de la FSU et de Solidaires.
On aurait pu même penser que les choses allaient bouger quand, à la fin juillet 2022, s’était mis en place un collectif regroupant les forces politiques de la Nupes, un certain nombre d’associations, la FSU et Solidaires, rejoints à la rentrée par la CGT. L’objectif de ce collectif était de voir s’il était possible d’organiser des initiatives communes contre la politique du gouvernement. Or, malgré un début prometteur marqué par la bonne volonté des uns et des autres, l’échec a été patent. Côté organisations syndicales, la méfiance traditionnelle envers les partis politiques a d’autant plus vite repris le dessus qu’elles étaient engagées dans la recherche d’une unité intersyndicale. Elles pensaient qu’il ne fallait rien faire qui puisse la mettre en danger, notamment dans les rapports avec la CFDT. Côté partis politiques, la volonté de LFI de tenir à tout prix une marche nationale le 21 janvier, présentée au départ comme la première riposte face à la réforme des retraites, ce que les organisations syndicales considéraient comme une concurrence avec leurs propres mobilisations, a empêché la tenue d’une autre initiative qui aurait pu avoir l’aval des organisations syndicales et des associations. Les « amabilités » échangées entre la direction de la CGT et les responsables de LFI ont définitivement plombé cette tentative de rapprochement.
Par la suite, les divergences sur la tactique parlementaire entre LFI et l’intersyndicale en ont rajouté dans l’incompréhension réciproque. Malgré le fait que toutes les forces politiques de la Nupee se sont alignées sur les initiatives de mobilisation de l’intersyndicale, ce mouvement social n’a pas resserré les liens entre le mouvement syndical et les forces politiques de la gauche et de l’écologie politique. Pourtant, ce qui est aujourd’hui posé est la question de l’alternative politique alors même que le pouvoir macroniste se durcit jour après jour et que l’extrême droite croit son heure arrivée. Le mouvement syndical ne peut se désintéresser de cette question et revenir au business as usual. L’urgence de la situation implique de redéfinir les rapports entre le mouvement syndical, et plus largement les mouvements sociaux et les partis politiques.
Cette redéfinition ne peut se faire que si se mettent en place des rapports d’égalité entre partis et mouvements. Trop souvent encore des partis politiques essaient d’instrumentaliser les mouvements sociaux en fonction de leurs objectifs, que ce soit au moment d’une bataille parlementaire ou pour valoriser leur existence. Les mouvements sociaux ne peuvent être les supplétifs d’aucun parti quel qu’il soit. Cependant, le refus de s’engager politiquement désarme les classes populaires alors même que la question de la construction d’une alternative politique est une question majeure. Il ne s’agit pas, comme on peut l’entendre quelquefois, de « donner un débouché politique aux luttes » – ce qui supposerait que ces dernières et la perspective politique soient extérieures l’une à l’autre –, mais de comprendre que l’existence d’une alternative politique crédible est une des conditions pour que l’espérance en une société différente infuse les mobilisations sociales en renforçant ainsi la portée. Partis et mouvements sociaux doivent s’appuyer les uns sur les autres dans une dynamique politique globale définie ensemble.
Mais les partis politiques doivent aussi comprendre que la construction d’une alternative politique exige de dépasser le strict terrain électoral pour s’appuyer sur les mobilisations sociales et citoyennes. Car ces dernières sont indispensables pour permettre que se crée la dynamique politique nécessaire au combat électoral et pour lever au moins en partie les obstacles qui ne manqueront pas de se dresser devant la volonté transformatrice d’un gouvernement de gauche et de l’écologie politique. L’engagement des forces du mouvement social dans/au côté de la Nupes, engagement dont il faut trouver les formes concrètes, peut permettre de créer un front politico-social enraciné dans la société, porteur d’une alternative globale, face à un néolibéralisme qui ne renonce à rien et à une extrême droite en expansion pouvant arriver au pouvoir. Prônée déjà par un certain nombre de responsables associatifs, la création d’un tel front politico-social ne résout évidemment pas d’emblée tous les problèmes, et ils sont nombreux, qui font obstacle à la victoire d’un projet de transformation sociale, écologique et démocratique. C’est cependant une des conditions pour les résoudre.
Pierre Khalfa
[1] Pierre Dardot et Christian Laval, Le retour de la guerre sociale, in Tous dans la rue, Seuil, janvier 2011. Dans la citation, le mot en italique est le fait des auteurs.
[2] Pierre Dardot et Christian Laval, ibid.
publié le 27 avril 2023
Appel et pétition dont la LDH est signataire sur https://www.ldh-france.org
L’examen de la loi asile et immigration au Sénat, qui devait débuter le 28 mars, a été reporté par le gouvernement.Ce projet de loi était unanimement contesté par les parlementaires de gauche et de droite, dénoncé par les associations, la Défenseure des droits et la communauté scientifique. L’annonce du découpage en plusieurs textes du projet de loi fait déjà l’objet d’une forte opposition. Dans un climat de forte contestation sur les retraites, nous citoyens, chercheurs, personnalités, associations appelons le Chef de l’Etat à saisir la chance d’un débat apaisé. Demandons à Emmanuel Macron la tenue d’une convention citoyenne sur la migration.
Campagne “Pour un débat apaisé”
3 citoyens lancent en janvier 2023 la campagne “Pour un débat apaisé”, portée par l’association “Pour une Convention citoyenne sur la migration”. Cette campagne est soutenue par plus de 70 organisations, 300 scientifiques et des dizaines de personnalités pour demander à Emmanuel Macron l’organisation d’une Convention citoyenne sur la migration. Ensemble ils soutiennent l’appel de Lauren 25 ans et Antonin 81 ans lancé sur change.org. Les retours sont extrêmement positifs : ce projet peut voir le jour en 2023. Il ne manque qu’une chose pour réussir : la mobilisation citoyenne !
Pourquoi une convention citoyenne ?
Une convention citoyenne permet à des citoyens tirés au sort de se rencontrer, d’apprendre des consensus de la recherche scientifique, d’entendre différents points de vue, et de faire ensuite des propositions de politiques publiques. Le tout dans un cadre apaisé, loin des plateaux télé. Ce dispositif démocratique a été testé une première fois en France sur le sujet du climat en 2019. En ce moment même, 150 citoyennes et citoyens se penchent sur la question de “la fin de vie”. Sur un sujet de société aussi important que la migration, nous avons la conviction qu’une Convention citoyenne est le meilleur moyen d’apaiser le débat public, et dessiner des propositions consensuelles, bénéfiques à toutes et tous.
signer l’Appel pour l’organisation d’une Convention Citoyenne sur la migration
80% des Français pensent que l’immigration est un sujet dont on ne peut pas parler sereinement. De fait, en famille, entre amis, sur les plateaux de télévision et même à l’Assemblée Nationale, dès qu’on aborde le sujet ce sont invectives, vociférations, postures irréconciliables qui s’affrontent.
Je m’appelle Vanessa, j’ai 36 ans, je suis restauratrice.
En 2016 ma vie bascule lorsque je croise la route d’un couple de réfugiés syriens contraints à la mendicité pour nourrir leurs enfants. Mon histoire familiale se rappelle alors à moi : mes grand-parents, fuyant les persécutions en Pologne avant de trouver refuge en France, mon père qui a passé ses premières années d’enfance en camp de réfugiés, resté apatride jusqu’à sa majorité…
Je fonde alors l’association Le RECHO et pars sur les routes de France cuisiner avec et pour les réfugiés. Nous avons partagé des dizaines de milliers de repas. Nous avons provoqué des milliers de rencontres entre Français et personnes exilées. Ce qui m’a le plus frappée c’est l’image d’une France bienveillante, solidaire, parfois inquiète mais malgré tout accueillante, c’est l’idée que la migration, les gens avaient besoin d’en parler
En décembre dernier, avec d’autres citoyens engagés, j’ai lancé la campagne Pour un débat apaisé, un appel au Président de la République à montrer un signal fort de sa volonté d’apaisement, de concertation, d’écoute sur un sujet qui divise profondément les français.
Avec cette pétition, je demande à Emmanuel Macron de tenir, dès 2023, une Convention Citoyenne sur la Migration.
Une convention citoyenne pour permettre un débat apaisé sur un sujet au cœur de notre société.
L’examen d’une nouvelle loi asile et immigration devrait intervenir au Parlement sous peu. Pour différentes raisons, ce projet de loi est unanimement contesté par les parlementaires de gauche et de droite, dénoncé par les associations, la Défenseure des droits et la communauté scientifique. Il laisse penser qu’il suffirait d’une loi de plus – la 22e en 30 ans – pour régler la question. C’est illusoire !
La migration mérite un débat citoyen apaisé, éclairé par des experts : une convention citoyenne.
Une convention citoyenne permet à des citoyens tirés au sort de se mettre autour de la table, d’auditionner les experts, chercheurs, les politiques de tous bords, d’entendre différents points de vue, et de faire ensuite des propositions de politiques publiques. Le tout dans un cadre apaisé, loin des plateaux télé. Une convention citoyenne sur la migration sera une chance unique pour nous, citoyennes et citoyens, de débattre et construire une vision commune, apaisée, efficace et juste sur la question de la migration.
Pour cela nous avons besoin de vous: signez et partagez le plus largement possible cet appel, pour demander à Emmanuel Macron de tenir une convention citoyenne sur la migration dès 2023.
Signer l'appel https://www.change.org/p/immigration-donnons-la-parole-aux-citoyens-pour-un-d%C3%A9bat-apais%C3%A9-demandons-%C3%A0-e-macron-l-organisation-d-une-conventioncitoyenne-rejoignez-notre-appel
La campagne Pour un débat apaisé appelant à la convention citoyenne sur la migration est soutenue par plus de 80 associations, 70 personnalités et 400 chercheurs. Toutes les infos: https://pourundebatapaise.com/
publié le 27 avril 2023
sur www.regards.fr
Comment caractériser la situation politique actuelle et quel horizon politique au-delà du retrait de la réforme ? On a posé la question aux membres des quatre partis de la Nupes.
Par Sandrine Rousseau
Les premières fraises arrivent. Elles sont belles, annonciatrices du printemps, des retrouvailles des amis et de la famille. Rien qu’à l’évocation de leur belle couleur rouge, du vert intense de leur collerette, nous salivons. C’est le goût sucré du bonheur. L’hiver est passé, la nature reprend vie, les bourgeons apparaissent. Le printemps sera fleuri, multicolore. Sur les arbres fruitiers, les premiers pétales roses s’aventurent timidement en dehors de leur coque. Ils découvrent le bruit du monde. Bientôt ces pétales feront une fleur. Nous compterons alors les fleurs écloses comme autant de promesses de fruits à récolter dans quelques semaines. Après celui des fraises viendra le temps des cerises.
Il y avait une fête de la fraise à Salon-de-Provence. Un député macroniste y est allé. Le chahut qu’il y a rencontré l’a obligé à en partir prématurément. Le ministre de l’Éducation nationale a lui aussi été sous bonne escorte à son arrivée à Lyon lors de son dernier déplacement, le même comité d’accueil l’attendait à Paris à son retour. La ministre de la Culture a dû écouter les prises de parole de manifestants aux Molières. La liste est longue des empêchés parmi les proches de Macron.
C’est que rien ne se passe comme prévu pour ces mêmes proches. Le peuple français a décidé de ne pas passer à autre chose. Même quand le Président leur parle en bras de chemise, comme disait ma grand-mère, le peuple ne se laisse pas impressionner par les démonstrations communicantes, les éléments de langages. Il veut vivre. Et cette envie de vivre est irrépressible. Faut dire qu’elle prend racine loin. Elle est née des semaines d’enfermement et des mois de peur du covid. Elle est née de ces interrogations lors des apéros Zoom : à quoi cela sert ce que l’on fait ? Quelle utilité de se casser le dos ? Et si on faisait autre chose ? Si on faisait différemment ? Tout le monde n’a pas déménagé en campagne après le confinement mais tout le monde a fait un bilan de sa vie. Ce qui lui plaisait et ce qui ne lui plaisait pas. Il ne faut pas laisser le peuple réfléchir au capitalisme libéral, faute de quoi il s’aperçoit de l’absurdité de ce monde.
« Ce que nous connaissons là est un souffle de révolution. La guérilla de la rue se retrouvera à l’Assemblée et rien ni personne ne pourra l’arrêter. Nous ne passerons pas à autre chose. Nulle part. »
C’est pour cela qu’il ne s’agit pas de manifestations comme les autres. Là l’erreur du macronisme. Peut-être au fond parce que le macronisme n’est rien d’autre qu’une doctrine économique, libérale. Pas d’humanisme, pas de société, pas de planète. Juste des travailleurs à remettre au travail, à continuer à faire travailler ou à obliger à travailler. Pas de planète, juste des ressources, avec des cours mondiaux, des hausses et baisses de prix et des « ajustements » à réaliser pour que les offres correspondent aux demandes.
Ce qui se produit dans la société actuellement n’a rien à voir avec les mouvements sociaux précédents. Ce que nous connaissons là est un souffle de révolution. Alors comment la faire vivre et surtout aboutir ?
Et avant d’en arriver aux pistes de solution, posons ceci : le chemin que prend un peuple pour s’émanciper est par nature inconnu. Impossible à prévoir et à anticiper. Pour ma part, je ne crois pas trop à une révolution faite de barricades, de deux clans face à face, mais peut-être que je me trompe. Je crois plutôt en une désobéissance révolutionnaire. Quelque chose de plus radical et fluide, comme dirait Réjane Sénac. Quelque chose d’insaisissable parce qu’imprévisible, fait d’initiatives ici et là, et non d’un grand mouvement organisé, mené par un ou plusieurs leaders. Les éboueurs et leurs poubelles, les gens et leurs casseroles, les maraîchers et leurs fraises, les cheminots et leurs trains, les étudiants et leurs cagoules… Je ne pense pas davantage qu’il y aura une convergence des luttes. Tout cela est bien trop monobloc pour les temps qui arrivent. Le vent qui souffle est tourbillonnant. Dès lors comment le saisir ?
Déjà en ne lâchant rien de la lutte institutionnelle. Le groupe LIOT a déjà déposé une proposition de loi d’abrogation de l’article 7 de la réforme des retraites. Elle sera débattue le 8 juin prochain. Tiens d’ailleurs, qui aurait pu prévoir qu’un député issu d’une vieille famille aristocrate, au sein d’un groupe centriste, soit un gravier dans la chaussure du pouvoir ? Radical et fluide, aristocrate et ouvrière, la quête de sens est aujourd’hui universelle. Elle est surtout anti-économie de marché. Car quel est le fil qui relie les éboueurs et l’aristocrate, les opposant·es aux bassines et les étudiant·es ? La quête de respect. Que ce respect soit celui des institutions comme celui des personnes, de la planète ou de nos communs. Peu importe, ce que nous demandons est du respect. Pas que l’économie règle nos vies.
D’autres groupes parlementaires prévoient aussi des actions, des propositions de loi, d’abrogation ou des motions de censure. Peu importe au fond, la guérilla de la rue se retrouvera à l’Assemblée et rien ni personne ne pourra l’arrêter. Nous ne passerons pas à autre chose. Nulle part.
Sur le plan institutionnel donc, deux options : le renversement du gouvernement et l’abrogation de la loi. Et pourquoi pas les deux en même temps. Elles seront belles et bonnes les fraises accompagnées de crème ! Ces deux options sont possibles. L’abrogation de la loi dépendra du courage des Républicains. En ont-ils ? Telle sera la question. Mais parions que plus les député·es seront empêchés d’aller aux fraises, plus les certitudes de certain·es trembleront. Or, il en faut quelques-uns, pas tous, juste une poignée pour que la loi tombe. Ils nous avaient vendus les avancées sociales de la loi pour la voter, mais elles ont toutes été retirées par le Conseil constitutionnel. Il ne reste plus que le squelette libéral de cette réforme. Alors le bruit des casseroles peut réussir à les convaincre, dès lors qu’il est suffisamment fort pour couvrir les voix des attraits ministériels. Une motion de censure elle aussi peut passer dans la foulée. Gageons que le 8 juin sera une journée importante.
Tout ne se passera pas à l’Assemblée. La Rue et l’Assemblée doivent danser ensemble une sorte de tango démocratique. Multiplier les initiatives, danser, chanter, empêcher, mobiliser, marcher, casseroler, manifester, occuper, planter, piquer… peu importe la forme, du moment qu’il y ait l’ivresse d’une réforme empêchée, d’un ordre économique menacé.
Mon dernier mot ira à l’extrême droite : nous n’attendrons pas quatre ans, Marine Le Pen, pour que vous vous serviez du mouvement social comme un parasite sucerait le sang du bétail, pour votre seule ambition. Nous ne céderons pas un pied dans cette bataille, nous la mènerons tous les jours, toutes les heures, jusqu’au retrait de la réforme et la pensée d’une autre société. Rentrez votre sourire carnassier, la France est en train de se réveiller et elle ne vous appartient pas. Nous ne lâcherons rien parce que nous voyons apparaître sur les arbres les bourgeons des cerisiers et le rouge et vert des fraises gorgées de sucre.
Vive la France, vive les fraises !
Sandrine Rousseau
Par Antoine Léaument
Le peuple français est entré en révolution citoyenne. La réforme des retraites et l’attitude autoritaire de Emmanuel Macron catalysent un processus commencé il y a 20 ans. En 2002, l’arrivée au second tour de Jean-Marie Le Pen signalait une cassure : l’abstention record et le vote pour un candidat perçu (à tort) comme « antisystème » signalaient un ras-le-bol. L’écrasement du vote de 2005 par le traité de Lisbonne de 2007, la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy en 2010 et la trahison par François Hollande du mot d’ordre « Mon adversaire, c’est le monde de la finance » ont été autant d’étapes de plus vers une forme de rejet de « la » politique conçue comme un bloc homogène. En 2017, le score de Jean-Luc Mélenchon et celui d’Emmanuel Macron ont été un coup de tonnerre dégagiste.
Pourtant, Emmanuel Macron n’a rien changé après son élection. Il a aggravé la crise démocratique et est lui-même devenu la cible du dégagisme. Par l’affaire Benalla, par la suppression de l’ISF, par la taxe carbone et par son arrogance (« Qu’ils viennent me chercher »), il a mis le feu aux poudres. En 2018, la réponse populaire a été le mouvement des gilets jaunes. Né d’une question sociale, il a débouché sur une multiplication des revendications : sociales, écologiques et, surtout, démocratiques avec notamment la question du référendum d’initiative citoyenne (RIC).
La crise des retraites s’inscrit dans cette histoire longue à laquelle s’ajoute une crise sociale. L’augmentation des prix et la stagnation des salaires pour les uns ; les cadeaux fiscaux et les super-profits pour les autres. Alors quand, après avoir fait 8 milliards de cadeaux aux riches cet hiver, Emmanuel Macron a décidé au printemps de faire travailler tout le monde deux ans de plus pour économiser 12 milliards, la goutte d’eau a fait déborder le vase. La crise sociale s’est muée en crise politique.
Face à Emmanuel Macron, l’unité syndicale a conduit au plus grand mouvement social des soixante dernières années. À l’Assemblée, la résistance des députés Nupes a été entendue hors des murs de l’hémicycle. La réponse du Président à cette opposition populaire et parlementaire a été l’arrogance et la force. 49.3, promulgation expresse, violences policières, arrestations arbitraires : tout l’appareil répressif de la Cinquième République a été mis au service du pouvoir. Cela en a augmenté le discrédit.
« Que doit faire la Nupes ? Que doivent faire les insoumis ? Ne rien lâcher. Épouser la mobilisation. L’aider par tous les moyens, y compris parlementaires. Et, surtout, travailler à l’unité du peuple. Combattre tout ce qui divise. »
Dès lors, la situation de blocage politique est devenue évidente aux yeux du grand nombre. La contestation de la réforme a évolué vers celle du Président et de la Cinquième République. Depuis la Marseillaise des députés insoumis face au 49.3, la contestation a pris de nouvelles formes. Manifestations spontanées, d’abord. Casserolades permanentes contre l’exécutif, désormais. L’allocution d’Emmanuel Macron a mis de l’huile sur le feu.
À cette heure, le pouvoir macroniste n’a jamais été aussi isolé et discrédité. Qu’on en juge par ces sondages : 72% des Français sont « mécontents » d’Emmanuel Macron. 47% sont même « très mécontents ». Le discrédit du Président est tel que 56% des Français comprennent les insultes contre lui puisque « sa politique et sa façon de s’exprimer provoquent une très forte colère ». Dans le détail, 79% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, 72% des électeurs de Marine Le Pen et 65% des abstentionnistes partagent cet avis. Ce signal doit être analysé et compris. La colère est unanime contre Emmanuel Macron, des quartiers populaires aux zones rurales en passant par les centres-villes. Bref : c’est l’heure des caractères.
Vouloir « normaliser » cette période, penser que le mouvement social va s’arrêter, s’y préparer plutôt que de l’encourager et lui donner de la force, c’est commettre la même erreur que Marine Le Pen. En renvoyant aux élections « dans quatre ans », en niant le mouvement social et en participant aux diversions du pouvoir, elle gagne un transfert de voix depuis Emmanuel Macron mais s’affaiblit dans les milieux populaires. Elle s’installe en cheffe de la droite extrémisée.
Face à cette situation, que faire ? Que doit faire la Nupes ? Que doivent faire les insoumis ? Ne rien lâcher. Épouser la mobilisation. L’aider par tous les moyens, y compris parlementaires. Et, surtout, travailler à l’unité du peuple. Combattre tout ce qui divise, à commencer par les propos racistes du gouvernement. Car aux yeux du peuple, quand c’est l’heure du combat, les barricades n’ont que deux côtés. Personne n’aime les tireurs dans le dos. Marine Le Pen ne le sait pas encore. Elle s’en rendra bientôt compte.
Aux insoumis, je dis : soyons à la hauteur du moment ! L’insoumission n’est pas qu’un mot. C’est un mode de pensée. Et un programme d’action.
Antoine Léaument
Par Jérôme Guedj
Nous traversons le conflit social le plus long et le plus massif depuis 1968. Il oppose le monde du travail – et singulièrement celui de la France des sous-préfectures – et un Président qui se cramponne à un agenda libéral suranné et à la force exorbitante dont dispose l’exécutif sous la Cinquième République. Les tenants de la « fin du cheminement démocratique » comme ceux de « l’insurrection inéluctable » font une même erreur. Ils s’imaginent être à la conclusion d’une séquence, alors que nous sommes au début d’un nouveau chapitre. Les législatives ont été l’aube d’un grand mouvement de contestation du libéralisme. La mobilisation contre la réforme des retraites se présente comme l’aurore d’un monde nouveau, débarrassé des vieilles lunes du macronisme.
Et si la lutte est intense, la France n’est pas au bord du chaos insurrectionnel. Les poubelles brulées des métropoles ne sont pas représentatives de la force tranquille qui s’est levée depuis janvier. Sa spécificité réside au contraire dans son calme, son nombre (3,5 millions de manifestants dans les rues à deux reprises), sa régularité (déjà 12 grandes journées de mobilisation) et son universalité (métropoles et sous-préfectures, employés et étudiants, fonctionnaires et salariés).
Cette mobilisation est profondément démocratique car éminemment pédagogique. Les grèves et les marches populaires sont la dramatisation d’un dialogue entre la majorité sociale et le pouvoir. Le peuple a fait deux choix successifs décisifs : reconduire Emmanuel Macron et le mettre en minorité à l’Assemblée nationale. La remise en cause du fait majoritaire lors des élections législatives était porteuse d’un message clair au président de la République : la poursuite de l’agenda libéral n’est pas la solution. Aussi, ce n’est pas l’exécutif qui a loupé la pédagogie de sa réforme, c’est le pouvoir qui n’a pas compris le message des législatives. Depuis janvier, l’immense mobilisation sociale se présente comme un acte de pédagogie à l’encontre de l’exécutif.
Nous sommes aux prises avec une double incertitude – politique et institutionnelle – mais la bonne nouvelle est que la gauche évolue sur un terrain favorable.
« Le peuple a fait deux choix successifs décisifs : reconduire Emmanuel Macron et le mettre en minorité à l’Assemblée. Aussi, ce n’est pas l’exécutif qui a loupé la pédagogie de sa réforme, c’est le pouvoir qui n’a pas compris le message des législatives : la poursuite de l’agenda libéral n’est pas la solution. »
Avec la réforme des retraites, le Président a fait passer sa « réforme totémique » mais il a perdu une bataille politique : son bloc si compact depuis 2017 commence à s’effriter. C’est un fait nouveau. Le macronisme n’a plus de dynamique. Cela crée une double incertitude, sur le terrain institutionnel et politique.
Le Président veut apparaître comme « un réformateur inflexible », un nouveau « Thatcher ». Sur les retraites, après la validation par le Conseil constitutionnel et la promulgation de la loi, l’incertitude est toute relative. Il reste le deuxième RIP (réponse le 3 mai) et le vote éventuel d’une loi d’abrogation. Toutefois, cela n’épuise pas l’incertitude institutionnelle. La Cinquième République n’est pas conçue pour une telle majorité relative – encore moins depuis la révision de 2008 qui limite l’usage du 49.3. Sans coalition avec Les Républicains, le gouvernement est soumis à un « parlementarisme de fait » incompatible avec la verticalité d’Emmanuel Macron, lequel perd de plus en plus d’influence avec le temps qui passe. L’éventualité de la dissolution reste posée.
L’incertitude politique sur les gagnants de ce moment est bien plus forte que l’incertitude institutionnelle. L’extrême droite serait renforcée et la gauche stagnerait. Cela pose une question stratégique fondamentale : comment la gauche peut ne pas gagner du terrain alors que 70% des actifs sont d’accord avec elle et qu’elle s’est autant mobilisée ? Nous devons nous questionner, mais ne pas céder au fatalisme. Si les oppositions grandissaient sur le terrain identitaire, la gauche aurait perdue d’avance. Or, l’opposition progresse sur le terrain de la justice sociale et de la reconnaissance du monde du travail. Sur ce terrain, il y a de l’espace pour la gauche. Pour l’occuper, nous devons construire une force qui canalise la contestation et la transforme en une espérance pour la majorité sociale. Une chose est sûre, c’est que la lutte n’est jamais vaine : « Elle éduque, elle aguerrit, elle entraîne et elle crée », pour reprendre le mot de Victor Griffuelhes sur la grève. À nous d’écrire la nouvelle page du jour qui se lève.
Jérôme Guedj
Par Ian Brossat
Comment caractériser la situation politique actuelle et quel horizon politique au-delà du retrait de la réforme ? On a posé la question aux membres des quatre partis de la Nupes.
Rude exercice que celui qui consiste à dresser aujourd’hui le bilan des trois mois intenses qui viennent de s’écouler. Pour au moins deux raisons. D’abord, parce que la bataille des retraites n’est pas terminée, n’en déplaise au président de la République qui voudrait refermer cette « séquence » comme on termine la première saison d’une série. La mobilisation se poursuit, elle prend des formes nouvelles avec les « casserolades », les manifestations de colère qui accompagnent toutes les sorties publiques des figures de la Macronie...
Ensuite, la situation est difficile à résumer précisément parce qu’elle est traversée de contradictions multiples. D’une part, une intersyndicale unie, des mobilisations gigantesques rassemblant des millions des travailleurs, des grèves massives – malgré le sacrifice que représente une journée de salaire perdue dans cette période d’inflation galopante – et surtout le soutien constant et encore inentamé des Français. Tout cela est bel et bien réel. Nous ne l’avons pas rêvé. Nous l’avons fait. Collectivement.
« La France n’est plus tout à fait la même à l’issue de ces trois mois. Les idées de justice et de solidarité ont gagné du terrain. Pour le dire en quelques mots : ils ont d’ores et déjà perdu. Nous n’avons pas encore gagné. »
D’autre part, un gouvernement qui a choisi jusqu’à présent de rester droit dans ses bottes, balayant d’un revers de main la colère populaire. Il a usé de tous les outils les plus autoritaires qui sont à sa disposition : du 49.3 à la répression policière sur les manifestants en passant par les maires mis à l’index par les préfets pour avoir osé afficher leur soutien à la grève sur le fronton de leur mairie. En conclure que la mobilisation a été un échec serait trop rapide. Parce que la France n’est plus tout à fait la même à l’issue de ces trois mois. Les idées de justice et de solidarité ont gagné du terrain. Pour le dire en quelques mots : ils ont d’ores et déjà perdu. Nous n’avons pas encore gagné.
C’est donc cette perspective de victoire qui doit nous occuper. Gagner sur les retraites et conquérir le pouvoir demain. La question est d’autant plus vive que nous ne sommes pas seuls dans ce combat face à la Macronie. L’extrême droite attend son heure. Et elle sait que la colère sans espoir, c’est de l’or en barre pour elle. C’est donc à nous – à la gauche dans sa diversité – qu’il revient de redonner de l’espoir.
De ce point de vue, l’intersyndicale a assurément beaucoup à nous apprendre. Sur trois points au moins.
Premièrement, par sa capacité à faire l’union sans écraser personne, à bâtir l’unité dans le respect de chacune de ses composante. Et pourtant, ce ne sont pas les différences qui manquent.
Deuxièmement, par sa capacité à mobiliser massivement dans les sous-préfectures autant que dans les grandes métropoles.
Troisièmement, en faisant la démonstration qu’il est possible de rassembler une très large majorité de notre peuple autour des enjeux du travail : sa place dans nos vies, sa rémunération, son sens...
Nous rassemblons aujourd’hui un Français sur quatre. C’est le score de la Nupes aux dernières législatives. C’est celui qu’on nous prête si des élections avaient lieu demain. L’intersyndicale, elle, rassemble trois Français sur quatre. C’est dire que nous avons une marge de progression conséquente.
J’ajouterais un élément. La victoire, cela suppose la capacité à rassembler une majorité. Les institutions actuelles font que les élections présidentielle et législatives sont des scrutins à deux tours. Chacun le sait – et cela peut relever de l’évidence – mais j’y insiste. Car l’enjeu n’est pas seulement d’arriver au second tour, mais de le gagner. Longtemps, les duels face à l’extrême droite étaient quasi systématiquement couronnés de victoire. Les dernières législatives l’ont prouvé : ce n’est plus le cas. La qualification au second tour est une condition nécessaire de la victoire, mais pas suffisante. Il nous faut donc montrer dès le premier tour un visage suffisamment rassembleur pour être capables de gagner au second.
De tout cela, parlons ensemble. Débattons. Sans caricatures ni faux semblants. C’est ainsi que nous avancerons ensemble et que nous créerons les conditions des victoires d’aujourd’hui et de demain.
Ian Brossat
publié le 26 avril 2023
Edwy Plenel sur www.mediapart.fr
L’opération « Wuambushu » menée sur le cent unième département français est une monstruosité politique qui prolonge un crime juridique. Maintenant sa souveraineté sur Mayotte en violation flagrante du droit international, la France y met en scène l’expulsion massive d’êtres humains au prétexte qu’ils seraient étrangers alors même qu’ils font partie du même peuple que les autochtones.
Une unité de maintien de l’ordre supposée d’élite, la CRS 8, qui, au premier jour de son intervention, revendique non seulement l’usage de 650 grenades lacrymogènes, 85 grenades de désencerclement et 60 tirs de LBD, mais assume aussi avoir ouvert le feu à douze reprises en tirant vers le sol pour repousser la population civile qui lui résiste.
Un premier vice-président du territoire, Salime Mdéré, élu centriste proche de la droite LR et soutien de la majorité présidentielle, qui, sur le service public télévisuel local, n’hésite pas à appeler au meurtre : « Ces délinquants, ces voyous, ces terroristes, à un moment donné il faut peut-être en tuer. Je pèse mes mots. Si y en pas un qui est tué, y en aura toujours d’autres qui vont oser tuer des policiers. »
Des magistrats du tribunal judiciaire de Mamoudzou dont l’indépendance se dresse face aux abus du pouvoir exécutif, en ordonnant la suspension immédiate de l’évacuation d’un bidonville après avoir constaté « l’existence d’une voie de fait » dans les conditions d’expulsion jugées « irrégulières » des populations concernées dont elles mettent « en péril la sécurité ».
C’est peu dire que, contrairement aux fanfaronnades du ministre de l’intérieur, l’opération « Wuambushu » qu’il a mise en œuvre (et en scène) à 8 000 kilomètres de Paris au nom de la lutte contre « l’immigration illégale » est à mille lieues de « la restauration de la paix républicaine » revendiquée encore par Gérald Darmanin mardi 25 avril, en soutien de l’appel du préfet de Mayotte contre la décision judiciaire.
C’est au contraire une guerre que revendique et provoque cette opération de destruction d’habitations et d’expulsion de populations baptisée depuis Paris « Wuambushu », ce qui en mahorais signifie « reprise ». Un mot qui fait écho à tous les discours xénophobes et racistes sur les migrants, exilés et réfugiés, accusés de déposséder des habitants proclamés légitimes de leur territoire, de leur culture et de leur identité, qu’il faudrait donc « reprendre », reconquérir en somme comme s’ils avaient été dérobés par d’autres qui en seraient les occupants illégitimes.
Brandie de nouveau en diversion politicienne, avec l’annonce d’un énième projet de loi qu’Emmanuel Macron veut imposer « avant l’été », selon sa dernière interview au Parisien, la question migratoire a toujours été le laboratoire d’un État d’exception, où l’on fait le tri, où l’on enferme, où l’on expulse, où l’on brutalise des hommes, des femmes, des enfants dont le seul tort est de s’être déplacés, par nécessité ou par désir, par envie de mieux vivre ou par rêve d’autres horizons.
Rien de plus logique à cet engrenage puisque, dans cette quête infiniment ressassée du bouc émissaire étranger, c’est une pédagogie de l’inégalité des droits qui se diffuse et s’installe. Tournant le dos aux véritables urgences – démocratiques, sociales, écologiques, etc. –, l’obsession de la chasse à « l’immigration illégale » accoutume à la hiérarchie des humanités, entre ayants droit et sans droits, donc au rejet de l’égalité naturelle qui, pourtant, est au principe des démocraties, non seulement en tête de leurs valeurs constitutionnelles mais à l’origine de leur existence historique, fondée sur le refus du privilège de naissance.
Mais, dans le cas présent, ce déni d’humanité est redoublé par le contexte colonial dont témoignent les pratiques policières (tirs à balles réelles) et le discours politique (appel au meurtre) évoqués ci-dessus. Parce qu’elle est fondée sur la violation des droits humains – conquête, occupation, domination –, la colonisation génère spontanément l’excès et l’abus du côté de la puissance coloniale. On s’autorise, on se lâche, on se permet, on ne se réfrène ni ne s’interdit, on stigmatise et on déshumanise, à l’instar d’Emmanuel Macron, évoquant en juin 2017 les embarcations utilisées par les habitant·es des Comores pour rejoindre Mayotte, pour dire que le « kwassa-kwassa pêchait peu » mais « amenait du Comorien ».
Devenue département français depuis un référendum en 2009, Mayotte est le fruit d’un rapt (lire ce rappel historique de Rémi Carayol sur AfriqueXXI). Violant la règle internationale de respect des frontières, la France l’a arrachée à l’archipel dont elle faisait partie, les Comores, lors de la décolonisation de ce territoire en 1975. Cette annexion est illégale au regard du droit international, qu’il s’agisse des résolutions de l’ONU ou de celles de l’Union africaine. De ce même droit international que l’on invoque, à juste titre, pour combattre les annexions russes qui ont précédé la guerre d’invasion contre l’Ukraine. La France qui vote à l’ONU les résolutions condamnant la Russie en viole donc allègrement les principes.
Les chantres de la souveraineté française sur Mayotte opposent au droit international que cette annexion fut conforme à la volonté majoritaire des Mahorais, faisant fi des intérêts de quelques familles de notables qui y ont œuvré. En vérité, comme l’illustrèrent longtemps les menées barbouzardes de mercenaires, dont le fameux Bob Denard, dans cet archipel, il ne s’est jamais agi pour la France de l’intérêt des populations locales, mais égoïstement des siens, dans une logique de puissance impériale au vu de la position stratégique de Mayotte dans le canal du Mozambique.
La meilleure preuve en est donnée par l’état lamentable dans lequel la France maintient la population de Mayotte et dont un rapport de 2022, rédigé par six ministères et révélé par Mediapart, dressait un inventaire exhaustif. Département pour la forme, Mayotte est reléguée dans les bas-fonds de la République française. Elle en est le département le plus pauvre, avec 8 personnes sur 10 qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté, un actif sur trois au chômage et une espérance de vie qui plafonne à 75 ans. Avec, surtout, une dotation par habitant trois à quatre fois moins élevée que dans l’Hexagone.
C’est une guerre aux pauvres qu’a donc lancée Gérald Darmanin, et pas seulement aux migrants. Car les populations visées par cette opération spectaculaire sont les mêmes que celles qu’elle prétend protéger. À Mayotte, les Comoriens et Comoriennes que la France veut expulser de l’île, en détruisant d’abord leurs habitations (lire le reportage de Nejma Brahim), puis en les parquant dans des camps, ne sont pas des étrangers. C’est le même peuple, la même culture, la même langue, la même religion. Le gouvernement, rappelle l’ethnologue Sophie Blanchy, « a face à lui une seule et même population ». La seule distinction, c’est que certains ont la nationalité française et d’autres non.
Dès lors, l’on devine combien ce qui se joue là-bas nous concerne ici. Cette grande rafle de Mayotte fait la promotion de la pire idéologie d’extrême droite, le « grand remplacement ». Elle montre que l’on peut faire le tri au sein d’un même peuple, après avoir installé l’idée monstrueuse d’une occupation étrangère qui légitimerait l’expulsion des indésirables. À la face du monde, la France des droits de l’homme abdique ainsi sur l’égalité des droits, donnant le feu vert à tous les régimes autoritaires – et ils ne manquent pas, en Afrique même, comme l’a démontré récemment l’autocrate président tunisien – qui feront la chasse aux humanités en mouvement pour ne pas avoir de comptes à rendre à leurs peuples.
Dans la même aire géographique, une autre puissance impériale a pris possession d’un archipel afin d’y défendre ses intérêts égoïstes et d’y installer ceux de ses alliés : l’archipel des Chagos est la dernière colonie britannique dans l’océan Indien, ce qui permet aux États-Unis d’Amérique d’y avoir une base militaire, sur Diego Garcia, la plus grande île. Les Chagossiens, qui y demeuraient depuis le XVIIIe siècle, ont été brutalement chassés et contraints à l’exil. Avocat franco-britannique, Philippe Sands s’est battu pour que cette injustice soit condamnée par le droit international, jusqu’à être reconnue et jugée comme un crime contre l’humanité.
De ce combat, il a fait un livre, La Dernière Colonie, paru l’an dernier (lire son entretien avec Joseph Confavreux). En épilogue, il a simplement mis cette citation du poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
Patrick Piro sur www.politis.fr
L’opération « Wuambushu », voulue par Gérald Darmanin à Mayotte pour expulser 17 000 personnes en situation irrégulière, a commencé ce mardi. Un assaut sans équivalent et un laboratoire sécuritaire et xénophobe pour les ambitions politiques du ministre de l’Intérieur.
Mayotte, l’opération « Wuambushu » a été lancée ce mardi 25 avril. Gérald Darmanin a eu la jugeote de la programmer après la fin du ramadan : le récent 101e département français est très majoritairement de confession musulmane. Pas besoin de créer un foyer d’irritation supplémentaire : la grosse artillerie prévue par le ministre de l’Intérieur renvoie le Kärcher de Sarkozy au rayon jouets.
« Wuambushu », ce sont près de deux mille membres des forces de l’ordre mobilisés pour un grand nettoyage de printemps sur l’île mahoraise – 310 000 habitant·es, l’équivalent de la ville de Montpellier. La feuille de route, dont l’exécution doit théoriquement s’étaler sur deux mois, prévoit l’interpellation et l’expulsion de 17 000 immigré·es en situation illégale, très majoritairement comorien·nes, soit 250 par jour, un rythme trois fois plus élevé qu’actuellement.
Au programme, la destruction de mille de leurs bicoques – même si le tribunal judiciaire a suspendu l’évacuation d’un des bidonvilles, constatant « l’existence d’une voie de fait » liée aux conditions d’expulsion jugées irrégulières. Mayotte est connue pour abriter le plus important bidonville de la République française.
Loin de la métropole, la méthode Darmanin pourra se déployer dans toute sa splendeur.
Même si le tribunal judiciaire a suspendu l’une de ces évacuations, en raison de conditions jugées irrégulières, on n’a pas mémoire d’un assaut d’une telle envergure. Dans la « jungle » de Calais, c’est avec constance que les forces de l’ordre ont pris leurs aises avec le droit – humiliations, harcèlement, confiscation et destruction de biens. Loin de la métropole, tout indique que la méthode Darmanin pourra se déployer dans toute sa splendeur.
Sur place, c’est l’affolement, voire la panique. Avocats, magistrats, associations s’insurgent par avance du simulacre d’encadrement administratif et légal de la déferlante : sous régime de procédures expresses, exigées à cadence forcée et à distance (le tribunal siège à La Réunion), comment garantir le droit minimum des personnes ?
Pour la plupart, elles devraient être expulsées en bateau vers les Comores. Mais qu’en sera-t-il de nombre de leurs enfants nés sur le sol mahorais, en principe non expulsables car réputés français ?
La destruction d’habitat doit en principe s’accompagner de solutions de relogement (même temporaire) des occupant·es. Or, les infrastructures locales sont dans l’incapacité d’encaisser un « Wuambushu » qui fleure le chaos et la bavure à plein nez. Y compris sur son volet sécuritaire. Car l’opération vise conjointement à juguler une délinquance dont le taux est sans équivalent dans l’Hexagone.
En finir avec les vols, les agressions et les homicides en expulsant les étrangers illégaux : Darmanin vise la démonstration dans les grandes largeurs du raccourci xénophobe qui plaît tant à l’extrême droite. Mayotte, laboratoire des ambitions politiques du ministre : il n’est pas besoin de se forcer pour s’en convaincre.
Ce sont des milliers de vies précaires qui auront été passées à la moulinette répressive.
Mais on doute que les délinquants avérés attendent l’ordre d’expulsion de l’huissier. Ni qu’ils se priveront de rentrer par la fenêtre une fois les gendarmes partis. Au passage, ce sont des milliers de vies précaires qui auront été passées à la moulinette répressive, trop souvent activée quand il s’agit de régler un problème social.
Des familles entières, vivant depuis des années dans cet improbable confetti de France, certes dans l’illégalité, vont embarquer pour nulle part. Personne ne les attend aux Comores, dont les autorités, qui ont demandé à Paris de renoncer à son projet, ont refusé l’accostage des premiers contingents de personnes expulsées.
Mayotte, ce n’est pas la préoccupation du nettoyeur Darmanin, qui présente des indicateurs sociaux tout aussi indécents que ceux de la délinquance : 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, dont la moitié avec 160 euros à peine par mois et en habitat dit « informel », dépourvus de services de santé, d’école, etc. En République française. En « sous-France », corrige-t-on sur place. ·
par Faïza Soulé Youssouf sur https://afriquexxi.info/
En mettant en œuvre une opération militaro-policière de grande ampleur à Mayotte visant à détruire des bidonvilles et à expulser des milliers de Comoriens, le gouvernement français suscite inquiétude et colère à Moroni. Mais le président Azali Assoumani, qui est devenu l’allié de Paris ces dernières années en dépit du contentieux territorial, semble vouloir éviter la confrontation.
L’opération « Wuambushu », dont les détails ont été révélés par l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné le 22 février 20231, inquiète la population comorienne, ainsi que plusieurs organisations et associations (lire l’encadré au pied de l’article), et a suscité de nombreuses saillies antifrançaises avant qu’elle débute. Diligentée par le ministre français de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, elle place les autorités comoriennes dans une position inconfortable.
Conçue pour débuter au lendemain du mois de ramadan, le 24 avril, cette opération militaro-policière de grande envergure doit durer deux mois et aboutir, au nom de la lutte contre l’insécurité, à la destruction à Mayotte de plusieurs bidonvilles – occupés majoritairement par des personnes en situation irrégulière selon les lois françaises – et à des expulsions de masse de leurs habitants sur l’île d’Anjouan, située à 70 km de Mayotte. Le Canard enchaîné évoque, dans son édition du 19 avril2, l’objectif de 10 000 reconduites à la frontière en deux mois – deux fois moins que ce qui était prévu dans le plan initial, mais tout de même plus du tiers du total (25 380) atteint en douze mois en 2022. Pour ce faire, un demi-millier de policiers et de gendarmes ont été envoyés en renfort sur l’île, parmi lesquels des unités spécialisées dans les violences urbaines.
Mayotte, qui a été séparée des autres îles de l’archipel lors de l’indépendance en 1975, a été érigée en département d’outre-mer en 2011. Mais ce territoire est toujours revendiqué par les autorités comoriennes, au nom, entre autres, de l’intangibilité des frontières issues de la décolonisation et de l’histoire qui unit les habitants des quatre îles.
Une situation « intenable »
Joint alors qu’il était en voyage en Arabie saoudite, Anissi Chamsidine, gouverneur de l’île autonome d’Anjouan – et à ce titre en première ligne, étant donné que les refoulés de Mayotte sont tous renvoyés sur cette île –, réprouve l’opération à venir. Mais il se dit impuissant. « Est-ce que j’ai les moyens de m’opposer à une telle décision ? Quelle marge de manœuvre me laisse-t-on ? » répond-il à la question de savoir s’il compte empêcher la réalisation de cette opération. Le leader du parti Soma rappelle que, durant la crise liée au Covid-19, il avait signé en janvier 2021 un arrêté visant à interdire l’accueil des refoulés de Mayotte – arrêté qui avait été levé une semaine plus tard par le ministre comorien des Affaires étrangères, Dhoihir Dhoulkamal. « Cette situation est intenable pour tous. Nous n’avons pas les moyens d’absorber cette violence fabriquée depuis Mayotte par l’État français. On nous demande de cogérer une crise que nous n’avons pas générée », déplore le gouverneur.
À Mutsamudu, le chef-lieu de l’île d’Anjouan dénué de structures d’accueil, l’afflux massif de personnes expulsées de Mayotte fait craindre le pire. « C’est une situation désastreuse décidée à Paris avec la complicité des élus de Mayotte. Nous allons assister impuissants à un drame, nous sommes dépourvus du plus petit centre d’accueil », a dénoncé Zarouki Bouchrane, le maire de Mutsamudu, le 20 avril. Une semaine plus tôt, le 13 avril, l’exécutif de l’île avait organisé une réunion sur les conséquences de l’opération de Gérald Darmanin. Y avaient pris part toutes les composantes de la société. Le quotidien d’État Al-Watwan rapporte que, lors de cette rencontre, une position de fermeté a été défendue. Parmi les idées avancées : manifester contre le projet et empêcher les reconduites3.
« Pourquoi devons-nous conserver une amitié avec la France qui ne nous profite pas ? » s’est demandé un participant. Un autre n’a pas manqué d’établir un parallèle entre l’opération « Wuambushu » et le rapatriement forcé de milliers de Comoriens de Mahajanga (Madagascar) en 19764. « Dans les deux cas, le régime Azali Assoumani est dans une situation délicate : tenir tête à la France et s’exposer à des représailles de Paris en cette année préélectorale5 ou accepter les reconduites avec tous les risques de violence que cela suppose », fait remarquer un partisan du président des Comores.
À Moroni, la capitale de l’Union des Comores, l’on voulait encore croire, quelques jours avant le début de l’opération « Wuambushu », que « l’ami français » n’irait pas au bout de son entreprise. Pressé par les journalistes et l’opinion publique, le gouvernement a dans un premier temps fait profil bas, arguant qu’il ne commentait pas des articles de presse. Il s’est fait un (tout petit) peu plus prolixe le 10 avril. Dans un communiqué, l’exécutif se dit alors surpris par l’initiative de Paris : « Le Gouvernement comorien a appris avec étonnement la nouvelle du maintien du projet du Gouvernement français […]. Cette opération censée démarrer en plein ramadan, pour durer deux mois, va à l’encontre du respect des droits humains et risque de porter atteinte aux bonnes relations qui unissent les deux pays. »
Azali pris entre deux feux
Interrogé le lendemain au palais présidentiel de Beit-Salam, Azali Assoumani a répété son espoir « de voir l’opération [être] annulée », tout en admettant ne pas avoir « les moyens de stopper l’opération par la force ». Le président n’a cependant pas fait preuve de grande détermination. Les relations entre les Comores et la France « sont bonnes depuis belle lurette », a-t-il indiqué, et « Wuambushu » n’est selon lui « qu’un couac auquel nous trouverons une solution ». « La voix choisie est celle du dialogue », a-t-il ajouté quelques jours plus tard, le 22 avril, après avoir dirigé la prière marquant la fin du ramadan. Une déclaration qui tranche avec celle tenue la veille par le porte-parole du gouvernement comorien – « Les Comores n’entendent pas accueillir des expulsés issus de l’opération projetée par le gouvernement français à Mayotte », avait annoncé Houmed Msaidie – et qui est loin d’être partagée par l’opposition et la société civile, qui perçoivent désormais la France comme un « ennemi ».
D’intenses tractations diplomatiques ont eu cours en avril. La veille de la diffusion de la déclaration du gouvernement, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, était attendu à Moroni. La visite a finalement été reportée (sans que l’on en connaisse les raisons). Un peu plus tôt, c’est une délégation des ministères français des Affaires étrangères et de l’Intérieur, menée par le diplomate Christophe Bigot, qui a séjourné quelques jours à Moroni. Aucune déclaration substantielle n’a été tenue à la suite de ce séjour. Le 18 avril, le porte-parole du gouvernement comorien, Houmed Msaidie, joint par l’AFP, a répété les propos du chef de l’État. « Nous recommandons aux Français de renoncer vivement à l’opération “Wuambushu” […]. Cette opération contrevient à l’esprit et à la lettre de l’accord-cadre franco-comorien signé en 2019, dont l’un des objectifs est de fixer les populations et non de les expulser », a-t-il avancé.
Cet accord de partenariat entre la France et les Comores avait été signé lors d’une visite officielle d’Azali à Paris en juillet 2019. Il portait sur un plan de développement de 150 millions d’euros sur trois ans dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’emploi et de l’insertion professionnelle des jeunes. Mais il visait également à stopper les flux migratoires et les traversées « illégales » entre Anjouan et Mayotte6. À l’époque, déjà, des parlementaires et des partis politiques de l’opposition avaient dénoncé ce texte, qu’ils avaient considéré comme nul et non avenu. Ils avaient accusé Azali Assoumani de fouler au pied la Constitution comorienne (selon laquelle Mayotte fait partie des Comores) et d’avoir livré le pays « en pâture à la France ». « Cet accord consacre le renoncement de Mayotte en échange de quelques millions d’euros », estime Hissane Guy, chargée de communication de l’ONG Adrikni.
Plusieurs organisations de la société civile, avec à leur tête le Comité Maore (Maore est le nom comorien de Mayotte), qui milite pour le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien, ont été interdites de manifester le 21 avril contre l’opération « Wuambushu », « en raison de la période hautement mouvementée par les activités culturelles et commerciales qui animent la ville de Moroni », a justifié le préfet (le jour de la marche coïncidait avec la fin du ramadan). Le 15 avril, une marche avait été exceptionnellement autorisée par la préfecture alors que les manifestations sur la voie publique de l’opposition et de la société civile sont systématiquement interdites depuis plusieurs années. Mais la veille, sans poser un acte d’annulation en bonne et due forme, le préfet avait appelé les meneurs pour leur indiquer que « seul un rassemblement dans une salle était autorisé ». Cette volte-face illustre l’inconfort des pouvoirs publics. Les raisons de cette annulation sont tues. Mais certains activistes croient savoir qu’elle serait liée à des pressions de la chancellerie française à Moroni, qui craignait des débordements.
« Mkolo nalawe »
En lieu et place d’une manifestation, il y a donc eu un rassemblement dans une salle du centre de Moroni, auquel ont participé d’anciens hauts dignitaires majoritairement issus de l’opposition et quelques députés. Les discours étaient souvent ponctués de saillies telles que « À bas la France » ou encore, « Mkolo nalawe » (« colon, dégage »). Un activiste a brandi tout au long de l’événement le drapeau russe (il a été brièvement interpellé par la gendarmerie). Les orateurs ont tous appelé à prendre des mesures très fermes contre l’État français. « Nous demandons au gouvernement d’abroger sans délai l’accord-cadre de partenariat et de s’opposer fermement à tout acte de déplacement forcé de population entre les îles », a notamment demandé Hissane Guy, alors qu’elle lisait la déclaration commune des organisations de la société civile. Une bonne partie de l’opposition défend elle aussi cette position.
Pour le Front commun élargi des forces de l’opposition, « Wuambushu n’est pas un hasard ». Cette opération est « monnayée par l’autoritariste non élu [le président Azali] en reconnaissance suite à sa fausse élection de mars 2019. Pour pallier son impopularité, il a choisi de vendre une partie de notre pays, à savoir l’île de Mayotte, afin de se faire adouber par le locataire de l’Élysée », a accusé la coalition dans une déclaration publiée le 14 avril. Contacté pour commenter la demande d’abrogation, Souef Mohamed El-Amine, ancien ministre comorien des Affaires étrangères et signataire de l’accord-cadre tant décrié, n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.
Par ailleurs, le Comité Maore a adressé un courrier au gérant du Maria Galanta, le bateau qui opère la traversée entre Mayotte et Anjouan et qui est utilisé par les autorités françaises pour refouler les « sans-papiers », afin de lui demander « d’arrêter de transporter les personnes embarquées sans leur consentement au risque de soulever une colère ainsi que le boycott » de sa compagnie. Au plus fort de la crise diplomatique franco-comorienne de 20187, une note circulaire du ministère des Transports avait interdit aux compagnies maritimes et aériennes qui desservent Mayotte « d’embarquer, à destination des autres îles sœurs, toute personne considérée par les autorités qui administrent Mayotte comme étant en situation irrégulière ». Cette note sera-t-elle remise à l’ordre du jour avec l’opération « Wuambushu » ? La question a été posée le 22 avril au ministre comorien de l’Intérieur, Fakridine Mahamoud. « Ce qui va primer, ce n’est pas cette note mais ce sur quoi nous allons nous entendre avec les autorités françaises », a-t-il précisé, tout en indiquant avoir discuté la veille avec son homologue français, et en ajoutant être « prêt à discuter avec les autorités françaises des modalités [des expulsions] dans le respect des droits à la personne ».
Mais de quelle marge de manœuvre dispose Azali ? Celui qui a considérablement durci son régime depuis sa réélection contestée est devenu un allié (si ce n’est un obligé) de Paris, en dépit du contentieux territorial autour de Mayotte. Rien que ces trois dernières années, il a été reçu cinq fois à l’Élysée...
Obligé, il l’est d’ailleurs sans doute un peu plus depuis qu’il occupe la présidence de l’Union africaine. Ce poste devait revenir cette année à un État d’Afrique de l’Est. Le Kenya était le candidat jugé le plus légitime de par son poids diplomatique et économique. Mais contre toute attente, en février, il s’est retiré au profit de l’Union des Comores – une première « historique » et inespérée pour ce petit archipel de moins de 1 million d’habitants, qui pèse bien peu sur le continent. Plusieurs sources diplomatiques indiquent que la France a œuvré en coulisses pour soutenir la candidature des Comores8. De quoi influer sur la riposte de Moroni aujourd’hui ? « Ce serait un contre-sens sans nom si le président en exercice de l’organisation panafricaine acceptait une telle opération en provenance d’un territoire dont il revendique la souveraineté », commente un responsable politique ayant requis l’anonymat. « Le gouvernement comorien est prisonnier de sa légèreté. En signant l’accord-cadre [de 2019], il a clairement accepté le principe que Mayotte est une possession française et il a donc accepté d’en accueillir les refoulés », dénonce l’ancien président de l’Assemblée nationale, Said Abdallah Mohamed Mchangama.
De multiples inquiétudes
L’opération « Wuambushu » n’inquiète pas que les Comoriens. Plusieurs organisations locales ou internationales ont alerté les autorités françaises quant aux violences qu’elle risque d’engendrer. Dans une tribune, 170 soignants installés à Mayotte font part de leurs « vives inquiétudes sur l’impact sanitaire de ce projet » et rappellent que « le bilan des précédentes interventions de grande ampleur en matière de lutte contre l’immigration ou l’insécurité impliquait des conséquences dramatiques », parmi lesquelles la « génération de situations à risque infectieux épidémique », la « limitation de l’accès aux soins » ou encore des « retards de prise en charge » pour certaines pathologies.
Le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Jean-Marie Burguburu, a pour sa part écrit à Gérald Darmanin pour l’exhorter à « renoncer » à ce projet qui risque d’« [aggraver] des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé ». Dans un communiqué intersyndical, la CGT, la FSU et l’Union syndicale Solidaires ont de leur côté « appelé le gouvernement à arrêter toutes les mesures répressives ». En outre, des organisations de défense des droits humains, parmi lesquelles la Ligue des droits de l’homme et le Gisti, ont appelé les autorités « à faire cesser cette escalade de la violence » et « demandent aux responsables sur place de faire respecter l’État de droit ».
Même l’Unicef a publié un communiqué (de cinq pages) dans lequel l’organisation onusienne, via son bureau parisien, s’inquiète « de l’impact que cette opération d’envergure risque d’avoir sur la réalisation des droits des enfants les plus vulnérables présents sur le territoire, notamment des mineurs étrangers et des mineurs en conflit avec la loi ». Plusieurs collectifs mahorais ont par contre apporté leur soutien à cette opération.
publié le 26 avril 2023
par Guillaume Étievant sur https://www.frustrationmagazine.fr
Depuis deux ans, une malédiction semble être tombée sur le monde et sur la France : les prix de très nombreux produits (alimentation, énergies, etc.) ne cessent d’augmenter. Tout le monde n’est pas en difficulté : les actionnaires du CAC 40 ont touché 80 milliards d’euros de dividendes et rachats d’actions en 2022 ! Bref, la population subit durement les hausses de prix, mais les grands groupes s’en sortent très très bien. Se pencher sur les causes de l’inflation actuelle, c’est comprendre comment le capitalisme excelle dans l’art de voler les salariés et d’abuser les consommateurs. Contrairement à ce que l’on nous répète, l’inflation n’est pas “le prix à payer” pour soutenir les Ukrainiens face à l’invasion russe : elle est le résultat de choix politiques et économiques qu’il est possible d’inverser.
L’augmentation des prix que nous subissons ne vient pas de nulle part, elle a des causes bien précises qui viennent du fonctionnement du capitalisme. Il faut distinguer les différentes hausses de prix, qui ont des raisons parfois différentes. Les prix du gaz fournis par Engie, le fournisseur historique (ex-GDF), sont réglementés ; ses concurrents TotalEnergies et Eni notamment n’ont pas à obéir à cette réglementation, qui disparaîtra d’ailleurs cette année. Ils sont fixés de telle sorte qu’ils permettent de couvrir les coûts du fournisseur qui les commercialise. Ils peuvent donc potentiellement évoluer de manière importante régulièrement. La Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) présente chaque mois des communiqués de presse indiquant les nouveaux tarifs qu’elle a calculés, en prenant en compte les coûts de transport, d’approvisionnement, de distribution, etc.
1 – Des causes réelles…
La reprise économique de 2021 a fait bondir la consommation de gaz au niveau mondial, notamment en Asie. En parallèle, l’offre a baissé, car une partie de la production a été stoppée par l’épidémie, en mer du Nord en particulier, et les stocks de gaz étaient bas à cause de la rudesse de l’hiver, mais surtout parce que l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions prises à l’égard de l’agresseur ont réduit nos importations. Et comme la France importe tout le gaz qu’elle consomme, car il n’y en a pas sur son territoire, elle subit de plein fouet la hausse des prix entraînée par ce double effet de hausse de la demande et de baisse de l’offre, qui est répercuté sur les tarifs aux consommateurs. Mais il est faux d’affirmer que cette inflation galopante est la conséquence de la seule guerre en Ukraine, et qu’il serait même “solidaire” avec les Ukrainiens de faire le dos rond ! Depuis le mois dernier, l’Union européenne s’est enfin décidée à mettre en place un nouveau mécanisme afin de plafonner les prix de gros du gaz. Mais le plafond est tellement haut (180 euros le mégawattheure, alors que le prix actuel est autour de 50 euros car l’hiver a été relativement doux… ), que l’effet sera surtout symbolique.
Les prix de l’électricité augmentent également, car ils sont en partie indexés sur… ceux du gaz ! 70% de l’électricité vendue en France vient pourtant des centrales nucléaires. Cette aberration vient de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité en 2007. Auparavant, il n’y avait qu’un tarif : le tarif réglementé d’EDF qui prenait en compte les coûts réels de production de l’électricité. En ouvrant la concurrence aux intervenants privés (TotalEnergies notamment), qui s’approvisionnent en électricité sur le marché de gros européen, EDF a également dû modifier ses tarifs, qui prennent depuis en compte les prix du marché de gros européen. Sur ce marché, le prix de l’électricité s’ajuste sur le prix du dernier kilowattheure produit. Le gaz est le dernier recours, utilisé en cas de forte demande, quand on a épuisé les ressources tirées des éoliennes, des barrages et du nucléaire. Donc en période de forte consommation d’électricité, comme depuis la reprise économique post-covid, le prix du gaz a un impact important sur le prix de l’électricité aux consommateurs. Si on avait maintenu le monopole d’EDF, on n’aurait pas ce problème.
Le prix du pétrole augmente beaucoup depuis la reprise économique, car il est déterminé par le rapport entre la quantité de pétrole sur le marché et la quantité de demande de pétrole par les raffineurs (qui transforment le pétrole en carburants notamment). Actuellement, la demande est en forte hausse et les producteurs de pétrole contrôlent la quantité de pétrole mise sur le marché pour piloter en partie le niveau des prix. L’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) pourrait augmenter sa production pour diminuer le prix du pétrole, mais elle ne souhaite pas le faire et fait même le contraire : elle limite actuellement sa production pour que le prix du baril dépasse les 100 dollars.
Au-delà de l’énergie, les prix de nombreux produits industriels augmentent, car la reprise économique n’a pas été suffisamment anticipée et les industriels n’ont pas fait assez de stocks. La pandémie a désorganisé les chaînes de production et de logistique. La demande est ainsi très supérieure à l’offre, et les prix augmentent mécaniquement. Par exemple, le prix du bois a flambé notamment à cause de la très forte relance du secteur de la construction (en particulier aux États-Unis). De nombreux produits industriels (fer, acier, etc.) sont très demandés. Le secteur automobile est très touché, car il y a une pénurie de composants qui empêche de répondre à la demande.
Dans l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire, à l’impact de la hausse des coûts de l’énergie et donc de transports, vient s’ajouter celle des matières premières, à cause du climat : le cours du blé, par exemple, avait déjà augmenté en 2021 à cause du gel hivernal et des sécheresses l’été. Cette hausse a été démultipliée avec la guerre en Ukraine, car l’Ukraine et la Russie sont de gros exportateurs de céréales.
2 – …Et des entreprises qui profitent
Les entreprises prétendent que si leurs prix de vente augmentent, c’est parce qu’elles répercutent les hausses de coûts qu’elles subissent (hausse des prix de l’énergie, du coût des transports, des matières premières, etc.). En réalité, pour nombre d’entre elles, l’augmentation des prix qu’elles fixent est bien plus importante que cette hausse de leurs coûts. Elles profitent du contexte général : comme la population a conscience d’une inflation généralisée, celle-ci est beaucoup plus prête à continuer à acheter les mêmes produits que d’habitude, même si leurs prix ont beaucoup augmenté, alors qu’en temps normal elle se serait tournée vers un produit concurrent.
La situation est encore pire quand les entreprises sont en situation de quasi-monopole ou dominent fortement leurs marchés, comme on le voit dans les secteurs de l’énergie et du transport. Il y a également les entreprises qui profitent des pénuries pour augmenter massivement leurs prix comme, par exemple, STMicroelectronics, qui fabrique des puces et de microprocesseurs, et qui dégage des niveaux de marge comparables à celles de l’industrie du luxe et a doublé ses profits en 2022.
Ces hausses de prix non justifiées par les hausses de coûts amplifient fortement l’inflation réellement liée à la conjoncture économique et géopolitique (guerre en Ukraine, réduction drastique des importations de gaz et de pétrole russes, rebond très fort de la demande post-covid, difficulté des chaînes d’approvisionnement, hausse du prix des matières premières, politique zéro covid en Chine, etc.).
Il y a plusieurs moyens de vérifier ce que nous venons d’énoncer.
D’abord, on constate des augmentations de prix tellement importantes qu’elles sont forcément décorrélées de l’inflation sous-jacente : par exemple les couches, dont le prix a pour certaines augmenté de plus de 91% entre janvier 2020 et juillet 2022, ou l’eau minérale, pour laquelle on constate jusqu’à 22% de hausse des prix sur un an. Ensuite, on observe des écarts de prix selon les marques pour un même produit : quand le prix du dentifrice d’Unilever, Fluocaril, augmente de 9,7 % et que celui vendu par Gum n’augmente que de 3,75% entre janvier 2020 et juillet 2022, on comprend que l’un des deux profite davantage que l’autre de la période pour massivement augmenter ses prix. Michel-Édouard Leclerc a lui-même indiqué que certaines hausses pratiquées par les industriels étaient injustifiées, sans s’interroger bien sûr sur les marges abusives qu’il s’octroie lui-même en distribuant leurs produits, comme l’a explicité un rapport du Sénat sorti en juillet 2022.
Enfin, le regard sur les taux de marge des entreprises (marge / chiffre d’affaires) est indispensable. La marge, c’est le chiffre d’affaires diminué des coûts que supportent les entreprises et de la masse salariale. Si celles-ci ne faisaient que répercuter sur leurs prix de vente la hausse des coûts qu’elles subissent, on devrait constater une hausse du chiffre d’affaires (liée à l’augmentation des prix de vente) à peu près équivalente à la hausse des charges supportée par l’entreprise et donc un maintien du taux de marge. Ce n’est pas du tout ce qui se passe.
Par exemple, d’après une note de l’institut La Boétie, le secteur agroalimentaire français a vu son taux de marge passer de 30% au premier trimestre 2021 à 44% au quatrième trimestre 2022. Et il ne s’agit pas que d’un effet rattrapage d’une année 2021 encore marquée par le Covid : le taux de marge des industries agroalimentaires a été en effet, au quatrième trimestre 2022, supérieur de 5,8 points au niveau de 2018. Au total, l’augmentation des profits des entreprises explique 41 % de la hausse des prix de production des industries agroalimentaires et 61% de l’inflation des prix non agricoles au dernier trimestre 2022.
L’inflation est quant à elle une opportunité considérable pour les entreprises, qui peuvent jouer sur les deux tableaux : continuer à bloquer les salaires et l’emploi tout en augmentant leur prix de vente pour faire exploser leurs profits.
Les hausses de prix ont ainsi bien pour but d’augmenter les taux de marge. Jusqu’à présent, les entreprises le faisaient principalement en rognant sur les salaires et en supprimant des emplois, bien davantage qu’en augmentant leur prix, ce qui fait que l’inflation était faible jusqu’à l’année dernière. Il y a quelques années, le risque a même été plutôt la déflation, c’est-à-dire la baisse générale et durable des prix (en juillet 2014, par exemple, l’inflation n’était que de 0,4%). En système capitaliste, la déflation est un grave problème économique, car elle diffère les décisions d’achats, chacun attendant une diminution supplémentaire des prix, tandis que les entreprises perdent une partie de leurs débouchés et ne peuvent plus se permettre d’investir à cause de la baisse des prix de leurs produits.
L’inflation est quant à elle une opportunité considérable pour les entreprises, qui peuvent jouer sur les deux tableaux : continuer à bloquer les salaires et l’emploi tout en augmentant leur prix de vente pour faire exploser leurs profits. Par exemple, l’armateur CMA CGM a atteint un bénéfice net de 23,5 milliards d’euros en 2022 (un niveau quasiment jamais atteint par aucune entreprise dans l’histoire de France), grâce à ses hausses de prix qui ont permis à son chiffre d’affaires de progresser de 33,1%. Autres exemples : en 2022, le constructeur automobile Stellantis a vu son bénéfice s’établir à 16,8 milliards d’euros, LVMH à 14,1 milliards d’euros, etc. Au global, trente-huit des quarante sociétés du CAC 40 ont réalisé un bénéfice net cumulé de 152 milliards d’euros en 2022, un chiffre sans précédent. Ces profits considérables ont permis aux dividendes des entreprises du CAC 40 (la part du profit que les actionnaires se versent dans leur compte en banque) d’exploser: ils sont passés de 45,6 milliards d’euros en 2021 à 56,5 milliards en 2022.
3– Comment contrôler les prix ?
Pour mettre fin à ce délire, il faut agir sur plusieurs axes : limiter les hausses de prix et empêcher les multinationales de se goinfrer de profits sur le dos des salariés. En particulier, la hausse des prix de l’énergie n’est pas une fatalité. Plutôt que des mesures électoralistes de court terme comme le bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement, il faut changer en profondeur le contrôle des prix de l’électricité et du gaz, en réglementant le prix avec un mode de calcul imposé légalement qui soit indépendant du marché. Ainsi le surcoût serait pris en charge par les distributeurs d’énergie et non par la population elle-même, contrairement à la baisse des taxes demandées par certains et aux indemnisations versées aux entreprises par le gouvernement. Et, à moyen terme, il faudrait revenir à la situation de monopole public que connaissait EDF et GDF avant les libéralisations dictées par l’Union européenne.
Par ailleurs, concernant les denrées alimentaires, il faut fixer un plafond. Cela a déjà été fait par le passé. On peut penser à la loi du maximum de 1793 par exemple, qui imposait un plafond pour le prix des grains. Et on a tendance à oublier que de 1793 à 1986, le prix du pain était réglementé en France ! Depuis le prix est totalement libre, mais cela n’a rien d’une fatalité et c’est finalement très récent dans notre histoire.
En Belgique, l’ensemble des salaires a augmenté mécaniquement cette année, car ils sont indexés sur l’inflation.
Il paraît toutefois difficile d’encadrer la totalité des prix des biens de consommation. Dès lors, en parallèle à l’encadrement des prix des produits de première nécessité, il faudrait indexer les salaires sur l’inflation, c’est-à-dire faire en sorte que les salaires augmentent automatiquement parallèlement à la hausse des prix. Là encore, cela n’a rien de particulièrement révolutionnaire. Ce qu’on appelle l’échelle mobile des salaires a existé en France de 1952 à 1982, quand Mitterrand a mis fin à cet héritage fondamental de notre modèle social au nom de la “modernisation” du pays. Et cela existe encore dans certains pays. En Belgique, par exemple, l’ensemble des salaires a augmenté mécaniquement cette année, car ils sont indexés sur l’inflation. Le salaire de base des employés en Belgique a ainsi progressé de 11% l’année dernière. Au Luxembourg, il y a également un système d’ajustement automatique des salaires et traitements dès que l’inflation cumulée atteint 2,5% de l’indice du coût de la vie (prix à la consommation). Cette obligation s’impose à tous les employeurs et est contrôlée par l’inspection du travail. Le gouvernement luxembourgeois l’a malheureusement suspendu l’année dernière.
Toutes ces mesures ne suffiront toutefois pas. Si on plafonne certains prix, les industriels et les distributeurs se rattraperont en augmentant davantage ceux de leurs autres produits. Si on impose par la loi une hausse des salaires, certaines entreprises risquent de licencier encore plus et de demander plus de “productivité” aux salariés restants pour maintenir leur taux de profit. Pour vraiment sortir de l’ornière durablement, c’est directement sur leur pilotage qu’il faut agir en les débarrassant de la toute-puissance de leurs actionnaires qui n’auront toujours en ligne de mire que la hausse de leur propre rémunération au détriment de la qualité de vie de tout le reste de la population. Nationalisons, socialisons, révolutionnons.
Diego Chauvet sur www.humanite.fr
Un an après sa réélection, Emmanuel Macron a eu droit à des casserolades devant des mairies de la France entière lundi soir.
Après une visite perturbée à Lyon, le ministre de l'Education, Pap Ndiaye, a quitté la gare par une porte dérobée pour éviter les manifestants. © Geoffroy Van der Hasselt / AFP
Le premier anniversaire de la réélection d’Emmanuel Macron aura été agité. Trois de ses ministres, Éric Dupond-Moretti, Pap Ndiaye et François Braun, ont effectué des déplacements perturbés à chaque fois par des casserolades et des manifestations durant la journée du 24 avril.
La soirée n’a guère été plus calme. Le mouvement Attac avait appelé à des concerts de casseroles à travers toute la France à partir de 20 heures, devant les mairies. Paris a eu droit aux siens. Devant les mairies d’arrondissement, et pour le rassemblement le plus important, à l’Hôtel de Ville. Plusieurs centaines de casseroles y ont ainsi tinté à l’heure prévue. Accompagnées de « Macron démission », chant des gilets jaunes, et d’autres slogans tels que « nous aussi on va passer en force »…
Pap Ndiaye en retenue
Devant la mairie de Paris, le rassemblement sur place ne s’attarde cependant pas. Peu après 20 heures, le retour du ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui a dû essuyer des casserolades dans la capitale des Gaules plus tôt dans la journée, est annoncé à la Gare de Lyon aux alentours de 21 heures. Les manifestants se passent le mot, et s’engouffrent aussitôt dans le métro pour aller accueillir le ministre. Dans les couloirs puis le hall de la gare, ils se retrouvent à nouveau à plusieurs centaines. Une fois le train ramenant Pap Ndiaye à quai, les huées fusent. Le ministre est contraint d’emprunter un escalier menant à un couloir « sécurisé » par les forces de police afin d’éviter les manifestants…
Si l’ambiance est toujours au rendez-vous pour ces actions désormais quotidiennes, beaucoup de ceux qui viennent restent toutefois sans illusions sur leur effet sur le pouvoir. « Je continue à venir à chaque action », explique ainsi Emma, développeuse informatique et syndicaliste. « Mais je ne crois pas Macron va se lever un matin en se disant qu’il retire sa réforme ». Elsa et Philippe eux, en sont à leur première casserolade, mais leur « dixième manifestation » depuis le début du mouvement. « On se demande bien où ça va nous mener » interroge perplexe, Philippe. Professeur à la retraite, Elsa confie qu’elle « aimerait bien voir ses collègues réagir davantage à ce qui va leur tomber dessus ».
Le macronisme, « plus jamais ça »
Un an après sa réélection, Emmanuel Macron déroute autant les manifestants qu’il les irrite. Son intervention télévisée du 17 avril, son entretien dans le Parisien, où il réitère ses provocations suscitent à la fois rejet et incompréhension. « De toute façon, les propos de ce monsieur ne m’intéressent plus », balaie Elsa.
Lors des débats parlementaires sur la réforme des retraites, c’est la droite et la macronie qui ont le plus heurté. « On dit qu’à gauche c’était un peu le cirque, constate Emma, mais en comparaison de tout ce qui a pu se dire à droite, c’est rien ». Pour Philippe, « le blocage de la FI ne nous a pas choqué. L’Assemblée n’est pas un endroit où on peut discuter tranquillement. Tout est joué d’avance ». Lui aussi fustige la majorité. « C’est une insulte permanente à l’intelligence, les propos des macronistes ! » tacle-t-il. Pour lui comme pour Elsa, le macronisme laisse des traces lourdes de conséquences à long terme. « On avait déjà été traumatisés par le vote pour Chirac en 2002. Mais là, plus jamais ça » prévient-il.
Des manifs qui font du bien
Employé à la propreté à la Mairie de Paris, Andy dit être là « pas dans la résignation, mais sans beaucoup d’espoir ». Si son emploi est administratif, il a suivi de près la grève des éboueurs. « Ils ont fait ce qu’ils ont pu. Je comprends aussi que les gens ne soient pas toujours là. Ils ont des charges à payer ». Il se réjouit cependant du soutien au mouvement dans les sondages. Pour cette soirée du 24 avril, il est venu avec sa fille, Darinka : « il y a plus de ferveur quand on est ensemble », dit-il en souriant. « Nous, on a vécu passivement entre nos 20 et nos 40 ans », raconte-t-il en faisant allusion à sa génération.
Malgré l’absence de tout fléchissement de la part d’Emmanuel Macron, ces mobilisations quotidiennes, bien que moins massives que les grandes journées d’action, font du bien. Voir un ministre sortir d’une gare par une porte dérobée procure un petit sentiment de victoire aux manifestants, et leur donne envie de passer à la suite. Les agendas du gouvernement ont rarement été autant scrutés. Celui du Conseil constitutionnel, qui doit encore rendre une décision le 3 mai sur la deuxième demande de RIP est dans les têtes, mais de façon plus secondaire. . « Si c’est validé, on soutiendra oui… », concède Philippe. « J’attends un peu de voir… », explique Emma avant de préciser, « mais non en fait ». Difficile d’y croire après la validation de la réforme et le rejet de la première demande.
C’est donc l’action dans la rue qui l’emporte, avec le 1er mai en ligne de mire. Et pour beaucoup, le retrait de la réforme ne serait même plus suffisant. « C’est un changement complet qu’il nous faut. Le mot révolution n’est pas galvaudé » après six ans de macronisme, conclut Philippe.
par Rédaction sur https://basta.media/
En signe de protestation contre la promulgation de la réforme des retraites, les casseroles sont de sortie lors des déplacements officiels du Président et des ministres. L’intersyndicale appelle à un « 1er mai unitaire et populaire pour le retrait ».
Les actions de mobilisations sonores dites « casserolades » et les comités de non-accueil se multiplient depuis la promulgation de la réforme des retraites le 15 avril. Sur les réseaux sociaux, c’est « l’intervilles des 100 jours » qui est lancé, en référence aux « 100 jours d’apaisement » évoqués lors de l’allocution d’Emmanuel Macron le 17 avril.
Casserolades et sifflements
Un hashtag #CasseroladeGénérale a appelé à une symphonie de cuivres de rue le le lundi 24 avril à 20 h. Plus de 450 actions ont été recensées selon l’association Attac. Une manière de signifier le mécontentement par des percussions de casseroles endiablées lors des déplacements gouvernementaux en région.
En conséquence, certains ministres ont déjà annulé leurs visites, à en croire la carte des mobilisations actualisée par Attac. Emmanuel Macron n’y échappe pas : après un accueil entrée huées et sifflements à Muttersholtz, en Alsace, le président de la République a annulé des déplacements, comme celui prévu à Toulon, où il devait participer à une réunion concernant le Service national universel (SNU) le 27 avril prochain.
Grevilla et 1er Mai
Des actions sont aussi menées dans le secteur de l’énergie. La Fédération CGT Mines-Energie a revendiqué la coupure d’électricité du collège Louise-Michel survenue à Ganges (Hérault) lors de l’arrivée d’Emmanuel Macron le 19 avril. Sans oublier le lendemain la « mise en sobriété » de l’aéroport de Montpellier, avant l’arrivée du président. Dans un communiqué du 21 avril, elle annonce une « grevilla avec des perturbations énergétiques lors des déplacements et initiatives de l’exécutif, du Président et de ses amis ».
« Macron a promis 100 jours pour apaiser, nous lui promettons 100 jours d’actions et de colère, prévient le syndicat de l’énergie. Le Festival de Cannes, le Grand Prix de Monaco, Roland-Garros, le Festival d’Avignon pourraient se retrouver dans le noir. »
Dans un communiqué commun, l’intersyndicale a quant à elle appelé « tous les travailleurs et travailleuses, jeunes, retraité.es comme l’ensemble de la population à se rendre massivement à la manifestation, entre collègues de travail, amis, en famille » et à « faire du 1er mai une journée de mobilisation massive, unitaire et populaire contre la réforme des retraites, partout sur le territoire, dans le calme et la détermination ». Objectif de la mobilisation : obtenir l’abrogation de la réforme des retraites.
par Léon Crémieux sur https://www.cadtm.org
Les huit derniers jours ont vu un tournant dans le mouvement de grèves et de mobilisation. Se sont enchaînées, le jeudi 13 avril une 12e journée de mobilisation nationale appelée par l’Intersyndicale nationale, puis le 14 la validation du Conseil constitutionnel, le 17 une allocution télévisée « solennelle » de Macron et le 20 une série de manifestation et grèves d’une journée dans plusieurs secteurs.
L’expression du rejet de la réforme continue de se traduire par de très nombreuses manifestations, blocages, débrayages. Ni Macron, ni ses ministres ne peuvent effectuer de déplacement sans être confrontés à des manifestations populaires d’hostilité. De même, toutes les enquêtes d’opinion, indiquent un taux de 75% d’impopularité de Macron, un isolement croissant depuis les derniers jours.
Le 13 avril, 1,5 million de personnes se sont rassemblées dans les manifestations (380000 selon la police), en gros un tiers de moins que le 6 avril, poursuivant la pente descendante de la mobilisation, mais un chiffre encore très élevé, équivalent à beaucoup des plus grandes journées de grèves des dernières années. Le fléchissement est essentiellement dû à la fin des grèves reconductibles qui étaient de puissants moteurs de mobilisation (même si le 13 avril, à l’appel de la CGT, le secteur du ramassage des ordures repartait en grève reconductible), aux vacances de Pâques dans un tiers des départements et surtout évidemment à une situation d’attentisme. Le rapport de force n’ayant pas contraint Macron à reculer, les regards, même ceux de l’intersyndicale, se fixaient sur l’échéance du 14 avril avec les décisions du Conseil constitutionnel.
Durant les centaines d’initiatives locales du 13 avril, blocage, barrages filtrants, occupations de ronds-points, la répression policière a été la règle, avec garde à vue à la clef. L’isolement politique de Macron s’accompagne de l’accroissement des interventions policières, des violences. La défenseure des Droits (autorité administrative indépendante pouvant être saisie directement en défense des droits et libertés, notamment face aux administrations de l’Etat) Claire Hédon, a répertorié plus de 120 saisines de ses services pour violences policières depuis janvier 2023, dont l’immense majorité depuis la mi-mars, date du 49.3 : Les exactions se multiplient, interventions policières, nasses dans les manifestations, matraquages au sol, gardes à vue arbitraires.
Le lendemain du 13 avril, le Conseil constitutionnel rendait deux avis : un concernant la constitutionnalité de la loi sur les retraites et de la procédure suivie, un autre sur la demande par la NUPES de l’organisation d’un « référendum d’initiative partagé » (RIP) sur une loi disant que « l’âge légal de départ en retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Beaucoup espéraient que ce qui n’avait pas pu être obtenu par la motion de censure, les grèves et les manifestations puisse l’être par une décision du Conseil jugeant non conforme la loi et obligeant le gouvernement à retourner devant le parlement. Beaucoup espéraient aussi, au minimum, que puisse être organisée une campagne de recueil de signatures pour le RIP (environ 4,8 millions en 9 mois, 10% des électeur-trice-s inscrit-e-s). Scène digne des dictatures, le bâtiment du Conseil, au cœur de Paris, fut entouré, dès le 13 avril, de plus d’une centaine de CRS et gendarmes mobiles pour y interdire toute manifestation.
Même s’il y avait de très solides bases juridiques pour ne pas avaliser la loi, le faire aurait évidemment été un choix politique paradoxal venant d’une instance composée de neuf notables liéEs à Macron et à sa politique, de près ou de loin. Hors de question pour ce Conseil d’ouvrir plus largement la crise politique. De même, le choix fut très politique de refuser le RIP qui aurait pu devenir une épine dans le pied de Macron, l’infectant avec son gouvernement pendant au moins neuf mois.
Le soir du 14 avril, les rues de Paris et de dizaines de villes résonnaient de la colère des milliers de personnes, manifestant une nouvelle fois leur rejet de la réforme. L’intersyndicale, dès l’annonce de la validation de la loi, demanda à Macron de surseoir à la promulgation de la loi et de la recevoir. Celui-ci, bien au contraire, alors qu’il disposait de quinze jours pour le faire, s’empressa de promulguer, quelques heures après l’annonce de la validation. Ces avis du Conseil, derniers espoirs de bloquer légalement la loi, cette promulgation express, ont été vécus comme un nouveau diktat visant à faire taire la colère populaire.
Le lundi suivant, Macron a essayé une première « sortie de crise » télévisée par une allocution à 20h. Concéder l’évidence « Cette réforme est-elle acceptée ? A l’évidence, non », ne l’empêcha pas de rabâcher à nouveau ses arguments pour justifier sa réforme. Macron faisait furieusement penser au PDG d’une grande entreprise, justifiant à nouveau ses décisions durant un CSE face à des syndicats en grève contre un plan social. Comme le PDG n’a à consulter ni les syndicats ni les salariés, l’ancien banquier d’affaires considère évidemment qu’il n’a pour seule obligation que de remplir les objectifs financiers du capitalisme libéral et les impératifs communautaires de l’UE. Les institutions politiques ne sont pour lui qu’un accessoire, encombrant ; la voix populaire et majoritaire des grèves et de la rue, un contretemps gênant, mais sans conséquences, tant que ses donneurs d’ordre, ses commanditaires continuent à lui faire confiance. Dès lors, la seule preuve qu’il voulait apporter dans cette allocution était qu’il tenait toujours la barre. Il sait que son pouvoir réel, quotidien, il le tient des grands investisseurs, entreprises et institutionnels.
Son discours servait ainsi à se donner 100 jours en vue d’obtenir « un apaisement », en fermant « l’épisode des retraites », à parler de santé, de chômage, d’immigration, de sécurité, comme si toutes ces questions pouvaient lui permettre de tourner la page et n’étaient pas des domaines dans lesquels s’exercent la même politique de classe, d’inégalités et de discriminations. L’association ATTAC avait lancé l’idée de grands rassemblements de « casserolades », à l’heure de son allocution. Appel largement relayé, avec des milliers de personnes dans plus de 300 rassemblements.
Ces rassemblements de casseroles se renouvellent depuis, à chaque tentative de Macron, de Borne ou de ses ministres de se déplacer. A tel point que mercredi 19 avril, alors que Macron se rendait dans une petite ville du Sud-Ouest, Ganges, le préfet du département a pris un arrêté pour « instaurer un périmètre de protection » en invoquant les menaces d’attentats, les lois antiterroristes qui, une nouvelle fois, sont utilisées de fait pour interdire la liberté de manifester. Pire, les forces de police, s’appuyant sur l’arrêté, ont systématiquement confisqué les casseroles et boites de conserves dont s’étaient dotés les manifestantEs bien décidés à se faire entendre de Macron. Une nouvelle fois la contestation sociale est assimilée à une entreprise terroriste.
Les signes de dérives du pouvoir se multiplient, au-delà de l’épisode de Ganges. Les menaces contre la Ligue des Droits de l’Homme proférées par Darmanin, ont été suivies de celles de Borne. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), dont le rapport 2023 ne confirmait pas le roman de Macron sur la catastrophe annoncée, a subi depuis des pressions pour que son rapport 2024 soit conforme à la version officielle du pouvoir.
A la demande de Macron, et pour rassurer les agences de notation sur la « qualité de gestion » du pouvoir, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des finances, vient de sortir sa nouvelle « feuille de route des finances publiques ». Alors que la hausse des taux d’intérêt est maintenue par la BCE, il veut accélérer l’application des critères de convergence avec comme objectif pour 2027 la réduction du déficit du budget à 2,7%, et celle de la dette à 108,3% du PIB. L’année dernière, Bruno Le Maire prévoyait seulement 2,9% et 112,5%. Cette année Le déficit budgétaire devrait être de 4,9%. En conséquence, tous les ministères viennent de recevoir des lettres de cadrage prévoyant 5% d’économies pour avancer vers l’objectif fixé par Le Maire. Baisser radicalement le montant des dépenses publiques va aggraver davantage la pénurie dans les services publics.
Dans ce contexte, le mouvement de mobilisation, malgré la colère sociale, marque le pas. Ce qui est en jeu c’est la capacité ou non d’imposer à Macron un recul sur les 64 ans, malgré la promulgation de la loi. Il est évident que cela dépendrait toujours de la capacité à élargir la crise politique et à paralyser le gouvernement. La paralysie parlementaire va subsister puisqu’il est clair désormais que les Républicains ne noueront pas d’alliance parlementaire pour asseoir une majorité. Mais Borne et Macron espèrent néanmoins passer au travers de nouvelles motions de censure et continuer à gouverner en louvoyant et en procédant au maximum par des décrets qui n’impliquent pas de vote du parlement. Seule la mobilisation populaire pourrait permettre réellement de faire mettre genou à terre au gouvernement.
L’objectif annoncé par l’Intersyndicale est de faire du 1er Mai la prochaine échéance par des manifestations unitaires dans toutes les villes. Certes, cela sera une première historique puisque, depuis 1945, le mouvement syndical en France, n’a jamais été réuni dans une même manifestation le 1er Mai. Cela témoigne positivement du rapport de force construit dans le mouvement. Mais quel en est l’objectif ? En faire un point de départ pour un second souffle, un nouvel élan pour affronter Macron ? Cela serait évidemment décisif pour imposer une défaite à Macron, mais cela renvoie aux limites de l’Intersyndicale. L’unité est maintenue sur le rejet des 64 ans et le refus de dialoguer avec Macron sans recul sur sa réforme et cela est un facteur de dynamisation des mobilisations toujours nombreuses dans tout le pays. Mais quel sera l’objectif après le 1er Mai ?
Fixer de nouveaux leviers de mobilisations, contre les 64 ans, en élargissant aux questions sociales les plus urgentes, à commencer par les salaires et le coût de la vie, en gardant la dynamique unitaire mais en avançant vers un nouvel affrontement pour faire céder Macron, seront les enjeux des jours qui viennent.
publié le 25 avril 2023
Antoine Perraud sur www.mediapart.fr
Deux généraux rivaux se disputent le pouvoir suprême à Khartoum, en proie au chaos. Le vainqueur entend mettre fin au soulèvement populaire en cours depuis quatre ans. Et rejoindre ainsi le clan des potentats ayant clos les espoirs du printemps arabe après 2011.
Au Soudan, l’arbre de l’évacuation des ressortissants occidentaux ne doit pas cacher la forêt d’une situation politique qui ne saurait être réduite à de vagues « luttes tribales » sorties de l’imaginaire colonial.
L’enjeu relève d’une tragédie planétaire en cours depuis l’échec des printemps arabes en 2011 : les pays du Sud ont-ils droit aux conquêtes démocratiques ou doivent-ils subir la férule de dictateurs idoines ?
La question se pose en ces termes, à Khartoum, depuis le renversement d’Omar el-Béchir sous la pression populaire, le 11 avril 2019. Ce président au tropisme islamiste était en place depuis trente ans – il avait pris le pouvoir en 1989, lors d’un coup d’État militaire.
Un processus de transition était censé s’être mis en place une fois le tyran déposé. Un pouvoir civil parviendrait-il à prendre et à tenir les rênes soudanaises ?
C’était compter sans la nature militaire, qui a horreur de ce genre de vide. Dès le mois d’octobre 2021, le général Abdel Fattah al-Burhane mettait fin à l’intermède politique. À son profit, alors qu’il chapeautait le Conseil de souveraineté – supposé regrouper civils et militaires chargés d’organiser cette fameuse transition en forme de ligne d’horizon inatteignable.
Al-Burhane, général putschiste à la tête de l’armée régulière, était alors épaulé par le chef d’une milice – les FRS (Forces de soutien rapide) –, Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemetti. Les deux hommes, alliés pour écarter les civils, sont devenus rivaux pour placer le Soudan sous leur coupe.
Les combats qui mettent Khartoum et ses 5 millions d’habitants à feu et à sang depuis le 15 avril dernier marquent donc l’acmé de leur antagonisme. Celui-ci a été attisé par toutes les dictatures d’Afrique et du Moyen-Orient, opposées à ce qu’une alternative démocratique vît le jour au Soudan.
De surcroît, un grand jeu d’influences croisées mêle au Soudan la Chine (intéressée par le pétrole) aussi bien que les Émirats arabes unis (qui tiennent l’agriculture encore davantage que d’autres pays du Golfe).
Sans oublier la Russie qui, dans son entreprise prédatrice menée sur le terrain africain, a pris le parti des FRS en vue de mettre la main sur l’exploitation aurifère du Soudan – où le groupe Wagner a ses entrées – et de consolider ainsi sa présence sur le continent, avec à la clef une base navale en mer Rouge.
Quant à l’Onu et à la communauté internationale – souvent réduite aux intérêts occidentaux donc américains en premier lieu –, elles ont une fois de plus usé de sanctions illusoires, inefficaces et contraires à l’effet recherché.
Couper toute aide après le pronunciamento militaire d’octobre 2021 a surtout sapé la capacité du peuple soudanais à se dresser face aux despotes du cru et à leurs troupes, qui échappent de leur côté aux mesures ainsi infligées.
« Groupes rebelles »
La situation actuelle – rivalité meurtrière entre deux chefs de guerre embrasant l’un des pays les plus pauvres du globe – n’est pas sans une épaisseur historique qu’il faut prendre en compte.
À commencer par la fragmentation du Soudan, dont se sont souciées comme d’une guigne les couches sociales ayant continué de prospérer dans la capitale Khartoum, longtemps épargnée alors que l’arrière-pays était dévasté.
Depuis son accession à l’indépendance en 1956 – un an avant le Ghana de Nkrumah –, le Soudan fut en effet, quasiment sans discontinuer, la proie de guerres civiles menées par des « groupes rebelles ». Et ce, au moins jusqu’à l’indépendance du Soudan du Sud, en 2011.
Longtemps considérée comme un rempart contre les visées sécessionnistes, l’armée en est venue à siphonner les ressources du pays, à accaparer les 4/5 du budget de l’État, pour en fin de compte se lancer dans une compétition endogène et fratricide en vue de monopoliser le pouvoir.
La guerre au Darfour, avec son lot de violations des droits humains, voire de crimes contre l’humanité, s’avère, depuis 2003, le principal conflit régional ayant permis aux mercenaires de mettre sur pied des troupes paramilitaires tenant désormais la dragée haute à l’armée régulière.
Dans l’émission de Mediapart « Présence du passé », en 2021, nous avions décrypté avec trois universitaires une tentation occidentale trop bien ancrée : faire une lecture ethno-tribale de la situation au Soudan, en racialisant les rapports sociaux. C’est-à-dire tout réduire à une lutte entre les Arabes, musulmans, descendant des anciens esclavagistes et les Africains, non musulmans, issus des anciennes populations serviles. Ces rapports de domination ont certes existé, mais ils phagocytent la complexité.
De même, il est trop schématique d’opposer, dans la société hétérogène soudanaise, les éléments religieux aux nationalistes longtemps marxisants. Il existe une dimension sociale qui explique le conflit en cours : corruption, inégalités, crise économique.
Dans un tel contexte mouvant et instable, alors que la population civile se terre ou s’exile, deux hommes de guerre se livrent donc une lutte sans merci. Le général Abdel Fattah al-Burhane a pour lui une armée régulière de près de 250 000 hommes – la plupart issus de l’ancien régime islamiste du président renversé Omar el-Béchir. Son numéro deux qui rêve de devenir numéro un, « Hemetti », est à la tête d’une milice paramilitaire d’environ 120 000 mercenaires ayant joué un rôle crucial dans la déposition d’Omar el-Béchir en avril 2019.
Ces deux forces, irréconciliables sur le papier, entendent porter sur le pavois leur chef, qui pourrait alors clore une bonne fois pour toutes l’épisode révolutionnaire d’il y a quatre ans. Le vainqueur s’érigerait ainsi en chape suprême, à la manière du maréchal Sissi en Égypte.
Il obtiendrait quitus pour avoir mis fin à l’incertitude comme à l’instabilité. Et il recevrait, bien entendu, son large écot de la part des intérêts du G7 ainsi que des BRICS, satisfaits de pouvoir à nouveau se repaître sans souci des richesses du Souda
publié le 24 avril 2023
Par Inès Belgacem sur https://www.streetpress.com
Les femmes en grève de l’usine d’acheminement de Vertbaudet entament leur sixième semaine de blocage. Elles réclament une augmentation de salaire et la direction refuse toute négociation. Un bras de fer impossible.
Marquette-lez-Lille (59) – « Lever la tête, bomber le torse, sans cesse redoubler d’efforts ! » Sur l’air d’Amel Bent, Viser la Lune, bras dessus, bras dessous, le groupe de femmes chante en chœur devant les appareils photo et les caméras. « Malgré le Smic, et puis la Caf, l’humiliation dans le flicage, moi je lèverai le poing, encore plus haut encore plus loin. » Ce 14 avril, les femmes en grève de Vertbaudet terminent leur quatrième semaine de blocage de leur usine. Elles sont 83 – dont quelques hommes – à réclamer, notamment, une augmentation des salaires.
Le bras de fer tendu depuis 26 jours, avec la direction de l’usine d’acheminement de la marque de prêt-à-porter pour enfants, n’a pas permis d’ouvrir le dialogue. Alors ce vendredi matin, la toute nouvelle secrétaire de la CGT, Sophie Binet, s’est rendue sur le piquet de grève, à moins d’une dizaine de kilomètres de Lille (59). Des politiques, des journalistes et des cégétistes de la région ont fait le déplacement pour l’occasion. Devant la petite foule, feuille de papier en main, la syndicaliste chante avec les grévistes le temps d’une chanson, avant de promettre de bloquer les magasins parisiens de l’enseigne si la porte des négociations ne s’ouvrait pas :
« Visez la thune, ça ne me fait pas peur ! Même à l’usure, j’y crois encore et en cœur. »
« On survit »
« “Vertbaudet, les enfants d’abord”, disent-ils. » Sandrine (1) oscille entre colère et fatigue. « C’est vrai pour tous les enfants sauf ceux de leurs salariées ! Ils n’en ont rien à faire que les nôtres mangent à leur faim. » Une fois la cohue passée, il ne reste que quelques femmes et une poignée de soutiens cégétistes du coin, réunis autour de la tonnelle rouge qui leur sert de camp de base. « Mon grand garçon est manager. Il m’a dit : “Maman, ce n’est pas normal tes conditions de travail”. » Sandrine a haussé les épaules :
« Peut-être, mais l’important c’est la sécurité. Faut bien manger. »
La mère de quatre enfants – deux adultes et deux ados – les pousse à entreprendre de longues études. Elle, n’en a pas fait. La petite-fille de mineur a été embauchée en 1997 chez Cyrillus, avant d’être déplacée sur le site de Vertbaudet – les deux enseignes font partie d’un même groupe à l’époque. À 48 ans, après 26 ans d’ancienneté, son salaire affiche 1.200 euros net par mois :
« J’ai l’impression de vivre le même quotidien que ma grand-mère. Je ne vais plus acheter de baguette fraîche depuis l’augmentation des prix et l’inflation. C’est Germinal ! »
« C’est difficile de se dire qu’on travaille consciencieusement, comme tout le monde, pour être à découvert le 20 du mois », confie Caroline. Sa fille est au lycée. Séparée de son père, elles habitent à deux, et doivent s’en sortir avec son seul salaire de 1.200 euros net par mois. Caroline a quelques avantages, dont un contrat avec les mêmes congés que les vacances scolaires de sa fille. Mais ça ne paie pas son loyer de 450 euros, à quoi s’ajoutent les charges, les courses et les petits tracas de leur quotidien à deux :
« Son père lui paie des vêtements ou des sorties à la foire. Moi, je ne peux pas. Moi, je survis. »
La mère célibataire raconte faire ses courses en ligne sur l’application Picnic. « Comme ça, je ne prends que ce dont j’ai besoin et je reste dans mon budget au centime près. » Elle prend toujours des tartes et des pizzas, pour les couper et en faire deux repas. Si Caroline a besoin d’un meuble, direction Emmaüs. Pour les vêtements, c’est le Secours populaire. Le neuf ne lui est plus accessible. Et finalement, elle participe chaque jour à l’expédition de produits qu’elle n’est plus en mesure de s’offrir.
« Nous sommes méprisées »
Chez Vertbaudet, il y a deux étages : les bureaux au premier occupés par les cols blancs et l’entrepôt au rez-de-chaussée, d’où partent les camions chargés de marchandises par les ouvriers. Ils livrent les magasins de la marque et les particuliers, en meubles, jouets et vêtements pour les enfants. Schématiquement, il y a trois équipes : le prélèvement, l’emballage et l’expédition. « Au prélèvement, ils vont chercher les commandes. C’est plutôt des postes qu’on donne aux jeunes, parce que c’est physique », explique Justine, neuf ans de contrat à Vertbaudet et gréviste de la première heure. La plupart des salariés de l’entrepôt sont des femmes. « On m’a mise à l’emballage des commandes maintenant. Mes deux coudes sont morts et je force sur mes épaules », raconte Carole, 51 ans et presque la moitié d’ancienneté à Vertbaudet. Elle marche entre 15 et 25 kilomètres par jour, comme ses collègues. « C’est un métier épuisant : on tire, ou soulève, on pousse des chariots très lourds », complète Aïcha, petite nouvelle de 33 ans, embauchée il y neuf mois après plusieurs années d’intérim.
« La demande de rendement est plus importante », poursuit Aïcha. Avec sa casquette de marin noire, installée sur un banc de palettes du piquet, la trentenaire enchaîne les anecdotes :
« On est surveillées : les patrons passent pendant nos pauses déj’ pour vérifier qu’on ne dépasse pas notre temps à la minute prêt. »
« Dix minutes, c’est la règle », explique sa collègue Justine : « Pour manger, passer aux toilettes, prendre un café – sachant qu’il n’y a qu’une seule machine pour nous tous, utilisable qu’à la pause. » Pas de passages aux WC hors temps de repos, assure-t-elle. Seules les bouteilles d’eau sont acceptées dans l’entrepôt. « Pas de grenadine ou de sirop de citron dedans, c’est interdit. » Elle conclut :
« On est infantilisés. »
Elles ont bien essayé d’en discuter, notamment par l’intermédiaire de leur représentante syndicale Manon Ovion, une des leaders du mouvement, elle aussi salariée de l’entrepôt. Elle aurait reçu une fin de non-recevoir :
« “Mais vous, vous êtes au niveau zéro”, m’ont-ils dit. Sous-entendu : il n’y a que les cadres du premier étage qui peuvent réclamer quelque chose. »
Des négociations impossibles
« Ça y est, il sort ! » Ça crie sur le piquet. Deux grosses voitures arrivent aux grilles de l’entreprise. Le patron de l’usine est au volant, accompagné de deux huissiers. Les femmes grévistes restent à distance, mais le ton monte avec un cégétiste de la région. Le directeur regarde droit devant lui, froid et impassible.
Ce matin-là, des individus ont fait tomber une grille pour entrer dans l’entreprise. La direction de Vertbaudet dénonce des violences et des dégradations survenues ces 11 et 14 avril. Le week-end qui suit, « des dégradations volontaires dont un départ de feu » auraient également été constatées par la direction, qui assure que des plaintes ont été déposées. « Nous faisons la différence entre les grévistes et des individus externes, violents », a-t-elle déclaré, ajoutant :
« Les événements sont extrêmement violents pour les salariés qui continuent de travailler. Trois blessés légers ont été pris en charge par les pompiers. »
La direction n’a pas donné davantage d’info sur les blessures de ses salariés. Elle a cependant fait parvenir une pétition, signée par plus de 150 non-grévistes, qui s’opposeraient au mouvement social : « Nous, salariés non-grévistes, ressentons un bien-être sur notre lieu de travail. Il y règne une bonne ambiance. Nous sommes solidaires [de la direction]. (…) Nous avons certains avantages non négligeables (…) Cette situation génère une peur de la perte de notre emploi qui nous permet de faire vivre notre famille. »
Sur les 327 salariés de l’entrepôt, un quart est en grève avec la CGT ce vendredi 14 avril. « Ce conflit social est mené par une minorité », estime l’entreprise, qui refuse de revenir sur les négociations annuelles. Elles se sont soldées début mars par un accord signé par Force Ouvrière (FO) et la CFTC, qui représentent 63% des salariés syndiqués. La CGT, minoritaire, s’y est refusée.
« Dites que FO n’est pas avec nous ! Ça c’est grave ! » s’indigne Sandrine, la petite-fille de mineur, sur le piquet. « C’est un travail qui n’évolue jamais, qu’on ait 20 ou 40 ans. Aucun changement de salaire, aucune évolution de carrière, le monde du travail ne devrait pas être ça ! » La direction considère que leurs employées de l’entrepôt ont une rémunération supérieure au Smic de 17%, grâce à différentes primes. Elle a aussi proposé de faire des heures supplémentaires, « pour augmenter rapidement le pouvoir d’achat ». Carole, la mère célibataire, dénonce :
« Ce ne sont pas les primes qui paient notre retraite. On ne cotise pas. On voudrait que notre salaire brut augmente. »
Mais les deux étages ne semblent plus pouvoir se comprendre.
Cinq semaines de bras de fer
« À table ! Quand c’est plus chaud, c’est plus chaud ! » crie JR, autoproclamé chef du barbecue cégétiste de la région. Ce matin, une autre camarade de la CGT leur a offert un agneau entier. Des voisins leur ont déjà apporté des gâteaux et des soupes à la tente. Et les klaxons de soutien rythment leurs longues journées. « Heureusement qu’on a tout ce soutien, parce que ça commence à faire long. Et au début c’était compliqué », raconte Justine, pour qui c’est la première grève. Jour un : l’Union locale de Tourcoing lance le blocage pour manifester contre la réforme des retraites et soutenir les revendications salariales des représentants de l’usine. Les femmes suivent. Mais sans manteau, cache-nez, cigarettes ou nourriture. Rien. Justine en rit :
« Les nuls font la grève. On ne savait pas ce que ça voulait dire de tenir un piquet toute la journée. Ça demande de l’organisation et beaucoup d’énergie. Et la première gelée et la première pluie, on n’a rien vu venir ! »
Et puis tout s’est organisé, progressivement, à mesure que le bras de fer s’est durci avec la direction. Après le passage de sept camions de CRS la première semaine, leur campement, installé devant l’entrée de l’entreprise, a déménagé à quelques mètres, pour libérer la route empruntée par les camions. L’usine voisine d’Ikea leur ouvrait gracieusement leurs toilettes. La direction aurait passé un coup de fil pour y mettre un terme. Pareil pour l’entreprise qui fournissait le piquet en palettes.
Il y a ensuite eu l’arrivée des 84 intérimaires, « pour remplacer les 82 salariés grévistes », note l’inspecteur du travail alerté par la CGT. Une notification de l’Inspection du travail, que StreetPress a pu consulter, épingle l’entreprise et rappelle que « le code du travail interdit le recours (…) aux travailleurs intérimaires pour remplacer les grévistes ». À ce jour, Vertbaudet emploie toujours ces intérimaires et explique attendre la réception du procès-verbal définitif pour contester les faits.
Et la suite ?
« Vivement qu’on en finisse », tranche Justine, déterminée mais fatiguée, comme la plupart de ses camarades. « Surtout qu’on n’a pas toujours été mal ici », racontent-elles. Chacune a son petit souvenir : la Sainte-Catherine, où les plus anciennes confectionnaient des chapeaux aux nouvelles ; le patron qui passait avec des chocolats ou du champagne pour les fêtes ; ou simplement le temps où le café et les casse-dalles étaient autorisés dans l’entrepôt. Une époque qui leur semble bien loin.
La direction réitère à StreetPress : elle refuse catégoriquement d’ouvrir de nouvelles négociations sur l’augmentation des salaires. Les représentants CGT annoncent quant à eux, une reconduction de la grève. Ce lundi 24 avril, les femmes de Vertbaudet entament leur sixième semaine de blocage.
publié le 24 avril 2023
Mickaël Correia sur www.mediapart.fr
Il y a un an jour pour jour, le président Emmanuel Macron assurait le soir-même de sa réélection vouloir « faire de la France une grande nation écologique ». Mais le bilan depuis cette déclaration s’apparente plus à une politique de sabotage climatique qu’à une réelle réponse politique face à l’urgence d’un monde qui brûle.
L’anL’an dernier, durant l’entre-deux-tours de la présidentielle, Emmanuel Macron l’avait promis : sa politique « sera écologique ou ne sera pas ». Et le soir de sa réélection, il y a un an jour pour jour, le chef de l’État de déclarer : « Faire de la France une grande nation écologique, c’est notre projet. »
Ce quinquennat, qui s’achèvera en 2027, est celui de la dernière chance face à l’urgence climatique, qui nous impose de diviser par deux nos émissions d’ici à la fin de la décennie.
Le Haut Conseil pour le climat, vigie de l’action climatique du gouvernement, le dit sans ambages : le défi majeur d’Emmanuel Macron consiste à doubler le rythme de baisse des émissions de CO2 du pays.
Un chantier titanesque quand on sait que l’État français a récemment été condamné par deux fois en justice pour son inaction climatique.
À peine trois mois après la reconduction à la tête de l’État d’Emmanuel Macron, tandis que la France suffoquait de chaleur et que la Gironde brûlait, le gouvernement a fait voter en juillet 2022 à l’Assemblée nationale l’installation d’un terminal méthanier au large du Havre.
Face à la baisse des approvisionnements en gaz russe, et alors que les centrales nucléaires fonctionnaient au ralenti, l’État français a choisi d’importer via ce terminal havrais du gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis. Qu’importe si ce combustible fossile est extrêmement néfaste pour le climat, et soit issu de gaz de schiste, dont l’extraction est désastreuse pour les écosystèmes et interdite en France depuis 2011.
Durant ce même mois de juillet, le gouvernement Borne a acté le redémarrage pour l’hiver 2022-2023 de la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle). Celle-ci avait pourtant fermé quatre mois plus tôt, conformément à la promesse d’Emmanuel Macron d’arrêter les infrastructures charbonnières d’ici à 2022.
Ce recours temporaire au charbon augure le pire en matière de réchauffement. Première source des dérèglements du climat, la combustion de charbon pour produire de l’électricité engendre à elle seule 45 % des émissions mondiales de CO2.
Enfin, toujours en juillet 2022 et en pleine canicule, Emmanuel Macron a reçu en grande pompe dans le parc du château de Versailles, Mohammed ben Zayed Al Nahyane, le président des Émirats arabes unis.
Ce dernier est venu conclure un mégacontrat pétrolier entre Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc), la compagnie énergétique nationale émirienne et TotalEnergies afin d’abreuver la France en diesel bon marché.
Saper les politiques climatiques
Mais depuis la réélection d’Emmanuel Macron, le gouvernement ne fait pas que souffler sur les braises du réchauffement planétaire en perpétuant notre dépendance au pétrole, au gaz et au charbon. Il renonce aussi sciemment à déployer les politiques publiques nécessaires pour répondre aux dérèglements du climat.
Durant tout l’automne, à contre-courant des recommandations de l’ONU et de la Commission européenne, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’est obstiné à refuser de taxer les superprofits des firmes fossiles, premiers moteurs de l’emballement climatique. Alors que l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni ont instauré une taxe temporaire sur les profits des pétroliers pour aider les ménages les plus précaires.
Autre exemple, alors qu’en Europe le nombre de vols en jet privé a augmenté de 64% durant 2022, atteignant des niveaux record en France, Christophe Béchu, ministre de la transition écologique, s’est encore prononcé en mars dernier contre l’interdiction des jets.
Et quand un fonds de transition écologique, doté de deux milliards d’euros, a été annoncé par la Première ministre, Élisabeth Borne, fin août 2022, c’est pour qu’ensuite, en avril 2023, le gouvernement choisisse parmi les premiers projets l’aménagement de deux zones d’amarrage pour les grands yachts dans le golfe d’Ajaccio (Corse-du-Sud). Une décision qui a créé l’ire des associations écologistes locales qui luttent contre ces palaces flottants ultrapolluants.
Un sabotage en règle
C’est tout aussi un travail de sape climatique qu’opère le gouvernement depuis un an.
Le 31 décembre 2022, le soir de ses vœux aux Français, Emmanuel Macron a asséné en direct à la télévision : « Qui aurait pu prédire la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été en France ? » Une phrase qui balaie d’un seul geste le fait que le premier rapport du Giec date de 1990. Et que depuis 1995, vingt-sept sommets internationaux (ou COP), se sont déroulés.
Un mois plus tard, en janvier dernier, Mediapart a dévoilé comment le Haut Conseil pour le climat, organisme indépendant lancé fin 2018 par le président de la République, a été repris en main par son nouveau directeur exécutif, proche d’Emmanuel Macron et des milieux pro-industries.
Réputé pour ses publications de haute qualité scientifique étrillant sévèrement l’inaction du gouvernement, le Haut Conseil pour le climat a vu en juin 2022 les pans les plus critiques de son dernier rapport annuel sur les politiques climat en France édulcorés, voire supprimés, afin d’être plus aligné politiquement sur l’Élysée.
De même, d’après un décompte réalisé par Mediapart en mars dernier, plus d’une vingtaine de responsables publics détiennent des actions de TotalEnergies. Parmi les parlementaires et ministres actionnaires du géant pétrolier français, la moitié appartiennent à la majorité présidentielle.
Une situation qui pose des questions d’ordre déontologique et politique, à l’heure de l’accélération du dérèglement climatique, quand on sait que plusieurs élu·es ont voté contre la taxation des superprofits des grands groupes énergétiques ou pour l’installation du terminal méthanier du Havre, qui bénéficiera à TotalEnergies.
Dernière illustration en date de ce sabotage en règle : début avril, les député·es Renaissance, en cheville avec les élu·es Les Républicains et RN, ont repris les argumentaires du lobby du secteur publicitaire pour torpiller en commission parlementaire un texte interdisant les très énergivores écrans publicitaires.
Alors que l’État demande aux Français des efforts de sobriété et que, dans la rue, 55 000 panneaux publicitaires digitaux sont allumés, l’offensive contre cette proposition de loi bénéfique pour le climat a été orchestrée par le député Renaissance de la Vendée, Stéphane Buchou. Ce dernier a été de 2009 à 2017 directeur adjoint de Cocktail Vision, une entreprise se définissant comme le « premier réseau numérique publicitaire outdoor grand format de France ».
Le député a assuré à Mediapart : « Je suis parfaitement neutre dans ma façon de suivre ce dossier. »
Le 3 avril dernier, le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), l’organisme missionné pour réaliser l’inventaire français des émissions, a estimé que les rejets de gaz à effet de serre ont baissé de 2,5 % dans le pays l’an dernier.
Aussitôt, Renaissance s’est précipité sur les réseaux sociaux pour qualifier Emmanuel Macron de « Président de l’écologie des solutions ». C’était oublier de dire que cette baisse était due, selon le Citepa, en majeure partie à des facteurs conjoncturels, comme un hiver très doux et des prix élevés de l’énergie.
Une réduction des émissions due aux conséquences de l’inaction climatique, en somme. Mais qui aurait pu prédire que la majorité présidentielle allait mentir de nouveau ?
publié le 23 avril 2023
Nelly Metay sur www.humanite.fr
Le collectif McDroits s’est donné rendez-vous au McDonald’s de Parmentier, vendredi 21 avril, à l’occasion de sa réouverture officielle. Entre deux tracts et un flashmob, ils ont dénoncé l’inaction de la firme face au harcèlement au travail.
« On est là, même si McDo le veut pas nous on est là ». Créé en mars 2020, le collectif McDroits multiplie les actions à l’encontre de l’enseigne américaine. Salariés du groupe ou simples soutiens extérieurs, ils se mobilisent depuis maintenant trois ans afin de dénoncer les abus dans la chaîne de restauration rapide. « Nous étions là en octobre 2020 au siège à Guyancourt pour dénoncer les discriminations systématiques, nous sommes ici aujourd’hui pour les mêmes choses », relate Antoine, salarié de l’entreprise et membre de la CGT McDonald’s Paris.
Un accueil musclé
Animations, musiques, ballons, tracts et influenceuse cotée… Le groupe au M doré a tout prévu pour attirer les badauds. Une flashmob est même organisée en partenariat rémunéré avec la tiktokeuse Camille la danseuse, l’ambiance se veut festive. Au coin de la rue Oberkampf, les membres du collectif Mc Droits préparent leurs banderoles et mettent leurs t-shirts, mais la préparation est de courte durée. Les responsables du restaurant les ont repérés et partent à leur rencontre. Habitués à des accueils toujours mitigés, ils prennent les devants et se postent à l’entrée du fast-food, au moment même où la musique démarre. « On veut perturber leur flashmob, qu’ils n’aient pas d’autre choix que de nous écouter s’ils veulent poursuivre leur événement », développe Anna co-organisatrice de l’action, quelques instants avant de passer à l’acte.
Pourtant, tout ne se passe pas comme prévu. À peine sont-ils en place que plusieurs responsables déboulent sur eux, ciseaux à la main pour tenter de découper leur banderole sur laquelle on peut lire le fameux slogan « Venez comme vous êtes » suivi des actes reprochés « Harcelé.es, attouché.es, humilié.es, abusé.es, rabaissé.es ». Très vite la tension monte, ils sont priés de remballer leur matériel. « J’ai eu un peu peur quand on m’a saisi le bras violemment et griffé », confie Rémi, encore choqué des menaces proférées selon lui par les responsables, qui n’ont pas souhaité réagir à nos sollicitations. Après d’intenses négociations, le collectif peut prendre la parole devant une petite foule agrégée devant l’entrée du restaurant. « Nous sommes ici pour lire des témoignages de salariés qui ont subi du harcèlement, des menaces, des pressions, du racisme et des violences sexuelles », scande Antoine. Malgré leurs mines déconfites, les gérants du magasin mettent fin à l’action et reprennent tant bien que mal leur cérémonie d’inauguration. Une reprise qui tarde… car l’influenceuse invitée s’est évaporée durant l’action du collectif McDroits.
« Des pressions systématiques »
Si certains membres du groupe ont été chahutés, le collectif est satisfait d’avoir pu mener à bien son action. « C’est important pour nous que les gens entendent ces témoignages, nous en avons recueilli des centaines qui dénoncent les conditions de travail honteuses », assure Mathilde, qui participe elle aussi à l’action. Collectés pendant des mois en ligne ou en physique sur les campus universitaires, ces témoignages proviennent d’actuels ou anciens salariés victimes d’abus en tout genre. Bien souvent jeunes et précaires, les personnes qui acceptent de raconter leur expérience au sein du géant du fast-food relatent une pression systématique, exercée aussi bien sur le lieu de travail que par le biais de l’application de messagerie en ligne WhatsApp. « On est contacté par nos supérieurs à des heures improbables, on nous demande parfois de surveiller nos collègues. On nous impose des responsabilités et cela ne représente que la partie émergée de l’iceberg » déplore Antoine, consterné par cette réalité.
McDonald’s s’était engagé à lutter contre le harcèlement
Si cette action n’est pas la première et sûrement pas la dernière, elle rappelle surtout l’inaction de la firme. Appelé à agir en interne en 2020 suite à l’action faite au siège par le collectif, McDonald’s s’était engagé à lutter contre le harcèlement moral et avait promis un protocole d’écoute et de prise en charge des victimes. Pourtant, selon le collectif, plusieurs personnes s’étant plaintes de leurs conditions de travail n’ont jamais vu la concrétisation de ces annonces, se résignant à laisser l’entreprise qui emploie le plus de jeunes en France, perpétuer sa triste omerta.
publié le 23 avril 2023
Nadia Sweeny sur www.politis.fr
La stratégie des opposants à la réforme des retraites fonctionne : la multiplication des manifestations partout sur le territoire entrave les déplacements ministériels. Les préfets tentent par tous les moyens de les interdire à coup d’arrêtés au contenu parfois ubuesque et publiés à la dernière minute. Un procédé illégal.
Ça fonctionne ! Les manifestations des opposants à la réforme des retraites prévues à chaque déplacement ministériel entravent avec brio les agendas des ministres. Face aux comités de « non-accueil » de la CGT ou des « CasserolesChallenge » d’Attac, nombreux sont les membres du gouvernement à annuler leurs déplacements. Ce 21 avril, François Braun, ministre de la Santé, devait se rendre à Neuilly-sur-Marne. Annulé. Olivier Klein, secrétaire d’État au Logement, devait visiter la Bourse départementale du travail à Bobigny. Annulé. Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la formation professionnels, devait se rendre dans deux lycées à Toulouse. Annulé. Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises a écourté son passage à La Baule.
Pour tenter de limiter ces mouvements, l’État reprend ses méthodes préfectorales développées depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites : la publication d’arrêtés d’interdictions de manifester à la dernière minute, voire même après la date d’application. Et ce, en toute illégalité. Le 6 avril, le tribunal administratif de Paris avait déjà décidé que « le défaut de publicité adéquate (…) ainsi que leur publication tardive, faisant obstacle à l’exercice du référé liberté » portait « une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’exercer un recours effectif ». Quel que peu agacé, il a ordonné au préfet de publier ces arrêtés « dans un délai permettant un accès utile au juge des référés ».
Les délais ne permettent pas de saisir les tribunaux administratifs
Or les préfectures n’en tiennent pas compte. À Lyon, la préfecture du Rhône a publié le mercredi 19 avril, un arrêté d’interdiction de manifester qui s’appliquait la veille, le 18 avril à partir de 18 heures. Pour la manifestation du mercredi 19 au soir : l’arrêté est publié une heure avant son entrée en vigueur. Techniquement, cela empêche non seulement la publicité effective de cette décision et donc sa prise en compte par les citoyens – dont quatorze ont été verbalisés mercredi soir sur foi de cet arrêté – mais aussi toute voie de contestation devant le tribunal administratif.
Contacté, le cabinet de la préfète du Rhône, Fabienne Buccio, répond : « Les informations relatives aux arrêtés préfectoraux cités ont été publiées sur notre compte Twitter pour un relais, dans les minutes qui suivent, dans l’ensemble de la presse locale (radio, PQR, web et TV). » Or le tweet annonçant l’interdiction du mardi 18 avril a été publié à 18h24 – soit après l’entrée en vigueur, et celui du mercredi 19, à 16h59 – soit une heure avant. Autant de délais et de méthodes qui ne permettent toujours pas une saisine du tribunal administratif.
« C’est une nouvelle pratique qu’on a vu se développer ces derniers mois, constate maitre Jean-Baptiste Soufron, à l’origine du dépôt de plusieurs référé-libertés contre ces arrêtés. On essaye de saisir le plus vite possible c’est très difficile. »
« On détourne l’esprit des textes pour museler l’opposition »
Avec l’association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), il a contesté l’arrêté de la préfecture de l’Hérault prise en vue de la visite d’Emmanuel Macron à Granges et publié encore très tardivement. Cet arrêté mentionnait aussi l’interdiction dans un périmètre de sécurité, des « dispositifs sonores portatifs ». Ce qui s’est traduit sur place par la confiscation des casseroles et le développement, dans les médias, d’un discours étonnant de la part de majorité : « Être accueilli par des casseroles c’est un trouble à l’ordre public », a clamé Nadia Hai, députée Renaissance sur France info. « La confiscation des casseroles c’est une affaire de maintien de l’ordre », selon Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale.
Ils détournent les textes anti-terroristes pour en faire autre chose mais ça ne marche pas : ça devient ridicule
Pour interdire les « dispositifs sonores portatifs » la préfecture de l’Hérault a appliqué un périmètre de sécurité en utilisant l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure. Ce même texte a aussi été utilisé par la préfecture du Bas-Rhin, pour interdire les manifestations mercredi 19 avril, lors de la visite du président. Or ce texte ne peut s’appliquer que pour prévenir des « risques d’actes de terrorisme ».
Son utilisation pour interdire les manifestations constitue un détournement des textes pour l’avocat de l’ADELICO. « Ils détournent les textes anti-terroristes pour en faire autre chose mais ça ne marche pas : ça devient ridicule et quand les choses deviennent ridicules, c’est qu’on est déjà dans l’abus de pouvoir, de décisions qui relèvent de l’autoritaire, insiste Jean-Baptiste Soufron. C’est du droit d’école de commerce et de sciences po : on joue avec les mots, on ignore l’esprit des lois pour priver les gens de leurs droits. On détourne l’esprit des textes pour museler l’opposition. »
Sans surprise, le tribunal administratif n’a pas eu le temps de se prononcer sur la légalité de l’arrêté de la préfecture de l’Hérault. L’exécutif « coupe court à toute forme d’exercice de contre-pouvoir, constate maître Soufron, ce sont les mêmes méthodes qu’avec le Parlement ». Mais les associations ne lâcheront pas, nous indique-t-on, et cherchent le moyen d’accélérer leur saisine.
De nouveau, ce vendredi à l’occasion de la visite d’Élisabeth Borne dans l’Indre, trois arrêtés préfectoraux d’interdictions de manifester ont encore été publiés le matin même pour une application dès… 9heures.
Questionné par France Info sur cette interdiction, Élisabeth Borne a nié : « Il n’y a pas une interdiction de manifester. » Ceci n’est donc pas une pipe.
publié le 22 avril 2023
Marceau Taburet et Diego Chauvet sur www.humanite.fr
Tout le week-end, les opposants à la construction du nouveau tronçon entre Toulouse et Castres manifestent dans le sud du Tarn. Le ministre de l’Intérieur attise les tensions.
Ce samedi 22 avril, le sud du Tarn doit connaître un week-end de mobilisation à haut risque, moins d’un mois après les affrontements de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Les opposants à la construction d’une autoroute entre Toulouse et Castres appellent à un rassemblement à Saix pour manifester leur opposition à ce projet jugé « anachronique ».
Caisses à savon, Caddie de supermarché, karts désaffectés et autres luges à roues, des bolides de toutes tailles et toutes formes
Les initiatives annoncées se veulent festives et bon enfant. Les organisateurs (les Soulèvements de la Terre, la Confédération paysanne…) ont prévu de monter samedi à bord de bolides. De toutes formes et de toutes tailles. Caisses à savon, Caddie de supermarché, karts désaffectés et autres luges à roues feront l’affaire pour participer à la course.
L’idée étant de franchir la ligne d’arrivée en moins de douze minutes, soit le temps qu’est supposée faire gagner l’A69 aux automobilistes
L’idée étant de franchir la ligne d’arrivée en moins de douze minutes, soit le temps qu’est supposée faire gagner l’A69 aux automobilistes. Ces derniers jours, entre 2 000 et 3 000 personnes se sont montrées intéressées sur les groupes de discussion.
Long de 44 kilomètres, cet axe autoroutier est dans les cartons depuis le début des années 2000. « Cela fait des années que des gens se battent sur place. Là, on entre dans une nouvelle phase puisque les travaux ont commencé et des arbres ont déjà été abattus », explique Mathieu, membre des Soulèvements de la Terre.
Artificialisation de 366 hectares et destruction de zones boisées et humides
Ce qui suscite leur indignation, c’est avant tout la non-prise en compte des impacts sociaux et environnementaux du projet. Artificialisation de 366 hectares, destruction de zones boisées et humides, déplacement d’espèces végétales et animales…
« L’utilité de cette autoroute n’a jamais été démontrée. Elle ne sera pas rentable », estiment les militants locaux d’Europe Écologie-les Verts dans un communiqué. Les mots « climat » et « biodiversité » sont les grands absents de l’exposé des motifs qui tente de justifier le caractère d’utilité publique de l’autoroute.
Selon les premières estimations, ce nouveau tronçon payant (autour de 7 euros à chaque passage), construit en parallèle de la nationale, serait emprunté chaque jour par près de 6 000 usagers. Ce qui semble bien faible au regard de ses conséquences écologiques, jugent les membres du collectif local la Voie est libre.
Ce tronçon autoroutier « ne répond pas aux attentes et aux besoins des citoyens et du territoire »
Au sein de la gauche régionale, la communiste Géraldine Rouquette, conseillère régionale et ex-élue municipale de Castres, estime que ce tronçon autoroutier « ne répond pas aux attentes et aux besoins des citoyens et du territoire ». Il laisse des angles morts : « Le désenclavement ne doit pas se faire que vers Toulouse », explique l’élue communiste, qui considère que « le développement du ferroviaire » aurait également dû être une piste de travail, arguant que « faire rouler des trains c’est mieux pour l’environnement ».
La présidente socialiste de la région, Carole Delga, appuie en revanche le projet au nom du « désenclavement du sud du Tarn ». En 2021, avant les élections régionales, elle rappelait en outre que l’État avait donné son feu vert « après une large concertation ».
En lieu et place du projet autoroutier, les communistes auraient eux préféré un doublement de l’actuelle route nationale, de façon à en faire une deux fois deux voix, et plaideront le cas échéant pour la gratuité de ce tronçon pour les usagers.
« Le gouvernement croit que tout le monde veut des ZAD partout »
Mais, au-delà de ces débats, le souvenir des violences à Sainte-Soline autour des méga-bassines, le 25 mars, est dans toutes les têtes. « On espère qu’il n’y aura pas de provocation de la part de la police, assure Mathieu. Le gouvernement est dans un délire de croire que tout le monde veut mettre des ZAD partout. »
Selon lui, l’exécutif poursuit bille en tête sa stratégie de « criminalisation des mouvements sociaux et environnementaux ». Preuve en est, la volonté affichée par Gérald Darmanin de dissoudre les Soulèvements de la Terre.
Le locataire de la place Beauvau a déjà annoncé, sous forme de prophétie, que « l’autoroute entre Castres et Toulouse sera le prochain objectif de l’ultragauche ». Le préfet du Tarn, qui a autorisé la manifestation, promet de mener « un dialogue constructif » avec les organisateurs.
Il reste à savoir si l’État pourrait revenir sur son projet. Selon des informations publiées par Mediapart, ce 20 avril, le ministre des Transports, Clément Beaune, « a souhaité réexaminer l’ensemble des projets autoroutiers actuellement envisagés, et le projet d’A69 ne fait pas exception ». L’entourage du ministre assure que, « dans ce cadre, rien n’est définitif ».
À la veille du week-end de mobilisation, une opération de com destinée à calmer le jeu n’est pas exclue. À moins que le gouvernement, déjà malmené après la réforme des retraites, ne renonce à souffler sur les braises pour ce projet d’autoroute.
Emmanuel Riondé sur www.humanite.fr
La présidente de la région Occitanie défend l’autoroute Castres-Toulouse. Mais au sein de sa majorité, Verts et communistes se démarquent de sa position. Et en dehors, beaucoup pointent la contradiction entre son affichage écolo et son soutien à ce projet climaticide et dépassé.
Toulouse (Haute-Garonne).– Les oreilles de Carole Delga devraient encore siffler ce week-end, du côté de Castres. La présidente socialiste de la région Occitanie est dans le viseur des opposant·es au projet d’A69, cette autoroute devant rallier Toulouse et Castres, dont la réalisation apparaît totalement à contre-courant des attentes et urgences écologiques de la période (lire l’article de Jade Lindgaard).
Samedi 22 et dimanche 23 avril, le collectif La Voie est libre, la Confédération paysanne, Extinction Rebellion (XR) et les Soulèvements de la Terre organisent un rassemblement, « A69 Sortie de route », contre ce projet. Le camp où se retrouveront les manifestant·es a été dressé sur la commune de Saix, à proximité de Castres (Tarn). Non loin d’un tronçon où de premières coupes d’arbres ont été effectuées en mars, dans le cadre des travaux préparatoires du chantier.
Dans un communiqué diffusé jeudi 20 avril, les organisateurs notent que « l’installation de ce camp est un premier coup porté à la politique de Carole Delga dont le courage politique n’a d’égal que le mensonge ». La veille, trois militants de Dernière Rénovation aspergeaient de peinture orange la façade et l’esplanade de l’hôtel de région, à Toulouse, pour dénoncer « un projet insensé, catastrophique pour la biodiversité, la vie rurale et la santé des sols, [qui] n’a vocation qu’à enrichir des investisseurs déconnectés de l’urgence climatique ».
La région Occitanie contribue à hauteur de 6 millions d’euros au plan de financement de l’autoroute. Une somme versée dans le cadre de la subvention d’équilibre publique de 23 millions (dont 11,5 millions de l’État et 3,14 millions du département du Tarn) qui représente environ 6 % du budget d’investissement global (389 millions). Mais elle n’est ni maîtresse d’ouvrage ni initiatrice du projet. Pourquoi, dès lors, sa présidente, réélue haut la main en 2021, est-elle visée par les opposant·es ?
« Je pense que c’est parce qu’elle est active sur l’écologie que Delga est interpellée avec insistance sur ce dossier : il y a une contradiction qui soulève des interrogations », propose Benjamin Assié, président du groupe Occitanie Pays-Catalan Écologie (OPCE), le bloc écologiste de la majorité de Delga au conseil régional.
Une contradiction dont le groupe OPCE et ses sept élu·es se tiennent à bonne distance : « Nous allons nous rendre à la manifestation de ce week-end, on n’a aucune difficulté là-dessus, assure l’élu. Ce n’est pas la position de la majorité régionale mais nous sommes en cohérence avec nos valeurs : nous nous sommes toujours opposés à ce projet qui avait peut-être une raison d’être il y a 40 ans mais plus du tout aujourd’hui. »
Autre composante de la majorité régionale, le groupe Communiste républicain et citoyen, 15 élu·es, n’est guère plus enthousiaste concernant l’A69 : « Le PCF avait pris position localement et nationalement pour une réhabilitation de la RN126 à double voie. On acte que le choix de l’État et de la région est celui de l’autoroute mais on y reste opposés. Notamment au fait que cette liaison soit désormais payante », explique Pierre Lacaze, président du groupe.
Carole Delga a un affichage de convictions écologistes mais quand il s’agit d’aller sur des projets structurants, elle n’avance pas.
Vincent Garel, à la tête des 18 élu·es du Parti radical de gauche et citoyens de la région, principale force alliée au groupe socialiste de Delga, n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais l’élu tarnais, président régional du Parti radical de gauche, dont il vient d’être nommé premier vice-président national, est un fervent défenseur de l’A69. Et politiquement, il « accompagne la démarche de Bernard Cazeneuve autour de son mouvement “La Convention” », ce qui le rapproche encore un peu plus de Carole Delga. Au printemps dernier, entre présidentielle et législatives, la présidente de la région s’était affirmée comme l’une des figures majeures des socialistes opposé·es à l’intégration du PS au sein de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes).
S’ils assument leur opposition au projet d’A69, écolos et communistes de la région se gardent de trop critiquer leur présidente. « Ce projet a été conçu il y a plusieurs décennies et il ne correspond plus à ce que nous devons transformer. Mais la position de Delga, nous n’allons pas la commenter », tranche Agnès Langevine, élue OPCE, deuxième vice-présidente de la région chargée du « climat, pacte vert et habitat durable ». « Je ne peux pas parler à sa place », élude de son côté Pierre Lacaze, président du groupe Communiste républicain et citoyen.
Sollicités par Mediapart, ni Carole Delga, ni son cabinet, ni deux proches élu·es n’ont donné suite. Mais la position de la présidente de région, qui revendique ses bons liens avec le patronat et, comme le rappelle Mediacités, est proche des dirigeants des laboratoires Fabre, initiateurs du projet d’autoroute dans les années 1980, est connue et assumée de longue date : « En matière de désenclavement, d’attractivité et de déplacements, la nécessité de cette liaison autoroutière n’est plus à prouver, estimait-elle en avril 2022 après la publication du décret approuvant le contrat de concession entre l’État et Atosca, qui va construire et exploiter l’autoroute. La région est pleinement engagée pour faire aboutir ce projet utile au territoire. »
« On n’est pas surpris, assure Régis Godec, cosecrétaire d’Europe Écologie-Les Verts (EELV)-Midi-Pyrénées. Carole Delga a un affichage de convictions écologistes mais quand il s’agit d’aller sur des projets structurants, elle n’avance pas. » Membre de la majorité « gauche plurielle » de la première mandature de Delga à la région, EELV n’a pas intégré la nouvelle coalition en 2021. Parmi les dossiers de rupture, celui de l’A69.
Toutes les lignes budgétaires de la collectivité sont cotées au regard de leurs émissions carbone.
Lors de la campagne, José Bové avait proposé un référendum sur le sujet. « Je fais partie de ceux qui ne sont pas favorables à ce projet, expliquait-il à la presse. Mais ça ne m’empêche pas de soutenir la région. Pourquoi pas trancher tout cela par un vote ? » Avant de préciser : « Je ne mets pas un caillou dans la chaussure de Carole Delga, mais je lui présente une solution pour sortir d’un conflit qui s’enkyste. »
Deux ans plus tard, le conflit entre pro et anti-autoroute s’est durci, et le caillou dans la chaussure commence à ressembler à un gros pavé dans la mare, même si Agnès Langevine défend le volontarisme écologique de Carole Delga. « Toutes les lignes budgétaires de la collectivité sont cotées au regard de leurs émissions carbone », se félicite la vice-présidente, vantant « la politique de transport, la reconnaissance européenne sur l’agriculture bio, et sur le deuxième mandat, le pacte vert avec une appréhension plus systématique où toutes les politiques publiques doivent prendre en compte le climat » comme les « marqueurs écolos » de la région.
Parmi ces « marqueurs », Carole Delga a choisi de mettre l’accent sur l’importance qu’elle accorde aux transports… ferroviaires. Avec une tribune dans Le Monde en septembre 2022, et une interview au JT de 13 heures de TF1 mardi 18 avril, dans lequel, interrogée par Marie-Sophie Lacarrau, elle assure que « les transports en commun doivent être gratuits […]. C’est bon pour le pouvoir d’achat, c’est bon pour la planète et c’est bon pour la souveraineté industrielle ».
Le basculement attendu de Carole Delga
Cette montée au créneau pour la gratuité des transports en commun a provoqué quelques grincements. « Rien que sur le trajet Toulouse-Castres, en matière de TER, le compte n’y est pas, épingle un connaisseur des transports en Occitanie, souhaitant conserver l’anonymat. Les premiers TER en provenance de Castres arrivent à Toulouse-Matabiau après le départ du premier TGV pour Paris, et les derniers en repartent avant son retour… Delga avance des grands projets sur le ferroviaire mais concrètement, pour désenclaver Castres, elle n’améliore pas cette offre TER. »
Et soutient l’installation sur le même trajet d’une autoroute dont l’aller simple sur soixante kilomètres coûtera 8,40 euros ! Un prix qui, en plus d’être particulièrement élevé, pose la question de la destination des fonds publics : il englobe les déviations de Soual et Puylaurens, réalisées en 2000 et 2008 sur la RN126 aux frais des contribuables… qui vont désormais en repayer l’usage à un opérateur privé chaque fois qu’ils prendront l’A69.
Autre contradiction relevée par les opposant·es au projet : Carole Delga a fait connaître son opposition à l’installation d’une usine d’enrobage (goudron) à Gragnague, un village de Haute-Garonne situé sur le tracé de l’autoroute. L’usine est censée rester quatre mois dans le cadre de travaux de réfection d’une portion de l’autoroute A68 à laquelle se raccordera l’A69. « Elle est pour l’autoroute mais contre le goudron… Elle a cru qu’ils allaient faire une autoroute en paille ? », ironise un membre de La Voie est libre, le collectif d’habitant·es de la vallée en lutte contre l’autoroute.
En réalité, la socialiste apparaît aujourd’hui isolée sur un dossier qui cristallise le rejet et l’opposition d’un spectre politique et citoyen de plus en plus large. Le Nouveau Parti anticapitaliste, EELV, le Parti de gauche, La France insoumise, Archipel citoyen ont signé l’appel à manifester ce week-end, comme de nombreux syndicats (FSU, GGT 81...), aux côtés d’associations et collectifs. « Le rapport de force évolue plutôt en notre faveur et Carole Delga a beaucoup de choses à prouver sur ce dossier, note l’écologiste Régis Godec. C’est à elle de faire le pas, de basculer. On peut imaginer que dans quelques semaines, elle se mettra autour d’une table. Nous, en tout cas, on sera là le week-end des 22 et 23 avril. »
Tout comme Benjamin Assié, président du bloc écologiste à la région : « Du point de vue d’un certain nombre de gens de la majorité qui portent ce projet, il y a l’idée que c’est trop tard pour revenir en arrière, regrette-t-il. Mais la réalité, c’est qu’à la fin, on va se retrouver avec une autoroute surcalibrée, juste à côté de la nationale… On ne désespère pas de la faire changer de position. Notre job, c’est de tenir la nôtre à l’intérieur du conseil régional. »
Ce week-end, à Saix, les opposant·es au projet entendent bien elles et eux aussi « faire leur job » : « On ne fait pas de politique politicienne, lâche Nicolas, de Dernière Rénovation. Notre objectif, c’est juste de faire en sorte que Delga et l’État renoncent à ce projet. »
publié le 22 avril 2023
Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr
Malgré son engagement contre la réforme des retraites, la gauche peine à apparaître comme le débouché naturel à la crise. Une situation qui préoccupe intellectuels et responsables de partis, pour qui les « 100 jours » fixés par Macron sont marqués du sceau de l’incertitude.
« Ambiguë », « incertaine », « équivoque » : les cadres des partis de gauche rivalisent de prudence pour décrire la situation politique et sociale du pays. D’un côté, le mouvement d’opposition à la réforme des retraites a, sur le papier, essuyé revers sur revers : la loi est passée, le Conseil constitutionnel l’a validée, elle a été promulguée, Emmanuel Macron a parlé, en espérant tourner la page.
De l’autre, le pouvoir sort ostensiblement affaibli de la séquence : ses mensonges ont été révélés, il a été contraint de contourner le vote de l’Assemblée nationale, il fait face à un mouvement social massif et tenace, et le président de la République comme ses ministres ne peuvent plus se déplacer sans provoquer un concert de casseroles.
Dans ce contexte, les notions de « victoire » et de « défaite » sont relatives. Les dirigeants de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) attendent beaucoup de l’échéance du 1er mai, fixée par une intersyndicale toujours soudée, pour faire une nouvelle fois la démonstration de l’illégitimité des politiques décidées par le chef de l’État, et signifier à ce dernier que le chapitre n’est pas clos.
Une éventuelle validation de la deuxième demande de référendum d’initiative partagée (RIP) par le Conseil constitutionnel, le 3 mai, ouvrant une campagne de neuf mois pour recueillir les signatures de 4,8 millions d’électeurs et électrices, pourrait donner un sursis institutionnel aux contestataires. De même que la proposition de loi déposée par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) demandant l’abrogation de la réforme, qui pourrait être examinée le 8 juin.
Mais la gauche partisane aura bientôt épuisé son stock de recours légaux pour éviter cette réforme. Toute l’énergie qu’elle a déployée pour appuyer le mouvement social, dans l’arène parlementaire comme dans celle des luttes – apport aux caisses de grève, ronde des commissariats, présence aux piquets de grève –, n’a pas suffi.
Une gauche engagée mais sans prise
Dès le mois de janvier, la gauche voyait pourtant dans la bataille des retraites une occasion historique : celle de s’affirmer comme l’alternative politique à un pouvoir minoritaire. « Si ça marche, ça sera une victoire de la gauche sociale. En revanche, si la réforme passe crème, ce sera dépressif pour nous », anticipait le député socialiste Jérôme Guedj à la mi-janvier. « Les doutes sur la Nupes peuvent être vite balayés si on mène cette bataille ensemble et qu’on la gagne », abondait son homologue de La France insoumise (LFI) Sarah Legrain.
Depuis, de la quasi-scission du Parti socialiste (PS) aux coups de boutoir du secrétaire national du Parti communiste français (PCF) Fabien Roussel contre la Nupes, en passant par la crise interne de LFI et la faiblesse structurelle d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), les doutes persistent. Les opposant·es à la coalition de gauche se sont même saisi·es des résultats de la législative partielle en Ariège – dont il est pourtant impossible de tirer des conclusions nationales – pour instruire son procès.
« Ce qu’a révélé la séquence, c’est que la Nupes reste un espace politique insuffisamment structuré et unitaire », déplore Alain Coulombel, membre du bureau exécutif d’EELV, qui regrette qu’elle en soit restée au stade d’une simple « coalition parlementaire ». La Nupes pourrait ainsi se présenter divisée aux élections européennes de 2024, fermant la parenthèse de son existence : « On est loin d’exprimer un projet cohérent, alternatif, avec des équipes qui travaillent ensemble sur les territoires, c’est ce qui me fait peur », ajoute l’écologiste.
C’est un mouvement qui a été fondamentalement apartisan, c’était d’ailleurs la condition de son succès.
Sur la même ligne, l’économiste Maxime Combes, longtemps militant à Attac, regrette l’abandon du parlement de la Nupes, censé faire du liant entre mouvements sociaux et politiques : « Comme il n’existe plus, le seul endroit où la Nupes existe [l’intergroupe parlementaire – ndlr] n’est pas visible de l’extérieur, ça ne donne donc aucun exemple à suivre au niveau local. »
Le coordinateur des espaces de LFI, Manuel Bompard, a beau appeler à installer « des assemblées de la Nupes dans chaque circonscription ou au niveau des communes » et à rendre « possible l’adhésion directe », l’acte 2 de la coalition, tant annoncé depuis des semaines, peine à démarrer.
Mais la crise de la gauche est même plus profonde que cela. Quand bien même la Nupes serait plus structurée, l’idée selon laquelle la gauche apparaîtrait mécaniquement comme le « débouché politique » du mouvement est, selon le politiste Rémi Lefebvre, « irréaliste ». « C’est un raisonnement du vieux monde, dit-il. Même si, dans le débat sur le travail, l’agenda politique était placé idéologiquement à gauche, c’est un mouvement qui a été fondamentalement apartisan, c’était d’ailleurs la condition de son succès. »
Cette caractéristique n’est pas propre à la mobilisation contre la réforme des retraites. Elle est commune à de nombreux mouvements sociaux depuis vingt ans qui, sous l’effet des alternances politiques et des déceptions en cascade qu’elles ont provoquées, ont pris leur distance vis-à-vis de la politique institutionnelle. Cette autonomisation s’est vérifiée, par exemple, à l’occasion du mouvement des « gilets jaunes », qui n’a pas trouvé de traduction politique.
La fin d’une époque
Dès lors, partant de cette hétérogénéité idéologique et sociale nouvelle de la sphère protestataire, le pari que la gauche pourrait remporter la mise est audacieux. « Les réflexes des Trente Glorieuses selon lesquels il y aurait un débouché naturel aux mouvements sociaux à gauche ne sont plus opératoires : si on veut vraiment donner un débouché politique, il faut réfléchir aux médiations sociales, intellectuelles, culturelles, entre les frustrations accumulées dans ces mouvements et un programme qui apporte des éléments positifs dans une campagne électorale. Or cette pensée des médiations reste largement à élaborer », estime le politiste Laurent Jeanpierre.
À l’occasion des congrès respectifs des partis de gauche, qui se tenaient pour certains en même temps que le mouvement contre la réforme des retraites, le hiatus entre les préoccupations exprimées dans la rue et les orientations programmatiques qui devaient y être décidées est apparu très clairement.
« Ce qui est le plus frappant, c’est le contraste entre le mouvement social unitaire, digne, sérieux, inventif, capable de se rénover et de se reformuler à chaque fois, et une gauche plus encline à cultiver son jardin, voire à montrer ses divisions sur les choix stratégiques », critique l’économiste Maxime Combes. Or, selon lui, le mouvement a pris un tournant, en passant d’un conflit social à une crise de régime qui exige une réponse politique. « Mais où sont les initiatives politiques ? », questionne-t-il.
De fait, LFI campe sur la position qu’elle a adoptée pendant la bataille parlementaire, et qui fait partie de son ADN. En incarnant un « pôle de radicalité » – y compris dans le style – sur le socle programmatique de la présidentielle, elle pense capter une partie de la colère sociale et ainsi permettre la « révolution citoyenne ». Le 11 avril, devant une trentaine de député·es et de collaboratrices et collaborateurs insoumis à l’Assemblée, Jean-Luc Mélenchon félicitait ses troupes dans ce sens, validant la stratégie du conflit et jugeant que le mouvement insoumis devait miser sur l’action pour faire revenir le bloc des abstentionnistes aux urnes.
À l’heure de faire un premier bilan de la mobilisation contre la réforme des retraites, le député LFI Paul Vannier confirme cette analyse, en y ajoutant une dose de triomphalisme : « On a infligé une défaite politique majeure à Macron sur le front parlementaire : ils n’ont pas réussi à faire voter cette réforme. Et je suis très serein sur la Nupes : nous sommes en train de remporter une victoire politique, la Macronie s’effondre, la question de l’alternative se pose. »
Mais à cette question posée, les réponses à gauche divergent. Si tous, au sein de la Nupes, s’accordent sur la nécessité d’une dose de radicalité, certains plaident pour abandonner un registre parfois qualifié de « populiste de gauche » et jugé repoussoir pour une partie de l’électorat. Les mêmes plaident pour un fonctionnement plus démocratique.
Pour le politiste Philippe Marlière, qui fait partie de ceux-là, il convient de faire renaître une « social-démocratie de gauche ». « La gauche est dans une impasse parce que son pôle dominant est populiste, alors que le moment populiste est passé en Europe, dit-il. Pour gagner dans un cadre libéral démocratique, dans un régime capitaliste, il faut renvoyer une image de crédibilité et de compétence politique. Le malheur de la gauche française, c’est que les partis préfèrent sauvegarder leur pré carré dans la défaite, plutôt que de participer d’un projet collectif en faisant des compromis, à commencer par LFI. »
C’est le moment de faire des propositions pour régler la crise démocratique. Mais comme il y a un vide de leadership, rien ne se fait. Chloé Ridel, porte-parole du PS
De plus, l’absence d’un leadership incontesté au sein de la Nupes n’arrange pas ses affaires. « Maintenant que tout le monde est conscientisé sur le caractère tout-puissant de l’exécutif par rapport au Parlement, et sur le fait qu’on peut se faire brutaliser en toute légalité, c’est le moment de faire des propositions pour régler la crise démocratique. Mais comme il y a un vide de leadership, rien ne se fait », observe la porte-parole du PS Chloé Ridel.
Par contraste, la situation du Rassemblement national (RN) a de quoi faire pâlir la gauche : son leadership est incontesté, sa candidate pour 2027 toute trouvée, son groupe ne souffre d’aucune division, et sa nature d’extrême droite a été largement relativisée, par des intellectuels comme Marcel Gauchet dès la présidentielle, et désormais par une partie de la majorité présidentielle.
« On a récusé à toute force chaque argument du pouvoir, mais ça invisibilise le RN, qui avance à bas bruit comme au moment des législatives. Je pense qu’il n’y a pas eu assez d’analyse sur l’espace médiatique et sur le positionnement du RN », pointe l’historienne Ludivine Bantigny.
Concernant le leadership de la gauche, Jean-Luc Mélenchon a récemment semblé donner un coup de pouce à François Ruffin dans un message sur Twitter commentant un sondage qui plaçait le député picard au second tour de la présidentielle. Si personne n’y voit la désignation de son successeur à l’élection présidentielle, certains veulent toutefois « saisir la balle au bond » pour accélérer ces discussions et l’approfondissement de la Nupes, à l’instar de la députée écologiste Sophie Taillé-Polian.
« C’est une très bonne nouvelle que Jean-Luc Mélenchon pose lui-même la question de la pluralité de personnalités pour nous représenter, affirme-t-elle. L’acte 2 de la Nupes ne peut pas se passer dans un conclave indéfini. Si on tourne autour du pot trop longtemps, ça risque de créer une dynamique négative : il faut renouveler le programme sans en changer la philosophie générale, aller plus loin dans sa crédibilisation, donner des priorités. Ce sont des débats importants. »
À lire aussi l’interview de François Ruffin publié le 25 mars sur ce site (ruvrique « les articles »)
D’autant plus importants que si la mobilisation se solde par une défaite, la colère pourrait prendre une tournure amère. « Quand la colère est sans espérance, sans imaginaire alternatif, ça produit du ressentiment qui, historiquement, ne nourrit pas la gauche mais l’extrême droite. Pour moi, la clé est là », conclut l’historien du communisme Roger Martelli.
publié le 21 avril 2023
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Partout en France, les cheminots mais aussi les salariés ont répondu à l’appel de l’intersyndicale. Avec un objectif en tête : vivre une Journée internationale des travailleurs historique.
« Le pouvoir fait comme si on pouvait tourner la page tout simplement et passer à autre chose. Non, ça n’est pas possible », a lancé ce jeudi 20 avril depuis Gardanne (Bouches-du-Rhône) la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, au sujet de la réforme des retraites. Aux quatre coins du pays, les cheminots et les salariés ont manifesté tout au long de la journée avec un objectif en ligne de mire : la réussite du 1er Mai.
À Gardanne, la CGT maintient le cap
Accueillie sous les acclamations de centaines de militants enthousiastes, jeudi, sur le site de la centrale thermique de Gardanne, en lutte depuis près de cinq ans pour le maintien de l’outil industriel et de l’emploi, Sophie Binet est restée ferme, à la fois sur les retraites et sur la question de l’indépendance énergétique.
Reçue par Olivier Mateu, le secrétaire départemental (Bouches-du-Rhône) de la CGT, mais aussi par Jean-Michel Roccasalva, secrétaire CGT de la centrale, et Pascal Galéoté, secrétaire CGT du Grand Port maritime de Marseille, elle a rappelé l’importance de ce nouveau jour de mobilisation, notamment chez les cheminots.
Quand on entend notre président de la République, on a l’impression qu’il a passé trois mois dans son Falcon et qu’il n’a pas compris ce qui se passait dans la rue. Mais aussi parce qu’il y aura, à Paris mais pas seulement, des syndicalistes du monde entier qui vont venir nous soutenir » Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT
« La CGT et l’intersyndicale se mettent en situation d’avoir un 1er Mai d’un niveau exceptionnel et inédit parce que, pour la première fois en France, l’ensemble des organisations manifesteront ensemble. Il s’inscrit dans une mobilisation exceptionnelle parce que, quand on entend notre président de la République, on a l’impression qu’il a passé trois mois dans son Falcon et qu’il n’a pas compris ce qui se passait dans la rue. Mais aussi parce qu’il y aura, à Paris mais pas seulement, des syndicalistes du monde entier qui vont venir nous soutenir », a lancé, chapeau rouge sur la tête, Sophie Binet, avant de poursuivre : « Il n’a pas compris que notre détermination était liée au fait que, cette réforme, c’est nous voler deux ans de vie. Ce que fait le gouvernement depuis le début du conflit abîme l’image de la France à l’international. [...] Avec un problème, je le dis, de radicalisation du pouvoir et une répression qui se développe partout. »
De son côté, Jean-Michel Roccasalva a résumé la longue lutte pour sauver l’emploi dans la centrale thermique, qui a brutalement cessé de fonctionner au charbon, entraînant de nombreux licenciements, et surtout rappelé l’urgence du dossier. Si la transition vers le méthane n’avance pas, 30 autres salariés risquent de se retrouver à Pôle emploi dès août prochain.
« Ce dossier démontre l’impasse de la prétendue transition écologique sans gestion sociale », résume la secrétaire générale. « La fermeture a causé la suppression de 200 emplois directs, 500 en tout, auxquels aucune réponse n’a été apportée. Il faut une planification environnementale et industrielle. »
Donnant la date limite du 15 mai pour ce dossier, Sophie Binet a indiqué préparer une lettre à Élisabeth Borne. Après son intervention, un militant se montrait rassuré : « Elle a pour mandat de ne rien lâcher et a l’air de s’y tenir ».
À Paris, la « colère cheminote » grandit
Ne pas laisser de répit à Emmanuel Macron. C’est l’objectif de cette journée de mobilisation de l’intersyndicale à la SNCF. « Nous sommes ici pour dire qu’on ne le lâchera pas. Il était important de construire des initiatives locales », assure Samy Charifi, responsable CGT des cheminots du secteur Paris-Est.
Sur le parvis de la gare parisienne du même nom, une soixantaine de cheminots ont répondu à l’appel, réunis en assemblée générale à 11 heures. Venue de la gare voisine de Paris-Nord, Amélie Nobrega évoque « une bataille longue et difficile » pour obtenir le retrait de la réforme des retraites.
Pour autant, la cégétiste l’assure, « une grosse journée se profile le 1er Mai ». Et d’ajouter : « Les gens se posent des questions, au-delà des retraites. C’est pour cela que nous devons élargir le champ des revendications. En ce qui concerne les cheminots, c’est la bataille pour le service public ferroviaire qu’il faut relancer. »
Illustration du soutien des Français à la mobilisation, l’accueil des voyageurs est plutôt chaleureux
« Grève, blocage et Macron dégage ! », assène Didier Macé de FO, en concluant les prises de parole syndicales. Les manifestants du jour se dirigent ensuite à l’intérieur de la gare de l’Est, avant de rejoindre celle du Nord. Illustration du soutien des Français à la mobilisation, l’accueil des voyageurs est plutôt chaleureux.
En parallèle, ceux de la gare de Lyon ont rejoint la Défense pour envahir les locaux d’Euronext, la Bourse de Paris. Dans l’après-midi, un millier de grévistes convergent devant l’hôtel de ville de Paris, accompagnés de jeunes et d’étudiants. Sous les ballons de Sud-Rail, de la CGT-Paris et de FO, Mirko porte sa pancarte : « Le Raincy on est là aussi ».
Ce lycéen de 16 ans, venu de Seine-Saint-Denis avec des amis, a tenté en vain de bloquer son lycée ce matin : « La direction et la police nous ont empêchés de prendre les encombrants. Nous avons alors fait un barrage filtrant. » Le militant du syndicat La Voix lycéenne, qui a rejoint les cortèges dès la mi-février, l’assure : « Macron n’écoute personne et le ras-le-bol se généralise. Chez les lycéens aussi, l’idée d’aller dans les manifs le 1er Mai commence à prendre. »
À Rennes, un nouveau « tour de chauffe »
À l’appel de l’intersyndicale, à l’exception de la CFDT, 5 000 manifestants ont défilé à Rennes. Dans la foule, Olivier Le Moigne, retraité de 63 ans, estime « qu’on peut prendre cette manifestation comme un petit tour de chauffe avant le 1er Mai, où j’espère qu’on sera très, très, très nombreux. C’est par des vagues qui peuvent paraître petites qu’à force de répétition on envoie quand même un message ».
La mobilisation s’est déroulée globalement dans le calme, même si de nouveaux heurts ont été signalés entre un groupe de manifestants et la police, selon l’AFP. De son côté, la secrétaire départementale de la CGT, Dominique Besson-Milord, interrogée par le Mensuel de Rennes, constate que la colère monte de jour en jour : « Ne lâchons rien. Il y aura un 1er Mai historique. »
Ailleurs en Bretagne, une soixantaine de syndicalistes, notamment de la CGT cheminots, ont bloqué jeudi matin un passage à niveau à Lorient (Morbihan), entraînant des retards de plusieurs heures pour quatre TGV et cinq TER. À Vannes (Morbihan), le trafic des bus était également perturbé.
publié le 21 avril 2023
Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr
Déplacement d’Emmanuel Macron ce jeudi à Ganges, dans l’Hérault, sur le thème de la ruralité et de l’éducation. Il n’est pas allé au contact de la foule mais elle a bruyamment fait entendre sa colère. Reportage dans le comité d’accueil cévenol.
Ganges (Hérault).– Quand passer des casseroles en douce devient un acte de résistance. À Ganges, ce jeudi matin, l’interdiction préfectorale (lire notre article sur la légalité contestable de cette interdiction) de détenir tout « dispositif sonore portatif » est prise très au sérieux par certains gendarmes, qui n’hésitent pas à confisquer casseroles et tambourins aux points de filtrage de la commune, quelques heures avant l’arrivée d’Emmanuel Macron en terre cévenole.
« Ce n’est pas grave, le bistrot nous a passé des casseroles ! », rigole un cégétiste, chasuble jaune usée sur les épaules. Les ustensiles de cuisine, de toute sorte et de tous diamètres, sont effectivement bien visibles dans la foule. Et surtout, très sonores.
Car le comité d’accueil du président, mille à deux mille personnes dans une commune de quatre mille âmes, fait du bruit, beaucoup de bruit. Infatigables, les manifestant·es chantent, dansent, huent, sifflent et tambourinent sur des panneaux de signalisation ou des poubelles trois heures durant, sans jamais s’arrêter une seconde. Et sans jamais apercevoir Emmanuel Macron, en visite au collège Louise-Michel sur les thèmes de l’éducation et de la ruralité.
« Il y a un avant et un après Alsace », souffle un représentant de l’État, en référence au fiasco du déplacement présidentiel de la veille. Cette fois, pas de bain de foule. Emmanuel Macron veut de belles images pour ses annonces sur les salaires des enseignant·es (lire notre article), mais surtout pas le son. Dès son arrivée, se déclarant prêt à discuter avec les opposant·es, il ajoute d’ailleurs : « Si c’est juste pour les œufs et les casseroles, c’est pour faire la cuisine chez moi. »
La messe est dite : aujourd’hui, le président n’ira pas « au contact ». En tout cas, pas à Ganges. Car avant de repartir à Paris, il réalise une visite « imprévue » à Pérols, près de l’aéroport de Montpellier pour « discuter avec les Français ». L’imprévu a ceci de bon : les casseroles n’ont pas le temps de sortir et les images de « déambulation » tranquille sous le soleil, captées par la presse, sont bien différentes de Ganges et son joyeux vacarme.
Le courant coupé au collège
Car à Ganges, les mécontent·es sont tenu·es à bonne distance du collège, où Emmanuel Macron rencontre profs et élèves. La manifestation, qui voulait passer devant l’établissement, reste cantonnée à quelques rues alentour. Les accès menant à l’établissement sont barrés par des gendarmes mobiles devant lesquels la foule, de tous âges, entonne sans relâche des « On est là », « On est déter pour bloquer le pays » et autres « Macron démission ».
Vers 11 heures, quand le président arrive - avec du retard – personne ne le voit mais les huées se font plus fortes. L’électricité est coupée au collège Louise-Michel, durant près de deux heures. La CGT revendique l’action qui contraint la table ronde prévue à s’organiser dehors. Plus tôt, c’est l’aéroport de Montpellier qui a été placé sous « sobriété énergétique ».
« Macron, il va faire tout noir chez toi ! », s’époumone la foule. « On va passer en force ! », crient ensuite des manifestant·es. Ils tentent de franchir le barrage, la gendarmerie réplique par des tirs de gaz lacrymogène. L’ambiance se tend mais redevient rapidement euphorique et déterminée. Le tout, sous l’œil de la résistante Lucie Aubrac, dont le visage orne la médiathèque qui porte son nom. Des messages « une tournée qui tourne à vide », « démocratie abîmée », « Macron ras et bas dans ses bottes » sont collés sur la façade, entourant le mot « Résistance », inscrit en hommage à la figure féministe. Il n’y a quasiment plus de slogans sur la réforme des retraites. Toute la colère est dirigée vers le président, son attitude, sa méthode.
Il n’a pas une attitude de chef de l’État. Il est dirigé par l’orgueil et fait ses petites colères !
Annie se promène devant la médiathèque avec pancarte « cousue main hier soir ». « Trop de 49-3 et de CRS. Trop de matraques. Trop de mépris et de mensonges », a inscrit la sexagénaire, qui porte un masque noir barré d’un « 49-3 ». Elle vient du Gard – dont la frontière est toute proche de Ganges- et compare Emmanuel Macron à « un gamin qui tape du pied quand il est contrarié ». « Il n’a pas une attitude de chef de l’État. Il est dirigé par l’orgueil et fait ses petites colères, c’est insupportable ! »
Annie évoque aussi la répression de Saint-Soline : « Est-ce qu’il se rend compte qu’il a massacré des gens qui défendent le bien commun à sa place ? », s’énerve-t-elle. Elle aimerait lui poser la question. « Je crois que je lui dirais juste : pourquoi ? »
Des banderoles vantant la jonction des luttes sociales et climatiques sont accrochées. À l’entrée de Ganges, le péril est visible : un cours d’eau est complètement à sec. Le coin est connu des amatrices et amateurs de baignade en rivière. Les gorges de la Vis ne sont pas loin. Le fleuve Hérault traverse la commune.
Au fil de la matinée, deux rassemblements se forment : un par barrage, à chaque extrémité de la rue faisant face à la mairie. Entre les deux, une manifestation tourne joyeusement en rond, dans le petit périmètre autorisé, emmenée par un camion de la CGT. Sans sono, sans musique : ça aussi, c’est interdit.
« On n’a rien entendu depuis le collège », témoigne d’ailleurs un enseignant qui était à l’intérieur pendant la visite du président. « Tout a dû être bien pensé pour ça », ajoute-t-il, relatant un échange « calme » lors de la table ronde organisée à l’extérieur, faute de courant dans la salle prévue.
Un corbillard, pour l’ex-maternité de Ganges
À quelques centaines de mètres de là, descendu·es des montagnes cévenoles ou venus de Béziers, Montpellier, Le Vigan, et autres villages proches de Ganges, les manifestant·es occupent encore et toujours le terrain. Des banderoles sont déposées autour d’un rond-point.
Une immense affiche « EDF-GDF 100 % public » est accrochée sur des échafaudages, sous les hourras de la foule. « Hasta siempre ! », crie une dame âgée devant le spectacle. « Alors on est de sortie ? », rigole-t-elle, en étreignant l’une de ses copines. « Je n’ai jamais vu autant de monde ! », s’enthousiasme une Gangeoise, qui n’en perd pas une miette avec son appareil photo.
Par moment, des rumeurs circulent : il se dit que président va déjeuner dans tel restaurant de la ville ou qu’il va emprunter telle route pour repartir. « Il ne partira pas d’ici ! », tonne une femme, chasuble CGT sur le dos. À côté d’elle, des syndicalistes font chauffer les barbecues, devant la police municipale, pour distribuer des merguez à prix libre, en vue d’alimenter la caisse de grève. Des billets de 10 ou 20 euros s’entassent dans l’urne.
Un corbillard barré des mots « démocratie » et « maternité » déambule au milieu de la foule. Il est porté par deux femmes, tout de noir vêtues, l’air grave. L’une d’elles, Héloïse, est membre du collectif citoyen « Maternité à défendre », qui milite pour la réouverture de l’établissement fermé en décembre 2022 (voir notre reportage).
« Des femmes enceintes qui avaient démarré leur suivi ici sont obligées d’aller à Montpellier [à 50 km de là – ndlr] ou ailleurs car il n’y a pas toujours de place, explique Héloïse. On en connaît une qui a dû aller à Sète ! [à 78 km]. Les femmes sont lâchement abandonnées ! », s’emporte-t-elle. Agricultrice à Bréau-Mars, village du Gard, elle a un message à passer à Emmanuel Macron : « Il veut nous parler de ruralité ? Eh bien, c’est ça notre ruralité ! La fermeture des services publics ! »
La visite a semé la zizanie au sein du collège
Les fourgons de gendarmerie essuient des jets d’œufs et de citrons, et, dans la foule, des quolibets et autres surnoms sont lancés, à destination du président rebaptisé « le kéké », « le sourd » ou encore « le guignol ». C’est Gilbert, 73 ans, qui l’affuble de ce qualificatif dans un accent cévenol inimitable. Gilbert est descendu « de la montagne, d’un petit village de nos Cévennes » pour dire sa colère. « C’est de la provocation ! Macron vient dans une école alors que la maternité a fermé et que les enfants ne pourront plus naître ici ! »
Un peu plus loin, Audrey, venue de Montpellier, raconte s’être « motivée » ce matin pour monter à Ganges. « Louise-Michel, c’était mon collège, et ça me met très en colère qu’il vienne ici. On ne veut pas de lui et il ne veut pas l’entendre ! Moi, je ne m’invite pas chez quelqu’un qui ne m’aime pas, je ne vais pas m’imposer », ironise-t-elle.
Au collège, certains professeurs se sont mis en grève, pour protester contre la venue du président. « Je suis plus utile dehors que dedans », lance l’un d’eux, parlant sous couvert de l’anonymat. Il est très remonté. « On nous a mis la pression, en nous rappelant notre devoir de réserve. Et le chef d’établissement nous a officiellement informés la veille du déplacement de Macron alors que c’était dans la presse depuis lundi ou mardi », affirme-t-il.
Quatre de ses collègues ont été choisis pour discuter avec le président. « Pourquoi ? Comment ? », s’agace ce professeur. La visite présidentielle a, selon lui, tendu les relations dans le collège qui pourrait tenir un conseil d’administration extraordinaire pour revenir sur le sujet. « Pour ne pas laisser passer et essayer de ramener la sérénité », ajoute-t-il, avant de conclure, l’air narquois : « Ça me fait penser à la BD d’Astérix : La Zizanie ! Partout où il passe, Macron sème la zizanie ! »
« Est-ce qu’on ne lui fait pas de la pub, en faisant tout ce bruit ? », s’interroge Véronique, tout en tapant sur un plat à paella, qui semble avoir bien vécu. « On s’est demandé, en venant, si ce n’était pas contre-productif de manifester. Et puis finalement, on est là ! »
À ses côtés Laurent, percussionniste, expose ses « petits plats asiatiques » en inox et fait la démonstration de leur bruit suraigu. « Ça sonne bien, hein ! » Tous deux viennent d’Aulas, dans le Gard. Ils évoquent le mouvement social, son « bel élan ». « Au moins, on aura essayé », souffle Véronique. Puis elle se souvient que le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision, le 3 mai, sur le second référendum d’initiative partagée. Un petit espoir renaît. Et Laurent, de conclure : « Maintenant qu’on en est là… tout ce qui semble un peu positif est bon à prendre ! »
publié le 20 avril 2023
Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.gfr
L’exécutif a dévoilé les grandes lignes d’une vaste réforme du service public de l’emploi, prévue dès 2024. Pour atteindre le « plein-emploi », il prône une collaboration plus efficace de toutes les institutions existantes, une obligation d’inscription des bénéficiaires du RSA et une refonte du système de sanctions.
C’est l’un des chantiers prioritaires qu’Emmanuel Macron a annoncé vouloir lancer d’ici le 14 juillet. Et la transformation de Pôle emploi en « France Travail » s’annonce comme un long et grand chambardement, dont les détails ont été dévoilés ce 19 avril par Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’emploi. Ce dernier a remis le rapport sur lequel il planche depuis huit mois : 274 pages et 99 propositions pour atteindre « le plein-emploi » – soit un taux de chômage à 5 %, contre 7 % actuellement.
Ce rapport préfigure une réforme profonde du service public de l’emploi, embarquant à bord d’un nouveau vaisseau amiral tous ses acteurs : Pôle emploi, missions locales, collectivités ou associations. Il n’y aura aucune fusion, et chaque entité gardera ses troupes et ses prérogatives. L’objectif est plutôt de les faire « collaborer efficacement ». C’est « une sorte d’équipe de France de l’insertion, de la formation et de l’emploi », expose, sans rire, le rapport.
Le capitaine sera Pôle emploi, rebaptisé France Travail dès le 1er janvier 2024. À ses côtés, deux autres opérateurs : les missions locales (déjà chargées de favoriser l’accès à l’emploi des jeunes) et Cap emploi (qui s’occupe du handicap), respectivement renommés France Travail Jeunes et France Travail Handicap.
Une myriade d’acteurs publics comme privés (Apec, CAF, maisons de l’emploi, entreprises adaptées…) deviendront leurs « partenaires ». La gouvernance de ce réseau sera assurée par l’État, les collectivités locales et les partenaires sociaux.
France Travail a vocation à devenir l’unique « porte d’entrée » des privé·es d’emploi vers le suivi et l’accompagnement. Bénéficiaires du RSA, jeunes, personnes en situation de handicap ou en recherche de formation : toutes et tous devront passer cette porte et s’inscrire via « un portail commun » en ligne, ou auprès « du réseau des guichets physiques des opérateurs France Travail voire de ses partenaires ».
Aucun acteur, pas même l’État, n’est aujourd’hui en mesure d’identifier l’ensemble des personnes dépourvues d’emploi sur son territoire et de connaître leurs besoins.
Comme cela est déjà le cas pour les bénéficiaires de l’allocation-chômage et du RSA, un premier entretien d’accompagnement sera censé mesurer les « compétences et appétences » et les « besoins sociaux et professionnels », et se solder par la signature d’un « contrat d’engagement » actant un « plan d’action » à respecter.
Cette procédure d’inscription « permettra l’orientation rapide vers le bon parcours d’accompagnement », précise le rapport, qui signale des failles dans le système actuel. « Compte tenu de la dispersion des acteurs et des responsabilités, aucun acteur, pas même l’État, n’est aujourd’hui en mesure d’identifier l’ensemble des personnes dépourvues d’emploi sur son territoire et de connaître leurs besoins », regrette-t-il.
« France Travail sera garant que plus aucune personne ne reste sans solution », s’enthousiasme le haut-commissaire à l’emploi. Concernant les bénéficiaires du RSA, leur accompagnement renforcé figure parmi les chantiers, avec l’objectif de les faire toutes et tous entrer dans le giron du nouvel opérateur. Autrement dit : elles et ils devront s’inscrire, ce qui n’est actuellement pas obligatoire.
Aujourd’hui, seul·es 40 000 bénéficiaires du RSA sont suivis par Pôle emploi, et cette aide sociale est actuellement distribuée et gérée par chaque département, ce qui peut occasionner des ratés dans la distribution, mais aussi des illégalités dans les critères de versements.
La réforme du RSA, conditionnant son versement au principe « de 15 à 20 heures d’activité d’insertion » par semaine, annoncée pendant la campagne présidentielle et déjà expérimentée dans plusieurs départements, sera menée en parallèle. Comme le souhaite Emmanuel Macron qui tient au principe des droits et – surtout – des devoirs des privé·es d’emploi.
Nouvelles obligations et nouvelles sanctions
Le rapport France Travail remis ce mercredi jette aussi les bases de nouvelles méthodes d’obligations et donc de sanctions. Dès le préambule de la partie dédiée au « contrat d’engagement », le ton est donné. Et il n’augure rien de bon.
« Pendant trop longtemps, nous nous en sommes tenus à fixer des obligations formelles en contrepartie de l’inscription au chômage ou du bénéfice d’une allocation faute de pouvoir offrir à tous ceux qui en avaient vraiment besoin un accompagnement adapté. […] Avec, comme corollaire, une faible exigence vis-à-vis des personnes en termes de mobilisation et un régime de sanctions peu applicable et inégalement appliqué. »
Le sous-entendu est clair : les exigences envers les privé·es d’emploi méritent d’être revues et durcies. Le constat sur l’obligation de recherche d’emploi n’est pas plus rassurant : « Ce dispositif, s’il a sa pertinence sur le principe, est aujourd’hui difficile à apprécier pour le conseiller et facile à détourner pour le demandeur d’emploi ne remplissant pas les objectifs escomptés. »
Il appelle donc à une évaluation du dispositif « pour en valider la pertinence et l’efficacité au regard du but recherché, à savoir d’inciter et responsabiliser le demandeur d’emploi dans sa recherche effective d’emploi ».
Depuis 2018, indique encore le rapport, les sanctions pour refus de deux offres d’emploi sont jugées « stables » : 405 sanctions prononcées pour ce motif en 2021 et 318 en 2022 (soit 0,016 % des radiations). Pour le haut-commissaire à l’emploi, cela signifie nécessairement que l’obligation de recherche d’emploi « est plutôt inopérante dans les faits »… et non que les personnes concernées pourraient en fait respecter leurs obligations en la matière, comme Mediapart le racontait dans ce reportage.
Sur le volet sanctions, le haut-commissaire propose de tout revoir de fond en comble, en uniformisant le système, tout en laissant à chaque opérateur la prise de décision. Il invite ainsi à introduire, en complément de l’existant, une « suspension remobilisation rapidement applicable ». Il s’agirait d’une sanction « intermédiaire », permettant « de suspendre le droit à une indemnité/allocation temporairement », sans pour autant suspendre l’accompagnement, contrairement à ce qui prévaut aujourd’hui à Pôle emploi avec les radiations.
La mission France Travail recommande par ailleurs un système de sanctions « plus progressif », misant « sur une approche globale de la situation du bénéficiaire et un regard pluridisciplinaire, plutôt qu’une approche mécaniste ». En d’autres termes, prendre en compte la situation des personnes avant de les priver de ressources.
Les diverses institutions qui devront coordonner leurs actions ne partagent bien souvent pas même un simple logiciel de suivi.
« Ainsi, conclut le rapport, l’écosystème des obligations/sanctions pourrait sortir de la logique “une faute, une sanction” […] qui consomme beaucoup de temps et laisse peu de place aux échanges en lien avec le retour à l’emploi. » Ce dernier point pourrait séduire le médiateur national de Pôle emploi qui prône, de longue date, une « gradation » des sanctions.
Si le but de France Travail est la simplicité, sa mise en œuvre paraît à première vue fort complexe. Elle suppose que tous les acteurs cités arrivent à travailler ensemble, et à bâtir des procédures et référentiels communs, ce qui n’est pour l’heure pas garanti, y compris sur le versant technique.
Les diverses institutions qui devront coordonner leurs actions ne partagent bien souvent pas même un simple logiciel de suivi, et on se souvient du crash du RSI, la sécurité sociale des indépendants, pour ces raisons en 2008.
La mise en commun devrait donc se faire progressivement pour l’horizon 2027. « Nombre de propositions auront [...] vocation à être expérimentées dès 2023 avec quelques régions volontaires avant de les étendre à tout le territoire national nourries par les apprentissages du terrain », précise tout de même le rapport.
Un projet de loi « plein-emploi » portant la création de France Travail, mais aussi la réforme du lycée professionnel déjà sur les rails, devrait être présenté en Conseil des ministres fin mai, pour un examen parlementaire qui aurait lieu dans le courant de l’été. Selon le rapport, entre 2,3 et 2,7 milliards d’euros devront être investis chaque année.
publié le 20 avril 2023
Par Laurence De Cock sur www.regards.fr
POST-MACRON. Laurence De Cock dénonce le SNU et l’univers viriliste, policier et brutal qui se diffuse de plus en plus dans les écoles.
L’école de la République a toujours entretenu un lien ambigu avec la guerre. Les lois Ferry de 1881-1882 avaient, entre autres finalités, celle de former des petits Français, soudés par un sentiment national, patriotique et revanchard, dans la foulée de la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine cédées à la Prusse victorieuse de la guerre de 1870. Pendant dix ans, dans le cadre de « bataillons scolaires », les enfants furent initiés au maniement des armes et aux stratégies militaires. Puis tout cela est rapidement tombé à l’eau. La boucherie de la Première Guerre mondiale a plutôt comme conséquence de desserrer le lien entre l’école et la guerre : ne valait-il pas mieux sensibiliser les enfants à la paix ? Dès lors s’instaure un tiraillement à l’intérieur de l’institution : si les valeurs guerrières et militaristes ne disparaissent pas totalement (discipline sévère, hommages aux morts, commémorations des guerres et valorisation du virilisme guerrier), elles sont fortement concurrencées par l’invitation à éduquer à la paix, portée notamment par la Société des Nations et le mouvement de l’Éducation nouvelle (Montessori, Freinet, Ferrières, Decroly…).
Après la Seconde Guerre Mondiale et la prise de conscience du sommet de la barbarie, le « vivre ensemble » devient le paradigme dominant de l’école. Les compétences sociales y sont travaillées au même titre que les connaissances : la solidarité et la fraternité doivent s’éprouver concrètement, d’où l’énorme travail fait sur l’éducation civique et l’enseignement des valeurs de la République. L’école est perçue comme un petit laboratoire social, l’antichambre de la société de demain, une société pacifiée. On n’y critique toujours pas la guerre mais on la tient éloignée, à l’extérieur des murs. Même les chantiers de jeunesse du régime de Vichy ne sont pas une expérience scolaire. Le modèle est celui de l’externalisation de la formation militaire de la jeunesse par le truchement, notamment, du service militaire.
Le SNU ou la militarisation de l’école
Les récents débats autour de l’obligation du Service national universel (SNU) nous amènent à réinterroger cette division du travail, et particulièrement la possibilité qu’il ait lieu sur le temps scolaire comme semble le souhaiter Sarah El Haïry, ministre chargée de sa mise en place sous la double tutelle du ministère de l’Éducation nationale et de celui des Armées. Tout cela ne tombe pas du ciel : en 1997, suite à la suppression du service national, l’« éducation à la défense » entre officiellement dans les programmes scolaires en plus de la journée « défense et citoyenneté » obligatoire pour passer son baccalauréat et son permis de conduire. Progressivement, l’armée s’invite dans des journées de formation d’enseignants ou dans des rencontres scolaires. Sans s’en cacher, elle cherche à recruter et vante régulièrement auprès des collégiens et lycéens les mérites d’une carrière militaire. Au côté de l’Enseignement moral et civique (nouveau nom donné à l’éducation civique en 2015), l’éducation à la défense participe au « parcours citoyen » dans l’école, un projet quelque peu fumeux et très peu appliqué comme l’école a l’habitude d’en voir se multiplier.
Le SNU s’intègre dans le projet plus large d’une école au garde-à-vous qui assume de préparer les enfants à la guerre et qui instrumentalise les valeurs de la République au service d’une vision autoritaire où la seule liberté est celle de l’obéissance.
Mais, depuis 2015 et les attentats terroristes islamistes en France, la focale a à nouveau été mise sur cet enseignement civique et cette éducation à la défense que le gouvernement charge de régler tous les problèmes d’une supposée non-adhésion aux valeurs de la République. Dès lors, le paradigme du « vivre ensemble » prend une autre tournure. Les exercices dits « attentats-intrusions » se transforment dans certaines écoles en moments très anxiogènes pour les enfants parfois très jeunes. La guerre contre le terrorisme s’invite dans les écoles. La stigmatisation des enfants musulmans et de leur famille participe à la construction d’un ennemi intérieur jusque dans les écoles, comme en témoignent les quelques enfants envoyés directement dans les commissariats pour des propos malheureux. Les partenariats avec la police se multiplient et des ateliers s’organisent, surtout dans les quartiers populaires, officiellement pour « réconcilier la jeunesse et la police », en les sensibilisant à des gestes tels le menottage, la manipulation des lanceurs de balles de défense (LBD) ou l’interpellation musclée. Plus que la guerre, c’est donc l’univers viriliste, policier et brutal qui se diffuse de plus en plus dans les écoles.
C’est pourquoi il faut prendre très au sérieux cette histoire de SNU. Il ne s’agit pas de quinze jours hors-sol d’une colonie un peu musclée offerte aux jeunes. Le SNU s’intègre dans le projet plus large d’une école au garde-à-vous qui assume de préparer les enfants à la guerre et qui instrumentalise les valeurs de la République au service d’une vision autoritaire où la seule liberté est celle de l’obéissance. On se souvient par exemple qu’à l’issue d’une réunion avec des jeunes en 2020, Sarah El Haïry, trouvant douteux leur rapport aux valeurs républicaines parce que ces jeunes avaient eu l’outrecuidance de poser des questions qui fâchent, avait diligenté fissa une enquête.
Et maintenant ?
Il faut non seulement refuser le SNU en bloc, qu’il soit obligatoire ou non, mais surtout redéfinir les contours d’une école mise au service de l’esprit critique, seule condition de l’ émancipation. Pour cela, l’armée et la police doivent cesser toute entrisme dans l’institution scolaire et retrouver leur pré-carré qui n’est pas celui des enfants. Tout partenariat de ce type doit cesser.
Plus encore, les contours d’une éducation à la citoyenneté doivent être redéfinis à l’aune d’un projet de société contraire au maintien de l’ordre social dominant. La gauche doit prendre à bras le corps la réflexion conjointe sur la société qu’elle entend bâtir et les valeurs à transmettre que ce projet sous-tend. Dès lors, il ne peut plus être question de former des petits soldats, mais des êtres à même de douter, de questionner et de débattre. Toute forme de dépassement de soi et d’affirmation de sa supériorité doit être remplacé par un apprentissage de la coopération et de l’égalité. Cela suppose une refonte totale des programmes scolaires en fonction de ces nouvelles exigences.
Transversale, l’éducation à la citoyenneté doit mobiliser l’ensemble des disciplines scolaires pour mettre à l’épreuve les vertus émancipatrices des connaissances. Ainsi, l’école deviendra cet espace d’expérimentation sociale dépouillé du fantasme sécuritaire de la Macronie.
Nicolas De La Casinière sur https://rapportsdeforce.fr/
Il y a des jours, comme ça, où les luttes donnent la pêche. Ce mercredi 19 avril, la neuvième étape à Nantes de la tournée de propagande du Service national universel (SNU), ce projet très macronien d’embrigadement de la jeunesse, a tourné court.
Mouvement social aidant, quelques 200 opposants se retrouvent à cerner le faux village. En fait une enceinte de ganivelles. Au milieu, quelques vagues comptoirs ça et là, tenus par de jeunes « ambassadeurs » désœuvrés faute de public. Le décor décline un panneau de basket en plastique, une cible de tir à l’arc pour flèches à ventouses, deux camions-podium vides. L’attroupement a rendu difficile, dissuasif selon le préfet, l’accès à l’enceinte de ce genre de fan zone de propagande. « Bourrage de crâne », a rectifié un passant en recevant un trac. En une heure et demie, une seule famille, mère et ado, est venue s’informer sur ce séjour de discipline sous tutelle militaire.
La CGT (éducation et éducation populaire) est venue avec son camion et pas mal de militant·es. Ajoutée aux drapeaux CGT, Solidaires, CNT, FSU, Mouvement pour la Paix, Libre Pensée, Jeunesses communistes, la présence de flics antiémeute au centre du « village », a largement décrédibilisé l’entreprise de séduction. Il a suffi de décrocher une ganivelle et de débrancher le câble d’alimentation électrique de l’installation foraine pour décourager les responsables de la célébration de l’ordre et de la soumission. Ils ont préféré jeter l’éponge et plier leur matériel.
Le SNU remballé en moins d’une heure
Selon le communiqué du préfet, « les manifestants ont pris à partie verbalement les organisateurs du village et les jeunes présents. Ils ont tenté de forcer les barrières de sécurité protégées par les forces de l’ordre, à deux reprises. Le Préfet de la Loire-Atlantique condamne de tels agissements, qui ont amené les organisateurs à mettre fin prématurément à l’événement pour garantir la sécurité des personnes présentes. » Prévue de 11 h à 17 h sur cette place centrale de la ville, l’installation a été pliée à midi. Tout a été piteusement remballé, ganivelles, stands, bannières, et camions-podiums. La poignée de prétendu·es « ambassadeur·ices », ados en uniforme siglé et casquettes SNU, a été sommée d’aider à ranger le matos avant d’être renvoyé·es à leurs familles. Corvéables jusqu’au bout.
La 9e étape de la tournée de 25 dates n’a donc pas eu lieu. Le reste va-t-il être simplement annulé ? Cela dépendra sans doute aussi des mobilisations annoncées dans ces villes étapes. L’annonce récente, fin mars, en plein mouvement social commençant à gagner la jeunesse, d’une reculade sur le caractère obligatoire du SNU ne trompe pas son monde. Cette annonce purement conjoncturelle a peu de chance d’être respectée, car sans obligation, impossible de rameuter toute une tranche d’âge. Le projet de Macron, promesse de campagne depuis 2017, perdrait alors tout son sens, son caractère « universel », qui est juste un mot pour singer la Déclaration universelle des droits de l’homme, alors que c’est une entreprise purement nationaliste.
Les prochaines escales prévues : en avril, Caen le 22, Versailles le 26 et Paris le 30. Puis en mai, Valenciennes le 3, Saint-Quentin le 6, Châlons-en-Champagne le 10, Strasbourg le 13, Épinal le 17, Vesoul le 20, Dijon le 24, Lyon le 26, Grenoble le 27 et Gap le 31. Enfin en juin, Toulon le 3 et Carcassonne le 7.
publié le 19 avril 2023
Par Meline Escrihuela sur https://www.bondyblog.fr/
En réaction à la visite du chef de l’État, venu assister à un concert à Saint-Denis, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés mardi 18 avril. Pour les habitants de Saint-Denis, les colères locales vont de pair avec le mouvement social qui secoue le pays. Reportage
Jusqu’à la dernière minute, la question demeure : Emmanuel Macron sera-t-il bien là ? À la vue du dispositif policier qui quadrille le parvis de la mairie de Saint-Denis en cette fin d’après-midi du 18 avril, les doutes s’estompent. « Je ne te dis pas le bordel que c’est », s’offusque au téléphone une personne âgée, observateur mi-amusé mi-agacé de la scène.
L’allure de forteresse qu’a pris le centre-ville de Saint-Denis (93) est le seul indice d’une présence présidentielle. Absent de son agenda comme sur celui du lycée de la Légion d’Honneur, la venue du Président de la République à Saint-Denis se voulait discrète. Pourtant, plusieurs centaines d’opposants à la politique du gouvernement entament les premiers slogans contestataire dès 18 heures.
Y’aurait-il une taupe à l’Élysée ? L’hypothèse fait sourire Karim Bacha, représentant du syndicat FSU 93 qui a appelé au rassemblement. « Je ne sais pas vraiment d’où vient la rumeur », admet-il. « Quelqu’un a appelé la mairie de Saint-Denis pour chercher à savoir si cela était vrai et un employé a tout avoué », assure l’instituteur.
Les drapeaux des organisations syndicales – CGT, FSU – et des partis politiques (Parti Communiste) flottent dans les airs. « Nous sommes aussi bien organisés que la police », ironise une Cégétiste qui file aux cris de « Macron Démission » avant que l’on n’ait eu le temps de lui demander son prénom.
Les membres du gouvernement ne seront jamais tranquilles
En plus des syndicalistes, des figures associatives de Saint-Denis et des habitants ont fait le déplacement. Certains – la majorité peut-être – viennent de tout le département. « Cela fait du bien de ne pas avoir à passer le périph », remarque Claire*, une habitante de Saint-Ouen habituée des manifestations. « Cela ne changera pas grand-chose, mais on montre que l’on a un vrai pouvoir de nuisance. Les membres du gouvernement ne seront jamais tranquilles, même si cela doit durer 4 ans et que l’on s’épuise à la tâche », affirme la jeune femme. Au même moment, la visite des ministres Geneviève Darrieussecq et Jean-Christophe Combe à la CAF de Paris était perturbée par un comité d’accueil du même genre.
Le Président en visite au lycée de la Légion d’Honneur
« On ne tournera pas la page », confirme Karim Bacha. « Emmanuel Macron met en scène un retour à la normale en venant ici », analyse-t-il.
À moins de 300 mètres, en effet, se trouve le président de la République. Chaque année, le lycée de la Légion d’Honneur – réservé aux filles, petites-filles et arrière-petites-filles des décorés français et étrangers de l’ordre national de la Légion d’honneur- organise son traditionnel concert. Emmanuel Macron s’y est rendu au moins deux fois, en 2018 puis en 2021. L’ancien président François Hollande en était également féru.
Emmanuel Macron vient à Saint-Denis dans le seul truc bourgeois de la ville
L’établissement y cultive une culture de l’excellence depuis deux siècles et parfois des règles surannées : internat strict et port de l’uniforme obligatoire. Les élèves côtoient peu les autres jeunes de la ville. « Malheureusement » glissent en plaisantant Thomas et Ewen, deux jeunes de 22 et 17 ans venus participer au rassemblement car « les retraites concernent tout le monde ».
« Emmanuel Macron vient à Saint-Denis dans le seul truc bourgeois de la ville », raille de son côté Claire. « Il y a un marqueur social fort qui repose sur la lignée. On est vraiment dans une caricature macronienne », poursuit-elle.
À 19 heures, la pluie s’invite, mais n’entame en rien la motivation des manifestants. Les chants et slogans se poursuivent. Une maman, sa fille sur ses épaules, lance un chant : « On est là, même si Hanotin [le maire de Saint-Denis, NDLR] ne veut pas, nous on est là ».
« Je viens car c’est important, mais j’ai l’impression que tout empire avec le temps », s’alarme Bader, un habitant de Saint-Denis. Depuis des mois, les habitants protestent contre la politique sécuritaire mise en place par le maire qui a armé les policiers municipaux. Le jeune homme se sent peu représenté dans le mouvement social actuel, qui aborde trop peu la question des violences policières dans les quartiers selon lui. « Les bavures policières (sic), on n’en parle que lorsqu’elles se déroulent à Paris », déplore-t-il en montrant sa cicatrice près de l’arcade sourcilière, infligée par un policier cinq ans plus tôt.
Le jeune papote avec deux amis, Ryan et Gilles. Les trois hommes parlent tout à tour des violences policières et de l’augmentation des loyers due aux Jeux Olympiques. Sur le sujet économique aussi, le président a déçu les quartiers populaires. « Emmanuel Macron est venu à Saint-Denis pendant l’entre-deux-tours. Et puis rien », s’agace Jamila, casserole en main.
Les politiques ne parlent des pauvres que pour les utiliser
« C’est le fil rouge de ce gouvernement. Il utilise les inégalités et la misère dans les quartiers populaires pour faire passer leurs politiques inégalitaires », fustige Karim Bacha.
La visite du président de la République passe d’autant plus mal que le jour même, ses ministres marquaient une nette inflexion à la droite de la droite. Sur BFMTV, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a ciblé les « personnes [qui] peuvent bénéficier d’aides, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs, alors qu’ils n’y ont pas droit ». Sans appuyer son propos par des éléments tangibles. Sur LCI, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonce, lui, vouloir lutter contre « la délinquance étrangère ». À ce sujet, Karim Bacha résume bien le sentiment partagé à Saint-Denis : « Les politiques ne parlent des pauvres que pour les utiliser ».
publié le 19 avril 2023
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/
Près de cinq cent gendarmes et policiers vont être déployés à Mayotte pour lancer l’opération dite Wuambushu, initiée par le ministère de l’Intérieur. Celle-ci vise la destruction des habitats informels et la lutte contre l’immigration irrégulière. Les contours encore flous de cette opération qui s’apprête à débuter inquiètent, dans un territoire régulièrement objet de politiques violentes en matière d’immigration et d’accès aux droits des plus vulnérables.
Dans le quartier où habite Abdul, réfugié à Mayotte, « à 15 mètres de la route, il y a une petite montagne avec des maisons en tôle ». Ce type d’habitations informelles est dans le viseur de l’opération dite Wuambushu, révélée par le Canard Enchaîné fin février. Trois objectifs sont affichés : la lutte contre l’immigration clandestine, contre l’habitat insalubre, et le démantèlement des bandes. Près de cinq cent gendarmes et policiers vont être déployés. Ce dimanche, des rassemblements de protestation avaient lieu dans plusieurs villes de France.
Sur place, les contours flous alimentent les craintes. Qui sera concerné par les renvois, combien d’habitations seront détruites, quel quartier après l’autre ? Autant de questions qui demeurent sans réponse. L’exécutif garde le silence sur l’opération depuis les révélations successives des médias. « Ça a commencé par des rumeurs ; puis ça s’est confirmé par des infos sur les radios, les télévisions », retrace Ali, enseignant au collège sur l’île.
Abdul, lui, est un membre actif du comité des demandeurs d’asile de Mayotte. Ces dernières semaines, il a vu nombre de ses compagnons partir vers la métropole. « Il y avait des rumeurs sur une mission du ministre de l’Intérieur. Certains parlaient de 200 gendarmes, d’autres 500, pour « retourner les clandestins chez eux »… Des gens d’ici disaient aussi qu’ils feraient des chasses à l’homme pour les Africains. La majorité des gens autour de moi ont eu peur : ils se sont dits qu’il fallait mieux partir », raconte-t-il.
Destruction des habitats : « certains sont là depuis des années »
L’objectif de destruction de l’habitat informel recouvre à lui seul de multiples réalités. « Quand il est question de « décasage », cela ouvre beaucoup d’incertitudes : où seront gardés les biens ? Où seront relogés les gens ? Quelles arrestations auront lieu ? », s’interroge Ali. Dans ces habitats, « il y a des enfants, des malades, toutes catégories de population », rappelle l’enseignant. Les communautés y sont assez diverses, bien qu’une majorité de ressortissants des Comores y vivent.
À Mayotte, des opérations de destruction des bidonvilles sont déjà menées par le préfet, dans le cadre de la loi Elan notamment, une fois par mois environ. Régulièrement, des habitants et associations dénoncent l’absence de relogement effectif. Les enfants risquent d’en pâtir particulièrement, alerte l’Unicef, qui a produit une note à destination des pouvoirs publics sur le sujet fin mars. Dans cette note, consultée par Rapports de Force, l’Unicef « s’inquiète de l’impact que cette opération d’envergure risque d’avoir sur la réalisation des droits des enfants les plus vulnérables présents sur ce territoire ».
La convention internationale des droits de l’enfants, ratifiée par la France, « est très claire : il y a un droit à un hébergement, à un toit, à des conditions de vie dignes. On constate déjà qu’il n’y a aucune proposition de relogement pour les familles considérés en situation irrégulière. Or les enfants ne doivent pas en pâtir, car un enfant n’est jamais en situation irrégulière », expose Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer outre-mer pour l’Unicef. « Nous demandons l’accès à un toit, peu importe la situation administrative ».
L’organisation des Nations Unies demeure également en alerte sur la santé mentale des plus jeunes. La destruction des habitats « n’est pas vécue de la même façon dans les yeux d’un adulte que dans les yeux d’un enfant. Elle est traumatisante : ils la vivent avec une violence extrême », insiste la chargée de plaidoyer.
À la rentrée, « on ne sait pas si l’on aura tous nos élèves »
À Mayotte, les vacances démarrent ce samedi. L’opération doit démarrer ce même jour, qui signe également la fin du ramadan. Et durer deux mois environ. « On ne sait pas si la reprise de l’école va être normale, si l’on aura tous nos élèves ou pas… », s’inquiète Ali. Difficile de se mobiliser entre enseignants et d’apporter des réponses aux jeunes. « Les élèves soulèvent cette problématique, mais on est très limités dans nos interventions. Nous n’avons pas assez d’éléments… ça vient du haut, du gouvernement », soupire l’enseignant.
L’inquiétude du corps enseignant est partagée par l’Unicef. Aujourd’hui, entre 5 3000 et 9 500 enfants sont déjà non scolarisés à Mayotte, selon une étude inédite parue en février 2023. « L’opération risque d’amplifier ce phénomène de non-accès à la scolarisation », analyse Mathilde Detrez.
En règle générale, les documents de diagnostic social réalisés en amont des opérations de démolition contiennent « peu d’informations sur la composition du foyer, sur la présence d’enfants, sur les lieux de scolarisation de ces derniers… Avec pour conséquence des ruptures dans l’accès à l’éducation », explique encore la responsable de l’Unicef.
Reconduites à la frontière
Les modalités de lutte contre l’immigration, autre objectif de l’opération, restent flous également. « On se demande exactement qui est concerné par les reconduites à la frontière. Cela sème le doute parmi la population », expose Ali. Plusieurs cas de familles séparées par des renvois ont déjà été documentés par des médias et des observateurs des droits. Avec cette nouvelle opération, « les enfants scolarisés seront-ils reconduits avec leurs parents ? »
La Cour européenne des droits de l’Homme a plusieurs fois condamné la France pour des pratiques illégales concernant l’enfermement et le renvois d’enfants. Modification des dates de naissance des mineurs, rattachement arbitraire à des adultes tiers qui ne sont pas leurs parents afin de valider la rétention… Plus de 3 000 mineurs ont été enfermés au CRA de Mayotte en 2021. « Le renforcement inédit des forces de l’ordre sur place va augmenter les contrôles d’identité. Donc augmenter ces pratiques illégales de rattachement arbitraires, ou d’évaluations hâtives de l’âge », craint Mathilde Detrez.
« J’ai peur qu’il y ait des morts »
Certains habitants craignent que la situation ne s’enflamment. « On a peur que ça multiplie les violences », affirme Abdul, le membre du comité des demandeurs d’asile de Mayotte. « Les gens d’ici, la manière dont ils en parlent, ça se voit que ça va être violent. Ils disent « qu’ils se préparent », qu’ils n’accepteront pas ». Ce réfugié craint aussi que les attaques racistes envers les ressortissants africains, ou les tensions entre communautés, soient exacerbées.
Ali, l’enseignant, confirme cette peur des violences, au vu des réactions circulant parmi les jeunes de son collège. « Un « décasage », c’est de force. J’ai peur qu’il y ait des morts. Si les gens ne sont pas informés, ils ne vont pas se laisser faire ».
Car les habitats informels ne datent pas d’hier. Ils sont détruits au fil des opérations menées par la préfecture de Mayotte ; puis reconstruits, au vu et au su des autorités. Comme dans un cycle ininterrompu. « Tous ces gens ne se sont pas là installés depuis une semaine. Ils sont parfois là depuis des années. La solution à cette problématique ne peut pas être aussi brusque, soudaine ! », argumente Ali.
Coupures de l’accès aux soins pour les étrangers
Dans ce contexte implosif, il y a une semaine, le 13 avril, le conseil départemental de Mayotte a voté l’interdiction de l’accès à la Protection maternelle et infantile (PMI) aux personnes étrangères non couvertes par la sécurité sociale. Difficile de dire si ce timing a été mesuré. Toujours est-il que cette décision « intervient avant le déploiement des 500 forces de l’ordre pour l’opération. Cela reste une décision problématique en termes d’accès aux soins des mères et des enfants », réagit Mathilde Detrez. La responsable de l’Unicef y voit une continuité avec d’autres dérogations dans l’accès aux soins. Mayotte est, par exemple, le seul territoire français il n’existe pas d’Aide médicale d’État.
En attendant ces cascades de conséquences, la population de Mayotte reste suspendue au lancement de l’opération. « Il faudrait que le mode opératoire soit dévoilé », s’impatiente Ali, « sinon quoi ? Les gens vont se réveiller le matin, avec les gendarmes devant leur porte pour les faire sortir ? Chasser en masse et détruire le tissu social n’est pas une solution ».
publié le 18 avril 2023
Pascal Maillard sur https://blogs.mediapart.fr
« Depuis plusieurs mois maintenant, je me contrefous de vous, comme je l'ai toujours fait. Ma détermination est intacte à servir mes amis, les grands capitalistes, et ce n'est pas une bande de gueux qui y changera quelque chose. »
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
Ce 17 avril à 20h près d’un millier de personnes s’étaient réunies place Broglie à Strasbourg, en face de la Mairie, pour une immense et joyeuse casserolade. Beaucoup de jeunes et des moins jeunes, des étudiant·es qui ont animé une farandole, des syndicalistes, quelques irréductibles Gilets jaunes, des gens très divers et plusieurs élu·es de la NUPES, dont Sandra Regol et Emmanuel Fernandes. Au milieu de la foule une effigie de Macron est apparue. C’est-à-dire Macron lui-même, plus vrai qu’à la télévision. Je reproduis son discours ci-dessous et j’en publie la vidéo. Très applaudi, le président a été fêté comme il se doit, par des chants de louange et une belle farandole qui s’est évaporée dans toute la ville. La foule a été convaincue que la fête méritait de continuer.
DISCOURS PARODIQUE DE MACRON
Factieuses, factieux, mes chers com.....patriotes, d'hexagone, d'outre-mer et de l'étranger,
Depuis plusieurs mois maintenant, je me contrefous de vous, comme je l'ai toujours fait. Ma détermination est intacte à servir mes amis, les grands capitalistes, et ce n'est pas une bande de gueux qui y changera quelque chose.
Cette réforme des retraites, comprenez-le bien, j'ai eu un plaisir immense à l'élaborer, un plaisir immense à la faire passer en procédures accélérées, un plaisir immense à utiliser le 49.3 pour éviter qu'elle ne soit rejetée par l'Assemblée nationale, un plaisir immense à tenter de vous donner des illusions dans une possible censure du Conseil Constitutionnel, un plaisir immense à la promulguer directement dans la nuit de vendredi à samedi !
Croyez-le, je sais très bien que notre régime de retraite n'est aucunement en danger, mais il y a urgence. Urgence à donner des gages à mes amis financiers, donner des gages que vous allez continuer de payer toujours plus, et qu'eux pourront continuer à faire toujours plus de profits sur votre dos. Je me fiche de l'intérêt général comme de l'an 40, et j'engage ma responsabilité toute entière au service du maintien de l'exploitation capitaliste.
C'est pour toutes ces raisons, que je donne toute légitimité aux forces de l'ordre pour vous matraquer, vous nasser, vous gazer, vous éborgner, vous interpeller, vous condamner. Syndiqués ou non, la bande de factieux et de fainéants que vous êtes, doit maintenant fermer sa grande gueule, rentrer dans le rang et aller bosser. Je resterai ferme sur le fait que la République d'aujourd'hui doit utiliser tous les moyens en sa possession pour maintenir les inégalités, quoi qu'il en coûte : précarité, pauvreté, décès prématurés, destruction de la planète, militarisation de la société, guerres, etc. Nous devons, nous les riches, les exploiteurs, pouvoir jouir de nos richesses en toute tranquillité; vous devez, vous les gueux, mes chers com....patriotes, obéir.
Je vous le dis solennellement aujourd'hui : ce n'est qu'un début, et nous continuerons à vous en foutre plein à la gueule. Croyez-le, la loi Darmanin, les nouvelles lois travail, c'est pour bientôt.
Nous avons tous les droits !
Vive la République des bourgeois, Vive la France des riches.
publié le 18 avril 2023
Communiqué commun LDH, Cimade, Saf, Gisti, ADDE, Secours Catholique-Caritas France sur https://www.ldh-france.org
Il a fallu attendre dix mois pour que le gouvernement se décide à tenir compte de la décision du Conseil d’Etat demandant de prévoir des modalités de substitution au téléservice ANEF. La nouvelle réglementation issue du décret du 22 mars 2023 reste toutefois encore ineffective, faute d’arrêté précisant le dispositif. Sur le terrain, les préfectures ne respectent toujours pas les obligations imposées par la jurisprudence.
Le 3 juin 2022, le Conseil d’Etat, saisi par nos organisations, annulait partiellement le décret du 24 mars 2021 rendant obligatoire le dépôt dématérialisé des demandes concernant certains titres de séjour dont la liste s’allonge progressivement. La Haute juridiction reprochait au ministère de l’intérieur de ne pas avoir prévu de modalité de substitution au téléservice (dénommé ANEF pour Administration numérique des étrangers en France) afin de permettre l’enregistrement des demandes en cas de dysfonctionnement de la procédure dématérialisée. Dans cette même décision, le Conseil d’Etat censurait également partiellement un arrêté pris en application du décret, au motif qu’il ne détaillait pas les modalités de l’accueil et de l’accompagnement devant être offert, y compris physiquement, aux personnes accomplissant leur démarche numérisée.
Le Conseil d’Etat consacrait ainsi deux obligations pour les pouvoirs publics : proposer un accueil et un accompagnement aux personnes en difficulté avec les démarches numérisées ; prévoir une modalité de substitution pour enregistrer les demandes en cas de bug du téléservice.
Le 23 mars 2023, soit avec dix mois de retard, le ministère a enfin publié le décret n°2023-191 du 22 mars 2023. Il prévoit qu’une « solution de substitution prenant la forme d’un accueil physique permettant l’enregistrement de la demande » doit être mise en place pour les personnes qui, malgré l’accompagnement proposé par l’administration, « se trouve[nt] dans l’impossibilité constatée d’utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception ou au mode de fonctionnement de celui- ci ». Mais la mise en conformité de la réglementation avec la jurisprudence n’est pas achevée : le décret renvoie à un arrêté pour fixer « les conditions de recours et modalités de mise en œuvre de la solution de substitution », ainsi que « les modalités de l’accueil et de l’accompagnement » devant être offert aux usagers depuis la création du téléservice ANEF. Cet arrêté n’est toujours pas publié à ce jour, alors que le ministère de l’intérieur a entre-temps, à compter du 5 avril 2023, ajouté à la liste des procédures totalement dématérialisées les demandes déposées par les membres de famille de personnes françaises et européennes, ainsi que celles par les travailleurs saisonniers.
Le Conseil d’Etat avait parallèlement précisé qu’il incombait aux préfectures de respecter ces obligations sans attendre la modification réglementaire. Or depuis dix mois, les préfectures ont pour la plupart persisté dans la voie du tout numérique, contribuant à une dégradation toujours plus flagrante des conditions d’accès aux procédures de demande de titre de séjour. Elles se sont contentées de créer des « points d’accès numériques », ersatz de guichets quasiment inaccessibles au public, faisant souvent appel au volontariat du service civique et proposant un accompagnement minimaliste – comme si elles faisaient semblant de mal comprendre le sens de la jurisprudence, confondant totalement les notions d’accueil et d’accompagnement, de solution de substitution et même d’alternative au numérique. Alors que la plupart des contentieux engagés par nos organisations en 2021 pour avoir imposé la dématérialisation illégalement sont encore pendants devant les tribunaux, de nouveaux recours ont dû être formés, telle la requête déposée cette semaine par nos organisations contre la préfecture des Bouches-du-Rhône.
Nos organisations exigent que soient tirées toutes les conséquences de la décision du Conseil d’Etat, même si elles continuent à regretter qu’il n’ait consacré qu’une alternative au rabais, laissée à la discrétion des préfectures. Nous avons conscience que la solution proposée ne suffira pas en tout état de cause à apporter aux personnes en difficulté face à la dématérialisation l’aide dont elles ont besoin, aussi longtemps que les moyens consacrés à l’accueil et à l’accompagnement des personnes concernées continueront à être sous-dimensionnés : il appartient au gouvernement de prendre les mesures adéquates pour restaurer les conditions d’un accès normal au service public dans toutes les préfectures.
Paris, le 18 avril 2023
publié le 17 avril 2023
par Attac France sur https://france.attac.org
Depuis la promulgation précipitée de la réforme des retraites, des appels à rassemblements se multiplient partout en France pour devant les mairies à 20h ce lundi, pour boycotter l’intervention télévisée du monarque présidentiel et pour faire entendre notre opposition. Attac se fait le relais de ces initiatives citoyennes et appelle à rejoindre ces rassemblements dans toute la France.
Nous avons recensé ici (https://france.attac.org/se-mobiliser/retraites-pour-le-droit-a-une-retraite-digne-et-heureuse/article/carte-des-casserolades-du-17-avril-a-20h) les différents rassemblements annoncés ce soir à 20h devant les mairies.
Après s’être précipité pour promulguer la réforme des retraites suite à la décision du Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron intervient ce soir à la télévision pour tenter de « tourner la page ». Mais il n’a pas compris qu’il n’est pas maître du calendrier et que la mobilisation contre la réforme des retraites, historique par son ampleur et sa durée, va se poursuivre et s’amplifier.
Dans l’opinion publique, les sondages successifs montrent qu’une large majorité de français·es sont toujours opposé·es à cette réforme injuste et injustifiée. Selon une récente étude d’opinion, 64% des français·es souhaitent la poursuite du mouvement contre la réforme des retraites et 45% souhaitent même que le mouvement « se durcisse ».
64 ans c’est toujours non !
Des appels à rassemblements se multiplient partout en France devant les mairies à 20h ce lundi, pour boycotter l’intervention télévisée du monarque présidentiel. Ces casserolades visent à montrer que notre détermination est intacte : le gouvernement ne nous volera pas les meilleures années de notre retraite !
Dans la tradition carnavalesque du charivari utilisé depuis le Moyen-Âge, ce mode d’action fait écho aux cacerolazos en Argentine contre l’austérité et se veut complémentaire d’autres formes d’action, notamment les appels à couper l’électricité entre 20h et 20h30.
Avec le même objectif : boycotter l’intervention présidentielle tout en rendant visible notre colère et notre détermination à obtenir le retrait de la réforme, en multipliant les formes d’actions. Soyons nombreuses et nombreux pour l’affirmer haut et fort : « 64 ans c’est toujours non ! ». Ces initiatives préparent également le raz de marée populaire auquel appelle l’intersyndicale unie le premier Mai prochain.
publié le 17 avril 2023
Passées inaperçues, de nombreuses agressions ou intimidations de militants contre la réforme des retraites sont survenues un peu partout en France. Elles sont souvent le fait de groupes d'extrême droite. L'incident le plus grave a eu lieu à Lorient, où des syndicalistes ont été menacés d'une arme à feu.
Jamais Bertrand, 52 ans, enseignant et syndicaliste tout à fait pacifique à Sud Éducation depuis 20 ans , n'aurait imaginé se retrouver confronté à une telle situation. « Depuis, quand je sors dans la rue, je ne suis pas tranquille. J'ai consulté un psy, j'avais vraiment besoin d'en parler ». Cet événement traumatisant, c'est cette arme à feu brandie dans sa direction et celle de quatre de ses camarades à la nuit tombée, le 28 mars, après la dixième mobilisation contre la réforme des retraites, à Lorient, dans le Morbihan.
Au point d'arrivée de la manif, Bertrand va boire un verre avec d'autres syndicalistes. L'heure avance. Un peu avant 22h, ne reste plus que Bertrand et quatre de ses camarades. Ils s'attardent, devisent tranquillement à l'extérieur du bar, portant toujours leurs chasubles qui les identifient clairement comme des militants syndicaux.
« Soudainement, trois types cagoulés arrivent foncent sur nous et nous gazent direct en plein visage. Une copine s'interpose et prend un coup de poing dans la figure. On a tout juste eu le temps de dire : « mais qu'est-ce que vous faites ? », ils ne nous ont pas adressé la parole. On n'a rien compris ». Pris de malaise, deux syndicalistes tombent au sol, Bertrand crache ses poumons. Les agresseurs prennent la fuite, mais la jeune femme frappée tente de les poursuivre, accompagnée de Bertrand. « Ils nous ont semés, nous sommes revenus nous occuper de nos camarades à terre. Et là, un des mecs revient vers nous, et toujours sans un mot, nous menace d'un flingue. Je lui ai dit calmement : c'est bon, on s'en va, puis il est reparti ». Lorient, une ville marquée à gauche, n'est guère habituée à ce genre de violences. « 10 ans que j'y habite et je n'ai jamais vu ça, s'étonne encore Bertrand, mes camarades et moi sommes restés hébétés, traumatisés. Le lendemain, l'une d'elles avait carrément tout oublié de ce qu'il s'est passé, avant que la mémoire ne lui revienne. On a mis 48 heures à porter plainte, aucune nouvelle pour l'instant ».
Mais cet événement n'est que le plus sérieux d'une longue série d'agressions ou d'intimidations contre des militants engagés dans le mouvement social, un peu partout en France.
A peu près au même moment, ce même 28 mars, à 150 km au nord, à Lannion, 20 000 habitants, au cœur du Trégor, dans la Bretagne rouge, de mystérieux hommes aux visages dissimulés s'en prennent à l'IUT de la ville. Le matin, des étudiants ont entamé un blocage de l'établissement, entassant des palettes devant l'entrée. « C'était un peu compliqué de rester toute la nuit, explique l'un d'entre eux, donc nous avons décidé de faire des tours de garde toutes les heures. Vers 21h30, un étudiant qui loge sur place entend du bruit. Il descend et aperçoit 2 voitures, dont l'une avait le moteur allumée, prête à partir, avec côté conducteur un homme au crâne rasé, pianotant sur son téléphone. Plus loin, un homme masqué vêtu d'un treillis, était en train de démonter les barricades. Après une altercation verbale, l'homme finit par partir. Par la suite, nous sommes restés toute la nuit au minimum à deux personnes pour surveiller ».
Le lendemain à Perpignan, un commando anti-grévistes va attaquer le piquet de grève d'un centre de tri postal. « Vers 1 heure du matin, se souvient un syndicaliste de SUD PTT, des voitures passent près de nous à toute allure, en mode rodéo urbain. Ils crient quelque chose du genre « ah les gauchos ». On n'y prête pas trop attention, mais d'autres voitures, cinq en tout, passent près de nous, avec à chaque fois 3 ou 4 personnes dedans. L'une d'elle s'arrête environ à 5 mètres de nous et nous asperge de lacrymo, avec une grosse gazeuse comme celle utilisée par les CRS. Puis ils nous ont caillassés. On a appelé les flics, mais le temps qu'ils arrivent les gars étaient déjà partis. Nous n'avons pas eu de blessés mais c'est une grosse intimidation. On n'était pas trop tranquilles les nuits suivantes ».
Si dans ces trois actions clairement anti-grévistes, il est impossible de connaître les appartenances politiques éventuelles des auteurs, d'autres attaques ont été clairement menées par l'extrême droite. Ainsi, à Besançon, le 17 mars, la fac est bloquée. C'est jour de manifestation, personne devant l'établissement hormis Denis Braye, un pompier de 55 ans connu dans la ville pour son engagement dans les luttes sociales. « J'étais un peu fatigué, alors je suis resté devant ma banderole « tu nous mets 64, on te mai 68 ». Tout d'un coup, je vois débouler six mecs cagoulés et gantés. J'ai le réflexe de filmer. Ils me poussent violemment à terre et me piquent ma banderole ».
Au même moment, la manif passe quelques rues plus loin. Denis Braye court et prévient des manifestants. Ces derniers coursent les inconnus qui finissent par abandonner la banderole. Le journaliste Toufik de Planoise qui était sur place affirme reconnaître clairement, à son allure et à ses vêtements, une figure de l'extrême droite locale, un homme qui l'a déjà agressé le 21 août dernier, un certain Théo Giacone, ex RN, ex Reconquête, aujourd'hui électron libre. Un homme condamné à plusieurs reprises pour des violences et, le 17 février dernier, pour la dégradation d'une statue de Victor Hugo.
Un homme qui s'est notamment illustré par le passé en diffusant sur son facebook une photo de lui, cagoulé façon Ku Klux Klan,et faisant un salut nazi. La veille, des militants d'extrême droite s'étaient déjà illustrés en dérobant des banderoles d'étudiants bloqueurs de Besançon, action revendiquée par le groupe d'extrême droite « Français déter ». Denis Braye n'est que très légèrement blessé (deux jours d'ITT), mais psychologiquement marqué : « je ne suis pas serein, dit-il. J'ai un peu peur d'aller en manif maintenant, et Besançon c'est un village, je peux tomber sur ces types à tout moment ».
A Paris, le retour du GUD ?
Paris aussi, l'extrême droite a mené deux actions anti-blocage. Dans les milieux étudiants parisiens, l'événement est à marquer d'une pierre blanche : la fac de droit d'Assas, fief historique de l'extrême et des nervis du GUD (Groupe Union Défense), est bloquée par des militants de gauche, hostiles à la réforme des retraites. De quoi rendre fous les néo-fascistes. Le 23 mars, sur leurs gardes, les bloqueurs d'Assas organisent un départ groupé avec les étudiants de Normale Sup pour se rendre à la manifestation contre la réforme des retraites. Mais au niveau du Panthéon, ils sont agressés par une quinzaine de gros bras. « Un étudiant a eu le nez cassé. Les agresseurs étaient casqués, masqués, et avec des gants coqués, raconte un militant ». Certains disent même avoir vu un couteau. Sur les réseaux sociaux, l'action est revendiquée par l'extrême droite, sous un sigle nauséabond, « Waffen Assas ». Une probable émanation du GUD, groupe de cogneurs mythique des années 70, mis en sommeil depuis quelques années et récemment réactivé. Rebelote deux jours plus tard, les mêmes « Waffen Assas », deux fois plus nombreux cette fois, tentent de débloquer de force les sites universitaires de Cassin et Lourcine, des annexes de la Sorbonne. Bilan : une mâchoire et un nez cassés.
D'autres incidents du même type avec l'extrême droite ont eu lieu dans des universités à Rennes, Montpellier et Lyon et à Sciences Po Reims. Des murs de la fac de Chambéry ont également été recouverts de tags d'extrême droite ou carrément nazis le 5 avril.
publié le 16 avril 2023
Etienne Balibar (philosophe) sur https://blogs.mediapart.fr
Après la promulgation de la loi de "réforme" des retraites par Emmanuel Macron, le mouvement de résistance à ce coup de force légal ne s'arrêtera pas. Mais il est à un tournant. Quelles propositions peut-on formuler pour contribuer à son élargissement en face de la violence du pouvoir? Quel modèle de démocratie préfigurent-elles à l'encontre du présidentialisme autoritaire comme du néofascisme?
(la mise en gras de certains passages sont le fait du site 100-paroles.fr)
J’écoute attentivement, depuis ce matin[1] : l’indignation, la rage, l’inquiétude, la détermination, les propositions, les dissonances et les points d’accord…
Nous sommes clairement arrivés, après la décision de cette nuit, à un nouveau tournant du mouvement, après celui qui avait suivi l’utilisation du 49-3. On verra dans les prochains jours, je ne sais pas ce qui va se passer, mais sûrement le 1er Mai sera le test du rapport des forces entre les deux camps, celui du président des riches et celui du peuple des travailleurs et des contribuables.
L’appareil d’Etat, dont fait très clairement partie le Conseil Constitutionnel, a fait bloc autour de la loi antipopulaire, témoignant chaque jour de plus de surdité, plus d’arrogance, plus d'arbitraire, plus de brutalité. Mais le mouvement, quant à lui, s’obstine, il ne se décourage pas malgré le temps qui passe et les sacrifices plus lourds à porter chaque jour. Il est fort mais il a aussi des faiblesses. Il découvre la nécessité de se relancer sur la durée et de s’élargir.
C’est un mouvement qui a une signification de classe aveuglante, touchant toutes les générations, les salariés, les retraités, les chômeurs, les précaires, les sans-papiers, les étudiants, les jeunes et moins jeunes des quartiers, les hommes et les femmes dont toute la vie est en jeu à travers la question des retraites. Non sans « contradictions au sein du peuple », comme disait Mao - des contradictions qu’il importe de discuter et de surmonter. Mais convergeant avec d’autres oppositions au monde actuel : en particulier le mouvement écologiste de base, en « soulèvement » pour un avenir vivable dans cette société et sur cette terre. J’ai proposé ailleurs de parler d’une insurrection de masse, pacifique et démocratique.[2]
En effet la question de la démocratie est au cœur du mouvement. Ce qui est à l’ordre du jour : sa défense contre l’illibéralisme qui va partout gagnant du terrain en Europe et dans le monde, contre l’autoritarisme gouvernemental et l’instauration d’un état d’exception permanent au service de l’oligarchie financière. Mais c’est aussi sa refondation, par-delà les limites devenues manifestes d’un parlementarisme soi-disant « rationalisé », c’est-à-dire corseté, réduit à l’impuissance, délégitimé et même ridiculisé – ce qui ne va pas sans danger. D’autres circonstances historiques l’ont démontré.
Il s’agit de refonder la démocratie sociale : le socle de droits fondamentaux acquis historiquement dans les luttes, la légitimité des « corps intermédiaires » ou des contre-pouvoirs en face de l’Etat (mais aussi en son sein, dans les administrations publiques), les valeurs de solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle comme seul principe d’organisation et de gestion de la sécurité sociale. Pour aller dans ce sens, on va maintenant pouvoir compter sur un retour en force du syndicalisme, marqué par l’unité d’action, la détermination, la responsabilité, la qualité de ses dirigeants, qui exerce aujourd’hui de facto une fonction politique, non pas comme un retour au « corporatisme », mais comme un levier d’avenir, implanté dans la « société civile ». C’est cela que Macron, à la Thatcher, voudrait casser pour de bon, en cachant mal son exaspération devant l’obstacle qu’il a rencontré. Il faut que ce soit lui qui s’y casse les dents, sans que pour autant l’extrême droite tire les marrons du feu.
Ni Macron ni Le Pen, tel est bien le sens profond du mouvement qui s’est développé autour des syndicats français refusant la « réforme » des retraites. Il n’a jamais quitté l’esprit des manifestants des trois derniers mois et de ceux qui les appellent à occuper la rue semaine après semaine.
Démocratie sociale, mais plus généralement démocratie conflictuelle, militante, que je propose d’appeler « oppositionnelle » (en souvenir d’un livre important de la « théorie critique » allemande)[3]. En effet il n’y a pas de citoyenneté active sans débat, sans controverse, sans conflit dans l’espace public, inventant ses propres règles et donc sans limites préétablies. Mais non sans responsabilité, car il y a évidemment des risques. Le conflit n’est pas la guerre civile, dont certains gouvernements seraient plutôt les fauteurs. Mais il n’est pas non plus la domestication, la canalisation des luttes et de la liberté d’expression sous le contrôle de l’exécutif et la surveillance de la police, restreignant par avance l’espace terrien, urbain, juridique, professionnel, des contestations. Même l’ordre public dont la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) proclame qu’il ne faut pas le « troubler » (article 10), ne s’identifie pas à un régime d’autorité, imposé d’en haut. L’Etat démocratique n’en est que le garant, qui a lui-même besoin d’être constamment contrôlé dans son action. En dernière analyse ce sont les citoyens qui sont juges et partie prenante à la fois, donc ce sont eux qui devront faire face aux conséquences éventuellement indésirables de leurs actes.
D’où, me semble-t-il, un double impératif de notre actualité :
D’abord et avant tout il faut restaurer, élargir, garantir légalement et constitutionnellement les libertés individuelles et collectives, la sûreté des citoyens, les droits civiques à commencer par celui d’association et de manifestation. Et donc il faut que soient abrogées les lois discriminatoires et liberticides comme la loi contre le « séparatisme », et que soit démantelé, interdit dans ses moyens et dans sa mise en œuvre l’instrument de répression militarisé qui s’est construit au cours des dernières décennies et qui se renforce tous les jours de façon monstrueuse, celui qui piétine, qui blesse et qui tue. La voilà, la guerre civile ! Ces exigences ne doivent plus quitter le premier plan, elles doivent mobiliser toutes nos ressources expressives, militantes, juridiques, représentatives.
Ensuite, il faut élargir la base du mouvement de masse, diversifier ses composantes, en tenant compte des modes de lutte qu’invente chaque groupe social, mais en recherchant les formes les plus unitaires, les plus démocratiques elles-mêmes, à la fois librement autogérées et potentiellement majoritaires dans le pays. Pas de limites, donc, à l’imagination qui s’exerce dans les occupations, les blocages, les grèves, les marches et défilés, les taggages et les collages, sans exclure la désobéissance civique, l’autodéfense des manifestations. Pas de légalisme artificiel. Mais pas non plus de complaisance pour le mirage d’une contre-violence inspirée par la « haine des flics », si compréhensible soit-elle subjectivement et affectivement. Une guérilla urbaine ou campagnarde ne fera que donner des prétextes à la violence d’Etat – une violence incomparablement supérieure et qui se déchaîne, comme dit l’autre, « quoi qu’il en coûte » et ne s’embarrasse d’aucun scrupule. La contre-violence est vouée à l’échec et conduit droit dans le piège du pouvoir.
La non-violence n’est pas toujours possible, mais elle est, à long terme et même à court terme, la plus efficace politiquement. On doit pouvoir inventer une insurrection civilisée. Ce qui ne veut pas dire une insurrection passive, ou impuissante.
La démocratie n’est pas un acquis, c’est une conquête et une reconquête permanente. C’est la société qui s’émancipe et qui se gouverne.
Note :
[1] Intervention lue aux Assises Populaires pour nos Libertés, Bourse du travail, Paris, samedi 15 avril 2023. Version corrigée et complétée.
[2] E. Balibar, « Inventer une insurrection démocratique », L’Humanité, Mercredi 12 Avril 2023.
[3] Oskar Negt : L’espace public oppositionnel, traduction française, Payot 2007. L’original allemand (2001) avait été publié en collaboration avec Alexander Kluge.
publié le 16 avril 2023
Par Roger Martelli sur www.regards.fr
Il n’y aurait qu’une seule vraie gauche et elle serait aux portes du pouvoir ? Roger Martelli nuance et précise une réalité bien plus complexe. Pour que « la » gauche s’impose.
Dans un article récent (voir ci-dessous), j’évoquais la nécessité, pour la gauche française, de penser dans un même mouvement la dynamique d’une gauche bien à gauche et celle de la gauche tout entière. Sans surprise, cette conviction m’a valu des critiques venant du flanc supposé être le plus à gauche.
Pour les théoriciens de l’opposition de « bloc populaire » et du « bloc bourgeois », la gauche est une vieille lune, comme elle l’était naguère pour les tenants de cette conception du funeste « classe contre classe », dont le communisme du XXème siècle a toujours eu bien du mal à se débarrasser. Ils peuvent dès lors se gausser de cette alliance que je prônerais, selon leurs dires, avec des personnalités et des courants politiques (Cazeneuve, Hidalgo, Jadot…) devenus électoralement insignifiants… Qu’importe que la gauche dans sa totalité ne pèse pas au-delà des 29-32% des suffrages exprimés depuis 2017. La voie royale serait désormais ouverte pour la radicalité, la rupture et l’insurrection populaire. Tant pis pour les nostalgiques et les tièdes !
Je persiste pourtant : le conflit de la droite et de la gauche est une réalité, la référence à la gauche (et pas à la « gôche ») est un passage obligé, mais la gauche en l’état est encore anémiée. Elle ne se relancera pas « en l’état » : telle est la base du parti pris « refondateur », que j’ai choisi il y a longtemps et qui reste le mien aujourd’hui.
« Pour que la gauche de gauche devienne le porte-drapeau de la gauche tout entière, encore faut-il que rien ne soit fait qui la divise irrémédiablement. »
Depuis 1789, il y a toujours eu une gauche et elle a été continûment polarisée, autour de questions et de mots qui ont varié selon les moments. Le principe de distinction le plus structurant, depuis que la logique capitaliste s’est imposée comme une logique sociale dominante, est celui qui oppose le parti pris de la rupture systémique – le système produisant par « nature » de l’inégalité et de l’aliénation – et celui de l’accommodement au système – pour obtenir des améliorations substantielles sans attendre la rupture.
Que l’un ou l’autre de ces pôles domine le champ de la gauche n’est pas sans effet sur les dynamiques globales de la vie politique et sociale. Que le communisme français soit devenu dominant en 1945 a compté dans la forme prise en France par un keynésianisme conséquent et un État-providence solide. Qu’il ait perdu cette place hégémonique après 1978 a rendu plus facile le glissement progressif vers l’ultralibéralisme et l’évolution du socialisme, par touches successives, vers les renoncements du « social-libéralisme ».
Je suis profondément convaincu que l’expansion d’une gauche de rupture est une clé majeure pour relancer la gauche et regagner les couches populaires aujourd’hui tentées par le désengagement civique ou par le choix du « dégagisme » et de l’extrême droite. Mais pour que cette part de la gauche s’impose durablement, elle est contrainte de rassembler des segments d’une extrême diversité. Il lui faut ainsi regrouper politiquement des populistes, des communistes, des socialistes, des libertaires, des syndicalistes révolutionnaires, des militant.e.s des combats anti-discriminations, des féministes, des écologistes, des républicains… Socialement, il lui faut parler aux catégories populaires des métropoles, des réseaux urbains petits et moyens, des zones rurales délaissées. Elle doit toucher en même temps des salariés, des chômeurs, des auto-entrepreneurs, des précaires, des sans diplômes, des bacheliers et des formations supérieures.
Pour parvenir à faire une force agissante de cet agrégat, un esprit d’ouverture maximale est nécessaire, ce qui implique de ne pas rebuter une fraction au profit d’une autre, une aspiration au détriment des autres, de ne pas séparer sans cesse le bon grain de l’ivraie, de ne pas chercher à s’arroger le titre de représentant par excellence du « peuple », comme d’aucuns voulaient jadis être reconnus comme constituant « le parti de la classe ouvrière ». Pour stimuler cet espace expansif possible, autant ne pas se complaire dans les polémiques, les exclusions réciproques, les procès de non-conformité à la gauche, au peuple, à la République ou à la révolution. Pour que la gauche de gauche devienne le porte-drapeau de la gauche tout entière, encore faut-il que rien ne soit fait qui la divise irrémédiablement.
Mais que la gauche ne se réduit pas à la gauche de rupture est une autre dimension de la réalité, dont témoigne le fait que le total des gauches reste à un niveau dangereusement insuffisant. On peut toujours ricaner du faible score présidentiel des tenants d’une gauche pour le moins « timide » : il reste que la majorité écrasante est aujourd’hui du côté de la droite et que la dynamique est plutôt du côté de sa variante la plus extrême. La gauche de gauche, celle qui a fait ses armes dans les combats « antilibéraux » des années 1990-2000, est redevenue une force parlementaire, elle est plutôt électoralement en bonne santé et cela peut s’exprimer fortement au premier tour des scrutins nationaux décisifs. Mais peut-elle constituer à elle seule une majorité ? On peut franchement en douter. Il ne lui est déjà pas si facile de gagner une place au second tour des scrutins majoritaires ; il est encore plus difficile d’être suffisamment attractive pour l’emporter au second.
Comment et qui rassembler ?
Considérons un instant ce qui s’est passé du côté de l’extrême droite. Marine Le Pen a gagné la bataille dans son propre camp, en maintenant à distance Éric Zemmour, son challenger inattendu. Mais elle s’est attachée en même temps à peaufiner son image auprès du reste de la droite, à travailler à estomper cette « diabolisation » qui engluait à tout jamais son père dans la marginalité. Elle reste, il est vrai, pénalisée par les taux élevés de rejet et d’inquiétude qu’elle continue de soulever. Le dynamisme est de son côté et cela peut se concrétiser à un premier tour de scrutin ; elle n’est toujours pas assurée de l’emporter au second tour, face à quelque candidat.e que ce soit. On peut bien sûr s’en réjouir ; ce n’est pas pour autant une fatalité à tout jamais.
Ce raisonnement ne peut-il pas se projeter du côté de la gauche ? Une gauche bien à gauche a sans doute les moyens lui permettant de franchir l’obstacle d’un premier tour. Encore faut-il qu’elle s’appuie pour cela sur une alliance attractive ; encore faut-il que les forces et les personnalités en état d’y parvenir ne laissent personne sur le bord du chemin et ne cultivent pas la différence, au point de stimuler une répulsion rédhibitoire. Mais, une fois franchi l’obstacle du premier tour, l’objectif devient celui d’une majorité, la plus franche possible afin de gouverner selon les fins que l’on s’est assignées. Encore faut-il alors que la force ou la personnalité qui y parvient provoque le moins de répulsion possible, et d’abord dans les rangs de celles et ceux qui restent attaché.e.s à la gauche. La tâche ne peut être réalisable si, sur la durée, la prise de distance à l’égard de « l’autre gauche » fonctionne sur le registre de l’ignorance, du mépris ou de l’exclusion. Quand on se veut du côté de la « rupture », on peut et on doit même critiquer la logique périlleuse de « l’accommodement », on peut ne pas vouloir « d’alliance » avec ses tenants. Il n’est pas besoin de cultiver les consensus lénifiants et de proclamer benoîtement que tous les point de vue se valent. On peut légitimement se demander si les mots et les actes du voisin respectent bien les valeurs d’égalité, de citoyenneté et de solidarité qui ont été le terreau de la gauche historique. Mais seule « la » gauche peut parvenir à des majorités.
Comment réaliser cette alchimie du débat sans complaisance et du refus des anathèmes ? J’avoue honnêtement n’être pas en état d’en fournir seul la recette. C’est en y travaillant ensemble, et donc avec la volonté de s’y atteler, que l’on parviendra à éviter le pire et à aller de l’avant. On n’y réussira pas sans admettre au départ ce qui devrait être tenu aujourd’hui pour un préalable : tout doit être fait pour préserver la Nupes, ce qui pousse à améliorer tout ce qui peut l’être afin qu’elle vive ; ce n’est pas pour autant que la Nupes est toute la gauche.
C’est ce que j’appelle « mettre les points sur les i ».
Par Roger Martelli sur www.regards.fr
L’espérance est une construction politique, que le gauches ne sauront bâtir en se repoussant les unes les autres. Sinon, au jeu du désespoir et du ressentiment, on sait d’avance qui fait la course en tête.
La crise sociale ne bénéficie pas à la gauche. La lutte contre la réforme des retraites doit continuer, mais mieux vaut se persuader, une bonne fois pour toute, que la colère sans l’espérance conduit au ressentiment et que le ressentiment est le terrain historique par excellence de l’extrême droite.
L’espérance, c’est celle d’une société qui ne repose plus sur la coupure inéluctable entre le haut et le bas, les exploitants et les exploités, les dominants et les dominés, les démunis et les nantis. C’était le vieux rêve des soulèvements des esclaves, des serfs, des ouvriers. « Quand Adam bêchait et qu’Ève filait, où donc était le gentilhomme ? », questionnait le prêtre John Ball, chef des paysans anglais révoltés de 1381 [1]. C’était la « Sainte Égalité » des sans-culottes, la « République démocratique et sociale » de 1848 et de 1871, devenue « la Sociale » du mouvement ouvrier. C’était le beau slogan « le Pain, la Paix et la Liberté », qui dynamisa le Front populaire et qui le porta à la victoire en 1936.
L’idéal s’est embourbé dans les grandes tentatives du 20ème siècle. Mais est-ce la faute du rêve, ou celle des conditions et des méthodes choisies pour le faire advenir ? Dans les sociétés déchirées et inquiètes qui sont les nôtres, dans le monde dangereux que nous bâtit la logique de puissance, dans une planète au bord du désastre écologique, qu’y a-t-il de plus réaliste que le rêve antique de la solidarité, du partage et du bien commun ?
Encore faut-il que le rêve ne soit pas relégué au rang des eschatologies par nature inaccessibles ici-bas, renvoyé au succès des révolutions brusques et purificatrices, ou encore arc-bouté sur des îlots de bonheur parsemés dans un monde de malheur. Encore faut-il qu’il puisse s’appuyer sur une majorité, patiente et déterminé, qui la fasse vivre, démocratiquement et dans la durée. Encore faut-il donc qu’il ait pour lui le nombre, que la masse des exploités-dominés-aliénés s’assemble en multitude qui lutte et que cette multitude se constitue en peuple politique, capable d’imposer sa volonté souveraine.
Le brouillage de la gauche et de la droite a rendu confuse la lecture de la vie politique ? Réactivons-le de façon moderne. Relançons la gauche, en faisant en sorte qu’elle retrouve du sens. Or, son moteur se trouve dans ses valeurs, condensées dans la trinité de 1848 : liberté, égalité, fraternité.
La crise politique a commencé de ronger nos démocraties depuis que le rêve s’est brouillé, que l’Histoire a semblé finie, que la gauche et la droite ont perdu de leur sens. On ne reviendra pas en arrière. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier : non pas tout détruire, mais tour repenser, de la cave au grenier. La question décisive reste toutefois celle du nombre, suffisant pour constituer de larges majorités. Socialement, ce nombre se trouve du côté des catégories populaires, telles qu’elles sont, dans leur diversité qui n’est plus celle d’hier. Politiquement, la majorité se trouve du côté du conflit fondateur de la droite et de la gauche.
Ce conflit a perdu de son sens ? Il n’est pas pour autant dépassé. Cessons donc de nous imaginer que nous allons trouver un autre ressort politique dans le grand conflit fondamental sur l’ordre des sociétés : le haut contre le bas, le peuple contre l’élite, le « 99% » contre le « 1% ». Le brouillage de la gauche et de la droite a rendu confuse la lecture de la vie politique ? Réactivons-le de façon moderne, en l’ouvrant notamment vers tous les combats que ce conflit avait ignorés ou sous-estimés (féminisme, écologie, lutte contre les discriminations de tout type, etc.). Relançons la gauche, en faisant en sorte qu’elle retrouve du sens. Or, son moteur se trouve dans ses valeurs, condensées dans la trinité de 1848 : liberté, égalité, fraternité. Chacun sait que la gauche a toujours hésité sur la manière de réaliser ces valeurs : en rompant avec l’ordre social dominant ou en composant au mieux avec lui ? Il n’y a pas une vraie gauche et une fausse : il y a, au moins depuis 1789, « une » gauche et « des » gauches.
Il n’est certes pas indifférent de savoir où est le pôle le plus influent. Le pôle du socialisme l’a été pendant quelques décennies, après celui du communisme français. Ce socialisme s’est enfoncé de plus en plus dans la logique du « social-libéralisme » : du coup, la gauche s’est rabougrie. En 2017, le curseur à gauche s’est déplacé à nouveau vers la gauche de la gauche : il valait mieux, car cela peut aider quand le temps est à la lutte sociale. Mais la gauche plus à gauche domine dans une gauche affaiblie.
Le temps n’est plus, ou plutôt ne doit plus être, à la guerre des gauches. On peut préférer une gauche persuadée que les valeurs de la République et de la démocratie n’ont pas d’avenir, si on ne tourne pas le dos aux logiques, aux pensées et aux pratiques qui les contredisent absolument. On doit ainsi tout faire pour que cette gauche ne se disperse pas et qu’elle reste donc aujourd’hui regroupée autour de la Nupes. Ce n’est pas pour autant que l’on doit repousser cette autre part de la gauche qui ne se résout pas à la rupture : sans elle, il n’y a pas de majorités possibles, qu’elles soient partielles ou plus globales.
Il convient de consolider l’espace politique d’une gauche de gauche ; mais pour que la gauche soit majoritaire, on ne peut pas l’installer dans une guerre ouverte, pôle contre pôle, camp contre camp. L’extrême droite, elle, n’a pas ce problème : elle marche très bien sur deux pieds.
Notes
[1] En ce temps-là, bien sûr, il allait de soi qu’Adam bêchait (et chassait) et qu’Ève filait (et s’occupait des enfants et du ménage).
publié le 15 avril 2023
Communiqué du syndicat Solidaires sur https://solidaires.org
Seulement quelques heures après la décision du Conseil Constitutionnel et les manifestations qui l’ont suivi un peu partout en France, Emmanuel Macron a décidé de promulguer sa réforme des retraites en pleine nuit.
Alors que depuis le début de ce mouvement inédit des millions de personnes sont dans la rue pour dire non à cette réforme des retraites, ce président nous démontre une nouvelle fois son mépris total à l’encontre de la jeunesse, des travailleurs∙euses et des retraité∙es. Il n’entend rien depuis le début de ce mouvement et persiste à mettre de l’huile sur le feu en promulguant sa loi alors que l’intersyndicale a renouvelé hier soir sa demande solennelle de ne pas la promulguer.
A nos revendications, à la colère sociale, Emmanuel Macon fait le choix de n’avoir pour seule réponse que la répression. Interpellations, gardes à vue, nasses, coups de matraques, grenades sur les manifestant∙es visant à dissuader les lycéen∙nes, étudiant∙es, travailleurs∙euses et retraité∙es de manifester.
L’Union syndicale rappelle que manifester est un droit, et que la participation à une manifestation non déclarée ne constitue pas un délit. Elle condamne la multiplication des arrestations arbitraires suite aux cortèges spontanés, dont celles de plusieurs des camarades de l’Union et exige leur libération immédiate.
L’Union syndicale Solidaires appelle à poursuivre la mobilisation pour l’abrogation de cette loi. Elle réunira l’ensemble de ses structures (unions départementales, fédérations et syndicats professionnels) dès la semaine prochaine, afin de décider collectivement des suites à donner à la mobilisation.
Avec l’intersyndicale, elle soutient d’ores et déjà les rassemblements, actions et initiatives qui seront décidées localement dans les jours à venir.
Elle appelle à déferler massivement le 1er mai partout dans le pays et de faire de cette journée celle de l’expression de la colère populaire contre la réforme, le déni de démocratie et pour un meilleur partage des richesses.
publié le 15 avril 2023
Alexandre Fache sur www.humanite.fr
Libertés. Une semaine après l’offensive du ministre de l’Intérieur contre la Ligue des droits de l’homme, un large front se constitue pour défendre l’association. L’Humanité invite tous ses lecteurs à signer l’appel qu’elle lance
S’élever contre les injustices, défendre l’État de droit, résister. Voilà le programme que la Ligue des droits de l’homme (LDH) s’est assigné dès sa naissance, en 1898, dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Cent vingt-cinq ans plus tard, cette ligne directrice reste d’une ardente actualité. Surtout depuis que le ministre de l’Intérieur a cru bon, le 5 avril, devant la représentation nationale, de menacer publiquement l’association de lui retirer toute subvention publique. Visiblement décidé à tout oser au service de ses ambitions personnelles, Gérald Darmanin, pour justifier cette attaque, a accusé la LDH de cautionner, voire d’inciter aux violences commises lors de la manifestation de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), en voulant faciliter « le transport d’armes » lors de cette mobilisation. Un comble quand on connaît le combat pacifiste de l’organisation…
« Jamais la Ligue des droits de l’homme n’a été remise en cause de cette manière, sauf pendant une période noire de notre histoire qui est la période de Vichy », avait réagi, le 5 avril, le président de la LDH, l’avocat Patrick Baudouin. Pourtant, des attaques, l’association en a subi de nombreuses, y compris depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Venues de la droite souvent, parfois de la gauche, quand cette vigie des droits de l’homme avait par exemple combattu la politique algérienne menée par Guy Mollet (SFIO) ou critiqué la politique migratoire du gouvernement Jospin. « Notre boussole, c’est la défense de l’État de droit, explique Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH. Or, celui-ci dépend de l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais aussi entre démocratie politique et démocratie sociale. Sujet sur lequel le gouvernement actuel a tout faux… »
Justement, le gouvernement, que dit-il de la sortie pour le moins agressive de Gérald Darmanin ? Depuis une semaine, rien ou presque. Les demandes de rencontre avec la première ministre Élisabeth Borne, formulées par la Ligue, sont restées sans réponse. « La LDH est financée via l’État par le budget de la première ministre et le budget du ministre de l’Éducation nationale. Je crois que (ni l’une ni l’autre) n’ont exprimé la moindre intention de réduire les subventions », a tenté de rassurer Clément Beaune, dimanche, sur France Inter. Autrement dit, le locataire de la place Beauvau n’aurait exprimé là qu’une position personnelle, pas celle du gouvernement…
En attendant que celle-ci soit clarifiée, les responsables de l’association accueillent avec soulagement l’élan de solidarité formidable qu’ont provoqué, autour de la LDH, les déclarations belliqueuses de Gérald Darmanin. « Plusieurs centaines de nouvelles adhésions et plusieurs dizaines de milliers d’euros de dons » ont été enregistrées depuis une semaine, selon la Ligue, qui doit refaire un point sur le sujet ce jeudi. « Être attaqué aussi violemment, c’est difficile à vivre, confie Marie-Christine Vergiat. Mais être soutenu aussi massivement, ça fait chaud au cœur, c’est même émouvant. » Afin de prolonger au maximum cet élan, et de dire haut et fort que l’Humanité se tient aux côtés de la LDH, notre journal a décidé de lancer un appel. Il invite aujourd’hui toutes et tous à le signer – et le faire signer – le plus largement possible.
Pour signer : https://www.humanite.fr/petition-humanite-ldh
publié le 14 avril 2023
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
Réforme des retraites - La Ve République a permis au gouvernement de malmener citoyens, syndicats et parlementaires. Quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel rendue ce vendredi, notre régime est plus que jamais en crise. Mais une tout autre République est possible.
Le Conseil constitutionnel a l’occasion ce vendredi de repousser la réforme des retraites, de considérer qu’elle constitue une violence inadmissible contre notre modèle social, institutionnel et démocratique, et un danger pour la République. Mais, même si les sages venaient à censurer la copie du gouvernement, prouvant que certains des garde-fous de notre régime fonctionnent encore, la crise politique resterait entière dans notre pays. « Chaque étape de cette réforme a constitué une nouvelle forme d’effraction contre la démocratie. L’ensemble n’a été rendu possible que par les pouvoirs exorbitants accordés à l’exécutif par une Ve République qui montre son pire visage », mesure le député PCF Pierre Dharréville. « Cela fait longtemps que je suis pour le passage à une VIe République, mais cette séquence des retraites devrait finir de tous nous convaincre que quelque chose ne tourne pas rond dans ce régime et qu’il fonce dans le mur », abonde Clémentine Autain, députée FI. Car cette Ve République offre tous les outils pour se passer du peuple, des syndicats et du Parlement, et permet même de gouverner contre eux, en imposant une loi contre l’avis de tous. « Il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française », résume le docteur en science politique Fabien Escalona. Et de nombreux espaces de démocratie à reconquérir.
La question d’une VIe République, régulièrement mise sur la table, se pose donc avec une urgence renouvelée. Mais quel en serait le contenu et jusqu’où aller ? « Il faut tout refaire. La crise sur les retraites résulte certes d’un choix politique : ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron a un marteau pour taper sur tout le monde qu’il est obligé de le faire. Mais les outils de son autoritarisme doivent être retirés pour que plus personne ne puisse les réutiliser », mesure Marie-Charlotte Garin. La députée EELV a ainsi signé avec de nombreux parlementaires de la Nupes une proposition de loi visant à supprimer le 49.3, déposée par l’écologiste Jérémie Iordanoff. « Il faut bien sûr aller bien plus loin, redonner du sens au vote, rendre le pouvoir au Parlement, et permettre une implication citoyenne permanente. La question centrale, ce n’est pas tant le numéro de la République que la redémocratisation du régime », observe Arthur Delaporte, député PS.
La meilleure façon d’y parvenir serait de mettre fin à la monarchie présidentielle et de « convoquer une Constituante pour que le peuple définisse lui-même son organisation collective, se réapproprie la démocratie », argumente Clémentine Autain. Mais, en attendant que ces travaux démarrent un jour, les partis de gauche ont une idée très précise de quelle République serait à bâtir. Dans son programme pour les législatives 2022, la Nupes formule plusieurs propositions, qui étaient pour la grande majorité déjà présentes sur chacun des programmes des différents candidats de gauche à la présidentielle.
Permettre l’émancipation des consciences
Proportionnelle aux législatives, reconnaissance du vote blanc, droit de vote pour les résidents étrangers aux élections locales, mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC) et de conventions citoyennes pour forger les projets de loi sont au menu, l’idée étant de « stopper la confiscation de la construction de la loi par quelques-uns, et de mettre en forme et en actes une démocratie directe », projette la sénatrice PCF Éliane Assassi, dont le parti propose aussi de supprimer l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Mais la question des institutions, du vote et de la lutte contre l’abstention n’est pas le seul chantier. La gauche appelle à mettre en place une véritable démocratie sociale en renforçant les pouvoirs des salariés et des syndicats dans les entreprises, et à lancer un plan de « séparation de la finance et de l’État ».
« Il faut que chaque travailleur se réapproprie son outil de production. Il ne s’agit pas seulement de répartir les richesses, nous voulons décider de comment nous les produisons et pour quoi », plaide le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. « Le pouvoir économique est aujourd’hui l’un de ceux qui échappent le plus aux citoyens, et l’appareil d’État – comme l’illustre parfaitement le macronisme – est gangrené par les intérêts privés, le pantouflage, les lobbies, les cabinets de conseil, la culture de l’impunité, de la collusion et du secret », ajoute Marie-Charlotte Garin. L’enjeu est de s’assurer, par la participation citoyenne et la mise en place d’un cordon sanitaire avec les intérêts privés, que la décision soit à la fois le reflet de la volonté générale et de l’intérêt général. L’inverse de ce qu’il se passe sur la réforme des retraites, en somme.
À ce sujet, réanimer notre démocratie passe aussi par la question de permettre à chacun de se forger sa propre opinion en totale liberté. La gauche entend ainsi garantir l’indépendance de la presse et des médias et rompre avec la mainmise qu’exercent sur eux les milliardaires et les grands groupes capitalistes. L’objectif étant, à travers un pluralisme retrouvé, de permettre l’émancipation des consciences. Reprendre la plume pour changer notre Constitution serait enfin l’occasion « de nouvelles conquêtes, de nouveaux droits et de nouvelles protections pour les femmes, pour les travailleurs, pour la planète et pour le partage pérenne et équitable des ressources. Il me semble indispensable de protéger des appétits financiers des biens communs et vitaux, comme l’eau par exemple, qui appartiennent à tous et dont la gestion doit être assurée par tous », insiste Pierre Dharréville.
Une tout autre République est ainsi possible. Loin d’une Ve qui permet un exercice du pouvoir solitaire et autoritaire. Loin d’un gouvernement qui méprise syndicats et opposants, réprime les manifestations via un usage dévoyé de la police et criminalise le moindre citoyen souhaitant battre le pavé. Loin d’un système électoral qui ne reflète pas l’expression du vote. Loin d’un modèle qui ferait pleinement le jeu de l’extrême droite si elle arrive au pouvoir. « La démocratie a ceci de particulier qu’elle est à la fois un type de société (plutôt égalitaire) et un système de gouvernement (proche de l’autogouvernement) », écrit Denis Ferré dans la Démocratie française, de la Révolution au 49.3 (éditions Eyrolles). La Ve République permet de tourner le dos à cette définition. « En France, plus encore qu’ailleurs, la crise de confiance dans la représentation remet en question tous les fondements, la démocratie se libéralise en même temps qu’elle se “dé-républicanise”. Notre modèle a besoin d’une redéfinition par les citoyens et leurs représentants, faute de quoi la démocratie s’étiolera jusqu’à extinction », prévient-il.
Conseil constitutionnel : un rip validé ou retoqué ?
Si le Conseil ne censure pas la réforme des retraites, va-t-il au moins valider la procédure de RIP engagée par 252 parlementaires ? Les sages donneront leur décision demain, sur la proposition de loi visant « à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Ils doivent vérifier que le texte porte bien « sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale ».
Selon les juristes, le terme de « réforme » pourrait poser question et, en fonction de son interprétation, amener à un rejet du RIP. Un risque qui a poussé la gauche à déposer, jeudi, un second texte : « Nous avons voulu mettre toutes nos chances de notre côté et ajouté un élément de financement, avec la mise à contribution des dividendes », explique le député PCF Pierre Dharréville. L’institution aurait un mois pour prendre sa décision mais pourrait le faire dès vendredi. En cas de validation, la seconde étape consistera à récolter 4,8 millions de signatures sur une période de neuf mois.
publié le 14 avril 2023
Pierric Annoot Secrétaire départemental du PCF des Hauts- de-Seine sur www.humanite.fr
S’il y a bien une contradiction profonde qui caractérise notre époque, c’est celle des défis immenses pour notre civilisation et les moyens que nous avons pour y répondre. Autrement dit, les périls sont aussi grands que les possibles. Le développement des connaissances scientifiques, des technologies et des richesses produites est un atout très sérieux pour répondre aux défis climatique et énergétique, aux inégalités planétaires et engager de nouveaux progrès de civilisation.
Au fond, le sentiment d’un énorme gâchis est largement partagé. L’hyperconcentration des richesses dans les mains d’une minorité est devenue insupportable, quand l’immense majorité n’arrive plus à vivre dignement. L’inaction climatique n’est plus une simple option politique quand chacun constate et comprend le péril immédiat pour la vie humaine. La confiscation des pouvoirs, de la démocratie, devient insupportable lorsque, au quotidien, la bourgeoisie fait la démonstration au plus grand nombre qu’elle sacrifie en permanence l’intérêt général à ses intérêts particuliers.
Le mouvement actuel contre la réforme des retraites est le catalyseur plus ou moins conscient de toutes ces colères et nécessite des réponses politiques d’envergure.
D’une crise sociale, nous sommes passés à une crise démocratique, de régime, politique. La profondeur de cette crise est renforcée avec la tournure monarchique du président et de son usage des institutions de la Ve République.
Mais elle est avant tout le résultat de l’inadéquation des politiques menées avec les désirs populaires majoritaires. Le mouvement des gilets jaunes, la pandémie ont accéléré une modification des consciences. Ils ont déplacé le débat politique en faisant ressurgir le monde du travail au cœur du débat avec cette idée : « Sans nous, rien ne tourne. Les essentiels, les premiers de corvée, les services publics, nous sommes celles et ceux qui avons tenu la France debout. »
Le rapport au travail aussi s’est modifié avec la pandémie. Y compris parmi les cadres et couches moyennes supérieures des métropoles avec l’expérience de jours de télétravail qui permettent de cesser de courir dans les transports, d’avoir plus de temps pour soi, pour sa famille et ses activités… L’aspiration à la réduction du temps de travail est aujourd’hui majoritaire parmi les salariés et cela n’est pas pour rien dans la puissance de la mobilisation actuelle.
Nous sommes à un moment de basculement. L’Humanité, avec d’autres médias, a documenté le niveau de violences policières inouï pour casser la dynamique du mouvement social et la chasse ouverte aux syndicalistes grévistes par le ministre du Travail. Les associations, le Défenseur des droits, la commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe : toutes les institutions qualifiées s’alarment du virage pris par la France depuis quelques années.
Pire, nous assistons à une nouvelle accélération de la légitimation de l’extrême droite par le pouvoir en place. Les déclarations de Darmanin sont de ce point de vue édifiantes. Après le registre des « extrêmes » visant à assimiler extrême gauche et extrême droite, il utilise celui de « l’ultragauche », puis celui de la gauche tout court, pour qualifier les « ennemis de la République ».
La sidération et la colère doivent maintenant se muer en réponse politique. Comment prétendre continuer à gouverner le pays face à un tel carnage démocratique, politique et humain ?
L’intersyndicale et les forces de gauche sont à un moment charnière. Si le retrait de la réforme est indispensable, il ne saurait à lui seul répondre à la puissance et aux exigences des mobilisations. C’est maintenant que toutes les forces engagées dans la bataille devraient travailler ensemble à la suite.
Une crise comme celle que nous vivons appelle des réponses politiques nouvelles, à innover et franchir le cap entre forces politiques, associatives et syndicales pour faire émerger un nouveau projet de société, un programme de gouvernement et prendre le pouvoir.
publié le 13 avril 2023
sur www.humanite.fr
Avant la décision très attendue du conseil constitutionnel sur la réfome des retraites vendredi, une douzième journée de mobilisations avec grèves et manifestations se déroule aujourd'hui. Les enjeux, les actions, les commentaires : suivez notre direct toute la journée.
(les dépèches sont classées en ordre chronologique inverse, les plus récentes sont en tête, la mise à jour a été arrêtée à 15h55)
Fabien Roussel continuera de se battre « quel que soit la décision du Conseil constitutionnel »
« Quand bien même le Conseil Constitutionnel dirait que la loi est constitutionnelle, nous on dira: quand bien même elle est constitutionnelle, elle est mauvaise et on continuera de se battre pour qu'elle soit retirée », a expliqué abien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, présent dans le cortège parisien. L'élu communiste du Nord s'est aussi exprimé au sujet du RIP (Référendum d'initiative partagée) et a déclaré qu'il s'agit « de la plus belle porte de sortie pour tout le monde du meilleur moyen de sortir de cette crise ».
« Les Français ne rentreront pas chez eux », selon Marine Tondelier (EELV)
« Neuf Français sur dix sont contre cette réforme. C'est la 12e fois qu'ils manifestent qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente. Même si le Conseil constitutionnel tranche que la réforme est légale, les Français ne rentreront pas chez eux », a lancé la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier, depuis la manifestation parisienne, à la veille de la décision des Sages sur le texte reportant le départ à la retraite à 64 ans. « Il ne faut pas compter sur la lassitude ou la fatigue des Français, a-t-elle ajouté. Si le Conseil constitutionnel déclare que la réforme est légale, je souhaite bon courage au gouvernement. Il ne faut pas penser que l'on prépare la révolution dans des sous-sol, elle sera spontanée. »
Olivier Faure (PS) appelle la gauche à ouvrir un « débouché politique »
Le premier secrétaire du PS, présent à la manifestation parisienne, a jugé que « la gauche va devoir donner un débouché politique à la mobilisation par le Rip », dont il espère la validation par le Conseil constitutionnel qui doit rendre son avis ce vendredi. « Mais également, a poursuivi Olivier Faure, par la capacité à organiser un projet de coalition pour rassembler ces millions de femmes et hommes qui ont marché pendant des mois et ont exprimé leur rejet a la reforme ». Et le socialiste d'en appeler à l'apaisement des tensions : « Nous devons éviter les pièges qui nous sont tendus, celui de l'extrême droite et celui de la diabolisation des uns et des autres. Quand on attaque un parti de la gauche, c'est toute la gauche qui est attaquée », a-t-il estimé ajoutant que la Nupes allait « continuer de mettre la pression avec les syndicats qui ont demandé ce matin a ce que le président ne promulgue pas la loi". "Même si le Rip n'est pas validé, nous pourrons tout de même exiger le référendum », assure le député de Seine-et-Marne.
La CFDT déterminée à continuer le combat, même en cas de validation de la réforme.
La CFDT reste déter. Dans la droite ligne de son secrétaire général, Laurent Berger, plus tôt dans la journée, les syndicalistes présents dans le cortège parisien affichent leur optimisme : actions en cas de validation de la réforme par le Conseil constitutionnel et pointent l'horizon d'un 1er mai unitaire, dans le prolongement de la mobilisation intersyndicale conte la réforme des retriates.
À Madrid aussi on manifeste
L'ambassadeur de France en Espagne ne les a pas reçus. Qu'à cela ne tienne: des manifestants étaient bien présents à Madrid, « en solidarité avec les travailleurs Français », pour demander la retrait de la réforme des retraites menées Outre-Pyrénées. « Actuellement en France, l'âge moyen de départ à la retraite est plus élevé que celui en Espagne », note le leader de l'UGT.
Pour Manon Aubry (FI) : quoi qu'il arrive vendredi le combat continue
Depuis le cortège parisien, l'eurodéputée FI Manon Aubry a listé "trois scénarios" possibles après la décision des Sages attendue vendredi sur la réforme des retraites. Soit "le Conseil constitutionnel censure la loi et on a gagné. Soit il valide l’essentiel de la loi, et notamment le report de l’âge de depart, auquel cas il faudra continuer la bataille. Et si le Rip est validé, on part en campagne directement", a-t-elle commencé. Dernier cas de figure : ni censure, ni Rip. "Ce serait un coup de force du Conseil constitutionnel contre la démocratie et dans ce cas là, la colère populaire va monter le ton, a estimé l'insoumise. Penser que Macron va pouvoir tourner la page et mettre un pied dehors sans qu’on lui rappelle sa brutalité politique, c’est se tromper - on l’a vu au pays bas. Les gens n’oublieront pas ce qu’il s’est passé".
Les manifestants se regroupent devant le Conseil constitutionnel
La foule afflue devant le Conseil constitutionnel, bloqué brièvement plus tôt dans la journée.
Les syndicats déterminés à faire plier le gouvernement
Toujours motivés, les syndicats sont présents dans le cortège parisien, bien décidés à montrer leur opposition pour la douzième fois depuis l'annonce du projet de réforme des retraites.
Le cortège parisien passera non loin du Conseil constitutionnel
Pour cette 12e journée de mobilisation, la manifestation parisienne part de la place de l'Opéra et se dirge vers la place de la Bastille. Le cortège passera non loin du Conseil constitutionnel, qui siège rue Cambon (Ier arrondissement). Le parcours passera par la rue de Rivoli, la rue Saint-Antoine et terminera sur la place de la Bastille.
Sophie Binet répond "lol" à la proposition de rencontre de Macron
"J'avais envie de dire lol" a réagi en souriant et à brûle-pourpoint la nouvelle secrétaire générale de la CGT lorsqu'elle a été interrogée ce jeudi sur la proposition émise par Emmanuel Macron, d'"un échange qui permettra d'engager la suite et de tenir compte" du verdict du Conseil, avec les syndicats, le tout "dans un esprit de concorde".
"C'est bien qu'il ait tout à coup envie de rencontrer les syndicats, explicite Sophie Binet. Ca fait deux mois qu'on lui a demandé et qu'il a réfusé. Le problème, c'est l'ordre du jour. Le notre, c'est le retrait de cette réforme des retraites. Là, il nous propose un hors-sujet. On n'ira pas pour parler de questions qui ne sont pas posées dans la mobilisation d'aujourd'hui. Si l'ordre du jour est "je promulgue et après on se rencontre", non ce n'est pas possible."
Dans le carré de tête de la manifestation parisienne, en compagnie des leaders des sept autres organisations de l'intersyndicale, la leader de la CGT a affirmé que "contrairement à ce qu'espère le gouvernement, le mouvement n'est pas fini". Le président "ne peut pas gouverner le pays tant qu'il ne retire pas cette réforme".
Ce jeudi matin, Sophie Binet s'est joint au regroupement devant l'accès à l'incinérateur d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) pour soutenir les éboueurs et agents énergéticiens en grève. "Ce n'est pas le dernier jour de mobilisation, on va se revoir encore beaucoup", a-t-elle affirmé.
Laurent Berger envisage la suite de la mobilisation
Alors que le cortège parisien devrait s'élancer d'ici quelques minutes de la place de l'Opéra en direction de la Bastille, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, s'est exprimé sur les poursuites du mouvement social à l'issue de la décision du Conseil constitutionnel. Il espère d'Emmanuel Macron « une concorde avec les partenaires sociaux » s'il en vient à la promulagation de la loi et évoque l'existence de l'article 10 pour faire une nouvelle lecture de la réforme à l'Assemblée nationale. « Le combat syndical est loin d’être terminé » assure-t-il.
À Marseille, 130 000 manifestants selon la CGT, 6600 selon la police...
Selon la CGT, 130 000 manifestants étaient présents ce matin dans les rues de la cité phocéenne contre 170 000 le 6 avril dernier. La police en décompte de son côté seulement 6 600. Si l'écart paraît choquant, les deux constatent une baisse significative.
La CGT dévoile ses observations envoyées au Conseil constitutionnel
Unie depuis ces trois derniers mois à la tête du mouvement social contre la réforme des retraites, l'intersyndicale a poursuivi sa coordination serrée pour porter ses objections auprès du Conseil constitutionnel. Dans un communiqué publié ce jeudi, la CGT dévoile ses arguments adressés aux "Sages".
Premier argument, le détournement de la procédure parlementaire par le gouvernement, "en utilisant un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour faire passer sa loi, ce qui lui a permis d’imposer un énième 49.3. Et ce, alors qu’une réforme des retraites d’une telle ampleur n’a rien à faire dans un projet de loi rectificatif pour 2023, et devrait passer par le biais d’une loi normale, afin de permettre un vrai débat démocratique".
Le syndicat a souligné aussi "les effets qu’aura cette réforme des retraites sur les femmes", ainsi que "les inégalités de traitement", selon les générations impactées par cette réforme. Mesure d'accompagnement proposée par la droite sénatoriale et retenue par le gouvernement, le CDI séniors est lui aussi pointé, autant d'"exonérations aux entreprises pour un impact qui sera quasi nul sur l’emploi des séniors".
La confédération de Montreuil a enfin mis en lumière l'attaque des "régimes pionniers" (ou spéciaux, en faveur des agens des industries électriques et gazières comme de la RATP, ndlr), "de manière illicite, via un PLFRSS pour 2023, alors que la suppression de ces régimes n’aura que très peu d’effet sur les finances de 2023. Il ne prendra tous ses effets que lors des années suivantes, ce qui constitue encore une fois un contournement grave de la procédure parlementaire".
Quimper, les jeunes à la préfecture
Alors que deux manifestations sont prévues aujourd'hui à Quimper, plusieurs jeunes se sont réunis devant la préfecture pour toquer et escalader les grilles du bâtiment.
Une manifestation sauvage sur les Champs-Élysées
Une manifestation sauvage s'est élancée sur les Champs-Élysées. Les manifestants ont d'abord envahi durant quelques minutes un magasin Louis Vuitton, situé sur l'avenue.
Météo France Toulouse bloquée, une première depuis 15 ans
Pour Renaud Tzanos, du syndicat Solidaires Météo France cité par France 3, "c'est une décision du personnel de l'AG de montrer que le ton monte parce que la colère monte. Il est de plus en plus question d'aller au-delà de la réforme des retraites, même si cela reste l'exigence centrale".
Outre le recul de l'âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans, les réductions d'effectifs successives au sein de l'établissement public attisent la colère des agents de Météo France depuis plusieurs années.
Dans la manifestation bordelaise, les jeunes en veulent à Emmanuel Macron
« Je suis dégoûtée parce que j’ai l’impression que le gouvernement va aller jusqu’au bout de la réforme », se désole Malie, 20 ans, étudiante troisième année de Lettres à Bordeaux Montaigne. « Il est obstiné, entre l’usage du 49.3 ou les allocutions de Macron, alors que la population continue de manifester. » Au-delà des manifestations, « La réforme de Macron s’inscrit dans une politique libérale », regrette Titouan, 18 ans, lui aussi étudiant à Bordeaux III. « C’est un choix politique de taxer la vie des français plutôt que les entreprises. C’est pour ça qu’on est contre. »
Huit manifestants interpelés devant le Conseil constitutionnel
Sud éducation 93 condamne par voie de communiqué l'arrestation de plusieurs manifestants, dont certains sont adhérents du syndicat, qui s'étaient regroupés quelques heures ce jeudi matin devant le Conseil constitutionnel. Une action symbolique menée dans le cadre de la douzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
Intervention policière musclée au centre de tri des déchets d'Aubervilliers
Deux sommations, puis une charge sévère des CRS à l'encontre des manifestants, s'achevant sur l'arrestation au hasard de sept d'entre eux. Voilà ce qu'ont vécu les salariés du garage de maintenance des camions de collecte de tri à Aubervilliers, ainsi que leurs 150 soutiens qui bloquaient pacifiquement l'entrée du site depuis 5 heures 30 ce jeudi matin.
Selon une source syndicale, les forces de sécurité sont intervenues vers 8 heures 30 pour permettre l'accès aux camions bennes. Une décision "incompréhensible", pour les représentants CGT SGLCE présents sur les lieux: "Il n'y avait aucune raison de débloquer le site alors que les salariés allaient y tenir une demi-heure plus tard leur assemblée générale à 9 heures en vue de voter la grève. A partir de ce moment, il était évident que plus aucun camion n'allait être pris en charge. On est clairement dans une opération d'intimidation".
La CGT de la filière déchets et assainissement de Paris a annoncé la veille sa détermination à mener un "acte 2" de la mobilisation des éboueurs contre la réforme des retraites en émettant un nouvel appel à la grève reconductible à partir de ce jeudi. L'opération policière n'a permis de faire aller et venir que cinq camions bennes sur le site d'Aubervilliers.
L'union locale CGT d'Aubervilliers condamne l'intervention entreprise par la direction et la police. Elle déplore par voie de communiqué une "charge policière gratuite et dangereuse qui a blessé plusieurs d'entre nous" ainsi que l'interpellation de quatre militants syndicaux, dont trois de la CGT, tout cela "pour faire sortir cinq camions de collecte pour la vingtaine de minutes restantes pour la tournée. Aucun ramassage sérieux n'était envisageable dans ces conditions"
Les sept personnes arrêtées, assistées chacune par des avocats en lien avec la CGT, se trouvaient toujours en fin de matinée au commissariat d'Aubervilliers devant lequel une cinquantaine de manifestants revendiquaient leur libération. Selon la député insoumise de Seine-Saint-Denis Nadège Abomangoli qui a pu entrer dans le commissariat pour obtenir de leurs nouvelles, "on leur reproche un refus d'obéissance à l'ordre donné de dégager la voie car la manifestation n'était pas déclarée. Mais aucune justification ne m'a été donnée sur le choix d'arrêter ces personnes-ci plutôt que d'autres manifestants". La CGT appelle à un regroupement devant le commissariat à 18 heures 30 pour obtenir leur libération.
À Bordeaux, la CGT Gironde appelle à se rassembler place de la Bourse
Comme partout en France, l'intersyndicale appelle à descendre dans les rues pour protester contre la réforme des retraites. À Bordeaux, le rendez-vous se fera place de la Bourse à midi.
Dans un tract diffusé jeudi, la CGT Gironde réclame « la juste rémunération du travail et des qualifications » et cela passerait par :
l’indexation des salaires sur les prix et le rétablissement de l’échelle mobile des salaires
l’augmentation du Smic à 2000 euros brut
l’augmentation de 10 % du point d'indice des fonctionnaires.
Déjà des blocages en cours
Des blocages étaient en cours autour de plusieurs villes de l'ouest, notamment à Caen, Brest et Rennes où le dépôt de bus était également bloqué. "Il faudra voir ce que ça donnera demain", après la décision du Conseil Constitutionnel, "si ça va redémarrer de plus belle", considère auprès de l'AFP Philippe Simon, 56 ans, délégué syndical UNSA, au barrage dressé à l'entrée de la zone d'activités de la Plaine de Baud, à Rennes, empêchant notamment les bus du réseau Star d'entrer et de sortir. "Sinon, il faudra monter à Paris" pour manifester, estime-t-il.
A Rennes, des barrages filtrants ont été établis sur certaines sorties de la rocade, en particulier les portes de Beaulieu et de Bréquigny. De même, des ralentissements étaient enregistrés sur la RN 157, qui donne accès à Rennes après la fin de l'autoroute venant de Paris.
Autour de Caen, des déviations ont été mises en place à la suite de blocages, notamment à Solierse à l'échangeur Mondeville/Vallée sèche, selon la préfecture.
A Brest, le rond-point de Pen-ar-C'hleuz, principal débouché de la RN12, venant de Rennes, pour entrer dans la ville, est également bloqué, entraînant des embouteillages.
La RN 12 est également bloquée dans le sens Rennes-Brest à Morlaix (Finistère) et à Guingamp (Côtes d'Armor) des ralentisements sont observés dans les deux sens sur la RN12.
Des barrages filtrants étaient également signalés aux abords d'Angers et de Chartres et les voies ferrées ont été envahies en gare de Quimper vers 8H30.
Des avocats s'inquiètent d'un fichage de manifestants
Une centaine de personnes a déposé plainte pour "détention arbitraire" le 31 mars, via un collectif d'avocats. Selon la Chancellerie, 1.346 personnes ont été placées en garde à vue entre le 16 et le 25 mars en France. Ces gardes à vue, dont 75% se sont soldées sans poursuites, ont "un triple sens" selon ces avocats: "dissuader, sanctionner et ficher".
"Quasiment à chaque fois", les empreintes - et parfois l'ADN - ont été collectés avant l'arrivée de l'avocat au commissariat, explique Me Camille Vannier, membre du collectif.
Ces interpellations réalisées "de manière aveugle", "ça nous inquiète énormément", ajoute-t-elle, parlant d'un "fichage généralisé des manifestants".
Ces données sont enregistrées dans le Fichier automatisé des empreintes digitales (Faed) et le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), qui visent à identifier les auteurs de crimes ou délits, des personnes disparues ou décédées.
Refuser est une infraction, passible d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.
En cas d'acquittement ou de relaxe à l'issue d'un procès, l'effacement des empreintes est "de plein droit", souligne-t-on à la Chancellerie.
En revanche, pour les personnes qui font l'objet d'un classement ou d'un non-lieu, le procureur peut décider de conserver la fiche selon les "circonstances" et la "personnalité".
L'effacement n'est pas "pas automatique", insiste Me Vannier, qui a été recontactée à ce sujet par des manifestants qu'elle avait assisté. Fin 2021, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) avait rappelé à l'ordre le ministère de l'Intérieur au sujet du Faed et demandé d'en exclure toutes les personnes mises hors de cause. Malgré de multiples sollicitations, Beauvau n'a pas répondu.
publié le 13 avril 2023
Pascale Pascariello et Camille Polloni sur www.mediapart.fr
L’Observatoire parisien des libertés publiques s’est penché sur l’action de ces brigades policières motorisées depuis leur création, en mars 2019. Dans un rapport publié jeudi 13 avril, il les accuse de pratiques « intimidantes » et « virilistes », susceptibles de « dissuader » les manifestations.
SousSous le feu des critiques depuis des semaines, objets de plusieurs enquêtes et d’une pétition réclamant leur dissolution – enterrée par l’Assemblée nationale malgré ses 264 000 signatures –, les brigades de répression de l’action violente motorisées (BRAV-M), escouades de 36 policiers juchés par deux sur des motos, sont devenues le symbole ambulant de ce que les manifestant·es reprochent aux forces de l’ordre françaises : une violence imprévisible, indiscriminée et gratuite.
Le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, défend farouchement l’action de ces unités, lesquelles plaident « la fatigue morale et physique » pour justifier leurs dérives.
L’Observatoire parisien des libertés publiques (OPLP), créé il y a trois ans à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du Syndicat des avocats de France (SAF), jette une nouvelle pierre dans son jardin.
Dans un rapport intitulé « Intimidations, violences, criminalisation : La BRAV-M à l’assaut des manifestations », publié jeudi 13 avril et fondé sur 90 observations des pratiques de maintien de l’ordre à Paris depuis le 1er mai 2019, il livre un réquisitoire sévère contre ces brigades « violentes et dangereuses, promptes à faire dégénérer les situations ».
« La BRAV-M a développé un style qui puise dans les répertoires de la chasse, du film d’action, du virilisme et de l’intimidation », écrivent les auteurs du rapport, qui voient dans cette « unité purement répressive » la traduction de « l’indifférence du pouvoir exécutif aux inquiétudes des citoyen·nes, ainsi qu’aux principes fondamentaux de l’idéal démocratique ».
La première intervention officielle des BRAV-M dans les manifestations parisiennes date du 23 mars 2019, en plein mouvement des « gilets jaunes ». Mais ces unités étaient déjà en gestation. Dès décembre 2018, sur décision du ministre de l’intérieur Christophe Castaner et du préfet Michel Delpuech, des binômes de policiers motorisés, interdits depuis le décès de Malik Oussekine en 1986, refont leur apparition dans les rues de Paris.
« Face aux violences commises lors des manifestations des gilets jaunes, il fallait des unités qui puissent faire des interpellations rapidement et en nombre si besoin », précise à Mediapart un haut fonctionnaire, en poste à l’époque à la préfecture de police de Paris. « On a mis en place les DARD [Détachement d’action rapide et de dissuasion – ndlr], des policiers à moto », poursuit-il. L’un conduit et son passager intervient à pied pour disperser ou interpeller.
« Au début, on a essentiellement fait venir des agents des brigades anticriminalité (BAC), pas formés au maintien de l’ordre », reconnaît ce fonctionnaire qui a participé à la mise en place des DARD. Mais « ces brigades motorisées n’avaient pas vocation à se pérenniser », ajoute-t-il.
Autre problème : elles ont « échappé à la chaîne hiérarchique de commandement prévue habituellement lors des manifestations, notamment pour renforcer leur capacité à agir rapidement ». Au risque qu’elles soient « moins contrôlées », voire « difficilement contrôlables », admet-il.
Des « unités anti-casseurs »
Le ministre de l’intérieur Christophe Castaner et le directeur général de la police nationale (DGPN), Éric Morvan, tentent de généraliser ces unités sur l’ensemble du territoire. Hors de Paris, il n’est pas question de DARD mais de « dispositifs mixtes de protection et d’interpellation » (DMPI), également constitués d’agents de la BAC.
Dans une note du 21 mars 2019, que Mediapart s’est procurée, le ministre et le DGPN appellent ainsi l’ensemble des services de sécurité publique à organiser « des dispositifs de voie publique mobiles, dynamiques et réactifs », en renforçant les « dispositifs d’interpellation par l’activation systématique des DMPI ».
Selon le rapport de l’OPLP, ces unités répondent à une volonté du pouvoir exécutif de durcir les pratiques policières, « dans une logique répressive à l’égard des manifestations, perçues sous l’angle du groupement à disperser plutôt que sous celui de la liberté à protéger ».
En annonçant la nomination de Didier Lallement à la tête de la préfecture de police de Paris, en mars 2019, le premier ministre Édouard Philippe assumait de vouloir renforcer « la fermeté de la doctrine du maintien de l’ordre ». Pour cela, les DARD seront « transformés en unités anti-casseurs et dotés d’une capacité de dispersion et d’interpellation pouvant être engagée dès les premiers troubles ».
À Bordeaux, son poste précédent, Didier Lallement avait déjà appliqué cette stratégie « participant à l’escalade de la violence » entre policiers et manifestants, selon l’Observatoire girondin des libertés publiques (OGLP).
En avril 2021, cet équivalent local de l’OPLP dénonçait déjà la « politique d’intimidation » du préfet Lallement à l’égard des manifestant·es, notamment avec la mise en place des brigades de policiers motorisées. Tandis que lors d’une visite à Bordeaux, le 11 janvier 2019, le secrétaire d’État Laurent Nuñez avait félicité Didier Lallement pour sa gestion du maintien de l’ordre, peu avant sa nomination à Paris.
« Les BRAV-M causaient trop de problèmes »
Au sein même de la police, comme le rappelle l’Observatoire parisien des libertés publiques, l’absence d’encadrement et de formation spécifique au maintien de l’ordre pour les BRAV-M fait grincer des dents. En mars 2020, Mediapart avait révélé plusieurs notes internes émanant de la gendarmerie et des CRS, faisant part d’ordres illégaux du préfet Lallement et de violences commises par ces brigades motorisées.
S’inspirant des BRAV-M, la gendarmerie a constitué ses propres pelotons motorisés d’intervention et d’interpellation (PM2I), composés de gardes républicains, à partir d’avril 2019. « Ces unités agissent comme un “harpon” qui va disperser ou fixer l’adversaire », explique un haut gradé de la gendarmerie à Mediapart.
Mais sur le terrain, où policiers et gendarmes sont censés collaborer, « les BRAV-M causaient trop de problèmes », estime ce gendarme. « Ces policiers, qui ont une culture de la BAC, percutent les manifestants et sont davantage source de trouble et de panique. »
À ses yeux, « la goutte d’eau » est survenue quand « un gendarme de ces pelotons a eu la mâchoire explosée par un manifestant ». Début 2020, la gendarmerie retire discrètement ses pelotons motorisés des manifestations parisiennes. « Les BRAV-M vont à l’encontre du droit de manifester, commente aujourd’hui ce haut gradé, on a dû s’en retirer. »
Selon une note de janvier 2023 que Mediapart s’est procurée, les BRAV-M sont désormais majoritairement constituées de membres des compagnies d’intervention (CI) de la préfecture de police de Paris comme passagers, et de fonctionnaires de la division régionale motocycliste comme conducteurs.
Motos puissantes et tenues sombres : « le style BRAV-M »
« Les observateurs et observatrices ont été témoins de nombreuses scènes de violences de la part des BRAV-M, quand iels n’en ont pas été directement victimes », écrit l’Observatoire parisien des libertés publiques, évoquant des charges qui sèment la panique dans les cortèges et un usage massif des armes (grenades et lacrymogènes).
Au-delà de ces exemples, le rapport dissèque « le style BRAV-M », dont le nom évoque à dessein « la bravoure », avec ses agents « vêtus de couleurs sombres » qui se déplacent sur « des motos banalisées puissantes et sportives », sans signes distinctifs.
En dépit des règles en vigueur, leur appartenance à la police nationale est en effet particulièrement discrète : « visages dissimulés malgré l’interdiction du port de la cagoule, RIO invisibles ou simplement non portés ». Même à pied, les BRAV-M gardent leurs casques de moto à visière fumée, qui les rendent encore moins identifiables.
Ce « penchant pour la dissimulation », allié à des « références à la prédation » sur leur tenue – notamment la marque de leur blouson, un logo à tête de fauve, gueule ouverte, tandis que leur écusson représente un frelon –, conforte ces agents dans leur « rôle de chasseurs », ancré dans « un imaginaire viriliste ».
Leur « arrivée bruyante produit sidération, terreur ou fascination ». Leur « proactivité », leur « autonomie tactique » et leurs « réactions démesurément brutales » contribuent, selon le rapport, à « instaurer la peur dans les manifestations » plutôt qu’à la désescalade. « Ceci fait de la simple présence de la BRAV-M un facteur de danger. »
« Montrer les muscles »
Pour l’observatoire, le manque de formation et de spécialisation ne suffit pas à expliquer ce phénomène. Au contraire, il estime que les autorités politiques assument ces « choix stratégiques », dans un contexte de remise en cause de l’action policière : « Alors qu’il est reproché aux forces de l’ordre de ne pas respecter les règles auxquelles elles sont soumises, on met en scène des agents bravant les interdictions que la loi leur impose. Alors que des citoyens expriment leur peur de la police, l’institution répond par des images d’agents cagoulés, en bande et aux postures menaçantes. »
En bref, les BRAV-M représenteraient « la réaction d’une institution qui, face aux accusations, sort les motos pour montrer les muscles ».
Le nombre d’arrestations serait désormais envisagé comme « un indicateur de performance », au risque de « cibler n’importe qui » malgré des suites judiciaires peu convaincantes. « Loin d’incarner la présence rassurante à laquelle l’institution policière prétend parfois aspirer, la BRAV-M fait peur et dissuade de manifester », estiment les auteurs, constatant que cette unité « suscite en retour une animosité qui lui est spécifique ».
Par analogie avec les policiers motards des années 1980, les membres de la BRAV-M ont spontanément été surnommés « les voltigeurs ». Les autorités rejettent ce qualificatif de triste mémoire, puisque deux de ces policiers avaient tué l’étudiant Malik Oussekine en 1986. Elles rappellent toujours que les BRAV-M interviennent à pied, à la différence des « voltigeurs » qui frappaient depuis leur moto avec leur « bidule ».
« Ce n’est cependant pas cette pratique qui a conduit à la mort de Malik Oussekine, provoquée par les violences commises par des agents à pied » à l’intérieur d’un immeuble, rappellent les auteurs, pour qui le problème réside surtout dans l’approche portée par ce type d’unités.
Le rapport cite ainsi un article du Monde, daté du 9 décembre 1986 : « Les policiers des pelotons voltigeurs motorisés, une fois sur le terrain, avaient tendance à penser que tout manifestant, badaud ou curieux traversant leur chemin était l’un de ces “casseurs” qu’ils pourchassaient. » En cela, la comparaison entre les époques ne serait « pas sans fondement ».
« Ce qui se fait de pire dans la police »
Sur l’organisation interne des BRAV-M, une certaine opacité règne. « Une série de questions ont été adressées par la LDH à la préfecture de police de Paris, mais cette dernière n’a pas donné suite. » En janvier 2023, la commission d’accès aux documents administratifs a donné raison à la LDH et rendu un avis favorable à la communication des documents qu’elle demandait. Mais là encore, la préfecture de police de Paris ne s’y est pas pliée.
Malgré cette volonté de « se dérober au contrôle citoyen », certains commissaires à la tête des BRAV-M se sont toutefois rendus « célèbres pour des actes de violence », glisse l’observatoire, qui rappelle le cas de Paul-Antoine Tomi et celui du commissaire P. (sur lequel Le Monde avait publié une enquête vidéo).
Le nom de Patrick Lunel, ancien commandant de la CSI 93, est également cité. Son adjoint, un capitaine qui l’a rejoint au sein de la BRAV-M, est visé par une enquête pour avoir frappé un manifestant au visage lors d’une manifestation contre le passe sanitaire.
Pour l’observatoire, les BRAV-M représentent « une illustration particulièrement éloquente de ce qui se fait de pire dans la police et les stratégies de maintien de l’ordre françaises ». Il s’inquiète, en conséquence, du satisfecit des autorités et d’un élargissement de leurs missions : envoyées en renfort pour le G7 de Biarritz, ces unités parisiennes seraient également déployées pour des opérations « anti-délinquance » en banlieue.
Camille Bauer sur www.humanite.fr
Le rapport publié ce jeudi par l’Observatoire parisien des libertés publiques dresse le portrait de plusieurs chefs de cette unité de police, aux états de service inquiétants.
Qui dirige la Brav-M ? « Des commissaires célèbres pour des actes de violences, qui pourtant ont été médaillés, et qui continuent d’être envoyés en commandement sur le terrain », répond l’Observatoire parisien des libertés publiques (lancé par la Ligue des droits de l’homme) dans un rapport publié ce jeudi 13 avril, consacré à ces unités motorisées « violentes, dangereuses et promptes à faire dégénérer la situation ». Un casting d’autant plus regrettable que ces unités sont « dotées d’une autonomie tactique qui signifie que les responsables de terrain sont amenés à prendre des décisions sans attendre les ordres venant du haut de la hiérarchie », précise le document.
Les vidéos explicites du commissaire tomi
Le plus connu de ces dirigeants est Paul-Antoine Tomi. Frère d’un parrain de la mafia corse, il était déjà à la tête de la division régionale des motocyclistes à la préfecture de police de Paris quand, en 2019, le préfet Lallement décide de créer la Brav-M. À ce poste, il « s’est fait connaître du grand public par des vidéos des journalistes Rémy Buisine et Clément Lanot qui le montraient en train de frapper avec acharnement à la matraque un manifestant tombé au sol », relate le rapport. C’est lui encore qui aurait dirigé « l’opération lors de laquelle des militant·e·s d’Extinction Rebellion, occupant le pont de Sully de manière pacifique, ont été aspergé·e·s de gaz lacrymogènes ». Une autre vidéo le montre en train de demander à ses troupes de « dégager ces connards » lors d’une manifestation en mai 2021. Malgré son parcours, documenté par nos confrères de Streetpress et Mediapart, Tomi a reçu la médaille de la Sécurité intérieure et a été promu chef d’état-major adjoint de la direction de l’ordre public et de la circulation de Paris et de la petite couronne (DOPC). À ce poste, il s’est encore illustré par sa participation à la gestion désastreuse de la sécurité lors de la finale de la Champions League, le 28 mai 2022.
Autre dirigeant des unités dont la violence a fait l’objet de l’attention des médias, notamment du Monde : le commissaire P. Ce dernier aurait, selon le rapport, « sévèrement blessé au visage un journaliste qui prenait des photos sans présenter la moindre menace. Dans la même charge, il a frappé à coups de matraque télescopique la tête de toutes les personnes qui ont eu le malheur de se trouver à sa portée, même parfois déjà blessées et au sol ». Le même a encore été identifié « menant des charges violentes au sein desquelles il portait les premiers coups ». Autre signe distinctif, l’intéressé arborait sur son casque la Thin Blue Line, « symbole associé à l’extrême droite », jusqu’à son interdiction explicite en mars 2023 par l’IGPN.La liste ne s’arrête pas là. Ex-membre du commandement de la CSI 93, unité controversée, dont plusieurs membres viennent d’être jugés pour détention de drogue, vol, faux PV et violences (la décision a été mise en délibéré au 15 juin), Patrick L. a trouvé à exercer ses « talents » au sein de la Brav-M. Où a officié aussi son ancien adjoint à la CSI 93, qui s’est illustré « en donnant des coups de poing à des manifestants », lors d’une mobilisation contre le passe sanitaire, en juillet 2021, détaille le rapport.
Pour les organisations de défense des libertés, pas de doutes : « En envoyant ainsi sur le terrain des gradés notoirement connus pour leurs violences, la préfecture de police de Paris envoie aussi des messages. » Aux policiers comme aux citoyens, elle fait savoir que l’usage de la violence est autorisé. Pire, que celle-ci continuera d’être encouragée.
publié le 12 avril 2023
Nelly Metay sur www.humanite.fr
Les éboueurs et agents de traitements des déchets de la ville de Paris ont voté, mercredi 12 avril, pour mettre en place « l'acte 2 » d'une grève reconductible contre la réforme des retraites. Dès jeudi soir, les trois incinérateurs seront bloqués et la collecte des déchets à l'arrêt.
C'est reparti pour un tour, après quinze jours de disparition progressive, les tas de poubelles devraient faire leur grand retour dans les rues de Paris. Les éboueurs de la régie municipale ont voté mercredi, à l’appel de la filière traitement des déchets de la CGT, pour une nouvelle grève reconductible afin de protester contre la réforme des retraites. Cet appel à la mobilisation est aussi adressé au secteur privé.
Une réforme qui « entend les condamner à une mort prématurée »
Effective à partir de jeudi et reconductible sur décision de censure ou non de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel, cette seconde grève entend être d'une plus grande ampleur que celle menée entre le 6 et le 29 mars.
Lors du précédent épisode, plus de 10 000 tonnes d'ordures s'étaient amoncelées dans les rues de la capitale. Faute de grévistes et remplacés par des entreprises privées dans certains arrondissements, les éboueurs avaient repris amèrement le chemin du travail au bout de 23 jours de grève.
Espérant pour de bon être entendus par Emmanuel Macron, les agents dénoncent une réforme qui « entend les condamner à une mort prématurée ». Dans un communiqué daté du 12 avril, la CGT promet de « travailler à reconduire et à étendre cette mobilisation, dans le cadre intersyndical le plus large, jusqu’au retrait de la contre-réforme des retraites Macron-Borne ». Dès jeudi soir, les trois incinérateurs seront bloqués et la collecte des déchets à l'arrêt.
publié le 12 avril 2023
Par Lisa Noyal sur https://www.streetpress.com
Le 27 mars, Raja, Raian, Henri et Ousmane sont interpellés en marge du blocage de leur lycée à Sevran. Trois d’entre eux, dont deux mineurs, sont placés en garde à vue et subissent des humiliations. Lycéens, parents et professeurs s'insurgent.
Sevran (93) – Le matin du 27 mars dernier, des pancartes et un caddie bloquent l’entrée principale du lycée Blaise Cendrars à Sevran. Des lycéens ont organisé un blocus pour protester contre la réforme des retraites et celle du baccalauréat. Vers 10h, un groupe met au milieu de la route deux poubelles et allume un feu qui s’éteindra tout seul au bout de quelques minutes. « C’était vraiment le blocus le plus calme de toute ma vie », décrit Charlotte (1), une professeure du lycée :
« J’étais loin d’imaginer tout ce qui allait se passer après… »
Raja, Raian, Henri et Ousmane – seul majeur du quatuor – (1) ont assisté au blocus. Tous vont être interpellés. Raja, Raian et Ousmane sont mis en garde à vue, pendant plus de 30 heures pour les deux derniers. Selon leurs dires, il leur serait reproché d’avoir dégradé « un bien public devant un établissement scolaire » et d’avoir « par effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes volontairement détruit des bennes à ordures au préjudice de la mairie de Sevran ». Dans les faits, Raja et Raian disent avoir mis une feuille d’arbre dans une poubelle enflammée et Ousmane avoir repoussé une poubelle tombée proche de lui.
« Ce ne sont pas du tout des élèves à problème. L’action était tolérée par tout le monde. La seule agressivité, c’était celle de la police. Ils ont décidé que, quoi qu’il arrive, c’étaient des délinquants… »
Les professeurs du lycée expliquent que deux élèves supplémentaires ont été arrêtés, dont un a été en garde à vue. Ils n’ont pas été identifiés par StreetPress. Léon, un de leurs professeurs, contextualise :
Des menottes « parce qu’il risque de s’enfuir »
Assis sur le banc d’un parc à Sevran, sous les rayons du soleil de la mi-journée, Raja, Raian, Henri et Ousmane enchaînent les blagues pour détendre l’atmosphère. « Qu’ils l’arrêtent lui ok, mais toi c’est impossible ! », rit l’un des lycéens. « Quoi, c’était toi le sixième ? Mais c’est impossible, t’es beaucoup trop sage ! », s’étonne son voisin. « Je me demande encore comment c’est possible que ça soit arrivé », lâche finalement une autre d’une voix grave.
Quand Henri arrive devant le lycée vers 11h, ce fameux 27 mars, il rejoint des camarades qui fabriquent des pancartes. L’un d’eux lance l’idée de peindre le slogan « Jeunes, fier-es et révolté-es » sur un mur du lycée. Le jeune homme de 17 ans et deux autres lycéens trempent leur doigt dans un pot de peinture noire et tracent les lettres sur le mur. Des policiers arrivent derrière lui. « L’un d’eux me dit : “Tu es au courant de ce que tu es en train de faire ? Ça s’appelle du vandalisme. Retourne-toi” », explique Henri. « J’étais très pacifiste, je me suis laissé faire. » Le lycéen aurait ensuite été menotté et mis dans la voiture devant certains de ses professeurs. « J’ai demandé pourquoi ils le menottent, ils m’ont répondu : “Parce qu’il risque de s’enfuir”. Ils ont ajouté sur un ton ironique : “On va bien s’occuper de lui, c’est pas la police de Paris ici” », raconte Léon, professeur de philosophie. Un policier lui aurait ensuite demandé de reculer de la voiture avant d’ajouter : « Je n’ai pas envie de me prendre un coup de couteau dans le dos. » Lorsque Léon demande s’il peut accompagner le lycéen mineur, un policier lui aurait dit :
« Vous n’avez qu’à marcher. »
Léon, ses collègues et des élèves se rendent donc au commissariat de Sevran vers 13h pour obtenir davantage d’informations, en vain. Finalement, après un contrôle d’identité, Henri sera libéré par une porte à l’arrière sans que la petite foule ne soit mise au courant. « Pendant qu’on attendait, on voit un homme arriver et tenter d’entrer dans le commissariat. On est allé lui parler, il nous a dits qu’il était le père de Raian. C’est là qu’on a compris qu’il y en avait d’autres… »
Des gardes à vue prolongées
Masbah, le père de Raian, est resté à la porte. « J’ai demandé des explications sur mon fils à un officier, il m’a répondu : “C’est un délinquant” », raconte-t-il. Des propos également rapportés par son prof’ Léon. Raian, 16 ans, aurait été interpellé aux abords du lycée un peu après 11h. « Une voiture s’est arrêtée. Deux policiers sont sortis. Ils m’ont attrapé le bras et m’ont mis dans la voiture. » En tout, il fera 30 heures de garde à vue.
« Dans la cellule, c’était très sombre. Quand on appelait pour dire qu’on avait faim ou qu’on voulait aller aux toilettes, les policiers fermaient la porte et nous ignoraient. »
Ousmane, qui est majeur, est lui aussi arrêté en rentrant chez lui. « La policière me dit de couper le contact et elle arrache mes clés de voiture. Elle me plaque contre la voiture et me met les menottes très serrées », décrit le jeune homme de 18 ans. « Quand je pose une question, elle me dit : “Ferme ta gueule.” » Ousmane sera mis en garde à vue, prolongée à 48 heures avant de passer en comparution immédiate au tribunal de Bobigny :
Racisme et moqueries
En fin de matinée, vers 11h45, c’est au tour de Raja d’être arrêtée au même endroit que Raian. « Ils n’interpellent pas devant le lycée, ils isolent. Comme ça, il n’y a pas de témoins des violences », lâche-t-elle dégoûtée. « La policière me plaque sur le capot de la voiture, elle me met les menottes. Quand je demande ce qu’il se passe, elle me dit “ferme ta gueule”. » La jeune femme de 17 ans entre dans la voiture de police, en larmes. Elle demande à plusieurs reprises ce qu’elle a fait, où elle va. « On me répond : “Tu vas rester en GAV et ne pas ressortir”. Un policier me dit : “Ferme ta gueule Fatoumata”. » Une fois au commissariat, Raja attend sur un banc et subit à nouveau des remarques racistes :
« J’entendais les policiers dire : “Regardez Fatoumata, elle pleure”. »
Pendant son contrôle d’identité, un policier lui aurait demandé pourquoi elle pleure. « Son collègue à côté répond : “Non non, pas de pitié pour les noirs ici” », se rappelle-t-elle, encore choquée.
Raja est ensuite amenée dans une pièce où une policière lui demande de se déshabiller entièrement pour la fouiller. « J’étais complètement nue, je me sentais comme une terroriste. » Elle dit que ses vêtements avec cordons (sweat, jogging) sont confisqués. Elle serait restée avec seulement son manteau, avant de récupérer une couette et un matelas pour rejoindre sa cellule. « Je ne faisais que pleurer, j’avais peur qu’ils me fassent ce qu’on voit dans ma cité. » Ousmane et Raian auraient subi la même fouille et seraient restés en short durant leur garde à vue. « Un des premiers trucs qu’ils nous ont dit, c’était ça. Qu’ils avaient eu froid », se souvient Charlotte, une professeure.
« J’étais terrorisée. Je voulais juste retrouver l’odeur de ma maison. La cellule ça pue, il y avait du caca sur les murs. »
Raja affirme également ne pas avoir eu le droit de boire d’eau et d’avoir eu un repas périmé depuis plusieurs mois, immangeable. Elle restera en garde à vue pendant neuf heures avant de rentrer avec sa mère :
Problèmes dans les procédures
« Quand la policière m’informe de mes droits, elle me dit que j’ai le droit à un avocat, mais que ça ne sert à rien », s’étonne Raja. Ousmane rapporte les mêmes propos quand il a demandé à voir son avocat de famille. Tout comme le père de Raian, lorsqu’il a été prévenu de l’interpellation de son fils.
« Les policiers m’ont donné une feuille et ils m’ont dit “signe”. Je ne savais même pas ce que c’était. Pour la prolongation, ils m’ont redit de signer alors je ne l’ai pas lu non plus. J’ai signé », décrit Raian. Raja et Ousmane décrivent des situations similaires. Les lycéens disent également ne pas avoir pu appeler leur famille durant leur garde à vue, ce qui fait pourtant partie de leurs droits. Les parents d’Ousmane ont donc appris l’arrestation de leur fils le soir en se rendant au commissariat. « J’en étais malade, je ne me sentais pas bien », se souvient inquiète sa mère.
Un pointage
« Ce n’est pas normal qu’un mineur reste plus de 24 heures en garde à vue. Je ne connaissais même pas son état de santé ! », s’insurge le père de Raian, qui dit vouloir porter plainte. Les élèves concernés et quelques professeurs doivent rencontrer une avocate cette semaine pour réfléchir aux suites possibles.
En attendant, Raja et Raian sont convoqués au tribunal en mai. Ousmane, le seul qui est passé devant les juges, a vu son audience être renvoyée en septembre prochain. Il doit néanmoins aller pointer tous les mois au commissariat et toutes les semaines en période de vacances.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Contactée, la préfecture de police de la Seine-Saint-Denis n’a pas donné suite à notre sollicitation.
Contacté, le lycée a renvoyé vers le rectorat, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.
publié le 11 avril 2023
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
En cette veille de journée de mobilisation, les caisses de soutien se remplissent à un rythme inédit, et l’adhésion populaire ne faiblit pas. Une incitation assumée à la grève.
Si son employeur savait à quoi Anthony consacre son salaire, il crierait probablement au fou, ou au détournement de fonds. Ingénieur informaticien, Anthony travaille pour une de ces multinationales américaines où le terme de « grève », même quand il est prononcé en anglais, sonne comme une langue étrangère.
Et pourtant, depuis début janvier, le trentenaire a envoyé plus de 2 000 euros aux caisses de grève, pour soutenir la bataille des retraites. « Dans l’absolu, c’est une somme, mais pour moi ce n’est pas grand-chose, ironise-t-il. Je gagne 11 000 euros par mois, ce qui est affolant quand on y pense ! D’un point de vue marxiste, je suis un exploité, mais extrêmement bien payé… »
Il est entré dans le camp des opposants à la réforme par des voies plus intimes qu’idéologiques
Sans jamais se départir d’une forme de lucidité sarcastique, le trentenaire raconte comment il est entré dans le camp des opposants à la réforme, par des voies plus intimes qu’idéologiques : à 55 ans, sa mère trime comme serveuse, ce qui lui vaut des problèmes de dos en pagaille et une carrière en pointillé.
Sa vie offre un démenti cinglant à la propagande gouvernementale qui maquille la réforme en bénédiction pour les femmes. « Les patrons ont toujours déclaré ma mère partiellement, ce qui est courant dans le secteur de la restauration, dit-il. Elle a donc moins cotisé. Par ailleurs, elle m’a élevé jusqu’à un an et demi, ce qui lui a également enlevé des trimestres. Mais la pénibilité de son métier rend inacceptable la perspective de tenir deux ans de plus. »
Anthony n’aime pas trop le cap pris par la France sous Emmanuel Macron (« de plus en plus à droite », précise-t-il au cas où on se méprendrait), mais il ne se voit pas débrayer tout seul dans son coin, d’où son choix de contribuer financièrement à l’effort collectif.
À 800 kilomètres de là, la même analyse a conduit Anaïs, 38 ans, à donner à une caisse de grève. « Je bosse à temps partiel dans une association qui travaille auprès des jeunes des quartiers Nord, explique la Marseillaise. Avec mon salaire actuel – 750 euros net par mois –, je ne me voyais pas faire grève. J’ai préféré donner l’équivalent d’une demi-journée de paye à des grévistes qui, au moins, avaient un impact sur l’économie… »
Les sondages d’opinion mesurent comme ils le peuvent cette lame de fond
Depuis janvier, la France compte des dizaines de milliers d’Anaïs et d’Anthony. Des petits mots de soutien qu’on lance en passant jusqu’aux chèques à quatre chiffres envoyés aux caisses de grève, des collectes de légumes jusqu’aux soirées solidaires, c’est tout un pays qui se dresse contre la réforme des retraites, en marge de l’agitation médiatique.
Les sondages d’opinion mesurent comme ils le peuvent cette lame de fond : 62 % des Français estimaient, fin mars, que le mouvement social devait « se durcir pour faire reculer l’exécutif », selon l’Ifop.
Autre baromètre, les caisses de grève se garnissent à une vitesse inédite. a caisse de solidarité intersyndicale gérée par Info’Com-CGT et SUD poste 92, vient de franchir la barre des 3,4 millions d’euros récoltés, record historique. « En moyenne, nous recevons plus de 100 000 euros de dons par jour, ce qui est considérable », précise Romain Altmann, d’Info’Com-CGT.
Un tiers de retraités, un tiers de cadres et un tiers d’ouvriers ou employés
Les syndicalistes gérant la caisse ont cherché à en savoir plus sur le profil sociologique de cette France solidaire, à partir d’un questionnaire rempli en ligne par quelque 8 000 donateurs. Verdict : un tiers de retraités, un tiers de cadres et un tiers d’ouvriers ou employés. « Les premiers sont dans un combat intergénérationnel, analyse Romain Altmann. Beaucoup envoient un petit mot disant qu’ils se sont battus pour les 60 ans et que leurs petits-enfants doivent en profiter aussi. »
Les CSP + interrogés estiment compliqué ou inutile de se mettre en grève, en raison du caractère « non stratégique » de leur secteur, et préfèrent remplir les caisses. Quant aux catégories populaires, « ce sont des gens modestes, avec des situations personnelles compliquées, qui font parfois des dons de quelques euros, explique le syndicaliste. Un bel exemple de solidarité ouvrière ».
La première fois, j’en aurais pleuré. C’est beau de voir les mondes ouvrier et paysan unis dans la lutte. » Florent Anger, chef de gare à Saint-Malo et élu CGT au comité social et économique des TER de Bretagne
Sur le terrain, les grévistes voient se construire des convergences inattendues. À Rennes et à Versailles, des paysans de la Confédération paysanne apportent de la nourriture aux cheminots en grève : tous les vendredis, ils remplissent une salle de cageots débordant de légumes frais, fromage, farine, œufs, etc.
« La première fois, j’en aurais pleuré, s’émeut Florent Anger, chef de gare à Saint-Malo et élu CGT au comité social et économique des TER de Bretagne. C’est beau de voir les mondes ouvrier et paysan unis dans la lutte. » Une rencontre tout sauf symbolique, selon lui : « Vous repartez avec un cageot qui vous aurait coûté 60 euros dans une Biocoop ! Cela permet de nourrir sa famille le week-end sans faire les courses, ce qui n’est pas négligeable quand vous avez cumulé quinze jours de grève… »
Tous les militants décrivent un élan de générosité inédit. L’explication réside dans le rejet massif de la réforme, qui transcende en partie les clivages de classe et de génération, et met en mouvement grandes villes et villes moyennes. Les soirées de solidarité avec les grévistes se déroulent ainsi aux quatre coins du pays, dans les métropoles comme dans les villages reculés.
« Les gens diffusent nos films dans des granges, des appartements, des petits villages »
Coopérative cinématographique de production, les Mutins de Pangée ont proposé à plusieurs réalisateurs de mettre leurs films à disposition du mouvement social : n’importe qui peut organiser des projections publiques, à condition de reverser l’argent récolté aux caisses de grève.
« Nous avons obtenu le soutien de nombreux réalisateurs, raconte Olivier Azam, cofondateur des Mutins. 95 films sont à disposition, parmi lesquels la Sociale, de Gilles Perret, Un pays qui se tient sage, de David Dufresne, ou Comme des lions, de Françoise Davisse. »
Un succès colossal : 620 projections ont été organisées dans tout le pays, pour 114 000 euros récoltés. « Nous voyons apparaître de nouveaux lieux de projection, en marge des réseaux classiques, se félicite Olivier Azam. Les gens diffusent nos films dans des granges, des appartements, des villages de quelques milliers d’habitants parfois… En un sens, cela colle avec la sociologie des dernières mobilisations, avec des manifestations énormes dans des petites villes. »
Dans trente ans, les professeurs de communication politique se pencheront peut-être sur le spectaculaire accident industriel que constitue la réforme des retraites. Dans les décombres, ils exhumeront l’éditorial signé par Élisabeth Borne accompagnant le dossier présenté à la presse, le 10 janvier : « Aujourd’hui, nous présentons un projet de justice, d’équilibre et de progrès », affirmait-elle gravement.
Ces trois mots que les macronistes ont eu tant de mal à incarner n’ont jamais convaincu Jean-François Le Dizès, retraité grenoblois de 76 ans et éternel militant de gauche. « C’est une question de choix de société ! assène-t-il. Veut-on continuer à tout miser sur la production de richesses matérielles, ou sur la valorisation du temps de vivre ? »
Dans les années 1990, le sociologue Henri Vacquin avait forgé l’expression de « grève par procuration »
Le retraité a signé deux chèques de 3 000 euros pour soutenir les grévistes, mais s’inquiète des faiblesses du mouvement social : « En Mai 68 comme en 1995, nous avions réussi à bloquer l’économie, ce qui nous avait permis d’obtenir gain de cause. Ce n’est pas le cas cette fois-ci, en dépit de grèves très suivies dans certains secteurs. »
Une avant-garde mobilisée – les énergéticiens, les raffineurs, les cheminots, etc. –, soutenue financièrement par une majorité généreuse mais non gréviste : dans les années 1990, le sociologue Henri Vacquin avait forgé l’expression de « grève par procuration » pour décrire ce phénomène.
Le terme ne rebute pas Florent Anger : « La grève générale reconductible, on est pour, mais gare à l’incantation ! Le monde du travail a changé : je vois beaucoup de salariés qui aimeraient faire grève mais qui n’en ont pas les moyens. Les gens font ce qu’ils peuvent. »
Le cheminot préfère voir le verre à moitié plein : « Ce qui me plaît dans ce mouvement, c’est qu’on a dépassé le seul cadre de la retraite. On parle du sens du travail, de l’amassement indécent des grandes fortunes, du capitalisme… L’ampleur du soutien populaire montre à quel point les gens s’approprient ces enjeux. »
Où donner sur internet ?
La caisse de grève de l'intersyndicale https://caisse-solidarite.fr/
La caisse de grève de la CGT https://www.leetchi.com/c/solidarite-cgt-mobilisation
publié le 11 avril 2023
par Léon Crémieux sur https://www.cadtm.org
Le 6 avril a encore vu une journée de grèves et de manifestation d’une importance équivalente à celle du 28 mars et, selon les syndicats, 2 millions de personnes dans les rues. Un grand nombre de blocages, d’actions spectaculaires, comme une banderole déployée du haut de l’Arc de Triomphe.
Le plus spectaculaire est sûrement le nombre et la massivité des cortèges dans beaucoup de villes petites et moyennes. Spectaculaire aussi le rejet persistant de la réforme de Macron dans les 80% de la population active, la grande majorité des classes populaires.
Mais, isolé, Macron espère pouvoir desserrer l’étau d’un mouvement social qui, même moins puissant ces dernières semaines, crée désormais une crise politique dans le pays.
Les grèves reconductibles ont clairement marqué le pas ces dernières semaines, chez les agents du ramassage et du traitement des déchets, dans les raffineries, à la SNCF. Seuls les agents des IEG (industries électriques et gazières) maintiennent un mouvement de coupures sélectives. Les secteurs qui, depuis début mars, avaient engagé le bras de fer pour bloquer la vie économique en y mettant toutes les forces ont appelé les autres secteurs à les rejoindre depuis un mois, ne voulant pas renouveler les épisodes des « grèves par procuration ». Mais se sont cumulées de réelles difficultés objectives dans de nombreux secteurs salariés -et même dans la jeunesse scolarisée jusqu’à aujourd’hui- et le choix de l’intersyndicale du rythme d’une journée de grève hebdomadaire, se calant sur les secteurs moins mobilisés au risque de ne pas jouer une force d’entraînement pour construire des grèves reconductibles avec les secteurs les plus combatifs.
Ce choix correspondait clairement à un compromis avec la position de la direction confédérale CFDT, attachée à maintenir l’intersyndicale autour du rejet des 64 ans, de l’appel à des grèves, des manifestations et même des blocages, mais opposée à une tactique de paralysie de la vie économique du pays. La large unité syndicale, permise par le rejet populaire des 64 ans, et aidant à consolider ce rejet, a eu jusqu’à aujourd’hui comme corollaire cette modération dans l’affrontement. Cela n’empêche pas la multiplication d’actions de blocages, de grèves qui mêlent souvent des équipes CGT, Solidaires, FO, FSU et CFDT, aidant à maintenir, par-delà les journées nationales, un climat de mobilisation prolongée.
La paralysie politique du gouvernement l’a amené depuis une dizaine de jours à jouer clairement la carte de la répression policière, des violences, la carte aussi de la dénonciation de « l’extrême-gauche violente ». Dans ce mouvement, Macron apparait, avec Darmanin, comme le défenseur de l’ordre pour conforter un électorat chancelant, espérant aussi semer la division dans l’intersyndicale et amoindrir le soutien sans faille à la mobilisation et même aux blocages au sein de la population. Sur les deux derniers points l’échec est total, mais Darmanin n’en pousse pas moins les forces de police, couvrant toutes les violences, les utilisations d’armes et de munition de guerre. Ce choix de montée crescendo qui s’est manifesté à Sainte Soline le 23 mars et dans les charges contre des cortèges syndicaux renforce la détermination au sein du mouvement. Au rejet de l’injustice sociale des 64 ans, au refus de la violence institutionnelles du 49.3, s’ajoute désormais le refus des violences policières. Ce rejet a entraîné la levée de boucliers de nombres d’associations, au premier rang la Ligue des Droits de l’Homme.
La LDH s’est trouvé au cœur de la dénonciation du comportement policier à Sainte Soline apportant des preuves audios du blocage des secours par la police. La LDH est aussi à l’initiative d’une campagne pour l’interdiction des BRAV-M, des armes de guerre. Cette action démocratique vient d’amener Gérald Darmanin à franchir un pas qu’aucun ministre de l’Intérieur n’avait osé franchir en menaçant directement la LDH disant qu’il « allait regarder » les subventions dont elle bénéficie. Sous Macron et Darmanin, les glissements se succèdent remettant en cause des droits démocratiques et sociaux existant depuis des décennies, sur les déclarations et les interdictions des manifestations et même sur le droit de grève.
Au rejet de l’injustice sociale des 64 ans, au refus de la violence institutionnelles du 49.3, s’ajoute désormais le refus des violences policières
Confrontés à de puissantes grèves dans les raffineries et les ramassages de déchets, le gouvernement avait multiplié des réquisitions de grévistes pour casser le mouvement. La loi française autorise des réquisitions en cas de « trouble manifeste à l’ordre public ». Le préfet de Seine maritime avait réquisitionné des personnels des raffineries Total Energies à cause de « l’augmentation prévisible de la circulation pour le weekend de Pâques ». Le tribunal administratif avait déjà dénoncé des interdictions de manifestations à la dernière minute. Là il vient de juger que ces réquisitions « portaient une atteinte grave et manifestement illicite au droit de grève ». Visiblement, le gouvernement teste jusqu’où il peut pousser l’interprétation des lois et veut préparer le terrain à deux nouvelles lois déposées par les Républicains au Sénat limitant le droit de grève dans les raffineries les transports publics. Dans le registre des droits démocratiques, les Républicains, le Rassemblement national et les députés de Macron viennent d’adopter, en première lecture accélérée, au Sénat et à l’Assemblée nationale une loi « Jeux olympiques » qui, sous couvert de sécurité, instaure de façon pérenne des dispositifs de contrôle, filtrage, et de surveillance de masse dans des lieux publics et les transports par vidéosurveillance avec des outils algorithmiques d’analyse de comportements, pouvant être stockés.
La France serait ainsi à la pointe de nouvelles techniques qui pourront très facilement être de nouveaux outils contre les droits de rassemblements, de manifestations et la criminalisation d’actions dans des édifices publics.
Ces derniers jours, les conséquences de la mobilisation des retraites a donc glissé sur les questions des droits démocratiques mais le mouvement est aussi lui-même polarisé par les décisions du Conseil constitutionnel du 14 avril. Cette institutions dont les membres sont nommés par les présidents de la République et les président-e-s de l’assemblées nationale et du Sénat sert notamment de censeur des lois, jugeant de leur conformité totale ou partielle avec les règles constitutionnelles. Donc le Conseil fera connaître le 14 avril sa décision concernant la loi de financement de la Sécurité sociale qui contient les attaques contre les retraites et le passage de l’âge de départ à 64 ans. Il décidera aussi du lancement ou non d’une procédure de Référendum d’Initiative partagé sur un projet portant au maximum à 62 ans l’âge de départ à la retraite, proposée par les élu-e-s de la NUPES. Si le Conseil entérine la loi, lui donnant un vernis de légitimité, elle pourra être promulguée par Macron.
Macron ne serait pas pour autant tiré d’affaire. La première question sera évidemment celle du mouvement social et de ses capacités à passer au-dessus de ce nouvel obstacle et de le faire en gardant son unité. Mais pour Macron va se poser dans tous les cas la question de la suite de son quinquennat.
Sur le dialogue social avec les syndicats, après avoir méprisé les directions syndicales, la Première ministre n’a pas les moyens de leur demander d’accepter la réforme des 64 ans et d’engager une nouvelle étape sur des dossiers sociaux. Même la CFDT n’est pas prête à le faire, au vu du rapport de force social qu’a construit le mouvement. Borne n’a pas les moyens non plus de trouver, au sein de l’Assemblée nationale, une alliance majoritaire stable, comme le lui a demandé Macron. Les Républicains, affaiblis par leur position sur les retraites, ne trouvent aucun intérêt à être la rustine du gouvernement Borne. Les jours de ce dernier sont sans doute comptés, et Borne elle-même ne croit pas à son avenir dans ce poste, mais les paramètres ne seront guère changés en cas de changement de Premier-e ministre.
L’Intersyndicale appelle à une nouvelle journée le 13 avril, mais sans avancer d’autre perspective pour le mouvement que d’attendre les décisions du Conseil constitutionnel. Redonner de la vigueur au rapport de force imposerait de donner des échéances propres, comme une manifestation nationale ou la préparation d’une nouvelle vague de grève reconductible.
Un autre problème est de plus en plus évident. Si, en creux, le mouvement est un mouvement de classe, rassemblant dans l’action ou le soutien, l’immense majorité des salarié-e-s avec, en toile de fond, le refus de continuer à payer pour le maintien d’un système qui frappe les classes populaires, ne se dégage pas dans le mouvement l’expression d’exigences qui dépassent la question des 64 ans. La dynamique large créée par l’unité de tous les syndicats à comme limite immédiate l’impossibilité d’aller plus loin que la question des 64 ans, la CFDT, même sur la question des retraites ayant déjà accepté la réforme Touraine de 2014 qui mène aux 43 annuités. Dès lors, l’intersyndicale n’avance pas non plus d’exigences sur le financement des retraites, comme la fin de exonérations et l’augmentation des cotisations patronales, ni bien sûr le retour sur la réforme Touraine et celle de Woerth en 2010 qui a décidé de la retraite à 62 ans.
De même, il n’y a pas au niveau confédéral de socle intersyndical commun sur les autres questions sociales urgentes, bien présentes dans les manifestations, sur les allocations chômage ou la lutte pour les salaires et contre les hausses des prix. La place de l’Intersyndicale nationale a servi de point d’appui dans les villes mais a aussi limité l’extension de la plateforme des intersyndicales locales. Cela pourrait sembler une question secondaire qui n’a pas empêché le développement d’une mobilisation d’une profondeur sans doute inédite. Mais chacun comprend bien que le rapport de force de classe ne peut se maintenir que si, dans la conscience de celles et ceux qui participent au mouvement ou le soutiennent, est clairement posée la question de à qui on s’affronte.
La question des 64 ans n’est pas la lubie d’un autocrate délirant
La question des 64 ans n’est pas la lubie d’un autocrate délirant, c’est bien un choix politique de classe correspondant aux intérêts des groupes capitalistes qui ont fait aboutir des réformes identiques dans les autres pays européens. Il s’agit donc bien de remettre en cause la répartition des richesses et les choix faits dans l’intérêt des capitalistes, choix faits en Europe par les partis soutien du libéralisme, y compris l’extrême-droite de partis similaires au RN, comme Fratelli d’Italia de Meloni qui applique la retraite à taux plein à 67 ans dans le cadre des exigences budgétaires de l’Union européenne. Combattre la supercherie du RN défenseur des retraites ne peut pas se faire sans appuyer le mouvement sur une plate-forme qui remette en cause les choix capitalistes du gouvernement et avance des exigences conformes aux intérêts des classes populaires. Absent du mouvement, muet sur toute plate-forme politique pour le défense des retraites, à part le natalisme et les mesures anti-immigrés, le RN se positionne pour cueillir les fruits d’une mobilisation sociale qui, objectivement, vise les capitalistes.
Macron et Darmanin, eux, n’ont de cesse de tisser en pointillé des passerelles vers les Républicains et l’extrême droite tout en criminalisant et diabolisant la NUPES. D’ailleurs, lors d’une élection partielle en Ariège, le deuxième tour a vu un front commun du parti de Macron, des Républicains, du Rassemblement national, derrière une candidate socialiste opposés à la NUPES pour battre la candidate de la France insoumise.
La situation est évidemment aussi rendue difficile par l’absence de construction d’un front commun social et politique au cœur de ce mouvement, par l’absence même, en dehors de l’Assemblée nationale, d’initiative politique unitaire large permettant de mener un débat et d’avancer des propositions unitaires pour construire dans les villes et nationalement des structures unitaires sur les questions sociales et démocratiques de l’heure, en phase avec la mobilisation sociale.
La force du mouvement et des dizaines de milliers de militant-e-s qui le structurent aura peut-être la force de dépasser ces obstacles dans les prochaines semaines.
publié le 10 avril 2023
Communiqué LDH sur https://www.ldh-france.org
Lors de son audition au Sénat sur la question de la manifestation contre la « mégabassine » de Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a remis en cause les subventions publiques attribuées à la LDH (Ligue des droits de l’Homme). Cette menace est d’une particulière gravité. La LDH a été créée par des esprits résistants mus par l’impérieuse nécessité de combattre l’injustice antisémite faite au capitaine Dreyfus, au nom de la raison d’Etat.
Elle a depuis lors été de tous les combats historiques de la République : la loi de 1905 sur la laïcité, les projets d’émancipation, la lutte contre le fascisme et l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH). Elle a toujours travaillé dans un souci de dialogue franc et constant avec les institutions. Sous le régime de Vichy, elle fut dissoute et grand nombre de membres de la LDH résistants furent arrêtés, assassinés et/ou déportés. Elle s’est reconstituée pour participer à la reconstruction d’une France meurtrie par les atrocités de la guerre et de l’occupation. Elle n’a eu de cesse de se mobiliser pour soutenir les projets de liberté, d’égalité et de fraternité en défense permanente de l’Etat de droit.
Les attaques dont elle fait aujourd’hui l’objet sont notamment la conséquence de son travail sur cette défense de l’Etat de droit basé sur l’observation des pratiques policières et l’exigence d’une désescalade, indispensable au maintien de l’ordre républicain pour protéger le droit de manifester inscrit au cœur de notre contrat social.
Les subventions accordées aux associations constituent une pierre fondamentale de l’édifice démocratique promu par les organisations internationales et européennes. Elles sont indispensables en démocratie pour permettre la contestation des excès de pouvoir et de l’arbitraire. Supprimer ou diminuer ces subventions est l’un des moyens traditionnels utilisés par les régimes autoritaires pour affaiblir l’équilibre entre pouvoir et contrepouvoirs, sans lequel une démocratie est anéantie.
Ces menaces ne visent pas la seule LDH. Elles sont le symptôme du projet historique de la réaction contre « Les Lumières », de l’autoritarisme contre les libertés. Il y a urgence à lui opposer un refus ferme et large. La LDH sonne l’alarme et appelle celles et ceux qui ont à cœur de défendre notre modèle démocratique, celles et ceux qui, au sein des institutions de la République, disposent des moyens de s’opposer à ce projet délétère, à s’engager à ses côtés avec détermination.
Paris, le 6 avril 2023
Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr
Pour le président d’honneur de la Ligue des Droits de l’homme, remettre en cause les subventions de l’association constitue clairement une menace pour les libertés. Il salue le rôle de contre-pouvoir des associations et s’inquiète de l’entêtement d’un gouvernement qui méprise l’opinion publique.
"Que pensez-vous de la déclaration de Gérald Darmanin, qui suggère de réexaminer la subvention de l’État à la Ligue des droits de l’homme ?
Henri Leclerc : Darmanin vient dire “attention, si vous continuez à défendre les droits de l’homme, vous n’aurez plus de subvention”. C’est une menace. Un chantage. Une sorte de déclaration de guerre. À Sainte-Soline, les observateurs de la Ligue des droits de l’homme n’ont été que des lecteurs de la réalité. Je ne sais pas s’il s’agit d’une déclaration improvisée par un homme ou de quelque chose qui a été réfléchi par le gouvernement. Mais ce qu’il dit est grave.
La Ligue des droits de l’homme est-elle menacée ?
Henri Leclerc : Même sans ces subventions, qui sont une petite partie de son budget, la Ligue ne mourra pas. Elle continuera, peut-être plus difficilement, mais elle continuera. Elle a reçu énormément de soutien, en 24 heures. De l’argent. Des adhésions. Les gens ne sont pas dupes. Un immense mouvement de solidarité s’est manifesté autour d’elle et la déclaration de Darmanin, d’une certaine manière, a renforcé l’autorité de la Ligue. Mais attention. Si la défense des droits de l’homme devient un danger pour l’État, alors tout est possible. La loi Séparatisme pourrait même servir de prétexte à une dissolution.
Est-ce que, derrière la Ligue des droits de l’homme, d’autres associations peuvent se sentir visées ?
Henri Leclerc : Darmanin a ouvert une porte. Tout le monde est un peu en insécurité, après une telle déclaration. D’autant que le silence du gouvernement est assez impressionnant. J’imagine que les ministres, s’ils exprimaient un désaccord, n’auraient pas d’autre solution que de démissionner et qu’ils n’osent pas le faire. La discipline gouvernementale joue, sur ce sujet.
Doit-on y voir un soutien à Darmanin ?
Henri Leclerc : Je ne peux pas le dire. En tout cas, c’est un silence de trop.
En France, pays des droits de l’homme, le respect des droits ferait-il peur ?
Henri Leclerc : La question se pose. Quand Emmanuel Macron critique personnellement le dirigeant d’un syndicat parce qu’il ne s’est pas rallié à ses positions, cela ne dérange personne. Quand la Ligue des droits de l’homme documente les violences policières, rappelle les principes fondamentaux et lutte pour qu’ils soient respectés, on menace de lui couper les vivres. “La France n’est pas le pays des droits de l’Homme, c’est le pays de la déclaration des droits de l’homme”, dit Robert Badinter. Il a raison. Cela fait 120 ans que la Ligue des droits de l’homme dénonce les abus de pouvoir, cela fait 120 ans qu’elle est critiquée. Ce qui est nouveau, cette fois, c’est que cela se passe à l’Assemblée nationale.
La Ligue des droits de l’Homme a toujours été dans le viseur du pouvoir ?
Henri Leclerc : Toujours. Quand elle naît, en 1898, c’est au moment où l’affaire Dreyfus semble perdue, au moment où le “J’accuse” de Zola est condamné par la justice française sur la base de mensonges. La Ligue s’est constituée dans cette bataille et, par la suite, s’est toujours opposée au pouvoir. Quand elle se bat pour réhabiliter les “fusillés pour l’exemple” de la guerre de 14, on la traite d’association épouvantable qui crache sur les soldats et qui défend les traîtres. En 1945, alors qu’elle se remet d’une dissolution et que son président a été exécuté par la milice, elle proteste contre la politique d’épuration immédiate et sauvage. Ça a toujours été comme ça.
Les associations sont-elles importantes dans une démocratie ?
Henri Leclerc : Elles sont un fondement de la démocratie. Ce qui est important, c’est qu’elles ne traduisent pas seulement l’opposition d’une personne, mais qu’elles sont l’expression d’un collectif. Une association, ce sont des gens qui luttent, ensemble, pour des choses qui leur paraissent essentielles : la lutte pour la laïcité, la défense de la Loi de 1905, la dénonciation des excès de la police et de la justice, les problèmes sociaux, le sort des étrangers en France, la menace de l’extrême droite, etc. Ces combats-là sont ceux de la Ligue des droits de l’homme. Ces luttes engagent chacun en des lieux divers. Elles sont complètement publiques et soumises à la critique. D’ailleurs, la Cour des comptes examine chaque année les subventions que reçoit la Ligue.
Ces combats s’accompagnent de la présence d’observateurs, sur le terrain…
Henri Leclerc : Leur rôle est de compléter les témoignages ou vidéos recueillies sur place. Certains d’entre eux ont fait l’objet de poursuites, comme à Montpellier en 2019, où une observatrice a été considérée comme une manifestante et interpellée. On nous dit que les violences policières n’existent pas, qu’elles sont le fait de quelques individus qui dérapent. C’est faux. Les observateurs peuvent en témoigner : il y a une stratégie du maintien de l’ordre qui provoque cette violence.
Gérald Darmanin a également fustigé “le terrorisme intellectuel de l’extrême gauche”. Qu’en pensez-vous ?
Henri Leclerc : Il y a quelque chose de terrible à toujours opposer “les intellectuels”, ceux qui réfléchissent, au bon sens populaire qui voudrait condamner. C’est du grand classique, mais c’est n’importe quoi. Et ce n’est pas si simple. Regardez : le bon sens populaire, en ce moment, dit clairement qu’il est contre la réforme des retraites. Et pourtant, on ne l’écoute pas davantage.
Finalement, est-ce qu’il ne faut pas voir, dans les propos de Gérald Darmanin, une tentative de politiser la Ligue des droits de l’homme pour essayer de la discréditer ?
Henri Leclerc : Là encore, ce n’est pas nouveau. Ceux qui protestaient contre la torture en Algérie étaient désignés comme des traîtres à la Nation. Quand nous prenions position contre les lois Pasqua, nous étions traités d’ennemis. Quand nous nous sommes indignés de l’évacuation des sans-papiers de l’église Saint-Bernard, on nous a accusés d’œuvrer contre la paix publique. Quand nous demandions le droit de vote des étrangers aux élections locales, nous étions les fossoyeurs de la démocratie. La Ligue a été créée contre la raison d’État. Cela provoque des réactions, c’est normal. Au mieux, on nous accuse d’être naïfs ou angéliques. Au pire, nous sommes complices des menaces qui pèsent sur nos concitoyens.
Menacer de vous couper les vivres, c’est une première ?
Henri Leclerc : Nous avons eu quelques fois des difficultés à obtenir des subventions. Il est arrivé que des préfets protestent contre des subventions locales. Sur l’antenne d’une radio, un responsable politique m’a, un jour, accusé d’être “payé par l’État”. Mais une prise de position publique, à l’Assemblée, estimant que ces subventions supposent un alignement de nos positions sur celles du gouvernement : ça, vraiment, c’est une première.
Ce gouvernement semble avoir du mal à supporter la critique.
Henri Leclerc : Notre démocratie a instauré, en son sein, des lieux de contre-pouvoirs. C’est le cas de la contrôleuse générale des lieux privatifs de liberté. De la commission nationale consultative des droits de l’homme. De la défenseure des droits. C’est aussi le cas des tribunaux, qu’ils soient judiciaires ou administratifs. Quand leurs décisions ou leurs avis sont critiques à l’égard de l’État, doit-on les considérer comme des ennemis ? Est-ce qu’on va reprocher aux tribunaux administratifs, que nous saisissons régulièrement, d’être au service du désordre ? La contradiction que porte la Ligue des droits de l’homme est une contradiction associative. Ce sont des citoyens qui s’engagent. Pas des ennemis de l’État.
Ces dernières années, plusieurs lois sont venues réduire le champ des libertés individuelles et étendre le contrôle de l’État. A-t-on manqué de vigilance ?
Henri Leclerc : Vous avez raison. Au nom de la lutte contre le terrorisme, on a laissé se développer des moyens de contrôle de plus en plus fort qui s’appliquent, finalement, à tout le monde. La loi Renseignement, de Bernard Cazeneuve, est un chef-d’œuvre en la matière. Il est très difficile, ensuite, de revenir sur ces lois.
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