publié le 24 septembre 2021
Sur le site : https://altermidi.org/
"Le ministère de l’Environnement vient d’assouplir la réglementation sur l’implantation des sites dangereux et celui du Travail entend faire de même avec la réglementation sur le risque chimique et cancérogène."
Communiqué de la CGT :
Le 21 septembre 2001, à 10h17, une énorme explosion pulvérisait l’usine AZF (groupe Total) de Toulouse. L’agglomération entière est sinistrée avec un bilan matériel et humain lourd : 31 morts, 20 000 blessés, 89 établissements scolaires touchés par la déflagration. Nombreuses sont les victimes qui subissent encore aujourd’hui les séquelles de ce désastre.
Les responsables ont, aujourd’hui, été définitivement condamnés après une longue procédure judiciaire qui s’est achevée fin 2019. Ce sont bien les exploitants industriels d’AZF qui sont responsables. Leur stratégie de morcellement du travail, de recours à la sous-traitance et de réduction des coûts ne permettait plus la mise en place d’organisation de travail sécurisée.
Les mesures de protection, les principes de prévention, la formation et, surtout, le partage d’expérience entre les travailleuses et travailleurs doivent redevenir une véritable priorité sur tous les lieux de travail.
AZF n’a pas servi de leçon. L’incendie de l’Usine Lubrizol à Rouen, le 26 septembre 2019, en est la démonstration. Et, malheureusement, les exemples sont nombreux. Les logiques de profit au détriment de la sécurité des salarié.es et de la population doivent cesser.
Le gouvernement, en la matière, ne prend pas la bonne mesure de la situation : le ministère de l’Environnement vient d’assouplir la réglementation sur l’implantation des sites dangereux — via la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) — et celui du Travail entend faire de même avec la réglementation sur le risque chimique et cancérogène.
La CGT exige, pour chaque lieu d’exploitation, un véritable droit d’intervention des salarié.es et un contrôle des services et organismes compétents :
un droit d’intervention et de contrôle des salarié.es avec la remise en place des CHSCT (Comité d’Hygiène de Sécurité et de Conditions de Travail) couvrant tous.tes les salarié.es, y compris ceux des TPE et PME, et que leur champ d’actions soit élargi aux questions environnementales. Les travailleuses et travailleurs et leurs représentant.es doivent pouvoir intervenir sur l’organisation de travail. Les lanceurs d’alerte doivent être écoutés et non réprimés ;
un contrôle des services et organismes compétents, avec un renforcement des moyens humains et juridiques des inspecteurs du travail, des inspecteurs de l’environnement ou encore des contrôleurs et préventeurs des Carsat (Caisse d’Assurance Retraite et de Santé au travail), branche de la Sécurité sociale. Ces agents et ingénieurs doivent être acteurs d’un système qui impose à tous les exploitants la priorité de la préservation de la vie avant la course aux profits.
La CGT revendique un renforcement de la réglementation, afin que les industriels arrêtent de jouer avec la vie des salarié.es, des riverain.es et de la planète.
Gagner le droit à la sécurité au travail passera par la mobilisation des salarié.es.
Pour l’ensemble de ces revendications, pour l’augmentation des salaires, l’emploi, l’amélioration des conditions de travail, la CGT appelle l’ensemble des salariés, des agents, des retraités, des privés d’emplois, à se mobiliser et à agir, par la grève, le 5 octobre prochain.
par Marie-Noëlle Bertrand – sur www.humanite.fr
Ce vendredi, le collectif Plus jamais ça publie des revendications communes aux syndicats et ONG et fait la chasse aux idées reçues.
À l’avant-veille des manifestations de ce dimanche, le collectif Plus jamais ça publie un rapport visant à démontrer que la transition verte peut être créatrice d’emplois. Déconstruire l’image d’une écologie opposée aux exigences sociales : telle est l’ambition de cette structure inédite lancée début 2020. Attac, la Confédération paysanne, Greenpeace, la CGT, Oxfam, Solidaires, les Amis de la Terre et la FSU mettent ce document en débat et à disposition des mobilisations à venir. Morceaux choisis.
Face à la crise économique, la planète devrait attendre ? Faux, rétorque le collectif. Dans un rapport publié en décembre 2020, le Programme des Nations unies pour l’environnement lui-même indique que les plans de relance sont une occasion rêvée, « s’ils sont orientés vers la transition ou accompagnés d’une conditionnalité des aides ». Plus jamais ça casse aussi la figure à l’idée selon laquelle la transition écologique détruirait les emplois. Rénovation thermique des bâtiments, développement des transports en commun, des énergies renouvelables et de l’agriculture paysanne, recyclage… « L’Organisation internationale du travail considère que 60 millions d’emplois peuvent être créés dans le monde » par ce biais.
Au sein des grands groupes, « seuls les états-majors décident quoi, où et comment produire », en ne se fiant qu’à une seule boussole, « la valorisation en Bourse ». Plus jamais ça propose à l’inverse de conférer de nouveaux pouvoirs aux salariés. « Dès lors (qu’ils) décident de peser sur les choix d’investissement et de production pour sauvegarder l’emploi et la biosphère, (ils) contestent la recherche unique de rentabilité à court terme. » La réhabilitation des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, « avec des droits d’intervention élargis aux questions environnementales », en est un des passages obligés, de même que la création « d’un droit de veto des comités sociaux et économiques sur les licenciements qui ne sont pas justifiés par des difficultés économiques graves et immédiates ».
Plus globalement, Plus jamais ça revendique de mieux partager le travail et, pour cela, de faire des 32 heures hebdomadaires la nouvelle référence. « La réduction du temps de travail, sans perte de salaire, permet d’améliorer la qualité de vie. » Dans la même veine, le collectif plaide pour fixer un plafond de revenu maximum. « S’il faut revaloriser les métiers “essentiels”, il faut aussi dégonfler les revenus excessifs sans justification sociale », afin « de redistribuer (…) et combattre l’imaginaire du luxe et de l’accumulation infinie ».
En 2018, 57 % des émissions de CO2 de la France étaient à mettre sur le compte de ses importations. Plus jamais ça place cette donnée en regard d’autres, économiques. « Depuis 1990, la part de l’industrie en France dans l’emploi salarié marchand est passée de près d’un tiers à tout juste 18 %. » Relocaliser une partie de la production permettrait de générer d’importantes créations d’emplois tout en produisant plus proprement, assure le collectif, qui tacle l’affirmation selon laquelle la mondialisation serait bénéfique aux pays pauvres. « L’industrie textile est responsable de 4,5 %à 8 % des émissions mondiales », cite-t-il, rappelant que le changement climatique pourrait faire basculer près de 100 millions de personnes dans l’extrême pauvreté en 2030. Plus jamais ça y voit plusieurs remèdes, entre autres celui de stopper la dérégulation du commerce international au profit d’une coopération solidaire autant qu’exigeante en matière environnementale et sociale.
Publié le 23/01/2021
Par Patrice Cohen-Séat sur lefildescommuns.fr
Notre ministre de la transition écologique, avaleuse de couleuvres de son état, nous annonce sans vergogne le prochain dépôt d’un projet de loi sensé répondre aux propositions de la convention citoyenne pour le climat. Tout le monde sait pourtant qu’il n’en est rien et que le Président de la République n’a pas du tout l’intention de transmettre « sans filtre » au Parlement ou au Gouvernement, comme il s’y était engagé, les conclusions de ladite convention. Toutes les associations écologistes sont atterrées, et elles ont raison : une telle irresponsabilité aura pour conséquence que nous laissions aux générations à venir une « dette écologique »infiniment plus couteuse et catastrophique que la dette financière dont on nous a rebattu les oreilles pendant des lustres pour justifier l’austérité, mais qui semble pourtant aujourd’hui le dernier des soucis de l’Union européenne et même du CAC 40.
Cette forfaiture d’Etat – au sens propre : trahison d’un engagement pris par les plus hautes autorités publiques – devrait tomber sous le coup du « crime d’écocide » voulu par les citoyens. Par précaution – peut-être avec le souvenir de l’affaire du sang contaminé qui avait valu bien des frayeurs au Premier Ministre de l’époque – il semble que ce crime soit en voie d’être dégradé en un simple délit, davantage destiné à sanctionner des actes personnels de la vie courante que les scandales des grandes pollutions industrielles et agricoles, ou les atermoiements de la vitale politique de dé-carbonisation de notre économie. Mais les technocrates qui nous gouvernent désormais sans partage devraient se méfier : contrairement aux allégations d’un Maréchal félon, les Français n’ont pas la mémoire si courte que ça. D’une façon ou d’une autre, les peuples demandent toujours des comptes à ceux qui trompent leur confiance.
Mais il n’y a pas que ça. E. Macron n’a pas l’air de se rendre compte qu’il joue avec de l’explosif, et qu’il pourrait bien lui éclater à la figure. Car le fait qu’il trahisse les engagements qu’il avait pris en créant la convention citoyenne montre que c’était pour lui une pure et simple manipulation. Il a cru qu’il pouvait régler le problème de la taxe carbone – qui avait mis le feu aux poudres et fait se lever le mouvement des « gilets jaunes » – en faisant mine de s’en remettre au peuple tout en pensant que, comme pour le « grand débat », il s’en tirerait bien après en embobinant tout le monde avec un flot de paroles. Mais ça ne marchera pas. Il s’est lui-même mis dans un piège dont il ne sortira pas indemne. Car non seulement les Français ont de la mémoire, mais en plus elles et ils ne sont pas des imbéciles et sont au contraire parfaitement conscients qu’on est en train de les rouler.
Et ça ne se passera pas comme ça. La crise démocratique est d’une profondeur abyssale. Les françaises et les français n’ont plus confiance dans le personnel politique, ni dans les partis, ni même dans les institutions. A cause de décennies de promesses non tenues. Mais aussi parce que, lorsqu’elles et ils disent clairement « non », comme lors du référendum sur le traité constitutionnel européen, la « classe politique » trouve quand même le moyen de passer outre et de leur imposer son choix. C’est cela, notamment, qui nourrit leur exigence que les citoyen.nes aient davantage de pouvoirs de contrôle et de décision. Les gilets jaunes avaient fait pour cette raison du référendum d’initiative populaire une de leurs principales revendications. Or non seulement le pouvoir n’y donne pas suite, mais il assume cyniquement de se ficher complètement de ce que tout le monde avait pourtant reconnu être un excellent travail. Là, c’est le coup du mépris de trop !
Les peuples répugnent au désordre, dont l’histoire leur a montré qu’il se retournait toujours contre eux. Mais quand une situation devient réellement insupportable, ils se donnent les moyens d’y mettre fin. Et c’est ce qui est en train de se passer. Déjà, avant même la crise de la Covid-19, le quinquennat Macron a été bousculé par les gilets jaunes, les revendications des jeunes pour le climat, le rejet de la réforme du chômage puis celle des retraites, l’indignation contre les violences et les discriminations faites aux femmes ou les violences policières, etc. La société est éruptive et tout peut arriver : une révolte sociale, comme la rupture du supposé « plafond de verre » qui a jusqu’à maintenant empêché chez nous l’arrivée des néofascistes au pouvoir. Mais ce pourrait être aussi, si les forces de progrès le voulaient, une véritable alternative politique portant à la tête de l’Etat un Président, une majorité et un gouvernement d’une gauche digne de ce nom. Que les intéressé.es prennent conscience de la fenêtre historique aujourd’hui ouverte, et du risque majeur qui se dessine en cas d’échec, et qu’elles et ils prennent leurs responsabilités pour dépasser leurs petites querelles et réussir à se rassembler !
Publié le 17/12/2020
Climat : les 7 enfumages de Total
(site regards.fr)
Samedi 12 décembre, à l’occasion des cinq ans de l’accord de Paris sur le climat, Patrick Pouyanné, le PDG de Total, s’est livré à une opération de greenwashing de son entreprise sous la conduite bienveillante d’Alexandra Bensaïd, l’animatrice de « On n’arrête pas l’éco », l’émission économique hebdomadaire de France Inter.
Samedi 12 décembre, cinq ans après la signature des accords de Paris sur le changement climatique, c’est journée spéciale climat sur les ondes de France Inter. « On n’arrête pas l’éco », animé par la journaliste Alexandra Bensaïd, lui est entièrement consacré. Avec pour temps fort, une interview de Patrick Pouyanné, le PDG de Total, membre du Top 10 des compagnies pétrolières mondiales et du Top 5 de capitalisations boursières à Paris.
Cela aurait pu être l’occasion de mettre l’éclairage sur les responsabilités passées et à venir du géant de l’industrie pétrolière dont les émissions de gaz à effet de serre, encore croissante de 3% entre 2017 et 2019, représente à lui seul près de 30% des émissions du CAC 40. Occasion perdue dans une opération de communication assez complaisamment mise en onde autour de l’image d’entreprise engagée pour le climat que Total cherche dans l’urgence à construire.
« Nous ne sommes pas un danger, nous sommes la solution », affirme le PDG qui prétend faire de son entreprise un modèle et un acteur majeur de la transition énergétique. À tel point, dit-il, que Total s’est doté d’un nouvel objectif : « Atteindre la neutralité carbone pour l’ensemble de ses activités à travers le monde d’ici 2050 ».
Total, dit Patrick Pouyanné, redéploie activement ses activités dans le secteur énergétique. En 2030, l’entreprise fera 15% de ses activités dans l’énergie renouvelable. En 2050 ce sera plus de 40%. En même temps cela ne signifie pas que l’entreprise doit abandonner le pétrole. Elle doit simplement accompagner un recul qui sera progressif à partir d’un pic qu’il prévoit pour 2030. Il s’agira juste de s’adapter à l’évolution de la demande au fur et à mesure que s’imposera la voiture électrique et d’autres transformations technologiques. Mais pas question donc d’abandonner ou de reculer trop fort et trop vite sur le Pétrole. D’autres prendraient la place laissée vacante. Même en 2050, le pétrole n’aura pas disparu. Il aura seulement reculé de 60%. Et selon le PDG, cela est tout à fait compatible avec un réchauffement climatique limité à 1,5°.
Les engagements de Total en matière de pétrole consistent donc à arrêter d’explorer le pétrole « dans les zones où il va coûter cher », dit-il, comme par exemple dans l’Arctique. Mais ajoute le PDG, notre mission est d’apporter l’énergie au monde tel qu’il est « et notamment aux Africains qui ont légitimement envie d’accéder au même niveau de vie et qui ont besoin d’énergie ».
Dans la transition, selon lui, il y aura deux clés de la réussite sur lesquels Total mise particulièrement : le gaz – qui serait beaucoup plus propre que les autres énergies fossiles – et la capture du carbone – qui va continuer d’être émis : « Il faut arrêter de déforester la planète ».
Selon le patron de l’entreprise phare du CAC 40, tout cela est parfaitement compatible avec les exigences de rendement financier et de dividendes des actionnaires. Les profits réalisés dans le secteur pétrolier vont financer les investissements dans le renouvelable et le renouvelable générera les dividendes futurs.
Du reste le PDG compte bien assurer la continuité des versements de dividendes puisqu’il n’a pas eu recours aux aides d’état. Et de même, affirme-t-il, « la masse salariale ne sera pas la variable d’ajustement », contrairement aux affirmations de la CGT concernant la suppression de 700 emplois en France.
Les 7 enfumages
L’économiste Maximes Combes, auteur de Sortons de l’âge des fossiles [1] et porte-parole d’Attac, a pointé des points clé de cet enfumage sur son compte Twitter et dans une analyse plus générale postée sur son blog.
1. Total n’est pas du tout le champion du climat qu’il prétend être parmi les compagnies pétrolières. L’association Oil Change International, organisation d’expertise sur la transition énergétique, a publié en septembre 2020 une étude approuvée par 22 associations dans le monde internationales sur les plans climat publiés par les majors pétrolières et gazières. Le rapport les évalue sur la base de dix critères fondamentaux. Tous sont systématiquement insuffisants. Total n’a pas de meilleurs résultats que les autres. Parmi ces critères, l’association souligne notamment l’importance qu’il y aurait à planifier et à mettre en œuvre une baisse significative de la production d’hydrocarbures d’ici 2030, c’est-à-dire dès maintenant et tout au long de la décennie. Patrick Pouyanné prévoit au contraire que le marché du pétrole va continuer de croitre au moins jusqu’en 2030.
Le 10 décembre, 18 ONG dont les Amis de la Terre et Reclaim Finance ont publié un rapport intitulé « 5 nouvelles années perdues pour la finance » qui pointe du doigt 12 « Méga clusters » d’énergie fossiles développés depuis l’adoption de l’accord de Paris. Si elles voient le jour, ces 12 bombes climatiques consommeraient à elles seules 75% du budget carbone disponible pour limiter le réchauffement climatique sous la barre de 1,5°. Le rapport souligne la double responsabilité des acteurs de la finance et l’industrie pétrolière à l’opposé des discours et des proclamations d’intention des uns et des autres sur le verdissement de la finance et la mutation des pétroliers. Coté finance, le rapport montre que BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et BPCE ont fourni près de 50 milliards de dollars de financements aux entreprises qui développent les hydrocarbures de schiste dans le Bassin Permien aux Etats-Unis et dans la région de Vaca Muerta en Argentine, les deux premières figurant même parmi leurs 15 plus gros financeurs. Et côté pétroliers, Total est impliqué parfois même en tant que chef de file dans la fabrication de la moitié des 12 bombes climatiques recensées.
2. Le gaz n’est pas l’énergie fossile de transition qui permettrait de rester dans les clous du réchauffement climatique à 1,5° ou 2°. À la combustion, le gaz émet 30% de moins de CO² que le pétrole et moitié moins que le charbon. Mais, il en émet quand même. Et surtout à la production, les émanations dévastatrices de méthane sont systématiquement sous estimées. Si l’on ajoute les étapes de la liquéfaction et du transport, les bénéfices en termes d’empreinte carbone sont en réalité très en deçà des besoins. Patrick Pouyanné affirme, tranquillement et sans mot férir d’Alexandra Bensaïd, qu’il ne forera pas de pétrole dans l’Arctique. Mais en septembre 2020, le Monde a informé de la participation massive de l’entreprise à un gigantesque projet gazier dans l’Arctique russe.
3. L’injonction de Patrick Pouyanné contre la déforestation est d’autant plus ferme qu’elle s’adresse aux autres, et qu’Alexandra Bensaïd n’a pas interrogé le PDG sur les conséquences de l’appétit de son entreprise pour les « bio carburants » à base d’huile de palme, grands dévastateurs de forêt tropicale.
4. Le PDG de Total prétend que son entreprise cherche à répondre aux besoins énergétiques des Africains. En fait les projets africains de Total sont dévastateurs des conditions de vie des populations et de la nature. Ils s’inscrivent au contraire dans ce que le rapport « 5 années de perdus pour la finance » appelle la « malédiction des ressources naturelles », « selon lequel l’exploitation des ressources naturelles pour l’exportation enrichit une petite élite mais appauvrit encore plus la majorité de la population et enracine encore plus la corruption, les divisions sociales et l’instabilité politique ».
En Ouganda et en Tanzanie, Total est cheffe de file des projets Tilenga et Eacop développés à la suite de la découverte, en 2006, de gisements sous le lac Albert, sur la frontière de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo. Les effets sociaux et environnementaux de ces projets sont à ce point dévastateurs que des ONG françaises et ougandaises ont intenté une procédure judiciaire pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance [2]. Au Mozambique, où Total est également fortement impliqué « les projets ne visent pas à accroître l’accès de la population à l’énergie : 90% de la production de GNL est destinée à l’exportation […] En outre, les réserves de gaz sont presque exclusivement détenues par des dizaines de sociétés transnationales – à l’exception de la société d’État mozambicaine ENH […] La plupart des emplois créés pour le développement de l’infrastructure gazière dans la région de Cabo Delgado échappe à ses habitants, car les majors et leurs entrepreneurs ont préféré contourner les faibles exigences en matière d’embauche de travailleurs locaux » [3].
5. L’affirmation que dans la situation actuelle Total ne bénéficie pas d’aides de l’État doit être relativisée. Total bénéficie directement et indirectement des refinancements particulièrement avantageux de la Banque Centrale Européenne sans que soit considéré l’évolution de son empreinte carbone. C’est en réalité un enjeu essentiel du changement indispensable de la politique monétaire et de son articulation aux politiques budgétaires de l’Europe et de l’État.
6. Patrick Pouyanné prétend que Total va pouvoir devenir le champion de l’énergie verte et de la transition énergétique réussie sans rien avoir à rabaisser des exigences de rentabilité financières et de dividendes de ses actionnaires. C’est au contraire une source essentielle de blocage.
7. L’affichage d’une neutralité carbone de l’entreprise à l’horizon 2050 aurait exigé quelques précisions. La promesse comme beaucoup d’autres n’engage que ceux qui y croient et elle est limite fake news. Selon l’analyse de Reclaim Finance, l’objectif annoncé par Total de neutralité carbone à l’horizon 2050 ne porte pas sur toutes ses émissions, et le groupe pétrolier a un simple objectif de diminution de l’intensité carbone de ses produits de 15% à l’horizon 2030.Qui plus est, 90% des dépenses d’investissements de Total restera consacré aux énergies fossiles sur les prochaines années et encore 80% en 2030.
« Un dangereux pis-aller »
Au reste, comme l’analyse Maximes Combes, l’émergence de cette notion flou et peu compréhensible de « neutralité carbone » et la multiplication des affichages par les pays et par les multinationales, prétendument plus ambitieuses les uns que les autres, constituent de dangereux pis-aller. Il conduit, souligne-t-il, à « invisibiliser les objectifs de court-terme pour lui substituer une promesse à long terme, oubliant de fait, que du point de vue climatique, c’est le stock de GES dans l’atmosphère qui compte plutôt que le niveau d’arrivée. La date du début d’une action résolue et l’ambition de cette action (pourcentage annuel de réduction) ont plus d’importance que la date d’arrivée : il faut donc réduire les niveaux d’émission aussi vite que possible. Sans attendre ».
Comme le dit le politiste et sociologue Stefan Aykut [4] dans une importante interview sur le site AOC, « le marketing politique pousse à fixer des objectifs à long terme, en 2030, 2050, mais pas à se mettre en conformité sur le terrain avec les belles histoires qu’on se raconte ». Ainsi explique-t-il, « la question de la limitation de l’extraction des énergies fossiles qui font marcher nos économies reste largement impensée. Ce qui est un vrai problème puisque la possibilité de réguler le réchauffement climatique en dépend ». Ainsi pour la France plutôt que de se prévaloir de la fermeture des rares centrales à charbon sur son sol tout en laissant EDF continuer d’en fabriquer à l’étranger, il faudrait plutôt regarder les stratégies de planification de Total, par exemple, et comment l’État français compte accompagner cette entreprise dans l’après-pétrole. « Or, constate Stefan Aykut, je n’ai pas l’impression qu’il y ait aujourd’hui de discussion sérieuse sur ce sujet ».
Un sentiment que l’on pouvait hélas continuer de partager après le passage du PDG de Total dans l’émission économique phare du service public de la radio. On n’arrête pas l’éco… mais pas non plus le réchauffement climatique !
Notes
[1] Sortons de l’âge des fossiles. Manifeste pour la transition, Seuil, 2015.
[2] La cour d’appel de Versailles vient de décider de renvoyer le cas devant le tribunal de commerce, ce qui, selon les ONG, va encore ralentir la procédure judiciaire et va à l’encontre de l’esprit et de l’objectif de la loi sur le devoir de vigilance : protéger les droits humains et l’environnement.
[3] Five Years Lost. How Finance is Blowing the Paris Carbon Budget.
[4] Co-auteur avec Amy Dahan du livre de référence Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Les Presses de Sciences Po, 2015.
Publié le 07/12/2020
« De quelle écologie parle-t-on ? » : la « génération climat » passée à la loupe
par Barnabé Binctin (site bastamag.net)
« Tous écologistes ! », avait lancé Jean Castex à son arrivée à Matignon, cet été. Vraiment ? Enfin portée à l’agenda politique, cinq ans après la signature des accords de Paris sur le climat, la question écologique serait-elle soudainement devenue consensuelle ? Certainement pas, rétorque le sociologue Yann Le Lann. Son enquête révèle que la « génération climat » est loin d’être homogène. « Partager le constat d’alerte ne suffit pas à partager la même réponse. » Entretien.
Yann Le Lann est maître de conférence à l’Université de Lille. Il est par ailleurs coordinateur d’un collectif de sociologues, Quantité critique, né en 2018, dans le sillage des premières marches pour le Climat, pour mener une analyse quantitative, en immersion, des mouvements sociaux contemporains en prise avec l’écologie.
Associé à Arte dans le cadre du programme « Il est temps », qui présente plusieurs documentaires consacrés aux mobilisations des nouvelles générations, ce collectif a pu mener une étude de grande ampleur. Sur la base du volontariat, près de 400 000 personnes dans une dizaine de pays différents ont répondu à un questionnaire en ligne, comprenant 150 questions visant à définir un contour plus précis de notre rapport à l’écologie. Yann Le Lann présente ici les premiers résultats, tirés de 35 000 questionnaires exclusivement français.
Basta ! : Quels premiers enseignements tirez-vous de cette étude, toujours en cours ?
Yann Le Lann : Le premier enseignement, c’est que l’urgence saisit une très grande majorité des répondants, la crise climatique apparaissant comme une cause fondamentale à l’intérieur de cette urgence. Pour autant, il existe de nombreux désaccords sur les solutions à apporter et les façons de résoudre ce problème. C’est le principal résultat que j’en retiens : partager le constat d’alerte ne suffit pas à partager la même réponse. Parmi tous ceux qui considèrent qu’il y a une nécessité d’agir, il n’y a pas pour autant une communauté d’action ou un horizon commun. Il faut aller au-delà du récit d’une « génération climat » homogène, pour prendre au sérieux les nuances importantes et les conflits d’orientation qui la traverse. Notre enquête affine ce que les enquêtes d’opinion ont souvent tendance à regrouper sous une seule et même bannière.
Autrement dit, la démocratisation de la question écologique entraîne des visions différentes de cette même question ?
Exactement. Avec les marches pour le climat et la pétition pour « l’Affaire du siècle », qui a su rassembler 2 millions de signatures en quelques semaines, on a vu fleurir cette idée d’une nouvelle génération, mobilisée autour de l’écologie comme priorité. Certes, c’est une question qui traverse désormais fortement la société, et bouscule les façons de se projeter. Cela n’en fait pas pour autant un sujet consensuel, défendu par un bloc unifié. Au contraire, il existe un vrai flou sur le contenu : qu’est-ce qu’être écologiste ? Et de quelle écologie parle-t-on ? Il y a des niveaux de réponse très différents, par exemple sur les questions économiques : certains considèrent que cela implique de renégocier, très en profondeur, les principes d’organisation de l’économie, tandis que d’autres vont privilégier des approches plus réformistes. C’est intéressant de constater que, selon la définition que l’on donne de l’écologie, il n’existe pas du tout les mêmes désirs de transformation de la société.
Vous distinguez ainsi trois profils différents au sein de ce grand « peuple » de l’écologie ?
Il y a d’abord ceux que l’on a appelé les « écologistes », qui formulent l’écologie comme un risque global, pensé à l‘échelle de la planète. Ils considèrent qu’il faut revoir toute l’organisation économique et politique pour affronter la crise écologique. Pour eux, il n’y a pas de « petite » transition, à bas-coût : il faut absolument, rapidement et profondément, transformer les principes d’organisation de la société. Ce sont ceux qui considèrent le niveau d’urgence comme maximal et qui participent le plus aux mobilisations. Ils sont également très impliqués dans les écogestes, même si ce n’est pas leur perspective stratégique : ils ne pensent pas que ce soit par des démarches de responsabilisation individuelle, type « consom’acteur », qu’on changera les choses, d’autant qu’elles leur paraissent masquer des formes d’injustice très fortes. Mais ils s’appliquent à les respecter dans leur cadre domestique, plutôt par souci éthique d’accorder leurs pratiques à leurs revendications.
« Ceux que l’on a appelé les "écologistes" ne pensent pas qu’on changera les choses par des démarches de responsabilisation individuelle »
Viennent ensuite ceux que l’on a appelé les « environnementalistes » : pour eux, le niveau d’urgence reste très important, bien qu’inférieur au premier groupe. L’écologie se fait par la santé, qui est l’une de leur toute première préoccupation. C’est une écologie plus articulée avec la défense du bien-être. Le capitalisme reste pour une partie d’entre eux un obstacle, mais une grande partie de ce groupe considère qu’on peut « transitionner » à l’intérieur de ce système. Ils estiment que les institutions politiques et économiques peuvent mener cette transition, sans se voir nécessairement transformer en profondeur.
Enfin, le dernier groupe, très minoritaire dans notre étude, représente les « productivistes » : de leur côté, le niveau d’urgence est beaucoup plus bas. Ils sont globalement très optimistes sur la question écologique. Leur écologie s’intéresse à la propreté ou aux paysages, et reste circonscrite à un niveau très local, qui ne remet pas du tout en cause les modes de vie, de production ou de consommation. Ils croient très fortement à la technologie comme solution, là où le premier groupe en fait plutôt une partie du problème.
Quel est le profil sociologique de votre panel ?
C’est une population issue du salariat qualifié, avec un fort niveau de diplômes, plutôt jeune, principalement située dans la tranche d’âge 15-48 ans. On peut la qualifier de CSP+ : nous avons eu peu de réponses d’ouvriers (2 % des actifs de la base, contre 19 % des actifs en France) et une surreprésentation de cadres (50 % contre 19 % en France). De fait, c’est aussi une population déjà sensibilisée à l’enjeu écologique. C’est ce qui est intéressant, justement : on imaginait qu’ils penseraient à peu près la même chose, au vu de toutes ces propriétés… En fait, non ! Il existe des orientations très conflictuelles et des priorités très différentes. L’étude montre qu’il y a des polarités très fortes, avec des options idéologiques contradictoires.
Cela ne revient-il pas également à dire que l’écologie reste une question de classe ?
Notre étude ne revendique pas la représentativité, nous l’assumons. On ne prétend pas définir des rapports de force à l’intérieur de la société française. Nous n’avons pas cherché à « redresser » notre échantillon, nous savions que la méthodologie nous prédestinait vers un cœur de cible particulier. Cet ancrage ne signifie pas que les populations qui ne sont pas dans l’échantillon n’ont pas des dispositions favorables à l’écologie ou qu’elles s’en désintéressent.
Il y a un regard sur l’écologie qui est structuré par la classe, oui, on pense forcément cette question du point de vue de sa position sociale. Mais attention, cela ne veut pas dire qu’il y aurait une classe convertie – les cadres diplômés – et une autre qui y serait réticente – les classes populaires. C’est infiniment plus compliqué que ça !
En réalité, à l’intérieur de chacun des groupes sociaux (cadres, ouvriers, etc.), il existe des fractions importantes. Il n’y a qu’à voir le groupe des cadres, chez qui la polarité apparaît extrêmement forte : l’écologie des managers et l’écologie des professeurs ont des teintes idéologiques très différentes. Un exemple intéressant, c’est la réception de Greta Thunberg. On aurait pu supposer qu’elle serait plutôt consensuelle, mais ce n’est pas le cas. Chez les managers, c’est l’indifférence à son égard qui prévaut, voire l’hostilité, tandis que les enseignants la soutiennent.
« L’écologie des managers et l’écologie des professeurs ont des teintes idéologiques très différentes »
À moins que ce ne soit une question de genre ? Votre étude fait ressortir que c’est également un facteur déterminant…
Parmi les répondants, il y a effectivement une dimension genrée qui est très importante. Elle l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit de « relativiser » l’urgence : notre sous-groupe des « productivistes » est ainsi composé à 83 % d’hommes. À l’inverse, celui des « écologistes » est majoritairement féminin. En fait, on a l’impression que le genre joue un rôle très fort aux deux extrêmes : les femmes jouent un rôle décisif dans les minorités très mobilisées en faveur de l’écologie, et les hommes, un rôle décisif dans les minorités très mobilisées contre. Nous avions déjà observé cela dans les marches pour le climat qui sont composées à 64 % de femmes [1]. Ces subtilités des effets de genre sont une matière intéressante à creuser.
« Les femmes jouent un rôle décisif dans les minorités très mobilisées en faveur de l’écologie, et les hommes, un rôle décisif dans les minorités très mobilisées contre »
« Le mouvement climat est moins générationnel que social », aviez-vous précédemment expliqué. Cette enquête confirme-t-elle qu’il n’y a pas tant d’effet générationnel dans les mobilisations autour de l’écologie ?
Il y en a un au-delà de 65 ans : les personnes plus âgées ont du mal à prioriser l’écologie. En-dessous, on ne constate pas particulièrement de fracture générationnelle. Au contraire, il y a plutôt des mécanismes de transmission intergénérationnelle qui sont très structurants : un ancrage familial à gauche va offrir un terreau très propice vers les problématiques écolo. On entend souvent parler de la thèse d’une socialisation ascendante, avec des enfants qui sensibiliseraient leurs parents à l’écologie : certes, mais qui sont ces enfants ? Ce sont ceux qui ont reçu une éducation et une orientation politique marquées à gauche.
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En réalité, pour le dire autrement, il n’y a pas de génération spontanée en matière de conscience écologique – ou très peu. Là-dessus, la sociologie traditionnelle, très attentive aux positions de classe comme aux processus de socialisation politique, dessine tout de même des axes très structurants, pour comprendre comment se forment le regard et l’engagement de ces nouveaux manifestants.
Un autre enseignement intéressant, c’est la permanence d’une grille de lecture gauche-droite chez la plupart de vos répondants. La fameuse question « l’écologie est-elle de droite ou de gauche » n’aurait donc pas lieu d’être, selon eux ?
En tout cas, pour ceux qui s’intéressent à l’écologie, ce clivage gauche-droite a encore toute sa pertinence, voire même il se renforce ! Le fait de transformer l’écologie en un enjeu politique, qui a une valeur dans le vote ou dans l’action collective, y compris dans son quotidien et son espace domestique, cela ne se greffe pas sur n’importe quelle approche idéologique. Donc oui, hormis les « productivistes », la plupart des répondants s’autodéterminent de gauche, avec le même clivage ensuite, entre ceux qui se revendiquent d’une gauche radicale et ceux qui se considèrent dans une gauche plus réformiste. Penser l’écologie comme autonome de cet héritage culturel, c’est ne pas voir tous les effets d’une histoire politique qui est en train de s’emparer de cette question.
« Les marches pour le climat sont une lutte très politisée, qui revivifie les polarités politiques »
Les médias ont parfois tendance à présenter les marches pour le climat comme des mobilisations spontanées, un peu « attrape-tout », qui dépasseraient les clivages politiques. Quand on a commencé nos enquêtes sur le terrain, certains considéraient même qu’on pouvait y trouver des macronistes déçus… En réalité, c’est une lutte très politisée, qui revivifie les polarités politiques. C’est aussi ce qu’ont montré les élections américaines, à leur façon : l’écologie est un nouveau sujet de clivage très puissant.
Si elles restent donc très politisées, ces différentes visions de l’écologie ne portent donc pas le même rapport aux institutions, ni ne défendent les mêmes registres d’action ?
Les « écologistes » sont les plus critiques de la démocratie représentative, considérant que les institutions se sont dévoyées. Attention, cela ne veut pas dire qu’ils ne votent pas. Simplement, ils estiment nécessaires d’articuler ce geste à d’autres modalités d’engagement, plus proches de la désobéissance civile. Au fond, ils sont pris dans une sorte de tension : ils critiquent les institutions telles qu’elles existent, appelant à une refondation profonde de la démocratie ; en même temps, c’est le groupe qui est le plus attaché au fait que ce changement des règles passe par une décision politique, un choix collectif et souverain. C’est donc bien un processus démocratique qui doit organiser le nouveau squelette politique et économique de la société, avec l’intention que ces nouvelles règles pèsent de la même façon, juste et équitable, sur tous les groupes sociaux.
« Les personnes les plus "pessimistes" sur l’avenir sont celles qui ont le plus confiance dans les moyens de la société civile de faire corps, d’inventer, de construire une alternative – et qui s’y engagent ! »
Les environnementalistes, eux, expriment un plus grand respect à l’égard du corps politique et des institutions actuelles. Entre ces deux groupes, il n’y a pas juste un débat sur les modalités d’action, il y a aussi divergence sur les solutions – d’un côté, on va insister sur la sobriété et la transformation des modes de vie, de l’autre, on va croire au « solutionnisme technologique ». La nature du changement social auxquels consentent les environnementalistes semble bien moindre, malgré l’urgence qu’ils admettent. Cela peut sûrement expliquer leur réticence face à Greta Thunberg : elle bouscule certainement des hiérarchies qu’ils ne souhaitent pas remettre en cause, son positionnement apparaît peut-être trop radical par rapport à un programme d’action qu’ils voudraient plus aménagé avec le mode de fonctionnement de la société actuelle…
Cela dessine véritablement deux horizons, deux projets de société différents. Paradoxalement, les personnes les plus « pessimistes » sur l’avenir sont celles qui ont le plus confiance dans les moyens de la société civile de faire corps, d’inventer, de construire une alternative – et qui s’y engagent ! Inversement, ceux qui se disent « optimistes » sont à la base ceux qui veulent le plus s’en remettre à l’État ou à des formes d’autoritarisme. L’opposition binaire « pessimistes vs optimistes sur l’avenir », telle qu’aime la construire le discours médiatique, n’a pas lieu d’être : il y a des optimistes sur l’avenir qui se révèlent en fait très pessimistes sur la relation aux voisins, et plus en difficultés à imaginer les actions collectives.
Recueillis par Barnabé Binctin
Publié le 20/11/2020
Climat. L’État sommé de ne plus faire de promesses en l’air
Marie-Noëlle Bertrand Latifa Madani (site humanite.fr)
Le Conseil d’État a rendu jeudi une décision inédite, demandant au gouvernement de prouver que son inaction climatique présente est compatible avec les engagements qu’il a pris pour l’avenir.
L’État sommé de rendre des comptes sur ses promesses ? Inédite, certains disent même historique, la décision rendue jeudi 19 novembre par le Conseil d’État laissera une trace dans le long cheminement de la justice climatique.
Amenée, pour la première fois, à se prononcer sur une affaire portant sur le respect des engagements de la France en matière de réduction de gaz à effet de serre, la haute juridiction demande à l’État de prouver qu’il sera en mesure de respecter sa parole climatique. Afin de répondre aux objectifs fixés par l’accord de Paris de limiter le réchauffement à au moins 2 °C, la France s’est engagée à réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990. Relevant un affaiblissement de ses efforts en la matière, le Conseil d’État demande à l’État de justifier que son inertie présente est compatible avec le respect de l’objectif à venir. Si, dans trois mois, les arguments ne sont pas au rendez-vous, une adjonction pourra lui être faite afin de le contraindre à prendre de nouvelles mesures, plus efficaces que celles à l’œuvre actuellement.
Tout est parti de la commune de Grande-Synthe, en 2019
Le Conseil d’État ne menace le gouvernement d’aucunes astreintes financières, ni ne l’accuse clairement de ne pas respecter ses engagements (lire l’entretien page 10). Sa décision ne s’en apparente pas moins à un coup de sifflet, sonnant, en substance, la fin de la récré.
Tout est parti d’un recours déposé en 2019 par Damien Carême, à l’époque encore maire (EELV) de Grande-Synthe, dans le Pas-de-Calais. Confrontée aux effets du changement climatique, entre autres ceux relatifs à la montée des eaux, la commune côtière s’estimait particulièrement vulnérable face au réchauffement. Elle jugeait, en outre, avoir agi autant qu’elle le pouvait pour s’adapter et même contribué, à son niveau, à la réduction des gaz à effet de serre, entre autres en agissant sur ses infrastructures de mobilité, sur le maintien d’une agriculture raisonnée ou encore sur l’installation de réseaux d’énergies renouvelables. Ce n’est en revanche pas le cas de l’État, estimait-elle, jugeant que celui-ci n’avait quant à lui pas actionné tous les leviers qui sont les siens – les mêmes, en substance, mais à l’échelle nationale.
En 2018, la commune et son maire lui avaient demandé solennellement de prendre des mesures supplémentaires pour infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre. L’État les avait renvoyés dans les cordes. Damien Carême et sa ville avaient alors décidé de saisir le Conseil d’État. Ils lui demandaient, entre autres, d’annuler, « pour excès de pouvoir », le refus implicite de l’État de renforcer les actions de lutte contre le réchauffement, et de lui enjoindre de le mettre en œuvre sous six mois. Paris et Grenoble s’étaient joints à l’action, de même que les quatre grandes ONG (1) qui, dans la même période, venaient de lancer l’Affaire du siècle, vaste plainte portée à l’encontre de l’État, là encore au regard de son inaction climatique.
La décision de la haute juridiction reprend leurs arguments sur plusieurs points. D’abord, en jugeant la requête de Grande-Synthe recevable, « cette commune littorale de la mer du Nord étant particulièrement exposée aux effets du changement climatique ». En pointant, ensuite, que la France est loin, très loin de suivre une trajectoire convaincante.
Plutôt que d’accélérer sa transition, l’exécutif s’est donné du mou
Celle-ci s’élabore au fil d’une stratégie nationale, dite stratégie bas carbone (SNBC), rappelle le Conseil d’État. Elle fixe des objectifs intermédiaires de quatre ans en quatre ans. Pour chacune de ces périodes, un niveau de réduction des émissions est établi, de façon à atteindre, doucement mais sûrement, un total de – 40 % en 2030. La première période s’étalait entre 2015 et 2018. La France s’était fixé un plafond d’émissions impliquant de les réduire de 2,2 % par an : elle ne les a finalement réduites que de 1 % par an.
Face à ce constat d’échec, et plutôt que d’accélérer sa transition, le gouvernement s’est donné du mou : par un décret du 21 avril 2020, il a revu à la baisse l’objectif de réduction des émissions pour la période suivante, à savoir 2019-2023. « Une partie des efforts initialement prévus est ainsi reportée après 2023, souligne le Conseil d’État, ce qui imposera alors de réaliser une réduction des émissions en suivant un rythme qui n’a jamais été atteint jusqu’ici. »
Le rôle des ONG et des collectivités locales est essentiel
Dans ces conditions, la haute juridiction estime qu’elle « ne dispose pas des éléments nécessaires pour juger si le refus de prendre des mesures supplémentaires est compatible avec l’atteinte de l’objectif de 2030 ». Elle demande au gouvernement de lui fournir les justifications appropriées dans un délai de trois mois. Si à cette échéance elle juge celles-ci peu concluantes, elle pourra « alors faire droit à la requête de la commune de Grande-Synthe et annuler le refus (de l’État) de prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l’objectif de – 40 % à l’horizon 2030 ».
Cette décision « rebat les cartes de la politique climatique de la France », commentent, à chaud, les organisations de l’Affaire du siècle. Selon elles, « en affirmant le caractère contraignant des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre contenus dans la loi, la plus haute juridiction administrative met l’État face à ses responsabilités dans la crise climatique. C’est une véritable révolution en droit ».
Si le Conseil d’État va au bout de sa démarche, « cela transformera une loi programmatique en une obligation », explique Guillaume Hannotin, avocat des organisations. Le « droit mou » deviendra alors du « droit dur », illustre-t-il.
Cette décision confirme, par ailleurs, « le rôle essentiel que peuvent jouer des collectivités locales ou des ONG devant la justice », souligne, de son côté, Mathilde Dupré, de l’Institut Veblen pour les réformes économiques.
Le Conseil d’État se prononcera à nouveau en mars 2021, à la suite d’une nouvelle évaluation des engagements de l’État. Sa décision sera alors décisive. Le gouvernement, on le devine, va peaufiner ses arguments. La ville de Grande-Synthe et les organisations de l’Affaire du siècle aussi, lesquelles ont indiqué qu’elles feront appel à des experts pour déposer un nouveau mémoire.
(1) Oxfam, Fondation Nicolas-Hulot, Notre affaire à tous et Greenpeace.
Publié le 18/11/2020
Convention pour le climat. Fin de partie pour les 150 citoyens ?
(site huùanite.fr)
Le vote solennel du projet de loi de finances, qui intervient ce mardi, signe l’enterrement d’une grande partie des propositions de la convention citoyenne pour le climat.
C’est le coup de grâce. Les propositions de la convention citoyenne pour le climat (CCC) devaient être reprises « sans filtre », promettait Emmanuel Macron. Aucune des mesures fiscales et budgétaires élaborées par les 150 ne figure dans le projet de loi de finances (PLF) 2021 soumis au vote solennel cet après-midi. « Elles ont été soit balayées, soit dévitalisées, alors que c’était le premier moment législatif qui permettait de mesurer la volonté réelle du gouvernement », commente Clément Sénéchal, de Greenpeace. Le Réseau Action Climat dénonce, lui, « la démission écologique du gouvernement ». L’association les 150, qui regroupe les citoyens, regrette « cette série de petits pas dans le reniement ».
Les exemples de ce reniement ne manquent pas. Les amendements sur une baisse de la TVA à 5,5 % sur les billets de train ont été rejetés. L’écotaxe sur l’aérien, elle, a été repoussée, Matignon expliquant avoir voulu préserver des équilibres en raison de la crise économique liée à la pandémie.
Un énième joker pour épargner les SUV et les grosses berlines
La proposition de malus au poids du véhicule, la seule sur laquelle le gouvernement s’appuyait pour prouver, un tant soit peu, sa bonne foi, a été vidée de sa substance. La CCC proposait que le malus s’applique au minimum aux véhicules neufs dont le poids dépasse 1 400 kg. Les recettes alors générées auraient permis de financer les aides à l’accès aux véhicules propres pour les ménages les plus précaires. Mais, encore une fois, le gouvernement a sorti un énième joker après le veto de Bercy. Le seuil a été relevé à 1 800 kg. Les véhicules de ce poids représentent moins de 2 % des ventes de voitures neuves, essentiellement des SUV et des berlines de constructeurs étrangers. Alors que la part sur le marché des 1,4 tonne est de 26 % au moins.
Les voitures électriques, dont la masse est plus importante du fait du poids de la batterie, seront exemptées, ainsi que les hybrides rechargeables avec une autonomie supérieure à 50 kilomètres. De fait, la quasi-totalité de la production française échapperait à cette nouvelle taxation selon l’analyse du Réseau Action Climat.
Autres jokers concédés à la filière automobile : le renvoi à 2022 de l’entrée en vigueur de la taxe et la réduction du « malus CO2 », à savoir le seuil d’émission de CO2 pour être soumis au malus écologique. Pour 2021, ce taux passe à 131 g de CO2 par kilomètre – contre 138 g en 2020 –, ce qui ne concerne qu’un tiers des voitures neuves.
La filière automobile a pesé, plaidant le manque à gagner en raison de la crise sanitaire. Le président de Renault, Jean-Dominique Senard, déclarait au Monde, le 23 octobre, que le malus au poids du véhicule était une « taxe complètement inutile ».
Le temps des promesses d’Emmanuel Macron est bien loin
« Ces arrangements avec les lobbies n’auront aucun impact sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre », constate amèrement Clément Sénéchal. « Le signal politique envoyé est désastreux : rien ne sera fait pour entraver les profits climaticides des industriels », ajoute-t-il.
Pour l’association les 150, le temps des promesses d’Emmanuel Macron paraît bien loin. Ils assistent, impuissants, à l’enterrement pur et simple des travaux de la convention. L’examen du projet de loi issu de leurs propositions, prévu cet automne, est reporté une nouvelle fois « avant la fin de la session parlementaire estivale », selon Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement. L’idée d’un référendum pour intégrer dans l’article 1 de la Constitution la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique a disparu des agendas. Si bien que Cyril Dion, un des garants de la convention citoyenne pour le climat, vient de lancer, comme une bouée à la mer, une pétition pour « qu’Emmanuel Macron respecte sa parole ».
Publié le 12/11/2020
Urgence climatique : la Métropole de Montpellier lâche 150 000€ pour développer l’aéroport
La Mule (site lamuledupape.com)
Le 3 octobre dernier, à l’appel des organisations Alternatiba et ANV-COP21, des militant·es et citoyen·nes ont marché, partout en France, sur les aéroports pour dénoncer l’impact carbone démesuré de ce moyen de transport utilisé par une minorité de la population (les deux tiers des Français·es ne le prennent qu’une fois par an). A Montpellier, environ cent personnes avaient participé à l’opération et s’étaient rendues devant l’aéroport Montpellier-Méditerranée. Dix jours plus tard, le conseil de la Métropole votait une subvention de 150 000€ d’argent public pour participer au développement de ce dernier.
Un lobby bien implanté au sein des institutions
C’est l’organisation Greenpeace qui a levé le lièvre dans un article publié sur son site internet hier, qui révèle que ce financement découle de l’initiative de la “Commission tourisme aéroport” de la Métropole, groupe de travail dont la création a été impulsée par l’aéroport Montpellier-Méditerranée lui-même “afin de favoriser le développement de la plate-forme aéroportuaire“. C’est sous la forme d’une convention biannuelle avec le Comité Régional de Tourisme Occitanie que 400 000€ de subventions sont délivrées, dont 150 000€ provenant de la poche de la Métropole, dans le but de mettre en place des actions visant à développer l’aéroport.
Greenpeace dénonce des relations privilégiées entre les représentants de l’aérien et les acteurs politiques et institutions publiques, notant que le président de l’aéroport M. Brehmer a rencontré le nouveau maire Delafosse dès son élection à la mairie, et que les directeurs marketing des aéroports de Toulouse et Montpellier siègent à la Commission Régionale de l’Innovation Touristique, permettant une forme d’entrisme lobbyiste au coeur de l’institution vouée à obtenir le soutien public à l’activité aéroportuaire, “en faisant miroiter des retombées financières sur le territoire.”
“Ce travail de lobbying débouche sur des aides publiques indispensables au fonctionnement du secteur aérien. Il s’agit parfois de subventions directes, comme dans le cas de l’affaire n°26, mais la majorité des aides se retrouvent sous la forme de réduction ou d’exonération de charges, permettant aux compagnies aériennes et aux aéroports de fonctionner avec des dépenses largement inférieures à leur coût réel, la différence étant compensée par le contribuable. L’absence de taxation sur le kérosène, la réduction des taxes foncières sur les aéroports, les exonérations de charge accordées à des compagnies low-cost sont autant de manque à gagner pour les caisses de l’état. Le coût de ces aides pour l’Etat est estimé à plus de 500 millions d’euros par an.”
Le secteur de l’aviation civile met toutefois en exergue des problématiques globales quant au dérèglement climatique, entre pollution croissante et inégalités sociales. L’aviation représente en effet 7,3% de l’empreinte carbone des Français·es, quand le trafic aérien subit un doublement de son activité tous les quinze ans et qu’en France une quinzaine de projets de nouvelles infrastructures aéroportuaires sont en cours.
Un vol Montpellier – Paris émet en effet l’équivalent d’environ 85 kg de CO2 par passager ! Par contre le train qui met 3h30 de Montpellier Saint Roch à Paris- Gare de Lyon, émet en moyenne par passager autour de 1,9 kg de CO2, soit plus de 40 fois moins !
Logiquement très touché par la crise du coronavirus, le secteur fait l’objet de financements publics pour compenser les pertes, alors que l’heure aurait pu être à une remise en question de ce mode de transport et au développement des alternatives moins polluantes. Air France a par exemple reçu 7,5 milliards d’euros d’argent public par l’État, avant de procéder au licenciement de 7500 postes trois mois plus tard. Si les financements publics abondent sur le secteur aéroportuaire, ce n’est cependant pas un fait nouveau et ces subventions doivent respecter un certain nombre de réglementations et notamment européennes. Greenpeace rappelle que “la région Languedoc-Roussillon s’est malheureusement illustrée plusieurs fois ces dernières années, dans des affaires mettant en jeu plusieurs millions d’euros d’argent public” :
En 2014, la compagnie RyanAir est condamnée à rembourser 6,4M€ d’aides publiques perçues par l’intermédiaire de l’aéroport de Nîmes (Source : Midi Libre).
En 2019, RyanAir est à nouveau condamnée à rembourser 8,5M€ d’aides d’état illégalement perçues via « l’Association de Promotion des Flux Touristiques et Economiques », financée par des fonds publics, dans le cadre d’un contrat visant à promouvoir l’aéroport de Montpellier (Source : Commission Européenne).
En Mars 2020, la Commission Européenne a ouvert une enquête approfondie sur des accords entre RyanAir (pour changer) et l’aéroport de Béziers, portant sur l’attribution d’aides d’Etat illégales perçues depuis 2007 (Source : France 3 Occitanie).
Quand on n’a de vert que la couleur
Revenant sur ce conseil métropolitain qui a permis l’attribution de financement, Greenpeace s’alarme du “soutien aveugle de nos élus locaux à un secteur très polluant. […] Les discussions concernant l’affaire 26 ont été très rapides“. Si des élu·es ont rappelé au cours du débat que “l’aérien doit faire l’objet d’un débat complet“, ils ne sont que dix conseillers à s’être opposés à ce financement, approuvé par le maire Delafosse qui a conclu “tristement la discussion en expliquant que les enjeux économiques sont trop importants et que la métropole doit être aux côtés de l’aéroport.”
Ce vote est emblématique de l’impossibilité pour les politiques, malgré l’urgence climatique aujourd’hui très largement médiatisée grâce aux efforts des scientifiques, de changer de paradigme et de concevoir une société différente et adaptée aux enjeux planétaires auxquels nous faisons face dans cette décennie de la dernière chance. Ce sont des changements radicaux de logique dont nous avons besoin, en plaçant l’action écologique au-dessus de nécessités économiques fortement empreintes de l’idéologie néolibérale.
Le projet de développement de l’aéroport de Montpellier, qui souhaite passer sa capacité d’accueil de 2 à 3 millions d’usagers annuels d’ici cinq ans, s’inscrit en effet aux côtés de celui du développement de la Métropole, qui vise à attirer toujours plus de monde sur son territoire, provoquant la bétonisation galopante de celui-ci en dépit de taux de chômage et de pauvreté alarmants… Malgré l’urgence climatique et des problématiques écologiques toujours plus prégnantes entre multiplication des incendies, des inondations ou des phénomènes caniculaires, la majorité socialiste, qui affute pourtant son déguisement écolo à coup de greenwashing depuis quelques années, ne semble pas prête à revoir sa copie.
Publié le 02/11/2020
Pourquoi il faut protéger la biodiversité pour échapper à « l’ère des pandémies »
Pia de Quatrebarbes (site humanite.fr)
Dans un rapport, les experts de l’Ipbes, le Giec de la biodiversité, alertent sur « de pires crises à venir » et préconisent des « options pour réduire les risques ».
Ils prédisent le pire. « Dans les décennies à venir, les pandémies vont être plus nombreuses, se propageront plus rapidement, tueront plus de personnes et feront plus de dégâts à l’économie mondiale que le Covid-19… À moins de changer l’approche globale pour traiter les maladies infectieuses. » Dans un rapport publié le 29 octobre, les 22 experts réunis par la plateforme intergouvernementale, scientifique et politique, sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes), le Giec de la biodiversité, font le point sur les liens entre biodiversité et pandémies. Comment ces dernières émergent-elles ? Quels sont les moyens de les prévenir ?
Pourquoi les pandémies se produisent-elles ?
Réunis en janvier, les scientifiques ont élaboré ce rapport en urgence. Ils ont passé en revue près de 700 études sur les liens entre l’Homme et la nature, notamment sur les conséquences de la destruction de la nature par les activités humaines. « On a beaucoup d’informations sur les pandémies d’un point de vue social, médical. Et on en a aussi beaucoup sur la perte de la biodiversité, il était important de relier les deux pour répondre à la question : pourquoi les pandémies se produisent-elles ? » explique Peter Daszak, coauteur du rapport, chercheur et président de l’ONG EcoHealth Alliance.
Les activités humaines qui conduisent au réchauffement climatique et à la perte de biodiversité sont aussi à l’origine de risques sanitaires par leur impact sur l’environnement.
Peter Daszak, coauteur du rapport
« Il n’y a aucun mystère sur la cause de la pandémie de Covid-19… les mêmes activités humaines qui conduisent au réchauffement climatique et à la perte de biodiversité sont aussi à l’origine de risques sanitaires par leur impact sur l’environnement. Les changements dans l’usage des terres, l’expansion et l’intensification de l’agriculture, l’explosion du commerce, de la production et de la consommation perturbent la nature et augmentent les contacts entre la faune sauvage, le bétail, les pathogènes et les humains, c’est le chemin des pandémies », décrit le chercheur.
Des virus d’origine animale
Ainsi, selon le rapport, plus de 70 % des maladies émergentes (Ebola, Zika, le virus Nipah) et la quasi-totalité des pandémies connues (VIH, Covid-19) sont des zoonoses – c’est-à-dire qu’elles sont causées par des virus d’origine animale. Les principaux porteurs sont les mammifères – chauves-souris, rongeurs, primates, bétail – et les oiseaux.
Le Covid est « la 6 e grande pandémie depuis la grippe espagnole de 1918. Mais leur fréquence augmente », précisent les auteurs. En effet, il y aurait 1,7 million de virus non découverts chez les animaux et 540 000 à 850 000 d’entre eux pourraient potentiellement infecter les humains. « D’ici peu, nous pourrions avoir une pandémie tous les dix ans, alerte Peter Daszak . Les gérer comme nous le faisons avec le coronavirus n’est pas une solution durable. Sinon, tous les pays pourraient connaître une récession économique continue. »
Réduire l’empreinte humaine sur la nature
Comment alors les prévenir ? Il faut « des changements profonds », souligne le rapport. Et d’abord, lancer des études pour identifier les zones géographiques les plus à risques. Mais surtout, il plaide pour la réduction de l’empreinte humaine sur la nature : réduire la déforestation et la destruction des habitats, réduire le commerce d’espèces sauvages, réinventer le modèle agricole et économique en général pour réduire les activités connues pour leur impact environnemental négatif (production d’huile de palme, bois exotiques, infrastructures de transport, élevage pour la viande)…
Il faut démondialiser l’agriculture. Les milieux riches en biodiversité contribuent à réduire la transmission des maladies zoonotiques et sont plus résilients.
Serge Morand, chercheur spécialiste de la santé vétérinaire
Ces recommandations rejoignent celles de nombreux spécialistes. Dans un entretien pour l’Humanité Dimanche, au mois de mai dernier, le chercheur spécialiste de la santé vétérinaire Serge Morand pointait lui aussi « cette épidémie d’épidémie », une explosion du nombre de maladies infectieuses. Il établissait un lien entre cette augmentation, la perte accélérée de la biodiversité et l’explosion du nombre d’animaux d’élevage. « Les animaux d’élevage servent aussi de “ponts épidémiologiques”, de passerelles, entre des animaux sauvages et l’Homme.
Il concluait qu’ « il faut démondialiser l’agriculture. Les milieux riches en biodiversité, avec des mosaïques d’habitats, des agricultures diversifiées, des forêts, contribuent à réduire la transmission des maladies zoonotiques et sont plus résilients. Les pathogènes y sont certes nombreux, mais circulent “à bas bruit”, localement, répartis sur beaucoup d’espèces, ne se propagent pas facilement d’un endroit à l’autre et d’une espèce à l’autre, et ne se transforment donc pas en grosses épidémies. Alors que si on change le milieu, si on réduit le nombre d’espèces, l’effet d’amplification joue au contraire à plein. Cela vaut aussi pour nos pays tempérés ».
Publié le 17/08/2020
Réintroduction des insecticides pour les betteraves: premier échec de Barbara Pompili
Par Amélie Poinssot et Manuel Jardinaud (site mediapart.fr)
À peine installé, le nouveau gouvernement piétine dans les actes ses promesses écologiques. En soutenant la dérogation accordée aux betteraviers pour qu’ils puissent utiliser à nouveau des néonicotinoïdes, la ministre de la transition écologique renie ses engagements passés.
«Quoi qu’il arrive, en 2020, c’est en fini pour tous les néonicotinoïdes. » C’est Barbara Pompili qui parle, et nous sommes en 2016. Elle est alors secrétaire d’État à la biodiversité et elle se bat pour l’interdiction de ces insecticides qui s’attaquent au système nerveux des insectes, responsables de la disparition de nombreuses espèces, abeilles en particulier.
Devant l’Assemblée nationale qui votera, le 8 août 2016, la loi « pour la reconquête de la biodiversité, la nature et les paysages » et avec elle, l’interdiction de ces produits dévastateurs pour l’environnement, elle assure : « Si on commence à dire “on interdit là où il y a des alternatives mais on fait des dérogations et on les laisse courir dans le temps”, on sait très bien que c’est la porte ouverte au fait qu’il y ait certains néonicotinoïdes qui ne soient jamais interdits. »
Quatre ans plus tard, volte-face. Devenue ministre de la transition écologique dans le gouvernement Castex, Barbara Pompili assure son plein soutien au ministère de l’agriculture, qui a décidé, jeudi 6 août, d’accorder une dérogation aux producteurs de betteraves sucrières pour qu’ils puissent continuer à utiliser les néonicotinoïdes l’an prochain et jusqu’en 2023 afin de lutter contre les pucerons verts vecteurs de l’épidémie de jaunisse, particulièrement virulente cette année. L’interdiction était pourtant entrée en vigueur en septembre 2018.
Dans une série de tweets diffusée lundi, la ministre qui fut membre d’EELV jusqu’en 2015 (avant de rejoindre les rangs de LREM en 2017) assure que cette dérogation est « la seule solution possible à court terme pour éviter l’effondrement de la filière sucrière en France » et que « les alternatives aux néonicotinoïdes pour la betterave se sont avérées inefficaces pour l’instant ».
Cette décision, qui doit faire l’objet d’un projet de loi à la rentrée, vient conclure un lobbying éclair et structuré de la filière de la betterave qui s’est largement appuyée sur les relais politiques pour faire rapidement plier le gouvernement. Le 8 juillet, le président de la CGB (Confédération générale des planteurs de betteraves) indiquait ainsi que la situation était « hors de contrôle » et pointait l'interdiction des néonicotinoïdes…
De ce jeu, la majorité, censée faire la politique autrement il y a trois ans, manie désormais tous les codes. Trois semaines plus tard, 80 députés (LREM, MoDem, Agir) et des Républicains publient une tribune dans L’Opinion intitulée « Avoir les moyens d’agir en cas de crise sanitaire menaçant nos productions agricoles ». Contrairement à ce que le titre peut laisser penser, c'est bien la filière de la betterave dont il est question. Parmi les rédacteurs, l’on trouve Stéphane Travert, ancien ministre de l’agriculture, Jean-Baptiste Moreau, porte-parole de LREM et agriculteur, ainsi que Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. Un trio représentatif des intérêts croisés du lobby agricole.
Les arguments énoncés ne varient pas : « La filière betteravière française se trouve face à une impasse technique empêchant les agriculteurs-planteurs de pouvoir préserver et protéger leurs cultures », écrivent les élus, reprenant le discours qu’aucune alternative n’existe.
« Nous avons été alertés par la filière à la mi-juillet », indique Roland Lescure qui affirme auprès de Mediapart que la solution retenue par le gouvernement, « l’enrobage des semences, ne présente aucun risque pour les abeilles ». C’est ce que disent les représentants de la filière, dit-il, « des gens raisonnables ».
Ce n’est pourtant pas ce que disent les études scientifiques sur le sujet, qui montrent que le produit, sous la forme d’une semence enrobée qui infuse l’ensemble de la plante tout au long de sa croissance, reste dans les écosystèmes et peut se retrouver dans les cultures l’année suivante. Dans une étude publiée l’an dernier, des chercheurs du CNRS et de l’Inra ont ainsi trouvé des traces de néonicotinoïdes cinq ans après leur diffusion.
Politiquement, Roland Lescure tient à déminer la controverse. Le député défend la position du ministre de l’agriculture Julien Denormandie et, surtout, de Barbara Pompili, ne voyant « aucune dissonance cognitive, ni contradiction ». « Sur un truc comme ça, qui franchement ne va pas faire de mal aux abeilles, on dit tout de suite que la ministre mange son chapeau », dénonce-t-il, y pointant un mauvais procès.
De fait, il faut sauver la face quand on se présente comme les champions de l’écologie et que le gouvernement souhaite peindre en vert les deux dernières années du mandat d’Emmanuel Macron. Peu de temps après sa nomination, le premier ministre Jean Castex s’était fendu d’une tribune dans Ouest-France intitulée « Tous écologistes ! » pour montrer à quel point l’engagement était sérieux.
« Face aux périls que sont le réchauffement climatique, la pollution de l’air et des mers, la disparition de certaines espèces, notre pays agit déjà et se trouve à la pointe du combat mondial pour préserver la planète. Cependant, les scientifiques comme la jeunesse, nous poussent à aller plus loin et plus vite. Et ils ont raison », clamait-il le 27 juillet. C’était une dizaine de jours avant l’annonce d’autoriser à nouveau le recours aux néonicotinoïdes.
Proche de Nicolas Sarkozy, Jean Castex a pu compter sur le soutien des élus des droites qui, eux aussi, ont manifesté par tribune interposée le souhait de réintroduire rapidement l’insecticide tueur d’abeilles. Une centaine d’entre eux (Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Bruno Retailleau, Hervé Morin…) avaient adressé le 29 juillet une lettre ouverte au président de la République. Dans « Halte au sabordage de la filière betteravière », ils dénonçaient « une réglementation trop rigide », demandant du « pragmatisme » si cher à LREM.
Dès début août, l’offensive était donc en place pour pousser le gouvernement à bouger sur le sujet et Barbara Pompili à se dédire une première fois sur un sujet dont elle avait pourtant fait un combat dans le passé.
Du côté de l’opposition, c’est au mieux la stupéfaction qui domine devant la radicalité de la mesure. « L’argument qu’il faut du temps pour trouver des alternatives, je l’entends à longueur de journée au sein de la mission parlementaire pour le suivi de l’interdiction du glyphosate, soupire Loïc Prud’homme, député de La France insoumise. C’est une raison pour ne rien faire. Or les alternatives existent, elles sont notamment défendues par la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) : il faut sortir de la monoculture industrielle. »
Diversifier les parcelles, faire tourner les cultures, décaler les semis dans le temps… : « Il existe un panier de solutions pour rompre le cycle des ravageurs, explique l’élu girondin. Certes, ce n’est pas une solution simpliste, il ne s’agit pas de remplacer un produit par un autre, mais ce sont des perspectives qui, outre leur intérêt écologique, permettraient de créer des emplois. »
Pour cela, un accompagnement des agriculteurs – souvent coincés entre le contrat passé avec la coopérative, le poids des semenciers, et leurs investissements qu’ils doivent amortir – est nécessaire. Or depuis le vote de l’interdiction des néonicotinoïdes en 2016, rien n’a été fait pour préparer cette transition à la culture sans insecticides.
Tout au contraire. « Depuis le vote de la loi, le lobby des betteraviers manœuvre pour obtenir des dérogations et n’a aucunement cherché à mettre en place des alternatives », dénonce Joël Labbé, sénateur divers gauche (ex-EELV) à l’origine de deux lois d’interdiction des pesticides – celle concernant les espaces publics en 2017 et celle concernant les jardins privés en 2019.
« On est confronté à un choix de modèle, où l’agriculture dominante est dans le déni de la nécessité d’une transition agro-écologique, analyse cet élu du Morbihan. Les pratiques alternatives et biologiques, pourtant, font leurs preuves et sont même préférables que l’agriculture conventionnelle en termes de revenus. »
La loi de 2016, souligne Joël Labbé, était en ce sens « une réelle victoire » : « La France était la première en Europe à interdire les néonicotinoïdes, l’Union européenne avait ensuite suivi le mouvement. » Mais c’était la dernière avancée en faveur de la transition agro-écologique. Le sénateur n’a pas souvenir, depuis, d’un arbitrage remporté par le ministère de l’environnement. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, « les arbitrages sont systématiquement remportés par le ministère de l’agriculture ; c’était d’ailleurs la principale raison du départ de Nicolas Hulot [qui a quitté le ministère de la transition écologique et solidaire en septembre 2018 – ndlr]. » (lire nos articles ici et là)
Barbara Pompili ne pourra de toute façon pas avancer sur les sujets agricoles, « domaine gouverné par le court terme et les réponses au lobby du secteur », estime Joël Labbé, mais elle pourra avancer sur d’autres sujets, comme la rénovation énergétique et les transports, « pour lesquels elle a obtenu des moyens ».
Frédérique Tuffnell, ancienne députée LREM qui siège aujourd’hui au sein du groupe EDS (Écologie Démocratie Solidarité), espère aussi que la ministre pourra remporter d’autres arbitrages. « Barbara Pompili n’a pas renié ses convictions, croit-elle. Elle a fait un choix de raison, face au poids de la FNSEA et des betteraviers. Elle a pensé qu’il valait mieux apaiser les choses. C’est un compromis. »
Mais la députée, qui se dit « abattue » par cette décision, regrette qu’« une fois de plus, le poids de l’économie l’emporte sur l’écologie ». Pour l’heure, « rien n’est réuni au sein de ce gouvernement pour montrer une feuille de route claire vers la transition écologique », accuse-t-elle. C’est pour cela que cette élue de Charentes-Maritime a quitté la majorité en mai dernier : « C’est une politique de petits pas. On se gorge de réunions mais on n’arrive pas à changer quoi que ce soit. Les décisions sont contraires à l’ambition affichée. Alors, pourquoi l’afficher ? »
Aujourd’hui, Frédérique Tuffnell place son espoir dans la conscience croissante de la société française, et des jeunes générations en particulier. « La médiatisation autour des néonicotinoïdes nous fait marquer des points », pense-t-elle ; c’est ce qui fait qu’elle n’est pas découragée. « Le dossier des néonicotinoïdes ne sera pas le dernier rapport de force, il ne faut pas baisser les bras. »
Quoi qu’il en soit, il sera difficile pour Barbara Pompili d’enclencher une politique novatrice après avoir cédé dès le début l’exercice de son portefeuille devant les intérêts de l’agro-industrie. « Aucun de ses arguments n’est recevable, dénonce Loïc Prud’homme. Il y a 2-3 choses qui sont des porteurs symboliques de la démarche écologique, les pesticides en font partie. Avec cette décision, elle perd donc tout son crédit. »
Depuis le début de la polémique, Barbara Pompili en est donc réduite à faire le service après-vente du ministre de l’agriculture, multipliant les déclarations pour justifier la dérogation. Le 12 août, lors d’un déplacement à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), l’ex-députée du département betteravier de la Somme a déploré le manque de recherche et d’alternative, signifiant ainsi l’absence totale de volonté politique de la majorité et du gouvernement sur ce dossier depuis trois ans. Alors que c’était son rôle d’en assurer la mise en application.
Comme pour l’interdiction du glyphosate, sur laquelle le ministre de l’agriculture de l’époque Stéphane Travert avait gagné l’arbitrage sur son homologue de l’écologie Nicolas Hulot, la nouvelle ministre se retrouve dans une impasse de pouvoir. Symbole criant d’une macronie qui enrobe l’écologie de mots en piétinant les actes.
Publié le 08/08/2020
La double explosion qui a détruit une partie du port de Beyrouth et causé la mort de plus de 100 personnes ce mardi frappe un pays déjà exsangue face à l’incurie de la classe politique et aux scandales sanitaires et environnementaux. Comme pour l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, en 2001, et plusieurs des nombreux accidents chimiques qui endeuillent la Chine depuis des années, c’est un stock de nitrate d’ammonium qui est à l’origine du drame. Au-delà des catastrophes, Claude Aubert montrait en décembre 2018 les ravages de ces engrais azotés, pilliers de la « révolution verte » agricole des années 1960 mais dont les excès entraînent de « graves effets sur la santé et l’environnement ».
Imaginer une nouvelle « révolution verte »
Les engrais azotés, providence devenue poison
(site monde-diplomatique.fr)
Éléments-phares de la « révolution verte », pesticides et engrais de synthèse ont permis de relever le défi alimentaire posé par l’explosion démographique au XXe siècle. Mais le recours généralisé à ces produits provoque des dégâts majeurs sur la santé des agriculteurs comme sur l’équilibre de l’environnement. Apprendre à limiter leur usage représente l’un des impératifs de l’agriculture au XXIe siècle.
par Claude Aubert
En 1909, le chimiste allemand Fritz Haber parvient à combiner l’azote de l’air avec de l’hydrogène en effectuant la synthèse de l’ammoniac (NH3). Une réaction chimique parmi d’autres ? Pas tout à fait. Celle-ci révolutionna l’agriculture en permettant de doubler, voire de tripler, les rendements. Pour de nombreux spécialistes, l’invention des engrais azotés a permis de nourrir la population de la planète, passée au XXe siècle de un milliard et demi à plus de six milliards d’habitants. Cette découverte à première vue géniale valut à son auteur le prix Nobel de chimie en 1918 — une attribution controversée, car Haber avait aussi participé à la conception des gaz de combat employés dans les tranchées. Les travaux de ce chercheur issu d’une famille juive permirent également la mise au point du Zyklon B, funeste pesticide employé vingt ans plus tard par les nazis dans les camps d’extermination.
L’alimentation des plantes relève d’un paradoxe. Alors que l’air se compose essentiellement d’azote (78 %, contre 21 % d’oxygène), elles sont incapables d’y puiser cet élément indispensable à leur croissance. C’est principalement dans le sol qu’elles le trouvent, sous la forme de nitrate (NO3) ou d’ammoniac (NH3). Elles peuvent alors l’assimiler grâce à sa minéralisation par les bactéries, dans l’humus et dans les autres matières organiques : résidus de récolte, fumier, compost, etc. Depuis l’invention de Haber, quelques sacs d’engrais permettent d’apporter tout l’azote nécessaire aux plantes et d’améliorer le rendement. Plus besoin de charrier des tonnes de fumier ou de compost ; plus besoin de cultiver des légumineuses riches en azote...
Depuis un siècle, la production peu onéreuse d’azote réactif utilisable par les plantes a complètement bouleversé l’agriculture. Elle formait dans les années 1960 l’un des quatre piliers de la « révolution verte » : sélection de variétés à haut rendement, pesticides, irrigation et engrais chimiques. Cette révolution fut saluée unanimement comme une grande réussite. Mais, dans les pays industrialisés d’abord, puis dans ceux en développement, l’utilisation croissante des engrais azotés de synthèse a eu des effets que personne, ou presque, n’avait prévus.
Série d’effets délétères
Très vite, les agriculteurs ont compris que l’apport d’azote sur les cultures par les déjections animales (fumier, lisier) et par les légumineuses n’était plus nécessaire. Dès lors, pourquoi se compliquer la vie à élever des vaches ou des moutons et à les faire paître ? Nombre d’entre eux s’en sont donc débarrassés pour se concentrer sur les productions végétales, en particulier les céréales. Mais, comme il fallait aussi produire du lait et de la viande, dont la demande augmentait rapidement, d’autres exploitations se consacrèrent à l’élevage, les plus productives fonctionnant en stabulation, sans sortie de l’étable, et remplaçant le fourrage par des céréales ou des oléagineux.
En quelques décennies, le paysage agricole européen fut radicalement transformé. En France, dans le Centre ou l’Est, des régions céréalières sans bétail recourent à une agriculture très mécanisée, utilisant massivement les engrais azotés chimiques. En Normandie, en Bretagne, au Danemark ou en Bavière, les élevages s’industrialisent de plus en plus, avec d’énormes concentrations d’animaux. Les fermes de plus de mille vaches deviennent monnaie courante dans plusieurs pays européens, comme les porcheries produisant des dizaines de milliers de porcs par an ou les élevages de centaines de milliers de poules. Cette évolution résulte directement de l’invention de Haber, considérée à juste titre comme la plus importante de l’histoire de l’agriculture — certains disent même de l’histoire tout court.
Ce bouleversement, logique dans une vision économique à court terme, produit une série d’effets délétères, tant en matière de santé que d’environnement. En réalité, de nombreux problèmes écologiques et sanitaires que pose l’agriculture moderne émanent de la synthèse des engrais azotés, ou plutôt du mauvais usage qui en est fait.
Premier problème : la teneur des sols en matière organique baisse dans les régions de grandes cultures, faute d’apport de fertilisants organiques et de rotations incluant des cultures qui enrichissent naturellement le sol en azote et en matière organique, comme la luzerne. Des rendements élevés demeurent possibles, mais, dans certaines régions, ils tendent à plafonner, voire à baisser, en dépit du renfort d’azote de synthèse. Par ailleurs, la capacité de rétention en eau des sols et la vitesse d’infiltration de l’eau diminuent, ce qui augmente le risque d’érosion par ruissellement et d’inondations.
De surcroît, les ravageurs et les maladies se multiplient et requièrent de plus en plus de traitements pesticides. Les engrais azotés n’en sont évidemment pas la seule cause, mais ils y contribuent par la disparition des rotations longues, qui interrompent le cycle de reproduction des agents pathogènes et des insectes, et par l’augmentation de la teneur des feuilles en azote, qui favorise la multiplication de certains ravageurs, par exemple les pucerons.
Enfin, la quasi-monoculture des céréales affaiblit la biodiversité, tout comme la perturbation de l’activité biologique de la terre et les dépôts d’azote atmosphérique, qui proviennent de l’ammoniac émis par les sols et par les élevages. Et les sols deviennent de plus en plus acides.
Les excès d’azote ont de graves effets sur la santé et l’environnement, comme l’ont montré deux cents chercheurs européens dans une importante publication hélas passée presque inaperçue (1). Principaux accusés : les nitrates et l’ammoniac. Les premiers sont normalement présents dans les sols, où ils sont absorbés par les racines des plantes, auxquelles ils fournissent l’essentiel de leur azote. Mais il reste toujours, en particulier lorsque les apports d’engrais azotés sont élevés, un surplus d’azote qui est entraîné par les pluies. Il se retrouve dans les nappes phréatiques et les cours d’eau, et finalement dans l’eau du robinet. Avec deux effets principaux : un risque possible d’augmentation de certains cancers et l’eutrophisation (appauvrissement en oxygène) des cours d’eau, qui conduit à la disparition des poissons et au dépôt de dizaines de milliers de tonnes d’algues vertes sur les côtes chaque année. On trouve également des nitrates dans les aliments, avec des teneurs parfois très élevées dans certains légumes. Leur impact sur la santé fait encore l’objet de controverses, faute de données scientifiques suffisantes et convergentes.
À l’origine des particules fines
L’ammoniac est un polluant beaucoup moins connu et plus préoccupant en matière de santé et d’environnement. La quasi-totalité des émissions (679 000 tonnes en 2016 en France) provient des cultures (64 %) et de l’élevage (34,4 %) (2). Ce composé chimique reste peu de temps dans l’atmosphère : une partie se dépose sur le sol et sur la végétation ; une autre donne naissance à divers composés azotés indésirables (protoxyde d’azote, oxydes d’azote, etc.). Les oxydes d’azote se combinent avec d’autres polluants présents dans l’air pour former des particules fines (3) secondaires. Ce dernier phénomène est l’un des plus inquiétants. Les particules fines pénètrent au plus profond des alvéoles pulmonaires, provoquant cancers, maladies cardio-vasculaires et respiratoires. L’Organisation mondiale de la santé estime que l’exposition à ces particules a causé environ 4,2 millions de morts prématurées dans le monde en 2016 (4).
Selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), l’agriculture et la sylviculture étaient responsables de 55 % des émissions totales de particules en suspension en 2016, et ces émissions ne baissent guère, contrairement à celles de l’industrie ou du transport (5). Si les cultures représentent la part principale d’émission primaire de l’ensemble des particules en général, l’élevage contribue surtout à la formation des particules fines. Lors des pics de pollution, en particulier au printemps, une part importante des particules fines peut être d’origine agricole, principalement à cause des émissions d’ammoniac venant des sols à la suite des apports d’engrais, et essentiellement par les déjections (fumier, purin, lisier) des animaux d’élevage.
Les scientifiques ayant contribué à l’évaluation européenne de l’azote estiment le coût environnemental des excédents d’azote pour le continent entre 70 milliards et 320 milliards d’euros par an, en raison de leur impact sur les écosystèmes, la qualité de l’air et de l’eau et, en définitive, sur la santé humaine (6). Ce coût leur semble supérieur au bénéfice économique tiré de l’utilisation des engrais azotés de synthèse. Les chercheurs considèrent les surplus d’azote comme l’un des problèmes écologiques majeurs du XXIe siècle, au même titre que le réchauffement climatique et la perte de biodiversité.
La première solution serait évidemment de réduire, voire de supprimer, les apports d’azote chimique. On pourrait le faire en modifiant les systèmes de production, notamment en introduisant davantage de légumineuses (haricots, pois, luzerne, etc.) dans les rotations, ce qui nous affranchirait de la dépendance à l’égard du soja, importé en masse. L’agriculture biologique permet de s’en passer complètement, ce qui est un argument de poids — sans doute aussi important que la non-utilisation des pesticides de synthèse (7) — en faveur de ce mode de production.
Certes, si l’on interdisait brutalement à tous les agriculteurs l’utilisation de l’azote chimique, ce serait une catastrophe, car la conversion à la bio ne peut être que progressive et exige pour de nombreuses exploitations une remise en question totale de leur système de production. La plupart des spécialistes notaient jusqu’à présent que la généralisation d’une agriculture sans azote de synthèse conduirait à une chute importante des rendements. Mais une récente méta-analyse a conclu que, au niveau mondial, le différentiel moyen de rendement entre la bio et le conventionnel n’était que de 19 % (8). Il tombe même à 8 ou 9 % lorsque les techniques bio incluent des rotations de cultures variées. Une autre méta-analyse montre que les cultures associées ou intercalaires — plusieurs espèces cultivées dans le même champ et en même temps — permettent en moyenne une augmentation de la production de 30 % (9). Nourrir tous les habitants de la planète sans azote de synthèse paraît donc possible, mais suppose un changement radical de modèle agricole.
L’autre partie de la solution, la moins difficile à mettre en œuvre à court terme, est de réduire la taille des élevages industriels et la consommation de viande. L’élevage représente les trois quarts de la production d’ammoniac. Les animaux en stabulation expédient dans l’atmosphère quatre fois plus d’ammoniac que ceux élevés au pâturage, à condition que ce dernier ne soit pas trop intensif. Des mesures techniques permettent certes de diminuer les émissions d’ammoniac (couverture des fosses à lisier, enfouissement du lisier, utilisation d’ammonitrate plutôt que d’urée, etc.), mais elles sont souvent coûteuses et, pour certaines, d’une efficacité relative. Si l’on réduisait fortement, voire supprimait, les apports d’azote de synthèse, il faudrait revenir à l’association de la culture et de l’élevage, ce qui réduirait la part des élevages hors sol. Par ailleurs, les engrais chimiques permettent aujourd’hui de produire à un prix relativement bas des aliments pour le bétail, et de satisfaire ainsi la demande mondiale croissante de viande et de produits laitiers. En Europe, cette demande s’oriente à la baisse ; il s’agirait d’accompagner cette évolution en mangeant moins de viande, et de meilleure qualité.
Une nouvelle « révolution verte », corrigeant les conséquences néfastes de la première, est à portée de main : il faudrait pour cela apporter progressivement moins d’engrais azotés dans les cultures et opter pour d’autres méthodes d’élevage — à l’herbe, moins concentrées et moins intensives. Mais, pour y parvenir, deux choses semblent encore manquer cruellement : l’information du consommateur et la volonté politique.
Claude Aubert
Ingénieur agronome, spécialiste de l’agriculture et de l’alimentation biologiques, cofondateur de Terre vivante.
(1) Mark A. Sutton et al. (sous la dir. de), The European Nitrogen Assessment : Sources, Effects and Policy Perspectives, Cambridge University Press, 2011.
(2) Rapport d’émission Secten (Secteurs économiques et énergie), Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique, Paris, 2017 (mise à jour du 10 juillet 2018).
(3) Nom donné aux particules en suspension dans l’air de diamètre inférieur à 2,5 micromètres (ou PM2,5).
(4) « Qualité de l’air ambiant et santé », Organisation mondiale de la santé, Genève, 2 mai 2018.
(5) Rapport d’émission Secten, op. cit.
(6) « Nitrogen in Europe : Current problems and future solutions », Initiative internationale sur l’azote, Fondation européenne de la science, Strasbourg, 2011.
(7) Lire Claire Lecoeuvre, « Pourquoi manger bio ? », Le Monde diplomatique, mars 2018.
(8) Lauren C. Ponisio et al., « Diversification practices reduce organic to conventional yield gap », Proceedings of the Royal Society B, vol. 282, no 1799, Londres, 22 janvier 2015.
(9) Marc-Olivier Martin-Guay et al., « The new Green Revolution : Sustainable intensification of agriculture by intercropping », Science of the Total Environment, vol. 615, Amsterdam, 15 février 2018.
Lire aussi le courrier des lecteurs dans notre édition de janvier 2019.
Publié le 25/07/2020
Agriculture
Les chartes prévues pour encadrer l’usage des pesticides qualifiées de « tartufferie »
par Nolwenn Weiler, Sophie Chapelle (site bastamag.net)
Les distances de sécurité lors des épandages de pesticides ont été revues à la baisse à proximité des habitations et des écoles. Des maires, des associations, et même des paysans contestent ces mesures prises pendant le confinement.
« Une grande tartufferie ». C’est ainsi que Valérie Murat, de l’association Alerte aux toxiques, définit « la charte du bien vivre ensemble en Gironde ». Approuvée par le préfet le 29 juin, cette charte permet de diviser par deux les zones non traitées aux pesticides (dites ZNT). Ces bandes de plusieurs mètres de large sont censées séparer une culture aspergée de pesticides des lieux habités. On passe ainsi de cinq à trois mètres pour les cultures basses comme les céréales et les légumes, de dix à cinq mètres pour les cultures hautes comme la vigne ou les arbres fruitiers, et de vingt à dix mètres pour les produits les plus dangereux [1]. « La chambre d’agriculture prétend avoir collaboré avec les associations représentant les riverains alors que nous avons été totalement ignorés. »
Aucune réponse concernant la protection des enfants de 128 écoles menacées par les épandages
« Nous n’avons pas du tout été associés à la rédaction de cette charte, ajoute Marie-Lys Bibeyran, porte parole du collectif Info Médoc Pesticides. Nous n’avons participé qu’à une seule réunion lors de laquelle nous n’avons pu que constater que tout était écrit. Il n’était pas question d’introduire un quelconque amendement. Nous étions simplement invités à valider les propositions listées. Raison pour laquelle nous avons refusé de signer quoi que ce soit. » « J’ai posé la question de nos 128 écoles entourées de vignes, poursuit Valérie Murat, en demandant ce qui était envisagé pour protéger les enfants. Je n’ai obtenu aucune réponse. »
Définies par un arrêté du 27 décembre 2019 [2], et adoptées un peu partout en France ces dernières semaines, les « chartes d’engagement » sèment les graines de la colère aux quatre coins du pays. « Nous avons appris avec stupéfaction que les chambres d’agriculture de Bretagne nous mentionnaient comme partie prenante, en faisant référence à une réunion de juillet 2017 qui n’abordait pas du tout cette question », tempête Michel Besnard, du collectif des victimes de pesticides de l’Ouest. L’association est d’autant plus remontée qu’elle a dénoncé fin mai la consultation « bidon » qui s’est tenue entre le 30 mars et le 30 avril dernier, en plein confinement, et sans que l’avis des associations ne soit pris en compte. « Ces chartes n’apportent aucune plus-value sanitaire et environnementale, et visent au contraire à niveler par le bas les exigences de santé publique et de protection de l’environnement », mentionne le collectif dans un courrier adressé ce mercredi 22 juillet aux préfets et présidents des chambres d’agriculture de Bretagne.
Des consultations « bidon » en plein confinement
« Beaucoup de consultations concernant ces chartes ont eu lieu pendant le confinement », atteste Nadine Lauvergeat de l’association Générations futures qui recense une quarantaine de chartes publiées sur les sites des préfectures au 22 juillet. « Dès le départ, ajoute t-elle, nous sentions qu’il allait être très difficile d’obtenir des textes protecteurs pour les riverains. » Selon la Loi agriculture et alimentation adoptée en 2018, il revient aux organisations représentant les utilisateurs des pesticides de rédiger les chartes. Celles-ci ont donc été élaborées par les chambres d’agriculture avant d’être soumises à consultation publique.
« Les signataires appartiennent à un cercle très restreint : l’interprofession, les syndicats agricoles et les représentants des mairies. Les riverains ne sont pas du tout associés, observe Nadine Lauvergeat. Sur le fond, les chartes sont la plupart du temps des copier-coller du "contrat de solutions" de la FNSEA. » [3]. Certaines chartes comme celle de l’Orne prévoient même que les distances de sécurité ne valent plus dès lors que la maison est inoccupée pendant 3 jours [4]. Les riverains n’ont pas intérêt à partir en vacances !
« Réduire les distances de traitement, c’était notre but »
La colère gronde aussi au sein du monde agricole. Dans la Drôme, l’un des premiers départements à avoir publié sa charte, certains syndicats agricoles comme la Confédération paysanne n’ont pas été sollicités pour la rédaction. « Lors de la session en chambre d’agriculture où nous sommes élus, nous avons demandé à ce que soient ajoutés deux points : l’interdiction de traitement les jours de vent et l’interdiction de mélange de produits », témoigne Vincent Delmas, porte-parole du syndicat. « Les deux demandes ont été refusées. Ça n’a même pas été soumis au vote. » Dans un entretien accordé à la revue L’Agriculture drômoise, Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture, le reconnaît volontiers : « Réduire les distances de traitement lorsque sont utilisés des matériels adaptés, c’était notre but » [5].
« Ce n’est pas l’utilisation de buses anti-dérives – seule condition mentionnée dans les chartes – qui vont changer quoi que ce soit au problème de fond de la qualité de notre air, de notre eau, de nos sols et de notre alimentation », reprend Michel Besnard. Pour Vincent Delmas, paysan, « c’est à l’État de prendre ses responsabilités sur la question des produits phytosanitaires ». Outre l’interdiction immédiate des produits les plus toxiques, la Confédération paysanne de la Drôme réclame aussi des mesures d’accompagnement économique et commerciale pour sortir les paysans des pesticides. « Avec ces chartes, l’État se défausse sur les paysans et leurs voisins. »
Des maires s’opposent et appellent à une meilleure concertation
Certains maires et conseils municipaux ont également fait entendre des voix discordantes. C’est le cas de Louvigny, une commune de 2800 habitants dans le Calvados, qui a adopté une délibération contre la charte. « La consultation pendant le confinement n’était pas un moment opportun », explique le maire, Patrick Ledoux, qui pointe également l’inquiétude des concitoyens sur le danger des phytosanitaires et des distances trop « symboliques ». Adoptée le 22 juin à la veille de la fin de la consultation, cette délibération a été envoyée à la préfecture mais aussi aux différents maires de la communauté de communes. « Deux communes ont délibéré dans la foulée en ce sens, Épron et Mondeville », précise Patrick Ledoux. « D’autres communes se sont également manifestées pour dire qu’elles n’étaient pas informées. »
Lors de la présentation des résultats de la consultation par la préfecture et la chambre d’agriculture, le maire de Louvigny a été invité à expliquer sa démarche. « On a rappelé que ce n’était pas une confrontation ni une opposition vis-à-vis des agriculteurs mais que l’on veut travailler de concert. » Des élus avaient d’ailleurs rencontré les agriculteurs de la commune avant de voter la délibération pour les en informer. « Ce sont eux les premiers exposés aux pesticides, reprend Patrick Ledoux. Aujourd’hui, le travail continue : on prévoit une rencontre entre citoyens, riverains, agriculteurs et élus, dans la perspective d’un débat local par rapport aux épandages et aux zones intermédiaires insuffisantes à notre sens. L’enjeu c’est que les citoyens se saisissent du sujet. »
« Il devrait être impossible de pulvériser des produits dangereux à proximité des lieux de vie »
Des associations ont décidé de mener le combat sur le front juridique. « Leurs chartes d’engagement ne répondent pas aux obligations du texte de loi qui les encadre, à savoir le décret du 27 décembre 2019 », intervient Daniel Ibanez, cultivateur et cosignataire d’un courrier envoyé à la chambre d’agriculture de Savoie et Haute-Savoie par un collectif d’associations. « Ils mentionnent les résidents alors que la loi mentionne bien les personnes présentes, même fortuitement. Cela signifie que même les promeneurs sont concernés. L’obligation de les informer devrait passer par la pose de grands panneaux le longs des champs et chemins. Or, ce n’est pas prévu. » Autre irrégularité soulevée par les associations : l’absence de disposition pour que les producteurs agricoles certifiés « biologiques » ne voient pas leurs parcelles polluées par des produits qu’ils n’utilisent pas et qui sont interdits par leur cahier des charges.
Ces diverses entorses à la loi sont mentionnées dans un recours déposé devant le conseil d’État le 15 juin dernier visant l’annulation du décret du 27 décembre 2019, et des chartes qui l’ont suivi. Ce recours évoque aussi le fait que, en dérivant sur les parcelles des riverains, l’usage de pesticides viole le droit de la propriété. « Nous n’étions pas opposés à l’idée initiale d’une concertation entre agriculteurs et riverains. Le préalable est d’avoir déjà au niveau national un cadre très protecteur et ce n’est pas le cas », ajoute Nadine Lavergeat dont l’association Générations futures, avec huit autres organisations, a aussi déposé un recours devant le conseil d’État contre l’arrêté et le décret encadrant les chartes. « Je regrette qu’il y ait autant de tapages autour des ces chartes et que l’on ne s’attaque pas au problème de fond : la nature des produits, estime Marie-Lys Bibeyran. Il devrait simplement être impossible de pulvériser des produits aussi dangereux à proximité des lieux de vie. »
Nolwenn Weiler et Sophie Chapelle
Publié le 10/07/2020
L’une des plus grandes décharges d’Europe attise les convoitises de Suez aux dépens de l’efficacité écologique
par Benoît Collet (site bastamag.net)
Une des plus grandes décharges à ciel ouvert d’Europe empoisonne les sols et l’air de la banlieue de Belgrade. Suez, géant français de la gestion des déchets et de l’eau, a conclu un très gros contrat avec la mairie de la capitale serbe pour bâtir un incinérateur. La montagne d’ordures va-t-elle disparaître et le recyclage se développer ? Pas si sûr.
On a beau être à plus de 700 kilomètres de la côte la plus proche, une armée de mouettes obscurcit le ciel. Au milieu de coteaux agricoles, à quelques centaines de mètres du Danube, l’une des plus grandes décharges à ciel ouvert d’Europe remplit le fond d’une vallée de la banlieue de Belgrade, la capitale serbe. Depuis cinquante ans, les services municipaux entassent à Vinça toutes les ordures ménagères de la ville, soit plus de 500 000 tonnes chaque année. Elles ont fini par y former une montagne nauséabonde de 40 mètres de haut, faite de plastique, de vieux meubles défoncés, de ferraille, de déchets verts...
Au sommet, les camions poubelles de Gradoscka čistoća, l’entreprise publique en charge de la gestion du site, se succèdent pour déverser leur collecte du jour. Des tractopelles repoussent le flot de détritus vers les flancs de l’excroissance urbaine, entourée d’un cours d’eau noirâtre, semblable aux douves d’un château médiéval. Tout autour, un océan de sacs plastique se balancent aux branches des arbres. « Depuis cinquante ans, personne n’a jamais rien fait pour améliorer la situation à Vinça. C’est un désastre écologique total... Tous les six mois, des poches de méthane entraînent des feux de décharge », se désole Dragan Đjilas, leader de l’opposition au président conservateur Aleksandar Vučić. Maire de Belgrade de 2008 à 2013, il avait alors tenté de lancer un projet d’incinérateur public, tombé à l’eau faute de l’appui de bailleurs privés.
Finalement le fourneau va bien sortir de terre, mais sous pavillon français. Fin septembre 2019, la multinationale française Suez, à la tête du consortium international Beo Clean Energy Limited, a conclu un contrat à 300 millions d’euros avec la municipalité de Belgrade pour la construction d’un incinérateur à deux pas de la décharge actuelle. « J’ai peur que ça ne règle pas le problème de Vinça. Suez ne brûlera que les nouveaux déchets produits par Belgrade. Les anciens continueront à pourrir lentement, polluant toujours plus les sols et le Danube », soupire l’imposant homme politique, dans les bureaux de l’Alliance pour la Serbie, une coalition gauche-droite regroupant des partis opposés à la politique libérale et clientéliste du président Vučić.
Le géant français de la gestion de l’eau et des déchets s’est pourtant engagé à produire du biogaz à partir de la décharge existante, et de l’électricité avec son nouvel incinérateur, qui devrait brûler 43 tonnes de déchets par heure pour en faire sortir 103 mégawatts. La mairie peut se targuer de la victoire politique d’être en passe de réussir à fermer l’une des plus grandes décharges d’Europe, tout en « développant une gestion des déchets à la pointe de la technologie », comme le déclarait récemment Goran Vesić, adjoint au maire. De son côté, Suez s’assure un chiffre d’affaires stable pour les 25 prochaines années en Serbie, tout en s’attribuant elle aussi les mérites d’avoir réglé le problème environnemental de Vinça.
Un projet à 1,6 milliard d’euros
Mais l’addition de cette victoire politique risque d’être salée pour les Belgradois. En investissant quelques centaines de millions d’euros à Vinça, Suez compte bien en tirer des bénéfices financiers : près de 1,6 milliard d’euros d’ici 2043, que la municipalité s’est engagée à lui reverser sur 25 ans au titre des frais de fonctionnement du futur incinérateur. Une somme énorme pour un pays dont le PIB est de 40 milliards. « Ce sont nous, les citoyens, qui allons payer. Les taxes de ramassage et de gestion des ordures ménagères vont augmenter. À Belgrade, ces partenariats public-privé mettant l’intérêt privé d’entreprises étrangères au dessus de l’intérêt collectif sont devenus la norme et font sans arrêt augmenter le coût de la vie », détaille Aleksa Petkovic porte-parole du mouvement citoyen Ne Davimo Beograd (« Ne vendons pas Belgrade »).
Sur un coin de mur de son bureau, on peut voir la photo d’un canard géant flottant sur le Danube : l’emblème du collectif depuis les grandes manifestations de 2016 contre le Belgrade Waterfront, une vaste opération immobilière émiratie sur les rives du deuxième plus grand fleuve d’Europe. Depuis, Ne Davimo Beograd s’oppose à d’autres grands projets urbains privés, dont le futur incinérateur de Vinça. « Ce type de partenariat est très critiqué, ils creusent de grosses dettes dans le budget des collectivités sur de longues années, analyse Pipa Gallop, de l’ONG Bankwatch, spécialisée dans la surveillance de l’activité des institutions financières internationales en Europe de l’Est. « Pourtant ils sont ardemment défendus par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et la Société financière internationale [IFC, organisation de la Banque mondiale, ndlr]. »
À Vinça, les couches de plastique se sont accumulées dans le sous-sol à mesure que la classe politique locale laissait le problème de la gestion des déchets de côté. Dans tout le pays, les dépôts d’ordure sauvages se sont multipliés, le tri sélectif est quasiment inexistant et le système de collecte trop souvent défaillant. Toutes les ordures de Belgrade finissent à Vinça, la seule décharge de la ville. La municipalité n’a jamais investi dans des technologies de traitement. Le recyclage repose entièrement sur quelques entreprises privées qui récupèrent des déchets électroniques, ou sur le secteur informel des biffins, souvent des Roms très précaires.
Au pouvoir à la mairie de 2008 à 2013, Dragan Đjilas avait tenté de lancer un projet d’incinérateur municipal, qui aurait permis à la ville de produire sa propre électricité, et d’employer une partie de ces collecteurs informels, sans dépendre d’un bailleur privé. « Ces 1,6 milliard que nous allons devoir payer à Suez, c’est sept fois plus que le montant de mon ancien projet. On avait deux possibilités, l’une était d’investir 300 millions de notre poche afin de produire notre propre électricité, l’autre de payer plus d’un milliard à une compagnie étrangère, tout en devant en plus acheter une énergie au-dessus des prix du marché. Je vous laisse deviner l’option que nous avons choisie... »
Pour les 25 prochaines années, la mairie s’est effectivement engagée à acheter l’électricité produite par l’incinérateur de Suez deux fois le prix des tarifs du marché, à en croire les premières versions du contrat publiées en ligne par Transparency Serbia. « Ce n’est pas avec des prix aussi élevés que les gens vont arrêter d’utiliser du charbon pour se chauffer », ironise Aleksa Petkovic. Les subventions accordées par la mairie à Suez pour la production d’énergie renouvelable feront gonfler la facture énergétique des citoyens de plusieurs centimes par kilowattheure. L’augmentation pourrait paraître dérisoire, si le salaire moyen en Serbie ne dépassait pas à peine les 300 euros par mois.
« Aucune des entreprises n’a avancé de pistes pour développer le tri sélectif ou le recyclage des déchets »
L’étiquette « énergie verte » reste d’ailleurs très discutable ; elle entre en contradiction avec la législation européenne, que la Serbie a en partie intégrée à son droit national dans la perspective d’une éventuelle future adhésion à l’Union. C’est ce que pointe Bankwatch dans un récent rapport sur les irrégularités du partenariat entre Belgrade et Beo Clean Energy Limited. Les auteurs y affirment que le contrat tarifaire de rachat d’électricité n’est pas compatible avec les règles européennes, qui ne reconnaissent pas comme renouvelables les énergies issues de la combustion de déchets plastiques. En brûlant 340 000 tonnes de déchets par an, la ville risque aussi d’être en porte-à-faux avec l’objectif national de recycler 50 % des déchets municipaux d’ici 2030, toujours dans la perspective de respecter le droit communautaire. Le vernis vert du futur incinérateur de Suez s’écaille donc un peu. « Lors de l’appel d’offres, aucune des entreprises n’a avancé de pistes pour le développement du tri sélectif ou le recyclage des déchets », analyse Pipa Gallop.
À Vinça, seuls quelques ballots de plastique attestent d’un début de recyclage. Dans la décharge, c’est surtout la communauté rom qui s’y emploie. Très précaires, travaillant sans aucune protection, les ferrailleurs attendent que les camions de Gradoscka čistoća aient fini de décharger leurs bennes pour voir ce qu’ils peuvent récupérer : bouts de ferraille, tiges à béton, meubles cabossés, électroménager hors service... Ils mettent tout ce qu’ils peuvent dans leurs voitures surchargées, parfois de vieux camions Yugo, et se dirigent vers le village voisin, où se trouvent leurs entrepôts. Là-bas, ils découpent le métal à la scie sauteuse pour le revendre au poids, ou récupèrent des pièces détachées sur les appareils électroniques.
Ce secteur informel ferait vivre plusieurs milliers de personnes. L’entreprise publique Gradoscka čistoća a octroyé à certains un permis pour pouvoir travailler dans la décharge. Incapable de mettre en place le tri sélectif à la source, la municipalité en est réduite à externaliser le recyclage de ses déchets à des populations vulnérables, qui s’empoisonnent lentement pour collecter et revendre du plastique 30 centimes les trois kilos.
La Slovénie voisine approche du « zéro déchet » non recyclé
La faillite de la gestion publique des déchets à Belgrade n’est qu’une illustration de ce qui se passe dans le reste du pays : seuls 5 % des déchets y sont traités et recyclés. Pourtant, ailleurs dans l’espace post-yougoslave, la Slovénie a réussi à devenir le champion européen du traitement des déchets, sans pour autant avoir recours aux services du privé. Chaque année, le centre de tri public de Ljubljana transforme 166 600 tonnes des déchets qu’il reçoit en compost, biocarburant, ou en nouveaux objets, soit près de 98 % du total des ordures qui y entrent. Pour Aleksa Petkovic, c’est bien la preuve que le zéro déchet peut devenir une réalité dans les Balkans. « Pour cela, il faudrait déjà que l’État serbe améliore le système de collecte et de tri, ce qui permettrait de mieux valoriser les déchets organiques par exemple. »
« Avec les partenariats public-privé, il est toujours très difficile de déterminer qui est gagnant : l’entreprise ou l’intérêt général ? » Nemanja Nenadic, de Transparency Serbia continue de se poser la question après avoir participé aux comités d’évaluation des offres des entreprises retenues pour le site de Vinça. Difficile aussi pour les membres du conseil municipal de se faire un avis sur la question : ils n’ont eu que quelques jours pour prendre connaissance des plus de 1000 pages du contrat, non traduites en serbe. La Banque européenne d’investissement, émanation de l’Union européenne, qui devait financer une partie de l’investissement initial de Suez s’est finalement retirée, considérant que le projet n’était pas compatible avec les normes environnementales communautaires.
Cette impasse juridique n’a pas empêché la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), une institution internationale chargée de favoriser la transition vers l’économie de marché des pays d’Europe de l’est, de tout de même valider le projet de Suez. « Ce partenariat avec le secteur privé introduit une nouvelle façon de financer le service public en Serbie, moins exposée à l’instabilité politique, justifie Alex Reiserer, porte-parole de la BERD. Ce contrat permettra aussi à Belgrade de prévenir les risques de pollution tout en réduisant la destruction des écosystèmes. »
Mais en ayant délégué la gestion de ses déchets à un partenaire privé pour 25 ans, la ville risque de perdre la main sur la gestion des risques environnementaux, qui de toute façon étaient déjà loin d’être la priorité du gouvernement et de la mairie, tous deux plus préoccupés d’attirer des investisseurs étrangers pour relancer l’emploi et une industrie déclinante. « Comment fera-t-on pour évaluer les émissions de dioxines et de furane émises par le futur incinérateur ? Il n’existe aucun laboratoire serbe capable de le faire », s’inquiète Aleksa Petkovic. Si les Belgradois n’avaient déjà que peu de moyens de faire entendre leur mécontentement du temps de la décharge municipale, ils en auront encore moins quant elle sera passée aux mains de Beo Clean Energy Limited.
« Nous allons lancer un recours devant la BERD pour tenter de les convaincre de se retirer de ce projet nocif », conclut l’activiste de Ne Davimo Beograd, déterminé même si son mouvement pèse peu face à un projet à 1 milliard d’euros. S’il revient au pouvoir, Dragan Đjilas est lui aussi décidé à faire annuler ce partenariat public-privé. « Et si Suez nous traîne devant un tribunal arbitral, quelqu’un de l’administration finira bien par parler, et dira qui à la mairie s’est rempli les poches avec ce contrat insensé. »
Benoît Collet
Publié le 28/06/2020
Convention citoyenne pour le climat : les trois propositions qui vont vraiment agacer Macron
par Barnabé Binctin, Sophie Chapelle, Vanina Delmas (Politis) (site bastamag.net)
Les propositions de la convention sur le climat ne se résument pas à la limitation des 110 km/h, qui obnubile les commentateurs. Emmanuel Macron s’est engagé à y répondre le 29 juin. Soumettra-t-il « sans filtre » l’ensemble des propositions citoyennes au travail législatif ou référendaire, comme il l’a assuré ? Retour sur trois mesures qui obligent le gouvernement à en finir avec ses faux-semblants sur l’écologie.
Il y a au moins une chose sur laquelle tout le monde s’accorde, au sortir de la Convention Citoyenne pour le Climat : ce fut une expérience intense. Neuf mois de travaux, répartis en sept sessions de trois jours, qui ont abouti le 21 juin à un rapport de 600 pages regroupant 149 propositions. Celles-ci entendent répondre au mandat fixé par une lettre du Premier ministre [1], il y a tout juste un an, dans la continuité du mouvement des gilets jaunes et de sa convergence naissante avec les marches pour le climat : « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ».
Un travail considérable que Laurence Tubiana, coprésidente du comité de gouvernance de cette convention, a qualifié de « vrai projet de société » en préambule des votes qui ont permis de toutes les adopter – à l’exception de la proposition visant à réduire le temps de travail hebdomadaire à 28h, sans perte de salaire. Ce processus, tout à fait inédit, semble avoir emporté l’adhésion des 150 citoyens représentatifs, engagés dans l’aventure par tirage au sort : « c’était nouveau pour tout le monde, donc on a appris en marchant, résume Fabien, 29 ans. D’un point de vue démocratique, c’est tout de même très riche de pouvoir échanger, puis délibérer, tous ensemble, en se formant un avis éclairé grâce aux ressources mises à notre disposition, alors même qu’on partait de niveaux de connaissance très inégaux. »
« On n’avait pas vocation à construire un programme présidentiel »
Pour quel résultat ? C’est là que commence le vrai débat. Aux enthousiastes, tant de la méthode participative – et de sa fameuse « intelligence collective » – que des propositions formulées, ont répondu d’autres voix, plus sceptiques, pointant notamment l’absence du nucléaire ou de la taxe carbone. C’est le choix des mesures soumises à référendum – légiférer sur l’écocide, réviser la Constitution pour y ajouter deux alinéas reconnaissant des objectifs écologiques –, l’un des gros enjeux de ce dernier week-end de négociation, qui inquiète le chercheur François Gemenne : « nous voilà donc partis pour des semaines de débats sur des symboles largement inopérants, qui vont complètement occulter les autres mesures (concrètes celles-là) proposées par la Convention Citoyenne. C’est vraiment dommage. Pendant ce temps, il fait 38°C en Arctique… » a-t-il écrit le 21 juin.
Alors, trop frileuse la Convention Citoyenne pour le Climat ? La critique a tendance à fatiguer l’une de ses participantes : « bien sûr qu’il y a des déceptions – on aurait pu aller plus loin sur les pesticides, on aurait pu être plus courageux sur le référendum – et que cela reste imparfait, incomplet. Mais à titre de comparaison, le ministère de l’Écologie, c’est 40 000 personnes déjà formées… On n’avait pas non plus vocation à construire un programme présidentiel ! Et au final, la plupart de nos mesures restent assez ambitieuses… ». Parmi elles – et parce que cette Convention Citoyenne pour le Climat ne se résume pas à la mesure des 110 km/h qui a défrayé les plateaux de télé – Basta ! et Politis ont passé trois mesures au crible, qui pourraient bien se révéler de sacrés cailloux dans la chaussure de Macron.
Bientôt un crime d’écocide puni de 20 ans d’emprisonnement ?
Guy Kulitza, l’un des tirés au sort de la convention, a voulu chercher des solutions allant plus loin que celles touchant le quotidien individuel. Il découvre alors le travail de Valérie Cabanes, juriste internationale qui milite depuis une dizaine d’années pour la reconnaissance du crime d’écocide. « Il me semblait pertinent de pouvoir mettre au pas les multinationales les plus polluantes, les encadrer et leur montrer à quel point elles sont néfastes pour le climat, et instaurer le crime d’écocide correspondait à ce que j’imaginais », raconte le retraité vivant dans le Limousin, qui a porté haut et fort ce combat pendant neuf mois. Certains restent dubitatifs, mais Alexia, une jeune Guadeloupéenne, le soutient en racontant les ravages du chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies et qui empoisonne les sols, les eaux et les habitants des Antilles depuis 40 ans et dont les entreprises et autorités connaissaient la dangerosité..
Dans leur rapport final, les 150 proposent de soumettre à référendum la création d’un crime d’écocide dans la loi, selon une nouvelle définition [2]. La sanction comprendra une peine d’emprisonnement de 20 ans, une amende en pourcentage significatif du chiffre d’affaires de l’entreprise et l’obligation de réparation [3].
Mais ce n’est pas gagné. En 2019, des propositions de loi pour introduire le crime d’écocide dans le droit pénal ont été rejetées par le Sénat et l’Assemblée nationale, invoquant des imprécisions dans la définition. En cause notamment, la délimitation des fameuses limites planétaires, qui ne fait consensus ni chez les politiques, ni chez les avocats spécialistes du droit de l’environnement. Dans la proposition de la convention, elles seraient les indicateurs clés pour cadrer les contours des crimes d’écocide, et les lignes directrices à suivre pour les éviter. Le 24 juin, lors des questions au gouvernement au Sénat, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a souligné deux obstacles principaux à la création d’un tel crime. L’un sur le fond : il y a une « exigence de précision de la loi pénale » que ne remplirait pas ce crime. L’autre sur la forme : « On ne peut pas soumettre ces propositions au référendum puisqu’elles portent sur la législation pénale ».
Une Haute Autorité des limites planétaires serait créée : cette instance scientifique supra ministérielle pourrait accompagner les acteurs privés afin que leur modèle économique soit en accord avec les neuf limites planétaires et la loi sur le devoir de vigilance, adoptée en 2017 après un long combat mené par des associations et quelques députés de gauche.
En choisissant de soumettre à référendum une telle mesure, les 150 ont pris au mot le président de la République qui affirmait, le 25 avril 2019, soumettre « sans filtre soit au vote du parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe » ce qui sortira de la Convention. En plein G7, il déclarait avec ardeur qu’un écocide se jouait en Amazonie. Mais devant la Convention en janvier dernier, il s’avouait « sceptique sur l’effet utile si on ne le fait qu’en droit français » et se disait « favorable à ce qu’on le porte à l’international ». Ce n’est donc pas le mot « écocide » qui le gêne aux entournures, mais bien l’application. Emmanuel Macron se retrouve pris entre deux feux : arborer une belle étiquette de défenseur de l’environnement ou protéger les grandes entreprises.
Lutter contre l’étalement urbain
Quand William Aucant a été tiré au sort pour participer au groupe de travail « Se loger », il était ravi. Il a mis en œuvre toutes ses compétences et porté au débat la lutte contre l’artificialisation des sols. « En discutant de rénovation, de réhabilitation, de l’importance de prendre soin de l’existant, nous avons conclu qu’il fallait exploiter en priorité les surfaces déjà artificialisées au lieu de grignoter les espaces naturels et agricoles. » Priorité donc à la réappropriation des grandes friches industrielles ou des parkings, à la réquisition de logements et de bureaux vacants, à l’évaluation systématique des bâtiments avant démolition pour vérifier s’ils peuvent avoir une seconde vie… Une manière de lutter contre l’étalement urbain tout en rendant attractive la vie dans les villes et les villages. Selon Tanguy Martin, médiateur foncier pour l’association Terre de liens, « leur vision globale du sujet laisse penser qu’ils ne sont pas tombés dans le piège des mécanismes de compensation qui ne tiennent pas la route, tout comme la renaturation d’un site que personne ne maîtrise : aujourd’hui, nous ne sommes capables que de recouvrir une ancienne carrière de quelques centimètres de terre végétale, pas de retrouver un véritable espace naturel ».
Au Salon de l’agriculture en 2019, Emmanuel Macron déplorait lui-même la perte par la France d’un quart de sa surface agricole sur les 50 dernières années [4]. Si le plan biodiversité de 2018 prévoit bien d’atteindre l’objectif de « zéro artificialisation nette » en 2030, les actes sont encore rares car c’est toute une vision de l’aménagement du territoire et en particulier des zones périurbaines qu’il s’agit de remettre en cause. « Toute la logique de rentabilité foncière repose sur l’idée d’urbaniser la moindre opportunité, or nous estimons qu’il faut faire l’inverse, souligne William Aucant. Comment créer un bassin de proximité dynamique en multipliant les zones commerciales éloignées de tout ? Nous en revenons aux questions de pression foncière qui contraignent les villes à construire encore et encore. »
La question foncière devait justement faire l’objet d’une refonte et d’une nouvelle loi en 2020 mais le ministre de l’Agriculture a annulé cette échéance il y a quelques jours. Est-ce pour laisser plus de champ de manœuvre au plan de relance économique post-Covid19 ou au puissant secteur du BTP ? Dix organisations écologistes et agricoles exigent que cette nouvelle loi foncière soit inscrite à l’agenda législatif en 2021 [5].
Inscrire des clauses environnementales dans les accords commerciaux
Mélanie, 36 ans, responsable d’une agence événementielle, n’avait pas spécialement d’intérêt pour les questions de politique commerciale européenne avant la convention citoyenne. C’est le tirage au sort qui l’a conduite à travailler sur ce thème. « Les auditions d’ONG, de syndicats d’agriculteurs à qui l’on impose des importations déloyales, m’ont fait prendre conscience de ce qui n’allait pas sur le sujet, notamment en termes de transports. » La signature de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mexique en pleine pandémie a heurté les membres de la convention. « ça nous a titillés au même titre que les aides données aux grandes entreprises sans aucune condition, réagit Mélanie, pointant l’hypocrisie du gouvernement.
Parmi les mesures clés votées dans ce domaine figure la renégociation du Ceta – l’accord de libre échange entre l’Union européenne et le Canada – afin d’intégrer les objectifs climatiques de l’accord de Paris. « Quand on dit que, demain, on voudrait ne pas avoir d’accords commerciaux mauvais pour le climat comme le Ceta, c’est un signal fort », observe Mathilde Imer, membre du comité de gouvernance de la convention. « Ça dessine un monde de mieux vivre. » Des recommandations ont également été transmises au gouvernement pour défendre à l’échelle européenne l’inscription du principe de précaution et de clauses environnementales dans les accords commerciaux.
« Quelques clauses internes aux accords de libre-échange ne suffiront pas pour dompter la libéralisation des échanges et des investissements » estime néanmoins l’association Attac. L’accord de Paris n’est par exemple pas « armé » pour contrôler le commerce international d’un point de vue climatique [6]. Par ailleurs, le droit commercial s’impose face au droit de l’environnement. Résultat, toute mesure de protection de l’environnement ou norme écologique peut être contestée en tant que « restrictions déguisées au commerce international ». Du Canada à l’Inde, des dispositifs publics de soutien au développement des énergies renouvelables s’appuyant sur des filières locales ont ainsi été attaqués parce qu’ils étaient jugés défavorables aux intérêts des entreprises multinationales [7]. Le cadrage préalable du gouvernement n’a sans doute pas permis à la convention de s’attaquer à une remise en cause structurelle des règles organisant le commerce et l’investissement à l’échelle mondiale.
« On a bossé les mesures, on les a votées, on ne les lâchera pas ! »
Et maintenant ? « C’est là que tout commence, résume le philosophe Pierre Charbonnier. Le processus a été intéressant et a montré qu’on pouvait tout à fait former de vrais citoyens à l’écologie. Mais que vont devenir leurs propositions ? Le risque, c’est que cela serve de légitimité écolo à un Macron qui pourrait se contenter de faire semblant d’être à la hauteur… ». Sa « réponse », lundi 29 juin à l’Élysée, où il recevra une délégation de citoyens, devrait donner une première indication. Ce délai très rapide, une semaine après la clôture des travaux, en a rassuré certains sur ses intentions, tandis que d’autres craignent de voir le sujet se noyer au milieu du fameux discours de reconstruction et du remaniement probable, après les municipales.
Emmanuel Macron se sait pourtant attendu au tournant, sur le sujet. Soumettra-t-il bien, « sans filtre », l’ensemble des propositions citoyennes au travail législatif ou référendaire, comme il s’y était engagé ? « Il lui faudra être aussi sérieux et rigoureux sur ses engagements que les citoyens l’ont été pendant ces neuf mois de travail », résume Mathilde Imer. C’est pour assurer ce suivi, et donner corps à la suite de ces propositions, qu’une association des « 150 » vient d’être créée. Le président de la République est prévenu : « On a beaucoup travaillé et on veut défendre ce travail, ne pas en être dessaisi ou que ça finisse aux oubliettes, témoigne l’une des participantes. On a bossé les mesures, on les a votées, on ne les lâchera pas ! »
Barnabé Binctin, Vanina Delmas, Sophie Chapelle
Illustration : Pietro Piupparco via Flickr
Cet article est écrit en collaboration entre Basta ! et l’hebdomadaire Politis.
Notes
[1] Voir la lettre d’Edouard Philippe, le 2 juillet 2019.
[2] Selon la Convention citoyenne pour le climat, « constitue un crime d’écocide, toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ».
[3] Voir le document de la Convention citoyenne pour le climat qui précise le crime d’écocide
[4] Selon France Stratégie, organisme d’étude rattaché au Premier ministre, les terres artificialisées ont augmenté de 70 % depuis 1981 alors que la population n’a crû que de 19 % sur la même période.
[5] Voir le communiqué signé par Agter, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Terre de Liens, CCFD Terre solidaire, Confédération paysanne, Fnab, Greenpeace, Notre affaire à tous, Réseau action climat France, Sol.
[6] L’Accord de Paris ne couvre pas les émissions du commerce mondial, et il ne dispose pas d’instruments pouvant s’opposer aux règles du commerce international. Lire à ce sujet cette tribune publiée dans Politis
Publié le 28/02/2020
Gaz à effet de serre, élevages industriels, incidents : toutes les controverses sur la méthanisation
par Simon Gouin, Sophie Chapelle (site bastamag.net)
Énergie totalement renouvelable pour certains, dévoreuse de terres pour d’autres, la méthanisation pose de nombreuses questions. Pour tout comprendre, voici un état des lieux des débats autour de cette technique de production d’énergie.
Comment fonctionne la méthanisation ?
Un méthaniseur est une sorte de marmite : une grande cuve, elle-même recouverte d’un dôme. La recette : des déchets végétaux – de l’herbe, du maïs, des pailles de céréales, de colza... pour le carbone – et des déchets animaux (lisiers et fumiers pour l’azote). Le tout est chauffé entre 35 et 40 degrés pendant de longues heures. Certains exploitants ajoutent des déchets issus de l’agro-alimentaire (venus des abattoirs, des laiteries...), des boues de stations d’épuration, les matières de vidange, ou encore des ordures ménagères [1].
Dans cette marmite sans oxygène, des bactéries transforment les déchets et produisent notamment du méthane (CH4, le fameux « biogaz »). Celui-ci est récupéré par de grands tuyaux pour être transformé en électricité via un générateur, ou injecté directement dans le réseau de gaz de ville. Le biogaz peut aussi servir à produire de la chaleur, pour des habitations par exemple, ou être utilisé comme carburant. A la fin du processus, il reste des « déchets » solides et liquides, qu’on appelle « digestat ». Ces digestats, riches en azote, phosphate, potassium... sont épandus sur les terres agricoles comme engrais.
Combien d’unités de méthanisation en France ?
En mars 2018, la filière méthanisation représentait, selon le ministère de la Transition écologique et solidaire, environ 400 installations agricoles, territoriales et industrielles, dont 230 à la ferme. Depuis cette date, le nombre d’installations accélère. Selon la base de données régulièrement mise à jour par le Collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CNSMR), il y aurait 812 unités en service et 362 en projets (voir cette carte).
Ce nombre ne cesse d’augmenter pour atteindre les objectifs fixés par la Loi relative à la transition énergétique de 2015. L’objectif : parvenir à 10 % de gaz « renouvelables » dans les consommations de gaz naturel à l’horizon 2030, ce qui impliquerait la mise en service d’environ 5784 méthaniseurs [2]. Pour atteindre les 100% de biogaz à l’horizon 2050, comme le suggère une étude de l’Ademe, 42 800 unités de « gros calibre » seraient nécessaires.
Aujourd’hui, la taille des unités de méthanisation est très variable : de quelques milliers de tonnes de matières entrantes par an à plusieurs dizaines de milliers. La moyenne d’intrants est aujourd’hui de 31 400 tonnes par unité de méthanisation et par an, contre 6000 tonnes avant 2017. Les unités construites tendraient donc, de plus en plus, à être de grande taille.
La méthanisation permet-elle de réduire les émissions de gaz à effet de serre ?
Le ministère de la Transition écologique et solidaire considère le gaz issu de la méthanisation comme une énergie renouvelable. 12 millions de tonnes de CO2 par an seraient évitées (3% de nos émissions) prévoit le ministère, avec 10 % de biogaz en 2030. Avec un système gazier en 2050 basé à 100 % sur du gaz renouvelable, 63 millions de tonnes de CO2 par an seraient économisées, selon l’Ademe. Une étude menée sur des fermes engagées dans la méthanisation montre une consommation énergétique globale en baisse de 10 % pour 30 d’entre elles. Six des 46 exploitations suivies sont même devenues des fermes à énergie positive, dans la mesure où elles produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment [3].
Les données sur les gaz à effet de serre ne font toutefois pas consensus. « L’estimation du bénéfice environnemental d’un projet est aujourd’hui impossible », estime le Collectif scientifique national méthanisation raisonnée. En cause : l’impossibilité de se procurer les méthodes de calcul et formules utilisées par le logiciel DIGES2 servant à réaliser le bilan des méthaniseurs en termes de gaz à effet de serre. Ce programme de calcul ne prend par ailleurs pas en compte les émissions dues aux épandages des digestats dans les champs. L’Ademe n’a pas donné suite à nos demandes de précisions sur le bilan carbone du cycle complet de la méthanisation.
Y a-t-il des fuites et peuvent-elles alimenter l’effet de serre ?
Les fuites de gaz peuvent être liées à un défaut d’étanchéité ou à des fissures dans les cuves, stockages et conduits de méthanisation. « On n’a aucun chiffre en France, mais en Allemagne les fuites ont été observées régulièrement », souligne le chercheur Daniel Chateigner, membre du collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CSNMR). « C’est logique, tout procédé industriel comporte des fuites à plus ou moins long terme. Surtout en milieu anaérobie [sans oxygène, ndlr], comme la méthanisation au sein desquels du sulfure d’hydrogène, très corrosif même sur les structures inoxydables, est présent. Les gaz émis sont des gaz à effet de serre que l’Ademe ne prend pas en compte dans ses calculs environnementaux. »
Du méthane peut notamment s’échapper, en particulier lorsque les cuves de stockage de digestat sont laissées à l’air libre. Or, le méthane est un gaz dont l’effet de serre est 25 fois supérieur à celui du gaz carbonique. « Seulement 4 % de fuite de méthane suffisent pour que la méthanisation ait un impact sur l’effet de serre plus fort que l’utilisation des carburants fossiles », souligne le CSNMR. « Les cuves de méthanisation doivent donc être parfaitement étanches car la moindre fuite de méthane grève lourdement le bilan gaz à effet de serre de l’opération », précise à ce sujet l’association Solagro, spécialisée dans les transitions écologiques.
Cette dernière alerte également sur le risque de volatilisation de l’azote lors de l’épandage, sous la forme de protoxyde d’azote. Le pouvoir de réchauffement global du protoxyde d’azote (N2O) est de 310 fois celui du gaz carbonique : c’est le second gaz à effet de serre émis par l’agriculture. Solagro préconise des solutions techniques pour réduire ce risque.
La méthanisation enrichit-elle ou appauvrit-elle les sols ?
Avec la méthanisation, le digestat solide épandu sur les champs nourrirait le sol, et le digestat liquide jouerait le rôle d’engrais pour les cultures [4]. Mais selon le Collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CSNMR), le digestat épandu entrainerait une perte de carbone progressive du sol. L’Ademe prévoit de mettre un couvert végétal intermédiaire entre deux cultures alimentaires – on parle de CIVE, Cultures intermédiaires à vocation énergétique –, que l’on garde pour le méthaniseur.
Avant, ces cultures intermédiaires retournaient au sol et l’alimentaient. « Avec la méthanisation à marche forcée, au lieu de laisser le sol se reposer, on le fait travailler en permanence sans qu’il ait le temps de se reconstituer entièrement, il s’appauvrit », estime Daniel Chateigner du CNSMR. Cette baisse de fertilité des sols pourrait nécessiter à terme l’utilisation de plus d’engrais [5].
Cette position n’est pas partagée par Solagro. « On observe dans de nombreux cas que la méthanisation joue un rôle bénéfique tant sur les propriétés physiques que les propriétés biologiques des sols », souligne l’association qui évoque une augmentation de l’activité microbienne et racinaire, et une plus grande abondance de lombrics. D’après ses études, l’épandage de digestat solide, à la place d’un compost [6], n’aurait pas d’impact négatif sur le stockage du carbone dans les sols. Solagro admet avoir observé quelques cas contraires mais selon cette association, l’évolution de la matière organique du sol est dépendante essentiellement des modifications de pratiques culturales (labour par exemple), et très peu liée au fait que les matières épandues soient digérées ou non.
Quel risque de spéculation et d’accaparement du foncier avec le biogaz ?
En Allemagne, la politique de soutien à la méthanisation a engendré un développement fulgurant des surfaces de maïs pour nourrir les méthaniseurs, et une hausse du prix du foncier devenu inaccessible pour les petites fermes (lire notre article). En France, certains agriculteurs s’inquiètent de dérives similaires. La Confédération paysanne de l’Orne a par exemple mené une action fin 2018 contre une unité de méthanisation dont les exploitants ont acquis 100 hectares de terres cultivées dans le but d’alimenter cette unité. Ils constatent également un prix des ressources fourragères bien au-dessus des prix pratiqués avant l’arrivée des méthaniseurs - 80 euros, contre 40 euros la tonne de paille à presser.
Solagro considère pour sa part que la réglementation française a répondu à ces risques en fixant la limite de 15 % maximum de cultures alimentaires dans le plan d’approvisionnement des méthaniseurs. Ce garde-fou peut toutefois être contourné comme nous l’expliquons dans ce reportage. Les calculs réalisés par le Collectif scientifique national méthanisation raisonnée sont également inquiétants. Atteindre l’objectif de 10 % de méthanisation de gaz impliquerait de consacrer plus de 18 000 km2 - soit la superficie de trois départements français - à des cultures servant uniquement à alimenter les méthaniseurs (lire notre enquête). D’après ce collectif, des méthaniseurs se retrouvent déjà aujourd’hui en compétition pour l’approvisionnement en intrants.
La méthanisation contribue t-elle à l’industrialisation des élevages ?
Selon Solagro, la méthanisation peut fonctionner sur tous types d’élevage, qu’ils soient industriels ou non, comme ils peuvent aussi concerner des exploitations en grandes cultures sans élevage. Nos reportages témoignent en effet d’une diversité d’expériences (voir ici et là). Dans leur grande majorité, précise Solagro, les installations en fonctionnement en France dépassent une puissance de 100 kW électrique. Pour pouvoir alimenter ce type d’installations, il faut disposer de fumier produit par 300 vaches.
Un agriculteur qui se lance dans un tel projet doit donc posséder un troupeau « important », ou chercher des sous-produits dont il sera alors dépendant, auprès d’usines agroalimentaires notamment. En ce sens, les projets individuels de méthanisation auraient tendance à davantage relever de « gros » élevages. Notre enquête révèle d’ailleurs un afflux de demandes pour des méthaniseurs adossés à des élevages industriels.
Une autre approche consiste à bâtir des projets collectifs, qui permettent alors à tout agriculteur d’avoir accès à une unité de méthanisation, et bénéficier ainsi d’un complément de revenu.
La méthanisation peut toutefois être contradictoire avec l’agriculture paysanne soucieuse d’élevage en plein air. En effet, optimiser une unité de méthanisation implique de laisser les animaux en stabulation le plus longtemps possible, hors des prés, afin de récupérer leurs effluents pour nourrir quotidiennement le méthaniseur. « Le choix du curseur entre le "tout pâture" et le "tout bâtiment" est un choix de système qui s’effectue bien en amont de celui de la méthanisation », considère de son côté Solagro.
Y a-t-il des risques d’incident dans les unités de méthanisation ?
La réglementation stipule que les digesteurs doivent être implantés à plus de cinquante mètres des habitations occupées par des tiers afin de minimiser l’impact en cas d’accident. Les usines de méthanisation ne sont pas classées Seveso mais plusieurs « phénomènes dangereux » restent néanmoins associés au biogaz. Un document du ministère de l’Agriculture et de l’Ineris liste les nombreuses exigences de sécurité à adopter dans les installations de méthanisation agricole. En 2019, le collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CSNMR) a relevé 21 incidents sur des méthaniseurs, dont 18 sur des méthaniseurs d’agriculteurs. Les incidents sont de plusieurs ordres : pollutions olfactives, déchirement de bâches au-dessus des dômes des digesteurs contenant le gaz, incendie, explosion…
Certains faits sont également troublants comme la mort de 23 veaux en contrebas d’une unité de méthanisation entre août 2017 et janvier 2018. Les résultats des analyses d’eau menées par l’agriculteur ont révélé des taux de coliformes, c’est-à-dire de bactéries liées à des matières fécales, anormalement élevés et la présence de métaux lourds dans l’eau.
Concernant le risque sanitaire, l’Ademe reconnait que des germes peuvent résister à la méthanisation et se retrouver dans le digestat. Solagro estime pour sa part qu’un digestat contient de l’ordre de 100 fois moins de pathogènes qu’un fumier. Le CSNMR pointe également le risque d’émissions de gaz irritants et dangereux pour la santé comme l’ammoniac ou l’hydrogène sulfuré, en cas de fuite par exemple, et demandent des contrôles indépendants fréquents. « Le rythme de l’incidentologie croît plus vite que celui des installations, preuve d’un manque de considérations des dangerosités de ces usines », estime le collectif scientifique.
Comment les unités de méthanisation sont-elles contrôlées ?
Toutes les installations de méthanisation, aussi petites soient-elles, sont soumises à la réglementation ICPE (« Installation classée pour la protection de l’environnement »). En dessous de 30 tonnes de matières entrantes par jour, il n’y a pas d’étude d’impact et l’unité relève d’un simple régime de déclaration. Entre 30 et 100 tonnes de matières entrantes par jour, l’unité relève d’un régime d’enregistrement : elle est soumise à une contribution envoyée à l’inspection des installations classées, puis à l’avis du conseil municipal et à une consultation publique. Au-dessus de 100 tonnes de matières entrantes par jour, l’unité entre dans le régime d’autorisation qui implique une enquête publique et administrative, ainsi qu’une autorisation préfectorale.
Une fois le méthaniseur mis en service, il revient à celui qui l’exploite de réaliser des « auto-contrôles ». « C’est tout le problème des limites », note Jean-Marc Thomas, paysan en Bretagne. « Prenons un projet à 29 tonnes par jour. A 30 tonnes, il bascule du régime de déclaration au régime d’enregistrement. Comment avoir la garantie que demain n’entreront pas 31 tonnes par jour ? » La même réserve concerne le ratio de 15 % de cultures alimentaires dédiées.
« C’est bien l’administration qui s’assure du non-contournement du seuil pendant la période d’exploitation des installations », précise à ce sujet l’Ademe. « Cette vérification peut s’effectuer soit au niveau du respect des plans d’approvisionnement, soit à la faveur de demande d’augmentation de la production d’énergie. » Des contrôles menés par des organismes agréés par le ministre de la Transition écologique et solidaire sont prévus tous les cinq ans.
Sophie Chapelle et Simon Gouin
Notre dossier : |
Notes
[1] Selon le cabinet de conseil Solagro, spécialisé dans les transitions énergétique, agroécologique et alimentaire, on peut rencontrer des unités individuelles à la ferme qui traitent majoritairement des sous-produits de l’agro-alimentaire et des unités territoriales qui reçoivent essentiellement des matières agricoles. Certaines installations ne traitent que des déchets agro-alimentaires.
[2] Selon les calculs du CNSMR qui se base sur une moyenne de production d’énergie équivalente électrique de 7,4 GWh par méthaniseur.
[3] Voir à ce sujet l’étude MéthaLAE coordonnée par Solagro.
[4] Solagro précise à ce sujet : « Le digestat solide contient la matière organique, l’azote organique, le phosphore et le potassium non solubles et biodisponibles sur le long terme car ils se minéralisent lentement. Il joue le rôle d’amendement : nourrir le sol. Le digestat liquide contient peu de phosphore, la majorité du potassium, et surtout de l’azote sous forme ammoniacale. Comme il est moins riche en matières sèches, il s’infiltre plus facilement dans le sol et joue le rôle d’engrais (nourrir les plantes avec les nutriments immédiatement assimilables) ».
[5] Télécharger la fiche sur le cycle du carbone réalisée par le CSNMR
[6] Sans méthanisation, les agriculteurs mettent généralement leur fumier en tas. Le fumier se transforme en compost et est ensuite épandu dans les champs.
Publié le 24/02/2020
SDHI, ces pesticides épandus massivement qui s’attaquent à tous les êtres vivants
par Nolwenn Weiler (site bastamag.net)
Connaissez-vous les SDHI ? Ces nouveaux fongicides, censés s’attaquer seulement aux champignons qui menacent les récoltes, s’en prennent en fait à tous les êtres vivants. Un « danger immense » selon des scientifiques. Le journaliste Fabrice Nicolino leur consacre son dernier ouvrage, Le crime est presque parfait. Entretien.
Basta ! : Épandus massivement depuis 2013 en France, les pesticides SDHI « inquiètent au plus haut point », dites-vous, car ils s’attaquent à la fonction respiratoire de tous les êtres vivants. Pouvez-vous nous décrire ces pesticides ?
Fabrice Nicolino [1] : Les SDHI sont des fongicides : ils s’attaquent aux champignons et moisissures. Arrivés en France surtout après 2013, ces pesticides sont épandus sur environ 80% des surfaces de blé et d’orge, mais aussi sur les tomates, les semences, les pommes de terre, la vigne, les arbres fruitiers. On en trouve également sur les terrains de foot et sur les terrains de golf.
Comment opèrent-ils ? Ils s’attaquent à la fonction respiratoire des cellules des champignons – la « SDH », ou succinate déshydrogénase. Vendus comme des produits « à cible » – ne s’attaquant qu’aux champignons –, les SDHI ne font en fait aucune différence entre les êtres vivants : ils s’attaquent à la fonction respiratoire des champignons, mais aussi à celle des vers de terre, des abeilles et des êtres humains. Or, les défauts et déficiences de la SDH peuvent entraîner de nombreuses maladies souvent épouvantables. Il y en a des dizaines, certaines extrêmement rares, d’autres très fréquentes, parmi lesquelles Alzheimer et Parkinson, des diabètes, des myopathies, des convulsions généralisées, etc. Un mauvais fonctionnement de la SDH peut aussi entraîner des cancers. Toutes ces maladies ne sont pas forcément dues à une déficience de la SDH, mais elles peuvent l’être.
C’est un scientifique, Pierre Rustin, directeur de recherche émérite au CNRS, qui lance l’alerte à l’automne 2017. Il vient de découvrir l’existence des SDHI et, très inquiet, contacte l’Anses, l’agence de sécurité sanitaire en charge de ces questions [2]. La suite ne correspond pas tout à fait à ce qu’il attendait….
C’est le moins que l’on puisse dire ! Pierre Rustin, grand spécialiste des maladies mitochondriales – c’est-à-dire provoquées par une anomalie de la SDH –, découvre l’existence des SDHI par hasard. Nous sommes en octobre 2017 et Pierre Rustin ne sait rien des pesticides. Il ne s’y est jamais intéressé. Il est occupé à réaliser une bibliographie, à compiler des documents portant sur son domaine de recherche, quand il tombe sur les SDHI. Or, Pierre Rustin sait que la SDH est présente dans la (presque) totalité des êtres vivants. Il comprend immédiatement que le danger est immense.
Il est stupéfait et indigné. Indigné parce qu’il travaille sur les maladies mitochondriales depuis 40 ans – 40 ans à essayer de sauver des vies – et qu’il réalise soudain que des produits susceptibles de provoquer ces maladies ont été mis en vente, puis épandus, sans que personne n’en sache rien. Dans la foulée, il téléphone à l’Anses, imaginant alors que « quelque chose » va commencer. Il pense qu’une agence de sécurité sanitaire est là pour aider la société. Comment le lui reprocher ?
Mais l’Anses ne dit rien. Pendant des mois, l’agence reste silencieuse. Cela amplifie l’indignation de Pierre Rustin qui décide, avec neuf autres scientifiques, de lancer une seconde alerte via la publication d’une tribune dans Libération.
L’Anses se retrouve alors obligée de sortir de son silence... Elle convoque Pierre Rustin et ses neuf collègues le 14 juin 2018. Huit mois après la première alerte. Comment se passe cette rencontre ?
Malheureusement, assez mal. Plusieurs des scientifiques qui ont assisté à cette rencontre en parlent encore aujourd’hui comme la pire journée de leur vie professionnelle, tant ils se sont sentis méprisés et peu pris au sérieux. Précisons qu’il ne s’agit pas, pourtant, d’un groupe de rebelles qui bricolent dans leur coin. Les neuf signataires sont de vrais scientifiques et médecins, reconnus comme tels par leur communauté. De plus, depuis leur découverte des SDHI, en octobre 2017, Pierre Rustin et son équipe ont travaillé ! Ils ont mené diverses expériences in vitro. Avec Paule Bénit, ils ont découvert que les SDHI inhibent la fonction respiratoire de nombreux êtres vivants : vers de terre, mais aussi des abeilles et humains.
Ils ont également documenté que les humains ne sont pas égaux face aux attaques de ces pesticides. Par exemple : les personnes qui ont la maladie d’Alzheimer sont plus atteints que les autres. Ils ont donc un corpus scientifique solide, qui affirme clairement que les SDHI représentent un danger majeur. En toute logique, ils devraient être reçus comme des héros. Ce qui n’a pas été le cas. « J’ai senti qu’on était dans la position de ceux qui font du bruit et qui embêtent », dira l’une des scientifiques présentes.
Suite à cette rencontre, l’Anses décide de missionner un « groupe d’expertise collective d’urgence » (GECU) pour évaluer la dangerosité des SDHI. Dans votre ouvrage, vous mettez en doute la compétence des membres de ce groupe. Pourquoi ?
Le président est pharmacien dans la marine nationale. Il est sans doute très compétent dans son domaine. Mais ce dont on parle avec les SDHI est très spécifique, et exige un savoir scientifique très pointu. Il y a aussi un médecin du travail de Lille et une universitaire de Rouen, dont on ne peut pas dire qu’elles connaissent le sujet non plus. Et enfin Marie-France Corio-Costet, qui n’aurait jamais dû être sollicitée, et n’aurait jamais dû accepter de faire partie de ce groupe puisqu’elle est en plein conflit d’intérêt. Elle a, par le passé, eu plusieurs contrats avec des multinationales qui commercialisent des SDHI et participe depuis longtemps à des conférences et colloques sur le sujet, généralement payés par les industriels !
En plus de nommer ces personnes à mon sens incompétentes sur ce sujet, on refuse que Pierre Rustin, qui propose ses services, participe à ce groupe, alors qu’il aurait été tellement logique qu’il en fasse partie ! Six mois plus tard, sans surprise, le Gecu rend un avis qui dit, grosso modo, qu’il n’y a pas de problème. Et pour l’Anses, ce rapport clôt l’affaire des SDHI.
Vous dites que cette affaire des SDHI est révélatrice de tout un système réglementaire qui permet aux pesticides de prospérer. Pourquoi ?
Les tests pratiqués par les industriels pour obtenir leurs autorisations de mise sur le marché (AMM) ne permettent pas de repérer une éventuelle action délétère des SDHI, parce qu’ils ne tiennent pas compte des bouleversements scientifiques des quinze dernières années. L’Anses fait semblant de croire à ce que pensait Paracelse, médecin brillant du 16ème siècle, qui théorisa le concept de « la dose fait le poison ». En d’autres termes : plus on est exposé à un produit, plus c’est dangereux. C’est une vision mécaniste. Mais la chimie de synthèse nous fait entrer dans un autre monde. On sait que, avec les pesticides notamment, ça ne marche pas comme ça. Il y a très souvent des effets non-linéaires.
Avec certaines molécules, moins on est exposé, plus on est empoisonné. Le moment de l’exposition devient crucial : les fœtus, par exemple, sont particulièrement vulnérable. Et il n’y a pas d’« effets de seuil », c’est à dire pas de dose minimum en deçà de laquelle le produit serait inoffensif. Dès qu’il y a contact, il y a danger. La science réelle a fait exploser le cadre sur lequel repose la réglementation qui encadre la mise sur le marché des pesticides. Mais peu importe. On continue à utilise des tests dont on sait de manière certaine qu’ils ne sont d’aucune fiabilité pour nombre de produits chimiques.
Les tests de cancérogénicité reposent encore sur ce que l’on appelle la génotoxicité. On recherche les marqueurs classiques de la détérioration des gènes, par exemple la coupure de l’un d’eux et plus généralement une modification de sa structure. Or, l’énorme souci posé par cette méthode est que l’ADN peut fort bien être intact, tandis que certains gènes sont « éteints » à la suite de modifications épigénétiques (Ndlr : L’épigénétique s’intéresse à ce qui peut influer et moduler l’expression des gènes, par exemple leur environnement : présence de produits chimiques, température, alimentation… [3]).
Lors de la réunion du 14 juin 2018, qui s’est tenue à l’Anses, Pierre Rustin a souligné que les tests pratiqués sur les SDHI ne peuvent pas détecter les modifications épigénétiques porteuses du pire. Et l’un des membres présents, côté Anses, a osé dire : « Si vous nous fournissez un test épigénétique simple et bon marché, nous sommes preneurs »... Sachant pertinemment que cela n’existe pas. C’est honteux ! Soit les tests sont nécessaires et on les fait. Soit ils ne servent à rien, et on passe à autre chose. Mais on ne peut en aucun cas se priver d’un instrument de savoir susceptible d’éviter morts et maladies, au motif qu’il serait trop compliqué et trop coûteux !
Pour vous, ce positionnement de l’Anses s’explique par « une grande proximité avec l’industrie », qui continue à autoriser des produits très dangereux. Pouvez-vous préciser ?
Je crois pouvoir dire, après mon enquête sur les SDHI, que l’Anses est incapable de nous protéger. Précisons que l’Anses est issue de la fusion de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), dont les histoires sont gangrenées par des des conflits d’intérêts majeurs [4]. Mais je ne crois pas qu’il y ait corruption, ni de près ni de loin, des experts de l’Anses. Et je ne crois pas non plus qu’il y ait le moindre complot : ce n’est pas par vilenie qu’ils soutiennent des produits très dangereux. Ce sont fondamentalement des bureaucrates, qui s’abritent derrière une réglementation mise en place pour que les pesticides puissent être massivement utilisés.
C’est un système extrêmement solide, avec une structuration du déni qui dure depuis l’après-guerre. On sait que des liens étroits sont noués dès les années 1950 entre le ministère de l’Agriculture, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), la FNSEA et les vendeurs de pesticides. Il y a une grande proximité entre les responsables de ces divers organismes. Les personnes qui y travaillent se croisent à longueur de temps dans leurs quotidiens, par exemple dans des colloques généralement payés par l’industrie. Si l’on en revient aux SDHI : l’Anses, l’Inra et l’institut du végétal Arvalis (financé par des professionnels notamment du secteur agricole, ndlr) ont rédigé des notes communes sur les résistances aux SDHI. Autrement dit : l’Anses s’est accordée avec des représentants de l’industrie pour donner son aval à ces produits. Comment peut-on imaginer que, ensuite, ils disent « non, en fait, il ne faut pas les utiliser » ? On voudrait que l’Anses se déjuge. C’est impossible.
L’organisme qui délivre les autorisations de mise sur le marché (AMM) ne peut pas être celui qui interdit les pesticides. Il faut absolument séparer ces deux fonctions. Autre exemple, qui montre le rôle trouble de l’Anses : en novembre 2017, l’association Générations futures a déposé un recours devant le tribunal administratif pour demander l’annulation des AMM des insecticides néonicotinoïdes Closer et Transform, contenant du sulfoxaflor. Face à eux, lors de l’audience, il y avait les représentants de l’industrie chimique mais aussi trois personnes de l’Anses, venues défendre le fait qu’il ne fallait pas retirer les AMM. On se retrouve avec une agence publique qui vient défendre des intérêts privés devant un tribunal.
Que faut-il faire face à cette situation, selon vous ?
Mon point de vue est qu’il faut dissoudre l’Anses. Elle a fait preuve de si graves errements qu’ils ne peuvent être que structurels. Cela ne signifiera le chômage pour personne. La fonction sociale de l’agence est éminente et ne saurait disparaître. Je suis même convaincu qu’il y a du travail pour bien plus de monde que les personnes aujourd’hui en poste.
Concernant les SDHI, il faut bien évidemment les interdire. Le 22 janvier dernier, 450 scientifiques ont signé une tribune dans le quotidien Le Monde pour demander l’interdiction de ces pesticides. Par ailleurs, un groupe réunissant scientifiques, associations et députés a déposé un recours devant le tribunal administratif pour demander le retrait des autorisations de mise sur le marché des SDHI. Nous avons donc décidé de ne pas nous laisser faire.
Plus globalement, sur la question des pesticides, les choses changent. Elles doivent changer. Le combat des paysans malades des pesticides qui demandent justice – comme Paul François, le mouvement des Coquelicots, les arrêtés des maires contre les pesticides à proximité des habitations… : tout cela a fait surgir la question des pesticides comme étant très importante. On peut désormais protester haut et fort tous ensemble. Malheureusement, en face, nous avons un gouvernement qui, comme tous les précédents qu’ils soient de gauche ou de droite, laisse une liberté totale à la FNSEA et à l’agrochimie.
C’est une situation incroyable : 90% des Français veulent sortir des pesticides. Et en face, à cause de la cogestion du ministère de l’Agriculture avec la FNSEA et l’agrochimie, rien. C’est un déni de démocratie violent et insultant. Car ces gens défendent des intérêts particuliers. Mais sans révolte sociale, ce système perdurera. Il faut que se lève une contestation radicale.
Propos recueillis par Nolwenn Weiler
Publié le 30/01/2020
COMMENT LES RICHES DÉTRUISENT LA PLANÈTE
(site bibliothequefahrenheit.biogspot.com)
Alors que la crise écologique ne cesse d’empirer et que « le système social qui régit actuellement la société
humaine, le capitalisme, s’arc-boute de manière aveugle contre les changements qu’il est indispensable d’opérer si l’on veut conserver à l’existence humaine sa dignité et sa promesse », Hervé
Kempf dénonce « l’oligarchie prédatrice » qui maintient l’ordre établi à son avantage et compte sur la croissance matérielle pour faire accepter par les classes subordonnées, l’injustice
des positions ».
Il dresse d’abord un clair état des lieux des différents dérèglements écologiques : sixième extinction de masse, réchauffement climatique, baisse de la biodiversité, pollution générale des
écosystème, … « L’ « empreinte écologique » de nos sociétés, c’est-à-dire leur impact écologique, selon le concept forgé par l'expert suisse Mathis Wackernagel, dépasse la
« biocapacité de la planète ». » Quant au développement durable, c’est surtout « une arme sémantique pour évacuer le mot « écologie » » et maintenir les profits.
« L’entreprise « Économie mondiale » ne paie pas « l’amortissement de la biosphère », c’est-à-dire le coût de remplacement du capital naturel qu’elle utilise ». Il faut
admettre que « crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre (…) mis en oeuvre par un système qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes
dirigeantes ».
De la même façon, il brosse un tableau détaillé de la progression de la pauvreté et de la précarité dans le monde, concomitante de l’augmentation des inégalités. Ceux qui en sont victimes sont
également plus directement touchés par la crise écologique. Dans le même temps les revenus et le patrimoine de l’oligarchie n’ont cessé de croître de façon pernicieuse. Un exemple parmi d’autres :
tandis que la rémunération des dividendes a augmenté de 52% en France, entre 1995 et 2005, le salaire médian progressait de 7,8%, soit sept fois moins. « Dans les pays pauvres, la caste s’est
constituée aux sommets de l’État en lien avec celle des pays occidentaux : les classes dirigeantes locales ont négocié leur participation à la prédation planétaire par leur capacité à rendre
accessibles les ressources naturelles aux firmes multinationales ou à assurer l’ordre social. Dans les pays de l’ex-Union soviétique, une oligarchie financière s’est formée à côté des structures
étatiques par l’appropriation des dépouilles de l’État. » Les fortunes de l’oligarchie mondiale sont protégées dans les paradis fiscaux, utile moyen de pression pour suggérer aux États
d’abaisser la fiscalité sur les riches ». Cette classe opulente, qui vit séparée de la société à la manière d’une aristocratie, se reproduit
sui generis par transmission du patrimoine, des privilèges et des réseaux de pouvoir. « Aujourd’hui, après avoir triomphé du
soviétisme, l’idéologie capitaliste ne sait plus que s’autocélébrer. Toutes les sphères de pouvoir et d’influence sont avalées par son pseudo-réalisme, qui prétend que toute alternative est
impossible et que la seule fin à poursuivre pour infléchir la fatalité de l’injustice, c’est d’accroître toujours plus la richesse. Ce prétendu réalisme n’est pas seulement sinistre, il est aveugle.
Aveugle à la puissance explosive de l’injustice manifeste. Et aveugle à l’empoisonnement de la biosphère que provoque l’accroissement de la richesse matérielle, empoisonnement qui signifie
dégradation des conditions de vie humaine et dilapidation des chances des générations à venir. »
Le chapitre le plus intéressant de cet ouvrage est certainement celui qui expose la Théorie de la classe de
loisir de Thorstein Veblen (1857-1929). Selon lui, la « tendance à rivaliser » est le principe qui domine l’économie.
Le niveau de production nécessaire à satisfaire les besoins concrets de l’existence est assez aisément atteint, mais un surcroît de production est suscité par le désir d’étaler ses richesses afin de
se distinguer d’autrui, d’ « exhiber une prospérité supérieure à celle de ses pairs », nourrissant « une consommation ostentatoire et un gaspillage généralisé ». La classe la
plus haut placée, celle qui possède richesse et loisir, détermine, par son train de vie, le mode de vie de la société toute entière.
La caste des hyper-riches, qui compte quelques dizaines de milliers de personnes, et la « nomenklatura capitaliste », classe opulente qui l’entoure, constituent l’oligarchie. En imposant
son modèle de consommation, celle-ci est directement responsable de la crise écologique. Pour échapper à sa remise en cause, elle rabâche l’idéologie dominante selon laquelle la croissance de la
production serait l’unique moyen de lutter contre le chômage et la pauvreté, sans bien sûr modifier la distribution de la richesse. La croissance est devenue le grand tabou, l’angle mort de la pensée
contemporaine « parce que la poursuite de la croissante matérielle est pour l’oligarchie le seul moyen de faire accepter aux sociétés des inégalités extrêmes sans remettre en cause celles-ci. La
croissance crée en effet un surplus de richesses apparentes qui permet de lubrifier le système sans en modifier la structure ».
Hervé Kempf dénonce et documente les offensives contre la démocratie et les libertés publiques depuis les années 1990, « avec le triomphe d’un capitalisme libéré de la pression de son ennemi, le
soviétisme » et surtout après les attentats du 11 septembre 2001 au nom de la lutte contre le terrorisme. La « guerre contre les pauvres », sous couvert de lutte contre la délinquance
et l’insécurité, est un autre épouvantail agité au lieu d’une prise en charge politique de l’inégalité sociale. La contestation sociale est de plus en plus criminalisée et la surveillance généralisée
sans que les médias, bien souvent, ne le dénoncent. « La démocratie devient antinomique avec les buts recherchés par l’oligarchie : elle favorise la contestation des privilèges indus, elle
alimente la remise en cause des pouvoirs illégitimes, elle pousse à l’examen rationnel des décisions. Elle est donc de plus en plus dangereuse, dans une période où les dérives nuisibles du
capitalisme deviennent plus manifestes. »
En conclusion, Hervé Kempf propose une stratégie pour imposer des mesures concrètes : diviser l’oligarchie pour qu’une partie prenne fait et cause pour les libertés publiques et le bien commun,
compter sur des journalistes attachés à l’idéal de la liberté et une gauche renaissante qui unirait les causes de l’inégalité et de l’écologie, pourrait permettre d’imposer une fiscalité pesant
davantage sur la pollution et sur le capital que sur le travail, un transfert des richesse de l’oligarchie vers les services publiques, la recherche de l’efficacité énergétique, l’instauration d’un
RMA (Revenu Maximal Admissible),…
La charge est puissante et ne se contente pas d’effleurer les responsabilités ni les responsables. Certes les chiffres, datant d’avant 2007, mériteraient d’être actualisés mais nul doute que toutes
les tendances mises en lumières demeurent et même se soient encore accentuées. Ce recul permet justement de confirmer la justesse des logiques dénoncées puisqu’elles sont encore à l’oeuvre
aujourd’hui et de façon beaucoup plus visibles. La méthodologie proposée mériterait un approfondissement d’autant que l’on ne peut que constater que rien ni personne n’a réussi à imposer un
changement de cap.
Publié le 31/12/2019
Huile de palme, conditions de travail, monoculture : les effets néfastes de Nutella sur les travailleurs et la nature
par Olivier Favier (site bastamag.net)
La multinationale qui fabrique la célèbre pâte à tartiner est accusée d’exploiter des travailleurs agricoles, d’abuser de l’huile de palme qui contribue à la déforestation et, depuis peu, de pousser à l’accaparement des terres en Italie. Deuxième volet de notre enquête sur Ferrero.
Dès que l’on quitte Alba, le fief de la filiale italienne de Ferrero, la clémence est bien moindre. Au printemps 2019, pour la première fois, les ouvriers de l’usine française de Villiers-Écalles décrochent pendant une semaine sur le plus grand site de production au monde. Quelques mois plus tôt, des supermarchés qui se sont livrés à du dumping sur la marque Nutella se retrouvent confrontés à de véritables émeutes, ravivant une critique déjà ancienne sur les vices cachés du produit : une forte proportion de sucres rapides suscitant l’addiction et apparentant davantage la célèbre pâte à tartiner aux sodas et aux produits des fast-foods qu’à un met simple et sain pour le quotidien des enfants.
Dès 2011, une mère de famille californienne a poursuivi la marque en justice pour publicité mensongère parce que celle-ci décrit son produit-phare comme « bon pour la santé » et le donne en « exemple de petit-déjeuner équilibré et savoureux ». Pour mettre fin à cette procédure, Ferrero accepte l’année suivante de se délester de quelques trois millions d’euros. À Toulouse, en 2016, la mort d’une fillette de trois ans par étouffement avec un jouet Kinder ouvre en France un débat jusque-là esquivé : est-il opportun d’introduire un corps étranger dans un objet alimentaire, qui plus est à destination des enfants ? Aux États-Unis, la question a été résolue en amont, en vertu d’une loi remontant à 1938. L’importation de « Kinder surprise », y compris à titre privé, y est tout simplement interdite.
Une image ternie
Une autre polémique récurrente, du moins hors d’Italie où elle n’a pas touché le grand public, tourne autour de l’usage de l’huile de palme, devenue en France un des symboles de la « malbouffe » et de la déforestation. Peu coûteuse, elle est un des composants essentiels de la Nutella dont les concurrents se sont souvent démarqués par des produits affichant la mention « garanti sans huile de palme ». Ferrero n’a pourtant pas renoncé à son mode de production, cherchant à démontrer les vertus nutritives de cette matière première et défendant un modèle de production durable, certifié par un label dont les entreprises bénéficiaires sont à la fois juge et partie.
Contrairement à ses rivaux, Ferrero ignore aussi le marché du « bio », jugeant sans doute le secteur négligeable eu égard à la masse des consommateurs séduits par le faible coût de la marque. En 2016 enfin, les emballages individuels, l’une des constantes des produits Ferrero, sont incriminés par l’ONG allemande Foodwatch car ils déposent sur les aliments des substances potentiellement cancérogènes. Sur ce point aussi, l’entreprise se contente de répondre que ses procédés de fabrication sont conformes aux normes en vigueur.
Comme son père avant lui, Giovanni Ferrero est l’homme le plus riche d’Italie
Dans la péninsule, Ferrero incarne le modèle de l’entreprise italienne, familiale et inventive, fière de ses traditions. Il faut dire que Giovanni Ferrero, le frère cadet de Pietro, est, comme son père avant lui, l’homme le plus riche d’Italie. En 2018, il détient les deux tiers de la valeur de la multinationale, soit 21 milliards d’euros, ce qui fait de lui la 47ème fortune mondiale. Son style de management diffère cependant radicalement de celui de ses prédécesseurs, lesquels prônaient la mesure alors même que l’extension du groupe en faisait au fil de temps un géant de l’agroalimentaire européen puis mondial. Depuis 2015, pour s’assurer d’une croissance annuelle de 7% permettant à l’entreprise de doubler sa taille en dix ans, Giovanni Ferrero brise un tabou en se lançant dans une politique de rachats. À contre-courant de l’évolution du secteur, ses cibles concernent des fabricants de produits peu coûteux et de médiocre qualité, ce qui pourrait à terme nuire à l’image d’un groupe qui, par ailleurs, ne se démarque plus par des produits innovants.
En juillet 2019, deux reporters aguerris, Stefano Liberti et Angelo Mastrandrea, livrent au mensuel italien Internazionale un véritable brûlot sur Ferrero. Stefano Liberti y montre son emprise sur le secteur primaire en Turquie, notamment en ce qui concerne la production de noisettes, l’une des principales richesses du pays : tout puissant, le groupe y est accusé de tirer les prix à la baisse, entraînant dans la précarité un pan jusque là prospère de la production agricole nationale, à tel point que Ferrero y est qualifié par un des interlocuteurs du journaliste de « véritable ministre de l’agriculture » du pays.
Ferrero s’est montrée sensible aux accusations récurrentes selon lesquelles en Turquie, la production de noisettes à bas prix tireraient profit du travail des enfants et de réfugiés syriens exploités. Et pour une production, on s’en souvient, initialement liée aux richesses locales des Langhe, la solution proposée a été une relocalisation partielle de ses fournisseurs. Par une étrange coïncidence, le nouveau plan de développement rural de l’Union européenne, pour la période allant de 2020 à 2024, préconise l’extension de la monoculture de la noisette sur le territoire italien.
« C’est la première fois qu’une entreprise a une telle influence sur la politique européenne »
Celle-ci, explique cependant Angelo Mastrandrea, n’est profitable qu’en apparence à l’économie des territoires concernés et nuisible à leur équilibre écologique. Sur le journal de centre-gauche La Reppublica, quelques mois plus tôt, la réalisatrice Alice Rohrwacher, qui a grandi et vit dans les environs d’Orvieto, une des zones les plus concernées par le projet européen, s’est faite le relais dans une lettre ouverte des inquiétudes de nombre de petits agriculteurs locaux, dont beaucoup sont de néo-ruraux qui ont fait le choix d’un mode de production fondé sur la qualité des résultats et le respect de l’environnement. Sa démarche n’a pas généré de réaction officielle et l’inquiétude continue de grandir.
« C’est la première fois qu’une entreprise a une telle influence sur la politique européenne », s’inquiètent par exemple Elisa et Giovanni, qui se sont installés dans le Viterbese il y a six ou sept ans. Ils ont laissé derrière eux les bons salaires promis par de longues études en ingénierie et en sciences politiques pour produire de l’huile et du vin biologiques. Ce sont des membres actifs de la Comunità Rurale diffusa, un collectif informel d’une quarantaine de personnes, qui ensemble écoulent leur production via deux marchés par mois. Ces rendez-vous sont aussi l’occasion de créer des événements culturels - présentation de livres ou projections de films - dans le but de recréer du lien social sur un territoire délaissé, aux confins de la Toscane, du Latium et de l’Ombrie.
Au sein du collectif, m’expliquent-ils, tous craignent d’être les victimes collatérales de cette évolution. Là où les monocultures se sont développées (vignes et noisettes), la pollution a rendu les lacs impropres à la pêche ou à la baignade. L’impact à long terme sur les nappes phréatiques est désastreux et les terres adjacentes sont menacées de perdre leur label. Les propriétaires qui choisissent l’agriculture intensive ne vivent souvent pas dans les lieux et délèguent la croissance des arbres à des prestataires de service. L’entretien d’un hectare ne demande guère que quarante journées de travail par an durant les cinq premières années, avant que l’arbre ne devienne exploitable. L’impact sur le marché du travail est donc dérisoire et ne concerne que partiellement les travailleurs locaux.
Cinq ans, c’est aussi la durée de l’engagement exigé pour garantir les aides à l’agriculture biologique. Il y a fort à craindre que la première récolte marque un retour à l’agriculture conventionnelle, et avec elle un recours massif aux pesticides garantissant des noisettes d’une parfaite blancheur, conformes aux exigences de la multinationale piémontaise. À cela s’ajoute l’usage du glyphosate juste avant la récolte, un sol nu permettant de mécaniser le ramassage des noisettes au sol. Pour l’instant, le cours de la noisette séduit les possédants convaincus de faire une bonne affaire. « Pour autant, souligne Elisa, le client est en situation de quasi-monopole et les prix vont baisser, j’en suis sûre. » Auprès du grand public, le combat est pourtant loin d’être gagné. Ferrero joue l’argument éthique du Made in Italy même si, pour l’instant, seule une part mineure de son approvisionnement est concernée.
Par ailleurs, poursuit Elisa, « il est difficile d’expliquer aux gens que c’est parfois mal de planter des arbres, parce que toutes les monocultures détruisent les sols ». Huile de palme ou noisettes, cacao ou sucre, ni le producteur ni le consommateur ne sortent gagnants des recettes du capitalisme selon Ferrero. Il est peut-être temps de se poser sérieusement la question formulée dans le slogan publicitaire de sa filiale italienne : « Que serait un monde sans Nutella ? »
Olivier Favier
Publié le 31/102019
Perpignan-Rungis : le gouvernement préfère des milliers de camions supplémentaires plutôt que le fret ferroviaire
par Sophie Chapelle (site bastamag.net)
La ligne de train Perpignan-Rungis, qui permet d’approvisionner l’Île-de-France en fruits et légumes, doit rouvrir ce 1er novembre, a promis la ministre Elisabeth Borne. Sa réouverture permettra d’éviter la pollution de milliers de camions. Mais cette promesse écologique risque bien, une fois encore, de rester lettre morte.
Le seul train de fret français acheminant au cœur de l’agglomération parisienne des fruits et légumes – entre 1200 et 1400 tonnes par jour convoyé de Perpignan jusqu’à Rungis – est suspendu depuis juillet. L’état des wagons frigorifiques vieux de 40 ans ne garantirait plus les conditions de sécurité et de maintien du froid [1]. Ensuite, aucun accord n’aurait été trouvé entre la SNCF et les deux sociétés qui chargent le train sur les conditions de renouvellement du contrat. En lieu et place, ce sont des dizaines de poids lourds qui empruntent chaque jour l’autoroute. Les wagons réfrigérés du train restent, eux, vides et stationnés à la gare de triage de Nîmes dans le Gard. Une gare « cimetière » selon les cheminots.
« La SNCF et le gouvernement se renvoient la balle. Ils n’ont rien fait depuis des années pour rénover et personne ne veut payer aujourd’hui. Politiquement, ils ne peuvent assumer de supprimer un train et de le remplacer par des milliers de camions », analyse Thomas Portes, cheminot et animateur du collectif "Sauvons le Perpignan-Rungis" et responsable national du PCF. « C’est 44 tonnes de CO2 supplémentaires dans l’air à chaque convoi de camions qui remplacent le train. Si on veut lutter contre le réchauffement climatique il faut refaire circuler ce train le plus rapidement possible ! » Sur le plan social, la fin de cette ligne entrainerait la disparition de plus d’une centaine d’emplois, estime le collectif.
« Le désastre de la mise en concurrence du fret ferroviaire »
Comment en est-on arrivés là ? « Il y a dix ans, pas moins de quatre trains des primeurs circulaient chaque jour vers Rungis », se remémore Thomas Portes. Puis ce fut trois, deux, et enfin un seul... jusqu’en juillet dernier. La SNCF avait pourtant été pionnière dans les trains spécialisés de marchandise. Au milieu des années 1970, une très large part des fruits et légumes du sud de la France et d’Espagne remontaient à Rungis en train. Aujourd’hui, 138 000 tonnes annuelles sont expédiées par rail sur un total de 1,76 million de tonnes, soit à peine 8 % [2].
L’ouverture à la concurrence des lignes nationales de fret ferroviaire, décidée par l’Union européenne, porte sa part de responsabilité dans ce fiasco. Pour prévenir l’arrivée de concurrents, la SNCF a créé une myriade de filiales dont Geodis, première entreprise de transport de marchandises par la route en France. C’est donc une filiale de la SNCF qui fait directement concurrence aux offres de fret de... la SNCF.
Or, les politiques de défiscalisation de certains carburants menées en France contribuent à rendre le transport par camion – déjà plus fluide qu’un convoi ferroviaire – moins cher que par le train. Le transport routier bénéficie ainsi d’une exonération partielle de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et ne paie pas les infrastructures – autoroutes mises à part – quand un opérateur de train doit, lui, louer la voie ferrée sur laquelle il fait circuler son train. « Le train des primeurs est le symbole du désastre de la mise en concurrence du fret ferroviaire, estime Jean-Luc Gibelin, vice-président du conseil régional d’Occitanie (PCF) en charge des transports. Sans intervention de l’État et de son opérateur ferroviaire, la SNCF, le secteur privé choisira le camion, la pollution et la rentabilité. »
Double discours
« La SNCF nous présentait cette ouverture à la concurrence comme le remède miracle pour relancer le transport de marchandises. On était à 20 % de part modale en 2006,
c’est moins de 10 % aujourd’hui, renchérit Thomas Portes.
La SNCF n’hésite pourtant pas à mener une campagne publique pour le fret mettant en avant un mode de transport « neuf fois moins [émetteur] de CO2 que la route ». L’entreprise a envoyé cet été aux
députés et sénateurs un Livre
blanc dont l’ambition est, d’ici à 2030, de doubler la part des marchandises transportées par le
train. « C’est du cynisme », s’insurge
Thomas Portes. Début octobre, Fret SNCF a encore annoncé la suppression de 200 postes [3]. « Il
ferment les gares de triages. Depuis 2006 on est passé de 12 000 cheminots fret à 4000 ! » Pour lui c’est clair : la SNCF ne
veut plus du fret.
Pour justifier ces suppressions d’emplois, l’entreprise fait valoir la dette de sa branche fret, de 5,2 milliards. Or, comme le montre notre précédente enquête, cette dette résulte des choix politiques et organisationnels de la Sncf qui a notamment misé sur le « tout TGV ». « Quand on fait la grève en 2018, ils nous ont dit que la réforme ferroviaire visait à supprimer la dette », souligne Thomas Portes. « Un an et demi après, on n’a toujours pas résolu le problème de la dette. Au contraire : la réforme va acter la privatisation du fret en 2020. » Concrètement, à l’heure de l’urgence climatique, il n’y aura plus d’entreprise publique capable d’investir dans le transport de marchandises sur rail.
« La crise climatique nous ordonne de faire un choix cohérent et de sauver cette ligne »
« Oui, le transport de marchandises coûte de l’argent public. Mais les avantages environnementaux sont indéniables. Quel sera le coût environnemental à payer si demain on fait rouler des milliers de camions supplémentaires ? », interroge le cheminot. Investir pour le remplacement du matériel usé « est un investissement pour l’avenir qui doit être la priorité de l’État et de la SNCF, appuie l’élue écologiste Agnès Langevine, vice-présidente de la région Occitanie. La crise climatique nous ordonne de faire un choix cohérent et de sauver cette ligne. »
La CGT estime que l’État pourrait aider l’entreprise dont il est propriétaire. Elle propose de flécher 6 milliards d’euros des recettes de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) pour financer la rénovation du réseau ferré. Le collectif "Sauvons le Perpignan-Rungis" demande aussi à ce que la ligne soit décrétée d’intérêt national, et gérée par la branche fret de la SNCF. Un monopole de la gestion permettrait d’investir de l’argent public sans que cela soit considéré comme une distorsion de concurrence.
« Sans révision, le Perpignan-Rungis ne repartira pas en novembre. C’est honteux »
Depuis l’arrêt de la ligne, des réunions tripartites se sont tenues entre la SNCF, le gouvernement et les sociétés de chargement. Les discussions semblent assez mal engagées. « Le 11 septembre dernier, malgré les engagements de l’État, la SNCF officialisait son retrait de sa fonction d’opérateur du train, fonction que l’entreprise publique assurait jusqu’en juillet 2019 » dénonce Jean-Luc Gibelin, qui participe aux réunions. Le groupe SNCF assure pour sa part qu’il ne se désengage pas et qu’il est, « avec d’autres parties prenantes », à la « recherche d’une solution ». Aucune réunion tripartite ne s’est pourtant tenue depuis fin septembre.
Élisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique et solidaire a communiqué sur un redémarrage de la ligne de fret Perpignan-Rungis dès le 1er novembre, date considérée comme la « reprise de la saison haute » [4]. « Le gouvernement s’était engagé à réaliser un audit mais il ne l’a même pas fait », déplore Thomas Portes. « La rénovation est estimée à 25 000 euros par wagon. Sans révision, le Perpignan-Rungis ne repartira pas en novembre. C’est honteux. »
« Tout, mis bout à bout, conduit à supprimer cette ligne »
Outre la vétusté du matériel se pose aussi la question du trajet retour. Comment éviter que le train ne circule à vide ? Pendant longtemps, le train transportait des journaux vers Montauban. Un service d’« auto-train » permettait aussi d’acheminer des voitures vers le sud de la France ou l’Espagne. « Des solutions existent mais la direction de la SNCF crée les conditions pour que l’équilibre financier ne tienne pas. Tout conduit à supprimer cette ligne. »
Comment remplir un train quand les deux entreprises qui en avaient la charge ont vidé les lieux depuis fin août, interroge également la CGT locale. Les deux sociétés se sont en effet reportées sur le transport routier. Sans opérateur, sans chargeur, sans audit et sans wagons fonctionnels, un redémarrage au 1er novembre semble impossible.
La CGT cheminots prévoit une initiative le 31 octobre sur la plateforme du marché de Rungis. « On ne lâchera pas. Il faut maintenant que les gens s’emparent de cette question. La SNCF et le gouvernement nous regarderont différemment s’il y a une mobilisation citoyenne d’ampleur. » Rappelons que l’ouverture à la concurrence s’étendra de manière obligatoire aux lignes grande vitesse en 2020 puis en 2023 au transport régional.
Sophie Chapelle
Photo de une : Le train des primeurs stationné à la gare de triage de Nimes - © Secteur CGT des cheminots de Montpellier
Notes
[1] Concernant la ligne Perpignan-Rungis, « la question de sa pérennité est posée en raison de la vétusté des wagons utilisés, dont le renouvellement supposerait un investissement de plus de 20 millions d’euros et de disposer d’une visibilité de long terme sur l’activité de la ligne », précise le ministère de la Transition écologique et solidaire dans un communiqué du 17 mai 2019.
[2] Lire cet article des Echos.
[3] Voir L’Usine nouvelle.
[4] Lire cet article de 20 Minutes
Publié le 05/10/2019
Omerta sur une catastrophe industrielle majeure aux portes de Paris
En plein été, une installation stratégique de la plus grande station d’épuration des eaux usées d’Europe est totalement détruite par le feu à trente kilomètres de la capitale. Il faudra entre trois et cinq ans pour la reconstruire, au prix, dans l’intervalle, d’une pollution gravissime de la Seine. Ce site n’a cessé d’enregistrer des sinistres de plus en plus graves depuis plusieurs années. Sa gestion est entachée par des dévoiements sans précédent en matière de marchés publics. Un désastre absolu, qui ne suscite qu’une inquiétante indifférence.
par Marc Laimé, (site blog.mondediplo.net)
Le 3 juillet dernier, un incendie spectaculaire se déclenche sur le site classé « Seveso seuil haut », c’est-à-dire faisant l’objet d’une surveillance particulière en raison de la toxicité des produits qu’il abrite, au sein de l’usine « Seine Aval » (SAV) du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) implantée dans la plaine d’Achères, dans les Yvelines (1).
S’étendant sur 600 hectares, la gigantesque station d’épuration, à l’intérieur de laquelle on ne se déplace qu’en voiture ou en camion, est lovée dans une boucle de la Seine, à cheval sur les villes de Saint-Germain-en-Laye, Maisons-Laffitte et Achères. Elle traite 60 % des eaux usées de 9 millions de Franciliens, ce qui fait d’elle la plus grande station d’épuration d’Europe.
C’est un bâtiment de 6 000 m2 servant à la « clarifloculation » des eaux usées (procédé d’élimination des particules en suspension, notamment des phosphates (2)), abritant plusieurs cuves de chlorure ferrique, substance toxique et hautement corrosive, qui a pris feu. L’unité se situe au début de la filière de traitement des eaux usées, et abrite une myriade de colonnes en plastique, dans lesquelles circule le chlorure ferrique. Un énorme panache de fumée noire se dégage aussitôt, visible à plusieurs kilomètres à la ronde.
En l’espace de quelques mois, c’est le quatrième incident grave, incendie ou explosion, sur ce même site.
À 19 heures le sinistre n’était toujours pas maîtrisé par les sapeurs-pompiers du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) 78, qui avaient dépêché sur place plusieurs dizaines de véhicules et au moins 70 soldats du feu. À 18 heures 45, d’autres camions et d’autres sapeurs-pompiers continuaient d’arriver sur le site. « Nous avons dû procéder à une alimentation en Seine avec un bateau pompe. Nous avons également utilisé des motos pompes remorquables dans les rétentions des eaux usées », expliquait le lieutenant-colonel Christophe Betinelli, commandant des opérations de secours.
Ce que l’honorable lieutenant-colonel ne pouvait évidemment pas déplorer publiquement, c’est que les conduites alimentant les poteaux d’incendie — sur lesquels les pompiers branchent leurs lances — passaient… sous le bâtiment qui a brûlé. Les poteaux étaient donc inutilisables. « Inconcevable », confiera un pompier présent sur place. Il faudra attendre quatre jours pour que le sinistre soit totalement maîtrisé, après la venue de la gigantesque échelle déjà utilisée pour venir à bout de l’incendie de Notre-Dame de Paris.
Dès le lendemain matin, le syndicat FO du SIAAP dénonçait une situation « catastrophique » :
« La situation à SAV s’est fortement dégradée depuis plus de deux ans. Vendredi dernier, nous avons adressé à l’inspection du travail sept alertes de dangers graves et imminents (dont le SIAAP n’a toujours pas tenu compte malgré ses obligations en la matière), pour des fuites de gaz ou des départs d’incendie.
Hier avec l’incendie de la clarifloculation, les herbes hautes et sèches ont pris feu, lequel a failli atteindre la zone Biogaz. »
Premier bilan
Deux jours après l’accident, lors d’une réunion d’information organisée à Saint-Germain-en Laye, le SIAAP confirmait aux élus présents l’existence d’une pollution liée au déversement dans la Seine d’eaux usées qui n’étaient plus que « partiellement » traitées. Au lendemain de l’incendie, d’impressionnantes photos et vidéos d’amoncellement de poissons morts avaient été diffusées par les médias, ou mises en lignes par des associations locales et de nombreux particuliers, notamment des pêcheurs et des bateliers stationnés à Conflans-Sainte-Honorine.
Le samedi 6 juillet en fin d’après-midi, un bateau affrété par le SIAAP était arrimé au quai de l’île Peygrand, face au barrage d’Andrésy (Yvelines). À son bord, deux bennes contenant trois tonnes de poissons morts, mélangés à des algues et détritus divers. Une mortalité due au manque d’oxygénation de l’eau, conséquence de la présence anormale de matières organiques, et donc de carbone. Le syndicat affirmait compter sur la mise en service d’unités de biofiltration pour faire remonter le taux d’oxygénation du fleuve.
Parallèlement, le volume d’eaux traitées sur le site était réduit, passant de 15 m3 par seconde à 8 m3, la compensation étant assurée par deux des cinq autres usines du SIAAP, celles de Colombes (Hauts-de-Seine) et de Triel-sur-Seine. S’engageant sur un horizon de quelques semaines pour obtenir un traitement des phosphates quasi équivalent la situation d’avant l’incendie, le syndicat reconnaissait dans la foulée qu’il faudrait plusieurs années pour reconstruire l’unité de clarifloculation !
Ce même soir à 18 heures, Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État à l’écologie, annonçait la convocation des responsables du SIAAP. Quelques heures avant cette audition, un communiqué diffusé par l’association Robin des Bois suscitait de nouvelles inquiétudes : alors que la Seine était en période d’étiage, les égouts de l’Ouest parisien venaient de recevoir de lourdes charges de poussières de plomb consécutives à l’incendie de Notre-Dame de Paris.
L’association révélait surtout que l’incendie du 3 juillet était le onzième accident sur le site de SAV depuis le 10 avril 2017… Et que l’usine avait fait l’objet de quatre mises en demeure du préfet des Yvelines en 2018 pour non conformité à la réglementation, notamment pour le manque de contrôle des tuyauteries et soudures du site.
Le Siaap n’en ayant tenu aucun compte, une astreinte pécuniaire — une amende pour chaque jour de retard dans l’exécution des travaux — avait été prononcée par le préfet des Yvelines fin janvier.
Nouvelle hécatombe de poissons
Dans la nuit du vendredi 26 au samedi 27 juillet, de violents orages provoquaient une nouvelle pollution de la Seine du côté de Sartrouville, Conflans-Sainte-Honorine et Andrésy.
« Nous avons géré au mieux l’assainissement, mais nos capacités actuelles de traitement ne permettent pas d’excéder un débit de 17 m3 par seconde. Or, on a atteint 38 m3 par seconde », expliquait le directeur de SAV. En dépit du stockage dans son réseau et du soutien d’autres usines de traitement en aval, l’usine s’était contentée d’une simple « décantation ».
Dans toute la région parisienne, les gigantesques émissaires du SIAAP reçoivent en effet par temps de pluie, outre des eaux usées, des quantités énormes d’eaux « pluviales », fortement polluées après avoir ruisselé sur les chaussées. Comme Achères traite en temps normal jusqu’à 60 % des flux de l’agglomération, le scénario catastrophe se reproduira mécaniquement aussi longtemps que l’unité de « clarifloculation » n’aura pas été reconstruite, ce qui demandera trois à cinq ans et devrait coûter une centaine de millions d’euros. Avec pour conséquence de graves pollutions de la Seine, qui placeront la France en position délicate vis-à-vis de l’Union européenne, puisque plusieurs directives nous contraignent depuis le début des années 1990 à reconquérir une bonne qualité des eaux, sanctions financières à l’appui si l’objectif n’est pas atteint.
Fin juillet on recensait déjà un minimum de 10 tonnes de poissons morts.
Un mystère persistant
La préfecture des Yvelines organisait une nouvelle réunion le 5 septembre. On y apprendra que c’est seulement ce même jour, soit deux mois après l’incendie, qu’une mission d’experts avait pu accéder au site pour tenter de comprendre l’origine du sinistre !
Explication : « Le point de départ du feu était inaccessible pour des raisons de sécurité. (…) Les experts avaient besoin de rentrer dans la clarifloculation (…). La difficulté était double. D’abord parce qu’on avait des eaux d’extinction qui avaient servi à arrêter le feu qui se trouvaient au fond du bâtiment mélangées à du chlorure ferrique, et il était nécessaire de prendre un certain nombre de précautions, pour vider ces eaux, sans avoir un impact fort sur le milieu et la Seine. »
Avant juillet, le site traitait chaque jour 2,3 millions de m3 d’eaux usées. Une capacité tombée à 1,45 million de m3 après l’incendie. « Nous allons atteindre 1,7 millions de m3 à la fin de l’année, avant de parvenir à 2 millions au printemps 2020 », assurait le directeur de SAV. Côté calendrier, 2019 allait être consacré au nettoyage et au diagnostic complet des travaux à mener ; 2020 aux passations de marché, avant que le chantier ne démarre en 2021 pour s’achever à la fin 2022. À l’avenir, le chlorure ferrique sera stocké à l’extérieur de l’unité et non plus au centre comme c’était le cas, tandis que « la charpente et la toiture seront repensées », précisait le syndicat.
Arnaud Péricard, maire de Saint-Germain-en-Laye, indiquait qu’il tenait à la disposition des élus « tous les courriers qu’il a écrit depuis deux ans. Je ne veux pas être alarmiste inutilement, mais je ne suis pas optimiste sur la situation. Je me suis d’ailleurs permis d’appeler Mme le maire de Paris pour le lui dire. Elle m’a dit qu’elle allait regarder ça. Je rappelle que la ville de Paris a une part prépondérante dans ce conseil d’administration. »
Comme lors des deux précédente réunions tenues en juillet, seuls des représentants de l’État, des élus et quelques rares représentants associatifs triés sur le volet avaient été conviés à y assister. De public, de riverains, point ! Du coup, alors que le site est classé « Seveso seuil haut » depuis 2009, l’annonce, seulement relayée par l’édition locale du Parisien et la Gazette des Yvelines — seuls médias à avoir suivi l’affaire —, de la mise en œuvre bien tardive d’un Plan particulier d’intervention (PPI), ou la refonte d’un Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) n’avait aucune chance de rassurer des riverains excédés.
Rencontrés le 23 septembre, des résidents de Conflans-Sainte-Honorine qui préparent une liste citoyenne pour les prochaines élections municipales ne décoléraient pas : « On se moque de nous, depuis le début, nous n’avons aucune information sérieuse. Y a-t-il des risques sanitaires si l’on remet en service les anciens bassins de décantation qui vont nous empuantir des kilomètres à la ronde ? Qu’est-ce qui nous garantit que de nouveaux accidents ne vont pas survenir ? » Difficile de leur donner tort. Le SIAAP, qui verrouille sa communication d’une main de fer, à fait imprimer à des milliers d’exemplaires des tracts distribués dans les mairies qui répètent en des termes lénifiants que tout est déjà rentré dans l’ordre, ce que bien évidemment personne ne croit.
On notera par ailleurs que pas un(e) seul(e) des élu(e)s PS, PCF et EELV, qui représentent la Ville de Paris, la Seine Saint Denis, le Val de Marne et les Hauts de Seine au Conseil d’administration du SIAAP ne s’est exprimé sur ce désastre depuis le 3 juillet dernier...
Une nouvelle alerte syndicale
M. Stevan Kanban, responsable FO du SIAAP, avait exposé la veille, lors d’un CHSCT exceptionnel tenu à Seine Aval, l’exaspération de son syndicat :
« (…) Le 26 août, alors que la détection incendie était en panne dans toutes les installations critiques du service 2, le SIAAP maintient la production sans aucun agent sur place, se contentant d’organiser des rondes toutes les heures pendant la nuit.
Le 31 août un départ d’incendie au service 2 de l’Unité de production des eaux (UPEI), sur des compresseurs de l’unité de nitrification n’a pas été signalé au CHSCT, et aucune enquête n’a été diligentée par le SIAAP.
Dans la nuit du 3 au 4 septembre, un autre départ de feu au service 2 de l’UPEI n’a pas non plus été signalé au CHSCT, et aucune enquête n’a été diligentée. »
Pour le responsable syndical, « depuis la nouvelle mandature, le SIAAP a accentué la censure contre les représentants du personnel aux CHSCT. Aussi bien au CHSCT central qu’à celui de SAV, les déclarations liminaires sont purement et simplement évacuées des procès-verbaux de séance et les prises de position lors des points à l’ordre du jour sont le plus souvent déformées ou non retranscrites. De l’habillage en somme. La politique de l’administration est limpide, c’est la préparation de l’outil de travail et de l’organisation à une gestion privée de nos installations : le refus systématique d’intégrer les éléments de sécurité définis par la réglementation relative aux administrations est un aveu s’il en faut. L’abandon par le directeur général lui-même de la présidence du CHSCT abonde dans ce sens. »
Le 16 septembre Mme Emmanuelle Wargon recevait à nouveau les représentants du SIAAP afin, notamment, d’évoquer l’audit de sécurité que l’entreprise doit réaliser. « Le marché sera lancé en octobre et le rapport devrait être remis à la fin du premier trimestre 2020 », précisait M. Yann Bourbon, le directeur du site de Saint-Germain-en-Laye. Une échéance jugée lointaine par plusieurs élus et associations du secteur.
Or l’omerta continue, plus que jamais. Alors que les conclusions des différentes enquêtes en cours ne sont pas connues, M. Jacques Olivier, directeur général du SIAAP, déclare le 25 septembre aux Echos : « La cause exacte de l’incendie n’est pas encore identifiée, mais trois pistes se dégagent : un problème au niveau des moteurs électriques des systèmes de ventilation, d’un éclairage halogène provisoire, ou d’un chemin de câble à proximité des cuves », avant de préciser : « Cette unité a été construite dans les années 1990 avec des standards de sécurité qui ne sont pas ceux d’aujourd’hui. »
Encore un peu ça va être la faute à pas de chance, ou à un travailleur détaché polonais...
La Seine polluée pour des années
Dans l’immédiat, pour pallier les problèmes de pollutions récurrentes, le syndicat prévoit d’augmenter à nouveau progressivement la capacité de traitement de la station. Notamment en remettant en service au printemps 2020 de gigantesques bassins de décantation à l’air libre, l’unité « Achères 4 », fermée lors de la mise en service de l’unité de clarifloculation. Or ces bassins à l’air libre dégageaient quand ils étaient en service des odeurs pestilentielles des kilomètres à la ronde…
« À partir d’un moment les pouvoirs publics doivent arbitrer entre des solutions moins bonnes ou pires. Si on n’installe pas cette décantation primaire, on est sûrs de ne pas passer l’été prochain », justifiait le préfet des Yvelines M. Jean-Jacques Brot, pointant la nécessité d’informer « loyalement » les populations riveraines de la station d’épuration.
Comment en est-on arrivé là ?
Dès le XIXème siècle, Achères accueillait les eaux usées non traitées de Paris, qui seront épandues dans sa plaine pour le maraîchage. Construite en 1940, la station d’épuration, longtemps réputée être la plus grande du monde avec celle de Chicago, connaîtra des agrandissements incessants à partir des années 1970, qui s’accéléreront à l’orée des années 2000 avec l’entrée en vigueur de directives européennes de plus en plus contraignantes.
Compte tenu de l’ampleur des investissements à mobiliser, avec le couperet de la transcription en droit français de la directive « Eaux résiduaires urbaines » (DERU), qui date de 1991, et a imposé à la France comme à tous les États membres de nouvelles obligations de résultat en terme de qualité de traitement des eaux usées, des bonnes fées vont se pencher sur le berceau du syndicat.
M. Michel Rocard, maire de Conflans-Sainte-Honorine de 1977 à 1994, et son directeur de cabinet M. Jean-Paul Huchon, qui lui succédera à la mairie de 1994 à 2001, avant d’occuper de 1998 à 2015 la présidence de la région Île-de-France, se démènent avec succès pour porter sur les fonts baptismaux une convention cadre entre le SIAAP, l’agence de l’eau Seine-Normandie et la région Ile-de-France, qui va permettre au syndicat de bénéficier de financements supplémentaires, ce qui va contribuer à lui conférer un statut d’exception. Avec ses 1 700 agents et son budget annuel d’1,2 milliard d’euros, c’est le premier donneur d’ordre européen dans le domaine de l’environnement.
De gigantesques marché publics se profilent. Près d’un milliard d’euros en différentes tranches pour la seule station d’Achères, ce qui a déjà suscité nombre d’interrogations….
L’unité de clarifloculation qui a entièrement été détruite le 3 juillet dernier est une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE), dont le fonctionnement doit être étroitement contrôlé par les services de l’État, notamment la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE). Les graves incidents enregistrés depuis des années, comme les différentes enquêtes en cours depuis le 3 juillet — un audit technique interne, une procédure judiciaire ouverte dès le lendemain, ainsi qu’une enquête de la DRIEE, et une expertise confiée au Centre national de protection et de prévention (CNPP) —, ne suffiront pas à faire oublier un contrôle jusqu’alors des plus laxistes.
Pour sa défense, le SIAAP, dont les dirigeants étaient à nouveau convoqués par Mme Emmanuelle Wargon le 16 septembre, invoque les difficultés provoquées par la coexistence sur un même site d’installations datant des années 1970 avec des équipements ultra-modernes… Dont acte.
Liaisons dangereuses
Dans deux vidéos promotionnelles de la société Schneider Electric, le directeur général du SIAAP, le directeur adjoint à la direction technique et le chef de service équipement/ingénierie n’hésitent pas à vanter les mérites du matériel de télégestion installé par l’entreprise, notamment à l’usine de Seine Aval.
On peut s’interroger sur le respect du devoir de réserve des fonctionnaires territoriaux concernés, puisque ce sont ces mêmes responsables qui ont imposé au fil du temps l’adoption puis le renouvellement de ces matériels, au risque de flirter allègrement avec l’encadrement réglementaire des marchés publics.
Car il y a un problème. Le système de contrôle-commande (SCC) de l’usine Seine-Aval est exclusivement du matériel Schneider-FOXBORO. Ce système a été vendu avec l’assurance que chaque nouvelle version serait interopérable avec la précédente. C’est-à-dire que lors du lancement d’une nouvelle version logicielle, les anciennes versions présentes sur l’usine doivent pouvoir dialoguer avec la nouvelle, et que les éléments des anciens ateliers de l’usine doivent pouvoir apparaître sur les écrans du nouveau système.
Ce n’est pas le cas !
Les versions proposées par Schneider au cours du temps ne sont que très imparfaitement compatibles entre elles. Un peu comme avec Windows : il n’est pas possible de faire tourner un jeu développé sous Windows XP avec un PC Windows 7, et encore moins avec Windows 10 ! On se retrouve donc à Achères avec un système de gestion automatisé spécifique pour le prétraitement, un autre pour la clarifloculation (l’unité qui a brûlé), et la nitrification-dénitrification, et un troisième système pour la dernière nouvelle tranche, la file biologique.
Ce qui oblige les opérateurs à jongler avec plusieurs PC et une multitude d’écrans dans la salle de commande du poste de commandement central. Chaque système ayant ses caractéristiques particulières, il n’est pas toujours facile de se rappeler qu’une action sur une pompe dans un système peut ne pas donner les mêmes résultats sur le même type de pompe via un autre système. En termes de gestion industrielle du process et de la sécurité, et pour un site classé « Seveso 2 seuil haut », on peut faire mieux…
Ajoutez à cela une réorganisation des équipes de personnel de l’usine qui passe très mal, et a déjà été à l’origine de plusieurs grèves, un management de plus en plus coercitif aux pratiques féodales, voire népotiques, que ne cessent de dénoncer les syndicats, et l’occurrence d’accidents industriels à répétition s’éclaire d’un tout autre jour. Car ces dysfonctionnements innombrables s’inscrivent dans un contexte délétère.
République bananière
Un mois avant l’explosion, en juin 2019, la chambre régionale des comptes d’Île-de-France (CRC) dressait un tableau accablant de la « gouvernance » du SIAAP, qui s’est affranchi de toute contrainte depuis des lustres (3) :
« Les statuts actuels ont été adoptés en mars 2000 et ne correspondent pas à la base légale de la compétence, installée par la Loi sur l’eau de 2006 (…) ; le règlement intérieur du Conseil d’administration ne comprend pas de dispositions relatives au fonctionnement du bureau, hormis sa convocation (…) ; le Président (du CA) était un élu de Paris (RPR), de 1984 à 2001, puis un vice-président du Conseil général du Val-de-Marne (PCF) de 2001 à 2015, et depuis lors un élu (PCF) du Conseil départemental de la Seine Saint Denis (…) ; 5 commissions thématiques ont été créées par le CA. Les documents transmis n’ont pas permis de constater si elles s’étaient réunies, ni d’évaluer leurs travaux (…) ; la commission de la Coopération décentralisée (dotée d’un budget annuel de 2 millions d’euros), a compté jusqu’à 18 administrateurs entre 2011 et 2014. Aucune procédure ni règle écrite ne régit son fonctionnement (…) ; l’absence de règle précise de désignation des administrateurs a conduit en 2015 à une crise institutionnelle de longue durée (…) ; un quart des usagers du SIAAP, soit 2,3 millions d’usagers, sont situés hors de sa zone statutaire (et) ne bénéficient d’aucune représentation au sein des organes de décision du syndicat (…) ; des indemnités ont été versées aux élus sans base légale (…). Leur coût total s’élève à 928 826 euros pour l’ensemble de la période de 2010 à 2015. »
Alors que la CRC et le préfet de région préconisent, dans la perspective de la réforme du Grand Paris, de transformer le SIAAP en syndicat mixte et de revoir profondément sa gouvernance, la ville de Paris, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis répondent à la CRC et au préfet qu’ils n’en voient pas la nécessité.
Soupçons de corruption à grande échelle
L’attribution par le SIAAP de gigantesques marchés publics aux multinationales françaises de l’eau, à leurs filiales d’ingénierie, à des bureaux d’étude spécialisés et à des géants du BTP défraie la chronique judiciaire depuis le début des années 2000.
« (…) Trois entreprises engrangent régulièrement des marchés : OTV, une filiale du groupe Veolia, Degrémont (une filiale de Suez), et Stereau, du groupe Saur (le numéro 3 du secteur de l’eau). En 2009, Degrémont a décroché un premier marché sur l’usine d’Achères (Yvelines) ; OTV, associée à Degrémont, en a obtenu un deuxième dans la même usine en 2010 ; OTV et Stereau l’ont emporté dans un troisième en 2016, ils avaient déjà décroché celui de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) en 2015, et la modernisation de l’usine de Valenton (Val-de-Marne) qui a été attribuée à Veolia en 2017… Des marchés colossaux, entre 300 et 700 millions d’euros chacun (4). »
Alors que ces dossiers sont toujours en cours d’instruction au parquet national financier (PNF), plusieurs décisions de justice récentes viennent de confirmer l’existence d’irrégularités qui ont déjà entraîné l’annulation du marché de rénovation de l’usine de Clichy-la-Garenne (5).
Marc Laimé
Publié le 02/10/2019
C'est çà la bourgeoisie !
Discrétion absolue sur la catastrophe de Lubrizol et flots de discours sur l’enterrement de Chirac
Tandis que l’industrie capitaliste répand son poison sur les travailleurs de Lubrizol, les habitants de Rouen, les agriculteurs et leurs troupeaux, les tenants de l’union nationale chantent des cantiques et encensent le défunt président mangeur de tête de veau.
Claude Manor (site revolutionpermanente.fr)
Seveso – AZT- Lubrizol ….et les autres
Les effets immédiats de l’incendie de Lubrizol, sont indéniables, perceptibles, inquiétants. D’autant plus inquiétants que la partie cachée de la catastrophe est sans doute encore plus grande et à plus longue échéance que la partie visible. Lubrizol est une entreprise classée « Seveso », du nom de cette commune du nord de l’Italie devenue célèbre à l’occasion d’un grave accident industriel survenu en juillet 1976. Après l’explosion d’une usine chimique, des centaines d’hectares avaient été contaminés. Il avait fallu abattre 3 000 animaux domestiques et 77 000 têtes de bétail.
Depuis, conformément à une directive européenne, les entreprises classées « Seveso » qui ont une activité entraînant la fabrication, l’emploi ou le stockage de substances dangereuses doivent être identifiées, et surveillées comme telles. Pourtant, la démonstration a été faite que la réglementation et les contrôles n’étaient pas suffisants pour empêcher les manquements, voire les fraudes, et que les risques majeurs n’étaient pas évités.
On se souvient de l’explosion de l’usine AZF en 2001, à Toulouse qui a fait 31 morts et 2 500 blessés et dont les enseignements n’ont pas empêché la catastrophe qui vient de se produire à Rouen. Pire encore, l’usine Lubrizol elle-même avait déjà connu un premier incident grave en janvier 2013. La fuite d’un gaz malodorant, le mercaptan avait été sentie jusqu’à Paris et en Grande- Bretagne. Le Ministère de l’Ecologie avait conclu à des erreurs techniques et humaines….et l’entreprise s’en était sortie avec 4 000 € d’amende !
En France, ce n’est pas moins de 1 300 sites qui sont classés « Seveso » ; l’accident de Lubrizol, c’est une catastrophe majeure, c’est un scandale industriel qui saute aux yeux de tous, mais c’est surtout la démonstration plus générale d’un ordre capitaliste qui, poussé par la loi du profit maximum, fait courir des risques sanitaires majeurs aux travailleurs et à tout l’environnement plutôt que d’engager des dépenses que les propriétaires des usines ont largement les moyens de financer.
Comment expliquer que dans une entreprise, a fortiori classée « Seveso », les ouvriers aient encore aujourd’hui un toit d’amiante sur la tête ? Comment comprendre qu’une partie des activités auxquelles sont associés des dangers majeurs soient confiées à des sous-traitants peu ou pas formés… Comment expliquer de telles « fautes » si ce n’est par le mépris souverain de la classe dominante pour ceux qu’elle exploite et pour tout ce qui n’est pas elle.
Le gouvernement entre soutien des patrons et crainte de la population
Warren Buffet, dirigeant du groupe auquel appartient Lubrizol, avait claironné, en 2005, qu’il y avait bien « une lutte des classes » et que c’était la sienne, celle des riches, qui était en train de gagner la guerre. Aujourd’hui, il estime probablement que Lubrizol se tirera à bon compte de cet « ennuyeux » accident. En tout cas, le patron de Lubrizol, Frédéric Henry, ne semble pas prêt à examiner le moins du monde ses propres responsabilités, préférant s’étonner de « voir un incendie en pleine nuit à un endroit où il n’y a personne. » et porter plainte contre X ; la meilleure défense étant, on le sait, l’attaque.
Pourtant, c’est une tactique un peu différente que le gouvernement a adoptée. Après quasiment une année de mouvement des gilets jaunes, après des mobilisations montantes à la rentrée de septembre dans des secteurs clés comme les transports ou l’éducation, avec les remous que suscite la réforme des retraites dont l’accueil demeure problématique, avec la jonction qui est en train de s’opérer entre la question sociale et la question climatique et environnementale, la lutte des classes redevient de plus en plus présente et le spectre de la révolte n’a pas été définitivement renvoyé au cimetière.
Macron et son gouvernement en sont parfaitement conscients et ne souhaitent absolument pas voir se cristalliser une opposition frontale entre la direction de Lubrizol et le camp de la population et des travailleurs légitimement inquiets et légitimement demandeurs de vérité.Le chef de l’exécutif a d’ailleurs soigneusement évité de se rendre sur les lieux de l’accident pour éviter de se trouver en porte-à-faux. Après avoir missionné le préfet de Normandie pour clamer que « l’état de l’air » était « habituel » alors que de la suie était tombée en masse sur la région, c’est désormais par Elisabeth Borne et compléments d’enquête interposés qu’il compte réguler l’inquiétude et la colère montantes.
Et Chirac-le-« populaire » que vient-il faire là-dedans ?
Coup de chance, Chirac a la bonne idée de mourir fort à propos. De quoi, bien sûr, donner libre cours à l’abrutissement médiatique h 24 et renvoyer au second plan l’embarrassant accident de Rouen, mais pas seulement. Le projet est infiniment plus subtile politiquement.
Il s’agit de s’emparer du personnage de Chirac pour en faire une figure « populaire », sinon « populiste ». Et d’abord les traits de l’ « homme » qui sont mis en avant, un homme vrai, au langage peu châtié, qui tâte le cul des vaches et mange de la tête de veau, arpenteur de la terre corrézienne. Quelqu’un, en gros, que les gilets jaunes pourraient plébisciter … et que les agriculteurs, pourtant en colère à l’idée des menaces qui pèsent sur leurs fourrages et leur bétail, pourraient considérer comme un proche.
Puis une célébration qui se veut « populaire », à la Johny Hallyday, fréquentée par une foule humble et émue, plutôt que des funérailles nationales à la Clémenceau.
Et surtout, un homme politique « ni de droite, ni de gauche »
comme l’énonçait un certain Macron, un homme qui « aimait la
France », capable de recréer autour de son cercueil ce fameux sentiment d’union nationale si précieux tandis que la gauche
s’effondre, que la droite n’en finit pas de se recomposer et que les Zemmour et les Marion Maréchal en profitent pour bouffer du migrant.
Mais « l’effet Chirac » sera de courte durée, il en a même déjà saoulé beaucoup. Ce n’est en tout cas pas ça qui empêchera les travailleurs de Lubrizol, la population de Rouen, toutes les victimes d’une catastrophe industrielle à court et moyen terme de réclamer vérité et justice.
Plusieurs organisations appellent d’ores et déjà la population à manifester devant le palais de justice de Rouen ce mardi 1er octobre à 18 heures. Elles exigent la transparence totale sur l’incendie de Lubrizol. Elles réclament l’indépendance des institutions de contrôle et le renforcement du contrôle de l’inspection du travail sur les installations classées. Elles réclament la dépollution et le nettoyage du site. Elles s’opposent à toute fin de contrat ou licenciement pour les salariés du site, les sous-traitants ou les entreprises voisines.
Ce combat peut unir dans une même mobilisation, les travailleurs, la population, les gilets jaunes, les jeunes qui se battent pour la protection de l’environnement et la préservation de leur avenir. Les industries à risque ne doivent désormais exister qu’en fonction de besoins collectivement jugés comme indispensables. Elles ne peuvent être laissées entre les mains de capitalistes qui n’évaluent les risques qu’à l’aune de leurs finances et doivent être placées sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes.
Publié le 23/09/2019
Gaz à effet de serre : le bilan peu reluisant des sociétés du CAC 40 depuis l’Accord de Paris
par Olivier Petitjean (site bastamag.net
Qu’ont accompli les grandes entreprises françaises depuis la signature de l’Accord de Paris sur le climat ? Pas grand-chose. Rares sont les grands groupes, malgré leurs beaux discours, qui ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre. Pire, certains ont considérablement aggravé leur niveau de pollution. C’est ce que montre l’analyse effectuée par l’Observatoire des multinationales dans la deuxième édition du « Véritable bilan annuel des grandes entreprises françaises », qui sera publié la semaine prochaine. Passage en revue.
Fin 2015, la communauté internationale réunie à Paris pour la COP 21 signait l’Accord de Paris pour le climat. Les grandes entreprises françaises se sont empressées de le saluer et de s’en revendiquer, dans un bel élan d’unanimité. Tout le CAC 40 le cite dans ses documents de communication, reprenant à son compte ses objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre et de maintien du réchauffement des températures globales en deçà de 2°C, et si possible de 1,5°C. Quelques jours avant la COP 21, 39 grandes entreprises françaises avaient rendu public un « Manifeste pour le climat ». Il y a quelques semaines à nouveau, 99 d’entre elles ont publiquement endossé l’« Engagement des entreprises françaises pour le climat » lors de l’université d’été du Medef, qui évoque le besoin d’une « baisse drastique » des émissions de gaz à effet de serre « de la planète »(sic).
Presque quatre ans plus tard, il est plus que temps de confronter les discours aux actes. Depuis l’Accord de Paris, le CAC40 a-t-il effectivement commencé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre ? C’est ce que nous avons tenté de savoir, dans le cadre de la préparation du « Véritable bilan des grandes entreprises françaises », dont nous publions la deuxième édition ce 26 septembre. Les chiffres ci-dessous en sont tirés, en avant-première.
Seulement un tiers du CAC40 a réduit ses émissions depuis la COP21
Si l’on considère les chiffres publiés par les entreprises elles-mêmes (souvent partiels, nous y reviendrons), la réponse à notre question est plus que mitigée. En réalité, selon leurs propres données, moins d’un tiers des entreprises de l’indice boursier parisien – treize exactement – ont effectivement réduit leurs émissions de gaz à effet de serre entre 2016 et 2018. 22 entreprises du CAC ont augmenté leurs émissions sur la période, et les cinq dernières ne publient toujours pas d’informations claires à ce sujet (comme Safran ou Michelin), ou ont modifié leur mode de calcul, rendant impossible toute comparaison dans le temps.
Parmi les firmes qui ont le plus augmenté leurs émissions de CO2 depuis l’Accord de Paris, on trouve PSA (+60 %), les géants du luxe Hermès (+32 %), Kering (+17 %) et LVMH (+26 %), ou encore le Crédit agricole et l’équipementier automobile Valeo (+ 27 % chacun) [1]. Une poignée de firmes ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre de plus de 10 % depuis la COP 21 : Atos (-12 %), Pernod Ricard (-16 %), Publicis (-25 %) et surtout Engie (-27 %) grâce à un programme volontariste de cession de ses actifs dans le charbon. Ce sont les seuls qui semblent avoir effectivement commencé à mettre œuvre cette « baisse drastique » dont parle le Medef. Visiblement, une majorité de grandes entreprises françaises sont prêtes à réduire les émissions de gaz à effet de serre « de la planète », mais pas les leurs.
Engie : des cessions controversées
Un point semble positif : les émissions cumulées de gaz à effet de serre déclarées par le CAC40 sont globalement orientées à la baisse, passant de 1,16 milliard de tonnes de carbone en 2016 à 1,07 milliard, soit une baisse de 7 %. Mais cette diminution globale est principalement le fait des deux groupes énergétiques Engie et Total, qui pèsent déjà très lourdement dans les émissions du CAC (plus des deux tiers) : -27 % pour Engie et -4 % pour Total. Si l’on enlève Engie, les émissions cumulées du CAC 40 baisse très modestement de -0,5 % depuis l’Accord de Paris. Si l’on enlève également Total, elles sont en hausse de 3,3 %. EDF, qui ne fait plus partie du CAC40, a également réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 1,3%.
Comment Engie a-t-elle réduit de plus d’un quart sa pollution au CO2 ? Avec plusieurs dizaines de centrales électriques dans le monde fonctionnant au charbon, Engie était en 2015 un champion toute catégorie de cette source d’énergie très polluante. Le charbon représentait alors 15 % de son mix énergétique. Aujourd’hui, cette part n’est plus que de 4 %. Engie s’est-elle enfin convertie à la transition énergétique ? Hélas, pas vraiment. Au grand dam des écologistes, Engie se contente généralement de revendre ses centrales à d’autres plutôt que de les fermer ou de les reconvertir.
Au final, ces cessions n’apportent donc absolument aucun bénéfice pour le climat puisque les firmes ou les fonds d’investissement qui rachètent les centrales risquent fort de les exploiter à outrance pour rentabiliser leur investissement. En janvier 2019 par exemple, Engie a revendu ses centrales au charbon situées en Allemagne et aux Pays-Bas au fonds américain Riverstone Holdings pour 200 millions d’euros. Engie, qui détient encore plusieurs centrales charbon un peu partout dans le monde, vient d’ailleurs d’en inaugurer une nouvelle en toute discrétion, dans le port de Safi au Maroc, construite en partenariat avec la holding de la famille royale marocaine.
Total : un cynisme de plus en plus difficile à cacher
Et Total ? La compagnie pétrolière s’est attachée à se construire une image d’entreprise engagée pour le climat. Le groupe français a fait plusieurs acquisitions dans des secteurs liés à la transition énergétique. Il a publié en 2016 une « stratégie climat » censée démontrer qu’il pouvait poursuivre ses activités dans les hydrocarbures tout en restant sur une trajectoire compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Un tel tour de passe-passe ne pouvait faire illusion qu’au prix de quelques manipulations, comme la promotion du gaz (et notamment du gaz de schiste) comme énergie « bas carbone », ou encore l’hypothèse implicite d’un déploiement massif, dans l’avenir, de technologies de « capture et stockage du carbone » pour retirer le CO2 émis par Total de l’atmosphère. Or ces technologies n’existent pas aujourd’hui, et beaucoup pensent qu’elles ne seront jamais viables [2]. Dans le même temps, Total a continué à ouvrir de nouveaux gisements de pétrole et de gaz partout dans le monde, de l’Arctique au Brésil.
Un tel grand écart est évidemment de plus en plus difficile à cacher. Le premier « plan de vigilance » publié par le groupe en 2018, dans le cadre de l’application de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales, ne mentionnait même pas le changement climatique parmi les risques liés à son activité. Dans les documents publiés à l’occasion de l’assemblée générale annuelle de ses actionnaires en 2019, Total prétend inscrire sa stratégie de développement dans le cadre d’un scénario de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) limitant le réchauffement des températures à 2°C à l’horizon 2100. Mais à d’autres pages, le groupe pétrolier admet se baser sur un autre scénario menant vers un réchauffement compris entre 2,7 et 3,3°C...
En 2018, selon une analyse effectuée par l’association Notre affaire à tous (lire notre article), les investissements de Total dans le pétrole et le gaz se sont élevés à 9,2 milliards de dollars en 2018 – contre seulement 0,5 milliard dans le secteur décrit comme « bas carbone ». Pour ces raisons, 14 collectivités locales françaises soutenues par des ONG – suivant l’exemple de leurs homologues aux États-Unis et ailleurs – menacent de traîner Total devant les tribunaux pour manquement à son devoir de vigilance quant aux conséquences du changement climatique.
L’industrie automobile, nouveau mouton noir du climat
Si des firmes comme Total, Engie ou EDF ont fait l’effort, au moins en apparence, de réduire leurs émissions, ce n’est pas le cas d’autres secteurs, moins surveillés, comme l’industrie automobile. Au moment de la COP 21, les constructeurs étaient en train de miser à fond sur le développement des gros véhicules 4x4 ou « SUV ». Ils représentent aujourd’hui un tiers des ventes de voitures neuves. Problème : en plus d’être dangereux et sources de nuisances dans l’espace urbain, ces véhicules émettent d’énormes quantités de gaz à effet de serre. De sorte que les émissions du secteur sont parties à la hausse, à l’image de celles de PSA qui ont augmenté de 60% en deux ans. Selon un rapport récemment rendu public par Greenpeace, l’ensemble des véhicules vendus dans le monde en 2018 représente l’émission de 4,8 milliard de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. C’est presque l’équivalent des émissions annuelles des États-Unis. Les ventes 2018 du groupe Renault-Nissan représentent à elles seules 577 millions de tonnes de CO2 émises.
On comprend dès lors que le secteur automobile soit si réticent à l’introduction d’objectifs plus ambitieux de réduction des gaz à effet de serre, comme le souhaiterait l’Union européenne. Début 2019, le PDG de PSA, Carlos Tavares, s’est illustré par son plaidoyer contre des normes trop exigeantes en matière d’émissions de CO2 des véhicules, pour ne pas pénaliser l’industrie. Il vient tout juste de récidiver à l’occasion du Salon de l’automobile de Francfort, allant même jusqu’à dénoncer une « pensée unique » sur le CO2, et suggérant que les objectifs climatiques de l’Union européenne allaient porter atteinte à la « liberté de mouvement ».
Le reste de l’industrie présente un bilan plus contrasté. Le cimentier LafargeHolcim est sorti du CAC40 en 2018. Ses émissions de C02 n’y sont donc plus prises en compte. Le secteur du ciment est pourtant la plus importance source de gaz à effet de serre industrielle après celui du pétrole. Autre industrie particulièrement nocive pour le climat : la sidérurgie. ArcelorMittal présente des émissions stationnaires sur la période (-0,5%). Seule Saint-Gobain voit ses émissions se réduire depuis la COP 21 (-7%), celles des autres acteurs industriels comme Air Liquide ou STMicro étant orientées à la hausse.
Les autres secteurs problématiques : banques, transport aérien, agroalimentaire... et mode
Autre secteur de plus en plus montré du doigt : la finance. Selon Oxfam, en 2016 et 2017, les six plus grandes banques françaises ont orienté près des trois quarts de leurs financements destinés au secteur énergétique vers le charbon, le pétrole et le gaz. Soit 43 milliards d’euros, contre seulement 12 milliards pour les énergies renouvelables sur la même période. BNP Paribas, Société générale et Crédit agricole sont les principaux pourvoyeurs de fonds aux énergies sales. Entre janvier 2016 et septembre 2018, selon les Amis de la Terre, les trois poids lourds bancaires français ont encore investi près de 10 milliards dans les entreprises actives dans le secteur du charbon, 50 % de plus qu’au cours de la période 2013-2015 (lire notre article). Et ce, alors même que ces mêmes grandes banques multipliaient les annonces en faveur de leur engagement « vert » ou lançaient un nouveau produit financier « décarboné ».
Le transport aérien est un autre secteur très polluant où la France compte plusieurs champions : le constructeur Airbus, la compagnie Air France, et les gestionnaires d’aéroports Aéroports de Paris (promis à la privatisation) et Vinci. Non inclus dans l’Accord de Paris sur le climat, le transport aérien est aussi l’un des plus résistants à l’adoption de mesures contraignantes de réduction de ses émissions, et continue à miser sur une forte croissance du trafic aérien pour les années à venir. Il préfère mettre en avant des mesures volontaires et des systèmes de « compensation carbone », autrement dit la plantation industrielle d’arbres dans les pays du Sud. La pression de l’opinion et la « honte de prendre l’avion » pourraient forcer l’industrie à revoir ses plans.
L’agriculture industrielle, en particulier l’élevage laitier et bovin, sont également source majeure de gaz à effet de serre au niveau mondial. La France compte ici aussi plusieurs leaders mondiaux, comme Danone ou Lactalis. Les dirigeants de Danone s’affichent volontiers en champions de l’environnement et de la responsabilité sociale, mais les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise ont augmenté de plus de 20% entre 2017 et 2018.
Enfin, on n’y penserait pas forcément, mais l’industrie de la mode est l’une des plus polluantes de la planète. Selon la Fondation Ellen McArthur, le secteur textile serait responsable de près de 1,2 milliard de tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère par an, d’un tiers de la pollution aux micro-plastiques dans les océans et d’un cinquième de la pollution globale des eaux. Les données environnementales publiées par les trois groupes de luxe du CAC40 confirment la tendance. LVMH a vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter de 11% en deux ans, sa consommation d’eau de 13% d’une année sur l’autre, et la quantité de déchets produits de pas moins de 30% entre 2016 et 2018. Même constat chez Kering : les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 17% depuis 2016, la consommation d’eau de 23%, et la production de déchets de 128% ! Quant aux émissions du groupe Hermès, elles ont augmenté de 24% en un an seulement (émissions directes uniquement).
Ces chiffres – issus des rapports annuels des entreprises - doivent être maniés avec précaution. Tous les groupes du CAC40 ne déclarent pas leurs émissions de manière complète. Beaucoup mettent en avant des indicateurs sophistiqués qui les mettent en valeur et renvoient les chiffres réels, en valeur absolue, dans des tableaux en petits caractères. Certaines omettent encore de rendre compte des émissions indirectes occasionnées par leurs activités (les émissions dites techniquement de « scope 3 »), alors qu’elles représentent une proportion significative de leur bilan carbone.
La baisse constatée des émissions directes d’entreprises comme Pernod-Ricard (qui ne déclare aucun chiffre pour son « scope 3 ») pourrait masquer une hausse de leurs émissions indirectes, liée à l’externalisation des activités les plus polluantes. Une analyse plus fine entreprise par entreprise serait nécessaire pour déterminer comment les réductions d’émissions ont été obtenues. Il semble que dans bien des cas le principal moteur de ces baisses ait été soit des cessions comme dans le cas d’Engie, soit le remplacement de sources polluantes (charbon et pétrole) par une source légèrement moins polluante (le gaz) – ce qui pose question quant à la durabilité de ces réductions.
Des firmes comme Carrefour ne déclarent pas toutes les émissions indirectes qu’elles occasionnent. Si Carrefour tenait compte de l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement, c’est-à-dire les émissions occasionnées par la production et le transport de toutes les marchandises vendues dans ses magasins, le bilan carbone qu’elle devrait publier dans son rapport annuel serait largement supérieur [3] Quoi qu’il en soit, la tendance générale est on ne peut plus claire. Depuis la COP 21, rien n’a changé ou presque pour les grandes entreprises françaises. La croissance de leur activité et de leurs profits passe toujours avant la préservation du climat.
Olivier Petitjean
Notes
[1] Le « Véritable bilan annuel des entreprises françaises », 2ème édition, porte sur le CAC40 dans sa composition à la fin de l’année 2018. Il inclut donc Valeo, qui a depuis été remplacée dans l’indice parisien par Thales.
[2] Sur tout ceci, lire l’analyse détaillée de la stratégie climat de Total effectuée par l’Observatoire des multinationales en partenariat avec l’ONG 350.
[3] Voir à ce sujet Au-delà des effets d’annonce de la COP21, que font réellement les entreprises françaises pour le climat ?.
Publié le 21/09/2019
Trop d’humains ou trop peu d’humanité ?
par Philippe Descamps (site monde-diplomatique.fr)
La fin du monde n’est pas tout à fait certaine… du moins au XXIe siècle ! Annoncer le chaos permet de raffermir les dévotions et reste un bon moyen de capter les esprits, souvent au détriment de la réflexion. On passe de la prophétie à la démographie en entrant dans le champ de la statistique, avec tout ce qu’elle a de révélateur pour comprendre le passé, mais aussi parfois de trompeur pour prévoir l’avenir.
Certes, un animal hors du commun — un superprédateur — a imposé son règne à tous les êtres vivants de la planète. Mais cela fait quelque temps déjà… La première « bombe humaine » explosa au Proche-Orient il y a dix mille ans, parallèlement à l’invention de l’agriculture et de l’élevage. Entre l’apogée du paléolithique supérieur (XIe siècle av. J.-C.) et l’achèvement du néolithique (IIe siècle av. J.-C.), la population de l’Europe aurait été multipliée par cent ! Pression démographique et innovation culturelle semblent aller de pair. L’augmentation de la population fut simultanément la cause et l’effet de la mutation du système économique, à la sortie d’une période glaciaire.
Depuis le développement de l’industrie au XIXe siècle, une nouvelle « explosion » accompagne une autre révolution anthropologique marquée successivement par plusieurs transformations majeures : mécanisation de l’agriculture entraînant exode rural et fin du monde paysan ; chute de la mortalité infantile et des maladies infectieuses grâce aux vaccins et aux antibiotiques ; baisse de la mortalité des plus âgés par la lutte contre les maladies cardio-vasculaires ; révolution de la fécondité avec les moyens modernes de planification des naissances. Résultat : les Terriens sont passés de 1 milliard en 1800 à 7,7 milliards début 2019.
Ce type de progression géométrique réveille une angoisse ancestrale : comment nourrir tout ce monde ? Si la sous-alimentation prévaut encore pour une personne sur cinq en Afrique et une sur dix en Asie, les famines s’expliquent moins par le nombre de bouches que par l’incurie politique, le désordre de la production et, le plus souvent, de la distribution de nourriture. Mais n’a-t-on pas réduit le risque alimentaire au détriment de l’écosystème ? Croissance économique et démographique, émission de gaz à effet de serre et autres dégradations de l’environnement apparaissent intimement liées.
La question de la population s’impose dans le débat sur le climat avec la même nécessité d’agir vite, et à l’échelle du globe, en sachant que les résultats se mesurent dans un temps long. Et sans dévier l’attention : la contribution moyenne d’un habitant du Niger aux émissions de gaz carbonique est deux cents fois moindre que celle d’un habitant des États-Unis, ou dix mille fois moindre que celle d’un milliardaire chinois. Même si le Niger voyait sa population décupler, sa participation à l’effet de serre resterait négligeable. Le développement des pays pauvres — qui passe par une maîtrise de leur natalité — ne sera soutenable qu’en prenant d’autres chemins que l’explosion des émissions de carbone, mais c’est leur réduction dans les pays riches qui constitue l’urgence. Le principal défi de l’heure reste le découplage entre l’accession du plus grand nombre à une vie décente et la consommation d’énergie fossile. Un casse-tête, à moins de repenser en profondeur ce qui constitue une vie décente.
Le secret de la pyramide des âges chère aux démographes (voir le graphique ci-dessus) réside dans la dynamique des populations, dont les effets à long terme déjouent beaucoup d’interprétations. Depuis 1968, le taux de croissance annuel a été divisé par deux à l’échelle mondiale (voir les courbes ci-dessous). Le rythme actuel est encore trop soutenu, mais, si la décélération continue, la population se stabilisera. Progressivement, la pyramide devient une tour, voire se renverse dans certains pays, les classes d’âge mûr devenant les plus nombreuses.
La fécondité est déjà passée en dessous du niveau de remplacement des générations dans 93 pays. En dehors de quelques États au destin tourmenté (Pakistan, Égypte, Irak, Algérie, Yémen…), la maîtrise de la natalité ne pose plus problème qu’en Afrique subsaharienne. Même avec lenteur, la natalité finit par baisser et rejoindre le niveau de la mortalité. Cette transition démographique s’achève pratiquement partout. Que se passera-t-il ensuite ? Les démographes n’ont plus de modèle théorique pour l’ère qui s’ouvre. Les projections au-delà de 2050 sont des conjectures qui visent surtout à presser d’agir les décideurs des pays hors contrôle.
Les évolutions démographiques permettent d’ausculter les choix économiques et sociaux. Le hiatus entre idéaux de famille (en France, les parents désirent 2,3 enfants en moyenne) et comportements effectifs (1,83 en 2018 en France) n’est pas sans lien avec les formes nouvelles de l’économie de marché (1). La maximisation des rendements et du profit favorise le court terme et ne rémunère plus ceux qui font un « investissement » de long terme en ayant des enfants.
La débâcle démographique qui a touché l’Europe centrale et orientale après la chute du mur de Berlin donne un aperçu de ce que pourrait être un « hiver démographique » : appauvrissement, vieillissement, abandon des villages puis des bourgs, émigration faute de perspective. On observe aussi les conséquences de la liberté d’installation des travailleurs au sein de l’Union européenne : fuite des cerveaux de l’Est et du Sud, afflux de main-d’œuvre et concentration des richesses dans les pays de l’Ouest les plus riches, singulièrement en Allemagne, où le solde migratoire dépasse les dix millions de personnes depuis 1989.
Orientées par les grandes conférences internationales, les politiques de population produisent des effets considérables. Qu’elles visent à contrôler les naissances ou à les encourager, ce sont des millions de personnes en plus ou en moins. La « pression créatrice » qui oriente les choix politiques apparaît proportionnelle au nombre de Terriens. Ce qui conduit à rappeler que, en dépit de la multiplication par huit de la population en deux siècles, ils n’ont jamais été autant instruits, en sécurité et en aussi bonne santé. Depuis 1950, les humains ont gagné en moyenne vingt-cinq ans d’espérance de vie, et on enregistre les gains les plus importants où l’on ne s’y attendait pas forcément : Yémen, Tunisie, Corée du Sud ou Bhoutan.
Philippe Descamps
Publié le 26/08/2019
Désastre écologique
L’Amazonie brûle : catastrophe naturelle ou catastrophe capitaliste ?
Depuis trois semaines, une vague d'incendies d'une ampleur inégalée ravage la forêt amazonienne au Brésil. Bolsonaro nie, Macron s'agite en paroles depuis le G7. Plus que jamais, la situation nous rappelle urgemment que l’accélération des catastrophes naturelles et des conséquences du réchauffement global, ne permet plus la demie-mesure : il faut combattre la crise écologique !
Joachim Valente Lucas Darin (site revolutionpermanente.fr)
Depuis trois semaines, une vague d’incendies d’une ampleur inégalée ravage la forêt amazonienne au Brésil. Ce sont plus de 17.000 départs de feu qui ont été relevés ce mois-ci, et il est aujourd’hui impossible de déterminer la superficie de forêt affectée par cette tragédie. Des brûlis sont souvent à l’origine de ces incendies gigantesques. Une technique agricole extensive qui consiste à brûler des pans de forêts pour libérer des terrains propices aux cultures et profiter de sols rendus fertiles notamment par les cendres (à court terme car cette pratique épuise très rapidement les sols, obligeant au bout de trois ou quatre ans à peine à la recommencer plus loin en mordant toujours plus sur les zones forestières et laissant des sols désertiques qui mettront des années à se recomposer).
C’est un drame pour toute la planète qui est en train de se produire, avec non seulement des milliers de kilomètres carrés de végétation qui partent en fumée, mais aussi des milliers d’animaux qui disparaissent et des populations indigènes en péril. D’autant plus que l’expression de « poumon » de la planète n’est pas anodine (bien que scientifiquement incorrect, ce qualificatif serait plus approprié pour les océans, qui ne sont pas en reste quant à la pollution). Dans le cycle du carbone, les forêts jouent un rôle primordial en stockant et captant d’énormes quantités de CO2... qui sont rejetées dans l’atmosphère en cas d’incendie.
Depuis deux jours, de nombreuses photos et vidéos terrifiantes circulent et choquent sur les réseaux sociaux.
Cette focalisation soudaine est due à un phénomène particulièrement inquiétant qui a eu lieu à Sao Paulo : lundi 19 août, dès 15h, un nuage de fumée en provenance de la forêt incendiée a plongé la ville de 12 millions d’habitants dans le noir.
Devant ces scènes dignes d’une dystopie, la planète entière s’émeut. Pourtant, tout le monde n’est pas touché de la même manière par cette catastrophe, et malgré la multitude de photographies et de vidéos de la ville obscurcie, Ricardo Salles, ministre de l’environnement du Brésil, a dénoncé le nuage de fumée comme une fake news et a fustigé le « sensationnalisme environnemental ».
Le profit à n’importe quel prix, voilà le mandat reçu par Bolsonaro
La position du ministre, aussi incroyable soit-elle, n’est pas la déclaration isolée d’un illuminé, mais bien le reflet parfait de la politique de Bolsonaro. Ricardo Salles assume
une position climato-sceptique, comme d’autres membres du gouvernement avant
lui et se moque de façon décomplexée de l’assassinat fin juillet d’un chef indigène par des
orpailleurs.
Bolsonaro lui-même s’est fendu d’une sortie dont il a le secret, en attribuant l’origine des incendies à des ONG de protection de
l’environnement !
Le summum de l’hypocrisie et de la mauvaise foi de la part du chef d’Etat, qui a défini comme axe central de sa politique le développement des industries minières et agro-alimentaires, au détriment
d’une forêt amazonienne qu’il ne perçoit que comme une gigantesque source de profit. En effet, depuis son investiture en janvier dernier, la déforestation bat tous les records. Les chiffres de ce
mois de juillet sont sans appel : ce sont plus de 2250 km² de forêt qui sont partis en fumée, soit une hausse de 278% par rapport à juillet 2018. Ces statistiques sont d’autant plus inquiétantes
qu’elles s’inscrivent dans une dynamique d’augmentation débridée : +34% de déboisement si on compare mai 2019 à mai 2018, + 88% en juin 2019 par rapport à juin
2018.
Loin de lutter contre cette catastrophe écologique, Bolsonaro encourage la déforestation par toutes les mesures possibles. Le New York Times rapporte que le nombre de sanctions
concernant la déforestation illégale a baissé de 20% ces six derniers mois. Rien de surprenant si l’on considère que Bolsonaro avait annoncé la couleur dès ses débuts, en plaçant l’Agence de
Protection de l’Environnement sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture, dirigé par le leader du lobby agricole brésilien. Plus récemment, le président d’extrême-droite a licencié le directeur de
l’Institut national brésilien de recherche spatiale qui exprimait publiquement son inquiétude quant à l’augmentation de la déforestation.
De même, il est tristement logique qu’aux yeux de Bolsonaro, qui considère la forêt comme un terrain commercial dédié à l’élevage et l’agriculture de masse et à l’industrie minière, les peuples
indigènes apparaissent comme des obstacles au développement économique des secteurs qui l’ont porté au pouvoir. Ces populations sont persécutées par le régime, qui développe un discours très violent
justifiant les attaques de villages, mais qui est aussi à l’origine d’un nombre effrayant d’assassinats politiques. On comprend mieux pourquoi un ministre de l’environnement se permet de rire du
meurtre d’un chef indigène.
Jair Bolsonaro est le chef d’Etat qui incarne sans doute le mieux toute l’horreur du système capitaliste, en prônant un marché libre de tout acquis social, en ne tenant aucun compte
de l’environnement et de l’urgence climatique, et enfin en revendiquant les positions les plus abjectes sur tous les sujets possibles, de la Shoah à
l’homosexualité, en passant par le droit des femmes et des populations indigènes.
Toutefois, cet odieux personnage n’est pas un monstre sorti seul de sa boîte. Son accession au pouvoir et les conséquences qui en découlent s’inscrivent
dans une dynamique mondiale, dont les racines politiques, économiques et sociales plongent jusqu’à la crise des subprimes
de 2008.
A qui profite le crime ?
Cette catastrophe est même une aubaine pour lui et ses amis patrons de l’industrie agro-alimentaire et de l’industrie minière. En effet, chaque hectare déboisé devient un espace
exploitable pour augmenter la production agricole, d’un pays dont la rente provient essentiellement de l’exportation de productions primaires (soja, café, orange, bananes sucres mais également
ressources souterraines), et ainsi les profits du secteur agro-exportateur et les spéculations des marchés financiers sur le cours de ces produits et matières premières.
C’est bien avec cette pensée ignoble que raisonnent les grands groupes industriels, qui affichent une écologie de façade dans les pays centraux mais exploitent au maximum les ressources naturelles
des pays qui subissent la domination de l’impérialisme, sans aucun respect pour la vie ou l’environnement, dans le seul but d’accroître encore et toujours leur chiffre d’affaires. Trop régulièrement,
des catastrophes environnementales viennent en témoigner, comme la rupture du barrage de Vale
S.A. ou encore la déforestation à
Bornéo..
Ce n’est pas par hasard que les actionnaires de grands groupes français comme Carrefour ont financé la campagne de Bolsonaro, ou que Christine Lagarde, la directrice du FMI, s’est réjouit du programme ultralibéral du président d’extrême-droite. La bourgeoisie impérialiste est bien consciente que les hommes politiques comme Bolsonaro sont des alliés, qui s’appliqueront à détruire violemment les acquis sociaux et les lois encadrant le travail dans leur pays ce qui permettra aux investisseurs internationaux de réaliser des marges confortables sur le dos des travailleurs et des travailleuses.
Bolsonaro apparaît comme la pointe avancée de cette politique, mais cette surexploitation systématique de l’environnement n’est pas une spécificité du Brésil. En effet, la grande majorité des pays semi-coloniaux sont la proie des puissances impérialistes et de leurs multinationales, qui organisent le pillage des ressources naturelles et l’exploitation à bas coût des travailleurs locaux. L’impérialisme français y trouve son compte en se gavant sur le vol des richesses nationales brésiliennes, dans le secteur pétrolier par exemple où Petrobras, entreprise publique, première entreprise du pays, est disloquée pour offrir des parts de marchés à des multinationales de l’énergie comme Engie, dont l’Etat français est l’actionnaire majoritaire-.
Face à la perspective d’une main-d’oeuvre surexploitée dans des conditions inhumaines, de ressources extorquées à des pays dominés politiquement, économiquement et parfois militairement, à de nouveaux espaces pour augmenter la production, l’urgence écologique et la sauvegarde de l’environnement ne pèsent pas bien lourd pour les capitalistes.
Ce ne sont pas des prières qui sauveront l’Amazonie
Face aux vidéos absolument choquantes de pans entiers de la plus grande forêt du monde qui part en fumée, le hashtag PrayForAmazonia a conquis les réseaux sociaux. Mais face à l’ampleur de la catastrophe, il est évident que les prières ne suffiront pas.
Les libéraux et les réformistes des pays impérialistes auront tôt fait d’hurler à la folie de Bolsonaro. D’autant que leurs positions sur le terrain écologique ne sont que la face
opposée d’une même pièce où figurent d’un côté les éco-négationnistes (dont les figures actuelles seraient Trump ou Bolsonaro) qui nient le bouleversement climatique mais se préparent (y compris
militairement) à ses conséquences telles que les déplacements de population ; de l’autre les "réformateurs progressistes" de l’écologie qui promeuvent au travers des grands sommets
internationaux des modifications marginales du capitalisme (Macron ou Merkel).
Pourtant, Bolsonaro a été amené au pouvoir au terme du coup d’Etat
institutionnel du pouvoir judiciaire brésilien, dans le but même de servir les intérêts
des principales puissances (peu importe la couleur de leur drapeau sur la question climatique) et de restaurer l’influence de l’impérialisme, en premier lieu étasunien, sur le sous-continent
américain, dont l’ingérence a été partiellement amoindrie dans les années 2000. Ce que ces mêmes « démocrates » et pseudo écolo-libéraux oublient malencontreusement de préciser, c’est
qu’une puissance impérialiste comme la France tire de larges avantages de l’exploitation des sols, des richesses et des travailleurs des pays soumis à l’impérialisme, à commencer par ses anciennes
colonies africaines (mais également dans ses colonies sud-américaines comme en Guyane avec le projet Montagne
d’or). Devant un tel mépris pour la vie et la nature, il est évident que le système capitaliste
n’est pas compatible avec l’écologie. De même qu’une perspective écologique qui se bornerait à envisager l’écologie à une échelle nationale, pour la France par exemple, sans remettre profondément en
cause le pillage impérialiste (par des mécanismes financiers comme celui de la dette ou bien plus visibles comme les expéditions militaires) qu’elle exerce envers de nombreux pays ne serait qu’une
parole creuse et sans conséquence. Les concessions que pourraient faire à la marge les gouvernements des pays centraux, si la pression augmentait encore sur les questions écologiques, se feraient au
prix de l’accroissement de l’exploitation inhumaine et destructrice de l’environnement des pays soumis à l’impérialisme. En ce sens, les déclarations d’Emmanuel Macron qui interpelle le G7 (forum des
principales puissances impérialistes) sont particulièrement hypocrites.
Plus que jamais, la situation nous rappelle urgemment que l’accélération des catastrophes naturelles (encore que pas si naturelles dans le cas dont nous parlons), des conséquences du réchauffement global, ne permet plus la demie-mesure : c’est un luxe que l’humanité ne peut plus se payer. La crise écologique exige aujourd’hui une lutte révolutionnaire pour renverser le système capitaliste qui, non content de condamner, à la fois dans les pays les plus pauvres de la planète et dans les pays qui les exploitent, une majorité de la population à la pauvreté et à la misère au bénéfice d’une infime minorité, menace désormais la vie telle que nous la connaissons. Les mobilisations dans de nombreuses villes du monde ont montré la colère d’une jeunesse dont le futur semble se situer quelque part entre le chômage de masse, la précarité et la crise écologique. Pour que ces forces qui se mettent en mouvement, à l’international mais principalement dans les pays centraux ou industriels, puissent se montrer à la hauteur des problèmes qu’elles entendent résoudre, elles doivent se saisir d’une stratégie révolutionnaire qui lie une perspective de classe à un projet fondamentalement anti-impérialiste, pour l’émancipation de l’humanité dans son ensemble et pas uniquement pour ses couches les plus privilégiées.
Publié le 31/07/2019
L’« An zéro » de l’écologie macroniste ?
« Comment éviter que tout « transitionne » en rond, sans que rien ne change vraiment ? »
paru dans lundimatin#201 (site lundi.am)
Avouons-le : jusqu’ici le débat au sujet de la tenue, du déplacement ou de l’annulation du festival « écolo-macroniste » L’an zéro est resté relativement
confidentiel. Il faut dire qu’au-delà de 45°C, la question de savoir si une candidature Hulot contre Macron aux prochaines élections présidentielles permettra aux capitalistes de gratter encore cinq
ans de dévastation rentable et impunie n’intéresse plus grand monde. En d’autres circonstances, le truc de la perpétuation du macronisme au-delà de Macron en la personne de son ex-ministre de
l’écologie aurait constitué un escamotage promis au plus bel avenir.
Signe des temps, hier, nos confrères de Mediapart publiaient une tribune hostile à cette nouvelle et prévisible arnaque, celle-là même qui se cache derrière la communion autour de L’an zéro d’Anne
Hidalgo, Mathieu Orphelin, Delphine Batho, Nicolas Hulot, Cyril Dion et toute la jeune garde des entrepreneurs
verts. Mais le plus surprenant est que les signataires ne se trouvaient pas être seulement des groupes relevant de l’« écologie radicale », mais en outre des organisations que l’on ne peut
suspecter d’une hostilité de principe à ce qu’il faut bien appeler l’« écologie gouvernementale » - ainsi de Terre de Liens, MIRAMAP (Mouvement des AMAP), Nature et Progrès, Institut
Momentum, FADEAR (Fédération des Associations de Développement de l’Emploi Agricole et Rural), Union Syndicale Solidaires, Accueil Paysan, etc. Il est aussi significatif que des groupes locaux
d’Extinction Rébellion, réseau qui devait participer au festival initialement, voire des groupes locaux de Greenpeace entrés en dissidence, aient voulu signer ce texte. Sous la pression de
l’apocalypse en cours, qui est toujours aussi un
dévoilement, quelque chose est indéniablement en train de se passer dans le champ de l’écologie, et qui va bien au-delà de la question d’un pauvre « festoch ». Pour cette raison, et parce
que de nouveaux signataires s’étaient ajoutés depuis hier, Lundi Matin a trouvé bon de reproduire à son tour cette tribune.
Du 30 août au 1er septembre devait se tenir à Gentioux-Pigerolles (Creuse), sur le plateau de Millevaches, un festival « écolo » de masse. Il y était accueilli par un entrepreneur agricole connu pour ses prises de position macronistes, et pour avoir déjà plusieurs fois reçu François de Rugy sur son exploitation. Face à l’opposition d’une partie des habitants, les promoteurs de l’événement, intitulé « l’An zéro », ont décidé qu’il n’aurait finalement pas lieu là, mais plutôt sur un aérodrome sécurisé près de Guéret. Mais la question posée alors demeure : malgré son allure bon enfant et ses bénévoles sincères, ce festival ne participe-t-il en réalité pas de la manœuvre actuelle de verdissement illusoire du macronisme [1] ?
Il est certain que plusieurs personnes, parfois engagées de longue date dans les luttes écologistes, ont répondu à l’invitation de l’An zéro sans en connaître les tenants et aboutissants. Mais comment tenir pour insignifiantes les activités des initiateurs et des partenaires de cet événement ? Derrière ses slogans vagues voire douteux (constituer un « nous des acteurs de la transition » afin de « relever ensemble les défis démocratiques, écologiques et sociaux », former des candidats « citoyens » pour les prochaines élections municipales, créer des « start-up à impact positif » et des « solutions innovantes »...), l’intention des organisateurs est bien de promouvoir une écologie consensuelle qui désarme toute conflictualité et invisibilise les responsables du désastre en cours. C’est pour cela qu’il faut selon eux faire « converger » tout le monde ou presque dans un consensus amnésique : « mouvements de citoyens, d’entrepreneurs sociaux et ESS, associations, collectifs d’artistes, agriculteurs, investisseurs, élus, bénévoles, étudiants ... ». Le projet est porté par La Bascule, un « lobby national citoyen » animé par Maxime de Rostolan, dont les ONG et start-up (notamment « fermes d’avenir » [2]) ont pour sponsors et partenaires des multinationales aussi écologiques que Fleury-Michon, Casino et Metro (groupes de distribution agro-alimentaire bien connus pour leur soutien à la cause de l’écologie), BPCE (4e banque française pour ses investissement dans l’énergie sale du charbon [3]) ou encore Jardiland (filiale depuis 2018 du groupe groupe InVivo, organe du productivisme agricole à la française) [4]. Ce qui se profile derrière le projet en apparence « associatif » et sympathique de Fermes d’avenir est en réalité inquiétant : sous couvert d’économie sociale et solidaire et de « permaculture intensive », il s’agit bien de réenchâsser – avec « managers d’exploitations », « salariés » et « rentabilité » à la clé – des alternatives écologiques qui existent et se fédèrent déjà (organisations agro-écologiques, Confédération paysanne, AMAP, Terre de liens, ZAD, etc.), dans l’économie de marché – ce qui explique l’intérêt de grandes entreprises de l’agro-industrie pour ce type de projet.
Resituons l’initiative de l’An zéro dans notre contexte politique. Les désastres climatiques et écologiques de cinq siècles de colonisation de la Terre par le capitalisme et les impasses de notre système politique verrouillé se révèlent chaque jour plus dramatiques (canicules, extinctions, inégalités, répression des revendications sociales et climatiques). Dans ce contexte d’effondrement, ce qui inquiète nos dirigeants est que le peuple, la jeunesse, le mouvement climat, comprenant que le pouvoir actuel est au service du seul monde de l’économie, passent à des modes d’action de plus en plus désobéissants et radicaux. [5] Face à ce danger, certains cherchent à faire émerger un « mouvement » de transition qui rende « l’écologie » compatible avec l’essentiel de l’ordre économique et politique actuel. L’opération vise à capturer un vivier électoral sincèrement « écolo », tout en restant durablement inoffensif pour les intérêts et pouvoirs économiques qui polluent et détruisent la planète.
Comment éviter que tout « transitionne » en rond, sans que rien ne change vraiment ? Il est désormais évident que le maintien du productivisme, du niveau d’inégalité régnant aujourd’hui et du commerce mondial libre-échangiste, ne sont tout simplement pas compatibles avec celui de la vie humaine et non-humaine sur terre. Avec leur mot d’ordre « tout commence maintenant », les initiateurs du festival l’An zéro semblent orchestrer la confusion pour mieux nous faire oublier qui sont les responsables du désastre en marche.
On s’interroge devant le rôle trouble joué dans les derniers mois par certains acteurs de ce festival, comme ces visiteurs du soir de l’Élysée et des ministères avec leur « assemblée de citoyens tirés au sort afin de faire des propositions sur la transition écologique », qui auront bien aidé Emmanuel Macron à sortir de la crise des gilets jaunes [6]. Face à la légitime colère des gilets jaunes, ces « gilets citoyens » se sont mis au service d’un pouvoir qui dans le même temps méprisait, insultait et mutilait dans la chair sa propre population. Macron, largement isolé politiquement, aura trouvé ainsi une nouvelle manière de rebondir. Que penser encore de la convergence de visée et de langage entre La Bascule (qui affirme vouloir susciter des listes « citoyennes » aux municipales ») et les députés LREM qui ont récemment signé dans Le Monde une tribune intitulée « L’écologie est au coeur de l’acte II du quinquennat » ? [7] Et comment ne pas s’interroger aussi quand Maxime de Rostolan présente son An zéro dans ces termes : « Il y aura plusieurs villages thématiques avec de nombreux intervenants. Des entreprises par exemple, mais aussi des philosophes, des débats, des conférences. On veut aussi mettre en place de nombreux ateliers de réobéissance civile (...) » [8].
Dans les prochaines semaines, pour « transitionner » au-delà du désastre capitaliste, allons faire du woofing chez des paysan.ne.s hors des normes de l’agro-business, allons nous former à la désobéissance au camp climat de Kingersheim, lutter à Bure pour soutenir ceux qui résistent à l’enfouissement des déchets nucléaires, à Ende Gelände en Allemagne contre le charbon, au Contre-G7 ou aux actions d’Extinction Rebellion, soutenons les luttes contre l’extractivisme et contre les grands projets, accueillons les migrants !
Faisons un rêve : et si les invité.e.s du festival décidaient de ne pas se laisser duper par une écologie cooptée par le macronisme et les pouvoirs économiques destructeurs de la Terre ? Et si les nouveaux militants et nouvelles arrivantes dans les mobilisations transition/climat n’accordaient leur énergie qu’à des initiatives basées sur un choix clair et franc de non-coopération avec l’actuel gouvernement comme avec toute entité économique qui participe à la destruction de la vie sur Terre ? Et si les leaders autoproclamé.e.s de l’écologie clarifiaient leur position ? Dans l’état actuel de la Terre et des sociétés, et après les échecs d’une écologie d’accompagnement de l’ordre politique et économique existant, il ne devrait plus être possible de se dire « écolo » tout en étant financé par une entité du type de Veolia, investisseur mondial dans les centrales à charbon et dans les entreprises d’extraction . [9]
Premiers signataires :
Accueil Paysan
L’Amassada
Ambazada, ZAD Notre Dame des Landes
Arrêt du Nucléaire Hérault (ADN34)
Assemblée de défense du Marais, Caen
L’Atelier Paysan
Cerveaux non disponibles, média coopératif
Collectif Gilets Jaunes « Enseignement Recherche »
Collectif « Les sous-marins jaunes-nous ne sommes pas dupes »
Collectif "Plein le dos". Pour une mémoire populaire.
Comité Adama
Désobéissance Ecolo Paris
Désobéissance écolo Rennes
Des rebelles d’Extinction Rébellion Bordeaux
Extinction Rébellion PACA.
FADEAR (Fédération des Associations de Développement de l’Emploi Agricole et Rural)
Fondation Sciences Citoyennes
Génération Climat (Bruxelles)
Gilles Jaunes Rungis, Ile de France
Gilets Jaunes Place des Fêtes, Paris
- Institut Momentum
Kachinas, Laboratoire d’écologie politique, Liège
Laboratoire d’Imagination Insurrectionnelle
MIRAMAP (Mouvement des AMAP)
Naturalistes en lutte
Nature et Progrès
Observatoire du nucléaire
Rennes en lutte pour l’environnement
RISOMES (Réseau d’Initiatives Solidaires, Mutuelles et Ecologiques)
Sources et rivières du Limousin
Stop nucléaire 26-07
Solidarité Paysan
Terre de Liens
Les Terrestres
Union Syndicale Solidaires
[2] Voir Léo Coutellec, « Ils ont 20 ans pour sauver le capitalisme » https://www.terrestres.org/2019/07/19/ils-ont-20-ans-pour-sauver-le-capitalisme/ et « Maxime de Rostolan, l’entrepreneur vert », https://josephinekalache.wordpress.com/2018/01/03/maxime-de-rostolan-lentrepreneur-vert/
[3] http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/notebanquescharbon261118.pdf
[4] https://fermesdavenir.org/fermes-davenir/a-propos/nos-partenaires
[5] https://www.politis.fr/articles/2019/07/des-jeunes-en-greve-pour-le-climat-expriment-leurs-inquietudes-au-sujet-du-festival-lan-zero-40634/
[6] Voir par exemple https://reporterre.net/Comment-Cyril-Dion-et-Emmanuel-Macron-ont-elabore-l-assemblee-citoyenne-pour-le-climat.
[7] https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/07/03/l-ecologie-est-au-c-ur-de-l-acte-ii-du-quinquennat_5484609_3232.html : « Les élections municipales constituent une opportunité formidable : il s’agit de faire souffler un vent nouveau pour accélérer la transition écologique, pour tous et par tous. Notre mouvement s’attache à travailler en lien avec les experts issus de la société civile et les citoyens qui s’engagent à déployer des solutions concrètes en faveur du développement durable »
[8] https://www.lamontagne.fr/gentioux-pigerolles-23340/loisirs/l-an-zero-un-festival-ecolo-de-masse-se-precise-a-gentioux-pigerolles-creuse-fin-aout_13572941/
[9] http://www.fondation-nature-homme.org/fondation/ils-nous-soutiennent/nos-entreprises-partenaires/veolia
Publié le 28/07/2019
Canicule : une sécheresse mal gérée par le pouvoir et l'agriculture intensive
(site politis.fr)
Ni les climatiseurs ni le gouvernement ne peuvent régler les conséquences du réchauffement climatique et sauver la biodiversité menacée.
Depuis le dimanche 21 juillet, environ 10 millions de climatiseurs individuels se sont mis ou remis en route sur le territoire français. Sans compter les installations intégrées dans les nouvelles constructions. Malgré un prix moyen de 300 à 500 euros, les climatiseurs mobiles utilisés, selon les aveux des constructeurs, servent au maximum une quinzaine de jours par an.
Ce n’est pas leur seul défaut. D’abord, s’ils fournissent de l’air frais, ils rejettent à l’extérieur de l’air chaud, entraînant une surchauffe urbaine de 1 à 2 degrés en moyenne. Ensuite, ils laissent échapper dans l’atmosphère un fluide frigorigène (en général un hydrofluorocarbure), un gaz qui est entre 1 100 à 1 300 fois plus réchauffant pour l’atmosphère que le CO2 responsable des désordres climatiques actuels. Enfin, ils sont impuissants à rafraîchir les millions d’appartements et maisons individuelles considérées comme des passoires thermiques, tout en augmentant considérablement le montant des factures d’électricité, essentiellement d’origine nucléaire.
Les périodes de canicule induisent donc des effets qui contribuent aux réchauffements. Pourtant, il se vend chaque année entre 300 000 et 400 000 des ces engin.
L'agriculture paysanne menacée
La sécheresse qui affecte actuellement 73 départements compromet les activités agricoles traditionnelles, qu’il s’agisse des fruits ou des légumes de saison. Pour prendre conscience du désastre, il suffit de faire le tour des modestes exploitations maraichères, qui alimentent les petites villes qu’elles entourent et les marchés de province. D’autant plus que ces maraichages se révèlent incapables également, et ce depuis au moins deux mois, de fournir les plants de salades, de choux et d’autres légumes, dont ont besoin les jardins familiaux qui permettent à des millions de familles de faire des économies, qu’il s’agisse de consommation immédiate ou de mise en conserves pour l’hiver à venir.
Les rares plantes qui réussissent à pousser sont rapidement grillées. D’autant plus que les préfectures ou les mairies prennent des arrêtés d’interdiction d’arrosage qui touchent tous les usagers. Les petits comme les gros exploitants agricoles. Comme s’il était possible de comparer ceux qui parcourent leurs jardins un arrosoir à la main et les céréaliers qui pompent l’eau dans les nappes ou dans les cours d’eau déjà à moitié à sec.
Les promesses financières impuissantes
À ceux là et aux gros maraichers le gouvernement promet un milliard d'euros d’avances (remboursables). « Comme si cet argent pouvait être semé, râle un maraicher du Loiret. Et il faudra des années pour réparer les dégâts, si je ne fais pas faillite avant. Ce ne sera pas le cas des agriculteurs industriels qui cultivent du maïs ou des tournesols sur des terres qu’il faut arroser en permanence. » Il suffit d’ailleurs de traverser la Beauce pour s'apercevoir que les exploitations qui pratiquent ces cultures ne respectent même pas les interdictions, et dispersent des jets d’eau dont 90 % s’évaporent en touchant le sol.
Ensuite, le manque d’eau aux périodes habituelles entraine une hécatombe dans la petite faune sauvage, qu’il s’agisse des oiseaux que l’on trouve morts un peu partout dans les jardins, sur les chaussées et dans la campagne, car ils ne trouvent plus à boire. Même mortalité importante chez les lapins, les hérissons, les renards, les écureuils, les grenouilles ou les crapauds. L’obstination impuissante des merles, par exemple, à extraire des insectes ou des vers d’une terre dure et desséchée en est une illustration permanente au cœur d’une végétation jaunie ou morte. Quant aux arbres, ils sont en apparence plus résistants, malgré les feuilles séchées qui parsèment les sols. Pourtant, ils subissent un stress hydrique qui les tuera au bout de quelques années. C’est ce que craignent les forestiers et les arboriculteurs. Des professionnels qui dénoncent aussi la multiplication sur les rivières des « plans d’eau » touristiques, des barrages dont l’eau s’évapore et se réchauffe en privant les poissons d’oxygène.
Contrairement aux idées reçues, la France ne manque pas de pluies. Mais en raison du dérèglement climatique, elle tombe plus violemment et sur des terres qui ne l’absorbent plus, ce qui réduit l’approvisionnement des nappes souterraines. D’ailleurs, les relevés de Météo France le montrent et rappellent par exemple qu’en 2018, la pluviosité a été légèrement excédentaire…
par Claude-Marie
Vadrot
publié le 22 juillet 2019
Publié le 03/07/2019
Comment des pesticides interdits en Europe se retrouvent dans nos jus, notre café et nos assiettes via le Brésil
par Guy Pichard (sitebastamag.net)
Champion du monde de la consommation de pesticides, le Brésil semble vouloir conserver son titre si peu honorifique avec le président Bolsonaro aux commandes. Le consommateur européen pourrait regarder cela de loin, se pensant à l’abri derrière les normes sanitaires plus restrictives de son continent. En fait, cela nous concerne aussi directement. Car des pesticides interdits en Europe continuent d’y être fabriqués puis sont exportés vers le Brésil, qui nous les renvoie ensuite parmi les tonnes de soja, de café, de raisin, ou d’oranges importées chaque année du Brésil vers la France et le reste de l’Europe. Explications.
239 pesticides supplémentaires ont été légalisés et mis sur le marché au Brésil depuis l’arrivée au pouvoir du président d’extrême-droite Jair Bolsonaro, le 1er janvier 2019. Plus d’un par jour ! Un record qui vient s’ajouter à celui d’être le premier consommateur de pesticides au monde, avec plus de 500 000 tonnes par an. En 2017, le Brésil représentait même 18 % du marché mondial des pesticides. La très importante présence de groupes agricoles industriels et de leurs lobbys jusqu’au sein du parlement brésilien explique cette course folle. Mais à quel prix ? Une personne meurt presque tous les deux jours au Brésil intoxiquée par les pesticides [1]. Évidemment, les travailleurs agricoles sont les plus exposés. Un drame sanitaire que la nouvelle ministre de l’Agriculture brésilienne, Tereza Cristina da Costa, explique par le fait que, selon elle, « les travailleurs agricoles font un mauvais usage des produits ».
Avant d’entrer au gouvernement de Bolsonaro, Tereza Cristina da Costa dirigeait l’association des « ruralistes » au Parlement brésilien. Ce groupe rassemble députés et sénateurs qui portent les intérêts de l’agrobusiness. Dans la même veine, la ministre a défini les pesticides comme « une sorte de médicament », et ajouté que « les plantes sont malades et nécessitent ces médicaments ». Mais d’où viennent ces soi-disant médicaments qui tuent les travailleurs agricoles et que le Brésil asperge sur ses terres par centaines de milliers de tonnes ? Une partie de ces pesticides est produite sur le continent européen, par des entreprises européennes, puis exportée au Brésil. Certains de ces produits ne sont destinés qu’à l’exportation. Cela pour une raison simple : ils sont tellement toxiques que leur utilisation est interdite en Europe.
La route des pesticides toxiques : de l’Europe au Brésil, puis du Brésil à l’Europe
« Beaucoup de groupes industriels vendeurs de produits pesticides sont européens. Or, une grande partie des produits qu’ils vendent au Brésil est interdite dans leur propre pays », explique Larissa Mies Bombardi, géographe et professeure à l’Université de São Paulo. Elle étudie depuis près de dix ans la question des pesticides dans son pays. À partir des données des importations de pesticides au Brésil, de leur utilisation dans les différentes régions et pour les différentes cultures, et des données d’exportations de ces produits, elle a élaboré un Atlas des usages des pesticides au Brésil, et leurs connexions avec l’Europe. Un travail inédit pour alerter l’opinion publique européenne et brésilienne sur la dangerosité des nombreux produits consommés et exportés par son pays vers notre continent.
Toutes les données et chiffres de son recueil viennent de sources publiques. « L’idée de cet atlas est de dénoncer les contradictions de ce système », poursuit-elle. Car, en matière de pesticides comme de matériel militaire, l’Europe n’est pas avare d’hypocrisie. Ainsi, cette année, le Royaume-Uni a fourni aux agriculteurs brésiliens plus de 200 tonnes de paraquat, un herbicide interdit en Europe depuis 2007 [2]. « Des études ont prouvé que l’exposition chronique au paraquat pouvait provoquer à long terme les dommages suivants : altération des fonctions pulmonaires, dermatose de la peau, maladies neuro-dégénératives », souligne l’ONG suisse Public Eye au sujet des effets toxiques de ce produit. De même, l’Italie a vendu au Brésil en 2019 plus de 200 tonnes d’un herbicide interdit dans l’Union européenne depuis 2004 : l’atrazine. Pour un montant d’un peu plus de 750 000 dollars (660 000 euros) [3].
Au moins 25 substances toxiques interdites en Europe vendues par Bayer et BASF au Brésil
L’Allemagne n’est pas en reste, avec comme têtes de gondole les deux géants de la chimie Bayer et BASF. De 2016 à 2019, les deux firmes ont vu leurs ventes de pesticides interdits en Europe mais destinés au Brésil bondir : +50 % de ventes pour Bayer et + 44 % pour BASF. Au moins une douzaine de substances toxiques interdites en Europe sont vendues par Bayer au Brésil, sous différentes marques de pesticides [4]. « En 2016, j’avais entrepris d’examiner les produits que Bayer vend au Brésil. Nous avons renouvelé cet examen trois ans plus tard. Résultat : le nombre de produits que Bayer vend au Brésil et qui sont interdits dans l’Union européenne n’a pas diminué, mais a au contraire augmenté entre 2016 et 2019 », signalait l’activiste allemand Christian Russau en avril 2019 devant les actionnaires de Bayer lors de l’AG annuelle de la multinationale chimique. Christian Russau est membre de l’Association des actionnaires critiques (Dachverband Kritische Aktionäre), un groupe d’activistes allemands qui tente d’alerter sur les méfaits des entreprises allemandes en matière environnementale, de paix, de conditions de travail. Il est aussi fin connaisseur du Brésil [5].
L’ONG allemande a réalisé le même travail pour l’autre grande entreprise allemande qui vend des pesticides au Brésil, BASF. Les conclusions sont similaires. En 2016, BASF a vendu au Brésil neuf pesticides bannis dans l’Union européenne. En 2019, ce nombre est monté à treize.… [6]
Quand la France interdit l’export de pesticides toxiques, la ré-autorise, puis l’interdit à nouveau
En France, un article de la loi agriculture votée en octobre 2018 a interdit, à partir de 2022, l’exportation de pesticides prohibés sur le sol national. Mais les sénateurs sont revenus sur cette mesure dans la loi Pacte, au printemps, jugeant que les producteurs français de pesticides pouvaient continuer à vendre à des pays du Sud des produits trop toxiques pour être autorisés en Europe. Finalement, le Conseil constitutionnel, sur demande des députés de gauche, a retoqué ce retour en arrière, et confirmé l’interdiction d’export de ces substances [7].
Au final, plus d’un tiers des pesticides utilisés au Brésil sont interdits en Europe, car trop nocifs pour la santé humaine. Sans être illégal, ce juteux commerce a de graves conséquences sur la santé des travailleurs agricoles et des consommateurs brésiliens. Il a aussi des conséquences sur nous, consommateurs européens. Car le Brésil exporte énormément de denrées alimentaires.
Un extrait de l’Atlas des agrotoxiques au Brésil : la carte des intoxications aux pesticides au Brésil entre 2007 et 2014.
Des dizaines de pesticides interdits utilisés pour cultiver les oranges, le soja et le café
Jus d’orange, café et soja. Voici le podium des produits les plus exportés par le Brésil vers les pays de l’Union européenne. Près de 80 % des oranges brésiliennes sont destinées à l’Europe, grande consommatrice de jus de fruits, et en particulier de jus d’orange (22 litre par personne par an en France [8]. Gênant, quand on sait que c’est le produit d’exportation le plus riche en résidus de pesticides : les normes brésiliennes en autorisent vingt fois plus que celles en vigueur en Europe !
Au sujet du café, 25 % des pesticides utilisés pour sa culture au Brésil sont interdits en Europe. Or, la France a importé en 2016 près de 90 millions d’euros de café brésilien. Et l’Allemagne, premier importateur de café brésilien en Europe, plus de 850 millions d’euros. La culture du café au Brésil utilise 30 substances toxiques qui sont interdites en Europe, comme le paraquat. Plus de 30 pesticides interdits en Europe sont aussi aspergés au Brésil pour la culture du soja dont, encore une fois, le paraquat.
Cultivé de manière intensive et en partie responsable de la déforestation de l’Amazonie, le soja brésilien est transgénique à 98 %. Les cultures OGM étant bannies en Europe, il est donc interdit à la consommation à destination des humains, mais autorisé pour nourrir les animaux, comme les poules, les porcs ou encore les bovins qui produisent notre lait. Ainsi, en 2016, la France et l’Allemagne ont chacune importé pour plus de 600 millions d’euros de soja brésilien [9]. Les normes locales autorisent par ailleurs dans le soja brésilien 200 fois plus de résidus de glyphosate – qui n’est pas encore interdit en Europe - que dans celui de notre vieille Europe. « Dans une grande partie du soja importé depuis le Brésil, on peut être certain de la présence de glyphosate », note Larissa Mies Bombardi.
« L’Union européenne doit de toute urgence renforcer ses contrôles sur tous les produits issus du Brésil et militer pour leur harmonisation mondiale, s’alarme la chercheuse. Les lois de l’UE concernant les produits exportés sont aléatoires et il n’existe pas de sanctions si les produits ne sont pas conformes. Quand un lot est au-dessus des normes autorisées, il sera rendu mais on continuera d’acheter ce produit », explique-t-elle. Un constat inquiétant au moment où un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) vient d’être conclu, en dépit de l’impératif climatique, des oppositions et des protestations.
En Suède, une chaine de supermarché retire les produits brésiliens de ses rayons
L’usage des pesticides n’étant pas au cœur des préoccupations des négociations actuelles, la solution passe pour Larissa Mies Bombardi par le fait de forcer les producteurs agricoles brésiliens en les tapant au portefeuille. « Le consommateur français doit éviter d’acheter des produits brésiliens et exiger un contrôle plus rigoureux de ces derniers. À court terme, c’est toujours mieux de privilégier les produits bio », conseille-t-elle.
En Suède, une chaine de supermarché a pris l’initiative de retirer tous les produits brésiliens de ses rayons et de ne plus en commercialiser tant que la politique agricole du président Bolsonaro serait autant basée sur les pesticides [10]. Le PDG de cette entreprise de supermarché, Paradiset, Johannes Culberg, a même expliqué ce choix fort via une vidéo sous-titrée en portugais qui a fait beaucoup de bruit de l’autre côté de l’Atlantique.
Au Brésil, « dans dix ans la principale cause de mortalité sera le cancer »
Si l’Europe est sous la menace de ses propres pesticides, qu’elle a interdit sur son sol, la situation au Brésil est encore bien plus grave. Sur le territoire brésilien, 5000 fois plus de résidus de pesticides sont permis dans les aliments et l’eau courante ! Laver ses fruits, se doucher et même cuisiner peut donc être source de forte exposition à ces produits toxiques... Même l’eau en bouteille peut potentiellement être contaminée car les nappes phréatiques pourraient aussi être polluées, selon Larissa Mies Bombardi.
Les habitants des zones rurales sont encore plus exposés. Dans l’État du Mato Grosso, une étude de l’université fédérale a montré que dans les municipalités situées à proximité de champs de soja, maïs et coton, le taux de cancers de l’estomac, de l’œsophage et du pancréas était 27 fois supérieur à celui de villes non exposées. « Dans dix ans, la principale cause de mortalité au Brésil sera le cancer », alerte Larissa Mies Bombardi.
Guy Pichard, avec Rachel Knaebel
Photo de une : © Guy Pichard
Voir : Atlas dos Agrotóxicos (en portugais) et en anglais A Geography of Agrotoxins use in Brazil and its Relations to the European Union.
Notes
[1] Voir cet article du journal Globo, qui chiffre à 164 le nombre de personnes décédées en 2017 à la suite d’une exposition aux pesticides.
[2] Voir une description du paraquat sur le site de l’ONG suisse Public Eye.
[3] En 2017, ce sont 1340 tonnes d’atrazine qui ont été vendues par l’Italie au Brésil.
[4] Notamment : carbendazim, cyclanilid, ethiprole, ethoxysulfuron, fenamidone, indaziflam, ioxynil, oxadiazon, propineb, thidiazuron, thiodicarb, thiram…
[5] Christian Russau a écrit un livre entier sur les méfaits des entreprises allemandes au Brésil.
[6] Voir ce texte de Christian Russau, en portugais, de mai 2019, sur le site de la Campagne permanente contre les agrotoxiques.
[7] Voir la décision du Conseil constitutionnel ici, dans la section « Sur les articles 17 et 18 ».
[8] Selon les chiffres de l’Union nationale interprofessionnelle des jus de fruits (Unijus).
[9] Source : Atlas dos Agrotóxicos.
[10] Voir cet article du Guardian.
Publié le 25/06/2019
La construction d’une centrale thermique polluante et d’un gazoduc suscite la contestation en Bretagne
par Manon Deniau (site bastamag.net)
Des citoyens et associations environnementales s’opposent à la construction, dans le Finistère en Bretagne, par une filiale de Total, d’une centrale électrique à gaz de 450 mégawatts, accompagnée d’un gazoduc de 111 km de long pour l’alimenter. Des travaux préparatoires ont commencé fin janvier, mais les militants continuent de se mobiliser malgré des amendes, et même des gardes à vue. Le début du chantier est programmé en septembre, tandis que des procédures sont toujours en cours. Pourtant, en Bretagne, bien d’autres alternatives aux énergies fossiles existent. Basta ! s’est rendu sur place.
Des klaxons appuyés retentissent dans la zone d’activités du Vern à Landivisiau, dans le Finistère, en ce tout premier dimanche de juin. Les automobilistes encouragent le groupe installé sur le petit coin d’herbe à côté du rond-point. Des irréductibles gilets jaunes bretons ? Non, plutôt des habitants verts de rage qu’une centrale électrique à gaz se construise à quelques centaines de mètres de là, dans la zone d’activités de cette commune de 9000 âmes, à 40 kilomètres de Brest. Deux tables en formica et deux couvertures ont été installées pour le pique-nique mensuel tenu depuis 2012 par le collectif « Landivisiau dit non à la centrale ! ».
L’ambiance est bon enfant, mais depuis que les travaux préparatoires à la construction de la centrale ont commencé fin janvier, la tension est montée d’un cran entre manifestants et forces de l’ordre [1]. Le 23 février, huit personnes ont été interpellées après un rassemblement de 900 opposants. Cinq jours plus tard, le président de l’association environnementale Force 5, qui lutte contre le projet depuis plusieurs années, est placé en garde à vue pendant sept heures, alors qu’il participait à un « sit-in » sur la route qui longe le site. « 25 gendarmes nous ont foncé dessus. A trois ou quatre, ils enlèvent mon k-way, me menottent et me traînent sur dix mètres », raconte Jean-Yves Quéméneur, qui sera jugé en janvier 2020 pour « entrave à la circulation ». D’autres ont écopé d’amendes pour « klaxonnement intempestif ». Pour autant, pas question de baisser les bras. « Jamais le projet ne va voir le jour ! Jamais ! », martèle Jean-Yves Quéméneur derrière les deux lignes de barrières qui le séparent des vigiles surveillant les onze hectares de terrain, caméras portables sur l’abdomen.
« On ne peut pas se réclamer de l’accord de Paris quand on continue à construire des centrales à gaz ! »
Initialement prévue pour entrer en fonctionnement à l’hiver 2016-2017, la centrale électrique à gaz n’est toujours pas sortie de terre. « Force 5 a rapidement amené l’affaire au tribunal », raconte Jean-Yves Quéméneur, affublé d’un coupe-vent vert foncé et d’un short en jean. Le groupe a porté de multiples recours sur le plan environnemental mais à chaque fois leurs arguments ont été rejetés. Le 25 février 2019, heureuse surprise pour l’association : le conseil d’État (que l’association saisit systématiquement quand elle perd devant les tribunaux) a reconnu son intérêt à agir. Ce 14 juin, la cour administrative d’appel de Nantes a donc examiné la demande d’annulation de l’arrêté signé par le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie six ans plus tôt, qui autorise la société Direct énergie – rachetée par Total – à exploiter la centrale. La décision est attendue pour les premiers jours de juillet.
« Cette affaire est bidon, estime Alexandre Faro, avocat, qui représente l’association. Le besoin d’électricité va baisser grâce aux nouvelles techniques qui permettent de moins consommer et la population de la Bretagne n’augmente pas non plus énormément. » Ce sont ces arguments que la Région Bretagne utilise pour justifier le projet. Inclus dans le pacte électrique breton signé en 2010 par Jean-Yves Le Drian, alors président de région, le projet de centrale de Landivisiau veut « sécuriser l’approvisionnement » sur le territoire. Objectif : éviter un « black-out », risque d’une coupure généralisée de courant au cours de l’hiver, moment où la demande est très forte en Bretagne, région sur-équipée en chauffages électriques. « Ce black-out n’a pour l’instant jamais eu lieu !, rétorque Alexandre Faro. On ne peut pas se réclamer de l’accord de Paris quand on continue à construire des centrales à gaz ! »
Gaz à effet de serre et oxyde d’azote
D’après l’étude d’impact, si l’usine fonctionne presque toute l’année, elle produirait 1,5 million de tonnes de gaz à effet de serre et 1100 tonnes d’oxyde d’azote, notamment. De quoi inquiéter les opposants, qui dénoncent un risque industriel et sanitaire. « Mes parents habitent entre le clocher et ici, montre Thibault, en pointant du doigt l’édifice visible depuis la parcelle où ont lieu les travaux. Entre les deux, il y a un stade multi-sports, deux collèges, deux lycées, une école primaire et une maternelle. » Juliette, sa compagne, ne voit pas l’utilité de la centrale : « Nous devons aller vers une baisse de notre consommation électrique, pense-t-elle. La France exporte énormément sa production [NDLR : premier pays exportateur en Europe en 2018]. Si elle en a vraiment besoin, qu’elle l’utilise ! Il faut changer de système économique. On va droit dans le mur. »
Au niveau mondial, les réserves actuelles de gaz naturel sont estimées à 55 ans. Les opposants s’insurgent aussi contre la subvention annuelle de 40 millions d’euros que L’État donnera à Total pendant vingt ans, à partir de sa mise en service. La Bretagne et ses alentours sont pourtant une terre d’alternatives en matière d’énergies renouvelables et de non recours aux hydrocarbures, du village de Trémargat aux parcs éoliens citoyens, en passant par le potentiel sous-exploité des énergies marines ou au projet de salariés et syndicalistes pour transformer leur centrale à charbon.
Ils s’attaquent également à un autre volet : la construction du gazoduc de 111 kilomètres qui alimentera la centrale et qui traversera plusieurs cours d’eau, une zone Natura 2000 et six zones humides, ainsi que des terres agricoles. Les engins vont venir sur l’exploitation familiale de l’apiculteur Matéo Millécamps. « Le gazoduc traverserait deux parcelles, explique l’apiculteur de 22 ans. Il y aura la construction mais aussi la maintenance et je ne veux pas être dérangé continuellement ! » Dans une zone de dix mètres autour, les propriétaires ne peuvent édifier aucune construction durable ni planter aucun arbre, ce qui bloquerait le projet de son associé, Ernest Delacour, qui compte faire pâturer 250 moutons et replanter des haies.
Décision du tribunal début juillet
Aucun agriculteur ne soutient la centrale, selon Matéo Millécamps : « Sur les 45 rencontrés, il n’y en a qu’un seul qui se montre favorable au projet. Le reste est contre mais ne sait pas comment agir. » Lui a déjà contacté l’association Eaux et rivières de Bretagne pour voir quels recours porter. « Si ce projet se fait et que je n’ai rien fait pour l’arrêter, alors que cela se passe sur les terres de mon grand-père, je ne pourrais plus jamais me regarder dans la glace ! », jure celui qui devient le moteur de la contestation agricole. Le temps presse avant que la construction de la centrale commence, en septembre prochain.
Jeudi 6 juin, quatre militants dont Jean-Yves Quéméneur ont rencontré le président régional Loïg Chesnais-Girard, en marge de l’évènement institutionnel Breizh COP, qui réunit collectivités territoriales, associations et entreprises dans le but d’imaginer les « transitions écologique, économique et sociétale » en Bretagne. La Région, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, a « pris acte » de leurs revendications mais ne souhaite pas se prononcer sur un dossier qui relèverait de l’État, font savoir les militants après le rendez-vous. Maître Alexandre Faro en est sûr. Cette affaire, ils la gagneront devant la justice. Si le tribunal administratif rejette leur requête, ils iront devant le conseil d’État. Prochaine étape donc, début juillet, quand le tribunal rendra sa décision.
Manon Deniau
Publié le 18/05/2019
« Les plantes sont extraordinaires : c’est un modèle décentralisé dont tous les membres participent à la décision »
par Olivier Favier (site bastamag.net)
Quand Stefano Mancuso fonde le laboratoire de neurobiologie végétale en 2005, parler d’« intelligence des plantes » scandalise encore une large part de la communauté scientifique. Pour ce botaniste, tout dépend de la définition du mot : les plantes n’ont pas de système nerveux central, mais ont une « capacité à résoudre des problèmes ». L’animal réagit aux difficultés en changeant d’environnement, la plante doit les surmonter. En étudiant ces stratégies, Stefano Mancuso veut non seulement changer notre regard sur les plantes, mais aussi utiliser ces connaissances pour stimuler l’innovation et résoudre des problèmes qui menacent désormais l’humanité entière.
Basta ! : Je voudrais revenir sur une première expérience que vous proposez durant vos conférences. Vous projetez la photographie d’une forêt et demandez au public ce qu’il voit. Il indique alors invariablement l’animal qu’on aperçoit dans l’image : un cheval, un lion, un singe. Si vous présentez en revanche une forêt sans animal, le public répond aussitôt qu’il n’y a rien à voir. Par cet exemple, vous montrez que nous ne sommes pas habitués à considérer les plantes. Elles représentent pourtant 85 % de la biomasse de la planète. Mais leur organisation est complètement différente de la nôtre, qui est pyramidale, avec un cerveau qui commande...
Stefano Mancuso : Tout ce que nous construisons au niveau de nos organisations sociales est bâti sur le modèle du corps animal. Or les animaux – humains compris – ne représentent que 0,3 % de la vie sur la terre, bien moins que les trois autres catégories que sont les végétaux, les champignons et les êtres monocellulaires. L’écrasante majorité des êtres vivants utilise des modèles différents du nôtre, qui est très fragile. Il suffit d’enlever la tête et toute l’organisation s’écroule. Il y a eu des empires, comme ceux des Aztèques et des Incas, des civilisations très avancées, dont l’organisation reposait exclusivement sur l’Empereur. Il a suffi aux Espagnols de s’attaquer à ce dernier pour que tout le système s’écroule instantanément.
Par son organisation horizontale, une plante survit même si, par exemple, un animal mange ou détruit une partie de son corps, quand un animal meurt dès qu’un de ses organes vitaux ou son cerveau sont ôtés ou détruits. Comment ce modèle peut nous inspirer dans l’organisation des sociétés humaines ?
Dans le modèle du corps animal, le lieu où le problème doit être résolu est très éloigné de celui où les décisions sont prises. Imaginons par exemple une organisation mondiale, il y en a beaucoup aujourd’hui. Disons qu’elle a son siège aux Nations-Unies. Elle doit prendre une décision sur un problème en Europe ou en Asie. Les informations qu’elle aura seront nécessairement partielles, et elles n’auront jamais ce degré de détail des informations obtenues sur place. Gardons toujours l’exemple de cette organisation mondiale, où toutes les décisions sont prises par un conseil d’administration d’une dizaine de personnes. Cela n’arrive jamais dans la nature. Si en revanche toutes les personnes qui travaillent dans cette organisation ont la possibilité de proposer des solutions, celles-ci seront nécessairement plus justes.
C’est ce que racontait déjà le « théorème du jury » de Condorcet, mathématicien et homme politique français, à la fin du 18ème siècle à propos de la décision à prendre pour un condamné. Selon Condorcet, plus grand est le nombre des personnes qui composent le jury, plus grande est la probabilité que la décision prise soit correcte. Nous ne parlons pas de politique ou d’éthique, mais de mathématiques. C’est pourquoi dans la nature toutes les organisations sont faites de manière à ce que tous ses membres participent à la décision.
Pourrions-nous penser à construire nos modèles ainsi ?
Bien sûr. C’est parfois le cas. La structure physique d’internet est conçue comme une plante. Prenons l’exemple de Wikipédia : dans les encyclopédies classiques, il y a la direction générale, puis celles des différents secteurs, puis des spécialistes pour chaque sous-secteur, bref une pyramide de personnes. Ces encyclopédies produisent en général un volume tous les deux ou trois ans. Wikipédia en anglais a produit en dix ans l’équivalent de 38 000 volumes de l’Encyclopædia britannica. On pourrait penser que la qualité des informations s’en ressent, mais c’est faux. Une étude comparative a montré que les informations sont plus détaillées, approfondies et mises à jour que dans l’encyclopédie papier.
C’est une organisation complètement décentralisée qui bénéficie d’un contrôle mutuel permanent. Je ne connais rien en physique, et je pourrais écrire que les ondes gravitationnelles sont les soupirs des fées. Personne ne m’empêche de le faire. Une minute plus tard cependant, mille physiciens effaceront mon apport et écriront ce qu’est vraiment une onde gravitationnelle. Un chef n’est pas nécessaire pour dire que ce qui est écrit est faux. C’est un jeu continuel de la démocratie.
On peut utiliser cela aussi dans le domaine économique. Prenons le cas de la Morning Star Company, qui transforme environ un quart des tomates produites en Californie et répond à 40 % de la demande étasunienne dans ce secteur. Elle n’a pas de manager. En moyenne, dans les entreprises, le management représente 30 % des dépenses ; et le reste des effectifs est appelé employés, ou même dipendenti en italien, ce qui veut dire qu’elles dépendent de ceux qui sont au-dessus d’eux. C’est une terminologie qui détermine le caractère subalterne du travailleur. Dans le cas de la Morning Star Company, le terme utilisé est celui de « collègue ». Cela ne veut pas dire que dans cette entreprise toute le monde a le même salaire. Il n’y a simplement pas d’échelle de rémunérations en fonction d’une hiérarchie des postes, mais selon une évaluation publique des capacités. En d’autres termes il y a des règles mais elles sont différentes.
Dans votre livre L’intelligence des plantes, publié en français en 2018, vous évoquez Darwin, que vous considérez comme l’un des plus grands savants de l’Histoire. Vous expliquez que son intérêt pour les plantes est aussi considérable que méconnu. De lui, à la fin du 19ème siècle, on se souvient d’une lecture partiale et controversée : le darwinisme social. À cette théorie, Pierre Kropotkine répond par le concept d’ « entraide », lui aussi facteur d’évolution. Comment s’opère l’évolution chez les plantes ? S’agit-il seulement de sélection, ou retrouvons-nous différents mécanismes, parmi lesquels une forme de solidarité ?
En général, nous croyons que l’évolution est une sorte de lutte pour la sélection du meilleur. C’est une lecture inventée par les darwinistes sociaux, qui va donner naissance à toute une série d’horreurs, comme l’eugénisme. Pour Darwin, le processus de l’évolution sélectionne non le meilleur mais le plus adapté, ce qui est complètement différent. Kropotkine, qui était un théoricien de l’anarchisme mais aussi un grand biologiste, écrit un livre pour réfuter les stupidités du darwinisme social. Ce qu’il appelle « l’entraide » est une des formes fondamentales de l’évolution. Il avait raison, même si nous lui donnons un autre nom, par exemple la « symbiose ».
On a découvert que la « symbiose », c’est-à-dire ce processus par lequel deux êtres vivants s’unissent pour tirer profit l’un de l’autre est l’un des grands moteurs de l’évolution : la cellule est née de la symbiose entre deux bactéries. L’union, la communauté, est une force beaucoup plus puissante que toute autre forme d’évolution.
De ce point de vue, les plantes sont extraordinaires. Elles ne peuvent pas se déplacer. Quand tu as des racines, tous ceux qui sont autour de toi sont fondamentaux. Une plante seule ne peut survivre, elle a besoin de communauté, mais aussi d’autres organismes. La plante entre en symbiose avec tous : bactéries, champignons, insectes, et même avec nous les hommes, par exemple quand nous mangeons du maïs et que nous emmenons cette plante partout dans le monde. La vie se fonde sur la création d’une communauté, non sur la sélection d’un meilleur hypothétique.
Parallèlement à votre laboratoire, vous avez créé une start-up, PNAT (acronyme pour Project nature), avec d’autres chercheurs. Ce think tank se définit comme « inspiré par les plantes ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Cette start-up produit des solutions technologiques qui sont en effet toutes inspirées par les plantes. Nous prenons des solutions végétales et nous les transposons. C’est le cas du plantoïde qui est un robot utilisé pour explorer le sous-sol. Au lieu de s’inspirer du modèle animal, il utilise des sortes de racines, car rien n’est aussi efficace pour la mission qu’il doit remplir. Celles-ci peuvent se déplacer en fonction des stimuli envoyés par les capteurs placés à leurs extrémités et contourner de la sorte une pierre ou une zone polluée. Les feuilles peuvent mesurer les différents paramètres de l’air ambiant. On imagine sans peine les applications qu’une telle machine peut avoir pour l’agriculture, la surveillance et la cartographie des terres.
Nous avons créé aussi la Jellyfish Barge, qui est une sorte de serre flottante, totalement autosuffisante, elle n’a pas besoin d’eau douce parce qu’elle dessale l’eau de mer, elle n’utilise pas le sol parce qu’elle flotte, et pour toute énergie elle n’a besoin que de l’énergie du soleil. Elle permet de produire suffisamment de fruits et de légumes pour huit personnes. La Jellyfish Barge a été primée à l’Expo de Milan en 2015, mais elle n’a pas encore inspiré d’applications concrètes hors de nos expériences.
Actuellement nous travaillons sur la purification de l’air à l’intérieur des espaces de vie. Nous passons 80% de notre temps dans des édifices dont la qualité de l’air est quatre ou cinq fois pire que celle du dehors. Pour purifier cet air, les plantes sont fondamentales.
En lisant La Révolution des plantes, votre second livre traduit en français, qui vient d’être publié chez Albin Michel, vous démontrez que les plantes sont non seulement intelligentes, mais aussi dotées de mémoire et d’une capacité d’apprentissage [1]. Ce sont toutes ces découvertes et redécouvertes qui vous ont inspiré le concept de « droits des plantes ». Mais dans une époque où les droits de tant de catégories de personnes sont niés ou remis en cause - je pense notamment à ceux des migrants - pourquoi jugez-vous important d’ouvrir ce nouveau front ?
Évidemment, parler du droit des plantes quand tant de personnes dans le monde n’ont pas de droits peut sembler une abomination. Pourtant, je crois que le processus des droits suit précisément celui de l’évolution. Au temps des Romains, le père de famille était le seul être vivant qui avait des droits. L’épouse et les enfants, pour ne rien dire des esclaves, étaient la propriété du père de famille. Puis certains pensèrent qu’on pouvait donner des droits au fils aîné et cela créa un scandale. Chaque fois qu’on parle d’élargir les droits à d’autres êtres vivants, la première réaction que nous avons est la stupeur. Mais comment ? Même les plantes ? N’exagérons pas.
Depuis lors, les droits se sont élargis aux femmes, pour les personnes d’origine différente, puis, en-dehors de la sphère humaine, pour les animaux. Je suis donc certain que nous donnerons aussi des droits aux plantes.
Pourquoi est-ce fondamental ? Parce que ce sont des êtres vivants et que tous les êtres vivants devraient avoir des droits. Par ailleurs, ce sont des plantes que dépend la vie des autres êtres vivants. Si de nombreuses espèces animales disparaissent, c’est infiniment regrettable, mais la survie de l’homme n’est pas compromise. Mais si les forêts disparaissent, nous risquons de disparaître nous aussi. Donner des droits aux plantes revient à donner des droits aux êtres humains.
Qu’est-ce que vous entendez par « droits des plantes » ?
Par exemple, les forêts devraient être déclarées intouchables. Elles devraient être considérées comme des lieux naturels de vie des plantes. Un autre droit que je considère fondamental est celui de ne pas les considérer comme des moyens de production. On dit que la façon dont nous élevons certains animaux est inhumaine, et que l’élevage industriel devrait être interdit. C’est juste. De la même manière, l’agriculture intensive et industrielle devrait être interdite. Si nous parvenions à cela, le bénéfice serait énorme. L’agriculture industrielle représente probablement 40% de l’impact humain sur l’environnement, plus que les transports par exemple, et nous n’en avons guère conscience. Quand on élargit les droits, tous les êtres vivants en profitent, sans exception.
Vous faites souvent référence au Club de Rome, qui, en 1972, décrivait avec précision le problème d’une société dont le modèle de croissance reposait sur une exploitation toujours plus importante de ressources limitées. En ce qui concerne la décroissance, la lenteur, le besoin de créer un autre rapport avec notre planète, il semble que l’Italie ait été capable de produire un discours radicalement nouveau, il y a cinquante ans, à travers certains intellectuels ou écrivains [2]. Pensez-vous que le discours que vous portez sur les plantes prolonge d’une part ces idées, et de l’autre fasse partie de ce grand laboratoire italien, dont on parle si souvent ?
Je pense que toute la partie qui concerne le fait de s’inspirer des plantes suit la même ligne de la grande discussion qui a commencé en Italie au début des années 1970 et qu’on nomme aujourd’hui le problème environnemental.
À l’époque, ce problème était d’ailleurs interprété de manière beaucoup plus correcte qu’aujourd’hui comme un véritable problème politique. Ce n’est pas une question qui regarde une frange de personnes qui aiment la nature. Non, l’environnement est l’unique question politique, une question très sérieuse dont dépendent toutes les autres. Il est clair qu’un modèle de croissance qui prévoit une consommation de ressources toujours plus importante n’est pas durable. C’est une idée d’une telle évidence et d’une telle banalité qu’elle fait douter de la capacité logique des hommes.
Je souhaite que le laboratoire italien qui a fonctionné comme avant-garde d’atrocités mais aussi de nouveautés intéressantes au cours du siècle dernier puisse cette fois encore avoir une prise réelle sur le reste du monde. Les chiffres sont très clairs : le protocole de Kyoto, les Cop 21 et 22 n’ont eu aucune influence sur la production croissante de dioxyde de carbone. Je pense que la seule possibilité sérieuse que nous ayons d’inverser cette courbe, c’est d’utiliser les plantes de manière correcte, par exemple en en recouvrant les villes. Le dioxyde de carbone est produit en ville, et c’est là que les plantes doivent l’absorber. Nos villes seraient aussi plus belles, plus saines, et cela aurait un impact positif sur la santé et la psyché des êtres humains. Il n’y a donc aucune raison de ne pas le faire.
Propos recueillis par Olivier Favier
Photo : Libertia, famille des iris, en Nouvelle-Zélande / CC James Gaither
Notes
[1] A ce sujet, Stefano Mancuso cite une expérience réalisée sur le mimosa pudique au 18e siècle par un élève du naturaliste français Jean-Baptiste de Lamarck. Cette plante, qui replie ses feuilles devant un danger, cesse de le faire si le stimulus est répété sans être accompagné d’une réelle agression. Si l’expérience est répétée après quelques mois, le mimosa conserve son comportement acquis et fait ainsi l’économie d’une réaction extrêmement coûteuse pour elle en énergie.
[2] Voir par exemple la lecture que fait Pier-Paolo Pasolini du nazisme comme totalitarisme consumériste dans son film Salò (1975) et sur sa banalisation dans notre société. Sur ce dernier point, il rejoint les lectures de Goffredo Parise et de Nicola Chiaromonte, toujours inaccessibles en français. On ne peut que mettre leurs lectures en parallèle avec celles produites ailleurs en Europe et aux États-Unis par l’école de Francfort, Herbert Marcuse, Jacques Ellul, Ivan Illich, Jean Baudrillard ou bien sûr Guy Debord, toutes visant à prolonger la critique classique du capitalisme par des concepts tels que « société de consommation », « société du spectacle », « productivisme ». Un mot enfin pour saluer le rôle fondamental joué dans le Club de Rome par son fondateur Aurelio Peccei. Le rapport de 1972 ne prônait pas la décroissance - concept créé la même année par André Gorz - mais « la croissance zéro » pour les pays riches.
https://www.bastamag.net/Les-plantes-sont-extraordinaires-c-est-un-modele-decentralise-dont-tous-les
Publié le 09/03/2019
Protéger et détruire - Nucléaire et biodiversité
paru dans lundimatin#181 (site lundi.am)
Dans un article publié début janvier dans Var Matin [1]le directeur d’ITER France, la société en charge de la construction du réacteur expérimentale à fusion thermonucléaire ITER sur le site du CEA de Cadarache affirme que « la défense de l’environnement n’est pas un vain mot » pour son entreprise et que cette dernière « prend les choses à cœur ». Le sous-préfet de son côté renchéri en soulignant « l’attachement de l’entreprise [ITER France] à la cause environnementale ». On savait que le nucléaire avait de nouveau le vent en poupe avec le réchauffement climatique, mais de là à dire qu’il protège la biodiversité... Évacuons la première hypothèse d’un canular pour nous consacrer à une autre plus plausible :Var Matin serait en réalité une officine du CEA chargé de la communication d’ITER.
La question inévitable que tout visiteur du « dehors » finit par formuler : « Ne craignez vous pas de sauter un jour ou l’autre, vous et vos laboratoires ? » attire aussi inévitablement cette réponse « Au début peut-être mais on oublie vite. Si le service du feu ne procédait pas à des exercices, personne ne songerait au danger. L’habitude... » souligne mon interlocuteur avec le sourire.
L’emprise sur l’atome, dans Le futur à déjà commencé, Robert Jungk, 1953
La fusion, ou le rêve du mouvement perpétuel
Comme nous l’explique l’historien Nicolas Chevassus-au-Louis dans La fusion nucléaire : toujours pour après-demain [2], la fusion thermonucléaire fait partie de ces promesses scientifiques qui permettent de faire rêver les gouvernants et justifier les crédits de recherche des scientifiques puisque cela fait maintenant un demi-siècle que l’on annonce l’imminence de sa maîtrise. En 1948, Ronald Ritcher un physicien et Kurt Tank ingénieur aéronautique, tous deux allemands, s’étant retrouvés en Argentine après la guerre (sic), arrivent à convaincre le président Juan Perón de construire une centrale à nucléaire. L’argent coule à flots pour les deux compères et leur usine voit le jour sur l’île de Huemel au milieu d’un lac en Patagonie. En 1951, le président annonce qu’il a réussi la maîtrise de la fusion et dame le pion à toutes les puissances nucléaires du monde. Mais les observateurs internationaux commencent à douter quand celui-ci annonce que l’énergie pourra être conditionnée en bouteille d’un litre ou d’un demi-litre, comme le lait. En 1952, après enquête, des physiciens concluent à l’imposture et Ritcher quitte le pays. C’est la première annonce de maîtrise du phénomène de la fusion qui consiste à reproduire sur Terre le phénomène qui génère l’énergie du soleil.
Quand les premières bombes thermonucléaires explosent, la bombe américaine en 1952 puis l’année suivante la bombe soviétique, les scientifiques n’évoquent pas la possibilité de maîtriser cette énergie pour la production d’électricité tant elle leur paraît indomptable. Mais la mort de Staline en 1953 et la conférence de Genève de 1955 sur l’utilisation pacifique de l’énergie atomique (Atoms for Peace) rouvrent le débat sur la possibilité de maîtriser la fusion.
Alors que les soviétiques ont doublé les américains dans la course à l’espace grâce au lancement de Spoutnik en 1957, ces derniers les devancent dans leurs recherches sur la fusion. En 1958 on annonce un premier exploit scientifique, un communiqué commun à l’US Atomic Energy et Commission et la Britain’s Atomic Energy Authority fanfaronne de l’imminence de la maîtrise de la fusion. « Cela pourrait prendre à peine vingt ans » annonce un des scientifiques. Mais trois mois après, les scientifiques se rétractent : on était loin du compte.
La course avec les russes s’accélèrent. Mais les installations coûtent de plus en plus chers à mesure que croît le gigantisme des machines nécessaires, qui se révèlent en plus être un gouffre énergétique. Il est a noté par exemple qu’une expérience d’ITER, le réacteur expérimentale basé dans les Bouches du Rhône, de quelques secondes nécessite près de 1000 MWe. Une partie de la centrale du Tricastin dans la Drôme est dédiée à son alimentation. En clair, on construit des centrales nucléaires pour alimenter d’autres centrales nucléaires.
En 1959 l’Agence Internationale pour l’énergie atomique se charge donc de la mutualisation des informations entre les russes et le reste du monde. En 1973, avec la crise énergétique, l’argent coule de nouveau à flot et l’intérêt des puissances pour cette énergie aussi. En 1975, le département américain de recherche sur l’énergie atomique qui allonge