mise en ligne le 12 décembre 2024
Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr
Réunie ce mercredi 11 décembre, l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) a réclamé, à une très large majorité, un cessez-le-feu « immédiat » et « inconditionnel » dans la bande de Gaza. La résolution a été adoptée avec 158 voix pour, 13 abstentions et 9 contre, dont les États-Unis et Israël.
L’histoire se répète inlassablement. Comme à leur habitude, les États-Unis et Israël ont rejeté toute avancée en ce qui concerne les territoires palestiniens. Les deux alliés ont voté contre un appel – seulement symbolique et non contraignant – de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU), qui réclamait, à une très large majorité, un cessez-le-feu « immédiat » et « inconditionnel » à Gaza.
« Nous sommes reconnaissants de ce soutien écrasant, a néanmoins déclaré l’ambassadeur palestinien à l’ONU, Riyad Mansour. Nous continuerons à frapper à la porte du Conseil de sécurité et de l’Assemblée jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit mis en place. » La résolution, adoptée sous les applaudissements par 158 voix pour, 9 contre et 13 abstentions, exige « un cessez-le-feu immédiat, inconditionnel et permanent » ainsi que « la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages ». Une formulation similaire au texte qui a été bloqué par les États-Unis, fin novembre, lors d’un Conseil de sécurité.
« Une blessure ouverte pour l’humanité »
La première puissance mondiale avait alors utilisé une énième fois son droit de veto afin de protéger son allié israélien, dont la politique génocidaire et coloniale ne cesse de s’amplifier depuis plus d’un an. « Gaza est le cœur sanglant de la Palestine et une blessure ouverte pour l’humanité », s’est insurgé Riyad Mansour, évoquant les images de souffrances qui devraient « hanter la conscience du monde ». Les États-Unis, qui insistent pour que la trêve soit conditionnée à la libération des otages, ont ainsi réaffirmé leur position face à l’Assemblée générale de l’ONU, ce mercredi 11 décembre.
La résolution, qu’il serait « honteux » d’adopter selon eux, « risque d’envoyer au Hamas le message dangereux qu’il n’y a pas besoin de négocier ou de libérer les otages », a déclaré avant le vote l’ambassadeur américain adjoint, Robert Wood, alors que le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a évoqué, dans le même temps, « une chance » d’accord pour cette libération.
La résolution adoptée par les Nations unies demande, par ailleurs, à son secrétaire général, Antonio Guterres, de présenter des « propositions » concrètes. L’Assemblée générale met notamment en avant l’existence de mécanismes établis et déjà testés auparavant. Par exemple en Syrie, suite au lancement de la guerre civile en 2011, lorsque les Nations unies ont eu besoin d’une aide internationale pour collecter des preuves de crimes commis sur place.
Une deuxième résolution, adoptée par 159 voix pour, 9 contre, 11 abstentions, appelle aussi Israël à permettre la poursuite des opérations de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) dans les territoires palestiniens. Pour rappel, le gouvernement israélien a adopté, le 28 octobre dernier, deux textes interdisant les activités en Israël de l’agence des Nations unies et prohibant aux responsables israéliens de travailler avec elle. Une décision qui fut dénoncée par le Conseil de sécurité de l’ONU – dont les États-Unis. Israël accuse sans preuve des employés de l’agence d’avoir participé aux attaques du 7 octobre.
Ces deux résolutions des Nations unies relèvent du symbolique, Israël n’ayant pas l’obligation de s’y conformer. L’Assemblée générale a cependant été l’occasion pour de nombreux pays d’affirmer leur soutien envers le peuple palestinien. Les représentants de dizaines d’États membres ont ainsi défilé à la tribune avant le vote.
« Gaza n’existe plus, elle est détruite, a par exemple fustigé l’ambassadeur slovène, Samuel Zbogar. L’Histoire est la plus dure des critiques contre l’inaction. » L’ambassadeur algérien adjoint, Nacim Gaouaoui, a quant à lui prévenu que « le prix du silence et de l’échec face à la tragédie palestinienne est lourd, et sera encore plus lourd demain ».
Depuis plus d’un an, l’armée israélienne a causé la mort d’au moins 44 805 morts, juste dans la bande de Gaza, selon les données du ministère de la Santé du gouvernement du Hamas, et ce chiffre continue de grimper. La Défense civile locale a notamment indiqué que 21 personnes – parmi lesquelles plusieurs enfants – ont été tuées par les frappes d’avions de chasse israéliens, dans la soirée de ce mercredi 11 décembre. Soit dans la foulée de l’appel lancé par l’Assemblée générale des Nations unies.
mise en ligne le 10 décembre 2024
Ellen Salvi sur www.mediapart.fr
Six mois après le début des révoltes en Nouvelle-Calédonie, Mediapart est retourné dans l’un des foyers de l’insurrection. Concentré des « logiques néocoloniales » à l’œuvre dans l’archipel, la tribu de Saint-Louis a subi une lourde répression et perdu trois jeunes, tués par le GIGN. Les familles y ruminent leur colère et leur tristesse, mais restent déterminées à poursuivre la lutte.
Saint-Louis (Nouvelle-Calédonie).– Assise devant sa maison avec une tasse de café, Marie-Berthe Boano regarde l’allée de terre qui serpente jusqu’à la grande route. « J’attends le jour où je vais le voir arriver par là », dit-elle en pointant le bout du chemin. Ses yeux sont brillants, mais sa tête est haute et sa voix ne souffre d’aucune vibration. « J’ai la haine de ce qu’il s’est passé. Depuis le départ de mon frère, je ne sors plus d’ici. J’ai la rage, je ne veux plus croiser les gendarmes. »
Cela fait cinq mois que Marie-Berthe n’a plus quitté Saint-Louis. Cinq mois que son neveu et son grand frère sont montés dans un avion militaire pour être placés en détention provisoire à 17 000 kilomètres de chez eux. Cinq mois qu’elle attend le retour de Dimitri et de « Bichou », l’autre nom de Christian Tein, nouveau président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), considéré par la justice comme l’un des principaux « commanditaires » des révoltes qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai.
Situé sur la commune du Mont-Dore, à une quinzaine de kilomètres de Nouméa, Saint-Louis est un concentré de ce que le député Emmanuel Tjibaou qualifie de « logiques néocoloniales ». Un petit bout de terre dans un archipel perdu au milieu de l’océan Pacifique, où les autorités françaises ont assumé une répression guerrière, installant à l’entrée et à la sortie de la tribu deux imposants « verrous » de sécurité, censés répondre aux violences qui y ont été perpétrées.
C’est ici qu’un gendarme a été tué le 14 mai*. Ici aussi que des dizaines d’automobilistes ont été victimes de car-jackings et que les forces de l’ordre ont essuyé d’incessants coups de feu. Ici enfin que trois jeunes Kanak sont morts, tués par les forces du GIGN. Ils s’appelaient Rock Victorin Wamytan, dit « Banane », Samuel Moekia et Johan Kaidine. Ils avaient respectivement 38, 30 et 29 ans. Rares sont celles et ceux à avoir entendu parler d’eux en métropole, mais à Saint-Louis, leur souvenir est sur toutes les lèvres.
Les fantômes de l’indigénat
Fin septembre, cinq autres personnes se sont rendues à la police, quelques jours après une menace on ne peut plus explicite du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc : « Je suis extrêmement déterminé à rouvrir la route, avait-il déclaré dans Le Monde. On ira chercher tous ceux qui sèment le trouble à Saint-Louis. Et je n’ai qu’un conseil à leur donner, c’est de se rendre. C’est la seule issue qui leur sauvera la vie. »
La route est désormais rouverte à la circulation en journée, mais la présence des forces de l’ordre est encore massive. Sur le chemin qui mène à la case de la grande chefferie, un véhicule blindé a été posté bien en évidence sur le bas-côté. Le vrombissement des drones est devenu une rumeur quotidienne. La surveillance est maximale, pesante, envahissante (voir notre boîte noire). « C’est dur, témoigne Fernand Dawano, l’un des « vieux » de la tribu. Depuis le mois de mai, on est remontés cent ans en arrière. On a été cantonnés, comme au temps de l’indigénat. »
Hormis quelques traces sur le bitume, il ne reste plus rien des barrages indépendantistes qui ont émaillé l’ensemble de l’archipel pendant plusieurs semaines. « On maintient toujours la pression, on laisse nos drapeaux », affirme cependant Marie-Berthe, en pointant fièrement les couleurs de la Kanaky qui flottent partout. Comme les autres « mamans » de la tribu, la sœur de Bichou s’est largement mobilisée contre la réforme du corps électoral qu’entendait imposer Emmanuel Macron.
Moins visibles que les hommes dans les reportages télévisés friands de cagoules et de barrages en feu, les femmes kanak ont toujours joué un rôle clé dans la lutte pour l’indépendance, en soutenant leurs frères, leurs cousins et leurs enfants. À Saint-Louis, elles sont une quarantaine, « plus les filles », à se retrouver régulièrement depuis le début de l’année. « On est toujours ensemble, on se réunit les week-ends pour échanger, on s’entraide, explique Marie-Berthe. On était là sur les barrages, chacune apportait quelque chose, on faisait la marmite. On s’est bouffé des lacrymogènes. »
Les jeunes de 2024, ils sont plus rebelles dans leurs têtes. Rolande, habitante de Saint-Louis
Après avoir écouté les échanges de sa section de base de l’Union calédonienne (UC), principal parti indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, la sœur de Bichou rejoint les autres « mamans » de la tribu dans un lieu baptisé « Ainsi va la vie », espace communautaire – autrement appelé nakamal – où se boit notamment le kava, une plante aux effets anxiolytiques interdite en métropole. Une partie de bingo se prépare autour d’une grande nappe colorée. Le moment est sérieux, mais les joueuses acceptent tout de même de le suspendre pour parler de leurs enfants.
La plupart d’entre eux sont aujourd’hui détenus au Camp Est, le centre pénitentiaire surpeuplé et indigne de Nouméa ; d’autres ont été envoyés dans des prisons métropolitaines ; trois sont morts. « C’est trop pour nous. On veut continuer la lutte, mais pas comme ça », répètent-elles à l’unisson, déplorant aussi bien l’évolution des moyens de répression que la « mentalité des jeunes ». « Mon fils par exemple, j’ai eu du mal à l’arrêter. Il me disait : “Mam, moi c’est une lutte que je dois faire jusqu’à la mort.” Mais face à l’État, on est démunis », témoigne l’une des femmes attablées au nakamal.
Marie-Line a six enfants. Elle était évidemment à leurs côtés sur les barrages, comme d’autres le furent avec elle durant sa propre jeunesse. En 1984, au début des Événements qui ont meurtri la Nouvelle-Calédonie pendant quatre années de quasi-guerre civile, cette nièce de Bichou avait 20 ans. « On allait sur les barrages avec quelques tantines. On aidait à brûler les pneus, à mettre les cailloux. Ça chauffait un peu, mais pas comme cette année. »
« Ce petit fond d’injustice »
Les magasins pillés, les usines brûlées, les car-jackings… C’est la première fois que les femmes de Saint-Louis observent de telles actions. « C’est une autre génération, ils sont plus turbulents. Ils nous disent : “1984, c’était le temps des vieux, nous, on n’a pas la même méthode” », poursuit Marie-Line. « On garde une forme de contrôle sur la jeunesse, mais ce n’est plus comme avant, constate aussi Marie-Berthe. Ils sont sortis de notre combat, ils ont dérapé. » « Les jeunes de 2024, ils sont plus rebelles dans leurs têtes », complète Rolande.
Installée à l’ombre sur une banquette de voiture brinquebalante, cette grand-mère kanak raconte le quotidien des jeunes de la tribu, mâtiné de violence, de grande précarité et de « ce petit fond d’injustice » qui plane depuis toujours sur leur existence. « Ils ne trouvent jamais de travail, même quand ils ont passé des diplômes en France… » Depuis des décennies, les inégalités sociales croissantes en Nouvelle-Calédonie sont venues nourrir le terreau de la lutte pour l’indépendance.
Cette dernière a tout naturellement traversé les générations, comme un héritage génétique sur lequel il n’est même pas besoin de poser les mots « colonisation », « répression » ou « domination », tant celles-ci sont palpables, partout, tout le temps. « C’est dans notre sang », affirme Rolande. « On est nés dans le berceau de la Kanaky. Je suis née comme ça et mes enfants aussi », insiste Marie-Berthe en revisitant son enfance, passée entre les comités politiques où elle suivait « papa » et les parloirs du Camp Est, où ses frères faisaient déjà des séjours réguliers.
Comme tous les anciens, la sœur de Bichou parle du passé au présent. Elle évoque de la même façon la mort de Banane et celle de Leopold Dawano, 17 ans, tué le 6 novembre 1987, « juste là, en bas », lors d’une opération de gendarmerie. Elle ferme les yeux et convoque ses peurs d’enfant : « On était sur la route, il y avait l’hélicoptère au-dessus de nos têtes. Ils nous pointaient avec leur fusil, en nous disant de partir sinon ils allaient tirer. Mon papa nous a dit de tous nous asseoir. On n’a pas bougé. »
C’est la première fois que j’ai vu le peuple se réveiller, j’ai eu des frissons. Marie-Hélène Dawano, habitante de Saint-Louis
Quarante ans après, Marie-Berthe n’a toujours pas bougé, mais elle n’a plus peur, même si « rien n’a changé ». « C’est toujours la même stratégie de l’État : rentrer chez nous et tout casser. » Depuis le mois de mai, les maisons de la famille Tein ont fait l’objet de plusieurs « descentes » des forces de l’ordre, qui ont « traumatisé les petits ». « Moi je me suis même fait pointer par un pistolet sur la tempe, relate la quinquagénaire. C’était un lundi matin, ils sont rentrés dans la maison, ils m’ont mise à genoux. » « La France, elle fait la guerre avec qui ici ? Nous, on n’est pas en guerre », interroge son frère Gérald.
La peur est un sentiment que Marie-Hélène Dawano dit, elle aussi, n’avoir jamais connu sur les barrages indépendantistes, « même quand les gendarmes [les] bombardaient ». La jeune femme, plus connue sous le nom de « Joly », a participé à toutes les manifestations pacifiques organisées par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) avant le 13 mai, dont le sit-in de la place des Cocotiers à Nouméa. « C’est la première fois que j’ai vu le peuple se réveiller, j’ai eu des frissons. »
Ce jour-là, quand elle a vu la foule affluer, Joly a pris conscience que le peuple kanak se relevait enfin, mais elle s’est immédiatement dit que « ça allait faire des problèmes à Bichou ». Quelques mois plus tard, et malgré l’effervescence de la lutte, la fierté des drapeaux et la solidarité retrouvée des membres de la tribu, le bilan qu’elle dresse est dramatique : la plupart de ses proches sont en prison et son frère, Banane, est mort. « Je n’aime pas le Camp Est, mais j’aurais préféré qu’il y aille, plutôt que d’être couché sous le grand pin, au cimetière. »
La jeune femme regrette la façon dont son frère avait choisi de lutter, « son délire à lui » comme il disait. « Sur les car-jackings par exemple, je pense qu’on a d’autres moyens, dit-elle. C’est ça qui a fait tout déraper. » Plusieurs fois, elle a voulu le raisonner, mais il l’évitait et fuyait la discussion. « Le jour de sa mort, j’étais à table, j’avais posé ma montre à côté de moi, je la regardais. J’étais sûre qu’il allait venir me voir. Mais je ne l’ai jamais revu. » Banane a été tué le 10 juillet par le tir d’un sniper du GIGN, posté à des centaines de mètres.
Dans les ruines de l’église de Saint-Louis, dont sa « bande » et lui avaient fait leur quartier général après en avoir chassé les religieuses, on aperçoit encore l’impact de la première balle qui l’a touché. Les jeunes de la tribu ont creusé dans le mur pour la récupérer et y glisser une fleur. C’est pour eux et pour les générations futures que l’ensemble de la tribu entend continuer la lutte. Pour « aller chercher Kanaky sans condition », comme le hurlent les graffitis de Saint-Louis.
Boîte noire
* L’enquête sur les circonstances de la mort du gendarme est toujours en cours.
Ce reportage a été réalisé le 13 novembre 2024. Ce jour-là, Saint-Louis avait redéployé les drapeaux de la Kanaky, comme le fait chaque tribu tous les 13 du mois depuis le début des révoltes en Nouvelle-Calédonie. Notre venue a été particulièrement observée par les forces de l’ordre, un drone survolant nos têtes à plusieurs reprises.
Alors qu’elle marchait le long de la route aux côtés de Joly, la photographe Delphine Mayeur a soudainement été stoppée par un véhicule de gendarmerie se mettant en travers de son chemin pour un contrôle d’identité, suivi de questions pour le moins intrusives sur les raisons de notre présence en ces lieux et le sujet précis de notre article. Questions auxquelles nous n’avions pas à répondre, comme nous le leur avons rappelé.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série de reportages réalisés par Mediapart en novembre 2024, six mois après l’explosion des révoltes dans l’archipel.
Helene Ferrarini (Guyaweb) sur www.mediapart.fr
Les 8 et 9 décembre 1984, un rassemblement amérindien se tenait au village kali’na d’Awala, à l’ouest de la Guyane. Ce fut l’acte fondateur du militantisme autochtone guyanais. Le discours politique prononcé par Félix Tiouka est devenu un texte fondamental pour les luttes autochtones en Guyane.
Le 9 décembre 1984, le président de la jeune Association des Amérindiens de Guyane française, Félix Tiouka, prononce une « adresse au gouvernement et au peuple français », intitulée « Notre terre, nous l’aimons et nous y tenons ». Il y expose la « situation de dominés » des Amérindiens de Guyane, descendants des premiers habitants présents avant l’arrivée des Européens. Et réclame le « droit à prendre en main [leur] propre développement économique, social et culturel ».
Ce même jour, il y a quarante ans, Félix Tiouka dénonce « l’incurie séculaire de [leur] tuteur légal, le gouvernement français ». S’adressant au représentant de l’État français présent sur place, en la personne du sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni, il affirme : « Nous savons fort bien que le gouvernement que vous représentez se trouve à la fois juge et partie dans cette affaire puisqu’il représente d’abord et avant tout les intérêts de la majorité blanche. »
C’est une première. Jusqu’alors, les rassemblements amérindiens se cantonnaient à des manifestations culturelles. En 1984, à Awala, des revendications politiques sont clairement énoncées et la situation des autochtones guyanais·es est dénoncée publiquement. C’en est trop pour le sous-préfet de Saint-Laurent, qui quitte les lieux.
Mais le lendemain, c’est le préfet de l’époque, Bernard Courtois, qui se rend à Awala pour discuter avec les militants autochtones, marquant le début d’un nouveau rapport entre l’État français et les Amérindien·nes de Guyane.
« Demeurer amérindiens »
La plupart des « revendications territoriales, économiques, sociales et culturelles » énoncées en 1984 sont toujours d’actualité. « Nous refusons de considérer comme valable l’option de l’assimilation progressive à la société dominante, affirme alors Félix Tiouka. Nous voulons demeurer amérindiens et conserver notre langue, notre culture, nos institutions propres. » La pierre angulaire de cette affirmation identitaire réside dans la question foncière : les Amérindiens veulent « obtenir la reconnaissance de [leurs] droits de premiers occupants ».
Encore aujourd’hui, 94 % du foncier en Guyane appartient à l’État, qui a appliqué lors de la colonisation le principe de terra nullius, considérant les terres guyanaises comme « vacantes et sans maître », gommant ainsi des millénaires de présence autochtone. Les Amérindiens, quant à eux, soutiennent n’avoir « jamais renoncé à [leur] souveraineté et à [leurs] territoires ».
1984 et la mobilisation qui a suivi ont permis quelques avancées sur le sujet. Depuis 1987, un décret permet à des « communautés d’habitants tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt » de bénéficier de zones de droit d’usage collectif (Zduc). En 1988, la commune d’Awala-Yalimapo, peuplée d’Amérindien·nes kali’na, est créée par division d’avec celle de Mana. Depuis, elle se veut un laboratoire de ce que peut être une gouvernance autochtone dans le cadre institutionnel français.
Mais la question foncière reste entière ; elle a d’ailleurs ressurgi lors du mouvement social de 2017 au cours duquel les autochtones ont obtenu la promesse d’un transfert de 400 000 hectares par l’État. Sans aboutissement à ce jour.
Propriété collective de la terre
Les peuples autochtones conservent un rapport à la terre radicalement opposé à celui de l’État français. « Nous ne comprenons pas […] pourquoi la notion de propriété privée de la terre qui est la vôtre doit primer sur la notion de propriété collective qui est la nôtre », soulignait Félix Tiouka en 1984.
Pour la juriste Marine Calmet, qui a publié le discours d’Awala dans son récent ouvrage Décoloniser le droit (éditions Wildproject, 2024), ce texte « expose avec une très grande force et pédagogie la différence fondamentale entre le droit coutumier amérindien, qui repose sur l’usage collectif de la terre et le souci de préserver la nature, et les principes radicalement inverses du droit français, qui privilégie les intérêts individuels et corporatifs, et qui conduit à l’effondrement du vivant et à l’accroissement logique des inégalités sociales ».
« C’est toujours d’actualité parce que rien n’a été acté ! Nos revendications n’ont pas abouti, constate avec amertume Guillaume Kouyouri, militant de la première heure. On est toujours en train de répéter les choses, les mêmes termes. Même si c’est dit autrement, c’est la même chose. » Pour lui, le bilan est maigre. « Nos mobilisations ont permis de faire un peu connaître les problématiques des peuples autochtones de Guyane en France. Nous sommes allés à l’ONU. »
Les Amérindien·nes de Guyane, représenté·es par Alexis Tiouka, ont pris part au cycle de négociations onusiennes qui a abouti en 2007 à la Déclaration des droits des peuples autochtones. Mais là aussi, leurs revendications restent entières. L’État français ne reconnaît toujours pas les peuples autochtones. Et n’a pas signé la Convention 169 de l’OIT sur les peuples indigènes et tribaux, seul texte international à être juridiquement contraignant sur le sujet.
Renouvellement du militantisme
« Le rapport de force numérique est en notre défaveur, on est trop peu nombreux », analyse Guillaume Kouyouri. Alors qu’ils étaient environ 4 000 en 1984, les Amérindiens de Guyane seraient aujourd’hui entre 10 et 15 000 personnes, soit moins de 5 % de la population régionale.
Toutefois, les mots de Félix Tiouka – « le refus de [s’]assimiler aux envahisseurs » – résonnent toujours avec acuité auprès des nouvelles générations militantes. « 1984, c’est le moment intellectuel du combat autochtone », pour Florencine Édouard, 48 ans, qui a participé à la fondation de l’Onag (Organisation des nations autochtones de Guyane) en 2010.
Le point commun de toutes nos luttes, c’est de défendre notre culture, notre identité, face à la volonté de nous effacer du monde. Clarisse Da Silva, militante pour les droits des autochtones
Pour Clarisse Da Silva, 24 ans, c’est aussi une référence. Lorsqu’elle s’est engagée dans le militantisme autochtone à l’âge de 17 ans pendant le mouvement social de 2017, le discours de Félix Tiouka a fait partie des tout premiers textes qui lui ont été présentés. « J’ai été très étonnée qu’il y ait ça. C’était assez réconfortant de voir que quelque chose avait été fait depuis longtemps, et à la fois dingue de se dire qu’on en était toujours là. »
En 2023 et 2024, la jeune femme a porté la parole des autochtones de Guyane aux Nations unies. Suppléante du député Davy Rimane (La France insoumise), Clarisse Da Silva préside actuellement la JAG (Jeunesse autochtone de Guyane), fer de lance des mobilisations contre le projet minier Montagne d’Or et la centrale à hydrogène à proximité du village kali’na de Prospérité. « Le point commun de toutes nos luttes, c’est de défendre notre culture, notre identité, face à la volonté de nous effacer du monde. »
Pour Clarisse Da Silva, le discours de 1984, « c’est le début de la résistance dans le domaine politique, qui dit : on est présents ». Quarante ans plus tard, les autochtones de Guyane sont toujours là pour faire entendre leur voix.
Cet article a été publié mardi 10 décembre 2024 par Guyaweb.
Retrouvez ici les derniers articles de Guyaweb sur Mediapart.
mise en ligne le 9 décembre 2024
par Ivan du Roy sur https://basta.media/
L’heure est à la fête pour les Syriens. La chute du régime sanguinaire de Bachar el-Assad ouvre enfin des perspectives dans un pays martyrisé par une décennie de guerre civile et de répression féroce. Mais de grandes incertitudes demeurent.
Les événements ont évolué très rapidement depuis la publication de notre article le 6 décembre. En écho à l’offensive rebelle partie de l’enclave d’Idlib, de nombreuses villes syriennes se sont soulevées contre le régime, lâché par la plus grande partie de son armée et de ses cadres. Dans la nuit du 8 au 9 décembre, le dictateur Bachar Al-Assad et sa famille auraient fui à Moscou alors que d’autres membres de son clan se réfugiaient aux Émirats arabes unis. Des factions rebelles venues du sud ont pris le contrôle de la capitale, Damas, et fait leur jonction avec la milice Hayat Tahrir Al-Sham (Organisation de libération du Levant, HTS) venue d’Alep, au nord, proclamant la libération du pays à la télé publique syrienne.
Le 8 décembre, du Liban aux villes d’Europe, en passant par la Turquie, des centaines de milliers de réfugiés syriens ont fêté la chute de la tyrannie Assad. Des milliers de prisonniers politiques, de toutes opinions, sont en train d’être libérés des geôles du régime, en particulier celle de Saidnaya, proche de Damas, que l’on peut considérer comme un véritable camp de concentration – entre 2011 et 2015, plus de 13 000 personnes y ont été pendues, selon les rapports d’Amnesty International de l’époque. Des équipes de « casques blancs » – un collectif de défense civile fondée en 2013 dans les zones rebelles – y examinent chaque couloir et sous-sol à la recherche de cellules souterraines
Les questions sur la suite posées en fin d’article demeurent d’actualité. L’opposition et ses multiples composantes – milices d’obédience islamiste et salafiste, forces d’autodéfense kurde ou druze, minorité chrétienne ou alaouite, mouvements laïcs historiquement opposés au régime… – vont-elles réussir à créer les bases d’un futur État respectant la diversité politique, culturelle et religieuse ? Ou la guerre civile va-t-elle se poursuivre entre différentes factions, avec le risque que les milices islamistes l’emportent et installent une nouvelle forme d’oppression ? La Turquie d’Erdoğan va-t-elle tenter de prendre le contrôle des zones administrées par les Kurdes ? L’État islamique, dont des groupes armés subsistent dans le désert syrien, vont-ils profiter du chaos pour se reconstruire ? Et le gouvernement de Netanyahou en Israël, dont l’armée a déjà pris le contrôle de zones frontalières en Syrie au prétexte de la garantie de sa sécurité, mais en violation du droit international, va-t-il en profiter pour annexer des territoires ? Comment la communauté internationale accompagnera-t-elle la nouvelle Syrie pour éviter que les démons – tyrannie, nettoyage ethnique ou djihad global – ne ressurgissent ? Une fois finies la fête et les réjouissances liées à la fin d’une tyrannie d’un demi-siècle, ces questions seront cruciales pour l’avenir de la Syrie.
Plus de 300 000 civils tués. 13 millions de déplacés et réfugiés, soit 60 % de la population, dont la moitié exilée hors du pays (en Turquie, au Liban, en Jordanie ou en Europe). Telle était la situation de la Syrie, après plus d’une décennie de guerre civile, laissant un pays divisé en trois zones : le sud, l’ouest et le centre aux mains du régime Assad et de son « Armée arabe syrienne » (AAS), soutenu par ses alliés russes et iraniens ; au nord-est de l’Euphrate, une zone contrôlée par les « Forces démocratiques syriennes » (FDS), à dominante kurde, occasionnellement appuyée par la coalition occidentale anti-État islamique ; l’enclave autour d’Idlib, au nord-ouest, accolée à la Turquie, où s’étaient repliés les groupes armés opposants au régime. Certains sont d’obédience islamiste, comme le principal d’entre eux, la milice Hayat Tahrir Al-Sham (Organisation de libération du Levant, HTS), d’autres ont été vassalisés par la Turquie d’Erdoğan pour contrer l’influence kurde, comme l’Armée nationale syrienne (ANS). Près de 3 millions de personnes survivaient dans cette « poche » d’Idlib, assiégée au sud par le régime depuis 2019 comme nous vous le racontions à l’époque.
Les rebelles ont profité de l’affaiblissement du régime
Ce conflit à bas bruit avait peu à peu disparu de nos écrans et des colonnes de nos journaux. Seul un lointain écho nous en parvenait encore par la présence et les récits des réfugiés syriens en Europe. Fin novembre, le brasier s’est rallumé. Les rebelles ont profité de l’affaiblissement du régime et de ses alliés – la dictature du clan Assad est au bord de la banqueroute, ne tenant que grâce au clientélisme et à la corruption, les expérimentées milices du Hezbollah sont retournées au Sud Liban combattre l’armée israélienne, les moyens de l’armée russe sont concentrés contre l’Ukraine, enfin, le régime iranien est occupé à réprimer la contestation en son sein. Et ont lancé une offensive surprise fin novembre. Alep, ville martyre qui avait été rasée par le régime et l’aviation de Poutine, a été reprise par la rébellion dès le 1er décembre. Les habitants qui avaient fui la répression du régime ont commencé à y revenir. Les regards se concentrent désormais plus au sud, sur les villes d’Hama, que vient de capturer la milice HTS ce 5 décembre, et d’Homs.
Hama est à la fois stratégique et symbolique. Elle contrôle l’axe entre Alep, au nord, et Damas, la capitale, au sud. La ville constitue également un point de passage entre la façade méditerranéenne à l’ouest et la vallée de l’Euphrate à l’est. « Compte tenu de l’importance militaire, politique et symbolique de Hama, son contrôle par l’opposition représenterait “un facteur de démoralisation et de défaite psychologique” qui affecterait de manière significative le moral du régime et de ses troupes, marquant ainsi “le premier pas vers un effondrement total, qui pourrait être observé à Damas”, explique le chercheur syrien Abdul Rahman Al-Haj dans le média indépendant Enab Baladi. Ce média en ligne a été créé en 2011 par un groupe de journalistes et d’activistes au moment du soulèvement pacifique contre la dictature Assad – soulèvement réprimé dans le sang qui s’est ensuite mué en guerre civile. « Hama revêt une importance symbolique, car elle a été le théâtre du "plus grand" massacre de l’histoire syrienne en 1982, qui a coûté la vie à environ 40 000 civils et a représenté un tournant dans la consolidation du pouvoir de la famille Assad », poursuit le média.
Frappe russe sur une maternité
Pendant que la rébellion progresse vers le sud, le régime Assad et son allié russe font ce qu’ils savent faire le mieux : bombarder et massacrer les civils. « Les forces de défense civile des casques blancs basées à Idlib, d’où les insurgés ont lancé leur attaque, ont déclaré que les frappes aériennes russes avaient touché cinq établissements de santé, dont une maternité. Au moins 18 personnes ont été tuées et 35 blessées, ont-ils déclaré, ajoutant qu’ils craignaient que ces chiffres n’augmentent », rapporte The Guardian. Preuve que le régime est aux abois, Assad vient de signer un décret augmentant de 50 % le salaire des militaires, décrit dans un autre article Enab Baladi (à titre indicatif, un fonctionnaire syrien perçoit entre 20 et 40 dollars par mois, la valeur de la monnaie nationale s’étant fortement dégradée).
Une fois Hama dépassée, l’objectif des rebelles du HTS est désormais Homs, 3ème ville du pays et dernière grande étape avant Damas. Sa capture isolerait Damas de la zone littorale, et pourrait précipiter la chute du régime Assad. Ce retournement de la situation syrienne laisse plusieurs questions en suspens. Le régime parviendra-t-il à freiner l’offensive rebelle ? Celle-ci aura alors seulement redessiné la carte d’une Syrie divisée, la zone contrôlée par le régime se réduisant au littoral, la guerre civile larvée se poursuivant à bas bruit. Ou la dictature du clan Assad père et fils, au pouvoir depuis plus de 50 ans, s’effondrera-t-elle ? Dans ce cas, quelle nouvelle forme d’État la remplacera ?
HTS, une version syrienne des talibans afghans ?
L’organisation HTS est la force rebelle dominante. Elle est dirigée par un Syrien, Abou Mohammed Al-Joulani, ancien professeur d’arabe, ayant combattu l’armée états-unienne en Irak aux côtés d’Al-Qaïda. Le groupe islamiste ne prône pas un « djihad global » : il a rompu avec Al-Qaïda depuis 2016 et s’est opposé aux partisans de l’État islamique. Le groupe a conclu une sorte de pacte de non-agression avec les Forces démocratiques syriennes à dominante kurde – au contraire de l’ANS pilotée par la Turquie pour les combattre.
Depuis le début de l’offensive rebelle, HTS multiplie les communiqués se voulant rassurants vis-à-vis de l’ensemble des communautés syriennes – Alaouites, Chrétiens, Ismaéliens, Chiites ou Druzes. « Vous avez le droit de vivre en liberté […]. Nous dénonçons les agissements de l’organisation État islamique contre les Kurdes, y compris l’esclavage des femmes […]. Nous sommes avec les Kurdes pour bâtir la Syrie de demain », a par exemple assuré HTS dans un message à destination des Kurdes.
Reste qu’il demeure un groupe islamiste rigoriste, une version syrienne des talibans afghans – pour l’instant d’apparence plus tolérante. S’il renverse le régime, continuera-t-il de respecter la pluralité des opinions et des cultures ? Ses dirigeants s’engageront-ils sur le chemin d’une réconciliation nationale et d’une représentation démocratique de l’ensemble des courants politiques ? Restera-t-il imperméable aux pressions turques qui veulent isoler les Kurdes ? Qu’adviendra-t-il des minorités religieuses et culturelles, et, surtout, des femmes syriennes ? Seront-elles considérées comme des citoyennes à part entière ou progressivement effacées de l’espace public comme les Afghanes ? Le clan Assad a détruit son propre pays pour demeurer au pouvoir. Espérons que la rébellion ne se muera pas en nouvel oppresseur, un de plus dans un Proche-Orient martyrisé.
mise en ligne le 7 décembre 2024
Les délimitations du territoire du Sahara Occidental sont issues du traité de Lalla Maghnia de 1845 – avant la convention algéro-marocaine de 1972. Ce legs colonial a été conservé par les États africains après la décolonisation, au nom de l’utis possedetis juris, l’intangibilité des frontières, principe adopté par l’Organisation de l’Union Africaine en 1964 au Caire.
Frontières coloniales et ressources naturelles
L’histoire tumultueuse du Sahara s’explique en partie par son caractère hautement stratégique : il comporte un enjeu de ressources naturelles, avec des gisements de phosphate – indispensable à la fabrication d’engrais agricoles – qu’exploite le Maroc par le biais de l’Office Chérifien des Phosphates, ainsi qu’une zone côtière poissonneuse. Les investissements français ne sont pas étrangers à la reconnaissance du 30 juillet. Lors de la visite d’État d’Emmanuel Macron fin octobre, près de 22 accords stratégiques ont été signés dans divers domaines, dont le phosphate, pour un montant total estimé à dix milliards d’euros.
Les ventes du secteur des phosphates et ses dérivés représentent 32 milliards de dirhams en 2024, un chiffre en hausse de 5,3 %. Selon un rapport de l’OCP, le chiffre d’affaires de l’entreprise s’élève à 43,2 milliards de dirhams en juin 2024. Nuance tout de même : la mine de Boucraâ représente 8 % seulement de la production totale de roche de phosphate et cette dernière coûte 2,5 fois plus cher à extraire à Boucraâ qu’à Khouribga, principale zone d’exploitation de l’OCP dans la région Beni Mellal-Khénifra, au Nord du Maroc.
L’entreprise OCP, monopole d’État, assure par ailleurs le lancement de « projets sociaux » auprès des populations locales, sans que l’on sache si cela bénéficie aux natifs sahraouis ou aux dakhilis, Marocains non-sahraouis qui y vivent. Selon le rapport 2024 du Haut-Commissariat au Plan, les régions du Sahara enregistrent un taux de chômage de 20,4 % au premier trimestre, un des plus élevés du Royaume. Les Sahraouis, comme le reste du pays, sont soumis à un encadrement social strict du Makhzen – l’appareil politico-administratif de l’État marocain -, par des réseaux formels et informels de contrôle vis-à-vis de la société civile, du patronat, des syndicats, des partis politiques, etc. Et ce malgré des avantages accordés comparativement au reste de la population marocaine – notamment des régions rurales et de l’Atlas – en termes fiscaux, d’accès à l’emploi et de subventions publiques.
La richesse du Sahara Occidental en fait l’objet de toutes les convoitises. Si les États occidentaux s’alignent aujourd’hui sur le Maroc pour en profiter, d’autres puissances régionales courtisent le Front Polisario. C’est le cas de l’Algérie, soutien historique du mouvement indépendantiste. Les traités signés en 1961 entre le Royaume du Maroc et le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne avaient permis un accord sur la renégociation des frontières héritées de la colonisation française. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, la question n’est pas réglée. D’une part, fort de la légitimité acquise par le FLN avec l’indépendance et la direction du mouvement des non-alignés, le Président Ahmed Ben Bella souhaitait remettre en cause l’accord noué par Ferhat Abbas en 1961.
D’autre part, Allal El Fassi, dirigeant de l’Istiqlal, [parti visant à remplacer le protectorat par une monarchie constitutionnelle NDLR], avait émis l’idée d’un grand Maroc dès 1950. Une vision territoriale irrédentiste dont les frontières s’étendait jusqu’au fleuve du Sénégal, sur l’ensemble de la Mauritanie actuelle et une partie du Sahara algérien. Il a joué un rôle important dans l’imaginaire algérien et la décision de ne pas respecter l’accord signé en 1961, aboutissant à la guerre des Sables de 1963. Les frontières algéro-marocaines sont finalement définies par une convention de 1972, ratifiée par l’Algérie en 1973 puis par le Maroc en 1992. Dès lors, le soutien financier et politique du régime algérien au Front Polisario, justifié par un récit anticolonialiste, fut aussi motivé par des intérêts économiques – liés aux ressources halieutiques et souterraines – et liés au leadership régional.
Du Bled-Siba à « l’Afrique utile » : le destin contrasté du Sahara Occidental
Ce récit du grand Maroc s’appuie sur l’ère précoloniale, le Sahara occidental étant antérieurement peuplé par des tribus berbères. De l’une d’entre elles, les Sanhaja, sont issus les Almoravides, dynastie qui devait conquérir le Maroc du nord et la péninsule ibérique musulmane à partir du XIè siècle. Par la suite, de nombreux actes d’allégeances religieuses – bay’a – devaient être formulés par les tribus sahraouis au Sultan du Maroc – un fait officiellement reconnu par la Cour Internationale de Justice en 1975. Celle-ci entérine la reconnaissance entre le Bled-Makhzen, régions soumises à l’autorité administrative du Makhzen, et le Bled-Siba, plus autonomes, mais néanmoins liées par des allégeances religieuses à celui-ci.
Le Bled-Siba était un conglomérat de tribus avec une organisation sociale basée sur l’autonomie tribale. La réalité se satisfait donc mal d’une simple opposition des tribus au Makhzen, puisque ce dernier a joué un rôle de conciliation et de médiation des litiges intertribaux. Un argument mis en avant par le Maroc lors de sa requête auprès de la Cour internationale de justice, qui a mobilisé des actes juridiques censés prouver l’allégeance des tribus sahraouis.
Ces relations ont évolué avec la formation du Maroc contemporain. Au XIXème siècle, l’Empire marocain connaît une crise majeure, marquée par un endettement auquel il consent pour tenter d’asseoir sa domination sur les régions contestataires. La dette marocaine, de nature coloniale, s’explique aussi par son déficit commercial, cumulé au gré des traités inégaux et des exportations massives de capitaux qui lui sont imposées.
Une période de décadence dont les empires européens ont profité : en 1860, l’empire chérifien perd la guerre contre le Royaume d’Espagne et signe le traité de Wad-Ras. Le Maroc doit payer une indemnité de guerre, reconnaît la souveraineté espagnole sur les villes méditerranéennes Ceuta et Melilla (toujours en vigueur) et rétrocède à Madrid la cité atlantique de Sidi Ifni.
Il est question du partage du Maroc lors de la conférence de Berlin. Celle-ci officialise, en 1884, le futur morcellement du pays, avec le contrôle de l’Espagne sur le Rio de Oro et le Sahara occidental. Le traité de Fès de 1912 officialise le protectorat français, avant qu’un second accord franco-espagnol institue la domination espagnole au Nord, à Ifni et au Sahara occidental.
Cette situation dure jusqu’à la fin du protectorat français en 1956. Les revendications marocaines vis-à-vis du Sahara commencent aussitôt. Le Royaume demande alors à l’Organisation des Nations Unies d’inscrire le Sahara espagnol dans la liste des territoires à décoloniser. L’intérêt de l’Espagne se renforce lorsqu’un gisement important de phosphate est découvert à Bou Crâa, dans la province de Laâyoune. Cette découverte va enclencher la phase de la « seconde occupation coloniale », marquée par une provincialisation du territoire, passant par sa militarisation et des investissements importants, destinés à moderniser ses infrastructures. C’est donc la découverte du phosphate qui a fait basculer le Sahara dans la catégorie coloniale de l’« Afrique utile ».
Mutations du nationalisme sahraoui
Après la fin du protectorat français, une faction de l’armée marocaine – l’Armée de Libération Nationale Sud – combat les Espagnols dans le Sahara. En 1958, lors de la bataille d’Ifni, l’opération franco-espagnole dite « Écouvillon » est lancée. L’État central préfère se focaliser sur les affaires intérieures et dissout l’ALN Sud qui essuie une lourde défaite, avec la complicité tacite du Sultan. Cet événement acte le divorce entre une partie des Sahraouis et le pouvoir, posant les premiers fondements d’un nationalisme sahraoui.
Dans la continuité des affrontements entre les Sahraouis et l’Espagne, l’Organisation Avancée pour la Libération du Sahara est créée par Mohamed Sidi Ibrahim Bassiri à la fin des années 1970. Il disparaît par enlèvement, après la répression espagnole d’un campement contestataire sahraoui à Zemla. Les étudiants sahraouis qui se mobilisent sur les pas de Bassiri sont imprégnés d’idéaux socialistes et panarabes. Au point que certains aspirent d’abord à une révolution dans tout le Maghreb plutôt qu’à un État sahraoui. Ils rapportent avoir rencontré un grand nombre d’acteurs politiques marocains à la fin des années 70, dont le ministre de l’Intérieur de Hassan II, Driss Basri, qui n’avait alors pas accordé le moindre intérêt à leur demande.
Auprès du principal syndicat ouvrier de l’époque, l’UMT (Union Marocaine du Travail), les militants sahraouis déclarent même « qu’ils veulent rester dans l’orbite marocaine pour peu qu’on les aide à libérer leur pays du joug espagnol » – avant d’être finalement arrêtés par les autorités. Par la suite, les autorités marocaines répriment par balles une manifestation pacifique sahraouie à Tan-Tan en 1972, sur ordre du ministre de la Défense, le général Oufkir. C’est le « premier divorce entre Rabat et une jeunesse qui, à l’époque, est soucieuse de libérer les régions sahariennes mais a encore foi que ces terres étaient marocaines » selon Mohamed El Yazghi, figure de la gauche marocaine et compagnon de route de Mehdi Ben Barka. Une année plus tard, le Front Polisario voit le jour, scellant l’union d’étudiants sahraouis de Rabat et de combattants sahraouis de Mauritanie, dans un contexte de division des tribus sur la question de l’autodétermination.
Quelques années plus tard, l’Espagne se retire finalement du Sahara, après la ratification des accords de Madrid de 1975 qui partagent la souveraineté du Sahara entre le Maroc et la Mauritanie. La monarchie est affaiblie par deux tentatives de coups d’État récents. Dans ce moment incertain, Hassan II avait lancé la Marche verte de 1975 : 350 000 civils marocains pénètrent dans le Sahara, fortement encouragés par le Makhzen et accompagnés par l’armée, sans que l’Espagne n’intervienne. Le Maroc récupère de facto l’administration du Sahara occidental.
Le Royaume tente alors de créer un consensus national autour de la question du Sahara pour réaffirmer sa légitimité – face aux menaces des islamistes du Cheikh Yassine, des fractions putschistes de l’armée, de la gauche communiste avec le Parti marxiste-léniniste Ila Al Amame, et des syndicats. Le « parachèvement de l’intégrité territoriale » sert alors de supplément d’âme à un régime fragilisé.
Le camp progressiste et l’opposition de gauche adoptent eux-mêmes une position intransigeante concernant le Sahara dès les années 1970. Parfois au-delà de celle du Makhzen. La reconquête du Sahara est alors perçue comme la dernière étape de l’indépendance. Omar Benjelloun, syndicaliste et militant marxiste, farouche opposant à Hassan II, préconisait en 1975 la récupération du territoire par la lutte armée plutôt qu’une marche pacifique. L’exploitation commune des ressources sahariennes devait jeter les bases d’un Maghreb uni. Lorsque Hassan II déclare son « acceptation de l’organisation d’un référendum au Sahara sous l’égide et le contrôle de l’Organisation des Nations unies dès le début du mois de janvier » à la tribune de l’OUA en 1981, c’est Abderrahim Bouabid, fondateur de l’Union Socialiste des Forces Populaires, qui s’y oppose, au prix de plusieurs années de prison.
La seule opposition à cette doctrine se trouve alors uniquement du côté du parti marxiste-léniniste Ila Al Amame, par la voix de son leader Abraham Serfaty. Celui-ci reconnaît l’existence d’un peuple sahraoui, et la nécessité d’un référendum d’autodétermination. Un positionnement qui l’amènera également à être condamné à 17 ans de prison, avant d’être déclaré persona non grata au Maroc jusqu’en 1999.
Lorsque l’Espagne se retire en 1976, partageant le territoire entre le Maroc et la Mauritanie, le Front Polisario proclame la République Arabe Sahraouie Démocratique. La Mauritanie signe un accord de paix avec le Front Polisario en 1979 et se retire, laissant le Maroc seul sur le territoire. L’OUA reconnaît la RASD en 1984, occasionnant le départ du Maroc de l’organisation avant son retour en 2017.
Dilemmes juridiques
Face à une absence de perspectives de résolution du conflit, les Nations Unies, par la voix de son secrétaire général d’alors Javier Pérez De Cuellar, mettent sur la table, en 1988, des « propositions de Règlement » devant aboutir à terme à un référendum au Sahara occidental. L’ensemble des parties accepte ces propositions sur le principe et sous conditions, et se réunissent même pour la première fois. Ces « propositions de règlement » ne verront finalement jamais le jour. L’absence de l’Algérie lors des négociations n’y est pas pour rien, selon un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Le 20 juin 1991, un cessez-le-feu est signé sous l’égide de l’Organisation de l’Union Africaine et de l’Organisation des Nations Unies, suivi d’un plan de paix prévoyant un référendum d’autodétermination en 1992 (résolution 690) et la mise en place de la mission onusienne MINURSO.
Depuis, de nombreuses missions de la MINURSO ont formulé des propositions, toujours refusées par l’une des parties : la montagne a finalement accouché d’une souris. En 2007, le Maroc dépose aux Nations Unies un projet d’autonomie, sans option référendaire, refusé par le Front Polisario et soutenu par de nombreux pays européens. Depuis, des affrontements militaires sporadiques éclatent autour du mur de séparation et dans la zone tampon. Le champ du conflit s’est déplacé sur le terrain juridique, avec de nombreux recours formulés par le Front Polisario auprès de la justice européenne. La dernière en date, le 4 octobre 2024, a notamment permis d’aboutir à une décision d’annulation de la CJUE – Cour de Justice de l’Union Européenne – des accords de pêche et d’agriculture concernant la zone du Sahara, signés entre l’Union européenne et le Royaume en 2019. Cela fait suite à de premières annulations en 2015 – accord agricole de 2012 – et en 2021 – accord de pêche de 2019 – sur lesquelles la juridiction était finalement revenue.
La résolution du conflit semble enrayée. La dernière proposition en date de l’envoyé de la MINURSO (octobre 2024), Staffan de Mistura, a été rejetée par l’ensemble des parties. Il proposait une souveraineté partagée entre le Maroc et le Front Polisario.
La résolution du conflit semble enrayée. La dernière proposition en date de l’envoyé de la MINURSO (octobre 2024), Staffan de Mistura, a été rejetée par l’ensemble des parties. Il proposait une souveraineté partagée entre le Maroc et le Front Polisario. Dans un premier temps, une régionalisation accrue, avec l’assurance d’une véritable autonomie, de la protection des libertés civiles et politiques, la libération des détenus, devait être mise en place. Ce plan jure avec le caractère centralisé et autoritaire du Makhzen, et ses liens avec de puissants notables sahraouis qui lui sont inféodés. Ils ont investi le champ institutionnel marocain en nouant des liens clientélaires ; il suffit pour s’en convaincre de considérer l’exemple d’El Khattat Yanja, ancien professeur de mathématiques du Front Polisario devenu « baron des affaires » puis député de l’Istiqlal, des grandes familles sahariennes des Ould Errachid, dont l’un des membres est député-maire de Laâyoune, ou encore des Dehram. Dans ce cadre, la question de la légitimité des nouvelles institutions prévues par le plan d’autonomie est posée, tant ses dirigeants pourraient être aisément cooptés par le Makhzen.
Cette contrainte posée par la caractéristique tribale du Maroc pourrait être résolue par l’installation d’une monarchie réellement parlementaire et décentralisée, assurant une véritable séparation des pouvoirs. Les conditions matérielles d’un tel changement ne sont cependant pas réunies, tant elles impliquent une rupture avec le paradigme institutionnel actuel. Cette donnée amène la nécessité d’engager un vaste processus de démocratisation, par un travail de conscientisation préalable à un changement radical de société.
L’option référendaire proposée par la MINURSO pose d’autres difficultés. Une telle concession du Makhzen pourrait entraîner sa chute ; la période d’instabilité qui en résulterait au Maghreb pourrait ouvrir la voie au développement de groupes djihadistes et de milices. Dans une lettre ouverte à Mohamed VI, le journaliste et opposant Aboubakr Jamaï écrivait ces mots lourds de sens : « L’évolution du dossier du Sahara n’est pas favorable au Maroc. Notre opinion publique sent confusément que notre cause est sur une pente glissante. Elle pressent aussi qu’un dénouement défavorable à ce conflit augurera d’une période d’instabilité probablement cataclysmique pour l’avenir du pays. La monarchie aura beaucoup de mal à survivre à un tel échec, et le pays en paiera un prix élevé. »
Il faut ajouter que le recensement des populations, préalable à un référendum, fait l’objet de nombreux angles morts. Le Maroc a procédé à une politique de peuplement du Sahara avec l’incitation à l’installation pour des Marocains non-locaux – dakhilis – et des Sahraouis de l’Oued Noun, notamment par des avantages fiscaux. De plus, de nombreux Sahraouis se trouvent dans un camp de réfugiés à Tindouf, en Algérie voisine. Et toutes les tentatives de recensement dans ces camps formulées par l’ONU ont été refusées par Alger.
Ce plan questionne également les modalités d’indépendance du Front Polisario, fondées sur le paradigme de l’État-nation. Celui-ci entre en tension avec le caractère historiquement nomade des tribus et de leur présence au-delà des frontières coloniales, sur l’ensemble du désert du Sahara et jusqu’en Égypte. Se pose également la question de la viabilité économique d’un État sahraoui indépendant, riche de ressources naturelles abondantes mais pauvre en facteurs de production.
Apparaît aujourd’hui la nécessité de tables-rondes avec l’ensemble des parties prenantes du conflit, et la consultation démocratique des Sahraouis dans le respect de la pluralité tribale qui les caractérise. Un processus à engager en considérant les évolutions historiques et leurs enjeux sous-jacents, sans oblitérer les instrumentalisations à l’œuvre dans le cadre des tensions algéro-marocaines, où le Sahara occidental sert de variable d’ajustement. Des querelles endémiques en forme d’impasse, qui bloquent l’avenir des pays du Maghreb et leur intégration régionale. L’économiste Fouad Abdelmoumni estime le coût de la « non-intégration » à plus de 2 % du PIB marocain. La première pierre de ce projet était l’Union du Maghreb Arabe, une organisation regroupant les cinq pays du Maghreb et dont le conseil des chefs d’État ne s’est plus réuni depuis 1994.
La question sahraouie demeure épineuse. Dans la continuité de la tension entre souveraineté territoriale consacrée par le droit international et allégeances tribales dans ses modalités précoloniales, la mission de l’ONU n’a pas donné satisfaction. Les solutions proposées par les différentes parties souffrent de contradictions qui semblent aujourd’hui difficilement dépassables, dans un contexte d’enjeux autour de la rente extractive et de rivalités forgées par une histoire tumultueuse et des récits concurrents. Une situation qui s’enlise, au détriment des premiers concernés.
mise en ligne le 6 décembre 2024
Rachida El Azzouzi sur www.mediapart.fr
Dans un rapport circonstancié, la plus importante ONG de défense des droits humains conclut qu’Israël commet un génocide contre la population palestinienne de Gaza. Elle déplore également la « résistance », « surtout parmi les autres États », à parvenir à cette conclusion.
Israël commet un génocide à Gaza. Telle est la conclusion d’un rapport de l’organisation de défense des droits humains Amnesty International rendu public jeudi 5 décembre.
Après neuf mois d’enquête, l’équipe de chercheuses, de chercheurs et d’expert·es juridiques de l’ONG conclut ce document de 300 pages, intitulé « Nous avons l’impression d’être des sous-humains », en affirmant que les autorités israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza.
« Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement », a insisté Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, lors d’une conférence de presse à La Haye (Pays-Bas).
C’est la première fois depuis le 7-Octobre qu’une ONG de défense des droits humains, et pas n’importe laquelle, la plus importante au monde, produit un rapport aussi dense et détaillé documentant un tel crime à Gaza.
Défini et érigé en infraction par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations unies en 1948, repris tel quel par le Statut de Rome qui fonde la Cour pénale internationale (CPI), le génocide, dont la définition ne fut formalisée qu’après la Shoah, désigne tout acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
Il se distingue du crime contre l’humanité ou du crime de guerre par une intention spécifique et demeure particulièrement difficile à prouver, comme l’expliquait à Mediapart l’avocat franco-britannique Philippe Sands.
Protestations israéliennes
Alors que l’usage de ce terme, créé en 1944 par le juriste juif polonais Raphael Lemkin, déclenche en Occident des polémiques enflammées qui rendent le débat impossible, Amnesty International rejoint les conclusions d’historiens parmi les plus grands spécialistes du génocide, notamment de la Shoah, comme les Israéliens Amos Goldberg et Omer Bartov.
L’ONG s’inscrit aussi dans les pas de plusieurs institutions, organisations et personnalités qui avaient produit divers rapports mais pas de la même envergure (ceux de la rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires occupés, Francesca Albanese, du Comité spécial des Nations unies chargé d’enquêter sur les méthodes de guerre israéliennes, ou encore de la Fédération internationale des droits de l’homme).
Israël a aussitôt rejeté et dénoncé le rapport : « L’organisation déplorable et fanatique Amnesty International a une fois de plus produit un rapport fabriqué de toutes pièces, entièrement faux et basé sur des mensonges », a indiqué le ministère israélien des affaires étrangères dans un communiqué.
Pour Israël, le seul « massacre génocidaire » a été perpétré le 7 octobre 2023 « par l’organisation terroriste Hamas contre des citoyens israéliens ». « Depuis lors, les citoyens israéliens sont soumis à des attaques quotidiennes sur sept fronts différents », écrit le ministère, qui assure qu’« Israël se défend contre ces attaques en agissant en pleine conformité avec le droit international ».
Pour l’ONG, les Palestiniens subissent trois actes sur les cinq qualifiant le terme de génocide.
Amnesty International, qui affirme n’avoir pu, malgré des tentatives répétées, établir le dialogue avec les autorités israéliennes, n’a pas choisi au hasard de rendre public son réquisitoire à La Haye. C’est ici que siège la Cour internationale de justice (CIJ), la principale instance judiciaire des Nations unies, qui évoquait dès janvier 2024 des « risques plausibles de génocide » à Gaza et a prononcé plusieurs mesures conservatoires contraignantes au cours des mois qui ont suivi, qui n’ont pas été mises en œuvre par Israël.
C’est aussi ici que se trouve la CPI. Celle-ci a émis le 21 novembre des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, son ancien ministre de la défense, Yoav Gallant, et le chef de la branche armée du Hamas, Mohammed Deïf.
Les juges de la CPI ont retenu contre les dirigeants israéliens plusieurs charges du procureur Karim Khan, en particulier le crime de guerre consistant à faire de la famine une arme de guerre, et les crimes contre l’humanité consistant en meurtres, persécutions et autres actes inhumains. Ils ont en revanche écarté la plus sensible d’entre elles : l’incrimination d’extermination en tant que crime contre l’humanité, tout en concluant cependant qu’il existe « des motifs raisonnables de croire qu’il a été commis ». Les juges de la CPI, tout comme le procureur, n’ont pas retenu la qualification de génocide. Et c’est aussi à eux que s’adresse Amnesty International.
Pour l’ONG, les Palestinien·nes subissent, depuis le début de l’offensive de l’État d’Israël sur la bande de Gaza occupée, trois actes sur les cinq qualifiant le terme de génocide selon la Convention de 1948 : meurtres de membres du groupe, atteintes graves à leur intégrité physique ou mentale, et soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle.
La « destruction » des habitants de Gaza
« Depuis plus d’un an, la population palestinienne de Gaza a été déshumanisée et traitée comme un groupe de sous-humains ne méritant pas le respect de ses droits fondamentaux, ni de sa dignité », dénonce l’ONG, qui recense les multiples « déclarations génocidaires et déshumanisantes du gouvernement israélien » appelant à ou justifiant la « destruction » des habitant·es de Gaza.
« Le fait que les autorités israéliennes considèrent la destruction de la population palestinienne comme nécessaire pour détruire le Hamas ou comme une conséquence acceptable de cet objectif, le fait qu’elles voient les Palestinien·nes comme une population sacrifiable ne méritant aucune considération, attestent de leur intention génocidaire », écrit l’ONG.
Elle déploie aussi l’histoire longue des politiques israéliennes d’apartheid, d’occupation ainsi que les mesures de séparation visant spécifiquement Gaza, assurant qu’elles ont « préparé le terrain pour les actes génocidaires ».
À ce jour, la guerre à Gaza, d’une ampleur, d’une portée et d’une durée sans précédent, a fait plus de 44 000 morts, dont plus de 13 000 enfants, 105 000 blessé·es, dont plus de 22 000 vont garder de graves séquelles. Un nombre de victimes réelles sous-estimé, rappelle Amnesty International, car il ne prend pas en compte les personnes disparues, celles qui se trouvent encore sous les décombres et les personnes décédées à cause de la famine, de l’eau insalubre ou par faute d’accès aux soins.
Attaques indiscriminées, préjudices physiques et mentaux graves, blessures irréversibles, détentions au secret et torture, destructions matérielles sans précédent, déplacements forcés et arbitraires, aide humanitaire entravée, famine intentionnelle, terres agricoles dévastées, système de santé anéanti, conditions sanitaires indignes… L’ONG documente l’ampleur des attaques contre la population palestinienne à Gaza et la répétition d’actes destructeurs visant systématiquement le même groupe.
Elle revient notamment sur l’offensive sur Rafah, « lancée une semaine après que le ministre des finances Bezalel Smotrich, membre du cabinet ministériel israélien de sécurité, a appelé explicitement à la destruction de la ville en faisant référence au récit biblique bien connu de vengeance absolue dans lequel la destruction d’une nation entière, le peuple Amalek, est ordonnée ». Quelques mois plus tôt, fin octobre et début novembre 2023, lors d’une des phases les plus dévastatrices, c’était Benyamin Nétanyahou qui avait invoqué en référence la destruction totale du peuple Amalek.
Le génocide comme moyen militaire
À propos de l’intentionnalité, un des critères du crime de génocide, auquel elle consacre un chapitre, l’ONG affirme que « les actions d’un État peuvent servir le double objectif d’atteindre un résultat militaire et de détruire un groupe en tant que tel » : « Le génocide peut aussi être un moyen d’atteindre un objectif militaire. En d’autres termes, il est possible de conclure à un crime de génocide lorsque, pour parvenir à un certain objectif militaire ou jusqu’à y parvenir, l’État entend essayer de détruire un groupe protégé, comme moyen de parvenir à une fin ».
L’organisation, qui appuie son enquête sur des dizaines de témoignages, des centaines d’images satellitaires, de vidéos, de photos, déplore la « vaste résistance et hésitation, surtout parmi les autres États, à conclure à l’intention génocidaire en ce qui concerne le comportement d’Israël à Gaza ». « Cette résistance a déjà entravé par le passé la justice et l’obligation de rendre des comptes concernant des conflits dans le monde et doit être évitée à l’avenir », prévient l’ONG.
Si l’application de la notion légale de génocide à la guerre menée à Gaza suscite des controverses brûlantes, un autre terme sans réalité juridique, apparu dans les années 1990, lors du conflit en ex-Yougoslavie, et qui pour certains, relève d’une forme de génocide, est de plus en plus brandi : celui de nettoyage ethnique, aussi désigné par diverses expressions comme épuration ethnique.
L’un des derniers en date à l’utiliser ? Un faucon, qui fut un des acteurs d’une politique violente à l’égard des Palestinien·nes, l’ancien ministre de la défense israélien et chef de l’armée Moshé Yaalon. Il a accusé, samedi 30 novembre, son pays de commettre des crimes de guerre et un « nettoyage ethnique » dans la bande de Gaza, provoquant un tollé au sein de la classe politique. « La route sur laquelle on est entraînés, c’est la conquête, l’annexion et le nettoyage ethnique, a-t-il déclaré lors d’une interview sur la chaîne privée DemocratTV. […] Il n’y a plus de Beit Lahiya, plus de Beit Hanoun, l’armée intervient à Jabaliya et en réalité on nettoie le terrain des Arabes. »
Il avait récemment soutenu les soldats qui avaient menacé de ne pas se présenter à l’armée comme réservistes, disant que s’il « avait été officier dans l’armée d’Hitler », il aurait refusé de faire certaines choses, tout en ajoutant qu’il « ne comparait pas » avec la situation en Israël.
mise en ligne le 5 décembre 2024
Yann Pouzols sur www.mediapart.fr
Alors que ses négociations avec le régime d’Assad étaient au point mort, Ankara est la grande gagnante de la chute de la ville d’Alep. Le régime d’Erdogan en profite pour lancer sa propre offensive contre les Kurdes dans le nord-ouest de la Syrie.
Istanbul (Turquie).– L’avancée des rebelles islamistes syriens a surpris jusqu’à leur parrain d’Ankara. L’offensive menée par Hayat Tahrir al-Cham (HTS), depuis la région que contrôle le groupe radical dans la province d’Idlib et dont l’ampleur devait être limitée, a finalement débouché, samedi 30 novembre, sur la déroute totale des troupes du dictateur syrien Bachar al-Assad, et la prise de la ville d’Alep, d’où les rebelles avaient été chassés en 2016.
Préparée de longue date, cette offensive aurait été repoussée sous la pression de la Turquie, qui menait ces derniers mois des négociations avec Bachar al-Assad pour obtenir, notamment, un retour d’une partie des réfugié·es syrien·nes installé·es en Turquie et une alliance contre les forces kurdes syriennes, qui contrôlent certaines zones du pays déchiré par une guerre civile depuis 2011.
« Je pense qu’ils évitaient aussi d’attaquer alors que le Hezbollah libanais [dont les milices sont présentes en soutien au régime d’Assad depuis la bataille de Qousseir en 2013 – ndlr] était encore en conflit avec Israël, afin de ne pas se faire accuser de soutenir Tel-Aviv », explique Erhan Keleşoğlu, universitaire spécialisé dans les relations internationales à l’université d’Istanbul. Le cessez-le-feu conclu fin novembre a ouvert la voie.
Sous le feu des bombardements de l’aviation et de l’artillerie russes – Moscou est, avec l’Iran, un autre soutien majeur d’Assad – et syriennes qui s’étaient intensifiés ces dernières semaines, les rebelles ont fini par lancer une offensive destinée, au départ, à déplacer les lignes de front, mais qui a débouché sur une avancée fulgurante et la prise d’Alep. Hayat Tahrir al-Cham et les groupes qui lui sont alliés ont même progressé plus au sud, jusqu’à la banlieue de la ville de Hama, où des combats sont en cours.
La prise d’Alep a déclenché un tonnerre d’applaudissements dans les rangs des soutiens au pouvoir islamo-nationaliste de Recep Tayyip Erdoğan, qui ne cachent pas leur nostalgie de l’Empire ottoman, voire leur velléité expansionniste. « Alep est turque et musulmane, jusqu’à la moelle ! », s’est laissé emporter mardi 3 novembre Devlet Bahçeli, leader de l’extrême droite du MHP et indispensable allié d’Erdoğan, alors que la photo de rebelles pro-turcs déployant un drapeau turc sur les murs de la citadelle de la ville fait le tour des réseaux et de la presse pro-gouvernementale.
Deux offensives parallèles
Dans ce même discours, Bahçeli promettait de « continuer à nettoyer chaque recoin de la vermine à figure humaine », comprendre les Kurdes de Syrie, contre lesquels Ankara a lancé, en parallèle, une offensive le 30 novembre.
Car, si Ankara a donné le feu vert à l’assaut lancé par Hayat Tahrir al-Cham (et les groupes djihadistes internationaux, notamment ouzbeks, tchétchènes et ouïghours qui l’épaulent) contre le régime d’Assad, les rebelles directement financés par la Turquie, dans leur écrasante majorité, n’y participaient pas. Ces groupes de mercenaires syriens, arabes et turkmènes qu’Ankara a par le passé déployés en Libye et dans le Haut-Karabagh sont réunis dans une structure baptisée Armée nationale syrienne.
Les groupes de mercenaires sont notamment connus pour leur indiscipline et les violences qu’ils exercent sur les populations civiles (avec de nombreux cas de viols, pillage et enlèvements contre rançon documentés par l’ONU et des associations de défense des droits humains) dans les zones qu’ils occupent dans le nord de la Syrie.
Les Forces démocratiques syriennes, qui ont vaincu le « califat » de l’État islamique avec l’aide de la coalition menée par Washington, sont la bête noire d’Ankara.
L’effondrement du front tenu par les troupes d’Assad a créé un vide de pouvoir dans lequel se sont engouffrées ces troupes, qui ont attaqué la région de Tell Rifaat, au nord d’Alep, tenue par les forces kurdes et où résident de nombreux déplacés qui avaient fui ces mêmes mercenaires lors de la conquête de la région voisine d’Afrin, en 2018.
Ces forces majoritairement kurdes baptisées Forces démocratiques syriennes (FDS), qui ont vaincu le « califat » de l’État islamique avec l’aide de la coalition internationale menée par Washington, sont la bête noire d’Ankara en raison de leur proximité évidente avec la guérilla kurde de Turquie, le PKK.
Les troupes kurdes ont rapidement reflué de la zone, tandis que des milliers de civils tentaient de s’échapper vers les autres zones tenues par les FDS, plus au sud et à l’est. « Ils savent qu’elles ne sont pas en position de force et que ces zones sont difficiles à tenir et elles font donc le choix de se retirer pour se repositionner plus loin », explique l’universitaire Mesut Yeğen, spécialiste de la question kurde.
Erdoğan espère le feu vert de Trump
La prochaine cible de l’offensive des brigades pro-turques est désormais, plus à l’est, la ville de Manbij, dernière grande localité tenue par les forces démocratiques syriennes à l’ouest de l’Euphrate, cette zone d’où la Turquie entend les chasser, avantagée par l’absence de troupes américaines sur place, celles-ci se concentrant uniquement à l’est de l’Euphrate, en attendant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Celui-ci, espère Ankara, pourrait donner l’ordre à ses soldats de se retirer, donnant à la Turquie le feu vert pour poursuivre plus avant ses attaques.
La Turquie mène donc deux offensives différentes, l’une vers le sud, celle d’HTS, qu’elle soutient de loin, en espérant que l’avancée des rebelles islamistes la placera en position de force à la table des futures négociations avec le régime d’Assad et ses alliés internationaux ; l’autre, vers l’est, menée par ses supplétifs de l’Armée nationale syrienne contre les Kurdes et leurs alliés arabes locaux.
Cette double offensive débouche sur des tensions qui commencent à se faire jour entre les deux forces, HTS refusant pour le moment d’attaquer les quartiers kurdes d’Alep de Cheikh Maqsoud et d’Achrafieh, qui seraient encore tenus par les forces démocratiques syriennes, afin de se concentrer sur la lutte contre les troupes d’Assad. HTS reproche également ouvertement aux mercenaires pro-turcs d’être trop inféodés aux intérêts d’Ankara en ne privilégiant pas la lutte contre le régime de Damas, et de se livrer au pillage au détriment des populations civiles.
« Ces groupes sont connus pour leur proportion à se livrer au pillage, ils ont même l’habitude de se combattre entre eux pour savoir qui obtiendra la plus grande part de butin », explique Erhan Keleşoğlu. Des dizaines de milliers de civils fuient les zones conquises par ces troupes et des récits circulent, y compris parmi les familles réfugiées à l’étranger – dont une en France qui affirme avoir perdu deux de ses membres, des Kurdes de confession yézidie, qui auraient été abattus à un check-point.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, les supplétifs pro-turcs auraient exécuté « au moins dix hommes et une femme » et procédé à des arrestations arbitraires de jeunes hommes kurdes.
Conséquences sur d’éventuels pourparlers de paix en Turquie
Les nombreuses images, diffusées sur les réseaux, de mercenaires de l’Armée nationale syrienne insultant et molestant des femmes et des hommes kurdes attaché·es et habillé·es en civil, nourrissent aussi la colère des Kurdes de Turquie. Mardi 3 décembre, une manifestation à Istanbul a été dispersée par la police qui a procédé à quatre-vingt-quatre arrestations, quatre des manifestants ont été placés en détention provisoire pour « propagande d’une organisation terroriste ».
Le pouvoir d’Ankara, par la voix de Devlet Bahçeli, avait pourtant laissé planer en octobre la possibilité de négociations de paix avec la guérilla kurde du PKK et son fondateur emprisonné depuis 1999, Abdullah Öcalan. « Cela ne veut pas dire que la perspective des négociations disparaît, Ankara peut simplement chercher à négocier depuis une position de force », estime Erhan Keleşoğlu.
« Les frontières tracées entre les Kurdes sont artificielles, les Kurdes de Turquie et de Syrie sont un seul et même peuple, les familles se trouvent parfois des deux côtés de la frontière, comment voulez-vous que le pouvoir parle de paix aux uns tout en attaquant les autres ? », interroge Ebru Günay, ancienne députée du parti pro-kurde de Turquie, le DEM, et présidente de la commission des affaires internationales du parti.
« Si le pouvoir veut vraiment entamer des négociations, alors il doit lever l’isolement qui pèse sur Öcalan, lui permettre de voir ses avocats, sa famille et les responsables politiques kurdes. Mais une chose est certaine : on ne peut pas mener des négociations si un climat de confiance réciproque n’est pas établi », estime-t-elle.
mise en ligne le 29 novembre 2024
par Pauline Londeix sur www.humanite.fr
« Nous sommes face à une campagne d’anéantissement de la population de Gaza », déclarait, à son retour du territoire en octobre, Isabelle Defourny, présidente de Médecins sans frontières France. Au même moment, l’Organisation mondiale de la Santé déclarait avoir perdu contact avec ses équipes dans le nord de la bande de Gaza. Déjà, en décembre 2023, l’OMS martelait que la population sur place était en « grand danger ».
En février 2024, son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, ajoutait : « Gaza est devenue une zone de mort (…). Une grande partie du territoire a été détruite. Plus de 29 000 personnes sont mortes, beaucoup d’autres sont portées disparues, présumées mortes, et beaucoup, beaucoup d’autres sont blessées. » Pénuries de denrées alimentaires, de médicaments et autres produits de première nécessité, effondrement du système de santé. Depuis plus d’un an, organisations internationales et ONG dénoncent une situation atroce.
En mars 2024, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, Christopher Lockyear, secrétaire général de MSF, témoignait : « Chaque jour, nous sommes les témoins d’horreurs inimaginables. Nous, comme tant d’autres, avons été horrifiés par le massacre massif du 7 octobre. Nous sommes horrifiés par la réponse d’Israël ; une guerre de punition collective, une guerre sans règles, une guerre à tout prix. » Il concluait : « Les attaques contre les services de santé sont des attaques contre l’humanité. » Le 14 novembre dernier, le Comité spécial des Nations unies estimait que les méthodes de guerre d’Israël à Gaza comprenaient « l’utilisation de la famine comme arme de guerre ».
Alors que jamais autant de femmes (6 000) et d’enfants (11 000) n’ont été tués dans un conflit récent, combien de morts faudra-t-il encore pour que la communauté internationale agisse enfin ?
Dans son dernier ouvrage, « Une étrange défaite, sur le consentement à l’écrasement de Gaza » (éditions la Découverte, 2024), le sociologue Didier Fassin se livre à une brillante analyse de la façon dont le massacre abominable du Hamas et la prise d’otages, puis la « réponse » israélienne qui a suivi sont traités : « Le langage a été abîmé quand on a appelé « antisémites » les demandes d’arrêter de tuer des civils, « morale » une armée qui déshumanise ses ennemis, « riposte » une entreprise d’anéantissement, « guerre Israël-Hamas » une opération militaire ouvertement menée contre les civils palestiniens. La pensée a été étouffée lorsqu’on a empêché les débats, interdit des conférences, annulé des expositions, imposé des procureurs pour garantir l’orthodoxie, eu recours aux forces de l’ordre pour réprimer des étudiants sur les campus. »
Alors que jamais autant de femmes (6 000) et d’enfants (11 000) n’ont été tués dans un conflit récent, combien de morts faudra-t-il encore pour que la communauté internationale agisse enfin ? Didier Fassin poursuit ainsi : « Pour des responsables politiques et des personnalités intellectuelles des principaux pays occidentaux, à de rares exceptions près, (il paraît être devenu) acceptable la réalité statistique que les vies des civils palestiniens valent plusieurs centaines de fois moins que les vies des civils israéliens. (…) La déshumanisation de l’ennemi est la perte de l’humanité de celui qui la prononce. »
Pour écrire sur ce sujet qui pourtant occupe mes pensées quotidiennement, il m’a fallu de longs mois. Certaines situations plongent dans un état de sidération. Pourtant il y a une urgence à agir. L’impuissance de la communauté internationale à imposer un cessez-le-feu et son « consentement », pour reprendre les termes de Fassin, à cette guerre qui tue principalement des civils creusent la tombe des valeurs, affichées du moins, du monde occidental.
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
Les guerres israéliennes contre la bande de Gaza, la Cisjordanie et le Liban détruisent les vies et les territoires. Elles abîment aussi la crédibilité de l’Occident, enfermé pour l’essentiel dans un soutien univoque à Israël. Vue depuis le monde arabe, voici l’histoire d’une chute morale.
Il a beaucoup été question d’Occident lors du premier Sommet international des pensées arabes organisé conjointement par le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep) et l’Institut du monde arabe, à Paris, les 14 et 15 novembre 2024.
Non que l’Occident ait été le sujet de ce moment exceptionnel qui a rassemblé, pendant deux jours et en un même lieu, pas moins de 32 intellectuel·les arabes venu·es d’un peu partout. Mais il a traversé les dix tables rondes et les discussions.
Car les complexes relations entre le monde arabe et l’Occident, qui remplissent des bibliothèques entières, se sont durcies avec la guerre génocidaire d’Israël en cours à Gaza, l’annexion rampante et violente de la Cisjordanie et la destruction partielle du Liban. Ce sont, plus précisément, les appuis à Israël apportés par nombre d’États, de partis politiques, d’institutions académiques, de médias et d’intellectuel·les occidentaux à l’État hébreu qui ont été interrogés.
Mediapart s’est entretenu avec huit de ces penseurs et penseuses arabes présentes à Paris. Ils et elles viennent d’horizons divers – les sciences politiques, les études sur le genre et le développement, l’histoire contemporaine, la philosophie, les médias, l’anthropologie, la sociologie. Originaires de différents pays arabes, du Liban, d’Égypte, de Tunisie, de Palestine, ils et elles vivent et travaillent dans des universités occidentales, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux États-Unis, ou dans des institutions du Moyen-Orient, au Qatar, en Cisjordanie, en Égypte, au Liban.
Tou·tes ont l’habitude de voyager d’un pays à l’autre, pour des rencontres intellectuelles, amicales et familiales, tou·tes parlent plusieurs langues, tou·tes naviguent avec facilité dans les pensées tant occidentales qu’arabes.
Assignation à origine
Pourtant, ces intellectuel·es polyglottes et cosmopolites constatent un divorce, depuis le 7-Octobre, dans les relations avec l’Occident. Bien sûr, ils et elles n’ignoraient rien de l’histoire complexe et houleuse des deux rives de la Méditerranée. Mais dans ce domaine aussi, le 7-Octobre marque une rupture de nature.
« J’ai, depuis le 7-Octobre, la sensation d’être en permanence sous surveillance, parce que je suis une chercheuse arabe, et ce n’est pas du tout bienveillant. Cela m’a amenée, au départ, à une forme d’autocensure, dont j’ai mis du temps à me débarrasser, raconte la Franco-Tunisienne Leyla Dakhli, historienne, membre du CNRS et affectée actuellement au Centre Marc-Bloch de Berlin. Être décrédibilisée parce qu’on pense que mon origine, et non mes recherches, détermine ce que je dis, est très difficile à supporter. »
Cette assignation à leur origine, la plupart des intellectuel·les en poste dans des institutions européennes ou américaines la ressentent. Ils s’en disent « sidérés ». « Parler des régimes arabes ne pose aucun problème, mais s’exprimer sur la Palestine est quasiment interdit, poursuit Fadi A. Bardawil, Libanais, anthropologue et enseignant à l’université Duke, à Durham (États-Unis). Mais il faut souligner que les intellectuel·les arabes ne sont pas les seul·es victimes de cette machine de répression. »
En cause ici, l’accusation d’antisémitisme brandie aussitôt qu’une critique contre Israël est émise, et qu’importe si les crimes de guerre et violations massives de la loi internationale sont documentés. « On glisse systématiquement de la Palestine vers l’antisémitisme. Mais ces guerres n’ont pas lieu en France ou en Allemagne, elles se déroulent à Gaza et au Liban, alors pourquoi toujours ramener ça à un débat européen sur l’antisémitisme ? C’est accuser les Arabes de véhiculer un antisémitisme historiquement pourtant bien européen », reprend Leyla Dakhli.
L’Occident est devenu inaudible
« Au nom de la réparation des torts historiques, les pays européens responsables de la Shoah, en premier lieu l’Allemagne, mais aussi l’Autriche, la France, avalisent ce qui est fait à un autre peuple, assène Gilbert Achcar, sociologue franco-libanais, professeur à l’université SOAS de Londres. Parce que ces pays ont tiré une leçon étriquée, nationaliste et ethnocentrée de la Shoah : plus jamais ça, mais uniquement plus jamais ça aux juifs et seulement aux juifs. Alors qu’ils auraient pu en tirer une leçon universelle : plus jamais ça, à aucun peuple. »
Appui politique et militaire à Israël dans ses guerres, notamment de la part des États-Unis, incapacité des États européens à nommer la guerre génocidaire contre Gaza, injonction à taire toute critique de l’État hébreu, censure : l’Occident n’applique sa prétention de porter haut les droits humains, de promouvoir la justice et l’égalité qu’à une catégorie d’êtres humains, affirment les intellectuel·les arabes, unanimes.
Et si ce n’est guère nouveau, si Fadi A. Bardawil, l’anthropologue, rappelle qu’Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme, puis Frantz Fanon, dans Les Damnés de la terre, ont en leur temps férocement critiqué cet Occident qui, tout en se gargarisant de son « humanisme » et de ses « valeurs », les piétinait en colonisant les peuples, le moment que nous vivons marque un tournant dramatique.
Ce qui choque, [c’est] un sacrifice, de la part des institutions occidentales, de tous les critères déontologiques et éthiques. Samer Frangie, professeur à l’université américaine de Beyrouth
« Nous avons conscience du regard raciste de l’Occident sur nous, monde arabe, depuis des siècles. Mais il y a un avant et un après-Gaza. À cause de l’ampleur des crimes et de leur durée. Ce n’est pas une semaine de tueries, c’est plus d’un an, et l’Occident s’acharne à défendre la moralité de ce qui se passe !, déplore Elizabeth Suzanne Kassab, philosophe, chercheuse au Doha Institute for Graduate Studies. Que les gouvernements soutiennent cette politique criminelle ne nous surprend pas. Mais que les médias et les institutions académiques emboîtent le pas, c’est incroyable. Que la liberté d’expression soit réprimée au sein même des sociétés occidentales, quelle honte ! L’Occident a perdu là ce qui lui restait de crédibilité. »
« Ce qui choque, ce n’est pas le double langage occidental, que nous connaissons depuis longtemps, mais un sacrifice, de la part des institutions occidentales, de tous les critères déontologiques et éthiques d’une façon extraordinairement vulgaire, assène Samer Frangie. Dans le domaine des médias, celui sur lequel je travaille, on a vu des manigances de rédacteurs en chef du New York Times, de Sky News, la BBC qui a viré des journalistes arabes. Avant, ceux qui faisaient passer des messages pro-israéliens essayaient de respecter certaines normes. C’est fini. Voir ces institutions prêtes à sacrifier tout le capital, tout le crédit accumulé, c’est un choc. »
D’où qu’ils parlent, les penseurs et penseuses arabes partagent ce même constat, dont les élites politiques et intellectuelles occidentales n’ont pas forcément conscience : elles sont devenues inaudibles dans une bonne partie du monde.
« C’est la fin de la prétention libérale de l’Occident. Le refus, pendant plusieurs mois, de la plupart des États occidentaux d’appeler à un cessez-le-feu signifie un soutien à l’agression, sans même mentionner le financement et l’armement d’Israël par les États-Unis, qui font de cette guerre la première guerre conjointe américano-israélienne, assène Gilbert Achcar. La juxtaposition de l’Ukraine et de Gaza, le deux poids et deux mesures absolument flagrant ont totalement discrédité l’Occident. Sa prétention à parler au nom de valeurs est morte, et sans pouvoir de ressusciter. »
Mise en question, aussi, la prétention à participer au développement des pays du Sud et porter les valeurs d’égalité et de non-discrimination.
« Nombre d’organisations internationales et d’ONG prétendaient défendre les droits des femmes en Palestine, promouvoir leur émancipation, leur accession à des postes de décision. Et ces mêmes organisations aujourd’hui sont réticentes à condamner le génocide et l’épuration ethnique dont sont victimes les femmes palestiniennes, parce qu’elles considèrent Israël comme une oasis de démocratie et de liberté dans le monde arabe, s’insurge Islah Jad, Palestinienne. Les viols en Ukraine commis par l’armée russe ont suscité des condamnations et de fortes déclarations. Ceux, documentés, commis contre les Palestinien·nes dans les prisons israéliennes ne rencontrent que le silence. »
Et la professeure à l’université de Bir Zeit, spécialiste du genre et du développement, le dit tout net : « C’est du racisme doublé d’hypocrisie. Parce que nous ne sommes pas blancs. Nous en sommes encore à la mission civilisatrice de l’Occident, c’est effrayant. »
L’onde de choc du soutien massif des pays occidentaux et de leurs élites aux guerres israéliennes sera forte et longue. Nul ne se risque bien sûr à en prédire les natures. Mais déjà s’esquissent des tendances. « L’hypocrisie de l’Occident est établie, mais les valeurs qui ont été développées en Occident et qui sont vues comme des valeurs occidentales ne sont pas à jeter, parce qu’en fait leur validité n’est pas intimement liée au monde occidental. Il faut les désancrer du socle occidental », juge Fadi A.Bardawil.
Il existe des raisons d’espérer : une partie de la jeunesse, dans cet Occident dominateur, rejette cette domination et proclame sa solidarité avec les victimes. Gilbert Achcar, sociologue, professeur à Londres
Se séparer, se donner les moyens de ne plus dépendre de cet Occident qui exige, par exemple, des preuves de condamnation de ce que lui voit comme du terrorisme, de purge des bénéficiaires des ONG arabes, toute personne proche de l’islam politique devant être écartée, voilà une autre tentative de séparation en cours.
« Nous cherchons des fonds ailleurs, du côté d’Arabes riches qui veulent se montrer actifs. Nous organisons aussi des réseaux d’entraide et de solidarité pour pallier la rupture avec tel ou tel bailleur », explique Lina Attalah, journaliste et activiste, fondatrice du média égyptien indépendant Mada Masr.
« Des jeunes chercheurs installés dans des universités occidentales, las de se sentir toujours épiés, de devoir sans arrêt se justifier, sont en train d’essayer de rentrer dans leur pays ou d’obtenir un poste dans les pays du Golfe. Pour l’instant, ce sont des choix individuels et encore limités », observe Nadim Houry, juriste franco-libanais, directeur du think tank Arab Reform Initiative.
« Pour les conséquences plus générales, il est trop tôt, poursuit-il. On voit poindre du nihilisme dans une partie de cette jeunesse déjà frappée par les contre-révolutions et des crises économiques très fortes, et qui voit devant ses yeux une hypocrisie occidentale incroyable. Cela débouchera-t-il sur une forme de djihadisme ? C’est difficile de le déterminer aujourd’hui. »
L’onde de choc ne se limitera pas à l’Occident. Les régimes arabes le savent, qui, sans soutenir ouvertement Israël, n’ont rien fait pour arrêter ses guerres et soutenir les Palestinien·nes et les Libanais·es. Leur impuissance, voulue ou subie, les pousse à davantage encore de crispation.
« La colère n’épargne pas les régimes arabes qui ont normalisé avec Israël et continuent jusqu’à présent », constate Nadim Houry. « La justification de la paix avec Israël était le traité de paix en échange d’une tranquillité économique et politique, et tout est un mensonge, souligne Lina Attalah. Nous souffrons de dettes abyssales et un génocide est commis à nos portes, que notre gouvernement est incapable d’arrêter ou même de freiner. »
L’espoir d’un nouvel universalisme
Au cœur de cette catastrophe en cours, qui risque d’emporter l’Occident avec le monde arabe, ces intellectuel·les croient en la construction d’un nouvel universalisme, en la solidité de liens déjà existants aujourd’hui renouvelés et en la mondialisation d’une certaine jeunesse.
« Nous avons découvert un réseau de médias indépendants, dont fait partie Mediapart, un réseau global, qui réussit à démonter les infox et offre un récit alternatif à celui des entreprises médiatiques mainstream, se réjouit Samer Frangie. Des liens se sont tissés et nous réussissons à bousculer ce qui ressemble de plus en plus à un dogme. »
« Entre le génocide, la montée du néofascisme au niveau international, dont l’élection de Donald Trump est le dernier avatar, la crise écologique, nous n’avons aucune raison d’être optimistes. En revanche, il existe des raisons d’espérer : une partie de la jeunesse, dans cet Occident dominateur, rejette cette domination et proclame sa solidarité avec les victimes, ose Gilbert Achcar. Ces jeunes juifs américains et cette toute petite minorité de juifs israéliens me donnent un peu d’espoir. »
« Nous voyons des gens manifester en solidarité avec nous, contre les positions de leurs gouvernements et les mensonges de leurs médias, et c’est fondamental. Car nous voyons se déployer un universalisme qui reconnaît et respecte l’autre », affirme Islah Jad.
« La sensibilité des jeunes Arabes activistes aujourd’hui, post-2011, est plus universaliste. Ils voient la Palestine comme la voient aussi des jeunes Américains ou Européens. Dans ce contexte, la Palestine est devenue le symbole de l’injustice globale du colonial, du racisme, du récit dominant et du contrôle des ressources, explique Nadim Houry. La Palestine n’a jamais été aussi universelle. »
mise en ligne le 8 octobre 2024
par Sophie Chapelle sur https://basta.media/
En finir avec des prix devenus fous. Voilà plus d’un mois que les Martiniquais se mobilisent pour l’alignement des prix sur ceux de l’Hexagone. Ils font face à l’opacité des marges de la grande distribution, et au laisser-faire de l’État.
Une même boite d’œufs coûte cinq euros en Martinique contre deux euros dans l’hexagone. Qu’on regarde les prix des pâtes, de la farine, du lait, du beurre ou des fruits, ceux-ci sont deux à cinq fois plus élevés en Martinique qu’en France métropolitaine. L’eau en bouteille, un bien de première nécessité sur cette île qui subit des coupures d’eau régulières, peut atteindre des sommes indécentes : jusqu’à dix euros pour un pack ! L’application Kiprix, lancée par un jeune développeur installé près de Fort-de-France, montre bien ces écarts. En 2023 déjà, un rapport de l’Insee alertait sur des produits alimentaires en Martinique en moyenne 40% plus chers qu’en France métropolitaine !
Une double peine sur cette île où plus d’un-quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. C’est ce que dénonce Rodrigue Petitot notamment sur Tik Tok. Président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), il est l’une des figures de la contestation contre la vie chère en Martinique. Le mouvement est à l’initiative depuis le 1er septembre de blocages de supermarchés et de nombreuses manifestations, malgré les interdictions préfectorales. Il demande l’alignement des prix martiniquais sur ceux de l’Hexagone.
Quinze ans après un mouvement historique
En 2009, un intense mouvement social contre la vie chère avait duré quarante jours en Martinique. La grève générale avait notamment abouti à la création d’un observatoire des prix, à une réforme agraire et à la baisse de 20% des prix sur 2500 produits. « Sauf que 2009 à 2015, on a vu une montée en flèche des prix. Quinze ans après, les prix ne cessent d’augmenter à des proportions injustifiées,dénonce Aude Goussard, secrétaire du RPPRAC sur Youtube. L’observatoire n’a aucune marge de manœuvre pour réguler les prix. Le seul effort depuis 2009 a été fourni par les collectivités pour baisser l’octroi de mer qui sert à financer les collectivités », dit-elle.
L’octroi de mer, créée en 1670 en Martinique, est une taxe qui s’applique aux importations, avec un taux variable selon les produits. Les documents qui répertorient les différents octrois de mer dans les territoires ultramarins font près de 1200 pages ! Cette taxe « représente près d’un tiers des ressources des communes », soulignait en mars dernier le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. Près de la moitié des dépenses de personnel des collectivités en Martinique serait ainsi financé par cette taxe.
Revers de la médaille, l’octroi de mer, conjugué à la TVA, fait gonfler les prix de 7 % en moyenne. « Il faut revoir le système de taxation qui crée des inégalités, mais l’octroi de mer finance aussi directement les collectivités. Et on ne veut pas un affaiblissement de ces dernières, ni des aides sociales », prévient Aude Goussard du RPPRAC.
La grande distribution pointée du doigt
Pour le RPPRAC, c’est davantage du côté des acteurs de la grande distribution qu’il faut regarder. Le mouvement a envoyé un courrier recommandé le 1er juillet aux distributeurs alimentaires de Martinique et au préfet, en pointant leur responsabilité dans les « injustices criantes liées au prix de la consommation », et en exigeant des réponses concrètes dans les deux mois. Les enseignes de distribution, dominées par trois grands groupes – GBH, SAFO et CREO – ont fini par répondre à la dernière minute, le 31 août, en avançant que ces écarts de prix venaient de « contraintes structurelles » comme l’éloignement et le transport par bateau. C’est l’absence de propositions pour baisser les prix, suite à ce courrier, qui a marqué le début de mouvement.
En plus des taxes, les intermédiaires sont nombreux entre le producteur et le distributeur. « Alors qu’ils sont en général au nombre de trois en France hexagonale, en Martinique ils peuvent aller au-delà des quatorze » relève un rapport parlementaire sur le coût de la vie de juillet 2023. Ces intermédiaires facturent chaque étape de traitement de marchandises, prélevant leurs marges à chaque fois, faisant mécaniquement monter les prix.
Selon le rapporteur parlementaire, l’ancien député socialiste Johnny Hajjar, derrière la plupart de ces intermédiaires se trouveraient des entreprises appartenant aux grandes enseignes de distribution martiniquaises. Contactées par l’équipe d’Envoyé spécial, les entreprises ont reconnu posséder des sociétés qui interviennent dans la chaine logistique mais pas à chaque échelon.
Prenons le cas du groupe GBH avec à sa tête Bernard Hayot et son fils Stéphane Hayot. « La famille Hayot contrôle non seulement les grandes surfaces, mais aussi le transport maritime, les entrepôts, et même les conteneurs dans lesquels sont acheminés les produits », relève Jérémy Désir, néopaysan martiniquais dans un article de Reporterre. Cette concentration verticale permet au groupe de se facturer à lui-même chaque étape de la chaîne logistique. Selon le rapport parlementaire, « cette multiplication d’acteurs est un moyen efficace de noyer l’accumulation des marges, tout en justifiant que les marges sont raisonnables prises individuellement ». Le pouvoir économique grandissant entre les mains de quelques grands groupes leur permet également de faire de vastes économies d’échelle.
La question des marges arrières pratiquée par les grands groupes comme GBH est aussi soulevée dans le rapport du député. Elles consistent en une entente légale entre le fournisseur et le distributeur. Lorsqu’un objectif de vente fixé est atteint, le fournisseur cède une partie de sa marge au distributeur, en toute opacité. Comme le note l’enquête parlementaire, « les auditions ont mis en avant l’opposition entre le secret des affaires et le contrôle des prix, des marges et des revenus ». Ainsi, les organismes comme l’Insee ou les observatoires des prix qui demandaient l’accès aux données sur les marges se sont vus opposer le secret des affaires, une loi adoptée en France en mars 2018 (transposée d’une directive européenne), qui crée un droit général au secret pour les entreprises et leur permet potentiellement de traîner devant les tribunaux quiconque porterait à la connaissance du public une information sur leurs activités.
Et l’État dans tout cela ? Il a jusque là fait le choix du laisser-faire. Auditionné en juin 2023 à l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, avait conclu : « Les marges relèvent du secret des affaires. On peut les contrôler, mais pas les rendre publiques. Faisons attention car un excès de transparence risque de mettre en péril l’activité économique. » Or, c’est précisément ce secret des affaires qui sert de paravent à des groupes puissants pour abuser de leurs positions sur le marché de la distribution.
Loin de s’éroder, le mouvement tend à s’élargir, malgré la pression des pouvoirs publics dès les premiers jours, entre couvre-feu et déploiement de la CRS 8. Trois tables-rondes sur la vie chère rassemblant les différentes partie-prenante se sont tenues ces dernières semaines. Elles ont abouti à un premier document de travail avec plusieurs pistes pour baisser les prix, permettre la transparence et renforcer l’autonomie alimentaire. Il a notamment été proposé que l’octroi de mer soit supprimé sur près de 6000 articles de première nécessité. « Nous notons que la grande distribution ne souhaite pas perdre un kopeck et compte beaucoup sur l’État », a déploré Aude Goussard à la sortie de la dernière table ronde. Les négociations doivent reprendre ce lundi 7 octobre.
Ces derniers jours, le RPPRAC a poursuivi les opérations « courses fictives » dans plusieurs enseignes du groupe GBH pour les bloquer. Un appel à la grève illimitée a également été lancé par la Confédération générale du travail de Martinique (CGTM) depuis le 26 septembre. Outre la mise en place d’un contrôle des prix des produits de première nécessité, la CGTM entend poser la question des revalorisations salariales, des pensions de retraite et des minimas sociaux. Alors que les prix n’ont cessé d’augmenter depuis quinze ans, syndicats et mouvement citoyen martiniquais aspirent à inverser le rapport de force.
Théo Bourrieau sur www.humanite.fr
Depuis plus d’un mois, un important mouvement contre la vie chère a été lancé par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens en Martinique. Lundi 7 octobre, des policiers ont tenté de déloger des manifestants qui menaient une action sur un rond-point du Lamentin. Cinq personnes ont été interpellées et au moins quatre blessées. Selon la préfecture, onze policiers ont également été blessés.
La réponse du gouvernement et de la préfecture de Martinique aux mouvements contre la vie chère semble toujours être la répression. Lundi 7 octobre au matin, le rond-point de Mahault, dans la commune du Lamentin, à une dizaine de kilomètres de Fort de France, est bloqué par des manifestants. Quelques heures plus tard, la préfecture envoie la désormais bien connue CRS8, spécialisée dans les « violences urbaines », qui s’est notamment illustrée pendant l’opération Wuambushu à Mayotte, ou dans de nombreuses manifestations en métropole, notamment pendant la réforme des retraites.
Une « répression policière » contre « des Martiniquais pacifiques »
La mission de la Compagnies républicaine de sécurité 8 : débloquer le rond-point, quitte à faire usage de la force. Des vidéos d’affrontements, ainsi que du président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) ensanglanté, ont fait le tour des réseaux sociaux. Dans un communiqué, l’association dénonce « avec la plus grande fermeté la répression policière exercée dans la commune du Lamentin contre des Martiniquais pacifiques qui, depuis 38 jours, se mobilisent contre la vie chère en Outre-Mer ».
« Nous ne tolérerons jamais l’usage de tirs de type LBD visant le visage et le cou des manifestants dans nos rues », ajoute les auteurs du communiqué. Au cours de ces affrontements, Rodrigue Petitot, dit le R, président du RPPRAC, a « été pourchassé et blessé à la main et à la jambe », affirme l’association, ajoutant qu’à sa connaissance, « deux militants ont également été tabassés et placés en garde à vue », et qu’une riveraine « a fait un malaise » à cause du gaz lacrymogène. Dans une autre vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, on y voit Aude Goussard, trésorière de l’association, violemment repoussée par un CRS.
Selon la préfecture, onze policiers, notamment victimes de jets de pierre, ont aussi été blessés. « Face à de tels comportements, les forces de sécurité intérieure ont fait usage de la force, dispersé l’attroupement et procédé à l’interpellation de 5 individus », écrit le préfet de Martinique Jean-Christophe Bouvier dans un communiqué. Alors que la tension semblait être redescendue au cours de la journée de lundi, plusieurs véhicules en feu ont été signalés à Fort de France et un barrage enflammé aurait également été érigé au Lamentin, selon les informations du média France-Antilles Martinique.
Depuis le début du mois de septembre, un important mouvement contre la vie chère a été lancé, notamment par le RPPRAC. Selon l’Insee, les prix à la consommation en Martinique sont en moyenne plus élevés de 14 % que dans l’Hexagone. Pour la nourriture, cette différence atteint 40 %. Dépendante à 80 % des importations, l’île souffre d’une situation de quasi-monopole des distributeurs et des transporteurs. En Martinique, 44 300 ménages vivent sous le seuil de pauvreté. Soit 27 % de la population, et le mouvement contre la vie chère traverse différentes couches de la société. Quatre tables rondes ont été organisées par les autorités depuis le début de la crise, sans issue satisfaisante pour les protestataires. Une cinquième table ronde, qui devait se tenir lundi 7 octobre, a été repoussée sine die.
mise en ligne le 8 octobre 2024
sur www.regards.fr
Référence incontournable à nos yeux, nous avons rencontré Alain Gresh pour lui poser les questions qui nous taraudent – et nous divisent parfois – sur la lutte des Palestiniens, notamment depuis le 7 octobre 2023.
Regards. Le peuple palestinien est un des plus opprimés. Or, il n’a pas bénéficié ces dernières décennies d’un soutien international à la hauteur de cette oppression. Les résolutions de l’ONU sont impuissantes. Comment construire une stratégie qui agrège des soutiens, comme a su le faire l’ANC en Afrique du Sud par exemple ?
Alain Gresh : La comparaison entre l’ANC (Congrès national africain, parti de Nelson Mandela, ndlr) et l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) est intéressante. Ce n’est pas le rapport à la lutte armée qui les différencie. Jusqu’au bout, l’ANC a utilisé la lutte armée. Le combat contre l’Apartheid a bénéficié d’un large soutien international, d’un appui du mouvement des non-alignés, de l’aide effective du camp socialiste, y compris militaire avec le rôle des troupes cubaines qui ont contribué à briser la machine de guerre sud-africaine. Enfin, le soutien massif aux sanctions contre le régime de l’apartheid que personne ne cherchait à criminaliser ou à accuser de « racisme antiblancs ». Dans sa lutte, l’ANC a bénéficié de la présence des communistes sud-africains, dont beaucoup des dirigeants étaient juifs (et d’ailleurs hostiles au sionisme). Ils ont aidé à dégager la perspective d’une Afrique du Sud « arc-en-ciel » face à ceux qui prônaient un « pouvoir noir ».
Ce large appui a permis de limiter le rôle de la violence dans la stratégie de l’ANC car le soutien international dessinait une perspective politique de sortie de l’apartheid. Ce ne fut pas le cas des Palestiniens, en partie à cause du poids de « la question juive » en Occident et aussi du fait que désormais il n’y a pas (encore) de contrepoids aux États-Unis. Le poète Mahmoud Darwich disait : « Le monde s’intéresse à nous uniquement parce qu’on s’affronte aux juifs ». Il pensait avant tout aux pays occidentaux. D’autre part, l’OLP a été l’objet des rivalités entre les États arabes, plusieurs d’entre eux ont créé leur propre faction en son sein pour influer sur sa ligne. Le soutien aux Palestiniens s’arrêtait là où les intérêts des États arabes commençait. Chacun privilégiait ses intérêts. Les Jordaniens voulaient le contrôle de la Cisjordanie. Les Syriens cherchaient à contrôler le Liban et se sont heurtés aux Palestiniens. L’Égypte, plus distante, a cessé de les soutenir à partir de l’accord de Camp David de 1978 signé par Sadate. Au Liban, où les organisations palestiniennes se sont installées à la fin des années 1960 et au début des années 1970, l’OLP est devenu un État dans l’État et a été entrainé dans la guerre civile libanaise à partir de 1975.
Les stratégies des mouvements de soutien aux Palestiniens semblent assez éclatées. Certains se battent pour l’égalité des droits entre les citoyens d’un même État. D’autres en faveur de l’autodétermination des Palestiniens. D’autres pour la création d’un État palestinien. D’autres, enfin, pour le respect du droit international. Ça fait beaucoup d’objectifs pour ce combat. C’est moins limpide que le slogan « US go home » des manifestations pendant la guerre du Viêt-Nam…
Alain Gresh : Les mobilisations qu’on a pu connaitre en faveur du Viêt-Nam étaient plus politiques, au sens étroit du terme. Et elles s’inscrivaient dans un contexte différent, celui des guerres anticoloniales mais aussi celui de la Guerre froide.
« Le caractère colonial est consubstantiel au projet sioniste et il apparaît dans toute son horreur à Gaza. »
Sur le territoire de la Palestine, il n’y a pas de solution politique à court terme. L’égalité des droits entre tous les habitants qui y vivent, 7,5 millions de Palestiniens et 7,5 millions de Juifs israéliens, me semble un objectif concret et immédiat, auquel il est difficile de s’opposer sur le plan des principes. La réalité sur le terrain est que l’État unique existe… et c’est Israël. Il contrôle tout le territoire et impose sa loi – une loi qui n’est pas la même pour tous les habitants qui y vivent, d’où la qualification de situation d’apartheid qui est de plus en plus largement reconnue par les organisations internationales comme Amnesty ou même israélienne comme B’tselem. Donc se battre pour l’égalité des droits est quelque chose tangible. Qui peut être contre ?
Le mouvement étudiant aux États-Unis, et ailleurs, est idéaliste : ces étudiants se battent pour le respect du droit international. C’est, à mes yeux, la seule voie qui peut mener à une solution, même si elle est étroite ; elle a été esquissée par la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale, mais ceux-ci subissent de terribles pressions occidentales. Le combat pour le droit international ne concerne pas que la Palestine. On vit, notamment depuis le 11 septembre 2001, la destruction du droit international, avec l’invention de « la guerre préventive » et l’invasion de l’Irak, avec l’ouverture de camps de torture à Abou Ghraib ou à Guantanamo. C’est une tendance inquiétante.
Les États qui s’opposent à l’agression israélienne ne sont pas tous mus par des motifs idéalistes. Ni la Russie, ni la Chine, ni la Turquie, ni l’Inde ne se désolent de la destruction du système international. Ils pourront en profiter demain en arguant du cynisme occidental. Au nom de quoi, si ce n’est de la géopolitique, pourra-t-on critiquer l’invasion par ces puissances ou par d’autres d’un de leurs voisins ? Ceux qui portent une autre vision, comme l’Afrique du Sud ou le mouvement citoyen, ne pèsent pas encore assez pour inverser la tendance.
Aujourd’hui la remise en cause de l’existence même de l’État d’Israël s’exprime. Israël est qualifié d’État colonial, parfois du fait des occupations illégales en Cisjordanie, parfois du fait de sa création sur des terres palestiniennes. Et Jérusalem répond par des accusations d’antisémitisme. Comment abordez-vous cette question ?
Alain Gresh : Pour moi la création de l’État d’Israël est un fait colonial qui n’est ni isolé, ni le résultat de la Shoah, ni l’aboutissement logique de l’histoire juive. À la veille de la guerre de 1967, l’orientaliste Maxime Rodinson publiait « Israël, fait colonial ? » dans la revue de Sartre et Beauvoir Les Temps modernes. Il concluait ainsi son article : « Je crois avoir démontré, dans les lignes qui précèdent, que la formation de l’État d’Israël sur la terre palestinienne est l’aboutissement d’un processus qui s’insère parfaitement dans le grand mouvement d’expansion européo-américain des XIXème et XXème siècles pour peupler ou dominer les autres terres ». La formation d’Israël repose sur un colonialisme de peuplement. Avec la Kanaky, la Palestine est un des très rares cas où colons et autochtones sont en nombre équivalent. En Amérique du Nord comme en Australie, les colons ont exterminé les peuples autochtones. Le plus souvent, les colons sont des minorités.
Ceux qui s’opposent à l’analyse de Maxime Rodinson, invoquent souvent l’influence des idées communistes, notamment avec la vie collective et le partage dans les Kibboutz. Il ne s’agit pas de nier la sincérité de cette « passion communiste » qui animait certains émigrants juifs, mais d’analyser leur pratique réelle. Combien de massacres et de crimes se sont fait au nom du Bien et de la Civilisation ? Au sein même de l’Internationale communiste, les luttes furent rudes pour rompre avec les anciennes tendances coloniales de la social-démocratie. Le dirigeant Vietnamien Hô Chi Minh fut de ces militants. Rodinson écrivait ainsi : « Le cas de l’utopie sioniste n’était pas, de ce point de vue, différent de celui des utopies socialistes du type de l’Icarie de Cabet. Il s’agit de trouver un territoire vide, vide non pas forcément par l’absence réelle d’habitants, mais une sorte de vide culturel. En dehors des frontières de la civilisation […], on pouvait librement insérer, au milieu de populations plus ou moins arriérées et non contre elles, des «colonies» européennes qui ne pouvaient être, pour employer anachroniquement un terme récent, que des pôles de développement. »
Pour moi, le caractère colonial est consubstantiel au projet sioniste et il apparait dans toute son horreur à Gaza. Certes, Israël est vécu comme un pays refuge ultime mais sa légitimité est aussi liée au sentiment de supériorité sur les indigènes propre à la mentalité coloniale. Encore une fois, ce sentiment de supériorité n’était pas propre au mouvement sioniste.
L’histoire longue est convoquée pour légitimer la localisation de l’État d’Israël. Pourtant Theodor Herzl, le fondateur du sionisme politique, avait lui-même envisagé une installation des juifs en Argentine ou au Congo. Faire droit à une revendication millénariste ouvrirait la porte à des conflits sans fin tout autour du globe. La question est alors : est-ce que les Juifs forment un peuple ? Pour moi non, pas un peuple, au sens de peuple-nation traditionnel. Je ne me considère pas comme membre du peuple juif. Ma tradition du judaïsme n’a rien à voir avec Israël. Ma tradition du judaïsme, c’est l’internationalisme, c’est les luttes. Il y a une tradition historique du judaïsme qui a apporté énormément à l’humanité et qu’Israël cherche à effacer. Et cet apport à l’humanité est d’autant plus grand qu’il n’est pas nationaliste.
Mais même si on accepte que les Juifs forment une nation, au nom de quoi auraient-ils le droit de construire un État là où vit et travaille un autre peuple ? Il faut relire le livre Peuple juif ou problème juif ? de Maxime Rodinson. Le sionisme a imposé une vision de l’histoire juive qui ne serait qu’une permanence de persécutions, mais il n’y a pas de problème juif dans les pays arabes jusqu’aux années 1930. C’est la création d’Israël qui envenime les choses dramatiquement. De par l’histoire, ils ont été considérés comme une sorte de 5ème colonne, tout à fait à tort. Les pays arabes portent une responsabilité mais il n’y a pas d’antisémitisme éternel. Aujourd’hui, en Europe, il y a un antisémitisme, mais les Juifs ne sont pas menacés, ils sont protégés par l’État, ils sont protégés par tous les partis politiques, sauf l’extrême droite. Ils sont largement acceptés par la population comme le prouvent toutes les études de la Commission nationale consultative des droits humains (CNCDH).
L’idée d’une solution par la formation d’un seul État plurinational sur l’ensemble du territoire a émergé. Mais force est de constater que ceux qui portent cette solution brandissent bien souvent le drapeau palestinien et parlent de Palestine. Un tel projet politique, s’il devait être soutenu, ne peut être incarné ni par le drapeau palestinien ni par le drapeau israélien. Il faut inventer autre chose, à la manière de ce que l’ANC est parvenue à faire avec le concept de « nation arc-en-ciel »…
Alain Gresh : C’est vrai. Et vous savez qui a fait, entre autres, cette proposition ? Kadhafi, peu avant les printemps arabes. Il a signé une tribune dans le New York Times titrée « Ispalestine »… Les Juifs ont subi une terrible injustice ; mais les Palestiniens ont payé pour ces crimes commis par des Européens. Il faut le prendre en compte. Maintenant, comment est-ce que l’idée d’un État unique peut se traduire sur le terrain ? Je ne sais pas. D’abord, est-ce que ce serait un État de ses citoyens ou est-ce un État binational ? En Afrique du Sud, c’est un État des citoyens, mais en même temps avec des droits pour les Zoulous et autres nations africaines… À mes interlocuteurs arabes, je posais toujours la question : est-ce un État arabe, membre de la Ligue arabe ? Et alors, que fait-on de l’hébreu ? On ne va pas passer de la situation actuelle à une espèce d’État démocratique constitué et accepté comme ça, sur la base d’une « défaite » d’Israël. Il faut construire les conditions d’une lutte commune qui prépare à une coexistence qui permettent d’avancer progressivement.
Ce que prouve l’exemple sud-africain ou algérien, c’est qu’on ne peut pas gagner si on ne brise pas le front intérieur du pays dominateur ou colonisateur. La grande erreur de l’OLP, même au temps d’Arafat, était de croire que la solution était dans les mains des États-Unis. J’ai toujours été convaincu qu’Israël est assez puissant pour résister aux pressions (toujours très mesurées) américaines. Donc, si on veut avancer, il faut briser le front intérieur israélien. À certains moments, on a pu penser que c’était possible, qu’il y avait des forces dans la société israélienne pour cela.
Vous dites ne pas voir d’issue notamment compte tenu des 700 000 colons installés en Cisjordanie. Cela motive aussi la proposition d’un seul État binational. Et quelle serait la solution pour les Palestiniens expulsés, tout aussi nombreux ?
Alain Gresh : Si on a accordé aux Juifs du monde le « droit du retour » en Israël, pourquoi ne pas l’accorder aux Palestiniens ? Le droit au retour est très important. C’est une partie de l’identité palestinienne : le fait de pouvoir rentrer chez soi, retrouver ses origines, ses racines. Mais cela ne signifie pas « Ici c’était ma maison, t’es là, tu dégages, je rentre chez moi ». Pour les réfugiés, la solution ne peut être que par étapes et ne peut être décidée que par les Israéliens et les Palestiniens. Le droit international dit « deux États », mais la partie sur laquelle il faut faire pression, c’est Israël. Faisons-le.
« On ne peut pas fermer toutes les routes vers la paix et s’étonner du choix de la violence. »
La population israélienne, malgré ses traumatismes que je comprends et qui ont été ravivés le 7 octobre 2023, a vécu ces dix dernières années avec l’extension de l’occupation et de la colonisation, sans aucune conséquence pour elle. La plupart des Israéliens ne voyaient pas de Palestiniens, sauf quand ils faisaient leur service militaire dans les territoires occupés. La construction de colonies n’est pas seulement illégale, c’est un crime de guerre selon le statut de Rome de la Cour pénale internationale. Les Israéliens doivent payer un prix pour cette occupation. Les Français ont payé le prix de la colonisation. La France n’aurait jamais quitté l’Algérie s’il n’y avait pas eu un demi-million de soldats français mobilisés pour maintenir l’ordre. Si cette lutte, même dans sa dureté, n’avait pas été menée, les Algériens seraient toujours sous occupation. Si les Israéliens ne paient aucun prix pour une occupation qui s’éternise, ils ne se retireront jamais. Le « prix », ce sont des sanctions internationales, comme la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël. J’aime aussi l’idée que si les Palestiniens ne peuvent pas venir en France sans visa, il faut appliquer cette règle à « leurs voisins » qui vivent sur le même territoire, c’est-à-dire aux colons.
Que pensent les Palestiniens ?
Alain Gresh : Un des problèmes reste l’éclatement de la scène politique palestinienne. Le Fatah d’Arafat est divisé. Son dirigeant, Mahmoud Abbas, est considéré par la plupart des Palestiniens comme un collaborateur et l’Autorité palestinienne comme un instrument aux mains d’Israël. Le Hamas a acquis une popularité qu’il faut comprendre. Les études d’opinion à Gaza montrent que, du fait de sa gestion, il était impopulaire : les gens n’ont pas envie de vivre sous un État autoritaire, qui limite les libertés, celles des femmes en particulier, etc. En même temps, pour les Palestiniens, le 7-Octobre fut une opération politico-militaire qui a stoppé la normalisation entre le monde arabe et Israël et remis la question palestinienne à l’agenda mondial. On ne peut pas fermer toutes les routes vers la paix et s’étonner du choix de la violence.
Comment caractérisez-vous le Hamas ?
Alain Gresh : Est-ce une organisation terroriste ? Il n’existe pas d’organisation dont l’idéologie est le terrorisme, il y a des organisations et des États qui utilisent la violence contre les civils. C’est le cas d’Israël et du Hamas. Le Hamas est une organisation politique. Elle est traversée par des courants et elle fluctue selon les moments. Par exemple, il y a eu en 2022 un projet d’accord entre le Fatah et le Hamas, discuté depuis longtemps, dont l’une des clauses était le renoncement à toute opération sur le territoire israélien. S’ils avaient signé cela, il n’y aurait pas eu le 7-Octobre. Mais on sait désormais que Netanyahou a fait capoter ce projet, en jouant des divisions entre le Hamas et le Fatah. Le premier ministre israélien ne veut pas d’un interlocuteur palestinien avec qui il aurait l’obligation de négocier.
Est-ce que Marwan Barghouti, prisonnier depuis plus de 20 ans et que l’on présente comme le Mandela palestinien, représente un élément de la solution ?
Alain Gresh : Réellement, je ne sais pas. Je pense que oui. Les prisonniers palestiniens sont un des éléments de la solution. Il y a une société des prisonniers palestiniens avec une entente entre eux qui dépasse leurs divergences et leur appartenance à une organisation. À plusieurs reprises, ce sont eux qui ont proposé des textes qui pouvaient permettre un accord entre le Hamas et le Fatah. Et dans l’accord dont je parlais, le Hamas acceptait l’idée d’un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale. Donc je pense que cette communauté des prisonniers peut compter. Mais attention à ne pas fantasmer un sauveur. On n’en parle pas assez, mais la torture dans les prisons israéliennes est généralisée. Les prisonniers sont maintenus à l’isolement. Il y a eu des informations selon lesquelles Barghouti avait été maltraité, battu… Je ne sais pas quel est son état de santé, physique et mental, à l’heure actuelle.
Axel Nodinot sur www.humanite.fr
Membre du Conseil législatif palestinien, le dirigeant du Fatah attend depuis plus de vingt-deux ans sa libération, qui serait porteuse d’unité et de paix.
Vingt-deux ans, cinq mois et vingt-deux jours. Voilà bientôt un quart de siècle que Marwan Barghouti est transféré d’une geôle israélienne à l’autre, à Megiddo, entre Jénine et Haïfa, à Ofer, au sud de Ramallah, ou Ayalon, au sud de Tel-Aviv. Celui que l’on surnomme le « Mandela palestinien » a été enlevé le 15 avril 2002, lors de la seconde Intifada (2000-2005), et jugé lors d’un procès inique à cinq peines de prison à perpétuité pour « terrorisme ».
Malgré sa captivité, il a été réélu député au Conseil législatif depuis 1996, sous les couleurs jaune et noir du Fatah. Mais, au fond de sa cellule, cette figure de la politique palestinienne a enduré bien des sévices. Les gardiens font régulièrement subir à Marwan Barghouti, outre les longs mois qu’il passe à l’isolement, toutes sortes d’agression, comme à d’autres, parmi les quelque 9 000 détenus palestiniens en Israël. Ces derniers ne peuvent compter sur le droit international humanitaire, piétiné dans les prisons israéliennes comme il l’est à Gaza, à Jérusalem-Est, en Cisjordanie.
Une cellule sans lit ni fenêtre, comme à l’isolement
En mars dernier, ses proches s’alarmaient : il avait été roué de coups, « à tel point qu’il avait le visage en sang », affirmait à l’Humanité Qadoura Fares, chef de la commission palestinienne pour les affaires des détenus et des ex-prisonniers. Son épaule a été déboîtée, et le monde sait que la vie peut lui être arrachée du jour au lendemain tant qu’il est derrière les barreaux.
À Ayalon, il serait détenu dans une cellule sans lit ni fenêtre, comme à l’isolement. En 2017, avec des centaines d’autres prisonniers, il lançait une grève de la faim pour améliorer les conditions de détention. Relayée par les ONG, cette initiative a permis des visites familiales plus nombreuses et un meilleur suivi médical.
Marwan Barghouti, même en prison, fait peur à Israël, qui s’est toujours refusé à l’échanger ou à le libérer. Ce natif de Kobar, au nord de Ramallah, demeure la figure qui pourrait rassembler le peuple de Palestine, et incarner une paix qui semble actuellement hors de portée.
Marwan Barghouti pourrait réanimer une Autorité palestinienne exsangue
En 2006, il était à l’origine du Document des prisonniers palestiniens, un texte politique qui prône l’unité du mouvement national palestinien et défend la solution à deux États dans les frontières de 1967. Le Document a conduit à des discussions entre le Fatah et le Hamas, mais aussi entre les Palestiniens et Israéliens, lesquels ont rejeté la proposition.
Marwan Barghouti pourrait réanimer une Autorité palestinienne exsangue et discréditée aux yeux des siens. C’est pourquoi ce leader résiste, même après plus de deux décennies d’incarcération. Son courage est porté par le soutien et l’espoir d’un peuple entier, et par le combat de son épouse, Fadwa Barghouti, qui ne cesse d’alerter, partout dans le monde, sur le sort de son mari.
Sa libération pourrait bouleverser le Proche-Orient et offrir enfin une issue à la folie meurtrière que ses peuples subissent aujourd’hui. En 2015, dans une lettre envoyée à l’Humanité depuis la cellule 28 de la prison de Hadarim, il écrivait : « Le dernier jour de l’occupation sera le premier jour de paix. »
mise en ligne le 7 octobre 2024
Vadim Kamenka sur www.humanite.fr
Coauteur de « Palestine-Israël. Une histoire visuelle », Dominique Vidal analyse les conséquences du 7 octobre et revient sur le terrorisme d’État mené par le gouvernement israélien d’extrême droite depuis des années.Dominique Vidal est historien et journaliste, spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient.
Quels enseignements tirez-vous de l’année écoulée depuis le 7 octobre 2023 ?
Dominique Vidal : La surprise générale m’étonne encore. Évidemment que l’on ne pouvait pas prévoir le 7 octobre, ni la suite. Mais cette riposte disproportionnée du gouvernement israélien relève d’une politique inscrite dans ce que représentent Benyamin Netanyahou et l’extrême droite. Le premier ministre israélien n’est aucunement l’otage de ses alliés gouvernementaux : le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich. Vingt ans auparavant, la pensée de Netanyahou avait déjà été analysée. Elle provient de son père, professeur d’histoire juive, Ben-Zion Netanyahou, l’un des hommes les plus engagés dans l’extrême droite israélienne.
Il a été, dans les années 1930, le secrétaire particulier de Vladimir Jabotinsky, fondateur du courant sioniste le plus réactionnaire, dit « révisionniste ». À tel point qu’en 1962, Ben-Zion Netanyahou décida de fuir le « socialisme » israélien en s’exilant aux États-Unis. Ses fils ont été élevés dans les idées de Jabotinsky, dont la pensée est présentée dans le texte de 1923 « la Muraille de fer », où il appelle à écraser les Arabes pour pouvoir ensuite faire un accord de bonne foi avec eux. Cette idéologie est reprise désormais par l’ensemble de la classe politique, à la seule exception des partis dits « arabes » et du Parti communiste israélien.
Depuis les États-Unis, Benyamin Netanyahou a retenu de l’histoire d’Israël que la seule chose qui compte, c’est la force. La génération suivante, avec son fils Yaïr, est aussi révélatrice. Cet ultranationaliste, qui se trouve depuis un an en Floride, a servi de figure pour la campagne du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), en 2020, sur une affiche qui prône une Europe chrétienne.
Indiscutablement, l’action du Hamas le 7 octobre est une opération terroriste car elle a visé en majorité des civils. On a eu 1 200 morts environ et 250 otages. Cela ne veut pas dire pour autant que le Hamas se résume à un mouvement terroriste. Netanyahou et son gouvernement ont mené également avec la « riposte » une campagne terroriste. Nous n’avons jamais connu un nombre de morts aussi élevé dans l’histoire des conflits du Proche-Orient. Lorsqu’on évoque les guerres d’Israël, elles faisaient en moyenne entre 3 000 et 10 000 morts : 3 000 du côté israélien et 10 000 du côté arabe. L’essentiel étant des soldats.
Enfin, le 7 octobre, c’est une forme de résistance palestinienne qui n’a pas trouvé de manière politique de s’exprimer. Après soixante-quinze ans de domination israélienne, de guerres, de terres spoliées, d’oliviers arrachés, de jeunes tués, elle a choisi la violence, y compris les actions terroristes. Ce n’est pas nouveau. Le Hamas avait perpétré l’essentiel des attentats kamikazes en Israël au moment de la seconde Intifada.
Vous avez qualifié de terrorisme les actions du gouvernement israélien. Mais des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ont eu lieu et la justice internationale a évoqué le risque de crime de génocide. Qu’en pensez-vous ?
Dominique Vidal : Après quarante ans de travail sur le Proche-Orient, il s’agit de la pire période que j’ai connue. Depuis un an, Benyamin Netanyahou a tué, détruit et se met à en faire de même au Liban. À l’ONU, on évoque plus de 100 000 morts sur une population de 2,3 millions de personnes. Une proportion inouïe. Le bilan de 40 000 donné par le ministère de la Santé du Hamas prend en compte les morts identifiés. Or, il y a évidemment des milliers de cadavres sous les gravats, sachant que 70 % des infrastructures ont été détruites.
C’est pour cela que j’utilise le terme « terroriste ». Les autorités israéliennes imposent une terreur afin de forcer les Palestiniens au départ : une nouvelle Nakba. Yoav Gallant a parlé, dès le début de l’opération militaire à Gaza, d’une « guerre contre des animaux humains » et expliqué clairement qu’il fallait les priver d’électricité, d’eau, de nourriture, de médicaments. Netanyahou mène une guerre contre un mouvement dont la naissance et le développement ont été instrumentalisés politiquement par la droite israélienne, surtout en laissant le Qatar apporter des sommes considérables.
À Gaza comme en Cisjordanie, le gouvernement israélien veut-il faire disparaître tout État palestinien ?
Dominique Vidal : Le but est, d’une manière ou d’une autre, de pouvoir expulser un grand nombre de Palestiniens, notamment de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, avec un système d’annexion. Jusque-là, l’extrême droite israélienne parlait de colonisation. Depuis Donald Trump, le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et les accords d’Abraham, le ministre Bezalel Smotrich multiplie les décisions qui vont au-delà avec des mesures préparant une véritable annexion de la Cisjordanie. À Gaza, il faudra des années pour reconstruire quelque chose. Le second objectif du gouvernement est d’imposer l’hégémonie d’Israël dans toute la région mais sans occupation physique. Le Liban rentre dans cette logique.
C’est la première fois dans l’histoire qu’un État qui possède une armée extrêmement puissante mène une guerre sans objectifs affichés. Pourtant, Israël a une pratique de négociation avec le Hamas. En 2011, le soldat franco-israélien Gilad Shalit avait été échangé contre un millier de prisonniers palestiniens. Cette fois-ci, Netanyahou semble prêt à laisser mourir les otages. D’où sa difficulté à gérer leurs familles, dont le mouvement réclame l’arrêt de la guerre pour pouvoir négocier leur libération.
Au niveau international, quel impact a eu la guerre à Gaza ?
Dominique Vidal : L’effet indiscutable, c’est l’isolement d’Israël, qui a atteint des proportions jamais connues. En Afrique, la représentante d’Israël a été évincée du sommet de l’Union africaine. En Amérique latine, il y a eu toute une série de mesures, de sanctions, voire de ruptures des relations. En Europe, sur la question de la reconnaissance, un certain nombre de pays ont franchi le pas.
Dans le monde arabe, le processus de normalisation avec Israël a été freiné. Les opinions y sont clairement hostiles désormais. La guerre a pris une telle proportion qu’aucun dirigeant saoudien ne peut plus signer les accords d’Abraham sans une perspective d’État pour les Palestiniens.
Ce qui se produit ringardise notre grille de lecture traditionnelle du monde et du Proche-Orient en particulier. Il faut la revoir complètement. Les puissances régionales ont une position géopolitique qui ne ressemble en rien à ce qui était celle de l’ancien « tiers-monde » ou des « non-alignés ». Certes, on retrouve aujourd’hui nombre de mêmes pays mais leur politique n’a rien de comparable avec le projet de Bandung.
A-t-elle servi au Sud global afin d’assumer sa place ?
Le plus insupportable, ce sont les deux poids deux mesures, qui servent à maintenir une forme de gestion du monde par les États-Unis et leurs alliés, mais face à une partie du Sud. De l’Ukraine au Sahel, ce qui est frappant, c’est qu’une majorité d’habitants du monde, via les représentations étatiques, ont condamné l’invasion russe de l’Ukraine mais aussi refusé de prendre à leur compte les sanctions décidées par les Occidentaux. De même, Washington n’a pas appliqué une quelconque sanction contre Israël.
Depuis des années, l’Assemblée générale des Nations unies vote sur une résolution prônant « le droit des Palestiniens à l’autodétermination et à un État », presque dans les mêmes termes. Seuls quatre pays l’ont refusée lors du dernier vote : les États-Unis, la Micronésie, les îles Marshall et Nauru. L’objectif, le seul possible, c’est évidemment l’égalité des droits de tous ceux qui vivent sur cette terre. Après, ils choisiront la forme institutionnelle qui permet la coexistence de deux États. Le plus urgent est un cessez-le-feu.
Gaël De Santis sur www.humanite.fr
Israël cible depuis des décennies l’Office pour les réfugiés palestiniens des Nations unies (UNRWA). Des attaques qui se sont amplifiées depuis le 7 octobre. Sa porte-parole, Tamara Alrifai, dénonce la mort de 223 employés de l’agence onusienne qui assuraient l’aide humanitaire à Gaza.
Depuis le lancement des bombardements israéliens contre les habitants de la bande de Gaza, le 8 octobre 2023 et les opérations militaires, l’UNRWA s’est transformée à 100 % en agence humanitaire ; 1,9 million des 2,2 millions de Gazaouis ont été déplacés, rappelle Tamara Alrifai ; elle est Directrice des relations extérieures et de la communication de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA). L’agence s’occupe de trouver des abris, distribuer de la nourriture et fournir de l’eau à Gaza et au Liban.
L’UNRWA est-elle encore en mesure de jouer son rôle ?
Tamara Alrifai : Nous sommes la plus grande agence des Nations unies à Gaza. Et à toutes les guerres, nous devenons le plus gros opérateur humanitaire d’urgence. Cette fois-ci, nous avons tout de suite transformé nos écoles et bâtiments en lieux sécurisés, même si certains ont subi des attaques.
Cette guerre a déplacé 1,9 million des 2,2 millions de Gazaouis. Pour la plupart d’entre eux, ils cherchent un refuge dans les écoles de l’UNRWA ou s’installent autour, dans des tentes. Nous leur avons fourni de l’eau, de la farine, de l’aide alimentaire, mais aussi des services de santé primaires.
Nous avons continué à travailler, au prix d’un bilan humain très élevé. Nous avons perdu 223 employés et nous avons subi 200 incidents de sécurité sur nos locaux : des abris, des centres de santé ont été endommagés. Près de 560 personnes ont été tuées à l’intérieur de nos abris.
Vos bâtiments ont donc été touchés ?
Tamara Alrifai : Soixante-trois pour cent de tous les immeubles de Gaza ont été détruits ou endommagés, selon le Centre satellitaire des Nations Unies. Plus de 70 % des écoles de l’UNRWA ont été endommagées.
Êtes-vous alerté des opérations militaires ?
Tamara Alrifai : Nous partageons tous les jours nos localisations avec les parties en conflit pour protéger nos bâtiments. Nous les informons également de nos trajets pour acheminer la farine, l’eau et le matériel médical. Nous avons dix centres de santé primaires qui fonctionnent et nous avons 100 équipes médicales qui font le tour des abris.
Tous les jours, l’armée israélienne publie des notices d’évacuation, que nous appelons des notices de déplacement forcé. Des plans ordonnent d’évacuer tel ou tel quartier ; 91 % du territoire de Gaza – l’un des plus densément peuplés au monde – ont subi des ordres de déplacements forcés. Malgré ces notifications, les gens ne savent pas où aller. Et des bombardements ont touché des quartiers pourtant déclarés sécurisés par Israël.
Y a-t-il des dégâts dans les camps de réfugiés au Liban ?
Tamara Alrifai : Nous gérions avant le conflit trois camps au Liban du Sud, où résidaient 20 000 personnes. Nous avons ouvert des abris dans dix de nos camps. Nous y avons reçu 3 500 personnes.
Certains de vos employés ont été accusés, en janvier, par Israël, d’avoir joué un rôle dans les attentats du 7 octobre. Une enquête a pourtant montré que l’agence avait un « cadre solide » pour s’assurer de la neutralité de son action. Les financements suspendus à la suite de ces accusations sans preuve ont-ils été rétablis ?
Tamara Alrifai : Des seize gouvernements qui avaient suspendu leur financement, quinze les ont rétablis. Les États-Unis, non. Nous avons vu une augmentation des financements de certains États, et nous avons de nouveaux financements venant d’États qui ne sont pas des financeurs habituels.
Nous avons de nouveaux financements privés. Mais, même avec les augmentations d’autres gouvernements et les donations privées, nous n’avons pas comblé le vide laissé par les États-Unis, qui étaient notre plus gros donateur.
Depuis des années, l’UNRWA fait face à des allégations politisées. Elles visent à délégitimer une agence onusienne qui représente la mémoire collective des réfugiés palestiniens. Aujourd’hui, les 5,9 millions de personnes enregistrées auprès de l’UNRWA sont les descendants des 750 000 personnes qui ont dû partir de chez elles entre 1946 et 1948. Nous prenons ces allégations au sérieux. Dans le cadre de ce conflit polarisant, nous nous devons d’être le plus neutre et transparent possible.
Le secrétaire de l’UNRWA a missionné une enquête conduite par l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, et menée par trois centres de recherche. Ses résultats ont montré que l’UNRWA avait déjà des systèmes solides pour garantir la neutralité de son personnel.
Elle a émis 50 recommandations que nous mettons en œuvre pour nous assurer que le personnel de l’UNRWA reste neutre à tout moment. L’enquête demandée par le secrétaire général portait sur 19 noms qui, selon Israël, auraient été impliqués dans les horribles attaques du 7 octobre. Aucun de ces noms n’a été retenu à 100 % comme étant impliqué dans les attaques.
Selon Israël, le maintien du statut de réfugié palestinien empêcherait l’intégration dans les pays d’accueil. Qu’en pensez-vous ?
Tamara Alrifai : La définition du réfugié palestinien et le droit au retour sont inclus dans des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies. Décider de la définition et du futur des réfugiés palestiniens n’est pas du ressort de l’UNRWA. L’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution sur le droit des réfugiés palestiniens à des services de base que fournit l’UNRWA.
On ne peut confondre le statut de réfugié palestinien, le droit au retour et les services que l’UNRWA est tenue de fournir en l’absence de solution politique. Nous parlons ici d’une population de réfugiés palestiniens dans les territoires palestiniens occupés – Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza –, mais aussi en Syrie, au Liban et en Jordanie.
Il faut donc une solution politique qui couvre les 5,9 millions de réfugiés. Tant qu’il n’y a pas d’accord sur le sort de ces derniers, tous les trois ans, l’Assemblée générale de l’ONU prolonge le mandat de l’UNRWA. Mais nous ne recevons jamais le budget suffisant. La situation est plus dramatique encore avec la guerre à Gaza et au Liban. Pour finir l’année, nous en appelons à l’augmentation des contributions des États membres votant pour notre mandat.
Quelles conséquences concrètes aurait une disparition de l’UNRWA ?
Tamara Alrifai : Il faudrait une décision de l’Assemblée générale de l’ONU. Et en l’absence d’une solution politique, il faudrait définir quel est le statut des réfugiés palestiniens, s’ils ne sont plus représentés par l’UNRWA. Concrètement, dans quelles écoles, dans quels centres de services primaires iraient-ils ?
Tout réfugié a droit à des services de base, à l’éducation, à la santé. Il faudrait trouver une autre solution que l’UNRWA. Tant que nous receverons un vote de confiance de l’Assemblée générale des Nations unies, nous continuerons à fournir ces services, à représenter les réfugiés palestiniens et à défendre leurs droits.
mise en ligne le 7 octobre 2024
Rachida El Azzouzi sur www.mediapart.fr
Les juges de la CPI n’ont toujours pas statué sur les mandats d’arrêt requis par le procureur Karim Khan contre les dirigeants israéliens il y a plus de quatre mois. Un délai inhabituel, qui s’explique par les pressions, manœuvres et requêtes multiples exercées contre la Cour et ses décisions.
Julian Fernandez est un fin connaisseur des rouages de la Cour pénale internationale (CPI), étant l’un des neuf experts à siéger au sein de la Commission consultative pour l’examen des candidatures au poste de juge. Professeur à l’université Panthéon-Assas, à Paris, il prédisait le 22 mai dans Mediapart que la délivrance – ou non – de mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, son ministre de la défense, Yoav Gallant, ainsi que trois leaders du Hamas, Yahya Sinouar, Ismaël Haniyeh et Mohammed Deif, surviendrait « dans un délai de trois à six semaines ».
Plus de quatre mois après, les juges de la chambre préliminaire de la CPI n’ont toujours pas statué. Malgré l’insistance du procureur Karim Khan, à l’origine de la requête, déposée le 20 mai, qui les presse de faire le nécessaire, car « tout retard injustifié dans ces procédures porte atteinte aux droits des victimes ».
Entre-temps, deux des cinq mis en cause par Karim Khan pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité sont morts, assassinés par l’armée israélienne : Mohammed Deif, le chef militaire du Hamas, a été tué le 13 juillet lors d’un bombardement dans le sud de Gaza, et Ismaël Haniyeh, le chef politique du Hamas, a été tué le 31 juillet à Téhéran (Iran), où il s’était rendu pour assister à la cérémonie d’investiture du président Massoud Pezechkian. La guerre continue de faire rage et s’étend désormais au Liban. Plus de 41 000 personnes sont mortes à Gaza, des centaines au Liban, à chaque fois majoritairement des civils.
« Dépasser la limite des quatre mois crée un précédent extrêmement dangereux, s’alarme l’avocat en droit international Johann Soufi. Le mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine avait pris trois semaines au maximum. Il est impossible que les juges ne délivrent pas les mandats d’arrêt, ou alors ce serait la fin de la CPI, la fin de la justice internationale. »
Début août, l’Association des juristes pour le respect du droit international (Jurdi), dont sont membres Johann Soufi et Julian Fernandez, associée à la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), a déposé devant la CPI un mémoire réaffirmant « l’urgence absolue, pour la chambre préliminaire, de délivrer les mandats d’arrêt conformément à la demande du procureur, compte tenu de la gravité des crimes encore en cours à Gaza et ailleurs ainsi que du risque de génocide constaté par la Cour internationale de justice (CIJ) ».
Première défense officielle d’Israël
Comment expliquer que les trois juges de la CPI, la Roumaine Iulia Motoc, le Français Nicolas Guillou et la Béninoise Reine Alapani-Gansou, n’aient toujours pas tranché, alors que la justice internationale est accusée de double standard, à un moment crucial de l’histoire, que la CPI est vue comme « une institution partiale ou partielle, qui ne s’intéresserait qu’aux situations ne heurtant pas directement les intérêts des Occidentaux », pour reprendre les mots de Julian Fernandez ?
C’est que, sans surprise, les pressions et les manœuvres sont multiples pour empêcher la CPI, qui siège à La Haye (Pays-Bas), d’émettre des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens.
Vendredi 20 septembre, une semaine avant le déplacement du premier ministre israélien à New York, à l’Assemblée générale des Nations unies (où il a prononcé un discours critiquant la CPI), l’État d’Israël a présenté pour la première fois une contestation officielle devant les juges.
Au travers de deux mémoires, pour l’heure restés confidentiels, l’État hébreu qui, contrairement à l’Autorité palestinienne, ne reconnaît pas la CPI (le pays a signé mais pas ratifié le traité de Rome de 1998, fondateur de l’instance), remet en cause la compétence juridictionnelle de la Cour ainsi que la légalité de la requête du procureur.
Pour les autorités israéliennes, la CPI est incompétente « en ne donnant pas à Israël la possibilité d’exercer son droit d’enquêter lui-même sur les allégations ». « Aucune autre démocratie dotée d’un système juridique indépendant et respecté comme celui qui existe en Israël n’a été traitée de cette manière préjudiciable par le procureur », a dénoncé Oren Marmorstein, porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères. Avant de s’appuyer sur la « multitude d’États de premier plan, d’organisations et d’experts de par le monde » qui « partagent les positions présentées par Israël ».
Contestation de la compétence de la Cour
Tout au long de l’été, Israël a pu compter sur les manœuvres de pays alliés et de moult organisations, ONG, think tanks, du Royaume-Uni à l’Argentine, en passant par le sénateur américain Lindsey Graham, l’Association du barreau israélien, l’Association internationale des avocats et juristes juifs, etc., pour empêcher la délivrance de mandats d’arrêt et retarder considérablement la décision des juges.
L’un des premiers à ouvrir le bal fut le Royaume-Uni, le 10 juin. Reprenant l’argument du gouvernement israélien, de l’Allemagne et d’autres amici curiae, « amis de la cour », autorisés à déposer des observations juridiques, il a contesté la compétence de la Cour pour émettre des mandats d’arrêt contre des ressortissants israéliens, car l’Autorité palestinienne aurait renoncé à ce pouvoir au moment de la signature des accords d’Oslo II, en septembre 1995.
Le 26 juillet, après l’arrivée au pouvoir du gouvernement travailliste, le Royaume-Uni a finalement déclaré ne plus vouloir soumettre d’observations à la Cour. Qu’importe, il avait ouvert les vannes. Quatre jours plus tôt, le 22 juillet, plus d’une soixantaine d’États, organisations, individus, avaient ainsi été autorisés par les juges de la chambre préliminaire I de la CPI à soumettre leurs mémoires sur le sujet, pour et contre toute action ultérieure. Un processus jamais vu en vingt-deux ans d’existence de la CPI, à un stade aussi précoce de la procédure et alors que les juges décident normalement seuls.
L’association Jurdi et la FIDH ont saisi l’occasion pour rendre leur implacable mémoire, dénonçant « un abus de procédure » dans la démarche britannique, « entravant la bonne administration de la justice ».
Les deux organisations démontent, point par point, les arguments sur l’incompétence de la Cour et alertent : « Si la CPI, comme les autres juridictions internationales, n’avait aucune compétence propre et n’exerçait sa compétence que lorsque celle-ci était expressément ou implicitement déléguée par les États, sa capacité à remplir son mandat serait compromise. Une telle interprétation du Statut de Rome priverait la Cour de toute efficacité et légitimité. »
« La “théorie de la délégation” suppose en effet une symétrie entre la compétence de la Cour et celle des juridictions nationales, poursuivent Jurdi et la FIDH. Non seulement cette conception contredit les dispositions du Statut – qui permettent par exemple à la Cour de poursuivre les ressortissants d’États non parties et les chefs d’État ou de gouvernement – mais elle va aussi à l’encontre de la pratique de la Cour. En effet, celle-ci a, à plusieurs reprises, délivré des mandats d’arrêt contre des ressortissants d’États non parties au Statut de Rome, y compris contre des personnes bénéficiant d’une immunité, ou pour des crimes qui n’existaient pas dans l’ordre juridique interne des États concernés. »
Une Cour rodée aux pressions
Ce n’est pas la première fois que la CPI se retrouve sous le feu des pressions. Elle est même rodée. En 2020, en représailles aux investigations ouvertes sur des crimes de guerre commis par l’armée des États-Unis en Afghanistan, l’administration Trump avait imposé des sanctions économiques et des restrictions de voyage à de hauts fonctionnaires de la CPI.
En mai, peu avant de déposer sa requête et de la rendre publique pour mieux se protéger, le procureur Karim Khan, rompu à titre personnel aux menaces de toutes parts (Moscou avait notamment ouvert, en mars 2023, une enquête contre lui pour « attaque contre le représentant d’un État étranger »), avait dénoncé « toutes les tentatives visant à entraver, à intimider ou à influencer » les employé·es de son bureau. Dans un communiqué, il avait rappelé que ces entraves pouvaient « constituer une infraction contre l’administration de la justice » et que « l’intimidation et le trafic d’influence, que ce soit par la contrainte ou la persuasion », étaient interdits.
Il visait implicitement Benyamin Nétanyahou et ses alliés, États-Unis en tête, qui n’ont pas caché leur hostilité dès l’annonce de la décision de requérir des mandats d’arrêt. Le président américain Joe Biden l’a jugé « scandaleuse », assurant qu’il n’y avait pas d’équivalence entre Israël et le Hamas. Son secrétaire d’État, Antony Blinken, a dénoncé « une honte », ajoutant par ailleurs que la CPI n’avait « pas de juridiction » sur Israël.
La CPI n’en est pas à ses premières pressions dans le dossier israélo-palestinien. Quelques jours après l’annonce de Khan, une enquête du quotidien britannique The Guardian, du média indépendant israélo-palestinien +972 Magazine et de Local Call, publiée le mardi 28 mai, révélait l’ampleur des pressions exercées pendant près d’une décennie par Yossi Cohen, directeur des services de renseignement israéliens (Mossad), sur la prédécesseure de Karim Khan, l’ancienne procureure de la CPI Fatou Bensouda, en poste de 2012 à 2021. Des accusations réfutées par Israël.
Par tous les moyens (surveillance, piratage, diffamation, menaces, etc.), il s’agissait de contraindre la procureure à cesser toute poursuite pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre Israël dans les territoires palestiniens. La procureure enquêtait depuis 2021. Comme Karim Khan, Fatou Bensouda ne s’est pas laissé intimider. Malgré le coût quotidien au fil des neuf années.
Selon des témoignages partagés avec un petit groupe de collaborateurs de la CPI, Yossi Cohen, qui aurait agi en « messager non officiel » de Benyamin Nétanyahou, aurait dit à Fatou Bensouda : « Vous devriez nous aider et nous laisser prendre soin de vous. Vous ne voulez pas vous lancer dans des activités qui pourraient compromettre votre sécurité ou celle de votre famille. »
Dans cette guerre secrète, désormais connue du monde entier, les services secrets israéliens seraient allés jusqu’à surveiller de près la famille de Fatou Bensouda, obtenant des transcriptions d’enregistrements secrets de son mari dans le but de lui nuire. L’une des sources de l’enquête a assuré qu’il n’y avait aucune hésitation en interne à espionner l’avocate gambienne : « Elle est noire et africaine, alors qui s’en soucie ? »
Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr
Chargée de juger les auteurs de crimes internationaux, la Cour pénale internationale s’est saisie en particulier des cas de Benyamin Netanyahou et de son ministre de la Défense, Yoav Gallant. Elle pourrait délivrer contre eux des mandats d’arrêt.
Les spécialistes du droit international sont unanimes : avec Gaza, la Cour pénale internationale (CPI) ne joue pas seulement sa crédibilité, elle joue sa survie. « La Palestine est un cas test », résume François Dubuisson, enseignant de droit international à l’université libre de Bruxelles.
« Si la Cour échoue à poursuivre équitablement les criminels, quels qu’ils soient, alors sa légitimité même (pourrait) être remise en question », estime Triestino Mariniello, professeur de droit à l’université John Moores de Liverpool, rappelant le procès en « deux poids deux mesures » dont fait l’objet l’institution. « L’invasion de l’Ukraine a valu un mandat d’arrêt à Vladimir Poutine, salué par l’Occident, rappelle-t-il. À Gaza, les auteurs de crimes doivent, eux aussi, être poursuivis. »
Chaque année des menaces
Quinze années que les autorités palestiniennes frappent à la porte de cette institution judiciaire, créée en 2002 à La Haye pour juger les auteurs de crimes internationaux (génocide, crimes de guerre, etc.), et dont ni les États-Unis, ni la Russie, ni Israël ne sont membres.
Quinze années pendant lesquelles, à mesure que s’étendait la colonisation israélienne, la légitimité de la Palestine s’accroissait jusqu’à être considérée, en 2015, comme État partie. À chaque avancée, des menaces. « Il faut un certain courage aux membres de la Cour pour faire face aux intimidations », estime François Dubuisson.
Dernière étape, peut-être la plus cruciale : en mai 2024, le procureur Karim Khan demande à la chambre de l’instruction de délivrer des mandats d’arrêt à l’encontre du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, de son ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que de trois dirigeants du Hamas (deux ont été tuésdepuis dans des bombardements israéliens). Immédiatement, les accusations d’antisémitisme fusent.
Douze sénateurs américains menacent le procureur et ses proches de représailles. Le financement de la Cour est remis en question. Pour la première fois dans son histoire, cette dernière décide de rendre publiques ces pressions. Depuis, c’est sur le terrain juridique que se recentre le débat.
Gagner du temps ?
Royaume-Uni, Allemagne, République tchèque… aidés par des armées de juristes, plusieurs alliés d’Israël contestent par écrit la légitimité de la Cour. L’État israélien serait seul compétent pour enquêter sur ses dirigeants, avancent les uns. La justice israélienne est équitable, allèguent les autres. « Rien de tout cela n’est sérieux, rétorque François Dubuisson. Le seul objectif de ces démarches est de gagner du temps. »
Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense seront-ils, un jour, jugés à La Haye ? « S’ils sont visés par un mandat d’arrêt, ils peuvent échapper à l’interpellation en évitant les États membres de la CPI », explique François Dubuisson. Ces poursuites constitueraient néanmoins une gêne considérable. « Difficile, pour l’Occident, de continuer à considérer de tels accusés comme des alliés. » Le temps presse. Chaque jour, de nouvelles bombes, de nouveaux morts. « Attention, avertit Triestino Mariniello, une justice trop tardive est une non-justice. »
Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr
Le 19 juillet, dans un avis historique, la Cour internationale de justice (CIJ) condamne l’occupation du territoire palestinien, somme Israël de s’en retirer « dans les plus brefs délais » et ordonne « à tous les États » d’œuvrer en ce sens. Depuis, les bombardements se sont intensifiés.
Pendant qu’Israël répliquait à l’attaque du 7 octobre par un déluge de feu, les magistrats de la Cour internationale de justice (CIJ) réfléchissaient à un problème épineux, posé un an plus tôt par l’Assemblée générale de l’ONU : « Les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». Une question cruciale et inédite.
Pour la première fois, le principal organe judiciaire des Nations unies allait examiner l’occupation israélienne sur la durée, depuis ses origines en 1967. Dans le contexte des bombardements massifs sur Gaza, l’avis de la cour, même consultatif, était plus qu’attendu. D’où une certaine fébrilité à l’approche des audiences publiques.
Du 19 au 26 février 2024, coiffée de perruque et vêtue de robe herminée, la fine fleur des juristes internationaux défile face aux 15 juges austères de la cour, siégeant à La Haye. À la barre, partisans et détracteurs de la politique hégémonique d’Israël s’affrontent. Sans recours à la force. Dans un langage policé. Et le respect des usages. Au nom de concepts universels : souveraineté des États, d’un côté ; droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de l’autre.
300 pages de condamnation sans appel de l’occupation du territoire palestinien et de la politique de colonisation d’Israël
L’avis de la CIJ, rendu le 19 juillet 2024, tranche clairement en faveur de ce dernier. Sur presque 300 pages, c’est une condamnation sans appel de l’occupation du territoire palestinien et de la politique de colonisation d’Israël. « Cet avis est un tournant, estime Rafaëlle Maison, professeure de droit à l’université Paris Sud. Il ne condamne pas les pratiques de l’occupation, mais l’occupation elle-même. »
S’analysant comme une annexion, l’occupation est contraire à un principe fondamental, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle est donc illicite « en soi », affirme la CIJ. Conséquence logique : Israël doit y mettre fin « dans les plus brefs délais », doit « cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation » et a « l’obligation de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées », indiquent les juges. Leurs injonctions vont bien au-delà d’Israël. « Elles s’adressent à tous les États », rappelle Rafaëlle Maison.
Ces derniers, sommés de « ne pas reconnaître comme licite » l’occupation d’Israël, ont notamment l’obligation de « ne pas entretenir, en ce qui concerne le territoire palestinien occupé ou des parties de celui-ci, de relations économiques ou commerciales avec Israël qui seraient de nature à renforcer la présence illicite de ce dernier dans ce territoire ». Pour Rafaëlle Maison, pas de doute, « cela peut évidemment s’appliquer aux ventes d’armes ».
Le 13 septembre, à l’issue d’une session extraordinaire d’urgence, l’Assemblée générale des Nations unies a détaillé les modalités de mise en œuvre de cet avis historique. Sa résolution impose le retrait d’Israël du territoire palestinien, « y compris l’espace aérien et l’espace maritime » et oblige « tous les États » à œuvrer en ce sens. Elle fixe un délai : douze mois. Depuis, la campagne de bombardements intensifs s’est étendue dans le Liban du Sud.
mise en ligne le 4 octobre 2024
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Ce village de Cisjordanie a été pris d’assaut par 400 colons, en avril. Un jeune Palestinien a été tué. Depuis, quasiment chaque jour, une descente violente des occupants israéliens empêche les Palestiniens d’accéder à leurs champs.
Bonnet vissé sur la tête, la barbe frémissante sous le vent qui balaie les collines de la Cisjordanie, Fayez Abou Alia, d’un geste de la main, montre les magnifiques oliviers alignés dans la vallée, en contrebas. Un vert changeant au gré des feuilles qui donne au paysage des airs de tableau impressionniste. Mais ici, point de chevalet. Nous sommes dans le village d’Al-Mughayyir, à 25 kilomètres à l’est de Ramallah par la route « normale » – si tant est que ce mot a encore un sens dans cette région…
Un itinéraire essentiel pour les habitants, qui peuvent ainsi se rendre rapidement dans la grande ville pour des formalités administratives ou des consultations médicales. Une route vitale, en somme, que la puissance israélienne occupante coupe régulièrement. Un moyen supplémentaire de mettre la pression sur les Palestiniens, de leur gâcher leur quotidien.
Au lieu de la demi-heure habituelle, il nous aura ainsi fallu près d’une heure trente pour arriver à Al-Mughayyir en passant par des routes étroites aux bas-côtés mal assurés et truffés de nids-de-poule.
Un village encerclé par les colonies israéliennes
Le village est situé dans une zone montagneuse surplombant la vallée du Jourdain. Ce qui en fait une cible de choix pour les colonies israéliennes environnantes, notamment celle de Shilo, qui l’encerclent presque totalement. La manœuvre est en cours.
C’est ce que nous montre Fayez Abou Alia, solidement appuyé sur sa canne, conséquence d’une blessure datant de la première Intifada (1987-1993), alors qu’il n’avait pas 14 ans. Il anime la branche locale de l’Union des comités agricoles. Une association qui aide les paysans en leur fournissant du matériel mais qui documente également la violence des colons, notamment les destructions et les vols de bétail.
Les autorités israéliennes multiplient les interventions pour empêcher les Palestiniens de rendre publiques ces exactions. Un jeune villageois qui participait à ce travail de révélations s’est retrouvé vingt-sept mois en détention administrative. Fayez, lui, a reçu des menaces par téléphone d’un officier du Shin Bet, le renseignement intérieur israélien.
Une vie dans la peur permanente
« Vous voyez le mirador ? demande-t-il en pointant du doigt la colline en face, dès que nous essayons de descendre pour nous occuper des oliviers, l’armée est prévenue et arrive aussitôt pour nous en empêcher. Lorsqu’on parvient à accéder à l’oliveraie, on ne peut rester au mieux que 10 minutes. »
En réalité, Al-Mughayyir est un village assiégé. Le mot n’est pas trop fort. Les 4 500 habitants vivent dans la peur permanente. Nous voici dans la maison d’Afif Abou Alia surnommé Abou Jihad, dont le fils Jihad est mort le 12 avril dernier, comme le rappelle une large banderole tendue sur la façade de la bâtisse.
« C’était un vendredi, se souvient-il comme si c’était hier. Alors que nous étions tous à la mosquée, environ 400 colons ont attaqué le village. » La veille, un jeune d’une colonie avait été retrouvé mort dans un ravin avec son âne. Immédiatement, sans preuve, les Israéliens ont accusé les paysans palestiniens et organisé une marche punitive.
« Personne ne fait rien pour nous protéger, ni les pays arabes, ni le reste du monde »
« Ils se sont regroupés plus bas, il y avait des voitures et même des bus. Ils étaient comme des fous. Certains brandissaient des couteaux. Ils ont même poignardé des moutons », raconte Fayez. Devant la résistance des villageois, les colons s’en sont pris à deux habitations isolées, ont mis le feu à des voitures et tout ce qui pouvait brûler.
Les pompiers, arrivés de Taybeh, ont été bloqués par les soldats. « Deux colons ont tiré. Jihad a été touché. Il est mort. Il devait se marier au mois de septembre », précise le père en tirant nerveusement sur sa cigarette. Les yeux d’Abou Jihad sont secs. Son chagrin, il le partage avec sa famille et ses proches.
« Nous devons nous défendre. Ce qui fait le plus mal, c’est ce sentiment d’abandon, cette impression que personne ne fait rien pour nous protéger, ni les pays arabes, ni le reste du monde. C’est pour ça que, lorsqu’on a vu les missiles iraniens dans le ciel, nous avons tous crié de joie et les youyous des femmes ont retenti. Quelqu’un, enfin, s’intéressait à nous. »
« Le colon est à la fois le juge et l’assassin »
Lorsque vous lui demandez, naïvement, s’il a tenté une action en justice après la mort de son fils, Abou Jihad vous regarde comme s’il essayait de discerner si votre question est vraiment sérieuse.
Un peu agacé, il répond : « Ça ne sert à rien. Le colon est à la fois le juge et l’assassin. Les colons et les militaires sont les mêmes. Porter plainte, c’est se mettre dans le collimateur des soldats et des services de renseignements israéliens. C’est se mettre en danger. C’est se trouver menacé, voire arrêté. »
Ayham Abou Nuaim, qui pratique l’élevage, cultive du blé et du houblon pour les animaux, en sait quelque chose. Depuis le 7 octobre 2023, il n’a plus accès à sa terre. « Je suis harcelé presque tous les jours par des colons qui viennent en jeep. Souvent, ils me volent des moutons et même le bois que je stocke pour l’hiver. »
Complicité absolue entre l’armée et les colons
Sur une vidéo, on voit des adolescents arriver. L’un d’entre eux porte un revolver à la ceinture. Ils bousculent le père d’Ayham. « Je l’ai montrée à un officier qui m’a dit que si je montrais ça au bureau de coordination et de liaison du district (DCO, censé établir une connexion entre les polices israélienne et palestinienne – NDLR), ils viendraient m’arrêter. »
C’est d’autant plus difficile qu’un des frères de Jihad est en détention administrative depuis vingt mois. Il risquerait d’en faire les frais puisque le dossier est secret et que son enfermement peut être renouvelé autant de fois que le juge militaire le décide sans avoir à communiquer ses raisons y compris aux avocats du prisonnier. Selon l’association Addameer, basée à Ramallah, plus de 3 300 Palestiniens se trouvent dans ce cas.
Une situation qui n’est pas nouvelle. « Depuis qu’il y a des colonies autour du village, nous sommes attaqués. Mais ça a augmenté en nombre et en intensité depuis le 7 octobre de l’année dernière », rappelle Fayez Abou Alia.
La violence est partout
La veille de notre arrivée, l’armée est entrée à Al-Mughayyir, accompagnée de colons. Ils ont rassemblé les jeunes hommes et les ont pris en photo un par un. Puis ils sont passés dans chaque magasin du village pour récupérer les enregistrements vidéo des caméras de surveillance que les commerçants installent justement pour enregistrer les exactions et les dégâts occasionnés à leurs boutiques par les colons.
Ils font même des clichés des vêtements que portent les Palestiniens pour avoir plus de possibilités de repérer ceux qui, parfois masqués, résistent à la violence de l’occupation. Lors des perquisitions, les soldats fouillent ainsi dans les penderies et les affaires personnelles, en profitant pour voler des bijoux et de l’argent, avance un villageois.
La violence est partout. Pas un jour sans qu’un incident n’éclate.
« Je portais ma chasuble du Croissant-Rouge palestinien, mais ils m’ont empêché de passer »
Husam Abou Alia (en Palestine, les villages sont composés de grandes familles de milliers de personnes, les Abou Alia sont, à Al-Mughayyir, l’une des plus importantes) est ambulancier.
« Il y a un mois, les colons sont venus jeter des pierres et ont sérieusement blessé quelqu’un. Je portais ma chasuble du Croissant-Rouge palestinien, mais ils m’ont empêché de passer. » Un vieil homme a tenté d’intervenir, il a été frappé par les soldats.
« Je suis alors descendu de mon ambulance et j’ai demandé aux militaires pourquoi ils faisaient ça. L’un d’entre eux m’a demandé d’approcher et m’a dit qu’il allait m’expliquer. Lorsque je me suis trouvé face à lui, il m’a aspergé de gaz poivre. »
« Nous allons rester sur notre terre »
La récolte des olives est prévue le 20 octobre. Que va-t-il se passer ? La situation économique des villageois d’Al- Mughayyir est dramatique. « Autrefois, je tirais 80 gallons d’huile d’olive de mes fruits. L’an dernier, seulement 5. On avait demandé un permis à l’armée. On a eu droit à un seul jour, jusqu’à 15 heures. Mais, à 10 h 30, les soldats sont arrivés et nous ont fait partir. »
Abou Jihad, Husam, Fayez ou Ayham, tous disent leur « peur constante ». Mais tous ajoutent : « Ça ne veut pas dire qu’on va lâcher. Nous allons rester sur notre terre. Ce dont nous avons besoin, c’est que notre moral remonte, sentir que nous ne sommes pas seuls. »
Alors que le soleil commence à décliner, ils nous conseillent de partir. Les colons peuvent arriver. Il en va ainsi d’une journée ordinaire d’un paysan palestinien.
Bruno Odent szur www.humanite.fr
Depuis sa première arrivée au pouvoir en 1996, Benyamin Netanyahou s’est appliqué à torpiller toute velléité de vraie négociation avec les Palestiniens pour promouvoir Eretz Israël, un État dans la dimension des royaumes juifs de la Bible.
« Eretz Israël », la priorité absolue donnée à l’émergence du grand Israël dans ses frontières prétendument bibliques, est une constante de la politique de Benyamin Netanyahou qui se laisse repérer à chaque étape de sa carrière politique.
Quand il accède pour la première fois au poste de premier ministre, en 1996, il surfe sur une vague très droitière du mouvement sioniste. Avec son parti, le Likoud, Netanyahou va s’opposer avec la plus grande virulence aux accords d’Oslo, passés avec l’OLP dans l’objectif de faire émerger une « paix fondée sur l’émergence de deux États laïques ».
Une définition biblique floue, qui laisse place à l’interprétation
Nous sommes au lendemain de l’assassinat de Yitzhak Rabin, le dirigeant israélien qui fut cosignataire avec Yasser Arafat des accords d’Oslo. Benyamin Netanyahou engage son pays dans un tournant qui va l’éloigner toujours plus de cette perspective.
Son objectif sera la remise en selle d’un nationalisme israélien selon un schéma qui ne débouche sur aucun avenir pour la partie palestinienne. Tout doit être au final subordonné à la mise en place d’Eretz Israël, fût-ce, aujourd’hui, en liquidant les Palestiniens de Gaza ou en étendant la guerre au Liban.
Eretz Israël correspond au « grand Israël » de la Bible. Ce procédé divin permet de justifier une annexion complète des territoires occupés de Cisjordanie, affublés du patronyme « Judée-Samarie », qui ne correspond plus à aucune donnée historique, humaine et terrestre contemporaine.
Ce qui n’empêche pas l’administration israélienne d’en user comme d’une évidence géographique. De plus, Dieu n’ayant jamais fourni à ce sujet d’informations précises et concrètes, toutes les interprétations sont ouvertes sur les limites de ce « grand Israël ».
Une idéologie issue d’un sionisme ultraréactionnaire
La communauté internationale s’est toujours refusée à prendre de front ce type d’arguments, un peu comme si l’affirmation relevait finalement d’une sorte de bien-fondé théocratique par définition indiscutable. Pourtant, dès le premier gouvernement Netanyahou, il était possible de mettre à nu l’idéologie de celui qui allait marquer les trente années suivantes au Proche-Orient par sa fuite en avant nationaliste et belliciste.
Le journaliste Dominique Vidal démasquait ainsi dès cette époque « les origines de la pensée de M. Netanyahou » 1. La référence obsessionnelle du personnage est un certain Vladimir Jabotinsky, théoricien d’un sionisme ultraréactionnaire fondé sur l’autoritarisme et la violence.
Netanyahou allait recevoir un appui marqué de l’Occident sur ce terrain idéologique. Alors président, Donald Trump, sous influence lui-même des chrétiens évangéliques, décide de transférer l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, dont Netanyahou veut faire la « capitale éternelle » de son État juif, en dépit des positions fermes adoptées par une communauté internationale soucieuse de respecter l’identité palestinienne de la cité.
Le tollé international n’y suffira pas. Depuis, l’administration Biden n’a jamais émis le moindre souhait de revenir en arrière. Comme si Eretz Israël était devenu intouchable.
mise en ligne le 30 septembre 2024
Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr
La mort de Hassan Nasrallah ne permettra pas de neutraliser le Hezbollah ni d’assurer la paix dans la région, prévient le chercheur franco-libanais. Pire : le raid israélien risque de plonger le Liban dans une crise humanitaire massive, sous le regard passif de la communauté internationale.
Ziad Majed enseigne la science politique et les études du Moyen-Orient à l’université américaine de Paris. Il est né à Beyrouth, où il s’est engagé en parallèle de son parcours universitaire au sein de la Croix-Rouge libanaise et du mouvement pour la démocratie et les droits humains. Figure reconnue en France et au Liban pour son expertise sur le sujet, il analyse pour Mediapart les conséquences potentielles de la mort de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, visé vendredi par une attaque israélienne.
Mediapart : Que vous inspire l’assassinat de Hassan Nasrallah ?
Ziad Majed : Il n’y a aucune ligne rouge pour les Israéliens. Ils peuvent tuer qui ils veulent, frapper là où ils veulent. La question dépasse le cadre de la figure de Hassan Nasrallah. Il y a un État qui franchit toutes les limites et les frontières pour assassiner, bombarder, avec souvent de la complicité dans le monde occidental.
J’ai toujours été opposé, comme beaucoup de Libanais, au Hezbollah pour des raisons politiques, culturelles et idéologiques, et au cours de la dernière décennie pour son engagement militaire en Syrie, à la demande de Téhéran, en soutien au régime criminel de Bachar al-Assad. Le parti est également accusé d’assassinats au Liban.
Mais il jouit d’une légitimité populaire au sein de la communauté chiite, traumatisée par les invasions israéliennes successives du Liban depuis 1978. Il y a, depuis, une longue histoire d’occupation militaire du Sud puis une guerre en 2006. Ce qui fait que le Hezbollah siège depuis 1992 au Parlement, dirige des conseils municipaux élus, tient des ministères et gère ses propres institutions sociétales.
L’assassinat vendredi de son secrétaire général, mené par des responsables israéliens accusés eux-mêmes de crimes contre l’humanité, arrive comme une nouvelle preuve d’un « exceptionnalisme » qui place Israël au-dessus du droit international. D’autant plus que le raid aérien a ravagé tout un quartier résidentiel de la banlieue de la capitale libanaise, laissant des dizaines de civils sous les décombres. Six bâtiments de plusieurs étages ont disparu tellement les bombes étaient puissantes.
Il y a donc chez une grande partie des Libanais une colère, semblable à celle des Palestiniens qui subissent depuis des décennies l’occupation, la colonisation et désormais une guerre génocidaire à Gaza, sous le regard passif de la « communauté internationale ».
Sa disparition est-elle, comme l’affirment Israël et les États-Unis, de nature à affaiblir, voire à neutraliser le Hezbollah ?
Ziad Majed : Quand on regarde l’histoire du Hezbollah, du Hamas ou même de l’OLP [Organisation de libération de la Palestine – ndlr], il y a toujours eu des assassinats visant leurs principaux dirigeants. Nasrallah avait lui-même succédé à Abbas Moussaoui, assassiné début 1992 avec sa famille dans sa voiture par un avion israélien. Le fondateur du Hamas, Ahmed Yassine, a été visé par une attaque du même type en 2004, tout comme Yahia Ayach avant lui, et, plus récemment, Ismaël Haniyeh [tué le 31 juillet dernier dans une attaque israélienne en Iran – ndlr].
Il y a un vécu commun libanais qui réapparaît aujourd’hui. En un an, nous comptons déjà plus de 1 500 morts.
À chaque fois, ces mouvements ont trouvé les moyens de recruter, de mobiliser et de remplacer leurs chefs. Évidemment, à court terme, la série d'assassinats à laquelle nous assistons affaiblit le Hezbollah. Mais tant qu’on ne s’adresse pas au cœur du problème, à savoir l’impunité israélienne, l’occupation et la colonisation, ces mouvements ne seront pas affaiblis à long terme. D’autres émergeront également pour poursuivre le combat contre les Israéliens. La force brutale et les assassinats n’ont jamais rien réglé dans cette région.
Vous êtes né à Beyrouth, vous y avez étudié, travaillé et vous vous y rendez encore régulièrement. Que percevez-vous de la réaction de la société libanaise à ce qui se passe depuis quelques jours ?
Dans un moment comme celui-ci, c’est la mémoire collective et individuelle qui refait surface. J’ai vécu la guerre pendant quinze ans, j’ai travaillé à la Croix-Rouge, j’ai connu l’invasion israélienne et le siège de Beyrouth en 1982, les bombardements et les massacres commis à cette époque. Comme la plupart des Libanais, j’y ai perdu des proches et des amis. Il y a un vécu commun libanais, déchirant et accablant, qui nous rattrape aujourd’hui. En un an, nous comptons déjà plus de 1 500 morts, dont des secouristes, des journalistes, des femmes, des enfants…
De loin, on regarde les écrans avec beaucoup de colère et d’inquiétude. Et ce d’autant plus que nous sommes impuissants. Nous ne pouvons pas nous rendre sur place, les vols ont été annulés. Les maisons que l’on voit détruites, ce ne sont pas que des murs. Ce sont des histoires, des souvenirs, un tissu social, des histoires et des aspirations communes. La destruction est toujours traumatisante.
Et la reconstruction ne sera pas facile. Le pays est dans un état grave sur les plans économique et politique. Tout cela va créer d’énormes difficultés, avec des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Reconstruire une vie, que ce soit en retournant dans sa ville d’origine ravagée ou ailleurs, n’est jamais une tâche facile, que ce soit du point de vue psychologique ou matériel
Il y a en parallèle, comme dans n’importe quelle société, des divisions et des fractures. Certains Libanais sont aujourd’hui dans une forme de déni, ne réalisant pas à quel point la situation est dangereuse. D’autres, en revanche, traduisent cela par de la haine, par un nihilisme ou par une volonté de régler des comptes. C’est donc un moment de tension, de crainte et de risques.
Que pensez-vous de la comparaison entre ce qu’il se passe dans le sud du Liban et ce qu’il se passe dans la bande de Gaza ?
Ziad Majed : Je ne pense pas que, pour le moment, le Liban soit le théâtre d’un deuxième Gaza. Là-bas, les Israéliens détruisent systématiquement toutes les conditions de vie, d’où le qualificatif de guerre génocidaire. Il y a eu une politique de la faim, une destruction des hôpitaux et des dispensaires, des écoles et des universités, du patrimoine culturel, des champs agricoles, une pollution délibérée de l’eau. Tout cela s’ajoutant au massacre des populations civiles. Au Liban, on est encore loin d’un scénario pareil, même si beaucoup d’habitants commencent à le craindre.
Malgré tout ce que l’on voit sur place, Israël reste un partenaire privilégié de l’Union européenne et de l’État français.
En revanche, il peut exister une comparaison légitime avec Gaza au sud du fleuve Litani, dans les villes et villages les plus proches de la frontière. Dans cette zone, Israël a déjà utilisé à maintes reprises le phosphore blanc pour détruire les champs agricoles, comme cela a été documenté par des rapports internationaux. J’ai moi-même été du côté de la frontière en juin dernier, où la situation était déjà terrible ; je n’imagine pas à quel point les bombardements ont davantage dévasté les zones concernées. Les médiations et pressions internationales doivent avoir un effet pour éviter un second Gaza au sud du pays.
Justement : la communauté internationale, au premier rang de laquelle les grandes puissances occidentales, paraît bien en peine d’influer sur la situation dans la région. À quoi attribuez-vous cet échec ?
Ziad Majed : La diplomatie occidentale et ladite « communauté internationale » ne font pas leur travail pour arrêter la machine de guerre israélienne. On ne peut pas prétendre faire pression sur Israël quand Washington utilise son droit de veto au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour empêcher une condamnation de Tel-Aviv. On ne peut pas prétendre faire pression sur Israël quand on lui envoie en pleine guerre des armes, des munitions et des milliards de dollars. La politique américaine a encouragé Israël à aller plus loin dans ces guerres. Elle a permis à Nétanyahou d'élargir les fronts et de chercher la confrontation totale, pour rester plus longtemps au pouvoir.
Quid de la voix de la France, eu égard à ses liens historiques avec le Liban ?
Ziad Majed : Je pense toujours que la France a un rôle à jouer. Il n’est pas aussi décisif que le rôle américain, bien sûr. Mais la France, avec tous ses échecs diplomatiques, peut par exemple décider des sanctions contre des ministres israéliens, suspendre la coopération militaire ou sécuritaire, et surtout reconnaître l’État palestinien, puisqu’on répète soutenir la « solution à deux États ». À travers l’Union européenne, la France peut aussi pousser à une diplomatie commune faisant pression afin d’éviter le pire au Liban. Toutefois, la politique française est restée décevante.
Pour beaucoup de gens dans la région, en Palestine, au Liban ou ailleurs, l’Occident a une très grande responsabilité dans les guerres israéliennes. Évidemment, l’Occident n’est pas un ensemble homogène. Mais ce sont les gouvernements qui sont observés par les sociétés de l’autre côté de la Méditerranée, et ce sont les « valeurs universelles », le droit international et toute la crédibilité de ceux qui prétendaient les défendre qui se trouvent aujourd’hui sous les ruines en Palestine comme au Liban. Et cela est extrêmement dangereux pour notre avenir.
mise en ligne le 28 september 2024
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Environ 500 personnes ont manifesté ce samedi 28 septembre dans les rues de Montpellier pour dénoncer l’extension de la guerre menée en Palestine au Liban et la politique coloniale de l’État d’Israël
Alors que l’armée Israélienne a annoncé avoir tué Hassan Nashrallah, le chef du Hezbollah ce vendredi 27 septembre et que Tsahal continue ses bombardements au Liban, les soutiens à la Palestine de Montpellier réagissent. Ils étaient environ 500, ce samedi 28 septembre, pour dénoncer l’extension de la guerre menée par le gouvernement Netanyahou. “Le préfet nous a interdit de passer par la place de la Comédie“, a commencé José-Luis Moraguès, membre de BDS, une association non-violente de soutien au peuple Palestinien. Préfet, qui, plus tôt dans la semaine, avait reproché à BDS de “récupérer” de manière “malhonnête” les autres manifestations auxquelles l’association a récemment participé, telles que celles contre Macron du 7 et 21 septembre.
“C’est pour faire plaisir au CRIF [Conseil représentatif des institutions juive de France, dont la représentante régionale affirme avoir été huée et insultée lors d’un rassemblement sur la Place de la Comédie, ndlr]”, soufflait un proche des organisateurs.
“Ce qu’il se passe au Liban est la suite logique de ce qu’il se passe à Gaza”, a dénoncé une militante de BDS dans son intervention. “Netanyahou utilise les mêmes arguements que contre les palestiniens, ils disent que les libanais servent de boucliers humains à une organisation terroriste et que leurs maisons servent à cacher des armes. On en est au point où l’on voit sur les réseaux sociaux des vidéos de Palestiniens qui s’excusent auprès de Libanais pour ce qu’ils subissent, alors qu’ils n’y sont pour rien. Ces deux peuples ont la même lutte, la lutte contre une politique sioniste, coloniale et expansionniste qui a pour projet d’étendre toujours plus ses frontières.” Elle a également rappelé le fait que “rien qu’au mois d’aout, Israël a installé huit nouvelles colonies en Palestine. On a recensé, toujours pour le seul mois d’août, 206 actes de vol et de vandalisme touchant des palestiniens, notamment des vols de moutons.”
Le cortège s’est ensuite élancé dans la rue en scandant “Israël Casse-toi le Liban n’est pas à toi” , et s’est dispersé à la gare.
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Devant l’Assemblée générale des Nations unies, le président palestinien a dénoncé l’attitude des États-Unis jeudi qui soutient Tel Aviv en mettant son veto à toutes résolutions condamnant son allié. Il a proposé une conférence internationale pour la paix.
C’est un Mahmoud Abbas combatif qui a pris la parole devant l’Assemblée générale de l’Onu le 26 septembre. Le président palestinien n’a pas mâché ses mots en s’écriant : « Arrêtez le génocide. Arrêtez d’envoyer des armes à Israël. » Devant les 193 membres il a lancé : « Arrêtez ce crime. Arrêtez-le maintenant. Arrêtez de tuer des enfants et des femmes » en rappelant que « le monde entier est responsable de ce que subit notre population à Gaza et en Cisjordanie », liant ainsi les deux territoires qui subissent les assauts de l’armée israélienne.
Washington entrave un cessez-le-feu
Il a également accusé les États-Unis d’avoir permis à Israël de poursuivre son assaut en opposant à plusieurs reprises leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu à Gaza. « Nous regrettons que les États-Unis, la plus grande démocratie du monde, aient entravé à trois reprises des projets de résolution du Conseil de sécurité exigeant qu’Israël respecte un cessez-le-feu », a insisté Mahmoud Abbas. « Les États-Unis se sont tenus seuls et ont dit : « Non, la bataille va continuer » ».
Le ministère israélien de la Défense a annoncé jeudi avoir obtenu un nouveau train d’aide militaire américaine, d’une valeur de 8,7 milliards de dollars « en soutien à l’effort militaire en cours d’Israël », en pleine escalade avec le Hezbollah libanais et en guerre à Gaza, ce qui minimise les déclarations de l’administration Biden quant à la volonté d’un cessez-le-feu, que ce soit avec le Hezbollah ou avec le Hamas. « Israël, qui refuse d’appliquer les résolutions des Nations unies, ne mérite pas d’être un membre de cette organisation internationale », a martelé le dirigeant palestinien très applaudi.
Mahmoud Abbas a également présenté une proposition en 12 points pour Gaza après la guerre. Il a appelé à un retrait israélien complet de l’enclave palestinienne, sans l’établissement de zones tampons ou la saisie d’une partie quelconque de Gaza. Il a déclaré que l’Autorité palestinienne, qui gouverne certaines parties de la Cisjordanie occupée, devrait gouverner Gaza après la guerre en tant qu’élément d’un État palestinien, une vision qu’Israël rejette. « Nous ne demandons pas plus, mais nous n’accepterons pas moins », a-t-il insisté. Il a également appelé à une conférence internationale de paix sous les auspices de l’ONU dans un an et réitéré ses appels pour une solution à deux États.
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
Le président de la République a été vivement interpellé à Montréal sur la position de la France concernant la guerre à Gaza à sa sortie d’une conférence de presse avec le premier ministre canadien Justin Trudeau. Emmanuel Macron a défendu ses plaidoyers en faveur d’un cessez-le-feu, mais la France rechigne toujours à la reconnaissance de l’État palestinien comme à décider de sanctions à l’égard d’Israël.
« Honte à vous », « Vous avez du sang sur les mains », « Macron démission ». À Montréal, des manifestants attendaient de pied ferme Emmanuel Macron à sa sortie d’une conférence de presse avec le premier ministre canadien Justin Trudeau. C’est sur la position de la France sur la guerre à Gaza, que le président de la République a été vivement interpellé dans la soirée de jeudi 26 septembre.
« C’est un génocide » qui est commis à Gaza, « vous pouvez l’arrêter », « vous offrez une couverture diplomatique » à l’État d’Israël, ont enchaîné deux des personnes mobilisées, dont une jeune femme palestinienne qui a expliqué avoir perdu sa fille à Gaza, a rapporté l’AFP. « La France envoie de l’argent et des armes qui tuent des innocents », « nous voulons des actes », « vous pouvez mettre la pression sur Israël », ont-ils martelé.
« Si vous ne pouvez rien changer, vous devez démissionner »
Le chef de l’État s’est appliqué à défendre sa position. « Soyons clairs, nous ne vendons pas d’armes, nous demandons un cessez-le-feu, nous sommes allés au Conseil de sécurité pour cela », a-t-il argumenté, quand bien même le ministre Sébastien Lecornu a reconnu, en janvier, que la France continuait à exporter « des équipements militaires à Israël afin de lui permettre d’assurer sa défense ».
« En parallèle, nous devons travailler tous ensemble et décider ce que nous allons faire pour engager tous les pays de la région à stopper les groupes terroristes », a-t-il ajouté avant qu’une des manifestantes affirme que le mouvement islamiste palestinien Hamas n’était « pas un groupe terroriste mais de résistance ». « Non, ce que vous dites est inacceptable. Ils ont tué des centaines de personnes », a répliqué Emmanuel Macron en référence à l’attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre contre Israël. Exaspérée, la jeune femme a fini par lâcher : « Si vous êtes au pouvoir et ne pouvez rien changer, vous devez démissionner ! »
Impuissance volontaire
Le président a ensuite assuré le service après-vente auprès de la presse. « Je suis allé leur parler parce qu’il y a une vraie émotion dans toutes nos sociétés. On le voit bien sur à Gaza, les images qu’il y a, le drame qui s’y joue », a-t-il dit devant des journalistes. « Je comprends, je respecte cette émotion (…) À côté de cette émotion, il peut y avoir beaucoup de confusion », a-t-il poursuivi, en déplorant des « propos inacceptables à l’instant sur ce sujet ». « Je ne peux pas laisser dire tout et n’importe quoi non plus », a-t-il insisté.
Reste que la France, contrairement à l’Espagne, l’Irlande ou la Norvège, n’est pas passée aux actes quant à la reconnaissance de l’État palestinien. Si elle a, en effet, plaidé à l’ONU pour un cessez-le-feu, elle s’est faite discrète ou sur l’Accord d’association avec Israël que l’Union européenne pourrait suspendre jusqu’à la fin de la guerre ou sur la possibilité de sanctions.
Une impuissance volontaire qui caractérise aussi les États-Unis. Au moment même où le président Joe Biden défendait avec Emmanuel Macron une trêve au Liban, le ministère de la Défense israélien annonçait, selon franceinfo, avoir obtenu une nouvelle enveloppe d’aide militaire américaine, de 8,7 milliards de dollars, « en soutien à l’effort militaire en cours d’Israël ». Dont 3,5 milliards de dollars en vue de l’achat de matériel et équipement de guerre, et 5,2 milliards destinés aux systèmes de défense antiaériens.
mise en ligne le 26 septembre 2024
Ellen Salvi sur www.mediapart.fr
Deux personnes ont été tuées par balle à Saint-Louis, dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre, à la suite d’une opération des forces de l’ordre qui recherchent une quinzaine d’individus. Depuis deux mois, cette tribu kanak, située en périphérie de Nouméa, est coupée du reste de l’archipel.
LesLes marches à pied interminables, les bras chargés de lourds paquets, les contrôles policiers, les files d’attente, les murs de sacs lestés, le bruit des drones, les coups de feu, l’odeur des bombes lacrymogène, les barbelés, le temps perdu, le souvenir des proches contraints de s’éloigner, celui du monde d’avant où l’on pouvait circuler en toute liberté et rejoindre la grande ville en vingt minutes... Depuis deux mois, les 1 500 habitant·es de la tribu kanak de Saint-Louis, située sur la commune du Mont-Dore, à une quinzaine de kilomètres de Nouméa, sont littéralement coupé·es du reste de l’archipel. Et subissent au quotidien les contraintes, l’isolement et la violence.
Dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre, deux personnes y ont été tuées par balle, à la suite d’une opération des forces de l’ordre, qui était toujours en cours jeudi matin. Selon la chaîne NC la 1ère, les tensions sur place ont redoublé « lorsque les gens ont appris que le jeune homme transféré au Médipôle [le centre hospitalier de Nouméa – ndlr] avait succombé à ses blessures ». Un deuxième décès a été annoncé un peu plus tard. D’après des membres de la famille, il s’agit d’un jeune homme dont le corps aurait été retrouvé dans la rivière au petit matin. L’identité des deux victimes a été confirmée au Monde : Johan Kaidine, 29 ans, et Samuel Moekia, 30 ans.
L’objectif de cette opération spéciale était le même que celui qui a conduit les autorités françaises à mettre la pression sur Saint-Louis depuis des semaines : interpeller une quinzaine d’individus suspectés d’avoir participé aux violences qui ont été perpétrées dans ce fief indépendantiste. Le décès des deux jeunes Kanak porte à treize le nombre de morts depuis le début de la crise dans l’archipel.
Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a dénoncé dans un communiqué « les méthodes barbares et humiliantes utilisées par les forces de l’ordre » et condamné « l’usage disproportionné de la force par les autorités de l’État français qui relève de pratiques coloniales ». « Ces actions ne font qu’aggraver la situation sur le terrain et éloigner la perspective d’une solution pacifique », écrit Aloisio Sako, chargé de l’animation du bureau politique du FLNKS.
Selon plusieurs témoignages recueillis par Mediapart, la situation est devenue « intolérable ». « Ce qui se passe là-bas est terrible, je n’ai jamais vu ça, indique l’ancien président indépendantiste du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan, grand chef de Saint-Louis. Il y a des militaires partout. Les gens souffrent, ils en ont marre. » « Les autorités ont mis la tribu sous cloche, sans aucune perspective, abonde le député Emmanuel Tjibaou, élu en juillet à l’Assemblée nationale. Les habitants ont l’impression d’être abandonnés, ils ont peur. »
Par la voix de leurs chefs coutumiers, ils réclament, jusqu’ici en vain, la levée des deux « verrous » installés le 20 juillet à l’entrée et à la sortie de la tribu, afin de répondre aux « exactions extrêmement graves », selon les mots du Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, perpétrées sur les 4 à 5 kilomètres de la route provinciale numéro 1 (RP1) qui traverse la zone de Saint-Louis. Des barrages gardés par quatre escadrons de gendarmerie interdisent la circulation automobile. Et bloquent l’ensemble des populations du Mont-Dore Sud.
Les souvenirs de l’indigénat
« Ces verrous ont été installés [...] car la sécurité des usagers ne pouvait être assurée sur l’axe en raison des prises à partie extrêmement violentes de la part émeutiers », souligne le Haut-Commissariat auprès de Mediapart, faisant état de 690 tirs contre les forces de l’ordre et de 65 car-jackings, dont 34 commis avec usage ou menace d’une arme, répertoriés depuis le 13 mai. Si « le dispositif a permis de mettre un terme aux car-jackings très violents et particulièrement traumatisants pour les victimes, et de limiter les ouvertures du feu sur les forces de l’ordre », sa levée n’est pas à l’ordre du jour.
Fin août, après cinq semaines de « verrous », Eugène Decoiré, président du conseil des chefs de clan de Saint-Louis, et Yohan Wamytan, chef de branche, avaient défendu devant le tribunal administratif de Nouméa une requête en référé-liberté pour mettre fin à ce qu’ils appellent le « blocus de Saint-Louis ». « On ne peut pas enfermer une population, on est toujours français. Certes, on est kanak mais on est toujours français. On n’est pas du bétail », avait affirmé Yohan Wamytan devant le tribunal, selon des propos rapportés par NC la 1ère.
Une pétition, lancée par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) et signée par de nombreux habitant·es de la tribu, a également circulé. « Depuis plusieurs semaines, nous vivons dans un état de siège, privés de nos droits les plus fondamentaux : liberté de circulation, droit à la sécurité, droit aux soins sanitaires et simplement, le droit de vivre libre et en paix, peut-on y lire. Cette situation minable mais surtout inhumaine, nous remémore la période de l’indigénat (1887-1947) notamment, durant laquelle le peuple kanak a été parqué violemment dans des réserves, tels des animaux. »
Depuis qu’on ne peut plus sortir en voiture, tout est compliqué : le ravitaillement, l’accès aux soins, accompagner les enfants à l’école… Yohan Wamytan, chef de branche à Saint-Louis
La requête en référé-liberté des représentants coutumiers de Saint-Louis a été rejetée, la justice ayant considéré que « la notion d’urgence à lever ces verrous n’était pas justifiée et que le rétablissement de la sécurité des usagers de la route provinciale était prioritaire ». Mais le tribunal administratif de Nouméa a de nouveau été saisi sur le même sujet par la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui dénonce à son tour « une atteinte grave à de multiples libertés fondamentales » et demande la réouverture immédiate de la RP1. L’audience est prévue vendredi 19 septembre.
L’installation de ces deux « verrous » a largement entravé le quotidien des habitant·es de Saint-Louis, qui évoquent des contrôles réguliers et des fouilles systématiques. « Depuis qu’on ne peut plus sortir en voiture, tout est compliqué : le ravitaillement, l’accès aux soins, accompagner les enfants à l’école..., raconte Yohan Wamytan à Mediapart. Beaucoup ont quitté la tribu pour préserver leur emploi, ils ont dû louer des appartements à l’extérieur. » Selon son cousin Roch Wamytan, « 700 personnes originellement de la tribu sont en dehors de celle-ci et ne peuvent rentrer chez elles ».
Des coupures d’électricité
Beaucoup évoquent aussi des coupures d’électricité, dont certaines ont duré trois à quatre jours, les réparations tardant à être réalisées. « On a dû jeter toute la nourriture », déplore Yohan Wamytan. « Les défaillances du système électrique sont notamment dues à des actes de vandalismes commis à l’intérieur de la tribu. Le risque de prise à partie des entreprises exploitantes du réseau électrique étant élevé, celles-ci ont à chaque fois voulu disposer des meilleures garanties de sécurité possibles de la part des responsables coutumiers avant d’envoyer leur personnel dans la tribu pour procéder aux réparations », justifie de son côté le Haut-Commissariat.
Destinataires de plusieurs témoignages, Emmanuel Tjibaou insiste sur les difficultés que rencontrent les habitant·es les plus fragiles de Saint-Louis « pour suivre les traitements médicaux ». Il parle notamment des « vieux », des personnes handicapées et des « dialysés ». Le député rapporte enfin des problèmes de réseau internet qui renforcent, selon lui, le sentiment d’isolement de la population. « Les gens ne savent plus ce qu’il se passe à l’extérieur de Saint-Louis », dit-il. Inversement, « à 10 kilomètres de la tribu, personne ne sait ce qu’il s’y passe », ajoute Yohan Wamytan.
Dans un entretien accordé début septembre à La Voix du Caillou, le procureur de la République en Nouvelle-Calédonie, Yves Dupras, a admis sans ambages que « cette situation de “verrous” est tout à fait anormale dans le fonctionnement d’un État de droit par rapport aux libertés publiques ». « Je le reconnais. Mais notre objectif est avant tout la sécurité des personnes et des biens », a-t-il précisé, rappelant que 13 personnes faisaient l’objet d’un mandat de recherche « pour des faits criminels ou pour des faits délictuels particulièrement graves commis à Saint-Louis ».
L’État nous demande de faire la police mais nous refuse la compétence de l’ordre public...Roch Wamytan, grand chef de Saint-Louis
C’est ici qu’un gendarme a été tué par balle le 14 mai. Ici aussi que Rock Victorin Wamytan est mort le 10 juillet, victime, selon le parquet de Nouméa, d’un « tir de riposte » du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), qui intervenait ce jour-là au Mont-Dore. Ici enfin que les autorités coutumières multiplient les échanges avec les jeunes de la tribu pour y ramener le calme. « C’est difficile de leur faire entendre raison », reconnaît Roch Wamytan auprès de Mediapart, évoquant des jeunes « souvent radicalisés » par leur passage en prison.
« Souvent, ce sont des jeunes qui ont été envoyés au Camp-Est [le centre pénitentiaire de Nouméa – ndlr] à un jeune âge, suite à des incivilités. Cette prison a une capacité de 400 places mais 600 personnes y sont placées, a récemment répété le grand chef de Saint-Louis sur NC la 1ère. Ce qui bloque, c’est que des jeunes veulent aller au bout pour que naisse Kanaky [...] au-delà de Saint-Louis, dans d’autres endroits, certains veulent aussi continuer la lutte jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort ou l’indépendance. [...] Nous essayons de leur expliquer que l’indépendance passera par des négociations. »
Une punition collective
Roch Wamytan souligne l’incongruité de la situation, au regard des revendications politiques portées par les indépendantistes : « L’État nous demande de faire la police mais nous refuse la compétence de l’ordre public... » Selon lui, tout est mis en œuvre pour sortir de cette crise. « Je suis optimiste, on va y arriver, a-t-il dit sur NC la 1ère. Je reconnais que les autorités avec lesquelles nous discutons font preuve de compréhension. Pourtant, au début, ce n’était pas évident. Ça ne sert à rien de mettre la pression, il faut savoir le contexte et ensuite poser les solutions pour résoudre ces conflits qui peuvent se résoudre… avec du temps. »
De son côté, le Haut-Commissariat refuse d’endosser la responsabilité de cette situation, créée selon lui « par le seul comportement des émeutiers, qui fait peser de lourdes contraintes pour les habitants de Saint-Louis comme sur les 10 000 habitants du Mont-Dore Sud, qui doivent utiliser quotidiennement un système de navettes maritimes pour rejoindre Nouméa, conduisant certains à être gênés dans leur vie quotidienne comme professionnelle et à perdre en qualité d’accès aux soins ». Et d’ajouter : « Factuellement, le danger engendré par les émeutiers fait peser des contraintes sur tous les habitants. »
Pour le juriste Antoine Leca, ancien chargé d’enseignement à l’université française du Pacifique et à l’université de la Nouvelle-Calédonie, ces « verrous » sont surtout une manière « de punir collectivement les habitants de Saint-Louis parce qu’ils constituent une tribu “coupable” d’abriter en son sein des jeunes qui ont opté pour l’action armée sans relever d’aucune structure identifiée ». Évoquant dans ce billet des « méthodes d’un autre temps [qui] sont hélas celles qui ont été transplantées en Algérie par l’armée française », il perçoit à Saint-Louis « le premier acte d’une nouvelle guerre coloniale, qui ne veut pas dire son nom mais révèle déjà son visage ».
Pour le Haut-Commissaire, la tribu de Saint-Louis est une poche de résistance. Sa stratégie, c’est de l’isoler de l’agglomération du Grand Nouméa. Emmanuel Tjibaou, député de Nouvelle-Calédonie
À Paris comme en Nouvelle-Calédonie, la situation politique est à l’arrêt dans l’attente d’un nouveau gouvernement. « On n’a toujours pas d’interlocuteur », rappelle Roch Wamytan, qui plaide pour la mise en place rapide d’une mission internationale. « Les gens n’ont plus confiance dans le gouvernement français », affirme-t-il. Mercredi, veille de l’opération des forces de l’ordre à Saint-Louis, le « groupe de contact » sur la Nouvelle-Calédonie, présidé par Yaël Braun-Pivet, s’est retrouvé à l’Assemblée nationale pour un échange en visioconférence avec le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc.
L’occasion, pour le député Emmanuel Tjibaou, d’interroger le représentant de l’État dans l’archipel sur la situation dans la tribu, sans avoir évidemment aucune idée de ce qui se préparait. « Pour lui, Saint-Louis est une poche de résistance, ce sont les mots qu’il a employés, rapportait-il à Mediapart dans l’après-midi. Sa stratégie, c’est d’isoler cette poche de résistance de l’agglomération du Grand Nouméa. » L’élu kanak entend profiter de son mandat pour lancer une commission d’enquête afin d’« éclairer tout ce qu’il s’est passé depuis le 13 mai » dans l’archipel, considérant que « la CCAT a le dos large ».
Plusieurs membres de cette organisation politique proche du FLNKS sont toujours détenus dans des centres pénitentiaires de métropole. C’est notamment le cas de Christian Tein, qui a été désigné, samedi 31 août, président de l’alliance indépendantiste du FLNKS. « Mon frère, Joël Tjibaou, est lui aussi en prison, à Camp-Est », rappelle le député, fils de Jean-Marie Tjibaou, figure phare du mouvement qui avait signé les accords de Matignon en 1988 avant d’être assassiné.
Parmi les militant·es placé·es sous contrôle judiciaire dans le cadre de cette enquête visant « les commanditaires présumés » des révoltes qui ont embrasé l’archipel à partir de mi-mai, figure aussi Darewa Dianou, fils d’Alphonse Dianou, leader indépendantiste tué à Ouvéa en 1988. « Les jeunes qui se révoltent aujourd’hui sont les héritiers des événements de 1984-1988. Le risque, si les choses continuent comme ça, c’est que cet héritage se perpétue », conclut Roch Wamytan, persuadé que la seule réponse sécuritaire, à Saint-Louis comme ailleurs, ne pourra qu’envenimer la situation.
Boîte noire
Alerté depuis plusieurs semaines sur la situation à Saint-Louis, Mediapart a dans un premier temps souhaité envoyer un journaliste sur place, afin de rendre compte des contraintes que les « verrous » font peser sur le quotidien des habitant·es de la tribu. En faisant un point informel avec les équipes du Haut-Commissariat, celui-ci s’est vu répondre que l’accès à la zone ne lui serait pas autorisé. Interrogés par la suite sur le sujet, les services de l’État nous ont assuré que « l’accès de journalistes [n’était] absolument pas interdit », évoquant un « probable loupé ».
Cet article a été amendé jeudi matin (le 19), avec l’identité des victimes et le communiqué du FLNKS. Sauf mention contraire, tous les propos qui y sont cités ont été recueillis avant l’opération des forces de l’ordre menée dans la nuit de mercredi à jeudi (du 18 au 19).
mise en ligne le 24 septembre 2024
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
558 personnes ont été tuées et 1 835 blessées par les bombardements israéliens lundi 23 septembre. Au sud du Liban, c’est l’exode tandis que les morts s’accumulent. Tous les signaux sont au rouge alors que seul Israël veut un chaos régional.
Un record macabre a été battu au Liban par Benyamin Netanyahou et son armée : lundi, 558 personnes ont été tuées, dont 50 enfants et 94 femmes ; 1 835 ont été blessées, ce qui fait de cette journée la plus meurtrière depuis la guerre civile qui s’est déroulée entre 1975 et 1990.
Même au plus fort du conflit mené en 2006, de tels chiffres n’ont pas été atteints. L’état-major israélien a fait savoir qu’il avait frappé environ 800 cibles liées au Hezbollah dans le sud du Liban et la vallée de la Bekaa. Et toujours le même discours : « Parmi les cibles frappées, des bâtiments où le Hezbollah a caché des roquettes, des missiles, des lanceurs, des drones et des infrastructures terroristes supplémentaires. » Pas un mot pour les civils tués, les maisons détruites, le déplacement de milliers d’habitants forcés de fuir. Après l’attaque indiscriminée aux bipeurs piégés, rien ne semble pouvoir arrêter ce gouvernement.
Hezbollah ou Hamas, même rhétorique pour Netanyahou
« J’ai promis que nous changerions l’équilibre de la sécurité, l’équilibre des forces dans le Nord, c’est exactement ce que nous faisons », s’est félicité le premier ministre israélien. « Ce qui m’inquiète (c’est) la possibilité que le Liban ne se transforme (en) un autre Gaza ! » s’est au contraire inquiété le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, alors que la Maison de verre accueillait un sommet sur l’avenir.
Un drôle d’avenir pour les peuples de la région que leur concocte un Benyamin Netanyahou qui n’a jamais été aussi sûr de lui, renforcé dans son entreprise par l’inaction internationale. À Emmanuel Macron qui, penaud, lui demande de se calmer, l’indétrônable leader israélien, appuyé sur une extrême droite suprémaciste, rétorque que les pressions sont à exercer sur le Hezbollah libanais. Il avait déjà servi la même réponse en parlant, cette fois-là, du Hamas.
C’est donc impuissantes que les populations du monde entier assistent à ces nouveaux massacres. L’évidence est là : Israël veut que la région bascule une fois pour toutes dans le chaos.
Affaibli mais pas à terre, le « parti de dieu » réplique
On n’y est pas encore, mais il suffirait d’un rien. Malgré ses pertes, y compris de plusieurs de ses dirigeants, le Hezbollah continue à répliquer avec mesure et réclame un cessez-le-feu à Gaza.
À New York où il se trouve pour participer à l’Assemblée générale de l’ONU, le président iranien Massoud Pezeshkian a fait savoir : « Nous savons mieux que quiconque que si une guerre plus importante devait éclater au Moyen-Orient, cela ne bénéficierait à personne dans le monde. C’est Israël qui cherche à élargir ce conflit. » Et d’ajouter : « Curieusement, nous sommes toujours considérés comme l’auteur de l’insécurité. Mais regardez la situation telle qu’elle est ! »
Les États-Unis affirment également ne pas vouloir d’une déflagration régionale. Mais, malin, Netanyahou – qui n’a que mépris pour l’ONU – leur fait miroiter l’application d’une résolution datant de 2006 (la 1701), visant à repousser le Hezbollah au nord du fleuve Litani. Un prétexte pour celui qui n’a plus de salut que dans la guerre, quitte à ce que tout le monde sombre, y compris les Israéliens.
sur www.regards.fr
Bientôt 500 morts au Liban, après une semaine d’offensive israélienne. Et la France n’a que des mots à offrir en protection.
Le 19 septembre, Emmanuel Macron adresse un message vidéo aux Libanais : « La France se tient à vos côtés », assure le chef de l’État. La veille et l’avant-veille, au Liban et en Syrie, des explosions d’appareils électroniques ont fait près de 3000 blessés et 37 morts, selon les chiffres d’Amnesty international. Une opération si barbare – ce qui n’a pas empêché l’extase de certains journalistes français – que personne ne l’a revendiquée.
Qu’il y ait des tensions entre le gouvernement israélien et le Hezbollah libanais, ça ne date pas d’hier. Mais ces dernières semaines, la situation s’est aggravée. Au point que l’État hébreu bombarde allègrement le Liban, ciblant également la capitale Beyrouth. Le bilan est, pour l’heure, de 490 morts dont 24 enfants et 1240 blessés, selon les autorités libanaises.
Nous ne sommes plus dans la situation du début de l’année où les deux camps s’envoyaient des missiles à la frontière. Désormais, Israël attaque un État souverain. Et la France, pour l’instant, ne fait rien à part des vidéos et des discours.
Côté israélien, on part sur le même délire propagandiste qu’à Gaza : si les Libanais meurent, c’est parce qu’ils traînent trop près des cachettes des « terroristes » du Hezbollah. Sauf qu’il y a deux différences de taille : le Hezbollah est bien plus fort militairement que le Hamas ; le parti chiite est arrivé en tête des élections législatives de 2022, même s’il s’agissait alors d’une défaite puisque il perdait sa majorité absolue à la chambre des députés.
Et si le Hezbollah n’était plus, ces derniers temps, en odeur de sainteté auprès des Libanais, après les explosions de bipeurs et autres talkie-walkies, les hôpitaux ont pris en urgence ces victimes et l’on a même vu des membres de milices chrétiennes donner leur sang pour les sauver. Netanyahou va-t-il, comme avec le Hamas, relancer la popularité du Hezbollah ? Car, comme l’écrit l’éditorialiste Anthony Samrani dans le quotidien francophone L’Orient-Le Jour, « en face, c’est Israël […] On peut vouer le Hezbollah aux gémonies, ce sont bien des Libanais, quelle que soit leur communauté, qui sont et vont être tués par l’armée israélienne. C’est bien le Liban qui sera détruit si le Hezbollah est défait. Le Hezbollah dévore le Liban de l’intérieur. Israël promet de l’annihiler depuis l’extérieur. Les deux menaces peuvent être existentielles, mais elles ne sont pas de même nature. Dresser entre elles une équivalence est une position intenable, encore plus en temps de guerre. Refonder le Liban avec le Hezbollah paraît illusoire. Y parvenir, si la moitié du pays est en ruines, est tout simplement impossible. »
Tout est dit. Reste le silence assourdissant de la diplomatie française, dont les Libanais attendent son traditionnel soutien.
La rédaction de Mediapart et Agence France-Presse sur https://www.mediapart.fr/
L’armée israélienne a indiqué mardi avoir visé la veille « 1 600 cibles terroristes ». Ces frappes contre le Hezbollah ont fait 558 morts lundi, selon un nouveau bilan, et se poursuivaient mardi.
Le bilan des intenses bombardements israéliens sur le Liban, lundi 23 septembre, « a atteint 558 morts, dont 50 enfants et 94 femmes », a annoncé mardi le ministre de la santé libanais, Firass Abiad, lors d’une conférence de presse. 1 835 personnes ont été blessées, a-t-il précisé. Ce bilan « dément toutes les allégations israéliennes selon lesquelles l’armée viserait des combattants », a-t-il ajouté.
« La vérité, malheureusement, est que la grande majorité, si ce n’est pas tous, sont des personnes non armées qui se trouvaient dans leurs maisons », a-t-il dit. Il s’agit du plus lourd bilan depuis la dernière guerre entre le Hezbollah et Israël en 2006. Le ministre a indiqué que 16 secouristes et pompiers avaient été blessés et qu’un hôpital à Bint Jbeil, dans le sud du Liban, avait été visé par une frappe.
Mardi 24, les bombardements se sont poursuivis et l’armée israélienne a annoncé avoir frappé « des dizaines de cibles du Hezbollah dans de nombreuses régions du sud du Liban ». Les habitant·es d’un village de la région de Sidon, dans le sud du Liban, auraient reçu des appels plus tôt dans la matinée, leur demandant d’« évacuer leurs maisons immédiatement ». Selon l’ANI, l’agence nationale d’information libanaise, les frappes ont touché les régions du sud de Kfarkila, Roumine, Deir el-Zahrani, Doueir, Ebba et Zawtar, la région de Jal el-Bahr à Tyr mardi matin, Markaba et el-Haouch dans la nuit.
Mardi après-midi, une frappe israélienne « ciblée » a frappé un immeuble de six étages dans le quartier de Ghobeiry, en banlieue sud de Beyrouth. Trois des six étages ont été endommagés, selon l’ANI. Selon le quotidien israélien Haaretz, la cible de la frappe serait Talal Hamiyah, responsable des opérations du Hezbollah en dehors du Liban.
Les frappes, d’une intensité sans précédent depuis le début des échanges de tirs à la frontière israélo-libanaise en octobre 2023, ont visé « environ 1 600 cibles terroristes » au total, affirmait l’armée israélienne mardi en fin de matinée. Celle-ci a également signalé des explosions secondaires, « indiquant la présence d’armes stockées dans les bâtiments » visés. Selon l’armée israélienne, plus de 50 projectiles ont été lancés mardi matin depuis le Liban contre Israël, dont « la majorité » a été interceptée.
L’ONU sonne l’alarme
« Nous sommes extrêmement préoccupés par la grave escalade des attaques dont nous avons été témoins hier [lundi 23 – ndlr]. Des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de quitter leurs maisons hier et cette nuit, et leur nombre ne cesse d’augmenter », a déclaré un porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), Matthew Saltmarsh, lors d’un point de presse à Genève (Suisse). « Il s’agit d’une région qui a déjà été dévastée par la guerre et d’un pays qui ne connaît que trop bien la souffrance », a-t-il ajouté.
« Le tribut payé par les civils est inacceptable, et la protection des civils et des infrastructures civiles au Liban est primordiale. Le droit humanitaire international doit être respecté. Il est urgent de mettre fin aux hostilités », a affirmé le porte-parole du HCR.
« Nous sommes extrêmement alarmés par la brusque escalade des hostilités entre Israël et le Hezbollah, et nous appelons toutes les parties à cesser immédiatement la violence et à assurer la protection des civils », a déclaré de son côté une autre porte-parole du HCR, Ravina Shamdasani, lors du point de presse.
Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) appelle également « de toute urgence à une désescalade immédiate » et à ce que toutes les parties respectent leurs obligations en vertu du droit humanitaire international afin de garantir la protection des infrastructures civiles et des civils, y compris les enfants, les travailleurs humanitaires et le personnel médical.
« La journée d’hier a été la pire que le Liban ait connue depuis dix-huit ans. Cette violence doit cesser immédiatement », a affirmé de son côté la représentante adjointe de l’Unicef au Liban, Ettie Higgins, en liaison vidéo depuis Beyrouth.
Les autoroutes du sud du Liban, à destination de Beyrouth, étaient dans la nuit de lundi à mardi bondées de personnes fuyant les attaques israéliennes. Dans l’après-midi de lundi, la capitale du Liban, Beyrouth, a également fait l’objet de bombardements massifs.
Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’était inquiété dimanche que le Liban devienne un « autre Gaza », près d’un an après le début de la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée par l’attaque sans précédent du mouvement islamiste et d’autres groupes palestiniens le 7 octobre 2023.
Après presque un an de guerre dans la bande de Gaza, le front s’est déplacé vers le nord d’Israël et la frontière avec le Liban, où les échanges de tirs s’intensifient entre le puissant Hezbollah, allié du Hamas et soutenu par l’Iran, et l’armée israélienne. La semaine dernière, Israël a porté un coup à l’organisation en parvenant à faire exploser des pagers et des talkies-walkies utilisés par le Hezbollah. Ce dernier a promis de continuer à attaquer Israël « jusqu’à la fin de l’agression à Gaza ».
L’Iran met en garde contre « un nouveau Gaza »
« Nous ne devons pas permettre que le Liban devienne un nouveau Gaza aux mains d’Israël », a déclaré mardi le président iranien, Massoud Pezeshkian, lors d’une interview avec CNN.
Lundi, le chef d’État avait accusé Israël de vouloir « élargir » le conflit au Moyen-Orient, soulignant que cela ne « bénéficierait à personne » et insistant sur le fait que Téhéran ne cherchait pas à « déstabiliser » la région. « Nous savons mieux que quiconque que si une guerre plus importante devait éclater au Moyen-Orient, cela ne bénéficierait à personne dans le monde. C’est Israël qui cherche à élargir ce conflit », a-t-il déclaré à New York (États-Unis) lors d’une table ronde avec des journalistes.
Massoud Pezeshkian, un réformateur qui a prêté serment fin juillet, fait ses débuts à l’ONU où il participe à l’Assemblée générale annuelle des Nations unies. « Nous avons essayé de ne pas répondre. Ils n’ont cessé de nous dire que la paix était à portée de main, peut-être dans une semaine ou deux », a-t-il affirmé, semblant faire référence à la mort d’Ismaïl Haniyeh, ex-chef politique du Hamas tué en Iran le 31 juillet dans une attaque imputée à Israël, ainsi qu’aux négociations sur un cessez-le-feu à Gaza.
« Mais nous n’avons jamais atteint cette paix insaisissable. Chaque jour, Israël commet de nouvelles atrocités et tue de plus en plus de personnes – des personnes âgées, des jeunes, des hommes, des femmes, des enfants, des hôpitaux, d’autres infrastructures », a-t-il ajouté. Il n’a pas répondu directement à la question de savoir si l’Iran répondrait désormais plus directement à Israël.
« Nous entendons toujours dire que le Hezbollah a tiré une roquette. Si le Hezbollah ne faisait même pas ce minimum, qui le défendrait ? », a dit le président iranien. « Curieusement, nous sommes toujours considérés comme l’auteur de l’insécurité. Mais regardez la situation telle qu’elle est », a-t-il insisté.
La France demande une réunion du Conseil de sécurité
Les États-Unis sont opposés à une invasion terrestre du Liban et vont présenter des « idées concrètes » à leurs partenaires cette semaine à l’ONU pour apaiser ce conflit, a confié un haut responsable états-unien.
« Nous sommes au bord d’une guerre totale » au Liban, a de son côté averti le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, tandis que la France a demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité durant cette semaine diplomatique déjà surchargée.
La Chine s’est dite mardi « profondément choquée » par les pertes humaines consécutives aux frappes israéliennes. « La Chine accorde une attention particulière aux tensions actuelles entre le Liban et Israël et est profondément choquée par le grand nombre de victimes causées par ces opérations militaires », a indiqué lors d’un point presse régulier Lin Jian, un porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, en réponse à une question sur les attaques israéliennes. « La Chine s’oppose aux violations de la souveraineté et de la sécurité du Liban, et s’oppose et condamne toutes les actions qui portent atteinte à des civils innocents », a souligné le porte-parole.
Le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, avait affiché lundi, lors d’une rencontre à New York avec son homologue libanais Abdallah Bou Habib, un ferme soutien au Liban. « Nous sommes fermement opposés aux attaques aveugles contre les civils », a indiqué le ministre, selon un communiqué diffusé mardi. « Quelle que soit l’évolution de la situation, nous serons toujours aux côtés de la justice, aux côtés de nos frères arabes, dont le Liban », a assuré le diplomate chinois.
Hadi Al-Sayed, journaliste libanais à Al-Mayadeen, a été tué lundi dans le bombardement de son domicile dans le sud du pays, a annoncé mardi le média en ligne.
mise en ligne le 24 septembre 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr
Depuis 5 heures ce matin, les routiers ont lancé des opérations escargots en soutien aux mobilisations contre la vie chère qui secouent la Martinique depuis plus de trois semaines.
« Une portion de la population se retrouve dans une misère extrême. Ce sont des personnes âgées seules avec de petites retraites, des enfants dont les parents n’arrivent pas à les nourrir correctement », expliquait une porte-parole du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC), la semaine dernière à France24. Depuis le 1er septembre, le collectif multiplie les manifestations et les blocages devant les supermarchés de l’île. En Martinique, les prix des denrées alimentaires sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en métropole, alors que plus du quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. D’où l’exigence d’un alignement des prix sur ceux de l’Hexagone, qui fédère de larges secteurs de la population martiniquaise.
Un mouvement qui ne cesse de s’étendre
En plus des actions de blocage devant des supermarchés et des affrontements émeutiers avec la police qui secouent régulièrement les quartiers de Sainte-Thérèse depuis début septembre, plusieurs professions se sont jointes au mouvement de protestation. La semaine dernière, c’étaient les taxis qui interrompaient leurs courses. Ce mardi, c’est au tour de l’Union nationale des organisations syndicales des transporteurs routiers automobiles de Martinique (SMT Unostra). Le syndicat patronal appelle les routiers martiniquais à une opération molokoï ce mardi. Les chauffeurs ont donc lancé des opérations escargot sur plusieurs points de l’île ce matin, provoquant d’importants ralentissements.
Jeudi, ce sera au tour des salariés et de la Confédération générale du travail de Martinique (CGTM) de se mobiliser. En fin de semaine dernière, le syndicat a déposé un préavis de grève de 24 heures reconductible couvrant l’ensemble des secteurs d’activité. « L’ensemble des agents de la Fonction Publique (Territoriale, Hospitalière, État), ainsi que les salariés des entreprises assurant une mission de service public, sont appelés à se joindre au mouvement », annonce la CGTM qui revendique « le relèvement du salaire minimum, des pensions de retraite et des minima sociaux à 2 000 euros nets par mois, l’indexation sur l’inflation et la mise en place d’un contrôle des prix des produits de première nécessité ». Déjà la semaine dernière, les syndicats de la zone aéroportuaire appelaient à la tenue d’assemblées générales afin de préparer les travailleurs à une mobilisation générale. Ils dénonçaient notamment un « climat de violence, d’arrestations et de poursuites judiciaires, mis en place par l’administration préfectorale contre les manifestants pour la baisse des prix ».
La répression comme réponse aux demandes d’égalité
Loin de s’éroder, le mouvement tend à s’élargir, malgré la pression des pouvoirs publics dès le premier jour. Le 1er septembre, quelques heures avant le premier rassemblement du RPPRAC, un de ses responsables était interpellé par la police. Depuis, le préfet de Martinique a instauré un couvre-feu le 18 septembre, dans un contexte d’affrontements nocturnes avec la police dans certains quartiers de Fort-de-France. Un couvre-feu déjà étendu et prolongé jusqu’à jeudi.
Parallèlement, le gouvernement a envoyé des renforts de gendarmerie et de police en Martinique. Parmi eux, le déploiement de la CRS 8 sur l’île a créé un certain émoi et ravivé de vieilles blessures. Il s’agit en effet du premier envoi d’une unité de CRS en Martinique depuis les émeutes meurtrières de décembre 1959, où trois jeunes avaient été tués par la police. Un signal inquiétant que ne vient pas démentir les déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Celui-ci, lors de sa prise de fonction lundi 22 septembre, n’a eu de cesse de marteler sa volonté de rétablir l’ordre.
Pauline Graulle sur www.mediapart.fr
Le député socialiste Jiovanny William déplore l’absence de politiques publiques pour la Martinique, en proie à une colère violente liée à l’augmentation des prix du fait de l’inflation.
Alors que le premier ministre n’a toujours ni gouvernement ni budget à proposer à la France, en Martinique, la colère a redoublé du fait de l’explosion des coûts de la vie. Le député socialiste Jiovanny William revient pour Mediapart sur les pistes d’amélioration possibles, en dépit de son pessimisme sur la volonté d’action de l’État.
Mediapart : Où en est-on aujourd’hui des violences urbaines en Martinique ?
Jiovanny William : Le couvre-feu permet que les choses se calment. Après, il y a des poches d’insécurité, il y a eu des coups de feu et des tirs à balles réelles sur des policiers… Certains accès sont bloqués sur Le Lamentin, et Fort-de-France est quasiment sinistrée, avec des lampadaires tombés au sol, qui obstruent le passage. Le maire a lancé un appel au calme et au retour à la discussion. Nous, parlementaires, partageons cette ligne, et nous avons écrit des communiqués en ce sens…
Que dites-vous sur le fond de ce mouvement ?
Jiovanny William : Nous sommes sur une poudrière. Il y a une manifestation avec un objectif noble et louable, celui de lutter contre la vie chère. Mais en marge, il y a des casseurs que je n’assimile pas aux manifestants.
Le problème de la « vie chère » est ancien en Martinique, qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres cette fois ?
Jiovanny William : Oui, tout le monde se souvient du feu en 2009. Aujourd’hui, nous vivons un remake. La situation économique est extrêmement compliquée dans nos îles. Le problème de fond, c’est qu’il y a eu une défiance vis-à-vis du monde économique et de la grande distribution représentée par des Békés. Or le préfet a organisé des tables rondes sur le sujet du pouvoir d’achat avec des industriels, et ces débats n’ont pas été retransmis publiquement… Ce sentiment d’opacité a été l’une des étincelles qui ont mis le feu aux poudres.
Il y a aussi les personnalités qui mènent le mouvement. M. Petitot [Rodrigue Petitot, président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) – ndlr] connaît beaucoup de personnes capables de faire ce type d’actes. Ça a incité les fauteurs de trouble. Quand il y a des blocages, il y a des exactions, des casses, des ronds-points bloqués avec des pneus, des arbres, et ça dégénère.
Quel rôle a eu l’inflation ?
Jiovanny William : L’inflation s’est ajoutée au différentiel de prix qui est déjà énorme avec la France hexagonale : + 37 % en moyenne de plus sur les produits de consommation ! Un paquet de couches vaut 50 % de plus en Martinique, un panier moyen est 40 % plus cher sur des produits de première nécessité… Cela est dû à l’octroi de mer, au coût du transport et aux nombreux intermédiaires (grossistes, transitaires…) qui font leur marge, en plus de la grande distribution qui fait elle aussi sa marge… Avec l’inflation, tout a encore augmenté.
Nous avons des observatoires qui démontrent chaque année les augmentations des produits de consommation. En parallèle, nos revenus et nos retraites sont plus bas que dans la France hexagonale. Tout cela fait un cocktail explosif.
La collectivité territoriale de Martinique a proposé une exonération partielle de l’octroi de mer…
Jiovanny William : Oui, sur certains produits. Mais dans le même temps, il faut que la grande consommation fasse des efforts, de même que les transporteurs, comme CMA-CGM qui a 67 % du marché. Sinon, on ne verra pas de baisse. L’État doit aussi faire des efforts sur les taxes douanières. Pouvoirs publics, grande distribution, intermédiaires… Tout le monde doit faire un geste.
Comptez-vous sur le prochain gouvernement s’il voit le jour ?
Jiovanny William : Écoutez, nous sommes au quatrième ministre des outre-mer. Sur les quatre, au moins trois n’ont rien eu à faire des outre-mer. À part Jean-François Carenco [2022–2023 – ndlr] qui avait été préfet de Guadeloupe, ils ne connaissaient rien et n’avaient d’ailleurs aucune envie d’être ministres des outre-mer.
Donc, oui, un ministre de plein exercice, qui connaît les outre-mer et qui ne vient pas pour aller voir les ballets folkloriques et boire du punch pourrait changer un peu les choses. Avant, il y avait un comité interministériel d’outre-mer qui est désormais au niveau zéro. Personne n’arrive à se projeter dans l’avenir, en particulier les entreprises. Tous nos voyants sont au rouge : l’illettrisme, le chômage, la santé, la démographie…
Attendez-vous quelque chose de la séquence budgétaire à venir ?
Jiovanny William : On nous parle de réduction de budget, ça ne va donc faire qu’empirer les choses et personne en Martinique n’est serein. Côté parlementaires, nous allons nous organiser et demander des choses, par exemple une continuité territoriale sur le fret comme en Corse, qui fait que ça enlève de la pression sur les produits… Mais on sait que le 49-3 passera.
Le RN est-il une menace en Martinique ?
Jiovanny William : Mélenchon est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle, au second, c’était Marine Le Pen. En 2024, pour la première fois, le Rassemblement national était présent dans les quatre circonscriptions de l’île. Et autre événement tristement historique : un candidat RN est arrivé au deuxième tour des élections en Martinique. C’est aussi un indicateur que le RN monte sérieusement en puissance et cela risque de continuer comme ça si rien ne s’arrange pour les habitants.
mise en ligne le 17 septembre 2024
Rosa Moussaoui, Sébastien Crépel et Vadim Kamenka sur www.humanite.fr
Diplomatie Loin de la rhétorique néoconservatrice qui prévaut dans son camp, à droite, Dominique de Villepin plaide pour un nouvel ordre mondial fondé sur la justice et sur la paix.
Comme chef de la diplomatie, il fut, en 2003, le visage du « non » à la croisade de George W. Bush en Irak. Il fait aujourd’hui entendre une voix critique sur les questions internationales, dénonçant la guerre d’anéantissement que livre l’État d’Israël aux Palestiniens de Gaza, plaidant pour une relation nouvelle avec le Sud, appelant à privilégier la diplomatie plutôt que le recours à la force pour résoudre les conflits. L’ancien premier ministre Dominique de Villepin était, dimanche, l’invité de l’Agora à la Fête de l’Humanité.
« Vous fournissez l’épée, nous fournissons le sang/Vous fournissez l’acier et le feu, nous fournissons la chair/Mais le ciel et l’air/Sont les mêmes pour vous et pour nous. » Que vous inspirent ces vers du poète palestinien Mahmoud Darwich ?
Dominique de Villepin : La poésie nous rappelle à la conscience de notre humanité commune. Nous avons tous le même devoir : arrêter cette escalade meurtrière. Le 7 octobre, ne l’oublions pas, c’est 1 200 morts et plus de 240 otages. À partir de là, l’engrenage de la vengeance sans limite, sans proportion, a conduit, à Gaza, à ce bilan effarant de 40 000 morts, dont 30 000 femmes et enfants, issus de la population civile. Ce bilan, qu’il nous faut regarder en face, est lié à un choix de réponse par la force de la part d’une démocratie soutenue par les États-Unis et par les autres démocraties.
Alors même que nous aurions la capacité, et c’est cela que je trouve particulièrement révoltant, d’introduire de la mesure dans la réponse israélienne. D’abord, parce que nous aidons économiquement Israël, y compris sur les territoires de la colonisation. Ensuite, parce que nous apportons à ce pays une aide militaire – c’est particulièrement vrai s’agissant des États-Unis. Et nous le faisons, en quelque sorte, en fermant les yeux sur cet engrenage de la violence dont nous savons qu’il ne peut conduire à rien.
Ceux qui plaident pour continuer la guerre, pour aller « jusqu’au bout », oublient une réalité fondamentale. Nous sommes dans une guerre dite « contre le terrorisme » qui ne peut être gagnée en employant le seul langage de la force. Surtout si cette logique de force est sans objectif politique. Benyamin Netanyahou répète que son but, c’est l’éradication du Hamas. Il est contredit par son ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui dit lui-même que le Hamas a été désarmé.
À Gaza, tous les services de renseignements disent que le point d’achoppement des négociations, le corridor de Philadelphie, dans le sud de Gaza, n’a pas lieu d’être maintenu par Israël. Sur ce point, une entente est possible : on pourrait engager un cessez-le-feu qui permettrait de libérer de nombreux otages, comme cela a été possible une première fois. Mais le gouvernement Netanyahou cherche surtout à se maintenir au pouvoir. Le premier ministre israélien joue sa survie personnelle et judiciaire. D’où la persistance d’une politique ultraconservatrice et fondamentaliste, celle de Ben-Gvir et Smotrich, auxquels il est associé. Cet engrenage de la violence est sans issue.
Entre les victimes du 7 octobre et celles de Gaza, partagez-vous le constat d’un double standard, d’une empathie sélective ?
Dominique de Villepin : Le drame, c’est l’invisibilisation de la mort à Gaza. Il ne s’agit pas de nier l’horreur, ni la barbarie du 7 octobre. Mais tous ces morts ont un visage. Tous ces morts s’inscrivent dans un lignage, dans un souvenir. Comment fait-on son deuil de ces morts qui n’existent pas ?
Vous avez cité Mahmoud Darwich ; je garde la mémoire des vers de Paul Celan : « Alors vous montez en fumée dans les airs/alors vous avez une tombe au creux des nuages. » Quelles sont les sépultures de ces enfants et de ces femmes à Gaza, dans un territoire où même les cimetières sont bombardés ? Heureusement, il reste une conscience internationale. Tous, nous avons le devoir d’ouvrir les yeux.
La France apporte son soutien inconditionnel à Benyamin Netanyahou. Comment pourrait-elle retrouver une voix crédible, indépendante, écoutée pour dégager des alternatives de paix au Proche-Orient ?
Dominique de Villepin : Nous avons défendu le droit international en Ukraine mais que faisons-nous à Gaza ? Ce droit international, depuis 1947, est bafoué au Proche-Orient. La Cour internationale de justice s’est prononcée sur l’illégalité de la colonisation. Elle a dit son inquiétude sur ce qui pourrait conduire à un éventuel génocide. La Cour pénale internationale a mis en accusation des responsables israéliens et, également, même si je ne fais pas de parallèle, des responsables du Hamas.
Si nous sommes capables de faire gagner la justice à Gaza, c’est tout l’ordre mondial que nous pourrons refonder. Ce conflit est né avec la création de l’État d’Israël, au lendemain de cet immense traumatisme de la Shoah, mais aussi de cette immense injustice faite aux Palestiniens restés sans terre. Avec la Nakba, 700 000 personnes ont été contraintes au départ.
Vous avez à plusieurs reprises réaffirmé votre attachement à une solution à deux États, à la reconnaissance par la France d’un État de Palestine…
Dominique de Villepin : Reconnaître le droit du peuple palestinien, accepter une solution à deux États, c’est garantir la sécurité d’Israël. Je n’ignore rien de l’immense choc, en Israël, du 7 octobre, qui a ravivé la mémoire de la Shoah. Cet État refuge, tout à coup, montrait ses limites. Le mythe d’un État capable de tout sécuriser par des armes sophistiquées s’est effondré. Une seule arme pourra garantir la sécurité du peuple israélien. C’est la justice qui permettra aux deux peuples de vivre ensemble.
La seule solution pour les esprits les plus radicaux comme Benyamin Netanyahou, c’est l’extension du conflit, avec le rêve d’une guerre totale. On voit bien comment Israël pourrait, si le conflit s’étend, solliciter l’aide américaine. Les Israéliens ne peuvent pas seuls détruire le Hezbollah et s’en prendre à l’Iran, avec une vraie menace sur le plan nucléaire. Le schéma de Benyamin Netanyahou, c’est la politique du pire.
Au contraire, la réponse, dans le cadre de la solution à deux États, réside dans une administration pour tous les territoires occupés : Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem. Une administration qui pourrait prendre en main ces territoires le plus tôt possible, sous l’égide internationale, avec une Autorité palestinienne rénovée, légitime et crédible, avec une force internationale d’interposition. Un tel scénario exige des interlocuteurs prêts à avancer, du côté israélien comme du côté palestinien. Il implique un réengagement de la communauté internationale en faveur de la justice et de la paix. Liquider le Hamas, ce n’est pas liquider les Palestiniens, ni la question palestinienne.
Jamais la question palestinienne n’a été aussi prégnante, incontournable, nécessaire à la création d’un nouvel ordre mondial. Si la communauté internationale veut éviter le spectre d’une guerre globale, mondialisée, elle doit offrir un avenir aux peuples, changer la perspective du monde.
Toute voix critique du gouvernement israélien s’expose à l’infamante accusation d’antisémitisme. Vous-même avez été la cible de tels procédés. Comment l’avez-vous vécu ?
Dominique de Villepin : Toute instrumentalisation de l’antisémitisme nuit à la lutte indispensable contre l’antisémitisme. Nous sommes dans un monde où les réseaux sociaux, les chaînes d’information en continu ne cessent de polariser les jugements et les opinions publiques. Cette logique de clivage est permanente. Nous devons donc nous méfier de l’instrumentalisation de nos paroles.
Mais ceux qui lancent ces accusations refusent en fait le débat. Je suis prêt à parler avec tout le monde. Et cette liberté fait peur à ceux qui refusent le dialogue et veulent le clore avec des étiquettes : « Antisémite », « anti-Israélien », « antisioniste ». Non ! Nous devons prendre le risque du débat. Un devoir s’impose quand on fait de la politique : assumer ses convictions.
La France a choisi elle aussi, au Sahel, la voie de la « guerre contre le terrorisme »…
Dominique de Villepin : Derrière cette guerre contre le terrorisme, et souvent derrière l’emploi de la force, il y a, sous-jacente, cette pensée magique du changement de régime qui réglerait tout. La politique du changement de régime, défendue par les néoconservateurs américains, s’est déployée en Irak, en Libye, en Syrie. Avec pour résultat le chaos que l’on sait. Elle est encore omniprésente sur la scène internationale, face à l’Iran, face à la Russie.
Je crois au contraire que l’ordre international tel qu’il a été défini en 1945 et tel qu’il devra être refondé implique l’acceptation du principe de non-ingérence, qui n’est pas synonyme de désintérêt pour les droits de l’homme. Toute leçon donnée aux autres doit commencer par soi-même. Regardez ce qui s’est passé le 6 janvier 2021 avec l’invasion du Capitole à Washington. Est-ce l’image d’une grande démocratie ? La confusion idéologique conduit les démocraties occidentales à s’égarer dans la surenchère. Or il n’y a pas d’issue dans la surenchère.
Qu’est-ce qui distingue le spectre de la « guerre globale » contre laquelle vous mettez en garde des conflits mondiaux du XXe siècle ?
Dominique de Villepin : Le spectre de la guerre globale est présent dans beaucoup de nos discours, y compris parfois dans la politique des sanctions. Les deux tiers de l’humanité ne suivent pas nos politiques de sanction. Les Brics, eux, se posent la question de vivre sans ce dernier tiers, en commerçant par le biais d’échanges qui ne passeraient pas par le dollar, par les marchés internationaux. C’est la construction d’un monde parallèle qui peu à peu va nous isoler. Tout cela change les mentalités du monde.
Et si la France veut rester capable de parler au Brésil, à l’Afrique du Sud, à l’Algérie, à l’Indonésie, nous devons construire un langage commun hors de la confrontation entre les États-Unis et la Chine. C’est aussi la question posée à l’Otan : doit-elle se projeter vers l’Asie pour contenir l’influence chinoise ? Cette logique d’élargissement des conflits, de guerre totale, nous menace. Au contraire, l’Europe doit préserver son indépendance, son autonomie stratégique. Elle doit construire son identité et sa souveraineté dans un grand partenariat avec le Sud global. L’avenir est là.
Le président Biden se dit « déterminé à mettre l’Ukraine dans la meilleure position possible pour l’emporter ». Comment initier un processus diplomatique conduisant à la désescalade ?
Dominique de Villepin : Ce conflit a déjà fait 300 000 victimes, on voit bien qu’il ne mène nulle part. Comment faire en sorte que la Russie ait intérêt à ne pas aller plus loin, à transiger ? C’est la question stratégique aujourd’hui sur la table. Nous devons être capables de dire là où peut se nouer une paix raisonnable. C’est compliqué, avec l’enjeu territorial au Donbass et en Crimée. Mais la question du statut de l’Ukraine, de sa neutralité, se pose aussi, comme celle des garanties de sécurité.
Redoutez-vous le retour de Donald Trump ?
Dominique de Villepin : Donald Trump prétend qu’il va faire la paix en Ukraine en 24 heures. Ça paraît peu raisonnable. Il a sans doute son idée sur Gaza ; elle ne passe sans doute pas par la création d’un État palestinien. Mais cela peut produire un réveil. Les Européens finiront peut-être par comprendre que les États-Unis, quoi qu’il arrive, privilégieront, comme ils l’ont fait avec Barack Obama, une continuité historique et diplomatique qui ne va pas dans le sens de l’Europe.
L’obsession des États-Unis, c’est l’Asie-Pacifique, avec l’objectif d’empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale. Ce n’est pas l’enjeu pour l’Europe. Nous n’avons pas partie liée avec les États-Unis sur l’ensemble de leur vision stratégique mondiale. L’Europe doit comprendre qu’elle a des intérêts communs avec le Sud global. Il faut être capable de mettre les pieds dans le plat.
Mario Draghi, l’ancien gouverneur de la BCE, fait justement le constat d’un décrochage économique de l’Europe. Il préconise un grand plan européen d’investissement. Michel Barnier, lui, a pour mission de conduire en France un plan d’austérité sans précédent. Quelles peuvent en être les conséquences économiques, sociales, politiques ?
Dominique de Villepin : L’austérité est toujours un renoncement. On peut choisir le sérieux budgétaire face à la dette tout en restant exigeant sur la nécessité de préserver la croissance. Nous avons besoin, comme les Américains et comme les Chinois, de relancer nos économies dans un moment où la différenciation se fait dans la grande bataille numérique, technologique. Cela exige des sommes colossales.
Mario Draghi parle de 800 milliards d’euros par an. C’est un immense effort, les États-Unis l’ont fait. Il faut être capable de cette audace. Le drame de la France, c’est que la start-up nation s’est faite à périmètre constant. Le résultat, c’est que nous sommes aujourd’hui dans un pays étriqué, qui rapetisse, ne pense pas, un pays égoïste. L’avenir, c’est au contraire la capacité d’offrir à chacun une perspective. Et cela suppose de renier la politique du rabot.
La dissolution de l’Assemblée nationale a ouvert une crise inédite sous la Ve République. Peut-elle se muer en crise de régime ?
Je ne suis pas forcément le mieux placé pour parler de dissolution… Mais je me permets de dire quand même que cette dernière dissolution n’a rien à voir avec la précédente. Là, j’avoue qu’on a un maître ès dynamite. Se couper de l’exigence démocratique, c’est courir le risque d’une crise de régime. Je l’ai dit dès le lendemain des législatives : il fallait faire les choses dans l’ordre, en respectant les Français.
Une force est arrivée en tête, il fallait lui donner sa chance. Est-ce que cela aurait duré ? Est-ce que le Nouveau Front populaire (NFP) aurait eu l’audace d’étendre ses lignes pour constituer un gouvernement qui puisse avoir une majorité ? Ce n’était pas au président de la République d’y répondre à la place du NFP. Nous sommes dans une situation très singulière : c’est le parti arrivé en dernier qui forme le gouvernement. Reconnaissez quand même un mérite à ce choix : il donne raison à la parole évangélique. « Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers ! »
Michel Barnier est un homme d’expérience, de dialogue, il l’a prouvé à Bruxelles. Bruxelles n’est pas le Parlement français. Je lui souhaite bon courage, avec le RN aux aguets. Mais il ne faut pas désespérer de la démocratie : nous avons d’autres options. L’expérience d’un gouvernement de front républicain mériterait peut-être d’être tentée. Vous avez devant vous un gaulliste : j’ai la mémoire de 1944. Un gouvernement d’union nationale, en cas de crise majeure, pourrait être une réponse. Ce que je souhaite, c’est que personne ne joue la politique du pire. Parce que le pire, nous savons tous où cela conduit.
Camille Bauer sur www.humanite.fr
Professeure de français à l’université al-Aqsa, Falestine Rusrus a raconté à la Fête de l’Humanité l’horreur de la vie dans l’enclave palestinienne et la destruction complète du système scolaire.
Son cri de désespoir a déchiré la Fête de l’Humanité. De sa voix tremblante, au bord des larmes, Falestine Rusrus, directrice du département de français à l’université al-Aqsa de Gaza, est venue témoigner de l’enfer qu’elle a vécu. « J’habite dans le nord de la bande de Gaza. Ils m’ont obligée à me déplacer vers le Sud, juste pour chercher un peu de sécurité pour mes enfants. On ne savait pas où aller. On se déplaçait d’un endroit à l’autre juste pour trouver un lieu sûr. Et puis on est restés sans rien manger, sans eau potable. On a attendu l’aide humanitaire dans les écoles. On faisait des queues, de longues queues, juste pour avoir un litre d’eau potable par semaine, pour six personnes. C’est ça qu’on vit à Gaza », a-t-elle raconté à l’espace débats du Village du monde.
« Les enfants ont fait leur rentrée sous les décombres des maisons »
Au-delà de son cas personnel, Falestine Rusrus a rappelé que « des enfants sont restés sous les décombres sans même qu’on ait pu les enterrer. Des familles entières sont mortes assassinées. ”Assassinées”, j’insiste sur le mot. Quand on te dit que tu peux aller dans un endroit pour y être en sécurité, mais qu’une fois que tu arrives, on te bombarde, ça n’est pas une guerre, c’est un crime, un génocide. Les responsables israéliens de ces crimes de guerre doivent payer. C’est l’humanité qu’on assassine à Gaza. »
L’enseignante qu’elle a été est aussi venue rappeler l’écroulement du système éducatif. « Je suis professeure de français depuis 2006. Pendant toutes ces années, j’ai toujours essayé, avec les générations successives de Palestiniens, de planter de l’espoir, de la liberté. Je leur ai dit : ”Parler en français, c’est pour parler de vous-même, pour vous exprimer, pour voyager, pour aller voir le monde, pour vivre.” C’est ça le sens. Mais maintenant, il n’y a plus d’universités à Gaza. Tout le système éducatif est complètement détruit. Il n’y a plus d’écoles, plus de jardins d’enfants. Il n’y a plus rien du tout. Et pourtant, si vous regardez sur les réseaux sociaux, vous y verrez la détermination du peuple palestinien, dont les enfants ont fait leur rentrée scolaire sous les décombres des maisons… »
Le courage, la résilience des Palestiniens ont transparu tout au long du témoignage de Falestine Rusrus. « On nous dit : ”Partez, vous n’avez pas le droit d’être là !” Mais c’est notre pays, notre terre. Les Palestiniens ont vraiment du mérite. Après une histoire d’occupation longue de plus de soixante-seize ans, on insiste toujours sur le droit à la liberté, le droit du peuple. Je ne sais pas quelle génération verra ce jour où la Palestine fêtera son indépendance et sa liberté. J’aimerais bien que mes enfants voient ce jour-là. »
mise en ligne le 14 septembre 2024
sur https://www.francetvinfo.fr/
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déploré la mort de six membres de l'UNRWA dans cette frappe. L'armée israélienne affirme avoir visé "des terroristes".
La Défense civile de Gaza a annoncé que 18 personnes, dont des collaborateurs de l'ONU, ont été tuées mercredi 11 septembre dans une frappe aérienne israélienne sur une école de Nuseirat transformée en abri pour déplacés, l'armée israélienne affirmant avoir visé des "terroristes" du Hamas.
Selon l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, six membres de l'organisation sont morts. "Il s'agit du plus grand nombre de morts parmi nos collaborateurs en une seule fois", écrit-elle sur le réseau social X.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a confirmé le décès de collaborateurs onusiens."Une école transformée en refuge pour 12 000 personnes a à nouveau été visée par des frappes aériennes israéliennes aujourd'hui. Six de nos collègues figurent parmi les morts", a-t-il déploré.
"Ce qui se passe à Gaza est totalement inacceptable", a souligné Antonio Guterres, déclarant que "ces violations dramatiques du droit humanitaire international doivent cesser immédiatement".
Israël évoque "une frappe de précision"
Dans un communiqué, l'armée israélienne a déclaré de son côté que son aviation avait "mené une frappe de précision sur des terroristes qui opéraient à l'intérieur d'un centre de commandement du Hamas" dans l'école Al-Jouni. Les services de presse du gouvernement du Hamas dans la bande de Gaza ont affirmé que l'école, qui est gérée par l'UNRWA, abritait environ 5 000 personnes déplacées au moment de la frappe.
Ces derniers mois, l'armée israélienne a frappé plusieurs écoles dans la bande de Gaza, les accusant d'abriter des centres de commandement du Hamas, ce que le mouvement islamiste palestinien nie. Des dizaines de milliers de personnes déplacées ont trouvé refuge dans des établissements scolaires depuis que la guerre à Gaza a commencé, après l'attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre.
mise en ligne le 10 septembre 2024
Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel, Luc Chagnon sur https://www.francetvinfo.fr/
Une frappe israélienne sur une zone humanitaire fait au moins 40 morts. La Défense civile de Gaza a annoncé que la zone humanitaire d'al-Mawasi à Khan Younès, avait été touchée par une frappe dans la nuit du lundi 9 au mardi 10 septembre. Elle a également fait état de 60 blessés ainsi que "15 personnes disparues".
Tsahal ordonne de nouvelles évacuations dans la bande de Gaza. Une carte appelant à évacuer différents quartiers du nord-ouest de l'enclave palestinienne "considérés comme des zones de combat dangereuses" a été publiée sur le réseau social X par un porte-parole de l'armée israélienne. Tsahal, qui poursuit son offensive, avait pourtant annoncé début janvier avoir "achevé le démantèlement de la structure militaire" du Hamas dans le nord.
"Depuis 11 mois, il n'y a jamais vraiment eu de zones sûres [dans la bande de Gaza]." Déclare Jean-François Corty, président de Médecins du Monde,
#ISRAEL_PALESTINE "Le droit humanitaire n'est pas du tout respecté" par Israël dans son offensive dans la bande de Gaza, affirme sur franceinfo Jean-François Corty, médecin et président de Médecins du monde. "On est sur des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité au quotidien", affirme le médecin après la frappe israélienne sur la zone humanitaire d'al-Mawassi, à Khan Younès, qui a fait au moins 40 morts et 60 blessés.
#ISRAEL_PALESTINE L'offensive israélienne dans la bande de Gaza a fait 41 020 morts depuis octobre dernier, selon le nouveau bilan quotidien du ministère de la Santé du Hamas. Au moins 32 personnes ont été tuées ces dernières 24 heures, selon le mouvement islamiste. Suivez notre direct.
#ISRAEL_PALESTINE "Je condamne fermement les frappes aériennes meurtrières menées aujourd'hui par Israël dans un secteur densément peuplé, une zone humanitaire définie par Israël à Khan Younès où s'abritaient des personnes déplacées", a déclaré l'émissaire de l'ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient dans un communiqué. Il ajouté que "les civils ne devaient jamais être utilisés comme boucliers humains", en référence aux déclarations de l'armée israélienne affirmant avoir visé un centre de commandement du Hamas.
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Engagé pour la paix au Proche-Orient, Gershon Baskin a souvent négocié avec le Hamas. Il explique les difficultés des discussions actuelles, les blocages à l’œuvre et appelle à la reconnaissance d’un État de Palestine.
Fondateur et directeur du Centre de recherche et d’information Israël-Palestine (Ipcri), Gershon Baskin a été l’initiateur et le négociateur pour Israël de discussions secrètes entre Israël et le Hamas pour la libération, en 2011, de plus de 1 000 prisonniers palestiniens, dont Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas dans la bande de Gaza, en échange du soldat franco-israélien Gilad Shalit, capturé en 2006.
Sur quelles bases se sont fondées les discussions actuelles sous l’égide des États-Unis, de l’Égypte et du Qatar ? Quels sont les sujets abordés ?
Gershon Baskin : Les négociations qui se poursuivent depuis deux mois et demi portent sur le plan que le président Biden a présenté publiquement en mai. Celui-ci comprend un accord en trois étapes dont la première, censée durer quarante-deux jours, implique un cessez-le-feu. Israël devrait alors se redéployer hors des zones peuplées et, durant ces six semaines, le Hamas libérerait 32 otages.
À ma connaissance, une liste de noms est actuellement discutée. Dans le cadre de ces négociations, les Américains poussent pour qu’Israël se désengage du corridor de Philadelphie (zone de 14 kilomètres le long de la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza – NDLR), qu’ils considèrent comme une zone peuplée. Au Caire et à Doha, les négociations ont porté sur le retrait des forces israéliennes de cinq à huit postes militaires le long de ce corridor de Philadelphie, durant les six semaines de cessez-le-feu.
Sur ce point, à ma connaissance, il n’y a pas eu d’accord. L’Égypte et le Hamas s’y opposent, et les Israéliens refusent de se retirer de cette zone. Quoi qu’il en soit, je pense que c’est une mauvaise stratégie, car personne ne sait ce qu’il se passera après ces quarante-deux jours.
Je plaide pour un cessez-le-feu de trois semaines, prémice à un cessez-le-feu total, le retrait israélien de Gaza, la libération de tous les otages israéliens et d’un nombre convenu de prisonniers palestiniens retenus dans les prisons israéliennes. J’ai demandé au Hamas de dire aux Égyptiens et aux Qataris de travailler en ce sens. Je leur ai tout communiqué, ainsi qu’aux Américains et aux Israéliens.
Comment se déroulent ces discussions puisque Israël et le Hamas ne se parlent pas directement ?
Gershon Baskin : Lorsque vous n’avez pas de discussion directe, les conversations sont complexes. Les trois parties – les États-Unis, le Qatar et l’Égypte – ont chacune leurs propres intérêts, leur propre façon de communiquer. Vous ne savez jamais si les messages qui sont livrés sont fidèles à ce que vous avez énoncé.
Vous ne savez pas non plus si les réponses que vous recevez sont retransmises de façon exacte. Les documents écrits sont donc les seuls sur lesquels il est possible de compter mais ils n’aident pas à une compréhension optimale. Chacun se concentre sur la forme, parfois au détriment du fond. C’est, selon moi, une très mauvaise façon de mener des négociations.
Qu’est-ce qui empêche un accord ?
Gershon Baskin : Le Hamas ne signera pas un accord qui ne met pas fin à la guerre, et Netanyahou ne l’acceptera pas si cela met fin à la guerre. Tous les autres points sont des détails : prisonniers, redéploiement, couloir de Philadelphie…
Comment le Hamas peut-il prendre des décisions alors qu’Ismail Haniyeh a été tué et que Yahya Sinouar se cache ?
Gershon Baskin : Tous les dirigeants sont consultés, qu’ils soient à Gaza, en Cisjordanie, à Doha, à Istanbul ou à Beyrouth. Le Hamas a également tenté de consulter ceux qui se trouvent dans les prisons israéliennes. En vain. Ils essaient de parvenir à un consensus mais n’y arrivent pas toujours.
Au deuxième mois de la guerre, déjà, certains membres du Hamas m’indiquaient que Yahya Sinouar n’était pas le seul décideur. Lorsqu’une décision est prise, elle est annoncée par le chef du Hamas à Beyrouth, Oussama Hamdan. Et même s’il y a désaccord, tout le monde se plie à cette décision.
Khalil Al Hayya, l’adjoint de Sinouar, se trouve hors de Gaza depuis le début de la guerre. Au cours des deux dernières semaines, il a publié des déclarations sur le compte Telegram de l’organisation en signant de son nom. Cela apparaît comme l’expression finale du Hamas. C’est un fait nouveau.
Quel est l’objectif de Netanyahou ?
Gershon Baskin : Rester au pouvoir ! C’est ce qui le préoccupe. Ne pas avoir une commission d’enquête nationale et ne pas devoir se présenter aux élections. Demeurer en poste aussi longtemps qu’il le peut car il croit au mythe de la destruction totale du Hamas.
Benyamin Netanyahou veut éliminer Yahya Sinouar. Mais la mort récente de six otages israéliens a un peu changé la donne. Si Yahya Sinouar est tué, le Hamas exécutera tous les otages. Il n’y a aucune raison de ne pas le croire et tout le monde le comprend.
Dans ce contexte, quel est le but de l’offensive israélienne en Cisjordanie ?
Gershon Baskin : L’offensive en Cisjordanie se poursuit depuis le 7 octobre. Elle s’intensifie ces derniers temps, avec son lot de morts et de destructions. Ben-Gvir et Smotrich (ministres israéliens d’extrême droite de la Sécurité nationale et des Finances – NDLR) veulent une explosion en Cisjordanie pour pouvoir faire comme à Gaza : détruire les infrastructures, les habitations et forcer les habitants à partir.
Dans le même temps, les Palestiniens ne peuvent plus venir travailler en Israël et commencent à mourir de faim. Les écoles sont fermées parce que l’Autorité palestinienne, en faillite, ne peut plus payer les salaires des enseignants. Des centaines de milliers de jeunes sont dans les rues, ce qui alimente un climat de tension.
Nous assistons à un retour de l’utilisation de voitures piégées et de kamikazes, ce qui n’était plus le cas depuis la fin de la deuxième Intifada. C’est très dangereux et c’est exactement ce que certains pyromanes du gouvernement israélien veulent.
Comment les Israéliens réagissent-ils ?
Gershon Baskin : Ils ne savent pas ce qui se passe. Ils sont aveugles, ils ne regardent pas, ils s’en fichent, ils sont toujours dans le traumatisme du 7 octobre et ils ont peur que cela puisse se reproduire depuis la Cisjordanie. Ils entendent dans les médias israéliens que le terrorisme se développe dans ce territoire palestinien, qu’il y a de plus en plus d’attaques, de plus en plus de cellules terroristes, de plus en plus d’armes en circulation…
Les gens vivent dans la crainte. Alors, lorsqu’ils entendent que l’armée israélienne entre chaque nuit en Cisjordanie et tue des Palestiniens, ils sont soulagés. Ils ne comprennent pas que tout cela, en réalité, ne fait que jeter de l’huile sur le feu.
Est-ce à dire qu’ils ne considèrent pas que la libération des otages est liée à un accord de paix ou à un accord final sur l’État palestinien ?
Gershon Baskin : Personne ne parle d’un accord de paix. Personne n’évoque les négociations ou la solution à deux États. Nous tentons de faire comprendre aux gens que si nous parvenons à mettre fin à la guerre à Gaza, si la guerre au Liban s’arrête aussi, alors, peut-être qu’Israël permettra aux Palestiniens de retourner travailler en Israël. Peut-être. Mais si nous n’essayons pas, cela va continuer. La situation économique est vraiment désespérée. Les Palestiniens n’ont plus d’argent pour acheter de quoi manger.
Certes, la solution à deux États est revenue dans les discussions internationales, ce qui est important, mais elle n’a pas encore irrigué les consciences en Israël. Cela se produira peut-être après les prochaines élections. Mais tant que Netanyahou sera premier ministre, il n’y aura pas de discussion sur un processus de paix et une solution à deux États.
Y a-il des tiraillements entre l’administration américaine et Netanyahou ?
Gershon Baskin : Oui, il existe un conflit entre l’administration américaine et Netanyahou. Le contexte électoral pèse lourd. Biden n’étant plus candidat, il pourrait être amené à prendre des décisions qu’il n’envisageait pas. Kamala Harris aimerait que cette guerre se termine car cela n’aide pas sa campagne.
Israël dépend des États-Unis, que ce soit pour l’utilisation du veto à l’ONU ou la livraison d’armes. Les Américains ont de multiples canaux pour faire passer des messages clairs à Israël, en privé, ou publiquement si les discussions à huis clos échouent.
Est-il important que la communauté internationale reconnaisse un État palestinien ?
Gershon Baskin : Il faut que cela devienne un fait accompli (en français dans le texte) qui supprimerait le veto d’Israël sur la question de l’État palestinien. Cela ne changera pas l’occupation, mais forcera à une réorganisation dans la société civile et les politiques en Israël et en Palestine. Cette reconnaissance permettra de faire comprendre qu’un processus de paix relève d’une négociation régionale pour la stabilité, la sécurité, le développement économique.
C’est la voie à suivre pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Mais nous allons avoir besoin d’un coup de pouce de la part des Américains et des Européens sur ce point. Tous les pays qui n’ont pas reconnu et Israël et la Palestine doivent le faire.
mise en ligne le 16 juillet 2024
Luis Reygada sur www.humanite.fr
Aux antipodes des prédictions des conservateurs, l’Espagne, gouvernée par une coalition progressiste, voit sa croissance largement surpasser la moyenne des pays de la zone euro.
Janvier 2020. Le socialiste Pedro Sánchez passe un accord de gouvernement avec Unidas Podemos (UP) – composé de partis situés à sa gauche – sur la base d’un programme résolument progressiste. Un gouvernement de coalition est formé, il vise à faire de l’Espagne une « référence pour la protection des droits sociaux en Europe », soit résorber les mesures néolibérales et antisociales qui flagellent la population depuis plus de dix ans.
Abrogation des aspects les plus néfastes de la réforme du travail, réforme fiscale ambitieuse avec des hausses d’impôts pour les plus riches et les grandes entreprises, augmentation du salaire minimum, mesures en matière de logement, de transition écologique, de lutte contre les inégalités, etc. L’accent social – ainsi que féministe – est omniprésent et fait alors hurler les porte-voix de la bourgeoisie et du grand patronat.
Du jamais vu en 15 ans
Le moment est historique – il s’agit du premier gouvernement de coalition depuis 1936 – et toute la droite pousse des cris d’orfraie, dénonce l’alliance du PSOE avec la « gauche radicale », et accuse Sánchez de pousser le pays vers l’abîme avec une politique « irresponsable et dangereuse ». Le devenir de la stabilité économique, prétendument au cœur de leurs préoccupations, vise surtout à effrayer l’opinion publique.
Pour les conservateurs, pas de doute : avec les hausses des dépenses publiques et les mesures de protection sociale, le programme de la coalition « embrasse le communisme bolivarien », décourage les investisseurs, augmente la dette publique, nuit à l’emploi et à la compétitivité espagnole. Sans parler de la discipline budgétaire. Quatre ans après, force est de constater que c’est tout le contraire qui s’est produit.
La droite n’y croit pas, la gauche le fait
Les résultats macroéconomiques du gouvernement de coalition – qui a vu Sumar remplacer UP en novembre 2023 – sont bons, voire très bons, malgré l’impact de la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine. Les politiques de relance, qui forment un bouclier social protecteur vis-à-vis des familles, des travailleurs et des PME, ont porté leurs fruits et permis d’atteindre des chiffres records en matière d’emploi – jamais vus en quinze ans.
À cela s’ajoutent la hausse du salaire minimum (passé en quatre ans de 900 à 1 134 euros), les réformes qui ont permis aux travailleurs de recouvrer des droits, l’augmentation des retraites ou encore la création d’un revenu de solidarité active.
Les budgets « anti-austéritaires », la mise en place d’une taxe sur les transactions financières, sur les grandes fortunes ou encore sur les bénéfices exceptionnels des grands groupes financiers et de l’énergie, les plus de 200 autres lois approuvées depuis 2020 n’ont pas freiné l’économie.
La situation budgétaire a été plus solide que prévu l’an dernier. Avec une croissance annuelle de 2,5 %, l’économie espagnole a largement dépassé la moyenne de la zone euro (cinq fois inférieure), allant même jusqu’à se hisser sur la première marche du podium devant les autres principales économies européennes. La droite espagnole ne voulait pas y croire, la coalition progressiste au pouvoir l’a pourtant fait.
mise en ligne le 14 juillet 2024
Pierre Barbancey surwww.humanite.fr
Au moins 90 personnes, dont la moitié serait des enfants, ont été tuées samedi 13 juillet lors d’une frappe ordonnée par Benyamin Netanyahou ciblant un dirigeant du Hamas. Le secrétaire général de l’ONU compare la condition des civils à des « boules humaines de flipper », forcées de se déplacer.
Al-Mawasi est censée être une zone humanitaire sécurisée. C’est en tout ce que prétend l’armée israélienne qui, à plusieurs reprises, a exhorté les Palestiniens à s’y rendre après avoir émis des ordres d’évacuation d’autres parties de la bande de Gaza.
Mais le commissaire général de l’organisme des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, avait prévenu qu’aucune zone n’était en réalité sécurisée. Il avait raison. Samedi 13 juillet, Israël a lancé une frappe sur ce quartier densément peuplé, faisant au moins 90 morts (dont la moitié d’enfants) et 300 blessés.
« Je ne pouvais même pas dire où j’étais, ou ce qu‘il se passait », a expliqué à l’agence Reuters Sheikh Youssef, un résident de la ville de Gaza qui est actuellement déplacé dans la région d’Al-Mawasi. « J’ai quitté la tente et regardé autour de moi : toutes les tentes ont été renversées, des parties de corps, des corps partout, des femmes âgées jetées par terre, de jeunes enfants en morceaux. » Ce même jour, une frappe sur le camp d‘Al-Shati, en bordure de la ville de Gaza, plus au nord, a fait au moins 20 morts.
Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent beaucoup d’enfants morts
Officiellement, Israël cherchait à tuer le chef militaire du Hamas, Mohammed Deïf, mais Benyamin Netanyahou, sans un mot pour les civils tués, a avoué qu’il ne savait pas si Deïf et un autre commandant du Hamas avaient été tués. Il « va bien et supervise directement les opérations des brigades al-Qassam (la branche armée du Hamas – NDLR) et de la résistance », a fait savoir un responsable du mouvement palestinien en évoquant Mohammed Deïf.
« La frappe a été menée dans une zone clôturée gérée par le Hamas où, selon nos informations », ne se trouvait « aucun civil », a affirmé de son côté l’armée israélienne, estimant que « la plupart des victimes étaient des terroristes ». Un discours à l’adresse du public israélien.
Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent beaucoup d’enfants morts. « Je ne sais pas quoi dire, la situation est tragique. Je n’exagère pas, nous avons des funérailles toutes les quinze minutes en quittant l’hôpital. Cela se poursuit depuis l’incident. Un par un, des gens se font tuer », révèle Mohammed Aghaalkurdi, de l’aide médicale palestinienne qui se trouve à l’hôpital de Nasser.
Beaucoup de personnes blessées, y compris des femmes et des enfants, ont été emmenées à l’hôpital voisin de Nasser, qui, selon ses responsables, était débordé et « ne pouvait plus fonctionner » en raison de l’intensité de l’offensive israélienne et d’une pénurie aiguë de fournitures médicales. « L’hôpital est plein de patients, il est plein de blessés, nous ne pouvons pas trouver de lits pour les gens », a insisté Atef Al Hout, directeur de l’hôpital, ajoutant que c’était le seul qui opérait encore dans le sud de Gaza.
38 584 Palestiniens seraient morts et 88 881 blessés
Netanyahou a promis de continuer à cibler les dirigeants de l’organisation palestinienne, affirmant que plus de pression militaire sur le groupe améliorerait les chances d’un accord en vue de libérer les otages. Pourtant, alors que des pourparlers séparés avaient lieu depuis mercredi 10 juillet au Qatar pour tenter d’établir un cessez-le-feu, le Hamas aurait décidé d’arrêter toute discussion à la suite des frappes sur Al-Mawasi, mais les déclarations en ce sens sont contradictoires.
Ces discussions avaient été relancées après une concession, la semaine dernière, de cette organisation, qui avait accepté de négocier la libération d’Israéliens et de prisonniers palestiniens en l’absence d’un cessez-le-feu permanent avec Israël.
Samedi 13 juillet au soir, le chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a accusé Benyamin Netanyahou de chercher à bloquer un cessez-le-feu par des « massacres odieux. La position israélienne (…) consiste à placer des obstacles qui empêchent de parvenir à un accord », a-t-il précisé, mettant en avant à l’inverse une « réponse positive et responsable » du Hamas aux efforts des médiateurs.
Josep Borrell, chef de la politique étrangère de l’Union européenne, a demandé « l’accès à des enquêtes indépendantes » afin de déterminer les responsabilités concernant l’attaque de l’armée israélienne contre le camp de réfugiés d’Al-Mawasi.
Quant au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, il a accusé Israël de publier des ordres d’évacuation qui forcent les Palestiniens à « se déplacer comme des boules humaines de flipper dans un paysage de destruction et de mort ». Selon le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas, qui dirige la bande de Gaza, depuis le 7 octobre, désormais 38 584 Palestiniens seraient morts et 88 881 blessés.
mise en ligne le 12 juillet 2024
par Rachel Knaebel sur https://basta.media/
Les troubles ne se sont pas arrêtés en Nouvelle-Calédonie avec la suspension de la réforme du corps électoral. Le sénateur écologiste Thomas Dossus a rendu visite à l’une des indépendantistes de la CCAT emprisonnée en métropole depuis fin juin.
La situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie est passée sous les radars avec les législatives. Mais un homme y a été tué mercredi 10 juillet par les forces de l’ordre. C’est le dixième mort depuis le début des troubles dans l’archipel en mai. À l’origine du regain de violence : la contestation d’un projet de réforme du corps électoral pour les élections provinciales calédoniennes. Cette réforme est pour l’instant suspendue suite à la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin.
Le 19 juin, 13 personnes membres du groupe indépendantiste Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) ont été arrêtées en Nouvelle-Calédonie. Sept ont été éloignées de l’archipel et incarcérées en métropole, à plus de 16 000 kilomètres de chez elles. Les autorités reprochent à la CCAT son rôle dans les émeutes de mai et juin. La leader de la CCAT, Christina Tein, est à l’isolement au centre pénitentiaire de Mulhouse.
Le 1er juillet, cinq sénateurs et sénatrices écologistes, dont le sénateur du Rhône Thomas Dossus, ont rendu visite aux membres de la CCAT incarcérés en métropole, dans les centres pénitentiaires de Mulhouse, Riom, Blois et Dijon.
Basta! : Vous avez rendu visite à l’une des membres de la CCAT emprisonnée en métropole, Brenda Wanado Ipeze, à la maison d’arrêt de Dijon. Que vous a-t-elle dit sur les conditions de son arrestation et de sa détention ?
Thomas Dossus : C’est l’une de deux femmes qui ont été arrêtées et placées en détention en métropole. L’autre est Frédérique Muliava. Les deux femmes sont aujourd’hui [9 juillet] sorties de détention, sous contrôle judiciaire. Mais elles sont assignées à résidence en métropole. Les cinq hommes, eux, restent en détention provisoire en métropole.
Quand j’ai vu Brenda Wanado Ipeze, elle était encore sous le choc de la façon dont tout cela s’était passé. Elle n’a pas compris pourquoi elle devait être éloignée alors qu’elle – c’est en tous cas la manière dont elle le présente - n’a pas une fonction très opérationnelle au sein de la CCAT : elle est chargée de la communication.
« Brenda Wanado Ipeze a fait les 16 000 kilomètres menottée, sans pouvoir dire à ses enfants qu’elle partait »
Très rapidement après son arrestation, on l’a fait embarquer, elle a fait les plus de 16 000 kilomètres menottée, en plusieurs étapes, sans pouvoir dire à ses enfants qu’elle partait. Quand je l’ai vue, une semaine après son arrivée en métropole, elle n’avait toujours pas eu de contact téléphonique avec ses enfants. C’est cela qui la préoccupait le plus. Son ressenti, c’est que c’est une procédure d’intimidation.
Et quelle est votre analyse ? Pourquoi ces membres de la CCAT ont été envoyé·es en métropole ?
Thomas Dossus : C’est une décision du juge. Ce n’est pas à nous de la commenter. Mais nous pensons que ça remet de l’huile sur le feu. Cela n’aura aucune conséquence d’apaisement là-bas. L’objectif de nos visites à ces membres de la CCAT emprisonnés en métropole – et ces visites vont se poursuivre - c’est de mettre de la lumière sur cette situation et de demander au moins la fin de l’éloignement, que les personnes puissent être emprisonnées sur place en Nouvelle-Calédonie. Les indépendantistes ont besoin que ça se sache qu’il y a des personnes qui ont été envoyées en métropole où elles sont enfermées.
Que leur est-il reproché ?
LThomas Dossus : es chefs d’inculpation sont assez lourds, comme « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime » [1]. C’est un chef d’inculpation qu’on retrouve en général dans les accusations contre les mouvements indépendantistes, notamment pour les Corses et les Basques.
Je n’ai pour ma part pas à qualifier ce qui est vrai ou pas, la procédure est en cours. Ce que nous constatons simplement, c’est que globalement, cela ne va pas apaiser la situation là-bas de les avoir fait venir ici. En tant que groupe écologiste au Sénat, nous pensons qu’avec ce projet de réforme du corps électoral, l’État est sorti de sa position de neutralité, qui était celle des accords de Nouméa et Matignon. Ces accords stipulaient que l’État organise le débat sur l’indépendance et la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, mais ne prend pas partie.
Depuis que Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu ont repris le dossier, c’est-à-dire depuis le troisième référendum de 2021, l’État a changé de posture. L’État a globalement pris partie pour les loyalistes. En nommant Sonia Backès au gouvernement [présidente de l’assemblée de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, cheffe de file des loyalistes, Sonia Backès a été secrétaire d’État à la Citoyenneté au sein du gouvernement Borne de juillet 2022 à octobre 2023], en reconnaissant en 2021 un référendum sur l’indépendance qui était complètement biaisé par le Covid, l’État a changé de posture. Et pour nous, la gestion du dossier est toujours dans cette ligne, l’État prend fait et cause pour les loyalistes et mène une offensive contre les indépendantistes. Ces éloignements de membres de la CCAT s’inscrivent dans ce cadre.
Êtes-vous aussi en lien avec des élus Kanaks ?
Thomas Dossus : Un sénateur Kanak, Robert Xowie [sénateur de la Nouvelle-Calédonie, membre du [groupe Communiste républicain citoyen et écologiste-Kanaky], a lui aussi visité les prisonniers indépendantistes juste après qu’ils et elles sont arrivés en métropole. On a commencé à organiser le travail en commun avec ses collaborateurs. Et on attend Emmanuel Tjibaou, fils du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou [assassiné en 1989], qui vient d’être élu à l’Assemblée nationale pour le Nouveau Front populaire. On va essayer d’organiser une rencontre avec lui rapidement.
Que pourrait et devrait-faire selon vous un éventuel gouvernement de gauche, ou en partie de gauche, au sujet de la Nouvelle-Calédonie ?
Thomas Dossus : Pour nous, l’urgence, c’est de revenir à la méthode des accords de Nouméa et Matignon. C’est-à-dire de nommer des tiers qui seraient de confiance pour tout le monde. Ce n’est pas simple, mais il faut trouver des personnalités qui pourraient remettre tout le monde autour de la table, avec aussi la CCAT. Car les membres de la CCAT sont traités de terroristes mais ce sont aussi eux qui organisent le mouvement indépendantiste. Certains parlaient de Lionel Jospin comme personnalité tiers. Il y a aussi des hauts fonctionnaires qui ont travaillé sur la question. On pourrait trouver. L’idée c’est qu’elles soient acceptées par les deux camps.
« Aucune solution ne peut émerger si l’État ne revient pas à une posture d'arbitre, comme il l'avait avant »
Il faut vraiment qu’on arrive à apaiser la situation, car là-bas c’est toujours compliqué, il y a des barrages et des affrontements. Je pense qu’un gouvernement de gauche, et même Emmanuel Macron s’il le voulait, devrait nommer rapidement des personnalités qualifiées qui pourraient reprendre la logique des accords de Nouméa et Matignon, celle de l’État impartial, et revenir un peu à ce qui a fonctionné au moment de ces accords. Aucune solution ne peut émerger si l’État ne revient pas à une posture d’arbitre, comme il l’avait avant. Pour nous, c’est là l’urgence, il faut changer de braquet.
Vous parliez des mouvements indépendantistes corses et basques. Faites-vous un parallèle entre ces situations et la Nouvelle-Calédonie ?
Thomas Dossus : Non, ce n’est pas la même chose. Je ne pense pas que la Corse soit colonisée. Il y a peut-être une nouvelle relation à construire entre la Corse et le continent, mais ce n’est pas une colonie. Alors que l’ONU reconnaît encore aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie comme un territoire colonisé.
On est encore sur des logiques coloniales là-bas, qu’il faut travailler. On a un problème en France quand on traite ce genre de problématiques : c’est tout ou rien. C’est soit le territoire est complètement indépendant, soit il est complètement intégré dans la République. Or, je pense qu’il y a des chemins d’autonomie partagée. On peut travailler des choses comme l’Angleterre a su le faire avec ses anciennes colonies. Il faut qu’on trouve une voie pour sortir du tout noir ou tout blanc.
[1] Un article du Monde publié le 10 juillet liste ainsi les chefs d’inculpation à l’encontre du leader de la CCAT Christian Tein : « complicité de meurtre », « vol en bande organisée avec arme », « destruction en bande organisée du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes », « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime » et « d’un délit », « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destruction de biens ».
mise en ligne le 6 juillet 2024
Luis Reygada sur www.humanite.fr
Des experts de l’ONU avertissent des entreprises d’armement et leurs financeurs des possibles conséquences juridiques de leurs transactions avec Israël. Une filiale du Crédit agricole est nommément visée.
Après les États qui exporteraient des armes vers Israël, ce sont maintenant les entreprises d’armement qui sont directement visées à l’ONU. Celles-ci pourraient en effet être appelées à rendre des comptes en se voyant accusées de « complicité » dans la commission de crimes internationaux, « y compris éventuellement de génocide ».
C’est ce qui ressort d’un communiqué de presse diffusé le 20 juin par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Dans le document, trente experts de l’ONU préconisent aux « fabricants d’armes qui fournissent Israël » de « mettre fin aux transferts, même s’ils sont exécutés dans le cadre de licences d’exportation existantes ».
Les entreprises américaines Boeing, Oshkosh, Caterpillar, General Dynamics, Lockheed Martin, Northrop Grumman, RTX, allemandes Thyssenkrupp, Rolls-Royce Power Systems, Rheinmetall AG et britannique BAE Systems sont nommément visées. Au vu des récentes révélations du média d’investigation Disclose, il ne serait pas improbable que des sociétés françaises y figurent aussi.
Les vendeurs d’armes qui fournissent Israël dans le viseur des experts de l’ONU
En faisant parvenir, même indirectement, des armes, des pièces, des composants ou des munitions qui seraient utilisés par les forces israéliennes – notamment dans le cadre des attaques en cours contre Gaza –, « ces entreprises risquent d’être complices de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international ».
Les experts onusiens ont ainsi averti ces poids lourds de l’industrie mondiale de l’armement – qui génèrent chaque année des centaines de milliards d’euros de bénéfices – que la poursuite de leurs échanges commerciaux avec Israël pourrait « être considérée comme une aide apportée en toute connaissance de cause (…) de la récente décision de la Cour internationale de justice (du 26 janvier dernier – NDLR) ayant reconnu un risque plausible de génocide à Gaza ».
« C’est une prise de position importante qui nous montre que les entreprises privées peuvent bien être tenues responsables lorsqu’elles choisissent de faire commerce avec un État qui enfreint le droit international. Cela donne raison à la mobilisation internationale pour l’arrêt du commerce d’armement avec Tel-Aviv », considère Laura Z., représentante de Stop Arming Israel France. « D’autant plus que les entreprises se cachent toujours derrière les décisions de l’État pour se dédouaner de toute responsabilité », ajoute-t-elle.
« Encore faut-il être en mesure de déterminer la liste des entreprises d’armement impliquées et le matériel en cause, considère de son côté Tony Fortin, chargé d’étude à l’Observatoire des armements. En France, il y a un réel manque de transparence sur le sujet ; il est essentiel que la commission parlementaire de contrôle des exportations d’armes réalise une enquête pour pousser l’État à agir. »
Une filiale du Crédit Agricole potentiellement complice « de crimes d’atrocité »
Donnée majeure à souligner : les experts de l’ONU ont aussi pointé du doigt la responsabilité des institutions financières qui investissent dans ces entreprises d’armement. Au milieu des vingt et une sociétés mentionnées – parmi lesquelles nous retrouvons des acteurs majeurs de la gestion d’actifs tels que BlackRock, Bank of America, Citigroup ou encore JP Morgan Chase –, figure aussi le numéro un européen : la française Amundi Asset Management.
Une filiale du groupe Crédit agricole qui se targue d’être « l’acteur de référence en matière d’investissement responsable » 1. Comme ses consœurs, elle se voit pourtant priée d’agir pour « prévenir ou atténuer (ses) relations commerciales avec (les) sociétés qui transfèrent des armes à Israël », sous peine de se voir non seulement « directement liée aux violations des droits de l’homme » mais aussi accusée d’y contribuer, s’ensuivant une potentielle complicité dans la commission « de crimes d’atrocité » 2.
Contacté par l’Humanité, le secrétariat du Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme (dont plusieurs membres ont participé au panel d’experts s’étant exprimé devant le HCDH le 20 juin dernier) a rappelé l’importance pour les entreprises de faire preuve de « diligence renforcée en matière de droits de l’homme », et tout particulièrement dans les situations de conflit. Un Code de conduite responsable qui doit servir de guide aux entreprises du secteur de l’armement a d’ailleurs été publié à cet effet en 2022, afin notamment que leurs pratiques commerciales soient conformes aux principes directeurs des Nations unies. Le secrétariat a aussi rappelé que c’est aux États qu’incombe la responsabilité première de prendre des mesures visant à empêcher stopper tout commerce de matériel qui pourrait être utilisé pour violer le droit international.
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU avait déjà adopté, début avril, une résolution interpellant les gouvernements en réclamant un embargo sur les armes à destination de Tel-Aviv. « Tous les États (doivent) cesser la vente, le transfert et la livraison d’armes, de munitions et d’autres équipements militaires à destination (de la) puissance occupante afin de prévenir de nouvelles violations du droit international », indiquait ainsi le document A/HRC/55/L.30. Une résolution à laquelle s’étaient notamment opposés les États-Unis et l’Allemagne.
Etablir un rapport sur la vente d’armes vers Israël et analyser les conséquences juridiques
Dans la même résolution, le Conseil avait aussi demandé à une commission internationale indépendante d’établir un rapport sur la vente d’armes vers ce pays, notamment pour « déterminer (le matériel) utilisé au cours de l’opération militaire israélienne menée à Gaza depuis le 7 octobre 2023 » et analyser les conséquences juridiques. Celui-ci devrait être présenté lors de sa cinquante-neuvième session, en juin 2025.
« Il est important pour Stop Arming Israël de rappeler que les prises de positions de l’ONU ne sont pas contraignantes », signale Laura Z., qui y voit toutefois un point d’appui pour « continuer la mobilisation populaire, essentielle pour mettre la pression » sur les entreprises et les forcer à arrêter réellement tout commerce d’armement avec Israël.
Face à l’urgence alors que les attaques de l’armée israélienne ont déjà provoqué la mort de plus de 37 000 personnes et 84 000 blessés – desquels l’Onu estime que 70 % seraient des femmes et des enfants – l’Observatoire des armements demande aux salariés des groupes d’armement français de passer à l’action.
« Les sections syndicales peuvent interpeller leur direction, à l’image des trois cents membres de la CGT de l’entreprise STMicroelectronics (un des plus grands acteurs de la production des semi-conducteurs en lien avec Israël, NDLR) qui ont écrit une lettre ouverte à leur directeur général demandant la fin du partenariat de leur entreprise avec Israël », précise Tony Fortin.
mise en ligne le 2 juillet 2024
par Corentin Léotard (pigiste à Mediapart ) sur https://blogs.mediapart.fr/
La Hongrie de Viktor Orbán est le laboratoire européen des politiques antilibérales que le Rassemblement National voudrait porter en France. Kristóf Szombati, universitaire et militant de gauche écologiste, a été aux premières loges pour observer l’avènement de l’« orbánisme » puis la mise en coupe réglée de la Hongrie. Entretien.
Kristóf Szombati est anthropologue et sociologue. Il a participé à la construction du parti écologiste LMP à la fin des années 2000, au moment où la gauche s’effondrait et laissait le terrain aux nationalistes. Il est actuellement chercheur postdoctorant à l’Université Humboldt de Berlin et est auteur de The Revolt of the Provinces: Anti-Gypsyism and Right-Wing Politics in Hungary, une analyse ethnographique et politique de la montée de la droite radicale en zones rurales en Hongrie.
Le Courrier d’Europe centrale : Êtes-vous surpris par le poids acquis par l’extrême-droite en France et par le fait que le Rassemblement National se trouve aujourd’hui aux portes du pouvoir ?
Kristóf Szombati : Pas tellement, vu comment le vent politique a tourné vers les nationalismes radicaux et un capitalisme national presque partout en Europe dans les dernières années. Le grand économiste politique Karl Polanyi nous a notamment appris que lorsque les élites politiques mettent en œuvre des politiques de marchandisation radicale qui nuisent à de larges pans de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie, cela engendre des contre-mouvements sociaux qui promettent de défendre la société contre les excès les plus évidents de la marchandisation et les dislocations sociales les plus graves. Ces mouvements peuvent s’appuyer sur diverses idéologies et s’associer à des partis de gauche et de droite pour faire entendre leur voix et leurs revendications.
Alors que dans la période qui a suivi la grande récession de 2007-2008, nous avons vu émerger des contre-mouvements populistes de gauche, avant tout en Europe du Sud, mais aussi à d’autres endroits de l’UE, ces mouvements semblent aujourd’hui épuisés, laissant les griefs des perdants de l’austérité rampante et du recul lent mais certain de l’État-providence ouverts à la récupération par les nationalistes radicaux. Les contre-mouvements sociétaux sont particulièrement susceptibles de s’orienter vers la droite nationaliste et de s’y associer dans les situations où l’austérité est poursuivie par des partis prétendument de gauche, comme ce fut le cas en Hongrie entre 2006 et 2010. Les choses sont un peu différentes dans des pays comme la France, où seule une partie de la gauche a adopté un programme néolibéral et où les réformes néolibérales de la dernière décennie ont été imposées par un président libéral. Dans ce cas, la gauche est en mesure de conserver le rôle de défenseur de la société, du moins dans les zones urbanisées où les associations de gauche sont actives.
Pouvez-vous retracer succinctement la progression de l’extrême-droite en Hongrie au cours des années 2000 avec Jobbik, puis comment le Fidesz l’a porté au pouvoir ?
Kristóf Szombati : En Hongrie, une variante antisémite du nationalisme radical est apparue dès 1990[i]. Toutefois, le parti qui portait ce programme n’a pas réussi à s’imposer, en partie parce que les communistes réformateurs ont d’abord réussi à se présenter comme les adversaires les plus crédibles du gouvernement de centre-droit et en persuadant les gens ordinaires qu’ils défendraient leurs intérêts. Les choses ont radicalement changé en 2006, lorsque le pays a été secoué par un énorme scandale politique après qu’il est apparu que les socialistes avaient menti aux électeurs sur le niveau du déficit budgétaire pour gagner les élections. Au lieu de présenter ses excuses et de démissionner, le Premier ministre Ferenc Gyurcsány est resté au pouvoir et a commencé à mettre en œuvre un programme d’austérité sévère qui allait à l’encontre de la promesse sociale-démocrate de dédommager la classe moyenne pour les sacrifices qu’elle avait dû consentir au cours de la décennie qui a marqué la transition du socialisme d’État au capitalisme.
La gauche a perdu sa légitimité et plus de la moitié de ses électeurs en quatre années (de 2006 à 2010), et ses alliés libéraux ont été éjectés du parlement en 2010. L’effondrement de la confiance dans le gouvernement de centre-gauche a permis l’émergence d’une nouvelle variante du nationalisme radical. Il s’agit du parti Jobbik, qui a formulé son projet politique autour de la question sociale, en concentrant son attention sur la sous-classe racialisée des Roms et en promettant de mettre en œuvre un programme sévère de maintien de l’ordre, parallèlement à la ré-institutionnalisation de la ségrégation ethno-sociale dans les écoles. Ce programme radical a été bien accueilli dans les zones rurales, qui ont ressenti le plus durement l’impact des mesures d’austérité et du ralentissement de l’activité économique mondiale. Toutefois, en dehors de ces zones, les électeurs ont soutenu le programme politique apparemment plus modéré du parti Fidesz, qui ne promettait pas une rupture totale avec le néolibéralisme, mais plutôt une série d’éléments compensatoires pour la classe moyenne et le retrait de l’aide sociale aux personnes « réfractaires au travail ».
Une fois au pouvoir en 2010, le Fidesz a pris de court ses opposants en s’empressant d’occuper tous les postes de pouvoir et de rédiger une nouvelle constitution à Parti unique, sur laquelle ni les citoyens ni l’opposition n’ont été consultés. Cependant, le glissement du Fidesz d’un nationalisme modéré vers un nationalisme plus radical a réellement commencé en 2015 avec l’arrivée en Europe des réfugiés de Syrie. La campagne anti-immigrés du Fidesz s’est progressivement étendue à un programme antilibéral plus global, permettant à Orbán de s’ancrer dans le rôle de leader de la droite dure eurosceptique. Un rôle qu’il savoure manifestement, malgré le fait que son pouvoir en Europe est en déclin depuis son éjection du Parti Populaire européen en 2021 et l’apparition de Giorgia Meloni sur la scène politique. Toutefois, en Europe centrale, il reste le leader incontesté de l’illibéralisme, comme il aime à appeler son programme nationaliste radical.
Vous avez publié un ouvrage intitulé « The Revolt of the Provinces » (La révolte des provinces) qui analyse la progression de l’extrême-droite en Hongrie au cours des années 2000. Quels sont ses principaux enseignements ?
Kristóf Szombati : L’austérité économique mise en œuvre par la gauche a joué un rôle important. Mais à côté de cela, dans les régions agricoles telles que celle où j’ai fait de la recherche anthropologique entre 2011 et 2014, l’adhésion à l’Union européenne a également joué un rôle. Avec le recul, il est clair que les petits et moyens entrepreneurs agricoles n’étaient pas bien préparés à affronter la concurrence sur le marché commun européen. Dans la région viticole où j’ai travaillé, l’afflux de vin bon marché en provenance d’Italie, d’Espagne et d’autres pays a durement frappé les petits et moyens producteurs, ne laissant survivre que ceux capables de produire des produits de qualité supérieure ou de combiner la viticulture avec le tourisme. Ce groupe social, que j’appelle la post-paysannerie pour signifier que ses membres ne vivent que partiellement du travail de la terre, s’est détourné pour de bon du parti socialiste au profit du Fidesz et du Jobbik. À cet égard, il convient de noter que le gouvernement Fidesz a fait beaucoup pendant les dernières quatorze années pour soutenir les viticulteurs hongrois et promouvoir la consommation du vin, ce qui a été très populaire et a aussi eu un impact économique dans ces régions.
Une dernière chose que je voudrais souligner dans la montée du Fidesz et du Jobbik a été la mise en œuvre d’une politique d’émancipation en faveur des Roms stratégiquement erronée. Le problème n’est pas que la gauche ait poussé à la déségrégation des écoles et à une réforme de l’aide sociale favorisant le groupe social le plus pauvre et le plus marginal de la société. Le problème est qu’elle a combiné ce programme d’émancipation de la sous-classe racialisée avec un programme néolibéral plus large, qui a nui aux travailleurs et à la petite bourgeoisie rurale, tout en promouvant un type de discours qui ne reconnaissait que les griefs des minorités opprimées. Ce mélange s’est avéré toxique dans la mesure où il a constitué un terrain fertile pour l’émergence de puissants ressentiments parmi les travailleurs et la petite bourgeoisie à l’égard des Roms marginalisés, qu’ils considéraient comme moins méritants qu’eux-mêmes, et à l’égard de l’élite dirigeante, dont ils percevaient les politiques comme fondamentalement injustes. Ce ressentiment à l’égard des minorités et le sentiment d’abandon et de colère à l’égard de l’élite de gauche-libérale ont poussé la majorité des travailleurs et de la petite bourgeoisie des zones rurales et en parties dans les moyennes villes dans les bras de la droite.
En France, lorsque l’on regarde à l’international, c’est avec l’Italie de Meloni que l’on compare la situation française. En Europe de l’Ouest, il y a cette tendance à considérer le phénomène Orbán comme un exotisme propre à l’ex-« bloc de l’Est ». Comment évalues-tu la place de la Hongrie d’Orbán par rapport à ce mouvement global de progression des nationalismes ?
Kristóf Szombati : Je pense que nous devons considérer la situation hongroise comme faisant partie intégrante de l’évolution du vent politique dans l’ensemble de l’Europe. Il est clair que l’Europe de l’Est, et en particulier la Hongrie, a subi la Grande Récession de 2007/2008 plus durement que l’Europe de l’Ouest. En d’autres termes, l’Europe occidentale disposait à l’époque de plus de réserves pour défendre les remparts du modèle social-démocrate. Ce dont nous avons été témoins au cours des 15 dernières années constitue un changement important à cet égard. Des pays comme l’Allemagne – où je vis et travaille actuellement – sont les témoins d’une crise profonde du modèle socio-économique d’Etat-providence, qui se traduit pour les gens ordinaires par l’application de l’austérité, accompagnée du détournement des électeurs ruraux du centre-gauche. L’argument que j’ai avancé concernant le mélange toxique de politiques réformistes néolibérales et d’émancipation des minorités s’applique également dans une certaine mesure à des pays comme l’Allemagne, où une partie de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie éprouve clairement du ressentiment à l’égard des populations immigrées et estime que, dans une situation socio-économique difficile, les dépenses sociales et les promesses de solidarité devraient être réservées à ceux qui sont nés dans le pays. L’émergence du parti social-conservateur Bündnis Sarah Wagenknecht (BSW) témoigne clairement de cette dynamique.
En d’autres termes, l’Europe occidentale semble avoir « rattrapé » l’Europe de l’Est, dans la mesure où les élites politiques se trouvent de plus en plus réticentes et incapables de protéger les citoyens les plus vulnérables contre les chocs de la guerre en Ukraine, la faiblesse relative de l’Europe face à ses principaux concurrents mondiaux et les coûts économiques et sociaux de la transition vers l’abandon des combustibles fossiles. Cette convergence de l’économie politique ne signifie évidemment pas que la situation est la même partout. Les généalogies culturelles, sociales et politiques jouent un rôle important dans la montée de la droite radicale nationaliste, mais aussi dans la capacité de la société civile à résister ou au moins encadrer cette progression.
Dans le cas de la Hongrie, d’une part le Fidesz s’appuie fortement sur la logique culturelle historiquement sédimentée des relations patron-client. Mes recherches dans les petites villes de province montrent que le clientélisme est un mode efficace de consolidation du pouvoir, dans la mesure où il permet à ceux qui se situent au bas de cette hiérarchie pyramidale de jouir d’une certaine marge de manœuvre et de négocier avec ceux qui sont au-dessus d’eux pour accéder à certaines ressources et à certaines opportunités. Les observateurs occidentaux partent souvent du principe que le régime autoritaire d’Orbán piétine toutes les libertés. Si, du point de vue des droits formels, il est indéniable que les droits sociaux ont été réduits et que les citoyens sont exclus de la prise de décision politique en dehors des élections, les observateurs extérieurs ne voient souvent pas que le renforcement des réseaux informels de pouvoir permet à ceux qui sont prêts à négocier avec les détenteurs du pouvoir d’obtenir des faveurs importantes. Cela donne aux régimes autoritaires comme celui d’Orbán une grande flexibilité, tout en encourageant les citoyens à suivre la voie privée du clientélisme plutôt que les voies collectives et politiques du lobbying, de la pression et de la négociation.
On peut considérer qu’avec la Fidesz, la droite radicale et national-conservatrice est au pouvoir depuis quatorze ans en Hongrie. Quelles sont les conséquences les plus profondes, les plus graves pour le pays et la société ?
Kristóf Szombati : C’est précisément cette « informalisation » du pouvoir que je trouve la plus inquiétante, car l’une de ses conséquences est que les personnes qui n’ont pas accès aux réseaux informels de pouvoir se retrouvent marginalisées. Si, au cours des premières années, le gouvernement Fidesz a consacré beaucoup de ressources aux communautés les plus pauvres dans le cadre de son programme de travail public, ces dernières ont été fortement réduites au cours des dernières années. Le régime a essentiellement laissé les citoyens les plus pauvres et les plus marginalisés aux soins des églises chrétiennes qui, même si certaines d’entre elles font du bon travail, contribuent essentiellement à la consolidation de la marginalisation socio-économique dans la périphérie intérieure du pays. Cette décision d’abandonner les pauvres est tragique pour l’avenir du pays et laissera au régime qui lui succédera la tâche de développer la périphérie intérieure, ce qui sera très coûteux.
Mais en prenant du recul, nous voyons aussi que le modèle socio-économique du Fidesz ne repose pas seulement sur le dumping social, mais aussi sur la dévaluation délibérée de l’éducation publique, des soins de santé publics et, en fait, de tout le domaine public. Cette stratégie est censée, d’une part, servir les besoins de la compétitivité : des dépenses sociales moins élevées permettent de réduire les recettes, ce qui permet à l’État de maintenir les impôts sur le travail et les sociétés à des taux comparativement très bas. Le lent démantèlement des services publics – qui a des conséquences très réelles, comme le taux de décès élevé pendant la période du Covid, dépassant celui de la plupart des autres pays européens – fait donc partie de la stratégie économique plus large du régime, qui consiste à maintenir la main-d’œuvre hongroise à bas coût et à l’offrir aux capitaux manufacturiers étrangers. Il y a cependant un calcul politique plus cynique derrière tout cela. Il s’agit de la conviction qu’une société privatisée qui a renoncé à tout effort collectif et à tout réseau de solidarité – à l’exception de la famille sacralisée, qui est chargée de s’occuper de toutes sortes de problèmes – est plus facile à soumettre. Les dirigeants actuels de la Hongrie ne sont certainement pas les seuls à suivre ce calcul, mais ils l’ont poussé assez loin.
Tout n’est bien sûr pas transposable de la Hongrie à la France. Mais sur la base de cette expertise, vu de Hongrie, risquons-nous à faire un peu de prospective. Quels risques ferait porter un gouvernement RN pour la société française ? A quoi faudrait-il s’attendre ?
Kristóf Szombati : Je suis absolument certain qu’en France, sous un gouvernement dirigé par le RN, les choses se passeraient très différemment qu’en Hongrie. D’une part, bien que la France soit également un pays fortement centralisé, je ne pense pas qu’elle puisse être mise en coupe réglée comme un pays plus petit comme la Hongrie. D’autre part, je ne vois pas le RN acquérir une super-majorité parlementaire, comme l’a fait le Fidesz en Hongrie. Je suis à peu près certain que la société civile française opposera une plus grande résistance aux efforts visant à transformer les fondements du modèle social du pays. La gauche est moins délégitimée et beaucoup mieux ancrée socialement qu’elle ne l’était en Hongrie, et c’est une ressource sur laquelle nous n’avons pas pu compter en Hongrie.
L’expérience hongroise montre que le Fidesz, même dans une situation où il contrôle tous les leviers du pouvoir et une grande partie de l’espace médiatique, a été très sensible aux manifestations de grande ampleur qui touchent le cœur et les sautes d’humeur de sa base. Malgré la faiblesse générale des protestations et des pressions civiques, le gouvernement a toujours fait marche arrière lorsque les opposants – citoyens et politiques – ont été en mesure de formuler une critique d’une manière qui s’adressait à une partie significative de la base électorale du parti au pouvoir. C’est la bonne nouvelle, pour ainsi dire. La moins bonne nouvelle, c’est qu’Orbán a excellé dans l’art de proposer des politiques populaires qui lui permettent de conserver sa large base électorale interclassiste, et dans l’art d’engager des combats stratégiques avec des ennemis réels et imaginaires de manière à élaborer un récit de salut national.
Comme nous l’avons vu plus haut, il a également élaboré une stratégie économique qui convient au capital national et international. Enfin, et c’est un point que nous n’avons pas abordé, il a trouvé le moyen de maintenir la bureaucratie d’État à ses côtés et, malgré de graves tensions au sein du pouvoir judiciaire, d’établir un contrôle sur la quasi-totalité de l’appareil d’État.
Sachant à quel point certaines prédictions des sciences sociales ont échoué par le passé, je voudrais être très prudent. Disons donc que je ne serais pas très surpris si le RN, au cas où il parviendrait à s’emparer à la fois du poste de premier ministre et de la présidence, réussissait également à bâtir une hégémonie. N’oublions pas qu’une « Internationale » nationaliste radicale est quasiment en place : Le Pen a scruté de près Orbán et s’intéresse actuellement de très près à Meloni. Il s’agit donc d’un processus d’apprentissage collectif. Pour risquer un pronostic, si Bardella parvient à construire une majorité parlementaire, je m’attends à ce qu’il construise sa politique de pouvoir gouvernemental lentement et prudemment, en se concentrant sur l’équilibre entre les mesures phares du RN et celles qui sont populaires en dehors de la base du parti, en travaillant en coulisses pour construire un nouveau compromis entre le capital national et international, et en négociant avec les représentants clés de la bureaucratie d’État. Dans le cas de la France, ce dernier point semble être beaucoup plus difficile à résoudre qu’il ne le fut en Hongrie.
En parallèle de votre carrière universitaire, vous avez milité avec un parti de gauche écolo au tournant des années 2010, donc au moment même où Orbán s’emparait du pouvoir et commençait à le verrouiller. Avez-vous des conseils ou des réflexions utiles pour les militants de gauche en France ?
Kristóf Szombati : Rétrospectivement, je suis très critique à l’égard de nos efforts, par ailleurs héroïques, pour construire une alternative verte à partir de 2007. Nous avons commis une série d’erreurs stratégiques. Mais la tâche à laquelle nous étions confrontés, à savoir construire un parti vert à partir de rien, sans que la question du climat ne figure parmi les principales préoccupations des citoyens et sans pouvoir compter sur une infrastructure associative forte, sans parler de la situation politique, était très différente de celle à laquelle la gauche française et les forces écologistes sont confrontées aujourd’hui. Je trouve encourageante la volonté des différents mouvements de gauche de mettre de côté leurs différences et, en s’appuyant sur le modèle historique très important du Front populaire, de construire une alliance commune pour cette élection. J’espère que cette alliance se maintiendra après le vote des électeurs, car vu l’état du camp présidentiel, la société française ne sera probablement pas en mesure de résister à un gouvernement nationaliste radical sans une critique et une vision commune de la gauche et de l’écologie.
[i] Le Parti de la justice hongroise et de la vie, MIEP.
mise en ligne le 25 juin 2024
Gilles Caprais sur www.mediapart.fr
Le transfert de sept militants dans des prisons métropolitaines alimente depuis samedi une nouvelle vague de violences dans l’archipel. La Cellule de coordination des actions de terrain fait du retour de ses « prisonniers politiques » une nouvelle condition à l’apaisement.
Nouméa (Nouvelle-Calédonie).– Il y a quelques jours à peine, les barrages indépendantistes perdaient de l’ampleur, renaissant plus faiblement après chaque passage des pelleteuses et des blindés de la gendarmerie. Mais depuis samedi soir, la mobilisation connaît une nouvelle vigueur : la nouvelle du transfert dans des prisons de métropole de sept responsables de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), avant même leur jugement, a puissamment soufflé sur les braises.
Ces derniers jours, les affrontements entre jeunes Kanak et forces de l’ordre ont donc redoublé d’intensité autour du pont des Érudits, dans les quartiers de Koutio, de Magenta, de Portes-de-Fer... Dans le nord de l’agglomération de Nouméa, une gendarmerie a été incendiée, puis une école. Et la violence gagne peu à peu le reste de la Nouvelle-Calédonie.
Mardi, dans le fief caldoche de Bourail, des coups de feu ont été échangés entre habitants et deux maisons ont été brûlées, indique le maire, Patrick Robelin. « La nuit a été agitée et marquée par des troubles sur l’ensemble de la Grande Terre, sur l’île des Pins et Maré », constatait déjà le haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, lundi, regrettant que les gendarmes aient encore été « pris à partie ».
À la tribu de la Conception, fief de Roch Wamytan, chef coutumier et président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, les barrages sont particulièrement nombreux. Le chemin jusqu’à la maison commune est un dédale de pierres, de métaux et de branches d’arbres – ainsi que de monticules de restes de grenades de désencerclement, sur la dernière portion. Plusieurs dizaines de personnes gardent l’accès, fouillent les voitures.
La dernière fois que la CCAT a tenté d’organiser une conférence de presse, mercredi 19 juin, les forces de l’ordre ont sauté sur l’occasion pour interpeller plusieurs de ses cadres. Ce sera le premier point à l’ordre du jour de celle qui se tient mardi. « Ces déportations politiques, ce sont des pratiques coloniales qui ont déjà été faites dans l’histoire », lance Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union calédonienne (UC), premier parti indépendantiste, qui a créé la CCAT en novembre 2023 avant d’y inclure d’autres organisations politiques et syndicales.
La détention provisoire de plusieurs de ses membres en métropole « ne respecte pas les droits de la défense ni les droits de l’homme. Elle constitue une grande erreur sur le plan politique », considère John-Rock Tindao. Le président du conseil de l’aire coutumière Drubea-Kapumë, dont Nouméa fait partie, accuse les magistrats d’avoir cédé à des pressions exercées par l’État et par les opposants radicaux à l’indépendance.
Des « martyrs de la justice coloniale »
Parmi les onze personnes mises en examen, neuf ont été placées en détention provisoire – dont sept en métropole « en raison de la sensibilité de la procédure et afin de permettre la poursuite des investigations de manière sereine, hors de toute pression ou concertation frauduleuse », selon le procureur de la République en Nouvelle-Calédonie, Yves Dupas. Parmi elles, Christian Tein, meneur de la CCAT, et Frédérique Muliava, directrice de cabinet de Roch Wamytan.
L’enquête a été menée par la sous-division antiterroriste, même si la procédure ne relève pas du terrorisme mais de la lutte contre la « criminalité organisée », insiste le magistrat. Il invoque aussi des témoignages et des « éléments techniques » pour affirmer que les cadres de la CCAT ont « défini, préparé, planifié, mis en œuvre un plan d’action violent dans le but de déstabiliser le territoire ». Visés par sept chefs d’infraction, comme « complicité de tentative de meurtre » et « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime », les mis en examen risquent la réclusion à perpétuité.
« Les responsables de la CCAT ne sont en rien des commanditaires d’exactions mais aujourd’hui des martyrs de la justice coloniale », soutient Daniel Goa, président de l’UC, pour qui les violences connues depuis le 13 mai sont autant de débordements d’une jeunesse en colère. L’Union nationale pour l’indépendance (Uni), deuxième groupe indépendantiste au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, restée à distance de la CCAT, est plus nuancée.
« Il appartiendra à l’instruction de déterminer si les qualifications pénales retenues sont justifiées ou non », dit Jean-Pierre Djaïwé, qui dénonce toutefois « une totale disproportion dans les choix procéduraux retenus par les magistrats, à commencer par celui d’envoyer en France des personnes qui auraient pu parfaitement être retenues sur le territoire ».
Les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Dominique Fochi, secrétaire général de
l’UC
Plusieurs militants incarcérés ont fait appel des décisions du juge des libertés et de la détention. La réponse de la cour est attendue sous une quinzaine de jours. D’ici là, la CCAT entend elle aussi faire pression sur le pouvoir judiciaire : le retour des sept « prisonniers politiques » est désormais posé comme une condition supplémentaire à une accalmie durable de la mobilisation, la première exigence n’ayant pas été satisfaite par le président de la République.
Le 12 juin, Emmanuel Macron a parlé de « suspendre » le projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral. Puis il a renoncé « dans la circonstance » – la dissolution de l’Assemblée nationale – à réunir le Congrès de Versailles. La CCAT voulait l’entendre abandonner purement et simplement cette réforme assimilée à un retour à la « colonisation de peuplement », près d’un siècle après la fin du bagne.
À très court terme, prévient John-Rock Tindao, les procédures judiciaires « [risquent] d’entraîner le pays dans une situation de guerre civile larvée ». Avec neuf morts par arme, plus de 200 logements partiellement ou intégralement détruits et au moins 1,5 milliard d’euros de dégâts comptabilisés depuis mi-mai, la situation actuelle mérite déjà d’être comparée aux Événements qui ont meurtri la Nouvelle-Calédonie entre 1984 et 1988.
« Les mêmes causes produisent les mêmes effets », constate Dominique Fochi, « fatigué de répéter » l’histoire de son pays aux élus de métropole, agacé d’entendre ses adversaires loyalistes se poser en défenseurs de la démocratie. « Quand ils ont pris la Nouvelle-Calédonie, ils n’ont pas fait d’élections. La prise de possession [en 1853 – ndlr], elle s’est faite comme ça, s’agace Jean-Marie Ayawa, représentant de la Dynamik unitaire sud (Dus). Donc rendez-nous cette liberté. Rendez-nous notre pays. De toute façon, on va le prendre… Mais pacifiquement, et avec tout le monde. »
De démocratie, il en sera de nouveau question dès dimanche, jour de premier tour des élections législatives. Sur le sujet, la position de la CCAT est ambiguë. Mardi, ses responsables n’ont pas évoqué le sujet, et ont refusé de répondre aux questions.
Dimanche, la CCAT avait relayé sur les réseaux sociaux un appel, signé par quatre de ses comités locaux, appelant au boycott du scrutin en des termes offensifs. « Nous appelons l’ensemble des militants du territoire à ne pas participer au scrutin. […] Nous promettons de fortes perturbations quant à l’entêtement de l’État français en Kanaky à maintenir le scrutin. » Difficile de rassembler toutes les composantes du mouvement sur cette ligne : plusieurs candidats indépendantistes se présentent dans chacune des deux circonscriptions.
Les plus farouches adversaires de l’indépendance, quant à eux, s’inquiètent des conditions de sécurité du scrutin et remettent une couche de pression sur l’État. « Un vote serein rappellerait que l’ordre et la démocratie n’ont pas disparu en Nouvelle-Calédonie. […] Dans le cas contraire, au-delà de créer les conditions légitimes d’une contestation juridique des résultats annoncés, l’État confirmerait qu’il est dans l’incapacité de protéger les Calédoniens », dit le communiqué commun diffusé lundi par les loyalistes de Sonia Backès et Nicolas Metzdorf, et le Rassemblement-Les Républicains de Virginie Ruffenach.
mise en ligne le 22 juin 2024
Luis Reygada sur www.humanite.fr
Deux nouveaux rapports présentés par les Nations Unies pointent le niveau de violence inouï déployé en toute illégalité par l’armée israélienne depuis le 7 octobre dans la bande de Gaza.
Deux nouveaux rapports ont été présentés ce mercredi à l’Office des Nations Unies à Genève concernant les opérations militaires menées par Israël à Gaza depuis le 7 octobre. Leurs conclusions sont absolument accablantes pour l’État dirigé par le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou.
Dans le premier de ces documents, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) s’est penché sur six attaques israéliennes qualifiées d’« emblématiques des tactiques israéliennes dans cette guerre », impliquant l’utilisation présumée de bombes pesant jusqu’à 920 kg sur des bâtiments résidentiels, une école, des camps de réfugiés et un marché.
Le HCDH conclut que l’examen de cette série de frappes indique que les lois de la guerre auraient été « constamment violées » par l’armée israélienne « en ce qui concerne l’utilisation de bombes extrêmement puissantes et l’absence présumée de distinction entre les combattants et les civils », d’après une note de presse diffusée ce 19 juin.
Plus de 60 % des infrastructures à Gaza sont détruites ou endommagées
« L’obligation de choisir des moyens et des méthodes de guerre qui évitent ou, à tout le moins, minimisent dans toute la mesure du possible les dommages causés aux civils semble avoir été systématiquement violée dans la campagne de bombardement d’Israël », a déclaré dans un communiqué, Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.
Deux mois après le début des bombardements, en décembre 2023, celui-ci s’indignait déjà de la « punition collective » infligée à la population civile palestinienne, « piégée dans un enfer vivant », allant jusqu’à évoquer une situation « apocalyptique ».
L’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) déclarait également que plus de 60 % des infrastructures de Gaza avaient été détruites ou endommagées, avec plus de 90 % des 2,3 millions d’habitants déplacés, qualifiant alors de « stupéfiant et sans précédent » le niveau de destruction et de déplacement forcé en cours.
« Pas de distinction effective entre les civils et les combattants »
« Aucun endroit n’est sûr à Gaza. Ni les hôpitaux, ni les abris, ni les camps de réfugiés. Personne n’est en sécurité. Ni les enfants. Ni les travailleurs de la santé. Ni les humanitaires. Ce mépris flagrant des bases de l’humanité doit cesser », exigeait alors Martin Griffiths, coordinateur de l’aide d’urgence de l’ONU, prévenant l’existence d’« un risque accru » que les plus graves crimes soient commis, conséquences des pilonnages incessants et indiscriminés.
« Nous ne sommes pas dans l’erreur de ciblage, le carnage est totalement assumé par Israël » exprimait à l’époque Guillaume Ancel, ancien officier spécialiste des opérations militaires extérieures ; « quand on fait autant de bombardements chaque jour – entre 400 et 500 frappes – avec des charges de 250 kg, on commet des dégâts énormes » expliquait-il, pointant du doigt la stratégie du gouvernement Netanyahou de confondre la population palestinienne et le Hamas.
Violation du droit international humanitaire
Six mois plus tard, avec un bilan qui dépasse les 37 400 victimes palestiniennes et 85 600 blessés, le rapport du HCDH confirme que « les méthodes et moyens choisis par Israël pour mener les hostilités à Gaza depuis le 7 octobre, notamment l’utilisation massive d’armes explosives à large rayon d’action dans des zones densément peuplées, n’ont pas permis de faire une distinction effective entre les civils et les combattants ».
Soit une claire violation du droit international humanitaire, exemplifiée par les équipes du Chef des droits de l’homme de l’ONU par l’analyse de frappes réalisées sur Ash Shuja. Dans ce quartier situé au nord de la frange côtière, les auteurs du rapport ont noté des zones de destruction mesurant environ 130 mètres de large, causées par « environ neuf bombes GBU-31 » – fabriquées par l’industriel américain Boeing – qui ont démoli quinze bâtiments. Au moins 60 personnes auraient été tuées lors de ce bombardement.
« Crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, violations du droit international… »
En écho à ce document du HCDH, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a engagé, aussi ce mercredi, un dialogue autour d’un autre rapport – répertorié A/HRC/56/26 et publié la semaine dernière – présenté par la présidente de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-est, et en Israël, Navi Pillay.
La Commission qu’elle a dirigée a aussi constaté que le nombre considérable de victimes civiles à Gaza et la destruction généralisée de biens et d’infrastructures civils résultat des opérations militaires menées par Israël depuis le 7 octobre relevaient « d’une stratégie intentionnelle visant à causer le maximum de dégâts, au mépris des obligations juridiques de distinction, de proportionnalité et de précautions adéquates ».
« Israël a le droit de protéger ses citoyens (…) mais doit aussi respecter le droit international »
Pour cette Commission d’enquête, les conclusions sont sans appel : les autorités israéliennes sont responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme, notamment d’extermination, de meurtre ou d’homicide volontaire, d’utilisation de la famine comme méthode de guerre, de déplacement forcé, de persécution sexiste visant les hommes et les garçons palestiniens, de traitements cruels ou inhumains ainsi que de violences sexuelles et sexistes assimilables à de la torture, « commises dans le but d’humilier et de subordonner davantage la communauté palestinienne ».
La Commission s’est aussi penchée sur les exactions commises par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens lors de l’attaque du 7 octobre 2023 en Israël, et a déterminé une responsabilité en matière des crimes de guerre suivants : attaque intentionnelle contre des civils, meurtre ou homicide volontaire, torture, traitements inhumains ou cruels, destruction ou saisie des biens d’un adversaire, atteinte à la dignité de la personne et prise d’otages.
« Israël a le droit de protéger ses citoyens de la violence des groupes armés palestiniens ; mais doit aussi respecter le droit international, tout comme le Hamas », a-t-elle indiqué.
Un châtiment collectif
Dans la présentation du document de vingt pages, Navi Pillay a dénoncé un « siège total de la bande de Gaza imposé par Israël » qualifié de « châtiment collectif » provoquant famine et affectant de manière disproportionnée les femmes et les enfants gazaouis. « Les forces de sécurité israéliennes ont tué et mutilé des dizaines de milliers d’enfants, et des milliers d’autres restent probablement sous les décombres », a-t-elle poursuivi devant l’organe onusien.
Les conclusions extrêmement graves décrites dans ces deux récents rapports présentés et discutés ce mercredi viennent s’ajouter à celles déjà présentées par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés.
Le 26 mars dernier, devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Francesca Albanese avait soutenu qu’il existait « des motifs raisonnables » de croire qu’Israël avait commis plusieurs « actes de génocide », évoquant aussi un « nettoyage ethnique ».
mise en ligne le 16 juin 2024
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
En Cisjordanie se déroule l’autre guerre d’Israël, faite d’incursions militaires à répétition. Il ne se passe pas une journée sans que l’armée de l’État hébreu envahisse un camp de réfugiés, une ville ou un village. Reportage dans le nord de la Cisjordanie.
Tulkarem (Cisjordanie).– Sabri a cessé de compter. Il est fatigué d’égrener les dates. « Au moins cinquante », lâche-t-il, quand on lui demande combien de fois l’armée israélienne a mené des incursions dans le camp de réfugié·es de Nour Shams, en bordure de la ville palestinienne de Tulkarem, depuis octobre 2023.
Israël mène aussi une guerre en Cisjordanie, parallèlement à celle qu’il a lancée contre la bande de Gaza après les massacres du 7 octobre 2023 commis par le Hamas et d’autres factions palestiniennes.
Elle est certes moins massive, moins meurtrière. Elle se déroule comme à bas bruit, sans grande attention des dirigeants mondiaux et des médias occidentaux.
Mais pour Sabri et les 12 000 habitant·es de Nour Shams, c’est bel et bien une guerre. Ils ont d’ailleurs surnommé le camp de réfugié·es « le petit Gaza », pour dire l’ampleur des destructions humaines et matérielles.
« Cinquante-sept martyrs sont tombés depuis juillet 2023, la plupart depuis octobre », affirme Sabri ce 8 juin, usant du vocable traditionnel pour désigner les personnes mortes pendant les opérations militaires israéliennes. Un chiffre d’autant plus énorme que cette communauté est soudée par une origine semblable : toutes les familles, qui s’entassent dans les immeubles exigus en béton serrés le long des ruelles pentues, sont originaires de Haïfa.
Toutes ont dû quitter leurs terres et leurs maisons, parfois cossues, en 1948, chassées par les groupes combattants juifs ou par la peur instillée par les massacres. Elles se sont d’abord installées près de Jénine, plus au nord. Mais les tentes ont été balayées par une tempête de neige. Elles se sont alors encore déplacées. Le camp a été établi en 1952, à l’entrée orientale de Tulkarem.
Tulkarem, ville du nord de la Cisjordanie, a comme caractéristique d’être quasiment sur la ligne verte séparant la Cisjordanie et Israël, à l’endroit où l’État hébreu est le plus étroit. Netanya, ville côtière israélienne, est à 15 kilomètres. À vol d’oiseau, car aujourd’hui la cité palestinienne est collée au mur de séparation construit par Israël à partir de 2003. Les quinquagénaires se souviennent qu’ils allaient se baigner dans la Méditerranée. De la mer, les jeunes ne connaissent que l’air gorgé d’humidité salée.
Le message de l’armée israélienne : ni stabilité ni sécurité
Sabri a donné rendez-vous à l’entrée principale du camp. Ce qui a dû être une placette bordée de boutiques est aujourd’hui un amas de ruines. Le petit bâtiment de l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée de l’assistance aux réfugié·es palestinien·nes, est éventré, sa fonction reconnaissable uniquement au drapeau des Nations unies peint sur un des murs à moitié écroulé. À côté, la façade d’un immeuble de plusieurs étages porte des traces d’incendie, le rez-de-chaussée est entièrement brûlé.
Face à lui, un tas de gravats, avec quelques effets à peine reconnaissables au milieu des morceaux déchiquetés de béton et de métal. « Une grande maison de quatre étages, soupire Sabri. Ils l’ont détruite au D9. Avant le 7 octobre. Depuis, c’est pire. »
« Ils » désigne les soldats de l’État hébreu et « D9 », prononcé « Di Nine », un bulldozer énorme et blindé utilisé par les forces israéliennes lors des incursions, engin aussi redoutable que terrifiant, capable de tout arracher et de tout aplanir sur son passage.
À chaque fois, ils détruisent les infrastructures, les conduites d’eau, le réseau électrique, celui d’Internet, les égouts. Ça coûte une fortune que nous n’avons pas. Sabri, comité des services de Nour Shams
Sur un côté de l’ancienne placette, des hommes s’affairent dans des rez-de-chaussée, manient la truelle et le ciment frais, réparent des fils électriques, juchés sur des échelles. Il y avait ici des magasins. Plus loin, les volets métalliques restent tordus, à moitié arrachés, et les boutiques fermées. La vitrine du barbier est constellée d’impacts de balles, mais elle tient encore, et le coiffeur s’affaire à l’intérieur.
La dernière incursion a eu lieu le 4 juin dernier, quelques jours avant notre visite. Alors, une nouvelle fois, les habitants réparent les dégâts comme ils le peuvent. Et Sabri, membre du « comité de services » du camp, équivalent de la municipalité, a dépassé l’épuisement. « Il faut sans cesse recommencer. À chaque fois, ils détruisent les infrastructures, les conduites d’eau, le réseau électrique, celui d’Internet, les égouts. Ça coûte une fortune que nous n’avons pas », soupire-t-il.
Son homologue du deuxième camp de réfugié·es de Tulkarem, plus grand et plus peuplé, fait le même constat. « Nous avons estimé les dégâts pour les infrastructures uniquement à dix millions de dollars. À chaque fois que nous réparons, ils reviennent, et détruisent à nouveau tout », précise Zaki.
Dans le camp de Tulkarem, 180 habitations, 170 magasins et 120 voitures ont été totalement détruits. À Nour Shams, 50 maisons ont été totalement ruinées et 200 sont inhabitables.
Les véhicules cahotent dans la rue principale sur une chaussée de pierres et de sable. Ils soulèvent des nuages de poussière qui recouvrent de gris les quelques arbres. En plusieurs endroits, l’asphalte a été pulvérisé plusieurs fois par les blindés et les bulldozers. Celui de l’avenue principale de Tulkarem qui passe, depuis l’est, devant les deux camps était tout neuf. « En Cisjordanie, le revêtement des routes coûte une fortune car nous manquons de matériaux. Cette route venait juste d’être refaite, grâce à des fonds donnés par l’USAID [l’agence d’aide au développement américaine – ndlr] », souligne avec ironie Ismat Quzmar, économiste.
Dans les deux camps de Tulkarem, les destructions répétées sont telles que l’UNRWA n’a pas les fonds pour réparer.
La répétition des incursions militaires, partout en Cisjordanie mais plus particulièrement dans le nord du territoire, maintient des villes comme Tulkarem, Jénine, Naplouse ou Toubas dans un état d’instabilité et de crainte permanent.
« Les attaques de l’armée israélienne ne datent pas d’hier, et nous avons été très ciblés en 2023 avant même octobre. Mais depuis, c’est encore plus dur que pendant la deuxième Intifada », reprend Sabri, devant une école primaire éventrée par le D9 dans le quartier d’Al-Manshiyyeh, à Nour Shams.
Le soulèvement armé palestinien entre 2000 et 2005, ponctué de batailles urbaines et d’attentats suicides, s’était accompagné d’une répression massive. Ainsi, le camp de réfugié·es de Jénine avait été totalement rasé en 2002 lors d’une opération militaire israélienne de grande ampleur. Tulkarem et ses deux camps avaient aussi payé le prix fort. D’autant que l’attentat qui l’avait déclenchée avait été commis par un habitant de Tulkarem.
Des groupes armés locaux, sans direction nationale
La brutalité de l’occupation est encore plus extrême, aujourd’hui, jugent unanimement les Palestiniens et Palestiniennes rencontré·es partout en Cisjordanie. Ce ne sont pas Sabri ou Zaki qui les démontiront.
« Les Israéliens mènent contre nous une guerre de revanche, reprend Sabri. Ils veulent en finir avec les Palestiniens, faire une nouvelle Nakba [“la Catastrophe” en arabe, nom donné à l’expulsion de 700 à 750 000 Palestinien·nes de leurs terres en 1948 – ndlr]. Ils s’en prennent surtout aux camps de réfugiés car ils s’imaginent qu’en finir avec les réfugiés, c’est en finir avec la résistance. »
La « résistance », comme les Palestiniens et Palestiniennes nomment l’ensemble des groupes armés, nous la croisons là, dans une ruelle du camp de Tulkarem, sous la forme d’une dizaine de jeunes hommes minces et très méfiants, près d’une maison brûlée lors du dernier raid de l’armée. Ils s’enquièrent de la nationalité du visiteur étranger, de sa profession, puis le laissent passer, les accompagnateurs, eux-mêmes du camp, servant de garants.
La défiance est d’autant plus grande que l’armée israélienne envoie souvent en éclaireurs des mousta’ribin – mista’arvim en hébreu –, soldat·es d’élite déguisé·es en Palestinien·nes, pratiquant toutes les nuances des dialectes et des manières d’être. Toute personne étrangère, dès lors, devient suspecte.
Ce sont des groupes sans hiérarchie, sans leadership national. [...] ils ne supportent pas de voir l’occupant dans leur camp, leur village ou leur ville. Ibrahim S. Rabaia, chercheur en sciences politiques
À Nour Shams, en voilà cinq, de la « résistance », tranquillement assis autour d’une table basse installée dans une des rues du camp. Trois d’entre eux sont équipés de fusils d’assaut de type kalachnikov visiblement très bien entretenus ou neufs. Deux couteaux de combat sont posés sur la table.
Eux aussi se montrent soupçonneux, et peu bavards. Tout juste consentent-ils quelques phrases, expliquant qu’il n’existe plus de différences entre factions palestiniennes. Ils refusent de dire à quel mouvement ils appartiennent ou se sentent affiliés. « Nous sommes la résistance, et nous ne faisons qu’un, lâche le moins taiseux. Notre objectif est de défendre notre peuple et d’empêcher les sionistes [les soldats israéliens – ndlr] d’attaquer le camp. » Quant aux moyens utilisés : « Nous avons les fusils et nous posons des pièges explosifs », conclut-il.
« La résistance est très différente aujourd’hui des séquences précédentes comme la deuxième Intifada, explique Ibrahim S. Rabaia, chercheur en sciences politiques et originaire de Jénine. Ce sont des groupes sans hiérarchie, sans leadership national. La plupart de ces jeunes sont issus ou proches du Fatah [parti de Yasser Arafat et de Mahmoud Abbas – ndlr] mais ne s’en revendiquent pas. Simplement, ils ne supportent pas de voir l’occupant dans leur camp, leur village ou leur ville. Cette absence de structure pose un problème aux Israéliens : ils ne savent pas qui ils combattent. »
Derrière les jeunes hommes armés du camp de Nour Shams, des affiches collées sur le mur d’une maison, et sur les affiches, des portraits. « Lui, lui et lui, ce sont des innocents, ils n’ont jamais porté les armes, s’énerve l’un d’eux en désignant des visages juvéniles. Et lui, Youssef, il avait 9 ans ! » Un grand portrait en pied d’un enfant souriant est accroché à côté de l’entrée d’une épicerie.
C’était le 19 octobre 2023. Un tir de drone, juste à l’endroit où les jeunes armés ont installé leur table basse. Il a tué douze personnes, dont quatre enfants. Les impacts sont encore visibles, sur le sol et sur les murs.
Depuis, système D contre hautes technologies, le ciel au-dessus des ruelles est caché par des bâches en plastique noir visant à rendre aveugles les drones. Et depuis le 19 octobre 2023, Oum Kaissar est inconsolable. Elle porte en médaillon la photo de son fils Kaissar tué ce jour-là.
Un autre de ses enfants, Mahmoud, 28 ans, a été gravement blessé. La partie droite du crâne enfoncée, il a perdu l’usage de son bras et parle avec grande difficulté. « Les soldats israéliens avait envahi le camp au milieu de la nuit et puis on a cru qu’ils s’étaient retirés, alors j’ai envoyé Kaissar et Mahmoud chercher de quoi manger, raconte Oum Kaissar dans la petite pièce où son mari, gravement malade, gît sur un lit d’hôpital. Mais le drone a tiré. »
Le désastre économique se rajoute à la catastrophe humaine
Mahmoud était carreleur. Jusqu’au 7 octobre, il travaillait en Israël, avec un permis en bonne et due forme. Comme beaucoup de travailleurs de cette ville frontalière.
Tous se sont retrouvés sans emploi et donc sans revenus après le 7 octobre. Dans la famille d’Ahmed, jardinier paysagiste, plus personne ne travaille. « Je trouve à m’employer ici ou là, mais comme personne n’a d’argent, c’est très rare d’avoir des clients, soupire-t-il. Je ne sais pas comment je vais réussir à continuer à financer les études de mon fils aîné, à l’université. »
Certains, comme Eid, du camp de Tulkarem, ont en plus vu leur habitation gravement endommagée pendant une incursion de l’armée israélienne, et n’ont d’autre choix que de louer un autre logement en ville. « Nous venons dans la journée faire de petits travaux pour essayer de réparer ce qui l’est. Mais j’ai perdu mon travail, je dois débourser 1 500 shekels [375 euros] pour le logement de remplacement et je ne reçois aucune aide, alors c’est vraiment très difficile », lâche-t-il.
Le samedi, jour de congé hebdomadaire en Israël, est traditionnellement la journée la plus active de la semaine. Les Palestinien·nes de 1948, citoyen·nes d’Israël, viennent faire leurs courses dans les cités frontalières, Tulkarem et Jénine, beaucoup moins chères, et visiter leur famille élargie.
Mais les points de passage sont fermés et les gens ont peur. Le camp militaire israélien est accolé au mur de séparation, les jeeps, les transports blindés, les bulldozers et le D9 peuvent débouler en quelques minutes.
« Notre vie est suspendue », soupire Sabri, désolé de voir les mères de Nour Shams aller fleurir les tombes de leurs enfants dans le petit cimetière, juste de l’autre côté de la route défoncée par les incursions.
mise en ligne 12 juin 2024
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
C’est la première fois qu’un rapport onusion utilise cette notion pour qualifier les actions de Tel-Aviv en territoire palestinien occupé. Les crimes de guerre du Hamas sont aussi pointès.
« Les crimes contre l’humanité d’extermination, de meurtre, de persécution fondée sur le genre ciblant les hommes et les garçons palestiniens, de transfert forcé, d’actes de torture et de traitements inhumains et cruels, ont été commis » par Israël, vient de rapporter une commission d’enquête de l’ONU, accusant également des groupes armés palestiniens de « crimes de guerre ».
La commission d’enquête de l’ONU a été créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour, entre autres, enquêter, dans le territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, et en Israël, sur toutes les allégations de violation du droit international humanitaire et d’atteinte au droit international des droits de l’homme commises depuis le 13 avril 2021 et jusqu’à cette date.
Des critères clairs pour désigner
Si Israël a plusieurs fois été accusé de crimes de guerre, c’est la première fois qu’un rapport utilise la notion de crime contre l’humanité. Le nombre considérable de victimes civiles à Gaza et la destruction massive de biens et d’infrastructures civils sont le résultat inévitable d’une stratégie visant à causer le maximum de dégâts, au mépris des principes de proportionnalité, a détaillé la commission, fustigeant l’utilisation intentionnelle d’armes lourdes dans des zones densément peuplées, mais aussi le fait d’imposer un « siège total » équivalant « à une punition collective à l’encontre de la population civile ».
Sur un autre plan, le document fait état de « formes spécifiques de violence sexuelle et sexiste », dans le but « d’humilier une communauté dans son ensemble et d’accentuer la subordination d’un peuple occupé ». Le rapport s’appuie sur des entretiens avec des victimes, réalisés à distance et au cours d’une mission en Turquie et en Égypte, et sur des documents, dont des rapports médico-légaux et des images satellites.
« Israël doit immédiatement cesser ses opérations militaires et ses attaques à Gaza, y compris l’assaut sur Rafah qui a coûté la vie à des centaines de civils et déplacé à nouveau des centaines de milliers de personnes vers des lieux dangereux, sans services de base ni aide humanitaire », a déclaré dans un communiqué Navi Pillay, présidente de la commission.
Tel-Aviv, qui n’a pas laissé les enquêteurs se rendre sur place, a, une fois de plus, fustigé les conclusions du rapport. La commission d’enquête « a prouvé, encore une fois, que ses actions sont toutes au service d’un agenda politique focalisé contre Israël », a dénoncé l’ambassadrice Meirav Eilon Shahar, représentante permanente d’Israël auprès de l’ONU à Genève.
mise en ligne le 6 juin 2024
Patrick Le Hyaric sur www,humanite,fr
Ce 5 juin est le triste jour anniversaire de cinquante-sept années d’occupation militaire israélienne de la terre de Palestine. Nous parlons ici de l’occupation armée d’un État par un autre, la plus longue de l’histoire. Cinquante-sept années.
Et le président de la République française estime qu’il faut encore attendre qu’arrive un hypothétique moment, prétendument « utile », pour enfin déclarer la reconnaissance officielle de l’État palestinien par la France. Utile pour qui et pour quoi ? Pour permettre au colonisateur, à l’occupant, de poursuivre sa sale besogne ?
Dans la même phrase, il s’est dit « indigné » par les frappes militaires israéliennes contre des civils aux mains nues à Gaza.
Alors combien de morts, combien de vies brisées, combien de jeunesses massacrées, combien de temps faut-il encore attendre ? Nous, nous avons honte. Nous avons mal à la France. Elle a à sa tête un pouvoir qui donne quitus à une coalition de droite et d’extrême droite à Tel-Aviv. Un pouvoir qui refuse un acte politique et juridique majeur qui modifierait le rapport de force en faveur du respect du droit international.
La France doit rejoindre et conforter les 145 États membres de l’Onu qui ont déjà reconnu l’État de Palestine. En rejoignant les onze États membres de l’Union Européenne, qui ont déjà posé un tel acte, la France modifierait la donne mondiale et pousserait les États Unis à faire de même. Notre colère ne nous conduit pas à dire ici que rien ne se fait. Nous nous réjouissons du vote positif de la France à l’Onu, il y a quelques jours, pour que la Palestine soit membre à part entière des Nations Unis. Une fois de plus, les États-Unis y ont opposé leur veto.
L’enjeu est important, car être membre à part entière donne le droit de voter à l’Assemblée générale et donne une certaine influence politique. Dès lors que plus des deux tiers des membres de l’Onu se sont prononcés en faveur de la reconnaissance conformément à la charte des Nations unis, il ne reste plus qu’à faire lever ce veto américain.
Cela compterait. On le voit déjà. En effet, le mouvement qui se développe en France pour la reconnaissance de l’État palestinien a poussé le Premier ministre israélien à s’adresser à nos concitoyens par l’intermédiaire du groupe privé de télévision propriété de Bouygues, TF1-LCI. Nul hasard dans cette intervention de Netanyahu avec la complicité d’un média porte-voix des intérêts du grand capital. Il n’y a eu aucune gêne à faire parler le responsable d’un État qui a fait l’objet d’une sévère ordonnance de la Cour internationale de justice l’enjoignant à stopper son offensive meurtrière à Rafah. Ce même Premier ministre fait l’objet d’une émission d’un mandat d’arrêt international par le procureur général de la cour pénale internationale (CPI). Cela n’a pas gêné TF1. Les enjeux économiques dans la région, dont les immenses réserves de gaz au large des côtes de Gaza et d’Israël sont pour les tenants du grand capital bien plus importants que le droit international.
Mais l’intervention télévisée du Premier ministre israélien est aussi la manifestation d’une certaine fébrilité. Il redoute que la France, membre du conseil de sécurité de l’Onu, reconnaisse officiellement la Palestine comme État.
Tant que nos gouvernements successifs bavardent sur la solution à deux États sans que jamais cela soit suivi d’effets, le pouvoir de Tel Aviv est tranquille pour réaliser dans le vol, le feu et le sang son projet d’annexion totale de la terre de Palestine.
Contrairement à certaines assertions, la reconnaissance de l’État de Palestine est le seul moyen aujourd’hui de donner un peu d’espoir à un processus de paix et de sécurité. À force de bafouer l’Autorité palestinienne, de l’amputer de pouvoirs politiques réels, les dirigeants des institutions européennes et des États-Unis se sont privés d’un interlocuteur susceptible de peser dans les négociations, hier de lever le blocus sur Gaza, et aujourd’hui pour un cessez-le-feu, pour la libération des otages, et pour établir les conditions de la sécurité des citoyens israéliens et palestiniens.
C’est bien le choix du Hamas comme seul « interlocuteur» qui a été promu dans les négociations actuelles. Ce choix de lui donner de l’importance tout en rabâchant qu’il est une organisation terroriste, permet de justifier le massacre des enfants palestiniens innocents. C’est aussi le moyen de laisser se déployer la colonisation-annexion en Cisjordanie et à Jérusalem.
mise en ligne le 3 juin 2024
par C.J.R.F (Collectif de Juristes pour le Respect des engagements internationaux de la France) sur https://blogs.mediapart.fr/
L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont reconnu l’État palestinien. La France ne le fera pas. Du moins pas sous la Présidence Macron, qui a déclaré mardi 28 mai 2024 : « Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion. » La formule est, hélas, emblématique du renoncement total et dangereux de l’exécutif au droit international.
L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont reconnu l’État palestinien.
La France ne le fera pas. Du moins pas sous la Présidence Macron, qui a déclaré mardi 28 mai 2024 : « Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion. »
Alors que ces mots étaient prononcés, les citoyens français étaient, eux, plongés dans l’émotion du massacre de Rafah, et de ces images effroyables de réfugiés et déplacés brûlés vifs, nouvelles victimes s’ajoutant à un bilan humain effroyable de ce qui a été présenté comme une opération contre-terroriste, menée faut-il le rappeler par une puissance occupante violant jusqu’aux ordonnances de la plus haute juridiction internationale.
« Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion. »
La formule est, hélas, emblématique du renoncement de l’exécutif au droit international.
Monsieur Séjourné avait déjà posé un seuil moral à ne pas franchir, celui de l'accusation de génocide dès lors qu’il s’agissait de l’« État Juif », au moment où l’Afrique du Sud avait saisi la Cour Internationale de Justice sur le fondement de la Convention sur le Génocide de 1948.
Le même a déclaré que la reconnaissance de l’État n’était pas un tabou.
Nous recherchons toujours à cette heure dans le Statut de Rome ou dans la Charte des Nations-Unies une quelconque référence au « seuil moral » et au « tabou ». En vain.
Lorsque, dans l’affaire « Situation dans l’État de Palestine », le Procureur Karim Khan a requis des mandats d’arrêts contre les dirigeants d’Israël et du Hamas, la France a affirmé son soutien à la Cour Pénale Internationale, à « son indépendance, à la lutte contre l’impunité dans toutes les situations ». Mais il n’a pas fallu attendre très longtemps pour que Monsieur Séjourné déclare qu’il « n’y avait aucune équivalence possible entre le Hamas, un groupe terroriste, et Israël un État démocratique ». Les requêtes du Procureur n’établissait pourtant aucune équivalence, pour la bonne raison que ce n’était pas leur objet, mais la diplomatie française s’est crue contrainte d’alimenter la confusion. La rigueur juridique était donc une fois de plus abandonnée, pour satisfaire les exigences des dirigeants israéliens et de leurs soutiens en France.
Et aujourd’hui, à propos de la reconnaissance de l’État palestinien, le Président de la République attend le « moment utile » et ne veut pas se laisser pas guider par l’« émotion ».
Non, Monsieur le Président, il ne s’agit pas d’émotion mais bien de droit.
Le droit à l’autodétermination du peuple palestinien est bien un… droit, et pas un souhait qu’il vous plairait d’exaucer ou pas.
Ce droit est établi par les Palestiniens depuis, au moins, le mandat britannique sur la Palestine. Dans le cas de la Palestine, il s’agissait d’un mandat A, pour lequel les nations de ces territoires étaient provisoirement reconnues comme indépendantes, mais recevaient le conseil et l’assistance administrative du mandat jusqu’à ce qu’elles soient capables de l’être.
Les mandats A de la région sont devenus des Etats assez rapidement, à l’exception de la Palestine confrontée au projet sioniste, et on sait aujourd’hui que le droit à l’autodétermination n’a été mis en œuvre que pour le foyer national juif de Palestine, au terme d’un processus de substitution. La résolution du 29 novembre 1947, qui adopte le plan de partage, permet elle-même au peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination.
La suite de l’histoire est connue et ne sera pas rappelée. Le droit à l’autodétermination des Palestiniens n’a jamais pu être remis en cause par Israël et au contraire, il a été depuis maintes fois réaffirmé par les Nations Unies.
Ni la dispersion forcée de la nation palestinienne, ni l’occupation de 1967 n’ont remis en cause l’existence de l’Etat palestinien.
La Palestine est un Etat.
Elle est un État observateur permanent des Nations-Unies depuis le 29 novembre 2012, et son statut vient d’être rehaussé par l’Assemblée générale, à une écrasante majorité, le 10 mai dernier.
Concernant la Cour Pénale Internationale, que la France dit soutenir, on rappellera que le Statut de Rome est entré en vigueur le 1er avril 2015 à l'égard de la Palestine, après que le gouvernement palestinien ait déposé une déclaration en vertu de l'article 12-3 reconnaissant la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes présumés commis sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, depuis le 13 juin 2014.
Concernant la France, le 2 décembre 2014, l’Assemblée nationale a adopté une résolution « pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine », dont les déclarations actuelles de l’exécutif nous obligent à rappeler les termes :
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement,
Affirme sa volonté de concourir à l’effort international de paix au Proche-Orient ;
Constatant la volonté des peuples israélien et palestinien de vivre en paix et en sécurité ;
Constatant l’échec des tentatives de relance du processus de paix engagées depuis 1991 entre Israéliens et Palestiniens par la communauté internationale ;
Constatant les menaces pesant sur la solution des deux États, et notamment la poursuite illégale de la colonisation dans les territoires palestiniens qui mine la viabilité même d’un État palestinien, malgré les capacités institutionnelles dont s’est dotée l’Autorité palestinienne et la reconnaissance que lui a accordée l’Assemblée générale des Nations Unies ;
Constatant la montée des tensions à Jérusalem et en Cisjordanie, qui menace d’engendrer un nouveau cycle de violence néfaste pour l’ensemble des populations de la région ;
Souligne que le statu quo est intenable et dangereux car il nourrit les frustrations et la défiance croissante entre les deux parties ;
Souligne l’impératif d’une reprise rapide des négociations entre les parties selon des paramètres clairs et un calendrier déterminé ;
Affirme l’urgente nécessité d’aboutir à un règlement définitif du conflit permettant l’établissement d’un État démocratique et souverain de Palestine en paix et en sécurité aux côtés d’Israël, sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem pour capitale de ces deux États, et fondé sur une reconnaissance mutuelle ;
Affirme que la solution des deux États, promue avec constance par la France et l’Union européenne, suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d’Israël ;
Invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit.
C’était en 2014.
Dix ans après, la colonisation israélienne illégale de la Cisjordanie occupée s’étend à vitesse exponentielle et le peuple palestinien subit à Gaza des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, voire de génocide, avec la complicité de plusieurs dirigeants.
C’est cette complicité qui vient de conduire des ONG européennes, avec le soutien d’éminents juristes et de hauts fonctionnaires, à saisir le Bureau du Procureur de la Cour Pénale Internationale d’une demande d’enquête sur Madame Von der Leyen, sur le fondement de complicité, par soutien économique et financier, diplomatique et politique.
En France, le soutien « inconditionnel » apporté à Israël au plus haut sommet de l’Etat, couplé à une répression sans précédent des citoyens et élus portant la voix de la raison, marque hélas un renoncement total et dangereux au Droit International.
Il eût été logique, cohérent et conforme au Droit International, que la France reconnaisse l’État palestinien.
Mais non, ce n’est pas le « moment utile ».
Et le Président de la République vient d’exhorter le Président de l’Autorité palestinienne à « mettre en œuvre les réformes indispensables » en vue de la reconnaissance de l’État de Palestine.
La reconnaissance de l’Etat de Palestine n’est conditionnée à aucune réforme, et tout le monde aura compris qu’il s’agit d’un nouveau prétexte pour éviter d’avoir à appliquer le Droit.
En outre, il aurait été utile d’assortir cette nouvelle injonction d’un guide de faisabilité, pourquoi pas intitulé : « Comment réformer des institutions d’un Etat sous occupation militaire ? »
La reconnaissance de l’Etat palestinien n’aurait pas été dictée par l’émotion, mais par l’exigence que devrait avoir la France pour le respect de ses engagements internationaux.
Les dirigeants espagnol, irlandais et norvégien ont eu cette exigence et le 28 mai 2024, ils sont entrés, eux, dans l’Histoire.
< mise en ligne le 30 mai 2024
Pierre Barbancey su www,humanite,fr
Après la décision forte de l’Espagne, l’Irlande et la Norvège de reconnaissance de l’État de Palestine, tous les yeux se tournent vers Paris, dont la prise de position pourrait entraîner d’autres pays d’Europe. Mais Emmanuel Macron s’empêtre dans ses contradictions, malgré l’urgence.
Israël a furieusement réagi à la décision de l’Espagne, de l’Irlande et de la Norvège de reconnaître l’État de Palestine. Tel-Aviv a immédiatement retiré ses ambassadeurs. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a convoqué les diplomates de ces trois pays, en poste en Israël, à une réunion où ils ont visionné des images de l’incursion du Hamas le 7 octobre comme preuve que leur gouvernement ne devrait pas reconnaître la Palestine, oubliant sciemment que Madrid, Dublin et Oslo ont tous les trois condamné l’attaque de l’organisation islamiste.
Pourquoi Israël freine des quatre fers
C’est dire si les dirigeants israéliens craignent une telle éventualité. Pourquoi ? Parce qu’ils savent que la reconnaissance de l’État de Palestine est un acte de poids pour aider à une solution à deux États. Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a déclaré, ce 28 mai, que « la reconnaissance de l’État de Palestine n’est pas seulement une question de justice historique », mais aussi « une exigence essentielle si nous voulons tous parvenir à la paix ». À ses yeux, ce mouvement est « le seul moyen d’avancer vers ce que tout le monde reconnaît comme la seule solution possible pour parvenir à un avenir pacifique, celui d’un État palestinien qui vit aux côtés de l’État israélien dans la paix et la sécurité ».
Dans les colonnes de l’Humanité, le député du Sinn Féin à Dublin, Matt Carthy, insistait : « J’espère vraiment que d’autres pays nous emboîteront le pas. Comment l’Union européenne peut-elle parler de droit international, de droit international humanitaire, de la charte des Nations unies ou de la nécessité d’adhérer aux normes démocratiques et aux droits de l’homme lorsque nous facilitons les actions d’Israël grâce à nos traitements préférentiels dans le commerce et l’économie ? »
« Nous devons faire vivre la seule alternative offrant une solution politique à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens : deux États, vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité », soutient le premier ministre norvégien, Jonas Gahr Store, en lançant un « appel fort » à d’autres pays pour qu’ils rejoignent cette initiative. « Je suis absolument certain que d’autres pays nous rejoindrons bientôt, confiait au Figaro le ministre norvégien des Affaires étrangères, Espen Barth Eide, « et il y en a plus que ceux qui sont évoqués dans la presse ».
Macron à la traîne du Parlement français
De fait, tous les yeux sont maintenant tournés vers la France. Il y a quelques années, un ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne expliquait à l’Humanité, sous couvert d’anonymat, que « si la France reconnaît un État de Palestine, une dizaine d’autres pays de l’UE suivront. Car l’UE elle-même est incapable de prendre une telle décision, notamment parce que l’Allemagne l’en empêchera ». Effectivement, toutes les tentatives en ce sens ont échoué, tuées dans l’œuf, en particulier par Berlin.
En février 2014, l’Assemblée nationale française votait à une large majorité un texte invitant le gouvernement à reconnDes dissensions dans le camp présidentielUne décision reportée jusqu’à quand ?aître l’État de Palestine. Ce qu’aucun gouvernement n’a encore fait. Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron assurait que cette question n’était pas « taboue ». Mardi soir, il a botté en touche depuis l’Allemagne : « Je considère que cette reconnaissance doit arriver à un moment utile, à un moment où elle s’inscrit dans un processus dans lequel les États de la région et Israël se sont engagés, et qui permet, sur la base d’une réforme de l’Autorité palestinienne, de produire un résultat utile. Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion. »
Il a ainsi dévoilé le fond de sa pensée et son positionnement. Il considère que l’État de Palestine ne verra le jour qu’à l’issue d’un processus de paix. Un État de Palestine qui devait déjà exister en vertu des accords d’Oslo signés en 1993. Ceux-ci prévoyaient la reconnaissance d’Israël par l’OLP, la création d’une Autorité palestinienne à Gaza et sur une partie de la Cisjordanie, ainsi qu’une période de transition de cinq ans devant conduire à un État palestinien indépendant. Cela fait donc plus de vingt-cinq ans, depuis 1998, un quart de siècle, que cet État aurait dû exister (et même, depuis 1947, si l’on se réfère au partage de la Palestine mandataire par l’ONU).
Une décision reportée jusqu’à quand ?
« Cela fait maintenant plus de trente ans que les Palestiniens attendent, insiste Dominique Vidal, journaliste et spécialiste du Moyen-Orient. Si, aujourd’hui, le moment n’est pas venu, alors quand ? Faut-il attendre qu’Israël ait complètement ravagé la bande de Gaza et la Cisjordanie pour reconnaître l’État de Palestine ? À ce moment-là, on nous dira qu’il n’y a plus de partenaires palestiniens. Alors que le problème, depuis 2000, est qu’il n’y a plus de partenaires israéliens. Je trouve cette façon, de la part d’Emmanuel Macron, de renvoyer la balle dans le camp palestinien, tout à fait incorrecte. »
Interrogé par le quotidien USA Today, Marc Weller, juriste et professeur de droit international et d’études constitutionnelles à l’université de Cambridge, relève que « les États qui reconnaissent la Palestine disent qu’ils vont changer son statut pour passer d’une entité qui n’est pas encore un État à un véritable État ». Selon lui, les annonces récentes de l’Espagne, de l’Irlande et de la Norvège « sont délibérément formulées pour s’opposer aux affirmations de Netanyahou selon lesquelles il ne peut y avoir de solution à deux États. C’est en fait un outil politique puissant pour aider à isoler le déni d’Israël sur l’État palestinien ».
Des dissensions dans le camp présidentiel
Emmanuel Macron est donc face à ses propres contradictions. Même Jean-Yves Le Drian, son ex-chef de la diplomatie et actuel envoyé spécial personnel au Liban, qui pilote le comité de soutien de Valérie Hayer, la candidate de Renaissance aux européennes, considère que ce geste diplomatique est devenu « indispensable si l’on veut maintenir en vie la solution à deux États ».
Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, rappelle ici qu’« un génocide perpétré par le gouvernement de Benyamin Netanyahou est en cours contre le peuple palestinien » et que « tous les discours qui visent à réduire le peuple palestinien au Hamas ou le peuple israélien au gouvernement de Benyamin Netanyahou sont des discours qui ne conduiront pas à la paix entre ces deux peuples ». Reconnaître immédiatement un État de Palestine, c’est aider à construire une paix juste et durable. Cet État de Palestine est la base du processus de paix, pas son aboutissement.
mise en ligne le 28 mai 2024
Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr
L’indignation suscitée par les frappes israéliennes sur un camp de réfugiés palestiniens met en relief l’inertie de l’exécutif français. De La France insoumise au Parti socialiste, en passant par Les Écologistes et les communistes, les responsables demandent d’avantage que des mots, des sanctions.
Trop court, trop faible, trop tard – au regard d’une guerre qui dure depuis huit mois dans un rapport de force radicalement déséquilibré. Le message lapidaire publié sur le réseau social X par Emmanuel Macron au lendemain des frappes israéliennes qui ont fait au moins quarante victimes – la plupart des femmes et des enfants – dans un camp de réfugié·es près de Rafah, a mis une fois de plus en relief l’inertie de l’exécutif face au massacre des Palestinien·nes.
« J’appelle au plein respect du droit international et au cessez-le-feu immédiat », a écrit le président de la République, en se disant « indigné », mais sans évoquer la moindre sanction. À ce jour, le chef de l’État n’a toujours pas décrété d’embargo sur les armes livrées à Israël (le gouvernement argue que ces livraisons ne concernent que « les capacités défensives et le Dôme de fer ») et se refuse à reconnaître l’État de Palestine.
Il fait ainsi preuve d’une insoutenable légèreté au regard des images choquantes diffusées le 26 mai, montrant l’atrocité du bombardement. Ces images ont haussé d’un degré supplémentaire l’indignation collective face aux crimes de guerre commis par le gouvernement israélien de Benyamin Nétanyahou, qui ont fait au moins 36 050 morts, essentiellement des civil·es, selon le ministère de la santé du Hamas, en réponse à l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre.
Dès le 26 mai au soir, des élu·es de gauche se sont fait l’écho de ces événements en plaidant pour sanctionner concrètement Israël. « Toutes les pressions doivent être employées pour faire cesser cette abomination », a écrit Jean-Luc Mélenchon, fondateur de La France insoumise (LFI), énumérant un certain nombre d’entre elles : « Rupture de la coopération avec le gouvernement Nétanyahou et son économie, embargo sur les armes, reconnaissance de l’État de Palestine. Macron ne fait rien. Pas en notre nom ! » Les député·es LFI ont été les plus prompts à réagir à ce sujet sur X.
Depuis la décision, en janvier, de la Cour internationale de justice (CIJ) ordonnant à Israël d’empêcher un génocide à Gaza, LFI dénonce la commission d’un crime de « génocide » en Palestine. Le bombardement du camp de réfugié·es près de Rafah, que l’armée israélienne justifie par « l’utilisation de la zone par le Hamas », sonne pour le parti comme une confirmation de ses alertes, qui ont parfois été critiquées.
La présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, qui a relayé les images du carnage, a ainsi réagi de ce seul mot dans la nuit : « Génocide. » « Que la honte s’abatte sur nos gouvernants qui peuvent agir mais détournent les yeux par lâcheté coupable », a-t-elle ajouté.
La passivité d’Emmanuel Macron mise en cause
Toutes et tous sont en proie au scepticisme sur un éventuel changement d’attitude de la France, mais les événements donnent néanmoins plus de force à leurs revendications. « C’est un massacre de plus, mais ce n’est pas le premier, y compris avec des images. Macron parle mais il n’y a pas d’actes », regrette ainsi Éric Coquerel, député LFI, interrogé par Mediapart. « Que faut-il pour qu’on aille plus loin ? Cela me désespère un peu », poursuit-il.
Depuis lundi matin, la gauche dans son ensemble réclame des comptes à Emmanuel Macron. « La France et l’Union européenne doivent opérer une rupture en urgence dans leur action diplomatique pour stopper ce massacre : respect du droit international et sanctions, cessez-le-feu, libération des otages, reconnaissance de la Palestine », a écrit la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, critiquant la vacuité du communiqué présidentiel et rappelant que, deux jours plus tôt, la CIJ demandait à Israël d’arrêter « immédiatement » son offensive militaire à Rafah.
« Que fait la France pour mettre [Nétanyahou et son gouvernement d’extrême droite – ndlr] hors d’état de nuire ? Rien. Passivité coupable », a également accusé Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français (PCF).
C’est la suite logique de l’impunité dans laquelle la furie destructrice de Nétanyahou a été laissée depuis quelques années. Elsa Faucillon, députée communiste
Si la pression est telle, c’est aussi qu’Emmanuel Macron dispose de leviers qu’il n’active pas. Le 28 mai, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège vont officiellement reconnaître l’État de Palestine. Elles espéraient entraîner avec elles d’autres pays de l’Union européenne (UE) mais, pour l’instant, leur initiative est restée cantonnée. La reconnaissance de la Palestine n’est « pas un tabou », mais ce n’est pas le bon moment, a prétendu Stéphane Séjourné, chef de la diplomatie française, dans une déclaration écrite à l’AFP.
Des voix s’élèvent pourtant jusque dans le camp présidentiel pour se ranger du côté de celle-ci. L’ancien ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, dont la voix reste influente, la juge « indispensable », a-t-il déclaré au Parisien le 24 mai.
« Je crains que la France finisse par être obligée de le faire avec trois trains de retard et que ça perde de sa force, regrette la députée communiste Elsa Faucillon. C’est l’illustration du fait que Macron est empêtré dans sa ligne stratégique vis-à-vis d’Israël et de la Palestine. C’est la suite logique de l’impunité dans laquelle la furie destructrice de Nétanyahou a été laissée depuis quelques années. » Selon elle, les menaces réputationnelles n’ont aucune efficacité contre le premier ministre israélien, il faut donc passer un cap dans les sanctions et travailler à son « isolement ».
Un manque de mobilisation européenne
Le fait que la Cour pénale internationale (CPI) a requis, le 20 mai, des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et son ministre de la défense Yoav Gallant, aurait ainsi pu être davantage soutenu. « Mais la position de la France a été timorée, remarque Elsa Faucillon. C’est pourtant un point d’appui dans le droit international, pourquoi la France ne s’en saisit pas ? »
Depuis le 7 octobre, force est de constater que même le fait d’imposer le mot d’ordre du cessez-le-feu ou des corridors humanitaires à Gaza n’a été possible que grâce à la mobilisation de l’opinion publique française et internationale, après que des journalistes et des humanitaires ont été tués. Un retard à l’allumage qu’Elsa Faucillon n’attribue pas qu’à la France, mais qui ne l’épargne pas : « Les réactions des dirigeants des principales puissances occidentales sont toujours largement en dessous de la révulsion que les images devraient provoquer, et qu’elles provoquent effectivement chez les peuples de ces puissances occidentales. »
Interrogée par Mediapart, la porte-parole du Parti socialiste (PS) Chloé Ridel, qui plaide notamment pour que l’UE suspende son accord d’association avec Israël, est alignée avec l’idée qu’Emmanuel Macron n’est pas à la hauteur du rôle que la France pourrait jouer pour parvenir à un cessez-le-feu.
« On n’active pas les moyens de pression nécessaires », observe-t-elle, en notant par exemple que le président de la République n’a pas tenté, lors de son déplacement en Allemagne, de détourner son homologue Olaf Scholz de sa position de déni sur les massacres en cours en Palestine. « Il est pris à défaut de son manque de mobilisation européenne sur le sujet », dénonce encore la socialiste, en rappelant pourtant que des alliés existent, de Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, à António Guterres, secrétaire général des Nations unies. L’UE avait pris des sanctions, en avril, contre des colons israéliens pour « de graves violations des droits de l’homme », preuve qu’une action concrète est possible.
Par ailleurs, depuis le mois de février, les gauches convergent pour réclamer « un embargo sur la fourniture d’armes et de composants militaires à Israël », selon les mots de Mathilde Panot à l’Assemblée. Des ONG, dont Amnesty International, sont montées au créneau pour le réclamer, tant sur le plan judiciaire que par lettre ouverte, en vain.
Pour le député LFI Éric Coquerel, seules des sanctions économiques seraient à même de faire céder le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, comme autrefois un boycott citoyen puis étatique avait conduit à la libération de Nelson Mandela et à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Elsa Faucillon, qui est restée « pétrifiée » devant les images du 26 mai, conclut : « On ne peut pas attendre des mois devant des corps calcinés, brûlés vifs, sur la décision d’un gouvernement qui donne des ordres à son armée. »
Manuel Magrez sur www.mediapart.fr
Une foule massive de manifestants a gagné les rues de Paris dans la soirée du lundi 27 mai, à l’appel de plusieurs collectifs, après les bombardements ravageurs d’un camp de réfugiés à Rafah.
Dans les rues de la capitale, la stupeur a laissé un court instant la place à l’enthousiasme. Dans la foule, les sourires se dessinent sur les visages, dans un sentiment contradictoire au vu de l’enjeu, mais tout le monde est trop heureux de voir autant de drapeaux palestiniens flotter dans le ciel parisien. En ce début de soirée, lundi 27 mai, plusieurs milliers de manifestant·es se sont rassemblé·es place Saint-Augustin, dans le chic VIIIe arrondissement de Paris. Mot d’ordre initial : rallier à pied l’ambassade d’Israël, en réaction au bombardement par Tsahal d’un camp de réfugié·es à Rafah la veille.
L’attaque, qui a fait 45 morts et plus de 200 blessés selon le bilan du ministère de la santé de la bande de Gaza, administrée par le Hamas, a bousculé tous les manifestants sur place, à l’image de la communauté internationale pour une fois quasi unanime. Le gouvernement israélien, lui, a réagi dans l’après-midi, concédant simplement une « erreur tragique ».
Alors, dans les rues de Paris, ils étaient 10 000 à s’être rassemblés pour crier leur colère, selon les chiffres de la préfecture de police, que tout le monde met en doute ici. La place est noire de monde, il faut jouer des coudes pour se frayer un chemin. Des drapeaux palestiniens flottent un peu partout, parfois sur le dos de manifestant·es, un peu plus loin hissés sur les abribus. Le tout est quadrillé par les CRS, qui ont déployé un canon à eau pour barrer l’avenue qui mène à l’ambassade d’Israël, à laquelle les manifestant·es ne pourront pas accéder de toute la soirée.
L’ampleur de la manifestation impressionne d’autant plus ses participant·es que le mot d’ordre a été donné il y a moins de vingt-quatre heures. « On voyait des posts d’appel à la mobilisation partout, tout le monde les partageait », témoigne Amel, impressionnée par la réponse.
Keffieh rouge sur les épaules, Sarah observe la scène hissée sur le bord d’un trottoir pour tenter de deviner jusqu’où s’étend la foule. Pour elle, c’était « plus que nécessaire de venir ici aujourd’hui ». Alors elle a complètement chamboulé son agenda du jour pour se dégager ce temps précieux. « On a tendance à penser que notre petite personne n’a pas de pouvoir. Mais il faut être ici, mettre la pression », insiste la Parisienne.
Celle qui suit de près la situation à Gaza n’a qu’un mot pour décrire ce qu’elle a vu : « abominable ». Car comme toutes et tous ici, elle a vu les images prises juste après les bombardements, montrant des cadavres calcinés, parfois même décapités. Sarah se les ressasse, et espère même « que ces images ont pu se propager », comme pour servir de déclic.
Lacrymogène
Ce sont ces mêmes images, qui ont circulé toute la nuit sur les réseaux sociaux, qui ont poussé Khadidja à participer à la première manifestation de sa vie. « Dans ma vie, j’ai vu beaucoup de guerres, j’ai lu des choses à propos de guerres, et là j’ai vu ces images. On s’attaque à des enfants, c’est intolérable », clame-t-elle. À ses côtés, Jade brandit l’autre bout de la pancarte en carton qui dit « Stop au génocide ». Si elle n’en est pas à la première manifestation de sa vie, elle ne s’était rendue à aucune de celles dédiées au soutien au peuple palestinien, la faute à la « peur de manifester ».
Devant les cars de CRS, Amina a les yeux rougis par la salve de gaz lacrymogène qu’elle vient de subir. Le désagrément est loin de la décourager. « Je participe à ma première manifestation, mais certainement pas la dernière », annonce-t-elle.
Elle et sa camarade Emma se sont grimées pour l’occasion. Au feutre rouge, les étudiantes ont écrit « free » sur les joues, et « Palestine » sur le front. « Jusqu’ici, je me sentais tellement impuissante que j’avais arrêté de regarder les images de Gaza. Cette impuissance était insupportable. Cette fois-ci, c’est le trop-plein », justifie l’étudiante, qui a « été socialisée à la lutte pour la Palestine depuis jeune ».
À quelques pas de la cohue, la famille de Fadila renoue aussi avec ses réflexes de manifestation. Les quatre habitants de Corbeil-Essonnes s’étaient mobilisés une fois au tout début des bombardements sur la bande de Gaza. « On a assisté à un pic de barbarie tout à fait insupportable, alors on se devait d’être ici. Ce matin, avant même de savoir si un rassemblement allait être organisé, on s’est dit qu’il fallait qu’on se mobilise », plaide Fadila.
Leïla, l’une de ses deux filles, a été encore plus convaincue de l’intérêt de cette manifestation par le traitement médiatique réservé à l’épisode tragique de la nuit passée. « Au JT, ils ont passé dix minutes à parler d’un youtubeur et une minute seulement de Rafah », s’émeut l’adolescente.
Non loin de là, Sarah observe la foule avec un brin de soulagement. La mobilisation est pour elle à la hauteur de l’enjeu. Celle qui a été de « presque toutes les manifestations depuis octobre » arbore fièrement son pin’s « Free Gaza » sur sa veste grise. « Ces derniers temps, il y avait moins de monde aux manifestations, et c’est normal », explique la Parisienne de 23 ans. Mais cette « remobilisation », elle la croit pérenne.
« Faire pression sur le gouvernement français »
De toute façon, c’est sa seule arme. « L’objectif, il est de faire pression sur le gouvernement français », précise Sarah. « C’est assez décevant de voir que le gouvernement français ne veuille pas se mouiller, contrairement à l’Espagne et l’Irlande [qui ont officiellement annoncé vouloir reconnaître l’État palestinien – ndlr]. On attendait mieux de la France », défend la jeune femme.
Au niveau du camion sono, au milieu de la place, le son de cloche est le même. « Des sanctions, des sanctions, des sanctions », clame la foule, répétant les mots d’une militante juchée sur une estrade, micro en main. « On a bien pris ces dispositions pour la Russie, alors il faut les prendre maintenant contre Israël », répond Sabrina Sebaihi, députée écologiste des Hauts-de-Seine juchée elle aussi quelques instants plus tard sur l’estrade.
« Israël assassin, Macron complice », a alors scandé la foule tout au long de la longue déambulation dans les rues de Paris, pour mettre la pression à sa manière. Des heures durant, des groupes scindés ont défilé dans les rues de la capitale parfois sans trop savoir où aller, en passant devant la gare Saint-Lazare, l’église de la Madeleine ou encore l’Opéra Garnier, sous l’œil amusé des touristes.
Au bout de trois heures de rassemblement et de déambulation sans incident apparent, les forces de l’ordre ont voulu sonner la fin de la manifestation à coups de gaz lacrymogène et de tentative de blocage des cortèges maigrissant. En vain jusqu’à une heure avancée de la soirée.
Observant la scène sur le bord de la route, un syndicaliste venu avec quelques camarades manifester se réjouit de voir « ces jeunes mobilisés en très grand nombre. Le président n’est pas près de les faire rentrer chez eux ». Le syndicaliste a une image en tête : « Il y a une expression qui résume bien la situation dans ce genre de cas. Il est plus facile de faire sortir le dentifrice du tube que de l’y faire rentrer. »
mise en ligne le 26 mai 2024
sur https://lepoing.net/
Environ 500 personnes ont manifesté ce samedi 25 mai en soutien au peuple palestinien, malgré la confusion apportée par l’interdiction d’un premier rassemblement plus tôt dans la journée.
C’est encore sur les marches de l’Opéra Comédie que des centaines de personnes se sont retrouvées en fin de journée ce samedi 25 mai, pour manifester leur solidarité avec le peuple palestinien. Les prises de parole ont débuté à l’arrivée sur la Comédie des membres du groupe « Wheels of Justice », partis de la fac de sciences. Deux personnes se sont relayées pour expliquer la démarche du groupe : « Nous avons choisi le vélo pour symboliser le fait que la roue de la justice doit se remettre à tourner. Et en soutien aux Gaza Sunbirds, une équipe de paracyclistes qui ont réalisé l’exploit de venir jusqu’à Paris en vélo. Nous organiserons prochainement de nouvelles déambulations à vélo, auxquelles tout le monde peut participer, il suffit d’un vélo, d’un keffieh et d’un drapeau palestinien. » Le groupe a un compte Instagram sur lequel on peut se tenir informés de leurs actions, ici.
Des militant.es du groupe Boycott Désinvestisssements Sanctions de l’Hérault (BDS 34) ont ensuite pris la parole : « La Cour Internationale de Justice a ordonné vendredi 24 mai l’arrêt des bombardements et des actions militaires sur Rafah. Malgré ça l’armée israélienne continue ses exactions, avec des dizaines de morts chaque jour. Mais les mobilisations dans le monde, bien que plus fortes dans les pays du Sud global qu’en Occident, portent leurs fruits. L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont récemment reconnu l’existence d’un État palestinien. »
Avant de revenir sur l’interdiction d’un premier rassemblement montpelliérain prévu sur la Comédie toute la journée : « La préfecture a émis un arrêté d’interdiction de notre occupation de la Comédie, sans que la manifestation de ce soir soit elle empêchée. Ce qui explique certainement que nous soyons moins nombreux aujourd’hui à cause de la confusion provoquée. Ce matin la police nationale est passée plusieurs fois pour chercher à disperser notre rassemblement sur la Comédie. La troisième fois ils sont venus avec l’arrêté dans les mains, et en nous menaçant de poursuites pénales. Nous avons donc décidé de démonter le barnum. »
L’ Association France Palestine Solidarité (AFPS) a ensuite fait une intervention pour dénoncer les entraves à la liberté d’expression sur la question palestinienne : « Sur Montpellier il y eu des interdictions de banderoles, de conférences, de manifestations et de rassemblements, sur des prétextes fallacieux comme des risques de troubles à l’ordre public, alors qu’aucune mobilisation pour la Palestine à Montpellier n’a suscité le moindre désordre. » José Luis Moraguès, militant de BDS 34, passera d’ailleurs en procès pour diffamation après une plainte déposée par le sénateur PS Hussein Bourgi pour la diffusion de cette affiche. Ce sera le jeudi 6 juin, un rassemblement solidaire est déjà prévu à 13h30 devant le Tribunal Judiciaire, place Pierre Flotte.
L’AFPS a ensuite continué en parlant de la situation en Cisjordanie : « L’insupportable massacre en cours à Gaza masque la situation en Cisjordanie. Israël profite que tous les yeux soient rivés sur Gaza pour poursuivre sa politique de colonisation en Cisjordanie. Des bâtiments sont incendiés, plusieurs centaines de palestiniens de Cisjordanie ont été tués. Des avant-postes sont mis en place pour voler les terres aux palestiniens. Nous demandons l’arrêt de la colonisation de la Cisjordanie, l’arrêt du blocus à Gaza, un cessez le feu immédiat, des sanctions contre Israël, l’arrêt des livraisons d’armes, l’arrêt du génocide à Gaza. »
La manifestation, forte d’environ 500 personnes, a ensuite démarré en direction de la gare Saint-Roch. Un arrêt a été marqué devant le Mac Donald’s, pour appeler au boycott de la chaîne de fast food accusée d’avoir des restaurants dans les territoires occupés et d’envoyer de la nourriture aux soldats israéliens. Le défilé a ensuite rejoint Plan Cabanes par les boulevards du Jeu de Paume et Gambetta, avant de remonter sur le Peyrou et de rejoindre la Comédie via la préfecture et la rue de la loge.
Prochain rendez-vous : les 24h des quartiers populaires contre le génocide. Dès le matin du vendredi 31 mai, des militants sillonneront les Zones Libres d’Apartheid Israélien (ZLAI, des zones où de nombreux commerçants ont choisi le boycott) de la Paillade. Le soir un grand meeting aura lieu sur le Grand Mail à 18h, en présence de militants palestiniens, de militants de Marseille, et du groupe de juifs antisionistes Tsedek. Le lendemain un tournoi de foot pour les enfants aura lieu, puis une manifestation s’élancera à 16h des Hauts de Massanne pour traverser La Paillade en défilant dans le plus de rues possible. De plus amples informations seront disponibles prochainement.
mise en ligne le 27 mai 2024
Benjamin König sur www.humanite.fr
Il en est beaucoup, y compris à gauche, qui voudraient que le dossier de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie demeure strictement franco-français. Mais, comme pour tous les territoires colonisés de la planète, il s’agit d’abord de droit international, comme le rappelle Mickaël Forrest, de l’Union calédonienne.
Alors qu’Emmanuel Macron, à Nouméa, n’a pas annoncé le retrait du dégel du corps électoral et parle en priorité de « rétablissement de l’ordre républicain », le monde regarde d’un œil inquiet la situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie (KNC). Laquelle relève du droit international, et non pas de ce seul « ordre républicain ». Entretien avec l’homme chargé du suivi des relations extérieures dans le gouvernement collégial calédonien, à majorité indépendantiste, dirigé par Louis Mapou.
Vous revenez d’une réunion de travail des Nations unies à Caracas, au Venezuela, au sein du comité de décolonisation. Quelle voix portez-vous lors de ces échanges diplomatiques ?
Mickaël Forrest : Un des articles de l’accord de Nouméa stipule que les Nations unies sont informées et doivent suivre le processus de décolonisation. D’autre part, la Kanaky-Nouvelle-Calédonie a été réinscrite le 2 décembre 1986 sur la liste des Nations unies des territoires à décoloniser.
Tous les ans, l’Assemblée générale de l’ONU adopte une résolution concernant ces 17 territoires, parmi lesquels la Polynésie française, Guam, le Sahara occidental, Gibraltar, etc. Je suis parti de KNC vingt-quatre heures avant le début des révoltes, invité par le comité spécial de décolonisation des Nations unies (créé en 1961, il comprend 29 membres – NDLR) à un séminaire régional.
Quelle était la teneur des discussions ?
Mickaël Forrest : Il s’agissait de la deuxième des cinq dates annuelles qui constituent les étapes du travail du comité. Ce séminaire régional se tient une fois par an, soit dans les Caraïbes, soit dans le Pacifique : l’année dernière en Indonésie, cette année au Venezuela. En juin, nous entrerons sur le fond des thèmes abordés, avec la session annuelle du comité, à New York. Le député Jean-Paul Lecoq y participe d’ailleurs. Puis le comité présente un rapport à l’Assemblée générale.
Avez-vous abordé la situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie lors de ces échanges dans le cadre de l’ONU, qui semble-t-il regarde les événements d’un œil inquiet ?
Mickaël Forrest : Bien sûr, et nous avons fait en sorte qu’ils s’inquiètent un peu plus. J’ai demandé au nom de notre gouvernement plusieurs mesures, à commencer par une mission de visite du comité spécial sur notre territoire, ce qui permet d’apprécier au plus près la situation. Depuis 2015, neuf missions d’observation électorale ont été dépêchées en KNC, car nous dénonçons toujours ce que nous considérons comme une fraude électorale organisée par l’État français avec la venue massive de métropolitains, ce qui continue de noyer le peuple kanak.
Cette année, j’ai demandé une médiation internationale, car cela fait plusieurs mois que le dialogue est coupé entre les parties. Ainsi que la nomination d’un envoyé spécial de l’ONU (nommé par le secrétaire général des Nations unies, à l’instar de Francesca Albanese pour la Palestine – NDLR), une personne neutre qui pourrait aider à renouer le dialogue et poser un cadre politique transparent.
Une représentante du FLNKS était également présente, pour exposer les arguments du mouvement indépendantiste. Une fois n’est pas coutume, plusieurs personnes du camp anti-indépendantiste, des proches de Mme Backès et de M. Metzdorf, étaient également présents. Visiblement, ils découvraient le comité spécial et n’ont bien sûr pas parlé de décolonisation. Pour utiliser un proverbe transposé en français, je dirais qu’ils sont venus planter de la vigne dans une terre préparée pour des poireaux… Cela a été mal perçu par les membres du comité.
Le premier ministre du Vanuatu, au nom du Forum des îles du Pacifique, vous a apporté son soutien. L’Australie dit être « attentive » à la situation et évacue ses ressortissants. Quelles sont vos relations avec les pays voisins ?
Mickaël Forrest : Au Venezuela, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, un État important de la diplomatie régionale, a délivré un discours clair pour que le comité adopte les mesures nécessaires afin que notre droit à l’autodétermination soit effectif. Au sein du Pacifique, le premier appui est celui du Groupe fer de lance mélanésien (GFLM, alliance regroupant les îles Salomon, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu, les Fidji, l’Indonésie et le FLNKS, créé en 1988 et proche du Mouvement des non-alignés – NDLR).
Je participe à une mission avec 16 autres ministres des pays du Forum des îles du Pacifique (FIP, organisation régionale fondée en 1971 qui comprend tous les pays d’Océanie, plus la Polynésie et la KNC depuis 2016 – NDLR) pour renforcer les liens avec d’autres pays, notamment Singapour. À cette occasion, nous avons beaucoup échangé sur la situation actuelle en KNC. De nombreux pays, ONG et organismes internationaux du Pacifique ont dénoncé l’action de la France sur notre territoire.
Sur le fond, la question est-elle celle du viol du droit international par la France ?
Mickaël Forrest : Oui, tout à fait. La KNC n’est plus une affaire interne à l’État français. Je vais me rendre bientôt en Europe pour discuter également avec des leaders indépendantistes du continent qui nous soutiennent depuis plusieurs décennies : basques, catalans, corses… Nous aborderons le sujet des élections européennes : même si pour le peuple kanak cela ne veut pas dire grand-chose, ce scrutin revêt des enjeux politiques forts, y compris pour nous. Il existe des jeux politiques par rapport à nous.
Que répondez-vous aux accusations d’ingérence de la part de l’Azerbaïdjan ou de la Chine ?
Mickaël Forrest : Il faut revenir à des choses claires : la meilleure réponse est celle de M. Victorin Lurel, l’ancien ministre PS des Outre-mer, qui dit que la France n’a jamais su décoloniser. Et l’État français a des projets pour l’axe indo-pacifique. Notre gouvernement n’a aucune difficulté avec quelque pays que ce soit.
La Chine, par exemple, est notre premier partenaire commercial, elle achète notamment 80 % de notre nickel. Quand on veut avoir une lecture géopolitique, il faut l’avoir également en matière économique, sociale, culturelle, etc. Quant à l’Azerbaïdjan, il présidait le Mouvement des non-alignés, qui nous a toujours soutenus et dont nous sommes membres observateurs. Pour nous, dans notre situation coloniale, ce sont des soutiens anciens, qui nous accompagnent dans notre lutte.
mise en ligne le 24 mai 2024
Muriel Steinmetz sur www.humanite.fr
L’ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco publie un livre écrit à chaud sur la situation de son pays en proie à un conflit qui, selon lui, peut déboucher sur le « transfert » définitif de son peuple.
Une grande voix de la Palestine répond à nos questions. Il s’agit de l’écrivain Elias Sanbar, engagé dès 1967 dans le mouvement national palestinien. On lui doit de nombreux ouvrages sur l’histoire et la culture de son pays natal, qu’il ne cesse de défendre et illustrer à l’échelle internationale. Il a occupé, de 2006 à 2021, la fonction d’ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco après avoir participé à la conférence de paix de Madrid en 1991, puis aux négociations bilatérales à Washington.
Il a été, de surcroît, de 1994 à 1997, chef de la délégation palestinienne aux négociations de paix sur les réfugiés. De 1980 à 2006, il a animé l’importante Revue d’études palestiniennes (éditions de Minuit). Il sort, ces jours-ci, un livre qu’il a écrit intitulé la Dernière Guerre ? Palestine, 7 octobre 2023-2 avril 20241. Ami et traducteur du poète Mahmoud Darwich, il en cite, en conclusion, ces vers déchirants : « Laissez donc, ô invités du lieu, quelques sièges libres pour les hôtes, qu’ils vous donnent lecture des conditions de la paix avec les défunts. »
Dans ce livre, vous revenez aux sources historiques du conflit…
Elias Sanbar : La guerre actuelle a trois éléments qui la rendent identique à l’autre, originelle, commencée le 29 novembre 1947, au moment de l’adoption du plan de partage de la Palestine, terminé le 14 mai 1948, lorsque les premiers soldats arabes sont entrés sur le territoire palestinien, à la proclamation de l’État d’Israël. À ce moment-là, nous, Palestiniens, étions déjà réfugiés. Le pays avait déjà été vidé. L’essentiel de la Nakba (l’expulsion de près de 800 000 Palestiniens – NDLR) a eu lieu durant ces cinq mois et demi.
Le « transfert » – le mot est de Ben Gourion – et le remplacement ont déjà eu lieu. Cette première guerre s’est soldée par la défaite du camp palestinien. La Nakba est déjà terminée quand les soldats arrivent avec l’idée de récupérer la Palestine. Elle est déjà perdue. Or, on présente notre expulsion comme la conséquence d’une agression arabe.
Quel projet final guide le gouvernement d’extrême droite israélien aujourd’hui ?
Elias Sanbar : Il n’en a pas. Il y a une explication qu’on retrouve partout : cet homme, Benyamin Netanyahou, n’a d’autre projet que de rester au pouvoir. C’est un peu court ! Le crime de guerre commis par le Hamas le 7 octobre n’était pas un débordement d’action incontrôlée. Je n’en fais pas l’éloge. Il a été conçu pour passer des bombardements habituels orchestrés par Israël à un embourbement de l’armée israélienne à Gaza. Cette stratégie a été menée avec une profonde connaissance de la société israélienne.
Il savait qu’en frappant une société convaincue d’être en danger de disparition, rien ne se solderait par une riposte simple. Israël a repris la main en menant une guerre totale à Gaza. Y ont été ajoutés d’autres champs de bataille : Cisjordanie, Jérusalem-Est, réfugiés de 1948… Le slogan de 1948, « Il est temps de terminer ce que Ben Gourion n’a pas achevé », a été repris.
Que n’a-t-il pas achevé ? Le « transfert » de la Cisjordanie, le « transfert » de Gaza, le « transfert » des 152 000 Palestiniens restés dans ce qui allait devenir Israël et le règlement définitif des 800 000 réfugiés de 1948, qui sont aujourd’hui 6 millions. Le concept de « jour d’après » est celui d’une Palestine totalement « nettoyée ». Le projet en cours est voué à l’échec. Israël n’arrive pas à achever le travail de Ben Gourion et il ne le terminera pas.
Pourquoi ?
Elias Sanbar : Israël existe et a produit une entité, l’Israélien, qui est juif, mais qui n’est pas LE juif. C’est fondamental. Les Israéliens sont à 80 % de religion, d’idéologie, d’identité juive mais ce ne sont pas les juifs. Aujourd’hui, quand on parle d’Israéliens – lesquels ont une mentalité coloniale –, les gens s’imaginent que vous parlez de Freud, de Mahler, de Walter Benjamin, d’Hannah Arendt, de Spinoza… Non ! Ceux-là étaient des Européens juifs. Cette confusion a donné une forme d’immunité aux actions inacceptables d’Israël. Cette guerre est en train de faire voler en éclats l’idée de l’armée la plus morale du monde.
« Tu restes, tu meurs. Tu pars, tu vis. »
La seconde chose, c’est la question du sentiment d’être en danger. Si Israël était vraiment en danger, la totalité des grandes puissances de la planète débarqueraient pour le sauver. Par contre, dans le ressenti israélien – qui est une réalité –, les gens réagissent comme s’ils étaient en danger de disparition réelle. En face, les Palestiniens, eux, sont en train de disparaître. De part et d’autre, le conflit prend la forme d’une question de vie ou de mort. L’idée de deux États, ce pour quoi nous nous sommes battus, moi le premier, n’est plus sur la table. Ils veulent finir le travail !
Une Nakba bis ?
Elias Sanbar : Plutôt un parachèvement de la Nakba, avec la réalisation du « transfert ». La Nakba signifie la catastrophe, l’effet causé par l’absence : un pays disparaît tout à coup, corps et biens. Le transfert est une action militaire, coloniale, de remplacement d’un peuple par l’autre. C’est en jeu depuis le début. Il s’agit d’une colonisation très particulière. Sa seule colonisation jumelle, c’est la conquête de l’Ouest américain.
Ce sont les deux seules colonisations sans métropole. Le transfert est une activité génocidaire, de nettoyage ethnique, d’ethnocide. Avec une nuance d’importance, s’agissant de l’actuel transfert : si les Palestiniens acceptent de partir, on ne les tue pas. Ceux qui meurent sont ceux qui n’ont pas compris qu’il fallait qu’ils partent. D’où cet acharnement, cette folie meurtrière et ces appels incessants aux Gazaouis d’aller en Égypte. Tu restes, tu meurs. Tu pars, tu vis.
Ce qui se passe à Gaza fait presque oublier ce qui a lieu en Cisjordanie et à l’intérieur même d’Israël…
Elias Sanbar : Ce qui se déroule dans les autres régions de la Palestine, à Jérusalem-est, en Cisjordanie, c’est précisément la fin du boulot… En riposte à l’attaque du Hamas, Israël a rouvert tous les fronts. Il ne se confine pas au champ de bataille de Gaza. En Cisjordanie, c’est un grignotage incroyable pour assurer la mainmise des colonies sur tout le territoire. Il y a une semaine, ils ont fondé 26 nouvelles colonies !
Le transfert est en cours. Il y a plus d’un millier de morts. L’un des principaux députés palestiniens à la Knesset, communiste, me dit qu’en Galilée, les gens se demandent si l’armée israélienne ne va pas maintenant venir vers eux et leur refaire le coup de la Nakba.
Un nouvel exode des Palestiniens est-il pensable ?
Elias Sanbar : On ne sait ce qu’il adviendrait en cas de défaite militaire totale. Si les Israéliens n’accèdent pas à une victoire totale, que vont-ils faire ? La situation sera beaucoup plus dangereuse pour eux que ce qu’ils s’imaginent. Si les Palestiniens perdent, que se passera-t-il ? Nous en sommes au septième mois, avec une des armées les plus puissantes de la planète… En tonnage d’explosifs et de bombes, c’est déjà quatre fois Hiroshima !
Sur un territoire de 320 km2, soit un rectangle de 32 km sur 10. Un homme normalement constitué peut parcourir 4 km/h à pied. En huit heures, il traverse toute la bande de Gaza du nord au sud. En deux heures, il va de l’est jusqu’à la mer. Imaginez que, sept mois plus tard, une armée suréquipée, avec déjà 107 à 108 ponts aériens américains de munitions, n’arrive pas à déloger des hommes et des femmes qui sortent de leurs tunnels en tongs, voire pieds nus, armés d’un simple RPG (lance-roquettes) pour les harceler et repartir.
Nous en sommes à je ne sais combien d’annonces sur le fait que, sur les 20 divisions du Hamas, il en reste 4 et que tout est pacifié, sauf ce trou au sud. Depuis les cinq derniers jours, les batailles les plus fortes se déroulent au nord, dans des zones (vers le camp de réfugiés de Jabalia) annoncées comme totalement pacifiées, nettoyées depuis octobre par l’armée israélienne. Les bataillons, côté palestinien, du Hamas – il n’y a pas que lui – se reforment dès qu’ils sont décimés. Un classique des guerres coloniales.
À quelles conditions une solution politique pourrait enfin voir le jour dans la perspective de deux États ?
Elias Sanbar : Je ne sais pas et je crois que personne ne le sait. La guerre est en cours. Il n’y a pas de conflit qui n’ait de solution. Cela ne marchera que si une partie et l’autre ont le sentiment que la justice est au rendez-vous. Sinon, le conflit re-explosera. Quant à deux États, je n’y crois plus.
La réalité du terrain en a anéanti définitivement la possibilité. Je ne dis pas l’idée. Pourquoi ? Je ne sais quelle armée se dévouerait pour aller sur place et vider les colons des territoires qu’ils ont volés. C’est trop tard. Je ne vois pas quel pays va s’y risquer. Les deux États ont été mis à mort.
On parle peu de l’importante diaspora palestinienne de par le monde. A-t-elle un rôle à jouer ?
Elias Sanbar : La diaspora est partout. Regardez les manifestations : 300 000 à 400 000 personnes à Londres, en Suède, Norvège, Mexique, Argentine, Pakistan, Malaisie. La diaspora est extrêmement active et les élites palestiniennes des exils le sont aussi. Nous sommes très installés dans toutes les universités au monde.
Pas seulement du côté des étudiants. Il y a énormément de professeurs palestiniens. Cette diaspora a une puissance intellectuelle qu’on ne soupçonne pas. C’est là que se joue la réputation d’Israël. Israël est en train de détruire sa moralité. Quand on est face à des milliers d’enfants morts… Ce qu’a fait le Hamas n’enlève rien à tous ces cadavres.
Ces gosses ont été assassinés. Des choses se préparent à la Cour pénale internationale (CPI) avec des mandats d’arrêt en cours. Il y a une semaine, j’ai vu des médecins revenir des hôpitaux du nord de la bande de Gaza. Sept charniers ont déjà été découverts avec des centaines de cadavres, mains et pieds ligotés ! J’ai vu ce que ces médecins ont filmé. Ils ont analysé l’état des corps. Ils ont trouvé des cadavres avec des cathéters !
Ces gens ont été assassinés dans leur lit ! Il y a eu un carnage, avec des traces de torture sur beaucoup de corps2. Ils sont en train de devenir fous. Nous en sommes au 150e journaliste palestinien abattu. Pour qu’il n’y ait pas de témoins du crime. Un très grand nombre de médecins palestiniens ont été assassinés. Durant la guerre du Vietnam, la stratégie américaine était la suivante : puisqu’on n’arrive pas à pêcher tous les poissons, on va vider l’eau. Ils sont en train de vider l’eau à Gaza : pas de vivres, pas de médicaments, pas de médecins, pas d’images…
L’éventuelle libération de Marwan Barghouti pourrait-elle ouvrir une perspective neuve au devenir du peuple palestinien ?
Elias Sanbar : Je ne crois pas qu’ils le feront. Ils savent ce qu’il arriverait s’ils le libéraient. Seront-ils un jour forcés de le faire, je ne sais pas.
En ces heures, vous devez sans doute penser très fort à votre ami, le poète Mahmoud Darwich, ce grand donneur de force et d’espoir.
Elias Sanbar : Le poème que je cite dans le livre date de 1992. Nous sommes en 2024. Il semble avoir été écrit avant-hier ! C’est dire sa force. C’est grâce à la poésie de Mahmoud Darwich que nous avons en partie tenu le coup de la disparition et de l’absence. En arabe, le vers se dit « beit » et la maison aussi.
Nous avons habité les poèmes de Darwich. Il nous a amené nos maisons à nous qui en étions privés. Allez dans une rue arabe, prenez un passant, dites « Mahmoud Darwich », il vous récitera par cœur deux ou trois vers. La traduction des œuvres de cet ami intime a pris vingt-huit années de ma vie. On se voyait tous les jours.
Note :
Chez Gallimard, collection « Tracts », n° 56, 48 pages, 3,90 euros, numérique, 3,50 euros. Du même auteur, Figures du Palestinien. Identité des origines, identité de devenir, Folio Histoire, 309 pages, 9,40 euros. ↩︎
Cet entretien a été réalisé quelques jours avant la demande mandat d’arrêt de la CPI contre Benyamin Netanyahou, Yoav Gallant et trois responsables du Hamas pour « crimes de guerre ». ↩︎
mise en ligne le 22 mai 2024
Johanna Tein sur www.humanite.fr
Pour le gouvernement français et les partisans de l’ordre colonial, la jeunesse kanak n’existe pas, sauf en tant qu’émeutiers radicalisés à mater. Mais sur les barrages, celle-ci raconte ouvertement ses espoirs, ses peurs et sa colère brute et pourquoi sa lutte, qui a embrasé le pays, s’inscrit dans les pas des « anciens ».
Nouméa (Kanaky-Nouvelle-Calédonie), correspondance particulière.
Sur la presqu’île de Nou, là où fût implanté le bagne de la Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle, un groupe de jeunes hommes ont érigé un barrage. Ils bloquent la seule voie qui mène à plusieurs infrastructures importantes du pays : deux hôpitaux, l’université de la Nouvelle-Calédonie et sa cité universitaire, où sont logés de jeunes étudiants venant de tout l’archipel.
À dix mètres de cette barricade, de jeunes Kanak stoppent les personnes et les voitures. Un homme vient à notre rencontre, salue avec gentillesse. Il n’a pas d’arme et s’appelle Phil, originaire de l’île de Lifou : « Vous pouvez passer, le barrage est simplement filtrant. » Plusieurs véhicules circulent sans encombre : ambulances, médecins, familles avec enfants, habitants du quartier. On se salue, on échange un mot. Certains passagers s’arrêtent pour distribuer des boissons ou de quoi manger.
Phil est le plus âgé du groupe : à ce titre, c’est lui qui fait office de porte-parole. Il tient à exposer les raisons de l’engagement de ces militants. « On est là pour dire non au dégel du corps électoral. C’est un acquis de nos papas, quand ils ont fait la première lutte dans les années 1980, avec le FLNKS. On a compris, on se lève aujourd’hui pour dire que le dégel du corps électoral, cela veut dire noyer la revendication kanak dans ce pays. Et nous, on ne voudra jamais ça. »
La tension reste palpable sur le caillou
Fatigués, tous barbouillés du noir de la fumée, ils ressemblent à leurs ancêtres guerriers qui autrefois s’enduisaient de noix de bancoule avant d’aller au combat. Peu après, Phil exhorte : « Mettez-vous à l’abri, avancez votre voiture vers le barrage, à côté des jeunes, là ! » dit-il, désignant des militants de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), une émanation de plusieurs mouvements indépendantistes qui organise la contestation depuis plus de six mois. L’un des jeunes exprime sa colère en lançant des cailloux sur une carcasse de voiture calcinée.
La tension demeure extrêmement vive. L’un des membres du groupe, Louis *, prend la parole : « Une demi-heure avant votre arrivée sur le barrage, on a été la cible d’individus armés dont on ne connaît pas l’identité. Je tiens à dire qu’une milice existe. Elle semble travailler en parallèle avec la police. On ne sait pas s’ils sont avec elle ou pas mais, à chaque fois, ils se suivent. » Des hommes armés étaient à bord d’un 4×4 et leur ont tiré dessus. « Ils sont venus nous flinguer comme des chiens. Mais il n’y a pas de morts, ni de blessés. » Phil, qui se dit chrétien et kanak, remercie « Dieu et les esprits de l’endroit de les avoir épargnés ».
Depuis le 13 mai, plusieurs jeunes ont été tués, trois officiellement, mais d’autres sont portés disparus. À ce jour, personne ne connaît le nombre exact de blessés et de morts. Pour l’heure, le bilan fait état d’au moins un décès à la Vallée du Tir, et de deux autres à Ducos : une jeune fille de 17 ans et un homme de 36 ans, originaires de Canala, sur la côte est du pays.
C’est pour ces raisons que le groupe se dit farouchement opposé à l’entrée des forces de police à Nouville et craint que les renforts de métropole ne soient pas là « pour protéger les habitants des exactions de ”la milice” ». L’évocation de ces « milices européennes » n’est pas nouvelle dans l’histoire : dans les années 1980, elles agissaient souvent impunément, comme lors de l’assassinat de Pierre Declercq, alors secrétaire général de l’Union calédonienne, tué le 19 septembre 1981, dans sa propre maison. Ses assassins n’ont jamais été arrêtés.
Les jeunes que l’on voit sur ces barrages sont issus essentiellement des quartiers populaires du Grand Nouméa, comme Tuband, Magenta, Nouville, Koutio. Des zones où les forces de police sont intervenues en priorité et de manière musclée depuis les premiers heurts et le meurtre du jeune Djibril, 20 ans, originaire de l’île de Maré et abattu par un homme en civil, le 15 mai. Au total, on dénombre plus de 300 arrestations.
Dans les quartiers aisés de Nouméa, notamment ceux du sud, il ne fait pas bon être kanak ou océanien. Les accès sont fermés, même pour aller faire des courses. Pourtant, à la plage de l’Anse Vata, cœur du littoral touristique, les terrasses et la plage sont ouverts, comme si le temps s’était arrêté, comme si, sur cette terre, les uns et les autres ne vivaient pas dans le même monde.
L’histoire des luttes kanak profondément ancrée dans la mémoire des kanak
Pour tous ces jeunes Kanak, la question reste celle de la dignité de leur peuple. N’ont-ils pas le droit de rêver une vie meilleure, pour leur propre société, non soumise à la rentabilité, non rythmée par le temps de la montre et de la façon de vivre des Occidentaux ? Comme le disait Jean-Marie Tjibaou, ancien leader du FLNKS assassiné en 1989 : « Il est difficile de suivre celui qui cherche sa route. »
Retour à Nouville, où Phil et ses camarades saluent la mémoire des leaders indépendantistes abattus par le GIGN, « comme Éloi Machoro et Marcel Nonnaro », en 1985. Mais aussi des dix de Hienghéne, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, assassinés par des opposants loyalistes qui furent acquittés. Enfin, de ceux de la célèbre grotte de Gossanah à Ouvéa en 1988, dont Wenceslas Lavelua et ses compatriotes, abattus également lors de cette opération militaire nommée « Victor ». Cette histoire est ancrée profondément, celle d’une guerre civile qui leur a permis d’enfin exister et d’être reconnus pleinement légitimes sur cette terre désormais nommée « Kanaky », le mot d’ordre brandi sur les barrages.
Ces jeunes ont aussi en mémoire la longue histoire de la résistance à la domination française, depuis la prise de possession de l’archipel en 1853, et les maintes « révoltes » et « situations insurrectionnelles » brutalement réprimées. « Depuis le 24 septembre 1853, lorsqu’ils ont levé le drapeau à Mahamate (aujourd’hui Pouébo, dans le nord de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie – NDLR), il y a eu des morts. »
Loin de l’image de jeunes émeutiers incontrôlables, le leader du petit groupe précise : « Aujourd’hui, le 20 mai 2024, à 13 h 22, cela fait une semaine que nous sommes là. Il y a des jeunes qui ont été tués, mais nous, nous n’avons pas d’armes. C’est un barrage pacifique. Ici, à Nouville, on a deux hôpitaux et l’université : on ne peut pas bloquer complètement la route », finit-il, solennel.
« Résister, ce n’est pas mourir »
Pour ces militants, la partialité de l’État français les a motivés à organiser une résistance pacifique avec la CCAT. « C’est pour faire entendre nos voix et nos rêves pour notre pays et nos enfants que nous sommes là. » Depuis la mobilisation massive du samedi 13 avril 2024 sur la place de la Paix, la CCAT a coordonné des nombreux regroupements, à chaque fois sans heurts, afin de montrer au peuple de France que le peuple kanak réclame justice et équité.
Près du barrage, Raphaël (*) engage le dialogue : « Aujourd’hui, c’est toujours la même chose : ils lèvent le drapeau français mais il y a des morts de l’autre côté. On fait de la résistance, mais résister, ce n’est pas mourir. Nous, on se bat pour notre dignité, sans armes à feu, comme nos anciens faisaient. On accompagne un gouvernement légitime, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie – Kanaky. »
Avant de partir, le petit groupe tient à faire passer un message, comme un manifeste de sa lutte. « On demande à tout le monde d’avoir un œil bienveillant pour le combat des enfants de Kanaky, le nom de ce pays. Kanaky ne veut pas dire qu’on va exterminer tout le monde et qu’il y aura une seule race. Non ! On demande la nationalité kanak ou la nationalité calédonienne, mais il ne faut pas faire passer le dégel avant la nationalité. Kanaky vaincra ! »
Comme un lointain écho à la pensée de Jean-Marie Tjibaou, retranscrite dans son livre, la Présence kanak, publié en 1996 chez Odile Jacob : « Pour nous, il y a ici un peuple indigène, c’est le peuple kanak. Nous voulons d’abord la reconnaissance de ce peuple et son droit à revendiquer l’indépendance de son pays. Ce n’est pas plus raciste que de parler de citoyenneté française. »
* Le prénom a été modifié
mise en ligne le 20 mai 2024
Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr
Spécialiste du droit international, l‘avocat Johann Soufi analyse, pour l‘Humanité, la démarche du procureur de la CPI, Karim Khan.
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) vient de demander à la Chambre préliminaire de délivrer des mandats d‘arrêt contre Benyamin Netanyahou, son ministre de la Défense ainsi que trois responsables du Hamas. Sa démarche vous a-t-elle surpris ?
Johann Soufi : On savait depuis plusieurs semaines, grâce à des fuites, que le procureur examinait la possibilité de tels mandats d‘arrêt. Mais on ignorait où il en était. En faisant cette annonce publiquement, Karim Khan neutralise les pressions qui, depuis le début, pèsent sur cette procédure. Cette annonce met fin à une pratique qui, jusqu’à présent, consistait à attendre que les mandats d‘arrêt soient émis pour communiquer.
Et sur le fond ?
Johann Soufi : On parle d‘extermination, de crimes contre l‘humanité, de persécutions, d‘actes inhumains. On accuse les dirigeants israéliens d‘affamer délibérément des civils. Les qualifications retenues sont extrêmement larges, on est à la limite du génocide.
Karim Khan a tenu à préciser que, pour forger sa décision, il avait procédé à une analyse globale et consulté les plus éminents juristes – parmi lesquels Amal Clooney ou Theodor Meron. La communauté internationale est donc avertie. Il reviendra aux juges de la Chambre préliminaire, à présent, d’examiner plus précisément sa requête.
Quelle est leur marge de manœuvre ?
Johann Soufi : Ces trois juges, qui se prononcent chacun en leur nom propre, ne refont pas l’enquête. Ils étudient la requête du procureur – probablement des centaines de pages – et vérifient si les preuves rapportées correspondent aux qualificatifs retenus. Cela peut prendre un ou deux mois, mais pas davantage. Le cas échéant, les magistrats peuvent écarter des accusations ou procéder à des requalifications.
En 2009, la Chambre préliminaire a ainsi accepté de délivrer un mandat d’arrêt pour « crimes conte l’humanité » et « crimes de guerre » à l’encontre du président du Soudan Omar el-Béchir, mais a refusé de le poursuivre pour « génocide », comme le souhaitait le procureur. Il y a donc une certaine marge de manœuvre mais, de mémoire, jamais une Chambre préliminaire n’a refusé de délivrer un mandat d’arrêt que lui réclamait le procureur.
Quelles seront les conséquences de ces mandats d’arrêt ?
Johann Soufi : Pour les intéressés, d’abord : même s’ils ne sont pas arrêtés immédiatement, même s’il ne faut pas espérer un procès avant longtemps, leur avenir politique est désormais bloqué. Regardez Vladimir Poutine : il a pu aller en Chine, certes, mais il ne s’est pas rendu à l’assemblée générale de l’ONU, il ne voyage pas en Europe, il n’a pas participé à la réunion des Brics à Johannesburg, il ne sera pas présent aux cérémonies du 6 juin en France. Trop risqué.
Car lorsqu’un mandat d’arrêt est délivré par la CPI, les États parties ne doivent pas se contenter d’être passifs, ils doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’il soit exécuté. Il y a une obligation d’agir. Cela passe par des pressions politiques, par des sanctions économiques. Le but, c’est que le criminel soit arrêté et jugé.
Une fois délivré, un mandat d’arrêt peut-il être levé ?
Johann Soufi : Non. Les faits ont été commis, ils doivent être jugés. Il y a cependant deux hypothèses dans lesquelles un mandat d’arrêt peut prendre fin. La première, c’est que la personne visée décède. La deuxième, c’est qu’elle puisse prouver qu’elle a fait l’objet, pour les faits qui lui sont reprochés, d’un procès juste, équitable et impartial.
Je doute que Benjamin Netanyahou soit jamais jugé, en Israël, pour les faits dont il est aujourd’hui accusé. Il faudra donc, comme les quatre autres responsables visés par la requête, qu’il soit un jour traduit devant la Cour pénale internationale.
Comment les États-Unis vont-ils réagir ?
Johann Soufi : Les États-Unis ne sont pas membres de la CPI, ils ne sont donc pas tenus de mettre à exécution les mandats qu’elle délivre. Mais ça devient très compliqué, pour Joe Biden, de figurer sur la même photo que Benjamin Netanyahou. Aux yeux de la communauté internationale, c’est officiel, il est un criminel de guerre.
Parallèlement à ces poursuites, qui visent des personnes physiques, l’État d’Israël est aussi mis en cause devant la Cour internationale de justice (CIJ). Ces deux procédures s’articulent-elles ?
Johann Soufi : Non. Ces instances et ces procédures sont totalement indépendantes les unes des autres. Mais réclamer l’arrestation de Benjamin Netanyahou n’est pas neutre. Cela ne peut que renforcer l’analyse, déjà faite par les juges de la CIJ, d’une volonté génocidaire d’Israël à l’égard du peuple palestinien.
mise en ligne le 17 mai 2024
Clémentine Eveno sur www.humanite.fr
Des mobilisations à Londres et à Berlin sont prévues pour commémorer la Nakba, le déplacement massif de Palestiniens en 1948 et pour demander la fin des ventes d’armes à Israël, contre la guerre à Gaza, samedi 18 mai. Depuis début mai, des mobilisations ont lieu partout chez nos voisins européens.
Des mobilisations à Londres et à Berlin sont prévues pour commémorer la Nakba, le déplacement massif de Palestiniens en 1948 ainsi que pour demander la fin des ventes d’armes à Israël dans le cadre de la guerre contre la guerre à Gaza, samedi 18 mai. Les mobilisations s’accumulent chez nos voisins européens. Retour sur quelques-unes d’entre elles, depuis début mai.
Des occupations d’universités dans de nombreux pays d’Europe
Au Royaume-Uni, plusieurs universités britanniques ont été occupées. La première université à se mobiliser a été celle de Warwick, dans le centre de l’Angleterre. Le mouvement a ensuite gagné les villes de Newcastle, Édimbourg, Manchester, Cambridge et Oxford. En Italie, des « comités contre la guerre » organisent des occupations et des cortèges dans différentes universités comme à Milan, Naples, Turin, Bologne, Padou. En Espagne, le mouvement de protestation en soutien au peuple palestinien continue de s’étendre dans différentes villes, vendredi 17 mai.
Des réponses répressives
À Athènes, vingt-huit personnes ont été arrêtées mardi 14 mai 2024. Elles occupaient l’Université de droit d’Athènes depuis la veille, en « solidarité avec la Palestine ». Parmi ces vingt-huit personnes arrêtées, neuf d’entre elles étaient des ressortissantes étrangères. Parmi elles, trois étaient françaises. Elles sont aujourd’hui menacées d’expulsion selon nos confrères de Libération. Les personnes sont accusées de « délits de trouble à l’ordre public, de dommages aux biens de tiers et de désobéissance ».
En Suisse, après sept jours de siège, la police a évacué la cinquantaine de manifestants installés dans l’Université de Genève, lundi 13 et mardi 14 mai. À l’Université d’Amsterdam, la police néerlandaise a annoncé avoir arrêté 125 personnes, mardi 7 mai, selon l’agence de presse turque Anadolu.
Plus de 37 personnes interpellées en Allemagne, lors d’un rassemblement à l’université Humboldt de Berlin le 3 mai. Des manifestants viennois ont quant à eux tenté d’occuper le campus de l’Université. Mais la police a immédiatement évacué le campement.
Des mobilisations victorieuses
Des étudiants avaient installé des dizaines de tentes pour protester contre l’offensive israélienne à Gaza, le vendredi 3 mai au Trinity College, à Dublin, en Irlande. Cinq jours plus tard, l’Université et les manifestants ont trouvé un accord : l’Université a accepté de rompre ses liens avec « les entreprises israéliennes qui ont des activités en territoire palestinien occupé et apparaissent sur la liste noire des Nations unies à cet égard ». En Norvège, cinq universités ont aussi décidé de suspendre toutes les collaborations en cours qu’elles avaient avec des universités israéliennes, rapporte Le Monde.
Un syndicat de journalistes mène une action pendant l’Eurovision
Un syndicat de la chaîne de télévision publique belge VRT a brièvement interrompu la demi-finale de l’Eurovision, jeudi 9 mai. Le message en néerlandais affiché était le suivant : « Ceci est une action syndicale. Nous condamnons les violations des droits de l’homme commises par l’État d’Israël. De plus, l’État d’Israël détruit la liberté de la presse.
C’est pourquoi nous interrompons brièvement l’image. #CeaseFireNow StopGenocideNow ». Le syndicat ACOD-VRT, à l’origine s’est exprimé sur son compte Facebook : « Ne rien faire, se contenter de regarder, n’est plus une option ».
mise en ligne le 17 mai 2024
Carine Fouteau sur www.mediapart.fr
Pour sauver le processus de décolonisation débuté il y a près de quarante ans, l’exécutif doit comprendre que la réforme du corps électoral sur laquelle il s’est fracassé est une question de survie pour les Kanaks, liée à leur minoration démographique, au cœur de la domination française depuis le XIXe siècle.
ManqueManque d’écoute et de considération, passage en force législatif, envoi du GIGN et du Raid, couvre-feu, état d’urgence… Alors que cinq personnes ont été tuées (trois Kanaks et deux gendarmes) et de nombreuses autres blessées dans les affrontements survenus à Nouméa et ses environs au cours des derniers jours, l’exécutif est aspiré par la spirale de violence qu’il n’a pas su désamorcer, voire qu’il a contribué à réveiller.
Les tirs à balles réelles, sur fond d’incendies, de barrages routiers et de pillages, font ressurgir le spectre de la guerre civile entre indépendantistes et loyalistes dont le point culminant a été atteint en mai 1988 avec la mort de dix-neuf Kanaks et de deux militaires lors de l’assaut de la grotte d’Ouvéa. Déjà, l’enjeu du corps électoral était au cœur de ce que l’on a hypocritement appelé les « événements ».
En raison de sa désinvolture et de son impréparation, tant l’histoire semble se répéter, l’exécutif fait prendre à la France le risque de réduire en cendres près de quarante ans d’un patient processus de décolonisation, qui avait permis jusque-là, dans un savant apprentissage des forces en présence, de maintenir la paix civile en Nouvelle-Calédonie et dont certains, y compris parmi les officiels, ont longtemps espéré qu’il symbolise la première décolonisation « réussie », c’est-à-dire sans violences, de notre pays.
Lors d'une manifestation contre l'élargissement du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, le 13 avril 2024. © Photo Nicolas Job / Sipa
Aujourd’hui, le fil des échanges et de l’équilibre sur lequel s’est construit le destin commun en Nouvelle-Calédonie semble cassé, malgré les appels au calme qui se font entendre de toutes parts, côté loyaliste et côté indépendantiste.
Emmanuel Macron en porte la responsabilité, au regard des fautes accumulées par l’exécutif. Plutôt que d’entendre les alertes des indépendantistes lancées depuis des mois sur les conséquences d’un élargissement du corps électoral susceptible de marginaliser les Kanak·es dans la répartition des sièges dans les provinces, l’exécutif a choisi de les mépriser. Plutôt que de persister dans la nécessité d’un dialogue, tout complexe soit-il, il a choisi de passer en force son projet à l’Assemblée nationale.
Plutôt que de saisir la gravité du moment en tirant les leçons des expériences passées, le président refuse de faire une pause sur le fond de la réforme contestée, recourt à l’état d’urgence – inscrit dans la loi en 1955 pour faire face aux « événements » d’une autre ex-colonie, l’Algérie – et envoie les troupes.
Des blessures ravivées
Après avoir alimenté le chaos, il promet une réponse « implacable » à l’embrasement des rues. Pour faire bonne figure face à la brutalité de sa stratégie, il « invite » désormais les délégations calédoniennes à venir discuter à Paris, tout en prévenant qu’il maintiendrait la réunion du congrès à Versailles « avant la fin juin » pour entériner la révision constitutionnelle si aucun accord n’était trouvé d’ici là. Des négociations avec un ultimatum… pas sûr que les intéressés apprécient.
Le ministre de l’intérieur le dit à sa manière, encore moins policée : « La République ne tremblera pas. Oui au dialogue comme l’a dit le premier ministre, autant qu’il faudra, où il le faudra, avec qui il faudra, mais jamais la République ne doit trembler devant les kalachnikovs », a affirmé Gérald Darmanin, après avoir salué la mémoire du gendarme décédé sans un mot pour les autres victimes.
Compte tenu de son implication dans le processus décolonial, l’État français devrait pourtant le savoir : on ne met pas fin impunément à un héritage de conquête, d’asservissement et de ressentiment sans rompre avec les méthodes brutales et expéditives qui ont façonné le passé.
Loin de l’apaisement escompté, le chef de l’État ravive douloureusement les blessures d’une histoire de domination jamais complètement refermée, malgré les accords de Matignon de 1988, consécutifs à la tragédie d’Ouvéa, puis de Nouméa de 1998, dont le préambule a, pour la première fois, officiellement reconnu le fait colonial de la République française.
Ces accords ont manifesté la volonté partagée de « tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité », comme l’État avait obtenu de l’inscrire dans le marbre. Il semble, au regard de la situation actuelle, que l’exécutif ait oublié de lire la page jusqu’au bout, avant de la tourner. Car même si le « non » aux référendums d’autodétermination l’a emporté trois fois, le processus de décolonisation, contrairement à ce qu’il aimerait croire, n’est pas achevé pour autant. Selon ce qui a été dit et écrit, un accord global sur l’avenir institutionnel de cet archipel du Pacifique, toujours considéré par l’ONU comme un territoire non autonome à décoloniser, doit encore être conclu.
On ne se débarrasse pas ainsi d’un substrat colonial qui imprègne encore le présent du pays, sans l’avoir regardé en face. Sur une terre où les habitant·es et les institutions ont su faire preuve d’intelligence collective et d’accommodements raisonnables, la gestion managériale et policière, sans passé ni futur, de ce dossier brûlant est vouée non seulement à l’échec, mais aussi au drame.
« Le temps viendra où le désir de dominer, de dicter sa loi, de bâtir son empire, la fierté d’être le plus fort, l’orgueil de détenir la vérité, seront considérés comme un des signes les plus sûrs de la barbarie à l’œuvre dans l’histoire des humanités » : ces lignes des écrivains Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau (ici et là) devraient résonner aux oreilles d’Emmanuel Macron. Écrites en 2007, elles ne faisaient pas référence à la situation calédonienne, mais répondaient au sinistre « débat » sur l’« identité nationale », dont on mesure, rétrospectivement, à quel point il a réactivé de vieilles matrices racistes.
Les fautes du président
Comment en est-on arrivé à ce qui pourrait se transformer en point de non-retour ? Depuis l’Hexagone, Nouméa a paru s’embraser en un rien de temps, alors que les débats parlementaires touchaient à leur fin. Mais la colère couvait depuis bien plus longtemps. La faute originelle du chef de l’État remonte à 2021 quand l’exécutif a exigé le maintien du troisième référendum sur l’indépendance, pourtant boycotté par les indépendantistes. En dépossédant les premiers concernés de l’expression de leur voix, le scrutin perdait de facto toute légitimité.
La confiance perdue, les relations avec les principales composantes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) se sont considérablement tendues, jusqu’à entraver la reprise des discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
En 2022, les indépendantistes ont perçu comme un manque évident d’impartialité de l’État la nomination au gouvernement de Sonia Backès, fer de lance de la droite loyaliste. Ces derniers temps, leur courroux a fini par se fixer sur la personne de Gérald Darmanin, qui a repris le dossier en main, en rupture avec la tradition de le confier à Matignon, et dont les manœuvres politiciennes cadrent mal avec la recherche du consensus et le crédit à la parole donnée au centre de la culture politique en Nouvelle-Calédonie.
L’étincelle finale est ainsi venue du projet de réforme porté par le ministre de l’intérieur. Depuis la révision constitutionnelle de 2007, découlant de l’accord de Nouméa, seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant la date de l’accord pouvaient voter aux élections provinciales – une dérogation à la loi française visant à atténuer le poids des nouveaux venus et à permettre aux Kanak·es de continuer d’influer sur le cours des décisions les concernant.
Au mépris de cet engagement, Gérald Darmanin, désireux de tourner la fameuse page de l’Histoire, a jugé que ce principe n’était « plus conforme aux principes de la démocratie ». Après avoir boycotté le troisième référendum en raison du non-respect de la période de deuil kanak post-Covid, les indépendantistes ont instantanément vu le dégel du corps électoral comme une mise en minorité supplémentaire, les Kanak·es ne représentant plus que 41 % de la population selon le dernier recensement.
Une question de survie
La question est existentielle pour eux : faute de majorité démographique, leur destin politique leur échappe, eux qui soutiennent ultra-majoritairement le chemin de l’indépendance, face aux héritiers des colons blancs, et aux Calédonien·nes d’origine européenne en général, faisant le choix inverse. Et ils ont de quoi se méfier des intentions de l’État tant la France, dès qu’elle s’est installée en Océanie, en a fait un enjeu stratégique au service de sa politique de colonisation et de remplacement.
Dès la prise de possession de l’île en 1853 sur ordre de Napoléon III, les spoliations foncières, les déplacements et le travail forcé de la population autochtone ont eu pour effet de la réduire numériquement. Au recensement de 1921, il ne restait plus que 27 100 Kanak·es, soit environ 80 % de moins qu’en 1774.
Dans les années 1950, après la fin de l’indigénat en 1946, alors que les mouvements de décolonisation s’intensifiaient partout dans le monde, la France, à contre-courant, a amplifié sa stratégie de peuplement en Nouvelle-Calédonie. Après avoir déporté des bagnards, des communards et des Algériens dans la deuxième moitié du XIXe siècle, elle a, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, considéré l’immigration comme une nécessité pour maintenir sa présence dans cette partie du globe. Puis, au cours des années 1970, avec le boom du nickel, cette vague de « migrants économiques », principalement venus des îles Wallis et Futuna, a fait basculer le peuple kanak dans la minorité numérique.
La circulaire du premier ministre Pierre Messmer du 19 juillet 1972 est des plus explicite : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones, appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer devrait permettre d’éviter ce danger, en maintenant ou en améliorant le rapport numérique des communautés. À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. » Voilà, tout est dit.
Dans le même temps, les revendications kanakes deviennent si fortes que l’État ne peut plus les ignorer. Les indépendantistes estiment qu’outre les Kanak·es, celles et ceux qu’ils appellent les « victimes de l’Histoire », c’est-à-dire les personnes forcées par l’administration coloniale de venir s’installer dans l’archipel, devraient être autorisé·es à s’exprimer sur l’avenir du pays. Les bases d’une négociation en vue de l’autodétermination sont jetées en 1983 lors d’une table ronde organisée à Nainville-les-Roches, en Essonne. Dès lors, la question du corps électoral est posée. Elle ne cessera de l’être, notamment en 1988, mais aussi lors du premier référendum d’autodétermination en 2018… jusqu’à aujourd’hui.
mise en ligne le 15 mai 20244
sur https://lepoing.net/
Un nouveau rassemblement pour la Palestine a eu lieu à l’université Paul Valéry ce mardi 14 mai, alors qu’une délégation était reçue pour discuter de la résiliation d’accords avec des universités israéliennes.
Plus d’une cinquantaine de personnes se sont à nouveau rassemblé.es sur le campus de l’université Paul Valéry ce mardi 14 mai, à l’appel du Comité universitaire de soutien à la Palestine.
Après plusieurs rassemblements pour la résiliation d’accords institutionnels entre Paul Valéry et certaines universités israéliennes jugées complices du génocide en cours, les membres du comité, étudiant.es et professeurs des fac de lettres et de science, devaient être reçus ce 14 mai par la présidence de Paul Valéry.
Les manifestant.es se sont vite abrité.es d’une pluie battante sous le parvis des amphis ABC, où des prises de parole ont eu lieu. « Il est important pour nous d’imposer le boycott des universités israéliennes, qui participent en toute violation du droit international à la colonisation puisque certaines sont implantées en territoire occupé. », a introduit un étudiant du collectif.
Marc Lenormand, professeur de Paul Valéry syndiqué à Sud Éducation, a ensuite pris le relais au micro : « La semaine dernière la présidence de Paul Valéry s’est exprimée publiquement pour la toute première fois sur les mobilisations en cours pour la Palestine, malgré une motion déposée plus tôt dans l’année par le SNES-UP, via un mail. Est-ce que la présidence s’est émue de la situation actuellement catastrophique dans la bande de Gaza ? Non. Est-ce que la présidence s’est émue du rôle que jouent les universités israéliennes dans la politique menée en Palestine ? Non. La présidence s’est exprimée pour condamner la mobilisation, en accusant de manière fallacieuse le comité universitaire pour la Palestine de violences. Les messages pourtant très policés envoyés à la présidence se voient transformer en menaces. Et nos revendications concernant la résiliation des accords avec les universités israéliennes ont déjà été écartées, avant même le rendez-vous prévu aujourd’hui. Au nom des libertés académiques. Alors il faut revenir sur cette notion de libertés académiques. Dans le droit français, la liberté académique, c’est le droit pour un chercheur de mener ses recherches et ses enseignements en toute liberté. Il n’y a donc aucune contradiction entre les libertés académiques et le boycott, puisque ce sont les institutions qui sont ciblées, pas les individus. Il n’y a pas besoin de partenariat entre deux institutions pour que des chercheurs travaillent ensemble. Les accords entre institutions universitaires sont un élément de politique publique et internationale. Et c’est à ce titre que nous appuyons le boycott des institutions universitaires israéliennes, comme le demandent nos homologues palestinien.nes. Comme pour l’apartheid sud-africain c’est une manière très efficace de faire pression sur la société civile pour la désolidariser du régime. »
Une délégation de quatre personnes a ensuite été reçue par la présidence de l’université, tandis que le rassemblement se déplaçait en soutien devant l’entrée du bâtiment administratif.
Comme annoncé, la présidence a refusé de prendre en compte les revendications de boycott portées par les délégué.es du comité universitaire de soutien à la Palestine. En annonçant toutefois réfléchir à un partenariat avec l’université palestinienne de Beir Zeit.
La mobilisation universitaire va donc se poursuivre. Un nouveau rassemblement est déjà programmé ce jeudi 16 mai à 13h à Paul Valéry.
Après une occupation de 24h de la place de la Comédie et une manif dynamique le week-end dernier, une nouvelle marche est appelée par l’ensemble des organisations mobilisées sur la ville pour la Palestine, ce samedi 18 mai à 15h place de la Comédie.
Le lendemain, dimanche 19 mai, c’est le local associatif Les Bouz’arts qui accueillera au 3 avenue Saint-Lazare la journée « Art & Culture against apartheid ». Au programme, des expositions d’œuvre, un atelier débat dès 15h, des lectures de poèmes palestiniens à partir de 16h30, un concert pour 17h30 et le DJSet FourByFour & Kbira pour 20h.
mise en ligne le 15 mai 2024
Ellen Salvi sur www.mediapart.fr