publié le 31 mars 2022
Florent LE DU sur www.humanite.fr
Deux semaines après le rapport de la commission sénatoriale qui révélait qu’un milliard d’euros avaient été dépensés en 2021 pour des missions de cabinets de conseil privés, la majorité voit la polémique gonfler et peine à y répondre. L’argument du complotisme est brandi pour éviter les vrais sujets.
Nerveuse, la Macronie ? L’exécutif a bien du mal à assumer son recours croissant aux cabinets de conseil – pour au moins 2,4 milliards d’euros depuis 2018 – et paraît très embarrassé par « l’affaire McKinsey », du nom de l’entreprise qui symbolise le poids de ces prestataires privés dans l’administration publique. La majorité a tardé à réagir au rapport de la commission d’enquête sénatoriale du 17 mars, qui révélait ce « phénomène tentaculaire ». Elle a, depuis, choisi la diversion comme ligne de défense : dénoncer des « fausses informations » et « manipulations politiques ». Des termes utilisés par Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, envoyée au charbon mercredi soir, avec son homologue chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, pour une conférence de presse improvisée qui soulignait la confusion de l’exécutif. Quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron lui-même répondait à la polémique sur le milliard d’euros dépensé auprès de cabinets privés en 2021 en ces termes : « On a l’impression qu’il y a des combines, c’est faux. (…) S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal ! » Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, est même allé jusqu’à parler de « complotisme ».
En insistant sur ces points, la Macronie cherche à allumer un contre-feu pour détourner l’attention sur les faits et le fond de l’affaire. Certes, des doutes peuvent être émis sur certains liens étroits entre la Macronie et des cabinets privés, McKinsey en tête. Plusieurs de ses consultants ont participé bénévolement à la campagne d’Emmanuel Macron en 2017 tandis que des marcheurs ont rejoint ensuite le cabinet. De plus, la commission d’enquête demande des explications sur l’enchaînement de plusieurs prestations attribuées à McKinsey, alors que le principe du « tourniquet », selon lequel l’État ne doit pas faire appel à la même entreprise plusieurs fois d’affilée, aurait dû s’appliquer. Le tout agrémenté du scandale d’évasion fiscale du cabinet, qui ne paye aucun impôt sur les sociétés en France depuis au moins dix ans, ses bénéfices étant déclarés dans le paradis fiscal du Delaware (États-Unis).
Une administration disqualifiée
Des questionnements sont donc légitimes, mais aucun élément matériel ne permet de crier au conflit d’intérêts. Si le gouvernement est attaqué, c’est principalement pour son choix de payer des cabinets de conseil, au détriment de l’administration, pour accompagner, voire déterminer des politiques publiques. « Le gouvernement use de différentes ficelles pour ne pas venir sur le vrai sujet, qui est l’influence des cabinets privés sur les décisions politiques », dénonce Éliane Assassi, rapporteure communiste de la commission d’enquête. « Aucun cabinet de conseil n’a décidé d’aucune réforme », a assuré Olivier Dussopt. Ce qui n’est pas tout à fait exact. Par une multitude d’exemples, le rapport de la commission parlementaire montre que les cabinets influencent la prise de décisions publiques. L’accord-cadre qui régit le recours aux consultants stipule même que leur intervention peut couvrir « la phase de contribution à la prise de décision stratégique ». Dans les faits, quand ils interviennent en amont de l’écriture d’une mesure, les consultants proposent plusieurs scénarios et « priorisent » l’un d’entre eux, influençant donc la décision finale.
Le gouvernement balaye cette problématique et répète qu’il n’a « rien à cacher », quand bien même les sénateurs ont eu besoin de trois mois d’enquête pour révéler ce système opaque. Les ministres n’assument pas et en minimisent les conséquences : « Est-ce qu’en ayant recours aux cabinets, nous remettrions en cause la qualité de l’administration et de ses hauts fonctionnaires ? » a demandé Amélie de Montchalin, avant de répondre « non ». Les intéressés ne sont pas de cet avis : « Ces recours disqualifient les fonctionnaires qui pourraient faire le même travail, il y a un sentiment de perte de sens », ressent Delphine Colin, de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT. La commission d’enquête publie aussi plusieurs témoignages d’agents subissant, sans avoir été mis au courant, l’arrivée de consultants venus avec mépris leur apprendre leur travail.
« Un système s’est installé, qui tend à remplacer des pans entiers de notre administration par des cabinets privés, déplore Éliane Assassi. Mais pourquoi ne fait-on pas un état des lieux de notre administration pour savoir si des compétences métiers manquent et comment les renforcer ? » Le programme présidentiel d’Emmanuel Macron, visant toujours plus de réductions des dépenses publiques, ne démontre ni remise en question ni volonté de modifier ce choix politique. En dépit de son coût, pour les finances publiques comme pour l’organisation de l’État.
publié le 31 mars 2022
par Jean de Peña et Nina Hubinet sur https://basta.media/
À Gémenos, près de Marseille, les « Fralib », ex-salariés d’Unilever, ont repris leur usine de thé sous une forme coopérative en 2015. Depuis, même si rien n’est facile, les salariés-coopérateurs ne sont pas prêts de revenir en arrière.
Les petites boîtes en carton siglées « 1336 » défilent sur la ligne. Dans l’immense salle de production des Fralib, cathédrale industrielle baignée dans le brouhaha des machines, Nasserdine Assaoui, opérateur mécanicien, a les yeux rivés sur la chaîne. Il vérifie que tout se déroule normalement, que chaque sachet de thé en mousseline tombe bien dans une des boîtes rectangulaires, dont le logo rappelle les 1336 jours de lutte des anciens salariés de la marque Éléphant pour récupérer leur usine.
1336 jours de lutte - Le logo de la marque de thé rappelle les 1336 jours de lutte des anciens salariés de la marque Éléphant, propriété d’Unilever, pour récupérer leur usine.
En 2010, le groupe Unilever, propriétaire d’Éléphant, annonçait vouloir délocaliser la production en Pologne. La multinationale laissait alors le choix aux 182 salariés du site entre un déménagement vers l’est de l’Europe et un licenciement économique. Les Fralib se sont alors inventé un autre avenir : récupérer leur usine et créer une coopérative pour relancer la production (voir notre article). C’est finalement en 2015 que les machines ont redémarré, avec 42 salariés-coopérateurs aux manettes, tous et toutes venues de la lutte.
Solidarité - « Il y a une solidarité nouvelle. Quand on a un problème sur une machine, les autres viennent nous aider. »
À quelques mètres de Nasserdine, Fabrice Caillol est en train de réparer une pièce. « À l’époque d’Unilever, on avait tout un stock de pièces détachées. Quand une pièce était défectueuse, on la jetait et on en prenait une neuve. Alors qu’aujourd’hui, on n’a pas les mêmes moyens… donc on répare ! » sourit le technicien de 49 ans, qui travaille dans cette usine depuis 1994. Même si cette « frugalité » lui demande plus d’efforts, il ne regrette pas l’époque de la multinationale. « On n’a plus quelqu’un qui nous surveille en permanence, et on est soudés… Donc on vient pas bosser la boule au ventre », explique-t-il. Son collègue Nasserdine, 46 ans dont 25 passés à l’usine de thés de Gémenos, opine du chef : « Il y a une solidarité nouvelle. Quand on a un problème sur une machine, les autres viennent nous aider. Alors qu’avant, le mécanicien faisait que de la mécanique et l’électricien que de l’électricité. Il fallait faire venir un intérimaire pour réparer un truc. »
Nasserdine Assaoui, opérateur mécanicien : « La coopérative, c’est comme une famille. Donc comme dans une famille, il y a des hauts et des bas. C’est pas le monde des bisounours ! »
Pour autant, l’un comme l’autre ne cherchent pas à gommer les tensions ou les désaccords. « La coopérative, c’est comme une famille. Donc comme dans une famille, il y a des hauts et des bas. C’est pas le monde des bisounours ! » sourit Nasserdine. Et le passage d’une multinationale de l’agroalimentaire à une société coopérative de production (Scop) qui se lance comporte aussi des désagréments financiers : finies les primes de fin d’année et les augmentations. « Nos salaires étaient un peu plus élevés à l’époque d’Unilever, reconnaît Fabrice. Et puis on s’est fixé une règle : pour l’instant, on ne s’augmente pas et on ne verse pas de treizième mois, parce que notre priorité, c’est de pérenniser l’entreprise. » Après six années de fonctionnement, la nouvelle coopérative est encore fragile : 2020 a été la première année à l’équilibre, en partie grâce aux aides gouvernementale liées au Covid.
« On sait qu’on représente un espoir dans la lutte contre les multinationales »
Malgré les inquiétudes que peut susciter ce nouveau modèle, Nasserdine et Fabrice ne voudraient pour rien au monde revenir à un modèle capitaliste et hiérarchique classique. « On a établi les nouveaux horaires ensemble, et chacun a choisi s’il voulait faire quatre ou cinq jours dans la semaine », détaille Nasserdine. Il n’y a par ailleurs plus de travail de nuit ou le week-end. Mais ce n’est pas vraiment un choix : si les Fralib parviennent à avoir plus de commandes, ils ne s’interdisent pas de relancer la production la nuit et le week-end. En termes de santé au travail aussi, l’ambiance n’est pas la même qu’à l’époque d’Éléphant. « Si l’un de nous a une fragilité, on essaie d’aménager son poste pour qu’il se fatigue moins ou qu’il ne se fasse pas mal », souligne Nasserdine, en étirant justement une épaule un peu douloureuse.
Fabrice Caillol, technicien : « À l’époque d’Unilever, on avait tout un stock de pièces détachées. Quand une pièce était défectueuse, on la jetait et on en prenait une neuve. Aujourd’hui, on n’a pas les mêmes moyens… donc on répare ! »
« Dans tous les cas, maintenant, s’il y a un souci de planning, on monte à l’étage en parler, dit l’opérateur mécanicien. Avant il n’y avait aucune relation entre les gens de la ligne et ceux des bureaux. » Peut-être aussi important que les horaires ou l’ambiance dans l’usine, les deux ouvriers évoquent aussi la « fierté » qui les animent. « Maintenant, quand on a des stagiaires, on les prend vraiment en charge. On a quelque chose à leur transmettre, affirme Nasserdine. Et puis, il y a des gens qui nous soutiennent partout en France, on nous envoie de l’argent... On sait qu’on représente un espoir dans la lutte contre les multinationales. Donc on veut pas décevoir. »
Repère : Un équilibre financier
encore fragile
L’année 2020 a été la première à l’équilibre pour Scop-Ti, en partie grâce aux aides versées par le gouvernement. « En 2021, notre chiffre d’affaires a subi un recul de
8 %, mais nous restons à l’équilibre », fait savoir Olivier Leberquier. Et sur les 220 tonnes produites, 80 % sont des « marques repères » destinées à la grande distribution,
pour seulement 20 % de thé et tisanes de marque 1336. Si la coopérative a encore du mal à se développer, c’est notamment parce que la nouvelle marque peine à trouver ses circuits de diffusion.
« Au-delà du sud de la France, les thés 1336 sont encore peu présents dans les rayons des supermarchés », déplore Gérard Cazorla. L’un des espoirs des ex-Fralib se situe du côté de la vente
en ligne : les commandes passées via leur site internet représentent aujourd’hui 15 % de leur chiffre d’affaires, et sont en augmentation constante. Un collectif de mutuelles envisage par
ailleurs de racheter le terrain sur lequel l’usine est installée, pour y créer, autour du lieu de production des thés, un pôle dédié à l’économie sociale et solidaire. De quoi soulager Scop-Ti d’un
loyer qui dépasse les 100 000 euros par an.
De manutentionnaire à comptable
Dans les bureaux, à l’étage, où le bruit des machines n’est presque plus perceptible, un même sentiment de responsabilité se fait entendre. « Beaucoup de gens nous voient comme une solution pour conserver les emplois industriels et inventer un autre modèle social, assure Rim Hidri, assise face à son ordinateur. On y croit, mais ça met la pression ! » Le passage à la Scop a transformé sa vie professionnelle : manutentionnaire à l’époque d’Unilever, intérimaire pendant six ans, Rim, 45 ans, est aujourd’hui comptable. « Grâce à ma formation initiale, j’avais des compétences en ressources humaines que j’ai mises au service du groupe pendant la lutte, pour monter les dossiers juridiques des salariés notamment. »
Rim Hidri, comptable de la coopérative : « Comme d’autres ici, je me suis rendue compte que j’étais capable de faire quelque chose que je n’aurais pas imaginé possible avant », Rim Hidri, ancienne manutentionnaire, est devenue comptable de la coopérative.
Lorsque les Fralib réussissent enfin à récupérer l’usine, les cadres sont partis, il faut tout réorganiser pour assurer toutes les fonctions dans l’entreprise. Le groupe propose alors à Rim de se former pour devenir assistante comptable. « Au départ, j’ai eu peur ! D’autant que je n’étais pas très "chiffres"... », sourit l’ancienne intérimaire. Mais elle suit alors un principe que s’est fixé le collectif soudé par le long conflit social : « Il n’y a pas un métier qu’on ne peut pas apprendre ! On a chacun était obligé de dépasser nos limites. » Touchée par leur combat, l’ancienne directrice financière d’une autre entreprise agro-alimentaire vient accompagner Rim dans son apprentissage de la comptabilité. « Comme d’autres ici, je me suis rendue compte que j’étais capable de faire quelque chose que je n’aurais pas imaginé possible avant. »
Olivier Leberquier, président du conseil d’administration : « L’assemblée des 58 coopérateurs élit le conseil d’administration, qui lui-même désigne un comité de pilotage », Olivier Leberquier, président du conseil d’administration de Scop-TI, était délégué CGT du temps d’Unilever.
Malgré la joie d’être partie prenante de cette aventure collective, Rim souligne aussi que travailler dans une coopérative, « c’est parfois dur, il faut beaucoup s’investir ». Son nouveau métier comme le nouveau statut de l’entreprise génèrent aussi du stress. « Avant, quand j’étais manutentionnaire, je pointais en arrivant ici, et quand je rentrais chez moi je me déconnectais totalement. Là, évidemment, ce n’est pas la même chose. »
« Avant on devait deviner quelle était la stratégie de l’entreprise »
Pour Olivier Leberquier aussi, la « charge mentale » liée à la coopérative est plus prenante. Et ses horaires de travail ont plutôt enflé par rapport à ce qu’ils étaient du temps d’Unilever. « Je quitte rarement les lieux avant 20 h », regrette – avec le sourire – le président du conseil d’administration de Scop-Ti, toujours aussi enthousiaste et déterminé. L’ancien délégué CGT est aujourd’hui l’un des coordinateurs de la coopérative, dont il détaille volontiers l’organisation : « L’assemblée des 58 coopérateurs élit le conseil d’administration, qui lui-même désigne un comité de pilotage. »
« Les salariés ont leur destin en main » - « Avant on devait deviner quelle était la stratégie de l’entreprise… Maintenant les salariés ont leur destin en main », Gérard Cazorla, désormais retraité, est président de l’association Fraliberthé.
Ce comité, qui se réunit au minimum deux fois par mois, fait des propositions de décision envoyées au conseil d’administration puis à l’ensemble des coopérateurs. « Si une décision prise est remise en cause par les coopérateurs, on détricote », explique Olivier. La prise de décision collective ne peut fonctionner que si les salariés-coopérateurs se tiennent informés des discussions et réflexions de ce comité de pilotage, rapportées dans des compte-rendus par mail. « Malheureusement, il y a toujours quelques coopérateurs qui viennent travailler à Scop-Ti comme ils venaient avant travailler dans l’usine Unilever. Ils ne lisent pas les mails et disent ensuite "J’étais pas au courant !"… », déplore Olivier.
Henri Soler, ancien magasinier : Henri Soler, ancien magasinier, désormais à l’accueil de l’usine. C’est aussi l’un des artisans de la pièce de théâtre que les ex-Fralib ont créée sur leur combat contre Unilever.
Si le temps passé en réunion est pris sur le temps de travail, l’investissement que demande la coopérative n’a en effet rien de naturel. « Les gens ont besoin de hiérarchie, ils préfèrent souvent qu’il y ait une personne qui prenne les décisions, alors que nous on veut au contraire responsabiliser, se désole Gérard Cazorla, autre ancien leader de la lutte contre Unilever. La transformation prend du temps... On a été élevé comme ça, pour obéir plus que pour réfléchir et prendre des initiatives. »
Elargir la distribution - L’enjeu pour la coopérative est de trouver de nouveaux réseaux de distribution, pour assurer sa pérennité.
Aujourd’hui retraité, il n’en est pas moins très investi dans l’association Fraliberthé, qui s’occupe d’élargir la diffusion des produits 1336 comme de promouvoir le modèle coopératif. L’ancien secrétaire CGT de l’usine est lui persuadé que la coopérative, « ça change tout ! » : « Avant on devait deviner quelle était la stratégie de l’entreprise… Maintenant les salariés ont leur destin en main. »
publié le 30 mars 2022
Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr
Enjeu de campagne - Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Marine Le Pen sont étrangement muets sur le devenir du service public. Privatisations, suppressions de postes, coupes budgétaires : leurs véritables desseins sont inquiétants.
Les candidats de droite et d’extrême droite avancent à pas de loup sur les services publics. La raison de cette prudence : avec la pandémie, le regard des Français a changé sur ces derniers. Selon un sondage Kantar réalisé en janvier, ils sont 52 % à avoir une image positive de leurs services publics. Un niveau jamais atteint depuis 2004. Si bien que, de la République en marche au Rassemblement national en passant par « Les Républicains », les partis des candidats qui s’étaient lancés dans une course aux suppressions de postes de fonctionnaires en 2017 (120 000 pour Macron, 500 000 pour Fillon) ont dû changer de braquet. Seule la prétendante LR, Valérie Pécresse, s’est autorisée à annoncer un plan de suppression de 150 000 postes de fonctionnaires, avant de préciser que 50 000 postes seraient réaffectés dans la santé, l’éducation et la police. Les candidats savent qu’ils avancent en terrain miné : les promesses de coupes claires dans les effectifs des fonctionnaires ont laissé place à celles de « recrutements » ou de « revalorisations » des rémunérations.
Pourtant, en passant aux cribles discours, débats et entretiens, on s’aperçoit vite que l’austérité budgétaire est toujours d’actualité. À l’image des 50 milliards d’euros d’effort budgétaire annoncés par Emmanuel Macron associés aux 15 milliards d’euros de baisses d’impôts promis aux entreprises, ou encore du « passage d’un poids de 55,7 % des dépenses publiques dans le PIB en 2022 au seuil symbolique de moins de 50 % de la richesse nationale dès 2027 », comme le propose Marine Le Pen dans la revue en ligne Acteurs publics. Ces choix des candidats ne laissent guère de doute sur leurs conséquences sur les services publics.
Certes, la ministre de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, a annoncé dans la précipitation une augmentation du point d’indice, gelé depuis douze ans. Elle s’est bien gardée d’en donner l’ampleur. Et renvoie la mesure à juillet, soit après les élections législatives. De leur côté, Valérie Pécresse et Marine Le Pen annoncent une hausse des rémunérations ciblée sur les personnels de santé et des Ehpad grâce à des primes pour la première ou une revalorisation de 10 % pour la candidate d’extrême droite. « Le discours change, ils y sont obligés, mais dans les actes, dans nos administrations, le compte n’y est pas, analyse Céline Verzeletti, responsable confédérale de la CGT. Tout ce que nous avons obtenu, nous l’avons eu par des mobilisations », poursuit la responsable confédérale, cosecrétaire générale de la CGT fonction publique. Elle liste le Ségur de la santé, le Grenelle de l’éducation.
D’ailleurs, seuls ou à côté des salariés du privé, les fonctionnaires ont multiplié les actions, y compris pendant la campagne présidentielle, plusieurs fois en janvier, puis le 17 mars, avant une nouvelle journée ce jeudi, à l’appel de la CGT des services publics. Une combativité « retrouvée », « indispensable » qui doit s’inscrire dans la durée, estime la syndicaliste. Car, regrette Céline Verzeletti, même en pleine pandémie, dans la santé, les luttes n’ont pas empêché les fermetures de lits, de services dans les hôpitaux.
Même les promesses de nouvelles embauches d’infirmières ou d’aides-soignantes sont autant de plans de communication. « Tous nos hôpitaux, toutes nos structures cherchent à recruter, explique Delphine Girard, de la CGT santé. La réalité, c’est qu’elles n’y arrivent pas. » Aujourd’hui, entre 150 000 et 200 000 infirmières diplômées en âge de travailler n’exercent plus, souligne la syndicaliste. Sans compter que beaucoup de jeunes qui souhaitent se former n’y arrivent pas. « Les plans de recrutement ne sont jamais suivis de plans de formation avec des budgets consacrés », dénonce Delphine Girard. Or, d’ici à 2030, ce sont, en plus des besoins immédiats, plus de 220 000 emplois d’infirmières et d’aides-soignantes qui seront nécessaires, dixit France Stratégie.
Derrière les odes aux fonctionnaires, Emmanuel Macron et Valérie Pécresse ont dressé leur feuille de route dans la loi de transformation de la fonction publique, adoptée en 2021, à l’unanimité des parlementaires LaREM et LR. Marine Le Pen, en s’abstenant lors du vote à l’Assemblée nationale, ne s’y est pas non plus opposée. Et avoue, dans Acteurs publics, ne pas vouloir « modifier les règles en vigueur ». Or, cette loi-cadre, expliquent les syndicalistes, est un véritable « big-bang » comparable à celui de la loi travail dans le privé, et dont la mise en œuvre dans les collectivités et administrations devrait s’étaler jusqu’en 2025.
Une loi tentaculaire dont la première attaque a porté sur le temps de travail des fonctionnaires territoriaux, avec le passage aux 1 607 heures obligatoires, l’équivalent de 35 heures hebdomadaires et de 25 jours de congé dans l’année. Alors que, jusqu’ici, les agents bénéficiaient de régimes dérogatoires. Une réforme qui vise à gommer la pénibilité et les spécificités des métiers et qui supprime les « petits avantages » aux travailleurs de l’ombre. À l’instar de ceux qui ramassent, par exemple, les poubelles la nuit, les week-ends, en horaires décalés pour une paie « 25 % inférieure » à celle du privé, lance Thomas Barby, secrétaire général de la CGT Toulouse Métropole, lequel a fait grève durant près d’un mois pour obtenir la reconnaissance de la pénibilité des éboueurs toulousains. Après les communes et intercommunalités, ce sera au tour des départements et des régions de mettre en place cette réforme.
La deuxième étape de la loi dans le moule de laquelle se coulent Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Marine Le Pen consiste à modifier le statut général de la fonction publique en code général. Une manœuvre visant à « privatiser très facilement des missions de service public », explique Natacha Pommet, secrétaire générale de la CGT services publics. Et la syndicaliste de prendre l’exemple de l’agent d’une ville qui externaliserait la cantine scolaire : « En perdant son statut de fonctionnaire, l’agent basculerait dans les effectifs de l’entreprise » prestataire, poursuit-elle. Fini l’emploi à vie. Une fois repris, avec son contrat privé, l’ex-fonctionnaire pourrait dès lors perdre son emploi si son entreprise perdait par la suite l’offre publique. Alors qu’aujourd’hui, la collectivité qui privatise le service se doit de trouver à son agent « un autre poste dans la collectivité », poursuit Natacha Pommet.
Les politiques de baisse des dépenses passent aussi par la multiplication des contractuels , souvent moins bien payés. Depuis l’an dernier, les administrations sont autorisées à recruter des contrats de projet, comme dans le privé. Ceux-ci pourront être inférieurs à un an et concerner toutes les catégories hiérarchiques (A, B, C), alors que jusqu’ici, le recours à ces personnels précaires était limité par la loi.
À ce jeu du poker menteur, la promesse d’une hausse du point d’indice apparaît comme une vaste farce, une pure « promesse de campagne », quand durant tout un mandat, le candidat en tête des sondages s’est refusé à une telle concession, la jugeant « bien trop coûteuse », rappelle Céline Verzeletti. Certes, poursuit-elle, l’inflation galopante a changé la donne mais elle sera « minime », prédit la fonctionnaire. La question est désormais d’en connaître l’ampleur, alors que les agents « accusent une perte de pouvoir d’achat de 11,5 % », calcule Natacha Pommet, dont l’organisation revendique une hausse de 10 %, suivie d’une phase de négociation. Les syndicats restent sur leur garde, car rien n’assure que dans trois mois, après les élections, Emmanuel Macron ne se dédira pas en prétextant une situation budgétaire inadéquate.
La crainte est aussi de voir se développer un service public à la carte. Une « différenciation territoriale » appelée de ses vœux par Marine Le Pen, mais aussi par le parti «Les Républicains», et qui consisterait selon Emmanuel Macron à « mettre beaucoup plus de fonctionnaires sur les territoires ». Un discours en écho aux colères des gilets jaunes dénonçant les déserts de service public. Un leurre, pointe Thomas Barby, CGT Toulouse Métropole. Dans sa ville, le maire a « réaffecté les agents » dans de plus petites structures, là où « il n’y a plus aucun service public », à l’image des « maisons de services publics », appelées France Service. Sans nouvelle embauche, sans dotation supplémentaire, les agents devront être ultrapolyvalents, tiraillés entre les ordres de leur direction de service et l’élu en charge du territoire, pour in fine fournir, selon Thomas Barby, un service public « toujours plus dégradé ».
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Loin de ses adversaires de droite et d’extrême droite, la gauche veut renforcer les services publics. Le candidat communiste, Fabien Roussel, propose un plan de création de 500 000 postes.
L’adage du mouvement social « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » est constitutif des services publics. De la petite enfance au grand âge, la fonction publique intervient quotidiennement dans la vie de chacun. Mise à l’épreuve durant la pandémie, elle est aujourd’hui des plus affaiblie après des années de politiques d’austérité. Le quinquennat Macron a fait fondre ses effectifs de 70 000 agents territoriaux, après les 85 000 fonctionnaires déjà supprimés sous Nicolas Sarkozy, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et le non-remplacement d’un agent sur deux. « Nous n’avons jamais eu autant besoin de services publics, utiles et accessibles à tous, qui s’opposent à ces logiques mortifères » de rentabilité des marchés financiers, assure pourtant Fabien Roussel dans son programme.
Au total, le candidat communiste à la présidentielle ambitionne de recruter 500 000 fonctionnaires en cinq ans. 30 000 agents pour une police de proximité et le même nombre dans les services fiscaux pour récupérer les 80 milliards d’euros qui s’évaporent chaque année dans la fraude et l’évasion fiscales. Il souhaite aussi recruter « 50 000 ouvriers, techniciens, ingénieurs » qui « seront nécessaires dans l’énergie, afin de garantir un mix énergétique ». Auxquels s’ajouteront 90 000 postes d’enseignants et 200 000 postes créés, au total, dans les hôpitaux et Ehpad. Le candidat défend aussi une hausse généralisée des salaires de 30 % dans la fonction publique.
Enfin, il table sur la création d’une nouvelle branche de la fonction publique dédiée aux métiers du lien, en soustrayant ces emplois des logiques de marché. Selon son décompte, cette mesure concernerait 1,3 million de personnes et même « 1,8 au terme de (son) mandat » – compte tenu des postes qu’il entend créer –, « protégées par un statut et avec un salaire qui ne sera pas inférieur à 1 700 euros net et 2 100 brut ».
Une santé prise en charge à 100 %
De son côté, Jean-Luc Mélenchon (FI) table sur la création de 15 000 nouveaux postes d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Plus largement, l’insoumis vise le recrutement d’un million de fonctionnaires dans des « secteurs indispensables » tels que l’hôpital, l’éducation ou encore la justice. Les candidats du PCF et de FI se retrouvent sur la nécessité de développer le maillage territorial des services publics. Fabien Roussel promet un établissement de santé « à moins de trente minutes de transport » dans chacun des bassins de vie. Le candidat de l’Union populaire élargit cette mesure à « tous les services publics essentiels ». Anne Hidalgo (PS) entend quant à elle « garantir » pour les cinq prochaines années « la carte des services publics ».
Mais c’est pour les services aux plus jeunes que la socialiste veut porter le gros des efforts. D’abord en poussant de 470 000 à 600 000, en dix ans, l’offre de places en crèche dans un service public dédié à la petite enfance. Ensuite, dans l’école, avec un plan de rattrapage des salaires des enseignants avec des débuts de carrière à 2 300 euros net, contre 1 700 aujourd’hui, couplé à un « plan mixité » dans les départements « permettant de mettre fin aux collègesghettos ». L’écologiste Yannick Jadot table, lui, sur une hausse des salaires des professeurs de 20 % sur le quinquennat « pour les situer dans la moyenne des pays de l’OCDE » et sur le recrutement de 65 000 enseignants. C’est 160 000 chez Jean-Luc Mélenchon.
Concernant la santé, Yannick Jadot veut l’embauche de 100 000 infirmiers couplée à la création d’une « réserve » composée des 180 000 soignants « qui avaient rejoint spontanément les hôpitaux pendant la pandémie ». Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon veulent en finir avec le renoncement aux soins pour raisons financières en instaurant la prise en charge à 100 % des dépenses de santé. Sur le volet dépendance des personnes âgées, Anne Hidalgo propose aussi un plan de formation et de recrutement aux métiers du grand âge. Les candidats communistes et insoumis se retrouvent sur l’interdiction des Ehpad à but lucratif.
Fin de l’évasion fiscale
Reste la question du financement. La fondation ultralibérale Ifrap estime, dans une étude pour le Figaro Magazine, les dépenses du programme de Fabien Roussel à 287 milliards d’euros par an, tous secteurs confondus. Le communiste chiffre à 87 milliards son plan global pour les services publics et la Sécurité sociale. Pour le financer, il entend tripler l’ISF, instaurer un impôt plus progressif et porté à 15 tranches, supprimer les niches fiscales et surtout mettre fin à l’évasion fiscale, notamment en introduisant un impôt à la source sur les profits des multinationales. Une logique de redistribution pour financer des services publics, la seule richesse de ceux qui n’en ont pas.
publié le 30 mars 2022
par Ludovic Simbille sur https://basta.media/
La filière du recyclage promet d’allier défense de l’environnement et de l’emploi. Derrière cette économie vertueuse, les travailleurs triment entre cadences effrénées, risques d’accidents et expositions aux produits chimiques.
C’est un combat quotidien auquel nous incite la pub d’Ecosystem, un organisme public qui promeut le tri des déchets. Un combat pour l’environnement que mènerait 48 % de la population française en apportant au recyclage ses appareils défectueux, ses piles usagées ou en jetant ses emballages dans le bon conteneur. Ce simple « geste citoyen » qui réduirait les consommations d’énergie et éviterait l’émission de millions de tonnes de CO2... « Trier, c’est donner », insiste Citeo, entreprise créée par le secteur de la grande consommation et de la distribution pour « réduire l’impact environnemental de leurs emballages et papiers ». « Aujourd’hui, 68 % des emballages ménagers et 60,5 % des papiers sont recyclés grâce au geste de tri des Français, devenu premier geste écocitoyen du recyclage », vante Citeo.
Pour accomplir ce « geste citoyen », Fofana Yoro se lève toutes les nuits à 3 h. Depuis son orientation professionnelle en 2015 vers ce secteur dit d’avenir, ce Malien de 37 ans prend trois bus pour arriver au centre de tri du Syctom (l’agence parisienne de tri des déchets) de Paris, dans le 15e arrondissement, aux alentours de 5h30. Une fois sa tenue enfilée et un café plus tard, il se positionne à 6h sur la chaîne de triage gérée par l’entreprise Xveo, filiale du groupe Véolia. Fofana Yoro occupe l’un de ces dizaines de milliers d’« emplois verts » que doit générer la transition écologique.
Trier cartons, seringues et couteaux
Son collègue Ibrahima Baradji, 64 ans, conduit déjà sa pelleteuse depuis dix minutes. Depuis l’ouverture de ce site de traitement parisien en 2011, l’homme bientôt retraité a vu défiler plusieurs entreprise (Coved, Ihol, Xveo) à qui Paris externalise le tri des déchets. Au volant de son engin, Ibrahima récupère dans le hall de déchargement les ordures que les camions-bennes ont acheminées après le ramassage des poubelles en ville [1]. Il les déverse ensuite dans la trémie, un grand conteneur alimentant la ligne de tri d’où les déchets filent sur les tapis, traqués par des lecteurs optiques, par des aimants aspirant les éventuels métaux. Une trommel, sorte d’énorme tambour rotatif troué de machine à laver, les dispatche par type de matière. Le tout termine sa course dans une cabine où une armada de petites mains trie ce que la mécanique n’a pas passé au crible.
Bouteilles, papier, canettes… les déchets sont ici compactés en masses appelées « balles » et deviennent ainsi de la « matière première secondaire », qui est vendue. Les déchets refusés à cette étape iront à l’incinérateur. En tout, seulement 20 % de nos ordures seraient réellement valorisés. « On aide la machine, car le tri sélectif à la maison n’est pas bien fait », regrette Ibrahima. Nos poubelles réservent toutes sortes de surprises à ces travailleurs à l’ombre de la société de consommation.
Sur le tapis dédié aux cartons, Fofana ôte les intrus, place dans les bacs les éventuels vêtements, chaussures, bouts de ferraille... « Au bout d’un mois, plus besoin de regarder, c’est automatique ». Mais il faut rester à l’affut d’éventuelles coupures et du risque d’infection... Car avec la crise sanitaire, les blouses et masques médicaux, dits « déchets d’activités de soins à risques », ont encombré les conteneurs.
Fofana s’est déjà piqué avec des seringues que jettent les hôpitaux environnants, et s’est fait soigné d’un simple pansement, sans vraiment s’arrêter... Au site de traitement des déchets Paprec du Blanc-Mesnil (93), Moustafiha Diabira fixe des yeux l’amont du tapis roulant pour repérer, par exemple, la viande avariée, les couches pleines, les couteaux ou autres « seringues de crackés » défilant à 70km/h, avec des pics à plus de 80km/h. Le quinquagénaire arrivé du Mali en 1997, tente d’éviter qu’une bouteille de verre lui coupe ses gants mal adaptés. « Heureusement que je les avais doublés moi-même, sinon je m’entaillais le doigt », dit-il. À cette vitesse, « on est comme prisonnier » du tapis, dit-il. Après quinze mois à tendre ses bras au milieu du tapis, « j’avais l’impression que mes épaules allaient tomber ».
Dans sa cabine, Fofana, en poste depuis l’aube, trépigne de son côté des heures durant, en posture statique, jusqu’au changement d’équipe de 13h30. Ses chevilles gonflent, lui font mal. Les anciens lui conseillent de « bouger toutes les deux heures ». « Le plus dur c’est de rester debout », concède aussi l’ex-trieur Ibrahima. Des chaises assis-debout ont finalement été installées.
« Le tri nécessite une bonne condition physique »
À pousser, soulever, basculer, et renverser 70 kilogrammes de ferrailles jusqu’à vingt fois par jour, les muscles se raidissent, le dos se tasse et se casse. L’année dernière, un journaliste de l’émission Cash Investigation a filmé en caméra cachée une travailleuse paralysée par la douleur sur une chaîne de tri de Paprec. En réponse, le géant du recyclage s’est dit conscient que « le tri nécessite une bonne condition physique » et a déclaré faire des « efforts permanents » d’amélioration des conditions de travail en recrutant des ergonomes et en modernisant ses centres automatisés.
« Beaucoup d’entreprises mettent en avant leurs outils technologiques sans que certains principes de base, comme des marquages au sol, ne soient respectés », déplore de son côté auprès de basta! un inspecteur du travail francilien. En 2018, un agent du site de traitement des déchets de La Courneuve a filmé des conditions plutôt éloignées des recommandations de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) [2]. Cette vidéo, diffusée par Cash Investigation et que Basta! s’est procurée, montre des travailleurs sans casque à proximité des grappins mécaniques, ou marchant sur un tapis menant à un broyeur, avant que des engins ne leur déversent des détritus dessus.
Des travailleurs morts dans les centres de tri
Recycler, « ça sauve peut-être la planète mais pas les travailleurs », constate au quotidien le trieur francilien Fofana. Vue de sa cabine de tri, l’aventure verte promise par les éco-organismes n’est pas si rose. Vacarme, poussière, substances chimiques… Le traitement du déchet demeure un métiers des plus dangereux, et les accidents y sont fréquents et graves, rappelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). La filière « Déchets d’équipement électrique et électronique », celle vantée par la pub d’Ecosystem, présente notamment des « risques chimiques ou biologiques élevés », souligne l’Anses.
Au centre de tri, les rares pauses sont souvent synonymes de pannes ou d’incidents. Comme cette matinée où Ibrahima a dû stopper la chaîne « pour laisser l’air rentrer », car du gaz a explosé à cause d’un aérosol. En cas de « bourrage » de la goulotte d’arrivée, Fofana va la désencombrer, non sans risque. « Le débourrage est une des zones accidentogènes les plus dangereuses du recyclage », appuie Ali Chaligui, coordinateur CGT du groupe Véolia Propreté.
Vacarme, poussière, substances chimiques : le traitement du déchet demeure un métiers des plus dangereux
En 2009, un trieur non formé a été tué lors d’une telle opération chez Coved, filiale de Paprec. L’entreprise a été condamnée pour homicide involontaire. En janvier, le parquet d’Évry a requis 150 000 euros d’amendes pour homicide involontaire contre Paprec suite à la mort d’un salarié en 2014. L’homme était mort broyé, happé par une machine de tri de déchets sur son lieu de travail dans l’Essonne. Mais le 8 mars, le tribunal correctionnel d’Évry a déclaré « l’extinction des poursuites judiciaires » qui visaient Paprec Environnement suite à ce décès. Une décision motivée par « la fusion par absorption de l’entreprise par Paprec Grand Île-de-France ».
2014 toujours, c’est sur un autre site de la même entreprise, à La Courneuve, qu’un travailleur décède sous le poids des balles de papier. En décembre 2021, un salarié d’un centre de tri d’une autre entreprise, dans les Pyrénées-Orientales, a perdu la vie en chutant dans un cylindre (lire aussi notre reportage dans une usine de Montluçon en 2015).
« Avec la grève, ils ont été respectés par la direction »
À Xveo, la grève lancée le 14 octobre dernier par les trieuses et trieurs du site s’est interrompue sans que les négociations avec Véolia n’aboutissent. Mais « ce n’est que partie remise », préviennent les ex-grévistes, réunis début février pour décider des suites de leur mouvement et du partage de leur caisse de grève [3]. Leur but : une revalorisation de salaire de 200 euros et une prime « qualité » de 150 euros. En dix ans, ces recycleurs n’ont pas vu leur rémunération augmenter au même rythme que la masse de détritus traités sur le site. Officiellement, celle-ci a plus que doublé, passant de 30 à 70 tonnes journalières sur la période, bien davantage, selon les trieurs.
Repère :
De fausses promesses suite à l’émission de Cash Investigation ?
Lors de son émission du 11 novembre 2021 consacrée à « La grande illusion »
des déchets, l’émission Cash Investigation de France2 avait montré que la moitié des équipes d’un centre de tri de Paprec étaient constituées de travailleurs temporaires. Dans un communiqué
en « réponse à Cash », le groupe a tenu à rectifier que son taux
d’intérimaires représentait 14 % des 12 500 salariés. La moyenne du secteur serait de 5 % d’intérimaires parmi les emplois.
Interrogé par la journaliste Élise Lucet sur ce recours abusif à des salariés externes, le patron du groupe Paprec, Jean-Luc Petithuguenin, a pris un
engagement : « Si ça existe, ils peuvent aller voir ma DRH pour être titularisés, demain
matin ». Alors « CDI pour tout le
monde », comme l’a suggéré la voix off du documentaire ? Pas vraiment... Selon nos informations, au moins une quinzaine
d’intérimaires (sur deux sites franciliens), enthousiasmés par les promesses de leur PDG, ont été remerciés au lendemain de la diffusion de l’émission.
Pourtant, ces salariés, employés par différentes entreprises de travail temporaire, présentaient l’ancienneté suffisante avec un cumul de 20, 25, ou plus de 30 mois d’intérim... Une trentaine, issue de deux sites franciliens, avaient signé une pétition pour demander leur requalification et un réaménagement du planning sur le site de Blanc-Mesnil. À l’origine de la requête collective, Moustafiha Diabira s’est ainsi vu notifier sa fin de mission le 22 novembre après deux ans d’intérim. « On m’a dit "tu défends trop les gens" », raconte ce père de six enfants à qui une titularisation avait été promise peu de temps avant. La CGT s’apprête à saisir les prud’hommes pour une demande de requalification en CDI. À ce jour, l’entreprise n’a toujours pas répondu à nos sollicitations.
Dans le viseur également : le donneur d’ordre public. « Le Syctom ne doit pas fuir ses responsabilités », tancent les grévistes. L’agence francilienne de traitement du déchet, administrée par des élus de la ville de Paris, a en effet toute maîtrise sur la mission privatisée [4]. En novembre 2021, le conseil municipal de Paris s’est tout de même prononcé pour la « création d’un groupe de travail sur la commande publique responsable ». Jugé trop léger et peu concret par l’élue insoumise Danielle Simonnet qui en appelle à « un service public », ambitieux en terme écologique et... social.
Si les grévistes n’ont pas encore obtenu gain de cause, ils ont gagné « la conscience de leur force, se réjouit Ibrahima Baradji, devenu représentant CGT du site. Avec la grève, ils ont été respectés par la direction. » Cadres et DRH ont découvert les difficiles conditions de travail du tri sélectif lors du blocage du site. « Certains ont reconnu que c’était un métier très dur et que nos demandes étaient légitimes », se satisfait Ibrahima.
Des intérimaires « kleenex » ?
Beaucoup des employés du secteur enchaînent des emplois peu qualifiés, précaires, entre CDD, contrats d’insertion ou missions d’intérim. Les directions peuvent s’en séparer facilement. « Les intérimaires sont comme des kleenex », lâche un titulaire. L’action collective des salariés Xveo n’est donc pas anodine dans une profession, peu syndiquée, où la moindre revendication peut coûter cher. Mahamadou Kanté en sait quelque chose. Le représentant CGT Paprec-Île de France a fait l’objet de deux procédures de licenciement de la part du géant recycleur. Deux procédures refusées par l’inspection du travail.
Condamnée en 2018 pour « discrimination », la firme aux 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires a dû réintégrer le salarié avant qu’une rupture conventionnelle ne soit finalement négociée. Son actuel successeur a quant à lui été mis à pied à deux reprises depuis qu’il a pris sa carte syndicale.
À l’heure où le gouvernement s’apprête à verser 370 millions d’euros aux industriels de cette « filière d’avenir », veillera-t-il à ce que le recyclage ne repose pas sur une main-d’œuvre jetable ?
[1] Ce centre réceptionne les déchets ménagers des villes de Bagneux, Montrouge, Malakoff et des 5e, 6e, 7e, 13e, 14e et 15e arrondissement de Paris.
[4] Le principe dit de « gestion déléguée » permet à la collectivité de garder le contrôle de démocratique de la mission confiée au privé.
publié le 29 mars 2022
Vadim Kamenka sur www.humanite.fr
Au sortir des négociations entre Russes et Ukrainiens, les contours d’un accord de paix ont été évoqués, mardi. Un cessez-le-feu pourrait intervenir lors d’une rencontre présidentielle.
Plus d’un mois après le début du conflit en Ukraine et son invasion par la Russie le 24 février, les autorités russes ont ouvert la porte à une rencontre entre les présidents Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky. Cette proposition est arrivée au terme de trois heures de négociations qui se tenaient mardi au palais de Dolmabahce, à Istanbul. Le responsable de la délégation russe et représentant du président, Vladimir Medinski, a fait état de « discussions substantielles ». Il a surtout surpris l’assistance et de nombreux diplomates en indiquant que les propositions « claires » de l’Ukraine en vue d’un accord allaient être « étudiées très prochainement et soumises au président » Vladimir Poutine et qu’un sommet entre les deux chefs d’État serait possible en cas d’un compromis pour mettre fin aux hostilités.
C’est la première fois que Moscou évoque cette possibilité. Encore la veille, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, avait écarté en conférence de presse cette hypothèse, affirmant qu’elle serait pour l’heure « contre-productive » car elle doit être « bien préparée » pour aborder l’ensemble des problèmes accumulés toutes ces années. « Les avancées ont dû être plus que substantielles. Ils ont dû aboutir à des garanties sur un certain nombre de points clés comme le Donbass, la neutralité de l’Ukraine et la démilitarisation », analyse un diplomate français en Russie.
Cette première avancée vers un potentiel accord de paix est partagée par la partie ukrainienne. Le responsable des négociateurs, David Arakhamia, a aussi estimé que les conditions étaient désormais « suffisantes » pour une rencontre des deux présidents. Pourquoi ? Parce que la principale demande de l’Ukraine d’aboutir à un accord international signé par les États-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni (quatre membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU) et cinq pays de l’Alliance atlantique (Allemagne, Canada, Italie, Pologne, et Turquie) et Israël garantissant la sécurité de Kiev serait en bonne voie. « Nous voulons un mécanisme international de garanties de sécurité dans lequel les pays garants agiront de façon analogue à l’article 5 de l’Otan (stipulant qu’une attaque contre l’un de ses membres est une attaque contre tous – NDLR) et même de façon plus ferme », a expliqué David Arakhamia.
L’Ukraine accepterait en contrepartie la « neutralité et le statut non nucléaire » et l’abandon de ses aspirations à rejoindre l’Otan, même si elles avaient été récemment inscrites dans sa Constitution. Pour le directeur de l’Observatoire franco-russe, Arnaud Dubien, « les négociations du jour, dont on n’attendait pas grand-chose, pourraient bien produire plus d’effet que prévu (y compris sur le plan militaire – Moscou annonce une réduction significative de ses activités sur les fronts de Kiev et Tchernigiv) ». Car il s’agit de l’autre information du jour. Le vice-ministre de la Défense russe Alexandre Fomine a annoncé que Moscou allait « réduire radicalement (son) activité militaire en direction de Kiev et Tcherniguiv », dans le nord du pays, les négociations sur un accord sur la neutralité de l’Ukraine « entrant dans une phase pratique ». Rien sur le reste du territoire, la Crimée et le Donbass étant « provisoirement exclus » de l’accord.
Marc de Miramon sur www.humanite.fr
Pour Georges Corm, le creusement du fossé entre les pays « occidentaux » et le reste du monde va essentiellement profiter, à court terme, aux États-Unis. Georges Corm est économiste et historien, ancien ministre des Finances du Liban
Quelle analyse faites-vous de la guerre en cours entre l’Ukraine et la Russie ?
Je pense qu’il s’agit aussi d’un piège qui a été tendu à la Russie. N’oubliez pas que Moscou et Kiev se sont engagés avec les accords de Minsk 1 et 2, lesquels n’ont jamais été appliqués. Et l’Otan n’a pas respecté sa promesse, formulée au lendemain de la chute du mur de Berlin, de ne pas s’approcher des frontières de l’ancien empire russe. D’autres événements sont délaissés par les médias, comme l’implication du fils de l’actuel président Biden (Hunter Biden – NDLR) dans des scandales de corruption en lien avec le gouvernement ukrainien.
D’un point de vue cynique, les États-Unis sont les grands vainqueurs de la guerre en cours : l’Otan, qu’Emmanuel Macron décrivait en état de « mort cérébrale » il y a quelques mois, est totalement remise en selle. Washington se met à vendre son gaz de schiste aux Européens alors qu’il n’y parvenait pas jusqu’à présent, les livraisons d’armes se multiplient et Berlin tourne le dos à la politique qui misait sur la coopération et le bon voisinage avec Moscou. La Russie a exprimé depuis un certain moment des signes d’impatience et d’énervement. Il était évident pour tous les observateurs que l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne comme à l’Alliance atlantique constituait une ligne rouge pour Moscou. En sens inverse, souvenez-vous que lorsque les Soviétiques ont envoyé des fusées à Cuba, les Américains ne l’ont pas accepté et le monde s’est de facto retrouvé au bord d’une guerre nucléaire. J’étais aux États-Unis à ce moment-là et je peux vous garantir que tout le monde se préparait à une apocalypse imminente.
Craignez-vous que cette guerre n’aggrave la fracture Nord-Sud, notamment avec l’explosion des prix des matières premières, qui risque de jeter des dizaines, voire des centaines, de millions de gens dans la pauvreté ?
Cette issue est malheureusement la plus probable. Les pays les plus pauvres de la planète, en Afrique bien sûr mais aussi en Afghanistan ou au Pakistan, vont énormément souffrir. Tout cela va renforcer les positions de la Chine, qui se pose en contre-modèle de Washington et entend commercer avec tout le monde et s’oppose à la politique de sanctions défendue par les États-Unis et l’Union européenne. Mais Pékin n’est pas seul à jouer cette partition, comme on l’a vu avec l’Inde ou l’Indonésie, qui se sont abstenus de condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En réalité, considérer la Russie comme « isolée » relève de la propagande de bas étage. Il y a aujourd’hui, dans ce qu’on appelle l’Occident politique, une pensée dominante extrêmement virulente. Quand j’écoute les différentes radios et télévisions de ce monde-là, on a le sentiment qu’ils sont gouvernés par un parti unique !
Vous rejetez pourtant le concept d’Occident, comment alors définir ou nommer cet ensemble de pays qui tente de venir au secours de l’Ukraine en lui donnant des armes et en sanctionnant la Russie ?
C’est une alliance militaire et politique multinationale qui est mise sur pied par les États-Unis. Dans ce dispositif, Volodymyr Zelensky joue un rôle particulier. Loin d’être le héros et le saint homme dont on parle, il est avant tout le garant des intérêts de cette coalition internationale face à la Russie. Le problème, dans cette pensée unique actuelle, c’est que toute prise de distance avec le gouvernement ukrainien est interprétée comme une défense de la Russie et de Vladimir Poutine. Il faut aussi comprendre que pour une partie de l’opinion publique mondiale, et je la partage, les violations des droits de l’homme perpétrées par les États-Unis sont innombrables. Nous pouvons citer, entre autres, le soutien au coup d’État du général Pinochet au Chili contre Salvador Allende, la prison de Guantanamo, toutes les horreurs commises en Irak dès que Saddam Hussein avait terminé ses basses besognes en Iran. Et c’est une vieille histoire, tant la politique de Washington vis-à-vis de Téhéran était intimement liée avec la stratégie globale d’affaiblissement de Moscou dans la perspective de l’affrontement Est-Ouest.
Lorsque j’étais ministre des Finances au Liban (1998-2000), j’ai dîné avec James Baker, qui était secrétaire d’État américain au moment de la première guerre du Golfe. Je lui ai demandé si sa conscience ne le troublait pas par rapport à ce que lui et d’autres avaient fait subir à l’Irak. Il m’a répondu que pas du tout, qu’il était très content de tout ce qui avait été fait, et que toutes les catastrophes subies par le peuple irakien relevaient de la seule responsabilité de Saddam Hussein. Toute l’histoire des États-Unis est d’une cruauté invraisemblable, du génocide des Indiens à la traite négrière.
publié le 29 mars 2022
Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr
Après l’échec du dossier médical partagé, l’État lance un nouveau service : « Mon espace santé ». Un outil censé permettre aux Français de stocker et gérer leurs données de santé et de faciliter les échanges avec les professionnels. Le dispositif soulève toutefois quelques interrogations quant au consentement des usagers et à l’accès à leurs informations confidentielles.
Ne l’appelez plus DMP. L’acronyme a trop changé de sens : dossier médical personnel, puis partagé et désormais… dirons-nous, perdu. Place à « Mon espace santé », un nouveau service public numérique censé permettre aux Français de gérer et stocker leurs données de santé « en toute confiance et en toute sécurité », et de faciliter les échanges avec les professionnels. Le ministère de la Santé n’hésite pas à parler d’une « nouvelle révolution » du système de santé.
Lancé le 3 février, au lieu de début janvier – un léger retard à l’allumage dû à la cinquième vague de Covid –, ce nouveau service est disponible sous la forme d’un site Internet (monespacesante.fr), en attendant l’application pour smartphone, sur lequel chaque Français peut créer son espace. Ordonnances, comptes rendus d’hospitalisation, résultats d’analyses, etc. Tous les documents médicaux ont vocation à s’y retrouver, à l’initiative des soignants ou de l’assuré lui-même, qui pourra également renseigner ses vaccins, allergies et traitements en cours. Chacun disposera aussi d’une messagerie sécurisée pour échanger des informations avec les professionnels de santé et d’un agenda pour gérer ses rendez-vous médicaux.
Des services qui seront complétés par un « catalogue » d’applications référencées par les pouvoirs publics, par exemple, pour le suivi des maladies chroniques, la téléconsultation ou la prévention. Pour ses concepteurs, cet outil va « favoriser la continuité des soins pour mieux soigner en ville comme à l’hôpital, grâce au partage sécurisé des informations dans le respect des droits du patient ». « Ces différentes fonctionnalités peuvent être intéressantes. Mais c’est un outil qui va nécessiter du temps pour se l’approprier », estime le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, principal syndicat de médecins généralistes.
Cette « révolution », le gouvernement la veut rapide : d’ici l’été, les quelque 68 millions de Français, enfants compris, se verront automatiquement dotés d’un espace santé, sauf s’ils font la démarche de refuser. Car, c’est bien là, la nouveauté de ce nouvel outil : cet espace sera créé automatiquement pour chaque assuré, mais chacun a la possibilité de s’y opposer – il suffit d’en faire part directement sur le site ou en appelant le 3422 –, durant un délai de six semaines à compter de la réception du courrier d’information. Cette logique dite d’opt-out tranche avec les précédentes moutures du DMP, basées sur l’adhésion volontaire (un total de 10 millions de dossiers créés à la mi-2021, bien loin de l’objectif de 40 millions).
Pour Dominique Pon, responsable ministériel au numérique en santé et initiateur du projet, ce service public doit permettre aux patients de devenir « acteurs de leur parcours de soins » et de se voir restituer leurs données. Sauf que cette formule cache un système où le principe du consentement libre et éclairé du patient est mis à mal. « Cette manière de nous forcer la main m’a fait bondir. Cela a de quoi éveiller les soupçons, réagit Lucie, 48 ans, ingénieur informatique. Il s’agit pour moi d’une forme de contrôle de la population. On ne sait pas qui pourra y avoir accès demain. » En outre, « il est compliqué de refuser la création de cet espace. Il faut rentrer un code, qu’il faut demander. Pour cela, il faut déjà savoir aller sur son compte Ameli. Peut-on réellement parler de consentement quand refuser est d’une telle complexité » ?
« Un consentement automatique n’est pas un consentement », déplore d’ailleurs le Syndicat de la médecine générale (SMG), qui évoque un « passage en force » et une négation du droit des patients sur « le consentement libre et éclairé ». D’ici à la fin 2023, selon les estimations de la Caisse nationale d’assurance-maladie, 250 millions de documents seront téléchargés chaque année sur la plateforme. France Assos Santé y voit une « source de bénéfices ». Sauf que l’interface soulève aussi des inquiétudes quant aux données de santé des patients, ainsi qu’au secret médical. « Dans les données de santé, il y a des informations intimes, sur le mode de vie, la sexualité, les maladies contractées, l’état psychique, les IVG pratiquées… La possibilité d’un accès direct à ces données pour tous les professionnels entraîne un risque de mésusage », alerte le SMG pour qui « le droit des patients garanti par le secret médical est directement mis en péril ». Pour Lucie, le risque, « c’est aussi que les patients soient encore plus exclus par le corps médical. On nous vend la plus grande fluidité dans l’accès par tous les professionnels aux examens, résultats d’analyses, etc. Mais, en réalité, les médecins vont encore plus se parler entre eux en faisant fi du patient, à qui ils prendront encore moins la peine d’expliquer ses pathologie et traitements… C’est une forme de dépossession, on devient des objets », soulève cette cadre informatique.
« Sur le papier et dans la communication gouvernementale, cela peut sembler une bonne chose, une avancée, nuance le Syndicat national des jeunes médecins généralistes. Les soignants pourront avoir accès à des données sans demander l’accord des patients. Cela peut être d’autant plus pénalisant pour les personnes plus exposées aux discriminations trans, séropositives, ayant eu un suivi psy, handicapées, etc. Cela peut également être pénalisant pour les personnes en errance médicale, car la demande d’un deuxième avis peut être très mal prise par certains médecins, pouvant aller même jusqu’au refus de soin. » Des craintes balayées par Jacques Battistoni : « Tout le monde n’aura pas accès à tout, hormis le médecin traitant », assure-t-il.
Ce que confirme Dominique Pon, expliquant que « le patient peut bloquer un professionnel de santé et masquer des documents ». Sans compter qu’il « y a aussi une traçabilité de tous les accès » permettant au patient de voir quel professionnel a consulté son dossier et quand. Sachant que tous les professionnels de santé n’auront pas les mêmes niveaux d’accès aux documents.
Pour tenter de rassurer quant à la sécurité des données, le directeur général de l’assurance-maladie, Thomas Fatôme, assure que « ni l’État, ni l’assurance-maladie, ni les entreprises, ni les assureurs, ni les mutuelles n’auront accès aux données ». En outre, assure la Caisse, les données seront hébergées par des opérateurs français.
Encore faut-il que l’utilisateur maîtrise le numérique. La Fédération d’association de patients a insisté sur le besoin d’un « accompagnement de proximité des usagers », en particulier pour ceux qui risquent de « se retrouver en difficulté face aux outils numériques » : personnes âgées, en situation de précarité, isolées, en situation de handicap ou encore les exilés… « Le problème, c’est que beaucoup de gens sont éloignés du numérique, notamment ceux qui auraient le plus besoin des fonctionnalités proposées, les personnes âgées, les personnes ayant un handicap, etc. », pointe également Jacques Battistoni.
De leur côté, le ministère de la Santé et la Cnam ont annoncé une vaste campagne de sensibilisation. Sauf que, de communication concrète, il ne semble pas y en avoir eu beaucoup. « Il va falloir faire preuve de beaucoup de pédagogie. Ce n’est pas un sujet facile. Expliquer à quoi ça sert. Il va y avoir besoin de communication », projette le président de MG France. Le risque, au final, c’est que les dossiers créés ne demeurent des coquilles vides.
Comment activer ou refuser son espace santé
Depuis début février, et ce jusqu’à fin mars, chaque assuré social (65 millions, au total) va recevoir un courrier numérique ou postal dans lequel figurera un code d’activation personnel. Pour ouvrir son compte sur « Mon espace santé » ou le refuser, il lui faudra se munir de ce numéro (valable six semaines à compter de sa réception) et de sa carte Vitale. Il est également possible de refuser l’ouverture du compte en appelant le 3422, muni seulement de sa carte vitale. Passé le délai de six semaines, l’espace santé sera automatiquement activé sur le principe de l’opt-out : si le patient n’a pas dit « non », c’est qu’il consent. Il sera toujours possible de clore son espace, mais les données resteront archivées dix ans par l’assurance-maladie.
sur www.laquadrature.net
Expérimenté depuis le mois d’août 2021 dans trois départements de Métropole, le service Mon Espace Santé (qui prend la suite du Dossier Médical Partagé) a été généralisé à l’ensemble de la population depuis février 2022. Plusieurs associations (comme XY media, Acceptess-T ou le collectif POS) ont très tôt alerté sur les dangers liés à ce nouvel outil. Nous avons passé en revue les fonctionnalités de Mon Espace Santé et force est de constater qu’elles présentent des insuffisances alarmantes en matière de respect du consentement et de gestion des données de santé. De par l’audience large à laquelle il s’adresse et de part la sensibilité des données qu’il manipule, un tel outil du service public se devrait pourtant d’être irréprochable en la matière. À défaut, nous ne pouvons que vous rediriger vers des guides vous permettant de vous opposer à ces traitements de données.
Pour commencer, faisons un petit tour plutôt descriptif de ce qui est annoncé en terme de fonctionnalités. Mon Espace Santé (aussi appelé Espace numérique de santé dans la loi et le décret qui le créent) se compose principalement de quatre éléments :
* Un Dossier Médical Partagé (DMP), ou espace de stockage et de partage d’informations médicales : il contient les traitements, les résultats d’examens, les antécédents médicaux, les compte-rendus d’hospitalisation, qui peuvent être partagés avec les professionnel·les de santé. Cet espace de stockage permet également de conserver des documents tels que la synthèse médicale produite par le ou la médecin généraliste, le carnet de vaccination ou l’historique des remboursements alimentés automatiquement par l’Assurance maladie (sources). Le Dossier Médical Partagé existait déjà depuis 2011 (sous le nom de Dossier Médical Personnel jusqu’en 2015) mais n’était ouvert que sur demande ; aujourd’hui, il est ouvert par défaut, en même temps que Mon Espace Santé, pour l’ensemble de la population.
Dans l’absolu, cet espace de partage des informations pourrait être une solution pour faciliter le droit d’accès à son dossier médical. Mais ceci impliquerait une mise en œuvre solide et de confiance qui n’est, à notre avis, pas atteinte avec Mon Espace Santé (voir plus bas la suite de notre analyse).
* Une messagerie sécurisée pour échanger avec des professionnel·les de santé. À la création de Mon Espace Santé, une adresse de messagerie MSSanté (Messagerie Sécurisée de Santé) est automatiquement attribuée à la personne usagère et rattachée à Mon Espace Santé. Cette adresse est constituée à partir du matricule INS de l’usagère et du nom de domaine de l’Opérateur de Mon Espace Santé (selon le Référentiel Socle MSSanté). Les messages échangés sont stockés pendant une durée de dix ans, sauf lorsqu’ils sont supprimés directement par l’utilisateur·ice. Ces adresses existaient déjà pour les professionnel·les de santé.
* Un agenda pour suivre ses rendez-vous médicaux et recevoir des rappels.
* Un catalogue de services numériques de santé : concrètement, la personne usagère pourra autoriser des applications tierces à accéder à son espace santé. Ces applications seront validées et autorisées par le Ministère de la santé. Développées par des acteurs publics et privés de la santé, elles incluront des éditeurs de logiciels et d’applications mobiles, des plateformes de télémédecine, des plateformes de prise de rendez-vous en ligne (qui s’intégreront probablement à l’agenda santé), des portails patients des établissements de santé (ETS) et portails de pré-admission, et même des fabricants d’objets connectés. Cette fonctionnalité nous inquiète particulièrement sur le plan de l’accès aux données personnelles, comme nous l’expliquons plus bas.
Enfin, pour accéder à ces différents services, outre un site web, une application mobile sera également disponible. Le développement technique est réalisé par les entreprises privées Atos, Octo, Accenture et Maincare. La société Worldline traite les données du Dossier Médical Partagé au travers de sa filiale Santeos. Les autres données (messagerie, agenda…) sont traitées par la société Atos.
À la création du compte
Pour chaque personne, la création de Mon Espace Santé se fait automatiquement selon un calendrier régionalisé prévu par l’État. Chaque personne est notifiée par courrier postal ou par courriel de la création prochaine de son espace. Elle dispose alors d’un délai de six semaines pour empêcher la création de l’espace en se connectant sur le site. L’espace est donc créé sans le recueil du consentement préalable et explicite de la personne usagère. L’opposition, elle, doit être explicite.
Dans les premières annonces d’ évaluation de la phase pilote, qui a eu lieu à partir d’octobre 2021 dans trois départements, la Sécurité sociale annonçait que « moins de 0.7% des usagers se sont opposés à [la] création [de leur espace santé]. » Mais plus loin on apprenait que seuls 4.8% des personnes ayant un espace santé l’avaient utilisé. Comment savoir donc si les presque 90% restants ont réellement souhaité en avoir un, ou même s’ils ont reçu le courrier ou mail prévenant de sa création (et des possibilités de s’y opposer) ?
Avant même de se poser la question de l’utilité ou non de Mon Espace Santé, on peut dire que les modalités de sa création sont loin d’être respectueuses des personnes auxquelles il est censé simplifier la vie. Passer outre le consentement des personnes au prétexte de « les aider » est la définition du paternalisme et, selon nous, s’oppose aux véritables pratiques de soin fondées sur l’écoute et la considération.
Certes, il est toujours possible de supprimer son compte. Mais, là encore, la personne usagère devra être attentive et suffisamment informée si elle souhaite demander la fermeture de son compte en cochant la bonne case (ses données seront supprimées 3 mois plus tard, à moins d’être supprimées individuellement au sein du profil médical, des mesures santé ou de la messagerie, auquel cas elles seront effacées immédiatement). Nous avons trop souvent dénoncé ce tour de passe-passe lorsqu’il était réalisé par les GAFAM : la possibilité théorique d’effacement ultérieur ne produit aucun effet significatif concret qui pourrait justifier l’absence de consentement préalable. Ce qui est inadmissible pour les GAFAM l’est encore davantage pour un service public traitant des données extrêmement sensibles soi-disant « pour notre bien ».
Dans le partage des données avec les professionnel·les de santé
Une fois créé, l’espace santé a pour but de partager les informations avec le personnel de santé : la personne usagère devra donc autoriser les
soignant·es à accéder à tout ou partie de ses informations. Mais, là encore, le recueil du consentement est problématique, pour ne pas dire quasiment
factice : une simple case à cocher par le ou la soignante servira de
« preuve » que l’on a donné son accord pour qu’il ou elle y accède. Au niveau du service informatique, il n’y a donc aucune procédure pour vérifier qu’il s’agit bien de la personne patiente
qui donne son accord, à qui, et quand.
On peut ainsi imaginer qu’une personne mal-intentionnée ait accès au service en tant que personnel soignant et consulte le dossier de n’importe quelle personne dans la base de données. Il lui
suffirait de cocher cette case de manière arbitraire et d’accéder à des informations privées. Ce cas est certes déjà possible actuellement sans Mon Espace Santé, à partir des divers bases de données
médicales existantes, mais de manière bien plus cloisonnée. Avec un système aussi centralisé que Mon Espace Santé, la possibilité que ce type de scénarios se produise est accrue. On peut aussi
aisément imaginer que nombre de personnes soignantes vont considérer que le fait d’avoir pris rendez-vous équivaut à consentir à ce qu’ils ou elles accèdent au dossier du ou de la patient·e : le
respect du consentement est encore malheureusement une question épineuse dans le milieu médical où les maltraitances médicales peuvent être
nombreuses.
Enfin, une fois l’espace créé, seuls des « motifs légitimes » peuvent être invoqués pour refuser qu’un·e professionnel·le verse des documents en ligne. C’est ce qu’indique en l’article R. 1111-47 du code de la santé publique et rappelé dans la politique de protection des données personnelles : « Une fois votre profil Mon Espace Santé créé, vous ne pourrez pas, sauf à invoquer un motif légitime, refuser qu’un professionnel autorisé ou que les personnes exerçant sous sa responsabilité déposent dans votre dossier médical partagé les informations qui sont utiles à la prévention, la continuité et la coordination de vos soins (article R. 1111-47 du code de la santé publique) ».
Illustration : la configuration par défaut du compte à sa création
Nous avons passé en revue la configuration des paramètres à la création du compte « Mon Espace Santé », et déjà, nous pouvons noter quelques actions effectuées sans l’accord explicite de la personne usagère :
L’attestation de vaccination Covid-19 est automatiquement versée dans le dossier par l’Assurance maladie. Le document est visible par défaut à l’ensemble des professionnel·les de santé. Il est possible de le masquer, mais pas de le supprimer car il a été ajouté par un·e professionnel·le de santé. Il n’est pas possible de s’opposer au versement de ce document, alors que l’Assurance maladie n’a pas été techniquement autorisée à déposer des documents sur ce compte.
En ce qui concerne la configuration des accès aux professionnel·les en cas d’urgence, l’option est activée par défaut à la création du compte. Pour s’en rendre compte, la personne usagère doit se rendre dans la section « Confidentialité » des paramètres de configuration, puis « Accès en cas d’urgence ». Le personnel du SAMU ainsi que « tout autre professionnel de santé » sont autorisés par défaut à accéder aux documents et aux rubriques « Vaccinations », « Historique de soins », « Entourage et volontés » du profil médical. Mais quels contrôles techniques permettent de définir ce qui est une situation d’urgence et débloque l’accès des documents aux professionnel·les ? Et s’agit-il des professionnel·les qui ont d’ordinaire déjà accès à notre espace ? Les informations que nous avons pu recueillir ne nous permettent pas de répondre actuellement à cette question.
Le décret s’appliquant à Mon Espace Santé prévoit une matrice d’accès différencié aux informations de la personne usagère selon le type d’activité du ou de la soignante. En pratique, le partage par défaut est très large : votre dentiste aura accès à vos résultats de prélèvements sanguins, votre kiné à votre historique de vaccination, votre sage-femme aux données de remboursement, et ainsi de suite.
Le ou la médecine traitante a, quant à elle, accès à l’ensemble des informations contenues dans l’espace santé de ses patient·es.
S’il est possible de bloquer l’accès à un·e professionnel·le de santé depuis les paramètres de l’espace, que se passe-t-il dans le cas où l’on souhaite changer de médecin·e traitant·e ? Ou que
l’on souhaite choisir quelles informations partager ? En effet, certains parcours de santé nécessitent la consultation de divers spécialistes aux opinions divergentes pour obtenir un diagnostic.
L’accès à certaines informations sur des opérations ne faisant pas consensus parmi le corps médical peut également générer des biais négatifs chez les professionnel·les de santé (par exemple, le
recours à une IVG). Enfin, l’accès est partagé pour le service d’un hôpital : impossible dans de ce cas de savoir qui y a vraiment accès (prêt de carte d’accès au système informatique par
exemple).
Cependant, il est important de noter que la personne usagère ou qu’un·e professionnel·le peuvent choisir de masquer un document pour le rendre inaccessible aux autres professionnel·les de santé, à l’exception du ou de la médecine traitante, de la personne ayant mise en ligne le document et du personnel intervenant en cas d’urgence. Si ce n’est pour ces larges exceptions, ceci représente un bon moyen de protéger la confidentialité des données au cas par cas. En revanche, il n’est pas possible de supprimer un document déjà versé par un·e professionnel·le de santé.
Il est possible pour les personnes de vérifier qui a eu accès à leurs données : des journaux d’activité enregistrent qui accède à quel document à une date et une heure donnée. La personne usagère peut recevoir des notifications chaque fois qu’un nouvel accès est détecté. Ces journaux permettent donc de détecter un potentiel mésusage de l’accès aux données. Cependant, cette fonctionnalité ne peut aider à protéger les accès qu’après coup : si on se rend compte qu’une personne soignante a eu accès à un document et que cela ne nous convient pas, on ne pourra que limiter ses accès futurs.
Le système de droit d’accès de Mon Espace Santé n’a pas été pensé pour permettre aux utilisateur·ices de gérer simplement et de manière éclairée l’accès à leurs données. On pourrait par exemple imaginer un système où par défaut seule la personne usagère et la liste de soignant·es qu’elle a désignées auraient accès aux documents la concernant, l’usagère pouvant ensuite choisir de démasquer certains documents à d’autres professionnel·les de santé (en bénéficiant par exemple de conseils de la part des soignant·es pour faire ce choix de manière éclairée). Dans ce cas, c’est la personne usagère qui aurait véritablement la main sur ses données, et non pas les professionnel·les de santé comme c’est le cas avec la conception actuelle de Mon Espace Santé.
Dans le cas des enfants et des adolescent·es, les ouvrants droits (c’est-à-dire les assuré·e·s) auront accès aux espace de santé des personnes qui leur sont rattachées. C’est-à-dire que, concrètement, toutes les informations de santé de leurs enfants et adolescent·es, ainsi que les rendez-vous et les courriels passant par la messagerie sécurisée leur seront accessibles.
En théorie, certaines infos peuvent ne pas être versées dans le dossier. Par exemple, dans le cas d’une IVG, le ou la soignant·e est en charge d’expliquer et de proposer à la personne mineure de ne pas ajouter les infos de l’IVG dans le dossier. La personne peut répondre qu’elle ne veut pas que ce soit versé. Aucune donnée de remboursement relatif à cet acte ne sera remontée. Cet exemple fait partie des motifs légitimes que peut invoquer une usagère pour refuser qu’un·e professionel·le verse un document sur l’espace santé.
Ceci implique que les soignant·es pensent à demander, et respectent, le souhait des personnes. Or, avec Mon Espace Santé, la quantité des données versées est multipliée et surtout normalisée : par fatigue ou par oubli à force de répétition, il est probable que le consentement pour verser une information dans Mon Espace Santé ne soit pas récolté à chaque fois. De plus, comme le recueil du consentement est oral et informel (il ne laisse donc aucune trace), la décision pourra difficilement être contestée.
Cet outil multiplie donc malheureusement les chances de mettre en danger le secret médical de ces personnes, et potentiellement la sécurité des personnes au sein de leur foyer ou de leur famille : que se passe-t-il si une enfant/ado ne souhaite pas parler d’un sujet (contraception, dépistage de MSTs, grossesse, avortement, transition) avec la personne à laquelle son compte est rattaché (que cela soit par pudeur ou par crainte de violences en représailles) ?
Le dossier Informatique et Libertés
fourni par la Délégation du numérique en santé précise par ailleurs que l’opposition à la création du compte Mon Espace Santé appartient aux représentants légaux. Une personne mineure ne peut donc
supprimer ou s’opposer à la création de son espace santé.
En revanche, lorsque la personne devient ayant droit autonome, les accès des représentants légaux sont clôturés par le service. La personne peut gérer son compte, le fermer ou le créer s’il
n’existait pas avant si elle le souhaite. Notons qu’une personne peut demander, à partir de 16 ans, de devenir ayant droit
autonome auprès de la CPAM de son domicile. On peut imaginer que le scénario de clôture des accès des anciens représentants légaux s’applique également dans ce
cas.
Par ailleurs, la notion d’ayant droit existe toujours dans certains régimes tels que la Mutualité sociale agricole (MSA) ou le régime local d’Alsace-Moselle (personnes mariées, pacsées, concubines et enfants jusqu’à 24 ans sans activités). La documentation à laquelle nous avons eu accès ne permet pas de dire si les ouvrants droits auront accès aux espaces santé des ayants-droits majeurs. Nous attirons l’attention sur le fait que si tel était le cas, cela représenterait un danger pour les personnes qui vivent des violences ou des conflits dans leur vie familiale (personnes en instance de divorce par exemple).
Enfin, au delà des soignant·es et des utilisateur·ices, des personnes tierces peuvent avoir accès aux données de santé pour des fonctions de support. Les niveaux 2 et 3 de ce support pourront avoir accès aux données de santé. Ceci implique notamment des agent·es de la CPAM et le personnel de prestataires (Atos/Wordline) et de l’hébergement. L’accès aux informations doit en théorie recueillir le consentement de la personne usagère dans le cadre du support, mais là encore impossible d’assurer que ce consentement sera bien demandé et non forcé techniquement. Concrètement, des personnes qui ne sont pas professionnelles de santé peuvent accéder aux informations médicales personnelles des usagères. Mais cela est-il vraiment nécessaire pour une fonction support ? Ceci pose la question également de savoir si les documents sont stockées de manière chiffrée et lisibles uniquement par les personnes habilitées, ou pas. Difficile de répondre à cette question en l’état de nos connaissances.
La description du catalogue de services numériques de santé à venir implique la possibilité d’ajouter des applications d’entreprises privées au sein de l’espace santé. Ceci pose un grand nombre de questions concernant le partage des données d’activités et des contenus stockés dans l’espace santé. Pour l’instant, nous n’avons pas les réponses à ces questions, et nous soulignons notre inquiétude sur ce sujet : comment l’usagère pourra-t-elle déterminer à quelles données l’application accède, et si cela est légitime ? Pourra-t-on limiter les données auxquelles chaque application a accès (comme sur un smartphone) ? Lors des mises à jour des applications, les changements de permissions ou de fonctionnement seront-ils notifiés et comment ? Et enfin, quels usages de nos données feront les « startups » d’objets connectés et autres grandes entreprises et plateformes de prise de rendez-vous (monétisation, profilage) ? Au-delà de ces problèmes d’implémentation, il faut dénoncer la direction générale animée par cette évolution : le remplacement du soin par la technique industrielle.
Mon Espace Santé s’inscrit dans une tradition de numérisation et de centralisation en ligne des données : ceci fait du service une cible idéale pour les piratages de données. Le stockage est géré par une entreprise privée. Le code du service n’est ni public ni accessible, ce qui pose la question de la transparence pour un outil du service public.
Nous nous interrogeons, aujourd’hui comme dans un futur plus ou moins proche, sur l’accès à la santé des personnes ne pouvant ou ne voulant pas utiliser ce service de santé. Et si d’aventure nous nous retrouvions dans une situation où il nous est impossible d’avoir rendez-vous sans passer par cet espace ? Ou que nos remboursements sont rendus difficiles sans l’utilisation de cet espace ?
La fiabilité et la sécurité informatique de ce service doivent aussi être considérées : si la plateforme se retrouve la cible d’un défaut de fonctionnement ou d’un piratage, que deviennent alors nos données ? Souvenons-nous du piratage des services de l’AP-HP en 2021 dans le contexte du Covid-19, suite auquel la réponse apportée par les autorités de santé a été insuffisante, voire nulle. Plus récemment encore, les données d’au moins 510 000 personnes ont été volées à l’Assurance maladie via Amelipro. À vouloir faciliter l’accès à la santé en imposant un outil numérique, n’y a-t-il pas erreur sur la façon de procéder ? Autant de questions auxquelles cet outil numérique ne répond pas tout en persistant dans la même direction.
Mon Espace Santé est un service manipulant des données sensibles qui est déployé à l’ensemble de la population française. Or, sa conception et son déploiement ne sont clairement pas au niveau des services les plus respectueux en matière de protection de la vie privée.
Selon le Ségur du numérique en santé, son ambition est de « généraliser le partage fluide et sécurisé de données de santé entre professionnels et usagers pour mieux soigner et accompagner. »
Mais pour cela, les besoins en terme de consentement et de gestion des données des usagères devraient être au cœur d’une expérience utilisatrice respectueuse, fiable et réaliste, ce qui à notre sens n’est pas le cas avec Mon Espace Santé. Sans oublier que ce service s’inscrit dans un processus de numérisation des services publics qui, trop souvent, ne tient pas compte des difficultés d’accès et d’utilisation d’Internet par de nombreuses personnes.
Pour ces raisons, nous ne pouvons que remercier les nombreuses associations qui ont déjà alerté sur ce sujet et, comme elles, vous proposer des guides pour demander la suppression de votre espace santé.
publié le 28 mars 2022
Florent LE DU sur www.humanite.fr
Enjeu de campagne Quasi absente du débat présidentiel jusqu’ici, la lutte contre la fraude fiscale se réinvite dans le débat public, après les révélations sur le cabinet de conseil McKinsey. Au point mort depuis cinq ans, elle pourrait permettre à l’État d’encaisser plusieurs milliards d’euros.
Près de 80 milliards d’euros par an. L’équivalent du PIB de l’Uruguay. Plus que les dépenses publiques cumulées pour le versement des allocations-chômage et de tous les minima sociaux. Ce « pognon de dingue », c’est le coût annuel estimé de la fraude fiscale en France. En cinq ans, Emmanuel Macron n’aura rien fait pour réduire l’ampleur de ce scandale perpétuel qui mine le consentement à l’impôt. Désormais, le président de la République est même soupçonné d’avoir été rémunéré par son ancien employeur, la banque Rothschild, sur un compte opaque dans un paradis fiscal, comme l’envisage le journaliste Jean-Baptiste Rivoire (voir son entretien, page 4). Son nom est aussi associé au scandale des cabinets de conseil privés dont ses gouvernements ont été friands. Parmi eux McKinsey, qui n’a payé aucun impôt sur les sociétés en France depuis au moins dix ans grâce au transfert d’une partie de ses bénéfices à son siège, situé dans le paradis fiscal du Delaware (États-Unis). Une révélation de la commission d’enquête dédiée du Sénat, qui a saisi la justice, vendredi, pour faux témoignage du responsable français du cabinet, Karim Tadjeddine.
Malgré des scandales à répétition, rares sont les candidats qui se sont saisis du sujet dans la campagne. « Je souhaite un véritable débat sur l’évasion fiscale, ce cancer pour notre économie », appelait de ses vœux le candidat communiste à la présidentielle Fabien Roussel, début octobre 2021, alors qu’un énième scandale venait d’éclater, celui des Pandora Papers avec leurs 11 300 milliards d’euros cachés dans les paradis fiscaux. Ce débat n’a pas vraiment eu lieu jusqu’à présent, malgré des interventions médiatiques, notamment du député PCF qui, depuis son élection en 2017, en a fait l’un de ses chevaux de bataille. Pourtant, la quasi-totalité des candidats l’ont inscrit à leur programme (à l’exception de Jean Lassalle et… d’Emmanuel Macron). À gauche, les propositions sont détaillées, en particulier les plus ambitieuses au PCF et à la France insoumise, et, dans une moindre mesure à Europe Écologie-les Verts. Tandis qu’à droite et à son extrême, les intentions se résument à quelques mots. « Je lutterai contre les fraudes fiscales et sociales », se contente ainsi d’affirmer Valérie Pécresse (LR), rapprochant deux domaines incomparables, sur le plan moral comme financier. Un même parallèle qui se retrouve chez Éric Zemmour et Marine Le Pen, sans mesures concrètes contre l’évasion fiscale.
« Ce qui peut expliquer que le sujet ne soit pas au centre du débat, ce sont aussi les déclarations d’Emmanuel Macron et de Bruno Le Maire, qui se sont félicités de quelques accords pourtant insuffisants et ont pu laisser entendre que le travail était fini, alors que tout reste à faire », déplore Quentin Parrinello, responsable de plaidoyer pour Oxfam France. Le bilan d’Emmanuel Macron en chiffres parle de lui-même : en 2021, 13,4 milliards d’euros ont été recouvrés, contre 18 milliards en 2017. La conséquence notamment d’une baisse des effectifs des contrôleurs fiscaux à la Direction générale des finances publiques. « On estime qu’on a perdu entre 3 500 et 4 000 agents depuis la fin des années 2000, sur un effectif à peine supérieur à 10 000 », a calculé Vincent Drezet, économiste à Attac. Pour y pallier, les candidats de gauche proposent tous de réarmer l’administration fiscale, avec notamment l’embauche de 3 900 contrôleurs pour Jean-Luc Mélenchon (auxquels s’ajoutent 10 000 postes dans la police et la justice fiscales), et même 15 000 pour Fabien Roussel.
« La philosophie du contrôle fiscal a aussi changé, en 2018, avec la loi Essoc, raconte Vincent Drezet. Désormais, le contrôle ne doit pas être trop intrusif, l’idée est qu’il faut que les redressements soient acceptés par le contribuable. » Une complaisance avec les fraudeurs qui, la même année, se reflétait par la possibilité, pour ceux-ci, de contracter une convention judiciaire d’intérêt public (Cjip), donc de négocier leur peine, sans reconnaissance de culpabilité. « Ce qui crée une justice à deux vitesses, inacceptable », déplore Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire.
Dans cette loi anti-fraude de 2018, le ministre des Comptes publics de l’époque, Gérald Darmanin, promettait de créer un Observatoire national de la fraude fiscale, qui n’a jamais vu le jour. Fabien Roussel propose de l’installer « en y incluant des magistrats, des responsables associatifs, des lanceurs d’alerte, des journalistes, des parlementaires ». Dans ce même texte de loi, figurait en revanche l’une des rares avancées du quinquennat : l’assouplissement, pour les gros dossiers uniquement, du verrou de Bercy qui prévoyait que le ministère était le seul à décider de poursuivre ou non les fraudeurs. Les candidats de gauche à la présidentielle proposent désormais de le supprimer totalement.
En revanche, rappellent les ONG, rien n’a été fait pour agir concrètement sur les trois principaux piliers de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. À savoir : la transparence, l’établissement d’une véritable liste des paradis fiscaux et des sanctions massives contre les fraudeurs. La France a même bloqué des négociations, à Bruxelles, pour davantage de transparence des multinationales, en calquant sa position sur celle du Medef.
L’enjeu, autour de cette opacité, est pourtant de taille. Il s’agit d’obtenir que les multinationales payent leurs impôts là où elles réalisent leur activité et non en fonction de leur domiciliation ou du lieu où elles déclarent leurs bénéfices. Soit les montages qui ont permis à McKinsey d’échapper à l’impôt sur les sociétés. Pour atteindre cet objectif, les candidats de gauche proposent des solutions différentes. Pour Fabien Roussel, c’est grâce au prélèvement à la source des bénéfices des multinationales. L’idée est de calculer les bénéfices avant qu’ils ne puissent être transférés ailleurs. Grâce à la TVA, il est possible de calculer le chiffre d’affaires d’une entreprise en France, donc son pourcentage vis-à-vis de son chiffre d’affaires global. Ce même pourcentage serait ensuite appliqué sur les bénéfices totaux pour calculer la vraie assiette fiscale. « Prenons l’exemple d’une multinationale active dans la vente en ligne et qui réalise 50 milliards de bénéfices au niveau mondial, détaillait Fabien Roussel dès 2019. Si 15 % de ce dernier se fait en France, alors 15 % de ses bénéfices mondiaux seront imposés en France, soit 7,5 milliards d’euros. »
D’autres modes de calcul sont possibles . « Il faudrait mettre en place un reporting public, pays par pays, des activités réelles de chaque entreprise multinationale, avec le chiffre d’affaires, le nombre d’employés… » détaille Quentin Parrinello, d’Oxfam. Une proposition reprise à son compte par Jean-Luc Mélenchon. En 2013, une telle publication d’informations avait été imposée aux banques, ce qui a permis de révéler notamment que la BNP Paribas faisait 175 millions d’euros de bénéfices aux îles Caïmans sans y avoir le moindre employé. En se basant sur ce reporting, les insoumis proposent d’appliquer ensuite ce qu’ils nomment « l’impôt universel » : « Pour toutes les entreprises actives sur le sol français, on regarde leurs activités à l’échelle mondiale et on applique un taux d’imposition à 25 %. On calcule la différence entre ce qu’elles ont payé effectivement à l’échelon international, et ce qu’elles auraient payé avec ce taux à 25 %. Sur ce montant, on récupère ensuite notre part française, en fonction de la part d’activité réelle », explique l’eurodéputée insoumise Manon Aubry, estimant à 28 milliards d’euros les montants ainsi récupérés.
En ce qui concerne les particuliers, la transparence est tout aussi nécessaire, notamment pour connaître les bénéficiaires effectifs de sociétés écrans et de trusts (véhicules d’investissements opaques) créés pour brouiller les pistes et échapper à l’impôt. La guerre en Ukraine et la difficulté de saisir les biens des oligarques russes ont d’ailleurs révélé cette opacité. L’ambition des ONG et de la gauche est donc de créer un registre centralisé des actifs des plus riches, parfois appelé « cadastre financier », afin d’exiger dans un second temps l’impôt dû. Ce qui nécessite d’obtenir les informations nécessaires auprès des paradis fiscaux ou en enquêtant pour retracer les flux financiers. Le système bancaire Swift, aussi mis en lumière par la guerre en Ukraine, peut être un outil utile dans ce sens. En plus d’être un moyen de bloquer les flux financiers vers les paradis fiscaux, comme cela a été fait vers la Russie, même si d’autres intermédiaires financiers sont possibles.
Ces paradis fiscaux ne sont, officiellement pour la France, qu’au nombre de 7 – 13 à l’échelle européenne. Ces listes ne comprennent pas les plus importants d’entre eux, en particulier ceux de l’Union européenne : le Luxembourg, Malte, l’Irlande ou les Pays-Bas. Tous les candidats de gauche à la présidentielle promettent ainsi d’établir une véritable liste. Ce qui pourrait permettre de les sanctionner, notamment en cas de non-transmission d’informations. Mais aussi de repérer et condamner beaucoup plus facilement les fraudeurs. « Dans le droit français, il existe, pour les pays sur la liste des paradis fiscaux, le renversement de la charge de la preuve : on considère qu’il y a fraude jusqu’à preuve du contraire. Si on fait une vraie liste, on va faire rentrer dans ce champ énormément de flux », précise ainsi Vincent Drezet, d’Attac. À cette liste, les communistes ajoutent la création d’un « organisme mondial de la finance, sous l’égide de l’ONU », précise le sénateur Éric Bocquet (lire notre entretien sur Humanite.fr).
L’ensemble de cet attirail législatif pourrait permettre de réduire considérablement le montant de la fraude fiscale, donc d’augmenter les recettes. Jusqu’à 80 milliards ? L’ambition paraît grande, mais le PCF comme la France insoumise prennent le pari. Ils veulent pour cela condamner aussi les intermédiaires, comme les avocats fiscalistes. Fabien Roussel ajoute une nouvelle arme de dissuasion : la peine de prison ferme pour les fraudeurs. Anne Hidalgo et Yannick Jadot se sont faits plus prudents, en tablant respectivement sur 6 et 10 milliards d’euros, « un objectif réaliste à court terme, même si le but est de tout récupérer », précise l’écologiste François Thomazeau. « L’important, c’est d’avoir enfin une volonté politique pour agir concrètement, espère Lison Rehbinder, de CCFD-Terre Solidaire. Les recettes suivront. »
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Malgré les scandales à répétition depuis une dizaine d’années, les fraudeurs fiscaux jouissent d’une quasi-impunité, dénonce Eric Bocquet. Autant de milliards qui pourraient servir à la transition énergétique ou encore à l’éradication des inégalités sociales, estime le sénateur communiste qui plaide en faveur de l’instauration d’un « organisme mondial de la finance »
Grande absente de la campagne pendant de longs mois, la lutte contre l’évasion fiscale s’est invitée dans le débat présidentiel, dans le sillage de la commission d’enquête sénatorial sur les cabinets privés. L’un d’eux, Mckinsey ne payant pas ses impôts en France. Avec son frère et ancien député Alain, le sénateur du PCF Éric Bocquet en a fait un cheval de bataille. L’auteur de Sans domicile fisc et de Milliards en fuite !, que le candidat communiste à la présidentielle Fabien Roussel nommerait à la tête d’un ministère dédié, donne à voir l’ampleur du phénomène et livre ses propositions pour y mettre un terme.
Depuis l’affaire Cahuzac et les 15 scandales qui ont suivi, les choses n’ont pas fondamentalement changé. Ils suscitent de l’émotion pendant quelques jours puis le soufflé retombe. D’ailleurs, la dernière affaire, les Pandora papers qui éclabousse notamment des politiques comme Dominique Strauss-Kahn, n’a rien modifié. Quant aux Openlux qui ont révélé en février 2021, comment quelque 55 000 sociétés offshore détenaient 6 050 milliards d’euros au Luxembourg, cela a été pareil. Avec les Gafam qui négocient leurs impositions avec les États, on tombe dans l’indécence. Amazon, par exemple, a explosé son chiffre d’affaires durant la pandémie - 44 milliards d’euros en 2020 – et, grâce à sa filiale au Luxembourg, n’a rien payé comme impôt. Force est de constater que le système d’évasion fiscale n’est pas remis en cause, il est même en plein boom. Au sein de l’Union européenne, la fraude dépasse les 1 000 milliards d’euros. Rendez-vous compte, c’est six fois son budget annuel ! Avec cet argent on pourrait régler bien des problèmes : assurer les investissements nécessaires à la transition énergétique, éradiquer les inégalités sociales et la question de l’accueil des migrants ne se poserait même plus.
Absolument. C’est une tendance libérale à l’œuvre depuis 40 ans : affaiblir les capacités de l’État pour laisser place à des cabinets privés qui, en retour, ne payent même pas leurs impôts en France. Les responsables font d’ailleurs montre d’hypocrisie. Après les Pandora papers, Bruno Le Maire s’était dit choqué, indigné, mais aucune action concrète n’a été engagée, notamment concernant sur le listing des paradis fiscaux. Sans compter que les moyens de contrôles n’ont cessé d’être affaiblis, la direction générale des Finances publiques (DGFIP) a perdu 38 000 emplois en 20 ans. Et ce alors que ces affaires affaiblissent le consentement à l’impôt et donc notre République. Je suis un militant de l’impôt juste, progressiste et auquel personne n’échappe. Notre pays poursuit une personne qui vole un paquet de pâtes pour se nourrir et devrait négocier l’impôt avec des GAFAM et leurs armées d’avocats fiscalistes ?
C’est un peu la face B. Tout ce que l’État perd avec l’évasion fiscale se transforme en dette. D’ailleurs, pour les marchés financiers, la dette n’est qu’un levier pour discipliner les États, les contraindre dans leurs dépenses sociales et s’assurer une mainmise sur la marche du monde. Je vois deux pistes pour sortir de leurs griffes. D’abord que la Banque centrale européenne prête elle-même aux États. Ensuite, solliciter l’épargne des Français, 5 600 milliards d’euros, pour lancer des bons du trésor. Être financé par les marchés privés, des grandes banques, des fonds de pension n’est pas une fatalité.
C’est le paradis pour les fraudeurs ! Alors que la monnaie est un attribut de souveraineté au même titre que les institutions, les cryptos monnaies ne sont pas adossées à un État. Or laisser se développer des systèmes financiers parallèles, sans régulation, ouvre la porte à tous les trafics et contournements possibles. Déjà que dans le système bancaire régulé, les flux illicites prospèrent, alors le bitcoin… S’y retrouve l’argent des trafics d’arme, de la drogue, de la prostitution. Cela se fait en toute opacité via des transactions à la picoseconde.
Nous devons repenser nos rapports économiques et financiers à l’échelle planétaire. Avec la guerre en Ukraine, nous voyons au grand jour les interconnexions entre les États autoritaires et le monde de la finance. Il devient urgent de ne plus laisser les affaires financières aux seules mains des financiers. C’est un enjeu mondial et nous devons nous doter d’un tel organisme, sous l’égide de l’ONU, car la finance n’est qu’un outil qui doit être mis au service de l’humain. Le problème c’est qu’avec cette économie libérale et dérégulée, elle est devenue un but en soi. Même l’arrêt de l’économie durant la pandémie n’a eu d’impact sur ce fléau.
publié le 28 mars 2022
Nicolas Framont sur https://www.frustrationmagazine.fr
Depuis quelques mois, un scandale gonfle et se précise. L’Etat français aurait, via le gouvernement d’Emmanuel Macron, payé au moins 1 milliard d’euros par an à des cabinets de conseils pour concevoir sa politique, en doublon de l’administration publique et pour des missions dont l’intérêt n’est pas facile à saisir (et le mot est faible). De l’argent public balancé par les fenêtres ? Oui, et principalement en faveur d’une entreprise, McKinsey, dont on a appris la semaine dernière qu’elle ne payait absolument aucun euro d’impôt en France. L’homme en charge de la passation de contrat de ce cabinet de conseil avec l’Etat n’est autre qu’un ami du président, Karim Tadjeddine, qui partage avec lui une vision de l’Etat « en mode start up ». Tout comprendre de ce scandale d’Etat, de cette gabegie au service des copains, qui entraînerait la chute du gouvernement… si nous vivions en démocratie.
Si vous ne travaillez pas dans le siège d’une moyenne ou grande entreprise privée, dans un ministère ou une administration publique, le monde des consultants des cabinets de conseil vous est sans doute inconnu. Pour résumer, les cabinets de conseil sont payés par des directions d’entreprise ou des ministres pour expertiser le travail mené, la comptabilité, mais aussi conseiller sur les décisions à prendre pour améliorer la stratégie d’une entreprise… ou les lois d’un pays. Leur arme de guerre ? Le PowerPoint.
Concrètement, les consultants accèdent à l’entreprise, s’entretiennent avec ses strates hiérarchiques puis pondent des slides (les pages d’un PowerPoint) où ils disent comment faire mieux avec moins, être à la fois plus performant et plus économe. Cette activité est extrêmement lucrative car elle repose entièrement sur la maîtrise (supposée) d’un savoir. Une journée de travail est facturée fort cher au client, alors même que d’une entreprise à l’autre, le rendu est parfois le même, à quelques variations près. Les consultants en organisation par exemple distillent d’une entreprise à l’autre le même discours, fait de termes clichés que vous avez sans doute déjà entendu si vous travaillez dans le privé : « ne plus travailler en silo mais de façon collaborative », « être plus agile », « « fusionner des services pour réduire le millefeuille décisionnel”, “affronter les défis de la digitalisation”… leurs lieux d’intervention sont différents, leurs recettes sont les mêmes.
Mais ce sont des gens qui ont le talent de surjouer la compétence et qui parviennent à impressionner leurs clients en les noyant sous un jargon technique et des schémas complexes. Ils travaillent pour le Boston Consulting Group, McKinsey, Accenture, sans oublier les “Big 4” (Deloitte, KPMG, PwC, Ernst & Young)… Autant de géants mondiaux dont la longévité (McKinsey existe depuis 1926) tient à la force de leur modèle économique : “Ils empruntent votre montre pour vous donner l’heure”, dit-on d’eux dans le monde de l’entreprise privée. Heureusement que ce ne sont que des gros groupes capitalistes plein d’argent qui le gaspillent en faisant appel à eux… non ?
Le scandale d’Etat qui se dessine petit à petit, c’est que ces cabinets de conseil aux pratiques fort douteuses ont été utilisés massivement par notre gouvernement pour l’aider dans ses missions, en doublon de l’administration publique et à prix d’or. La polémique a débuté l’année dernière, lorsque nous apprenions que le gouvernement avait eu massivement recours au cabinet McKinsey pendant la crise sanitaire, afin d’organiser la logistique de la campagne vaccinale. Sauf que McKinsey, cabinet mondial et puissant, semble être un choix particulièrement douteux. En effet, l’année dernière, il a été condamné aux Etats-Unis à une amende de 573 millions de dollars en raison du rôle joué au début des années 2010 auprès du laboratoire Purdue Pharma. Cette entreprise a commercialisé l’OxyContin, opiacé terriblement addictif qui aurait tué jusqu’à 200 000 Américains par overdose. Cet antidouleur a été sur-prescrit sur tout le territoire grâce à une vaste stratégie d’influence menée par le laboratoire, avec les bons conseils de McKinsey. Les consultants avaient même anticipé le nombre potentiel d’overdoses afin de conseiller à Purdue Pharma une stratégie d’indemnisation susceptible de maintenir les ventes et la réputation du produit.
Mais ça n’a pas empêché le gouvernement français de faire appel à eux pour gérer le dossier particulièrement sensible de la vaccination. Le poids croissant de ces consultants dans la gestion des affaires publiques ayant fait un peu de bruit, le groupe communiste au Sénat a mis en place l’année dernière une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur cette nouvelle tendance. Le rapport qui en a résulté et que nous avons consulté est particulièrement riche car il se base sur des dizaines d’heures d’audition des principaux acteurs de l’affaires, des consultants eux-mêmes aux ministres qui ont fait appel à eux.
Les consultants ce sont des gens qui ont le talent de surjouer la compétence et qui parviennent à impressionner leurs clients en les noyant sous un jargon technique et des schémas complexes.
On y apprend d’abord que les dépenses de cabinet de conseil ont doublé au cours du quinquennat, pour atteindre la somme d’un milliard d’euros en 2021. Pour comparaison, le budget annuel consacré à l’égalité femmes-hommes est de 50 millions d’euros. Donner de l’argent aux cabinets privés semble être la véritable « grande cause du quinquennat », à en croire le rapport, qui souligne le recours de plus en plus systématique aux cabinets de conseil, majoritairement en doublons de compétences existantes dans l’administration publique. Les rapporteurs précisent que la somme d’un milliards d’euros annuelle est « une estimation minimale car les dépenses des opérateurs sont en réalité plus élevées. Si la commission d’enquête a interrogé ceux dont le budget était le plus important (Pôle emploi, Caisse des dépôts et consignations, etc.), l’échantillon ne représente que 10 % du total des opérateurs » (p.8). La somme d’un milliard d’euros est donc TRÈS sous-estimée.
Que faisaient-ils, concrètement, ces consultants, dans nos ministères et administrations ? Ils produisaient des conseils sur l’organisation des services d’une part, comme par exemple la création du “baromètre des résultats de l’action publique”, facturé aux contribuables 3,2 millions d’euros en 2021 par le cabinet Capgemini, nous apprend le rapport du Sénat, ou encore l’organisation de concertations, débats publics ou autres bullshits participatifs dont le macronisme raffole (souvenez-vous du « grand débat national » ou de la « convention citoyenne sur le climat » qui ont tous deux abouti à… rien).
Toujours selon le rapport du Sénat, ce même cabinet Capgemini a ainsi facturé à l’Etat un million d’euros pour son appui à l’organisation des « Etats généraux de la justice », grand raout censé permettre de résoudre l’institution en crise. Pour faire quoi ? Mettre en place une plateforme participative (Parlonsjustice.fr) et organiser des « ateliers délibératifs » avec des citoyens volontaires. Parfois, il s’agit de donner un coup de boost aux administrations pour appliquer vite vite des réformes : ainsi, Mckinsey a facturé 4 millions d’euros aux contribuables pour former l’administration aux ajustements nécessaires à l’application de la baisse des APL. Mais rassurez-vous : avec cette réforme, l’Etat a déjà économisé 10 milliards d’euros sur le dos des plus pauvres.
Mais ce qui est encore plus choquant, c’est qu’alors que nous payons déjà fort cher pour avoir des députés, des sénateurs et toute l’administration qui permet le fonctionnement législatif, les consultants ont été massivement utilisés pour changer la loi. Ainsi, ils sont intervenus dans la réforme de l’assurance-chômage (y compris dans les arbitrages politiques la concernant), celle de la formation professionnelle, mais aussi les lois sur la santé, sur les transports, la réforme de l’aide juridictionnelle, etc. Le rapport montre comment, au prétexte d’aider le gouvernement à « préparer » les lois, les cabinets de conseil orientent la décision publique, alors que personne ne les a mandatés pour ça.
558 900€ pour le cabinet Boston Consulting Group (BCG pour les intimes), pour l’organisation d’une “convention des managers de l’Etat” qui… n’a jamais eu lieu.
Mais parfois, les cabinets de conseil nous ont coûté cher… pour rien du tout : le rapport documente ainsi une facture de 496 800€ de McKinsey pour une mission de réflexion sur « l’avenir du métier d’enseignant » qui n’a pas abouti. Enfin si, ça a abouti à un rapport de deux cent pages qui enfonce des portes ouvertes, soit 2 480€ la page. Mais aussi 558 900€ pour le cabinet Boston Consulting Group (BCG pour les intimes), pour l’organisation d’une “convention des managers de l’Etat” qui… n’a jamais eu lieu.
Vous êtes sûrs que ce sont les fonctionnaires qui coûtent trop cher ? Même lorsque les missions aboutissent, l’action des consultants est très questionnable. Le rapport décrit leurs méthodes, directement inspirées du bullshit managérial dont les groupes privés raffolent, à base d’ateliers – pardon, de « workshop » – qui recourent aux pratiques suivantes, attention les yeux :
« – le « bateau pirate » : chaque participant s’identifie à un des personnages (capitaine, personnages en haut du mât ou en proue, etc.) et assume ce rôle, son positionnement, ses humeurs, etc.
– le « lego serious play » : chaque participant construit un modèle avec des pièces lego, construit l’histoire qui donne du sens à son modèle et la présente aux autres »
Extrait du rapport du Sénat, page 102
Ce que révèle ce rapport rappelle “l’affaire du Sirhen”, un projet de méga-logiciel de gestion de ressources humaines pour l’Education nationale, qui a échoué après 10 ans de travaux, pour un coût total de 350 millions d’euros dont… 270 pour le cabinet de conseil Capgemini.
Cette façon de facturer fort cher des travaux de piètre qualité nous a été rapportée il y a deux ans par un consultant d’un des “Big Four” intervenant auprès de l’Etat, Joan. Voici ce qu’il nous racontait, dans un témoignage édifiant (à lire en intégralité ici) :
“En théorie, nos travaux devaient être solides et les prix justifiés : experts ayant plus de 15 ans de bouteille, expériences reconnues et savoir-faire prouvés et éprouvés d’un Big Four pour une qualité “assurée”. Par définition, un Big Four étant présent partout dans le monde, il dispose d’expériences et d’experts dans virtuellement tous domaines. En pratique, mon service avait une exigence de marge de 40 % : si nous avions un “projet” à 100 000 €, celui-ci ne devait coûter que 60 0000 € à réaliser à l’entreprise en coûts de personnels, les 40 000 € disparaissant dans le biz dev, les frais généraux et, surtout, les poches des actionnaires.”
Les honnêtes citoyens qui ont toujours peur de payer des profs à « se la couler douce », que pensent-ils du fait que Macron et ses amis payent un salaire mensuel par jour à des consultants chargés de faire jouer des fonctionnaires aux Lego pour remplir les poches de quelques actionnaires ?
A l’échelle des entreprises privées, le recours au cabinet de conseil participe de tout l’équilibre de la machine capitaliste. Il s’agit de fluidifier les rouages du système en légitimant des décisions purement financières au nom de considérations rationnelles et « stratégiques ». Autrement dit, la mission idéologique des consultants est de faire croire, y compris à ses membres, que les entreprises capitalistes sont là pour autre chose que de générer du profit pour les actionnaires. Ils interviennent pour conseiller des « réorganisations », des plans de licenciements et nimber le tout de grandes notions managériales, histoire de rendre la réalité moins mesquine et cruelle. Ils sont l’administration du mensonge : tout comme l’Union Soviétique avait sa bureaucratie et ses commissaires politiques, le monde capitaliste a ses consultants en costume qui viennent raisonner les collectifs de cadres à coup de PowerPoint, afin qu’ils mettent en oeuvre le sale boulot et contribuent à renforcer la remontée de dividendes.
Mais à quoi servent-ils à l’échelle d’un Etat ? Eh bien précisément à le faire fonctionner comme une entreprise, et à faire remonter le profit – via des économies budgétaires – aux actionnaires de son président : la grande bourgeoisie. Et au passage à se servir copieusement sur le dos du contribuable. Pour nous autres, c’est la double peine : non seulement les cabinets de conseils viennent imposer à nos administrations publiques une vision de leur action profondément nocive pour nous, à base de pseudo-consultations « participatives » et de violentes coupes budgétaires (comme la réforme des APL exécutée sous le saint patronage de McKinsey), mais en plus ils représentent un budget croissant que nous payons avec nos impôts !
La “convention des managers de l’Etat” n’a jamais eu lieu. On vous laisse apprécier le programme de cet évènement-fantôme qui nous aura tout de même coûté la modique somme de 558 900€, en faveur du cabinet Boston Consulting Group (extrait du rapport du Sénat)
Le rapport le documente noir sur blanc : l’arrivée des cabinets de conseils dans nos ministères a servi à forcer la main aux fonctionnaires. De gré ou de force, en les infantilisant à base d’ateliers Lego ou en les forçant via des « arbitrages » à coup de PowerPoint. Pour les pousser à quoi ? A adopter la logique cynique qui prévaut dans les groupes privés capitalistes, qui consiste à ne pas avoir d’états d’âme envers les usagers et les citoyens. C’est ce qu’a expliqué aux rapporteurs Estelle Piernas, secrétaire nationale de l’UFSE (Union fédérale des syndicats de l’État)-CGT : « c’est palpable quand des consultants parlent de “clients” et non “d’administrés”. Cette méconnaissance les amène à ne pas prendre en compte la qualité du service rendu à tous les administrés, en zone urbaine comme rurale ».
Quand on regarde la liste des interventions de cabinets, détaillés dans le rapport du Sénat, on se rend compte qu’il s’agit le plus souvent d’opération de « Transformation » de tel service ou telle administration. Transformation vers quoi ? En autre chose que du service public.
La vision de l’action publique que portent les cabinets de conseil est celle du président Macron. Il l’a d’ailleurs développé dans un livre au titre explicite, L’État en mode start up sous la direction de Yann Algan et Thomas Cazenave (2016), qu’il a préfacé. Sa principale thèse consiste à promouvoir la vision « d’une action publique réinventée, plus agile et collaborative, « augmentée » par l’innovation technologique et sociale. » Et qui d’autre a participé à l’écriture de ce livre-manifeste ? Karim Tadjeddine, directeur associé du bureau français de McKinsey et chargé de la branche « Secteur public » de l’entreprise. C’est-à-dire celui-là même qui est l’interlocuteur des ministères pour toutes les missions réalisées à prix d’or par son cabinet.
L’un des principaux cabinets auquel l’Etat a recours, McKinsey, est dirigé par un ami d’Emmanuel Macron avec qui il partage une vision de l’Etat à transformer de gré ou de force selon les principes en vigueur dans les entreprises privées
La collaboration entre Emmanuel Macron et Karim Tadjeddine n’a pas commencé avec ce livre. Elle remonte à leur participation à la Commission « pour la libération de la croissance française », lancée par Nicolas Sarkozy en 2007 et plus connue sous le nom de « Commission Attali », du nom de son rapporteur. Parmi les préconisations de cette commission : « Transformer l’action publique ».
Une transformation que les cabinets de conseil, dont celui de Karim Tadjeddine, mettent en œuvre au forceps, avec la bénédiction de l’ami et président Macron, dont Tadjeddine a participé à la campagne électorale en 2017, ainsi que plusieurs autres consultants de Mc Kinsey, comme nous le révélait le Monde en février 2021. Ca s’appelle dans le métier faire du “pro bono”, c’est-à-dire travailler gratos pour les copains… mais rien n’est jamais gratuit et on peut dire que le cabinet a été largement récompensé pour son coup de pouce au candidat, une fois celui-ci devenu président.
En France, il n’est pas légal de donner plus de 2 500€ à un candidat à l’élection présidentielle, pour éviter de potentiels conflits d’intérêts. Par contre, il est tout à fait possible pour une société d’envoyer ses consultants travailler gratos pour le candidat pour bizarrement devenir le prestataire préféré de son gouvernement, une fois élu.
Résumons : chaque année, le gouvernement se voit facturer au moins un milliard d’euros – soit plus que les dépenses 2021 pour la jeunesse et la vie associative – pour des prestations de conseils effectuées par quelques grands cabinets mondiaux. Ces prestations sont floues, parfois carrément sans effets, ou portent une certaine vision des services publics, clairement défavorable à sa qualité. L’un des principaux cabinets auquel l’Etat a recours, McKinsey, est dirigé par un ami d’Emmanuel Macron avec qui il partage une vision de l’Etat à transformer de gré ou de force selon les principes en vigueur dans les entreprises privées. Cerise sur le gâteau, nous apprenons cette semaine que McKinsey ne paye aucun impôt en France, contrairement à ce qu’a affirmé l’ami de Macron, Karim Tadjeddine, devant le Sénat.
On se fait donc, en tant que contribuable et citoyen, plumer trois fois au cours de cette affaire : une première fois en payant des millions d’euros à des cabinets de conseil. Une seconde fois quand le principal cabinet dont l’Etat est client pratique l’optimisation fiscale et ne paye aucun impôt en France. Une troisième fois, et pas la moindre, quand l’action de ces cabinets contribuent à détruire petit à petit notre protection sociale et nos services publics : d’abord en réduisant nos prestations, comme dans le cas de nos APL. Ensuite en rendant de plus en plus inaccessible l’administration aux millions de Français concernés par l’illectronisme (16,5% des Français ont des difficultés avec Internet et l’informatique en général) et qui sont donc exclus de la « digitalisation » à marche forcée des services publics dont ces cabinets de conseils sont les principaux promoteurs. Enfin, en faisant passer des décisions politiques pour des choix techniques, puisque ce sont de plus en plus des consultants en cravate surdiplômés qui choisissent notre avenir et de moins en moins des élus.
Pourquoi un tel silence face à ce scandale ? Pourquoi Macron, à trois semaines du premier tour, n’est-il pas plongé dans la tourmente, assailli de questions sur le choix d’un cabinet dirigé par l’un de ses amis et pratiquant l’optimisation fiscale, ce qu’aucun des ministères dans lequel ses consultants se rendaient ne devait ignorer ? Parce que l’ensemble de notre classe médiatique et la majeure partie de notre classe politique adhère au plus profond d’elle-même aux conceptions idéologiques de l’action publique portée par l’alliance entre la macronie et les cabinets de conseil. Car il s’agit là d’un projet porté de longue date par la bourgeoisie, de « transformation » de la politique publique en science technique réservée à quelques diplômés, et qu’il convient d’imposer de gré ou de force à la masse inculte de “Gaulois réfractaires” et de fonctionnaires archaïques qui composent ce pays.
La guerre aux usagers des services publics et de la protection sociale se déroule en parallèle de la guerre menée à l’encontre des salariés des entreprises privées.
C’est pourquoi l’ensemble de la presse mainstream fait passer la réélection de Macron pour une nécessité politique : pas au nom de la guerre en Ukraine, non, mais au nom de la guerre qui nous est faite à nous. Cette guerre des classes qui fait chaque jour des milliers de victimes : les chômeurs radiés car trop peu réactifs à l’appli Pôle Emploi (radiations records ce mois-ci), les étudiants à qui l’on reprend les APL au moindre justificatif erroné, les allocataires du RSA que Macron prévoit de faire travailler gratuitement… Cette guerre aux usagers des services publics et de la protection sociale se déroule en parallèle de la guerre menée à l’encontre des salariés des entreprises privées. Les lieutenants de cette guerre sont désormais les mêmes : les consultants cravatés des cabinets de conseil.
Une seule question se pose désormais à nous, maintenant que l’on sait que ce scandale d’Etat n’en sera pas un, car nous ne faisons que découvrir une réalité que toute la bourgeoisie connaît et salue : quand est-ce qu’on les dégage ?
publié le 27, mars 2022
L’extrême droite est, et sera toujours,
l’ennemie du monde du travail
communiqué CGT, FSU, Solidaires sur https://solidaires.org
Depuis janvier 2014, nos organisations ont lancé une campagne de longue haleine intitulée « Uni·e·s contre l’extrême droite, ses idées, ses pratiques », dans le prolonge- ment de l’appel « La préférence nationale n’est pas compatible avec le syndicalisme », signé en mars 2011.
Les politiques gouvernementales– dont notamment les mesures favorables au capital, la gestion catastrophique de la crise sanitaire –, subies par les salarié ·e ·s, les privé ·e ·s d’emploi, les retraité ·e ·s, les jeunes, les femmes, fournissent un terreau exploité par l’extrême droite. Les politiques d’austérité, sous l’aiguillon des organisations patronales et plus particulièrement du Medef, génèrent une aggravation du chômage, le développement des inégalités sociales, de la précarité, de la pauvreté et des processus d’exclusion. Elles accroissent la désespérance sociale et peuvent pousser dans les bras de l’extrême droite certain ·e ·s salarié ·e·s. Incontestablement, les politiques autoritaires et attentatoires aux libertés nourrissent également l’extrême droite.
« Respectabilité » de façade du RN et l’ultra-libéralisme raciste de Zemmour
Ce n’est pas le changement de nom en Rassemblement national et leur volonté de donner l’image d’un parti à la fois respectable et différent des autres qui change la donne : ce parti est fonda- mentalement fasciste, raciste, violent, divise les salarié·e·s et au-delà tend à toujours plus opposer les habitant·e·s entre elles et eux.
Sa stratégie de dissimulation en un « parti respectable » nourri par la colère sociale (retraite à 60 ans, augmentation de l’allocation aux adultes handicapé ·e· s et du minimum vieillesse, « défense » des services publics) n’est qu’un leurre pour cap ter des voix de salarié·e·s frappé·e·s par les politiques néolibérales et des choix austéritaires qui se suc cèdent depuis des années. Les cri- tiques sociales proclamées par ce parti sont une stratégiDécryptage. Cette école de la concurrence que le candidat Macron veut pour les élèvese masquant leur absence totale de volonté de renverser le déséquilibre à l’œuvre entre celles et ceux qui possèdent du capital et les salarié·e·s ne vivant que de leur travail. Rien à attendre de leur part pour nos salaires et nos pensions, notre protection sociale, les services publics, la sortie de l’austérité.
Zemmour, lui, ne fait même pas semblant et ne cache pas ses positions qui reprennent celles du Medef. Il est directement le produit des puissants qui l’ont créé comme personnage médiatique. C’est notamment Bolloré, grand patron, milliardaire et propriétaire de Cnews qui s’est assuré de lui donner une grande audience.
Obsédé par sa haine des immigré ·e ·s et des musulman ·e ·s, il essaie de détourner la colère populaire en créant des boucs-émissaires, fantasmant un monde qui n’a jamais existé où les seules différences seraient la couleur de peau ou la religion !
A l’opposé des orientations mortifères de l’extrême droite, nos organisa- tions syndicales portent un ensemble de propositions alternatives visant à changer le travail pour changer la société.
Nos organisations proposent aux étudiant·e·s, aux salarié·e·s, aux agent ·e·s de la Fonction publique, aux privé·e·s d’emploi, aux retraité·e·s de s’organiser au quotidien, sur les lieux de travail, d’études ou de vie, pour améliorer les droits et combattre les discriminations. De nombreuses mobilisations le montrent : la solidarité, l’égalité des droits, la justice sociale sont des aspirations fortes dans le monde du travail !
Par ailleurs, L’extrême droite joue aussi sur la corde « antimondialiste ». Pour notre part, nous revendiquons une autre mondialisation où les solidarités internationales priment en termes économiques, politiques et sociaux, contrairement à l’opposition entre les peuples prônée par l’extrême droite.
Nous diviser sous couvert de « préférence nationale » ne peut servir que ceux qui exploitent et accaparent les richesses.
La haine, l’exclusion, le racisme, ne sont plus le monopole des partis d’extrême droite, elles se sont largement diffusées dans toute la classe politique et participent d’une atmosphère délétère. Que le capitalisme soit d’ici ou d’ailleurs, peu im- porte : pour les salarié·e·s, c’est bien l’exploitation qui est en cause.
C’est bien ce système qui permet l’appropriation des richesses par une minorité . Et c’est bien l’unité des salarié·e·s dans la combativité, quels que soient leur nationalité et leur lieu de travail, qui permettra un meilleur partage des richesses.
Et c’est aussi parce que nos métiers et missions sont au service de l’intérêt général ou que nous voulons les transformer dans ce sens que nous n’acceptons pas de les voir remis en cause par la diffusion des idées d’extrême droite : que ce soit dans les services publics ou dans les entreprises privées, nous voulons travailler à l’égalité de traitement, à l’émancipation, au vivre ensemble, pas à la division et à l’exclusion.
publié le 27 mars 2022
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
Éducation. Le sujet est l’une des priorités du candidat LaRem. Ses propositions visent à réaliser le « marché scolaire » promis en 2017 et esquissé dans un discours à Marseille. En s’en donnant les moyens, cette fois.
Après la conférence de presse du 17 mars, une forme de sidération s’exprimait dans les milieux enseignants. Pourtant, le programme présenté par le président-candidat ne comporte aucune idée nouvelle. Au contraire, il a raclé les fonds de tiroirs pour en sortir les propositions les plus réactionnaires émises pour l’école ces trente dernières années. Mais c’est logique : le reste, son homme de main – Jean-Michel Blanquer – l’a déjà réalisé ou enclenché. Il s’agit donc, dans l’éventualité d’un deuxième quinquennat, de parachever une « œuvre » dont l’aboutissement serait, ni plus ni moins, l’effacement du service public d’éducation au profit d’un marché scolaire.
Une large liberté de décision, pédagogique et managériale, pour les directeurs des écoles et établissements ; des recrutements sur profil ; au nom de la « transparence », la publication des résultats des évaluations permettant de comparer classes, écoles et établissements entre eux… Certaines de ces mesures ont déjà été lancées par Jean-Michel Blanquer, mais « là, on passe un cap », estime Guislaine David, porte-parole du SNUipp-FSU (primaire). C’est « une attaque en règle contre le service public d’éducation », abonde Sophie Vénétitay, du Snes-FSU, « une école où les parents iraient faire leur marché », dénonce Isabelle Vuillet, cosecrétaire générale de la CGT Éduc’action.
Pourtant, « la compétition entre les écoles, ce n’est pas ce que nous attendons », réplique Nageate Belahcen, coprésidente de la FCPE (première fédération de parents d’élèves), pour qui il faut au contraire « offrir à tous les mêmes conditions d’apprentissage ». Pour Guislaine David, « c’est plus facile d’avoir de bons résultats dans une école où il y a peu d’élèves en difficulté. Cette mesure va renforcer la ségrégation, on va vers un système à l’anglo-saxonne ».
C’est en effet le modèle des charter schools (écoles sous contrat) qui est ici poussé, alors que les effets pervers en sont connus : face à la pression du résultat, les enseignants travaillent avant tout… la réussite aux tests. Un « bachotage » généralisé qui devient la mesure de toute chose et favorise le privé – qui, lui, choisit ses élèves.
Pour les enseignants, les choses sont claires : « On va augmenter leur rémunération, mais avec de nouvelles missions », a exposé le président-candidat qui, pour faire avaler la pilule, promet d’y consacrer 6 milliards d’euros par an pendant cinq ans.
Parmi ces « nouvelles missions », le remplacement obligatoire des absents, le suivi individualisé des élèves ou la formation hors temps d’enseignement. « Travailler plus pour gagner plus, on a déjà entendu ça », ironise Sophie Vénétitay, qui rappelle que, selon les propres chiffres du ministère de l’Éducation, « le temps de travail des enseignants est déjà de 42,5 heures par semaine ». « Le vrai problème, c’est l’attractivité du métier, complète Guislaine David. Ce n’est pas comme ça qu’on va attirer les jeunes, alors que les démissions explosent et que la baisse des candidats aux concours est telle que le ministère ne veut même plus donner les chiffres ! »
L’idée est à double détente : précariser le métier, et faire croire aux parents qu’on va résoudre le problème des remplacements. « D’après notre recensement, les élèves ont perdu 55 000 heures de cours depuis la rentrée », relève Nageate Belahcen, pour qui la proposition de Macron n’est qu’un « pansement. Ce qu’il faut, c’est une norme nationale qui fixe un nombre minimal de remplaçants sur un territoire ». Surtout, « on va créer des différences de statut entre enseignants, explique Guislaine David. On va généraliser petit à petit les contractuels au détriment des postes statutaires… Ce sera une école à deux vitesses. »
Plus inclusive malgré tout ? Emmanuel Macron fait miroiter aux AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) des contrats de 35 heures par semaine, mais conditionnés à l’acceptation de tâches supplémentaires, notamment dans le périscolaire. « Les AESH ne veulent pas de ça ! » tonne Isabelle Vuillet, en dénonçant un « chantage malsain. Elles aiment ce qu’elles font, elles veulent un temps plein sur l’accompagnement ». Et non devenir les bouche-trous officiels du système.
Le lycée professionnel a porté en grande partie la démocratisation du baccalauréat, réussissant à donner une qualification à des jeunes qui auparavant n’y accédaient pas ou peu. Pourtant, derrière un habillage qui parle « d’excellence » et fait miroiter une rémunération payée par l’État pour les lycéens en stage, il s’agit de changer « totalement la logique de formation, en s’inspirant de ce que nous avons réussi sur l’apprentissage », selon Emmanuel Macron.
« Plus de temps en entreprise, donc moins de cours et moins de professeurs », note Axel Benoist, cosecrétaire général du Snuep-FSU. Pour les élèves, moins d’enseignements généraux, donc des possibilités réduites de poursuite d’études et d’évolution professionnelle. Les professeurs, eux, iront faire cours dans les lycées généraux et technologiques, comme l’envisageait dès l’an dernier un projet de décret – alors qu’ils enseignent deux matières et passent un concours différent.
Dans sa « Lettre aux Français » du 15 mars, Emmanuel Macron annonçait aussi « la fin de l’hégémonie des diplômes » à travers un « outil de gestion des compétences » : Pour Axel Benoist, c’est un « retour au livret ouvrier, comme à la fin du XIXe siècle. Les jeunes amasseraient des compétences sur le tas, au fil des stages et des contrats. Ils n’apprendraient pas un métier mais un poste, tout étant déjà productifs ». Une approche « utilitariste », dénonce-t-il, qui cherche avant tout à fournir aux entreprises de la main-d’œuvre pour leurs besoins à court terme.
De son côté, Isabelle Vuillet rappelle les risques et les faux-semblants d’une telle stratégie : « Dans l’apprentissage, les discriminations à l’égard des femmes et des personnes racisées sont monnaie courante. Surtout, on nous vend une meilleure insertion dans l’emploi, mais ce n’est vrai que pour ceux qui vont jusqu’au bout », alors qu’échec et abandon touchent jusqu’à 50 % des apprentis dans certaines branches.
Bernard Marx sur www.regards.fr
Sans peur et sans reproche, le Président-candidat promet de repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Une promesse d’injustice qui repose sur les bobards de l’allongement de la durée de vie et du plein emploi. Bernard Marx vous décrypte tout ça afin de mieux comprendre la portée d’une telle réforme.
Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a été celui d’une politique antisociale au service du grand capital, comme on aurait dit autrefois. Quelques « en même temps » lui ont servi de paravent. Surtout, les mobilisations sociales que les injustices ont provoquées et les crises non anticipées, comme celle du Covid, l’ont obligé à plusieurs reculs. Pour le second quinquennat, Emmanuel Macron a mis sur la table un programme encore plus radicalisé, largement commun avec celui de Valérie Pécresse.
C’est un programme de guerre sociale contre les classes populaires autour duquel ils espèrent fédérer les classes moyennes supérieures, les retraités aisés, les milliardaires français et leurs affidés de la finance, des médias et de l’État. Emmanuel Macron veut faire feu sur les « salauds de pauvres », feu sur les enseignants paresseux. Il veut continuer de faire feu sur les droits des chômeurs et le droit du travail. Il veut baisser encore les impôts locaux payés par les entreprises et les impôts payés par les héritiers du haut de l’échelle. Et, pendant ce temps-là, toute cette droite continue d’alimenter les tirs de diversion si dangereux contre les immigrés.
Le recul de l’âge de la retraite à 65 ans est une pièce importante de ce dispositif. Il ne servira pas à équilibrer financièrement le système de retraite français qui le serait sans cette réforme et qui pourrait, en tout état de cause, l’être autrement. Il ne servira pas à dégager des ressources importantes qui sont nécessaires pour financer les transformations écologiques et sociales urgentes de la production et de la consommation. La retraite à 65 ans est une réforme profondément injuste. Elle pénalisera avant tout et surtout les ouvriers, les employés et les classes populaires. Mais les réformes de régression sociale ont aussi pour effet, sinon pour but, d’affaiblir tous les salariés au-delà de celles et de ceux qui en subissent directement les conséquences. La preuve par quelques infographies.
Le graphique, extrait du dernier rapport annuel du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), décrit l’évolution passée et prévisible de l’âge moyen de départ à la retraite dans le cadre des règles actuelles [1]. Comme on le voit, l’âge moyen actuel est un peu au-dessus de 62 ans. Il serait de 63,5 ans d’ici à 2032 pour s’établir ensuite durablement autour de 64 ans. Soit seulement un an de moins que les 65 ans promis comme nouvel âge légal par Emmanuel Macron. Mais cette moyenne cache des différences importantes.
La durée de cotisations pour obtenir une retraite à taux plein est, en règle générale, de 42 ans pour les générations nées en 1961, 1962 et 1963. La durée augmentera de trois mois par tranches de trois générations annuelles. À partir de la génération née en 1973, il faudra 43 ans de cotisations. D’une façon générale, l’âge de départ où l’on peut bénéficier d’une retraite à taux plein dépend de l’âge de démarrage dans la vie « active » et de la continuité de l’emploi pendant la durée de celle-ci.
Au moment du débat sur la réforme Macron 2020, le COR avait pris trois cas types, c’est-à-dire représentatifs d’une situation sociale : un cadre, un non-cadre et un salarié au Smic. Nés après 1973, ils ou elles sont célibataires et sans enfants, bénéficient d’une carrière continue et liquident leur retraite à taux plein au terme de 43 ans de travail. Le salarié au Smic démarre sa carrière à 19 ans et part en retraite à 62 ans. Le non-cadre démarre à 21 ans et prend sa retraite à 64 ans. Et le cadre démarre à 23 ans et prend sa retraite à 66 ans.
Avec le recul de l’âge légal de la retraite à 65 ans, le cadre « type » ne perd donc rien, le non-cadre perd un an de retraite et le salarié au Smic perd trois ans de retraite. En même temps que le recul de la retraite à 65 ans, Emmanuel Macron promet « la juste prise en compte des cas d’incapacité, des carrières longues ou pénibles ». Une promesse purement verbale puisqu’elle ne dit ni que la prise en compte actuelle est déjà très insuffisante, ni s’il s’agit de maintenir l’âge actuel de départ pour ces cas, ou de le reculer lui aussi de trois ans.
Le recul de l’âge de la retraite est d’autant plus injuste que, selon que l’on est cadre ou ouvrier, selon que l’on est un homme ou une femme, on ne prend pas sa retraite, en moyenne, dans les mêmes conditions de santé, avec la même espérance de vie en bonne santé et avec le même risque d’être en réalité sans emploi, sans indemnité chômage.
Le tableau publié par la DREES (Direction de la Recherche des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), indique que plus du tiers des ouvriers partent en retraite ou manifestent dès leur première année de retraite des handicaps physiques élevés (14%) ou limités (20%) contre seulement respectivement 2 et 12% pour les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Il montre également qu’après 50 ans, les ouvriers ont en moyenne été en emploi seulement 7,5 ans avant leur départ en retraite contre 11,5 ans pour les cadres. Les premiers ont été, en moyenne, 4,3 ans sans emploi ni retraite. Les seconds 1,4 an. Le recul de l’âge de la retraite aggraverait considérablement tous ces dégâts.
Le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, a écrit la leçon : « Tant que l’espérance de vie augmente, il faut accepter de travailler plus longtemps ». Emmanuel Macron la récite : « Nous sommes dans une société qui vieillit, C’est une chance, une force de nos sociétés où on améliore le soin, la prévention. Il est donc normal que nous travaillions plus ».
La revue Alternatives économiques a publié une infographie sur la base des calculs de l’économiste spécialiste de la protection sociale, Michael Zemmour. Ils font litière de cette histoire à essayer de faire dormir debout les Françaises et les Français. Malgré les gains d’espérance de vie, les réformes de la retraite déjà mises en œuvre ont entraîné une baisse de la durée moyenne de retraite de plus d’un an pour la génération 1960. Il faudrait attendre les années 2035 (génération 1973) pour retrouver une retraite de la même durée qu’en 2008. La réforme Macron ferait baisser cette durée d’un an et demi supplémentaire pour la génération 1973. Les femmes retraitées nées en 2000 continueraient d’avoir une retraite moyenne de durée inférieure de un an à celles nées en 1953.
Encore s’agit-il de durée moyenne de vie pour l’ensemble des hommes et des femmes qui atteignent l’âge de la retraite. Et non de l’espérance de vie à la naissance. Ni de l’espérance de vie en bonne santé. En 2018, l’espérance de vie à la naissance sans incapacité [2], s’élevait en France en 2018 à 64,4 ans pour les femmes et à 63,4 ans pour les hommes. Elle stagne depuis dix ans. Cela veut dire que moins d’un Français sur deux atteint l’âge de 65 ans en bonne santé. Et pour ceux qui atteignent 65 ans, l’espérance de vie en bonne santé est seulement de 10,5 ans pour les femmes et 9,4 ans pour les hommes.
Mais ça, c’est la moyenne, sans tenir compte des inégalités sociales. Les personnes ayant les retraites les plus faibles ont aussi une santé dégradée plus tôt et des durées moyennes de retraite plus courtes. Les mesures d’âges ont donc pour elles des conséquences encore plus marquées.
Comme le montre les graphiques tirés d’une étude de l’INSEE publiée en 2018, la différence d’espérance de vie entre un ouvrier de 35 ans et un cadre du même âge est de 6,4 ans pour les hommes et 3,2 ans pour les femmes. Elle n’a pas diminué entre 1970 et 2013. La différence est de 7,3 ans entre les hommes avec un diplôme post-bac et les hommes sans diplôme. Elle est de 4,2 ans pour les femmes. Entre les plus aisés (les 5% de plus hauts revenus) et les plus modestes (les 5% de plus bas revenus), la différence d’espérance de vie est de 12 ans chez les hommes et de près de 8 ans chez les femmes.
En France, rappelle le sociologue Jean-Yves Boulin, selon les études de la Dares (ministère du Travail) sur les conditions de travail, un tiers des personnes âgées de 35 à 55 ans estiment ne pas pouvoir exercer la même activité jusqu’à l’âge de 60 ans. Ce sont même 44% dans l’enquête européenne d’Eurofound sur les conditions de travail (EWCS). La France est en dernière position de l’Union européenne.
Comme l’explique Jean Yves Boulin, « il est difficile de faire le partage entre la perception par les salariés de la soutenabilité de leurs conditions de travail au-delà d’un certain âge, et celle qu’ils ont de leur employabilité du fait des pratiques des employeurs, prompts à licencier les seniors ». Mais « le résultat est, en tout cas, un taux d’emploi de 53,9% des 55-64 ans en France, contre une moyenne de 60,2% au sein de la zone euro ».
Et à l’autre bout, le taux d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans est globalement dans la moyenne des pays européens, avec qui plus est, des différences importantes de situation selon les études et le diplôme.
L’idée que le recul de l’âge de la retraite à 65 ans puisse dans ces conditions provoquer une amélioration de la situation de l’emploi des seniors et des jeunes est juste mensonger.
Comme le montre le graphique extrait du rapport 2021 du COR, dans le cadre des règles actuelles la part des dépenses dans le PIB baisse progressivement à partir de 2030. L’augmentation de 2020 est exceptionnelle, due à la chute de la production du fait du confinement. La part des dépenses de retraite dans le PIB devrait retrouver dès 2022 un niveau proche de celui observé en 2019 (13,6% du PIB environ). Et elle baisserait à partir de 2030 principalement à cause de la baisse de la pension moyenne (les carrières étant de plus en plus nombreuses à être incomplètes).
Par rapport à cette évolution le recul progressif de l’âge légal de la retraite à 65 ans ferait de gros dégâts économiques et sociaux. Mais elle rapporterait financièrement assez peu : au maximum 0,7 point de PIB annuel à partir de 2032 soit 16 milliards environ selon Michael Zemmour, comme on peut le voir dans son graphique.
L’Institut Montaigne, très partisan d’un recul de l’âge légal, a lui aussi chiffré le programme Macron. 18 milliards d’euros de baisse à l’horizon 2032, et seulement 7,7 milliards d’euros en 2027. L’économiste Gilles Raveaud pointe bien l’ambition de la réforme : « Mais le problème ce sont les retraités, pas la suppression de l’ISF ni les cadeaux aux entreprises (hors Covid). France, Travaille ! »
En face, Jean Luc Mélenchon et Fabien Roussel veulent restaurer le droit à la retraite à 60 ans. Jean-Luc Mélenchon veut aussi rétablir la retraite à taux plein pour 40 années de cotisation. Son programme prévoit également de porter au Smic les retraites pour une carrière complète. Et d’indexer les retraites sur les salaires. Fabien Roussel veut revenir à une pension de retraite égale à 75% du salaire net des dix meilleures années. Son programme prévoit également le départ anticipé à la retraite pour les métiers pénibles. Et de faire passer le minimum contributif à 1200 euros.
Selon les chiffreurs du l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon, cela entraînerait environ 70 milliards de dépenses de retraites supplémentaires. L’Institut Montaigne a, pour sa part, évalué à 85,8 milliards d’euros annuel le programme retraite de Jean-Luc Mélenchon, et celui de Fabien Roussel à 88 Milliards d’euros. Cela représente, selon les chiffrages, une augmentation des dépenses de retraites de 20 à 25%. Et un déplacement important d’au moins 3 points de PIB. Une partie du financement viendrait de la diminution des coûts du chômage, de la précarité et de la pauvreté des jeunes et du sous-emploi des actifs de 60 ans et plus. À quoi pourrait s’ajouter, selon l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon, des prélèvements supplémentaires sur les revenus salariaux (augmentation annuelle de 0,5% des cotisations retraites, prélèvement sur l’épargne salariale et l’intéressement) et surtout une mise à contribution des revenus financiers de l’ordre de 30 milliards [3].
Analysant les différents programmes de la gauche, l’économiste atterré Henri Sterdyniak alerte : « Les programmes des partis de gauche reprennent les diverses revendications des syndicats et mouvements progressistes, ce qui est légitime, mais cela sans réel arbitrage, que ce soit la hausse du Smic, des salaires des fonctionnaires, la hausse et l’extension du RSA, l’égalité des salaires femmes/hommes, la hausse des emplois publics, la baisse de l’âge de départ à la retraite. Les mesures nécessaires de restructuration de l’économie (comme la réindustrialisation, le tournant écologique, l’intervention des travailleurs dans la gestion des entreprises) ne peuvent avoir elles des effets favorables qu’à plus long terme. De sorte qu’un gouvernement de gauche aura le choix entre ne tenir que progressivement ses engagements, ce qui pourrait être considérer comme une trahison ; se retrouver en face de déséquilibres importants, en termes de situation financière des entreprises et de solde extérieur ; assumer frontalement la lutte de classe en réduisant fortement le niveau de vie des classes supérieures, en prenant le contrôle des entreprises, en se heurtant aux règles de la zone euro et de l’UE ».
Cela concerne directement la retraite à 60 ans et les autres mesures prévues par Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel. Les dégâts inégalement répartis d’un recul de la retraite à 65 ans disent a contrario ce que pourraient être les priorités pour retourner vers une retraite à 60 ans.
[1] L’âge conjoncturel de départ à la retraite mesure l’âge moyen de départ à la retraite une année donnée, en neutralisant les différences de taille de génération.
[2] L’espérance de vie sans incapacité correspond au nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes.
[3] C’est-à-dire une sorte de retraite par décapitalisation, qui aurait cependant comme inconvénients de sortir du cadre de la retraite par répartition et d’étatiser le financement. Et de reposer sur une base de financement qu’il faut en même temps réduire par ailleurs de réduire.
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
L’économiste Michaël Zemmour décortique la réforme macroniste et met en garde contre ses effets pervers à court et moyen terme. Michaël Zemmour est maître de conférences en économie à l’université Panthéon-Sorbonne
Contrairement à ce que beaucoup de libéraux nous assurent depuis des années, notre régime de retraite n’est pas menacé. L’acharnement de l’actuel président à vouloir repousser l’âge de départ, en cas de deuxième mandat, est donc en bonne partie motivé par des raisons idéologiques.
Comment analysez-vous la rapidité du recul de l’âge de départ à la retraite voulu par Emmanuel Macron ?
L’objectif affiché est de repousser de trois ans l’âge légal de départ, au rythme de quatre mois par an. Cela va concerner des personnes qui se trouvent déjà aux portes de la retraite : imaginez la situation de ceux qui comptaient partir à 62 ans en 2023 et qui vont devoir attendre quatre mois supplémentaires. Quant à la génération née en 1969, elle devra patienter trois ans de plus. C’est une très grosse augmentation.
Pour avoir une idée des conséquences immédiates d’un tel recul, on peut analyser ce qui s’est produit lors du passage de 60 à 62 ans (après la réforme des retraites de 2010 de Nicolas Sarkozy – NDLR). Pour résumer, les gens qui étaient encore en emploi à 60 ans sont restés deux ans supplémentaires.
En revanche, tous ceux qui n’avaient plus de travail à ce moment-là (je rappelle que c’est le cas d’une personne sur deux au moment où elle prend sa retraite) ont vu se prolonger cette période de précarité où le taux de pauvreté est très marqué.
Le deuxième effet produit par le recul de l’âge de départ se situe au niveau des conditions de travail. Avec l’âge, les risques d’incapacité faible ou sérieuse augmentent fortement. Dans le secteur du nettoyage, par exemple, le taux d’emploi chute après 45 ans à la suite de tous les facteurs de pénibilité (troubles musculo-squelettiques, notamment).
Y a-t-il une logique économique derrière la décision d’allonger la durée de cotisation au régime des retraites ?
Selon moi, cette mesure n’est pas une réponse à une nécessité financière : le Conseil d’orientation des retraites (COR) nous explique que le déficit va se résorber de lui-même à l’horizon 2030 et que le régime des retraites n’est pas menacé. Les économies représentées par un passage à 65 ans excéderaient largement ce qui serait nécessaire pour revenir à l’équilibre. En réalité, cette mesure ne répond pas à une logique économique, mais relève d’un choix politique.
Emmanuel Macron cherche soit à réduire les dépenses publiques en tant que telles au nom d’une idée non démontrée selon laquelle une baisse des dépenses serait nécessairement une bonne chose pour l’économie, soit à augmenter la population présente sur le marché du travail (ce qu’on appelle « l’offre du travail »).
Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire affirme en substance que « nous rembourserons notre dette publique par la croissance créée par la réforme des retraites ». Selon ce raisonnement, la réduction de la part des retraites dans le PIB, et plus largement de nos dépenses publiques, dynamiserait mécaniquement l’économie. Pour un économiste, c’est une logique curieuse qui ne repose sur aucune démonstration.
Quelles pourraient être les conséquences sociales, à long terme, d’un nouveau recul de l’âge de la retraite ?
Le temps que l’on passe à la retraite a déjà commencé à diminuer, car les précédentes réformes ont reculé l’âge de départ plus vite que nous ne réalisions des gains d’espérance de vie : autrement dit, cette nouvelle mesure conduirait surtout à raccourcir encore la durée de la retraite.
Les salariés atteindront l’âge légal plus tard, et en plus mauvaise santé. Par ailleurs, on sait déjà que nous allons vers un appauvrissement relatif des retraités : le niveau de vie de ces derniers par rapport à celui des actifs sera 20 % plus faible en 2070. En réalité, le vrai sujet, c’est que si l’on ne fait rien, les retraités pourraient connaître l’expérience d’un déclassement demain.
Emmanuel Macron n’essaie-t-il pas de s’attaquer à ce risque d’apauvrissement des retraités en relevant le minimum vieillesse à 1 100 euros ?
Cette proposition est cosmétique. Le gouvernement précise bien que ces 1 100 euros ne seraient accordés qu’aux personnes avec des carrières complètes… c’est-à-dire à des gens qui, très largement, perçoivent déjà ce niveau de pension ! Ce sont les retraités aux carrières incomplètes qui sont les plus pauvres.
Il faudrait prendre de vraies mesures pour s’attaquer au problème en envisageant une véritable retraite minimale, certes plus coûteuse pour les finances publiques. Cela supposerait de redéfinir les conditions nécessaires pour percevoir les minima de retraite : aujourd’hui, ils ne se déclenchent que lorsque l’on part à taux plein. Demain, certaines personnes devront donc attendre 67 ans pour pouvoir les toucher.
publié le 26 mars 2022
Christophe Deroubaix sur www.humanite.fr
Pour Philip Golub, professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris, la guerre en Ukraine signe le retour du monde du XIXe siècle sans centres d’autorités capables d’imprimer un ordre stable.
Vladimir Poutine a réussi cet exploit tout à fait extraordinaire de refonder l’unité de l’Occident et de l’alliance atlantique. L’invasion de l’Ukraine a cristallisé et reconsolidé l’alliance atlantique et l’OTAN, les deux, donc, aux niveaux politique et militaire. Alors que les deux rives de l’atlantique étaient en voie de se séparer de plus en plus profondément à la fois politiquement et idéologiquement au cours des dernières décennies, cette guerre créée une dynamique d’affrontement entre Est et Ouest, non pas idéologique comme du temps de la guerre froide entre communisme et capitalisme, mais en des termes de compétition politique et stratégique interétatique entre l’alliance atlantique et la Russie. On remarque une forme de prise conscience de la part des pays européens qui ont très peu contribué à leur propre défense ces dernières décennies de la nécessité d’augmenter significativement leurs budgets de défense ainsi qu’une demande de présence accrue, à la fois politique et militaire, des États-Unis sur le continent européen. Les résultats sont à contre-courant des tendances des dernières décennies.
Pour ce qui est de Joe Biden, il a géré de façon prudente, agissant à la fois sur des leviers diplomatiques et de sanctions économiques, sans jamais dépasser les limites qui pourraient entraîner une confrontation directe. C’est une gestion diplomatique qui a été comprise en Europe comme un retour à une certaine fiabilité américaine.
Au niveau des institutions de sécurité, il y a une forme de consensus pour appliquer la pression de façon systématique mais toujours en deçà d’un palier qui entraînerait des dynamiques plus larges. Quelques voix minoritaires existent, surtout des élus républicains, qui réclament des mesures d’action militaire plus directe. Personne au sein des institutions de sécurité n’est favorable à ce genre de scénario. Ils estiment que choisir une voie de confrontation directe ferait potentiellement basculer dans une troisième guerre mondiale. Les principes de la dissuasion nucléaire sont en marche et, de ce point de vue, les évolutions dépendent plus des décisions prises à Moscou qu’à Washington. Le consensus aux États-Unis est de ne pas franchir de seuils décisifs.
Ce n’est pas en raison d’une défiance des Américains vis-à-vis des guerres que les États-Unis ont adopté cette position stratégique mais tout à fait exclusivement du fait de leur raisonnement en termes de potentiel d’escalade en cas d’affrontement plus large et direct. L’état-major américain estime que le danger serait que la Russie utilise les avantages comparatifs dont ils disposent, à savoir les armes nucléaires. C’est l’équilibre nucléaire qui préside aux décisions américaines de rester sous un certain seuil dans la manière dont ils gèrent ce conflit.
Ce qui se passe implique une certaine forme de recentrage vers la partie occidentale de l’Eurasie, donc le continent européen. Ce qui n’était pas désiré par les États-Unis du fait évidemment du défi plus grand constitué, à leurs yeux, par la montée en puissance de la Chine. La consolidation de l’alliance atlantique et de l’OTAN crée potentiellement les conditions de mise à l’épreuve de la Chine à l’avenir par le système atlantique tout entier. La crise actuelle démontre pour l’instant aux Européens que l’alliance américaine est indispensable dans un monde devenu de plus en plus anarchique, là où les Européens, sur les questions russe comme chinoise, étaient beaucoup plus orientés vers l’économie et le commerce.
D’un côté, la situation pose problème aux États-Unis dans leur ambition d’orienter leurs énergies et les leurs moyens vers l’Asie-Pacifique. Mais, dans le même temps, cela crée pour eux des conditions politiques meilleures du point de vue de la construction politique occidentale vis-à-vis de la Chine. Par exemple, la situation montre que les sanctions économiques concentrées et d’une très grande ampleur peuvent faire énormément de mal à des grandes économies. En ce sens, je ne pense pas que cela remette en cause les grandes orientations états-uniennes en Asie-Pacifique et vis-à-vis de la Chine.
D’abord, la situation est très périlleuse et nous n’en connaissons pas l’issue. Disons que s’il n’y a pas une escalade au-delà d’un certain seuil, il est clair que, pour les États-Unis, ce que Poutine a initié représente une erreur stratégique de très grande envergure. Il est en train de construire ce qu’il voulait affaiblir. C’est son action mal pensée qui refonde l’unité atlantique. Pour les États-Unis, cela représente un gain au regard des divergences euro-américaines sur un certain nombre de sujets ces dernières années.
En effet, trente-sept pays se sont abstenus, parmi lesquels l’Inde, l’Afrique du Sud ainsi qu’une quinzaine d’autres pays africains. Ce vote ne veut pas nécessairement signifier un soutien à l’invasion de l’Ukraine. Il dit que les gouvernements d’une part importante de la population mondiale ne souscrivent pas une lecture binaire à la fois du conflit et des relations internationales. Une partie importante du monde, que l’on appelait autrefois le monde en voie de développement, ne veut pas rentrer dans des logiques d’affrontement binaire ou dans un schéma de compréhension de ce qui vient de se passer comme étant réduisible à une lutte entre démocraties et autocraties. Cela pourra certes changer au gré de ce qui se passera sur le champ de bataille dans ce moment de tragédie historique.
Cela dit aussi que les États-Unis ne dominent pas la politique internationale aujourd’hui. Ils ne se trouvent pas dans une position unipolaire comme ils l’ont été très brièvement et pas tout à fait entièrement à la fin de la guerre froide. Le monde a toujours été polycentrique et pluriel. L’apparente difficulté des États-Unis aujourd’hui à créer un ordre mondial reflète en fait une évolution historique évidente : que la puissance américaine n’est plus ce qu’elle était en 1991 ni en 1945. Ça, nous le savions déjà.
L’environnement international est caractérisé aujourd’hui par un retour au XIXe siècle, à une anarchie, au sens littéral et étymologique, c’est-à-dire sans centres d’autorités capables d’imprimer un ordre stable. Cette situation d’anarchie implique nécessairement une remise en cause des conceptions libérales de la mondialisation qui ont eu cours depuis la fin de la guerre froide et qui se trouvaient déjà très fissurées ces dernières années. Le monde d’après, en supposant qu’il y ait un monde d’après, va être caractérisé par cette anarchie grandissante. On le voit dans la multiplication possible de conflits territoriaux et de possibles confrontations militaires. La Corée du Nord a profité de ce moment particulier pour lancer un missile balistique de portée plus longue que les missiles lancés précédemment. On le voit dans les fractures des flux internationaux et les déchirements des chaînes de productions transnationalisées. Nous sommes sortis du cadre d’une certaine forme de régulation du monde par à la fois la mondialisation économique et financière et la prédominance des logiques économiques sur les logiques politiques. Nous sommes de nouveau entrés dans une ère à la fois de rivalités, de compétitions et de dangers stratégiques durables.
Francis Wurtz sur www.humanite.fr
Joe Biden et ses alliés, anglo-saxons comme européens, semblent se voir (presque) revenus aux lendemains de la chute de l’Union soviétique, quand le président Bush (senior) pouvait encore dire, dans son « discours sur l’état de l’Union » de janvier 1992 : « Grâce à Dieu, l’Amérique a gagné la guerre froide. Un monde jadis divisé en deux camps reconnaît aujourd’hui la supériorité d’une seule puissance : les États-Unis. »
Certes, il y a aujourd’hui un gros caillou dans la chaussure des États-Unis. Il est économique plus que militaire : c’est cette insupportable épée de Damoclès de la puissance chinoise qui menace le « leadership » américain, l’enjeu stratégique numéro un pour Washington. Mais, par sa guerre d’agression contre l’Ukraine, Vladimir Poutine lui offre une occasion historique d’affaiblir lourdement l’autre éternel rival, la Russie, et permet à la coalition occidentale de revêtir la panoplie de défenseure du « monde libre », rassemblant, apparemment, derrière son étendard tous les pays en désaccord avec l’aventure sulfureuse du chef du Kremlin. Autrement dit, la quasi-totalité des nations du globe. Une aubaine stratégique inespérée pour « l’Amérique » et ses alliés. Et pourtant…
L’analyse des votes de l’Assemblée générale des Nations unies, le 3 mars dernier, donne une image du monde beaucoup plus contrastée que celle d’une hégémonie sans partage de « la famille occidentale ». Rappelons que, si Moscou fut, légitimement, isolé dans ce vote, puisque seules la Biélorussie, l’Érythrée, la Syrie et la Corée du Nord approuvèrent sa stratégie en Ukraine, les Occidentaux ne furent pas plébiscités pour autant. Bien des pays, et non des moindres, n’entendent plus être soumis à un camp. Pas moins de 35 pays se sont, en effet, abstenus et 12 autres ne prirent pas part à ce fameux vote. Parmi ces récalcitrants, il y a la Chine, qui, bien qu’alliée de la Russie, souligne que « la crise ukrainienne n’est pas quelque chose que nous souhaitions voir venir », car « la guerre n’est dans l’intérêt de personne » et doit cesser au plus tôt. Il y a également l’Inde, qui, bien qu’alliée des États-Unis, n’a pas cédé à leurs (fortes) pressions et a refusé de s’aligner sur les positions occidentales. Il y a, enfin, 22 pays africains, dont le Sénégal qui, bien que réputé proche de la France sinon de l’Europe, a tenu à marquer sa différence.
C’est que nombre de pays du Sud constatent chaque jour un peu plus que leurs intérêts bien compris sont les parents pauvres des stratégies des « grandes puissances » : l’ONU n’annonce-t-elle pas que la guerre russe contre l’Ukraine et la « guerre économique et financière totale contre la Russie » (Bruno Le Maire) risquent d’entraîner « une crise alimentaire mondiale », en particulier dans les pays les plus démunis ? Quant aux grands États « émergents », des voix fortes s’y élèvent en faveur de la mise en place d’un système financier et commercial international moins dépendant des instruments de la domination occidentale, comme le dollar ou le système de messagerie interbancaire Swift. Leur message est clair : notre opposition à la guerre russe ne fait pas de nous les obligés de l’Occident
Interview par Lina Sankari sur www.humanite.fr
Un mois après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Bertrand Badie rappelle les responsabilités de l’Occident après l’effondrement de l’URSS, analyse les stratégies déployées par les acteurs en présence et esquisse les solutions pour une sortie du conflit.
L’économie russe « va retourner vingt ou trente ans en arrière », assurait récemment l’ancien conseiller économique du gouvernement russe Sergeï Gouriev. Selon le professeur des universités à Sciences-Po Paris Bertrand Badie, les menaces d’exclusion de la Russie du système global et les perspectives d’anéantissement économique constituent une nouvelle forme de dissuasion. Auteur des « Puissances mondialisées : repenser la sécurité internationale », Bertrand Badie analyse les grandes lignes de force internationales qui émergent à la faveur de la guerre en Ukraine.
Il faut se méfier des formules qui frappent l’imagination dans des périodes de troubles. On verra, lorsque la fièvre sera retombée, quelles seront les conséquences d’un événement dont on ne peut qualifier la nature aujourd’hui. Il y a des tendances qui se dégagent. Lors du vote à l’Assemblée générale des Nations unies, est apparue une coupure entre le Nord et le Sud, une sorte de second Bandung, la grande conférence afro-asiatique de 1955 qui cherchait à s’émanciper de la bipolarité imposée. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’une bipolarité imposée mais de conflits dénoncés comme étant des querelles internes au monde ancien et dont ils ont peur de devoir payer le plus gros de la facture parce que les conséquences économiques et humanitaires de cette crise seront beaucoup plus fortes là où les souffrances sociales sont les mieux installées. C’est une tendance négligée parce que l’idée que le Sud est une périphérie reste dominante.
La seconde conséquence de ce conflit réside dans la physionomie de l’Europe. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’Europe a réussi en quelques semaines une intégration et une convergence qu’elle n’avait pu atteindre pendant des décennies. Personne ne peut prédire ce que sera l’Europe des 27 à la fin de cette crise. On ne sait si les divisions d’antan ne reprendront pas le dessus. En revanche, pour la première fois depuis 1945, on assiste à une certaine distanciation des États-Unis. L’Otan s’est construite sur l’européanisation des États-Unis, leur installation, pas seulement militaire, sur le continent. Aujourd’hui, si la superpuissance américaine suit les événements, on la sent moins impliquée, et l’Europe a vraiment le sentiment de se retrouver de l’autre côté de l’Atlantique.
De même, la crise avec la Russie, qui n’a jamais été intégrée dans l’espace européen post-1989, a atteint son paroxysme. Il faudra bien penser un régime de sécurité commun. L’Europe occidentale a misé sur l’absurde en excluant politiquement la Russie de l’espace européen, tout en renforçant ses liens de dépendance économique et énergétique. On a aujourd’hui atteint un point de non-retour, où l’alternative réside soit dans l’exclusion complète – peu probable –, soit dans la définition d’un nouveau dénominateur commun que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe aurait pu porter.
Cette guerre est enfin la première de la mondialisation. À l’aventure militaire totale lancée par le maître du Kremlin, répond un nouveau langage qui ne passe pas par la destruction militaire mais par l’exclusion du système global et les perspectives d’anéantissement économique. C’est une forme de dissuasion presque aussi angoissante que la dissuasion nucléaire. À l’issue de cette guerre, on saura si c’est réellement une voie de résolution des conflits.
Je crois qu’il misait d’abord sur la restauration de l’ancien monde. Ce qui est frappant dans sa rhétorique, c’est son aspect passéiste. Les références de Poutine se construisent autour de l’Empire russe jusqu’à son berceau ukrainien qui nous ramène à la fin du XIXe siècle, de l’URSS non pas comme régime mais comme puissance, de la rhétorique d’après 1945 dont est extraite la notion absurde de dénazification et de la guerre froide où le bras de fer réglait le jeu international.
À la chute du mur de Berlin en 1989, Mikhaïl Gorbatchev déclarait, à Malte devant George Bush, que l’Union soviétique n’avait plus aucun intérêt à concurrencer le monde occidental. Les Occidentaux pensaient entrer dans une ère unipolaire où ils auraient vocation à être les gendarmes du monde, c’est le messianisme des néoconservateurs. Or, toutes leurs interventions ont échoué, sauf peut-être l’opération « Tempête du désert » menée sous mandat des Nations unies.
Ces interventions illimitées dans leur nombre, leur mode opératoire, leur façon de se légitimer ont réveillé les oppositions. Or, la Russie d’Eltsine ne s’était pas constituée dans l’opposition à l’Occident. La marginalisation, l’humiliation récurrente ont fabriqué un revanchard nationaliste inquiet de reconstituer sa puissance. Le danger s’est périodiquement manifesté : prise de l’aéroport de Pristina (en 1999, au lendemain de la guerre du Kosovo – NDLR), Géorgie, Syrie et Crimée. Ce qui nous ramène à cette décision extrêmement brutale de maintien de l’Otan, alors que le pacte de Varsovie a de fait été dissous avec l’effondrement de l’URSS. Ce maintien de l’Otan appelait à la reconstitution d’ennemis soit désignés, soit qui se considéraient comme tels.
Jamais Poutine ne pouvait imaginer que le paramètre social jouerait dans sa conquête de l’Ukraine. On voit à quel point l’entrée des chars russes en Ukraine ne ressemble en rien à celle des chars soviétiques en Tchécoslovaquie en 1968. Admettons que la puissance de feu finisse par l’emporter, nul ne dit que cette armée pourra se transformer en armée d’occupation sans essuyer des sabotages, des insurrections. Il en va de même avec cette jeune femme qui a brandi une pancarte pacifiste en direct au journal télévisé russe. Les dictateurs ne savent pas compter sur la pression sociale, cela a joué de mauvais tours à Moubarak, Ben Ali, Kadhafi, Blaise Compaoré…
La solution à esquisser passe par cela, comme par la définition d’un statut pour le Donbass et d’un nouvel ordre de sécurité en Europe. Durant la guerre froide, les États passaient des traités pour garantir la neutralité d’autres pays. Aujourd’hui, les relations internationales ne peuvent plus fonctionner ainsi. On ne peut pas ôter sa souveraineté à un État et ses désirs ou attractions à un peuple. En revanche, on peut trouver une formule qui passe par la redéfinition de la fonction des alliances militaires et singulièrement de l’Otan. Ce n’est pas tant du peuple ukrainien qu’il faut obtenir des engagements mais de l’Otan comme organisation anachronique.
Cela montre la fragilité de cette construction à la serpe que constitue l’alliance indo-pacifique, qui recèle le même danger. À l’instar de la Russie, la Chine pourrait se sentir menacée lorsqu’elle verra se concrétiser ce cordon qui va de l’Inde au Japon en passant par l’Australie et le cœur du Pacifique. Le jeu très complexe de la Chine aujourd’hui tient probablement compte du message qu’elle entend adresser aux puissances occidentales. La manière dont les différents États indo-pacifiques ont réagi à la crise ukrainienne montre la fragilité de ce type d’alliances. L’Inde n’a pas voté la résolution condamnant la Russie. Ce qui en fait un allié étrange. Enfin, on comprend tout le danger et la naïveté à concevoir une coopération internationale s’adossant sur le jeu des alliances militaires. La Chine agit principalement par recours à des instruments économiques, les Nouvelles Routes de la soie. Est-il pertinent de répondre à un projet mondialisé par un projet militaire régionalisé ? Est-il raisonnable de se projeter dans un espace géographique qui n’est pas le sien ? C’est valable pour les États-Unis, mais également pour la France, même si Paris a encore des possessions dans le Pacifique. La version moderne de notre sécurité passe-t-elle par un engagement militaire dans un espace difficile à contrôler ? La France est incapable de s’imposer en Méditerranée. Ce n’est pas parce que, sur le papier, le droit de la mer donne un espace maritime dans le Pacifique à la France que l’avenir et le bonheur du peuple français se jouent là-bas.
Le vote du Conseil de sécurité a clairement montré – mais est-ce nouveau ? – à quel point les institutions traditionnelles du système onusien sont paralysées par le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et par une définition de la sécurité datée de la guerre froide. Ils ont toujours refusé de se saisir des enjeux nouveaux de sécurité globale comme le climat, l’alimentation et la santé. À l’Assemblée générale, qui n’a pas de pouvoir contraignant, le système onusien joue son rôle de forum. Autre élément qui n’est pas rassurant : l’effacement du secrétaire général. On n’a pratiquement pas entendu Antonio Guterres. Il aurait résolument été mis à l’écart, notamment par la Russie. Pendant la guerre froide, même le Birman U Thant, qui n’avait pas beaucoup d’épaisseur, avait joué un rôle très actif dans la crise des missiles de Cuba. On ne sait pas regarder des institutions telles que le Programme alimentaire mondial, le Haut-Commissariat aux réfugiés ou l’OMS, qui font le succès ou du moins contiennent l’échec du système onusien. Il faut s’appuyer sur elles. Une fois qu’on aura surmonté la crise ukrainienne, il faudra bien s’occuper de la sécurité alimentaire, de la sécurité sanitaire qui n’a pas avancé malgré les millions de morts depuis 2020, du changement climatique. C’est l’Otan qui s’en occupera ? Vladimir Poutine ? La conquête éventuelle de l’Ukraine fera-t-elle avancer d’un iota ces questions ? On oublie le Yémen, la Syrie, le désastre absolu au Sahel. Qui les prendra en compte ? Les rodomontades de tel ou tel va-t-en guerre occidental ? Ces questions resteront les mêmes, elles seront aggravées par la crise ukrainienne et il faudra bien prendre des initiatives qui répondent à une tout autre grammaire.
Bertrand Badie est professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po). Depuis sa thèse « Stratégie de la grève. Pour une approche fonctionnaliste du Parti communiste français », il est l’auteur de nombreux ouvrages clés et enrichit l’analyse des relations internationales de la sociologie durkheimienne. Avec Dominique Vidal, il codirige la collection « L’état du monde ».
publié le 25 mars 2022
sur https://lepoing.net/
Entre 1000 et 1500 retraités étaient venus de toute la région ce jeudi 24 mars pour manifester sur Montpellier. Les revendications portaient sur le pouvoir d’achat, la santé et la qualité des services publics.
Ce jeudi 24 mars des rassemblements et manifestations de retraités étaient prévus dans 28 villes, portés par une intersyndicale large regroupant neuf organisations (CGT-FO-CFTC-CFE CGC-FSU-Solidaires-Ensemble et Solaidaires-LSR-Rtraité Fonction Publique).
Sur Montpellier, ils auront été entre 1000 et 1500 à se retrouver autour du kiosque de l’esplanade Charles de Gaulle, venus de tout l’Hérault, mais aussi de Lozère, du Gard, de l’Aude ou des Pyrénées-Orientales.
Les pensions de retraites sont indexées sur l’indice des prix, en théorie. Mais le calcul ne se fait qu’une fois dans l’année, il est donc inefficace en cas d’inflation rapide et brutale comme nous la connaissons en ce moment. Ajoutons que les gouvernements successifs contournent la loi de 1993, de plusieurs manières : décalage de la date de revalorisation sans rattrapage entre les mois qui se sont écoulés entre l’ancienne et la nouvelle date, gel des pensions en 2014 et 2016, amendement au projet de loi de finances de la Sécurité sociale qui est voté chaque année… Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites estime que ces mécanismes « expliqueraient un peu moins de la moitié (44 %) de la perte de pouvoir d’achat du cadre né en 1932 et environ un tiers (entre 32 % et 35 %) de celles des autres générations, le reste étant expliqué par la hausse des prélèvements ».
La désindexation des pensions sur le salaire en 1987 a entraîné aux dire de nombreux participants une baisse de pouvoir d’achat constante, équivalente selon les syndicats à « 10% du montant des pensions perdues en 10 ans ».
Ils demandent donc la réindexation sur les salaires, avec compensation des pertes de pouvoir d’achat entraînées au fil des années, et la revalorisation des pensions de reversion qui sont versées aux conjoint veufs ou veuves. Pour les veufs et veuves toujours, comme pour les parents isolés, le rétablissement de la demi part fiscale supprimée. Tout en exigeant un minimum retraite équivalent au SMIC.
La hausse de la CSG de 1,7 point décidée par le gouvernement Macron dès 2017 est également dans le viseur.
Avant le départ de la manifestation colère et émotion se font sentir au moment d’évoquer la crise sanitaire, dont la gestion a laissé à bon nombre de retraités l’impression d’être sacrifiés. Le souvenir de ces périodes de saturation des hopitaux, pendant lesquelles les résidents infectés dans les EHPAD y sont restés, heurte encore les mémoires. On évoque les dizaines de milliers de morts. « Des milliers de décès auraient pû être évités si on n’avait pas supprimé autant de postes et de lits ces dernières années », tonne un orateur. Une fois la tempête passée, les conditions de vie parfois désastreuses dans les EHPAD, comme l’a montré le scandale autour d’ORPEA, n’ont pas donné l’impression aux anciens d’être plus pris en compte.
D’où tout un panel de revendications portant sur les services de santé. Prise en charge de l’autonomie par la Sécu et création d’un grand service public s’y consacrant, création de 300 000 postes dans le médico-social (200 000 en EHPAD et 100 000 dans l’aide à domicile), ouverture de lits supplémentaires en EHPADs publics, une meilleure formation et de meilleurs salaires pour les salariés du médico-social, l’arrêt des fermetures de lits dans les hopitaux publics, et le réouverture de tous les services et établissements fermés pour raisons budgétaires.
Le maintien et le renforcement de services publics de qualités dans tous les domaines a été également posé comme un préalable au droit à une vie digne pour nombre de personnes âgées : les manifestants se sentent sérieusement impactés par le tout numérique austéritaire qui s’impose dans de nombreux services publics.
La manifestation durera près de deux heures, passant par la Comédie, la rue de la Loge, la rue Foch, le Peyrou, le Jeu de Paume, et la rue de Maguelone.
En fin de cortège la sono de l’intersyndicale avance le chiffre de 30 000 manifestants dans tout le pays, sans avoir pû prendre en compte les tout derniers départs de cortèges. Quoiqu’il en soit les particiapants se voient bien repartis pour un tour. « Macron n’en a pas fini avec nous », promet-on à la sono avant que le rassemblement ne se disperse.
sur https://lepoing.net/
Environ mille personnes on fait le déplacement pour soutenir les trois représentants CGT du personnel de la fonderie SAM qui étaient assignés devant le tribunal de Rodez par les mandataires liquidateurs ce jeudi 24 mars. La justice devait statuer sur la légalité du maintien d’une occupation qui dure depuis quatre mois.
Reprise en 2017 par le groupe chinois Jinjiang, la Société Aveyronnaise de Métallurgie (SAM) -qui fabrique des carters et a pour principal donneur d’ordres Renault- avait été placée en redressement judiciaire fin 2019. A la fin du mois de juillet 2020, le Tribunal de Commerce rejette deux offres de reprises. Vient la liquidation judiciaire de septembre 2021, puis un nouveau passage le 22 octobre devant le Tribunal de Commerce : celui-ci est censé étudier les offres de reprise. Sauf qu’il n’y en a pas. Les délais sont donc allongés jusqu’au 19 novembre. Des repreneurs se proposent, mais auraient besoin d’aide financière pour pouvoir poursuivre l’activité de la SAM.
S’ensuit une occupation de l’usine, qui dure depuis le 22 novembre 2021. La CGT demande un engagement des mandataires liquidateurs sur le maintien de l’outil de travail, se désolant de la disparition de l’emploi industriel dans le bassin de Decazeville. Trois représentants syndicaux CGT sont alors assignés devant le tribunal de Rodez pour l’occupation. Dans le viseur, l’occupation de l’usine, et le fait que les fours continuent à tourner à l’intérieur.
Une audience est programmée jeudi 24 mars au tribunal de grande instance de Rodez. Environ mille personnes font le déplacement pour soutenir les syndicalistes. Il faut dire que la mobilisation n’en estr pas à ses débuts, avec au total plus d’un an et demi de bataille, et une mobilisation massive de la population avec des milliers de manifestants à plusieurs reprises.
Le délibéré sera rendu le 29 mars à 14h. La CGT plaide la poursuite des médiations.
Quelques 300 anciens salariés de la fonderie préparent leurs dossiers pour assigner les mandataires liquidateurs et les groupes Renault et Jinjiang aux prud’hommes. L’ensemble sera plaidé collectivement à Rodez.
publié le 25 mars 2022
Faïza Zerouala sur wwwmediapart.fr
Six bénéficiaires du RSA réagissent à la proposition avancée par le candidat Macron de lier le versement du revenu de solidarité à un minimum d’activité. « Il faudrait qu’il vive la pauvreté pour savoir ce que c’est », s’indigne une jeune coiffeuse de formation. « Ça va se faire au détriment des travailleurs », s’inquiète surtout Romain, ex-ingénieur.
La proposition avancée par le candidat Macron de conditionner le RSA à l’exercice d’une activité de 15 à 20 heures par semaine passe mal. Un euphémisme. Interrogé par France Inter, Richard Ferrand, le président LREM de l’Assemblée nationale, a précisé mercredi qu’il ne serait « pas question d’activité obligatoire ». Très peu de détails ont filtré sur la mise en œuvre concrète de la mesure, mais Mediapart a surtout voulu sonder les concerné·es. Paroles de six bénéficiaires.
Sylvain, 58 ans, Aubervilliers. À 58 ans, Sylvain a longtemps exercé la profession de plombier. Après deux infarctus, deux AVC, il y a une dizaine d’années, il a récemment subi une opération pour déboucher ses artères, « comme pour les canalisations ». Il rit de ce clin d’œil mais beaucoup moins de la proposition d’Emmanuel Macron de conditionner le RSA à l’exercice d’une activité de 15 à 20 heures hebdomadaires. Il ne peut plus pratiquer la marche comme jadis, certains de ses orteils sont nécrosés et il en a perdu des bouts. Bref, il a le corps en vrac.
Avec ses multiples problèmes de santé dont il se sent responsable (« j’ai trop travaillé, été trop stressé et j’ai trop fumé »), Sylvain se demande bien ce qu’il pourrait faire en échange de ses 477 euros mensuels.
Au quotidien, et c’est une évidence de le rappeler, toute dépense est millimétrée. Son loyer s’élève pour un F2 à 175 euros après les APL. Il paye 34 euros d’EDF et 5 euros pour une association citoyenne. « Être au RSA, c’est invivable. Vous regardez la moindre dépense, le cinéma et tous les loisirs, c’est fini. Et j’ai pas intérêt à avoir mon frigo ou ma machine qui lâche, impossible de faire un crédit. Je suis coincé, je ne peux rien faire. » Il tapote sa poche de pantalon et dit qu’il n’a rien dedans, pas même un euro.
Pour la nourriture, cela lui coûte 50 euros par mois pour recevoir des barquettes de nourriture via le centre communal d’action sociale de la ville. Les portions sont légères, dit Sylvain, mais il s’en contente. Parfois, il vient compléter à Épicéa. Avec son Pass Navigo gratuit, il en profite pour bouger un peu, aller prendre l’air au parc de la Courneuve.
Sylvain a bien rempli un dossier à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour faire reconnaître son handicap mais il se balade dans la nature depuis trois ans. Il pense que le département est submergé et que sa demande s’est noyée au passage.
À la grande époque, quand il travaillait tout le temps, il touchait 3 000 euros net. « C’est dur de basculer. Avant, j’avais une voiture et j’aurais pu partir en vacances si j’avais voulu. Tout ça, c’est fini. »
Son emploi aidé, entre 2014 et 2019, à l’épicerie sociale et solidaire Épicéa installée à deux pas de la mairie d’Aubervilliers, lui a vraiment plu. Il faisait un peu de ménage ou de bricolage. Assis dans la cuisine jaune vif, il montre son œuvre. C’est lui qui a repeint tous les locaux. Et il pouvait utiliser la machine à laver et prendre une douche ici car il a vécu à un moment dans un squat insalubre. « Ça me sauvait … »
« Puis Macron m’a viré. Je touchais 800 euros et j’étais bien. Mais il a préféré supprimer les emplois aidés. Il a créé ses propres pauvres. Et maintenant, il veut qu’on fasse 15 à 20 heures de bénévolat. Mais dans quoi ? On va se débrouiller si c’est obligatoire mais, à mon âge et avec ma santé, c’est infaisable. »
Le militant communiste attend tout de même de voir ce qu’Emmanuel Macron va proposer concrètement. « Et il n’a pas intérêt à me dire de traverser la rue… »
Rebecca*, 31 ans, Aubervilliers. Dans la même épicerie sociale et solidaire Épicéa, une bénévole tend une barquette de viande à une bénéficiaire, les morceaux de bœuf ont un peu noirci. Mais Rebecca* s’en fiche et la récupère sans sourciller. « Il suffit de couper les bouts noirs, ce sera très bien. » Les astuces pour cuisiner sans gâcher sont son quotidien. Elle prépare une très bonne soupe à base des épluchures de légumes. La mère de famille de 31 ans a un fils de 2 ans et une fille de 12. Et avec son conjoint, ils touchent le RSA « couple » depuis fin 2021.
Pendant qu’elle allaite son petit, Rebecca raconte son parcours sinueux. Elle est coiffeuse de formation mais aussi percluse d’allergies diverses et atteinte d’un asthme sévère. Impossible pour elle d’être en contact avec les produits chimiques capillaires. Ses problèmes de dos, de bassin et de cervicales lui interdisent toute station debout prolongée. Cela ajouté à ses soucis personnels, elle n’a pu travailler. Elle touche le RSA jusqu’en 2019, puis il est suspendu car son conjoint gagne trop à l’époque.
Mais ce dernier travaille dans l’événementiel, alors la crise sanitaire lui est fatale.
Il se retrouve au chômage et arrive en fin de droit en juillet 2021. Après quelques péripéties administratives, le couple touche 713 euros de RSA et 600 euros de prestations diverses (APL, allocations familiales et prestation d’accueil du jeune enfant).
Le loyer s’élève à 1 040 euros. Chaque mois, il faut s’acquitter de 124 euros pour l’EDF ou encore 60 euros d’assurance habitation sans compter les autres charges incompressibles comme les 30 euros d’Internet ou 40 euros pour l’eau. Le couple a aussi cumulé environ 4 000 euros de dettes de loyer, qu’il rembourse à hauteur de 172 euros par mois. Il ne reste presque rien ensuite.
Tout est bon pour améliorer le quotidien. Elle coupe elle-même les cheveux de ses enfants et veille sur les groupes Facebook de la ville où des dons de vêtements sont proposés. Elle récupère des paniers solidaires donnés par le Parti communiste et elle vient faire ses courses à Épicéa. Avec une amie, elle aussi en difficulté, elles s’échangent des denrées alimentaires en fonction de ce qu’elles arrivent à se procurer. Son père, qui touche une retraite de 1 200 euros, l’aide tant bien que mal en payant son forfait téléphonique.
Ce 20 du mois, il lui reste 10 euros. Elle ne fera pas sa prise de sang pour vérifier son anémie, à quatre euros non remboursés.
Rebecca explique qu’elle attend que son dernier aille à l’école maternelle en septembre pour se remettre à chercher du travail activement. « Je ne peux pas payer une nounou. Ça coûte quoi ? 400, 800 euros ? Je ne les ai pas et quel intérêt si je gagne 1 200 euros de tout dépenser en frais de garde et de ne plus m’occuper de mes enfants ? »
La proposition du candidat Macron d’imposer une activité aux bénéficiaires du RSA l’agace. « Je n’ai pas l’impression de rien faire, je m’occupe de mes enfants, de la maison, c’est un travail en tant que tel. Je cours entre les Restos du cœur, Épicéa et tout le reste pour avoir de quoi nourrir mes enfants. »
« Macron pense comme tout le monde que mère au foyer, c’est rien. Si je dois en plus faire du bénévolat je le mets où sachant qu’il va aller à l’école que le matin ? Ça veut dire que je dois les mettre à la cantine ? »
Rebecca n’en revient pas. Elle a le sentiment que le président-candidat « veut nous descendre encore plus bas, nous, les plus pauvres. Pour lui, on est des bons à rien mais il faudrait qu’il vive la pauvreté pour savoir ce que c’est ».
Romain, 35 ans, Marseille. Allocataire depuis quatre ans, il perçoit 400 euros. Cet ancien ingénieur a arrêté de travailler dans son secteur car il a déménagé puis rencontré des difficultés à trouver « un type d’emploi qui correspond à ses critères », « avec des conditions de travail satisfaisantes, un semblant d’éthique dans le travail et qui ne me prenne pas tout mon temps pour faire de l’associatif en parallèle ».
Il souligne que son profil est atypique puisqu’il a fait des études et surtout a « pas mal d’argent de côté, ce qui est un sacré confort même si je ne l’utilise pas ». Avec 400 euros par mois, un loyer du même montant et 250 euros d’APL, il explique s’en sortir car il est habitué à dépenser très peu.
Il regrette que la mesure annoncée par le candidat LREM soit encore floue, entre activité, bénévolat et formation, et ne sait toujours pas comment analyser les conséquences d’un tel bouleversement. « De prime abord, je l’ai vu comme une mesure démagogique dans la perspective d’un duel avec l’extrême droite, donc jamais mise en œuvre. Je me suis dit ensuite qu’il serait compliqué de former tous les bénéficiaires du RSA. Je commence maintenant à me dire que la mise en place se fera de manière violente, surtout dans un contexte où les entreprises prétendent avoir des difficultés à recruter, elles vont profiter de cette main-d’œuvre. Cela va se faire au détriment des travailleurs. »
Marion, 33 ans, Marseille. Elle a commencé à travailler à l’âge de 18 ans dans la vente et la restauration, puis à la fin 2020, elle s’est lancée dans une reconversion dans le marketing. Elle s’est formée à la communication digitale, mais peine à trouver un contrat. Elle est sur la piste d’un poste, en intérim « hélas ». Donc, en attendant de décrocher un contrat, elle touche 565 euros de RSA depuis fin 2020, après un an de chômage.
Comme tous les autres bénéficiaires, elle est agacée de l’image qui colle à la peau des bénéficiaires du RSA, et choquée « qu’on flique les personnes qui ont les minima sociaux pour vivre et qu’on entretienne l’idée que les personnes qui en bénéficient sont des flemmards. Les fraudes sociales sont infinitésimales en plus. Castex a parlé de travail d’intérêt général, comme si on avait commis un délit ! Il n’y a rien de simple, rien d’amusant, rien de jouissif là-dedans, c’est insupportable ».
Au quotidien, Marion refuse les sorties avec ses ami·es. Une fois par mois, elle s’autorise un restaurant, où elle sait qu’elle ne dépassera pas les 20 euros. Il est impensable de s’autoriser de l’alcool. Ces réflexes de survie, elle les a intégrés de longue date : « Je viens d’un milieu précaire, ma mère était au RMI. »
Marion ne se fait pas encore trop de souci. Elle pense qu’elle va finir par trouver quelque chose. Elle a commencé à rembourser les 6 000 euros de son prêt étudiant, à hauteur de 100 euros par mois. Car elle ne paye plus de loyer comme son immeuble a été déclaré en péril. « Je me sens moyennement en confiance mais je ne peux pas déménager car je n’en ai pas les moyens et personne ne me louera rien. »
Elle ne décolère pas face à cette proposition de travailler 15 à 20 heures par semaine.
« J’ai la chance d’être en ville, mais une personne excentrée devra payer l’essence pour se rendre sur son lieu de travail, de formation ou de bénévolat ? Ce sera quoi ? Un stage ? Un service civique sans limite d’âge jusqu’à 65 ans ? Vraiment, ça commence à se voir qu’on veut détruire les acquis sociaux. »
Par ailleurs, elle se demande comment conjuguer cela avec le reste. « Oui, dans l’absolu, je devrais avoir 15 et 20 heures de libre mais si on m’oblige à faire ça, ce serait compliqué pour moi de continuer à chercher du travail. Les associations n’ont pas à jouer le rôle du gouvernement. S’il y a des postes à 15 heures libres, ils devraient nous payer au Smic et pas un mi-temps à 500 euros. »
Surtout, la jeune trentenaire a déjà fait du bénévolat. Elle a aidé l’année dernière le site Covidliste qui répertoriait, au tout début de la campagne vaccinale, les doses de vaccins disponibles. « Je l’ai fait de mon plein gré car j’avais le temps, la volonté et l’espace mental pour le faire. Là, il y a un problème d’éthique autour du travail forcé. On me donne l’impression d’être un parasite, une bagnarde qui va se retrouver forçat. »
Par ailleurs, Marion ne s’explique pas pourquoi personne ne souligne que le marché du travail est presque saturé. Sans compter que l’accompagnement laisse parfois à désirer. Ainsi s’est-elle vu proposer une formation en boucherie.
La jeune femme déplore « cette culpabilisation » des personnes précaires et rappelle surtout qu’elle a déjà des obligations, notamment ses rendez-vous avec sa conseillère Pôle emploi. Elle a connu par exemple une suspension de RSA car elle n’avait pas envoyé à temps un papier sur son projet de retour à l’emploi à la Caisse d’allocations familiales.
Damien*, 40 ans, des Alpes-Maritimes. Cet ingénieur du son compte sur le RSA pour vivre depuis quatre ans : 497 euros chaque mois. Il a perdu son logement en région parisienne à cause de la crise sanitaire, et depuis est hébergé dans le Sud, où il s’acclimate mal. Ici, la politique de lutte contre la fraude est importante et les obligations nombreuses. Il a écopé d’une suspension car il a raté un atelier facultatif, assure-t-il. « On a juste droit à deux jokers. Moi, j’ai refusé de faire chauffeur-livreur car je n’ai pas conduit depuis 20 ans, et la restauration car j’ai des douleurs au dos. »
Damien vit très chichement, avec 143 euros précisément. Car il donne chaque mois 350 euros à sa mère qui pense qu’il gagne bien sa vie. « Je ne lui ai pas dit que je suis au RSA. » De stress, il s’est remis à fumer. Beaucoup. Ce qui lui coûte fort cher.
De prime abord, la proposition macroniste ne le réjouit pas. « C’est une guerre politique avec nous en plein milieu. On sert de chair à canon. »
Seulement, après réflexion, Damien n’est pas opposé à l’idée de demander aux bénéficiaires de s’acquitter d’une tâche bénévole, « même si ça fait un peu réactionnaire ». « Je pense qu’il faudrait créer un Emmaüs laïque, que les bénévoles puissent s’occuper des gens perdus dans le RSA, les démarches, etc. Encadré par des gens qui vous comprennent sans être montré du doigt, je ne serais pas contre. Il faut que les pauvres s’aident entre eux… »
Fatiha, 61 ans, Dunkerque. Elle n’a pas attendu Emmanuel Macron pour faire du bénévolat, dit-elle. Responsable du groupe ATD Quart Monde de Dunkerque depuis 2010, elle raconte avoir cinq pages de son CV remplies par ses activités bénévoles. « Je fais ça du lundi au dimanche, ça ne changera rien pour moi. Mais si Macron fait ça, le RSA ne sera plus un droit et cela ne sera plus du bénévolat mais une obligation… »
En plus d’ATD Quart Monde, Fatiha s’occupe de distribuer de la nourriture aux migrant·es, des personnes âgées auxquelles elle rend visite deux fois par semaine grâce au CCAS de la ville.
Cette sexagénaire a quatre enfants. Sa dernière vit avec elle et l’aide dans le quotidien. Fatiha touche 497 euros de RSA, pour 656 euros de dépenses nécessaires. « Ma fille qui touche son petit chômage de 366 euros me donne ce qui manque, soit 158,80 euros. Si je n’avais pas ma fille avec moi je vivrais dans la peur d’être expulsée. Ça fait trois ans que j’ai demandé un logement plus petit pour déménager. Elle est où ma dignité ? Qui s’en préoccupe ? Je ne veux pas que ma fille gâche sa vie à rester chez moi pour payer le loyer mais je n’ai pas le choix. »
Fatiha le répète à plusieurs reprises, elle veut rester active, mais pas qu’on l’oblige à le faire. Elle rappelle tous les obstacles qui se dressent face à elle et ses difficultés à s’insérer dans le monde du travail. Les contreparties au RSA ne règleront pas son problème, pense-t-elle. « Je préférerais travailler que dépendre du RSA. Mais je suis épileptique, je ne peux pas être avec les enfants, face à de la chaleur ou des produits ménagers car cela pourrait déclencher des crises, comme cela est arrivé par le passé. » Fatiha s’est formée au secrétariat, en vain.
Elle fait ce qu’elle peut, a suivi de mars 2020 à mars 2021 une formation expérimentale dans l’animation sociale, lancée par ATD et rémunérée pendant 9 mois (OSEE, pour oser les savoirs d’expérience), qui valide le savoir acquis sur le terrain. Elle a perdu 122 euros par mois sur son RSA et ses APL. Elle dénonce la maltraitance institutionnelle déjà subie quand on touche les minima sociaux. « La dame de Pôle emploi m’a dit de ne pas le faire. Elle m’a dit : “À votre âge, restez chez vous.” Mais à 62 ans, je ne suis pas une incapable. »
* Ces prénoms ont été modifiés à la demande des intéressé·es. Une modification concernant le dossier MDPH de Sylvain a été effectuée le 24 mars.
Rob Grams sur www.frustrationmagazine.fr/
Dans cette campagne présidentielle lamentable, la compétition semble se faire sur qui fera la proposition la plus abjecte. C’est donc Valérie Pécresse qui, la première, avait lancé l’obscénité : conditionner l’allocation du RSA à du travail non salarié. 15 heures par semaine disait-elle. C’était sans compter Emmanuel Macron, notre thatchérien bas de gamme piqué au vif, qui a renchéri comme dans une scène de ventes aux enchères tirée d’un mauvais film : oui, les forcer à travailler, mais entre 15h et 20 heures par semaine. Que vous soyez ou non allocataire du RSA, cette mesure risque de vous faire sérieusement morfler, mais nous avons encore quelques semaines pour tenter d’empêcher ça…
L’objectif de faire travailler les gens en contrepartie du RSA, n’est pas juste celui, parfaitement ignoble, d’humilier les ultra-pauvres, les précaires, les chômeurs sans droits, les SDF, les jeunes, les gens fracassés par la vie qui ne sont plus en mesure de travailler. Il n’a pas pour simple vue de conforter les franges les plus ignares des franges bêtement droitières et bourgeoises de la population dans leur vision stéréotypée et facile d’allocataires du RSA fumant des joints devant des documentaires animaliers, grassement nourris et logés sur l’argent du contribuable.
Il poursuit un second objectif, tout aussi grave que le premier : réduire le prix du travail à des niveaux en-dessous du seuil de subsistance. Car faire travailler en échange d’une allocation, ce n’est plus une aide sociale, c’est un nouveau type de contrat de travail, un contrat où l’on fera travailler les gens à des salaires qui ne leur permettent même pas de manger et de se loger. On a donc ici une des plus offensives les plus violentes de la bourgeoisie depuis au moins un siècle.
Car dans un pays qui connaît un chômage de masse (environ 7,4%, auxquels il faudrait rajouter les nombreux radiés injustement) en raison des politiques lamentables de Macron, de sa clique de bourgeois, et de ses prédécesseurs du Parti Socialiste, faire travailler de force pour des tarifs grotesques (moins de 7 euros de l’heure donc) les ultra-pauvres remplit une fonction : remplacer les emplois nécessitant peu ou pas de diplôme, normalement payés au SMIC, par des faux emplois, se rapprochant du travail forcé que l’on retrouve dans les dictatures très archaïques.
On retrouve un peu ce genre de dynamiques avec les stages étudiants : alors que l’on fait croire qu’ils sont censés bénéficier aux étudiants, ils permettent de remplacer et de mettre en concurrence les jeunes arrivants sur le “marché du travail” par des stagiaires dociles, sous payés, à qui l’on apprend que se faire exploiter est une chance et une opportunité. Cela permet donc de faire drastiquement baisser les salaires à l’embauche de ces jeunes, ainsi que leur capacité de négociation et d’exigence, et donc, à moyen terme, de faire baisser le revenu des travailleurs en général.
Pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ?
Même chose pour les services civiques, dispositif créé en 2010 par Martin Hirsch sous Nicolas Sarkozy, censé favoriser “l’engagement de citoyenneté” des “jeunes de 16 à 25 ans” mais qui font en réalité passer pour du volontariat la situation de jeunes qui, ne trouvant pas de travail (comment en trouver si les postes ont été transformés en stages et en service civiques ?), n’ayant même pas encore l’âge pour toucher le RSA, sont donc obligés d’accepter de travailler pour 473 euros par mois.
De la même manière : faire travailler les gens au RSA, c’est mécaniquement mettre beaucoup plus de gens au RSA. Car pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ?Comme le soulignait à raison un internaute, faire travailler 20h par semaine le 1,95 million d’allocataires du RSA revient à trouver chaque mois 160 millions d’heures de travail. Où sont-elles alors que partout on cherche du boulot ? La réponse est simple : chez ceux et celles qui travaillent déjà.
Ainsi transformer le RSA en un salaire en-dessous des minimas sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires.
Il permet également un net renforcement du rapport de force favorable à la bourgeoisie en rendant quasi-impossible la démission, déjà très compliquée en temps normal. Macron avait promis que nous pourrions toucher le chômage en cas de démission, ce n’est évidemment pas le cas (ou du moins il faut lire les astérisques pour comprendre les conditions délirantes dans lesquelles cela est possible). Le RSA est donc la seule garantie de pouvoir éventuellement subvenir à ses besoins vitaux si vous avez besoin de démissionner face à une situation insupportable. Avec cette mesure, vous saurez désormais que si vous démissionnez, vous ne quitterez votre travail que pour en trouver un autre, ou vous serez également exploités mais cette fois pour moins de 500 euros par mois.
En dépit d’un fantasme droitier où le chômage et le RSA seraient un loisir de oisif, beaucoup de gens cherchent du boulot et n’en trouvent pas. Trouver un travail dans ce pays où la bourgeoisie règne en maître, impose toutes ses règles, tient du parcours du combattant et ce, à tout âge et presque à tous niveaux de diplôme.
C’est évidemment quelque chose que les bourgeois et les macronistes (ce sont les mêmes) font semblant d’ignorer puisqu’ils n’ont jamais eu besoin de se bouger pour trouver un emploi : ça leur tombe dans les mains grâce au piston (on dit “réseau” chez eux) depuis qu’ils ont 20 ans.
Donc chercher un boulot, à considérer qu’on soit apte au travail, et ce n’est pas toujours le cas lorsque l’on est au RSA (pas seulement pour des raisons physiques, qui semblent être les seules parfois acceptées par les droitards) est un travail à plein temps. Car oui : écrire et envoyer des lettres de motivations et des CV (surtout lorsqu’on est pas à l’aise avec l’informatique), passer des tas d’entretiens humiliants, faire des tonnes de rendez-vous inutiles de flicage au Pôle Emploi et des formations abrutissantes, se déplacer en direct dans les entreprises pour quémander un emploi…tout ça prend un temps et une énergie folle, que l’on a pas si l’on travaille en plus 20 heures par semaine.
La vision du chômage comme un choix individuel montre bien le désintérêt complet et la parfaite nullité des bourgeois dans le domaine de l’économie (qu’ils confondent avec le “business”). Ou à minima leur profonde mauvaise foi. Le niveau de chômage d’un pays dépend évidemment de tendances macroéconomiques lourdes, de politiques économiques et de rapports de force entre les travailleurs et le capital. Quand après 2008 le chômage explose, sans d’ailleurs jamais retrouver depuis son niveau antérieur, ce n’est pas parce que la crise des subprimes aurait subitement déclenché chez les gens une immense vague de flemme et de fainéantise. Et lorsque les Grecs furent touchés de plein fouet avec d’un coup plus de 50% de chômage chez les jeunes ce n’est pas parce qu’ils avaient tous collectivement décidé de prendre une année sabbatique ! A quel degré de bêtise faut-il être pour penser ça ?
Ainsi transformer le RSA en un salaire en-dessous des minimas sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires.
Le taux de chômage et le nombre d’allocataires du RSA a autant à voir avec la motivation de ces derniers que le prix de l’essence à la pompe en a avec la vôtre quand vous allez à la station-service : on ne rend pas responsable un individu victime d’une situation économique nationale ou mondiale.
Dans cette logique, la transformation, en 2009 du RMI (le Revenu Minimum d’Insertion, créé sous le gouvernement de Michel Rocard en 1988) en RSA (Revenu de Solidarité Active) c’est-à-dire un an après le début d’une crise économique gravissime, avait déjà porté un premier coup de semonce à cette aide sociale, en renforçant le flicage des allocataires (obligations de pointage à Pôle Emploi, de s’inscrire à des formations inutiles etc.), rendant les concernés responsables de leur situation.
L’idée répandue par des bourgeois sans aucun vécu, qui gagnent leur vie en faisant bosser les autres, que les allocataires du RSA seraient des “fainéants” ne résiste pas deux secondes à l’épreuve de la réalité.
Voici quelques exemples, parmi des milliers d’autres, où l’on peut être au RSA :
Vos enfants en bas âge viennent de mourir dans un accident de voiture. Les macronistes avaient voulu faire baisser le congé deuil d’un enfant de 12 à 5 jours avant de se rétracter devant le tollé. Dans le réel, endurer un deuil ne prend ni 12, ni 5 jours. Vous “décidez” alors de démissionner – vous ne toucherez pas le chômage, puisqu’on le touche pas quand on démissionne. Vous êtes donc au RSA. Est-ce qu’il est normal de vous forcer à bosser ?
Les SDF, 300 000 en France, on les force à bosser? Les personnes qui ont eu un problème avec la drogue et qui essayent doucement d’en sortir, on les force à bosser ?
Les meufs harcelées sexuellement au taff, qui savent qu’elles n’ont aucune chance aux prud’hommes et qui décident donc de poser leur démission, on les force à bosser ?
Les agriculteurs qui bossent 80 heures par semaines mais qui gagnent pas un rond, on les fait bosser 20 heures de plus ? Les personnes qui ont un problème de santé (environ 40% des bénéficiaires du RSA) ou un problème de dépression (environ 36% des bénéficiaires du RSA), on les force à bosser ?
Et les plus âgés en fin de droits ? Ceux qui n’ont pas encore 65 ans, le futur âge de départ à la retraite avec Macron, mais qui ne trouveront quand même plus de boulot parce que les employeurs leur riront au nez et qu’ils sont épuisés, on les force à bosser ?
J’ai moi-même été au RSA quelques mois. Je venais de finir mes études, et je n’avais plus droit à rien, si ce n’est à rembourser mon prêt étudiant. Au bout d’un mois et demi j’avais trouvé un job (ce qui est une chance). Sauf que paf, nous sommes en mars 2020 : Macron annonce le confinement généralisé. Mon employeur décale mon entrée jusqu’à nouvel ordre – 3 mois donc. Qu’est ce que j’étais censé faire selon les bourgeois ? Demander le RSA a-t-il fait de moi un fainéant ? J’aurais dû manger des racines pendant 3 mois et déménager dans un carton ? Ou bien aller à leurs travaux forcés et me mettre en danger ainsi que mes proches ?
Voilà les réalités derrière les a priori moisis de cette bourgeoisie cruelle, ignare, hors-sol, cynique à en crever.
Mais allons plus loin. Quand bien même une minuscule minorité “profiterait” du RSA, refusant de se tuer à la tâche pour le capital, de faire des jobs pourris, inintéressants, nuisibles pour l’environnement et pour l’intérêt commun, et alors quoi ? 500 euros c’est peu dire que ce n’est pas la grande vie : on sait que cet argent sera entièrement dépensé et donc réinjecté dans l’économie. En quoi cela serait si grave ? Leur absence de travail – et encore faudrait-il accepter la définition capitaliste du travail qui ne valorise que ce qui a une valeur marchande, c’est-à-dire une valeur pour le capital, car donner de son temps pour des associations c’est du travail, le travail domestique c’est du travail, écrire pour Frustration c’est du travail… – ne serait pas “récompensée”, on donnerait simplement à ces derniers de quoi se nourrir !
En quoi cela serait plus grave que le fonctionnement du capitalisme où les riches ne gagnent de l’argent ni par leur travail, ni par leurs efforts ou leur “mérite” mais par leur propriété, c’est-à-dire en faisant bosser les autres et en volant le fruit de leur travail ? Bernard Arnault cumule plus de 150 milliards d’euros, soit 25 millions d’années de RSA, et le problème ce serait des personnes qui n’ont pas de quoi se nourrir et se loger et à qui on donne 500 euros par mois ?
Il est plus qu’urgent que nous leur fassions changer de priorité.
publié le 24 mars 2022
Alexandre Fache sur www.Humanite.fr
En préparation de la journée d’action du 26 mars, et à quelques jours de la fin de la trêve des expulsions, les signataires de la Plateforme Logement pour Tou. te.s (DAL, CGT, CNL…) ont déployé une banderole devant le ministère d’Emmanuelle Wargon.
C’est sans doute le sujet qui prend le plus de place dans le budget des ménages, et le moins d’espace dans la campagne présidentielle : le logement. Pour tenter de faire entendre un peu mieux la voix des mal-logés, des précaires et, plus généralement, de tous ceux qui souffrent de la crise de l’habitat en France, un collectif d’associations (DAL, Attac France, CNL, Mrap…) et de syndicats (CGT, Solidaires, FSU, CSF…), signataires de la Plateforme Logement pour Tou. te.s (www.pourlelogement.org), appelle à la mobilisation ce samedi 26 mars. Une dizaine de rassemblements sont prévus dans l’Hexagone, dont une manifestation à Paris, qui reliera, non sans arrière-pensées, la place de la Bourse (à 15 heures) au ministère du Logement, 246, boulevard Saint-Germain, en passant par quelques immeubles symboles de la spéculation immobilière dans la capitale, comme l’ancienne grande poste de la rue du Louvre, ou la Samaritaine du milliardaire Bernard Arnault. « Ce sera aussi une journée européenne de mobilisation et plus d’une centaine de rassemblements sont prévus sur le continent, notamment en Allemagne ou en Belgique », souligne Jean-Baptiste Eyraud, l’infatigable président du DAL, qui a déployé, jeudi 24 mars, avec quelques autres militants, la banderole de la « Plateforme » devant le ministère.
« En dix ans, les recettes fiscales liées au logement sont passées de 57 à 79 milliards d’euros. Et pourtant, la part des dépenses, elle, a fondu, de 44 à 37 milliards d’euros, constate Jean-Baptiste Eyraud. Résultat, on ne consacre plus que 1,6 % du PIB à ce secteur, contre 2,2 % il y a dix ans. Il faut revenir à ce chiffre et réinvestir massivement si on veut loger dignement les gens et sortir ce bien essentiel des griffes du marché. » Un objectif qui n’est sans doute pas celui du président-candidat Macron, qui reste toutefois très discret sur le sujet. « Pas la peine qu’il nous donne le détail, on a vu son bilan, poursuit le président du DAL : baisse des APL, ponctions des bailleurs sociaux, constructions en berne, suppression de l’ISF… Et on a peur que demain, il fasse encore pire. » Une crainte partagée par les autres organisations présentes ce jeudi matin. « Macron, il veut faire du Thatcher vingt ans après, alors que même les plus libéraux outre Manche en sont revenus, de cette politique », résume Alain Gaulon, secrétaire confédéral de la CNL, qui alerte sur la reprise imminente des expulsions locatives.
Repoussée de plusieurs mois en 2020 et 2021, du fait de la crise sociale engendrée par le Covid, la fin de la trêve hivernale est bel et bien fixée cette année au 31 mars 2022. Aucune prolongation n’a été accordée, malgré la résurgence de la pandémie ces derniers jours. « On craint un raz-de-marée d’expulsions, 30 000 familles pourraient être concernées, alors qu’il s’agit d’une solution parfaitement indigne, abjecte, et même contre-productive économiquement. Car expulser des gens, puis les héberger après, coûte très cher. On ferait mieux de les accompagner pour qu’ils retrouvent la voie vers une autonomie financière », détaille Alain Gaulon. Secrétaire confédérale de la CGT chargée du logement, Véronique Martin s’indigne, elle, de l’immobilisme assumé de l’exécutif sur ce dossier, alors que des solutions existent. « Il n’y a jamais eu autant de logements vides en France, 3,1 millions en 2020 selon l’Insee, et le gouvernement ne fait rien. Il n’y a aucune politique de réquisition, les taxes sur la vacance ne sont pas dissuasives, et l’encadrement des loyers est beaucoup trop faible et limité géographiquement. » Résultat, l’écart se creuse d’année en année entre des super-propriétaires de plus en plus riches et des classes populaires écrasées par le coût du logement et de l’énergie.
Le coup de pouce au chèque énergie et le bouclier tarifaire sur le gaz protégeront-il suffisamment les plus modestes ? Les militants signataires de la Plateforme Logement pour Tou. te.s en doutent. « Ce sont des mesures insuffisantes pour les ménages, dont les conséquences financières vont par ailleurs retomber sur les bailleurs et les collectivités locales », analyse Alain Gaulon, de la CNL. « Ces petites aides sont toujours bonnes à prendre. Mais on ne fait que réparer le fait d’avoir livré le secteur de l’énergie au marché. La vraie solution, c’est qu’il revienne dans le giron du public, comme d’ailleurs le logement », suggère Véronique Martin, de la CGT. Jeudi après-midi, les militants apprenaient que leur manifestation de samedi était interdite par la préfecture de police, au motif que le trajet prévu empruntait « des rues commerçantes, étroites et touristiques ». « Cela fait deux fois en quelques semaines que la préfecture nous interdit de nous mobiliser, après le campement des mal-logés place de la Bastille. On avait fait casser cet arrêté, on espère faire de même avec cette interdiction », confie Jean-Baptiste Eyraud. Un référé-liberté doit être examiné sur le sujet ce vendredi 25 mars.
publié le 24 mars 2022
Vadim Kamenka, Christophe Deroubaix, Marc de Miramon et Lina Sankari sur www.humanite.fr
Le président russe a envahi ce pays depuis un mois. Ce conflit criminel décrété par le Kremlin, qui a déjà causé des milliers de morts et une crise humanitaire, s’enlise, semblant refléter une erreur stratégique de la part de Moscou.
Vladimir Poutine a décrété l’invasion de l’Ukraine dans la nuit du 23 au 24 février. L’offensive visait des installations militaires et plusieurs localités : Kharkiv, Kiev, Marioupol, Odessa. Un mois et des milliers de morts plus tard, qui s’ajoutent aux 14 000 victimes du conflit dans le Donbass depuis 2014, la Russie détient, à l’exception de la ville assiégée de Marioupol, les pourtours de la mer d’Azov et a avancé le long de sa frontière terrestre et de celle de la Biélorussie. Néanmoins, aucune grande ville, excepté Kherson, n’est tombée.
À 4 heures du matin, le 24 février, le président russe prend la parole dans un discours télévisé. Il annonce : « Conformément aux traités d’amitié et d’assistance mutuelle avec les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ratifiés par l’Assemblée fédérale le 22 février de cette année, j’ai pris la décision de mener une opération militaire spéciale. » Vladimir Poutine venait de reconnaître, deux jours plus tôt, l’indépendance des deux républiques autoproclamées. Il déclenche une guerre, avançant comme objectifs « la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine » et la protection des « personnes victimes d’intimidations et de génocide par le régime de Kiev depuis huit ans ». Critiquant « l’expansion de l’Otan », il dénonce l’absence de prise en compte des demandes de Moscou concernant sa sécurité.
Quatre semaines plus tard, l’offensive « s’enlise malgré toutes les destructions », a affirmé, mercredi, le chancelier allemand Olaf Scholz. Les importantes difficultés militaires font douter d’un succès sur le terrain. « Tout dépend du but de Vladimir Poutine. Est-ce s’arroger l’accès à la mer d’Azov, fortifier le Donbass et obtenir quelques victoires symboliques, ou faire capituler Volodymyr Zelensky ? La seconde option semble désormais peu probable », analyse une journaliste russe.
Avant le conflit, les diverses demandes diplomatiques russes portaient sur la neutralité de l’Ukraine, sa démilitarisation et la renégociation d’une architecture de sécurité en Europe avec les États-Unis. La pression verbale et militaire exercée par Poutine l’a emmené jusqu’à la guerre, pour ne pas faire face à un échec. « Englué dans une surenchère meurtrière, il provoque le rapprochement de l’Otan de ses frontières, une Ukraine surarmée avec une perspective réelle d’association et le retour des États-Unis et de l’Alliance atlantique en Europe », analyse l’historien Andreï Gratchev. Pour sortir de cet échec, quelle que soit l’issue de la guerre, l’idée de faire passer une défaite pour une victoire est évoquée par Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences en science politique à l’université de Nanterre : « Il est possible d’obtenir une concession de la part de Kiev et de la présenter en interne comme un succès. Mais on n’en prend pas le chemin. » Et Poutine s’enferme dans un discours fasciste et la répression.
Depuis quatre semaines, le conflit a servi de catalyseur pour unifier le pays contre l’envahisseur. Les bombardements quotidiens, les centaines de morts, les destructions ont réveillé un sentiment national dans la société et sur l’ensemble du territoire. « On se souvient tous du jour de l’attaque. Au fur et à mesure des jours et du sang versé, tous souhaitent combattre et aider pour stopper cette agression », témoigne Sveta à Odessa, sur les bords de la mer Noire. La résistance des Ukrainiens a surpris Vladimir Poutine, persuadé que sa guerre éclair et la destruction des installations militaires suffiraient au soulèvement des populations russophones dans l’Est, voire à leur adhésion et la capitulation. Au contraire, les liens économiques, culturels, familiaux avec la Russie sont devenus secondaires. « Au niveau régional, la Russie veut montrer que la guerre réside dans la défense du russe. Ce qui est faux. De nombreux russophones depuis 2014 s’opposaient déjà à Vladimir Poutine et défendaient l’indépendance de l’Ukraine », nous expliquait récemment l’écrivain Andreï Kourkov. Une erreur stratégique de Poutine, qui voit désormais de nombreux Ukrainiens russophones dans l’Est et le Sud se tourner vers l’ukrainien par élan national. Après huit années de guerre au Donbass, dans les villes reprises par l’armée russe, un ras le bol s’affirme sur cette nouvelle page du conflit au nom de la paix. « Détruire et tuer, cela ne résout rien », condamne Tania.
Vladimir Poutine a surestimé la force de frappe de son armée, tout en sous-estimant la puissance du sentiment national ukrainien. Pour autant, ces deux erreurs majeures d’appréciation expliquent-elles, à elles seules, l’enlisement militaire de la troisième armée la plus puissante au monde, qui évolue, de plus, sur une topographie familière, les plaines ukrainiennes ne présentant pas franchement les mêmes problèmes opérationnels que les montagnes afghanes ? À l’évidence, l’aide apportée par les Occidentaux est déterminante. Depuis le début, Washington revendique le partage de renseignements, facteur nodal dans les conflits armés. La livraison d’armes des pays occidentaux a évidemment renforcé la capacité militaire ukrainienne. Selon l’ancien général américain Ben Hodges, interviewé par l’Express, « les jours prochains seront déterminants pour l’issue du conflit. Nous sommes à un moment décisif, car les Russes sont en sérieuse difficulté ».
La rivalité entre les États-Unis et la Chine s’annonçait comme la matrice géopolitique du XXIe siècle. L’invasion d’un pays souverain par un pays membre du Conseil de sécurité est-elle de nature à rebattre ces cartes ? Après un mois de conflit, la position de Washington est clairement renforcée. Alors que, dans un premier temps, les pays européens se sont placés sur la ligne de front diplomatique (sanctions, question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, fourniture d’armes à l’armée ukrainienne), Washington a retrouvé et même renforcé depuis sa place de leader. Son bras armé – l’Otan – est passé d’un état de « mort cérébrale » (diagnostiqué par Emmanuel Macron) à celui d’alliance relégitimée.
Quant à la défense européenne, le sommet du 24 mars à Bruxelles va entériner sa sujétion à l’organisation atlantiste, avec la bénédiction directe de Joe Biden. D’une certaine façon, le président états-unien voit prendre forme sa coalition des démocraties, pour laquelle il avait tenu un sommet en décembre dernier. Sauf que l’autonomisation de certains « alliés » sur ce sujet (Israël et Inde) lui dénie la possibilité de se décréter nouveau chef du « monde libre » comme le fit, en son temps, Ronald Reagan.
La Chine, elle, manie la prudence. Pékin appelle à des pourparlers, assure comprendre les craintes de son allié russe liées aux velléités d’élargissement de l’Otan tout en rejetant le séparatisme de Donetsk et Louhansk qui évoque, à ses yeux, la situation taïwanaise. Pour autant, la deuxième puissance mondiale n’est à l’origine d’aucune initiative diplomatique connue. Si elle permet à Pékin de jauger les réactions de son rival états-unien, la crise ukrainienne entrave toutefois sa stratégie économique des nouvelles routes de la soie qui s’accommodent mal d’une dégradation de la sécurité en Europe.
La Chine ne peut prendre le risque de se couper des marchés d’exportation occidentaux et du système financier international pour sortir la Russie de son isolement. En revanche, les autorités chinoises pourraient en profiter pour renforcer leur emprise sur le puissant voisin, devenu, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, le premier partenaire économique du pays. Une forme de vassalisation qui ne dit pas son nom.
Face à un Vladimir Poutine inflexible sur ses objectifs de guerre, la marge de manœuvre de Volodymyr Zelensky paraît bien étroite, même si le président ukrainien a reconnu le caractère « nécessaire » des futures négociations qui ne s’annoncent « ni faciles ni agréables ». En pilonnant Marioupol et en encerclant Kiev tout en avançant vers le port stratégique et russophone d’Odessa, l’armée russe vise la capitulation du gouvernement de Zelensky.
Pour la Russie, il symbolise une Ukraine tournée vers l’Ouest, favorable à l’adhésion à l’Union européenne et à l’Otan, voire à une sortie du mémorandum de Budapest (qui garantit, entre autres, le statut du pays comme puissance non nucléaire), comme l’a évoqué le président ukrainien lors de la dernière conférence de Munich sur la sécurité en février 2022, quelques jours avant le déclenchement de l’offensive russe. En clair, Moscou exige le retour d’un État tampon, voire croupion à ses portes, tandis que Kiev prétend faire valoir ses droits de peuple libre et souverain, quitte à faire basculer les équilibres sécuritaires issus d’un monde post-guerre froide, adoptés dans la douleur afin de limiter les risques de conflit nucléaire. Volodymyr Zelensky a d’ailleurs promis qu’il soumettrait les termes d’un hypothétique accord de paix à référendum.
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
La xénophobie et le manque d’investissement réel des États membres de l’Union européenne continuent de plomber l’élan de solidarité avec l’ensemble des exilés venus d’Ukraine.
Pour eux, on ne parle pas de « crise migratoire » mais bien d’« élan de solidarité » et de « protection ». Selon l’ONU, le nombre de réfugiés ukrainiens ayant rejoint un État de l’Union européenne dépassait, lundi 21 mars, les 3,5 millions de personnes. Trois semaines après la toute première activation de la « directive de protection temporaire », pourtant adoptée il y a plus de vingt ans, l’UE découvre enfin que, au lieu de pratiquer contrôles et maltraitance aux frontières, l’ouverture de voies légales et l’accès au travail des réfugiés peuvent bel et bien fonctionner.
Une occasion pour le président de la Commission européenne de relancer l’appel, ce mercredi 23 mars, à la mise en œuvre du Pacte européen sur la migration et l’asile. « Tout ce qui s’est passé depuis son adoption (en 2020 – NDLR) nous rappelle que nous avions raison, a-t-il déclaré, le 22 mars. La crise à Evros (…), le feu de Moria, la crise en Biélorussie, la situation à Calais, maintenant l’Ukraine. Tout cela montre que l’Europe a besoin d’un cadre pour la migration et l’asile. » En France, pas moins de 26 000 réfugiés ukrainiens, dont 2 433 enfants d’ores et déjà scolarisés, « ont été recensés (…) depuis la fin du mois de février », a déclaré Jean Castex, le 21 mars.
Mais l’ombre de la xénophobie, présente au cœur des politiques migratoires européennes, continue cependant d’obscurcir ce tableau, radieux de prime abord… Trente-trois ONG africaines ont publié, le 4 mars, un communiqué exprimant leur « préoccupation face aux actes dégradants et inhumains que les ressortissants africains vivant ou résidant en Ukraine subissent, ont-elles écrit. S’ajoutent les actes xénophobes orchestrés par les autorités polonaises, qui procèdent de manière sélective (...) sur des critères liés à leur couleur de peau ».
Un système de tri qu’on retrouve également à la frontière franco-italienne. « Des ressortissants d’États tiers à l’UE (…) ont été remis aux autorités italiennes », indiquait, dimanche 13 mars, la préfecture des Alpes-Maritimes, en application d’« instructions nationales ».
La protection accordée par l’UE devait pourtant, au départ, s’appliquer aussi aux conjoints étrangers d’Ukrainiens et aux réfugiés résidant dans le pays avant la guerre. Mais une instruction du gouvernement français, adoptée le 10 mars, prévoit d’en exclure finalement certains « ressortissants de pays tiers ». Les associations de défense des droits des étrangers, dont France Terre d’asile et la Cimade, expriment à ce propos leur grande inquiétude.
L'Humanité lance une opération de solidarité concrète en partenariat avec le Secours populaire français : pendant un mois, nous appelons nos lectrices et lecteurs, amies et amis, à leur envoyer des dons et des mots pour la paix.
Vous pouvez télécharger ici le formulaire de don en PDF.
Une autre ombre au tableau est la conséquence du manque de moyens investis par les États dans l’accompagement des réfugiés ukrainiens, géré en grande partie par la société civile européenne, comme nous l’avions constaté lors de nos reportage en Pologne. « Le nombre de victimes potentielles arrivant d’Ukraine est susceptible d’attirer (...) des réseaux spécialisés dans le trafic d’êtres humains », a averti Europol en début de semaine.
Loan Nguyen sur www.humanite.fr
En Essonne, 49 jeunes migrants risquent d’être remis à la rue sans solution d’ici vendredi. Ils dénoncent une mesure visant à faire de la place aux réfugiés ukrainiens.
« On doit être sortis sous quarante-huit heures, sinon la police va nous expulser », s’insurge Sekou Keita (*), 15 ans, visiblement paniqué. Ce mineur, venu seul de Guinée, a passé environ trois semaines à la rue avant que la préfecture de l’Essonne ne lui accorde, mi-janvier, une mise à l’abri en hôtel, à Ormoy. Les services de l’État s’apprêtent à le remettre à la rue, sans solution de relogement, comme 48 autres jeunes, une semaine avant la fin de la trêve hivernale...
« Ils nous ont dit que, si on voulait rester, il fallait faire une demande d’asile », explique le jeune homme, courrier officiel à l’appui. Sauf qu’une telle procédure signifierait abandonner leur recours pour être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. En effet, les jeunes hébergés dans cet hôtel ont tous vu leur minorité contestée par la Croix-Rouge, prestataire de service pour le département de Paris. Une décision malheureusement courante, donnant lieu de la part des demandeurs à un recours devant le juge des enfants, qui doit prochainement se prononcer sur leur situation administrative.
« On ne voit pas bien sur quelle base légale la préfecture s’appuie. C’est d’une brutalité sans nom », dénonce Pierre Mathurin, coordinateur parisien de l’association Utopia56, qui aide les personnes exilées lors de maraudes. Pour les jeunes comme pour l’association qui les accompagne, la nécessité de mettre à l’abri les milliers d’Ukrainiens arrivant en France ne serait pas étrangère à l’empressement des services de l’État à faire sortir ces mineurs de leur hébergement. « C’est à partir du moment où des Ukrainiens ont commencé à venir à l’hôtel qu’ils ont poussé pour qu’on sorte », affirme Sekou Keita. « Le directeur (de Grandissons ensemble, la structure qui héberge les mineurs, mais aussi des demandeurs d’asile – NDLR) nous a dit que l’hôtel allait fermer, mais les Ukrainiens et les familles qui sont là, on ne leur demande pas de sortir à eux ! » souligne-t-il.
Si la préfecture de l’Essonne nie les expulser pour faire de la place aux Ukrainiens, sur le terrain le doute subsiste. « On voit bien depuis quelques semaines, depuis que les premiers Ukrainiens ont commencé à arriver en France, qu’on leur donne la priorité. Par exemple, on a été très surpris de n’avoir aucune mise à l’abri depuis deux semaines des demandeurs d’asile afghans, dont le campement déborde à Pantin », regrette Pierre Mathurin.
Du côté de la préfecture de l’Essonne, on explique que le recours des jeunes devant le juge des enfants n’étant pas suspensif, « (ces) personnes sont donc considérées comme majeures et relèvent du droit commun ». « Elles se trouvent par conséquent en situation irrégulière sur le territoire national, et ne peuvent donc plus être prises en charge dans ces sites temporaires. Elles peuvent solliciter l’hébergement de droit commun (115) ». En attendant, les jeunes attendent la peur au ventre que la police les sortent de leur chambre d’hôtel, mais refusent d’évacuer les lieux.
(*) Le prénom et le nom ont été modifiés.
publié le 23 mars 2022
Pierric Marissal sur www.humanite.fr
L’année fiscale se clôt et les entreprises ont publié leurs résultats record, annonçant des distributions de dividendes tout aussi exceptionnelles en 2022.
Il n’y a pas de quoi se réjouir. Le journal les Échos a compilé, lundi, les 38 résultats cumulés disponibles des multinationales du CAC 40. Les bénéfices enregistrés en 2021 atteignent un montant record de 160 milliards d’euros, qualifié d’« historique » ou encore d’« exceptionnel » par le quotidien financier. Des qualificatifs élogieux que ne partage pas Maxime Combes. « Le précédent record de profits comparable était en 2007, juste avant l’éclatement de la crise financière. Ce n’est pas vraiment de bon augure », insiste l’économiste de l’Observatoire des multinationales.
Dans l’ensemble, ces grands groupes font valoir le rattrapage de l’activité de 2020, ralentie par la pandémie, pour expliquer leurs résultats indécents. Dans les faits, ces multinationales n’ont pas souffert du Covid, à quelques exceptions près, comme Renault, qui était mal en point avant, ou Airbus. « Au contraire, ces entreprises sont restées fidèles à leurs principes : ne jamais oublier de profiter d’une bonne crise en sabrant dans leurs coûts et dans leurs effectifs », assure Maxime Combes. Ainsi les seules entreprises du CAC 40 se sont saisies du prétexte du Covid pour supprimer 60 000 emplois dans le monde, dont près de 30 000 en France. La sous-traitance a aussi été saignée : toutes les fonderies françaises des constructeurs automobiles sont par exemple menacées. « Le gouvernement affirme que les profits de 2021 sont les emplois de 2022. Ce n’est pas vrai ! Les suppressions d’emploi de 2020 sont les profits de 2021 et seront les dividendes de 2022 », corrige l’économiste, qui n’oublie pas non plus de regretter les nombreuses aides publiques massivement touchées par ces multinationales, alors qu’elles n’en avaient pas besoin.
Cette logique dure encore aujourd’hui. Air Liquide – 2,6 milliards de bénéfices – touche 200 millions d’euros de subvention pour installer une usine près de Rouen. Total – 14,2 milliards de profits – reçoit une aide publique pour une « gigafactory » de batteries… Sans oublier le crédit impôt recherche dont profitent proportionnellement plus les sociétés du CAC 40, ni les rachats de titres de dettes de ces entreprises par la Banque centrale européenne. « Et ce n’est pas fini, car, avec la guerre en Ukraine, les énergéticiens voient les cours s’envoler, leurs profits aussi », renchérit Maxime Combes.
Pour 2021, Vivendi, détenu par Vincent Bolloré, affiche les plus gros profits, avec 24,7 milliards d’euros : des revenus exceptionnels liés à la vente d’Universal. Derrière, TotalEnergies, habitué des premières places qui lui aussi bat son record de 2007, devance Stellantis, ArcelorMittal et LVMH, entre 13 et 14 milliards de bénéfices chacun. La BNP et Axa s’approchent des 10 milliards. Sanofi fait un peu pâle figure avec « seulement » 6,2 milliards, loin des 12,3 accumulés en 2020 au cœur de l’épidémie.
« En ces temps de calamités, il faut poser la question d’une taxation exceptionnelle de ces bénéfices, conclut Maxime Combes. La pandémie n’est pas finie. L’hôpital est au plus mal. On n’a toujours pas de purificateur d’air dans les écoles. Il y a une guerre et des réfugiés qu’il faut accueillir. Sans parler d’une transition énergétique à mener à bien… Et ces entreprises se permettent de cumuler 160 milliards de bénéfices en contribuant si peu à l’effort collectif. »
publié le 23 mars 2022
Les menaces électorales
du candidat Macron.
Communiqué de presse du syndicat Solidaires sur https://solidaires.org/
Promesse de 2017 pour les retraités non tenue ...
En 2017, le candidat Macron avait notamment « promis », s’adressant aux personnes retraitées, de maintenir leur pouvoir d’achat. Nous savons qu’il n’en a rien été, il a même fait pire en diminuant les pensions en 2018. Cette fois, aucune promesse de ce genre, aucune promesse, d’ailleurs, globalement, quant à l’amélioration du pouvoir d’achat du plus grand nombre (salaires et pensions).
… mais nouvelle avalanche de promesses pour les riches
En revanche, son programme électoral actuellement diffusé auprès des électeurs et des électrices contient un certain nombre de mesures qui sont autant de menaces pour le plus grand nombre et autant de promesses pour la minorité privilégiée qui verront leur situation confortée et leurs avantages renforcés.
Nouveau recul de l’age de la retraite
Une mesure « phare » de son « nouveau contrat social » est de repousser à 65 ans l’âge légal de départ en retraite en tenant compte, est-il précisé, de la « réalité des métiers et des tâches » ... alors qu’il a réduit la liste des métiers pénibles. Avec une telle mesure il assure aux employeurs, aux patrons des entreprises, qu’ils disposeront encore d’un confortable « volet de chômage », ce qui permet de penser que celles et ceux qui sont en emploi se tiendront « à carreau » pour éviter de « tomber au chômage ». Faire travailler plus longtemps celles et ceux qui sont déjà en emploi salarié c’est retarder d’autant l’embauche des jeunes, c’est accroître la compétition entre elles et eux, c’est avoir des jeunes diplômés aux exigences salariales réduites. Avoir un fort taux de chômage, c’est garantir aux patrons que leurs salariés accepteront plus facilement des conditions de travail, d’emploi et de rémunération dégradées. Pour chaque personne, lui reculer l’âge de départ en retraite, c’est lui voler ses meilleurs années de retraite, celles au cours desquelles elle aurait encore pu « profiter » un peu, de ses parents peut-être, de ses enfants et petits-enfants, d’engagements bénévoles, de réalisation de quelques vieux rêves, etc. La durée de vie moyenne à la retraite s’est raccourcie : la génération 1949, partie à 60 ans en 2009, avait l’espoir de passer 26,3 ans en retraite ; avec la réforme Macron la génération 1972 ne peut espérer que 24,7 ans en retraite. Faire travailler plus longtemps les personnes, c’est les obliger, soit à rester plus longtemps au chômage (31 % y sont à partir de 60 ans), soit à les maintenir au travail alors qu’elles sont de plus en plus fatiguées et usées : ces années de travail ajoutées seront les plus difficiles pour chacune et chacun. Et nous savons ce qu’a déjà fait Macron quant aux promesses de prise en compte de la « pénibilité » dans les départs en retraite.
Faire travailler les retraités
Le candidat Macron n’a pas signé le décret pour la retraite à 1 000 euros prévue dans les lois de 2003 et 2019, pourtant il annonce une « retraite minimale à taux plein à 1 100 euros » ... mais seulement pour celles et ceux qui ont cotisé durant toute la durée requise. C’est très loin des demandes syndicales, c’est très loin de répondre aux besoins des personnes, et particulièrement des femmes, nombreuses à ne pas avoir le « taux plein » compte tenu de leurs « carrières professionnelles ». Macron annonce aussi vouloir faciliter le cumul emploi- retraite, notamment pour rémunérer les volontaires à la retraite qui souhaitent faire profiter la société de leur expérience. Il est certain que ceci ne concernera pas les personnes qui sortent de l’emploi cassées par leurs années d’activité et qui ont les plus petites pensions.
Rogner sur les allocations sociales
Une autre mesure qui caractérise déjà la politique retenue par Macron c’est son intention de conditionner le versement du Revenu de Solidarité Active (RSA) à une activité de 15 à 20 heures par semaine en contrepartie de ce minima social, officiellement « pour aller vers l’insertion professionnelle ». En été 2017, le président des riches avait déjà fait des siennes en rognant de 5 euros les APL. Là, encore une fois, il veut taper sur les plus faibles ; pendant le même temps, les cadeaux fiscaux continuent de ruisseler sur les actionnaires et les dividendes, sans aucune contrepartie ! Dans la même veine, Macron va poursuivre la réforme de l’assurance chômage « pour l’adapter à la conjoncture ». Les pauvres doivent souffrir, qui « coûtent un pognon de dingue ». Le programme contient aussi un durcissement de l’accès aux titres de séjour. C’est encore un cadeau fait aux employeurs : maintenir des migrantes et des migrants dans la clandestinité, en leur refusant des papiers, c’est offrir aux patrons une main d’œuvre « taillable et corvéable », sans droits ni protections.
Et des cadeaux aux riches
De nouveaux cadeaux fiscaux et sociaux sont programmés pour « ceux d’en haut » : suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (coût annuel : 7 milliards d’euros, et là, sans contrepartie ni engagement) et abaissement des droits de succession, notamment en portant de 100 000 à 150 000 euros l’abattement en ligne directe : un cadeau qui va donner bien plus que le RSA aux héritiers des familles !
Laisser les EHPAD à la convoitise des actionnaires
Pour les personnes retraitées, nous voyons que le recours au « tout numérique » sera poursuivi et renforcé : c’est de l’exclusion garantie pour une bonne partie de la population ; ce sont de nouvelles fermetures de guichets, de bureaux et d’administrations de proximité. Le « virage domiciliaire », en ce qui concerne l’aide à l’autonomie, sera poursuivi : pas de constructions d’EHPAD publics, et incitation faite aux personnes de vivre chez elles, même quand ceci leur devient très difficile, car il n’y a aucun engagement d’améliorer le nombre et la situation des personnels des services de l’aide à l’autonomie, à domicile comme en établissement. Pour montrer que le candidat « suit l’actualité », on nous annonce « un renforcement des contrôles dans les EHPAD, mais ce secteur sera toujours ouvert à la convoitise des « investisseurs privés » du fait du retrait du secteur public.
Quant à nous, notre « promesse », faite à ce candidat comme à tout autre, est que nous continuerons de nous battre pour nos revendications et pour une société plus libre, plus juste, plus démocratique et plus solidaire.
(les intertitres sont du site 100paroles.fr)
Élection présidentielle :
répondre aux aspirations
de la population
et du monde du travail
sur le site www.cgt.fr
Loin de sous-estimer l’enjeu des élections présidentielles et législatives, la CGT constate scrutin après scrutin, le désintérêt croissant des citoyennes et des citoyens pour le suffrage universel. C’est particulièrement vrai pour les plus jeunes, pour celles et ceux habitant les quartiers populaires et les plus démunis d’entre nous. Malgré l’attachement de notre organisation syndicale au droit de vote, comment ne pas comprendre ce désintérêt pour les urnes ?
L’actuel Président de la République s’est fait élire sur des promesses de changement, une autre façon de faire de la politique, un autre rapport à la population. Force est de constater que rien n’a changé, cela s’est même nettement dégradé en tout point.
Cela fait suite à d’autres quinquennats où les reniements aux engagements et promesses de campagne ont fait loi, et ont conduit à un accroissement des inégalités avec des milliardaires qui s’enrichissent, la précarité et la pauvreté qui augmentent.
Dans ces conditions, rien d’étonnant à la défiance grandissante de la population et particulièrement des plus jeunes vis-à-vis du monde politique.
Ces reniements, ces politiques libérales font le lit de l’extrême droite et des différents candidats ou candidates qui la représentent.
Ces derniers tentent d’imposer leurs idées dans la campagne électorale et sont trop souvent relayés par certains médias.
La CGT combat et combattra sans relâche les idées racistes et xénophobes, cette opposition orchestrée au sein du monde du travail visant à épargner les véritables responsables de la crise.
Car l’extrême droite fascisante est dans le camp des ultras libéraux avec des prétendues solutions économiques et sociales inspirées par le MEDEF comme c’est le cas, entre autres, pour les retraites, les salaires, les libertés notamment syndicales, et plus globalement concernant la répartition des richesses.
Démonstration est faite que l’intervention des travailleurs et des travailleuses est indispensable et que cela pèse dans le débat public. Il est donc important que le monde du travail s’empare de ce moment démocratique que sont les élections.
Camille Bauer sur www.humanite.fr
Le soutien des Français aux mesures contre les inégalités basées sur l’origine supposée se renforce, selon le sondage annuel Harris Interactive pour la Fédération des Maisons des potes, rendu public ce lundi 21 mars.
Cela peut paraître contre-intuitif, au regard de la teneur de la campagne électorale : les Français demeurent très majoritairement favorables à des actions plus volontaristes contre le racisme. À 84 %, ils soutiennent l’adoption de sanctions juridiques contre les employeurs coupables de discriminations liées à l’origine, la nationalité, la couleur de peau ou la religion, selon le sondage annuel Harris Interactive pour la Fédération des Maisons des potes, rendu public ce lundi 21 mars.
Ils sont également très nombreux (84 %) à vouloir un salaire et une retraite égal, quelle que soit la nationalité. 79 % soutiennent les actions collectives en justice (class actions) sur ce thème et 75 % sont favorables à une anonymisation des CV lors des embauches.
« Ce qui est frappant, c’est que le fait de parler d’égalité et de lutte contre les discriminations est vu de manière positive, et cela de manière assez stable depuis plusieurs années », souligne Jean-Daniel Lévy, le directeur délégué de l’institut de sondage. Quoique moins massif (61 %), le soutien à l’intégration des étrangers dans la fonction publique reste également fort. « On voit pourtant, par exemple, des enseignants étrangers qui, faute de pouvoir être titularisés, travaillent comme vacataires. Ils n’ont pas les mêmes caisses de retraite, pas de stabilité de l’emploi et pas le même salaire que leurs collègues », rappelle Samuel Thomas, délégué général de la Fédération des Maisons des potes.
Les Français semblent bien conscients que les préjugés font obstacle aux promesses d’égalité de la République. Dans son dernier rapport sur le sujet, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) notait d’ailleurs que « de façon systématique, et malgré le principe d’égalité entre citoyens, les membres de certaines minorités visibles se retrouvent plus souvent discriminés dans l’accès à l’emploi, plus souvent contrôlés par la police, moins bien logés, sous ou mal représentés dans les médias ».
Plus surprenant : à rebours d’une idée couramment admise, la régularisation des travailleurs sans papiers se voit soutenue à 59 %. « Ce n’est pas un sujet de campagne parce qu’il y a un discours qui dit que, si on régularise, on fait un appel d’air. Mais donner des droits à ceux qui sont là ne veut pas dire ouvrir les frontières tous azimuts. Il y a, d’après le ministère de l’Intérieur, 500 000 travailleurs sans papiers. Ils sont en situation d’exploitation, sans le moindre droit. En les maintenant dans cette situation, on les empêche de sortir de la précarité et on tire le droit du travail vers le bas » rappelle Samuel Thomas. Quant au droit de vote des résidents étrangers aux élections municipales, promesse aujourd’hui délaissée par toute une partie de la gauche, il est encore soutenu à 56 %.
C’est pourtant bien dans l’électorat de gauche que, sans surprise, ces propositions sont le plus plébiscitées. Chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, par exemple, les mesures contre la discrimination dans l’emploi recueillent plus de 90 % d’approbation. « Malgré tout, le clivage traverse aussi une partie de l’électorat de droite et d’extrême droite », nuance Jean-Daniel Lévy. Ainsi, les électeurs de Valérie Pécresse sont 84 % à vouloir une rémunération et une retraite égales, quelle que soit la nationalité, et 73 % sont en faveur des CV anonymes. « La façon dont on pose les questions induit les réponses, explique le sondeur. Si vous parlez de migrants ou si vous mettez en avant l’angle discrimination, vous n’obtenez pas la même chose. »
Alors pourquoi ce thème populaire n’est-il plus évoqué par les politiques ou les médias ? « Les forces politiques de gauche sont démobilisées sur ces sujets. Elles sont silencieuses parce qu’elles pensent que défendre des étrangers ne va pas séduire les Français, mais aussi parce que les enfants d’étrangers, les gens des quartiers, ne votent pas beaucoup », estime Samuel Thomas.
Le militant regrette qu’au fil des ans la gauche ait fini par se contenter d’une posture défensive, au lieu de porter le débat et d’amener des propositions concrètes, qui seraient soutenues par leur électorat, soucieux d’égalité. Fabien Roussel, le candidat communiste, devrait d’ailleurs se prononcer sur ce thème lors d’un prochain meeting.
La justice est un autre maillon faible de ce combat. Bien qu’en principe dans l’obligation de faire respecter la loi de 1972, sanctionnant les comportements racistes et les discours de haine, l’appareil policier et judiciaire se montre frileux. « Au lieu de leur demander d’agir, on a créé des autorités administratives indépendantes, comme le Défenseur des droits et la Haute Autorité pour la lutte contre les discriminations et pour l’égalité. On les a déresponsabilisés. Or, seule la justice a le pouvoir de sanction », rappelle Samuel Thomas.
Face à l’inertie des parquets, qui cette année n’ont ouvert aucune poursuite sur ce thème, son organisation va déposer aujourd’hui une centaine de plaintes. Elles visent toutes des entreprises qui exigent, sans aucune base légale, que les candidats à l’embauche, de l’informaticien au laveur de carreaux, disposent de la nationalité française.
publié le 22 mars 2022
Le 24 mars,
les Retraités seront dans la rue
pour les pensions, la santé
et les services publics
sur le site : https://solidaires.org
Appel des organisations syndicales de retraités : CGT, FO, CFTC,CGC, FSU et Solidaires.
POURQUOI les retraités sont sacrifiés ? •
• Pourquoi nos pensions « décrochent » chaque année et baissent régulièrement au regard du coût de la vie ? Pour- quoi en 10 années avons-nous perdu près de 10 % du mon- tant initial de nos pensions ?
• Pourquoi a-t-il fallu le scandale ORPEA pour que les mé- dias s’intéressent à la situation des personnes très âgées dans les EHPAD, situation que nos organisations dénoncent de- puis des années ? Pourquoi les résidents des EHPAD ont-ils été interdits d’accès aux urgences hospitalières au beau mi- lieu de la pandémie, entraînant ainsi 34 000 décès parmi les 600 000 résidents des Ehpad, soit plus d’un décès sur trois constaté en France ? Retraités, nous sommes : - sciemment appauvris, - volontairement sacrifiés.
Nous ne l’accepterons jamais !
Le 24 mars 2022, nous manifesterons dans les régions et les départements pour dire notre colère et nos revendications. En pleine période électorale présidentielles et législatives, nos 9 organisations tiennent à imposer le social dans l’actualité et rappellent leurs revendications
Pouvoir d’achat :
• Retour à l’indexation de nos pensions sur les salaires ! C’est la désindexation, depuis 1987, qui a entraîné une baisse continue des revenus des retraités. Alors que les entre- prises du CAC 40 ont enregistré 137 mil- liards d’euros de profit en 2021, que les grandes banques ont réalisé plus de 31 mil- liards d’euros de profit, il est inadmissible que des retraités perçoivent moins de 800 eu- ros par mois.
• Pas de pension inférieure au SMIC !
• Rattrapage des pertes de pouvoir d’achat équivalent à un mois de pension par an.
• Annulation de la hausse de la CSG de 1,7 point décidée par le gouvernement actuel en 2017 !
• Rétablissement de 1⁄2 part fiscale supplémen- taire pour les parents isolés, les veufs-veuves qui a été injustement supprimée !
• Amélioration des pensions de réversion versée aux conjoints survivants !
Santé
La situation sanitaire des EHPAD est le résultat d’un sous-in- vestissement drastique de l’Etat et des régions dans les établis- sements des retraités, ce que la création d’une 5 e branche auto- nome ne fera qu’entériner, faute de moyens suffisants en person- nels et en dotations.
Aussi, nos 9 organisations exigent :
- La prise en charge de l’autonomie par l’Assurance maladie de la Sécurité Sociale et la création d’un grand service public de l’autonomie.
- La création de 300 000 postes dans le secteur médico-social, 200 000 dans les EHPAD et 100 000 dans l’aide à domicile.
- La création de lits d’EHPAD dans le secteur public pour faire face aux besoins et arriver à 1 soignant pour 1 résident alors que nous sommes à 0,63 actuellement.
- L’amélioration de la situation professionnelle des person- nels médico-sociaux par une meilleure formation et de meil- leures rémunérations.
La situation de l’hôpital public inquiète profondément les re- traités car nous sommes persuadés que des milliers de décès au- raient pu être évités si 1 700 postes n’avaient pas été supprimés l’an passé et plus de 100 000 autres dans la dernière décennie : on meurt du manque de lits de réanimations autant que de la COVID19 elle-même.
- Non aux suppressions de lits !
- Réouverture des services et des hôpitaux fermés pour des économies budgétaires !
Les droits et les services publics
Les Retraités sont des ci- toyens comme les autres : ils veulent vivre, vivre dans la dignité et le respect de leurs droits, avec des services publics de proximité : droit d’accès aux soins, aux trans- ports, aux services sociaux, aux services des Impôts, etc.
Nous avons droit à une pension permettant de faire face au coût de la vie qui ex- plose actuellement et à un lo- gement digne et adapté.
Nous refusons la dématé- rialisation à outrance des re- lations avec les administra- tions et les services : Non au tout-internet ! Près d’une personne sur quatre n’a ni or- dinateur ni tablette, il faut avoir la possibilité de rencon- trer un agent, d’avoir un ac- compagnement.
Malgré un contexte anxiogène (pandémie et Ukraine), les Retraités n’accepteront pas de payer le prix des sacrifices annoncés.
Avec nos organisations, toutes et tous dans la rue le 24 mars dans 28 villes pour imposer le social dans l’actualité, pour dire à tous les candidats : Les Retraités sont des citoyens, ils sont en colère, ils veulent être entendus et voir leurs revendications satisfaites !
En avant le 24 MARS !
Pour le Languedoc :
manifestation à Montpellier
Rendez-vous : 13h30 sur l’Esplanade (devant l’Office de Tourisme)
départ manifestation à 14h, jusqu’à la Préfecture
publié le 22 mars 2022
par Rémi Carayol sur https://basta.media/
La guerre en Ukraine a éclipsé plusieurs autres conflits, dont celui au Sahel. Emmanuel Macron a annoncé le 17 février le retrait des troupes française après neuf ans d’opérations et un bilan bien maigre.
Quel est le véritable bilan d’Emmanuel Macron sur les problèmes que soulève régulièrement basta! ? Pour aller au-delà de la com’, pendant toute la campagne électorale, basta! dresse pour vous des bilans du quinquennat sur une série de sujets très concrets.
Quand il arrive à l’Élysée, le 14 mai 2017, Emmanuel Macron est un « bleu » en matière militaire. Et il ne connaît pas grand-chose à l’Afrique. Il ne s’y est pas attardé durant la campagne. Son programme n’abordait pas vraiment ces deux questions, hormis la promesse floue d’« augmenter les moyens de nos armées » et celle, banale, de « défendre une nouvelle politique en Afrique où la paix et l’esprit d’entreprise construiront le siècle qui commence ». Pas un mot en revanche sur l’opération militaire Barkhane, que lui laisse en héritage François Hollande.
Ce dernier s’était façonné une stature de « chef de guerre » après avoir lancé deux opérations d’envergure sur le continent africain - Serval en janvier 2013 au Mali (devenue Barkhane en juillet 2014) et Sangaris en décembre 2013 en Centrafrique - et une autre en Irak et en Syrie, Chammal, en septembre 2014. Quand Macron lui succède, la France a retiré ses troupes de la Centrafrique, mais elle poursuit ses opérations au Sahel et au Levant – l’opération Chamma entrant dans le cadre de la coalition internationale contre l’État islamique.
Très vite, le nouveau président Macron semble vouloir revêtir le même costume que son prédécesseur. Cinq jours après sa prise de fonction, il se rend donc à Gao, au nord du Mali, où se trouve le principal camp de la force Barkhane. Le message est clair : lui aussi sera un chef de guerre attentif à « ses » hommes. « Dès mon installation, lance-t-il aux militaires, j’ai voulu donner le premier rang aux armées française ».
Dans les cabinets de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et de sa ministre des Armées, Florence Parly, c’est une vision néoconservatrice qui prédomine. « Ce sont des faucons formés à l’école de la crise irakienne qui croient sincèrement à la lutte contre le terrorisme. C’est de la pure idéologie », dit Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network (organisation panafricaine qui rassemble des spécialistes des systèmes de sécurité) et spécialiste de la région sahélienne.
Cette conception des conflits contemporains, particulièrement en vogue dans les États-Unis de Georges W. Bush (président de 2001 à 2009), a marqué le quinquennat du début à la fin. Emmanuel Macron l’avait d’ailleurs exposée devant les militaires de la force Barkhane en mai 2017. « Vous êtes plus que jamais nos sentinelles et notre rempart contre les débordements du terrorisme, de l’extrémisme, du fanatisme », avait-il indiqué, avant de se lancer dans une ode à l’histoire coloniale de l’armée française : « Ici, vous êtes l’avant-garde de la République, comme avant vous le furent sur ce continent tant de générations de militaires [...] vous êtes les héritiers de cette longue lignée de soldats venus servir sur ce continent dans les airs, sur mer, sur terre et vous faites honneur à cette lignée. »
En réalité, le nouveau président sait qu’il devra faire évoluer le dispositif, qui compte alors plus de 4000 hommes opérant, sur le papier, dans cinq pays : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. En réalité, les soldats français interviennent essentiellement au Mali, et plus rarement au Niger et au Burkina. Les hauts-gradés l’ont prévenu : cela ne pourra pas durer, la force militaire risque de s’enliser et de perdre le soutien des populations locales. Déjà en 2017, des chercheurs alertent sur l’« horizon compromis » de cette opération.
Le président français fixe alors deux priorités. Aux diplomates, il demande de préparer l’après-Barkhane. La France va dès lors faire feu de tout bois pour mettre sur pieds des structures capables d’assurer la relève. Au fil des ans, les sommets vont se succéder, et les entités s’empiler les unes sur les autres, parfois même les unes contre les autres. Il y a la force conjointe du G5-Sahel (qui réunit les cinq pays cités plus haut), la force Takuba (qui réunit des forces spéciales de certains États européens), l’Alliance Sahel (censée fédérer les projets de développement), la Coalition pour le Sahel, ou encore le Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel… Aucune de ces structures, qu’elles soient militaires ou civiles, n’a eu de résultats concrets sur le terrain.
Dans le même temps, Emmanuel Macron exige des militaires d’obtenir plus de résultats – et des résultats exploitables dans le champ de la communication. « Au fil du temps, la force Barkhane avait fini par s’endormir. L’ennemi nous fuyait. Nous avions tendance à nous reposer sur nos lauriers. Macron a voulu redynamiser tout ça », indique un conseiller de l’Élysée ayant lui aussi requis l’anonymat. Le président a exigé des militaires qu’ils tapent plus fort. Pour ce faire, ces derniers ont adopté des choix tactiques qui leur seront reprochés par la suite.
Ils se sont notamment alliés, sur le terrain, à des milices, le MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad) et le Gatia (Groupe d’autodéfense touareg imghad et alliés), accusées d’avoir commis des massacres contre des civils. Cette coopération, qui s’est manifestée par des opérations conjointes dans la zone frontalière entre le Mali et le Niger, a débuté en juin 2017, soit quelques jours après la prise de fonction de l’actuel président français.
Elle s’est poursuivie pendant près d’un an, en dépit des accusations portées contre ces deux milices, notamment par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), une opération de maintien de la paix des Nations unies. En juin 2018, la mission des Nations unies au Mali avait estimé, dans un rapport consulté par Basta!, à 143 le nombre de civils tués par ces deux groupes armés.
Peu de temps après, l’exécutif français a exigé l’arrêt de cette collaboration. Pour obtenir plus de résultats, Emmanuel Macron a en outre décidé de lever un tabou en acceptant une vieille revendication des militaires : l’armement des drones. Jean-Yves Le Drian, qui craignait des réactions négatives à gauche, s’y était opposé durant le quinquennat de François Hollande, sous lequel il était ministre de la Défense. Florence Parly, elle, n’a pas eu ces états d’âme. Quelques jours après l’élection de Macron, un rapport sénatorial ouvre la voie à l’armement des drones.
Deux mois plus tard, la ministre, qui estime que les enjeux « ont été parfaitement identifiés et expliqués » par les sénateurs, annonce sa décision d’armer les drones militaires français et fait le lien avec l’opération Barkhane : « Les drones sont devenus des moyens incontournables dans les opérations que nous menons au Sahel », déclare-t-elle à l’occasion de l’université d’été de la Défense organisée à Toulon. Fin 2019, c’est acté, les drones disposent de bombes GBU-12, tandis que la force dispose également d’avions de chasse.
Certaines de ces frappes ont abouti à des « bavures ». La plus connue est celle de Bounti : le 3 janvier 2021, un avion de chasse Mirage 2000 de l’armée française a bombardé un rassemblement d’hommes à proximité de ce village du centre du Mali, tuant 22 personnes. Selon elle, il s’agissait de djihadistes. Mais des enquêtes journalistiques et un rapport de l’ONU affirment qu’il s’agissait, pour 19 d’entre eux, de civils qui participaient à une cérémonie de mariage. La France ne l’a pas reconnu. Quelques semaines plus tard, le 25 mars, un drone a frappé cinq jeunes qui, selon leurs proches, étaient partis à la chasse dans les environs de Talataye, au nord-est du Mali. Pour l’armée française, il s’agissait de djihadistes. Mais elle n’a donné aucun élément permettant de le prouver.
Enfin, Emmanuel Macron n’a pas remis en question la stratégie des « opérations homo », adoptée et assumée par François Hollande. Celles-ci consistent à cibler ce que l’on appelle, dans les milieux militaires, des « high value target » (des chefs importants des groupes djihadistes), et à procéder à leur exécution, via des frappes ou des opérations au sol. Dans son livre paru en 2017, Erreurs fatales (Fayard), le journaliste Vincent Nouzille estimait à une quarantaine le nombre d’exécutions extrajudiciaires ainsi validées par Hollande.
Qu’en a-t-il été sous le quinquennat d’Emmanuel Macron ? Ces dernières années, l’armée française a tué plusieurs dizaines de chefs, parmi lesquels celui d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), Abdelmalek Droukdel, et celui de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), Adnane Abou Walid al-Sahraoui. Mais elle a échoué à « liquider » les deux plus importants : Hamadoun Kouffa, le chef de la katiba Macina, active dans le centre du Mali, et surtout Iyad ag-Ghaly, le « grand patron » des djihadistes sahéliens, qui est à la tête de la Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM), une coalition réunissant les principaux groupes de la zone liés à Al-Qaeda.
« Cette stratégie n’a eu aucun effet », note D., un activiste malien des droits humains qui, au vu de l’ambiance actuelle au Mali, où la junte au pouvoir ne tolère aucun commentaire critique, a demandé l’anonymat. « Combien de communiqués avons-nous lus, célébrant telle ou telle exécution ? poursuit-il. Combien de fois nous a-t-on dit que c’était un coup fatal porté à l’ennemi ? Pourtant, l’ennemi est toujours là, plus fort que jamais. »
Pour Niagalé Bagayoko, cette stratégie a été une « fuite en avant ». Depuis 2017, les djihadistes n’ont cessé de gagner du terrain. Ils avaient commencé à mener des attaques dans le centre du Mali bien avant l’élection d’Emmanuel Macron. Ils ont continué après : dans le sud du Mali ; dans le nord du Burkina, puis dans l’est, et maintenant dans le sud ; dans l’ouest du Niger ; et désormais dans le nord du Bénin et de la Côte d’Ivoire. Selon l’ONG Acled (Armed conflict location & event data project), plus de 8000 personnes - des civils essentiellement - ont été tuées au Mali, au Niger et au Burkina depuis 2013. Ce chiffre n’a cessé d’augmenter année après année, comme le révèlent les rapports trimestriels de la Minusma. L’armée française a elle aussi payé un lourd tribut dans cette zone : avant l’élection de 2017, 19 soldats étaient morts au Mali ; durant le quinquennat, 39 y ont perdu la vie.
En dépit de cette dégradation, Emmanuel Macron n’a pas changé de cap. « Il a persisté dans l’erreur en croyant que le recours aux militaires réglerait tout, alors qu’eux-mêmes avaient alerté sur l’impasse d’une telle stratégie », juge Niagalé Bagayoko. Pour elle, la faute en revient à une méconnaissance du dossier, mais aussi à l’influence des « faucons » au sein des ministères des Armées et des Affaires étrangères. Elle en veut pour preuve le refus absolu de Paris de voir les Maliens entamer des négociations avec les djihadistes.
Depuis 2017, les autorités maliennes envisagent de négocier avec les chefs maliens des groupes djihadistes. Une option également défendue par des chercheurs. La France s’y est toujours fermement opposée. « Cela nous a fait perdre plusieurs années, déplore D., l’activiste malien cité plus haut. Car à terme, tout le monde sait que le règlement de ce conflit passera par des négociations. » D. ne comprends pas « l’aveuglement » de la France. Il estime que cet aveuglement explique en partie la colère qui s’exprime depuis quelques mois contre la force Barkhane au Mali, au Niger et au Burkina – et plus généralement contre la France en Afrique de l’Ouest.
Il y a d’autres explications à ce rejet de la France dans ses anciennes colonies. Niagalé Bagayoko déplore notamment le ton « paternaliste » d’Emmanuel Macron et de ses ministre de la Défense et des Affaires étrangères. Le président avait notamment choqué lors de son déplacement à Ouagadougou en novembre 2017, où il s’était moqué du président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, lors d’une rencontre avec des étudiants. À cette occasion, il avait sèchement répondu à une étudiante qui l’interpellait sur le nombre important de soldats français dans la région. « Ne venez pas me parler comme ça des soldats français. Vous ne devez qu’une chose, pour les soldats français : les applaudir », lui avait-il rétorqué. Il avait également suscité une vague d’indignation en Afrique lorsqu’il avait littéralement convoqué les chefs d’État sahéliens à un sommet à Pau, en janvier 2020, dans le but affiché de les recadrer, alors que les manifestations anti-françaises se multipliaient.
Quant à Florence Parly et Jean-Yves Le Drian, ils ont tenu des propos sévères à l’égard des autorités maliennes issues du coup d’État de mai 2021. Le 1er février dernier, devant les députés, le ministre des Affaires étrangères a notamment déclaré : « Qu’est-ce que c’est que cette junte qui veut rester au pouvoir encore cinq ans après y avoir passé deux ans, après deux coups d’État successifs, et qui vient donner des leçons de Constitution ? » Au Sahel, ces discours passent d’autant moins que la France continue de soutenir la dynastie Déby au Tchad, en dépit du coup d’État mené par le fils, Mahamat, après la mort du père, Idriss, en avril 2021, et qu’elle n’a jamais critiqué la dérive autoritaire de Mahamadou Issoufou au Niger.
« Le prisme sécuritaire a fait oublier à la France les enjeux démocratiques, déplore Ali Idrissa, une figure de la société civile au Niger, qui milite notamment au sein du collectif pro-démocratie « Tournons la page ». La question des droits humains était déjà minorée sous Hollande, et Macron a continué sur la même voie. On laisse les régimes corrompus faire ce qu’ils veulent, s’en prendre aux libertés individuelles et collectives, au nom de la lutte antiterroriste. La France soutient les régimes forts au nom de la stabilité, mais elle a oublié que ces régimes sont aussi à la source des insurrections djihadistes. » Cette politique a désormais atteint ses limites. Le 17 février, Emmanuel Macron a été contraint d’annoncer le retrait de la force Barkhane et de la force Takuba du territoire malien : la junte au pouvoir à Bamako n’en voulait plus. Cette annonce sonne le glas de l’opération Barkhane, qui pliera bientôt bagage sur un constat d’échec. Selon un rapport de la Cour des comptes de février 2021, les opérations militaires françaises dans la zone saharo-sahélienne ont coûté un milliard d’euros par an au budget de l’État.
Rémi Carayol est coordinateur du comité éditorial d’AfriqueXXI. Il a fondé deux journaux papier dans l’archipel des Comores (Kashkazi, Upanga) avant de rejoindre la rédaction de Jeune Afrique, puis de collaborer avec divers médias francophones (dont Le Monde diplomatique, Mediapart, Orient XXI). Ces dix dernières années, il a publié plusieurs enquêtes et reportages menés sur le continent africain et notamment au Sahel.
sur www.regards.fr
La sénatrice de Paris, Marie-Noëlle Lienemman, a fait le choix de Fabien Roussel pour cette élection présidentielle. Elle estime qu’il est le mieux placé pour « réaffirmer une gauche populaire, républicaine, universaliste et sociale » et confie s’être éloignée de Mélenchon, insuffisamment rassembleur et dont la ligne idéologique a « glissé », estime-t-elle. Elle est l’invitée de #LaMidinale.
Sur la gauche et la présidentielle
« On ne doit pas se démolir mutuellement au sein de la gauche. »
« Je me suis éloignée de Jean-Luc Mélenchon qui est peu soucieux du rassemblement dans la diversité en croyant tout seul en lui. »
« La candidature de Fabien Roussel a cette vocation de réaffirmer une gauche qui soit populaire, républicaine, universaliste et sociale. »
« Ce qui se joue dans cette élection, c’est la capacité pour la gauche de récréer un rapport de force social qui ne peut se réaliser que dans l’esprit d’un rassemblement respectueux de la diversité. »
« Vous ne me ferez jamais dire que ça serait une catastrophe que quelqu’un de gauche arrive au second tour de l’élection présidentielle. »
« Je crains que le vote utile fonctionne à l’extrême droite. »
« Je trouve très peu probable que Mélenchon arrive au second tour. »
« A force de voter par défaut ou de voter pour un coup sans avoir le sentiment de défendre ses convictions, on assèche la gauche. »
« Le rapport de force politique est social. Et c’est aussi ça qui se joue dans cette élection. »
« On ne peut pas, quand on est de gauche, compter uniquement sur l’émergence de la colère. La colère ne construit pas de débouché. »
Sur Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel
« Le principal échec de Mélenchon est celui de ne pas avoir réussi à rassembler la gauche dès 2017. »
« Il y a un glissement idéologique chez Mélenchon. »
« Mélenchon ressemble plus à la gauche américaine qu’à la tradition républicaine de la gauche historique. »
« Je ne suis pas pour une République castratrice où l’Etat ferait tout. »
« Les chances de battre Emmanuel Macron ne sont pas nulles mais il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités. Et même si Mélenchon arrivait au deuxième tour, quel deuxième tout ferait-il ? »
« Je ne crois pas que la candidature de Fabien Roussel soit de nature à nuire aux chances de la gauche, au contraire. »
« Les désaccords à gauche ne sont pas si importants, mais importants, oui. »
« Je ne croirai jamais aux gauches irréconciliables mais je me méfie des fausses synthèses à gauche. »
« Je fais de la question du travail, une question centrale comme le fait Roussel et qui est de plus en plus estompée chez Mélenchon. »
Sur la laïcité comme fracture structurante à gauche
« La ligne de fracture à gauche sur la République et la laïcité est importante mais il ne faut pas la surestimer. »
« Toutes les enquêtes d’opinions montrent que les thèses intersectionnelles sont hyper minoritaires dans le pays - et même dans la réalité des quartiers. »
« L’ambition des jeunes de quartier comme des plus anciens c’est d’être reconnus comme citoyens à part entière et avec des droits à part entière. »
« Les propositions de Fabien Roussel de systématiquement combattre avec la dernière vigueur, toutes les formes de discriminations, sont essentielles. »
Sur la hiérarchie des combats à gauche
« Il faut savoir remettre les priorités à gauche. »
« La gauche n’est pas là pour faire la morale aux citoyens - notamment sur la question écologique. On doit s’attaquer structurellement aux problèmes et ne pas être dans le y’a qu’à, faut qu’on. »
« On a beaucoup abandonné la réflexion sur les structures à modifier qui vont permettre d’atteindre les objectifs - notamment écologiques. »
« Le combat de la gauche, c’est un combat de changement de structure. »
Sur les législatives et les accords à gauche
« L’hypothèse d’une disparition de la gauche à l’assemblée nationale est plausible si on ne se rassemble pas. »
« Il ne faut pas jouer à la roulette russe : il est urgentissime de travailler à un accord global aux législatives. »
« Il n’y a pas d’oukase. Tout le monde a sa place à gauche. Il y a des gens au PS qui sont sincèrement réformistes. »
« Il faut un minimum d’accords programmatiques qui donnent du sens. »
« L’union est un long chemin de dialogue pour lever les fausses différences et trouver les bons compromis là où il y a des divergences. »
Sur l’agenda de la gauche post élections
« Il faut réinventer une fédération. »
« La première étape sera de créer un comité de liaison de l’ensemble des forces de gauche pour établir une feuille de route de mobilisation avec les syndicats et les associations. »
« La France est dans un état d’ébullition larvée derrière une apparente apathie. Il faudra être prêt à donner des débouchés politiques aux combats qui vont s’imposer. »
« Tout le monde à gauche aura besoin de se dépasser. »
« Je ne crois pas à l’effacement des partis politiques. »
« L’indignation est là. Il nous faut des solutions. »
« Je ne comprends pas comment le besoin de gauche est tel, et en même temps que le recours à la gauche est si faible. Je n’y vois qu’une explication sociologique. En fragmentant les combats, on n’arrive pas à redonner du souffle. »
« On ne peut pas isoler les combats par cause. Nous avons besoin de combats fédérateurs. »
Sur Anne Hidalgo et la social-démocratie
« Le problème n’est pas tant Anne Hidalgo que la réalité politique qu’elle met en évidence. »
« Le quinquennat de François Hollande a lourdement discrédité le Parti socialiste. »
« Le PS a largement contribué à l’arrivée de Macron. »
« Le PS a sa place dans une recomposition générale. »
Sur Fabien Roussel
« En faisant le choix de Roussel, je fais le choix de ressouder le monde du travail et de retrouver une gauche qu’il incarne. »
Lola Ruscio sur www.humanite.fr
Campagne Le candidat trotskiste se présente comme le relais des mobilisations au sein de cette élection présidentielle. Sauf que cette troisième candidature peine sérieusement à être entendue des électeurs.
À l’approche du premier tour, Philippe Poutou, qui plafonne à 2 % dans les sondages, ne vise pas la qualification mais entend, comme en 2017, mettre son grain de sel dans le débat présidentiel. Sa motivation à porter une candidature « révolutionnaire » n’a pas changé d’un iota depuis la précédente campagne. Lors d’un débat télévisé, l’ancien ouvrier licencié de chez Ford s’était alors fait remarquer face à François Fillon (LR), empêtré dans le Penelopegate, et à Marine Le Pen sur l’affaire des assistants parlementaires du FN. « Nous, quand on est convoqués par la police, on n’a pas d’immunité ouvrière, on y va », avait-il lancé devant des millions de spectateurs. Si cette réplique choc lui avait valu une certaine reconnaissance du public, les votes n’ont pas suivi. Au soir du premier tour, son parti avait enregistré seulement 1,09 % des voix, loin des 4 % recueillis en 2002 et 2007 par Olivier Besancenot.
Les mêmes thèmes de prédilection
Depuis, Philippe Poutou, également conseiller municipal sous l’étiquette Bordeaux en luttes, a rempilé pour une troisième campagne présidentielle après une confrontation interne avec Anasse Kazib qui a abouti au départ du courant Révolution permanente du NPA. Les thèmes de prédilection du candidat sont eux toujours les mêmes : refus du souverainisme, défense inconditionnelle de la liberté de circulation et d’installation, désarmement de la police, dénonciation de l’argent accumulé par les milliardaires sur le dos des travailleurs… « Nous voulons incarner une voix de rupture avec le capitalisme et donner la parole aux luttes sociales dans une période où le néolibéralisme montre ses limites, on le voit, avec la crise climatique, sanitaire et la guerre en Ukraine », développe Antoine Larrache, membre de l’équipe de campagne du candidat. Avant de poursuivre : « Les changements radicaux ne peuvent venir que des luttes sociales, ça ne passe pas par l’élection présidentielle. On y va parce qu’on a des choses à dire et on espère être utile dans le débat public, y compris pour lutter contre l’extrême droite et les propositions antisociales d’Emmanuel Macron. »
S’inquiétant du fait que le débat démocratique n’ait pas lieu, le NPA a envoyé un courrier, le 17 mars, aux formations de gauche les invitant à défendre une « position commune » afin « d’exiger un débat entre les candidat.e.s ». « Pour l’instant, pas de réponse, mais cela va certainement venir parce que l’on a un intérêt commun à ce qu’il y ait une véritable confrontation », a indiqué Philippe Poutou sur France Inter, ce week-end. « La démocratie, ce n’est pas juste la question du temps de parole dans une élection présidentielle ou la question des institutions. C’est aussi comment on arrive à faire respecter les droits sociaux », a poursuivi le syndicaliste, en défendant un salaire minimum de 1 800 euros net « pour tout le monde » et la sixième semaine de congés payés. Des propositions que le candidat du NPA pourra défendre lors de ses prochaines réunions publiques prévues à Marseille, le jeudi 24 mars, et le vendredi 25 mars, à Quimper dans le Finistère.
Diego Chauvet sur www.humanite.fr
PRÉSIDENTIELLE Ce dimanche, à Paris, la Marche pour la VIe République a rassemblé « plus de 100 000 personnes ». Le candidat FI appelle à faire du scrutin élyséen un référendum pour la retraite à 60 ans.
«Si on est au deuxième tour, ce sera déjà une très belle victoire. Ça obligera Macron à affronter de vraies problématiques. » Pierre, la vingtaine, est monté de Lyon rejoindre la Marche pour la VIe République, organisée par la France insoumise, dimanche à Paris. Au même moment, sur le boulevard Beaumarchais, le candidat de l’Union populaire à la présidentielle fait son entrée dans le cortège sous les ovations de la foule. Malgré la virulence des attaques dont il est l’objet depuis l’invasion russe de l’Ukraine, Jean-Luc Mélenchon garde un soutien intact dans les rangs des insoumis et des sympathisants. Alors que les manifestants rejoignent la place de la République, la situation internationale qui bouleverse la campagne est évidemment dans toutes les têtes.
Manon, venue de Haute-Savoie, reconnaît que « ça a changé les choses, oui. Mais pour l’essentiel, ce sont des gens qui ne voulaient pas voter pour Mélenchon, et qui se sentent renforcés dans leurs positions. » Jean-Luc et Félix, eux, ont fait « dix heures de bus depuis Brest » pour être présents. Le premier est optimiste, persuadé que son candidat va l’emporter. Le second, lui, est conscient que, si le deuxième tour peut être à portée, la marche vers la victoire est beaucoup plus haute… « Si on avait un mois de campagne de plus, peut-être que ce serait possible. Mais Macron, c’est un mur. C’est incroyable, il est à 33 % dans certains sondages. » La marche du 20 mars fait ainsi figure de grand coup de pression dans la campagne pour faire grimper le candidat d’ici au 10 avril. Car certains dans le cortège ont vraiment du mal à envisager un nouveau second tour entre Macron et Le Pen. C’est le cas de Christine, « militante depuis trente ans », qui dit qu’elle pourrait ne pas glisser un bulletin au nom du président sortant dans une telle configuration… Drapeau à la main, venue d’Île-de-France, elle se dit persuadée que « 90 % des gilets jaunes vont voter Mélenchon ».
Smic à 1 400 euros net et blocage des prix
Dans son intervention, le candidat FI leur a d’ailleurs adressé quelques signaux, promettant l’amnistie de tous ceux qui ont été condamnés, et l’indemnisation des victimes des violences policières en manifestation. Il s’est aussi déclaré en faveur du référendum d’initiative citoyenne, et de la fin de la monarchie présidentielle à travers la mise en place d’une Constituante pour une VIe République. Mais c’est surtout face au programme du président sortant que le député s’est positionné. Jean-Luc Mélenchon commence son discours en dédiant ce rassemblement « à la résistance du peuple ukrainien face à l’invasion russe », et aux « Russes courageux qui résistent dans leur propre pays ». Sortant du seul débat international qui domine la campagne depuis plusieurs semaines, il ouvre alors le feu sur la mesure la plus emblématique du programme d’Emmanuel Macron : la retraite à 65 ans. Il y oppose la retraite à 60 ans, qu’il promet de rétablir s’il est élu le 24 avril. Juste avant le discours, le coordinateur de la FI, Adrien Quatennens, le clamait : « Avec Jean-Luc Mélenchon au second tour, cette élection présidentielle vaudra un référendum pour la retraite. » « Une nouvelle fois, nous allons lui faire remballer sa réforme », promettait-il. « Ne vous cachez pas derrière les divergences entre les chefs et les étiquettes, c’est vous qui faites la différence », appuie ensuite le candidat à la présidentielle à l’intention des électeurs, notamment ceux qui, à gauche, hésiteraient encore sur le nom à glisser dans les urnes le 10 avril. Et d’en appeler à leur « responsabilité » : « Oui, ce vote est un référendum social, vous êtes prévenus », un vote pour faire barrage à « la retraite à 65 ans », lance-t-il à la foule.
Pour mobiliser encore au-delà de ses troupes rassemblées place de la République (plus de 100 000 personnes selon les insoumis), le candidat met aussi l’accent sur la rapidité avec laquelle de nouvelles « conquêtes sociales » pourraient être mises en place en cas de victoire. C’est « une élection qui, parce qu’elle concentre tous les pouvoirs, nous permet de les renverser tous en même temps ». Aussi, dès son arrivée au pouvoir, Jean-Luc Mélenchon promet un décret faisant passer le Smic à 1 400 euros net et le blocage des prix. Avec la retraite à 60 ans, « tout de suite, 830 000 personnes pourront partir jouir de leur temps libre », tandis qu’autant d’emplois seront libérés pour les jeunes. « Pas besoin de grèves coûteuses pour votre budget, ou de manif rendue dangereuse par le préfet Lallement », assure encore le candidat. Pour y parvenir, il reste trois semaines à la « tortue électorale », donnée entre 12 % et 14 % des intentions de vote selon les sondages, pour convaincre… une majorité de Français.
publié le 21 mars 2022
par Leo le Calvez sur https://basta.media/
Filiale d’Orpea, entreprise pointée du doigt pour sa gestion des Ephad, Clinéa s’implante dans des hôpitaux publics de villes moyennes. Une « coopération » public-privé dont les conséquences sur les patients et les soignants inquiètent.
Des lits d’hôpitaux en augmentation : le phénomène devient de plus en plus rare. C’est pourtant ce qui doit arriver au centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel, dans la Meuse, où 90 lits et 20 places de jour de « soins de suite et de réadaptation » vont être créés, et deux services spécialisés de soins de suite en cardiologie et en pédiatrie – pour prendre en charge les patients en cours de guérison ou tout juste opérés – seront rénovés. Le tout dans un bâtiment flambant neuf, qui devrait sortir de terre en 2024. Une indéniable bonne nouvelle pour les 40 000 habitants des communes alentour… Problème : ces créations de lits masquent une privatisation rampante de l’hôpital public. Car elles entrent dans le cadre d’un « protocole de coopération » signé mi-avril 2021 entre l’hôpital et Clinéa, une filiale d’Orpea, l’entreprise à but lucratif leader du secteur des Ehpad privés en France.
Cette « coopération » sera encadrée par un « groupement de coopération sanitaire ». Créé en décembre 2021, il réunit Clinéa et le groupement hospitalier de territoire Cœur-Grand-Est, qui se compose de neuf établissements hospitaliers dont celui de Verdun Saint-Mihiel. Ce type d’alliance est « l’outil privilégié dans le cadre des coopérations entre le secteur public et privé », avance le ministère de la Santé. En d’autres termes, il s’agit d’un partenariat public-privé. « Le privé s’affiche comme un créateur de soin pour l’hôpital de Verdun, or nous sommes dans une configuration où ces lits étaient prévus pour le public, mais ils sont transférés au privé », alerte ainsi Guillaume Gobet, ex-délégué CGT au sein d’Orpea. Avec le risque d’un management plus agressif, un plus grand turn-over chez les soignants, des frais en augmentation pour les patients.
Du côté de Clinéa, tout est présenté comme si le système de santé publique avait nécessairement besoin de s’appuyer sur le groupe privé pour créer ces nouveaux services aux patients. Clinéa « propose des soins sur des territoires plus ruraux, voire délaissés sur le plan de l’offre médicale, permettant ainsi, de contribuer à recréer une offre de proximité autorisée et contrôlée par les agences régionales de santé, en réponse à un vrai besoin », explique la direction, dans un communiqué.
Mais dans le projet de protocole d’accord que basta! a pu consulter, Clinéa apparaît plutôt comme le demandeur : « En 2019, Clinéa a initié un projet de partenariat en matière de soins de suite et de réadaptation et s’est rapproché à cet effet du centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel. À la suite de cette manifestation spontanée d’intérêt, le [centre hospitalier] a procédé à la publication dans le journal L’Est républicain à la date du 31 juillet 2020, d’un avis de publicité préalable afin de s’assurer de l’absence de toute autre manifestation d’intérêt concurrente avant qu’il procède aux démarches nécessaires au partenariat », détaille le texte. C’est donc après que Clinéa s’est rapproché de l’hôpital que l’appel à candidature a été publié. L’offre est arrivée avant la demande. Et a permis à la filiale d’Orpea de mettre un pied dans l’hôpital.
Il n’y a pas qu’à Verdun qu’une telle privatisation rampante a lieu. En épluchant la carte des groupements de coopérations sanitaires, on voit que le ministère de la Santé et Clinéa multiplient ces partenariats. En 2012, le groupement « Territoire Ardennes Nord » est créé. Clinéa y est actionnaire ainsi que sa maison mère Orpea. Le groupe privé s’installe ainsi au sein de l’hôpital de Charleville-Mézières où elle a en charge les soins de suite et réadaptation. « Je me rends compte que Clinéa a une facilité à se rendre indispensable en arrivant au moment où l’agence régionale de santé (ARS) lance des appels d’offres, estime Philippe Gallais, ancien salarié de Clinéa et délégué à la CGT Santé privée. De son côté l’ARS y voit l’occasion de réduire les coûts. Mais cette habitude de confier des missions au privé met en danger à terme la pérennité de l’hôpital public ».
« Cette habitude de confier des missions au privé met en danger à terme la pérennité de l’hôpital public »
Les soignants appréhendent l’arrivée de nouvelles pratiques dans les ressources humaines, avec des différences salariales et des évolutions de carrières négociées au cas par cas. Chez Clinéa, une infirmière débutante commence à 2100 euros bruts par mois, selon le témoignage d’une salariée de l’entreprise que basta! a recueilli. « Certes, c’est un salaire attractif sauf que chez Clinéa, il n’y a jamais d’augmentation. Il faut aller voir la directrice en entretien et c’est à son appréciation seulement. Alors que dans la fonction publique, c’est automatique », nous explique-t-elle. Philippe Gallais abonde : « Là où le privé se fait le plus de marge, c’est sur la masse salariale ». Le risque, selon Jean-Marc Albert, de la CGT de l’hôpital de Verdun, c’est « le turn-over régulier, car le privé fonctionne en prenant des jeunes diplômés. Ils les mettent en difficulté car ils savent très bien qu’ils ne vont pas y arriver avec leur faible expérience, puis ils mettent fin à leur contrat et en réembauchent d’autres tout juste sortis d’école. »
« Le privé, à la différence du public, considère les patients comme des vaches à lait. Plus il en a, plus il est content. Rien n’est mis sur le volet prévention. Ce qui se joue c’est l’égalité d’accès aux soins », ajoute Jean-Marc Albert. Une chambre individuelle de soins de suite et réadaptation coûte entre 65 et 200 euros par jour selon le type d’établissement de soin, privée ou public. Ni Orpea ni la direction de l’hôpital n’ont voulu donner de chiffres sur le projet de Verdun. Mais une ancienne patiente admise dans un service de soins de suite tenu par Clinéa confie avoir dû batailler pour ne pas sortir de la clinique avec une note trop élevée. « Ils voulaient me faire payer 170 euros par nuit en plus des 68 euros pris en charge par ma mutuelle, soit 3000 euros le mois à payer de ma poche. C’est plus élevé que mon salaire. En négociant avec le secrétariat, j’ai réussi à faire passer ce supplément de 170 euros à 32 euros. Je m’en suis sortie avec 1100 euros pour y être restée un mois et demi, au lieu de 4500 euros. »
Le groupement hospitalier dont dépend Verdun Saint-Mihiel va-t-il étendre sa coopération avec Clinéa ? Certains soignants le craignent, notamment pour l’hôpital psychiatrique André-Breton, situé sur la commune de Saint-Dizier (Haute-Marne). Car la situation tendue qui y règne est propice à l’arrivée du groupe privé. En cause, une audition de Jérôme Goeminne, directeur du groupement hospitalier, devant le conseil départemental, le 19 novembre 2021, lors d’une réunion avec les élus pour présenter un projet de fusion entre deux établissements hospitaliers. L’hôpital André-Breton a été mal noté par la Haute autorité de santé, il faut donc y remédier, argue Jérôme Goeminne. La solution, pour le directeur, étant la fusion. Et pour la justifier, celui-ci accable les personnels.
« Le directeur a dit que les soignants faisaient faire des siestes aux patients pour pouvoir faire la fête. Il a ajouté que les patients étaient enfermés dans leur chambre, ce qui est faux », illustre Sandrine Roussel-Druart, secrétaire départementale FO Santé. Le 9 décembre 2021, les membres de l’équipe médicale et soignante de cet hôpital psychiatrique ont même rédigé une lettre à l’attention du ministère de la Santé dans laquelle ils expliquent que « de par les propos entendus et vidéos [de l’intervention de Jérôme Goeminne] visionnés dans la population, des centaines de patients se trouvent envahis par un doute, une crainte et une réticence à accéder aux soins ». Ils dénoncent des « propos diffamatoires dont le mobile et la finalité demeurent obscurs ».
Sollicitée, la direction refuse de « [commenter] cette intervention datant d’il y a plus de trois mois maintenant et qui, par ailleurs, n’a été que partiellement relayée » et préfère mettre l’accent sur « les groupes de travail [qui] sont à pied d’œuvre depuis le mois de décembre afin d’améliorer les prises en charge des usagers ainsi que les conditions de travail des professionnels en vue d’une certification de l’établissement ».
Quel lien avec Clinéa ? Une évaluation négative d’un établissement par la Haute autorité de santé peut être l’occasion, pour les directions, de lancer un « protocole de coopération ». « C’est à peu près la même chose qu’il s’était passé à Charleville lorsqu’il y a eu la création du groupement de coopération sanitaire (créé en 2012, dont Clinéa et Orpea sont actionnaires, ndlr). Le bloc opératoire avait été mis en cause par la Haute autorité de santé. Peu de temps après, les membres de la direction ont officialisé la création du groupement. La concomitance des dates m’interroge », ajoute Michèle Leflon, présidente du Collectif de défense des hôpitaux ardennais.
En attendant, Clinéa continue de tisser sa toile et est sur le point d’ouvrir une clinique psychiatrique privée à Toul, d’une centaine de lits. Elle sera « en concurrence avec le centre psychiatrique de Nancy », dénonce un communiqué de la CGT santé Sociale 54. À Verdun, la CGT Santé demande la suspension du partenariat avec Clinéa. L’organisation syndicale « renvoie chacun à ses responsabilités et recommande toutes les précautions nécessaires avant de foncer tête baissée dans un tel projet ». Sauver les territoires ruraux « délaissés sur le plan de l’offre médicale », tel est le principal argument avancé par Clinéa. Les pratiques de maison-mère, Orpea, font pourtant l’objet d’un vaste scandale depuis la publication en février d’un livre enquête consacré à l’entreprise.
Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr
Notre système de santé est en train de s’effondrer. Tout est à reconstruire et nous avons besoin d’une politique de rupture avec tout ce qui a été mis en œuvre depuis plus de trente ans. Dans cette situation, il est indispensable d’exiger que l’État assume ses responsabilités pleines et entières afin d’offrir à la population un accès aux soins égalitaire sur l’ensemble du territoire.
Notre système de santé est en train de s’effondrer. Il y a de moins en moins de médecins généralistes, par ailleurs mal répartis sur le territoire, avec un mode d’exercice libéral qui ne correspond plus aux besoins et surtout qui les occupe à d’autres tâches que la prise en charge de leurs patients. À l’hôpital, la crise liée au coronavirus a mis en lumière le manque de moyens, notamment en personnels et en lits. Aujourd’hui, nous assistons à une fuite des infirmières qui sont très nombreuses à renoncer à leur métier et des médecins qui sont aspirés par le secteur privé. Dans les Ehpad, un très grand nombre d’aides-soignantes abandonnent face à des conditions de travail dégradées et à des salaires de misère.
Tout est à reconstruire et nous avons besoin d’une politique de rupture avec tout ce qui a été mis en œuvre depuis plus de trente ans. Le constat est que notre système hybride mi-public, mi-privé ne permet pas de trouver des solutions, bien au contraire, puisque, d’année en année, nous observons une aggravation des inégalités d’accès aux soins, à laquelle s’ajoute une augmentation du renoncement aux soins pour des raisons financières, face aux dépassements d’honoraires et au reste à charge qui augmentent.
Dans cette situation, il est indispensable d’exiger que l’État assume ses responsabilités pleines et entières afin d’offrir à la population un accès aux soins égalitaire sur l’ensemble du territoire. C’est un impératif et la seule solution est la mise en place d’un service public de santé répondant à l’ensemble des besoins, que ce soit pour les soins de ville, pour l’hôpital ou pour la prise en charge de la perte d’autonomie.
Mais, au-delà de la pétition de principe, comment faire ? Une proposition serait de demander un référendum posant une question simple : les activités de la santé et du médico-social doivent-elles être exclues du secteur privé à but lucratif ? À la suite du scandale d’Orpea, il est clair que cette question est légitime. À cela s’ajoute le fait que le secteur des cliniques est aujourd’hui contrôlé par des actionnaires français et étrangers, dont l’objectif est le meilleur retour sur investissement… Ce qui est tout simplement antinomique avec les raisons d’être d’un système de santé où, si la question de l’efficacité des dépenses est légitime, l’objectif ne peut être que de répondre aux besoins sans une limitation a priori de moyens qui nuirait au résultat recherché.
Il y a fort à parier que la population validerait cette proposition à une très forte majorité. Cela donnerait une légitimité politique afin de supprimer tout financement par la Sécurité sociale des structures à but lucratif qui, si elles ne changent pas de statut, devraient être alors réquisitionnées, puis intégrées dans le secteur public ou privé à but non lucratif.
Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr
Les données de l’Insee montrent une augmentation de la mortalité infantile en France depuis 2012. l s’agit tout d’abord du constat de la fermeture massive des maternités. Par ailleurs, la pénurie de médecins a été sciemment organisée depuis quarante ans en diminuant de manière drastique le nombre de médecins formés. Tout cela concourt à une prise en charge dégradée, entraînant des risques importants pour la mère et l’enfant.
Les données de l’Insee montrent une augmentation de la mortalité infantile en France depuis 2012. Près de 70 % des décès sont survenus au cours de la première semaine suivant la naissance, dont environ 25 % au cours du premier jour de vie. Dans l’attente des résultats d’une étude en cours pour en connaître les causes et sans minorer l’importance d’une analyse scientifique de cette situation, il est possible de pointer quelques pistes d’explication.
Il s’agit tout d’abord du constat de la fermeture massive des maternités, dont le nombre est passé de plus de 1 300 en 1975 à 800 en 1996 et à 460 en 2019. Il s’agit d’un processus continu, qui se poursuit. Les motivations des pouvoirs publics interrogent sur leur validité puisque, des années 1980 à 2000, l’argument mis en avant était celui de la sécurité, en affirmant que les petites maternités étaient dangereuses. Depuis, la justification est le manque de médecins accoucheurs disponibles… Il faut souligner le fait que des études scientifiques sérieuses ont au contraire montré que les petites maternités n’étaient pas plus dangereuses que les très grandes. Par ailleurs, la pénurie de médecins a été sciemment organisée depuis quarante ans en diminuant de manière drastique le nombre de médecins formés, ce qui a permis et permet aujourd’hui de fermer des services et des hôpitaux entiers. Depuis plusieurs années, la presse se fait l’écho de la multiplication des accouchements dans des conditions de sécurité inappropriées du fait de l’éloignement des maternités, donc de temps d’accès croissants. À cela s’ajoute la saturation des structures existantes, qui n’assurent plus le suivi mensuel des femmes enceintes, normalement obligatoire, les renvoyant sur la médecine de ville, qui n’a pas les moyens de s’en occuper. De plus, au moment de l’accouchement, comme c’est le cas à la maternité de Saint-Denis, une des plus grosses de France, il est demandé régulièrement aux femmes qui y sont suivies de se diriger vers d’autres hôpitaux par manque de places.
Tout cela concourt à une prise en charge dégradée, entraînant des risques importants pour la mère et l’enfant. Nous pouvons évoquer aussi le démantèlement des services de protection maternelle et infantile (PMI) par de nombreux départements, qui en assurent la gestion depuis les lois de décentralisation. En effet, ce service de santé publique pour le suivi des femmes enceintes et des jeunes enfants a été délaissé du fait de choix idéologiques des élus en place qui n’acceptent pas que la santé soit un service public de proximité gratuit et accessible à tous, notamment aux plus défavorisés. Tout cela montre bien que la santé est une question politique dont les citoyens doivent s’emparer, car ce sont eux les meilleurs experts pour savoir ce qui répond le mieux à leurs besoins.
publié le 20 mars 2022
par Emmanuel Alcaraz, historien sur www.humanite.fr
Le 19 mars 1962 acte la fin du conflit. Les vestiges de la colonisation ont peu à peu été démantelés par le gouvernement algérien. Reste l’héritage des essais nucléaires français.
Dans les mémoires de la guerre d’Algérie, les accords d’Évian sont un événement qui a donné lieu à des controverses dont nous ne sommes pas sortis. Pour les anciens combattants français, ils représentent la perspective de la sortie de guerre, de la paix, du retour chez soi, surtout pour les appelés et rappelés qui ont fait de 24 à 33 mois, avec des prolongations, en Algérie. Pour les Européens d’Algérie et les harkis, supplétifs algériens ayant combattu du côté français, c’est pour eux l’entrée dans la phase la plus meurtrière du conflit.
En Algérie, les accords d’Évian ont longtemps été oubliés. Ils sont célébrés en tant que fête de la victoire depuis 1993. Le 5 juillet, qui est la Fête de la jeunesse, lui est préféré. En effet, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), qui a négocié les accords d’Évian, a très rapidement été supplanté par l’armée des frontières, qui a pris le pouvoir en Algérie en 1962 à la suite de l’alliance temporaire entre son chef Boumediene et Ben Bella. Un document retrouvé par l’armée française à la fin août 1962, le programme de Tripoli, qualifie les accords d’Évian de « plateforme néocolonialiste ».
Pourquoi de tels antagonismes mémoriels ? Pour y répondre, il faut revenir à ce que sont les accords d’Évian et analyser les raisons de l’échec partiel de leur application à court et à long terme. Ces accords ne sont pas un traité entre la France et l’Algérie, mais un accord de cessez-le-feu et des déclarations gouvernementales de la France et du GPRA organisant la transition de l’Algérie française à l’Algérie indépendante en mettant en œuvre une série de consultations populaires : le 8 avril, en France métropolitaine, le 1er juillet, en Algérie, l’indépendance étant effective le 3 juillet 1962 pour le gouvernement français, le 5 juillet pour les Algériens.
L’OAS a pratiqué une politique de la terre brûlée
Le Front de libération nationale (FLN) est reconnu par le gouvernement gaulliste comme le seul représentant du peuple algérien. Cette transition devait être gérée par un exécutif provisoire doté d’une force locale, avec des représentants du FLN et des Européens d’Algérie progressistes, sans oublier des commissions locales de cessez-le-feu. Cet exécutif provisoire a été incapable d’assurer l’ordre public, laissant cette responsabilité à l’ancienne puissance coloniale.
Les deux parties en présence n’ont pas accepté une force d’interposition internationale pour faire appliquer le cessez-le-feu à partir du 19 mars avec l’intervention de pays tiers ou de casques bleus des Nations unies. La transition s’est faite dans une situation chaotique de guerre civile.En contrepartie d’une clause de libre circulation entre la France et l’Algérie accordée aux Algériens, vite démantelée par le pouvoir gaulliste, les accords d’Évian devaient garantir les droits de la minorité européenne qui obtenait la double nationalité et des garanties pour ses biens.
Au bout de trois ans, les Européens d’Algérie devaient choisir entre la nationalité française et la nationalité algérienne. Voulant à tout prix le maintien de l’Algérie française, l’Organisation de l’armée secrète (OAS) a immédiatement voulu saboter les accords d’Évian en ayant recours à une violence de plus en plus extrême contre les civils algériens (assassinats des femmes de ménage algériennes et des facteurs travaillant dans les quartiers européens, politique de la terre brûlée), contre les Européens progressistes, mais aussi contre l’armée française.
La dialectique des violences, qui existait avant les accords d’Évian entre l’armée française, le FLN et l’OAS, s’est donc poursuivie. Pour répliquer aux violences de l’organisation terroriste, le FLN, dans la région d’Alger, a procédé à des enlèvements d’Européens, ce qu’a reconnu le chef de la zone autonome d’Alger, le commandant Azzedine. Ces enlèvements sont une des causes, pas la seule, de la première vague de l’exode des Européens d’Algérie.
Les disparus algériens sont bien plus nombreux que les disparus européens
Il n’existe pas de preuve de l’existence d’une conférence de Wannsee où les dirigeants du FLN auraient planifié de chasser les Européens d’Algérie. Il s’agit de vengeances s’enracinant à chaque fois dans un contexte local. Cela vaut pour les violences contre les harkis, les messalistes et les élus algériens qui avaient soutenu la souveraineté de la France. Si on fait le bilan de la guerre d’Algérie, les disparus algériens sont bien plus nombreux que les disparus européens.
Si les violences de la fin de la guerre d’Algérie en ont été un facteur important, la cause principale de l’exil massif de cette première vague des Européens d’Algérie est surtout leur refus de vivre dans l’Algérie algérienne. Ils voulaient continuer de vivre dans l’Algérie française, ce qui explique l’échec prévisible des accords d’Évian, qui n’ont pas permis de maintenir une minorité européenne en Algérie. En septembre 1962, une minorité d’Européens a tenté le pari de l’Algérie algérienne. Ne reste plus aujourd’hui que quelques familles, la dernière vague de retour ayant eu lieu au moment de la guerre civile algérienne, dans les années 1990.
Sur le plan militaire, la France a conservé la base navale de Mers el-Kébir jusqu’en 1968. L’autre grand point litigieux des accords d’Évian expliquant la prolongation de la guerre a été la question du Sahara algérien. Si la France reconnaît la souveraineté algérienne sur le Sahara, elle se voit obtenir le droit d’exploiter les ressources en hydrocarbures. Le gouvernement Boumediene met un terme à ces relations inégales par la loi de nationalisation de 1971.
La France a obtenu également le droit de poursuivre, jusqu’en 1966, 13 essais nucléaires souterrains à In Ecker et même des expérimentations d’armes chimiques dans la base de B2 Namous. C’est le point le plus litigieux. Encore aujourd’hui, des zones dans le Sahara algérien sont contaminées. Des hommes, des femmes et des enfants sont victimes de graves malformations et d’un nombre anormal de cancers. La loi Morin de 2010 n’a permis qu’à une femme algérienne d’obtenir des indemnisations pour son mari décédé en ayant pris un avocat en France alors qu’elle en prévoyait pour les populations sahariennes. L’injustice coloniale s’est poursuivie jusqu’à maintenant pour les victimes des essais nucléaires français en Algérie.
publié le 20 mars 2022
par Liêm Hoang-Ngoc sur www.politis.fr
L’industrie a été sacrifiée sur l’autel du Monopoly financier. La spécialisation du capitalisme français au XXIe siècle transparaît à la lecture de certains comptes de sa balance des paiements.
Premièrement, celui des transactions courantes recouvre les échanges de biens (la balance commerciale, qui offre une estimation de la compétitivité industrielle d’un pays) et le solde des échanges de services (balance des « invisibles »). Son déficit, contenu à 7,1 milliards d’euros en 2019, s’est creusé pendant la crise sanitaire par la combinaison de deux phénomènes : la balance commerciale s’est dégradée en raison d’une hausse du prix de l’énergie et d’une baisse des exportations du secteur aéronautique, et les excédents de la balance des « invisibles » se sont réduits, du fait d’un ralentissement de l’activité dans les services de voyage et de transport, en grande partie dépendants du tourisme.
Au-delà de ces évolutions liées à la crise sanitaire, le caractère désormais structurel du déficit commercial français illustre : 1) la forte dépendance de l’économie française aux énergies fossiles importées (le déficit du solde énergétique représente la principale contribution au déficit commercial) ; 2) la perte de compétitivité de l’industrie française, qui n’a cessé de se dégrader depuis l’entrée en vigueur de l’euro (le solde des échanges de biens « hors énergie » est en permanence dans le rouge). Les politiques de dévaluation interne ou « politiques de l’offre », incarnées par l’« abaissement du coût du travail » et les privatisations, devaient redresser la compétitivité de la France. Mais notre pays s’est en réalité désindustrialisé et nombre d’entreprises ont été sommées par leurs actionnaires de délocaliser leurs unités de production.
Désormais, les soldes excédentaires de la balance courante sont l’aéronautique, le luxe et le tourisme. Ce dernier secteur assure, en rythme de croisière, les excédents de la balance des services, qui permettent à la France de compenser le déficit chronique de sa balance commerciale et d’afficher un déficit courant limité, mais permanent, inférieur aux 4 % du PIB autorisés par les textes européens.
Deuxièmement, il faut observer le compte financier de la France, qui inclut les investissements directs à l’étranger (IDE) et les investissements de portefeuille. Si le solde des IDE est légèrement positif (les placements français à l’étranger excèdent les IDE en France), la France est, selon les années, le 2e ou 3e pays d’accueil des IDE. Ce qui signifie que les placements destinés à prendre le contrôle des entreprises françaises cotées en Bourse continuent à se réaliser, à l’image du regrettable épisode Alstom.
Ainsi va la France. L’industrie a été sacrifiée sur l’autel du Monopoly financier. Son pathétique destin est de devenir le parc d’attractions du monde où sont acheminés, par ses propres avions, touristes et retraités aisés venant se procurer sur place les produits de luxe mondialement exportés par la société ruisselant de dividendes au bonheur de la première fortune du pays.
publié le 19 mars 2022
Romaric Godin et Ellen Salvi sur www.mediapart.fr
Le président-candidat a présenté, jeudi 17 mars, les grands axes de son programme. Plus que jamais néolibéral sur le plan économique, il propose une version conservatrice des enjeux sociaux et régaliens, en occupant le terrain de ses adversaires de droite et d’extrême droite.
Un long monologue, beaucoup d’autosatisfaction, de grandes formules absconses et un pillage d’idées à droite et à droite. Jeudi 17 mars, Emmanuel Macron a présenté pendant plus de quatre heures « les grands axes » de son programme lors d’une conférence de presse filmée par les seules caméras du candidat. Ce dernier a immédiatement annoncé qu’il ne pourrait être exhaustif, renvoyant à plus tard bon nombre de sujets, tels l’outre-mer, la biodiversité ou le logement.
Défendant aveuglément le bilan de son quinquennat, le président sortant a regretté de ne pas avoir mené à bout deux réformes promises en 2017 : celle des retraites, empêchée selon lui par la pandémie – ni la mobilisation sociale ni le 49-3 dégainé en première lecture à l’Assemblée nationale n’ont évidemment été évoqués – ; et celle des institutions, bloquée à l’en croire par le Sénat – mais en réalité enterrée par l’affaire Benalla, dont le nom n’a bien entendu pas été cité.
Évacuant toutes les questions portant sur son exercice solitaire du pouvoir – un mirage collectif, sans doute –, Emmanuel Macron a promis d’adopter une nouvelle méthode en cas de réélection, « pour essayer de lever les blocages ». « “Avec vous” n’est pas qu’un slogan, c’est une méthode », a-t-il assuré, sans avoir un mot sur l’échec de la convention citoyenne pour le climat, mais en convoquant un sibyllin « retour de la souveraineté populaire ».
Le candidat a ainsi annoncé vouloir mettre en place une « convention citoyenne » afin de trancher le débat sur la fin de vie. Comme il l’avait fait pour le premier exercice du genre – avant de renier sa promesse – il a indiqué qu’il soumettrait « à la représentation nationale ou au peuple le choix d’aller au bout du chemin qui sera préconisé » par cette convention, par voie de référendum s’il le faut.
Interrogé sur le copier-coller du programme Les Républicains (LR) qu’il venait de présenter, le président sortant a balayé les critiques, moquant ses adversaires qui n’arrivent pas, selon lui, à « se distinguer de son projet ». « Qu’ont ils été faire dans cette galère ? », a-t-il interrogé, avant de livrer sa vision toute personnelle du débat démocratique – les questions des journalistes étant sensées remplacer la confrontation d’idées avec les autres candidat·es.
« Je m’en fiche royalement, totalement, présidentiellement », a répondu le chef de l’État au sujet de sa droitisation décomplexée et des commentaires qui en sont faits. « J’assume, sur ce sujet, d’être gaulliste », a-t-il avancé, s’enorgueillissant d’avoir réuni, pendant cinq ans, des personnalités politiques de tous bords : « Ce que j’ai fait n’a jamais existé dans l’histoire politique contemporaine. » La présentation de son projet ne fait pourtant aucun doute.
Sur le plan économique, Emmanuel Macron a en effet confirmé son ancrage néolibéral et droitier. Certes, sur le plan énergétique, et devant la force des événements, il a promis la vague mise en place d’une « planification par secteur qui sera déclinée territoire par territoire». De la part d’un président de la République qui a fondé un haut-commissariat au plan sans aucun plan, une telle promesse ne saurait être prise sans une immense prudence.
D’autant plus que cet îlot vague de planification est perdu dans une mer de propositions conservatrices, voire réactionnaires. Au premier chef, on doit citer la confirmation d’une nouvelle réforme des retraites qui sera mise en place « en début de quinquennat » et qui prévoit l’allongement « progressif » de l’âge légal de départ à 65 ans. C’est donc un abandon entier de la grande réforme de 1981 qui ramenait l’âge légal à 60 ans et qui avait déjà été partiellement attaquée par la réforme Fillon de 2010 qui le portait à 62 ans.
C’est un immense recul social que propose Emmanuel Macron. Un recul qui ne saurait se justifier par l’argument avancé de « l’allongement de la durée de vie » puisque les réformes précédentes avaient déjà permis de récupérer les gains d’espérance de vie. La seule justification est donc la réduction des dépenses publiques dans la logique du programme envoyé par le gouvernement à Bruxelles pour les cinq années à venir et qui prévoit le retour du déficit public sous les 3 % en fin de quinquennat.
Dans la même perspective, l’autre grand recul social promis par le président-candidat concerne la réforme du revenu de solidarité active (RSA). Au nom de la prétendue « dignité » de ses bénéficiaires , il sera décidé d’une « obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine » à une « activité permettant d’aller vers l’insertion ». C’est une rupture dans le modèle social français qui se rapproche clairement du « workfare » promu au début des années 1970 par Richard Nixon et qui conditionne les prestations sociales à un travail.
Emmanuel Macron juge « difficile » de mieux payer les enseignants qui ne « font pas plus d’effort ».
Les modalités de ce travail sont encore inconnues, mais les bénéficiaires du RSA devront, dans les faits, effectuer un travail à mi-temps pour une rémunération proche du salaire minimum. La mise en œuvre concrète d’une telle réforme risque, au reste, de poser problème mais l’idée est claire : il s’agit de déligitimer les prestations sociales en tant que telle, de soumettre ses prestataires à une logique marchande et, partant, d’exercer une pression sur la partie du monde du travail la plus mal payée en intensifiant la concurrence.
Cette proposition va encore offrir aux entreprises un bassin d’emplois pris en charge par l’État. Ce travail de sape est cependant plus large. Emmanuel Macron propose partout de renforcer la logique marchande et la concurrence. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre cette idée que l’on « ne traiterait pas la pauvreté ou la précarité uniquement au travers de prestations monétaires ». Mais la vision est plus large.
Aux enseignants, il refuse toute valorisation générale au profit d’un paiement pour de nouvelles prestations – remplacements inopinés, soutiens personnalisés –, jugeant « difficile » de mieux payer ceux qui ne « font pas plus d’effort ». Aux salariés, il propose de « monétiser » le compte épargne temps. Pour les services publics, il souhaite un approfondissement des « appels ouverts à projets » où leur organisation serait soumise aux propositions du secteur privé, mais aussi une « simplification » qui réduirait le pouvoir normatif de l’État à travers des « lois d’exception ».
La concurrence devra s’installer partout : entre les collectivités locales qui auront une « liberté d’innovation sur le terrain » dans un contexte où l’État leur demandera un « effort » de 20 milliards d’euros par an, mais aussi dans les universités et les écoles qui seront soumises à « l’autonomie ». Comme il l’avait esquissé à Marseille en septembre 2021, le candidat a confirmé vouloir permettre aux chefs d’établissement d’effectuer des recrutements « sur profils », rompant ainsi avec la promesse d’égalité territoriale de la fonction publique.
De façon globale, alors que les mesures disciplinaires contre le travail se multiplieraient, Emmanuel Macron veut poursuivre celles favorables au capital : un plan de subvention de la recherche de 30 milliards – pour notamment fonder un « Metaverse européen » (sic) –, une nouvelle baisse d’impôt de production, ainsi qu’une soumission de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale à la logique des entreprises.
La nouvelle baisse annoncée des impôts de production, en l’occurrence de la contribution sur la valeur ajoutée (CVAE) vient prouver que le cœur du projet économique reste le même qu’en 2017. Ces 7,5 milliards d’euros par an viendraient en effet s’ajouter aux 10 milliards par an offerts depuis 2020. Très significativement, le candidat-président s’est soumis à la demande expresse du patronat sur ce sujet, comme l’ont fait avant lui Éric Zemmour et Marine Le Pen.
Entre le Metaverse et les impôts de production, Emmanuel Macron reprend dans son programme les récits dominants de la finance et du patronat, confirmant son ancrage à droite. Les ménages, eux, devront se contenter de quelques mesures saupoudrées ici ou là, comme le relèvement à 150 000 euros de l’exonération des droits de succession, la suppression de la redevance télévisuelle ou la baisse des cotisations sur les indépendants. Le candidat-président a promis que cela équivalait aux 7,5 milliards d’euros offerts aux entreprises.
Mais la réalité est que, face à la crise inflationniste qui pèse sur les revenus réels de la majorité de la population, il regarde ailleurs : il n’a pas dit un mot sur la hausse des prix, en dehors des mesures déjà lancées, et a soigneusement évité la question du niveau des salaires. La promesse du président sortant est donc au mieux de laisser les ménages prendre une large part de l’ajustement à la hausse des prix. Le tout avec l’épée de Damoclès constante d’une assurance-chômage vouée à être de plus en plus restrictive. Au final, c’est bien une forme de redite bavarde mais peu ambitieuse de son programme économique antisocial qu’a proposé Emmanuel Macron.
Un système qui fera que le refus d’asile vaudra obligation de quitter le territoire français.
Sur le volet régalien, pudiquement qualifié « pacte républicain », le chef de l’État a là aussi confirmé adopter toutes les antiennes de la droite classique, notamment sur l’immigration. Il a ainsi annoncé vouloir opérer une « refonte de l’organisation du droit d’asile et de séjour », « avec un système qui fera que le refus d’asile vaudra obligation de quitter le territoire français », les possibilités de recours étant aujourd’hui trop nombreuses à ses yeux.
Rappelant que la France « a et aura à faire face à des arrivées importantes de femmes et d’hommes qui fuient l’Ukraine », Emmanuel Macron a indiqué vouloir également revoir « notre modèle d’intégration ». « La carte de séjour pluriannuelle sera donnée dans des conditions beaucoup plus restrictives », a-t-il précisé. En introduction de sa présentation, il avait pourtant souligné son « attachement à un humanisme », qu’il considère même comme une « conviction philosophique ».
Alors qu’il avait récemment assuré que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes serait de nouveau la grande cause de son nouveau quinquennat, le président sortant n’a pas dit un mot sur le sujet. À peine a-t-il répondu à une question portant sur son opposition à l’allongement du délai légal de l’IVG, voté cette année par le Parlement contre l’avis du gouvernement. Il s’est « engagé » à ne pas aller au-delà, estimant que l’avortement est « toujours un drame pour les femmes ».
Se faisant chantre de la « simplification », Emmanuel Macron a expliqué vouloir mettre en œuvre un « droit à la différenciation qui permettra à chaque territoire, y compris de revenir sur les organisations territoriales établies ». Interrogé sur les récents propos de son ministre de l’intérieur sur une éventuelle autonomie pour la Corse, il s’est contenté de relire ce qu’il avait déjà dit sur le sujet durant la campagne de 2017, puis en 2018, sans jamais aller au bout du « pacte girondin » promis à l’époque.
Un exemple, parmi d’autres, des annonces et mesures bricolées à la dernière minute, distillées depuis quelques mois, à l’approche de l’élection présidentielle. Pour tenir la campagne avec un tel programme, le chef de l’État compte sans doute sur sa position de sortant qui lui offre en réalité non seulement une forme d’avantage permettant de se présenter comme le « capitaine » dans la tempête, mais aussi qui lui offre de disposer des leviers de l’État pour envoyer des messages à l’opinion.
L’autre exemple de ce mélange des genres sous forme de virage à 180 degrés opportuniste, c’est l’annonce surprise de la revalorisation « avant l’été » du point d’indice des fonctionnaires. Pendant cinq ans, la ligne macroniste a été constante et claire sur ce dossier : l’augmentation générale des salaires des agents publics induite par le relèvement du point d’indice était à bannir au profit de mesures « ciblées ».
En décembre dernier, la ministre de la transformation et de la fonction publique, Amélie de Montchalin, avait d’ailleurs repoussé avec dédain les demandes de revalorisation demandées par tous les syndicats de la fonction publique. « Ce n’est pas avec une simple hausse du point d’indice, solution de facilité utilisée par tant de gouvernements […] que l’on peut vraiment résoudre et résorber les inégalités dans notre fonction publique », avait alors martelé celle qui, trois mois plus tard, annonçait donc un « dégel » de ce point d’indice.
La ministre a certes prétendu que ce geste brusque n’était pas « électoraliste », mais « économique » : l’accélération de l’inflation obligerait à cette revalorisation. Mais l’argument ne résiste pas une seconde à l’analyse. L’accélération de l’inflation ne date évidemment pas de l’attaque russe contre l’Ukraine, mais a commencé à l’été dernier. La question économique se posait donc au 1er janvier avec une inflation annuelle – non harmonisée – de plus de 3 % qui a été entièrement prise en charge par les fonctionnaires.
Certes, une inflation plus élevée rend le gel du point d’indice politiquement intenable. Mais la volte-face gouvernementale se limite à un effet d’annonce. Amélie de Montchalin ne s’est en effet pas engagée sur le montant de ce dégel. Or, en période de forte inflation, c’est ce point qui est crucial. Si la hausse du point est, par exemple, de 2 % avec une inflation de 5 %, la situation réelle des fonctionnaires sera la même qu’en janvier et en aucun cas les pertes immenses de pouvoir d’achat accumulées par les agents publics depuis la fin des années 2000 ne sera compensée. Il ne suffit donc pas de dire que le point d’indice sera dégelé, il faut dire de combien.
On comprend ici que l’opération ressemble bel et bien à un rideau de fumée, laissant penser que si le président sortant est réélu en avril, la situation des fonctionnaires s’améliorera.
Du côté de l’inflation, le chef de l’État n’a pas ménagé les effets d’annonce, de la prime inflation de 100 euros cet automne à la baisse de 15 centimes au litre promise au 1er avril la semaine dernière. Dans tous les cas, ces mesures sont cosmétiques, puisqu’elles évitent soigneusement de traiter l’essentiel du problème que pose l’inflation : celui du partage de son poids entre les salaires et les profits.
Tout se passe comme si le président de la République avait cherché, à coup d’argent public, à gagner du temps en faisant croire qu’il soutenait le pouvoir d’achat pour reporter les vraies décisions à plus tard. Là encore, on est dans l’effet d’affichage électoraliste pur. Et son silence durant sa présentation sur le sujet, le plus brûlant du moment pour les ménages français, confirme cette idée.
publié le 19 mars 2022
sur http://www.regards.fr/
En juin prochain, ça fera deux ans que la nouvelle équipe municipale de gauche s’est installée à Marseille. Qu’est-ce qui a changé ? Sophie Camard, maire du 1er secteur de Marseille, est l’invitée de #LaMidinale.
Sur le changement à Marseille
« Les Marseillais commencent à percevoir le changement. »
« Les villes voisines de Marseille sont plus riches que Marseille et ne veulent pas payer pour Marseille. »
« Il y a une prise de conscience de la part des Marseillais de la nécessité de transformer la ville. Les attentes sont énormes. »
« Aujourd’hui, on est encore dans des phases de concertation avec les habitants. Dans mon secteur, on a mis en place ce qu’on a appelé une contribution citoyenne avec les habitants et les "habitués". »
« On n’a pas trahi notre programme pour lequel on a été élus. »
« Les gens nous soutiennent et nous poussent à aller plus loin. »
« Les Marseillais sont conscients de la situation qu’on a trouvé avant notre arrivée. »
Sur le plan de l’Etat pour Marseille
« L’ANRU va nous aider à réhabiliter quelques dizaines de quartiers. »
« Nous allons remettre du logement social dans le centre ville là où il y a du logement indigne. »
« Nous allons aussi accompagner les propriétaires privés, ceux qui ne peuvent pas réhabiliter leurs immeubles. »
« On a eu une crise humanitaire énorme avec 5000 habitants délogés. »
« On tient à garder la mixité sociale dans Marseille. »
« Le 1er secteur est un peu la vitrine de Marseille. »
« Il n’y a pas de critère de revenus sur la honte que l’on peut ressentir d’avoir une ville dans une tel état. »
« Les Marseillais ne supportaient plus d’avoir une ville dans un mauvais état, riches comme pauvres. »
Sur le maintien du Marseille populaire
« Il faut reprendre de manière très volontariste la construction de logements sociaux. »
« 80% des Marseillais peuvent prétendre à un logement social. »
« On est allé chercher les financements de l’ANRU. »
« On a découvert - même si on le savait - les chiffres des locations saisonnières. On va être confronté aux mêmes problèmes : comment réguler Airbnb et ses 10.000 locations saisonnières, alors qu’il y a 40000 demandes de logements à Marseille ? »
« On avait demandé l’encadrement des loyers mais comme c’est une compétence de la métropole, à droite, nous ne l’avons pas eu. »
« Nous avons besoin de mesures d’ensemble, à l’échelle du pays pour répondre à la hausse des prix en général. »
« La ville ne peut pas, seule, faire face à la spéculation. Le national doit nous aider à mieux réguler cette situation. »
« La volonté politique compte. »
Sur l’effectivité des plans
« Aller chercher de l’argent était le premier préalable. Maintenant, nous devons nous assurer que l’argent de l’Etat arrive bien sur le terrain. »
« Si on n’arrive pas à lancer tout ce que l’on a promis, je ne pourrai pas me regarder dans la glace. Donc c’est hors de question qu’on n’y arrive pas. »
« On est condamné au résultat. On est obligé d’être pragmatique et opérationnel. On travaille beaucoup. »
« Je veux être une élue jugée sur le nombre d’échafaudages dans les rues de Marseille. »
« On n’a pas été élus pour faire un plan de communication. »
Sur la majorité de gauche à Marseille
« On a tellement de travail qu’on n’a pas le temps de se disputer. »
« Ce qu’on à faire à Marseille sont des gros fondamentaux de gauche : l’école publique, les inégalités de territoires, le logement social, l’écologie, les transports collectifs. Il n’y a pas matière à se disputer là-dessus. »
« Il y a une forme d’intérêt général à Marseille qui nous a obligé à surmonter nos désaccords. »
« Si j’avais pas gagné l’élection, je serais partie de cette ville. J’en pouvais plus de cette ville. »
« Il y a 90 des nouveaux élus de Marseille dont c’est la première expérience politique. »
« À Marseille, on est arrivé sur un champ de ruines. La gauche avait été balayée. »
« Ce qui fédère, c’est Marseille. Les gens comprennent ce qu’on fait - y compris quand le maire de Marseille s’affiche avec Emmanuel Macron pour aller chercher de l’argent pour les Marseillais. »
Sur Jean-Luc Mélenchon
« Mélenchon avait tout un espace qui lui appartenait parce qu’il incarnait une alternative. »
« Mélenchon n’a pas souhaité s’engager sur le local marseillais et j’ai acté mes désaccords avec lui. »
« Les personnalités du printemps marseillais se sont un peu toutes rebellées contre nos chefs. Ça plaît aux gens. Michèle Rubirola n’avait pas soutenu l’investiture EELV. Benoît Payan ne soutient pas Anne Hidalgo et il n’était pas en odeur de sainteté au PS. Moi je me suis disputée avec Jean-Luc Mélenchon. Les gens aimaient bien ce récit. »
Sur son soutien à Fabien Roussel
« A titre personnel, je suis une vraie pastèque : j’ai toujours été rouge chez les verts, verte chez les rouges. »
« Je travaille pour l’écologie avec les classes populaires et le monde du travail. Je ne veux pas qu’on aboutisse à une écologique coupée du peuple. »
« Aux élections régionales de 2015, j’étais tête de liste d’une union EELV - Front de Gauche : la dialectique sur la transition énergétique, sur l’industrie ou l’économie verte, je pratique ! »
« Avec Fabien Roussel, je reviens à mes anciennes amours et ce, d’autant plus que je travaille avec les communistes au quotidien. Marseille a toute une histoire et un héritage communistes. »
« Je pense que Fabien Roussel participe à pouvoir faire voter une certaine partie de l’électorat qui, aujourd’hui, peut-être, ne voterait pas. »
« Il faut prendre du recul par rapport aux bulles militantes : vous connaissez tous des électeurs de gauche… bah ils n’ont pas la pêche : 25% au total, des candidatures divisées, beaucoup des électeurs qui disent qu’ils vont se décider à la dernière minute, un appel au vote utile pour être au second tour mais sans être sûr de gagner. »
Sur Jean-Luc Mélenchon
« En 2017, j’étais heureuse que Jean-Luc Mélenchon ait réussi la fusion de toutes ces sensibilités : l’Avenir en commun, c’est remarquable en termes programmatiques. Le problème, c’est que Jean-Luc Mélenchon a une stratégie nationale et il ne s’adapte pas aux villes dans lesquelles il vient, c’est les villes qui doivent s’adapter à lui. A Marseille, je ne pouvais pas suivre sa stratégie rouleau-compresseur vis-à-vis des autres forces politiques, surtout que la France insoumise à Marseille est passée de 25% à la présidentielle en 2017, à 8% aux européennes en 2019. »
« Apparemment, Jean-Luc Mélenchon ne devrait pas être candidat [à sa réélection] - c’est ce qu’il a toujours dit. »
« Tout le monde attend les scores à la présidentielle pour entamer les négociations de dernière minute pour se répartir les circonscriptions. Et comme les législatives, c’est la déclinaison de la présidentielle, j’espère que l’on ne sera pas suffisamment débile pour perdre l’une des circonscriptions les plus à gauche de France. »
« Au niveau du Printemps marseillais, on essaiera de faire toutes les médiations possibles mais on est dépendant des négociations nationales qui vont nous tomber dessus. »
« Il faut une dynamique politique et arrêter de s’occuper de ses concurrents. Nous, au Printemps marseillais, on avait EELV qui avait fait une liste à part et ça ne nous a pas empêcher de gagner. »
« Je veux dire à la France insoumise : que le meilleur gagne. »
« Il faut permettre des expressions pluralistes de la gauche pour pouvoir avancer après. »
« Le discours du parti unique rouleau compresseur, ça ne permet pas d’avancer. »
« Je ne me reconnais pas trop dans la politique nationale et je ne me présenterai pas aux législatives parce que j’ai l’impression que mon mandat local est plus utile : quand on est maire, on ne peut pas mentir aux gens. »
« Etre élue à l’Assemblée nationale, ça ne m’intéresse pas : faire le pitre dans des vidéos pour faire des likes, ça ne m’intéresse pas. J’aimerais bien qu’on passe à autre chose. »
publié le 18 mars 2022
Floent LE DU et Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr
Sous le quinquennat, le recours aux consultants privés a explosé au sein des ministères, révèle le rapport de la commission d’enquête sénatoriale publié jeudi.
«Un pognon de dingue. » En 2021, plus d’un milliard d’euros ont été dépensés par l’État pour s’attacher les services de cabinets de conseil privés. Une évaluation « a minima », qui pourrait atteindre jusqu’à 3 milliards d’euros, précise le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur « l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques », qui a rendu ses travaux jeudi. En paraphrasant Emmanuel Macron, lorsqu’il évoquait les minima sociaux, la sénatrice communiste Éliane Assassi, rapporteure et à l’origine de cette commission, montre une tout autre réalité du « gâchis » qui peut exister dans les dépenses publiques. Le recours à ces cabinets constituerait selon le rapport « un phénomène tentaculaire et opaque ». « Des pans entiers des politiques publiques sont délégués à des consultants qui n’ont aucune légitimité démocratique », dénonce l’élue PCF.
L’État, à force de se passer des fonctionnaires, serait même devenu « dépendant » de ces cabinets, appelés pour préparer des séminaires, des réformes, des stratégies de réduction des coûts, de la communication et de la logistique… Sous Macron, ces recours ont explosé : les dépenses de l’État en la matière ont plus que doublé depuis 2018. Certes, la crise sanitaire est passée par là, mais les dépenses liées ne correspondent « que » à 41 millions d’euros (pour une augmentation globale qui avoisine les 500 millions). Le Covid-19 aura en tout cas permis de mettre en lumière cette hausse exponentielle. En janvier 2021, l’opinion publique découvre, stupéfaite, que le ministère de la Santé a demandé au cabinet McKinsey, pour 2 millions d’euros par mois, d’organiser la logistique de sa campagne vaccinale. Pendant la crise, « McKinsey est la clé de voûte de la campagne vaccinale, Citwell le logisticien des masques et de la vaccination, Accenture l’architecte du passe sanitaire », résume Éliane Assassi. Elle ajoute : « En moyenne, une journée de consultant est facturée 2 168 euros. »
Pendant ses travaux, la commission d’enquête a pu compiler de nombreux exemples de prestations, très chères, dont les intérêts étaient moindres, voire nuls. Lors de son audition en décembre 2021, Karim Tadjeddine, directeur associé de McKinsey France, a ainsi eu toutes les peines à justifier les 496 000 euros perçus par son entreprise pour « évaluer les évolutions du métier d’enseignant ». Il s’agissait en réalité de préparer un séminaire sur le sujet… qui n’a jamais été organisé. La plupart des missions recensées posent la même question : pourquoi les avoir déléguées au privé, alors que les agents de la fonction publique en ont les compétences ? Il en va ainsi des 920 000 euros touchés par McKinsey pour la préparation d’une potentielle réforme des retraites en 2019 auprès de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse, ou des 4 millions d’euros payés à McKinsey, encore, pour mettre en œuvre la réforme des APL – « cette même réforme qui réduisait les aides de 5 euros par foyer », rappelle Éliane Assassi.
Les ministres auditionnés au Sénat ont mis en avant trois raisons pour lesquelles ils font appel à ces cabinets : la recherche d’une compétence spécifique ; la recherche d’un regard extérieur ; faire face à un pic d’activité. Des arguments largement battus en brèche par le rapport de la commission d’enquête, en particulier sur le supposé manque de compétences spécifiques en interne, même si ce déficit peut exister, notamment dans le domaine informatique. « Mais c’est surtout parce qu’on ne cherche pas du tout à former les fonctionnaires qui le réclament », indique Delphine Colin, secrétaire nationale de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT. Pour le chercheur au CNRS Frédéric Pierru, le recours accru aux consultants entraîne aussi un cercle vicieux : « Leur intervention systématique fait perdre des compétences, ce qui rend encore plus nécessaire l’intervention des cabinets. » Beaucoup de fonctionnaires se sentiraient ainsi dévalués. D’autant que les administrations ne recensent plus suffisamment, selon le rapport, leurs besoins en compétences. Auprès des agents du service public, ces dépenses mirobolantes en consultants passent mal, alors que leur point d’indice est gelé depuis douze ans et que les effectifs s’assèchent. « Le recours aux cabinets privés relève de choix politiques. L’objectif est d’éteindre la fonction publique d’État, en la contournant et en cassant les statuts », tance la sénatrice Éliane Assassi. Si les consultants viennent vraiment pallier un manque de personnel, que dire des 180 000 postes supprimés dans la fonction publique entre 2006 et 2018 ?
Les agents publics évoquent d’ailleurs souvent des infantilisations et du mépris de la part des consultants, en plus de l’utilisation d’un jargon très « start-up nation ». Dans ses préconisations, la commission sénatoriale propose ainsi que les cabinets « respectent l’emploi de termes français », l’usage d’anglicisme participant, selon le président LR de la commission, Arnaud Bazin, à « un rapport de forces et au rabaissement des agents de l’administration ». Les cabinets de conseil privés proposent en effet d’introduire des « méthodes disruptives » dans l’administration publique, en privilégiant les PowerPoint, les gommettes, les jeux de rôle… « C’est le risque d’une république du Post-It », alerte Éliane Assassi. Pour la syndicaliste Delphine Colin, il y a dans l’exécutif de Macron une « fascination du privé » qui peut expliquer le recours exponentiel aux consultants : « Ils veulent qu’on applique partout les mêmes méthodes de management, d’organisation que dans le privé. »
La « transformation de l’État » est d’ailleurs l’un des domaines de prédilection des cabinets de conseil privés lorsqu’ils interviennent auprès des administrations. Depuis 2018, les frais engagés auprès des cabinets pour des missions des « conseils en stratégie et organisation » ont été multipliés par 3,7. Un coût énorme pour… réduire les dépenses. « C’est le paradoxe du serpent : les préconisations des cabinets de conseil affaiblissent les ressources de la sphère publique, qui dépend de plus en plus d’eux ». Ainsi, McKinsey a estimé en 2018 qu’il y avait entre 20 % et 25 % de lits en trop à l’hôpital. Et en février 2021, le ministère de l’Économie a mandaté le cabinet Accenture dans l’objectif de réaliser 800 millions d’euros d’économies sur les services de l’État… « Avec cette commission, nous avons voulu démontrer qu’un système se met en place, qui veut remplacer celui de la fonction publique, juge même Éliane Assassi. Si on ne met pas un frein maintenant, des pans entiers de notre administration seront confiés au privé. »
Les cabinets de conseil évaluent ainsi les économies réalisables par les administrations, en influençant fortement la politique publique qui sera mise en place, sans être guidés par la recherche de l’intérêt général, contrairement aux fonctionnaires censés conduire ce type de missions. « Ou l’inverse : le décideur public va commander les missions en orientant ses demandes, pour que les préconisations correspondent à ses attentes », précise Arnaud Bazin.
Une double influence très problématique, dans un cadre très opaque. Même la commission d’enquête sénatoriale n’a pu avoir accès à tous les rapports des cabinets, encore moins à leurs conséquences dans les décisions prises. Les représentants des fonctionnaires déplorent aussi ne jamais être au courant de l’arrivée de consultants dans leurs équipes. L’État lui-même n’a pas de vision globale sur ses commandes. Les sénateurs de la commission, qui préparent une proposition de loi en ce sens, suggèrent ainsi de publier la liste des prestations commandées par l’État, d’en assurer la traçabilité, ou encore d’impliquer la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Notamment via un contrôle déontologique systématique lorsqu’un consultant rejoint l’administration ou qu’un responsable public est recruté par un cabinet. Un « pantouflage » présent dans le domaine du « consulting », causant de grands risques de conflits d’intérêts.
Tout comme la proximité entre certains mouvements politiques et des cabinets privés. Pendant la campagne de 2017, Karim Tadjeddine, de McKinsey, avait ainsi utilisé son mail professionnel pour dialoguer avec le mouvement En marche. Ce même Karim Tadjeddine est par ailleurs accusé par la commission d’enquête de « faux témoignage », pour avoir assuré lors de son audition que McKinsey payait des impôts sur les sociétés en France, « ce qui n’est pas le cas depuis au moins dix ans », a déclaré le président de la commission, Arnaud Bazin. Parmi ses autres préconisations, la commission d’enquête propose d’interdire les « prestations gratuites “pro bono” », une pratique commerciale qui permet aux cabinets de s’offrir une publicité et une image de marque dans le privé sur le dos de l’État. La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, avait émis un avis dans ce sens, lors de son audition le 15 février dernier. Le jour même, le premier ministre, Jean Castex, prenait une circulaire pour un « changement de doctrine » en matière de recours aux cabinets, avec l’objectif de réduire de 15 % les dépenses en la matière. « C’est opportun, tranche Éliane Assassi. Avec cette commission, il y a une certaine fébrilité qui a parcouru les rangs du gouvernement. Mais est-ce qu’il faut croire les pompiers pyromanes ? »
publié le 18 mars2022
Robert Kissous - Communiste - Militant associatif - Rencontres Marx sur https://blogs.mediapart.fr/
Une invasion condamnable sur tous les plans : violations de l’intégrité territoriale d’un pays souverain, bombardements de civils ... Les morts, les blessés, les destructions … La paix ne viendra pas si les problèmes politiques essentiels ne sont pas abordés "Pour pouvoir arrêter cette guerre, il faut comprendre les antécédents qui l'ont rendue possible. »
Cela fait deux semaines que la Russie a envahi l’Ukraine. Une invasion condamnable sur tous les plans :violations de l’intégrité territoriale d’un pays souverain, bombardements de civils... Les morts, les blessés, les destructions, plus de 2,5 millions de réfugiés et autant de déplacés au sein de l’Ukraine, les familles qui cherchent où fuir… La protection des civils par des corridors humanitaires et surtout un cessez-le-feu à instaurer d’urgence pour que cesse cet enfer dans lequel des millions de civils sont plongés. Les troupes russes doivent se retirer. L’Ukraine doit retrouver sa pleine souveraineté et une sécurité pleinement garantie.
Les antécédents de la guerre et l’expansion de l’OTAN
Mais la paix ne viendra pas si les problèmes politiques essentiels ne sont pas abordés et en premier lieu celui de l’extension constante de l’OTAN malgré la dissolution de l’URSS et du Pacte de Varsovie. Soyons clairs, cela ne justifie d’aucune manière l’invasion de l’Ukraine par la Russie ni les atrocités commises.
L’extension est voulue par les Etats-Unis qui craignaient que, sans l’existence de danger soviétique, l’Europe et la Russie forment un ensemble qui échappe à leur tutelle[1].
Comme le dit Andreï Makine : « À force de répéter des évidences, on ne propose absolument rien et on en reste à une vision manichéenne qui empêche tout débat et toute compréhension de cette tragédie. On peut dénoncer la décision de Vladimir Poutine, cracher sur la Russie, mais cela ne résoudra rien, n'aidera pas les Ukrainiens. Pour pouvoir arrêter cette guerre, il faut comprendre les antécédents qui l'ont rendue possible. »[2][3]
Très clairement la Russie a fait connaître son refus catégorique de voir les forces de l’alliance atlantique, l’OTAN, à sa frontière et des missiles installés à quelques minutes de vol de Moscou. Il n’est pas difficile de comprendre ce refus russe qui concerne particulièrement l’Ukraine et la Géorgie, il suffit de se rappeler les menaces nucléaires brandies par Kennedy contre l’installation de missiles soviétiques en 1962 à Cuba. Ce qui serait compréhensible pour l’un serait inacceptable pour l’autre ?
D’autant que le journal allemand Der Spiegel et d’autres ont confirmé l’existence d’un engagement de Washington et des puissances occidentales, lors de la réunification allemande, à ne pas étendre l’OTAN vers l’Est. Certes ce n’était pas un traité ou un accord en bonne et due forme.
De très nombreuses personnalités aux EU ont depuis longtemps alerté sur le risque de se heurter à la Russie si l’on s’obstinait en ce sens[4]. Citons un ancien ambassadeur des États-Unis en Russie, Jack Matlock qui écrivait peu avant l’invasion : « puisque la principale exigence de Poutine est l’assurance que l’OTAN ne prendra pas de nouveaux membres, et en particulier pas l’Ukraine ni la Géorgie, il est évident que la crise actuelle n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas eu d’expansion de l’Alliance après la fin de la guerre froide, ou si l’expansion s’était faite en harmonie avec la construction d’une structure de sécurité en Europe qui incluait la Russie ». Et il poursuivait, concluant que la crise « peut être facilement résolue par l’application du bon sens… Selon toute norme de bon sens, il est dans l’intérêt des États-Unis de promouvoir la paix et non le conflit. Essayer de détacher l’Ukraine de l’influence russe — le but avoué de ceux qui ont agité les révolutions de couleur — était une course folle et dangereuse. Avons-nous si vite oublié la leçon de la crise des missiles de Cuba ? ».
Les EU, avec qui la Russie négociait considérant que l’Ukraine n’était pas décisionnaire, ont préféré ignorer ces demandes sécuritaires. Il n’y fut en tout cas jamais répondu positivement.
L’hégémonie mondiale des EU a fait son temps
Les EU se trouvent face à une situation nouvelle depuis plus d’une décennie. Sortie gagnante de la confrontation avec l’URSS elle avait crû que l’histoire était finie et que son hégémonie mondiale durerait jusqu’à la fin des temps avec un camp occidental dominant le monde depuis quelques siècles. Mais ce film, digne des happy end hollywoodiens, n’a pas eu le succès escompté. La Chine deviendra bientôt la première puissance économique mondiale malgré toutes les entraves étatsuniennes : boycotts, taxations, sanctions de toutes sortes … Plus profondément c’est l’ensemble des pays en développement qui voient leur poids dans le monde augmenter. Et l’on assistait à un renforcement du lien entre la Russie et la Chine du fait des sanctions entreprises contre l’un et l’autre. Pas question donc de céder à la Russie : affaiblir drastiquement la Russie pour pouvoir mieux « s’attaquer » à la Chine que les EU considèrent comme la principale menace à leur hégémonie.
L’instrumentalisation des « valeurs »
La bataille se mène aussi sur le terrain des « valeurs », au nom de la démocratie et des droits de l’homme contre la dictature, et pour le droit international contre l’agression.
Les grandes ou moyennes puissances invoquent ces valeurs uniquement lorsque ça les arrange pour avoir le soutien et la mobilisation de l’opinion publique. Puis les « oublient » quand ça les arrange, quand la violation du droit ne doit pas être combattue. Le droit international, la démocratie, les droits de l’homme sont tout simplement instrumentalisés. Utilisés à « géométrie variable » ils servent d’instruments de pression. Faut-il se laisser instrumentaliser ?
Se battre pour le respect et l’application de ces valeurs ne peut se faire avec de tels partenaires, en fait on ne mène pas la même bataille. On ne défend pas les mêmes intérêts ni les mêmes principes. Dire Non à l’invasion de l’Ukraine ou dire Non à cette invasion ET refuser l’OTAN, son expansion ou mieux son maintien, ce n’est pas la même chose. On ne construit pas la même opposition.
Dans ce combat doit-on « oublier » les violations du droit commises ailleurs ? Doit-on écouter sans broncher une journaliste de France24 déclarer avec conviction qu’à notre époque « on n'aurait jamais pensé qu'un état souverain attaque un autre état souverain » ? On croit rêver, est-il possible qu’une journaliste n’ait jamais entendu parler de l’Irak ou de l’Afghanistan etc. ? Ou est-ce que ces pays ne sont pas considérés comme ayant droit à la souveraineté ?[5]
En une semaine la Cour pénale internationale a ouvert le dossier des crimes de guerre en Ukraine par Poutine. Mais dans la salle d’attente il ne devrait pas y avoir d’abord Georges W. Bush . Netanyahou ? et bien d’autres. Quel respect peut-on accorder à une institution judiciaire sachant qu’elle est complètement instrumentalisée par les états les plus puissants ? Est-on dans la force du droit ou dans le droit de la force ?
Viser à l’effondrement de l’économie russe ?
Le camp occidental a décidé de ne pas se lancer dans l’affrontement militaire direct contre l’invasion russe malgré certains pyromanes qui y poussent. Reste l’arme des sanctions économiques. C’est la voie qui a été prise, viser fortement les milliardaires russes, saisir leurs biens. Mais avec une volonté dangereuse de destruction de l’économie russe. Bruno Le Maire a parlé de guerre économique puis s’est rétracté après une remarque de Medvedev. C’est pourtant cela qu’il a en tête lorsqu’il déclare ; « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe » ou encore, «d’arme nucléaire financière» en parlant de l’exclusion de banques russes de la plateforme SWIFT. L’Europe n’a pas intérêt à cet effondrement ni à la rupture totale vers lequel la pousse les EU, qui y trouvent leur intérêt économique et politique.
Un scénario du type Irak est-il envisagé ? Un sénateur républicain a appelé à assassiner Poutine.La plupart des pays en développement et émergents ne participent pas au boycott bien qu’ayant voté majoritairement la condamnation de l’invasion russe[6]. Pour beaucoup c’est un problème occidental. Beaucoup savent bien que si la Russie « tombe » leur marge de manœuvre de résistance aux pressions occidentales se réduira sensiblement. Alors qu’aujourd’hui ils peuvent davantage faire prévaloir leurs intérêts en mettant en concurrence des puissances rivales. Ce n’est pas le racisme ouvertement et parfois violemment exprimé à l’encontre des réfugiés noirs ou « basanés » qui les aura convaincus de s’engager. Le monde islamique a été tellement maltraité, humilié qu’on voit mal ces pays se mobiliser pour le camp occidental[7]. La déclaration de notre président lue par M. Castex au diner du CRIF le 24 février, alors qu’on nous parlait du droit international pour l’Ukraine, reconnaissait Jérusalem capitale éternelle du peuple juif. Exit les Palestiniens et la Palestine. A qui fera-t-on croire qu’il y a égalité de traitement, que le droit international préside vraiment aux décisions ? Que dire de la déclaration du président de l’Ukraine après le bombardement israélien de la bande de Gaza en mai 2021, affirmant que la seule tragédie à Gaza était celle subie par les Israéliens.[8]Reste que la sévérité des sanctions occidentales entraînera une crise mondiale, annoncée par le FMI[9], dont toutes les conséquences ne sont pas encore perçues : réduction du taux de croissance prévu, forte inflation particulièrement sur les matières premières, désorganisation des circuits d’approvisionnement et des échanges financiers. Les pays du Sud la subiront de plein fouet avec l’insécurité alimentaire et son cortège de famines. Les Etats-Unis s’en sortiront le mieux, on le voit déjà par l’afflux des capitaux vers le dollar, valeur refuge des marchés financiers. Sans compter que la rupture de liens économiques UE–Russie profitera quasi exclusivement aux EU. Sous la pression des EU, l’UE se sanctionne elle-même. Les sanctions qui se répercuteront sur les peuples ou qui provoquent une crise mondiale n’arrangeront rien et ne feront pas plus reculer la Russie.La Chine comme d’autres a confirmé maintenir sa coopération avec la Russie, y compris les grands projets, sans se plier aux injonctions étatsuniennes.
L’importance considérable des sanctions économiques conduiront de toutes façons à un profond remodelage de l’économie russe et de celle de l’UE. Un découplage énorme qui mettra du temps, de part et d’autre, à trouver son nouveau point d’équilibre. Au vu des défections considérables des compagnies étatsuniennes dans le secteur du numérique et des attaques précédentes contre les compagnies chinoises par les EU, il faut s’attendre au développement en parallèle de deux « mondes » numériques distincts. Et une dédollarisation avec développement important des systèmes de paiement (concurrents de Swift) existants en Chine, Russie.[10]
Une censure plus que partisane
La France a interdit tous médias supposés liés à l’Etat russe dont RT-France, le plus connu. L’UE a étendu cette censure sur tout son territoire. RFI et France 24 ne sont-ils pas des médias d’Etat ? En tout cas on est abreuvé par les positions politiques du Ministère des affaires étrangères, présentées comme des informations.Youtube se joint à la « fête » : le blocage des médias financés par Moscou va s'appliquer dans le monde entier.Sur des chaînes télévisées, en France notamment, on débat froidement de l’assassinat possible de Poutine. Plus encore, Facebook autorise « temporairement » les appels à la haine et au meurtre contre l’armée russe et Poutine, même du groupe néo-nazi Azov. On avait la censure, on a maintenant les néonazis en prime, invités sur Facebook pour désigner des cibles[11]. Les autorités judiciaires et politiques n’ont-elles rien à dire ?
Pourquoi n’a-t-on rien vu de comparable lors de l’agression de l’Irak par Georges Doubleyou ? On n’ose penser que cela tienne à la situation hégémonique des EU nous qui croyons à la déontologie journalistique.
Y a-t-il des journalistes dans « l’avion » pour réagir ? Certains se sont rapidement manifestés. Bravo pour leur courage d’autant qu’ils ne sont pas nombreux dans cette période de maccarthysme triomphant. Et les autres ?
On savait ce que pouvait notre classe dominante. Maintenant on est fortement averti, l’avenir sera à la censure, associations comme médias. Coluche a dit cela avec son humour philosophe : « on ne peut pas dire la vérité à la télévision, il y a trop de gens qui regardent ».
Et que dire de la vague xénophobe anti-russe, délirante, qui a déferlé sur le monde sportif et culturel ? Elle ne vaut pas mieux que les remarques racistes de certaines chaînes de télévision sur le mode « ceux-là ne sont pas des syriens ou afghans ils sont comme nous, blancs, yeux bleus, chrétiens ». Ce sont ces médias, non censurés, qui prétendent définir les normes de la civilisation ? Lamentable.
Ce n’est en tout cas pas cette xénophobie délirante, ces appels aux meurtres qui aideront le peuple ukrainien ou les courageux pacifistes russes[12] qui osent manifester pour la paix et pour le retour des troupes russes malgré la répression que leur inflige Poutine.
Aucune des deux parties n’écrasera l’autre, la solution est politique
Divers pays se proposent comme médiateurs pour faire avancer les solutions politiques. Le président de l’Ukraine accepte de parler de l’autonomie du Donbass et de la non-adhésion à l’OTAN. Le président russe dit qu’on note des avancées mais les bombardements se poursuivent, toujours aussi meurtriers et destructeurs. Le président ukrainien note également des avancées positives. Nous verrons, tout en espérant qu’il y ait le plus vite possible un cessez-le-feu.
Le France et l’Allemagne ont demandé à la Chine sa médiation. L’Europe se mobilise pour aider l’Ukraine et les ukrainiens tout en essayant de faire avancer les médiations, il appartient à l’UE de ne pas laisser les EU diriger les affaires en la matière[13]. Encore faudrait-il que les EU ne jouent pas à augmenter les tensions, à pratiquer la surenchère à 10.000 kms du champ de bataille. Comme s’ils voulaient que ça dure suffisamment pour épuiser la Russie économiquement et militairement. Mais sans qu’ils soient impliqués directement.
En attendant, encore des morts et des enfants marqués par l’horreur.
Robert Kissous, économiste & militant
Visitez mon blog https://blogs.mediapart.fr/rk34/blog
[1] Paul-Marie de la Gorce https://www.monde-diplomatique.fr/1999/04/LA_GORCE/2894
[2] Andreï Makine https://www.lefigaro.fr/vox/monde/andrei-makine-pour-arreter-cette-guerre-il-faut-comprendre-les-antecedents-qui-l-ont-rendue-possible-20220310
[3] Documentaire de Paul Moreira 2016 https://www.youtube.com/watch?v=VLXtWfTcLC4
[4] Noam Chomsky https://www.revue-ballast.fr/ukraine-le-regard-de-noam-chomsky/
[5] Hubert Vedrine https://www.lopinion.fr/politique/hubert-vedrine-dominateur-loccident-est-devenu-manicheen
[6] Pierre Conesa https://www.facebook.com/umuvugakuriTV/videos/685832335892770
[7] Indonésie https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20220310-en-indon%C3%A9sie-un-surprenant-engouement-musulman-pour-vladimir-poutine
[8] Ilan Pappe https://acta.zone/ilan-pappe-quatre-lecons-de-la-guerre-en-ukraine/
[9] FMI https://news.bitcoin.com/imf-warns-ongoing-war-in-europe-will-have-a-severe-impact-on-the-global-economy/
[10] Le grand découplage https://www.energyintel.com/0000017f-797c-df49-abff-fffdd6cf0000
[11] Facebook autorise https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/03/12/facebook-autorise-temporairement-les-appels-a-la-haine-et-au-meurtre-contre-larmee-russe-et-poutine-meme-du-groupe-neo-nazi-azov/
[12] Andreï Makine https://www.lefigaro.fr/vox/monde/andrei-makine-pour-arreter-cette-guerre-il-faut-comprendre-les-antecedents-qui-l-ont-rendue-possible-20220310
[13] Dominique de Villepin https://www.youtube.com/watch?v=XtdeGzLa9xM
Bruno Odent sur www.humanite.fr
Washington se joue de ses alliés européens sur le terrain militaire en les faisant participer au surarmement, mais aussi sur le terrain économique en s’emparant de nouveaux marchés énergétiques, quitte à les propulser vers la récession.
Joe Biden entend bien instrumentaliser la guerre de Vladimir Poutine pour rétablir l’hégémonie de son pays. Cela se traduit par une nouvelle débauche de dépenses militaires faisant des États-Unis, et de loin, l’acteur essentiel de la dangereuse course actuelle au surarmement. Mais Washington joue aussi d’une carte plus économique et financière pour se remettre en position de leader incontesté.
L’embargo décrété par la Maison- Blanche unilatéralement contre les importations d’hydrocarbures en provenance de Russie en constitue l’illustration la plus forte. Une telle décision n’affectera pas les États-Unis tant ils sont devenus quasiment autosuffisants à la faveur de l’exploitation des pétroles et gaz de schiste. Elle introduit en revanche une pression maximale sur les alliés européens, sommés de réduire très vite leur dépendance à la Russie, en particulier en matière d’approvisionnement en gaz.
La première des économies de l’Union européenne (UE), celle de l’Allemagne, la plus dépendante au gaz russe, est d’autant plus secouée qu’elle avait déjà mis un pied dans la récession. Mi-février, avant même le déclenchement du conflit, un rapport de la Bundesbank, la banque fédérale allemande, pointait que la croissance serait négative outre-Rhin au premier trimestre 2022, comme elle l’avait été les trois mois précédents. Soit la mesure signalant l’entrée d’un pays en récession.
« la stagflation guette l’Allemagne »
La Bundesbank se voulait rassurante : ce sera un « simple trou d’air » avant une reprise vigoureuse. Sauf que la guerre a surgi et accru toutes les difficultés. De nombreux économistes allemands anticipent désormais un sensible recul du PIB. Pour Marcel Fratzscher, le chef de l’institut de conjoncture berlinois DIW, « la stagflation guette l’Allemagne ». Entendez : la combinaison d’une inflation forte et d’une activité en berne. Et quand le moteur de la zone euro tousse, ce n’est naturellement pas sans répercussions sur le reste de l’UE, France comprise. Outre la flambée accentuée des prix du gaz et de matières premières cruciales comme le nickel ou le palladium, la guerre aggrave les ruptures de stock déjà subies sur certaines chaînes de fabrication. Ainsi, des câbles automobiles que les géants allemands du secteur font fabriquer en Ukraine sont devenus introuvables. Résultat : BMW, Volkswagen ou Mercedes viennent d’annoncer des périodes de chômage technique.
Cet affaissement allemand et européen programmé n’est pas pour déplaire à Washington. Il regagne du terrain là où le Vieux Continent, ébranlé, marque sa soumission. C’est vrai sur le plan militaire quand l’Allemagne décide d’augmenter de 100 milliards d’euros ses dépenses et passe aussitôt commande aux géants de l’aéronautique et de l’armement états-uniens. C’est vrai aussi sur le plan économique quand Berlin annonce la création de terminaux méthaniers pour importer le gaz de schiste liquéfié made in USA en substitut du gaz naturel russe. Rétablir l’hégémonie des États-Unis, fût-ce en bousculant ses alliés, Trump en rêvait, Biden le fait.
Benjamin König sur www.humanite.fr
Mmercenaires Avec près de 30 000 volontaires venus de plus de 50 pays, selon le gouvernement ukrainien, cette force née d’un appel international demeure mystérieuse. Elle est même à l’origine de tensions diplomatiques. En France, les autorités surveillent de près les candidats au départ.
Trente-cinq morts et cent trente-quatre blessés, selon le gouverneur de la région Maksym Kozytsky : le bilan de l’attaque russe du 13 mars sur la base de Yavoriv, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Lviv, a mis en lumière la « Légion internationale », ces volontaires étrangers venus combattre aux côtés de l’Ukraine. Environ 1 000 de ces combattants s’y trouvaient, selon le ministère ukrainien des Armées, et s’y entraînaient. Depuis plusieurs années, ce « centre international de maintien de la paix et de la sécurité » sert également à l’instruction des militaires ukrainiens par des officiers étrangers – états-uniens et canadiens en tête –, notamment dans le cadre de l’Otan. Et, plus récemment, de plateforme de livraison d’armes.
Le ministère russe de la Défense a d’ailleurs affirmé avoir éliminé « jusqu’à 180 mercenaires étrangers et une importante quantité d’armes étrangères ». Un bilan démenti par l’Ukraine et très difficile à vérifier, puisque aucun journaliste ne peut s’approcher de la base. Reste que le caractère symbolique de l’objectif visé constitue un signal envoyé à l’Otan, aux pays qui livrent des armes et aux volontaires de la Légion étrangère ukrainienne.
Depuis le début de l’offensive russe, le gouvernement ukrainien a d’ailleurs beaucoup mis en avant cette Légion créée dès le 27 février. Il s’agit également d’imposer le récit d’une réponse massive à l’appel mondial lancé par le président Volodymyr Zelensky, le 28 février. « Tous les étrangers désirant rejoindre la résistance aux occupants russes et protéger la sécurité mondiale sont invités par les autorités ukrainiennes », avait-il déclaré, affirmant l’objectif de 100 000 combattants. Le 6 mars, le ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, se félicitait de ce que « 20 000 personnes originaires de 52 pays » se soient portées candidates pour rejoindre les rangs de cette Légion : « Le monde entier est aujourd’hui du côté de l’Ukraine, pas seulement en paroles mais aussi en actes. » Un chiffre qui serait d’environ 30 000, le 13 mars, selon Dmytro Kuleba.
Les ambassades jouent un rôle majeur : celle d’Ukraine à Paris a, dès le 24 février, mis en ligne une adresse mail et un formulaire à remplir pour « les étrangers prêts à se battre ». Contactée, l’ambassade n’a pas encore répondu, notamment sur le nombre de candidats et de personnes sélectionnées. Un porte-parole a toutefois annoncé avoir reçu « de très nombreuses demandes de ressortissants français ». Au total, 67 autres représentations diplomatiques ukrainiennes sont mobilisées, où des attachés militaires auditionnent les candidats. Concrètement, les volontaires signent un contrat à durée indéterminée jusqu’à la « fin de la guerre », partent pour une formation dont la durée varie de deux semaines à deux mois selon leur expérience militaire, et perçoivent 15 000 hryvnia mensuels (470 euros).
Un groupe Facebook a été constitué, intitulé Groupe des volontaires français en Ukraine, sur lequel on comptait, le 15 mars, près de 12 000 inscrits. On y recense des candidats à l’aide humanitaire, à l’accueil et à la solidarité aux réfugiés, de nombreux messages farfelus voire inconscients, mais aussi de nombreuses personnes ayant une expérience militaire prêtes à aller combattre. À l’instar de Jean-Luc, un vétéran de l’armée de l’air ayant quitté le service en 2011, qui, joint en privé, est « volontaire pour défendre la liberté du peuple ukrainien face au dictateur Poutine », et précise sa motivation : « La Russie a toujours été “l’ennemi” et une menace pour l’Occident. » Pour beaucoup, il s’agit d’abord de défendre un pays européen agressé et de stopper un Vladimir Poutine dont ils sont persuadés qu’il ne s’arrêtera pas à l’Ukraine. Certains se disent déjà sur place, ayant signé leur contrat, dont une poignée témoigne de leur présence sur la base de Yavoriv, sans que ces informations puissent être vérifiées.
Le Quai d’Orsay continue à « déconseiller formellement de se rendre en Ukraine jusqu’à nouvel ordre », a fortiori pour jouer les combattants. Et les autorités observent attentivement les volontaires à l’enrôlement dans l’armée ukrainienne. Notamment le renseignement, qu’il soit militaire avec la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), ou intérieur, avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui estime à 70 le nombre de Français sur place, dont une majorité issue de l’ultradroite, fascinée par les bataillons suprémacistes blancs et néonazis comme Azov.
L’armée française est aussi confrontée à un phénomène marginal : le départ de soldats de la Légion étrangère française d’origine ukrainienne, qui auraient déserté les rangs pour aller combattre dans leur pays d’origine. Selon le colonel Antoine Fleuret, chef d’état-major de la Légion étrangère, interrogé par 20 Minutes, l’armée est « sans nouvelle d’une vingtaine de légionnaires d’origine ukrainienne sur les 700 que nous comptons dans nos rangs ». Le 5 mars, un minibus en partance pour la Pologne, avec à son bord 14 légionnaires ukrainiens, a été arrêté dans le 16e arrondissement parisien. De potentiels déserteurs qui préoccupent les autorités, en France comme ailleurs.
Cet appel aux combattants n’a pas été du goût de plusieurs gouvernements et a même entraîné quelques sérieuses tensions diplomatiques. En Algérie, le message posté par l’ambassade d’Ukraine appelant « les ressortissants étrangers » à rejoindre « la résistance aux occupants russes » et la protection de la « sécurité mondiale » a entraîné une vive réaction du ministère des Affaires étrangères, qui a dénoncé le 4 mars un « fait grave » et une « violation des dispositions de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques entre États ». L’appel a été retiré en Algérie comme au Sénégal : le Ministère sénégalais des Affaires étrangères avait réagi à cet appel, intimant de « cesser sans délai toute procédure d’enrôlement de personnes de nationalité sénégalaise ou étrangère ». Ce à quoi l’ambassade a répondu « ne pas recruter de mercenaires » et « respecter la législation du Sénégal », tout en stoppant les recrutements. Mais à Dakar, Kiev ou Paris, de nombreuses zones d’ombre subsistent sur cette Légion étrangère.
publié le 17 mars2022
Pierric Marissal sur www.humanite.fr
Après cinq jours d’audience devant le tribunal correctionnel de Paris, la procureure a demandé la première condamnation pénale pour « travail dissimulé » contre la plateforme. Elle a requis l’amende maximale de 375 000 euros contre la société, ainsi que des peines d’emprisonnement avec sursis contre trois de ses anciens dirigeants. Décryptage d'un réquisitoire implacable.
À la barre, les prévenus n’ont pas vraiment la fière figure conquérante des hérauts de la start-up nation. Poursuivis pour travail dissimulé, deux anciens directeurs généraux de Deliveroo France et le directeur des opérations ont fait face à des quantités de documents, si ce n’est de preuves, de la subordination à laquelle sont soumis les milliers de livreurs travaillant pour la plateforme pour la période 2015-2017.
Les peines encourues sont lourdes. En ce dernier jour de procès, la procureure a requis le maximum contre l’entreprise : 375 000 euros d’amende, sans parler des arriérés de cotisations de 9,7 millions d’euros que réclame l’Urssaf et d’éventuels dommages et intérêts pour les parties civiles. Les deux principaux dirigeants risquent un an de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction de diriger une entreprise avec sursis.
Leur stratégie de défense est simple : renvoyer la responsabilité soit à la maison mère de Londres, seule apte à les entendre, à prendre les décisions d’importance, soit aux maladresses de « petites mains », mais ce n’était pas de leur ressort. « Vous aviez un salaire annuel de 100 000 euros, sans parler des bonus et des stock-options. Mais, concrètement, vous faisiez quoi, chez Deliveroo ? » s’est ainsi agacée la procureure lors des interrogatoires. Ce qui lui a valu une nouvelle réponse d’une vacuité consommée sur le rôle de « general manager dans une entreprise matricielle ».
La défense de Deliveroo, comme personne morale, n’est guère plus conquérante, à part quelques bravades mettant en exergue la connivence de l’entreprise avec l’actuel président de la République et sa ministre du Travail.
« On sent qu’ils s’attendent à une condamnation mais qu’ils veulent la limiter, et souligner auprès du tribunal que s’il y a eu quelques erreurs, c’est du passé, et que cela ne doit pas remettre en cause le système actuel », explique Me Mention, avocat de 111 livreurs constitués partie civile, lors d’une interruption d’audience. Deliveroo prend néanmoins l’affaire très au sérieux.
Si le PDG William Shu n’a pas daigné se déplacer, au grand déplaisir de la cour, la défense est représentée par pas moins de 14 avocats. Et une grosse demi-douzaine de salariés du siège londonien, ainsi que le responsable de la communication, assistent à chaque audience.
Les indices de la subordination sont ici légion. Ils font suite à une longue enquête de l’inspection du travail, suivie de celle de l’Office central de lutte contre le travail illégal. Pour le parquet, la méthode est simple, il s’agit de reprendre ce qui, en droit du travail, définit le lien de subordination caractéristique du salariat, à savoir qu’un employeur donne des ordres et des directives, contrôle l’exécution d’une tâche et exerce un pouvoir de sanction. « Nous avons des éléments matériels démontrant que les livreurs étaient obligés de porter la tenue, que Deliveroo exigeait d’eux des gestes métier comme enlever son casque et avoir le sac à dos au bras lorsqu’ils entraient dans un 6restaurant », énumère à la barre l’inspection du travail. Le contrôle s’exerçait, lui, de plusieurs façons : par les restaurateurs, qui pouvaient dénoncer à la plateforme les livreurs en cas de faute ; par les « ambassadeurs », ces livreurs privilégiés et véritables « yeux » de Deliveroo sur le terrain ; et par le service support, qui pratiquait une géolocalisation constante, contrôlait les absences, les retards… De nombreux messages ont été présentés : un livreur est réprimandé car il est jugé trop lent, un autre pour avoir dévié de l’itinéraire imposé par l’application, ou est appelé parce que cela fait trop longtemps qu’il attend au restaurant ou devant chez le client.
Quant à la sanction, l’inspection du travail a « pu établir qu’il y avait bien un système de sanctions progressif : de l’avertissement oral, puis écrit, à la déconnexion de plusieurs minutes et plusieurs jours, avec obligation de contacter le référent de zone avant reconnexion. Jusqu’à la résiliation du contrat », a témoigné la représentante de la Direccte Île-de-France.
Un livreur est réprimandé car il est jugé trop lent, un autre pour avoir dévié de l’itinéraire imposé par l’application.
Il y a aussi les abus. Les parties civiles ont versé au dossier des e-mails internes à Deliveroo intitulés « identification grévistes », qui pointent que des livreurs en grève ont été identifiés grâce à la géolocalisation, dans le but de s’en débarrasser. « Lorsque Deliveroo a unilatéralement baissé les rémunérations, on a organisé une opération escargot, ce qui a simplement consisté à respecter le Code de la route, raconte Arthur Hay, ancien livreur pour la plateforme. La semaine suivante, cinq coursiers qui avaient participé à l’action ont vu leur contrat résilié. J’ai fait plusieurs jobs, avec des vrais contrats, mais c’est la première fois que j’ai un patron avec autant de pouvoir », insiste le fondateur du syndicat CGT des coursiers bordelais. « Si les livreurs sont libres, c’est seulement de subir ou de partir », résume de son côté l’avocate de Solidaires.
D’autres pièces risquent de faire mal à Deliveroo, lorsqu’il s’agira pour les juges d’estimer l’intentionnalité du travail dissimulé. Ainsi, un document de formation interne vise à expliquer aux équipes comment s’adresser aux livreurs. « Au maximum à l’oral », y est-il indiqué, car l’écrit fait partie des « situations à risques », comme la moindre mention de l’inspection du travail, des prud’hommes ou de l’Urssaf. Il y a aussi tout un cours sur le vocabulaire à employer. Ainsi, il ne faut dire ni « salaire » ni « rémunération », mais « chiffre d’affaires ». Deliveroo ne forme pas, ni ne contrôle, et encore moins ne donne d’ordres, mais… informe.
Tout cela constitue bien, selon le réquisitoire de la procureure, un « faisceau d’indices » caractérisant la subordination de « milliers de travailleurs », renforcée par leur dépendance économique. Elle a aussi balayé l’argument selon lequel Deliveroo ne ferait que de la mise en relation entre des consommateurs, des restaurants et des livreurs. Elle « apparaît bien comme une entreprise de transport et de livraison », ce qui est d’ailleurs mentionné dans sa raison sociale. Le Syndicat national des transporteurs légers s’est donc légitimement porté partie civile, s’estimant victime de concurrence déloyale. « Voilà même pas dix ans que Deliveroo existe, ils ont perdu des centaines de millions d’euros, détruit des milliers d’emplois salariés, et sont en procès dans tous les pays où ils se sont implantés. Est-ce que vraiment c’est ça, une entreprise saine ? » a questionné l’avocat du syndicat. Le jugement est attendu dans les prochains mois.
Arthur Hay Chroniqueur, coursier syndicaliste sur www.humanite.fr
Je ne suis pas un grand fan de la punition par la case prison. Mais, puisqu’elle existe, je suis plutôt pour qu’on y partage l’accès de manière équitable.
Jusqu’au 16 mars se déroule le procès d’anciens dirigeants de la plateforme Deliveroo pour « travail dissimulé ». Ils encourent trois ans de prison et une amende de 45 000 euros. Leur salaire étant sensiblement plus élevé que celui d’un livreur, je pense que leur seule crainte est justement d’atterrir en prison. Le 2 mars, j’ai témoigné à ce procès en tant que partie civile devant le tribunal judiciaire de Paris. J’y ai demandé que les responsables de l’exploitation 2.0 soient les nouveaux colocataires de Balkany.
À Chalon, une femme a été condamnée à deux mois de prison ferme, avec maintien en détention, pour un vol évalué à 10,80 euros dans un magasin Aldi. Le juge dira que c’est pour « éviter la réitération des faits ». Le mois dernier à Reims, des dirigeants d’entreprises étaient condamnés pour travail dissimulé impliquant un retard de cotisation à l’Urssaf de plus de 500 000 euros. Leur peine ? Un paiement des cotisations avec majorations et du sursis. Le vol de la Sécurité sociale semble moins grave que le vol de denrées. La justice de classe est une réalité encore bien ancrée.
J’étais donc au tribunal judiciaire de Paris, devant les organisateurs d’un modèle économique qui fait travailler 22 000 personnes en les cantonnant dans la précarité. Le modèle de la plateforme est de faire livrer des plats par des coursiers précarisés qui, eux, doivent faire la queue pour l’aide alimentaire. Pire encore, le 11 janvier, un livreur est mort à Lille. Il travaillait pour Deliveroo ; il avait 16 ans. Le nouveau porte-parole de l’entreprise se défend : « On n’autorise pas le travail des mineurs. » Depuis cinq ans, nous alertons les pouvoirs publics et les plateformes de la sous-location du compte à des mineurs. Qu’a-t-il été fait pour endiguer le problème ? Rien. Tant que cela rapporte de l’argent et que les conséquences sont nulles, rien ne sera fait. J’ai demandé que les personnes incriminées soient emmenées dans une cellule. Pas par esprit de vengeance, mais pour que les parents des victimes n’aient plus à se battre des années durant pour faire reconnaître ces tragédies en accident du travail.
Apparemment, bafouer le droit du travail n’est pas un métier à risque. Adrien Roose et Karim Slaoui sont les ex-dirigeants de la start-up de livraison Take Eat Easy ayant déposé le bilan en 2016. Leur entreprise a perdu à de multiples reprises aux prud’hommes, et une fois en Cour de cassation, face à des livreurs qui demandaient la requalification de leur contrat commercial en contrat de travail. Sont-ils en prison ou interdits de business ? Non. Au grand dégoût des livreurs de la plateforme, ils sont aujourd’hui dirigeants d’une autre start-up de vélos connectés ayant levé plus de 80 millions d’euros en janvier. Les représentants commerciaux embauchés pour vendre les vélos sont appelés des « test riders » ; ils ont le statut d’indépendants. Sans justice.
publié le 17 mars 2022
par Rachel Knaebel sur https://basta.media/
Plus de trois millions de personnes ont quitté l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe. Pour répondre à l’urgence, l’Union européenne a activé un mécanisme inédit d’accueil. Précisions avec Marie-Christine Vergiat, ancienne députée européenne.
Le 4 mars, l’Union européenne (UE) a décidé de mettre en œuvre un dispositif particulier d’accueil pour les personnes fuyant la guerre en Ukraine (voir le communiqué de l’UE). Il s’agit d’un mécanisme d’urgence qui vise à fournir une protection immédiate et collective (sans qu’il soit nécessaire d’examiner chaque demande individuellement) à des personnes déplacées qui ne sont pas en mesure de retourner dans leur pays d’origine.
Grâce à cette « protection temporaire », les réfugiés de guerre d’Ukraine, qui sont déjà plus de trois millions, peuvent avoir directement droit au séjour dans l’UE, avec le droit de travailler et la possibilité de scolariser leurs enfants. Mais la décision de l’UE fait aussi la différence entre les réfugiés avec passeport ukrainien et les personnes qui résidaient en Ukraine sans en avoir la nationalité, que ce soient des étudiants étrangers, des réfugiés politiques russes, biélorusses ou d’autres régimes autoritaires (voir le détail de la décision). Explications avec Marie-Christine Vergiat, militante associative, vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), qui a été députée européenne pour le Front de Gauche de 2009 à 2019.
basta! : Quelle est votre première réaction à l’activation du dispositif de protection temporaire pour les réfugiés d’Ukraine ?
C’est bien d’avoir déclenché ce mécanisme. Mais il faut accueillir tous les réfugiés, sans aucune discrimination. Toutes les personnes qui se trouvent sur le territoire ukrainien méritent protection et d’être accueillies dans de bonnes conditions sur le territoire européen.
« Des pays qui refusaient l’application de la protection temporaire en 2015 sont aujourd'hui en première ligne de l'accueil »
Depuis quand cette directive européenne sur la protection temporaire des réfugiés existe-t-elle ?
Elle a été adoptée en 2001 à la suite de la guerre de Bosnie, pendant laquelle il y avait déjà eu un grand nombre de réfugiés, mais sur un espace-temps plus long que la situation actuelle. Aujourd’hui, l’offensive russe a été tellement rapide que les gens ont fui tout de suite. Ce dispositif européen n’avait jamais été activé auparavant. C’est la première fois qu’il est mis en œuvre, alors que le Parlement européen avait demandé son activation notamment en 2015 au moment de la crise de l’accueil des réfugiés qui venaient alors essentiellement de Syrie. On avait alors une majorité au Parlement pour l’activer.
Pourquoi n’a t-elle pas été activée en 2015 pour l’accueil des Syriens ?
Parce que le Conseil européen [l’organe de décision de l’Union européenne où siègent les gouvernements des pays membres, ndlr] n’en voulait pas. L’Allemagne avait alors ouvert largement ses portes. Je pense que la position des pays du groupe de Visegrád (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie), qui s’opposaient alors à l’accueil, servait aussi les autres pays pour justifier le refus de l’activation de la directive. En 2015-2016, plusieurs pays de ce groupe avaient bloqué le plan de relocalisation des réfugiés qui étaient arrivés en Grèce principalement. Le plan était pourtant très en-deçà de ce qu’il fallait faire. En 2015 et 2016, 1,5 million de personne sont arrivées en Europe de façon dite irrégulière. Le plan prévoyait de relocaliser environ 10 % de ces personnes. Et même avec cet objectif modeste, les États n’ont pas rempli leurs engagements. Des pays qui à l’époque refusaient l’application de la protection temporaire sont aujourd’hui en première ligne de l’accueil des personnes venues d’Ukraine.
« Toutes les associations sont unies pour dire qu'il ne faut pas de discriminations entre les différentes catégories de personnes »
À qui s’applique cette nouvelle protection temporaire ?
La décision de mise en œuvre de la directive fait le tri entre différentes catégories de personnes venues d’Ukraine. On voit aussi que c’est un dispositif complètement bordé, au cas où des réfugiés d’autres pays viendraient dans les flux. La décision distingue les Ukrainiens ; les réfugiés et apatrides qui avaient un statut en Ukraine et qui étaient reconnus comme tels avant le 24 février ; les membres de leurs familles, à condition qu’ils aient été eux aussi en situation régulière avant le 24 février ; et les non-Ukrainiens mariés à des Ukrainiens. Après, ça se complique. Il y a les réfugiés et apatrides non reconnus avant le 24 février et ceux qui disposent d’un autre type de séjour, comme les étudiants et résidents avec permis de travail. Pour ceux là, le choix revient aux différents États de l’Union européenne. Soit les États activent la protection temporaire pour ces personnes-là soit ils activent leur droit national. Les gens doivent alors déposer une demande d’asile ou de titre de séjour classique. C’est ce qu’on voit poindre, y compris en France.
Il y a une dernière catégorie qui visent ceux qui n’ont pas de titre de résidence en Ukraine. Il peut s’agir d’étudiants en court séjour ou encore de travailleurs venus faire une mission et qui se retrouveront en situation irrégulière dès lors qu’ils ne peuvent pas repartir dans leur pays d’origine. Pour eux, c’est le droit national des pays d’accueil qui vaut. Par ailleurs, la décision européenne prévoit que pour toutes les catégories, hormis les Ukrainiens et les réfugiés et apatrides reconnus en Ukraine et leurs familles, les personnes ne pourront déposer une demande que si elles ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine. Elles ne vont pas être systématiquement expulsées, mais pourront l’être. Cela pourra concerner beaucoup d’étudiants, marocains notamment, qui étaient nombreux en Ukraine. Face à ces distinctions, toutes les associations sont unies pour dire qu’il ne faut pas de discriminations entre les différentes catégories de personnes.
Pour les gens qui entrent dans les « bonnes » cases, en quoi le dispositif de protection temporaire améliore-t-il leur sort ?
Avec cette directive, la protection se déclenche tout de suite. Les personnes n’ont pas besoin de passer par le parcours habituel pour obtenir un titre de séjour. Elles ont aussi immédiatement le droit de travailler et le droit à l’éducation pour les enfants. En France, la durée de la protection est de six mois, renouvelables.
« Quand on a la volonté politique, on trouve les moyens »
En France, les personnes exilées sont maltraitées par les autorités au quotidien, on le voit tous les jours notamment à Calais. Et aujourd’hui, les préfets mettent rapidement un accueil en place pour les réfugiés ukrainiens…
C’est une vraie politique de deux poids, deux mesures. Cela montre aussi que quand on a la volonté politique, on trouve les moyens. C’est ce qu’a fait l’Allemagne en 2015-2016, en accueillant près d’un million de personnes, avant de bloquer ses frontières faute de solidarité européenne. C’est intéressant de voir que nos politiques nous expliquent, quand on les interroge sur le sujet, qu’il faut fermer les frontières pour contrer la montée de l’extrême droite. Mais cela ne marche pas en France, comme on le voit dans les sondages. Et en Allemagne, l’extrême droite a été contenue et a même plutôt régressé entre 2017 et 2021. Je suis intimement persuadée que la parole politique a du poids. Dès lors qu’un gouvernement dit « on accueille », c’est possible.
Le fait que l’UE ait activé cette directive pourrait-il devenir un levier pour les associations, pour faire pression pour l’accueil face aux mouvements de migration ?
On peut espérer que cela soit un point d’appui et que cela serve à d’autres à l’avenir, même si je reste plutôt sceptique.
Jugez-vous que l’accueil des personnes exilées s’est dégradé en France ces dix dernières années ?
On n’arrête pas de faire des lois, et à chaque fois, l’accueil régresse. Le résultat, c’est qu’on a de moins en moins de marge de manœuvre. Tous les militants disent que c’est de plus en plus difficile, y compris de faire régulariser les gens. Prenons la circulaire Valls de 2012 sur la régularisation. Au moment où elle a été adoptée, on a tous râlé parce qu’elle n’allait pas assez loin. Mais aujourd’hui, nous n’arrivons quasiment plus à la faire appliquer. Régulariser est de plus en plus difficile. C’est aussi très variable selon les départements, selon qu’ils reçoivent plus ou moins de demandes de titres de séjour. Dans des départements qui en reçoivent moins, ça bloque moins qu’en région parisienne.
publié le 16 mars 2022
Pierre Laurent sur www.humanite.fr
Est-ce le moment de parler paix, n’est-ce pas naïf, voire complice, face à Poutine ? Je vois pour ma part trois raisons impérieuses d’élever comme jamais la voix de la paix.
La première est la protection du peuple ukrainien. Depuis vingt jours, il vit l’horreur. L’avancée des blindés et des troupes russes se fait au prix d’un déluge de bombardements de toute nature sur les villes convoitées. L’utilisation massive de tous types d’armes explosives déversées sur des zones très peuplées provoque des victimes en grand nombre, la destruction d’habitations, de services publics et d’infrastructures vitales, une catastrophe humanitaire et un exode des populations déjà considérable. Compte tenu des énormes arsenaux mis en action, toute amplification de la guerre débouchera sur une généralisation du désastre. En Ukraine, comme dans toutes les guerres modernes, l’immense majorité des victimes seront civiles. Le prix à payer de la guerre sera le chaos pour longtemps. Nous devons être des millions à clamer : « Stoppez la guerre, arrêt immédiat des hostilités ! »
Et sans attendre, tout doit être entrepris pour protéger la population ukrainienne. Le travail humanitaire sur place doit être soutenu et protégé, les couloirs humanitaires et alimentaires négociés et garantis, la solidarité internationale amplifiée, et les réfugiés accueillis, sans tri racial ou religieux, par tous les pays d’Europe, dans le respect du droit commun. L’organisation et l’envoi de troupes paramilitaires doivent cesser de toutes parts. La Cour pénale internationale doit pouvoir enquêter en toute transparence et indépendance sur le déroulement du conflit et les actions des belligérants.
Les pays qui se sont abstenus à l’ONU, nombreux en Asie et en Afrique, doivent être traités comme des partenaires possibles pour la paix et non renvoyés dans le camp de Poutine.
La deuxième raison est la nécessité d’élever un barrage contre l’escalade, car le risque d’un engrenage qui embraserait toute ou partie de l’Europe, ou, pire, déclencherait l’utilisation d’armes nucléaires, est à prendre très au sérieux. Le danger de dérapages irréparables et incontrôlables menace à tout moment. C’est dans les voiles de la paix qu’il faut souffler et pas sur les braises de l’embrasement toujours possible. Toutes les pressions diplomatiques et économiques internationales exercées sur la Russie doivent viser le retour à la négociation des belligérants, et pas l’escalade guerrière.
L’enjeu est le respect de la souveraineté de l’Ukraine, pas son entrée dans l’Otan. Le président Zelensky a lui-même déclaré que la neutralité de son pays pouvait être mise sur la table de la discussion. Les courageuses voix russes pour la paix doivent être activement soutenues. Les pays qui se sont abstenus à l’ONU, nombreux en Asie et en Afrique notamment, doivent être traités comme des partenaires possibles pour la paix et non renvoyés par des discours binaires dans le camp de Poutine.
Quant à l’Europe, qui a déjà failli à faire appliquer les accords de Minsk, plutôt que d’accélérer son surarmement, elle devrait utiliser tout le poids de sa puissance pour peser en faveur de la paix et de la construction d’une nouvelle architecture de sécurité européenne, en demandant la convocation d’une conférence paneuropéenne qui mettrait toutes les questions sur la table.
Miné par les crises, les inégalités, les menaces climatiques et alimentaires, les dominations, les humiliations et les prédations, le monde est une poudrière.
C’est la troisième raison. L’Ukraine nous appelle à reprendre sans délai la construction d’un grand mouvement mondial pour la paix et la sécurité du monde.
Miné par les crises, les inégalités, la guerre des ressources, les menaces climatiques et alimentaires, les dominations, les humiliations et les prédations, et gavé de surarmement, le monde est une poudrière. La militarisation des relations internationales, la multiplication des guerres et les cicatrices purulentes qu’elles laissent à la surface du globe, en Afghanistan, au Proche-Orient, en Libye, au Sahel, au Congo… doivent nous appeler à la raison. La construction de la paix doit redevenir une grande cause mondiale, car dans la mondialisation, la paix est affaire de sécurité globale. Le surarmement, les alliances militaires bloc contre bloc ne sont pas la solution mais le problème. Ils sont contraires à l’intérêt mondial, qui est de construire des solidarités multilatérales nouvelles pour le climat, la fin des inégalités, la sécurité alimentaire, la santé, l’éducation… Pour l’avenir commun de l’humanité, construire la paix est à nouveau la plus grande des batailles.
publié le 16 mars 2022
Rosa Moussaoui et Stéphane Guérard, sur www.humanite.fr
Mobilisations sociales. L’intersyndicale CGT, FSU, Solidaires et UNSA appelle ce jeudi 17 mars à des grèves et manifestations pour la hausse des salaires. Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, revient sur les conflits que nourrit, ces derniers mois, la baisse du pouvoir d’achat. Entretien.
Il y a déjà des conséquences, à commencer par les prix de l’énergie qui s’envolent, avec un impact direct sur le pouvoir d’achat des salariés. Des entreprises commencent à fermer pour cette même raison : je pense par exemple à des fonderies qui travaillent le verre ou la céramique. Les patrons – de PME/TPE – n’arrivent plus à payer les factures. Dans certains secteurs comme la sidérurgie, des problèmes d’approvisionnement commencent déjà à entraver la production, ce qui fait planer des menaces de fermeture – provisoire ou définitive, on ne sait pas encore – sur certains sites. Des mesures d’urgence sont indispensables, comme au début de la pandémie : si la nature de la crise est différente, les conséquences sont semblables. Il faut des mesures de chômage partiel, d’activité partielle de longue durée (APLD), voire des prêts permettant de couvrir des factures d’énergie à court terme. Et puis un geste simple s’impose : une baisse de la TVA sur les produits pétroliers et les produits énergétiques. La TVA est l’impôt le plus injuste puisqu’il pénalise de la même façon les citoyens quel que soit leur niveau de revenus. Quand j’ai suggéré ça à Bruno Le Maire, il s’est fâché, en s’inquiétant subitement de la façon dont on allait, avec une telle baisse d’impôts, financer les écoles. Ce qui est plutôt savoureux, venant d’un gouvernement qui a couvert les plus riches de cadeaux fiscaux.
En Russie, c’est compliqué d’avoir des informations, même si nous entretenons des relations avec une confédération syndicale (pas la plus grande alignée sur Poutine). Il y a des problématiques de livraisons de pièces – pas seulement en Russie, d’ailleurs. Dans les pays frontaliers de l’Ukraine, où sont implantées des entreprises françaises – je pense à la Roumanie, avec Renault – des problèmes de livraisons se posent déjà : à juste titre, les chauffeurs routiers redoutent d’aller livrer dans cette région du monde. Quant aux salariés russes, ils continuent de travailler dans des conditions dégradées, que les sanctions rendent encore plus difficiles, quand leurs emplois ne sont pas tout simplement menacés. En France, au-delà des problèmes posés par les prix de l’énergie, des entreprises vont voir leur activité se contracter du fait de l’embargo sur certains produits.
« Les armes restent pour le capital une marchandise très rentable, bien plus rentable que les autres. »
Nous. Le budget militaire avait déjà augmenté dans la loi de finances adoptée à l’automne ; maintenant la course à l’armement va s’accélérer encore. Parce que les armes restent pour le capital une marchandise très rentable, bien plus rentable que les autres. Dès le déclenchement du conflit, des entreprises comme Thalès ou Dassault ont vu le cours de leur action en bourse augmenter de façon considérable. La facture de cette course à l’armement, c’est autant d’argent prélevé sur le budget de la nation : ce sont les citoyens qui paient. On n’est plus sur une conception de défense nationale mais sur l’objectif d’être les premiers sur le marché mondial de l’armement. La France s’est d’ailleurs déjà hissée sur le podium des plus gros exportateurs d’armes dans le monde, à la troisième place.
Non. La seule solution contre la vie chère, pour soutenir le pouvoir d’achat, c’est l’augmentation des salaires et des pensions. C’est d’ailleurs ce qui fait l’objet de nombreux conflits en France depuis plusieurs mois. Les hausses de salaires doivent aller de pair avec une baisse des taxes, qui sont très fortes sur l’énergie. Après, à plus long terme, mais assez rapidement, il faudra une vraie réflexion sur les questions énergétiques. Dans le cadre de la transition énergétique, il nous faut une entreprise publique en position de maîtriser les prix de l’énergie, gaz et électricité. Aujourd’hui par exemple, EDF vend à perte son électricité, en tout cas très, très en dessous du prix du marché. Quand des mesures ont été prises sur la maîtrise du coût de l’électricité, l’État a demandé à EDF de donner huit milliards d’euros aux entreprises privées, non pas pour qu’elles baissent leurs prix, mais pour qu’elles préservent leurs marges.
Il faut retrouver une vraie entreprise publique, au service des citoyens, qui ne soit pas contrainte de financer les entreprises privées de distribution d’énergie. On a vu tout le débat qu’il y a eu à EDF autour du projet Hercule, qui consistait à démonter l’entreprise. Les salariés sont mobilisés pour faire reculer de tels projets, mais ça ne suffit pas. On ne veut pas uniquement faire reculer un plan de privatisation. On veut redonner tout son sens à l’idée d’une entreprise publique nationalisée, mettre sur la table des projets contribuant à la réindustrialisation du pays, tout comme des propositions permettant de réaliser des économies d’énergie. Il faut par exemple un grand plan de rénovation thermique des logements. Je refuse, en revanche, d’employer le terme de « sobriété » énergétique, qui vise à culpabiliser les citoyens. En France, des millions de foyers sont en situation de précarité énergétique. Ceux-là sont déjà en dessous de la sobriété.
L’État a recapitalisé d’un côté, il en a piqué le double de l’autre côté. Ce n’est pas une stratégie. Au lieu de piquer les fruits du travail des agents EDF, les fameux 8 milliards, pour les donner au privé, cet argent aurait dû être réinvesti dans l’entreprise pour moderniser, rénover, internaliser des fonctions, travailler sur la recherche. Voilà à quoi pourrait ressembler une vraie stratégie industrielle sur une question essentielle comme l’énergie qui doit relever du domaine public.
Le gouvernement persiste dans sa politique d’aides aux entreprises sans conditionnalité, ni contrôle. Les salariés et plus largement les citoyens restent de nouveau les grands oubliés de ce nouveau plan.
« En 2021, les entreprises du CAC 40 ont battu des records de bénéfices et de dividendes versés aux actionnaires. »
Pas pour les salariés, dont les mobilisations se poursuivent. La guerre en Ukraine, qui est très grave, n’y met pas un terme. On retrouve un peu la petite musique de 2020 quand a surgi la pandémie de Covid-19 : « C’est la guerre, ça va être dur, il faut faire des sacrifices, on va mettre dix ans à s’en remettre ». Et puis en 2021, ce n’était pas tout à fait les prévisions annoncées : les entreprises du CAC 40 ont battu des records de bénéfices et de dividendes versés aux actionnaires, tandis que les inégalités ont explosé. Ce qui est sur la table aujourd’hui, c’est bien la question des salaires. Tout ce que nous avons dit sur les salariés de première et de seconde ligne, sur les métiers à prédominance féminine reste plus que jamais d’actualité. On ne va pas mettre ça de côté parce qu’il y a la guerre. Et ce n’est pas se désintéresser de la situation en Ukraine que de faire vivre les revendications des salariés ici.
Oui, je le pense. On a rarement vu autant de conflits de cette nature, jusque dans des entreprises où il n’y a pas de syndicat, où les salariés viennent nous chercher. Je crois que certaines des entreprises concernées n’avaient plus connu de grève depuis 1968. On est dans une dynamique solide, dans tous les secteurs. Et ces luttes donnent lieu à de vrais débats sur le salaire, le SMIC, le salaire de base, le salaire brut, le salaire net, les cotisations sociales.
C’est toujours difficile de parler de confluence, de convergence. Ce qui est certain c’est que les salariés, les gens qui se battent ont besoin de se retrouver, de s’inscrire dans un élan collectif. Il y a de vraies possibilités de convergence sur l’augmentation du salaire minimum, parce que beaucoup de travailleurs sont payés au SMIC, et même en dessous. Mais nous voulons que tous les repères de grilles augmentent. Ce qu’il faut, c’est que les salariés soient en capacité de rassembler tous ceux qui se battent dans leur entreprise, avec la conviction qu’en se retrouvant avec d’autres, ailleurs, on peut avancer plus vite. C’est ça l’enjeu de ce 17 mars.
Les mobilisations dans les entreprises, très souvent unitaires, pèsent aussi sur les directions nationales des organisations syndicales…
Les salaires des fonctionnaires sont gelés depuis plus d’une décennie. À la SNCF, ça va faire huit ans maintenant. On voit bien là que cette question n’oppose pas le gouvernement et le patronat. Au contraire : une logique commune les pousse à considérer le travail comme un coût à comprimer. Et nous, notre logique, c’est de dire que le capital est un coût et que c’est ce coût qu’il faut baisser. Ces deux conceptions s’affrontent.
Ils sentaient déjà ces mobilisations, ces conflits arriver. Mais si, aujourd’hui, les salariés gagnent des augmentations, ce n’est pas grâce à Le Maire, ni à Roux de Bézieux. C’est le fruit de leurs mobilisations, pour des revalorisations à tous les niveaux, pas seulement pour les bas salaires. Il y a des conflits chez Thalès, chez Dassault. Chacun veut une meilleure reconnaissance de son travail et la meilleure des reconnaissances, c’est celle qui se traduit sur la feuille de paye. Ce qui est nouveau, c’est que ces mobilisations durent, et elles auront rarement été aussi nombreuses si près d’une élection présidentielle.
« Soit le fruit du travail va dans la poche des actionnaires, soit il va dans la poche des salariés. »
C’est dommage !
Premièrement, je pense que les salariés, grâce à leurs mobilisations, ont permis que ces questions s’imposent dans le débat public, alors que le début de la campagne présidentielle était dominé par les thèmes chers à l’extrême droite : identité, immigration, sécurité.
Beaucoup de candidats se sont exprimés sur les salaires. Pas tous de la même façon mais en soi, voir ce thème reprendre le dessus, c’est positif. C’est la preuve que lorsque les salariés interviennent, ils bousculent l’agenda politique. Comment financer cette augmentation du SMIC ? Ce n’est pas très dur : soit le fruit du travail va dans la poche des actionnaires, soit il va dans la poche des salariés. De ce point de vue, 2021 est une année symbolique. C’est qu’il y a eu beaucoup, beaucoup, de richesses produites et l’immense majorité de ces richesses est partie dans les poches des actionnaires.
On vient de constater, avec les sanctions prises contre la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine, qu’on est capable de bloquer les transactions financières d’un pays en un claquement de doigts. Et on ne serait pas capables de faire la même chose avec la fraude fiscale ? C’est quand même surprenant. On parle de dizaines de milliards d’euros : voilà de l’argent qui échappe à la rémunération du travail. Il y a des ressources pour payer le travail. Elles existent.
Je n’aime pas tellement cette expression mais c’est du populisme, de la politique à deux balles. Certes, il y a des impôts qu’il faudrait baisser. Le refus de baisser le plus injuste, le plus inégalitaire, la TVA, en dit long sur ceux qu’on veut favoriser dans ce pays : les riches. Quant à la redevance, je ne suis pas sûr que le pluralisme et le débat démocratique sortent gagnant de cette stratégie de casse du service public pour faire émerger des Bolloré.
La plupart des candidats ont progressé sur ce point. Au début, tous ne parlaient que de salaires nets. Certains, à gauche notamment, font désormais la différence entre salaire net et salaire brut. Ils commencent à prendre en compte les cotisations sociales, donc à parler de sécurité sociale, de santé, de retraite. Le clivage est là. De la droite à l’extrême droite, de Macron aux majorités précédentes, ils ont toujours proposé de donner d’une main aux salariés, à travers la baisse des cotisations, ce qu’ils leur enlevaient de l’autre avec l’affaiblissement de la protection sociale. Parler de salaire, c’est aussi poser des enjeux majeurs comme la reconnaissance des qualifications, la place des femmes au travail et dans la société. Certains candidats nous font croire qu’ils vont faire du neuf en piochant dans les cotisations sociales. Ça fait quarante ans que ça dure.
« Proposer la retraite à 65 ans, c’est ne rien connaître à la réalité du monde du travail, aux inégalités d’espérance de vie entre cadres et ouvriers. »
S’il y a une mesure qui fait l’unanimité contre elle parmi les organisations syndicales, c’est bien celle-là. Alors soit il nous écoute, soit il continue comme avant ses fameuses concertations qui depuis cinq ans s’apparentent à du « cause toujours ». Proposer la retraite à 65 ans, c’est ne rien connaître à la réalité du monde du travail, aux inégalités d’espérance de vie entre ouvriers et cadres, à la diminution de l’espérance de vie en bonne. C’est accepter que les soignants des EHPAD aient le même âge que les résidents dont ils s’occupent, c’est ignorer que les égoutiers de Paris n’atteindront jamais l’âge de départ à la retraite.
Le même a supprimé trois des cinq critères de reconnaissance de la pénibilité. La seule vraie question qui vaille est la suivante : peut-on financer la retraite à soixante ans ? Nous disons oui. C’est comme pour l’impôt : si on continue de supprimer les cotisations, on assèche le financement de la Sécurité sociale. Voilà pourquoi nous parlons d’augmenter les salaires avec leurs cotisations pour financer la retraite à 60 ans.
L’égalité salariale est la première revendication du monde du travail. La logique du patronat, du gouvernement et d’un certain nombre d’hommes politiques est de toujours parler de dépenses, jamais d’investissements. Mettre de l’argent dans la santé, est-ce une dépense ou un investissement ? Payer les femmes au même salaire que les hommes à qualification égale, est-ce juste ? Le faire, c’est aussi augmenter les recettes via les cotisations sociales, les impôts. Là encore, nous sommes face à deux choix de société. Dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron n’a pas écrit une seule fois le mot femme. C’est étrange pour quelqu’un qui prétendait en faire une priorité.
« Dire de Macron qu’il est le président des ultra-riches n’a rien d’une caricature. »
Pas globalement négatif : complètement négatif pour le monde du travail. Dire de Macron qu’il est le président des ultra-riches n’a rien d’une caricature. En 2021, Bernard Arnault a augmenté son patrimoine de l’équivalent du budget de l’Éducation nationale. Voilà qui résume ce quinquennat.
D’abord, restons fidèles à nos valeurs. Je suis abasourdi par les distinctions faites en ce moment entre les réfugiés selon leur provenance. Il y aurait ceux qui mériteraient d’être accueillis, et puis les autres, auxquels il faudrait fermer la porte. Les Syriens, les Afghans ont pris sur la tête les mêmes bombes que celles lâchées sur les Ukrainiens. Ensuite, il faut rappeler que Marine Le Pen est dans le camp du capital. Elle aussi dit qu’elle va augmenter les salaires en baissant les cotisations sociales. Elle aussi parle de « coût du travail », de réduction des dépenses publiques. Elle se livre à la même surenchère ultralibérale que Valérie Pécresse ou Emmanuel Macron.
Redoutez-vous que la guerre en cours ne vienne recouvrir la question sociale ?
La situation est grave en Ukraine ; nous réitérons notre appel à la paix. Cela ne doit pas pour autant occulter les questions sociales. Ce gouvernement, comme les précédents, parie sur une stratégie du renoncement : « Ce n’est pas la rue qui commande ». Mais les mobilisations pèsent. Le Ségur de la santé, même si ses résultats sont insuffisants, ne serait pas advenu sans les deux années de mobilisations des personnels de santé qui l’ont précédé. Le projet Hercule (de découpe d’EDF, N.D.L.R.) n’aurait pas été remisé dans un tiroir sans les journées d’action des agents énergéticiens. Sans mobilisation sociale, la réforme des retraites aurait été adoptée avant l’arrivée du virus.
Non. Les retraités vont retourner dans la rue pour leurs pensions le 24 mars. Ils ont de solides raisons : la petite revalorisation du début d’année a fait automatiquement augmenter la CSG. Certains retraités, par ce mécanisme, se retrouvent à percevoir moins ! Le 31 mars, les cheminots manifesteront pour leurs revendications salariales. Là aussi, les mobilisations locales débouchent sur un mouvement national. Et il y a des grèves tous les jours un peu partout. D’autres temps forts viendront encore avant le 1er mai, qui ne sera pas un entre-deux, entre présidentielle et législatives.
publié le 15 mars 2022
Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr
Le ministre de l’Intérieur l’a annoncé triomphalement sur son compte Twitter à l’issue du Conseil des ministres, mercredi 9 mars. Deux associations militant pour les droits d’un peuple subissant l’occupation d’un État voisin en violation du droit international ont été purement et simplement dissoutes. Les organisations en question avaient notamment recommandé un boycott des produits en provenance du pays agresseur. Et souhaitaient placer la question de cette occupation illégale au cœur du débat public. Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire au gouvernement français.
Le collectif Palestine vaincra et le Comité Action Palestine, que Gérald Darmanin accuse d’appeler « à la haine, à la violence et à la discrimination », sont donc privés de toute existence légale depuis le jeudi 10 mars. « Depuis plus de trois ans, nos actions se faisaient dans le strict cadre légal, nos manifestations étaient déclarées, nous n’avons jamais fait autre chose qu’exprimer des opinions. Cette décision administrative arbitraire est contraire à l’État de droit », s’insurge Tom Martin, le porte-parole de Palestine vaincra.
Cette décision gouvernementale fait suite à une campagne de dénigrement relayée sur les réseaux sociaux, notamment par des députés LaREM, dont Sylvain Maillard, le porte-parole du parti macroniste, connu pour ses positions sur la droite, voire l’extrême droite israélienne, tandis que Franck Touboul, le président du Crif Midi-Pyrénées, appelait déjà en 2020, dans les colonnes de la Dépêche du Midi, à venir « démanteler manu militari » les stands de Palestine vaincra…
« Il y a un alignement de l’exécutif français sur la politique israélienne. Aujourd’hui, en France, le fait d’avoir des positions anticolonialistes ou même simplement antiracistes est interdit.
La menace pèse sur l’ensemble des forces associatives, démocratiques, sociales de ce pays. D’ailleurs nos camarades de SUD éducation, dont des députés LR demandent la dissolution, sont aussi visés », constate le porte-parole de Palestine vaincra, qui se dit « particulièrement révulsé » par les accusations d’antisémitisme dont son association fait l’objet de la part du ministre de l’Intérieur. « C’est un amalgame abject qui assimile la critique d’un État et d’une idéologie à de l’antisémitisme. Cela va dans le sens de déclarations d’Emmanuel Macron qui a déclaré que “l’antisionisme est le nouvel antisémitisme”. »
Les deux organisations dissoutes viennent de déposer un recours. En attendant, la FSU, Solidaires, la CGT, la France insoumise, le NPA, la LDH, le Mouvement pour la paix ou encore les Jeunes communistes se sont joints à une manifestation le week-end dernier à Toulouse, rassemblant plusieurs centaines de personnes pour témoigner de leur solidarité avec le collectif toulousain. Avec une question en tête : si nous ne réagissons pas, qui seront les prochains ?
publié le 15 mars 2022
sur le site https://solidaires.org/
Les luttes sur les salaires continuent et doivent s’amplifier -
En grève le 17 mars
Après un mois de janvier marqué par des luttes multiples, notamment dans l’éducation et le secteur social, et la grève interprofessionnelle du 27 janvier, le mois de février a vu encore d’autres mobilisations naître autour des revendications d’augmentation des salaires (RATP, Chimie..). Dans le même temps, les annonces de bénéfices faramineux des plus fortunés ou des entreprises du CAC40 ont continué : 237 milliards de plus pour les 5 personnes les plus fortunées de France pendant la pandémie…(rapport Oxfam) !
Et pour l’ensemble de la population ? Pas d’augmentation du SMIC, pas de valorisation du point d’indice dans la fonction publique, et des augmentations très limitées lors des Négociations annuelles obligatoires (NAO)… tandis que l’inflation s’emballe et les prix à la consommation augmentent !
Ce mois de mars, sera marqué par des mobilisations féministes, écologistes et antiracistes et verra aussi plusieurs secteurs professionnels se mobiliser, dans la santé et le social, à l’inspection du travail, dans l’éducation… Parce que pour les salarié-es, les précaires, celles et ceux qui subissent des discriminations, un monde où le capitalisme ronge tout est invivable et inacceptable !
Faisons converger ces luttes, où la question salariale est centrale !
Solidaires revendique :
un SMIC à 1 700 euros net
la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique
l’égalité salariale et la revalorisation des métiers les plus féminisés
des augmentations de salaires, pensions, minima sociaux de 400 euros
un écart de salaires de 1 à 5 (entre les plus bas et plus hauts salaires dans les entreprises, administrations)
le RSA pour les moins de 25 ans
Grève et manifestations le 17 Mars
L’augmentation des salaires et des pensions :
Une priorité pour toutes et tous !
Les salarié-es du secteur public comme privé, les retraité-es, les jeunes partagent toutes et tous une même priorité face à l’augmentation du coût de la vie, il faut augmenter les salaires, les pensions, les allocations et les bourses étudiantes.
Beaucoup ont exprimé leurs exigences en se mobilisant, ces dernières semaines, dans leur entreprise, leur service, leur branche professionnelle.
Ainsi en est-il des personnels des services publics, à l’instar de celles et ceux de l’éducation nationale, des soignant-es, des travailleurs sociaux… De nombreux débrayages, lors des NAO (négociations annuelles obligatoires), dans les secteurs notamment industriels ont permis également des avancées à l’échelle des entreprises. Tout au long du mois de janvier, les différentes professions et la jeunesse ont su se mobiliser ensemble pour défendre les salaires et l’emploi dans beaucoup de localités. Plus de 150 000 manifestants, de nombreux secteurs professionnels ont débrayé, la question sociale et salariale s’ancre dans le quotidien des salarié-es dans les entreprises et les services.
La jeunesse est-elle aussi est confrontée à une grande précarité de vie et de travail et à la pauvreté.
En décembre 2021, l’inflation en France a atteint 2,8% sur un an.
Près de la moitié provient directement de l’augmentation du prix de l’énergie (carburants, électricité, gaz).
En effet, l’énergie a vu son prix augmenter de 18,6%. Il y a également une augmentation importante des prix des produits alimentaires de première nécessité.
Force est de constater que c’est l’évolution des revenus par rapport à l’inflation qui est déterminante. C’est un levier essentiel pour maintenir le pouvoir d’achat des ménages et agir sur la répartition entre les revenus du capital et du travail ; les entreprises cherchant, en effet, même dans le contexte de la pandémie, à augmenter leurs profits.
L’enjeu majeur est donc de combattre la stagnation des salaires plus que d’agir sporadiquement sur l’évolution des prix.
Pour les organisations syndicales CGT, FSU, Solidaires et UNSA, et les organisations de jeunesse FIDL, MNL, UNEF et VL : Il faut une revalorisation immédiate de l’ensemble des salaires dans le secteur privé et des traitements dans la fonction publique, en commençant par les plus bas salaires. Ainsi, il est urgent d’agir sur le SMIC et le point d’indice.
Il est indispensable que les minimas de branche dans le privé et les grilles de salaires dans la Fonction Publique soient automatiquement relevés au niveau du SMIC.
Cela doit se compléter d’une ouverture rapide de négociations sur la répercussion de ces augmentations sur les échelles de carrière dans le public et les classifications dans le privé.
Il est aussi important d’augmenter les bourses pour les étudiants et les pensions pour les retraités.
Tout au long du mois de février, les mobilisations doivent se poursuivre et s’amplifier.
Il y a urgence également à mettre en oeuvre l’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes. Aussi, nos organisations appellent à une forte journée de mobilisation, le 8 mars prochain, lors de la journée internationale des droits des femmes. Alors que la première loi sur l’égalité professionnelle fête ses 50 ans et que les luttes féministes exemplaires se sont développées, gouvernement et employeurs refusent de financer des mesures pour s’attaquer véritablement aux racines des inégalités salariales. Les organisations syndicales appellent à rejoindre les mobilisations organisées le 8 mars prochain partout pour exiger des mesures concrètes afin d’éradiquer les inégalités et revaloriser les métiers féminisés.
Il faut imposer que les qualifications acquises, l’expérience professionnelle soient corrélées aux niveaux de rémunération et agir pour une limitation des écarts de salaires au sein des entreprises.
Pour agir sur ces revendications essentielles, les organisations syndicales CGT, FSU, Solidaires et UNSA, et les organisations de jeunesse FIDL, MNL, UNEF et VL appellent à une journée de grève et de manifestations interprofessionnelles le 17 mars prochain.
Dans l’attente, elles soutiennent les mobilisations qui se développent dans les entreprises et le secteur public. Elles s’adressent aux salarié-es du privé et aux agent-es du secteur public pour maintenir la pression et exiger l’augmentation des salaires et du pouvoir d’achat.
Elles proposent de construire, dès à présent, les conditions d’un grand 1er mai unitaire.
publié le 14 mars 2022
par Olivier Doubre sur www.politis.fr
Après l’interpellation d’une dizaine d’ex-militants armés italiens des années 1970 en mai 2021, la justice française s’apprête à statuer sur les demandes d’extradition, parfois ubuesques, de Rome concernant ces septuagénaires qui ont construit leur vie loin des armes. Au mépris de la parole de la doctrine traditionnelle de la France.
La France va-t-elle revenir sur sa parole (d’État), donnée au début des lointaines années 1980 à quelque trois cents militantes et militants de l’extrême gauche italienne, qui s’étaient réfugiés sur son sol ? Ou, plutôt, rompra-t-elle son engagement vis-à-vis des dix derniers d’entre eux que l’Italie s’acharne à poursuivre, usant de « stratagèmes insupportables et scandaleux pour rendre imprescriptibles des infractions et des peines déjà prescrites, en particulier par le droit français » ?
C’est la question qu’a solennellement posée l’avocate Irène Terrel, membre de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) lors d’une conférence de presse organisée le 9 mars, s’apprêtant à en défendre un certain nombre lors des audiences devant la cour d’appel de Paris qui vont débuter le 23 mars. Car, près d’un demi-siècle après les faits, Rome n’a jamais renoncé à vouloir récupérer – et jeter dans ses geôles – cette dizaine de septuagénaires, la plupart grands-pères ou grands-mères de petits-enfants français. D’anciens militants parfois malades ayant tous reconstruit pacifiquement leur vie dans le respect de la légalité française, après avoir pris part à ce que nombre d’historiens ont qualifié de « guerre civile de basse intensité » durant les années 1970 en Italie.
Dans le contexte de l’après-68, le mouvement social, ouvrier et étudiant, atteignait dans la péninsule un niveau de mobilisation massif et unitaire rarement vu dans toute l’Europe occidentale. En guise de « réponse », des franges dévoyées des services de sécurité et de l’armée, souvent liées ou admiratrices du régime fasciste de Mussolini (1922-1943), utilisant mafias et groupuscules d’extrême droite, choisissaient délibérément de mettre en œuvre une « stratégie de la tension », avec nombre d’attentats meurtriers et aveugles (dans des trains, des gares, des banques) attribués faussement à d’hypothétiques « anarchistes ». Tout cela afin d’attiser un désir d’ordre et de pouvoir autoritaire au sein de la population. Depuis la bombe de piazza Fontana à Milan en décembre 1969, déposée dans une agence de la Banque nationale de l’agriculture (17 morts, 85 blessés), jusqu’à l’atroce explosion de la gare de Bologne, le 2 août 1980, bondée en ce jour de vacances d’été (85 morts, plus de 200 blessés).
En face, des dizaines, sinon des centaines, de petits groupes d’extrême gauche empoignaient alors les armes, volontiers convaincus que « la révolution est au bout du fusil » et que le mouvement social se devait de « répondre coup pour coup ». Le pouvoir inaugura alors une politique répressive en votant le premier corpus de lois d’exception qui constitue l’embryon de « l’antiterrorisme moderne », avec interrogatoires musclés, réduction des droits de la défense et peines collectives pour tous les membres d’un groupe armé, quelles que soient leurs responsabilités individuelles.
Mais, après des années de conflit, Rome ne sait plus bien comment sortir de cette violence diffuse. Alors que plusieurs milliers de militants sont condamnés à des dizaines d’années de réclusion, quelques centaines parviennent à s’enfuir à l’étranger. Or, le gouvernement socialiste italien de Bettino Craxi, en dépit de déclarations vengeresses, n’est pas mécontent de voir la France de François Mitterrand offrir une porte de sortie à quelques centaines d’entre eux et donc un « asile politique » : le président français officialise une politique d’accueil – et surtout d’apaisement –, lors du congrès de 1985 de la LDH (qui prendra le nom de « doctrine Mitterrand »), à condition qu’ils renoncent aux armes et respectent les lois françaises. Évitant ainsi, à la différence des Basques de l’ETA notamment, que la France ne devienne une base arrière des mouvements armés transalpins.
Au fil des décennies, nombre d’entre eux voient leurs peines ou leurs délits prescrits. Même si, dans une débauche de déclarations démagogiques, les gouvernements italiens (de toute couleur politique) continuent de crier vengeance, plus de quarante ans après, non sans espérer de faciles retombées électorales.
Emmanuel Macron, souhaitant resserrer ses liens avec l’Italie, envoie donc, par un matin d’avril 2021, à six heures, sa police chercher les douze derniers activistes réfugiés (dont les inculpations et peines ne sont pas encore prescrites) à leurs domiciles, fort bien connus, sous les yeux de leurs familles apeurées. Relâchés quelques heures plus tard, ils doivent passer dans les prochaines semaines devant la Chambre de l’instruction des cours d’appel de leurs lieux de résidence, compétentes en matière d’extraditions. Des tribunaux que tous connaissent bien, puisque ces juridictions ont déjà refusé leur renvoi en Italie… dans les années 1980 ! Deux sont décédés depuis…
Cet « accord de basse politique », comme le souligne la représentante de leurs familles, rompt donc avec « la parole donnée il y a quarante ans à des personnes dont la réinsertion a été prouvée depuis des décennies ». Mais la conférence de presse du 9 mars comptait deux participants plus inattendus, psychiatres et psychanalystes, représentants d’un collectif regroupant plus de 80 de leurs collègues, dont les docteurs Serge Hefez, Patrick Chemla, Heitor de Macedo et Paul Bretécher. Ce dernier justifie leur engagement en faveur de ces « asilés » par la France pour en