mise en ligne le 9 octobre 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
C’est “la plus grosse catastrophe sociale en France depuis 40 ans”. Prononcée le 9 septembre, la liquidation de Milee, entreprise de distribution publicitaire, a laissé 10000 salariés sur le carreau. Un mois plus tard, les déboires administratifs s’ajoutent à la précarité, créant des situations sociales dramatiques. Pour contraindre le ministère de l’Economie à réagir, la FILPAC-CGT organisait un rassemblement ce 8 octobre à Bercy.
“Il y a 10 000 licenciés… Mais bon, ici on n’est pas 10 000“. Face au ministère des finances, Marie-Ange Goyard a pris le micro et son courage à deux mains pour témoigner. Salariée de Milee depuis 2016, elle fait partie des rares ex-employés du distributeur d’imprimés publicitaires à avoir pu faire le déplacement jusqu’à Paris.
Ce 8 octobre 2024, seule une centaine de personnes, essentiellement des militants des syndicats CGT affiliés à la FILPAC-CGT (Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication) et des élus sont présents. La jeune femme de 37 ans, venue de Varennes-Sous-Dun (Saône-et-Loire), à 400km de Bercy, a du mal à comprendre : “l’info a peut-être mal circulé ? Les collègues n’avaient pas compris qu’il y avait possibilité de faire du covoiturage ?“
Marasme social
Prononcée le 9 septembre 2024, la liquidation de Milee (ex-Adrexo) est “la plus grosse catastrophe sociale en France depuis 40 ans”, insiste la CGT dans un communiqué du 1er octobre. Mais, paradoxalement, elle se déroule dans un quasi silence médiatique et en l’absence des salariés. Pour combler ce vide, la Filpac-CGT a déployé une grande banderole : “On mérite le respect”, représentant les visages de plusieurs d’entre elles et eux.
Sophie Binet, présente au rassemblement, résume d’une phrase : “Ils ont cru que vous étiez comme les publicités que vous distribuiez : jetables“. Mais la secrétaire générale de la CGT a beau poser des mots forts sur le marasme en cours, ils ne semblent pas à la hauteur de la détresse humaine. C’est que les salariés de Milee sont particulièrement précaires. Leurs contrats au SMIC, assurent souvent des revenus de complément à des femmes seules ou des retraités. “Sur les 10 000 licenciés, 1700 ont plus de 70 ans“, rappelle Jean-Paul-Dessaux de SUD-PTT. “On reçoit des captures d’écran de compte en banque à découvert, avec marqué -600€, -800€…“, poursuit une syndicaliste.
Des sanglots dans la gorge, Marie-Ange Goyard rappelle qu’on est mardi, que le mardi, son conjoint fait la queue aux restos du cœur, pour elle et ses deux enfants. Son travail chez Milee ne leur a jamais assuré un quelconque confort. “J’avais un contrat en CDI de 20 heures, mais pour distribuer tout mon stock de pub, il m’en fallait au moins 35. J’étais payée 900 euros, mais là-dedans, il fallait prendre en compte l’essence, l’usure de la voiture, les heures non payées. Au final, je touchais parfois moins que le RSA. Il y a un documentaire là-dessus“, rappelle-t-elle. “Mais maintenant c’est pire, je ne peux pas m’inscrire au chômage, je ne peux pas retrouver de boulot, la boîte m’envoie voir un psy…à une heure de voiture de chez moi !“, déplore-t-elle.
Agir en urgence
Alors, pour les organisations syndicales, l’urgence est d’abord d’assurer des rentrées d’argent aux salariés. “Dans cette affaire, le respect le plus élémentaire du Code du travail n’est même pas assuré“, souligne Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT chez Milee. Outre des retards réguliers de salaire, le mandataire judiciaire “ne s’estime pas en capacité de produire avant décembre les 10 000 attestations qu’il doit distribuer aux licenciés pour signifier la fin de leur contrat de travail”, explique Mediapart. Dramatique, puisque sans cette attestation, il est à la fois impossible de toucher le chômage et de signer un nouveau contrat de travail.
D’où la volonté de mettre la pression sur Bercy. “Actuellement, il n’y a que deux liquidateurs, il en faudrait au moins 10. Il y a une obligation de moyens qui n’est pas respectée“, ajoute Sébastien Bernard. Parallèlement, la CGT a engagé une bataille aux prud’hommes, moyen supplémentaire de presser le liquidateur et l’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés), qui verse les salaires. “Avec une procédure d’urgence, on peut espérer avoir des résultats au plus tôt d’ici 6 mois. C’est beaucoup trop long et c’est pour cela qu’il est nécessaire d’interpeller Bercy directement. En revanche, aux prud’hommes, nous pourrions contester les licenciement si nous arrivons à prouver qu’il y a une faute du côté des dirigeants. Et c’est loin d’être quelque chose d’impossible“, détaille Alexandra Dupuy, avocate de la FILPAC-CGT, qui va emmener les dossiers de plus de 200 ex-salariés de Milee devant les prud’hommes d’Aix-en-Provence.
La CGT soulève en effet certaines zones d’ombre dans la gestion financière de la holding aixoise Hopps, propriétaire de Milee, détenue par les trois actionnaires Eric Paumier, Guillaume Salabert et Frédéric Pons. “Où sont passés les 600 millions de la revente de Colis privé ?“, questionne Sophie Binet. Côté assemblée nationale, la députée LFI de la Somme Zahia Damdane a posé une question au gouvernement sur le paiement des salariés de Milee le 1er octobre et réitère ce 8 octobre.
Bataille de fond
Entre 2019 et 2023, le marché de l’imprimé publicitaire est passé de 10,4 milliards à 5,7 milliards d’imprimés. Mais alors que la mort du secteur, ou du moins son recalibrage certain, était annoncé de longue date, l’Etat n’a absolument pas anticipé le marasme social. “Il n’y a pas de stratégie de filière“, tance Sophie Binet. Outre les mesures d’urgence, les organisations syndicales tentent donc de porter des revendications de fond.
“Nous aimerions discuter de trois choses. D’abord une soulte pour les salariés de plus de 70 ans, qui leur permettrait une existence décente. Deuxièmement, il faut exiger que La Poste reprenne les salariés de Milee qui le souhaitent, comme elle l’a fait avec les employés de Médiaposte. Enfin il faut discuter de l’ouverture d’un fond de reconversion pour tous les salariés qui souhaiteraient faire autre chose“, soumet Jean-Paul-Dessaux de SUD-PTT. Pour la CGT : “Il s’agit de poser la question de l’avenir des métiers de portage de presse. Nous avons des idées, par exemple, le mutualiser avec la distribution de produits pharmaceutiques“, soumet la secrétaire générale de la CGT.
En attendant, pour parer au plus urgent, la manifestation devant Bercy a fait son petit effet. Les syndicats seront reçus par le directeur de cabinet du ministre de l’économie dans l’après-midi.
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Victime du plus grand plan de licenciement depuis quarante ans, une partie des 10 000 salariés du distributeur de prospectus n’a pas reçu de salaire depuis juillet. Les syndicats et politiques pointent la responsabilité croisée des pouvoirs publics et des actionnaires, et redoutent des drames.
Sous l’impressionnante arche du bâtiment qui accueille le ministère de l’Économie et des Finances, rue de Bercy, les feuilles rougissantes des jeunes arbres côtoient les drapeaux de la Fédération du livre, du papier et des communications (Filpac) de la CGT.
Un gros baffle alimenté par un bruyant groupe électrogène crache une série de tubes dansants qui doivent se frayer un chemin jusqu’aux oreilles des équipes du ministère. Les passants, plongés dans ce camaïeu de rouge aux allures de kermesse, semblent loin de saisir le cauchemar qui lie les travailleurs vêtus de leur chasuble à l’effigie du syndicat.
Car, pour les quelques salariés de l’entreprise Milee, ex-Adrexo, spécialiste de la distribution de prospectus, présents à Paris ce mardi 8 octobre, ce n’est rien de moins qu’un drame qui se joue depuis cet été. Alors que cette société a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Marseille, le 9 septembre, une partie des 10 000 employés qu’elle compte, en majorité des personnes âgées ou à temps partiel, attendent désespérément leurs salaires depuis plusieurs mois.
« On puise dans nos économies en attendant d’être payés »
Nadine1, engoncée dans sa veste couleur crème, observe le rassemblement un peu en retrait, adossée à une rambarde, l’épaule collée contre celle de son mari. Tous deux travaillent pour Milee, respectivement depuis quatre et huit ans, comme préparatrice et distributeur à Nancy.
La liquidation judiciaire de l’entreprise a brusquement interrompu tous les revenus du couple, qui a encore sa plus jeune enfant à charge. « Heureusement, on avait un peu de sous de côté, alors on puise dans nos économies en attendant d’être payés », explique calmement la préparatrice.
La situation est pourtant critique : le dernier salaire perçu par le couple date de juillet, et la situation les a contraints à revoir leurs projets de vie. « Nos économies devaient nous servir à payer notre déménagement très prochainement dans le Sud. Il est maintenant en stand-by », ajoute la Nancéienne.
« Mon homme va nous chercher à manger aux Restos du cœur »
Si Nadine et son mari tentent de faire bonne figure, et assurent dignement que leur frigo « encore plein » ne leur permet pas de se plaindre, certains de leurs collègues peinent à sauver la face. Marie-Ange, salariée à Roanne, laisse couler de nombreuses larmes derrière ses imposantes lunettes, secouée par des sanglots irrépressibles.
Mère de deux enfants, la distributrice, qui n’a pas reçu un centime depuis août, ne sait plus comment subvenir à ses besoins. « Mon homme, comme tous les mardis après-midi maintenant, va nous chercher à manger aux Restos du cœur », hoquette-t-elle.
Avec un salaire de 500 à 600 euros net par mois, son bas de laine est désespérément vide, et son moral au plus bas. « Tout ce qu’Éric Paumier (le directeur général de Milee – NDLR) m’a proposé, c’est un rendez-vous chez un psychologue. J’essaye de relativiser, les salaires seraient a priori bientôt versés par ordre alphabétique, mais c’est dur. On va finir comme les agriculteurs, on va se pendre quelque part », souffle-t-elle accablée.
Des salaires impayés depuis des mois
Contrairement à Marie-Ange, peu de travailleurs présents au rassemblement laissent leur émotion les submerger. Et pour cause : bien que Milee compte 10 100 salariés partout en France, de nombreuses personnes n’ont pas pu se rendre à Paris, faute de ressources.
En effet, une partie des employés concernés par un premier plan de licenciement, acté en juillet, n’ont pas vu l’ombre d’un euro depuis ce mois-là. Les autres, pourtant encore en activité jusqu’à début septembre, n’ont pas été payés depuis août. En cause, la lenteur des cabinets de liquidateurs et du régime de garantie des salaires (AGS).
Ce dernier a pour mission de mener à bien le licenciement des personnels en leur versant leur rémunération, mais aussi leur solde de tout compte et en leur remettant leur attestation employeur, condition sine qua non pour percevoir des indemnités de chômage. Le bruit court qu’il leur faudra attendre novembre, voire décembre pour voir ces tâches effectuées.
« Comment se fait-il qu’on laisse crever les gens comme ça en France ? »
Pour Alexandra Dupuy, avocate de la CGT dans cette procédure, la situation relève du jamais-vu. « Pour comparer, lorsque je me suis occupée des Scopelec, deux cabinets de liquidateurs ont été mandatés pour le licenciement de 2 500 personnes. Aujourd’hui, nous avons le même nombre de liquidateurs, mais pour 10 000 salariés. Alors, évidemment, il n’y a pas assez de moyens pour suivre les dossiers, faire les virements, transmettre les contrats de sécurisation professionnelle à France Travail ! » s’énerve-t-elle, à deux pas du ministère.
Et d’ajouter, en haussant la voix : « Le préjudice est extraordinaire pour les salariés. Comment se fait-il qu’on laisse crever les gens comme ça en France ? » Loin d’être une vue de l’esprit, cette hypothèse funeste est redoutée par les représentants syndicaux de la société de distribution.
« Si les sous ne tombent pas rapidement, on a peur que certains fassent des conneries. On a le cas d’une famille avec huit enfants qui ne peut plus se nourrir. On fait comment alors ? Il faut que les pouvoirs publics agissent », presse Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT chez Milee.
Des choix stratégiques douteux
Avant d’en arriver à ce sinistre résultat, salariés et syndicats espèrent donc que leur présence devant le ministère va faire bouger les lignes. Ou en tout cas qu’elle permettra au gouvernement de saisir l’urgence de la situation et, pourquoi pas, de commencer à dresser la liste des responsabilités.
Puisque, si les fragilités de l’entreprise depuis plusieurs années n’étaient guère un secret de Polichinelle, l’heure est venue de faire les comptes pour les distributeurs lésés. En première ligne, ce sont les choix stratégiques des trois actionnaires repreneurs de Milee en 2017, dont Éric Paumier, directeur général et « serial entrepreneur passionné » selon sa propre description, qui interpellent.
Réunis dans le groupe Hopps, qui a racheté Milee pour un euro symbolique, les trois patrons ont pris, par exemple, la décision de vendre Colis Privé, filiale pourtant génératrice de revenus, pour 600 millions d’euros. Privé de sa vache à lait, Hopps a depuis accumulé les dettes, qui s’élevaient à 73 millions d’euros au 30 mai dernier, lorsque la société a été placée en redressement judiciaire.
Un véritable « drame social »
Bien qu’au bord du gouffre et dans l’incapacité de présenter son bilan comptable de l’année 2022 dans les délais légaux, le groupe Hopps aurait tout de même permis à Éric Paumier de se verser 70 millions d’euros de dividendes en 2023. La direction, à qui une mise en demeure a été adressée, n’a répondu aux salariés que par le silence.
« Le pire a sans doute été l’expérimentation Oui Pub », ajoute Samira Cheurfi, secrétaire fédérale de la CGT Filpac. Cette expérimentation, décidée par la loi et déployée dans 14 territoires, vise à interdire par défaut la distribution d’imprimés publicitaires non adressés pour lutter contre le gaspillage.
« J’avais dit à tout le monde que ce serait un drame social. Mediaposte, le deuxième gros acteur du marché, a réussi à réintégrer une grosse partie de ses salariés (4 700 – NDLR) vers La Poste, mais à Milee, que va-t-il se passer ? » déplore la représentante syndicale.
Plus uniquement une question de droit, mais une question de dignité
Se succédant au micro installé sous un petit barnum noir, rue de Bercy, plusieurs représentants politiques prêchent cette parole. « Il faut donner à La Poste les moyens d’embaucher les Milee », suggère Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, aux côtés de Léon Deffontaines et de députés FI.
Hilona, à moitié cachée par sa grosse écharpe et ses collègues, n’en est pas sûre. « Moi, je ne voudrais pas aller à La Poste, je voudrais complètement changer de métier. J’ai été trop déçue par Milee, par tous les retards de paiement des salaires depuis des années », soupire la préparatrice de Niort.
Elle n’a pas d’enfant à charge, mais un crédit sur le dos qu’elle craint de n’être plus en mesure de rembourser si les liquidateurs mettent trois mois de plus à la payer. Elle, et de nombreuses personnes présentes semblent partager le même avis : trouver une issue rapide à cette impasse n’est plus qu’une question de droit, mais aussi une question de dignité.
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Présente aux côtés des distributeurs de prospectus lésés par Milee, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, met en cause le manque d’anticipation du gouvernement et réclame un arrêt des plans de suppression d’emplois.
Que traduit la situation des salariés de Milee ?
Sophie Binet : La situation à Milee est l’illustration de l’absence de politique industrielle de ce gouvernement, qui prend des décisions sur un coin de table sans se préoccuper de leur impact social, comme cela a été le cas avec Oui Pub (dispositif expérimental visant à réduire la distribution d’imprimés – NDLR). On a besoin d’une vraie stratégie politique et industrielle sur la question de la distribution de la presse parce que, derrière, tout un secteur en pâtit. Au-delà des 10 000 de Milee se pose la question de l’impact sur les imprimeurs, sur le reste de la distribution, d’un possible report de l’activité sur La Poste. Tout ça doit s’organiser.
La situation à Milee est un énorme scandale social pour cette raison, mais aussi parce qu’il s’agit de 10 000 salariés qui n’ont strictement aucun revenu depuis trois mois. Cela fait des années que nous n’avons pas connu un plan social de cette ampleur. Pourtant, ce scandale aurait pu être évité si le gouvernement avait joué son rôle. Mais voilà trois mois que nous n’avons aucun interlocuteur, ni côté patronal ni côté gouvernemental.
Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?
Sophie Binet : On demande au gouvernement trois choses. Premièrement, de garantir le versement des salaires immédiatement, par l’AGS (Agence de garantie des salaires – NDLR). On nous répond qu’il faut à l’AGS quatre mois pour traiter le dossier parce qu’ils ne sont pas assez nombreux, mais ce n’est pas possible de laisser les salariés quatre mois sans aucun revenu. On demande également au gouvernement de faire toute la lumière sur la gestion financière de cette entreprise et sur le scandale que nous pressentons, puisque le groupe Hopps (propriétaire de Milee – NDLR) a revendu Colis privé pour 600 millions d’euros.
Où est passée cette somme ? Où est l’agent du siège ? Enfin, la CGT défend un projet économique et social sur la distribution de la presse, puisque Milee n’est que la partie émergée de l’iceberg. Depuis la fin de Presstalis pendant le Covid, aucun modèle pérenne n’a été trouvé pour la distribution de la presse. Il faut plancher sur un modèle durable et nous avons des idées. La CGT propose de travailler sur des mutualisations et des complémentarités, notamment avec la distribution de produits pharmaceutiques. Ce serait un projet tenable économiquement et écologiquement intéressant.
180 plans de licenciements, dont celui de Milee, sont en cours actuellement, selon la CGT. Que faire pour arrêter cette saignée d’emplois ?
Sophie Binet : La CGT demande un moratoire sur tous les licenciements. On sait que c’est possible puisque cela a été fait pendant le Covid. Il nous faut six mois pendant lesquels on arrêterait les licenciements pour construire des projets alternatifs en mettant autour de la table tous les acteurs possibles, comme la BPI, pour garantir la préservation de l’outil industriel et des qualifications. Nous sommes témoins d’une nouvelle saignée industrielle gravissime dans le pays. L’endiguer est une question essentielle pour notre avenir puisque les qualifications que l’on perd ne seront jamais retrouvées.
mise en ligne le 8 octobre 2024
par Sophie Chapelle sur https://basta.media/
En finir avec des prix devenus fous. Voilà plus d’un mois que les Martiniquais se mobilisent pour l’alignement des prix sur ceux de l’Hexagone. Ils font face à l’opacité des marges de la grande distribution, et au laisser-faire de l’État.
Une même boite d’œufs coûte cinq euros en Martinique contre deux euros dans l’hexagone. Qu’on regarde les prix des pâtes, de la farine, du lait, du beurre ou des fruits, ceux-ci sont deux à cinq fois plus élevés en Martinique qu’en France métropolitaine. L’eau en bouteille, un bien de première nécessité sur cette île qui subit des coupures d’eau régulières, peut atteindre des sommes indécentes : jusqu’à dix euros pour un pack ! L’application Kiprix, lancée par un jeune développeur installé près de Fort-de-France, montre bien ces écarts. En 2023 déjà, un rapport de l’Insee alertait sur des produits alimentaires en Martinique en moyenne 40% plus chers qu’en France métropolitaine !
Une double peine sur cette île où plus d’un-quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. C’est ce que dénonce Rodrigue Petitot notamment sur Tik Tok. Président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), il est l’une des figures de la contestation contre la vie chère en Martinique. Le mouvement est à l’initiative depuis le 1er septembre de blocages de supermarchés et de nombreuses manifestations, malgré les interdictions préfectorales. Il demande l’alignement des prix martiniquais sur ceux de l’Hexagone.
Quinze ans après un mouvement historique
En 2009, un intense mouvement social contre la vie chère avait duré quarante jours en Martinique. La grève générale avait notamment abouti à la création d’un observatoire des prix, à une réforme agraire et à la baisse de 20% des prix sur 2500 produits. « Sauf que 2009 à 2015, on a vu une montée en flèche des prix. Quinze ans après, les prix ne cessent d’augmenter à des proportions injustifiées,dénonce Aude Goussard, secrétaire du RPPRAC sur Youtube. L’observatoire n’a aucune marge de manœuvre pour réguler les prix. Le seul effort depuis 2009 a été fourni par les collectivités pour baisser l’octroi de mer qui sert à financer les collectivités », dit-elle.
L’octroi de mer, créée en 1670 en Martinique, est une taxe qui s’applique aux importations, avec un taux variable selon les produits. Les documents qui répertorient les différents octrois de mer dans les territoires ultramarins font près de 1200 pages ! Cette taxe « représente près d’un tiers des ressources des communes », soulignait en mars dernier le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. Près de la moitié des dépenses de personnel des collectivités en Martinique serait ainsi financé par cette taxe.
Revers de la médaille, l’octroi de mer, conjugué à la TVA, fait gonfler les prix de 7 % en moyenne. « Il faut revoir le système de taxation qui crée des inégalités, mais l’octroi de mer finance aussi directement les collectivités. Et on ne veut pas un affaiblissement de ces dernières, ni des aides sociales », prévient Aude Goussard du RPPRAC.
La grande distribution pointée du doigt
Pour le RPPRAC, c’est davantage du côté des acteurs de la grande distribution qu’il faut regarder. Le mouvement a envoyé un courrier recommandé le 1er juillet aux distributeurs alimentaires de Martinique et au préfet, en pointant leur responsabilité dans les « injustices criantes liées au prix de la consommation », et en exigeant des réponses concrètes dans les deux mois. Les enseignes de distribution, dominées par trois grands groupes – GBH, SAFO et CREO – ont fini par répondre à la dernière minute, le 31 août, en avançant que ces écarts de prix venaient de « contraintes structurelles » comme l’éloignement et le transport par bateau. C’est l’absence de propositions pour baisser les prix, suite à ce courrier, qui a marqué le début de mouvement.
En plus des taxes, les intermédiaires sont nombreux entre le producteur et le distributeur. « Alors qu’ils sont en général au nombre de trois en France hexagonale, en Martinique ils peuvent aller au-delà des quatorze » relève un rapport parlementaire sur le coût de la vie de juillet 2023. Ces intermédiaires facturent chaque étape de traitement de marchandises, prélevant leurs marges à chaque fois, faisant mécaniquement monter les prix.
Selon le rapporteur parlementaire, l’ancien député socialiste Johnny Hajjar, derrière la plupart de ces intermédiaires se trouveraient des entreprises appartenant aux grandes enseignes de distribution martiniquaises. Contactées par l’équipe d’Envoyé spécial, les entreprises ont reconnu posséder des sociétés qui interviennent dans la chaine logistique mais pas à chaque échelon.
Prenons le cas du groupe GBH avec à sa tête Bernard Hayot et son fils Stéphane Hayot. « La famille Hayot contrôle non seulement les grandes surfaces, mais aussi le transport maritime, les entrepôts, et même les conteneurs dans lesquels sont acheminés les produits », relève Jérémy Désir, néopaysan martiniquais dans un article de Reporterre. Cette concentration verticale permet au groupe de se facturer à lui-même chaque étape de la chaîne logistique. Selon le rapport parlementaire, « cette multiplication d’acteurs est un moyen efficace de noyer l’accumulation des marges, tout en justifiant que les marges sont raisonnables prises individuellement ». Le pouvoir économique grandissant entre les mains de quelques grands groupes leur permet également de faire de vastes économies d’échelle.
La question des marges arrières pratiquée par les grands groupes comme GBH est aussi soulevée dans le rapport du député. Elles consistent en une entente légale entre le fournisseur et le distributeur. Lorsqu’un objectif de vente fixé est atteint, le fournisseur cède une partie de sa marge au distributeur, en toute opacité. Comme le note l’enquête parlementaire, « les auditions ont mis en avant l’opposition entre le secret des affaires et le contrôle des prix, des marges et des revenus ». Ainsi, les organismes comme l’Insee ou les observatoires des prix qui demandaient l’accès aux données sur les marges se sont vus opposer le secret des affaires, une loi adoptée en France en mars 2018 (transposée d’une directive européenne), qui crée un droit général au secret pour les entreprises et leur permet potentiellement de traîner devant les tribunaux quiconque porterait à la connaissance du public une information sur leurs activités.
Et l’État dans tout cela ? Il a jusque là fait le choix du laisser-faire. Auditionné en juin 2023 à l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, avait conclu : « Les marges relèvent du secret des affaires. On peut les contrôler, mais pas les rendre publiques. Faisons attention car un excès de transparence risque de mettre en péril l’activité économique. » Or, c’est précisément ce secret des affaires qui sert de paravent à des groupes puissants pour abuser de leurs positions sur le marché de la distribution.
Loin de s’éroder, le mouvement tend à s’élargir, malgré la pression des pouvoirs publics dès les premiers jours, entre couvre-feu et déploiement de la CRS 8. Trois tables-rondes sur la vie chère rassemblant les différentes partie-prenante se sont tenues ces dernières semaines. Elles ont abouti à un premier document de travail avec plusieurs pistes pour baisser les prix, permettre la transparence et renforcer l’autonomie alimentaire. Il a notamment été proposé que l’octroi de mer soit supprimé sur près de 6000 articles de première nécessité. « Nous notons que la grande distribution ne souhaite pas perdre un kopeck et compte beaucoup sur l’État », a déploré Aude Goussard à la sortie de la dernière table ronde. Les négociations doivent reprendre ce lundi 7 octobre.
Ces derniers jours, le RPPRAC a poursuivi les opérations « courses fictives » dans plusieurs enseignes du groupe GBH pour les bloquer. Un appel à la grève illimitée a également été lancé par la Confédération générale du travail de Martinique (CGTM) depuis le 26 septembre. Outre la mise en place d’un contrôle des prix des produits de première nécessité, la CGTM entend poser la question des revalorisations salariales, des pensions de retraite et des minimas sociaux. Alors que les prix n’ont cessé d’augmenter depuis quinze ans, syndicats et mouvement citoyen martiniquais aspirent à inverser le rapport de force.
Théo Bourrieau sur www.humanite.fr
Depuis plus d’un mois, un important mouvement contre la vie chère a été lancé par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens en Martinique. Lundi 7 octobre, des policiers ont tenté de déloger des manifestants qui menaient une action sur un rond-point du Lamentin. Cinq personnes ont été interpellées et au moins quatre blessées. Selon la préfecture, onze policiers ont également été blessés.
La réponse du gouvernement et de la préfecture de Martinique aux mouvements contre la vie chère semble toujours être la répression. Lundi 7 octobre au matin, le rond-point de Mahault, dans la commune du Lamentin, à une dizaine de kilomètres de Fort de France, est bloqué par des manifestants. Quelques heures plus tard, la préfecture envoie la désormais bien connue CRS8, spécialisée dans les « violences urbaines », qui s’est notamment illustrée pendant l’opération Wuambushu à Mayotte, ou dans de nombreuses manifestations en métropole, notamment pendant la réforme des retraites.
Une « répression policière » contre « des Martiniquais pacifiques »
La mission de la Compagnies républicaine de sécurité 8 : débloquer le rond-point, quitte à faire usage de la force. Des vidéos d’affrontements, ainsi que du président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) ensanglanté, ont fait le tour des réseaux sociaux. Dans un communiqué, l’association dénonce « avec la plus grande fermeté la répression policière exercée dans la commune du Lamentin contre des Martiniquais pacifiques qui, depuis 38 jours, se mobilisent contre la vie chère en Outre-Mer ».
« Nous ne tolérerons jamais l’usage de tirs de type LBD visant le visage et le cou des manifestants dans nos rues », ajoute les auteurs du communiqué. Au cours de ces affrontements, Rodrigue Petitot, dit le R, président du RPPRAC, a « été pourchassé et blessé à la main et à la jambe », affirme l’association, ajoutant qu’à sa connaissance, « deux militants ont également été tabassés et placés en garde à vue », et qu’une riveraine « a fait un malaise » à cause du gaz lacrymogène. Dans une autre vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, on y voit Aude Goussard, trésorière de l’association, violemment repoussée par un CRS.
Selon la préfecture, onze policiers, notamment victimes de jets de pierre, ont aussi été blessés. « Face à de tels comportements, les forces de sécurité intérieure ont fait usage de la force, dispersé l’attroupement et procédé à l’interpellation de 5 individus », écrit le préfet de Martinique Jean-Christophe Bouvier dans un communiqué. Alors que la tension semblait être redescendue au cours de la journée de lundi, plusieurs véhicules en feu ont été signalés à Fort de France et un barrage enflammé aurait également été érigé au Lamentin, selon les informations du média France-Antilles Martinique.
Depuis le début du mois de septembre, un important mouvement contre la vie chère a été lancé, notamment par le RPPRAC. Selon l’Insee, les prix à la consommation en Martinique sont en moyenne plus élevés de 14 % que dans l’Hexagone. Pour la nourriture, cette différence atteint 40 %. Dépendante à 80 % des importations, l’île souffre d’une situation de quasi-monopole des distributeurs et des transporteurs. En Martinique, 44 300 ménages vivent sous le seuil de pauvreté. Soit 27 % de la population, et le mouvement contre la vie chère traverse différentes couches de la société. Quatre tables rondes ont été organisées par les autorités depuis le début de la crise, sans issue satisfaisante pour les protestataires. Une cinquième table ronde, qui devait se tenir lundi 7 octobre, a été repoussée sine die.
mise en ligne le 5 octobre 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
En cette rentrée syndicale, Rapports de force a souhaité questionner la fonction de la grève et de la lutte syndicale. A quoi sert une journée d’action ? Pourquoi la grève est-elle si dure à faire prendre ? Doit-on miser sur les unions locales ou les fédérations ? Faut-il compter sur les permanents ? Entretien avec le sociologue Baptiste Giraud, auteur du livre Réapprendre à faire grève.
Baptiste Giraud, maître de conférences en sciences politiques à l’université d’Aix-Marseille et membre du laboratoire LEST (Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail), est l’auteur de l’ouvrage Réapprendre à faire grève (PUF 2024). Entre 2005 et 2007, il a mené une enquête ethnographique au sein de l’Unions syndicale (US) CGT du commerce et des services de Paris. Son ouvrage est inspiré de sa thèse Faire la grève. Les conditions d’appropriation de la grève dans les conflits du travail en France, parue en 2009.
Ce 1er octobre, une intersyndicale (Solidaires, CGT, FSU) appelle à la grève sur le thème des retraites, de l’augmentation des salaires et des services publics. Or l’organisation d’une simple journée d’action, très ritualisée, ne semble pas permettre de faire reculer le gouvernement et le patronat. Pourquoi les syndicats maintiennent-ils malgré tout le principe des journées d’actions isolées ?
Baptiste Giraud : C’est un fait, le mouvement syndical a bien du mal à enrayer les réformes néolibérales depuis 20 ans. Malgré tout, la CGT maintient cette habitude des journées d’action. Dans ce contexte, il est légitime de se poser la question de leur utilité. Selon moi, il y a un triple espoir.
D’abord, créer un événement médiatique et politique. Le 1er octobre, malgré tout, on en parle. Les syndicats font exister leurs revendications dans l’espace médiatique et politique : la question salariale, celle du travail de manière plus large. Ce n’est pas rien dans la période.
Deuxièmement, c’est aussi un moyen de faire vivre l’organisation. C’est un temps qui permet de rassembler des militants qui, sinon, seraient largement absorbés par l’exercice de leur mandat d’entreprise. Je le détaille dans mon livre : le temps de préparation de l’action a parfois plus d’importance que l’action elle-même. C’est l’occasion de maintenir des réseaux militants, de réactiver des sections parfois dormantes, de créer de nouvelles solidarités, de sortir du quotidien…
Troisième point : une journée d’action peut-être un point d’appui dans les entreprises où les syndicats sont en capacité d’initier une immobilisation forte. C’est un effet pervers, mais n’oublions pas qu’en 2023 les syndicats ont obtenu des compromis locaux dans la pétrochimie, dans des entreprises du transport etc. C’est pour ça qu’il faut toujours se méfier de la manière dont on évalue les retombées d’une journée d’action. Tout ne se voit pas à l’échelle interprofessionnelle.
Si l’on s’accorde sur l’impossibilité de contrecarrer le gouvernement et le patronat par une simple journée d’action, ne faut-il pas que les syndicats, et notamment la CGT, élèvent le rapport de force et tentent d’initier des grèves reconductibles, en capacité de peser sur l’économie ?
Baptiste Giraud : Il faut d’abord rappeler que le syndicalisme français ne va pas bien. Il y a une nouvelle érosion du taux de syndicalisation. Alors que ce taux s’était stabilisé autour des 11% dans les années 90 et 2000, on est revenu à 10% en 2019. De plus, les adhérents participent de manière beaucoup plus limitée qu’auparavant à l’activité de leur syndicat. Ces derniers reposent sur le dévouement, l’abnégation, d’une poignée de militants qui cumulent les responsabilités. On a de plus en plus à faire à des syndicats de mandatés.
Enfin, il a de gros trous dans la raquette. Les grèves se concentrent dans certaines grandes entreprises ou dans la fonction publique et les syndicats sont absents de 4 entreprises sur 10. L’implantation syndicale est très fragile dans les secteurs les plus exploités du prolétariat, notamment ceux qui sont au cœur de mon ouvrage : les ouvriers et employés du commerce des services.
Aujourd’hui, je pense que ce qu’il ne faut pas occulter lorsqu’on débat des stratégies syndicales, c’est à quel point les directions syndicales sont contraintes par leurs faibles moyens. De plus, dans la direction de la CGT, une idée est très fortement intériorisée : appeler à des mots d’ordre plus volontaristes, plus radicaux, comme la grève reconductible, c’est s’exposer au risque de les voir échouer. Or un tel échec est vu comme un réel vecteur de démoralisation militante et de marginalisation du syndicat.
Comment expliquer que, malgré une précarité et une colère sociale croissante, les grèves ne fassent pas le plein ?
Baptiste Giraud : Il ne faut pas sous-estimer les difficultés à entrer dans la grève, surtout de manière prolongée, et le niveau de résignation. D’ailleurs, il y a un décalage entre les moyens que la CGT peut réellement mettre à disposition pour rendre la grève possible et la rhétorique de la grève, qui est abondante dans les congrès par exemple. Dans quantité d’entreprises, les militants CGT opèrent une nette séparation entre ce qui relève du champ de l’activité syndicale et ce qui relève de l’activité politique et gouvernementale, comme la réforme des retraites. De plus, même parmi eux, il n’y a pas forcément consensus sur la nécessité de s’opposer à ces réformes. Dans mon livre, je montre toutes les frictions que peut susciter la rencontre entre des militants très attachés à la pratique de la grève, qui en font une modalité centrale de l’action syndicale, et des salariés, voire des militants, qui en sont très éloignés.
Pour les militants de l’US CGT commerce et services de Paris, que j’ai suivis, comme pour de nombreux salariés des nouveaux secteurs de l’économie capitaliste, le recours à la grève et à la manifestation ne va pas du tout de soi. C’est une modalité d’action qu’ils n’ont généralement jamais eu l’occasion d’expérimenter, souvent parce qu’ils n’ont pas pas eu d’expérience militante antérieure au syndicalisme.
C’est pourquoi certains participent aux grandes manifestations sans se mettre en grève, mais en utilisant leurs heures de délégation. Ils montrent ainsi que la section, ou le syndicat, est mobilisé, mais sans forcément chercher à entraîner les salariés avec eux. C’est une manière de marquer une adhésion au mot d’ordre de la mobilisation, mais aussi l’aveu de leur difficulté à s’y rallier de manière plus collective. D’ailleurs, on l’a bien vu pendant la bataille contre la réforme des retraites en 2023, la première modalité d’action pour les salariés reste la participation à la manifestation plutôt que l’engagement dans la grève.
Pour les permanents, c’est très clair. Ils disent d’un côté : “dans nos secteurs, la grève reste la modalité d’action la plus adaptée pour créer le rapport de force nécessaire face à l’employeur”. D’un autre : “il nous faut constamment nous adapter à ce que sont nos militants, à ce qu’ils veulent et peuvent faire”.
Si la seule réponse qui est apportée aux militants qui viennent solliciter l’aide des permanents, c’est tout de suite la stratégie de la grève, ça en éloigne beaucoup du syndicalisme, parce que ça les effraie. Pour les permanents, le plus important reste d’abord de les intégrer au syndicat pour leur transmettre des manières de penser et d’agir, pour montrer l’utilité de l’action collective. A partir de là, il peut y avoir une forme d’acculturation progressive, un apprentissage de la grève.
Mais vous montrez aussi que lorsqu’une grève se déclenche, notamment dans un conflit long, cela peut modifier durablement le rapport d’un salarié à son entreprise. Vous parlez alors de la grève comme d’un “moment d’émancipation”.
Baptiste Giraud : Dans le commerce et les services, les salariés sont souvent peu qualifiés, immigrés ou d’origine immigrée, et considérés par le patronat comme interchangeables. On observe dans ce secteur des formes d’autoritarisme patronales très violentes. La grève est alors l’occasion pour les salariés de s’émanciper et de renverser, au moins un temps, l’emprise du patron. Au début de certaines grèves que j’ai pu observer, il règne une certaine forme d’euphorie chez les salariés, liée à un soulagement et à un immense plaisir d’avoir osé défier ouvertement la direction.
Alors qu’ils exercent dans des professions très dévalorisées, c’est aussi le moyen pour eux de montrer l’utilité de leur travail. Sur le moyen terme, ces grèves rééquilibrent les rapports de force au sein de l’entreprise. Mais, à l’inverse, j’ai aussi suivi un conflit long dans un entrepôt où la grève s’est étirée et où elle a été très difficile à tenir pour les salariés. A la fin, les résultats ont été très limités. Ce n’est pas une expérience de la grève qui incite à renouveler l’expérience.
C’est pourquoi, du côté des permanents, on essaie aussi de valoriser les gains moraux, la dignité retrouvée face à l’employeur. Et ça je pense que c’est une dimension excessivement importante. En revanche, le “rendement militant” de la grève dans ce secteur peut paraître plus limité. Les grévistes ne rejoignent pas forcément le syndicat, et même lorsqu’ils le font, il est probable qu’on finisse par les perdre de vue lorsqu’ils changent d’entreprises. Or cela arrive très régulièrement. C’est pour cela que, parfois, les syndicalistes qui tentent de structurer ses secteurs ont le sentiment de tenter de reboucher un puits sans fond.
Vous montrez que la sociologie et la politisation des permanents de la CGT varie selon certains critères. Lesquels ? Comment cela influence-t-il le rapport à la grève de ces militants ?
Baptiste Giraud : On repère nettement la distance politique et sociale qui sépare les permanents des Unions Locales (UL) de la CGT de ceux des entreprises du commerce et des services et des nouveaux secteurs de l’économie capitaliste. Les raisons de leur engagement dans le syndicalisme sont très différentes. Dans les UL, on retrouve beaucoup de militants qui ont une conception très politique du syndicalisme. Souvent, ce sont d’anciens ou d’actuels adhérents à une organisation politique. C’est cohérent : c’est dans les UL qu’ils trouvent du sens et du plaisir à se consacrer à une action syndicale qui n’est pas strictement corporative. Leur objectif est bien de créer des mobilisations et des solidarités militantes à l’échelle interprofessionnelle. Or, quand on regarde la sociologie des militants syndicaux d’entreprise, d’autant plus lorsqu’ils sont issus des classes populaires, la part des militants qui sont passés ou qui adhèrent encore à un parti politique décline fortement.
Au passage, c’est tout à l’honneur des syndicats que de rester l’un des rares espaces d’engagement qui permet l’organisation et la promotion de porte-paroles issus des classes populaires. Si on regarde la sociologie des militants syndicaux par rapport à celle des militants politiques, il y a vraiment un énorme écart. Les classes populaires ont déserté les partis politiques, ou plutôt, pourrait-on dire, les partis les ont abandonnées.
Le corollaire c’est qu’il y a, dans les entreprises, beaucoup de militants pour lesquels l’engagement syndical est vraiment déconnecté de tout engagement politique. Ils s’engagent souvent dans le syndicat à la suite d’un rapport conflictuel avec leur patron, dans le but de faire respecter la loi face à des abus. Ils ont souvent une démarche portée avant tout sur le légal.
On peut ajouter qu’ils n’ont pas forcément le temps de devenir des militants plus politiques. La décentralisation de la négociation collective et le renforcement du “dialogue social”, à défaut de produire des résultats, occupent pleinement leur mandat. De plus, dans les secteurs où les salariés sont généralement peu diplômés, il y a un véritable coût d’entrée dans la fonction de représentation syndicale. Il faut se former au droit, à l’économie… C’est un défi d’autant plus grand à relever que ces militants ont face à eux des patrons, parfois des DRH, bien plus diplômés qu’eux, spécialisés dans leur domaine, et qui leur opposent tout le mépris de classe possible.
Enfin, dans les petites entreprises du commerce, ils doivent composer avec les ressources militantes très limitées et l’autoritarisme patronal. La conséquence, c’est que le militantisme syndical se replie alors presque exclusivement sur ceux qui ont des mandats et donc le statut de salarié protégé.
Pour tenter de renforcer les secteurs les plus fragiles, et les moins en capacité de faire grève, ne faut-il pas utiliser les ressources des structures les plus pourvues de la CGT ?
Baptiste Giraud : Cette idée est un serpent de mer à l’intérieur de la CGT. Tout le monde voit bien qu’il y a un décalage dans la distribution des ressources à l’intérieur de l’organisation. Les composantes les plus richement dotées en argent et en permanence, ce sont les fédérations. Elles bénéficient de beaucoup de ressources liées au paritarisme et sont aussi en lien direct avec leurs syndicats.
La CGT a une culture d’organisation qui valorise beaucoup l’autonomie des structures. La direction confédérale dirige assez peu de choses, elle doit surtout s’efforcer de trouver des terrains d’entente entre les fédérations, notamment les plus dotées. L’effet pervers de cette organisation, c’est qu’elle limite la redistribution. La chimie, l’énergie, la SNCF, la fonction publique… ont beaucoup de ressources à la fois parce qu’elles ont davantage de militants, donc plus de rentrées de cotisations, mais aussi parce qu’elles ont une très longue histoire syndicale et qu’elles ont pu, par le passé, négocier des accords de droits syndicaux. Elles ont beaucoup de salariés mis à disposition, beaucoup de permanents. Cela n’existe pas du tout dans les nouveaux secteurs du prolétariat. Dans le commerce, la simple création d’une section syndicale est souvent l’objet de conflits dans l’entreprise. On est encore bien loin de passer des accords de droits syndicaux.
La réflexion sur le fait d’utiliser les ressources des grosses fédérations pour développer les secteurs les moins bien dotés paraît donc légitime. La CGT pourrait ainsi, par exemple, renforcer ses unions locales. Il faut rappeler qu’à l’heure actuelle, dans le meilleur des cas, il y a un seul permanent par UL. Et il n’est pas rare qu’il n’y en ait pas du tout et que ce soit un militant, généralement retraité, généralement issu du secteur public ou des grandes entreprises, qui assume la tâche. Or, seul, il ne peut pas faire autre chose que ce que j’appelle du “syndicalisme de pompier” : accueillir les salariés ou les adhérents isolés, les aider dans les procédures prud’hommes, les aider à organiser des élections professionnelles… C’est autant de temps qui n’est pas du tout disponible pour la dimension plus politique de leur rôle.
Alors, utiliser les ressources des grosses fédérations pour renforcer les UL, je pense que, théoriquement, tout le monde voit bien le l’enjeu. Mais il faut souligner que la question se pose à un moment où les grosses fédérations sont aussi percutées de plein fouet par les grosses restructurations liées à la libéralisation (du rail, de l’énergie etc). Si on se met à la place des dirigeants de ces fédérations, ils peuvent logiquement dire : “ce n’est pas le moment de nous affaiblir en interne”.
Une autre option ne consisterait-elle pas à penser des syndicats d’industrie locaux, qui regrouperaient tous les travailleurs d’une même convention collective sur un même territoire ?
Baptiste Giraud : Pour en avoir discuté avec elle, Sophie Binet a vraiment ça en tête. Je pense, et c’est un point de vue personnel, que ce serait intéressant. Cela permettrait d’éviter plusieurs écueils. D’abord, l’enfermement dans un syndicalisme d’entreprise. Aujourd’hui les syndicats d’entreprise forts sont très autonomes vis-à-vis de leur fédérations et plus encore de leurs unions locales. C’est d’ailleurs le syndicat lui-même qui choisit son délégué, sans aucun contrôle politique. Deuxième avantage, cela permettrait d’éviter la masse des adhérents isolés, qui ne sont rattachés à aucun syndicat d’entreprise. Enfin, on pourrait arrêter avec les syndicats très faibles, constitués de 2 ou 3 militants. On ne fait rien avec si peu de militants. A la place, on adhère au syndicat, par exemple de la logistique, de son territoire et, même si on change d’entreprise, on y reste affilié.
Mais ce n’est pas une mince affaire. Il y a une espèce de sacralisation du syndicat d’entreprise à la CGT parce que ses statuts, son organisation interne ont aussi été pensés dans un contexte où le tissu productif reposait sur les syndicats des grandes entreprises. C’était aussi une époque où la CGT était ultra politisée et fonctionnait du haut vers le bas. Aujourd’hui, ces dimensions là ont totalement disparu pour des raisons indépendantes de la volonté des directions syndicales, mais le frein idéologique reste. Bernard Thibault avait d’ailleurs proposé de modifier les statuts de la CGT pour obtenir que les syndicats d’entreprises ne puissent pas être montés en dessous de 10 adhérents. Il a dû renoncer, alors que ça paraissait juste une évidence.
Votre livre se concentre beaucoup sur le travail des permanents pour développer le syndicalisme et la grève. Mais ne craignez-vous pas que des personnes qui n’exercent plus réellement leur métier et vivent du syndicalisme perdent de vue leurs objectifs politiques et se concentrent finalement sur la conservation de leur poste ou les intérêts de leur structure ? Autrement dit : à trop compter sur les permanents, n’y a-t-il pas un risque de bureaucratisation du syndicat ?
Baptiste Giraud : Le terme de “bureaucratisation” aide à penser la professionnalisation du syndicalisme et les effets pervers qu’elle peut entraîner. Effectivement, on peut craindre que la défense des intérêts de l’organisation par un permanent, ou de sa propre carrière dans le syndicat, interfère avec l’organisation de la lutte. Tout cela est très vrai. D’un autre côté, cette catégorie est tellement fourre-tout qu’elle recouvre des réalités très variables. Les permanents de l’US que j’ai suivis peuvent être rangés parmi les professionnels du syndicalisme, “les bureaucrates”. Mais je peux vous dire qu’ils ne passent pas beaucoup de temps dans les bureaux et sont constamment sur le terrain, à former les militants et à organiser des luttes.
Il ne faut pas perdre de vue, et c’est une particularité du syndicalisme français, que les permanents, pour l’immense majorité d’entre eux, sont d’anciens militants d’entreprises. Ils ont une grande expérience de l’action syndicale, y compris dans sa dimension mobilisatrice. Ce n’est pas un modèle majoritaire en Europe, où les syndicalistes sont davantage recrutés sur la base de leurs diplômes, parce que leur rôle consiste d’abord à représenter le syndicat dans les négociations avec les employeurs.
C’est mon avis, mais je pense qu’une organisation syndicale de la taille et de l’ambition de la CGT ne peut pas exister sans permanent. Si toute action revendicative relève simplement de la bonne volonté des militants, on touche vite à des limites. En revanche, avoir un débat en interne sur : “à quoi peuvent servir les permanents?” et “est-ce que les permanents doivent à ce point être absorbés par l’institutionnel”, peut-être pertinent. Pour ma part, je pense que les syndicats devraient œuvrer à faire reconnaître des droits syndicaux interprofessionnels. C’est-à-dire le droit à disposer de permanents sur les territoires qui ne seraient pas destinés à siéger dans les instances du “dialogue social”, mais dont la fonction reconnue et légitime serait d’organiser les salariés.
mise en ligne le 2 octobre 2024
sur https://www.cgt.fr/
Ce mardi 1er octobre, à l’appel de la CGT, de la FSU, de Solidaires et des organisations de jeunesse, ce sont plus de 170 000 personnes qui ont défilé dans 190 villes de France pour exiger des augmentations de salaire et de pension, l’abandon de la réforme de l’assurance chômage, l’abrogation de la réforme des retraites et le financement de nos services publics.
De nombreux débrayages ont eu lieu dans les Ehpad, les hôpitaux, les services, l’industrie comme à Vencorex (Isère) et des milliers d’écoles ont vu leur fonctionnement perturbé par la grève. À l’appel de la FERPA, les retraité·es étaient largement mobilisé·es.
Gouvernement et patronat contraints à de premiers reculs
La mobilisation a forcé le Premier ministre à reconnaitre l’échec de la politique économique sociale et environnementale d’Emmanuel Macron et à annoncer :
l’augmentation du Smic de 2%, au 1er novembre, et la remise en cause d’une partie des exonérations de cotisations sociales en reconnaissant qu’elles représentent des trappes à bas salaire. La CGT demande qu’une nouvelle augmentation du Smic ait lieu en janvier et qu’elle soit suivie d’une augmentation du point d’indice dans la fonction publique et de l’augmentation de l’ensemble des salaires dans le privé ;
l’enterrement de la violente réforme de l’assurance chômage et la relance d’une négociation. C’est une grande victoire intersyndicale qui va éviter à 1 million de privé·es d’emploi de tomber dans l’extrême précarité ;
l’abandon du projet de réforme constitutionnelle de la Nouvelle Calédonie alors que l’acharnement du président de la République a ruiné l’économie du territoire et causé 13 morts.
Le Premier ministre a également effectué un recadrage salutaire de son ministre de l’Intérieur en rappelant son attachement à l’État de droit et son intransigeance face au racisme et à l’antisémitisme. Cela doit maintenant se traduire en actes concrets pour faire reculer l’Extrême droite et ses idées.
Un changement de méthode démocratique qui doit commencer par les retraites
Le Premier ministre a annoncé son souhait de redonner la main au parlement, aux acteurs sociaux et aux citoyen·nes Il doit donc s’engager à respecter
le vote des députés qui sont une majorité à être favorables à l’abrogation de la réforme des retraites.
L’ouverture d’un chantier pour « corriger la réforme des retraites » constitue, après 18 mois de déni et de passage en force présidentiel, une première reconnaissance de la violence de cette réforme.
La CGT appelle le Premier ministre à abroger la réforme et à organiser une conférence de financement de nos retraites.
Services publics : la mobilisation s’impose contre l’austérité
Sur l’essentiel et notamment sur le futur budget, le discours du Premier ministre est resté très flou. La priorité annoncée pour l’école, la santé et la petite enfance doit se traduire par un investissement budgétaire massif. Sur ce point, le Premier ministre n’a pris aucun engagement. Pire, il a dénoncé le niveau de la dépense publique. La vigilance et la mobilisation s’imposent pour empêcher une violente politique d’austérité. La grave paupérisation de nos hôpitaux, de nos écoles et de nos infrastructures impose un plan de financement ambitieux, pour répondre aux enjeux d’avenir, au défi environnemental, au vieillissement de la population et au désenclavement de nos territoires. De même, en matière d’industrie où, alors que la CGT lui a remis la liste des 170 plans de licenciements détruisant 100 000 emplois, le Premier ministre n’a fait aucune annonce concrète. Rien non plus sur la nécessaire augmentation des pensions des retraité·es.
La CGT appelle les salarié·es et les retraité·es à continuer à multiplier les luttes pour garder la main et gagner l’augmentation des salaires et des pensions, l’abrogation de la réforme des retraites, le financement de nos services publics et la relance de notre industrie.
Montreuil, le 1er octobre 2024
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Entre 2 000 et 2 500 personnes ont battu le pavé à Montpellier ce premier octobre à l’appel de la CGT pour demander une augmentation des salaires et des pensions, mais aussi et surtout contre le nouveau gouvernement nommé par Michel Barnier
“La situation est dramatique”, Serge Ragazzacci, secrétaire de la CGT dans l’Hérault : “Michel Barnier est un homme de l’ancien monde, issu d’un groupe ultra minoritaire à l’Assemblée nationale et un gouvernement qui se retrouve complètement dépendant de l’extrême droite”, scande-t-il à la fin de la manifestation du 1er octobre à Montpellier pour la hausse des salaires et des pensions, qui a défilé du parc du Peyrou à la Comédie.
Pour le secrétaire départemental de l’Hérault, qui avait appelé à soutenir la candidature du Nouveau Front Populaire aux législatives en juin dernier, le discours habituellement purement syndical se teinte d’un réquisitoire plus politique que jamais : “Cette politique est éloignée du choix citoyen qui a été fait le 1er et 7 juillet dernier, fait par des gens qui ont parfois voté pour des candidats loin de leurs idées politiques. Ce vote montrait un refus de voir l’extrême-droite accéder au pouvoir et un refus de la réforme des retraites contre laquelle on s’est battu. Les retraites ont été le sujet principal de cette campagne, nous demandons toujours son abrogation.”
La jeunesse et les retraités mobilisés
Derrière le cortège syndical, un cortège étudiant dynamique et enjoué, parti depuis l’université Paul-Valéry, martèle : “La jeunesse emmerde le front national !” Livia Jampy, co-porte-parole du Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier (SCUM) et par ailleurs membre des Jeunes Insoumis de Montpellier explique les raisons de leur mobilisation : “Le SCUM est mobilisé aux côtés de l’intersyndicale depuis la réforme des retraites. Avec ce nouveau gouvernement, les attaques contre les étudiants vont continuer : notre ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Patrick Hetzel, avait proposé, quand il était député, la création d’une commission d’enquête sur l’entrisme idéologique et les dérives islamo-gauchistes à la fac, on sait bien qu’il va pas instaurer les repas du CROUS à un euro pour tous ou initier la création de logements étudiants, donc il faut qu’on soit mobilisé.”
Plus calme, le cortège des retraités marche juste derrière. François militant de la CGT-retraités de l’Hérault, est lui aussi en colère contre le nouveau gouvernement, qui “tend vers l’extrême-droite.” “C’est symbolique de défiler le jour du discours de politique générale. Ils prévoient 25 milliards d’euros d’économies, on a peur de la suppression de l’indexation des pensions sur l’inflation.” Lui et ses camarades demandent le SMIC à 2 000 euros et “pas de retraites en dessous du SMIC”. A 2 000 euros, donc. “Mais le problème de cette journée, c’est qu’il n’y a pas de perspectives, il faudrait une grève générale…”, souffle-t-il.
Un cortège du Nouveau Front Populaire
Des perspectives, certains dans la manifestations en ont, et elles sont plus politiques que syndicales. C’est le cas des militants du local militant la Carmagnole, implanté dans le quartier Figuerolles, qui ont appelé à la création de “comités NFP” partout dans le département. Francis Viguier, l’un des piliers de ce local militant, explique : “Ces comités sont là pour que les citoyens s’organisent par la base. Le NFP est un outil indispensable pour lutter contre l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National, il faut que les gens s’emparent du programme, et le défendent, notamment sur la question de la retraite à 60 ans ou de la hausse du SMIC.” Une réunion des comités NFP a d’ailleurs lieu ce mardi 1er octobre à 18 h 30 à la Carmagnole.
Outre les partis de l’alliance de gauche (La France Insoumise, EELV, le Parti Communiste), on retrouve dans ce cortège des syndicalistes, comme Yann, militant syndical du SNESUP, venu avec le drapeau de son syndicat. “On n’est plus dans les revendications syndicales, car la question est plus politique que syndicale. Et le NFP reprend des revendications syndicales qu’on a depuis longtemps, comme par exemple la retraite à 60 ans.” Lui même impliqué dans le comité NFP du Pic-Saint-Loup, il remarque que si il y a une volonté d’impliquer les syndicats dans ces comités, les syndicalistes les rejoignent à titre individuel pour ne pas engager toute leur fédération.
Début septembre, Le Poing écrivait : “La capacité de mobilisation et de politisation du NFP, ou plutôt, de LFI pour l’essentiel, ne s’épanouit que lors des périodes électorales. Et la gauche a beau dénoncer, avec justesse, des élections volées, c’est aussi un formidable aveu de faiblesse. En somme, Emmanuel Macron leur dit « et maintenant, vous allez faire quoi ? » Et la gauche de répondre : « Eh bien, rendez-vous aux prochaines élections. »”
Peut-on vraiment attendre quelques choses des urnes ? C’est la question à laquelle nous tenterons de répondre dans un débat organisé par Le Poing le 12 octobre au Quartier Généreux, venez nombreux !
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr
Près de 170 000 manifestants selon les syndicats (95 000 selon l’Intérieur) ont défilé mardi 1er octobre à l’appel de la CGT, FSU et Solidaires et d’organisations lycéennes et étudiantes. Dans les rangs des différents secteurs en lutte, l’amertume et la lassitude autour de la nomination du gouvernement Barnier côtoie la détermination à rassembler les forces vives pour les mois à venir.
Au milieu des habitués des manifestations, des professionnels de secteurs en lutte depuis de longs mois, ou de celles et ceux qui n’ont pas manqué un rendez-vous contre la réforme des retraites, Sophie et Patricia font figure d’exception. Cette manifestation du 1er octobre est la première de toute leur carrière d’infirmières. Pour l’occasion, elles ont revêtu leur blouse blanche. C’est que cette fois, « il y a un ras-le-bol », résume Patricia, infirmière depuis plus de vingt ans.
En un an, le nombre de lits a été divisé par deux dans leur service d’un hôpital de l’est parisien. « Alors que l’on était censé améliorer la prise en charge des patients en soin palliatifs, on est passé de 10 lits à 5 », détaille Sophie, sa collègue. « Et de 6 infirmières de jour à 4… Tout en nous demandant d’intervenir aussi dans d’autres services. On nous demande d’être polyvalents, pour moins recruter ensuite ».
Sur fond de cette année de restrictions, la nomination du nouveau gouvernement de Michel Barnier a été la goutte de trop. « Ils veulent réduire notre budget, en embauchant moins de fonctionnaires. Cela va encore tout aggraver », craint Sophie. Une première mobilisation qui en annonce d’autres, donc, pour ces deux infirmières ? Rien n’est moins sûr. Car il n’y a qu’une seule issue, selon elles : « partir de l’hôpital », lâchent-elles en chœur, visages las. Patricia envisage une activité de réflexologue et massothérapeute en auto-entrepreneuse. Sophie, elle, songe à basculer dans le libéral, à domicile. « Une infirmière à l’hôpital, elle reste en moyenne sept ans avant de partir », rappelle cette dernière, elle-même en bout de course après sept ans d’expérience.
Loin devant ces deux infirmières, Roberta* marche seule, le pas décidé, remontant petit à petit la foule. Cette directrice de crèche, elle, a de l’énergie combative à revendre pour les mois à venir. « Où sont mes collègues ? On devrait être plus nombreux ! », tance la manifestante. Elle tient haut une pancarte pleine de couleurs sur laquelle il est écrit : « J’aime mon boulot mais : + d’euros, + de pros = – de bobos ». Ce n’est pas pour elle-même qu’elle a rejoint cette manifestation du 1er octobre – son poste de direction, elle l’adore – ; mais bien pour ses salariées. « Je suis là pour les représenter », insiste-t-elle. « Mes équipes sont épuisées. Par contre elles sont hyper motivées, c’est ce qui est paradoxal. Elles sont là pour les enfants, même si le salaire ne suit pas. On leur demande sans cesse des heures supplémentaires. Alors que c’est un métier difficile physiquement, psychologiquement, avec beaucoup de responsabilité. »
« Mieux faire circuler l’information sur les mobilisations »
Roberta dirige deux micro-crèches. Dans ces structures, le taux d’encadrement est d’une professionnelle pour six enfants de dix mois à 3 ans. « Est-ce normal d’assurer la sécurité émotionnelle, physique, les repas, les soins, de six enfants, en étant toute seule ? En plus, en faisant du ménage – comme on leur demande en micro-crèche ? », déplore Roberta. Les débuts de négociations avec le ministère obtenus par la lutte des professionnelles du secteur, l’an dernier, n’ont pas été satisfaisants à ses yeux. Quant au nouveau gouvernement : « on va dans une très mauvaise direction. Je crains que rien ne bouge, que les salaires ne soient toujours pas revalorisés ».
Alors, la directrice a elle-même fait circuler l’information sur la manifestation du 1er octobre dans son établissement. Ses salariées se sont mises en grève, et la micro-crèche a fermé, précise Roberta en souriant. « Les filles, souvent, ne sont même pas au courant des dates de mobilisation. C’est qu’on manque aussi de syndicats : certains grands groupes privés ont réussi à scinder les micro-crèches pour qu’il n’y ait pas de représentant du personnel », décrit-elle. La priorité pour renforcer la dynamique dans les mois qui viennent ? « Il faut un gros travail de communication pour mieux faire circuler l’information sur les mobilisations. Et renforcer la présence des syndicats », encourage Roberta.
Mouvement social contre le durcissement de la politique migratoire
Discrets, une poignée de salariés de l’Ofpra défilent au milieu du cortège. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides, sous tutelle de l’Intérieur, est l’organisme chargé de traiter les demandes d’asile. À l’heure où Michel Barnier prononce son discours de politique générale, Charlotte* a rejoint cet après-midi la manifestation du 1er octobre « pour la façon dont on s’est fait avoir, sur toute la ligne, par ce nouveau gouvernement ». Cette agente de l’Ofpra craint surtout la nomination de Bruno Retailleau (LR) à l’Intérieur : « c’est compliqué d’envisager notre travail de manière sereine ».
Le ministre a déjà multiplié les prises de parole augurant un durcissement de la politique migratoire. Michel Barnier, lui, promet entre autres d’accélérer l’examen des dossiers d’asile, pour « un traitement plus efficace des demandes d’asiles ». Or, les agents de l’Ofpra sont déjà sous pression. C’était l’objet de la grève de 200 agents de l’Ofpra au mois de mars contre la « politique du chiffre » – un mouvement rare, donc très relayé. « La promesse d’une énième loi immigration, on commence à en avoir marre. À chaque fois, on descend d’un cran en termes de respect des demandeurs d’asile », souffle Charlotte.
Quelle résistance à cette dégradation imaginer dans les mois à venir ? La marge de manoeuvre est étroite : « On est un établissement indépendant dans le texte, mais dans la réalité on voit bien qu’on ne l’est pas. Dans quelques mois on va changer de directeur général : nommé par un gouvernement pareil, on n’a pas trop d’illusions », commente l’agente de l’Ofpra. Il faudra alors s’appuyer sur le mouvement social construit il y a quelques mois : « on a été très soutenu. Et on était tous d’accord pour dénoncer nos conditions de travail. Les négociations ont été mises en suspens en l’absence de nouveau gouvernement, mais quand ça repartira, je serai là », conclut-elle.
« On se renforce, on continue » après le 1er octobre
Un autre secteur a été mis en suspens cet été par l’absence de transition gouvernementale : l’énergie. En tête de manifestation, une immense banderole bleue « EDF-GDF 100% public » est déployée sur toute la largeur de la rue, tenue aux quatre coins par des manifestants. Gaël Farou, administrateur de la FNME CGT et agent EDF de la centrale nucléaire de Civaux, marche à côté. Ses collègues sont depuis de longs mois en lutte sur tous les fronts : salaires, réforme des retraites, annonce récente par EDF de la fermeture en 2027 de la centrale de Cordermais…
Sans compter la bataille constante « pour la renationalisation de tout le secteur de l’énergie, en arrêtant de le laisser au privé », résume Gaël Farou. Pour rappel, après un long mouvement social chez EDF contre le projet Hercule visant au démembrement du groupe, le Parlement a adopté en avril (contre l’avis du gouvernement) un texte sanctuarisant à 100% le capital d’EDF détenu par l’État.
Pour le reste, le changement ministériel a mis en suspens les négociations. Gaël Farou ne se fait pas d’illusion : « avec ce gouvernement et leur idéologie, on ne va pas vers ce que l’on souhaite ». Par ailleurs, après des mois de lutte notamment contre la réforme des retraites, beaucoup d’agents se disent : « je me mobilise, ça ne marche pas ; je vote, ça ne marche pas non plus… Cela pose de gros soucis démocratiques », pointe l’administrateur de la FNME CGT. Pour autant, ces luttes, loin de créer de la lassitude et de la désaffection syndicale, ont apporté des forces vives à la FNME CGT. Avec une remontée des nouvelles adhésions en un an jamais vue depuis des années. « Cela donne du baume au coeur, surtout dans cette période. Beaucoup de jeunes adhèrent, apportent leur pierre à l’édifice ». Alors pour les mois à venir, « on se renforce, on continue. »
*Le prénom de l’interlocutrice a été modifié afin de préserver son anonymat.
Yannis Angles et Khedidja Zerouali sur www.mediapartfr
Pendant que le premier ministre prononçait son discours de politique générale, les syndicats ont battu le pavé, réclamant l’abrogation de la réforme des retraites et la hausse des salaires. Dans la foule clairsemée, des militants syndicaux fatigués et inquiets.
Un bonnet phrygien sur la tête, un appareil photo dans les mains et une très longue barbe blanche. Assis confortablement sur la base du monument en hommage au républicain François Arago, Morgan regarde la foule défiler, prend des photos pour en garder trace et rejoindra ensuite ses camarades. « Je porte le symbole de la République, parce qu’en ce moment, elle est bafouée. »
À 75 ans, après une carrière à enchaîner les emplois dans la fonction publique, dans des mairies et des centres culturels, il enchaîne désormais les manifs. Comme tant d’autres dans le cortège, il a encore en mémoire et en jambes les très nombreuses manifestations qu’il a faites pour le retrait de la réforme des retraites.
Il se souvient aussi de la mobilisation pour le Nouveau Front populaire (NFP) l’été dernier et n’est pas étonné si, aujourd’hui, ce n’est pas la foule des grands jours. « C’est la reprise, il faut le temps que les gens se remettent en route, veut-il croire. Mais surtout, il y a la fatigue des manifs d’avant et le fait qu’on n’a rien obtenu avec elles. »
Ils l’avaient annoncé depuis plusieurs semaines, ce mardi 1er octobre devait être la manifestation phare de cette rentrée sociale. Ils l’avaient prévu pour le début des débats budgétaires. Elle a finalement eu lieu lors du discours de politique générale du premier ministre à l’Assemblée nationale.
D’une même voix, la CGT, FSU, Solidaires et quelques syndicats lycéens et étudiants (dont l’Unef et l’Union syndicale lycéenne) comptaient dénoncer dans la rue le déni de démocratie qui a suivi les élections législatives de juillet dernier, exiger le retrait de la réforme des retraites, celle de la réforme de l’assurance-chômage, mais aussi une hausse des salaires et des pensions. En somme, les syndicats s’étaient donné pour objectif de remettre les questions sociales au cœur des préoccupations politiques.
Pas d’illusions sur l’état des forces
Mais pas sûr que ce jour de mobilisation porte bien loin les voix des travailleurs et travailleuses puisque le cortège parisien était clairsemé, surtout composé de militant·es et de responsables syndicaux.
Comme Morgan, Manès Nadel, président de l’Union syndicale lycéenne, constate qu’il n’y a pas foule. Pour le militant lycéen, ce n’est pas sans lien avec le traitement médiatique de l’actualité politique : « Il y a de l’apathie, on le sent. […] En permanence, les médias dominants nous expliquent que la gauche fait tout mal et que ce qui se passe actuellement, c’est tout à fait normal. »
« Ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau. 190 mobilisations dans toute la France, c’est une mobilisation qui est à la hauteur des journées d’action de ce type, se défend Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Cependant, sur les lieux de travail, il y a une grande fatigue démocratique et sociale des salariés. Ils ont le sentiment que se mobiliser dans la rue ou dans les urnes, ça ne sert plus à rien. » Et de citer des mobilisations sectorielles du syndicat qui ont permis des augmentions de salaires, notamment pour les métiers de l’action sociale ou encore pour les cheminot·es.
Il y a une grande fatigue démocratique et sociale des salariés. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT
Si tous les représentants syndicaux présents au premier rang ne s’illusionnent pas sur l’état des forces, tous et toutes voient des opportunités dans ce brouillard politique. « Il y a une fenêtre pour obtenir l’abrogation de la réforme des retraites, assure Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, syndicats des enseignant·es. Il n’y a pas de majorité absolue à l’Assemblée, donc il y a encore des possibles retournements à aller chercher. […] Il n’est pas illusoire de penser qu’on peut obtenir le retour de la retraite à 62 ans. »
Et si les représentants syndicaux se réjouissent de voir chez Michel Barnier un infléchissement sur les retraites qu’ils ne percevaient pas dans le gouvernement précédent, tous et toutes sont unanimes : des amendements à la marge ne suffiront pas, ils veulent l’abrogation.
Une intersyndicale sans la CFDT
Bien que partageant des constats sur la nécessité d’abroger la réforme des retraites, ni Force ouvrière, ni la CFE-CGC, syndicat des cadres, ni la CFDT n’ont été de la partie. Une intersyndicale amputée qui détonne avec l’union affichée lors du mouvement de contestation face à la réforme des retraites.
« Ce n’est certainement pas la fin de l’intersyndicale. Les organisations travaillent ensemble sur des sujets importants et on continue d’échanger régulièrement ensemble », assure Sophie Binet.
En privé, Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, ne fait pas mystère de son peu de goût pour les rituelles mobilisations de rentrée. Elle souligne cependant que « sur le terrain, les équipes syndicales sont à 10 000 lieues du gouvernement » et constate « un désintérêt global pour la politique dans les entreprises ».
En sortant de Matignon mardi 24 septembre, la numéro un de la CFDT s’était en tout cas dite satisfaite de la « rencontre constructive » qu’elle venait d’avoir avec le premier ministre, qu’elle a jugé « très attentif » sur les « attentes importantes des travailleurs et travailleuses, sur les enjeux de pouvoir d’achat, sur le travail et sur la transition écologique ».
Sophie Binet aussi a été reçue par Michel Barnier. Denis Gravouil, membre du bureau confédéral du syndicat, était également présent. Il décrit auprès de Mediapart un premier ministre soucieux de se montrer « très sympathique », un rendez-vous « cordial mais sans réponses ». « Nous, on n’était pas là pour boire le thé. Nous avions des revendications précises à porter », indique Denis Gravouil. Il énumère : « Un coup de pouce au Smic, des moyens pour l’hôpital et l’éducation ; l’abrogation de la réforme des retraites, l’assurance-chômage... Plein de sujets mais pas de réponses ! »
Ce gouvernement annonce vouloir faire des économies mais j’aimerais savoir où. Sur l’hôpital ? sur l’école ? Le service public est déjà bien abîmé…Roseline, aide-soignante
Selon lui, le premier ministre, « qui a répété trois fois qu’il ne sait pas pour combien de temps il est là », a brandi, pour chaque sujet, la situation budgétaire de la France. Depuis sa nomination, Michel Barnier ne cesse de dire que le déficit est « extrêmement grave ». En réponse, les représentants de la CGT lui ont martelé qu’il fallait « plus de recettes ». « Michel Barnier nous a dit : “Je vous écoute et je vous promets que je vous entends” » , se souvient Denis Gravouil, qui s’interroge : « Mais sur quoi ? »
Les représentantes de Solidaires ne pourraient pas en dire autant, elles n’ont pas été invitées. « Mais de toute façon on n’attend rien du tout de ce gouvernement ni de Michel Barnier », tranche Murielle Guilbert, codéléguée générale du syndicat.
Hadjia ne met pas plus d’espoirs dans le gouvernement actuel. Salariée de la fonction publique hospitalière et co-secrétaire du département Sud Santé 92, elle est particulièrement remontée vis-à-vis de l’actualité politique récente : « On ne peut pas laisser tout passer, la carotte que nous a mise Emmanuel Macron en ne respectant pas le vote du peuple est inacceptable. »
Dans le cortège, tous les soignants éprouvent la même inquiétude : que ce gouvernement continue de chercher à faire des économies sur le dos des services publics, alors que nombre d’entre eux sont déjà à l’os, à commencer par l’hôpital.
Roseline, chasuble CGT sur le dos et infirmière aux urgences dans un hôpital public des Hauts-de-Seine, n’a qu’un mot pour décrire l’état de délabrement de l’hôpital public : « Une catastrophe. » Et de poser la question : « Ce gouvernement annonce vouloir faire des économies mais j’aimerais savoir où. Sur l’hôpital ? sur l’école ? Le service public est déjà bien abîmé… » Dans une même phrase, elle raconte ses conditions de travail « désastreuses », les journées de travail « de douze heures », le sous-effectif permanent et, en bout de course, les patient·es maltraité·es par un hôpital sous financé.
Les enseignant·es ne disent pas autre chose. Cédric, professeur d’informatique en lycée et membre du syndicat SNUipp, ne se résigne pas pour autant. « Je suis syndicaliste, donc je suis obligé de continuer à croire que la lutte paye, sinon on laisse tout faire et on attend gentiment que l’extrême droite arrive au pouvoir pour terminer la destruction du modèle social français. Eh bien non. »
Sa collègue a ses côtés, professeure également, hoche la tête. « Ils ont volé le pouvoir et ils vont en profiter pour continuer à casser la fonction publique pour tout vendre à la découpe », avance-t-elle. Alors, vaille que vaille, ils seront de toutes les mobilisations, y compris les plus modestes, pour redire ce qu’ils ont déjà acté dans les urnes quelques mois plus tôt.
Des travailleurs sans papiers inquiets
Dans le cortège, les pancartes et les messages inscrits sur les chasubles disent l’inquiétude des habitué·es du mouvement social : le déni de démocratie, la destruction du service public, la stagnation des salaires quand les profits augmentent.
Et puis, au milieu du cortège, une dizaine d’autres manifestants portent une autre urgence : « Nous sommes des travailleurs sans papiers et sans droits, et ce gouvernement nous inquiète beaucoup », souffle El Hadji Dioum, représentant du collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et préparateur de commandes pour l’entrepôt DPD France du Coudray-Montceaux dans l’Essonne.
Depuis trois ans et sans relâche, ils dénoncent « l’exploitation des sans papiers » et ont dû lutter de longs mois pour que ce sous-traitant de La Poste leur accorde les documents leur permettant de demander la régularisation par le travail. Ils sont de toutes les manifestations, de toutes les grèves, reconnaissables à leurs larges banderoles jaunes.
« On suit beaucoup l’actualité politique, assure El Hadji Dioum. Et pour nous, la nomination de Bruno Retailleau, c’est une catastrophe. » Et en effet, le nouveau ministre de l’intérieur a enchaîné les déclarations contre les immigré·es dès sa prise de poste, toutes plus violentes les unes que les autres. « On aimerait lui rappeler que, comme beaucoup d’autres immigrés, nous sommes des travailleurs. […] D’ailleurs, travaillant ou pas, tous ceux qui vivent sur le sol français participent à la vie de ce pays, devraient avoir le droit à la régularisation. »
Ce n’est sûrement pas le projet de Michel Barnier qui, lors de son discours de politique générale, a encore flatté l’extrême droite et son électorat, actant comme l’un des chantiers prioritaires de ce gouvernement celui de la « maîtrise de l’immigration ».
mise en ligne le 30 septembre 2024
Appel sur https://www.cgt.fr/
Mépris de démocratie !
La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre tourne le dos au vote des Françaises et des Français : non seulement Emmanuel Macron ne tient pas compte du front qui a empêché l’extrême droite d’arriver au pouvoir, mais les reculs sociaux, rejetés dans les urnes, vont se poursuivre et risquent même de s’aggraver avec le soutien du RN.
La colère est forte
Alors que les services publics, à commencer par l’hôpital et l’école, sont gravement en danger, on nous promet une nouvelle et violente politique de baisse des dépenses publiques.
Les politiques concernées, telles que le travail, la santé, l’éducation, la recherche, l’environnement, devraient pourtant être des priorités absolues. Face au déficit, il faut au contraire augmenter les recettes ! Or cette solution est systématiquement rejetée, avec un refus dogmatique de mettre sur la table l’imposition des plus riches et la taxation des dividendes qui explosent.
L’austérité c’est toujours pour les mêmes !
Avec la bénédiction du patronat, Medef en tête, l’aggravation de la politique contre nos droits sociaux est aussi à l’ordre du jour : retraite, assurance chômage, sécurité sociale… Dans le même temps, tout augmente sauf nos salaires et notre pouvoir d’achat continue à baisser !
Double utilité de se mobiliser le 1er octobre
MANIFESTER pour gagner le vote par les député·es de mesures pour financer nos services publics, l’abrogation de la réforme des retraites et une loi qui indexe les salaires sur les prix. La fragilité politique du gouvernement est un point d’appui pour gagner des avancées concrètes !
FAIRE GRÈVE pour gagner des augmentations de salaire et l’ouverture de négociations dans chaque entreprise. Pas question que nos salaires ne suivent pas les prix alors que les dividendes explosent !
Toutes et tous en grève, dans l’unité la plus large, enclenchons la bataille pour :
augmenter les salaires du privé, le point d’indice dans la fonction publique et les pensions de retraite, assurer enfin l’égalité entre femmes et hommes ;
abroger la réforme des retraites et gagner de nouveaux droits ;
rénover et financer les services publics, dans tous les territoires, notamment l’école, l’hôpital, l’enseignement supérieur et la transition environnementale ;
défendre et développer l’emploi industriel.
Match retour contre la réforme des retraites
En 2023, nous avons été des millions de salarié·es, de jeunes et de retraité·es à nous mobiliser pendant six mois contre la réforme des retraites. Emmanuel Macron est passé en force, il a été sanctionné par une lourde défaite aux élections européennes puis législatives. Maintenant qu’il est encore plus minoritaire au parlement, nous pouvons gagner l’abrogation de la réforme des retraites par les député·es !
L’imposture sociale du rassemblement national
Le RN prétend augmenter notre pouvoir d’achat et défendre nos retraites, pourtant il a toujours voté contre l’augmentation des salaires et veut faire de nouveaux cadeaux aux employeurs en baissant les cotisations sociales. Le salaire net (en bas de la fiche de paye) c’est des euros pour vivre tout le mois. Le salaire brut (en haut de la fiche de paye) c’est des cotisations pour toute la vie (en cas de chômage, maladie et pour nos retraites) !
mardi 1er octobre - manifestation
Montpellier 11h au Peyrou
Sète 10h30 – place de la mairie
mise en ligne le 29 septembre 2024
Léa Petit Scalogna sur www.humanite.fr
L’édition 2024 de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre, est marquée par l’inquiétude des associations, syndicats et membres politiques de gauche. Le gouvernement Barnier et ses ministres hostiles à cette liberté inscrite dans la Constitution, pourraient constituer un nouveau frein à son accès.
Un clitoris géant, peint en violet vif. C’est la forme que prend l’ornement disposé fièrement sur le camion du syndicat Solidaires. « Pour réaffirmer notre liberté sexuelle et celle d’avorter, même si notre nouveau gouvernement a tendance à l’oublier », s’exclame une manifestante du cortège parisien de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre. Sa pancarte, artisanale, représente un cintre dessiné au marqueur noir avec un avertissement : « touche pas à mon avortement ». Le message semble tout droit s’adresser au casting gouvernemental dont les acteurs principaux redoublent de conservatisme et de tendances régressives quant aux droits fondamentaux. « Très paradoxalement, Emmanuel Macron constitutionnalise l’IVG en expliquant la préserver d’un potentiel gouvernement d’extrême droite, contextualise Hélène Bidard, adjointe PCF à la Mairie de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes. Six mois après, il n’attend pas que le Rassemblement national soit au pouvoir pour nommer des ministres hostiles à l’IVG. »
Le palmarès de Michel Barnier en la matière, Premier ministre depuis le 5 septembre, remonte à l’époque où il siégeait au Palais Bourbon. En 1982, il vote contre le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale. Le plus âgé à occuper cette fonction sous la Ve République partage sa vision avec celle qu’il souhaitait nommer au ministère de la Famille, Laurence Garnier. La sénatrice des Républicains en a finalement été écartée pour être nommée au ministère de la Consommation. Avec Bruno Retailleau et Patrick Hetzel, les trois nouveaux ministres s’étaient opposés à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, le 8 mars dernier. « En clair, ce gouvernement rassemble les pires réactionnaires de notre monde politique, ceux qui se battent pour le recul de nos droits », tranche Mathilde Panot. Arrachée sans leur vote, cette bataille de longue haleine demeure une fierté retranscrite dans la loi et sur les affiches distribuées aux passants.
Bien moins de lieux où il sera possible d’avorter
Un climat d’inquiétude flotte, malgré les chants féministes scandés. Sarah Durocher, présidente du Planning familial, redoute de nouvelles attaques extrêmes droitières contre les antennes de l’association. « Les signaux peu rassurants se multiplient : le RN gagne du terrain aux différentes élections, le gouvernement Barnier compte des ministres très conservateurs et nous venons de perdre un Ministère de plein exercice sur les droits des femmes ». Le nouveau secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes est confié à la très peu convaincue, Salima Saa. En 2012, cette dernière jugeait le ministère des droits des femmes « ridicule », dans un article de Slate. « Elle va faire des miracles, je le sens », ironise une manifestante. Ses camarades s’esclaffent.
Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), s’alarme plutôt des « entraves » à l’application de cette liberté. Le chantier d’austérité budgétaire et d’affaiblissement des services publics débuté par le gouvernement Attal risque d’être poursuivi. « Cela signifie que des hôpitaux et des maternités de proximité vont être fermés et, mécaniquement, il y aura bien moins de lieux où il sera possible d’avorter », déplore Suzy Rojtman. C’est sans compter les 130 centres d’IVG qui ont dû fermer leurs portes, depuis quinze ans, faute de financement suffisant. Le baromètre du Planning familial, paru ce mercredi, dresse le triste constat de disparités territoriales notamment. « C’est inadmissible de devoir changer de département pour avorter », s’indigne Mathilde Panot. Cette réalité concerne 17 % des personnes selon les dernières données du service statistique du ministère de la Santé (Drees), en 2022. « Voilà ce qui arrive lorsqu’on applique une idéologie de droite libérale : des déserts médicaux et des freins à l’accès de l’IVG apparaissent. », affirme la secrétaire confédérale chargée de la mission femme-mixité à la CGT, Myriam Lebkiri, gilet violet sur le dos.
La privation de financement, une manière de s’attaquer à l’avortement
Les manques de financements pour garantir le droit à l’IVG se posaient déjà avant son inscription dans la Constitution. Le choix de la dénomination « droit » ou « liberté » ne concernait pas seulement une préférence langagière. Hélène Bidard explique : « Le mot « droit » implique que les moyens pour sa mise en place soient mobilisés. Et c’est de cette façon que la privation de financement devient une manière de s’attaquer à l’avortement ».
Le cortège, au pas hâtif, avance en direction du centre d’IVG de l’hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière. Ce point d’arrivée symbolique permet d’affirmer leur présence féministe dans un lieu où se croisent les personnes concernées par l’avortement et parfois, des activistes anti-choix, anti-droits. Hélène Bidard a déjà eu affaire à eux. Par la voix de la Ville de Paris, l’élue a déposé plainte contre un site, « Les Survivants », qui diffusait des fake news et des discours culpabilisants au sujet de l’Interruption volontaire de grossesse, aujourd’hui fermé. « Ce n’est pas normal que ce soit la ville de Paris qui se charge d’agir contre ces militants anti-choix et leur arsenal numérique ! », s’exclame-t-elle. Comme pour lui répondre, Suzy Rojtman, du Collectif national pour les droits des femmes, martèle : « Les anti-ivg ne lâchent jamais mais nous, encore moins ! »
sur https://lepoing.net/
Plusieurs centaines de personnes se sont réunies sur la place de la Comédie, à Montpellier, ce samedi 28 septembre, pour la journée mondiale du droit à l’avortement, à l’appel de plusieurs organisations et association.
« Partout dans le monde, le droit de disposer de son corps est attaqué par le système patriarcal. L’avortement reste criminalisé dans 21 pays, exposant des millions de personnes à des peines sévères », énumère une militante place de la Comédie, devant quelques centaines de personnes réunies dans le cadre de la journée mondiale du droit à l’avortement. Si, en France, la « liberté » de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été inscrite dans la Constitution au début de l’année 2024, les militantes présentes dénoncent le fait que cette loi ne garantit pas l’accès au droit car elle ne contraint pas le gouvernement à lutter contre les freins à l’avortement.
Une prise de parole dénonce ainsi « 130 centres fermés en 15 ans » et le maintien de la double-clause de conscience, permettant à un professionnel de santé de refuser un acte d’une part pour des raisons personnelles ou professionnelles et d’autre part, pour des raisons morales ou religieuses, cette dernière possibilité ayant été prévue à la légalisation de l’avortement, en 1973.
Les organisations présentes, notamment le Planning familial, demande que le droit à la contraception soit aussi intégré à la Constitution. Autre problème pointé du doigt : le fait que la législation sur l’IVG ne reconnaisse pas l’ensemble des personnes concernées : personnes transgenres intersexe, ou non-binaire. De plus, les militantes soulignent « des inégalités territoriales dans l’accès à l’IVG » avec plus de difficultés dans les zones rurales. Le cas de la fermeture de la maternité de Ganges, qui pratiquait l’IVG, a été évoqué.
Enfin, le contexte politique national a marqué ce rassemblement : « le gouvernement Barnier est ultra réactionnaire et réuni des figures de la lutte contre l’IVG et les droits LGBT et des gens qui ont voté contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG. » Le rassemblement s’est ensuite dispersé après quelques slogans.
mise en ligne le 29 septembre 2024
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/
Les vendanges du Champagne s’achèvent, en cette fin septembre, sous haute surveillance, un an après les décès de cinq travailleurs. Dans ce secteur qui pèse plus de 6 milliards, les abus en matière de droit du travail sont légion, du fait d’un recours croissant à des prestataires embauchant une main-d’œuvre immigrée. Reportage dans la Marne en collaboration avec Bastamag.
Sous les yeux soupçonneux des habitants, la camionnette rouge de la CGT traverse la place du village. Deux voitures l’escortent. En cette journée ensoleillée de mi-septembre, une dizaine de syndicalistes forme « la caravane des vendanges ». Le dispositif est pensé pour aller à la rencontre des travailleurs saisonniers du secteur. Par moments, quand la caravane passe, un habitant décroche son téléphone. Histoire de prévenir le voisin vigneron de l’arrivée imminente de la troupe.
« La dernière fois qu’ils ont vu des communistes, ici, c’était à la Libération ! » lance José Blanco, hilare. Le secrétaire général de la CGT Champagne est une figure de la région. Il est aussi passionné de son vignoble champenois, où il vit depuis toujours, remonté contre les scandales qui l’éclaboussent. « En Champagne, la vie d’un homme vaut moins qu’un kilo de raisins », répète-t-il à qui veut bien l’entendre.
Lors des dernières vendanges, en septembre 2023, cinq travailleurs sont décédés en Champagne. Le plus jeune d’entre eux, Rèda Najib, habitant de Reims, a été victime d’une crise cardiaque avant de tomber d’un engin agricole dans une vigne. Il était âgé de 19 ans. Après enquête, le parquet a conclu que la surexposition à la chaleur avait causé son décès. Les autres enquêtes sur les décès, en revanche, ont été classées sans suite. Le surnom de « vendanges de la honte » s’est depuis imposé aux syndicalistes du secteur, relayé par la presse locale.
Alors, les vendanges 2024 sont scrutées par tous : pouvoirs publics, médias, syndicats. Comme chaque année, près de 120 000 travailleurs affluent dans la région pour couper le raisin pendant une dizaine de jours. Une large majorité sont des travailleurs immigrés, venus d’Europe de l’Est ou, de plus en plus, d’Afrique.
Payés sous le Smic aux vendanges
« C’est notre première année ici », introduit Kacper, un jeune Polonais, la vingtaine, mains gantées, marcel blanc sur les épaules et tatouages dans le cou. « Pour tout le monde », précise-t-il en désignant de la tête ses camarades. Un à un, tous descendent la pente où s’alignent les vignes pour s’approcher des syndicalistes garés à leur hauteur. « Voici un rappel des tarifs horaires légaux, de vos droits par rapport aux pauses, au temps de travail… Pour vérifier vos contrats et vos fiches de paie », explique un militant en leur tendant un tract.
Ces fiches d’information, traduites en de multiples langues, se glissent facilement dans la poche des vendangeurs… Et font fureur : « On voit des photos de tracts circuler partout sur les réseaux sociaux entre les saisonniers, sourit José Blanco. Au moins, grâce à ça, les gars savent de quoi on parle. Ils peuvent aller voir leur patron et lui dire “voilà, c’est la loi”. »
« On est payés 19 centimes le kilo », indique Kacper, curieux de savoir si ce tarif est correct, ou s’il se fait avoir. « C’est en dessous du minimum qui doit être à 24 centimes brut le kilo », soupire José Blanco. Sauf que sur leur déclaration de pré-embauche auprès de la Mutualité sociale agricole (MSA), il est indiqué une rémunération à la tâche de 19 centimes brut… la minute. Soit 11,40 euros brut de l’heure. Or, le Smic horaire est à 11,65 euros brut de l’heure. Qu’il s’agisse d’une rémunération à la journée ou au rendement (les deux existent pour les vendangeurs), un taux inférieur au Smic est évidemment illégal.
« On travaille dix heures par jour », témoigne aussi Kacper. La journée démarre à 7 h du matin. Or, à partir de 43 heures de travail hebdomadaire, les ouvriers doivent être rémunérés en heures supplémentaires (payées 50 % de plus). Les jeunes écarquillent les yeux : en une semaine de vendange, ils dépassent largement ce seuil.
Ces vendangeurs polonais apprennent également que la durée du transport, géré par leur employeur, constitue du temps de travail. Idem pour les repas : « On achète toute notre nourriture nous-mêmes », indique Yulia, une jeune vendangeuse qui découvre que son employeur a l’obligation légale de couvrir ce type de frais.
Autant de droits grignotés alors que la tâche est « très difficile », souligne Yulia. Il faut se baisser sans cesse pour ramasser les grappes, remonter encore et encore les pentes entre les rangées de vignes.
Les prestataires abaissent les salaires à des niveaux dérisoires
L’échange est interrompu par la brusque arrivée d’un camion blanc. Deux hommes, allure robuste et visage fermé, en descendent. Après de brèves présentations sous tension, les syndicalistes détalent. Le prestataire de main d’œuvre qui a recruté ces jeunes Polonaises et Polonais et envoyé ses hommes de main est bien connu dans le coin. « Et il n’est pas en odeur de sainteté », euphémise José Blanco.
Cette parcelle est pourtant celle d’un vigneron « qui livre chez Moët&Chandon », prestigieuse maison de Champagne (et propriété du groupe de luxe LVMH), affirme l’équipe de la CGT. « Les raisins de la misère arrivent chez Moët, résume José Blanco. Mais ce n’est pas Moët qui commande cela directement », nuance-t-il. De fait, c’est bien le vigneron qui a recours à un prestataire de main d’œuvre lequel, ensuite, rogne sur le Code du travail.
Là est tout l’enjeu : qui est responsable ? En 2018, 48 vendangeurs afghans ont été découverts dans des logements insalubres. À quelques kilomètres de là, au même moment, 77 autres travailleurs étaient entassés dans un café désaffecté. Un vaste trafic de « traite d’êtres humains », selon la justice, qui a identifié 200 victimes et condamné, quatre ans plus tard, deux prestataires. Mais pas les donneurs d’ordre. Il est difficile de retracer les responsabilités face à un système en « poupées russes : une société délègue à une autre, et ainsi de suite », décrit José Blanco.
Les prestataires se sont multipliés : d’abord des entreprises locales, puis, depuis une décennie, de plus en plus des prestataires étrangers : turcs, géorgiens, sri-lankais… « Il n’y a pas de prérequis : n’importe qui peut ouvrir une société de prestation de services, sans rien connaître au Champagne ni au droit du travail », déplore Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de la CGT Champagne.
« Nous sommes revenus au 19e siècle. Des gens attendent sur des parkings, au petit matin, on leur propose des sommes dérisoires pour travailler à la journée », décrit-il. Ainsi l’industrie champenoise, très réglementée, a continué de trouver des moyens de réduire les coûts de la main d’œuvre et d’engranger des bénéfices plus importants.
Sauver l’image de luxe
Logé sur les hauteurs de la commune de Chouilly (Marne), le château de Saran offre une vue imprenable sur le vignoble champenois. Une immense verrière laisse entrevoir le salon VIP dans lequel le milliardaire Bernard Arnault reçoit les plus prestigieux clients de Moët & Chandon ou Veuve Cliquot, propriétés du groupe LVMH.
« Vole pas le raisin de Bernard ! » lance un syndicaliste à un autre, pris la main dans le sac à empoigner une grappe de raisin, juste en face de la propriété. Tous deux s’esclaffent. Au bout de la chaussée, un agent de sécurité vient à leur rencontre. Maintenir l’image de luxe du Champagne à l’international est un enjeu fort. Car l’industrie pèse lourd. En 2023 comme en 2022, la filière a dépassé le seuil des six milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Un record.
Le secteur tente donc de calmer les polémiques. « C’est la réputation d’une région et d’un savoir-faire reconnus dans le monde entier qui est menacée », reconnaît le Comité Champagne, regroupant plusieurs organisations de vignerons et grandes maisons de vin. « Il n’y a pas eu de défaillance collective en 2023, il n’y en aura pas davantage en 2024 : il est hors de question que des comportements individuels inadmissibles menacent la sécurité des travailleurs et la réputation de toute une filière », estime le Comité.
En juin, ce dernier a tout de même publié le plan d’action « Ensemble pour les vendanges de Champagne ». Il y rappelle les dispositions légales régissant le travail saisonnier, notamment en cas de fortes chaleurs : accès à l’eau, à des zones d’ombre, pauses adéquates… Surtout, le Comité rappelle aux viticulteurs que « le recours à un prestataire de services ne peut coûter moins cher que l’emploi direct ». Et alerte : « des prix trop bas peuvent être le signe de pratiques douteuses et doivent attirer votre attention ».
Les dérogations se multiplient, pourtant. Le 9 juillet, l’ex Premier ministre Gabriel Attal signait un décret autorisant la suppression du repos hebdomadaire obligatoire pour les travailleurs saisonniers. Ce décret concerne les régions agricoles à appellation d’origine contrôlée, dont la Champagne.
Quatre mois plus tôt, en mars 2024, l’ex gouvernement publiait aussi un arrêté catégorisant la filière Champagne et plus largement le secteur viticole dans la liste des “métiers en tension”. Cette liste permet de faciliter la venue de travailleurs étrangers hors Union européenne. De quoi accentuer la mise en concurrence des travailleurs d’Europe de l’Est et ceux d’Afrique de l’Ouest, craint l’union locale CGT d’Épernay.
« On tire les salaires vers le bas, les travailleurs sont exploités, mal logés, mal nourris, au détriment des travailleurs locaux. Les Français, bien sûr, ne veulent pas travailler à genou et pour quatre euros de l’heure. Après on dit qu’on ne trouve plus personne, fustige José Blanco, qui milite pour que tout le monde ait les mêmes conditions de travail dignes ».
Améliorations sur l’hébergement des vendanges
Sur le terrain, la volonté affichée de faire place nette n’en est pas moins palpable. Sur une parcelle d’un vigneron livrant chez Veuve Cliquot, une vingtaine de travailleurs lituaniens prennent leur pause. Parmi eux, Ingrid fait cliqueter un sécateur dans sa main, tout sourire. Cette mère de famille a l’air détendu. Cela fait douze jours qu’elle fait les vendanges.
« C’est la cinquième année que je reviens. Parfois, j’emmène mon fils et ma fille avec moi », raconte-t-elle. Par rapport à ses premières années, « les conditions sont meilleures aujourd’hui, assure-t-elle. Avant, on dormait dans des campements, avec des tentes. Il y avait beaucoup de bruit autour, trop de gens… C’était difficile de dormir. Maintenant, on dort dans un appartement, dans une petite ville . »
L’hébergement sous tente des travailleurs saisonniers est strictement interdit par la loi. Cette année, nombre de prestataires et vignerons ont opté pour des chambres d’hôtels, ou des Airbnb. « Il y a beaucoup moins de tentes dans les bois que nous avions repérées l’année dernière. Certains ont essayé de s’adapter ; d’autres essaient de planquer les saisonniers ailleurs », observe José Blanco. Le prestataire de services viticoles G2V a pour sa part ouvert un hébergement collectif pour 350 travailleurs, dans une ancienne base aérienne : la Base 112, à Bétheny. Avec l’appui de maisons de champagne et des autorités de la région.
Derrière les Lituaniens en pause s’alignent trois hommes en cravate. Ce sont des représentants de la maison Veuve Cliquot, présents pour vérifier le travail du prestataire WM (l’un des plus gros de la région) chez ce vigneron qui les livre. « C’est une très bonne chose ! C’est ce qu’on leur demande : qu’ils prennent leurs responsabilités », se satisfait José Blanco.
Menaces contre les syndicalistes
Assiste-t-on à un tournant dans le secteur ? Pas si sûr. Juste en face des vignes des Lituaniens, on aperçoit au loin, tout en haut d’une colline, un petit campement informel. Quelques heures après, la caravane de la CGT passe devant des tentes entassées sous un barnum bien visible, en bord de route. « Le maire, la police, la communauté de communes le savent bien, mais ne disent rien. On pourrait signaler… Ça va faire un signalement parmi tant d’autres », soupire José Blanco.
Tous les signalements sont transmis à l’Inspection du travail, voire au préfet. La veille encore, les syndicalistes ont découvert sur le terrain privé d’un vigneron, à Mancy, au sud d’Épernay, plusieurs tentes abritant des travailleurs tchèques, sous un hangar. Le vigneron les a repérés et menacés, selon leurs témoignages : « Vous êtes des bâtards, on vous retrouvera ». Dès le lendemain, les tentes avaient disparu. Idem sur un grand parking sablonneux où se trouvaient une trentaine de vendangeurs en tentes et caravanes. Aujourd’hui : plus de traces de campement. Fuite organisée par les prestataires ? Ou intervention rapide de l’Inspection du travail ?
Quoi qu’il en soit, la pratique illégale des campements perdure : sur la commune de Vize, cachées dans les bois, des tentes s’alignent dans le dépôt d’un viticulteur. Pas d’installation électrique ni de sanitaires suffisants en vue. Les syndicalistes s’approchent en essayant de ne pas se faire repérer. Ce jeu de cache-cache, dans une triangulaire entre syndicalistes, inspection du travail et prestataires, caractérise ces vendanges 2024.
Aux alentours de 18 h, alors que la caravane de la CGT est rentrée au bercail, la lumière du soir tombe sur la gare d’Épernay. Le square en face est occupé par une dizaine d’immigré.es d’Afrique francophone. Certains forment un cercle assis dans l’herbe, ou récupèrent des affaires dans les buissons. D’autres arrivent en marchant, comme Youniss, tout juste de retour de leur journée de vendange. C’est la troisième année que le jeune homme vient ici pour la saison. « Cette année il y a moins de raisins, donc il n’y a pas de travail tous les jours » , explique-t-il.
Lorsqu’on lui demande où il va dormir ce soir, Youniss reste évasif : « Dehors, dans la ville. » C’est que les forces de l’ordre circulent désormais, tôt le matin. Le ballet des prestataires récupérant les nouveaux arrivants à la gare s’en trouve entravé. Et les travailleurs africains qui dorment là sont à chaque fois vite évacués.
Faire place nette. La semaine dernière, néanmoins, certains s’entassaient bien le soir sur des cartons, enroulés dans une simple couverture, comme en témoignent plusieurs photos. Youniss et les autres feront de même cette nuit. Un peu plus dispersés que d’habitude, mais toujours là, quelque part, dans la capitale du Champagne.
mise en ligne le 27 septembre 2024
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
La secrétaire générale de la CGT a été reçue à Matignon dans le cadre des « consultations » organisées par le premier ministre Michel Barnier. Abrogation de la réforme des retraites, retour sur celle de l’assurance chômage, augmentation des salaires… Sophie Binet y a porté les exigences de son syndicat, qui seront également défendues dans la rue le 1er octobre.
Adepte des « consultations », le premier ministre Michel Barnier – après les multiples rencontres avec différents partis politiques en vue de la constitution de son gouvernement – s’attelle désormais à recevoir les « partenaires sociaux ». Et ce mercredi matin, c’était au tour de Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT qui, dès sa sortie de Matignon, a appelé « les salariés et les retraités » à « se mobiliser très massivement par la grève et la manifestation » le 1er octobre prochain.
Il s’agit de se faire entendre avec force face à un gouvernement très à droite. Sur la réforme des retraites, par exemple, si Michel Barnier se dit prêt à « prendre le temps de (l’) améliorer », il n’est pas question d’aménagement à la marge pour Sophie Binet. « Il n’y a pas d’autres solutions que l’abrogation », estime la centrale de Montreuil qui propose également « une conférence de financement pour nos retraites ».
Pour les salaires, la retraite, l’emploi… rendez-vous le 1er octobre
De même concernant la réforme de l’assurance chômage qui mine les droits des privés d’emploi, la responsable syndicale a plaidé, auprès de Michel Barnier et de la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, « la nécessité de l’enterrer définitivement et de redonner la main aux acteurs sociaux » pour fixer les règles d’indemnisation. Sur ce point, « la ministre du Travail nous a dit qu’elle partageait le fait qu’il fallait redonner la main aux acteurs sociaux sur la question de l’emploi des seniors et de l’assurance chômage », a rapporté Sophie Binet, au terme d’un entretien d’une heure.
Alors que certains au sein de l’exécutif, sous couvert d’augmenter le pouvoir d’achat, reprenne une vieille idée libérale, également partagée par le RN, consistant à piocher dans une poche pour gonfler l’autre, elle a aussi mis en garde : « Il n'(est) pas question de prétendre augmenter le salaire net en baissant le salaire brut », au détriment de la protection sociale.
Et la syndicaliste de constater : « Le premier ministre nous a écoutés poliment, il nous a dit qu’il souhaitait être utile au pays », mais « nos inquiétudes demeurent, c’est la raison pour laquelle la CGT appelle les salariés à se mobiliser » le 1er octobre, aux côtés de la FSU et Solidaires.
Surtout dans un contexte où le RN, contre lequel la CGT s’est mobilisée au moment des élections en participant au Nouveau Front populaire, est de nouveau placé au centre du jeu. « le premier ministre ne (peut) pas être l’objet des désidératas de Marine Le Pen », a taclé Sophie Binet, alors que Michel Barnier avait contraint la veille son ministre de l’Économie, Antoine Armand, à faire amende honorable pour avoir jugé que le parti d’extrême droite se situe hors de l’arc républicain. Sans compter que, sur le fond, le RN marque aussi des points avec une partie de son programme partagée par des ministres LR : Sophie Binet s’est ainsi dite « extrêmement inquiète d’entendre une partie des mots de l’extrême droite sortir de la bouche du ministre de l’Intérieur ».
mise en ligne le 25 septembre 2024
Inès Rubio sur www.humanite.fr
Une centaine de personnes étaient rassemblées devant le tribunal Judiciaire de Nanterre, lundi 23 septembre, en soutien aux travailleurs sans papiers. L’inspection du travail accuse leur employeur, RSI, de travail dissimulé et d’emploi d’étrangers sans autorisation.
Une majorité des ex-employés constitués partie civile ont assisté, lundi 23 septembre, à la première audience du procès à Nanterre (Hauts-de-Seine) qui oppose l’État à la société d’intérim RSI. Ils étaient soutenus par le collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-Île de France et l’intersyndicale du ministère du Travail pour affirmer leur droit à la justice et revendiquer une régularisation rapide. Une étape importante dans la lutte qu’ils mènent depuis trois ans.
En octobre 2021, environ 80 intérimaires initient un mouvement de contestation. Devant la mairie de Grigny (Essonne), ils maintiennent un piquet de grève pendant plus d’un an. Touré Mahamadou, l’un des grévistes, rappelle les raisons de leur mobilisation : « La société RSI refusait de nous fournir les documents Cerfa (nécessaires à la demande de titre de séjour – NDLR), les attestations de travail. Certains n’ont même pas reçu de fiches de paie, d’autres n’étaient payés qu’en liquide », raconte-t-il.
« On pensait que l’histoire était réglée, qu’on allait pouvoir travailler légalement »
Le mouvement de ces travailleurs sans papiers conduit l’inspection du travail à entamer une enquête qui confirme que les grévistes ont effectivement travaillé pendant plusieurs mois, condition indispensable pour prétendre à un titre de séjour salarié temporaire. Un an après le début de leur mobilisation, ils peuvent enfin déposer leurs dossiers à la préfecture et obtiennent 83 récépissés de titres de séjour avec autorisation de travail pendant six mois. « On pensait que l’histoire était réglée, qu’on allait pouvoir travailler légalement », poursuit Touré Mahamadou. Le piquet de grève est levé et les 83 travailleurs trouvent un emploi.
Mais, brutalement, 65 récépissés sont interrompus et seulement 18 cartes de séjour temporaire délivrées. Pour ceux dont la situation reste irrégulière, le procès représente un espoir, bien que la justice ne puisse pas directement prononcer leur régularisation. « On n’attend pas d’argent, on veut être reconnus comme victimes, ce qui pourrait nous aider à être régularisés », précise Touré Mahamadou.
Les membres de l’intersyndicale du ministère du Travail (CGT, FSU, SUD travail) présents lors du rassemblement déplorent que la preuve apportée d’une relation de travail entre RSI et ses employés n’ait pas suffi à la régularisation des sans-papiers.
Sur le banc des accusés, manquent les entreprises de BTP
Au contraire, les contrôles de l’inspection du travail peuvent porter préjudice aux salariés irréguliers, qui sont licenciés sans indemnité. « Si on veut la fin du travail dissimulé, il faut la régularisation des sans-papiers », affirme Thomas Dessalles, de la CGT du ministère du Travail. Il appelle à ce que « les mesures appliquées dans les affaires traite des êtres humains, où un titre de séjour est délivré aux victimes pour les protéger, s’étendent aux cas de travail dissimulé ».
Maître Xavier Robin, avocat de plusieurs travailleurs sans papiers, se dit optimiste quant à l’issue du procès : « L’enquête de l’inspection du travail démontre que RSI était pleinement conscient de commettre du travail dissimulé. » Il regrette en revanche que la société d’intérim tente de se dédouaner en rejetant la responsabilité sur la directrice de l’agence de Gennevilliers.
Le collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-Île-de-France estime pour sa part qu’il manque du monde sur le banc des accusés. « Les entreprises de BTP pour lesquelles travaillaient les intérimaires recrutés par RSI profitaient de leur vulnérabilité pour imposer des conditions de travail très dégradées », précise son communiqué.
L’audience a été reportée aux 29 et 30 avril, la juge ayant estimé que deux journées seraient nécessaires pour auditionner les 35 plaignants, et non une seule après-midi comme prévu.
mise en ligne le 24 septembre 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr
Depuis 5 heures ce matin, les routiers ont lancé des opérations escargots en soutien aux mobilisations contre la vie chère qui secouent la Martinique depuis plus de trois semaines.
« Une portion de la population se retrouve dans une misère extrême. Ce sont des personnes âgées seules avec de petites retraites, des enfants dont les parents n’arrivent pas à les nourrir correctement », expliquait une porte-parole du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC), la semaine dernière à France24. Depuis le 1er septembre, le collectif multiplie les manifestations et les blocages devant les supermarchés de l’île. En Martinique, les prix des denrées alimentaires sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en métropole, alors que plus du quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. D’où l’exigence d’un alignement des prix sur ceux de l’Hexagone, qui fédère de larges secteurs de la population martiniquaise.
Un mouvement qui ne cesse de s’étendre
En plus des actions de blocage devant des supermarchés et des affrontements émeutiers avec la police qui secouent régulièrement les quartiers de Sainte-Thérèse depuis début septembre, plusieurs professions se sont jointes au mouvement de protestation. La semaine dernière, c’étaient les taxis qui interrompaient leurs courses. Ce mardi, c’est au tour de l’Union nationale des organisations syndicales des transporteurs routiers automobiles de Martinique (SMT Unostra). Le syndicat patronal appelle les routiers martiniquais à une opération molokoï ce mardi. Les chauffeurs ont donc lancé des opérations escargot sur plusieurs points de l’île ce matin, provoquant d’importants ralentissements.
Jeudi, ce sera au tour des salariés et de la Confédération générale du travail de Martinique (CGTM) de se mobiliser. En fin de semaine dernière, le syndicat a déposé un préavis de grève de 24 heures reconductible couvrant l’ensemble des secteurs d’activité. « L’ensemble des agents de la Fonction Publique (Territoriale, Hospitalière, État), ainsi que les salariés des entreprises assurant une mission de service public, sont appelés à se joindre au mouvement », annonce la CGTM qui revendique « le relèvement du salaire minimum, des pensions de retraite et des minima sociaux à 2 000 euros nets par mois, l’indexation sur l’inflation et la mise en place d’un contrôle des prix des produits de première nécessité ». Déjà la semaine dernière, les syndicats de la zone aéroportuaire appelaient à la tenue d’assemblées générales afin de préparer les travailleurs à une mobilisation générale. Ils dénonçaient notamment un « climat de violence, d’arrestations et de poursuites judiciaires, mis en place par l’administration préfectorale contre les manifestants pour la baisse des prix ».
La répression comme réponse aux demandes d’égalité
Loin de s’éroder, le mouvement tend à s’élargir, malgré la pression des pouvoirs publics dès le premier jour. Le 1er septembre, quelques heures avant le premier rassemblement du RPPRAC, un de ses responsables était interpellé par la police. Depuis, le préfet de Martinique a instauré un couvre-feu le 18 septembre, dans un contexte d’affrontements nocturnes avec la police dans certains quartiers de Fort-de-France. Un couvre-feu déjà étendu et prolongé jusqu’à jeudi.
Parallèlement, le gouvernement a envoyé des renforts de gendarmerie et de police en Martinique. Parmi eux, le déploiement de la CRS 8 sur l’île a créé un certain émoi et ravivé de vieilles blessures. Il s’agit en effet du premier envoi d’une unité de CRS en Martinique depuis les émeutes meurtrières de décembre 1959, où trois jeunes avaient été tués par la police. Un signal inquiétant que ne vient pas démentir les déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Celui-ci, lors de sa prise de fonction lundi 22 septembre, n’a eu de cesse de marteler sa volonté de rétablir l’ordre.
Pauline Graulle sur www.mediapart.fr
Le député socialiste Jiovanny William déplore l’absence de politiques publiques pour la Martinique, en proie à une colère violente liée à l’augmentation des prix du fait de l’inflation.
Alors que le premier ministre n’a toujours ni gouvernement ni budget à proposer à la France, en Martinique, la colère a redoublé du fait de l’explosion des coûts de la vie. Le député socialiste Jiovanny William revient pour Mediapart sur les pistes d’amélioration possibles, en dépit de son pessimisme sur la volonté d’action de l’État.
Mediapart : Où en est-on aujourd’hui des violences urbaines en Martinique ?
Jiovanny William : Le couvre-feu permet que les choses se calment. Après, il y a des poches d’insécurité, il y a eu des coups de feu et des tirs à balles réelles sur des policiers… Certains accès sont bloqués sur Le Lamentin, et Fort-de-France est quasiment sinistrée, avec des lampadaires tombés au sol, qui obstruent le passage. Le maire a lancé un appel au calme et au retour à la discussion. Nous, parlementaires, partageons cette ligne, et nous avons écrit des communiqués en ce sens…
Que dites-vous sur le fond de ce mouvement ?
Jiovanny William : Nous sommes sur une poudrière. Il y a une manifestation avec un objectif noble et louable, celui de lutter contre la vie chère. Mais en marge, il y a des casseurs que je n’assimile pas aux manifestants.
Le problème de la « vie chère » est ancien en Martinique, qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres cette fois ?
Jiovanny William : Oui, tout le monde se souvient du feu en 2009. Aujourd’hui, nous vivons un remake. La situation économique est extrêmement compliquée dans nos îles. Le problème de fond, c’est qu’il y a eu une défiance vis-à-vis du monde économique et de la grande distribution représentée par des Békés. Or le préfet a organisé des tables rondes sur le sujet du pouvoir d’achat avec des industriels, et ces débats n’ont pas été retransmis publiquement… Ce sentiment d’opacité a été l’une des étincelles qui ont mis le feu aux poudres.
Il y a aussi les personnalités qui mènent le mouvement. M. Petitot [Rodrigue Petitot, président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) – ndlr] connaît beaucoup de personnes capables de faire ce type d’actes. Ça a incité les fauteurs de trouble. Quand il y a des blocages, il y a des exactions, des casses, des ronds-points bloqués avec des pneus, des arbres, et ça dégénère.
Quel rôle a eu l’inflation ?
Jiovanny William : L’inflation s’est ajoutée au différentiel de prix qui est déjà énorme avec la France hexagonale : + 37 % en moyenne de plus sur les produits de consommation ! Un paquet de couches vaut 50 % de plus en Martinique, un panier moyen est 40 % plus cher sur des produits de première nécessité… Cela est dû à l’octroi de mer, au coût du transport et aux nombreux intermédiaires (grossistes, transitaires…) qui font leur marge, en plus de la grande distribution qui fait elle aussi sa marge… Avec l’inflation, tout a encore augmenté.
Nous avons des observatoires qui démontrent chaque année les augmentations des produits de consommation. En parallèle, nos revenus et nos retraites sont plus bas que dans la France hexagonale. Tout cela fait un cocktail explosif.
La collectivité territoriale de Martinique a proposé une exonération partielle de l’octroi de mer…
Jiovanny William : Oui, sur certains produits. Mais dans le même temps, il faut que la grande consommation fasse des efforts, de même que les transporteurs, comme CMA-CGM qui a 67 % du marché. Sinon, on ne verra pas de baisse. L’État doit aussi faire des efforts sur les taxes douanières. Pouvoirs publics, grande distribution, intermédiaires… Tout le monde doit faire un geste.
Comptez-vous sur le prochain gouvernement s’il voit le jour ?
Jiovanny William : Écoutez, nous sommes au quatrième ministre des outre-mer. Sur les quatre, au moins trois n’ont rien eu à faire des outre-mer. À part Jean-François Carenco [2022–2023 – ndlr] qui avait été préfet de Guadeloupe, ils ne connaissaient rien et n’avaient d’ailleurs aucune envie d’être ministres des outre-mer.
Donc, oui, un ministre de plein exercice, qui connaît les outre-mer et qui ne vient pas pour aller voir les ballets folkloriques et boire du punch pourrait changer un peu les choses. Avant, il y avait un comité interministériel d’outre-mer qui est désormais au niveau zéro. Personne n’arrive à se projeter dans l’avenir, en particulier les entreprises. Tous nos voyants sont au rouge : l’illettrisme, le chômage, la santé, la démographie…
Attendez-vous quelque chose de la séquence budgétaire à venir ?
Jiovanny William : On nous parle de réduction de budget, ça ne va donc faire qu’empirer les choses et personne en Martinique n’est serein. Côté parlementaires, nous allons nous organiser et demander des choses, par exemple une continuité territoriale sur le fret comme en Corse, qui fait que ça enlève de la pression sur les produits… Mais on sait que le 49-3 passera.
Le RN est-il une menace en Martinique ?
Jiovanny William : Mélenchon est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle, au second, c’était Marine Le Pen. En 2024, pour la première fois, le Rassemblement national était présent dans les quatre circonscriptions de l’île. Et autre événement tristement historique : un candidat RN est arrivé au deuxième tour des élections en Martinique. C’est aussi un indicateur que le RN monte sérieusement en puissance et cela risque de continuer comme ça si rien ne s’arrange pour les habitants.
mise en ligne le 23 septembre 2024
https://lepoing.net/
Face aux manque de crédits alloués par l’État, les enseignants du collège des Salins à Villeneuve-lès-Maguelone, commune proche de Montpellier, appellent à un rassemblement mardi 24 septembre à 12 h 30
“Crédits pédagogiques inexistants”, difficulté à remplacer un vidéoprojecteur hors d’usage, manque de photocopieuses pour imprimer les cours, stocks de matériels non renouvelés rendant impossible des travaux pratiques en sciences, parents davantage mis à contributions pour acheter les livres à lire en français… La liste des griefs est longue pour les enseignants du collège des Salins de Villeneuve-lès-Maguelone, qui parlent de “collège en faillite”.
“Le chef d’établissement nous a présenté la situation telle quelle à la pré-rentrée, il nous avait dit qu’on avait même pas le budget pour les carnets de liaisons, mais finalement on les a eu”, décrit Fabienne Lecomte, professeure de musique au collège et syndiquée au SNES. “Pour l’instant, on peut encore tirer des photocopies, mais il faut supplier pour les avoir et on nous fait comprendre que ça ne pourra pas durer. On ne comprend pas, en décembre dernier, quand les budgets ont été arrêtés, on avait encore des fonds de roulement. Certaines matières sont de moins en moins dotées, moi par exemple, en musique, j’ai 50 euros pour cette année, ça va qu’on a déjà acheté des instruments à percussions les années précédentes…”
Dans leur communiqué appelant à un rassemblement devant le collège à 12 h 30 le mardi 24 septembre, les enseignants mettent en parallèle ce manque de moyens avec les “423 milliards consacrés à la loi de programmation militaire d’ici 2030, 160 millions pour la militarisation de la jeunesse via le SNU” et “un kit de 200 euros par élève financé pour moitié par les collectivités territoriales et l’État dans les écoles et les établissements qui « expérimentent » l’uniforme”.
Ils demandent donc que priorité soit faite à l’école publique, et exigent d’être reçus par le chef d’établissement, le Conseil départemental et l’inspection académique, et envisagent des mouvements de grève selon les réponses apportées. “Ceux qui en souffrent le plus, ce sont nos élèves”, souffle Fabienne Lecomte.
mise en ligne le 18 septembre 2024
sur https://basta.media/
Une journée de grève interprofessionnelle est annoncée le 1er octobre par plusieurs organisations syndicales et de jeunesse. Des organisations de retraité·es seront aussi dans la rue pour exiger l’augmentation des pensions. Voici leur appel.
Nos organisations syndicales et de jeunesse appellent à manifester et à faire grève pour qu’enfin les urgences sociales, exprimées dans les mobilisations comme dans les urnes, soient entendues !
Retraites, salaires, services publics, c’est sur ces sujets centraux pour la population que nous pouvons gagner et arracher des victoires au moment où le président de la République et l’alliance jusqu’à l’extrême droite cherchent à imposer contre la volonté générale le maintien du cap libéral et autoritaire.
Nous avons été des millions à nous mobiliser pendant plus de six mois contre la retraite à 64 ans. Emmanuel Macron a décidé de passer en force mais a été sanctionné par une lourde défaite aux élections législatives. Nous pouvons donc maintenant gagner l’abrogation de la réforme des retraites !
« Des moyens financiers et humains »
Nos salaires, pensions, bourses et minima sociaux ne peuvent plus régresser face à l’inflation ! C’est la raison pour laquelle nous rejoignons l’appel des organisations de retraité·es ce même 1er octobre pour exiger l’augmentation des pensions et des salaires, un Smic à 2000 euros et l’indexation des salaires sur l’inflation. Partout, dans les entreprises et les administrations, faisons grève pour obtenir l’augmentation de nos salaires et la fin des inégalités entre les femmes et les hommes !
Nos services publics sont à bout de souffle. Exigeons les moyens financiers et humains pour l’hôpital, les soins, l’éducation, l’enseignement supérieur, la recherche, l’environnement… pour permettre l’accès de tous et toutes à des services publics de qualité.
Les licenciements se multiplient dans l’industrie car les grands groupes continuent à délocaliser. Pourtant, les dividendes atteignent des records et, chaque année, 170 milliards d’euros d’aides publiques sont distribués sans contrepartie aux entreprises. Mobilisons-nous pour gagner l’arrêt immédiat de tous les licenciements, la relocalisation et la transformation environnementale de notre industrie !
« Rapport de force clair et massif »
Les jeunes sont parmi les premier·es à subir ces politiques de casse sociale. Il est urgent de mettre la jeunesse en protection sociale, de réformer le système des bourses et d’abolir la sélection à l’entrée de l’université.
Le 1er octobre marque le début des discussions sur le budget de l’État et de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale. C’est le moment de gagner qu’enfin les plus riches et les multinationales soient taxés pour financer nos services publics, la justice sociale et environnementale. C’est le moment de gagner l’abrogation de la réforme des retraites !
C’est maintenant qu’il faut peser et gagner. Ce ne sera possible que par un rapport de force clair et massif. Toutes et tous en grève le 1er octobre.
Signataires : CGT, FSU, Solidaires, Unef, Union étudiante, Union Syndicale Lycéenne
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Patrick Martin, le président du Medef multiplie les contacts avec les syndicats pour tenter de renouer un dialogue. La CGT, elle, entend maintenir le rapport de force avec la mobilisation du 1er octobre. Deux stratégies pour reprendre la main face à un exécutif aux abonnés absents.
Le public présent en nombre, dans un Forum social bondé, samedi 14 septembre, à la Fête de l’Humanité, dit tout de l’importance de l’événement. Durant près de deux heures, Patrick Martin (Medef) et Sophie Binet (CGT) ont exposé leurs points de vue, parfois âprement, sur l’actualité économique et sociale.
« Oui, il faut augmenter les salaires », a fini par concéder le patron des patrons, plutôt surpris des applaudissements. « Cela suppose que nos entreprises soient plus performantes d’un côté et que, d’autre part, on revisite nos régimes sociaux », a toutefois précisé Patrick Martin, pointant là l’un des nombreux désaccords avec la secrétaire générale de la CGT sur l’avenir de la protection sociale.
Côté patronat, ce débat illustre la volonté de Patrick Martin de renforcer le « dialogue social », mis à mal par plusieurs années d’accords défavorables au monde du travail et d’ingérence de l’État dans les rouages du paritarisme. « Je ne suis pas chaud pour le ménage à trois avec l’État », avait-il lancé lors des universités de rentrée du Medef.
Deux jours avant sa venue à la Fête de l’Humanité, le patron des patrons avait d’ailleurs convié les numéros un des centrales syndicales chez lui, dans la région lyonnaise, pour un dialogue informel à l’occasion des Worldskills, une compétition internationale des métiers. Les numéros un de la CFTC, Cyril Chabanier, et de Force ouvrière, Frédéric Souillot, avaient fait le déplacement, accompagnés de François Asselin, de la CPME.
Le budget 2025 dans le viseur
Face à un exécutif affaibli, les organisations syndicales et patronales entendent pousser leur avantage. La machine de la démocratie sociale avait été enrayée en avril, après l’échec des négociations sur l’emploi des seniors. Parmi les dossiers sur la table, l’assurance-chômage, alors que l’Élysée parie toujours sur la casse des droits des salariés privés d’emploi. D’ailleurs, depuis ce lundi 16 septembre, les collaborateurs du premier ministre Michel Barnier reçoivent à tour de rôle les organisations de salariés et d’employeurs.
Côté CGT, la feuille de route revendicative est connue : abrogation de la réforme des retraites, hausse des salaires, égalité femmes-hommes et défense des services publics. Ces mots d’ordre sont partagés par Solidaires et la FSU, qui appellent aussi à participer à la journée de mobilisation interprofessionnelle du 1er octobre, date butoir de la présentation du budget aux députés.
« Cet exercice est central pour nos vies. Sans mobilisation, nous risquons une violente austérité : jours de carence, franchises médicales, coupes dans les services publics. Nous le disons à Michel Barnier : pour redynamiser nos services publics, les impôts des plus riches et des multinationales devront augmenter », prévient Sophie Binet dans un entretien à l’Humanité magazine.
Et la secrétaire générale de la CGT de conclure : « J’appelle les milliers de salariés de l’industrie menacés par des plans de licenciement à s’emparer de cette journée pour défendre leurs emplois. » Le ton de la rentrée sociale est donné.
mise ligne le 16 septembre 2024
Ludovic Finez sur www.humanite.fr
Relayée en France par la CGT, la mobilisation syndicale mondiale du 13 septembre chez ArcelorMittal a dénoncé les trop nombreux morts dans le groupe et réclamé une véritable politique industrielle.
Dunkerque (Nord), correspondance particulière.
Au moins 314 décès de 2012 à 2023, dans des mines et des aciéries au Kazakhstan, en Afrique du Sud, au Brésil, en Espagne, en France, au Maroc, en Ukraine, en Pologne aux États-Unis… Voilà l’effrayant bilan dressé par le réseau syndical mondial IndustriAll au sein du groupe ArcelorMittal. Les mineurs du Kazakhstan ont payé un tribut particulièrement lourd, avec 51 morts rien qu’en 2023.
« Arrêtons l’hécatombe » : c’est sous ce mot d’ordre qu’IndustriAll appelait à la mobilisation, vendredi 13 septembre, dans les sites du géant de l’acier à travers le monde. En France, les métallos CGT ont répondu à l’appel, en organisant des rassemblements à Dunkerque, Reims, Florange et Fos-sur-Mer.
À Dunkerque, ils sont plusieurs dizaines à se réfugier sous les tonnelles rouges à chaque averse, au milieu du vaste rond-point devant l’entrée de l’usine, qui emploie 3 000 CDI et 1 500 sous-traitants. « Il y a un an, un haut-fourneau a flambé (à Dunkerque). On passe parfois à côté de catastrophes et pour nous, c’est un problème d’investissement », confie Philippe Verbeke, de la Fédération métallurgie CGT, salarié d’un autre site ArcelorMittal, celui de Mardyck, qui, à quelques kilomètres de là, lamine l’acier produit à Dunkerque.
Une vitrine derrière laquelle tout se dégrade
Sous la pluie, Gaëtan Lecocq, de la CGT ArcelorMittal Dunkerque, s’empare du micro : « Quand on écoute les médias et la direction, tout va bien chez nous. Ce n’est qu’une vitrine, car la situation ne fait que se dégrader. Au départ, il était prévu d’investir pour que la durée de vie du haut-fourneau n° 4 soit portée à 2050. Puis, on est passé à 2040, avec plusieurs centaines de millions d’euros économisés. Enfin, en juin, on nous annonce qu’on va juste poser des rustines, pour tenir jusque 2029, dans le meilleur des cas. »
ArcelorMittal annonce un objectif de décarbonation de 30 % d’ici à 2030. Mais, en attendant d’annoncer la localisation de ces investissements, le groupe « fait monter les enchères entre les différents gouvernements européens, pour obtenir un maximum de fonds publics, ainsi qu’une électricité au prix le plus bas », souligne Philippe Verbeke. Imposer des commissions de suivi et des contreparties aux aides publiques – en embauches et investissements – est précisément une autre revendication de la journée.
« Nous voulons mettre la pression sur le futur ministre de l’Industrie pour une maîtrise publique de la filière », résume le responsable CGT, qui évoque des participations de l’État dans les entreprises quand la situation l’exige, voire la nationalisation, mais aussi la réduction du temps de travail, de meilleurs salaires et des départs anticipés en retraite pour prendre en compte la pénibilité.
Inquiétudes chez ThyssenKrupp et Valdunes
L’objet de la mobilisation est de mettre en lumière tout le secteur sidérurgique. Ainsi, chez ThyssenKrupp, deux sites français, dans le Nord et l’Est, pourraient faire les frais des manœuvres actionnariales du milliardaire Daniel Kretinsky. Inquiétudes également chez Valdunes, le dernier fabricant français de roues de train, dont la forge est installée à Dunkerque et le site d’usinage à Valenciennes.
Son rachat par le français Europlasma, au prix de 119 licenciements pour 190 emplois sauvés, s’est accompagné d’une promesse de 35 millions d’euros d’investissement sur trois ans, aidés par l’État. « Au bout de six mois, nous n’avons pas de nouvelles, il y a de quoi être inquiet », confie Philippe Lihouck, délégué CGT à la forge. Actuellement, la production est proche de zéro, la direction arguant d’une nécessaire remise à plat des relations avec les clients. Philippe Lihouck évoque un contrat avec le tchèque Bonatrans « mis de côté » et un autre, avec une entreprise indienne, qui « a capoté ».
Optimisme prudent chez Ascometal
Venus également en voisins, Jean-Louis Clarys et Tony Neuts-Roubelat affichent de leur côté une prudence plus optimiste. Leur usine dunkerquoise d’aciers spéciaux fait partie des sites Ascometal, avec ceux d’Hagondange, Custines (Meurthe-et-Moselle) et Saint-Étienne (Loire), repris par le fonds anglais Greybull Capital. Ce dernier, également largement soutenu par l’État, a conservé 760 salariés, dont les 170 du Nord, et supprimé 23 postes dans la holding à Hagondange.
« On n’a pas beaucoup de boulot, admettent les deux élus CGT, car le redressement judiciaire nous a fait perdre des clients et nous avons besoin que nos fournisseurs reprennent confiance. » Mais les objectifs d’amener la production annuelle à 60 000 tonnes, le double de 2023, leur « paraissent sérieux ». Autre motif d’espoir : la programmation de 10 millions d’euros d’investissement pour remettre en route le laminage de l’usine, arrêté en 2021.
mise en ligne le 15 septembre 2024
Léa Darnay sur www.humanite.fr
La justice a commencé à étudier la plainte de huit ouvriers qui ont effectué des travaux de rénovation dans des conditions déplorables de logement, de travail et de sécurité.
Quand il se remémore son calvaire vécu en 2022 avec sept autres collègues, Rayane* a une formule simple : « C’étaient des conditions de travail horribles ». L’ancien travailleur sans-papiers et ses compagnons d’infortune ont connu l’enfer après avoir été recrutés pour rénover le château d’automne de Chambry, en Seine-et-Marne.
Assistés depuis par la CGT de Seine-et-Marne et son secrétaire général Patrick Masson, ils ont fini par porter plainte pour traite d’êtres humains contre leurs anciens patrons d’une même famille. Mardi 10 septembre, les huit hommes se sont retrouvés au Tribunal judiciaire de Meaux pour la première audience d’une procédure qui s’annonce exemplaire.
Repéré dans une zone industrielle, là où les entrepreneurs profitent de la situation des sans-papiers pour les embaucher à un salaire misérable, Rayane est engagé pour réaliser des travaux de maçonnerie. Aucune protection ne lui est donnée : ni casque, ni chaussures de sécurité. Pas question pour autant de ne pas exécuter les tâches toutes plus dangereuses les unes que les autres. Lors de l’été caniculaire de 2022, l’ouvrier passe plus d’un mois à nettoyer le toit au jet à pression, sans protection ni lien de sûreté, surveillé de près par un maître de chantier tatillon.
Un patron qui n’en est pas à son coup d’essai
Les heures supplémentaires sont fréquentes, mais les salaires ne suivent pas. « J’avais négocié 1 200 euros, mais finalement il me donnait ce qui l’arrangeait, parfois 900 euros, d’autres fois 1 000 », raconte Rayane. Et des congés payés ? « Jamais, répond-il. Le dimanche était le seul jour de repos de la semaine. »
Le château, dans un état désastreux, n’était pas habitable. Pourtant, Rayane l’affirme : « On était logé là où on travaillait ». Les ouvriers ont dû se débrouiller pour trouver des lits, des plaques de cuissons, des fenêtres et des fils électriques. « Le patron avait seulement installé un compteur », explique-t-il.
Dépourvu de chauffage, le logement qu’ils rénovaient possède des sanitaires dans un état abject d’insalubrité. Un dépôt sauvage d’amiante se trouve dans les bois du château, où les travailleurs ont dû plusieurs fois travailler à proximité. Qu’importe la santé. « Soit tu travaillais, soit tu dégageais », reprend Rayane.
« Si le problème était très grave, il nous laissait aller aux urgences, mais sans nous y emmener. » Un clou planté dans le pied ne constituait pas un motif de gravité : « Ce n’était rien d’après le patron. Mon collègue blessé s’est soigné tout seul. De toute façon s’il partait, il le virait. »
Les témoignages de ses collègues se ressemblent : conditions de travail indignes, conditions d’hébergements catastrophiques. Ce n’est qu’une part de ce qui est reproché aux employeurs poursuivis. Le père, la mère et leur fille sont accusés de délit au droit d’urbanisme, de travail dissimulé, d’exécution de travaux non autorisé par un permis de construire ou encore d’emploi d’étranger en situation irrégulière. Le patron n’en est pas à son premier procès : fraudes, escroquerie… Avec cette affaire s’ajoute la traite d’êtres humains, à propos de laquelle il risque jusqu’à 20 ans d’emprisonnement.
La prochaine audience a été renvoyée au 4 février 2025 à la demande des avocats de l’employeur, qui réclament un troisième défenseur et mettent en cause la réception tardive de certains documents. Mais l’Urssaf va elle aussi mettre à profit ce temps supplémentaire pour finir de chiffrer le manque à gagner en termes de cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Un renvoi qui arrange aussi les plaignants, puisque d’anciens salariés sans-papiers ont annoncé vouloir se constituer partie civile.
* Le prénom a été changé
mise en ligne le 2 septembre 2024
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Après le cirque indigne d’une démocratie qui a mené à la nomination de Michel Barnier à Matignon, la secrétaire générale de la CGT promet une rentrée des plus offensives. Sophie Binet entend pousser le rapport de force lors de l’examen du budget à l’Assemblée. Nous l’avons rencontrée avant son passage à la Fête de l’Humanité et la journée de mobilisation du 1er octobre.
La CGT n’entend pas laisser de répit à Emmanuel Macron. Jeudi 5 septembre, près d’une heure après la nomination de Michel Barnier à Matignon, « l’Humanité magazine » rencontrait Sophie Binet. La secrétaire générale de la CGT avait déjà annoncé une journée de mobilisation le 1er octobre, jour où arrive le budget 2025 devant les députés. Après le déni de démocratie du chef de l’État, cette date prend une tournure bien plus politique, alors que la cégétiste, une des figures de l’élan populaire post-dissolution, entend arracher des avancées sociales.
Après les législatives, vous vous attendiez à un coup de force d’Emmanuel Macron. C’est chose faite avec Michel Barnier à Matignon. Le chef de l’État devra-t-il se résoudre à amoindrir, voire abandonner sa politique économique pour apaiser le pays ?
Sophie Binet : C’est une évidence. D’abord, les électeurs ont pris leurs responsabilités pour battre l’extrême droite. Ensuite, la politique économique et sociale d’Emmanuel Macron a été lourdement sanctionnée. En multipliant les cadeaux aux plus riches, Bruno Le Maire et le chef de l’État ont creusé le déficit de 1 000 milliards depuis 2017. Un millier d’élèves handicapés n’ont pu être scolarisés à la rentrée. Il n’y a jamais eu autant d’enseignants contractuels, c’est-à-dire sans formation. Les urgences arrivent en bout de course. Le bilan d’Emmanuel Macron est une catastrophe.
En cherchant à neutraliser une motion de censure du RN, le président de la République a une nouvelle fois joué avec l’extrême droite, au détriment du sursaut républicain dans l’entre-deux-tours…
Sophie Binet : En plaçant le RN en faiseur de rois, Emmanuel Macron s’assoit sur le vote des Français. Marine Le Pen aura le pouvoir de vie ou de mort sur Michel Barnier. Le chef de l’État s’est placé en situation de dépendance à l’extrême droite. Dans toutes les autres démocraties parlementaires, c’est la force politique arrivée en tête qui a la responsabilité de construire une majorité. C’est seulement si elle n’y parvient pas que les autres partis prennent la main. En réalité, Emmanuel Macron veut conserver son pouvoir personnel. Or, président de la République ne signifie pas avoir les pleins pouvoirs. Sa politique est fluctuante sauf dans un domaine : ses orientations économiques au service des puissants. C’est pour maintenir cette politique économique qu’Emmanuel Macron a écarté le NFP de Matignon.
En réponse, la CGT appelle à une journée de mobilisation le 1er octobre. Quelles sont les priorités de la CGT ?
Sophie Binet : Ce sont les syndicats de retraités qui ont initié le 1er octobre. Nous l’avons confédéralisé car c’est une date unitaire. C’est aussi le jour de l’arrivée du budget 2025 à l’Assemblée. Cet exercice est central pour nos vies. Sans mobilisation nous risquons une violente austérité : jours de carence, franchises médicales, coupes dans les services publics. Nous le disons à Michel Barnier : pour redynamiser nos services publics, les impôts des plus riches et des multinationales devront augmenter.
De plus, il est intolérable que les 170 milliards d’aides publiques à destination des entreprises ne soient pas conditionnées à des impératifs sociaux et environnementaux. Nous irons arracher les augmentations de salaire, à commencer par l’indexation sur les prix et une réévaluation du Smic. Sans mobilisation, Emmanuel Macron continuera sa politique de casse sociale. Mais, grâce au sursaut populaire à la suite de la dissolution, le chef de l’État n’a jamais été aussi fragilisé. Après avoir évité le pire, l’arrivée de Bardella à Matignon, nous voulons gagner le meilleur. Macron ne comprend que le rapport de force. Or, la force est avec nous. Ne nous laissons pas emporter par le fatalisme, ayons conscience des points marqués depuis 2022.
Lesquels ?
Sophie Binet : Nous avons empêché une victoire du RN. La gauche est arrivée en tête des législatives anticipées, ce qu’aucun commentateur n’avait prédit. Emmanuel Macron ne contrôle plus rien dans le pays. Sa capacité d’action est contrainte par le Parlement. Le gouvernement Barnier va être le plus faible de la Ve République. Le chef de l’État a dû abandonner les réformes d’assurance-chômage, du logement, de l’audiovisuel public, de la fonction publique, du Code du travail.
Ces victoires ont été arrachées par la mobilisation et par les urnes. Sans la dissolution, nous nous préparions à une rentrée de résistance. Nous sommes désormais en situation de conquête sociale. Qui aurait annoncé, un an en arrière, que le débat de cette rentrée serait l’abrogation de la réforme des retraites ? Une majorité de députés s’y disent disposés. Quoi qu’en pense le gouvernement Barnier, les députés font la loi. Si l’exécutif a la moindre hésitation, je les invite à organiser un référendum. Le résultat sera sans appel.
En l’état actuel du rapport de force, est-il possible d’imposer un meilleur partage des richesses ?
Sophie Binet : Le patronat fait primer les intérêts des actionnaires sur celui des entreprises. Le programme du NFP était dérangeant pour le Medef parce qu’il opère un rééquilibrage en faveur du monde du travail. Le patronat a brillé par son silence complaisant face à l’extrême droite. Or, la montée du racisme s’opère aussi sur les lieux de travail. Si le patronat se comporte en simple corporation défendant seulement ses intérêts économiques de court terme, alors il n’a plus de légitimité dans le débat démocratique. Nous devrons affronter le capital pour le faire céder. Cela nécessite de grandes mobilisations sociales.
Le 1er octobre n’est pas une journée de témoignage pour se retrouver entre militants syndicaux. Nous voulons gagner des avancées concrètes pour nos vies. J’appelle les salariés, dans les entreprises, à chiffrer leurs besoins de hausses salariales et à les exiger de leurs patrons en se mettant en grève à compter du 1er octobre. J’appelle les milliers de salariés de l’industrie menacés par des plans de licenciement à s’emparer de cette journée pour défendre leurs emplois. Le délabrement de nos services publics est un problème, pas seulement pour les fonctionnaires, nous voulons gagner le financement nécessaire. Sur l’ensemble du territoire, les députés doivent être interpellés. La réforme des retraites a été introduite au Parlement par un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. Nous pouvons la défaire lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025.
Solidaires et la FSU appellent également à se mobiliser le 1er octobre. Mais vous n’êtes pas suivi par l’ensemble de l’intersyndicale. Sans retomber dans les divisions des années 2010, faut-il entrevoir la fin d’une dynamique unitaire issue du mouvement de 2023 ?
Sophie Binet : Lors du 1er mai, les commentateurs avaient prédit la fin de l’intersyndicale, l’ensemble des organisations n’étant pas dans la rue. Dès le lendemain, nous nous sommes retrouvés contre la réforme de l’assurance-chômage. Une majorité d’organisations syndicales se sont mobilisées contre l’extrême droite. Oui, nous avons des stratégies et histoires syndicales différentes. Mais cela n’impacte pas notre dynamique unitaire. Nous faisons primer ce qui nous rassemble sur ce qui nous divise. D’ailleurs nous avons tenu une intersyndicale le 9 septembre. Une campagne unitaire contre le racisme et l’antisémitisme dans les entreprises sera prochainement lancée. Enfin, au lendemain du scrutin législatif, sept organisations syndicales ont signé une plateforme revendicative commune interpellant l’exécutif : abrogation de la réforme des retraites, hausse des salaires, défense de l’industrie et financement des services publics.
Dans ce contexte politique, aucune grève n’a été impulsée durant les jeux Olympiques. Assumez-vous cette stratégie ?
Sophie Binet : La grève ne se décrète pas. Je n’ai malheureusement pas de bouton rouge « grève générale » sur mon bureau. Les salariés se mettent en grève sur leurs revendications. La CGT a déposé des préavis, durant les JO, dans de nombreux secteurs. La cérémonie d’ouverture a failli ne pas se tenir, parce que les organisateurs refusaient de payer dignement les danseurs. Et, à trois jours de l’événement, nous avons gagné le doublement des rémunérations. Idem à la Monnaie de Paris, qui frappait les médailles olympiques. Nous avons obtenu des primes pour compenser le surcroît de travail. Ces salariés n’étaient pas favorables à déposer des préavis. Ils étaient fiers de travailler à la réussite des jeux Olympiques.
En fin de compte, il n’y a pas eu de grèves parce que les salariés ne l’ont pas souhaité. Il faut arrêter le fantasme des pseudo-grèves par procuration. Les cheminots, les énergéticiens, les dockers… ne supportent plus ces discours. Chacun doit prendre ses responsabilités, non pas quelques secteurs professionnels. Durant le mouvement des retraites, ces secteurs dans lesquels la CGT est la plus implantée se sont sentis très seuls pour construire les grèves reconductibles. Les énergéticiens ont tenu cinquante jours, les dockers pas loin d’un mois, idem chez les éboueurs… Ils le paient cash avec une terrible répression antisyndicale et plus de 1 000 procédures ouvertes contre nos militants et nos dirigeants.
La charte sociale des JO, négociée par Bernard Thibault, doit-elle s’inscrire dans la loi ?
Sophie Binet : Cette charte a permis de diviser par quatre le nombre d’accidents du travail sur les chantiers. Aucun accident mortel n’est à déplorer. Il n’y a donc pas de fatalité. Ces mesures doivent être généralisées à tous les secteurs d’activité. Cela implique de recruter des inspecteurs du travail, de créer de nouvelles prérogatives pour les délégués du personnel en commençant par restaurer les CHSCT et de limiter la sous-traitance.
Quelle adaptation de la CGT aux mutations du salariat ?
Durant le mouvement contre les retraites, les grèves ne se sont pas étendues parce que les déserts syndicaux sont trop nombreux. Les taux de syndicalisation sont faibles. Il faut rompre avec le syndicalisme par procuration, encourager ceux qui partagent le discours de la CGT à se syndiquer. La CGT a des transformations à opérer et une réflexion interne est engagée. Nos formes de syndicalisation doivent s’adapter aux petites et moyennes entreprises, en développant les syndicats de territoire.
Par exemple, dans la construction, des syndicats départementaux regroupent des salariés de différentes entreprises. Depuis la dissolution, plusieurs milliers de syndiqués nous ont rejoints, notamment des jeunes, des femmes et des cadres. C’est très positif. Mais cela doit s’accompagner d’un travail dans la durée pour porter spécifiquement les revendications des salariés les plus qualifiés sans que cela n’invisibilise les ouvriers et les employés, qui doivent rester le centre de gravité de la CGT.
En dix-huit mois comme secrétaire générale, vous avez multiplié les déplacements dans les entreprises. Quel est le pouls dans le monde du travail ?
Sophie Binet : Malgré une participation record, la moitié des ouvriers et 42 % des employés n’ont pas voté lors des législatives. Les raisons structurelles de cette abstention sont inquiétantes, à commencer par la distanciation des partis de gauche et du monde du travail. La gauche a souvent trahi les attentes. Elle doit redevenir le parti du travail. Rien n’est jamais écrit d’avance. C’est par notre mobilisation collective, y compris de la CGT, que nous avons arraché le résultat du 7 juillet. Cela doit nous donner confiance en l’avenir. Pour éviter l’extrême droite, nous connaissons les prérequis : l’union des forces de gauche, sur un programme de rupture, accompagné d’une reconnexion avec le monde du travail.
Pour sortir de la dualité emploi contre transition écologique, la CGT travaille à des contre-projets industriels dans les territoires. Quelle est cette méthode ?
Sophie Binet : La CGT pense, avec les travailleurs, à la transformation des moyens de production. Les contradictions entre le social et l’environnement ne se dépasseront pas d’en haut. Le chantage à l’emploi qu’exerce le patronat fait monter l’extrême droite. À Tefal, la CGT a eu le courage d’affronter le patronat qui veut continuer à produire des poêles avec des polluants éternels et menace de fermer l’usine. Pour cela, nous avons croisé les points de vue entre les salariés, les citoyens et les scientifiques. Et nous travaillons activement à des alternatives aux polluants éternels.
À gauche, entre les syndicats, les ONG et les partis, nous devons pousser le débat pour dépasser nos désaccords. On doit se dire qu’il n’existe pas d’énergie sans impact environnemental. Or nous avons besoin d’énergie pour relocaliser notre industrie, améliorer nos conditions de vie et répondre au basculement des voitures thermique vers l’éclectique. Il s’agit donc, en la matière, de définir une balance coût/inconvénient. À ce stade, il nous semble impossible de sortir des énergies fossiles sans électricité nucléaire. Je ne crois pas que nous soyons prêts à recouvrir nos espaces naturels d’éoliennes, de panneaux solaires et de barrages.
Le combat des Duralex, à La Chapelle-Saint-Mesmin, a marqué l’actualité sociale de l’été. La CGT, majoritaire, n’a pas soutenu la transformation de l’usine en Scop. Quelles sont vos réticences ?
Sophie Binet : Nous sommes inquiets sur la solidité financière et industrielle de la Scop. Cependant, le projet a été retenu et nous devons tout faire pour sa réussite. L’absence d’exécutif est préjudiciable. La commande publique peut pérenniser l’entreprise. Les collectivités et l’éducation nationale doivent se fournir chez Duralex.
Les élus locaux de tous bords se sont mobilisés pour sauver une marque iconique. Je note que le rapport de force, impulsé par la CGT depuis trente ans, a forcé un changement de discours sur l’industrie que nous étions bien seuls à défendre.
mise en ligne le 14 juillet 2024
Samuel Eyene sur www.humanite.fr
Huit mois après avoir remis en marche l’usine, les travailleurs de l’usine de papier emblématique de la Meuse se retrouvent à nouveau en difficulté. Des promesses non tenues par leur ancien propriétaire et un sous-investissement du nouveau renvoie l’entreprise en redressement judiciaire.
C’est l’histoire d’une reprise d’activité qui ne s’est pas passée comme prévu. Un an seulement après son rachat par le fonds allemand Accursia Capital, la papeterie Stenpa (ex-Stenay Papers) anciennement détenue par le groupe finlandais Ahlstrom, a été placé en redressement judiciaire, vendredi 5 juillet, par le tribunal de commerce de Bar-le-Duc. « Accursia Capital et Ahlstrom ne semblent pas respecter leurs engagements vis-à-vis des salariés », a dénoncé l’intersyndicale CGT-FO dans un communiqué.
« Le nouvel actionnaire n’a pas eu de projet industriel »
Un nouveau coup de massue pour les 124 salariés de l’usine spécialisée dans la fabrique de papiers destinés à l’emballage ou encore à la fabrication d’étiquettes. Déjà, en mars 2023, ils avaient dû faire face à la décision d’Ahlstrom de cession du site en raison d’une baisse du nombre de commande. Un plan social avait alors été lancé le 7 avril 2023 avant qu’un repreneur, trouvé en urgence, ne fasse irruption.
Des nouvelles bobines de papiers avaient vu le jour en novembre 2023. Et les travailleurs, las d’une longue lutte de cinq mois, se croyaient sauvés. Retour à la case départ, un an plus tard. La faute à des accords non respectés par l’ancien propriétaire, d’après les syndicats.
« Pour faire simple, lors de la reprise de la papeterie, l’ancien propriétaire Ahlstrom s’est engagé à trouver des commandes afin de l’aider à redémarrer. L’accord devait durer six mois. Cela a bien fonctionné au début. L’usine a repris son activité en octobre de l’année dernière avec près de 100 tonnes de commandes », raconte Alain Magisson, secrétaire du comité social et économique (CSE) et délégué CGT.
Mais la suite a été plus laborieuse. Le nombre de commandes a diminué et le précédent propriétaire a cessé de jouer « son rôle dans l’accompagnement. Il s’est même placé en concurrence de la papeterie de Stenay », poursuit le cégétiste.
Seulement, Ahlstrom n’est pas le seul tenu pour responsable dans les nouvelles difficultés. Les erreurs proviennent également « du nouvel actionnaire, qui n’a pas eu de projet industriel ni les moyens pour soutenir la société », précise Matej Kurent, directeur général de la papeterie Stenpa.
Ainsi, le CSE a alerté la direction et sommé Accursia de venir sur le site. Ce qu’elle n’a pas fait, contraignant une partie des délégués syndicaux à se déplacer en juin au siège munichois du fonds d’investissement pour obtenir des réponses… insatisfaisantes.
« La direction d’Accursia nous a expliqué comment elle opère. Elle reprend des entreprises dont les actions chutent à zéro et s’occupent de les relancer sans toutefois y investir le moindre centime, s’indigne Alain Magisson. Si la papeterie devient rentable, elle empruntera de l’argent auprès des banques. Mais Accurcia, lui, n’avance ni n’investit aucune somme. Il ne prend aucun risque ».
Difficile, dans ces conditions pour l’intersyndicale d’entrevoir un avenir radieux. L’usine meusienne fait donc face au péril d’une liquidation judiciaire au 30 septembre si aucun repreneur ne se fait connaître d’ici là.
mise en ligne le 10 juillet 2024
Marie-Sylvie Prudhomme et Marc Bertrand sur https://www.francebleu.fr/infos/
Depuis hier soir mardi, l'usine Mademoiselle Desserts de Condat-sur-Trincou en Dordogne tourne au ralenti. A l'appel de la CGT, de nombreux salariés ont débrayé pour réclamer de meilleurs salaires. La grève est reconductible.
Selon la CGT, 80 % des salariés du site de Condat-sur-Trincou sont en grève ce mercredi matin © Radio France - Marc Bertrand
Depuis mardi soir, les salariés de l'usine Mademoiselle Desserts de Condat-sur-Trincou en Dordogne sont en grève à l'appel de la CGT. Un mouvement organisé dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) pour les salaires. Ce mercredi 10 juillet dans la matinée, ils étaient une cinquantaine de salariés grévistes réunis devant l'entrée de l'usine de Valade, qui emploie près de 500 personnes.
100 euros bruts pour tous les salariés
Le mouvement est très suivi selon le syndicat qui annonce un chiffre de 80% de grévistes, alors que la direction parle de 37,5% sur la journée. Mardi soir, au moment de la prise de service du personnel de nuit, aucune des 12 lignes de production ne fonctionnaient. Ce mercredi matin, trois lignes sur 12 étaient en activité selon l'entreprise.
La CGT réclame une augmentation de 100 euros bruts par mois pour l'ensemble du personnel. De son côté, la direction propose une augmentation de salaire de 2%, soit environ 40 euros en moyenne, qui suit l'inflation. L'entreprise fait remarquer que les salariés ont touché une prime d'intéressement de 4.000 euros au mois de mai, pour les récompenser des bons résultats de l'entreprise.
La grève est reconductible
L'autre site de Mademoiselle Desserts en Dordogne qui emploie 35 personnes à Thenon est également touché par le mouvement mais dans une moindre mesure. Quatre salariés étaient en grève mercredi matin, selon l'entreprise.
La grève est reconductible, annonce la CGT. La dernière réunion des NAO doit se dérouler vendredi 12 juillet, le syndicat compte mettre la pression sur la direction d'ici là. L'année dernière, en 2023, les salariés avaient obtenu une augmentation de 103 euros bruts par mois après trois jours de grève.
mise en ligne le 9 juillet 2024
sur https://www.cgt.fr/actualites
La mobilisation citoyenne a déjoué le scénario catastrophe d’Emmanuel Macron qui, par sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, a créé le chaos et déroulé le tapis rouge au Rassemblement National. Une large majorité d’électeurs et d’électrices ont clairement exprimé leur refus de donner les clés du pays à l'Extrême droite.
Le Nouveau Front Populaire, porteur d’un programme prévoyant notamment l'augmentation des salaires et des pensions, l'abrogation de la réforme des retraites et l'investissement dans nos services publics, est arrivé en tête.
Espagne, Grande-Bretagne et maintenant la France : les réactionnaires sont battus sur la base d’attentes sociales fortes. En Europe, le choix est désormais clair : progrès social ou fascisme, le libéralisme n’est plus une alternative.
Le président de la République a été sévèrement sanctionné.
Il a été totalement irresponsable en tentant jusqu’au bout de mettre dos à dos l’Extrême droite avec la gauche, contribuant ainsi à la légitimation du
Rassemblement National et de son idéologie.
Heureusement, la majorité des organisations syndicales, la société civile, la jeunesse et les partis politiques républicains ont pris
leurs responsabilités. Fidèle à son histoire, la CGT a continué de rappeler très fermement
que le Rassemblement National est toujours un parti raciste, antisémite, homophobe, sexiste et violent et qu’il ne doit jamais être considéré comme
un parti comme les autres.
Au-delà, les leçons doivent être tirées en profondeur pour contrer la progression continue du Rassemblement National, qui a obtenu un nombre de député·es record.
La CGT alerte. Les exigences sociales doivent être entendues : le travail doit permette de vivre dignement et les services publics doivent être développés dans tous les territoires.
Pas question que le patronat, qui a brillé par sa complaisance envers l’Extrême droite, ait encore gain de cause.
Il faut rassembler le pays qui a été clivé de façon très violente et lutter avec détermination contre le racisme, l'antisémitisme et l'islamophobie. Il faut aussi renforcer les obligations déontologiques et l’indépendance des médias actuellement dans les mains de quelques milliardaires.
Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée.
Depuis les élections européennes, des milliers de salarié·es et retraité·es ont fait le choix de se syndiquer à la CGT.
Cette dynamique doit s’amplifier pour permettre aux travailleuses et travailleurs de reprendre le pouvoir sur leur travail et leur vie. Partout dans les territoires, la CGT va rencontrer les député·es républicains pour porter les exigences du monde du travail.
La CGT va réunir ses instances de direction pour décider de toutes les initiatives nécessaires et échanger avec l’intersyndicale et les associations pour continuer à avancer dans l’unité la plus large.
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Après la « victoire incroyable » de la gauche, Sophie Binet exige du président de la République qu’il respecte le verdict des urnes. La secrétaire générale de la CGT livre sa réflexion sur l’urgence de renouer avec le monde du travail et ses revendications. Une intersyndicale doit avoir lieu ce 9 juillet.
Au second tour, le barrage républicain a empêché le RN de faire main basse sur Matignon. Est-ce une satisfaction ?
Sophie Binet : C’est une victoire incroyable. La mobilisation citoyenne a réussi à déjouer tous les scénarios catastrophes préparés depuis l’Élysée. Emmanuel Macron organise le chaos pour dérouler le tapis rouge à Jordan Bardella.
La gauche a su s’unir sur un programme de rupture avec le macronisme malgré des divergences fortes. La majorité des syndicats, CGT et CFDT en tête, ont pris leurs responsabilités en appelant à barrer la route de Matignon à l’extrême droite.
La clarté des désistements a contribué à battre en brèche la stratégie du « ni, ni » de la Macronie. Nous avons forcé la droite et le centre à reconstruire un barrage républicain, même fragile. Les électeurs ont pris leurs responsabilités. Le peuple français a réaffirmé que notre République, ce n’était pas l’extrême droite.
La CGT a soutenu le programme du Nouveau Front populaire (NFP). La gauche, en majorité relative, devra faire des compromis. Quelles sont vos lignes rouges ?
Sophie Binet : Les exigences sociales doivent être entendues. La CGT scrutera de près les contenus sociaux du prochain exécutif. À commencer par l’abrogation de la réforme des retraites. C’est un point majeur. L’opposition à cette réforme a pesé lourd dans ce scrutin. Grâce à la pugnacité des organisations syndicales, nous avons déjà gagné l’abandon de la réforme de l’assurance-chômage.
Ce n’est pas une petite victoire. La CGT veut des réponses claires sur l’augmentation des salaires, du point d’indice des fonctionnaires et des pensions. Le Smic à 1 600 euros était dans le programme du NFP.
Cela correspond aux revendications de la CGT. Un calendrier doit préciser sa mise en œuvre. L’indexation des salaires est un impératif, car le RN prospère sur le déclassement du travail. Enfin, des moyens doivent être débloqués pour nos services publics.
Quelles places pour les questions industrielles ?
Sophie Binet : Quand on ferme une usine, c’est un député du RN qui est élu. Les aides versées aux entreprises doivent être remises à plat et conditionnées. Le septennat d’Emmanuel Macron a été extrêmement profitable aux grandes entreprises. Elles ont bénéficié d’au moins 60 milliards de cadeaux supplémentaires en termes de baisse d’impôts et profitent chaque année de 170 milliards d’aides sans condition, ni contrepartie.
Il faut une autre répartition des richesses. Le patronat doit passer à la caisse. La CGT attend des actes forts et rapides, notamment dans les luttes sociales en cours. L’avenir des centrales de Cordemais et Gardanne, mais aussi de la papeterie Chapelle Darblay, doit être garanti. La CGT réclame un moratoire sur les licenciements en cours.
Enfin, la privatisation de Fret SNCF doit cesser, avec un moratoire sur le plan de discontinuité. La CGT se tient prête à proposer un plan de développement du ferroviaire au prochain gouvernement.
Quel profil doit aller à Matignon ?
Sophie Binet : La CGT n’a pas à faire le casting du futur exécutif. Mais une aspiration au renouvellement a émergé dans cette dynamique populaire. La gauche est en situation de cohabitation avec Emmanuel Macron. Jusqu’au bout, le président essayera d’empêcher une politique de justice sociale, avec la complicité du patronat. Il continuera à jouer les pyromanes.
« Nous avons besoin d’une gauche de rupture capable de gouverner et d’apaiser le pays. »
Le futur gouvernement doit se donner les moyens de durer, il doit être composé de personnalités qui rassemblent et répondent aux exigences sociales du monde du travail. Le pays est fracturé. Nous avons besoin d’une gauche de rupture capable de gouverner et d’apaiser le pays.
La stratégie de clivage, du bruit et de la fureur, de polarisation, profite in fine à l’extrême droite. Nous n’avons pas besoin de jeter du sel en permanence sur le débat public. Le NFP a une obligation de réussite, il ne doit ni trahir ni décevoir.
Vous craignez des manœuvres de l’Élysée pour empêcher la gauche de gouverner ?
Sophie Binet : Par son silence, Emmanuel Macron cherche à s’asseoir sur le résultat des urnes. Le chef de l’État souhaite un gouvernement technique dans la continuité de sa politique néolibérale. Le résultat, nous le connaissons par avance et nous l’avons vu en Italie.
Une coalition sans contenu social propulsera Marine Le Pen à l’Élysée en 2027. Il serait irresponsable de repartir sur une majorité relative composée des macronistes et des LR.
Quelles initiatives la CGT va-t-elle prendre dans les jours à venir ?
Sophie Binet : Une intersyndicale se tiendra ce mardi soir. Avec les autres organisations syndicales, nous continuerons à chercher à rassembler le pays autour de nos revendications sociales et à empêcher un hold-up démocratique. Le patronat a brillé par sa complaisance envers l’extrême droite. Il n’est pas question qu’il bloque de futures avancées sociales.
La société civile a maintenu une pression populaire sur les partis de gauche. Cet attelage doit-il perdurer ?
Sophie Binet : La CGT rencontrera tous les députés élus, sauf ceux de l’extrême droite. Sans la mobilisation de la société civile, des députés républicains de tous bords n’auraient jamais été élus. Durant ce mois de campagne, une repolitisation de la société s’est opérée : la jeunesse, le mouvement ouvrier, les intellectuels, une partie du monde de la culture et du sport, des journalistes…
Les initiatives se sont multipliées. Il ne faut surtout pas laisser la politique aux politiciens. Ce souffle ne doit pas retomber, sinon Emmanuel Macron jouera avec le RN pour créer le chaos. La CGT continuera à se mêler des affaires politiques.
Le 7 juillet, le RN et ses alliés ont recueilli plus de 10 millions de voix. Le vote d’extrême droite progresse inexorablement dans le salariat. Comment inverser cette tendance ?
Sophie Binet : Nous sommes en sursis d’une arrivée du RN au pouvoir. La CGT alertait, souvent seule, de la progression de l’extrême droite chez les travailleurs. On ne pourra pas lutter contre le racisme sans lutter contre l’antisémitisme, car ces discriminations prennent des formes distinctes mais ont des ressorts communs.
Attention à ne minimiser ni l’un ni l’autre de ces fléaux et à surtout cesser de les mettre en opposition. Les actes racistes et islamophobes ont explosé ces dernières semaines sur les lieux de travail.
Par exemple, à Enedis, une salariée s’est fait traiter de sale négresse. La CGT va interpeller le patronat : quelle politique va-t-il mettre sur pied pour lutter contre le racisme ? Nous proposerons à l’intersyndicale de se saisir de ces enjeux.
Les formations de gauche sont-elles encore audibles dans le monde du travail ?
Sophie Binet : C’est un axe de travail que nous devons aborder avec la gauche politique. Des bastions ouvriers, comme dans les Bouches-du-Rhône, l’Est, le Nord, la Seine-Maritime basculent à l’extrême droite. Ce n’est pas qu’un vote sanction vis-à-vis d’Emmanuel Macron.
Dans une grande partie du salariat, l’extrême droite est un vote d’adhésion. Dans des duels face à la gauche, des salariés ont choisi le bulletin RN. La déstructuration du travail et l’explosion des collectifs de travail sont des accélérateurs de la progression du RN.
La question du travail doit-elle être centrale pour reconquérir les classes populaires ?
Sophie Binet : Oui. La gauche a trop délaissé le travail, tout comme les enjeux industriels. La gauche qui a gouverné sous François Hollande a démissionné face à la finance et a organisé le partage de la pénurie au sein du salariat, en opposant les cadres et les ouvriers. Des partis de gouvernement ont eu pour seule proposition aux présidentielles le revenu universel.
« La gauche doit redevenir le parti du monde du travail. »
Au lieu de parler de salaire, la gauche a parlé de pouvoir d’achat. Des formations ont abandonné le combat pour l’amélioration collective des conditions de travail, en apportant des réponses segmentées pour la seule frange de celles et de ceux les plus en difficulté, en développant les aides sociales, tout en renonçant à affronter le capital. La gauche doit redevenir le parti du monde du travail.
Peut-on parler d’une même voix aux classes populaires de Seine-Saint-Denis, de Flixecourt ou de Saint-Amand-les-Eaux ?
Sophie Binet : C’est l’enjeu qui est devant nous. Sous le poids des mutations du travail, les catégories populaires sont devenues diverses. Ces dernières sont profondément clivées par le vote RN. La question sociale rassemble largement. Nous devons faire comprendre aux travailleurs l’importance d’une expression de classe. Sinon, le patronat continuera de dérouler son projet antisocial.
C’est en ce sens que l’extrême droite est le pire ennemi des travailleurs : elle les fracture en les mettant en opposition selon la religion, la couleur de peau, la nationalité ; pendant ce temps-là le patronat a une paix royale et se frotte les mains ! Cependant, l’abstention reste le premier parti des ouvriers. Nous devons aussi les convaincre de l’utilité de voter.
Comment analysez-vous le rôle de la CGT dans cette séquence ?
Sophie Binet : Je suis très fière du déploiement de la CGT depuis l’annonce de la dissolution. Plus de 3 000 adhésions ont été réalisées. La CGT aurait pu agir comme d’autres, en faisant primer ses intérêts électoraux, et ne pas affronter certains salariés.
De nombreuses circonscriptions ont été gagnées à une poignée de voix. Sans l’investissement de la CGT, le résultat des urnes aurait été différent. Nous sommes restés fidèles à notre histoire. À chaque fois qu’une menace fasciste planait, la CGT a pris ses responsabilités. Nous avons tenté d’être à la hauteur de l’héritage de Benoît Frachon, Georges Séguy, Martha Desrumaux et Henri Krasucki.
mise en ligne le 5 juillet 2024
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
La secrétaire générale de la CGT est venue soutenir Julien Léger dans la 5e circonscription du Val-de-Marne, où le communiste affrontera le macroniste Mathieu Lefèvre dans une triangulaire.
Les drapeaux rouges de la CGT sont de sortie devant l’Intermarché au cœur du quartier des Boullereaux, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Au micro, ce mercredi 3 juillet, Sophie Binet s’exprime : « Julien Léger est capable de travailler avec tout le monde sur la base de l’intérêt des salariés. Ce bulletin de vote peut changer nos salaires, nos retraites, nos vies. »
À quatre jours du second tour des législatives anticipées, la secrétaire générale de la CGT a effectué un premier déplacement pour apporter son soutien à un candidat dans la 5e circonscription du Val-de-Marne. « Indépendante mais pas neutre », la Confédération avait, dès le 18 juin, appelé à voter pour le programme du Nouveau Front populaire (NFP).
Perte de 20 policiers depuis 2021
Sophie Binet et le candidat campinois sont des connaissances de longue date au sein de la CGT. « Je connais Julien depuis longtemps, notamment durant le conflit contre la loi travail. C’est un militant droit, intègre et extrêmement courageux, mesure la cégétiste. À l’Assemblée, ce sera un député qui permettra d’inverser le rapport de force face au capital. Il défendra les droits des salariés, loin des jeux d’appareil. »
Avec 37,27 % des suffrages, Julien Léger talonne de peu le député sortant macroniste Mathieu Lefèvre (38,52 %), proche du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. La candidate RN, Isabelle Huguenin-Richard (20,4 %), complète le casting de cette triangulaire sans être en mesure de l’emporter. « Moins de 800 voix nous séparent du candidat soutenu par tous les barons locaux de la droite, les réserves de voix sont dans nos quartiers populaires, estime le communiste. Ce député sortant ne s’est jamais déplacé dans nos quartiers pour réclamer des services publics, ni même a protesté contre la fermeture de la Poste au centre de Nogent-sur-Marne. »
Par la présence de Sophie Binet dans le quartier des Boullereaux, les militants locaux ont voulu mettre en lumière le recul des services publics. Dans la gare SNCF, les agents ont été remplacés par des machines, sur fond de privatisation des transports en Île-de-France. Surtout, les communistes réclament depuis de nombreuses années la réouverture du second commissariat dans la commune, depuis, transformé en un centre de santé.
« Jamais Mathieu Lefèvre n’a appuyé ces revendications. Pire, depuis 2021, nous avons perdu 20 policiers dans notre secteur ! » fustige Julien Léger. « Nous ne pouvons plus continuer avec les logiques économiques et sociales d’Emmanuel Macron, insiste Sophie Binet. L’élection de Julien se joue à quelques voix. Nous avons besoin de députés de la société civile comme Julien Léger et Lyes Louffok, militants des droits de l’enfant. Les deux circonscriptions de Champigny peuvent faire basculer la future majorité. »
Grève historique à l’Intermarché des Boullereaux
Les habitants du quartier ont aussi en mémoire la lutte des salariées de l’Intermarché, en septembre 2023. « Sur la quarantaine de salariés, 80 % ont tenu une grève de trois semaines, dont la plupart sont des femmes. Certains avaient vingt années d’ancienneté. Nous avons tout de suite reçu un fort soutien des habitants. La caisse de grève débordait. Les commerçants donnaient à manger aux grévistes », rappelle Laurence Viallefont, secrétaire de l’union locale CGT de Champigny-sur-Marne.
Pour Sophie Binet, « par leur mobilisation historique, ces salariées ont obtenu 100 euros d’augmentation pour tous, le respect des salariés par la direction, l’application des libertés syndicales, le paiement des heures supplémentaires et des jours » enfant malade ». C’est une belle victoire qui montre qu’il est possible d’obtenir des avancées sociales ».
De son côté, Julien Léger veut retenir la méthode victorieuse. « Ces femmes ont reçu le soutien des syndicats, des associations et des partis politiques. Les militants PCF ont été très actifs pour leur venir en aide. C’est cette union qui a permis de triompher sur le patron, comme un air de Front populaire avant l’heure. »
Selon le communiste, « le maire LR Laurent Jeanne et le député Mathieu Lefèvre n’ont pas trouvé une minute pour soutenir ces femmes. Nous ne devons plus laisser ce député, responsable de l’explosion des scores de l’extrême droite, en poste ». « L’extrême droite est le pire ennemi des travailleurs parce qu’elle divise avec son racisme. Quatre militants RN ont été condamnés à six mois de prison pour avoir passé à tabac un homosexuel. Que se passera-t-il demain avec un gouvernement Bardella ? » fustige la secrétaire générale de la CGT. À Champigny, les digues ont d’ailleurs cédé. L’adjoint au maire chargé de la sécurité, Grégory Goupil, est également secrétaire régional d’Alliance 93… un syndicat de police d’extrême droite.
mise en ligne le 5 juillet 2024
Léo Schilling sur www.humanite.fr
La dirigeante d’une entreprise de nettoyage francilienne a tenu des propos racistes envers ses employés, en grève depuis le 20 juin. Elle a néanmoins dû négocier avec ses salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables
Ces propos racistes n’en finissent pas de susciter l’indignation. Alors que les travailleurs sans papiers du groupe francilien de nettoyage et d’entretien HNET étaient en grève depuis le jeudi 20 juin pour obtenir les documents auprès de la société pour lancer des procédures de régularisation, ainsi que des augmentations de salaires, la direction de l’entreprise est montée d’un cran ce mardi dans sa violence à l’encontre des travailleurs.
Ce jour-là, la cheffe d’entreprise, qui refusait jusque-là de négocier depuis plus de 10 jours, au point d’engager un maître-chien pour éloigner les grévistes, puis d’envoyer des lettres de convocation pour licenciement, est finalement allée à la rencontre de ses salariés. Devant plusieurs journalistes, elle a assuré d’abord, contre toute évidence, « il n’y a pas de travailleurs sans papiers », avant de tenir des propos ouvertement racistes : « Je suis une blanche, avec tous ces noirs, vous croyez qu’on n’a pas peur ? »
Gain de cause
Soutenus par la CNT, les travailleurs sans papiers ont finalement pu négocier avec la direction mardi 2 juillet au soir, et ont obtenu certaines garanties : la revalorisation de 10 % des salaires, ainsi que l’arrêt des procédures de licenciement, selon le syndicat. De plus, l’accord prévoit un « processus de régularisation et une future réunion sur les contrats et conditions de travail », à la rentrée, poursuit la CNT.
Dans un contexte politique nauséabond, cette victoire est une bouffée d’air frais pour ces salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables (sept jours sur sept, heures supplémentaires non rémunérées…), malgré vingt ans d‘ancienneté pour certains d’entre eux.
Et sur l’origine de cette grève :
Léo Schilling sur www.humanite.fr
En grève depuis jeudi 20 juin, des salariés sans papiers du groupe de nettoyage HNET continuent de revendiquer l’amélioration de leurs conditions de travail devant le siège de l’entreprise, pour le moment sans réponse de la part de leur employeur.
Sur les treize travailleurs sans papiers en grève, neuf sont présents ce mercredi 26 juin, dans le quinzième arrondissement de Paris, pour manifester devant les locaux de leur employeur, le groupe de nettoyage HNET. Ils scandent en chœur « pour tous les travailleurs, solidarité », et agitent des drapeaux de la Confédération Nationale des Travailleurs (CNT) Solidarité Ouvrière, qui les soutient, tout en tapant dans leurs mains et sur une poubelle. Un syndicaliste se tient à leurs côtés, avant qu’ils ne soient rejoints par un juriste de la CNT, chargé de défendre leurs droits.
« Non-respect du droit du travail »
Devant le siège de HNET, barricadé par la direction du groupe durant le week-end, le juriste Etienne Deschamps explique la situation et les revendications de ces travailleurs, des déclarations confirmées par les grévistes. Chargés de nettoyer et d’entretenir les parties communes de copropriétés ou encore de gérer les poubelles et le tri sélectif, ils pointent tous les manquements au droit du travail : « Les employeurs savent parfaitement que ces salariés sont sans papiers, sinon ils se comporteraient différemment. Certains travaillent sept jours sur sept, reçoivent des contrats de travail à temps partiel illicites, qui ne comportent pas les mentions légales, notamment la répartition des horaires dans la semaine ou le mois. Les heures supplémentaires ne sont pas forcément rémunérées, et les frais d’essence des salariés se déplaçant en scooter ne sont pas pris en charge. Depuis des années, les méthodes de l’entreprise sont celles d’un autre monde. »
Selon Etienne Deschamps, les mails et SMS envoyés aux employeurs pour proposer de négocier les conditions de travail des salariés n’ont pas trouvé de réponse, le groupe HNET se contentant de nier l’emploi de travailleurs sans papiers. La première étape est de porter la demande de régularisation des travailleurs : « Ils remplissent tous les critères de la circulaire Valls (texte administratif décrivant les critères de délivrance des titres de séjour), qui est toujours d’actualité : plus de trois ans d’ancienneté sur le territoire, vingt-quatre bulletins de salaire… l’un d’entre eux travaille pour l’entreprise depuis plus de dix ans. Il faut que les entreprises comprennent qu’il faut négocier avec les salariés qui les enrichissent depuis des années. »
Un contexte électoral qui risque de précariser davantage ces travailleurs
Après une première journée de manifestation jeudi 20 juin, les grévistes ont été accueillis le lendemain par des maîtres-chiens, qui avaient apparemment du mal à maîtriser leurs animaux. « Une porte s’est ouverte, un chien est sorti sans laisse ni muselière, ce qui est illicite, et a mordu la première personne venue, un des collègues », raconte le juriste. D’après les déclarations des travailleurs, le maître-chien concerné aurait été embarqué par la police peu après. Les forces de l’ordre sont également revenues voir où en était la situation ce lundi, se contentant de discuter avec les grévistes, puis de quitter les lieux.
Contacté, le groupe HNET n’a pas répondu aux sollicitations de L’Humanité.
Pauline Achard sur www.humanite.fr
Les femmes de chambres du luxueux hôtel Radisson à Marseille, ne sont pas parvenues à faire plier leur direction à l’issue d’une médiation engagée, ce jeudi 4 juillet. Pour leur 44e jour de grève, elles poursuivront donc leur mobilisation ce vendredi, dès 9 heures 30, devant les portes de l’établissement, sur le Vieux-Port.
Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyée spéciale
Il est midi lorsque les 14 femmes de chambre de l’Hôtel Radisson Blu, se rejoignent lessivées, mais non moins déterminées devant la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS), ce jeudi 4 juillet. Alors en grève depuis 43 jours, ces salariées de l’entreprise Acqua, sous-traitante pour le ménage de l’établissement donnant sur le Vieux-Port de Marseille se mobilisent chaque jour et sans relâche pour réclamer de meilleures conditions de travail et des revenus dignes.
Par leurs actions, et notamment, le piquet de grève qu’elles tiennent presque tous les matins, dès 9 h 30 devant l’entrée de l’hôtel de luxe, en pleine saison estivale, les femmes de ménage ont bien l’intention de se faire entendre par des chants, des bruits de casseroles ou des banderoles explicites. « Malgré la fatigue, l’impact de la lutte sur notre vie privée et sur notre santé, nous tenons bon car nous sommes désormais une famille », assure Fatima, en attendant ce premier rendez-vous de médiation à l’inspection du Travail, Boulevard Périer, vers le Prado.
Déboutées de leurs demandes
Depuis le 24 mai, les femmes de ménage revendiquent le droit à un 13e mois, de même que leurs collègues du même sous-traitant sur les autres sites, en vertu du droit à l’égalité. Mais aussi, une prime annuelle pour la pénibilité de la saison estivale, l’augmentation de la prime panier et des qualifications dans la grille des salaires, deux jours maximum de remplacements imposés dans d’autres hôtels où l’employeur est prestataire, prévenus 48 heures à l’avance.
Inquiète de l’image renvoyée à sa clientèle, la partie adverse avait dans un premier temps cédé sur le principe d’un 13e mois, mais progressif, pour une effectivité totale dans 4 ans. La direction leur avait également proposé de plafonner les déplacements dans d’autres lieux à 4 jours par mois, sans délai. Elle proposait en échange d’un tel accord, une prime exceptionnelle de 200 euros. « Les moyens ils les ont, mais ils ne veulent pas partager avec nous, alors que sans nous, l’hôtel ne peut pas tourner », regrette la représentante du personnel, en poste depuis 5 ans, Ansmina Houmadi, refusant ces propositions arrachées.
Faute d’accord à l’amiable, l’inspectrice du Travail, Véronique Gras, s’était donc autosaisie afin de lancer une procédure de médiation, entre la société elle-même propriété du groupe d’hôtellerie Accelis, et ses salariées mobilisées, accompagnées par la juriste de la CNT-SO 13, Lara Schäfer.
Quelques minutes avant que les partis ne s’engouffrent dans le bâtiment de la DDETS pour entamer les négociations qui dureront 4 heures, le représentant d’Acqua, Nazim Almi, déboule de Paris en grande pompe. À son arrivée, le directeur d’exploitation de la boîte actionnaire, a jeté un froid sur le groupe de femmes, dont certaines ont même refusé la poignée de main. « On a déjà fait un pas, il faudrait désormais qu’un effort soit fait de la part des grévistes », lance amèrement le patron, après s’être plaint des difficultés rencontrées en route, pour se rendre au rendez-vous.
Conditions de travail indignes
« En plein cœur de Marseille, avec une piscine panoramique surplombant le Vieux-Port », peut-on lire sur le site de l’établissement quatre étoiles, dont le tarif moyen tutoie les 260 euros la nuit. La promesse d’un standing assez élevé pour ses clients, bien loin du traitement que réserve la direction de la société d’entretien à ses salariées.
« Nous sommes chargées de nettoyer et contrôler les chambres, d’équiper les minibars, la réception, les toilettes, le restaurant, de faire le linge, et sommes obligées d’effectuer des remplacements au pied levé parfois très loin », explique Dirce Maria Pina Xavier, l’une des employées, après avoir refusé de saluer son directeur.
Elle éprouve un important sentiment d’injustice depuis le début de ces négociations, au cours desquelles elle estime « ne pas avoir été considérée » bien qu’elle « fasse le travail de cinq personnes ». De son côté, Ansmina, raconte avoir fait, de même que ses collègues, l’objet d’intimidation : « Quand un client refuse de quitter sa chambre, nous devons effectuer des heures supplémentaires, souvent non rémunérées. Autrement, la hiérarchie nous menace de nous coller des rapports, ou de refuser nos vacances. » Elle ajoute que « ce phénomène est souvent amplifié lors de remplacements impromptus, sur des sites, où les gouvernantes peuvent être particulièrement irrespectueuses » à leur égard.
Cette tentative de médiation s’est également soldée par un échec, car la direction n’avait rien à offrir de plus qu’une prime exceptionnelle de 250 euros, contre 200 lors des dernières discussions, et 3 jours de remplacements par mois au lieu de 4, toujours sans délai. « Nous sommes face au même discours, que depuis le 24 mai, nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant », persiste la représentante du personnel.
Un large soutien populaire
En effet, hors des questions de baisser les bras, pour les 14 grévistes, qui sont dès ce vendredi matin de retour devant l’hôtel pour scander leurs
revendications. Leur force, elles l’ont puisée aussi dans le large soutien populaire qu’elles continuent à recevoir depuis le début du mouvement.
« Les clients de l’hôtel sont très sensibles à leur combat. Bien souvent, ils s’arrêtent pour leur parler, contribuer à la caisse de grève et leur souhaite bon
courage », explique Julien Ollivier, secrétaire CNT Solidarité Ouvrière 13, très actif dans la lutte. Depuis 44 jours,
l’organisation indemnise toutes celles qui souhaitent cesser de travailler pour rejoindre la mobilisation. Côté politique, elles ont déjà reçu la visite des députés insoumis Sébastien Delogu, ou
encore Rachel Keke, qui avait elle-même été porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles entamée en 2019. Des associations telles que « Stop Arming Israel »,
ont aussi mis la main à la poche en finançant une partie de la caisse de grève. En juin, un collectif d’habitant de la Belle-de-Mai CHO3 s’était aussi montré solidaire en proposant une projection du
film « Les Petites mains » au cinéma Gyptis, de façon à récolter des fonds.
Dans un contexte où l’extrême droite gagne du terrain, les femmes de chambre de l’hôtel Radisson, précaires et pour certaines détentrices d’un titre de séjour, sont très inquiètes pour leur avenir et celui de leurs enfants. Une raison de plus pour ne pas plier, aujourd’hui, face au groupe d’hôtellerie.
Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr
Quelques heures après la rupture avec La France insoumise, le candidat de la première circonscription de la Somme est venu rendre visite, pour la troisième fois en une semaine, aux éboueurs d’Abbeville en grève contre la suppression d’une prime importante.
Ici, «la politique parisienne », on s’en fiche. 14h, ce jeudi, à la déchetterie d’Abbeville. Ni journaliste ni député à l’horizon, pour l’instant. Cela fait six jours que 57 des 59 salariés du site sont en grève. Une première. Et pour cause : la communauté d’agglomération de la Baie de Somme (CABS) et son président Pascal Demarthe (UDI) ont décidé de leur supprimer la majoration qu’ils touchaient sur l’heure de nuit, de 5 à 6 heures du matin. Tout comme les heures supplémentaires du week-end, tout bonnement effacée. Une perte de pouvoir d’achat de 150 à 400 euros par mois, par salarié. Un gouffre. Un « crachat sur notre travail et sur nous », confie, amer, Jean-Jacques, éboueur depuis trente ans à la CABS. En un mois, son salaire est passé de 2 200 à 1 850 euros.
Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie. Christophe
À l’entrée de la déchetterie, une grande benne dégage une épaisse fumée noire, régulièrement alimentée par des pneus. Derrière, la bonne humeur règne, pique-nique, musique à fond et discussions. Cependant, quand on entre pour discuter, l’ambiance se crispe. « Vous venez encore parler de politique c’est ça ? » interroge, méfiant, un salarié.
Et pour cause, voilà une semaine que leur lutte est venue percuter de plein fouet une campagne à couteaux tirés entre Nathalie Ribeiro-Billet (RN), arrivée en tête au premier tour des élections législatives, et François Ruffin (Nouveau Front populaire), le député sortant. Dans deux heures, celui-ci a d’ailleurs prévu, avec l’accord de tous les salariés consultés la veille, de tenir une conférence de presse devant la déchetterie.
Un affrontement qui, pour plusieurs salariés, relègue au second plan leur combat. « Moi je m’en fous de la politique. Ce n’est pas la politique qui va remplir mon porte-monnaie », souffle un autre salarié. On leur promet donc qu’on parlera de leur lutte. Là, les langues se délient. La CFDT de la CABS, à l’origine de cette grève, nous explique en détail le « mépris » de l’agglomération. Des négociations au point mort après leur refus d’une mesure compensatoire de 100 euros par mois – donc bien inférieure à la perte de pouvoir d’achat initiale. La tentative de casse de leur grève par Pascal Demarthe, qui a envoyé des agents municipaux ramasser les ordures pour ne pas gêner le passage de la flamme olympique. Et sa demande auprès des autorités, il y a 48 heures, de les réquisitionner.
« On se sent insulté dans notre chair. Vous imaginez, on bosse ici depuis trente ans, peu importe le temps, qu’il pleuve, qu’il neige. Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie », s’indigne Christophe qui s’insurge que le président de la CABS n’ait même pas daigné se déplacer pour leur rendre visite. « Il est fermé comme une huître à la discussion. Il nous chie dessus, tout simplement », glisse un autre salarié. Pour le dernier des quatre travailleurs avec qui on discute, c’est simple : cette perte de salaire équivaut à ces sept ans d’ancienneté. « Je gagne moins que quand je suis rentré dans l’entreprise, à 19 ans. »
Pour Ruffin, tous les grands médias ont fait le déplacement
Malgré tout, la politique ne peut pas rester totalement à l’écart de cela. L’avant-veille, la candidate du Rassemblement national est venue leur rendre visite, quelques jours après François Ruffin. Une visite qu’on n’hésite pas, sous couvert d’anonymat, à qualifier « d’opportuniste ». « Elle nous a ramené des Pitch et du Coca. Elle a cru qu’on était à un goûter de maternelle ? » François Ruffin est, lui, moins critiqué. « Il était déjà là avant d’être en campagne. Il était déjà venu nous voir en 2021. Et aussi pendant les retraites », se souvient Jean-Jacques. La CFDT confie que c’est à son initiative qu’une caisse de grève a été créée. Avec sa résonance sur les réseaux sociaux, celle-ci a déjà recueilli plus de 7 000 euros.
15 h 45. Le député sortant va arriver d’un instant à l’autre. Les premières caméras de télévision commencent à apparaître. Les salariés sont frileux. « On a parlé à France 3, ils ont tout coupé au montage, sauf la partie politique », regrette Christophe. Tous, admettent, toutefois, que c’est aussi un formidable coup de projecteur. « S’il n’avait pas été là, vous ne seriez pas là », nous lance-t-on. TF1, France Info, Le Monde, l’AFP, BFMTV, tous les grands médias ont fait le déplacement. Mais pas forcément pour eux. Le matin même, dans une interview à l’agence France Presse, François Ruffin a en effet acté son divorce avec La France insoumise, qualifiant même Jean-Luc Mélenchon de « boulet ».
Le député de la Somme le sait d’ailleurs très bien. À son arrivée, peu avant 16 heures, il s’assure de serrer toutes les mains de la petite cinquantaine de salariés et de syndicalistes venus en soutien. Il connaît le terrain, les têtes. Auprès de Valérie Lecul, en charge des négociations à la CFDT, il prend les dernières nouvelles. « On n’en peut plus, on en a ras le bol, ras le bol. Tout le monde est gonflé à bloc », lui glisse Florent*.
* Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
Tous les salariés se placent derrière lui. Au fond, une pancarte sur laquelle on lit « Non à la baisse des salaires, population en colère et solidaire. » François Ruffin place à côté de lui Valérie Lecul. Chacun à leur tour, la syndicaliste et trois salariés prennent la parole. Ils expliquent la réalité de cette baisse de salaire. « Je partirai en vacances dans mon jardin. Je planterai la tente pour m’y croire », rit jaune Jean-Jacques.
« On ne peut pas abandonner ces classes ouvrières »
Vite, cependant, l’actualité politique reprend ses droits. « Le score du Rassemblement national est très fort ici chez vous. Est-ce que c’est la faute de Jean-Luc Mélenchon ? » interroge un journaliste. « Non, la responsabilité incombe à Emmanuel Macron qui a gouverné avec arrogance et toute puissance. C’est cela qui a fait monter le Rassemblement national. Mais il y a une gauche qui ne répond pas aux attentes des gens ici. Il faut parler de la question sociale parce que c’est ça qui fait leur existence. La gauche n’a pas la responsabilité de la crise mais elle ne permet pas d’ouvrir un débouché d’espérance », répond le député, fidèle à sa stratégie théorisée depuis désormais plusieurs années.
Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est
certain.
F. Ruffin
Pas besoin de détailler davantage sa réponse, elle fera – fait même déjà, sans doute, à l’heure de publier ces lignes – le tour des télévisions. Florent l’a d’ailleurs bien compris. « Vous ne couperez pas tout au montage », assène-t-il aux journalistes lorsqu’ils repartent. Au moment de lui dire au revoir, quelques larmes coulent sur ces joues. « Je suis à bout, on est à bout. On a besoin de vous », nous glisse-t-il.
François Ruffin, lui, ne promet rien. « Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est certain. Mais c’est la seule chose que je peux vous garantir », explique-t-il. Le député repart en porte à porte, comme depuis le début de la journée. En off, il assure que, déjà, sa prise de distance avec LFI facilite le contact avec les gens. « On ne peut pas abandonner ces territoires, ces campagnes populaires, ces classes ouvrières », souligne-t-il. Avant de quitter les lieux, Jean-Jacques lui confie alors, un peu honteux, ne pas s’être déplacé, dimanche dernier, pour voter. Dimanche prochain, il promet au député qu’il ne manquera pas à l’appel. « Et dès 8 heures, sans faute ! »
mise en ligne le 2 juillet 2024
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Ce mardi 2 juillet, jour de Conseil social et économique du CHU de Montpellier, environ 80 personnes sont venues en soutien au personnel du service de chirurgie psychiatrique, en grève pour s’opposer à des suppressions de postes et de lits
8 heures, des blouses blanches se dirigent vers l’hôpital depuis le tramway avec des pancartes. “C’est
normal de soutenir les collègues en grève”, soufflent-elles.
Sur place, dans la cour du conseil de surveillance de l’hôpital de la Colombière, environ 80 personnes, dont l’intersyndicale (CGT, FO, CFDT, UNSA) sont réunies devant le lieu qui doit accueillir une
demi heure plus tard le Conseil social et économique du CHU pour protester contre des suppressions de postes et de lits au service de chirurgie
pediatrique.
Pierre Renard, délégué CGT, explique :“La direction veut supprimer trois lits en semaines, et trois de plus le weekend, dans le service de chirurgie pédiatrique, et supprimer cinq postes : quatre puéricultrices et une auxiliaire de puériculture, sur un service de 27 agents, au motif qu’il y aurait un taux d’occupation des lits insuffisants. Les assises de la pédiatrie préconisent une puéricultrice pour 4 ou 5 enfants, là, on serait à une puéricultrice pour 10 ou 11 enfants. Selon des études dont celle de la revue The Lancet ,un patient en plus par infirmier, augmenterait de 7 % le risque de décès. Passer de six à dix patients ferait passer le risque de décès à 30 %. La direction nous parle de rentabilité quand on parle de qualité de soins. La grève lancée aujourd’hui est illimitée, tant que les salariés voudront se mobiliser. L’intersyndicale est là, ça fait penser à l’union de la gauche, et même si on ne parle pas de politique, il va falloir avancer tous ensemble pour défendre l’hôpital.”
“C’est rare de voir une intersyndicale unie”, renchérit Laurent Blanc, délégué syndical Force Ouvrière. “Les soins ne sont pas quantifiables”, argue de son côté le représentant de la CFDT, évoquant “le stress et l’angoisse” des familles des patients face à ces suppressions de postes et de lits. Quant aux grévistes, elles ont décliné nos demandes d’entretiens, par peur de sanctions ou de représailles.
8 h 30, grévistes et syndicats pénètrent la salle du CSE. Les journalistes tentent de les suivre mais la direction du CHU s’y oppose. Une heure et demi plus tard, à la sortie du CSE, Pierre Renard commente : “On leur a proposé une réorganisation du service avec un bilan d’ici six mois, mais aucun accord n’a été trouvé. On parle de soins, ils nous parlent de chiffres, c’est impossible de s’entendre, la grève continue.”
La décision concernant la suppression des lits et des postes sera mise au vote au prochain CSE le 25 juillet, et l’intersyndicale entend bien voter contre.
Contactée, la direction du CHU n’a pas donné suite à nos sollicitations.
mise en ligne le 21 juin 2024
Clémentine Eveno sur www.humanite.fr
En raison de l’échec des « négociations annuelles obligatoires » (NAO), l’intersyndicale a lancé, jeudi 20 juin, un mouvement de grève, et a empêché l’impression du quotidien du lendemain, ce vendredi 21 juin. L’augmentation des salaires est la principale revendication.
Les travailleurs du quotidien régional Ouest-France ne comptent pas se laisser faire. À l’appel du SNJ, CFE-CGC, CGT, et FO, un mouvement de grève a été lancé le jeudi 20 juin, empêchant l’impression du journal en version papier ce vendredi 21 juin, ont rapporté les syndicats dans un communiqué.
Cette mobilisation d’ampleur est due à l’échec des négociations annuelles obligatoires (NAO) : « Le directoire a refusé toute augmentation générale » lors de la négociation annuelle du mardi 18 juin, explique l’intersyndicale. Un rejet des négociations marqué par « un directoire qui s’est déplacé devant les délégués syndicaux », en expliquant « que Ouest-France n’est pas en mesure d’envisager un plan de rattrapage de l’inflation, ni d’accorder ne serait-ce qu’1 % d’augmentation aux salariés », dénoncent les organisations.
Grève des rotativistes
Parmi les salariés en grève, les rotativistes se sont mobilisés. Les techniciens qui assurent l’impression du journal ont voté la grève dans la nuit du jeudi 20 juin au vendredi 21 juin : « Et si on n’a pas de retour (de la direction), on a également voté pour faire grève la nuit suivante », a déclaré à l’AFP Olivier Heurtault, secrétaire général de la section FO des rotativistes, jeudi 20 juin.
Les rotativistes assurent les impressions sur deux sites, à Chantepie, en périphérie de Rennes (Ille-et-Vilaine), et à la Chevrolière, en limite de Nantes (Loire-Atlantique). De cette imprimerie sortent également les quotidiens Presse Océan, Le Courrier de l’Ouest et Le Maine Libre, qui appartiennent au groupe Ouest-France. Ces titres ne devraient donc pas sortir en édition papier non plus vendredi, bien qu’ils ne soient pas concernés par le mouvement de grève.
« Les dix plus gros salaires de Ouest-France se sont augmentés de 12 % sur les trois dernières années »
Des journalistes font également grève. Le refus d’augmenter les salaires est au cœur de leur mobilisation : « La direction a fait état de mauvais résultats pour rejeter nos demandes d’augmentation », a déclaré à l’AFP Christelle Guibert, représentante syndicale SNJ. « L’an dernier, on n’a pas eu de vraies NAO », regrette la syndicaliste.
Seuls les plus bas salaires, soit 60 % des salariés, ont obtenu une revalorisation. Olivier Heurtault abonde. Cette absence d’augmentation depuis plusieurs années est pour lui « inadmissible », « alors que les dix plus gros salaires de Ouest-France se sont augmentés de 12 % sur les trois dernières années ». Des chiffres contestés par la direction, selon laquelle ils ont été revus à la hausse de 8,8 % et non 12 % « alors que sur la même période les salaires ont augmenté de 10 % ».
Les salariés de Ouest-France auraient bénéficié d’augmentations générales par pallier, entre un et trois pour cent, ainsi que « d’augmentations individuelles, notamment liées à des évolutions de statut », a défendu Caroline Tortellier. La chargée de la communication externe du groupe Ouest-France a estimé aussi que « les discussions se poursuivent, le dialogue n’est pas rompu. »
Mais les syndicats sont très loin de partager ce point de vue. Tout comme, ils réfutent l’idée que le groupe n’aurait pas les moyens de procéder à des revalorisations et font notamment valoir que le groupe s’est porté candidat auprès de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) en vue de développer une chaîne de télévision nationale sur la TNT. Un investissement, selon les syndicats, de « 70 millions d’euros ».
Si les revendications sont avant tout salariales, elles concernent également le positionnement éditorial du titre. Dans un tract publié le 17 juin, consulté par Le Monde, la CFDT demande à la direction de « dénoncer le risque d’un régime raciste en France ». « Entre le risque de déplaire à une partie de nos lecteurs et la défense des principes d’une démocratie qui reste humaniste, Ouest-France, né de la Résistance, doit choisir son camp », ajoute le syndicat dans un contexte de résultats historiques du Rassemblement national.
Et le mouvement de grève engagé ne devrait pas s’arrêter là. Un appel à sa reconduction aurait été émis ce vendredi 21 juin, menaçant la publication du journal de ce samedi 22 juin, selon les informations du Monde. Un préavis de grève est également envisagé pour le 30 juin prochain, jour du premier tour des élections législatives anticipées.
mise en ligne le 20 juin 2024
Mathilde GOLLA sur https://www.ouest-france.fr/
Dans une interview à « Ouest France », Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, appelle à voter pour le nouveau Front populaire aux élections législatives, et à se mobiliser pour faire barrage au Rassemblement national.
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, prend la parole après la dissolution décidée par le président de la République, Emmanuel Macron, et avant les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet. Elle appelle à voter pour le Nouveau Front Populaire et à faire barrage au Rassemblement national.
Vous appelez à voter pour le Front populaire. N’est-ce pas une décision inédite pour la CGT ?
Sophie Binet : La CGT ne donne pas de consigne de vote mais nous donnons notre avis à partir des programmes. Ce n’est pas la première fois de notre histoire, loin de là ! On l’a fait quand l’extrême droite était en situation d’accéder au pouvoir en 2002 en 2017 ou en 2022 où nous avions appelé à faire barrage.
Nous sommes dans un contexte où l’enjeu n’est pas seulement d’empêcher le pire mais aussi de gagner le meilleur.
Déjà en 1936 la CGT avait appelé à voter pour le Front populaire puis en 1945 pour la coalition des forces de gauche qui portaient le programme du conseil national de la résistance, et encore en 1974, en 1981 mais aussi en 2012 où la CGT avait appelé à battre Nicolas Sarkozy.
Suspension de Guillaume Meurice de Radio France : la liberté d’expression est-elle en danger ?
Notre position n’est donc pas inédite, la CGT a toujours pris ses responsabilités de façon très claire. Nous sommes indépendants mais pas neutres ! Cette décision forte a été prise collectivement, par le parlement de la CGT à l’issue d’un vote quasi unanime. Cela s’explique, car il y a le feu au lac : si on ne fait rien, l’extrême droite peut arriver au pouvoir. La CGT ne peut pas rester les bras croisés. Nous devons mettre toutes nos forces dans cette bataille contre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
Cette décision entraîne-t-elle des divisions au sein de la CGT ?
Sophie Binet : Non, car on a pris cette décision ensemble après une semaine de débats. Les seuls que cela dérange sont ceux qui sont favorables au Rassemblement national mais nous allons au débat de façon frontale avec eux. La position de la CGT est très claire. On ne peut pas être militant de la CGT et encore moins aux responsabilités, si on est au Rassemblement national. C’est incompatible.
On ne peut pas être militant à la CGT si on est au Rassemblement national Sophie Binet
Mais 24 % de vos sympathisants ont voté pour le RN. N’allez-vous pas vous priver d’eux ?
Sophie Binet : Oui c’est un risque, mais être très clair nous permet aussi de gagner de nouveaux et nouvelles syndiqués. Depuis dix jours, notre nombre d’adhésions a été multiplié par quatre (par jour par rapport à la normal, ndlr). 24 % c’est une proportion importante, mais c’est dix points de moins qu’à l’échelle nationale. L’extrême droite, le racisme, l’antisémitisme ou le sexisme sont incompatibles avec les valeurs de la CGT. On a déjà exclu des syndiqués pour ça et on n’hésitera pas à le refaire. Le RN n’est pas un parti comme les autres. Nous avons une position constante : on ne débat pas avec le Rassemblement national, on le combat.
Emmanuel Macron a une responsabilité très forte quant à la situation actuelle. Je suis tellement en colère contre lui et ce choix de dissolution, qui n’était pas justifié. C’est la décision d’un seul homme, ce qui confirme que le président a trop de pouvoir.
Quand un homme seul peut lancer une « grenade dégoupillée », c’est grave, car c’est de nos vies dont il s’agit. J’ai beaucoup de mal à dormir depuis dix jours à cause de ça. Je pense que je ne suis pas la seule.
La gauche a aussi sa responsabilité et on leur a demandé de s’unir et d’arrêter de trahir les attentes des travailleuses et des travailleurs. C’est pour cela que la CGT a lancé un appel à l’union, mais sur un programme de rupture avec le néolibéralisme. On est très content de voir que cet appel a été entendu.
Vous souscrivez à tout le programme du nouveau Front populaire ?
Sophie Binet : Non, ce n’est pas le programme de la CGT même s’il reprend beaucoup de nos idées notamment les dix propositions de l’intersyndicale. Notamment le fait d’abroger la réforme des retraites et de l’assurance chômage, d’investir dans les services publics, d’augmenter les salaires, de relocaliser l’industrie. Il reprend aussi beaucoup de propositions de la CGT comme la retraite à 60 ans, l’indexation des salaires sur l’inflation, l’augmentation du Smic à 2 000 euros bruts, le fait de créer un pôle public du médicament ou un pôle public bancaire. Ces mesures sont positives mais il y a aussi des manques : on demande un moratoire sur les licenciements en cours. Il faut aussi mettre en place une sécurité sociale professionnelle et environnementale pour ne pas opposer le social et l’environnemental. Enfin, il faut sortir les prix de l’énergie de la spéculation pour baisser les tarifs pour les ménages comme pour les entreprises.
Comment financer toutes ces mesures ?
Sophie Binet : Ces réformes, évidemment il faut qu’elles soient financées. Il y a des leviers à actionner et notamment les aides publiques aux entreprises qui atteignent un record, c’est 170 milliards d’euros chaque année. Un exemple : Sanofi a touché un milliard de crédit impôt recherche pour les entreprises en dix ans tout en divisant par deux ses effectifs de chercheurs.
Il faut aussi supprimer les 50 milliards de cadeaux fiscaux offerts par Emmanuel Macron aux plus riches en commençant par rétablir l’ISF et la CVAE. Il faudrait aussi taxer les dividendes et les rachats d’action. Enfin ce que je note, c’est que dès que l’on parle d’avancées sociales on nous culpabilise sur le financement. Mais à quoi sert l’économie si elle n’améliore pas le quotidien des gens et pas seulement celui des plus riches ?
Le risque, aussi, des mesures proposées, c’est de smicardiser encore un peu plus la France et d’accentuer le sentiment de déclassement ?
Sophie Binet : Non, c’est un sujet auquel la CGT est très attachée. Le RN prospère sur cette idée de déclassement et au contraire on veut clairement y répondre. C’est pour ça que c’est très important d’indexer les salaires sur les prix. Ce n’est pas seulement le Smic que l’on veut augmenter, c’est tous les salaires pour garantir la reconnaissance des qualifications.
Mais cela ne nourrit-il pas l’inflation ?
Sophie Binet : Non, en Belgique ou au Luxembourg, les salaires sont indexés sur les prix. Il n’y a pas particulièrement plus d’inflation mais cela a augmenté les salaires et réduit le chômage. Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation.
Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation. Sophie Binet
En plus de vos consignes de vote, qu’allez-vous faire pour faire barrage au RN ?
Sophie Binet : On va se mobiliser avec les féministes ce week-end, et on va montrer combien le RN est un danger pour les droits des femmes. Nous avons aussi des grèves dans pas mal de professions : l’énergie, la chimie ou l’agroalimentaire, la culture. Elles sont mobilisées ce jeudi 20 juin 2024 et font le lien entre les licenciements, les revendications de salaires et aussi le danger du RN.
Et si le RN arrive au pouvoir, que ferez-vous ?
Sophie Binet : On met toutes notre énergie pour éviter l’arrivée de Jordan Bardella au pouvoir. On fait monter les luttes pour que le débat se fasse sur les questions sociales et pas sur les enjeux d’immigration. Ensuite on prendra nos décisions par étapes et collectivement, nous savons nous rassembler sur l’essentiel. Mais on ne débat pas avec l’extrême droite, on la combat.
Le patronat reste très silencieux, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Sophie Binet : Je suis très en colère contre le patronat. Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir en Italie, car elle est soutenue par les milieux d’affaires. C’est pareil pour le RN, c’est pour ça qu’il rétropédale sur la retraite. Ce sont des milliardaires qui font monter le RN, le rôle de Vincent Bolloré est connu, il a œuvré au rapprochement d’Éric Ciotti avec le RN.
Le patronat ne prend pas ses responsabilités, il est d’un silence coupable face au danger de la montée de l’extrême droite. Il ne fait que faire primer ses intérêts financiers. Pour une partie du patronat, l’extrême droite n’est plus un problème.
Le patronat ne prend pas ses responsabilités. Sophie Binet
Concernant les accusations d’antisémitisme portées contre certains candidats, que dit la CGT ?
Sophie Binet : Le programme est très clair, il est spécifiquement contre l’antisémitisme et l’islamophobie.
mise en ligne le 16 juin 2024
Mathias Thépot et La rédaction de Mediapart sur www.mediapart.fr
À l’appel notamment de l’intersyndicale, entre 250 000 et 640 000 personnes se sont rassemblées le 15 juin dans les rues de 150 villes de France contre l’extrême droite. L’inquiétude sur la montée de la xénophobie en cas d’accès au pouvoir du Rassemblement national dominait dans les cortèges.
Un exemple à suivre ? Alors que l’unité du Nouveau Front populaire a été lourdement affaiblie par la « purge » lancée le 14 juin par La France insoumise (LFI) contre des député·es sortant·es ayant critiqué la ligne de Jean-Luc Mélenchon, le peuple de gauche a, lui, fait front commun dans la rue ce samedi 15 juin contre le risque de voir l’extrême droite accéder à Matignon.
La mobilisation lancée à l’appel de l’intersyndicale, des syndicats étudiants et de plusieurs associations telles que la Ligue des droits de l’homme ou SOS Racisme a parfois fusionné avec les marches des fiertés pour les droits des personnes LGBTQIA+, déjà prévues dans certaines villes comme Strasbourg, Rennes, Lille ou Montpellier (retrouvez ici le récit de la journée par la rédaction de Mediapart).
Au total, les manifestations contre le Rassemblement national (RN) auront rassemblé ce samedi 15 juin entre 250 000 personnes selon le ministère de l’Intérieur, et 640 000 selon la CGT. Le syndicat a comptabilisé 182 rassemblements dans tout le pays, tandis que Beauvau n’en a décompté que 145 hors Paris.
Dans la capitale, justement, la CGT a annoncé 250 000 manifestant·es, quand la préfecture en a compté 75 000. Ailleurs, le ministère a notamment compté 12 000 manifestant·es à Marseille, 8 500 à Nantes, 8 000 à Rennes, 6 900 à Grenoble et 5 000 à Toulouse.
Muni·es de nombreuses pancartes aux slogans de type « Unité contre l’extrême droite », « R-Haine » ou « Jordan, Barre toi d’là », les manifestant·es témoignaient d’une envie d’agir et de se rassembler, près d’une semaine après le double choc des résultats des élections européennes et de la dissolution de l’Assemblée nationale.
À Strasbourg, Lini, 22 ans manifestait pour la toute première fois de sa vie : « Je ne me suis pas posé la question, il fallait que j’aille dans la rue aujourd’hui. Pour ne pas me sentir passive et impuissante, c’est la seule chose que j’ai trouvée. »
À Vannes, Léa a elle aussi éprouvé le besoin de descendre dans la rue pour ressentir la cohésion sociale. « Je ne pense pas que cette manifestation va aider à plus mobiliser pour les élections législatives. Mais ça fait du bien de voir qu’on n’est pas tout seuls », affirme-t-elle. Portant son enfant de 15 mois « qui fait sa première manif’ » à bout de bras, elle venait ce samedi « pour qu’il ne grandisse pas sous un gouvernement Bardella ».
Peur des discriminations
Du reste, le sentiment le plus dominant dans les cortèges était bien la crainte de voir grimper en flèche les discriminations en cas d’arrivée à Matignon du parti xénophobe lors des prochaines élections législatives qui se tiendront les 30 juin et 7 juillet.
« Depuis dimanche, je suis paniqué et très angoissé », explique Elijah, 23 ans, étudiant en design graphique à Strasbourg. Je me dis que vraiment le RN peut aller jusqu’au bout. Personnellement, si ça arrive, ma vie va changer. Plusieurs membres de ma famille ont des visas de travail. Ils viennent du Sénégal et de Côte d’Ivoire. Mon copain aussi a un visa de travail, lui est arménien. Je peux vraiment être touché par leur politique, visé. Et ça me fait super peur. »
De même, Sherryl, 32 ans, Camerounaise arrivée en France en août 2023, déchante. La jeune femme a fui son pays pour se balader « libre et sans peur » dans les rues. « Mon orientation sexuelle me mettait en danger, je suis partie et j’ai d’abord été en Russie », raconte-t-elle, avant de fuir l’homophobie systémique décrétée à Moscou pour Rennes, en Bretagne. « Je suis bien plus libre ici », se réjouit Sherryl, qui vient de demander l’asile en France. Mais « avec le RN, je suis quand même inquiète ». « On m’a dit qu’ils étaient proche de Poutine. Je sais ce qu’il pense de nous et ce qu’on peut craindre là-bas. »
À Marseille, Fatima risque également gros en cas d’arrivée du RN au pouvoir. Vivant et travaillant en France depuis 2016, elle multiplie les demandes de titre de séjour pour obtenir des papiers, en vain. Elle dit avoir « peur de l’avenir, de ce qu’il va arriver. Le Rassemblement national tente de tout casser et faire naître le chaos. Il tente de nier tout, même nous les personnes de l’immigration ».
Ancienne professeure de français en Algérie, elle ne rencontre que « des obstacles et des refus », et « aimerait qu’en France il y ait des gens humains, pas des sans-pitié qui négligent tout ».
À Paris, Manelle, 26 ans, dit pour sa part craindre une montée en flèche de l’islamophobie. « J’habite dans le 93, mon père n’a pas de papiers français et mes sœurs sont toutes voilées. Aujourd’hui, j’ai peur pour ma famille entière. » Pour elle, une majorité RN au pouvoir encouragerait la « banalisation » des agressions islamophobes et racistes dans la rue, que plusieurs de ses sœurs ont déjà vécues.
Non loin de là, sur la place de la République, Yaël et Laura, deux membres des Juives et juifs révolutionnaires (JJR), sont aussi venus manifester pour alerter sur « le danger de l’extrême droite pour les juifs ». « On n’est pas dupes, on sait qu’on est aussi visées par leur politique », explique Laura. Et Yaël de préciser : « On a aussi une solidarité avec les minorités que vise le RN. »
C’est bien ce risque de montée de « l’insécurité d’extrême droite » qui a fait descendre Adrien, étudiant en droit à Grenoble, dans la rue : « L’insécurité, c’est un argument toujours utilisé par l’extrême droite, alors que moi je pense que c’est eux qui vont mettre dans une grande insécurité des millions de personnes, les juifs, les musulmans, les LGBT, les femmes. Toutes ces minorités, à la fin, ça fait une grande partie des Français. »
Union chez les défenseurs de l'égalité
Mobilisation syndicale oblige, les membres des cortèges évoquaient aussi les risques pesant sur les services publics et les droits des travailleurs en cas d’arrivée au pouvoir du Rassemblement national.
« Une partie des travailleurs croient voir son salut dans la flatterie facile des partis fascistes sans voir leur vrai visage », déplorait à Lille Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l'Union départementale CGT du Nord, taclant le « rétropédalage du RN sur l’âge de départ à la retraite », que le parti n’est plus bien sûr de soutenir depuis qu’il pense pouvoir récupérer des voix de LR (Les Républicains).
À Grenoble, un rassemblement d'environ 200 personnes a aussi eu lieu devant un bureau de poste récemment fermé. Une grande banderole annonçait : « 6 bureaux de poste en danger à Grenoble : sauvez-les. »
À côté de ses camarades qui ont fustigé le désengagement de la direction de la Poste, Jean-Philippe, salarié du centre financier de la Banque postale grenobloise, pointait le lien direct entre les revendications locales et celles de la manifestation : « Le RN va mettre encore plus en péril le service public, voire le détruire complètement. Sa logique est la même que celle de la droite libérale et du patronat : privatiser et faire des économies. »
Présente dans le cortège parisien, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet ne disait pas autre chose : « Le RN est le parti du mensonge et de l’imposture » pour les travailleurs et les travailleuses : « On le voit sur les retraites, ils ont déjà reculé. Ils ont prospéré sur l’absence d’alternative. Quand on ferme une usine, un service public, on fait monter le RN. La gauche a passé plus de temps à s’invectiver qu’à s’unir contre l’extrême droite. Et je n’oublie pas la banalisation orchestrée par Emmanuel Macron. »
Son alter ego de la CFDT, Marylise Léon, a aussi rappelé quelques fondamentaux idéologiques du parti xénophobe : « Il ne faut pas être dans la stigmatisation des électeurs du RN mais rappeler que la base du programme du RN, c’est la stigmatisation. On se souvient que Louis Aliot disait que les syndicats étaient les croquemorts de l’économie. C’est un parti qui a toujours voté contre l’égalité hommes-femmes. »
Cette unité syndicale affichée ce samedi contre l’extrême droite s’étendait même jusqu’aux collectifs réputés les plus radicaux.
Par exemple le collectif écologiste Extinction Rebellion (XR), dont Marcel, un militant, expliquait : « Normalement, à XR, on ne prend pas position pour un parti politique. Aujourd’hui, c’est la première fois qu’on appelle les abstentionnistes à voter pour le Nouveau Front populaire. » Le groupe a même prévu une campagne d’affichage pour l’occasion.
« Avoir le RN au pouvoir nous amènerait à une agriculture encore plus intensive, ils sont pour le glyphosate, pour plus de pétrole et contre l’arrêt des voitures thermiques, explique-t-il, ce serait une énorme catastrophe et ce message écologiste est complètement invisibilisé. »
En fait, seules les « purges » chez LFI qui ont choqué à gauche ont assombri cette journée d’unité. « La gauche n’est pas qu’une question d’organisations mais de principes, a voulu rappeler le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure dans le cortège à Paris. Quand l’essentiel est en cause, nous n’avons pas le droit de ne pas nous rassembler ! »
Et la secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier de lui emboîter le pas : « Le peuple de gauche a aussi le droit d’avoir de l’espoir. On va faire une promesse : ne rien lâcher. Ne jamais baisser la tête, ne jamais baisser les yeux, ne jamais baisser les bras. »
Également présente dans les cortèges parisiens, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale Mathilde Panot a de son côté éludé la polémique actuelle, se contentant d’une attaque, certes bien ciselée, à l’endroit du RN : « Oui l’extrême droite tue, traque les personnes transgenres ou les personnes monoparentales, oui elle veut “remigrer” nos concitoyens, oui elle est une arnaque sociale ! Mais il n’y a aucune fatalité ! Ce qui se joue est plus qu’une élection, c’est l’identité politique du peuple français. »
mise en ligne le 15 juin 2024
sur https://lepoing.net/
Une centaine de personnes se sont rassemblées ce mardi 11 juin devant le Centre Hospitalier de Lodève, pour un service d’urgence ouvert en permanence.
Si la mobilisation était moindre que la dernière en date, organisée le 22 avril, les soignants.es et usagers.ères du Centre d’Acceuil et de Permanence des Soins (CAPS) de Lodève n’en démordent pas : les territoires du lodévois, du Larzac et du cœur d’Hérault doivent bénéficier d’un service d’urgence ouvert en permanence.
Plus de cent personnes sont encore venues défendre cette nécessité devant le Centre Hospitalier de Lodève ce mardi 11 juin en fin de journée, à l’appel de la CGT et d’un collectif d’élu.es et d’usagers.ères, et alors qu’un préavis de grève couvrait pour la journée les travailleurs.euses de l’établissement.
Thierry Gervais, secrétaire CGT du Centre Hospitalier de Lodève, a entamé des explications devant la petite foule : « Nous entendons gagner sur le centre d’accueil et la permanence de soins. Depuis 2009, le CAPS est un service sans entité juridique reconnue. Le budget nécessaire à son fonctionnement était versé par l’ARS à l’équilibre financier. Depuis quelques années, les médecins libéraux qui faisaient fonctionner ce service ont laissé la place à des médecins contractuels rémunérés par le centre hospitalier. Ce fut le début de problèmes. L’ARS continue depuis à financer le CAPS, mais n’inclut pas les rémunérations des médecins libéraux. Les médecins libéraux sont donc supportés par le budget du Centre Hospitalier, d’où un déficit de plusieurs centaines de milliers d’euros. Le CAPS est un service qui est indispensable pour nous tous, avec près de 10 000 passages par an. Il est plus que temps de pérenniser ce dispositif en antenne de médecine d’urgence. Si la transformation du CAPS en antenne de médecine d’urgence semble inéluctable, l’absence de clarté sur les modalités d’ouverture ne nous convient pas. Le silence toujours assourdissant de l’ARS nous fait craindre une ouverture partielle entre 12h et 24h par jour. Or, moins de 24h, c’est la catastrophe assurée. »
La CGT a contacté le directeur général et le directeur départemental de l’ARS, sans réponses de leur part. Ce qui n’étonne pas Thierry Gervais. « L’ensemble des hôpitaux sont confrontés à des directives gouvernementales afin d’économiser de l’argent sur la santé, sur notre dos. », poursuit-il. « Cette politique d’austérité renforce notre conviction à refuser de se laisser déposséder de notre moyen d’accéder aux soins. »
Annie Salcé, représentant la CGT Santé Action Sociale au niveau départemental, est ensuite intervenue. « Un tout petit mot, une phrase, en préalable, sur ce qui s’est passé dimanche avec la dissolution de l’Assemblée Nationale », a-t-elle commencé. « Parce que nous, hospitaliers, nous ne nous résignerons pas, nous ne cèderons pas pour nos droits. […] Nous nous centrerons clairement sur nos revendications, dans l’unité, seul moyen de battre la droite et l’extrême droite. »
Avant de développer sur la cure d’austérité imposée au système de santé français : « Depuis des décennies, les gouvernements de droite et de gauche se sont succédés avec leurs ministres fossoyeurs de la santé publique qui n’ont eu de cesse de s’acharner à détruire notre système de santé, appliquant avec zèle la théorie qui préconisait la baisse de l’offre comme méthode efficace pour diminuer la demande. […] Au nom de la rentabilité, ils ont fermé 27 000 lits depuis 2017, des dizaines de services, des maternités, des services d’urgence, de nuit comme de jour. Des blocs, des hôpitaux entiers, afin de supprimer les postes des accompagnants. Il y a des centaines d’exemples partout en France. C’est d’autant plus scandaleux qu’au même moment, le gouvernement a dégagé 413 milliards pour la guerre, 3 milliards d’aides supplémentaires pour l’Ukraine, et qu’on nous annonce 10 milliards de restrictions budgétaires pour cette année et 20 milliards prévus pour 2025. Des Mirage 2000 vont être livrés à l’Ukraine, des instructeurs vont être envoyés sur le terrain. Et le prix de la guerre, c’est la destruction de notre hôpital, c’est la destruction de la sécurité sociale. »
La syndicaliste a ensuite tenu à exprimer son soutien aux personnels hospitaliers de la bande de Gaza, qui travaillent actuellement en plein génocide : « Les hôpitaux sont rasés, plus de 500 de nos collègues ont déjà perdu la vie, et des centaines sont incarcéré.es sans jugement dans les prisons israéliennes. Même les ambulances subissent des tirs. Nous sommes donc solidaires de tous ces soignant.es qui sont systématiquement pris.es pour cible et tué.es pendant qu’iels essayent de sauver leurs concitoyen.nes.»
Avant de s’exprimer sur une répression de grande ampleur : « En France, le gouvernement réprime depuis plusieurs mois de nombreux syndicalistes, des responsables départementaux, mais aussi des étudiant.es, des militant.es politiques ou associatifs qui se retrouvent en garde à vue, et pour certains condamnés, pour avoir dénoncé le massacre à Gaza. Mais aussi pour avoir défendu leurs urgences, comme à Carhaix en Bretagne dernièrement où 10 militant.es syndicalistes ont été convoqué.es sous le régime de la garde à vue. »
Jean Luc Requis, président de la communauté de communes du Lodévois-Larzac, a ensuite exprimé son soutien à la mobilisation en cours. Avant de rendre compte d’une promesse de Michael Delafosse, maire ‘socialiste’ de Montpellier, mais aussi président du conseil de surveillance du CHU de la ville : « Prochainement nous devrions voir arriver sur le CH de Lodève, en coopération avec le CHU montpelliérain, des consultations ophtalmologiques et orthopédiques. » Les premières consultations ophtalmologiques devraient être mises en place dès le mois de juin sur Lodève.
Un membre du collectif pour de véritables urgences dans le lodévois est ensuite venu au micro, présentant une pétition proposée par le collectif : « La pétition pour exiger une antenne de médecine d’urgence ouverte en permanence avance et monte en puissance. Elle a récolté plus de 3 800 signatures depuis le 3 novembre. Nous devons continuer à la partager, tout autour de nous, sur les réseaux sociaux, par tous les moyens à notre disposition. » La pétition en question est disponible dans de nombreux commerces du lodévois, mais aussi en ligne, par ici.
Le membre de l’association a ensuite développé sur les suites du mouvement : « Lors de la réunion de l’association du 3 juin, nous avons pris la décision d’un moment fort de débat avec l’organisation des assises de la santé qui aura lieu le samedi 12 octobre à Lodève, et qui serait à dimension nationale. » Une lutte pour le maintien du service public qui est donc loin d’être finie.
mise en ligne le 15 juin 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
Environ 7000 personnes ont participé à la manifestation contre l’extrême droite à Montpellier, ce vendredi 14 juin. Des chiffres qui laissent présager que la mobilisation sera importante dans les près de 200 autres communes mobilisées ce week-end.
Vendredi, 18 heures. L’heure et le jour de la manifestation contre l’extrême droite ne sont pas habituels dans la capitale héraultaise, mais la situation politique ne l’est pas plus, puisque Jordan Bardella (RN) pourrait devenir Premier ministre dans trois semaines.
Le rassemblement appelé par une cinquantaine d’organisations syndicales – dont la CGT, la CFDT, la FSU, l’UNSA, et Solidaires – politiques et associatives ne cesse d’enfler, en moins d’une heure, il passe de quelques centaines à quelques milliers. Pour accueillir les retardataires qui sortent du travail, le camion-sono de la CGT crache la chanson anti-raciste des Berurier Noir « Salut à toi ». Un peu plus loin, l’organisation antifasciste Jeune Garde regroupe ses troupes autour d’un immense étendard signé de son logo et d’une banderole où est inscrit « Unité face à l’extrême droite, la jeunesse en première ligne ».
Les jeunes justement, et même parfois les très jeunes, sont particulièrement nombreux dans le défilé qui réunira jusqu’à près de 7000 personnes (4000 selon la police, 10 000 selon la CGT). Mais contrairement à la première protestation du lundi 10 juin, au lendemain de la dissolution, ils ne représentent pas 80 % des manifestants. Ce coup-ci, les organisations syndicales signataires de l’appel national ont mobilisé leurs militants. De même que les partis politiques qui composent le Front populaire qui s’est doté d’un programme de gouvernement, présenté le matin même, lors d’une conférence de presse à Paris.
Le Front populaire comme horizon
Parmi les retardataires, le maire PS de Montpellier, Michael Delafosse rejoint la manifestation avant qu’elle ne s’élance. Poignées de main enjouées aux responsables syndicaux présents en tête de cortège et échanges tout sourire avec les représentants du Parti communiste et ceux, adversaires de la veille, de la France Insoumise. L’ambiance est à l’union et elle infuse jusque dans le carré de tête syndical.
« En faisant la réforme contre tous les syndicats et contre la population, Macron a pris une lourde responsabilité antidémocratique. Il a fait le choix de faire monter l’extrême droite, a repris ses thèses racistes, il a fait passer la loi immigration et veut maintenant faire passer sa réforme de l’assurance chômage », fustige Serge Ragazzacci, secrétaire général de l’Union départementale CGT 34, s’exprimant au nom de l’intersyndicale locale. Il fustige le chef de l’État et le Rassemblement national, « toujours défavorables aux travailleuses et aux travailleurs » et voit le salut dans la toute récente unité politique à gauche.
« Nous devons poursuivre dans l’unité du Front populaire jusqu’à être majoritaires dans le pays », assure le syndicaliste qui n’hésite pas à exhorter les manifestants à « aller voir les camarades abstentionnistes et ceux qui se sont trompés de bulletin de vote ». Quitte à faire un pas de côté vis-à-vis de la position traditionnelle de la CGT, de non-appel au vote pour un parti en particulier. Un peu plus nuancée après de nombreuses expériences de gauche déçues, la représentante locale de la Ligue des droits de l’Homme prévient : « on ne donne pas un blanc-seing aux politiques, il faut qu’ils travaillent avec le mouvement social ».
Une première manifestation massive
Derrière le premier tiers de la manifestation emmenée par l’intersyndicale locale, dans lequel les partis socialistes et communistes se mêlent aux syndicalistes, le cortège est plus bigarré. Les organisations de l’extrême gauche montpelliéraine sont toutes représentées et La France insoumise fait nombre. Dans cette partie du défilé, l’ambiance est plus revendicative, le public plus jeune et les non-habitués des manifestations munis de pancartes fabriquées à la main, plus nombreux. Les drapeaux ou banderoles des différents acteurs du mouvement social, de Greenpeace à la Confédération paysanne, en passant par Médecin de monde, le syndicat des avocats de France ou encore de la marche des fiertés, se mélangent. Enfin, on trouve un bloc antifasciste massif et particulièrement animé, dont la partie la plus structurée est conduite par la Jeune Garde.
A Lyon, le collectif « Fermons les locaux fascistes » organisait aussi une manifestation contre l’extrême droite ce vendredi, avant celle de l’intersyndicale dimanche. Sur la place des Terreaux, là aussi, des milliers de manifestants contre l’extrême droite (2000 selon la police, 5000 selon les organisateurs). Des chiffres qui laissent présager que la mobilisation sera importante dans l’ensemble des autres villes.
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
La manifestation du vendredi 14 juin à Montpellier, contre la montée de l’extrême-droite, a rassemblé 10 000 personnes selon la CGT et 4 000 selon la police. Les syndicats appellent à la mobilisation, voire à la grève, en vue des législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet prochains pour ne laisser “aucune voix au Rassemblement National”
Un mouvement social est-il en train de naître pour pousser les candidatures du nouveau front populaire ? C’est ce que la manifestation montpelliéraine du 14 juin contre la montée de l’extrême-droite laisse entendre. Après une première mobilisation lundi 11 juin, tous les syndicats, à l’exception de Force Ouvrière et de la CGE avaient appelé à ce rendez-vous, qui a rassemblé 10 000 personnes selon les organisateurs et 4 000 selon la police. L’organisation antifasciste Jeune Garde était également présente avec un immense étendard signé de son logo et d’une banderole où l’on pouvait lire « Unité face à l’extrême droite, la jeunesse en première ligne ». A noter, la présence du maire de Montpellier, Michaël Delafosse, au début de la manifestation. L’édile PS, aussi anti-NUPES soit-il, s‘est prononcé cette semaine en faveur d’une union de la gauche “la plus large possible”.
“La CGT appelle à voter ET à faire grève”
“Nous sommes fiers que nos syndicats soient unis pour que ce front populaire puisse repousser l’extrême-droite et obtenir une majorité de gauche !”, s’exclamait Serge Ragazzacci, secrétaire général de l’Union départementale CGT 34, s’exprimant au nom de l’intersyndicale locale. “Jordan Bardella ne retirera pas la réforme des retraites, car il veut rassurer le patronat. L’extrême-droite est toujours défavorable aux travailleuses et aux travailleurs. Nous appelons à voter, et à faire grève dès la semaine prochaine pour soutenir le front populaire.” Des mouvements syndicaux sont dore et déjà attendus dans l’énergie, et chez les cheminots le 21 juin. Des cheminots qui seront en meeting à Montpellier le 27 juin avec les candidats du front populaire pour évoquer la question des transports. “Nous devons nous servir du contexte pour mettre la pression sur les conditions de travail, le ciment du front populaire c’est le mouvement social”, a précisé Serge Ragazzacci.
Si un mouvement social est en train de naître, les syndicats vont-ils appeler ouvertement appeler à voter pour l’union de la gauche ? “Le SNESUP-FSU va soutenir le Front Populaire”, répondait Yann Leredde, enseignant-chercheur à l’Université de Montpellier et syndiqué au SNESUP. “La prochaine étape, c’est que tous les syndicats appellent à voter front populaire. Tant pis pour la charte d’Amiens [texte fondateur du syndicalisme en France qui revendique l’indépendance vis-à-vis des partis politiques et de l’État, NDLR], c’est ça ou la peste brune. En tout cas, la situation nous soude, on est là avec la CFDT alors que d’habitude on ne se parle pas. Bon, on les chambre un peu sur Laurent Berger [ancien patron de la CFDT dont le nom a été évoqué comme un potentiel premier ministre en cas de victoire du Front Populaire aux législatives, NDLR], mais on est ensemble.”
Chez Solidaires, l’appel au vote pour le Front Populaire semble moins évident, comme l’expliquait David, syndiqué à Sud Education. “Notre mot d’ordre, c’est pas une voix pour l’extrême-droite. L’objectif répond à deux urgences : battre le RN pour éviter de devoir lutter contre dans la rue, en dévoilant sa supercherie sociale, et imposer nos idées pour une vraie rupture sociale en construisant des mobilisations contre un potentiel gouvernement de gauche.”
Même la Confédération Paysanne a rejoint l’appel de l’intersyndicale. Pour Amandine Mallantes, représentante de la zone Méditerranéenne du syndicat agricole, l’enjeu est de dénoncer la récupération politique du RN sur la crise agricole. “Ils ont joué sur l’antilibéralisme pour séduire les agriculteurs, oui, ils ont peur qu’on interdise les pesticides et que ça impacte leurs rendements. Le point positif, c’est que la FNSEA [syndicat agricole majoritaire, NDLR], a appelé à faire barrage contre l’extrême-droite. De notre côté, on va aller voir les candidats du Front Populaire pour les pousser à s’engager sur la question des prix planchers et des revenus pour qu’on puisse vivre de notre travail.”
La manifestation s’est ensuite dispersée au Peyrou, et un gros millier de jeunes ont continué de défiler dans les rues en scandant “La jeunesse emmerde le front national”.
Du côté des perspectives, un rassemblement pour dénoncer les violences d’extrême-droite, appelé par plusieurs syndicats et organisations (Solidaires, l’UCL, le NPA…) a été annoncé samedi 22 juin à 11 heures sur la place Krasucki, lieu où un militant syndical a été agressé par des néonazis pendant le festival des fanfares.
mise en ligne le 13 juin 2024
Hayet Kechit sur www.humanite.fr
Une dizaine de femmes de ménage employées par le sous-traitant Acqua au sein de plusieurs hôtels de luxe marseillais sont en grève depuis le 27 mai. Soutenues par la Confédération nationale du travail, elles réclament des conditions de travail dignes, une revalorisation de leur salaire et une prime de pénibilité.
Depuis trois semaines, le bruit des casseroles résonne quotidienne sur le Vieux-Port de Marseille. Déterminées à faire entendre leur colère, une dizaine de femmes de ménage en grève, soutenues par la Confédération nationale du travail (CNT-SO 13), convergent chaque matin, depuis le 27 mai, devant l’entrée du Radisson Blu, un hôtel 4 étoiles, dont elles bloquent en partie l’accès. Un ras-le-bol généré par des conditions de travail éprouvantes et leur sous-rémunération.
« La cadence de travail est énorme, au bout d’un moment ça use le corps, on est épuisées physiquement et on tombe malade », a ainsi témoigné une de ces grévistes auprès de l’AFP.
Une prime de pénibilité
Si leur employeur, le sous-traitant Acqua, entreprise spécialisée dans le nettoyage d’hôtels de luxe, a concédé un treizième mois de salaire échelonné sur quatre ans (25 % la première année, puis 50 % la deuxième, 75 % la troisième avant d’atteindre le taux maximal la dernière année), conditionné à deux ans d’ancienneté, il n’a toujours pas apporté, selon Gaëlle Barbero, juriste à la CNT, pleine satisfaction aux salariées.
Ces dernières réclament en effet l’obtention d’une prime de pénibilité, la suppression de la « clause de mobilité » qui leur impose de travailler dans un hôtel différent parfois au pied-levé, ainsi que l’augmentation de leur salaire et notamment une majoration de 50 % le dimanche.
aller dans un autre hôtel » », témoigne Idalina, interrogée par l’AFP, qui pointe l’insécurité quotidienne générée par cette clause de mobilité, à la source de la colère qui a déclenché ce mouvement de grève.
Selon Gaëlle Barbero : « Ces femmes sont déterminées à poursuivre leur mobilisation jusqu’à obtenir gain de cause sur leurs revendications, notamment une prime de pénibilité et des limites strictes à ces ballottements d’un hôtel à l’autre. » Le syndicat organisera un rassemblement pour les soutenir, samedi 15 juin sur le piquet de grève du Radisson, et le lendemain à 16 heures, au même endroit pour un « goûter revendicatif ».
mise en ligne le 11 juin 2024
Clémentine Eveno n sur www.humanite.fr
Après les résultats historiques du Rassemblement national et la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, cinq syndicats - la CGT, la CFDT, l’Unsa, FSU et Solidaires - appellent à manifester ce week-end. « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues », estiment ces organisations, via un communiqué publié lundi 10 juin.
Après le choc, place à l’action. Cinq syndicats nationaux – la CGT, la CFDT, l’Unsa, FSU et Solidaires – lancent un appel commun : « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues ! », selon leur communiqué, publié lundi 10 juin. « Nous appelons à manifester le plus largement possible ce week-end pour porter la nécessité d’alternatives de progrès pour le monde du travail », affirment les cinq organisations. Une invitation à se mobiliser, accompagnée d’une dizaine de mesures pour améliorer la vie des travailleuses et des travailleurs.
Cet appel est publié au lendemain du résultat historique de l’extrême droite aux élections européennes avec 31,47 % des suffrages pour le Rassemblement national et 5,47 % pour la liste Reconquête de Marion Maréchal. Un véritable séisme politique, suivi de près par l’annonce du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale.
Un pari fou du chef de l’État qui a poussé les communistes, écologistes, socialistes et « insoumis », à se mettre d’accord pour un « front populaire » lundi 10 juin au soir, en vue des élections législatives du 30 juin et 7 juillet prochains. Les cinq syndicats signataires font également front commun, et ne comptent pas laisser les régressions sociales et démocratiques remporter cette bataille électorale exprès.
« Il faut un sursaut démocratique et social »
Après avoir relevé que l’abstention et l’extrême droite avaient atteint un « record lors des élections européennes », et souligné que si la tendance se retrouve « dans toute l’Europe, la France est le pays dans lequel les listes d’extrême droite font le score le plus élevé », les syndicats rappellent qu’ils alertent depuis des années sur la « crise sociale et démocratique ».
Leurs représentants dénoncent la politique de sape de droits à l’endroit des travailleurs, qui a créé le terreau propice au Rassemblement national : « Une politique qui tourne le dos au social et qui crée du déclassement, l’abandon de nos industries et de nos services publics, le passage en force contre la mobilisation historique contre la réforme des retraites, l’absence de perspectives de progrès et la banalisation des thèses racistes, constituent le terreau sur lequel l’extrême droite prospère. » Les syndicalistes plaident ensemble pour « un sursaut démocratique et social. »
Rappelant la « lourde responsabilité » que prend Emmanuel Macron d’organiser des élections législatives en trois semaines, le communiqué renvoie aux régressions sociales à l’œuvre, dans l’histoire mais aussi actuellement en Italie et en Argentine, pour mettre en garde contre une possible victoire de l’extrême droite aux élections législatives.
Des régressions qui sont toujours plus délétères pour les travailleurs et les plus vulnérables : « austérité pour les salaires et les services publics, réformes constitutionnelles remettant en cause l’indépendance de la justice et le rôle des syndicats, attaques contre les droits des femmes et des personnes LGBTQIA +, remise en cause du droit à l’IVG » mais aussi des politiques racistes qui opposent les travailleurs entre eux. Les votes d’extrême droite en France ou en Europe sont « toujours défavorables aux travailleuses et aux travailleurs », martèlent les syndicats.
Une dizaine de mesures concrètes pour répondre à l’urgence sociale
Pour lutter contre ce poison brun et engendrer un réel sursaut, une dizaine de revendications sociales fortes est listée. À commencer par le renoncement immédiat à la réforme de l’assurance chômage, mais aussi à la réforme des retraites ou encore l’augmentation des salaires.
La défense des services publics est également mise en avant, comme leur accès garanti « à toutes et tous sans condition de nationalité et sur tout le territoire ». L’accent est mis, en particulier, sur le nécessaire investissement massif dans l’école, la recherche, le système de santé, de prise en charge de la dépendance, et le système de justice.
Une refonte de la démocratie sociale à tous les niveaux – entreprise, branche, territoire et interprofessionnel – est demandée, mais aussi la mise en place de mesures de justice fiscale, ainsi que l’instauration de l’égalité salariale et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les syndicats appellent, en outre, à la « régularisation pour tous les travailleurs et travailleuses étranger·es sur la base d’un certificat de travail ».
Ils font également part de leur volonté de transformer l’industrie pour qu’elle soit plus durable, mais aussi d’engager la création de nouveaux droits pour les travailleurs « afin d’anticiper les transformations environnementales et de sécuriser leur emploi ».
Ces revendications, qui accompagnent l’appel à manifestation ce week-end, arrivent dans la foulée de mobilisations populaires. Des rassemblements spontanés ont eu lieu sur la place de la République, après l’annonce d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, dimanche 9 juin. Le lendemain, les rassemblements se sont multipliés dans plusieurs villes de France comme à Marseille, Lille, Rennes, ou Nantes à l’appel d’organisations de jeunesse et de syndicats étudiants.
Des mobilisations relayées et encouragés par la CGT avant même l’appel commun à tous les syndicats, dans un communiqué lundi 10 juin. La confédération y invite « le monde du travail à se syndiquer, à s’organiser, à participer à toutes les initiatives de mobilisation contre l’extrême droite et contre la politique d’Emmanuel Macron ».
mise en ligne le 11 juin 2024
Pierre Jacquemain sur www.politis.fr
Après le score historique de l’extrême droite aux européennes, l’heure est à la mobilisation. Il reste deux semaines pour expliquer le danger républicain du RN et faire émerger un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, ramenant les citoyens vers un chemin d’espoir.
Un espoir nommé Front populaire Front populaire : naissance d’un accord, renaissance de l’espoir Face à l’extrême droite, un bloc syndical et citoyen déterminé
Macron, démission ? Et si le président ne finissait pas son second mandat
Interrogeons-nous sérieusement un instant : qui aurait le plus à craindre d’un gouvernement dirigé par une probable coalition allant de Jordan Bardella à Marion Maréchal en passant par Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau ? Si l’on en juge les expériences politiques de nombreux pays dirigés par l’extrême droite, les femmes, les étrangers, les jeunes, les pauvres, les racisés, les militants écologistes et syndicaux, les personnes LGBTI seraient les principales victimes de cette coalition.
Comment expliquer, alors, que les ouvriers de France ont voté à 52 % pour le RN aux élections européennes – même si le RN arrive en tête désormais dans toutes les catégories socioprofessionnelles ? Comment comprendre que les jeunes sont toujours plus nombreux qu’aux élections précédentes à voter pour eux – avec + 11 % ? Ou encore que les femmes, qui ont toujours moins voté pour les partis d’extrême droite, soient aujourd’hui 32 % à leur faire confiance – c’est dix points de plus qu’en 2019 ?
TikTok, le réseau social où Bardella semble séduire une partie de la jeunesse, n’est pas une explication à la hauteur du succès. Pas plus que la sympathie de Marine Le Pen pour la famille des félidés. Les raisons sont à chercher ailleurs, et il se peut qu’elles se situent entre colère sociale et ressentiment d’une grande partie de la population qui ne considère plus la gauche et les écologistes comme porteurs d’un projet émancipateur qui réponde à ses attentes.
Dans un excellent article de nos amis de Basta !, les régimes hongrois et polonais sont décrits comme le modèle de ce qui pourrait nous arriver en France : contrôle de la justice, de la presse et des arts par le gouvernement, attaques contre les ONG, racisme et xénophobie d’État, remises en cause des libertés et droits fondamentaux, enfermement systématique des exilés. On peut aussi aller faire un tour du côté de l’Italie pour voir comment sa nouvelle égérie, Giorgia Meloni, a supprimé les minima sociaux et expédié durablement plusieurs millions de personnes dans la misère.
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Pas franchement les amis des plus faibles, les copains de Marine Le Pen. Pas plus les amis des femmes, en ouvrant la voie aux anti-IVG dans les hôpitaux. Ou encore des homosexuels, en interdisant par exemple aux autorités locales d’enregistrer à l’état civil les enfants de couples gays et lesbiens. Les intellectuels et la culture sont pareillement dans le viseur de Meloni, qui assume mener une guerre civilisationnelle, à l’instar de Viktor Orbán ou encore Javier Milei en Argentine qui, après six mois de pouvoir, a vu la moitié de sa population plonger dans la pauvreté.
Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République.
Mais alors, se peut-il que près de 40 % des électeurs soient à ce point naïfs quant au sort qui les attend en plébiscitant celles et ceux qui légiféreront contre leurs intérêts ? Non, et le croire serait une erreur, de même que penser qu’il y aurait 40 % de xénophobes en France serait faire fausse route. La gauche et les écologistes devront s’interroger sérieusement sur leur abandon, parfois leur mépris, des classes populaires. Toute la gauche. Les partis, les syndicats, les intellectuels, les artistes, les associations.
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Mais l’heure est à la mobilisation. Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République. Pas seulement de marteler qu’il est d’extrême droite : cela ne suffit plus. Pas plus qu’il ne suffira de « faire barrage » – même s’il faut s’y résoudre partout où cela sera nécessaire, alors que le patron des LR Éric Ciotti annonce un accord avec le RN. Car au-delà du barrage, la perspective d’un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, peut ramener les citoyens vers un chemin d’espoir. Politis y prendra toute sa part.
mise en ligne le 9 juin 2024
Antoine Portoles sur www.humanite.fr
Près de 7 000 opposants se sont rassemblés samedi dans le Tarn pour réclamer l’abandon du projet d’autoroute entre Toulouse et Castres. Une manifestation festive rapidement interrompue par des affrontements.
L’A69 fait l’objet de maintes prophéties. Lors des précédentes mobilisations contre le projet d’autoroute, d’aucuns avaient eu tort de prédire le chaos. Cette fois-ci, le scénario catastrophe tant annoncé a bien eu lieu. Une nouvelle manifestation s’est déroulée samedi aux abords de Puylaurens (Tarn), rassemblant près de 7 000 personnes selon les organisateurs.
Tout avait bien commencé. À l’arrivée sur le site, des milliers de tentes jonchent la plaine, entremêlés de drapeaux palestiniens, queer et de Kanaky Nouvelle-Calédonie. Une fois de plus, dans ces champs, Woodstock renaît de ses cendres. En contrebas, les manifestants déambulent dans un immense campement. Beaucoup s’amassent sous les chapiteaux plantés dans la terre, tant la chaleur écrase les corps. Mais pas leur détermination : « On a la rage de vaincre ! » s’écrie un membre d’Extinction rebellion dans son discours.
Le Tarn est une fête
Qu’ils soient tarnais ou d’ailleurs, ils ont tous le même objectif : mettre un terme à un projet d’autoroute qu’ils jugent à la fois inutile pour l’Homme et néfaste pour le vivant. Parmi ceux venus du coin, des paysans posent fièrement devant leur tracteur. C’est qu’ils veulent peser dans cette lutte dont certains partisans répètent à l’envi qu’elle est majoritairement soutenue dans le département.
L’ambiance est festive sur le camp. Certains sont présents en famille, accompagnés de leurs enfants. D’autres promènent leur chien. Un autre encore, son âne. Sous ce soleil ardent, casquettes, keffiehs et autres couvre-chefs sont de sortie. Un stand distribue des masques en papier à l’effigie de Michel Vilbois. Le préfet du Tarn est régulièrement vilipendé en raison des actions controversées des forces de l’ordre pour déloger les écureuils nichés dans les arbres.
Ces défenseurs de l’environnement sont la tête de proue de l’opposition à l’A69. « Pour ce week-end d’avant élections, les autorités ont sorti le grand jeu », ironise Thomas Brail. Environ 1 600 gendarmes et policiers sont mobilisés pour l’occasion. « Ils réussissent à dégoûter les gens, mais si nous cédons à la peur, nous n’arriverons à rien », estime le militant écologiste. Nous croisons la route de Véronique. La Tarnaise était déjà présente en mars dernier sur la ZAD de la Crem-Arbre pour soutenir les écureuils. Malgré l’inquiétude, elle a tenu à être présente : « La stratégie de diabolisation du gouvernement est dégueulasse. Il fait tout pour faire peur aux gens et, malheureusement, ça marche. »
Criminalisation d’une lutte « pour le vivant »
Prédisant un rassemblement « extrêmement violent », le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé mardi face aux députés l’interdiction de ce nouveau week-end de mobilisation à l’appel des Soulèvements de la Terre. Peu d’élus ont répondu à l’appel, à l’exception de Christine Arrighi. Pour la députée écologiste de Haute-Garonne, également rapporteuse de la commission d’enquête sur le montage juridique et financier de l’A69 à l’Assemblée nationale, « la question n’est pas de s’opposer à tous les projets autoroutiers, mais de les questionner à l’aune du changement climatique ». Agacée par la stratégie de l’exécutif de jeter de l’huile sur le feu, l’élue tient cependant à « dénoncer toutes les violences, d’où qu’elles soient et d’où qu’elles viennent ».
Sur le camp, l’ambiance est chaleureuse, mais n’en est pas moins pesante. Pour organiser au mieux la manifestation, les organisateurs ont imaginé quatre cortèges : un bleu, un jaune, un vert et un rose. Ils s’élancent séparément. Le rose, suivi du bleu, s’enfonce dans la forêt. À l’avant, des DJ campés dans des camionnettes font raisonner la musique techno. Plus loin, fanfares et tambours galvanisent les foules. Une dizaine de participants se relaient pour porter une chauve-souris géante, manière de railler ceux qui diabolisent le mouvement. À quelques mètres, un autre arbore un bob entouré d’une pancarte : « Est-ce bien moi le terroriste ? »
Grenades de désencerclement
Trente minutes à peine après le départ, les esprits s’échauffent. Arrivés sur une route, les opposants font face à une colonne fournie de forces de l’ordre. Ils rebroussent chemin et se séparent dans les champs. Très vite, les gazs lacrymogène recouvrent le paysage, tandis que les grenades de désencerclement stupéfient les manifestants postés plus loin sur les hauteurs. Un jeune Toulousain alerte son amie : « Regarde, là-bas, il y a un départ de feu ! » Tous deux sont ébahis par ce triste spectacle minutieusement vaticiné depuis le début de la semaine.
Le cortège jaune, emmené par la Confédération paysanne, se poste à quelques centaines de mètres. Sous le regard impassible des forces de l’ordre, les manifestants construisent une bergerie. Dans la matinée, les intéressés ont planté des semis paysans pour représenter une route sur une parcelle bientôt bitumée. Les heurts ne semblent pas entacher cette lutte « pour le vivant ».
mise en ligne le 9 juin 2024
par Nicolas Framont sur https://www.frustrationmagazine.fr/
On s’étonne souvent de la faiblesse du taux de syndicalisation en France – environ de 8 % dans le secteur privé et 18 % dans le public – en mettant ce faible engagement sur le compte du « repli individualiste » ou de « l’atomisation des collectifs de travail ». Ces deux idées reçues ne suffisent pas à expliquer ce phénomène de baisse de la syndicalisation, qui était de 30% au début des années 50. D’abord, une grande partie du salariat du privé reste subordonné à de grandes entreprises, et il en va de même des fonctionnaires qui évoluent dans d’importantes structures (administration, hôpitaux etc.). Ensuite, si le mode de management agressif et individualisant joue un rôle important dans la peur de se syndiquer, si les compromissions répétées de plusieurs grands syndicats avec le gouvernement et le patronat explique aussi le manque de confiance que les citoyens ressentent envers eux (40% ont confiance dans les syndicats selon la dernière étude du CEVIPOF, loin devant les partis politiques à 20%), il y a une explication qui est nettement moins mise en avant, et qui dit pourtant beaucoup de l’époque autoritaire dans laquelle nous vivons : les discriminations, violences et intimidations judiciaires dont sont victimes les syndicalistes dans ce pays. Loin d’être un phénomène isolé, ces comportements anti-syndicaux sont devenus, de la part des directions d’entreprise, de véritables stratégies, avec la bénédiction de l’Etat, comme en témoigne le succès du hashtag StopDictaturePatronale sur les réseaux sociaux.
1 – Le capitalisme s’est construit contre les syndicats
Ce n’est pas quelque chose que l’on apprend à l’école mais la Révolution Française, si elle a permis de nouvelles libertés publiques dans la sphère privée et politique, a réduit les libertés des travailleuses et travailleurs. En effet, la montée en puissance de la classe bourgeoise – très largement représentée parmi les députés du tiers état qui étaient majoritairement des professions libérales – provoque en 1791 l’adoption de la loi « Le Chapelier », du nom de l’avocat breton l’ayant défendue. Cette loi met fin en quelques mois au système des corporations qui organisait le travail depuis le moyen-âge, avec des règles de métiers, d’apprentissage, de concurrence… et interdit au passage tout groupement professionnel, tout syndicat naissant et le droit de grève. Cette loi radicale est votée en réaction aux revendications salariales qui s’étendent dans tout le pays parmi le groupe montant des ouvriers et des petits artisans : ils réclament de meilleurs salaires et commencent à développer des sociétés de secours, c’est-à-dire des organismes d’entraides, ancêtre des mutuelles et de la sécurité sociale. Or, ce genre d’organisation est insupportable pour la bourgeoisie au pouvoir. Isaac Le Chapelier explique lui-même, devant la toute jeune Assemblée Nationale, le principe de sa loi :
« Il doit sans doute être permis à tous les citoyens de s’assembler ; mais il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s’assembler pour leurs prétendus intérêts communs ; il n’y a plus de corporation dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu, et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. […] Il faut donc remonter au principe que c’est aux conventions libres d’individu à individu à fixer la journée pour chaque ouvrier. »
Cette déclaration résume parfaitement l’idéologie bourgeoise du travail salarié telle qu’elle est encore en vigueur de nos jours : il y a d’un côté un intérêt général abstrait et de l’autre l’intérêt particulier de chaque individu. Il est fondamentalement intolérable de chercher à se rassembler entre semblables pour obtenir un rapport de force. C’est au nom de cette idéologie que les corporations sont interdites, puis les syndicats (il faudra attendre 1884 pour qu’ils soient à nouveau autorisés).
Contrairement à ce que l’on raconte dans les livres d’Histoire, il n’y a pas eu de « compromis ». Pas plus qu’il n’y eut de « Trente glorieuses » durant lesquelles la richesse créée en France et dans le monde aurait été miraculeusement partagée entre capital et travail.
Mais avec le développement de l’industrie qui se fait au détriment des travailleurs, l’organisation devient urgente pour faire face aux conditions de travail les plus déplorables : les combats du mouvement ouvrier font peu à peu disparaître le mythe du libre contrat passé entre un salarié et son patron. Quand, en 1906, l’immense catastrophe de Courrières – l’explosion d’une mine et la disparition de plus de 1 000 ouvriers – met en lumière l’immense responsabilité qu’a le patronat dans l’atteinte à la santé et à la vie des travailleuses et travailleurs, l’illusion ne tient plus, même aux yeux de la bourgeoisie intellectuelle.
Tout au long du XXe siècle, les conquêtes s’enchaînent, au terme de confrontations violentes où les travailleurs, organisés collectivement, se heurtent aux intérêts de la classe bourgeoise. Contrairement à ce que l’on raconte dans les livres d’Histoire, il n’y a pas eu de « compromis ». Pas plus qu’il n’y eut de « Trente glorieuses » durant lesquelles la richesse créée en France et dans le monde aurait été miraculeusement partagée entre capital et travail. Tout au long de cette période, la guerre des classes a fait rage et la bourgeoisie a perdu du terrain. Si elle en a beaucoup regagné ces dernières décennies, c’est notamment parce qu’elle a su neutraliser en partie la puissance du syndicalisme, et qu’elle continue de le faire.
2 – La violence envers les syndicalistes augmente…
À l’usine agro-alimentaire Neuhauser, située en Moselle, bastion ouvrier, Christian, délégué CGT et figure locale ayant participé à tous les combats sociaux des dernières années, est accusé par sa direction de “harcèlement moral” et menacé de licenciement. Il a été défendu par ses collègues, qui ont lancé plusieurs actions de grève, avant d’être réintégré sur demande de l’inspection du travail, qui a jugé que c’était le syndicaliste qui était visé par le licenciement, pas le salarié.
Le PDG de Neuhauser est Thierry Blandinières. Son groupe, InVivo, union de coopératives agricoles, compte 14 500 salariés, réalise 12,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans 35 pays et contrôle 40% des exportations de céréales françaises. Dans ce secteur, les conditions de travail sont particulièrement dégradées, et garantissent d’importants profits. En se syndiquant et en syndiquant ses collègues, Christian Porta est parvenu à obtenir d’importantes améliorations. Désormais, un tiers de l’usine est syndiqué. Autant dire qu’il a joué un rôle moteur dans la mise en place d’un collectif uni et combatif. On comprend pourquoi il est devenu l’homme à abattre.
En région parisienne, Mouloud, délégué syndical CGT dans un entrepôt de logistique de Geodis (filiale de la SNCF), a subi le même genre d’intimidation, avec des convocations répétées à des entretiens de licenciement. Depuis plusieurs années, il s’investit pour améliorer la protection de ses collègues contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, dans un secteur où le travail est dur, en partie nocturne, avec des installations anciennes. Il a participé au mouvement des gilets jaunes en 2018 et il a subi depuis d’importantes représailles.
En mai 2023, un délégué syndical de l’entreprise Vertbaudet, alors en plein mouvement de grève pour des augmentations de salaire, a été frappé, gazé puis séquestré, au cri de “sale gréviste”, dans un véhicule par des personnes se présentant à son domicile comme des policiers en civil, qui l’ont ensuite relâché, délesté de son portefeuille, dans la ville voisine, le tout en partie sous les yeux de son fils de 16 ans. Depuis, et malgré cette intimidation, les salariés de Vertbaudet ont obtenu victoire après plusieurs semaines de grève.
“Près d’une personne syndiquée sur deux déclare avoir été discriminée en raison de son activité syndicale au cours de sa vie professionnelle”. RAPPORT DU DÉFENSEUR DES DROITS SUR LA DISCRIMINATION SYNDICALE, 2019
Partout dans le pays, des syndicalistes subissent ce genre d’actions malveillantes de la part de leur direction. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, estime que nous vivons « un contexte de répression antisyndicale inédit depuis l’après-guerre ». Elle comptabilise « au moins 17 secrétaires généraux d’organisations CGT, convoqués du fait de leur qualité de secrétaire général » et qui ont fait l’objet de poursuites, et « plus de 1 000 militants de la CGT sont poursuivis devant les tribunaux ».
Dans sa dernière étude consacrée aux discriminations syndicales, le Défenseur des droits estime que “pour la population active comme pour les personnes syndiquées, la peur des représailles est la première cause explicative du non-investissement des salariés dans l’activité syndicale” puisque “près d’une personne syndiquée sur deux déclare avoir été discriminée en raison de son activité syndicale au cours de sa vie professionnelle”. D’après leur enquête, près de la moitié (46%) des personnes syndiquées estiment avoir déjà été discriminées au cours de leur carrière professionnelle en raison de leur activité syndicale. Pour 51% d’entre elles, leur activité a représenté un frein à leur évolution professionnelle. Plus de quatre personnes syndiquées sur dix (43%) estiment que les relations avec leur hiérarchie se sont dégradées en raison de leur activité syndicale. Cette tendance est plus marquée dans le secteur privé que dans le public, ce qui peut expliquer les différences de taux de syndicalisation entre les deux secteurs. C’est d’autant plus vrai que les fonctionnaires ont une certaine sécurité de l’emploi que les salariés du privé n’ont pas.
Dans un contexte économique précaire, avec une forte inflation et un chômage de masse, se syndiquer est donc perçu à juste titre comme quelque chose de risqué, qui peut empêcher toute promotion. L’étude du Défenseur des droits montre que près de la moitié des personnes syndiquées, qui ont des mandats (au Comité Social et Économique ou comme délégué syndical) ne bénéficient pas d’aménagement de leur charge de travail, contrairement à ce que prévoit le Code du travail. Parconséquent, se syndiquer a pour conséquence de les surcharger de travail.
3 – … parce que le patronat a peur (et il a raison)
Le syndicalisme demeure, pour les directions d’entreprise, le danger numéro 1. Car le 20e siècle a prouvé que si un partage de la richesse produite pouvait advenir, c’était d’abord du fait de leur action, avant même celle des partis politiques. En France en 1936, ce sont les grèves massives avec occupation d’usine qui ont permis des avancées sociales encore plus fortes que celles contenues dans le programme du Front populaire, élu la même année. Le patronat a plus perdu du fait des grèves de 1968 que de l’élection de François Mitterrand (qui, à terme, lui a fait beaucoup gagner). Encore aujourd’hui, partout dans le monde, les grèves permettent aux travailleurs d’obtenir davantage de progrès sociaux que les élections. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni comme au Bangladesh, ce sont des grèves massives, ces dernières années, qui ont permis d’obtenir des augmentations très significatives de salaires, même sous des gouvernements conservateurs ou dictatoriaux.
Si Le syndicalisme demeure, pour les directions d’entreprise, le danger numéro 1, c’est parce que le 20e siècle a prouvé que si un partage de la richesse produite pouvait advenir, c’était d’abord du fait de leur action, avant même celle des partis politiques.
Le patronat français a raison de craindre les syndicalistes car il commence à faire face à une remontée de la conflictualité au travail : en 2022, 2,4 % des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole (employant 25 % des salariés de ce champ) connaissent un ou plusieurs arrêts collectifs de travail. Cette proportion “augmente nettement”, nous indique la DARES (ministère du travail), de 0,8 point par rapport à 2021. D’une façon générale, sur le temps long, le nombre de jours de grève pour 1 000 salariés est relativement stable entre 2008 et nos jours, avec une remontée récente, donc. Par ailleurs, les études du ministère du travail montrent aussi que la conflictualité au travail permet d’obtenir des améliorations pour tout le monde. Investir collectivement dans une grève est donc très rentable pour les salariés.
Et pour cela, il faut des syndicalistes. Ces « grandes gueules » qui nourrissent la rébellion et le goût du mieux dans le cœur de leurs collègues, font peur au patronat. Donnons lui davantage de raisons de trembler : rejoignons-les
mise en ligne le 5 juin 2024
Jean-Jacques Régibier sur www,humanite,fr
Alors que l’Inspection du Travail refuse son licenciement, Christian Porta, le délégué syndical CGT du boulanger industriel Neuhauser à Folschviller, en Moselle, a été convoqué mardi matin à la gendarmerie qui voulait tout d’abord le placer en garde à vue. Le Procureur de la République s’y est opposé. Entretien.
« C’est un véritable bras de fer qui s’engage pour tester notre résistance », observe Dorothée Unterberger, la secrétaire générale CGT de l’Union syndicale des travailleurs de l’agroalimentaire et des forêts (USTAF), qui juge « incroyable » la convocation à la gendarmerie du délégué CGT, « alors que c’est l’entreprise qui ne respecte pas les décisions administratives ».
Leader syndical très connu en Moselle, Christian Porta a été licencié le 23 avril par la direction du groupe Invivo, le grand groupe français de l’agrobusiness qui a racheté l’usine de boulangerie industrielle de Folschviller. Saisie par la CGT, l’Inspection du travail s’est opposée au licenciement en démontant point par point les arguments de la direction, mais la direction est passée outre et a confirmé le licenciement du délégué.
La direction d’Invivo a entrepris une démarche auprès du ministère du Travail pour faire annuler la décision de l’Inspection de travail. La décision devrait être rendue cet été. En attendant, c’est la gendarmerie qui a convoqué Christian Porta mardi matin. Une centaine de ses collègues sont venus le soutenir devant le poste de gendarmerie.
Sur quels motifs avez-vous été convoqué à la gendarmerie ce matin ?
Christian Porta : La direction d’Invivo qui m’a licencié est en train de perdre sur tous les dossiers puisque l’Inspection du travail a demandé ma réintégration, mais elle continue la pression contre moi. Cinq cadres de l’entreprise sont allés porter plainte contre moi au motif que je « harcèlerais » la direction, et suite à ces plaintes, la gendarmerie voulait me mettre en garde à vue pour m’interroger. Mais le procureur de la République a décidé qu’aucun élément ne pouvait être retenu pour autoriser une G.A.V., et finalement, j’ai passé une audition en étant libre en début de matinée.
Quelles sont les questions qui vous ont été posées
par les gendarmes ?
Christian Porta : C’étaient des questions extrêmement étranges, des questions très très politiques. Par exemple, ils m’ont demandé ce qu’on faisait pendant les réunions du Comité Social et Économique (CSE), pourquoi les représentants syndicaux bloquaient certains projets en demandant des expertises, ils m’ont même accusé de ramener de la politique dans l’entreprise. J’ai vraiment eu l’impression que c’était des questions écrites par la direction.
Où en êtes-vous de votre situation actuelle dans l’entreprise ?
Christian Porta : Dans un premier temps, j’ai gagné, l’Inspection du travail a demandé ma réintégration suite à mon licenciement de l’usine, mais la direction n’a pas respecté cette décision et ils m’ont tout de même licencié. Invivo a ensuite contesté la décision de l’Inspection du travail de Moselle devant le ministère du Travail, on attend la réponse. J’ai le droit d’exercer mes mandats syndicaux mais la direction ne les reconnaît pas tous. Par exemple, je suis membre du CSE, et bien que l’Inspection du travail ait demandé ma réintégration, la direction refuse ma présence aux réunions du CSE. J’ai juste le droit d’accéder au local syndical.
Comment analysez-vous les attaques que vous subissez dans le contexte national ?
Christian Porta : On fait vraiment face à une attaque du patronat qui veut nous faire payer les mobilisations massives contre la réforme des retraites, et les grèves sur les salaires comme celles que nous avons faites à Invivo. Comme on est dans une conjoncture réactionnaire, le patronat en profite pour attaquer les délégués syndicaux dans les entreprises.
Cette vague de répression qui s’intensifie touche aussi les syndicalistes qui apportent leur soutien à la Palestine, comme Jean-Paul Delescaut (Secrétaire de l’Union départementale CGT du Nord, Jean-Paul Delescaut a été condamné par le tribunal à un an de prison avec sursis pour son soutien à la Palestine, NDLR).
Comme mon licenciement d’un grand groupe de l’agrobusiness a été bien relayé en France, ce qui est en train de m’arriver est assez inédit. J’ai vraiment contre moi l’avant-garde du patronat qui se radicalise et essaie de donner le ton pour tous les autres patrons. Il y a plein de cas similaires aujourd’hui en France.
Nous sommes contactés aussi bien par des collègues de petites entreprises comme Rougier et Plé (magasin parisien de fournitures pour artistes où quatre salariés ont été convoqués pour un entretien disciplinaire après avoir fait grève pour les salaires, NDLR), ou Dassault (les salariés des deux sites Dassault de Mérignac et Martignas ont fait grève en mars pour de meilleurs salaires, NDLR), et tous nous disent qu’ils vivent la même chose chez eux. Il y a tout intérêt à organiser une réponse large.
Précisément, est-ce que vous ressentez une solidarité contre ces attaques que subissent les syndicalistes ?
Christian Porta : Il y a un très fort soutien, on le sent sur les réseaux sociaux par exemple, mais aussi par le soutien que nous apportent localement les associations, et les groupes politiques comme le PCF, les Verts ou la France insoumise. Jacques Maréchal, le secrétaire PCF de Moselle ou Marine Tondelier, la secrétaire d’EELV, sont venus devant l’usine, et aujourd’hui (mardi 4 juin, NDLR), FI pose une question orale au gouvernement sur la répression syndicale. Il faut dire que la situation est grave.
En ce qui concerne mon audition à la gendarmerie, le procureur de la République n’était même pas au courant que j’allais être mis en garde à vue, alors que le dossier est complètement vide, c’est hallucinant. Aujourd’hui mes collègues sont en grève. Si les gens veulent participer à la caisse de grève, c’est un bon moyen de nous aider.
mise en ligne le 4 juin 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Ce mardi 4 juin, c’est jour de grève dans le secteur médico-social. Les salariés se mobilisent pour l’amélioration générale de leurs conditions de travail et pour peser sur les négociations autour de leur nouvelle convention collective.
La bataille continue dans le secteur médico-social. Après une journée de grève réunissant environ 15 000 personnes dans les rues le 4 avril, différents syndicats et collectifs appellent à arrêter le travail et à manifester ce 4 juin. Les revendications sont les suivantes « pour nos salaires, nos emplois, nos formations, des moyens pour des conditions d’accueil et de prise en charge dignes », énumère un communiqué de la commission de mobilisation du travail social Île-de-France. La mobilisation est appelée par différents collectifs et syndicats en fonction des départements.
« Il y a de nombreuses grèves dans le secteur en ce moment. L’enjeu du 4 juin, c’est d’unifier les luttes », précise Florence Pik, membre de cette même commission et militante CGT. Et cette éducatrice spécialisée de lister : « on a eu une grève dans la petite enfance dans le Nord, à Poitiers les collègues sont mobilisés contre des coupes budgétaires décidées par le département, à Paris il y a toujours les grévistes de Onela, qui luttent depuis 4 mois et j’en oublie », continue-t-elle.
Ce 4 juin, un premier rassemblement devant le siège de la FEHAP (fédération d’employeurs) se tiendra dès 9h, à Paris, avant un départ vers le Ministère de la santé à partir de 13h30. Certaines mobilisations locales ont décidé de rejoindre le cortège parisien, d’autres se tiendront hors de la capitale.
4 juin, la grève du secteur médico-social et la convention collective
« La date du 4 juin est importante car c’est la dernière date de négociation autour de la nouvelle convention collective unique », poursuit Florence Pyk. Depuis 2022, le gouvernement a entrepris une fusion des deux conventions collectives qui encadrent les travailleurs du secteur médico-social : la 51 et 66.
Si l’objectif de fusion est partagé par les employeurs et les syndicats, ses modalités font débat. Alors que les salariés demandent une convention collective étendue « de haut niveau », prenant appui sur les avantages des deux conventions, les organisations patronales jouent plutôt la carte du moins disant social.
« Pour l’heure, on nous demande de signer un chèque en blanc. Dans ce cadre, on craint que cela ne fasse disparaître la spécificité de nos métiers. Les trois syndicats CGT, SUD et FO, qui sont majoritaires, refusent de signer un accord tant qu’ils n’ont pas obtenu le Ségur pour tous. » En effet, certains travailleurs œuvrant dans le secteur médico-social, comme les veilleurs de nuit, les secrétaires administratives, les agents d’entretien ou de restauration, n’ont toujours pas eu accès à l’augmentation de 183€ net mensuel dont ont bénéficié les soignants, puis une partie des travailleurs sociaux, après une forte mobilisation. Ainsi la journée du 4 juin sera une fois de plus l’occasion d’exiger l’extension du Ségur. La lutte des travailleurs sociaux est donc loin d’être terminée. Prochain point d’orgue : les rencontres nationales du travail social en lutte, qui auront lieu le 27 et 28 juin.
mise en ligne le 24 mai 2024
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/
Une journée de grève et de mobilisation a été lancée par Sud PTT ce jeudi, jour de l’assemblée générale de Teleperformance, leader mondial des centres d’appel, dont le siège se trouve en France. Le syndicat dénonce des négociations salariales au point mort, alors que l’écart salarial à Teleperformance est tel que le PDG y gagne 1 400 fois plus que les employés, selon l’ONG Oxfam.
Ce jeudi, à l’entrée de l’assemblée générale de Teleperformance, la direction et les actionnaires ne seront pas tout à fait tranquilles. Le syndicat Sud PTT a lancé un appel à la manifestation sur les lieux, dans le cadre d’une journée de grève des employés du leader mondial des centres d’appel.
Pas de quoi assombrir non plus la journée de ces actionnaires : le groupe, membre du CAC 40, se félicitait fin avril d’une croissance de +26,7%. Pas moins de 244 millions d’euros leur seront donc reversés cette année sous forme de dividendes, expose un communiqué de Solidaires et Sud PTT.
Malgré ces résultats florissants, la direction a en revanche informé les organisations syndicales « qu’elle ne souhaite pas d’augmentation des salaires », épingle Sud PTT. Les NAO (négociations annuelles obligatoires) sont en cours dans l’entreprise depuis le 26 mars. Or, cette année, leur budget a été divisé par trois, « passant d’un million d’euros à 350 000 euros », précise Issam Baouafi, délégué syndical central Sud à Teleperformance.
« La direction nous a bien fait savoir qu’elle ne ferait pas beaucoup d’efforts pour nos salaires cette année », abonde encore Issam Baouafi, plus de vingt ans d’expérience dans l’entreprise au compteur. « Pour nous c’est impensable, au regard de l’inflation et des petits salaires dans l’entreprise ».
Record de l’écart salarial chez Teleperformance : le PDG gagne 1453 fois plus que les employés
Le salaire moyen mensuel chez Teleperformance est en effet inférieur à 1200 euros. Le PDG Daniel Julien, lui, gagne 19 millions d’euros par an. Soit 1453 fois plus que les salariés, d’après une étude d’Oxfam parue fin avril. Teleperformance remporte ainsi le titre de l’entreprise du CAC40 championne de l’écart salarial, selon l’ONG. Et « de loin ».
Contactée par l’AFP, Teleperformance s’est défendue en dénigrant un calcul « purement théorique et non réel » de la part de l’ONG, dans la mesure où la rémunération du PDG inclut des « actions de performance » dépendant des objectifs réalisés et du cours de la Bourse – où le groupe voit sa cote baisser.
En moyenne, les patrons du CAC 40 ont gagné 130 fois plus que le salaire moyen dans leurs entreprises en 2022, synthétise Oxfam. Cet écart salarial a augmenté d’environ 17 % depuis 2019. « Il est urgent de lutter contre cette injustice salariale et de mobiliser les salarié·e·s pour des conditions plus équitables », insiste Sud PTT dans son communiqué.
La séance de NAO lors de laquelle la direction de Teleperformance devait donner sa position finale aurait dû avoir lieu hier, mercredi. Elle a finalement été reportée au 6 juin.
En 2022, les syndicats avaient obtenu 80 euros d’augmentation des salaires. En 2023, les syndicats étaient plus divisés – contrairement à d’autres, Sud PTT n’avait pas signé : « il y avait trop de différenciation dans les augmentations », explique Issam Baouafi. « Certains avaient obtenu 25 euros, d’autres 120, d’autres rien du tout . Cette année, son syndicat exige 100 euros d’augmentation. « Pour tout le monde », insiste-t-il.
Des débrayages depuis le début de l’année
Mi-mars et fin janvier, les téléconseillers des centres d’appel français, notamment chez Teleperformacnce, avaient débrayé à l’appel d’une intersyndicale (CFDT, CFTC CGC, FO, CGT Sud-Solidaires). À l’issue de la grève de janvier, les employeurs de la branche avaient proposé « près de 2% d’augmentation, pour remonter juste au-dessus du SMIC les plus bas salaires », nous racontait Frédéric Madelin, négociateur de branche P2ST (prestataires de services du secteur tertiaire) pour Sud PTT.
Pas de quoi rattraper le décrochage : depuis 2005, les salariés du secteur ont perdu « entre 60 et 300 euros mensuels », par comparaison avec l’évolution du SMIC, estime le syndicaliste. « Il nous faut la mise en place d’une grille suffisante pour les prochaines augmentations du SMIC, pour faire face à l’inflation, à la hausse des prix de l’énergie… On ne demande pas juste à être au SMIC : on demande un vrai salaire ».
La journée de mars, ensuite, a pris une dimension internationale, avec de fortes mobilisations en Grèce. Les grévistes de Teleperformance, comme de Concentrix – autre acteur majeur du secteur – y avaient obtenu, sur les sites les plus mobilisés, l’ouverture de négociations sur des revalorisations salariales.
mise en ligne le 16 avril 2024
sur https://basta.media
Des syndicats de salarié·es et d’étudiants appellent à manifester le 1er mai contre les politiques d’austérité et « pour l’emploi, les salaires, les services publics, la protection sociale, les libertés et la paix ». Voici l’appel.
Le 1er mai, journée internationale des travailleurs et travailleuses, va se tenir dans un contexte marqué par les guerres terriblement meurtrières, notamment en Ukraine et en Palestine. Nos organisations réaffirment leur engagement pour une paix juste et durable dans le cadre du droit international, qui ne peut se faire aux conditions de l’agresseur.
En France, les travailleur·euses sont sous la menace d’un nouveau plan d’austérité. Pour multiplier les cadeaux aux entreprises, ce qui aggrave les inégalités sociales, le gouvernement annonce faire des milliards d’économies sur les politiques sociales et les services publics, la transition écologique ou en faisant les poches des chômeurs et chômeuses, de celles et ceux qui sont malades, ou encore en s’attaquant une nouvelle fois au Code du travail.
« Il y a urgence à augmenter les salaires et les retraites »
Loin de « désmicardiser » le pays, il poursuit sa politique au service des plus riches en distribuant de l’argent public aux entreprises privées, notamment les plus grosses, sous forme d’exonérations de cotisations sociales : plus les salaires sont bas, plus les aides publiques sont conséquentes, ce qui encourage les directions d’entreprises à maintenir des millions de salarié·es avec des fiches de paie proches du Smic. À l’image du Smic, il faut a minima indexer les salaires, pensions et le point d’indice sur les prix. Il y a urgence à augmenter les salaires et les retraites.
La précarité et la pauvreté gagnent du terrain, en particulier chez les étudiant·es : un·e sur deux travaille pour financer ses études, deux étudiant·es sur trois sautent régulièrement des repas et plus de trois étudiant·es sur dix renoncent à des soins faute d’argent. Un·e sur deux est mal logé·e. Un·e étudiant·e sur cinq ne mange pas à sa faim. Il faut augmenter les minima sociaux, les bourses d’études et réformer en urgence ce système d’aide pour que chacun·e puisse étudier dans des conditions dignes.
« Pour une Europe sociale et des peuples »
Nos organisations appellent à s’opposer aux politiques d’austérité en France comme en Europe. Alors que des profits records sont enregistrés, il faut sortir du choix délétère que l’on nous impose. Pour une Europe sociale et des peuples : ni dépendance à la finance, ni poison de l’extrême-droite, pire ennemi des travailleurs et travailleuses ! Nos organisations militent pour le renforcement de la protection sociale et s’opposent aux projets de contre-réformes qui réduisent les droits et conquis des travailleurs et travailleuses.
Elles dénoncent les attaques aux libertés collectives et individuelles, notamment contre les bourses du travail et le droit de manifester, les libertés syndicales mais aussi les entraves à la liberté d’expression, par exemple sous-couvert des lois anti-terroristes.
Le 1er mai doit aussi être le prolongement des mobilisations du 8 mars pour l’égalité réelle alors que les femmes sont moins payées et plus souvent en situation de précarité.
Nos organisations appellent les travailleuses et travailleurs, les jeunes, étudiant·es et retraité·es, à manifester partout en France le 1er mai contre l’austérité, pour l’emploi, les salaires, les services publics, la protection sociale, les libertés et la paix juste et durable dans le monde.
Signataires : CGT, FSU, Solidaires, Unef, Union étudiante, Fage, USL, MNL
< mise en ligne le 6 avril 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Ce 28 mars avait lieu le procès du secrétaire général de la CGT du Nord au tribunal correctionnel de Lille pour« apologie du terrorisme » et « provocation publique à la haine ». Accusations d’antisémitisme, ou de « justifier l’attaque du Hamas », l’audience était à l’image des débats houleux en cours depuis le 7 octobre, dans un contexte de forte répression du mouvement pro-palestinien.
Dans la grande salle du tribunal correctionnel de Lille, Jean-Paul Delescaut n’entend plus les acclamations des centaines de militants qui se sont massés devant le bâtiment. Les « nous sommes tous Jean-Paul », les discours de soutien du ténor de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, ou de la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, sont désormais couverts par le souffle d’un vent qui tape sur les carreaux et sur les nerfs. Le syndicaliste s’avance à la barre désormais seul.
Ce 28 mars, pendant près de 6 heures, magistrats et avocats se sont livrés au long commentaire d’un communiqué de l’union départementale CGT du Nord (UD CGT 59) intitulé « La fin de l’occupation est la condition de la paix en Palestine ». Rédigé collectivement par la commission exécutive de l’UD CGT 59, il a été publié sur le site internet de l’UD le 10 octobre. Il fait suite à l’attaque du 7 octobre, lors de laquelle plus de 300 soldats et 700 civils israéliens ont perdu la vie, et anticipe la riposte de l’armée israélienne. Il a été dépublié le 20 octobre à la suite du placement en garde à vue de Jean-Paul Delescaut.
Les quatre avocats des 3 associations qui se sont portées parties civiles, l’Organisation juive européenne, l’Association cultuelle israélite et la Jeunesse française juive, ont plaidé pendant plus de deux heures. La procureure s’est fendue d’un réquisitoire fleuve. Ils sont unanimes : par ce communiqué, le cégétiste, en sa qualité de responsable de la publication du site internet de l’UD CGT 59, se rend coupable d’apologie du terrorisme. Pour ce délit, le parquet a requis 1 an de prison avec sursis.
Le secrétaire général est également jugé pour « provocation publique à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminées », un délit de presse bien moins lourdement condamné que l’apologie du terrorisme. Le parquet considère d’ailleurs qu’il n’est pas constitué puisqu’aucune population n’est visée dans le communiqué du 10 octobre, seulement la politique de l’État d’Israël.
Au procès de la CGT du Nord, Hamas et terrorisme
À la barre, Jean-Paul Delescaut, aide-soignant de 52 ans et secrétaire général de l’une des plus grosses unions départementales de la CGT depuis 2016, ouvre les débats par une déclaration. Il rappelle les valeurs de solidarité, de paix, et l’internationalisme de son syndicat. « C’est pour ça que nous avons ouvert une cagnotte pour Gaza, pour Cuba, que nous avons mis en place un convoi pour l’Ukraine ».
Par la suite, contrairement à ce qui a été écrit dans la dépêche AFP de compte-rendu du procès, Jean-Paul Delescaut n’a absolument pas opposé « un mur de silence à chaque question ». S’il a refusé de répondre à certaines mises en cause, souvent très déstabilisantes, des avocats des parties civiles, il a d’abord longuement répondu à la plupart des questions de la présidente.
Devant les magistrats, le représentant syndical qualifie l’attaque du 7 octobre de « terroriste », de même que l’organisation qui l’a perpétrée. Ses avocats emploieront ce terme tout au long de l’audience (voir encadré en fin d’article).
Lire entre les lignes d’un communiqué
« Depuis le début de cette audience, on nous parle du Hamas. Les avocats de la partie civile nous disent qu’il est comparé à la résistance. Mais ni le mot “Hamas”, ni le mot “résistance” ne figurent dans le communiqué. Pourquoi a-t-on besoin de prononcer des mots qui n’ont pas été écrits ? », questionne Arié Alimi.
Si l’avocat du militant insiste tant sur la manière dont le parquet et les avocats des parties civiles interprètent les mots du cégétiste, c’est parce que le principal enjeu du procès consiste à établir les intentions de la CGT du Nord derrière le lexique choisi. Les débats porteront, entre autres, longuement, sur le terme « provoqué », employé dans le communiqué.
La juge : Vous écrivez que « les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [ndlr: 7 octobre], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées ».
Jean-Paul Delescaut : C’est un constat. On est dans une situation qui est une poudrière et où la violence appelle la violence.
– Pour vous, le 7 octobre était une réponse à la politique d’Israël, c’est ce qui est écrit.
– On n’a jamais voulu dire que c’était un acte favorable. On condamne ce qui s’est passé. On écrit qu’on s’incline devant toutes les victimes civiles.
– Quand vous dites que la politique d’Israël empêche toute solution pacifique, est-ce que vous ne dites pas que l’attaque du Hamas était inéluctable, qu’il fallait passer par là ?
– Non, c’est un débat général, ça concerne toute la politique, tout ce qui s’est passé en Palestine depuis des années.
Pour Me Nicolas Benouaiche, avocat de la partie civile, expliquer les actes du 7 octobre, c’est déjà les justifier. « Quand on écrit que les réponses sont “provoquées”, on cherche des justifications à un acte terroriste. Donc on est déjà dans l’apologie du terrorisme. On dénie aux victimes le droit d’être des victimes, on leur dit : “Vous êtes des occupants, vous l’avez mérité”, et on compare les terroristes à des résistants. » Et l’avocat de l’Organisation juive européenne de filer son interprétation : « Imagine-t-on Jean Moulin égorger des bébés? ». Les 3 associations demandent le versement d’1 euro symbolique.
Pour Me Ioannis Kappopoulos, autre avocat du secrétaire général de l’UD CGT 59, le verbe « provoquer » est malhonnêtement interprété comme un synonyme de « mériter » par la partie civile. « Au contraire, qu’on me trouve un terme plus neutre que “provoquer” dans la langue française. Le communiqué constate qu’il y a une cause, il ne justifie rien du tout. » Le syndicaliste reconnaît quant à lui « une maladresse » dans la rédaction. « On aurait dû être plus précis, pour que tout le monde ne puisse pas l’interpréter à sa sauce. »
« Défendre la lutte armée, pas le terrorisme »
Une autre phrase extraite du communiqué du 10 octobre est particulièrement mise en cause :
« En France et dans le “monde occidental” en général, la propagande médiatique, totalitaire, nous présente scandaleusement les conséquences comme des causes, les occupés comme terroristes, et l’occupant comme victime. »
Une dangereuse inversion des valeurs pour la partie civile. « Ce tract transpire le conspirationnisme. On a des musées qui sont remplis de théories comme celle-là. Des musée de l’Occupation, des musées de l’histoire de l’antisémitisme. On nous dit qu’il n’y a pas le mot “juif” dans le communiqué, mais on y parle “d’entité sioniste”. Personne n’est dupe ! », assène Me Nicolas Benouaiche.
Au contraire, pour Arié Alimi, un des deux avocats de la défense, le communiqué ne défend ni le terrorisme, ni l’antisémitisme, mais la lutte armée dans un contexte colonial.
« Le fait de présenter positivement des massacres de civils par des groupes armés dans le but d’instaurer la terreur constitue une apologie du terrorisme, il n’y a pas de doute. Mais il faut distinguer la lutte armée de ses modalités. La lutte armée du peuple palestinien est acceptée par le droit international, parce qu’elle a lieu dans le cadre d’une situation coloniale. La lutte armée, c’est quoi ? C’est l’exécution du droit à l’autodétermination du peuple. L’ANC de Nelson Mandela a fait ce choix à un moment de son histoire, mais pas contre des civils. Vous me direz que le 7 octobre était un massacre de civils. Oui. mais est-ce qu’à un moment le choix des modalités d’action est légitimé par le communiqué ? Non. Au contraire, le communiqué signale que la CGT du Nord “s’incline devant toutes les victimes civiles”. »
Il ajoute :
« J’ai ressenti un malaise à la lecture de certains communiqués d’organisations de gauche et d’extrême gauche après le 7 octobre. Ils étaient parfois teintés d’une lecture historique internationaliste ancienne, je les ai trouvés insensibles. Mais est-ce qu’ils constituaient pour autant une apologie du terrorisme ? », interroge Arié Alimi.
Dans un procès de la CGT du Nord où chacun essaie de lire entre les lignes du communiqué, l’avocat, également membre de la Ligue des Droits de l’Homme, estime que de nombreux doutes subsistent quant aux intentions du cégétiste. « Et le doute doit profiter à l’accusé », conclut-il.
Procès de la CGT du Nord ou du soutien à la Palestine ?
Chacune des parties s’est également prononcée sur les « éléments extrinsèques » au communiqué, qui doivent être pris en compte dans le cadre d’un procès pour apologie du terroir. Ainsi le contexte politique de publication, la personnalité de Jean-Paul Delescaut ou encore l’histoire de la CGT ont eu droit de cité.
Pour ce qui est du contexte politique : « On observe un climat de remise en cause des libertés et de hausse de la répression syndicale depuis le 7 octobre », a rappelé Sophie Binet, dans une vidéo de témoignage diffusée au cours de l’audience. « L’État a rapidement interdit de nombreuses manifestations d’appel au cessez-le-feu, interdictions qui ont d’ailleurs été levées par la justice » (voir notre article).
Lors de son discours aux portes du tribunal quelques heures plus tôt, la secrétaire générale de la CGT était plus catégorique encore. Elle avait alors qualifié le procès du jour de « procès politique » et d’« opération de diversion », organisée pour « discréditer par avance tous les soutiens aux Palestiniens ». Et Sophie Binet de rappeler les 32 000 civils déjà « assassinés par le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahou » et la reconnaissance d’un « risque plausible de génocide » de la population palestinienne à Gaza, par un arrêt de la Cour Internationale de Justice, le 26 janvier. Elle a conclu : « Les débats politiques ne se tranchent jamais dans les prétoires »
L’inflation des procédures s’explique en partie par une circulaire du ministère de la Justice, en date du 10 octobre, qui insiste sur l’importance de condamner les provocations à la haine et les apologies du terrorisme dans un contexte de hausse des propos antisémites sur internet. D’ailleurs, selon le ministère de la Justice, interrogé par Le Monde, 626 procédures ont été lancées à la date du 30 janvier 2024, dont 278 à la suite de saisines du pôle national de lutte contre la haine en ligne. Des poursuites ont été engagées à l’encontre de 80 personnes pour apologie du terrorisme ou provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence. Si bien peu sont condamnés à ce jour, c’est le cas de Mohammed Makni, militant du Parti socialiste (désormais exclu) et élu à la municipalité d’Echirolles condamné, ce 26 mars, à 4 mois de prison avec sursis pour apologie du terrorisme.
La secrétaire générale de la CGT estime enfin que ce contexte répressif explique les modalités particulières de l’arrestation de Jean-Paul Delescaut. Le 20 octobre, le syndicaliste avait été interpellé et menotté à son domicile à 6h05, sur ordre du parquet, après signalement de l’ex préfet du Nord, Georges-François Leclerc (désormais directeur de cabinet de la ministre du Travail Catherine Vautrin). Des conditions d’arrestations considérées comme « abusives » et « vexatoires » par ses avocats. « Je pense en effet qu’on aurait pu faire autrement », convient la procureure.
Histoire de la CGT, personnalité de Jean-Paul Delescaut
Costume impeccable, Stéphane Sirot se présente à la barre. Historien de la CGT, il est cité comme témoin par Jean-Paul Delescaut.
« La CGT a toujours eu des engagements clairs contre les racismes, la xénophobie et toutes les formes d’exclusion. Si bien qu’on ne trouve pas de travaux de chercheurs sur d’éventuels cas de racisme ou d’antisémitisme au sein de la CGT. Donc, du point de vue des historiens, ce n’est pas un sujet. De même, la CGT a toujours été pacifiste et les rares fois où elle s’est écartée de cette ligne, c’était pour soutenir indirectement les mouvements indépendantistes ou pour combattre le nazisme et le fascisme », énumère-t-il.
« On ne juge pas l’histoire de la CGT, on juge un tract », ont répété inlassablement les avocats de la défense, refusant de convenir que le contexte politique pourrait avoir quelque chose à voir avec la présence du syndicaliste sur le banc des prévenus.
Enfin, la dernière plaidoirie, celle de Ioannis Kappopoulos, s’est attardée sur la personnalité du prévenu. Lors des débats, la présidente avait projeté la capture d’écran d’une vidéo Facebook montrant le secrétaire général de l’UD du Nord réalisant deux doigts d’honneurs – « un challenge », selon le cégétiste. Une image censée renseigner l’auditoire sur le caractère du cégétiste et exhumée non sans un certain mépris de classe.
L’avocat en droit social, habitué à côtoyer la CGT du Nord a tenu à rappeler que d’autres photos auraient pu être montrées à l’audience. Jean-Paul Delescaut soutenant les grévistes de Vertbaudet, les compagnons d’Emmaüs, ou encore Jean-Paul Delescaut, aide-soignant, portant un masque à l’hôpital de Valencienne, pendant le premier confinement. « Jean-Paul, que je connais depuis des années, au tribunal pour « apologie du terrorisme » ? Comment en est-on arrivé là ? », a-t-il déploré. Après une audience éprouvante, le syndicaliste est finalement sorti du tribunal aux alentours de 21 heures. Il était attendu par des dizaines de camarades syndicalistes qui avaient passé la journée devant le tribunal. Le délibéré du procès de la CGT du Nord sera rendu le 18 avril.
Encadré : Hamas et terrorisme :
Cela n’a pas forcément été le cas dans d’autres procès pour apologie du terrorisme en lien avec l’attaque perpétrée par le Hamas. Il a en revanche réfuté toute apologie des actions du Hamas.
Une caractérisation qui n’allait pas de soi tant elle a fait débat au lendemain du 7 octobre. Si l’Union Européenne considère le Hamas comme une organisation terroriste, c’est plus compliqué du côté de l’ONU. Différents médias (AFP, BBC) se refusent à employer un terme « très chargé politiquement ».
mise en ligne le 30 mars 2024
Bérénice Paul sur www.humanite.fr
En grève depuis le 26 février, les enseignants de Seine-Saint-Denis réclament davantage de moyens pour lutter contre la dégradation de leurs conditions de travail. Plusieurs mobilisations étaient prévues ce samedi 30 mars dans l’ensemble du département. À Aubervilliers, les enseignants et parents d’élèves dénoncent l’indifférence des pouvoirs publics dace à leurs revendications.
En ce samedi 30 mars, plusieurs dizaines de personnes affluent sur le parvis qui jouxte la mairie d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Certains agitent des drapeaux où l’on peut lire « Plus d’argent pour l’école publique ». D’autres collent des pancartes entre deux poteaux. Des professeurs saluent des parents d’élèves, qui se sont déplacés pour l’occasion. Des enfants en bas âge chahutent dans les jambes des adultes. L’ambiance est bon enfant ce samedi matin, et en dépit de la pluie, les slogans fusent avec énergie et enthousiasme. « On est là même si Macron ne veut pas, nous, on est là », scande Riley, 32 ans, syndiqué à la FSU et professeur d’anglais au lycée Henri Wallon d’Aubervilliers depuis deux ans. Et de lâcher : « On prend vraiment les parents et les élèves du 93 pour des cons ! » Depuis le 26 février, les enseignants de Seine-Saint-Denis ont entamé une grève à l’appel d’une large intersyndicale, réclamant un plan d’urgence pour l’école publique dans ce département le plus pauvre de France métropolitaine. Mobilisé depuis le début, Riley pointe la dégradation de ses conditions de travail. « L’apprentissage des élèves est de plus en plus compliqué en raison de la surcharge des classes. Le 93 est une variable d’ajustement ! On asphyxie les écoles afin d’aller vers une privatisation de l’enseignement. Il y a une volonté de laisser pourrir le service public », analyse-t-il.
Les groupes de niveaux, « une condamnation sociale et intellectuelle »
Originaire du Canada, Riley estime qu’il est nécessaire de défendre le modèle éducatif à la française. « Les Anglo-Saxons seraient heureux d’avoir un système comme l’Éducation Nationale. Cette institution est loin d’être parfaite mais elle est bien meilleure que la quasi-totalité de ce qui se fait dans le monde. C’est peut-être le seul endroit qui fait que la France résiste un peu à l’atomisation totale. Or, le gouvernement est en train d’ouvrir des brèches dans le vivre-ensemble prôné par l’école ». Bientôt, le cortège s’agite. La foule s’élance dans les rues de la ville. Équipés de casseroles, professeurs et parents d’élèves crient leur colère : « Du fric, du fric pour l’école publique. » Cédric fait partie de l’équipée. À 39 ans, ce professeur de physique Chimie au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers veut montrer que « les enseignants ne lâchent pas l’affaire ». « Nous n’avons toujours pas eu de réponse de la ministre. Cette dernière ne prend pas en compte les spécificités de notre département. Nous avons besoin de moyens pour accompagner les élèves vers la réussite et l’émancipation. C’est essentiel pour favoriser une meilleure justice sociale ». L’enseignant critique également la mise en place des groupes de niveaux. « Cela génère une école du tri social », dénonce Cédric. Un avis partagé par Riley. « Cette mesure sous-tend une idéologie élitiste où l’on revient à une forme de racisme anthropologique qui consiste à dire qu’il y a des élèves qui seraient moins doués à l’école par « nature ». C’est une condamnation sociale et intellectuelle », déplore l’enseignant.
« La semaine dernière, il pleuvait dans la classe de mon fils »
Un même sentiment d’injustice pointe du côté des parents d’élèves. Nathalie, 42 ans, a deux enfants, scolarisés dans le groupe scolaire Hugo Balzac Stendhal à d’Aubervilliers. « Depuis le début du mouvement, l’établissement est très mobilisé. 60 % des enseignants ont suivi la première opération « école déserte » », précise l’élue FCPE. « Nous avons la chance d’avoir un groupe scolaire très investi. Nous sommes néanmoins régulièrement confrontés aux manques de moyens », détaille Nathalie. « L’année dernière, deux classes ont été supprimées. En 2025, il y aura plus qu’une psychologue scolaire. Celle-ci ne sera là que ponctuellement puisqu’elle exercera dans neuf établissements », dénonce Kahina, 39 ans, mère de trois enfants dont deux sont scolarisés dans le groupe Hugo Balzac Stendhal. Elle le répète, ce qu’ils veulent, tous, « c’est un plan d’urgence ! ». Le slogan est chanté à tue-tête par la foule. Les casseroles résonnent dans les rues de la ville. Certains passants, amusés, s’arrêtent pour contempler le cortège. Maurice, 49 ans, a tenu à ce que ses fils, âgés de cinq et neuf ans, scolarisés à Aubervilliers, participent à la manifestation. « Quand vous avez des enfants qui vont à l’école en Seine-Saint-Denis, vous vivez tous les jours les effets des moyens limités. Même si l’équipe pédagogique est super et fait de son mieux, cela reste tendu. La semaine dernière, il pleuvait dans la classe du petit », témoigne-t-il, en pointant son plus jeune fils.
Le manque de moyens, un frein aux apprentissages
Son grand frère prend la parole. « Nous n’avons pas de chauffage en classe ! », renchérit ce dernier. « L’Atsem ne pouvait pas rester trop longtemps à cause de l’humidité qui la prenait à la gorge. Elle était asthmatique », ajoute Maurice. Quelques élèves du secondaire se sont également déplacés pour manifester. « Je m’attendais à ce qu’on soit plus nombreux », regrette Clément, 18 ans, en terminale au Lycée professionnel Jean-Pierre Timbaud, à Aubervilliers. Lui aussi fustige le manque de moyens qu’il qualifie de frein pour l’apprentissage. « Aujourd’hui, les conditions sont mauvaises pour apprendre. On a des ordinateurs qui fonctionnent mal, des salles de classe à la limite de l’insalubrité, bourrées de moisissures, pas de chauffage », détaille Clément. Face à l’indifférence persistante du ministère de l’Éducation nationale, les professeurs et parents d’élèves de Seine-Saint-Denis sont déterminés à poursuivre la lutte, décidés à se faire entendre.
Simon Mauvieux sur https://rapportsdeforce.fr/
Depuis la fin du mois de février, les enseignants du 93 demandent la mise en place d’un plan d’urgence pour l’éducation dans leur département. Plus de 2000 d’entre eux ont manifesté dans les rues de Paris ce jeudi 21 mars, soutenus par certains de leurs élèves. Assemblées générales, blocages, manifestations mais aussi crainte de la répression, les lycéens du 93 font l’apprentissage du militantisme.
Mobilisés depuis bientôt un mois, les enseignants du 93 ont pu compter, début mars, sur l’ingéniosité de leurs élèves sur les réseaux sociaux pour donner une tonalité nouvelle au mouvement. Une vidéo TikTok tournée par les lycéens de Blaise Cendrars, à Sevran, comptabilise désormais plus d’un million de vues sur la plateforme. Manque de personnel, profs non remplacés, bâtiments vétustes, elle résume à elle seule une partie des maux de l’Education nationale, décuplés en Seine-Saint-Denis. Et elle a fait exploser la visibilité de la mobilisation en cours autour du « plan d’urgence pour le 93 », un mot d’ordre intersyndical exigeant de nouveaux postes et des rénovations d’établissement pour un total de 358 millions d’euros.
Au lycée Louis-Le-grand, situé dans le 5e arrondissement de Paris, des lycéens ont aussi réalisé une vidéo TikTok, cette fois pour essayer de tordre le cou aux clichés qui entourent leur prestigieux établissement. Mais les élèves de Blaise Cendrars, eux, en ont surtout retenu la splendeur du bâti : « La première fois que j’ai vu cette vidéo, je me suis dit : “c’est normal que ce soit aussi beau, c’est un lycée de Paris”. Mais en fait, quand j’ai fait la comparaison avec notre lycée, je me suis dit que non, ce n’était pas normal », raconte Sam, lycéen en classe de 1ère à « Cendrars ».
Estelle, elle aussi en classe de première, poursuit : « Avant je ne me rendais pas compte que le lycée était en très mauvais état, je le voyais, mais je me disais que c’était normal parce qu’on est dans le 93. J’ai grandi ici, j’ai toujours connu ça. Au collège c’était pareil, les profs absents n’étaient pas remplacés. À Louis-Le-Grand, ils ont des moulures au plafond. Nous, on n’a pas de plafond tout court ! ». Ce jeudi 21 mars, une quinzaine d’élèves et quelques professeurs grévistes se sont retrouvés devant Blaise Cendrars pour se rendre à la manifestation à Paris ensemble. Ils retrouveront d’autres lycéens, dont ceux de Jean Zay à Aulnay-Sous-Bois, l’un des établissements du 93 où les élèves sont pleinement mobilisés.
Plan d’urgence 93 : s’organiser malgré la crainte de la répression
Clément, prof de philo au lycée Jean Zay d’Aulnay-Sous-Bois, voit d’un très bon œil la mobilisation de ses élèves. « On était très content de voir nos élèves se mobiliser de manière très responsable et très politique». Mais s’il espère voir émerger un mouvement lycéen, il sait d’expérience que dans le 93, la répression est forte sur les blocages en cas de débordements, de quoi refroidir bon nombre d’élèves. Mobilisés avec Jean Zay et Cendrars, les lycéens de Jacques Brel, à La Courneuve, étaient absents de la manif de jeudi. Au même moment se tenait dans leur ville une marche blanche en hommage à Wany, 18 ans, tué par la police une semaine plus tôt.
Néanmoins, dès le 26 février, la mobilisation des professeurs a créé une prise de conscience chez certains lycéens. Mieux, elle leur a offert des moyens de s’organiser. Les premières assemblées générales ont été ouvertes aux élèves, qui dès le début, ont compris que les revendications les concernaient. « Ce ne sont pas les profs qui nous ont poussé à nous mobiliser, on l’a fait par ce que ça nous touche aussi. Maintenant on se soutient tous ensemble, les profs ont leur piquet de grève, on a notre blocus, et on s’aide mutuellement », détaille Estelle. Dès les premiers jours de mobilisation, des comptes Twitter et Instagram sont ouverts, des boucles WhatsApp et Snapchat permettent de poursuivre les discussions hors AG : les élèves ont pris en main leur propre lutte. Ils ont aussi essayé de créer des ponts avec les autres établissements autour d’eux.
Apprendre à militer, « le choc des savoirs » façon Blaise Cendrars
Façon sortie scolaire, le petit groupe se met en marche vers le RER, où des tickets sont distribués aux élèves. Dans une ambiance décontractée, on discute de la lutte en cours, on rigole des profs qui dansent en manif, on évoque plus librement les problèmes du quotidien. « Ça crée des liens particuliers entre nous, glisse Melissa, prof de français au lycée depuis cinq ans. Ils ont aussi envie de se nourrir de nos expériences, en venant assister aux AG. Maintenant, c’est eux qui les animent. Tour de parole, ordre du jour, vote, ils apprennent très vite parce que ça répond à un besoin qu’ils avaient déjà identifié », poursuit-elle. Estelle et Clara, les deux lycéennes, tiennent à militer « en gardant le smile, en étant positives, jusqu’à ce qu’on se fasse entendre », clament-elles.
Dans le cortège parisien, le groupe de lycéens détonne. Une enceinte envoie Bella de Maitre Gim’s et le mégaphone se transforme en micro de karaoké. « On est connu maintenant aux manifs, on nous demande de venir en tête de cortège », s’exaltent les deux lycéennes. Le groupe de Cendrars retrouve d’autres élèves, ceux du lycée Jean Zay d’Aulnay-Sous-Bois, l’un des lycées du 93 où les élèves sont pleinement mobilisés. Mehdi, en classe de seconde à Jean Zay, tient fermement la banderole aux couleurs de son établissement. Plein de détermination, il voit la mobilisation des lycéens comme un mouvement qui doit encore éclore, en parallèle de celui des profs : « On va continuer jusqu’à ce qu’on obtienne ce qu’on veut, et que les profs soient là ou non, on continuera ». Lui aussi dénonce les problèmes de vétusté de son établissement, le CDI fermé depuis la rentrée, les surveillants sans vie scolaire, le manque de prof, les classes mal isolées, les fenêtres qui ne se ferment pas, la moisissure sur les murs.
Surveillants, lycéens, parents, profs : un mouvement pour les services publics qui s’étend
Ce mouvement a la particularité de ne pas se focaliser sur les conditions de travail ou les rémunérations des professeurs, mais bien sur les conditions d’enseignement, et plus largement sur le service public de l’éducation. De quoi faire converger les lycéens mais aussi les parents d’élèves, présents dans les assemblées générales et les réunions d’information qui se tiennent régulièrement dans tout le département. Préparé depuis octobre, ce mouvement a émergé grâce à un plan d’urgence chiffré, créé par l’intersyndicale du 93 et censé apporter des solutions aux problèmes structurels de l’enseignant en Seine-Saint-Denis.
Le « choc des savoirs », promis par Gabriel Attal en décembre dernier, qui vise à créer des classes par niveau, a ajouté la colère des parents d’élèves à celle des enseignants. « Le choc des savoirs a beaucoup choqué», soulève le professeur, agréablement surpris par le soutien apporté par les parents d’élèves. « C’est une mobilisation pour le service public, tout le monde est concerné par ce sujet », poursuit-il. Melissa, la prof de français du lycée Blaise Cendrars abonde : « La communauté éducative défend ses conditions de travail, mais c’est presque accessoire, ce qu’on défend surtout, c’est les conditions d’apprentissage. L’avenir des enfants, ça parle à tout le monde ».
Une nouvelle journée d’action est prévue vendredi 29 mars en Seine-Saint-Denis, tandis que le mouvement s’étend à d’autres départements d’Île-de-France. Dans le Val-de-Marne, et le Val-d’Oise, les réunions publiques et les assemblées générales se sont enchaînées ces derniers jours. Ce jeudi, une assemblée générale de l’ensemble de l’Île-de-France a décidé de suivre l’agenda des mobilisations de Seine-Saint-Denis dans les autres départements. Des actions locales sont déjà prévues dans le Val-d’Oise et le Val-de-Marne la semaine prochaine.
Les lycéens, eux, sont déterminés à continuer la lutte dans leurs établissements, tout en poursuivant la construction d’un mouvement plus large. « Pour obtenir un plan d’urgence dans le 93, on a vraiment besoin des lycéens, plus on sera, plus on fera entendre nos revendications », espère Mehdi, avant de disparaître dans le cortège de chants, de drapeaux et de banderoles.
mise en ligne le 29 mars 2024
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Après s’être mobilisés une première fois à l’appel de la CGT le 6 février dernier, les agents se sont une nouvelle fois mis en grève ce jeudi 28 mars pour demander urgemment des moyens supplémentaires pour effectuer leurs missions
“Nous, on ne demande qu’une seule chose, pouvoir faire notre mission”, tonne Ghislaine Rouxelin, éducatrice et secrétaire générale CGT du foyer de l’enfance du quartier Aiguelongue, ou de nombreux agents du service enfance-famille se sont réunis en cette journée de grève du 28 mars. Ils viennent de tous les quartiers de Montpellier, mais également d’ailleurs dans le département (Pézenas, Hauts-Cantons…) “Le mouvement s’étend !”, constate Benjamin Karchen, délégué CGT du Conseil départemental.
Car depuis octobre, les cadres de la direction enfance famille du Conseil Départemental, en charge de la protection de l’enfance, alertent sur des conditions de travail dégradées, qui mettent en danger des enfants. “Il n’y a pas assez de place en foyer pour héberger tous les enfants placés, qui risquent des violences si ils restent dans leur domicile familial. Ce manque de place conduit à faire des choses illégales, comme loger des mineurs à l’hôtel, où même les ramener chez leurs parents alors qu’une décision de justice actant le placement du jeune a été acté par un juge”, expliquait dans nos colonnes Benjamin Karchen, lors de leur précédente grève le 6 février dernier.
Ghislaine Rouxelin complète : “La crise est profonde depuis le Covid mais ça n’a pas été anticipé. Dans mon service, on a douze bébés pour huit places, ça explose dans tous les services, on a pas assez de douches, c’est dramatique pour les enfants.”
Sylvie et Marie, qui travaillent dans une unité petite enfance à Aiguelongue, témoignent également : “Les enfants souffrent de ces sur-effectifs. Dans certains services, tout le monde s’est mis en arrêt maladie pour protester. Aujourd’hui, on veut aussi des embauches pérennes, pas du soutien d’intérimaires.”
“Ici, à Aiguelongue, on a 50 jeunes qui dorment dans des lits de camps. C’est censé être un sas où les enfants restent deux mois, certains sont là depuis deux ans, les équipes sont laminées” précise Benjamin Karchen. “Il faut que la collectivité reconnaisse nos efforts, nos équipes travaillent gratuitement à cause de cette situation.” Aujourd’hui, la CGT demande la création de place d’hébergements en urgence. “Le Département nous a répondu qu’il comptait créer un centre avec 500 places, prévu en décembre prochain, mais on a pas le temps d’attendre, et surtout, ça ne suffit pas, il y a actuellement 320 mesures de justice actant un placement qui ne sont pas exercées.” Pour lui, le problème vient du foncier. “On est allé à la préfecture pour en parler, aujourd’hui, ce qu’il faut, c’est des réquisitions pour pouvoir ouvrir des places. Cela montre qu’il faut un vrai pilotage de notre action, ce n’est pas à nous, syndicalistes, d’aller voir le préfet pour demander ça.”
Il précise également qu’une délégation doit rencontrer la direction du pôle enfance-famille pour échanger. “Selon comment ça se passe, on va peut-être suspendre les actions et maintenir le préavis.”
Outre le service de la protection de l’enfance, d’autres services du Conseil Départemental ont récemment posé des préavis de grève, pour des raisons différentes. On évoquait dans nos colonnes en début de semaine les comptables de la Maison départementale de l’Autonomie, qui demandent l’octroi de la prime Ségur. D’autres agents entendent se mobiliser contre ce qu’ils perçoivent comme une inégalité des régimes indemnitaires.