PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

mars 2022

publié le 31 mars 2022

Affaire McKinsey,
la Macronie bafouille

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Deux semaines après le rapport de la commission sénatoriale qui révélait qu’un milliard d’euros avaient été dépensés en 2021 pour des missions de cabinets de conseil privés, la majorité voit la polémique gonfler et peine à y répondre. L’argument du complotisme est brandi pour éviter les vrais sujets.

Nerveuse, la Macronie ? L’exécutif a bien du mal à assumer son recours croissant aux cabinets de conseil – pour au moins 2,4 milliards d’euros depuis 2018 – et paraît très embarrassé par « l’affaire McKinsey », du nom de l’entreprise qui symbolise le poids de ces prestataires privés dans l’administration publique. La majorité a tardé à réagir au rapport de la commission d’enquête sénatoriale du 17 mars, qui révélait ce « phénomène tentaculaire ». Elle a, depuis, choisi la diversion comme ligne de défense : dénoncer des « fausses informations » et « manipulations politiques ». Des termes utilisés par Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, envoyée au charbon mercredi soir, avec son homologue chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, pour une conférence de presse improvisée qui soulignait la confusion de l’exécutif. Quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron lui-même répondait à la polémique sur le milliard d’euros dépensé auprès de cabinets privés en 2021 en ces termes : «On a l’impression qu’il y a des combines, c’est faux. (…) S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal ! » Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, est même allé jusqu’à parler de « complotisme ».

En insistant sur ces points, la Macronie cherche à allumer un contre-feu pour détourner l’attention sur les faits et le fond de l’affaire. Certes, des doutes peuvent être émis sur certains liens étroits entre la Macronie et des cabinets privés, McKinsey en tête. Plusieurs de ses consultants ont participé bénévolement à la campagne d’Emmanuel Macron en 2017 tandis que des marcheurs ont rejoint ensuite le cabinet. De plus, la commission d’enquête demande des explications sur l’enchaînement de plusieurs prestations attribuées à McKinsey, alors que le principe du « tourniquet », selon lequel l’État ne doit pas faire appel à la même entreprise plusieurs fois d’affilée, aurait dû s’appliquer. Le tout agrémenté du scandale d’évasion fiscale du cabinet, qui ne paye aucun impôt sur les sociétés en France depuis au moins dix ans, ses bénéfices étant déclarés dans le paradis fiscal du Delaware (États-Unis).

Une administration disqualifiée

Des questionnements sont donc légitimes, mais aucun élément matériel ne permet de crier au conflit d’intérêts. Si le gouvernement est attaqué, c’est principalement pour son choix de payer des cabinets de conseil, au détriment de l’administration, pour accompagner, voire déterminer des politiques publiques. « Le gouvernement use de différentes ficelles pour ne pas venir sur le vrai sujet, qui est l’influence des cabinets privés sur les décisions politiques », dénonce Éliane Assassi, rapporteure communiste de la commission d’enquête. « Aucun cabinet de conseil n’a décidé d’aucune réforme », a assuré Olivier Dussopt. Ce qui n’est pas tout à fait exact. Par une multitude d’exemples, le rapport de la commission parlementaire montre que les cabinets influencent la prise de décisions publiques. L’accord-cadre qui régit le recours aux consultants stipule même que leur intervention peut couvrir « la phase de contribution à la prise de décision stratégique ». Dans les faits, quand ils interviennent en amont de l’écriture d’une mesure, les consultants proposent plusieurs scénarios et « priorisent » l’un d’entre eux, influençant donc la décision finale.

Le gouvernement balaye cette problématique et répète qu’il n’a « rien à cacher », quand bien même les sénateurs ont eu besoin de trois mois d’enquête pour révéler ce système opaque. Les ministres n’assument pas et en minimisent les conséquences : « Est-ce qu’en ayant recours aux cabinets, nous remettrions en cause la qualité de l’administration et de ses hauts fonctionnaires ? » a demandé Amélie de Montchalin, avant de répondre « non ». Les intéressés ne sont pas de cet avis : « Ces recours disqualifient les fonctionnaires qui pourraient faire le même travail, il y a un sentiment de perte de sens », ressent Delphine Colin, de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT. La commission d’enquête publie aussi plusieurs témoignages d’agents subissant, sans avoir été mis au courant, l’arrivée de consultants venus avec mépris leur apprendre leur travail.

« Un système s’est installé, qui tend à remplacer des pans entiers de notre administration par des cabinets privés, déplore Éliane Assassi. Mais pourquoi ne fait-on pas un état des lieux de notre administration pour savoir si des compétences métiers manquent et comment les renforcer ? » Le programme présidentiel d’Emmanuel Macron, visant toujours plus de réductions des dépenses publiques, ne démontre ni remise en question ni volonté de modifier ce choix politique. En dépit de son coût, pour les finances publiques comme pour l’organisation de l’État.

 publié le 31 mars 2022

« La coopérative, ça change tout ! » : Chez les Fralib,
sept ans après la reprise de l’usine

par Jean de Peña et Nina Hubinet sur https://basta.media/

À Gémenos, près de Marseille, les « Fralib », ex-salariés d’Unilever, ont repris leur usine de thé sous une forme coopérative en 2015. Depuis, même si rien n’est facile, les salariés-coopérateurs ne sont pas prêts de revenir en arrière.

Les petites boîtes en carton siglées « 1336 » défilent sur la ligne. Dans l’immense salle de production des Fralib, cathédrale industrielle baignée dans le brouhaha des machines, Nasserdine Assaoui, opérateur mécanicien, a les yeux rivés sur la chaîne. Il vérifie que tout se déroule normalement, que chaque sachet de thé en mousseline tombe bien dans une des boîtes rectangulaires, dont le logo rappelle les 1336 jours de lutte des anciens salariés de la marque Éléphant pour récupérer leur usine.

1336 jours de lutte - Le logo de la marque de thé rappelle les 1336 jours de lutte des anciens salariés de la marque Éléphant, propriété d’Unilever, pour récupérer leur usine.

En 2010, le groupe Unilever, propriétaire d’Éléphant, annonçait vouloir délocaliser la production en Pologne. La multinationale laissait alors le choix aux 182 salariés du site entre un déménagement vers l’est de l’Europe et un licenciement économique. Les Fralib se sont alors inventé un autre avenir : récupérer leur usine et créer une coopérative pour relancer la production (voir notre article). C’est finalement en 2015 que les machines ont redémarré, avec 42 salariés-coopérateurs aux manettes, tous et toutes venues de la lutte.

Solidarité - « Il y a une solidarité nouvelle. Quand on a un problème sur une machine, les autres viennent nous aider. »

À quelques mètres de Nasserdine, Fabrice Caillol est en train de réparer une pièce. « À l’époque d’Unilever, on avait tout un stock de pièces détachées. Quand une pièce était défectueuse, on la jetait et on en prenait une neuve. Alors qu’aujourd’hui, on n’a pas les mêmes moyens… donc on répare ! » sourit le technicien de 49 ans, qui travaille dans cette usine depuis 1994. Même si cette « frugalité » lui demande plus d’efforts, il ne regrette pas l’époque de la multinationale. « On n’a plus quelqu’un qui nous surveille en permanence, et on est soudés… Donc on vient pas bosser la boule au ventre », explique-t-il. Son collègue Nasserdine, 46 ans dont 25 passés à l’usine de thés de Gémenos, opine du chef : « Il y a une solidarité nouvelle. Quand on a un problème sur une machine, les autres viennent nous aider. Alors qu’avant, le mécanicien faisait que de la mécanique et l’électricien que de l’électricité. Il fallait faire venir un intérimaire pour réparer un truc. »

Nasserdine Assaoui, opérateur mécanicien : « La coopérative, c’est comme une famille. Donc comme dans une famille, il y a des hauts et des bas. C’est pas le monde des bisounours ! »

Pour autant, l’un comme l’autre ne cherchent pas à gommer les tensions ou les désaccords. « La coopérative, c’est comme une famille. Donc comme dans une famille, il y a des hauts et des bas. C’est pas le monde des bisounours ! » sourit Nasserdine. Et le passage d’une multinationale de l’agroalimentaire à une société coopérative de production (Scop) qui se lance comporte aussi des désagréments financiers : finies les primes de fin d’année et les augmentations. « Nos salaires étaient un peu plus élevés à l’époque d’Unilever, reconnaît Fabrice. Et puis on s’est fixé une règle : pour l’instant, on ne s’augmente pas et on ne verse pas de treizième mois, parce que notre priorité, c’est de pérenniser l’entreprise. » Après six années de fonctionnement, la nouvelle coopérative est encore fragile : 2020 a été la première année à l’équilibre, en partie grâce aux aides gouvernementale liées au Covid.

« On sait qu’on représente un espoir dans la lutte contre les multinationales »

Malgré les inquiétudes que peut susciter ce nouveau modèle, Nasserdine et Fabrice ne voudraient pour rien au monde revenir à un modèle capitaliste et hiérarchique classique. « On a établi les nouveaux horaires ensemble, et chacun a choisi s’il voulait faire quatre ou cinq jours dans la semaine », détaille Nasserdine. Il n’y a par ailleurs plus de travail de nuit ou le week-end. Mais ce n’est pas vraiment un choix : si les Fralib parviennent à avoir plus de commandes, ils ne s’interdisent pas de relancer la production la nuit et le week-end. En termes de santé au travail aussi, l’ambiance n’est pas la même qu’à l’époque d’Éléphant. « Si l’un de nous a une fragilité, on essaie d’aménager son poste pour qu’il se fatigue moins ou qu’il ne se fasse pas mal », souligne Nasserdine, en étirant justement une épaule un peu douloureuse.

Fabrice Caillol, technicien : « À l’époque d’Unilever, on avait tout un stock de pièces détachées. Quand une pièce était défectueuse, on la jetait et on en prenait une neuve. Aujourd’hui, on n’a pas les mêmes moyens… donc on répare ! »

« Dans tous les cas, maintenant, s’il y a un souci de planning, on monte à l’étage en parler, dit l’opérateur mécanicien. Avant il n’y avait aucune relation entre les gens de la ligne et ceux des bureaux. » Peut-être aussi important que les horaires ou l’ambiance dans l’usine, les deux ouvriers évoquent aussi la « fierté » qui les animent. « Maintenant, quand on a des stagiaires, on les prend vraiment en charge. On a quelque chose à leur transmettre, affirme Nasserdine. Et puis, il y a des gens qui nous soutiennent partout en France, on nous envoie de l’argent... On sait qu’on représente un espoir dans la lutte contre les multinationales. Donc on veut pas décevoir. »

Repère : Un équilibre financier encore fragile
L’année 2020 a été la première à l’équilibre pour Scop-Ti, en partie grâce aux aides versées par le gouvernement. « En 2021, notre chiffre d’affaires a subi un recul de 8 %, mais nous restons à l’équilibre », fait savoir Olivier Leberquier. Et sur les 220 tonnes produites, 80 % sont des « marques repères » destinées à la grande distribution, pour seulement 20 % de thé et tisanes de marque 1336. Si la coopérative a encore du mal à se développer, c’est notamment parce que la nouvelle marque peine à trouver ses circuits de diffusion. « Au-delà du sud de la France, les thés 1336 sont encore peu présents dans les rayons des supermarchés », déplore Gérard Cazorla. L’un des espoirs des ex-Fralib se situe du côté de la vente en ligne : les commandes passées via leur site internet représentent aujourd’hui 15 % de leur chiffre d’affaires, et sont en augmentation constante. Un collectif de mutuelles envisage par ailleurs de racheter le terrain sur lequel l’usine est installée, pour y créer, autour du lieu de production des thés, un pôle dédié à l’économie sociale et solidaire. De quoi soulager Scop-Ti d’un loyer qui dépasse les 100 000 euros par an.

 

De manutentionnaire à comptable

Dans les bureaux, à l’étage, où le bruit des machines n’est presque plus perceptible, un même sentiment de responsabilité se fait entendre. « Beaucoup de gens nous voient comme une solution pour conserver les emplois industriels et inventer un autre modèle social, assure Rim Hidri, assise face à son ordinateur. On y croit, mais ça met la pression !  » Le passage à la Scop a transformé sa vie professionnelle : manutentionnaire à l’époque d’Unilever, intérimaire pendant six ans, Rim, 45 ans, est aujourd’hui comptable. « Grâce à ma formation initiale, j’avais des compétences en ressources humaines que j’ai mises au service du groupe pendant la lutte, pour monter les dossiers juridiques des salariés notamment. »

Rim Hidri, comptable de la coopérative : « Comme d’autres ici, je me suis rendue compte que j’étais capable de faire quelque chose que je n’aurais pas imaginé possible avant », Rim Hidri, ancienne manutentionnaire, est devenue comptable de la coopérative.

Lorsque les Fralib réussissent enfin à récupérer l’usine, les cadres sont partis, il faut tout réorganiser pour assurer toutes les fonctions dans l’entreprise. Le groupe propose alors à Rim de se former pour devenir assistante comptable. « Au départ, j’ai eu peur ! D’autant que je n’étais pas très "chiffres"... », sourit l’ancienne intérimaire. Mais elle suit alors un principe que s’est fixé le collectif soudé par le long conflit social : « Il n’y a pas un métier qu’on ne peut pas apprendre ! On a chacun était obligé de dépasser nos limites. » Touchée par leur combat, l’ancienne directrice financière d’une autre entreprise agro-alimentaire vient accompagner Rim dans son apprentissage de la comptabilité. « Comme d’autres ici, je me suis rendue compte que j’étais capable de faire quelque chose que je n’aurais pas imaginé possible avant. »

Olivier Leberquier, président du conseil d’administration : « L’assemblée des 58 coopérateurs élit le conseil d’administration, qui lui-même désigne un comité de pilotage », Olivier Leberquier, président du conseil d’administration de Scop-TI, était délégué CGT du temps d’Unilever.

Malgré la joie d’être partie prenante de cette aventure collective, Rim souligne aussi que travailler dans une coopérative, « c’est parfois dur, il faut beaucoup s’investir ». Son nouveau métier comme le nouveau statut de l’entreprise génèrent aussi du stress. « Avant, quand j’étais manutentionnaire, je pointais en arrivant ici, et quand je rentrais chez moi je me déconnectais totalement. Là, évidemment, ce n’est pas la même chose. »

« Avant on devait deviner quelle était la stratégie de l’entreprise »

Pour Olivier Leberquier aussi, la « charge mentale » liée à la coopérative est plus prenante. Et ses horaires de travail ont plutôt enflé par rapport à ce qu’ils étaient du temps d’Unilever. « Je quitte rarement les lieux avant 20 h », regrette – avec le sourire – le président du conseil d’administration de Scop-Ti, toujours aussi enthousiaste et déterminé. L’ancien délégué CGT est aujourd’hui l’un des coordinateurs de la coopérative, dont il détaille volontiers l’organisation : « L’assemblée des 58 coopérateurs élit le conseil d’administration, qui lui-même désigne un comité de pilotage. »

« Les salariés ont leur destin en main » - « Avant on devait deviner quelle était la stratégie de l’entreprise… Maintenant les salariés ont leur destin en main », Gérard Cazorla, désormais retraité, est président de l’association Fraliberthé.

Ce comité, qui se réunit au minimum deux fois par mois, fait des propositions de décision envoyées au conseil d’administration puis à l’ensemble des coopérateurs. « Si une décision prise est remise en cause par les coopérateurs, on détricote », explique Olivier. La prise de décision collective ne peut fonctionner que si les salariés-coopérateurs se tiennent informés des discussions et réflexions de ce comité de pilotage, rapportées dans des compte-rendus par mail. « Malheureusement, il y a toujours quelques coopérateurs qui viennent travailler à Scop-Ti comme ils venaient avant travailler dans l’usine Unilever. Ils ne lisent pas les mails et disent ensuite "J’étais pas au courant !"… », déplore Olivier.

Henri Soler, ancien magasinier : Henri Soler, ancien magasinier, désormais à l’accueil de l’usine. C’est aussi l’un des artisans de la pièce de théâtre que les ex-Fralib ont créée sur leur combat contre Unilever.

Si le temps passé en réunion est pris sur le temps de travail, l’investissement que demande la coopérative n’a en effet rien de naturel. « Les gens ont besoin de hiérarchie, ils préfèrent souvent qu’il y ait une personne qui prenne les décisions, alors que nous on veut au contraire responsabiliser, se désole Gérard Cazorla, autre ancien leader de la lutte contre Unilever. La transformation prend du temps... On a été élevé comme ça, pour obéir plus que pour réfléchir et prendre des initiatives. »

Elargir la distribution - L’enjeu pour la coopérative est de trouver de nouveaux réseaux de distribution, pour assurer sa pérennité.

Aujourd’hui retraité, il n’en est pas moins très investi dans l’association Fraliberthé, qui s’occupe d’élargir la diffusion des produits 1336 comme de promouvoir le modèle coopératif. L’ancien secrétaire CGT de l’usine est lui persuadé que la coopérative, « ça change tout ! » : « Avant on devait deviner quelle était la stratégie de l’entreprise… Maintenant les salariés ont leur destin en main. »

 publié le 30 mars 2022

Services publics :
jeu de dupes
à droite et au RN

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Enjeu de campagne - Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Marine Le Pen sont étrangement muets sur le devenir du service public. Privatisations, suppressions de postes, coupes budgétaires : leurs véritables desseins sont inquiétants.

Les candidats de droite et d’extrême droite avancent à pas de loup sur les services publics. La raison de cette prudence : avec la pandémie, le regard des Français a changé sur ces derniers. Selon un sondage Kantar réalisé en janvier, ils sont 52 % à avoir une image positive de leurs services publics. Un niveau jamais atteint depuis 2004. Si bien que, de la République en marche au Rassemblement national en passant par « Les Républicains », les partis des candidats qui s’étaient lancés dans une course aux suppressions de postes de fonctionnaires en 2017 (120 000 pour Macron, 500 000 pour Fillon) ont dû changer de braquet. Seule la prétendante LR, Valérie Pécresse, s’est autorisée à annoncer un plan de suppression de 150 000 postes de fonctionnaires, avant de préciser que 50 000 postes seraient réaffectés dans la santé, l’éducation et la police. Les candidats savent qu’ils avancent en terrain miné : les promesses de coupes claires dans les effectifs des fonctionnaires ont laissé place à celles de « recrutements » ou de « revalorisations » des rémunérations.

Des promesses comme autant de plans de communication

Pourtant, en passant aux cribles discours, débats et entretiens, on s’aperçoit vite que l’austérité budgétaire est toujours d’actualité. À l’image des 50 milliards d’euros d’effort budgétaire annoncés par Emmanuel Macron associés aux 15 milliards d’euros de baisses d’impôts promis aux entreprises, ou encore du « passage d’un poids de 55,7 % des dépenses publiques dans le PIB en 2022 au seuil symbolique de moins de 50 % de la richesse nationale dès 2027 », comme le propose Marine Le Pen dans la revue en ligne Acteurs publics. Ces choix des candidats ne laissent guère de doute sur leurs conséquences sur les services publics.

Certes, la ministre de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, a annoncé dans la précipitation une augmentation du point d’indice, gelé depuis douze ans. Elle s’est bien gardée d’en donner l’ampleur. Et renvoie la mesure à juillet, soit après les élections législatives. De leur côté, Valérie Pécresse et Marine Le Pen annoncent une hausse des rémunérations ciblée sur les personnels de santé et des Ehpad grâce à des primes pour la première ou une revalorisation de 10 % pour la candidate d’extrême droite. « Le discours change, ils y sont obligés, mais dans les actes, dans nos administrations, le compte n’y est pas, analyse Céline Verzeletti, responsable confédérale de la CGT. Tout ce que nous avons obtenu, nous l’avons eu par des mobilisations », poursuit la responsable confédérale, cosecrétaire générale de la CGT fonction publique. Elle liste le Ségur de la santé, le Grenelle de l’éducation.

D’ailleurs, seuls ou à côté des salariés du privé, les fonctionnaires ont multiplié les actions, y compris pendant la campagne présidentielle, plusieurs fois en janvier, puis le 17 mars, avant une nouvelle journée ce jeudi, à l’appel de la CGT des services publics. Une combativité « retrouvée », « indispensable » qui doit s’inscrire dans la durée, estime la syndicaliste. Car, regrette Céline Verzeletti, même en pleine pandémie, dans la santé, les luttes n’ont pas empêché les fermetures de lits, de services dans les hôpitaux.

Même les promesses de nouvelles embauches d’infirmières ou d’aides-soignantes sont autant de plans de communication. « Tous nos hôpitaux, toutes nos structures cherchent à recruter, explique Delphine Girard, de la CGT santé. La réalité, c’est qu’elles n’y arrivent pas. » Aujourd’hui, entre 150 000 et 200 000 infirmières diplômées en âge de travailler n’exercent plus, souligne la syndicaliste. Sans compter que beaucoup de jeunes qui souhaitent se former n’y arrivent pas. « Les plans de recrutement ne sont jamais suivis de plans de formation avec des budgets consacrés », dénonce Delphine Girard. Or, d’ici à 2030, ce sont, en plus des besoins immédiats, plus de 220 000 emplois d’infirmières et d’aides-soignantes qui seront nécessaires, dixit France Stratégie.

Derrière les odes aux fonctionnaires, Emmanuel Macron et Valérie Pécresse ont dressé leur feuille de route dans la loi de transformation de la fonction publique, adoptée en 2021, à l’unanimité des parlementaires LaREM et LR. Marine Le Pen, en s’abstenant lors du vote à l’Assemblée nationale, ne s’y est pas non plus opposée. Et avoue, dans Acteurs publics, ne pas vouloir « modifier les règles en vigueur ». Or, cette loi-cadre, expliquent les syndicalistes, est un véritable « big-bang » comparable à celui de la loi travail dans le privé, et dont la mise en œuvre dans les collectivités et administrations devrait s’étaler jusqu’en 2025.

Supprimer les « petits avantages » des travailleurs de l’ombre

Une loi tentaculaire dont la première attaque a porté sur le temps de travail des fonctionnaires territoriaux, avec le passage aux 1 607 heures obligatoires, l’équivalent de 35 heures hebdomadaires et de 25 jours de congé dans l’année. Alors que, jusqu’ici, les agents bénéficiaient de régimes dérogatoires. Une réforme qui vise à gommer la pénibilité et les spécificités des métiers et qui supprime les « petits avantages » aux travailleurs de l’ombre. À l’instar de ceux qui ramassent, par exemple, les poubelles la nuit, les week-ends, en horaires décalés pour une paie « 25 % inférieure » à celle du privé, lance Thomas Barby, secrétaire général de la CGT Toulouse Métropole, lequel a fait grève durant près d’un mois pour obtenir la reconnaissance de la pénibilité des éboueurs toulousains. Après les communes et intercommunalités, ce sera au tour des départements et des régions de mettre en place cette réforme.

La deuxième étape de la loi dans le moule de laquelle se coulent Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Marine Le Pen consiste à modifier le statut général de la fonction publique en code général. Une manœuvre visant à « privatiser très facilement des missions de service public », explique Natacha Pommet, secrétaire générale de la CGT services publics. Et la syndicaliste de prendre l’exemple de l’agent d’une ville qui externaliserait la cantine scolaire : « En perdant son statut de fonctionnaire, l’agent basculerait dans les effectifs de l’entreprise » prestataire, poursuit-elle. Fini l’emploi à vie. Une fois repris, avec son contrat privé, l’ex-fonctionnaire pourrait dès lors perdre son emploi si son entreprise perdait par la suite l’offre publique. Alors qu’aujourd’hui, la collectivité qui privatise le service se doit de trouver à son agent « un autre poste dans la collectivité », poursuit Natacha Pommet.

Les politiques de baisse des dépenses passent aussi par la multiplication des contractuels , souvent moins bien payés. Depuis l’an dernier, les administrations sont autorisées à recruter des contrats de projet, comme dans le privé. Ceux-ci pourront être inférieurs à un an et concerner toutes les catégories hiérarchiques (A, B, C), alors que jusqu’ici, le recours à ces personnels précaires était limité par la loi.

À ce jeu du poker menteur, la promesse d’une hausse du point d’indice apparaît comme une vaste farce, une pure « promesse de campagne », quand durant tout un mandat, le candidat en tête des sondages s’est refusé à une telle concession, la jugeant « bien trop coûteuse », rappelle Céline Verzeletti. Certes, poursuit-elle, l’inflation galopante a changé la donne mais elle sera « minime », prédit la fonctionnaire. La question est désormais d’en connaître l’ampleur, alors que les agents « accusent une perte de pouvoir d’achat de 11,5 % », calcule Natacha Pommet, dont l’organisation revendique une hausse de 10 %, suivie d’une phase de négociation. Les syndicats restent sur leur garde, car rien n’assure que dans trois mois, après les élections, Emmanuel Macron ne se dédira pas en prétextant une situation budgétaire inadéquate.

La crainte est aussi de voir se développer un service public à la carte. Une « différenciation territoriale » appelée de ses vœux par Marine Le Pen, mais aussi par le parti «Les Républicains», et qui consisterait selon Emmanuel Macron à « mettre beaucoup plus de fonctionnaires sur les territoires ». Un discours en écho aux colères des gilets jaunes dénonçant les déserts de service public. Un leurre, pointe Thomas Barby, CGT Toulouse Métropole. Dans sa ville, le maire a « réaffecté les agents » dans de plus petites structures, là où « il n’y a plus aucun service public », à l’image des « maisons de services publics », appelées France Service. Sans nouvelle embauche, sans dotation supplémentaire, les agents devront être ultrapolyvalents, tiraillés entre les ordres de leur direction de service et l’élu en charge du territoire, pour in fine fournir, selon Thomas Barby, un service public « toujours plus dégradé ».


 


 

La gauche veut
plus d’argent et d’agents

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Loin de ses adversaires de droite et d’extrême droite, la gauche veut renforcer les services publics. Le candidat communiste, Fabien Roussel, propose un plan de création de 500 000 postes.

L’adage du mouvement social « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » est constitutif des services publics. De la petite enfance au grand âge, la fonction publique intervient quotidiennement dans la vie de chacun. Mise à l’épreuve durant la pandémie, elle est aujourd’hui des plus affaiblie après des années de politiques d’austérité. Le quinquennat Macron a fait fondre ses effectifs de 70 000 agents territoriaux, après les 85 000 fonctionnaires déjà supprimés sous Nicolas Sarkozy, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et le non-­remplacement d’un agent sur deux. « Nous n’avons jamais eu autant besoin de services publics, utiles et accessibles à tous, qui s’opposent à ces logiques mortifères » de rentabilité des marchés financiers, assure pourtant Fabien Roussel dans son programme.

Au total, le candidat communiste à la présidentielle ambitionne de recruter 500 000 fonctionnaires en cinq ans. 30 000 agents pour une police de proximité et le même nombre dans les services fiscaux pour récupérer les 80 milliards d’euros qui s’évaporent chaque année dans la fraude et l’évasion fiscales. Il souhaite aussi recruter « 50 000 ouvriers, techniciens, ingénieurs » qui « seront nécessaires dans l’énergie, afin de garantir un mix énergétique ». Auxquels s’ajouteront 90 000 postes d’enseignants et 200 000 postes créés, au total, dans les hôpitaux et Ehpad. Le candidat défend aussi une hausse généralisée des salaires de 30 % dans la fonction publique.

Enfin, il table sur la création d’une nouvelle branche de la fonction publique dédiée aux métiers du lien, en soustrayant ces emplois des logiques de marché. Selon son décompte, cette mesure concernerait 1,3 million de personnes et même « 1,8 au terme de (son) mandat » – compte tenu des postes qu’il entend créer –, « protégées par un statut et avec un salaire qui ne sera pas inférieur à 1 700 euros net et 2 100 brut ».

Une santé prise en charge à 100 %

De son côté, Jean-Luc Mélenchon (FI) table sur la création de 15 000 nouveaux postes d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Plus largement, l’insoumis vise le recrutement d’un million de fonctionnaires dans des « secteurs indispensables » tels que l’hôpital, l’éducation ou encore la justice. Les candidats du PCF et de FI se retrouvent sur la nécessité de développer le maillage territorial des services publics. Fabien Roussel promet un établissement de santé « à moins de trente minutes de transport » dans chacun des bassins de vie. Le candidat de l’Union populaire élargit cette mesure à « tous les services publics essentiels ». Anne Hidalgo (PS) entend quant à elle « garantir » pour les cinq prochaines années « la carte des services publics ».

Mais c’est pour les services aux plus jeunes que la socialiste veut porter le gros des efforts. D’abord en poussant de 470 000 à 600 000, en dix ans, l’offre de places en crèche dans un service public dédié à la petite enfance. Ensuite, dans l’école, avec un plan de rattrapage des salaires des enseignants avec des débuts de carrière à 2 300 euros net, contre 1 700 aujourd’hui, couplé à un « plan mixité » dans les départements « permettant de mettre fin aux collèges­ghettos ». L’écologiste Yannick Jadot table, lui, sur une hausse des salaires des professeurs de 20 % sur le quinquennat « pour les situer dans la moyenne des pays de l’OCDE » et sur le recrutement de 65 000 enseignants. C’est 160 000 chez Jean-Luc Mélenchon.

Concernant la santé, Yannick Jadot veut l’embauche de 100 000 infirmiers couplée à la création d’une « réserve » composée des 180 000 soignants « qui avaient rejoint spontanément les hôpitaux pendant la pandémie ». Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon veulent en finir avec le renoncement aux soins pour raisons financières en instaurant la prise en charge à 100 % des dépenses de santé. Sur le volet dépendance des personnes âgées, Anne Hidalgo propose aussi un plan de formation et de recrutement aux métiers du grand âge. Les candidats communistes et insoumis se retrouvent sur l’interdiction des Ehpad à but lucratif.

Fin de l’évasion fiscale

Reste la question du financement. La fondation ultralibérale Ifrap estime, dans une étude pour le Figaro Magazine, les dépenses du programme de Fabien Roussel à 287 milliards d’euros par an, tous secteurs confondus. Le communiste chiffre à 87 milliards son plan global pour les services publics et la Sécurité sociale. Pour le financer, il entend tripler l’ISF, instaurer un impôt plus progressif et porté à 15 tranches, supprimer les niches fiscales et surtout mettre fin à l’évasion fiscale, notamment en introduisant un impôt à la source sur les profits des multinationales. Une logique de redistribution pour financer des services publics, la seule richesse de ceux qui n’en ont pas.

publié le 30 mars 2022

Avec les trieurs de déchets : « Recycler, ça sauve peut-être la planète mais pas les travailleurs »

par Ludovic Simbille sur https://basta.media/

La filière du recyclage promet d’allier défense de l’environnement et de l’emploi. Derrière cette économie vertueuse, les travailleurs triment entre cadences effrénées, risques d’accidents et expositions aux produits chimiques.

C’est un combat quotidien auquel nous incite la pub d’Ecosystem, un organisme public qui promeut le tri des déchets. Un combat pour l’environnement que mènerait 48 % de la population française en apportant au recyclage ses appareils défectueux, ses piles usagées ou en jetant ses emballages dans le bon conteneur. Ce simple « geste citoyen » qui réduirait les consommations d’énergie et éviterait l’émission de millions de tonnes de CO2... « Trier, c’est donner », insiste Citeo, entreprise créée par le secteur de la grande consommation et de la distribution pour « réduire l’impact environnemental de leurs emballages et papiers ». « Aujourd’hui, 68 % des emballages ménagers et 60,5 % des papiers sont recyclés grâce au geste de tri des Français, devenu premier geste écocitoyen du recyclage », vante Citeo.

Pour accomplir ce « geste citoyen », Fofana Yoro se lève toutes les nuits à 3 h. Depuis son orientation professionnelle en 2015 vers ce secteur dit d’avenir, ce Malien de 37 ans prend trois bus pour arriver au centre de tri du Syctom (l’agence parisienne de tri des déchets) de Paris, dans le 15e arrondissement, aux alentours de 5h30. Une fois sa tenue enfilée et un café plus tard, il se positionne à 6h sur la chaîne de triage gérée par l’entreprise Xveo, filiale du groupe Véolia. Fofana Yoro occupe l’un de ces dizaines de milliers d’« emplois verts » que doit générer la transition écologique.

Trier cartons, seringues et couteaux

Son collègue Ibrahima Baradji, 64 ans, conduit déjà sa pelleteuse depuis dix minutes. Depuis l’ouverture de ce site de traitement parisien en 2011, l’homme bientôt retraité a vu défiler plusieurs entreprise (Coved, Ihol, Xveo) à qui Paris externalise le tri des déchets. Au volant de son engin, Ibrahima récupère dans le hall de déchargement les ordures que les camions-bennes ont acheminées après le ramassage des poubelles en ville [1]. Il les déverse ensuite dans la trémie, un grand conteneur alimentant la ligne de tri d’où les déchets filent sur les tapis, traqués par des lecteurs optiques, par des aimants aspirant les éventuels métaux. Une trommel, sorte d’énorme tambour rotatif troué de machine à laver, les dispatche par type de matière. Le tout termine sa course dans une cabine où une armada de petites mains trie ce que la mécanique n’a pas passé au crible.

Bouteilles, papier, canettes… les déchets sont ici compactés en masses appelées « balles » et deviennent ainsi de la « matière première secondaire », qui est vendue. Les déchets refusés à cette étape iront à l’incinérateur. En tout, seulement 20 % de nos ordures seraient réellement valorisés. « On aide la machine, car le tri sélectif à la maison n’est pas bien fait », regrette Ibrahima. Nos poubelles réservent toutes sortes de surprises à ces travailleurs à l’ombre de la société de consommation.

Sur le tapis dédié aux cartons, Fofana ôte les intrus, place dans les bacs les éventuels vêtements, chaussures, bouts de ferraille... « Au bout d’un mois, plus besoin de regarder, c’est automatique ». Mais il faut rester à l’affut d’éventuelles coupures et du risque d’infection... Car avec la crise sanitaire, les blouses et masques médicaux, dits « déchets d’activités de soins à risques », ont encombré les conteneurs.

Fofana s’est déjà piqué avec des seringues que jettent les hôpitaux environnants, et s’est fait soigné d’un simple pansement, sans vraiment s’arrêter... Au site de traitement des déchets Paprec du Blanc-Mesnil (93), Moustafiha Diabira fixe des yeux l’amont du tapis roulant pour repérer, par exemple, la viande avariée, les couches pleines, les couteaux ou autres « seringues de crackés » défilant à 70km/h, avec des pics à plus de 80km/h. Le quinquagénaire arrivé du Mali en 1997, tente d’éviter qu’une bouteille de verre lui coupe ses gants mal adaptés. « Heureusement que je les avais doublés moi-même, sinon je m’entaillais le doigt », dit-il. À cette vitesse, « on est comme prisonnier » du tapis, dit-il. Après quinze mois à tendre ses bras au milieu du tapis, « j’avais l’impression que mes épaules allaient tomber ».

Dans sa cabine, Fofana, en poste depuis l’aube, trépigne de son côté des heures durant, en posture statique, jusqu’au changement d’équipe de 13h30. Ses chevilles gonflent, lui font mal. Les anciens lui conseillent de « bouger toutes les deux heures ». « Le plus dur c’est de rester debout », concède aussi l’ex-trieur Ibrahima. Des chaises assis-debout ont finalement été installées.

« Le tri nécessite une bonne condition physique »

À pousser, soulever, basculer, et renverser 70 kilogrammes de ferrailles jusqu’à vingt fois par jour, les muscles se raidissent, le dos se tasse et se casse. L’année dernière, un journaliste de l’émission Cash Investigation a filmé en caméra cachée une travailleuse paralysée par la douleur sur une chaîne de tri de Paprec. En réponse, le géant du recyclage s’est dit conscient que « le tri nécessite une bonne condition physique » et a déclaré faire des « efforts permanents » d’amélioration des conditions de travail en recrutant des ergonomes et en modernisant ses centres automatisés.

« Beaucoup d’entreprises mettent en avant leurs outils technologiques sans que certains principes de base, comme des marquages au sol, ne soient respectés », déplore de son côté auprès de basta! un inspecteur du travail francilien. En 2018, un agent du site de traitement des déchets de La Courneuve a filmé des conditions plutôt éloignées des recommandations de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) [2]. Cette vidéo, diffusée par Cash Investigation et que Basta! s’est procurée, montre des travailleurs sans casque à proximité des grappins mécaniques, ou marchant sur un tapis menant à un broyeur, avant que des engins ne leur déversent des détritus dessus.

Des travailleurs morts dans les centres de tri

Recycler, « ça sauve peut-être la planète mais pas les travailleurs », constate au quotidien le trieur francilien Fofana. Vue de sa cabine de tri, l’aventure verte promise par les éco-organismes n’est pas si rose. Vacarme, poussière, substances chimiques… Le traitement du déchet demeure un métiers des plus dangereux, et les accidents y sont fréquents et graves, rappelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). La filière « Déchets d’équipement électrique et électronique », celle vantée par la pub d’Ecosystem, présente notamment des « risques chimiques ou biologiques élevés », souligne l’Anses.

Au centre de tri, les rares pauses sont souvent synonymes de pannes ou d’incidents. Comme cette matinée où Ibrahima a dû stopper la chaîne « pour laisser l’air rentrer », car du gaz a explosé à cause d’un aérosol. En cas de « bourrage » de la goulotte d’arrivée, Fofana va la désencombrer, non sans risque. « Le débourrage est une des zones accidentogènes les plus dangereuses du recyclage », appuie Ali Chaligui, coordinateur CGT du groupe Véolia Propreté.

 

Vacarme, poussière, substances chimiques : le traitement du déchet demeure un métiers des plus dangereux

En 2009, un trieur non formé a été tué lors d’une telle opération chez Coved, filiale de Paprec. L’entreprise a été condamnée pour homicide involontaire. En janvier, le parquet d’Évry a requis 150 000 euros d’amendes pour homicide involontaire contre Paprec suite à la mort d’un salarié en 2014. L’homme était mort broyé, happé par une machine de tri de déchets sur son lieu de travail dans l’Essonne. Mais le 8 mars, le tribunal correctionnel d’Évry a déclaré « l’extinction des poursuites judiciaires » qui visaient Paprec Environnement suite à ce décès. Une décision motivée par « la fusion par absorption de l’entreprise par Paprec Grand Île-de-France ».

2014 toujours, c’est sur un autre site de la même entreprise, à La Courneuve, qu’un travailleur décède sous le poids des balles de papier. En décembre 2021, un salarié d’un centre de tri d’une autre entreprise, dans les Pyrénées-Orientales, a perdu la vie en chutant dans un cylindre (lire aussi notre reportage dans une usine de Montluçon en 2015).

« Avec la grève, ils ont été respectés par la direction »

À Xveo, la grève lancée le 14 octobre dernier par les trieuses et trieurs du site s’est interrompue sans que les négociations avec Véolia n’aboutissent. Mais « ce n’est que partie remise », préviennent les ex-grévistes, réunis début février pour décider des suites de leur mouvement et du partage de leur caisse de grève [3]. Leur but : une revalorisation de salaire de 200 euros et une prime « qualité » de 150 euros. En dix ans, ces recycleurs n’ont pas vu leur rémunération augmenter au même rythme que la masse de détritus traités sur le site. Officiellement, celle-ci a plus que doublé, passant de 30 à 70 tonnes journalières sur la période, bien davantage, selon les trieurs.

Repère :

De fausses promesses suite à l’émission de Cash Investigation ?

Lors de son émission du 11 novembre 2021 consacrée à « La grande illusion » des déchets, l’émission Cash Investigation de France2 avait montré que la moitié des équipes d’un centre de tri de Paprec étaient constituées de travailleurs temporaires. Dans un communiqué en « réponse à Cash », le groupe a tenu à rectifier que son taux d’intérimaires représentait 14 % des 12 500 salariés. La moyenne du secteur serait de 5 % d’intérimaires parmi les emplois.
Interrogé par la journaliste Élise Lucet sur ce recours abusif à des salariés externes, le patron du groupe Paprec, Jean-Luc Petithuguenin, a pris un engagement :
« Si ça existe, ils peuvent aller voir ma DRH pour être titularisés, demain matin ». Alors « CDI pour tout le monde », comme l’a suggéré la voix off du documentaire ? Pas vraiment... Selon nos informations, au moins une quinzaine d’intérimaires (sur deux sites franciliens), enthousiasmés par les promesses de leur PDG, ont été remerciés au lendemain de la diffusion de l’émission.

Pourtant, ces salariés, employés par différentes entreprises de travail temporaire, présentaient l’ancienneté suffisante avec un cumul de 20, 25, ou plus de 30 mois d’intérim... Une trentaine, issue de deux sites franciliens, avaient signé une pétition pour demander leur requalification et un réaménagement du planning sur le site de Blanc-Mesnil. À l’origine de la requête collective, Moustafiha Diabira s’est ainsi vu notifier sa fin de mission le 22 novembre après deux ans d’intérim. « On m’a dit "tu défends trop les gens" », raconte ce père de six enfants à qui une titularisation avait été promise peu de temps avant. La CGT s’apprête à saisir les prud’hommes pour une demande de requalification en CDI. À ce jour, l’entreprise n’a toujours pas répondu à nos sollicitations.

 

Dans le viseur également : le donneur d’ordre public. « Le Syctom ne doit pas fuir ses responsabilités », tancent les grévistes. L’agence francilienne de traitement du déchet, administrée par des élus de la ville de Paris, a en effet toute maîtrise sur la mission privatisée [4]. En novembre 2021, le conseil municipal de Paris s’est tout de même prononcé pour la « création d’un groupe de travail sur la commande publique responsable ». Jugé trop léger et peu concret par l’élue insoumise Danielle Simonnet qui en appelle à « un service public », ambitieux en terme écologique et... social.

Si les grévistes n’ont pas encore obtenu gain de cause, ils ont gagné « la conscience de leur force, se réjouit Ibrahima Baradji, devenu représentant CGT du site. Avec la grève, ils ont été respectés par la direction. » Cadres et DRH ont découvert les difficiles conditions de travail du tri sélectif lors du blocage du site. « Certains ont reconnu que c’était un métier très dur et que nos demandes étaient légitimes », se satisfait Ibrahima.

Des intérimaires « kleenex » ?

Beaucoup des employés du secteur enchaînent des emplois peu qualifiés, précaires, entre CDD, contrats d’insertion ou missions d’intérim. Les directions peuvent s’en séparer facilement. « Les intérimaires sont comme des kleenex », lâche un titulaire. L’action collective des salariés Xveo n’est donc pas anodine dans une profession, peu syndiquée, où la moindre revendication peut coûter cher. Mahamadou Kanté en sait quelque chose. Le représentant CGT Paprec-Île de France a fait l’objet de deux procédures de licenciement de la part du géant recycleur. Deux procédures refusées par l’inspection du travail.

Condamnée en 2018 pour « discrimination », la firme aux 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires a dû réintégrer le salarié avant qu’une rupture conventionnelle ne soit finalement négociée. Son actuel successeur a quant à lui été mis à pied à deux reprises depuis qu’il a pris sa carte syndicale.

À l’heure où le gouvernement s’apprête à verser 370 millions d’euros aux industriels de cette « filière d’avenir », veillera-t-il à ce que le recyclage ne repose pas sur une main-d’œuvre jetable ?

Notes

[1] Ce centre réceptionne les déchets ménagers des villes de Bagneux, Montrouge, Malakoff et des 5e, 6e, 7e, 13e, 14e et 15e arrondissement de Paris.

[2] Lire ce document sur le site de l’INRS.

[3] Voir ici.

[4] Le principe dit de « gestion déléguée » permet à la collectivité de garder le contrôle de démocratique de la mission confiée au privé.

 publié le 29 mars 2022

Un sommet Poutine-Zelensky
presque acté

Vadim Kamenka sur www.humanite.fr

Au sortir des négociations entre Russes et Ukrainiens, les contours d’un accord de paix ont été évoqués, mardi. Un cessez-le-feu pourrait intervenir lors d’une rencontre présidentielle.

Plus d’un mois après le début du conflit en Ukraine et son invasion par la Russie le 24 février, les autorités russes ont ouvert la porte à une rencontre entre les présidents Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky. Cette proposition est arrivée au terme de trois heures de négociations qui se tenaient mardi au palais de Dolmabahce, à Istanbul. Le responsable de la délégation russe et représentant du président, Vladimir Medinski, a fait état de « discussions substantielles ». Il a surtout surpris l’assistance et de nombreux diplomates en indiquant que les propositions « claires » de l’Ukraine en vue d’un accord allaient être « étudiées très prochainement et soumises au président » Vladimir Poutine et qu’un sommet entre les deux chefs d’État serait possible en cas d’un compromis pour mettre fin aux hostilités.

C’est la première fois que Moscou évoque cette possibilité. Encore la veille, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, avait écarté en conférence de presse cette hypothèse, affirmant qu’elle serait pour l’heure « contre-productive » car elle doit être « bien préparée » pour aborder l’ensemble des problèmes accumulés toutes ces années. « Les avancées ont dû être plus que substantielles. Ils ont dû aboutir à des garanties sur un certain nombre de points clés comme le Donbass, la neutralité de l’Ukraine et la démilitarisation », analyse un diplomate français en Russie.

Cette première avancée vers un potentiel accord de paix est partagée par la partie ukrainienne. Le responsable des négociateurs, David Arakhamia, a aussi estimé que les conditions étaient désormais « suffisantes » pour une rencontre des deux présidents. Pourquoi ? Parce que la principale demande de l’Ukraine d’aboutir à un accord international signé par les États-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni (quatre membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU) et cinq pays de l’Alliance atlantique (Allemagne, Canada, Italie, Pologne, et Turquie) et Israël garantissant la sécurité de Kiev serait en bonne voie. « Nous voulons un mécanisme international de garanties de sécurité dans lequel les pays garants agiront de façon analogue à l’article 5 de l’Otan (stipulant qu’une attaque contre l’un de ses membres est une attaque contre tous – NDLR) et même de façon plus ferme », a expliqué David Arakhamia.

Crimée et donbass provisoirement exclus

L’Ukraine accepterait en contrepartie la « neutralité et le statut non nucléaire » et l’abandon de ses aspirations à rejoindre l’Otan, même si elles avaient été récemment inscrites dans sa Constitution. Pour le directeur de l’Observatoire franco-russe, Arnaud Dubien, « les négociations du jour, dont on n’attendait pas grand-chose, pourraient bien produire plus d’effet que prévu (y compris sur le plan militaire – Moscou annonce une réduction significative de ses activités sur les fronts de Kiev et Tchernigiv) ». Car il s’agit de l’autre information du jour. Le vice-ministre de la Défense russe Alexandre Fomine a annoncé que Moscou allait « réduire radicalement (son) activité militaire en direction de Kiev et Tcherniguiv », dans le nord du pays, les négociations sur un accord sur la neutralité de l’Ukraine « entrant dans une phase pratique ». Rien sur le reste du territoire, la Crimée et le Donbass étant « provisoirement exclus » de l’accord.

 

 

 

« Les pays les plus pauvres vont énormément souffrir »

Marc de Miramon sur www.humanite.fr

Pour Georges Corm, le creusement du fossé entre les pays « occidentaux » et le reste du monde va essentiellement profiter, à court terme, aux États-Unis. Georges Corm est économiste et historien, ancien ministre des Finances du Liban


 

Quelle analyse faites-vous de la guerre en cours entre l’Ukraine et la Russie ?

Je pense qu’il s’agit aussi d’un piège qui a été tendu à la Russie. N’oubliez pas que Moscou et Kiev se sont engagés avec les accords de Minsk 1 et 2, lesquels n’ont jamais été appliqués. Et l’Otan n’a pas respecté sa promesse, formulée au lendemain de la chute du mur de Berlin, de ne pas s’approcher des frontières de l’ancien empire russe. D’autres événements sont délaissés par les médias, comme l’implication du fils de l’actuel président Biden (Hunter Biden – NDLR) dans des scandales de corruption en lien avec le gouvernement ukrainien.

D’un point de vue cynique, les États-Unis sont les grands vainqueurs de la guerre en cours : l’Otan, qu’Emmanuel Macron décrivait en état de « mort cérébrale » il y a quelques mois, est totalement remise en selle. Washington se met à vendre son gaz de schiste aux Européens alors qu’il n’y parvenait pas jusqu’à présent, les livraisons d’armes se multiplient et Berlin tourne le dos à la politique qui misait sur la coopération et le bon voisinage avec Moscou. La Russie a exprimé depuis un certain moment des signes d’impatience et d’énervement. Il était évident pour tous les observateurs que l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne comme à l’Alliance atlantique constituait une ligne rouge pour Moscou. En sens inverse, souvenez-vous que lorsque les Soviétiques ont envoyé des fusées à Cuba, les Américains ne l’ont pas accepté et le monde s’est de facto retrouvé au bord d’une guerre nucléaire. J’étais aux États-Unis à ce moment-là et je peux vous garantir que tout le monde se préparait à une apocalypse imminente.

Craignez-vous que cette guerre n’aggrave la fracture Nord-Sud, notamment avec l’explosion des prix des matières premières, qui risque de jeter des dizaines, voire des centaines, de millions de gens dans la pauvreté ?

Cette issue est malheureusement la plus probable. Les pays les plus pauvres de la planète, en Afrique bien sûr mais aussi en Afghanistan ou au Pakistan, vont énormément souffrir. Tout cela va renforcer les positions de la Chine, qui se pose en contre-modèle de Washington et entend commercer avec tout le monde et s’oppose à la politique de sanctions défendue par les États-Unis et l’Union européenne. Mais Pékin n’est pas seul à jouer cette partition, comme on l’a vu avec l’Inde ou l’Indonésie, qui se sont abstenus de condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En réalité, considérer la Russie comme « isolée » relève de la propagande de bas étage. Il y a aujourd’hui, dans ce qu’on appelle l’Occident politique, une pensée dominante extrêmement virulente. Quand j’écoute les différentes radios et télévisions de ce monde-là, on a le sentiment qu’ils sont gouvernés par un parti unique !

Vous rejetez pourtant le concept d’Occident, comment alors définir ou nommer cet ensemble de pays qui tente de venir au secours de l’Ukraine en lui donnant des armes et en sanctionnant la Russie ?

C’est une alliance militaire et politique multinationale qui est mise sur pied par les États-Unis. Dans ce dispositif, Volodymyr Zelensky joue un rôle particulier. Loin d’être le héros et le saint homme dont on parle, il est avant tout le garant des intérêts de cette coalition internationale face à la Russie. Le problème, dans cette pensée unique actuelle, c’est que toute prise de distance avec le gouvernement ukrainien est interprétée comme une défense de la Russie et de Vladimir Poutine. Il faut aussi comprendre que pour une partie de l’opinion publique mondiale, et je la partage, les violations des droits de l’homme perpétrées par les États-Unis sont innombrables. Nous pouvons citer, entre autres, le soutien au coup d’État du général Pinochet au Chili contre Salvador Allende, la prison de Guantanamo, toutes les horreurs commises en Irak dès que Saddam Hussein avait terminé ses basses besognes en Iran. Et c’est une vieille histoire, tant la politique de Washington vis-à-vis de Téhéran était intimement liée avec la stratégie globale d’affaiblissement de Moscou dans la perspective de l’affrontement Est-Ouest.

Lorsque j’étais ministre des Finances au Liban (1998-2000), j’ai dîné avec James Baker, qui était secrétaire d’État américain au moment de la première guerre du Golfe. Je lui ai demandé si sa conscience ne le troublait pas par rapport à ce que lui et d’autres avaient fait subir à l’Irak. Il m’a répondu que pas du tout, qu’il était très content de tout ce qui avait été fait, et que toutes les catastrophes subies par le peuple irakien relevaient de la seule responsabilité de Saddam Hussein. Toute l’histoire des États-Unis est d’une cruauté invraisemblable, du génocide des Indiens à la traite négrière.

publié le 29 mars 2022

"Mon espace santé" : tout ce qu'il faut savoir sur le carnet de santé numérique

Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr

Après l’échec du dossier médical partagé, l’État lance un nouveau service : « Mon espace santé ». Un outil censé permettre aux Français de stocker et gérer leurs données de santé et de faciliter les échanges avec les professionnels. Le dispositif soulève toutefois quelques interrogations quant au consentement des usagers et à l’accès à leurs informations confidentielles.


 

Ne l’appelez plus DMP. L’acronyme a trop changé de sens : dossier médical personnel, puis partagé et désormais… dirons-nous, perdu. Place à « Mon espace santé », un nouveau service public numérique censé permettre aux Français de gérer et stocker leurs données de santé « en toute confiance et en toute sécurité », et de faciliter les échanges avec les professionnels. Le ministère de la Santé n’hésite pas à parler d’une « nouvelle révolution » du système de santé.

La fin de l’adhésion volontaire

Lancé le 3 février, au lieu de début janvier – un léger retard à l’allumage dû à la cinquième vague de Covid –, ce nouveau service est disponible sous la forme d’un site Internet (monespacesante.fr), en attendant l’application pour smartphone, sur lequel chaque Français peut créer son espace. Ordonnances, comptes rendus d’hospitalisation, résultats d’analyses, etc. Tous les documents médicaux ont vocation à s’y retrouver, à l’initiative des soignants ou de l’assuré lui-même, qui pourra également renseigner ses vaccins, allergies et traitements en cours. Chacun disposera aussi d’une messagerie sécurisée pour échanger des informations avec les professionnels de santé et d’un agenda pour gérer ses rendez-vous médicaux.

Des services qui seront complétés par un « catalogue » d’applications référencées par les pouvoirs publics, par exemple, pour le suivi des maladies chroniques, la téléconsultation ou la prévention. Pour ses concepteurs, cet outil va « favoriser la continuité des soins pour mieux soigner en ville comme à l’hôpital, grâce au partage sécurisé des informations dans le respect des droits du patient ». « Ces différentes fonctionnalités peuvent être intéressantes. Mais c’est un outil qui va nécessiter du temps pour se l’approprier », estime le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, principal syndicat de médecins généralistes.

Cette « révolution », le gouvernement la veut rapide : d’ici l’été, les quelque 68 millions de Français, enfants compris, se verront automatiquement dotés d’un espace santé, sauf s’ils font la démarche de refuser. Car, c’est bien là, la nouveauté de ce nouvel outil : cet espace sera créé automatiquement pour chaque assuré, mais chacun a la possibilité de s’y opposer – il suffit d’en faire part directement sur le site ou en appelant le 3422 –, durant un délai de six semaines à compter de la réception du courrier d’information. Cette logique dite d’opt-out tranche avec les précédentes moutures du DMP, basées sur l’adhésion volontaire (un total de 10 millions de dossiers créés à la mi-2021, bien loin de l’objectif de 40 millions).

Pour Dominique Pon, responsable ministériel au numérique en santé et initiateur du projet, ce service public doit permettre aux patients de devenir « acteurs de leur parcours de soins » et de se voir restituer leurs données. Sauf que cette formule cache un système où le principe du consentement libre et éclairé du patient est mis à mal. « Cette manière de nous forcer la main m’a fait bondir. Cela a de quoi éveiller les soupçons, réagit Lucie, 48 ans, ingénieur informatique. Il s’agit pour moi d’une forme de contrôle de la population. On ne sait pas qui pourra y avoir accès demain. » En outre, « il est compliqué de refuser la création de cet espace. Il faut rentrer un code, qu’il faut demander. Pour cela, il faut déjà savoir aller sur son compte Ameli. Peut-on réellement parler de consentement quand refuser est d’une telle complexité » ?

Des Informations intimes en un seul clic

« Un consentement automatique n’est pas un consentement », déplore d’ailleurs le Syndicat de la médecine générale (SMG), qui évoque un « passage en force » et une négation du droit des patients sur « le consentement libre et éclairé ». D’ici à la fin 2023, selon les estimations de la Caisse nationale d’assurance-maladie, 250 millions de documents seront téléchargés chaque année sur la plateforme. France Assos Santé y voit une « source de bénéfices ». Sauf que l’interface soulève aussi des inquiétudes quant aux données de santé des patients, ainsi qu’au secret médical. « Dans les données de santé, il y a des informations intimes, sur le mode de vie, la sexualité, les maladies contractées, l’état psychique, les IVG pratiquées… La possibilité d’un accès direct à ces données pour tous les professionnels entraîne un risque de mésusage », alerte le SMG pour qui « le droit des patients garanti par le secret médical est directement mis en péril ». Pour Lucie, le risque, « c’est aussi que les patients soient encore plus exclus par le corps médical. On nous vend la plus grande fluidité dans l’accès par tous les professionnels aux examens, résultats d’analyses, etc. Mais, en réalité, les médecins vont encore plus se parler entre eux en faisant fi du patient, à qui ils prendront encore moins la peine d’expliquer ses pathologie et traitements… C’est une forme de dépossession, on devient des objets », soulève cette cadre informatique.

« Sur le papier et dans la communication gouvernementale, cela peut sembler une bonne chose, une avancée, nuance le Syndicat national des jeunes médecins généralistes. Les soignants pourront avoir accès à des données sans demander l’accord des patients. Cela peut être d’autant plus pénalisant pour les personnes plus exposées aux discriminations trans, séropositives, ayant eu un suivi psy, handicapées, etc. Cela peut également être pénalisant pour les personnes en errance médicale, car la demande d’un deuxième avis peut être très mal prise par certains médecins, pouvant aller même jusqu’au refus de soin. » Des craintes balayées par Jacques Battistoni : « Tout le monde n’aura pas accès à tout, hormis le médecin traitant », assure-t-il.

La nécessité d’un accompagnement

Ce que confirme Dominique Pon, expliquant que « le patient peut bloquer un professionnel de santé et masquer des documents ». Sans compter qu’il « y a aussi une traçabilité de tous les accès » permettant au patient de voir quel professionnel a consulté son dossier et quand. Sachant que tous les professionnels de santé n’auront pas les mêmes niveaux d’accès aux documents.

Pour tenter de rassurer quant à la sécurité des données, le directeur général de l’assurance-maladie, Thomas Fatôme, assure que « ni l’État, ni l’assurance-maladie, ni les entreprises, ni les assureurs, ni les mutuelles n’auront accès aux données ». En outre, assure la Caisse, les données seront hébergées par des opérateurs français.

Encore faut-il que l’utilisateur maîtrise le numérique. La Fédération d’association de patients a insisté sur le besoin d’un « accompagnement de proximité des usagers », en particulier pour ceux qui risquent de « se retrouver en difficulté face aux outils numériques » : personnes âgées, en situation de précarité, isolées, en situation de handicap ou encore les exilés… « Le problème, c’est que beaucoup de gens sont éloignés du numérique, notamment ceux qui auraient le plus besoin des fonctionnalités proposées, les personnes âgées, les personnes ayant un handicap, etc. », pointe également Jacques Battistoni.

De leur côté, le ministère de la Santé et la Cnam ont annoncé une vaste campagne de sensibilisation. Sauf que, de communication concrète, il ne semble pas y en avoir eu beaucoup. « Il va falloir faire preuve de beaucoup de pédagogie. Ce n’est pas un sujet facile. Expliquer à quoi ça sert. Il va y avoir besoin de communication », projette le président de MG France. Le risque, au final, c’est que les dossiers créés ne demeurent des coquilles vides.

Comment activer ou refuser son espace santé

Depuis début février, et ce jusqu’à fin mars, chaque assuré social (65 millions, au total) va recevoir un courrier numérique ou postal dans lequel figurera un code d’activation personnel. Pour ouvrir son compte sur « Mon espace santé » ou le refuser, il lui faudra se munir de ce numéro (valable six semaines à compter de sa réception) et de sa carte Vitale. Il est également possible de refuser l’ouverture du compte en appelant le 3422, muni seulement de sa carte vitale. Passé le délai de six semaines, l’espace santé sera automatiquement activé sur le principe de l’opt-out : si le patient n’a pas dit « non », c’est qu’il consent. Il sera toujours possible de clore son espace, mais les données resteront archivées dix ans par l’assurance-maladie.

 


 


 

 

 

Pourquoi s’opposer à la création de Mon Espace Santé ?

sur www.laquadrature.net

Expérimenté depuis le mois d’août 2021 dans trois départements de Métropole, le service Mon Espace Santé (qui prend la suite du Dossier Médical Partagé) a été généralisé à l’ensemble de la population depuis février 2022. Plusieurs associations (comme XY media, Acceptess-T ou le collectif POS) ont très tôt alerté sur les dangers liés à ce nouvel outil. Nous avons passé en revue les fonctionnalités de Mon Espace Santé et force est de constater qu’elles présentent des insuffisances alarmantes en matière de respect du consentement et de gestion des données de santé. De par l’audience large à laquelle il s’adresse et de part la sensibilité des données qu’il manipule, un tel outil du service public se devrait pourtant d’être irréprochable en la matière. À défaut, nous ne pouvons que vous rediriger vers des guides vous permettant de vous opposer à ces traitements de données.

Que contient Mon Espace Santé ?

Pour commencer, faisons un petit tour plutôt descriptif de ce qui est annoncé en terme de fonctionnalités. Mon Espace Santé (aussi appelé Espace numérique de santé dans la loi et le décret qui le créent) se compose principalement de quatre éléments :

* Un Dossier Médical Partagé (DMP), ou espace de stockage et de partage d’informations médicales : il contient les traitements, les résultats d’examens, les antécédents médicaux, les compte-rendus d’hospitalisation, qui peuvent être partagés avec les professionnel·les de santé. Cet espace de stockage permet également de conserver des documents tels que la synthèse médicale produite par le ou la médecin généraliste, le carnet de vaccination ou l’historique des remboursements alimentés automatiquement par l’Assurance maladie (sources). Le Dossier Médical Partagé existait déjà depuis 2011 (sous le nom de Dossier Médical Personnel jusqu’en 2015) mais n’était ouvert que sur demande ; aujourd’hui, il est ouvert par défaut, en même temps que Mon Espace Santé, pour l’ensemble de la population.

Dans l’absolu, cet espace de partage des informations pourrait être une solution pour faciliter le droit d’accès à son dossier médical. Mais ceci impliquerait une mise en œuvre solide et de confiance qui n’est, à notre avis, pas atteinte avec Mon Espace Santé (voir plus bas la suite de notre analyse).

* Une messagerie sécurisée pour échanger avec des professionnel·les de santé. À la création de Mon Espace Santé, une adresse de messagerie MSSanté (Messagerie Sécurisée de Santé) est automatiquement attribuée à la personne usagère et rattachée à Mon Espace Santé. Cette adresse est constituée à partir du matricule INS de l’usagère et du nom de domaine de l’Opérateur de Mon Espace Santé (selon le Référentiel Socle MSSanté). Les messages échangés sont stockés pendant une durée de dix ans, sauf lorsqu’ils sont supprimés directement par l’utilisateur·ice. Ces adresses existaient déjà pour les professionnel·les de santé.

* Un agenda pour suivre ses rendez-vous médicaux et recevoir des rappels.

* Un catalogue de services numériques de santé : concrètement, la personne usagère pourra autoriser des applications tierces à accéder à son espace santé. Ces applications seront validées et autorisées par le Ministère de la santé. Développées par des acteurs publics et privés de la santé, elles incluront des éditeurs de logiciels et d’applications mobiles, des plateformes de télémédecine, des plateformes de prise de rendez-vous en ligne (qui s’intégreront probablement à l’agenda santé), des portails patients des établissements de santé (ETS) et portails de pré-admission, et même des fabricants d’objets connectés. Cette fonctionnalité nous inquiète particulièrement sur le plan de l’accès aux données personnelles, comme nous l’expliquons plus bas.

Enfin, pour accéder à ces différents services, outre un site web, une application mobile sera également disponible. Le développement technique est réalisé par les entreprises privées Atos, Octo, Accenture et Maincare. La société Worldline traite les données du Dossier Médical Partagé au travers de sa filiale Santeos. Les autres données (messagerie, agenda…) sont traitées par la société Atos.

Un recueil accessoire du consentement des personnes

À la création du compte

Pour chaque personne, la création de Mon Espace Santé se fait automatiquement selon un calendrier régionalisé prévu par l’État. Chaque personne est notifiée par courrier postal ou par courriel de la création prochaine de son espace. Elle dispose alors d’un délai de six semaines pour empêcher la création de l’espace en se connectant sur le site. L’espace est donc créé sans le recueil du consentement préalable et explicite de la personne usagère. L’opposition, elle, doit être explicite.

Dans les premières annonces d’ évaluation de la phase pilote, qui a eu lieu à partir d’octobre 2021 dans trois départements, la Sécurité sociale annonçait que « moins de 0.7% des usagers se sont opposés à [la] création [de leur espace santé]. » Mais plus loin on apprenait que seuls 4.8% des personnes ayant un espace santé l’avaient utilisé. Comment savoir donc si les presque 90% restants ont réellement souhaité en avoir un, ou même s’ils ont reçu le courrier ou mail prévenant de sa création (et des possibilités de s’y opposer) ?

Avant même de se poser la question de l’utilité ou non de Mon Espace Santé, on peut dire que les modalités de sa création sont loin d’être respectueuses des personnes auxquelles il est censé simplifier la vie. Passer outre le consentement des personnes au prétexte de « les aider » est la définition du paternalisme et, selon nous, s’oppose aux véritables pratiques de soin fondées sur l’écoute et la considération.

Certes, il est toujours possible de supprimer son compte. Mais, là encore, la personne usagère devra être attentive et suffisamment informée si elle souhaite demander la fermeture de son compte en cochant la bonne case (ses données seront supprimées 3 mois plus tard, à moins d’être supprimées individuellement au sein du profil médical, des mesures santé ou de la messagerie, auquel cas elles seront effacées immédiatement). Nous avons trop souvent dénoncé ce tour de passe-passe lorsqu’il était réalisé par les GAFAM : la possibilité théorique d’effacement ultérieur ne produit aucun effet significatif concret qui pourrait justifier l’absence de consentement préalable. Ce qui est inadmissible pour les GAFAM l’est encore davantage pour un service public traitant des données extrêmement sensibles soi-disant « pour notre bien ».

Dans le partage des données avec les professionnel·les de santé

Une fois créé, l’espace santé a pour but de partager les informations avec le personnel de santé : la personne usagère devra donc autoriser les soignant·es à accéder à tout ou partie de ses informations. Mais, là encore, le recueil du consentement est problématique, pour ne pas dire quasiment factice : une simple case à cocher par le ou la soignante servira de « preuve » que l’on a donné son accord pour qu’il ou elle y accède. Au niveau du service informatique, il n’y a donc aucune procédure pour vérifier qu’il s’agit bien de la personne patiente qui donne son accord, à qui, et quand.
On peut ainsi imaginer qu’une personne mal-intentionnée ait accès au service en tant que personnel soignant et consulte le dossier de n’importe quelle personne dans la base de données. Il lui suffirait de cocher cette case de manière arbitraire et d’accéder à des informations privées. Ce cas est certes déjà possible actuellement sans Mon Espace Santé, à partir des divers bases de données médicales existantes, mais de manière bien plus cloisonnée. Avec un système aussi centralisé que Mon Espace Santé, la possibilité que ce type de scénarios se produise est accrue. On peut aussi aisément imaginer que nombre de personnes soignantes vont considérer que le fait d’avoir pris rendez-vous équivaut à consentir à ce qu’ils ou elles accèdent au dossier du ou de la patient·e : le respect du consentement est encore malheureusement une question épineuse dans le milieu médical où les maltraitances médicales peuvent être nombreuses.

Enfin, une fois l’espace créé, seuls des « motifs légitimes » peuvent être invoqués pour refuser qu’un·e professionnel·le verse des documents en ligne. C’est ce qu’indique en l’article R. 1111-47 du code de la santé publique et rappelé dans la politique de protection des données personnelles : « Une fois votre profil Mon Espace Santé créé, vous ne pourrez pas, sauf à invoquer un motif légitime, refuser qu’un professionnel autorisé ou que les personnes exerçant sous sa responsabilité déposent dans votre dossier médical partagé les informations qui sont utiles à la prévention, la continuité et la coordination de vos soins (article R. 1111-47 du code de la santé publique) ».

Illustration : la configuration par défaut du compte à sa création

Nous avons passé en revue la configuration des paramètres à la création du compte « Mon Espace Santé », et déjà, nous pouvons noter quelques actions effectuées sans l’accord explicite de la personne usagère :

L’attestation de vaccination Covid-19 est automatiquement versée dans le dossier par l’Assurance maladie. Le document est visible par défaut à l’ensemble des professionnel·les de santé. Il est possible de le masquer, mais pas de le supprimer car il a été ajouté par un·e professionnel·le de santé. Il n’est pas possible de s’opposer au versement de ce document, alors que l’Assurance maladie n’a pas été techniquement autorisée à déposer des documents sur ce compte.

En ce qui concerne la configuration des accès aux professionnel·les en cas d’urgence, l’option est activée par défaut à la création du compte. Pour s’en rendre compte, la personne usagère doit se rendre dans la section « Confidentialité » des paramètres de configuration, puis « Accès en cas d’urgence ». Le personnel du SAMU ainsi que « tout autre professionnel de santé » sont autorisés par défaut à accéder aux documents et aux rubriques « Vaccinations », « Historique de soins », « Entourage et volontés » du profil médical. Mais quels contrôles techniques permettent de définir ce qui est une situation d’urgence et débloque l’accès des documents aux professionnel·les ? Et s’agit-il des professionnel·les qui ont d’ordinaire déjà accès à notre espace ? Les informations que nous avons pu recueillir ne nous permettent pas de répondre actuellement à cette question.

Un cloisonnement des informations insuffisant vis-à-vis du personnel soignant

Le décret s’appliquant à Mon Espace Santé prévoit une matrice d’accès différencié aux informations de la personne usagère selon le type d’activité du ou de la soignante. En pratique, le partage par défaut est très large : votre dentiste aura accès à vos résultats de prélèvements sanguins, votre kiné à votre historique de vaccination, votre sage-femme aux données de remboursement, et ainsi de suite.

Le ou la médecine traitante a, quant à elle, accès à l’ensemble des informations contenues dans l’espace santé de ses patient·es.
S’il est possible de bloquer l’accès à un·e professionnel·le de santé depuis les paramètres de l’espace, que se passe-t-il dans le cas où l’on souhaite changer de médecin·e traitant·e ? Ou que l’on souhaite choisir quelles informations partager ? En effet, certains parcours de santé nécessitent la consultation de divers spécialistes aux opinions divergentes pour obtenir un diagnostic. L’accès à certaines informations sur des opérations ne faisant pas consensus parmi le corps médical peut également générer des biais négatifs chez les professionnel·les de santé (par exemple, le recours à une IVG). Enfin, l’accès est partagé pour le service d’un hôpital : impossible dans de ce cas de savoir qui y a vraiment accès (prêt de carte d’accès au système informatique par exemple).

Cependant, il est important de noter que la personne usagère ou qu’un·e professionnel·le peuvent choisir de masquer un document pour le rendre inaccessible aux autres professionnel·les de santé, à l’exception du ou de la médecine traitante, de la personne ayant mise en ligne le document et du personnel intervenant en cas d’urgence. Si ce n’est pour ces larges exceptions, ceci représente un bon moyen de protéger la confidentialité des données au cas par cas. En revanche, il n’est pas possible de supprimer un document déjà versé par un·e professionnel·le de santé.

Il est possible pour les personnes de vérifier qui a eu accès à leurs données : des journaux d’activité enregistrent qui accède à quel document à une date et une heure donnée. La personne usagère peut recevoir des notifications chaque fois qu’un nouvel accès est détecté. Ces journaux permettent donc de détecter un potentiel mésusage de l’accès aux données. Cependant, cette fonctionnalité ne peut aider à protéger les accès qu’après coup : si on se rend compte qu’une personne soignante a eu accès à un document et que cela ne nous convient pas, on ne pourra que limiter ses accès futurs.

Le système de droit d’accès de Mon Espace Santé n’a pas été pensé pour permettre aux utilisateur·ices de gérer simplement et de manière éclairée l’accès à leurs données. On pourrait par exemple imaginer un système où par défaut seule la personne usagère et la liste de soignant·es qu’elle a désignées auraient accès aux documents la concernant, l’usagère pouvant ensuite choisir de démasquer certains documents à d’autres professionnel·les de santé (en bénéficiant par exemple de conseils de la part des soignant·es pour faire ce choix de manière éclairée). Dans ce cas, c’est la personne usagère qui aurait véritablement la main sur ses données, et non pas les professionnel·les de santé comme c’est le cas avec la conception actuelle de Mon Espace Santé.

Une mise en danger du secret médical pour certains ouvrants droits ?

Dans le cas des enfants et des adolescent·es, les ouvrants droits (c’est-à-dire les assuré·e·s) auront accès aux espace de santé des personnes qui leur sont rattachées. C’est-à-dire que, concrètement, toutes les informations de santé de leurs enfants et adolescent·es, ainsi que les rendez-vous et les courriels passant par la messagerie sécurisée leur seront accessibles.

En théorie, certaines infos peuvent ne pas être versées dans le dossier. Par exemple, dans le cas d’une IVG, le ou la soignant·e est en charge d’expliquer et de proposer à la personne mineure de ne pas ajouter les infos de l’IVG dans le dossier. La personne peut répondre qu’elle ne veut pas que ce soit versé. Aucune donnée de remboursement relatif à cet acte ne sera remontée. Cet exemple fait partie des motifs légitimes que peut invoquer une usagère pour refuser qu’un·e professionel·le verse un document sur l’espace santé.

Ceci implique que les soignant·es pensent à demander, et respectent, le souhait des personnes. Or, avec Mon Espace Santé, la quantité des données versées est multipliée et surtout normalisée : par fatigue ou par oubli à force de répétition, il est probable que le consentement pour verser une information dans Mon Espace Santé ne soit pas récolté à chaque fois. De plus, comme le recueil du consentement est oral et informel (il ne laisse donc aucune trace), la décision pourra difficilement être contestée.

Cet outil multiplie donc malheureusement les chances de mettre en danger le secret médical de ces personnes, et potentiellement la sécurité des personnes au sein de leur foyer ou de leur famille : que se passe-t-il si une enfant/ado ne souhaite pas parler d’un sujet (contraception, dépistage de MSTs, grossesse, avortement, transition) avec la personne à laquelle son compte est rattaché (que cela soit par pudeur ou par crainte de violences en représailles) ?

Le dossier Informatique et Libertés fourni par la Délégation du numérique en santé précise par ailleurs que l’opposition à la création du compte Mon Espace Santé appartient aux représentants légaux. Une personne mineure ne peut donc supprimer ou s’opposer à la création de son espace santé.
En revanche, lorsque la personne devient ayant droit autonome, les accès des représentants légaux sont clôturés par le service. La personne peut gérer son compte, le fermer ou le créer s’il n’existait pas avant si elle le souhaite. Notons qu’une personne peut demander, à partir de 16 ans, de devenir ayant droit autonome auprès de la CPAM de son domicile. On peut imaginer que le scénario de clôture des accès des anciens représentants légaux s’applique également dans ce cas.

Par ailleurs, la notion d’ayant droit existe toujours dans certains régimes tels que la Mutualité sociale agricole (MSA) ou le régime local d’Alsace-Moselle (personnes mariées, pacsées, concubines et enfants jusqu’à 24 ans sans activités). La documentation à laquelle nous avons eu accès ne permet pas de dire si les ouvrants droits auront accès aux espaces santé des ayants-droits majeurs. Nous attirons l’attention sur le fait que si tel était le cas, cela représenterait un danger pour les personnes qui vivent des violences ou des conflits dans leur vie familiale (personnes en instance de divorce par exemple).

Enfin, au delà des soignant·es et des utilisateur·ices, des personnes tierces peuvent avoir accès aux données de santé pour des fonctions de support. Les niveaux 2 et 3 de ce support pourront avoir accès aux données de santé. Ceci implique notamment des agent·es de la CPAM et le personnel de prestataires (Atos/Wordline) et de l’hébergement. L’accès aux informations doit en théorie recueillir le consentement de la personne usagère dans le cadre du support, mais là encore impossible d’assurer que ce consentement sera bien demandé et non forcé techniquement. Concrètement, des personnes qui ne sont pas professionnelles de santé peuvent accéder aux informations médicales personnelles des usagères. Mais cela est-il vraiment nécessaire pour une fonction support ? Ceci pose la question également de savoir si les documents sont stockées de manière chiffrée et lisibles uniquement par les personnes habilitées, ou pas. Difficile de répondre à cette question en l’état de nos connaissances.

Un futur écosystème d’applications aux nombreuses inconnues

La description du catalogue de services numériques de santé à venir implique la possibilité d’ajouter des applications d’entreprises privées au sein de l’espace santé. Ceci pose un grand nombre de questions concernant le partage des données d’activités et des contenus stockés dans l’espace santé. Pour l’instant, nous n’avons pas les réponses à ces questions, et nous soulignons notre inquiétude sur ce sujet : comment l’usagère pourra-t-elle déterminer à quelles données l’application accède, et si cela est légitime ? Pourra-t-on limiter les données auxquelles chaque application a accès (comme sur un smartphone) ? Lors des mises à jour des applications, les changements de permissions ou de fonctionnement seront-ils notifiés et comment ? Et enfin, quels usages de nos données feront les « startups » d’objets connectés et autres grandes entreprises et plateformes de prise de rendez-vous (monétisation, profilage) ? Au-delà de ces problèmes d’implémentation, il faut dénoncer la direction générale animée par cette évolution : le remplacement du soin par la technique industrielle.

Un futur accès plus difficile au service public de santé ?

Mon Espace Santé s’inscrit dans une tradition de numérisation et de centralisation en ligne des données : ceci fait du service une cible idéale pour les piratages de données. Le stockage est géré par une entreprise privée. Le code du service n’est ni public ni accessible, ce qui pose la question de la transparence pour un outil du service public.

Nous nous interrogeons, aujourd’hui comme dans un futur plus ou moins proche, sur l’accès à la santé des personnes ne pouvant ou ne voulant pas utiliser ce service de santé. Et si d’aventure nous nous retrouvions dans une situation où il nous est impossible d’avoir rendez-vous sans passer par cet espace ? Ou que nos remboursements sont rendus difficiles sans l’utilisation de cet espace ?

La fiabilité et la sécurité informatique de ce service doivent aussi être considérées : si la plateforme se retrouve la cible d’un défaut de fonctionnement ou d’un piratage, que deviennent alors nos données ? Souvenons-nous du piratage des services de l’AP-HP en 2021 dans le contexte du Covid-19, suite auquel la réponse apportée par les autorités de santé a été insuffisante, voire nulle. Plus récemment encore, les données d’au moins 510 000 personnes ont été volées à l’Assurance maladie via Amelipro. À vouloir faciliter l’accès à la santé en imposant un outil numérique, n’y a-t-il pas erreur sur la façon de procéder ? Autant de questions auxquelles cet outil numérique ne répond pas tout en persistant dans la même direction.

Conclusion

Mon Espace Santé est un service manipulant des données sensibles qui est déployé à l’ensemble de la population française. Or, sa conception et son déploiement ne sont clairement pas au niveau des services les plus respectueux en matière de protection de la vie privée.

Selon le Ségur du numérique en santé, son ambition est de « généraliser le partage fluide et sécurisé de données de santé entre professionnels et usagers pour mieux soigner et accompagner. »

Mais pour cela, les besoins en terme de consentement et de gestion des données des usagères devraient être au cœur d’une expérience utilisatrice respectueuse, fiable et réaliste, ce qui à notre sens n’est pas le cas avec Mon Espace Santé. Sans oublier que ce service s’inscrit dans un processus de numérisation des services publics qui, trop souvent, ne tient pas compte des difficultés d’accès et d’utilisation d’Internet par de nombreuses personnes.

Pour ces raisons, nous ne pouvons que remercier les nombreuses associations qui ont déjà alerté sur ce sujet et, comme elles, vous proposer des guides pour demander la suppression de votre espace santé.

 

publié le 28 mars 2022

Les milliards de l’évasion
à portée de vote

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Enjeu de campagne Quasi absente du débat présidentiel jusqu’ici, la lutte contre la fraude fiscale se réinvite dans le débat public, après les révélations sur le cabinet de conseil McKinsey. Au point mort depuis cinq ans, elle pourrait permettre à l’État d’encaisser plusieurs milliards d’euros.

Près de 80 milliards d’euros par an. L’équivalent du PIB de l’Uruguay. Plus que les dépenses publiques cumulées pour le versement des allocations-chômage et de tous les minima sociaux. Ce « pognon de dingue », c’est le coût annuel estimé de la fraude fiscale en France. En cinq ans, Emmanuel Macron n’aura rien fait pour réduire l’ampleur de ce scandale perpétuel qui mine le consentement à l’impôt. Désormais, le président de la République est même soupçonné d’avoir été rémunéré par son ancien employeur, la banque Rothschild, sur un compte opaque dans un paradis fiscal, comme l’envisage le journaliste Jean-Baptiste Rivoire (voir son entretien, page 4). Son nom est aussi associé au scandale des cabinets de conseil privés dont ses gouvernements ont été friands. Parmi eux McKinsey, qui n’a payé aucun impôt sur les sociétés en France depuis au moins dix ans grâce au transfert d’une partie de ses bénéfices à son siège, situé dans le paradis fiscal du Delaware (États-Unis). Une révélation de la commission d’enquête dédiée du Sénat, qui a saisi la justice, vendredi, pour faux témoignage du responsable français du cabinet, Karim Tadjeddine.

Malgré des scandales à répétition, rares sont les candidats qui se sont saisis du sujet dans la campagne. « Je souhaite un véritable débat sur l’évasion fiscale, ce  cancer pour notre économie », appelait de ses vœux le candidat communiste à la présidentielle Fabien Roussel, début octobre 2021, alors qu’un énième scandale venait d’éclater, celui des Pandora Papers avec leurs 11 300 milliards d’euros cachés dans les paradis fiscaux. Ce débat n’a pas vraiment eu lieu jusqu’à présent, malgré des interventions médiatiques, notamment du député PCF qui, depuis son élection en 2017, en a fait l’un de ses chevaux de bataille. Pourtant, la quasi-totalité des candidats l’ont inscrit à leur programme (à l’exception de Jean Lassalle et… d’Emmanuel Macron). À gauche, les propositions sont détaillées, en particulier les plus ambitieuses au PCF et à la France insoumise, et, dans une moindre mesure à Europe Écologie-les Verts. Tandis qu’à droite et à son extrême, les intentions se résument à quelques mots. « Je lutterai contre les fraudes fiscales et sociales », se contente ainsi d’affirmer Valérie Pécresse (LR), rapprochant deux domaines incomparables, sur le plan moral comme financier. Un même parallèle qui se retrouve chez Éric Zemmour et Marine Le Pen, sans mesures concrètes contre l’évasion fiscale.

baisse des effectifs des contrôleurs fiscaux

« Ce qui peut expliquer que le sujet ne soit pas au centre du débat, ce sont aussi les déclarations d’Emmanuel Macron et de Bruno Le Maire, qui se sont félicités de quelques accords pourtant insuffisants et ont pu laisser entendre que le travail était fini, alors que tout reste à faire », déplore Quentin Parrinello, responsable de plaidoyer pour Oxfam France. Le bilan d’Emmanuel Macron en chiffres parle de lui-même : en 2021, 13,4 milliards d’euros ont été recouvrés, contre 18 milliards en 2017. La conséquence notamment d’une baisse des effectifs des contrôleurs fiscaux à la Direction générale des finances publiques. « On estime qu’on a perdu entre 3 500 et 4 000 agents depuis la fin des années 2000, sur un effectif à peine supérieur à 10 000», a calculé Vincent Drezet, économiste à Attac. Pour y pallier, les candidats de gauche proposent tous de réarmer l’administration fiscale, avec notamment l’embauche de 3 900 contrôleurs pour Jean-Luc Mélenchon (auxquels s’ajoutent 10 000 postes dans la police et la justice fiscales), et même 15 000 pour Fabien Roussel.

« La philosophie du contrôle fiscal a aussi changé, en 2018, avec la loi Essoc, raconte Vincent Drezet.  Désormais, le contrôle ne doit pas être trop intrusif, l’idée est qu’il faut que les redressements soient acceptés par le contribuable. » Une complaisance avec les fraudeurs qui, la même année, se reflétait par la possibilité, pour ceux-ci, de contracter une convention judiciaire d’intérêt public (Cjip), donc de négocier leur peine, sans reconnaissance de culpabilité. « Ce qui crée une justice à deux vitesses, inacceptable », déplore Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire.

Dans cette loi anti-fraude de 2018, le ministre des Comptes publics de l’époque, Gérald Darmanin, promettait de créer un Observatoire national de la fraude fiscale, qui n’a jamais vu le jour. Fabien Roussel propose de l’installer « en y incluant des magistrats, des responsables associatifs, des lanceurs d’alerte, des journalistes, des parlementaires ». Dans ce même texte de loi, figurait en revanche l’une des rares avancées du quinquennat : l’assouplissement, pour les gros dossiers uniquement, du verrou de Bercy qui prévoyait que le ministère était le seul à décider de poursuivre ou non les fraudeurs. Les candidats de gauche à la présidentielle proposent désormais de le supprimer totalement.

En revanche, rappellent les ONG, rien n’a été fait pour agir concrètement sur les trois principaux piliers de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. À savoir : la transparence, l’établissement d’une véritable liste des paradis fiscaux et des sanctions massives contre les fraudeurs. La France a même bloqué des négociations, à Bruxelles, pour davantage de transparence des multinationales, en calquant sa position sur celle du Medef.

un registre centralisé des actifs des plus riches

L’enjeu, autour de cette opacité, est pourtant de taille. Il s’agit d’obtenir que les multinationales payent leurs impôts là où elles réalisent leur activité et non en fonction de leur domiciliation ou du lieu où elles déclarent leurs bénéfices. Soit les montages qui ont permis à McKinsey d’échapper à l’impôt sur les sociétés. Pour atteindre cet objectif, les candidats de gauche proposent des solutions différentes. Pour Fabien Roussel, c’est grâce au prélèvement à la source des bénéfices des multinationales. L’idée est de calculer les bénéfices avant qu’ils ne puissent être transférés ailleurs. Grâce à la TVA, il est possible de calculer le chiffre d’affaires d’une entreprise en France, donc son pourcentage vis-à-vis de son chiffre d’affaires global. Ce même pourcentage serait ensuite appliqué sur les bénéfices totaux pour calculer la vraie assiette fiscale. « Prenons l’exemple d’une multinationale active dans la vente en ligne et qui réalise 50 milliards de bénéfices au niveau mondial, détaillait Fabien Roussel dès 2019. Si 15 % de ce dernier se fait en France, alors 15 % de ses bénéfices mondiaux seront imposés en France, soit 7,5 milliards d’euros. »

D’autres modes de calcul sont possibles . « Il faudrait mettre en place un reporting public, pays par pays, des activités réelles de chaque entreprise multinationale, avec le chiffre d’affaires, le nombre d’employés… » détaille Quentin Parrinello, d’Oxfam. Une proposition reprise à son compte par Jean-Luc Mélenchon. En 2013, une telle publication d’informations avait été imposée aux banques, ce qui a permis de révéler notamment que la BNP Paribas faisait 175 millions d’euros de bénéfices aux îles Caïmans sans y avoir le moindre employé. En se basant sur ce reporting, les insoumis proposent d’appliquer ensuite ce qu’ils nomment « l’impôt universel » : « Pour toutes les entreprises actives sur le sol français, on regarde leurs activités à l’échelle mondiale et on applique un taux d’imposition à 25 %. On calcule la différence entre ce qu’elles ont payé effectivement à l’échelon international, et ce qu’elles auraient payé avec ce taux à 25 %. Sur ce montant, on récupère ensuite notre part française, en fonction de la part d’activité réelle », explique l’eurodéputée insoumise Manon Aubry, estimant à 28 milliards d’euros les montants ainsi récupérés.

En ce qui concerne les particuliers, la transparence est tout aussi nécessaire, notamment pour connaître les bénéficiaires effectifs de sociétés écrans et de trusts (véhicules d’investissements opaques) créés pour brouiller les pistes et échapper à l’impôt. La guerre en Ukraine et la difficulté de saisir les biens des oligarques russes ont d’ailleurs révélé cette opacité. L’ambition des ONG et de la gauche est donc de créer un registre centralisé des actifs des plus riches, parfois appelé « cadastre financier », afin d’exiger dans un second temps l’impôt dû. Ce qui nécessite d’obtenir les informations nécessaires auprès des paradis fiscaux ou en enquêtant pour retracer les flux financiers. Le système bancaire Swift, aussi mis en lumière par la guerre en Ukraine, peut être un outil utile dans ce sens. En plus d’être un moyen de bloquer les flux financiers vers les paradis fiscaux, comme cela a été fait vers la Russie, même si d’autres intermédiaires financiers sont possibles.

réduire le montant de la fraude fiscale

Ces paradis fiscaux ne sont, officiellement pour la France, qu’au nombre de 7 – 13 à l’échelle européenne. Ces listes ne comprennent pas les plus importants d’entre eux, en particulier ceux de l’Union européenne : le Luxembourg, Malte, l’Irlande ou les Pays-Bas. Tous les candidats de gauche à la présidentielle promettent ainsi d’établir une véritable liste. Ce qui pourrait permettre de les sanctionner, notamment en cas de non-transmission d’informations. Mais aussi de repérer et condamner beaucoup plus facilement les fraudeurs. « Dans le droit français, il existe, pour les pays sur la liste des paradis fiscaux, le renversement de la charge de la preuve : on considère qu’il y a fraude jusqu’à preuve du contraire. Si on fait une vraie liste, on va faire rentrer dans ce champ énormément de flux », précise ainsi Vincent Drezet, d’Attac. À cette liste, les communistes ajoutent la création d’un « organisme mondial de la finance, sous l’égide de l’ONU », précise le sénateur Éric Bocquet (lire notre entretien sur Humanite.fr).

L’ensemble de cet attirail législatif pourrait permettre de réduire considérablement le montant de la fraude fiscale, donc d’augmenter les recettes. Jusqu’à 80 milliards ? L’ambition paraît grande, mais le PCF comme la France insoumise prennent le pari. Ils veulent pour cela condamner aussi les intermédiaires, comme les avocats fiscalistes. Fabien Roussel ajoute une nouvelle arme de dissuasion : la peine de prison ferme pour les fraudeurs. Anne Hidalgo et Yannick Jadot se sont faits plus prudents, en tablant respectivement sur 6 et 10 milliards d’euros, « un objectif réaliste à court terme, même si le but est de tout récupérer », précise l’écologiste François Thomazeau. « L’important, c’est d’avoir enfin une volonté politique pour agir concrètement, espère Lison Rehbinder, de CCFD-Terre Solidaire.  Les recettes suivront. »

 


 

Eric Bocquet :
« Tout ce que l’État perd avec l’évasion fiscale
se transforme en dette »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Malgré les scandales à répétition depuis une dizaine d’années, les fraudeurs fiscaux jouissent d’une quasi-impunité, dénonce Eric Bocquet. Autant de milliards qui pourraient servir à la transition énergétique ou encore à l’éradication des inégalités sociales, estime le sénateur communiste qui plaide en faveur de l’instauration d’un « organisme mondial de la finance »

Grande absente de la campagne pendant de longs mois, la lutte contre l’évasion fiscale s’est invitée dans le débat présidentiel, dans le sillage de la commission d’enquête sénatorial sur les cabinets privés. L’un d’eux, Mckinsey ne payant pas ses impôts en France. Avec son frère et ancien député Alain, le sénateur du PCF Éric Bocquet en a fait un cheval de bataille. L’auteur de Sans domicile fisc et de Milliards en fuite !, que le candidat communiste à la présidentielle Fabien Roussel nommerait à la tête d’un ministère dédié, donne à voir l’ampleur du phénomène et livre ses propositions pour y mettre un terme.

Où en est le combat contre l’évasion fiscale qui s’invite régulièrement à la une de l’actualité ?

Depuis l’affaire Cahuzac et les 15 scandales qui ont suivi, les choses n’ont pas fondamentalement changé. Ils suscitent de l’émotion pendant quelques jours puis le soufflé retombe. D’ailleurs, la dernière affaire, les Pandora papers qui éclabousse notamment des politiques comme Dominique Strauss-Kahn, n’a rien modifié. Quant aux Openlux qui ont révélé en février 2021, comment quelque 55 000 sociétés offshore détenaient 6 050 milliards d’euros au Luxembourg, cela a été pareil. Avec les Gafam qui négocient leurs impositions avec les États, on tombe dans l’indécence. Amazon, par exemple, a explosé son chiffre d’affaires durant la pandémie - 44 milliards d’euros en 2020 – et, grâce à sa filiale au Luxembourg, n’a rien payé comme impôt. Force est de constater que le système d’évasion fiscale n’est pas remis en cause, il est même en plein boom. Au sein de l’Union européenne, la fraude dépasse les 1 000 milliards d’euros. Rendez-vous compte, c’est six fois son budget annuel ! Avec cet argent on pourrait régler bien des problèmes : assurer les investissements nécessaires à la transition énergétique, éradiquer les inégalités sociales et la question de l’accueil des migrants ne se poserait même plus.

L’affaire McKinsey, ce cabinet de conseil qui a bénéficié de multiples commandes l’État sans payer ses impôts en France, est-elle révélatrice ?

Absolument. C’est une tendance libérale à l’œuvre depuis 40 ans : affaiblir les capacités de l’État pour laisser place à des cabinets privés qui, en retour, ne payent même pas leurs impôts en France. Les responsables font d’ailleurs montre d’hypocrisie. Après les Pandora papers, Bruno Le Maire s’était dit choqué, indigné, mais aucune action concrète n’a été engagée, notamment concernant sur le listing des paradis fiscaux. Sans compter que les moyens de contrôles n’ont cessé d’être affaiblis, la direction générale des Finances publiques (DGFIP) a perdu 38 000 emplois en 20 ans. Et ce alors que ces affaires affaiblissent le consentement à l’impôt et donc notre République. Je suis un militant de l’impôt juste, progressiste et auquel personne n’échappe. Notre pays poursuit une personne qui vole un paquet de pâtes pour se nourrir et devrait négocier l’impôt avec des GAFAM et leurs armées d’avocats fiscalistes ?

Quel lien peut-on établir entre l’évasion fiscale et la question de la dette ?

C’est un peu la face B. Tout ce que l’État perd avec l’évasion fiscale se transforme en dette. D’ailleurs, pour les marchés financiers, la dette n’est qu’un levier pour discipliner les États, les contraindre dans leurs dépenses sociales et s’assurer une mainmise sur la marche du monde. Je vois deux pistes pour sortir de leurs griffes. D’abord que la Banque centrale européenne prête elle-même aux États. Ensuite, solliciter l’épargne des Français, 5 600 milliards d’euros, pour lancer des bons du trésor. Être financé par les marchés privés, des grandes banques, des fonds de pension n’est pas une fatalité.

Quel rôle jouent les nouvelles technologies dans ces circuits où se mêlent recettes de l’évasion et argent sale ?

C’est le paradis pour les fraudeurs ! Alors que la monnaie est un attribut de souveraineté au même titre que les institutions, les cryptos monnaies ne sont pas adossées à un État. Or laisser se développer des systèmes financiers parallèles, sans régulation, ouvre la porte à tous les trafics et contournements possibles. Déjà que dans le système bancaire régulé, les flux illicites prospèrent, alors le bitcoin… S’y retrouve l’argent des trafics d’arme, de la drogue, de la prostitution. Cela se fait en toute opacité via des transactions à la picoseconde.

La guerre en Ukraine amplifie l’instabilité économique, fragilisant d’autant plus la santé financière des États. Cette situation rend-elle impérieuse l’instauration d’un « organisme mondial de la finance », que vous proposez dans « Milliards en fuite ! » ?

Nous devons repenser nos rapports économiques et financiers à l’échelle planétaire. Avec la guerre en Ukraine, nous voyons au grand jour les interconnexions entre les États autoritaires et le monde de la finance. Il devient urgent de ne plus laisser les affaires financières aux seules mains des financiers. C’est un enjeu mondial et nous devons nous doter d’un tel organisme, sous l’égide de l’ONU, car la finance n’est qu’un outil qui doit être mis au service de l’humain. Le problème c’est qu’avec cette économie libérale et dérégulée, elle est devenue un but en soi. Même l’arrêt de l’économie durant la pandémie n’a eu d’impact sur ce fléau.

publié le 28 mars 2022

Tout comprendre au scandale McKinsey
en 6 points et 10 minutes

Nicolas Framont sur https://www.frustrationmagazine.fr

Depuis quelques mois, un scandale gonfle et se précise. L’Etat français aurait, via le gouvernement d’Emmanuel Macron, payé au moins 1 milliard d’euros par an à des cabinets de conseils pour concevoir sa politique, en doublon de l’administration publique et pour des missions dont l’intérêt n’est pas facile à saisir (et le mot est faible). De l’argent public balancé par les fenêtres ? Oui, et principalement en faveur d’une entreprise, McKinsey, dont on a appris la semaine dernière qu’elle ne payait absolument aucun euro d’impôt en France. L’homme en charge de la passation de contrat de ce cabinet de conseil avec l’Etat n’est autre qu’un ami du président, Karim Tadjeddine, qui partage avec lui une vision de l’Etat « en mode start up ». Tout comprendre de ce scandale d’Etat, de cette gabegie au service des copains, qui entraînerait la chute du gouvernement… si nous vivions en démocratie.

1 – Les cabinets de conseil, c’est quoi au juste ? 

Si vous ne travaillez pas dans le siège d’une moyenne ou grande entreprise privée, dans un ministère ou une administration publique, le monde des consultants des cabinets de conseil vous est sans doute inconnu. Pour résumer, les cabinets de conseil sont payés par des directions d’entreprise ou des ministres pour expertiser le travail mené, la comptabilité, mais aussi conseiller sur les décisions à prendre pour améliorer la stratégie d’une entreprise… ou les lois d’un pays. Leur arme de guerre ? Le PowerPoint. 

Concrètement, les consultants accèdent à l’entreprise, s’entretiennent avec ses strates hiérarchiques puis pondent des slides (les pages d’un PowerPoint) où ils disent comment faire mieux avec moins, être à la fois plus performant et plus économe. Cette activité est extrêmement lucrative car elle repose entièrement sur la maîtrise (supposée) d’un savoir. Une journée de travail est facturée fort cher au client, alors même que d’une entreprise à l’autre, le rendu est parfois le même, à quelques variations près. Les consultants en organisation par exemple distillent d’une entreprise à l’autre le même discours, fait de termes clichés que vous avez sans doute déjà entendu si vous travaillez dans le privé : « ne plus travailler en silo mais de façon collaborative », « être plus agile », « « fusionner des services pour réduire le millefeuille décisionnel”, “affronter les défis de la digitalisation”… leurs lieux d’intervention sont différents, leurs recettes sont les mêmes. 

Mais ce sont des gens qui ont le talent de surjouer la compétence et qui parviennent à impressionner leurs clients en les noyant sous un jargon technique et des schémas complexes. Ils travaillent pour le Boston Consulting Group, McKinsey, Accenture, sans oublier les “Big 4” (Deloitte, KPMG, PwC, Ernst & Young)… Autant de géants mondiaux dont la longévité (McKinsey existe depuis 1926) tient à la force de leur modèle économique : “Ils empruntent votre montre pour vous donner l’heure”, dit-on d’eux dans le monde de l’entreprise privée. Heureusement que ce ne sont que des gros groupes capitalistes plein d’argent qui le gaspillent en faisant appel à eux… non ?

2 – Pourquoi le gouvernement a-t-il fait appel à eux ?

Le scandale d’Etat qui se dessine petit à petit, c’est que ces cabinets de conseil aux pratiques fort douteuses ont été utilisés massivement par notre gouvernement pour l’aider dans ses missions, en doublon de l’administration publique et à prix d’or. La polémique a débuté l’année dernière, lorsque nous apprenions que le gouvernement avait eu massivement recours au cabinet McKinsey pendant la crise sanitaire, afin d’organiser la logistique de la campagne vaccinale. Sauf que McKinsey, cabinet mondial et puissant, semble être un choix particulièrement douteux. En effet, l’année dernière, il a été condamné aux Etats-Unis à une amende de 573 millions de dollars en raison du rôle joué au début des années 2010 auprès du laboratoire Purdue Pharma. Cette entreprise a commercialisé l’OxyContin, opiacé terriblement addictif qui aurait tué jusqu’à 200 000 Américains par overdose. Cet antidouleur a été sur-prescrit sur tout le territoire grâce à une vaste stratégie d’influence menée par le laboratoire, avec les bons conseils de McKinsey. Les consultants avaient même anticipé le nombre potentiel d’overdoses afin de conseiller à Purdue Pharma une stratégie d’indemnisation susceptible de maintenir les ventes et la réputation du produit.

Mais ça n’a pas empêché le gouvernement français de faire appel à eux pour gérer le dossier particulièrement sensible de la vaccination. Le poids croissant de ces consultants dans la gestion des affaires publiques ayant fait un peu de bruit, le groupe communiste au Sénat a mis en place l’année dernière une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur cette nouvelle tendance. Le rapport qui en a résulté et que nous avons consulté est particulièrement riche car il se base sur des dizaines d’heures d’audition des principaux acteurs de l’affaires, des consultants eux-mêmes aux ministres qui ont fait appel à eux. 

Les consultants ce sont des gens qui ont le talent de surjouer la compétence et qui parviennent à impressionner leurs clients en les noyant sous un jargon technique et des schémas complexes.

On y apprend d’abord que les dépenses de cabinet de conseil ont doublé au cours du quinquennat, pour atteindre la somme d’un milliard d’euros en 2021. Pour comparaison, le budget annuel consacré à l’égalité femmes-hommes est de 50 millions d’euros. Donner de l’argent aux cabinets privés semble être la véritable « grande cause du quinquennat », à en croire le rapport, qui souligne le recours de plus en plus systématique aux cabinets de conseil, majoritairement en doublons de compétences existantes dans l’administration publique. Les rapporteurs précisent que la somme d’un milliards d’euros annuelle est « une estimation minimale car les dépenses des opérateurs sont en réalité plus élevées. Si la commission d’enquête a interrogé ceux dont le budget était le plus important (Pôle emploi, Caisse des dépôts et consignations, etc.), l’échantillon ne représente que 10 % du total des opérateurs » (p.8). La somme d’un milliard d’euros est donc TRÈS sous-estimée.

3 – Pour quels résultats ?

Que faisaient-ils, concrètement, ces consultants, dans nos ministères et administrations ? Ils produisaient des conseils sur l’organisation des services d’une part, comme par exemple la création du “baromètre des résultats de l’action publique”, facturé aux contribuables 3,2 millions d’euros en 2021 par le cabinet Capgemini, nous apprend le rapport du Sénat, ou encore l’organisation de concertations, débats publics ou autres bullshits participatifs dont le macronisme raffole (souvenez-vous du « grand débat national » ou de la « convention citoyenne sur le climat » qui ont tous deux abouti à… rien).

Toujours selon le rapport du Sénat, ce même cabinet Capgemini a ainsi facturé à l’Etat un million d’euros pour son appui à l’organisation des « Etats généraux de la justice », grand raout censé permettre de résoudre l’institution en crise. Pour faire quoi ? Mettre en place une plateforme participative (Parlonsjustice.fr) et organiser des « ateliers délibératifs » avec des citoyens volontaires. Parfois, il s’agit de donner un coup de boost aux administrations pour appliquer vite vite des réformes : ainsi, Mckinsey a facturé 4 millions d’euros aux contribuables pour former l’administration aux ajustements nécessaires à l’application de la baisse des APL. Mais rassurez-vous : avec cette réforme, l’Etat a déjà économisé 10 milliards d’euros sur le dos des plus pauvres.

Mais ce qui est encore plus choquant, c’est qu’alors que nous payons déjà fort cher pour avoir des députés, des sénateurs et toute l’administration qui permet le fonctionnement législatif, les consultants ont été massivement utilisés pour changer la loi. Ainsi, ils sont intervenus dans la réforme de l’assurance-chômage (y compris dans les arbitrages politiques la concernant), celle de la formation professionnelle, mais aussi les lois sur la santé, sur les transports, la réforme de l’aide juridictionnelle, etc. Le rapport montre comment, au prétexte d’aider le gouvernement à « préparer » les lois, les cabinets de conseil orientent la décision publique, alors que personne ne les a mandatés pour ça.

558 900€ pour le cabinet Boston Consulting Group (BCG pour les intimes), pour l’organisation d’une “convention des managers de l’Etat” qui… n’a jamais eu lieu. 

Mais parfois, les cabinets de conseil nous ont coûté cher… pour rien du tout : le rapport documente ainsi une facture de 496 800€ de McKinsey pour une mission de réflexion sur « l’avenir du métier d’enseignant » qui n’a pas abouti. Enfin si, ça a abouti à un rapport de deux cent pages qui enfonce des portes ouvertes, soit 2 480€ la page. Mais aussi 558 900€ pour le cabinet Boston Consulting Group (BCG pour les intimes), pour l’organisation d’une “convention des managers de l’Etat” qui… n’a jamais eu lieu. 

Vous êtes sûrs que ce sont les fonctionnaires qui coûtent trop cher ? Même lorsque les missions aboutissent, l’action des consultants est très questionnable. Le rapport décrit leurs méthodes, directement inspirées du bullshit managérial dont les groupes privés raffolent, à base d’ateliers – pardon, de « workshop » – qui recourent aux pratiques suivantes, attention les yeux :

« – le « bateau pirate » : chaque participant s’identifie à un des personnages (capitaine, personnages en haut du mât ou en proue, etc.) et assume ce rôle, son positionnement, ses humeurs, etc.
le « lego serious play » : chaque participant construit un modèle avec des pièces lego, construit l’histoire qui donne du sens à son modèle et la présente aux autres »
Extrait du rapport du Sénat, page 102

Ce que révèle ce rapport rappelle “l’affaire du Sirhen”, un projet de méga-logiciel de gestion de ressources humaines pour l’Education nationale, qui a échoué après 10 ans de travaux, pour un coût total de 350 millions d’euros dont… 270 pour le cabinet de conseil Capgemini.

Cette façon de facturer fort cher des travaux de piètre qualité nous a été rapportée il y a deux ans par un consultant d’un des “Big Four” intervenant auprès de l’Etat, Joan. Voici ce qu’il nous racontait, dans un témoignage édifiant (à lire en intégralité ici)

En théorie, nos travaux devaient être solides et les prix justifiés : experts ayant plus de 15 ans de bouteille, expériences reconnues et savoir-faire prouvés et éprouvés d’un Big Four pour une qualité “assurée”. Par définition, un Big Four étant présent partout dans le monde, il dispose d’expériences et d’experts dans virtuellement tous domaines. En pratique, mon service avait une exigence de marge de 40 % : si nous avions un “projet” à 100 000 €, celui-ci ne devait coûter que 60 0000 € à réaliser à l’entreprise en coûts de personnels, les 40 000 € disparaissant dans le biz dev, les frais généraux et, surtout, les poches des actionnaires.”

Les honnêtes citoyens qui ont toujours peur de payer des profs à « se la couler douce », que pensent-ils du fait que Macron et ses amis payent un salaire mensuel par jour à des consultants chargés de faire jouer des fonctionnaires aux Lego pour remplir les poches de quelques actionnaires ?

4 – Pour quoi faire ?

A l’échelle des entreprises privées, le recours au cabinet de conseil participe de tout l’équilibre de la machine capitaliste. Il s’agit de fluidifier les rouages du système en légitimant des décisions purement financières au nom de considérations rationnelles et « stratégiques ». Autrement dit, la mission idéologique des consultants est de faire croire, y compris à ses membres, que les entreprises capitalistes sont là pour autre chose que de générer du profit pour les actionnaires. Ils interviennent pour conseiller des « réorganisations », des plans de licenciements et nimber le tout de grandes notions managériales, histoire de rendre la réalité moins mesquine et cruelle. Ils sont l’administration du mensonge : tout comme l’Union Soviétique avait sa bureaucratie et ses commissaires politiques, le monde capitaliste a ses consultants en costume qui viennent raisonner les collectifs de cadres à coup de PowerPoint, afin qu’ils mettent en oeuvre le sale boulot et contribuent à renforcer la remontée de dividendes.

Mais à quoi servent-ils à l’échelle d’un Etat ? Eh bien précisément à le faire fonctionner comme une entreprise, et à faire remonter le profit – via des économies budgétaires – aux actionnaires de son président : la grande bourgeoisie. Et au passage à se servir copieusement sur le dos du contribuable. Pour nous autres, c’est la double peine : non seulement les cabinets de conseils viennent imposer à nos administrations publiques une vision de leur action profondément nocive pour nous, à base de pseudo-consultations « participatives » et de violentes coupes budgétaires (comme la réforme des APL exécutée sous le saint patronage de McKinsey), mais en plus ils représentent un budget croissant que nous payons avec nos impôts !

La “convention des managers de l’Etat” n’a jamais eu lieu. On vous laisse apprécier le programme de cet évènement-fantôme qui nous aura tout de même coûté la modique somme de 558 900€, en faveur du cabinet Boston Consulting Group (extrait du rapport du Sénat)

Le rapport le documente noir sur blanc : l’arrivée des cabinets de conseils dans nos ministères a servi à forcer la main aux fonctionnaires. De gré ou de force, en les infantilisant à base d’ateliers Lego ou en les forçant via des « arbitrages » à coup de PowerPoint. Pour les pousser à quoi ? A adopter la logique cynique qui prévaut dans les groupes privés capitalistes, qui consiste à ne pas avoir d’états d’âme envers les usagers et les citoyens. C’est ce qu’a expliqué aux rapporteurs Estelle Piernas, secrétaire nationale de l’UFSE (Union fédérale des syndicats de l’État)-CGT : « c’est palpable quand des consultants parlent de “clients” et non “d’administrés”. Cette méconnaissance les amène à ne pas prendre en compte la qualité du service rendu à tous les administrés, en zone urbaine comme rurale ».

Quand on regarde la liste des interventions de cabinets, détaillés dans le rapport du Sénat, on se rend compte qu’il s’agit le plus souvent d’opération de « Transformation » de tel service ou telle administration. Transformation vers quoi ? En autre chose que du service public.

5 – Pour qui ?

La vision de l’action publique que portent les cabinets de conseil est celle du président Macron. Il l’a d’ailleurs développé dans un livre au titre explicite, L’État en mode start up sous la direction de Yann Algan et Thomas Cazenave (2016), qu’il a préfacé. Sa principale thèse consiste à promouvoir la vision « d’une action publique réinventée, plus agile et collaborative, « augmentée » par l’innovation technologique et sociale. » Et qui d’autre a participé à l’écriture de ce livre-manifeste ? Karim Tadjeddine, directeur associé du bureau français de McKinsey et chargé de la branche « Secteur public » de l’entreprise. C’est-à-dire celui-là même qui est l’interlocuteur des ministères pour toutes les missions réalisées à prix d’or par son cabinet.

L’un des principaux cabinets auquel l’Etat a recours, McKinsey, est dirigé par un ami d’Emmanuel Macron avec qui il partage une vision de l’Etat à transformer de gré ou de force selon les principes en vigueur dans les entreprises privées

La collaboration entre Emmanuel Macron et Karim Tadjeddine n’a pas commencé avec ce livre. Elle remonte à leur participation à la Commission « pour la libération de la croissance française », lancée par Nicolas Sarkozy en 2007 et plus connue sous le nom de « Commission Attali », du nom de son rapporteur. Parmi les préconisations de cette commission : « Transformer l’action publique ».

Une transformation que les cabinets de conseil, dont celui de Karim Tadjeddine, mettent en œuvre au forceps, avec la bénédiction de l’ami et président Macron, dont Tadjeddine a participé à la campagne électorale en 2017, ainsi que plusieurs autres consultants de Mc Kinsey, comme nous le révélait le Monde en février 2021. Ca s’appelle dans le métier faire du “pro bono”, c’est-à-dire travailler gratos pour les copains… mais rien n’est jamais gratuit et on peut dire que le cabinet a été largement récompensé pour son coup de pouce au candidat, une fois celui-ci devenu président.

En France, il n’est pas légal de donner plus de 2 500€ à un candidat à l’élection présidentielle, pour éviter de potentiels conflits d’intérêts. Par contre, il est tout à fait possible pour une société d’envoyer ses consultants travailler gratos pour le candidat pour bizarrement devenir le prestataire préféré de son gouvernement, une fois élu. 

6 – Pourquoi un tel silence autour de ce scandale d’Etat ?

Résumons : chaque année, le gouvernement se voit facturer au moins un milliard d’euros – soit plus que les dépenses 2021 pour la jeunesse et la vie associative – pour des prestations de conseils effectuées par quelques grands cabinets mondiaux. Ces prestations sont floues, parfois carrément sans effets, ou portent une certaine vision des services publics, clairement défavorable à sa qualité. L’un des principaux cabinets auquel l’Etat a recours, McKinsey, est dirigé par un ami d’Emmanuel Macron avec qui il partage une vision de l’Etat à transformer de gré ou de force selon les principes en vigueur dans les entreprises privées. Cerise sur le gâteau, nous apprenons cette semaine que McKinsey ne paye aucun impôt en France, contrairement à ce qu’a affirmé l’ami de Macron, Karim Tadjeddine, devant le Sénat.

On se fait donc, en tant que contribuable et citoyen, plumer trois fois au cours de cette affaire : une première fois en payant des millions d’euros à des cabinets de conseil. Une seconde fois quand le principal cabinet dont l’Etat est client pratique l’optimisation fiscale et ne paye aucun impôt en France. Une troisième fois, et pas la moindre, quand l’action de ces cabinets contribuent à détruire petit à petit notre protection sociale et nos services publics : d’abord en réduisant nos prestations, comme dans le cas de nos APL. Ensuite en rendant de plus en plus inaccessible l’administration aux millions de Français concernés par l’illectronisme (16,5% des Français ont des difficultés avec Internet et l’informatique en général) et qui sont donc exclus de la « digitalisation » à marche forcée des services publics dont ces cabinets de conseils sont les principaux promoteurs. Enfin, en faisant passer des décisions politiques pour des choix techniques, puisque ce sont de plus en plus des consultants en cravate surdiplômés qui choisissent notre avenir et de moins en moins des élus.

Pourquoi un tel silence face à ce scandale ? Pourquoi Macron, à trois semaines du premier tour, n’est-il pas plongé dans la tourmente, assailli de questions sur le choix d’un cabinet dirigé par l’un de ses amis et pratiquant l’optimisation fiscale, ce qu’aucun des ministères dans lequel ses consultants se rendaient ne devait ignorer ? Parce que l’ensemble de notre classe médiatique et la majeure partie de notre classe politique adhère au plus profond d’elle-même aux conceptions idéologiques de l’action publique portée par l’alliance entre la macronie et les cabinets de conseil. Car il s’agit là d’un projet porté de longue date par la bourgeoisie, de « transformation » de la politique publique en science technique réservée à quelques diplômés, et qu’il convient d’imposer de gré ou de force à la masse inculte de “Gaulois réfractaires” et de fonctionnaires archaïques qui composent ce pays.

La guerre aux usagers des services publics et de la protection sociale se déroule en parallèle de la guerre menée à l’encontre des salariés des entreprises privées.

C’est pourquoi l’ensemble de la presse mainstream fait passer la réélection de Macron pour une nécessité politique : pas au nom de la guerre en Ukraine, non, mais au nom de la guerre qui nous est faite à nous. Cette guerre des classes qui fait chaque jour des milliers de victimes : les chômeurs radiés car trop peu réactifs à l’appli Pôle Emploi (radiations records ce mois-ci), les étudiants à qui l’on reprend les APL au moindre justificatif erroné, les allocataires du RSA que Macron prévoit de faire travailler gratuitement… Cette guerre aux usagers des services publics et de la protection sociale se déroule en parallèle de la guerre menée à l’encontre des salariés des entreprises privées. Les lieutenants de cette guerre sont désormais les mêmes : les consultants cravatés des cabinets de conseil.

Une seule question se pose désormais à nous, maintenant que l’on sait que ce scandale d’Etat n’en sera pas un, car nous ne faisons que découvrir une réalité que toute la bourgeoisie connaît et salue : quand est-ce qu’on les dégage ?

 publié le 27, mars 2022

 

L’extrême droite est, et sera toujours,

l’ennemie du monde du travail

communiqué CGT, FSU, Solidaires sur https://solidaires.org

Depuis janvier 2014, nos organisations ont lancé une campagne de longue haleine intitulée « Uni·e·s contre l’extrême droite, ses idées, ses pratiques », dans le prolonge- ment de l’appel « La préférence nationale n’est pas compatible avec le syndicalisme », signé en mars 2011.

Les politiques gouvernementales– dont notamment les mesures favorables au capital, la gestion catastrophique de la crise sanitaire –, subies par les salarié ·e ·s, les privé ·e ·s d’emploi, les retraité ·e ·s, les jeunes, les femmes, fournissent un terreau exploité par l’extrême droite. Les politiques d’austérité, sous l’aiguillon des organisations patronales et plus particulièrement du Medef, génèrent une aggravation du chômage, le développement des inégalités sociales, de la précarité, de la pauvreté et des processus d’exclusion. Elles accroissent la désespérance sociale et peuvent pousser dans les bras de l’extrême droite certain ·e ·s salarié ·e·s. Incontestablement, les politiques autoritaires et attentatoires aux libertés nourrissent également l’extrême droite.


 

« Respectabilité » de façade du RN et l’ultra-libéralisme raciste de Zemmour

Ce n’est pas le changement de nom en Rassemblement national et leur volonté de donner l’image d’un parti à la fois respectable et différent des autres qui change la donne : ce parti est fonda- mentalement fasciste, raciste, violent, divise les salarié·e·s et au-delà tend à toujours plus opposer les habitant·e·s entre elles et eux.

Sa stratégie de dissimulation en un « parti respectable » nourri par la colère sociale (retraite à 60 ans, augmentation de l’allocation aux adultes handicapé ·e· s et du minimum vieillesse, « défense » des services publics) n’est qu’un leurre pour cap ter des voix de salarié·e·s frappé·e·s par les politiques néolibérales et des choix austéritaires qui se suc cèdent depuis des années. Les cri- tiques sociales proclamées par ce parti sont une stratégiDécryptage. Cette école de la concurrence que le candidat Macron veut pour les élèvese masquant leur absence totale de volonté de renverser le déséquilibre à l’œuvre entre celles et ceux qui possèdent du capital et les salarié·e·s ne vivant que de leur travail. Rien à attendre de leur part pour nos salaires et nos pensions, notre protection sociale, les services publics, la sortie de l’austérité.

Zemmour, lui, ne fait même pas semblant et ne cache pas ses positions qui reprennent celles du Medef. Il est directement le produit des puissants qui l’ont créé comme personnage médiatique. C’est notamment Bolloré, grand patron, milliardaire et propriétaire de Cnews qui s’est assuré de lui donner une grande audience.

Obsédé par sa haine des immigré ·e ·s et des musulman ·e ·s, il essaie de détourner la colère populaire en créant des boucs-émissaires, fantasmant un monde qui n’a jamais existé où les seules différences seraient la couleur de peau ou la religion !

A l’opposé des orientations mortifères de l’extrême droite, nos organisa- tions syndicales portent un ensemble de propositions alternatives visant à changer le travail pour changer la société.

Nos organisations proposent aux étudiant·e·s, aux salarié·e·s, aux agent ·e·s de la Fonction publique, aux privé·e·s d’emploi, aux retraité·e·s de s’organiser au quotidien, sur les lieux de travail, d’études ou de vie, pour améliorer les droits et combattre les discriminations. De nombreuses mobilisations le montrent : la solidarité, l’égalité des droits, la justice sociale sont des aspirations fortes dans le monde du travail !

Par ailleurs, L’extrême droite joue aussi sur la corde « antimondialiste ». Pour notre part, nous revendiquons une autre mondialisation où les solidarités internationales priment en termes économiques, politiques et sociaux, contrairement à l’opposition entre les peuples prônée par l’extrême droite.


 

Nous diviser sous couvert de « préférence nationale » ne peut servir que ceux qui exploitent et accaparent les richesses.

La haine, l’exclusion, le racisme, ne sont plus le monopole des partis d’extrême droite, elles se sont largement diffusées dans toute la classe politique et participent d’une atmosphère délétère. Que le capitalisme soit d’ici ou d’ailleurs, peu im- porte : pour les salarié·e·s, c’est bien l’exploitation qui est en cause.

C’est bien ce système qui permet l’appropriation des richesses par une minorité . Et c’est bien l’unité des salarié·e·s dans la combativité, quels que soient leur nationalité et leur lieu de travail, qui permettra un meilleur partage des richesses.

Et c’est aussi parce que nos métiers et missions sont au service de l’intérêt général ou que nous voulons les transformer dans ce sens que nous n’acceptons pas de les voir remis en cause par la diffusion des idées d’extrême droite : que ce soit dans les services publics ou dans les entreprises privées, nous voulons travailler à l’égalité de traitement, à l’émancipation, au vivre ensemble, pas à la division et à l’exclusion.

publié le 27 mars 2022

Décryptage.
Cette école de la concurrence
que le candidat Macron veut pour les élèves

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Éducation. Le sujet est l’une des priorités du candidat LaRem. Ses propositions visent à réaliser le « marché scolaire » promis en 2017 et esquissé dans un discours à Marseille. En s’en donnant les moyens, cette fois.

Après la conférence de presse du 17 mars, une forme de sidération s’exprimait dans les milieux enseignants. Pourtant, le programme présenté par le président-candidat ne comporte aucune idée nouvelle. Au contraire, il a raclé les fonds de tiroirs pour en sortir les propositions les plus réactionnaires émises pour l’école ces trente dernières années. Mais c’est logique : le reste, son homme de main – Jean-Michel Blanquer – l’a déjà réalisé ou enclenché. Il s’agit donc, dans l’éventualité d’un deuxième quinquennat, de parachever une « œuvre » dont l’aboutissement serait, ni plus ni moins, l’effacement du service public d’éducation au profit d’un marché scolaire.

1. Concurrence à tous les étages

Une large liberté de décision, pédagogique et managériale, pour les directeurs des écoles et établissements ; des recrutements sur profil ; au nom de la « transparence », la publication des résultats des évaluations permettant de comparer classes, écoles et établissements entre eux… Certaines de ces mesures ont déjà été lancées par Jean-Michel Blanquer, mais « là, on passe un cap », estime Guislaine David, porte-parole du SNUipp-FSU (primaire). C’est « une attaque en règle contre le service public d’éducation », abonde Sophie Vénétitay, du Snes-FSU, « une école où les parents iraient faire leur marché », dénonce Isabelle Vuillet, cosecrétaire générale de la CGT Éduc’action.

Pourtant, « la compétition entre les écoles, ce n’est pas ce que nous attendons », réplique Nageate Belahcen, coprésidente de la FCPE (première fédération de parents d’élèves), pour qui il faut au contraire « offrir à tous les mêmes conditions d’apprentissage ». Pour Guislaine David, « c’est plus facile d’avoir de bons résultats dans une école où il y a peu d’élèves en difficulté. Cette mesure va renforcer la ségrégation, on va vers un système à l’anglo-saxonne ».

C’est en effet le modèle des charter schools (écoles sous contrat) qui est ici poussé, alors que les effets pervers en sont connus : face à la pression du résultat, les enseignants travaillent avant tout… la réussite aux tests. Un « bachotage » généralisé qui devient la mesure de toute chose et favorise le privé – qui, lui, choisit ses élèves.

2. Pour le personnel, c’est marche ou crève

Pour les enseignants, les choses sont claires : « On va augmenter leur rémunération, mais avec de nouvelles missions », a exposé le président-candidat qui, pour faire avaler la pilule, promet d’y consacrer 6 milliards d’euros par an pendant cinq ans.

Parmi ces « nouvelles missions », le remplacement obligatoire des absents, le suivi individualisé des élèves ou la formation hors temps d’enseignement. « Travailler plus pour gagner plus, on a déjà entendu ça », ironise Sophie Vénétitay, qui rappelle que, selon les propres chiffres du ministère de l’Éducation, « le temps de travail des enseignants est déjà de 42,5 heures par semaine ». « Le vrai problème, c’est l’attractivité du métier, complète Guislaine David. Ce n’est pas comme ça qu’on va attirer les jeunes, alors que les démissions explosent et que la baisse des candidats aux concours est telle que le ministère ne veut même plus donner les chiffres ! »

L’idée est à double détente : précariser le métier, et faire croire aux parents qu’on va résoudre le problème des remplacements. « D’après notre recensement, les élèves ont perdu 55 000 heures de cours depuis la rentrée », relève Nageate Belahcen, pour qui la proposition de Macron n’est qu’un « pansement. Ce qu’il faut, c’est une norme nationale qui fixe un nombre minimal de remplaçants sur un territoire ». Surtout, « on va créer des différences de statut entre enseignants, explique Guislaine David. On va généraliser petit à petit les contractuels au détriment des postes statutaires… Ce sera une école à deux vitesses. »

Plus inclusive malgré tout ? Emmanuel Macron fait miroiter aux AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) des contrats de 35 heures par semaine, mais conditionnés à l’acceptation de tâches supplémentaires, notamment dans le périscolaire. « Les AESH ne veulent pas de ça ! » tonne Isabelle Vuillet, en dénonçant un « chantage malsain. Elles aiment ce qu’elles font, elles veulent un temps plein sur l’accompagnement ». Et non devenir les bouche-trous officiels du système.

3. Le « livret ouvrier » de la voie professionnelle

Le lycée professionnel a porté en grande partie la démocratisation du baccalauréat, réussissant à donner une qualification à des jeunes qui auparavant n’y accédaient pas ou peu. Pourtant, derrière un habillage qui parle « d’excellence » et fait miroiter une rémunération payée par l’État pour les lycéens en stage, il s’agit de changer « totalement la logique de formation, en s’inspirant de ce que nous avons réussi sur l’apprentissage », selon Emmanuel Macron.

« Plus de temps en entreprise, donc moins de cours et moins de professeurs », note Axel Benoist, cosecrétaire général du Snuep-FSU. Pour les élèves, moins d’enseignements généraux, donc des possibilités réduites de poursuite d’études et d’évolution professionnelle. Les professeurs, eux, iront faire cours dans les lycées généraux et technologiques, comme l’envisageait dès l’an dernier un projet de décret – alors qu’ils enseignent deux matières et passent un concours différent.

Dans sa « Lettre aux Français » du 15 mars, Emmanuel Macron annonçait aussi « la fin de l’hégémonie des diplômes » à travers un « outil de gestion des compétences » : Pour Axel Benoist, c’est un « retour au livret ouvrier, comme à la fin du XIXe siècle. Les jeunes amasseraient des compétences sur le tas, au fil des stages et des contrats. Ils n’apprendraient pas un métier mais un poste, tout étant déjà productifs ». Une approche « utilitariste », dénonce-t-il, qui cherche avant tout à fournir aux entreprises de la main-d’œuvre pour leurs besoins à court terme.

De son côté, Isabelle Vuillet rappelle les risques et les faux-semblants d’une telle stratégie : « Dans l’apprentissage, les discriminations à l’égard des femmes et des personnes racisées sont monnaie courante. Surtout, on nous vend une meilleure insertion dans l’emploi, mais ce n’est vrai que pour ceux qui vont jusqu’au bout », alors qu’échec et abandon touchent jusqu’à 50 % des apprentis dans certaines branches.

Retraite à 65 ans : Macron promet la guerre sociale aux classes populaires

Bernard Marx sur www.regards.fr

Sans peur et sans reproche, le Président-candidat promet de repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Une promesse d’injustice qui repose sur les bobards de l’allongement de la durée de vie et du plein emploi. Bernard Marx vous décrypte tout ça afin de mieux comprendre la portée d’une telle réforme.

Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a été celui d’une politique antisociale au service du grand capital, comme on aurait dit autrefois. Quelques « en même temps » lui ont servi de paravent. Surtout, les mobilisations sociales que les injustices ont provoquées et les crises non anticipées, comme celle du Covid, l’ont obligé à plusieurs reculs. Pour le second quinquennat, Emmanuel Macron a mis sur la table un programme encore plus radicalisé, largement commun avec celui de Valérie Pécresse.

C’est un programme de guerre sociale contre les classes populaires autour duquel ils espèrent fédérer les classes moyennes supérieures, les retraités aisés, les milliardaires français et leurs affidés de la finance, des médias et de l’État. Emmanuel Macron veut faire feu sur les « salauds de pauvres », feu sur les enseignants paresseux. Il veut continuer de faire feu sur les droits des chômeurs et le droit du travail. Il veut baisser encore les impôts locaux payés par les entreprises et les impôts payés par les héritiers du haut de l’échelle. Et, pendant ce temps-là, toute cette droite continue d’alimenter les tirs de diversion si dangereux contre les immigrés.

Le recul de l’âge de la retraite à 65 ans est une pièce importante de ce dispositif. Il ne servira pas à équilibrer financièrement le système de retraite français qui le serait sans cette réforme et qui pourrait, en tout état de cause, l’être autrement. Il ne servira pas à dégager des ressources importantes qui sont nécessaires pour financer les transformations écologiques et sociales urgentes de la production et de la consommation. La retraite à 65 ans est une réforme profondément injuste. Elle pénalisera avant tout et surtout les ouvriers, les employés et les classes populaires. Mais les réformes de régression sociale ont aussi pour effet, sinon pour but, d’affaiblir tous les salariés au-delà de celles et de ceux qui en subissent directement les conséquences. La preuve par quelques infographies.

Le graphique, extrait du dernier rapport annuel du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), décrit l’évolution passée et prévisible de l’âge moyen de départ à la retraite dans le cadre des règles actuelles [1]. Comme on le voit, l’âge moyen actuel est un peu au-dessus de 62 ans. Il serait de 63,5 ans d’ici à 2032 pour s’établir ensuite durablement autour de 64 ans. Soit seulement un an de moins que les 65 ans promis comme nouvel âge légal par Emmanuel Macron. Mais cette moyenne cache des différences importantes.

La durée de cotisations pour obtenir une retraite à taux plein est, en règle générale, de 42 ans pour les générations nées en 1961, 1962 et 1963. La durée augmentera de trois mois par tranches de trois générations annuelles. À partir de la génération née en 1973, il faudra 43 ans de cotisations. D’une façon générale, l’âge de départ où l’on peut bénéficier d’une retraite à taux plein dépend de l’âge de démarrage dans la vie « active » et de la continuité de l’emploi pendant la durée de celle-ci.

Au moment du débat sur la réforme Macron 2020, le COR avait pris trois cas types, c’est-à-dire représentatifs d’une situation sociale : un cadre, un non-cadre et un salarié au Smic. Nés après 1973, ils ou elles sont célibataires et sans enfants, bénéficient d’une carrière continue et liquident leur retraite à taux plein au terme de 43 ans de travail. Le salarié au Smic démarre sa carrière à 19 ans et part en retraite à 62 ans. Le non-cadre démarre à 21 ans et prend sa retraite à 64 ans. Et le cadre démarre à 23 ans et prend sa retraite à 66 ans.

Avec le recul de l’âge légal de la retraite à 65 ans, le cadre « type » ne perd donc rien, le non-cadre perd un an de retraite et le salarié au Smic perd trois ans de retraite. En même temps que le recul de la retraite à 65 ans, Emmanuel Macron promet « la juste prise en compte des cas d’incapacité, des carrières longues ou pénibles ». Une promesse purement verbale puisqu’elle ne dit ni que la prise en compte actuelle est déjà très insuffisante, ni s’il s’agit de maintenir l’âge actuel de départ pour ces cas, ou de le reculer lui aussi de trois ans.

Une injustice multipliée par les inégalités de santé et d’emploi

Le recul de l’âge de la retraite est d’autant plus injuste que, selon que l’on est cadre ou ouvrier, selon que l’on est un homme ou une femme, on ne prend pas sa retraite, en moyenne, dans les mêmes conditions de santé, avec la même espérance de vie en bonne santé et avec le même risque d’être en réalité sans emploi, sans indemnité chômage.

Le tableau publié par la DREES (Direction de la Recherche des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), indique que plus du tiers des ouvriers partent en retraite ou manifestent dès leur première année de retraite des handicaps physiques élevés (14%) ou limités (20%) contre seulement respectivement 2 et 12% pour les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Il montre également qu’après 50 ans, les ouvriers ont en moyenne été en emploi seulement 7,5 ans avant leur départ en retraite contre 11,5 ans pour les cadres. Les premiers ont été, en moyenne, 4,3 ans sans emploi ni retraite. Les seconds 1,4 an. Le recul de l’âge de la retraite aggraverait considérablement tous ces dégâts.

Le bobard de l’allongement de la durée de vie

Le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, a écrit la leçon : « Tant que l’espérance de vie augmente, il faut accepter de travailler plus longtemps ». Emmanuel Macron la récite : « Nous sommes dans une société qui vieillit, C’est une chance, une force de nos sociétés où on améliore le soin, la prévention. Il est donc normal que nous travaillions plus ».

La revue Alternatives économiques a publié une infographie sur la base des calculs de l’économiste spécialiste de la protection sociale, Michael Zemmour. Ils font litière de cette histoire à essayer de faire dormir debout les Françaises et les Français. Malgré les gains d’espérance de vie, les réformes de la retraite déjà mises en œuvre ont entraîné une baisse de la durée moyenne de retraite de plus d’un an pour la génération 1960. Il faudrait attendre les années 2035 (génération 1973) pour retrouver une retraite de la même durée qu’en 2008. La réforme Macron ferait baisser cette durée d’un an et demi supplémentaire pour la génération 1973. Les femmes retraitées nées en 2000 continueraient d’avoir une retraite moyenne de durée inférieure de un an à celles nées en 1953.

Encore s’agit-il de durée moyenne de vie pour l’ensemble des hommes et des femmes qui atteignent l’âge de la retraite. Et non de l’espérance de vie à la naissance. Ni de l’espérance de vie en bonne santé. En 2018, l’espérance de vie à la naissance sans incapacité [2], s’élevait en France en 2018 à 64,4 ans pour les femmes et à 63,4 ans pour les hommes. Elle stagne depuis dix ans. Cela veut dire que moins d’un Français sur deux atteint l’âge de 65 ans en bonne santé. Et pour ceux qui atteignent 65 ans, l’espérance de vie en bonne santé est seulement de 10,5 ans pour les femmes et 9,4 ans pour les hommes.

Mais ça, c’est la moyenne, sans tenir compte des inégalités sociales. Les personnes ayant les retraites les plus faibles ont aussi une santé dégradée plus tôt et des durées moyennes de retraite plus courtes. Les mesures d’âges ont donc pour elles des conséquences encore plus marquées.

Comme le montre les graphiques tirés d’une étude de l’INSEE publiée en 2018, la différence d’espérance de vie entre un ouvrier de 35 ans et un cadre du même âge est de 6,4 ans pour les hommes et 3,2 ans pour les femmes. Elle n’a pas diminué entre 1970 et 2013. La différence est de 7,3 ans entre les hommes avec un diplôme post-bac et les hommes sans diplôme. Elle est de 4,2 ans pour les femmes. Entre les plus aisés (les 5% de plus hauts revenus) et les plus modestes (les 5% de plus bas revenus), la différence d’espérance de vie est de 12 ans chez les hommes et de près de 8 ans chez les femmes.

Le bobard du plein emploi

En France, rappelle le sociologue Jean-Yves Boulin, selon les études de la Dares (ministère du Travail) sur les conditions de travail, un tiers des personnes âgées de 35 à 55 ans estiment ne pas pouvoir exercer la même activité jusqu’à l’âge de 60 ans. Ce sont même 44% dans l’enquête européenne d’Eurofound sur les conditions de travail (EWCS). La France est en dernière position de l’Union européenne.

Comme l’explique Jean Yves Boulin, « il est difficile de faire le partage entre la perception par les salariés de la soutenabilité de leurs conditions de travail au-delà d’un certain âge, et celle qu’ils ont de leur employabilité du fait des pratiques des employeurs, prompts à licencier les seniors ». Mais « le résultat est, en tout cas, un taux d’emploi de 53,9% des 55-64 ans en France, contre une moyenne de 60,2% au sein de la zone euro ».

Et à l’autre bout, le taux d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans est globalement dans la moyenne des pays européens, avec qui plus est, des différences importantes de situation selon les études et le diplôme.

L’idée que le recul de l’âge de la retraite à 65 ans puisse dans ces conditions provoquer une amélioration de la situation de l’emploi des seniors et des jeunes est juste mensonger.

Gros dégâts, petits gains

Comme le montre le graphique extrait du rapport 2021 du COR, dans le cadre des règles actuelles la part des dépenses dans le PIB baisse progressivement à partir de 2030. L’augmentation de 2020 est exceptionnelle, due à la chute de la production du fait du confinement. La part des dépenses de retraite dans le PIB devrait retrouver dès 2022 un niveau proche de celui observé en 2019 (13,6% du PIB environ). Et elle baisserait à partir de 2030 principalement à cause de la baisse de la pension moyenne (les carrières étant de plus en plus nombreuses à être incomplètes).

Par rapport à cette évolution le recul progressif de l’âge légal de la retraite à 65 ans ferait de gros dégâts économiques et sociaux. Mais elle rapporterait financièrement assez peu : au maximum 0,7 point de PIB annuel à partir de 2032 soit 16 milliards environ selon Michael Zemmour, comme on peut le voir dans son graphique.

L’Institut Montaigne, très partisan d’un recul de l’âge légal, a lui aussi chiffré le programme Macron. 18 milliards d’euros de baisse à l’horizon 2032, et seulement 7,7 milliards d’euros en 2027. L’économiste Gilles Raveaud pointe bien l’ambition de la réforme : « Mais le problème ce sont les retraités, pas la suppression de l’ISF ni les cadeaux aux entreprises (hors Covid). France, Travaille ! »

La retraite à 60 ans ?

En face, Jean Luc Mélenchon et Fabien Roussel veulent restaurer le droit à la retraite à 60 ans. Jean-Luc Mélenchon veut aussi rétablir la retraite à taux plein pour 40 années de cotisation. Son programme prévoit également de porter au Smic les retraites pour une carrière complète. Et d’indexer les retraites sur les salaires. Fabien Roussel veut revenir à une pension de retraite égale à 75% du salaire net des dix meilleures années. Son programme prévoit également le départ anticipé à la retraite pour les métiers pénibles. Et de faire passer le minimum contributif à 1200 euros.

Selon les chiffreurs du l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon, cela entraînerait environ 70 milliards de dépenses de retraites supplémentaires. L’Institut Montaigne a, pour sa part, évalué à 85,8 milliards d’euros annuel le programme retraite de Jean-Luc Mélenchon, et celui de Fabien Roussel à 88 Milliards d’euros. Cela représente, selon les chiffrages, une augmentation des dépenses de retraites de 20 à 25%. Et un déplacement important d’au moins 3 points de PIB. Une partie du financement viendrait de la diminution des coûts du chômage, de la précarité et de la pauvreté des jeunes et du sous-emploi des actifs de 60 ans et plus. À quoi pourrait s’ajouter, selon l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon, des prélèvements supplémentaires sur les revenus salariaux (augmentation annuelle de 0,5% des cotisations retraites, prélèvement sur l’épargne salariale et l’intéressement) et surtout une mise à contribution des revenus financiers de l’ordre de 30 milliards [3].

Analysant les différents programmes de la gauche, l’économiste atterré Henri Sterdyniak alerte : « Les programmes des partis de gauche reprennent les diverses revendications des syndicats et mouvements progressistes, ce qui est légitime, mais cela sans réel arbitrage, que ce soit la hausse du Smic, des salaires des fonctionnaires, la hausse et l’extension du RSA, l’égalité des salaires femmes/hommes, la hausse des emplois publics, la baisse de l’âge de départ à la retraite. Les mesures nécessaires de restructuration de l’économie (comme la réindustrialisation, le tournant écologique, l’intervention des travailleurs dans la gestion des entreprises) ne peuvent avoir elles des effets favorables qu’à plus long terme. De sorte qu’un gouvernement de gauche aura le choix entre ne tenir que progressivement ses engagements, ce qui pourrait être considérer comme une trahison ; se retrouver en face de déséquilibres importants, en termes de situation financière des entreprises et de solde extérieur ; assumer frontalement la lutte de classe en réduisant fortement le niveau de vie des classes supérieures, en prenant le contrôle des entreprises, en se heurtant aux règles de la zone euro et de l’UE ».

Cela concerne directement la retraite à 60 ans et les autres mesures prévues par Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel. Les dégâts inégalement répartis d’un recul de la retraite à 65 ans disent a contrario ce que pourraient être les priorités pour retourner vers une retraite à 60 ans.

Notes

[1] L’âge conjoncturel de départ à la retraite mesure l’âge moyen de départ à la retraite une année donnée, en neutralisant les différences de taille de génération.

[2] L’espérance de vie sans incapacité correspond au nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes.

[3] C’est-à-dire une sorte de retraite par décapitalisation, qui aurait cependant comme inconvénients de sortir du cadre de la retraite par répartition et d’étatiser le financement. Et de reposer sur une base de financement qu’il faut en même temps réduire par ailleurs de réduire.


 


 

Pour Michaël Zemmour « la retraite à 65 ans, un choix politique, non économique »

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

L’économiste Michaël Zemmour décortique la réforme macroniste et met en garde contre ses effets pervers à court et moyen terme. Michaël Zemmour est maître de conférences en économie à l’université Panthéon-Sorbonne

Contrairement à ce que beaucoup de libéraux nous assurent depuis des années, notre régime de retraite n’est pas menacé. L’acharnement de l’actuel président à vouloir repousser l’âge de départ, en cas de deuxième mandat, est donc en bonne partie motivé par des raisons idéologiques.

Comment analysez-vous la rapidité du recul de l’âge de départ à la retraite voulu par Emmanuel Macron ?

L’objectif affiché est de repousser de trois ans l’âge légal de départ, au rythme de quatre mois par an. Cela va concerner des personnes qui se trouvent déjà aux portes de la retraite : imaginez la situation de ceux qui comptaient partir à 62 ans en 2023 et qui vont devoir attendre quatre mois supplémentaires. Quant à la génération née en 1969, elle devra patienter trois ans de plus. C’est une très grosse augmentation.

Pour avoir une idée des conséquences immédiates d’un tel recul, on peut analyser ce qui s’est produit lors du passage de 60 à 62 ans (après la réforme des retraites de 2010 de Nicolas Sarkozy – NDLR). Pour résumer, les gens qui étaient encore en emploi à 60 ans sont restés deux ans supplémentaires.

En revanche, tous ceux qui n’avaient plus de travail à ce moment-là (je rappelle que c’est le cas d’une personne sur deux au moment où elle prend sa retraite) ont vu se prolonger cette période de précarité où le taux de pauvreté est très marqué.

Le deuxième effet produit par le recul de l’âge de départ se situe au niveau des conditions de travail. Avec l’âge, les risques d’incapacité faible ou sérieuse augmentent fortement. Dans le secteur du nettoyage, par exemple, le taux d’emploi chute après 45 ans à la suite de tous les facteurs de pénibilité (troubles musculo-squelettiques, notamment).

Y a-t-il une logique économique derrière la décision d’allonger la durée de cotisation au régime des retraites ?

Selon moi, cette mesure n’est pas une réponse à une nécessité financière : le Conseil d’orientation des retraites (COR) nous explique que le déficit va se résorber de lui-même à l’horizon 2030 et que le régime des retraites n’est pas menacé. Les économies représentées par un passage à 65 ans excéderaient largement ce qui serait nécessaire pour revenir à l’équilibre. En réalité, cette mesure ne répond pas à une logique économique, mais relève d’un choix politique.

Emmanuel Macron cherche soit à réduire les dépenses publiques en tant que telles au nom d’une idée non démontrée selon laquelle une baisse des dépenses serait nécessairement une bonne chose pour l’économie, soit à augmenter la population présente sur le marché du travail (ce qu’on appelle « l’offre du travail »).

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire affirme en substance que « nous rembourserons notre dette publique par la croissance créée par la réforme des retraites ». Selon ce raisonnement, la réduction de la part des retraites dans le PIB, et plus largement de nos dépenses publiques, dynamiserait mécaniquement l’économie. Pour un économiste, c’est une logique curieuse qui ne repose sur aucune démonstration.

Quelles pourraient être les conséquences sociales, à long terme, d’un nouveau recul de l’âge de la retraite ?

Le temps que l’on passe à la retraite a déjà commencé à diminuer, car les précédentes réformes ont reculé l’âge de départ plus vite que nous ne réalisions des gains d’espérance de vie : autrement dit, cette nouvelle mesure conduirait surtout à raccourcir encore la durée de la retraite.

Les salariés atteindront l’âge légal plus tard, et en plus mauvaise santé. Par ailleurs, on sait déjà que nous allons vers un appauvrissement relatif des retraités : le niveau de vie de ces derniers par rapport à celui des actifs sera 20 % plus faible en 2070. En réalité, le vrai sujet, c’est que si l’on ne fait rien, les retraités pourraient connaître l’expérience d’un déclassement demain.

Emmanuel Macron n’essaie-t-il pas de s’attaquer à ce risque d’apauvrissement des retraités en relevant le minimum vieillesse à 1 100 euros ?

Cette proposition est cosmétique. Le gouvernement précise bien que ces 1 100 euros ne seraient accordés qu’aux personnes avec des carrières complètes… c’est-à-dire à des gens qui, très largement, perçoivent déjà ce niveau de pension ! Ce sont les retraités aux carrières incomplètes qui sont les plus pauvres.

Il faudrait prendre de vraies mesures pour s’attaquer au problème en envisageant une véritable retraite minimale, certes plus coûteuse pour les finances publiques. Cela supposerait de redéfinir les conditions nécessaires pour percevoir les minima de retraite : aujourd’hui, ils ne se déclenchent que lorsque l’on part à taux plein. Demain, certaines personnes devront donc attendre 67 ans pour pouvoir les toucher.

publié le 26 mars 2022

Le début d'une ère de dangers stratégiques durables 

Christophe Deroubaix sur www.humanite.fr

Pour Philip Golub, professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris, la guerre en Ukraine signe le retour du monde du XIXe siècle sans centres d’autorités capables d’imprimer un ordre stable.

Quelle analyse faites-vous de la situation du point de vue de la stratégie des Etats-Unis ?

Vladimir Poutine a réussi cet exploit tout à fait extraordinaire de refonder l’unité de l’Occident et de l’alliance atlantique. L’invasion de l’Ukraine a cristallisé et reconsolidé l’alliance atlantique et l’OTAN, les deux, donc, aux niveaux politique et militaire. Alors que les deux rives de l’atlantique étaient en voie de se séparer de plus en plus profondément à la fois politiquement et idéologiquement au cours des dernières décennies, cette guerre créée une dynamique d’affrontement entre Est et Ouest, non pas idéologique comme du temps de la guerre froide entre communisme et capitalisme, mais en des termes de compétition politique et stratégique interétatique entre l’alliance atlantique et la Russie. On remarque une forme de prise conscience de la part des pays européens qui ont très peu contribué à leur propre défense ces dernières décennies de la nécessité d’augmenter significativement leurs budgets de défense ainsi qu’une demande de présence accrue, à la fois politique et militaire, des États-Unis sur le continent européen. Les résultats sont à contre-courant des tendances des dernières décennies.

Pour ce qui est de Joe Biden, il a géré de façon prudente, agissant à la fois sur des leviers diplomatiques et de sanctions économiques, sans jamais dépasser les limites qui pourraient entraîner une confrontation directe. C’est une gestion diplomatique qui a été comprise en Europe comme un retour à une certaine fiabilité américaine.

Existe-t-il un débat au sein des élites américaines sur le niveau de réponse à apporter à l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine ?

Au niveau des institutions de sécurité, il y a une forme de consensus pour appliquer la pression de façon systématique mais toujours en deçà d’un palier qui entraînerait des dynamiques plus larges. Quelques voix minoritaires existent, surtout des élus républicains, qui réclament des mesures d’action militaire plus directe. Personne au sein des institutions de sécurité n’est favorable à ce genre de scénario. Ils estiment que choisir une voie de confrontation directe ferait potentiellement basculer dans une troisième guerre mondiale. Les principes de la dissuasion nucléaire sont en marche et, de ce point de vue, les évolutions dépendent plus des décisions prises à Moscou qu’à Washington. Le consensus aux États-Unis est de ne pas franchir de seuils décisifs.

Le refus de s’engager militairement tient-il à l’héritage des guerres de Bush, et de l’opposition de l’opinion à de telles aventures, ou à la capacité nucléaire de la Russie ?

Ce n’est pas en raison d’une défiance des Américains vis-à-vis des guerres que les États-Unis ont adopté cette position stratégique mais tout à fait exclusivement du fait de leur raisonnement en termes de potentiel d’escalade en cas d’affrontement plus large et direct. L’état-major américain estime que le danger serait que la Russie utilise les avantages comparatifs dont ils disposent, à savoir les armes nucléaires. C’est l’équilibre nucléaire qui préside aux décisions américaines de rester sous un certain seuil dans la manière dont ils gèrent ce conflit.

Dans quelle mesure ce qui est en train de se dérouler en Europe va-t-il impacter le fameux « pivot asiatique » des États-Unis ?

Ce qui se passe implique une certaine forme de recentrage vers la partie occidentale de l’Eurasie, donc le continent européen. Ce qui n’était pas désiré par les États-Unis du fait évidemment du défi plus grand constitué, à leurs yeux, par la montée en puissance de la Chine. La consolidation de l’alliance atlantique et de l’OTAN crée potentiellement les conditions de mise à l’épreuve de la Chine à l’avenir par le système atlantique tout entier. La crise actuelle démontre pour l’instant aux Européens que l’alliance américaine est indispensable dans un monde devenu de plus en plus anarchique, là où les Européens, sur les questions russe comme chinoise, étaient beaucoup plus orientés vers l’économie et le commerce.

D’un côté, la situation pose problème aux États-Unis dans leur ambition d’orienter leurs énergies et les leurs moyens vers l’Asie-Pacifique. Mais, dans le même temps, cela crée pour eux des conditions politiques meilleures du point de vue de la construction politique occidentale vis-à-vis de la Chine. Par exemple, la situation montre que les sanctions économiques concentrées et d’une très grande ampleur peuvent faire énormément de mal à des grandes économies. En ce sens, je ne pense pas que cela remette en cause les grandes orientations états-uniennes en Asie-Pacifique et vis-à-vis de la Chine.

 Pour le dire d’une manière un peu triviale, c’est d’une certaine façon « tout bénéfice » pour la stratégie des États-Unis ?

D’abord, la situation est très périlleuse et nous n’en connaissons pas l’issue. Disons que s’il n’y a pas une escalade au-delà d’un certain seuil, il est clair que, pour les États-Unis, ce que Poutine a initié représente une erreur stratégique de très grande envergure. Il est en train de construire ce qu’il voulait affaiblir. C’est son action mal pensée qui refonde l’unité atlantique. Pour les États-Unis, cela représente un gain au regard des divergences euro-américaines sur un certain nombre de sujets ces dernières années.

 Quelle analyse faites-vous du vote aux Nations Unis où un certain nombre de pays se sont démarqués ?

En effet, trente-sept pays se sont abstenus, parmi lesquels l’Inde, l’Afrique du Sud ainsi qu’une quinzaine d’autres pays africains. Ce vote ne veut pas nécessairement signifier un soutien à l’invasion de l’Ukraine. Il dit que les gouvernements d’une part importante de la population mondiale ne souscrivent pas une lecture binaire à la fois du conflit et des relations internationales. Une partie importante du monde, que l’on appelait autrefois le monde en voie de développement, ne veut pas rentrer dans des logiques d’affrontement binaire ou dans un schéma de compréhension de ce qui vient de se passer comme étant réduisible à une lutte entre démocraties et autocraties. Cela pourra certes changer au gré de ce qui se passera sur le champ de bataille dans ce moment de tragédie historique.

Cela dit aussi que les États-Unis ne dominent pas la politique internationale aujourd’hui. Ils ne se trouvent pas dans une position unipolaire comme ils l’ont été très brièvement et pas tout à fait entièrement à la fin de la guerre froide. Le monde a toujours été polycentrique et pluriel. L’apparente difficulté des États-Unis aujourd’hui à créer un ordre mondial reflète en fait une évolution historique évidente : que la puissance américaine n’est plus ce qu’elle était en 1991 ni en 1945. Ça, nous le savions déjà.

Quel est le « nouveau » qui émerge de cette crise majeure donc ?

L’environnement international est caractérisé aujourd’hui par un retour au XIXe siècle, à une anarchie, au sens littéral et étymologique, c’est-à-dire sans centres d’autorités capables d’imprimer un ordre stable. Cette situation d’anarchie implique nécessairement une remise en cause des conceptions libérales de la mondialisation qui ont eu cours depuis la fin de la guerre froide et qui se trouvaient déjà très fissurées ces dernières années. Le monde d’après, en supposant qu’il y ait un monde d’après, va être caractérisé par cette anarchie grandissante. On le voit dans la multiplication possible de conflits territoriaux et de possibles confrontations militaires. La Corée du Nord a profité de ce moment particulier pour lancer un missile balistique de portée plus longue que les missiles lancés précédemment. On le voit dans les fractures des flux internationaux et les déchirements des chaînes de productions transnationalisées. Nous sommes sortis du cadre d’une certaine forme de régulation du monde par à la fois la mondialisation économique et financière et la prédominance des logiques économiques sur les logiques politiques. Nous sommes de nouveau entrés dans une ère à la fois de rivalités, de compétitions et de dangers stratégiques durables.


 


 


 

 

 

Eh bien non, le monde n’appartient pas à l’Occident

Francis Wurtz sur www.humanite.fr

Joe Biden et ses alliés, anglo-saxons comme européens, semblent se voir (presque) revenus aux lendemains de la chute de l’Union soviétique, quand le président Bush (senior) pouvait encore dire, dans son « discours sur l’état de l’Union » de janvier 1992 : « Grâce à Dieu, l’Amérique a gagné la guerre froide. Un monde jadis divisé en deux camps reconnaît aujourd’hui la supériorité d’une seule puissance : les États-Unis. »

Certes, il y a aujourd’hui un gros caillou dans la chaussure des États-Unis. Il est économique plus que militaire : c’est cette insupportable épée de Damoclès de la puissance chinoise qui menace le « leadership » américain, l’enjeu stratégique numéro un pour Washington. Mais, par sa guerre d’agression contre l’Ukraine, Vladimir Poutine lui offre une occasion historique d’affaiblir lourdement l’autre éternel rival, la Russie, et permet à la coalition occidentale de revêtir la panoplie de défenseure du « monde libre », rassemblant, apparemment, derrière son étendard tous les pays en désaccord avec l’aventure sulfureuse du chef du Kremlin. Autrement dit, la quasi-totalité des nations du globe. Une aubaine stratégique inespérée pour « l’Amérique » et ses alliés. Et pourtant…

L’analyse des votes de l’Assemblée générale des Nations unies, le 3 mars dernier, donne une image du monde beaucoup plus contrastée que celle d’une hégémonie sans partage de « la famille occidentale ». Rappelons que, si Moscou fut, légitimement, isolé dans ce vote, puisque seules la Biélorussie, l’Érythrée, la Syrie et la Corée du Nord approuvèrent sa stratégie en Ukraine, les Occidentaux ne furent pas plébiscités pour autant. Bien des pays, et non des moindres, n’entendent plus être soumis à un camp. Pas moins de 35 pays se sont, en effet, abstenus et 12 autres ne prirent pas part à ce fameux vote. Parmi ces récalcitrants, il y a la Chine, qui, bien qu’alliée de la Russie, souligne que « la crise ukrainienne n’est pas quelque chose que nous souhaitions voir venir », car « la guerre n’est dans l’intérêt de personne » et doit cesser au plus tôt. Il y a également l’Inde, qui, bien qu’alliée des États-Unis, n’a pas cédé à leurs (fortes) pressions et a refusé de s’aligner sur les positions occidentales. Il y a, enfin, 22 pays africains, dont le Sénégal qui, bien que réputé proche de la France sinon de l’Europe, a tenu à marquer sa différence.

C’est que nombre de pays du Sud constatent chaque jour un peu plus que leurs intérêts bien compris sont les parents pauvres des stratégies des « grandes puissances » : l’ONU n’annonce-t-elle pas que la guerre russe contre l’Ukraine et la « guerre économique et financière totale contre la Russie » (Bruno Le Maire) risquent d’entraîner « une crise alimentaire mondiale », en particulier dans les pays les plus démunis ? Quant aux grands États « émergents », des voix fortes s’y élèvent en faveur de la mise en place d’un système financier et commercial international moins dépendant des instruments de la domination occidentale, comme le dollar ou le système de messagerie interbancaire Swift. Leur message est clair : notre opposition à la guerre russe ne fait pas de nous les obligés de l’Occident


 


 

 

Bertrand Badie : « L’Ukraine,
première guerre de la mondialisation »

Interview par Lina Sankari sur www.humanite.fr

Un mois après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Bertrand Badie rappelle les responsabilités de l’Occident après l’effondrement de l’URSS, analyse les stratégies déployées par les acteurs en présence et esquisse les solutions pour une sortie du conflit.

L’économie russe « va retourner vingt ou trente ans en arrière », assurait récemment l’ancien conseiller économique du gouvernement russe Sergeï Gouriev. Selon le professeur des universités à Sciences-Po Paris Bertrand Badie, les menaces d’exclusion de la Russie du système global et les perspectives d’anéantissement économique constituent une nouvelle forme de dissuasion. Auteur des « Puissances mondialisées : repenser la sécurité internationale », Bertrand Badie analyse les grandes lignes de force internationales qui émergent à la faveur de la guerre en Ukraine.

Assiste-t-on, à l’aune de la crise ukrainienne, à la naissance d’une nouvelle ère sur le plan international ?

Il faut se méfier des formules qui frappent l’imagination dans des périodes de troubles. On verra, lorsque la fièvre sera retombée, quelles seront les conséquences d’un événement dont on ne peut qualifier la nature aujourd’hui. Il y a des tendances qui se dégagent. Lors du vote à l’Assemblée générale des Nations unies, est apparue une coupure entre le Nord et le Sud, une sorte de second Bandung, la grande conférence afro-asiatique de 1955 qui cherchait à s’émanciper de la bipolarité imposée. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’une bipolarité imposée mais de conflits dénoncés comme étant des querelles internes au monde ancien et dont ils ont peur de devoir payer le plus gros de la facture parce que les conséquences économiques et humanitaires de cette crise seront beaucoup plus fortes là où les souffrances sociales sont les mieux installées. C’est une tendance négligée parce que l’idée que le Sud est une périphérie reste dominante.

La seconde conséquence de ce conflit réside dans la physionomie de l’Europe. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’Europe a réussi en quelques semaines une intégration et une convergence qu’elle n’avait pu atteindre pendant des décennies. Personne ne peut prédire ce que sera l’Europe des 27 à la fin de cette crise. On ne sait si les divisions d’antan ne reprendront pas le dessus. En revanche, pour la première fois depuis 1945, on assiste à une certaine distanciation des États-Unis. L’Otan s’est construite sur l’européanisation des États-Unis, leur installation, pas seulement militaire, sur le continent. Aujourd’hui, si la superpuissance américaine suit les événements, on la sent moins impliquée, et l’Europe a vraiment le sentiment de se retrouver de l’autre côté de l’Atlantique.

De même, la crise avec la Russie, qui n’a jamais été intégrée dans l’espace européen post-1989, a atteint son paroxysme. Il faudra bien penser un régime de sécurité commun. L’Europe occidentale a misé sur l’absurde en excluant politiquement la Russie de l’espace européen, tout en renforçant ses liens de dépendance économique et énergétique. On a aujourd’hui atteint un point de non-retour, où l’alternative réside soit dans l’exclusion complète – peu probable –, soit dans la définition d’un nouveau dénominateur commun que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe aurait pu porter.

Cette guerre est enfin la première de la mondialisation. À l’aventure militaire totale lancée par le maître du Kremlin, répond un nouveau langage qui ne passe pas par la destruction militaire mais par l’exclusion du système global et les perspectives d’anéantissement économique. C’est une forme de dissuasion presque aussi angoissante que la dissuasion nucléaire. À l’issue de cette guerre, on saura si c’est réellement une voie de résolution des conflits.

Poutine a-t-il misé sur l’émergence d’un nouvel ordre international, favorable à la Russie et à la Chine ?

Je crois qu’il misait d’abord sur la restauration de l’ancien monde. Ce qui est frappant dans sa rhétorique, c’est son aspect passéiste. Les références de Poutine se construisent autour de l’Empire russe jusqu’à son berceau ukrainien qui nous ramène à la fin du XIXe siècle, de l’URSS non pas comme régime mais comme puissance, de la rhétorique d’après 1945 dont est extraite la notion absurde de dénazification et de la guerre froide où le bras de fer réglait le jeu international.

Les Occidentaux ont-ils minimisé l’impact de leurs interventions en Irak et en Libye sur le positionnement de la Russie ?

À la chute du mur de Berlin en 1989, Mikhaïl Gorbatchev déclarait, à Malte devant George Bush, que l’Union soviétique n’avait plus aucun intérêt à concurrencer le monde occidental. Les Occidentaux pensaient entrer dans une ère unipolaire où ils auraient vocation à être les gendarmes du monde, c’est le messianisme des néoconservateurs. Or, toutes leurs interventions ont échoué, sauf peut-être l’opération « Tempête du désert » menée sous mandat des Nations unies.

Ces interventions illimitées dans leur nombre, leur mode opératoire, leur façon de se légitimer ont réveillé les oppositions. Or, la Russie d’Eltsine ne s’était pas constituée dans l’opposition à l’Occident. La marginalisation, l’humiliation récurrente ont fabriqué un revanchard nationaliste inquiet de reconstituer sa puissance. Le danger s’est périodiquement manifesté : prise de l’aéroport de Pristina (en 1999, au lendemain de la guerre du Kosovo – NDLR), Géorgie, Syrie et Crimée. Ce qui nous ramène à cette décision extrêmement brutale de maintien de l’Otan, alors que le pacte de Varsovie a de fait été dissous avec l’effondrement de l’URSS. Ce maintien de l’Otan appelait à la reconstitution d’ennemis soit désignés, soit qui se considéraient comme tels.

Autres acteurs inattendus : les sociétés russe et ukrainienne. Que peut-on en attendre ?

Jamais Poutine ne pouvait imaginer que le paramètre social jouerait dans sa conquête de l’Ukraine. On voit à quel point l’entrée des chars russes en Ukraine ne ressemble en rien à celle des chars soviétiques en Tchécoslovaquie en 1968. Admettons que la puissance de feu finisse par l’emporter, nul ne dit que cette armée pourra se transformer en armée d’occupation sans essuyer des sabotages, des insurrections. Il en va de même avec cette jeune femme qui a brandi une pancarte pacifiste en direct au journal télévisé russe. Les dictateurs ne savent pas compter sur la pression sociale, cela a joué de mauvais tours à Moubarak, Ben Ali, Kadhafi, Blaise Compaoré…

Est-il réaliste d’envisager un statut neutre pour l’Ukraine ?

La solution à esquisser passe par cela, comme par la définition d’un statut pour le Donbass et d’un nouvel ordre de sécurité en Europe. Durant la guerre froide, les États passaient des traités pour garantir la neutralité d’autres pays. Aujourd’hui, les relations internationales ne peuvent plus fonctionner ainsi. On ne peut pas ôter sa souveraineté à un État et ses désirs ou attractions à un peuple. En revanche, on peut trouver une formule qui passe par la redéfinition de la fonction des alliances militaires et singulièrement de l’Otan. Ce n’est pas tant du peuple ukrainien qu’il faut obtenir des engagements mais de l’Otan comme organisation anachronique.

Cette question des garanties de sécurité se pose en Indo-Pacifique, où la stratégie états-unienne de pivot afin de contrer l’influence chinoise est perçue comme une menace par Pékin. Peut-on, au regard de l’expérience avec la Russie, persister dans cette voie ?

Cela montre la fragilité de cette construction à la serpe que constitue l’alliance indo-pacifique, qui recèle le même danger. À l’instar de la Russie, la Chine pourrait se sentir menacée lorsqu’elle verra se concrétiser ce cordon qui va de l’Inde au Japon en passant par l’Australie et le cœur du Pacifique. Le jeu très complexe de la Chine aujourd’hui tient probablement compte du message qu’elle entend adresser aux puissances occidentales. La manière dont les différents États indo-pacifiques ont réagi à la crise ukrainienne montre la fragilité de ce type d’alliances. L’Inde n’a pas voté la résolution condamnant la Russie. Ce qui en fait un allié étrange. Enfin, on comprend tout le danger et la naïveté à concevoir une coopération internationale s’adossant sur le jeu des alliances militaires. La Chine agit principalement par recours à des instruments économiques, les Nouvelles Routes de la soie. Est-il pertinent de répondre à un projet mondialisé par un projet militaire régionalisé ? Est-il raisonnable de se projeter dans un espace géographique qui n’est pas le sien ? C’est valable pour les États-Unis, mais également pour la France, même si Paris a encore des possessions dans le Pacifique. La version moderne de notre sécurité passe-t-elle par un engagement militaire dans un espace difficile à contrôler ? La France est incapable de s’imposer en Méditerranée. Ce n’est pas parce que, sur le papier, le droit de la mer donne un espace maritime dans le Pacifique à la France que l’avenir et le bonheur du peuple français se jouent là-bas.

L’ONU est-elle condamnée à l’impuissance ?

Le vote du Conseil de sécurité a clairement montré – mais est-ce nouveau ? – à quel point les institutions traditionnelles du système onusien sont paralysées par le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et par une définition de la sécurité datée de la guerre froide. Ils ont toujours refusé de se saisir des enjeux nouveaux de sécurité globale comme le climat, l’alimentation et la santé. À l’Assemblée générale, qui n’a pas de pouvoir contraignant, le système onusien joue son rôle de forum. Autre élément qui n’est pas rassurant : l’effacement du secrétaire général. On n’a pratiquement pas entendu Antonio Guterres. Il aurait résolument été mis à l’écart, notamment par la Russie. Pendant la guerre froide, même le Birman U Thant, qui n’avait pas beaucoup d’épaisseur, avait joué un rôle très actif dans la crise des missiles de Cuba. On ne sait pas regarder des institutions telles que le Programme alimentaire mondial, le Haut-Commissariat aux réfugiés ou l’OMS, qui font le succès ou du moins contiennent l’échec du système onusien. Il faut s’appuyer sur elles. Une fois qu’on aura surmonté la crise ukrainienne, il faudra bien s’occuper de la sécurité alimentaire, de la sécurité sanitaire qui n’a pas avancé malgré les millions de morts depuis 2020, du changement climatique. C’est l’Otan qui s’en occupera ? Vladimir Poutine ? La conquête éventuelle de l’Ukraine fera-t-elle avancer d’un iota ces questions ? On oublie le Yémen, la Syrie, le désastre absolu au Sahel. Qui les prendra en compte ? Les rodomontades de tel ou tel va-t-en guerre occidental ? Ces questions resteront les mêmes, elles seront aggravées par la crise ukrainienne et il faudra bien prendre des initiatives qui répondent à une tout autre grammaire.

 

Bertrand Badie est professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po). Depuis sa thèse « Stratégie de la grève. Pour une approche fonctionnaliste du Parti communiste français », il est l’auteur de nombreux ouvrages clés et enrichit l’analyse des relations internationales de la sociologie durkheimienne. Avec Dominique Vidal, il codirige la collection « L’état du monde ».

publié le 25 mars 2022

« Vivre dans la dignité
et le respect » :
les retraités en manif
à Montpellier

sur https://lepoing.net/

Entre 1000 et 1500 retraités étaient venus de toute la région ce jeudi 24 mars pour manifester sur Montpellier. Les revendications portaient sur le pouvoir d’achat, la santé et la qualité des services publics.

Ce jeudi 24 mars des rassemblements et manifestations de retraités étaient prévus dans 28 villes, portés par une intersyndicale large regroupant neuf organisations (CGT-FO-CFTC-CFE CGC-FSU-Solidaires-Ensemble et Solaidaires-LSR-Rtraité Fonction Publique).

Sur Montpellier, ils auront été entre 1000 et 1500 à se retrouver autour du kiosque de l’esplanade Charles de Gaulle, venus de tout l’Hérault, mais aussi de Lozère, du Gard, de l’Aude ou des Pyrénées-Orientales.

Les pensions de retraites sont indexées sur l’indice des prix, en théorie. Mais le calcul ne se fait qu’une fois dans l’année, il est donc inefficace en cas d’inflation rapide et brutale comme nous la connaissons en ce moment. Ajoutons que les gouvernements successifs contournent la loi de 1993, de plusieurs manières : décalage de la date de revalorisation sans rattrapage entre les mois qui se sont écoulés entre l’ancienne et la nouvelle date, gel des pensions en 2014 et 2016, amendement au projet de loi de finances de la Sécurité sociale qui est voté chaque année… Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites estime que ces mécanismes « expliqueraient un peu moins de la moitié (44 %) de la perte de pouvoir d’achat du cadre né en 1932 et environ un tiers (entre 32 % et 35 %) de celles des autres générations, le reste étant expliqué par la hausse des prélèvements ».

La désindexation des pensions sur le salaire en 1987 a entraîné aux dire de nombreux participants une baisse de pouvoir d’achat constante, équivalente selon les syndicats à « 10% du montant des pensions perdues en 10 ans ».

Ils demandent donc la réindexation sur les salaires, avec compensation des pertes de pouvoir d’achat entraînées au fil des années, et la revalorisation des pensions de reversion qui sont versées aux conjoint veufs ou veuves. Pour les veufs et veuves toujours, comme pour les parents isolés, le rétablissement de la demi part fiscale supprimée. Tout en exigeant un minimum retraite équivalent au SMIC.

La hausse de la CSG de 1,7 point décidée par le gouvernement Macron dès 2017 est également dans le viseur.

Avant le départ de la manifestation colère et émotion se font sentir au moment d’évoquer la crise sanitaire, dont la gestion a laissé à bon nombre de retraités l’impression d’être sacrifiés. Le souvenir de ces périodes de saturation des hopitaux, pendant lesquelles les résidents infectés dans les EHPAD y sont restés, heurte encore les mémoires. On évoque les dizaines de milliers de morts. « Des milliers de décès auraient pû être évités si on n’avait pas supprimé autant de postes et de lits ces dernières années », tonne un orateur. Une fois la tempête passée, les conditions de vie parfois désastreuses dans les EHPAD, comme l’a montré le scandale autour d’ORPEA, n’ont pas donné l’impression aux anciens d’être plus pris en compte.

D’où tout un panel de revendications portant sur les services de santé. Prise en charge de l’autonomie par la Sécu et création d’un grand service public s’y consacrant, création de 300 000 postes dans le médico-social (200 000 en EHPAD et 100 000 dans l’aide à domicile), ouverture de lits supplémentaires en EHPADs publics, une meilleure formation et de meilleurs salaires pour les salariés du médico-social, l’arrêt des fermetures de lits dans les hopitaux publics, et le réouverture de tous les services et établissements fermés pour raisons budgétaires.

Le maintien et le renforcement de services publics de qualités dans tous les domaines a été également posé comme un préalable au droit à une vie digne pour nombre de personnes âgées : les manifestants se sentent sérieusement impactés par le tout numérique austéritaire qui s’impose dans de nombreux services publics.

La manifestation durera près de deux heures, passant par la Comédie, la rue de la Loge, la rue Foch, le Peyrou, le Jeu de Paume, et la rue de Maguelone.

En fin de cortège la sono de l’intersyndicale avance le chiffre de 30 000 manifestants dans tout le pays, sans avoir pû prendre en compte les tout derniers départs de cortèges. Quoiqu’il en soit les particiapants se voient bien repartis pour un tour. « Macron n’en a pas fini avec nous », promet-on à la sono avant que le rassemblement ne se disperse.


 


 


 

Aveyron : plus de mille personnes au soutien de syndicalistes de
la fonderie SAM assignés au tribunal

sur https://lepoing.net/

Environ mille personnes on fait le déplacement pour soutenir les trois représentants CGT du personnel de la fonderie SAM qui étaient assignés devant le tribunal de Rodez par les mandataires liquidateurs ce jeudi 24 mars. La justice devait statuer sur la légalité du maintien d’une occupation qui dure depuis quatre mois.

Reprise en 2017 par le groupe chinois Jinjiang, la Société Aveyronnaise de Métallurgie (SAM) -qui fabrique des carters et a pour principal donneur d’ordres Renault- avait été placée en redressement judiciaire fin 2019. A la fin du mois de juillet 2020, le Tribunal de Commerce rejette deux offres de reprises. Vient la liquidation judiciaire de septembre 2021, puis un nouveau passage le 22 octobre devant le Tribunal de Commerce : celui-ci est censé étudier les offres de reprise. Sauf qu’il n’y en a pas. Les délais sont donc allongés jusqu’au 19 novembre. Des repreneurs se proposent, mais auraient besoin d’aide financière pour pouvoir poursuivre l’activité de la SAM.

S’ensuit une occupation de l’usine, qui dure depuis le 22 novembre 2021. La CGT demande un engagement des mandataires liquidateurs sur le maintien de l’outil de travail, se désolant de la disparition de l’emploi industriel dans le bassin de Decazeville. Trois représentants syndicaux CGT sont alors assignés devant le tribunal de Rodez pour l’occupation. Dans le viseur, l’occupation de l’usine, et le fait que les fours continuent à tourner à l’intérieur.

Une audience est programmée jeudi 24 mars au tribunal de grande instance de Rodez. Environ mille personnes font le déplacement pour soutenir les syndicalistes. Il faut dire que la mobilisation n’en estr pas à ses débuts, avec au total plus d’un an et demi de bataille, et une mobilisation massive de la population avec des milliers de manifestants à plusieurs reprises.

Le délibéré sera rendu le 29 mars à 14h. La CGT plaide la poursuite des médiations.

Quelques 300 anciens salariés de la fonderie préparent leurs dossiers pour assigner les mandataires liquidateurs et les groupes Renault et Jinjiang aux prud’hommes. L’ensemble sera plaidé collectivement à Rodez.

publié le 25 mars 2022

Conditionner le RSA à une activité ?
« Il faudrait que Macron vive la pauvreté pour savoir ce que c’est »

Faïza Zerouala sur wwwmediapart.fr

Six bénéficiaires du RSA réagissent à la proposition avancée par le candidat Macron de lier le versement du revenu de solidarité à un minimum d’activité. « Il faudrait qu’il vive la pauvreté pour savoir ce que c’est », s’indigne une jeune coiffeuse de formation. « Ça va se faire au détriment des travailleurs », s’inquiète surtout Romain, ex-ingénieur.

La proposition avancée par le candidat Macron de conditionner le RSA à l’exercice d’une activité de 15 à 20 heures par semaine passe mal. Un euphémisme. Interrogé par France Inter, Richard Ferrand, le président LREM de l’Assemblée nationale, a précisé mercredi qu’il ne serait « pas question d’activité obligatoire ». Très peu de détails ont filtré sur la mise en œuvre concrète de la mesure, mais Mediapart a surtout voulu sonder les concerné·es. Paroles de six bénéficiaires.

Sylvain, 58 ans, Aubervilliers. À 58 ans, Sylvain a longtemps exercé la profession de plombier. Après deux infarctus, deux AVC, il y a une dizaine d’années, il a récemment subi une opération pour déboucher ses artères, « comme pour les canalisations ». Il rit de ce clin d’œil mais beaucoup moins de la proposition d’Emmanuel Macron de conditionner le RSA à l’exercice d’une activité de 15 à 20 heures hebdomadaires. Il ne peut plus pratiquer la marche comme jadis, certains de ses orteils sont nécrosés et il en a perdu des bouts. Bref, il a le corps en vrac.

Avec ses multiples problèmes de santé dont il se sent responsable (« j’ai trop travaillé, été trop stressé et j’ai trop fumé »), Sylvain se demande bien ce qu’il pourrait faire en échange de ses 477 euros mensuels.  

Au quotidien, et c’est une évidence de le rappeler, toute dépense est millimétrée. Son loyer s’élève pour un F2 à 175 euros après les APL. Il paye 34 euros d’EDF et 5 euros pour une association citoyenne. « Être au RSA, c’est invivable. Vous regardez la moindre dépense, le cinéma et tous les loisirs, c’est fini. Et j’ai pas intérêt à avoir mon frigo ou ma machine qui lâche, impossible de faire un crédit. Je suis coincé, je ne peux rien faire. » Il tapote sa poche de pantalon et dit qu’il n’a rien dedans, pas même un euro.

Pour la nourriture, cela lui coûte 50 euros par mois pour recevoir des barquettes de nourriture via le centre communal d’action sociale de la ville. Les portions sont légères, dit Sylvain, mais il s’en contente. Parfois, il vient compléter à Épicéa. Avec son Pass Navigo gratuit, il en profite pour bouger un peu, aller prendre l’air au parc de la Courneuve.

Sylvain a bien rempli un dossier à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour faire reconnaître son handicap mais il se balade dans la nature depuis trois ans. Il pense que le département est submergé et que sa demande s’est noyée au passage.

À la grande époque, quand il travaillait tout le temps, il touchait 3 000 euros net. « C’est dur de basculer. Avant, j’avais une voiture et j’aurais pu partir en vacances si j’avais voulu. Tout ça, c’est fini. »

Son emploi aidé, entre 2014 et 2019, à l’épicerie sociale et solidaire Épicéa installée à deux pas de la mairie d’Aubervilliers, lui a vraiment plu. Il faisait un peu de ménage ou de bricolage. Assis dans la cuisine jaune vif, il montre son œuvre. C’est lui qui a repeint tous les locaux. Et il pouvait utiliser la machine à laver et prendre une douche ici car il a vécu à un moment dans un squat insalubre. « Ça me sauvait … »

« Puis Macron m’a viré. Je touchais 800 euros et j’étais bien. Mais il a préféré supprimer les emplois aidés. Il a créé ses propres pauvres. Et maintenant, il veut qu’on fasse 15 à 20 heures de bénévolat. Mais dans quoi ? On va se débrouiller si c’est obligatoire mais, à mon âge et avec ma santé, c’est infaisable. »

Le militant communiste attend tout de même de voir ce qu’Emmanuel Macron va proposer concrètement. « Et il n’a pas intérêt à me dire de traverser la rue… »

Rebecca*, 31 ans, Aubervilliers. Dans la même épicerie sociale et solidaire Épicéa, une bénévole tend une barquette de viande à une bénéficiaire, les morceaux de bœuf ont un peu noirci. Mais Rebecca* s’en fiche et la récupère sans sourciller. « Il suffit de couper les bouts noirs, ce sera très bien. » Les astuces pour cuisiner sans gâcher sont son quotidien. Elle prépare une très bonne soupe à base des épluchures de légumes. La mère de famille de 31 ans a un fils de 2 ans et une fille de 12. Et avec son conjoint, ils touchent le RSA « couple » depuis fin 2021.

Pendant qu’elle allaite son petit, Rebecca raconte son parcours sinueux. Elle est coiffeuse de formation mais aussi percluse d’allergies diverses et atteinte d’un asthme sévère. Impossible pour elle d’être en contact avec les produits chimiques capillaires. Ses problèmes de dos, de bassin et de cervicales lui interdisent toute station debout prolongée. Cela ajouté à ses soucis personnels, elle n’a pu travailler. Elle touche le RSA jusqu’en 2019, puis il est suspendu car son conjoint gagne trop à l’époque.

Mais ce dernier travaille dans l’événementiel, alors la crise sanitaire lui est fatale.

Il se retrouve au chômage et arrive en fin de droit en juillet 2021. Après quelques péripéties administratives, le couple touche 713 euros de RSA et 600 euros de prestations diverses (APL, allocations familiales et prestation d’accueil du jeune enfant).

Le loyer s’élève à 1 040 euros. Chaque mois, il faut s’acquitter de 124 euros pour l’EDF ou encore 60 euros d’assurance habitation sans compter les autres charges incompressibles comme les 30 euros d’Internet ou 40 euros pour l’eau. Le couple a aussi cumulé environ 4 000 euros de dettes de loyer, qu’il rembourse à hauteur de 172 euros par mois. Il ne reste presque rien ensuite.

Tout est bon pour améliorer le quotidien. Elle coupe elle-même les cheveux de ses enfants et veille sur les groupes Facebook de la ville où des dons de vêtements sont proposés. Elle récupère des paniers solidaires donnés par le Parti communiste et elle vient faire ses courses à Épicéa. Avec une amie, elle aussi en difficulté, elles s’échangent des denrées alimentaires en fonction de ce qu’elles arrivent à se procurer. Son père, qui touche une retraite de 1 200 euros, l’aide tant bien que mal en payant son forfait téléphonique.

Ce 20 du mois, il lui reste 10 euros. Elle ne fera pas sa prise de sang pour vérifier son anémie, à quatre euros non remboursés.

Rebecca explique qu’elle attend que son dernier aille à l’école maternelle en septembre pour se remettre à chercher du travail activement. « Je ne peux pas payer une nounou. Ça coûte quoi ? 400, 800 euros ? Je ne les ai pas et quel intérêt si je gagne 1 200 euros de tout dépenser en frais de garde et de ne plus m’occuper de mes enfants ? »

La proposition du candidat Macron d’imposer une activité aux bénéficiaires du RSA l’agace. « Je n’ai pas l’impression de rien faire, je m’occupe de mes enfants, de la maison, c’est un travail en tant que tel. Je cours entre les Restos du cœur, Épicéa et tout le reste pour avoir de quoi nourrir mes enfants. »

« Macron pense comme tout le monde que mère au foyer, c’est rien. Si je dois en plus faire du bénévolat je le mets où sachant qu’il va aller à l’école que le matin ? Ça veut dire que je dois les mettre à la cantine ? »

Rebecca n’en revient pas. Elle a le sentiment que le président-candidat « veut nous descendre encore plus bas, nous, les plus pauvres. Pour lui, on est des bons à rien mais il faudrait qu’il vive la pauvreté pour savoir ce que c’est ».

Romain, 35 ans, Marseille. Allocataire depuis quatre ans, il perçoit 400 euros. Cet ancien ingénieur a arrêté de travailler dans son secteur car il a déménagé puis rencontré des difficultés à trouver « un type d’emploi qui correspond à ses critères », « avec des conditions de travail satisfaisantes, un semblant d’éthique dans le travail et qui ne me prenne pas tout mon temps pour faire de l’associatif en parallèle ».

Il souligne que son profil est atypique puisqu’il a fait des études et surtout a « pas mal d’argent de côté, ce qui est un sacré confort même si je ne l’utilise pas ». Avec 400 euros par mois, un loyer du même montant et 250 euros d’APL, il explique s’en sortir car il est habitué à dépenser très peu.  

Il regrette que la mesure annoncée par le candidat LREM soit encore floue, entre activité, bénévolat et formation, et ne sait toujours pas comment analyser les conséquences d’un tel bouleversement. « De prime abord, je l’ai vu comme une mesure démagogique dans la perspective d’un duel avec l’extrême droite, donc jamais mise en œuvre. Je me suis dit ensuite qu’il serait compliqué de former tous les bénéficiaires du RSA. Je commence maintenant à me dire que la mise en place se fera de manière violente, surtout dans un contexte où les entreprises prétendent avoir des difficultés à recruter, elles vont profiter de cette main-d’œuvre. Cela va se faire au détriment des travailleurs. »

Marion, 33 ans, Marseille. Elle a commencé à travailler à l’âge de 18 ans dans la vente et la restauration, puis à la fin 2020, elle s’est lancée dans une reconversion dans le marketing. Elle s’est formée à la communication digitale, mais peine à trouver un contrat. Elle est sur la piste d’un poste, en intérim « hélas ». Donc, en attendant de décrocher un contrat, elle touche 565 euros de RSA depuis fin 2020, après un an de chômage.

Comme tous les autres bénéficiaires, elle est agacée de l’image qui colle à la peau des bénéficiaires du RSA, et choquée « qu’on flique les personnes qui ont les minima sociaux pour vivre et qu’on entretienne l’idée que les personnes qui en bénéficient sont des flemmards. Les fraudes sociales sont infinitésimales en plus. Castex a parlé de travail d’intérêt général, comme si on avait commis un délit ! Il n’y a rien de simple, rien d’amusant, rien de jouissif là-dedans, c’est insupportable ».

Au quotidien, Marion refuse les sorties avec ses ami·es. Une fois par mois, elle s’autorise un restaurant, où elle sait qu’elle ne dépassera pas les 20 euros. Il est impensable de s’autoriser de l’alcool. Ces réflexes de survie, elle les a intégrés de longue date : « Je viens d’un milieu précaire, ma mère était au RMI. »

Marion ne se fait pas encore trop de souci. Elle pense qu’elle va finir par trouver quelque chose. Elle a commencé à rembourser les 6 000 euros de son prêt étudiant, à hauteur de 100 euros par mois. Car elle ne paye plus de loyer comme son immeuble a été déclaré en péril. « Je me sens moyennement en confiance mais je ne peux pas déménager car je n’en ai pas les moyens et personne ne me louera rien. »

Elle ne décolère pas face à cette proposition de travailler 15 à 20 heures par semaine.

« J’ai la chance d’être en ville, mais une personne excentrée devra payer l’essence pour se rendre sur son lieu de travail, de formation ou de bénévolat ? Ce sera quoi ? Un stage ? Un service civique sans limite d’âge jusqu’à 65 ans ? Vraiment, ça commence à se voir qu’on veut détruire les acquis sociaux. »

Par ailleurs, elle se demande comment conjuguer cela avec le reste. « Oui, dans l’absolu, je devrais avoir 15 et 20 heures de libre mais si on m’oblige à faire ça, ce serait compliqué pour moi de continuer à chercher du travail. Les associations n’ont pas à jouer le rôle du gouvernement. S’il y a des postes à 15 heures libres, ils devraient nous payer au Smic et pas un mi-temps à 500 euros. »

Surtout, la jeune trentenaire a déjà fait du bénévolat. Elle a aidé l’année dernière le site Covidliste qui répertoriait, au tout début de la campagne vaccinale, les doses de vaccins disponibles. « Je l’ai fait de mon plein gré car j’avais le temps, la volonté et l’espace mental pour le faire. Là, il y a un problème d’éthique autour du travail forcé. On me donne l’impression d’être un parasite, une bagnarde qui va se retrouver forçat. »

Par ailleurs, Marion ne s’explique pas pourquoi personne ne souligne que le marché du travail est presque saturé. Sans compter que l’accompagnement laisse parfois à désirer. Ainsi s’est-elle vu proposer une formation en boucherie.

La jeune femme déplore « cette culpabilisation » des personnes précaires et rappelle surtout qu’elle a déjà des obligations, notamment ses rendez-vous avec sa conseillère Pôle emploi. Elle a connu par exemple une suspension de RSA car elle n’avait pas envoyé à temps un papier sur son projet de retour à l’emploi à la Caisse d’allocations familiales.

Damien*, 40 ans, des Alpes-Maritimes. Cet ingénieur du son compte sur le RSA pour vivre depuis quatre ans : 497 euros chaque mois. Il a perdu son logement en région parisienne à cause de la crise sanitaire, et depuis est hébergé dans le Sud, où il s’acclimate mal. Ici, la politique de lutte contre la fraude est importante et les obligations nombreuses. Il a écopé d’une suspension car il a raté un atelier facultatif, assure-t-il. « On a juste droit à deux jokers. Moi, j’ai refusé de faire chauffeur-livreur car je n’ai pas conduit depuis 20 ans, et la restauration car j’ai des douleurs au dos. »

Damien vit très chichement, avec 143 euros précisément. Car il donne chaque mois 350 euros à sa mère qui pense qu’il gagne bien sa vie. « Je ne lui ai pas dit que je suis au RSA. » De stress, il s’est remis à fumer. Beaucoup. Ce qui lui coûte fort cher.

De prime abord, la proposition macroniste ne le réjouit pas. « C’est une guerre politique avec nous en plein milieu. On sert de chair à canon. »

Seulement, après réflexion, Damien n’est pas opposé à l’idée de demander aux bénéficiaires de s’acquitter d’une tâche bénévole, « même si ça fait un peu réactionnaire ». « Je pense qu’il faudrait créer un Emmaüs laïque, que les bénévoles puissent s’occuper des gens perdus dans le RSA, les démarches, etc. Encadré par des gens qui vous comprennent sans être montré du doigt, je ne serais pas contre. Il faut que les pauvres s’aident entre eux… »  

Fatiha, 61 ans, Dunkerque. Elle n’a pas attendu Emmanuel Macron pour faire du bénévolat, dit-elle. Responsable du groupe ATD Quart Monde de Dunkerque depuis 2010, elle raconte avoir cinq pages de son CV remplies par ses activités bénévoles. « Je fais ça du lundi au dimanche, ça ne changera rien pour moi. Mais si Macron fait ça, le RSA ne sera plus un droit et cela ne sera plus du bénévolat mais une obligation… »

En plus d’ATD Quart Monde, Fatiha s’occupe de distribuer de la nourriture aux migrant·es, des personnes âgées auxquelles elle rend visite deux fois par semaine grâce au CCAS de la ville. 

Cette sexagénaire a quatre enfants. Sa dernière vit avec elle et l’aide dans le quotidien. Fatiha touche 497 euros de RSA, pour 656 euros de dépenses nécessaires. « Ma fille qui touche son petit chômage de 366 euros me donne ce qui manque, soit 158,80 euros. Si je n’avais pas ma fille avec moi je vivrais dans la peur d’être expulsée. Ça fait trois ans que j’ai demandé un logement plus petit pour déménager. Elle est où ma dignité ? Qui s’en préoccupe ? Je ne veux pas que ma fille gâche sa vie à rester chez moi pour payer le loyer mais je n’ai pas le choix. »

Fatiha le répète à plusieurs reprises, elle veut rester active, mais pas qu’on l’oblige à le faire. Elle rappelle tous les obstacles qui se dressent face à elle et ses difficultés à s’insérer dans le monde du travail. Les contreparties au RSA ne règleront pas son problème, pense-t-elle. « Je préférerais travailler que dépendre du RSA. Mais je suis épileptique, je ne peux pas être avec les enfants, face à de la chaleur ou des produits ménagers car cela pourrait déclencher des crises, comme cela est arrivé par le passé. » Fatiha s’est formée au secrétariat, en vain.

Elle fait ce qu’elle peut, a suivi de mars 2020 à mars 2021 une formation expérimentale dans l’animation sociale, lancée par ATD et rémunérée pendant 9 mois (OSEE, pour oser les savoirs d’expérience), qui valide le savoir acquis sur le terrain. Elle a perdu 122 euros par mois sur son RSA et ses APL. Elle dénonce la maltraitance institutionnelle déjà subie quand on touche les minima sociaux. « La dame de Pôle emploi m’a dit de ne pas le faire. Elle m’a dit : “À votre âge, restez chez vous.” Mais à 62 ans, je ne suis pas une incapable. »

* Ces prénoms ont été modifiés à la demande des intéressé·es.  Une modification concernant le dossier MDPH de Sylvain a été effectuée le 24 mars.


 


 


 

 

Comment l’attaque contre le RSA nous mettra tous à terre

Rob Grams  sur www.frustrationmagazine.fr/

Dans cette campagne présidentielle lamentable, la compétition semble se faire sur qui fera la proposition la plus abjecte. C’est donc Valérie Pécresse qui, la première, avait lancé l’obscénité : conditionner l’allocation du RSA à du travail non salarié. 15 heures par semaine disait-elle. C’était sans compter Emmanuel Macron, notre thatchérien bas de gamme piqué au vif, qui a renchéri comme dans une scène de ventes aux enchères tirée d’un mauvais film : oui, les forcer à travailler, mais entre 15h et 20 heures par semaine.  Que vous soyez ou non allocataire du RSA, cette mesure risque de vous faire sérieusement morfler, mais nous avons encore quelques semaines pour tenter d’empêcher ça… 

L’objectif de faire travailler les gens en contrepartie du RSA, n’est pas juste celui, parfaitement ignoble, d’humilier les ultra-pauvres, les précaires, les chômeurs sans droits, les SDF, les jeunes, les gens fracassés par la vie qui ne sont plus en mesure de travailler. Il n’a pas pour simple vue de conforter les franges les plus ignares des franges bêtement droitières et bourgeoises de la population dans leur vision stéréotypée et facile d’allocataires du RSA fumant des joints devant des documentaires animaliers, grassement nourris et logés sur l’argent du contribuable. 

Il poursuit un second objectif, tout aussi grave que le premier : réduire le prix du travail à des niveaux en-dessous du seuil de subsistance. Car faire travailler en échange d’une allocation, ce n’est plus une aide sociale, c’est un nouveau type de contrat de travail, un contrat où l’on fera travailler les gens à des salaires qui ne leur permettent même pas de manger et de se loger. On a donc ici une des plus offensives les plus violentes de la bourgeoisie depuis au moins un siècle. 

La réforme du RSA : la création d’un nouveau salaire minimum à moins de 500 euros par mois

Car dans un pays qui connaît un chômage de masse (environ 7,4%, auxquels il faudrait rajouter les nombreux radiés injustement) en raison des politiques lamentables de Macron, de sa clique de bourgeois, et de ses prédécesseurs du Parti Socialiste, faire travailler de force pour des tarifs grotesques (moins de 7 euros de l’heure donc) les ultra-pauvres remplit une fonction : remplacer les emplois nécessitant peu ou pas de diplôme, normalement payés au SMIC, par des faux emplois, se rapprochant du travail forcé que l’on retrouve dans les dictatures très archaïques. 

On retrouve un peu ce genre de dynamiques avec les stages étudiants : alors que l’on fait croire qu’ils sont censés bénéficier aux étudiants, ils permettent de remplacer et de mettre en concurrence les jeunes arrivants sur le “marché du travail” par des stagiaires dociles, sous payés, à qui l’on apprend que se faire exploiter est une chance et une opportunité. Cela permet donc de faire drastiquement baisser les salaires à l’embauche de ces jeunes, ainsi que leur capacité de négociation et d’exigence, et donc, à moyen terme, de faire baisser le revenu des travailleurs en général.

Pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ?

Même chose pour les services civiques, dispositif créé en 2010 par Martin Hirsch sous Nicolas Sarkozy, censé favoriser “l’engagement de citoyenneté” des “jeunes de 16 à 25 ans” mais qui font en réalité passer pour du volontariat la situation de jeunes qui, ne trouvant pas de travail (comment en trouver si les postes ont été transformés en stages et en service civiques ?), n’ayant même pas encore l’âge pour toucher le RSA, sont donc obligés d’accepter de travailler pour 473 euros par mois. 

De la même manière : faire travailler les gens au RSA, c’est mécaniquement mettre beaucoup plus de gens au RSA. Car pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ?Comme le soulignait à raison un internaute, faire travailler 20h par semaine le 1,95 million d’allocataires du RSA revient à trouver chaque mois 160 millions d’heures de travail. Où sont-elles alors que partout on cherche du boulot ? La réponse est simple : chez ceux et celles qui travaillent déjà. 

Ainsi transformer le RSA en un salaire en-dessous des minimas sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires

Il permet également un net renforcement du rapport de force favorable à la bourgeoisie en rendant quasi-impossible la démission, déjà très compliquée en temps normal. Macron avait promis que nous pourrions toucher le chômage en cas de démission, ce n’est évidemment pas le cas (ou du moins il faut lire les astérisques pour comprendre les conditions délirantes dans lesquelles cela est possible). Le RSA est donc la seule garantie de pouvoir éventuellement subvenir à ses besoins vitaux si vous avez besoin de démissionner face à une situation insupportable. Avec cette mesure, vous saurez désormais que si vous démissionnez, vous ne quitterez votre travail que pour en trouver un autre, ou vous serez également exploités mais cette fois pour moins de 500 euros par mois. 

Le chômage est un job à plein temps

En dépit d’un fantasme droitier où le chômage et le RSA seraient un loisir de oisif, beaucoup de gens cherchent du boulot et n’en trouvent pas. Trouver un travail dans ce pays où la bourgeoisie règne en maître, impose toutes ses règles, tient du parcours du combattant et ce, à tout âge et presque à tous niveaux de diplôme.  

C’est évidemment quelque chose que les bourgeois et les macronistes (ce sont les mêmes) font semblant d’ignorer puisqu’ils n’ont jamais eu besoin de se bouger pour trouver un emploi : ça leur tombe dans les mains grâce au piston (on dit “réseau” chez eux) depuis qu’ils ont 20 ans.

Donc chercher un boulot, à considérer qu’on soit apte au travail, et ce n’est pas toujours le cas lorsque l’on est au RSA (pas seulement pour des raisons physiques, qui semblent être les seules parfois acceptées par les droitards) est un travail à plein temps. Car oui : écrire et envoyer des lettres de motivations et des CV (surtout lorsqu’on est pas à l’aise avec l’informatique), passer des tas d’entretiens humiliants, faire des tonnes de rendez-vous inutiles de flicage au Pôle Emploi et des formations abrutissantes, se déplacer en direct dans les entreprises pour quémander un emploi…tout ça prend un temps et une énergie folle, que l’on a pas si l’on travaille en plus 20 heures par semaine. 

Un projet qui traduit la nullité en économie de nos dirigeants

La vision du chômage comme un choix individuel montre bien le désintérêt complet et la parfaite nullité des bourgeois dans le domaine de l’économie (qu’ils confondent avec le “business”).  Ou à minima leur profonde mauvaise foi.  Le niveau de chômage d’un pays dépend évidemment de tendances macroéconomiques lourdes, de politiques économiques et de rapports de force entre les travailleurs et le capital. Quand après 2008 le chômage explose, sans d’ailleurs jamais retrouver depuis son niveau antérieur, ce n’est pas parce que la crise des subprimes aurait subitement déclenché chez les gens une immense vague de flemme et de fainéantise. Et lorsque les Grecs furent touchés de plein fouet avec d’un coup plus de 50% de chômage chez les jeunes ce n’est pas parce qu’ils avaient tous collectivement décidé de prendre une année sabbatique ! A quel degré de bêtise faut-il être pour penser ça ?

Ainsi transformer le RSA en un salaire en-dessous des minimas sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires. 

Le taux de chômage et le nombre d’allocataires du RSA a autant à voir avec la motivation de ces derniers que le prix de l’essence à la pompe en a avec la vôtre quand vous allez à la station-service : on ne rend pas responsable un individu victime d’une situation économique nationale ou mondiale. 

Dans cette logique, la transformation, en 2009 du RMI (le Revenu Minimum d’Insertion, créé sous le gouvernement de Michel Rocard en 1988) en RSA (Revenu de Solidarité Active) c’est-à-dire un an après le début d’une crise économique gravissime, avait déjà porté un premier coup de semonce à cette aide sociale, en renforçant le flicage des allocataires (obligations de pointage à Pôle Emploi, de s’inscrire à des formations inutiles etc.), rendant les concernés responsables de leur situation. 

Ne pas être apte à travailler, ou ne pas pouvoir gagner sa vie grâce à son travail, ce n’est pas être un fainéant  

L’idée répandue par des bourgeois sans aucun vécu, qui gagnent leur vie en faisant bosser les autres, que les allocataires du RSA seraient des “fainéants” ne résiste pas deux secondes à l’épreuve de la réalité.

Voici quelques exemples, parmi des milliers d’autres, où l’on peut être au RSA :

Vos enfants en bas âge viennent de mourir dans un accident de voiture. Les macronistes avaient voulu faire baisser le congé deuil d’un enfant de 12 à 5 jours avant de se rétracter devant le tollé. Dans le réel, endurer un deuil ne prend ni 12, ni 5 jours. Vous “décidez” alors de démissionner – vous ne toucherez pas le chômage, puisqu’on le touche pas quand on démissionne. Vous êtes donc au RSA. Est-ce qu’il est normal de vous forcer à bosser ?

Les SDF, 300 000 en France, on les force à bosser?  Les personnes qui ont eu un problème avec la drogue et qui essayent doucement d’en sortir, on les force à bosser ?

Les meufs harcelées sexuellement au taff, qui savent qu’elles n’ont aucune chance aux prud’hommes et qui décident donc de poser leur démission, on les force à bosser ?

Les agriculteurs qui bossent 80 heures par semaines mais qui gagnent pas un rond, on les fait bosser 20 heures de plus ?  Les personnes qui ont un problème de santé (environ 40% des bénéficiaires du RSA) ou un problème de dépression (environ 36% des bénéficiaires du RSA), on les force à bosser ?

Et les plus âgés en fin de droits ? Ceux qui n’ont pas encore 65 ans, le futur âge de départ à la retraite avec Macron, mais qui ne trouveront quand même plus de boulot parce que les employeurs leur riront au nez et qu’ils sont épuisés, on les force à bosser ?

J’ai moi-même été au RSA quelques mois. Je venais de finir mes études, et je n’avais plus droit à rien, si ce n’est à rembourser mon prêt étudiant. Au bout d’un mois et demi j’avais trouvé un job (ce qui est une chance). Sauf que paf, nous sommes en mars 2020 : Macron annonce le confinement généralisé. Mon employeur décale mon entrée jusqu’à nouvel ordre – 3 mois donc. Qu’est ce que j’étais censé faire selon les bourgeois ? Demander le RSA a-t-il fait de moi un fainéant ? J’aurais dû manger des racines pendant 3 mois et déménager dans un carton ? Ou bien aller à leurs travaux forcés et me mettre en danger ainsi que mes proches ?

Voilà les réalités derrière les a priori moisis de cette bourgeoisie cruelle, ignare, hors-sol, cynique à en crever. 

Pas envie de bosser ? Et alors ?

Mais allons plus loin. Quand bien même une minuscule minorité “profiterait” du RSA, refusant de se tuer à la tâche pour le capital, de faire des jobs pourris, inintéressants, nuisibles pour l’environnement et pour l’intérêt commun, et alors quoi ? 500 euros c’est peu dire que ce n’est pas la grande vie : on sait que cet argent sera entièrement dépensé et donc réinjecté dans l’économie. En quoi cela serait si grave ? Leur absence de travail – et encore faudrait-il accepter la définition capitaliste du travail qui ne valorise que ce qui a une valeur marchande, c’est-à-dire une valeur pour le capital, car donner de son temps pour des associations c’est du travail, le travail domestique c’est du travail, écrire pour Frustration c’est du travail… – ne serait pas “récompensée”, on donnerait simplement à ces derniers de quoi se nourrir ! 

En quoi cela serait plus grave que le fonctionnement du capitalisme où les riches ne gagnent de l’argent ni par leur travail, ni par leurs efforts ou leur “mérite” mais par leur propriété, c’est-à-dire en faisant bosser les autres et en volant le fruit de leur travail ? Bernard Arnault cumule plus de 150 milliards d’euros, soit 25 millions d’années de RSA, et le problème ce serait des personnes qui n’ont pas de quoi se nourrir et se loger et à qui on donne 500 euros par mois ? 

Il est plus qu’urgent que nous leur fassions changer de priorité.

publié le 24 mars 2022

Samedi, ils défileront
« contre la spéculation et le logement cher »

Alexandre Fache sur www.Humanite.fr

En préparation de la journée d’action du 26 mars, et à quelques jours de la fin de la trêve des expulsions, les signataires de la Plateforme Logement pour Tou. te.s (DAL, CGT, CNL…) ont déployé une banderole devant le ministère d’Emmanuelle Wargon.

C’est sans doute le sujet qui prend le plus de place dans le budget des ménages, et le moins d’espace dans la campagne présidentielle : le logement. Pour tenter de faire entendre un peu mieux la voix des mal-logés, des précaires et, plus généralement, de tous ceux qui souffrent de la crise de l’habitat en France, un collectif d’associations (DAL, Attac France, CNL, Mrap…) et de syndicats (CGT, Solidaires, FSU, CSF…), signataires de la Plateforme Logement pour Tou. te.s (www.pourlelogement.org), appelle à la mobilisation ce samedi 26 mars. Une dizaine de rassemblements sont prévus dans l’Hexagone, dont une manifestation à Paris, qui reliera, non sans arrière-pensées, la place de la Bourse (à 15 heures) au ministère du Logement, 246, boulevard Saint-Germain, en passant par quelques immeubles symboles de la spéculation immobilière dans la capitale, comme l’ancienne grande poste de la rue du Louvre, ou la Samaritaine du milliardaire Bernard Arnault. « Ce sera aussi une journée européenne de mobilisation et plus d’une centaine de rassemblements sont prévus sur le continent, notamment en Allemagne ou en Belgique », souligne Jean-Baptiste Eyraud, l’infatigable président du DAL, qui a déployé, jeudi 24 mars, avec quelques autres militants, la banderole de la « Plateforme » devant le ministère.

 « Macron, il veut faire du Thatcher vingt ans après »

« En dix ans, les recettes fiscales liées au logement sont passées de 57 à 79 milliards d’euros. Et pourtant, la part des dépenses, elle, a fondu, de 44 à 37 milliards d’euros, constate Jean-Baptiste Eyraud. Résultat, on ne consacre plus que 1,6 % du PIB à ce secteur, contre 2,2 % il y a dix ans. Il faut revenir à ce chiffre et réinvestir massivement si on veut loger dignement les gens et sortir ce bien essentiel des griffes du marché. » Un objectif qui n’est sans doute pas celui du président-candidat Macron, qui reste toutefois très discret sur le sujet. « Pas la peine qu’il nous donne le détail, on a vu son bilan, poursuit le président du DAL : baisse des APL, ponctions des bailleurs sociaux, constructions en berne, suppression de l’ISF… Et on a peur que demain, il fasse encore pire. » Une crainte partagée par les autres organisations présentes ce jeudi matin. « Macron, il veut faire du Thatcher vingt ans après, alors que même les plus libéraux outre Manche en sont revenus, de cette politique », résume Alain Gaulon, secrétaire confédéral de la CNL, qui alerte sur la reprise imminente des expulsions locatives.

Repoussée de plusieurs mois en 2020 et 2021, du fait de la crise sociale engendrée par le Covid, la fin de la trêve hivernale est bel et bien fixée cette année au 31 mars 2022. Aucune prolongation n’a été accordée, malgré la résurgence de la pandémie ces derniers jours. « On craint un raz-de-marée d’expulsions, 30 000 familles pourraient être concernées, alors qu’il s’agit d’une solution parfaitement indigne, abjecte, et même contre-productive économiquement. Car expulser des gens, puis les héberger après, coûte très cher. On ferait mieux de les accompagner pour qu’ils retrouvent la voie vers une autonomie financière », détaille Alain Gaulon. Secrétaire confédérale de la CGT chargée du logement, Véronique Martin s’indigne, elle, de l’immobilisme assumé de l’exécutif sur ce dossier, alors que des solutions existent. « Il n’y a jamais eu autant de logements vides en France, 3,1 millions en 2020 selon l’Insee, et le gouvernement ne fait rien. Il n’y a aucune politique de réquisition, les taxes sur la vacance ne sont pas dissuasives, et l’encadrement des loyers est beaucoup trop faible et limité géographiquement. » Résultat, l’écart se creuse d’année en année entre des super-propriétaires de plus en plus riches et des classes populaires écrasées par le coût du logement et de l’énergie.

 Chèque énergie et bouclier tarifaire, pas suffisant pour les ménages

Le coup de pouce au chèque énergie et le bouclier tarifaire sur le gaz protégeront-il suffisamment les plus modestes ? Les militants signataires de la Plateforme Logement pour Tou. te.s en doutent. « Ce sont des mesures insuffisantes pour les ménages, dont les conséquences financières vont par ailleurs retomber sur les bailleurs et les collectivités locales », analyse Alain Gaulon, de la CNL. « Ces petites aides sont toujours bonnes à prendre. Mais on ne fait que réparer le fait d’avoir livré le secteur de l’énergie au marché. La vraie solution, c’est qu’il revienne dans le giron du public, comme d’ailleurs le logement », suggère Véronique Martin, de la CGT. Jeudi après-midi, les militants apprenaient que leur manifestation de samedi était interdite par la préfecture de police, au motif que le trajet prévu empruntait « des rues commerçantes, étroites et touristiques ». « Cela fait deux fois en quelques semaines que la préfecture nous interdit de nous mobiliser, après le campement des mal-logés place de la Bastille. On avait fait casser cet arrêté, on espère faire de même avec cette interdiction », confie Jean-Baptiste Eyraud. Un référé-liberté doit être examiné sur le sujet ce vendredi 25 mars.

publié le 24 mars 2022

Ukraine. Un mois
après la guerre éclair,
le bourbier

Vadim Kamenka, Christophe Deroubaix, Marc de Miramon et Lina Sankari sur www.humanite.fr

Le président russe a envahi ce pays depuis un mois. Ce conflit criminel décrété par le Kremlin, qui a déjà causé des milliers de morts et une crise humanitaire, s’enlise, semblant refléter une erreur stratégique de la part de Moscou.

Vladimir Poutine a décrété l’invasion de l’Ukraine dans la nuit du 23 au 24 février. L’offensive visait des installations militaires et plusieurs localités : Kharkiv, Kiev, Marioupol, Odessa. Un mois et des milliers de morts plus tard, qui s’ajoutent aux 14 000 victimes du conflit dans le Donbass depuis 2014, la Russie détient, à l’exception de la ville assiégée de Marioupol, les pourtours de la mer d’Azov et a avancé le long de sa frontière terrestre et de celle de la Biélorussie. Néanmoins, aucune grande ville, excepté Kherson, n’est tombée.

1. Pour Poutine, une guerre déjà perdue ?

À 4 heures du matin, le 24 février, le président russe prend la parole dans un discours télévisé. Il annonce :  « Conformément aux traités d’amitié et d’assistance mutuelle avec les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ratifiés par l’Assemblée fédérale le 22 février de cette année, j’ai pris la décision de mener une opération militaire spéciale. » Vladimir Poutine venait de reconnaître, deux jours plus tôt, l’indépendance des deux républiques autoproclamées. Il déclenche une guerre, avançant comme objectifs « la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine » et la protection des « personnes victimes d’intimidations et de génocide par le régime de Kiev depuis huit ans ». Critiquant « l’expansion de l’Otan », il dénonce l’absence de prise en compte des demandes de Moscou concernant sa sécurité.

Quatre semaines plus tard, l’offensive « s’enlise malgré toutes les destructions », a affirmé, mercredi, le chancelier allemand Olaf Scholz. Les importantes difficultés militaires font douter d’un succès sur le terrain. « Tout dépend du but de Vladimir Poutine. Est-ce s’arroger l’accès à la mer d’Azov, fortifier le Donbass et obtenir quelques victoires symboliques, ou faire capituler Volodymyr Zelensky ? La seconde option semble désormais peu probable », analyse une journaliste russe.

Avant le conflit, les diverses demandes diplomatiques russes portaient sur la neutralité de l’Ukraine, sa démilitarisation et la renégociation d’une architecture de sécurité en Europe avec les États-Unis. La pression verbale et militaire exercée par Poutine l’a emmené jusqu’à la guerre, pour ne pas faire face à un échec. « Englué dans une surenchère meurtrière, il provoque le rapprochement de l’Otan de ses frontières, une Ukraine surarmée avec une perspective réelle d’association et le retour des États-Unis et de l’Alliance atlantique en Europe », analyse l’historien Andreï Gratchev. Pour sortir de cet échec, quelle que soit l’issue de la guerre, l’idée de faire passer une défaite pour une victoire est évoquée par Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences en science politique à l’université de Nanterre : « Il est possible d’obtenir une concession de la part de Kiev et de la présenter en interne comme un succès. Mais on n’en prend pas le chemin. » Et Poutine s’enferme dans un discours fasciste et la répression.

2. Le regain du sentiment national ukrainien

Depuis quatre semaines, le conflit a servi de catalyseur pour unifier le pays contre l’envahisseur. Les bombardements quotidiens, les centaines de morts, les destructions ont réveillé un sentiment national dans la société et sur l’ensemble du territoire. « On se souvient tous du jour de l’attaque. Au fur et à mesure des jours et du sang versé, tous souhaitent combattre et aider pour stopper cette agression », témoigne Sveta à Odessa, sur les bords de la mer Noire. La résistance des Ukrainiens a surpris Vladimir Poutine, persuadé que sa guerre éclair et la destruction des installations militaires suffiraient au soulèvement des populations russophones dans l’Est, voire à  leur adhésion et la capitulation. Au contraire, les liens économiques, culturels, familiaux avec la Russie sont devenus secondaires. « Au niveau régional, la Russie veut montrer que la guerre réside dans la défense du russe. Ce qui est faux. De nombreux russophones depuis 2014 s’opposaient déjà à Vladimir Poutine et défendaient l’indépendance de l’Ukraine », nous expliquait récemment l’écrivain Andreï Kourkov. Une erreur stratégique de Poutine, qui voit désormais de nombreux Ukrainiens russophones dans l’Est et le Sud se tourner vers l’ukrainien par élan national. Après huit années de guerre au Donbass, dans les villes reprises par l’armée russe, un ras le bol s’affirme sur cette nouvelle page du conflit au nom de la paix. « Détruire et tuer, cela ne résout rien », condamne Tania.

3. Un enlisement comme en Afghanistan ?

Vladimir Poutine a surestimé la force de frappe de son armée, tout en sous-estimant la puissance du sentiment national ukrainien. Pour autant, ces deux erreurs majeures d’appréciation expliquent-elles, à elles seules, l’enlisement militaire de la troisième armée la plus puissante au monde, qui évolue, de plus, sur une topographie familière, les plaines ukrainiennes ne présentant pas franchement les mêmes problèmes opérationnels que les montagnes afghanes ? À l’évidence, l’aide apportée par les Occidentaux est déterminante. Depuis le début, Washington revendique le partage de renseignements, facteur nodal dans les conflits armés. La livraison d’armes des pays occidentaux a évidemment renforcé la capacité militaire ukrainienne. Selon l’ancien général américain Ben Hodges, interviewé par l’Express, « les jours prochains seront déterminants pour l’issue du conflit. Nous sommes à un moment décisif, car les Russes sont en sérieuse difficulté ».

4. États-Unis et Chine, les grands vainqueurs ?

La rivalité entre les États-Unis et la Chine s’annonçait comme la matrice géopolitique du XXIe siècle. L’invasion d’un pays souverain par un pays membre du Conseil de sécurité est-elle de nature à rebattre ces cartes ? Après un mois de conflit, la position de Washington est clairement renforcée. Alors que, dans un premier temps, les pays européens se sont placés sur la ligne de front diplomatique (sanctions, question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, fourniture d’armes à l’armée ukrainienne), Washington a retrouvé et même renforcé depuis sa place de leader. Son bras armé – l’Otan – est passé d’un état de « mort cérébrale » (diagnostiqué par Emmanuel Macron) à celui d’alliance relégitimée.

Quant à la défense européenne, le sommet du 24 mars à Bruxelles va entériner sa sujétion à l’organisation atlantiste, avec la bénédiction directe de Joe Biden. D’une certaine façon, le président états-unien voit prendre forme sa coalition des démocraties, pour laquelle il avait tenu un sommet en décembre dernier. Sauf que l’autonomisation de certains « alliés » sur ce sujet (Israël et Inde) lui dénie la possibilité de se décréter nouveau chef du « monde libre » comme le fit, en son temps, Ronald Reagan.

La Chine, elle, manie la prudence. Pékin appelle à des pourparlers, assure comprendre les craintes de son allié russe liées aux velléités d’élargissement de l’Otan tout en rejetant le séparatisme de Donetsk et Louhansk qui évoque, à ses yeux, la situation taïwanaise. Pour autant, la deuxième puissance mondiale n’est à l’origine d’aucune initiative diplomatique connue. Si elle permet à Pékin de jauger les réactions de son rival états-unien, la crise ukrainienne entrave toutefois sa stratégie économique des nouvelles routes de la soie qui s’accommodent mal d’une dégradation de la sécurité en Europe.

La Chine ne peut prendre le risque de se couper des marchés d’exportation occidentaux et du système financier international pour sortir la Russie de son isolement. En revanche, les autorités chinoises pourraient en profiter pour renforcer leur emprise sur le puissant voisin, devenu, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, le premier partenaire économique du pays. Une forme de vassalisation qui ne dit pas son nom.

5. Des négociations de paix incertaines

Face à un Vladimir Poutine inflexible sur ses objectifs de guerre, la marge de manœuvre de Volodymyr Zelensky paraît bien étroite, même si le président ukrainien a reconnu le caractère « nécessaire » des futures négociations qui ne s’annoncent « ni faciles ni agréables ». En pilonnant Marioupol et en encerclant Kiev tout en avançant vers le port stratégique et russophone d’Odessa, l’armée russe vise la capitulation du gouvernement de Zelensky.

Pour la Russie, il symbolise une Ukraine tournée vers l’Ouest, favorable à l’adhésion à l’Union européenne et à l’Otan, voire à une sortie du mémorandum de Budapest (qui garantit, entre autres, le statut du pays comme puissance non nucléaire), comme l’a évoqué le président ukrainien lors de la dernière conférence de Munich sur la sécurité en février 2022, quelques jours avant le déclenchement de l’offensive russe. En clair, Moscou exige le retour d’un État tampon, voire croupion à ses portes, tandis que Kiev prétend faire valoir ses droits de peuple libre et souverain, quitte à faire basculer les équilibres sécuritaires issus d’un monde post-guerre froide, adoptés dans la douleur afin de limiter les risques de conflit nucléaire. Volodymyr Zelensky a d’ailleurs promis qu’il soumettrait les termes d’un hypothétique accord de paix à référendum.


 


 


 


 

Solidarité.
Pour soutenir
les réfugiés,
les déclarations
ne suffisent pas

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

La xénophobie et le manque d’investissement réel des États membres de l’Union européenne continuent de plomber l’élan de solidarité avec l’ensemble des exilés venus d’Ukraine.

Pour eux, on ne parle pas de « crise migratoire » mais bien d’« élan de solidarité » et de « protection ». Selon l’ONU, le nombre de réfugiés ukrainiens ayant rejoint un État de l’Union européenne dépassait, lundi 21 mars, les 3,5 millions de personnes. Trois semaines après la toute première activation de la « directive de protection temporaire », pourtant adoptée il y a plus de vingt ans, l’UE découvre enfin que, au lieu de pratiquer contrôles et maltraitance aux frontières, l’ouverture de voies légales et l’accès au travail des réfugiés peuvent bel et bien fonctionner.

Une occasion pour le président de la Commission européenne de relancer l’appel, ce mercredi 23 mars, à la mise en œuvre du Pacte européen sur la migration et l’asile. « Tout ce qui s’est passé depuis son adoption (en 2020 – NDLR) nous rappelle que nous avions raison, a-t-il déclaré, le 22 mars. La crise à Evros (…), le feu de Moria, la crise en Biélorussie, la situation à Calais, maintenant l’Ukraine. Tout cela montre que l’Europe a besoin d’un cadre pour la migration et l’asile. » En France, pas moins de 26 000 réfugiés ukrainiens, dont 2 433 enfants d’ores et déjà scolarisés, « ont été recensés (…) depuis la fin du mois de février », a déclaré Jean Castex, le 21 mars.

Un système de tri

Mais l’ombre de la xénophobie, présente au cœur des politiques migratoires européennes, continue cependant d’obscurcir ce tableau, radieux de prime abord… Trente-trois ONG africaines ont publié, le 4 mars, un communiqué exprimant leur « préoccupation face aux actes dégradants et inhumains que les ressortissants africains vivant ou résidant en Ukraine subissent, ont-elles écrit. S’ajoutent les actes xénophobes orchestrés par les autorités polonaises, qui procèdent de manière sélective (...) sur des critères liés à leur couleur de peau ».

Un système de tri qu’on retrouve également à la frontière franco-italienne. « Des ressortissants d’États tiers à l’UE (…) ont été remis aux autorités italiennes », indiquait, dimanche 13 mars, la préfecture des Alpes-Maritimes, en application d’« instructions nationales ».

La protection accordée par l’UE devait pourtant, au départ, s’appliquer aussi aux conjoints étrangers d’Ukrainiens et aux réfugiés résidant dans le pays avant la guerre. Mais une instruction du gouvernement français, adoptée le 10 mars, prévoit d’en exclure finalement certains « ressortissants de pays tiers ». Les associations de défense des droits des étrangers, dont France Terre d’asile et la Cimade, expriment à ce propos leur grande inquiétude.

L'Humanité lance une opération de solidarité concrète en partenariat avec le Secours populaire français : pendant un mois, nous appelons nos lectrices et lecteurs, amies et amis, à leur envoyer des dons et des mots pour la paix.
Vous pouvez télécharger ici le formulaire de don en PDF.

Une autre ombre au tableau est la conséquence du manque de moyens investis par les États dans l’accompagement des réfugiés ukrainiens, géré en grande partie par la société civile européenne, comme nous l’avions constaté lors de nos reportage en Pologne. « Le nombre de victimes potentielles arrivant d’Ukraine est susceptible d’attirer (...) des réseaux spécialisés dans le trafic d’êtres humains », a averti Europol en début de semaine.

 


 

Réfugiés : en France, les uns arrivent, les autres sont expulsés !

Loan Nguyen sur www.humanite.fr

En Essonne, 49 jeunes migrants risquent d’être remis à la rue sans solution d’ici vendredi. Ils dénoncent une mesure visant à faire de la place aux réfugiés ukrainiens.

« On doit être sortis sous quarante-huit heures, sinon la police va nous expulser », s’insurge Sekou Keita (*), 15 ans, visiblement paniqué. Ce mineur, venu seul de Guinée, a passé environ trois semaines à la rue avant que la préfecture de l’Essonne ne lui accorde, mi-janvier, une mise à l’abri en hôtel, à Ormoy. Les services de l’État s’apprêtent à le remettre à la rue, sans solution de relogement, comme 48 autres jeunes, une semaine avant la fin de la trêve hivernale...

« C’est d’une brutalité sans nom »

« Ils nous ont dit que, si on voulait rester, il fallait faire une demande d’asile », explique le jeune homme, courrier officiel à l’appui. Sauf qu’une telle procédure signifierait abandonner leur recours pour être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. En effet, les jeunes hébergés dans cet hôtel ont tous vu leur minorité contestée par la Croix-Rouge, prestataire de service pour le département de Paris. Une décision malheureusement courante, donnant lieu de la part des demandeurs à un recours devant le juge des enfants, qui doit prochainement se prononcer sur leur situation administrative.

« On ne voit pas bien sur quelle base légale la préfecture s’appuie. C’est d’une brutalité sans nom », dénonce Pierre Mathurin, coordinateur parisien de l’association Utopia56, qui aide les personnes exilées lors de maraudes. Pour les jeunes comme pour l’association qui les accompagne, la nécessité de mettre à l’abri les milliers d’Ukrainiens arrivant en France ne serait pas étrangère à l’empressement des services de l’État à faire sortir ces mineurs de leur hébergement. « C’est à partir du moment où des Ukrainiens ont commencé à venir à l’hôtel qu’ils ont poussé pour qu’on sorte », affirme Sekou Keita. « Le directeur (de Grandissons ensemble, la structure qui héberge les mineurs, mais aussi des demandeurs d’asile – NDLR) nous a dit que l’hôtel allait fermer, mais les Ukrainiens et les familles qui sont là, on ne leur demande pas de sortir à eux ! » souligne-t-il.

Faire de la place aux Ukrainiens

Si la préfecture de l’Essonne nie les expulser pour faire de la place aux Ukrainiens, sur le terrain le doute subsiste. « On voit bien depuis quelques semaines, depuis que les premiers Ukrainiens ont commencé à arriver en France, qu’on leur donne la priorité. Par exemple, on a été très surpris de n’avoir aucune mise à l’abri depuis deux semaines des demandeurs d’asile afghans, dont le campement déborde à Pantin », regrette Pierre Mathurin.

Du côté de la préfecture de l’Essonne, on explique que le recours des jeunes devant le juge des enfants n’étant pas suspensif, « (ces) personnes sont donc considérées comme majeures et relèvent du droit commun ». « Elles se trouvent par conséquent en situation irrégulière sur le territoire national, et ne peuvent donc plus être prises en charge dans ces sites temporaires. Elles peuvent solliciter l’hébergement de droit commun (115) ». En attendant, les jeunes attendent la peur au ventre que la police les sortent de leur chambre d’hôtel, mais refusent d’évacuer les lieux.

(*) Le prénom et le nom ont été modifiés.

publié le 23 mars 2022

CAC 40 : 160 milliards d'euros de bénéfices,
« ce n’est pas vraiment de bon augure... »

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

L’année fiscale se clôt et les entreprises ont publié leurs résultats record, annonçant des distributions de dividendes tout aussi exceptionnelles en 2022.

Il n’y a pas de quoi se réjouir. Le journal les Échos a compilé, lundi, les 38 résultats cumulés disponibles des multinationales du CAC 40. Les bénéfices enregistrés en 2021 atteignent un montant record de 160 milliards d’euros, qualifié d’« historique » ou encore d’« exceptionnel » par le quotidien financier. Des qualificatifs élogieux que ne partage pas Maxime Combes. « Le précédent record de profits comparable était en 2007, juste avant l’éclatement de la crise financière. Ce n’est pas vraiment de bon augure », insiste l’économiste de l’Observatoire des multinationales.

Nombreuses aides publiques touchées par ces multinationales

Dans l’ensemble, ces grands groupes font valoir le rattrapage de l’activité de 2020, ralentie par la pandémie, pour expliquer leurs résultats indécents. Dans les faits, ces multinationales n’ont pas souffert du Covid, à quelques exceptions près, comme Renault, qui était mal en point avant, ou Airbus. « Au contraire, ces entreprises sont restées fidèles à leurs principes : ne jamais oublier de profiter d’une bonne crise en sabrant dans leurs coûts et dans leurs effectifs », assure Maxime Combes. Ainsi les seules entreprises du CAC 40 se sont saisies du prétexte du Covid pour supprimer 60 000 emplois dans le monde, dont près de 30 000 en France. La sous-traitance a aussi été saignée : toutes les fonderies françaises des constructeurs automobiles sont par exemple menacées. « Le gouvernement affirme que les profits de 2021 sont les emplois de 2022. Ce n’est pas vrai ! Les suppressions d’emploi de 2020 sont les profits de 2021 et seront les dividendes de 2022 », corrige l’économiste, qui n’oublie pas non plus de regretter les nombreuses aides publiques massivement touchées par ces multinationales, alors qu’elles n’en avaient pas besoin.

« Avec la guerre en Ukraine, les cours s’envolent »

Cette logique dure encore aujourd’hui. Air Liquide – 2,6 milliards de bénéfices – touche 200 millions d’euros de subvention pour installer une usine près de Rouen. Total – 14,2 milliards de profits – reçoit une aide publique pour une « gigafactory » de batteries… Sans oublier le crédit impôt recherche dont profitent proportionnellement plus les sociétés du CAC 40, ni les rachats de titres de dettes de ces entreprises par la Banque centrale européenne. « Et ce n’est pas fini, car, avec la guerre en Ukraine, les énergéticiens voient les cours s’envoler, leurs profits aussi », renchérit Maxime Combes.

« La question d’une taxation exceptionnelle de ces bénéfices »

Pour 2021, Vivendi, détenu par Vincent Bolloré, affiche les plus gros profits, avec 24,7 milliards d’euros : des revenus exceptionnels liés à la vente d’Universal. Derrière, TotalEnergies, habitué des premières places qui lui aussi bat son record de 2007, devance Stellantis, ArcelorMittal et LVMH, entre 13 et 14 milliards de bénéfices chacun. La BNP et Axa s’approchent des 10 milliards. Sanofi fait un peu pâle figure avec « seulement » 6,2 milliards, loin des 12,3 accumulés en 2020 au cœur de l’épidémie.

« En ces temps de calamités, il faut poser la question d’une taxation exceptionnelle de ces bénéfices, conclut Maxime Combes. La pandémie n’est pas finie. L’hôpital est au plus mal. On n’a toujours pas de purificateur d’air dans les écoles. Il y a une guerre et des réfugiés qu’il faut accueillir. Sans parler d’une transition énergétique à mener à bien… Et ces entreprises se permettent de cumuler 160 milliards de bénéfices en contribuant si peu à l’effort collectif. »

publié le 23 mars 2022

 

Les menaces électorales

du candidat Macron.

Communiqué de presse du syndicat Solidaires sur https://solidaires.org/

Promesse de 2017 pour les retraités non tenue ...

En 2017, le candidat Macron avait notamment « promis », s’adressant aux personnes retraitées, de maintenir leur pouvoir d’achat. Nous savons qu’il n’en a rien été, il a même fait pire en diminuant les pensions en 2018. Cette fois, aucune promesse de ce genre, aucune promesse, d’ailleurs, globalement, quant à l’amélioration du pouvoir d’achat du plus grand nombre (salaires et pensions).

mais nouvelle avalanche de promesses pour les riches

En revanche, son programme électoral actuellement diffusé auprès des électeurs et des électrices contient un certain nombre de mesures qui sont autant de menaces pour le plus grand nombre et autant de promesses pour la minorité privilégiée qui verront leur situation confortée et leurs avantages renforcés.

Nouveau recul de l’age de la retraite

Une mesure « phare » de son « nouveau contrat social » est de repousser à 65 ans l’âge légal de départ en retraite en tenant compte, est-il précisé, de la « réalité des métiers et des tâches » ... alors qu’il a réduit la liste des métiers pénibles. Avec une telle mesure il assure aux employeurs, aux patrons des entreprises, qu’ils disposeront encore d’un confortable « volet de chômage », ce qui permet de penser que celles et ceux qui sont en emploi se tiendront « à carreau » pour éviter de « tomber au chômage ». Faire travailler plus longtemps celles et ceux qui sont déjà en emploi salarié c’est retarder d’autant l’embauche des jeunes, c’est accroître la compétition entre elles et eux, c’est avoir des jeunes diplômés aux exigences salariales réduites. Avoir un fort taux de chômage, c’est garantir aux patrons que leurs salariés accepteront plus facilement des conditions de travail, d’emploi et de rémunération dégradées. Pour chaque personne, lui reculer l’âge de départ en retraite, c’est lui voler ses meilleurs années de retraite, celles au cours desquelles elle aurait encore pu « profiter » un peu, de ses parents peut-être, de ses enfants et petits-enfants, d’engagements bénévoles, de réalisation de quelques vieux rêves, etc. La durée de vie moyenne à la retraite s’est raccourcie : la génération 1949, partie à 60 ans en 2009, avait l’espoir de passer 26,3 ans en retraite ; avec la réforme Macron la génération 1972 ne peut espérer que 24,7 ans en retraite. Faire travailler plus longtemps les personnes, c’est les obliger, soit à rester plus longtemps au chômage (31 % y sont à partir de 60 ans), soit à les maintenir au travail alors qu’elles sont de plus en plus fatiguées et usées : ces années de travail ajoutées seront les plus difficiles pour chacune et chacun. Et nous savons ce qu’a déjà fait Macron quant aux promesses de prise en compte de la « pénibilité » dans les départs en retraite.

Faire travailler les retraités

Le candidat Macron n’a pas signé le décret pour la retraite à 1 000 euros prévue dans les lois de 2003 et 2019, pourtant il annonce une « retraite minimale à taux plein à 1 100 euros » ... mais seulement pour celles et ceux qui ont cotisé durant toute la durée requise. C’est très loin des demandes syndicales, c’est très loin de répondre aux besoins des personnes, et particulièrement des femmes, nombreuses à ne pas avoir le « taux plein » compte tenu de leurs « carrières professionnelles ». Macron annonce aussi vouloir faciliter le cumul emploi- retraite, notamment pour rémunérer les volontaires à la retraite qui souhaitent faire profiter la société de leur expérience. Il est certain que ceci ne concernera pas les personnes qui sortent de l’emploi cassées par leurs années d’activité et qui ont les plus petites pensions.

Rogner sur les allocations sociales

Une autre mesure qui caractérise déjà la politique retenue par Macron c’est son intention de conditionner le versement du Revenu de Solidarité Active (RSA) à une activité de 15 à 20 heures par semaine en contrepartie de ce minima social, officiellement « pour aller vers l’insertion professionnelle ». En été 2017, le président des riches avait déjà fait des siennes en rognant de 5 euros les APL. Là, encore une fois, il veut taper sur les plus faibles ; pendant le même temps, les cadeaux fiscaux continuent de ruisseler sur les actionnaires et les dividendes, sans aucune contrepartie ! Dans la même veine, Macron va poursuivre la réforme de l’assurance chômage « pour l’adapter à la conjoncture ». Les pauvres doivent souffrir, qui « coûtent un pognon de dingue ». Le programme contient aussi un durcissement de l’accès aux titres de séjour. C’est encore un cadeau fait aux employeurs : maintenir des migrantes et des migrants dans la clandestinité, en leur refusant des papiers, c’est offrir aux patrons une main d’œuvre « taillable et corvéable », sans droits ni protections.

Et des cadeaux aux riches

De nouveaux cadeaux fiscaux et sociaux sont programmés pour « ceux d’en haut » : suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (coût annuel : 7 milliards d’euros, et là, sans contrepartie ni engagement) et abaissement des droits de succession, notamment en portant de 100 000 à 150 000 euros l’abattement en ligne directe : un cadeau qui va donner bien plus que le RSA aux héritiers des familles !

Laisser les EHPAD à la convoitise des actionnaires

Pour les personnes retraitées, nous voyons que le recours au « tout numérique » sera poursuivi et renforcé : c’est de l’exclusion garantie pour une bonne partie de la population ; ce sont de nouvelles fermetures de guichets, de bureaux et d’administrations de proximité. Le « virage domiciliaire », en ce qui concerne l’aide à l’autonomie, sera poursuivi : pas de constructions d’EHPAD publics, et incitation faite aux personnes de vivre chez elles, même quand ceci leur devient très difficile, car il n’y a aucun engagement d’améliorer le nombre et la situation des personnels des services de l’aide à l’autonomie, à domicile comme en établissement. Pour montrer que le candidat « suit l’actualité », on nous annonce « un renforcement des contrôles dans les EHPAD, mais ce secteur sera toujours ouvert à la convoitise des « investisseurs privés » du fait du retrait du secteur public.

Quant à nous, notre « promesse », faite à ce candidat comme à tout autre, est que nous continuerons de nous battre pour nos revendications et pour une société plus libre, plus juste, plus démocratique et plus solidaire.

(les intertitres sont du site 100paroles.fr)


 

 

 

Élection présidentielle :

répondre aux aspirations

de la population

et du monde du travail

sur le site www.cgt.fr

Loin de sous-estimer l’enjeu des élections présidentielles et législatives, la CGT constate scrutin après scrutin, le désintérêt croissant des citoyennes et des citoyens pour le suffrage universel. C’est particulièrement vrai pour les plus jeunes, pour celles et ceux habitant les quartiers populaires et les plus démunis d’entre nous. Malgré l’attachement de notre organisation syndicale au droit de vote, comment ne pas comprendre ce désintérêt pour les urnes ?

Une évidence face à tant de mépris, tant de promesses et d’engagements non tenus, face à une véritable méconnaissance de la réalité du travail de la part de très nombreux candidats et à un éloignement des préoccupations du quotidien des citoyennes et des citoyens !

L’actuel Président de la République s’est fait élire sur des promesses de changement, une autre façon de faire de la politique, un autre rapport à la population. Force est de constater que rien n’a changé, cela s’est même nettement dégradé en tout point.

Cela fait suite à d’autres quinquennats où les reniements aux engagements et promesses de campagne ont fait loi, et ont conduit à un accroissement des inégalités avec des milliardaires qui s’enrichissent, la précarité et la pauvreté qui augmentent.

Dans ces conditions, rien d’étonnant à la défiance grandissante de la population et particulièrement des plus jeunes vis-à-vis du monde politique.

Ces reniements, ces politiques libérales font le lit de l’extrême droite et des différents candidats ou candidates qui la représentent.

Ces derniers tentent d’imposer leurs idées dans la campagne électorale et sont trop souvent relayés par certains médias.

Nous assistons à une banalisation du racisme, du négationnisme et de toutes les formes de discrimination, c’est un vrai danger pour notre démocratie.

La CGT combat et combattra sans relâche les idées racistes et xénophobes, cette opposition orchestrée au sein du monde du travail visant à épargner les véritables responsables de la crise.

Car l’extrême droite fascisante est dans le camp des ultras libéraux avec des prétendues solutions économiques et sociales inspirées par le MEDEF comme c’est le cas, entre autres, pour les retraites, les salaires, les libertés notamment syndicales, et plus globalement concernant la répartition des richesses.

Face à la montée de ces idées racistes et haineuses, la CGT se félicite de la montée des luttes et des mobilisations sociales, remettant au centre des débats les premières préoccupations de la population que sont bien les salaires, l’égalité entre les femmes et les hommes, la protection sociale, la place et le rôle des services publics, l’industrie, le climat, la Paix…

Démonstration est faite que l’intervention des travailleurs et des travailleuses est indispensable et que cela pèse dans le débat public. Il est donc important que le monde du travail s’empare de ce moment démocratique que sont les élections.

Par ailleurs, la CGT appelle à amplifier ces mobilisations dans les entreprises et services car il n’y a pas de véritable démocratie politique sans démocratie sociale, sans intervention du monde du travail.


 


 

 

 

Les Français favorables à plus d'actions contre les discriminations

Camille Bauer sur www.humanite.fr

Le soutien des Français aux mesures contre les inégalités basées sur l’origine supposée se renforce, selon le sondage annuel Harris Interactive pour la Fédération des Maisons des potes, rendu public ce lundi 21 mars.

Cela peut paraître contre-intuitif, au regard de la teneur de la campagne électorale : les Français demeurent très majoritairement favorables à des actions plus volontaristes contre le racisme. À 84 %, ils soutiennent l’adoption de sanctions juridiques contre les employeurs coupables de discriminations liées à l’origine, la nationalité, la couleur de peau ou la religion, selon le sondage annuel Harris Interactive pour la Fédération des Maisons des potes, rendu public ce lundi 21 mars.

Ils sont également très nombreux (84 %) à vouloir un salaire et une retraite égal, quelle que soit la nationalité. 79 % soutiennent les actions collectives en justice (class actions) sur ce thème et 75 % sont favorables à une anonymisation des CV lors des embauches.

« Ce qui est frappant, c’est que le fait de parler d’égalité et de lutte contre les discriminations est vu de manière positive, et cela de manière assez stable depuis plusieurs années », souligne Jean-Daniel Lévy, le directeur délégué de l’institut de sondage. Quoique moins massif (61 %), le soutien à l’intégration des étrangers dans la fonction publique reste également fort. « On voit pourtant, par exemple, des enseignants étrangers qui, faute de pouvoir être titularisés, travaillent comme vacataires. Ils n’ont pas les mêmes caisses de retraite, pas de stabilité de l’emploi et pas le même salaire que leurs collègues », rappelle Samuel Thomas, délégué général de la Fédération des Maisons des potes.

« 500 000 sans papiers exploités, sans le moindre droits »

Les Français semblent bien conscients que les préjugés font obstacle aux promesses d’égalité de la République. Dans son dernier rapport sur le sujet, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) notait d’ailleurs que « de façon systématique, et malgré le principe d’égalité entre citoyens, les membres de certaines minorités visibles se retrouvent plus souvent discriminés dans l’accès à l’emploi, plus souvent contrôlés par la police, moins bien logés, sous ou mal représentés dans les médias ».

Plus surprenant : à rebours d’une idée couramment admise, la régularisation des travailleurs sans papiers se voit soutenue à 59 %. « Ce n’est pas un sujet de campagne parce qu’il y a un discours qui dit que, si on régularise, on fait un appel d’air. Mais donner des droits à ceux qui sont là ne veut pas dire ouvrir les frontières tous azimuts. Il y a, d’après le ministère de l’Intérieur, 500 000 travailleurs sans papiers. Ils sont en situation d’exploitation, sans le moindre droit. En les maintenant dans cette situation, on les empêche de sortir de la précarité et on tire le droit du travail vers le bas » rappelle Samuel Thomas. Quant au droit de vote des résidents étrangers aux élections municipales, promesse aujourd’hui délaissée par toute une partie de la gauche, il est encore soutenu à 56 %.

C’est pourtant bien dans l’électorat de gauche que, sans surprise, ces propositions sont le plus plébiscitées. Chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, par exemple, les mesures contre la discrimination dans l’emploi recueillent plus de 90 % d’approbation. « Malgré tout, le clivage traverse aussi une partie de l’électorat de droite et d’extrême droite », nuance Jean-Daniel Lévy. Ainsi, les électeurs de Valérie Pécresse sont 84 % à vouloir une rémunération et une retraite égales, quelle que soit la nationalité, et 73 % sont en faveur des CV anonymes. « La façon dont on pose les questions induit les réponses, explique le sondeur. Si vous parlez de migrants ou si vous mettez en avant l’angle discrimination, vous n’obtenez pas la même chose. »

La justice est un autre maillon faible de ce combat

Alors pourquoi ce thème populaire n’est-il plus évoqué par les politiques ou les médias ? « Les forces politiques de gauche sont démobilisées sur ces sujets. Elles sont silencieuses parce qu’elles pensent que défendre des étrangers ne va pas séduire les Français, mais aussi parce que les enfants d’étrangers, les gens des quartiers, ne votent pas beaucoup », estime Samuel Thomas.

Le militant regrette qu’au fil des ans la gauche ait fini par se contenter d’une posture défensive, au lieu de porter le débat et d’amener des propositions concrètes, qui seraient soutenues par leur électorat, soucieux d’égalité. Fabien Roussel, le candidat communiste, devrait d’ailleurs se prononcer sur ce thème lors d’un prochain meeting.

La justice est un autre maillon faible de ce combat. Bien qu’en principe dans l’obligation de faire respecter la loi de 1972, sanctionnant les comportements racistes et les discours de haine, l’appareil policier et judiciaire se montre frileux. « Au lieu de leur demander d’agir, on a créé des autorités adminis­tratives indépendan­tes, comme le Défenseur des droits et la Haute Autorité pour la lutte contre les discriminations et pour l’égalité. On les a déresponsabilisés. Or, seule la justice a le pouvoir de sanction », rappelle Samuel Thomas.

Face à l’inertie des parquets, qui cette année n’ont ouvert aucune poursuite sur ce thème, son organisation va déposer aujourd’hui une centaine de plaintes. Elles visent toutes des entreprises qui exigent, sans aucune base légale, que les candidats à l’embauche, de l’informaticien au laveur de carreaux, disposent de la nationalité française.

 publié le 22 mars 2022

 

Le 24 mars,

les Retraités seront dans la rue

pour les pensions, la santé

et les services publics

sur le site : https://solidaires.org

Appel des organisations syndicales de retraités : CGT, FO, CFTC,CGC, FSU et Solidaires.


 

POURQUOI les retraités sont sacrifiés ?

Pourquoi nos pensions « décrochent » chaque année et baissent régulièrement au regard du coût de la vie ? Pour- quoi en 10 années avons-nous perdu près de 10 % du mon- tant initial de nos pensions ?

Pourquoi a-t-il fallu le scandale ORPEA pour que les mé- dias s’intéressent à la situation des personnes très âgées dans les EHPAD, situation que nos organisations dénoncent de- puis des années ? Pourquoi les résidents des EHPAD ont-ils été interdits d’accès aux urgences hospitalières au beau mi- lieu de la pandémie, entraînant ainsi 34 000 décès parmi les 600 000 résidents des Ehpad, soit plus d’un décès sur trois constaté en France ? Retraités, nous sommes : - sciemment appauvris, - volontairement sacrifiés.

Nous ne l’accepterons jamais !

Le 24 mars 2022, nous manifesterons dans les régions et les départements pour dire notre colère et nos revendications. En pleine période électorale présidentielles et législatives, nos 9 organisations tiennent à imposer le social dans l’actualité et rappellent leurs revendications


 

Pouvoir d’achat :

Retour à l’indexation de nos pensions sur les salaires ! C’est la désindexation, depuis 1987, qui a entraîné une baisse continue des revenus des retraités. Alors que les entre- prises du CAC 40 ont enregistré 137 mil- liards d’euros de profit en 2021, que les grandes banques ont réalisé plus de 31 mil- liards d’euros de profit, il est inadmissible que des retraités perçoivent moins de 800 eu- ros par mois.

Pas de pension inférieure au SMIC !

Rattrapage des pertes de pouvoir d’achat équivalent à un mois de pension par an.

Annulation de la hausse de la CSG de 1,7 point décidée par le gouvernement actuel en 2017 !

Rétablissement de 1⁄2 part fiscale supplémen- taire pour les parents isolés, les veufs-veuves qui a été injustement supprimée !

Amélioration des pensions de réversion versée aux conjoints survivants !


 

Santé

La situation sanitaire des EHPAD est le résultat d’un sous-in- vestissement drastique de l’Etat et des régions dans les établis- sements des retraités, ce que la création d’une 5 e branche auto- nome ne fera qu’entériner, faute de moyens suffisants en person- nels et en dotations.

Aussi, nos 9 organisations exigent :

- La prise en charge de l’autonomie par l’Assurance maladie de la Sécurité Sociale et la création d’un grand service public de l’autonomie.

- La création de 300 000 postes dans le secteur médico-social, 200 000 dans les EHPAD et 100 000 dans l’aide à domicile.

- La création de lits d’EHPAD dans le secteur public pour faire face aux besoins et arriver à 1 soignant pour 1 résident alors que nous sommes à 0,63 actuellement.

- L’amélioration de la situation professionnelle des person- nels médico-sociaux par une meilleure formation et de meil- leures rémunérations.

La situation de l’hôpital public inquiète profondément les re- traités car nous sommes persuadés que des milliers de décès au- raient pu être évités si 1 700 postes n’avaient pas été supprimés l’an passé et plus de 100 000 autres dans la dernière décennie : on meurt du manque de lits de réanimations autant que de la COVID19 elle-même.

- Non aux suppressions de lits !

- Réouverture des services et des hôpitaux fermés pour des économies budgétaires !

Les droits et les services publics

Les Retraités sont des ci- toyens comme les autres : ils veulent vivre, vivre dans la dignité et le respect de leurs droits, avec des services publics de proximité : droit d’accès aux soins, aux trans- ports, aux services sociaux, aux services des Impôts, etc.

Nous avons droit à une pension permettant de faire face au coût de la vie qui ex- plose actuellement et à un lo- gement digne et adapté.

Nous refusons la dématé- rialisation à outrance des re- lations avec les administra- tions et les services : Non au tout-internet ! Près d’une personne sur quatre n’a ni or- dinateur ni tablette, il faut avoir la possibilité de rencon- trer un agent, d’avoir un ac- compagnement.


 

Malgré un contexte anxiogène (pandémie et Ukraine), les Retraités n’accepteront pas de payer le prix des sacrifices annoncés.


 

Avec nos organisations, toutes et tous dans la rue le 24 mars dans 28 villes pour imposer le social dans l’actualité, pour dire à tous les candidats : Les Retraités sont des citoyens, ils sont en colère, ils veulent être entendus et voir leurs revendications satisfaites !


 

En avant le 24 MARS !


 

Pour le Languedoc :

manifestation à Montpellier

Rendez-vous : 13h30 sur l’Esplanade (devant l’Office de Tourisme)

départ manifestation à 14h, jusqu’à la Préfecture

 publié le 22 mars 2022

Au Sahel, la guerre perdue d’Emmanuel Macron, faute d’avoir pris en compte les enjeux démocratiques

par Rémi Carayol sur https://basta.media/

La guerre en Ukraine a éclipsé plusieurs autres conflits, dont celui au Sahel. Emmanuel Macron a annoncé le 17 février le retrait des troupes française après neuf ans d’opérations et un bilan bien maigre.

Quel est le véritable bilan d’Emmanuel Macron sur les problèmes que soulève régulièrement basta! ? Pour aller au-delà de la com’, pendant toute la campagne électorale, basta! dresse pour vous des bilans du quinquennat sur une série de sujets très concrets.

Quand il arrive à l’Élysée, le 14 mai 2017, Emmanuel Macron est un « bleu » en matière militaire. Et il ne connaît pas grand-chose à l’Afrique. Il ne s’y est pas attardé durant la campagne. Son programme n’abordait pas vraiment ces deux questions, hormis la promesse floue d’« augmenter les moyens de nos armées » et celle, banale, de « défendre une nouvelle politique en Afrique où la paix et l’esprit d’entreprise construiront le siècle qui commence ». Pas un mot en revanche sur l’opération militaire Barkhane, que lui laisse en héritage François Hollande.

Ce dernier s’était façonné une stature de « chef de guerre » après avoir lancé deux opérations d’envergure sur le continent africain - Serval en janvier 2013 au Mali (devenue Barkhane en juillet 2014) et Sangaris en décembre 2013 en Centrafrique - et une autre en Irak et en Syrie, Chammal, en septembre 2014. Quand Macron lui succède, la France a retiré ses troupes de la Centrafrique, mais elle poursuit ses opérations au Sahel et au Levant – l’opération Chamma entrant dans le cadre de la coalition internationale contre l’État islamique.

Très vite, le nouveau président Macron semble vouloir revêtir le même costume que son prédécesseur. Cinq jours après sa prise de fonction, il se rend donc à Gao, au nord du Mali, où se trouve le principal camp de la force Barkhane. Le message est clair : lui aussi sera un chef de guerre attentif à « ses » hommes. « Dès mon installation, lance-t-il aux militaires, j’ai voulu donner le premier rang aux armées française ».

« Des faucons formés à l’école de la crise irakienne »

Dans les cabinets de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et de sa ministre des Armées, Florence Parly, c’est une vision néoconservatrice qui prédomine. « Ce sont des faucons formés à l’école de la crise irakienne qui croient sincèrement à la lutte contre le terrorisme. C’est de la pure idéologie », dit Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network (organisation panafricaine qui rassemble des spécialistes des systèmes de sécurité) et spécialiste de la région sahélienne.

Cette conception des conflits contemporains, particulièrement en vogue dans les États-Unis de Georges W. Bush (président de 2001 à 2009), a marqué le quinquennat du début à la fin. Emmanuel Macron l’avait d’ailleurs exposée devant les militaires de la force Barkhane en mai 2017. « Vous êtes plus que jamais nos sentinelles et notre rempart contre les débordements du terrorisme, de l’extrémisme, du fanatisme », avait-il indiqué, avant de se lancer dans une ode à l’histoire coloniale de l’armée française : « Ici, vous êtes l’avant-garde de la République, comme avant vous le furent sur ce continent tant de générations de militaires [...] vous êtes les héritiers de cette longue lignée de soldats venus servir sur ce continent dans les airs, sur mer, sur terre et vous faites honneur à cette lignée. »

En réalité, le nouveau président sait qu’il devra faire évoluer le dispositif, qui compte alors plus de 4000 hommes opérant, sur le papier, dans cinq pays : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. En réalité, les soldats français interviennent essentiellement au Mali, et plus rarement au Niger et au Burkina. Les hauts-gradés l’ont prévenu : cela ne pourra pas durer, la force militaire risque de s’enliser et de perdre le soutien des populations locales. Déjà en 2017, des chercheurs alertent sur l’« horizon compromis » de cette opération.

Alliance avec des milices

Le président français fixe alors deux priorités. Aux diplomates, il demande de préparer l’après-Barkhane. La France va dès lors faire feu de tout bois pour mettre sur pieds des structures capables d’assurer la relève. Au fil des ans, les sommets vont se succéder, et les entités s’empiler les unes sur les autres, parfois même les unes contre les autres. Il y a la force conjointe du G5-Sahel (qui réunit les cinq pays cités plus haut), la force Takuba (qui réunit des forces spéciales de certains États européens), l’Alliance Sahel (censée fédérer les projets de développement), la Coalition pour le Sahel, ou encore le Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel… Aucune de ces structures, qu’elles soient militaires ou civiles, n’a eu de résultats concrets sur le terrain.

Dans le même temps, Emmanuel Macron exige des militaires d’obtenir plus de résultats – et des résultats exploitables dans le champ de la communication. « Au fil du temps, la force Barkhane avait fini par s’endormir. L’ennemi nous fuyait. Nous avions tendance à nous reposer sur nos lauriers. Macron a voulu redynamiser tout ça », indique un conseiller de l’Élysée ayant lui aussi requis l’anonymat. Le président a exigé des militaires qu’ils tapent plus fort. Pour ce faire, ces derniers ont adopté des choix tactiques qui leur seront reprochés par la suite.

Ils se sont notamment alliés, sur le terrain, à des milices, le MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad) et le Gatia (Groupe d’autodéfense touareg imghad et alliés), accusées d’avoir commis des massacres contre des civils. Cette coopération, qui s’est manifestée par des opérations conjointes dans la zone frontalière entre le Mali et le Niger, a débuté en juin 2017, soit quelques jours après la prise de fonction de l’actuel président français.

Elle s’est poursuivie pendant près d’un an, en dépit des accusations portées contre ces deux milices, notamment par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), une opération de maintien de la paix des Nations unies. En juin 2018, la mission des Nations unies au Mali avait estimé, dans un rapport consulté par Basta!, à 143 le nombre de civils tués par ces deux groupes armés.

« Les drones sont devenus des moyens incontournables au Sahel »

Peu de temps après, l’exécutif français a exigé l’arrêt de cette collaboration. Pour obtenir plus de résultats, Emmanuel Macron a en outre décidé de lever un tabou en acceptant une vieille revendication des militaires : l’armement des drones. Jean-Yves Le Drian, qui craignait des réactions négatives à gauche, s’y était opposé durant le quinquennat de François Hollande, sous lequel il était ministre de la Défense. Florence Parly, elle, n’a pas eu ces états d’âme. Quelques jours après l’élection de Macron, un rapport sénatorial ouvre la voie à l’armement des drones.

Deux mois plus tard, la ministre, qui estime que les enjeux « ont été parfaitement identifiés et expliqués » par les sénateurs, annonce sa décision d’armer les drones militaires français et fait le lien avec l’opération Barkhane : « Les drones sont devenus des moyens incontournables dans les opérations que nous menons au Sahel », déclare-t-elle à l’occasion de l’université d’été de la Défense organisée à Toulon. Fin 2019, c’est acté, les drones disposent de bombes GBU-12, tandis que la force dispose également d’avions de chasse.

Certaines de ces frappes ont abouti à des « bavures ». La plus connue est celle de Bounti : le 3 janvier 2021, un avion de chasse Mirage 2000 de l’armée française a bombardé un rassemblement d’hommes à proximité de ce village du centre du Mali, tuant 22 personnes. Selon elle, il s’agissait de djihadistes. Mais des enquêtes journalistiques et un rapport de l’ONU affirment qu’il s’agissait, pour 19 d’entre eux, de civils qui participaient à une cérémonie de mariage. La France ne l’a pas reconnu. Quelques semaines plus tard, le 25 mars, un drone a frappé cinq jeunes qui, selon leurs proches, étaient partis à la chasse dans les environs de Talataye, au nord-est du Mali. Pour l’armée française, il s’agissait de djihadistes. Mais elle n’a donné aucun élément permettant de le prouver.

« L’ennemi est toujours là, plus fort que jamais »

Enfin, Emmanuel Macron n’a pas remis en question la stratégie des « opérations homo », adoptée et assumée par François Hollande. Celles-ci consistent à cibler ce que l’on appelle, dans les milieux militaires, des « high value target » (des chefs importants des groupes djihadistes), et à procéder à leur exécution, via des frappes ou des opérations au sol. Dans son livre paru en 2017, Erreurs fatales (Fayard), le journaliste Vincent Nouzille estimait à une quarantaine le nombre d’exécutions extrajudiciaires ainsi validées par Hollande.

Qu’en a-t-il été sous le quinquennat d’Emmanuel Macron ? Ces dernières années, l’armée française a tué plusieurs dizaines de chefs, parmi lesquels celui d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), Abdelmalek Droukdel, et celui de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), Adnane Abou Walid al-Sahraoui. Mais elle a échoué à « liquider » les deux plus importants : Hamadoun Kouffa, le chef de la katiba Macina, active dans le centre du Mali, et surtout Iyad ag-Ghaly, le « grand patron » des djihadistes sahéliens, qui est à la tête de la Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM), une coalition réunissant les principaux groupes de la zone liés à Al-Qaeda.

« Cette stratégie n’a eu aucun effet », note D., un activiste malien des droits humains qui, au vu de l’ambiance actuelle au Mali, où la junte au pouvoir ne tolère aucun commentaire critique, a demandé l’anonymat. « Combien de communiqués avons-nous lus, célébrant telle ou telle exécution ? poursuit-il. Combien de fois nous a-t-on dit que c’était un coup fatal porté à l’ennemi ? Pourtant, l’ennemi est toujours là, plus fort que jamais. »

39 soldats français morts au Mali depuis 2017

Pour Niagalé Bagayoko, cette stratégie a été une « fuite en avant ». Depuis 2017, les djihadistes n’ont cessé de gagner du terrain. Ils avaient commencé à mener des attaques dans le centre du Mali bien avant l’élection d’Emmanuel Macron. Ils ont continué après : dans le sud du Mali ; dans le nord du Burkina, puis dans l’est, et maintenant dans le sud ; dans l’ouest du Niger ; et désormais dans le nord du Bénin et de la Côte d’Ivoire. Selon l’ONG Acled (Armed conflict location & event data project), plus de 8000 personnes - des civils essentiellement - ont été tuées au Mali, au Niger et au Burkina depuis 2013. Ce chiffre n’a cessé d’augmenter année après année, comme le révèlent les rapports trimestriels de la Minusma. L’armée française a elle aussi payé un lourd tribut dans cette zone : avant l’élection de 2017, 19 soldats étaient morts au Mali ; durant le quinquennat, 39 y ont perdu la vie.

En dépit de cette dégradation, Emmanuel Macron n’a pas changé de cap. « Il a persisté dans l’erreur en croyant que le recours aux militaires réglerait tout, alors qu’eux-mêmes avaient alerté sur l’impasse d’une telle stratégie », juge Niagalé Bagayoko. Pour elle, la faute en revient à une méconnaissance du dossier, mais aussi à l’influence des « faucons » au sein des ministères des Armées et des Affaires étrangères. Elle en veut pour preuve le refus absolu de Paris de voir les Maliens entamer des négociations avec les djihadistes.

Depuis 2017, les autorités maliennes envisagent de négocier avec les chefs maliens des groupes djihadistes. Une option également défendue par des chercheurs. La France s’y est toujours fermement opposée. « Cela nous a fait perdre plusieurs années, déplore D., l’activiste malien cité plus haut. Car à terme, tout le monde sait que le règlement de ce conflit passera par des négociations. » D. ne comprends pas « l’aveuglement » de la France. Il estime que cet aveuglement explique en partie la colère qui s’exprime depuis quelques mois contre la force Barkhane au Mali, au Niger et au Burkina – et plus généralement contre la France en Afrique de l’Ouest.

« Le prisme sécuritaire a fait oublier les enjeux démocratiques »

Il y a d’autres explications à ce rejet de la France dans ses anciennes colonies. Niagalé Bagayoko déplore notamment le ton « paternaliste » d’Emmanuel Macron et de ses ministre de la Défense et des Affaires étrangères. Le président avait notamment choqué lors de son déplacement à Ouagadougou en novembre 2017, où il s’était moqué du président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, lors d’une rencontre avec des étudiants. À cette occasion, il avait sèchement répondu à une étudiante qui l’interpellait sur le nombre important de soldats français dans la région. « Ne venez pas me parler comme ça des soldats français. Vous ne devez qu’une chose, pour les soldats français : les applaudir », lui avait-il rétorqué. Il avait également suscité une vague d’indignation en Afrique lorsqu’il avait littéralement convoqué les chefs d’État sahéliens à un sommet à Pau, en janvier 2020, dans le but affiché de les recadrer, alors que les manifestations anti-françaises se multipliaient.

Quant à Florence Parly et Jean-Yves Le Drian, ils ont tenu des propos sévères à l’égard des autorités maliennes issues du coup d’État de mai 2021. Le 1er février dernier, devant les députés, le ministre des Affaires étrangères a notamment déclaré : « Qu’est-ce que c’est que cette junte qui veut rester au pouvoir encore cinq ans après y avoir passé deux ans, après deux coups d’État successifs, et qui vient donner des leçons de Constitution ? » Au Sahel, ces discours passent d’autant moins que la France continue de soutenir la dynastie Déby au Tchad, en dépit du coup d’État mené par le fils, Mahamat, après la mort du père, Idriss, en avril 2021, et qu’elle n’a jamais critiqué la dérive autoritaire de Mahamadou Issoufou au Niger.

« Le prisme sécuritaire a fait oublier à la France les enjeux démocratiques, déplore Ali Idrissa, une figure de la société civile au Niger, qui milite notamment au sein du collectif pro-démocratie « Tournons la page ». La question des droits humains était déjà minorée sous Hollande, et Macron a continué sur la même voie. On laisse les régimes corrompus faire ce qu’ils veulent, s’en prendre aux libertés individuelles et collectives, au nom de la lutte antiterroriste. La France soutient les régimes forts au nom de la stabilité, mais elle a oublié que ces régimes sont aussi à la source des insurrections djihadistes. » Cette politique a désormais atteint ses limites. Le 17 février, Emmanuel Macron a été contraint d’annoncer le retrait de la force Barkhane et de la force Takuba du territoire malien : la junte au pouvoir à Bamako n’en voulait plus. Cette annonce sonne le glas de l’opération Barkhane, qui pliera bientôt bagage sur un constat d’échec. Selon un rapport de la Cour des comptes de février 2021, les opérations militaires françaises dans la zone saharo-sahélienne ont coûté un milliard d’euros par an au budget de l’État.

Rémi Carayol est coordinateur du comité éditorial d’AfriqueXXI. Il a fondé deux journaux papier dans l’archipel des Comores (Kashkazi, Upanga) avant de rejoindre la rédaction de Jeune Afrique, puis de collaborer avec divers médias francophones (dont Le Monde diplomatique, Mediapart, Orient XXI). Ces dix dernières années, il a publié plusieurs enquêtes et reportages menés sur le continent africain et notamment au Sahel.

publié le 21 mars 2022

Marie-Noëlle Lienemann : « Avec Roussel, je fais le choix de ressouder le monde du travail »

sur www.regards.fr

La sénatrice de Paris, Marie-Noëlle Lienemman, a fait le choix de Fabien Roussel pour cette élection présidentielle. Elle estime qu’il est le mieux placé pour « réaffirmer une gauche populaire, républicaine, universaliste et sociale » et confie s’être éloignée de Mélenchon, insuffisamment rassembleur et dont la ligne idéologique a « glissé », estime-t-elle. Elle est l’invitée de #LaMidinale.


 

UNE MIDINALE À VOIR… sur https://youtu.be/MTZwiY3ftkY

 

 

ET À LIRE…


 

Sur la gauche et la présidentielle

« On ne doit pas se démolir mutuellement au sein de la gauche. »

« Je me suis éloignée de Jean-Luc Mélenchon qui est peu soucieux du rassemblement dans la diversité en croyant tout seul en lui. »

« La candidature de Fabien Roussel a cette vocation de réaffirmer une gauche qui soit populaire, républicaine, universaliste et sociale. »

« Ce qui se joue dans cette élection, c’est la capacité pour la gauche de récréer un rapport de force social qui ne peut se réaliser que dans l’esprit d’un rassemblement respectueux de la diversité. »

« Vous ne me ferez jamais dire que ça serait une catastrophe que quelqu’un de gauche arrive au second tour de l’élection présidentielle. »

« Je crains que le vote utile fonctionne à l’extrême droite. »

« Je trouve très peu probable que Mélenchon arrive au second tour. »

« A force de voter par défaut ou de voter pour un coup sans avoir le sentiment de défendre ses convictions, on assèche la gauche. »

« Le rapport de force politique est social. Et c’est aussi ça qui se joue dans cette élection. »

« On ne peut pas, quand on est de gauche, compter uniquement sur l’émergence de la colère. La colère ne construit pas de débouché. »

Sur Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel

« Le principal échec de Mélenchon est celui de ne pas avoir réussi à rassembler la gauche dès 2017. »

« Il y a un glissement idéologique chez Mélenchon. »

« Mélenchon ressemble plus à la gauche américaine qu’à la tradition républicaine de la gauche historique. »

« Je ne suis pas pour une République castratrice où l’Etat ferait tout. »

« Les chances de battre Emmanuel Macron ne sont pas nulles mais il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités. Et même si Mélenchon arrivait au deuxième tour, quel deuxième tout ferait-il ? »

« Je ne crois pas que la candidature de Fabien Roussel soit de nature à nuire aux chances de la gauche, au contraire. »

« Les désaccords à gauche ne sont pas si importants, mais importants, oui. »

« Je ne croirai jamais aux gauches irréconciliables mais je me méfie des fausses synthèses à gauche. »

« Je fais de la question du travail, une question centrale comme le fait Roussel et qui est de plus en plus estompée chez Mélenchon. »

Sur la laïcité comme fracture structurante à gauche

« La ligne de fracture à gauche sur la République et la laïcité est importante mais il ne faut pas la surestimer. »

« Toutes les enquêtes d’opinions montrent que les thèses intersectionnelles sont hyper minoritaires dans le pays - et même dans la réalité des quartiers. »

« L’ambition des jeunes de quartier comme des plus anciens c’est d’être reconnus comme citoyens à part entière et avec des droits à part entière. »

« Les propositions de Fabien Roussel de systématiquement combattre avec la dernière vigueur, toutes les formes de discriminations, sont essentielles. »

Sur la hiérarchie des combats à gauche

« Il faut savoir remettre les priorités à gauche. »

« La gauche n’est pas là pour faire la morale aux citoyens - notamment sur la question écologique. On doit s’attaquer structurellement aux problèmes et ne pas être dans le y’a qu’à, faut qu’on. »

« On a beaucoup abandonné la réflexion sur les structures à modifier qui vont permettre d’atteindre les objectifs - notamment écologiques. »

« Le combat de la gauche, c’est un combat de changement de structure. »

Sur les législatives et les accords à gauche

« L’hypothèse d’une disparition de la gauche à l’assemblée nationale est plausible si on ne se rassemble pas. »

« Il ne faut pas jouer à la roulette russe : il est urgentissime de travailler à un accord global aux législatives. »

« Il n’y a pas d’oukase. Tout le monde a sa place à gauche. Il y a des gens au PS qui sont sincèrement réformistes. »

« Il faut un minimum d’accords programmatiques qui donnent du sens. »

« L’union est un long chemin de dialogue pour lever les fausses différences et trouver les bons compromis là où il y a des divergences. »

Sur l’agenda de la gauche post élections

« Il faut réinventer une fédération. »

« La première étape sera de créer un comité de liaison de l’ensemble des forces de gauche pour établir une feuille de route de mobilisation avec les syndicats et les associations. »

« La France est dans un état d’ébullition larvée derrière une apparente apathie. Il faudra être prêt à donner des débouchés politiques aux combats qui vont s’imposer. »

« Tout le monde à gauche aura besoin de se dépasser. »

« Je ne crois pas à l’effacement des partis politiques. »

« L’indignation est là. Il nous faut des solutions. »

« Je ne comprends pas comment le besoin de gauche est tel, et en même temps que le recours à la gauche est si faible. Je n’y vois qu’une explication sociologique. En fragmentant les combats, on n’arrive pas à redonner du souffle. »

« On ne peut pas isoler les combats par cause. Nous avons besoin de combats fédérateurs. »

Sur Anne Hidalgo et la social-démocratie

« Le problème n’est pas tant Anne Hidalgo que la réalité politique qu’elle met en évidence. »

« Le quinquennat de François Hollande a lourdement discrédité le Parti socialiste. »

« Le PS a largement contribué à l’arrivée de Macron. »

« Le PS a sa place dans une recomposition générale. »

Sur Fabien Roussel

« En faisant le choix de Roussel, je fais le choix de ressouder le monde du travail et de retrouver une gauche qu’il incarne. »


 


 

 

 

Philippe Poutou veut
« donner la parole aux luttes sociales »

Lola Ruscio sur www.humanite.fr

Campagne Le candidat trotskiste se présente comme le relais des mobilisations au sein de cette élection présidentielle. Sauf que cette troisième candidature peine sérieusement à être entendue des électeurs.

À l’approche du premier tour, Philippe Poutou, qui plafonne à 2 % dans les sondages, ne vise pas la qualification mais entend, comme en 2017, mettre son grain de sel dans le débat présidentiel. Sa motivation à porter une candidature « révolutionnaire » n’a pas changé d’un iota depuis la précédente campagne. Lors d’un débat télévisé, l’ancien ouvrier licencié de chez Ford s’était alors fait remarquer face à François Fillon (LR), empêtré dans le Penelopegate, et à Marine Le Pen sur l’affaire des assistants parlementaires du FN. « Nous, quand on est convoqués par la police, on n’a pas d’immunité ouvrière, on y va », avait-il lancé devant des millions de spectateurs. Si cette réplique choc lui avait valu une certaine reconnaissance du public, les votes n’ont pas suivi. Au soir du premier tour, son parti avait enregistré seulement 1,09 % des voix, loin des 4 % recueillis en 2002 et 2007 par Olivier Besancenot.

Les mêmes thèmes de prédilection

Depuis, Philippe Poutou, également conseiller municipal sous l’étiquette Bordeaux en luttes, a rempilé pour une troisième campagne présidentielle après une confrontation interne avec Anasse Kazib qui a abouti au départ du courant Révolution permanente du NPA. Les thèmes de prédilection du candidat sont eux toujours les mêmes : refus du souverainisme, défense inconditionnelle de la liberté de circulation et d’installation, désarmement de la police, dénonciation de l’argent accumulé par les milliardaires sur le dos des travailleurs… « Nous voulons incarner une voix de rupture avec le capitalisme et donner la parole aux luttes sociales dans une période où le néolibéralisme montre ses limites, on le voit, avec la crise climatique, sanitaire et la guerre en Ukraine », développe Antoine Larrache, membre de l’équipe de campagne du candidat. Avant de poursuivre : « Les changements radicaux ne peuvent venir que des luttes sociales, ça ne passe pas par l’élection présidentielle. On y va parce qu’on a des choses à dire et on espère être utile dans le débat public, y compris pour lutter contre l’extrême droite et les propositions antisociales d’Emmanuel Macron. »

S’inquiétant du fait que le débat démocratique n’ait pas lieu, le NPA a envoyé un courrier, le 17 mars, aux formations de gauche les invitant à défendre une « position commune » afin « d’exiger un débat entre les candidat.e.s ». « Pour l’instant, pas de réponse, mais cela va certainement venir parce que l’on a un intérêt commun à ce qu’il y ait une véritable confrontation », a indiqué Philippe Poutou sur France Inter, ce week-end. « La démocratie, ce n’est pas juste la question du temps de parole dans une élection présidentielle ou la question des institutions. C’est aussi comment on arrive à faire respecter les droits sociaux », a poursuivi le syndicaliste, en défendant un salaire minimum de 1 800 euros net « pour tout le monde » et la sixième semaine de congés payés. Des propositions que le candidat du NPA pourra défendre lors de ses prochaines réunions publiques prévues à Marseille, le jeudi 24 mars, et le vendredi 25 mars, à Quimper dans le Finistère.


 


 

Mélenchon espère un duel avec Macron

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

PRÉSIDENTIELLE Ce dimanche, à Paris, la Marche pour la VIe République a rassemblé « plus de 100 000 personnes ». Le candidat FI appelle à faire du scrutin élyséen un référendum pour la retraite à 60 ans.

«Si on est au deuxième tour, ce sera déjà une très belle victoire. Ça obligera Macron à affronter de vraies problématiques. » Pierre, la vingtaine, est monté de Lyon rejoindre la Marche pour la VIe République, organisée par la France insoumise, dimanche à Paris. Au même moment, sur le boulevard Beaumarchais, le candidat de l’Union populaire à la présidentielle fait son entrée dans le cortège sous les ovations de la foule. Malgré la virulence des attaques dont il est l’objet depuis l’invasion russe de l’Ukraine, Jean-Luc Mélenchon garde un soutien intact dans les rangs des insoumis et des sympathisants. Alors que les manifestants rejoignent la place de la République, la situation internationale qui bouleverse la campagne est évidemment dans toutes les têtes.

Manon, venue de Haute-Savoie, reconnaît que « ça a changé les choses, oui. Mais pour l’essentiel, ce sont des gens qui ne voulaient pas voter pour Mélenchon, et qui se sentent renforcés dans leurs positions. » Jean-Luc et Félix, eux, ont fait « dix heures de bus depuis Brest » pour être présents. Le premier est optimiste, persuadé que son candidat va l’emporter. Le second, lui, est conscient que, si le deuxième tour peut être à portée, la marche vers la victoire est beaucoup plus haute… « Si on avait un mois de campagne de plus, peut-être que ce serait possible. Mais Macron, c’est un mur. C’est incroyable, il est à 33 % dans certains sondages. » La marche du 20 mars fait ainsi figure de grand coup de pression dans la campagne pour faire grimper le candidat d’ici au 10 avril. Car certains dans le cortège ont vraiment du mal à envisager un nouveau second tour entre Macron et Le Pen. C’est le cas de Christine, « militante depuis trente ans », qui dit qu’elle pourrait ne pas glisser un bulletin au nom du président sortant dans une telle configuration… Drapeau à la main, venue d’Île-de-France, elle se dit persuadée que « 90 % des gilets jaunes vont voter Mélenchon ».

Smic à 1 400 euros net et blocage des prix

Dans son intervention, le candidat FI leur a d’ailleurs adressé quelques signaux, promettant l’amnistie de tous ceux qui ont été condamnés, et l’indemnisation des victimes des violences policières en manifestation. Il s’est aussi déclaré en faveur du référendum d’initiative citoyenne, et de la fin de la monarchie présidentielle à travers la mise en place d’une Constituante pour une VIe République. Mais c’est surtout face au programme du président sortant que le député s’est positionné. Jean-Luc Mélenchon commence son discours en dédiant ce rassemblement « à la résistance du peuple ukrainien face à l’invasion russe », et aux « Russes courageux qui résistent dans leur propre pays ». Sortant du seul débat international qui domine la campagne depuis plusieurs semaines, il ouvre alors le feu sur la mesure la plus emblématique du programme d’Emmanuel Macron : la retraite à 65 ans. Il y oppose la retraite à 60 ans, qu’il promet de rétablir s’il est élu le 24 avril. Juste avant le discours, le coordinateur de la FI, Adrien Quatennens, le clamait : « Avec Jean-Luc Mélenchon au second tour, cette élection présidentielle vaudra un référendum pour la retraite. » « Une nouvelle fois, nous allons lui faire remballer sa réforme », promettait-il. « Ne vous cachez pas derrière les divergences entre les chefs et les étiquettes, c’est vous qui faites la différence », appuie ensuite le candidat à la présidentielle à l’intention des électeurs, notamment ceux qui, à gauche, hésiteraient encore sur le nom à glisser dans les urnes le 10 avril. Et d’en appeler à leur « responsabilité » : « Oui, ce vote est un référendum social, vous êtes prévenus », un vote pour faire barrage à « la retraite à 65 ans », lance-t-il à la foule.

Pour mobiliser encore au-delà de ses troupes rassemblées place de la République (plus de 100 000 personnes selon les insoumis), le candidat met aussi l’accent sur la rapidité avec laquelle de nouvelles « conquêtes sociales » pourraient être mises en place en cas de victoire. C’est « une élection qui, parce qu’elle concentre tous les pouvoirs, nous permet de les renverser tous en même temps ». Aussi, dès son arrivée au pouvoir, Jean-Luc Mélenchon promet un décret faisant passer le Smic à 1 400 euros net et le blocage des prix. Avec la retraite à 60 ans, « tout de suite, 830 000 personnes pourront partir jouir de leur temps libre », tandis qu’autant d’emplois seront libérés pour les jeunes. « Pas besoin de grèves coûteuses pour votre budget, ou de manif rendue dangereuse par le préfet Lallement », assure encore le candidat. Pour y parvenir, il reste trois semaines à la « tortue électorale », donnée entre 12 % et 14 % des intentions de vote selon les sondages, pour convaincre… une majorité de Français.

publié le 21 mars 2022

Clinéa : la filiale d’Orpea qui profite de la privatisation rampante
de l’hôpital public

par Leo le Calvez sur https://basta.media/

Filiale d’Orpea, entreprise pointée du doigt pour sa gestion des Ephad, Clinéa s’implante dans des hôpitaux publics de villes moyennes. Une « coopération » public-privé dont les conséquences sur les patients et les soignants inquiètent.

Des lits d’hôpitaux en augmentation : le phénomène devient de plus en plus rare. C’est pourtant ce qui doit arriver au centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel, dans la Meuse, où 90 lits et 20 places de jour de « soins de suite et de réadaptation » vont être créés, et deux services spécialisés de soins de suite en cardiologie et en pédiatrie – pour prendre en charge les patients en cours de guérison ou tout juste opérés – seront rénovés. Le tout dans un bâtiment flambant neuf, qui devrait sortir de terre en 2024. Une indéniable bonne nouvelle pour les 40 000 habitants des communes alentour… Problème : ces créations de lits masquent une privatisation rampante de l’hôpital public. Car elles entrent dans le cadre d’un « protocole de coopération » signé mi-avril 2021 entre l’hôpital et Clinéa, une filiale d’Orpea, l’entreprise à but lucratif leader du secteur des Ehpad privés en France.

Cette « coopération » sera encadrée par un « groupement de coopération sanitaire ». Créé en décembre 2021, il réunit Clinéa et le groupement hospitalier de territoire Cœur-Grand-Est, qui se compose de neuf établissements hospitaliers dont celui de Verdun Saint-Mihiel. Ce type d’alliance est « l’outil privilégié dans le cadre des coopérations entre le secteur public et privé », avance le ministère de la Santé. En d’autres termes, il s’agit d’un partenariat public-privé. « Le privé s’affiche comme un créateur de soin pour l’hôpital de Verdun, or nous sommes dans une configuration où ces lits étaient prévus pour le public, mais ils sont transférés au privé », alerte ainsi Guillaume Gobet, ex-délégué CGT au sein d’Orpea. Avec le risque d’un management plus agressif, un plus grand turn-over chez les soignants, des frais en augmentation pour les patients.

Des lits prévus pour l’hôpital public mais transférés au privé

Du côté de Clinéa, tout est présenté comme si le système de santé publique avait nécessairement besoin de s’appuyer sur le groupe privé pour créer ces nouveaux services aux patients. Clinéa « propose des soins sur des territoires plus ruraux, voire délaissés sur le plan de l’offre médicale, permettant ainsi, de contribuer à recréer une offre de proximité autorisée et contrôlée par les agences régionales de santé, en réponse à un vrai besoin », explique la direction, dans un communiqué.

Mais dans le projet de protocole d’accord que basta! a pu consulter, Clinéa apparaît plutôt comme le demandeur : « En 2019, Clinéa a initié un projet de partenariat en matière de soins de suite et de réadaptation et s’est rapproché à cet effet du centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel. À la suite de cette manifestation spontanée d’intérêt, le [centre hospitalier] a procédé à la publication dans le journal L’Est républicain à la date du 31 juillet 2020, d’un avis de publicité préalable afin de s’assurer de l’absence de toute autre manifestation d’intérêt concurrente avant qu’il procède aux démarches nécessaires au partenariat », détaille le texte. C’est donc après que Clinéa s’est rapproché de l’hôpital que l’appel à candidature a été publié. L’offre est arrivée avant la demande. Et a permis à la filiale d’Orpea de mettre un pied dans l’hôpital.

Marge sur les salaires et risque de turn-over

Il n’y a pas qu’à Verdun qu’une telle privatisation rampante a lieu. En épluchant la carte des groupements de coopérations sanitaires, on voit que le ministère de la Santé et Clinéa multiplient ces partenariats. En 2012, le groupement « Territoire Ardennes Nord » est créé. Clinéa y est actionnaire ainsi que sa maison mère Orpea. Le groupe privé s’installe ainsi au sein de l’hôpital de Charleville-Mézières où elle a en charge les soins de suite et réadaptation. « Je me rends compte que Clinéa a une facilité à se rendre indispensable en arrivant au moment où l’agence régionale de santé (ARS) lance des appels d’offres, estime Philippe Gallais, ancien salarié de Clinéa et délégué à la CGT Santé privée. De son côté l’ARS y voit l’occasion de réduire les coûts. Mais cette habitude de confier des missions au privé met en danger à terme la pérennité de l’hôpital public ».

« Cette habitude de confier des missions au privé met en danger à terme la pérennité de l’hôpital public »

Les soignants appréhendent l’arrivée de nouvelles pratiques dans les ressources humaines, avec des différences salariales et des évolutions de carrières négociées au cas par cas. Chez Clinéa, une infirmière débutante commence à 2100 euros bruts par mois, selon le témoignage d’une salariée de l’entreprise que basta! a recueilli. « Certes, c’est un salaire attractif sauf que chez Clinéa, il n’y a jamais d’augmentation. Il faut aller voir la directrice en entretien et c’est à son appréciation seulement. Alors que dans la fonction publique, c’est automatique », nous explique-t-elle. Philippe Gallais abonde : « Là où le privé se fait le plus de marge, c’est sur la masse salariale ». Le risque, selon Jean-Marc Albert, de la CGT de l’hôpital de Verdun, c’est « le turn-over régulier, car le privé fonctionne en prenant des jeunes diplômés. Ils les mettent en difficulté car ils savent très bien qu’ils ne vont pas y arriver avec leur faible expérience, puis ils mettent fin à leur contrat et en réembauchent d’autres tout juste sortis d’école. »

« Le privé, à la différence du public, considère les patients comme des vaches à lait. Plus il en a, plus il est content. Rien n’est mis sur le volet prévention. Ce qui se joue c’est l’égalité d’accès aux soins », ajoute Jean-Marc Albert. Une chambre individuelle de soins de suite et réadaptation coûte entre 65 et 200 euros par jour selon le type d’établissement de soin, privée ou public. Ni Orpea ni la direction de l’hôpital n’ont voulu donner de chiffres sur le projet de Verdun. Mais une ancienne patiente admise dans un service de soins de suite tenu par Clinéa confie avoir dû batailler pour ne pas sortir de la clinique avec une note trop élevée. « Ils voulaient me faire payer 170 euros par nuit en plus des 68 euros pris en charge par ma mutuelle, soit 3000 euros le mois à payer de ma poche. C’est plus élevé que mon salaire. En négociant avec le secrétariat, j’ai réussi à faire passer ce supplément de 170 euros à 32 euros. Je m’en suis sortie avec 1100 euros pour y être restée un mois et demi, au lieu de 4500 euros. »

Les évaluations de la Haute autorité de santé, cheval de Troie du privé ?

Le groupement hospitalier dont dépend Verdun Saint-Mihiel va-t-il étendre sa coopération avec Clinéa ? Certains soignants le craignent, notamment pour l’hôpital psychiatrique André-Breton, situé sur la commune de Saint-Dizier (Haute-Marne). Car la situation tendue qui y règne est propice à l’arrivée du groupe privé. En cause, une audition de Jérôme Goeminne, directeur du groupement hospitalier, devant le conseil départemental, le 19 novembre 2021, lors d’une réunion avec les élus pour présenter un projet de fusion entre deux établissements hospitaliers. L’hôpital André-Breton a été mal noté par la Haute autorité de santé, il faut donc y remédier, argue Jérôme Goeminne. La solution, pour le directeur, étant la fusion. Et pour la justifier, celui-ci accable les personnels.

« Le directeur a dit que les soignants faisaient faire des siestes aux patients pour pouvoir faire la fête. Il a ajouté que les patients étaient enfermés dans leur chambre, ce qui est faux », illustre Sandrine Roussel-Druart, secrétaire départementale FO Santé. Le 9 décembre 2021, les membres de l’équipe médicale et soignante de cet hôpital psychiatrique ont même rédigé une lettre à l’attention du ministère de la Santé dans laquelle ils expliquent que « de par les propos entendus et vidéos [de l’intervention de Jérôme Goeminne] visionnés dans la population, des centaines de patients se trouvent envahis par un doute, une crainte et une réticence à accéder aux soins ». Ils dénoncent des « propos diffamatoires dont le mobile et la finalité demeurent obscurs ».

Sollicitée, la direction refuse de « [commenter] cette intervention datant d’il y a plus de trois mois maintenant et qui, par ailleurs, n’a été que partiellement relayée » et préfère mettre l’accent sur « les groupes de travail [qui] sont à pied d’œuvre depuis le mois de décembre afin d’améliorer les prises en charge des usagers ainsi que les conditions de travail des professionnels en vue d’une certification de l’établissement ».

Quel lien avec Clinéa ? Une évaluation négative d’un établissement par la Haute autorité de santé peut être l’occasion, pour les directions, de lancer un « protocole de coopération ». « C’est à peu près la même chose qu’il s’était passé à Charleville lorsqu’il y a eu la création du groupement de coopération sanitaire (créé en 2012, dont Clinéa et Orpea sont actionnaires, ndlr). Le bloc opératoire avait été mis en cause par la Haute autorité de santé. Peu de temps après, les membres de la direction ont officialisé la création du groupement. La concomitance des dates m’interroge », ajoute Michèle Leflon, présidente du Collectif de défense des hôpitaux ardennais.

En attendant, Clinéa continue de tisser sa toile et est sur le point d’ouvrir une clinique psychiatrique privée à Toul, d’une centaine de lits. Elle sera « en concurrence avec le centre psychiatrique de Nancy », dénonce un communiqué de la CGT santé Sociale 54. À Verdun, la CGT Santé demande la suspension du partenariat avec Clinéa. L’organisation syndicale « renvoie chacun à ses responsabilités et recommande toutes les précautions nécessaires avant de foncer tête baissée dans un tel projet ». Sauver les territoires ruraux « délaissés sur le plan de l’offre médicale », tel est le principal argument avancé par Clinéa. Les pratiques de maison-mère, Orpea, font pourtant l’objet d’un vaste scandale depuis la publication en février d’un livre enquête consacré à l’entreprise.


 


 

Référendum sur la santé

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Notre système de santé est en train de s’effondrer. Tout est à reconstruire et nous avons besoin d’une politique de rupture avec tout ce qui a été mis en œuvre depuis plus de trente ans. Dans cette situation, il est indispensable d’exiger que l’État assume ses responsabilités pleines et entières afin d’offrir à la population un accès aux soins égalitaire sur l’ensemble du territoire.

Notre système de santé est en train de s’effondrer. Il y a de moins en moins de médecins généralistes, par ailleurs mal répartis sur le territoire, avec un mode d’exercice libéral qui ne correspond plus aux besoins et surtout qui les occupe à d’autres tâches que la prise en charge de leurs patients. À l’hôpital, la crise liée au coronavirus a mis en lumière le manque de moyens, notamment en personnels et en lits. Aujourd’hui, nous assistons à une fuite des infirmières qui sont très nombreuses à renoncer à leur métier et des médecins qui sont aspirés par le secteur privé. Dans les Ehpad, un très grand nombre d’aides-soignantes abandonnent face à des conditions de travail dégradées et à des salaires de misère.

Tout est à reconstruire et nous avons besoin d’une politique de rupture avec tout ce qui a été mis en œuvre depuis plus de trente ans. Le constat est que notre système hybride mi-public, mi-privé ne permet pas de trouver des solutions, bien au contraire, puisque, d’année en année, nous observons une aggravation des inégalités d’accès aux soins, à laquelle s’ajoute une augmentation du renoncement aux soins pour des raisons financières, face aux dépassements d’honoraires et au reste à charge qui augmentent.

Dans cette situation, il est indispensable d’exiger que l’État assume ses responsabilités pleines et entières afin d’offrir à la population un accès aux soins égalitaire sur l’ensemble du territoire. C’est un impératif et la seule solution est la mise en place d’un service public de santé répondant à l’ensemble des besoins, que ce soit pour les soins de ville, pour l’hôpital ou pour la prise en charge de la perte d’autonomie.

Mais, au-delà de la pétition de principe, comment faire ? Une proposition serait de demander un référendum posant une question simple : les activités de la santé et du médico-­social doivent-elles être exclues du secteur privé à but lucratif ? À la suite du scandale d’Orpea, il est clair que cette question est légitime. À cela s’ajoute le fait que le secteur des cliniques est aujourd’hui contrôlé par des actionnaires français et étrangers, dont l’objectif est le meilleur retour sur investissement… Ce qui est tout simplement antinomique avec les raisons d’être d’un système de santé où, si la question de l’efficacité des dépenses est légitime, l’objectif ne peut être que de répondre aux besoins sans une limitation a priori de moyens qui nuirait au résultat recherché.

Il y a fort à parier que la population validerait cette proposition à une très forte majorité. Cela donnerait une légitimité politique afin de supprimer tout financement par la Sécurité sociale des structures à but lucratif qui, si elles ne changent pas de statut, devraient être alors réquisitionnées, puis intégrées dans le secteur public ou privé à but non lucratif.


 


 

La mortalité infantile
progresse en France

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Les données de l’Insee montrent une augmentation de la mortalité infantile en France depuis 2012. l s’agit tout d’abord du constat de la fermeture massive des maternités. Par ailleurs, la pénurie de médecins a été sciemment organisée depuis quarante ans en diminuant de manière drastique le nombre de médecins formés. Tout cela concourt à une prise en charge dégradée, entraînant des risques importants pour la mère et l’enfant.

Les données de l’Insee montrent une augmentation de la mortalité infantile en France depuis 2012. Près de 70 % des décès sont survenus au cours de la première semaine suivant la naissance, dont environ 25 % au cours du premier jour de vie. Dans l’attente des résultats d’une étude en cours pour en connaître les causes et sans minorer l’importance d’une analyse scientifique de cette situation, il est possible de pointer quelques pistes d’explication.

Il s’agit tout d’abord du constat de la fermeture massive des maternités, dont le nombre est passé de plus de 1 300 en 1975 à 800 en 1996 et à 460 en 2019. Il s’agit d’un processus continu, qui se poursuit. Les motivations des pouvoirs publics interrogent sur leur validité puisque, des années 1980 à 2000, l’argument mis en avant était celui de la sécurité, en affirmant que les petites maternités étaient dangereuses. Depuis, la justification est le manque de médecins accoucheurs disponibles… Il faut souligner le fait que des études scientifiques sérieuses ont au contraire montré que les petites maternités n’étaient pas plus dangereuses que les très grandes. Par ailleurs, la pénurie de médecins a été sciemment organisée depuis quarante ans en diminuant de manière drastique le nombre de médecins formés, ce qui a permis et permet aujourd’hui de fermer des services et des hôpitaux entiers. Depuis plusieurs années, la presse se fait l’écho de la multiplication des accouchements dans des conditions de sécurité inappropriées du fait de l’éloignement des maternités, donc de temps d’accès croissants. À cela s’ajoute la saturation des structures existantes, qui n’assurent plus le suivi mensuel des femmes enceintes, normalement obligatoire, les renvoyant sur la médecine de ville, qui n’a pas les moyens de s’en occuper. De plus, au moment de l’accouchement, comme c’est le cas à la maternité de Saint-Denis, une des plus grosses de France, il est demandé régulièrement aux femmes qui y sont suivies de se diriger vers d’autres hôpitaux par manque de places.

Tout cela concourt à une prise en charge dégradée, entraînant des risques importants pour la mère et l’enfant. Nous pouvons évoquer aussi le démantèlement des services de protection maternelle et infantile (PMI) par de nombreux départements, qui en assurent la gestion depuis les lois de décentralisation. En effet, ce service de santé publique pour le suivi des femmes enceintes et des jeunes enfants a été délaissé du fait de choix idéologiques des élus en place qui n’acceptent pas que la santé soit un service public de proximité gratuit et accessible à tous, notamment aux plus défavorisés. Tout cela montre bien que la santé est une question politique dont les citoyens doivent s’emparer, car ce sont eux les meilleurs experts pour savoir ce qui répond le mieux à leurs besoins.

 publié le 20 mars 2022

Cessez-le-feu. 
Accords d’Évian,
bilan
d’une sortie de guerre

par Emmanuel Alcaraz, historien sur www.humanite.fr

Le 19 mars 1962 acte la fin du conflit. Les vestiges de la colonisation ont peu à peu été démantelés par le gouvernement algérien. Reste l’héritage des essais nucléaires français.

Dans les mémoires de la guerre d’Algérie, les accords d’Évian sont un événement qui a donné lieu à des controverses dont nous ne sommes pas sortis. Pour les anciens combattants français, ils représentent la perspective de la sortie de guerre, de la paix, du retour chez soi, surtout pour les appelés et rappelés qui ont fait de 24 à 33 mois, avec des prolongations, en Algérie. Pour les Européens d’Algérie et les harkis, supplétifs ­algériens ayant combattu du côté français, c’est pour eux l’entrée dans la phase la plus meurtrière du conflit.

En Algérie, les accords d’Évian ont longtemps été oubliés. Ils sont célébrés en tant que fête de la victoire depuis 1993. Le 5 juillet, qui est la Fête de la jeunesse, lui est préféré. En effet, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), qui a négocié les accords d’Évian, a très rapidement été supplanté par l’armée des frontières, qui a pris le pouvoir en Algérie en 1962 à la suite de l’alliance temporaire entre son chef Boumediene et Ben Bella. Un document retrouvé par l’armée française à la fin août 1962, le programme de Tripoli, qualifie les accords d’Évian de « plateforme néocolonialiste ».

Pourquoi de tels antagonismes mémoriels ? Pour y répondre, il faut revenir à ce que sont les accords d’Évian et analyser les raisons de l’échec partiel de leur application à court et à long terme. Ces accords ne sont pas un traité entre la France et l’Algérie, mais un accord de cessez-le-feu et des déclarations gouvernementales de la France et du GPRA organisant la transition de l’Algérie française à l’Algérie indépendante en mettant en œuvre une série de consultations populaires : le 8 avril, en France métropolitaine, le 1er juillet, en Algérie, l’indépendance étant effective le 3 juillet 1962 pour le gouvernement français, le 5 juillet pour les Algériens.

L’OAS a pratiqué une politique de la terre brûlée

Le Front de libération nationale (FLN) est reconnu par le gouvernement gaulliste comme le seul représentant du peuple algérien. Cette transition devait être gérée par un exécutif provisoire doté d’une force locale, avec des représentants du FLN et des Européens d’Algérie progressistes, sans oublier des commissions locales de cessez-le-feu. Cet exécutif provisoire a été incapable d’assurer l’ordre public, laissant cette responsabilité à l’ancienne puissance coloniale.

Les deux parties en présence n’ont pas accepté une force d’interposition internationale pour faire appliquer le cessez-le-feu à partir du 19 mars avec l’intervention de pays tiers ou de casques bleus des Nations unies. La transition s’est faite dans une situation chaotique de guerre civile.En contrepartie d’une clause de libre circulation entre la France et l’Algérie accordée aux Algériens, vite démantelée par le pouvoir gaulliste, les accords d’Évian devaient garantir les droits de la minorité européenne qui obtenait la double nationalité et des garanties pour ses biens.

Au bout de trois ans, les Européens d’Algérie devaient choisir entre la nationalité française et la nationalité algérienne. Voulant à tout prix le maintien de l’Algérie française, l’Organisation de l’armée secrète (OAS) a immédiatement voulu saboter les accords d’Évian en ayant recours à une violence de plus en plus extrême contre les civils algériens (assassinats des femmes de ménage algériennes et des facteurs travaillant dans les quartiers européens, politique de la terre brûlée), contre les Européens progressistes, mais aussi contre l’armée française.

La dialectique des violences, qui existait avant les accords d’Évian entre l’armée française, le FLN et l’OAS, s’est donc poursuivie. Pour répliquer aux violences de l’organisation terroriste, le FLN, dans la région d’Alger, a procédé à des enlèvements d’Européens, ce qu’a reconnu le chef de la zone autonome d’Alger, le commandant Azzedine. Ces enlèvements sont une des causes, pas la seule, de la première vague de l’exode des Européens d’Algérie.

Les disparus algériens sont bien plus nombreux que les disparus européens

Il n’existe pas de preuve de l’existence d’une conférence de Wannsee où les dirigeants du FLN auraient planifié de chasser les Européens d’Algérie. Il s’agit de vengeances s’enracinant à chaque fois dans un contexte local. Cela vaut pour les violences contre les harkis, les messalistes et les élus algériens qui avaient soutenu la souveraineté de la France. Si on fait le bilan de la guerre d’Algérie, les disparus algériens sont bien plus nombreux que les disparus européens.

Si les violences de la fin de la guerre d’Algérie en ont été un facteur important, la cause principale de l’exil massif de cette première vague des Européens d’Algérie est surtout leur refus de vivre dans l’Algérie algérienne. Ils voulaient continuer de vivre dans l’Algérie française, ce qui explique l’échec prévisible des accords d’Évian, qui n’ont pas permis de maintenir une minorité européenne en Algérie. En septembre 1962, une minorité d’Européens a tenté le pari de l’Algérie algérienne. Ne reste plus aujourd’hui que quelques familles, la dernière vague de retour ayant eu lieu au moment de la guerre civile algérienne, dans les années 1990.

Sur le plan militaire, la France a conservé la base navale de Mers el-Kébir jusqu’en 1968. L’autre grand point litigieux des accords d’Évian expliquant la prolongation de la guerre a été la question du Sahara algérien. Si la France reconnaît la souveraineté algérienne sur le Sahara, elle se voit obtenir le droit d’exploiter les ressources en hydrocarbures. Le gouvernement Boumediene met un terme à ces relations inégales par la loi de nationalisation de 1971.

La France a obtenu également le droit de poursuivre, jusqu’en 1966, 13 essais nucléaires souterrains à In Ecker et même des expérimentations d’armes chimiques dans la base de B2 Namous. C’est le point le plus litigieux. Encore aujourd’hui, des zones dans le Sahara algérien sont contaminées. Des hommes, des femmes et des enfants sont victimes de graves malformations et d’un nombre anormal de cancers. La loi Morin de 2010 n’a permis qu’à une femme algérienne d’obtenir des indemnisations pour son mari décédé en ayant pris un avocat en France alors qu’elle en prévoyait pour les populations sahariennes. L’injustice coloniale s’est poursuivie jusqu’à maintenant pour les victimes des essais nucléaires français en Algérie.

publié le 20 mars 2022

Le pathétique destin
du capitalisme français

par Liêm Hoang-Ngoc sur www.politis.fr

L’industrie a été sacrifiée sur l’autel du Monopoly financier. La spécialisation du capitalisme français au XXIe siècle transparaît à la lecture de certains comptes de sa balance des paiements.

Premièrement, celui des transactions courantes recouvre les échanges de biens (la balance commerciale, qui offre une estimation de la compétitivité industrielle d’un pays) et le solde des échanges de services (balance des « invisibles »). Son déficit, contenu à 7,1 milliards d’euros en 2019, s’est creusé pendant la crise sanitaire par la combinaison de deux phénomènes : la balance commerciale s’est dégradée en raison d’une hausse du prix de l’énergie et d’une baisse des exportations du secteur aéronautique, et les excédents de la balance des « invisibles » se sont réduits, du fait d’un ralentissement de l’activité dans les services de voyage et de transport, en grande partie dépendants du tourisme.

Au-delà de ces évolutions liées à la crise sanitaire, le caractère désormais structurel du déficit commercial français illustre : 1) la forte dépendance de l’économie française aux énergies fossiles importées (le déficit du solde énergétique représente la principale contribution au déficit commercial) ; 2) la perte de compétitivité de l’industrie française, qui n’a cessé de se dégrader depuis l’entrée en vigueur de l’euro (le solde des échanges de biens « hors énergie » est en permanence dans le rouge). Les politiques de dévaluation interne ou « politiques de l’offre », incarnées par l’« abaissement du coût du travail » et les privatisations, devaient redresser la compétitivité de la France. Mais notre pays s’est en réalité désindustrialisé et nombre d’entreprises ont été sommées par leurs actionnaires de délocaliser leurs unités de production.

Désormais, les soldes excédentaires de la balance courante sont l’aéronautique, le luxe et le tourisme. Ce dernier secteur assure, en rythme de croisière, les excédents de la balance des services, qui permettent à la France de compenser le déficit chronique de sa balance commerciale et d’afficher un déficit courant limité, mais permanent, inférieur aux 4 % du PIB autorisés par les textes européens.

Deuxièmement, il faut observer le compte financier de la France, qui inclut les investissements directs à l’étranger (IDE) et les investissements de portefeuille. Si le solde des IDE est légèrement positif (les placements français à l’étranger excèdent les IDE en France), la France est, selon les années, le 2e ou 3e pays d’accueil des IDE. Ce qui signifie que les placements destinés à prendre le contrôle des entreprises françaises cotées en Bourse continuent à se réaliser, à l’image du regrettable épisode Alstom.

Ainsi va la France. L’industrie a été sacrifiée sur l’autel du Monopoly financier. Son pathétique destin est de devenir le parc d’attractions du monde où sont acheminés, par ses propres avions, touristes et retraités aisés venant se procurer sur place les produits de luxe mondialement exportés par la société ruisselant de dividendes au bonheur de la première fortune du pays.

publié le 19 mars 2022

Le projet de Macron marche sur ses deux jambes de droite

Romaric Godin et Ellen Salvi sur www.mediapart.fr

Le président-candidat a présenté, jeudi 17 mars, les grands axes de son programme. Plus que jamais néolibéral sur le plan économique, il propose une version conservatrice des enjeux sociaux et régaliens, en occupant le terrain de ses adversaires de droite et d’extrême droite.

Un long monologue, beaucoup d’autosatisfaction, de grandes formules absconses et un pillage d’idées à droite et à droite. Jeudi 17 mars, Emmanuel Macron a présenté pendant plus de quatre heures « les grands axes » de son programme lors d’une conférence de presse filmée par les seules caméras du candidat. Ce dernier a immédiatement annoncé qu’il ne pourrait être exhaustif, renvoyant à plus tard bon nombre de sujets, tels l’outre-mer, la biodiversité ou le logement.

Défendant aveuglément le bilan de son quinquennat, le président sortant a regretté de ne pas avoir mené à bout deux réformes promises en 2017 : celle des retraites, empêchée selon lui par la pandémie – ni la mobilisation sociale ni le 49-3 dégainé en première lecture à l’Assemblée nationale n’ont évidemment été évoqués – ; et celle des institutions, bloquée à l’en croire par le Sénat – mais en réalité enterrée par l’affaire Benalla, dont le nom n’a bien entendu pas été cité.

Évacuant toutes les questions portant sur son exercice solitaire du pouvoir – un mirage collectif, sans doute –, Emmanuel Macron a promis d’adopter une nouvelle méthode en cas de réélection, « pour essayer de lever les blocages ». « “Avec vous” n’est pas qu’un slogan, c’est une méthode », a-t-il assuré, sans avoir un mot sur l’échec de la convention citoyenne pour le climat, mais en convoquant un sibyllin « retour de la souveraineté populaire ».

Le candidat a ainsi annoncé vouloir mettre en place une « convention citoyenne » afin de trancher le débat sur la fin de vie. Comme il l’avait fait pour le premier exercice du genre – avant de renier sa promesse – il a indiqué qu’il soumettrait « à la représentation nationale ou au peuple le choix d’aller au bout du chemin qui sera préconisé » par cette convention, par voie de référendum s’il le faut.

Interrogé sur le copier-coller du programme Les Républicains (LR) qu’il venait de présenter, le président sortant a balayé les critiques, moquant ses adversaires qui n’arrivent pas, selon lui, à « se distinguer de son projet ». « Qu’ont ils été faire dans cette galère ? », a-t-il interrogé, avant de livrer sa vision toute personnelle du débat démocratique – les questions des journalistes étant sensées remplacer la confrontation d’idées avec les autres candidat·es.

« Je m’en fiche royalement, totalement, présidentiellement », a répondu le chef de l’État au sujet de sa droitisation décomplexée et des commentaires qui en sont faits. « J’assume, sur ce sujet, d’être gaulliste », a-t-il avancé, s’enorgueillissant d’avoir réuni, pendant cinq ans, des personnalités politiques de tous bords : « Ce que j’ai fait n’a jamais existé dans l’histoire politique contemporaine. » La présentation de son projet ne fait pourtant aucun doute.

Des propositions conservatrices, voire réactionnaires

Sur le plan économique, Emmanuel Macron a en effet confirmé son ancrage néolibéral et droitier. Certes, sur le plan énergétique, et devant la force des événements, il a promis la vague mise en place d’une « planification par secteur qui sera déclinée territoire par territoire». De la part d’un président de la République qui a fondé un haut-commissariat au plan sans aucun plan, une telle promesse ne saurait être prise sans une immense prudence.

D’autant plus que cet îlot vague de planification est perdu dans une mer de propositions conservatrices, voire réactionnaires. Au premier chef, on doit citer la confirmation d’une nouvelle réforme des retraites qui sera mise en place « en début de quinquennat » et qui prévoit l’allongement « progressif » de l’âge légal de départ à 65 ans. C’est donc un abandon entier de la grande réforme de 1981 qui ramenait l’âge légal à 60 ans et qui avait déjà été partiellement attaquée par la réforme Fillon de 2010 qui le portait à 62 ans. 

C’est un immense recul social que propose Emmanuel Macron. Un recul qui ne saurait se justifier par l’argument avancé de « l’allongement de la durée de vie » puisque les réformes précédentes avaient déjà permis de récupérer les gains d’espérance de vie. La seule justification est donc la réduction des dépenses publiques dans la logique du programme envoyé par le gouvernement à Bruxelles pour les cinq années à venir et qui prévoit le retour du déficit public sous les 3 % en fin de quinquennat. 

Dans la même perspective, l’autre grand recul social promis par le président-candidat concerne la réforme du revenu de solidarité active (RSA). Au nom de la prétendue « dignité » de ses bénéficiaires , il sera décidé d’une « obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine » à une « activité permettant d’aller vers l’insertion ». C’est une rupture dans le modèle social français qui se rapproche clairement du « workfare » promu au début des années 1970 par Richard Nixon et qui conditionne les prestations sociales à un travail.

Emmanuel Macron juge « difficile » de mieux payer les enseignants qui ne « font pas plus d’effort ».

Les modalités de ce travail sont encore inconnues, mais les bénéficiaires du RSA devront, dans les faits, effectuer un travail à mi-temps pour une rémunération proche du salaire minimum. La mise en œuvre concrète d’une telle réforme risque, au reste, de poser problème mais l’idée est claire : il s’agit de déligitimer les prestations sociales en tant que telle, de soumettre ses prestataires à une logique marchande et, partant, d’exercer une pression sur la partie du monde du travail la plus mal payée en intensifiant la concurrence. 

Cette proposition va encore offrir aux entreprises un bassin d’emplois pris en charge par l’État. Ce travail de sape est cependant plus large. Emmanuel Macron propose partout de renforcer la logique marchande et la concurrence. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre cette idée que l’on « ne traiterait pas la pauvreté ou la précarité uniquement au travers de prestations monétaires ». Mais la vision est plus large. 

Aux enseignants, il refuse toute valorisation générale au profit d’un paiement pour de nouvelles prestations – remplacements inopinés, soutiens personnalisés –, jugeant « difficile » de mieux payer ceux qui ne « font pas plus d’effort ». Aux salariés, il propose de « monétiser » le compte épargne temps. Pour les services publics, il souhaite un approfondissement des « appels ouverts à projets » où leur organisation serait soumise aux propositions du secteur privé, mais aussi une « simplification » qui réduirait le pouvoir normatif de l’État à travers des « lois d’exception »

La concurrence devra s’installer partout : entre les collectivités locales qui auront une « liberté d’innovation sur le terrain » dans un contexte où l’État leur demandera un « effort » de 20 milliards d’euros par an, mais aussi dans les universités et les écoles qui seront soumises à « l’autonomie ». Comme il l’avait esquissé à Marseille en septembre 2021, le candidat a confirmé vouloir permettre aux chefs d’établissement d’effectuer des recrutements « sur profils », rompant ainsi avec la promesse d’égalité territoriale de la fonction publique.

Reprise des récits dominants de la finance et du patronat

De façon globale, alors que les mesures disciplinaires contre le travail se multiplieraient, Emmanuel Macron veut poursuivre celles favorables au capital : un plan de subvention de la recherche de 30 milliards – pour notamment fonder un « Metaverse européen » (sic) –, une nouvelle baisse d’impôt de production, ainsi qu’une soumission de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale à la logique des entreprises. 

La nouvelle baisse annoncée des impôts de production, en l’occurrence de la contribution sur la valeur ajoutée (CVAE) vient prouver que le cœur du projet économique reste le même qu’en 2017. Ces 7,5 milliards d’euros par an viendraient en effet s’ajouter aux 10 milliards par an offerts depuis 2020. Très significativement, le candidat-président s’est soumis à la demande expresse du patronat sur ce sujet, comme l’ont fait avant lui Éric Zemmour et Marine Le Pen. 

Entre le Metaverse et les impôts de production, Emmanuel Macron reprend dans son programme les récits dominants de la finance et du patronat, confirmant son ancrage à droite. Les ménages, eux, devront se contenter de quelques mesures saupoudrées ici ou là, comme le relèvement à 150 000 euros de l’exonération des droits de succession, la suppression de la redevance télévisuelle ou la baisse des cotisations sur les indépendants. Le candidat-président a promis que cela équivalait aux 7,5 milliards d’euros offerts aux entreprises. 

Mais la réalité est que, face à la crise inflationniste qui pèse sur les revenus réels de la majorité de la population, il regarde ailleurs : il n’a pas dit un mot sur la hausse des prix, en dehors des mesures déjà lancées, et a soigneusement évité la question du niveau des salaires. La promesse du président sortant est donc au mieux de laisser les ménages prendre une large part de l’ajustement à la hausse des prix. Le tout avec l’épée de Damoclès constante d’une assurance-chômage vouée à être de plus en plus restrictive. Au final, c’est bien une forme de redite bavarde mais peu ambitieuse de son programme économique antisocial qu’a proposé Emmanuel Macron. 

Un système qui fera que le refus d’asile vaudra obligation de quitter le territoire français.

Sur le volet régalien, pudiquement qualifié « pacte républicain », le chef de l’État a là aussi confirmé adopter toutes les antiennes de la droite classique, notamment sur l’immigration. Il a ainsi annoncé vouloir opérer une « refonte de l’organisation du droit d’asile et de séjour », « avec un système qui fera que le refus d’asile vaudra obligation de quitter le territoire français », les possibilités de recours étant aujourd’hui trop nombreuses à ses yeux.

Rappelant que la France « a et aura à faire face à des arrivées importantes de femmes et d’hommes qui fuient l’Ukraine », Emmanuel Macron a indiqué vouloir également revoir « notre modèle d’intégration ». « La carte de séjour pluriannuelle sera donnée dans des conditions beaucoup plus restrictives », a-t-il précisé. En introduction de sa présentation, il avait pourtant souligné son « attachement à un humanisme », qu’il considère même comme une « conviction philosophique ».

Alors qu’il avait récemment assuré que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes serait de nouveau la grande cause de son nouveau quinquennat, le président sortant n’a pas dit un mot sur le sujet. À peine a-t-il répondu à une question portant sur son opposition à l’allongement du délai légal de l’IVG, voté cette année par le Parlement contre l’avis du gouvernement. Il s’est « engagé » à ne pas aller au-delà, estimant que l’avortement est « toujours un drame pour les femmes ».

Se faisant chantre de la « simplification », Emmanuel Macron a expliqué vouloir mettre en œuvre un « droit à la différenciation qui permettra à chaque territoire, y compris de revenir sur les organisations territoriales établies ». Interrogé sur les récents propos de son ministre de l’intérieur sur une éventuelle autonomie pour la Corse, il s’est contenté de relire ce qu’il avait déjà dit sur le sujet durant la campagne de 2017, puis en 2018, sans jamais aller au bout du « pacte girondin » promis à l’époque.

Virage à 180 degrés opportuniste

Un exemple, parmi d’autres, des annonces et mesures bricolées à la dernière minute, distillées depuis quelques mois, à l’approche de l’élection présidentielle. Pour tenir la campagne avec un tel programme, le chef de l’État compte sans doute sur sa position de sortant qui lui offre en réalité non seulement une forme d’avantage permettant de se présenter comme le « capitaine » dans la tempête, mais aussi qui lui offre de disposer des leviers de l’État pour envoyer des messages à l’opinion. 

L’autre exemple de ce mélange des genres sous forme de virage à 180 degrés opportuniste, c’est l’annonce surprise de la revalorisation « avant l’été » du point d’indice des fonctionnaires. Pendant cinq ans, la ligne macroniste a été constante et claire sur ce dossier : l’augmentation générale des salaires des agents publics induite par le relèvement du point d’indice était à bannir au profit de mesures « ciblées ».

En décembre dernier, la ministre de la transformation et de la fonction publique, Amélie de Montchalin, avait d’ailleurs repoussé avec dédain les demandes de revalorisation demandées par tous les syndicats de la fonction publique. « Ce n’est pas avec une simple hausse du point d’indice, solution de facilité utilisée par tant de gouvernements […] que l’on peut vraiment résoudre et résorber les inégalités dans notre fonction publique », avait alors martelé celle qui, trois mois plus tard, annonçait donc un « dégel » de ce point d’indice.

La ministre a certes prétendu que ce geste brusque n’était pas « électoraliste », mais « économique » : l’accélération de l’inflation obligerait à cette revalorisation. Mais l’argument ne résiste pas une seconde à l’analyse. L’accélération de l’inflation ne date évidemment pas de l’attaque russe contre l’Ukraine, mais a commencé à l’été dernier. La question économique se posait donc au 1er janvier avec une inflation annuelle – non harmonisée – de plus de 3 % qui a été entièrement prise en charge par les fonctionnaires.

Certes, une inflation plus élevée rend le gel du point d’indice politiquement intenable. Mais la volte-face gouvernementale se limite à un effet d’annonce. Amélie de Montchalin ne s’est en effet pas engagée sur le montant de ce dégel. Or, en période de forte inflation, c’est ce point qui est crucial. Si la hausse du point est, par exemple, de 2 % avec une inflation de 5 %, la situation réelle des fonctionnaires sera la même qu’en janvier et en aucun cas les pertes immenses de pouvoir d’achat accumulées par les agents publics depuis la fin des années 2000 ne sera compensée. Il ne suffit donc pas de dire que le point d’indice sera dégelé, il faut dire de combien. 

On comprend ici que l’opération ressemble bel et bien à un rideau de fumée, laissant penser que si le président sortant est réélu en avril, la situation des fonctionnaires s’améliorera. 

Du côté de l’inflation, le chef de l’État n’a pas ménagé les effets d’annonce, de la prime inflation de 100 euros cet automne à la baisse de 15 centimes au litre promise au 1er avril la semaine dernière. Dans tous les cas, ces mesures sont cosmétiques, puisqu’elles évitent soigneusement de traiter l’essentiel du problème que pose l’inflation : celui du partage de son poids entre les salaires et les profits. 

Tout se passe comme si le président de la République avait cherché, à coup d’argent public, à gagner du temps en faisant croire qu’il soutenait le pouvoir d’achat pour reporter les vraies décisions à plus tard. Là encore, on est dans l’effet d’affichage électoraliste pur. Et son silence durant sa présentation sur le sujet, le plus brûlant du moment pour les ménages français, confirme cette idée.

publié le 19 mars 2022

Sophie Camard : « L’intérêt général des Marseillais nous oblige à surmonter nos désaccords à gauche »

sur http://www.regards.fr/

En juin prochain, ça fera deux ans que la nouvelle équipe municipale de gauche s’est installée à Marseille. Qu’est-ce qui a changé ? Sophie Camard, maire du 1er secteur de Marseille, est l’invitée de #LaMidinale.


 

UNE MIDINALE À VOIR… https://youtu.be/ssSEaWRaeDw

 

ET À LIRE…


 

Sur le changement à Marseille

« Les Marseillais commencent à percevoir le changement. »

« Les villes voisines de Marseille sont plus riches que Marseille et ne veulent pas payer pour Marseille. »

« Il y a une prise de conscience de la part des Marseillais de la nécessité de transformer la ville. Les attentes sont énormes. »

« Aujourd’hui, on est encore dans des phases de concertation avec les habitants. Dans mon secteur, on a mis en place ce qu’on a appelé une contribution citoyenne avec les habitants et les "habitués". »

« On n’a pas trahi notre programme pour lequel on a été élus. »

« Les gens nous soutiennent et nous poussent à aller plus loin. »

« Les Marseillais sont conscients de la situation qu’on a trouvé avant notre arrivée. »

Sur le plan de l’Etat pour Marseille

« L’ANRU va nous aider à réhabiliter quelques dizaines de quartiers. »

« Nous allons remettre du logement social dans le centre ville là où il y a du logement indigne. »

« Nous allons aussi accompagner les propriétaires privés, ceux qui ne peuvent pas réhabiliter leurs immeubles. »

« On a eu une crise humanitaire énorme avec 5000 habitants délogés. »

« On tient à garder la mixité sociale dans Marseille. »

« Le 1er secteur est un peu la vitrine de Marseille. »

« Il n’y a pas de critère de revenus sur la honte que l’on peut ressentir d’avoir une ville dans une tel état. »

« Les Marseillais ne supportaient plus d’avoir une ville dans un mauvais état, riches comme pauvres. »

Sur le maintien du Marseille populaire

« Il faut reprendre de manière très volontariste la construction de logements sociaux. »

« 80% des Marseillais peuvent prétendre à un logement social. »

« On est allé chercher les financements de l’ANRU. »

« On a découvert - même si on le savait - les chiffres des locations saisonnières. On va être confronté aux mêmes problèmes : comment réguler Airbnb et ses 10.000 locations saisonnières, alors qu’il y a 40000 demandes de logements à Marseille ? »

« On avait demandé l’encadrement des loyers mais comme c’est une compétence de la métropole, à droite, nous ne l’avons pas eu. »

« Nous avons besoin de mesures d’ensemble, à l’échelle du pays pour répondre à la hausse des prix en général. »

« La ville ne peut pas, seule, faire face à la spéculation. Le national doit nous aider à mieux réguler cette situation. »

« La volonté politique compte. »

Sur l’effectivité des plans

« Aller chercher de l’argent était le premier préalable. Maintenant, nous devons nous assurer que l’argent de l’Etat arrive bien sur le terrain. »

« Si on n’arrive pas à lancer tout ce que l’on a promis, je ne pourrai pas me regarder dans la glace. Donc c’est hors de question qu’on n’y arrive pas. »

« On est condamné au résultat. On est obligé d’être pragmatique et opérationnel. On travaille beaucoup. »

« Je veux être une élue jugée sur le nombre d’échafaudages dans les rues de Marseille. »

« On n’a pas été élus pour faire un plan de communication. »

Sur la majorité de gauche à Marseille

« On a tellement de travail qu’on n’a pas le temps de se disputer. »

« Ce qu’on à faire à Marseille sont des gros fondamentaux de gauche : l’école publique, les inégalités de territoires, le logement social, l’écologie, les transports collectifs. Il n’y a pas matière à se disputer là-dessus. »

« Il y a une forme d’intérêt général à Marseille qui nous a obligé à surmonter nos désaccords. »

« Si j’avais pas gagné l’élection, je serais partie de cette ville. J’en pouvais plus de cette ville. »

« Il y a 90 des nouveaux élus de Marseille dont c’est la première expérience politique. »

« À Marseille, on est arrivé sur un champ de ruines. La gauche avait été balayée. »

« Ce qui fédère, c’est Marseille. Les gens comprennent ce qu’on fait - y compris quand le maire de Marseille s’affiche avec Emmanuel Macron pour aller chercher de l’argent pour les Marseillais. »

Sur Jean-Luc Mélenchon

« Mélenchon avait tout un espace qui lui appartenait parce qu’il incarnait une alternative. »

« Mélenchon n’a pas souhaité s’engager sur le local marseillais et j’ai acté mes désaccords avec lui. »

« Les personnalités du printemps marseillais se sont un peu toutes rebellées contre nos chefs. Ça plaît aux gens. Michèle Rubirola n’avait pas soutenu l’investiture EELV. Benoît Payan ne soutient pas Anne Hidalgo et il n’était pas en odeur de sainteté au PS. Moi je me suis disputée avec Jean-Luc Mélenchon. Les gens aimaient bien ce récit. »

Sur son soutien à Fabien Roussel

« A titre personnel, je suis une vraie pastèque : j’ai toujours été rouge chez les verts, verte chez les rouges. »

« Je travaille pour l’écologie avec les classes populaires et le monde du travail. Je ne veux pas qu’on aboutisse à une écologique coupée du peuple. »

« Aux élections régionales de 2015, j’étais tête de liste d’une union EELV - Front de Gauche : la dialectique sur la transition énergétique, sur l’industrie ou l’économie verte, je pratique ! »

« Avec Fabien Roussel, je reviens à mes anciennes amours et ce, d’autant plus que je travaille avec les communistes au quotidien. Marseille a toute une histoire et un héritage communistes. »

« Je pense que Fabien Roussel participe à pouvoir faire voter une certaine partie de l’électorat qui, aujourd’hui, peut-être, ne voterait pas. »

« Il faut prendre du recul par rapport aux bulles militantes : vous connaissez tous des électeurs de gauche… bah ils n’ont pas la pêche : 25% au total, des candidatures divisées, beaucoup des électeurs qui disent qu’ils vont se décider à la dernière minute, un appel au vote utile pour être au second tour mais sans être sûr de gagner. »

Sur Jean-Luc Mélenchon

« En 2017, j’étais heureuse que Jean-Luc Mélenchon ait réussi la fusion de toutes ces sensibilités : l’Avenir en commun, c’est remarquable en termes programmatiques. Le problème, c’est que Jean-Luc Mélenchon a une stratégie nationale et il ne s’adapte pas aux villes dans lesquelles il vient, c’est les villes qui doivent s’adapter à lui. A Marseille, je ne pouvais pas suivre sa stratégie rouleau-compresseur vis-à-vis des autres forces politiques, surtout que la France insoumise à Marseille est passée de 25% à la présidentielle en 2017, à 8% aux européennes en 2019. »

« Apparemment, Jean-Luc Mélenchon ne devrait pas être candidat [à sa réélection] - c’est ce qu’il a toujours dit. »

« Tout le monde attend les scores à la présidentielle pour entamer les négociations de dernière minute pour se répartir les circonscriptions. Et comme les législatives, c’est la déclinaison de la présidentielle, j’espère que l’on ne sera pas suffisamment débile pour perdre l’une des circonscriptions les plus à gauche de France. »

« Au niveau du Printemps marseillais, on essaiera de faire toutes les médiations possibles mais on est dépendant des négociations nationales qui vont nous tomber dessus. »

« Il faut une dynamique politique et arrêter de s’occuper de ses concurrents. Nous, au Printemps marseillais, on avait EELV qui avait fait une liste à part et ça ne nous a pas empêcher de gagner. »

« Je veux dire à la France insoumise : que le meilleur gagne. »

« Il faut permettre des expressions pluralistes de la gauche pour pouvoir avancer après. »

« Le discours du parti unique rouleau compresseur, ça ne permet pas d’avancer. »

« Je ne me reconnais pas trop dans la politique nationale et je ne me présenterai pas aux législatives parce que j’ai l’impression que mon mandat local est plus utile : quand on est maire, on ne peut pas mentir aux gens. »

« Etre élue à l’Assemblée nationale, ça ne m’intéresse pas : faire le pitre dans des vidéos pour faire des likes, ça ne m’intéresse pas. J’aimerais bien qu’on passe à autre chose. »

publié le 18 mars 2022

Accroc aux cabinets de conseil,l’État se saborde

Floent LE DU et Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Sous le quinquennat, le recours aux consultants privés a explosé au sein des ministères, révèle le rapport de la commission d’enquête sénatoriale publié jeudi.

«Un pognon de dingue. » En 2021, plus d’un milliard d’euros ont été dépensés par l’État pour s’attacher les services de cabinets de conseil privés. Une évaluation « a minima », qui pourrait atteindre jusqu’à 3 milliards d’euros, précise le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur « l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques », qui a rendu ses travaux jeudi. En paraphrasant Emmanuel Macron, lorsqu’il évoquait les minima sociaux, la sénatrice communiste Éliane Assassi, rapporteure et à l’origine de cette commission, montre une tout autre réalité du « gâchis » qui peut exister dans les dépenses publiques. Le recours à ces cabinets constituerait selon le rapport « un phénomène tentaculaire et opaque ». « Des pans entiers des politiques publiques sont délégués à des consultants qui n’ont aucune légitimité démocratique », dénonce l’élue PCF.

L’État, à force de se passer des fonctionnaires, serait même devenu « dépendant » de ces cabinets, appelés pour préparer des séminaires, des réformes, des stratégies de réduction des coûts, de la communication et de la logistique… Sous Macron, ces recours ont explosé : les dépenses de l’État en la matière ont plus que doublé depuis 2018. Certes, la crise sanitaire est passée par là, mais les dépenses liées ne correspondent « que » à 41 millions d’euros (pour une augmentation globale qui avoisine les 500 millions). Le Covid-19 aura en tout cas permis de mettre en lumière cette hausse exponentielle. En janvier 2021, l’opinion publique découvre, stupéfaite, que le ministère de la Santé a demandé au cabinet McKinsey, pour 2 millions d’euros par mois, d’organiser la logistique de sa campagne vaccinale. Pendant la crise, « McKinsey est la clé de voûte de la campagne vaccinale, Citwell le logisticien des masques et de la vaccination, Accenture l’architecte du passe sanitaire », résume Éliane Assassi. Elle ajoute : « En moyenne, une journée de consultant est facturée 2 168 euros. »

Pendant ses travaux, la commission d’enquête a pu compiler de nombreux exemples de prestations, très chères, dont les intérêts étaient moindres, voire nuls. Lors de son audition en décembre 2021, Karim Tadjeddine, directeur associé de McKinsey France, a ainsi eu toutes les peines à justifier les 496 000 euros perçus par son entreprise pour « évaluer les évolutions du métier d’enseignant ». Il s’agissait en réalité de préparer un séminaire sur le sujet… qui n’a jamais été organisé. La plupart des missions recensées posent la même question : pourquoi les avoir déléguées au privé, alors que les agents de la fonction publique en ont les compétences ? Il en va ainsi des 920 000 euros touchés par McKinsey pour la préparation d’une potentielle ­réforme des retraites en 2019 auprès de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse, ou des 4 millions d’euros payés à McKinsey, encore, pour mettre en œuvre la réforme des APL – « cette même réforme qui réduisait les aides de 5 euros par foyer », rappelle Éliane Assassi.

 Des dépenses qui passent mal, alors que le point d’indice est gelé depuis douze ans

Les ministres auditionnés au Sénat ont mis en avant trois raisons pour lesquelles ils font appel à ces cabinets : la ­recherche d’une compétence spécifique ; la recherche d’un regard extérieur ; faire face à un pic d’activité. Des arguments largement battus en brèche par le rapport de la commission d’enquête, en particulier sur le supposé manque de compétences spécifiques en interne, même si ce déficit peut exister, notamment dans le domaine informatique. « Mais c’est surtout parce qu’on ne cherche pas du tout à former les fonctionnaires qui le réclament », indique Delphine Colin, secrétaire nationale de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT. Pour le chercheur au CNRS Frédéric Pierru, le recours accru aux consultants entraîne aussi un cercle vicieux : « Leur ­intervention systématique fait perdre des compétences, ce qui rend encore plus nécessaire l’intervention des cabinets. » Beaucoup de fonctionnaires se sentiraient ainsi dévalués. D’autant que les administrations ne recensent plus suffisamment, selon le rapport, leurs besoins en compétences. Auprès des agents du service public, ces dépenses mirobolantes en consultants passent mal, alors que leur point d’indice est gelé depuis douze ans et que les effectifs s’assèchent. « Le recours aux cabinets privés relève de choix politiques. L’objectif est d’éteindre la fonction publique d’État, en la contournant et en cassant les statuts », tance la sénatrice Éliane Assassi. Si les consultants viennent vraiment pallier un manque de personnel, que dire des 180 000 postes supprimés dans la fonction publique entre 2006 et 2018 ?

Les agents publics évoquent d’ailleurs souvent des infantilisations et du mépris de la part des consultants, en plus de l’utilisation d’un jargon très « start-up nation ». Dans ses préconisations, la commission sénatoriale propose ainsi que les cabinets « respectent l’emploi de termes français », l’usage d’anglicisme participant, selon le président LR de la commission, Arnaud Bazin, à « un rapport de forces et au rabaissement des agents de l’administration ». Les cabinets de conseil privés proposent en effet d’introduire des « méthodes disruptives » dans l’administration publique, en privilégiant les PowerPoint, les gommettes, les jeux de rôle… « C’est le risque d’une république du Post-It », alerte Éliane Assassi. Pour la syndicaliste Delphine Colin, il y a dans l’exécutif de Macron une « fascination du privé » qui peut expliquer le recours exponentiel aux consultants : « Ils veulent qu’on applique partout les mêmes méthodes de management, d’organisation que dans le privé. »

 Payés pour évaluer les économies réalisables par les administrations

La « transformation de l’État » est d’ailleurs l’un des domaines de prédilection des cabinets de conseil privés lorsqu’ils interviennent auprès des administrations. Depuis 2018, les frais engagés auprès des cabinets pour des missions des « conseils en stratégie et organisation » ont été multipliés par 3,7. Un coût énorme pour… ­réduire les dépenses. « C’est le paradoxe du serpent : les préconisations des cabinets de conseil affaiblissent les ressources de la sphère publique, qui dépend de plus en plus d’eux ». Ainsi, McKinsey a estimé en 2018 qu’il y avait entre 20 % et 25 % de lits en trop à l’hôpital. Et en février 2021, le ministère de l’Économie a mandaté le cabinet Accenture dans l’objectif de réaliser 800 millions d’euros d’économies sur les services de l’État… « Avec cette commission, nous avons voulu démontrer qu’un système se met en place, qui veut remplacer celui de la fonction publique, juge même Éliane Assassi. Si on ne met pas un frein maintenant, des pans entiers de notre administration seront confiés au privé. »

Les cabinets de conseil évaluent ainsi les économies réalisables par les administrations, en influençant fortement la politique publique qui sera mise en place, sans être guidés par la recherche de l’intérêt général, contrairement aux fonctionnaires censés conduire ce type de missions. « Ou l’inverse : le décideur public va commander les missions en orientant ses demandes, pour que les préconisations correspondent à ses attentes », précise Arnaud Bazin.

Une double influence très problématique, dans un cadre très opaque. Même la commission d’enquête sénatoriale n’a pu avoir accès à tous les rapports des cabinets, encore moins à leurs conséquences dans les décisions prises. Les représentants des fonctionnaires déplorent aussi ne jamais être au courant de l’arrivée de consultants dans leurs équipes. L’État lui-même n’a pas de vision globale sur ses commandes. Les sénateurs de la commission, qui préparent une proposition de loi en ce sens, suggèrent ainsi de publier la liste des prestations commandées par l’État, d’en assurer la traçabilité, ou encore d’impliquer la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Notamment via un contrôle déontologique systématique lorsqu’un consultant rejoint l’administration ou qu’un responsable public est recruté par un cabinet. Un « pantouflage » présent dans le domaine du « consulting », causant de grands risques de conflits d’intérêts.

Tout comme la proximité entre certains mouvements politiques et des cabinets privés. Pendant la campagne de 2017, Karim Tadjeddine, de McKinsey, avait ainsi utilisé son mail professionnel pour dialoguer avec le mouvement En marche. Ce même Karim Tadjeddine est par ailleurs accusé par la commission d’enquête de « faux témoignage », pour avoir assuré lors de son audition que McKinsey payait des impôts sur les sociétés en France, « ce qui n’est pas le cas depuis au moins dix ans », a déclaré le président de la commission, Arnaud Bazin. Parmi ses autres préconisations, la commission d’enquête propose d’interdire les « prestations gratuites “pro bono” », une pratique commerciale qui permet aux cabinets de s’offrir une publicité et une image de marque dans le privé sur le dos de l’État. La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, avait émis un avis dans ce sens, lors de son audition le 15 février dernier. Le jour même, le premier ministre, Jean Castex, prenait une circulaire pour un « changement de doctrine » en matière de recours aux cabinets, avec l’objectif de réduire de 15 % les dépenses en la matière. « C’est opportun, tranche Éliane Assassi. Avec cette commission, il y a une certaine fébrilité qui a parcouru les rangs du gouvernement. Mais est-ce qu’il faut croire les pompiers pyromanes ? »

 publié le 18 mars2022

Le révélateur ukrainien

Robert Kissous - Communiste - Militant associatif - Rencontres Marx sur https://blogs.mediapart.fr/

Une invasion condamnable sur tous les plans : violations de l’intégrité territoriale d’un pays souverain, bombardements de civils ... Les morts, les blessés, les destructions … La paix ne viendra pas si les problèmes politiques essentiels ne sont pas abordés "Pour pouvoir arrêter cette guerre, il faut comprendre les antécédents qui l'ont rendue possible. »

Cela fait deux semaines que la Russie a envahi l’Ukraine. Une invasion condamnable sur tous les plans :violations de l’intégrité territoriale d’un pays souverain, bombardements de civils... Les morts, les blessés, les destructions, plus de 2,5 millions de réfugiés et autant de déplacés au sein de l’Ukraine, les familles qui cherchent où fuir… La protection des civils par des corridors humanitaires et surtout un cessez-le-feu à instaurer d’urgence pour que cesse cet enfer dans lequel des millions de civils sont plongés. Les troupes russes doivent se retirer. L’Ukraine doit retrouver sa pleine souveraineté et une sécurité pleinement garantie. 

Les antécédents de la guerre et l’expansion de l’OTAN

Mais la paix ne viendra pas si les problèmes politiques essentiels ne sont pas abordés et en premier lieu celui de l’extension constante de l’OTAN malgré la dissolution de l’URSS et du Pacte de Varsovie. Soyons clairs, cela ne justifie d’aucune manière l’invasion de l’Ukraine par la Russie ni les atrocités commises.

L’extension est voulue par les Etats-Unis qui craignaient que, sans l’existence de danger soviétique, l’Europe et la Russie forment un ensemble qui échappe à leur tutelle[1].

Comme le dit Andreï Makine : « À force de répéter des évidences, on ne propose absolument rien et on en reste à une vision manichéenne qui empêche tout débat et toute compréhension de cette tragédie. On peut dénoncer la décision de Vladimir Poutine, cracher sur la Russie, mais cela ne résoudra rien, n'aidera pas les Ukrainiens. Pour pouvoir arrêter cette guerre, il faut comprendre les antécédents qui l'ont rendue possible. »[2][3]

Très clairement la Russie a fait connaître son refus catégorique de voir les forces de l’alliance atlantique, l’OTAN, à sa frontière et des missiles installés à quelques minutes de vol de Moscou. Il n’est pas difficile de comprendre ce refus russe qui concerne particulièrement l’Ukraine et la Géorgie, il suffit de se rappeler les menaces nucléaires brandies par Kennedy contre l’installation de missiles soviétiques en 1962 à Cuba. Ce qui serait compréhensible pour l’un serait inacceptable pour l’autre ?

D’autant que le journal allemand Der Spiegel et d’autres ont confirmé l’existence d’un engagement de Washington et des puissances occidentales, lors de la réunification allemande, à ne pas étendre l’OTAN vers l’Est. Certes ce n’était pas un traité ou un accord en bonne et due forme.

De très nombreuses personnalités aux EU ont depuis longtemps alerté sur le risque de se heurter à la Russie si l’on s’obstinait en ce sens[4]. Citons un ancien ambassadeur des États-Unis en Russie, Jack Matlock qui écrivait peu avant l’invasion : « puisque la principale exigence de Poutine est l’assurance que l’OTAN ne prendra pas de nouveaux membres, et en particulier pas l’Ukraine ni la Géorgie, il est évident que la crise actuelle n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas eu d’expansion de l’Alliance après la fin de la guerre froide, ou si l’expansion s’était faite en harmonie avec la construction d’une structure de sécurité en Europe qui incluait la Russie ». Et il poursuivait, concluant que la crise « peut être facilement résolue par l’application du bon sens… Selon toute norme de bon sens, il est dans l’intérêt des États-Unis de promouvoir la paix et non le conflit. Essayer de détacher l’Ukraine de l’influence russe — le but avoué de ceux qui ont agité les révolutions de couleur — était une course folle et dangereuse. Avons-nous si vite oublié la leçon de la crise des missiles de Cuba ? ».

Les EU, avec qui la Russie négociait considérant que l’Ukraine n’était pas décisionnaire, ont préféré ignorer ces demandes sécuritaires. Il n’y fut en tout cas jamais répondu positivement. 

L’hégémonie mondiale des EU a fait son temps

Les EU se trouvent face à une situation nouvelle depuis plus d’une décennie. Sortie gagnante de la confrontation avec l’URSS elle avait crû que l’histoire était finie et que son hégémonie mondiale durerait jusqu’à la fin des temps avec un camp occidental dominant le monde depuis quelques siècles. Mais ce film, digne des happy end hollywoodiens, n’a pas eu le succès escompté. La Chine deviendra bientôt la première puissance économique mondiale malgré toutes les entraves étatsuniennes : boycotts, taxations, sanctions de toutes sortes … Plus profondément c’est l’ensemble des pays en développement qui voient leur poids dans le monde augmenter. Et l’on assistait à un renforcement du lien entre la Russie et la Chine du fait des sanctions entreprises contre l’un et l’autre. Pas question donc de céder à la Russie : affaiblir drastiquement la Russie pour pouvoir mieux « s’attaquer » à la Chine que les EU considèrent comme la principale menace à leur hégémonie. 

L’instrumentalisation des « valeurs »

La bataille se mène aussi sur le terrain des « valeurs », au nom de la démocratie et des droits de l’homme contre la dictature, et pour le droit international contre l’agression.

Les grandes ou moyennes puissances invoquent ces valeurs uniquement lorsque ça les arrange pour avoir le soutien et la mobilisation de l’opinion publique. Puis les « oublient » quand ça les arrange, quand la violation du droit ne doit pas être combattue. Le droit international, la démocratie, les droits de l’homme sont tout simplement instrumentalisés. Utilisés à « géométrie variable » ils servent d’instruments de pression. Faut-il se laisser instrumentaliser ?

Se battre pour le respect et l’application de ces valeurs ne peut se faire avec de tels partenaires, en fait on ne mène pas la même bataille. On ne défend pas les mêmes intérêts ni les mêmes principes. Dire Non à l’invasion de l’Ukraine ou dire Non à cette invasion ET refuser l’OTAN, son expansion ou mieux son maintien, ce n’est pas la même chose. On ne construit pas la même opposition.

Dans ce combat doit-on « oublier » les violations du droit commises ailleurs ? Doit-on écouter sans broncher une journaliste de France24 déclarer avec conviction qu’à notre époque « on n'aurait jamais pensé qu'un état souverain attaque un autre état souverain » ? On croit rêver, est-il possible qu’une journaliste n’ait jamais entendu parler de l’Irak ou de l’Afghanistan etc. ? Ou est-ce que ces pays ne sont pas considérés comme ayant droit à la souveraineté ?[5]

En une semaine la Cour pénale internationale a ouvert le dossier des crimes de guerre en Ukraine par Poutine. Mais dans la salle d’attente il ne devrait pas y avoir d’abord Georges W. Bush . Netanyahou ? et bien d’autres. Quel respect peut-on accorder à une institution judiciaire sachant qu’elle est complètement instrumentalisée par les états les plus puissants ? Est-on dans la force du droit ou dans le droit de la force ? 

Viser à l’effondrement de l’économie russe ?

Le camp occidental a décidé de ne pas se lancer dans l’affrontement militaire direct contre l’invasion russe malgré certains pyromanes qui y poussent. Reste l’arme des sanctions économiques. C’est la voie qui a été prise, viser fortement les milliardaires russes, saisir leurs biens. Mais avec une volonté dangereuse de destruction de l’économie russe. Bruno Le Maire a parlé de guerre économique puis s’est rétracté après une remarque de Medvedev. C’est pourtant cela qu’il a en tête lorsqu’il déclare ; « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe » ou encore, «d’arme nucléaire financière» en parlant de l’exclusion de banques russes de la plateforme SWIFT. L’Europe n’a pas  intérêt à cet effondrement ni à la rupture totale vers lequel la pousse les EU, qui y trouvent leur intérêt économique et politique.

Un scénario du type Irak est-il envisagé ? Un sénateur républicain a appelé à assassiner Poutine.La plupart des pays en développement et émergents ne participent pas au boycott bien qu’ayant voté majoritairement la condamnation de l’invasion russe[6]. Pour beaucoup c’est un problème occidental. Beaucoup savent bien que si la Russie « tombe » leur marge de manœuvre de résistance aux pressions occidentales se réduira sensiblement. Alors qu’aujourd’hui ils peuvent davantage faire prévaloir leurs intérêts en mettant en concurrence des puissances rivales. Ce n’est pas le racisme ouvertement et parfois violemment exprimé à l’encontre des réfugiés noirs ou « basanés » qui les aura convaincus de s’engager. Le monde islamique a été tellement maltraité, humilié qu’on voit mal ces pays se mobiliser pour le camp occidental[7]. La déclaration de notre président lue par M. Castex au diner du CRIF le 24 février, alors qu’on nous parlait du droit international pour l’Ukraine, reconnaissait Jérusalem capitale éternelle du peuple juif. Exit les Palestiniens et la Palestine. A qui fera-t-on croire qu’il y a égalité de traitement, que le droit international préside vraiment aux décisions ? Que dire de la déclaration du président de l’Ukraine après le bombardement israélien de la bande de Gaza en mai 2021, affirmant que la seule tragédie à Gaza était celle subie par les Israéliens.[8]Reste que la sévérité des sanctions occidentales entraînera une crise mondiale, annoncée par le FMI[9], dont toutes les conséquences ne sont pas encore perçues : réduction du taux de croissance prévu, forte inflation particulièrement sur les matières premières, désorganisation des circuits d’approvisionnement et des échanges financiers. Les pays du Sud la subiront de plein fouet avec l’insécurité alimentaire et son cortège de famines. Les Etats-Unis s’en sortiront le mieux, on le voit déjà par l’afflux des capitaux vers le dollar, valeur refuge des marchés financiers. Sans compter que la rupture de liens économiques UE–Russie profitera quasi exclusivement aux EU. Sous la pression des EU, l’UE se sanctionne elle-même. Les sanctions qui se répercuteront sur les peuples ou qui provoquent une crise mondiale n’arrangeront rien et ne feront pas plus reculer la Russie.La Chine comme d’autres a confirmé maintenir sa coopération avec la Russie, y compris les grands projets, sans se plier aux injonctions étatsuniennes.

L’importance considérable des sanctions économiques conduiront de toutes façons à un profond remodelage de l’économie russe et de celle de l’UE. Un découplage énorme qui mettra du temps, de part et d’autre, à trouver son nouveau point d’équilibre. Au vu des défections considérables des compagnies étatsuniennes dans le secteur du numérique et des attaques précédentes contre les compagnies chinoises par les EU, il faut s’attendre au développement en parallèle de deux « mondes » numériques distincts. Et une dédollarisation avec développement important des systèmes de paiement (concurrents de Swift) existants en Chine, Russie.[10]

 Une censure plus que partisane

La France a interdit tous médias supposés liés à l’Etat russe dont RT-France, le plus connu. L’UE a étendu cette censure sur tout son territoire. RFI et France 24 ne sont-ils pas des médias d’Etat ? En tout cas on est abreuvé par les positions politiques du Ministère des affaires étrangères, présentées comme des informations.Youtube se joint à la « fête » : le blocage des médias financés par Moscou va s'appliquer dans le monde entier.Sur des chaînes télévisées, en France notamment, on débat froidement de l’assassinat possible de Poutine. Plus encore, Facebook autorise « temporairement » les appels à la haine et au meurtre contre l’armée russe et Poutine, même du groupe néo-nazi Azov. On avait la censure, on a maintenant les néonazis en prime, invités sur Facebook pour désigner des cibles[11]. Les autorités judiciaires et politiques n’ont-elles rien à dire ?

Pourquoi n’a-t-on rien vu de comparable lors de l’agression de l’Irak par Georges Doubleyou ? On n’ose penser que cela tienne à la situation hégémonique des EU nous qui croyons à la déontologie journalistique.

Y a-t-il des journalistes dans « l’avion » pour réagir ? Certains se sont rapidement manifestés. Bravo pour leur courage d’autant qu’ils ne sont pas nombreux dans cette période de maccarthysme triomphant. Et les autres ?

On savait ce que pouvait notre classe dominante. Maintenant on est fortement averti, l’avenir sera à la censure, associations comme médias. Coluche a dit cela avec son humour philosophe : « on ne peut pas dire la vérité à la télévision, il y a trop de gens qui regardent ».

Et que dire de la vague xénophobe anti-russe, délirante, qui a déferlé sur le monde sportif et culturel ? Elle ne vaut pas mieux que les remarques racistes de certaines chaînes de télévision sur le mode « ceux-là ne sont pas des syriens ou afghans ils sont comme nous, blancs, yeux bleus, chrétiens ». Ce sont ces médias, non censurés, qui prétendent définir les normes de la civilisation ? Lamentable.

Ce n’est en tout cas pas cette xénophobie délirante, ces appels aux meurtres qui aideront le peuple ukrainien ou les courageux pacifistes russes[12] qui osent manifester pour la paix et pour le retour des troupes russes malgré la répression que leur inflige Poutine. 

Aucune des deux parties n’écrasera l’autre, la solution est politique

Divers pays se proposent comme médiateurs pour faire avancer les solutions politiques. Le président de l’Ukraine accepte de parler de l’autonomie du Donbass et de la non-adhésion à l’OTAN. Le président russe dit qu’on note des avancées mais les bombardements se poursuivent, toujours aussi meurtriers et destructeurs. Le président ukrainien note également des avancées positives. Nous verrons, tout en espérant qu’il y ait le plus vite possible un cessez-le-feu.

Le France et l’Allemagne ont demandé à la Chine sa médiation. L’Europe se mobilise pour aider l’Ukraine et les ukrainiens tout en essayant de faire avancer les médiations, il appartient à l’UE de ne pas laisser les EU diriger les affaires en la matière[13]. Encore faudrait-il que les EU ne jouent pas à augmenter les tensions, à pratiquer la surenchère à 10.000 kms du champ de bataille. Comme s’ils voulaient que ça dure suffisamment pour épuiser la Russie économiquement et militairement. Mais sans qu’ils soient impliqués directement.

En attendant, encore des morts et des enfants marqués par l’horreur.

Robert Kissous, économiste & militant

Visitez mon blog  https://blogs.mediapart.fr/rk34/blog

[1] Paul-Marie de la Gorce https://www.monde-diplomatique.fr/1999/04/LA_GORCE/2894

[2] Andreï Makine   https://www.lefigaro.fr/vox/monde/andrei-makine-pour-arreter-cette-guerre-il-faut-comprendre-les-antecedents-qui-l-ont-rendue-possible-20220310

[3] Documentaire de Paul Moreira 2016  https://www.youtube.com/watch?v=VLXtWfTcLC4

[4] Noam Chomsky https://www.revue-ballast.fr/ukraine-le-regard-de-noam-chomsky/

[5] Hubert Vedrine  https://www.lopinion.fr/politique/hubert-vedrine-dominateur-loccident-est-devenu-manicheen

[6] Pierre Conesa  https://www.facebook.com/umuvugakuriTV/videos/685832335892770

[7] Indonésie  https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20220310-en-indon%C3%A9sie-un-surprenant-engouement-musulman-pour-vladimir-poutine

[8] Ilan Pappe  https://acta.zone/ilan-pappe-quatre-lecons-de-la-guerre-en-ukraine/

[9] FMI  https://news.bitcoin.com/imf-warns-ongoing-war-in-europe-will-have-a-severe-impact-on-the-global-economy/

[10] Le grand découplage  https://www.energyintel.com/0000017f-797c-df49-abff-fffdd6cf0000

[11] Facebook autorise  https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/03/12/facebook-autorise-temporairement-les-appels-a-la-haine-et-au-meurtre-contre-larmee-russe-et-poutine-meme-du-groupe-neo-nazi-azov/

[12] Andreï Makine   https://www.lefigaro.fr/vox/monde/andrei-makine-pour-arreter-cette-guerre-il-faut-comprendre-les-antecedents-qui-l-ont-rendue-possible-20220310

[13] Dominique de Villepin  https://www.youtube.com/watch?v=XtdeGzLa9xM


 

 

 

Le forcing de Biden pour réinstaller l’hégémonie des États-Unis

Bruno Odent sur www.humanite.fr

Washington se joue de ses alliés européens sur le terrain militaire en les faisant participer au surarmement, mais aussi sur le terrain économique en s’emparant de nouveaux marchés énergétiques, quitte à les propulser vers la récession.

Joe Biden entend bien instrumentaliser la guerre de Vladimir Poutine pour rétablir l’hégémonie de son pays. Cela se traduit par une nouvelle débauche de dépenses militaires faisant des États-Unis, et de loin, l’acteur essentiel de la dangereuse course actuelle au surarmement. Mais Washington joue aussi d’une carte plus économique et financière pour se remettre en position de leader incontesté.

L’embargo décrété par la Maison- Blanche unilatéralement contre les importations d’hydrocarbures en provenance de Russie en constitue l’illustration la plus forte. Une telle décision n’affectera pas les États-Unis tant ils sont devenus quasiment autosuffisants à la faveur de l’exploitation des pétroles et gaz de schiste. Elle introduit en revanche une pression maximale sur les alliés européens, sommés de réduire très vite leur dépendance à la Russie, en particulier en matière d’approvisionnement en gaz.

La première des économies de l’Union européenne (UE), celle de l’Allemagne, la plus dépendante au gaz russe, est d’autant plus secouée qu’elle avait déjà mis un pied dans la récession. Mi-février, avant même le déclenchement du conflit, un rapport de la Bundesbank, la banque fédérale allemande, pointait que la croissance serait négative outre-Rhin au premier trimestre 2022, comme elle l’avait été les trois mois précédents. Soit la mesure signalant l’entrée d’un pays en récession.

« la stagflation guette l’Allemagne »

La Bundesbank se voulait rassurante : ce sera un « simple trou d’air » avant une reprise vigoureuse. Sauf que la guerre a surgi et accru toutes les difficultés. De nombreux économistes allemands anticipent désormais un sensible recul du PIB. Pour Marcel Fratzscher, le chef de l’institut de conjoncture berlinois DIW, « la stagflation guette l’Allemagne ». Entendez : la combinaison d’une inflation forte et d’une activité en berne. Et quand le moteur de la zone euro tousse, ce n’est naturellement pas sans répercussions sur le reste de l’UE, France comprise. Outre la flambée accentuée des prix du gaz et de matières premières cruciales comme le nickel ou le palladium, la guerre aggrave les ruptures de stock déjà subies sur certaines chaînes de fabrication. Ainsi, des câbles automobiles que les géants allemands du secteur font fabriquer en Ukraine sont devenus introuvables. Résultat : BMW, Volkswagen ou Mercedes viennent d’annoncer des périodes de chômage technique.

Cet affaissement allemand et européen programmé n’est pas pour déplaire à Washington. Il regagne du terrain là où le Vieux Continent, ébranlé, marque sa soumission. C’est vrai sur le plan militaire quand l’Allemagne décide d’augmenter de 100 milliards d’euros ses dépenses et passe aussitôt commande aux géants de l’aéronautique et de l’armement états-uniens. C’est vrai aussi sur le plan économique quand Berlin annonce la création de terminaux méthaniers pour importer le gaz de schiste liquéfié made in USA en substitut du gaz naturel russe. Rétablir l’hégémonie des États-Unis, fût-ce en bousculant ses alliés, Trump en rêvait, Biden le fait.


 


 


 

L’étrange Légion étrangère ukrainienne

Benjamin König sur www.humanite.fr

Mmercenaires Avec près de 30 000 volontaires venus de plus de 50 pays, selon le gouvernement ukrainien, cette force née d’un appel international demeure mystérieuse. Elle est même à l’origine de tensions diplomatiques. En France, les autorités surveillent de près les candidats au départ.

Trente-cinq morts et cent trente-quatre blessés, selon le gouverneur de la région Maksym Kozytsky : le bilan de l’attaque russe du 13 mars sur la base de Yavoriv, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Lviv, a mis en lumière la « Légion internationale », ces volontaires étrangers venus combattre aux côtés de l’Ukraine. Environ 1 000 de ces combattants s’y trouvaient, selon le ministère ukrainien des Armées, et s’y entraînaient. Depuis plusieurs années, ce « centre international de maintien de la paix et de la sécurité » sert également à l’instruction des militaires ukrainiens par des officiers étrangers – états-uniens et canadiens en tête –, notamment dans le cadre de l’Otan. Et, plus récemment, de plateforme de livraison d’armes.

Le ministère russe de la Défense a d’ailleurs affirmé avoir éliminé « jusqu’à 180 mercenaires étrangers et une importante quantité d’armes étrangères ». Un bilan démenti par l’Ukraine et très difficile à vérifier, puisque aucun journaliste ne peut s’approcher de la base. Reste que le caractère symbolique de l’objectif visé constitue un signal envoyé à l’Otan, aux pays qui livrent des armes et aux volontaires de la Légion étrangère ukrainienne.

Depuis le début de l’offensive russe, le gouvernement ukrainien a d’ailleurs beaucoup mis en avant cette Légion créée dès le 27 février. Il s’agit également d’imposer le récit d’une réponse massive à l’appel mondial lancé par le président Volodymyr Zelensky, le 28 février. « Tous les étrangers désirant rejoindre la résistance aux occupants russes et protéger la sécurité mondiale sont invités par les autorités ukrainiennes », avait-il déclaré, affirmant l’objectif de 100 000 combattants. Le 6 mars, le ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, se félicitait de ce que « 20 000 personnes originaires de 52 pays » se soient portées candidates pour rejoindre les rangs de cette Légion : « Le monde entier est aujourd’hui du côté de l’Ukraine, pas seulement en paroles mais aussi en actes. » Un chiffre qui serait d’environ 30 000, le 13 mars, selon Dmytro Kuleba.

un contrat à durée indéterminée jusqu’à la « fin de la guerre » 

Les ambassades jouent un rôle majeur : celle d’Ukraine à Paris a, dès le 24 février, mis en ligne une adresse mail et un formulaire à remplir pour « les étrangers prêts à se battre ». Contactée, l’ambassade n’a pas encore répondu, notamment sur le nombre de candidats et de personnes sélectionnées. Un porte-parole a toutefois annoncé avoir reçu « de très nombreuses demandes de ressortissants français ». Au total, 67 autres représentations diplomatiques ukrainiennes sont mobilisées, où des attachés militaires auditionnent les candidats. Concrètement, les volontaires signent un contrat à durée indéterminée jusqu’à la « fin de la guerre », partent pour une formation dont la durée varie de deux semaines à deux mois selon leur expérience militaire, et perçoivent 15 000 hryvnia mensuels (470 euros).

Un groupe Facebook a été constitué, intitulé Groupe des volontaires français en Ukraine, sur lequel on comptait, le 15 mars, près de 12 000 inscrits. On y recense des candidats à l’aide humanitaire, à l’accueil et à la solidarité aux réfugiés, de nombreux messages farfelus voire inconscients, mais aussi de nombreuses personnes ayant une expérience militaire prêtes à aller combattre. À l’instar de Jean-Luc, un vétéran de l’armée de l’air ayant quitté le service en 2011, qui, joint en privé, est « volontaire pour défendre la liberté du peuple ukrainien face au dictateur Poutine », et précise sa motivation : « La Russie a toujours été “l’ennemi” et une menace pour l’Occident. » Pour beaucoup, il s’agit d’abord de défendre un pays européen agressé et de stopper un Vladimir Poutine dont ils sont persuadés qu’il ne s’arrêtera pas à l’Ukraine. Certains se disent déjà sur place, ayant signé leur contrat, dont une poignée témoigne de leur présence sur la base de Yavoriv, sans que ces informations puissent être vérifiées.

Le Quai d’Orsay continue à « déconseiller formellement de se rendre en Ukraine jusqu’à nouvel ordre », a fortiori pour jouer les combattants. Et les autorités observent attentivement les volontaires à l’enrôlement dans l’armée ukrainienne. Notamment le renseignement, qu’il soit militaire avec la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), ou intérieur, avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui estime à 70 le nombre de Français sur place, dont une majorité issue de l’ultradroite, fascinée par les bataillons suprémacistes blancs et néonazis comme Azov.

L’armée française est aussi confrontée à un phénomène marginal : le départ de soldats de la Légion étrangère française d’origine ukrainienne, qui auraient déserté les rangs pour aller combattre dans leur pays d’origine. Selon le colonel Antoine Fleuret, chef d’état-major de la Légion étrangère, interrogé par 20 Minutes, l’armée est « sans nouvelle d’une vingtaine de légionnaires d’origine ukrainienne sur les 700 que nous comptons dans nos rangs ». Le 5 mars, un minibus en partance pour la Pologne, avec à son bord 14 légionnaires ukrainiens, a été arrêté dans le 16e arrondissement parisien. De potentiels déserteurs qui préoccupent les autorités, en France comme ailleurs.

une  violation des dispositions de la convention de Vienne

Cet appel aux combattants n’a pas été du goût de plusieurs gouvernements et a même entraîné quelques sérieuses tensions diplomatiques. En Algérie, le message posté par l’ambassade d’Ukraine appelant « les ressortissants étrangers » à rejoindre « la résistance aux occupants russes » et la protection de la « sécurité mondiale » a entraîné une vive réaction du ministère des Affaires étrangères, qui a dénoncé le 4 mars un « fait grave » et une « violation des dispositions de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques entre États ». L’appel a été retiré en Algérie comme au Sénégal : le Ministère sénégalais des Affaires étrangères avait réagi à cet appel, intimant de « cesser sans délai toute procédure d’enrôlement de personnes de nationalité sénégalaise ou étrangère ». Ce à quoi l’ambassade a répondu « ne pas recruter de mercenaires » et « respecter la législation du Sénégal », tout en stoppant les recrutements. Mais à Dakar, Kiev ou Paris, de nombreuses zones d’ombre subsistent sur cette Légion étrangère.

publié le 17 mars2022

Procès pour travail dissimulé. La peine maximale requise contre Deliveroo

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Après cinq jours d’audience devant le tribunal correctionnel de Paris, la procureure a demandé la première condamnation pénale pour « travail dissimulé » contre la plateforme. Elle a requis l’amende maximale de 375 000 euros contre la société, ainsi que des peines d’emprisonnement avec sursis contre trois de ses anciens dirigeants. Décryptage d'un réquisitoire implacable.

À la barre, les prévenus n’ont pas vraiment la fière figure conquérante des hérauts de la start-up nation. Poursuivis pour travail dissimulé, deux anciens directeurs généraux de Deliveroo France et le directeur des opérations ont fait face à des quantités de documents, si ce n’est de preuves, de la subordination à laquelle sont soumis les milliers de livreurs travaillant pour la plateforme pour la période 2015-2017.

Les peines encourues sont lourdes. En ce dernier jour de procès, la procureure a requis le maximum contre l’entreprise : 375 000 euros d’amende, sans parler des arriérés de cotisations de 9,7 millions d’euros que réclame l’Urssaf et d’éventuels dommages et intérêts pour les parties civiles. Les deux principaux dirigeants risquent un an de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction de diriger une entreprise avec sursis.

Leur stratégie de défense est simple : renvoyer la responsabilité soit à la maison mère de Londres, seule apte à les entendre, à prendre les décisions d’importance, soit aux maladresses de « petites mains », mais ce n’était pas de leur ressort. « Vous aviez un salaire annuel de 100 000 euros, sans parler des bonus et des stock-options. Mais, concrètement, vous faisiez quoi, chez Deliveroo ? » s’est ainsi agacée la procureure lors des interrogatoires. Ce qui lui a valu une nouvelle réponse d’une vacuité consommée sur le rôle de « general manager dans une entreprise matricielle ».

La défense de Deliveroo, comme personne morale, n’est guère plus conquérante, à part quelques bravades mettant en exergue la connivence de l’entreprise avec l’actuel président de la République et sa ministre du Travail.

Une géolocalisation constante

« On sent qu’ils s’attendent à une condamnation mais qu’ils veulent la limiter, et souligner auprès du tribunal que s’il y a eu quelques erreurs, c’est du passé, et que cela ne doit pas remettre en cause le système actuel », explique Me Mention, avocat de 111 livreurs constitués partie civile, lors d’une interruption d’audience. Deliveroo prend néanmoins l’affaire très au sérieux.

Si le PDG William Shu n’a pas daigné se déplacer, au grand déplaisir de la cour, la défense est représentée par pas moins de 14 avocats. Et une grosse demi-douzaine de salariés du siège londonien, ainsi que le responsable de la communication, assistent à chaque audience.

Les indices de la subordination sont ici légion. Ils font suite à une longue enquête de l’inspection du travail, suivie de celle de l’Office central de lutte contre le travail illégal. Pour le parquet, la méthode est simple, il s’agit de reprendre ce qui, en droit du travail, définit le lien de subordination caractéristique du salariat, à savoir qu’un employeur donne des ordres et des directives, contrôle l’exécution d’une tâche et exerce un pouvoir de sanction. « Nous avons des éléments matériels démontrant que les ­livreurs étaient obligés de porter la tenue, que Deliveroo exigeait d’eux des gestes métier comme enlever son casque et avoir le sac à dos au bras lorsqu’ils entraient dans un 6restaurant », énumère à la barre l’inspection du travail. Le contrôle s’exerçait, lui, de plusieurs façons : par les restaurateurs, qui pouvaient dénoncer à la plateforme les livreurs en cas de faute ; par les « ambassadeurs », ces livreurs privilégiés et véritables « yeux » de Deliveroo sur le terrain ; et par le service support, qui pratiquait une géolocalisation constante, contrôlait les absences, les retards… De nombreux messages ont été présentés : un livreur est réprimandé car il est jugé trop lent, un autre pour avoir dévié de l’itinéraire imposé par l’application, ou est appelé parce que cela fait trop longtemps qu’il attend au restaurant ou devant chez le client.

Il ne faut dire ni « salaire » ni « rémunération »

Quant à la sanction, l’inspection du travail a « pu établir qu’il y avait bien un système de sanctions progressif : de l’avertissement oral, puis écrit, à la déconnexion de plusieurs minutes et plusieurs jours, avec obligation de contacter le référent de zone avant reconnexion. Jusqu’à la résiliation du contrat », a témoigné la représentante de la Direccte Île-de-France.

Un livreur est réprimandé car il est jugé trop lent, un autre pour avoir dévié de l’itinéraire imposé par l’application.

Il y a aussi les abus. Les parties civiles ont versé au dossier des e-mails internes à Deliveroo intitulés « identification grévistes », qui pointent que des livreurs en grève ont été identifiés grâce à la géolocalisation, dans le but de s’en débarrasser. « Lorsque Deliveroo a unilatéralement baissé les rémunérations, on a organisé une opération escargot, ce qui a simplement consisté à respecter le Code de la route, raconte Arthur Hay, ancien livreur pour la plateforme. La semaine suivante, cinq coursiers qui avaient participé à l’action ont vu leur contrat résilié. J’ai fait plusieurs jobs, avec des vrais contrats, mais c’est la première fois que j’ai un patron avec autant de pouvoir », insiste le fondateur du syndicat CGT des coursiers bordelais. « Si les livreurs sont libres, c’est seulement de subir ou de partir », résume de son côté l’avocate de Solidaires.

D’autres pièces risquent de faire mal à Deliveroo, lorsqu’il s’agira pour les juges d’estimer l’intentionnalité du travail dissimulé. Ainsi, un document de formation interne vise à expliquer aux équipes comment s’adresser aux livreurs. « Au maximum à l’oral », y est-il indiqué, car l’écrit fait partie des « situations à risques », comme la moindre mention de l’inspection du travail, des prud’hommes ou de l’Urssaf. Il y a aussi tout un cours sur le vocabulaire à employer. Ainsi, il ne faut dire ni « salaire » ni « rémunération », mais « chiffre d’affaires ». Deliveroo ne forme pas, ni ne contrôle, et encore moins ne donne d’ordres, mais… informe.

Tout cela constitue bien, selon le réquisitoire de la procureure, un « faisceau d’indices » caractérisant la subordination de «milliers de travailleurs », renforcée par leur dépendance économique. Elle a aussi balayé l’argument selon lequel Deliveroo ne ferait que de la mise en relation entre des consommateurs, des restaurants et des livreurs. Elle « apparaît bien comme une entreprise de transport et de livraison », ce qui est d’ailleurs mentionné dans sa raison sociale. Le Syndicat national des transporteurs légers s’est donc légitimement porté partie civile, s’estimant victime de concurrence déloyale. « Voilà même pas dix ans que Deliveroo existe, ils ont perdu des centaines de millions d’euros, détruit des milliers d’emplois salariés, et sont en procès dans tous les pays où ils se sont implantés. Est-ce que vraiment c’est ça, une entreprise saine ? » a questionné l’avocat du syndicat. Le jugement est attendu dans les prochains mois.


 


 

 

 

Justice de classe

Arthur Hay Chroniqueur, coursier syndicaliste sur www.humanite.fr

Je ne suis pas un grand fan de la punition par la case prison. Mais, puisqu’elle existe, je suis plutôt pour qu’on y partage l’accès de manière équitable.

Jusqu’au 16 mars se déroule le procès d’anciens dirigeants de la plateforme Deliveroo pour « travail dissimulé ». Ils encourent trois ans de prison et une amende de 45 000 euros. Leur salaire étant sensiblement plus élevé que celui d’un livreur, je pense que leur seule crainte est justement d’atterrir en prison. Le 2 mars, j’ai témoigné à ce procès en tant que partie civile devant le tribunal judiciaire de Paris. J’y ai demandé que les responsables de l’exploitation 2.0 soient les nouveaux colocataires de Balkany.

À Chalon, une femme a été condamnée à deux mois de prison ferme, avec maintien en détention, pour un vol évalué à 10,80 euros dans un magasin Aldi. Le juge dira que c’est pour « éviter la réitération des faits ». Le mois dernier à Reims, des dirigeants d’entreprises étaient condamnés pour travail dissimulé impliquant un retard de cotisation à l’Urssaf de plus de 500 000 euros. Leur peine ? Un paiement des cotisations avec majorations et du sursis. Le vol de la Sécurité sociale semble moins grave que le vol de denrées. La justice de classe est une réalité encore bien ancrée.

J’étais donc au tribunal judiciaire de Paris, devant les organisateurs d’un modèle économique qui fait travailler 22 000 personnes en les cantonnant dans la précarité. Le modèle de la plateforme est de faire livrer des plats par des coursiers précarisés qui, eux, doivent faire la queue pour l’aide alimentaire. Pire encore, le 11 janvier, un livreur est mort à Lille. Il travaillait pour Deliveroo ; il avait 16 ans. Le nouveau porte-parole de l’entreprise se défend : « On n’autorise pas le travail des mineurs. » Depuis cinq ans, nous alertons les pouvoirs publics et les plateformes de la sous-location du compte à des mineurs. Qu’a-t-il été fait pour endiguer le problème ? Rien. Tant que cela rapporte de l’argent et que les conséquences sont nulles, rien ne sera fait. J’ai demandé que les personnes incriminées soient emmenées dans une cellule. Pas par esprit de vengeance, mais pour que les parents des victimes n’aient plus à se battre des années durant pour faire reconnaître ces tragédies en accident du travail.

Apparemment, bafouer le droit du travail n’est pas un métier à risque. Adrien Roose et Karim Slaoui sont les ex-dirigeants de la start-up de livraison Take Eat Easy ayant déposé le bilan en 2016. Leur entreprise a perdu à de multiples reprises aux prud’hommes, et une fois en Cour de cassation, face à des livreurs qui demandaient la requalification de leur contrat commercial en contrat de travail. Sont-ils en prison ou interdits de business ? Non. Au grand dégoût des livreurs de la plateforme, ils sont aujourd’hui dirigeants d’une autre start-up de vélos connectés ayant levé plus de 80 millions d’euros en janvier. Les représentants commerciaux embauchés pour vendre les vélos sont appelés des « test riders » ; ils ont le statut d’indépendants. Sans justice.

 publié le 17 mars 2022

Marie-Christine Vergiat : « Dès lors qu’un gouvernement dit
“on accueille”, c’est possible »

par Rachel Knaebel sur https://basta.media/

Plus de trois millions de personnes ont quitté l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe. Pour répondre à l’urgence, l’Union européenne a activé un mécanisme inédit d’accueil. Précisions avec Marie-Christine Vergiat, ancienne députée européenne.

Le 4 mars, l’Union européenne (UE) a décidé de mettre en œuvre un dispositif particulier d’accueil pour les personnes fuyant la guerre en Ukraine (voir le communiqué de l’UE). Il s’agit d’un mécanisme d’urgence qui vise à fournir une protection immédiate et collective (sans qu’il soit nécessaire d’examiner chaque demande individuellement) à des personnes déplacées qui ne sont pas en mesure de retourner dans leur pays d’origine.

Grâce à cette « protection temporaire », les réfugiés de guerre d’Ukraine, qui sont déjà plus de trois millions, peuvent avoir directement droit au séjour dans l’UE, avec le droit de travailler et la possibilité de scolariser leurs enfants. Mais la décision de l’UE fait aussi la différence entre les réfugiés avec passeport ukrainien et les personnes qui résidaient en Ukraine sans en avoir la nationalité, que ce soient des étudiants étrangers, des réfugiés politiques russes, biélorusses ou d’autres régimes autoritaires (voir le détail de la décision). Explications avec Marie-Christine Vergiat, militante associative, vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), qui a été députée européenne pour le Front de Gauche de 2009 à 2019.

basta! : Quelle est votre première réaction à l’activation du dispositif de protection temporaire pour les réfugiés d’Ukraine ?

C’est bien d’avoir déclenché ce mécanisme. Mais il faut accueillir tous les réfugiés, sans aucune discrimination. Toutes les personnes qui se trouvent sur le territoire ukrainien méritent protection et d’être accueillies dans de bonnes conditions sur le territoire européen.

« Des pays qui refusaient l’application de la protection temporaire en 2015 sont aujourd'hui en première ligne de l'accueil »

Depuis quand cette directive européenne sur la protection temporaire des réfugiés existe-t-elle ?

Elle a été adoptée en 2001 à la suite de la guerre de Bosnie, pendant laquelle il y avait déjà eu un grand nombre de réfugiés, mais sur un espace-temps plus long que la situation actuelle. Aujourd’hui, l’offensive russe a été tellement rapide que les gens ont fui tout de suite. Ce dispositif européen n’avait jamais été activé auparavant. C’est la première fois qu’il est mis en œuvre, alors que le Parlement européen avait demandé son activation notamment en 2015 au moment de la crise de l’accueil des réfugiés qui venaient alors essentiellement de Syrie. On avait alors une majorité au Parlement pour l’activer.

Pourquoi n’a t-elle pas été activée en 2015 pour l’accueil des Syriens ?

Parce que le Conseil européen [l’organe de décision de l’Union européenne où siègent les gouvernements des pays membres, ndlr] n’en voulait pas. L’Allemagne avait alors ouvert largement ses portes. Je pense que la position des pays du groupe de Visegrád (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie), qui s’opposaient alors à l’accueil, servait aussi les autres pays pour justifier le refus de l’activation de la directive. En 2015-2016, plusieurs pays de ce groupe avaient bloqué le plan de relocalisation des réfugiés qui étaient arrivés en Grèce principalement. Le plan était pourtant très en-deçà de ce qu’il fallait faire. En 2015 et 2016, 1,5 million de personne sont arrivées en Europe de façon dite irrégulière. Le plan prévoyait de relocaliser environ 10 % de ces personnes. Et même avec cet objectif modeste, les États n’ont pas rempli leurs engagements. Des pays qui à l’époque refusaient l’application de la protection temporaire sont aujourd’hui en première ligne de l’accueil des personnes venues d’Ukraine.

« Toutes les associations sont unies pour dire qu'il ne faut pas de discriminations entre les différentes catégories de personnes »

À qui s’applique cette nouvelle protection temporaire ?

La décision de mise en œuvre de la directive fait le tri entre différentes catégories de personnes venues d’Ukraine. On voit aussi que c’est un dispositif complètement bordé, au cas où des réfugiés d’autres pays viendraient dans les flux. La décision distingue les Ukrainiens ; les réfugiés et apatrides qui avaient un statut en Ukraine et qui étaient reconnus comme tels avant le 24 février ; les membres de leurs familles, à condition qu’ils aient été eux aussi en situation régulière avant le 24 février ; et les non-Ukrainiens mariés à des Ukrainiens. Après, ça se complique. Il y a les réfugiés et apatrides non reconnus avant le 24 février et ceux qui disposent d’un autre type de séjour, comme les étudiants et résidents avec permis de travail. Pour ceux là, le choix revient aux différents États de l’Union européenne. Soit les États activent la protection temporaire pour ces personnes-là soit ils activent leur droit national. Les gens doivent alors déposer une demande d’asile ou de titre de séjour classique. C’est ce qu’on voit poindre, y compris en France.

Il y a une dernière catégorie qui visent ceux qui n’ont pas de titre de résidence en Ukraine. Il peut s’agir d’étudiants en court séjour ou encore de travailleurs venus faire une mission et qui se retrouveront en situation irrégulière dès lors qu’ils ne peuvent pas repartir dans leur pays d’origine. Pour eux, c’est le droit national des pays d’accueil qui vaut. Par ailleurs, la décision européenne prévoit que pour toutes les catégories, hormis les Ukrainiens et les réfugiés et apatrides reconnus en Ukraine et leurs familles, les personnes ne pourront déposer une demande que si elles ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine. Elles ne vont pas être systématiquement expulsées, mais pourront l’être. Cela pourra concerner beaucoup d’étudiants, marocains notamment, qui étaient nombreux en Ukraine. Face à ces distinctions, toutes les associations sont unies pour dire qu’il ne faut pas de discriminations entre les différentes catégories de personnes.

Pour les gens qui entrent dans les « bonnes » cases, en quoi le dispositif de protection temporaire améliore-t-il leur sort ?

Avec cette directive, la protection se déclenche tout de suite. Les personnes n’ont pas besoin de passer par le parcours habituel pour obtenir un titre de séjour. Elles ont aussi immédiatement le droit de travailler et le droit à l’éducation pour les enfants. En France, la durée de la protection est de six mois, renouvelables.

« Quand on a la volonté politique, on trouve les moyens »

En France, les personnes exilées sont maltraitées par les autorités au quotidien, on le voit tous les jours notamment à Calais. Et aujourd’hui, les préfets mettent rapidement un accueil en place pour les réfugiés ukrainiens…

C’est une vraie politique de deux poids, deux mesures. Cela montre aussi que quand on a la volonté politique, on trouve les moyens. C’est ce qu’a fait l’Allemagne en 2015-2016, en accueillant près d’un million de personnes, avant de bloquer ses frontières faute de solidarité européenne. C’est intéressant de voir que nos politiques nous expliquent, quand on les interroge sur le sujet, qu’il faut fermer les frontières pour contrer la montée de l’extrême droite. Mais cela ne marche pas en France, comme on le voit dans les sondages. Et en Allemagne, l’extrême droite a été contenue et a même plutôt régressé entre 2017 et 2021. Je suis intimement persuadée que la parole politique a du poids. Dès lors qu’un gouvernement dit « on accueille », c’est possible.

Le fait que l’UE ait activé cette directive pourrait-il devenir un levier pour les associations, pour faire pression pour l’accueil face aux mouvements de migration ?

On peut espérer que cela soit un point d’appui et que cela serve à d’autres à l’avenir, même si je reste plutôt sceptique.

Jugez-vous que l’accueil des personnes exilées s’est dégradé en France ces dix dernières années ?

On n’arrête pas de faire des lois, et à chaque fois, l’accueil régresse. Le résultat, c’est qu’on a de moins en moins de marge de manœuvre. Tous les militants disent que c’est de plus en plus difficile, y compris de faire régulariser les gens. Prenons la circulaire Valls de 2012 sur la régularisation. Au moment où elle a été adoptée, on a tous râlé parce qu’elle n’allait pas assez loin. Mais aujourd’hui, nous n’arrivons quasiment plus à la faire appliquer. Régulariser est de plus en plus difficile. C’est aussi très variable selon les départements, selon qu’ils reçoivent plus ou moins de demandes de titres de séjour. Dans des départements qui en reçoivent moins, ça bloque moins qu’en région parisienne.

publié le 16 mars 2022

Tribune pour la paix. La plus grande des batailles pour l’humanité

Pierre Laurent sur www.humanite.fr

Est-ce le moment de parler paix, n’est-ce pas naïf, voire complice, face à Poutine ? Je vois pour ma part trois raisons impérieuses d’élever comme jamais la voix de la paix.

La première est la protection du peuple ukrainien. Depuis vingt jours, il vit l’horreur. L’avancée des blindés et des troupes russes se fait au prix d’un déluge de bombardements de toute nature sur les villes convoitées. L’utilisation massive de tous types d’armes explosives déversées sur des zones très peuplées provoque des victimes en grand nombre, la destruction d’habitations, de services publics et d’infrastructures vitales, une catastrophe humanitaire et un exode des populations déjà considérable. Compte tenu des énormes arsenaux mis en action, toute amplification de la guerre débouchera sur une généralisation du désastre. En Ukraine, comme dans toutes les guerres modernes, l’immense majorité des victimes seront civiles. Le prix à payer de la guerre sera le chaos pour longtemps. Nous devons être des millions à clamer : « Stoppez la guerre, arrêt immédiat des hostilités ! »

Et sans attendre, tout doit être entrepris pour protéger la population ukrainienne. Le travail humanitaire sur place doit être soutenu et protégé, les couloirs humanitaires et alimentaires négociés et garantis, la solidarité internationale amplifiée, et les réfugiés accueillis, sans tri racial ou religieux, par tous les pays d’Europe, dans le respect du droit commun. L’organisation et l’envoi de troupes paramilitaires doivent cesser de toutes parts. La Cour pénale internationale doit pouvoir enquêter en toute transparence et indépendance sur le déroulement du conflit et les actions des belligérants.

Les pays qui se sont abstenus à l’ONU, nombreux en Asie et en Afrique, doivent être traités comme des partenaires possibles pour la paix et non renvoyés dans le camp de Poutine.

La deuxième raison est la nécessité d’élever un barrage contre l’escalade, car le risque d’un engrenage qui embraserait toute ou partie de l’Europe, ou, pire, déclencherait l’utilisation d’armes nucléaires, est à prendre très au sérieux. Le danger de dérapages irréparables et incontrôlables menace à tout moment. C’est dans les voiles de la paix qu’il faut souffler et pas sur les braises de l’embrasement toujours possible. Toutes les pressions diplomatiques et économiques internationales exercées sur la Russie doivent viser le retour à la négociation des belligérants, et pas l’escalade guerrière.

L’enjeu est le respect de la souveraineté de l’Ukraine, pas son entrée dans l’Otan. Le président Zelensky a lui-même déclaré que la neutralité de son pays pouvait être mise sur la table de la discussion. Les courageuses voix russes pour la paix doivent être activement soutenues. Les pays qui se sont abstenus à l’ONU, nombreux en Asie et en Afrique notamment, doivent être traités comme des partenaires possibles pour la paix et non renvoyés par des discours binaires dans le camp de Poutine.

Quant à l’Europe, qui a déjà failli à faire appliquer les accords de Minsk, plutôt que d’accélérer son surarmement, elle devrait utiliser tout le poids de sa puissance pour peser en faveur de la paix et de la construction d’une nouvelle architecture de sécurité européenne, en demandant la convocation d’une conférence paneuropéenne qui mettrait toutes les questions sur la table.

Miné par les crises, les inégalités, les menaces climatiques et alimentaires, les dominations, les humiliations et les prédations, le monde est une poudrière.

C’est la troisième raison. L’Ukraine nous appelle à reprendre sans délai la construction d’un grand mouvement mondial pour la paix et la sécurité du monde.

Miné par les crises, les inégalités, la guerre des ressources, les menaces climatiques et alimentaires, les dominations, les humiliations et les prédations, et gavé de surarmement, le monde est une poudrière. La militarisation des relations internationales, la multiplication des guerres et les cicatrices purulentes qu’elles laissent à la surface du globe, en Afghanistan, au Proche-Orient, en Libye, au Sahel, au Congo… doivent nous appeler à la raison. La construction de la paix doit redevenir une grande cause mondiale, car dans la mondialisation, la paix est affaire de sécurité globale. Le surarmement, les alliances militaires bloc contre bloc ne sont pas la solution mais le problème. Ils sont contraires à l’intérêt mondial, qui est de construire des solidarités multilatérales nouvelles pour le climat, la fin des inégalités, la sécurité alimentaire, la santé, l’éducation… Pour l’avenir commun de l’humanité, construire la paix est à nouveau la plus grande des batailles.

publié le 16 mars 2022

Philippe Martinez : « La seule solution contre la vie chère, c’est la hausse des salaires »

Rosa Moussaoui et Stéphane Guérard, sur www.humanite.fr

Mobilisations sociales. L’intersyndicale CGT, FSU, Solidaires et UNSA appelle ce jeudi 17 mars à des grèves et manifestations pour la hausse des salaires. Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, revient sur les conflits que nourrit, ces derniers mois, la baisse du pouvoir d’achat. Entretien.


 

La situation de guerre en Ukraine conduit à une envolée des prix des carburants, de l’énergie, des matières premières, notamment alimentaires. Quelles en seront les conséquences à court et à long terme pour les salariés, comme pour les entreprises ?

Il y a déjà des conséquences, à commencer par les prix de l’énergie qui s’envolent, avec un impact direct sur le pouvoir d’achat des salariés. Des entreprises commencent à fermer pour cette même raison : je pense par exemple à des fonderies qui travaillent le verre ou la céramique. Les patrons – de PME/TPE – n’arrivent plus à payer les factures. Dans certains secteurs comme la sidérurgie, des problèmes d’approvisionnement commencent déjà à entraver la production, ce qui fait planer des menaces de fermeture – provisoire ou définitive, on ne sait pas encore – sur certains sites. Des mesures d’urgence sont indispensables, comme au début de la pandémie : si la nature de la crise est différente, les conséquences sont semblables. Il faut des mesures de chômage partiel, d’activité partielle de longue durée (APLD), voire des prêts permettant de couvrir des factures d’énergie à court terme. Et puis un geste simple s’impose : une baisse de la TVA sur les produits pétroliers et les produits énergétiques. La TVA est l’impôt le plus injuste puisqu’il pénalise de la même façon les citoyens quel que soit leur niveau de revenus. Quand j’ai suggéré ça à Bruno Le Maire, il s’est fâché, en s’inquiétant subitement de la façon dont on allait, avec une telle baisse d’impôts, financer les écoles. Ce qui est plutôt savoureux, venant d’un gouvernement qui a couvert les plus riches de cadeaux fiscaux.

Les sanctions décidées contre Moscou font déjà sentir leurs effets sociaux avec des suppressions d’emplois en masse en Russie. Seront-elles indolores pour les salariés français ?

En Russie, c’est compliqué d’avoir des informations, même si nous entretenons des relations avec une confédération syndicale (pas la plus grande alignée sur Poutine). Il y a des problématiques de livraisons de pièces – pas seulement en Russie, d’ailleurs. Dans les pays frontaliers de l’Ukraine, où sont implantées des entreprises françaises – je pense à la Roumanie, avec Renault – des problèmes de livraisons se posent déjà : à juste titre, les chauffeurs routiers redoutent d’aller livrer dans cette région du monde. Quant aux salariés russes, ils continuent de travailler dans des conditions dégradées, que les sanctions rendent encore plus difficiles, quand leurs emplois ne sont pas tout simplement menacés. En France, au-delà des problèmes posés par les prix de l’énergie, des entreprises vont voir leur activité se contracter du fait de l’embargo sur certains produits.

« Les armes restent pour le capital une marchandise très rentable, bien plus rentable que les autres. »

Qui va payer la facture de cette guerre ?

Nous. Le budget militaire avait déjà augmenté dans la loi de finances adoptée à l’automne ; maintenant la course à l’armement va s’accélérer encore. Parce que les armes restent pour le capital une marchandise très rentable, bien plus rentable que les autres. Dès le déclenchement du conflit, des entreprises comme Thalès ou Dassault ont vu le cours de leur action en bourse augmenter de façon considérable. La facture de cette course à l’armement, c’est autant d’argent prélevé sur le budget de la nation : ce sont les citoyens qui paient. On n’est plus sur une conception de défense nationale mais sur l’objectif d’être les premiers sur le marché mondial de l’armement. La France s’est d’ailleurs déjà hissée sur le podium des plus gros exportateurs d’armes dans le monde, à la troisième place.

Sur les prix de l’énergie, Jean Castex vient d’annoncer une remise à la pompe de 15 centimes par litre. Emmanuel Macron promet s’il est réélu le gel du prix du gaz jusqu’à la fin de l’année. Est-ce suffisant ?

Non. La seule solution contre la vie chère, pour soutenir le pouvoir d’achat, c’est l’augmentation des salaires et des pensions. C’est d’ailleurs ce qui fait l’objet de nombreux conflits en France depuis plusieurs mois. Les hausses de salaires doivent aller de pair avec une baisse des taxes, qui sont très fortes sur l’énergie. Après, à plus long terme, mais assez rapidement, il faudra une vraie réflexion sur les questions énergétiques. Dans le cadre de la transition énergétique, il nous faut une entreprise publique en position de maîtriser les prix de l’énergie, gaz et électricité. Aujourd’hui par exemple, EDF vend à perte son électricité, en tout cas très, très en dessous du prix du marché. Quand des mesures ont été prises sur la maîtrise du coût de l’électricité, l’État a demandé à EDF de donner huit milliards d’euros aux entreprises privées, non pas pour qu’elles baissent leurs prix, mais pour qu’elles préservent leurs marges.

Il faut retrouver une vraie entreprise publique, au service des citoyens, qui ne soit pas contrainte de financer les entreprises privées de distribution d’énergie. On a vu tout le débat qu’il y a eu à EDF autour du projet Hercule, qui consistait à démonter l’entreprise. Les salariés sont mobilisés pour faire reculer de tels projets, mais ça ne suffit pas. On ne veut pas uniquement faire reculer un plan de privatisation. On veut redonner tout son sens à l’idée d’une entreprise publique nationalisée, mettre sur la table des projets contribuant à la réindustrialisation du pays, tout comme des propositions permettant de réaliser des économies d’énergie. Il faut par exemple un grand plan de rénovation thermique des logements. Je refuse, en revanche, d’employer le terme de « sobriété » énergétique, qui vise à culpabiliser les citoyens. En France, des millions de foyers sont en situation de précarité énergétique. Ceux-là sont déjà en dessous de la sobriété.

L’État vient de participer à hauteur de 2,1 milliards d’euros à la recapitalisation d’EDF.

L’État a recapitalisé d’un côté, il en a piqué le double de l’autre côté. Ce n’est pas une stratégie. Au lieu de piquer les fruits du travail des agents EDF, les fameux 8 milliards, pour les donner au privé, cet argent aurait dû être réinvesti dans l’entreprise pour moderniser, rénover, internaliser des fonctions, travailler sur la recherche. Voilà à quoi pourrait ressembler une vraie stratégie industrielle sur une question essentielle comme l’énergie qui doit relever du domaine public.

Quelle appréciation portez-vous sur la philosophie du “Plan de résilience” dévoilé mercredi par le gouvernement ?

Le gouvernement persiste dans sa politique d’aides aux entreprises sans conditionnalité, ni contrôle. Les salariés et plus largement les citoyens restent de nouveau les grands oubliés de ce nouveau plan.

« En 2021, les entreprises du CAC 40 ont battu des records de bénéfices et de dividendes versés aux actionnaires. »

Les événements en cours vont-ils reléguer à l’arrière-plan la question des inégalités de répartition des richesses ?

Pas pour les salariés, dont les mobilisations se poursuivent. La guerre en Ukraine, qui est très grave, n’y met pas un terme. On retrouve un peu la petite musique de 2020 quand a surgi la pandémie de Covid-19 : « C’est la guerre, ça va être dur, il faut faire des sacrifices, on va mettre dix ans à s’en remettre ». Et puis en 2021, ce n’était pas tout à fait les prévisions annoncées : les entreprises du CAC 40 ont battu des records de bénéfices et de dividendes versés aux actionnaires, tandis que les inégalités ont explosé. Ce qui est sur la table aujourd’hui, c’est bien la question des salaires. Tout ce que nous avons dit sur les salariés de première et de seconde ligne, sur les métiers à prédominance féminine reste plus que jamais d’actualité. On ne va pas mettre ça de côté parce qu’il y a la guerre. Et ce n’est pas se désintéresser de la situation en Ukraine que de faire vivre les revendications des salariés ici.

On voit depuis septembre se multiplier les conflits sur les salaires dans les entreprises, dans tous les secteurs. Cette dynamique de lutte s’inscrit-elle dans le temps long ?

Oui, je le pense. On a rarement vu autant de conflits de cette nature, jusque dans des entreprises où il n’y a pas de syndicat, où les salariés viennent nous chercher. Je crois que certaines des entreprises concernées n’avaient plus connu de grève depuis 1968. On est dans une dynamique solide, dans tous les secteurs. Et ces luttes donnent lieu à de vrais débats sur le salaire, le SMIC, le salaire de base, le salaire brut, le salaire net, les cotisations sociales.

Cette journée de mobilisation du 17 mars se présente-t-elle comme un moment de confluence de ces luttes pour les salaires ?

C’est toujours difficile de parler de confluence, de convergence. Ce qui est certain c’est que les salariés, les gens qui se battent ont besoin de se retrouver, de s’inscrire dans un élan collectif. Il y a de vraies possibilités de convergence sur l’augmentation du salaire minimum, parce que beaucoup de travailleurs sont payés au SMIC, et même en dessous. Mais nous voulons que tous les repères de grilles augmentent. Ce qu’il faut, c’est que les salariés soient en capacité de rassembler tous ceux qui se battent dans leur entreprise, avec la conviction qu’en se retrouvant avec d’autres, ailleurs, on peut avancer plus vite. C’est ça l’enjeu de ce 17 mars.

L’UNSA se joint aux cortèges ce jeudi. Un front syndical prend-il corps sur les salaires ?

Les mobilisations dans les entreprises, très souvent unitaires, pèsent aussi sur les directions nationales des organisations syndicales…

Du côté des fonctionnaires, le gouvernement annonce un dégel du point d’indice.

Les salaires des fonctionnaires sont gelés depuis plus d’une décennie. À la SNCF, ça va faire huit ans maintenant. On voit bien là que cette question n’oppose pas le gouvernement et le patronat. Au contraire : une logique commune les pousse à considérer le travail comme un coût à comprimer. Et nous, notre logique, c’est de dire que le capital est un coût et que c’est ce coût qu’il faut baisser. Ces deux conceptions s’affrontent.

« Le travail doit payer », avait lancé Bruno Le Maire à l’université d’été du Medef, l’été dernier. Geoffroy Roux de Bézieux avait reconnu à sa suite la nécessité de sortir des logiques « low cost » en matière de salaires.

Ils sentaient déjà ces mobilisations, ces conflits arriver. Mais si, aujourd’hui, les salariés gagnent des augmentations, ce n’est pas grâce à Le Maire, ni à Roux de Bézieux. C’est le fruit de leurs mobilisations, pour des revalorisations à tous les niveaux, pas seulement pour les bas salaires. Il y a des conflits chez Thalès, chez Dassault. Chacun veut une meilleure reconnaissance de son travail et la meilleure des reconnaissances, c’est celle qui se traduit sur la feuille de paye. Ce qui est nouveau, c’est que ces mobilisations durent, et elles auront rarement été aussi nombreuses si près d’une élection présidentielle.

« Soit le fruit du travail va dans la poche des actionnaires, soit il va dans la poche des salariés. »

La CGT propose de porter le SMIC à 2.000 euros. Aucun des candidats à la présidentielle ne va si loin.

C’est dommage !

Comment cette proposition peut-elle être économiquement viable ?

Premièrement, je pense que les salariés, grâce à leurs mobilisations, ont permis que ces questions s’imposent dans le débat public, alors que le début de la campagne présidentielle était dominé par les thèmes chers à l’extrême droite : identité, immigration, sécurité.

Beaucoup de candidats se sont exprimés sur les salaires. Pas tous de la même façon mais en soi, voir ce thème reprendre le dessus, c’est positif. C’est la preuve que lorsque les salariés interviennent, ils bousculent l’agenda politique. Comment financer cette augmentation du SMIC ? Ce n’est pas très dur : soit le fruit du travail va dans la poche des actionnaires, soit il va dans la poche des salariés. De ce point de vue, 2021 est une année symbolique. C’est qu’il y a eu beaucoup, beaucoup, de richesses produites et l’immense majorité de ces richesses est partie dans les poches des actionnaires.

On vient de constater, avec les sanctions prises contre la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine, qu’on est capable de bloquer les transactions financières d’un pays en un claquement de doigts. Et on ne serait pas capables de faire la même chose avec la fraude fiscale ? C’est quand même surprenant. On parle de dizaines de milliards d’euros : voilà de l’argent qui échappe à la rémunération du travail. Il y a des ressources pour payer le travail. Elles existent.

Que pensez-vous de l’annonce de la suppression de la redevance audiovisuelle ?

Je n’aime pas tellement cette expression mais c’est du populisme, de la politique à deux balles. Certes, il y a des impôts qu’il faudrait baisser. Le refus de baisser le plus injuste, le plus inégalitaire, la TVA, en dit long sur ceux qu’on veut favoriser dans ce pays : les riches. Quant à la redevance, je ne suis pas sûr que le pluralisme et le débat démocratique sortent gagnant de cette stratégie de casse du service public pour faire émerger des Bolloré.

Les candidats libéraux proposent de baisser les cotisations sociales pour relever le pouvoir d’achat. Qu’en pensez-vous ?

La plupart des candidats ont progressé sur ce point. Au début, tous ne parlaient que de salaires nets. Certains, à gauche notamment, font désormais la différence entre salaire net et salaire brut. Ils commencent à prendre en compte les cotisations sociales, donc à parler de sécurité sociale, de santé, de retraite. Le clivage est là. De la droite à l’extrême droite, de Macron aux majorités précédentes, ils ont toujours proposé de donner d’une main aux salariés, à travers la baisse des cotisations, ce qu’ils leur enlevaient de l’autre avec l’affaiblissement de la protection sociale. Parler de salaire, c’est aussi poser des enjeux majeurs comme la reconnaissance des qualifications, la place des femmes au travail et dans la société. Certains candidats nous font croire qu’ils vont faire du neuf en piochant dans les cotisations sociales. Ça fait quarante ans que ça dure.

« Proposer la retraite à 65 ans, c’est ne rien connaître à la réalité du monde du travail, aux inégalités d’espérance de vie entre cadres et ouvriers. »

Comment accueillez-vous la proposition d’Emmanuel Macron de repousser de 62 ans à 65 ans l’âge de départ à la retraite ?

S’il y a une mesure qui fait l’unanimité contre elle parmi les organisations syndicales, c’est bien celle-là. Alors soit il nous écoute, soit il continue comme avant ses fameuses concertations qui depuis cinq ans s’apparentent à du « cause toujours ». Proposer la retraite à 65 ans, c’est ne rien connaître à la réalité du monde du travail, aux inégalités d’espérance de vie entre ouvriers et cadres, à la diminution de l’espérance de vie en bonne. C’est accepter que les soignants des EHPAD aient le même âge que les résidents dont ils s’occupent, c’est ignorer que les égoutiers de Paris n’atteindront jamais l’âge de départ à la retraite.

Le candidat Macron dit vouloir prendre en compte la pénibilité du travail…

 Le même a supprimé trois des cinq critères de reconnaissance de la pénibilité. La seule vraie question qui vaille est la suivante : peut-on financer la retraite à soixante ans ? Nous disons oui. C’est comme pour l’impôt : si on continue de supprimer les cotisations, on assèche le financement de la Sécurité sociale. Voilà pourquoi nous parlons d’augmenter les salaires avec leurs cotisations pour financer la retraite à 60 ans.

La dernière journée internationale des droits des femmes a donné lieu à de fortes mobilisations. Le patronat juge insurmontable le coût de 140 milliards d’euros que représenterait l’égalité salariale. Qu’en dit la CGT ?

 L’égalité salariale est la première revendication du monde du travail. La logique du patronat, du gouvernement et d’un certain nombre d’hommes politiques est de toujours parler de dépenses, jamais d’investissements. Mettre de l’argent dans la santé, est-ce une dépense ou un investissement ? Payer les femmes au même salaire que les hommes à qualification égale, est-ce juste ? Le faire, c’est aussi augmenter les recettes via les cotisations sociales, les impôts. Là encore, nous sommes face à deux choix de société. Dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron n’a pas écrit une seule fois le mot femme. C’est étrange pour quelqu’un qui prétendait en faire une priorité.

« Dire de Macron qu’il est le président des ultra-riches n’a rien d’une caricature. »

Comment jugez-vous le bilan du quinquennat écoulé ?

Pas globalement négatif : complètement négatif pour le monde du travail. Dire de Macron qu’il est le président des ultra-riches n’a rien d’une caricature. En 2021, Bernard Arnault a augmenté son patrimoine de l’équivalent du budget de l’Éducation nationale. Voilà qui résume ce quinquennat.

Marine Le Pen affirme sa préoccupation sociale et se paie même le luxe de critiquer la « brutalité » des options ultralibérales d’Eric Zemmour. Comment les salariés peuvent-ils y voir clair ?

D’abord, restons fidèles à nos valeurs. Je suis abasourdi par les distinctions faites en ce moment entre les réfugiés selon leur provenance. Il y aurait ceux qui mériteraient d’être accueillis, et puis les autres, auxquels il faudrait fermer la porte. Les Syriens, les Afghans ont pris sur la tête les mêmes bombes que celles lâchées sur les Ukrainiens. Ensuite, il faut rappeler que Marine Le Pen est dans le camp du capital. Elle aussi dit qu’elle va augmenter les salaires en baissant les cotisations sociales. Elle aussi parle de « coût du travail », de réduction des dépenses publiques. Elle se livre à la même surenchère ultralibérale que Valérie Pécresse ou Emmanuel Macron.

Redoutez-vous que la guerre en cours ne vienne recouvrir la question sociale ?

La situation est grave en Ukraine ; nous réitérons notre appel à la paix. Cela ne doit pas pour autant occulter les questions sociales. Ce gouvernement, comme les précédents, parie sur une stratégie du renoncement : « Ce n’est pas la rue qui commande ». Mais les mobilisations pèsent. Le Ségur de la santé, même si ses résultats sont insuffisants, ne serait pas advenu sans les deux années de mobilisations des personnels de santé qui l’ont précédé. Le projet Hercule (de découpe d’EDF, N.D.L.R.) n’aurait pas été remisé dans un tiroir sans les journées d’action des agents énergéticiens. Sans mobilisation sociale, la réforme des retraites aurait été adoptée avant l’arrivée du virus.

Cette journée de mobilisation est-elle le dernier temps fort social avant le premier tour de l’élection présidentielle ?

Non. Les retraités vont retourner dans la rue pour leurs pensions le 24 mars. Ils ont de solides raisons : la petite revalorisation du début d’année a fait automatiquement augmenter la CSG. Certains retraités, par ce mécanisme, se retrouvent à percevoir moins ! Le 31 mars, les cheminots manifesteront pour leurs revendications salariales. Là aussi, les mobilisations locales débouchent sur un mouvement national. Et il y a des grèves tous les jours un peu partout. D’autres temps forts viendront encore avant le 1er mai, qui ne sera pas un entre-deux, entre présidentielle et législatives.

 publié le 15 mars 2022

L’État muselle deux associations propalestiniennes

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Le ministre de l’Intérieur l’a annoncé triomphalement sur son compte Twitter à l’issue du Conseil des ministres, mercredi 9 mars. Deux associations militant pour les droits d’un peuple subissant l’occupation d’un État voisin en violation du droit international ont été purement et simplement dissoutes. Les organisations en question avaient notamment recommandé un boycott des produits en provenance du pays agresseur. Et souhaitaient placer la question de cette occupation illégale au cœur du débat public. Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire au gouvernement français.

Le collectif Palestine vaincra et le Comité Action Palestine, que Gérald Darmanin accuse d’appeler « à la haine, à la violence et à la discrimination », sont donc privés de toute existence légale depuis le jeudi 10 mars. « Depuis plus de trois ans, nos actions se faisaient dans le strict cadre légal, nos manifestations étaient déclarées, nous n’avons jamais fait autre chose qu’exprimer des opinions. Cette décision administrative arbitraire est contraire à l’État de droit », s’insurge Tom Martin, le porte-parole de Palestine vaincra.

Cette décision gouvernementale fait suite à une campagne de dénigrement relayée sur les réseaux sociaux, notamment par des députés LaREM, dont Sylvain Maillard, le porte-parole du parti macroniste, connu pour ses positions sur la droite, voire l’extrême droite israélienne, tandis que Franck Touboul, le président du Crif Midi-Pyrénées, appelait déjà en 2020, dans les colonnes de la Dépêche du Midi, à venir « démanteler manu militari » les stands de Palestine vaincra…

« Il y a un alignement de l’exécutif français sur la politique israélienne. Aujourd’hui, en France, le fait d’avoir des positions anticolonialistes ou même simplement antiracistes est interdit.

La menace pèse sur l’ensemble des forces associatives, démocratiques, sociales de ce pays. D’ailleurs nos camarades de SUD éducation, dont des députés LR demandent la dissolution, sont aussi visés », constate le porte-parole de Palestine vaincra, qui se dit « particulièrement révulsé » par les accusations d’antisémitisme dont son association fait l’objet de la part du ministre de l’Intérieur. « C’est un amalgame abject qui assimile la critique d’un État et d’une idéologie à de l’antisémitisme. Cela va dans le sens de déclarations d’Emmanuel Macron qui a déclaré que “l’antisionisme est le nouvel antisémitisme”. »

Les deux organisations dissoutes viennent de déposer un recours. En attendant, la FSU, Solidaires, la CGT, la France insoumise, le NPA, la LDH, le Mouvement pour la paix ou encore les Jeunes communistes se sont joints à une manifestation le week-end dernier à Toulouse, rassemblant plusieurs centaines de personnes pour témoigner de leur solidarité avec le collectif toulousain. Avec une question en tête : si nous ne réagissons pas, qui seront les prochains ?

 publié le 15 mars 2022

Augmentation des salaires et des pensions : journée de grève et de manifestations interprofessionnelles

sur le site https://solidaires.org/

Les luttes sur les salaires continuent et doivent s’amplifier -
En grève le 17 mars

Après un mois de janvier marqué par des luttes multiples, notamment dans l’éducation et le secteur social, et la grève interprofessionnelle du 27 janvier, le mois de février a vu encore d’autres mobilisations naître autour des revendications d’augmentation des salaires (RATP, Chimie..). Dans le même temps, les annonces de bénéfices faramineux des plus fortunés ou des entreprises du CAC40 ont continué : 237 milliards de plus pour les 5 personnes les plus fortunées de France pendant la pandémie…(rapport Oxfam) !

Et pour l’ensemble de la population ? Pas d’augmentation du SMIC, pas de valorisation du point d’indice dans la fonction publique, et des augmentations très limitées lors des Négociations annuelles obligatoires (NAO)… tandis que l’inflation s’emballe et les prix à la consommation augmentent !

Ce mois de mars, sera marqué par des mobilisations féministes, écologistes et antiracistes et verra aussi plusieurs secteurs professionnels se mobiliser, dans la santé et le social, à l’inspection du travail, dans l’éducation… Parce que pour les salarié-es, les précaires, celles et ceux qui subissent des discriminations, un monde où le capitalisme ronge tout est invivable et inacceptable !

Faisons converger ces luttes, où la question salariale est centrale !

Solidaires revendique :

 un SMIC à 1 700 euros net

 la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique

 l’égalité salariale et la revalorisation des métiers les plus féminisés

 des augmentations de salaires, pensions, minima sociaux de 400 euros

 un écart de salaires de 1 à 5 (entre les plus bas et plus hauts salaires dans les entreprises, administrations)

 le RSA pour les moins de 25 ans

Grève et manifestations le 17 Mars

 


 

L’augmentation des salaires et des pensions :
Une priorité pour toutes et tous !

Communiqué de l’intersyndicale nationale interprofessionnelle CGT, FSU, Solidaires, UNSA et organisations de jeunesse du 10 février 2022

Les salarié-es du secteur public comme privé, les retraité-es, les jeunes partagent toutes et tous une même priorité face à l’augmentation du coût de la vie, il faut augmenter les salaires, les pensions, les allocations et les bourses étudiantes.

Beaucoup ont exprimé leurs exigences en se mobilisant, ces dernières semaines, dans leur entreprise, leur service, leur branche professionnelle.

Ainsi en est-il des personnels des services publics, à l’instar de celles et ceux de l’éducation nationale, des soignant-es, des travailleurs sociaux… De nombreux débrayages, lors des NAO (négociations annuelles obligatoires), dans les secteurs notamment industriels ont permis également des avancées à l’échelle des entreprises. Tout au long du mois de janvier, les différentes professions et la jeunesse ont su se mobiliser ensemble pour défendre les salaires et l’emploi dans beaucoup de localités. Plus de 150 000 manifestants, de nombreux secteurs professionnels ont débrayé, la question sociale et salariale s’ancre dans le quotidien des salarié-es dans les entreprises et les services.

La jeunesse est-elle aussi est confrontée à une grande précarité de vie et de travail et à la pauvreté.

En décembre 2021, l’inflation en France a atteint 2,8% sur un an.

Près de la moitié provient directement de l’augmentation du prix de l’énergie (carburants, électricité, gaz).

En effet, l’énergie a vu son prix augmenter de 18,6%. Il y a également une augmentation importante des prix des produits alimentaires de première nécessité.

Force est de constater que c’est l’évolution des revenus par rapport à l’inflation qui est déterminante. C’est un levier essentiel pour maintenir le pouvoir d’achat des ménages et agir sur la répartition entre les revenus du capital et du travail ; les entreprises cherchant, en effet, même dans le contexte de la pandémie, à augmenter leurs profits.

L’enjeu majeur est donc de combattre la stagnation des salaires plus que d’agir sporadiquement sur l’évolution des prix.

Pour les organisations syndicales CGT, FSU, Solidaires et UNSA, et les organisations de jeunesse FIDL, MNL, UNEF et VL : Il faut une revalorisation immédiate de l’ensemble des salaires dans le secteur privé et des traitements dans la fonction publique, en commençant par les plus bas salaires. Ainsi, il est urgent d’agir sur le SMIC et le point d’indice.

Il est indispensable que les minimas de branche dans le privé et les grilles de salaires dans la Fonction Publique soient automatiquement relevés au niveau du SMIC.

Cela doit se compléter d’une ouverture rapide de négociations sur la répercussion de ces augmentations sur les échelles de carrière dans le public et les classifications dans le privé.

Il est aussi important d’augmenter les bourses pour les étudiants et les pensions pour les retraités.

Tout au long du mois de février, les mobilisations doivent se poursuivre et s’amplifier.

  • Il y a urgence également à mettre en oeuvre l’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes. Aussi, nos organisations appellent à une forte journée de mobilisation, le 8 mars prochain, lors de la journée internationale des droits des femmes. Alors que la première loi sur l’égalité professionnelle fête ses 50 ans et que les luttes féministes exemplaires se sont développées, gouvernement et employeurs refusent de financer des mesures pour s’attaquer véritablement aux racines des inégalités salariales. Les organisations syndicales appellent à rejoindre les mobilisations organisées le 8 mars prochain partout pour exiger des mesures concrètes afin d’éradiquer les inégalités et revaloriser les métiers féminisés.

  • Il faut imposer que les qualifications acquises, l’expérience professionnelle soient corrélées aux niveaux de rémunération et agir pour une limitation des écarts de salaires au sein des entreprises.

Pour agir sur ces revendications essentielles, les organisations syndicales CGT, FSU, Solidaires et UNSA, et les organisations de jeunesse FIDL, MNL, UNEF et VL appellent à une journée de grève et de manifestations interprofessionnelles le 17 mars prochain.

Dans l’attente, elles soutiennent les mobilisations qui se développent dans les entreprises et le secteur public. Elles s’adressent aux salarié-es du privé et aux agent-es du secteur public pour maintenir la pression et exiger l’augmentation des salaires et du pouvoir d’achat.

Elles proposent de construire, dès à présent, les conditions d’un grand 1er mai unitaire.

publié le 14 mars 2022

La France va-t-elle extrader dix réfugiés politiques italiens des années 1970 ?

par Olivier Doubre sur www.politis.fr

Après l’interpellation d’une dizaine d’ex-militants armés italiens des années 1970 en mai 2021, la justice française s’apprête à statuer sur les demandes d’extradition, parfois ubuesques, de Rome concernant ces septuagénaires qui ont construit leur vie loin des armes. Au mépris de la parole de la doctrine traditionnelle de la France.

La France va-t-elle revenir sur sa parole (d’État), donnée au début des lointaines années 1980 à quelque trois cents militantes et militants de l’extrême gauche italienne, qui s’étaient réfugiés sur son sol ? Ou, plutôt, rompra-t-elle son engagement vis-à-vis des dix derniers d’entre eux que l’Italie s’acharne à poursuivre, usant de « stratagèmes insupportables et scandaleux pour rendre imprescriptibles des infractions et des peines déjà prescrites, en particulier par le droit français » ?

C’est la question qu’a solennellement posée l’avocate Irène Terrel, membre de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) lors d’une conférence de presse organisée le 9 mars, s’apprêtant à en défendre un certain nombre lors des audiences devant la cour d’appel de Paris qui vont débuter le 23 mars. Car, près d’un demi-siècle après les faits, Rome n’a jamais renoncé à vouloir récupérer – et jeter dans ses geôles – cette dizaine de septuagénaires, la plupart grands-pères ou grands-mères de petits-enfants français. D’anciens militants parfois malades ayant tous reconstruit pacifiquement leur vie dans le respect de la légalité française, après avoir pris part à ce que nombre d’historiens ont qualifié de « guerre civile de basse intensité » durant les années 1970 en Italie.

La « stratégie de la tension »

Dans le contexte de l’après-68, le mouvement social, ouvrier et étudiant, atteignait dans la péninsule un niveau de mobilisation massif et unitaire rarement vu dans toute l’Europe occidentale. En guise de « réponse », des franges dévoyées des services de sécurité et de l’armée, souvent liées ou admiratrices du régime fasciste de Mussolini (1922-1943), utilisant mafias et groupuscules d’extrême droite, choisissaient délibérément de mettre en œuvre une « stratégie de la tension », avec nombre d’attentats meurtriers et aveugles (dans des trains, des gares, des banques) attribués faussement à d’hypothétiques « anarchistes ». Tout cela afin d’attiser un désir d’ordre et de pouvoir autoritaire au sein de la population. Depuis la bombe de piazza Fontana à Milan en décembre 1969, déposée dans une agence de la Banque nationale de l’agriculture (17 morts, 85 blessés), jusqu’à l’atroce explosion de la gare de Bologne, le 2 août 1980, bondée en ce jour de vacances d’été (85 morts, plus de 200 blessés).

En face, des dizaines, sinon des centaines, de petits groupes d’extrême gauche empoignaient alors les armes, volontiers convaincus que « la révolution est au bout du fusil » et que le mouvement social se devait de « répondre coup pour coup ». Le pouvoir inaugura alors une politique répressive en votant le premier corpus de lois d’exception qui constitue l’embryon de « l’antiterrorisme moderne », avec interrogatoires musclés, réduction des droits de la défense et peines collectives pour tous les membres d’un groupe armé, quelles que soient leurs responsabilités individuelles.

La « doctrine Mitterrand »

Mais, après des années de conflit, Rome ne sait plus bien comment sortir de cette violence diffuse. Alors que plusieurs milliers de militants sont condamnés à des dizaines d’années de réclusion, quelques centaines parviennent à s’enfuir à l’étranger. Or, le gouvernement socialiste italien de Bettino Craxi, en dépit de déclarations vengeresses, n’est pas mécontent de voir la France de François Mitterrand offrir une porte de sortie à quelques centaines d’entre eux et donc un « asile politique » : le président français officialise une politique d’accueil – et surtout d’apaisement –, lors du congrès de 1985 de la LDH (qui prendra le nom de « doctrine Mitterrand »), à condition qu’ils renoncent aux armes et respectent les lois françaises. Évitant ainsi, à la différence des Basques de l’ETA notamment, que la France ne devienne une base arrière des mouvements armés transalpins.

Au fil des décennies, nombre d’entre eux voient leurs peines ou leurs délits prescrits. Même si, dans une débauche de déclarations démagogiques, les gouvernements italiens (de toute couleur politique) continuent de crier vengeance, plus de quarante ans après, non sans espérer de faciles retombées électorales.

Un « accord de basse politique »

Emmanuel Macron, souhaitant resserrer ses liens avec l’Italie, envoie donc, par un matin d’avril 2021, à six heures, sa police chercher les douze derniers activistes réfugiés (dont les inculpations et peines ne sont pas encore prescrites) à leurs domiciles, fort bien connus, sous les yeux de leurs familles apeurées. Relâchés quelques heures plus tard, ils doivent passer dans les prochaines semaines devant la Chambre de l’instruction des cours d’appel de leurs lieux de résidence, compétentes en matière d’extraditions. Des tribunaux que tous connaissent bien, puisque ces juridictions ont déjà refusé leur renvoi en Italie… dans les années 1980 ! Deux sont décédés depuis…

Cet « accord de basse politique », comme le souligne la représentante de leurs familles, rompt donc avec « la parole donnée il y a quarante ans à des personnes dont la réinsertion a été prouvée depuis des décennies ». Mais la conférence de presse du 9 mars comptait deux participants plus inattendus, psychiatres et psychanalystes, représentants d’un collectif regroupant plus de 80 de leurs collègues, dont les docteurs Serge Hefez, Patrick Chemla, Heitor de Macedo et Paul Bretécher. Ce dernier justifie leur engagement en faveur de ces « asilés » par la France pour en avoir « accompagné certains dans leur reconstruction psychique, professionnelle, relationnelle et familiale, qui fut longue et difficile ».

Une vengeance d’État

Livrer ces dix personnes âgées à l’Italie « signifie les envoyer dans le couloir de la mort ». Et Heitor de Maceto d’ajouter : « S’ils ont “commis” à l’époque une réponse extrême, ce fut dans un contexte où le débat démocratique était alors largement empêché, mais la conséquence la plus terrifiante de cette vengeance d’État, servie par le pouvoir français, est pour les enfants et surtout les petits-enfants : comment vont-ils croire à un possible engagement de la parole donnée ? » Alors que ces anciens activistes ont tous, eux, respecté leur parole donnée à la France de respecter les lois françaises…

Me Irène Terrel ajoute alors que « s’il n’y a aucun fait nouveau et que l’autorité de la chose jugée devrait être un principe intangible, le droit français interdit aussi l’atteinte à la vie privée et familiale ». Et de décrire l’arrogance et le mépris dans ces procédures de l’Italie qui ose « s’agacer lorsque la Chambre de l’instruction demande des compléments d’information à des dossiers lacunaires et mal ficelés, dans un style assez insupportable, alors que du point de vue du droit français tout est prescrit depuis longtemps ! » Première audience, le 23 mars devant la cour d’appel de Paris.

publié le 14 mars 2022

Avec la guerre en Ukraine, les prix flambent
et la faim menace

Marie-Noëlle Bertrand sur www.humanite.fr

Alimentation La hausse des cours des céréales et autres graines, provoquée par le conflit russo-ukrainien menace la sécurité alimentaire mondiale. Elle réveille aussi les débats sur les modes de production définis par les politiques agricoles.

Produire plus ou produire mieux ? Le débat qui oppose deux visions de l’agriculture rejaillit à l’aune de la guerre en Ukraine et des risques alimentaires qui en découlent. Le conflit exacerbe la flambée des prix des céréales et oléagineux enregistrée ces derniers mois sur les marchés mondiaux.

Le 8 mars, la tonne de blé tendre a dépassé les 410 euros, contre plus de 300 euros à l’automne et 210 euros en moyenne en temps normal. Côté huiles, les choses vont à l’avenant. Le 11 mars, le colza s’échangeait à 924 euros la tonne, contre 690 euros début février. Le tournesol suit le même chemin. Avec ces hausses grandit le risque d’une crise de la faim à l’échelle globale telle que la planète en a connu en 2008 et 2010 (lire ci-après).

Vendredi 11 mars, les pays du G7 ont appelé la communauté internationale à « éviter toute mesure » susceptible de limiter « les exportations de denrées alimentaires » afin de ne pas aggraver cette distorsion des cours. Les États-Unis, l’Allemagne, le Grande-Bretagne, la France, l’Italie, le Japon et le Canada se sont engagés, dans une déclaration commune, « à éviter tous les signaux et mesures restrictives qui limiteraient les exportations et entraîneraient de nouvelles hausses de prix ».

Ce même vendredi 11 mars, l’Organisation des Nations unie pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) a pour sa part tiré un signal d’alarme bien plus effrayant : le conflit engagé à l’est de l’Europe pourrait faire plonger dans la faim 8 millions à 13 millions de personnes supplémentaires.

« Les récoltes de la dernière campagne
sont déjà vendues à plus de 80 % »

De fait, l’Ukraine et la Russie pèsent lourd dans le marché mondial alimentaire. Elles représentent près de 29 % des exportations mondiales de blé. 26 pays dépendent d’eux pour plus de 50 % de leurs apports de cette céréale, singulièrement en Asie-Pacifique, en Afrique subsaharienne, au Proche-Orient et en Afrique du Nord.

En France, l’alerte résonne aussi, lancée, cette fois, par le secteur agroalimentaire. La hausse des prix des matières premières dans leur globalité aura un impact rapide sur les consommateurs. Il n’en va pas uniquement du prix du grain. La hausse des prix du gaz et du pétrole est elle aussi en jeu.

« C’est du grand délire », assure Éric Thirouin, président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB). « Le prix du carburant agricole est passé de 0,70 euro le litre à 1,80 euro », illustre-t-il. À 300 litres le réservoir, faire le plein d’un tracteur frise, en ce moment, les 550 euros. Le cours du blé a beau grimper sur les marchés, pas sûr que cela compense le manque à gagner pour les céréaliers. « Les récoltes de la dernière campagne sont déjà vendues à plus de 80 %, voire 85 % », poursuit Éric Thirouin. Celles attendues cet été ne seront pas sur les marchés avant l’hiver prochain. « D’ici là, les prix peuvent redescendre. » Impossible de deviner aujourd’hui si, à terme, ils tireront leur épingle du jeu. D’autant que le conflit a aussi un impact sur le prix des engrais, prévient encore le président de l’AGPB. 43 % de ceux utilisés en France sont importés d’Ukraine. La hausse du prix du gaz, quoi qu’il en soit, fait grimper celui de l’azote : l’hydrocarbure est un élément nécessaire à la fabrication de cet élément essentiel aux fertilisants de synthèse.

Côté éleveurs, la conjoncture s’avère encore plus épineuse. Une large part des tourteaux de tournesol et de colza est importée, en France, d’Ukraine et de Russie. Condensés de matière sèche issue du pressage des huiles très riches en protéines, ils sont indispensables à l’alimentation du bétail élevé hors-sol.

Les maraîchers, singulièrement ceux qui travaillent sous serres, ne sont pas non plus épargnés. « J’ai l’exemple d’un producteur, près de Nantes, dont la facture de gaz devrait passer de 400 000 euros l’an passé à 4 millions cette année », illustre Dominique Chargé, président de la Coopération agricole. Multipliée par dix, la somme paraît hallucinante mais correspond à celle du mégawattheure de gaz, passé de 20 000 à plus 200 000 euros. « Impossible, à ce compte, qu’il n’y ait pas de répercussion s sur les consommateurs. L’ensemble de nos entreprises vont vraisemblablement l’inclure à leurs prix de vente », conclut Dominique Chargé.

« Soit on se dit tant pis, des gens vont avoir faim. Soit on agit »

Comment parer à cette flambée ? Les réponses se disputent la primeur. Côté agro-industrie et grands céréaliers, on plaide pour augmenter la production en France et en Europe. Non que le blé y fasse défaut – loin de risquer la pénurie, la France en produit 35 millions de tonnes par an et n’en consomme que 9 millions (1) –, « mais sur l’échiquier mondial, les productions russes et ukrainiennes vont manquer », reprend Éric Thirouin. « Soit on se dit tant pis, des gens vont avoir faim. Soit on agit. » Les acteurs du secteur exigent le champ libre pour mener à bien cette « mission nourricière ». Et attaquent, depuis le début du conflit, l’Europe et sa stratégie dite de la ferme à la fourchette – Farm to Fork en anglais (F2F).

Volet agricole du Green Deal destiné à verdir les pratiques afin d’aligner sur les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité, celle-ci prévoit une réduction de 20 % des engrais et de 50 % des pesticides d’ici à 2030. Elle prévoit également de porter à 25 % la part des terres consacrées à l’agriculture biologique. Une «  logique de décroissance » qui « doit être profondément remise en question », avance la FNSEA dans un communiqué publié le 2 mars . « Il faut au contraire produire plus sur notre territoire, produire durablement, mais produire. » De la même manière, le syndicat majoritaire s’en prend à la future politique agricole commune (PAC), laquelle programme la mise en jachère de 4 % des surfaces agricoles. « Des surfaces non productives », dénonce la FNSEA… là où les organisations paysannes et environnementales préfèrent quant à elles parler de « surfaces d’intérêt écologique ». Et c’est là une fracture manifeste entre les deux parties.

« S’il est nécessaire de prendre des mesures immédiates, cela ne doit pas être au détriment des autres enjeux auxquels l’humanité fait face, comme la souveraineté alimentaire des peuples, la pollution généralisée ou encore l’urgence climatique », écrivent quinze organisations dans une lettre ouverte adressée, jeudi 10 mars, à Emmanuel Macron. «  La guerre en Ukraine et ses conséquences nous forcent à réfléchir aux choix fondamentaux de l’agriculture européenne », poursuivent-elles, exigeant « une véritable transition agroécologique, seule compatible avec l’autonomie de nos agriculteurs et agricultrices et donc avec notre souveraineté alimentaire ».

les marges de manœuvre pour produire davantage de grains sont limitées 

Alors, faut-il ou non revenir sur la stratégie F2F ? Dans une note publiée la semaine dernière, quatre chercheurs de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) répondent par la négative. « Une telle approche se révélerait contre-productive à bien des égards », avancent-ils. D’abord « parce que les marges de manœuvre pour produire davantage de grains sont limitées », avancent-ils. « Les surfaces en jachère ne dépassent probablement pas 6 millions d’hectares sur 100 millions d’hectares de terres arables, et les rendements potentiels y sont faibles. » En outre, poursuivent les chercheurs, « en l’état actuel, cultiver plus pour produire plus, c’est recourir à plus d’azote minéral ou produit en Europe avec du gaz ». En bref, se mordre la queue.

Enfin, relèvent-ils, si les rendements en Europe plafonnent depuis de nombreuses années, les réglementations environnementales ne sont pas en cause : ce sont « les chocs climatiques qui limitent ce rendement, la perte des pollinisateurs et la dégradation des sols ». Chercher à cultiver plus dans ces conditions « ne pourra que dégrader encore un peu plus la capacité productive des agrosystèmes ».

L’Europe n’est cependant pas sans pouvoir actionner de levier, notent-ils. Celui de l’aide internationale en est un. Le déblocage « des stocks stratégiques de céréales que ses pays membres ont pu se constituer » en est un autre.


 


 


 

« Il ne peut pas y avoir un dégradé d’humanité entre Ukrainiens, Syriens, Yéménites ou Afghans »

Latifa Madani sur www.humanite.fr

Le conflit en Ukraine risque d’avoir un impact considérable sur les aides internationales, dont celles du programme alimentaire mondial, alerte Pierre Micheletti, président d’Action contre la faim.

Quelles répercussions la guerre peut-elle avoir sur l’aide humanitaire ?

Cette crise, inattendue par son ampleur, va encore augmenter le volume des besoins, qui sont déjà en expansion constante. De 2012 à 2022, nous sommes passés d’un niveau d’engagement financier de 10 milliards d’euros à près de 40 milliards d’euros, avant même la crise ukrainienne. Ma crainte est qu’une crise chasse l’autre. L’attention des grands donateurs va se focaliser sur cette guerre aux marges de l’Europe au détriment des financements des crises majeures qui perdurent (Syrie, Yémen, Afghanistan, République démocratique du Congo, Bangladesh, Soudan du Sud, Haïti…). Si tel devait être le cas, les conséquences seraient très graves pour le sort des populations délaissées. Le différentiel annuel qui prévaut au niveau mondial entre les besoins estimés par le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) et les recettes est déjà chroniquement déficitaire : 40 % des sommes appelées ne sont pas obtenues. Au dernier pointage, il y a deux semaines, nous en étions à seulement 10 % des sommes collectées sur l’enveloppe financière destinée à l’Afghanistan, estimée à 4 milliards de dollars pour 2022. Au Yémen, les financements de l’aide ont baissé de 40 % l’an dernier…

L’Ukraine et la Russie sont des producteurs majeurs de céréales, dont dépendent de nombreux pays. Quelles conséquences la guerre et les sanctions peuvent-elles avoir sur les aides alimentaires ?

Ce conflit aura de lourdes conséquences sur les prix et sur les possibilités de transport du blé. L’Ukraine constitue le premier fournisseur du programme alimentaire mondial (PAM) en céréales et tournesol (420 000 tonnes de produits alimentaires en 2020). Toute la capacité de l’Ukraine à approvisionner à la fois le marché des pays riches et le PAM va se trouver en défaut. Au rapport 2020, le montant des achats du PAM s’élevait à 1,7 milliard de dollars. La raréfaction des ressources peut conduire les pays les plus riches à protéger en priorité leur marché, notamment pour l’élevage des volailles et du bétail.

Vous appelez les organisations humanitaires à la plus grande vigilance au sujet de ce que vous nommez « l’occidentalo-centrisme des affaires internationales ». Que voulez-vous dire ?

Je veux dire que l’on ne peut que se réjouir de la large solidarité qui s’exprime de toutes parts en Europe à l’égard de l’Ukraine. Mais on observe en même temps les symptômes d’une compassion à géométrie variable. On a vu les discriminations dans le traitement de la prise en charge des réfugiés selon qu’ils sont européens ou non. On a vu les prises de position de personnages politiques et de journalistes qui, clairement, dans leurs propos établissaient une sorte de hiérarchie entre des réfugiés ukrainiens qui nous ressemblent et d’autres, plus lointains, pour qui on n’aurait pas la même considération ou le même intérêt. Le premier principe de l’aide humanitaire est clair : la solidarité internationale d’urgence se déploie au nom du principe fondamental d’une commune humanité entre les aidants et les aidés. Les organisations héritières du mouvement d’Henri Dunant et de la Croix-Rouge interviennent auprès de populations en difficulté au nom d’une commune humanité. Il ne peut pas y avoir un dégradé d’humanité entre Ukrainiens, Syriens, Yéménites ou Afghans.Cette crise ne pose-t-elle pas aussi la question des modes de financement et d’attribution de l’aide humanitaire ? Pour quelle réforme plaidez-vous ?

Une très large proportion de l’action humanitaire est consacrée à des zones de conflit. Chaque année, sur tous les continents, entre 100 et 200 millions de personnes dépendent d’une aide extérieure vitale. Or, le modèle économique de l’aide internationale repose pour les trois quarts de l’enveloppe annuelle (40 milliards de dollars) sur les contributions volontaires d’une vingtaine de pays membres de l’OCDE – essentiellement occidentaux – et pour un quart sur la générosité de donateurs individuels issus des mêmes pays. Il n’y a pas, au niveau multilatéral, de contribution obligatoire au sein des Nations unies comme il y en a eu pour les opérations du maintien de la paix. Ce club fermé de donateurs donne ce qu’il veut pour qui il veut, quand il veut. Ce modèle expose l’action humanitaire à des difficultés, voire à la paralysie. Le système humanitaire international ne peut plus fonctionner efficacement avec une telle équation économique, ni sur la base de la seule générosité émotionnelle, que l’on sait éphémère et aléatoire, ni encore avec des contributions optionnelles, fléchées, parfois assorties de préoccupations de lutte contre le terrorisme. L’aide internationale ne peut se déployer ainsi de façon satisfaisante pour les populations fragilisées par des crises dont bon nombre s’étalent sur des années. La durée de séjour moyenne dans un camp de réfugiés est de plus de dix ans. Pour les organisations humanitaires, la plus grande des vigilances reste de mise. Partout dans le monde aujourd’hui, et peut-être en Ukraine demain.


 


 


 

L’Afrique a besoin
d’un plan de protection contre la famine

Nadjib Touaibia sur www.humanite.fr

Très dépendants des importations de blé et de denrées essentielles, la plupart des pays du pourtour méditerranéen et du reste du continent se préparent à subir un choc de grande ampleur.

Sombres perspectives pour les pays africains dans la foulée de la guerre en Ukraine. L’arrêt des exportations de céréales, dont le blé, et autres intrants agricoles, va durement frapper la plupart d’entre eux, déjà confrontés à une crise alimentaire structurelle (dérèglements climatiques, conflits) ou considérablement fragilisés par les hausses de prix et la spéculation boursière autour de produits essentiels.

Moscou et Kiev représentent 34 % des échanges de blé, une matière première qui a enregistré une augmentation de 70 % depuis le début de l’année. Les pays du pourtour méditerranéen en souffrent fortement. Pour l’Égypte, cela représente 80 % des importations. C’est le premier importateur de blé au monde (12 millions de tonnes). Le pays dispose de « trois ou quatre mois de stock », estime Jean-François Loiseau, président de l’interprofession céréalière française Intercéréales. Le prix du pain aurait fait un bond de 50 % depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Le Caire envisage une augmentation du prix de la galette subventionnée destinée aux bas revenus. Une prise de risque inédite depuis les « émeutes du pain » de 1977.

C’est une source d’inquiétude pour les autres pays de la région, comme pour ceux du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, historiquement importateurs nets de denrées alimentaires. Les Algériens, par exemple, ont gardé le souvenir des émeutes de 2011 suite à une envolée brusque des prix de l’huile et du sucre qui s’est répercutée sur d’autres produits de large consommation. Dans des quartiers d’Alger, des boutiques avaient été prises d’assaut par des groupes de jeunes. Des manifestations avaient éclaté à 250 km de là, dans la ville de Béjaïa, en Kabylie, et jusque dans celle de Constantine, capitale de l’est du pays.

Alger escompte toutefois amortir cette secousse par les gains supplémentaires tirés des exportations de gaz, tout comme le Maroc pour les phosphates, dont le cours monte.

En revanche, l’insécurité alimentaire dont souffrent déjà les populations pauvres au Liban, au Yémen, en Syrie, au Soudan, déchirées par des conflits internes, va connaître une nouvelle ampleur. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les prix mondiaux des denrées alimentaires ont enregistré un pic record au mois de février, soit une hausse de 3,9 % par rapport au mois de janvier.

L’Europe et l’Afrique vont être « très profondément déstabilisées sur le plan alimentaire » dans les douze à dix-huit mois, a averti Emmanuel Macron, vendredi, à l’issue d’un sommet européen à Versailles. Au-delà du constat, les pays d’Afrique ont surtout besoin d’un véritable plan de sauvegarde pour éviter l’explosion de la famine redoutée par le programme alimentaire mondial.

L’association CCFD-Terre Solidaire propose notamment la mise en place de « systèmes de protection sociale alimentaire dans les pays impact és ». Peut-être est-il tout aussi urgent de tirer un trait sur les dettes qui asphyxient ces pays déjà à l’agonie.

 publié le 13 mars 2022

Fin du port du masque : un calendrier plus électoral que sanitaire

Loan Nguyen suur www.humanite.fr

Covid-19 La reprise épidémique constatée ces derniers jours n’a pas incité le gouvernement, en pleine campagne présidentielle, à revoir sa décision de lever nombre de restrictions sanitaires à partir de ce lundi, quitte à aggraver la situation.

La guerre en Ukraine occupe depuis plusieurs semaines les esprits et les colonnes des journaux partout en Europe, reléguant au second plan l’épidémie de coronavirus, qui continue pourtant de sévir en divers endroits dans le monde. À moins d’un mois de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a pourtant décidé d’annoncer la levée quasi totale des mesures de restrictions sanitaires pesant sur les Français depuis de nombreux mois. À partir de ce lundi 14 mars, le passe vaccinal ne sera plus exigé dans les lieux où il était requis jusque-là. Seul le passe sanitaire restera obligatoire pour accéder aux hôpitaux, maisons de retraite et établissements pour personnes handicapées. Le port du masque, quant à lui, ne sera imposé que dans les transports collectifs et les établissements de santé.

Un soulagement pour la plupart des Français, soumis à deux ans de restrictions sanitaires et sociales, qui espèrent laisser une bonne fois pour toutes le virus derrière eux. Si la baisse du nombre de décès, des hospitalisations et du taux d’occupation des services de réanimation semble leur donner raison, certains experts alertent néanmoins sur une dynamique de reprise épidémique qui pointe ces derniers jours. L’effet combiné du retour des enfants à l’école et de la circulation désormais majoritaire du sous-variant BA.2, plus contagieux que la forme initiale d’Omicron, explique en partie la reprise épidémique. On en a observé les prémices ces derniers jours, avec 74 818 nouveaux cas constatés jeudi, contre 60 225 une semaine plus tôt.

« Mais cela ne suffit pas à expliquer ce rebond. Le facteur qui semble critique, c’est le changement de comportement des Français, avec une baisse de vigilance sur les gestes barrières et une augmentation du nombre de contacts », expliquaient les experts de Santé publique France, vendredi, appelant à la « responsabilité individuelle » en termes de respect des gestes barrières malgré la levée des restrictions sanitaires. De quoi causer un léger embarras, y compris dans l’état-major macroniste, tiraillé entre l’envie de séduire les électeurs et la réalité des chiffres. Pour tenter de juguler les critiques sur la pertinence de ce calendrier, le premier ministre, Jean Castex, a annoncé, ce samedi, l’ouverture « dès à présent (de) la quatrième dose aux plus de 80 ans » dans les colonnes du Parisien, tandis que le ministre de la Santé, Olivier Véran, s’est dit « extrêmement vigilant » face au rebond épidémique.

l’Institut Pasteur se veut rassurant

La veille, l’Institut Pasteur avait d’ailleurs mis à jour ses dernières modélisations, notant que cette reprise épidémique anticipée avait lieu plus tôt que ce que l’organisme avait prévu. D’après ses dernières données, le taux d’incidence est resté supérieur à 500 cas pour 100 000 habitants dans la majorité des régions la semaine du 28 février au 6 mars et a fortement augmenté en Martinique, où il atteint quasiment les 3 800, soit une multiplication par 5 en une semaine. Mais l’Institut Pasteur se veut rassurant : explorant plusieurs scénarios où, à partir du 14 mars, les taux de transmission deviennent entre 50 % et 130 % supérieurs aux niveaux de janvier-février, le centre de recherche estime que le nombre de contaminations restera inférieur au pic de janvier dans tous les cas.

Des données encourageantes pour certains experts. « À court terme, on peut espérer en avoir fini avec le Covid parce qu’on observe que le printemps et l’été sont des périodes favorables à la décroissance de la circulation du virus », estime Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie, qui pointe néanmoins qu’un « retour à l’automne » est prévisible. « Ce n’est pas raisonnable de lever ces mesures maintenant », juge en revanche Dominique Costagliola, épidémiologiste, qui regrette que l’annonce même de la date du 14 mars ait été faite « indépendamment de toute référence à un indicateur sanitaire ». « Si l’on voulait prendre des mesures sur la levée des masques, il aurait fallu travailler sur des dispositifs à court et moyen terme pour améliorer la qualité de l’air intérieur », insiste-t-elle, pointant à la fois la nécessité de généraliser les capteurs de CO2 mais également de créer des normes d’aération dans les nouveaux bâtiments. « Là, on condamne les personnes fragiles, qui ne sont pas immunisées malgré la vaccination, à l’isolement. »

#OuiAuMasque et #JeGarderaiLeMasque

« On ressent une inquiétude chez nos adhérents », confirme Pierre Foucaud, président de Vaincre la mucoviscidose, qui déplore l’accès toujours restreint des malades aux traitements par anticorps monoclonaux préventifs. « Il y a certes de moins en moins d’hospitalisations et de décès, mais on a l’impression de faire face à un déni collectif alors que plusieurs dizaines de personnes continuent de mourir chaque jour du Covid et que ces personnes-là sont des personnes vulnérables », précise-t-il, estimant que les décisions gouvernementales poussent les patients atteints de mucoviscidose à l’ « autoconfinement ». Même son de cloche du côté de France Rein, qui accompagne les malades souffrant d’insuffisance rénale. « On comprend que la levée des restrictions sanitaires soit une bonne chose pour la majorité des gens, mais il va falloir appeler au civisme de chacun », souligne Cécile Vandevivère, présidente de l’association. Sur les réseaux sociaux notamment, des appels de citoyens à garder le masque dans les lieux clos par solidarité pour les personnes immunodéprimées circulent depuis plusieurs semaines sous les mots-dièse #OuiAuMasque et #JeGarderaiLeMasque.

« Qu’est-ce qu’on va faire des 300 000 personnes immunodéprimées ? On les enferme ? » tempête Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’Union française des médecins libéraux, qui estime qu’ignorer l’impact de la levée des mesures sanitaires constitue un pari dangereux. Mais, au-delà de l’impact pour les personnes fragiles, le praticien s’inquiète de l’invisibilisation des patients atteints de Covid longs. « Depuis un mois et demi, les Covid longs représentent 15 % à 20 % de ma patientèle. Certains s’en sortent avec uniquement de la fatigue mais d’autres gardent des séquelles neurologiques sept mois après et même au-delà. »

Contaminations le monde n’est pas sorti d’affaire

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a rappelé, le 9 mars, que la pandémie de Covid-19 était « loin d’être terminée » et « ne sera finie nulle part si elle n’est pas finie partout ». L’OMS relève une forte croissance dans le Pacifique occidental.  Au niveau mondial, le nombre de décès a baissé de 8 %.  Dimanche, la Chine faisait état du triplement du nombre quotidien de contaminations par rapport à la veille et procédait au confinement ou au semi-confinement des villes de Shenzhen, Jilin, Changchun et Yanji. En Europe, les autorités allemandes indiquent également que le pays se trouve dans une « situation critique », malgré l’impression partagée dans la population, selon laquelle la pandémie serait « maîtrisée ».


 


 


 

 

 

« On aimerait que les candidats fassent de la santé un enjeu » :
l’hôpital, grand oublié de la présidentielle

par Rachel Knaebel sur https://basta.media/

Ni les importantes mobilisations des soignants, ni les alertes sur la dégradation du système de santé publique, ni même deux années de Covid et de gestion autoritaire de l’épidémie n’ont réussi à imposer la santé comme enjeu d’avenir. Sidérant.

C’était quelques mois seulement après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. En janvier 2018, la France connaissait une grande grève des personnels des Ehpad, en grande majorité des femmes. Le mouvement était soutenu par les familles et l’association des directeurs d’Ehpad. En cause : les conditions de travail, de plus en plus intenables, qui ne permettaient déjà plus de prendre en charge correctement les personnes âgées.

Dures, longues et inédites, les mobilisations n’ont ensuite plus cessé dans la santé. En avril 2018, des personnels de l’hôpital psychiatrique du Rouvray, près de Rouen, mènent trois semaines de grève de la faim pour demander des moyens et du personnel pour la prise en charge des patients. Leurs collègues de l’hôpital psychiatrique du Havre embrayent, et occupent le toit d’un bâtiment pendant trois semaines. À l’hôpital psychiatrique d’Amiens, un campement de protestation devant l’établissement se prolonge près de cinq mois. C’est dire les difficultés que les personnels connaissent !

En avril 2019, des services d’urgences des hôpitaux parisiens se mettent à leur tour en grève. Le mouvement part de la base, des aides-soignantes, brancardiers, infirmières et infirmiers. Structuré dans le Collectif inter-urgences, il essaime rapidement à travers le pays. En juin, 120 services d’urgences sont en grève, 200 en août (voir notre article). Des médecins et d’autres personnels de différents services hospitaliers créent en parallèle le Collectif inter-hôpitaux.

« Pression financière, détérioration des conditions de travail »

En janvier 2020, 1000 médecins hospitaliers chefs de service démissionnent de leurs fonctions administratives, là encore pour dénoncer la situation de l’hôpital public, à bout de souffle, en manque de moyens et de personnels. « Pour que tout ces médecins responsables de services osent sortir de leur devoir de réserve et osent se confronter à l’autorité gestionnaire toute puissante dans nos hôpitaux, c’était bien que que la situation était devenue intenable, rappelle Agnès Hartemann, chef du service de diabétologie de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpétrière et l’une des coordinatrice du Collectif inter-hôpitaux [1]. Il y avait la pression financière, l’obsession devenue absurde d’un équilibre recette-dépense dans les hôpitaux publics et une détérioration des conditions de travail de tous les métiers de l’hôpital. Et pour autant, au moment de la première vague Covid, toutes ces équipes se sont jetées à cœur perdu dans la vague. »

Le Covid est arrivé, dans un hôpital public et un secteur du soin déjà exsangues. Alors que la cinquième vague « Omicron » entame sa décrue, le quinquennat se termine par des minutes de silence organisées tous les vendredi par les personnels de l’hôpital public. Leur but : alerter, encore et toujours, sur le risque de mise à mort de l’hôpital public. « Aujourd’hui, ce sont les heures sup’ qui font tenir l’hôpital. On appelle les gens en repos pour qu’ils reviennent travailler, témoigne Stéphane Fernandez, infirmier à l’hôpital gériatrique Émile-Roux, dans le Val-de-Marne. Lui et ses collègues ont créé un collectif début février. On voit notre hôpital qui meurt peu à peu. On est gérés par des gens qui sont déconnectés de la réalité du terrain. »

Dans cet hôpital de banlieue parisienne dédié à la prise en charge des personnes âgées, des lits se ferment par dizaines. « En novembre 2021 encore, nous avions une autorisation pour plus de 800 lits, nous dit l’infirmier. Aujourd’hui, nous avons 602 lits sur le papier, mais seulement 528 qui peuvent accueillir des patients, car nous n’avons pas assez de personnels pour ouvrir les autres. » « Les infirmiers s’en vont, constate celui qui gagne 2200 euros nets par mois après 30 ans de carrière. Au lieu de fidéliser les infirmiers présents, il est prévu d’embaucher des intérimaires avec des contrats à 3000 euros par mois. »

« Après la première vague, beaucoup de jeunes sont partis »

Partout, des lits hospitaliers ont fermé en nombre (voir notre cartographie de suivi de ces fermetures). Le phénomène ne date pas du début du quinquennat. Entre 2003 et 2017, plus de 69 000 places d’hospitalisation à temps complet ont disparu en France [2]. La dynamique n’a pas faibli depuis 2017, elle s’est même accélérée après le début de la pandémie. Fin 2016, la France comptait plus de 404 000 lits d’hospitalisation à temps complet. Fin 2020, le chiffre est tombé à 386 835 (les chiffres de 2021 ne sont pas encore disponibles). Soit plus de 17 000 lits d’hospitalisation rayés en quatre ans des tableaux managériaux du ministère et de ses cabinets de consultants. 5700 lits ont encore disparu en 2020, première année de la pandémie. Le nombre d’hôpitaux publics a aussi baissé : on compte 34 établissements de santé publics en moins en cinq ans [3], ce qui ouvre de nouveaux marchés au privé.

La lente destruction de l’hôpital public

Entre 2003 et 2017, plus de 69 000 places d’hospitalisation à temps complet ont été supprimés en France. La dynamique n’a pas faibli depuis 2017, elle s’est même accélérée après le début de la pandémie. Source : Drees

« On cherche aujourd’hui à optimiser le taux d’occupation des lits, et pour cela, il ne faut pas qu’il y ait de marge. Mais avoir des lits d’hospitalisation en nombre suffisant, c’est ce qui permet de ne pas être à flux tendu dans les services, rappelle Pierre-André Juven, sociologue, chargé de recherches au CNRS [4]. Ce qu’on voit depuis plusieurs années, et encore plus depuis 2019, c’est aussi que les conditions de travail indignes sont plus nombreuses et plus fréquentes qu’avant dans les hôpitaux. » C’est l’un des facteurs des vastes mobilisations d’avant la pandémie. « On avait rarement vu des aides-soignants et aides-soignantes, infirmières et infirmiers, se mobiliser aussi largement qu’en 2019, et encore plus rarement des médecins professeurs des universités-praticiens hospitaliers, qui sont tout en haut de la hiérarchie hospitalière, prendre la parole comme ils l’ont fait », relève le sociologue.

Comment le quinquennat de Macron a -t-il répondu à ces mobilisations ? Avant le Covid, fin 2018, la ministre de la Santé d’alors, Agnès Buzyn, avait lancé une réforme des hôpitaux avec son plan « Ma santé 2022 ». Celui-ci voulait, entre autres, transformer les petits établissements hospitaliers en « hôpitaux de proximité », sans maternité, ni chirurgie, ni urgence. Ce qui venait entériner un phénomène déjà à l’œuvre, et qui s’est amplifié depuis. Cet été et cet hiver 2021, les fermetures des services d’urgences, temporaire ou définitive, se sont multipliées dans les hôpitaux en France, surtout dans les petits centres hospitaliers (voir nos article ici et ici).

Après la première vague, en mai 2020, le nouveau ministre Olivier Véran lançait le « Ségur de la santé », une consultation qui devait dessiner des mesures à prendre pour l’hôpital. Qu’en est-il ressorti ? « Le Ségur n’a rien réglé », juge l’infirmier Stéphane Fernandez. À la suite des ces consultations, le gouvernement a certes décidé de revaloriser les rémunérations pour les personnels hospitaliers, dont 180 euros pour les paramédicaux (infirmières, aides-soignantes…) Mais de l’avis des personnels, c’est loin d’être suffisant. « La focale s’était posée presque uniquement sur les salaires. Là où on parlait au à l’ouverture du Ségur de remettre à plat le système de santé, on s’est finalement retrouvé avec une simple négociation salariale, note Pierre-André Juven. Le Ségur n’a rien décidé sur les conditions de travail en tant que telles. » Résultat : aujourd’hui, un an et demi après le Ségur, les hôpitaux peinent de plus en plus à recruter et même à conserver leurs personnels. « Après la première vague, beaucoup de jeunes sont partis. Ils se sont dit "Pour ce salaire et dans ces conditions, je ne fais pas ma vie à l’hôpital" », témoigne Olivier Costa, aide-soignant depuis 2012 à l’hôpital de la Pitié-Salpetrière, membre du Collectif inter-hôpitaux.

Ne pas laisser les décisions aux seuls managers déconnectés du soin

Au moment du Ségur, les syndicats et les collectifs de soignants avaient pourtant formulé des propositions concrètes qui allaient bien au-delà de la seule question salariale (voir notre article). Le Collectif Inter-hôpitaux (CIH) demandait par exemple une réforme du partage du pouvoir dans les hôpitaux. Pour ne pas laisser les décisions entre les seules mains de managers déconnectés du soin, le CIH voulait ouvrir la gouvernance des établissements aux soignants, médecins comme paramédicaux, en intégrant aussi les représentante des usagers.

« Lors des débats à la télévision, la santé disparaît complètement »

Une autre revendication centrale était de réformer le mode de financement des hôpitaux, pour en finir avec la toute puissance du système actuel dit de « tarification à l’activité » (T2A), mis en place en 2004. Ce modèle de financement rémunère mieux les activités très techniques, comme la chirurgie, et moins le suivi des patients. « La T2A n’est pas du tout adaptée pour les pathologies chroniques, expliquait début février Anca Nica, neurologue au CHU de Rennes. En plus, ce système prétend attribuer un tarif à chacune des activités de l’hôpital, mais certains de ces tarifs n’ont pas changé par exemple depuis 2005, alors que les moyens techniques et les exigences de sécurité ont largement augmenté. Le tarif est donc devenu déconnecté du coût réel. »

Étrangement, après deux ans d’épidémie, les nombreuses mobilisations et alertes sur l’état du système de santé publique, les controverses sur la gestion très verticale de la lutte contre le Covid, n’ont pas, pour l’instant, imposé ce sujet dans le débat politique. Les revendications portées par les soignants sont pourtant toujours d’actualité. Le collectif demande aussi que des ratios de soignants par patients soient définis par les équipes de soin elles-mêmes, pour chaque unité de soin. Pour permettre de recruter 100 000 infirmiers dans les années à venir , le collectif propose d’augmenter le nombre d’instituts de formation d’infirmière et le nombre de places.

« On aimerait que les candidats fassent de la santé un enjeu de la présidentielle, insiste l’aide-soignant Olivier Costa. Il en va de la vie de tout le monde. » « Dans certains programmes des présidentielles, on trouve des volets sur l’hôpital, qui sont certes toujours un peu les mêmes : plus de lits et plus de moyens. Mais il y a une grosse difficulté de l’ensemble des partis politiques à mettre en relation l’hôpital avec la médecine de ville, la santé publique, les inégalités de santé et la santé environnementale. Or, tous ces enjeux sont extrêmement liés, pointe de son côté Pierre-André Juven. Ce qui est terrible, c’est que même si certains des candidates et des candidats parlent de santé, dès qu’on arrive sur les questions qui sont mobilisées lors des débats à la télévision, la santé disparaît complètement. »

publié le 13 mars 2022

L’exil ukrainien bouscule l’Europe

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Solidarité Dans le sud-est de la Pologne, à quelques kilomètres de la frontière, l’accueil des réfugiés fuyant les bombes russes s’organise dans l’urgence.

Przemysl (Pologne), envoyé spécial.

La neige a cessé de tomber, ce jeudi 10 mars, sur les Basses-Carpates. Le froid est d’autant plus piquant. Même l’encre des stylos gèle. Il faut en réchauffer la mine pour parvenir à prendre des notes. Au poste frontière de Medyka, dans le sud-est de la Pologne, la file ininterrompue des réfugiés venus d’Ukraine ne se tarit pas. Les militaires polonais se ­relaient, ici pour pousser un vieil homme dans son fauteuil roulant, là pour porter les sacs d’une mère de famille en larmes avec ses trois enfants. « Mon mari m’a déposée en voiture avec les enfants, explique-t-elle. Il est reparti pour défendre Kharkiv. »

Aujourd’hui, des barrières ont été installées au bout du chemin qui relie le poste de douane au premier axe routier. Une foule de plus en plus dense y attend les bus qui s’enchaînent pour conduire les nouveaux arrivants vers un des centres d’accueil d’urgence mis en place par la municipalité de Przemysl, à quelques kilomètres de la frontière.

Parmi ces milliers de femmes et d’enfants entassés, quelques hommes âgés et d’autres qui, étrangers, ne sont pas concernés par la mobilisation générale imposée aux Ukrainiens depuis le début de l’attaque russe, le 24 février. Ahmad tient dans ses bras un de ses jumeaux. L’autre est dans l’unique poussette que lui et sa compagne ont pu emporter. Ce père quadragénaire parvient à convaincre le soldat qui les escorte de les mettre à l’abri dans une tente, en attendant le bus. Un peu plus tôt dans la matinée, devant la gare de Przemysl, Boguslaw Swiezy, l’adjoint au maire, parle devant les caméras de la presse internationale. Il porte un uniforme kaki et fait le point sur la situation. Ici, la veille, 15 000 réfugiés sont arrivés en train depuis Lviv, en Ukraine. « Dorénavant, nous accueillons toutes les personnes qui arrivent, sans distinction », nous affirme-t-il, un peu à l’écart.

Des groupes autoproclamés
« patrouilles civiques » ont crié :
« Przemysl reste polonaise ! »

Munis de papiers ou non, tous ceux qui arrivent aujourd’hui à Przemysl depuis l’Ukraine obtiennent un tampon des autorités polonaises apposé sur une fine feuille bleu clair ornée d’une frise dorée : une autorisation de séjour de deux semaines durant lesquelles les personnes doivent se faire enregistrer auprès des services de l’asile et de l’immigration du pays de leur choix. Cela ne semble pas convenir à tout le monde.

Dans un café non loin de la gare, où sont aussi assis quatre  soldats américains, Marta, bénévole du comité polonais d’aide sociale, se souvient de la journée du 1er mars. Plusieurs réfugiés non-ukrainiens étaient sortis du train. « Ils venaient de passer plusieurs semaines bloqués en Biélorussie et ont pu passer par l’Ukraine, explique-t-elle. Il y a eu beaucoup de problèmes. » La gêne de la bénévole à décrire la situation est palpable. Ce mardi-là, des groupes de jeunes autoproclamés « patrouilles civiques » ont circulé en ville criant : « Przemysl reste polonaise ! » Marta montre sur son téléphone plusieurs articles relatant des scènes d’altercations plus ou moins violentes entre habitants, réfugiés et policiers. « Je trouve ça normal d’avoir peur mais, nous, nous accueillons tout le monde », tente de justifier la bénévole, pour qui l’important est surtout de mettre en valeur la solidarité dont font preuve les citoyens polonais face à la guerre en Ukraine.

Chez elle, où elle vit seule pendant que son mari, artisan, effectue des chantiers de rénovation en France, elle héberge depuis deux jours deux jeunes femmes ukrainiennes et leurs enfants. Elle les a recueillis à la gare. « J’étais au travail quand les premiers bombardements, à proximité de Kiev, ont débuté, raconte Alona, assise, le visage grave, sur le canapé de Marta. J’ai reçu la nouvelle par SMS et j’ai immédiatement décidé de partir avec mon fils, Kiril, pour le mettre à l’abri. » La jeune femme de 24 ans a prévu de passer quelques jours chez Marta avant de trouver un bus ou un train pour Lisbonne, où elle a des amis. D’autres réfugiés prennent immédiatement un train vers une autre ville de Pologne ou un aéroport. Certains montent à bord d’un des bus mis en place pour Varsovie. D’autres ont une connaissance venue les chercher. Arrivés en train ou par le poste frontière de Medyka, ils sont tout de même 3 000 par jour, au minimum, à être conduits dans un centre commercial désaffecté de la chaîne britannique de grande distribution Tesco, servant aujourd’hui de lieu de premier accueil.

Chacun essaie de retrouver un semblant de normalité

Dans l’ancienne galerie marchande, les différents boxes, autrefois réservés aux commerces, sont occupés de façon plus ou moins anarchique. On y trouve un lieu de recensement où des militaires polonais enregistrent les nouveaux arrivants et la destination où ils souhaiteraient se rendre en Pologne ou à l’étranger. Sur le mur, derrière les soldats, des particuliers prêts à accueillir des réfugiés ont laissé leurs coordonnées. On trouve également une pharmacie, une salle de jeux pour les enfants, une friperie et des dortoirs répartis par lieux de destination. Au comptoir de ce qui devait être le bar de la galerie marchande, des ONG distribuent des repas.

Des volontaires improvisent des sortes d’agences de voyages dans certains boxes ou directement dans les couloirs. Les réfugiés peuvent y laisser leur nom. Des équipes de solidaires européens, venues livrer des dons à la frontière et ne souhaitant pas repartir à vide, ou des collectivités d’autres pays, ayant envoyé des bus pour acheminer des réfugiés chez elles, y donnent la date de leur départ et le nombre de places dont elles disposent. Les bénévoles mettent les uns et les autres en relation.

Dans les allées bondées, pour s’asseoir, jeune ou âgé, on n’a guère que le sol ou le lit qu’on vous a attribué. Aucun endroit où se doucher, et seulement quelques toilettes. Chacun, cependant, essaie de retrouver un semblant de normalité. Des dessins d’enfants fraîchement réalisés sont accrochés aux murs. Par terre, des adolescents jouent avec leur téléphone portable. Un père exempté de combat, parce qu’atteint de surdité, apprend à sa fille de 3 ans à faire de la trottinette. Elle tombe, puis part en courant. Un groupe de secouristes court également dans le grand dortoir. Une dame fait une crise d’épilepsie. De temps en temps, un haut-parleur annonçant le départ d’un bus tente de passer par-dessus le brouhaha. Six personnes circulent aussi, munies de drapeaux israéliens et de pancartes, proposant de rejoindre une certaine « Opération Exodus ». Des hommes seuls, encore, brandissent des bouts de carton où sont inscrits des destinations et un nombre de places. « Je trouve ça inquiétant, confie un bénévole du Secours populaire français venu en mission pour évaluer les besoins. On nous a déjà rapporté des cas d’enlèvements de femmes et d’enfants. » Rien ne semble prévu pour empêcher ce type de dérives, ni pour proposer un quelconque accompagnement médical ou psychologique.

Le centre créé dans l’urgence fonctionne quasi uniquement sur l’énergie de quelques solidaires locaux et étrangers. L’armée est bien là, mais largement dépassée. Aucune présence du Haut-Commissariat aux réfugiés, de l’Organisation internationale pour les migrations ou de l’Union européenne. Les migrations, ici, semblent en autogestion… Pas d’agents de l’Agence européenne de gardes-frontières. Pas de prises d’empreintes non plus pour alimenter les fichiers du système Eurodac, pierre angulaire du protocole de Dublin, imposant à tout réfugié d’effectuer sa demande d’asile dans le pays d’entrée dans l’UE. C’est le dispositif auquel ont été soumis les exilés fuyant les guerres en Syrie, Libye et Afghanistan. Les bombes de Poutine fissureraient-elles les murs de l’Europe forteresse ? À moins qu’elles ne fassent que révéler le racisme des politiques migratoires européennes de ces dernières années.

 

 

 

 

Guerre en Ukraine. Henriette Steinberg :
« Ne laissons pas la misère
s’ajouter au malheur »

par Henriette Steinberg Secrétaire générale du Secours populaire français, officier de la Légion d’honneur sur www.humanite.fr

Le SPF s’engage aux côtés de la population ukrainienne et appelle à une intense mobilisation. La secrétaire générale de l’association revient sur cette initiative.


 

« Le Secours populaire remercie le journal l’Humanité d’ouvrir ses colonnes à notre appel à la solidarité destiné à notre fonds d’urgence, dont nous avons annoncé la montée en puissance à la fête du journal, en septembre 2021.

Nous parlions alors de répondre à des besoins consécutifs à des catastrophes sismiques et climatiques, de sorte que nous puissions adresser un premier soutien rapidement à nos partenaires pour leur permettre d’acquérir les produits alimentaires et d’urgence dans les zones non frappées les plus proches avant que les prix n’augmentent.

Ce fonds d’urgence conçu pour faire face à des situations exceptionnelles a vocation à concerner aussi notre pays, à l’image de ce que le SPF a mis en œuvre à la suite de la tempête Alex dans le Sud-Est.

Aujourd’hui, les bombardements sur l’Ukraine exigent de notre part une intense mobilisation et l’appel urgent au plus de soutien financier possible pour que notre fonds d’urgence puisse aider nos amis et partenaires sur place.

Cette solidarité a pour objectif de doter nos amis et partenaires des moyens d’urgence nécessaires pour accueillir aux frontières les populations vulnérables, contraintes de se déplacer pour échapper aux bombes, en particulier femmes, enfants et personnes âgées.

Ces centaines de milliers, aujourd’hui ces millions de familles que la guerre sépare ont quitté leur pays, démunies de tout et dans des conditions de violence que l’Europe n’avait plus connues depuis de nombreuses années. Elles sont notamment accueillies en Pologne, en Moldavie, en Roumanie… par des peuples et des associations avec lequels nous avons conduit de nombreux programmes, essentiellement autour du soutien aux enfants accueillis dans des orphelinats, y compris en Ukraine.

Nombre de ceux-là étaient avec nous à notre congrès de Lyon en novembre 2021 pour préparer ensemble le trentième anniversaire du mouvement d’enfants Copain du monde et rendre ce monde plus humain et plus ouvert à l’autre.

Après l’urgence, d’autres besoins vont apparaître

Et l’un des lieux où nous nous préparions à ouvrir un nouveau village d’enfants Copain du monde est situé au carrefour de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Roumanie… C’est dire à quel point cette partie du monde fait sens pour le Secours populaire.

Pourquoi cet appel à la solidarité financière ? Parce que nous savons qu’il faut aider les populations qui accueillent à acheter sur place les produits indispensables pour les personnes accueillies, sans risquer de désorganiser l’économie locale.

Il faut aussi pouvoir leur donner des cartes SIM, qu’elles remettront aux familles afin que ces dernières puissent garder le contact avec les leurs restés en Ukraine. Ce fil de la vie que représente l’échange d’un enfant avec son papa, comme de la maman avec celui qui défend son pays, est un soutien sans valeur marchande mais d’une importance qui parle à chacune et chacun d’entre nous.

Nous savons aussi, pour en avoir une longue expérience, que les effets remis aux personnes, dont les produits alimentaires, d’hygiène et de tout ce qui est indispensable pour des enfants en bas âge, doivent être présentés avec des documentations dans les langues du pays. Les produits qui arrivent de notre pays avec des indications en français ne peuvent être utilisés par les populations, qui n’osent pas se servir de ce qu’elles ne connaissent pas.

Cet appel est un appel d’urgence, mais il doit être bien clair pour chacune et chacun qu’après l’urgence d’autres besoins vont apparaître et vraisemblablement justifier des expéditions de produits adaptés à une deuxième phase. Ce sont nos partenaires qui nous diront ce dont ils auront alors besoin.

Par expérience, nous savons que l’arrivée de produits en quantités non maîtrisables par nos partenaires provoque des difficultés qu’ils vont devoir résoudre, allant ainsi à l’inverse de l’objectif de départ.

Un compte rendu sur l’utilisation des fonds recueillis

Le SPF travaille avec ses partenaires de façon précise pour adapter ses modes de faire aux besoins exprimés. Les fédérations et comités partout en France se préparent à aider les familles déplacées qui transiteront ou séjourneront dans nos régions. L’histoire du SPF témoigne de ce que nous nous situons dans la droite ligne de la philosophie du SPF depuis ses origines. Par le passé, et aujourd’hui encore dans d’autres situations, des femmes, des hommes, des enfants quittent leur pays, contraints et forcés par la guerre, pour sauver leur vie.

Sur le long terme, nous travaillons avec nos partenaires à l’élaboration d’outils communs qui vont permettre de rendre compte de l’utilisation des fonds recueillis, à la fois aux donateurs et donatrices, personnes privées, personnes morales, entreprises, mutuelles, fondations, institutions.

Ce compte rendu porte à la fois sur les fonds recueillis et sur les biens remis. Il est également porté à la connaissance de nos partenaires, ce qui permet aux uns et aux autres de disposer d’éléments communicables.

Enfin, et peut-être aurait-il fallu commencer sous ces auspices, le SPF est un enfant de la Résistance, son histoire est connue et il en est fier. Il parle peu et agit beaucoup.

Merci à toutes celles et tous ceux qui soutiennent notre démarche et répondent à notre appel, merci à toutes celles et tous ceux qui voudront nous rejoindre pour ces activités de solidarité dont le fondement est de laisser à chacune et chacun le choix des causes, mais de peser ensemble sur les conséquences. Et merci à l ’Humanité de nous ouvrir ses colonnes. »

publié le 12 mars 2022

Alexey Sakhnin : « La victoire sur Poutine viendra de l’intérieur »

sur https://www.revue-ballast.fr

Alexey Sakhnin (Алексей Сахнин) est l’un des visages de la gauche russe. Né aux débuts des années 1980, il a été l’un des cadres du Front de gauche (Левый фронт) : une importante coalition liée au Parti communiste russe, fondée en 2008 et ouvertement opposée au pouvoir de Vladimir Poutine. L’objectif du Front est de bâtir une « alternative progressiste à la barbarie capitaliste », autrement dit de « construire une société socialiste juste ». En 2012, Sakhnin obtenait l’asile politique en Suède ; sept ans plus tard, il était de retour dans son pays natal. Depuis l’invasion de l’Ukraine, il vit sous la menace permanente d’une arrestation : c’est que le militant s’élève haut et fort contre cette « agression armée d’une ampleur sans précédent ». Il vient de quitter son parti, après la décision de ce dernier d’approuver majoritairement la guerre. « Nous avons réellement besoin d’un front des peuples pour la paix, l’égalité, la liberté et le socialisme. Malheureusement, pour construire ce monde et ce front, il faudra partir de zéro », a indiqué Alexey Sakhnin dans son communiqué de départ. Malgré la censure gouvernementale, nous avons pu échanger avec lui de vive voix.


 

Vous venez de claquer la porte du Front de gauche de Russie.

Oui. Depuis deux semaines, nous sommes entrés dans un nouveau contexte. Mes camarades et moi-même avons toujours été en contradiction avec l’opposition russe libérale. Maintenant, nous sommes face à une grande guerre et il n’y a plus aucune place pour ce débat. La seule question qui se pose est la suivante : comment stopper cette guerre, sans attendre passivement que la Russie l’emporte sur l’armée ukrainienne ? Le Front de gauche a toujours collaboré avec le Parti communiste russe pour occuper une place institutionnelle — non sans grandes difficultés. Certains dirigeants et militants du PC revendiquent un « patriotisme de gauche » : ça ne me poserait pas forcément problème si ça ne confinait pas, parfois, au chauvinisme hérité du soviétisme (« Il n’y a pas de nation ukrainienne »). Les communistes ont été très actifs dans les mouvements sociaux de 2018–20191 et dans nos campagnes électorales, c’est pourquoi ils participent à la direction du Front de gauche. Quand la guerre a été déclarée, j’ai proposé de rédiger et de publier un texte clair pour s’y opposer : à ma surprise, ça a provoqué une forte résistance dans nos rangs. La majorité préférait ne faire aucune déclaration, en attendant que « la situation devienne plus claire ». Nous avons alors proposé un texte développant notre position. D’autres membres ont préféré « une position de compromis » : un long texte s’attardant sur la complexité du contexte géopolitique, sur l’histoire des relations russo-ukrainiennes, etc. Ce, tout en omettant le fait central : Vladimir Poutine a ordonné à l’armée russe d’aller détruire des villes ukrainiennes et des milliers de civils ukrainiens pacifiques. Pire, ce texte défendait la thèse selon laquelle Russes et Ukrainiens devraient combattre ensemble le régime libéral de Kiev.

Comment comprendre cette position ?

« Vladimir Poutine a ordonné à l’armée russe d’aller détruire des villes ukrainiennes et des milliers de civils ukrainiens pacifiques. »

Elle est honteuse. Et elle s’explique largement, à mon avis, par la peur du régime russe et par l’incapacité morale des générations ayant grandi dans l’imaginaire de la Seconde Guerre mondiale à reconnaître que leur propre pays est l’agresseur. Malheureusement, la majorité du Front de gauche a choisi cette option : cette coalition a donc explosé. J’ai passé dix-sept ans de ma vie comme l’un des leaders de ce front. Nous avons mené des batailles politiques — les manifestations de 2012 ; nous avons été arrêtés et emprisonnés ; nous avons commis des erreurs, rencontré des difficultés, connu des succès ; j’ai fait l’expérience, pendant six ans, de la condition de réfugié politique à l’étranger. Sergueï Oudaltsov [opposant à Vladimir Poutine et président du Front de gauche, ndlr] défend la mauvaise position, mais ça n’enlève rien au fait qu’il ait été emprisonné sans raison pendant cinq années.

Vous attendiez-vous à ce que que le gouvernement russe envahisse l’Ukraine ?

J’ai été vraiment surpris — comme tous les gens de gauche dans le monde, comme tous les gens de bon sens, comme tous les défenseurs de la paix. Les élites russes et la classe dirigeante ne voulaient pas de cette guerre. Si on s’en tient à leurs seuls intérêts égoïstes, la guerre est un choix irrationnel. L’historienne américaine Barbara W. Tuchman a décrit les mécanismes qui ont conduit au déclenchement de la Première Guerre mondiale : personne ne voulait la guerre mais la guerre était la seule issue possible pour les protagonistes en présence. La guerre devait inéluctablement éclater car aucune des crises mondiales du capitalisme depuis trois cents ans ne s’est soldée autrement… Mais je n’avais pas anticipé qu’elle se déclencherait maintenant.

Comment interprétez-vous l’argument poutinien d’une guerre visant à « dénazifier » l’Ukraine ?

C’est totalement vide de sens. Il est vrai que, depuis huit ans, le régime ukrainien déploie une propagande nationaliste. Il est vrai qu’il existe des groupes paramilitaires d’extrême droite et que des réseaux d’extrême droite se retrouvent au cœur des forces de sécurité, des services secrets, etc. Mais le gouvernement russe a maintenu avec l’Ukraine, durant toute cette période, de profitables échanges commerciaux. Certains des héros du « Printemps russe » [Ру́сская весна́]2, des activistes pro-russes de l’est ukrainien, ont été arrêtés en Russie et renvoyés en Ukraine. Maintenant, Poutine répète que l’« opération spéciale », comme il l’appelle — nous n’avons pas le droit de prononcer le mot « guerre » —, est guidée par la lutte contre le nationalisme et l’extrême droite. Mais la Russie elle-même penche vers l’extrême droite ! Le gouvernement russe dépense beaucoup d’argent pour faire de la propagande antisoviétique d’un point de vue nationaliste et conservateur. Je vous invite à regarder les fils nationalistes sur Telegram… User de la rhétorique de la « dénazification » de l’Ukraine pour justifier cette guerre n’a aucun sens.

Les gauches occidentales sont divisées sur les responsabilités de l’OTAN dans ce conflit et son escalade. Pensez-vous que la prise en compte des responsabilités de l’Alliance pourrait conduire à relativiser celles de la Russie ?

« L’OTAN, les États-Unis et les politiciens de droite en Europe ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour mettre de l’huile sur le feu. »

L’OTAN, les États-Unis et les politiciens de droite en Europe ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour mettre de l’huile sur le feu. Bien sûr, les extrémistes étasuniens sont ravis de la perspective de voir l’Ukraine devenir un nouvel Afghanistan. Mais il est politiquement et moralement impossible de défendre l’invasion russe en raison de ces intrigues. Ceux qui sont tentés d’user d’une telle argumentation prennent le risque de se rendre complices d’une entreprise impérialiste criminelle et sanglante. Même du point de vue des intérêts nationaux de la Russie, cette guerre installe une situation bien pire. Le nationalisme russe lui-même est aujourd’hui traversé de contradictions. Poutine disait que des missiles tirés de Kharkov [deuxième plus grande ville d’Ukraine, ndlr] pourraient toucher la Russie en six minutes. Or Kharkov est à la même distance de la Russie que les pays baltes. En raison de cette guerre, il y aura désormais des missiles à six minutes de la Russie dans les pays baltes alors que ce n’était pas le cas précédemment. Des forces politiques européennes (de gauche, du centre, de droite) s’opposaient à ce que le budget militaire de leur pays atteigne 2 % du PIB comme le préconise l’OTAN : désormais, l’Ouest est uni sur l’enjeu militaire. Les défenseurs de la paix restent, eux, sans arguments. Poutine a attaqué sans provocation objective. La question s’impose : pourquoi l’a‑t-il fait, alors que de telles conséquences étaient prévisibles ?

Vous avez une idée ?

J’ai une théorie. Tout au long de la pandémie de coronavirus en 2020, Poutine faisait extrêmement attention. Il s’est isolé dans son bunker. Certains médias occidentaux l’ont analysé comme une dépression à l’origine de sa supposée folie actuelle. Cette hypothèse est trop simple. Il n’était pas totalement isolé : il a certes renoncé à ses contacts réguliers avec la classe dirigeante, avec les oligarques — ceux qui souhaitaient le rencontrer devaient auparavant observer trois semaines de quarantaine. Mais il communiquait quotidiennement avec des aides de camp, des hommes des services secrets qui ont entretenu autour de lui une atmosphère conspirationniste. C’est dans cette période que s’est fomentée cette invasion, peut-être pas comme un plan A, mais comme un plan B. Cette invasion obéit à une rationalité : Poutine avait clairement en tête l’idée selon laquelle une rupture définitive avec l’Ouest serait synonyme de catastrophe, de menaces inédites pour la Russie. Avant la guerre, chacun spéculait sur l’après-Poutine en 2024 : comment assurer la continuité du régime ? Tout le monde entrevoyait une crise, à l’image de celle qu’a traversé la Biélorussie voilà deux ans : Moscou 2024 ressemblerait à Minsk 2020. C’est ici que l’Ukraine entre en jeu. Imaginons que dans une telle situation d’instabilité interne, l’Ukraine ait attaqué le Donbass… De façon plus générale, l’Ukraine est source de divisions permanentes au cœur même de la classe dirigeante.

Les officiers des services secrets entourant Poutine se fichent complètement des gens, du peuple — à la différence des dirigeants civils obligés de recourir à la propagande, à la manipulation pour imposer leurs choix. Tous ces bureaucrates évaluent, discutent les opportunités qui se présentent à eux : « Ne devrait-on pas revenir à un dirigeant plus libéral, ouvert à l’Ouest ? » Poutine a essayé pendant huit ans de les unir à travers un compromis commercial avec l’Ouest. Si l’Ouest isole la Russie, il faut une « responsabilité mutuelle » entre le régime et les oligarques. Toutes les élites politiques, administratives, militaires et économiques russes ont donné leur imprimatur à une décision qui ne pourra jamais être excusée par l’Ouest. Ils n’ont plus qu’une alternative : soutenir Poutine ou prendre le risque de finir devant la Cour pénale internationale. Poutine, de son côté, obéit à une rationalité autocratique : l’invasion de l’Ukraine lui permet de garder le pouvoir en Russie.

Parlez-nous de la répression qui frappe les manifestants anti-guerre en Russie.

« Le régime russe évoluait depuis longtemps vers une dictature. Aujourd’hui il a fait un grand bond dans cette direction. La police a carte blanche. »

Le régime russe évoluait depuis longtemps vers une dictature. Aujourd’hui il a fait un grand bond dans cette direction. La guerre signifie toujours, en interne, la prison, la destruction des libertés. À ce jour, le but principal de la répression et de la rhétorique publique qui l’entoure est de rendre l’atmosphère effrayante, et ils réussissent très bien à le faire. L’appareil répressif manque d’effectifs, mais ils entendent semer l’effroi, c’est pourquoi la police a carte blanche. Il y a deux jours, dans une manifestation, une femme a été arrêtée pour avoir filmé l’événement. Un policier l’a frappée en lui disant : « Poutine nous laisse faire ce que l’on veut de vous, nation de traîtres, on vous frappera, on vous torturera, on vous violera. » C’est exactement ce qu’ils veulent : nous choquer, nous faire ressentir la peur.

Votre opposition publique vous place dans une situation dangereuse. Dans quel état d’esprit êtes-vous, à l’heure où nous parlons ?

Je suis comme tout le monde : j’ai peur. Je n’ai pas de visa et, de toute façon, quitter la Russie est quasiment impossible — ou tout au moins très difficile. Je ne veux pas laisser ici mes camarades, mes amis, mon pays, ma famille. Mais c’est vrai, je ne me sens pas très bien. J’ai parlé à visage découvert ; j’ai, dès les premiers jours, écrit un texte anti-guerre ; j’ai pris la parole dans quelques manifestations ; j’ai écrit tant que c’était encore possible dans les médias, puis sur les réseaux sociaux. J’ai donné des entretiens à des médias occidentaux ; j’ai parlé lors d’un meeting de La France insoumise. Assez pour écoper d’une lourde peine de prison. Ce que je ne souhaite évidemment pas.

Quel est le sentiment dominant, selon vous, dans l’opinion russe ?

La situation générale est que la majorité ne supporte pas la guerre. La moitié de la population a dans un premier temps tout fait pour s’accrocher à l’illusion que ce n’était pas une guerre, que c’était une opération de libération de l’Ukraine, que nous aidions nos amis, que ça allait finir très vite, demain. Mais l’humeur change très rapidement et le camp de l’opposition à la guerre est loin de se résumer à une minorité pro-occidentale appartenant aux classes moyennes. Le but des autorités est de nous bâillonner. C’est pour ça qu’elles ont interdit tous les médias d’opposition (y compris les médias d’opposition libéraux que je critique depuis des années). J’ai toujours pensé que deux points de vue, même mauvais, c’est toujours mieux qu’un seul.… Tout le monde, et je m’y inclus, vit dans la peur. Nous essayons de continuer à nous exprimer à travers Telegram, qui est plus ou moins la dernière plateforme disponible pour parler à tous ceux auxquels on peut parler. Et, au-delà des arguments sur le caractère injuste et sanglants de cette guerre, nous alertons sur la catastrophe économique et sociale qui s’esquisse déjà. McDonald’s vient d’annoncer la fermeture de ses 850 restaurants en Russie. À la chute de l’Union soviétique, son implantation avait été célébrée comme le signe d’une époque nouvelle : elle est bel et bien révolue. 62 000 salariés se retrouvent sur le carreau. L’économie russe est prise dans les mailles des échanges mondiaux. Une grande menace plane sur des dizaines de grandes usines qui vont être mises à l’arrêt — c’est déjà le cas pour certaines d’entre elles. Le rouble a perdu la moitié de sa valeur ; des millions de personnes vont devoir affronter des situations tragiques, comparables à celles qui prévalaient au début des années 1990, au moment de la « thérapie de choc ». À l’époque, un modèle économique s’est imposé avec la promesse de garantir, en contrepartie, la paix et la stabilité. Désormais nous avons la guerre et les années 1990 reviennent.

Quelles sont justement les conséquences des sanctions étasuniennes et européennes sur les citoyens russes ordinaires ?

Ça fait seulement deux semaines : les problèmes les plus graves sont devant nous… Mais les effets se font déjà ressentir et, bien sûr, le peuple est affecté. Les médias n’évoquent pas la guerre mais ils parlent de l’augmentation des prix. Celui des couches pour bébé a doublé. Les gens doivent se ruiner pour en acheter. Les services funéraires sont devenus inabordables. Même mourir est devenu trop cher… Mais vivre coûte très cher également. Les prix des denrées alimentaires ont grimpé de 40, 50, voire 70 %. Le sucre a disparu de la plupart des étals. Certaines chaînes de magasins interdisent d’acheter plus de deux pains. Je n’ai cessé d’entendre ces trente dernières années que les pénuries étaient le symptôme du communisme, que c’était le résultat de l’économie communiste centralisée et planifiée. Et voilà que nous avons des pénuries énormes. Les magasins sont à moitié vides.

Il y a quelques jours, Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, a averti qu’« une Troisième Guerre mondiale », si elle devait avoir lieu, serait « une guerre nucléaire dévastatrice ». L’entendez-vous comme une menace ?

« Au début d’une guerre, c’est toujours difficile : l’hystérie nationaliste l’emporte dans tous les camps. Elle se manifeste en Russie comme en Europe. »

Ça sonne comme une menace. Le 18 octobre 2018, à Sotchi, Vladimir Poutine avait déjà prévenu que la Russie n’hésiterait pas à recourir à l’arme nucléaire. « Nous ne riposterons que lorsque nous serons certains que nous sommes attaqués. Ce sera une catastrophe, mais nous n’en aurons pas été les initiateurs. Les agresseurs doit savoir que nous, en tant que martyrs, irons au paradis, tandis qu’ils mourront simplement sans avoir le temps de se repentir », avait-il affirmé. J’espère que nous n’en sommes aujourd’hui qu’au stade de la menace. Pour l’instant, ils affirment qu’ils ne veulent pas appuyer sur le bouton rouge. Mais ils ont ce bouton rouge à disposition. Et il y a de moins en moins de solutions dans ce monde mourant de l’hypocrisie néolibérale. Oui, nous vivons dans la menace grandissante de l’apocalypse. Mais l’essentiel pour les militants de gauche et les consciences attachées à la justice, c’est d’apprendre de ces menaces terribles : ce n’est pas une bonne idée de croire qu’on pourrait faire plier la Russie de Poutine avec des chars et des missiles. La victoire sur Poutine viendra de l’intérieur. Cette guerre n’est pas une guerre entre l’Est et l’Ouest, entre la Russie et l’OTAN, entre les civilisations orthodoxe et catholique — comme le pensent les idiots conservateurs. C’est une guerre que la dictature de Poutine livre au peuple ukrainien et au peuple russe. C’est pourquoi nous avons l’obligation de trouver un chemin vers la paix.

Voyez-vous une possibilité de construire un mouvement international émancipateur pour s’opposer à la fois à l’expédition meurtrière de Poutine et à l’hégémonie occidentale capitaliste ?

Oui et non. Au début ce sera très compliqué. Les fauteurs de guerre à l’Ouest voient se réaliser tous leurs projets : ils ont maintenant toutes les raisons d’obtenir plus de crédits militaires, de renforcer les armées, de faire tourner à plein régime les industries d’armement… Tout ça contribuera à rendre le monde plus dangereux. Quand je vivais en Suède, il y avait toujours des discussions dans lesquelles la Russie était dépeinte comme un terrible pays barbare, sous-développé. Toujours, je répondais : « Non les gars, la Russie n’est pas le passé de l’Europe. La Russie est votre futur. Regardez ce qui se passe en Russie et vous verrez ce qui arrivera à vos propres sociétés. » Tout se passe ici en accéléré. Voilà deux semaines, nous devions nous résoudre à des compromis compliqués, avec de petits progrès de temps à autre. Maintenant les choses sont simples, claires. Le chemin vers la paix, c’est la transformation totale de la Russie. La paix est incompatible avec le présent système politique, avec les conditions sociales qui ont rendu Poutine possible. Poutine est bien entendu responsable personnellement de cette guerre. Mais il est aussi le résultat de ces trente dernières années d’inégalités et d’exploitation pendant lesquelles les récits nationalistes ont été légitimés, tandis que la perte de voix des plus pauvres ouvrait la voie aux dérives dictatoriales. La guerre est le fruit de ces penchants libéraux et nationalistes. Si nous ne sommes pas emportés par la famine ou éradiqués par une catastrophe nucléaire d’ici quelques mois, un grand espace s’ouvrira aux gens comme nous, pour nos valeurs, nos propositions. Les libéraux se sont discrédités dans les années 1990. Les nationalistes et les conservateurs qui leur ont succédé sont en train de creuser leur tombe. Au début d’une guerre, c’est toujours difficile : l’hystérie nationaliste l’emporte dans tous les camps. Elle se manifeste en Russie comme en Europe. L’union sacrée se fait autour des classes dirigeantes, de l’armée. Mais au fil du temps, quand tous se sentiront au milieu de la catastrophe, le camp de la paix et de la vie regagnera du terrain, partout dans le monde. Vous savez, en russe, nous avons un seul et même mot pour désigner la paix et le monde : « мир ». Pour faire la paix, nous n’avons pas d’autre choix que de changer ce monde.


 

  1. D’importantes mobilisations ont alors eu lieu en Russie contre, notamment, la réforme des retraites, la répression politique et la fraude électorale.↑

  2. Au printemps 2014, des manifestations se sont succédé dans de nombreuses villes de l’est et du sud de l’Ukraine, en opposition au mouvement Euromaïdan. Ces mobilisations se sont ensuite muées dans le Donbass en une insurrection armée séparatiste.

REBONDS

☰ Lire notre traduction « Libertaires et pacifistes en Ukraine : le choix des armes ? », Mike Ludwig, mars 2022

☰ Lire notre traduction « Ukraine : le regard de Noam Chomsky », mars 2022

☰ Lire notre traduction « Manifeste : socialistes et communistes russes contre la guerre », mars 2022

Publié le 11 mars 2022 dans International par Ballast

 publié le 12 mars 2022

Mickaël Correia : « Le changement climatique n’est pas la conséquence funeste de nos individualités »

Jules Brion sur https://lvsl.fr

Beaucoup estiment aujourd’hui que la crise climatique est imputable à des actions individuelles et que notre salut repose sur une politique de responsabilisation des citoyens. Mickaël Correia, journaliste pour Médiapart, nous invite plutôt à considérer la responsabilité profonde et systémique de certaines entreprises. Dans son dernier ouvrage, Criminels climatiques : Enquête sur les multinationales qui brûlent notre planète (La découverte, 2022), l’auteur enquête sur les pratiques peu vertueuses des trois groupes les plus polluants au monde : Saudi Aramco, Gazprom et China Energy. La crise climatique serait-elle finalement plus un problème d’offre que de demande ? Entretien.


 

LVSL : En référence au mouvement de Pierre Rabhi, vous écrivez dans votre introduction que « all collibris are bastards ». La pensée du paysan ardéchois nous conduit-elle dans une impasse ?

Mickaël Correia : Quand il est mort, la première formule de condoléances qui m’est venue à l’esprit a été : « Pierre Rabhi est mort, j’espère que son écologie sans ennemis aussi ». Tout n’est pas à jeter dans sa pensée. Il a eu le mérite d’être une des rares personnes racisées à s’être penché sur la question écologique en France. Il a été conscient du passé colonial français. Il a également eu un discours anticapitaliste, par le prisme de la « sobriété heureuse ». Ses ouvrages ont été une porte d’entrée et de politisation intéressante pour beaucoup de gens comme moi. Le problème de Rabhi, c’est qu’il n’a jamais mis à nu les rapports de domination. C’est quelqu’un qui a eu un discours très vite centré sur les « écogestes » et les « petits pas ». Il a utilisé cette fameuse parabole du colibri alors qu’elle a été détournée.

Comme bien d’autres – cela va de Jacques Attali à Nicolas Hulot-, Pierre Rabhi incarnait une approche environnementale libérale. On pose la question climatique sous un angle de discipline individuelle. Je la mets en perspective avec ce discours qu’on trouve ailleurs sur la racisme ou le sexisme. Beaucoup disent que ce ne sont que des questions de relations individuelles, qui ne sont pas systémiques. Pourtant, elles sont intimement liées à des constructions sociales et historiques très profondément enracinées dans la société. Ce que j’essaie de montrer à travers mon ouvrage, c’est que le changement climatique n’est pas la conséquence funeste de nos individualités. Encore une fois, c’est une question d’Histoire. La civilisation industrielle a dès le début reposé sur l’exploitation des énergies fossiles. Je pense que cette politique des petits pas, si elle a pu servir de porte d’entrée de politisation pour certains, nous détourne aujourd’hui des véritables moteurs de l’embrasement du climat. Ces moteurs, ce sont notamment les trois multinationales que j’étudie dans l’ouvrage. Les études sont de plus en plus nombreuses – je cite notamment celle de Carbone 14 qui date de 2019t -, qui montrent que même si l’ensemble des Français se mettaient à pratiquer réellement des écogestes, disons « héroïques », les émissions du pays ne diminueraient que de 25% .  Cela illustre bien l’impasse de cette écologie du colibri.

LVSL : Vous avez mené une enquête sur le long terme : pendant deux ans, vous avez étudié minutieusement trois entreprises ultrapolluantes : Gazprom, China Energy et Aramco. Pourquoi vous êtes-vous concentré sur ces dernières ?

M.C : Ces entreprises sont assez inconnues du grand public. En 2017, un recueil de données a été édité par le Climate Acountability Institute et le Carbon Disclosure Project.  Depuis il est réactualisé chaque année. Ce jeu de données montre notamment que cent producteurs d’énergies fossiles ont émis à eux-seuls 71% des émissions de gaz à effet de serre cumulées depuis 1988, la date de création du GIEC (un tel calcul est obtenu en calculant les émissions crées par l’utilisation d’un produit vendu par une entreprise, dites émissions SCOP 3, ndlr). Les vingt-cinq entreprises les plus émettrices représentent 51% des émissions cumulées !

« Il y a vraiment des liens très forts entre ces grandes entreprises et leurs États respectifs »

Le recueil a depuis été réactualisé pour prendre en compte les données à partir de 1965, date du premier rapport commandé par la Maison blanche à Washington sur la question climatique. On estime que c’est la date à partir de laquelle les grandes industries ont pris conscience que leurs activités étaient néfastes pour le climat. Quand j’ai regardé cette liste pour la première fois, je m’attendais à voir des boites connues du grand public : Shell, Total ou Exxon …  Pourtant, les trois premières étaient Saudi Aramco,China Energy et Gazprom. Les émissions de ces trois entreprises cumulées en feraient, en terme d’équivalence, la troisième nation la plus polluante au monde, juste après la Chine et les Etats-Unis. C’est à ce moment que j’ai compris qu’il y avait un réel sujet d’enquête à mener  : comprendre leurs stratégies et leurs liens avec les États – ce sont des entreprises publiques. Bref, il me fallait déterminer comment elles continuent de nous rendre « accros » aux énergies fossiles. Il y a vraiment un ressort d’addiction.

LVSL : Comme vous venez de le souligner, il est frappant de constater que les trois entreprises que vous avez étudiées sont possédées en majeure partie par leurs États respectifs. De ce fait, l’influence de ces multinationales pèse-t-elle plus lourdement sur la scène internationale ?

M.C : On le voit bien avec Saudi Aramco dans le capital de laquelle l’État Saoudien est majoritaire. Elle possède plus de 10% des réserves mondiales de pétrole ! C’est un outil géopolitique immense. Quand le pays va négocier aux COP, il a ces enjeux en tête. C’était d’ailleurs un des plus gros bloqueurs des négociations climatiques à Glasgow. L’Aramco engendre plus de 50% du PIB du pays. J’avais interrogé une historienne américaine spécialiste de la multinationale – Ellen R Wald – qui m’avait confié que le pétrole est perçu comme un don de Dieu par les Saoudiens.

Autre exemple, Gazprom est contrôlé depuis 2005 par le clan Poutine. C’est une de ses armes politiques majeures. On le voit avec le conflit ukrainien, où la Russie peut menacer de couper l’approvisionnement en gaz. Il faut rappeler que 41 % du gaz consommé en Europe est fourni par Gazprom. Comme je le montre dans l’ouvrage, Gazprom essaie depuis plusieurs dizaines d’années d’ouvrir des exploitations au-delà du cercle polaire, sur la péninsule de Yamal en Russie ou encore sur le site de Stokhman. Une telle zone devrait pourtant être sacralisée la richesse de sa biodiversité est énorme. Hélas, elle recèle des quantités gigantesques de pétrole, jusqu’à 2 % des réserves mondiales. Lorsque Gazprom y a ouvert une plateforme pétrolière, Greenpeace a tenté d’alerter l’opinion mondiale en s’approchant de ces exploitations. Poutine a immédiatement contacté le FSB, les services secrets russes, pour arraisonner le bateau et enfermer une dizaine de militants pendant plusieurs jours. Il y a vraiment des liens très forts entre ces grandes entreprises et leurs États respectifs.

« Le capitalisme fossile fonctionne grâce aux États »

Pour autant, Gazprom n’est pas seul dans cette aventure puisqu’il a été aidé par le groupe norvégien Statoil et par la firme française Total (qui s’est retiré du projet en 2015 mais n’exclut pas de réinvestir dans des projets similaires, ndlr). La France soutient d’ailleurs énormément les activités du groupe. Certains articles ont montré que Total investit beaucoup dans des projets d’extraction de gaz en Arctique en partenariat avec des groupes russes, notamment dans le cadre du projet Arctic LNG2. Cela a créé de grosses tensions entre Américains et Français puisque ces derniers refusaient que des sanctions soient émises contre ces projets. Il ne faut pas oublier que le capitalisme fossile fonctionne également grâce aux États.

LVSL : Ces trois entreprises ne sont pas françaises. Paradoxalement, votre enquête débute à Paris. Quels sont les liens qui existent entre ces multinationales et l’Hexagone ?

M.C : Pour chacune des trois parties du livre, j’ai voulu commencer mon enquête en France. Je ne voulais pas qu’on puisse dire : les trois entreprises qui polluent le plus au monde ne sont pas françaises, par conséquent nous n’avons aucune responsabilité. Car ces dernières sont pleinement enracinées en France. L’enquête commence donc avec Gazprom qui a signé dès 1975 un accord de livraison avec Gaz de France (Gazprom est né de la privatisation du ministère soviétique du Gaz en 1989 avec lequel l’accord avait été signé, ndlr). Le contrat a été renouvelé en 2006, lorsque Gazprom a ouvert sa filiale française, et court jusqu’en 2030.  Gazprom fournit jusqu’à un quart du gaz d’Engie (ex Gaz de France, ndlr) et fournit directement plus de 15 000 entreprises. Parmi ces dernières, on retrouve de grands noms comme le géant foncier Foncia, l’université de Strasbourg, la métropole de Nantes. Même le ministère de la Défense ou le Conseil de l’Europe à Strasbourg achètent une partie de leur gaz au géant russe.

« Le plus grand criminel climatique de l’Histoire travaille, avec la complicité de l’État français, à perpétuer le modèle de la voiture individuelle »

Pour Saudi Aramco, l’histoire est encore plus intrigante. À dix kilomètres de Paris, l’entreprise collabore avec le très discret laboratoire de l’Institut Français du Pétrole et des Energies Nouvelles (IFPEN). C’est une des premières institutions créée par de Gaulle en juin 1944, avant même la libération de Paris. C’est donc une organisation très ancienne et très importante ! Elle travaille à optimiser les moteurs à essence, à les rendre plus performants. L’idée est bien de perpétuer le modèle du moteur à essence. Pour résumer, Saudi Aramco, le plus grand criminel climatique de l’Histoire travaille, avec la complicité de l’État français, à perpétuer le règne de la voiture individuelle. Le tout à dix kilomètres de Paris, une des capitales européennes où tu meurs le plus de la pollution automobile !

Au-delà de ce laboratoire, l’IFPEN sert également à former l’élite scientifique du carbone, qui est ensuite envoyée en Arabie Saoudite. Ils ont même créé un master spécial pour Saudi Aramco. Le savoir faire industriel français est au service d’Aramco et du royaume saoudien.

Concernant China Energy, l’État chinois est venu signer en 2019 divers contrats avec l’Élysée. Un des plus énormes a été passé avec Électricité De France (EDF) pour permettre au groupe français de construire un parc éolien à Dongtai, près de Shanghai. Il se trouve que depuis 1997, EDF détient 20% des parts d’un consortium de trois gigantesques centrales à charbon. Ces centrales ont une puissance six fois supérieur au futur parc éolien de Dongtai – 3600 mégawatts contre 500 mégawatts. Ces centrales sont classées « sous-critiques », c’est-à-dire qu’elles ont un rendement médiocre et sont donc hyper-polluantes. Depuis la prise de participation d’EDF en 1997, ces centrales ont craché une fois et demie plus de CO² que ce que rejette la France en un an.

LVSL : Il aurait été tentant d’imputer la responsabilité univoque de ces pollutions environnementales à la Chine, l’Arabie Saoudite ou la Russie. Pourtant, vous montrez que ces multinationales pourraient difficilement prospérer comme elles le font aujourd’hui sans les investissements massifs des acteurs financiers internationaux.

M.C : On estime que depuis le début de la signature des accords de Paris les principaux industriels bancaires ont injecté 2 000 milliards dans l’industrie fossile. Le plus gros financeur est JP Morgan Chase qui investit 65 milliards d’euros par an dans des projets polluants. Les six plus grosses banques françaises ne sont pas en reste et investissent énormément dans le secteur fossile. Entre 2016 et 2020, elles ont augmenté chaque année de 19% leurs investissements dans les énergies fossiles – pour un total de 295 milliards de dollars sur la période.

Pour Médiapart, j’ai enquêté sur Amundi, le plus grand actionnaire de Total. C’est un énorme fonds d’investissement qui pèse plus de 2 000 milliards d’euros dont 12 milliards d’euros de participations dans le groupe français. Ce même groupe français vient d’ailleurs d’engranger des bénéfices records. 

« L’industrie pétrolière a encore de beaux jours devant elle. »
Patrick Pouyanné, PDG de Total

C’est un signe révélateur si on veut mesurer où en est la lutte climatique en France ou dans le monde. En pleine urgence climatique et sociale, l’entreprise française qui fait le plus de bénéfices – bénéfices historiquement élevés par ailleurs – est un pétrolier !

LVSL : Une phrase dans votre ouvrage est particulièrement intrigante : Amin Nasser, PDG de l’ARAMCO déclare que le pétrole est une énergie qui va « jouer un rôle clé dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Comment le secteur du pétrole prépare-t-il son avenir ?

M.C : C’est vrai que le cynisme de ces entreprises a de quoi étonner. Beaucoup d’informations présentes dans mon enquête ne sont pas issues de sources secrètes. Il suffit de fouiller dans la presse et de trouver les bilans financiers des groupes. Ils se gargarisent ouvertement de cette expansion pétrolière.

Le gros angle mort de le lutte climatique actuelle – ce n’est pas moi qui le dis mais l’Agence internationale de l’Energie – c’est le secteur pétrochimique. C’est la nouvelle voie de valorisation du pétrole. Il est issu à 99% de composés fossiles. En 2019, la production et l’incinération de plastique a ajouté plus de 850 millions de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, presque autant que les émissions allemandes. D’ici vingt ans, on utilisera plus le pétrole pour produire du plastique que dans les voitures ! Une déclaration de Patrick Pouyanné, PDG de Total, résume assez bien la question : grâce au plastique,  « l’industrie pétrolière a encore de beaux jours devant elle. »

Amin Nasser a investi énormément dans l’industrie plastique. C’est un message très puissant pour les investisseurs ; il les encourage à investir encore plus dans le pétrole. Cette industrie s’avère d’autant plus rentable qu’il y a actuellement une énorme révolution technologique mise en œuvre par Aramco. Fort de son réseau de 1 300 chercheurs dans le monde, l’entreprise développe actuellement le crude oil-to chemicals (COTC) qui permet de convertir directement jusqu’à 70% d’un baril de brut en dérivés pétrochimiques, alors que les raffineries conventionnelles atteignent difficilement le ratio de 20%. Ça double la rentabilité du pétrole ! C’est assez mortifère.

Bien entendu, cette stratégie s’ancre vite dans le réel. Quand Aramco annonce qu’il va produire beaucoup de plastique, cela implique de construire d’immenses usines de raffineries et de production. En avril 2018, un protocole a été signé entre Aramco et New Dehli pour construire en 2025 un monstrueux site pétrochimique pour plus de 44 milliards de dollars. Tout cela se fera au prix de nombreux accidents du travail et d’une destruction extrême des environnements locaux. Il faut donc bien comprendre que tous ces choix politiques et économiques ne sont pas dématérialisés. Ils sont bien réels.

LVSL : Pour respecter ses engagements climatiques, la Chine a annoncé vouloir limiter le développement de centrales à charbon tout en favorisant le déploiement d’énergies renouvelables. Pourtant, vous montrez que China Energy prépare en toute discrétion un « torrent de charbon » à venir, contre la volonté du gouvernement central.

M.C :  C’est quelque chose qui m’a beaucoup étonné en écrivant l’ouvrage. On pense souvent la Chine comme un État ultra-centralisé qui, après avoir décidé d’une action, serait capable capable de la mettre directement en place. Xi Jinping a donné de nombreux signaux de sa volonté de rendre plus écologique son pays. Il a parlé plusieurs fois dans ses discours d’une « civilisation écologique ». Il y a deux ans, il a annoncé que son pays allait atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. En septembre dernier, il également annoncé que la Chine ne construirait plus de centrales charbon à l’étranger – sans donner de dates précises.

En opposition frontale avec ces discours, China Energy développe en catimini une bombe climatique. Des activistes ont découvert, en analysant des données satellites, que de nombreuses nouvelles centrales étaient en train d’être construites. Ces infrastructures totalisent 259 GW de capacité électrique – l’équivalent de toutes les centrales thermiques des Etats-Unis. On parle souvent de « centrales zombies ». Je montre ainsi dans mon livre que, malgré les décrets mis en place, China Energy a déployé un lobbying intense, notamment au niveau des provinces chinoises. Ce lobbying s’est opéré à travers le Conseil chinois de l’électricité, organisation créée en 1988 qui réunit les seize plus grandes majors énergétiques du pays. Le lobbying au sein de l’État central est tellement puissant qu’il n’y a toujours pas de ministère de l’Energie là-bas. Ce constat rend dérisoires mal d’a priori que l’on pourrait avoir sur la Chine. C’est ce qui me fait dire que, l’annonce de Xi Jinping concernant les centrales à l’étranger ne va avoir que peu d’effets.  

LVSL : Ces trois entreprises sont susceptibles de catalyser un large mécontentement face à leurs attitudes prédatrices. Quelles sont les stratégies déployées par ces dernières pour légitimer leurs pratiques ?

Il y a toute une nouvelle politique de greenwashing mise en place par ces groupes au service du soft power. Gazprom est un véritable champion sur la question, notamment dans le domaine du football. Le géant russe a compris qu’être présent dans le monde sportif était une très bonne façon de redorer son blason, notamment en Europe de l’Est où la Russie a eu mauvaise image. Gazprom a acheté de nombreuses équipes comme le FC Zenith de Saint Petersbourg, sponsorise FC Schalke 04, une grande équipe ouvrière mythique d’Allemagne et la coupe du monde 2018. En mai dernier, ses dirigeants ont signé un nouveau contrat avec l’UEFA Champions League.

« Le greenwashing est aujourd’hui le nouveau déni climatique. »
Laurence Tubiana, une des architectes des accords de Paris sur le climat .

On peut également parler de la nouvelle passion d’Aramco et de China Energy : planter des arbres. Aramco a planté plus de cinq millions de sujets en Arabie Saoudite et se décrit comme un guerrier en première ligne de la question climatique … Pourtant, si on fait les calculs, ces arbres ne vont même pas absorber 1% des émissions du groupe. Total fait la même chose. Depuis quelques mois, le groupe a annoncé des plantations concernant quarante millions d’hectares  sur les plateaux Batéké en République du Congo.

LVSL : Bien qu’ils l’aient fait pendant de nombreuses années, les producteurs de gaz ou de pétrole ne peuvent plus directement nier la crise climatique à laquelle nous faisons face. Ils plaident désormais pour la mise en place de technologies de Carbon capture and storage (CCS). Que pensez-vous de ce discours ? Disposons-nous d’une porte de sortie rapide, facile et économe de la crise environnementale ?

M.C : L’idée est de mettre un dispositif autour des cheminées capable de capter et de stocker le CO² en profondeur. Il n’y a qu’une vingtaine de dispositifs à l’œuvre autour du monde. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime qu’il faudrait augmenter de 4 000% ce type de dispositifs pour viser la neutralité carbone d’ici 2050. C’est le dernier gadget utilisé par les multinationales pour dire qu’elles agissent pour le climat.  

Je suis allé à la COP de Glasgow ; les journalistes et les activistes ont vu un nouveau mot émerger. Dans toutes les discussions, les diplomates parlaient d’unabated carbon. Ce terme désigne tous les projets polluants qui n’ont pas ces fameux dispositifs de stockage de carbone. Par exemple il y a eu un accord de principe signé notamment par la France pour arrêter les financements fossiles à l’étranger excepté ceux dotés d’une technologie de stockage carbone. Exxon développe de tels projets au Mozambique. Alors qu’encore une fois, quand on fait les calculs, ces projets ne stockent qu’un partie infinitésimale des émissions engendrées par l’homme. La meilleure façon de stocker du carbone c’est de le laisser dans les sous-sols. Ce n’est pas avec des arbres ou encore moins avec de fausses solutions techniques. Ces dispositifs permettent encore une fois de retarder l’action climatique.  

Même Laurence Tubiana, qui est l’une des architectes des accords de Paris sur le climat, a critiqué le greenwashing présent dans certains plans de neutralité carbone. Ces technologies permettent de dire que nous avons encore trente ans devant nous, tous les grands scénarios de prospective reposent là-dessus. On le voit dans les courbes de prospective à chaque fois : on a une courbe progressive jusque 2030 et là d’un seul coup ça descends. C’est complètement absurde ! L’échéance ce n’est pas 2050 mais bien 2030 !

Criminels climatiques: Enquête sur les multinationales qui brûlent notre planète. Mickaël Correia ; La découverte, 2022.

https://www.editionsladecouverte.fr/criminels_climatiques-9782348046773

publié le 11 mars 2022

Génération Zemmour tracte devant l’université Paul Valéry et
agresse des étudiant-e-s

communiqué des syndicats, partis politiques de gauche et de la Ligue des Droits de l’Homme de Montpellier

paru sur https://solidaires.org

Hier, le mercredi 9 Mars 2022, Génération Zemmour a organisé une action de tractage devant l’Université Paul Valéry en début d’après-midi avec une vingtaine de leurs militants, plus des personnes cagoulées et armées (gants coqués, gazeuses, matraques téléscopiques), membres du groupuscule Jeunesse Saint Roch, connus pour avoir déjà agressé et revendiqué l’attaque des membres du SCUM le 5 décembre 2019. Leurs faits de violence ne s’arrêtent pas là étant donné qu’ils ont également mené une attaque contre le Barricade, un bar associatif de la ville, le 11 décembre dernier, faisant un blessé.

Deux semaines avant le 4ème anniversaire de l’attaque du commando armé à la fac de droit, pour mater des étudiants qui contestaient les mesures du gouvernement, nous voyons ce tractage comme un événement hautement symbolique, d’intimidation à l’encontre des étudiant-e-s.

S’ils ont été tenus à l’extérieur de l’université pendant toute leur action, lorsqu’ils sont finalement partis et après plus d’une demi-heure d’insultes de leur part sur des membres de syndicats étudiants et globalement contre toute personne ne partageant pas leurs idées racistes et nationalistes, les militants armés qui étaient avec Génération Zemmour ont agressé gratuitement des étudiant-e-s avec une béquille, avec l’appui d’un homme en moto armé d’une gazeuse grande capacité à poignée qui mettait des coups de pied en fonçant sur la foule. C’est d’ailleurs lui qui a récupéré toutes les armes de Génération Zemmour avant de s’enfuir sur son véhicule.

La montée de l’extrême-droite au niveau national n’est pas à prendre à la légère.

En effet, il n’est pas difficile de démontrer dans plusieurs villes la présence, au sein des rangs des militants Reconquête, de militants nationalistes, violents, néo-nazis et racistes. Si Génération Zemmour, l’organe de jeunesse du parti, souhaite se donner une image lisse et démocratique, nous ne sommes pas dupes : ce parti regroupe des militants armés, violents et prêts à en découdre physiquement pour leur idéologie réactionnaire, contre les étudiant-e-s, contre les travailleur-euse-s, contre la classe que nous défendons.


Face à l’extrême droite, aucune complaisance.

Ni oubli, ni pardon !

 publié le 11 mars 2022

Que chaque réfugié soit accueilli comme les Ukrainiens en France :
l'appel des associations

par  Lucie Hennequin sur www.huffingtonpost.fr/

Les associations d'aide aux réfugiés appellent à ce que l'accueil et le régime de protection temporaire accordés aux Ukrainiens soient élargis à d'autres exilés.

GUERRE - La barre des 10.000 personnes ayant fui l’Ukraine depuis l’invasion russe et qui sont arrivées en France a été franchie aujourd’hui. Les initiatives pour aider et loger les Ukrainiens fuyant la guerre se multiplient. Un élan de solidarité applaudi par les associations, qui appellent à l’élargir aux autres étrangers ayant trouvé refuge en France.

Structures d’accueil, propositions d’hébergement par milliers, délivrance express de papiers... Les Ukrainiens bénéficient d’une mobilisation sans précédent de la part du gouvernement, ce qui est positif, selon les associations.

On se réjouit que toutes ces personnes puissent être accueillies dignement en France, estime Pierre Mathurin, coordinateur de l’association Utopia 56 à Paris. On aimerait juste que cet accueil soit harmonisé auprès des personnes de toutes nationalités qui cherchent un exil en France.”

On se réjouit que toutes ces personnes puissent être accueillies dignement en France, estime Pierre Mathurin, coordinateur de l’association Utopia 56 à Paris. On aimerait juste que cet accueil soit harmonisé auprès des personnes de toutes nationalités qui cherchent un exil en France.”

Une protection temporaire” historique

Les Ukrainiens arrivés dans le pays, pour deux tiers des femmes et des enfants, bénéficient du régime inédit de la “protection temporaire”, activé par l’Union européenne.

Cette décision est historique. La protection temporaire a été créée en 2001 après le conflit en ex-Yougoslavie mais elle n’a jamais été activée”, explique Tcherina Jerolon, responsable “conflits, migrations et justice” chez Amnesty France. “On salue cette directive qui permet d’accueillir les Ukrainiens dans des conditions dignes.”

Cette protection ouvre aux Ukrainiens le droit à un hébergement et à l’obtention d’une autorisation provisoire de séjour de six mois, renouvelable jusqu’à trois ans, ou avant si le conflit prend fin. Dès leur arrivée, ils sont donc en situation régulière, sans avoir besoin de demander le statut de réfugié.

Ils pourront aussi accéder immédiatement aux soins, là où une carence de trois mois est prévue pour les demandeurs d’asile. Ils pourront également travailler, s’évitant là aussi une période de carence de six mois.

S’ils ne sollicitent pas le statut de réfugié, ils bénéficieront tout de même de l’allocation pour demandeur d’asile, “au plafond maximal de 14 euros par jour”, précise le patron de l’Ofii (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration).

«Cela confirme que l’Union européenne a les outils nécessaires pour accueillir et protéger les populations qui fuient les conflits.»

- Tcherina Jerolon, Amnesty France     

L’activation de ces mesures inédites est pour les associations un exemple à suivre. “Nous aurions souhaité qu’elle soit appliquée par le passé à d’autres populations dans des pays en guerre, notamment en Afghanistan et en Syrie, souligne Tcherina Jerolon. Cela confirme que l’Union européenne a les outils nécessaires pour accueillir et protéger les populations qui fuient les conflits.”

Pour les acteurs sur le terrain, cette décision prouve que “tout est une question de volonté politique”. “Des bâtiments sont réquisitionnables, de l’argent public peut être trouvé. C’est possible, ça a été mis en place en quelques jours”, note Pierre Mathurin, d’Utopia 56.

Nous ne voulons pas que les Ukrainiens soient mis à la même enseigne que les autres, mais plutôt que le mouvement se fasse dans l’autre sens”, plaide Sophie Djigo, du collectif Migraction 59, qui est présent à Calais.

300.000 morts au Soudan”

Selon l’AFP, l’État a également reçu “20.000 propositions d’hébergement” émises par des particuliers, sans compter 6000 autres offres émanant d’entreprises ou de collectivités.

Pour les associations, cet élan de générosité “détonne” avec l’accueil réservé à d’autres populations arrivées en France et fuyant pourtant également des pays en guerre. ”À Pantin, un gros campement de plus d’une centaine de personnes regroupe des Afghans qui sont à la rue, donne Pierre Mathurin comme exemple. Aucun dispositif de ce type n’a été mis en place après la prise de pouvoir des Talibans.”

Afghanistan, Syrie, Soudan, Éthiopie, Érythrée, population kurde... Sophie Djigo, du collectif Migraction 59, évoque de nombreux pays où la guerre a fait fuir la population de la même manière qu’en Ukraine.

Au Soudan, par exemple, ce sont 300.000 morts depuis les années 2000, 2 millions de déplacés, rappelle-t-elle. Je ne veux pas faire d’échelle des conflits, mais c’est une guerre extrêmement meurtrière.”

«À quel titre, du point de vue du droit, les Ukrainiens bénéficient-ils de cette protection que d’autres citoyens hors Union européenne n’ont pas ?»

- Sophie Djigo, Migraction 59     

Les associations hésitent à parler de racisme. “Les populations de l’Est de l’Europe peuvent aussi faire l’objet de racisme en France, dans d’autres contextes, avance Pierre Mathurin, d’Utopia 56. Si le conflit avait lieu en Roumanie, à cause de la stigmatisation, on ne sait pas si le même dispositif aurait été mis en place.”

Il ajoute tout de même: “Le fait que la population soit blanche et ‘européenne’ facilite la sensibilisation des Français et donc du gouvernement, qui suit l’opinion publique.”

L’Ukraine ne fait pourtant ni partie de l’Union européenne ni de l’espace Schengen. “Nous n’avons pas du tout le même statut juridique. À quel titre, du point de vue du droit, bénéficient-ils de cette protection que d’autres citoyens hors Union européenne n’ont pas? Même question pour les voies de passage vers l’Angleterre”, interroge Sophie Djigo.

Lutter contre les préjugés

À Calais, le collectif Migraction 59 loge des migrants chez des particuliers et fait de l’hébergement de “répit”, en général assez court, pour des personnes en transit, dont la destination est l’Angleterre. Des personnes souvent sans statut et donc non prises en charge par l’État.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le collectif reçoit des propositions de particuliers voulant accueillir des Ukrainiens. “Quand on leur dit que l’on n’a pas de demandes d’Ukrainiens et qu’on leur propose d’héberger d’autres personnes, ils ne souhaitent pas poursuivre, souligne Sophie Djigo. Les réfugiés africains, du Moyen-Orient ou d’Asie sont souvent synonymes de pauvreté, de menace terroriste... C’est très dur de lutter contre ces préjugés. ”

Le gouvernement anticipe que le nombre d’Ukrainiens trouvant refuge en France pourrait monter à 50.000 voire 100.000 dans les prochaines semaines ou mois. Pour les associations, c’est l’opportunité d’ouvrir un débat sur la politique migratoire de la France.

Si cet élan ne s’élargit pas aux autres exilés, on saura qu’il y a un problème explicite de racisme en France”, estime Sophie Djigo.

publié le 10 mars 2022

Les fondements économiques
de la guerre en Ukraine

Romaric Godin sur www.mediapart.fr

L’évolution économique de la Russie depuis 1991 permet de comprendre la fuite en avant militaire du régime. Plus qu’un conflit entre deux modèles de capitalisme concurrents, la guerre livrée à l’Ukraine répond au besoin de nouvelles ressources, de nouveaux marchés.

Certes, le retour d’une guerre de haute intensité en Europe, portée par une puissance militaire majeure, n’est pas le fruit direct d’une tension économique. Les causes immédiates sont sans doute à chercher dans la renaissance de l’impérialisme russe et dans la montée de l’autocratie à Moscou. Mais ces sources elles-mêmes ne sont certainement pas indépendantes des conditions économiques. Une guerre de grande ampleur contre un pays de 44 millions d’habitants ne s’engage pas sans qu’une lecture du contexte économique ne soit prise en compte.

Aussi doit-on s’efforcer de saisir le conflit dans le cadre de l’évolution du système capitaliste avant son déclenchement. Le premier élément de réponse réside dans la situation russe elle-même.

Les origines du modèle économique russe

La Russie est un pays traumatisé par la « thérapie de choc » des années 1990, qui était censée apporter la prospérité et assurer son maintien parmi les grandes puissances économiques du monde. Cette stratégie a été un désastre absolu. Le PIB russe s’est effondré et avec lui a disparu l’essentiel de la capacité industrielle du pays. Selon la Banque mondiale, en PIB par habitant et en parité de pouvoir d’achat, la Russie n’a retrouvé son niveau de 1990 qu’en 2006.

Ces seize années de stagnation n’ont cependant pas été suivies d’une forte accélération de la croissance. Certes, entre 2006 et 2013, la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant a été tirée par la hausse du prix des matières premières et le PIB a augmenté de 2,5 % par an, ce qui n’est pas très élevé pour une économie en rattrapage. Une fois cet effet prix disparu, et les premières sanctions après l’occupation de la Crimée mises en place, l’économie russe est entrée en phase de stagnation : entre 2013 et 2019, le PIB par habitant a progressé de 0,6 % en moyenne cha

Ce cadre général ne rend pas compte de la modification de l’économie politique de la Russie. Du chaos de la thérapie de choc à la crise financière de 1998, a émergé un système économique dominé par des « oligarques », ceux-là mêmes qui avaient profité des privatisations massives dans une ambiance de corruption dans les années 1990, mais « arbitré » par un pouvoir politique fort incarné par Vladimir Poutine. Dans les années 2000, l’État se fait ainsi « respecter » par les oligarques alors que, jusqu’ici, il était le terrain de jeu de ces derniers.

L’arrestation fin 2003 de Mikhaïl Khodorkovski agit comme le tournant de cette évolution. Désormais, l’État autoritaire récupère une partie de la valeur et l’utilise dans le maintien de son pouvoir. Et ceux qui ne jouent pas le jeu de la collaboration avec le pouvoir sont implacablement réprimés.

La kleptocratie qui a émergé de la thérapie de choc n’a pas été supprimée, elle a été réorganisée par l’État dans l’intérêt de la classe dirigeante. Un tel régime n’est donc pas un régime redistributif. La confiscation des fortunes des oligarques récalcitrants se fait au bénéfice de proches du pouvoir, avec comme fonction le renforcement de ce dernier.

Dans cette structure, la Russie poutinienne tolère donc en grande partie l’évasion de valeur menée par les oligarques vers les paradis fiscaux et leurs lieux de résidence à Londres ou dans les pays méditerranéens. Mais une partie de cette valeur est récupérée par l’État pour assurer l’enrichissement personnel des dirigeants, une partie des investissements non réalisés par le secteur privé et le renforcement de l’appareil sécuritaire. Les oligarques continuent de s’enrichir, les dirigeants assurent leur maintien au pouvoir.

Les perdants, c’est la masse des Russes qui ne touchent que les miettes d’une telle politique. Les inégalités dans le pays sont massives. Selon les données de la World Inequality Database (WID), les inégalités de revenus, qui se sont un peu réduites depuis 20 ans, restent à un niveau très élevé, que ce soit historiquement ou en comparaison.

Les 1 % les plus riches captaient ainsi en Russie en 2020 pas moins de 21,4 % du revenu total, contre 17 % pour les 50 % les moins riches. Certes, en 2000, les 1 % captaient 26,6 % du revenu contre 13,1 % pour les 50 %, mais on est loin des chiffres de la fin de l’époque soviétique, où les 1 % captaient 5 % du revenu total, tandis que les 50 % obtenaient 28 %. À titre de comparaison, en France, les 1 % les plus riches captaient en 2019 9,9 % du total, les 50 % obtenant 22,7 %.

Mais l’essentiel réside dans les inégalités de patrimoine, vrai indicateur de l’accumulation de capital et donc du régime économique. En 2020, 47,7 % du patrimoine total était détenu par 1 % de la population, contre 3,1 % pour la moitié la moins fortunée de la population. De ce point de vue, les inégalités se sont même creusées depuis 20 ans puisqu’en 2000 les 1 % détenaient 39,2 % du patrimoine total. La situation est donc encore loin de celle de la France, où les 1 % détiennent 26,1 % du patrimoine total, et même des États-Unis, où cette part est de 34,5 %.

Globalement, le développement russe post-soviétique est un échec. La Russie n’est pas redevenue la grande puissance économique qu’était l’URSS. Son PIB nominal est resté inférieur à celui de l’Italie et son PIB par habitant a été dépassé par celui de la Pologne et est désormais talonné par la Chine, deux pays jadis très loin des niveaux de richesse de l’ancienne URSS.

Dangereuses contradictions

Elle est clairement dans le camp des perdants de l’évolution économique mondiale des 30 dernières années. C’est un pays centré sur l’extraction de ressources et qui, pour reprendre les termes des penseurs de l’impérialisme, est voué à être une périphérie fournisseuse de matières premières du centre.

Un tel système est intrinsèquement parcouru de contradictions dangereuses. Le maintien du pouvoir repose à la fois sur l’idée d’une amélioration de la situation des masses au regard des années 1990, mais aussi sur le maintien d’une accumulation ultra-concentrée.

La résolution de cette contradiction est complexe. Elle implique évidemment la répression, mais aussi une politique nationaliste. C’est un ressort habituel de ce type de régime pour maintenir l’ordre. Dans le cas russe, cela s’appuie sur un sentiment de revanche et de sursaut faisant suite aux reculs de la zone d’influence russe depuis la fin des années 1990.

Mais ce ressort vient ouvrir une autre contradiction : l’héritier de la puissance militaire soviétique dispose effectivement d’un arsenal militaire de grande puissance tout en étant une puissance économique secondaire. Face à ces contradictions, la tentation de la fuite en avant pour un régime autoritaire semble logique. Incapable de développer le pays économiquement, le pouvoir russe ne pouvait, pour assurer sa stabilité, qu’investir massivement dans la seule force dont il disposait : la force militaire.

L’impérialisme régional russe devient alors la conséquence logique de ces contradictions. Le discours « chauviniste grand-russe », pour reprendre les termes de Lénine, permet de dissimuler derrière la persistance de la puissance militaire et de la revendication d’une aire d’influence la faiblesse intrinsèque de l’économie nationale et l’incapacité du régime d’améliorer le bien-être global de la population. Il permet aussi d’avoir accès à de nouvelles ressources, ce qui explique notamment le développement de l’influence russe au Sahel, par exemple.

L’impérialisme russe et sa logique

Ce développement de l’impérialisme russe a conduit naturellement à des frictions avec d’autres zones d’influence, notamment celle des pays occidentaux, et le cœur de cette friction est devenu l’Ukraine à partir de 2014. Il est alors important de se souvenir que le capitalisme est d’abord une extension, y compris spatiale.

Lorsque l’extraction de valeur est de plus en plus difficile à réaliser, comme c’est le cas depuis les années 1970 et encore plus depuis 2008, l’expansion géographique pour ouvrir des marchés, trouver des ressources et de la main-d’œuvre bon marché est incontournable. Le retrait soviétique en Europe centrale et orientale s’est ainsi conjugué avec l’expansion économique allemande et son corollaire militaire états-unien. Dans ce cadre, entre deux capitalismes en recherche d’expansion, le choc était inévitable.

La crise de 2014 a alors plongé le régime russe dans une fuite en avant dangereuse. Les sanctions qui ont suivi l’invasion de la Crimée et le soutien aux séparatistes de Louhansk et Donetsk ont conduit Moscou à construire la « forteresse Russie », une économie jugée moins dépendante de l’extérieur et plus autonome. Cette politique a cependant encore aggravé les contradictions internes au régime.

Certes, la Banque centrale russe a réduit la dépendance au dollar et s’est appuyée sur l’excédent commercial du pays pour construire d’impressionnantes réserves en devises et en or. De son côté, pour ne plus faire appel au financement étranger, le gouvernement russe a réduit son déficit budgétaire pour dégager un excédent à partir de 2018.

Cette politique « autarcique » est aussi classique pour un pays qui se considère comme « isolé » économiquement tout en ayant des ambitions impériales. C’est celle menée par l’Italie fasciste, par exemple. Dans le cas russe, cependant, cette politique a conduit à deux points de contradiction.

D’abord, cette « forteresse » s’est construite sur la répression de la demande intérieure. Tout excédent commercial est le signe d’une sous-consommation. L’excédent budgétaire et la politique de taux élevés de la banque centrale sont des outils pour assurer cette sous-consommation. La Banque centrale de Russie a augmenté ses taux de 9,5 % à 20 % après l’invasion de l’Ukraine, ce qui risque de tuer l’activité du pays. Mais il est important de noter que, déjà, à 9,5 %, le taux d’escompte russe était élevé au regard des grands pays avancés, y compris en termes réels (0,75 % en janvier 2022, contre − 5 % en zone euro, par exemple).

En 2018, le projet de réforme des retraites avait provoqué une rare poussée de mécontentement social dans le pays qui, fait encore plus rare, avait contraint Vladimir Poutine à reculer en partie. Il avait renoncé à relever l’âge de départ des femmes de 55 à 63 ans pour le fixer à 60 ans, relevant celui des hommes de 60 à 65 ans.

Ce recul partiel avait permis de prendre conscience du prix de la « forteresse Russie » pour la population et de révéler, derrière le rideau du régime, l’état réel de la tension sociale. Globalement depuis 2014, les revenus du travail sont d’ailleurs sous pression, avec un ralentissement continuel de la croissance du salaire réel en tendance. En février 2021, le FMI lui-même soulignait que « le revenu par tête progresse faiblement et ne converge pas vers les niveaux des économies avancées ». Ce qui n’empêchait pas le Fonds de saluer les mesures de « ciblage » des politiques sociales annoncées par le gouvernement Poutine.

Au total, l'économie russe, aussi résistante soit-elle, s'appuie sur un sous-jacent faible. En décembre 2021, la Banque Mondiale confirmait la faiblesse globale de la croissance potentielle russe au regard de sa situation de pays émergent, faute de dynamisme de la productivité, d'industrie et de forte croissance de la demande. Le maintien de la paix sociale devenait d’autant plus complexe que la crise sanitaire est venue creuser le budget russe. Pour la population, l’amélioration globale de son sort devenait de plus en plus lointaine. D'ailleurs, en Russie comme dans le reste du monde, la reprise post-Covid commençait à s’épuiser et l’inflation accélérait malgré un resserrement des taux. Au troisième trimestre 2021, le PIB russe a reculé de 1,2 % sur un trimestre.

Une telle situation ne pouvait donc qu’inciter le régime à relancer la logique impérialiste. D’autant que le succès apparent de la « forteresse Russie » donnait une forme d’assurance dans sa capacité à résister à de nouvelles sanctions. Les conditions d’un basculement du régime dans l’agression de l’Ukraine étaient ainsi largement posées : un contrôle du voisin permettrait dans cette logique de ressouder la population (éventuellement de lui faire accepter de nouveaux sacrifices) autour du prestige militaire, mais aussi de disposer de nouvelles ressources, notamment agricoles. Pour un pays construit autour de l’extraction de ressources, la proie pouvait être tentante. Et il pouvait s’agir de résoudre les contradictions propres au capitalisme russe.

Dans ce cadre, l’agression russe dispose aussi d’une logique économique qui prend ses racines dans le désastre qu’a été la transition des années 1990. Ironiquement, la thérapie de choc s’inscrivait dans un contexte où l’établissement général d’un régime néolibéral marquait la « fin de l’histoire ». Or c’est aussi sur les ruines de ce mythe économique que rebondit aujourd’hui l’histoire.

Un conflit entre deux capitalismes ?

Reste une question. Ce conflit russo-ukrainien, qui s’est déjà étendu indirectement, et notamment sur le plan économique, au reste du monde, est-il un conflit entre deux « modèles » ? En 2019, l’économiste serbo-états-unien Branko Milanović émettait dans son livre Le Capitalisme, sans rival (La Découverte, 2019, discuté ici) l’hypothèse que le capitalisme contemporain, désormais unique mode de production mondial, serait divisé en deux variantes : le capitalisme « libéral méritocratique » de l’Occident et le capitalisme « politique » issu notamment d’une accumulation primitive réalisée par l’expérience du « socialisme réel ».

Les caractéristiques de ce dernier reposent sur l’existence d’un État fort contrôlant directement ou indirectement le secteur privé par l’absence d’État de droit et la corruption. Dans la préface à l’édition française, Pascal Combemale résume la différence entre les deux systèmes : dans le système libéral, « le pouvoir économique donne accès au pouvoir politique » et dans le capitalisme politique, « c’est l’inverse ». Et d’ajouter : « Dans les deux cas, la concentration des pouvoirs bénéficie à une élite qui tend de plus en plus à se reproduire. »

Branko Milanović insiste beaucoup sur le cas chinois comme étant l’idéal-type du capitalisme politique et n’évoque qu’en passant le cas russe. Mais ce dernier pourrait répondre plutôt bien à cette définition. Les événements actuels pourraient laisser croire que c’est cette division entre ces deux types de capitalisme qui est en jeu dans le conflit ukrainien. La guerre en Ukraine serait finalement le premier acte du conflit central entre Russie et États-Unis que chacun prévoyait à plus ou moins long terme.

Certains éléments pourraient même aller dans ce sens. La volonté des Occidentaux de frapper « l’oligarchie » russe confirmerait le caractère politique du pouvoir économique. Par ailleurs, les votes aux Nations unies semblent dessiner deux camps qui recoupent en partie cette division entre les deux types de capitalisme. D’un côté, l’Union européenne, les États-Unis, le Japon et l’Asie du Sud-Est « libérale », et de l’autre la Chine, la Russie, l’Inde, le Vietnam, l’Amérique latine « socialiste » et certains pays d’Afrique désormais fortement liés à la Chine et à la Russie.

Mais cette division apparente ne doit pas tromper. En réalité, cette division semble très discutable dans le contexte actuel. D’abord, la pandémie a fait évoluer le capitalisme vers un modèle plus unifié où l’État agit comme une sorte de garant en dernier ressort du secteur privé, ce qui tend partout à concentrer pouvoirs économique et politique et à politiser de plus en plus les choix économiques. Dans ce contexte, les définitions des deux ensembles semblent s’effacer ou, du moins, s’amenuiser.

Les sanctions contre la Russie font ainsi bon marché de certains fondements de l’État de droit tel qu’il est conçu dans le droit occidental, comme le respect de la propriété privée. Ce n’est pas étonnant et cela arrive régulièrement en temps de conflit, mais c’est aussi le signe de la politisation de l’économie dans le capitalisme dit « libéral » de Milanović. Ce dernier avait déjà, d’ailleurs, dans son livre, émis l’hypothèse d’une fusion entre les deux modèles. Et cette vision a été confirmée dans un texte écrit après l’invasion où il confirme le caractère politique du capitalisme contemporain.

Au reste, même si le cas russe est extrême, on sait que les liens entre puissance économique et puissance politique existent dans les économies occidentales. Depuis un demi-siècle, ces économies ont même pris, avec la pseudo-théorie du ruissellement et ses variantes (« les baisses d’impôts pour favoriser les investissements »), un chemin où l’État ménage la puissance économique et favorise le creusement des inégalités.

En réalité, la Russie a été dans les années 1990 le laboratoire des idées néolibérales pro-riches. Et que le modèle économique russe est le fruit de cette expérience. C'est donc une sorte de forme poussée à bout des lubies néolibérales. Mais alors, la différence entre les deux modèles de capitalisme devient principalement une différence d’intensité et non de nature.

L’autre élément est que, quand bien même la division entre les deux capitalismes existerait et perdurerait, les lignes sont assez floues. Des pays de l’UE comme la Pologne et la Hongrie auraient trouvé leur place dans le capitalisme politique, mais sont alignés sur les positions occidentales.

Les États-Unis tentent, pour assurer leur approvisionnement en pétrole, de se rapprocher du Venezuela, qui a voté contre la condamnation de l’agression russe à l’ONU. Plus fondamentalement, l’Ukraine elle-même ne peut apparaître comme un membre du capitalisme libéral occidental, même si, sous la pression du FMI, elle tente de s’en rapprocher. L’élément de modèle économique ne semble pas ici jouer un rôle majeur. C’est bien plutôt la nature de l’influence dominante qui est déterminante.

Quant à la Chine, si elle n’est pas solidaire de la Russie, elle est, comme l’Inde ou d’autres, dans une position opportuniste où elle tente de sauvegarder les importations russes, tout en ménageant ses accès aux marchés occidentaux, qui restent vitaux pour elle.

Rien ne laisse présager ces jours-ci un « bloc idéologique » russo-chinois fondé sur un modèle économique commun. Au reste, il n’y a là rien d’étonnant : le modèle économique chinois est assez différent de celui de la Russie, ne serait-ce que parce que la thérapie de choc n’a pas été appliquée en Chine.

Certes, la République populaire traverse aussi une forme de crise et n’hésite pas elle-même à avoir recours à l’impérialisme. Mais, précisément pour cette raison, elle est aussi concurrente de la Russie : c’est le cas en Afrique, mais aussi, on l’a vu plus récemment, au Kazakhstan et en Asie centrale.

Dans son ambition de construire une croissance plus équilibrée, Pékin agit prudemment et ne peut se passer de son accès aux marchés occidentaux. Tout alignement sur la Russie mettrait ces débouchés en danger, mais en ne coupant pas les ponts avec Moscou, la Chine entend aussi pouvoir profiter des besoins de ce pays désormais affaibli. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la possibilité de rachat de parts dans les grandes entreprises d’État russes par Pékin annoncée le 8 mars. En réalité, la Chine continue de prendre en compte les interdépendances que les États-Unis et la Russie tentent d’effacer.

Les événements actuels viennent confirmer ce que l’on savait depuis 1914 : la domination mondiale du capitalisme n’est pas la garantie de la paix, y compris lorsqu’elle s’appuie sur des interdépendances commerciales. Dans un capitalisme structurellement en crise où il est de plus en plus difficile de dégager de la croissance, les logiques géopolitiques peuvent prendre le dessus pour s’approprier de nouvelles ressources, de nouveaux marchés ou apaiser des tensions sociales internes.

Lorsque, comme dans le cas russe, la contradiction entre la faiblesse de l’économie et la puissance militaire s’accroît, le conflit apparaît comme une possibilité sérieuse. Et les interdépendances commerciales sont mise à mal, soit parce qu’on les croit plus solides qu’elles ne sont, soit parce qu’on juge que les gains potentiels de leur rupture sont plus élevés. Les turbulences économiques issues des années 1990 et des crises successives qui ont eu lieu depuis 2008 ont donc rendu le monde plus dangereux. Dès lors, la guerre en Ukraine est moins un choc entre deux types de capitalisme qu’un nouveau symptôme d’un capitalisme en crise.

publié le 10 mars 2022

Pour la hausse des revenus : nouveau rendez-vous intersyndical le 17 mars

par Emma Bougerol sur https://basta.media

Les mobilisations pour l’augmentation des salaires, des pensions et des minima sociaux continuent. Alors que se profile une nouvelle réforme des retraites, une journée de grève et de mobilisation est prévue en amont du 1er mai.

« Les salarié-es du secteur public comme privé, les retraité-es, les jeunes partagent toutes et tous une même priorité face à l’augmentation du coût de la vie, il faut augmenter les salaires, les pensions, les allocations et les bourses étudiantes », revendiquent les syndicats dans un communiqué commun. La CGT, la FSU, Solidaires et l’UNSA, accompagnés de syndicats étudiants et lycéens (FIDL, MNL, Unef et VL), appellent à se retrouver dans la rue le jeudi 17 mars pour une nouvelle journée de mobilisation.

Le prix du carburant ne cesse d’augmenter, celui de l’énergie a bondi de presque 19 % - et devrait encore augmenter. L’inflation des prix à la consommation pour l’année 2021 avoisine les 3 %, du jamais vu depuis une décennie, soulignent Les Échos. Que faire ? « Combattre la stagnation des salaires », répondent les organisations syndicales d’une seule voix. « Force est de constater que c’est l’évolution des revenus par rapport à l’inflation qui est déterminante. » Augmenter les salaires, serait un « levier essentiel pour maintenir le pouvoir d’achat des ménages  », affirment-elles.

Ces hausses de prix atteignent d’abord les plus précaires : retraités, bénéficiaires de minima sociaux, salariés au SMIC, mais aussi les fonctionnaires. « Il est urgent d’agir sur le SMIC et le point d’indice. Il est indispensable que les minima de branche dans le privé et les grilles de salaires dans la fonction publique soient automatiquement relevés au niveau du SMIC », demandent les syndicats.

Les étudiants et la fonction publique main dans la main avec les salariés du privé

Les syndicats de la fonction publique répondent aussi présents [1]. Ils appuient la demande d’un dégel du point d’indice et d’une possibilité de renégociation de leur grille de salaires. « Les employeurs publics ne peuvent se dire exemplaires sans montrer l’exemple », rappellent-ils. La situation des établissements d’enseignement est un exemple parlant de la situation des services publics : recours à de plus de plus de contractuels aux contrats précaires, manque de professeurs, personnel à bout … Des récits d’une souffrance de l’éducation nationale à retrouver au fil des articles de basta!.

« La jeunesse est, elle aussi, confrontée à une grande précarité de vie et de travail, et à la pauvreté », précise le communiqué. Ils voient leur pouvoir d’achat baisser, à la fin d’un quinquennat pauvre en soutien. L’Unef souligne une hausse de 2,5 % du coût de la vie étudiante en 2021, dans une étude annuelle du syndicat étudiant : « Cette année, plusieurs mesures gouvernementales ont d’autant plus aggravé la précarité des étudiant·e·s : la suppression du repas Crous à 1 € pour tous et toutes, la réforme des APL. Cela se rajoute déjà au fait que le coût du logement ne cesse d’augmenter du fait de loyers plus élevés. »

Les syndicats soutiennent et appellent aussi à d’autres mobilisations. Celle du 8 mars, pour l’égalité salariale femmes-hommes et la revalorisation des « métiers féminisés » et celles des différents secteurs, pour créer les conditions, ils l’espèrent, d’un « grand 1er mai unitaire ».


 

 

 

Les valeureux pirates de chez Tipiak

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Les salariés des sites de Saint-Aignan, de Pont-Château, de Malville et de Saint-Herblain ont arraché, après trois semaines de grève, à l’appel de la CGT, une hausse des salaires supérieure à l’inflation.

Le regard est soutenu, pas une once de fatigue ne se lit sur son visage. Le réveil à 1 heure du matin, les huit heures de travail passées sous une température qui n’excède pas 10 degrés, la routine quotidienne qui broie les os et provoque une multitude de douleurs… Ces conditions de travail ne semblent pas atteindre  l’« animatrice » qui met en musique les recettes de macarons et orchestre le placement de chaque framboise sur la tartelette avant que celle-ci ne glisse sur le tapis de la chaîne de fabrication pour finir dans les congélateurs de l’enseigne Picard. Julie, ouvrière chez Tipiak, est fière. Depuis quelques jours, elle voit ceux qui n’ont eu pour leurs salariés que du « mépris » « raser les murs ». Ce patronat de l’agroalimentaire a été forcé de capituler devant les ouvriers après que les quatre usines de Loire-Atlantique sur les sept sites que compte le groupe en France se sont mises en grève pour obtenir des augmentations de salaires.

Avec 1 300 euros par mois, c’est la dèche tous les jours 

Sur le site de Saint-Aignan (Loir-et-Cher), d’où est parti le mouvement, « la direction pensait qu’on ne tiendrait pas plus d’une semaine », s’amuse Mélinda, conductrice de machine. Sept jours plus tard, pas un gréviste ne manquait à l’appel. Mieux : dans les trois usines de la filiale Tipiak Traiteur-Pâtisserie, où la direction poursuivait les négociations sur les salaires, les ouvriers ont décidé de stopper les machines.

L’indigne revalorisation salariale générale de 1,8 % proposée par la direction a fourni l’étincelle à un climat social digne d’un baril de poudre. « Ça fait deux ans que ça couvait, explique Damien, le délégué syndical CGT du site de Saint-Aignan. En 2020, nous avons déjà été les oubliés de la prime Covid. Malgré plusieurs débrayages, nous n’avions rien obtenu. La colère n’est jamais retombée. » Il faut dire qu’avec un salaire de 1 300 euros par mois, c’est la « dèche » tous les jours, explique de son côté Julie. D’autant que, avec les « horaires à la con » de Madame employée par Tipiak, Monsieur a du mal à trouver un travail avec des « heures correctes » qui permettent la garde de leurs enfants, en dehors du temps scolaire. Alors Julie compte. Pour tout. Du lundi au vendredi, le trajet domicile- travail est de 80 kilomètres aller-retour, soit 250 euros tous les mois. Une fois additionnées toutes les dépenses contraintes, ne restent que 23 euros par semaine pour les courses. La quatrième vitesse, qui ne passe plus sur la voiture depuis deux ans, attendra bien une année de plus. « Tant que ça roule. »

Et encore, à l’usine, « certains retournent chez leurs parents quand d’autres dorment dans leur voiture ». La semaine dernière, raconte-t-elle, une collègue a fait deux heures de marche, son mari avait besoin de la voiture. « Comme si la boîte ne pouvait pas organiser le covoiturage », interroge la syndicaliste. Dans l’agroalimentaire où les chaînes sont très féminisées, les postes les mieux rémunérés sont attribués aux hommes, explique Catherine. Même sur un poste identique comme « conducteur de ligne », les hommes sont mieux payés, poursuit la syndicaliste CGT, « soit parce que nous nous sommes arrêtées pour faire des gosses, soit parce que les hommes partent faire des formations et changent d’échelon ». Il arrive, raconte-t-elle, que des femmes conductrices soient renvoyées sur les lignes pour laisser leur poste à un homme revenu de formation. « Ce n’est même pas intentionnel, c’est ancré, alors que ce sont des femmes qui font les plannings. »

Crédit, enfants, chômage... quitter l’entreprise n’est pas une option

Cette colère, la direction avait tenté de la contenir en fin d’année, au moment des grosses commandes. Une prime de 300 euros en novembre 2021, puis une autre en décembre de 200 euros avaient été versées. En vain. D’autant qu’aux salaires insuffisants s’ajoutent les cadences de travail qui s’intensifient. Certes, évoque Catherine, les lignes ont été automatisées, « mais, désormais, c’est au salarié de suivre la machine, qui va beaucoup plus vite que nous ».

Les 2,5 % d’augmentation générale des salaires, le 1,5 % de plus sur le panier- repas arraché par les Tipiak Traiteur-Pâtisserie ou les près de 4 % gagnés par les Tipiak Épicerie après trois semaines de grève représentent donc un sacré succès. Pourtant « certains grévistes sont écœurés, prêts à quitter l’usine ». C’est le cas de Pascal, cuisinier. « J’ai envoyé 18 candidatures, j’ai eu une seule réponse, mais il fallait que j’embauche le lendemain. Ce qui n’est pas possible. » Pour beaucoup d’autres, quitter l’entreprise n’est pas une option. « Dès que tu as un crédit, tu es pris dans l’engrenage de la peur, encore plus quand tu as des enfants. » Julie, Damien, Pauline, Catherine, Mélinda, Nadine, Pascal ont donc choisi la lutte. « On a été soudés, nous avons créé entre nos sites, entre nous, un lien unique, celui qui fait changer le rapport de forces. »

 

 

Les deux tiers du CAC40 ont battu

leurs records historiques de

profits en 2021

sur https://multinationales.org/

Les deux tiers du CAC40 (21 groupes sur les 34 qui ont publié leurs résultats financiers à date) ont battu leurs records historiques de profits en 2021.

TotalEnergies affiche le plus gros profit avec 14,2 milliards d’euros (+7% par rapport à son record précédent de 2007), mais il est suivi de près par Stellantis, ArcelorMittal et LVMH qui réalisent tous plus de 12 milliards de bénéfices, battant également leur record historique.

Ces 34 groupes du CAC40 ont réalisé un bénéfice cumulé de 130 milliards d’euros, 71% de plus qu’en 2019, l’année d’avant la pandémie, et près du quadruple de 2020.

32 groupes ont déjà annoncé leurs propositions de dividendes pour ce printemps, avec là aussi un record de plus de 54 milliards d’euros (sans compter les dividendes qui seront annoncés par les 9 autres groupes et les 23,8 milliards de rachats d'actions du CAC40 en 2021).

Profitant à plein des aides financières publiques durant la pandémie, les groupes du CAC40 ont dédaigné de se préparer aux chocs futurs et en particulier de réduire leur dépendance aux énergies fossiles et aux chaînes d'approvisionnement internationales. La guerre en Ukraine est venue leur rappeler plus tôt que prévu les risques de cet aveuglement.


 

Pour la plupart d’entre nous, 2021 a été la seconde année de la pan- démie, rythmée par les vagues d’infection et les restrictions sanitaires, puis par la hausse des prix à la consommation. Pour le CAC40, qui a continué à bénéficier des largesses du “quoiqu’il en coûte” et de nouveaux mécanismes d’aides financières comme le plan de relance et le plan France 2030, 2021 a été une année de bénéfices record. 21 des 34 groupes du CAC40 qui ont publié leurs résultats financiers, c’est-à-dire 62%, ont battu leur record historique de profits en 2021.

C’est le cas du groupe pétrolier TotalEnergies, qui affiche le plus gros profit du CAC40 avec 14,2 milliards d’euros. Son précédent record de profits, en date de 2007, s’établissait toutefois déjà à plus de 13 milliards d’euros.

Total, Stellantis, ArcelorMittal, LVMH et BNP Paribas, champions des corona-profits

Ce qui est plus inédit, c’est que plusieurs autres groupes font presque aussi bien cette année, à l’image de Stellantis et d’ArcelorMittal avec 13,2 milliards d’eu- ros de profits chacun, ou encore LVMH avec 12 milliards d’euros. Le groupe bancaire BNP Paribas affiche quant à lui 9,5 milliards d’euros de profits.

Sanofi fait figure d’exception, puisque le groupe pharmaceutique a battu son record historique de profits en 2020, soit l’an 1 de la pandémie, avec 12,3 milliards d’euros. Pour 2021, il n'engrange « que » 6,2 milliards d’euros de profits.

Les 12 milliards d’euros affichés en 2021 par LVMH représentent un bond de 68% par rapport au précédent record du groupe de luxe, 7 milliards d’euros, en date de 2019. Pour ArcelorMittal, le bond est de 45% par rapport au précé- dent record de 2007, pour BNP Paribas de 16% par rapport à un record de 2019. Le cas de Stellantis est à part, le groupe s’étant formé très récemment à partir de la fusion de PSA et FiatChrysler.

Sans afficher des profits aussi stratosphériques en valeur absolue, d’autres groupes du CAC40 pulvérisent néanmoins eux aussi cette année leurs propres records historiques de bénéfices, à l’image de Hermès (+60% par rapport au précédent record de 2019, avec 1,5 milliard d’euros) ou STMicro (+56% par rapport au record de 2019, à 1,8 milliard d’euros). Teleperformance dépasse son précédent record historique de profits de 39,2%, Airbus le sien de 38%, et Schneider Electric le sien de 32,8%. La plupart des records de bénéfices du CAC40 se situent soit en 2017-2019, soit dans les années 2005-2008 précédant la crise financière globale.

Ces performances historiques se retrouvent virtuellement dans tous les secteurs d’activités, mais certains secteurs se distinguent comme la finance (Axa, BNP Paribas, Crédit agricole et la Société générale ont toutes quatre battu leurs records de bénéfices en 2021) ou encore le luxe (LVMH, Hermès et L’Oréal, mais pas Kering).

130 milliards de profits en 2021 malgré la pandémie

Les 34 entreprises du CAC40 qui ont publié leurs résultats financiers pour 2021 ont réalisé un bénéfice cumulé de 130 milliards d’euros. Seuls deux groupes affichent des pertes : le géant des centres commerciaux Unibail-Rodamco- Westfield, encore affecté par les restrictions, et le spécialiste des moyens de paiement Worldline, qui subit la concurrence du paiement par smartphone.

Ces 130 milliards représentent un pro- grès de 277% par rapport aux 34 milliards de profits réalisés en 2020 par les mêmes 34 groupes, soit presque une multiplication par 4. C’est un progrès de 71% par rap- port aux profits de 2019, l’année d’avant la pandémie (76 milliards d’euros).

Certains secteurs se distinguent par leurs records de profits, comme le luxe ou la finance.

Ces chiffres laissent augurer de nouveaux records de versement de dividendes et de rachats d’actions en 2022. Les 32 groupes du CAC40 qui ont déjà annoncé le dividende qui serait proposé à leur Assemblée générale ce printemps se préparent à verser 54 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires (à quoi s’ajoutent les rachats d’actions). Il s’agirait là aussi d’un record historique.

Prime aux suppressions d’emplois

Nous ne disposons pas encore des don- nées sur l’évolution de l’emploi dans les groupes concernés, mais les bénéfices réalisés confirment le constat que nous avons réalisé dans une précédente note, selon lequel certains des groupes les plus profitables en 2021 sont ceux qui ont sup- primé le plus d’emplois en 2020, à l’instar d’ArcelorMittal, Stellantis, Airbus et BNP Paribas. Le groupe Stellantis, malgré ses 13 milliards de profits, a supprimé près de 5000 emplois en 2020 et a annoncé début février 2022 un nouveau plan de suppression de 2600 emplois 1 .

Comme nous l’avons montré dans les précédents rapports « Allô Bercy » 2 , les groupes du CAC40 ont bénéficié d’aides publiques importantes à l’occasion de la crise sanitaire (aides d’urgence dont PGE et chômage partiel, achats d’obligations des banques centrales, plans sectoriels, plan de relance et plan France 2030). En l’absence de conditionnalités sociales, environnementales ou fiscales à ces aides, le CAC40 a choisi – plutôt que de préserver l’emploi ou d’investir dans la transition – d’utiliser cet argent pour verser plus de 76 milliards de dividendes en deux ans, et de battre en 2021 son record historique de rachats de ses propres actions, avec 25 milliards d’euros.

Les groupes du CAC40 ont dédaigné de se préparer aux chocs futurs et en particulier de réduire leur dépendance aux énergies fossiles et aux chaînes d'approvisionnement internationales. La guerre en Ukraine est venue leur rappeler plus tôt que prévu les risques de cet aveuglement.

1 https://www.lemonde.fr/economie/ article/2022/02/02/automobile-stellantis-va- continuer-a-se-separer-de-ses-salaries-francais- a-un-rythme-eleve_6111962_3234.html

2 #À lire sur le site https://allobercy. multinationales.org

publié le 9 mars 2022

La Cimade en opération désintox sur l’immigration

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Chaque semaine, des militants de l’association d’aide aux étrangers vont à la rencontre des passants, pour tenter de lutter contre les idées reçues largement véhiculées sur les exilés.

Le 3 mars à Belleville, à Paris. « On varie les modes d’action. Il y a quelques ­semaines, on a posé de fausses plaques de rue aux noms de personnalités, comme Maria Salomea Sklodowska, alias Marie Curie& »Sadak Souici

«Arrêtons de dire n’importe quoi sur l’immigration ! » Tel est l’intitulé du tract que les militantes de la Cimade distribuent à la sortie du métro Belleville ce jeudi soir. « À l’approche des élections, il nous paraît nécessaire de déconstruire les idées reçues qui circulent à propos des étrangers, explique Michèle Boumendil, bénévole dans une permanence de la Cimade. On varie les modes d’action. Il y a quelques ­semaines, on a posé de fausses plaques de rue aux noms de personnalités, comme Maria Salomea Sklodowska, alias Marie Curie… »

Le but de la dizaine de bénévoles, toutes des femmes, qui alpaguent les passants est d’engager la discussion. Pas si simple. « La dernière fois, un homme a froissé le papier devant moi et me l’a jeté à la figure avec ces mots : “Non, mais vous ne pensez pas qu’il y en a trop ?” rapporte Michèle. Même si ce n’est pas agréable, la rue est un bon thermomètre. Nous, les militants, on a tendance à ne parler qu’à des gens déjà convaincus. Là c’est différent. » Pour preuve, l’échange un peu tendu avec Gilles, professeur des écoles d’une trentaine d’années, qui déclare  : « Ça fait trente ans que le niveau de vie baisse. Ce n’est pas en ouvrant la porte aux étrangers que ça va s’arranger. »

Vivre sous la menace d’une expulsion

La militante argumente : « Vous savez, les étrangers représentent une goutte d’eau dans la population et les experts de l’OCDE ont fait des calculs : ils rapportent plus à la France qu’ils ne lui coûtent. » Pas de quoi convaincre le jeune homme blond aux cheveux courts : « Ma mère habite à Val-d’Argenteuil. Quand j’étais petit, il n’y avait que des Blancs, aujourd’hui ce sont des gens venus de partout… Ils sont peut-être tous en situation régulière ou même nés en France mais mes parents se sentent acculés. Si vous leur dites que les chiffres de l’immigration sont extrêmement faibles, ce n’est pas admissible de leur point de vue. D’autant que ces gens ne travaillen t pas, font du deal ou profitent du système. Il y a des leçons à tirer de tout cela », rétorque l’enseignant, qui a vécu quelque temps à Taïwan, « un modèle en matière de politique migratoire » de son point de vue. « Là-bas, on peut rester tant que l’on a un contrat de travail, sinon, on doit partir. C’est logique. » On lui cite le cas d’un Tunisien d’une soixantaine d’années, rencontré quelques minutes plus tôt. Il travaille depuis quinze ans dans la restauration avec des papiers d’emprunt, mais vit sous la menace d’une expulsion du territoire français, où, pourtant, il a construit sa vie. Michèle lui a d’ailleurs donné rendez-vous dès le lendemain à la permanence de la Cimade. Cet exemple trouve peu d’écho chez Gilles : « Cette situation n’est pas normale, mais à côté de cas comme celui-ci, il y a certainement des gens qui ont le droit de rester alors qu’ils ne le méritent pas », lance-t-il avant de s’éclipser.

Pour Mona, au contraire, l’accueil des étrangers est une évidence. Universitaire et poète d’origine égyptienne, c’est elle qui vient au-devant du groupe de la Cimade. « J’ai été très bien accueillie en France, où j’ai fait mes études. Cela reste le pays des droits de l’homme, les gens sont solidaires, je le vois dans mon quartier, tout le monde s’entraide. Moi-même je prépare à manger pour les sans-abri qui vivent en bas de chez moi… Des gens comme Zemmour ou Le Pen ne passeront pas, croyez-moi », ­affirme avec un grand sourire la sexagénaire aux cheveux rouges.

Certains accueillis, d’autres traqués

Un bel optimisme tempéré par l’arrivée de Sebastian et sa compagne, un couple de touristes polonais qui, tout de suite, font le lien avec l’actualité récente et félicitent les militantes pour leur action « La France doit accueillir les Ukrainiens. En Pologne, toute la société se mobilise en solidarité avec eux, on est fier de les aider. Aussi on fait bien attention à ce que d’autres migrants ne se mélangent pas avec eux pour traverser notre frontière », assène le quadragénaire au visage poupon et au crâne rasé. Un message qui rejoint l’attitude de la mairie de Calais, qui ouvre des hôtels aux Ukrainiens tandis que les autres exilés continuent d’être traqués par la police … « On est heureux de constater la mobilisation européenne pour les réfugiés ukrainiens qui fuient les bombes. Ça prouve bien que, si la volonté politique est là, on a les moyens d’un accueil dans des conditions humaines », précise Michèle, tandis que la Cimade dénonce publiquement « les discours abjects voulant conditionner l’accueil à des questions de culture, de religion, de couleur de peau… ou ramenant celui-ci à une opportunité dont on pourrait “tirer profit” ».

C’est ce racisme ordinaire contre lequel les bénévoles ne désarment pas. « La semaine prochaine, on va aller dans le 16e , chez les nantis, lance Michèle . Si on arrive à en convaincre un ou deux, ce sera toujours ça de gagné ! »

 publié le 9 mars 2022

Présidence française du Conseil de l’UE - Sponsors de la PFUE : qu’a donc à cacher le gouvernement ?

par Olivier Petitjean sur https://multinationales.org

Malgré les critiques, le gouvernement a choisi de faire sponsoriser la présidence française du Conseil de l’UE par deux entreprises, les constructeurs automobiles Renault et Stellantis, assurant que cela ne donnerait lieu à aucune forme de contrepartie ou de conflits d’intérêts.

Mise à jour, 9/3/2022, 15h15 : Suite à la publication de cet article mercredi 9 mars au matin, le Secrétariat général de la Présidence française du Conseil de l’UE nous a informé avoir mis en ligne les deux conventions, en masquant « les données personnelles, les éléments tenant à la sécurité publique et au secret des affaires ». Ces deux documents sont accessibles ici (Renault) et (Stellantis). Les éléments relatifs au « secret des affaires » semblent le détail de la valorisation des deux prêts de véhicules (479 560 euros pour 180 véhicules en ce qui concerne Stellantis et 146 417 euros pour 40 véhicules en ce qui concerne Renault), qui ouvriront droit, rappelons, à un crédit impôt mécénat de 60%. Il n’est pas précisé si lesdits véhicules ont vraiment été utilisés, dans le contexte du passage de la plupart des événements PFUE en distantiel sur les mois de janvier et février.

Depuis quelques années, l’habitude s’est installée de faire sponsoriser les présidences tournantes du Conseil de l’Union européenne par des multinationales comme Coca-Cola, Microsoft ou BMW. Ces sponsorings, symboles de l’influence des grandes entreprises au plus haut niveau de l’UE et de la confusion entre intérêt public et intérêts privés, sont de plus en plus contestés, mais la pratique n’est toujours ni interdite, ni encadrée, en raison de l’opposition de certains pays dont la France.

À l’approche de la présidence française du Conseil de l’UE (PFUE), au premier semestre 2022, de nombreuses voix se sont élevées, y compris du sein même de la majorité présidentielle, pour demander au gouvernement de ne pas faire appel à des sponsors. L’Observatoire des multinationales s’est associé aux associations foodwatch et Corporate Europe Observatory pour lancer une pétition en ce sens.

En vain, puisque la PFUE est bien sponsorisée par deux grandes entreprises : Renault et Stellantis (groupe issu de la fusion entre FiatChrysler et PSA). Les deux constructeurs doivent fournir à la présidence des véhicules électriques et hybrides pour les déplacements des délégués. Un autre sponsoring avait été envisagé avec EDF, mais il a été abandonné, sans que la raison en ait été communiquée.

En réponse à la polémique suscitée par ce choix, le gouvernement a joué sur les mots, essayant de faire une distinction totalement vide de sens entre « sponsoring » et « mécénat ». Par la voix du secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune, il a assuré que que ces accords de sponsoring n’entraîneraient aucune forme de conflit d’intérêts ou de contreparties, que Renault et Stellantis n’auraient pas le droit de s’en prévaloir à des fins publicitaires, et que ces mécénats se feraient dans « un cadre transparent » [1].

C’est fort de ces assurances que nous avons demandé au gouvernement, en janvier, de rendre publics les accords de sponsoring passés avec les deux groupes automobiles. Depuis, c’est le silence radio. L’Observatoire des multinationales, en concertation avec foodwatch et Corporate Europe Observatory, a donc saisi ce jour la Commission d’accès aux documents administratifs. (Voir mise à jour ci-dessus.)

Une industrie automobile très influence à Paris comme à Bruxelles

Le secret maintenu sur la teneur des accords avec Renault et Stellantis confirme que ces « partenariats » ne sont pas aussi innocents que le gouvernement le laisse entendre. Ces deux groupes industriels sont directement concernés par plusieurs gros dossiers en cours d’examen dans la capitale européenne. Parmi eux, la date de fin des véhicules à moteur thermique, y compris des hybrides dont Stellantis est un important producteur. Une étude récente suggère d’ailleurs que les hybrides émettent en réalité presque autant que les véhicules classiques.

Également au menu de la présidence française du Conseil de l’UE, les nouvelles normes d’émission de CO2 des automobiles dans le cadre du paquet climat, ou encore la politique de soutien public massif aux secteurs des batteries et des semi-conducteurs ou aux filières d’approvisionnement en minerais stratégiques – autant d’enjeux vitaux pour le secteur automobile. Les industriels ont d’ailleurs été étroitement associés à la préparation de la PFUE. Dès juillet 2021, Clément Beaune avait participé au sommet de l’automobile organisé par Emmanuel Macron à l’Elysée pour écouter leurs demandes. Les représentants de la France à Bruxelles ont rencontré à plusieurs reprises ces derniers mois les représentants de Renault, Stellantis et de la Plateforme de l’automobile, principal lobby du secteur [2]. Cette proximité s’étend également au commissaire européen français, Thierry Breton. En mai 2021, dans une lettre à ce dernier adressée par Luc Chatel, ancien ministre et aujourd’hui patron de la Plateforme de l’automobile, on trouve la mention manuscrite « Merci de ton soutien, Amitiés ». En décembre 2021, Thierry Breton a rencontré des représentants de Stellantis, mais a refusé de rendre public le thème et les notes de cette rencontre, comme c’est la règle au niveau européen. De Paris à Bruxelles, l’omertà semble donc la règle concernant les liens entre décideurs français et industrie automobile.

[1] Voir l’enquête de la cellule investigation de Radio France.

[2] Voir le « registre de transparence » de la Représentation permanente de la France à Bruxelles.

publié le 8 mars 2022

8 mars : des manifestations pour clore
« un quinquennat qui n’a rien fait pour les femmes »

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

L’égalité salariale et la lutte contre les violences sexuelles étaient au cœur de cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars. Les manifestations du jour sont venu rappeler que, bien que déclarée « grande cause du quinquennat » par Emmanuel Macron, l’égalité entre les femmes et les hommes est encore loin d’être acquise. 

Déclarée grande cause du quinquennat par Emmanuel Macron en 2018, l’égalité entre les femmes et les hommes n’a pas suscité une ligne dans la « lettre aux Français » qui marque l’entrée officielle en campagne du président de la République. Pourtant, des féminicides ponctuent toujours tragiquement l’actualité – à raison d’un tous les trois ou quatre jours – et les salaires des hommes sont toujours supérieurs de 28,5 % à ceux des femmes dans le privé, selon les derniers chiffres de l’Insee.

Or les revendications salariales sont au cœur de cette édition 2022 de la journée internationale des droits des femmes qui prend la forme d’une grève féministe, à un mois du premier tour des présidentielles. Un peu partout en France, des manifestations ont d’ailleurs commencé à 15h40. Cet horaire est, symboliquement, le moment à partir duquel, tous les jours, les femmes travaillent gratuitement alors que les hommes continuent à être payés. Outre la question des salaires, celle des violences sexistes et sexuelles a également été portée dans les nombreux cortèges qui ont défilé cet après-midi. 

Paris : la présidentielle s’invite dans le cortège

Avec les manifestations de ce 8 mars, le mouvement féministe souhaite marquer la « fin d’un quinquennat qui n’a rien fait pour l’égalité professionnelle et les violences faites aux femmes », expliquait Sigrid Girardin, co-secrétaire générale du Snuep FSU, lors d’une conférence de presse de préparation de la journée.

A Paris, plusieurs milliers de personnes ont ainsi défilé derrière une banderole « déferlante féministe pour l’égalité ». La manifestation a relié la Gare du Nord à l’hôpital Tenon, les manifestantes, en majorité des femmes, brandissaient des pancartes : « ni les femmes ni la terre ne sont des territoires de conquête », ou « féministe en colère, je ne vais pas me laisser faire », rapporte l’AFP.

Campagne présidentielle oblige, les six candidats de gauche étaient présents dans le cortège parisien, en soutien à la lutte de jour. En revanche, de l’autre côté de l’échiquier politique, le 8 mars n’a pas été une journée favorable à Éric Zemmour. Le matin même, Mediapart a publié une vidéo (en accès libre) dans laquelle le candidat d’extrême droite est accusé par huit femmes d’agressions sexuelles.

L’actualité ukrainienne a également été évoquée dans le cortège parisien. Avant le départ de la manifestation, les militantes ont lu au micro une lettre adressée par des « féministes russes », explique l’AFP. La guerre en Ukraine « apporte les violences des balles mais aussi les violences sexuelles », ont-elles affirmé. 

8 mars : des manifestations et quelques piquets de grève 

Dans le même registre, à Montpellier, une pancarte « féministes contre la guerre des hommes » est aperçue dans la manifestation. Celle-ci a rassemblé plus d’un millier de personnes, dont une grande majorité de jeunes femmes. A Toulouse, où la tête de la manifestation s’était organisée en mixité choisie, les organisatrices ont choisi un parcours long, dont le départ était volontairement éloigné du centre ville pour « se rapprocher des personnes qui rejoignent rarement les manifestation », explique Nous Toutes 31. A Rennes, plus d’un millier de personnes ont manifesté, rapporte le Télégramme. Quelques manifestations ont été programmées en fin de journée. C’est le cas à Marseille, où la manifestation a commencé à 17h30 sur le Vieux-Port. Mais aussi à Lyon, où la manifestation devait partir à 18h. Dans cette ville de nombreuses rues ont été renommées avec des noms de femmes, par des militantes, en amont de la journée du 8 mars. Bilan de la journée : la CGT parle de dizaines de milliers de salariées mobilisées dans plus de 200 initiatives. Enfin, le 7 mars au soir, des manifestations nocturnes ont également eu lieu, notamment à Paris.

Pour rappeler que la lutte contre le sexisme est aussi une lutte salariale (voir notre long article à ce sujet), des actions de soutien à des piquets de grève ont également été organisées en plus des manifestations de ce 8 mars. Un rassemblement a ainsi été organisé devant l’Ehpad Bracieux (Loir-et-Cher) en soutien à des salariées victimes des propos sexistes et du mépris de leur directeur. A l’Ehpad Orpea de la Défense, une manifestation a mis en lumière les mauvaises conditions de travail des salariées du secteur. À Montreuil, un piquet de grève de la Maison des femmes Thérese-Clerc, a été tenu de 7h00 à 18h00, pour accueillir les femmes grévistes mobilisées pour dénoncer les atteintes aux droits des femmes.

 publié le 8 mars 2022

Les partisans
de la non-violence et
du désarmement inquiets
d’une re-militarisation des sociétés

par Rachel Knaebel sur https://basta.media/

Face à la guerre en Ukraine, les mouvements non violents prônent des actions de désobéissance civile, proposent d’accorder l’asile aux déserteurs de l’armée russe et appellent à s’engager en faveur des traités d’interdiction de l’arme nucléaire.

L’ombre de la menace nucléaire est de retour en Europe. Le 22 février, Vladimir Poutine menaçait ceux qui tenteraient « de se mettre en travers » du chemin de la Russie : les « conséquences seront telles que vous n’en avez jamais vues dans toute votre histoire ». Une référence à peine masquée à l’arme atomique. Le 24 février, l’armée russe se lançait à l’assaut de l’Ukraine. En réponse à l’attaque et aux bombardements, qui ont tué des civils, l’Union européenne a pris de nouvelles sanctions contre la Russie, promis plusieurs centaines de millions d’euros pour aider l’Ukraine, notamment à s’équiper militairement. Plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne, la Belgique, ont commencé des livraisons de matériel militaires, principalement des missiles antichars et anti-aériens, aux forces ukrainiennes.

Le 28 février, Poutine a de nouveau agité la menace nucléaire, déclarant que les forces de dissuasion nucléaires russes avaient été placées en « régime spécial d’alerte ». La veille en Biélorussie, d’où est partie l’offensive russe vers Kiev, un référendum sur la constitution a donné encore plus de pouvoir à l’autocrate Loukachenko. Et entériné la possibilité de stationnement d’armes nucléaires russes sur le territoire de ce pays voisin de la Pologne. « Le 19 février dernier, la Russie a réalisé des exercices de démonstration de sa capacité nucléaire sur différentes bases russes, ajoute Jean-Marie Collin, porte-parole de la branche française de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN, lauréate du prix Nobel de la paix 2017). Ce sont des exercices classiques, réalisés avant l’invasion, mais déjà dans un contexte de tension extrême. En quinze jours, Poutine a accéléré ce qu’on appelle la grammaire nucléaire. »

Face au risque d’aggravation et d’extension du conflit, des voix tentent d’appeler à la désescalade. « Nous nous inquiétons d’une militarisation accrue, qui renforcerait le risque d’un conflit long », dit Serge Perrin, porte-parole du Mouvement pour une alternative non violente (MAN). Dans une démarche non violente, la priorité, pour nous, c’est la société. Toute guerre est destructrice pour la société civile, et c’est la population la première victime. » Le MAN se positionne contre les livraisons d’armes à l’Ukraine, tout en préconisant davantage de sanctions financières et économiques contre les dirigeants et milliardaires russes, et une « une véritable politique d’accueil des réfugiés ».

« Rare qu’à la sortie d’un conflit violent, on ait plus de démocratie »

L’organisation demande aussi que l’Union européenne reconnaisse la désertion comme motif d’asile politique, pour les soldats russes et ukrainiens. Mais que répondre, alors, aux Ukrainiens – et à sa société civile – qui demandent un soutien militaire ? « Culturellement, nous sommes imprégnés de culture militaire. Tant qu’on ne développe pas plus en amont les stratégies de résistances, quand on pense à un conflit, on va parler d’avions, de chars de canons, d’armes antichar. Mais pour nous, la non-violence est une méthode de résolution des conflits. Si nous n’arrivons pas à résoudre les conflits en dehors de l’élimination de l’autre, nous restons dans un cycle de violences perpétuelles », défend Serge Perrin.

Pour illustrer ces possibles actions de résistance civile, l’organisation prend les exemples de blocage économique ou les nombreuses scènes d’interpellation et d’entraves par la population ukrainienne des soldats russes et de leurs convois. « Presque tout conflit violent aboutit à une renforcement de l’autoritarisme. C’est extrêmement rare qu’à la sortie d’un conflit violent, on ait plus de démocratie, insiste le porte-parole du mouvement. L’Europe, l’Allemagne et même la France risquent de sortir de ce conflit, quelle qu’en soit l’issue, plus militarisées », déplore-t-il aussi.

Le 27 février, le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz (social-démocrate) a surpris son pays en annonçant un renforcement exceptionnel du budget allemand de la Défense : un fonds spécial de 100 milliards d’euros et une augmentation du budget annuel de la défense à 2 % du PIB. « Je crois que personne dans mon pays ne s’attendait à cette annonce, nous dit Alexander Lurz, chargé des question de désarmement à Greenpeace Allemagne. L’ONG environnementale s’oppose à ces projets du gouvernement allemand d’augmenter considérablement les moyens de l’armée. « Nous sommes contre ce fonds de 100 milliards. La phase dans laquelle nous sommes, au début d’une guerre, n’est pas le moment approprié pour prendre une décision d’une telle portée. Cela a été décidé dans la précipitation, sans analyse, sans garder la tête froide », dit le responsable de Greenpeace.

« Le principe de non-prolifération se fragilise de partout »

« Nous comprenons les raisons morales du gouvernement pour livrer des armement, compte tenu de la situation en Ukraine, précise Alexander Lurz. Mais nous pensons aussi que le potentiel des mesures stratégiques n’a pas été épuisé, par exemple l’arrêt d’importation de gaz et pétrole russe », ajoute l’expert en désarmement. Le ministre vert de l’Économie et du Climat a rejeté le 3 mars l’interdiction des importations de gaz russe.

« On se retrouve avec une volonté de course aux armements, alors que dans le même temps, deux événements extrêmement importants arrivent sur les questions de désarmement nucléaire », rappelle Jean-Marie Collin. D’ici juillet doit se tenir la première réunion des États membres du Traité sur l’interdiction des armes nucléaire, entré en vigueur l’an dernier. La France, comme les autres États détenteurs de l’arme nucléaire, ne l’a pas signé. « Nous appelons les États qui refusent de se joindre à ce traité, comme la France, à venir y participer en tant qu’État d’observateur. C’est la moindre des choses qu’un pays comme la France aille au moins écouter ce qu’ont à dire les autres États sur ce traité. » (voir cet appel)

La prochaine conférence du Traité de non prolifération des armes nucléaires doit également avoir lieu cet été. « Alors que le principe de non-prolifération se fragilise de partout, notamment par le fait que les cinq puissances nucléaires continuent de moderniser et renouveller massivement leur arsenaux, pointe Jean-Marie Collin. La France a même des plans pour conserver des systèmes d’armes nucléaires jusqu’en 2090, c’est l’une des rares politiques publiques qui va aussi loin », dit-il. « Le seul moyen d’éliminer tous les risques nucléaires est d’éliminer toutes les armes nucléaires », a encore souligné le secrétaire général des Nations unies en janvier dernier. « On comprend bien que le désarmement ne peut pas se faire en quelques semaines, mais il y a des pas qui peuvent être réalisés », insiste Jean-Marie Collin.

publié le 7 mars 2022

En Espagne,
les femmes peuvent trouver justice

Kareen Janselme sur www.humanite.fr

Droits Il y a dix-huit ans, le pays a adopté une loi spécifique contre les violences de genre et mis en place des tribunaux spéciaux. Résultat : les féminicides ont baissé de 24 %. Et si la France s’en inspirait enfin ?

Barcelone (Espagne), envoyée spéciale.

Trois jeunes femmes, pimpantes, légères, déambulent dans les rues de Barcelone. On les retrouve le soir draguant un groupe de copains et accepter de les suivre chez eux. Soudain, la soirée dérape : l’une attache un jeune homme excité à son lit. La deuxième sort une aiguille de tatouage et grave sur son torse : « violeur ». Elles s’enfuient, elles ont vengé leur sœur. Fond noir. Lumière dans la salle sous les encouragements d’une trentaine de féministes. Deux têtes grises mêlées à une majorité de filles et de garçons de 20 ans sont réunis ce soir-là au siège de l’association culturelle Lluïsos de Gracia, un quartier de la capitale catalane. Dans une petite pièce aveugle aux murs dénudés, le comité de grève pour le 8 mars (Comitè de vaga pel 8M) a décidé de projeter une série de courts métrages engagés pour préparer la Journée internationale des droits des femmes. En écho aux applaudissements, la réalisatrice Gala Diaz s’explique sur son scénario : « J’étais en master de réalisation cinéma quand la sentence de la Manada est tombée. Mon film de fin d’études a été ma réponse, l’expression de mon sentiment de rage. »

Tous les Espagnols se souviennent de ce procès qui provoqua d’importantes manifestations spontanées dans tout le pays dénonçant une justice patriarcale et machiste. En 2016, cinq hommes se surnommant « la meute » (la manada en espagnol), dont un gendarme de la Guardia Civil et un militaire, avaient violé une jeune femme de 18 ans lors des fêtes de Pampelune. Les agresseurs avaient filmé et diffusé la scène sur WhatsApp, puis abandonné leur victime dans un hall d’immeuble à moitié nue. Deux ans plus tard, en contradiction avec les réquisitions implacables du procureur, les juges n’avaient pas retenu le viol en réunion. Les cinq hommes furent condamnés à une peine réduite à neuf ans d’emprisonnement pour « abus sexuels ». La colère s’exprima partout en Espagne. Fière de sa loi avant-gardiste contre les violences de genre votée en 2004, la société se retrouvait groggy et se levait tout entière pour demander à la justice de rendre des comptes.

le procès de « la meute », un tournant historique

« Pour la première fois, le pouvoir judiciaire a dû s’expliquer, se souvient l’avocate pénaliste Laia Serra. On a brisé l’opacité de cette juridiction spéciale. Personne ne savait vraiment pourquoi un acte était qualifié d’abus sexuel et un autre d’agression sexuelle. Ni quelles indemnisations pouvaient être versées aux victimes, comment celles-ci étaient interrogées par les procureurs. La Manada a tout pété ! La société et le mouvement féministe ont commencé à tout questionner. Ça a été un point d’infle xion historique. »

Depuis 2004, la loi d’État contre les violences conjugales a mis en place un système de droits et d’aides sociales particulières pour les femmes victimes. Le texte a modifié le Code pénal, créé des crimes spécifiques et établi une juridiction spécialisée. 107 des 3 500 tribunaux du pays se consacrent exclusivement aux violences commises par un époux ou un ex-compagnon. Et la loi-cadre évolue sans cesse : en 2015, l’Espagne a ainsi transcrit dans son droit la convention d’Istanbul, premier traité international contraignant pour lutter contre la violence à l’égard des femmes. En 2017, un « pacte d’État » la renforce, garantissant un fonds d’un milliard d’euros sur cinq ans. Une somme que revendiquent en vain dans leur pays les associations féministes françaises. En 2019, le Tribunal suprême revient sur la décision du procès de la Manada et condamne ses auteurs à quinze ans de prison ferme. La plus haute instance judiciaire espagnole devient féministe.

« En droit espagnol, on parle d’abus quand quelqu’un profite d’une situation et d’agression sexuelle quand il y a violence ou intimidation, décode Me Serra. Jusqu’à cette résolution, l’absence de perspective de genre faisait interpréter des situations d’agression en abus. Cette faille structurelle du système juridique espagnol a été comblée avec la décision du Tribunal suprême. Maintenant que le haut de la pyramide de notre système judiciaire a opéré un changement radical pour protéger les droits des femmes, c’est au tour des audiences provinciales et des juridictions de base de guérir de leur myopie juridique. Car c’est en bas de la pyramide que se joue le combat. Seules 0,3 % des affaires atteignent le sommet et le Tribunal suprême. »

Carlos Pascual est l’un de ces juges de proximité. Au quatrième étage de la Cité de la justice à Barcelone, il instruit les dossiers, auditionne les témoins, met en place les ordonnances de protection pour éloigner les agresseurs de leur victime. Plus de 25 000 ont été délivrées en 2020, contre 3 000 en France sur la même période. En décembre de la même année, l’Hexagone s’est inspiré de l’Espagne pour mettre en place la surveillance électronique : quelques centaines de bracelets antirapprochement étaient distribués en 2021, contre cent fois plus de l’autre côté des Pyrénées. Les résultats sont là : depuis 2004, le nombre de féminicides a chuté de 24 %. « En 2005-2007, les juges ne recevaient pas de formation spécifique sur les violences de genre, explique Carlos Pascual. C’est à partir de 2009 qu’on a demandé aux juges de suivre une semaine de cours théorique en ligne, puis une semaine auprès d’associations de prise en charge des victimes et de tribunaux spéciaux. Ensuite, chaque année, les juges se retrouvent pour discuter des problèmes particuliers auxquels ils sont confrontés. Des rencontres sont aussi organisées avec le tribunal supérieur pour se mettre d’acco rd sur des positions nationales. »

Cinq juges d’instruction partagent l’étage dédié exclusivement aux violences conjugales. Les salles modernes, aux parois vert tendre, sont adaptées pour recueillir la parole des victimes, prendre leur plainte comme au commissariat, dans une ambiance plus feutrée. Le bureau des archives côtoie la salle d’accueil. Une table basse, des jouets pour faire patienter la marmaille : tout est prévu pour rassurer les plaignants. Une unité d’évaluation médico-légale permet aussi de constater les blessures. « Ces délits sont distincts d’un vol, tient à préciser Carlos Pascual, ou d’un trafic de drogue. Ils répondent à des caractéristiques distinctes : c’est une violence exercée par l’homme sur la femme. Pour corriger ce machisme présent dans la société et en analyser les causes, nous avons besoin d’un traitement spécifique. Si tu as mal à l’œil, tu vas voir un ophtalmo, pas un oto-rhino. »

Bientôt une loi pour inverser la charge de la preuve

Quand le Tribunal suprême a validé moralement et juridiquement l’inclusion de la perspective de genre, le regard des juges a changé. Formés, ils ont su reconnaître les situations d’emprise, la sidération en cas d’agression. Et aller chercher les preuves un peu plus loin. « Si tu ne sais pas ce que tu cherches, détaille Laia Serra, ni analyser la crédibilité de la déclaration de la femme, tu passes à côté. Je m’occupe d’une jeune fille qui n’a pas porté plainte sur le moment après s’être fait agresser sexuellement. Mais, après cette date, elle a commencé à publier plein d’articles sur les violences sexuelles sur les réseaux sociaux. Et rien avant. La preuve est là. Pour savoir voir l’empreinte, l’impact des violences, il fa ut une formation, une vision. »

Subordonnées à cette loi-cadre, les régions et communautés autonomes ont aussi créé des lois administratives régissant uniquement leur territoire. En décembre 2020, la féministe Laia Serra a rédigé la réforme de la loi catalane, qui a été approuvée à l’unanimité de son Parlement : « En 2018 déjà, la loi catalane considérait les femmes victimes, même si elles ne portaient pas plainte. En 2020, en accord avec la convention d’Istanbul, la loi catalane a essayé d’élargir le concept de violence dans le couple à toutes les violences faites aux femmes. Pour la première fois en Espagne, nous avons aussi pris en compte les violences numériq ues. Enfin, la loi pose la violence d’État, la violence institutionnelle, comme une des formes possibles de violence envers les femmes. Une première en Europe ! »

Par leur rédaction, ces lois régionales essaient de faire évoluer la loi-cadre de 2004. Depuis l’été 2021, le gouvernement travaille sur un tout nouveau concept qui pourrait faire basculer le Code pénal : un projet de loi baptisé « Solo sí es sí » (seul un oui est un oui). L’idée est d’inverser la charge de la preuve. Il reviendra au présumé agresseur de prouver qu’il y a eu consentement s’il veut être acquitté. Et non plus à la victime de prouver qu’elle a refusé l’acte sexuel. Une révolution en droit regardée avec envie par toutes les féministes européennes. Mais le texte est encore très combattu au sein même du pouvoir judiciaire et par les partis de droite et d’extrême droite, notamment Vox, devenu la troisième force politique du pays. Le projet de loi veut aussi étendre le cadre des violences de genre aux situations de harcèlement de rue, au travail, aux prostituées, aux femmes trans. Et ne plus se cantonner aux violences conjugales.

« les violences sont le symptôme, mais la maladie vient de la société »

« Ces lois sont très importantes pour sensibiliser », reconnaît Magda Bandera, directrice de la Marea. Créé en 2012, ce journal monté en coopérative, progressiste et féministe, enquête depuis trois ans sur les 55 féminicides survenus en 2014. Pour aller au-delà du fait divers, comprendre les causes et montrer les conséquences. « On ne parle plus désormais de crime passionnel pour un féminicide, insiste la journaliste. Mais la loi n’arrêtera pas un homme qui veut tuer sa femme. C’est quelque chose de plus global, qui implique toute la société. On pourra le stopper en l’empêchant d’approcher sa victime. Si on aide celle-ci à obtenir son indépendance économique. Et si on éduque les jeunes. En septembre  2021, le baromètre annuel du centro Reina Sofia a révélé que pour un jeune Espagnol sur cinq, la violence de genr e n’existe pas, c’est une invention idéologique. C’est terrible… » Une réalité confirmée par le magistrat Carlos Pascual, qui s’inquiète de l’augmentation actuelle de ces violences chez les 18-20 ans.

« Les violences envers les femmes sont le symptôme. Mais la maladie vient de la société, de ses préjugés et du système capitaliste, estime Me Serra. Comment peut-on aider une victime qui a fui son mari et vit dans la rue ? Aujourd’hui, le système capitaliste est poussé à l’extrême. On a une situation sociale toujours plus précarisée, une extrême droite qui banalise les violences : le contexte social ne peut que favoriser les violences envers les femmes. La meilleure formule pour lutter contre elles, c’est une politique sociale globale. Ensuite , on pourra parler de stratégie envers les violences conjugales. »

publié le 7 mars 2022

Pourquoi TotalEnergies s'accroche à ses activités en Russie

Marion d'Allard sur www.humanite.fr

Alors que la guerre en Ukraine fait rage, la multinationale française refuse toujours de lâcher ses activités en Russie. Ses intérêts économiques et stratégiques y sont colossaux. Explications

Les bonnes intentions et les coups de menton de Bruno Le Maire n’y changeront rien. Alors que la liste des pétroliers internationaux qui retirent leurs actifs de Russie s’allonge, le français TotalEnergies, lui, ne semble pas enclin à reprendre ses billes. C’est même « le moins que l’on puisse dire », ironise-t-on, en interne.

15 milliards d’euros d’actifs sur place

Après avoir tenté de minimiser la part de ses activités en Russie, les réduisant à une fourchette de « 3 à 5 % de (ses) revenus globaux », Patrick Pouyanné (PDG du groupe pétrolier et gazier français), qui « condamne l’agression militaire de la Russie envers l’Ukraine », s’en tient pourtant à affirmer qu’il n’engagera plus de capitaux « dans de nouveaux projets ». La firme conservera donc ses quelque 15 milliards d’euros d’actifs sur place.

« En capital investi, c’est énorme, bien plus qu’en Birmanie, où Total a fini par jeter l’éponge », note Éric Sellini, coordinateur CGT du groupe. Un désengagement du bout des doigts, qui intervient alors que, depuis près de dix jours, ses concurrents désertent le terrain russe. La compagnie anglo-néerlandaise Shell, la britannique BP, l’italienne ENI, la norvégienne Equinor et même l’américaine Exxon ont ainsi toutes renoncé à leurs opérations sur place et rompu leurs partenariats avec les entreprises locales.

Le gaz russe, une priorité

Déshonorante autant qu’immorale, la position de TotalEnergies traduit en réalité l’importance colossale de la Russie dans la stratégie du groupe. Celle-ci vise à « faire de l’extraction et de la distribution de gaz la clef de voûte du développement et des investissements actuels et futurs de l’entreprise », détaille une note publiée en fin de semaine dernière par le T-Lab, corédigée par l’économiste Maxime Combes, la chercheuse Amélie Canonne et l’auteur Nicolas Haeringer.

Engagée depuis 1995 sur les champs pétroliers en Russie, la firme française, en s’offrant près de 30 % des parts du site gazier de Yamal en 2011, et plus de 21 % de celui d’Arctic LNG 2 en 2018, a résolument pris le parti de faire du gaz russe l’une de ses priorités.

Le gaz russe représente près de 30 % de la production mondiale de TotalEnergies.

Son partenaire sur place ? L’entreprise privée Novatek, dont le président, Leonid Mikhelson, « est un proche de Poutine », tandis que son deuxième actionnaire, Guennadi Timtchenko, « est visé par les sanctions américaines depuis 2014 et désormais sous sanction de l’UE », précise la note.

Alors que le gaz russe représente près de 30 % de la production mondiale de TotalEnergies – et plus de 60 % de sa production en Europe et en Asie centrale –, les réserves dont dispose le pays représentent, à elles seules, la moitié des perspectives de développement du groupe.

Un robinet toujours ouvert

En somme, résume Thierry Defresne, de la CGT Total, la direction « veut coûte que coûte continuer à faire du business ». Mais, à l’autre bout de la chaîne, les salariés du pétrolier n’entendent pas donner quitus à Patrick Pouyanné. « À Donges, les camarades ont refusé de décharger un tanker en provenance de Russie, cinq autres bateaux attendent au Havre et un à Fos-sur-Mer », explique le syndicaliste.

Reste que, pour lui, exclure l’énergie du paquet des sanctions contre la Russie provoque ce genre d’imbroglio. « Quand on parle de l’approvisionnement russe, il s’agit de contrats à long terme, souvent associés à des conditions de paiement. On n’achète pas du gaz comme on achète une baguette de pain », abonde Éric Sellini.

D’ailleurs, fait valoir le syndicaliste, « à l’annonce du paquet de sanctions, Moscou n’a pas fermé les robinets, y compris lorsque la Russie se retrouve exclue de la plateforme interbancaire Swift ». L’arrêt de l’approvisionnement en gaz russe aurait, poursuit-il, des conséquences préoccupantes en Europe. « L’Autriche ne saurait plus fournir d’énergie à ses citoyens alors que l’Allemagne dépend de la Russie pour un tiers de sa consommation. »

Le coup de pouce d'Emmanuel Macron

Sous le feu des projecteurs, les géants mondiaux du pétrole et du gaz ne sont cependant pas les seuls responsables de notre dépendance aux fossiles russes. Dans l’ombre de leurs business plans, les États, bien souvent, ont joué en sous-main.

Pour ce qui est de la France, la note du T-Lab rappelle qu’« à l’occasion d’un déplacement d’Emmanuel Macron à Moscou en 2018, TotalEnergies a obtenu une participation directe entre 10 % et 15 % dans tous les futurs projets GNL (gaz naturel liquéfié – NDLR) de Novatek situés sur les péninsules de Yamal et Gydan ». Une promotion directe des intérêts de la firme française auprès de Vladimir Poutine, qui fait de l’Élysée et de Bercy les « coresponsables du refus de TotalEnergies de quitter la Russie ».

 publié le 6 mars 2022

Index Egapro :
un dispositif trompeur

Violaine de Filippis Abate sur www.humanite.fr

Avant le 1er mars, les entreprises employant au moins 50 personnes ont publier leur note obtenue en matière d’égalité, en application de l’index de l’égalité professionnelle, appelé « index Egapro ». Sous couvert de contraindre les entreprises à rendre publiques les inégalités salariales, la mauvaise construction de l’index permet la distribution de bonnes notes masquant la réalité de discriminations persistantes. Cela sert aux entreprises, alors même qu’il existe des disparités importantes, à afficher de très bons scores, et ainsi à s’en servir comme un véritable argument de communication. Ces critiques relatives aux modalités de calcul de l’index ont été faites par plusieurs syndicats (notamment par la CFDT, la CGT et FO) dès 2018, année d’adoption du dispositif. La note moyenne nationale de 2021 est d’ailleurs de 85/100, ce qui se passe de commentaire quand on connaît la réalité du terrain. La note attribuée à chaque entreprise est fixée sur un total de 100 points, à partir de 4 ou 5 critères appelés « indicateurs ».

Si le score obtenu est inférieur à 75 points, l’entreprise devra prendre des mesures correctives pour les atteindre dans un délai de trois ans. Sans rentrer dans un listing exhaustif des défauts techniques de l’index de l’égalité professionnelle, on peut néanmoins en exposer quelques exemples saillants. Ainsi, lorsqu’une entreprise calcule la différence de salaire femmes-hommes, l’écart obtenu est automatiquement diminué de 5 points. Par exemple, au lieu de retenir 11 % d’écart, on retiendra 6 % comme résultat final. Par ailleurs, les salaires à temps partiel sont ramenés en équivalents temps plein dans les calculs. Cela invisibilise totalement une grande part des disparités fondées sur le sexe, puisque la plupart des emplois à temps partiel sont occupés et subis par des femmes. Autre exemple, l’indicateur ne tient compte que du nombre de femmes qui ont été augmentées à leur retour de congé de maternité, et non du niveau de ces augmentations. En l’état, il suffirait qu’un employeur augmente toutes ses salariées de 1 euro à leur retour de congé de maternité pour qu’il puisse obtenir tous les points sur ce critère.

Rappelons également que le montant de la pénalité encourue par les entreprises est fixé au maximum à 1 % de la masse salariale. Cette sanction est insuffisante pour revêtir un quelconque caractère dissuasif. La photographie que donne actuellement l’index de l’égalité professionnelle ne permet pas de regarder les discriminations telles qu’elles sont, mais telles qu’elles sont racontées au travers d’un dispositif trompeur, qui tend à valoriser presque indistinctement toutes les entreprises, indépendamment de la réalité de leurs pratiques salariales.

publié le 6 mars 2022

« La gauche doit construire
de nouvelles alliances de classes »

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Présidentielle Dans un nouvel essai qui paraît ce 2 mars, le politiste Rémi Lefebvre passe au crible les difficultés de la gauche dans la campagne électorale et propose comme issue d’unir justice sociale et lutte contre les discriminations autour d’un discours centré sur l’égalité. Rémi Lefebvre Professeur de science politique à l’université de Lille.

La guerre en Ukraine percute de plein fouet la campagne présidentielle et risque d’étouffer le débat. Mais, avant même cet événement majeur, la gauche avait du mal à tirer son épingle du jeu malgré des signaux qui devraient lui être favorables. À l’instar de la question du pouvoir d’achat, en tête des préoccupations dans toutes les enquêtes d’opinion. Dans son ouvrage qui paraît ce 2 mars, Faut-il désespérer de la gauche ? (Textuel), le politiste Rémi Lefebvre décortique les raisons de sa faiblesse – aucun de ses candidats n’est pour l’heure en position de se qualifier au second tour – et esquisse des pistes pour sa réinvention.

Vous réfutez l’idée selon laquelle la faiblesse de la gauche serait due à une droitisation de la société. Au-delà de leurs divisions que vous critiquez, pourquoi ces candidats ne parviennent-ils pas à percer, selon vous ?

Le débat public, lui, s’est droitisé, la campagne montre à quel point. C’est un fait sans précédent, mais sans corrélation avec une droitisation de la société. Des attentes s’expriment en termes d’égalité, de redistribution, même l’indice de tolérance progresse. Dès lors, pourquoi la gauche n’en profite pas ? La désillusion considérable liée au mandat de François Hollande joue un rôle majeur. Il a plus qu’abîmé la gauche, il l’a tuée, démonétisée, engendrant de la « décroyance » dans sa capacité à répondre aux attentes. S’ajoute une difficulté d’incarnation sociologique – jamais ses partis n’ont connu une telle désouvriérisation – comme un problème d’alternative. Face à une social-démocratie obsolète, un autre paradigme a émergé, l’écologie, mais elle apparaît comme punitive, sacrificielle. Les milieux populaires y voient un signal négatif. C’est pourquoi Yannick Jadot ne tire pas son épingle du jeu. Quant à Jean-Luc Mélenchon, qui articule davantage écologie et justice sociale, depuis 2017, sa stratégie est complètement erratique, entre des postures tribunitiennes populistes et une volonté de donner des gages à la gauche.

La guerre en Ukraine a un fort impact sur la campagne. Quels effets peut-elle avoir sur la gauche ?

La campagne avait déjà du mal à démarrer, elle risque d’être fortement compromise par la situation internationale, qui risque de donner une prime d’ordre légitimiste au président sortant. Au-delà du caractère dramatique de la situation en Ukraine, ce n’est pas une bonne nouvelle pour la gauche car, sans campagne, difficile d’essayer de faire tourner le débat autour de ses idées…

Vous pointez la responsabilité du quinquennat Hollande. Anne Hidalgo s’appuie pourtant sur cette figure. Cette stratégie peut-elle être payante ?

C’est suicidaire. Le PS espère se réapproprier une partie des électeurs modérés partis chez Emmanuel Macron. Or, 38 % des électeurs de François Hollande de 2012 continuent à le soutenir, selon la Fondation Jean-Jaurès. En 2017, on pouvait supposer qu’ils avaient été trompés par l’ambiguïté idéologique entretenue par le candidat mais celle-ci a aujourd’hui disparu. Le président a détaché durablement, pas seulement conjoncturellement, une part de cet électorat qui, bien qu’au PS, n’était plus de gauche.

Dans ce paysage, Fabien Roussel connaît une dynamique. Comment l’analysez-vous ?

Au départ, c’est une candidature d’appareil destinée à revisibiliser le PCF. Chemin faisant, c’est plus que cela qui se produit. Fabien Roussel devient un peu une hype médiatique. Son style mais aussi ses propositions lui permettent d’être repéré et lisible. Il convoque une forme de nostalgie pour une gauche populaire qui n’existe plus et devient un vote refuge.

Vous mettez en garde contre le piège identitaire. Comment se pose-t-il à la gauche ?

Sur le plan économique, domine le sentiment d’une inéluctabilité de la société de marché, entretenu par la gauche au pouvoir. Faute de clivages forts en la matière, le débat politique se déplace sur la question identitaire. La gauche a tout à y perdre, car même si ces préoccupations-là existent dans les milieux populaires, elles ne sont pas centrales, contrairement à la question sociale. D’ailleurs, ces thèmes – laïcité, wokisme… – occupent à gauche une place totalement disproportionnée par rapport à leur réalité dans la société. C’est un piège dont profite la droite. D’autant que, sur la sécurité par exemple, la gauche a du mal à porter un discours alternatif qui ne soit pas à sa remorque.

Vous estimez que la route pour sortir de l’ornière passe par de nouvelles alliances de classes. Lesquelles ?

La gauche dans son ensemble ne sait plus qui elle défend. Pendant très longtemps, elle a été l’alliance des classes moyennes et populaires. Désormais, celles-ci sont beaucoup plus hétérogènes, les milieux populaires eux-mêmes se sont diversifiés : périurbain, industriel, racisé ou issu de l’immigration… Certains, comme Terra Nova ou le Printemps républicain, ont théorisé qu’il faudrait choisir entre les minorités et les milieux populaires traditionnels. C’est un non-sens et une impasse électorale. La gauche ne peut être l’addition de luttes catégorielles, mais c’est à elle de construire de nouvelles alliances avec une offre politique autour de l’égalité qui puisse unifier ces causes. Des gilets jaunes aux Nuit debout en passant par les mouvements féministes, antiracistes… Un discours sur l’égalité peut faire le pont entre redistribution et lutte contre les discriminations.

Les partis comptent parmi les institutions les plus décriées. Pourquoi vous paraît-il indispensable de les réhabiliter ?

La gauche ne peut faire l’économie des partis politiques. Elle les a inventés parce qu’ils sont un outil des faibles contre les forts, un outil de politisation des milieux populaires, d’éducation politique et de construction du militantisme. Loin de moi l’idée de convoquer la nostalgie du parti de masse, il faut réinventer la forme partisane en la purgeant de ses problèmes oligarchiques et bureaucratiques. Car, face aux forces économiques très organisées, à des médias extrême-droitisés, la gauche ne s’en sortira pas sans se renouveler avec des organisations à la fois plus autonomes et ouvertes.

 publié le 5 mars 2022

Mobilisations. Dans la manifestation, à Paris,
l’escalade militaire n’est pas écartée

Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

Le président ukrainien réclame depuis plusieurs jours la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine. Une demande à laquelle l’Otan refuse de répondre à ce stade.

Plusieurs milliers de manifestants contre la guerre en Ukraine se sont rassemblés, ce samedi après-midi, dans les rues de Paris. Une partie d’entre eux se sont retrouvés sur la place Denfert-Rochereau à l’appel du Mouvement de la Paix, des organisations syndicales (CGT, FSU et Solidaires), du PCF et du NPA notamment. Mais le plus grand nombre a défilé entre la place de la République et celle de la Bastille. Dans ce cortège, bien plus dense que les précédents organisés ces derniers jours, mais encore loin d’atteindre le niveau des rassemblements à Berlin, à Prague ou même Zürich, le slogan « Poutine, assassin » fait l’unanimité. Il a été scandé d’un bout à l’autre par les membres de la diaspora ukrainienne, avec leurs couleurs nationales, le bleu et le jaune, peinturlurées sur les joues ou sur les pancartes, mais aussi par quelques Russes dénonçant la guerre menée par leur pays et, bien sûr, par des Parisiens de toutes origines descendus spontanément dans la rue.

Dans la foule, avant que l’hymne national ukrainien ne résonne à la Bastille en présence de l’ambassadeur et des dirigeants du PS, EELV, LaREM et LR - dont Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Rachida Dati -, beaucoup réclament la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine. « Otan, fermez le ciel », intime une jeune femme. « Mettez en place une zone d’exclusion aérienne ou commencez à vous demander quel sera le prochain pays sur la liste de Poutine », lance un autre.

Appel à « manifester en masse »

Réclamée depuis quelques jours par Volodymyr Zelensky qui, comme il le fait depuis le début de l’offensive russe, avait lancé un appel à « manifester en masse » à destination des opinions publiques occidentales, la zone d’exclusion aérienne servirait, à ses yeux, à rééquilibrer les forces en présence. « Il y a eu un sommet de l’Otan, un sommet faiblard, un sommet confus, un sommet où tout le monde n’a pas l’air de bien comprendre que la bataille pour la liberté de l’Europe doit être l’objectif numéro un, a accusé le président ukrainien dans la nuit de vendredi à samedi. Tous les gens qui vont mourir à partir d’aujourd’hui vont mourir aussi à cause de vous. À cause de votre faiblesse, de vos divisions… Aujourd’hui, l’état-major de l’Otan a donné le feu vert à de nouveaux bombardements à cause de son refus de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. » Ce samedi, Oleksii Reznikov, le ministre de la Défense ukrainien, a tenté une autre approche. « Si le bombardement des femmes et des enfants ne constitue pas un argument pour vous, alors souvenez-vous de Tchernobyl en 1986, lance-t-il. Le nuage nucléaire était allé jusqu’à l’est des États-Unis… À Zaporizhzhia, il y a six réacteurs, donc la question, c’est : le monde est-il prêt à une catastrophe six fois plus importante ? On nous dit par ailleurs qu’en cas de mise en place d’une zone d’exclusion aérienne, cela déclencherait une guerre nucléaire, mais pour nous, il est évident que cette guerre est là, déjà… Les Russes viennent de la déclencher en attaquant la centrale. »

Après avoir commencé des livraisons d’armes à l’Ukraine - sans doute plus symboliques qu’autre chose, à ce stade -, les Occidentaux refusent de faire le pas supplémentaire dans l’escalade. Samedi après-midi, après l’Otan et la Maison-Blanche la veille, c’est le général Mark Milley, chef d’état-major américain, qui a écarté la demande pressante des autorités ukrainiennes. « Si une zone d’exclusion aérienne était déclarée, quelqu’un devrait la faire respecter, rappelle-t-il.  Il faudrait alors qu’on y aille et qu’on combatte activement les forces aériennes russes. Ce n’est pas une chose que le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg ni aucun haut responsable politique des États membres ont dit vouloir faire. »

Le mouvement pacifiste italien se réveille

De son côté, Vladimir Poutine a, lui, menacé une fois de plus : la Russie considérerait comme cobelligérant tout pays tentant d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine. Le chef du Kremlin en rajoute, avertissant qu’à ses yeux, les Occidentaux sont déjà entrés dans la guerre contre la Russie en imposant leurs sanctions économiques.

Au bout de cette nouvelle journée de vertiges face à l’escalade belliciste, c’est de Rome que parviennent quelques signes moins mortifères. Dans la capitale italienne, le mouvement pacifiste italien, si puissant contre la guerre en Irak, est en train de se réveiller. Une manifestation à l’appel des ONG et des syndicats a rassemblé des dizaines de milliers de personnes ce samedi. « On n’arrête pas la guerre avec d’autres guerres et en envoyant d’autres armes au peuple ukrainien, lance Maurizio Landini, le secrétaire général de la CGIL, la plus puissante confédération syndicale italienne. On arrête la guerre en envoyant en Ukraine l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui est née après la Seconde Guerre mondiale pour empêcher le déclenchement des autres guerres. C’est le moment de faire des tractations diplomatiques, c’est le moment, au contraire, de désarmer ! »


 


 

La femme du jour.
Elena Osipova

Bruno Odent sur www.humanite.fr

Elle est née au milieu de l’enfer et elle a survécu à l’un des pires épisodes guerriers du XXe siècle : le siège de Leningrad par l’armée nazie. À soixante-dix-sept ans, Elena Osipova, qui fut bercée par les souvenirs de désolation et de mort racontés par ses parents, n’a pas hésité. Elle est venue, avec d’autres courageux habitants de Saint-Pétersbourg, manifester contre la guerre de Poutine en Ukraine. Deux pancartes à la main, elle clame sur la première : « Soldat, jette ton arme et tu seras un vrai héros. » Elle dénonce sur la seconde l’apocalypse que constituerait le déclenchement d’une guerre nucléaire.

Elena a été rapidement cernée par huit gaillards de la police dite antiémeute et arrêtée. On dénombrait en ce 3 mars près de 8 000 citoyens embarqués de la même façon, partout sur le territoire russe où des citoyens continuent de défendre la paix.

Elena Osipova est l’une des dernières survivantes du siège de Leningrad. Encerclés par les troupes nazies, les civils et l’armée soviétique sont restés retranchés dans la ville pendant 872 jours entre septembre 1941 et janvier 1944. L’« étau », tel que les troupes allemandes qualifièrent cette stratégie, a fini par interdire les moindres approvisionnements des assiégés. Et la famine a emporté, à elle seule, plus de 600 000 personnes sur le million de morts déplorés au total.

Les images de l’arrestation d’Elena Osipova, filmées par un autre pacifiste russe, sont devenues virales sur Twitter. Pour la meilleure cause, celle d’une vieille dame indigne aux yeux du régime belliciste de Moscou. Une vieille dame si intransigeante et intrépide pour la Russie et l’humanité.

publié le 5 mars 2022

Nouvelles révélations sur les Ehpad de Korian et DomusVi

sur www.cgt.fr

Un mois après Les fossoyeurs, le livre choc de Victor Castanet sur les Ehpad d’Orpea, Cash Investigation a filmé en caméra cachée le quotidien harassant des personnels soignants d’un établissement Korian, près de Nantes. Un autre reportage a décortiqué les méthodes immobilières fallacieuses de DomusVi. Triste tableau d’une course au profit, sur le dos de nos ainés.

Les images sont édifiantes. Débordés, contraints de conseiller à une résidente de "faire pipi dans sa protection" car le personnel manque pour l'accompagner aux toilettes, les soignants de l’Ehpad privé Le Ranzay, près de Nantes, doivent s’occuper de 69 résidents. Prix du loyer : 2 856 € par mois.

À raison de 11 résidents par aide-soignant (contre 10 pour 12 au Danemark), comment bien faire son boulot et respecter la dignité de nos ainés dépendants ?

Le reportage réalisé en caméra cachée par Marie Maurice, de Cash Investigation (France 2), dénonce la maltraitance institutionnelle des résidents, faute de moyens humains suffisants.

Un système malade 

Sans diplôme de soignante, sans formation, sans expérience, la journaliste s’est faite embauchée pendant trois jours comme auxiliaire de vie par Korian, leader européen des Ephad privées (4,31 Md€ de chiffre d’affaires en 2021, + 11%) et affectée à des tâches d’aide-soignante ou d’infirmière. Pour 9,58€ net de l’heure. 

Pas d’infirmière pour administrer les médicaments, personnel non diplômé, repas rationnés, effectifs insuffisants : les méthodes de Korian décrites pour maximiser ses bénéfices, au détriment du bien-être des résidents et des conditions de travail des salariés, sont choquantes.

Comme dans le livre Les Fossoyeurs, les questions soulevées se rejoignent, notamment autour des coûts que les deux groupes cherchent constamment à baisser pour augmenter leurs marges.

Pas de croutons

Deux anciens directeurs d'Ehpad affirment que Korian soumet ses cadres à une pression constante pour qu'ils réduisent les coûts et maximisent le bénéfice de l'entreprise : l'un raconte avoir reçu instruction de supprimer les croûtons dans la soupe des résidents pour réaliser des économies ! 

Selon des documents internes à Korian que les journalistes se sont procurés, la direction ne remplacerait que partiellement le personnel soignant en congé. Les kiné et les médecins ne le seraient pas du tout. Korian ferait de fausses déclarations aux autorités de tutelle sur les effectifs afin de maximiser ses dotations publiques (532M€ reçus en 2020 selon le site mis en ligne en réaction à la diffusion de l’enquête).

Interrogé par Élise Lucet, le directeur général France, Nicolas Merigot, a réfuté l'ensemble des allégations. Sur le plateau de l’émission, Sophie Boissard a fait de même : « Nous ne faisons pas de marges sur les dotations publiques », a affirmé la directrice générale de Korian, avant d’annoncer que son groupe allait devenir une entreprise à mission. Pour se racheter une virginité ? 

DomusVi, orfèvre de l’immobilier 

Également épinglé, DomusVi, numéro 3 du secteur (745 M€ de CA), a vu ses méthodes immobilières fallacieuses décortiquées par les journalistes.

Elles consistent à laisser pourrir le parc immobilier loué à des particuliers qui ont investi dans des chambres d'Ehpad achetées à prix fort, puis à quitter les lieux à la fin du bail. Un orfèvre de l’immobilier mais aussi un spécialiste de l’optimisation fiscale via le Luxembourg et Jersey, alors que le groupe percevrait 226 M€ d’argent public par an, selon les calculs de Cash.
Ses dirigeants n‘ont pas voulu répondre aux questions. 

Défaillances des autorités de contrôle 

De leur côté, les Agences régionales de santé ne jouent pas leur rôle de contrôle : devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, S. Boissard a indiqué que son groupe fait l’objet d’un dizaine de 10 contrôles par an. Pas inopinés. 

Emmanuel Macron avait pris l’engagement de mener à son terme un projet social sur la dépendance. Alors que son quinquennat s’achève, ce chantier a disparu de l’agenda présidentiel. 

 

La CGT milite pour la création de droits pour les aidants familiaux de personnes en perte d’autonomie, la création d’un grand service public de l’aide à l’autonomie en établissements ou à domicile avec du personnel formé, qualifié, correctement rémunéré.

La perte d’autonomie et son financement doivent relever de la branche maladie de la Sécurité sociale.

Et le traitement de l’accueil en établissement et de son financement doit être rapidement l’objet d’une loi conformément aux engagements de l’actuel gouvernement.

 publié le 4 mars 2022

Mobilisation.
La paix, voie de la raison

sur www.humanite.fr

L’Humanité ouvre ses colonnes à dix personnalités engagées en faveur d’une issue pacifique en Ukraine. Ces voix en appellent à l’intelligence, aux consciences et à la solidarité, seules armes qui vaillent pour arrêter la guerre et éviter que le pire ne se produise au cœur de l’Europe.

Dix noms, dix voix pour que la raison l’emporte. Ces personnalités qui s’expriment aujourd’hui dans nos colonnes, ainsi que les tribunes que nous publierons dans les jours à venir, clament leur désir de paix. Sans aucune naïveté. Si elles condamnent, à juste titre et avec autant de fermeté, l’intervention militaire de la Russie en Ukraine, c’est parce qu’elles sont conscientes de la dangereuse escalade guerrière qui se joue aux portes de l’Europe. Ces femmes et ces hommes, représentants de formations politiques, du mouvement associatif et du monde culturel, en appellent à la solidarité avec les populations civiles, qui sont toujours les premières et les principales victimes des conflits.

Elles plaident également pour que l’intelligence l’emporte face aux risques d’une déflagration totale. Elles refusent la spirale du pire, convaincues qu’on ne combat pas une guerre en attisant les haines, en ajoutant des armes aux armes. À leurs yeux, le fracas des bombes ne peut être une solution viable à même de stopper les affrontements. Elles rejoignent ainsi l’élan de dizaines de milliers de pacifistes qui, à travers le monde, fustigent les desseins de Moscou et autres bellicistes sans frontières. Leur champ de bataille est la diplomatie, le dialogue, la négociation. C’est aussi le nôtre.

Lettre à Constantin et ses amis

Ariane Ascaride comédienne

Ce petit courrier à toi, tout petit jeune homme qui découvre le monde, à qui l’on apprend à respecter les autres. Et voilà qu’un homme qui pourrait paraître très proche d’une caricature de bande dessinée, si son comportement n’était terriblement dangereux pour le futur de notre monde, cet homme donc décide que l’armée et les chars de son pays vont détruire les barrières des jardins d’habitants d’un pays qui veulent juste vivre selon leur culture. Ce sont les jardins, les maisons, les rues des villes d’Ukraine qui se mettent à sentir la poudre en ce début, tout début de printemps qui devrait être le temps des lilas.

Constantin, tu portes le prénom d’un personnage d’une pièce d’un grand auteur russe, Anton Tchekhov, qui passait souvent ses vacances au bord de la mer en Crimée. Je ne crois pas qu’il aurait pu imaginer que la folie d’un homme puisse détruire l’image de son pays, la Russie, et de son peuple. Il les transforme en monstres à force de propagande et de mensonges. Sache seulement que beaucoup d’artistes russes s’élèvent contre cette folie au risque de perdre leur liberté. Je te demande pardon de t’offrir ce monde violent, à toi, petit jeune homme, certains enfants de ton âge en Ukraine vivent depuis quelque temps dans la peur, et je souffre d’être si impuissante, et je redoute leurs pleurs effrayés.

C’est pourquoi pour toi, pour eux, il faut se battre pour la paix, pour que cesse le bruit terrifiant des armes. Il faut faire entendre nos voix fortes et puissantes, qu’elles résonnent aux oreilles de tous, qu’elles clament haut et fort que la violence, l’ingérence ne mènent qu’à la souffrance et à la honte ! Il faut tout faire pour raison garder, pour que les Ukrainiens recommencent à entendre le chant des oiseaux. Et que les enfants d’Ukraine, mais aussi du monde, puissent cheminer et apprendre la vie dans un monde où la différence est une richesse. Personne, absolument personne, n’a le droit de détruire ton, votre innocence.

Une opposition à toute forme d’escalade de la violence

Murielle Guilbert, codéléguée générale de Solidaires

L’union syndicale Solidaires, membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes, fait partie des organisations œuvrant pour la paix et la solidarité internationale. Nous avons exprimé notre soutien au peuple ukrainien et à toutes celles et tous ceux qui résistent à l’oppression et la guerre, en particulier en Ukraine et en Russie. Face à la répression, leur courage est exemplaire. Nous sommes signataires de l’appel interorganisations national qui dit non à la guerre en Ukraine et qui plaide pour une solution politique négociée.

Dire non à la guerre n’est pas une position naïve ou lâche. Il est important, pour Solidaires, d’exprimer notre opposition à toute forme d’escalade de la violence qui pourrait s’étendre d’une manière totalement incontrôlée. Nous condamnons l’attaque de Poutine, qui joue la menace nucléaire et dont on ne sait pas jusqu’où ira la soif de pouvoir. Le système capitaliste porte en lui et engendre la violence, les oppressions et les guerres.

Concrètement, notre solidarité internationale nous amène à agir en participant aux mobilisations unitaires contre la guerre, en prônant la voie diplomatique, y compris par des pressions économiques, en défendant le droit à l’auto- détermination des peuples d’Ukraine libérés de la volonté de contrôle de la Russie mais aussi de l’Otan.

Mais aussi par exemple en exigeant avec la fédération SUD rail, membre de Solidaires, du gouvernement d’assurer la gratuité des déplacements pour tous les Ukrainien·nes et l’ensemble des réfugié·es fuyant la guerre (ce qui a été accordé). Nos revendications pour l’accueil et le traitement digne des réfugié·es et la liberté de circulation et d’installation sont aussi en parfaite adéquation avec notre position contre la guerre, aujourd’hui.

Organiser l’accueil des réfugiés est une priorité absolue

Renée Le Mignot, présidente honoraire du Mrap

L’intervention militaire en Ukraine, ordonnée par Poutine, a déjà fait des centaines de victimes parmi la population civile, des femmes, des enfants. Le Mrap condamne fermement cette agression d’un État souverain et apporte sa solidarité au peuple ukrainien. Quels que soient les problèmes qui peuvent se poser dans la région, la guerre ne peut être la solution. En apportant son cortège de destructions, de morts, de souffrances, elle ne fait que rendre plus difficile une solution politique. Des centaines de milliers de personnes fuient les bombardements ; aider à organiser leur accueil est une priorité absolue. Les sanctions économiques constituent une arme à l’encontre de la Russie ; pourront-elles faire reculer Poutine ? Nous espérons qu’elles le conduiront à la table des négociations, car c’est la seule voie possible.

Un élément essentiel pour retrouver la paix est le respect du droit international, incarné depuis 1945 par l’ONU et sa charte dont nous avons trop tendance à oublier le préambule : « Nous, peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre… » Le principe pour éviter la multiplication des conflits à travers le monde est le respect des États dans des frontières reconnues internationalement. Aujourd’hui, Poutine brandit la menace nucléaire, c’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu ; souvenons-nous d’Albert Einstein : « Je ne sais pas de quoi sera faite la troisième guerre mondiale, mais ce que je sais, c’est que la quatrième sera faite de pierres et de bâtons. » N’attendons pas d’être revenu à l’âge de pierre pour interdire l’arme nucléaire ! La lutte pour le désarmement est plus que jamais d’actualité, mobilisons-nous pour que tous les États, dont la France, signent le traité sur l’interdiction de l’arme nucléaire (Tian). 67 % des Français y sont favorables.

Une des raisons qui ont poussé Poutine à cette agression est la crainte de voir l’Ukraine intégrer l’Otan ; c’est en effet le souhait des États-Unis. Ils ont abordé cette question depuis 2008 à Bucarest (la France, l’Allemagne, avec raison, avaient dit non). L’histoire de ces vingt dernières années l’a prouvé, l’Otan est une menace pour la paix, le Mrap demande sa dissolution et, en attendant, le retrait de la France. Enfin, nous devons affirmer notre solidarité avec les pacifistes russes qui manifestent avec courage contre la guerre, plusieurs milliers d’entre eux ont été arrêtés, notamment à Moscou et Saint-Pétersbourg ; ils sont en danger.

La France a un rôle important à jouer pour la paix

Fabien Roussel secrétaire national du PCF

Je tiens à exprimer toute notre solidarité au peuple ukrainien. C’est d’abord à toutes ces femmes, ces hommes, ces enfants exposés aux bombes, à ces familles contraintes à l’exil, que je pense. Je leur dis que la France est à leurs côtés. Organisons-nous pour accueillir dans chacune de nos communes des réfugiés. Et que chaque pays de l’UE prenne sa part. Je condamne fermement le choix des armes et du sang par le président russe. Vladimir Poutine, l’irresponsable, le va-t-en-guerre, met en péril l’avenir de l’humanité avec cette froideur et ce cynisme qui caractérisent les régimes autoritaires. Si la volonté d’implanter des bases de l’Otan aux portes de la Russie doit être condamnée, elle ne peut en rien excuser l’action du président russe. Et la course aux armements engagée au cours de ces dernières années par les grandes puissances fait peser sur le monde la menace d’une destruction à grande échelle.

La France a un rôle important à jouer pour la paix ! Le Parlement doit se prononcer à chaque étape sur les décisions à prendre. Notre pays doit prendre des sanctions politiques, diplomatiques et économiques fortes afin de contraindre le président russe au cessez-le-feu et à s’asseoir à la table des négociations. Et nous serons d’autant plus unis que nous agirons pour faire respecter le droit international partout, pour tous les peuples. Quand la France refuse les logiques de blocs, quand elle affirme sa pleine indépendance pour dire la justice et le besoin de paix, elle est entendue des peuples du monde.

La France doit dire haut et fort que sa priorité est le cessez-le-feu, le retrait des troupes russes d’Ukraine et une solution diplomatique, politique durable. Ouvrons tous les espaces de dialogues possibles et proposons que les Nations unies relancent le processus réunissant l’ensemble des États européens avec l’Ukraine et la Russie. Enfin, nous avons besoin de la mobilisation populaire ! Notre peuple doit se lever, uni dans sa grande diversité, soutenir le peuple ukrainien, tendre la main aux pacifistes russes, et faire entendre cette voix forte et symbolique des travailleurs, des jeunes, des familles, unis pour la paix.

Cette guerre n’est  pas celle des peuples  russe et ukrainien

Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT

La CFDT condamne fermement l’attaque militaire menée par la Russie contre l’Ukraine. Cette attaque sans précédent constitue une agression totalement injustifiée qui foule aux pieds le droit international et menace gravement la sécurité en Europe. Cette guerre doit cesser et immédiatement. Les Ukrainiens doivent pouvoir vivre en paix dans un État démocratique et souverain. La CFDT réaffirme toute sa solidarité à l’égard des Ukrainiens et du mouvement syndical ukrainien.

Afin de résister à l’envahisseur, la population ukrainienne s’organise et affronte avec un courage incommensurable les horreurs qu’engendre la guerre. Il est aussi bon de mentionner le courage des milliers de manifestants russes qui se rassemblent pour dénoncer la guerre en dépit de la répression des autorités russes. Cette guerre n’est ni celle du peuple russe, ni celle du peuple ukrainien. C’est la guerre de Vladimir Poutine. L’invasion de l’Ukraine nous fait entrer dans une nouvelle ère, qui exige plus que jamais l’unité des Européens. Les premières réponses européennes pour venir en aide aux Ukrainiens et les sanctions imposées à la Russie vont dans le bon sens.

Ce sursaut européen face à la menace du président Poutine est inédit. Il est impératif que les États membres consolident cette posture en restant unis. Avec la Confédération européenne des syndicats (CES), la CFDT appelle au maintien des pressions financières et économiques sur la Russie et à l’accentuation des sanctions visant les soutiens du régime de Poutine. La CFDT continuera de participer aux différentes initiatives de soutien au peuple ukrainien, notamment de celles et ceux qui ont fui la guerre. Un fonds de solidarité a été mis en place par la Confédération syndicale internationale (CSI) pour soutenir la population ukrainienne, la CFDT y a contribué et invite les travailleurs en France à le faire. Solidarité avec les Ukrainiennes et les Ukrainiens.

L’appel à la solidarité populaire, citoyenne et universelle

Corinne Makowski secrétaire nationale du Secours populaire

Le Secours populaire français (SPF), fidèle à ses valeurs, celles de la déclaration universelle des droits de l’homme, soutient au plan matériel, sanitaire, moral et juridique les personnes et leurs familles victimes de l’arbitraire, de l’injustice sociale, des calamités naturelles, de la misère, de la faim, du sous-développement, des conflits armés. Les populations civiles sont et seront les premières victimes de la guerre. Des personnes et familles, dont des personnes âgées, des enfants, fuient en Ukraine la peur et les bombes pour se retrouver hébergées par des proches, dans des abris de fortune ou hors de leur pays.

D’autres populations en Europe et au-delà vont subir les conséquences de ce conflit et vivre ou survivre difficilement. Les sentiments de haine engendrés nourrissent le rejet de l’autre et la xénophobie, que ce soit en Ukraine, en Russie, en Europe comme sur la planète. Depuis de nombreuses années, le SPF, avec son mouvement d’enfants Copain du monde, prend sa part dans une démarche porteuse d’une culture de la paix en agissant en France et main dans la main avec des acteurs locaux partenaires du SPF dans plus de 80 pays.

Nous appelons à ce que la solidarité populaire, citoyenne et universelle s’exprime et trouve un large écho auprès de toutes celles et tous ceux qui veulent agir. Être solidaire des populations civiles et des enfants en particulier est et sera un message porteur du sens que l’on donne à l’humanité et pour que tous les enfants et les jeunes puissent garder espoir dans leur avenir.

L’objectif, c’est un cessez-le-feu immédiat

Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH)

Le droit international a été violé de manière particulièrement scandaleuse par la Russie. Il n’y a même pas eu de déclaration de guerre, mais directement une invasion militaire, visant à éliminer un régime démocratique aux frontières de l’Union européenne. Ce drame est aujourd’hui l’occasion de réveiller ces outils du droit international qui permettent de sanctionner ces dictateurs qui décident de défier l’humanité et son idéal de paix. Cette guerre nous rappelle aussi à nos devoirs vis-à-vis des opposants à ces dictateurs.

Quand les libertés sont bafouées et que rien ne se passe, à chaque fois, ces chefs d’État tyranniques vont plus loin dans la violence. Et aujourd’hui dans l’agression militaire. Cela doit amener une prise de conscience collective sur l’urgence à soutenir le peuple ukrainien, mais aussi les défenseurs des droits en Russie, ceux qui ont le courage de manifester leur opposition à cet acte individuel d’un gouvernement totalitaire.

Cela vaut pour la Russie aujourd’hui, mais aussi pour d’autres puissances demain qui pourraient être tentées d’agrandir leur territoire, ou de mater leurs opposants, par la force. Il faut que la communauté internationale, unie, mette un coup d’arrêt très clair à ces pratiques et refuse la guerre. L’objectif, c’est un cessez-le-feu immédiat, le retrait des troupes russes d’occupation et des négociations pour une paix durable. Avec les sanctions et l’engagement des opinions publiques, on a les moyens de faire céder Poutine.

Pour une insurrection des peuples et des consciences

Roland Nivet, porte-parole national du Mouvement de la paix

Les peuples en Europe et partout dans le monde doivent s’unir pour apporter leur soutien au peuple ukrainien et empêcher que ne se déclenche le pire des scénarios, à savoir l’éclatement d’une guerre totale au cœur de l’Europe. Ils doivent se lever dans l’action unie et sur la base de leur aspiration commune à vivre ensemble dans la solidarité, la justice, la fraternité et la paix pour dire que la guerre est toujours un échec, elle ne conduit qu’au chaos et enfante toujours des monstruosités dont sont victimes les populations civiles.

Il est encore temps d’arrêter l’engrenage militaire, à condition que les peuples, conscients de leur force, fassent prévaloir le respect de la charte des Nations unies à travers des mobilisations énormes. C’est une véritable insurrection des consciences et une levée en masse qui sont nécessaires en condamnant l’agression de la Russie, en exigeant un cessez-le-feu, en demandant le retrait des troupes russes, mais aussi en exigeant que les dirigeants du monde, dans le cadre de l’ONU, trouvent des solutions pour une reprise immédiate des négociations et une issue diplomatique.

L’humanité  n’a d’autre chemin que le développement de l’amitié entre les peuples.

Si le monde est à un tournant historique, comme le dit le président de la République, ce tournant doit être celui qui, dans l’intérêt des Ukrainiens et des Russes mais aussi de tous les peuples du monde, en finira définitivement avec les politiques d’insécurité basées sur des logiques de puissance, de militarisation, de domination financière, d’exacerbation des logiques et de la culture de la guerre et du militarisme en violation de la charte des Nations unies. Lorsque la force prévaut sur le droit, la guerre se développe et sème la désolation. Les peuples de Yougoslavie, d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie, de Libye, etc., peuvent témoigner à travers des centaines de milliers de morts que les politiques de force ne conduisent qu’à la destruction de pays entiers.

Les peuples, par leurs mobilisations, doivent contraindre les forces politiques mais aussi économiques et financières qui sous-tendent ces politiques de domination, tant à travers les lobbies militaro-industriels, le contrôle de trop de médias, la violation systématique du droit international, à prendre une autre direction.

Nous avons le pouvoir d’empêcher le pire mais également d’ouvrir la porte vers des alternatives immédiates pour que cesse l’agression russe en Ukraine, et aussi à plus long terme. En effet, pour son avenir, l’humanité n’a d’autre chemin que la paix, que des politiques de coopération aux plans économique, scientifique, culturel et politique. Elle n’a d’autre chemin que le développement de l’amitié entre les peuples en revalorisant le rôle d’institutions de l’ONU comme l’Unesco, en obtenant l’élimination totale des armes nucléaires, en contribuant à mettre fin à des organisations militaires comme l’Otan, dont l’existence est illégale au regard de l’esprit de la charte des Nations unies, et en renouant avec l’esprit de l’acte final d’Helsinki pour une sécurité mutuelle en Europe.

Les travailleurs  n’ont rien à gagner à une nouvelle guerre

Philippe Martinez secrétaire général de la CGT

Le droit à la paix, à la sécurité et à la liberté de circulation de tout être humain doit constituer une obligation fondamentale des États et des institutions internationales. La paix n’est pas seulement l’absence de guerre mais c’est aussi le principe sur lequel doivent se fonder les rapports humains. En ce sens, le progrès social, l’obtention de droits sociaux pour l’ensemble des populations favorisent une paix durable.

Pour la CGT, les travailleuses et les travailleurs, quelles que soient leurs origines, sont les premières victimes des guerres. La misère, le désespoir, la croissance des inégalités sociales, le chômage alimentent les conflits sur la planète. Les combattre pour les éradiquer est une des conditions pour gagner une paix durable sur l’ensemble de la planète. La prévention durable des conflits nécessite d’investir dans les cultures de la paix et de disposer d’institutions dédiées à la résolution non violente des conflits. Cela suppose de redonner tout son sens à l’ONU et à son rôle essentiel dans la prévention des conflits. La France doit contribuer aux côtés de pays progressistes à faire triompher, à l’ONU notamment, la recherche de la paix par la voie politique et le multilatéralisme.

Depuis le 24 février, la vie de millions d’Ukrainiens et de Russes est bouleversée par le conflit armé opposant les deux États. Face à une guerre qui, une fois de plus, se traduira par des morts, des destructions et des reculs sociaux, la CGT est aux côtés des travailleuses et travailleurs des pays concernés mais aussi des pays limitrophes de l’Ukraine.

Tous les peuples sans exception n’ont rien à gagner à une nouvelle guerre. Les urgences pour les populations et toute l’humanité sont la paix, la préservation de l’environnement, la justice sociale, le respect des droits humains et le désarmement. La CGT n’aura de cesse de revendiquer haut et fort le droit à la paix, à la sécurité, le droit effectif à la non-discrimination de tout être humain et de l’ensemble des populations.

Des sanctions  ciblées pour pousser la Russie à négocier

Mathilde Panot, présidente du groupe FI à l’Assemblée nationale

La guerre menée par la Russie en Ukraine est inacceptable et bafoue toutes les règles du droit international. Nos pensées et notre solidarité vont d’abord au peuple ukrainien. L’accueil des réfugiés et toute l’aide humanitaire nécessaire doivent être organisés. Sauf à aller à la guerre totale entre puissances nucléaires, la solution ne peut être que diplomatique. Il faut donc créer les conditions d’une désescalade, qui passe par un cessez-le-feu, un retrait des troupes russes du territoire ukrainien et la sécurisation des seize sites nucléaires dont Tchernobyl. Construire la paix suppose de tout mettre en œuvre pour ramener Vladimir Poutine à la table des négociations.

La priorité du dispositif de sanctions doit aller au gel des avoirs du président et des oligarques russes. Cela implique de s’émanciper des liens entre oligarchies russe et européenne, et de lutter effectivement contre les blanchisseurs d’argent. Les sanctions d’ordre commercial, elles, affecteraient tous les peuples d’Europe. En matière énergétique, elles favoriseraient franchement les intérêts états-uniens. Ce sont donc des sanctions ciblées mais vigoureuses qui, portant sur les oligarques russes et Poutine, doivent pousser la Russie à négocier. Que l’Ukraine rejoigne l’Union européenne ou que l’Otan s’élargisse, comme le propose la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, est hasardeux et nourrirait une escalade.

La France, par son histoire et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, est l’une des seules puissances à pouvoir faire œuvre de diplomatie. C’est le sens de notre proposition d’une conférence sur les frontières dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). La France s’inscrirait ainsi dans sa tradition diplomatique d’indépendance et de non-alignement. C’est d’ailleurs une position largement exprimée ces jours derniers : Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin et Jean-Luc Mélenchon ont tous fait valoir les intérêts de la paix et le rôle singulier que la France avait à jouer pour qu’elle advienne.

publié le 4 mars 2022

Un 8 mars placé sous le signe de la grève et de l’égalité salariale

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

La grève du 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, fera la part belle aux enjeux du travail. Égalité professionnelle, revalorisation des salaires dans les secteurs majoritairement féminins… Des organisations syndicales comptent mettre en avant ces luttes pour ce 8 mars particulier – parce qu’il s’inscrit en fin de quinquennat, au sortir d’une crise sanitaire supportée par les travailleuses du soin et du lien. 

 La grève du 8 mars de cette année aura une teneur particulière. D’abord, la solidarité internationale entre mouvements féministes sera plus que jamais à l’honneur. Lors d’une conférence de presse le 1er mars, les représentantes des collectifs et organisations signataires de l’appel unitaire ont exprimé leur soutien aux femmes d’Europe de l’Est, en première ligne du conflit. Ensuite, parce que les élections présidentielles approchent. La grève du 8 mars marquera donc la « fin d’un quinquennat qui n’a rien fait pour l’égalité professionnelle et les violences faites aux femmes », expose Sigrid Girardin, co-secrétaire générale du Snuep FSU.

Les organisations syndicales mobilisées pour cette journée (CGT, Solidaires, FSU,…) ont en commun des commissions internes dédiées à la lutte contre le sexisme et pour l’égalité professionnelle. Mais s’engager dans la grève du 8 mars n’a rien d’évident. Pour certains syndicats, historiquement moins mobilisées sur ces questions, « c’est plus laborieux », glisse Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT en charge de l’égalité femmes-hommes.

Même dans les syndicats les plus avancés, le mot d’ordre « grève féministe » fait grincer des dents. « Ça a interpellé dans nos syndicats. Certains hommes nous ont dit : “comment ça, une grève ? Une grève, c’est quelque chose de grave… Attention, il ne faut pas diviser le mouvement social…” » soupire Murielle Guilbert, de Solidaires. 

« Il faut tirer les leçons de la crise »

 Pourtant, construire un 8 mars unitaire, en y faisant peser des revendications salariales, est plus que jamais d’actualité. « Bien sûr, ce n’est pas que la question de l’égalité professionnelle. S’il y a des violences sexistes et sexuelles au travail, il n’y a pas d’évolution de carrière… S’il n’y a pas d’éducation non-sexiste, on rate aussi une marche importante… Tous ces sujets sont imbriqués », souligne Murielle Guilbert.

Tout de même : depuis deux ans, la crise sanitaire et sociale est passée par là. « Ce qu’on dénonce à longueur d’années a pris plus d’ampleur pendant cette pandémie », résume la responsable de Solidaires. Les femmes ont été les plus touchées par ses effets. Il y a la hausse des violences conjugales et intrafamiliales durant les confinements. La charge mentale décuplée. Mais aussi les conséquences sur l’emploi. D’après les chiffres du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, pas moins de 41 % des femmes ont vu leur revenu diminuer pendant la crise sanitaire. En juillet 2020, 11 % des femmes entre 18 et 34 ans ont déclaré avoir perdu leur emploi, contre 9 % des hommes.

« Il faut tirer les leçons de la crise », presse Sophie Binet de la CGT. Nombre de secteurs n’ont pas attendu pour le faire. Durant l’année et demie qui vient de s’écouler,  des « mobilisations sans faille des femmes ont eu lieu. Et ce, dans des métiers très féminisés, qui n’ont pas bénéficié de politiques ambitieuses en termes de revalorisation salariale et de carrière. Il faut continuer à batailler auprès de ces femmes », appuie Sigrid Girardin de la FSU. Parmi ces dernières : les AESH. Leur lutte est citée en exemple par les intervenantes de la conférence de presse. « Elles sont à 93 % des femmes. Et elles gagnent moins de 800 euros par mois : sous le seuil de pauvreté » déplore Sigrid Girardin. Pourtant, les AESH sont à la croisée des deux prétendues « grandes causes » du quinquennat : le handicap, et les femmes. 

Revaloriser les métiers de première et seconde ligne

 D’autres franges du salariat majoritairement féminines se sont fait entendre ces derniers mois. Travailleuses sociales, infirmières, enseignantes, assistantes maternelles, soignantes… Autant de salariées de première et seconde ligne pendant la crise sanitaire. « On exige la revalorisation salariale de ces métiers féminisés, la reconnaissance de leurs compétences » martèle Murielle Guilbert.

En toute première ligne, demeurent les travailleuses sans-papiers. Celles-ci se retrouvent « dans des secteurs en tension, principalement dans le nettoyage » rappelle Ana Azaria, du collectif Femmes Égalité. Ces dernières bataillent pour obtenir une régularisation. Prétendre à une admission au titre du travail implique de disposer d’une promesse d’embauche… au SMIC, au minimum. Or, les secteurs où elles décrochent quelques heures sont très précaires. Ana Azaria dénonce une politique « hypocrite. On sait qu’elles sont là, et ça arrange tout le monde ! ». Avec l’engorgement des préfectures et la dématérialisation croissante, les casse-tête administratifs empirent. Certaines perdent leur titre de séjour au moment du renouvellement… Et leur emploi. Le cortège de la grève du 8 mars leur donnera la parole.

Sigrid Girardin insiste, elle sur les mobilisations de ces derniers mois dans la fonction publique. « Il y a un préjugé tenace : l’idée que les statuts dans la fonction publique protègeraient des inégalités. Or, c’est faux. Les femmes y gagnent un quart de moins de salaire que les hommes ! » De quoi rappeler la responsabilité de l’État, premier employeur en France. La lutte contre les inégalités professionnelles ne se jouent pas seulement dans le contrôle des employeurs privés. 

Le combat pour l’égalité salariale à poursuivre

 Il existe bien un index de l’égalité professionnelle dans les entreprises, développé par le ministère du Travail. Mais voilà : « 99,9 % des entreprises ont eu plus de 75 sur 100 à l’index, donc elles ne seront pas sanctionnées » relève Sophie Binet. Or, l’écart salarial entre hommes et femmes dans le privé est toujours de 28,5 % selon les derniers chiffres de l’INSEE. « On voit bien qu’il y a un problème…»

Et pour cause : cet index repose sur un système d’auto-notation. « Ni les syndicats ni l’inspection du travail n’ont un regard là-dessus. Encore moins un pouvoir de sanction », explique Sophie Binet. En outre, plusieurs modes de calcul lissent les écarts et seraient à revoir, selon elle. La CGT oeuvre en ce sens, au niveau national… Comme au niveau européen. Car une directive européenne sur la transparence salariale est en cours de négociation.

Mettre en lumière cet enjeu le 8 mars apparaît d’autant plus crucial. « On est très inquiets des positions que prendra Emmanuel Macron à ce sujet », indique Sophie Binet, alors que la France a pris la présidence de l’Union Européenne. Les organisations syndicales craignent que la directive ne suive le même modèle, peu efficient, de l’index utilisé en France. « L’index actuel, c’est l’inverse de la transparence… Il organise l’opacité sur les écarts de salaire », juge-t-elle. 

La grève du 8 mars pour marquer un mois de mobilisation interprofessionnelle

 « Le rôle des syndicats sur ces questions reste majeur, pour ce 8 mars et au-delà » conclut Murielle Guilbert. De la même manière que la CGT, Solidaires a lancé une campagne internationale sur l’égalité salariale. Une cause « centrale » pour l’année qui se joue, en raison des présidentielles. Mais aussi parce que le calendrier des mobilisations pourrait la porter haut et fort.

Les mobilisations actuelles dans le secteur de la santé, du travail social, ou encore la grève de la RATP du 25, dynamiseront le mois de mars. Sans compter la journée de grève interprofessionnelle du 17 mars. « C’est le mois que l’on appelle “le vent se lève”, parce qu’il y a plein de secteurs qui vont faire grève », sourit Murielle Guilbert. « On espère que le 8 mars sera un point important pour initier cette mobilisation interprofessionnelle ».

C’est aussi ce qu’espèrent les autres responsables d’organisations et de collectifs présentes lors de la conférence de presse du 1er mars. Toutes le concèdent : la pandémie a porté un coup aux mouvements sociaux. La grève du 8 mars leur apparaît comme l’occasion de mettre en lumière les secteurs qui sont malgré tout restés en lutte. Et, peut-être, d’impulser une nouvelle vitalité.


 


 

Égalité des sexes :
le triste bilan de Macron

Luis Reygada sur www.humanite.fr

Travail Le rapport publié jeudi par Oxfam vient confirmer l’insuffisance des moyens mis en œuvre durant le quinquennat pour résorber le fossé des inégalités, notamment en matière professionnelle et économique.

Rendez-vous manqué. À cinq semaines du premier tour de l’élection présidentielle, le rapport rendu public ce 3 mars par l’ONG Oxfam (1) juge sévèrement le bilan du président Emmanuel Macron, qui avait promis de faire de l’égalité femmes-hommes la « grande cause nationale » de son quinquennat. Celui qui, en 2017, disait être un « candidat féministe » est loin de s’être montré à la hauteur des enjeux. « Nous prenons acte des efforts mais les mesures entreprises n’ont pas permis de transformer un système profondément sexiste, note le document de près de 50 pages. Les moyens ont été trop faibles et de multiples erreurs et ambiguïtés ont questionné la réalité de l’engagement. »

Les auteures du rapport reconnaissent que des engagements allant dans la bonne direction ont été pris par les pouvoirs publics en matière de « diplomatie féministe » et de « droits sexuels et reproductifs », mais l’action gouvernementale est qualifiée d’ « insuffisante » en matière de « budget dédié à l’égalité femmes-hommes » et de « lutte contre les violences ». Le compte n’y est pas du tout dans une société où « les femmes continuent de gagner et posséder moins que les hommes ». Le document pointe de nombreuses insuffisances tout en rappelant que les femmes « sont surreprésentées dans les emplois les plus précaires et les moins valorisés, exclues des sphères de pouvoir et assurent une part disproportionnée des tâches domestiques non rémunérées au sacrifice de leur vie professionnelle ».

« Il aurait fallu beaucoup plus d’ambition »

« Ce qu’on attendait, c’étaient de grandes mesures structurelles qui transforment le système en profondeur », explique Sandra Lhote-Fernandes. « Il aurait fallu beaucoup plus d’ambition », insiste la responsable plaidoyer chez Oxfam France, qui remarque que la « grande cause du quinquennat » n’a bénéficié que de 0,25 % du budget de l’État. « Il y a un écart trop important entre l’affichage politique et la réalité des moyens alloués », souligne-t-elle. Si des actions ont bien été entreprises, comme le renforcement des obligations de transparence en matière d’égalité professionnelle, l’introduction de quotas dans la direction des grandes entreprises ou encore l’augmentation des salaires dans le secteur – très féminisé – de la santé, l’ONG juge néanmoins ces dispositions insuffisantes. « Oui le congé paternité a été allongé (de onze à vingt-huit jours – NDLR), mais on partait d’une situation scandaleuse », rappelle la responsable d’Oxfam. « Et ça reste insuffisant pour faire pleinement face aux enjeux d’égalité des droits, de répartition des tâches domestiques et parentales et de discrimination dans le cadre du travail. » Alors que l’Unicef préconise un congé parental payé d’au moins six mois pour les deux parents, Oxfam ne se prive pas de comparer les quatre semaines françaises aux seize semaines accordées en Espagne, trente-quatre au Danemark ou encore soixante-dix-huit en Suède.

D’autres mesures sont quant à elles carrément jugées contre-productives, comme l’index de l’égalité professionnelle. Des paramétrages de calcul biaisés permettraient en effet aux entreprises d’obtenir de très bons scores (note moyenne de 86/100 l’année dernière), reflétant donc assez mal la réalité. « L’index permet un certain “gender washing” et les entreprises peuvent se prévaloir d’une bonne image comme s’il n’y avait pas encore 16,5 % d’écart de salaire entre femmes et hommes à poste égal », souligne Sandra Lhote-Fernandes. La revalorisation des salaires des métiers fortement féminisés (institutrices, aide à la personne, entretien…) représente un autre point noir de ce quinquennat, tout comme le « droit à la garde d’enfants ». Alors qu’Emmanuel Macron avait promis l’ouverture de 30 000 places supplémentaires en crèche, on n’en dénombre aujourd’hui que la moitié. Les estimations les plus basses font pourtant état de besoins à hauteur de 230 000 places ! Sur 2,3 millions d’enfants de moins de 3 ans, 40 % n’ont aucune solution de garde, une situation qui représente un véritable frein à l’autonomisation économique des femmes, qui se voient obliger de renoncer à travailler pour s’occuper de leur progéniture.

« Il faut vraiment mettre les moyens sur la table et mettre en place des mesures ambitieuses si on veut transformer un système sexiste et patriarcal qui pénalise encore beaucoup trop les femmes », conclut Sandra Lhote-Fernandes. Son organisation attend un engagement fort du prochain président de la République et demande « 1 milliard d’euros et un plan d’urgence » pour réellement changer les choses. « Nous n’accepterons pas moins. » 

(1) Rapport réalisé en collaboration avec Equipop et Care, avec la contribution de la Fondation des femmes, du Planning familial et de One France.

publié le 3 mars 2022

Candidats des inégalités :
à droite, les injustices fiscales et sociales au programme -
Un rapport d’ATTAC

par Attac France, Observatoire de la justice fiscale sur https://france.attac.org/

A la veille de la date limite de recueil des parrainages et alors que la candidature du président sortant doit enfin être annoncée, Attac, avec l’Observatoire de la justice fiscale, publie aujourd’hui son nouveau rapport sur « Les candidats des inégalités ».

Notre association y analyse les propositions socioéconomiques d’Emmanuel Macron, de Valérie Pécresse, de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour et pointe leur troublante similarité. Si bien sûr ces candidats ont des parcours et des sensibilités différentes, c’est bien le même logiciel néolibéral qui guide leurs projets, qui tous, déboucheraient sur une nouvelle offensive contre le modèle social français.


 

Un nouveau quinquennat des inégalités ?

Alors que le dernier quinquennat a été marqué par un enrichissement indécent des milliardaires et d’une pluie records de dividendes pour les actionnaires, en même temps, il a été celui de l’intensification de la pauvreté. 7 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire pour vivre, soit 10% de la population française, et 4 millions de personnes supplémentaires sont en situation de vulnérabilité. Le quinquennat Macron est définitivement celui des inégalités.

C’est à son issue que ce rapport reprend et analyse les propositions économiques et fiscales du président sortant, ainsi que des trois autres principaux candidats de la droite. Son contenu est issu des ébauches de leurs programmes rendues publiques jusqu’ici, mais aussi des déclarations qu’ils et elles ont pu faire dans les médias.

S’il existe bien sûr des différences entre ces quatre candidats, notamment sur leur rapport au monde et à l’étranger, tous portent des propositions socioéconomiques comparables. Tous s’inscrivent dans une forme de surenchère pour approfondir la logique néolibérale, qui n’aboutira qu’à aggraver les injustices fiscales et sociales. Tous sont ainsi susceptibles de creuser des inégalités déjà considérables, et à la racine d’un mécontentement latent dans le pays.

Fort avec les faibles, faible avec les forts

Aucun des « candidats des inégalités » ne veut renforcer la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. En revanche, tous parlent de renforcer la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Pourtant celle-ci est estimée à 3 milliards d’euros, contre 80 milliards d’euros pour la fraude fiscale. Et chaque année, plus de 10 milliards d’euros d’aides sociales ne sont pas réclamés par leurs potentiels bénéficiaires.

Alors qu’Emmanuel Macron a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour le remplacer par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) au bénéfice des 350 000 personnes les plus riches, Valérie Pécresse et Eric Zemmour proposent d’affaiblir l’IFI en créant de nouvelles exonérations. De son côté, Marine Le Pen veut un impôt sur la fortune financière et ne plus imposer l’immobilier, ce qui rapporterait également moins que l’ISF historique.

Les 4 « candidats des inégalités » sont également d’accord pour baisser les droits de donation et de succession, et en ont fait un enjeu important, ce qui bénéficierait massivement aux personnes qui ont un patrimoine important à transmettre. Rappelons que selon France Stratégie, 85 % des successions sont déjà exonérées d’impôts. Tous veulent également poursuivre la baisse des impôts de production, comme le réclame le Medef, alors même que cela profitera surtout aux grandes entreprises dont les taux de marge sont aujourd’hui historiquement élevés et qui ont largement profité de la baisse de l’impôt sur les sociétés pendant le quinquennat Macron. Ces cadeaux fiscaux auraient un impact important sur les recettes de l’État, ce qui aurait nécessairement pour effet de réduire le périmètre et les moyens de l’action publique. C’est pourtant la protection sociale et les services publics qui permettent de diminuer les inégalités : par conséquent, en les affaiblissant, les inégalités ne pourraient qu’augmenter plus rapidement.

Les inégalités : un choix politique

Concernant le pouvoir d’achat, aucun des « candidats des inégalités » ne propose de revaloriser le SMIC ni les salaires de façon contraignante, mais Valérie Pécresse, Eric Zemmour et Marine Le Pen promettent une meilleure rémunération du travail en réduisant les cotisations sociales. C’est un non-sens total. Une telle baisse signifierait nécessairement une diminution des ressources de la Sécurité sociale, ce qui justifierait demain de nouvelles contre-réformes des retraites ou des allocations chômage. Emmanuel Macron, lui, s’abstient de toute proposition, dans la lignée de son action depuis 2017.

En matière de retraites, Emmanuel Macron promet une « réforme » guidée par le principe de « travailler plus longtemps » risquant de se traduire par une baisse du niveau des pensions. Valérie Pécresse dit vouloir repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans, contre 64 ans pour Eric Zemmour, tandis que Marine Le Pen a abandonné sa promesse de retraite à 60 ans.

Alors que Marine Le Pen, Eric Zemmour et Valérie Pécresse se disputent le titre de principal opposant à Emmanuel Macron, lorsque l’on s’intéresse à leurs programmes socioéconomiques, il est troublant, pour ne pas dire confondant, d’observer la similarité de leurs propositions.

Nos 4 candidats des inégalités ont le même projet économique, hérité d’une tradition conservatrice qui n’a de cesse de combattre les impôts directs et le développement de l’action publique. Leurs choix politiques n’auront qu’une conséquence, creuser les inégalités, aux dépens des plus précaires, du consentement à l’impôt et de la cohésion sociale.


Pour accéder au rapport et à sa synthèse : https://france.attac.org/8203

 publié le 3 mars 2022

Ukraine, Vite La paix !

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Halte au feu ! Arrêtez la guerre ! Ces cris angoissés montent depuis la foule des rassemblements pour la paix de par le monde. Le mouvement de  la culture et du sport – avec un courage inouï dans plusieurs villes de Russie - renforce la détermination à faire cesser le fracas des missiles, le cliquetis des fusils et le martèlement sourd des chenilles des chars russes. Par Patrick Le Hyaric.

Nous sommes de tout cœur avec les citoyens et travailleurs Russes qui agissent pour la paix. Et, nous réclamons leur liberté de s’exprimer et de manifester. Là-bas comme ici, à l’unisson nous crions : démocratie et désarmement. Ces mots pour la paix sortent de nos cœurs serrés à la vue des images qui nous parviennent de ces familles séparées quand les hommes partent assurer la défense civile, des mères protégeant de leur bras leurs enfants pour courir vers les sous terrains glacés du métro.

Des centaines de milliers de familles fuient le fer et le feu par la route pour se réfugier en Roumanie, en Pologne, en Moldavie ou ailleurs. Nos pays d'Europe doivent les accueillir et les protéger.

La rage et les larmes nous envahissent devant l’insupportable brutalité du petit Tsar de Moscou, ordonnant, avec un cynisme glacial, à l'armée russe de détruire rues, places et habitations, de tuer sans ménagement des civils.

La cour pénale internationale jugera ces crimes de guerre. Le cœur du maître du Kremlin doit être fait du même marbre que la longue table à laquelle il reçoit ses invités.

Oui, l’urgence est de tout faire pour que la raison l’emporte. Tout faire pour retrouver le chemin des discussions, reprendre les voies de la diplomatie. Non pas, à partir des fantasques projets de reconstruire le Grand empire russe de l’hôte du Kremlin, mais à partir de l’intérêt des peuples, du respect mutuel et de celui de tous les engagements pris.

Ceux du Parlement ukrainien en 1991 de rester un pays adhérent ni d'un camp ni d'un autre. Ceux des Russes qui ont signé un traité reconnaissant l’Ukraine comme un État souverain. Et enfin, la promesse de ne pas élargir l’OTAN aux frontières de La Russie. C’est le seul chemin pour éviter le pire. Le chemin de la paix humaine et de l’harmonie entre les peuples.

Et, négocier ne signifie en aucun cas accepter les bombes. Un cessez-le-feu est absolument nécessaire.  Rien ne sera possible sans retrait des troupes russe d’Ukraine.

Ne pas faire cet effort patient, porte le risque d’une autre menace, qu’il ne faut en aucun cas négliger, banaliser ou relativiser : celle d'une guerre généralisée dès lors que l’autocrate russe a brandi à plusieurs reprises l’utilisation de l‘arme nucléaire.

Le capitalo-nationalisme poutinien peut conduire au pire. Les citoyennes et citoyens de tous les pays européens en sont à juste titre inquiets. Rejeter le néant, c’est aussi éviter d’allumer la petite mèche qui embraserait toute l’Europe. Cela nécessite donc de ne pas rompre les contacts avec Moscou, comme le fait à juste raison La France. De discuter avec les dirigeants chinois et indien qui au conseil de sécurité de L’ONU n’ont pas ouvertement soutenu Poutine puisqu’ils se sont abstenu. Les contradictions d’intérêts des pays peuvent être exploitées pour stopper cette tragédie.  Il peut y avoir là une base de l’élargissement de l’isolement du pouvoir russe. D’autre part, il conviendrait de  mettre à l'ordre du jour des discussions à l’ONU et à l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la proposition de l’organisation d’une conférence pan-européenne visant à garantir la sécurité de chaque nation de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural. Une telle conférence devrait discuter notamment de la réduction des missiles de moyenne portée et de faire revenir dans les débats mondiaux l’enjeu de la dénucléarisation du monde. Dans un tel contexte, toute provocation ne fait qu’ajouter de la tension aux tensions. 

Parler « de guerre économique totale » contre la Russie c’est devenir belligérant et prendre le contrepied de l’indispensable désescalade. La position de la présidente de la Commission européenne disant vouloir accueillir l’Ukraine au sein de L’Union européenne libérale est plus que stupéfiante.

D’abord on ne rentre pas en quelques heures dans l’Union européenne. Pour y être intégré, Il faut répondre à un certain nombre de conditions -examinées sur plusieurs années- que l’Ukraine ne remplit pas aujourd’hui. Ensuite, il n’y a rien de tel pour donner un prétexte à M. Poutine de ne pas s'asseoir à la table des négociations. 

En effet derrière cette proposition il y a évidemment autre chose : En effet l’idée de certains est de créer les conditions de l’élargissement de la guerre puisque selon l’article 42 alinéa 7 du traité européen une clause de défense mutuelle conduit Les pays de L’Union européenne à venir en aide a un pays attaqué.  Dans ce cas précis les forces militaires notamment Française avec l’Otan deviendraient directement partie prenante. Ce serait l’embrasement.

Enfin, une telle intégration dans l’Europe capitaliste ne serait pas à l’avantage des travailleurs et du peuple Ukrainien. Par contre le grand capital international s’y implanterait plus fortement encore pour accentuer la concurrence entre les travailleurs européens.

Mieux vaut conforter l’accord d’association entre l’Union Européennes et l’Ukraine en vigueur depuis le 1 septembre 2017 en le réorientant sur des bases de progrès social et de développement humain commun.  Cela pose d’ailleurs la question de la nature de la construction européenne et milite pour une association de peuples et de nations souveraines, libres et associés pour un projet progressiste au service des hommes et de la nature. De même, l’envoi d’armes lourdes à l’Ukraine est porteur de risques. Il ne faut pas exclure que l’armée Russe tente de frapper ces convois générant des tensions aux frontières avec l’OTAN. Il n’y a pas non plus à se réjouir du « réarmement » de L’Allemagne.

La voie de la paix n’est ni dans un militarisme chauvin, ni dans les tentatives nationalistes qui déchirent le monde dans un combat intra-capitaliste de domination sans partage. L’avenir est à la créativité et à l’action résolue pour la coopération entre les pays et les peuples pour construire un monde commun, capable d’affronter les défis pour la santé, le recul de la pauvreté et les lourds défis climatiques dont le GIEC vient de nous rappeler cette semaine l’extrême urgence. La question de l’invention de nouvelles instances internationales est aussi posée. Celles qui existent se montrent incapables de résoudre pacifiquement les multiples conflits qui surgissent dans un monde bien différent de celui de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’enjeu aujourd’hui est de porter un projet global de sécurité humaine et de paix. Le projet relancé depuis quelques jours de construire une armée européenne, comme pilier de L’Otan ne s’inscrit pas dans un tel objectif.  D’ailleurs avec qui construire cette armée puisque les deux seuls pays détenteur de l’arme nucléaire sont la France et le Royaume Uni. Or, ce dernier vient de quitter l’Union Européenne.

C’est au contraire des initiatives de désarmement graduel, contrôlé et commun à toutes les nations qui ouvrirait de nouvelles possibilités pour que l’humanité puisse affronter les défis auxquels elle est confrontée.  Par exemple, cette guerre risque de relancer les énergies carbonées à rebours des décisions des conférences sur le climat et d'aggraver sensiblement le sort des travailleurs et des populations du monde entier avec la flambée des prix attisée par la spéculation des grands consortiums mondiaux. Il n’y a d’avenir pour la paix et l’harmonie du monde, ni dans les projets « euro-atlantique » ni ceux de « l’Eurasie » dans le cadre d’une bataille intra capitaliste et nationaliste. Priorité absolue doit être donnée aux œuvres de vie, pas à la multiplication de forces de guerre. C’est ce qui résonne dans les mouvements pour la paix dans les capitales européennes et au-delà. Solidarité entre les peuples ! Vite la paix !

publié le 2 mars 2022

Le logement, envolée
des prix… des inégalités

V. Monvoisin sur https://blogs.mediapart.fr

Dans un contexte où la dégradation du pouvoir d'achat s'accélère, la hausse des prix du logement joue un rôle fondamental. Besoin impérieux s'il en est, se loger devient le révélateur du creusement des inégalités et de la polarisation du patrimoine. Par V. Monvoisin, membre du collectif d'animation des Économistes Atterrés.


 

La question du logement n’occupe pas la place qu’elle devrait dans les débats publics et politiques. Et l’on peut regretter que cette question reste – encore à cette heure – marginale en cette période de campagne présidentielle alors qu’elle est bien présente dans plusieurs programmes de candidats de gauche. Ce besoin fondamental (Les Économistes atterrés, 2021[1]) est à la conjonction de notre vie privée, de notre rattachement à une communauté et de l’action politique et publique. En effet, si le logement faisait autrefois l’objet de politiques de grande ampleur, les politiques libérales actuelles s’accommodent mal de ce sujet qui nécessite des investissements importants et, ces dernières années, le logement a été délaissé par les pouvoirs publics.

Or la crise du logement est bien là. La crise sanitaire et ses ondes de chocs se sont traduites depuis plusieurs mois par une forte hausse sur les prix à la consommation : la hausse des prix de l’alimentaire et de l’énergie frappe de plein fouet les ménages et contribue à tendre encore un peu plus le climat social. Moins médiatisé, l’emballement des prix de l’immobilier et des loyers est réel et concourt largement à la dégradation de la situation financière des ménages[2]. Rappelons qu’en 2020, les Français consacraient le tiers de leurs dépenses au logement, soit 33,4% avec le chauffage et l’éclairage contre 23 % en 1998[3] ; ces dépenses sont de loin les dépenses les plus lourdes assumées par les ménages. Alors que de nombreux candidats à la présidentielle invoquent des mesures de soutien au pouvoir d’achat des Français, quelle est l’ampleur de la crise du logement et de la hausse des prix du logement ? Qu’en est-il des politiques publiques actuelles ?

Hausse des prix de l’immobilier et des loyers et dégradation des conditions de vie

Les tensions relatives au logement touchent les propriétaires comme les locataires et le parc immobilier privé comme le logement social.

En 2021, la hausse des prix de l’immobilier a été spectaculaire. Au troisième trimestre, elle était déjà de 7,1 % depuis le début de l’année. Et, en un an, le nombre de transactions a atteint le nombre record de 1 208 000, soit un bond de 23 %[4]. Bien sûr, la crise sanitaire et le ralentissement du marché en 2020 expliquent partiellement ces augmentations. Néanmoins, elles s’inscrivent dans une tendance antérieure à la crise et ne font que la confirmer. En réalité, le prix de l’immobilier connaît une hausse continue depuis plusieurs années. L’éclatement de la bulle en 2007-2008 (en 10 ans, les prix avaient été multipliés par 2,5, voire 3) s’était traduit par une relative stabilité pendant 7 ans. Mais, depuis 2015, les prix repartent à la hausse : + 26,1 % en 6 ans[5].

Il en est de même pour les loyers. L’indice de référence des loyers (IRL indexé sur l’inflation) qui fixe les plafonds d’augmentation annuelle des loyers est en hausse continue depuis 1998[6]. Plus exactement, la hausse avait ralenti entre 2012 et 2015, repris en 2016 avec encore un ralentissement en 2019-2020. Mais, avec la reprise de l’inflation, on peut craindre que les loyers repartent fortement à la hausse – ce qui est déjà le cas en 2021.

Pour ceux qui veulent – ou peuvent – accéder à la propriété, l’effort financier pour l’achat de biens immobiliers devient de plus en plus conséquent, ce qui contraint de plus en plus les autres dépenses des ménages. En effet, si l’on rapporte l’indice des prix des logements au revenu disponible, on obtient un ratio reflétant l’effort consenti. Pendant près de 35 ans, jusqu’en 1995, ce ratio était pratiquement stable – c’est le tunnel de Friggit – l’évolution des prix de l’immobilier était la même que celle des revenus.

Depuis, ce ratio est sorti du tunnel : il passe de 1 en 1998 à 1,72 pour la province, 2,65 pour Paris et 3,1 pour Lyon en 2021 – l’évolution des prix est devenue bien supérieure à celle des revenus. Cela a plusieurs conséquences. La durée moyenne du crédit immobilier ne cesse de s’allonger pour atteindre la moyenne record de 20 ans en 2021 (elle était de 13 ans en 2000)[7]. D’ailleurs, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) a imposé une nouvelle réglementation depuis le 1er janvier 2022 : la durée maximale des crédits est plafonnée à 25 ans et le taux d’endettement strict de l’emprunteur ne peut plus dépasser 35 % des revenus. Les ménages les plus fragiles deviennent de moins en moins propriétaires de leur logement – selon l’Insee, le fléchissement se fait sentir dès 2008 et le nombre de nouvelles résidences principales stagne[8].

De fait, s’il est plus difficile d’accéder à la propriété, les efforts financiers concernent également les locataires et cela se mesure à l’aune des évolutions et adaptations observées relatives au « confort de vie » des ménages. En 50 ans, les conditions sanitaires se sont améliorées notamment grâce à l’élévation du niveau de vie et la mise en place de normes définissant les caractéristiques d’un logement décent : soit la surface minimale, l’absence de risque pour la sécurité et la santé du locataire, l’absence d’animaux nuisibles, une performance énergétique minimale et la mise à disposition de certains équipements[9].

Cela dit, on assiste ces dernières années à une dégradation des conditions de vie et du confort– hors questions sanitaires – que les confinements et le télétravail ont mis en lumière : par exemple, le surpeuplement (le manque d’une pièce ou plus) qui touche plus de 8,5 millions de personnes rend difficiles le travail et l’éducation à distance. De même, la colocation a évolué ; elle concerne maintenant d’abord les salariés à hauteur de 45 % et à 40 % seulement les étudiants. La précarité énergétique ne cesse d’augmenter : le taux d’effort énergétique de l’Observatoire de la précarité énergétique[10] est reparti à la hausse depuis 2016 : 20 % des Français ont déclaré avoir souffert du froid dans leur logement en 2020 et 36 % pour des raisons financières. L’augmentation des prix de l’énergie cette année va certainement contribuer à accentuer cette tendance…

Enfin, cette précarisation se lit aussi dans l’arbitrage fait par de nombreux ménages de s’éloigner de leur lieu de travail afin d’avoir accès à des logements moins coûteux – devant alors assumer le coût et les contraintes des transports – ou dans les chiffres relatifs à la mauvaise qualité des logements, au type de logement occupé (appartement, chambre), le statut d’occupation, etc. Clairement, si tout cela ne se traduit pas directement par un effort financier, on voit bien que ces évolutions qualitatives consenties visent à amortir le poids financier du logement.

Malheureusement, cette dégradation générale est à distinguer du mal logement… qui progresse lui aussi. Il concerne les personnes privées de logement personnel (sans domicile, vivant à l’hôtel ou chez un tiers…) ou vivant dans des conditions de logement très difficiles (normes sanitaires non respectées, ménages auxquels il manque au moins deux pièces…).

Selon la Fondation Abbé Pierre[11], la situation s’est dégradée et a été accentuée par la crise sanitaire : 3,5 millions de personnes étaient concernées en 2015, elles sont aujourd’hui 4,1 millions ; le nombre de sans domicile a doublé depuis 2012 ; 2,2 millions de ménages sont en demande de logements sociaux – un chiffre progressant 5 fois plus vite que le nombre de ménages. La situation est devenue tellement tendue qu’il est non seulement très difficile d’obtenir un logement social (les délais se rallongeant) mais que les plus fragiles n’ont plus accès aux logements sociaux. La précarisation des ménages candidats et la hausse des loyers de ces logements – due justement à la hausse des prix du foncier et à la baisse des aides publiques – excluent de fait les plus pauvres car leur taux d’effort atteint rapidement les fameux 30 % d’efforts financiers !

Une transformation des principaux acteurs

Quelles explications sont alors avancées pour comprendre cette hausse continue des prix ? L’évolution de la demande est souvent mise en cause. Le vieillissement de la population ralentit les transferts de propriété ; l’explosion du nombre de familles monoparentales gonfle la demande et la réoriente vers des logements plus petits ; les taux d’intérêt de l’immobilier sont particulièrement bas. Et depuis le début de la crise sanitaire, la demande pour les résidences secondaires, les maisons et les habitations dans des environnements plus apaisés (villes moyennes, campagne…) a clairement explosé. Toutefois, d’autres facteurs sont également à prendre en compte.

D’une part, la demande de logement pour des objectifs purement financiers structure le marché de l’immobilier. Certes, les Français sont réputés pour préférer « investir dans la pierre ». Néanmoins, on assiste à un mouvement de concentration de la propriété car l’immobilier s’est « financiarisé » : il est devenu un placement dont on cherche à maximiser les rendements. – l’ONU a publié un rapport en 2017 dénonçant les effets de cette tendance mondiale[12]. À la fin des années 1990, l’immobilier devient un actif financier comme les autres et entre dans les stratégies de diversification de portefeuille des investisseurs grâce à une série d’innovations financières[13].

On voit donc une intervention massive de fonds d’investissements (fonds bancaires ou fonds de grandes entreprises qui cherchent un retour sur investissement), le recours aux SIIC (société d’investissement immobilier cotée en bourse), un changement dans les comportements de placements des plus fortunés et de nouvelles techniques financières (pour le financement de l’endettement comme les crédits subprimes ou pour la cession des créances immobilières sur les marchés financiers soit la titrisation). Selon l’Insee[14], 24 % des Français les plus aisés détiennent plus de 68 % du parc immobilier et sont donc multipropriétaires et 3,5 % des Français détiennent… 50 % des logements en location possédés par un particulier !

Ce mouvement est d’autant plus amplifié que la hausse des prix encourage l’achat de biens immobiliers pouvant générer une plus-value intéressante, générant alors une hausse des prix, etc. On est alors dans un phénomène classique de bulle financière, dont l’objet ici est le logement. Dans les lieux touristiques, cette concentration est encore accentuée par le développement des plateformes de location courte, type AirBnB, qui entrent en concurrence avec les résidents et avec l’activité hôtelière. S’il est difficile d’estimer le nombre de logements uniquement destinés à un tel usage, le phénomène est d’une ampleur suffisante – la mairie de Paris donne l’estimation de 25 000 à 30 000 logements concernés – pour que les municipalités légifèrent.

Aussi, cette demande toujours plus forte de biens immobiliers à des fins spéculatives et non plus patrimoniales alimente largement la flambée des prix et des loyers – pour les logements ayant un rendement élevé. Elle est particulièrement vive dans les « lieux dit remarquables » comme les littoraux et les centres-villes historiques, maintenant une forte hausse des prix alors que l’on aurait pu s’attendre à une baisse des prix du fait de la défection des ménages pour les grandes villes.

D’autre part, l’offre de logements marque le pas : en moyenne, le parc immobilier n’augmente pas de plus de 1 % ces dernières années, ce qui reste nettement insuffisant. En 2017, plus 500 000 logements étaient en construction ; en 2020, ce chiffre est descendu à 381 600. Professionnels du bâtiment comme associations en faveur du logement en appellent à des plans massifs de construction impulsés par l’État ou les collectivités locales.

Du côté du logement social, le tableau est plus qu’en demi-teinte. Certaines communes sont déjà allées au-delà du quota demandé en 2025 par la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), mais pour la plupart d’entre elles, il est désormais acquis que les objectifs ne seront pas atteints. Si le gouvernement avait annoncé en 2021 la construction de 125 000 logements sociaux par an, on a atteint difficilement les 95 000 l’an dernier… pour 2,2 millions de ménages qui ont fait une demande. Il faut dire que les dernières mesures ont complexifié la tâche des bailleurs sociaux : aides publiques en baisse, incitation à la privatisation et la vente de logements sociaux – la loi Élan de 2018 permet jusqu’à 40 000 cessions par an –, fragilisation de leurs ressources financières, etc… Or cela fait plusieurs années que les gouvernements successifs délaissent les politiques du logement.

Des marges de manœuvre politiques

Pourquoi se tourner vers la puissance publique ? Car la question du logement est hautement politique et les défis sont nombreux. Comme dit plus haut, elle constitue un élément fondamental du pouvoir d’achat des ménages, elle révèle les inégalités, entame la santé sociale des citoyens et elle est au cœur des problématiques écologiques puisque le logement a un impact environnemental important de par sa construction, ses dépenses d’énergie et les transports qu’il implique. La conception des bâtiments devient plus coûteuse et complexe du fait des nouvelles exigences de construction – pour davantage de durabilité – et des nouvelles réglementations thermiques ou acoustiques. En outre, l’habitat ne se conçoit plus sans la mobilité et l’aménagement du territoire. L’allongement des temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail finit de complexifier l’équation. S’attaquer aux problèmes du logement nécessite donc a minima une impulsion publique.

Or, l’éventail des interventions publiques peut être large : aide à la construction, la réhabilitation et rénovation, aide aux paiements des loyers ou à l’accession à la propriété, etc. Néanmoins, les gouvernements successifs ont lentement abandonné les plans de support à la production de logement au profit de politiques d’accompagnement des ménages par le biais d’allocations notamment – allocations que le gouvernement actuel a d’ailleurs réduites en 2021 (7 % en moyenne, 10 % pour les étudiants, soit une économie de 4 milliards d’euros par an).

L’aide à la pierre, qui par le passé pouvait représenter 60 % des coûts d’un logement, a baissé ; par exemple, pour les logements sociaux, la subvention PALULOS pour travaux d’amélioration du confort ou de mise en conformité ne couvre plus que 10 % des coûts contre 20 % avant 1998. En revanche, on a vu se multiplier les outils fiscaux qui sont devenus les aides principales du secteur comme la TVA à 5,5 % sur les travaux et la construction ou les dispositif Robien, Borloo, Anah, ou Besson – qui encouragent l’achat de logements en vue de leur location et la concentration de la propriété. Préférant alors s’en remettre aux mécanismes de marché – l’offre et la demande devant s’ajuster – les pouvoirs publics ne proposent pas une politique de logement à la hauteur des enjeux sociaux, économiques, urbains et environnementaux.

Pourtant, plusieurs axes d’action sont possibles

En priorité bien sûr, le logement social a besoin de mesures de grande envergure. Dans un premier temps, il paraît indispensable que les villes respectent la loi SRU et que les sanctions soient enfin efficaces. Dans un second temps, la construction de logements sociaux – 150 000 par an étant une fourchette basse pour les associations – est nécessaire aussi bien pour offrir des logements à des prix abordables que pour atténuer les tensions sur le parc locatif. Il s’agit alors de réorienter la logique d’aide à la personne vers une logique plus globale de construction et réhabilitation ; le candidat Yannick Jadot prend d’ailleurs pour exemple le logement étudiant pour illustrer les besoins de construction et de rénovation. Quant aux logements très sociaux, il est même urgent de construire et d’accueillir dans la dignité les sans domiciles toujours plus nombreux.

Dans le même ordre d’idées, l’État pourrait mettre également en place un plan à l’intention du parc immobilier privé. Si c’est une nécessité en matière d’habitat – la fondation Abbé Pierre estime qu’il faudrait construire 500 000 logements par an –, c’est une nécessité économique, énergétique et écologique. Les fluctuations des prix de l’énergie fragilisent les ménages et une meilleure efficacité thermique diminue l’impact du logement sur l’environnement.

Aides directes à la pierre réelles – certains proposent jusqu’à 40 % des coûts des logements – ou dispositifs de prêts pourraient même être « compensés » grâce aux emplois créés. En outre, l’habitat de demain ne peut pas être pensé sans articulation avec les mobilités et l’aménagement – écologique – du territoire… que seule une planification de moyen et long terme permettrait de construire – planification réclamée par de nombreux acteurs politiques, associations, voire des acteurs du secteur.

En outre, plusieurs dispositifs pourraient être mis en place pour éviter la concentration foncière et les distorsions de prix dues à la financiarisation et à « l’uberisation » (le développement des locations courtes grâce aux plateformes de partage) de l’habitat. L’intervention des pouvoirs publics sur le marché par l’intermédiaire de foncières publiques permettrait de réguler les prix et de protéger certains territoires dans le cas où ces foncières seraient rattachées à une zone géographique. Repenser la fiscalité foncière et sa dégressivité – quand l’achat immobilier à une vocation locative – constituerait un levier de redistribution de ceux qui ont le plus de patrimoine vers les plus défavorisés.

Enfin, de nombreuses dispositions seraient possibles pour encadrer les loyers et soutenir les ménages. Encadrement simple, conditionné à la performance énergétique du logement ou à une part plus basse dans le budget des ménages (non plus 35 % en moyenne mais 20 % pour le candidat communiste), voire décote dans les zones tendues, les propositions en la matière ne manquent pas. Dans le même sens, les aides au logement pourraient s’appuyer sur le poids réel du logement pour les ménages et devenir des compléments quand ce dernier devient trop lourd…

La difficulté de se loger ou de faire face à cette contrainte financière ne cesse de croître. Mais elle nous amène à nous interroger sur le fonctionnement du marché immobilier et du parc locatif, sur la place de l’habitat dans nos sociétés en général. Or nous y retrouvons des excès bien connus du système économique : concentration de la propriété, distorsion des prix, creusement des inégalités, etc. Nous le voyons, la libéralisation et l’absence de régulation n’apportent pas de solution, bien au contraire. Agir pour un habitat apaisé et durable passerait par la concertation et une réelle vision de moyen

[1] Les Économistes atterrés (2021), De quoi avons-nous vraiment besoin ?, Les Liens qui libèrent, Paris.

[2] Rappelons que les loyers sont pris en compte dans l’indice des prix à la consommation qui mesure l’inflation mais pas le prix de l’immobilier.

[3] Insee (2021a), Tableau de bord de l'économie française, Édition 2021. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/details/30_RPC/35_CEM/35C_Figure3.

[4] Notaires de France (2021), Notes de conjoncture immobilière. Disponible sur : https://www.notaires.fr/fr/immobilier-fiscalit%C3%A9/prix-et-tendances-de-limmobilier/les-notes-de-conjoncture-immobili%C3%A8re

[5] Indice des prix des logements (neufs et anciens) – Brut – Base 100 en moyenne annuelle 2015. Voir Insee (2021), « Indice des prix des logements (neufs et anciens) », Statistiques et Études. Disponible sur https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/010001868#Graphique.

[6] L’Insee calcule cet indice en base 100 en 1998 et correspond à la moyenne, sur les 12 derniers mois, de l’évolution de l’indice des prix à la consommation. Il était à 132,62 fin 2021. Insee (2022), Indice de référence des loyers (IRL) - Base 100 4ème trimestre 1998. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3532378?sommaire=3530678&q=IRL.

[7] Observatoire Crédit Logement CSA (2021), La durée des crédits immobiliers aux particuliers, Novembre. Disponible sur : https://www.lobservatoirecreditlogement.fr/derniere-publication#3.

[8] Insee (2021b), 37,2 millions de logements en France au 1er janvier 2021. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5761272.

[9] La loi du 13 décembre 2000 définit les conditions minimales d’un logement décent. Voir : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000005632175/

[10] ONPE (2021), Tableau de bord de la précarité énergétique, édition 2021 (1er semestre). Disponible sur : https://onpe.org/sites/default/files/onpe_tableau_de_bord_2021_s1_vf_v07.1.pdf.

[11] Fondation Abbé Pierre (2022), L’état du mal-logement en France 2022, rapport annuel. Disponible sur : https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/27e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2022#telechargementreml2022

[12] ONU (2017), Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard, Nations unies, Conseil des droits de l’Homme. Disponible sur : https://undocs.org/fr/A/HRC/34/51

[13] Plus exactement, la finance intervient à de nombreux niveaux – construction, transactions, structuration des financements, etc. – grâce à un « ensemble d’innovations juridiques et financières permettant la transformation des droits de propriété foncière en titres financiers » (Drozdz, M., Guironnet A. et Halbert L. (2020), Les villes à l’ère de la financiarisation, Métropolitiques. Disponible sur https://metropolitiques.eu/Les-villes-a-l-ere-de-la-financiarisation.html).

[14] Insee (2021c), 24 % des ménages détiennent 68 % des logements possédés par des particuliers. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432517?sommaire=5435421&q=%22logement+d%C3%A9tenu%22.

publié le 2 mars 2022

Total(e)

Le billet de Maurice Ulrich sur www.humanite.fr

La guerre lui monte à la tête, à lui aussi, avec une sorte d’ivresse. « Nous allons provoquer l’effondrement économique de la Russie. Nous allons mener une guerre économique et financière totale. » Ça fait un peu totalitaire. Bruno Le Maire voit loin. Il ne s’agit plus de sanctions ciblées visant le pouvoir russe, ses soutiens et des secteurs stratégiques. 150 millions d’habitants acculés à la pénurie, ça risque de compliquer un peu l’avenir du continent. Les oligarques s’en sortiront toujours. La preuve par Total. Le groupe français, solidement appuyé sur ses 180 milliards de chiffre d’affaires, en hausse de 44 %, a indiqué qu’il n’apporterait plus de capital à de nouveaux projets en Russie. Pour le reste, les affaires continuent. Total possède à peu près 20 % des sites gaziers Yamal, Arctic et de la firme Novatek, 49 % du site gazier de Termokarstovoye, 20 % du champ pétrolier de Kharyaga. Le ministre français de l’Économie ne l’ignore pas. C’est, si l’on ose dire, « de bonne guerre » de jouer les matamores mais il ne faut pas confondre guerre totale et Total.

publié le 1° mars 2022

Guerre en Ukraine.
Le rôle de Paris en débat dans l’Hémicycle

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Assemblée Lors de la session spéciale consacrée au rôle de la France à la suite de l’agression russe en Ukraine, la majorité des députés ont appelé à défendre la paix. Place de l’Otan, livraisons d’armes, conférence de l’ONU… les moyens divisent.

Dans les tribunes de l’Assemblée nationale, deux drapeaux bleu et jaune entourent Vadym Omelchenko. L’ambassadeur d’Ukraine en France, invité à assister aux débats, est longuement applaudi par les députés français. Les uns après les autres, les orateurs qui se succèdent apportent de façon unanime leur soutien au peuple ukrainien, en plus de condamner sans réserve l’agression militaire massive lancée par la Russie sur son voisin. Ruban bleu et jaune sur le cœur, le député communiste Fabien Roussel prend la parole, lors du premier débat parlementaire consacré à cette guerre qui frappe le sol européen. « Nous devons organiser dans chaque commune de France l’accueil des réfugiés ukrainiens, et faire vivre pleinement le droit d’asile », lance d’emblée le secrétaire national du PCF, qui appelle à un cessez-le-feu immédiat. « La France et tous les pays doivent prendre des sanctions politiques, diplomatiques et économiques afin de contraindre Vladimir Poutine à s’asseoir à la table des négociations », ajoute l’élu. Hors de ce chemin, point de salut, affirme-t-il. « Il est impossible de prévoir l’issue d’un conflit armé, seule la destruction est sûre, gardons-nous des va-t-en-guerre. La solution à ce drame ne sera pas militaire. Nous devons tout mettre en œuvre pour éviter une escalade incontrôlable, pour éviter que l’Otan ne participe à cette guerre, car là est le risque d’embrasement », développe-t-il. Pour le candidat du PCF à la présidentielle, le danger est que cette guerre devienne « mondiale et nucléaire ». La solution ? Que l’ONU relance le processus réunissant les États européens, l’Ukraine et la Russie, en usant de sanctions à même de montrer que seuls la paix et le dialogue sont profitables à tous.

Jean Castex pour « un bouclier tarifaire »

Avec du bleu et du jaune également accrochés à sa veste, Jean-Luc Mélenchon prône lui aussi la désescalade. « Aucune participation à la guerre ne pourrait rester limitée. La destruction nucléaire générale serait l’issue prévisible », prévient le député FI. « Ou bien la diplomatie, ou bien la guerre totale. Tout doit aller à la diplomatie, rien à la guerre », ajoute-t-il. Ce qui l’amène à regretter que l’Union européenne ait pour la première fois de son histoire livré des armes. « Un engrenage s’enclenche », craint-il, au risque de « faire de nous des cobelligérants ». Exclure de nombreuses banques russes de la plateforme mondiale Swift, « n’est-ce pas enclencher une escalade générale ? Quel avantage pour la paix ? » interroge-t-il également, à rebours de toutes les voix s’exprimant pour des sanctions à même de faire s’asseoir les Russes à la table des négociations. Il serait possible de faire autrement assure l’insoumis, en ouvrant « une session extraordinaire pour la sécurité en Europe », ainsi qu’une « conférence européenne des frontières », en plus de proclamer « la neutralité de l’Ukraine ». Son président, Volodymyr Zelensky, s’est déjà dit prêt à le faire. Jean-Luc Mélenchon affirme en outre que « la dénucléarisation du monde doit redevenir un objectif concret », et que la France doit sortir de l’Otan.

Si elle estime elle aussi qu’il faut « éviter que cette guerre ne s’étende à d’autres pays d’Europe », Valérie Rabault considère que « la garantie (pour y parvenir), c’est l’Otan », et le développement d’une défense européenne. La présidente du groupe socialiste, comme la plupart des députés, assure qu’il faut « dissuader Poutine de poursuivre cette guerre, en lui coupant sa capacité d’action par tous les moyens financiers ». Elle appelle enfin les pays européens à retrouver leur souveraineté. « Les gourous du low-cost les ont conduits à la brader. Nous devons la reconstruire. » À tout point de vue : alimentaire, industriel et énergétique. « Quand une centrale nucléaire ferme, un gazoduc russe s’ouvre », insiste à ce sujet Damien Abad. Le président du groupe LR appelle lui aussi à « accueillir des réfugiés ukrainiens au nom du droit d’asile » et à ne viser que la paix, en « offrant une porte de sortie honorable à tous ». « Nous devons apporter toute l’aide compatible avec la non-extension de la guerre », abonde Jean-Louis Bourlanges, quand Jean-Christophe Lagarde affirme qu’une entrée dans l’Otan aurait pu protéger l’Ukraine et que, « tant que la Russie ne sera pas une démocratie, elle représentera un danger ». Le premier ministre, Jean Castex, a pour sa part présenté la stratégie du gouvernement : « assécher la capacité de financement extérieur de l’économie russe », développer un « bouclier tarifaire » sur les hausses de prix en France liées à cette guerre, livrer « carburant et matériel militaire » à l’Ukraine, et, sans cesse, « maintenir le dialogue avec la Russie », pour trouver une issue.


 


 

Ukraine :
le tri racial des réfugiés

par Nadia Sweeny sur www.politis.fr

Plusieurs vidéos et témoignages démontrent un traitement discriminant et raciste des réfugiés Africains qui tentent de fuir l’Ukraine. L'Ukraine et la Pologne démentent, les pays africains réagissent.

De nombreuses vidéos diffusées ces derniers jours sur les réseaux sociaux montrent une discrimination raciste manifeste des réfugiés qui tentent de fuir l’Ukraine, triant, à différents points de passage, ces derniers en fonction de leur couleur de peau. À Zaporija dans l'est du pays et alors que les russes étaient à cinquante kilomètres, les autorités ukrainiennes ont empêché des réfugiés noirs de monter dans les trains en direction de Lviv, ville située à 70km de la Pologne. À la frontière, ce sont les douanes qui pointent leurs armes sur les réfugiés d’origine africaine, obligés de lever les mains au ciel et de crier « nous sommes étudiants, nous ne sommes pas armés » ou, comme ci-dessous un douanier qui repousse violemment un réfugié.

Sur une autre vidéo, une femme, avec un bébé de quelques mois, attend avec une foule d’Africains, devant un poste frontière dans la nuit gelée.

La Pologne a démenti l’existence d’un tri raciste des réfugiés aux frontières prétextant que déjà plus de 200 000 personnes avaient été accueillis en Pologne « quelle que soit leur nationalité », plaide l’ambassade de Pologne en France.

« C’est faux, nous les avons rencontrés ces Africains », affirme Tahar Rani, journaliste de France 24 présent sur Lviv et qui a recueilli la parole de nombreux étudiants africains et maghrébins. Mustapha, un jeune guinéen de 25 ans, étudiant en médecine lui a raconté son parcours. Fuyant Karkiv où les combats sont particulièrement violents, Mustapha et son frère ont été bloqués pendant quatre jours dans la gare de Lviv après avoir été refoulés de la frontière polonaise. « Les Polonais nous ont dit que les noirs ne rentraient pas, qu’il n’y avait plus de place pour les migrants parce qu’ils en ont accueillis beaucoup. Au même moment, des réfugiés blancs passaient. » D’après lui, une délégation guinéenne avait fait le trajet côté polonais jusqu’à la frontière avec l’Ukraine mais n’a pas réussi à négocier leur passage. Les Polonais auraient exigé la venue d’un bus juste pour eux.

Ils avaient mis les noirs d’un côté et les blancs de l’autre.

Mustapha a donc dû rebrousser chemin et repartir vers la grande ville de Lviv en attendant de se présenter à une autre frontière plus clémente avec les Africains. Lorsque nous avons pu le joindre, il était en passe d’entrer en Slovaquie. Soulagé mais épuisé par ce périple. Un membre de sa famille, installé en Belgique doit venir le chercher.

Plusieurs diplomaties africaines tentent de venir en aide à leurs ressortissants bloqués aux frontières. Les autorités d’Afrique du Sud – dont 250 ressortissant vivaient en Ukraine - ont vivement réagi aux vidéos montrant des discriminations racistes aux frontières et ont envoyé l’ambassadrice sud-africaine en Pologne, Mme Mngomezulu, à la frontière.

Le président nigérian s’est de son côté outré du traitement réservé par les autorités ukrainiennes et polonaises à ses ressortissants, dont 4 000 étudiants résidaient en Ukraine avant la guerre. Dans un communiqué de presse, il condamne les « rapports malheureux de la police ukrainienne et du personnel de sécurité refusant d'autoriser les Nigérians à monter à bord des bus et des trains en direction de la frontière entre l'Ukraine et la Pologne », indiquant qu’« un groupe d'étudiants nigérians s'étant vu refuser à plusieurs reprises l'entrée en Pologne a conclu qu'il n'avait d'autre choix que de voyager à nouveau à travers l'Ukraine et de tenter de quitter le pays par la frontière avec la Hongrie ».

Lundi 28 février, dans un communiqué de presse, l’Union Africaine s’est aussi déclarée « particulièrement préoccupée par les informations rapportées selon lesquelles les citoyens africains, se trouvant du côté Ukrainien de la frontière, se verraient refuser le droit de traverser la frontière pour se mettre en sécurité », elle exhorte « tous les pays à respecter le droit international et à faire preuve de la même empathie et du même soutien envers toutes les personnes qui fuient la guerre, nonobstant leur identité raciale ».

Du côté marocain, une équipe consulaire a aussi été dépêchée à la frontière ukrainienne. Le royaume chérifien compte le plus grand nombre de ressortissants africains en Ukraine avec 12 000 personnes dont 8 000 étudiants. À Rabat, des familles de marocains résidant en Ukraine ont manifesté, vendredi, inquiètes pour leurs enfants bloqués en Ukraine. Dans un communiqué, le Maroc a incité ses ressortissants qui veulent fuir à se rendre aux points de passage avec la Roumanie, la Hongrie ou la Slovaquie. « Il n’y a aucun blocage au niveau de la Pologne », explique pourtant Abderrahim Atmoun, ambassadeur du Maroc en Pologne, qui justifie les problèmes de passage par l’afflux des réfugiés. D’après lui, 60 marocains auraient traversé la frontière. Une fois en Pologne, les ressortissants étrangers obtiennent un laisser-passer de quinze jours.

 publié le 1° mars 2022

Ehpad : qui sont les responsables ?

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Au-delà du scandale dévoilé par le livre les Fossoyeurs, de Victor Castanet, il est utile d’effectuer un retour en arrière pour mettre en avant les responsabilités des gouvernements qui se sont succédé depuis le début des années 1990 et qui sont à l’origine de cette situation.

La loi sur les Ehpad a été votée en janvier 2002 sous un gouvernement de gauche avec Bernard Kouchner comme ministre de la Santé. Il s’agissait de l’ouverture de ce secteur au privé lucratif, l’État déclarant ne pas avoir les moyens de répondre aux besoins grandissants du fait du vieillissement de la population. Le groupe Orpea, créé en 1989, a alors pu changer de dimension et en 2003 est apparu le groupe Korian, qui est aujourd’hui le premier opérateur en France dans les Ehpad. Puis de nombreuses autres sociétés se sont développées dans ce qui est appelé la silver economy ou l’or gris. En 2009, sous le gouvernement Sarkozy, deux députés UMP, Censi et Bouvard, font adopter un régime particulier pour les investissements immobiliers dans les Ehpad, ouvrant le doit à une défiscalisation. C’est ainsi qu’étant considéré en tant que médecin comme une personne ayant des revenus à placer, je reçois régulièrement des publicités m’incitant à investir dans, je cite, « un marché porteur du fait de l’allongement de la durée de vie et du vieillissement de la population augmentant considérablement la demande ». Il est ainsi promis des rendements annuels jusqu’à 5 ou 6 % et des réductions d’impôts permises par des dispositifs qui sont de véritables niches fiscales.

Nous ne pouvons aujourd’hui que constater la collusion des politiques avec les groupes privés qui génèrent des bénéfices considérables sur le dos de la Sécurité sociale, des retraités et de leurs enfants, soumis à l’obligation d’assurer le paiement de factures qui se montent en moyenne à 3 000 euros par mois, ce qui est bien au-delà du montant moyen des pensions de retraite. En effet, les ARS sollicitées depuis des années par les syndicats de salariés et les familles n’ont jamais joué leur rôle de contrôle. Cela a notamment été le cas de l’ARS d’Île-de-France, dirigée par Claude Évin, ancien ministre socialiste de la Santé, qui connaissait parfaitement le problème et qui essaie aujourd’hui de se dédouaner par presse interposée. Enfin, l’actuel gouvernement n’a jamais répondu au mouvement initié en 2018 et qui réclamait un encadrement d’un soignant par résident dans toutes les Ehpad, ce qui correspondrait à la création de 200 000 emplois. Donc ils savaient et ils n’ont rien fait. Nous en avons assez aujourd’hui des déclarations de contrition de la part de ceux qui sont responsables de cette situation. Nous demandons des actes et le premier doit être l’exclusion des opérateurs privés à but lucratif de toutes les activités de la santé et du médico-social.


 


 


 

Les salariées d’Orpea, brisées
mais batailleuses

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Après les révélations de maltraitance contre des résidants des Ehpad de leur groupe, les soignantes sont sorties de leur silence. Mobilisées pour la première fois, elles assurent souffrir aussi et refusent de poursuivre ainsi.

Derrière les tourelles d’une luxueuse bâtisse de la ville de Suresnes (Hauts-de-Seine), le soleil commence à poindre. Dans le creux d’un virage, la toute neuve maison de retraite Orpea, inaugurée en 2019, surveille le flot matinal de véhicules. Sur le trottoir, une dizaine de salariées se saisissent de drapeaux aux couleurs de la CGT et enfilent une chasuble. Les gestes sont mal assurés : pour la majorité, la grève est une grande première. Habituellement, la poignée de soignantes de l’Ehpad agit dans l’ombre, œuvrant de chambre en chambre et surtout en gardant le silence. Mais lorsque le scandale autour des cas de maltraitance observés dans les établissements du groupe privé a éclaté, la mobilisation s’est imposée.

Éreintée par le tourbillon des tâches

« On nous a fait signer notre contrat en nous assurant qu’on aurait entre 6 et 7 résidants par jour. Pourtant, le compte est plus proche des 15 à 20 patients, et nous ne sommes pas plus payées pour la surcharge de travail », confie Irène (1), aide-soignante de nuit. Lorsqu’elle prend son service le soir, à 20 heures, elle prie pour qu’aucune de ses collègues ne soit absente : elle devra, sinon, prendre le relais et superviser plusieurs dizaines de personnes âgées. Servir les petits-déjeuners, assurer les toilettes, répondre aux sollicitations de familles parfois peu compréhensives, donner les médicaments… Les auxiliaires de vie et aides-soignantes sont devenues de véritables couteaux suisses, éreintées par la multitude de leurs tâches. « Quand j’arrive, je vois mes collègues qui travaillent le jour partir en pleurant, épuisées », poursuit Irène. Sous une grande banderole érigée par la toute nouvelle section CGT, vieille de quelques semaines, Aya (1) acquiesce : elle n’a pas encore la trentaine que la fatigue ne la quitte déjà plus. Éreintée par le tourbillon des tâches qui se répètent et du temps qui manque, elle en vient à craindre un accident. « Il n’y a plus d’infirmière le soir, donc on doit donner les médicaments à l’avance. On doit laisser la plaquette de comprimés entière à des gens qui n’ont plus toute leur tête, comment savoir s’ils ont pris la bonne dose ? », se désole-t-elle.

Un salaire de misère

Ces conditions de travail à la limite de la «  maltraitance » seraient un peu moins dures à supporter si elles n’étaient pas assorties d’un salaire de misère. Dans les étages de l’Ehpad, pourtant, les rémunérations se suivent et se ressemblent : 1 380 euros pour toutes, qu’importe qu’elles soient dans le métier depuis trente ans ou doivent sauter leur pause repas pour finir leur travail. « On a des primes de nuit, de week-end, mais ce qu’on veut, c’est du vrai salaire. On nous avait promis 1 700 euros avant de nous révéler que ce n’était que le brut, une fois le contrat signé », s’insurge Irène, employée des Vignes de Suresnes depuis son ouverture en 2019. Une cigarette à la main, un autocollant CGT négligemment apposé sur sa veste, elle prend à partie ses jeunes camarades : « vous n’aurez que 700 euros de retraite ! » Emmitouflée dans une écharpe noire, Aimée (1) écoute tranquillement. Elle ne contredit pas. Elle non plus n’a pas de salaire mirobolant, malgré ses efforts quotidiens, toujours plus intenses. « Heureusement que mes enfants sont grands et dans la vie active, ça fait des bouches en moins à nourrir. Certaines de mes collègues font deux boulots, moi je ne peux pas, sinon je mourrais », souffle-t-elle dans un rire léger, comme pour masquer la cruauté de la situation. Une vingtaine d’années auparavant, la soignante aurait bien aimé poursuivre une formation pour devenir aide-soignante et prendre du galon. Mais impossible de trouver du temps – et de l’argent – entre le boulot d’un côté et deux jeunes enfants de l’autre. Maintenant employée en CDI à Orpea, la salariée espère pouvoir suivre sa formation prochainement. « Mais avec cette grève, j’ai des doutes maintenant », réalise-t-elle.

La politique du moindre sou

Baffles et sifflets hurlant, la joyeuse parade remue sous les fenêtres de la maison de retraite, tirant sans doute de leur torpeur les quelques résidants encore endormis. Qu’importe, tous sont certainement dans le même camp : celui de la maltraitance subie par la politique du moindre sou d’Orpea, perpétuée de direction en direction. Le livre enquête de Victor Castanet, les Fossoyeurs, n’a rien appris aux soignantes, mais il les a rassurées, réconfortées. « On se sent moins isolées », glissent-elles. Toutes espèrent toutefois que les révélations, couplées à leur mobilisation inédite, sauront enfin faire bouger les lignes au plus haut niveau du groupe. En attendant, elles continuent la grève, illimitée.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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