PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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mars 2023

   publié le 25 mars 2023

Méga-bassines : pourquoi ça déborde

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Des milliers d’opposants à ces retenues d’eau géantes sont attendus dans les Deux-Sèvres, malgré les interdictions. La répression s’annonce sévère.

Il se pourrait bien que la matraque ne soit pas uniquement réservée aux opposants à la réforme des retraites. Dans les Deux-Sèvres, le gourdin policier devrait aussi s’abattre, ce week-end, sur les manifestants hostiles aux méga-bassines.

« La préfecture a laissé entendre que Gérald Darmanin n’envisage pas de nous stopper autrement que par la répression. On s’y prépare du mieux possible », explique Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci, collectif coorganisateur de la mobilisation avec les Soulèvements de la Terre et la Confédération paysanne. Mardi 21 mars, près de 1 500 personnes ont participé, en ligne, à un « brief juridique pour savoir comment se protéger », assure celui qui est batelier dans le Marais poitevin.

Venus de toute l'Europe

Si bien que, malgré les interdictions de manifester, les renseignements territoriaux attendent au minimum entre 7 000 et 10 000 personnes, d’après RTL, pour la journée de samedi, temps fort de ces « manif-actions ».

Ils seront « plusieurs dizaines de milliers », venus de toute l’Europe, selon Julien Le Guet, pour dire non à ces gigantesques retenues d’eau – de pluie ou pompée, en hiver, dans les nappes phréatiques – censées servir à irriguer, en période de sécheresse, des cultures majoritairement liées à l’agro-industrie.

D’où un dispositif policier conséquent, à l’instar de celui qui avait violemment réprimé une mobilisation similaire en octobre 2022, avec plus de 1 700 agents. À l’époque, les affrontements avaient blessé 61 gendarmes, d’après le ministre de l’Intérieur, et une soixantaine de manifestants, selon les organisateurs. Gérald Darmanin les avait alors qualifiés, toute honte bue, d’ « écoterroristes » de façon à criminaliser les opposants et à se poser en garant de l’ordre.

Pour l’heure, le tracé de la manifestation de samedi, soutenue par plus de 200 organisations syndicales, associatives et politiques, dont EELV, la FI et le PCF, n’est pas encore connu de façon à compliquer la tâche des autorités, qui, elles, soutiennent ces projets de privatisation de l’eau.

Trois options sont sur la table : une marche vers la méga-bassine de Sainte-Soline, dont la taille équivaut au Stade de France, un cortège vers celle de Mauzé-sur-le-Mignon ou bien, s’il y a beaucoup de monde, les deux. « Nous serons nombreux dans les champs du Poitou. Nous viendrons impacter matériellement les chantiers de méga-bassines : nous sommes déterminés à ce qu’elles ne se construisent pas », promet Léna Lazare, figure de la génération climat et représentante des Soulèvements de la Terre.

La manifestation sera ponctuée d’ « actions de désobéissance civile et paysanne », annonce-t-on, quand les services de police craignent « des violences et des dégradations ».

Le collectif Bassines non merci réclame un moratoire

Interdit de territoire dans les deux communes concernées et sous surveillance policière, Julien Le Guet prévient, lui, vouloir « coûte que coûte » stopper les méga-­bassines. Plusieurs associations ont déposé des référés-liberté contre les interdictions de manifester et de circulation du matériel agricole : « S’ils ont peur que ça se passe mal, ils n’ont qu’à autoriser les mobilisations et rouvrir le dialogue », demande Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne.

« Nous ne voyons pas comment les sanctions infligées aux anti-bassines, tout comme le déploiement annoncé des forces de gendarmerie samedi seraient de nature à permettre un dialogue avec les membres du collectif Bassines non merci et leurs soutiens », dénonce dans un communiqué de la fédération communiste du 79.

Car, de dialogue, il n’en existe plus entre les défenseurs des méga-bassines et leurs adversaires. D’un côté, le gouvernement se fait l’avocat de ces projets privés au service de l’agro-industrie notamment souhaités par la FNSEA, premier syndicat agricole.

Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau loue un modèle « vertueux » et le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu accuse la gauche d’ « hystériser » le débat. Des opposants qui, pourtant, ne manquent pas d’arguments appuyés sur une récente contre-expertise à une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

« Tous les usages doivent entrer dans la sobriété, affirme Julien Le Guet. Je veux bien faire pipi sous la douche mais pas si je continue à voir les champs de maïs arrosés tout l’été, grâce aux méga-bassines, quand les cours d’eau d’à côté sont à sec. »

Alors que la France a connu une période de forte sécheresse estivale suivie d’une inédite sécheresse hivernale qui dure, la question du partage de la ressource en eau et de son utilisation se place au cœur des enjeux. Et questionne de fait le recours aux méga-bassines, dont le bénéfice ne profite qu’à certains agriculteurs.

« La question qu’on doit se poser ne tourne pas autour du stockage de l’eau. C’est un combat qui n’oppose pas écologie et agriculture. Il faut se demander : quelle agriculture ?, quelle alimentation ?, continue-t-on à irriguer ?, où prend-on l’eau ?, pour qui ? », interpelle Nicolas Girod, qui demande la « suspension des travaux ».

Quid des évaporations et de la qualité de l’eau ?

Au-delà de l’accès à l’eau quand les nappes phréatiques sont à sec, ces retenues d’eau à ciel ouvert interrogent quant à leur efficacité. Quid des évaporations ? Sans parler de la qualité de cette eau stagnante : « On sait bien que l’eau stockée dans les nappes est de meilleure qualité que celle stockée en plein soleil », martèle Nicolas Girod, quand Julien Le Guet évoque un potentiel risque de pandémie et de contamination.

Surtout lorsqu’elles sont situées à proximité d’élevages de volaille, avec le risque de grippe aviaire. « Au fond des bassines, il y a des cadavres d’oiseaux », assure la figure de la mobilisation, qui évoque aussi la présence de « cyanobactéries ».

Autant de questionnements et d’alertes qui ne se traitent pas par la répression policière. Le collectif Bassines non merci demande un moratoire sur ces immenses bassins.

Mais l’exécutif reste sourd, même lorsque quelques projets sont déclarés illégaux par la justice, comme c’est le cas en Charente-Maritime. Ce qui inquiète Nicolas Girod : « Il y a eu un 49.3 social sur les retraites qui met le pays dans une grande tension. Il ne faudrait pas un 49.3 écologique sur les bassines. »


 


 

Trois jours de mobilisation contre les mégabassines

Mathilde Doiezie  sur www.politis.fr

À l’appel de Bassines Non Merci, des Soulèvements de la Terre, de la Confédération paysanne et d’autres collectifs et associations, un rassemblement de trois jours a lieu du 24 au 26 mars dans les Deux-Sèvres pour lutter contre les mégabassines. Ce, malgré l’interdiction de la préfecture.

Les premiers « No Bassaran » de la mobilisation contre les mégabassines retentiront dans les Deux-Sèvres, au moment de la clôture de la Conférence des Nations unies sur l’eau, la première rencontre intergouvernementale sur le sujet organisée depuis 1977. Jusqu’ici, la question de la ressource en eau ne faisait pas vraiment de vagues… Voilà qu’elle devient de plus en plus scrutée, parmi les crises écologiques multiples auxquelles nous faisons face.

En particulier en France, où le collectif Bassines non merci milite depuis 2017 contre l’installation dans le Poitou de mégabassines, d’impressionnantes piscines d’environ 10 hectares ou plus. Destinées à des agriculteurs faisant face à des sécheresses de plus en plus récurrentes, elles sont censées offrir une solution au manque d’eau en été.

Avec une particularité qui les distingue d’autres retenues d’eau : elles ne se contentent pas de récupérer de l’eau de pluie, mais puisent dans les nappes phréatiques en hiver, au moment où celles-ci sont censées être les plus remplies. Un raisonnement qui pourrait paraître presque logique, sans ce gros hic : la sécheresse continue même en cette saison hivernale.

Des centaines de projets

Sur les 18 derniers mois, 15 ont été déficitaires en pluviométrie. En début d’année, la France métropolitaine a battu son record de nombre de jours sans pluie : 32 jours, du jamais vu depuis le début des enregistrements en 1959, selon Météo France. Le mois de février a ainsi été le plus sec jamais enregistré, avec un déficit de précipitation de plus de 50 %. Soit pile à la période où les nappes phréatiques doivent se remplir.

Les dernières données les concernant sont inquiétantes : «  80 % des niveaux [des nappes] sont modérément bas à très bas », a détaillé mi-mars le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Des arguments, en plus d’autres impacts écologiques, qui ont conduit à deux décisions de justice défavorables à l’utilisation de certaines bassines en février.

Pourtant, « pas d’agriculture sans eau », comme le clame dans ses différentes apparitions le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Mais toutes les solutions ne se valent pas, lui répondent les opposants aux mégabassines. Le gouvernement soutient la construction de ces immenses réserves d’eau, dont une centaine de projets sont à l’étude dans toute la France.

C’est dans l’Ouest, dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente-Maritime, que l’appétit est le plus dévorant. Un projet de 16 bassines est porté depuis 2018 par la Coopérative de l’eau 79. Et début novembre, la préfecture de la Vienne a validé la création de 30 autres bassines.

Une annonce qui a fait office de goutte d’eau supplémentaire dans un vase débordant déjà. Quatre jours plus tôt, 7 000 personnes s’étaient réunies dans le village de Sainte-Soline pour arrêter le chantier d’une mégabassine de 16 hectares, demandant l’arrêt des travaux et un moratoire sur la création de ces réserves d’eau.

La manifestation d’ampleur, interdite par la préfecture, avait donné lieu à une cinquantaine de blessés côté manifestants, une soixantaine côté forces de l’ordre. Elle avait rendu visible au niveau national la lutte contre les mégabassines, aussitôt taxée « d’écoterrorisme » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Sans signe de ralentissement du côté des mégabassines, le collectif Les Soulèvements de la Terre – qui rassemble 150 organisations, syndicats ou collectifs écologistes locaux – a appelé dès le 17 novembre à un nouveau rassemblement d’ampleur ce 25 mars 2023. Depuis, des réunions publiques ont été organisées un peu partout en France pour parler de l’enjeu de la ressource en eau et appeler le plus grand nombre de personnes à venir.

Face-à-face en vue

Le rendez-vous s’est transformé en « mobilisation internationale pour la défense de l’eau » sur trois jours – ces 24, 25 et 26 mars –, avec des moments festifs, des conférences et une manifestation prévue le samedi matin. Le lieu sera communiqué au dernier moment. A priori pour remettre le couvert, soit à Sainte-Soline, soit à Mauzé-sur-le-Mignon, où une autre mobilisation avait eu lieu en novembre 2021. L’objectif ? « Impacter concrètement les projets de bassines et leur construction. »

De leur côté, les autorités se sont aussi préparées et le face-à-face risque d’être très tendu, dans un contexte de mobilisation sociale déjà très intense. Le 17 mars, la préfecture des Deux-Sèvres a publié un arrêté interdisant manifestations et attroupements dans 18 communes, dont Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline.

Le même jour, Julien Le Guet, porte-parole de Bassines Non Merci, était placé en garde à vue puis déféré devant le parquet de Niort. Il a été placé sous contrôle judiciaire et a interdiction de paraître à Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline jusqu’à son procès, prévu le 8 septembre. Une sentence « politique » à quelques jours de la mobilisation qui, l’espérait-il à sa sortie du tribunal, « ne va faire qu’amplifier le son de nos revendications ».


 


 

En Vendée, les bassines divisent doucement le monde rural

Marion Briswalter sur www.mediapart.fr

Ce samedi, une grande mobilisation réunit les opposants des mégabassines à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres voisines, face à laquelle le ministère de l’intérieur a annoncé l’envoi de de 3 200 gendarmes et policiers. Vingt-cinq réserves d’eau ont été creusées en quinze ans sur le pourtour nord du Marais poitevin. La chambre d’agriculture des Pays de la Loire réclame une généralisation des retenues artificielles qui divisent à bas bruit le monde rural.

La Roche-sur-Yon, Les Magnils-Reigniers, Lairoux, Les Autizes (Vendée).– Depuis quinze ans, une politique de construction de bassines est à l’œuvre dans le Sud Vendée. Vingt-cinq ouvrages de stockage de 11 millions de mètres cubes d’eau ont été construits en bordure nord du Marais poitevin.

Ce territoire alterne entre terres inondables, pâturages et grandes cultures céréalières. Il fournit des semences céréalières, des tourteaux pour les animaux, des melons, des légumes bio, du bœuf, le blé des pâtes. Dans quelques mois, le maïs recouvrira un quart des champs. 35 % à 45 % des terres y sont irriguées, contre 7 % au niveau national.

Jusqu'à ces derniers temps, et alors qu’une grande manifestation est attendue ce samedi à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres voisines (et pour lequel le ministère de l’Intérieur a annoncé vendredi l’envoi de 3 200 gendarmes et policiers), l’expérience vendéenne est jusqu’à présent restée loin des projecteurs. Mais elle est actuellement scrutée par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne qui souhaite en « tirer les enseignements » pour la révision de son schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et les futurs projets qui en découleront, déployés sur un quart de la France, du Finistère aux portes de l’Ardèche.

La construction de ces mégaréserves d’eau a nécessité 63 millions d’euros d’investissement, dont 38 millions (60 %) de financements publics. Trois programmes successifs ont été décidés dès 2006 par les acteurs publics et privés pour limiter l’assèchement de la zone humide, trop pompée et trop drainée, tout en soutenant le système agroalimentaire en place, en proie à des risques de baisses de rendement lors des étés secs.

À cette époque justement, l’Europe avait sommé la France de placer au cœur de la préservation du Marais poitevin un basculement vers une agriculture « respectueuse de l’environnement », notamment moins gourmande en eau.

« On est parti d’un état de “far west”, avec une surexploitation de la ressource en été qu’il a été difficile de faire admettre » aux agriculteurs, se remémore Yves Le Quellec, président de France Nature Environnement Vendée. « Cette surexploitation est devenue admissible dès qu’il y a eu cette porte de sortie de déporter les prélèvements. La solution [les bassines – ndlr], c’est peut-être une cote mal taillée mais c’était probablement la seule qui permettait de débloquer politiquement ce sujet [l’assèchement du marais – ndlr] qui n’avait déjà que trop duré. »

Dans les années 2000, l’écologiste maraîchin s’était opposé aux réserves devant la justice. Il a depuis changé de position car « la substitution », qui consiste à remplir en hiver les réserves d’eau artificielles par des pompages dans les nappes souterraines pour les substituer aux pompages du printemps et de l’été, « produit des effets ».

Les effets ? En 2020, la culture du maïs est en retrait, un glissement s’est opéré vers des variétés de maïs plus résistantes au manque d’eau, ainsi qu’une amplification du maraîchage, des prairies, du bio et des semences et une diversification des céréales. Cependant, la substitution n’explique pas à elle seule des choix de cultures aussi fortement conditionnées par les marchés et le prix de l’électricité.

Au conseil départemental, cofinanceur, on s’enthousiasme de la politique des bassines en mettant en avant des avancées : un portage politique qui pacifie la gestion collective de l’eau même en situation de crise et un encadrement des prélèvements par l’Établissement public du Marais poitevin (EPMP), alors qu’ailleurs en France les chambres d’agriculture et les sociétés privées ont plus de latitude. La collectivité défend aussi les effets positifs de la mutualisation des coûts et des quotas d’irrigation entre les 500 fermes irrigantes, branchées ou non aux bassines.

Pour Arnaud Charpentier, conseiller départemental (Union de la droite) et membre de la commission agriculture et eau, « le bilan, au bout de vingt ans, c’est que cet été les nappes étaient trois à quatre mètres plus hautes que ce qu’elles étaient dans les années 1990. Et au printemps, on a des canaux qui vont mettre beaucoup plus de temps à être à sec, ce qui veut dire que les réserves ont permis de préserver le milieu ».

« Mettre en évidence l’effet de la politique [des bassines – ndlr] sur la biodiversité ou sur des niveaux d’eau du marais, c’est une étude en soi qui n’est pas près d’être terminée et qui demande un gros dispositif d’acquisition de données », lui répond Anne Bonis, chargée de recherche en écologie au CNRS et membre du conseil d’administration de l’EPMP.

Un rapport de 2021 de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne se montre également prudent. Dans les plaines, « il est impossible de statuer sur l’efficacité des différentes actions, le recul n’étant pas assez important », concluent les auteurs, incapables de démêler finement l’effet de la substitution de celui des quotas d’eau imposés ces dernières années et des arrêtés sécheresse. Quant aux incidences sur le cœur de la zone humide, le rapport confirme le « besoin de définir » des indicateurs plus précis.

Des études Hydrologie, milieux, usages et climat (HMUC) attendues dans les prochains mois devraient aider à actualiser les réponses et, pourquoi pas, comme dans la Vienne, à redéfinir à la baisse les quotas d’irrigation. « Il est hors de question que la profession agricole perde ne serait-ce que l’ombre d’un mètre cube », alors que des « efforts considérables ont été consentis durant les vingt dernières années », prévenait Brice Guyau, le président (FNSEA) de la confédération générale de l’agriculture de la Roche-sur-Yon, dans un courrier adressé en mai 2021 au ministère de la transition écologique, en réponse à un recours devant la justice administrative porté par Nature Environnement 17 réclamant un plafonnement des prélèvements annuels.

Le milieu est détraqué à mort.

Sur le bassin des Autizes, à l’est du département, David Briffaud, paysan boulanger membre de « Bassines non merci », dénonce « les discours qui visent à dire que pour remplir les bassines, on prend de l’eau l’hiver quand elle est abondante. C’est complètement faux ! ».

« Cet hiver, le niveau [des rivières et des nappes – ndlr] était catastrophiquement bas. Le milieu est détraqué à mort », s’alarme aussi Olivier Cotron, maraîcher et arboriculteur bio installé non loin du marais. Pour le paysan, voisin d’une bassine vaste comme 240 piscines olympiques, ce système, s’il a permis de mieux encadrer les prélèvements l’été, conforte néanmoins la mainmise des gros céréaliers sur la terre et l’eau.

Pour Yann Pajot, délégué « eau » à la Confédération paysanne de Vendée, « tout n’est pas négatif » dans la politique sud-vendéenne en cours, « mais il faut engager une vraie transition agricole et revoir les volumes attribués et les plafonner ».

Lorsque les programmes furent signés en 2006 puis au mitan des années 2010, peu voire aucune contrepartie environnementale n’a été demandée en échange des 38 millions d’euros de subventions publiques.

Alors d’ouest en est, la plaine offre un paysage toujours désolé, sans réembocagement ni haies épaisses. Concernant l’utilisation des pesticides, la poussée du bio donne une indication. Cependant, la chambre d’agriculture dit conditionner la baisse de leur utilisation à « l’amélioration » de la « performance » du matériel et au montant des aides financières pour compenser le « manque à gagner ». Pour le conseiller départemental Arnaud Charpentier, la question de la pollution agricole est hors sujet : « Les pilules des femmes polluent beaucoup plus l’eau que d’autres résidus. Le matériel agricole est aujourd’hui bien plus sophistiqué et précis », ose l’élu.

Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité.

Concernant les économies d’eau, la régulation de l’arrosage par des sondes remporte un vif succès mais en quinze ans, la part de la surface irriguée n’a pas reculé. La diversification vers des espèces moins gourmandes en eau et à fort potentiel mellifère n’est pas au rendez-vous.

« Il faut aller sur l’économie d’eau mais si nous voulons préserver notre souveraineté alimentaire, tout le monde va devoir se mettre dans la tête que nous devons trouver les moyens pour stocker cette eau, car il en faut à disposition l’été », assène Joël Limouzin, président (FNSEA) de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.

Désormais, la chambre d’agriculture veut généraliser les aménagements pour brancher au plus vite l’ensemble des irrigants du Sud Vendée à des bassines et ceux du Nord Vendée à des réserves collinaires, ces plans d’eau artificiels déjà largement utilisés par les éleveurs du bocage. « On est prêts à prendre le pari que ces stockages seront multifonctionnels pour la biodiversité, l’agriculture, l’eau potable et contre les incendies. Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité », déroule Joël Limouzin.

Cet état d’esprit est qualifié par certain·es de « fuite en avant ». « Il y a une forme d’optimisme, voire de naïveté, de confiance envers un monde agricole qui depuis trente ans n’arrive pas à relever les défis de la restauration écologique des milieux. Il existe des modèles autres que cette fuite qui va vers plus de production, de céréales, de pompage, de puissance, de vitesse et qui ne colle pas avec la résilience », regrette Frédéric Signoret. L’éleveur et quinze confrères ont mené une petite révolution dans le département cet été, en démontrant qu’un troupeau herbivore de taille modeste et une rotation bien sentie dans des pâturages partiellement réensauvagés et inondables produisent leurs effets même en août.

Le plan gouvernemental adopté en février 2022 prévoit de soutenir « les investissements dans les projets collectifs pour l’amélioration ou la création d’infrastructures hydrauliques », c’est-à-dire les réserves de stockage artificielles d’eau pour l’irrigation.

« On ne peut peut-être pas généraliser ce dispositif » à toute la France, nuance le conseiller départemental Arnaud Charpentier. Pour le président de France Nature Environnement Vendée, « certains s’emparent du Sud Vendée pour en faire un exemple en disant “le stockage ne pose pas de problème”. Dire les choses comme ça, c’est une arnaque ! ».

publié le 25 mars 2023

François Ruffin :
« Si nous gagnons sur les retraites,
c’est un tremplin pour la gauche »
 

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Pour le député insoumis de la Somme, la réforme des retraites a rouvert, en plus d’une crise sociale, une profonde crise démocratique. L’enjeu désormais pour lui : faire en sorte que les manifestants passent du fatalisme à la conviction qu’« on peut gagner ».

C’estC’est dans un bistro de la gare du Nord que le député insoumis François Ruffin a donné rendez-vous avant de reprendre le train pour sa circonscription d’Amiens. Détendu, combattif, « un peu galvanisé » même par les derniers jours, le Picard se lance dans une discussion à bâtons rompus sur le sujet qui occupe toutes les têtes : la situation sociale et démocratique de ce pays qui bout de colère contre la réforme des retraites.

Si nul ne sait encore comment s’écrira la suite de l’histoire – c’est d’ailleurs le propre des moments de révolte ou de révolution, souligne François Ruffin –, le « député-reporter », qui fustige les violences policières d’un pouvoir aux abois et rend grâce aux syndicats qui ont « super bien joué » depuis le début du mouvement, estime désormais que tout est possible... même la victoire.

Mediapart : Les manifestations contre la réforme des retraites de jeudi ont été massives, et même à certains endroits, plus fortes que les précédentes. Sommes-nous au dénouement ou au commencement du moment politique que nous vivons ?

François Ruffin : Depuis le 49-3, nous sommes entrés en terre inconnue. Bien malin qui peut aujourd’hui faire un pari ou une prophétie. Le pouvoir tenait jusque-là par la force de résignation. Aujourd’hui, il doit recourir à la force de coercition. Sur les manifestants, ce sont les matraques et les LBD. Sur les salariés, ce sont les réquisitions. Sur les députés, c’est le 49-3.

Au fond, Emmanuel Macron est resté au pouvoir, l’an dernier, avec une grande fragilité : réélu sans élan, sans enthousiasme, avec un vote qui, disait-il, l’« oblig[eait] ». Et surtout, aux législatives, ses candidats sont laminés dans des coins entiers du pays, comme le mien, et il n’obtient qu’une majorité de raccroc à l’Assemblée. Voilà qui aurait dû l’incliner à la prudence, à la modération, à la sagesse. Mais non. Son péché, sa terrible faute, depuis un an, c’est qu’il comble sa fragilité par de la brutalité.

Condamnez-vous les violences policières qui ont eu lieu ces derniers jours dans les manifestations ?

François Ruffin : Les arrestations préventives, les nassages, les motos qui roulent sur les manifestants…, je n’analyse pas cela comme des dérapages individuels. C’est un choix politique. Je me souviens qu’après les « gilets jaunes », en 2020, j’avais auditionné des syndicats de policiers [pour un rapport parlementaire visant l’interdiction de certaines techniques de maintien de l’ordre – ndlr], qui m’avaient dit : « Les gilets jaunes, c’est une crise sociale qui réclamait une réponse politique. On n’y a apporté qu’une réponse policière. »

Quatre ans plus tard, rebelote. Le gouvernement n’apporte à la crise sociale, et démocratique, qu’une réponse policière. Et avec les mêmes conséquences : une montée de la violence, qui est toujours une défaite, qu’elle porte un uniforme ou non. La France est pointée du doigt par la Défenseure des droits, par le Conseil de l’Europe, par Amnesty International…

Qu’est-ce qui amène dans cette impasse ? Derrière la matraque, et même derrière Gérald Darmanin, il y a les choix politiques d’Emmanuel Macron : tous les syndicats unis contre sa loi ? Il ne les entend pas. Deux Français sur trois, quatre salariés sur cinq ? Il ne les entend pas. Des millions de personnes, en manif, une, deux, trois, quatre, cinq fois ? Il ne les entend pas. Même les députés qui n’auraient pas voté son texte, il ne les entend pas. Sciemment, très cyniquement, le président joue le pourrissement. Comme durant les gilets jaunes.

La presse a révélé que, lundi, les brigades de répression des actions violentes motorisées (BRAV-M) ont commis des agressions, notamment racistes, à l’encontre de manifestants. Le 22 mars, vos collègues de La France insoumise avaient envoyé un courrier à Gérald Darmanin où ils réclamaient un « démantèlement à titre provisoire » des BRAV-M. Êtes-vous favorable à leur dissolution ?

François Ruffin : Oui. Manifestement, ces unités n’adoptent pas franchement une stratégie de « désescalade »... On a vu un changement de pied côté Darmanin. Après des manifs paisibles et une police à distance, le ministre a repris les mêmes méthodes de maintien de l’ordre que lors des gilets jaunes. Quand il a réuni tous les préfets, en fin de semaine dernière, après l’annonce du 49-3, ce n’était pas pour leur apprendre à faire des câlins.

Mais j’insiste : c’est un choix politique, et Macron choisit la politique du pire, avec les « débordements » comme alliés. Que le pays brûle, à un moment, c’est dans son plan : ensuite, le pyromane se présente comme pompier. L’homme par qui le chaos arrive va maintenant incarner le parti de l’ordre…

J’ai toujours cherché la masse, le nombre, les millions, le peuple, à convaincre la majorité, à la faire bouger, dans la rue ou dans les urnes. C’est le seul chemin que j’entrevois pour la victoire.

Lancez-vous un appel au calme aux manifestants afin qu’ils ne tombent pas dans ce que vous décrivez comme un piège tendu par le pouvoir ?

Je doute toujours que ma parole pèse, mais bon, je veux bien, à travers vous, leur faire part de mes réflexions quant au « rôle de la violence dans l’histoire », pour reprendre un titre d’Engels. Personnellement, j’ai toujours cherché la masse, le nombre, les millions, le peuple, à convaincre la majorité, à la faire bouger, dans la rue ou dans les urnes. C’est le seul chemin que j’entrevois pour la victoire. Dès lors, la violence individuelle ou groupusculaire nous nuit : elle éloigne les gens, elle rend le mouvement impopulaire, et sert finalement les intérêts des puissants, qui agitent ça comme un épouvantail.

C’est à la fin du XIXe siècle que, d’après moi, s’opère le plus clairement ce choix. D’un côté, le mouvement anarchiste, avec la propagande par le fait, la pose des bombes. De l’autre, le mouvement socialiste, qui parie sur les millions de travailleurs, sur la levée en masse.

Pour moi, tout libertaire, tout individualiste que j’étais adolescent, isolé, révolté, chantonnant le Ravachol de Renaud, c’est le mouvement socialiste qui avait raison. D’ailleurs, je me souviens d’un livre qui m’a marqué, qui a participé de mon basculement : L’Œil du lapin, où François Cavanna raconte le destin très commun de sa mère. Femme de ménage quand éclatent les bombes anars, elle prend ça en horreur, elle se range du côté de l’ordre. La mère de Cavanna, et ma mère, et nos mères, avec leur décence et leur bon sens, on doit les avoir avec nous, ne pas les effrayer…

Mais attention, le mouvement socialiste n’agit pas sans violence : les années 1900 sont très agitées, avec des premiers mais en batailles rangées, avec un repos dominical qui se conquiert dans la douleur, avec des châteaux qui sont saccagés par des émeutes ouvrières, avec des affrontements entre les mineurs et la troupe… et avec le bon Jaurès qui défend tout ça.

Mais cette violence n’est pas individuelle ni groupusculaire. C’est une classe, un peuple qui se soulève, celui qui a pris la Bastille, ou plus près de nous, plus modestement, les « Contis » qui envahissent la sous-préfecture de Compiègne, qui jettent des ordinateurs par la fenêtre, la jacquerie des licenciés. Ça n’a pas le même sens.

La seule question qui vaille, d’après moi, aujourd’hui, c’est : comment fait-on bouger des pans encore endormis du pays ? C’est le nombre qui fera plier Macron.

Que préconisez-vous ?

François Ruffin : Le diagnostic, d’abord : nous avons des classes populaires en convalescence. C’est sans doute vrai, encore davantage dans des terres industrielles comme chez moi, qui ont subi la fuite des usines, mais ça me semble vrai partout. À un malade, tu ne dis pas : « Lève-toi et viens battre le record du saut en longueur, on va faire la révolution ! » Non, juste un pas, ce sera déjà ça. Et ensuite viendra un second pas. Et enfin, on pourra relever le nez vers un horizon…

Moi, mon but, aujourd’hui, c’est que les gens prennent confiance et conscience de leur propre force. « Vous comptez. Vous êtes importants. Vous pouvez faire bouger le pays. On parle de vous. Ils ont peur. » Alors qu’on leur a dit être, et qu’ils se sentent tous les jours, des « gens qui ne sont rien », qui ne comptent pas. Domine alors l’immense fatalisme du « c’est comme ça ». Voilà l’ennemi. Voilà la véritable bataille. C’est ça qui doit basculer, dans les têtes : « On peut gagner. »

Vous l’avez constaté sur le terrain ?

François Ruffin : C’est contrasté. J’analyse, dans mon département, les manifestations d’hier. À Abbeville, le matin, il y avait deux fois moins de monde que le 19 janvier (j’ai compté), et un peu grise mine, de la mélancolie. Un rond-point est bloqué par une poignée d’artisans, un autre par les syndicalistes des usines, mais les ouvriers, eux, la plupart, vont bosser. Idem sur la zone industrielle d’Amiens, malgré le blocage : les ouvriers sont moins en grève, Goodyear a effectué 80 % de sa production, aucun « regain de mobilisation », ici, plutôt un reflux. C’est lié à un facteur matériel, évidemment, le pouvoir d’achat, le compte en banque à zéro, mais aussi à un facteur spirituel, cette idée que « de toute façon, ça va passer ».

Arrive la manifestation à Amiens : du jamais-vu. Par le nombre, immense, on renoue avec les pics de janvier, en gros. Mais surtout par l’énergie, par un changement d’état d’esprit : « On peut gagner. » Et surtout, par ce parcours, jamais opéré : le cortège est parti du centre-ville, est passé par la fac, puis par les quartiers nord, et jusqu’à la zone industrielle. J’étais hyper-ému, parce que c’est la jonction qu’il nous faut, des profs et des prolos en gros. Et pour la première fois, la jeunesse était là, qui apporte une énergie. Le miracle, si j’avais une lampe merveilleuse et un seul souhait, c’est qu’une contagion de l’espérance dégèle les cœurs populaires, qu’ils se remettent à y croire.

Faut-il réajuster le discours de la contestation pour élargir encore le mouvement : par exemple, parler moins des retraites et davantage de la question démocratique, ou ouvrir à d’autres problématiques sociales…

François Ruffin : On peut très bien tenir les deux bouts à la fois. Que se passe-t-il ? Nous sommes entrés dans le conflit sur un motif social : « Non aux deux années de plus ! », nous en sommes à une crise démocratique : « Comment se fait-il qu’un homme peut décider tout seul là-haut ? ». C’est le même scénario que pour les gilets jaunes : on entre par le prix du gasoil, on en sort avec le désir d’un « référendum d’initiative citoyenne » (RIC). Même chose pour la Révolution française : ça commence par « qui paie les impôts ? » et ça conduit aux états généraux, à l’Assemblée nationale, à la fin de la monarchie absolue. Aujourd’hui, c’est la crise démocratique qui amène la jeunesse dans la rue.

Certains à La France insoumise tentent d’ores et déjà de mobiliser autour du passage à la VIe République. Cela vous semble approprié ?

François Ruffin : C’est bien de le poser comme horizon. Maintenant, quel est le premier pas, où en sont les esprits ? « Le président ne peut pas décider tout seul. » Très concrètement, on peut évoquer un changement de Constitution, mais il faut déjà faire plier Macron. Si on obtient ça, ça rouvrira un imaginaire démocratique, ça donnera de l’élan. Vous savez, en 1789, les gens ne se sont pas dit : « On va faire la révolution ! » Ils ne s’en rendaient pas compte, qu’ils la faisaient. Ils ont avancé dans la brume. C’est pour ça, quand on lit la BD Révolution, pendant des pages on ne comprend rien… parce que les acteurs eux-mêmes ne comprenaient rien !

Macron exerce aujourd’hui une violence presque personnelle, très visible, sur le corps social. Même dans le camp libéral, on s’interroge : c’est malhabile, ça pourrait devenir dangereux.

Et puis, démocrate, je ne veux pas l’être à moitié, que quand ça nous arrange : pour sortir de la Ve République, il faudra le demander aux Français. La réponse, aujourd’hui, n’est pas assurée. En revanche, inscrire le RIC dans la Constitution, c’est déjà un mot d’ordre populaire, de bon sens, un pas que les gens ont envie de faire ensemble vers notre horizon.

Et la solitude de Macron, contre le reste de la société, en fait un terreau magique… Même le patronat ne le soutient pas. Même les éditorialistes sont mal à l’aise : les puissants, normalement, ont un certain savoir-faire pour habiller de manière acceptable, courtoise, douce, les reculs qu’ils imposent, leur violence s’habille joliment. Or, Macron exerce aujourd’hui une violence presque personnelle, très visible, sur le corps social. Même dans le camp libéral, on s’interroge : c’est malhabile, ça pourrait devenir dangereux.

Peut-on considérer le moment comme une fenêtre d’opportunité ?

François Ruffin : Je veux replacer cette crise dans un temps plus long. Vous savez que, depuis longtemps, je suis guidé par une phrase de Gramsci, qui analyse bien l’époque que nous vivons. Il dit : « Nous sommes dans un temps de détachement de l’idéologie dominante. » Ca signifie, pour nous, que croissance, concurrence, mondialisation, n’attirent plus les gens, ces mots les inquiètent, les dégoûtent. Dès lors, poursuit Gramsci, « la classe dominante ne parvient plus à diriger, seulement à dominer, et à dominer par la force de coercition ».

Le bloc libéral ne s’effondre pas, ne croyons pas cela, mais il s’effrite, dans la durée, c’est un processus continu, avec parfois des chocs : pour les ouvriers, qui ont voté « non » à 80 % [au référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe], le 29 mai 2005 marque un décrochage. La loi Travail et Nuit debout pour la classe intermédiaire, plus éduquée, des centres-villes.

La réplique, dans les campagnes, dans la France des bourgs, ce sont les gilets jaunes… Aujourd’hui, ça secoue partout. Des particules vont encore décrocher du bloc central, soit parce que « deux ans de plus, c’est injuste », soit parce qu’« on ne vit pas en démocratie » : où iront-elles ? Chez nous ? À l’extrême droite ? Dans l’abstention-résignation ? Le match est engagé. Mais plus ça bouge aujourd’hui, plus ça rejoint des collectifs, plus on passe du statique au dynamique, plus on se donne des chances pour demain.

Que pensez-vous de l’attitude des syndicats depuis le début du mouvement ?

François Ruffin : Dans les limites qui sont les leurs, jusqu’ici, de mon point de vue, ils ont super bien joué. Il y a deux lectures qui s’opposent, que j’entends parfois. Que les syndicats ne voulaient pas lancer la bataille, que la fin janvier, c’était trop tard, qu’ils ont freiné les secteurs prêts à en découdre, et qu’au fond, ce sont des traîtres en puissance.

Ce n’est pas du tout ma lecture. Au contraire, de là où j’habite, je vois un pays en dépression politique. Or les syndicats sont parvenus à saisir le bon tempo pour réveiller les gens, pour faire bouger dans les profondeurs des régions, avec un travail de conviction, dans l’ombre. Ils ont, à mon sens, bien pris le pouls du pays. Avec, pour moi, des petits miracles : des manifestations à Albert, Doullens, Péronne, Friville-Escarbotin, dans les petites communes.

Et ils ont laissé à leur base, aux intersyndicales dans les départements, de la latitude, de la souplesse, sur les modes d’action : manifestations, grève, blocages, occupations… Si les grèves ne sont pas puissantes, ce n’est pas, je ne crois pas, parce que là-haut les grands chefs à plumes ne le veulent pas. Sans doute que tous ne le souhaitent pas. Mais ce sont les gens, en bas, surtout, qui ne provoquent pas des AG, qui n’arrêtent pas dans leur boîte ou collège, qui ne sont pas saisis d’une émulation.

Enfin, c’est aussi grâce aux syndicats que la loi n’avait pas de majorité dans l’Assemblée. Ce sont eux qui ont démarché les députés macronistes ou les députés Les Républicains, et qui, par un lobbying citoyen, les ont convaincus. Ce sont eux qui ont contraint le gouvernement au 49-3.

Faut-il néanmoins les déborder ?

François Ruffin : Le sujet, à mon avis, n’est pas de les déborder mais de les compléter. Il y a des pans de la société où les syndicats ne savent pas faire, sont absents, et ce n’est pas leur boulot. Les quartiers populaires, par exemple, ou la jeunesse, ou les artisans, ou les isolés, c’est à d’autres, à nous, de ramener ça, et nous ne sommes pas au bout. Gramsci dit qu’« on ne conquiert pas les masses de manière moléculaire, mais en passant par leurs intellectuels organiques ». Qui sont-ils aujourd’hui ? Les footballeurs, les rappeurs et… les influenceurs. Léna Situations a fait beaucoup pour la mobilisation ! Quand on t’explique, sur TikTok, comment t’habiller pour aller en manif, ça compte !

Quel peut être le rôle de la gauche dans ce paysage ?

François Ruffin : Il y a le boulot à l’Assemblée nationale. Même si j’étais favorable à sa discussion, il fallait empêcher que l’article 7, repoussant l’âge de départ à 64 ans, soit voté. Imaginez les bandeaux de BFMTV, Aurore Bergé venant frimer, si le report avait été voté. Ça aurait découragé le mouvement… Mais l’essentiel est au-delà : il nous faut incarner un débouché politique.

La France insoumise a été très offensive sur les bancs de l’Assemblée – s’attirant, du coup, de nombreuses critiques – mais vous avez expliqué il y a quelques mois que vous vouliez au contraire vous « soc-démiser »… N’avez-vous pas choisi une stratégie à contre-temps ?

François Ruffin : D’abord, même si on s’en fout, je ne me suis pas prétendu social-démocrate. J’ai toujours dit : « Je suis social et démocrate. » Je veux le partage des richesses et je veux que le peuple décide. Et le souci des sociaux-démocrates, c’est qu’ils ne sont plus ni l’un ni l’autre depuis longtemps… Ensuite, l’Assemblée, les gens n’ont pas le nez dedans : ce qui compte, pour eux, c’est le porte-monnaie et combien de temps ils vont devoir bosser.

Comment faire pour que la gauche, et pas l’extrême droite, s’impose comme le débouché politique de la contestation ?

François Ruffin : Mai 68 se traduit pour moi en mai 1981, les grèves de 1995 donnent Jospin, le mouvement de 2010 contre les retraites Sarkozy amène Hollande… Quand on énonce ces trois cas, on voit bien pourquoi le débouché politique ne met pas en appétit. À chaque fois ce furent des déceptions ou des trahisons. Ces expériences pèsent dans les têtes des gens. Et l’autre donnée : il y a désormais une autre issue, un autre débouché possible à la colère, qui est le Rassemblement national.

Si nous gagnons, c’est évidemment un tremplin pour la gauche. C’est nous, les syndicats, les militants, qui aurons arraché cette victoire. Mais même si on ne gagne pas, plus le mouvement est fort, plus il affilie les gens à des idées progressistes, plus on place la question sociale au cœur des débats, mieux c’est pour nous. La pente, la pente de l’indifférence, la pente du ressentiment, elle ne coule pas dans notre sens, elle va vers le Rassemblement national. Nous, il nous faut la remonter, ne pas laisser stagner la résignation, la transformer en une espérance. Et il faudra le faire, d’une manière ou d’une autre, avec les syndicats, qui ont montré leur rôle…

En 2017 et 2022, le candidat de la gauche, Jean-Luc Mélenchon, était plutôt dans l’idée de contourner les corps intermédiaires…

François Ruffin : La France insoumise a toujours travaillé avec des syndicalistes, évidemment. Mais je pense que, cette fois, il faudra qu’ils en soient partie prenante, avec des modalités à trouver. Avec, notamment, la question du travail, qui mine les classes populaires, qui doit revenir au cœur d’un discours gauche.

Les deux cents, trois cents, quatre cents qui ont manifesté à Friville-Escarbotin, on ne doit pas les lâcher. Ils doivent se sentir embarqués dans un projet pour notre société. Et le lien avec eux, ce sont les syndicats.

Faudra-t-il faire des retraites un sujet central pour la présidentielle de 2027 ?

François Ruffin : Il faut le poser : « 60 ans, 40 annuités », mais ça n’est pas un projet pour notre société, c’est de la tuyauterie budgétaire, même si j’en appelle à un « contrat intergénérations », pour la jeunesse, qui est aujourd’hui écrasée comme l’était la vieillesse après-guerre.

Mais nous devons répondre à des questions bien plus amples : l’hôpital qui est en lambeaux, l’école de la République qui recrute ses enseignants en job-dating, le rail qui déraille, les prix délirants de l’énergie, la pénurie de médicaments… Tous ces bugs, en même temps, ne sont pas des coïncidences. C’est un même système qui est à bout : quarante années de « réduction des déficits », de « concurrence libre et non faussée », de « libre circulation des capitaux et des marchandises ».

Il nous faut sortir de la parenthèse libérale, ouverte en 1983, et en y ajoutant la crise climatique. Tout est à transformer : l’industrie, le logement, les déplacements… Voilà nos vrais défis. Et j’en veux surtout à Macron pour cet immense gâchis : on devrait se rassembler, se retrousser les manches pour affronter tout ça, avec énergie, avec envie, et à la place, lui fait quoi ? Des contre-réformes à la noix. Et c’est avec ça qu’il prétend « laisser une trace dans l’histoire » ! Quel rigolo ! C’est d’un ridicule.

   publié le 24 mars 2023

Partout dans les rues,
l’union contre Macron

Dan Israel, avec la rédaction de Mediapart sur www.mediapart.fr

Loin d’être un baroud d’honneur, la neuvième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites a rassemblé des manifestants en masse dans toute la France. La colère, voire la haine, se concentre sur Emmanuel Macron. Incendies et violences policières ont marqué la fin de journée.

Lilian, 27 ans, et Margaut, 33 ans, sont soudeurs dans une PME de Romorantin (Loir-et-Cher) qui fabrique des chauffages design. Ce 23 mars, ils ont manifesté pour la première fois contre la réforme des retraites, à l’occasion de la neuvième journée de mobilisation nationale organisée par les huit syndicats de salarié·es. Ils ont occupé un rond-point pour ralentir le passage des poids lourds : « Notre cheffe occupe le rond-point du Super U et nous a demandé de bloquer celui-ci. »

Les deux soudeurs n’ont pas dépareillé lors de cette journée singulière, où les manifestant·es ont défilé contre une loi définitivement adoptée – mais pas encore promulguée, en attendant l’avis du Conseil constitutionnel, qui devrait être rendu dans le courant de la semaine prochaine.

Comme Lilian et Margaut, les primo-manifestant·es n’étaient pas rares dans les cortèges (lire notre récit en direct de la journée, partout en France). Et leur mode d’action illustre une radicalisation à l’œuvre depuis l’adoption du texte à l’Assemblée par le biais de l’article 49-3, jeudi 16 mars. Radicalisation dont les traces ont été notables dans les manifestations partout en France.

La colère qui s’est exprimée, parfois librement, ce jeudi n’a qu’une cible : Emmanuel Macron. Ils sont très nombreux à ne lui pardonner ni le 49-3, ni son intervention télévisée autosatisfaite de mercredi, appuyée par un tweet clamant : « Je suis sûr qu’on saura s’unir, se réunir pour l’avenir du pays. » Le sentiment commun a été résumé par le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, au départ de la manifestation parisienne : par ses mots, le chef de l’État « a jeté un bidon d’essence sur le feu ».

Effet garanti : selon la préfecture de police, 119 000 personnes ont défilé à Paris. C’est le chiffre le plus important de ce mouvement social dans la capitale, mais aussi le plus gros jamais mesuré pour une manifestation syndicale. Dans toute la France, le ministère de l’intérieur a compté 1,1 million de manifestant·es, pas loin des deux pics du 31 janvier (1,2 million) et du 7 mars (1,3 million). La CGT en a dénombré 3,5 millions. Et l’intersyndicale ne désarme pas : dans la foulée de ce succès, elle a annoncé une nouvelle journée de manifestations pour ce mardi 28 mars. 

Le mouvement touche désormais des lieux qui se tenaient jusque-là à l’écart des grèves.

Comme depuis le début de la contestation, des manifestations étaient organisées sur tout le territoire, quelle que soit la taille des communes, dans 300 lieux différents. Et côté grévistes, la mobilisation était à la hausse après des journées moins suivies. Le trafic des trains, métros et RER a été fortement perturbé toute la journée, et à Paris, 140 des 645 écoles primaires ont fermé.

L’essence se raréfie aussi dans les stations-service en raison des blocages des dépôts pétroliers et de l’arrêt progressif des raffineries : 15,14 % des stations françaises étaient en pénurie d’au moins un des carburants jeudi matin, et les chiffres montent à 40 % dans les départements de l’ouest de la France, et à 53 % en Loire-Atlantique, du fait du blocage du dépôt et de la raffinerie de Donges.

Autre fait frappant, le mouvement touche désormais des lieux qui se tenaient jusque-là à l’écart des grèves : agent·es de l’Insee, de la Cour des comptes, du Mobilier national… Pour la première fois depuis trente ans, les dockers de Dunkerque ont arrêté le travail. Tout aussi inédit, la faculté de droit Assas-Panthéon a été bloquée par une partie de ses étudiant·es.

La haine contre le chef de l’État s’exprime désormais librement  

Partout, les mêmes termes reviennent pour décrire Emmanuel Macron. À Lyon, une syndicaliste CGT dénonce le « roi », un nouveau « Louis XVI » auquel il est rappelé que « lorsque le peuple se soulève, il fait tomber la monarchie ». À Rennes, Bertrand, délégué syndical CGT chez Lafarge, le constate, « la haine » s’est installée envers le chef de l’État. « Savez-vous quelle réserve de rage vous venez de libérer ? », interrogeait ce week-end dans Mediapart l’écrivain Nicolas Mathieu. Des mots prémonitoires. 

Dans la petite ville universitaire de Lannion (Côtes-d’Armor), Florestan, 20 ans, participe au blocage de l’IUT. Il a manifesté pour la première fois de sa vie en février, et mercredi, il a écouté « l’allocution » de Macron : « Quand le président dit que les syndicats n’ont pas cherché le dialogue, j’ai pris ça comme un foutage de gueule. Ensuite je me suis demandé : pourquoi cherche-t-il à ce point à alimenter le feu ? »

À Romorantin, Marc a lui aussi écouté le président. « Et j’ai failli exploser ma télé tellement il se prenait pour un monarque. Ce type est en train de bousiller tous nos acquis, et on devrait fermer notre gueule ? » , s’insurge ce chauffeur routier de 60 ans, en préretraite et qui craint que la réforme ne l’oblige à retourner au travail pour compléter ses trimestres.

À Paris, c’est Stéphane, agent communal à Chilly-Mazarin (Essonne), affilié à l’Unsa, syndicat peu connu pour ses outrances, qui laisse déborder sa haine : « S’il était en face de moi, je l’accrocherais en haut de la colonne de la Bastille, et j’attendrais de voir son vêtement craquer. Et je filmerais. »

« Sans même parler de sa réforme, qui est une régression sociale scandaleuse, les méthodes de notre président relèvent de la haute trahison, insiste-t-il. Il fait énormément de mal au pays, il ouvre un boulevard à l’extrême droite. »

Même les adhérents CFDT veulent bloquer le pays 

L’exaspération palpable conduit à un net durcissement des actions et des discours. À Pluzunet (Côtes-d’Armor), l’incinérateur, où on trie et brûle d’ordinaire tous les déchets du Trégor, est bloqué depuis lundi. « Le 49-3 nous a décidés à monter d’un cran, en touchant l’économie », explique Benoît Dumont, de la CGT Lannion.

Marie et Freb, eux, travaillent dans un supermarché de Seine-et-Marne, où ils sont militants CFDT. Et ils s’impatientent : « En haut, à la CFDT, ils sont restés longtemps dans une posture de négociation plutôt que d’action. Puis Laurent Berger a bien constaté qu’il avait atteint une limite et qu’il fallait s’engager dans le mouvement, parce qu’Emmanuel Macron se foutait de lui », analyse Freb.

Et les sages adhérents de la CFDT se révèlent « aussi remontés que ceux de la CGT » : « Maintenant, on espère qu’ils ne s’arrêteront pas. On en est arrivés à un point où il faut aller plus loin : les manifestations, même de masse, le pouvoir s’en moque totalement. Il faut bloquer le pays, avec les transports, les raffineries, les routiers. Tout bloquer. Si possible sans violence. »

Dans une note interne consultée par Mediapart, la direction nationale de la CFDT s’inquiétait justement dans la semaine que ses adhérent·es « ne cèdent à la radicalité » : « L’extrême gauche va essayer de récupérer des colères. [...] Nous devrons être attentifs à ne pas renier ce que nous sommes : réformistes et responsables. »

Il n’est pas certain que ces efforts de la centrale de Laurent Berger payent : ce jeudi, les manifestant·es ont dit de plus en plus clairement qu’ils ne s’interdisaient plus rien. Y compris lorsqu’ils défilent au milieu des drapeaux orange de la CFDT, comme Jessica à Rennes. « La violence du gouvernement rend les gens ultra vénères. Les policiers sont agressifs. On n’est pas à l’église ici, on ne tend pas l’autre joue », considérait la jeune femme, qui s’occupe de l’accueil des étudiantes et étudiants étrangers dans une école de commerce.

Incendies et violences policières 

Les violences sont bien apparues. Et les flammes ont frappé. À Lorient (Morbihan), où environ 300 manifestant·es ont allumé un feu tout contre le commissariat. Des vitres ont été brisées, la grille d’entrée brûlée. À Paris, la soirée a été marquée par les incendies qui ont frappé le quartier de l’Opéra et le IIe arrondissement, à la suite des feux allumés en fin de manifestation par certains participants. Et à Bordeaux, c’est l’entrée de la mairie qui a été incendiée.

« Je suis assez marqué par la colère qu’il y a aujourd’hui. L’utilisation du 49-3 a cristallisé un nouveau truc, prévenait quelques heures plus tôt un vieux routier des mobilisations sociales à Paris. Dans ce mouvement, les manifestations de masse, la grève et les occupations ouvrières ne s’opposent pas à la colère qui peut s’exprimer plus fortement. »

À Paris, les agressions contre les manifestants se sont multipliées.

Durcissement contre durcissement, la journée a aussi vu les violences policières se multiplier. À Rouen (Seine-Maritime), une manifestante a eu un pouce arraché par un tir de grenade des forces de l’ordre. Le député Renaissance Damien Adam a demandé une enquête.

À Paris, les agressions contre les manifestantes et manifestants se sont multipliées, relayées par les vidéastes indépendants qui parcourent les cortèges de tête : coup de matraque en plein visage, policiers s’acharnant sur des manifestants à terre les mains levées dans une immense cohue, début d’attaque du service d’ordre entourant le carré syndical officiel…  

Autant d’actes qui donnent raison au communiqué diffusé quelques heures plus tôt par la Ligue des droits de l’homme : « On ne décrète pas par l’usage de la force la fin d’un mouvement social dans un État de droit », y clamait l’association, appelant « le gouvernement à la raison et le ministre de l’intérieur au respect des droits fondamentaux ».

À Foix, dans l’Ariège, on a beau être loin de la capitale, les esprits n’en sont pas plus sereins. « Macron ne lâchera pas. Il est fou. Il va aller jusqu’à l’insurrection », se désespère Noël, technicien de maintenance à la retraite de 65 ans. Et Jeanine, ancienne institutrice de 90 ans, qui manifeste pour la cinquième fois, a un pressentiment : « Ça va mal finir. Je pense à Mai-68, à la Révolution. Les gens ne vont pas se laisser faire. »


 


 

Grève du 23 mars à Montpellier : une manifestation de tous les records

sur https://lepoing.net/

40 000 personnes dans les rues de Montpellier : il faut croire que le discours de Macron du 22 mars a encore jetté de l’huile sur le feu de la contestation

De mémoire de Montpelliérain.e, on avait pas vu ça depuis des années à Montpellier. Un raz de marée. Ce 23 Mars contre la réforme des retraites, la CGT annonçait 40 000 personnes dans les rues du Clapas, et le syndicat Force Ouvrière parlait quant à lui de 60 000 personnes dans son communiqué.

A partir de 11 h 10 et pendant plus d’une heure, c’est un flux constant ininterrompu et surtout bien serré qui est parti de la place Zeus en direction du Peyrou. Macron a au moins réussi une chose : réveiller le pays ! Chaque cortège syndical était très fourni, la jeunesse etait très représentée, qu’elle soit des universités, des lycées ou des collèges, les chorales et orchestres se sont multiplié et chantaient aussi l’ Internationale, qui sera reprise par le corps de la manifestation.

Après avoir descendu le boulevard Henri IV et à la fin du boulevard Louis Blanc, un grand trou s’était formé dans le cortège, et alors que tout le monde pensait remonter sur la Comédie, des grappes de manifestant.e.s étaient dirigé.e.s vers le lycée Mermoz. Interrogé sur la suite du parcours, un syndiqué du service d’ordre de Force Ouvrièr a répondu : « C’est l’intersyndicale qui a décidé ce parcours avec le préfet pour éviter la casse… »

 A partir de là, le cortège s’est scindé en deux, avec des grappes de personnes perdues sur la signification de ce trajet. Arrivé.e.s Place de l’Europe, fin supposée de nombreuses personnes ne comprenaient plus la situation, sans savoir qu’une partie conséquente de la manifestation avait scindé le cortège. En effet, à l’initiative d’une partie plus combative et plus déterminée de la manifestation, des milliers de personnes ont suivi la banderole des étudiants de Paul Valéry pour remonter sur l’Esplanade, puis le Polygone, qui a encore dû fermer ses rideaux de fer, avant de rejoindre la préfecture.

Un cadre de la CGT commentera à propos du trajet qu’il y avait trop de monde et pas assez de Service d’Ordre » pour canaliser la foule.

Après la manifestation, de nombreuses actions se sont déroulées : les étudiants de la faculté Paul Valéry ont voté le blocage de la fac en assemblée générale, le dépôt pétrolier de Frontignan a été bloqué puis réprimé, et une nouvelle manifestation sauvage a encore embrasé le centre-ville. Plus d’infos sur les réseaux sociaux du Poing en attendant un prochain article.

  publié le 24 mars 2023

Report de l’examen du projet de loi Asile Immigration. Les associations et collectifs ne sont pas dupes

Communiqué interassociatif signé par la LDH

Les organisations signataires prennent acte de la décision du gouvernement de reporter l’examen du projet de loi Asile et Immigration, qui devait être débattu en séance publique au Sénat à partir du 28 mars 2023.

Le président de République vient d’annoncer que le projet de loi ne sera pas retiré mais que les propositions du gouvernement seront reprises dans le cadre de différents textes, “présentés dans les semaines à venir.”

epuis plusieurs mois, les associations et collectifs dénoncent les effets délétères des mesures contenues dans ce projet de loi sur les droits et conditions de vie des personnes exilées. Mercredi dernier, l’examen du texte en commission des lois au Sénat les a même considérablement aggravés. 

Les organisations signataires appellent le gouvernement à prendre en compte leurs nombreuses propositions pour la mise en place d’une politique migratoire fondée sur l’accueil, le respect des droits fondamentaux et la dignité humaine.

Elles demandent au gouvernement de ne pas faire passer des dispositions, qu’elles soient législatives ou réglementaires, qui ne feront que fragiliser et restreindre les droits des personnes exilées.

Les associations et collectifs appellent donc le gouvernement à abandonner définitivement ce projet de loi.

Liste des organisations signataires : 

Amnesty International France, Anafé, Anvita, Ardhis, CCFD-Terre Solidaire, Cimade, Centre Primo Levi, Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry, Coordination des sans-papiers 75, Crid, Dom’Asile, Etokinekin diakité, Emmaüs France, Femmes de la Terre, Fondation Abbé Pierre, Gisti, Human Rights Watch, LDH (Ligue des droits de l’Homme), LTF, Médecins du Monde, Paris d’Exil, Secours catholique – Caritas France, Solidarité Asie France, Thot, Tous migrants, Union des étudiants exilés, Union syndicale Solidaires, UniR

Paris, le 22 mars 2023


 

 

À quoi sert le projet de loi sur l’immigration ?

sur www.humanite.fr

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déposé son texte législatif le 1er février. Lourd de dangers pour les droits des étrangers, il suscite une vive opposition des associations engagées sur le terrain.


 

Depuis deux décennies, la situation s’aggrave. En instrumentalisant l’ordre public, cet énième texte s’inscrit dans la logique du bouc émissaire.

par Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH)

Depuis vingt ans, la répression à l’égard des étrangers n’a cessé de s’aggraver rendant de plus en plus précaire la situation de certains de ceux qui vivent sur notre territoire. Un étranger, cela peut être un Allemand, un Ukrainien, un Tunisien, un Afghan et bien d’autres ressortissants du monde entier, mais les uns et les autres sont traités bien différemment quand ils arrivent en France. Pire, ce sont ceux qui ont le plus besoin de protection, ceux qui fuient leur pays d’origine quelle qu’en soit la motivation (politique, économique, climatique) dont les visas sont refusés, qui sont refoulés aux frontières et qui sont maltraités quand ils arrivent à rejoindre notre pays. Un nouveau projet de loi sur l’immigration a été déposé. Il se heurte à l’opposition unanime de l’ensemble des organisations qui travaillent sur ces questions.

À l’avenir, aucune personne étrangère ne sera à l’abri d’un risque d’expulsion.

Pour faire adopter son texte, Gérald Darmanin a besoin, quoi qu’il en coûte, du soutien des LR. Il a enfourché le cheval de l’invasion migratoire et alimente le fantasme de l’étranger délinquant. Sur une telle base, toutes les régressions peuvent se justifier : expulsions, multiplication des obligations de quitter le territoire (OQTF) et des interdictions de revenir sur le territoire (IRTF), y compris à l’encontre de personnes inexpulsables (parents d’enfants français, conjoints de Français ou ressortissants de pays où la répression fait rage, Syrien·ne·s, Afghan·e·s, Soudanais·es, etc.), rétablissement de la double peine… À cela s’ajoute le rabaissement de toutes les procédures judiciaires : réduction des délais de recours et de jugement, généralisation de la visioconférence (justice « dématérialisée »), juge unique, recours à des procédures accélérées.

En bref, une justice au rabais pour empêcher l’effectivité de droits eux-mêmes au rabais. Et ce n’est pas la création expérimentale d’un titre de séjour dit « métiers en tension » qui peut masquer les freins mis pour faire obstacle à la délivrance ou au renouvellement de titres de séjour, y compris de la carte de résident. Tous les prétextes sont bons comme le montre, au motif de meilleure intégration, le rehaussement de l’exigence de maîtrise de la langue française sans tenir compte des vulnérabilités dues à l’âge, au handicap, à la santé ou à la situation économique et sociale.

Mais le pire est sans doute l’instrumentalisation de l’ordre public à travers des notions comme celles de menaces à l’ordre public ou d’atteintes graves aux principes républicains dont l’imprécision ouvrira grand la porte à l’arbitraire des préfets. À l’avenir, aucune personne étrangère ne sera à l’abri d’un risque d’expulsion. Les amendements en cours d’adoption au Sénat vont encore aggraver les choses : ils mettent en cause l’aide médicale d’urgence (AME), le regroupement familial, la naturalisation, les titres de séjour pour raisons de santé et fragilisent un peu plus les jeunes majeurs. La situation de toutes les personnes étrangères va être encore plus précarisée. C’est plus que jamais la logique du bouc émissaire qui est à l’œuvre. Quoi de mieux en période de crise sociale et politique…


 

Ce projet de loi est d’abord un acte politique d’un ministre qui cherche à ratisser large jusqu’à l’extrême droite. Il entraîne une grande précarité.

par Kaltoum Gachi, François Sauterey et Jean-François Quantin, coprésidents du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap)

L’annonce d’une nouvelle loi sur l’immigration par Gérald Darmanin, en juillet 2022, est en soi, avant tout, un geste politique. Tout ministre de l’Intérieur se doit de laisser son nom à une loi sur ce sujet, imposé par l’extrême droite depuis quarante ans, comme problème majeur prétendu. Et ce d’autant plus lorsque le ministre en question se construit un profil de présidentiable et espère ratisser large jusqu’à l’extrême droite.

Un premier volet de ce projet devrait satisfaire un fantasme cher à certains : expulser ! rejeter ! Une série de mesures vise ainsi à limiter le regroupement familial et à intensifier l’exécution des mesures d’éloignement, en popularisant leur nom : les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Quitte à limiter les quelques droits dont disposent encore les étrangères et les étrangers. Et pour faire bonne mesure, on viserait essentiellement les étrangers délinquants, entretenant cet autre fantasme : l’immigration a un lien étroit avec la délinquance…

Les États européens s’ingénient à restreindre l’application du droit d’asile.

Un autre volet affecte le droit d’asile, pourtant ancré dans la tradition française, mais qui embarrasse les pays européens depuis que des persécutés du monde entier demandent légitimement leur protection. Les États s’ingénient alors à en restreindre l’application. Le projet de loi propose de réduire le délai d’instruction de neuf mois à six mois. L’intention serait louable si elle ne débouchait pas sur un examen expéditif des situations. L’organe chargé de cet examen, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), pourrait également perdre son indépendance au profit de bureaux « France Asile » implantés en préfecture. Quant à l’organe d’appel, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), elle serait régionalisée et réduite à un juge unique là où la collégialité constituait une garantie.

Avec un volet « intégration », le projet se veut équilibré, mot magique du macronisme. Il introduit l’idée qu’une certaine régularisation des « sans-papiers » serait possible. Cette possibilité n’est en réalité pas une nouveauté, étant, de fait, pratiquée depuis 2012. Le nouveau titre proposé créerait certains droits nouveaux, mais serait surtout d’une extrême précarité. Limité à un an, il enfermerait les bénéficiaires dans des métiers dits « en tension ». Ce serait une régularisation opportuniste, réponse provisoire aux difficultés d’une partie du patronat. Le débat parlementaire devrait commencer fin mars et ne peut aboutir qu’avec la complicité de la droite au prix de concessions aisément imaginables.

Mais, nous aussi, nous faisons de la politique, au sens noble, et continuons à prôner la solidarité, l’égalité des droits, ainsi que la régularisation de tous les étrangers. Ce n’est pas l’étranger le problème, mais bien le rejet de l’autre. Le Mrap persistera, avec tous les antiracistes, à combattre le racisme, sous toutes ses formes et à promouvoir la fraternité entre les peuples.

publié le 23 mars 2023

En direct. Succès de la journée d'action :
800 000 manifestants à Paris, 280 000 à Marseille

sur www.humanite.fr


 

A Rouen, un nouveau cas de violence policière

Selon plusieurs médias locaux, une enseignante opposée à la réforme aurait eu le pouce arraché par une grenade de désencerclement, à Rouen, où 22 000 personnes ont manifesté (syndicats). 

La députée France insoumise de la circonscription, Alma Dufour, dénonce un "retour à la même violence que contre les gilets jaunes".

A Bordeaux, manif record et lacrymos

Les syndicats annoncent un chiffre record de 110 000 manifestants à Bordeaux (Gironde). La préfecture de police n'en a comptabilisé que 18 200. Dans tous les cas c'est plus du double des journées du 11 et 15 mars, qui faisaient craindre un essoufflement (15 000 le 11 mars, 50 000 le 15 mars, selon les syndicats).

La situation s'est tendue entre certains manifestants et les forces de l'ordre, à partir de 15h30. 

Le cortège parisien refait le plein

La CGT annonce 800 000 manifestants à Paris, ce 23 mars. Le 49-3 et l'intervention d'Emmanuel Macron ont donc fortement remobilisé les opposants à la réforme. Le 11 mars, le syndicat annonçait 300 000 personnes dans les rues de la capitale et le 15 mars, 450 000. 

Manifestation record à Marseille

A Marseille, le cortège affole les compteurs ce jeudi. L'intersyndicale annonce 280000 manifestants pour cette neuvième journée de mobilisations. La police tente le grand écart renversé, avec 16000 participants.

Il n'empêche, les photos et vidéos publiées sur les réseaux sociaux, entre le Vieux-Port et la Porte d'Aix, attestent d'une manifestation massive.

Même la cathédrale de la Major, au passage des manifestants, semblait avoir pris partie, avec une gigantesque banderole déployée au sommet d'une de ses coupoles: "Nik le 49.3, grève générale". "Je veux voir ma mamie maintenant, pas dans deux ans !!", réclamait de son côté sur sa pancarte un petit garçon de 8 ans et demi.

Emmanuel Macron au centre des slogans

L'interview du président de la République, mercredi, a beau ne pas avoir fait recette, avec un total par 11,5 millions de téléspectateurs, ses propos sont bien au coeur des cortèges de cette neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.

Le président est méprisant, il ment, et tout le monde en a conscience. Il nous crache à la figure en nous disant qu’on n’est pas légitime. Aujourd’hui, on lui montre notre légitimité, on lui fait entendre notre voix, qu’il le veuille ou non. Et on va continuer comme ca jusqu’à la victoire”, fulmine ainsi Henry, syndiqué à Force ouvrière, rencontré dans la manifestation parisienne.

Un peu plus tôt dans la matinée, lors de l'occuption de la garde de Lyon, Cédric Liechti ne décolère pas: "Son discours a remis un coup d'essence sur le brasier". Au côté du responsable CGT-Energie Paris, Béranger Cernon, son homologue de la CGT-Cheminots, accuse: "Insulter des millions de salariés de factieux et nous comparer à ceux qui ont envahi le Capitole, c'est pire qu'une insulte".

"Je voudrais dire merci à Emmanuel Macron. Il est tellement arrogant et à côté de ses pompes qu'à chaque fois qu'il parle, t'as qu'une envie c'est de prendre ton drapeau pour partir en manif", s'époumone Fabien Villedieu, délégué syndical SUD-Rail sous les applaudissements.

Charles III ira-t-il rendre visite aux grévistes?

Pour sa première visite en tant que nouveau roi d'Angleterre, Charles III devrait recevoir un accueil tout particulier alors que les mobilisations contre la réforme des retraites connaissent un nouveau pic ce jeudi.

"Il y aura des initiatives autour de cette visite" royale, explique à l'AFP une source à la CGT cheminots, confirmant que la visite du roi était "dans le viseur" des manifestants. A Bordeaux, deuxième étape du périple, "il est quasiment certain que le roi ne pourra pas prendre le tramway", sourit Pascal Mesgueni, du syndicat CFTC, cité par le journal Sud-Ouest. Il y aura "possiblement des perturbations sur le réseau", a confirmé un porte-parole de l'entreprise de transport.

Le gouvernement britannique a indiqué jeudi "ne pas être au courant d'un quelconque changement de plan" concernant la visite de Charles III, toujours attendu à Versailles pour un "banquet d'Etat"

Fonction publique : participation à la grève en hausse

Un peu plus d'un agent sur six (15,5%) était en grève jeudi à la mi-journée dans la fonction publique d'Etat. Soit une participation en forte hausse par rapport à la précédente journée de mobilisation en semaine, le 15 mars, lors de laquelle elle avait chuté à moins de 3%.

La mobilisation est également plus importante jeudi à la mi-journée dans les deux autres grandes branches de la fonction publique. Dans la fonction publique territoriale (près de deux millions d'agents), le taux de grévistes atteignait 6,5%, contre 2,2% le 15 mars, tandis que la mobilisation atteignait 8,1% dans la fonction publique hospitalière (1,2 million d'agents), contre 4,5% précédemment.

35000 manifestants à Rennes

À Rennes, l'intersyndicale annonce 35 000 participants (22200). Soit plus du double par rapport à la huitième journée de mobilisation du 15 mars.

Des heurts ont opposé des manifestants aux forces de l'ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogène et de canon à eau.

Les leaders de l'intersyndicale font bloc contre la réforme

"Ce n'est que par la mobilisation et la grève qu'on arrivera à les faire reculer", assure Frédéric Souillot au départ du cortège parisien. Au côté du secrétaire général de Force ouvrière dans le "carré de tête", Laurent Berger ressent un "regain de mobilisation" pour cette neuvième journée de mobilisation intersyndicale. "Jusqu'au bout il va falloir garder l'opinion, c'est notre pépite", et pour cela "il faut des actions non violentes, qui n'handicapent pas le quotidien des citoyens", souligne le leader de la CFDT qui appelle "au respect des biens et des personnes, à la non-violence".

Pour Cyril Chabanier (CFTC), la prestation télévisée du chef de l'Etat, mercredi, a donné un coup d'accélérateur aux manifestations et grèves du jour: "Le discours de Macron nous aide à mobiliser". Murielle Guilbert (Solidaires) complète, estimant avoir senti "beaucoup de fébrilité dans les déclarations" de l'hôte de l'Elysée, Dominique Corona (Unsa) jugeant que "le président de la République a la monnaie de sa pièce".

Tous se tournent désormais vers le Conseil constitutionnel, qui doit se prononcer sur le texte dans moins d'un mois. "On a un horizon de mobilisation au moins jusqu'à sa décision", a prévenu Benoit Teste (FSU), pour qui "c'est dans l'intérêt de la société de continuer un mouvement encadré et coordonné".

 Philippe Martinez: "Emmanuel Macron a jeté un bidon d'essence sur le feu"

"Il a jeté un bidon d'essence sur le feu", a déploré ce jeudi après-midi le numéro un de la CGT, Philippe Martinez à propos d'Emmanuel Macron et de son intervention télévisée de mercredi. Alors que le cortège parisien s'élançait en cette neuvième journée de mobilisations contre la réforme des retraites, le leader de la confédération de Montreuil a rappelé que les syndicats avaient écrit au chef de l'Etat pour l'alerter sur la "situation explosive" du pays. Mais "il s'en fout", pointant "une stratégie du gouvernement de mettre en avant des incidents". "Il y a une grande colère", a-t-il insisté. "Aujourd'hui il y a beaucoup de lycéens, d'étudiants, il y a des facs qui sont bloquées, c'est plutôt une bonne chose".

Fabien Roussel (PCF) : "Macron fait le pari du chaos"

Depuis le cortège de la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a estime que "Macron fait le pari de la violence, du chaos dans le pays" alors que son "gouvernement ne tient plus qu’à un fil". 

"En quelques jours, on est passé du débat sur les retraites aux violences policières. Le président de la République se comporte comme un casseur", a dénoncé le député du Nord qui "appelle à élargir la mobilisation, à mettre le pays à l’arrêt". "Il faut aller taper dans l’économie", ajoute-t-il invitant "les forces de l’ordre à rejoindre le mouvement car ils sont concernés". 

"Nous sommes respectueux de ce que décide l’intersyndicale, et c'est à elle de déterminer les suites de la mobilisation", a poursuivi le communiste avant d'évoquer le référendum d'initiative partagée, initié par les parlementaires de gauche cette semaine, qui "doit être un argument valable pour que le gouvernement suspende son projet" afin de laisser s'exprimer les citoyens.

"Nous faisons la démonstration qu’il y a un espoir de voir la gauche gagner", juge-t-il. Et Fabien Roussel de renouveler son appel lancé en début de semaine à "la creation d'une union entre la gauche et les organisations syndicales pour travailler main dans la main".  

Des transports fortement perturbés

Selon une recension de l'AFP:

  • A Rennes, le réseau de bus est "très fortement perturbé".

  • A Saint-Brieuc et Evreux, le trafic est quasiment paralysé.

  • A Toulouse, des barrages filtrants sont organisés, selon la CGT, aux dépôts de bus Tisséo de la région toulousaine mais sans blocage.

  • A Nice, la moitié des lignes de bus environ sont à l'arrêt, tout comme les trois lignes de tramway.

  • A Marseille, 16 lignes de bus sur 80 sont à l'arrêt.

  • A Paris, la RATP fait état d'un trafic "très perturbé" dans le métro parisien, avec une trentaine de stations "fermées au public".

  • A la SNCF, seule la moitié des TGV Inoui et Ouigo et le tiers des TER circulent.

  • La Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies d'annuler 30% de leurs vols à Paris-Orly et 20% à Marseille-Provence, Toulouse-Blagnac et Lyon-Saint-Exupéry en raison de la grève des contrôleurs aériens. Les aéroports de Montpellier et Pau ont été brièvement fermés jeudi matin en raison de l'absence de contrôle aérien.

Jérôme Guedj (PS) appelle le gouvernement à arrêter de "jouer avec le feu"

"C'est la 9e mobilisation et rien que cette enumération en dit long sur le rejet de la réforme exprimé par les Francais", a rappelé le socialiste Jérôme Guedj, lors du point presse de la Nupes depuis la manifestation parisienne. "C’est une mesure de regression sociale à laquelle se sont ajoutés les outils de la brutalité démocratique. J’alerte le gouvernement. Il ne faut pas jouer avec le feu", a également insisté le député. "Le levier de la mobilisation sociale est cruciale, et nous ne désespérons pas de mener notre travail parlementaire", a-t-il ajouté évoquant notamment le référendum d'initiative partagée (RIP) pour lequel "il faut aller chercher ces 4 millions de signatures".

Des manifestations et des blocages

Cette neuvième journée nationale de mobilisations, à l'appel de l'intersyndicale et contre la réforme des retraites, a été marquée ce matin par de très nombreux blocages et barrages.

Dans les villes côtières se déroulent des opérations "port mort".  A Boulogne-sur-Mer, très tôt, des manifestants soutenus par des étudiants ont érigé des barrages avec des barrières, poteaux électriques couchés, palettes, à l'entrée du port et de la zone industrielle de Resurgat, sous le regard du député LFI François Ruffin. A Caen, le port est également bloqué. A Calais, des retards sont enregistrés sur les ferries traversant la Manche et le monde portuaire transmanche est fortement représenté dans la manifestation qui s'est élancée dans la ville.

Ces blocages touchent aussi les transports publics. Ainsi, à Paris, plusieurs centaines de manifestants ont envahi dans la matinée les voies Gare de Lyon, tout comme à Brest ou à Narbonne.

De semblables opérations militantes se sont déroulées sur le périphérique toulousain, sur la rocade lilloise. A Argoeuves près d'Amiens, des barrages filtrants sont organisés dans une zone industrielle. A quelques kilomètres de là, dans l'Oise, sur l'A1, un échangeur à Chevrières et les bretelles d'accès sont fermées en raison de manifestations.

A l'aéroport de Roisy-Charles-de-Gaulle, environ 70 personnes ont bloqué jusqu'à 10 heures l'accès au terminal 1, mettant en place un barrage filtrant pour ralentir les passagers quittant l'aéroport.

En Meuse, des barrages filtrants sont organisés à Bar-le-Duc et Verdun.

Tout comme à Montélimard:

Clémentine Autain (FI) fustige un "président irresponsable"

La députée insoumise Clémentine Autain a dénoncé, lors du point presse de la Nupes à la manifestation parisienne, le cynisme de l'exécutif.  “On a un président qui est irresponsable, qui n’entend pas les Francais, qui piétine la démocratie. Il se comporte comme un chef d’entreprise et certainement pas comme un homme d’Etat”, a fustigé l'élue de Seine-Saint-Denis.

Marine Tondelier (EELV) : "On n'a pas envie de crever donc on continue de marcher"

«On voit bien qu’avec ce gouvernement c’est “marche ou crève” et nous n’avons pas envie de crever donc on va continuer de marcher», a lancé la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier, lors de la conférence de presse commune de la Nupes dans le cortège parisien. «On suivra évidemment les décisions prises par l’intersyndicale qui n’a visiblement pas envie de se résigner. La priorité aujourd’hui est de faire monter la pression dans la rue, et on voit que le mépris avec lequel le gouvernement nous traite va alimenter cette mobilisation», a-t-elle ajouté, rappelant que la mouvement dispose aussi de «la carte du référendum populaire qui est notre ultime recours».

Quant à la gauche, «il est sûr que la coalition que nous formons depuis les législatives va devoir prendre un nouveau tournant parce qu'on a tous en tête de gagner en 2027 et que cela ne peut être uniquement derrière l'idée d'un candidat unique», a-t-elle ajouté alors que le patron du PS, Olivier Faure, évoque ce jeudi dans Libération un «projet de coalition qui incarne l'alternative».

La grève, c'est aussi dans les entreprises privées


 

Paris: opération "Robin des bois" à la mairie du 5ème

La mairie de cet arrondissement central de Paris, qui inclut le Quartier Latin, est restée sans électricité une partie de la matinée de ce jeudi matin. Cette opération de "sobriété" s'est accompagnée de la "mise en gratuité" d'un hôpital parisien. 

Florence Berthout, maire Horizons, parti de l'ex-Premier ministre Edouard Philippe favorable à la réforme, é déploré  "les conséquences en termes de sécurité" d'une telle action, notamment avec des personnes potentiellement "bloquées dans l'ascenseur". "On reçoit du public, des seniors ou personnes en situation de handicap, peut-être agoraphobes et claustrophobes", a-t-elle ajouté à l'AFP

Deux fois plus de manifestants à Clermont-Ferrand

En Auvergne, les cortèges ont pris de l'ampleur par rapport à la huitième journée d'action. A Clermont-Ferrand, la police a décompté 13500 manifestants, contre 6500 le 15 mars dernier.

L'intersyndicale revendique un cortège de 3000 personnesà Aurillac, de 4000 manifestants à Guéret. Quant à Tulle, le quotidien régional La Montagne décompte 2000 personnes.

Un quart des énergéticiens d'EDF en grève

Les personnels des industries électriques et gazières justifient à nouveau leur qualificatif de fer de lance du mouvement social contre la réforme des retraites. Un peu plus d'un quart des salariés d'EDF (25,3%) avait cessé le travail ce jeudi à la mi-journée, pour la neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, selon la direction.

Une participation en légère hausse par rapport à la précédente journée de mobilisation en semaine, le 15 mars, lors de laquelle la direction avait comptabilisé 22,45% de grévistes à mi-journée par rapport aux effectifs totaux de l'entreprise.

 

Actuellement ce sont 21 862 MW ⚡ aux mains des grévistes, retirés du réseau dans les productions d'électricité thermiques, hydrauliques et nucléaires
Dans l'Énergie la #GreveReconductible est toujours là et s'amplifie, par ex de nouvelles bases Enedis sont bloquées depuis lundi
CGT Énergie Lyon (@CgtLyonEnergie) March 23, 2023

Les enseignants grévistes soutiennent la grève reconductible

Les personnels de l’Éducation nationale sont au rendez-vous des grèves et des cortèges de cette neuvième journée nationale contre la réforme des retraites. Selon leur ministère de tutelle, le taux de grévistes se montent ce jeudi à 21,41%,  dont 23,22% dans le primaire et 19,61% dans le secondaire (collèges et lycées). 

Pour le Snes-FSU,  premier syndicat du secondaire, ce niveau de mobilisation conséquent (pour certains personnels, il s'agit de leur neuvième journée sans salaire) s'explique par "la très grande colère de la profession nourrie par l'utilisation du 49.3 et les dernières déclarations du président de la République: jouant la carte de la provocation et du déni de réalité, Emmanuel Macron souffle sur les braises de la crise sociale et démocratique". L'organisation assure qu'elle "soutiendra toutes les actions de reconduction". "L'expérience a montré qu'il était possible de gagner face à un texte passé en force par un gouvernement qui foule au pied la démocratie sociale, à l'image du CPE en 2006", ajoute-t-il dans un communiqué.

Les Grecs solidaires

 

SOLIDARITÉ AVEC LE PEUPLE FRANÇAIS RÉVOLTÉ
Rassemblement à l’Ambassade de France à Athènes#antireport #greve23mars #ReformesDesRetraites pic.twitter.com/pP9S7rN2l1
Από τη σπίθα στη φλόγα (@SpithaFloga) March 22, 2023


 

La journée s'annonce massive

Comme depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, des manifestations seront organisées partout en France ce jeudi 23 mars par l'intersyndicale. Ce sont près de 240 points de rassemblements qui ont été communiqués par les syndicats (CGT, FO, CFDT, FSU, Unsa, CFTC, Solidaires, etc.).

  publié le 23 mars 2023

Migrants : le maire de Saint-Brévin, victime de la haine raciste

sur https://www.politis.fr/

Politis apporte son indéfectible soutien à Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-les-Pins. Dans la nuit de mardi à mercredi, sa maison ainsi que ses voitures ont été incendiées, visiblement suite à un jet de cocktail Molotov. Il était 5 heures du matin lorsque des salariés d’Airbus, sur le chemin du travail, ont aperçu les flammes. « Si ces gens ne nous avaient pas réveillés, nous aurions pu être intoxiqués par les fumées » a soufflé Yannick Morez, le lendemain, à nos confrères de France Bleu Loire Océan. Qui a aussi dénoncé une « attaque lâche et inadmissible » auprès du Parisien. Yannik Morez indique avoir déposé plainte.

Depuis plusieurs semaines, cette petite ville de Loire-Atlantique est la cible d’attaques virulentes de la part de l’extrême-droite. L’objet de la discorde : le déplacement d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) près d’une école. La population, en large majorité favorable à ce projet se mobilise pourtant. Mais malgré cet élan de solidarité et de résistance, l’équipe municipale et surtout le maire subissent la haine raciste de plein fouet. Jusqu’au point où les messages de menaces de mort se sont matérialisés en attaque d’une insensée violence.

Si des élu.es et responsables politiques de gauche, ou encore l’Association des maires de France, ont apporté leur soutien à Yannick Morez, ce qui choque ici, c’est le silence assourdissant de nombre de politiciens, au pouvoir ou à droite, qui s’époumonent pourtant, par ailleurs, pour trois stickers collés sur la vitre d’une permanence de député. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, n’a ainsi pas trouvé le temps de défendre publiquement l’édile attaqué. Si bien qu’on ne peut que s’interroger sur ce qui mérite, ou non, l’offuscation républicaine de certain.es.


 


 

« Ils veulent intimider les femmes qui s’informent », nouveau tag anti-IVG contre le Planning familial à Strasbourg

sur https://www.rue89strasbourg.com

Un message contre le droit à l’avortement a été tagué devant les locaux du Planning familial de Strasbourg dans la nuit du 21 au 22 mars. C’est la deuxième fois en deux semaines que l’association subit une telle attaque.

Dans la nuit du 21 au 22 mars 2023, un collectif contre le droit à l’avortement a taggué la chaussée devant l’entrée des locaux du Planning familial de Strasbourg. L’association et ses militantes y accompagnent les personnes qui souhaitent avoir recours au droit fondamental de mettre fin à une grossesse.

Après un tag similaire et au même endroit lors de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, c’est le second tag de ce type en deux semaines. La présidente du Planning Familial du Bas-Rhin Alice Ackermann s’inquiète de la multiplication des menaces et autres désinformations contre l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Interview.

Rue89 Strasbourg : Comment avez-vous découvert ce nouveau tag ?

Alice Ackermann : On a découvert le tag ce matin en ouvrant nos locaux. C’est le même type de tag qui avait été fait pour la journée du 8 mars. Il est situé devant notre entrée, prend toute la chaussée et il est écrit de manière à ce que les personnes qui sortent du planning le lisent.

Ils veulent intimider et stigmatiser les femmes qui se renseignent ou souhaitent avorter. C’est aussi une désinformation, puisqu’ils assimilent l’avortement à une violence. C’est enfin un message pour le planning, une intimidation de nos militants. Pour nous, il s’agit d’un délit d’entrave à l’IVG.

Qu’avez-vous ressenti en voyant ce second tag anti-choix en deux semaines ?

Alice Ackermann : On se dit que la lutte pour le droit à l’avortement est loin d’être terminée alors que c’est un droit humain et fondamental, qui ne doit pas être remis en question malgré ces attaques. C’est notre rôle au Planning d’assurer un tel accès sans stigmatisation, violence ou agression. On est toujours dans la même dynamique de défense de ce droit qui n’est jamais acquis.

Cela me met aussi en colère. C’est insupportable que des bénévoles puissent se sentir en insécurité. On refuse que cela puisse arriver, et plus largement que les personnes qu’on accueille puissent avoir peur de venir.

En même temps, on a réagi rapidement on s’est toutes appelées pour se soutenir entre militantes du Planning. Depuis notre communiqué, on reçoit énormément de messages de soutien. Malgré les attaques, il y a une majorité de la population qui est là et bien présente pour nous soutenir. Ça fait du bien de sentir qu’on n’est pas seules.

Ces attaques sont-elles régulières ?

Alice Ackermann : On a été attaqué en 2020. Des tags réalisés sur notre plaque d’entrée avaient pour but de couvrir le logo, le nom et les horaires du Planning, en période covid. Et puis là, ça s’accélère ces deux dernières semaines, on en a eu deux d’affilée. Je suis au Planning familial depuis huit ans, et il n’y avait rien eu de tel pendant mes 5 premières années. On voit bien qu’il y a une tension qui monte de l’extrême droite sur la question de l’avortement.

Y a-t-il d’autres obstacles à l’accès à l’IVG aujourd’hui ?

Alice Ackermann : On avait fait une campagne à Strasbourg sur le délit d’entrave à l’IVG par le numérique. Des personnes qu’on reçoit témoignent du fait que lorsqu’elles font des recherches google ou sur les réseaux sociaux, elles tombent souvent sur des contenus sponsorisés par des associations et comptes anti-choix qui profitent d’une zone grise légale qui permet d’utiliser les réseaux pour désinformer. On avait alerté la procureur sur ce qu’on considère comme un délit d’entrave.

Je suis une ancienne membre du bureau national. À Strasbourg, nous assurons la ligne téléphonique du numéro vert d’information concernant l’avortement. Pendant le covid, nous avons constaté que de nombreuses femmes tombaient sur un faux numéro vert qui les culpabilisait et les désinformait. Nous nous sommes mobilisées auprès de gouvernement pour que ce phénomène cesse. D’une manière générale, nous devons être très attentives à cette problématique du référencement.

publié le 22 mars 2023

Retraites, journée du 21 mars à Montpellier : barrages filtrants, manif interpro, début de pénurie d’essence

sur https://lepoing.net

Ce mardi 21 mars, la journée à été bien remplie pour le mouvement montpelliérain contre la réforme des retraites. Le matin, quatre barrages filtrants ont été installés aux entrées de la ville. Un peu plus tard, environ 800 personnes ont manifesté entre la gare et Rondelet, entre repas en soutien aux caisses de grève, envahissement de la direction régionale de la SNCF et coupures d’électricité.

Des barrages filtrants tout autour de Montpellier

Dès les premières heures de la mâtinée, des barrages filtrants ont été organisés sur quatre gros rond-point d’accès à la ville, avec diffusion massive de tracts sur les prochaines mobilisations contre la réforme des retraites. L’Union Locale CGT était présente sur le rond-point du grand M, côté Saint-Jean de Védas. L’assemblée des grévistes de l’Éducation Nationale et le comité de mobilisation de la fac de sciences tenaient le rond-point de Château d’Ô, au nord de la ville. Également au nord, le rond-point de la Lyre, investi lui par les personnels des différents Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) de la ville. Enfin, on trouvait sur le rond-point du Près d’Arènes le groupe de gilets jaunes installés là-bas depuis plusieurs années et l’assemblée ”Montpellier contre la vie chère”.

Ces barrages filtrants ont occasionné en début de mâtinée des kilomètres de bouchon autour de Montpellier, les plus importants, au Nord, remontant jusqu’à Saint-Gély du Fesc.

Début de pénurie d’essence confirmée

Le Sud de la France est particulièrement impacté par le début de pénurie d’essence qui se profile, dans la foulée des grèves en cours dans les raffineries et des nombreux blocages de dépôts pétrolier. Ce mardi 21 mars de nombreuses stations services de l’agglo montpelliéraine et des alentours étaient touchées, comme la station essence Total Energies avenue de la Pompignane, en rupture totale. Ce matin du 22 mars les pénuries, partielles ou totales, concernaient plusieurs dizaines de stations essence dans l’agglo.

Les conséquences commencent à s’en faire sentir dans les commerces, quand on trouve des affichettes annonçant des ruptures de stock sur certains produits liées à l’impact du manque d’essence sur les livraisons, comme dans la rue du Faubourg de la Saunerie.

Une manif interpro envahit la Direction Régionale de la SNCF

En fin de mâtinée, une manif interprofessionnelle appelée par les cheminot.e.s grévistes a commencé au départ de la gare Saint-Roch, dont l’entrée était gardée par six camions de CRS. Après un début de rassemblement à 11h, où les participant.e.s étaient environ deux cent, le cortège a copieusement gonflé, jusqu’à atteindre 800 personnes. Avant départ sur les coups de midi vers le bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, via les rails du tram.

Dans la foule, de très nombreux cheminot.e.s de tous syndicats : ils étaient venus de toute l’ancienne région Languedoc-Roussilon, avec de grosses délégations de Nîmes, Béziers, Agde, Narbonne… Mais aussi des personnels hospitaliers, des étudiant.e.s, des membres de l’assemblée de grévistes de l’Éducation Nationale, des syndicalistes de l’enseignement supérieur, des travailleurs sociaux, des gilets jaunes, des jeunes.

Après un repas à prix libre proposé par la CGT, au profit des caisses de grève, un gros quart de la manif, soit environ deux cent personnes, ont pénétré dans le bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, peuplé des cadres et de la hiérarchie de l’entreprise. De nombreux slogans ont été chantés, comme ”Rendez l’argent”, alors que les sonnettes d’alarme incendie étaient régulièrement activées dans les couloirs du bâtiment. Pendant que certain.e.s arrachaient tout ce qui se trouvait accroché aux murs, d’autres reprenaient l’hymne des cheminot.e.s qui a inspiré les gilets jaunes : ”On est là, on est là, pour l’honneur des cheminot.e.s et pour l’avenir de leur marmots, même si Macron ne veut pas nous on est là !”. Quelques tags également sur les murs du bâtiment, tout à fait sévères face à la politique de la direction de la SNCF et demandant des augmentations de salaire.

Les manifestant.e.s auront pu sortir du bâtiment sans intervention des policiers de la CDI postés prêt de l’arrêt Rondelet.

Dans le même temps, une coupure d’électricité était déclenchée par les grévistes sur une partie du quartier de la gare. La poste Rondelet a été impactée, de même que le nouvel Intermarché du coin, alors que les panneaux de tramway annonçaient une suspension des lignes à cause des coupures.

Des initiatives quasi-quotidiennes sur Montpellier

En plus de la grande manif intersyndicale et interprofessionnelle du 23 mars, à 10h30 place Zeus, d’autres défilés sont prévus mercredi et jeudi soir à 18h devant la préfecture [NDLR : Le Poing revient très bientôt sur celle de mardi soir], puis samedi à 14h sur la Comédie, avec pour projet de converger avec la mobilisation contre les lois Darmanin et Kasbarian, qui sabrent respectivement les droits des étrangèr.e.s en situation irrégulière et ceux des locataires et squatteurs (cette seconde manif est prévue elle aussi le samedi à 14h, toujours sur la Comédie), côté office du tourisme.

La prochaine assemblée interprofessionnelle aura lieu le jeudi 23 à 18h30 à Paul Valéry, après une AG étudiante à 15h30. Ce mercredi 22, une nouvelle AG de travailleurs sociaux aura lieu à partir de 18h au bar Le Dôme.


 


 

Le mouvement social ne désarme pas

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Actions, blocages et manifestations

Impossible de recenser l’intégralité des actions sur l’ensemble du territoire. Mais pour en citer quelques-unes : une opération « ville morte » avec des barrages filtrants à Lyon ce matin. Et des actions similaires à l’entrée des villes de Nantes, Montpellier, Le Havre, Rennes, Toulouse. Cet après-midi, c’est au tour du tunnel Saint-Charles à Marseille.

Autres blocages : Airbus à Toulouse, plusieurs sites de la filière déchet à Nantes, Poitiers, Brest ou encore Lannion, la zone industrielle d’Avignon nord et du Havre, le dépôt pétrolier de Lorient, la centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain.

Et après la sobriété énergétique, la motion de censure énergétique. Les énergéticiens en grève ont revendiqué des coupures aux sièges de la Société Générale, de la RATP, de la BNP ou encore à la direction générale de la SNCF à Montpellier, après une manifestation à l’initiative des cheminots de la région en fin de matinée qui a réuni 1500 personnes.

La bataille des dépôts pétroliers

Dans la nuit, les gardes mobiles ont délogé les grévistes du blocage du terminal pétrolier de Donges (Loire-Atlantique) qui durait depuis une semaine. Toujours cette nuit, le préfet des Bouches-du-Rhône annonçait réquisitionner des grévistes du dépôt pétroliers de Fos-sur-Mer. En réaction, la CGT 13 a appelé à converger en opération escargot vers le dépôt et à s’y rassembler à 9h30. S’en est suivi un face-à-face tendu avec les CRS déployés qui s’est soldé par trois policiers blessés selon les autorités. Les syndicalistes quittaient les lieux en milieu d’après-midi.

Pour Fabien Cros, le délégué de la CGT Total la Mède, « la réquisition de grévistes, c’était l’acte de trop qui ne fallait pas mettre en place », rapporte La Marseillaise.

Éboueur : grève reconduite à Paris et qui commence à Marseille

Selon la CGT Services Publics, les grévistes ont décidé hier soir, après le rejet de la motion de censure, de reconduire leur grève jusqu’au lundi 27 mars. L’ensemble de la filière déchets est concernée : éboueurs fonctionnaires, du secteur privé, et salariés des usines d’incinération. Selon le syndicat, d’autres métropoles pourraient rejoindre le mouvement.

A Marseille, les éboueurs ont entamé leur mouvement mardi soir et ce mercredi la grève du ramassage des ordures a commencé, fait savoir FO Territoriaux, qui explique que ce sont les agents qui ont demandé à « entrer dans le dur ». Déjà lundi, des salariés étaient en grève au dépôt de la Cabucelle et au centre de transfert des déchets des quartiers nord, expliquait la CGT. Ce mercredi, FO territoriaux demande à son union départementale de lancer un appel pour le privé.

« Répression du mouvement social »

Plusieurs députés de la Nupes et le Syndicat de la magistrature sont montés au créneau pour dénoncer les violences exercées par la police lors des manifestations nocturnes contre la réforme des retraites. Et les gardes à vue arbitraires signant « une répression du mouvement social ». De nombreuses images circulent sur les réseaux sociaux, montrant des scènes choquantes. Selon le parquet de Paris, 425 personnes ont été placées en garde à vue entre jeudi et samedi dernier et 52 d’entre elles font l’objet de poursuites. Hier soir, 300 personnes ont été interpellées lors des manifestations ayant suivi le rejet de la motion de censure, dont 234 à Paris. De nouvelles manifestations sont prévues ce soir à Paris et dans d’autres villes.

Le Conseil constitutionnel saisi

Les oppositions ont fait connaître leur intention de saisir le Conseil constitutionnel sur la validité du texte, en l’occurrence un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale. Celui-ci a normalement un mois pour se prononcer sur les saisines. Mais Élisabeth Borne saisira elle-même le Conseil constitutionnel pour un examen dans les meilleurs délais, a-t-elle fait savoir cet après-midi. La Première ministre pourrait demander un examen en urgence. Soit sous huit jours.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel doit examiner la recevabilité d’une demande de référendum d’initiative partagée, lancé par des députés et sénateurs de gauche.


 


 

Retraites : étudiants, éboueurs et cheminots se lient, le mouvement social se démultiplie

Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr

À l’appel des étudiants, un millier de personnes a défilé de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine à la gare d’Austerlitz, à Paris. Les éboueurs étaient peu présents, mobilisés par le blocage de l’incinérateur, mais des cheminots et des enseignants ont rejoint les étudiants, avant de poursuivre la mobilisation ailleurs.

Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).– « Il était temps », se réjouit Frédéric, en voyant débarquer à Ivry-sur-Seine plusieurs centaines d’étudiantes et d’étudiants venus de toute l’Île-de-France, mardi 21 mars. Il est magasinier-cariste au dépôt des camions-bennes situé à côté du plus gros incinérateur d’Île-de-France.

Depuis trois semaines, dans le ciel parisien, manquent les deux panaches de fumée blanche crachés par ses cheminées. L’usine qui brûle une grande partie des ordures des Franciliens est occupée par les grévistes, à l’arrêt. « Et il faudra une semaine pour la relancer », précise Frédéric.

Une nouvelle manifestation s’est élancée à 14 heures, en direction de la gare d’Austerlitz à Paris, encadrée par des policiers. Celle-ci était autorisée, le parcours ayant été déposé, dimanche, par la Coordination nationale étudiante, qui réunit des représentant·es de toutes les universités mobilisées et des organisations étudiantes.

Par les réseaux sociaux et les messageries WhatsApp, la nouvelle a fait le tour des universités, et au-delà. Près de mille personnes sont parties d’Ivry, beaucoup d’étudiant·es de toute l’Île-de-France, mais aussi des cheminot·es, des enseignant·es.

Les éboueurs, eux, n’étaient pas nombreux. « Ils ont compris que, s’ils font grève, ils doivent rester chez eux. Sinon, ils sont réquisitionnés », explique Matthieu Carrier, de la CGT du Centre d’action sociale de la Ville de Paris, venu en soutien.

Depuis la semaine dernière, les forces de l’ordre se présentent chaque matin pour délivrer des ordres de réquisition. Didier, conducteur et syndicaliste Force ouvrière (FO), a dû monter dans un camion ce matin.

« On y va lentement, je n’ai ramassé qu’une demi-rue. Et, de toute manière, on ne peut pas vider les bennes : aujourd’hui, en plus d’Ivry, l’incinérateur d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et le centre de transfert de Romainville (Seine-Saint-Denis) sont bloqués. L’incinérateur de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ne laisse passer que quatre camions par heure. » Résultat : les éboueurs employés par des entreprises privées doivent « aller loin, en Seine-et-Marne et dans le Val-de-Marne ».

« La guérilla des poubelles »

Selon Julien, un éboueur en grève qui occupe l’incinérateur d’Ivry, il reste « 10 000 tonnes de reliquat d’ordures dans les rues de Paris, autant qu’avant les réquisitions le 16 mars ». « Nous tenons bon », se félicite-t-il. « C’est la guérilla des poubelles », résume Matthieu Carrier.

« Cela fait trois semaines que cela dure, cela commence à être dur pour certains collègues, financièrement, nuance Frédéric, le magasinier-cariste. Il faut que d’autres corporations nous soutiennent. »

Les étudiant·es ont bien cerné l’enjeu : « La clé de la victoire, c’est de faire en sorte que les grèves reconductibles tiennent, s’étendent, qu’elles soient soutenues par des manifestations de masse », explique Victor Mendez, étudiant à la faculté de Nanterre, membre de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) Jeunes.

L’occupation de la faculté de Tolbiac, lundi 20 mars, a été mise en échec par une centaine de CRS qui, à la demande de la présidence de l’université, ont bloqué les entrées et empêché la tenue d’une assemblée générale « inter-facs ».

« En début de soirée, nous étions encore deux cents, mais nous avons décidé de quitter les lieux, explique Hortense, du NPA Jeunes, l’une des organisatrices de la mobilisation étudiante. Il y a eu des violences policières aux grilles. Des étudiants ont été gazés alors qu’ils essayaient d’en faire entrer d’autres par une issue de secours. »

La jeune militante en convient : en occupant l’université de Tolbiac, les étudiant·es perdaient en mobilité, alors que le mouvement social se démultiplie. « Il y a des mobilisations tous les jours, dans de nombreux endroits, on essaie d’être présents partout », confirme Imane Ouelhadj, présidente du syndicat Unef.

Ils ne peuvent plus nous canaliser.

« Chaque jour, en assemblée générale, on décide de nouvelles actions, explique Salima, cheminote de Sud Rail. Alors, ils ne peuvent plus nous canaliser. » Cet après-midi, elle est aux côtés des étudiant·es, puis à 18 heures en manifestation intersyndicale, peut-être. « On ne sait pas, on va aller voir. Cela nous fait de grosses journées », plaisante-t-elle.

En lettres rouges sur fond noir se détache la banderole du lycée professionnel Jacques-Brel de Choisy-le-Roi. Quelques dizaines d’enseignant·es, de quatre établissements de cette ville du Val-de-Marne, marchent avec les étudiant·es. Eux aussi sont en grève reconductible, ils tractent tous les matins devant leurs lycées, collèges, écoles.

Grégory Germain, professeur de français et d’histoire, raconte « des échanges chaleureux avec les lycéens. Ils ne sont pas seulement heureux de ne pas avoir cours. Ils nous soutiennent sincèrement, c’est rare. En lycée professionnel, ils savent qu’ils vont commencer à travailler jeunes, que cette réforme aura des conséquences pour eux ».

En première ligne dans le cortège étudiant, se tient un service d’ordre discipliné, en rangs serrés, jeunes femmes et jeunes hommes réunis. « On se protège des voyous en uniformes bleus, explique Victor Mendez, l’un des organisateurs du service d’ordre. Eux sont ultra-organisés pour nous réprimer, à nous de nous auto-organiser pour nous défendre. » Que faire en cas de charge policière, en garde à vue ? Des consignes ont été passées.

Le militant CGT Matthieu Carrier en est lui aussi convaincu : « Cela va monter en violence. La bourgeoisie défend ses intérêts, quitte à nous casser la gueule. » Mais il est plus nuancé dans sa perception des forces de l’ordre : « Cette fois, nos relations sont plus simples. Ils doutent, car eux aussi ne veulent pas travailler plus longtemps. On peut réussir à fatiguer ce dispositif de répression. »


 


 

Retraites : les grèves dans les raffineries, un nouveau front explosif pour l’exécutif

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Les premières réquisitions de grévistes au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer ont rehaussé d’un cran les tensions, alors que toutes les raffineries du pays sont touchées par des mouvements de grève contre la réforme des retraites. Les réserves de carburant s’épuisent dans certains départements.

LaLa scène est impressionnante. Une colonne de CRS reculant face à la foule, sous les sifflets et les huées. Derrière, une épaisse fumée noire se dégage d’un feu de palettes. Captée par le journaliste Cole Stangler mardi 21 mars au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), la vidéo est devenue virale.

« Contre la retraite Macron et la folie d'un homme, seul : la force du nombre, la joie et la détermination pour faire reculer l’homme du chaos, là-haut », a ainsi tweeté le député insoumis François Ruffin.

Dès le début de journée, plusieurs centaines de personnes, essentiellement de la CGT, se sont rassemblées devant l’un des accès du site, en soutien aux grévistes réquisitionnés le matin même par la préfecture. C’est Olivier Mateu, patron de l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, qui a battu le rappel : « Non aux réquisitions ! Non à la casse du droit de grève ! Tous au dépôt pétrolier de Fos à 9 h 30 », a posté sur les réseaux sociaux le bouillant cégétiste, considéré comme un dur.

Courant février, il avait raconté son entretien avec le préfet de région à l’automne, lors du précédent mouvement de grève dans les raffineries, et avait précisé à Mediapart qu’il agirait de même à nouveau s’il le fallait : « À la première réquisition, c’est la guerre. Vous touchez un camarade dans une raffinerie, on vous met le feu au département. Mais pas le feu “on s’énerve”. On vous met le feu, les flammes. »

Mardi midi, à Fos-sur-Mer, le face-à-face entre grévistes et forces de l’ordre a rapidement tourné à l’affrontement et trois CRS ont été « sérieusement blessés », selon la préfecture. Deux ont été transportés à l’hôpital. « C’est plutôt eux qui nous ont affrontés ! Pas nous !, commente auprès de Mediapart Fabien Cros, délégué syndical CGT à la bioraffinerie Total de La Mède (Bouches-du-Rhône), venu en renfort avec une dizaine de collègues. On s’est avancés et on s’est pris des lacrymos. »

Hors de lui, Olivier Mateu a dénoncé l’usage de gaz lacrymogène « sans sommation » et tonné sur BFMTV contre « ce gouvernement en déroute qui tape sur les travailleurs », avant de conclure, à l’adresse d’Emmanuel Macron : « Sa réforme, il va la manger, je vous le dis, et le dépôt, on va le reprendre ! »

Ces réquisitions de personnel sont les premières, chez les raffineurs, depuis le début du mouvement social contre la réforme des retraites. Les six raffineries du pays sont touchées par des mouvements de grève. Selon la CGT, plus aucune goutte de carburant ne sort depuis le week-end des 18 et 19 mars.

Volte-face du ministre en 24 heures

Une grande partie des deux cents dépôts pétroliers français sont également impactés, dont les plus importants au Havre (Seine-Maritime), à Dunkerque (Nord) et à Fos-sur-Mer. Selon le quotidien Le Parisien, d’autres dépôts, comme à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) ou Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme), voient « leurs expéditions se réduire comme peau de chagrin ».

En Loire-Atlantique, les forces de l’ordre sont intervenues dans la nuit du lundi à mardi pour débloquer le terminal pétrolier de Donges, occupé depuis une semaine. La raffinerie n’expédie plus de carburant depuis le 7 mars et les effets se ressentent dans certains départements de l’Ouest, comme en Loire-Atlantique, où 29 % des stations-service sont « en difficulté », rapporte Le Monde.

En face, et quelques mois après les grèves des raffineurs qui ont asséché le pays à l’automne 2022, l’exécutif semble fébrile. Et se contredit à la vitesse de l’éclair. « On n’en est pas à l’heure de la réquisition. À l’heure où nous parlons, nous avons pris des mesures d’anticipation », affirmait lundi matin le ministre des transports, sur France Info.

Vingt-quatre heures plus tard, le même Clément Beaune a dû se dédire, sur France Inter, à propos de Fos-sur-Mer. « La moitié des stations-service sont en difficulté dans les Bouches-du-Rhône et donc, oui, ce matin, de manière ciblée, des réquisitions sont en cours, à Fos-sur-Mer spécifiquement », a reconnu le ministre.

L’objectif de cet arrêté n’est pas le maintien de l’ordre public mais bien de fragiliser le mouvement social en cours.

Dans le sud-est de la France, la pénurie guette. « La région Provence-Alpes-Côte d’Azur connaît une forte et rapide dégradation des ruptures en stations[-service] », indique la préfecture des Bouches-du-Rhône, dans son arrêté de réquisition de personnel de Fos-sur-Mer, valable jusqu’au mercredi 22 mars inclus.

Selon les services de l’État, le taux de rupture de carburant dans la région Paca était de 19 % le 18 mars et de 33 % le 20 mars. « Dans le département des Bouches-du-Rhône, ce taux est passé de 34 % à 51 %, et dans le Vaucluse, ce taux de rupture est de 30 % », ajoute l’arrêté, précisant que « le site DPF [dépôts pétroliers de Fos – ndlr] est un dépôt pétrolier majeur », desservant également l’Occitanie voisine ainsi que la Drôme et le Rhône.

Arguant de risques « de troubles à l’ordre public » et d’une pénurie affectant « le fonctionnement des services publics essentiels », la préfecture décrète donc « la réquisition d’une partie des personnels grévistes ». Comme ce fut le cas durant les grèves des raffineurs à l’automne 2022, cette décision sera attaquée, en référé, devant le tribunal administratif de Marseille. Selon les informations de Mediapart, l’audience aura lieu mercredi 22 mars, à 11 heures.

La Fédération nationale des industries chimiques CGT demande la suspension de l’arrêté préfectoral, jugeant que « lobjectif de cet arrêté n’est […] pas le maintien de l’ordre public mais bien de fragiliser le mouvement social en cours ». La requête, que nous avons pu consulter, souligne aussi « le but expressément assumé » des réquisitions, à savoir : « l’approvisionnement de la région PACA, Occitanie et zone Sud-Est, sans distinction entre les services prioritaires et le reste des consommateurs ».

De son côté, Fabien Cros, de la bioraffinerie de La Mède, assure que ces réquisitions sont plus que douteuses sur le fond : « Ils ont réquisitionné trois salariés par équipe, alors que ça doit tourner à cinq, minimum. C’est dangereux pour l’outil de travail et les salariés ! »


 

   publié le 22 mars 2023

Retraites : l’Association de Défense des Libertés Constitutionnelles saisit la justice pour mettre fin aux arrestations préventives

sur https://www.blast-info.fr/

Des centaines de manifestants interpellés, puis relâchés sans aucune poursuite : c’est ce que l’on observe depuis jeudi 16 mars lors des rassemblements organisés en réaction au recours au 49-3 pour faire passer la réforme des retraites. Face à ces arrestations préventives, l’Association de Défense des Libertés Constitutionnelles a saisi, mercredi 22 mars, le tribunal administratif de Paris, afin qu’il prenne « toutes les mesures nécessaires » pour cesser d’atteindre aux libertés fondamentales des manifestants.

L'ADELICO est une association régie par la loi de 1901 qui, depuis 2017, est chargée d'assurer en France la promotion et la garantie des droits et libertés fondamentaux,  de veiller à la séparation des pouvoirs et d'oeuvrer à la protection et à l'indépendance des services publics, la transparence de l'action publique et la lutte contre les conflits d'intérêt et la corruption. L'association était intervenue en octobre 2020 auprès du juge des référés du Conseil d'Etat pour demander la suspension des mesures d'état d'urgence sanitaire relatives à la pandémie de Covid-19.

Gaz lacrymogènes, grenades de désencerclement, nasses, charges policières : dès le mouvement social des Gilets Jaunes, les manifestants français ont pris l’habitude de voir se durcir la doctrine du maintien de l’ordre. Mais depuis le rassemblement spontané à la Concorde du jeudi 16 mars, l’« interpellation préventive » fait polémique.

« Abusives » et « arbitraires » pour les parlementaires de gauche, « répression injustifiée » pour Philippe Martinez : les nombreuses arrestations de manifestants indignent l’opposition. Réponse du préfet de police de Paris : « Il n’y a pas d’interpellations injustifiées, je ne peux pas laisser dire ça », a-t-il déclaré sur BFMTV mardi 21 mars. 

Mais le lendemain, l’Association de Défense des Libertés Conditionnelles (ADELICO) a décidé d’aller plus loin en saisissant le Tribunal Administratif de Paris. Par le dépôt d’une requête de référé-liberté à l’encontre des méthodes de maintien de l’ordre du préfet de Paris Laurent Nuñez, l’association dénonce « le recours massif en préventif aux arrestations administratives de manifestantes et de manifestants » et enjoint le juge des référés à y mettre un terme au plus vite.

A Paris, dans la seule soirée du 16 mars, suite à l’annonce de l’enclenchement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par Elisabeth Borne, 283 interpellations sur 292 au total ont été classées sans suite. Preuve du caractère démesuré de ces arrestations pour l’association, qui dénonce « une atteinte grave aux libertés constitutionnellement garanties d’aller et venir, de réunion, de manifester, ainsi qu’au droit le plus élémentaire à la sûreté garantie par la Déclaration de 1789 ».

« Il est temps que quelqu’un rappelle à la préfecture de police qu’il faut y mettre fin »

Jean-Baptiste Soufron, avocat de l’ADELICO, justifie le dépôt du référé-liberté par ces mots. Il pointe une technique d’arrestation préventive « non seulement contraire au bon sens mais aussi parfaitement illégale », et souligne l’importance du contexte dans lequel elle est opérée.

« Il s’agit certes d’une atteinte à la liberté de manifester mais elle est aussi inscrite dans un environnement politique particulier : celui d’une opposition massive qui a le droit dans ce cadre d’exprimer son désaccord par la manifestation. (…) C’est d’autant plus légitime de laisser des manifestations s’exprimer aujourd’hui que la loi dont ils débattent est extrêmement importante et rejetée par la majorité de la population ».

C’est l’autre point d’inquiétude soulevé : le caractère dissuasif de ces interpellations. En plus d’alimenter les tensions entre police et population, ces méthodes de maintien de l’ordre suscitent la peur de manifester et entravent en partie la contestation.

Et surtout, elles risquent pour l’ADELICO de contribuer à mettre le pouvoir judiciaire au service de l’exécutif. « Il est absolument intolérable que cette pratique soit à nouveau banalisée et que l’appareil judiciaire soit instrumentalisé par l’autorité administrative et politique », rappelle le communiqué. 

« L’autorité judiciaire n’est pas au service de la répression du mouvement social »

C’est dans ce même esprit que le Syndicat National de la Magistrature a intitulé son communiqué du 20 mars. Les interpellations préventives y sont désignées comme une « utilisation dévoyée de la garde à vue » illustrant « les dérives du maintien de l’ordre, qui détourne l’appareil judiciaire pour le mettre à son service ».

La demande de référé-liberté de l’ADELICO s’inscrit en effet sur une liste qui commence à devenir longue. Le 19 mars, la Ligue des Droits de l’Homme alertait sur l’ « usage disproportionné et dangereux de la force publique », et faisait part de ses inquiétudes vis-à-vis de « ce tournant antidémocratique ». Le surlendemain, la Défenseure des Droits s’est dit « préoccupée par les vidéos circulant sur les réseaux sociaux, de nombreux articles de presse, des témoignages et saisines reçus par l’institution sur de possibles manquements déontologiques dans le maintien de l’ordre au cours des évènements des jours derniers ». Au sujet des interpellations préventives, Mme Claire Hédon « souligne que cette pratique peut induire un risque de recourir à des mesures privatives de liberté de manière disproportionnée et de favoriser les tensions », alors qu’Amnesty International France les qualifiait le même jour d’« atteintes sérieuses au droit de manifester ».

Mais pour l’ADELICO, l’heure n’est plus aux communiqués : le recours est légal. Et le référé-liberté se veut une procédure d’urgence : en principe, le juge est tenu de se prononcer dans un délai de 48h après le dépôt de la requête. S'il considère que la demande est irrecevable ou non-urgente, il peut la rejeter par une ordonnance rendue sans audience. S'il la considère comme fondée, il convoquera dans les plus brefs délais l'ADELICO et le préfet de police de Paris, et se chargera de prendre rapidement des mesures pour interdire aux forces de l'ordre leur recours abusif aux interpellations. 

Si Jean-Baptiste Soufron a bon espoir, il est aussi déterminé à obtenir gain de cause. « En cas d’échec ? On va recommencer, affirme-t-il. On ne va pas partir du principe que le tribunal administratif ne veut pas défendre le droit des manifestants, mais il n’y a pas de raison que la demande échoue ». Une procédure qui vient alimenter le lourd climat social et politique, qui ne semble pas être en voie de s’améliorer. 


 


 

Répression policière : « Des violences inacceptables dans un État de droit »

sur www.politis.fr

Des élu.es parisien.nes et francilien.nes dénoncent la violente répression policière qui a cours contre les manifestants, depuis le déclenchement du 49.3, qui installe un climat de peur et de haine.

Les violences commises ces derniers jours sont inacceptables dans un État de droit. À la violence sociale du projet de réforme des retraites s’est superposée la violence du recours au 49.3, arme constitutionnelle létale pour une démocratie déjà à bout de souffle. Le rejet de la motion de censure, à 9 voix près, a amplifié les mobilisations contre la réforme des retraites. 

Des manifestations spontanées se sont ajoutées aux actions des grévistes et aux rassemblements organisés par l’intersyndicale, dans un climat de colère inégalé jusqu’à présent. À cette colère, les forces de police répondent par un usage de la force souvent disproportionné et de trop nombreuses actions brutales.

La montée des tensions et des violences installe un climat de peur et de haine inacceptable.

Les images et les témoignages se multiplient, faisant constat de charges dangereuses de la BRAV-M ou encore de nasses organisées par les forces de l’ordre. Le Conseil d’État avait jugé une première fois illégal l’usage des nasses car entravant les libertés fondamentales, de circuler, de manifester et la liberté de la presse.

La nouvelle version du schéma national de maintien de l’ordre parle désormais de « techniques d’encerclement ». Des recours sont en cours, mais l’observation des élu•es comme des associations livre un constat sans appel : les dispositifs de médiation sont absents, de même que l’information et la possibilité systématique de sortir des manifestations. Les nasses sont encore employées pour casser les cortèges et intimider les manifestant•es.

La Cour de Cassation l’a pourtant rappelé en juin 2022 : le simple fait de participer à une manifestation non déclarée ne peut constituer une infraction. Pire, plusieurs témoins ont fait état de l’usage de lanceurs de balles de défense, responsables de blessures graves et pouvant être parfois mortelles. Et c’est sans compter sur le nombre inutilement élevé de gardes à vue avec l’objectif de ficher les manifestants.

Jeudi dernier, sur la place de la Concorde, ce sont 292 personnes interpellées pour seulement 9 d’entre elles déférées devant la justice. Ces gardes à vue nombreuses et qui ne donnent pas suite à des qualifications pénales servent à criminaliser le mouvement social et renforcer le fichage des manifestant•es.

Nous pensions avoir quitté définitivement l’ère Lallement, les violences policières impunies, et la tension entretenue face aux mobilisations des gilets jaunes. Ce n’est manifestement pas le cas. La violence arbitraire et les privations de liberté sans raison n’ont pas leur place dans un état de droit. Il faut revenir à un usage proportionné de la force et supprimer les brigades mobiles comme la BRAV-M, héritière des sinistres « voltigeurs », qui n’ont pour seul objectif d’effrayer les manifestant•es par la violence.

La démocratie n’est pas un supplément d’âme mais le fondement de notre République.

La montée des tensions et des violences installe un climat de peur et de haine inacceptable. Tout semble fait pour décourager les manifestant•es à participer aux rassemblements. Pourtant, leur interdire de s’exprimer dans la rue, même insidieusement, remet en cause un droit fondamental et pourrait aboutir au pire.

Nous, élu•es parisien•nes et francilien.nes, nous souhaitons que soit respecté le droit fondamental de se rassembler et d’exprimer ses opinions sans avoir à subir un usage disproportionné de la force, voire une répression violente. La démocratie n’est pas un supplément d’âme mais le fondement de notre République.

Signataires :

Jean-Baptiste PEGEON, Conseiller régional Île-de-France de Paris

Raphaëlle RÉMY-LELEU, Conseillère de Paris

Antoine ALIBERT, Adjoint du XXe arrondissement et Secrétaire départemental EELV Paris

David BELLIARD, Maire-adjoint de Paris en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie

Frédéric BADINA, Conseiller de Paris 

Sandrine CHARNOZ, Maire-adjointe de Paris en charge des sociétés d’économie mixte et sociétés publiques locales

Alice COFFIN, Conseillère de Paris 

Jean-Luc DUMESNIL, Conseiller régional Île-de-France de Paris

Guillaume DURAND, Adjoint à la Maire du XIVe arrondissement de Paris

Nour DURAND-RAUCHER, Conseiller de Paris

Jérôme GLEIZES, Conseiller de Paris 

Antoinette GUHL, Vice-présidente de la Métropole du Grand Paris

Frédéric HOCQUARD, Maire-Adjoint de Paris en charge du tourisme et de la vie nocturne

Anne-Claire JARRY-BOUABID, Conseillère régionale Île-de-France de Paris

Dan LERT, Maire-adjoint de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie

Emile MEUNIER, Conseiller de Paris

Aminata NIAKATE, Conseillère de Paris

Carine PETIT, Maire du XIVe arrondissement de Paris

Emmanuelle PIERRE-MARIE, Maire du XIIe arrondissement de Paris

Anne SOUYRIS, Maire-adjointe de Paris en charge de la santé 

Alice TIMSIT, Conseillère de Paris

  publié le 21 maers 2023

Retraites : une centaine de personnes rassemblées devant les locaux montpelliérains du MEDEF

sur https://lepoing.net/

Une centaine de personnes se sont rassemblées ce lundi 20 mars devant les locaux du MEDEF, syndicat patronal inspirateur de bon nombre de politiques néo-libérales, pour protester contre la réforme des retraites.

Le rassemblement était à l’initiative des syndicats locaux. Sur place, une nette surreprésentation de la CGT, avec pas mal de drapeaux de l’Union Syndicale Solidaires, quelques gilets jaunes et militant.e.s anticapitalistes. Petite présence des autres syndicats.

L’action, appelée sur les coups de midi, aura duré un peu plus de deux heures, après un barbecue au profit des caisses de grève. Des pneus ont été posés à la sortie du rond-point qui dessert les locaux du MEDEF et d’autres entreprises, obligeant les conducteurs à faire le tour de la zone pour y accéder. Malgré ces petites perturbations, le rassemblement a été salué de nombreux coups de klaxon en signe de soutien.

Les actions et manifs contre la réforme des retraites sont maintenant quotidiennes sur Montpellier. En plus de la grande manif intersyndicale et interprofessionnelle du 23 mars, à 10h30 place Zeus, d’autres défilés sont prévus mardi, mercredi et jeudi soir à 18h devant la préfecture, puis samedi à 14h sur la Comédie, avec pour projet de converger avec la mobilisation contre les lois Darmanin et Kasbarian, qui sabrent respectivement les droits des étrangèr.e.s en situation irrégulière et ceux des locataires et squatteurs (cette seconde manif est prévue elle aussi le samedi à 14h, toujours sur la Comédie), côté office du tourisme.

La prochaine assemblée interprofessionnelle aura lieu le jeudi 23 à 18h30 à Paul Valéry, après une AG étudiante à 15h30. Ce mercredi 22, les cheminot.e.s grévistes prévoient un petit déjeuner revendicatif, ouvert à tous, à partir de 7h. Une nouvelle AG de travailleurs sociaux aura lieu à partir de 18h au bar Le Dôme.


 


 

Une nuit pas comme les autres à Montpellier : quand le mouvement social s’encanaille

sur https://lepoing.net/

19 h 30, ce lundi 20 mars, place des Martyrs de la Résistance : environ 700 personnes ont répondu présentes au rassemblement devant la préfecture montpelliéraine, en réaction à l’échec de la motion de censure présentée contre le gouvernement d’Élisabeth Borne. Le cortège s’élance rapidement dans le centre historique et gagne de l’ampleur au fil des carrefours piétons. Les visages sont jeunes, la foule compacte, les slogans vindicatifs. Une ambiance qui marque par son contraste avec celle des cortèges syndicaux traditionnels, cœur de la mobilisation contre la réforme des retraites depuis deux mois.

Après un premier face à face avec les forces de l’ordre devant la préfecture le cortège s’enfonce dans les ruelles sinueuses menant vers la gare Saint-Roch. Le pas est déterminé, la foule se densifie, des barricades fleurissent autour de l’Écusson – la police elle, peine à s’organiser face à une mobilisation aussi volatile. Les camions de CRS arrivent en trombe devant l’entrée principale de la gare alors que les manifestants ne sont qu’à quelques dizaines de mètres des portes : à tribord, toute ! Ça repart vers la Comédie. La spontanéité de la mobilisation déroute, surtout que les passants semblent apprécier le spectacle : la maréchaussée n’a pas fini d’enfiler ses boucliers, mais, vite, il faut retourner dans les camions. Un jeu du chat et de la souris aux lumières des feux de poubelles qui durera près de deux heures, sans que la police ne parvienne à reprendre la main sur une mobilisation si imprévisible.

Ce quatrième jour de mobilisation consécutif en France depuis le recours au 49.3 semble marquer une rupture avec les précédents du mouvement contre la réforme des retraites. De Paris à Brest, de Strasbourg à Saint-Étienne, de Montpellier à Lille : l’émeute parcourt le pays comme un écho au vote qui se déroulait plus tôt dans la soirée à l’Assemblée nationale. Ici les signes d’une mobilisation au tournant sont nombreux : des gilets jaunes présents dans le cortège, quelques drapeaux d’organisations syndicales, des étudiants… Et des fenêtres qui s’ouvrent devant les manifestants pour les applaudir. Avant de se disperser on entend les rendez-vous pris pour demain, ça foisonne, ça boue. Les prochains jours vont être chargés. Le nombre et la diversité des mobilisations partout en France entrevoir une inversion du rapport de force amorcé par Emmanuel Macron : reste à savoir qui cédera le premier.


 


 

« Ils passent en force, 
on utilise la force »

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Depuis l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 de la Constitution pour adopter la réforme des retraites sans vote au Parlement, jeudi dernier, des dizaines d’actions ont eu lieu partout sur le territoire. Des mobilisations plus radicales, que l’intersyndicale ne contient plus.

Des rues du 8e arrondissement parisien jonchées de poubelles enflammées. La rocade rennaise bloquée par des barricades en feu. La place de la République lilloise noyée sous les gaz lacrymogènes face à des manifestants refusant une nasse. Des routes bloquées à Aubenas, Lorient ou Quimperlé.

La liste pourrait encore s’allonger. Depuis jeudi après-midi et l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 pour adopter la réforme des retraites sans vote à l’Assemblée nationale, la mobilisation sociale s’est radicalisée. « Ils passent en force, on utilise la force », confie Malik*, le visage à moitié masqué sur la place de la Concorde.

Dans la soirée, plusieurs manifestations sauvages brûleront poubelles et voitures dans les rues de ce cossu quartier parisien. Le tout émaillé d’images de répression policière. Des scènes rappelant, vivement, celles des premières mobilisations des gilets jaunes.

Les limites de la stratégie du « calme »

Or, outre la violence et la répression, un point commun saute aux yeux lorsqu’on regarde le mouvement de la fin d’automne 2018 et ces mobilisations spontanées qui émergent partout sur le territoire : elles ne sont pas à l’initiative d’organisations syndicales.

Pourtant, depuis le départ, et au contraire des gilets jaunes, la contestation contre la réforme des retraites est marquée par une union syndicale forte, et inédite – une première depuis treize ans. Mais après huit journées de mobilisations historiques avec des affluences record dans la rue, la stratégie du calme semble avoir atteint ses limites dans l’esprit de nombreux contestataires.

« Il faut y aller plus dur, y a que ça qui les fait bouger », assure Sami, commercial dans le privé, venu en soutien aux éboueurs sur un piquet de grève. « Cela fait des semaines qu’on a mis en garde le président de la République sur la colère sociale qui monte, souligne Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT. Avec ce 49.3, elle est aujourd’hui au maximum. Cette explosion sociale, ce sont eux qui en sont responsables ».

Il faut y aller plus dur, y a que ça qui les fait bouger.

« Responsables », car ce n’est pas faute, du côté des organisations professionnelles, d’avoir tout tenté pour se faire entendre. Mais ni les millions de personnes dans la rue, ni le million de signatures de la pétition intersyndicale, ni les grèves, ni le courrier qui lui a été adressé n’ont fait bouger d’une oreille un Emmanuel Macron sourd à leur égard.

« C’est insensé que l’exécutif s’entête jusqu’au 49.3 pour faire passer sa réforme coûte que coûte. Quelle folie ! », s’exclame Marylise Léon, secrétaire nationale adjointe de la CFDT. C’est aujourd’hui cette intransigeance qui pousse de nombreuses personnes à radicaliser leurs moyens d’action. « La colère, après tout ce qui vient de se passer, est compréhensible. Cela fait aussi partie de notre boulot de la contenir. Mais on ne répondra pas à toutes les envies d’en découdre », prévenait, dès jeudi soir, la cédétiste.

Une question se pose cependant. Si tout le monde s’accorde à dire qu’Emmanuel Macron est responsable de cette « explosion sociale », l’intersyndicale y a-t-elle pleinement répondu ? Jeudi soir, à la suite du recours au 49.3, les syndicats ont publié un communiqué très sobre, appelant simplement à poursuivre la mobilisation au travers d’actions « calmes et déterminées ».

« Calme », un mot qui n’avait, depuis le début du mouvement social, jamais été utilisé dans les communiqués intersyndicaux. Encore une semaine avant, c’est dans ce type de communication que les syndicats menaçaient d’une « situation explosive ».

L’exécutif devant ses responsabilités

Un revirement mûrement réfléchi. Après le passage en force du gouvernement, les organisations syndicales veulent jouer à fond la carte de la respectabilité. « Ce qu’on voit désormais, c’est que la démocratie, c’est nous », clament Catherine Perret et Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’Unsa. « Nous, on avance tranquillement face à un gouvernement qui fait n’importe quoi. C’est ça la réalité aujourd’hui », abonde Simon Duteil, codélégué général de Solidaires.

Ainsi, plutôt que de répondre à l’urgente colère qui germait dans les esprits de nombreux manifestants, la prochaine date de mobilisation interprofessionnelle a été fixée au jeudi 23 mars, soit une semaine après l’utilisation du 49.3. Une date relativement éloignée que certains militants critiquent.

« Il faut arrêter de manifester une fois par semaine et ensuite rentrer chez soi. Il faut mettre en place des grèves plus dures, plus longues », assène le militant de Révolution permanente Anasse Kazib devant des centaines de personnes amassées place de la Concorde, jeudi.

Il faut arrêter de manifester une fois par semaine et ensuite rentrer chez soi.

Pour de nombreux protagonistes, la présence de la CFDT dans l’intersyndicale empêche tout durcissement du mouvement, surtout après un 7 mars où les taux de grévistes n’ont pas été à la hauteur des espérances. « Faire grève un jour puis retourner au travail, ça ne sert à rien », poursuit Anasse Kazib.

« Je ne trouve pas que les syndicats plus modérés imposent une ligne trop tendre au mouvement », réfute Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « La grève, ça ne se construit pas en appuyant sur un bouton. À la CGT, nous continuons d’appeler à massifier les grèves reconductibles », rappelle Catherine Perret.

En choisissant la date du jeudi 23 mars, les leaders syndicaux se doutaient bien que des mobilisations spontanées verraient le jour entre-temps.  D’une certaine manière, ce choix les dédouane des actions plus radicales et violentes qui ont eu lieu ces derniers jours. C’est aussi une façon de placer l’exécutif devant ses responsabilités. Lui, et lui seul, est responsable de cette explosion sociale.

Malgré tout, si l’intersyndicale est restée mesurée, le caractère antidémocratique du recours au 49.3 a heurté bon nombre de personnes. Depuis, de nombreux secteurs ont appelé à poursuivre et à durcir les mouvements de grève. Du fait de la mobilisation dans les raffineries par exemple, de plus en plus de stations-service commencent à manquer de carburant.

« On est dans une séquence où on peut encore imposer un rapport de force. Donc on le dit clairement, c’est vraiment là qu’il faut agir, c’est vraiment jeudi qu’il faut se mettre en grève », conclut Benoît Teste. À voir si, ce jeudi, les organisations syndicales réussiront à ne pas se faire déborder dans les rues par une colère trop bouillonnante pour qu’elles arrivent à la contenir.

  publié le 21 mars 2023

Après le 49.3, la Nupes peut-elle convertir la colère en adhésion ?

Jonathan Trullard  sur www.politis.fr

Le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites a donné du carburant à la contestation sociale. Galvanisée par l’aveu de faiblesse du camp présidentiel, la coalition de gauche se tient prête à tous les scénarios dans les semaines à venir.

« Le 49.3 a changé la donne. » Sandrine Rousseau est sûre d’elle, dimanche 19 mars, et nous suggère d’attendre les premiers sondages post-49.3 pour nous en rendre compte : « Les macronistes vont s’effondrer s’il y a dissolution, reste à savoir où les voix partiront. » Mais la députée EELV est confiante au vu de la « très bonne réception » faite à la Nupes dans les cortèges. « Cette mobilisation est inédite, son caractère joyeux marque l’envie d’un autre projet de société, une envie de gauche. »

Hier, 20 mars, la motion de censure transpartisane est rejetée au Palais-Bourbon, la dissolution est écartée, mais celle-ci reste possible dans les semaines à venir, au regard de l’immobilisme parlementaire qui s’annonce. Dans ce cas, « la Nupes serait prête et unie », assure l’écologiste, qui balaie toutefois les questions d’incarnation pour Matignon. Qui serait proposé Premier ministre ? « On verra… »

Le politiste Bruno Palier douche l’optimisme de l’élue de Paris. Dans une note rédigée pour le think tank Terra Nova, il juge « probable que les conséquences politiques de cette réforme favorisent plus le RN que la gauche ». De la « prophétie autoréalisatrice », évacue Antoine Léaument.

Pour le député LFI, la Nupes a incarné la colère sociale comme aucune autre formation. Bruno Palier parle, lui, de « lucidité » à avoir sur une dynamique qui « tourne toute seule » chez les petites classes moyennes, ces personnes « juste au-dessus » impactées par la réforme et qui représentent un réservoir de votes pour l’extrême droite.

Il ne faut pas croire que tous les opposants à cette réforme sont de gauche.

Si idéologiquement « l’agenda est favorable à la Nupes », le spécialiste de la gauche politique Rémi Lefebvre souligne « l’effet bulle » que peut provoquer la rue. « Il ne faut pas croire que tous les opposants à cette réforme sont de gauche », explicite-t-il. Attention à « l’illusion d’optique », ajoute le politiste Vincent Martigny.

Course contre la montre

La gauche serait-elle toutefois « prête et unie », comme l’affirme Sandrine Rousseau ? « Dire que la Nupes est unie, c’est se moquer du monde, continue Bruno Palier, le RN est un parti unique avec un leader incontesté, on ne peut pas en dire autant à gauche. » Interrogée sur ce sujet, Clémentine Autain concède « des réflexes de singularisation » au sein de la Nupes, et admet une « course contre la montre accélérée avec l’extrême droite ».

Pour la députée LFI de la Seine-Saint-Denis, « le vent est toutefois dans les voiles de la gauche », reste donc à « transformer cette colère en adhésion ». Bruno Palier détaille l’enjeu essentiel pour le faire : « Aborder directement les conditions de travail dégradées des employés, et non plus seulement parler macro en pointant les 1 % les plus riches ». Car c’est bien la souffrance au travail qui alimente, selon le chercheur, « le ressentiment social nourrissant le vote populiste de droite radicale ».

Julien Bayou, lui, se focalise sur le présent, et le présent, pour lui, c’est cette arme pour bloquer la réforme : le référendum d’initiative partagée (RIP). « Ça remettrait du participatif face à l’entêtement de Jupiter. » Le député écologiste est convaincu que cette « arnaque » laissera des traces. Il prévoit un travail à mener au sein de la Nupes pour « devenir une plateforme de conquête du pouvoir », parlant d’une « mutation » à engager, quitte à prendre « un nouveau nom ». Un discours que ne comprend pas Antoine Léaument : « La Nupes a toujours été un outil de conquête du pouvoir… »

Le député insoumis se félicite en tout cas du travail effectué à l’Assemblée : « Les gens ont compris que c’est grâce à nous que le texte n’a aucune légitimité parlementaire. » L’élu de l’Essonne fait allusion à la stratégie du bruit et de la fureur choisie par son groupe au Palais-Bourbon, une tactique d’agit-prop que questionne le politologue Vincent Martigny : « Ils n’en sortent pas forcément grandis… d’autant que ce mouvement social est un mouvement contre quelque chose, et non pas pour. »

Rémi Lefebvre tacle, lui, l’exercice parlementaire de la Nupes : « Ils n’ont pas beaucoup travaillé depuis juin dernier, bien trop préoccupés par eux-mêmes. La Nupes devrait passer à la vitesse supérieure car elle ne peut pas rester une simple alliance électorale. »

Mélenchon toujours là

Pendant ce temps, le leader de La France insoumise, toujours « en retrait mais pas en retraite », reste omniprésent. Jean-Luc Mélenchon est même apparu jeudi dernier à la tribune des invités de l’hémicycle, spectateur de la bronca des insoumis lors du discours d’Élisabeth Borne.

En cas de dissolution, il serait le candidat « évident » à la primature, selon Antoine Léaument, « je ne vois pas qui d’autre serait prêt comme lui, et on ne va de toute façon pas se livrer à une bataille intestine si une campagne de quarante jours s’annonce ». Un argument qui ne convaint pas Rémi Lefebvre : « Mélenchon n’aurait pas l’effet d’entraînement de la présidentielle et serait beaucoup plus contesté. » La situation ne serait donc pas si rose pour la Nupes en cas de législatives anticipées. « Je crains qu’ils ne soient pas en ordre de bataille », conclut le politiste.

En attendant, le combat s’amplifie contre la réforme des retraites. À la possibilité d’un RIP s’ajoute celle d’une censure du texte par le Conseil constitutionnel. La pratique macronienne du pouvoir est pointée du doigt, « elle n’est qu’autoritarisme », résume Sandrine Rousseau.

Peur de quoi ? Ce moment est incroyable ! Les gens reprennent leur vie en main !

« Le président a perdu toute légitimité », continue l’écologiste, qui prédit « une crise permanente » pour la suite du quinquennat. Reste enfin la pression de la rue, cette « censure populaire » dixit Mélenchon, même si le retrait d’une loi déjà promulguée n’a qu’un seul précédent dans l’histoire : celui du contrat première embauche en 2006.

Face à la violence larvée des dernières manifestations, le désordre pourrait toutefois faire vaciller le gouvernement. Un climat potentiellement dangereux, qui fait craindre à Laurent Berger une « catastrophe », mais ne fait pas peur à Sandrine Rousseau : « Peur de quoi ? Ce moment est incroyable ! Les gens reprennent leur vie en main ! »

publié le 20 mars 2023

Des vallées alpines aux facs du Nord, des luttes ravivées

Cyprien Boganda, Samuel Eyene, Joseph Korda et Guillaume Pavis sur www.humanite.fr

Depuis l’utilisation par l’exécutif du 49.3, le 16 mars, la mobilisation sociale contre la réforme des retraites est entrée dans une nouvelle phase d’actions mêlant mouvements de grève et manifestations locales, parfois violemment réprimées. Retour sur trois jours à nul autre pareils.

Instantanément, l’article 49.3 dégainé a produit son effet. Jeudi, en fin d’après-midi, des manifestations spontanées ont surgi de Rennes à Bordeaux, de Dijon à Marseille et jusqu’à la place parisienne de la Concorde. Une éruption de colère, parfois violente, qui ne s’est pas démentie les jours d’après, alors que l’intersyndicale a appelé à des actions locales, avant une nouvelle journée nationale de mobilisation jeudi.

Vendredi, Paris, 7 h 30. Le périphérique à l’arrêt

Un homme sort de son sac une chasuble rouge de la CGT. Un autre se pare du vêtement rose de Solidaires. Une centaine de personnes effectuent le même mouvement. Une fumée rouge enveloppe l’air, signe du craquement d’un fumigène.

« La CGT, l’union départementale Paris, l’interprofessionnelle et des syndicats autonomes ont décidé de bloquer le périphérique à trois endroits différents, dont la porte de Clignancourt, dévoile Cédric Liechti, secrétaire général CGT énergie Paris. C’est notre réaction au coup de force réalisé jeudi par le gouvernement. »

Cinq minutes plus tard, les militants et grévistes déboulent sur la voie intérieure à pied, banderoles dépliées, chants entonnés. Malgré l’agacement des quelques conducteurs immobilisés, l’opération s’effectue sans violence et dans la joie.

Des automobilistes en sens contraire klaxonnent en guise de soutien. « Je suis contente d’être mobilisée aux côtés de tout ce monde présent », se réjouit Florine, professeure en collège, qui appelle à « multiplier les actions sauvages ».

Une heure et demie plus tard, le cortège, arrivé à la porte de la Chapelle, se disperse. « La rue va reprendre ses droits », promet Cédric Liechti pour les prochains jours.

Vendredi, Saint-Georges-de-Commiers (Isère), 11 heures. Que la troisième semaine de lutte commence

Le barbecue commence à fumer. Voilà de quoi accueillir la cinquantaine de personnes venues partager un moment revendicatif à la centrale hydroélectrique de Saint-Georges-de-Commiers. C’est la plus proche de Grenoble parmi les huit sites isérois à être occupés par les énergéticiens encore ce week-end. « Il y a des grévistes d’Enedis, de RTE, des gaziers, des cheminots, des profs », énumère Jordan, technicien d’exploitation. « C’est la deuxième fois qu’on se réunit sur le piquet, ces grèves ont vraiment soudé tout le monde », se réjouit Nicolas Peix.

Pour cet autre technicien et représentant syndical Force ouvrière, « ça nous permet de faire le point après le 49.3, qui nous a vraiment énervés et remotivés. On a discuté d’actions à mener la semaine prochaine et de comment durcir le mouvement ».

Une fois le repas terminé, les salariés votent la reconduction à main levée : à l’unanimité, la grève se poursuivra au moins jusqu’au jeudi 23 mars. « On va entrer dans notre troisième semaine de lutte », explique Nicolas.

Dans l’après-midi, les salariés reçoivent la visite de Marie-Noëlle Battistel, la députée socialiste de la 4e circonscription de l’Isère. « Avec elle, on a fait un point sur la semaine à venir, entre les motions de censure et le référendum d’initiative partagée (RIP) », égrène Nicolas Peix.

Vendredi, Rennes (Ille-et-Vilaine), 14 heures. Opération « ville morte » votée pour lundi

Ils auraient pu inscrire « pagaille » ou « désordre ». C’est « le zbeul tous les soirs » qui fait l’unanimité comme maître mot de l’assemblée générale organisée à l’université Rennes-II, après une manifestation pacifique qui a réuni 5 000 personnes dans la matinée, dont une foule de jeunes galvanisée.

Devant le bâtiment universitaire, entre deux votes à main levée, on fait le point en fumant quelques cigarettes roulées. Les murs sont tagués de nombreux slogans revendicatifs accumulés semaine après semaine. « Il suffira d’une étincelle », peut-on lire sur l’un d’entre eux. Une bande d’amis s’amusent à jouer au black bloc avec des parapluies et projectiles fictifs. Le chat et la souris version militant radical et policier.

À l’intérieur, on essaie de se projeter vers les jours à venir. Manifestations, barrages, blocages ? Tout à la fois ? On se demande s’il ne serait pas temps d’obtenir cette fameuse « prime à la violence » évoquée par Laurent Berger. Finalement, l’assemblée générale décide l’organisation d’une journée «  ville morte » lundi 20 mars

C’est qu’après la nuit de violences de jeudi 16 mars, d’une rare intensité (quelques blessés, des magasins saccagés, du mobilier urbain détruit), l’ambiance est encore électrique. Au petit matin, les commerçants ont ramassé ce qu’il reste de leurs vitrines.

Les devantures du centre-ville sont barricadées par crainte que le 49.3 dégainé par Élisabeth Borne n’embrase à nouveau la capitale bretonne. Mais le calme est de rigueur, finalement, ce vendredi soir, dans le cœur de Rennes, où une armada de CRS est déployée. Après une poussée de fièvre, la mobilisation marque une pause. On se replie pour mieux préparer la suite.

Vendredi, Lille (nord), 22 h 30. L’espoir de convergence face à la répression

S’il fallait un mètre étalon pour mesurer la colère des Lillois à l’annonce du passage en force du gouvernement pour faire adopter sans vote son projet de réforme des retraites, la place de la République en fournirait un efficace.

Le 16 mars au soir, l’esplanade dédiée à l’accueil des manifestations unitaires les jours de mouvement national est longtemps restée occupée par des militants de tout bord. Parmi eux, quelques dizaines de jeunes et d’étudiants.

Le lendemain matin, le gros de ces forces est déjà présent sur le campus de Lille-III. « On avait occupé le campus dès mercredi, explique Louis, étudiant en sociologie et histoire et adhérent de la Fédération syndicale étudiante (FSE). Pour contrarier le mouvement, la direction de l’université avait décidé de passer les cours en distanciel. Point que nous avons dénoncé. »

À 11 heures, en assemblée générale interprofessionnelle, étudiants et salariés ont voté le principe d’une grève reconductible pour ce début de semaine. Le soir même, plusieurs centaines de personnes organisent des manifestations spontanées réprimées par la police avec une violence peu habituelle dans la capitale des Hauts-de-France. Le rond-point précédant la porte des Postes est le théâtre de heurts importants. Le rassemblement s’achève vers 22 h 30 avec un appel à intensifier le mouvement.

« Nous déplorons plusieurs blessés, dont certains ont dû passer par les urgences », témoigne un étudiant entre deux nuages de gaz lacrymogènes. « La logique est d’occuper les mêmes lieux, chaque jour à la même heure, mais ce n’est pour autant pas la même qu’au moment des gilets jaunes », prévient Louis.

Ici, les étudiants comptent sur une convergence dans la durée, permettant aussi de porter les revendications propres au milieu universitaire, comme la question de la sélection ou des moyens alloués aux facultés. « Ce qui se passe est incroyable, franchement. Si on ne bouge pas, au-delà des retraites, c’est l’extrême droite qui va gagner », prévient Élise, étudiante en histoire. Qui s’inquiète : « J’espère que le mépris du gouvernement et les violences policières ne décourageront pas les grévistes. »

Samedi, centrale de Grand-Maison (Isère), 15 heures. La grève de vallée en vallée

« Si la motion pour le référendum d’initiative partagée (RIP) passe, on lève le piquet dès le lendemain », assure Valentin Dombey. Chaque jour sur les routes pour soutenir les grévistes des nombreux barrages hydroélectriques en débrayage, le délégué syndical CGT d’EDF Hydro Alpes se trouve ce samedi 18 mars à la centrale de Grand-Maison.

En cet après-midi, le piquet de la plus importante installation de ce type en France est tenu par une dizaine de salariés. « Depuis le début de la grève le 6 mars dernier, j’ai passé dix nuits ici. C’est devenu une ZAD », s’amuse Léa, mécanicienne de 26 ans, tout en remplissant d’eau une cuve dans laquelle elle a installé des bancs.

« On se fabrique un Jacuzzi », sourit-elle. Avant de redevenir plus grave : « On ira jusqu’au bout. Je vais taper dans mon épargne, faire attention aux dépenses. Mais mieux vaut se priver que de tirer quatre ans de plus », explique-t-elle en référence à la destruction du régime des industries électriques et gazières prévue par le projet de loi gouvernemental.

Samedi, Paris, 18 heures. Une manifestation au secours de la démocratie

« Au point où on en est, ce n’est même plus vraiment la retraite que je défends, c’est la démocratie. » Erick, directeur de MJC (maison des jeunes et de la culture) parisienne, a de la colère à revendre et un certain sens de la formule. Il n’a pas hésité longtemps avant de se rendre place d’Italie pour participer à cette manifestation organisée par la CGT où se pressent plusieurs milliers de personnes.

« Quand Élisabeth Borne est redescendue de la tribune de l’Assemblée nationale avec le sourire après avoir annoncé le 49.3, nous avons basculé dans autre chose, poursuit le quinquagénaire, accoudé à la balustrade de l’entrée du métro. Nous sommes toujours en République, certes, mais plus en démocratie. »

À croire que la brutalité politique déployée par l’exécutif a cristallisé une colère qui dépasse la seule opposition à la réforme des retraites. Chez les manifestants, c’est un ras-le-bol généralisé qui s’exprime. Ainsi qu’une réelle volonté d’en découdre.

Des incidents se produisent d’ailleurs dans les avenues adjacentes à la place d’Italie lorsque des manifestants tentent de rejoindre le site d’incinération d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), où les éboueurs sont en grève.

La police revendiquera 110 interpellations. « Le passage en force n’est pas acceptable », cingle Valérie, militante FSU et prof de SVT au lycée Jules-Ferry, qui se prend à rêver à un scénario façon CPE en 2006.

Dimanche, Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), 16 heures. Vannes fermées au terminal méthanier

Les installations sont à l’arrêt depuis le 6 mars. En temps normal, le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique) accueille des navires chargés en gaz naturel liquéfié (GNL), qui est ensuite transformé à l’état gazeux sur le site, odorisé, puis envoyé sur les réseaux. Mais pas en ce moment. Les grévistes ont arrêté les pompes, les moteurs, et rien ne sort des tuyaux.

Lorsqu’on appelle Julien Guillaud, délégué syndical Elengy (filiale d’Engie), il se trouve dans la salle de contrôle. « Les grévistes se relaient sur le site pour le maintenir en sécurité, explique-t-il. Nous avons trois cuves de 120 000 mètres cubes de GNL, un liquide incolore et inodore. Autant dire qu’il ne faut pas qu’il y ait de fuite. »

Le taux de grévistes – autour de 80 % en moyenne – donne une indication quant au niveau de détermination. « L’utilisation du 49.3 ne fait que nous conforter dans notre action, assure le syndicaliste. Nous avons été parmi les premiers à entrer dans la lutte, ce n’est pas le moment de lâcher. » La suite sera décidée en assemblée générale, ce mardi.


 


 

La mobilisation décolle dans de nombreux secteurs

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Raffinerie, électricité, gaz, déchets ménagers, le ton monte depuis le passage en force du gouvernement, en vue de la journée d’action nationale de jeudi 23 mars à l’appel de l’intersyndicale.

Après un week-end riche en manifestations à travers le pays, la pression monte pour le gouvernement avant la journée d’action interprofessionnelle du 23 mars. Alors que le début de semaine s’annonce décisif avec le vote des motions de censure à l’Assemblée nationale pour barrer la route à la réforme des retraites, les différents secteurs économiques haussent le ton.

Dans les raffineries, plus rien ne sort

Dans les raffineries, les robinets commencent à se fermer. Depuis le 17 mars au soir, l’arrêt des installations du site de TotalEnergies en Normandie, le plus important du pays, basé à Gonfreville-L’Orcher (Seine-Maritime), est acté et devrait se poursuivre jusqu’à lundi soir. Selon Éric Sellini, coordonnateur CGT du groupe TotalEnergies, « plus rien ne sort » du site.

Les expéditions sont aussi stoppées à la raffinerie Pétroineos à Lavéra (Bouches-du-Rhône), qui serait mise à l’arrêt dès demain. Alors que la grève se poursuit au dépôt pétrolier du Havre (tout comme à celui de Fos-sur-Mer), la raffinerie Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime) ­devrait cesser l’activité le 21 ou 22 mars, faute de matière première.

« Ça fait quinze jours que les ­expéditions sont ralenties partout. Depuis le 7 mars, on travaille à mener un bras de fer plus important : ce ne sont pas des jours de grève par-ci par-là qui allaient faire plier le gouvernement, poursuit Éric Sellini. On voit les premiers effets : 70 stations-service étaient en rupture totale de stock jeudi 16 mars, elles sont 300 aujourd’hui et 400 sont en rupture partielle, c’est plus marqué dans les grandes agglomérations et le sud de la France. » Pour l’instant, les menaces de réquisitions brandies par le gouvernement n’ont été mises en application nulle part.

À la centrale nucléaire du Blayais, des barrages filtrants 24 heures sur 24

Réunis vendredi 17 mars, les syndicats CGT de l’énergie ont décidé quant à eux de « renforcer partout » le mouvement cette semaine et d’appeler à « la ­reconduction de la grève et à la perturbation maximale du travail », selon Fabrice Coudour, secrétaire fédéral de la CGT énergie.

À la centrale nucléaire du Blayais, en Gironde, les barrages filtrants à l’entrée sont désormais en place 24 heures sur 24. Ce week-end, la production a baissé de 75 mégawattheures et deux arrêts de tranches ont eu lieu. Les équipes grévistes se relaient pour dormir sur le piquet et occuper l’entrée.

On ne bougera pas tant que la réforme ne sera pas retirée. Ça permet de canaliser certains agents qui voudraient recourir à des moyens plus extrêmes tellement ils sont en colère ». Olivier Delbos, secrétaire CGT de la centrale nucléaire du Blayais

Pour le secrétaire de la CGT du site, Olivier Delbos, « c’est du jamais-vu depuis 2005. Quand le gouvernement a commencé à devenir plus agressif, on a changé notre façon de faire à la demande du personnel. On ne bougera pas tant que la réforme ne sera pas retirée. Ça permet de canaliser certains agents qui voudraient recourir à des moyens plus extrêmes tellement ils sont en colère ».

Partout, comme le précise Sébastien Menesplier, secrétaire général de la CGT mines-énergie, « les baisses de production continuent dans le thermique, l’hydraulique et le nucléaire. Les actions “Robin des bois” de gratuité d’électricité aussi. D’autres centrales ont mis en place des barrages filtrants comme celles de Tricastin ou de Penly. Les trois terminaux gaziers d’Elengy, filiale d’Engie, sont à l’arrêt depuis le 7 mars, les stocks baissent. L’impact commence à se faire sentir ». Le mouvement s’est durci également sur les onze sites de stockage souterrain de gaz Storengy, dont le plus important, à Chémery (Loir-et-Cher), a été mis à l’arrêt.

Les éboueurs ont reconduit jusqu'au 21 mars

Du côté des incinérateurs de déchets ménagers, la mobilisation tient bon. Sur les trois sites franciliens d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), les grévistes ont mis en place des barrages filtrants pour laisser passer quelques camions de collecte des ordures. En assemblée générale vendredi 17 mars, ils ont « reconduit l’action jusqu’à mardi inclus, avec un filtrage des camions à Issy-les-Moulineaux samedi et dimanche, puis à Saint-Ouen lundi et mardi », a déclaré Fatiha Lahrech, déléguée syndicale CGT à Issy-les-Moulineaux.

Si vendredi, la police est venue déloger les salariés du site d’Ivry-sur-Seine, selon la CGT, 95 % d’entre eux restent en grève et son accès est toujours bloqué. Quant aux quatre syndicats représentatifs de la SNCF (CGT, Unsa, SUD, CFDT), ils ont appelé à maintenir la grève reconductible entamée le 7 mars.

  publié le 20 mars 2023

Frapper, cogner, frapper encore : voyage au cœur de la violence policière après le 49.3

Maxime Sirvins  sur www.politis.fr

Après plusieurs jours de mobilisations contre la reforme des retraites et l’utilisation du 49.3, la répression policière bat son plein entre charges, coups et interpellations abusives. Récit, au coeur des nasses.

L’ambiance est pesante en cette fin de rassemblement, vendredi 17 mars, sur la place de la Concorde à Paris. Une mobilisation qui était spontanée, pour protester contre le recours à l’article 49.3 de la Constitution, par un gouvernement entêté à réformer les retraites contre l’avis des Français.

Après un long moment de face à face entre forces de l’ordre et manifestants, les dernières personnes sont finalement nassées dans un coin de la place. La seule sortie possible se fait par le métro. Alors que des centaines de manifestants s’impatientent pour descendre les escaliers étroits, la police et la gendarmerie font des dizaines de percées dans la foule pour interpeller à tour de bras.

Le silence, des hurlements, le silence, des hurlements. Cette cueillette périlleuse va durer de trop longues minutes. D’un côté, les policiers foncent dans le tas, souvent violemment en attrapant des manifestants par la gorge ou les cheveux. De l’autre, dans le regard de certains gendarmes, parmi les plus jeunes, on peut voir de l’incompréhension, du doute et de la peur comme s’ils se demandaient : « Qu’est-ce qu’on fout, là ? Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? » 

Ne vous débattez pas, sinon ça sera encore pire.

Pour certains journalistes présents, c’est avec la boule au ventre que la scène est documentée. Face à cet instant qui paraît durer des heures, les regards se croisent et des mots s’échangent entre collègues. « C’est punitif. C’est angoissant. » Pendant que, chez les forces de l’ordre, certains parlent de « faire du chiffre et de bien compter tout le monde », les membres de la presse tentent de calmer les gens. « Ne vous débattez pas, sinon ça sera encore pire », lance un photographe, impuissant.

Du côté de la nasse, même son de cloche. Des journalistes et des badauds coincés invitent les gens à rentrer au plus vite dans le métro. Au même moment, une journaliste du Média est interpellée violemment, sans raison. Ce soir-là, pour la préfecture de police de Paris, il faut éviter de reproduire les erreurs de la veille. 

Ce jeudi 16 mars, en effet, lors du premier rassemblement sur la même place, il n’y a pas de nasse mais une sortie possible par une petite rue. Après des heures tendues, des centaines de manifestants en profitent pour se lancer dans des manifestations sauvages aux milieux des grands boulevards haussmanniens.

« On est en sous-effectif ! On a besoin de renfort ! »

Les BRAV-M (brigades de répression des actions violentes motorisées) tentent de rattraper les groupes qui brûlent des poubelles – bien remplies – sur les routes. Un policier dit à sa radio : « On est en sous-effectif pour les gérer ! On a besoin de renfort ! ». S’il y a bien eu faille dans le dispositif du maintien de l’ordre ce soir-là, 292 personnes sont interpellées de manière très aléatoire. Et souvent injustifiée : parmi elles, neuf seulement sont finalement déférées, soit à peine 3 %.

Les policiers n’hésitent pas à frapper. Ils courent, matraque à la main. Une jeune femme se fait attraper et frapper au bassin avant d’être relâchée. Pourquoi molester une personne sans volonté d’interpellation ? Pour intimider ? Ne pas l’y reprendre ? La dissuader de revenir les soirs suivants ? Quelques minutes plus tard, je reçois moi-même un coup à la hanche et un confrère est violemment frappé à la tête. Complètement sonné pendant plusieurs minutes, nous remercions toutes et tous son casque. Les policiers frappent sans raison.

Samedi 18 mars, une manifestation part de la place d’Italie. Des poubelles brûlent et des BRAV-M arrivent épaulés par des BRAV, des CRS, des gendarmes et un camion à eau. Dans les petites rues, de nuit, des gens se font charger, frapper puis sont laissés au sol. D’autres sont interpellés, dont un homme, statique, qui se fait aplatir au sol, la tête la première, après qu’un BRAV-M lui a sauté dessus à coup de bouclier.

Le même soir, une femme se prend un coup de poing dans le nez et finit en sang, des journalistes se font frapper et voient leurs matériels brisés. Un touriste qui a le malheur de passer là prend lui-aussi des coups de matraques en essayant de sortir d’une nasse. 

Chaos et résignation

Dans ladite nasse justement, le chaos règne. Une seule sortie possible : le métro. Mais il est fermé. Les CRS sont perdus. Un coup, la nasse se fait déplacer sur 200 mètres à droite vers une station fermée pendant qu’un CRS, clope au bec, avoue « ne rien comprendre à ce qu’il se passe. »

Un autre coup, on nous envoie toutes et tous vers une autre direction, sans réelle destination. Au bout de plusieurs minutes, les gens peuvent ressortir en forçant un peu et retourner sur la route que les forces de l’ordre venaient de sécuriser. C’est à n’y rien comprendre. 

Ils sont fichés maintenant, voilà.

Le lendemain, 19 mars : autre jour, autre nasse. Cette fois-ci, c’est dans le centre de Paris, à Châtelet-les-Halles, que les opposants à la réforme sont coincés pendant plus de trois heures. Au milieu de la foule, un homme demande à un policier : « Comment se fait-il que 96 % des personnes interpellées jeudi soir aient été relâchées sans la moindre poursuite ? » La réponse de l’agent est directe et révélatrice de la répression actuelle. « Ils sont fichés maintenant, voilà. » Ce soir-là, encore une fois, de nombreuses personnes seront interpellées. 

Après ces journées de mobilisation, la fatigue se fait ressentir. Des violences qui laissent des traces. On ne s’habitue jamais, même après des années de mobilisations sociales, synonymes de répression policière. Entre collègues, entre ami.es, nous allons boire un verre ou deux, pour parler, échanger, se rassurer. Dans ces sas de décompression, les mêmes questions : à quoi beau photographier, filmer, documenter ? Un  sentiment d’impuissance se dégage. Et de résignation parfois.

Alors que de nombreuses autres mobilisations sont prévues dans la semaine, tous les regards sont dirigés vers l’action répressive de certains agents et unités, qui ne fait que nourrir la colère d’un peuple. Un peuple qui semble plus déterminé que jamais. Là est le dangereux pari choisi par Emmanuel Macron. 


 


 

Manifestations. « Ils ne cherchent pas à sécuriser, mais à réprimer et punir » 

Embarek Foufa sur www.humanite.fr

Après le passage en force du gouvernement avec le 49.3, des manifestations spontanées ont eu lieu tout le week-end en France. La répression est montée d’un cran, comme l’a constaté, et subit, Ema, observatrice indépendante des pratiques policières en manifestation. Témoignage.

Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas et à observer les violences policières ?

Ema : Je n’ai pas commencé avec les manifestations. En premier lieu, je me suis rendue sur les camps des exilés à Stalingrad à Paris dans l’idée de documenter les violences policières. J’ai réalisé la vidéo qui a énormément tournée il y a quelques semaines sur le compte de Utopia 56, où l’on voit des CRS gazer les couvertures des demandeurs d’asiles dans la rue. Cette vidéo démontre une nouvelle fois l’importance des vidéos, en guise de preuve. 

Dans ette même démarche, le 15 mars dernier, vous étiez à Rennes pour suivre la 8e journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Vous avez été confrontée à la police, que s’est-il passé ? 

Ema : Je ne suis pas de Rennes, mais j’avais eu des échos sur des violences policières sur place depuis le début du mouvement. Malheureusement, cela se faisait sans image. Alors, avec AB7 Media (NDLR; un média indépendant) je suis allée sur place pour filmer et documenter au cas où.

Pour observer, je me suis tenue à distance raisonnable du cortège, équipée de lunettes et d’un masque pour me protéger. Je n’étais pas du tout habillée en noir. À un moment de la manifestation, des incidents ont éclaté, on avancait au niveau d’un croisement, sans aucune visibilité à cause des gaz lacrymogènes, et des policiers ont bondi sur nous.

Comme on le voit sur la vidéo, un policier m’a mis un coup de matraque dans le genou, m’a tiré les cheveux et retiré mon équipement de protection. Juste après, tout en me demandant de « dégager », il m’a poussée vers le cortège qui était noyé sous les gaz.

J’ai fait un malaise à ce moment-là. Il n’y avait quasimenent plus personne autour de moi, j’ai mis un peu de temps avant de me remettre de mes émotions. 

De retour à Paris ce week-end, vous avez suivi les différentes mobilisations. Comme beaucoup d’observateurs, avez-vous constaté une répression de plus en plus forte ?

Ema : C’était extrêmement intéressant d’observer la similitude entre les deux manifestations place de la Concorde, jeudi 16 et vendredi 17 mars.

Les policiers étaient placés au même endroit et bloquaient les mêmes accès, les manifestants rassemblés exactement au même endroit, avec un incendie aussi similaire. C’était très frappant.

La seule différence, c’était la présence le deuxième jour de la Compagnie d’intervention, avec son commissaire réputé pour sa gestion brutale en maintien de l’ordre et qui s’en est déjà pris à des journalistes.

J’ai été choquée par les arrestations arbitraires, les charges sur des gens immobiles présentant aucun danger. Sur toutes les scènes auxquelles j’ai assisté, la violence n’était jamais nécessaire.

Ils ne cherchent pas à sécuriser; mais à réprimer et punir. Parmi les centaines de personnes interpellées, au final il y a très peu de poursuites. Le pouvoir cherche à faire peur avec une violence physique couplée à des moyens légaux (arrestations, GAV). La suite s’annonce très intense, avec une répression qui rappelle celle que nous avons connue lors des Giles Jaunes. 


 


 

Interventions musclées et arrestations en nombre : le service après-vente du 49.3 façon Darmanin

Stéphane Guérard et Embarek Foufa sur www.humanite.fr

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin assume un tournant répressif dans le suivi du mouvement social, chauffé à blanc par l’utilisation du 49.3.

Le projet de réforme des retraites a un nouveau porte-parole. Depuis jeudi 16 mars et le 49.3, Gérald Darmanin s’est vu confier le service après-vente du texte gouvernemental. Le ministre de l’intérieur a depuis assumé un virage sécuritaire au suivi d’un mouvement social chauffé à blanc par le passage en force de l’adoption sans vote à l’Assemblée.

« L’opposition est légitime, les manifestations sont légitimes, le bordel ou la bordélisation non », a-t-il déclaré le 17 mars sur RTL, soulignant le bilan des interpellations en marge des manifestations de la veille : 310 personnes interpellées, dont 258 rien que pour le rassemblement de la Concorde, à Paris.

Les interventions se doublent d'une violence accrue

Bis repetita samedi soir, avec 169 interpellations, dont 122 dans la capitale. Les forces de sécurité justifient leur célérité par les incidents – feux de poubelle, bris de vitrines et de devantures de permanences de parlementaires – et les affrontements très localisés en marge de protestations à Paris, Amiens et Lille, Dijon, Bordeaux, Rennes, Lille, Lyon ou Strasbourg.

Mais leurs interventions se doublent d’une violence accrue. Ema, observatrice indépendante des pratiques policières en manifestation, l’a remarqué à Paris ce ­week-end : « Les deux rassemblements à la Concorde étaient similaires. La différence, c’était la présence samedi de la compagnie d’intervention avec son commissaire réputé pour sa gestion brutale. J’ai été choquée par les arrestations arbitraires, les charges sur des gens immobiles. On ne cherche pas à sécuriser, mais à réprimer et punir. Parmi les centaines d’interpellés, il y a très peu de poursuites. La suite s’annonce intense… »

Matthieu en témoigne. Samedi soir, après avoir quitté la place de la Concorde pour rentrer chez lui, il se trouve dans le quartier de l’Olympia à proximité d’une cinquantaine de personnes « parties » à la sauvage « mais qui ne représentaient pas de danger. La Brav-M (brigade de répression de l’action violente motorisée) nous a foncé dessus, chargeant tout le monde et interpellant à tour de bras ».

« Les policiers dissuadaient les personnes arrêtées de faire appel à un avocat ou à un médecin  »

Interpellé, le jeune homme a été privé de liberté plus de 20 heures durant, à l’issue desquelles aucune charge n’a été retenue contre lui. « La garde à vue, c’est une maltraitance en soi, souligne-t-il. Mais le plus choquant, c’est que les policiers dissuadaient les personnes arrêtées de faire appel à un avocat ou à un médecin, affirmant qu’ils resteraient plus longtemps. Ce qui est faux. »

Chercheur au CNRS spécialiste de l’usage de la force par la police en France, Fabien Jobard décrypte la nouvelle situation sécuritaire : « Tant que le projet de réforme était au Parlement, il y avait un lieu de discussion. Dès lors que ce lieu n’existe plus, les manifestants qui privilégient les actions plus directes se retrouvent plus nombreux dans les cortèges, plus souvent en première ligne et plus légitimes au regard des autres manifestants. D’autant que dans le même temps, le 49.3 a changé la donne. Depuis 2003, tous les gouvernements avaient fait leur le slogan de Raffarin “la loi ne se fait pas dans la rue mais au Parlement”. Ce n’est plus le cas. C’est le gouvernement qui fait la loi. La vraie radicalisation relève de la perte de confiance dans la démocratie représentative. »

(1) Le prénom a été modifié.

publié le 19 mars 2023

Sur le blocage d’un site pétrolier : « J’aimerais être un révolutionnaire,
mais je ne peux pas »

Antton Rouget sur www.mediapart.fr

Depuis quatre jours, des grévistes contre la réforme des retraites bloquent l’accès d’un important centre de stockage pétrolier, en Loire-Atlantique. Sur place, les manifestants oscillent entre espoir d’un durcissement du mouvement et exaspération face au mutisme du pouvoir.

Quelques volutes de fumée s’échappent encore, ici ou là, de tas de cendres disposés en travers de la route. Mais pas la trace du moindre mouvement à l’horizon, ce samedi 18 mars, dans la zone industrielle de Donges, près de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). La mobilisation s’est-elle déjà éteinte dans ce que l’on présente, à la radio et à la TV, comme un centre névralgique de la contestation contre la réforme des retraites ?

Au bout du bout de la route qui longe la Loire, après le terminal méthanier, et juste derrière le terminal charbonnier, une nouvelle barricade, toujours enflammée celle-là, empêche le passage. Voilà un signe de vie : le début du blocage de la SFDM, un important dépôt pétrolier contrôlé par l’État français, et de la raffinerie Total. Le centre de stockage et l’usine, qui se font face à quelques centaines de mètres du terminal pétrolier, sont non seulement à l’arrêt, mais leur accès est bouché depuis jeudi 16 mars par des manifestants, qui empêchent les camions-citernes de venir s’approvisionner.

Avant de tout bloquer, une centaine de grévistes était parvenue, mercredi soir, à barrer le chemin à un pétrolier de 28 000 tonnes chargé de gasoil, qui n’a pas pu accoster sur le port. Cette action coup de poing a été conduite par des raffineurs et des dockers de la zone industrielle, soutenus par des cheminots et des énergéticiens. Le navire a attendu que le pilote du port habilité à réaliser les manœuvres d’appontement soit dépêché. Il n’est jamais venu. Obligeant donc le bateau à repartir en mer, les cuves pleines.

Ce coup d’éclat a galvanisé les troupes, qui ont décidé en AG d’empêcher la circulation par les voies terrestres également. « Le blocage a été décidé un peu au pied levé », admet Christophe Jouanneau, secrétaire départemental de la CGT Mines-Énergie, venu prêter main-forte à ses collègues de la fédération Chimie. La faute à un concours de circonstances opportun : « La pression est montée mercredi au moment de l’arrivée du pétrolier, qui coïncidait justement avec, dans le calendrier parlementaire, la décision de la CMP [commission mixte paritaire entre députés et sénateurs – ndlr] sur le projet de loi », retrace le syndicaliste, en relevant qu’il « y avait une grosse attente, au sein du syndicat mais aussi dans la population, pour le durcissement du mouvement ». Conséquence : « Dans la nuit, nous étions plusieurs centaines pour tout installer. »

Depuis, sur près de 300 mètres, la route qui mène à l’entrée de la SFDM et de la raffinerie est jonchée de pneus en flamme, de palettes, de troncs d’arbres, grillages, panneaux et autres plots. Deux bouteilles de gaz ont aussi été posées au milieu de la voie. 

Il faut provoquer une pénurie générale d’essence, mettre le bordel partout pour muscler le rapport de force. Aude, 24 ans, mobilisée sur le blocage

Sur le premier barrage filtrant, c’est Yannick, 69 ans, avec son gilet rouge de la CGT, qui tient le rôle de vigile en chef, au milieu d’une équipée hétéroclite d’une dizaine de personnes. Le retraité, ancien salarié sur la zone industrielle, a passé la nuit sous la pluie, ne dormant que quelques heures dans sa voiture. L’ambiance est détendue : grâce à des indiscrétions, les grévistes ont su que les forces de l’ordre, fortement mobilisées à Nantes, n’interviendraient sûrement pas ce week-end pour essayer de les déloger. Yannick partage par ailleurs un autre motif de satisfaction : la diversité du mouvement. « Des gens qui n’ont rien à voir avec la chimie participent au blocage, se réjouit-il. On voit venir des salariés du BTP, des artisans, des jeunes… »

À ses côtés, Maguy, 47 ans, est arrivée le matin depuis La Roche-sur-Yon, à 120 km en voiture. « J’ai été “gilet jaune”, et puis je suis retournée en manifestation contre la réforme des retraites », raconte cette salariée dans le domaine de l’insertion socio-professionnelle. Après avoir vu passer l’annonce du blocage du site de Donges sur les réseaux sociaux, elle n’a pas hésité à venir seule, « même si je ne savais pas ce que j’allais trouver sur place ». « Mon fils est chez son père, je profite d’avoir du temps pour me mobiliser », précise-t-elle également.

Pour Aude, étudiante en formation agricole de 24 ans également présente sur le premier barrage depuis le matin, le choix a été tout aussi limpide : « Il faut provoquer une pénurie générale d’essence, mettre le bordel partout pour muscler le rapport de force, lance la jeune femme, venue depuis la région nantaise avec des proches. Donges, c’est l’endroit où il faut être. »

Le dépôt pétrolier est effectivement un des lieux d’approvisionnement stratégiques en France. D’abord parce que chaque jour, entre 250 et 300 camions viennent y charger l’équivalent de 10 000 m3 de carburant pour fournir les stations-services des centres commerciaux et aires d’autoroute d’une grande partie de la façade ouest du pays.

« Il commence à y avoir des tensions sur les stocks [en station] », croit d’ailleurs savoir un transporteur, venu passer l’après-midi pour soutenir le blocage. Les risques de rupture sont accrus par la situation de la raffinerie Total, dont les stocks sont également rendus indisponibles par le blocage, après deux semaines de fermeture pour un défaut d’alimentation électrique d’origine accidentelle, et l’annonce d’une grève du personnel jusqu’au 24 mars.

En plus de la distribution par camions-citernes, le dépôt pétrolier de Donges – racheté en janvier 2022 par l’État au groupe Bolloré, qui avait sous-investi dans les installations (lire ici notre enquête) – distribue également du carburant par un pipeline tracé, depuis 1956, jusqu’en Moselle, en passant par la région parisienne. L’entreprise en tire d’ailleurs son nom : SFDM pour Société française Donges-Metz.

La compagnie présente une autre particularité, celle de ne reposer que sur très peu de salariés, une vingtaine en tout sur le site de Donges, dont 14 opérateurs. « À chaque mouvement, on compte 100 % de grévistes chez les opérateurs, sauf que la direction appelle des intérimaires en remplacement », déplore Morgan Lemarie, 31 ans, délégué syndical CGT de l’entreprise. « Si on était partis sur une grève reconductible, il n’y aurait eu aucun impact. » À l’inverse du blocage des accès, très efficace.

Ce mode d’action présente par ailleurs l’avantage de contrecarrer – au moins sur une courte durée, jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre pour lever le blocage – le risque de réquisition des salariés, agité ce samedi par le ministre de l’industrie Roland Lescure, une mesure qui a déjà été expérimentée à Donges. « C’était lors de la grève de 2010 [lors de la mobilisation contre la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy] », se souvient un ouvrier gréviste. « Ma femme est venue me réveiller, les gendarmes étaient au portail de la maison. J’ai signé un document : si je n’allais pas au travail, je risquais des poursuites, pas qu’au niveau du travail, mais aussi de la justice. Je n’ai pas eu le choix », rappelle-t-il. 

Après le 49-3, des collègues m’ont dit : “Ça y est, c’est la guerre.” Serge*, ouvrier mobilisé

Passé le premier barrage filtrant, le piquet de grève est principalement tenu, ce samedi, par des grévistes de la centrale thermique EDF de Cordemais, non loin de là. Plusieurs barnums ont été dressés : un grand frigo, des machines à café, et même un écran de télévision autour duquel les manifestants se rassemblent pour regarder les matchs de rugby du Tournoi des Six Nations.

« La centrale est bloquée depuis deux semaines. On tourne sur une moyenne de 90 % de grévistes, il n’y a pas un mégawatt qui sort », se félicite Yoann, syndiqué CGT de 33 ans. Au fil de l’échange, les questions s’empilent : Jusqu’où faut-il engager le rapport de force ? Comment faire céder le gouvernement ? N’est-ce pas déjà trop tard ? « Je ne sais pas si cela aurait changé grand-chose si on était partis plus tôt. Ils n’écoutent rien de toute façon. Cela fait deux semaines que l’on fait des blocages et que le chef de l’État ne nous parle pas. Il faut maintenant bloquer le pays. Je pense que le 49-3 va contribuer au durcissement du mouvement  », tranche le gréviste.

Serge*, la quarantaine, qui travaille sur le site industriel de Donges, a lui vécu comme une humiliation supplémentaire le choix d’Emmanuel Macron de ne pas passer par un vote à l’Assemblée nationale. « Au téléphone, dès que le 49-3 est tombé, des collègues m’ont dit : “Ça y est, c’est la guerre.” » Lui-même hésite sur la conduite à tenir désormais, rêvant d’actions plus dures encore : « Au bout d’un moment, marcher dans le rang dans les rues en manifestation, ça devient trop peu. Mais j’ai une famille, des enfants, je ne peux pas sortir du rang, même si j’en ai très envie. » Avec ses 2 300 par mois, il sait qu’il est « un privilégié », complète-t-il. Avant de lâcher, gagné par l’émotion : « J’aimerais être un révolutionnaire, comme mes collègues qui n’ont rien à perdre, mais moi je ne peux pas. » 

« Les salariés étaient contents de faire le tour de Saint-Nazaire en manif, mais il fallait passer au stade supérieur », reconnaît Morgan Lemarie, le délégué syndical de la SFDM. D’autres actions sont d’ailleurs prévues dès lundi. « Si on ne durcit pas, il n’y aura pas d’évolution », professe-t-il. Mais Morgan Lemarie a aussi à cœur de « garder l’intersyndicale », y compris avec des organisations plus modérées. « Il y a plus de gilets jaunes sur le piquet que de CFDT, c’est certain, mais du point de vue de l’opinion, l’union syndicale, c’est une force du mouvement », ajoute le représentant.

Il faudra aller à la violence réelle pour qu’on soit entendus. Je le regrette. Marie-Pierre, retraitée de l’Éducation nationale

Les doutes, voire l’exaspération face à l’attitude du gouvernement alimentent aussi les discussions lors de la manifestation qui parcourt, samedi matin, les rues de Saint-Nazaire. Le cortège s’est élancé de la gare à 11 h 30, après un appel à la mobilisation diffusé à la dernière minute, la veille au soir, par les sections locales de l’intersyndicale, avant la grande journée nationale du jeudi 23 mars. Il n’y a pas de camion, mais des drapeaux CGT, Solidaires ou CFDT, pas de sono, pas de banderole de tête, et le parcours, qui n’a pas été déclaré en préfecture, est improvisé.

Trois voitures de gendarmes se tiennent à distance. Les quelques centaines de manifestant·es défilent dans une zone commerciale, occupent brièvement un rond-point puis pénètrent à l’intérieur du centre commercial Auchan. « Le plus important, c’est que l’intersyndicale tienne, que le mouvement se poursuive dans l’union. On nous a dit plusieurs fois que cela ne tiendrait pas, mais le 49-3 va encore renforcer l’union syndicale », estime Stéphanie, une Atsem (agente intervenant en école maternelle) de 51 ans encartée à la CGT. 

Mais Thierry, employé d’un grand groupe dans l’électronique, ne partage pas cet enthousiasme. « Je suis surpris qu’il n’y ait pas plus de monde aujourd’hui. Je pensais que le 49-3 allait mobiliser, c’est la phase finale, c’est maintenant que ça se joue », confie ce salarié non syndiqué de 54 ans, qui ne manifestait pas avant de s’engager contre la réforme.

Marie-Pierre, 63 ans, retraitée de l’Éducation nationale habituée du mouvement social, est partagée, se disant à la fois « enthousiaste » face à l’ampleur de la mobilisation depuis janvier, mais également « pessimiste quand [elle] voit[t] la personnalité du président ». Elle a en effet « peur » de l’évolution de la situation, et « d’un recours à la force, encore plus souvent que ce que l’on connaît déjà ».

« À l’époque, se remémore-t-elle, on voyait des gouvernements qui reculaient quand la contestation sociale était forte. Là, on sent un mépris total de la rue, du nombre. Il y a des millions de personnes mais cela ne change rien. » La retraitée ne voit ainsi pas d’autre issue que « d’aller à la violence réelle pour qu’on soit entendus ». « Il ne connaît que la violence, dénonce-t-elle au sujet d’Emmanuel Macron. Je le regrette, car j’ai toujours été pacifiste. »

  publié le 19 mars 2023

Fabien Escalona : « Il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française »

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Docteur en science politique et journaliste chez Mediapart, Fabien Escalona publie un livre sans concession sur l’état de notre démocratie, au moment où Emmanuel Macron veut imposer sa réforme des retraites. Entretien.

L’Humanité : Vous décrivez une « République à bout de souffle » dans votre livre qui vient de paraître (1). Le passage en force du gouvernement avec le 49-3 sur les retraites constitue-t-il une aggravation de la situation ?

Fabien Escalona : Cela nourrit complètement ce que je pointe : un sentiment d’étrangeté et de rejet vis-à-vis de l’exécutif et de la manière dont les institutions fonctionnent. Cette réforme est massivement et profondément combattue par les citoyens, qui sont de plus en plus nombreux à se dire qu’il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française. Le sentiment d’être méprisé s’ajoute à celui d’impasse : le gouvernement a fermé tous les canaux d’amendement, d’alerte, de rappel à l’ordre de l’exécutif par la société et ses représentants.

Il ne considère ni les enquêtes d’opinion, ni les millions de manifestants, ni les syndicats, et passe en force au Parlement. Il laisse l’impression qu’entre l’obéissance et l’émeute, il n’y a aucune voie possible. Depuis les protestations spontanées contre le 49-3, on voit d’ailleurs qu’à la brutalisation symbolique et institutionnelle du corps social, s’ajoutent des violences arbitraires et physiques de l’appareil répressif.

C’est une conception de l’échange politique à la fois pauvre, consternante et dangereuse. Cela nourrit le ressentiment, qui n’est pas une émotion constructive sur le plan politique. Cela peut favoriser le discours d’extrême droite, qui bénéficie déjà largement de la crise démocratique et qui, comme l’abstention, progresse d’élection en élection.

Vous pointez dans votre livre une « crise de régime ». De quelle nature est-elle ?

Fabien Escalona : J’ai hésité à employer ce terme grandiloquent mais il m’est apparu adapté pour décrire cet état d’affaissement de notre vie politique et démocratique, et les dangers que cela nourrit. Il s’agit d’une crise rampante de légitimation, qui se manifeste par la déréliction croissante de la confiance dans les institutions, des compromis sociaux qui fondaient le régime, et de l’horizon de sens donné au pays.

Le régime de la Ve République est devenu obsolète en regard des défis économiques, sociaux et écologiques qui nous attendent. Ni le marché, ni une poignée de décideurs hors-sol ne sont en mesure de nous y préparer. La situation illustre parfaitement ce que le philosophe marxiste Nicos Poulantzas décrivait dès les années 1970 avec le développement de « l’étatisme autoritaire ».

Il y a bien un durcissement des modes de décisions, qui ne permet plus aux éléments populaires de peser aussi fort qu’auparavant dans la machine étatique, elle-même intrinsèquement liée aux conditions d’accumulation du capital. De ce point de vue, la réforme des retraites constitue une forme d’apothéose.

La V e République a connu de nombreuses révisions. L’une d’elles, en 2008, a instauré le Référendum d’initiative partagée (RIP), qui a été déposé par les parlementaires dans le but d’aboutir à un vote des citoyens sur la réforme des retraites. D’une situation de violence antidémocratique peut jaillir en réponse une forme de réappropriation démocratique ? De reconquête de la décision ?

Fabien Escalona : La marche est haute, car le RIP implique de rassembler 4,7 millions de signatures. Mais si ça ne prend pas aujourd’hui, ça ne prendra jamais, car nous avons là une réforme dont tout le monde a entendu parler et qui est massivement impopulaire. Quoi qu’il en soit, je souhaite que cette initiative aille le plus loin possible. L’impératif est de faire respirer la démocratie de ce pays.

Il est d’ailleurs très parlant que pour Nuit debout, pour les Gilets jaunes et pour la réforme des retraites, à chaque fois une question sociale ou fiscale amène à questionner les règles du jeu démocratiques, qui apparaissent viciées. La réforme des retraites n’a aucune légitimité, ni procédurale, car la majorité au pouvoir ne peut prétendre que son projet a été validé démocratiquement, ni substantielle, car elle organise la dégradation du bien-être de la communauté politique dans sa majorité, ce que les gens ont bien compris.

Macron s’éloigne-t-il de l’esprit initial de la V e République ? Michel Debré, l’un des rédacteurs de notre Constitution, avait déclaré que l’application répétée du 49-3 serait « la destruction non seulement du système mais de l’autorité gouvernementale »… 

Fabien Escalona : Au-delà de ce que l’on pense de la V e République et des pouvoirs qu’elle confère à un seul homme, il y avait chez De Gaulle un courage politique et une volonté de légitimation populaire par le référendum. Ce n’est pas le cas chez Macron, qui utilise toutes les armes autoritaires du régime sans en respecter l’esprit. Il se comporte en président élu par un peuple dont il ne serait pas tenu d’exécuter la volonté.

Il est dans une prolongation caricaturale des équilibres initiaux, dont il pousse les feux vers une version grimaçante. La Macronie se livre de plus à une distorsion du langage en assurant que « la démocratie a joué son rôle ». Les mots sont détournés, et le langage politique est mis cul par-dessus tête.

Quelle faire pour revivifier la démocratie ?

Fabien Escalona : Notre modèle de décision, archaïque, n’est pas du tout adapté à la façon dont on doit se préparer aux chocs sanitaires et climatiques, ou au retour de la compétition des grandes puissances sur la scène internationale. Nous devons trouver des procédures dans lesquelles s’expriment beaucoup plus les intérêts de la société, avec des décisions mieux débattues. Cela passe par la proportionnelle intégrale aux législatives, et je reprends l’idée d’une chambre tirée au sort à la place du Sénat.

Mais la question de la démocratie ne passe pas seulement par des institutions politiques plus ouvertes. Les enclaves autoritaires ne sont pas uniquement dans la Ve République, elles sont aussi, voire surtout, dans l’ordre économique : il faut aussi porter un projet qui mette à bas les privilèges liés à la propriété et rapatrie les choix d’investissement structurants dans le champ de la décision collective. La démocratie économique est cruciale pour qu’un nouveau régime soit capable de se légitimer.

(1) Une République à bout de souffle de Fabien Escalona, Seuil Libelle, 60 pages, 4,50 euros.

  publié le 18 mars 2023

Le Havre pris par la fièvre anti-réforme

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Alors que les parlementaires poursuivaient leur examen du projet de recul de l’âge de départ à la retraite, ces deux dernières semaines, les Havrais ont uni leurs forces pour crier leur rejet du texte. Dans les manifestations, sur les points de blocage et les piquets de grève, plongée dans le combat des travailleurs de la cité océane pour faire plier le gouvernement. Reportage.

Au premier étage du Cercle Franklin, l’imposante bâtisse du XIXe siècle qui abrite les syndicats du Havre, la sonnerie du téléphone retentit. « Ça n’arrête pas », s’amuse Sandrine Gérard, secrétaire de l’union locale (UL) de la CGT. Nous sommes le lundi 6 mars et la journée du lendemain s’annonce historique.

À l’appel de l’intersyndicale, les travailleurs de la porte océane s’apprêtent à prendre la rue et à cesser le travail. Certains ont d’ores et déjà décidé d’entamer des grèves reconductibles contre la réforme des retraites. « Le mouvement prend bien. La journée de demain sera une réussite, c’est sûr », prophétise l’aide-soignante en Ehpad public.

Vingt mille tracts ont été distribués la semaine précédente et des actions ont été multipliées dans les quartiers populaires de la ville, à destination de ceux que l’on voit le moins se mobiliser. « Ils sont demandeurs, pourtant, il ne faut pas les oublier », souligne Rémi Caniel, membre du bureau de l’UL.

Ceux-là, comme beaucoup d’autres travailleurs peu habitués aux grèves et manifestations, ont pris la rue ces dernières semaines pour clamer leur opposition au projet de réforme. 

Une grève, et nous pouvons avoir Le Havre entre les mains ». Sandrine Gérard, Secrétaire de l'Union locale CGT

À l’heure des derniers préparatifs, l’exaltation monte dans la salle de l’union locale. « Ici, nous avons un grand port, une grande zone industrielle. Une grève, et nous pouvons avoir Le Havre entre les mains », jubile Sandrine Gérard.

La zone industrielle du Havre, à cheval sur les communes voisines de Harfleur et de Gonfreville-l’Orcher, voit rapidement cette stratégie militante se mettre en place. Là, une usine Safran, des entrepôts logistiques Bolloré, les ateliers Renault, mais aussi la plus grande raffinerie de France, celle de Normandie, exploitée par TotalEnergies. À l’automne dernier, les raffineurs de Gonfreville-l’Orcher ont été le fer de lance de la lutte pour les augmentations de salaire. Leur expérience compte.

« Plus rien ne rentre, plus rien ne sort de la zone  »

Réunis place d’Armes à Harfleur, à 5 heures du matin, ce mardi 7 mars, les travailleurs ont été parmi les premiers à lancer les hostilités contre la réforme des retraites dans la métropole. L’aube n’a pas encore point que toutes les entrées de la zone industrielle sont bloquées par des palettes et des braseros.

« Plus rien ne rentre, plus rien ne sort de la zone », sourit Alexis Antonioli, secrétaire CGT de la raffinerie, alors que 72 heures de grève reconductible viennent d’être votées. Avec 75 % de grévistes parmi les salariés de Total et bon nombre chez les sous-traitants, le mot d’ordre est passé.

Sur les axes routiers qui convergent, des files de camions patientent sur le bas-côté. Face à l’ampleur de la mobilisation, l’usine Renault est même contrainte de cesser complètement l’activité. Les grévistes espèrent aller plus loin. « La retraite à 60 ans, ce n’est pas négociable », confirme l’un d’eux, à l’entrée du périmètre.

« Nous, on vit quatorze ans de moins que la moyenne ! »

Partout dans la ville, piquets de grève et blocages se multiplient. Au nord du Havre, à deux pas de l’hôpital, les camions-bennes sont cloués au centre technique de la métropole, le 7 mars au petit matin. Bien avant le lever du soleil, plusieurs dizaines de fonctionnaires territoriaux, employés des villes ou de la communauté urbaine, se sont donné rendez-vous devant le site.

Deux gros véhicules blancs, floqués du logo de la Ville du Havre, bloquent les sorties et un feu de palettes est allumé comme pour réchauffer les grévistes cueillis par le froid de ce début mars. « Ils veulent supprimer les régimes spéciaux, mais pas ceux des sénateurs ou des ministres ! » s’enflamme Mathieu.

L’égoutier à la carrure imposante peine à retenir son agacement face au projet du gouvernement de repousser de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, y compris pour son métier pénible. Chaque jour, le salarié travaille pourtant à l’entretien du réseau d’assainissement de la métropole, dans des cavités d’un diamètre à peine supérieur à un mètre, et est exposé à des quantités de gaz toxiques.

« On nous dit qu’il faut travailler plus longtemps car l’espérance de vie des Français augmente. Mais nous, on vit quatorze ans de moins que la moyenne ! Autour de moi, les gens sont fatigués, ils ont des cancers », constate-t-il. Pour conserver son droit de partir à la retraite à 52 ans, l’égoutier est prêt à mettre les moyens et à convaincre ses collègues.

« Perdre une, deux ou trois semaines de salaire, ce n’est pas un problème. Le vrai problème, c’est de perdre deux ans de notre vie ! » insiste-t-il, soucieux d’inscrire ses revendications liées à son métier au mouvement collectif en cours. Le blocage du centre technique et la grève sont reconduits pour au moins trois jours.

45 000 personnes convergent, un record au Havre depuis le début du mouvement social

Pendant que certains agents territoriaux tiennent le piquet, d’autres prennent le chemin, dans la matinée, de la maison des syndicats. C’est là que 45 000 personnes convergent pour manifester. Un record au Havre depuis le début du mouvement social. « C’est très fort, mais il va falloir apprendre à la préfecture à compter », plaisante la secrétaire générale de l’union locale de la CGT, moquant l’annonce des quelque 10 000 manifestants totalisés par les représentants de l’État.

Difficile pourtant de s’y méprendre : les rues jouxtant le bassin du commerce, celles frôlant le théâtre Le Volcan – emblématique structure de l’architecte Oscar Niemeyer –, sont noires d’un défilé dense et inédit dans la cité seinomarine. Dans le cortège, animé de joyeuses batucadas et fanfares, les manifestants, désormais habitués, témoignent toujours de la même ténacité.

Vêtues de leur blouse blanche, Sylvie, Marie-Laure et Carole, trois employées de la crèche hospitalière du Havre, se demandent : « Comment fera-t-on, à 64 ans, pour s’occuper de 60-90 bébés ? Comment fera-t-on pour changer 300 couches dans la journée ? » « On adore notre métier mais on risque de devenir maltraitantes », redoute Carole, qui dorlote les enfants du personnel soignant.

À quelques pas de là, Farès, opérateur chez Renault depuis huit ans, a pris l’habitude de se joindre à la foule à chaque journée de manifestation depuis l’annonce du projet de réforme. Un gilet CFDT sur le dos, il fera « toutes les grèves qu’il faudra faire », assure-t-il. « Aujourd’hui, on nous dit que ce sera 64 ans. Ce sera quoi après, 67 ans ? Mes collègues ont mal au dos, mal aux jambes », confie l’ouvrier.

Montrer qu’il existe des alternatives possibles au projet du gouvernement

Face à la déferlante de ce 7 mars, Baptiste Bauza, secrétaire de la section havraise du PCF, reconnaît que « la mobilisation est extrêmement forte ». « Ce qui est frappant depuis le début du mouvement, c’est qu’il y a beaucoup de primo-manifestants, beaucoup de jeunes travailleurs, beaucoup de personnes non syndiquées », constate le militant qui est aussi cheminot.

Alors que de nombreux travailleurs du bassin d’emploi intensifient la lutte, lui et le parti ont aussi un rôle à jouer, estime-t-il : « Soutenir les grévistes et montrer qu’il existe des alternatives possibles au projet du gouvernement, comme la retraite à 60 ans en prenant en compte les années d’études et de maternité », assure-t-il.

Depuis le début de ce round offensif contre le recul de l’âge de départ à la retraite, Le Havre vit au rythme des assemblées générales : à chaque quart chez les raffineurs, chaque matin chez les territoriaux, un mardi soir à l’université où le responsable de l’Unef tente de mobiliser les quelques étudiants présents.

L’intersyndicale locale se plie aussi à l’exercice, invitant les travailleurs de tous horizons à décider des contours de la mobilisation. Dans une grande salle du Cercle Franklin qui revêt des allures de gymnase, les participants ont sommairement installé quelques chaises.

« On ne peut pas se borner à faire des journées de grève saute-mouton. La grève reconductible doit être faite partout où c’est possible ! » martèle Alexis Antonioli, de la raffinerie Total, devant l’assemblée interprofessionnelle. Tous opinent.

Beaucoup partagent le constat que de nombreuses entreprises ne s’engagent pas encore dans la lutte, faute de soutien. « Il faut que tout le monde entre dans le mouvement, chaque pierre à l’édifice compte », acquiesce un salarié de la CIM, le terminal pétrolier du port du Havre. Chacun quitte la maison des syndicats convaincu de la nécessité d’apporter du soutien partout où c’est possible.

3 000 dockers du Havre, 100% en grève

Une consigne que les dockers ne tardent pas à appliquer. Mercredi 8 mars, dans la « cabane », le foyer syndical des salariés des docks havrais, Jérémy Julien, secrétaire adjoint CGT, peaufine le programme de la journée. Les près de 3 000 dockers du Havre – 100 % en grève – ont fort à faire en ce jour décrété « port mort » par la fédération CGT des ports & docks.

Une journée de conteneurs non déchargés, ce sont des millions d’euros qui échappent à l’économie. » Jérémy Julien, secrétaire adjoint CGT

« La différence avec un simple jour de grève, c’est qu’on occupe les lieux et qu’on empêche toute activité », détaille le cégétiste, qui rappelle : « Une journée de conteneurs non déchargés, ce sont des millions d’euros qui échappent à l’économie. »

Dès 5 heures, tous les accès aux quais sont bloqués, des piquets de grève mis sur pied et des abris de fortune imaginés dans des conteneurs. Le travail a cessé, mais les missions ne manquent pas : il faut se relayer sur les points de blocage, raviver sans cesse les feux de pneus qui enfument le centre-ville, porter à manger aux grévistes qui tiennent les piquets, mais aussi apporter son soutien aux autres luttes.

Jérémy Julien revêt, au téléphone, le rôle de chef d’orchestre, s’assurant que les dockers prêtent main-forte partout où ils le peuvent. Devant Siemens Gamesa, toute nouvelle usine d’éoliennes où se joue une bataille pour l’emploi, en plus de celle contre la réforme des retraites. Mais aussi devant la caisse d’assurance-maladie, où se tient un rassemblement de soutien à un salarié menacé de licenciement.

Lui se rend à Radicatel, terminal de déchargement à mi-chemin entre Le Havre et Rouen qui emploie une trentaine de personnes. Le syndicat CGT y date de quelques années seulement, mais les travailleurs se sont relevé les manches. Un brasier a été allumé et l’accès est complètement bloqué. Une ribambelle de camions patientent le long de la route, attendant que les travailleurs déchargent à nouveau les cargaisons. « Certains ont fait demi-tour ! » plaisantent les salariés, leur tenue orange vif sur le dos.

En attendant la 8e journée de mobilisation

« On fait un métier pénible, on doit monter sur les conteneurs, accrocher, décrocher, se mettre à genoux, on fait beaucoup d’heures sup’ », explique Alex, docker au terminal depuis trois ans. « À 45 ans, nos collègues ont déjà mal partout. J’ai 30 ans et je sens déjà que je fatigue, alors, travailler plus ? » expose-t-il.

Du fait de la nature pénible de leurs tâches et de l’exposition à l’amiante jusqu’en 2004, certains travailleurs des docks peuvent aujourd’hui partir à la retraite à 55 ans. Un âge de départ que ferait reculer la réforme. Les plus jeunes recrues, dont l’exposition aux fibres toxiques n’est pas reconnue, pourraient partir à la retraite à 60 ans au lieu de 58 ans. Inenvisageable pour beaucoup.

Après ces 48 premières heures de grève puis de blocage réussies, la fédération des ports donne rendez-vous pour trois jours consécutifs de lutte à partir de mardi 14, culminant jeudi 16 sur une nouvelle journée « port mort ». Elle n’est pas la seule. Le jeudi précédent, des étudiants ont effectué des blocages à l’université, répondant à l’appel des syndicats et organisations de jeunesse.

Vendredi, l’opération « S’unir pour ne pas subir », lancée par la CGT d’Harfleur, a bloqué la zone industrielle avec ses 1 200 entreprises et 30 000 emplois. Samedi, 8 000 personnes ont répondu à l’appel au rassemblement lancé par l’intersyndicale sous l’emblématique arche de conteneurs colorés, à l’entrée du port.

Un nouveau tour de chauffe familial avant la huitième journée de mobilisation de mercredi 15. Le gouvernement est alors en plein marchandage avec les parlementaires de droite pour faire passer sa réforme. Les Havrais, eux, continuent de se battre pour « son retrait ».

  publié le 18 mars 2023

François Ruffin :
« Après le 49.3, il va falloir que Paris déborde »

Par Gaspard d’Allens sur https://reporterre.net/

L’usage du 49.3 est une défaite pour le gouvernement et la marque d’un effritement du bloc libéral, juge le député LFI François Ruffin. Il appelle à continuer le mouvement et à bloquer Paris.

François Ruffin est député La France insoumise (LFI), fondateur et rédacteur en chef du journal Fakir. Il a récemment publié Le temps d’apprendre à vivre, la bataille des retraites, aux éditions Les Liens qui libèrent.


 

Reporterre — Comment réagissez-vous à l’annonce du recours au 49.3 par le gouvernement ?

François Ruffin — C’est une évidente défaite pour eux, alors qu’ils ont répété des dizaines de fois qu’ils ne passeraient pas par cet article. C’est une marque de fébrilité et de fragilité. Emmanuel Macron écrasait déjà la France du travail et la France qui se lève tôt. Aujourd’hui, il écrase aussi la démocratie. Le président avait déjà perdu pied dans le pays, maintenant il a perdu pied à l’Assemblée !

Ce passage en force est-il historique ?

François Ruffin — C’est du moins la marque supplémentaire d’un effritement du bloc libéral. Auparavant, ce bloc avait le luxe de pouvoir se diviser en deux, avec une alternance sans alternative du centre gauche et du centre droit. Désormais, il doit se rassembler autour d’un seul leader et ce qu’il porte est clairement minoritaire dans le pays. Le bloc libéral a, face à lui, deux Français sur trois, quatre salariés sur cinq, tous les syndicats unis et des millions de personnes dans la rue.

Cette secousse s’inscrit dans une tendance au long cours. Un effondrement progressif. Le premier séisme a eu lieu en 2005 avec le référendum sur le Traité constitutionnel européen, auquel 55 % des Français et 80 % des ouvriers s’étaient opposés. L’élite avait agi comme si de rien n’était en ratifiant le traité de Lisbonne. On a eu un second choc avec le mouvement des Gilets jaunes. Le gouvernement a refusé alors tout compromis social — baisse de la TVA, fin de l’impôt sur la fortune, etc. — pour lui préférer le blabla du grand débat. À chaque fois, le bloc libéral croyait gagner, mais en réalité il perdait le pays.

Cela n’empêche pas aujourd’hui le gouvernement de se montrer inflexible...

François Ruffin — C’est parce qu’ils sont faibles qu’ils recourent à la force. Mardi [14 mars], dans l’hémicycle, je citais le philosophe Antonio Gramsci. Il disait : « Lorsque la classe dominante n’est plus dirigeante, c’est-à-dire qu’elle n’a plus de force d’attraction, elle n’est plus en mesure de créer du consentement. Privée d’autorité, il ne lui reste que la force pour se faire obéir. » Nous en sommes là.

Le gouvernement ne possède plus que la force de coercition. Il l’a usée hier matin [16 mars] face aux éboueurs en cassant les piquets de grève, en frappant et en gazant les travailleurs avec des lacrymogènes. L’après-midi, il l’a usée encore une fois avec le 49.3 face aux députés. Je le répète, c’est la marque d’une fragilité. Le bloc libéral s’émiette. Le gouvernement me fait penser au coyote de Chuck Jones [notamment créateurs de personnages des « Looney Tunes »], dans le dessin animé, il court, il court et dépasse la falaise. Il se retrouve dans le vide, le réalise puis chute.

Emmanuel Macron est dans le vide, sa base sociale ne repose sur rien. Dans la Somme, il n’arrive même pas à envoyer ses députés au second tour des élections législatives. Le président a été élu sans élan et sans enthousiasme et on a derrière une majorité raccroc à l’Assemblée nationale.

Avez-vous encore une chance de l’emporter institutionnellement ?

François Ruffin — À l’Assemblée nationale, des motions de censure vont être déposées ; mais l’essentiel se joue ailleurs. Il faut en repasser par le peuple. À l’intérieur, tout dépend de ce qui se passe dehors. Si certains Républicains souhaitaient voter contre le projet de réforme, c’était uniquement à cause de la pression mise par les syndicats sur les territoires. Dans leurs circonscriptions, dans les zones rurales, personne n’en voulait.

Que comptez-vous faire pour arracher la victoire ?

François Ruffin — C’est aux travailleurs de décider de comment ils luttent. Je ne suis pas dirigeant syndical, mais je soutiens tous les travailleurs qui s’engagent dans la bagarre. Il faut absolument continuer le mouvement, les blocages, la grève.

Ne faudrait-il pas aussi renouveler les modes d’action ?

François Ruffin — La balle est dans le camp de Macron. Il change ou on doit le changer. Il doit revenir à la raison, et sortir le parachute pour éviter de s’écraser. Il doit cesser avec la brutalité, dire qu’il a compris les travailleurs. Nous devons retrouver la concorde. Il faut réparer les fractures, pas les accroître. Nous devons nous réunir face aux vrais problèmes qui guettent : la crise climatique, l’eau, la sécheresse, l’énergie, l’agriculture, le logement, etc. C’est un gâchis, on se divise sur quelque chose d’extrêmement périphérique. Les économies réalisées par la réforme représenteraient, selon l’OFCE, seulement 0,1 point de PIB.

Dans les prochains jours, comment accroître le rapport de force ?

François Ruffin — Comme me le disaient certains syndicalistes, à un moment, il faudra une montée nationale sur Paris. Physiquement, il va falloir que Paris déborde. Une puissante manifestation qui donne aux gens la conscience de la force qu’ils ont.

Faut-il également cibler les lieux de pouvoir, comme le faisaient les Gilets jaunes sur les Champs-Élysées ?

François Ruffin — Si on est 1 million de personnes à Paris, ça pèsera forcément. Mais ce n’est pas les seuls lieux à viser. Emmanuel Macron écoute les patrons. Il est évident que si les centres Amazon sont bloqués, par exemple, Jeff Bezos — qui vient d’ailleurs de recevoir la Légion d’honneur — appellera Macron pour faire pression. C’est identique pour les autres grosses boîtes. La solution est en partie dans les luttes sociales.

Que signifie, pour vous, le fait de « durcir » le mouvement ?

François Ruffin — Je ne veux pas me substituer aux syndicats et je trouve que, pour l’instant, ça a été cranté avec habileté par l’intersyndicale. L’objectif n’est pas d’avoir une locomotive qui ne tire aucun wagon, ou d’avoir seulement une avant-garde sans entraîner derrière elle. Il faut réussir à accorder tout ça : avoir des secteurs très mobilisés, à qui l’on apporte un appui — les raffineries, l’électricité, les transports, les ports, etc. Et montrer que, derrière, il y a une masse de la population qui dit non à Macron.

Il y a sept ans, presque jour pour jour, commençait aussi Nuit debout ; faudrait-il relancer des occupations ?

François Ruffin — Oui, c’est bon à prendre. Mais quand j’étais à Nuit debout, je disais qu’il fallait aussi faire des occupations à Flixecourt, dans la Somme. Et quand il y a eu les Gilets jaunes, je disais l’inverse, je regrettais qu’il n’y ait pas de rond-point occupé à Paris. Aujourd’hui, je suis attentif à ce que l’on conjugue les deux, qu’on relie les luttes des métropoles à celles des territoires ruraux. La gauche gagne quand il y a une alliance entre classes populaires, intermédiaires et cultivées. Aujourd’hui, cet enjeu se pose quasiment d’un point de vue géographique. Les classes populaires sont nombreuses à la campagne et les classes intermédiaires cultivées à la ville.

Dans les cortèges, on entend aussi de la résignation, de la fatigue, comment lutter contre ces affects ?

François Ruffin — Nous devons réussir à produire une contagion de l’espérance pour que cela ne soit pas la victoire de l’indifférence ! Je crois beaucoup à la joie dans les manifestations, les chants, la musique. Récemment, je lisais le livre Histoire d’un Allemand sur l’Allemagne des années 1930. Il montre comment le nazisme a gagné par une espèce de dépression qui rongeait la population. Les arts remettent du baume au cœur aux gens, nous devons continuer à porter ce type de dynamique. C’est essentiel !

 

publié le 17 mars 2023

Charles de Courson : « Ce qui est certain, c’est que ce gouvernement
ne pourra plus gouverner »

Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr

Au lendemain du passage en force du gouvernement, la réforme des retraites est sous la menace d’une motion de censure transpartisane déposée par le centriste Charles de Courson. Le député de la Marne explique à Mediapart sa démarche et sa vision sur une séquence qu’il juge dangereuse pour la démocratie.

Vendredi, le groupe Liberté, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) a déposé au bureau de la présidence de l’Assemblée nationale une motion de censure transpartisane qui suscite l’inquiétude du pouvoir. Dernier obstacle à l’adoption définitive du texte, la motion du député centriste Charles de Courson devrait recueillir plus de 200 voix, allant de la gauche à l’extrême droite de l’hémicycle.

S’il paraît pour l’heure improbable qu’elle atteigne le seuil nécessaire à son adoption, faute d’un élan des député·es Les Républicains (LR), la motion du groupe Liot a le mérite de « faire pression » sur un pouvoir exécutif qu’il estime aujourd’hui discrédité, explique-t-il à Mediapart. L’élu de la Marne redoute également les conséquences sociales de la crise provoquée par Emmanuel Macron.

Comment qualifiez-vous ce qui s’est joué jeudi ?

Charles de Courson : C’est tout d’abord un échec politique. On a vu les fissures extrêmement importantes au sein même de la minorité présidentielle. Il suffisait de les voir hier [jeudi], pendant le discours d’Élisabeth Borne. À part un petit noyau dur, ils se sont bien gardés de se lever et d’applaudir la première ministre. On entend la révolte d’une partie de leur camp. Beaucoup estiment que c’est une folie, certains étaient furieux de cette décision contre laquelle les présidents de groupe ont essayé de se battre à l’Élysée. Et puis, leur pseudo-alliance avec LR a explosé en vol.

Mediapart : Vous dénoncez aussi, depuis plusieurs semaines, un mépris du Parlement par le pouvoir exécutif.

Charles de Courson : Il y a dans cette histoire un déni démocratique très grave qui persiste. On a un gouvernement hyper-minoritaire, qui se targue de sa légitimité démocratique mais qui est minoritaire à l’Assemblée nationale et qui a fait 25 % au premier tour des élections législatives. Comment voulez-vous diriger une démocratie avec une base sociale aussi faible et étroite ? Sans oublier l’arrogance avec laquelle ils se comportent et traitent le Parlement. Nous déposerons une motion de censure et un recours au Conseil constitutionnel, pour contester le choix du véhicule législatif. Le combat n’est pas terminé.

Mediapart : La motion de censure transpartisane que vous préparez est au cœur des attentions. A-t-elle une chance d’être adoptée ?  

Charles de Courson : L’ensemble de la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale] votera notre motion et La France insoumise a annoncé qu’elle renonçait à présenter la sienne. Si vous additionnez la Nupes, le Rassemblement national (RN), la grande majorité du groupe Liot, ça fait du monde. Et si on ajoute quelques députés Les Républicains (LR)… On n’aura pas forcément les 287 [nécessaires pour atteindre la majorité absolue – ndlr]. Mais plus on s’en approchera, plus ça montrera que le gouvernement ne peut pas continuer comme ça. Une motion de censure, ça sert aussi à avertir le gouvernement et à faire pression.

Mediapart : Vous donnez l’impression de ne pas y croire…

Charles de Courson : Il peut se passer des tas de choses d’ici lundi. Certains voudront peut-être se débarrasser de ce gouvernement. On verra. Moi, si j’étais à la tête du gouvernement, je m’inquièterais.

Mediapart : De quoi doivent-ils s’inquiéter ?

Charles de Courson : Ce qui est certain, c’est que ce gouvernement ne pourra plus gouverner. Je ne suis pas sûr que le président de la République ait mesuré toutes les conséquences de sa décision. Le pays va devenir de plus en plus ingouvernable. Je pense que l’actuel gouvernement est à l’agonie. On parle du changement de première ministre : ça me paraît évident mais ça ne règlera pas le problème de fond. Ça va très mal se passer, à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans la rue.

Mediapart : Dans la rue, justement, les protestations sont montées d’un cran depuis l’annonce du 49-3. Quel rôle peut jouer, selon vous, la mobilisation dans la mise en échec de la réforme ?

Charles de Courson : C’est l’autre grand échec d’Emmanuel Macron : l’échec social. Les brillantes manœuvres du pouvoir ont réussi à unifier les syndicats, y compris les plus réformistes. Le président a tout fait pour affaiblir les corps intermédiaires, parfois même pour les détruire. Aujourd’hui, les organisations syndicales nous disent qu’elles ne sont pas certaines de pouvoir tenir longtemps les troupes, comme on disait autrefois. On a commencé à voir cette nuit les premiers débordements. Le risque, c’est que les syndicats ne soient plus capables d’encadrer les mouvements.

 

  publié le 17 mars 2023

Le mouvement social galvanisé par le mépris gouvernemental

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Réunies devant l’Assemblée nationale, les organisations syndicales ont appelé à poursuivre les manifestations et les grèves pour faire tomber le projet de réforme adopté.

Les leaders des huit syndicats unis contre la réforme des retraites se souviendront longtemps de cet étonnant jeudi 16 mars. Arrivés dès midi devant l’Assemblée nationale pour exercer un dernier coup de pression sur un gouvernement qui disposait alors encore de toutes les cartes afin de faire voter sa réforme des retraites, ils se sont retrouvés en début de soirée au siège de la CGT à la tête d’un mouvement social galvanisé par le passage en force d’un exécutif soudainement affaibli.

L’adoption du texte porté par Élisabeth Borne est à ce point tronquée qu’elle n’a pas mis fin à la contestation. Loin de là, estime même Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT : « En recourant au 49.3, le gouvernement fait la démonstration qu’il n’a pas de majorité pour approuver le report de deux ans de l’âge légal de départ en retraite. Le compromis politique a échoué. Ce sont les travailleurs qu’il faut écouter quand on prétend agir sur leur travail. »

En écho, la CGT soulignait dès le coup de force parlementaire que « c’est bien la lutte déterminée des travailleuses et travailleurs, de la jeunesse, dans le cadre d’une intersyndicale complète, qui conduit à cette impossibilité pour Élisabeth Borne d’obtenir une majorité pour sa contre-réforme des retraites ».

Rassemblements spontanés

Pour les organisations syndicales, le projet de réforme des retraites est désormais politiquement illégitime, en plus d’être largement contesté par la population. « Le 49.3 est un vice démocratique. Mais le gouvernement avait déjà déclenché auparavant le 47.1 (qui sert à limiter les débats parlementaires – NDLR) et utilisé un projet de loi rectificatif du financement de la Sécurité sociale, qui n’est pas le bon cavalier pour un projet de société majeur », rappelle Frédéric Souillot, de Force ouvrière.

Les heures qui viennent devraient donc voir une intensification des assemblées générales intersyndicales un peu partout en France en vue d’une relance des manifestations et des grèves, prévoit Philippe Martinez : « Le passage en force avec l’utilisation du 49.3 doit trouver une réponse à la hauteur de ce mépris du peuple. La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier. »

Beaucoup n’ont d’ailleurs pas attendu leur signal pour continuer à s’opposer au recul de l’âge de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans. À Montauban, dans le Tarn-et-Garonne, une cinquantaine de personnes ont par exemple investi matinalement les locaux de l’assurance-maladie. « La Sécurité sociale appartenait et était gérée par les travailleurs en 1945. Aujourd’hui, l’État a mis la main dessus et est en train de la démolir. Nous voulons reprendre la main sur ce qui est à nous », revendique sur place Christophe Couderc, de la CGT.

Les dockers et travailleurs portuaires de Saint-Nazaire, Brest, Le Havre et Calais ont poursuivi leur grève et le blocage des quais au cours d’un jeudi 16 mars qui avait été décrété « port mort » par la fédération CGT des ports et docks.

Loin de calmer les ardeurs, le déclenchement du 49.3 a généré une vague de rassemblements spontanés, comme à Orléans, au Havre, à Lyon ou Toulouse. À Paris, un rendez-vous organisé par Solidaires, un temps interdit par la préfecture de police de Paris, s’est amplifié tout au long de l’après-midi sur la place de la Concorde, séparé de l’Assemblée nationale simplement par la Seine et un épais cordon policier. Réunissant plusieurs milliers de personnes, celui-ci s’est peu à peu mué en déambulation revendicative dans les rues de la capitale.

Répression antisyndicale

Face à une détermination des Français intacte, les organisations syndicales redoutent désormais que le pouvoir use de la violence pour faire taire le mouvement social et tourne la page du large désaveu de son texte. « Le gouvernement, de plus en plus, remet en cause le droit de grève. Au lieu d’écouter le peuple, ils utilisent la force », confirme Philippe Martinez.

« Nous avons le sentiment qu’il y a eu beaucoup de violence, beaucoup de répression ces derniers jours. On sent que le gouvernement veut sonner la fin du mouvement social », confie Murielle Guilbert, cosecrétaire générale de Solidaires.

Ce gant de fer n’a pas eu raison des nombreux piquets de grève tenus par les éboueurs comme les énergéticiens ou les raffineurs. « Le gouvernement espère peut-être une fin de partie, mais ce n’est pas ce qu’il va se passer », confirme Frédéric Souillot. Devant l’Assemblée nationale, puis dans la rue, tous ont en tête l’exemple de la mobilisation du contrat première embauche, en 2006. Le texte, pourtant adopté, avait été retiré devant l’ampleur des mobilisations populaires.


 


 

Après le 49-3,
la mobilisation se durcit

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Des dizaines de milliers de manifestants hier soir et aujourd’hui

A l’annonce de l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution, des centaines d’opposants à la réforme ont convergé vers l’Assemblée nationale avant de se rassembler sur la place de la Concorde voisine. Les centaines sont finalement devenues des milliers, puisqu’au moins 10 000 personnes ont manifesté à Paris, selon le ministère de l’Intérieur. Dispersés après 20 h, une partie des manifestants ont allumés des feux de poubelles et formés des barricades sur leur parcours.

Des rassemblements ou manifestations, parfois spontanés, parfois à l’appel des syndicats, ont également eu lieu dans de nombreuses villes. Au moins 25, selon les chiffres donnés par ministère de l’Intérieur. Hier soir, la place du Capitole était remplie à Toulouse, près de 2000 personnes manifestaient à Montpellier, 3000 à Lyon. Des défilés ont également eu lieu à Strasbourg, Clermont-Ferrand, Grenoble, et donné lieu à des heurts à Rennes ou Lyon.

Certaines villes ont reconduit les rassemblements dès aujourd’hui. Les syndicats ont annoncé 5000 manifestants à Rennes, 2600 selon la préfecture. Pour ce soir, des appels à se rassembler tournent dans plusieurs villes, dont un à 18h place de la Concorde à Paris.

49-3 jeudi, blocage vendredi

 Comme depuis le début de la semaine, des blocages ont eu lieu en différents lieux du territoire au lendemain de l’utilisation de l’article 49-3. Si le plus visible reste celui, coordonné en plusieurs points, du périphérique parisien, les cibles industrielles n’ont pas manqué ce matin. Par exemple : les dépôts pétrolier de Saint-Nazaire, Port-la-Nouvelle et de Vern-sur-Seiche près de Rennes, les plateformes de tri du courrier à Bourges et Nantes, le port de Brest, un incinérateur à Fos-sur-Mer ou encore deux dépôts de bus à Clermont-Ferrand.

Dans le même temps, la contestation grossit chez les étudiants. Le syndicat étudiant l’Alternative comptabilisait 55 université ou écoles bloquée, occupées, ou dans lesquels les cours sont annulés ou remplacés par des temps collectifs de formation en lien avec la mobilisation.

Deux raffineries bientôt à l’arrêt ?

C’est une montée d’un cran à laquelle rechignait les grévistes jusque-là. Mais 49-3 leur a fait passer le pas. En reconductible depuis le 7 mars, les salariés de la raffinerie Total de Normandie, première raffinerie de France, ont décidé hier soir la mise à l’arrêt des activités de raffinage. Une opération longue et complexe. Elle devrait être suivie par la raffinerie Petroineos de Lavéra (Bouches-du-Rhône), d’après Olivier Mateu, secrétaire générale de l’union départementale CGT 13.

Réquisitionner les éboueurs, ça prend du temps

Gérald Darmanin, que l’on retrouve au devant de la scène depuis que la mobilisation se durcit, tient à rassurer : les réquisitions sont en cours. Mais alors que le cap des 10 000 tonnes d’ordures non ramassées vient d’être franchi à Paris, cette réquisition pourrait prendre plus de temps que prévu.« La préfecture doit être plus occupée à gérer les manifestations spontanées qui ont lieu à Paris depuis l’annonce du 49-3 que la réquisition des éboueurs », sourit François Livartowski, secrétaire général de la CGT services publics. Le syndicaliste sait surtout combien cette réquisition s’annonce complexe à mettre en œuvre. « La maire de Paris a transmis une liste de 4000 noms à la préfecture. Cela fait beaucoup de monde. En plus de ça, les salariés des incinérateurs ne sont pas réquisitionnés et on ne peut toujours pas brûler les déchets », continue-t-il.

Sondage : rejet du 49-3 et du gouvernement

Selon un sondage Harris Interactive pour RTL, 82% des Français estiment que le recours au 49.3 hier est une mauvaise chose. La conséquence : 71% des sondés souhaitent l’adoption d’une motion de censure et la démission du gouvernement. Dans le même temps, le soutien au mouvement social perdure : 65 % des Français souhaitent que la mobilisation se poursuive.

Grève du Bac ?

L’idée trotte dans la tête des enseignants grévistes depuis plusieurs semaines. Quatre organisations syndicales enseignantes, le Snes-FSU, SUD Education, FO et CGT Education, appellent à durcir le mouvement contre la réforme des retraites « sous toutes ses formes, y compris par la grève des surveillants ». Ce n’est donc pas un appel franc à la grève reconductible dès lundi, mais un encouragement. Et cela pourrait prendre : déjà, des listes d’enseignants grévistes se composent en interne et les opposants à la réforme comptent leurs troupes.

Les syndicats de la SNCF appellent à poursuivre la grève reconductible

Les quatre syndicats représentatifs de la SNCF ont appelé ce vendredi à « maintenir la grève » entamée le 7 mars et « à agir massivement le 23 mars » pour s’opposer à la réforme des retraites. La CGT-Cheminots, l’Unsa-Ferroviaire, SUD-Rail et la CFDT-Cheminots invitent également les salariés du rail à « multiplier les actions et initiatives unitaires dès ce week-end dans tous les territoires » après le déclenchement du 49.3 décidé jeudi par le gouvernement.

Darmanin met en scène la répression

Au total, 310 personnes ont été interpellées jeudi en France dont 258 à Paris à l’issue de manifestations spontanées. Les force de l’ordre ont délogé deux piquets de grève parisiens liés à la grève des éboueurs, expulsé de nombreux barrages routiers et nassé des étudiants qui comptaient manifester.

Mais ce que retient Gérald Darmanin, ce sont les violences des manifestants. « Il y a eu dans plusieurs grandes villes de province une pression extrêmement forte exercée contre les symboles de l’État et des permanences parlementaires », a déclaré le ministre de l’Intérieur. Une victimisation dont la ficelle : justifier la répression, est bien grosse.

Motion de censure déposée

Peu après 14h, le groupe centriste LIOT a déposé une motion de censure transpartisane, co-signée par des élus de la Nupes, en riposte au déclenchement du 49.3 pour faire adopter sans vote la réforme des retraites. Si elle était votée par plus de la moitié des députés, elle provoquerait la chute du gouvernement.

publié le 16 mars 2023

49.3 : le bras d’honneur de macron

Pierre Jacquemain  sur www.politis.fr

Le 100e 49.3 de la Ve République – le 11e du gouvernement Borne –, est déclenché pour un passage en force de la réforme des retraites. Un triste aveu d’échec de la part d’un président et de son gouvernement. Un naufrage politique et démocratique.

Tout ça pour ça ! Après s’être couché devant la droite ; après avoir usé et abusé de tous les recours prévus par la Constitution (articles 47.1 et 44.3) et le règlement du Sénat (article 8) pour accélérer la procédure parlementaire et empêcher le débat sur la réforme des retraites de se tenir dans de bonnes conditions, Emmanuel Macron a tranché : ça sera le 49.3.

Le 100e 49.3 de la Ve République. Le 11e du gouvernement Borne. Un triste aveu d’échec de la part d’un gouvernement qui ne dispose donc d’aucune majorité pour faire adopter un texte, la (contre) réforme des retraites, rejeté par une écrasante majorité de Français. Un gouvernement qui a pourtant tout donné pour obtenir les suffrages des Républicains (LR).

Au final, Éric Ciotti n’aura pas tenu ses troupes puisque tout reposait sur les députés de droite qui devaient offrir une victoire politique à Macron. C’est donc aussi un échec personnel pour le patron des Républicains. L’échec est politique. Il est aussi démocratique.

Comment sur une réforme aussi structurante, le président de la République peut-il assumer un tel passage en force ?

Comment sur une réforme aussi structurante pour la vie des Français à qui l’on impose deux ans de travail supplémentaires, face à une opposition aussi massive – grâce notamment à une unité syndicale inédite depuis 13 ans –, le président de la République peut-il assumer un tel passage en force ? Un bras d’honneur à la démocratie.

Les conséquences vont être nombreuses. D’abord sur le mouvement social qui, après un léger tassement, pourrait reprendre de la vigueur alors que la pénibilité des conditions de travail s’affiche au grand jour avec la grève des éboueurs. L’unité syndicale qu’on annonçait sur la fin devrait sortir renforcée de cette séquence.

Laurent Berger, le patron de la CFDT, avait prévenu : « le recours au 49-3 aussi légal soit-il serait un vice démocratique ». À peine ce dernier déclenché, le leader syndical a ainis annoncé que de « nouvelles mobilisations » auront lieu. Les annonces de l’intersyndicale prévues ce soir ou demain seront observées avec attention, face à une colère populaire toujours plus grandissante.

Conséquences politiques aussi. En recourant au 49-3, la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, engage sa responsabilité et assume dans le même temps son échec, elle qui ne cessait d’expliquer depuis plusieurs jours ne pas envisager de recourir à l’article tant controversé qui permet au gouvernement d’adopter un texte sans passer par un vote des députés.

Plusieurs scénarios

Plusieurs options se dessinent à présent. La gauche a d’ores et déjà annoncé saisir le Conseil constitutionnel et enclencher la procédure du référendum d’initiative partagée pour contraindre le gouvernement à une consultation des Français.

Une autre option est également sur la table. Le groupe LIOT (centristes), emmenés par le député Charles de Courson, pourrait déposer une motion de censure interpartisane avec une partie de la gauche et de la droite pour faire tomber le gouvernement. Si la motion a des chances d’aboutir, elle doit néanmoins réunir les voix de la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale, soit 289 voix. Les chances d’aboutir restent minces. La motion sera débattue dès lundi.

L’échec de la majorité présidentielle est tel qu’une dernière option pourrait être envisagée par la voie même de l’hôte de l’Élysée. Une allocution du président pourrait intervenir dans les prochaines heures pour rappeler aux Français tout l’enjeu de cette réforme « nécessaire » selon lui, et dans le même temps assurer avoir entendu la colère des Français, s’en remettant à des élections législatives anticipées. Ainsi pourrait-il soumettre sa défaite au vote. Pour l’heure, c’est Elisabeth Borne – celle qui assume n’être qu’un fusible – qui est attendue dans un 20 h, ce soir.

La gauche saura-t-elle porter les colères qui se sont largement exprimées au cours de ces dernières semaines ?

La réforme ne serait pas remise en cause mais Emmanuel Macron offrirait ainsi aux oppositions et à sa propre majorité – à qui il ferait porter la responsabilité de cet échec politique – l’opportunité d’une nouvelle séquence politique. Une séquence à double tranchant. L’extrême droite est prête. Elle n’attend que ça. Et la gauche ? Saura-t-elle porter les colères qui se sont largement exprimées au cours de ces dernières semaines ? Rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, c’est le quinquennat de Macron qui se joue. 


 


 

selon l’ Humanite.fr ( site consulté le 16 mars à 16h28) :

La CGT appelle au rassemblement
Place de la Concorde

Alors qu'une manifestation est en train de prendre de l'ampleur Place de la Concorde à Paris, la CGT a appelé au rassemblement à 16H.

Laurent Berger : « Il y aura de
nouvelles mobilisations »

« Il y aura de nouvelles mobilisations » contre la réforme des retraites, a déclaré jeudi, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, dénonçant un « vice démocratique » après la décision du gouvernement d'activer l'arme constitutionnelle du 49.3 pour faire adopter sa réforme.

« Evidemment qu'il y aura de nouvelles mobilisations, parce que la contestation est extrêmement forte, on a déjà énormément de réactions de la part des équipes syndicales. On décidera ensemble dans une intersyndicale », qui se tiendra jeudi soir au siège de la CGT, a-t-il poursuivi.

Philippe Martinez :
" La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier"

Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, a estimé, après le recours au 49.3 par le gouvernement, que «la mobilisation des citoyens sous l’impulsion des organisations syndicales n’a pas permis au président de la République d’avoir une majorité pour voter sa loi».

«Le passage en force avec l’utilisation du 49-3 doit trouver une réponse à la hauteur de ce mépris du peuple. La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier. L’intersyndicale de ce soir en définira les modalités», annonce-t-il.


 

   publié le 16 mars 2023

Le dépôt de carburant de Frontignan bloqué par une intersyndicale

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Alors que le parcours législatif de la réforme des retraites touche à sa fin, les actions de blocage se multiplient partout en France. Toute la nuit et jusqu’à dix heure ce matin, le dépôt pétrolier de Frontignan a été bloqué par une intersyndicale. Reportage.

 L’information a circulé de bouche à oreille dans les manifestations héraultaises de mercredi : une action est prévue le soir même au dépôt de carburant de Frontignan, un des plus gros du sud de la France. L’initiative a été prise par l’intersyndicale de Sète et menée par l’union locale CGT de la ville. Peu avant minuit, des syndicalistes rejoints par des militants du mouvement social, arrivent par grappes sur la seule route menant au dépôt. Selon l’union locale de Sète, le site compte 25 salariés et pas de section syndicale. Certains de ses salariés ont fait grève lors des grosses journées de manifestation, mais pas ce soir. Le blocage est donc constitué uniquement de personnes extérieures à l’entreprise. A une centaine de kilomètres de là, le dépôt de Port-la-Nouvelle est également bloqué.

Un blocage réussi

Rapidement, des pneus sont installés en chicanes, bloquant l’accès, quelques drapeaux CGT et FO ornent ces barrages de fortune. « Demain la loi passe à l’Assemblée et Macron n’a répondu ni à l’intersyndicale ni aux salariés en grève », explique Arnaud Jean, le secrétaire général de l’Union locale. D’où l’action de blocage que les syndicalistes entendent poursuivre « jusqu’à ce que l’on nous déloge », ou jusqu’à ce qu’ils obtiennent le retrait de la réforme. Pour tenir, l’occupation de la route s’organise : un feu est allumé pour se réchauffer, des cafés, de la nourriture et du vin sont offerts aux présents. L’attente commence.

 Quelques dizaines de camions citernes s’agglutinent déjà le long de la route. Ils seront plusieurs centaines à débarquer dans quelques heures au dépôt de Frontignan, bloqué. « Ils arrivent tôt parce que les premiers arrivés sont les premiers remplis et les premiers partis », explique Arnaud Jean. Autour du feu : on assiste à une répétition de la journée de manifestation, avec des chants, des slogans. Les discussions, les rires, les espoirs s’expriment. On fait aussi des blagues : « elle est longue la lutte finale, mon grand-père la chantait, mon père la chantait et je la chante aussi », rigole un quinquagénaire, chasuble de la CGT sur le dos, alors que résonne l’internationale. Plus sérieux, Gilles, syndicaliste CGT dans l’éducation, n’imagine pas que les députés puissent voter une loi rejetée par 90% des travailleuses et travailleurs : « quand j’ai commencé à travailler, il fallait 37,5 annuités. Aujourd’hui c’est 43 », se désole le militant.

Vers 8 heures, les routiers téléphonent à leurs fournisseurs pour savoir ce qu’ils doivent faire. Beaucoup repartent vides du dépôt. La compagnie de CRS attendue n’arrive pas et, contrainte, la direction du dépôt avance l’heure de fin de chargement. Réussi, le blocage est levé vers dix heures du matin.


 


 

Retraites : pour les gaziers en grève,   le 49-3,
« c’est déjà une victoire »

Dan Israel sur www.mediapart.fr

Un rassemblement était organisé jeudi dans les Yvelines, devant le site d’une filiale d’Engie chargée du stockage souterrain du gaz naturel. Les militants syndicaux n’hésitent plus, ils veulent « monter d’un cran » face à un gouvernement définitivement discrédité à leurs yeux par le passage en force à l’Assemblée.16

Beynes (Yvelines).– Peu avant 15 heures, la nouvelle s’est faufilée de téléphones portables en exclamations entre collègues. À Beynes dans les Yvelines, à 25 kilomètres à l’ouest de Versailles, c’est alors que le rassemblement syndical organisé devant Storengy touchait à sa fin que les militant·es ont appris que le gouvernement engageait l’article 49-3 pour faire adopter sa réforme des retraites à l’Assemblée.

Aussitôt, des débats épars s’engagent parmi la centaine de personnes présentes, qui ont achevé le barbecue et la paëlla offerts par les organisateurs. On révise à toute vitesse le principe du 49-3 (« C’est mort, on ne peut plus rien toucher au texte, le gouvernement passe ce qu’il veut sans vote. »), les règles entourant les motions de censure (« N’importe quel député peut en déposer une ? ») et les principes de la majorité dans l’hémicycle (« C’est 287 ou 289 députés ? »).

Certains demandent encore un rafraîchissement de leurs connaissances sur les différences entre motion de censure et dissolution, que d’autres sont ravis de leur donner. « C’est déjà une victoire, ça montre que Macron n’a plus aucun poids face à personne », se réjouit un syndicaliste, résumant le sentiment qui a saisi l’assemblée en quelques minutes.

Ce 16 mars au matin, l’intersyndicale des industries électriques et gazières (IEG) avait réuni ses troupes sur le site de Storengy, cette filiale d’Engie spécialisée dans le stockage souterrain de gaz naturel. Les grévistes, opposés à la réforme des retraites, y organisent depuis le 7 mars un filtrage permanent du site : les salarié·es souhaitant travailler peuvent le faire, mais les prestataires et les sous-traitants sont interdits d’entrée, ce qui entraîne une dégradation de la maintenance.

« Voilà une information qui me va bien, elle montre où on en est réellement en France », lance Arnaud Boulay, le délégué syndical CGT du site. « C’est impeccable, ça va bien nous motiver pour la suite, et puis ça prouve que certains députés ont peut-être un cerveau en activité, confirme Martine Ravarey, la déléguée syndicale CFDT de Storengy. Emmanuel Macron ne pensait pas que le peuple allait réagir. »

Durant les heures qui ont précédé, toutes les discussions tournaient autour de ce sujet. « Aujourd’hui est un jour assez historique. Il va falloir qu’on ne lâche pas, parce que personne n’est dupe de ce qui va sortir de l’Assemblée cet après-midi », avait averti au micro Nicolas Nogues, coordinateur régional de la CGT énergie.

Il a ensuite lu un message signé de Sébastien Menesplier, le secrétaire général du syndicat national. « Quoi qu’il se passe aujourd’hui, la démocratie sociale est en péril », avertissait déjà ce dernier, menaçant le pouvoir d’un « choc énergétique national ».

Un régime spécial âprement défendu

« On est tout simplement présents pour obtenir le retrait du report de l’âge de départ à 64 ans, et pour obtenir le maintien de notre régime de retraite », résument Laurent et Alban, salariés du site de Beynes, respectivement vingt-neuf ans et quinze ans d’ancienneté dans les IEG, ce secteur professionnel qui compte 140 000 agents et dispose d’un régime spécial de retraite.

Contre un doublement des cotisations (salariales et employeurs), les agent·es ayant 17 années de service actif ont le droit de partir cinq ans avant l’âge légal de la retraite, soit 57 ans actuellement. 23 % des effectifs sont concernés par ce dispositif. Mais pour toucher un taux plein, la plupart restent plus longtemps en poste. La moyenne d’âge de départ est désormais autour de 60 ans, et devrait atteindre les 62 ans en 2024.

« Cela fait 30 ans que je cotise double, pourquoi est-ce qu’on m’enlèverait tous mes droits d’un coup ? C’est absurde, témoigne Arnaud Boulay. D’autant que notre régime est excédentaire ! » En 2022, la caisse de retraite des IEG a en effet apporté 120 millions d’euros au régime général. À Beynes, toutes et tous défendent l’extension de ce régime à l’ensemble des Français.

« Notre régime fonctionne depuis 1946. Notre message, c’est laissez-nous travailler, laissez-nous tranquille, clame Frédéric Probel, secrétaire général du syndicat CGT énergie de Bagneux (Hauts-de-Seine). Même si cette loi est votée, on continue. Cette loi, elle ne s’appliquera pas. » Comme lui, beaucoup ont en tête l’exemple de mars 2006, où la loi sur le Contrat première embauche (CPE) avait été promulguée, mais jamais mise en œuvre.

Chez Storengy Beynes, 1,2 milliard de mètres cubes de gaz reposent dans le sous-sol (là où le plus gros site de stockage français en contient 7 milliards). On est à la jonction de neuf gazoducs, qui embarquent le gaz depuis ou vers la Bretagne, la Normandie, et surtout l’Île-de-France. Sur les 70 salarié·es qui travaillent sur le site, 35 techniciens suffisent à assurer. Les grévistes qui tiennent le piquet tournent, par tranches de deux heures l’après-midi, et de une heure le matin, pour assurer l’occupation du site sans être trop pénalisés financièrement.

Les douze sites de Storengy en France sont occupés de cette façon. Ils alimentent le pays en gaz, alors que les terminaux méthaniers sont à l’arrêt et que les gazoducs fonctionnent au ralenti depuis que la Russie a stoppé son approvisionnement de la France, en juin. Ils alimentent également les centrales à gaz, qui assurent environ 10 % de la production d’électricité en France.

Passer à la vitesse supérieure 

Les grévistes ne bloquent pas la circulation du gaz, mais font très régulièrement pression sur leur direction pour faire baisser le niveau du gaz qui circule dans le réseau. Le 15 mars, ils ont obtenu que la pression baisse jusqu’au seuil symbolique de 49,3 bars – sous 49 bars, les centrales à gaz ne peuvent plus fonctionner, et le réseau s’effondre si la pression descend sous 20 bars.

« Même en cas de coupure de notre côté, il n’y aura pas d’impact sur les particuliers, tient à rappeler Alberto da Silva, élu CFDT. Ce sont seulement nos clients industriels, Engie, TotalEnergies ou ENI, pour qui nous stockons le gaz, qui devront trouver d’autres solutions d’approvisionnement. Pour ces grosses entreprises, ce sera une désoptimisation financière, rien de plus. » Le syndicaliste rappelle que Storengy n’est pas propriétaire du gaz stocké : « On est seulement prestataires de service, comme un parking où nos clients viendraient garer leurs voitures. »

Sur place, tout le monde en était conscient, avant même la certitude que le 49-3 allait être utilisé : on est passé à une autre étape dans le rapport de force. « On voudrait que tout le peuple se soulève pour faire reculer le gouvernement », dit simplement Fatma, élue CGT chez GRT Gaz, qui gère les infrastructures gazières, à Gennevilliers.

« Le vote une fois tous les cinq ans, ce n’est pas un chèque en blanc pour les responsables politiques, embraye son collègue César. La légitimité, ce n’est pas de faire un score misérable au second tour de la présidentielle face à Marine Le Pen. Il faut qu’ils le sachent, il y aura des actions pour dire notre colère. Il y en a marre d’être sages. »

« Le président de la République nous accule, il considère que les millions de personnes sorties dans la rue n’existent pas, estime Yasmina, élue Solidaires d’EDF R&D, venue en soutien. Le gouvernement nous pousse à aller plus loin, il faut monter d’un cran dans les actions. »

« C’est notre modèle social qui est attaqué, poursuit son amie Catherine, élue CGT chez EDF. Après la retraite à 64 ans, Édouard Philippe ne fait pas mystère de sa volonté de pousser à 67 ans. Et après, quoi ? On réduit le nombre de jours fériés ? On supprime une semaine de congés payés ? On diminue la durée du congé maternité ? On peut dérouler longtemps la pelote, on va à l’inverse du progrès social. »

Les responsables syndicaux sont à l’unisson de leurs troupes, excédées par la surdité d’Emmanuel Macron. « Jusqu’à présent, on a été raisonnables, on a préservé l’outil de travail, mais si le gouvernement ne nous entend pas, on agira autrement », glisse Philippe Guimard, délégué syndical FO de Storengy.

Les coupures se multiplient 

Les gaziers et les électriciens ont déjà commencé à faire monter la pression depuis plusieurs jours. Le secteur est le plus visible dans les actions, avec celui des éboueurs – les deux professions partagent d’ailleurs la gestion des incinérateur, bloqués à Paris depuis dix jours.

Parmi les grévistes de ce 16 mars, la nouvelle de la garde à vue de cinq de leurs collègues marseillais – dont Renaud Henry, secrétaire générale de la CGT Énergie Marseille et figure de l’opposition à la réforme, que Mediapart a suivi récemment – a alimenté la colère.

Des centaines de gars savent comment couper, et on ne pourra pas mettre un policier derrière chacun d’entre eux !

Après les actions « Robin des bois » pensées pour éviter toute nuisance, les coupures à répétition se multiplient désormais. Elles visent des permanences et des domiciles de députés et sénateurs, ou des lieux symboliques comme Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille le 14 mars, ou le Stade de France à Saint-Denis le 9 mars.

« Au Stade de France, l’idée est de montrer qu’on a les mains sur les manettes, qu’on est capables d’agir, commente Frédéric Probel. La vérité, c’est que les employeurs sont plutôt rassurés quand les syndicats sont présents, car ils savent que tout sera fait proprement et en responsabilité. Après, des centaines de gars savent comment couper, et on ne pourra pas mettre un policier derrière chacun d’entre eux ! »

De la théorie à la pratique, les militants syndicaux présents à Beynes ont procédé en fin de matinée à « une mise en sobriété énergétique », en coupant l’électricité d’une partie du site. Comme à chaque action, « la stratégie de la tortue » a été mise en œuvre : des dizaines de personnes en rangs serrés, bras levés, empêchent de voir celles et ceux qui coupent, capuches relevées ou cagoules masquant les visages.

Pendant l’action, un chant retentit, sur une mélodie rendue célébre par les « gilets jaunes » : « Emmanuel Macron, si tu continues, il va faire tout noir chez toi ! » Si les choses n’étaient pas assez claires, un autre slogan enfle, qui pourrait bien devenir un mot d’ordre dans les jours qui viennent pour les syndicalistes les plus résolus : « Grève, blocage, Macron dégage ! »

  publié le 15 mars 2023

Au port du Havre, « si on ne se bat pas aujourd’hui, que vont faire nos gosses demain ? »

Maxime Sirvins  et  Hugo Boursier  sur www.politis.fr

Très mobilisés, les travailleurs portuaires du Havre ont commencé, le mardi 14 mars, soixante-douze heures de grève contre la réforme des retraites. Reportage au petit matin.

« On ne désarmera pas et on montera en puissance », lance Laurent Delaporte, secrétaire général de la CGT des travailleurs portuaires du Grand Port maritime du Havre, au petit matin du mardi 14 mars. Dès 6 h 30, alors que la température ne dépasse pas les 7 °C et que le vent souffle jusqu’à 80 km/h, une bonne centaine de travailleurs portuaires vont bloquer le siège d’Haropa Port, le complexe portuaire qui regroupe les ports de Paris, de Rouen et du Havre, à l’appel de la section locale de la CGT.

Des camions sont garés en travers du grand boulevard pendant que des syndicalistes mettent le feu à un tas de pneus pour protester contre la réforme des retraites. « Notre fédération a décidé de durcir le mouvement en appelant à 72 heures de grève, dont une journée “port mort” jeudi », explique François Brisot, secrétaire adjoint de la fédération. La semaine dernière, une grève de 48 heures avait déjà paralysé le port, premier en France pour le trafic des conteneurs, avec trois millions d’unités par an en 2022.

Alors que de rares badauds filment la scène et que quelques jeunes aident à brûler des pneus, la centaine de salariés, vêtus de leurs gilets jaunes et rouges, tiennent fermement la route et ne comptent pas s’arrêter là dans l’intensification du mouvement.

Pour Sébastien Fassi, qui participe aux manifestations depuis deux mois, il faut « durcir le ton » car après avoir « commencé par des manifestations tranquilles, finalement on se rend compte que marcher gentiment dans la rue ne permet pas d’être écoutés ». « On nous prend carrément pour des guignols », lance le syndicaliste. « Du coup, on bloque. »

Le combat, il faut aussi le mener pour les autres.

Pourtant, ce travailleur portuaire qui s’occupe de l’entretien des portiques à conteneurs – les grandes grues qui chargent et déchargent les bateaux – partira à la retraite avant ses camarades. Timidement, presque avec honte, il explique être travailleur de l’amiante, ce qui lui permettra d’arrêter le travail plus tôt. Rassuré par un collègue qui lui explique qu’il le « mérite » face aux risques sanitaires, Sébastien Fassi ajoute : « Je ne suis pas là à me battre pour moi, je suis là pour me battre pour les autres personnes, pour mes camarades et pour mes enfants. Le combat, il faut aussi le mener pour les autres. »

Même son de cloche pour François Brisot sur les formes que doit prendre la lutte. « Qu’on soit un, deux ou trois millions dans la rue, le gouvernement continue de regarder ailleurs », assène le syndicaliste, avant d’ajouter : « Certains préfèrent manifester car ils se mettent uniquement deux heures en grève. Ils ne peuvent pas se permettre de poser 24 heures pour bloquer. On a donc besoin de multiplier et de diversifier les actions. »

Si, aujourd’hui, ils réalisent leur action devant le siège d’Haropa Port, c’est avant tout pour « envoyer un message », explique Laurent Delaporte, conscient que cette réforme touche tout le monde et tous les corps de métiers. « C’est un siège symbolique de l’autorité portuaire, pour inviter tous nos patrons à retourner vite vers leurs relais politiques et gouvernementaux afin qu’ils retirent le projet de loi. » Pour ce syndicaliste, c’est avant tout un « combat de société ».

Car le ras-le-bol général s’est ancré profondément. « Quand on voit comment on galère aujourd’hui pour se soigner. Quand on voit comment on galère pour mettre de l’essence dans sa voiture. Quand on voit sa liste de courses et le prix dans les magasins. Quand on voit l’inflation monstrueuse et les salaires qui ne suivent pas. Tout ça, c’est un changement profond de société qu’ils sont en train de nous imposer et ça ne nous convient pas. » Le syndicat enregistre depuis des semaines « des dizaines et des dizaines de nouvelles adhésions à l’union locale de la CGT », raconte François Brisot.

C’est un changement profond de société qu’ils sont en train de nous imposer et ça ne nous convient pas.

Au milieu des crépitements des pneus en feu, Sébastien Fassi charge plus encore le gouvernement. « On vire l’impôt sur les grandes fortunes, on ne taxe pas les grandes entreprises, certaines ne payent même pas d’impôts et pendant ce temps-là, on va taxer le pauvre peuple. On ne peut plus entendre ça, donc on a commencé par des journées de grève. La semaine dernière, c’était 48 heures, là, 72 heures, et je vous laisse imaginer ce que ça va donner la semaine prochaine. »

Mais, pour Laurent Delaporte, la lutte ne s’arrête pas à la réforme des retraites. « Il va falloir que cette réforme tombe et puis qu’on continue à monter ce mouvement de grogne des salariés contre une société qui ne nous convient pas. » Le but, pour le syndicat, est « d’éveiller les consciences, d’aller au débat avec les travailleurs pour leur faire comprendre ce qu’est cette société, et qu’il ne faut pas s’enfermer dans l’individualisme ou le fatalisme ».

Pour eux, il faut aller encore et toujours plus loin car le gouvernement « ne joue plus le jeu » avec ses recours aux articles 47.1, 49.3 et 44.2. « On utilise la Constitution pour tout et n’importe quoi dès lors qu’elle sert le pouvoir du président. » Pour le secrétaire général, un « changement politique profond » s’impose comme, par exemple, « la fin de la VRépublique ».

Le combat est sur le long terme. Et il vient tout juste de commencer. « Si on ne se bat pas aujourd’hui, je ne sais pas ce que vont faire nos gosses demain. On doit se battre pour eux. Et pour cela, il s’agit de se battre dès aujourd’hui pour espérer pouvoir les nourrir. » Le vent commence à se calmer. Mais la tempête face à la réforme des retraites ne fait que se lever. 


 


 

Tout comprendre à la grève des déchets à Paris

Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce. 

Depuis le 6 mars, l’ensemble des salariés de la filière déchets sont en grève à Paris. Cette mobilisation a été rendue possible par une coordination entre de multiples secteurs et entreprises, bien décidés à faire échouer la réforme des retraites. Malgré les tentatives de casser le mouvement, la solidarité tient bon.

 Des déchets devant le Palais de l’Élysée. L’image a fait réagir et a vite animé les plateaux des chaînes d’informations en continu. Et pour cause : s’il a fallu du temps aux salariés de la filière déchets pour se mettre en grève, la mobilisation ne faiblit pas depuis le 6 mars. Depuis plus d’une semaine, les agents de la collecte et du traitement des déchets de Paris ont réussi une grève reconductible.

À Nantes, Le Mans, Rennes, Angers, Antibes, Dole, Le Havre, les éboueurs sont également mobilisés. Mais la grève parisienne semble particulièrement marquer les partisans de la réforme des retraites, au point de susciter des fantasmes et de servir d’arène politicienne à certains élus.

Les agents de la mairie en grève

Le 6 mars, à la veille d’une journée de mobilisation nationale, les éboueurs employés par la ville de Paris commençaient leur grève. Anticiper d’une journée leur mobilisation par rapport au reste du mouvement social leur a permis d’augmenter leur impact. « Il n’y a pas de collecte le dimanche », nous expliquait François Livartowski, secrétaire fédéral de la CGT Services Publics. Dans la journée du lundi, l’équivalent de deux journées de déchets, soit plus de 500 tonnes, s’entassait donc déjà dans les rues de certains arrondissements parisiens. Depuis ce jour, la collecte est ainsi perturbée dans les très bourgeois 2e, 5e, 6e, 8e et 16e arrondissements de Paris, et également dans le 12e, 14e et 20e. Selon la mairie de Paris, citée par France Info, 7 000 tonnes de déchets n’auraient pas été ramassées depuis une semaine.

Loin de se terminer, la grève est au contraire partie pour durer. Le 14 mars, les grévistes ont voté sa reconduction jusqu’au 20 mars, lors d’une assemblée générale chapeautée par la fédération CGT du nettoyage de la ville de Paris (FTDNEEA), très largement majoritaire dans le secteur. Les grévistes se disent, en outre, prêts à « engager des nouvelles formes d’actions qui participeraient à la victoire des travailleurs » en cas de vote de la réforme ou d’utilisation du 49.3.

La grève des déchets s’étend au privé

Tous les arrondissements ne sont pas concernés. La mairie de Paris a en effet décidé de confier la collecte des déchets de l’autre moitié des arrondissements à trois entreprises privées, où il est plus difficile de mobiliser les salariés. Mais dans l’entreprise Pizzorno, en charge de la collecte dans le 15e arrondissement, les éboueurs ont réussi à se démarquer. La totalité des agents sont en grève. « La grève a été reconduite à l’unanimité jusqu’à demain avec des AG quotidiennes », nous indiquait, le 14 mars, Matthieu Carrier, élu CGT à la ville de Paris. Le syndicaliste a soutenu les salariés dans l’organisation de leur grève et l’assure : « la détermination est au maximum et le mot d’ordre est la reconduction systématique jusqu’à l’ouverture de négociations salariales avec des revendications ambitieuses ».

Un conflit interne à l’entreprise vient en effet s’ajouter à celui sur la réforme des retraites pour ces salariés. En octobre 2022, 90 % des salariés du site étaient déjà en grève, pour obtenir de meilleures conditions de travail. Après six jours d’interruptions du travail, un accord a été signé, avec à la clé six nouveaux camions et des primes pour certains agents. « Mais l’accord de fin de conflit n’a jamais été appliqué », s’indigne Valentin Soen, secrétaire général de l’union locale CGT de Vitry-sur-Seine. En plus de l’application de l’accord et de l’abandon de la réforme des retraites, les salariés demandent une augmentation de 8 % de leur salaire. « Le patron a proposé 3,6 % », s’agace Mathieu Carrier. Une promesse qui n’engage pas à grand-chose puisqu’il s’agit de l’augmentation déjà prévue par la convention collective du secteur.

Casser la grève des déchets

Face à une direction tout aussi obtuse que le gouvernement, la mobilisation des salariés de Pizzorno ne devrait donc pas s’arrêter au lendemain du vote de la réforme. Ils devront cependant faire face à la résistance de l’entreprise, prête à tout pour casser la grève. Celle-ci a en effet envoyé une vingtaine de salariés normalement employés sur d’autres sites, notamment celui de la Seyne-sur-Mer ou de Draguignan (83) pour assurer la collecte des déchets parisiens.

« Ils ont réussi à sortir dix camions pour casser la grève. Ils sont arrivés en pleine nuit [ndlr : entre dimanche et lundi], et le temps d’appeler du renfort, c’était déjà trop tard », témoigne Matthieu Carrier. Le site compte une trentaine de camions, dédiés au ramassage parisien, mais aussi à la collecte dans d’autres villes aux alentours. Dans ces dernières, la collecte est forcément perturbée : bien que la grève y soit moins forte, les camions manquent. Dans la plupart des autres communes d’Ile-de-France où la collecte est assurée par le privé, « la grève se limite aux journées nationales », indique Ali Chaligui, élu de la CGT Transport, en charge de ces questions.

Pour éviter que de nouveaux camions ne sortent du dépôt, les éboueurs ont ainsi appelé à un « blocage en 3X8 » du site. « C’est un blocage citoyen, c’est l’interpro qui bloque, pas les grévistes », souligne Valentin Soen. L’enjeu est en effet d’éviter toute mesure de rétorsion de la part de l’entreprise. Matthieu Carrier témoigne de « pics de soutien à 40 personnes qui baisse à une petite dizaine dans les temps faibles ».

Ce n’est pas la première fois que Pizzorno a des relations conflictuelles avec ses salariés. Sur son site varois, une grève avait aussi éclaté en octobre 2022. Les salariés exigeaient de meilleurs salaires et une amélioration de leurs conditions de travail. Après un blocage du dépôt pendant une semaine, des salariés avaient payé le prix fort de leur engagement dans la lutte. « Ils ont convoqué 12 personnes. Il y en a 10 qui ont été mises à pied pendant trois semaines, dont moi. Et deux ont été licenciées », indique David Hatier, délégué CGT sur le site de la Seyne-sur-Mer. Sur son site, la grève contre la réforme des retraites n’a donc pas eu lieu. « Ils ont mis la pression. Donc les gens ont peur. Il n’y a juste qu’une poignée de courageux qui seraient prêts à faire grève », regrette-t-il.

Des déchets sans destination

L’entassement des déchets n’a pas tardé à susciter l’indignation des élus de la droite. Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, pourtant non-concerné par la grève, a ainsi demandé sur Twitter « l’instauration d’un service minimum de collecte des déchets » en accablant Anne Hidalgo, la maire de Paris, qui, bien que n’entretenant pas d’excellentes relations avec ses agents, n’a de toute façon pas de pouvoir en la matière. La réquisition relève en effet de la compétence de l’État. La municipalité semble cependant avoir fait appel à une entreprise privée déjà en charge de la collecte dans une partie de la ville, Derichebourg, pour collecter les déchets d’arrondissements normalement sous régie publique, indique BFM TV.

Mais c’est de toute manière oublier bien vite que cette grève s’exprime à toutes les étapes de la filière. Ainsi, la totalité des agents en charge de la conduite des trois incinérateurs de déchets de la petite couronne de la région parisienne, sont, eux aussi, en grève. « On voit des usagers qui se plaignent des odeurs en disant que c’est insalubre. Nous, nos salariés, ils sont en permanence avec des déchets », fait d’ailleurs remarquer Marc Bontemps, élu de la branche Énergie de la CGT (FNME). « La moyenne d’âge du décès chez nous, elle est de 70 ans », souligne-t-il.

Jusqu’à maintenant, les salariés de ce secteur pouvaient partir à la retraite à 57 ans. Ce sera 59 ans, et même 64 ans pour les nouveaux arrivants, si la réforme est adoptée. « Nos salariés sont prêts à se battre corps et âme pour les jeunes qui arrivent. Nos outils de travail, ils n’ont pas changé. » La grève va se poursuivre, au moins jusqu’à jeudi où une nouvelle assemblée générale aura lieu, et devrait probablement entériner la poursuite du mouvement.

Actuellement, les cheminées des incinérateurs d’Ivry-sur-Seine et d’Issy-les-Moulineaux ont cessé de cracher leurs fumées. Celui de Saint-Ouen avait opportunément été mis en maintenance par la direction, le 5 mars, à la veille de la grève. « C’était une tentative de contournement du droit de grève », accuse Marc Bontemps. Néanmoins, les salariés de la maintenance sont également en grève, ce qui devrait donc repousser d’au moins une semaine le redémarrage de l’incinérateur.

Même collectés, les déchets devront ainsi s’entasser dans les camions, faute de destination immédiate. En temps normal, il est possible d’entreposer le surplus de déchets sur le site de stockage de Romainville, avant qu’ils ne soient envoyés à Claye-Souilly (77) où ils sont enterrés. Mais désormais, le site de Romainville est saturé.

Jeudi 16 mars, les sénateurs devraient une nouvelle fois approuver la réforme des retraites. Il leur suffirait pourtant de jeter un œil à l’extérieur du Palais du Luxembourg, pour y voir une ribambelle de poubelles, symbole de la colère sociale.

  publié le 15 mars2023

Hausse des importations d’armes en Europe • Domination accrue des États-Unis sur le commerce mondial des armes

sur https://www.obsarm.info

Communiqué du Sipri Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (en anglais, Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI

(Stockholm, 13 mars 2023) - Les importations d’armes majeures par les États européens ont augmenté de 47 % entre 2013-17 et 2018-22, tandis que le niveau mondial des transferts internationaux d’armes a diminué de 5,1 %. Les importations d’armes ont globalement diminué en Afrique (-40 %), dans les Amériques (-21 %), en Asie et Océanie (-7,5 %) et au Moyen-Orient (-8,8 %) – mais les importations vers l’Asie de l’Est et vers certains États situés dans d’autres zones à forte tension géopolitique ont fortement augmenté. La part des États-Unis dans les exportations mondiales d’armes est passée de 33 à 40 %, tandis que celle de la Russie est passée de 22 à 16 %, selon les nouvelles données sur les transferts internationaux d’armes publiées aujourd’hui par le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).

« Même si les transferts d’armes ont diminué à l’échelle mondiale, ceux vers l’Europe ont fortement augmenté en raison des tensions entre la Russie et la plupart des États européens », souligne Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI. « Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États européens veulent importer plus d’armes, plus rapidement. La concurrence stratégique se poursuit également ailleurs : les importations d’armes par l’Asie de l’Est ont augmenté et celles du Moyen-Orient restent à un niveau élevé. »

Les exportations d’armes américaines et françaises augmentent, celles de la Russie diminuent

Les exportations mondiales d’armes ont longtemps été dominées par les États-Unis et la Russie (constamment premier et deuxième plus grand exportateur d’armes ces trois dernières décennies). Cependant, l’écart entre les deux s’est considérablement creusé, tandis que celui entre la Russie et le troisième exportateur - la France - s’est rétréci. Les exportations d’armes américaines ont augmenté de 14 % entre 2013-17 et 2018-22, les États-Unis représentent 40 % des exportations mondiales d’armes en 2018-22. Les exportations d’armes de la Russie ont chuté de 31 % entre 2013-17 et 2018-22. Sa part dans les exportations mondiales d’armes est passée de 22 % à 16 %, tandis que la part de la France est passée de 7,1 % à 11 %.

Le nombre des principaux destinataires d’armes russes est passé de 10 à 8 entre 2013-17 et 2018-22. Les exportations vers l’Inde, plus grand destinataire d’armes russes, ont chuté de 37 %, tandis que les exportations vers les 7 autres destinataires ont diminué en moyenne de 59 %. Cependant, les exportations d’armes russes ont augmenté vers la Chine (+39 %) et l’Égypte (+44 %), désormais deuxième et troisième destinataire de la Russie.

« Il est probable que l’invasion de l’Ukraine limitera davantage les exportations d’armes de la Russie. En effet, la Russie accordera la priorité à l’approvisionnement de ses forces armées. De plus, la demande des autres États restera faible en raison des sanctions commerciales prises contre la Russie et de la pression croissante exercée par les États-Unis et ses alliés pour ne pas acheter d’armes russes  », précise Siemon T. Wezeman, chercheur principal au Programme Transferts d’armes du SIPRI.

Les exportations d’armes de la France ont augmenté de 44 % entre 2013-17 et 2018-22. La plupart de ces exportations étaient destinées aux États d’Asie, d’Océanie et du Moyen-Orient. L’Inde a reçu 30 % des exportations d’armes françaises en 2018-22. La France a supplanté les États-Unis en tant que deuxième plus grand fournisseur d’armes de l’Inde, après la Russie.

« La France gagne une plus grande part du marché mondial des armes tandis que les exportations d’armes russes diminuent, comme on le voit en Inde, par exemple », souligne Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI. «  Une tendance appelée vraisemblablement à se poursuivre car, fin 2022, la France avait beaucoup plus de commandes d’armements en cours que la Russie.  »

L’Ukraine devient le troisième importateur mondial d’armes en 2022

De 1991 à fin 2021, l’Ukraine a importé peu d’armes majeures. Grâce à l’aide militaire des États-Unis et de nombreux États européens, suite de l’invasion russe en février 2022, l’Ukraine est devenue le 3ème plus grand importateur d’armes majeures en 2022 (après le Qatar et l’Inde) et le 14ème en 2018-22. L’Ukraine représente 2,0 % des importations mondiales d’armes durant cette période de cinq ans.

« En raison de préoccupations liées à la manière dont la fourniture d’avions de combat et de missiles longue portée pourrait aggraver davantage la guerre en Ukraine, les États de l’Otan ont refusé la demande de l’Ukraine en 2022. Dans le même temps, ils ont fourni ces armes à d’autres États impliqués dans un conflit, en particulier au Moyen-Orient et en Asie du Sud », précise Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI.

L’Asie-Océanie demeure la première région importatrice

L’Asie et l’Océanie ont reçu 41 % des transferts d’armes majeures en 2018-22, une part légèrement inférieure à celle de 2013-17. Malgré la baisse globale des transferts vers la région, certains États enregistrent des augmentations et d’autres des diminutions notables. Six États de la région figurent parmi les 10 plus grands importateurs mondiaux en 2018-22 : l’Inde, l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, le Pakistan et le Japon.

Les importations d’armes par les États d’Asie de l’Est ont augmenté de 21 % entre 2013-17 et 2018-22. Celles de la Chine ont augmenté de 4,1 %, la plupart provenant de Russie. Cependant, les augmentations les plus importantes en Asie de l’Est ont été enregistrées par les alliés des États-Unis : la Corée du Sud (+61%) et le Japon (+171%). L’Australie, plus grand importateur d’armes d’Océanie, a augmenté ses importations de 23 %.

« La crainte grandissante de menaces provenant de la Chine et de la Corée du Nord a entraîné une demande croissante d’importations d’armes par le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, notamment pour des armes à longue portée », indique Siemon T. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI. « Le principal fournisseur de ces trois États sont les États-Unis. »

L’Inde reste le premier importateur d’armes au monde, bien que ses importations aient diminué de 11 % entre 2013-17 et 2018-22. Cette baisse est liée à un processus d’approvisionnement complexe, à la diversification des fournisseurs d’armes et à des tentatives pour remplacer les importations par des fabrications locales. Les importations du Pakistan, huitième plus grand importateur d’armes en 2018-2022, ont augmenté de 14 %, la Chine est son principal fournisseur.

Le Moyen-Orient reçoit des armes américaines et européennes de pointe

Trois des 10 principaux importateurs en 2018-22 se trouvaient au Moyen-Orient : l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Égypte. L’Arabie saoudite est le deuxième plus grand importateur d’armes en 2018-22 et a reçu 9,6 % du total des importations mondiales d’armes au cours de cette période. Les importations d’armes du Qatar ont augmenté de 311 % entre 2013-17 et 2018-22, ce qui en fait le troisième plus grand importateur d’armes en 2018-22.

La grande majorité des importations d’armes au Moyen-Orient proviennent des États-Unis (54 %), suivis de la France (12 %), de la Russie (8,6 %) et de l’Italie (8,4 %). Ils comprennent plus de 260 avions de combat avancés, 516 nouveaux chars et 13 frégates. Les États arabes de la seule région du Golfe ont passé des commandes pour plus de 180 avions de combat supplémentaires, tandis que 24 ont été commandés à la Russie par l’Iran (qui n’a reçu pratiquement aucune arme majeure en 2018-22).

Autres développements notables

  • Les importations d’armes par l’Asie du Sud-Est ont diminué de 42 % entre 2013-17 et 2018-22. Cette baisse s’explique, au moins en partie, par le fait que les États absorbent encore les équipements livrés avant 2018. Les Philippines ont résisté à cette tendance, avec une augmentation des importations d’armes de 64 %.

  • Les États européens de l’Otan ont augmenté leurs importations d’armes de 65 % cherchant à renforcer leurs arsenaux face à une menace accrue perçue de la part de la Russie.

  • Entre 2013-17 et 2018-22, les exportations d’armes des États-Unis vers la Turquie ont considérablement diminué en raison de tensions bilatérales. La Turquie est passée de 7ème au 27ème plus grand destinataire d’armes américaines.

  • Les importations d’armes par les États d’Afrique subsaharienne ont chuté de 23 %. L’Angola, le Nigeria et le Mali étant les principaux destinataires. La Russie a supplanté la Chine en tant que plus grand fournisseur d’armes de la sous-région.

  • Les importations d’armes par trois États situés sur le continent américain ont considérablement augmenté : États-Unis (+31 %), Brésil (+48 %) et Chili (+56 %).

  • Parmi les sept premiers exportateurs d’armes au monde - après les États-Unis, la Russie et la France-cinq pays ont vu leurs exportations d’armes chuter : la Chine (-23 %), l’Allemagne (-35 %), le Royaume-Uni (-35 %), l’Espagne (-4,4 %) et Israël (-15 %) - tandis que deux autres ont enregistré de fortes augmentations – l’Italie (+45 %) et la Corée du Sud (+74 %).

Traduction française : Aziza Riahi, Observatoire des armements

  publié le 14 mars 2023

15 mars. « On se bat pour les retraites de tous »

Cyprien Boganda et Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Alors qu’une nouvelle journée d’action est prévue ce mercredi 15 mars, à l’appel de l’intersyndicale, les grévistes veulent capitaliser sur un soutien populaire toujours aussi massif. Témoignages de Paris à Saint-Nazaire.

La question est aussi ancienne que les mouvements sociaux. Dans les raffineries, les ports ou les gares, à mesure que les grèves se reconduisent et que la colère grandit, chacun se demande comment s’ancrer dans la durée sans épuiser ses forces, ni son capital de sympathie.

Une semaine décisive vient de s’ouvrir dans la bataille des retraites, avec un possible vote sur le projet de loi en ligne de mire. Ce mercredi 15 mars, jour de la commission mixte paritaire (CMP) au Parlement, l’intersyndicale appelle à une nouvelle journée d’action.

Sur le terrain, les salariés les plus en pointe dans le mouvement s’organisent concrètement, jour après jour, pour poursuivre les grèves entamées la semaine dernière. Dans le bassin nazairien, la détermination ne faiblit pas.

« Tous les outils de production sont à zéro » dans l'énergie

Les grévistes qui, ce matin-là, s’abritent des rafales de vent et de la pluie, devant la centrale thermique de Cordemais (Loire-Atlantique), affichent leur confiance : « La mobilisation est de très haut niveau, exceptionnelle même, assure Christophe Jouanneau, secrétaire général de la FNME 44. Tous nos outils de production sont à zéro. » Il cite la centrale à charbon, le terminal méthanier ou encore la centrale à gaz.

Idem au port où les terminaux portuaires sont tous à l’arrêt, fermés, et à la raffinerie où rien ne sort depuis mardi 7 mars 5 heures. Ce vendredi 10 mars, les raffineurs ont acté collectivement de poursuivre la grève au moins jusqu’au jeudi 16 mars 21 heures et selon les mêmes modalités.

Nourris de leurs expériences, les opérateurs ont appris à « peser sur l’économie sans trop perdre d’argent ». À chaque changement d’équipe par exemple, les agents des services de conduite se concertent pour décider qui cessera le travail ce jour-là, en tournant. Idem dans la raffinerie à côté. Ainsi, une soixantaine de salariés doivent chaque jour se mettre en grève sur près de 350 pour que la production soit interrompue.

En 2017, la caisse de grève a permis de tenir deux mois et demi

Fin février, la FNME a mis en place une caisse électronique de grève pour aider les plus touchés. À Cordemais, la solidarité prend racine dans la lutte menée en 2017 contre le projet de fermeture de la centrale. Un minimum de salariés en grève, les autres qui cotisent. Ce mécanisme a permis à l’époque de tenir deux mois et demi jusqu’à la levée de la menace, explique le responsable de la CFE-CGC, Damien Mouille : « En 2017, nous avions 250 cotisants sur 350 salariés », précise-t-il. « On n’est pas là pour crever la dalle. On s’organise intelligemment », lance un gréviste présent sous la tente.

C’est pour répondre à cette impérieuse nécessité – tenir sans « crever la dalle » – que les caisses de grève ont recommencé à fleurir sur tout le territoire. Certaines centrales comme la CFDT ou FO ont des caisses permanentes, alimentées par les cotisations des adhérents – les réserves cumulées chez la CFDT depuis cinquante ans atteignent les 140 millions d’euros, selon un responsable de la confédération cité par l’AFP.

Ailleurs, les caisses se remplissent uniquement en cas de conflit social d’ampleur, comme en ce moment. La cagnotte « solidarité CGT mobilisation », accessible sur le site Leetchi.com, affichait ce 13 mars près de 857 000 euros au compteur.

Un mouvement multiforme, en trois temps : grands-messes nationales, initiatives locales, et retour en entreprises pour convaincre les non-grévistes 

Tenir sans s’essouffler, donc… Et construire la lutte au jour le jour. C’est un mouvement multiforme, en trois temps, avec des grands-messes nationales, des initiatives locales, et des temps de retour dans les boîtes pour convaincre les non-grévistes et réfléchir aux prochaines actions, qui continue à se construire, analyse le secrétaire général de l’union locale CGT de Saint-Nazaire, Damien Girard.

Car quel que soit le parcours législatif de la loi, les salariés ici sont persuadés d’obtenir le retrait de la réforme. Damien Girard cite notamment le CPE, voté en 2006, puis retiré par Dominique de Villepin. Le vote bloqué au Sénat, l’évocation d’un 49.3 sur le texte final, ou encore, la menace d’exclusion à tout député de Renaissance qui ne voterait pas le texte, sont autant de signes qui montrent que, au fond, « ils ont les pétoches ».

En attendant, le soutien populaire au mouvement social ne faiblit pas : un sondage BVA publié en fin de semaine dernière montre ainsi qu’une large majorité de Français (61 %) approuve le « durcissement » du mouvement, ce qui en dit long sur l’exaspération sociale qui bouillonne dans le pays.

À Saint-Nazaire, tous racontent les mots de soutien lancés de la vitre des voitures, les sourires et les nombreux signes d’encouragement lors de cette matinée où les militants de la CGT ont fermé l’ensemble des accès au port et perturbé la circulation de plusieurs axes routiers.

Les Robins des bois de l’énergie, apparus en France dans les années 2000, ont repris du service

Partout dans le pays, les grévistes comptent bien capitaliser sur ce soutien, eux qui ont tout fait, depuis le début du mouvement, pour ne pas s’aliéner la sympathie de l’opinion. C’est dans ce but que les Robins des bois de l’énergie, apparus en France dans les années 2000 (et plus spécifiquement au cours du mouvement social de 2004 contre le changement de statut d’EDF), ont repris du service.

Au programme : coupures de courant « ciblées » – contre les permanences parlementaires macronistes, notamment –, rétablissement chez les usagers privés d’électricité, etc.

L’aspect « coup de com » de ce type d’actions est tout à fait assumé par Sébastien Roumet, 35 ans, Robin des bois dans la Vienne : « Bien sûr que cela a un impact médiatique, explique-t-il. Les journaux parlent davantage d’une coupure temporaire dans une permanence Renaissance que d’une baisse de rendements dans une centrale électrique ! Mais nos luttes ne se limitent pas à cela. »

Les scènes de fraternité se multiplient

En menant ce type d’actions, les Robins de bois tissent aussi des liens avec la population… et créent des interactions inattendues. « Il y a quelques jours, nous avons organisé le blocage collectif d’une grosse zone commerciale à Poitiers, raconte Sébastien. Les salariés d’un petit boulanger nous ont engueulés, en nous expliquant que l’action risquait de nuire à leur activité. Là-dessus, le patron arrive, et nous propose le café ! Il nous a assuré qu’il comprenait notre combat. Finalement, nous avons passé son compteur en quasi-­gratuité, en guise de remerciement. »

Anecdotique ? Pas seulement. Les scènes de fraternité se multiplient un peu partout en France, loin du procès « en prise d’otages » traditionnellement instruit contre les bloqueurs. « Nous recevons des courriers, des appels, des messages sur les réseaux sociaux, se réjouit Matthieu Bolle-Reddat, conducteur (CGT) de la ligne de RER C. Les gens nous disent : “Nous sommes derrière vous, ne lâchez rien.” Lorsqu’on fait des AG dans les gares, des usagers nous applaudissent, alors même qu’ils galèrent à cause de nous ! Ils savent que nous luttons pour le bien commun. »

Les paysans épaulent les grévistes

Le syndicaliste explique que les paysans ont décidé d’épauler­ les grévistes. Ce mercredi matin, près de 2 tonnes de denrées alimentaires (poulets, miel, pâté, etc.) doivent ainsi être distribuées aux salariés devant la gare de Versailles-Chantiers, collectés par le Mouvement de défense des ­exploitants familiaux (Modef) et la Confédération paysanne.

Même si le scénario d’une « grève par procuration » ­rebute certains grévistes, las de monter au front tout seuls, il faut bien avouer que, cette fois encore, une minorité de secteurs d’activité ont pris les devants du mouvement social, parmi lesquels l’énergie, le raffinage ou les transports en commun.

« J’assume complètement de me battre pour défendre les retraites de tout le monde, assure Matthieu Bolle-Reddat. Beaucoup de salariés en France ne peuvent pas le faire, pour des raisons diverses – travailleurs précaires, salariés de petites boîtes, retraités, etc. Cela dit, le plus dur dans ce type de combat, c’est le sentiment de solitude qui peut gagner les grévistes, ce sentiment de se battre tout seul dans son coin. C’est pour ça qu’il est aussi important de pouvoir compter sur le soutien de la population. » 


 


 

« À Grand’Maison, on sera en grève au moins jusqu’à dimanche »

Guillaume Pavis sur www.humanite .fr

En débrayage depuis neuf jours, les agents de la plus grande centrale hydroélectrique de France seront en tête de la manifestation grenobloise, mercredi, et comptent poursuivre le mouvement. Vaujany (Isère), correspondance.

Depuis neuf jours, les salariés grévistes occupent la centrale hydro­électrique de Grand’Maison, la plus puissante de France. Deux tas de pneus et des banderoles ornent l’entrée du site. L’une d’entre elles, estampillée CGT et FO, affiche la couleur : « Réforme des retraites : c’est non ». Derrière le portail, une trentaine de grévistes partagent, ce lundi matin, un petit déjeuner autour d’un brasero. Ils se bouchent subitement les oreilles lorsqu’une sirène d’alarme vient briser le calme de ce fond de vallée alpine. « On la fait sonner régulièrement pour signaler notre présence », s’amuse Valentin Dombey, délégué syndical d’EDF Hydro Alpes avant de détailler : « On se relaie jour et nuit pour occuper le site. On dort sur des matelas gonflables que l’on a installés à l’intérieur. »

Entre les massifs de Belledonne et des Grandes Rousses, la centrale fait partie, ce lundi, des cinquante sites (20 réacteurs, 15 hydro­électriques, 15 thermiques) où les énergéticiens ont « pris la main sur leur outil de travail », comme le revendique la CGT mines-énergie. Ici, « plus ça va, plus les gens sont déterminés, se réjouit Cyril Carnot, agent et élu CGT. Sur les 35 salariés du site, 90 % sont en grève. On sera là au moins jusqu’à dimanche ». À ses côtés, Johann abonde : « C’est la première fois que je fais grève aussi longtemps », détaille le technicien. « On assure tout de même nos astreintes pour la sûreté des équipements. Samedi soir, par exemple, je suis intervenu à 23 h 30. »

« Pour nous, c’est la double peine »

« On instaure un rapport de force en tapant au portefeuille », reprend Valentin. « EDF est contraint de se fournir chez nos voisins. Localement, les industries comme celles de l’électrométallurgie sont également obligées de baisser leur production. » Si la centrale est à l’arrêt, les grévistes font tourner les turbines en cas de fortes tensions sur le réseau. « Jusqu’ici on a joué le jeu. Car si le réseau venait à tomber, il faudrait compter une semaine pour redémarrer. On aimerait ne pas en arriver là », prévient Mathilde, technicienne sur le site voisin de Saint-Guillerme.

Loin de Paris, les agents ont pourtant l’œil rivé sur le Parlement. « Si le gouvernement passe en force, on montera le ton, prévient son collègue Hervé. J’aimerais que les députés et les sénateurs viennent nous voir pour se rendre compte de la pénibilité de nos métiers. Entre le bruit, la chaleur et les astreintes où l’on part dépanner tard dans la nuit en montagne… À 64 ans, très peu d’entre nous seront capables de le faire », détaille le technicien de 33 ans, entré à EDF à l’âge de 20 ans. C’est aussi le cas de Mathilde : « Pour nous, énergéticiens, cette réforme, c’est la double peine : en plus de décaler l’âge de départ, l’article 1 s’attaque à notre régime, pourtant excédentaire. On a déjà du mal à recruter pour travailler dans ces sites reculés… »

Pour tenir, les grévistes peuvent compter sur le soutien des habitants. « Hier soir, un restaurateur, qui ne peut pas faire grève, nous a même apporté des pizzas », se réjouit Valentin. Qui annonce : « Nous serons en tête de la manif, ce mercredi, à Grenoble. »

   publié le 14 mars 2023

Couper le chauffage, sauter les repas : face à l’inflation, la détresse des plus précaires

Faïza Zerouala sur www.mediapart.fr

Les prix de l’alimentaire ont explosé en un an. Cette hausse inédite fragilise les plus précaires en premier lieu. Mais pas seulement. Tout le monde doit élaborer des stratégies pour y faire face. Que ce soit les privations ou même le vol à l’étalage. Témoignages.

Depuis six mois, Éloïse* flotte dans ses vêtements. La presque quinquagénaire ne pèse plus que 43 kilos. Sur son petit gabarit, ses cinq kilos manquants sont voyants mais elle n’a pas les moyens de s’offrir une garde-robe à sa taille. Pas plus qu’elle ne peut s’offrir un repas le midi. Cela fait des mois que cette assistante administrative de 49 ans saute le déjeuner.

D’ordinaire, cette Parisienne s’achetait un paquet de pain de mie, du jambon et du fromage à tartiner et elle apportait tous les jours un sandwich au travail, où la cantine a toujours été hors budget pour elle. Le repas y vaut 7 ou 8 euros. « Avec un euro de pain de mie, deux euros de jambon et deux euros de fromage, je tenais une semaine. »

Désormais, même ça, c’est trop. Avec son salaire de 1 700 euros net, elle doit débourser 900 euros pour un F2 dans le Nord-Est parisien. Sans compter les factures.

Pour colmater sa faim, Éloïse se gave de boissons chaudes, « des chocolats crémeux consistants » disponibles à volonté au bureau. D’autres jours, elle profite des viennoiseries que des collègues apportent au bureau pour se nourrir un peu.

Éloïse est percutée par l’inflation galopante. Comme les personnes qui ont répondu à notre appel à témoins dans le Club. Parmi les témoignages reçus, une mère célibataire, bénéficiaire du Secours populaire, confie arriver toujours la dernière pour être servie au cas où il resterait des produits de fin de consommation. Elle se réfugie aussi à la médiathèque « pour avoir la bonne température quand [elle] ne fai[t] rien ».

Selon l’Insee, l’inflation des prix de l’alimentaire atteint 14,5 % sur un an et percute les Français·es de plein fouet. Du jamais-vu.

Le glissement opère en cercles concentriques. Les plus aisés qui ne jetaient jamais un œil aux prix y font davantage attention. Les classes moyennes qui s’en sortaient sans trop d’encombres ni privations commencent à tirer la langue. Les plus vulnérables vivent un casse-tête et ne savent plus quoi sacrifier pour s’en sortir. En parallèle, les vols à l’étalage ont augmenté de 14 % en 2022 selon le ministère de l’intérieur, même s’il reste difficile de relier cette hausse à la seule inflation de manière indiscutable.

Le 13 mars, le Secours catholique a interpellé le gouvernement dans un communiqué lui demandant « une action rapide et structurelle, en augmentant les ressources des personnes en situation de précarité de façon pérenne », notamment les minima sociaux. L’association demande autre chose que les paniers anti-inflation mis en place par le ministre de l’économie Bruno Le Maire.

Couper tout ce qui dépasse

En octobre, après une fin de mois particulièrement compliquée, Léa, 20 ans, étudiante en littérature à Strasbourg, a réalisé qu’elle n’avait plus assez d’argent pour acheter de la nourriture à son chat. Elle s’est résolue à une décision inédite pour elle. « J’ai commencé à voler dans les grandes surfaces quand j’ai constaté la hausse des prix, car ce n’était plus possible. »

Puis la jeune femme marque un temps d’arrêt dans son récit. « Je le fais, contrainte, pour manger décemment, parce qu’il y a des fois où je n’ai juste pas les moyens. » Elle prend dans les rayons « tout ce qui va être un peu plus cher, des produits d’entretien, la lessive, les choses comme ça, les gels douche, les déodorants et les protections périodiques ».

Sa mère a longtemps travaillé dans la grande distribution, elle lui a raconté qu’une marge était prévue dans les magasins pour prendre en compte le vol. De quoi lever tous ses scrupules. Les caisses automatiques, où certains articles peuvent ne pas passer au scanner de manière discrète, sont une aubaine pour le vol.

Ses seuls revenus proviennent de sa bourse, échelon 5 soit 430 euros par mois. Un peu plus que son loyer de 409 euros. Les 220 euros d’allocation pour le logement (APL) l’aident un peu. Mais il y a les factures incompressibles (électricité, Internet, téléphone, livres pour la fac…). De plus, son prêt étudiant de 4 000 euros, contracté pour financer ses études, s’essouffle. Elle n’a pas trouvé d’autre solution.

J’arrivais encore à m’offrir deux, trois bêtises dans l’année.

La « dégringolade » d’Éloïse – ce sont les mots de l’agente administrative de 49 ans – a commencé il y a cinq ans après son divorce. Elle vit avec son fils étudiant boursier de 19 ans qui touche 100 euros par mois et 120 euros de pension de son père. « Je ne suis pas à l’aise, déjà, de base. Mais jusqu’au Covid, j’arrivais encore à gérer, à mettre un peu de côté pour les coups durs. » Ce temps-là est fini. Puis, la guerre en Ukraine, l’inflation intenable sont survenues.

Depuis, Éloïse compte les centimes et ne compte plus les sacrifices. Ses courses hebdomadaires habituelles d’une valeur de 80 euros d’ordinaire coûtent aujourd’hui 120 euros. La femme dresse une longue liste de privations. Elle a tiré un trait sur la manucure chez qui elle allait une ou deux fois par an. Idem pour le coiffeur. Elle compare sa coiffure à « une espèce de champignon » indéfini, faute de coupe.

Ses chaussures sont un cadeau d’anniversaire de ses parents, après avoir usé les siennes jusqu’à l’os durant cinq ans. Elle se défend d’être superficielle mais tout ça reste important pour elle. « Ça paraît bête, mais c’est ultra-symbolique. J’arrivais encore à m’offrir deux, trois bêtises dans l’année. » 

Ôter un paquet de gâteau, différer l’achat de la lessive, acheter un déodorant pour son fils seulement et attendre le mois prochain pour prendre le sien. Est-il au courant de ces arbitrages incessants ? Éloïse pense que oui. « Il voit bien le frigo de toute façon… »

Dans La Promesse de l’aube, le roman autobiographique de Romain Gary, l’auteur surprend sa mère qui l’élève seule saucer avec délectation la poêle qui a servi à cuire le steak qu’il a mangé plus tôt. Elle prétendait n’aimer que les légumes et plus la viande. Le mensonge protecteur est dévoilé.

Katya, 52 ans, confie opter pour la même stratégie. Cette mère isolée au RSA ne consomme plus de produits carnés. À 19 ans, son fils est étudiant et travaille à temps partiel. Il donne à sa mère de quoi faire des courses et elle en a honte. Comme Éloïse, elle ne fait qu’un repas par jour, seulement le soir. Au menu, des pâtes ou un peu de riz mélangé à des lentilles car « ça cale ».

La quinquagénaire repousse au maximum l’échéance d’aller au magasin. Elle attend que ses placards soient vides pour se ravitailler. « On se débrouille comme on peut. Quand il n’y a plus de lessive, on lave son linge avec trois gouttes de liquide vaisselle. Les prix sont devenus trop excessifs en magasins discount. On ne sait plus où aller faire les courses. Alors on fouille son appartement en dénichant des choses que l’on vend sur Le Bon Coin, pour quelques euros. Je suis pourtant une petite mangeuse de nature, ne mange jamais de superflu… mais même comme ça c’est très difficile. » 

De son côté, Elissa*, autrice de 36 ans, bénéficiaire de Pôle emploi, se décrit en situation de fragilité. Avec 1 600 euros net, elle aussi coupé une partie de ses loisirs et sorties. Celle qui a vu sa facture d’alimentation augmenter de 20 euros par semaine. Elle témoigne de ses nouveaux réflexes de consommation et se restreint pour « pouvoir prévoir l’imprévu ».

Vivre à Paris est onéreux. La jeune femme « délocalise » ses courses en banlieue, où tout est moins cher, dès qu’elle le peut. Cette Parisienne recense une foule de renoncements, des plus anodins comme ce fromage qu’elle a reposé car trop cher. « C’était une des premières fois où je me suis empêchée de prendre quelque chose. J’ai appris à ne quasiment plus mettre le chauffage, car ma facture a presque doublé. Je mets plusieurs pulls. À force, avoir froid est devenu un inconfort admissible… »

Les visites chez ses parents sont vécues comme « des parenthèses enchantées » où elle ne se pose plus de questions sur ce qu’elle va manger ou sur les prix.

Quand ses deux enfants étaient petits, Laurence* désertait souvent, pendant une semaine, la boîte aux lettres pour esquiver les factures dont elle ne pouvait pas toujours s’acquitter. Mère isolée, elle a fait comme elle a pu. À 66 ans, Laurence, qui travaille dans l’administration dans l’Hérault, souffre d’une angoisse continue. Elle a l’impression qu’elle va revivre ce cauchemar.

Elle appréhende son prochain départ à la retraite et la perte de revenus afférente. Comme de nombreuses femmes, elle a connu une carrière hachée. De 1 700 euros, elle va devoir vivre avec 1 250 euros. Avec un loyer de 530 euros et 100 euros de mutuelle, le calcul est vite fait. « C’est un traumatisme qui remonte », insiste-t-elle.

Elle doit continuer d’économiser malgré l’inflation qui mange ses ressources. Les dépenses les plus superflues ont déjà sauté. Elle a résilié ses abonnements à des revues, n’achète plus de livres et ne fréquente plus les concerts de musique classique qu’elle aimait tant.

Je sais que, personnellement, si je ne volais pas dans les magasins, je ne mangerais peut-être pas à ma faim.

Comme les autres, Laurence a développé une multitude d’astuces pour rogner par-ci par-là. Elle ne chauffe pas son logement car l’immeuble est bien isolé. Elle fait ses courses au jour le jour, pour bénéficier des promotions à moins 25 % sur les produits frais à date de péremption proche. Laurence mange toujours froid pour éviter de réchauffer les aliments. Sa plaque électrique consomme beaucoup trop pour que ce soit rentable.

Au quotidien, la sexagénaire se contente de boîtes de conserve, souvent des saucisses lentilles. Un ami lui a aussi livré une astuce pour varier ses repas. Il suffit de faire tremper des pâtes toute la nuit dans l’eau pour qu’elles se ramollissent totalement, comme si elles avaient été cuites. Mais ça ne fonctionne pas pour le riz, prévient-elle. « Je me fais une tisane à chaque repas, comme ça je n’ai pas mal au ventre et j’ai une sensation de chaleur dans la bouche. »

« Avant », reprend Éloïse, il suffisait de freiner sur les loisirs, les restaurants pour tenir. « On était sur du surplus dont on apprenait à se passer. Là, on est en train d’apprendre à se passer des choses qui sont complètement vitales. »

Certaines dépenses sont toutefois impossibles à sacrifier.

Depuis six mois, la thérapie est devenue indispensable à Léa, l’étudiante contrainte de voler pour manger. Elle souffre d’une dépression et d’un trouble anxieux. La pression scolaire, les années Covid – elle était en terminale lors du premier confinement – et d’autres événements personnels l’ont fragilisée. S’inquiéter pour manger n’aide pas non plus à la sérénité. « Ça me coûte environ 120 euros par mois, ce qui fait qu’il ne me reste plus grand-chose pour moi. »

Le thérapeute lui avait prescrit une séance par semaine, elle ne peut se le permettre, elle se contente de deux fois par mois.

Mais soigner sa tête, c’est avoir des difficultés pour se remplir le ventre. « C’est vraiment compliqué, je vais le plus souvent possible manger au Crous pour bénéficier du repas à 1 euro. Ça m’aide vraiment beaucoup. Et sinon, je sélectionne le moins cher, j’évite les écarts. Je sais que, personnellement, si je ne volais pas dans les magasins, je ne mangerais peut-être pas à ma faim. Ou je mangerais des pâtes seulement. Et ce serait absolument dramatique.  Malgré ça, je galère quand même. »

De guerre lasse, la jeune femme compte arrêter ses études pour trouver un travail. Peu importe lequel, Léa prendra ce qu’elle trouve.

Laurence, la future retraitée, est d’une certaine manière soulagée de devoir affronter cela toute seule. « C’est violent au point de vue politique de se retrouver avec une retraite de misère, mais je suis heureuse de ne pas avoir à faire vivre cela à des enfants. » 

publié le 13 mars 2023

La population fait bloc
derrière les grévistes

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Cette septième journée de mobilisation a rassemblé samedi un large public familial. Plus d’un million de personnes, selon la CGT, sont venues réaffirmer leur refus de la retraite à 64 ans et leur soutien au mouvement social. Reportage dans le cortège parisien.

Les énormes et structurés cortèges syndicaux qui ont battu le pavé mardi ont laissé place aux familles avec poussettes et pancartes faites maison. Le relais est passé, le soutien populaire à la mobilisation s’est exprimé ce samedi 11 mars.

De quoi réchauffer le cœur de Cécile et d’Évelyne, deux institutrices, grévistes, qui cheminent de concert dans les rues parisiennes. « Il n’y a pas un parent d’élève qui ne nous soutienne pas », assure la première. « Cela a donné le courage à pas mal de collègues de faire grève », renchérit la seconde.

La journée de mardi a en effet enregistré 60 % de grévistes dans l’éducation nationale. Les colères s’accumulent : à la réforme des retraites s’est ajoutée la réception de la nouvelle carte scolaire, avec son cortège de suppressions de classes et de postes.<< Nouvelle zone de texte >>

« Et puis là il y a le bac qui arrive. J’ai une copine qui fait grève et qui assure quand même ses cours aux classes de terminale », précise Évelyne. Cécile acquiesce : « On veut se mobiliser, durcir le mouvement, mais on est un service public, ça a encore un sens, c’est avant tout le public qu’on pénalise. »

« Quand on dit que “ça va péter” »

Voilà une considération que connaît bien Nathalie, syndiquée à la FSU. Cette assistante sociale a une manière bien à elle d’exprimer le problème : « Quand je fais grève, les seuls que ça dérange, c’est les plus précaires. Vous croyez vraiment que Macron et Roux de Bézieux en ont quelque chose à faire quand les travailleurs sociaux débrayent ? Mais on n’a pas le choix », tranche-t-elle.

Elle prend une grande inspiration et s’imagine à 63 ans, épuisée, en plein burn-out… « Comment pourrais-je encore aider les gens qui en ont besoin ? C’est moi qui aurai besoin d’aide. » Le large soutien populaire au mouvement social, partout en France, la rassure.

Elle voudrait trouver des moyens de soutenir davantage ceux qui peuvent vraiment bloquer le pays. « Quand on dit que “ça va péter”, souvent on ne veut pas vraiment tout casser. Mais parfois, on n’a pas le choix », répète-t-elle.

Sentir le soutien populaire, s’en nourrir, se réconforter

Loin devant, en tête de manifestation, sous les ballons rouges de la CGT Île-de-France, Didier a l’air un peu fatigué. Il fut de toutes les journées de mobilisation, de tous les défilés depuis le 19 janvier et aurait bien passé ce samedi en famille. Travailleur et militant chez Enedis, c’est aussi l’un des 300 à avoir participé à l’action coup de poing au Stade de France jeudi.

Bravant la fatigue, il est venu sentir le soutien populaire, s’en nourrir, se réconforter. « C’est important, sans ce soutien, on ne serait pas là », lâche-t-il. Quand on parle de durcir le mouvement, Didier et ses camarades sont en première ligne. « On va multiplier les actions, les coupures de courant ciblées, revendiquées. On va aussi débrancher les compteurs d’hôpitaux, de boulangers et d’artisans pour qu’ils aient l’électricité gratuite, c’est populaire mais ça ne se voit pas beaucoup. Par contre, si ça continue, si ça se tend encore, il y aura sûrement des actions incontrôlables », prévient-il.

Avec ses près de trente années de militantisme à la CGT derrière lui, Didier est un peu résigné à rester en première ligne. Il comprend en tout cas ceux qui ont peur des répercussions : « On a tellement vu de conseils de discipline, de camarades licenciés… Ce couperet fait peur. »

« Si tu as 50 ou 100 balles à mettre dans une caisse de grève, c’est bien, mais ça veut surtout dire que tu as les moyens de faire grève ! »

À côté, Rudy, technicien de maintenance à la RATP et également militant CGT, n’est pas aussi conciliant. Pour lui, le simple soutien n’est plus suffisant et la situation exige davantage. Le terme de « grève par procuration » commence à l’agacer. « Si tu as 50 ou 100 balles à mettre dans une caisse de grève, c’est bien, mais ça veut surtout dire que tu as les moyens de faire grève ! Et ça ne te coûtera pas plus cher de descendre dans la rue », résume-t-il.

Place de la République, sa fille sur les épaules, sa mère à sa gauche, les trois générations de la famille de Mélanie s’apprêtent à rejoindre le cortège. Deux raisons ont décidé cette juriste, mère célibataire, à s’engager. « Déjà, j’ai calculé que si je voulais que ma fille puisse faire des études supérieures, je n’aurai jamais les moyens de m’arrêter, donc je n’aurai jamais de retraite », confie-t-elle.

Et de s’indigner : « Je suis sidérée par le mépris de ce gouvernement : plus de 90 % des travailleurs sont contre cette réforme et il s’en moque. En 1995, Juppé était tombé pour moins que ça ! »


 


 

Soutenir les grévistes
contre la réforme des retraites :
les caisses de solidarité, mode d’emploi

sur https://basta.media/

Pour que les grèves contre la réforme des retraites puissent durer, les syndicats ont mis en place ou relancé des caisses de solidarité. Des centaines de milliers d’euros sont déjà collectés. Explications et liens pour contribuer.

« Voici une idée que vous jugerez certainement irréaliste, car cela nécessiterait une unité et une solidarité nationales, au-delà des divergences syndicales et professionnelles…, nous écrivait un lecteur il y a quelques semaines. Le principe serait de lancer un mouvement de grève uniquement dans les secteurs d’activités susceptibles de bloquer l’économie du pays. Dans le même temps, une caisse de solidarité serait créée avec appel national aux dons afin d’indemniser les grévistes. » Le principe existe bel et bien déjà et s’appelle la « caisse de grève ».

Les caisses de grève avaient déjà joué un rôle central dans le mouvement contre la réforme des retraites de 2019. Elles avaient alors collecté plusieurs millions d’euros pour aider les grévistes mobilisés à tenir dans la durée. Cet élan solidaire est à nouveau à l’ordre du jour aujourd’hui, contre la nouvelle réforme des retraites d’Emmanuel Macron, qui veut relever l’âge de départ à 64 ans.

Des caisses de solidarité pour les grévistes, il en existe depuis le 19e siècle déjà. La CFDT en a une permanente, la Caisse nationale d’action syndicale, tout comme Force ouvrière avec son fonds de solidarité de grève confédéral.

En 2016, au moment des mouvements de grève reconductibles liés à la loi travail, la CGT Infocom (fédération du syndicat qui regroupe les professions de l’informatique, les journalistes, etc.) avait créé une caisse de grève interprofessionnelle et intersyndicale sous forme d’association, la Caisse de solidarité.

« Ne pas favoriser la grève par procuration »

Cette caisse a depuis soutenu de multiples mouvements : celui contre la réforme des retraites de 2019 évidemment, mais aussi les grévistes de Geodis ou de Total à l’automne dernier (toutes les grèves soutenues sont mentionnées sur cette page). La Caisse de solidarité est à nouveau à pied d’œuvre face au mouvement actuel. Depuis 2016, elle a récolté plus de 4,7 millions d’euros, et a aujourd’hui plus de 800 000 euros disponibles en soutien aux grèves contre la réforme des retraites version 2023.

La CGT a aussi lancé sa propre caisse de grève pour le mouvement, « pour gagner une réforme des retraites plus juste et plus solidaire ». Celle-ci a déjà réuni plus de 700 000 euros.

« La grève est un outil puissant dans les mains des travailleuses et des travailleurs. Évidemment, la grande difficulté pour les salarié·es, c’est la perte de revenu, souligne le syndicat Solidaires. C’est dans ce cadre que les caisses de grève peuvent être un outil important de la lutte… si on prend bien garde à ne pas favoriser la grève par procuration, où certain·es feraient grève, tandis que d’autres alimenteraient les caisses plutôt que la grève ».

La fédération Solidaires de l’Éducation nationale a notamment mis en place une caisse spécifique pour les grévistes du secteur. Il existe par ailleurs des caisses de grève locales de Solidaires. Le site « Caisses de grèves autogérés » recense aussi une multitude de caisse de grèves sectorielles ou locales.


 

Les différentes caisses où on peut donner

 La caisse en ligne de la CGT ou par chèque via le site de la CGT.

 La Caisse solidaire interprofessionnelle et intersyndicale https://www.caisse-solidarite.fr/

 La caisse de Sud-Éducation

 Tous les liens des caisses locales de Solidaires sont à retrouver ici

 La caisse de Sud-Rail

 Caisse de grève queer

 La caisse de grève mise en place par la France insoumise

 Le site qui recense différentes caisses de grèves

publié le 13 mars 2023

Le harcèlement
contre Salah Hamouri
se poursuit en France

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Dix-neuf associations et organisations syndicales ont écrit à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour lui demander de protéger la liberté d’expression et de réunion alors que des pressions s’exercent pour empêcher les villes d’organiser des rencontres avec l’avocat franco-palestinien

Depuis qu’il a été déporté par les autorités israéliennes et revenu en France, Salah Hamouri doit de nouveau affronter les soutiens les plus zélés à Israël. Parmi eux, on ne trouve pas que Meyer Habib, grand copain de Netanyahou et dont les photos le montrent aux côtés de l’actuel ministre d’extrême-droite Bezalel Smotrich.

Il y a d’abord le mininstre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui s’est activé pour faire en sorte qu’une table ronde sur les accords d’Oslo prévue à Lyon en présence de l’avocat franco-palestinien et défenseur des droits humains, ne puisse se tenir. Parlant de « projet mortifère », il laissait entendre qu’une telle réunion relevait de l’antisémitisme.

Les menaces se multiplient via les réseaux sociaux

Le même Darmanin a avait été saisi par un député macroniste, Mathieu Lefèvre. Un parlementaire qui reprend d’ailleurs, sans ciller, des tweets de la « Brigade juive », groupe sioniste ultra-violent. L’attitude des membres de Renaissance est d’ailleurs sans ambiguïté, à l’instar de Deborah Abisror-de Lieme. Candidate dans la 8e circonscription des Français de l’étranger (celle où était élu Meyer Habib qui se représente), elle a, en février dernier, indiqué qu’elle considérait Salah Hamouri comme un « terroriste ».

Tout est fait aujourd’hui pour tenter d’empêcher Salah Hamouri de s’exprimer en France. Les menaces se multiplient via les réseaux sociaux, sans doute encouragées par l’attitude du ministre de l’Intérieur.

Devant cette situation, dix-neuf associations et organisations syndicales ont écrit (voir ci-dessous) à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour lui demander de protéger la liberté d’expression et de réunion, de clarifier la position du gouvernement sur Salah Hamouri, et de renoncer à tout amalgame entre la critique de l’État d’Israël et la lutte légitime contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme.


 


 

Le droit de s’exprimer et de se réunir sur la question palestinienne en France : 19 organisations écrivent à la Première ministre

sur https://www.ldh-france.org/

Lettre ouverte de 19 associations, dont la LDH, et organisations syndicales

Alors que le gouvernement israélien, massivement contesté en Israël même, s’est engagé dans un développement accéléré de la colonisation et une répression sans limite contre les Palestiniens, on assiste en France à des prises de position inquiétantes pour nos libertés : des pressions inadmissibles ont abouti à l’annulation d’une réunion à Lyon, le ministre de l’Intérieur s’est associé à ces pressions en reprenant le narratif israélien contre notre compatriote Salah Hamouri, et des député-es, notamment de la majorité présidentielle, s’attaquent à leurs collègues dès qu’elles font entendre une voix critique par rapport à la politique israélienne.

C’est dans ce climat inquiétant que 19 associations et organisations syndicales ont écrit à la Première ministre pour lui demander d’agir en tant que cheffe du gouvernement et cheffe de la majorité. Ils lui demandent de protéger la liberté d’expression et de réunion, de clarifier la position du gouvernement sur Salah Hamouri, et de renoncer à tout amalgame entre la critique de l’État d’Israël et la lutte légitime contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme.

La lettre des 19 organisations, envoyée le lundi 6 mars, n’ayant toujours pas reçu de réponse, les organisations signataires ont décidé de la publier.

 

Madame la Première ministre,

Le 29 décembre dernier, l’État d’Israël s’est doté du gouvernement le plus marqué par l’extrême-droite de son histoire, au sein duquel des ministres condamnés pour incitation à la haine raciale occupent des responsabilités clés dans l’oppression du peuple palestinien. Ce gouvernement fait aussi figurer le développement de la colonisation de peuplement, qui constitue un crime de guerre, au premier rang de ses priorités. Les derniers événements à Huwara confirment malheureusement l’extrême menace que constitue cette politique pour le simple respect des droits humains.

Dans ces circonstances, on aurait pu penser que les partisans inconditionnels de la politique de l’État d’Israël feraient preuve d’une relative discrétion. Il n’en est malheureusement rien, et l’on voit se développer, au sein de votre gouvernement comme au sein de la majorité présidentielle, des pratiques qui sont à l’opposé des valeurs de notre République et qui menacent directement nos libertés.

Nous avons été particulièrement surpris et indignés d’entendre le ministre de l’Intérieur, lors de la séance des questions au gouvernement du 31 janvier, reprendre les positions des partisans les plus inconditionnels de la politique de l’État d’Israël, annoncer qu’il aurait fait interdire la réunion prévue par le maire de Lyon, tenir des propos haineux à l’encontre de Salah Hamouri et faire un amalgame honteux entre la critique de la politique de l’État d’Israël et l’antisémitisme. Il agissait ainsi en contradiction avec la décision du Tribunal administratif de Lyon. De plus, en mettant en avant l’argument des troubles à l’ordre public, il donnait une prime aux potentiels fauteurs de trouble au lieu de garantir la liberté d’expression.

Dans le même état d’esprit, des député·es de votre majorité, et même la Secrétaire générale du groupe Renaissance, multiplient les propos haineux et diffamatoires contre Salah Hamouri et se livrent sur les réseaux sociaux à des campagnes d’intimidation contre tous et toutes les député·es qui osent contester la politique du gouvernement israélien d’extrême-droite ou marquer leur soutien aux droits du peuple palestinien. Ils et elles pratiquent de la manière la plus éhontée l’amalgame entre la critique de la politique de l’État d’Israël et l’antisémitisme, alors même que cette politique est actuellement fortement contestée en Israël même.

Les attaques nombreuses, répétées, diffamatoires contre Salah Hamouri, de la part du ministre de l’Intérieur comme de député·es de la majorité inconditonnel·les de la politique de l’État d’Israël, vont à l’encontre de la politique affichée par le gouvernement et le président de la République. Faut-il rappeler que la France a condamné l’expulsion de Salah Hamouri, et a demandé à Israël qu’il puisse vivre librement à Jérusalem avec sa famille ? Faut-il rappeler que Salah Hamouri a été reçu au Parlement européen, qu’Amnesty International, qui met en œuvre des critères stricts et des enquêtes approfondies, le soutient en tant que défenseur des droits humains, et qu’il a reçu en décembre 2022 le prix des droits humains Engel – du Tertre de la fondation ACAT ? Et qu’il est également soutenu par la FIDH, directement et par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains ? Faut-il rappeler que, dans le passé, Salah Hamouri a tenu des dizaines de réunions publiques en France sans qu’aucune pose le moindre problème ? Avez-vous mesuré votre responsabilité, celle du gouvernement comme celle de plusieurs député·es de la majorité présidentielle, dans l’instauration d’un climat de haine qui peut même mettre en péril son intégrité physique ?

Il est important de s’arrêter sur les accusations d’antisémitisme portées contre toute personne qui conteste la politique de l’État d’Israël. Cet amalgame est une tactique constante de l’État d’Israël pour assurer son impunité face à ses violations constantes du droit international et des droits humains. Nos organisations, comme l’écrasante majorité du mouvement de soutien aux droits du peuple palestinien, sont particulièrement vigilantes contre toute manifestation d’antisémitisme. Nous tenons à vous mettre en garde contre la définition controversée dite « IHRA » de l’antisémitisme, et vous rappeler que les « exemples » associés à cette définition ont été explicitement exclus du vote de l’Assemblée nationale du 3 décembre 2019.

Dans un tel climat, nous vous demandons, Madame la Première ministre, d’agir de toute urgence pour que cessent ces menaces, ce climat d’intimidation et de chasse aux sorcières, au service de l’impunité d’un État tiers qui viole quotidiennement le droit international et les droits humains. Il y a là une menace contre la démocratie et l’image de la France dans le monde que nous vous demandons de prendre en considération.

Nous vous demandons également d’agir, Madame la Première ministre, pour que cessent les menaces et les diffamations contre notre compatriote Salah Hamouri, expulsé par Israël. Après avoir été interdit de vivre à Jérusalem-Est occupée et annexée, et d’y exercer son métier d’avocat pour les droits humains, Salah Hamouri est maintenant menacé d’interdiction de s’exprimer en France même. La position de votre gouvernement à son sujet doit être clarifiée : les propos tenus dans l’enceinte du Parlement français par le ministre de l’Intérieur ne peuvent rester sans réponse et correction.

Nous vous demandons d’agir plus largement pour protéger la liberté d’expression, et particulièrement la libre expression d’opinions politiques s’agissant d’Israël et de la Palestine. Les amalgames constamment entretenus entre la critique de l’État d’Israël et l’antisémitisme ne sont pas seulement une menace vis-à-vis de la liberté d’expression : ils affaiblissent la lutte indispensable contre l’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme, ils menacent nos valeurs républicaines et la cohésion de notre société.

Dans l’attente des suites que vous donnerez à nos demandes, nous vous demandons de bien vouloir nous recevoir et restons à votre disposition pour tout élément complémentaire à l’appui de notre analyse et de nos demandes.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Première ministre, l’expression de notre très haute considération.

Copies :

Monsieur le Président de la République

Monsieur le ministre de l’Intérieur

Madame la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères

Signataires :

Bertrand Heilbronn, président de l’Association France Palestine Solidarité

François Leroux, président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine

Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)

Philippe Martinez, Secrétaire général de la Confédération générale du travail

Benoît Teste, Secrétaire général de la Fédération Syndicale Unitaire

Cybèle David, Secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires

Thierry Jacquot, Secrétaire national aux questions internationales de la Confédération paysanne

Hervé Le Fiblec, Secrétaire national du SNES-FSU

François Sauterey, co-président du Mouvement contre le Racisme et pour l’amitié entre les peuples

Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la Paix

Pascal Lederer, et Oliver Gebuhrer, co-animateurs d’une Autre Voix Juive

Serge Perrin, animateur du réseau international du Mouvement pour une alternative non-violente

Fayçal Ben Abdallah, président de la Fédération des Tunisiens pour une communauté des deux Rives

Nacer El Idrissi, président de l’Association des Travailleurs maghrébins en France

Ivar Ekeland, président de l’Association des Universitaires pour le respect du droit international en Palestine

Lana Sadeq, présidente du Forum Palestine Citoyenneté

Perrine Olff-Rastegar, porte-parole du Collectif judéo-arabe et citoyen pour la Palestine

Maurice Buttin, président du Comité de Vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient

Raphaël Porteilla, membre du Bureau national du Mouvement de la Paix

Paris, le 6 mars 2023

publié le 12 mars 2023

« La colère est toujours là » : contre la réforme des retraites, les manifestants refusent de se résigner

Christophe Gueugneau et Dan Israel sur www.mediapart.fr

Partout en France, la septième journée de mobilisation a donné lieu au même constat ce samedi : le mouvement social, bien que moins fourni, ne désarme pas. Emmanuel Macron, lui, avance imperturbablement, comptant faire adopter son texte le 16 mars. L’intersyndicale demande désormais une « consultation citoyenne ».

Sur le pavé parisien, Delphine et Émilie, enseignantes en collège et maternelle, en sont à leur cinquième mobilisation contre la réforme des retraites. Mais ce samedi 11 mars, elles avouent finir par douter de l’efficacité des manifestations. « C’est clair que le mépris affiché par le président pousse à aller plus loin », glisse l’une. « Je cherche des solutions tout en restant dans la légalité, je ne veux pas finir en prison », énonce l’autre. Toutes les deux disent « se questionner » sur leur vote au second tour de la présidentielle, en faveur d’Emmanuel Macron.

Leur sentiment reflète bien l’humeur – aussi changeante que la météo au-dessus des cortèges sur tout le territoire – des participant·es à cette septième journée de mobilisation. Exactement un mois plus tôt, le 11 février, le nombre de Parisien·nes ayant répondu à l’appel des huit syndicats de travailleurs et travailleuses n’avait jamais été aussi grand depuis plus de trente ans. Et le 7 mars, quatre jours avant ce samedi maussade, le record pour toute la France avait été dépassé selon les chiffres du ministère de l’intérieur, pour la deuxième fois depuis la deuxième journée de mobilisation le 31 janvier.

Les chiffres annoncés par le ministère de l’intérieur pour ce 11 mars ne sont pas aussi exceptionnels : 368 000 personnes sur tout le territoire, dont 48 000 à Paris – soit la plus faible affluence depuis le début du mouvement. La CGT a quant à elle dénombré plus d’un million de participant·es sur tout le territoire, et 300 000 à Paris.

Pourtant, en une poignée d’heures, le bras de fer s’est encore durci. Et le pouvoir, raidi. Vendredi 10 mars, le gouvernement a déclenché la procédure de « vote bloqué », autorisée par l’article 44-3 de la Constitution : les sénateurs n’auront droit qu’à un seul vote sur l’ensemble du texte. Lequel devrait être adopté d’ici dimanche soir à la Chambre haute, comme attendu par le gouvernement, pour être définitivement validé jeudi 16 mars, le lendemain d’une nouvelle (et ultime ?) journée de manifestation.

Emmanuel Macron a aussi répondu vendredi, par deux fois, à la demande pressante des dirigeants de l’intersyndicale qu’il les reçoivent à l’Élysée. Dans un courrier, il a refusé toute rencontre au motif qu’il entend respecter « le temps parlementaire ». Lors d’une conférence de presse avec le premier ministre britannique, Rishi Sunak, qu’il recevait à Paris, le chef de l’État a ensuite déclaré que la réforme devait aller à son « terme ». Quant aux questions sur la nécessité éventuelle de recourir à l’article 49-3 à l’Assemblée nationale, pour faire adopter définitivement le texte sans majorité parlementaire, il a rétorqué qu’il ne ferait « pas ici de politique-fiction ».

La volonté du président d’avancer coûte que coûte n’a pas échappé à Claude, Marie-Claire, Brigitte et Djida, manifestantes à Paris samedi. Chasuble orange CFDT sur le dos, elles qui ont dépassé la cinquantaine exercent un travail physique pour le compte d’associations franciliennes. Et elles ne décolèrent pas.

« Les gens sont en train de se résigner, ils comprennent que la réforme va passer. Mais on continuera à se battre jusqu’au bout, même s’ils nous méprisent. La colère est toujours là », lâche l’une. « Tout le monde sait qu’après 55 ans, pour les employeurs, on est de la merde. On attend quoi, qu’on soit au chômage plus longtemps en fin de carrière ? », clame l’autre. « Nous représentons les fameux travailleurs invisibles de la pandémie, ceux qu’on était censé récompenser. Et voilà notre récompense, deux ans de travail de plus. Et encore, on ne vous a pas parlé du niveau de retraite des femmes… Tout ça est lamentable », grondent en chœur leurs amies.

Les syndicats dénoncent le « double bras d’honneur » du président 

Dans le carré officiel en tête de manifestation, les dirigeants syndicaux utilisent des termes à peine plus policés. Tous évoquent « un double bras d’honneur » du président, au Parlement et au mouvement social. « Dans la réponse à notre lettre, le président nous explique qu’il faut respecter le “temps parlementaire”. Mais au moment même où j’ai reçu le mail contenant sa réponse, j’entendais Olivier Dussopt annoncer l’utilisation de l’article 44-3 au Sénat, qui empêche justement la discussion parlementaire, relate Frédéric Souillot, le dirigeant de FO. Ce qu’ils font, cela s’appelle du mépris. »

« Les remontées que nous avons de nos militants, c’est une forme de sidération devant les non-réponses du gouvernement, renchérit Laurent Berger pour la CFDT. On a un mouvement social jamais vu, des procédures parlementaires très bousculées, et 90 % de la population active qui est opposée à cette réforme. Et on a un pouvoir qui nous dit “non non, on continue”. Il y a un déni de la démocratie sociale qui vient de s’opérer, et un mépris de toute la population. »

« La réponse que fait le président de la République à notre courrier, c’est “allez vous faire voir”, tempête le leader de la CGT Philippe Martinez. Qu’est-ce qu’il faut faire de plus ? Il y a un risque que des citoyens, des salariés excédés, passent à autre chose. C’est peut-être ce que cherche le président de la République, d’ailleurs… »

L’inquiétude commence à être palpable sur les conséquences possibles de cette fin de non-recevoir du pouvoir. Et l’analyse est partagée d’un bout à l’autre de l’intersyndicale, y compris par ses membres réputés les plus sages.

« On aborde une phase dangereuse. S’ils misent sur la résignation, ils ont tort : la colère sera plus forte que la résignation, et c’est dangereux pour notre pays, considère ainsi Laurent Escure, le patron de l’Unsa. Il y aura des rebonds de cette colère, même si la réforme passe. »

Pascale Coton, spécialiste respectée du dossier des retraites à la CFTC, et secrétaire générale du syndicat chrétien de 2011 à 2015, pointe sans détour le risque de voir renforcé le Rassemblement national : « Ils sont en train d’installer au pouvoir un autre parti. » Sentiment partagé par Benoît Teste, le dirigeant de la FSU, premier syndicat de l’enseignement : « Le déni de démocratie, ça fait peur. Derrière, le risque du RN est énorme. »

François Hommeril, à la tête de la CFE-CGC, décrit l’opposition syndicats-exécutif comme « deux trains qui avancent sur deux voies parallèles ». « On a essayé de jeter des ponts de l’une à l’autre, mais ça n’intéresse pas le président, il ne souhaite pas entrer en contact avec le pays réel », considère-t-il.

À la recherche d’une voie de sortie à cette confrontation qu’elle n’arrive pas gagner, l’intersyndicale a décidé de mettre une nouvelle demande sur la table : l’organisation d’une « consultation citoyenne » sur la réforme. « Il faut envisager la consultation du peuple », plaide Laurent Berger. « S’il est si sûr de lui, qu’il consulte les Français », gronde Philippe Martinez. « Mieux vaut une consultation citoyenne que la violence », insiste Frédéric Souillot. « C’est une voie nécessaire pour éviter que la crise sociale que nous traversons devienne une crise démocratique – et on en prend le chemin », estime Laurent Escure.

Il y a peut-être une forme de lassitude. On voit bien qu’il faut un nouveau souffle.

Cette demande découle aussi du constat que la tentative de « mettre le pays à l’arrêt » à partir du 7 mars n’a pas été concluante. Des grèves ont eu lieu, mais pas au niveau que pouvaient espérer certains parmi les plus radicaux des militants syndicaux. Comme Mediapart a pu le constater au Havre (Seine-Maritime), les grèves reconductibles n’ont pas attiré les foules.

Les seuls secteurs où le blocage se fait sentir sont l’électricité, où les travailleurs ralentissent nettement la production, les raffineries, qui ne sont pas stoppées mais où la distribution du carburant est bloquée, le ramassage des ordures dans certaines villes, et notamment à Paris où il est très perturbé, et la SNCF, où au moins un train sur deux est encore annulé ce week-end.

« Il y a peut-être une forme de lassitude, convient Benoît Teste. On voit bien qu’il faut un nouveau souffle et on a essayé de l’impulser le 7, mais on est retombé sur ce qui est la forme de ce mouvement : une journée de manifestations de masse, ce qui est excellent, mais qui ne renouvelle pas les choses. »

Des heurts avec la police inédits depuis le début du mouvement

Dans le cortège parisien, qui a avancé sur deux itinéraires différents entre la place de la République et celle de la Nation, on cherche aussi des alternatives pour se faire entendre. Beaucoup sont venus en famille ce samedi. Nelly, retraitée, Jérôme, technicien en lycée, et Orane, lycéenne, manifestent en famille et sur trois générations. Des trois, Nelly est sans doute la plus remontée : « Je viens défendre nos acquis et nos jeunes. Le pouvoir est méprisant, je crois vraiment que la seule solution, c’est de les prendre en otages, être plus méchants, je pense qu’on est trop gentils. »

Jérôme, son fils, temporise, et se dit « moins radical ». « Je pense que c’est ce qu’ils cherchent, ils sont provocateurs », se justifie-t-il. Pour Orane, c’est la première manifestation. « C’est important de savoir comment ça se passe. Au lycée on en parle très peu, mais je suis là pour mes parents qui ont des métiers fatigants », dit-elle. Aucun des trois ne croit réellement à l’organisation d’un référendum. Ce qui est sûr, pour Jérôme, c’est que les gens ne sont plus dans la rue uniquement pour les retraites, mais aussi pour dénoncer « une façon de gouverner »

Sacha, la vingtaine, a participé à toutes les manifestations du mouvement. Pour lui, le « référendum serait une porte de sortie ». « Mais ce ne sera jamais fait », anticipe-t-il. Son seul espoir est qu’un « vrai mouvement insurrectionnel » se mette en branle.

Tout comme Thierry, la quarantaine, qui manifeste en famille avec femme et enfants. Journaliste pour une radio privée, il a déjà « perdu sept jours de paie pour faire la grève ». Il pense lui aussi qu’on ne pourra pas « échapper au blocage du pays ». « Mais est-ce que les syndicats ont le pouvoir de lancer ça ? Je ne sais pas, reconnaît-il. En tout cas, le niveau de défiance est tel qu’on ne pourra pas en rester là, il y a une telle colère, presque une haine… »

Au fil du défilé, beaucoup citent cette confidence d’un conseiller de l’exécutif, relayée par L’Opinion, qui estime que la seule chose qui freinerait l’adoption de la réforme serait « un scénario extérieur, un mort dans une manifestation, un attentat… ».

Est-ce la conséquence du durcissement de la confrontation ? Un net regain de tension s’est fait sentir samedi à Paris, amplifiant ce qui était déjà devenu visible le 7 mars. Contrairement aux précédentes manifestations, les forces de l’ordre étaient plus présentes et plus proches des manifestants du cortège de tête, au contact, comme c’était déjà le cas lors des manifestations gérées par le précédent préfet de police de Paris, Didier Lallement.

À l’avant du cortège, des heurts ont éclaté assez tôt. Peu avant Bastille, des groupes organisés en black blocs ont envoyé des projectiles sur des forces de l’ordre, qui sont immédiatement intervenues en avançant dans le cortège. Celui-ci s’est retrouvé découpé en plusieurs tronçons jusqu’à la hauteur de la place de la Bastille, à quelques centaines de mètres. Des affrontements, épars mais parfois violents, se sont poursuivis tout au long de l’après-midi. Puis en fin de défilé, cet incident pas vu depuis longtemps à Paris : le carré officiel a été pris à partie par des membres des black blocs, au point que le service d’ordre syndical a joué de la gazeuse pour les éloigner.

Quoi qu’il se passe, Emmanuel Macron a déjà perdu, et nous avons gagné, c’est mon sentiment profond.

« On se sent floués, bafoués, piétinés. On a du mal à savoir quelle valeur on va transmettre à nos enfants », confie Gaëlle, responsable socioculturelle dans une association, venue avec Oli, sa fille de 6 ans, et avec son frère Jérémy, conducteur de travaux dans le bâtiment. « À la fin des années 1990, j’ai été très impliquée dans le soutien aux sans-papiers, et je venais souvent par ici, j’ai beaucoup manifesté, raconte la mère de famille. Et puis je suis partie plusieurs années en Bretagne, j’ai moins défilé, et j’ai même beaucoup douté de l’utilité des manifs. »

Mais Gaëlle a vécu un nouveau déclic le 19 janvier dans la capitale : « J’ai à nouveau ressenti l’enthousiasme des grands rassemblements, à quel point on pouvait être fort ensemble, et j’ai absolument voulu transmettre ça à mon enfant. J’espère que sa génération trouvera d’autres formes de luttes, qu’elle saura réinventer l’engagement. »

Cet embryon d’espoir se retrouve chez bien d’autres manifestant·es, parfois accompagné d’un réel optimisme sur la portée du mouvement. « Quoi qu’il se passe, Emmanuel Macron a déjà perdu, et nous avons gagné, c’est mon sentiment profond », clame, rayonnante, Stéphanie, enseignante-chercheuse et militante FSU à l’université Gustave-Eiffel de Marne-la-Vallée (Seine-et Marne).

« Les syndicats ont donné le cadre, les gens s’en sont saisi, unis. Les travailleuses et les travailleurs ont compris le sens du texte de loi, ils ont aussi découvert qu’ils pouvaient s’approprier une loi pour débattre de son contenu, énumère Stéphanie. La bataille de l’opinion, nous l’avions déjà remportée lors de la première tentative de réforme en 2019, mais là, cette victoire s’est consolidée. »

« Des collègues en fin de course, qu’on tient à bout de bras pour qu’ils puissent tenir jusqu’à 62 ans alors qu’ils travaillent plus lentement, on en connaît. Comment va-t-on faire si on doit tous continuer jusqu’à 64 ans ?, interroge son amie Samia, responsable administrative et syndicaliste CGT dans le même établissement. On n’y arrivera pas. Les ressources humaines ne savent pas quoi faire de ces travailleurs âgés, ils n’ont pas de poste pour les reclasser. »

Mais lorsqu’on interroge Stéphanie sur la possible impasse qui semble se dresser face au mouvement de contestation, elle corrige aussitôt : « Une impasse ? Mais c’est Emmanuel Macron qui est dans une impasse. S’il continue dans cette voie, c’est sa seule responsabilité. Beaucoup de gens ne peuvent jamais partir en vacances, la retraite est leur seul horizon pour profiter un peu. Et on leur recule cet horizon de deux ans ? C’est d’une violence incroyable. »

 

  publié le 12 mars 2023

Oleg Bodrov : « Les militaires annihilent toute perspective de dialogue »

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Guerre en Ukraine.  Le pacifiste Oleg Bodrov décrit une société russe caporalisée pour l’effort de guerre et en appelle à la solidarité internationale.

Moscou (Russie), envoyé spécial. Depuis l’invasion de l’Ukraine, décrétée par le président russe le 24 février 2022, le nombre de morts russes atteindrait 100 000. La société russe ne peut s’exprimer librement sur un tel sujet. Oleg Bodrov tente d’analyser ces douze derniers mois et estime que les sociétés civiles en Russie, en Ukraine, en Europe et aux États-Unis, restent le principal espoir de paix.

Quel est votre regard sur cette année de guerre ?

Oleg Bodrov : L’année écoulée a été l’année la plus difficile de ma vie. À cause de l’invasion russe de l’Ukraine, des centaines de milliers de citoyens ukrainiens et russes sont morts. Un Ukrainien sur trois a été contraint de quitter son domicile pour échapper à la guerre. Des centaines de milliers de jeunes ont quitté la Russie pour échapper à la mobilisation.

En quoi la société russe a-t-elle été impactée, voire transformée par ce conflit ?

Oleg Bodrov : À l’intérieur de la Russie, les fondements de l’interaction entre la société et le pouvoir ont été détruits. Le pouvoir s’est isolé des sociétés civiles et il a brisé l’information et sa liberté. Le pays s’est transformé en un gigantesque camp de concentration : la Constitution ne fonctionne plus, les tribunaux sont politiquement biaisés, tous les médias indépendants sont fermés, la propagande de guerre est menée sur les chaînes d’État. Les opposants publics à la guerre sont soit en prison, soit payent des amendes gigantesques qui servent à soutenir la guerre. Les autorités essaient de me transformer – ainsi que mes amis et partenaires pacifistes dans d’autres pays – en ennemi. Et, dans le même temps, il n’existe plus aucun tabou sur le nucléaire. La prise de contrôle par des militaires d’une centrale est révélatrice de ce basculement. La capture de Zaporijjia l’illustre. Cela signifie que toute l’Europe est comme minée par ces centrales nucléaires. C’est une menace pour la sécurité de centaines de générations futures de notre planète.

La paix semble s’éloigner au fur et à mesure que les semaines passent et que les massacres se multiplient…

Oleg Bodrov : Les politiciens actuels en Russie, en Ukraine et dans les pays de l’Otan manquent de volonté politique pour la paix. L’interaction des diplomates russes avec l’Europe et les États-Unis a été perdue. Le processus est dirigé par les militaires, qui ne peuvent que tuer et détruire. Je me sens responsable de ce qui se passe. C’est très difficile à vivre. La Russie et « l’Occident collectif » parlent de leur volonté de « se battre jusqu’à la victoire », mais personne ne dit ce que signifie cette victoire. Nous avons besoin de nouveaux acteurs, de nouvelles parties prenantes (la Chine, par exemple) pour changer la tendance actuelle – la violence – et revenir au dialogue. Cela permettrait ensuite la consolidation de la paix. Les représentants des organisations de maintien de la paix, des droits de l’homme et de l’environnement peuvent devenir de tels acteurs. La solidarité de la société civile en Russie, en Ukraine, en Europe et aux États-Unis est désormais le principal espoir. J’essaie d’initier une telle interaction.

La société russe semble être prête à une guerre longue. Qu’en pensez-vous ?

Oleg Bodrov : Malheureusement, oui ! Le 23 février, dans ma ville, Sosnovy Bor, un journal local a rapporté que 26 écoliers avaient prêté serment à l’organisation militaire d’enfants : Iounarmia (Jeune Armée). C’est-à-dire que dès l’enfance, sous le slogan du patriotisme, nos jeunes sont formés à une conscience militariste. Pire, la militarisation apparaît comme la principale tendance de la société russe contemporaine. Cela signifie que la guerre s’installe durablement dans notre pays ! Et cela ne dépend pas de la durée de la guerre en Ukraine.

Quelle est votre réaction à l’annonce de la suspension des accords Start ?

Oleg Bodrov : La suspension par la Russie de « l’accord sur les armements stratégiques offensifs » (Start III) signifie un nouvel élan à la course aux armements nucléaires et des turbulences politiques. Dans la société, l’idée de la possibilité de gagner une guerre nucléaire est promue, car la Russie a un potentiel suffisant. Je crois que le moment est venu de publier en Russie, en Europe et aux États-Unis un rapport sur les conséquences possibles d’une guerre nucléaire. Il est important que la société civile de notre planète soit solidaire et exige que les politiciens abandonnent ces plans absurdes.

publié le 11 mars 2023

Le gouvernement cache un rapport explosif sur la situation tragique de Mayotte

Fabrice Arfi et Nejma Brahim sur www.mediapart.fr

Santé, logement, sécurité, éducation, justice... Mediapart révèle un rapport rédigé en janvier 2022 par six ministères sur l’état de l’île-département. Son contenu est dévastateur pour l’État français. Il montre aussi que la seule approche sécuritaire proposée par Gérald Darmanin ne pourra suffire.

Le gouvernement conserve depuis janvier 2022, sans le rendre public, un rapport alarmant sur la situation de l’archipel de Mayotte, le département le plus pauvre de France, en proie à une situation dramatique dans les domaines de la sécurité, la santé, la justice et l’éducation nationale.

Mediapart a pu prendre connaissance de ce document rédigé par une mission spéciale, composée des inspections générales de six ministères (intérieur, justice, affaires sociales, finances, éducation et affaires étrangères), qui a auditionné plus de 300 personnes dans tous les corps de l’administration et de la société pendant plusieurs semaines.

Le diagnostic qu’il met en lumière, au travers de la situation des mineurs sur l’île, est dévastateur pour l’État français tant tout y semble incontrôlable : la précarité galopante, une politique migratoire contre-productive, une situation sanitaire alarmante et des violences partout prégnantes, le tout face à des réponses publiques largement sous-dimensionnées.

Dans ses conclusions, le rapport note que « le sentiment qui prédomine au sein des services de l’État est une forme d’impuissance face à l’ampleur des défis ». Stigmatisant une « absence de concertation sur les politiques publiques en direction de la jeunesse », il constate que « les dépenses de l’État sont proportionnellement plus faibles à Mayotte que dans les autres départements et régions d’outre-mer (DROM) ».

Au fil des pages du rapport caché se dessine le constat d’une faillite généralisée que les seules mesures sécuritaires de Gérald Darmanin, qui a multiplié les voyages et les annonces sur place ces derniers mois, vont, de toute évidence, avoir du mal à régler. Selon les informations de Mediapart, le ministère de l’intérieur a d’ailleurs pesé de tout son poids pour que le rapport ne soit pas rendu public.

Sollicités, les services du ministre n’ont souhaité faire « aucun commentaire ».

Une pauvreté massive qui ne décourage pas la migration comorienne

Petite île de l’océan Indien vingt fois plus petite que la Corse, Mayotte comptait 279 000 habitant·es en 2020, soit quatre fois plus qu’en 1985. Avec 10 000 naissances par an, l’île est devenue aujourd’hui la plus grande maternité de France. Le mal-logement y est un fléau conduisant à la création de bidonvilles aux quatre coins de l’île, comme celui de Kawéni, à Mamoudzou, surnommé « le plus grand bidonville de France ». En 2017, l’Insee estimait que l’île comptait 40 % de logements informels, dont certains installés sur des zones à risque.

Malgré la pauvreté massive qui y règne – 8 personnes sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté, un actif sur trois est au chômage et l’espérance de vie plafonne à 75 ans –, Mayotte demeure huit fois plus riche que l’archipel voisin des Comores, indépendant depuis 1975, où le taux de pauvreté national s’élevait à 42,4 % en 2014 et où un quart de la population vivrait dans des conditions d’extrême pauvreté.

Ces difficultés poussent de nombreux Comoriens et Comoriennes à tenter la traversée du bras de mer séparant Anjouan de Mayotte, sur 70 kilomètres (soit environ trois à quatre heures), à bord de kwassa-kwassa – un type d’embarcation rendu tristement célèbre par les mots d’Emmanuel Macron, en juin 2017, lorsqu’il avait déclaré que le « kwassa-kwassa pêchait peu » mais « amenait du Comorien ». Selon un rapport sénatorial de 2012, entre 7 000 et 12 000 personnes avaient péri ou disparu le long de cette route migratoire depuis 1995 ; et de nombreux naufrages y sont régulièrement répertoriés.

« On peut imaginer que c’est beaucoup plus aujourd’hui, surtout depuis la départementalisation [rendue effective en mars 2011 – ndlr] », soulève une source basée à Mayotte, qui préfère garder l’anonymat. « Les personnes que l’on voit arriver ici sont de tous les milieux et ont des profils divers : femmes, personnes gravement malades ou handicapées, enfants voyageant seuls, irréguliers qui étaient intégrés à Mayotte et qui retentent la traversée après avoir été expulsés… » Tous viennent dans un même objectif, celui d’avoir « une vie meilleure ».

Mais les consignes données par le préfet, correspondant à une politique de durcissement s’agissant des arrivées sur l’île, finissent par engendrer des drames, poursuit-elle, en référence à un naufrage survenu fin décembre. « La police aux frontières [PAF – ndlr] est chargée d’intercepter les embarcations en mer coûte que coûte, avec l’assentiment de la société mahoraise. Lorsque le conducteur du kwassa-kwassa refuse de s’arrêter, il arrive qu’il percute le bateau de la PAF et que l’embarcation se retourne. C’est bien lintervention des forces de l’ordre qui génère le naufrage. »

« La lutte contre l’immigration irrégulière ne parvient pas à empêcher l’entrée et l’installation de très nombreux clandestins à Mayotte », peut-on lire dans le rapport, qui suggère de renforcer les moyens nécessaires à la PAF pour réduire le nombre d’arrivées sur l’île.

Selon le scénario le plus alarmiste de l’Insee, l’immigration comorienne pourrait conduire à comptabiliser 760 000 habitant·es à l’horizon 2050. « Dans l’hypothèse d’un maintien des flux migratoires au niveau actuel, la situation deviendrait explosive », pointe le rapport que le gouvernement a préféré taire. Gérald Darmanin a donc misé sur un volet répressif pour tenter de tarir les départs depuis les Comores… Et de chasser les personnes exilées déjà présentes sur l’île à coups de bulldozers censés raser les bangas (des habitations précaires faites de tôle ondulée), où vivent de nombreux Comoriens et Comoriennes.

Comme l’a révélé le quotidien Les Nouvelles de Mayotte le 2 février dernier, le ministre prévoit ainsi d’envoyer pas moins de cinq escadrons de gendarmerie mobile supplémentaires sur l’île, soit 400 gendarmes, pour « remettre de l’ordre » dès le mois d’avril. Selon Le Canard enchaîné, l’idée a été validée par Emmanuel Macron lui-même lors d’un conseil de défense. Une vaste opération de « décasage », devant servir à vider les bidonvilles de leurs occupants – souvent des sans-papiers –, à interpeller les têtes de réseaux de délinquance et à renvoyer un maximum de personnes vers les Comores.

L’enfer de l’enfance

Beaucoup d’enfants et de jeunes risquent ainsi d’être déracinés et renvoyés dans un pays où une situation bien pire les attend. De retour aux Comores après un renvoi forcé ou non, les mineurs non accompagnés (MNA dans le jargon, pour tout enfant mineur ayant emprunté une voie de migration seul) « ne seraient pas les bienvenus » selon le rapport invisible du gouvernement, qui explique que « le mieux pour eux consiste à repartir d’où ils viennent ».

Pour ceux restant à Mayotte, le rapport fait état d’une situation « hors norme » les concernant et alerte sur les dangers auxquels ils sont confrontés. Alors que 4 500 MNA étaient recensés sur l’île en 2016, le chiffre « n’a pu que croître ces dernières années en raison des modalités des opérations de lutte contre l’immigration irrégulière », qui alimentent « mécaniquement les situations d’isolement des mineurs », alertent les membres de la mission inter-inspection.

« Les enfants comoriens ont beaucoup de mal à être scolarisés à Mayotte, car les collectivités font blocage en prenant prétexte du manque d’infrastructures et de places. Elles mettent donc sciemment des bâtons dans les roues des parents en situation irrégulière qui souhaitent scolariser leurs enfants, alors que l’éducation est un droit pour tous », déplore la source déjà citée. Certains iraient jusqu’à confier leurs enfants, « sur le papier », à des personnes en situation régulière pour pouvoir les scolariser. Une démarche « insensée » sachant que leurs vrais parents sont à Mayotte.

Plusieurs données brutes de ce même rapport disent aussi à elles seules, de manière générale, le drame des enfants et des jeunes de Mayotte. Selon la mission d’inspection, le nombre de « mineurs en risque majeur de désocialisation » s’élève à 6 600. Pire : 9 200 enfants en âge d’aller à l’école primaire n’y avaient pas accès en 2020. « Les capacités d’accueil de l’école ne permettent pas, à ce jour, d’accueillir tous les enfants et jeunes de 3 à 16 ans », souligne le rapport.

Autre chiffre saisissant : « 5 400 enfants mineurs vivent dans un logement, mais sans leurs parents », relève l’inspection, qui estime que « le dispositif de protection de l’enfance reste largement sous-dimensionné ».

C’est à Mayotte que l’on trouve les effectifs les plus élevés de France dans les collèges, avec les plus mauvaises performances scolaires du pays : 71,1 % des jeunes ont des difficultés de lecture, contre 9 % sur le territoire national. C’est la raison pour laquelle la mission recommande de « faire de la scolarisation de tous les enfants dans le premier degré, à partir de 3 ans, une priorité de court terme ». Avec cette autre recommandation qui a de quoi alarmer : « garantir une alimentation de qualité », les « moyens mis en œuvre pour fournir une alimentation pendant le temps scolaire étant encore insuffisants ».

Car sur le terrain sanitaire, le constat est, lui aussi, accablant. Alors que le rapport rappelle que « l’offre de soins […] reste encore très insuffisante », il alerte en parallèle sur une « précarité alimentaire des jeunes » jugée comme « massive », avec, précision terrible, une « difficulté de mise en œuvre des dispositifs de distribution des repas dans les écoles, collèges et lycées ». « À tous les âges, les jeunes de Mayotte sont en moins bonne santé que partout ailleurs en France », affirme encore le document.

Faiblesse « structurelle » de la justice

S’agissant des questions de sécurité, le rapport parle de « politiques régaliennes en difficulté et souvent mises en échec ». L’insécurité demeure la « préoccupation majeure » des habitants, confrontés à une délinquance massive et parfois des faits d’ultraviolence commis en bande. Dans les vols avec violence, les mineurs représentent par exemple 81 % des auteurs, même si « beaucoup de victimes ne portent pas plainte, notamment parmi les étrangers en situation irrégulière ».

On bidouille pour tenter de faire au mieux.

L’état de décrépitude des institutions publiques a pour conséquence, côté justice, d’engendrer « une pression qu’aucune juridiction de l’Hexagone ne connaît ». Et face à cette « faiblesse structurelle », il faut ajouter des « facteurs aggravants », selon le rapport : des personnels de la magistrature et du greffe souvent sans expérience, une faible attractivité, mais aussi une « désorganisation des services et un déficit de travail collectif ».

Résultat : « Des réponses en mode dégradé et une justice de l’urgence qui s’impose au détriment du règlement des questions de fond », souligne le document que Mediapart s’est procuré.

« On bidouille pour tenter de faire au mieux », résume un haut fonctionnaire, qui reconnaît un véritable « problème structurel » plus qu’un manque de moyens. « Il y a un défaut d’attractivité qui empêche une certaine stabilité et entraîne un turnover important, mais aussi un défaut de formation ou de hiérarchie intermédiaire dans les recrutements, avec des magistrats sortis d’école se retrouvant aux côtés d’un président d’audience très expérimenté. On rencontre des difficultés liées à la langue, aussi, car les interprètes ne sont pas assez nombreux. »

Les greffiers seraient selon lui mal formés et ne resteraient pas suffisamment longtemps, créant un « sentiment d’insécurité », en particulier chez les jeunes magistrats. Les greffiers seraient aussi aspirés par la rétention administrative (visant à enfermer les étrangers en situation irrégulières en vue de leur renvoi) pour aller prêter renfort aux juges de la liberté et de la détention. « Cela participe de la désorganisation des services. Il y a un tel flux et une telle pression du préfet sur ce sujet que tout tourne autour de cela. »

Dans une situation comme celle-ci, le rôle de « régulation sociale » de la justice est d’autant plus accru, d’après le rapport, qui déplore, faute d’un « engagement fort du parquet de Mamoudzou [la capitale de l’île – ndlr] », que la lutte contre le travail clandestin, la fraude documentaire, les violences faites aux femmes ou la corruption soient un peu délaissées.

 

  publié le 11 mars 2023

Le renouveau des caisses de grève « répond à l’endurance » du pouvoir

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Alors que le mouvement social contre la réforme des retraites dure depuis près de deux mois, avec des actions désormais reconductibles, les caisses de grève permettent aux salariés en lutte de tenir. Entretien avec le sociologue Gabriel Rosenman, ex-cheminot et spécialiste des caisses de grève.

Boîtes à chaussures ou de conserve transformées en tirelire sur les stands des manifestations, caisses de grève confédérales, caisses autogérées, cagnottes en ligne ouvertes par fédération, département ou organisation syndicale, cagnottes pour les raffineurs, le secteur du nettoyage ou lancées au sein même des entreprises, récolte de dons par des « gamers » sur la plateforme Twitch via l’espace « Piquet de Stream »... Les caisses de grève bourgeonnent, prospèrent et se propagent sur tous les supports, depuis près de deux mois.

Leur but est commun : soutenir la lutte sociale et permettre au mouvement contre la réforme des retraites de durer, en aidant financièrement les grévistes.

Gabriel Rosenman est un ancien cheminot de la gare Saint-Lazare, à Paris. Il a travaillé à la SNCF pendant dix ans, de 2008 à 2018, avant de reprendre des études de sciences sociales. Il prépare actuellement une thèse sur la pratique des caisses de grève dans le mouvement ouvrier français. Pour Mediapart, il décrypte les formes et les enjeux de ces soutiens financiers qui n’ont rien de nouveau – loin de là – dans le mouvement social, mais prennent de nouvelles formes.

Mediapart : On observe un retour en force des caisses de grève, comment l’expliquer ?

Gabriel Rosenman : D’abord, parce qu’on observe une accumulation d’expériences lors des conflits, depuis 2010, dans les branches et au niveau interprofessionnel. Ensuite, il y a un durcissement des conditions de la grève, avec des conflits qui s’allongent dans le temps. Ces dernières années, il y a eu des exemples assez extrêmes, comme le mouvement lancé en 2018 par les postiers des Hauts-de-Seine. Il a duré quinze mois. Ou encore la longue grève des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles pendant plus de vingt-deux mois, entre 2019 et 2021. Elle aurait été inenvisageable sans la caisse de grève de la CGT-HPE [hôtels de prestige économique – ndlr].

Une autre expérience intéressante remonte à 2016, pendant le mouvement social contre la loi Travail. La CGT-Info’Com avait lancé une collecte nationale interprofessionnelle. Elle a récolté plus de quatre millions d’euros depuis son ouverture et a été récemment réactivée par la mobilisation contre la réforme des retraites [890 000 euros ont déjà été collectés pour la “campagne 2023” – ndlr].

Ces caisses de grève représentent donc un rapport de force nouveau ?

Gabriel Rosenman : Oui, très clairement. D’autant plus que les classes populaires s’appauvrissent, comme cela a été mis en lumière par les « gilets jaunes ». Très rapidement dans le mois, un certain nombre de personnes n’ont plus aucune marge de manœuvre dans leur budget. C’est difficile d’assumer de longues grèves. D’ailleurs, les directions d’entreprise jouent clairement là-dessus.

C’est-à-dire ?

Gabriel Rosenman : Leur volonté est de sanctionner – financièrement – le plus durement possible les grévistes. C’est devenu un outil pour affaiblir ou abréger les conflits. Il peut y avoir une forme de chantage. Je me souviens d’une anecdote, durant les grèves de 2019 : un délégué local de la RATP m’avait montré un texto de sa DRH qui lui proposait l’étalement du prélèvement des jours de grève sur trois mois, en échange de la reprise du travail dès le lendemain.

Depuis les années 2010, on observe d’ailleurs la fin de l’usage des négociations de fin de conflit dans lesquelles se jouait cet étalement. Désormais, à la RATP, à la SNCF ou à La Poste, les grévistes peuvent avoir des fiches de paie à zéro en fin de mois. Il y a donc un gros besoin de solidarité, et donc de caisses de grève.

Il existe aussi une part d’épargne individuelle, quand c’est possible. Je me souviens de l’un des premiers conseils donnés par les anciens quand je suis arrivé à la SNCF : « Quand tu rentres, tu mets un mois de salaire de coté pour les jours de grève. »

Car si les grèves se prolongent autant, c’est aussi parce que les entreprises adoptent de nouvelles stratégies pour remplacer les grévistes et limiter les pertes économiques. À la SNCF, vous avez un service entier de conducteurs dédié au remplacement des grévistes. Il y a l’équivalent à la RATP. Ces agents sont dédommagés avec des primes très substantielles, pour s’assurer de leur loyauté.

On prête souvent attention à l’endurance des grévistes mais, symétriquement, il faut regarder l’endurance des entreprises ! Les nouvelles formes de caisse de grève peuvent donc être une réponse. La cagnotte nationale de la CGT-Info’Com est assez unique en son genre. Elle a relancé des réflexions stratégiques dans beaucoup de secteurs du mouvement syndical.

Justement, quel rôle jouent les organisations syndicales dans les caisses de grève ?

Gabriel Rosenman : La CFDT est la seule à détenir une grande caisse confédérale, créée en 1973 et financée par une partie des cotisations syndicales. Elle est dotée d’environ 140 millions d’euros, c’est la plus massive, et de très loin. N’importe quel adhérent qui fait grève à l’appel de son syndicat local est couvert par cette caisse. Par exemple, en 2019, la confédération n’appelait pas à se mobiliser contre la réforme des retraites mais localement, certains ont fait grève et ont été couverts.

Côté CGT, la question d’augmenter les cotisations des adhérents pour alimenter un fonds de grève s’est souvent posée depuis sa création mais ça n’a jamais pu se mettre en place, à cause de scissions et désaccords internes. En 1969, les statuts confédéraux sont très clairs : la solidarité en temps de grève s’organise uniquement sous forme de collecte dans la population. Cela permet de populariser les grèves, de susciter et d’entretenir la solidarité envers les ouvriers.

Ces statuts sont modifiés avant les grèves de 1995 [contre la réforme des retraites d’Alain Juppé – ndlr]. Toute mention de solidarité financière disparaît. La CGT n’a plus vraiment de boussole et plus aucune fédération n’a de caisse de grève permanente.

Chez Force ouvrière (FO), un fonds confédéral de soutien aux grévistes existe, une part du budget y est dédiée, mais comme souvent avec FO, c’est difficile d’avoir des informations. Parfois, ce fonds est mis en marche, parfois pas.

La France insoumise (LFI) a aussi lancé une caisse de grève et récolté, à ce jour, plus de 390 000 euros. Les collectes politiques, c’est nouveau ?

Gabriel Rosenman : Disons que c’est un renouveau. L’investissement des structures politiques dans le soutien aux grèves est très ancien et le Parti communiste y a joué un rôle clé, notamment via ses municipalités. Ensuite, l’affaiblissement de la gauche et, pendant une certaine période, l’affaiblissement des grèves ont moins mis ça sur le devant de la scène. Ce qui est un peu nouveau dans la démarche de LFI, c’est le format : la collecte ne s’appuie pas sur des réseaux militants, comme ce fut le cas avec le Parti communiste, mais sur les réseaux sociaux. Cela correspond aussi à la place politique occupée par La France insoumise dans le paysage, qui est, pour le dire sobrement, une volonté d’hégémonie politique et d’occuper le terrain, y compris celui de la solidarité financière.

Ces caisses de grève couvrent-elles l’intégralité des salaires non versés ?

Gabriel Rosenman : Non, c’est très rarement le cas. La prise de risque est donc importante pour les grévistes. À la CFDT, vous savez à l’avance ce que vous percevrez [7,70 euros par heure pour les adhérents de plus de six mois, précise l’organisation syndicale – ndlr]. Pour d’autres cagnottes, la répartition et la proportion sont variables. Cela peut tenir compte du grade, de la composition familiale, ou encore des horaires de travail. Il existe aussi des seuils à partir desquels les grévistes peuvent bénéficier de la caisse, selon le nombre de jours de cessation de travail. On voit aussi des caisses, dans l’éducation, qui prévoient des seuils très bas pour les précaires. Le but n’est alors pas d’étendre la grève sur la durée mais de l’étendre à un maximum de monde.

Y a-t-il eu des cas où les salaires étaient intégralement reversés ?

Gabriel Rosenman : Oui, en 2010 contre la réforme des retraites, dans le secteur des raffineries. Celle de Grandpuits (Seine-et-Marne) est devenue un symbole du mouvement. Les grévistes ont reçu un afflux de dons non sollicités et largement supérieurs à leur perte de salaires. Ils ont pu s’indemniser en totalité et reverser une partie à d’autres raffineries et au Secours populaire. Mais l’excédent d’argent reste très rare.

Dans le cadre de votre thèse, vous travaillez sur les profils des donatrices et donateurs...

Gabriel Rosenman : C’est effectivement en cours, grâce à des informations tirées d’un questionnaire distribué depuis 2019 aux donateurs de la caisse de la CGT-Info’Com. 5 000 personnes sur 40 000 ont répondu. 35 % sont des retraités, 32 % des cadres et professions intermédiaires. Il y a très peu d’ouvriers. 66 % des donateurs se définissent aussi comme militants, ce qui peut avoir plein de sens différents.

L’un des débats au sein de la CGT est causé par la crainte que les caisses de grève encouragent la grève par procuration. Les réponses au questionnaire apportent un autre éclairage. Les dons proviennent plutôt de gens qui ne peuvent pas faire grève car ils sont retraités, indépendants, artisans… Ce sont aussi des cadres et professions intellectuelles supérieures qui pourraient le faire mais font face à des pressions ou y voient un intérêt limité par rapport aux grèves d’ouvriers et de techniciens.

Votre thèse en préparation s’intéresse à la pratique des caisses de grève dans le mouvement ouvrier français. Quelles ont été les grandes étapes dans l’histoire ?

Gabriel Rosenman : La première trace que j’ai trouvée date de 1831, avec les révoltes des canuts lyonnais. Ils avaient créé une société de secours mutuel baptisée « le devoir mutuel ». L’idée était de mutualiser une partie des ressources en prévision des pertes de revenu liées à des cessations de travail. Ça ne s’est pas passé comme prévu car la grève s’est transformée en insurrection.

Pendant l’essentiel du XIXe siècle, d’autres sociétés de secours mutuel émergent pour les ouvriers sans aucune protection sociale ni structure syndicale. Le but est de s’entraider face à des risques d’accident du travail, de maladie et même de mort, car ces sociétés prenaient en charge les enterrements. Mais cela couvrait aussi la grève, qui s’appelait « coalition » et était illégale jusqu’en 1864. Dans certains cas, les sociétés de secours mutuel étaient quasi exclusivement créées en vue de la grève, comme lors de la grande grève des mineurs d’Anzin dans le Nord, racontée dans Germinal.

À la fin du XIXe, des chambres syndicales apparaissent et prennent le relais des sociétés de secours. Les grèves commencent à toucher de grandes masses ouvrières et cela exige des quantités d’argent qui dépassent les fonds disponibles. L’aide repose de moins en moins sur l’accumulation de fonds mais sur des appels aux dons, sur la solidarité extérieure.

Plus tard, les structures syndicales auront un rôle d’intermédiaire, en centralisant et redistribuant les dons. En 1963, la grande grève des mineurs déclenche un élan de solidarité qui surprend tout le monde. Une intersyndicale se met même en place pour centraliser les fonds. C’est à partir de cette expérience, et de Mai 68, que la CFDT et la CGT vont développer des stratégies différentes sur les caisses de grève.


 

Pour apporter votre soutien financier aux salariés engagés dans la grève reconductible, la CGT organise la solidarité financière qui leur est entièrement dédiée.

Pour contribuer à la solidarité financière :

  • En ligne en cliquant sur Solidarité Grévistes

  • Par chèque : à l'ordre de « Solidarité CGT Mobilisation » adressé à : "Confédération Générale du Travail, Service Comptabilité", 263 rue de Paris, 93100 Montreuil.

  publié le 10 mars 2023