Publié le 05/05/2020
Pour le monde de la culture, je tire
la sonnette d'alarme
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 04 mai 2020
C’est dans un silence assourdissant que le monde de la culture subit un massacre avec la crise sanitaire et les mesures de confinement.
S’il est un secteur absent des préoccupations dominantes, c’est bien celui-ci. Comme si la culture était décidément périphérique, non essentielle, presqu’accessoire dans notre société du spectacle et de la marchandise. Il me semble, au contraire, que sa place est décisive dans nos vies. La culture travaille nos imaginaires et permet le partage sensible. C’est le lieu de l’échange et de la création par excellence. Nous en avons un besoin impérieux à l’échelle individuelle mais aussi collective, pour penser l’après… qui commence maintenant. Or, c’est silence radio côté gouvernemental. On finit par se demander s’il existe un ministère de la culture dans ce pays… Et le sujet effleure à peine dans le débat public.
En attendant, le tableau est des plus inquiétants. La réouverture des cinémas, salles de concert et théâtres n’est pas à l’ordre du jour. Les festivals de l’été, qui permettent à tant de troupes ou de créateurs qui n’ont pas pignon sur rue de faire connaître leur travail, s’annulent les uns après les autres. Les intermittents, artistes et techniciens, se retrouvent sans heures à valider pour obtenir un filet de sécurité. Que fait le ministère de la culture ? Le flou reste total. Quant aux musées, les « petits » pourront rouvrir. Mais qu’est-ce qu’un petit musée ? Silence dans les rangs gouvernementaux.
Les mesures sanitaires doivent être au rendez-vous pour que chacune et chacun soit protégé. Mais anticiper les conséquences de fermetures prolongées est la tâche de l’État. Ici, nous ne voyons rien venir et le temps passe, le temps presse… Au final, les plus grosses structures pourront survivre. Mais les autres ? C’est tout le maillage territorial d’une culture de proximité et les possibilités de démocratiser l’accès à la culture qui sont menacées dangereusement. Prenons l’exemple des librairies et maisons d’édition. Amazon a continué à envoyer des livres mais les librairies indépendantes, portes closes, se retrouvent dans une situation difficile et parfois même au bord de la fermeture. Après des mois d’arrêt, les grandes maisons d’édition survivront mais les plus petites risquent vite de mettre la clé sous la porte. Nous savons déjà que le nombre d’auteurs publiés à la rentrée sera massivement réduit. Même topo pour le grand écran. Je pense au cinéma Jacques Tati à Tremblay-en-France qui va rencontrer forcément des difficultés d’une autre ampleur que les salles Gaumont ou UGC des centres commerciaux avoisinant. Si des mesures ne sont pas prises pour aider et sauvegarder, la diversité culturelle et intellectuelle sera vite un vieux souvenir…
Alors je tire la sonnette d’alarme. Parce que la culture est un bien commun essentiel à la vie et à l’émancipation humaine. Parce que nous devons et pouvons agir pour soutenir ce secteur aux abois et permettre une vie digne à toutes celles et ceux qui font vivre la création dans ce moment de crise paroxystique.
Publié le 02/05/2020
1er-Mai : Déconfinons l'insubordination !
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 1er mai 2020
Le confinement a emporté mon, notre traditionnel 1er-Mai. Il nous reste les slogans qui foisonnent sur les réseaux sociaux, les casseroles qui vont tinter dans la journée. Et surtout la colère. Ce 1er-Mai inédit, nous ne l’oublierons pas.
Un 1er-Mai à la maison, sans défiler dans les rues de Paris pour défendre les droits et les protections de celles et ceux qui travaillent, sans embrasser les unes et les autres, sans prendre le pouls de la contestation, sans ressentir physiquement le nombre, sans humer le parfum d’époque des pancartes qui se succèdent, sans voir quels sont les cortèges fournis, ceux qui le sont moins, sans images à la télévision de la foule qui clame, qui chante, sans me plaindre de la pluie ou me réjouir de cette journée si ensoleillée, sans ramener chez moi un brin de muguet… Le confinement a emporté mon, notre traditionnel 1er-Mai.
Il nous reste les slogans qui foisonnent sur les réseaux sociaux, les casseroles qui vont tinter dans la journée, les Bella Ciao qui sortiront des fenêtres dans certains quartiers. Et surtout la colère. Car le sentiment d’injustice et la combativité pour un monde meilleur ne se confinent pas.
Pire : l’impréparation et les mensonges du gouvernement, l’addition de décennies de réduction des moyens pour l’hôpital ou encore la faim et la précarité qui explosent pendant que se distribuent les dividendes, alimentent le désir d’insubordination.
Ce 1er-Mai inédit, nous ne l’oublierons pas.
Nous penserons aux soignants qui n’ont toujours pas vu d’augmentation significative et stabilisée de leur rémunération. Aux premiers de corvées qui font vivre l’économie de notre quotidien pour un salaire de misère, sans voir leur situation revalorisée. Et, parmi eux, nous n’oublierons pas les femmes qui occupent des emplois essentiels, dans le domaine du soin notamment, sans visibilité ni considération.
Nous nous mobiliserons pour celles et ceux qui travaillent sans protection dans des secteurs non indispensables.
Nous dénoncerons toutes les mesures « d’assouplissement » du code du travail qui brisent les conquêtes sociales pour nous tirer toujours plus bas.
Nous dirons haut et fort qu’il faut sécuriser les parcours professionnels, partager les richesses et les temps de la vie.
Qu’il faut changer le sens de l’économie : produire pour répondre aux besoins et non pas produire pour satisfaire les besoins du capital en créant des besoins artificiels.
Publié le 29/04/2020
« Un bicot, ça nage pas »
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 28 avril 2020
Ces mots sont ceux d’un policier, un agent de la police républicaine, alors qu’un homme se jette dans la Seine pour échapper à un contrôle. C’est au gouvernement d’agir. L’impunité est un choix politique.
La scène, glaçante, a largement circulé. Qu’en aurait-il été si quelqu’un ne l’avait filmée et si le journaliste indépendant Taha Bouhafs ne l’avait pas mise en circulation ? On y voit deux policiers des Hauts-de-Seine, rigolards, sur le bord de la Seine à l’Ile-Saint-Denis alors qu’un homme s’est jeté dans l’eau pour fuir une interpellation. L’un d’eux dit : « Un bicot comme ça, ça nage pas ». Et il ajoute : « Ça coule, tu aurais dû lui accrocher un boulet au pied ». Un peu plus tard, pendant peut-être trois minutes, on entend quelqu’un être frappé dans le fourgon et des policiers qui rient autour.
Ces images donnent donc à voir des propos racistes et des faits de violence policière. Elles résonnent avec une sombre page de notre histoire, celle du 17 octobre 1961 où des Algériens avaient été noyés dans la Seine à Paris. Elles entrent en écho avec le tragique décès de Zyed et Bouna fuyant un contrôle de police, qui a embrasé les banlieues populaires en 2005. Les drames ne sont pas comparables mais ce qui fait répétition doit nous interpeller. Car les scènes rapportées ou filmées de ce type de discriminations, insultes, agressions de la part de force de l’ordre vis-à-vis d’une partie de la population ne sont malheureusement pas isolées.
Les propos racistes et violents de la part de policiers doivent être sanctionnés, vite et fort. Le ministre Castaner a annoncé la saisie de l’IGPN. Trop souvent, les affaires s’y trouvent ainsi enterrées. C’est au gouvernement d’agir. C’est à lui de prendre en considération ce qui relève d’un problème structurel pour que le maintien de l’ordre se fasse toujours dans le cadre républicain, en garantissant nos valeurs fondamentales. L’impunité est un choix politique. Il ne peut produire qu’un seul résultat : une amplification de ces actes intolérables et une défiance toujours accrue vis-à-vis de la police.
Publié le 28/04/2020
Depuis quand la responsabilité de scolariser les enfants est-elle laissée au libre arbitre des parents ?
par Clémentine Autain (site regards.fr)
Contre l’avis du Conseil scientifique, le gouvernement prépare une reprise des classe à partir du 11 mai. Face au risque sanitaire, l’école de la République ne sera pas « obligatoire ». Aux parents donc de choisir.
Dans un ensemble très cafouilleux, comme à son habitude maintenant, le gouvernement a annoncé le retour à l’école le 11 mai. Ce sera progressif, nous dit-on, mais on ne connaît pas encore les modalités de cette reprise petit à petit. Les parents sont légitimement inquiets des conditions sanitaires d’un retour de leurs enfants dans les classes. De l’incapacité de l’État à organiser la production de matériel aux injonctions contradictoires au sein de l’exécutif, la défiance à l’égard du pouvoir s’est installée dans le pays. Or, c’est à la puissance publique de donner un maximum de garanties. En l’occurrence, le conseil scientifique vient de rendre public son avis : il préconise une rentrée en septembre. Raison supplémentaire d’affoler les parents… Une large majorité d’entre eux indiquent dans les enquêtes d’opinion qu’ils ne mettront pas leurs enfants à l’école le 11 mai.
J’alerte ici sur les dangers du principe annoncé par le gouvernement pour cette reprise de l’école : la base du volontariat. Depuis quand la responsabilité de scolariser un enfant est-elle laissée au libre arbitre des parents ? Est-ce à chaque foyer d’évaluer le danger sanitaire ? Le ministre Blanquer avance le fait que ce n’est pas l’école qui est obligatoire mais l’instruction. La fameuse « continuité pédagogique » serait donc assurée par le biais du numérique. Vaste blague… Le gouvernement affiche son mépris vis-à-vis du décrochage massif engendré par la déscolarisation physique. Sans cours collectifs dans un établissement, le creusement des inégalités sociales ne peut que s’aggraver.
Organiser le retour sur la base du volontariat, c’est faire faire porter la responsabilité sur les familles. C’est un coup de canif porté au service public de l’éducation et au principe de l’instruction obligatoire.
Au fond, la macronie renvoie inlassablement à la responsabilité des individus. D’ailleurs, a prévenu Emmanuel Macron dans l’une de ses dernières allocutions, si les conditions du déconfinement ne sont pas réunies le 11 mai, ce sera de la responsabilité de celles et ceux qui n’auront pas respecté les gestes barrières. Manière grossière de se défausser… À l’école, même façon de voir : organiser le retour sur la base du volontariat, c’est faire faire porter la responsabilité sur les familles. C’est un coup de canif porté au service public de l’éducation et au principe de l’instruction obligatoire.
La décision devrait relever de l’État, en s’appuyant sur une large concertation des scientifiques, des représentants des parents d’élèves et des personnels éducatifs. C’est l’État qui doit être garant des conditions sanitaires et de l’organisation du parcours éducatif. C’est l’État qui, ayant décidé la reprise, aurait dû mettre en oeuvre le retour à l’école prioritairement selon des critères transparents et déterminés par l’intérêt commun.
L’école, les enseignants et tous les personnels éducatifs, les élèves et les familles sont livrés à eux-mêmes. Le gouvernement apparaît étranger aux principes fondateurs de notre République. C’est dramatiquement consternant.
Publié le 25/04/2020
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 24 avril 2020
En France, aujourd’hui, de plus en plus de personnes souffrent de la faim. La crise du Covid-19 aggrave dangereusement la situation. Le gouvernement annonce trop peu, dans trop longtemps. Aider les plus pauvres, ils en sont incapables.
Des familles, des étudiants, des travailleurs précaires, des chômeurs, se pressent désormais dans des files d’attente chaque jour plus longues pour obtenir de quoi se nourrir. Les autorités s’inquiètent de possibles émeutes de la faim dans les quartiers populaires. L’entraide entre voisins se déploie, les personnels des service publics se démènent, les associations de solidarité donnent tout ce qu’elles peuvent mais l’énergie bénévole ne peut pas tout. Affaiblies par des années de serrage de vis budgétaire et par la suppression des emplois aidés, le monde associatif craquelle devant une misère pour laquelle il n’est pas outillé.
Alors que les revenus de beaucoup fondent comme neige au soleil, le coût de l’alimentation augmente. Au début du mois, le prix du panier moyen a bondi de 89%. La pénurie de certains produits bon marché contraint les ménages à passer à des gammes supérieures, plus onéreuses. La fermeture de nombreux marchés ouverts, souvent moins chers que les supermarchés de proximité, pèse sur la capacité à se nourrir suffisamment et correctement. Et la situation de monopole de la grande distribution peut lourdement impacter les prix et peser sur les négociations avec les fournisseurs, qui subissent une pression à la baisse.
Pour de très nombreuses familles, dont les enfants sont habituellement pris en charge par des cantines scolaires à bas coût, la détresse prend le visage de la faim. Pour certains enfants, le repas à la cantine constituait le seul de la journée. À Clichy-sous-Bois, les associations ont servi 190 couverts le premier jour, 480 le second. Le troisième jour, 750 personnes venaient chercher leur repas, soit plusieurs centaines de mètres de queue si l’on compte les règles de distanciation. Le public évolue : plus jeune, il n’est pas habitué à la solidarité pour se nourrir.
Les alertes se succèdent. L’angoisse de ne plus pouvoir manger, le saut de repas pour tenir, s’est donnée à lire, à voir. En Seine-Saint-Denis, on apprend que ce serait entre 15.000 et 20.000 personnes qui auraient du mal à se nourrir dans les prochaines semaines. Et déjà, trop souvent, la peur de mourir de faim l’emporte sur celle de mourir du virus.
Le gouvernement a annoncé, pour le 15 mai prochain, une aide de 150 euros par foyer bénéficiaire du RSA, des APL ou de l’ASS, plus 100€ par enfant à charge. Mais le 15 mai, faut-il rappeler que c’est dans près de 65 repas ? Une éternité, pour les ménages déjà en apnée financière. Cette aide ne concernera ni les jeunes de moins de 25 ans, ni les sans-papiers, ni celles et ceux – et ils sont nombreux – que ne bénéficient d’aucun soutien. À cela s’ajoute un plan de 39 millions d’euros pour l’aide alimentaire, en soutien aux associations. Du saupoudrage, de la rustine, c’est tout ce que le gouvernement est capable de proposer parce que son cadre de pensée est profondément contraint.
Intervenir sur les prix, pour les encadrer de haut en bas, c’est prévenir l’explosion du coût de l’alimentation et rendre plus accessibles les produits de première nécessité. Le gouvernement a su le faire pour le gel hydroalcoolique mais il n’ira pas au-delà : son logiciel idéologique l’enferme dans la loi du marché. En macronie, l’intervention de l’État est pensée comme atteinte aux prétendues vertus du libéralisme économique. C’est ainsi que notre pays s’interdit de prendre une mesure simple et décisive pour lutter contre la faim et les inégalités devant le contenu des assiettes.
Augmenter les minima sociaux, c’est assurer un meilleur filet de sécurité à la partie de la population la plus impactée par le confinement et ses conséquences. Le gouvernement n’en a pas l’idée parce qu’il est pétri du discours sur ces « feignants », « ceux qui ne sont rien » et n’ont qu’à « traverser la rue pour trouver un emploi ». S’ils sont pauvres, c’est de leur faute, et non en raison de la reproduction sociale et de l’inégalité structurelle dans le partage des richesses. La hausse du minimum pour vivre et l’extension des populations concernées permettrait de garantir que le minimum vital – manger à sa faim – soit assuré en France à chacune et chacun. Un pays aussi riche que le nôtre se grandirait en ne laissant personne sur le carreau de l’extrême misère.
Investir par milliards dans le tissu associatif, celui qui assume les missions de solidarité, et donner de l’air budgétaire aux collectivités locales pressurées par les cures d’austérité successives, c’est garantir un maillage de soutien efficace, au plus près de la population, pour que tout le monde mange à sa faim. À cela, le gouvernement répond : la dette, la dette, la dette. Par dogmatisme, il nie les mécanismes qui permettraient nous en affranchir. Par obsession de la compétitivité, il n’imagine pas mettre à contribution les revenus financiers. Même rétablir l’Impôt de Solidarité sur la Fortune – 3,2 milliards d’euros en moins chaque année pour l’État ! – nous a été refusé dans le vote du budget rectificatif il y a quelques jours.
En pleine crise sanitaire, les ventes de Porsche décollent, les dividendes pleuvent, les organisations patronales appellent à réduire la lutte contre l’évasion fiscale… Et le gouvernement accompagne cette valse de l’indécence en accordant, cette semaine, aux grandes entreprises vingt milliards d’euros sans contrepartie environnementale ou sociale. Le « business » a ses lois que la faim ignore. Macron et les siens ne pensent pas en dehors de ses clous. C’est là que le bât blesse. Leurs normes doivent être renversées pour que la société s’organise à partir des besoins, là où nous sommes aujourd’hui sommés d’adapter nos besoins à ceux des plus riches et à ceux du capital. Partager les richesses, c’est le seul moyen que tout le monde mange à sa faim et puisse accéder à la dignité.
Publié le 21/04/2020
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 20 avril 2020
Après les deux prises de parole du président de la République et du Premier
ministre, le brouillard n’est pas dissipé.
Le plan de production et le scénario de déconfinement semblent encore de bric et de broc, reposant principalement sur la discipline individuelle. Vous noterez que ces moments d’information ne sont jamais ouverts à la presse, ce qui permet au pouvoir d’éviter les questions précises ou dérangeantes. La crise sanitaire requiert pourtant un haut niveau d’exigence démocratique.
La carte de l’humilité est brandie mais elle apparaît comme le masque des manquements de l’État. Le refrain du changement est entonné pour la énième fois par un Président qui, déjà candidat, promettait la « Révolution » (titre de son livre de campagne… si, si !). Derrière la répétition de communication, les actes se trouvent conformes aux vieilles recettes.
Je ne dis pas qu’il est simple de faire face à la pandémie pour le pouvoir en place, qui hérite en partie du démantèlement de nos lits et personnels dans les hôpitaux ou des difficultés de production – nous le savons, c’est sous l’ère Hollande que le stock de masques a été détruit. Pour autant, la macronie a poursuivi et même accéléré, depuis le début du quinquennat, la recherche de rentabilité du monde de la santé, les délocalisations de nos capacités productives et l’application dogmatique de l’austérité budgétaire qui broie les biens communs.
Quand arrive le Covid-19, le roi est déjà bien nu. Et le temps de réaction du pouvoir a marqué un retard coupable. Nous le savons, le gouvernement n’a pas su anticiper, organiser la fabrication du matériel indispensable, des tests aux masques, en passant par les respirateurs ou les gants. Que des entreprises comme Luxfar, Farmar ou Peter surgical, qui produisent du matériel nécessaire, ne soient toujours pas nationalisées ou soutenues pour une reprise est proprement hallucinant. La France est passée en trois mois de quatre à huit millions de masques. Pas de quoi pavoiser ! Je reste abasourdie qu’une puissance économique comme la France puisse se retrouver dans une telle situation.
Tout ça pour dire que nous avons en France non seulement un gouvernement du monde d’avant mais aussi des amateurs au sommet de l’État.
Publié le 19/04/2020
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 18 avril 2020
Vous vous souvenez du film « Les Quatre Cents Coups » de Truffaut ? Le jeune Antoine raconte que
sa mère est morte pour justifier une journée d’absence à l’école. Un énorme mensonge. Et cette réplique culte : « Plus c’est gros, plus ça passe ». Hier à l’Assemblée nationale, face à
la macronie, elle trottait dans ma tête.
Dans une ambiance décidément étrange, l’hémicycle étudiait le projet de loi concernant le budget rectificatif, dit
PLFR2. Ce qu’il contient et ne contient pas est significatif : aucun changement d’orientation n’est à constater. Toujours les mêmes obsessions, le même cap. Certes, les prévisions de soldes
publics pour l’année 2020 s’avèrent plus réalistes : les hypothèses macro-économiques reprennent contact avec la réalité, anticipant une grande récession. Mais ce qui est envisagé, ce sont
seulement des aides a minima, c’est-à-dire de timides mesures de soutien pour compenser la baisse des revenus. Sur les 110 milliards d’euros sur lesquels communique le gouvernement, ne sont budgétés
en réalité que 42 milliards d’aides directes. Car l’essentiel de ce plan consiste en un report d’impôt et de cotisations, qui ne constitue qu’un simple jeu de trésorerie.
Le choc va être d’une immense violence. Pour y faire face, le gouvernement ne pense décidément qu’à une chose : relancer le système et non le changer. J’en veux pour preuve quelques éléments hautement symboliques et structurants sur lesquels insoumis et communistes, nous avons bataillé. Commençons par l’ISF. Sa suppression par LREM a conduit à un manque à gagner pour l’État de 3,2 milliards d’euros par an. Et 5% des contribuables les plus riches à empocher 6500 euros par an ! Le haut du gratin a même conservé 26.363 euros. En temps « normal », le niveau d’indécence est déjà au top mais là, en pleine crise sanitaire…. Cette somme, nous pourrions très simplement la récupérer : il aurait suffi hier de voter le rétablissement de l’ISF. En un clic sur nos pupitres, et nous aurions pu introduire un peu de justice de ce monde de brutes. La période est si tendue que mettre à contribution les plus riches, ce n’est pas du luxe. Mais ce fut trop pour le gouvernement et les députés LREM. Nos amendements sont restés sans suite et sans véritable réponse. « Ce n’est pas opportun », « cet argent sert à l’emploi et l’investissement », et patati et patata. Un rapport des plus officiels a pourtant bien montré que l’impact sur l’économie réelle de la suppression de l’ISF était nul. C’est juste un cadeau pour les plus riches. Point barre. Juste injuste. Et le pouvoir s’entête, même quand le désastre social s’amplifie gravement et s’étale au grand jour.
Alors nous avons continué en proposant, entre autres, le gel des dividendes. Le gouvernement pourrait le faire par simple ordonnance. Comme nous n’avons rien vu venir, nous avons suggéré avec des amendements, tous rejetés. Leur dogmatisme apparaît effrayant quand on regarde les sommes dont il s’agit : depuis le début de la crise sanitaire, Axa a versé 3,46 milliards d’euros de dividendes. Allianz ? 4,75 milliards. BNP ? 3,9. Total ? 1,8. Vivendi ? 697 millions. Lagardère ? 130,5. Veolia ? 283,5. Etc. Des milliards et des milliards auraient pu être affectés à autre chose qu’à rémunérer les actionnaires. Mais la volonté politique n’est pas là.
Il est intéressant de voir qu’un certain nombre d’annonces ne se retrouvent pas dans la loi de finances rectificatives. Où sont les sommes correspondant à la mise en place d’une prime exceptionnelle versée par l’État de quelques centaines d’euros pour 3 à 4 millions de foyers précaires annoncé par le député Laurent Saint-Martin mercredi 15 avril sur FranceInfo ? Pas dans le marbre de la loi. Idem pour le versement à certains agents de la fonction publique d’une prime exceptionnelle d’un montant pouvant aller jusqu’à 1000 euros, pour un montant total de 300 millions, annoncé le même jour sur Europe 1 par le ministre Darmanin.
L’obsession de la dette et de la compétitivité restent les normes de pensée intangibles de la macronie. Or la dette est un faux problème, un prétexte à tous les renoncements et aggravation des inégalités, un dogme européen totalement mortifère. La dette peut et doit être effacée par un jeu d’écriture. La Banque centrale européenne devrait être l’outil qui permet de racheter la dette des États et de la transformer en dette perpétuelle à intérêt négatif. C’est la solution que nous prônons pour redonner de l’air aux budgets publics et relancer l’économie non par des plans d’austérité successifs qui aggraveront le mal mais par des investissements nécessaires pour une transition vers une société de liens et de non de biens, vers une bifurcation sociale et écologiste.
Ils ne doutent pas, ils ne sourcillent pas. Le basculement vers d’autres normes sociales et écologistes leur est tout simplement inaccessible.
Ce désaccord est majeur, comme celui qui conduit le gouvernement à renouveler toutes les niches fiscales favorables aux plus riches et aux grandes entreprises. Ce qui me fascine, c’est l’assurance magistrale du gouvernement et des députés LREM pour rembarrer nos propositions. Ils ne sourcillent pas, ils ne doutent pas, ils restent inlassablement enfermés dans leur carcan idéologique. Celui d’un monde qui nous a déjà trop meurtri ces dernières décennies. Il faut que ça cesse.
Dans la série des mensonges, on retiendra que le Président et certains ministres peuvent faire de jolies phrases pour nous expliquer qu’ils ont changé, que le monde d’après sera différent du monde d’après. Plus c’est gros, plus ça passe… La réalité est aussi têtue que cruelle : dans les actes, ce sont bien les mêmes politiques qui sont mises en œuvre. Je crois que leurs dogmes d’avant sont si profondément ancrés que le basculement vers d’autres normes sociales et écologistes leur est tout simplement inaccessible.
Mais le clou hier en séance aura été le débat sur le montant de la TVA sur le matériel nécessaire dans la crise du Covid (masques, gel..). Un amendement proposait de ramener cette TVA à 5,5%. D’autres visaient un 2,1%. On aurait pu imaginer une TVA à 0% mais figurez-vous que ce n’est pas possible : l’Union européenne ne veut pas ! Et alors, me direz-vous ? Eh bien la secrétaire d’État, Agnès Pannier-Runacher, n’imagine pas une seule seconde que nous puissions outrepasser l’avis de l’UE. Même en pleine crise, même pour du matériel vital, non, il n’est pas pensable de s’asseoir sur les règles édictées par la Commission européenne. Nous aurons donc une TVA à 5,5% sur le seul gel, et pour un an ! Misère. À cette occasion, j’ai fait remarquer que le problème principal restait la pénurie de ce matériel. La veille, on me racontait encore que des sages-femmes n’avaient que deux masques et non trois comme il le faudrait pour une protection courant sur une journée de travail. Le matin, j’ai pu constater la pénurie de gel dans une pharmacie. Surtout, les réseaux sociaux et les articles de presse pullulent de témoignages sur le manque cruel, notamment dans les hôpitaux et dans certains secteurs d’activité indispensables, de masques, de gel, de gants, de sur-blouses… la pénurie est sur toute la toile mais la secrétaire d’État ne voit pas de quoi nous parlons. Ne souriez pas, c’est effrayant. Voyez sa réponse de sur le gel hydroalcoolique : « 550.000 litres sont désormais produits par semaine, contre 48.000 litres auparavant. J’invite tous ceux qui cherchent du gel hydroalcoolique et des masques à se connecter sur la plateforme stopcovid19.fr » Les personnels soignants ne sont donc pas doués. Un coup de fil, et c’est réglé ! Plus c’est gros, plus ça passe… Pour l’anticipation de la production, on repassera.
Dans un pays comme la France, des médecins mettent des sacs poubelle en guise de blouse et le gouvernement, après plusieurs mois, n’a toujours pas de plan précis de fabrication du matériel indispensable pour affronter une crise sanitaire.
Publié le 15/04/2020
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 14 avril 2020
Très attendue, l’allocution du président de la République aura donc duré 27 minutes. Le ton n’était pas guerrier cette fois-ci. Tant mieux. Et il a plu des remerciements. À la bonne heure… Mais concrètement ? Les annonces brillent par leurs contradictions.
Nous resterons donc confinés jusqu’au 11 mai. À partir de cette date, les crèches et les écoles seront progressivement ré-ouvertes. Ce sont des lieux de contagion par excellence et, d’ailleurs, ce furent les premiers fermés au début du confinement car les enfants propagent le plus le virus. Auront-ils les moyens d’assurer la protection ? Sans aucune annonce précise en matière de production de masques et de tests, Emmanuel Macron évoque les gestes barrières qui y resteront nécessaires. Dans une classe de 25 ou 35 élèves, il va vraiment falloir pousser les murs pour assurer les 1 mètre de protection ! Dans les cours de récréation, souhaitons bon courage aux surveillants pour éviter les uns de postillonner sur les autres !
Philippe Klein, médecin français basé à Wuhan, dit que « pour bien réussir le confinement et le déconfinement, les enfants doivent être les premiers à rester à la maison et les derniers à en sortir ». Or le Président a précisé que les étudiants, eux, ne reprendraient qu’en septembre. L’objectif n’est donc pas scolaire… Il s’agit avant tout de permettre aux parents de retourner travailler. Car les étudiants, contrairement aux plus jeunes, peuvent se garder tout seul. La relance de la machine économique a pris le dessus sur la protection sanitaire. La séparation de l’État et du Medef, ce n’est visiblement pas pour demain… Qu’importe les conditions, pourvu que le système se remette en route...
Hier soir, le plan de marche pour combattre le virus, avec de l’anticipation et de l’organisation précise, pour envisager de façon cohérente une sortie du confinement est resté introuvable. Nous savons que le dépistage massif est la clé. C’est le point de vue largement affirmé par les scientifiques. Sommet de contradiction dans le discours de Macron, les personnes qui auront des symptômes de la maladie seront testées mais pas les sujets asymptomatiques. Or ces derniers sont contagieux ! Comment allons-nous ainsi échapper à une deuxième vague de Covid-19 ? Ce n’est absolument pas sérieux.
Pour le reste, j’ai peu goûté cette façon, qui n’est pas nouvelle, de faire porter l’essentiel de la responsabilité sur chacune et chacun d’entre nous. Les entreprises non essentielles qui continuent ou reprennent leur activité sans être en mesure de protéger ceux qui travaillent n’ont pas été pointées du doigt mais la réussite du dé-confinement dépendrait de notre seule capacité individuelle à respecter, d’ici au 11 mai, les règles de confinement. Autrement dit, si deuxième vague il y a, ce sera de notre faute et non de celle de l’impréparation gouvernementale. Macron croit sans doute avoir sorti ici son parapluie anti-critique mais la ficelle est vraiment grossière.
Il est dangereux de se payer de mots quand on dirige le pays. Le réel ne peut que rattraper ceux qui, aux manettes, auront menti et rendu impossible une sortie du confinement sûre et socialement juste.
Enfin, dans un mouvement douteux de triangulation politique, nous avons entendu Macron évoquer la Révolution française et les Jours Heureux. Diantre. Ces grandes heures de notre histoire sont celles des conquêtes sociales et non des régressions. Comment l’artisan de la fin de l’ISF ou de la contre-réforme des retraites peut-il s’inscrire dans le fil de ces temps de partage des richesses et d’élévation des droits ? Jouant la carte de l’humilité, il a affirmé que la crise sanitaire l’avait lui-même changé. Tel le Guépard, on a le sentiment qu’il prétend que tout va changer pour que rien ne change. Et on se demande au final ce qui est sincère dans son discours et ce qui relève de la pure communication politique. Au regard de la tragédie que nous traversons, il est dangereux de se payer de mots quand on dirige le pays. Le réel ne peut que rattraper ceux qui, aux manettes, auront menti et rendu impossible une sortie du confinement sûre et socialement juste.
Publié le 13/04/2020
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 12 avril 2020
En cette fin de quatrième semaine de confinement, ressentir le tragique sans percevoir d’issue produit un effet terriblement asphyxiant. Compter les morts n’est pas une perspective.
Rester confinés depuis des semaines sans le moindre scénario de sortie de cet état de privation de liberté et de peur des autres, c’est insupportable.
Emmanuel Macron doit s’adresser aux Français lundi soir. Sa parole, comme celle du gouvernement, s’est déjà fracassée sur le mur du réel. Les masques promis ne sont pas là. Pour comprendre un tel fiasco, il faut lire les deux enquêtes de Mediapart sur la succession de négligences et l’impréparation criminelle du gouvernement. Elles sont accablantes.
Les messages contradictoires et le défaut de projection ont créé une situation d’immense défiance à l’égard du pouvoir en place. Seuls 38% des Français font confiance au gouvernement. C’est un lourd handicap pour faire face à la pandémie.
Je le répète et le répète encore, ce qu’il nous faut, c’est un plan précis, organisé, anticipé dans le temps, de production du matériel nécessaire pour soigner, prévenir et envisager une sortie du confinement. Sans masques, sans tests, en quantité massive, comment s’en sortir ?
Ce n’est pas avec un discours martial, guerrier, viril que nous avancerons. Nous avons besoin de nous défendre contre un virus agressif, de protéger les populations les plus vulnérables, de prendre soin de nous.
Nous avons aussi besoin de changer d’imaginaire, de normes, d’horizon.
Ayons conscience que si les femmes sont largement absentes du monde des experts, des dirigeants, des décideurs, elles sont les premières à faire tenir la société dans ce moment de chaos. Aides-soignantes ou caissières, au charbon dans les Ehpad ou les services publics, les femmes occupent massivement les postes clés pour soigner, panser, parer à l’indispensable. Mais leur voix reste globalement introuvable dès que l’on grimpe dans l’échelle du visible et du décisionnel. C’est fou ! Ou plus exactement, c’est le produit de la domination masculine. J’aimerais que nous prenions conscience que les femmes ont une histoire et une expertise liée à leur quotidien très précieux pour façonner une société de progrès humain. Leur rapport au pouvoir et aux soins est culturellement différent, et nous en aurions franchement besoin pour sortir de normes traditionnelles masculines qui nous conduisent à bien des égards dans l’impasse aujourd’hui.
Il faut bien avoir en tête les conséquences sociales et psychologiques du confinement. À la clé, c’est la récession, la paupérisation, la violence qui s’annoncent. Je le répète et le répète encore, il faut penser les bifurcations, le changement de modèle de développement pour que l’après soit mieux que l’avant, et non une dose toujours plus vertigineuse de potions néolibérales et productivistes. Et ce d’autant que, les catastrophes climatiques de demain, avec leur lot d’injustices, ne pourront être ignorées comme on l’a fait avec le coronavirus.
Pendant tout ce temps qui défile, je suis frappée par le confinement du débat démocratique. Comme si face au tragique, il ne fallait pas discuter, se disputer, permettre la confrontation des issues possibles. On ne compte plus les grandes émissions et les journaux télévisés où seuls les ministres donnent la réplique. Les éditorialistes les moins mainstream semblent avoir disparu. Bien sûr, nous ne sommes pas en Chine, les réseaux sociaux ou les médias en ligne abondent d’informations et de points de vue divers. Mais les voix d’opposition sont marginalisées sur les grandes chaines.
Nous voulons des masques, pas des bâillons.
Publié le 12/04/2020
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 11 avril 2020
Hier, Bruno Le Maire a voulu rassurer ceux qui craignent que des leçons ne soient tirées de la crise. Que personne ne s’inquiète, la « croissance » reste l’impératif suprême.
« Rien ne sera comme avant », assurait Emmanuel Macron. C’était il y a fort peu de temps mais, pour le pouvoir en place, l’idée de changement de paradigme paraît déjà loin… et la dette, la dette, la dette est déjà agitée comme un épouvantail pour préparer les attaques des droits et protections.
Traduisons-les : le système doit repartir et non changer. Il faut, nous dit le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, « se remettre fortement au travail ». Les dispositions des ordonnances coronavirus, qui détruisent le code du travail, vont-elles être transcrites dans le droit commun après la crise ? Les propos du ministre de l’Économie en donne clairement le sentiment.
Mettre à contribution les plus riches et les flux financiers ? Repenser la valeur des métiers ? Partager le temps de travail pour lutter contre le chômage et améliorer la qualité de vie ? Relancer l’activité en investissant dans la transition énergétique ou les métiers du soin ? Refonder notre modèle de développement afin de modifier ce que l’on produit, de répondre aux besoins pour une vie qui ait du sens et une activité économique soutenable écologiquement ? Accroître le socle des droits et protections ? Annuler la dette des États ? Pour une telle réorientation politique, nous ne voyons rien venir… La raison est profonde : le cadre de pensée du gouvernement empêche d’enclencher les bifurcations nécessaires. Il faut changer de cadre.
Dans cette trajectoire vers un nouveau choc néolibéral, l’Union européenne se révèle un allié décidément solide. Si affaiblie, et depuis longtemps, aux yeux des peuples européens, l’Union a d’abord montré toute son impuissance et son inanité pendant les longues premières semaines de crise sanitaire. Pendant que l’institution européenne brillait par son absence, les Chinois ou les Cubains apportaient du matériel ! Hier soir au Journal Télévisé, c’est avec tambours et trompettes que l’on nous annonçait le plan de soutien européen. Miracle, nous disait-on en substance, un accord a été trouvé ! On y voyait une image de Bruno Le Maire dans son bureau avec ses collaborateurs, bras en l’air de joie. Le champagne était sans doute au frais. Pourtant, ce n’est vraiment pas Byzance… Face à l’ampleur de la récession qui s’annonce, aux difficultés en chaîne pour une grande partie de la population, évidemment la moins privilégiée, la montagne a encore accouché d’une petite souris.
Le chiffre de 540 milliards peut impressionner mais rapporté aux besoins des États qui vont affronter une récession hors norme et compte-tenu des conditions de prêt, il n’y a vraiment pas de quoi saluer un geste inédit, à la hauteur d’une crise inédite [1]. Le volet d’aide au chômage partiel – 100 milliards – va permettre de soulager un peu les États. Mais prenons l’exemple de la France, sans doute bien en-deçà des drames sociaux à venir en Italie ou en Espagne : avec environ 7 millions de chômeurs en perspective, ce sont 40 milliards d’euros qui sont nécessaire pour notre seul pays ! Nous sommes donc très loin du compte.
Surtout, le Mécanisme Européen de Stabilité autorise les États à emprunter de l’argent à de faibles taux d’intérêt mais à condition qu’ils se soumettent au contrôle budgétaire de la Commission européenne, ici pour tout ce qui ne concerne pas la santé. C’est en tout cas la lecture néerlandaise du texte de l’accord, et probablement la plus juste. On reste dans les clous du dogme de l’Union, avec ses normes d’austérité. Le triste résultat est pourtant connu, il n’y a qu’à regarder l’état de la Grèce après les cures imposées à répétition. Changer de braquet, l’Union européenne ne s’y apprête pas du tout. Elle fonce dans le même mur. La mutualisation des dettes fait l’objet d’un refus catégorique des partisans de l’orthodoxie budgétaire, en l’occurrence, l’Allemagne et les Pays-Bas. Les égoïsmes nationaux tiennent le fil du désastre.
Le néolibéralisme viscéral et dominant empêche de prendre les mesures qui permettraient d’anticiper et de bifurquer.
Il faut bien comprendre qu’il s’agit là simplement de prêts. Or, contrairement aux idées-reçues, il est parfaitement possible de faire tourner la planche à billets ! Je rappelle qu’au moment de la bataille sur le Traité Constitutionnel Européen en 2005, avec les partisans du non de gauche, nous n’avons cessé de dénoncer l’indépendance de la Banque Centrale Européenne (BCE). Et pour cause… La BCE doit être un outil permettant de ne pas passer par les marchés financiers pour intervenir mais d’assurer des aides directes, d’effacer tout ou partie de la dette d’un État ou de financer une série d’investissements, écologiques ou sociaux, par la création monétaire. Or scoop : le 9 avril dernier, la banque d’Angleterre a annoncé qu’elle allait financer directement « sur une base temporaire et à court terme » les dépenses supplémentaires du gouvernement britannique liées aux conséquences de la pandémie. Un verrou saute dans le pays phare du néolibéralisme. L’Union va-t-elle en prendre de la graine ? Elle n’en prend malheureusement pas le chemin.
La dette est un prétexte, une forme contemporaine pour détruire les solidarités. La notion de croissance signe le mépris du désastre productiviste et consumériste. Cette voie n’est non seulement pas souhaitable mais elle n’a absolument rien d’inéluctable. Elle relève du choix politique et provient de dirigeants totalement aveuglés par leur carcan idéologique.
Puisqu’ils en sont incapables, à nous de nous emparer des solutions alternatives qui jaillissent de toutes parts dans une cohérence nouvelle qui s’affirme. Vite.
Publié le 10/04/2020
Par Clémentine Autain dans regards.fr le 09 avril
2020
Les appels à l’État pleuvent de toutes parts.
À l’orée de ce XXIe siècle où le tout marché avait pris la main, où l’État était réduit à déchaîner la compétition ou l’austérité, comment ne pas ressentir un vent de fraîcheur ?
Les services publics sont plébiscités. L’obsession de la rentabilité pour notre système de soins, visiblement criminelle,
n’est plus à l’ordre du jour. La menace du Covid-19 nous fait redécouvrir les atouts d’un État protecteur, capable d’organiser la protection des citoyen.ne.s. La globalisation est pointée du doigt
comme responsable de dangereuses dérégulations. L’idée de nationalisation ou de réquisition s’énonce sans susciter des cris d’orfraies. Je ne parle pas ici des mots flottants de la Macronie le temps
d’une crise mais de l’état d’esprit général du moment. Oui, ça fait du bien.
L’époque change à une vitesse ébouriffante. Il est d’ailleurs intéressant de voir les convergences programmatiques s’affirmer au sein des gauches et des écologistes, comme le note Pauline Graulle dans Mediapart. Les curseurs politiques d’un large rassemblement se cherchent. Ma conviction est qu’il n’émergera pas d’un cartel de partis mais d’une dynamique sociale et politique, capable d’articuler des exigences sociales et écologistes, capable aussi de dégager à la fois une grande cohérence et de laisser vivre le pluralisme. Les termes, le récit, l’imaginaire de ce « nouveau tout » capable de porter une espérance doivent trouver une expression nouvelle pour être fédératrice dans notre séquence historique.
Pour qu’émerge ce chemin d’émancipation humaine, nous devons faire face à la macronie, à toute cette idéologie néolibérale et technocratique qui gouverne depuis trop longtemps. Nous devons également pilonner l’ascension de l’extrême droite qui espère tirer les marrons du feu de la crise sanitaire, en misant sur le repli nationaliste et l’autoritarisme, en espérant engranger sur la tentation de revenir « au bon vieux temps ». C’est pourquoi je crois profondément que les mots et les idées que nous avançons doivent charrier une représentation de la société qui nous dissocient clairement des deux autres options politiques en présence. De la clarté des différents chemins possibles dépend notre capacité à gagner.
Mon optimisme me porte à penser que nous avançons collectivement dans ce cheminement vers une narration renouvelée. Je veux malgré tout pointer ici un aspect, et non des moindres, qui me préoccupe. La valorisation du rôle de l’État et la critique de la mondialisation telle qu’elle ne va pas ne sauraient conduire à nous associer au Gosplan ou à l’enfermement dans les frontières nationales. Les nationalisations font partie des possibilités pour reprendre la main sur la production. Elles ne sont pas les seules.
Les formes de type Scop, c’est-à-dire des reprises
par les salariés d’une entreprise, sont aussi des réponses souhaitables pour toute une série d’activités. Elles ne règlent pas tous les enjeux économiques et de pouvoir mais elles participent de la
réponse. Nous avons besoins de lois qui interviennent dans l’ensemble de l’économie, notamment en tordant le cou à sa financiarisation, pour orienter ce que nous fabriquons, dans une perspective de
changement social et écologique. La question de la démocratie dans l’entreprise est majeure. Pour choisir l’affectation des bénéfices ou des choix stratégiques de l’entreprise, il faut augmenter le
pouvoir de celles et ceux qui y travaillent là où les possédants des capitaux ont toute latitude aujourd’hui. Mais pas seulement ! Qui décide de ce que l’on produit ? Les usagers, les
consommateurs, les citoyens ne peuvent plus être exclus de ces choix. La seule main de l’État ne suffit pas à régler la question. Penser une appropriation sociale des outils de production est
indispensable. C’est l’ensemble de l’économie qui doit être tournée vers le bien commun, et non seulement les entreprises d’État – ce qui par ailleurs ne suffirait pas à en être une garantie absolue
et dans la durée.
L’État est un outil, il n’est pas le seul.
La nation est une échelle de souveraineté, elle n’est pas la seule.
De la même manière, il faut relocaliser l’économie pour arrêter l’immense gâchis environnemental que produisent les flux
mondiaux de marchandises. C’est aussi une façon de redonner de la souveraineté aux peuples. Mais croire que nous pourrions régler tous les problèmes à une échelle nationale est totalement illusoire.
On le voit avec la pandémie : nous sommes interdépendants. On le sait également avec le climat : les émissions de gaz à effet de serre ne s’arrêtent pas aux frontières. C’est pourquoi
protéger notre économie de la globalisation néolibérale est nécessaire mais ne suffit pas à répondre aux défis de notre temps.
L’État est un outil, il n’est pas le seul. La nation est une échelle de souveraineté, elle n’est pas la seule. Rien de magique donc dans l’affirmation de l’État et de la nation, tout dépend ce que l’on en fait, et aussi de comment on transforme l’appareil d’État puisqu’il n’est, par exemple, pas neutre du point de vue des rapports de classe. Quand Donald Trump se réclame de la souveraineté américaine pour décider qu’il ne respectera pas les engagements visant à limiter les gaz à effet de serre, il aliène la souveraineté de tous les peuples du monde. Je pense aussi à l’utilisation possible d’un État fort pour surveiller nos libertés avec le « tracking » contrôlant nos allers et venues. Je pense aussi à la fermeture des frontières en matière de circulation des personnes. Ce n’est pas là le sens de la société que nous voulons construire. Nous cherchons à accroître les libertés et la coopération entre les peuples. Nous visons la justice sociale et la transition écologiste. Et pour se faire, il faut changer de République, ouvrir un processus constituant dans lequel la question de nos besoins devra être largement discutée et l’enjeu de l’élévation des droits et protections franchement affirmé.
Publié le 08/04/2020
Covid-19 : le blues des blouses
(site regards.fr)
Pèle-mêle : 9 raisons d’enrager... Et je vous laisse en trouver une 10ème !
<<Publié le 07/04/2020
Covid-19 : mettre à profit cette crise, pour bien vivre
(site regards.fr)
Nous nous sommes arrêtés. Pas tous, pas complètement, pas pour un grand nombre de concitoyen.ne.s sommés de travailler sans protection, dans des domaines parfois non nécessaires… Mais pour l’essentiel, notre société est en pause. Les indicateurs de pollution atmosphérique en donnent la mesure. Les rues désertes laissent entrevoir le plein des intérieurs.
La crise sanitaire nous contraint à un ralentissement inédit. Au milieu du sinistre, c’est à nous de saisir cette opportunité. Comme l’écrit le philosophe Bruno Latour, « si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré ».
À l’échelle individuelle et collective, nous sommes ramenés aux besoins essentiels. Là se situe la bonne nouvelle dans un océan d’angoisses et de décès. Nous sommes bloqués chez nous mais potentiellement débloqués dans nos imaginaires, si nous réussissons à nous poser les bonnes questions.
Le confinement est l’occasion de faire le tri entre le nécessaire et l’accessoire, le décisif et le dérisoire. La hiérarchie des valeurs se trouve déjà bouleversée. Les services publics, parfois si décriés, et aux budgets si malmenés par l’austérité, nous apparaissent aujourd’hui fondamentaux. Les métiers méprisés hier arrivent sur le podium de l’indispensable. La folie consumériste entravée permet de se concentrer sur ce qui nous manque vraiment et ce dont nous arrivons finalement bien à nous passer. Les libertés sous surveillance nous rappellent combien nous chérissons la liberté.
La crise sanitaire nous oblige à considérer les catastrophes climatiques qui nous attendent. Nous le savons, le Covid-19 n’est qu’une simple répétition. D’ores et déjà, les maladies liées à la pollution tuent nettement plus que le coronavirus contre lequel, dans le monde entier, on se confine. Demain, ce sont des déplacements de populations, de nouveaux virus ou des guerres pour accaparer des ressources naturelles si raréfiées qui sont devant nous si nous « relançons la production » comme avant. Pourquoi ne serions-nous pas capables de nous protéger en changeant notre modèle de développement ?
Les inégalités sociales et territoriales se révèlent au grand jour. L’état de santé des populations et le niveau du système de soins selon le pays, le département, sont décisifs pour combattre la mortalité liée aux virus. La pauvreté est un accélérateur. Comme le virus lie nos sorts, à l’échelle planétaire, réparer les injustices apparaît comme une œuvre de salubrité publique. La santé, le bien-être, pour tous est la condition de la santé, du bien-être, de chacun. L’articulation entre l’individu et le collectif, entre le territoire de proximité et l’autre bout de la planète, est vital.
Le temps long, en lieu et place du temps court si cher à la loi du profit, est celui des solutions. L’anticipation se révèle indispensable pour permettre à la science de travailler comme pour produire le matériel nécessaire. Les désordres du climat et de l’écosystème appellent à prendre des décisions en amont des catastrophes pour bâtir des plans de transition dans de nombreux domaines. Le partage des ressources naturelles et des richesses, la relocalisation de l’économie, la sortie d’une consommation et d’une production qui nous font perdre le sens et la saveur des choses, la décision collective et non confisquée par un petit cercle de pouvoir ou la technocratie, sont autant de boussoles pour basculer vers un monde respirable.
C’est là que les pouvoirs publics s’avèrent des outils majeurs de l’organisation du soin, de la prévention, des changements. Le recours à l’État ne dit pas autre chose aujourd’hui. C’est là aussi que l’ensemble de la société doit être mobilisée et actrice des transformations radicales – au sens de prendre à la racine du problème – qui nous conduisent à bien vivre.
Publié le 05/04/2020
Seine-Saint-Denis : rupture ancienne d’égalité, sinistre nouvelle inégalité
site regards.fr)
Lundi dernier, lors d’une réunion téléphonique avec les élus du département de Seine-Saint-Denis, le préfet saluait un fait : il n’y avait pas davantage de morts du Covid-19 sur notre territoire que dans les autres départements. J’en étais soulagée mais je n’arrivais pas à y croire. Ce constat m’avait vraiment étonnée. D’ailleurs, il fut de courte durée.
C’est par la presse hier que nous avons découvert une véritable explosion : entre le 21 et le 27 mars, les décès ont bondi de +63% par rapport à la semaine précédente. Pour éléments de comparaison avec deux départements voisins, la hausse atteint 32% à Paris et 47% dans le Val-d’Oise. En Moselle, elle est de 45%. L’écart est tristement notable…
Nous aurons un jour des éléments précis sur les raisons de cette surmortalité, sur l’ordre d’importance des facteurs, mais différentes réalités me semblent amener à ce sinistre résultat, d’autant plus frappant que notre département est particulièrement jeune, ce qui le protège pour une part de la mortalité du virus.
Les métiers indispensables dans cette période de confinement, ce sont notamment les caissières, les aides-soignantes, les livreurs, les agents d’entretien, les chauffeurs de transports en commun… Or ces catégories socio-professionnelles recrutent largement dans les milieux populaires qui composent notre territoire. Ces professionnels sont loin d‘avoir tous accès – ou alors souvent tardivement – à une protection adaptée alors qu’ils et elles sont sommées de travailler. Quand il s’agit de choisir entre travailler sans protection ou assurer la fin du mois, les plus précaires sont les plus vulnérables. En Seine-Saint-Denis, la population est donc globalement fragilisée par son faible niveau de revenu et une insécurité professionnelle bien supérieure à la moyenne nationale. Dans un autre monde – le fameux monde d’après ? –, une considération des métiers reposant sur les valeurs d’utilité et de pénibilité amènera peut-être à reconsidérer la hiérarchie des revenus et de la reconnaissance sociale… Pour l’heure, celles et ceux que certains semblent découvrir comme indispensables à nos besoins essentiels triment pour peu de rétribution et prennent des risques puisque le danger n’a pas été correctement anticipé, le matériel faisant ici et là cruellement défaut.
Nous savons par ailleurs que les populations les moins dotées socialement sont le plus sujettes à l’obésité, le diabète ou les maladies cardio-vasculaires. Or ce sont des facteurs de comorbidités dans le cas du Covid-19. La population de Seine-Saint-Denis peut donc être impactée plus fatalement. En revanche, notre système de soins est structurellement sous-doté. Par exemple, nous avons trois fois moins de lits de réanimation qu’à Paris. Le personnel soignant y est compétent et mobilisé, souvent même particulièrement engagé comme dans le monde enseignant, par exemple, mais les moyens mis à dispositions par l’État sont depuis longtemps inégaux par rapport à d’autres territoires. Nous en payons le prix aujourd’hui.
Par ailleurs, le confinement n’est pas le même dans un grand appartement spacieux et agréable que dans un cadre confiné ou insalubre. Ce n’est pas seulement un problème – réel et terriblement injuste – de confort de vie, un enjeu scolaire majeur puisque les devoirs ou cours à la maison sont facteurs d’inégalités. C’est aussi un enjeu pour permettre de la distance de protection entre les personnes. Contrairement aux stéréotypes, le respect des normes de confinement est le même en Seine-Saint-Denis que partout ailleurs. Mais les conditions pour s’y soumettre ne sont pas les mêmes en raison des inégalités. Pour prendre toute la mesure de cette réalité, il faudrait changer le regard sur les habitants des quartiers populaires.
Ici face au virus, la solidarité et l’entraide se déploient de façon impressionnante. Le tissu associatif tente de combler les défaillances de l’État dans tous les domaines. Des décennies de mépris des gouvernement successifs à combler les inégalités structurelles que subit notre département qui se révèlent cruellement avec la crise sanitaire.
Depuis que je suis élue députée, je n’ai cessé d’interpeller l’État. Avec des élus de toutes sensibilités, nous avons pris appui sur le rapport dit Cornut-Gentille pour exiger des moyens. Ce rapport parlementaire a montré que, indépendamment de la situation sociale de ses habitants, l’État donne moins de moyens en Seine-Saint-Denis qu’aux autres départements. Alors que le 93 est riche de sa jeunesse, de sa créativité et de son dynamisme, nous avons des handicaps qui sont d’abord dus à des choix politiques.Cette explosion de la mortalité est un indicateur absolument effrayant d’un tableau d’inégalités sociales et territoriales que la société tout entière doit regarder et corriger. Je formule le vœu que nous ne sortions pas inchangés de cette crise, en continuant à creuser le trou des inégalités, que l’élan de solidarité et de partage finisse par l’emporter franchement, jusqu’au sommet de l’État. Dans ce domaine, vous verrez que la Seine-Saint-Denis peut devenir un aiguillon et un modèle.
Publié le 04/04/2020
Les corps accusent les choix politiques
(site regards.fr)
Dans le fond de l’air, je sens une tentation forte : parce que l’heure est grave, il ne faudrait pas « polémiquer ». J’entends ici et là cette assertion : « Après tout, c’est partout pareil, non ? » J’ai peur que l’on confonde polémique et débat démocratique. Et que la ressemblance des choix politiques à l’échelle planétaire enferme nos représentations, nos imaginaires.
L’esprit critique est un puissant levier d’invention. Dire non, c’est avancer vers un oui. Il y a du déjà là dans ce que je, nous défendons comme horizon commun. Des expériences de partage, de démocratie active, de développement alternatif, des pratiques concrètes soucieuses de l’écosystème, solidaires, coopératives. Pour autant, même si je préfère l’exemple gouvernemental des gauches portugaises à la Hongrie d’Orban, je ne connais pas de modèle d’État dont je me dise : c’est ça !
La polémique, c’est la vivacité du débat. Je n’aime pas quand elle se substitue à la confrontation sur le fond, quand elle manie la malhonnêteté, quand elle n’éclaire pas mais caricature les positions. En un mot, quand elle se confond avec la démagogie.
Dans ce moment tragique que nous traversons, nous devons assumer le débat, tenter de l’élever, le solenniser sans doute aussi.
Nous traversons une crise sanitaire qui dit la gravité des choix gouvernementaux, passés et immédiats. La politique est une question de vie ou de mort. Les décisions des dirigeants ont toujours un impact sur la santé mais aujourd’hui, leurs répercussions sur les corps, la possibilité de la vie elle-même, nous saute aux yeux.
Il n’y a qu’à songer aux personnels soignants. Sans masques, sans protections suffisantes de toutes sortes, le monde médical est au front sans moyens suffisants pour échapper au virus. Faute de tests, difficile d’avoir une appréciation précise du nombre de contaminations mais il est clair que les infirmières, les médecins, les aides-soignantes qui travaillent pour sauver des vies prennent un risque vital. Le manque d’anticipation de l’État pour fournir ce qu’il faut afin de soigner sans danger est en cause, comme je l’ai souligné maintes fois.
Des témoignages indirects de personnels hospitaliers qui ne se plaignent pas outre mesure sont arrivés à mes oreilles. Le nez dans le guidon pour faire face, concentrés pour remplir au mieux leurs tâches essentielles, avec une certaine fatalité sur les conditions collectives pour affronter le virus, ils et surtout elles ne ressentent pas les décisions politiques comme inacceptables. Mais comment ne pas voir la colère qui monte dans les hôpitaux ? Elle se dirige de plus en plus vers le pouvoir en place, jugé coupable de cette situation. Hier à Tourcoing, plus de 90 soignants manifestaient pour exiger davantage de moyens. Une première. Des infirmières libérales ont posé nues pour exprimer leur révolte devant le manque de protection. Des décennies d’austérité, avec la fermeture de 65.000 lits en quinze ans, et le défaut de plan de mobilisation sanitaire ont transformé l’hôpital et le monde médical en cocotte minute ! « Nous sommes à l’abattoir », tranchait une amie qui fait des gardes dans un service chargé du Covid-19.
Avec eux, les malades du Covid risquent de payer dans leur chair la pénurie de médicaments qui s’annonce et, parmi eux, avec la saturation des places en réanimation, le tri possible en fonction des chances de survie, comme en Italie. Si l’on en croit certains témoignages, la sélection funeste est déjà à l’œuvre. Dans le Grand Est notamment, une infirmière explique : « Nous nous posons la question de la limitation thérapeutique pour toute personne de plus de 70 ans, en fonction de son état de santé. Les personnes âgées atteintes d’un Covid en Ehpad ne sont plus transportées à l’hôpital. On se contente de leur donner des soins de confort, pour soulager la douleur. » Un document du centre hospitalier de Perpignan donne les consignes pour « trier » les patients à sauver en cas de saturation, avec « 4 catégories » : les morts « inévitables », « évitables », « acceptables », « inacceptables ». Glaçant.
Exposés au danger, les éboueurs, les caissières, les agriculteurs, certaines aides à domicile, les chauffeurs routiers et d’autres encore travaillent pour nous permettre de survivre. Mais là encore, la pénurie des protections et des kits de dépistage les oblige à risque leur propre vie. Dans une Lettre ouverte adressée à la ministre Muriel Pénicaud, 150 personnalités du mouvement social écrivent : « Madame la ministre, nous n’hésitons pas à le dire : votre politique du travail à tout prix est criminelle ». Le manque de contraintes légales sur ces entreprises qui, comme Amazon, McDonald’s ou Airbus décident de maintenir une activité non indispensable, est un choix gouvernemental.
L’impact sur les corps de la crise sanitaire, ou plus exactement de sa gestion politique, ne s’arrête pas aux malades réels et potentiels du Covid-19. La dépression économique qu’elle engendre, ou plus exactement la contrainte du confinement faute d’anticipation et la façon dont les pouvoirs publics vont décider de « relancer la machine » ou de changer de modèle de développement, aura une répercussion sur les corps, sur la vie. J’en veux pour preuve cette étude, que j’ai trouvée hier sur le site…. du Figaro, concernant les États-Unis de l’après crise de 2008. L’austérité imposée aurait contribué à une surmortalité par cancers de plus d’un demi-million de personnes dans le monde, dont 160.000 au sein de l’Union européenne. En février 2015, une étude publiée dans The Lancet Psychology avait déjà montré que 45.000 suicides étaient dus au chômage chaque année dans une soixantaine de pays. Partager les richesses, réduire le temps de travail, sécuriser les parcours professionnels, et ainsi réduire le chômage comme le productivisme, sont des décisions politiques de nature à sauver des vies.
C’est pourquoi, en écrivant ces lignes, j’avais en tête les mots d’Édouard Louis dans Qui a tué mon père ? : « L’histoire de ta vie est l’histoire de ces personnes qui se sont succédé pour t’abattre. L’histoire de ton corps est l’histoire de ces noms qui se sont succédé pour le détruire. L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique. »
Publié le 03/04/2020
Jusqu’où allons-nous accepter la surveillance de nos libertés ?
Chronique publiée site regards.fr le 02/04/2020
Confinés, surveillés, géolocalisés. Pour la sûreté, mus par la peur du virus, allons-nous tout accepter ? Clémentine Autain chronique le Covid-19.
Trois milliards de personnes confinées à travers le monde, c’est du jamais vu. Ce qu’elles vivent, c’est un « pur laboratoire d’anthropologie SF ! », nous dit l’écrivain Alain Damasio dans un important entretien donné à Libération. Je me souviens cet été avoir lâché son dernier roman d’anticipation, Les Furtifs, autour de la page 200 (sur 688 !) tellement l’écriture remarquable portant sur un sujet aussi flippant m’avait angoissé. Le contrôle social, la privatisation de tout et n’importe quoi (l’entreprise Orange qui achète la ville d’Orange), les liens manquants, bref, tout ce que l’on pressent d’inquiétant dans nos sociétés contemporaines y est démultiplié dans cette intrigue douloureuse. Or, notamment avec la réponse du confinement pour affronter le Covid-19, nous sommes en phase d’accélération de la mise sous surveillance de nos libertés.
Mesure-t-on l’impact d’une telle expérience de masse – ne plus se parler, ressentir, se réunir, se promener librement, assister à l’enterrement d’un proche… – sur nos sensations, nos représentations du monde, nos vies, notre liberté ?
Pour la sûreté, mus par la peur du virus, allons-nous tout accepter ? La petite musique de fond – « Nous sommes en guerre », la « France unie », etc. – d’Emmanuel Macron prépare les esprits. Nous devrions nous taire, être disciplinés, restés sagement dans nos mètres carrés intérieurs – et tant pis pour ceux qui n’en ont pas ou peu –, applaudir à chaque décision du pouvoir en place. C’est à ce prix, nous dit-on en substance, que l’on aura la peau du Covid-19. Voire. Et après ?
Si les dirigeants avaient anticipé, si l’on avait produit suffisamment de tests pour dépister et isoler les contagieux, si l’on avait prévu assez de masques et de gants, nous n’en serions sans doute pas là, tous enfermés à double-tour, avec des policiers dans la rue vérifiant nos bons de sortie, amendes exponentielles à la clef pour tout manquement. Cette étape est ratée, elle est derrière nous, et l’hôpital en fait sévèrement les frais. La France n’a même pas été capable de protéger les soignants ! Le récit des manquements et des mensonges d’État sur les masques est particulièrement éclairant. La mesure n’est toujours pas prise, le gouvernement étant incapable d’organiser un plan de réquisition et production du matériel indispensable.
Et voilà : l’impréparation de l’État se transforme en prétexte pour contrôler chaque individu. L’état d’urgence sanitaire permet au gouvernement de prendre toute une série de mesures de contrôle social, sans débat. Or nous avons l’expérience de l’état d’urgence instauré pour lutter contre les actes terroristes. Rapidement, les mesures prises de façon exceptionnelle sont entrées dans le droit commun. Le glissement se fait doucement mais sûrement, de la surveillance instaurée de façon temporelle et ciblée à des normes profondément modifiées du régime des droits et libertés.
C’est pourquoi je partage totalement ces mots d’Alain Damasio : « Ces mesures doivent allumer une petite lampe rouge dans nos têtes ».
Le pire serait de s’habituer, d’accepter sans réfléchir, sans broncher, ce moins-disant en matière de liberté. Le partage des données de géolocalisation ne suscite pas de grande vague de contestation. C’est pourtant un très haut niveau de flicage. Or la commission européenne a réclamé auprès des opérateurs téléphoniques des pays membres de fournir des données agrégées sur leurs abonnés mobiles pour vérifier si les consignes de confinement sont bien appliquées. Le préfet Didier Lallement fait circuler des drones à Paris pour repérer plus vite les contrevenants. La police parisienne compte une vingtaine de drones qui peuvent voler à 150 mètres de haut.
Je sais combien le récit pour enfants du XXe siècle s’est ancré dans les têtes : le capitalisme s’accompagne toujours de la démocratie ou, variante, le libéralisme, c’est la liberté. Les expériences de type soviétique ont longtemps incarné un sommet d’atteintes aux droits et libertés. Elles ont été balayées. Mais le capitalisme a-t-il pour autant fait triompher nos libertés ? Certainement pas ! Et le néolibéralisme s’accompagne d’un contrôle social accru. Or c’est avec ce logiciel idéologique que le gouvernement agit pour faire face à la crise actuelle.
Clémentine Autain
Publié le 02/04/2020
Covid-19 : nous payons l’aveuglement à l’égard de l’écologie
Chronique publiée site regards.fr le 01/04/2020
Le Covid-19 est une grande répétition. Oui, la pandémie nous plonge brutalement dans la série des catastrophes en chaîne qui nous attendent avec les dérèglements du climat et de l’écosystème, bien nourris par la globalisation néolibérale.
Les écologistes alertent depuis longtemps mais l’aveuglement dogmatique des dirigeants, obsédés par le monde marchand, la santé financière, les normes de compétitivité, est tel que nous n’avons pas organisé la réponse par un changement profond de modèle de développement. Ce n’est pas faute d’avoir dit, manifesté, pétitionné dans tous les sens. Nous avons hurlé dans le désert idéologique des dirigeants des quatre coins du monde qui, au mieux, se sont parés d’une écologie de communication, au pire, ont assumé leur climato-scepticisme. Nous voici tragiquement à l’heure des comptes.
Quel est le lien entre l’écologie et le coronavirus ? Les informations sur le sujet circulent un peu partout mais je les résume – n’étant pas du tout spécialiste, je brosse ici à grands traits ce que j’ai lu de dans Le Monde, sur le site de France Culture et surtout sur reporterre.net. Pas la peine d’aller imaginer un complot de laboratoire ou de l’armée américaine ! Il se trouve que, depuis les années 1940, on observe une augmentation régulière et significative du nombre d‘épidémies dites d’émergence. Comme le Covid19, plus de 60% de ces maladies infectieuses sont des zoonoses, c’est-à-dire qu’elles sont issues d’animaux. Ces maladies (H5N1, SRAS, Ébola…) proviennent d’interactions entre les humains, les animaux et leur environnement. On connait le schéma : la population augmente, empiète sur les habitats naturels, contracte de nouveaux agents pathogènes qui mutent, s’adaptent aux humains, puis se propagent.
De plus en plus de scientifiques mettent en cause la déforestation et la pollution atmosphérique dans la propagation du coronavirus. Les chauves-souris, qui vivent dans les forêts, sont soupçonnées d’avoir transmis des maladies à des animaux domestiques mais également à d’autres animaux sauvages, comme le désormais célèbre pangolin. Cet animal à écailles, braconné en Chine et ailleurs, et qui se retrouve sur certains marchés très lucratifs, est montré du doigt dans le cas du Covid19.
Par ailleurs, les premiers foyers épidémiques se sont déclarés en Chine, en Iran et en Italie du Nord, des zones très polluées. Ce n’est pas un hasard, nous dit la chercheuse italienne Isabella Annesi-Maessano. La pollution est porteuse du virus parce qu’une contamination par aérosol est possible, même si la transmission de la maladie se fait principalement par gouttelettes. Les chercheurs de la société de médecine environnementale italienne ont montré que les cartes des zones les plus polluées recoupent celles du virus, là où le nombre de morts est le plus élevé. Il faut savoir que la pollution nous rend plus sensible aux infections. Les problèmes s’enchaînent…
L’enseignant-chercheur à l’Institut de biologie structurale de Grenoble, Emmanuel Drouet, prévient : « L’émergence de nouveaux agents infectieux pourrait augmenter dans les années à venir », si l’on ne contient pas les flux de déplacements humains et commerciaux, si l’on ne modifie pas l’usage des sols, si l’écosystème continue d’être si perturbé par l’activité humaine. De nombreuses infections sont étroitement liées aux températures et au taux d’humidité. Avec le réchauffement climatique, les moustiques peuvent amener dans de nouveaux territoires des maladies comme le Chikungunya ou la dengue. Le dégel des sols en zones arctiques menace de libérer des gaz à effets de serre, comme le méthane, susceptibles de réveiller des bactéries ou des virus oubliés, comme la variole.
Pour appréhender ces menaces sérieuses, imminentes et massives, nous avons d’abord besoin d’une recherche scientifique plus importante et non soumises aux impératifs de rentabilité financière, aux lobbys économiques. Ces derniers temps, les arbitrages dans ce domaine ont été désastreux, pour ne pas dire criminels. Des projets de recherches sur les « pan vaccins » existaient mais n’ont pas été financés. Ils n’ont pas été retenus dans les appels d’offre parce qu’il n’était pas en pointe, pas prioritaires, que leurs débouchés étaient jugés peu importants, comme le rappelle le chercheur au CNRS Gérard Chaouat dans un entretien dont je vous recommande la lecture. La privatisation exponentielle du financement de la recherche est un désastre pour l’intérêt commun. Exemple frappant : en novembre 2019, le poste de virologue de l’Institut Pasteur du Laos a été supprimé. De manière générale, les Instituts Pasteurs ont du mal à boucler leur budget et à recruter des chercheurs, de plus en plus attirés par le privé et la recherche en laboratoire. C’est pourtant sur le terrain, au Vietnam, qu’Alexandre Yersin a découvert le bacille de la peste ou, en Tunisie, qu’Alphonse Laveran a révélé l’agent du paludisme.
Se préparer à ces crises multiples qui sont devant nous, c’est d’abord ouvrir les yeux sur la réalité, se donner les moyens scientifiques de mieux connaître les dangers pour mieux les combattre. C’est donc anticiper en investissant dans la recherche et dans les systèmes de santé, de protection, de solidarité. C’est aussi modifier radicalement – au sens de prendre à la racine du problème – notre modèle de développement pour prévenir les drames, permettre qu’il reste un monde vivable pour les humains et élever le niveau de leur qualité de vie comme de leur liberté. Si nos avions et nos routes continuent de tout dévaster, si le consumérisme poursuit sa course folle, si le commerce international se développe toujours au mépris de la relocalisation de l’économie et du partage des richesses, si l’agriculture reste majoritairement intensive… nous accumulerons les catastrophes.
Il faut un gigantesque changement de cap.
C’est pourquoi l’affrontement politique majeur se joue, dès aujourd’hui, entre ceux qui veulent reprendre le « business as usual » ou se murer dans un repli nationaliste et autoritaire, dénué de toute prise de conscience environnementale, et ceux qui se battent pour de nouvelles normes sociales et écologistes, affranchies du productivisme et de loi du profit. Ma conviction est que l’issue émancipatrice au long cours se situe dans une articulation nouvelle entre le social et l’écologie.
Avanti popolo !
Clémentine Autain
Publié le 01/04/2020
Plus que jamais, faire de la politique
Chronique publiée site regards.fr le 31/03/2020
La situation serait si grave qu’il ne faudrait pas donner son point de vue, ne pas exprimer sur la base de sa vision du monde des propositions alternatives aux choix du pouvoir en place, au risque d’apparaître comme un vautour qui se jette sur les victimes de la crise. Quelle curieuse appréciation.
Un commentaire sur ma page Facebook, au sujet de notre tribune de groupes parlementaires insoumis proposant un plan de mobilisation sanitaire, déplore une « récupération politique ». Au même moment, le ministre Gérald Darmanin appelle à la « solidarité nationale » en mettant en ligne une plateforme de dons « pour permettre à tous ceux qui le peuvent, particuliers ou entreprises, d’apporter leur contribution à l’effort de solidarité de la nation envers les plus touchés ». En croisant ces deux lectures, j’ai immédiatement pensé : il faut décidément faire de la politique ! Il faut même plus que jamais faire de la politique.
La situation serait si grave qu’il ne faudrait pas donner son point de vue, ne pas exprimer sur la base de sa vision du monde des propositions alternatives aux choix du pouvoir en place, au risque d’apparaître comme un vautour qui se jette sur les victimes de la crise. Quelle curieuse appréciation. C’est précisément parce qu’il n’y a pas qu’une seule façon de faire face au coronavirus et une seule voie de sortie de la crise sanitaire que nous avons besoins du débat démocratique. Les appels à « l’Union nationale » me font parfois penser au « There Is No Alternative » de Margaret Thatcher. S’il faut une mise en commun des forces de la Nation pour combattre l’épidémie, il ne saurait être question de gommer les différences politiques. Donner à voir différents chemins, qui devront être tranchés par la bataille d’idées, les mobilisations sociales, les élections, c’est tout simplement défendre la souveraineté populaire et la démocratie. Sauf à sauter à pieds joints dans un régime si autoritaire qu’il pourrait finir en dictature. Les citoyennes et citoyens doivent penser la situation, être acteurs et actrices des orientations mises en œuvre, et pour cela se reposer sur les critiques et les idées mises en circulation.
Vient alors un exemple concret avec la proposition de Gérald Darmanin. Pour soutenir et déployer les secteurs indispensables pour faire face au coronavirus, le gouvernement a opté pour le don privé. Il aurait pu imaginer un autre système, qui s’appellerait l’impôt. Il aurait pu penser que ce serait juste et intelligent de mettre à contribution les plus riches, en rétablissant l’ISF par exemple. Il aurait pu aussi taxer les revenus financiers. Le gouvernement a fait un choix politique : recourir à la générosité au petit bonheur la chance et non à des mesures de partage, de justice sociale. Jouer la réponse à la crise comme un Téléthon, c’est une option, ce n’est pas la nôtre. Et j’assume de m’y opposer franchement et publiquement avec d’autant plus d’énergie que la situation est dramatique. Pourquoi le drame collectif supposerait que nous fassions silence, allégeance à ceux qui dirigent ? Non, je ne me tairais pas parce que la crise nous plonge dans le tragique. Au contraire, je nous invite à réagir, à imaginer les issues, à confronter nos visions et propositions.
La crise sanitaire est amenée à durer, et à prendre des formes qui vont évoluer. Raison de plus pour ne surtout pas gommer notre opposition mais au contraire la faire vivre, la frotter au réel. La politique n’est pas un exercice virtuel. Si le confinement renvoie chacun, chacune à sa sphère privée, à son échelle individuelle, l’espace public continue d’exister – même si je suis effarée de voir qu’il est amoché puisque les grandes émissions télévisées se passent des oppositions. Les décisions continuent de s’enchaîner, et même plus vite avec les ordonnances. Comme l’écrivait la philosophe Hannah Arendt : « Ce qui rend la société de masse si difficile à supporter, ce n’est pas, principalement du moins, le nombre des gens ; c’est que le monde qui est entre eux n’a plus le pouvoir de les rassembler, de les relier, ni de les séparer. »
On ne va pas se contenter de compter les morts en attendant le retour à la normalité. Comme l’énonce un slogan de notre époque, c’est la normalité qui est le problème. Non il ne faut pas chercher à relancer la machine, comme l’espère le gouvernement, mais changer la machine, celle qui donne tout pouvoir à la finance et se moque de nos besoins, de nos vies.
Pendant la crise elle-même, le discours politique est décisif parce qu’il donne un sens. Si rien ne doit plus être comme avant, si nous tirons des leçons du moment tragique que nous traversons, alors il faut commencer par penser l’horizon que nous voulons atteindre. Comme disait l’intellectuel communiste Lucien Sève, qui vient d’être emporté par le Coronavirus : commençons par les fins !
Clémentine Autain
Publié le 31/03/2020
Le temps pour soi, blablabla (télétravailler avec des enfants)
Chronique publiée site regards.fr le 30/03/2020
Sérieux, c’est une épreuve. Travailler à la maison en famille, avec des enfants qui, enfermés comme nous, sont régulièrement à cran, en mal d’activités, je dois dire que c’est du haut vol.
À cet instant, comme chaque matin où je m’astreins à écrire, il y a ce fond sonore de dessins animés qui bourrine mon crâne. Il faut que je me dépêche parce que les enfants devant les écrans toute la journée, ça donnerait des mollusques.
Depuis quinze jours, c’est la fête du Marmiton. Mon fils m’a même dit : « Pourquoi tu ne te reconvertis pas en pâtissière ? » C’est vrai que je surnage au milieu des quatre-quarts, des crêpes et autres crèmes brûlées. Faire à manger, j’adore parce que je ne fais pas suffisamment de choses manuelles, à part taper sur les touches de l’ordinateur. D’ordinaire, je n’ai pas le temps. Là, je le prends mais du coup, au moment où le rythme de la vie est totalement dissolu, j’ai un sentiment accru de courir après le temps.
Entre deux machines à laver et un coup d’aspirateur, une partie de Tarot et de Cluedo, une dictée et une leçon d’anglais, je vais m’enfermer dans une pièce pour une visio-conférence, forcément ponctuée par quelques « maman !!!!!! »
Travailler deux heures d’affilée, d’une traite, sans être interrompue ? Une gageure.
Alors tous les conseils nous invitant à profiter de ce temps pour lire, se poser, regarder des films que l’on a raté et je ne sais quoi encore, j’avoue que je ne me sens pas concernée.
Télé-travailler en famille, je ne sais pas si les employeurs mesurent bien la performance. Certains ont oublié, d’autres n’ont jamais connu, d’autres encore s’en fichent royalement. Les récits sur la pression mise par les dirigeants sur les cadres qui turbinent de chez eux, avec enfants – imaginez l’ambiance dans les familles monoparentales…. Les femmes prennent plus cher, c’est sûr… –, on en trouve partout sur les réseaux. Pourquoi perdre une occasion de nous essorer ?
Bon, je me suis quand même mise au yoga. Question de survie. Vingt à trente minutes par jour, pour que le corps se souvienne qu’il peut bouger. Pour respirer aussi.
C’est vrai, j’ai réussi à lire un roman, La femme révélée de Gaëlle Nohant. Mais c’est vraiment parce qu’il est sublime, d’une écriture incroyable. Une histoire de liberté, ça m’a fait du bien. Sinon, je m’endors comme une souche le soir.
Mais franchement, « le temps pour soi », « retrouver le goût de la culture », blablabla, des millions de foyers ne sont pas en état. C’est potentiellement juste une dose de culpabilité supplémentaire – l’incapacité à répondre à l’injonction.
Nous sommes assignés dedans, pétris de l’anxiété du dehors. On prend cher. Le coût sur la santé mentale et physique se mesurera à la sortie sans doute – mais quelle est, où est la sortie ? L’enfermement est une situation totalement dingue, qui rend dingue. Elle l’est d’autant plus que nous sommes cloisonnés dans l’angoisse avec le décompte quotidien des morts et le bout du tunnel que l’on n’entrevoit pas.
Nous vivons suspendus.
Et pourtant, chaque jour, je me dis : quelle situation privilégiée que de ne pas aller travailler dehors en prenant des risques pour la santé ! Je pense aux infirmières, aux chauffeurs de bus, aux livreurs, aux boulangers… à toutes celles et ceux qui partent bosser la boule au ventre.
Je sais bien, depuis longtemps, que la dureté pour les un.e.s n’apaise pas la douleur des autres. Il y a de l’irréductible dans la souffrance. C’est comme si pour calmer le mal-être d’une femme harcelée par son collègue, on lui disait : mais tu sais que des femmes sont lapidées à mort au Pakistan pour adultère ? Ou à une famille qui vit à six dans un deux pièces : regardez votre chance, il y a pire, vous pourriez vivre dans un bidonville ! Absurde.
En fait, c’est l’inverse. L’expérience de la souffrance crée de l’universalité. Cela ne signifie pas que nous vivons toutes et tous la même chose, tant s’en faut, mais que la crise sanitaire et la méthode du confinement nous font ressentir, chacun, chacune, fut-ce à des intensités bien différentes, une part de violence. Et elle donne à voir une communauté de destin.
Albert Camus ne disait pas autre chose : « C’était la grande leçon de ces années terribles que l’injure faite à un étudiant de Prague touchait un ouvrier de la banlieue parisienne et que le sang versé quelque part sur les bords d’un fleuve du centre européen allait amener un paysan du Texas à verser le sien sur le sol de ces Ardennes. […] L’enjeu était une dignité commune. »
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
Avec le confinement, c’est l’explosion des violences intrafamiliales
Chronique publiée site regards.fr le 29/03/2020
Vendredi après-midi, à Tremblay-en-France, un père a battu à mort son enfant. L’homme a roué de coups son fils de six ans, retrouvé en état de mort cérébrale par les secours, appelés par la mère, témoin de la scène comme ses autres enfants.
À l’annonce du confinement, comme vous peut-être, j’ai vite pensé à toutes les violences intrafamiliales qui risquaient d’augmenter. Le confinement place les familles dans une situation d’isolement et de stress évidemment propices à l’augmentation de ce type de drames. Au contact étroit et permanent avec l’enfant, le parent qui vit la situation de confinement comme un accélérateur d’angoisses et de pathologies diverses peut plonger dans l’agression violente avec davantage de rapidité et d’intensité. Enfermés, les enfants ne peuvent plus compter sur les signaux d’alerte qui, d’ordinaire, sont susceptibles de s’enclencher à l’école, chez le médecin, grâce à des amis.
En temps normal, si j’ose dire, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de l’un de ses parents, selon un rapport de l’IGAS (Inspection générale de l’action sociale) remis en avril 2019. Un chiffre sans doute sous-estimé puisqu’il ne tient pas compte des meurtres non révélés, des nouveaux nés tués à la naissance. On constate toujours, avant le geste létal, des violences antérieures répétées. Le coup fatal n’arrive pas du jour au lendemain, il s’inscrit dans un processus d’humiliations psychologiques et d’agressions physiques. Les parents violents, à égalité entre les pères et les mères (en particulier dans les familles monoparentales), souffrent souvent de troubles psychiatriques ou d’addictions. Et les violences conjugales constituent un environnement favorable à l’enfance maltraitée.
En période de confinement, tout s’accélère. Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a révélé, lors d’une émission spéciale de France 2 sur la crise sanitaire (si spéciale d’ailleurs qu’aucun membre de l’opposition n’a eu le droit de s’exprimer, comme si la démocratie était elle-même confinée !), que les violences conjugales ont augmenté de 36% en une semaine dans la zone de la préfecture de police de Paris et de 32% en zone gendarmerie. À vrai dire, je n’avais pas imaginé un tel niveau de carnage. On observe d’importantes variations en fonction des territoires, le Nord étant plus touché que l’Ouest par exemple. À Reims, je lisais hier dans Le Parisien que ces violences ont représenté 40% des gardes à vue la semaine dernière !
Autant vous dire que le milliard que nous n’avons pas réussi à arracher au gouvernement après tant de mobilisation grâce à la vague #MeToo contre les violences conjugales me fait plus mal au bide que jamais.
Les bonnes nouvelles ne viennent pas du gouvernement mais de la mobilisation sociale et citoyenne. La solidarité s’organise, c’est assez impressionnant. J’ai vu que la Fédération Solidarité Femmes, réseau de 67 associations spécialisées, vient de collecter 50.000 euros pour acheter des nuitées, des produits de première nécessité, de l’équipement informatique et téléphonique… Sur Twitter, par le biais de l’association Nous Toutes, des lieux d’hébergement chez des personnes volontaires tentent de se mutualiser. À des échelles micro-locales, des collectifs plus ou moins structurés viennent en aide, dans l’urgence, aux femmes et enfants en situation détresse. Oui, il y de l’auto-organisation ! Cela ne remplace pas des politiques publiques bien financées et qui se déploient à partir d’un maillage bien pensé, cela n’est pas aussi efficace que des réquisitions immédiates et en nombre suffisant de chambres d’hôtel par l’État pour les femmes violentées (eh oui, il faudrait oser l’incursion dans la propriété privée) mais c’est vital pour de nombreuses victimes.
Le confinement implique de redoubler d’efforts
Quand on ne maîtrise plus ses allers et venues, quand la liberté est à ce point malmenée, quand la vie sociale est réduite à presque rien, quand tout se ferme, il y a un prix à payer sur la vie humaine. C’est pourquoi le confinement est une méthode qui n’est pas seulement coûteuse du point de vue économique. Elle a son revers de mise en danger psychologique et de violences démultipliées. Je parlais hier avec une aide-soignante qui me racontait tous les cas qui arrivaient dans son hôpital pour tentative de suicide, notamment par défenestration.
Les dégâts vont être terribles. Je me demande si au sommet de l’État on a anticipé ces graves dommages de la méthode de confinement face au Covid19. Je pense aux situations les plus extrêmes mais aussi aux méfaits sur l’état physique et mental de nombre de nos concitoyen.ne.s. Les pouvoirs publics vont-ils organiser une réponse, un accompagnement, une hausse de la prise en charge et des soins ? Ou l’austérité et le chacun pour soi vont-ils encore tout emporter ?
Le Premier ministre a annoncé hier que nous repartions pour quinze jours d’enfermement. Au moins. Si le plan de sortie n’est pas rondement mené, notamment par une production organisée et anticipée – matériels pour les hôpitaux et la protection au travail, kits de tests massivement disponibles –, je redoute que nous soyons encore confinés pour un long moment, sauf à prendre le risque de sortir de cette situation sans être prêt d’un point de vue sanitaire. Or, pour ne prendre qu’un exemple, mais il est symptomatique, l’entreprise Luxfer, la seule à fabriquer en Europe des bouteilles d’oxygènes dont nous avons cruellement besoin, n’a toujours pas été réquisitionnée : ses ouvriers continuent d’implorer l’État pour se remettre au travail. En écouter le gouvernement, à lire le grand entretien du ministre Olivier Véran aujourd’hui dans le Journal du Dimanche, je ne vois toujours pas de plan précis, global, pour nous conduire au dé-confinement. C’est flou, dramatiquement indigent.
J’appelle à la discipline en matière de confinement parce que nous n’avons pas le choix. Si au mois de janvier, les choses avaient été autrement envisagées par l’État, nous n’en serions pas à recourir à cette méthode d’un autre temps et à ses effets désastreux. Mais nous en sommes là…. Je termine en rappelant deux numéros verts d’urgence : le 119 pour l’enfance maltraitée et le 3919 pour les violences conjugales. Et en envoyant tout mon courage et ma solidarité à celles et ceux qui sont assignés chez eux dans un foyer maltraitant, avec un parent ou un conjoint violent.
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
Covid-19, ce miroir des fractures territoriales
Chronique publiée site regards.fr le 28/03/2020
Les régions périphériques, à l’échelle d’un pays comme du monde, sont les premières victimes de la pandémie. Comme la santé de chacun.e dépend de la santé des autres, allons-nous enfin avancer vers un monde solidaire et coopératif, plus soucieux de la vie humaine que des marchés financiers ?
Je suis inquiète pour la Seine-Saint-Denis, mon département, touché comme toute l’Île-de-France par la vague épidémique. Je dis « comme » mais en réalité, j’ai en tête les inégalités sociales qui frappent la population de notre territoire populaire. Le système de santé du 93 n’est pas celui de Paris. Il y a un an, avec douze de mes collègues parlementaires, toutes tendances politiques – c’est dire combien le réel est grave –, nous avions tiré la sonnette d’alarme dans une tribune adressée au Premier ministre. En Seine-Saint-Denis, la densité de médecins généralistes est inférieure de 30% au taux national. Plus de la moitié des communes du département se trouvent en zone prioritaire de lutte contre la désertification médicale. Les hôpitaux se révèlent largement sous dotés au regard du volume de patients accueillis. Les services y sont, pour la plupart, en sous-effectif et manquent de matériel pour assurer leurs missions.
Ce constat, c’était avant… Avant que le coronavirus ne débarque. Et maintenant, Romain Dufau, chef du service des urgences de Jean Verdier à Bondy, nous dit dans Le Monde qu’il n’y a plus une seule place de disponible en réanimation dans notre département. J’ai immédiatement interrogé le préfet qui s’est montré rassurant, le 26 mars, mettant en avant des efforts de restructuration ayant permis d’ouvrir des places. Je ne sais pas quelle est la situation exacte à cet instant où j’écris mais à l’évidence, nous touchons à l’os. Je m’inquiète d’autant que, même si la Seine-Saint-Denis présente l’atout de sa jeunesse, le virus est plus agressif envers les populations qui ont des troubles cardio-vasculaires ou du diabète de type 2. Or ces maladies touchent nettement les milieux les plus défavorisées, qui sont surreprésentés en Seine-Saint-Denis.
Alors j’enrage.
J’enrage encore et toujours contre des décennies de casse de l’hôpital public. J’enrage face à l’inaction des gouvernements successifs pour combler la rupture d’égalité qui frappe la Seine-Saint-Denis. Le résultat aujourd’hui est morbide. Il l’est d’autant plus que le pouvoir n’a pas anticipé la production pour que des tests soient disponibles dès le début en masse, avec du matériel, masques ou respirateurs, en nombre suffisant. Et comme je ne vois pas venir le plan de fabrication avec les réquisitions nécessaires, j’enrage plus encore… Et aussi parce que le confinement, ce n’est pas la même histoire dans un petit appartement insalubre aux Beaudottes que dans une villa dans un ghetto de riches. Le mal logement n’est pas d’ampleur égale entre Seine-Saint-Denis et les Hauts de Seine par exemple… Pourtant, les jeunes qui ont, un temps, continué à jouer au foot dans les quartiers populaires ont été regardés bien plus de travers que les Parisiens fuyant vers leur résidence secondaire, au risque de déménager le virus. Les uns ont pris des amendes, pas les autres. Comme s’il n’y a pas d’inégalités entre les territoires de la maison dans laquelle nous sommes aujourd’hui enfermés.
La pandémie nous plonge dans un paradoxe : alors que nous sommes assignés à résidence dans un petit espace, notre intérieur, nous sommes projetés dans la mondialité. Parce que nos sorts sont scellés. Nous avons conscience que si nous n’empêchons pas partout à travers le monde le virus de prospérer, nous continuerons de vivre dans la peur et le risque de contagion. Or les différentes régions du monde ne sont pas à égalité pour faire face au Covid-19.
Je pense d’abord à l’Afrique. Ce continent a pour l’instant semblé épargné par la pandémie. L’extrême jeunesse de sa population – l’âge médian y est de 19,7 ans contre 43 en Europe – a peut-être rendu optimiste. Mais le coronavirus arrive, à grands pas. « Il faut se préparer au pire », a affirmé cette semaine Adhanom Ghebreyesus, à la tête de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Il appelle à « se réveiller » face à cette « bombe à retardement » africaine. Le dernier bilan que j’ai lu marque le début de l’épidémie : 40 pays touchés, surtout l’Afrique du Sud, le Ghana et le Burkina Faso, 3426 cas détectés officiellement, 73 morts. Dans de nombreux États, le confinement est enclenché. Mais les difficultés sont multiples. Populariser les gestes barrière n’est pas simple quand ce ne sont pas leurs conditions concrètes d’application qui sont matériellement inaccessibles. Comment se laver les mains quand on n’a pas accès à l’eau ? Et les économies sont si fragiles que le confinement n’est pas à la portée du grand nombre : « La plupart des gens mangent le soir ce qu’ils ont gagné la journée car ils n’ont aucune ressource pour survivre, ni épargne, ni patrimoine », comme le relève Alexandre Augier, directeur général d’une OMS santé, Alima. Face au virus, il faut aussi prendre la mesure des facteurs de complications en Afrique liés au paludisme, à la malnutrition ou encore au VIH, contracté par 15% de la population. Surtout, le système de santé est extrêmement fragile et absolument pas prêt à faire face. On compte en moyenne un médecin pour… 10.000 personnes ! Au Japon par exemple, c’est 134. Prenons les unités de soins intensifs : il en existe 1000 en Afrique du Sud pour 57 millions d’habitants quand la France en possède… 200.000. Cette comparaison de chiffres donne le vertige et toute la mesure des inégalités à l’échelle mondiale. Difficile de faire des projections mais il est clair que la situation africaine est terriblement dangereuse. Le chef de la cellule riposte au Covid en RDC, le Dr Jean-Jacques Muyembe, estime que le taux de mortalité pourrait atteindre 15% de la population. Effroyable.
Alors si nous ne sommes pas capables d’organiser un couloir sanitaire, d’aider les pays africains à produire le matériel manquant – notamment des respirateurs et des masques –, d’en acheminer, nous courons vers une immense catastrophe humanitaire. Les milliards se débloquent pour les banques, pour sauver la finance, mais où est le partage, la prise en charge internationale visant le bien commun ?
Vous savez quoi ? J’enrage.
Alors je regarde à un autre bout du globe, les États-Unis. Nous sommes au cœur de cet Occident arrogant qui s’est vautré dans le néolibéralisme le plus agressif. À New-York ou en Louisiane, le virus galope. Le pays a dépassé les 100.000 cas, dépassant la Chine (81.000 cas) ou l’Italie (83.000 cas). Donald Trump a d’abord pris de haut le virus, pariant comme Boris Johnson en Grande-Bretagne sur l’immunité collective, avant de faire volte-face. Le confinement n’est pas total et le Président a déjà appelé à une reprise graduelle de l’activité. Il faut dire que l’économie a sévèrement plongé, avec une explosion de la demande d’allocation chômage – +1000% ! Un record historique. Le vice-président du Texas a donné à voir le visage du cynisme le plus cru Outre-Atlantique : « les personnes âgées devraient consentir à mourir pour sauver l’économie » (sic).
Pendant ce temps, le défaut de protection en matière de santé produit ses premiers ravages. Les témoignages circulent sur les montants astronomiques devant être réglés pour être soigné. Un reportage publié la semaine dernière dans le magazine Time évoquait une facture de plus de 34 000 dollars américains pour une patiente du Massachusetts qui a été testée, puis traitée dans un centre hospitalier après avoir été contaminée par la COVID-19. Joie et bonheur de la privatisation de la santé… Et pendant ce temps-là, les ventes d’armes bondissent. Le shérif de Los Angeles, qui a décidé de fermer ce type de magasin, a écopé de deux plaintes du lobby et d’autres associations pro-armes. Quand on pense que 16.000 personnes ont été tuées en 2019 par armes à feu… Et 24.000 suicides… Nous ne sommes pas égaux entre les territoires pour ne pas mourir fusillé par son voisin. Misère.
L’impression que l’Occident vit au Moyen-Âge me gagne… La modernité n’est pas là où la pensée dominante le croit. Dans un texte dont je vous recommande chaudement la lecture, Gaël Giraud, chercheur au CNRS, explique que le Covid aurait dû rester une « pandémie un peu plus virale et létale que la grippe saisonnière, dont les effets sont bénins sur une vaste majorité de la population mais très grave sur une fraction. Au lieu de cela, le démantèlement du système européen et nord-américain commencé depuis plus de dix ans a transformé ce virus en catastrophe inédite de l’histoire de l’humanité qui menace l’entièreté de nos systèmes économiques. » Si avec ça, on ne remet pas en cause notre modèle de développement ! À bon entendeur…
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
À la caissière de mon supermarché
Chronique publiée site regards.fr le 27/03/2020
À l’heure du Covid-19, Clémentine Autain chronique la pandémie. Elle adresse cette lettre à toutes celles en première ligne.
Chère madame,
Je ne vous connais pas, c’est la première fois que je passe à votre caisse. D’ailleurs, je me demande si vous êtes caissière de profession ou si vous avez été recrutée pour l’occasion, en raison de la crise sanitaire. En ce moment, on se fait des films sur tout.
Vous portez un masque, je ne vois pas vraiment votre visage. Vous êtes en première ligne, au charbon face au coronavirus. Il n’y a pas de plexiglas. La ministre du Travail prétend pourtant que « c’est très efficace » pour que les caissières continuent de travailler. Je voudrais que vous ne preniez aucun risque pour votre santé.
Il est 13h30, les gens font la queue à un mètre de distance, il n’y a pas grand monde. L’ambiance du supermarché est totalement étrange, on sent la peur, la distance.
Je vous dis bonjour, je crois que vous esquissez un sourire puis vous passez méthodiquement tous mes produits dans la machine. Un geste répétitif qui n’est pas sans risques professionnels. Des douleurs dorsales, des lombalgies, des troubles musculo-squelettiques, une fatigue visuelle… Sans compter le bruit du « bip » qui se répète en boucle et doit porter sur les nerfs. Les allergies potentielles aussi, avec tout ce qui passe entre vos mains.
Avec le coronavirus, je ne vous vois pas comme d’habitude quand je fais mes courses. La crise sanitaire aiguise notre regard. J’ai même peur de trop vous observer, que vous ressentiez mon attention comme une inquisition. Je voudrais que l’on prenne soin de vous.
Comment vous dire merci ? Merci de tenir. Merci d’être là parce que nous ne pouvons pas vivre sans effectuer nos courses pour nous alimenter. Comment vous dire aussi à quel point je ne supporte pas cette société où les profits des uns se font sur le dos de la vie des autres. J’ai en tête un groupe de la grande distribution qui distribue 45% de son bénéfice net à ses actionnaires. Imaginez si ces sommes vous étaient redistribuées à vous, à celles et ceux qui triment dans l’économie réelle, qui encaissent ou qui livrent… J’ai vu hier soir sur Boursorama que les entreprises européennes se préparent à verser des dividendes records au printemps 2020. Un tel niveau d’indécence donne la nausée. Et le gouvernement laisse faire. Avez-vous suffisamment de temps, de courage ou de colère pour y penser ?
Vous faites un métier difficile et pourtant, la reconnaissance sociale ne se voit ni sur la feuille de paie, ni dans l’attitude de la foule de gens qui bénéficient de votre service au quotidien. Je me souviens d’un témoignage en 2008, « Les tribulations d’une caissière » d’Anna Sam, adapté au cinéma et en BD, dans lequel j’avais appris une expression courante chez les caissières : SBAM – Sourire Bonjour Au revoir Merci. On y saisissait la monotonie de votre travail, la cadence sans temps morts, toute la déshumanisation qui entoure votre profession, miroir de nos égoïsmes. J’ai mille fois entendu la défense des caissières contre l’arrivée des machines au nom du rapport humain. Mais s’interroge-t-on sérieusement sur la nature réelle de ce dit rapport humain avec les hôtesses de caisse ?
Je vous sens hyper-concentrée alors que vous passez mes achats les uns après les autres à toute vitesse – je n’arrive pas à suivre en remplissant mon caddie. À l’urgence habituelle, quand les gens sont pressés parce qu’ils travaillent, ont des dîners à préparer, un enfant à aller chercher à l’école, une baby-sitter à relayer, des gens à voir, des cours de gym ou de poterie, et que sais-je encore, se substitue l’urgence à sortir de là, cet endroit où le virus peut nous attraper à chaque coin de rayon, l’urgence à désengorger le supermarché pour espérer garantir un mètre de distance entre chaque personne.
Je jette un œil à l’ensemble des caisses : que des femmes. Comment oublier que votre métier est essentiellement féminin ? On dit un notaire, un trader mais rarement « un caissier » (ou alors c’est pour la Banque de France). Je me demande si vous travaillez à temps plein. Parce que votre métier, ce sont souvent des contrats partiels, avec toute la flexibilité qui va avec, les horaires décalés. Je me demande si vous avez des enfants, si vous les élevez seule, si vous habitez loin du magasin. Je m’interroge sur les contraintes multiples qui peuvent peser sur votre vie.
En finissant de remplir mon caddie qui déborde, je pense à Claudine, une caissière tremblaysienne que j’adore. Elle a plus de vingt ans de métier, elle est syndicaliste. Je crois qu’elle fière de son travail, de se rendre utile, d’arriver à rester avenante face à des clients trop souvent désagréables. Un jour elle m’a dit son salaire, j’ai eu honte pour mon pays. Votre métier ne propose guère d’évolution de carrière, c’est un des rudes aspects de l’emploi. Avez-vous d’autres projets ? Vous êtes jeune, peut-être étudiante en même temps. Je n’ose pas vous poser la question.
Un produit ne passe pas, un problème de code barre apparemment. Votre caisse s’est bloquée et je vous ai senti paniquer. Ce manque d’autonomie des caissières m’a toujours affligée. À la moindre complication, il faut appeler le ou la cheffe de caisse qui vient avec sa clé pour dépanner. Comme si vous ne pouviez pas avoir accès à l’autonomie, comme si vous deviez être sous surveillance continue.
J’observe qu’une caméra est braquée en notre direction. Elle mémorise tout. En permanence. Les caméras sont nombreuses dans les magasins, vous ne pouvez pas y échapper. Attention à ne pas voler un coupon d’achat, la sanction pourrait être si lourde.
Vous sollicitez ma carte de fidélité. Je la sors en me demandant à quoi je suis fidèle. Je voudrais l’être à vous plus qu’au magasin. Mon combat, celui pour une société plus juste, émancipatrice, est pour vous ou il n’a pas de sens. Il est avec vous ou il sera voué à l’échec.
Je paie, je vous dis « prenez soin de vous » et je remonte avec mon caddie plein, grâce à vous et à tous les personnels de la chaîne de production.
À 20h, j’entends les applaudissements qui vont au monde de l’hôpital. J’attrape une casserole et je tape dessus en pensant aussi à vous. Je formule le vœu que la crise du coronavirus nous réveille collectivement sur la hiérarchie des valeurs, des métiers, des intérêts.
Je vous envoie tout mon courage, ma gratitude, ma sympathie.
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
Je repose mes questions au gouvernement...
... puisqu’elles sont restées sans réponse.
Chronique publiée site regards.fr le 25/03/2020
Il faut voir l’ambiance dans l’Assemblée nationale déserte, où seuls une poignée de députés et deux ou trois ministres siègent pour les questions au gouvernement… À un mètre au moins les uns des autres et sans partager les micros… Vigilance… Dans la salle des quatre colonnes qui grouille habituellement de journalistes et d’élus, seul BFM avait dépêché une équipe. Il est vrai que l’Assemblée fut un véritable foyer épidémique et que les mesures de confinement, les gestes barrière, doivent y être respectées. Je veux dire avec force combien la démocratie ne peut être engloutie dans le néant au nom de la crise sanitaire. Nous l’avons vu avec la loi sur les mesures d’état d’urgence sanitaire : les parlementaires, les oppositions doivent pouvoir exprimer leur point de vue. Nous avons argumenté et voté contre, et je vous invite à lire le point de vue tranché d’un avocat pénaliste qui nous alerte sur les dangers en termes de droits et libertés dans la durée. L’exécutif ne peut bénéficier de tous les pouvoirs dans un moment comme le nôtre. Je rappelle que même pendant la Première Guerre mondiale la séparation des pouvoirs fut maintenue.
Hier, j’ai donc posé une question au gouvernement. Pour que la démocratie fonctionne, il faudrait que nous ayons des réponses dignes de ce nom. Ce ne fut pas le cas. C’est la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, Agnès Pannier-Runacher, qui m’a répondu – si l’on peut dire… J’ai reçu un commentaire qui résume en ces termes : « Tu dis qu’il faut relancer l’entreprise qui fabrique de l’oxygène, comme le demande les salariés virés, et la ministre te répond qu’il faut féliciter LVMH qui va produire des masques ou des gels. C’est un scandale !!!!! »
J’avais pourtant des questions précises, donnant à voir (dans le temps si court imparti… 2 minutes !) ce que pourrait être un plan de mobilisation sanitaire pour organiser notre réponse, dans la durée. Je les repose ici, en étayant un peu.
Les appels au secours se multiplient sur le défaut de matériels qui met en grave danger les personnels soignants. Un exemple parmi tant d’autres : six jours après les promesses de distribution de masques dans les pharmacies, Christian Lehmann, médecin dans les Yvelines, doit encore se contenter de 50 masques chirurgicaux retrouvés par sa pharmacienne et datant de 2009. Les stocks de masques n’auraient pas dû être détruits et l’histoire de ce scandale d’État est maintenant dans le domaine public. La France a parié sur le grand marché mondial, sur l’importation, et s’est donc dépossédée en matière de souveraineté, de capacité de réaction et de protection. C’est ainsi que l’entreprise Honeywelle Safety a dû arrêter de produire 200 millions de FFP2 par an faute de commande de l’État.
Maintenant, on sait qu’il faut anticiper la fabrication en France. En 48 heures, les Tissages de Charlieu dans la Loire ont modifié leur ligne de production pour en fabriquer 130.000 par jour. L’Atelier Tuffery en Lozère, entreprise éthique, a décidé également de s’y mettre, sans dégager le moindre profit. D’autres entreprises mettent la main à la pâte mais l’État doit planifier cette production d’ensemble, la maîtriser, réquisitionner autant que de besoin dans le monde du textile, et en coordonnant avec d’autres secteurs pour les masques plus protecteurs qui nécessitent des savoir-faire spécifiques. D’où ma question : quelles entreprises l’État va-t-il enfin réquisitionner pour fabriquer des masques, des gants, des sur-blouses ou encore des charlottes ? Quelle chaine d’approvisionnement est mise en place ? Pas de réponse, sinon des remerciements aux industriels, une phrase sur la difficulté à fabriquer des masques homologués en raison des propriétés filtrantes et un vague « nous avons réussi à mobiliser les filières industrielles dans ce combat ».
Les hôpitaux manquent également de bouteilles d’oxygène. Luxfer, seule usine qui en fabriquait en France, a été délocalisée en 2018 mais ses ouvriers implorent une remise en activité. Le gouvernement va-t-il enfin le permettre ? Pas de réponse, en dehors des mêmes termes généraux.
Les cliniques privées demandent à être réquisitionnées. Qu’attend l’État ? Pas de réponse.
La pénurie de gel est aussi préoccupante. Les messages de prévention nous demandent de nous laver les mains avec du savon ou, à défaut, avec du gel hydroalcoolique, mais bon courage pour en trouver. La situation s’est améliorée mais nous sommes nombreux à faire l’expérience de ne pas en trouver dans notre pharmacie. Quelle mainmise de la puissance publique sur les entreprises françaises qui peuvent en fabriquer ? La ministre me répond que la production de gel a été augmentée grâce à LVMH ou Pernod-Ricard et qu’il n’y a pas de manque de gel, ce qui a fait sacrément tousser dans les commentaires sur mes réseaux sociaux…
La France a délocalisé l‘essentiel de la fabrication de paracétamol. Depuis la délocalisation de Rhône-Poulenc, 85% provient des États-Unis et 15% de la Chine. Il semble que nous ayons aujourd’hui deux mois de stocks. J’ajoute que nous manquons également d’intubateurs. Quand et comment le gouvernement va-t-il relancer ces productions en France ? Pas de réponse, en dehors de termes très généraux sur la « reconquête industrielle » et la « relocalisation » à enclencher – après avoir imposé les traités de libre-échange de type CETA, entendre dans la bouche d’En Marche l’objectif de relocalisation, comme s’il avait toujours été là, fait un drôle d’effet…
Je demandais des réponses claires, précises, chiffrées et je me retrouve face à un discours général qui n’est pas de nature à rassurer. En pleine crise sanitaire, on ne peut pas naviguer à vue et compter sur le bon-vouloir des entreprises incitées à contribuer à l’effort national. Puisque le gouvernement se prépare depuis deux mois – le Premier Ministre l’a rappelé avant-hier au Journal Télévisé – la puissance publique devrait maintenant pouvoir dire « nous réquisitionnons telle et telle entreprise pour fabriquer tel produit manquant et nous pouvons vous affirmer que tant de ce produit seront disponibles dans tant de jours ». Je constate que l’idée de réquisitionner est étrangère à des dirigeants totalement acquis aux normes néolibérales. D’ailleurs, le ministre Bruno Le Maire au moment de la privatisation d’ADP ou de la Française des jeux s’était montré sans ambiguïté : l’État n’a « pas vocation à diriger des entreprises concurrentielles ».
Aujourd’hui le ton a un peu changé face aux événements puisque, sur BFM Business le 18 mars, le même ministre disait : « Si pour protéger notre patrimoine industriel il faut aller jusqu’à la nationalisation de certaines entreprises parce qu’elles seraient attaquées sur les marchés, je n’aurai aucune hésitation ». Je dis un peu parce que cela ne relève pas de l’État stratège et protecteur que j’appelle de mes vœux. Il s’agit en gros de socialiser les pertes. Le patron du Medef ne dit pas autre chose quand il plaide pour une nationalisation de certaines entreprises en difficulté. Nous, ce que nous voulons, c’est que l’État se dote des moyens nécessaires pour répondre au défi de la crise sanitaire, et pour cela, les incursions dans la propriété privée ne doivent pas être taboues mais subordonnées à l’intérêt humain, et la mise en commun des richesses doit permettre d’augmenter nos capacités pour répondre aux besoins essentiels.
Je n’ai pas parlé, dans ma question hier, du dépistage mais l’enjeu des tests est aussi décisif. Or pour l’instant, les laboratoires français et les usines manquent de matériel pour fabriquer des kits à cet effet. Nous en fabriquons aujourd’hui environ 5.000 par jour… C’est dire si c’est une denrée rare…. Nous n’avons pas suffisamment de composants pour produire ces tests : les réactifs pour détecter le virus, les bâtonnets qui servent à introduire le réactif dans la narine du patient. C’est d’autant plus dramatique que relever ce défi pourrait modifier la stratégie de confinement dont les méfaits psychologiques, physiques, sociaux sont devant nous. Pour la deuxième fois en quelques jours, des syndicats de soignants ont saisi le Conseil d’État. Ils portent notamment l’exigence de masques pour l’ensemble de la population et un dépistage massif.
Notre santé ne peut pas être indexée sur le profit. Hier matin sur France Info, Bruno Le Maire a invité « à faire preuve de la plus grande modération dans le versement des dividendes » cette année. Je repose ma question, à laquelle je n’ai eu aucune réponse, même évasive : pourquoi une simple invitation verbale et non une contrainte légale, comme vous savez le faire quand il s’agit de contraventions individuelles pour manquement aux règles de confinement ?
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
Et si on avait une stratégie industrielle ?
Chronique publiée site regards.fr le 23/03/2020
Pour faire face au coronavirus et répondre, dans la durée, aux besoins essentiels. Les manquements frappent aujourd’hui là où nous avons alerté maintes fois. Clémentine Autain chronique la crise du Covid-19.
Comment est-il possible, à l’heure de la crise sanitaire, que nous n’ayons pas les moyens, dans la VIe puissance économique mondiale, de produire autant de masques, de gants ou de gel hydroalcoolique que de besoins ? Pourquoi en décembre 2018 avons-nous laissé l’entreprise Luxfer être délocalisée, cette usine qui produisait des bouteilles à oxygène dans le Puy-de-Dôme qui font maintenant cruellement défaut dans les hôpitaux ? Comment se fait-il que 100% du paracétamol disponible en France soit importé d’Asie, nous mettant face à une potentielle pénurie alors que nous luttons contre le Covid19 ? Quelle improbable stratégie de court terme a pu conduire l’État, il y a dix ans, à détruire les stocks de masques chirurgicaux et FFP2 ? Nous réalisons à quel point les choix d’hier nous mettent dans le mur en pleine crise sanitaire. Ce ne sont pas des questions de spécialistes mais bel et bien des enjeux majeurs de souveraineté et d’anticipation, qui nous concerne toutes et tous.
À plusieurs reprises depuis le début du quinquennat, insoumis ou communistes, nous avons interrogé le gouvernement sur sa stratégie industrielle, en regrettant que, comme leurs prédécesseurs, les macronistes dilapident des entreprises détenues par l’État, soient incapables d’empêcher des délocalisations ou dérégulent l’économie réelle avec de nouvelles batteries de traités commerciaux internationaux. Le défaut de perspective industrielle digne de ce nom est notamment criminel du point de vue de la lutte contre le réchauffement climatique. Comment assurer la transition écologique indispensable si la puissance publique se dépossède de ses leviers industriels, ne sait pas intervenir intelligemment sur ce que l’on produit et comment on le produit ?
Parfois, j’ai eu l’impression de prêcher dans le désert. J’ai regretté, par exemple, que nous n’ayons pas réussi à enclencher une campagne de masse contre le CETA. Ce traité de libre-échange, sur lequel je m’étais engagé pour mon groupe à l’Assemblée nationale, inaugurait l’ère de textes bilatéraux signés à tout va, qui lamine notre souveraineté et, à la faveur de barrières douanières modifiées, organise une jungle de concurrence libre et non faussée. Autant de chèques en blanc signés aux multinationales. Sans grand débat public, ces textes comportant des milliers de pages touchent à notre vie quotidienne, de la santé aux services publics, en passant par la culture. Effrayant.
Le moment est venu de changer de stratégie. Le laisser-faire est une catastrophe. L’intérêt des grands groupes qui cherchent à dégager du profit n’est pas le bon guide pour satisfaire les besoins. En urgence, la France aurait déjà dû réquisitionner des usines pour produire ce dont les hôpitaux ont besoin pour soigner et abaisser rapidement le taux de mortalité. A moyen terme, il faut organiser la relocalisation de l’économie, en commençant par cesser de recourir à la production à l’autre bout du monde de produits que l‘on peut produire en France. Le temps est venu d’ouvrir le débat public sur nos besoins et de chercher à prévoir dans le temps le développement des moyens industriels pour y répondre. C’est un enjeu de santé publique, de responsabilité écologique, de souveraineté et donc de démocratie, de soutien à l’emploi dans notre pays. Nous ne pouvons pas laisser nos vies dans les mains des marchés financiers. Si nous continuons à mettre à mal tous nos moyens d’intervenir dans les choix de production, où allons-nous ? Nous irons de désastre en désastre. La crise du coronavirus pourrait être l’occasion de prendre la mesure des choix à opérer et d’engager une grande bifurcation de modèle économique et industriel.
Au moment où je termine ces lignes, je vois qu’Airbus a décidé de rouvrir partiellement ses usines…. L’urgence ? L’Airbus A320. L’entreprise aurait reçu 20.000 masques. Notre société ne tourne vraiment pas rond…
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
C’est aujourd’hui dimanche
Chronique publiée site regards.fr le 22/03/2020
Le confinement nous fait perdre la notion du temps. Ma perception est sensible, émotive, nous ne sommes pas des machines. Des images tournent dans ma tête…
Dans une vidéo virale, un patient, jeune, portant un masque d’oxygène, qui nous implore de nous confiner et de respecter les gestes-barrière.
À la télé, un médecin qui évoque ces malades s’exprimant correctement en arrivant dans l’hôpital et qui, deux heures plus tard, sont sous respiration artificielle : « Ce virus est une cochonnerie ! »
Partout sur les réseaux, le hashtag : « restez chez vous ! »
Sur Brut.fr, Hamza, livreur : « J’aurais aimé être confiné, mais on n’a pas le choix. Si demain on ne va pas travailler, on n’aura pas d’argent pour nourrir notre famille. »
Le rayon de pâtes vide au supermarché.
La tristesse dans le visage de la caissière, derrière une vitre en plexis, à qui je dis : « Courage à vous, merci ».
À la Une de franceinfo.fr, des gens avec des bagages devant une gare, et ce titre : « Des urbains venus se réfugier en Vendée "ont diffusé l’infection", affirme un médecin ».
Un chiffre, dans Le Parisien : 10% des amendes pour non-respect du confinement et non présentation de l’attestation de déplacement se concentrent sur un département... la Seine-Saint-Denis.
Les ouvriers de Luxfer qui demandent la réouverture de leur usine qui fabriquait des bouteilles d’oxygène avant d’être délocalisée en mai 2018.
Une cagnotte en ligne pour récolter des dons pour les soignants de l’APHP, comme si l’État avait démissionné.
Sur un mur de briques, dans une rue vide, un tag : « make the rich pay for covid 19 ».
L’arrivée de médecins cubains en Lombardie, sous les applaudissements.
À 20h, le bruit des casseroles qui résonne sous mes fenêtres.
Ces mots à plusieurs reprises : « La pénurie de masques est un scandale d’État », pendant que mes enfants répètent en boucle et en riant, devant leur mère consternée, « Nous sommes en guerre ! », en mimant le Président de la République.
Fin des images sur ma télé qui, du haut de ses onze ans, vient de tomber en panne – les aléas du confinement…
Vivement demain.
Non, pas lundi, je parle du monde d’après.
Quand nous aurons gagné, non pas la guerre, mais sur le coronavirus et le sens de la société.
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
« Plus rien ne sera comme avant » ?
Chronique publiée site regards.fr le 21/03/2020
À entendre les allocutions d’Emmanuel Macron, nous nous sommes pris à rêver qu’il changerait de cap. Sauf qu’avec son projet de loi relatif aux mesures d’urgence, la parenthèse est déjà refermée. Retour aux fondamentaux néolibéraux.
Peut-être, quelques instants devant un JT, parce que l’on ressent une profonde empathie avec la patrie tout entière, parce que les mots réconfortent quand la peur de la mort nous rassemble face à la crise sanitaire… alors, de façon fugace, nous nous sommes pris à rêver qu’Emmanuel Macron changerait de cap. Après tout, l’éloge de l’État providence, des services publics et de la solidarité aurait pu donner le sentiment que « plus rien ne serait comme avant », pour reprendre les termes du président de la République lui-même. Il est vrai que l’épidémie met en lumière l’utilité impérieuse des services publics et la nécessité pour l’État de donner la priorité à la satisfaction des besoins humains.
Hier, en commission à l’Assemblée nationale pour étudier le projet de loi relatif aux mesures d’urgence, la parenthèse est déjà refermée. Retour aux fondamentaux néolibéraux… Je ne discute pas le besoin du gouvernement de pouvoir agir très rapidement vu l’ampleur de la crise. C’est l’évidence, il faut un dispositif spécial permettant à l’État de prendre des dispositions particulières pour affronter la crise. Mais dans le projet de loi, on découvre de curieuses mesures. L’article 7 donne la possibilité au gouvernement de prendre des ordonnances en matière économique, financière et sociale. Et là, on tombe sur cette régression sociale de grande ampleur : possibilité de caler les RTT sur la période de confinement, en dérogeant aux délais de prévenance, d’en finir avec les 35 heures ou le repos dominical. Toute une série de modifications ou dérogations, en matière de procédures collectives, de prud’hommes ou de formation professionnelle sont inclues dans le champ de ces ordonnances. En clair : une nouvelle salve de remise en cause de conquêtes sociales est devant nous.
Vous ne trouverez pas, en revanche, la possibilité pour l’État de contraindre des entreprises dont l’activité n’est pas essentielle à se mettre à l’arrêt si les conditions de protection sanitaire ne sont pas garanties. Amazon, Dunlop, Valeo et consorts peuvent dormir tranquille… D’autant que, je le rappelle, la ministre du Travail les a encouragées. « J’en appelle au civisme des entreprises », a martelé Muriel Pénicaud, assurant être « scandalisée » de voir une antenne locale de la Capeb (syndicat patronal de l’artisanat du bâtiment) inciter, par courrier, ses adhérents à ne pas aller travailler. Elle a bien enfoncé le clou : « Les entreprises qui sans avoir discuté et réfléchi avec leurs équipes, se retirent, sont défaitistes ». Oui, oui, vous avez bien lu, et elle a même encore insisté en ces termes : « Quand un syndicat patronal dit aux entreprises "arrêtez d’aller bosser, arrêtez de faire vos chantiers", ça c’est du défaitisme ». N’en jetez plus… Qu’il semble déjà si loin le temps – bref – où le sommet de l’État avait un mot à la bouche pour coacher ses troupes : HUMANITÉ ! C’était après le vote indécent contre l’allongement des jours de congé pour les parents ayant perdu un enfant.
Alors hier, avec mon panier-repas entre deux séances de commission dans une Assemblée nationale déserte, j’ai pensé à La stratégie du choc de Naomi Klein. Après un traumatisme collectif, une attaque terroriste, une catastrophe naturelle ou… une crise sanitaire, nous sommes dans un état de choc propice à nous laisser guider par les leaders qui prétendent nous protéger. C’est en tout cas Milton Friedman, Prix Nobel d’économie et ardent théoricien de l’ultralibéralisme, qui a défendu cette théorie, conseillant aux hommes politiques d’appliquer un traitement de choc immédiatement après une crise douloureuse. Je me suis dit que le pouvoir en place pouvait, à l’occasion de la crise du coronavirus, tenter de mettre tout le monde au pas pour avancer un cran supplémentaire dans la marche dérégulée de l’économie et la mise en pièce des droits et protections. C’est une possibilité que l’on entrevoit clairement dans le projet de loi sur les mesures d’urgence.
Dans le cas de notre crise actuel, c’est même deux mois d’état d’urgence sanitaire prévu à partir du vote de cette loi. Le pouvoir de l’exécutif est consacré comme jamais. Rendez-vous compte que, même pendant la Première guerre mondiale, la séparation des pouvoirs entre législatif et exécutif n’a pas été abrogée.
En outre, comme à chaque fois, la potion néolibérale s’accompagne d’une dose d’autoritarisme et de contrôle social accrue – on le sait depuis Thatcher. C’est ainsi que dans le projet de loi instaurant un état d’urgence sanitaire, on ne s’étonnera pas de trouver notamment un temps étrangement long d’application. En effet, l’état d’urgence prévu dans la loi du 3 avril 1955 consacre un recours à la loi dès douze jours d’état d’urgence. Un décret institue l’état d’urgence puis il faut repasser devant le Parlement au bout de douze jours pour le prolonger si nécessaire. Là, le délai pour l’urgence sanitaire serait d’un mois. Et dans le cas de notre crise actuel, c’est même deux mois d’état d’urgence sanitaire prévu à partir du vote de cette loi. Le pouvoir de l’exécutif est consacré comme jamais. Rendez-vous compte que, même pendant la Première guerre mondiale, la séparation des pouvoirs entre législatif et exécutif n’a pas été abrogée.
Tout cela peut sembler loin du drame que nous traversons. Nous comptons les morts, nous lisons les témoignages effroyables sur la situation dans les hôpitaux, nous connaissons la peur, l’isolement, la tristesse… Alors la protection des droits conquis ou la démocratie, a-t-on l’idée de s’en préoccuper ? Il le faut. Ayons conscience qu’un socle de droits élevés et des processus démocratiques, ce sont nos forces pour vaincre le virus, protéger les individus, remettre sur pied la société.
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
Le Covid met à nu le capitalisme
Chronique publiée site regards.fr le 20/03/2020
En pleine crise sanitaire, notre modèle économico-social est brusquement mis à nu. Nos sorts se révèlent liés face au coronavirus là où le capitalisme nous avait tant habitué, façonné, contraint à l’éclatement et à la concurrence généralisée.
Nous redécouvrons les bienfaits des services publics et de l’entraide, qui sont nos biens les plus précieux pour vaincre le coronavirus, non pas dans le cadre d’une guerre (mes enfants, qui ont entendu le Président de la République, répètent maintenant en boucle : « nous sommes en guerre ! ») mais d’un drame sanitaire.
Peut-être réalisons-nous aussi le caractère marchand et machinal de nos vies. Durement entravés dans notre liberté, comment ne pas penser à ce dont nous avons réellement besoin, aux activités essentielles à la vie ?
La santé arrive aujourd’hui en tête là où les restrictions budgétaires avaient frappé. L’austérité a conduit à fermer des dizaines de milliers d’emplois et 69.000 lits en quinze ans, et donc à économiser sur les conditions de soins, sans susciter de vagues de mobilisation dans tout le pays pour empêcher un tel carnage. Breaking news : avec les personnels médicaux, les enseignants, les salariés qui s’occupent des ordures ménagères ou ceux qui font tourner l’eau, le gaz et l’électricité sont plus nécessaires que les traders, les courtiers en assurance ou les fabricants de luxe. Dans l’échelle de la considération sociale et des revenus, ces professions si utiles ne sont pourtant pas les mieux dotées. Isolés, nous sommes aussi nombreux à implorer un accès illimité à la production culturelle parce qu’elle nous donne une ouverture sur le monde qui nous est fermés, parce qu’elle nous accompagne dans la quête de sens, parce qu’elle nous fait rêver, ce qui n’est pas futile mais essentiel. Ce n’est pourtant pas un secteur qui, ces derniers temps, est choyé par les gouvernements successifs dans l’objectif de diversifier la création, protéger les artistes et techniciens, développer le partage…
Je formule l’espoir que nous soyons donc face à la question : qui décide de ce que l’on produit et met en commun, de ce qui est important pour faire société et favoriser l’émergence d’individus libres ?
Pour l’heure, nous sommes enfermés dans un cadre, le capitalisme, qui porte en lui la loi du profit. L’activité économique s’y trouve organisée autour de l’impératif de rentabilité pour ceux qui investissent des capitaux. Ce n’est donc pas le bien commun qui est le moteur de l’activité humaine. Les États n’ont cessé de céder du terrain au monde la finance et de démanteler la puissance publique, et avec elle les services publics et protections. À toutes les échelles, la concurrence en lieu et place de la coopération a de facto été organisée. Pour être compétitif du point du vue du capital, il faut tirer vers le bas le « coût » du travail et vers le haut la pulsion consumériste. Une crise sanitaire de l’envergure que nous traversons avec le coronavirus montre que cette logique ne permet pas de répondre aux besoins de la population.
Les dégâts du court-termisme nous sautent au visage. La recherche en est une illustration évidente. Règle d’or oblige, nous lui avons tourné le dos. La bourse en est une autre : elle flanche dès les prémisses de la crise sanitaire, mettant en péril le système économique au moment où nous aurions besoin de mécanismes protecteurs. Qu’importe, les risques ne doivent pas être pris par ces détenteurs de capitaux, et ils compteront quand même sur les aides publiques européennes pour renflouer les pertes. Que dire aussi de ces grandes entreprises qui espèrent s’en sortir voire en profiter, à coup de flambée des prix s’il le faut et sur le dos des salariés sommés de travailler dans des conditions non protectrices du virus, même pour produire des biens non indispensables, démontrent la folie de la logique en vigueur ? L’humain n’est pas la priorité. Ce sont la rentabilité et la compétitivité devant lesquelles se courbe l’échine.
Les dangers de la spécialisation de la production et avec elle, la sous-traitance de certains biens à d’autres pays, se révèlent aussi catastrophiques. Pour expliquer la pénurie de masques FFP2, le ministre Olivier Véran vient d’expliquer que la France a changé sa doctrine il y a dix ans : « jusqu’en 2010, il y avait un stock d’État d’un milliard de masques chirurgicaux et 600 millions de masques FFP2. À la suite de l’épisode épidémique de grippe H1N1 de 2011, il a été décidé que ces stocks ne s’imposaient plus, la production mondiale de masques étant supposée suffisante. (…) Nous avons abordé cette épidémie dans une situation très dégradée, avec un stock nul en FFP2 et à peine 150 millions de masques chirurgicaux adultes et pédiatriques. » Le problème se pose également, par exemple, pour le paracétamol. La relocalisation de l’économie et la souveraineté dans des domaines vitaux, comme la santé ou l’alimentation, supposent de changer les priorités et les normes de production.
Le défi climatique aurait dû déjà nous conduire à ces conclusions. Car la folie productiviste qui dévaste l’écosystème et la santé est encouragée par la quête infinie du profit à court terme. Le coronavirus fait figure de répétition si l’on songe aux catastrophes liées au réchauffement climatique qui nous attendent à brève échéance. Si nous savons saisir les données du problème et repenser l’organisation économico-sociale à partir des besoins et non du profit, nous pouvons tracer un chemin de résilience.
Nous ne basculerons pas du jour au lendemain dans une société débarrassée des normes capitalistes et consuméristes, notamment en raison de sa globalisation, aussi à cause de façons de vivre ancrées dans nos habitudes et qui ne peuvent donc changer du tout au tout à une courte échelle temporelle. Mais nous pouvons choisir d’en favoriser ou d’en contraindre les mécanismes. Nous pouvons arrêter de nous désarmer en stoppant l’austérité et en mettant fin à la technocratie acquise aux logiques néolibérales qui gouvernent.
Aujourd’hui, nous faisons face à l’urgence et le temps du débat de fond, structurel, n’est pas encore ouvert. Je crois qu’il germe dans les têtes et notre tâche sera de le mener.
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
De l’inégalité devant le confinement
Chronique publiée site regards.fr le 19/03/2020
Le confinement n’est pas le même pour tous, que l’on soit puissant ou misérable. Clémentine Autain chronique la crise du Covid-19.
La directrice générale de l’agence sanitaire Santé publique France nous annonce qu’il n’y aura pas d’inversion de la courbe épidémique en France avant la mi-mai. La période de confinement ne s’arrêtera pas à quinze jours, elle va s’étendre. Cette situation inédite produit de la stupeur parce que nous n’imaginions pas la France dans un tel chaos. Elle génère ses gestes égoïstes, des vols de masques à la contrebande de gel hydroalcoolique, du pillage des magasins alimentaires au départ massif de Parisiens prêts à exporter le Covid-19 dans toute la France, mais aussi ses élans de solidarité. Hier à 20h, le bruit des casseroles et des claquements de mains pour applaudir les personnels hospitaliers était réconfortant – et on recommence chaque soir ! – comme l’aide apportée par les Chinois qui acheminent des masques. On se demande comment l’Union européenne peut être à ce point inopérante, concentrée qu’elle reste sur le sauvetage des banques plutôt que des vies.
Nous expérimentons la privation à grande échelle, avec la peur de la mort qui rôde en toile de fond. La grande majorité d’entre nous subit le confinement mais nous ne sommes pas égaux devant cet état de fait. Je pense à celles et ceux qui dorment dans la rue, dans les prisons, dans les camps de réfugiés. 160.000 personnes sont sans domicile fixe, comme on dit, et 15.000 à 20.000 vivent dans des bidonvilles. Imagine-t-on le potentiel de drames ? Dans les prisons, des détenus ont refusé de rejoindre leur cellule, des mutineries en chaîne sont à redouter, comme en Italie. Il faut considérer la difficulté à faire respecter dans ces lieux les gestes barrière et ce que peut représenter la fin des sorties ou activités collectives quand on est enfermé dans quelques mètres carrés. À Aubervilliers où environ 500 migrants vivent sur un terrain insalubre, la promiscuité et le manque d’hygiène constituent de terribles facteurs à risque. Notre pays doit répondre à cette urgence humanitaire et chercher à protéger. Il en va de la solidarité et des droits humains mais aussi de la protection de tout un chacun. Chaque foyer de contagion est une menace pour la collectivité.
Plus globalement, les conditions de confinement ne sont pas les mêmes pour celles et ceux qui habitent dans un logement agréable, dans lequel chaque membre de la famille peut s’isoler, et celles et ceux qui vivent dans un habitat étriqué, dégradé, insalubre. Elles sont plus dures pour les gens qui présentent déjà des fragilités psychologiques, qui sont facilement gagnés par l’anxiété. Elles peuvent devenir hyper dangereuses pour les femmes victimes de violences conjugales. Elles sont susceptibles d’accélérer les séparations pour des couples qui vont avoir du mal à se supporter H24 pendant des semaines et des semaines. Elles sont inégales devant la scolarité, entre les enfants qui ont des parents à même de maintenir un apprentissage éducatif et culturel et ceux dont les familles ne sont pas en situation, pour des raisons socio-culturelles, de faire face. Quant aux cours par Internet, encore faut-il avoir des ordinateurs et de la connexion…
Cette idée que l’on peut en profiter pour se poser, réfléchir, prendre soin de soi, lire, écrire… n’est pas si évidente pour tout le monde. Avec des enfants par exemple – je parle d’expérience -, la mission est sinon impossible, du moins difficile. Entre la préparation des repas, les machines à laver, la vaisselle, le ménage, les temps de jeux, les sauts d’humeur à gérer des uns et des autres, les chambres à ranger et j’en passe, caser le télétravail ou le temps pour soi, bon courage ! Alors oui, nous aurons la conscience de ce qui nous aura le plus manqué, à commencer par la liberté – sujet majeur de mes réflexions depuis quelques années, convaincue que je suis que notre liberté ne rentre pas dans leur libéralisme économique et l’injonction consumériste.
Cette expérience partagée de peur et confinement, fut-ce de façon très différente et inégale, changera notre perception politique, j’en suis convaincue. Dans quel sens ? L’affaire n’est pas dite. Nous aurons une force décuplée pour nos arguments mettant en cause le modèle capitaliste et productiviste. Mais soyons lucides. Après la crise des subprimes en 2008, les dirigeants auraient dû remettre en cause le poids de la finance sur nos vies. Il n’en fut rien, nous avons eu droit partout à une cure renforcée de dérégulation économique. Demain, après la crise sanitaire, comptons sur nous-mêmes pour impulser une autre voie.
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
Les cadres en télétravail, les prolos au charbon ?
Chronique publiée site regards.fr le 18/03/2020
La crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 impose un confinement national comme l’a décidé le gouvernement. Mais ce confinement reste relatif et il est diversement appliqué aux travailleurs et aux travailleuses. Le point de vue de Clémentine Autain, députée La France insoumise et co-directrice de Regards.
Ce matin, je suis saisie par plusieurs récits que j’ai pu lire de salariés littéralement apeurés d’aller travailler dans des conditions sanitaires risquées alors même qu’ils n’occupent pas de métiers essentiels.
Nous connaissons la situation des personnels hospitaliers qui manquent de masques et de gel hydroalcoolique, de personnels et de lits – sans doute allons-nous massivement et brutalement prendre conscience des graves méfaits de trente ans de politique néolibérale… Les personnels médicaux sont les premiers au front, leur métier nous est évidemment indispensable. Les pouvoirs publics doivent les soutenir de façon concrète et urgente. J’ai trouvé bien étrange ces propos du ministre du budget Gérald Darmanin invité ce matin chez Jean-Jacques Bourdin : « La meilleure prime que l’on peut donner aux soignants, c’est de respecter les gestes sanitaires ». Bien sûr, nos gestes barrière sont décisifs mais cela ne peut dédouaner le gouvernement de prendre ses responsabilités en annonçant des primes, des moyens pour les personnels médicaux qui sont exposés comme jamais, avec des hôpitaux publics qui étaient déjà en burn out avec le coronavirus. Imaginons, espérons, bataillons pour que cette question puisse être au plus tard traitée quand le cœur de la crise sanitaire sera derrière nous…
Protégeons les travailleurs et les travailleuses
Là, on pense également à tous les personnels indispensables qui travaillent pour la chaîne alimentaire, les pharmacies, les tabac presse, les transports. Beaucoup ne bénéficient pas de gants protecteurs, de masques, de distance de sécurité avec les collègues ou les clients. Elles et ils partent travailler la boule au ventre. On peut arrêter beaucoup de choses mais pas de se soigner, ni de manger. Les gens qui travaillent dans ces secteurs doivent être encouragés, salués et munis au plus vite du plus vite de toutes les protections possibles. Mais pour les autres ?
Alors que le message « Restez chez vous » est partout, comment expliquer que des emplois non essentiels soient toujours en activité ? Les dispositions légales de fermeture laissent, pour l’instant (mais le temps presse quand on lutte contre la propagation d’un virus), à l’appréciation des employeurs. Quand j’ai entendu cette précision, j’ai sursauté. Ce sont donc les employeurs qui sont juges pour décider de maintenir ou d’arrêter l’activité ? C’est là que des choix pris par les personnes concernées, les salariés eux-mêmes, prendraient tout son sens. Parce que, sinon, le résultat est aujourd’hui tristement effrayant… Songeons à tous les personnels des secteurs ubérisés…. L’exemple d’Amazone est tragique. Leurs entrepôts comptent entre 500 et 2.000 personnes et le groupe refuse d’appliquer les consignes de non-rassemblement de plus de 1.000 personnes. Des cas avérés de coronavirus n’ont pas non plus débouché sur une cessation de travail – c’est aussi le cas, autre exemple, chez Dunlop en Picardie où les ouvriers ont dû continuer à travailler malgré un cas avéré de Covid-19. L’activité d’Amazon n’est pas indispensable dans la période mais les personnels sont sommés d’aller au charbon. Ailleurs, les facteurs ou les personnels du chantier naval de Saint-Nazaire font valoir leur droit de retrait.
Grèves et droits de retrait en perspective
En Seine-Saint-Denis, 18 éboueurs travaillant pour Otus, filiale de Veolia de traitement des ordures ménagères, ont exercé leur droit de retrait, estimant que leur situation de travail présentait un danger grave et imminent. Abdelkader Dif, représentant du personnel CGT, explique au Monde : « Nous ne disposons d’aucun masque protecteur et nous manquons de gel hydroalcoolique. Ce matin, le directeur disposait de 14 gels de 100 ml pour 130 salariés ! Nous travaillons par équipe de trois, ça ne fait même pas un gel par équipe ! Et il faut ramener le gel en fin de tournée ! Nous exigeons un masque et un gel par salarié. D’autant que la fermeture des bars fait que nous n’avons plus aucun lieu pour nous laver les mains. Tout est fermé, on est seuls, on n’a rien ! Alors qu’en manipulant les déchets nous sommes deux fois plus exposés. » Certains camions-poubelles, qui desservent les villes de Sevran, Tremblay, Villepinte, Les Lilas, Pantin, Romainville et du Pré-Saint-Gervais, sont donc restés au garage ce matin. D’autres sont sortis, mais c’est que les collègues ont peur des représailles, beaucoup sont intérimaires.
Des grèves, comme en Italie, vont probablement s’enchaîner, et on le comprend, si les pouvoirs publics n’interviennent pas. Je partage totalement l’appel de Philippe Martinez de la CGT d’arrêter toute activité non essentielle. Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a également déclaré que la priorité devait être la protection des travailleurs.
Le ministère du travail estime que seuls un peu plus de quatre emplois sur dix peuvent être effectués en télétravail. Pour les autres, la situation expose au virus et à une anxiété redoublée. Les profits ou la vie ? Choisissons décidément la vie.
Clémentine Autain
Publié le 30/03/2020
L’intérêt humain, résolument
Chronique publiée site regards.fr le 17/03/2020
Notre vie ralentit par l’effet du confinement et s’accélère au gré des annonces et informations qui s’enchaînent, générant leur lot quotidien de nouvelles inquiétudes. Nous sommes potentiellement pris de panique, à l’échelle individuelle et collective, et c’est le moment de tenir bon et d’agir avec le maximum de rationalité. La situation est chaotique, instable, fragile. Il n’est pas simple de prendre du recul mais je veux livrer ici quelques convictions sur ce que nous traversons.
D’abord, conformément à ce que je peux lire des autorités sanitaires, du monde médicale et scientifique, des expériences comparées à l’échelle internationale, il apparaît clairement que rester chez soi et se montrer disciplinés dans l’application des gestes barrière est la seule solution pour ralentir la progression du coronavirus. Sans doute avons-nous tardé, les recommandations des pouvoirs se sont révélées parfois bien contradictoires d’un jour à l’autre mais aujourd’hui, c’est la conscience partagée du danger, la mobilisation populaire pour se prémunir collectivement, l’entraide au service du bien commun, de la santé, de la vie qui doit prendre le dessus.
L’heure n’est pas à la polémique avec le gouvernement, toute attitude perçue comme bassement politicienne serait indécente. Il n’en reste pas moins que la démocratie doit rester notre cadre de fonctionnement, elle est vitale. Aussi les cohérences de pensée, qui structurent le champ politique, ne peuvent être balayées d’un trait : elles sont même des points d’appui pour agir maintenant et pour demain. Je l’affirme sans détour : ce que nous vivons renforce mes partis pris idéologiques. Face à la crise sanitaire, ce sont les valeurs de partage et de solidarité qui, prenant le dessus, peuvent sauver le plus de vies. Nous faisons l’expérience concrète des dimensions dévastatrices de trente ans de politiques néolibérales. Tous ces lits d’hôpitaux qui ont fermé pour répondre à la doxa de la rentabilité manquent cruellement. Tous les personnels soignants épuisés avant même que ne démarre la bataille face au Covid-19, nous placent dans une situation de tension plus grande. Toutes ces lois qui ont diminué les droits et protections – je pense en particulier à ceux des chômeurs, pour lesquels le gouvernement est contraint de suspendre les dispositions régressives qu’il avait fait voter – ne nous tire pas vers le haut mais vers le bas. Tous ces marchés à qui l’on a donné tant de pouvoir pour décider du cours des choses dévissent aujourd’hui en bourse et contribuent à aggraver la mise en danger de la vie économique. Toute cette Union européenne qui devrait agir urgemment et solidairement est humiliée en une image, une réalité : l’arrivée des Chinois pour porter secours aux Italiens. Et cette mesure de report de l’accès à l’AME – aide médicale d’État – pour les migrants trouve ici toute son absurdité : si les migrants ne peuvent se soigner face au coronavirus, le risque de transmission augmente… Nos sorts sont liés. C’est l’humanité qui est la valeur fondamentale pour sortir par le haut des crises que nous traversons.
Un monde s’écroule. C’est ce que je me dis ensuite, et j’y pense toute la journée. Ce monde, c’est celui du court-termisme, de la concurrence libre et non faussée, de l’austérité budgétaire, et du déni face au danger climatique qui en résulte. Fait symptomatique : après la crise du H1N1, la recherche sur le virus de type Covid-19 n’a pas eu les moyens nécessaires pour se développer. Or la science ne peut pas être rentable immédiatement, elle suppose du temps et de l’anticipation. Mais voilà, nos sociétés zappent, elles n’investissent plus dans la durée et sur le nécessaire. L’échelle des valeurs est dangereusement altérée. La santé des marchés financiers prime sur celle des êtres humains. La crise sanitaire que nous traversons met à nu des décennies de politiques de destruction des services publics et de marchandisation de la société. Même le président de la République semble redécouvrir les vertus de « l’État providence » – et c’est tant mieux ! – alors même qu’avec LREM, il n’avait pas dérogé jusqu’ici à l’obsession de la règle d’or et de l’idée qu’il faut « libérer les énergies », c’est-à-dire déréguler plus encore l’économie.
Cette crise sanitaire ressemble malheureusement à une grande répétition générale si l’on considère les crises liées au réchauffement climatique qui nous attendent. Nous réalisons à quel point nos sorts sont liés à l’échelle planétaire et à quel point pour se sauver individuellement, il faut de l’entraide collective. À chaque échelle de territoire, c’est la souveraineté dans la satisfaction des besoins qui doit être assurée – nous le voyons de façon éclatante avec la production des médicaments que l’on ne peut laisser fabriquer à l’autre bout du monde au risque non seulement d’accroître les CO2 en raison du transport nécessaire mais aussi de manquer en approvisionnement.
Le chacun-pour-soi façonne nos modes de pensée et d’agir contemporains. Ces scènes dans les supermarchés où l’on se rue pour faire le plein indiquent l’état d’anxiété de la société mais aussi à quel point nous pensons d’abord à notre propre intérêt à court terme. Il me semble que la crise que nous traversons doit nous faire réfléchir sur l’interaction entre le « je » et le « nous ». L’individu, pour s’épanouir et être libre, a besoin du collectif – qui lui-même a besoin de pouvoir s’appuyer sur des individus les plus libres et épanouis possibles. Or le collectif a été mis à mal durement et nous réalisons sans doute aujourd’hui à quel point cela rejaillit sur les individus. Le lien social ne s’oppose pas à l’intérêt de l’individu, il est un élément fondamental pour que la personne puisse devenir accéder à la liberté et au bonheur.
La menace du coronavirus et le confinement sont une occasion, aussi dramatique soit-elle, de penser à la façon dont nous voulons faire société et à nos besoins véritables. Nous redécouvrons combien se soigner, se nourrir, se loger dignement, avec accès à la citoyenneté, la convivialité, à l’éducation, à la culture et au sport sont les éléments les plus précieux pour nos vies. La suractivité marchande est-elle indispensable ? La chute drastique de la pollution en Chine – l’épidémie aurait conduit à une réduction de 200 millions de tonnes de rejet de C02 dans la pays -, par l’effet du confinement, fait réfléchir. 1,1 millions de décès en Chine sont dus à la pollution. Pour l’instant, environ 7.000 morts sont à constater à l’échelle mondiale à cause du Covid-19. Il faut arrêter la pandémie du coronavirus. Il faut aussi penser au changement radical indispensable de notre modèle de développement qui privilégie aujourd’hui les intérêts du capital à court terme et dévitalise les biens communs.
J’ai bien conscience que le parti du repli et de l’autoritarisme se croit des ailes dans ce moment de grands troubles. Une réponse néofasciste peut convaincre des esprits gagnés par la peur et si préparés avec la banalisation de l’extrême droite. C’est pourquoi nous devons répondre présent plus que jamais pour argumenter sur le sens des réponses et sur la société à (re)construire. Il y aura un avant et un après le coronavirus. Mettons à profit le temps que nous avons pour réfléchir à l’essentiel. L’intérêt humain.
Clémentine Autain