PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

mars 2023

publié le 31 mars 2023

Sophie Binet
à Emmanuel Macron :
« Nous ne lâcherons rien »

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

La nouvelle secrétaire générale de la CGT, élue vendredi à Clermont-Ferrand, a averti d’emblée le chef de l’État et la première ministre de la détermination intacte de son syndicat à obtenir le retrait de la réforme des retraites. Elle s’est félicitée que sa centrale ait réussi à se rassembler au terme d’un congrès difficile, en « évitant l’éruption sur cette terre volcanique », a-t-elle déclaré.

Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), envoyée spéciale.

Les yeux fatigués, emplies d’émotion, un dernier souffle avant d’arriver à la tribune du congrès. Forte des encouragements des mille délégués, soutenue par l’exécutif nouvellement élu en appui derrière elle, la nouvelle secrétaire générale de la CGT n’était pas seule pour vivre ce moment. Sophie Binet s’est élancée au pupitre. Vendredi, ses premiers mots ont été pour les congressistes. « À tous les délégués qui ont vécu un congrès difficile, nous avons su, par notre sens de responsabilité collectif, sortir avec une CGT largement rassemblée. (…) Sur cette terre volcanique, la CGT a évité l’éruption », a-t-elle lancé. Ce congrès, « au cœur du mouvement social qui dure depuis deux mois et demi », restera dans les annales. Il marquera aussi les esprits par sa « violence qui n’a pas sa place dans les rapports militants », a regretté la première femme élue à la tête de la centrale, avant d’appeler à travailler pour « retrouver des relations apaisées, pacifiées » et faire du « militantisme un havre de paix, de ressourcement pour retrouver les forces face aux attaques du capital ».

Sophie Binet s’est aussi placée comme la garante des orientations de la CGT, votées jeudi à plus de 70 %, et du renforcement du syndicat. À ce titre, elle envisage de lancer une « grande campagne de syndicalisation » pour permettre « à la CGT de franchir un cap ». Dans sa feuille de route, Sophie Binet a particulièrement insisté sur les enjeux environnementaux, autour d’un plan de reconquête et de transformation industrielle. « Nos orientations (sont) claires sur la question environnementale et sur les questions sociales, parce que la marque de fabrique de la CGT est d’être capable de porter au même niveau l’environnement et le social, la fin du monde et la fin du mois, et de sortir des oppositions délétères, stériles entre le social et l’environnemental, a-t-elle développé. Il nous faut travailler à partir de ce que nous savons faire, c’est-à-dire partir (de la question) du travail. » La secrétaire générale a également insisté sur les enjeux du féminisme, en citant notamment l’égalité femme-homme ou la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : « La CGT a su être précurseure. Ces questions ne peuvent être secondaires ».

Philippe Martinez salué pour avoir réussi à faire élire une femme à la tête de la CGT

Dans cette volonté d’apaisement et de rassemblement de l’organisation, Sophie Binet n’a pas oublié de remercier le secrétaire général sortant, Philippe Martinez et « ses moustaches célèbres ». « On dit même qu’un certain nombre de personnes se syndiquent pour ces moustaches », s’est-elle amusée devant les congressistes. Avant de louer sa réussite pour « être parvenu à amener pour la première fois une femme à la tête de la CGT ». La nouvelle secrétaire générale a également tendu la main aux autres postulants à la fonction de numéro un de la centrale syndicale. À commencer par Marie Buisson, candidate proposée par Philippe Martinez, qui n’est pas parvenue à s’imposer. « Marie a vécu des choses dures, violentes. Je tiens à te dire que tu pourras compter sur l’organisation pour les mois et les années à venir », a déclaré Sophie Binet. Puis elle s’est adressée à Olivier Mateu, secrétaire de la CGT des Bouches-du-Rhône, en vantant son « apport déterminant à la lutte et à l’élévation du rapport de force ».

Les deux pieds dans la bataille des retraites, Sophie Binet s’est ensuite tournée vers les congressistes, en commençant par les féliciter pour leur « lutte historique », dans laquelle les militants ont mis « la CGT et le syndicalisme à la place qui est la (leur) ». Puis le ton a changé lorsque la responsable, jusqu’à ce vendredi, des cadres, ingénieurs et techniciens de la CGT a adressé « un message fort, déterminé » à Emmanuel Macron : « Nous ne lâcherons rien, à commencer par notre exigence de retrait de cette réforme. Il n’y aura pas de trêve, pas de suspension, pas de médiation. On ne reprendra pas le travail tant que cette réforme ne sera pas retirée ». C’est dans cette optique que la secrétaire générale a fixé son agenda pour la semaine prochaine. Le 5 avril, avec ses homologues de l’intersyndicale, Sophie Binet sera au rendez-vous avec Élisabeth Borne : « Nous irons, toute l’intersyndicale unie, pour exiger le retrait de cette réforme, ce qui nous permettra de passer enfin aux vraies priorités. Parce qu’il ne s’agit pas de répondre à un déficit budgétaire qui n’existe pas, mais d’augmenter les salaires ». Puis, si « la réforme n’est pas retirée », Sophie Binet a appelé « à une marée déferlante dans tout le pays » le 6 avril, prochaine journée d’action interprofessionnelle décidée par l’intersyndicale.


 


 

Menaces d’extrême-droite contre la CGT
du bassin de Thau

sur : https://lepoing.net

Des menaces téléphoniques pro-RN ont été proférées à l’encontre de l’Union Locale Bassin de Thau ce mercredi 29 mars. La structure syndicale dénonce une extrême-droite qui révèle son vrai visage, celui d’un ennemi des travailleuses et travailleurs.”

Lors d’une réunion tenue ce mercredi 29 mars dans les locaux de l’UL CGT Bassin de Thau, des coups de fil menaçants ont été passés aux syndicalistes. ”On vous soutient dans votre mouvement contre la réforme des retraites, mais ceci ne serait pas arrivé si vous aviez appelé à voter pour la bonne personne au second tour”, déclare dans un premier temps l’auteur du coup de téléphone, encore inconnu des syndicalistes à ce stade.  Avant que le ton ne monte, rapidement, vers des menaces beaucoup plus directes. ”On va venir tout casser par chez vous”, poursuit l’homme.

Peu précautionneux, celui-ci n’avait pas pris soin de masquer son numéro avant l’appel, et a pu donc être identifié par les syndicalistes présents dans les locaux grâce à un simple annuaire. Il s’agit d’un patron d’une boîte de BTP.

Arnaud Jean, secrétaire de l’Union Locale CGT Bassin de Thau, contacté par Le Poing, a tenu à réagir à ce petit incident : ”A l’Union Locale, on est prêts à recevoir la visite de n’importe quel facho, sans inquiétudes. Ces gens là ne partagent pas nos valeurs. Les connaissant, on sait très bien qu’ils ne viendront pas, ça va finir par des tags ou des dégradations sur nos locaux. Ça peut paraître anodin ce genre d’incident, mais ça ne l’est pas. L’extrême-droite s’était jusqu’ici faite très discrète autour du bassin de Thau depuis le début du mouvement social contre la réforme des retraites, très gênée et paralysée dans son hypocrisie. Cet appel est un révélateur de la vraie nature de l’extrême-droite, quoi qu’elle en dise : des ennemis des travailleuses et des travailleurs. Quand ceux-ci se lèvent dans un puissant mouvement social pour défendre leurs droits, elle ne le supporte pas.”


 


 

Retraites. En Seine-Maritime, « l’addition de nos actions fait notre force »

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

En Seine-Maritime, l’intersyndicale alterne les formes de mobilisation. Décryptage avec Cyril Dhaussy, de la CGT mines-énergies.

L’assemblée générale des salariés de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher a voté jeudi la reconduction de la grève jusqu’au lundi 3 avril. Un vote soutenu par plusieurs centaines de travailleurs des entreprises du Havre, réunis devant le site de TotalEnergies. Cyril Dhaussy, militant de la CGT mines-énergies à l’initiative du rassemblement, explique la stratégie de l’intersyndicale de Seine-Maritime pour faire durer le mouvement social.

Quelle utilité a ce rassemblement par rapport aux journées nationales de mobilisation ?

Cyril Dhaussy : L’objectif premier était d’apporter un soutien massif aux salariés de la raffinerie en grève. Le second était de remettre la lumière sur ce mouvement social qui ne faiblit pas, mais au contraire s’accentue grâce aux différentes formes qu’il prend. Il y a bien sûr les journées de grève et de manifestations. Les deux dernières ont réuni entre 45 000 et 50 000 personnes au Havre. Mais il y existe aussi, entre ces temps forts, toute une organisation moins visible mais tout aussi importante. En arrêtant l’activité, les travailleurs du pétrole, de l’énergie, les cheminots, les portuaires, les dockers, les éboueurs… tous ces salariés pèsent sur l’économie. La résistance à l’immobilisme de Macron sur la question des retraites est en marche. Et elle est très bien organisée !

Comment fonctionne-t-elle ?

Cyril Dhaussy : Cela fait deux mois que tous ces salariés, ces métiers, agissent en cohérence et synchronisent leurs actions. Concrètement, nous nous voyons entre syndicats tous les jours pour définir nos modes d’action. Cette semaine, par exemple, les salariés de la CIM, société de stockage des hydrocarbures et de services pétroliers, n’ont sorti aucune goutte de kérosène, ni d’essence ou de gazole. Mardi, les raffineurs ont pris le relais. Mercredi, les portuaires ont organisé une journée port mort. Le courant de l’usine Bolloré Logistics a aussi été coupé. Et notre action devant la raffinerie TotalEnergies de Normandie a montré le soutien des salariés de Safran et d’une vingtaine d’autres entreprises de l’agglomération havraise à tous ces secteurs en grève. Chacun a, à son échelle, conscience du rôle qu’il peut jouer.

Tout cela en intersyndicale ou seulement entre fédérations de la CGT ?

Cyril Dhaussy : En intersyndicale. Mais il est sûr que chacune de ces composantes apporte ce qu’elle sait faire. Certaines sont extrêmement présentes lors des journées de manifestations. Pour les actions de blocage de l’économie, les fédérations CGT sont en revanche plus représentées. C’est cette addition de formes de mobilisation, très organisées et coordonnées, qui fait notre force.

Comment évaluez-vous l’efficacité de cette stratégie ?

Cyril Dhaussy : Notre première victoire réside dans le fait que les salariés ont bien compris que si le gouvernement reste sourd au mouvement social, il est en revanche très à l’écoute des intérêts économiques du capital. Or, celui-ci commence à ressentir les conséquences de nos mobilisations. C’était le sens de la coupure d’électricité sur le site de Bolloré. Les travailleurs ont compris que l’oligarchie s’immisce de plus en plus dans les processus de décision gouvernementale. En la ciblant, on oblige le gouvernement à prendre en compte la contestation sociale.

Les réquisitions judiciaires de personnel dans les raffineries ne mettent-elles pas en échec votre stratégie ?

Cyril Dhaussy : On sait bien qu’en face, le gouvernement et l’oligarchie disposent d’outils pour imposer leur réforme. Ils se servent des réquisitions comme des violences policières. Nous contestons à chaque fois en justice ces réquisitions.

Avez-vous une idée des pertes économiques liées aux grèves ?

Cyril Dhaussy : Le PIB journalier de la France se situe aux alentours de 10 milliards d’euros. Si nos blocages permettent de le diminuer de 5 ou 6 milliards, nous ferons mal au capital. On sait que la répartition des blocages n’est pas homogène sur le territoire et que certains pèsent plus que d’autres. Quand les ports du Havre ou de Marseille sont à l’arrêt, le poids de cette paralysie se fait davantage ressentir.

Jusqu’à quand pouvez-vous tenir ?

Cyril Dhaussy : Jusqu’à la gagne ! Jusqu’au retrait ! Dans l’esprit des salariés rassemblés ce jeudi, la décision du Conseil constitutionnel sur la recevabilité de la réforme des retraites, attendue le 14 avril, ne représente même pas une étape. S’il y a une attente, c’est sur le référendum d’initiative partagée. Les salariés sont prêts à s’engager à fond.

Les pertes de salaires liées aux jours de grève ne jouent-elles pas contre la mobilisation ?

Cyril Dhaussy : On sait bien que la situation financière individuelle est notre talon d’Achille. Mais, là encore, l’intersyndicale travaille et se coordonne depuis deux mois. L’organisation collective des mobilisations et des caisses de grève nous permet de dire que le mouvement social peut encore durer longtemps.

  publié le 31 mars 2023

CGT : les cinq lignes de fracture
qui secouent le congrès

 Stéphane Ortega et Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr

Le 53e congrès de la CGT donne l’image d’une centrale syndicale fortement divisée. Au-delà des enjeux d’élection de la future direction, plusieurs débats de fond et lignes de fracture traversent le premier syndicat de lutte du pays.


 

 Rappel sur l’organisation de la CGT :

Unions départementales (UD) : les unions départementales regroupent les syndicats professionnels d’un même département.

Fédérations : les fédérations nationales regroupent les syndicats d’un ou plusieurs secteurs d’activité professionnelle.

Direction confédérale : celle-ci est constituée d’une soixantaine de membres de la commission exécutive confédérale et du bureau confédéral, choisi parmi eux. Le ou la secrétaire général(e) est choisi parmi les membres du bureau confédéral. L’ensemble de ces postes sont élus par les responsables de fédérations et d’unions départementales.

 

C’est une immense salle, où siègent près de 1000 délégués. La salle plénière. Une salle dans laquelle on élit la prochaine direction de la CGT et décide des futures orientations de la centrale. « C’est ici que l’on fait vivre la démocratie syndicale », rassure Marie Buisson, secrétaire générale de la FERC-CGT (enseignement, recherche et culture), désignée par Philippe Martinez comme sa successeuse.

Une salle, oui, mais deux ambiances. D’un côté les opposants à la direction sortante, de l’autre ses soutiens. Entre les deux camps, la fraternité n’est pas au rendez-vous. « J’ai honte, les débats se font dans les coulisses […] les luttes de pouvoir sont en train de nous voler le débat. Là, on se mange la tête pour le pouvoir. Le monde du travail nous regarde. On est l’organisation qui donne la température du monde du travail en France. Soyons à la hauteur de nos 128 ans d’histoire. Ne pensons pas que le repli sur nous-mêmes fasse de nous une grande CGT », exhorte Alexandra Pourroy, une jeune déléguée de la CGT-FAPT des Hautes-Alpes, en guise de réponse au climat de grande tension qui a marqué les deux premiers jours du congrès de la CGT.

La veille, un vote contre le rapport d’activité a mis la direction confédérale sortante en minorité. Une légère majorité de délégués (50,32%) désavoue le bilan de Philippe Martinez et des membres de sa direction confédérale. Un vote historique qui annonce un congrès particulièrement long et disputé.

 Un  congrès de la CGT ce n’est pas seulement une lutte des places

Dans ce congrès, il n’est pas toujours facile de discerner les engagements politiques sincères des postures qui ont pour but de ravir les places de direction. Pas de chance pour les délégués primo-congressistes (80% des effectifs !) qui se retrouvent parfois impliqués dans des luttes de pouvoir dont ils ont bien de la peine à saisir les enjeux.

Car, même si chacun des 942 délégués représente un, ou des syndicats et vote en fonction du mandat de ses adhérents, les délégués appartenant aux mêmes fédérations ont bien souvent des votes communs et des camps sont clairement identifiés. En amont du congrès chacun a déjà pu choisir un champion. Marie Buisson, Céline Verzeletti, co-secrétaire générale de l’union fédérale des syndicats de l’État (USTE) ou encore Olivier Mateu, secrétaire général de l’union départementale (UD) des Bouches-du-Rhône.

Mais l’enjeu du congrès CGT ne se limite pas à une lutte des places. Lors des prises de parole en salle plénière, au moins cinq lignes de fracture opposant les cégétistes apparaissent. La démocratie interne, le niveau de radicalité de la confédération, l’écologie, le féminisme et la question de l’unité syndicale.

Quelle démocratie interne ?

À la tribune, de nombreux délégués se succèdent et accusent la direction sortante d’avoir pris des décisions seule, sans débat ni consultation. Au premier rang des sujets de mécontentement : la participation de la CGT au collectif « Plus jamais ça », une alliance de syndicats, d’ONG et d’associations environnementales montée aux premiers temps de la pandémie. Ou encore l’hypothèse d’un rapprochement avec les syndicats FSU et Solidaires, qui n’a pas donné lieu à débat au sein du Comité confédéral national (CCN), la réunion des responsables des fédérations et des unions départementales.

Une accusation que reprend à son compte Emmanuel Lepine, le secrétaire général de la fédération de la chimie (FNIC), connu pour être un opposant farouche à la direction de Philippe Martinez. « La confédération agit comme une 33e fédération [il y a 32 fédération à la CGT], or dans la CGT ce sont les unions départementales et les fédérations qui décident », tranche ce soutien affiché à la candidature d’Olivier Mateu, le secrétaire général des Bouches-du-Rhône. « Quand on est membre d’un bureau, on va prendre ses directives auprès de ses bases comme n’importe quel militant de la CGT, à n’importe quel niveau. On n’est pas directeur, on n’est pas chef », ajoute Mathieu Pineau, secrétaire fédéral de la CGT Mines Énergie.

Des critiques que pondère Benoît Martin, le secrétaire de l’union départementale de Paris. Pour lui, des mandats ont été donnés à une direction confédérale qui doit gérer les urgences. Tout en admettant la nécessité « d’aller-retour entre l’organisation et son premier dirigeant », le responsable de l’UD 75 considère que les questions de démocratie interne dans la CGT ne se limitent pas à la direction confédérale.

Il met en balance des fédérations « qui fonctionnent en vertical, ont un poids politique fort et dont les sièges sont à Montreuil », et des unions départementales « plutôt horizontales » qui représentent une dimension interprofessionnelle, et donc plus de diversité, mais pèsent moins sur les orientations politiques nationales. Enfin, les fédérations ont la main sur les moyens syndicaux des unions départementales, ce qui implique des jeux de pouvoir internes.

« Une CGT de lutte » ?

« Trop molle », « pas assez revendicative » quand les accusations ne vont pas jusqu’à qualifier la direction sortante de « traître ». On ne compte plus, en salle plénière, les appels à reconstruire « une CGT de lutte » ou encore « de classe et de masse ». Difficile toutefois de savoir ce qui est entendu derrière ces termes.

« On veut une confédération plus proactive dans la coordination et dans l’impulsion des grèves, explique Mathieu Pineau, secrétaire fédéral FNME-CGT. Il faut que la confédération arrête d’entretenir un discours qui dit qu’on ne peut pas faire les choses. Parfois certains syndicats disent que la grève ne prendra pas chez eux, mais on se demande même s’ils ont essayé d’aller voir les salariés », continue l’énergéticien. La gestion de la grève contre la réforme des retraites de 2019-2020, où les secteurs bloquants sont partis en grève reconductible les uns à la suite des autres et non en même temps, est souvent évoquée pour illustrer ce manque de volonté et de coordination.

Ainsi, l’intervention de Philippe Martinez, ex secrétaire général de la confédération sur BFM TV en pleine journée de grève ce 28 mars pour demander « une médiation » avec le gouvernement a été clairement perçue comme un signe de mollesse et décriée à la tribune du congrès de la CGT.

Toutefois, nombreux sont les syndicalistes à rappeler que, dans les secteurs où la CGT est peu implantée, les injonctions à la radicalité ne servent à rien. « Il y a des postures politiques, des positionnements. On serait plus radical que radical, plus révolutionnaire que révolutionnaire, et cela sert peut-être d’autres enjeux bureaucratiques et de pouvoir », suggère Benoît Martin, secrétaire général de l’union départementale 75.

« Les incantations ne suffisent pas. Si la direction confédérale lançait demain un appel à la grève générale, il ne serait pas suivi. Mais c’est parce que ça fait 30 ans que la CGT est en décrépitude. Il faut d’abord reconstruire une CGT puissante », affirme Emmanuel Lépine (FNIC-CGT).

Écologie contre emploi ?

Docker qui s’inquiète de l’arrêt du trafic du charbon, syndicaliste de la CGT-Air France qui craint que l’interdiction des vols de moins de 6 heures ne détruise de l’emploi, énergéticiens qui rappellent le rôle du nucléaire… Les prises de parole sur des thématiques écologiques s’enchaînent en salle plénière depuis le début du congrès. Et une rumeur persiste : la CGT voudrait sacrifier des emplois sur l’autel de l’écologie. Pourquoi une telle crainte ?

Courant 2020, la CGT s’associe au collectif « Plus Jamais Ça » – aujourd’hui nommé alliance écologique et sociale – avec d’autres organisations syndicales, comme la FSU, Solidaires ou la Confédération Paysanne et des associations écologistes et sociales comme les Amis de la Terre, Alternatiba ou encore Greenpeace. Ces organisations publient un plan de rupture constitué de 36 mesures. Parmi elles, la proposition 28 qui refuse que l’Etat soutienne le secteur des énergies fossiles et le développement de nouveaux projets nucléaires passe mal dans la fédération des mines et énergie (FNME-CGT).

Clarisse Delalondre, secrétaire générale du syndicat de la recherche à EDF, membre du comité exécutif de la FNME-CGT et du Parti ouvrier indépendant (POI) y est particulièrement opposée. « Que le nucléaire soit en débat, c’est normal. Mais que notre organisation signe sans consulter personne un texte qui est contraire à la défense de l’emploi c’est inadmissible. L’alliance écologique et sociale ne partage pas nos repères revendicatifs, elle nous sort de notre rôle de syndicat. »

Un avis partagé par une partie des congressistes puisque la commission chargée d’établir le document d’orientation que devra suivre la prochaine direction confédérale, a fait inscrire dans le texte la phrase suivante : « les dispositifs mis en place pour la transition écologique ne doivent pas être discriminatoires pour les travailleurs.euse.s ». Certains y voient la fin de l’alliance écologique et sociale.

Continuer à bosser avec les écolos

« Je ne comprends pas que des camarades puissent croire que Plus Jamais Ca nous conduit à lutter contre l’emploi… C’est notre fond de commerce, le syndicalisme ! », s’exclame Olivier Champetier, secrétaire général de l’union départementale de l’Essonne (91). « Au contraire, ce dispositif nous a permis de faire comprendre à des associations écologistes, dont ce n’était pas la préoccupation première, que le changement de société ne se fera pas sans les travailleurs. Par exemple : dans l’Essonne nous avons un entrepôt Amazon. Un comité local d’Attac avait prévu des tracts pour la fermeture de l’entrepôt. Après discussion, nous avons fini par rédiger un tract non plus sur la fermeture, mais sur l’environnement et les droits des salariés ». Comme les unions départementales ont la liberté de choisir où elles mettent leurs moyens, il est bien possible que l’alliance entre écolos et cégétistes perdure dans certains endroits.

« Dans mon UD, on va quand même continuer ce travail. Ce cadre nous a permis de faire des choses chouettes. Une fête en plein cœur du quartier populaire des Ulis, la lutte contre un projet de méthaniseur, un travail avec le réseau des AMAP…», égrène Olivier Champetier. « Surtout, il nous a permis de nous ouvrir à de nouveaux publics, plus jeunes, avec des cultures militantes différentes. Les jeunes d’Extinction Rébellion sont venus visiter la maison des syndicats, maintenant on ne se regarde plus en chiens de faïence ! Que la CGT puisse impulser la transformation sociale seule, je n’y crois pas. »

Congrès de la CGT : quel féminisme ?

Dans la salle plénière, la file pour prendre la parole est parfois longue, et c’est le premier arrivé qui est premier servi. Alors, au bureau du congrès, on tente quelque chose : « On va essayer une prise de parole alternée, un homme puis une femme, ça serait classe. » Si la pratique peut être une évidence dans certains espaces militants…elle ne fait pas l’unanimité au congrès de la CGT. Successivement, deux femmes prennent le micro pour dénoncer ce paritarisme jugé artificiel. Pour elles, dans une CGT qui compte 39% de femmes, tenter de faire respecter la parité dans la prise de parole relève de « l’instrumentalisation ». Le vrai féminisme consisterait à aller syndiquer les secteurs les plus féminisés.

Un événement qui révèle à quel point la question du féminisme peut être clivante à la CGT. « Je suis féministe, mais dans le cadre d’un rapport de classe. Par exemple : je suis pour l’égalité salariale. Je n’oppose pas les hommes et les femmes entre eux, j’oppose les classes sociales entre elles. Je n’ai aucune communauté d’intérêts avec Mme Borne par exemple, même si c’est une femme », résume Clarisse Delalondre de la FNME-CGT, qui qualifie de « dérive sociétale » les dernières orientations de la CGT. Sous entendu : la confédération sortante délaisse la lutte de classe au profit de questions jugées annexes.

En tous cas la CGT a entrepris un travail sur la question suite au précédent congrès. Elle a ainsi créé un pôle « Égalité des droits » pour lutter contre les discriminations faites aux femmes mais aussi aux migrants, aux personnes LGBT, ou encore aux syndicalistes. « Alors que dans l’entreprise, une personne LGBT sur deux est discriminée à l’embauche, les camarades ont parfois du mal à lier ces questions aux questions salariales ou d’emploi et à voir le tout comme un projet revendicatif d’ensemble qui ne relève pas que des individus mais bien des collectifs de travail », explique Alexandra Meynard, pilote du collectif de lutte contre l’homophobie, pour l’égalité et la non-discrimination des personnes LGBT.

« Le bilan du pôle est positif. On est passé d’une vingtaine d’UD, qui participaient aux marches il y a quatre ans, à 50 ou 60 l’an dernier. Même si au départ c’était considéré comme relevant du sociétal et non du social », continue-t-elle. « On est encore imprégné d’une histoire des luttes avec des images d’Epinal virilistes. On a l’impression que la lutte c’est une histoire de costaud, même si c’est faux au regard de l’histoire sociale. On a seulement un quart des secrétaires généraux de fédération et d’UD, qui sont des femmes. Il reste donc du boulot et il y a des résistances, pas seulement dans les secteurs majoritairement masculins », conclut Alexandra Meynard.

Comment gérer les violences sexuelles et sexistes ?

Forcément, les débats sur le féminisme se prolongent lorsqu’il s’agit d’aborder la gestion des violences sexistes et sexuelles (VSS) au sein même de la CGT. Au micro, Claire Serre-Combe, co-secrétaire générale du Synptac-CGT, raconte : « Je travaille dans le spectacle, un secteur qui n’est pas forcément exemplaire en matière de VSS, pourtant je n’en ai jamais subi dans mon cadre de travail. C’est à la CGT que c’est finalement arrivé. Nous demandons à nos employeurs d’être exemplaires en la matière, il faut que nous le soyons aussi ! » Et de conclure : « Un syndicat ne peut pas se revendiquer de classe et de masse quand il ne peut pas mettre en sécurité la moitié de la population. »

Une prise de parole loin d’être anodine. Ces dernières années, la CGT a été bousculée par des affaires de violences sexuelles graves, dont l’affaire Benjamin Amar. Cet enseignant, membre de l’union départementale du Val-de-Marne, avait été suspendu de ses mandats confédéraux suite à la plainte d’une militante CGT pour « viol », « agression sexuelle », « torture » et « actes de barbarie ». Le parquet avait ouvert une enquête, finalement classée sans suite en août dernier. Ce qui avait conduit à la réintégration de Benjamin Amar, par ailleurs connu pour être un farouche opposant à la direction de Philippe Martinez.

Suite à cette affaire, la CGT s’est dotée, début février, d’un « Cadre commun d’action », définissant les règles à tenir face aux violences sexistes et sexuelles (VSS). Un texte qui acte notamment qu’il est impératif de « mettre en protection la victime en suspendant le ou les mandats du ou des mis en cause », et ce « qu’il y ait dépôt de plainte ou non, le temps de la constitution du dossier ». L’adoption de ce texte a conduit Benjamin Amar à être de nouveau démis de ses fonctions confédérales et a empêché sa présence au 53e congrès de la CGT.

Une CGT seule ou avec d’autres ?

« Rechercher l’unité syndicale ne se fera qu’à une certaine renonciation de notre identité », exprime Muriel Morand de la CGT Biomérieux dans le Rhône, pendant le débat sur le rapport d’activité. Pour elle, « la majorité des actions menées se font à l’initiative de syndicalistes cégétistes ». Ainsi, en creux : nul besoin des autres. Et hors de question d’être « un syndicat de concertation ou d’accompagnement à la remorque de la CFDT », soutient cette militante de la fédération de la chimie. Le sentiment que la CGT seule est suffisante est partagé par une partie des congressistes, notamment dans certains secteurs industriels où la CGT reste la force dominante. Mais avec bien plus de nuances pour Mathieu Pineau de Mines Énergie : « Sur la séquence des retraites : travailler avec la CFDT est une bonne chose en termes d’affichage, ça montre qu’on est unis. Dans l’énergie, ça permet aussi de faire monter le nombre de grévistes lors des journées d’appel intersyndical ».

Le sentiment que la CGT se suffit à elle-même se double pour certains de la crainte de se diluer dans le travail avec d’autres forces. C’est le cas pour la CFDT évidemment, avec une forte remise en cause de l’époque du « syndicalisme rassemblé » du début des années 2000, mais pas seulement. « Ce n’est pas le rôle d’une organisation syndicale d’être liée avec des ONG qui ne partagent pas nos valeurs », avance Clarisse Delalondre, membre du comité exécutif de la fédération Mines Énergie. Une critique du travail sur l’environnement avec les associations et les ONG de « Plus jamais ça » qui cimente les fédérations issues de l’industrie, mais aussi celle des cheminots également hostiles à Philippe Martinez. Là, Greenpeace fait office d’épouvantail pour ses actions d’éclat anti nucléaire, comme la CFDT sert de repoussoir sur le projet syndical.

La question d’une unification du syndicalisme de lutte ou de transformation sociale ne trouve pas davantage grâce aux yeux d’une partie des délégués. Particulièrement dans l’industrie où Solidaires et la FSU sont peu voire pas présentes. Et où la CGT pense être la seule organisation capable de mener les luttes et d’entraîner les salariés. Pourtant, elle est bien inscrite dans le document d’orientation présenté au congrès de la CGT qui propose de s’inscrire « dans une démarche de réunification du syndicalisme ».

Ici, la CGT met en avant le travail engagé notamment avec la FSU et appelle à le renforcer. « Le syndicalisme de transformation sociale, de lutte et de propositions ne peut se satisfaire de ses divisions, il doit mettre en œuvre sa recomposition », propose le document d’orientation. Un rassemblement d’une partie du syndicalisme, qui est historiquement défendu par la fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture (FERC), dont est issue Marie Buisson. Mais aussi par celle des travailleurs de l’État, dont provient Céline Verzeletti. Sa candidature est pourtant poussée par certaines fédérations opposées à la direction précédente et par ailleurs plus que tièdes sur cette question.

  publié le 30 mars 2023

Invitation d’Élisabeth Borne : l’intersyndicale sur ses gardes

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Les syndicats envisagent de répondre favorablement à la rencontre proposée par la première ministre, à condition que la réforme soit au menu des discussions.

Pour la première fois depuis le début du mouvement social, le 19 janvier, l’exécutif ouvre la porte à une rencontre avec les représentants de l’intersyndicale, après en avoir fermé beaucoup d’autres. Par de brefs e-mails envoyés mardi 28 mars, la première ministre, Élisabeth Borne, a fait savoir qu’elle était prête à recevoir les organisations syndicales en début de semaine prochaine, lundi, mardi ou mercredi.

« Aborder l’ensemble des sujets »...mais pas le report à 64 ans

L’ordre du jour de cet entretien n’a pas été précisé. «  Les organisations syndicales pourront aborder l’ensemble des sujets qu’elles souhaitent », ont assuré des proches de Matignon cités par BFM. Pourtant, des membres de la majorité qui se sont chargés mercredi matin du service après-vente de la proposition gouvernementale ont expliqué que le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite ne serait pas au programme.

«  C’est le cœur de la réforme, sur lequel, depuis le départ, il n’y a pas d’accord », a justifié sur Public Sénat le ministre des Relations avec le Parlement, Franck Riester, appelant à «  ne pas se focaliser sur les sujets où on n’est pas d’accord » et à parler plutôt du «  travail », de la «  pénibilité » ou des «  reconversions ». « Les 64 ans sont dans le texte, (…) on ne peut pas changer de ligne à ce point », a confirmé François Bayrou, président du Modem, sur le plateau de France 2.

« Une nouvelle preuve de l’enfermement du gouvernement dans ses certitudes »

Un discours qui passe mal auprès de l’intersyndicale, alors qu’une dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé, mardi 28 mars, «  plus de deux millions de personnes » dans les rues, selon la CGT, et que le mouvement social est toujours massivement soutenu par l’opinion publique dans les sondages.

 «  Si on pense qu’on peut parler d’autre chose que de la mesure d’âge, on ne comprend pas grand-chose à ce qui se passe actuellement dans ce pays. C’est grave, et c’est une nouvelle preuve de l’enfermement du gouvernement dans ses certitudes », alerte le secrétaire général de la FSU, Benoît Teste. «  En plein conflit social, c’est complètement irréaliste de penser qu’on puisse parler d’autre chose que de la réforme des retraites », confirme Murielle Guilbert, codéléguée générale de Solidaires.

En l’absence d’ordre du jour figé, les organisations syndicales envisagent cependant de répondre favorablement à l’invitation de la première ministre. «  On ira. On pense collectivement qu’on doit y aller pour faire entendre nos propositions », a indiqué dès mardi Laurent Berger. Et le secrétaire général de la CFDT de prévenir : «  J’en parlerai (de la réforme des retraites). Et si on me dit “vous ne pouvez pas en parler”, alors on partira » 

«  Oui pour y aller, mais à condition de parler retraites » : la CFTC et la FSU, entre autres, sont sur la même ligne. Du côté de Solidaires, Murielle Guilbert annonce une «  consultation » interne et souligne que «  la logique est toujours d’avancer en intersyndicale, avec l’objectif d’un retrait de la réforme ».

Quant à la CGT, sa décision est suspendue le temps du congrès confédéral, qui s’est ouvert lundi à Clermont-Ferrand et s’achèvera vendredi. «  La direction sortante ne s’exprimera pas. Ce sera à la nouvelle direction issue du congrès d’en décider », nous a fait savoir Angeline Barth, membre du bureau confédéral sortant. Rencontre avec Élisabeth Borne ou pas, l’intersyndicale a d’ores et déjà annoncé une onzième journée de mobilisation, jeudi 6 avril.

  publié le 30 mars 2023

Pôle emploi : toujours plus de sollicitations et
« des tensions » sur les radiations

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Le médiateur de Pôle emploi rend ce mercredi son rapport 2022. Les demandes de médiations sont en hausse de 30 % sur un an et celles concernant les radiations continuent de grimper. Le médiateur s’attarde aussi sur la promesse d’ouvrir des droits aux démissionnaires, taclant des « lacunes » dans le dispositif.

Elles sont redoutées, à raison, par les demandeuses et demandeurs d’emploi car elles les privent, pour un ou plusieurs mois de toute ressource financière. Les radiations occupent, cette année encore, une large place dans le rapport du médiateur national de Pôle emploi.

Ce rapport 2022, que Mediapart a pu consulter, sera présenté mercredi 29 mars en conseil d’administration de l’établissement. Six pages sont consacrées à la question des radiations, jugée « sensible » par le médiateur.

En poste depuis dix ans, Jean-Louis Walter ne cesse d’appeler à plus de modération et de bienveillance en la matière, insistant sur « l’épreuve » que représente une radiation. « Même un salarié socialement inséré ne saurait [la] surmonter sans dommages », soulignait-il dès 2013.

Indépendant, le médiateur national coordonne l’action des dix-huit médiatrices et médiateurs régionaux, saisis par des inscrit·es à Pôle emploi souhaitant contester la réponse reçue à une première réclamation, formulée auprès d’une agence ou d’un service de l’établissement public.

En 2022, le nombre de saisines des services du médiateur a bondi de 30 % par rapport à l’année précédente. L’auteur du rapport avance deux explications à cette hausse. D’abord, la mise en œuvre en 2022 de la « médiation préalable obligatoire », qui doit désormais précéder tout recours devant un tribunal administratif.

Ensuite, une mesure liée aux confinements, qui peut réduire injustement le montant des allocations-chômage, a occasionné de nombreuses saisies du médiateur. Ce dernier avait d’ailleurs pris à partie le gouvernement en début d’année 2022, après les révélations de Mediapart.

Au total l’année dernière, plus de 45 300 demandes de médiation ont été adressées, contre 34 900 en 2021. Dans le détail, les saisines portant sur l’indemnisation restent majoritaires : 54 %, soit le même niveau qu’en 2021. En revanche, celles qui concernent les radiations ont augmenté de quatre points en un an, après avoir doublé entre 2019 et 2021. Elles représentent désormais 14 % des demandes reçues par le médiateur, contre moins de 5 % trois ans plus tôt.

Appel au bon sens et à la bienveillance 

« Une tension se ressent sur la rigueur accrue des décisions de radiation, concernant le motif des absences à entretien et dans le contrôle de la recherche d’emploi », note Jean-Louis Walter. 56 % des demandes interviennent après une radiation pour une absence à une convocation et 22 % pour « refus d’une prestation ou insuffisance de recherche d’emploi ».

Le médiateur s’arrête sur les radiations prononcées à la suite d’une absence à un entretien téléphonique. « Un très vieux débat », commente-t-il. Si « le côté pratique et facilitant des contacts téléphoniques, pour les demandeurs d’emploi comme pour les agences, ne peut pas être remis en cause », le médiateur s’inquiète de l’attitude trop radicale de Pôle emploi.

« La réalité fait […] remarquer des situations de radiation systématique si le téléphone n’est pas décroché au premier appel. Chacun a cependant pu expérimenter les aléas des zones blanches, du réseau faible ou d’une absence fugace à l’instant précis où sonne le téléphone », ajoute Jean-Louis Walter. « Bon sens et bienveillance [devraient] guider la gestion de ces incidents. Mais ce n’est hélas pas toujours le cas. »

Fidèle à sa ligne de conduite - publier des rapports sans complaisance –, le médiateur national de Pôle emploi tance aussi les courriers de radiation de Pôle emploi dans lesquels « la motivation des décisions » n’est ni claire ni détaillée. Publiant des exemples, il conclut : « On conviendra qu’il est difficile, pour un demandeur d’emploi, de donner des explications précises quand il reçoit ce type de courriers. »

Les sanctions deviennent de plus en plus sévères, avec un usage fréquent des radiations de six mois.

Jean-Louis Walter insiste ensuite sur la sévérité des sanctions, son cheval de bataille depuis dix ans. Il plaide, sans relâche depuis 2013, pour une « gradation des sanctions » et l’instauration d’un sursis, au premier manquement des demandeurs d’emploi à leurs obligations.

Jean-Louis Walter considère que les priver d’emblée d’un mois de ressources est beaucoup trop brutal et que les sanctions « deviennent de plus en plus sévères, avec un usage fréquent des radiations de six mois et une suppression définitive du revenu de remplacement ».  Le décret de 2018, renforçant les sanctions, le désespère : « Dès 2013 […] la question de la disproportion se posait déjà […] Plutôt que de les assouplir [la loi de 2018] a rigidifié les pratiques, en les enfermant dans un barème plus sévère encore. »

Le médiateur et ses services n’hésitent donc pas à intervenir. « Lorsque les médiateurs sont saisis de décisions de radiation qui sont justifiées dans le motif mais excessives dans la sanction, ils se sentent légitimes à préconiser une adaptation de la durée de la sanction, en la ramenant de six à trois mois par exemple », explique-t-il dans son rapport.

Selon lui, des compromis peuvent régulièrement être trouvés mais la préconisation des médiatrices et médiateurs peut encore « se heurter au refus de la mise en œuvre au vu du cadre rigide des textes ». Il appelle donc à une réflexion « sur la possibilité de conférer à une médiation aboutie un statut dérogatoire aux textes ». En d’autres termes, à ne pas appliquer systématiquement le barème des sanctions, si un terrain d’entente est trouvé.

Au regard des discours toujours accusateurs de l’exécutif sur les chômeuses et chômeurs et des règles qui ne cessent de se durcir depuis six ans, cette proposition risque de rester lettre morte. L’heure n’est pas à la souplesse mais à la réduction des droits.

D’ailleurs, le lien entre les hausses de saisines pour radiation et la politique de Pôle emploi paraît évident. En 2022, l’opérateur a déployé sa nouvelle stratégie de surveillance de la recherche d’emploi avec 500 000 contrôles menés, contre 420 000 en 2019. La directive avait été donnée par Emmanuel Macron. Pour 2023, les objectifs restent les mêmes.

Quant aux radiations, elles ont augmenté de 2,3 % sur un an, selon les chiffres du quatrième trimestre 2022, publiés par le ministère du travail. Une hausse brutale est observée en fin d’année : + 10,4 % sur un seul trimestre.

Selon des chiffres provisoires auxquels Mediapart avait eu accès, la majorité (68 %) des radiations de 2022 ont été prononcées en raison d’une « absence à une convocation ». Manquer un seul rendez-vous conduit à une privation d’un mois d’allocation. Quant aux sanctions pour « insuffisance de recherche d’emploi », elles représentent désormais 10 % du total des radiations, contre 5 % les années précédentes. Sans doute la conséquence de la nouvelle stratégie de contrôle.

Le médiateur, lui, ne se risque pas à établir de lien entre ces chiffres et la hausse des sollicitations de ses services. « Il convient de rappeler que le médiateur ne s’exprime qu’à partir des demandes qu’il reçoit et qu’il n’a pas d’opinion préconçue », écrit-il dans son rapport. « Ceci amène donc à distinguer les demandes de médiation et les décisions de radiation effectivement prononcées. Le nombre des unes ne reflète pas systématiquement celui des autres. »

Convaincues d’accéder au dispositif, des personnes démissionnent mais sont finalement recalées. Et se retrouvent sans rien : ni travail ni allocation-chômage.

Outre les radiations, le médiateur consacre un chapitre de son rapport à diverses « choses vues » par ses services et se penche longuement sur la promesse d’Emmanuel Macron en 2017 d’ouvrir des droits au chômage aux démissionnaires. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est un échec.

Selon un rapport d’information parlementaire sur l’évaluation de la loi, 14 443 démissionnaires se sont vu ouvrir des droits entre novembre 2019 et novembre 2021, quand l’étude d’impact en prévoyait jusqu’à 30 000… par an !

Selon le médiateur, si la crise sanitaire a évidemment freiné le dispositif, son « caractère alambiqué » n’a pas non plus aidé. « Le droit à démissionner s’assortit de conditions préalables […] assez éloignées de l’esprit de simplicité initial », commente Jean-Louis Walter en dressant la longue liste desdites conditions.

Plus fâcheux, le dispositif présente selon lui « des lacunes dans sa sécurisation, qui reposent le plus souvent sur l’information, absente, incomplète ou mal comprise », y compris via les services de Pôle emploi qui délivrent parfois « des informations erronées ou incomplètes ».

Cela conduit parfois à des situations catastrophiques : convaincues d’accéder au dispositif, des personnes démissionnent mais sont finalement recalées. Et se retrouvent sans rien : ni travail, ni allocation-chômage.

Gare aux simulateurs, purement indicatifs

Jean-Louis Walter cite la condition de justifier de 1 300 jours travaillés sur les soixante derniers mois et tacle un mode opératoire totalement « invraisemblable », où tout semble avoir été imaginé à l’envers. « Pour que Pôle emploi examine le droit à indemnisation, il doit se fonder sur les attestations employeurs, détaille le médiateur. Or ces documents ne sont remis […] qu’à la fin de la relation de travail. Dans la construction actuelle [du dispositif –ndlr] le candidat n’est donc pas en capacité d’obtenir de Pôle emploi l’assurance de son éligibilité avant d’avoir démissionné. »

Les candidat·es ne peuvent prétendre « qu’à des informations indicatives fondées sur les éléments déclaratifs renseignés dans un simulateur », mis à disposition sur le site de Pôle emploi ou sur le site ouvert sur un portail du gouvernement. « Il permet de calculer le nombre de jours sur une période travaillée de 60 mois. Lui aussi est purement indicatif, mais certains s’y fient et le prennent à tort pour une validation », déplore le rapport.

« Les médiateurs continuent de recevoir des demandes […] après un refus d’une ouverture de droits […] en raison d’un manque de jours travaillés […] en toute fin de parcours, après que le salarié a démissionné. Ces situations sont génératrices de grandes tensions, car les candidats ne comprennent pas cette décision, alors qu’ils ont reçu en première étape une estimation de la “cellule démissionnaire” indiquant le contraire. »

En matière de choses invraisemblables, on touche ici au sublime…

Si le ton général de ce rapport 2022 du médiateur est beaucoup moins piquant et agacé que celui de l’année dernière (voir notre article), il n’en reste pas moins un document sans concession aucune vis-à-vis des règles ou des anomalies constatées au travers des saisines. Jean-Louis Walter alerte sur des « textes sans cesse plus nombreux et compliqués » en face desquels « les demandeurs d’emploi [et] les citoyens d’une manière plus large, se sentent de plus en plus démunis, perdus ».

Après une incise sur « la complexification des normes imposées aux collectivités territoriales », il recommande « une thérapie de choc » face à une « inflation normative » qui éloigne les citoyennes et citoyens des administrations et leur donne le sentiment « d’être le pot de terre contre le pot de fer ». Cette « thérapie », Jean-Louis Walter dit y souscrire entièrement et s’interroge : « C’est pour quand ? »

publié le 29 mars 2023

Évasion fiscale : « CumCum », la combine bancaire
qui coûte des milliards à l'État français

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Des perquisitions ont eu lieu, mardi, au siège de la BNP, d’Exane, de la Société générale, de Natixis et de HSBC, constituant la plus vaste opération de l’histoire du Parquet national financier.

Nouveau rebondissement dans le scandale de fraude fiscale dit CumCum : 16 magistrats du Parquet national financier (PNF), sur les 19 en poste, et pas moins de 150 enquêteurs ont mené, ce mardi, des perquisitions au siège de cinq établissements bancaires, à Paris comme à la Défense. Il s’agirait même de la plus grosse opération de l’histoire du PNF.

Des bénéfices partagés avec la banque plutôt qu'avec la solidarité nationale

Les banques ciblées sont rien de moins que la BNP Paribas, Exane (gestionnaire de fonds et filiale de la BNP), la Société générale, Natixis ­(filiale de BPCE) et HSBC. Selon le communiqué du parquet, 6 procureurs allemands étaient également présents, dans le cadre de la coopération européenne.

En effet, lorsque le scandale « CumCum » a éclaté, en 2018, à la suite de ­révélations du Monde, dont les répercussions ont été réévaluées à la hausse en 2021, les pertes cumulées de cette pratique pour les administrations fiscales européennes s’élevaient à pas moins de 140 milliards d’euros.

Ce mécanisme consiste, pour les détenteurs étrangers d’actions d’entreprises cotées en Bourse en France, à éviter de payer tout impôt sur les dividendes, avec l’aide des banques hexagonales.

Imaginons un actionnaire non français de Total. Au moment de toucher les revenus de son capital, il confie la propriété de ses titres à une banque française complice, qui les lui restitue, avec le montant des dividendes moins sa commission, une fois passé le moment de la retenue à la source. Plutôt que de participer à la solidarité nationale, l’actionnaire préfère partager ses bénéfices avec sa banque.

Un ­redressement espéré d’un milliard d’euros

Réagissant à chaud depuis la manifestation parisienne, Fabrice Egalis, membre de la commission exécutive de la CGT finances publiques, trouve cette pratique « complètement scandaleuse. Déjà les revenus du capital sont très peu taxés, mais en plus la loi est dure avec les pauvres et généreuse avec les riches ! »

Car l’illégalité de la méthode est contestée par les banques concernées. C’est d’ailleurs toute la démarche de la plainte que Boris Vallaud a déposée en 2018, avec l’aide de l’économiste Gabriel Zucman, visant cette pratique. « Voilà la question de fond qu’on voulait poser : est-ce que l’optimisation fiscale, quand elle a pour unique but d’échapper à l’impôt, n’est pas forcément de l’évasion fiscale, donc illégale ? » explique le député PS.

Le PNF semble sensible à ces arguments : ainsi, la BNP Paribas et sa filiale sont soupçonnées de fraude fiscale aggravée et de blanchiment de fraude fiscale aggravée, après des signalements de l’administration fiscale. La Société générale, Natixis et HSBC font l’objet d’enquêtes pour blanchiment ­aggravé de fraude fiscale aggravée. Le ­redressement espéré pourrait dépasser un milliard d’euros.

Les actionnaires français peuvent aussi profiter de la combine

Les actionnaires français peuvent aussi profiter de la combine en exploitant les conventions fiscales que la France a passées avec des paradis fiscaux comme les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite ou le Qatar, taxant les revenus du capital à zéro pour cent.

Il s’agit alors de transmettre ses titres à un complice qui y réside au moment de la distribution des dividendes et de les récupérer ensuite, en se partageant les gains exemptés d’impôt. Comme cela ne concerne pas les banques françaises, ce n’est pas l’objet des perquisitions. « Mais le scandale doit inviter à remettre en question toutes ces conventions passées avec les paradis fiscaux », insiste Boris Vallaud.

   publié le 29 mars 2023

Retraites :
le gouvernement s’entête, la détermination reste

Nejma Brahim, Cécile Hautefeuille et Karl Laske sur www.mediapart.fr

La participation à la dixième journée de mobilisation est en baisse par rapport au 23 mars, mais elle reste élevée partout en France. L’intersyndicale appelle à une onzième journée d’action le 6 avril, alors que l’exécutif demeure inflexible. La médiation proposée par l’intersyndicale a été sèchement refusée. Mais Matignon lui a lancé une invitation la semaine prochaine, sans plus de détails.

Un recul mais pas un gros décrochage. Si la mobilisation a incontestablement décliné par rapport aux chiffres historiques des rassemblements « post 49-3 », elle revient à des niveaux, déjà remarquables, constatés en janvier puis février. Et elle témoigne d’un mouvement qui ne lâche pas, même après deux mois et demi de bataille.

Mardi 28 mars, la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé 740 000 personnes partout en France, dont 93 000 à Paris, selon le ministère de l’intérieur. La CGT avance deux millions de manifestant·es, dont 450 000 à Paris.

Lors de la précédente journée, le 23 mars, la CGT avait revendiqué 3,5 millions de manifestant·es en France. À Paris, la préfecture de police avait recensé 119 000 personnes soit le chiffre le plus important de ce mouvement social dans la capitale, mais aussi le plus gros jamais mesuré pour une manifestation syndicale. Les 93 000 personnes recensées ce mardi sont donc loin de traduire un essoufflement.

Et la bagarre n’est pas terminée. L’intersyndicale appelle ce soir à une nouvelle « grande journée » d’action le jeudi 6 avril. Par la voix des deux représentants de Solidaires, Murielle Guilbert et Simon Duteil, elle invite aussi « les travailleurs, les jeunes et retraités » à « des rassemblements de proximité » le week-end prochain.

« L’absence de réponse de l’exécutif conduit à une situation de tension qui nous inquiète fortement », a lancé la co-déléguée générale de Solidaires. Car le pouvoir reste inflexible, voire provocateur. Avant même que les premières manifestations ne s’élancent, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a en effet donné le ton : le gouvernement ne bougera pas, quelle que soit la mobilisation.

Ça va commencer à suffire, les fins de non-recevoir à la discussion et au dialogue !

Dans la matinée, des membres de l’intersyndicale, Philippe Martinez et Laurent Berger en tête, avaient appelé à mettre la réforme « en pause » pendant « un mois, un mois et demi », pour sortir de la crise par le biais d’une médiation. « C’est un choix politique et social qu’il faut faire », avait argué le leader de la CFDT.

Fin de non-recevoir du gouvernement. À la sortie du Conseil des ministres, Olivier Véran a laissé la porte fermée à triple tour à toute conciliation, tout en prétendant le contraire. « On n’a pas besoin de médiation pour se parler, on peut se parler directement », a répondu le porte-parole du gouvernement, ajoutant que « la première ministre se tient à disposition des syndicats ».

Dans la soirée, Laurent Berger annonçait d’ailleurs que la cheffe du gouvernement venait d’inviter l’intersyndicale à Matignon en début de semaine prochaine, sans préciser l’ordre du jour. « On ira. On pense collectivement qu’on doit y aller pour faire entendre nos propositions », a-t-il ajouté. « On a encore besoin d’en discuter en intersyndicale», a nuancé Murielle Guilbert, souhaitant mettre « des conditions avant de s’asseoir à une table ». « Ça nécessite une discussion entre nous au préalable », a également indiqué François Hommeril, président de la CFE-CGC.

Emmanuel Macron, lui, ne parlera pas aux partenaires sociaux avant la décision du Conseil constitutionnel, qui se prononcera d’ici quelques semaines, probablement dans la deuxième quinzaine du mois d’avril. Or, c’est bien au président de la République que s’adressent, depuis le début du mouvement social, les membres de l’intersyndicale unis contre le report de l’âge légal de départ à la retraite.

Mais cette question est un sujet clos pour l’exécutif. Il n’y a rien à négocier sur ce point. Le pouvoir s’installe dans un bras de fer avec les manifestant·es, pariant sur la lassitude, l’épuisement et même le lâchage d’une partie de l’opinion publique. « Ça va commencer à suffire, les fins de non-recevoir à la discussion et au dialogue. […] C’est insupportable que la réponse soit une fin de non-recevoir », a répliqué Laurent Berger en réponse à l’intervention d’Olivier Véran. 

Même le président la Conférence des évêques de France s’en est mêlé. « La crise autour de la réforme des retraites met en question fortement les processus de concertation et de décisions collectives prévus par nos institutions ou, à tout le moins, leur mise en œuvre concrète », a déclaré mardi matin Éric de Moulins-Beaufort.

L’ombre de Sainte-Soline dans le cortège parisien

Le recul du nombre de manifestant·es dans les rues, par rapport au 23 mars, ne manquera pas d’être commenté par les Cassandre qui veulent y voir la fin du mouvement. La mobilisation était ainsi en baisse de près d’un tiers à Rennes (13 600 à 25 000 personnes) et Marseille (11 000 à 180 000, un grand écart classique entre police et CGT ) et de moitié à Montpellier (10 000 à 20 000).

Mais d’autres signaux continuent de s’allumer. La jeunesse, entrée tardivement dans la danse, reste fortement mobilisée. Plus de cinq cents lycées ont été bloqués partout en France, selon la FIDL, le syndicat lycéen qui évoque un chiffre historique. D’ailleurs, et alors que les images de violences policières se multiplient, le ministre de l’intérieur a envoyé un SMS aux préfets, obtenu par Mediapart, pour leur recommander de faire « très attention » aux cortèges syndicaux et aux jeunes.

En début de soirée à Paris, place de la Nation, les affrontements ont repris après la dispersion du cortège vers 19 heures. Les forces de l’ordre ont fait de nombreuses charges et ont évacué la place plus d’une heure et demie plus tard, en la plongeant sous les gaz lacrymogènes. 

Plus tôt, sur le cortège de tête déplumé, en tout cas atone, l’ombre des affrontements et des victimes de la police à Sainte-Soline a pesé silencieusement.  « C’est calme, morbide, ennuyeux », commentait un manifestant dans l’après-midi. Au cœur du rassemblement, on se répétait la rumeur - infondée – selon laquelle un des blessés de Sainte-Soline était « mort au bloc ». Un petit tract signé des « camarades de S. », le militant blessé, a finalement été distribué, précisant que son pronostic vital est toujours engagé. Ce tract appelle à « prendre les rues […] pour S et tous les blessés et les enfermés du mouvement ».

Sur le parcours, des vitrines ont été taguées : « Sainte-Soline, du courage d’un côté, 4000 grenades de l’autre », « Darmanin assassin ». Et des feux allumés au niveau du métro Rue-des-Boulets. Ils ont brûlé longtemps, puis les compagnies d’intervention et les gendarmes ont fait leur apparition aux coins des rues. Ils ont chargé en courant sur le boulevard et la foule s’est agglutinée face aux coups de matraque qui tombaient. De toutes parts, des insultes ont fusé. « Qu’ils me massacrent, j’ai des convictions », a hurlé un homme furieux devant un cordon de policiers.

La grève des éboueurs suspendue à Paris

Dans la capitale, les personnes étrangères, avec ou sans papiers, ont également défilé, comme depuis le début du mouvement, espérant une convergence des luttes dans le contexte du projet de loi immigration à venir. Mamadou, 58 ans, se sent particulièrement concerné par le sujet de la retraite. « Je travaillais de temps en temps, mais ce n’était jamais déclaré. Ça veut dire qu’on ne cotise pas forcément pour notre retraite, ce qui est anormal », dénonce le Malien régularisé un an plus tôt, avec l’aide de la Coordination des sans-papiers de Paris (CSP75), après onze ans de vie en situation irrégulière et de précarité.

Du côté des grèves dans les transports, le trafic SNCF était moins perturbé que lors de la dernière journée de mobilisation avec 60 % des TGV Inoui et Ouigo, un quart des Intercités et la moitié des TER. Le trafic a par ailleurs été fortement perturbé au départ et à l’arrivée de la gare de Lyon à Paris après l’envahissement des voies par des cheminots, en soutien à leur collègue, syndiqué Sud Rail, qui a perdu un œil à cause d’une grenade de désencerclement dans le cortège parisien du 23 mars.

Dans l’Éducation nationale, le ministère a recensé 8,3 % d’enseignants grévistes, tous degrés confondus contre 21,41% lors de la neuvième journée de mobilisation.

À Paris, où les ordures s’amoncellent depuis le 6 mars, la grève des éboueurs et le blocage des incinérateurs seront suspendus dès demain, mercredi 29 mars. Annonce de la CGT qui reconnaît manquer de grévistes et entend « rediscuter avec les agents de la filière déchets et assainissement de la Ville de Paris afin de repartir plus fort à la grève ».

Dans les raffineries, la reconduction de la grève a en revanche été votée jusqu’à jeudi midi à Gonfreville-l’Orcher en Normandie. Le site est à l’arrêt, tout comme les expéditions de la raffinerie de Donges, en Loire-Atlantique. À Feyzin (Rhône), le site fonctionne « en débit réduit », selon la direction citée par l’Agence France-Presse.

Une catastrophe évitée à Frontignan, sur le blocage d’un dépôt

La pénurie de carburants s’accentue et commence à toucher certains départements d’Île-de-France. Dans le Val-de-Marne, 44 % des stations manquent d’au moins un carburant et 37 % dans l’Essonne. Au niveau national, 15,5 % des stations-service sont touchées et près de 7 % sont totalement à sec. Selon l’AFP, le département le plus touché est désormais la Mayenne avec 50 % des stations en pénurie d’au moins un carburant. Haute-Garonne (41 %) et Bouches-du-Rhône (39 %) restent également très impactées.

L’un des plus importants dépôts pétroliers du sud de la France, celui de Frontignan dans l’Hérault, a été bloqué pendant plusieurs heures par une centaine de personnes venues de Sète et Montpellier après les rassemblements du matin. Les camions ne pouvaient ni entrer ni sortir du terminal pétrolier. Dans ses vingt-quatre réservoirs, la capacité de stockage est de 966 000 mètres cubes. Le blocage a provoqué des embouteillages monstres sur les routes alentour.

Comme lors de la neuvième journée de mobilisation nationale, les CRS sont intervenus pour débloquer l’accès au site, en usant de gaz lacrymogène. « Vous en avez marre ? Nous aussi ! », leur a lancé un manifestant. « Allez, mettez-vous en grève avec nous et dans deux jours, c’est fini ! »

Une catastrophe a par ailleurs été évitée de justesse : un feu de broussailles s’est déclenché au bord de la départementale, menaçant directement des habitations.

Il a été rapidement maîtrisé par les pompiers. Les policiers sont accusés par les manifestants de l’avoir déclenché par un tir de grenade lacrymogène. Sur Twitter, la préfecture a vivement réagi, dénonçant de « fausses informations ». Les services de l’État assurent au contraire que des fumigènes ont été retrouvés à proximité immédiate du départ de feu.

« Le reste de fumigène, j’ai vu un policier le ramasser au milieu de la route ! », raconte à Mediapart Sébastien Rome, député LFI de l’Hérault qui était sur place. Il décrit une intervention « totalement désorganisée » avec des CRS qui ont « tiré dans tous les sens » et qui auraient pu provoquer le feu par mégarde. Une hypothèse confirmée selon l’élu par un habitant d’une des maisons menacées.

Dans les rangs des manifestant·es, la colère et la détermination étaient plus que palpables. Guillaume, venu de Sète pour soutenir le blocage, appelle à « encore plus de radicalité ». « J’ai fait tous les cortèges interprofessionnels mais les manifs, je n’y crois plus, explique-t-il. La radicalité. Il n’y a plus que ça qui marche. » Et de conclure, l’air sombre : « Mais le problème, c’est dans quel camp ça va tomber… »

« Tu parles de quoi ? De morts ?, lui demande Philippe, cinéaste et membre de la CGT Spectacle. « Des morts, il y en aura, parce que ce pouvoir est fou. Et parce que la police, dont on sait qu’elle vote surtout pour le Rassemblement national, cherche à provoquer l’explosion sociale », poursuit Philippe, qui a connu ses premières manifs « contre la loi Debré », en 1973.

S’il n’est pas très optimiste quant au retrait de la réforme, il voit dans la mobilisation des dernières semaines des signes prometteurs pour l’avenir. « Les ouvriers commencent à reconquérir leur identité de prolétaire. C’est devenu une lutte anticapitaliste qui fait la jonction avec l’écologie. Les jeunes sont remontés comme des pendules. Il y a quelque chose qui se reconstruit, en positif. »


 


 

À Marseille, « on ne va
pas lâcher maintenant,
après tout ce qu’on a fait »

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Mobilisés depuis des semaines contre la réforme des retraites, les salariés du grand port maritime étaient de nouveau au rendez-vous, mardi. La manifestation a réuni 180 000 personnes, selon les syndicats.

Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyé spécial.

Entrée 2C du port maritime de Marseille, 9 h 30. Des palettes carbonisées, un brasero froid et des tags rouges sur les murs rappellent les multiples mobilisations qui ont perturbé l’activité du site depuis le début du mouvement social.

Pour ce 28 mars, la CGT appelle à une grève de 24 heures, puis à des grèves de quatre heures par jour jusqu’à la fin de la semaine. Et après ? « On ne va pas lâcher maintenant, après tout ce qu’on a fait. Il faut qu’on montre au gouvernement qu’on est capables de s’inscrire dans la durée », énonce Pascal Galéoté, le secrétaire général CGT du Grand Port, pas découragé par l’adoption du texte via le rejet de la motion de censure contre le gouvernement, le 20 mars.

« Le 49.3, c'est limite de la provocation »

Autour de lui, ses collègues sautent dans leur voiture pour rejoindre la manifestation intersyndicale qui part du Vieux-Port, comme de coutume dans la préfecture des Bouches-du-Rhône.

« Le 49.3 (utilisé par la première ministre le 16 mars), c’est limite de la provocation. Quand on voit la manière dont se comporte ce gouvernement, alors que la majorité de la population est contre la réforme, on se demande si on est encore en démocratie », enrage Valentin (1), employé dans les cuisines du port.

Didier, 55 ans, dont plus de trente-cinq passés dans les activités portuaires à travailler en trois-huit, abonde : « On nous impose une réforme injuste sans aucune discussion. » Celui qui exerce désormais le métier de docker du côté de Fos-sur-Mer raconte sa fatigue chronique, ses difficultés à trouver le sommeil et ses conversations avec son médecin, qui lui répète que « le corps n’est pas fait pour travailler la nuit ».

Ils ont perdu le compte de leurs jours de grève : 15 ? 20 ?

« Mais ce n’est pas seulement une question de pénibilité », opposent Philippe et Carine, deux agents portuaires qui ont perdu le compte de leurs jours de grève – 15 ? 20 ? « Il y a une réflexion philosophique à avoir sur la manière dont les travailleurs peuvent disposer de leur temps. Quand on entend qu’on devrait travailler plus parce qu’on vit plus, c’est violent. On veut pouvoir vivre en bonne santé après le travail », exposent-ils.

Un peu avant 11 heures, le précortège des salariés portuaires, fort de quelque 200 personnes, débarque sur le Vieux-Port et se fond dans la foule qui martèle pour la dixième fois son opposition à la réforme des retraites.

Étudiants nombreux et bruyants qui scandent leur détermination au rythme du tambour, salariés de l’énergie qui défilent derrière un camion bleu Enedis sur lequel est monté un militant en surchauffe, manifestants de la CFDT rassemblés derrière une banderole « Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on dit non, on dit non », en forme de clin d’œil à Georges Brassens…

Au total, 11 000 personnes sont présentes, selon la police, et 180 000, selon l’intersyndicale. Un chiffre considérable, mais en nette baisse par rapport à jeudi dernier, quand l’intersyndicale avait annoncé 280 000 manifestants, un record depuis janvier.


 


 

Étudiants et lycéens prennent le relais :
« Les gaz lacrymogènes ne nous arrêteront pas »

Yunnes Abzouz et Lucie Delaporte sur www.mediapart.fr

Les jeunes étaient présents en nombre pour participer à cette dixième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites. Étudiants comme lycéens ont exprimé leur colère face au 49-3, aux violences policières, et plus largement contre « ce système qui veut les faire produire plus », en dépit de l’urgence climatique.

À Paris, les étudiants du Quartier latin s’étaient donné rendez-vous place du Panthéon pour un départ groupé. Parmi les facs représentées, les étudiants de l’ENS (École normale supérieure) font partie des plus discrets. « On est deux fois moins nombreux que la semaine dernière, regrette Mathis, normalien et membre du syndicat Solidaires. L’attaque de la semaine dernière en a dissuadé plus d’un », en référence à la violente agression du cortège, jeudi 23 mars, par un commando d’extrême droite.  

Si certains habitués des manifs ont fait faux bond, leur absence est largement compensée par les indignés du 49-3, ces étudiants qui ont rejoint les cortèges depuis le passage en force du gouvernement. Comme Solène, 22 ans et étudiante à l’École des arts décoratifs, qui entend signaler au gouvernement que « la démocratie, ce n’est pas le 49-3 ». Elle et ses camarades ont transformé depuis quelques semaines leur université en lieu de formation militante. Chaque jour se tiennent des ateliers, au choix de fabrication de banderoles ou de construction de chars, ainsi que des conférences animées par d’anciens élèves, façon retour d’expérience de Mai 68. 

Dans une note consultée lundi par Le Parisien, le renseignement territorial estimait que le nombre de jeunes manifestants pourrait tripler ce mardi 28 mars. Difficile de dire si le compte y est. Une chose est sûre : lycéens et étudiants sont venus massivement grossir les rangs de cette dixième journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites. 

« La mobilisation se maintient alors que la violence de l’État se déchaîne »

« On ne doit pas laisser la mobilisation s’essouffler, pense Solène. On doit tirer des leçons du mouvement des “gilets jaunes” pour dire à Macron que, cette fois, les gaz lacrymogènes ne nous arrêteront pas. » Les scènes de violences de la semaine dernière sont dans toutes les têtes, et la répression policière dans toutes les bouches. « Le 49-3 a signé la fin de nos droits politiques, les réquisitions, la fin du droit de grève et les violences policières, c’est la cerise sur le gâteau », enrage Juliette, étudiante à l’ENS et présente à Sainte-Soline ce week-end, pour manifester contre le projet de mégabassine. Elle est rentrée dimanche des Deux-Sèvres, où elle se souvient d’« avoir regardé le ciel avec anxiété pour voir si une grenade n’allait pas lui tomber sur la tête ». À peine s’est-elle accordé une journée de repos qu’elle a repris le chemin des manifestations : « On a l’impression de participer à un moment historique : la mobilisation se maintient alors que la violence de l’État se déchaîne. » 

À mesure que le cortège d’étudiants s’approche de la place de la République, départ de la manifestation parisienne, la procession est rejointe par plusieurs universités franciliennes, celles de Saint-Denis et de Nanterre entre autres. À l’arrivée au pied de la statue de la République, une voix dans le mégaphone perce les chants de la foule : « Faites du bruit pour nos camarades cheminots. » Des applaudissements appuyés suivent. « Si les travailleurs sont empêchés de manifester à cause des réquisitions, c’est à nous, étudiants, de prendre le relais », appuie Cécilia, étudiante en master à l’université de Saint-Denis.

À côté d’elle, Lucile a d’ores et déjà fait une croix sur sa retraite mais estime que la lutte contre cette réforme engage un combat plus large : « Ce système qui veut nous faire travailler plus longtemps pour produire et consommer plus est responsable de la crise sociale et climatique. » 

« La précarité quand tu es étudiant, c’est ton quotidien, cela fait partie de ta vie », explique Mar, membre du pink bloc, et qui tient à rappeler que « dans ce pays riche, des étudiants se sont suicidés parce qu’ils ne s’en sortaient pas »« On est jeunes, déters » [déterminés – ndlr] et révolutionnaires », scande un groupe de très jeunes manifestants à l’approche de la place Voltaire. À côté des étudiants, les lycéens sont aussi venus en nombre.

Fabio, 17 ans, lycéen à Cachan et proche du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), raconte avoir fait presque toutes les manifs depuis le début du mouvement. « Depuis le 49-3, on fait aussi les manifs sauvages à Concorde, des blocus de lycées », précise-t-il. Comme bon nombre de lycéens rencontrés ce mardi, il affirme que la question des retraites est un motif, parmi d’autres, de sa présence dans le défilé : « On vient aussi parce qu’on est contre le Service national universel, contre la loi Darmanin et, plus largement, contre [l]a politique libérale [de Macron]. »  

À ses côtés, Sharona et Arena, dans le même lycée que Fabio, font leur première manif. Le blocus de leur lycée, après le 49-3, a été leur baptême du feu militant. « C’est intéressant d’être ici. On apprend beaucoup », assure Sharona, qui reconnaît n’avoir pas été très intéressée par la politique jusque-là. « Cela me rappelle ce qu’on apprend en SES [sciences économiques et sociales – ndlr] sur les inégalités sociales. »

En première au lycée Balzac à Paris, Irini, 16 ans, fait aussi le récit d’une politisation « express ». « Je suis dans un lycée “engagé”. Il y a eu beaucoup d’AG ces dernières semaines », explique-t-elle.  Comme ses camarades, elle assure s’être aussi beaucoup formée aux enjeux de la réforme via les réseaux sociaux, et notamment en suivant le compte du jeune député La France insoumise (LFI) Louis Boyard, qu’elle « adore ».

Dans les cortèges, ce mardi, il y avait aussi des étudiants salariés, un pied dans un monde du travail qui ne les fait pas franchement rêver. 

Face à l’église de la Madeleine, une petite dizaine d’employés de Decathlon avaient installé un piquet de grève à partir de midi. Leur cinquième depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites. Une mobilisation inédite dans ce magasin à la faible culture syndicale, où un très fort turn-over empêche généralement l’action collective.

La fronde contre la réforme des retraites a cristallisé chez ces jeunes salariés – dont beaucoup sont des étudiants qui travaillent à mi-temps – un malaise grandissant. Thomas*, 23 ans, étudiant en sociologie à Paris-Diderot, a déjà – au bout de sept mois à mi-temps dans l’enseigne – une interdiction de porter des charges lourdes à cause d’une tendinite à l’épaule.

« Ici, être vendeur ou vendeuse, c’est faire de la manutention, de la logistique. Le matin, on va vider les camions avec des transpalettes. On manipule des charges qui sont parfois de 600 kilos. Nos heures sont annualisées, donc certains jours on commence à 7 heures du matin, d’autres à 15 heures. Ce sont des rythmes très fatigants », décrit Cyrielle, qui travaille dans le magasin depuis six ans. Une ancienneté que très peu atteignent ici.

Soutenir le rythme des études avec ce travail harassant n’est pas évident. « Quand je commence à 7 heures ici, il m’arrive de m’endormir en amphi l’après-midi », raconte Thomas, qui redouble sa troisième année.

Étudiante en master d’études ibériques, Emma, qui travaille 19 heures par semaines comme vendeuse, assure que ce n’est pas forcément pour sa retraite à elle qu’elle s’engage aujourd’hui : « La retraite, cela semble très loin, et quand on voit tous les problèmes écologiques, notre futur paraît vraiment incertain. Mais ma mère est assistante maternelle, elle va devoir travailler jusqu’à 70 ans si elle veut une retraite. Pour moi, c’est très concret. »

Le recours au 49-3 l’a beaucoup choquée, et plus encore les violences policières des derniers jours.  « Le gouvernement nous impose des choses de force sans comprendre ce que vivent les jeunes. On a une vraie colère et ils ne veulent pas l’écouter », poursuit celle qui s’est fait gazer dans une nasse à la dernière manifestation. « On manifestait tranquillement. Qu’est-ce qu’il faut faire alors pour être entendus ? », s’émeut-elle.


 

   publié le 28 mars 2023

Dixième journée de mobilisations : la participation baisse, le mouvement tient

Martine Orange sur www.mediapart.fr

Avant même le début des manifestations mardi, le gouvernement a répondu par une fin de non-recevoir à toutes les tentatives de conciliation. Si la participation est en baisse par rapport au 23 mars, elle reste élevée. Les violences policières signent pour les manifestants la politique du pire. Synthèse à la mi-journée.  

L’exécutif a choisi : il ne bougera pas. Avant même que les premières manifestations ne s’élancent en France ce 28 mars pour la dixième journée de protestations organisée à l’appel de l’intersyndicale, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a donné le ton. Le gouvernement restera inflexible, quelle que soit la mobilisation ou la détermination des manifestants et manifestantes. La porte de la conciliation restera fermée.

Mardi matin, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a pourtant essayé à nouveau d’esquisser une tentative d’ouverture : il a proposé une « médiation », afin de renouer les fils entre syndicats et pouvoir, et de mettre la réforme « sur pause » pendant six mois, le temps de rouvrir le débat à la fois sur le travail et les retraites. Plusieurs responsables et constitutionnalistes suggéraient de leur côté de remettre le texte en discussion à l’Assemblée nationale.

Même le président la Conférence des évêques de France s’en est mêlé. « La crise autour de la réforme des retraites met en question fortement les processus de concertation et de décisions collectives prévus par nos institutions ou, à tout le moins, leur mise en œuvre concrète », a déclaré mardi matin Éric de Moulins-Beaufort.

Toutes ces tentatives d’ouverture se sont heurtées à une fin de non-recevoir. Il n’y a « pas besoin de médiation pour se parler. Le président de la République est prêt à recevoir les syndicats dès lors que le Conseil constitutionnel se sera positionné sur la réforme », a répondu Olivier Véran, porte-parole du gouvernement. Bref, pour l’exécutif, la réforme des retraites est un sujet clos. Il n’y a rien à négocier. L’exécutif s’installe dans un bras de fer avec les manifestant·es, pariant sur la lassitude, l’épuisement et même le lâchage d’une partie de l’opinion publique.

« Ça va commencer à suffire, les fins de non-recevoir à la discussion et au dialogue. […] C’est insupportable que la réponse soit une fin de non-recevoir », a répliqué Laurent Berger en réponse à l’intervention d’Olivier Véran. « La posture idéologique du président nuit gravement à la santé démocratique », rappelait ce matin Christophe Nguyen, un syndicaliste CFTC de toutes les manifestations dans le Cantal depuis le début du mouvement.

Car, face à l’exécutif, la détermination des manifestant·es n’est pas ébranlée, même si des signes de fatigue refont surface après ces deux mois et demi de protestations sociales. « La grève, ça coûte cher », rappelait un syndicaliste pour expliquer la baisse du taux de grévistes.

À la SNCF, ils n’étaient plus que 16,5 %, selon la direction, à faire grève ce 27 mars, contre près du double la semaine dernière. Même chute dans l’Éducation nationale, où le nombre d’enseignants en grève est tombé à 8,38 % selon le ministère (30 % selon le syndicat Snuipp-SNU).

Mais dans les raffineries, les ports, le secteur de l’énergie et des déchets, le mouvement tient toujours. D’autres viennent les rejoindre. Après le musée du Louvre en grève la semaine dernière, la tour Eiffel a à son tour fermé.

À ces mouvements de grève viennent s’ajouter des opérations de blocage. Une grande opération « ville morte » avait été lancée ces deniers jours en Bretagne. Ce mardi matin, les périphériques et rocades de Rennes, Caen, Quimper ou Brest ont été bloqués pendant plusieurs heures. Mais d’autres opérations similaires ont été menées un peu partout dans le reste de la France, les étudiants et étudiantes venant souvent se joindre aux syndicalistes.

Ce que le gouvernement espérait éviter depuis le début du mouvement se concrétise : les jeunes ont rejoint les manifestant·es dans le mouvement contre la réforme des retraites. Souvent descendus dans la rue pour la première fois le 23 mars pour protester contre la réforme des retraites et surtout contre le 49-3, ils se sont à nouveau retrouvés aujourd’hui. De nombreuses universités, à l’instar de Paris I, Lyon 3, Toulouse 2, Cergy, Lille 1 et 3, Sciences Po et même Dauphine sont en grève et bloquées depuis ce matin.

Les lycéens, qui pour la plupart n’ont plus d’épreuves anticipées du bac, les ont rejoints un peu partout en France, mettant en place des blocages filtrants devant leurs établissements. À la retraite, ils ajoutent leurs propres revendications contre le Service national universel (SNU), la réforme des lycées professionnels. Le mouvement s’étend dans toute la France, y compris dans des villes moyennes. Selon la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL), cinq cents établissements étaient bloqués ce matin.

Tous se retrouvent dans les manifestations. La mobilisation n’est pas aussi ample que le 23 mars. Mais la participation reste cependant très élevée : 13 600 manifestant·es à Rennes selon la police (25 000 selon les syndicats) ; 11 000 à Clermont-Ferrand selon la préfecture (35 000 selon la CGT) ; 24 000 à Brest selon l’intersyndicale ; 10 000 à Saint-Nazaire selon Ouest-France.

La participation reste forte aussi dans les villes moyennes, très présentes depuis le début du mouvement. Quelque 2 800 personnes selon la police (15 000 selon l’intersyndicale) ont défilé ce matin au Puy-en-Velay. À Tarbes, qui avait connu une participation historique lors de la neuvième journée, 5 000 personnes selon la police (15 000 personnes selon l’intersyndicale) ont à nouveau défilé ce matin, tout comme à Pau (9 000 selon la République des Pyrénées).

Les mots d’ordre n’ont pas changé depuis deux mois : le retrait de la réforme des retraites est demandé par toutes et tous, partout. « On ne lâchera pas, 64 c’est non », témoigne au Monde Marcel, 58 ans, militant CFDT . Une colère sourde s’exprime souvent face à l’obstination du pouvoir, son refus de ne pas entendre, de ne pas bouger. À cela s’est ajouté un nouveau sujet de colère et de crispation : les violences policières.

Les images d’affrontement lors de la dernière manifestation et encore plus celles des assauts menés à Sainte-Soline ce week-end révulsent tous les participant·es. Ce déferlement de violences ne les a pas dissuadé·es de venir manifester mais vient nourrir encore plus leur révolte et le rejet du gouvernement. Pour beaucoup, le gouvernement choisit la politique du pire.

Signe de ce rejet : la pétition pour la suppression des BRAV-M lancée sur la plateforme de l’Assemblée nationale il y a quatre jours avait déjà recueilli 126 000 signatures ce matin.

Face à une population toujours aussi hostile au projet de réforme des retraites, Emmanuel Macron se coupe toujours un peu plus du pays et s’isole à l’Élysée. Après avoir renoncé à se rendre au Stade de France par peur de devoir affronter des huées, il a annulé ce matin son déplacement à Toulon, où il devait parler du Service national universel. 


 


 

À l’aube, près de Marseille, deux cents salariés bloquent une zone d’entrepôts tentaculaire

Pierre Isnard-Dupuy (Marsactu) sur www.mediapart.fr

Dès 4 heures du matin, salariés, chômeurs, étudiants et gilets jaunes ont bloqué mardi la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, l’une des plus importantes d’Europe, pour protester contre la réforme des retraites. « Il faut continuer à alimenter la protestation », exhorte un militant.

Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône).– Le rendez-vous est donné à 3 heures du matin, mardi 28 mars, dans l’obscurité de la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, au milieu des innombrables entrepôts rectangulaires. Le lieu voit transiter toutes sortes de marchandises par camions entre les grandes villes de la région, le grand port de Marseille et des ailleurs européens. Quarante-cinq minutes plus tard, avec l’aide de quelques palettes et de pneus, il a suffi d’une centaine de personnes pour bloquer les cinq accès de cet interminable zone de 500 hectares, dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites et l’usage du 49-3 par le gouvernement.

Aucun camion n’est entré ou sorti jusqu’à 10 heures, moment où les protestataires avaient décidé de lever le camp. Ils étaient « 200 [manifestants] au plus fort », précise la préfecture de police, qui n’a pas engagé la force publique. Les salarié·es avec leur véhicule personnel pouvaient toutefois rejoindre leur lieu de travail. Dès 7 heures, le blocage a provoqué un immense désordre sur tous les axes internes et à proximité, avec des kilomètres de bouchons jusque sur la RN113 (d’Arles à Salon) et la RN568 (de Fos à Saint-Martin). Le ramassage scolaire a aussi été touché, le dépôt des cars se trouvant sur la zone.

« Quand tu as connu le blocage à 30 il y a quatre ans, être aussi nombreux, c’est insolent », salue un ancien « gilet jaune » venu là avec des compagnons. « Nous sommes un collectif interprofessionnel. Nous sommes là en soutien des salariés syndiqués CGT de la zone. Nous sommes très contents de monter d’un cran ici », expose Camille* (prénom d’emprunt) lors du briefing, après une semaine passée entre Fos et Martigues. Pour les manifestantes et manifestants, bloquer les rouages de la logistique, c’est s’attaquer à un pilier indispensable d’une économie mondialisée dans laquelle les marchandises ne cessent de voyager. Amazon, Decathlon, Castorama, Maison du monde, le distributeur pour la restauration Transgourmet sont autant de sociétés qui dépendent d’entrepôts saint-martinois.

Tous les bloqueurs rencontrés témoignent d’une même envie de passer à autre chose que les manifestations en ville, qui jusque-là n’ont pas fait bouger le gouvernement. « Ça suffit de tourner en rond. C’est un lieu stratégique, un des plus grands pôles européens », expose Myriam Ghedjati, conseillère municipale La France insoumise (LFI) à Port-Saint-Louis-du-Rhône. « Il faut continuer à alimenter la protestation pour faire échouer cette contre-réforme par tous les moyens », exhorte de son côté un militant du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) venu de Saint-Chamas.

D’Arles, de Marseille ou d’ailleurs dans le département, les manifestants et manifestantes représentent une constellation d’organisations et de collectifs de gauche. Tous types de catégories sociales sont représentés : des ouvriers et ouvrières, des profs, des chômeurs et chômeuses, des étudiant·es… et les gilets jaunes, de nouveau de sortie. À 3 h 45, les phares des premiers camions commencent à éclairer les barricades de palettes. La plupart des chauffeurs sont compréhensifs, à l’exception de quelques-uns qui tentent de négocier ou de forcer le passage.

« Vendeurs de précarité »

Au bout de longues minutes passées à s’ennuyer dans leur cabine, deux routiers descendent se faire offrir le café par les bloqueurs et bloqueuses. Ils trouvent du réconfort à la lueur d’un feu de palettes bien attisé par un mistral mordant. « Les retraites, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. J’ai commencé quand j’avais 20 ans. On avait de quoi arroser les copains en boîte et il nous restait de l’argent. Aujourd’hui, quand on va faire les courses, on pleure », raconte le premier, un grand gaillard aveyronnais de 50 ans. Il n’a fait que passer la nuit à Saint-Martin, avec son chargement de lait pour la Corse, pris en charge à Montauban et qu’il doit laisser à Marseille. Son copain de circonstance doit transporter des meubles et objets de décoration vers les magasins Maison du monde de Bretagne.

Ici, comme dans d’autres agoras du mouvement social en France, les travailleuses et travailleurs dissertent sur leurs conditions de travail. « C’est de pire en pire. Je dois charger 28 palettes à l’heure, avant, c’était 26, témoigne un cariste qui travaille sur la zone. À 43 ans, j’ai le dos fracassé tous les jours, alors quand on me dit qu’il faudrait que j’aille jusqu’à 64 ans… » Puis il se livre à une analyse plus politique : « Ici, cela représente tout ce que l’on combat, le capitalisme. Ce sont des vendeurs de précarité, qui ne proposent quasiment que de l’intérim et ne payent quasiment aucune taxe. » 

Présente parmi les protestataires, la conseillère municipale d’Arles et philosophe de l’environnement (CNRS) Virginie Maris voit ici « l’incarnation de ce qui étouffe les humains et le vivant ». Elle rappelle que la zone a été bâtie « sur le milieu des Coussouls de Crau, qui est une plaine steppique unique en Europe ».

À 7 h 30, un chauffeur nantais déambule au milieu des camions arrêtés en vrac sur la chaussée avec un bulldog en laisse. « Avec tous les blocages, je suis encore moins à la maison. Alors maman [son épouse – ndlr] en a eu marre et elle m’a mis dehors avec le chien », explique-t-il sous sa casquette sans visière. Malgré son désarroi, il vient témoigner de son soutien à un piquet de blocage. À toutes les entrées du site, les palabres se poursuivent jusqu’à 10 heures du matin. À ce moment-là, les manifestantes et manifestants quittent leur poste, comme ils l’avaient prévu. La circulation, au vu des centaines de camions bloqués au cours de la matinée, ne reprendra complètement qu’un peu plus tard.


 


 

Deux pétitions pour dire stop à l’escalade répressive de la police

par Rédaction sur https://basta.media

Une pétition du président de la Ligue des droits de l’Homme et une autre déposée auprès de l’Assemblée nationale demandent la suppression des Brav-M, les brigades de polices motorisées qui terrorisent en manifestation.

« La répression policière qui s’abat sur notre pays doit conduire à remettre à l’ordre du jour l’impératif démantèlement de la Brav-M », défend l’auteur d’une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale. La Brav-M est la brigade de répression de l’action violente motorisée mise en cause dans nombre de cas de violences policières.

« Brigade créée en mars 2019 sous l’impulsion du préfet Lallement pour bâillonner le mouvement des Gilets Jaunes, elle est devenue l’un des symboles de la violence policière, dit encore la pétition. Le pays étouffe de témoignages d’exactions violentes et brutales commises par ces brigades motorisées à l’encontre des manifestants qui tentent de faire entendre leur opposition à un projet de régression sociale. »

La pétition lancée le jeudi 23 mars a déjà réuni plus de 125 000 signatures. Si elle en recueille plus de 500 000, elle devra être discutée à l’Assemblée nationale.

Nasses illégales, interpellations indiscriminées

Face aux excès de violences de la police ces dernières semaines en France, le président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) Patrick Baudouin demande lui aussi dans une pétition une réforme de fond du maintien de l’ordre.

« Le territoire français − et les grandes villes plus particulièrement − sont depuis plusieurs jours le théâtre d’opérations de maintien de l’ordre de grande ampleur, violentes et totalement disproportionnées », résume-t-il dans le texte déposée sur la plateforme Change.

« Ces derniers jours ont vu le retour des nasses illégales, de l’usage d’armes mutilantes comme le LBD et les grenades de désencerclement ou explosives, du gazage à outrance, de l’emploi de policiers non formés au maintien de l’ordre et réputés pour leur violence, en particulier la brigade de répression de l’action violente motorisée et les brigades anti-criminalité, avec des interpellations et des verbalisations indiscriminées, du matraquage systématique et des violences gratuites et attentatoires à la dignité, parfois même à l’intégrité physique des personnes. »

Le président de la LDH juge que la politique du gouvernement « plonge aujourd’hui le pays dans une situation particulièrement alarmante pour la démocratie ».

Avec sa pétition, la LDH demandent à la Première ministre et au ministre de l’Intérieur :

l’interdiction des techniques d’immobilisation mortelles et des armes de guerre ;

une révision des méthodes d’intervention de maintien de l’ordre, notamment la suppression de la Brav-M et de la nasse ;

la suppression du délit de participation volontaire à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations et la fin des gardes à vue « préventives », de la politique du chiffre sur les interpellations ;

un traitement judiciaire équitable des faits de violences policières et un meilleur encadrement des procédures d’outrage et rébellion ;

une réforme des conditions autorisant les contrôles d’identité, aujourd’hui détournés de leur objet à des fins de pression et de répression ;

le respect de la qualité des observatrices et observateurs indépendants et des journalistes, et plus généralement de la liberté d’informer et de rendre compte des pratiques des forces de l’ordre.

« C’est là le préalable à un avenir commun apaisé », conclut la pétition.

 Voir la pétition qui demande la dissolution des Brav sur le site de l’Assemblée nationale
 Voir La pétition en ligne de la LDH

   publié le 28 mars 2023

À Clermont,
un congrès de la CGT
en pleine éruption sociale

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Alors que la contestation de la réforme des retraites bat son plein, la confédération tient ses assises jusqu’à vendredi. Philippe Martinez entend passer la main. Le redéploiement de la centrale et son ouverture à la société civile animeront les débats. Décryptage.

Tenir un congrès confédéral au cœur d’un puissant mouvement social n’est pas une situation inédite à la CGT. En décembre 1995, tandis que le pays était paralysé par la contestation du plan Juppé, la centrale s’était réunie à Montreuil, confirmant à sa tête le secrétaire général sortant, Louis Viannet. Et en adoptant la stratégie du « syndicalisme rassemblé », comme une main tendue aux autres organisations syndicales.

En 2023, les protagonistes ont changé, mais les enjeux ne sont pas moins brûlants, alors que 3,5 millions de personnes se sont mobilisées contre la réforme des retraites jeudi 23 mars, après plus de deux mois de grèves et de manifestations.

« On ne fait pas de théorie sans pratique. L’unité syndicale est-elle utile pour le mouvement social ? Le débat sur la notion de syndicalisme rassemblé traverse la CGT. Je constate que, quand les syndicats sont unis, on bat des records de mobilisation », mesurait Philippe Martinez, dans l’Humanité magazine du 16 mars.

Le secrétaire général sortant passera le relais à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Sa succession animera une grande partie des débats, jusqu’à vendredi.

1. Un congrès en plein mouvement sur les retraites

Galvanisées par la lutte contre la réforme des retraites, les organisations ouvrières ont signé leur retour au premier plan, après une décennie d’ « atonie syndicale », assure Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique.

Fin février, selon un sondage OpinionWay, 54 % des Français estimaient « responsable » l’attitude des confédérations. « Ce mouvement est la démonstration du rôle central qu’occupe toujours la CGT, au-delà de sa seconde place en représentativité (derrière la CFDT – NDLR), estime le chercheur. Elle reste la force en capacité de construire des mobilisations collectives. »

Des fédérations, dont l’énergie, la chimie, les ports et docks et les cheminots, se sont notamment illustrées en lançant des grèves reconductibles, en complément des journées d’action interprofessionnelle décidées par l’intersyndicale.

Plus encore, durant les six premières semaines du mouvement, la CGT a syndiqué plus de 13 000 salariés. Ces recrutements représentent, par endroits, la moitié des adhésions réalisées sur une année. En février, la CGT revendiquait 605 603 adhérents.

Pour 68 % des Français, les syndicats, dont la confédération fondée en 1895, sont renforcés par le mouvement en cours, selon un sondage Elabe pour BFMTV. Nul doute que cette situation va influer sur les débats des délégués à Clermont-Ferrand, alors que la stratégie de la CGT, et notamment l’efficacité de l’unité syndicale pour arracher des avancées, est questionnée.

2. Du syndicalisme rassemblé au rassemblement du syndicalisme ?

Après plus de deux mois de mobilisations, ponctués de manifestations record, et un passage en force à l’Assemblée par l’exécutif avec l’usage de l’article 49.3, l’intersyndicale tient bon. Philippe Martinez y voit la confirmation de la stratégie du syndicalisme rassemblé, initiée dès 1995 par la CGT.

Selon Stéphane Sirot, cette stratégie, « outil efficace pour entraîner le plus grand nombre » dans des manifestations, demeure plus « compliquée » à mettre en œuvre au moment de durcir le rapport de force, notamment dans la reconduction des grèves. L’historien du syndicalisme voit là « un sujet de débat majeur » au sein de la centrale cégétiste.

« Nous n’avons pas de véritable stratégie, c’est là le problème », confie à l’Humanité un cadre d’une grande fédération, qui pointe la difficulté, hors grand mouvement social, de mobiliser les salariés pour peser dans le rapport de force national, dans un paysage social atomisé par les lois Macron et El Khomri.

La CGT consacre une partie de son document d’orientation au problème de la convergence des luttes et à celui de l’unité pour dépasser « la division syndicale » en avançant vers l’unification du syndicalisme. La centrale présente « les échanges réguliers et anciens » avec la FSU comme « un socle solide », tout en tendant la main à Solidaires, sans préciser, pour l’heure, le cadre de ces rapprochements.

À la dernière Fête de l’Humanité, Philippe Martinez assurait : « Nous avons un socle commun très important de revendications, d’idées de transformation. Ce débat ne doit pas rester un débat de chefs. Un échange d’expériences doit se faire dans les entreprises et sur les territoires. »

Pour Stéphane Sirot, « une défragmentation du champ syndical est nécessaire, car il n’y a jamais eu autant d’organisations avec aussi peu de syndiqués. Deux grandes propositions de syndicalisme demeurent. Celle portée historiquement par la CGT, en rupture avec le capitalisme. Et celle de la CFDT, de culture chrétienne, portant la conception de partenariat social ».

Prudent, Baptiste Giraud souligne la complexité de la démarche : « Intégrer des militants venus d’une autre organisation est toujours difficile, car ils sont dotés de cultures syndicales différentes, avec des liens militants parfois conflictuels. »

3. Le défi de l’ouverture de la CGT à la société civile

C’est sans doute le principal héritage de l’ère Philippe Martinez à la tête de la centrale. En juin 2020, à l’issue du premier confinement, la CGT, Attac, la Confédération paysanne, Oxfam, Greenpeace et d’autres constituent le collectif Plus jamais ça.

Dans la centrale, ce rapprochement fait débat, notamment à cause de la présence de Greenpeace, aux positions divergentes de la CGT sur les questions énergétiques. « Au dernier congrès, la CGT a décidé, pour transformer la société, de s’ouvrir aux autres, pointe un responsable fédéral. Mais cela pose plusieurs questions : avec qui, comment, pourquoi, et sur quelles bases ? Ce débat n’a pas eu lieu concernant la participation de la CGT à Plus jamais ça, et des fédérations et des UD (unions départementales) ont l’impression que ça leur a été imposé. »

En particulier, la fédération mines-énergie a exprimé son désaccord avec la mention, dans les documents du collectif, de l’arrêt des investissements dans le nucléaire et les énergies fossiles, contradictoire de son point de vue avec la défense de l’emploi dans la production électrique.

Copilote du collectif environnement, Marie Buisson estime de son côté que « la crise climatique, les aberrations du capitalisme et la répartition des richesses entre le capital et le travail démontrent l’urgence de construire des fronts avec d’autres syndicats, des associations et des ONG pour gagner ».

Selon la secrétaire générale de la Ferc-CGT (éducation, recherche, culture), cette démarche va de pair avec le développement de la CGT, « outil syndical qui fait la preuve de son utilité dans le mouvement social ». Et le fait que « la CGT continue de mener ses batailles sur l’augmentation des salaires, avec une campagne depuis plus d’un an autour d’une rémunération minimale à 15 euros brut de l’heure, les 32 heures et la retraite à 60 ans ».

Pour Stéphane Sirot, Plus jamais ça, à l’instar du Pacte du pouvoir de vivre, regroupant la CFDT, le Secours catholique et la Fondation Abbé-Pierre, traduit la recherche de solutions à « une relative faiblesse du syndicalisme ». « Le champ syndical était hégémonique sur le discours de transformation sociale, c’est moins le cas aujourd’hui », poursuit l’historien, qui rappelle que « dans son histoire, la CGT s’est déjà rapprochée d’un certain nombre de mouvements ».

4. Une nouvelle secrétaire générale ?

Le départ de Philippe Martinez, après huit ans de mandat, est un des événements de ce 53e congrès confédéral. Pour sa succession, le secrétaire général sortant propose la candidature de Marie Buisson. Un choix approuvé par un vote de la direction confédérale. « Marie partage la conception d’ouverture de la CGT votée au précédent congrès, observe Philippe Martinez. Sa fédération est loin d’être la plus petite. La Ferc est l’une des rares à progresser, chaque année, en nombre d’adhérents, c’est un signe. »

Si ce choix est validé par le comité confédéral national (CCN) durant le congrès, Marie Buisson deviendrait la première femme à occuper cette fonction.

Cependant, selon Baptiste Giraud, « la succession de Philippe Martinez s’annonce difficile, des surprises ou un revirement ne sont pas à écarter ». Le secrétaire de l’UD des Bouches-du-Rhône, Olivier Mateu, opposant à la stratégie du « syndicalisme rassemblé », se porte candidat.

« Le choix de Marie Buisson n’est pas partagé par l’ensemble des fédérations et des UD, estime un animateur de l’une de ces dernières, parce qu’elle a porté la démarche de Plus jamais ça, avec tous les débats que cela pose. » L’intéressée assume ses convictions. «  Le changement climatique et l’épuisement de nos ressources vont impacter en premier lieu nos modes de production, tranche Marie Buisson. La lutte des classes est fondamentale. Et l’égalité salariale et les violences sexistes et sexuelles sont avant tout des questions qui touchent le travail. Le syndicalisme n’est pas que théorique. Il faut s’interroger sur sa matérialisation et faire front pour obtenir des améliorations concrètes et rapides au bénéfice de celles et ceux qui vivent du travail. »

Certaines fédérations avancent également le nom de Céline Verzeletti, membre du bureau confédéral. Pour l’heure, l’intéressée assure ne pas postuler à la succession de Philippe Martinez . La candidature de Marie Buisson à la fonction de secrétaire générale de la CGT reste la seule statutairement enregistrée.

5. Quelle structuration de la CGT face à la mutation du travail ?

C’est un enjeu de fond de ce congrès. Comment faire évoluer les structures de la CGT pour représenter l’ensemble des travailleurs, notamment les ubérisés ou employés dans la sous-traitance ?

« Les fédérations font parfaitement le travail pour ce qui concerne les syndicats d’entreprise. Mais le mouvement social en cours montre que la force de la CGT est aussi sa présence sur tout le territoire dans les structures interprofessionnelles, note Marie Buisson. Les unions locales (UL) sont les portes d’entrée dans la CGT quand une entreprise n’est pas dotée de délégués ou de syndicats. »

Pour Stéphane Sirot, « la question posée est celle du fédéralisme de la CGT », rappelant que la Confédération s’est construite sur les branches professionnelles et les bourses du travail. L’historien ajoute que « la Confédération est passée à côté de la compréhension du mouvement des gilets jaunes ».

Selon lui, « les rares épisodes de rencontres entre des cégétistes et des gilets jaunes se sont produits grâce aux structures locales ». Rattachés majoritairement aux UL, les adhérents dépourvus de syndicats d’entreprise représentent 15,5 % des troupes cégétistes.

Le document d’orientation prévoit l’organisation d’états généraux à ce sujet et la mise en œuvre d’un « travail avec les UD et les dix fédérations les plus concernées ». Pour la candidate à la fonction de secrétaire générale, « les structures de la CGT doivent évoluer avec la situation des travailleurs » pour « mieux les représenter ».

Marie Buisson ajoute : « Qu’importe la forme de travail, tout le monde doit trouver sa place à la CGT. » Enfin, outre la syndicalisation des jeunes, notamment au sein des Sela (syndicats d’étudiants salariés, lycéens et apprentis), la CGT ambitionne de syndiquer 60 000 à 70 000 travailleurs supplémentaires chaque année.


 

Le mode d'emploi du congrès

Vendredi 31 mars, la CGT aura une nouvelle personne à sa tête. Le choix de la succession de Philippe Martinez fera partie de l’ordre du jour du congrès, qui réunit mille délégués à partir de ce 27 mars à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Dès le lendemain, le vote du rapport d’activité donnera la tonalité des débats. La désignation du futur secrétaire général suit un processus bien codifié. Le futur dirigeant de la centrale doit être membre de la commission exécutive confédérale (CEC). Les candidats à l’exécutif sont proposés, de manière paritaire, par les organisations. La liste du CEC retenue, ainsi que celle de la commission financière de contrôle (CFC) feront l’objet d’un vote, lors de la réunion du comité confédéral national (CCN) du congrès, mercredi. Véritable parlement de la centrale, le CCN est composé des secrétaires généraux des fédérations et des unions départementales, « dûment mandatés par ces organisations », précisent les statuts. Le CCN fixera aussi le nombre d’élus au sein de la CEC. La CEC et la CFC seront ensuite élues par le congrès, jeudi. Le quatrième jour de congrès sera aussi celui du vote du document d’orientation. « Chaque délégué vote conformément au choix du ou des syndicats qui l’ont mandaté. Chaque syndicat représenté au congrès a droit à un nombre de voix calculé sur la base de la moyenne des cotisations réglées », précise le guide du délégué au congrès. Vendredi, enfin, une nouvelle réunion du CCN élira le bureau confédéral, ainsi que le nouveau ou la nouvelle secrétaire général(e).


 


 

La CGT tourne la page Philippe Martinez dans l’incertitude

Dan Israel et Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Le congrès confédéral qui s’ouvre ce lundi verra la nomination du, ou plus probablement, de la nouvelle secrétaire générale du syndicat. Les débats s’annoncent vifs et Marie Buisson, la candidate soutenue par le sortant, n’est pas assurée de l’emporter. Une illustration des fortes divisions internes et des doutes sur l’avenir.

Quel drôle de moment pour un tel rassemblement. Lundi 27 mars, la CGT réunit pour une semaine plusieurs centaines de ses têtes dirigeantes et de ses militantes et militants les plus aguerris dans la banlieue de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), pour son 53e congrès confédéral. L’enjeu est important, puisque c’est à l’issue du congrès qu’on saura qui prendra la suite à la tête du syndicat de Philippe Martinez, arrivé aux commandes en 2015 et qui avait annoncé fin mai qu’il comptait passer la main.

Mais le timing ne peut qu’interroger, alors que le mouvement de contestation contre la réforme des retraites n’est pas terminé et qu’une dixième journée de manifestations a été annoncée par l’intersyndicale pour mardi 28 mars. « Le congrès a déjà été repoussé, on ne pouvait plus attendre. Mais rétrospectivement, on aurait préféré qu’il se tienne en juin, c’est sûr », considère l’un des organisateurs.

Selon les statuts de la CGT, un congrès doit se tenir tous les trois ans, et le précédent a eu lieu en mai 2019. Il avait d’abord été question de l’organiser en novembre 2022, mais cela serait tombé en pleine campagne pour les élections professionnelles dans la fonction publique. Trop compliqué à mener de front, pensaient alors certaines des huiles du syndicat. On se demande comment elles envisagent la lourde semaine qui s’ouvre aujourd’hui devant elles.

De l’avis général, les débats s’annoncent houleux, et ils ne devraient pas manquer de matérialiser les lignes de fracture qui traversent le syndicat depuis de longues années. Sur la relation aux autres syndicats, sur la ligne politique, sur le nom des dirigeant·es, et sur le bilan de Philippe Martinez lui-même.

« Chez nous, les congrès peuvent se révéler particulièrement violents, et c’est encore plus le cas lorsque l’atterrissage n’est pas prêt, confie un dirigeant de fédération. Même si le succès de la lutte contre les retraites devrait un peu calmer les doutes qui sont régulièrement exprimés sur la stratégie de rapprochement entre syndicats. »

C’est en effet l’un des débats qui agite la CGT de façon récurrente : doit-elle tenir une ligne dure face au patronat et au pouvoir politique, quitte à s’isoler des autres organisations de salarié·es ? Ou faut-il diluer sa radicalité pour parvenir à faire front ensemble, y compris avec des syndicats jugés trop mous par beaucoup de ses adhérent·es ?

Depuis début janvier, Philippe Martinez, qui ne fait pas mystère de ses bonnes relations personnelles avec son homologue de la CFDT Laurent Berger, a choisi la deuxième option. Stratégie gagnante, si l’on en juge par la taille des cortèges qui se multiplient partout en France depuis plus de deux mois, établissant des records historiques de participation.

Mais sur le front des actions plus dures et des luttes locales, l’intersyndicale a longtemps patiné avant d’assister à une montée en puissance des grèves et des blocages, dans les transports, l’énergie, les raffineries ou le secteur des déchets. Et c’est ce que reproche à la direction de la CGT sa fraction la plus radicale.

« Nous, on défend une CGT à l’offensive : une organisation de lutte, de classe, de masse, de transformation sociale. En gros, marxiste révolutionnaire. “Plus d’écoute, de dialogue social”, ça, c’est le fonds de commerce de la CFDT, pas le nôtre », considère ainsi Fabien Cros.

Le délégué syndical de la raffinerie de la Mède, près de Marseille, est un bon représentant de la ligne portée par l’union départementale des Bouches-du-Rhône, dont le dirigeant, Olivier Mateu, est le seul candidat officiellement déclaré contre Marie Buisson, la dirigeante de la fédération de l’éducation, que Philippe Martinez souhaite voir prendre sa succession.

De l’avis général, Olivier Mateu, en première ligne dans la lutte contre les réquisitions des raffineries, est considéré comme trop radical et n’a guère de chances de l’emporter. D’autant qu’il n’a pas été choisi, pour le moment, pour faire partie de la nouvelle commission exécutive confédérale (CEC), la direction d’une soixantaine de personnes parmi lesquelles seront désignés les dix membres du bureau confédéral, dont le ou la secrétaire générale. La direction actuelle a rejeté sa candidature car, comme une poignée d’autres, il n’avait pas respecté la consigne de présenter au moins une femme dans la liste des candidats de son union départementale (UD) à la CEC.

Le cas Olivier Mateu, le problème Benjamin Amar  

Les critiques d’Olivier Mateu, qui juge la direction actuelle trop conciliante envers le patronat, seront brandies par beaucoup pendant le congrès, notamment par les représentant·es des fédérations de la chimie, du rail ou de l’énergie. Procès forcément désagréable pour Philippe Martinez, qui avait été élu au congrès de 2016 avec le soutien de l’aile la plus opposée au « réformisme » – en 2015, il avait pris en urgence la place de Thierry Lepaon, éjecté après des mois de polémiques autour de la rénovation de son bureau et de son appartement.

Au congrès, ne devrait ainsi pas manquer de resurgir la question, quelque peu décalée, de l’appartenance à la Fédération syndicale mondiale (FSM). L’Internationale syndicale communiste, qui compte dans ses rangs des syndicats cubains, nord-coréens ou iraniens, a été déserté par la confédération CGT en 1995, mais certaines de ses fédérations (chimie, agroalimentaire) ont réadhéré, comme les UD du Val-de-Marne et des Bouches-du-Rhône.

Dans une récente interview à La Provence, qui l’interrogeait sur les penchants prorusses très marqués de la FSM, Olivier Mateu avait indiqué ne pas considérer le président ukrainien Volodomyr Zelensky comme « un néonazi », mais comme « une marionnette des États-Unis au travers de l’Otan », qui aurait « créé les conditions d’une guerre entre les États-Unis et la Russie ». Il avait aussi déclaré qu’il « ne crach[ait] pas sur l’URSS », même si « à un moment, il y avait des problèmes de liberté ».

Ce syndicat, c’est une anarchie plus ou moins organisée. On sent encore l’héritage de l’anarcho-syndicalisme dont il est issu.

L’envie de radicalité et la fascination pour la FSM seront partagées par les amis de Benjamin Amar, de l’UD du Val-de-Marne. Mais le médiatique syndicaliste francilien, opposant déclaré à Philippe Martinez, ne devrait pas être lui-même présent. Comme Mediapart l’a raconté, Benjamin Amar a été tout récemment exclu définitivement des instances dirigeantes nationales, suite à des accusations de violences sexuelles. Déjà écarté une première fois il y a un an, il avait été réintégré en août, suite au classement sans suite de la plainte qui le visait.

Cette nouvelle exclusion surprise fait suite à l’adoption par le syndicat, après des mois de débats brûlants, d’un document définissant la conduite à tenir en cas d’accusations de violences sexuelles. Nul doute que sa perte de poste national, qui devrait lui interdire d’être présent car il ne dispose pas non plus d’un mandat de délégué de son UD, réactivera les lignes de fracture sur ce sujet qui déchire encore et toujours la CGT.

Ce type de divisions est relativement classique à la CGT. « Pour reprendre les mots de la chercheuse Françoise Piotet, ce syndicat, c’est une anarchie plus ou moins organisée. Il compte énormément de fédérations, il y a un grand sens du débat, des lignes qui s’affrontent… On sent encore l’héritage de l’anarcho-syndicalisme dont il est issu, rappelle le sociologue spécialisé Karel Yon. Par contraste, la CFDT est beaucoup plus verticale, et le ménage des opposants y a été fait ces vingt dernières années. Elle s’exprime donc d’une seule voix ou presque. »

L’écologie, ligne de fracture interne 

Mais les débats qui auront lieu, aussi virulents soient-ils, ne doivent pas masquer la vraie inquiétude de Philippe Martinez et de ses troupes : parviendront-ils à obtenir la désignation de leur candidate Marie Buisson comme nouvelle secrétaire générale ? Pour la première fois, la succession d’un secrétaire général de la CGT n’est pas bouclée à l’avance en amont du congrès, et certains évoquent « un accident toujours possible ».

Tous ont en tête le fiasco de la succession ratée de Bernard Thibault, emblématique leader de 1999 à 2013, qui avait échoué à imposer sa dauphine Nadine Prigent et n’avait finalement même pas obtenu qu’elle figure parmi les membres de la CEC. Mais Bernard Thibault avait été fixé sur le sort de sa dauphine avant le congrès…

Cette semaine, Marie Buisson n’a officiellement pas trop de soucis à se faire. Quand son nom a été proposé par Philippe Martinez cet été, la CEC l’a validé à 85 % des votes, ce qui n’a pas été contesté de façon trop vigoureuse par le Comité confédéral national (CCN), le « parlement » du syndicat qui rassemble les dirigeant·es de toutes les fédérations et des UD.

Nous considérons que la candidature de Marie Buisson n’est pas opportune. Elle ne rassemble pas les organisations de la CGT.

« À nos congrès, il y a toujours de forts débats d’orientation, je ne suis pas étonnée de cela. Mais jusqu’à preuve du contraire, ma candidature a été validée très largement par la direction sortante », déclare Marie Buisson. « Par ailleurs, insiste-t-elle, penser qu’une seule personne dirige la CGT, c’est très mal la connaître. On est plus intelligents à plusieurs, et le texte d’orientation du congrès a été travaillé très collectivement, il est issu d’un accord large et majoritaire. »

Peut-être. Mais derrière les procédures officielles, la vérité est que sa candidature ne fait pas l’unanimité, notamment parmi les fédérations les plus remuantes. « Nous considérons que la candidature de Marie Buisson n’est pas opportune. Elle ne rassemble pas les organisations de la CGT », déclare par exemple sans barguigner Sébastien Menesplier, le dirigeant de la fédération de l’énergie, dont le nom a un temps circulé comme candidat potentiel. « J’ai fait une intervention en fin d’année 2022 pour expliquer nos positions. Au congrès, au moment du vote, il ne faudra pas venir nous dire qu’il est inadmissible qu’on vote contre elle. »

« Marie Buisson représente une CGT plus ouverte vers un monde du travail qui a changé, mais aussi vers des ONG, et vers l’unité syndicale », défend Philippe Martinez. À la tête d’une fédération loin d’être majoritaire dans son champ, l’éducation, elle est surtout connue en interne pour son rôle de cheville ouvrière de Plus jamais ça, le collectif lancé par la CGT en partenariat avec des ONG écolos comme Greenpeace ou Oxfam.

Et si, à l’extérieur, elle fait figure de syndicaliste ouverte sur les enjeux de société contemporains, attentive à la place des femmes et soucieuse de se rapprocher de l’écologie politique, ce sont bien ces options qui crispent une partie des troupes.

Les secteurs de l’industrie ou de l’énergie, habitués à peser largement sur les positions de la CGT, ne goûtent guère ses positions en faveur de l’écologie politique, incarnées par Plus jamais ça. « Ce collectif disait qu’il fallait fermer les centrales au charbon, alors même que les travailleurs concernés réfléchissent à des projets de reconversion pour garantir l’avenir des sites industriels, indique Sébastien Menesplier. Nous aurions préféré qu’on insiste sur les reconversions possibles pour assurer le maintien de l’emploi et développer de nouvelles sources d’énergie. »

Réduire mon parcours militant à Plus jamais ça, ce n’est pas juste. Je suis militante à la CGT depuis plus de 20 ans.

Le patron du secteur de l’énergie dit aussi tout le mal qu’il pense des positions antinucléaires de Plus jamais ça. « Nous sommes favorables au renouvellement du parc nucléaire, et pour la construction de nouveaux réacteurs », rappelle-t-il.

« Personne ne peut demander à quelqu’un qui a un travail qui pollue d’arrêter comme si cela était simple, convient Marie Buisson. Mais nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est important de se poser la question de comment faire évoluer notre travail. Cela fait plusieurs congrès que nous votons le fait d’allier fin du monde et fin du mois. »

Elle insiste aussi sur son parcours, pour se détacher du collectif clivant : « Réduire mon parcours militant à Plus jamais ça, ce n’est pas juste. Je suis militante à la CGT depuis plus de 20 ans, je suis secrétaire générale de ma fédération depuis six ans, je participe à la direction confédérale depuis trois ans. »

Céline Verzeletti, candidate plus consensuelle ? 

L’inquiétude qui parcourt le premier cercle autour de Philippe Martinez, et notamment sa directrice de cabinet Elsa Conseil, s’incarne en une femme, membre du bureau confédéral mais ayant plusieurs fois fait part de ses réticences face à la ligne de la direction, sur l’écologie ou sur la sévérité des sanctions envers les auteurs de violences sexistes et sexuelles : Céline Verzeletti.

Cette ancienne surveillante pénitentiaire, codirigeante de l’Union fédérale CGT des syndicats de l’État est avenante et habituée des médias. Mediapart l’avait interrogée place de la Concorde le 16 mars, juste après l’adoption à l’Assemblée de la réforme des retraites par le biais de l’article 49-3 de la Constitution.

Céline Verzeletti pourrait se révéler plus consensuelle parmi ses camarades que Marie Buisson. Mais alors que son nom circule depuis plusieurs mois, elle a bien pris soin de ne jamais faire acte de candidature, pour éviter l’accusation d’être à l’origine des divisions.

Sa seule marque officielle d’intérêt ? Une phrase le 7 mars, pour dire à l’agence de presse spécialisée AEF que « certaines organisations pensent que [sa candidature] permettrait un meilleur rassemblement ». Sur France Inter le 23 mars, elle s’est encore refusée à en dire plus : « Ce sera en fonction des orientations qui seront adoptées au congrès et des débats, c’est vraiment les syndicats et le congrès qui vont décider de tout ça. »

Quelle que soit la candidate qui sera désignée vendredi, à la fin du congrès, elle sera la première femme secrétaire générale de la CGT.

Pourtant, le 1er mars, c’est bien son nom qui a été proposé lors d’une réunion informelle des plus grosses fédérations de la CGT : santé, services publics, cheminots, énergie, fonctionnaires de l’État. « Elle semble réunir les conditions d’un large accord, d’un rassemblement de l’ensemble des organisations de la CGT, et la possibilité d’un travail collectif au sein d’un bureau confédéral solide et d’une CEC », indique une note rédigée suite à cette réunion.

En tant que femme, elle prive l’entourage de Philippe de Martinez de l’un de ses arguments phares pour imposer Marie Buisson : quelle que soit la candidate qui sera désignée vendredi, à la fin du congrès, elle sera la première femme secrétaire générale de la CGT. Nerveux, Philippe Martinez a fait remarquer le 22 mars au Monde que « pour Céline Verzeletti, tout semble avoir été préparé lors de réunions hors statut ». Ce qui « est un problème, car, officiellement, ça na été discuté nulle part ».

Pour autant, rien n’est joué. Et parmi les congressistes et leurs allié·es, les paris sont ouverts. « Même si les grosses fédés préfèrent Céline Verzeletti, les UD sont légitimistes et suivront Philippe Martinez, même en bougonnant », avance l’un. « C’est du 50-50, incertitude totale », prévient un autre.

Un scénario revient souvent dans les pronostics : Marie Buisson pourrait être élue, en échange d’une entrée massive au comité exécutif, voire au bureau confédéral, des tenants d’une ligne plus « dure » ou « identitaire » que celle qu’elle porte. « Elle a pour l’instant du mal à constituer son équipe », relève un bon connaisseur.

Philippe Martinez accusé d’autoritarisme

Tous et toutes s’accordent en revanche à souligner que cette querelle de ligne se double aussi d’une critique de la manière dont Philippe Martinez a dirigé la confédération ses dernières années. Certes, tenir la barre d’une maison aux composantes si conflictuelles en n’hésitant pas à aller à la castagne nécessite de surveiller chacune de ses paroles, et userait le mieux disposé des dirigeants. Mais avec le duel qui s’annonce pour sa succession, il paierait aussi son autoritarisme – un qualificatif qui le poursuit depuis son arrivée à la tête du syndicat.

« Lancer Plus jamais ça en s’engageant avec Greenpeace sans impliquer la fédération de l’énergie, ce n’est pas très raisonnable », pointe le politiste Jean-Marie Pernot, qui connaît très bien la CGT et plaidait pour un rapprochement avec la CFDT avant que l’intersyndicale ne soit un succès. « Même chose pour ses annonces répétées de sa volonté d’un rapprochement organique avec la FSU et Solidaires, sans en avoir jamais discuté nulle part… Imposer ces évolutions comme il l’a fait présente le risque de bloquer les évolutions, voire de provoquer un retour en arrière. »

Pour le chercheur, le leader cégétiste « a aussi sans doute cherché à créer un mouvement interne au syndicat suffisamment puissant pour renverser la table, et déplacer les termes du débat afin de ne pas affronter ses opposants sur des sujets qu’il juge d’avant-hier ». Mais « cette méthode a des limites : les enjeux de reconstruction sont tels qu’ils ne peuvent pas être relevés dans un climat de tension aussi extrême ».

Quand tu es en désaccord avec lui, tu passes tout de suite dans le camp des opposants, c’est sans nuance.

En interne, certains, qui ne se décrivent pas comme des opposants, ne cachent plus leur désarroi. « Le principal conflit tourne autour de sa méthode de fonctionnement, autour d’un tout petit noyau, même pas du bureau confédéral. Cela a fini par braquer beaucoup de monde. De ce point de vue, son mandat de dirigeant est un échec », soupire un responsable de fédération.

Une situation qui ne se serait pas améliorée depuis l’automne, alors qu’il s’est visiblement détendu lors de ses interventions publiques depuis qu’il a annoncé qu’il quittait son poste : « Quand tu es en désaccord avec lui, tu passes tout de suite dans le camp des opposants, c’est sans nuance. Le peu de gens qui ont essayé de faire une synthèse entre les différents courants ces derniers mois ont été la cible de son hostilité. »

Le choix de Marie Buisson ou de Céline Verzeletti ne réglera de toute manière pas les problèmes de la CGT d’un coup de baguette magique. Quatre ans après le précédent congrès, les incertitudes sur son avenir ne sont pas levées. Forte de plus de 600 000 adhérents, et avec des nouvelles adhésions en nombre depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, la CGT n’en est pas moins en déclin de ce point de vue.

Surtout, c’est sous la direction de Philippe Martinez que la CGT a été dépassée par la CFDT en nombre d’électeurs, rétrogradant en deuxième position. « Elle perd des centaines de milliers de voix aux élections professionnelles, rappelle Karel Yon. Les autres syndicats aussi, mais à une vitesse moins forte. Et ce problème-là, personne ne veut en parler dans le syndicat. »

publié le 27 mars 2023

Les syndicats inquiets face à la répression tous azimuts

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

À l’approche de la 10e journée de mobilisation, prévue ce mardi 28 mars, les organisations syndicales s’alarment devant la hausse des cas de violences policières contre les manifestants.

«Où est la démocratie quand un gouvernement interdit les rassemblements et manifestations, réprime, tabasse, mutile le mouvement social ? » s’inquiètent, dans un communiqué, la fédération SUD rail et l’union syndicale Solidaires. Alors que la dernière journée de mobilisation a été marquée par un regain de participation de la population et un soutien populaire toujours plus fort, elle a également été le théâtre de nombreuses violences.

De nombreux incidents impliquant les forces de sécurité ont été dénoncés par des participants, dont Émilie Chloé Trigo. Secrétaire national de l’Unsa, elle a affirmé sur Twitter que les CRS « ont envoyé des bombes de gaz lacrymogène par dizaines » aux abords du carré de tête , jeudi dernier. « Je me suis retrouvée seule, dans un nuage blanc et opaque, pendant de longues minutes, ajoute-t-elle.  Pour la première fois depuis neuf manifestations, j’ai réellement eu très peur et je peux le certifier : le cortège intersyndical a été gazé pour qu’il n’atteigne pas Opéra. » Et la CGT de déplorer « des dizaines de blessés, dont certains gravement, à Paris et en province », le même jour, dans un communiqué. Des incidents parmi tant d’autres. À tel point que les organisations syndicales s’alarment de l’explosion de violences policières à la veille d’une nouvelle journée de grève et de manifestations. Laurent Escure, président de l’Unsa, a rebondi sur le témoignage d’Émilie Chloé Trigo, s’inquiétant notamment que « le droit de manifester pacifiquement ne soit pas respecté ».

« Une stratégie pour faire pourrir le mouvement »

« Nous mettons en garde le gouvernement sur sa stratégie de répression du mouvement social pour tenter de le faire taire ! » s’est insurgé de son côté SUD rail, au lendemain de la journée de mobilisation. « Un de nos camarades, agent de maintenance au matériel depuis plus de vingt-cinq ans à la SNCF, a été touché très gravement ; il a dû être opéré en urgence de l’œil. Un second a été roué de coups et a eu le crâne ouvert », a témoigné la fédération. Pour Catherine Perret (CGT), la méthode de l’exécutif, « c’est une stratégie minoritaire de faire pourrir un mouvement social et de faire peur aux gens en employant la violence, et j’ose parler de violences policières », observe-t-elle auprès de l’AFP.

Face à cette montée des violences, l’alliance écologique et sociale Plus jamais ça (une trentaine d’associations et de syndicats, dont la FSU, la CGT et Solidaires) a publié une tribune, la même matinée, dans le journal  le Monde. Intitulée « Nos organisations alertent sur l’arbitraire policier et juridique mis en place comme stratégie de répression des manifestations », elle condamne notamment la tactique orchestrée par les autorités publiques à l’encontre des personnes mobilisées comme à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), en octobre 2022. « Cette répression s’est d’abord illustrée par les poursuites engagées contre les manifestants opposés aux méga-bassines avec une dérive extrêmement grave de l’État visant à criminaliser, intimider et museler les mouvements sociaux », expliquent les signataires. Et pour le collectif, ce système d’entrave à la liberté de manifestation s’inscrit dans la continuité d’un autre mouvement social, celui des « gilets jaunes ».


 


 

Violences d'État. À Sainte-Soline, la fuite en avant

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Dans les Deux-Sèvres, samedi 25 mars, des dizaines de milliers d’opposants aux méga-bassines ont bravé l’interdiction de manifester. De violents heurts ont fait de nombreux blessés, tandis que l’arrivée des secours a été entravée par les gendarmes.

Météo France annonçait, samedi, de la pluie dans les Deux-Sèvres. Dans le petit village de Sainte-Soline, d’à peine 350 âmes, l’eau n’est finalement pas tombée. Mais, autour d’une méga-bassine de 628 000 mètres cubes en construction, il a plu, tout un après-midi, des grenades lacrymogènes et de désencerclement.

Plus de 4 000, selon un chiffre avancé par le ministre de l’Intérieur, au cours de violents heurts entre gendarmes et opposants à ces immenses retenues d’eau destinées à l’irrigation des cultures.

Le point de ralliement était fixé plus tôt dans la journée, dans la commune voisine de Vanzay, en bordure de la zone d’interdiction de circulation et de manifestation. Des convois de voitures vont s’étaler sur des kilomètres pour y accéder en contournant les barrages.

Une randonné champêtre d'environ une heure trente

Dans un champ des plus boueux servant d’arrière-base, on croise des drapeaux de Greenpeace, Solidaires, la CGT, la Confédération paysanne ou encore Extinction Rebellion. Les organisateurs parlent de 30 000 manifestants venus de toute la France et même de l’étranger avec un objectif commun : mettre hors d’état de nuire la méga-bassine, située à environ six kilomètres, qui servira à pomper l’eau des nappes phréatiques au bénéfice de quelques agriculteurs.

« Il y a six ans, on partait de rien, mais la médiatisation a fait grossir les rangs. Une bonne partie du pays sait maintenant ce qu’est une méga-bassine », se félicite Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci et figure de la lutte.

Vers 11 heures, et dans la bonne humeur, est donné le top départ d’une randonnée champêtre d’environ une heure trente pour rejoindre le chantier. Ils chantent On est l’eau sur l’air d’On est là. Baptisés de noms d’animaux menacés par le projet (outarde, loutre et anguille), trois cortèges se séparent. L’un regroupe de nombreuses familles et la plupart des élus. Les deux autres, plus mobiles, coupent à travers champs.

Le dispositif policier aurait coûté 5 millions d’euros

Sur le parcours, aucun policier, contrairement à la mobilisation d’octobre 2022, qui avait très vite dégénéré. Ce qui n’empêche pas les marcheurs du jour de craindre les échauffourées. « On ne vient pas pour ça mais si on nous attaque, on répondra, se désolent Isabelle et Éric. Il faut se battre contre cet accaparement de la ressource. On voit bien qu’il y a de moins en moins d’eau dans les rivières. »

Le mot « accaparement » revient souvent. « La guerre de l’eau a déjà commencé. Je viens car je suis inquiète pour l’avenir de mes petits-enfants », explique Maud, la cinquantaine, en sautant par-dessus un fossé. Au loin, un monticule de terre apparaît, en haut duquel des gendarmes sont juchés.

« Mettez vos lunettes (de piscine – NDLR), ça va piquer. Et restez groupés pour qu’on puisse vous protéger ! » lance un homme en bleu de travail, tenue emblématique de cette lutte, dans l’un des deux cortèges de tête.

Des milliers de personnes arrivent alors au pied de la méga-bassine. Tout autour de la retenue, des camions de gendarmerie en enfilade forment une muraille. D’après Benoît Biteau, eurodéputé écologiste, le dispositif policier (3 200 agents et plusieurs hélicoptères) aurait coûté 5 millions d’euros. « Voilà à quoi servent nos impôts : à protéger des intérêts privés ! » tance une trentenaire lyonnaise.

« No bassaran ! »

Très vite, les hostilités démarrent, sans que l’on sache qui les a lancées. Une petite partie du cortège– part à l’assaut en criant : « No bassaran ! » Les manifestants pacifiques, ultramajoritaires, restent en retrait. Beaucoup sont interloqués par la violence inouïe qui se déploie sous leurs yeux. Des pierres volent, des feux d’artifice explosent et des cocktails Molotov sont lancés.

Quatre véhicules sont incendiés. Les gendarmes répliquent avec des tirs de LBD, de gaz lacrymogène et de grenades. Ils défendent le fort, à savoir un cratère vide. Trop souvent des opposants crient « Médic ! » en pointant un blessé au sol.

« Évidemment que ça me fait peur, mais j’en avais marre de ne pas être dans l’action. Le futur m’angoisse et ça me fait du bien d’être avec tout ce monde. On a besoin de changer le niveau de radicalité », affirme Fantine, dans la foule paisible obligée de reculer, les yeux rougis par les gaz lacrymogènes.

Un peu plus loin, les blessés, qui affluent par dizaines, sont regroupés pour être soignés. Ils seront plus de 200, selon les organisateurs, dont 10 hospitalisations et un pronostic vital engagé.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déploré 28 gendarmes blessés. Des élus insoumis et écologistes en écharpe décident ensuite de faire une chaîne humaine, alors que des gendarmes voltigeurs sur des quads débarquent à vive allure. « Pas de provocation. On est là pour protéger les blessés ! » hurle Benoît Biteau pour calmer les quelques manifestants qui chantent Tout le monde déteste la police !

« Entrave à l’intervention des secours »

Il ne faut pas longtemps pour que les voltigeurs tirent dans le tas, en plein milieu des blessés au sol, transportés à la hâte un peu plus loin. Les grenades explosent, provoquant un mouvement de foule.

Les quelques centaines de personnes se trouvent coincées entre un fossé de deux mètres et le brouillard piquant. « Si les CRS étaient restés chez eux, il n’y aurait pas eu d’affrontements. C’est un trou avec de l’eau : il n’y a rien à casser. On en a ras le bol : on est venus parler d’écologie et le maintien de l’ordre, c’est du ressort du ministère de l’Intérieur », s’agace Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV.

Des élus de gauche « irresponsables », a jugé Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture. Sans qui, pourtant, les blessés – dont certains dans un état grave comme une jeune fille éborgnée – auraient attendu bien plus longtemps avant d’être pris en charge.

Il a fallu que Benoît Biteau joigne le cabinet de la première ministre pour débloquer les secours et que Marine Tondelier négocie pour que le Samu puisse intervenir. « Nos observateurs ont constaté l’entrave par les forces de l’ordre à l’intervention des secours pour une situation d’urgence absolue », a affirmé la Ligue des droits de l’homme.

Peu avant 16 heures, les derniers manifestants quittent le champ de bataille sur un constat amer. « Les capitalistes privatisent l’eau pour sécuriser leurs profits à nos frais, alerte Hugo Blossier, ancien secrétaire départemental PCF de la Vienne. Ils ont l’appui total du gouvernement, prêt à mettre tous les moyens pour accéder à leurs désirs, que ce soit pour nous faire bosser plus longtemps ou s’accaparer l’eau. » Les opposants aux méga-bassines le promettent déjà : ils reviendront.


 


 

Violences policières : la France montrée du doigt dans le monde entier

Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr

Les dérives du maintien de l’ordre en France depuis l’activation de l’article 49 alinéa 3 par le gouvernement ont depuis été dénoncées par l’ensemble de la société civile, les autorités administratives indépendantes, ou encore le Conseil de l’Europe et les Nations unies.

SiSi les images de violences policières accompagnent désormais chaque manifestation ou mouvement social, celles de ces deux dernières semaines, prises lors de manifestations contre la réforme des retraites et lors de celle de samedi à Sainte-Soline, suscitent une vague d’indignations rarement vue.

Dimanche 26 mars, un collectif d’ONG ayant envoyé sur le terrain des « observatoires » faisait un premier bilan du week-end de violences ayant fait plus de 200 blessés, dont 40 dans un état grave, parmi les manifestants et les manifestantes venues s’opposer au projet de mégabassines voulu par le gouvernement.

« Dès nos premières observations le vendredi, nous avons constaté le bouclage ultra-sécuritaire de la zone », explique le rapport provisoire, rédigé sur la base de constatations faites par six observatrices et observateurs appartenant à une dizaine d’associations dont la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Syndicat des avocats de France (SAF), le Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples (MRAP) ou encore l’Observatoire des libertés publiques.

Il décrit une répression implacable de la moindre tentative de rassemblement. « Dès l’arrivée des cortèges sur le site de la bassine, les gendarmes leur ont tiré dessus avec des armes relevant des matériels de guerre [...]. Des grenades ont été envoyées très loin et de manière indiscriminée », détaille le rapport.

« De manière générale, nous avons constaté un usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain », concluent les observatoires des associations.

Ces nouvelles scènes de violences arrivent alors que, depuis l’ouverture de la crise politique par l’usage de l’article 49 alinéa 3 par le gouvernement, les appels se multiplient pour demander au gouvernement de mieux encadrer les opérations de maintien de l’ordre et de garantir la liberté de manifester des citoyen·nes. Des appels émanant de la société civile mais également d’institutions, en France et à l’international.

Dès le lundi 20 mars, le rapporteur spéciale des Nations unies pour la liberté de réunion, Clément Voulé, faisait part de ses préoccupations à la vue des premières manifestations contre la réforme des retraites après le déclenchement de l’article 49 alinéa 3.

« Je suis de très près les manifestations en cours et rappelle que les manifestations pacifiques sont un droit fondamental que les autorités doivent garantir et protéger, écrivait-il sur Twitter. Les agents des forces de l’ordre doivent les faciliter et éviter tout usage excessif de la force. »

Les violences doivent cesser.

Vendredi dernier, c’est la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, qui publiait un communiqué s’inquiétant de l’évolution de la situation en France. « Les conditions dans lesquelles les libertés d’expression et de réunion trouvent à s’exercer en France dans le cadre de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites sont préoccupantes », écrivait-elle.

La commissaire prenait soin de préciser que des violences avaient également été commises par des manifestantes ou des manifestants. Mais celles-ci « ne sauraient justifier l’usage excessif de la force par les agents de l’État. Ces actes ne suffisent pas non plus à priver les manifestants pacifiques de la jouissance du droit à la liberté de réunion ».

« Les violences doivent cesser. C’est une condition nécessaire à l’exercice effectif des libertés d’expression et de réunion, ainsi qu’à la confiance entre la population et les forces de l’ordre », concluait Dunja Mijatović en citant les « recommandations » formulées par les deux autorités administratives indépendantes françaises chargées de la protection des droits humains, la Défenseure des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

La première a publié un communiqué mardi 21 mars dans lequel la Défenseure des droit, Claire Hédon, se disait « préoccupée par les vidéos circulant sur les réseaux sociaux, de nombreux articles de presse et saisines reçues par l’institution sur de possibles manquements déontologiques dans le maintien de l’ordre au cours des évènements des jours derniers ».

En conséquence, la Défenseure rappelait ses recommandations prévoyant, notamment, d’« encadrer strictement les contrôles d’identité, les fouilles et filtrages », de limiter le recours à la technique dite de la « nasse » à un usage nécessaire et proportionné, et de « recentrer le maintien de l’ordre sur la mission de police administrative de prévention et d’encadrement de l’exercice de la liberté de manifester, dans une approche d’apaisement et de protection des libertés individuelles ».

Les autorités publiques doivent rappeler fermement aux agents des forces de l’ordre le cadre légal.

La CNCDH se disait quant à elle, dans un communiqué diffusé jeudi 23 mars, « très préoccupée par certains agissements des forces de l’ordre observés » depuis l’activation de l’article 49 alinéa 3. « La multiplication des violences policières captées par des téléphones portables et diffusées sur les réseaux sociaux démultiplie leur impact sur la population et jette le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre soumis à un devoir d’exemplarité », écrivait la commission.

« Les autorités publiques doivent rappeler fermement aux agents des forces de l’ordre le cadre légal de leurs interventions, au service de la garantie des libertés fondamentales, poursuivait son président, Jean-Marie Burguburu. L’autorité judiciaire doit également pleinement jouer son rôle de gardien de la liberté individuelle. »

L’ensemble de la société civile concernée s’est également exprimée pour appeler le gouvernement à faire stopper les violences policières. « Le ministre de l’intérieur doit mettre fin aux violences policières contre les journalistes qui couvrent les manifestations contre la réforme des retraites », affirme ainsi Reporters sans frontières dans un communiqué publié vendredi 24 mars.

Le même jour, la LDH et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) publiaient un communiqué commun appelant « à l’arrêt immédiat des violences policières et à la reprise d’un débat démocratique serein dans le respect des principes constitutionnels ».

La veille, c’est Amnesty International qui dénonçait « un recours excessif à la force et aux arrestations abusives ». Dans son communiqué, l’ONG listait les manquements constatés : « utilisation abusive des matraques », « utilisation abusive des lacrymogènes », « utilisation abusive de grenades de désencerclement » et « arrestations abusives ».

Notre place n’est pas aux côtés des préfets pour préparer la répression des manifestants.

Du côté des organisations professionnelles du secteur de la justice, le Syndicat de la magistrature (SM) a dénoncé, lundi 20 mars, la multiplication des arrestations et des placements en garde à vue. Dans son communiqué, le SM appelait ses membres « à refuser de donner un vernis judiciaire à des opérations de police qui ne sont plus au service de la protection de la population mais de sa répression ».

« Notre place n’est pas aux côtés des préfets pour préparer la répression des manifestants mais de protéger les justiciables dans l’exercice de leur citoyenneté, poursuivait le syndicat. Notre contrôle de toutes les procédures initiées lors des manifestations doit être exigeant et minutieux. »

Le même jour, le Syndicat des avocats de France (SAF) appelait également les « magistrats saisis de ces affaires de faire preuve d’indépendance et de responsabilité, et de ne pas tomber dans une répression judiciaire disproportionnée qui viendrait s’ajouter à celle policière ».

C’est encore un collectif de trente-six avocates et avocats, dont le président de la LDH Patrick Baudouin, qui a pris la plume lundi 27 mars pour exprimer, dans une tribune publiée dans Le Monde, leur « plus grande préoccupation face à la politique d’arrestations préventives mise en œuvre sous l’autorité du préfet de police ».

« Non seulement cette politique contrevient aux plus essentielles de nos libertés individuelles et collectives, liberté d’aller et venir, liberté de se réunir, liberté de manifester, écrivent les signataires, mais encore, elle dissuade les citoyennes et les citoyens de participer aux manifestations et à la vie démocratique de notre pays ».

Dans le même temps, la LDH a lancé sur son site une pétition s’adressant directement à la première ministre, Élisabeth Borne, et son ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, pour leur demander de mettre fin « à l’escalade répressive ».

« Le territoire français et les grandes villes plus particulièrement sont depuis plusieurs jours le théâtre d’opérations de maintien de l’ordre de grande ampleur, violentes et totalement disproportionnées », y écrit Patrick Baudouin.

La pétition formule une série de demandes dont la suppression de la « BRAV-M », l’unité de policiers motorisés accusée de nombreuses violences, l’interdiction de la nasse ainsi que des techniques d’immobilisation mortelles et des armes de guerre ou encore la suppression de l’article 222-14-2 du Code pénal qui sert de base légale à de nombreuses interpellations préventives.

« C’est là le préalable à un avenir commun apaisé, insiste la LDH. Car le risque d’un ordre qui déborde, c’est d’être lui-même bientôt débordé face aux tensions et à la radicalité qu’il exacerbe. »


 


 

Tribune d’avocats contre le recours aux arrestations préventives et arbitraires” publiée dans le Monde

https://www.ldh-france.org

Tribune collective signée par Patrick Baudouin, président de la LDH

Ce jeudi 23 mars, le Préfet de police a affirmé qu’ « il n’y a pas d’interpellations préventives, ça n’existe pas dans notre pays ». La veille, le Ministre de l’Intérieur a affirmé, à tort, que la participation « à une manifestation non déclarée est un délit qui mérite interpellation ». Nous, avocates et avocats, exprimons notre plus grande préoccupation face à la politique d’arrestations préventives mise en œuvre sous l’autorité du Préfet de police dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites et le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Cette réforme, ainsi que les modalités de son adoption au Parlement, ont donné lieu à des mobilisations parmi les plus importantes que notre pays ait connues. Jusqu’à l’annonce par la Première ministre de l’engagement de la responsabilité de son gouvernement, elles se sont déroulées dans le calme. Depuis le 16 mars 2023, près de 900 personnes ont été interpellées et placées en garde à vue dans le cadre de manifestations à Paris. Largement évoquées par la presse, ces arrestations visent indifféremment touristes, promeneurs et manifestants, mineurs pour certains. À la suite de ces gardes à vue qui ont pu durer plusieurs dizaines d’heures, la grande majorité de ces personnes ont bénéficié d’un classement sans suite.


Ces éléments indiquent que le Préfet de police a intégré à sa politique de maintien de l’ordre le recours systématique aux interpellations préventives.

Cependant, d’interprétation stricte, la loi pénale n’autorise le recours à la garde à vue qu’à l’égard de la personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de penser qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. Force est de constater qu’en refusant de poursuivre les personnes interpellées, l’autorité judiciaire admet l’absence de la moindre infraction constituée à l’égard des intéressés. Les enquêtes journalistiques et les témoignages des personnes interpellées montrent que notre procédure pénale est instrumentalisée au profit d’une politique de maintien de l’ordre pour le moins particulière.

Soit ces arrestations, menées par l’autorité administrative, interviennent contre des individus dont on présume la volonté de commettre une quelconque infraction, elles sont alors préventives ; soit ces arrestations interviennent après qu’une infraction a été commise mais contre des individus pris au hasard dans la foule, elles sont alors arbitraires.

Dans un cas comme dans l’autre, elles sont illégales.

Non seulement cette politique contrevient aux plus essentielles de nos libertés individuelles et collectives, liberté d’aller et venir, liberté de se réunir, liberté de manifester, mais encore, elle dissuade les citoyennes et les citoyens de participer aux manifestations et à la vie démocratique de notre pays.

Nous nous opposons fermement à ces méthodes et appelons le Ministre de l’Intérieur et le Préfet de police à y mettre fin.

Signataires : Arié ALIMI, avocat au Barreau de Paris et membre du Bureau national de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Sophie ALLAERT, avocate au Barreau de Paris ; Patrick BAUDOUIN, avocat au Barreau de Paris, Président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Thomas BIDNIC, avocat au Barreau de Paris ; Thomas BODIN, avocat au Barreau de Paris ; Sophie BONAMOUR, avocate au Barreau de Paris ; William BOURDON, avocat au Barreau de Paris, Ancien Secrétaire de la Conférence ; Vincent BRENGARTH, avocat au Barreau de Paris ; Anne CHIRON, avocate au Barreau de Paris ; Lionel CRUSOE, avocat au Barreau de Paris ; Edouard DELATTRE, avocat au Barreau de Paris ; Léa DORDILLY, avocate au Barreau de Paris, Ancienne Secrétaire de la Conférence ; François EXPERT, avocat au Barreau de Paris ; Nina GALMOT, avocate au Barreau de Paris ; Marie GEOFFROY, avocate au Barreau de Paris ; Inès GIACOMETTI, avocate au Barreau de Paris ; Lisa GIRAUD, avocate au Barreau de Paris ; Elisa GRIMALDI, avocate au Barreau de Paris ; Constance HANNEL, avocate au Barreau des Hauts-de-Seine ; Sabrina HASSAINI RACHID, avocate au Barreau de Paris ; Manon HENRY, avocate au Barreau de Paris ; David KOUBBI, avocat au Barreau de Paris ; Anne-Sophie LAIRD, avocate au Barreau de Paris ; Gaspard LINDON, avocat au Barreau de Paris, Ancien Secrétaire de la Conférence ; Flora MAINARDI, avocate au Barreau de Paris ; Christelle MAZZA, avocate au Barreau de Paris ; Soraya NOUAR, avocate au Barreau de Paris ; Marie OLLIVIER, avocate au Barreau de Paris ; Marion OGIER, avocate au Barreau de Paris et membre du Comité national de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Félix PELLOUX, avocat au Barreau de Paris ; François SAINT-PIERRE, avocat au Barreau de Paris ; Jean-Baptiste SOUFRON, avocat au Barreau de Paris ; Georges TSIGARIDIS, avocat au Barreau de Paris ; Fanny VIAL, avocate au Barreau de Paris, Ancienne Secrétaire de la Conférence ; Hugues VIGIER, avocat au Barreau de Paris

Elèves-avocats à l’initiative de la tribune : Elliot BERSEGOL, élève-avocat à l’Ecole de formation des Barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris ; Théo LAMBALLE, élève-avocat à l’Ecole de formation des Barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris

Paris, le 27 mars 2023

  publié le 27 mars 2023

Pour ravitailler les grévistes : une alliance entre paysans, cantines collectives et salariés en lutte

par Sophie Chapelle sur https://basta.media/

Des produits frais et locaux sont distribués sur les piquets de grève de Touraine. Objectif : aider les salariés en lutte à tenir et favoriser les discussions entre mondes ouvrier et paysan. A la manœuvre : une cantine, La Louche finale.

Ces paniers de fruits et légumes locaux réchauffent les cœurs des grévistes, et celui de Romain Henry, paysan, qui assure la distribution aux cheminots. « Ravitailler les piquets de grève est essentiel pour construire un rapport de forces victorieux sur le terrain », estime le porte-parole de la Confédération paysanne d’Indre-et-Loire.

60 paniers de légumes, pain, pommes et fromages de brebis ont ainsi été livrés le 7 mars aux soixante grévistes du technicentre SNCF de Saint-Pierre-des-Corps, à côté de Tours. « On organise le soutien avec un sens énorme de solidarité. Les collègues savent la valeur qu’il y a dans le panier, ça a beaucoup de sens de faire ça », ajoute l’agriculteur.

Le 14 mars, c’était au tour des gaziers en grève sur le site de Storengy à Céré-la-Ronde de bénéficier de denrées produites localement. Et le 20 mars, les grévistes de la centrale nucléaire de Chinon ont vu ainsi leur petit déjeuner offert sur le piquet de grève qu’ils tenaient.

Au cœur de cette logistique se trouve La Louche finale, une cantine de luttes créée fin 2022 en Touraine. « La Louche finale a organisé la collecte à prix coûtant des produits de nos fermes », explique Romain Henry. « On veut être un outil d’appui à des moments de luttes », précise Violette*, bénévole à la Louche finale.

Défendre un modèle paysan

La structure a un souci constant : soutenir les productrices et producteurs locaux en s’approvisionnant en priorité auprès d’eux et en les rémunérant. « Il s’agit de défendre un modèle paysan avec ce qu’on cuisine. » À chaque mobilisation depuis le 19 janvier 2023, des fermes locales d’Indre-et-Loire approvisionnent via cette cantine le mouvement social.

L’idée d’approvisionner les lieux de luttes remonte, dans la région, à 2019 lors du mouvement d’alors contre la réforme des retraites, qui voulait instaurer une retraite à points. « Les mobilisations de convergence étaient très fortes, se souvient Romain Henry. On savait qu’on ne pouvait pas quitter nos fermes, car les seules personnes qu’on allait bloquer, c’était nous-mêmes. Mais on était plusieurs collègues paysans à vouloir contribuer en approvisionnant les piquets de grève, soit en dons, soit en prix coûtant. » Avec cette conviction : « Les grandes conquêtes sociales se sont faites quand les mouvements paysans et les ouvriers ont été ensemble. Nos luttes paysannes sont les mêmes que celles des salariés, il faut s’unir. »

« Les grandes conquêtes sociales se sont faites quand les mouvements paysans et les ouvriers ont été ensemble. »

Si la grève prit fin en décembre 2019, la dynamique s’est poursuivie avec l’organisation d’un immense banquet populaire dans les rues de Tours. Plus de 500 repas sont alors assurés, une radio des luttes accompagne le mouvement, des conférences d’éducation populaire se multiplient ainsi que des concerts dans les rues, avec des prix libres qui alimentent les caisses de grève. Le collectif FestiLuttes en Touraine naît de cette dynamique.

« L’abandon de la réforme des retraites à points a suspendu tout cela, mais quand Macron est reparti avec cette réforme, on a embrayé directement, explique Romain Henry. On savait qu’on n’avait pas les moyens d’organiser nous-mêmes des repas, et qu’on avait besoin d’intermédiaires entre nos fermes et les lieux de luttes pour approvisionner. »

Logistique de la cuisine

C’est finalement un collectif militant, La Louche finale, qui se monte fin 2022 pour être l’intermédiaire entre les fermes et les lieux de luttes. « La Louche finale est née de la volonté d’un collectif militant à Tours d’assurer un soutien logistique pour les événements militants en s’occupant de la logistique cuisine de façon bénévole et les services de repas sur différentes manifestations et événements, explique Vince*. C’est monté en puissance grâce au mouvement contre la réforme des retraites. » « On est sur quasiment toutes les manifs qui ont lieu à Tours pour servir des soupes, des fromages, des crêpes, du pain et du café à prix libre », ajoute Violette.

La Louche finale repose sur un collectif de volontaires. « Il y a une équipe de bénévoles pour faire la cuisine la veille de l’événement et une équipe pour assurer le service le lendemain », détaille Vince. Si le collectif est très demandé pour assurer des repas, de plus en plus de manifestants se portent volontaires pour aider à la logistique. On est aussi ouverts aux dons de matériel de cuisine », précise le bénévole [1].

Distribution de paniers

La Louche finale oscille entre dons, prix libre et prix coûtant. « Ce qui est important pour nous, c’est que ce soit des prix libres pour les manifs. Les gens mettent et prennent ce qu’ils veulent », insiste Violette. Ce mode autogestionnaire a rapidement permis de générer une économie permettant à La Louche finale de s’équiper en matériel pour cuisiner, et de rémunérer les productrices et producteurs.

« L’argent supplémentaire dégagé nous a également permis d’organiser la distribution de paniers de fruits et légumes pour les gens faisant des piquets », note Vince. Le principe ressemble à celui des Amap (associations de maintien pour l’agriculture paysanne) : « On collecte les produits chez les paysans qu’on rémunère. Parfois, les productrices et producteurs nous font un prix réduit ou militant, mais ce n’est pas obligé : on a à cœur de rémunérer les paysans pour leur travail. On distribue ensuite ces paniers individuellement à chaque gréviste. Tout cela est financé par les surplus du prix libre. »

Depuis quelques semaines, La Louche finale assure aussi des petits déjeuners sur des piquets de grève. « On sait que les meilleures discussions ont lieu près de la machine à café, remarque Romain Henry. Créer de la convivialité permet à des gens à la fin de rester et de poursuivre la lutte. On crée les possibilités pour des personnes de s’investir et de contribuer. »

Notes

[1] Pour les contacter, écrire à lalouchefinale@proton.me


 


 

Au musée du Louvre :
« Grève, blocage, Macron dégage ! »

Antoine Perraud sur www.mediapart – 27 mars 2023

« La Joconde est en grève et la momie aussi ! » Le Louvre a été bloqué, lundi 27 mars, par une action de l’intersyndicale des personnels du musée. Le philosophe Jaques Rancière et le romancier Laurent Binet sont venus apporter leur soutien au mouvement.

Musée du Louvre (Paris).– La colère gagne par capillarité. La détermination s’amplifie dans la joie d’une lutte sociale en devenir. Il y a, au Louvre, ce lundi 27 mars en fin de matinée, tout ce que ne peuvent comprendre un président de la République en état de glace et un gouvernement borné : des soubresauts annonciateurs, des révoltes logiques, des échines bafouées qui se redressent. Une pincée de ressentiments dignes de 1871, un doigt d’aspirations propres à 1936, un zeste de radicalité badine à la Mai-68...

Mehenna Belaïd, de Sud Culture, qui veille la nuit sur les trésors du musée, se montre fier et heureux d’une mobilisation qui pourrait entraîner d’autres institutions culturelles dans la danse, même si, pour l’instant, on est encore loin d’une vague générale : « Nous avons pu bloquer les quatre accès avec une centaine de personnes mobilisées de part en part. »

Des grévistes issus des rangs du Mobilier national ou du Centre Pompidou sont venus prêter main forte, par solidarité, pour tâter le terrain, afin de manifester cet écœurement, national, qui couve et qui gronde, face à un pouvoir inflexiblement obtus. Ce n’est déjà plus le petit matin, ni encore le grand soir. Mais devant la pyramide de Pei, une faction factieuse s’en donne à cœur joie, persuadée que la lutte continue ; histoire de sentir la fraternité, de comprendre la justice, d’éprouver les conquêtes sociales.

Le sociologue Jean-Marc Salmon, 80 ans, vétéran du bouillonnement de 1968 et de l’université de Vincennes, coanime une cellule informelle visant à « ranimer la figure de l’intellectuel engagé ». Non pas pour guider le Peuple mais pour écouter les travailleurs, voire les épauler, dans la mesure du possible. Tout a commencé au moment de la « loi travail » (El Khomri) en 2016, à propos de violences policières qui font écho à celles d’aujourd’hui : un étudiant avait été éborgné à Rennes par un tir de LBD et un syndicaliste de Sud avait été gravement blessé par une grenade de désencerclement.

« Nous avions alors lancé une pétition, explique Jean-Marc Salmon, contre l’armement quasi létal confié aux forces de l’ordre. Notre réseau a repris du service au moment de la grève des cheminots en 2018. Cette grève perlée était moquée par tous les médias dominants méprisants. Nous avons alors lancé une cagnotte, qui a recueilli 1,3 million d’euros, tout en créant du lien : les messages accompagnant les dons devenaient des fils de discussions passionnants. Ensuite, avec Annie Ernaux, Étienne Balibar, Jacques Rancière, ou encore Laurent Binet, nous avons soutenu le mouvement. »

Ce groupe d’hommes et de femmes de lettres, ami des séditions et des luttes sociales, a été contacté par Mehenna Belaïd et l’intersyndicale (CGT Culture et CGT Spectacle en particulier), pour venir appuyer leur blocage du Louvre – celui du 23 mars ayant été peu remarqué, noyé dans les manifestations de masse de ce jour-là.

C’est ainsi que ce lundi 27 mars, Jacques Rancière, philosophe de l’émancipation ouvrière qui va sur ses 83 ans, a pris la parole. Son maître livre, La Nuit des prolétaires – qui était à l’origine sa thèse d’État –, montre à quel point, au XIXe siècle, la classe ouvrière ne s’est pas contentée de réparer sa force de travail mais, assoiffée de culture et de temps libéré des besognes, s’est échappée des stéréotypes liés à sa condition de dominée, d’exploitée, de corvéable à merci. Avec des mots clairs et nets, Jacques Rancière a rappelé la stratégie des technocrates comprador qui nous gouvernent.

À la porte des Lions, ils ne sont qu’une petite poignée, à l’heure du déjeuner, à garder fermée cette autre entrée du Louvre. Ils travaillent dans les ateliers, voient s’assécher le recrutement de fonctionnaires en interne. Leurs collègues en CDD, ou appartenant à des entreprises extérieures sous-traitantes, sont dépourvus de culture ouvrière héritée du XIXe siècle et n’ont, de surcroît, pas les moyens de se mettre en grève – en particulier celles et ceux travaillant à temps partiel.

Un « bloqueur », bonnet vissé sur la tête, affirme crânement : « Peut-être nous faudra-t-il revoir nos moyens d’action. La grève, l’occupation et le blocage sont sans doute des passages obligés. Mais moi, je ne veux plus discuter avec le patronat pour quémander des miettes. »

Retour à la pyramide, où le romancier Laurent Binet, 50 ans, s’apprête à prendre le microphone à son tour. Il revient de loin. Il avait écrit son récit de la campagne de François Hollande en 2012 : Rien ne se passe comme prévu. Mais en 2014, dans une tribune publiée par Le Nouvel Observateur et titrée « Plaisir de trahir, joie de décevoir », Laurent Binet étrillait les socialistes en peau de lapin au pouvoir : « Il restera quand même ce mystère : quelle ivresse, quelle étrange perversité les aura conduits à exhiber, à mettre en scène de façon aussi spectaculaire leur duplicité ? »

Aujourd’hui proche de cette nébuleuse de plus en plus large, que le pouvoir et ses relais médiatiques désignent avec une rage pavlovienne comme « l’extrême gauche », Laurent Binet fait l’éloge de la foule consciente et mobilisée, ainsi que de la convergences des luttes. Celle-ci, partout en France, dans les villes comme dans les campagnes, petit à petit, ferait son nid pour tirer l’esprit du cachot...

   publié le 26 mars 2023

Le jour où nous avons repris la confiance

Éditorial sur https://www.frustrationmagazine.fr

Mercredi 22 mars, un bourgeois en costume bleu et une montre valant deux SMIC venait s’adonner sous nos yeux à une séance d’auto-congratulation doublée d’insultes envers sa population. Il a tout bien fait, nous a-t-il dit, son seul tort c’est que nous ne soyons pas convaincus qu’il veut notre bien en nous faisant du mal, et d’ailleurs les gens au SMIC sont plein aux as, l’inflation est jugulée et, “oh, regardez, un allocataire du RSA !”. Le message officiel du président était “il n’y a pas de sujet, rentrez chez vous”. Selon les renseignements, ce message aurait été interprété par de nombreuses personnes comme “une déclaration de guerre”. Non, vous croyez ?

Le lendemain, jeudi 23 mars, à 10h30, 9000 personnes défilaient à Saintes, ma ville de 30 000 habitants. Et une incroyable bonne humeur traversait la foule. Comment peut-on avoir tant de rage et sourire autant ? C’est la question que je me suis posée tout le long du défilé : nous écumions de rage envers ce président pathétique et détestable, mais nous nous parlions, nous souriions. Et surtout, ce flot était désormais libre, comme si Macron nous avait autorisé, par son 49-3 et son discours lamentable, à sortir des limites que nous nous imposons si souvent (et que les syndicats et partis fixent généralement). Au programme : traversée de l’hypermarché puis blocage du péage d’autoroute dans une ambiance euphorique.

Comment peut-on avoir autant la rage et sourire autant ? C’est ce qui arrive lorsque l’on sent que la victoire s’approche et que l’on éprouve la fierté d’être en nombre et en force.

Et ce scénario s’est reproduit dans toutes les villes de France. Sans se consulter, sans consignes de chefs ou d’organisation, tous les manifestants ont fait la même chose : sortir des parcours déclarés et aller bloquer physiquement les flux de l’économie capitaliste ou tenter d’envahir les lieux du pouvoir d’Etat. 

Comment peut-on avoir autant la rage et sourire autant ? C’est ce qui arrive lorsque l’on sent que la victoire s’approche et que l’on éprouve la fierté d’être en nombre et en force. C’est le sourire de celles et ceux qui sentent leurs différences ordinaires se dissoudre dans un objectif et des intérêts communs. Faire tomber Macron, défier la bourgeoisie en la privant de son meilleur défenseur et de sa réforme rêvée, celle qui correspond à ses idéaux – nous faire trimer plus – et ses intérêts – ouvrir le juteux marché de la retraite par capitalisation et faire maigrir l’anomalie que reste pour elle la sécurité sociale.

Peut-on dire que face à la puissance de la bourgeoisie nous aurions retrouvé une conscience de classe ? Pas seulement : aussi et surtout une confiance de classe. Ce sentiment d’appartenance à un même groupe uni dans sa diversité – à Frustration nous disons « la classe laborieuse » – qui se double enfin d’une conscience de sa force nouvelle et de la fierté de la voir croître.

La fierté, enfin : celle des gilets jaunes qui ont montré la voie. Celles des grévistes qui tiennent toujours. Celles de tous les autres, enfin sortis du rythme lancinant et désespérant des mouvements sociaux perdants, ceux où plus l’on chante « on lâche rieeeeen » plus on lâche. Tout ça, c’est terminé.

Et la bourgeoisie le sent.

Peut-on dire que face à la puissance de la bourgeoisie nous aurions retrouvé une conscience de classe ? Pas seulement : aussi et surtout une confiance de classe.

Vendredi 24 mars : plus gris qu’à l’ordinaire, les présentateurs de BFM TV commentent l’actualité tandis que derrière eux des vidéos de flammes dans les rues de France se succèdent. Une ambiance de deuil règne sur le plateau. Le deuil d’un dossier qu’ils croyaient classé. 

Programme suivant : Apolline de Malherbes interroge François Ruffin. Le député NUPES est soumis à un interrogatoire. L’objectif de l’éditocrate la plus aristo du PAF est clair : il s’agit de demander à l’insoumis de choisir son camp. Va-t-il aider la bourgeoisie à restaurer l’ordre ou va-t-il attiser les flammes de la révolte ? Le député, mal à l’aise, appelle au calme, tout en défendant le mouvement social comme il sait le faire. Mais une référence à 1789 lui vaut la colère de la gardienne de l’ordre établi. “Vous souhaitez une nouvelle révolution française François Ruffin, c’est ça que vous voulez dire ?!”. Le ton est sec et cassant, une réponse est exigée. Le député s’exécute, s’excusant presque, déclare que ce n’est pas ce à quoi nous assistons, actuellement. “Les gens veulent juste être écoutés”, implore-t-il.

Arf, mais ça c’était avant, François. En janvier et février, les défilés pacifiques et sympathiques étaient entièrement soumis à une stratégie syndicale d’interpellation du gouvernement pour obtenir justice. “Maintenant, ils vont nous écouter”, concluait Laurent Berger, le leader de la CFDT à chaque manifestation dépassant le million. En vain. Et ce temps là est révolu. On ne veut plus être écoutés, on veut décider. Car au-delà de la réforme des retraites, c’est tout un système politique (qui est, il ne faut plus avoir peur de le dire, une dictature -pas militaire, pas nazie, pas russe, mais française et bourgeoise), qui nous rend fou. “Oui mais il a été élu” est devenu le dernier argument des éditocrates pour défendre cette réforme. Et la répétition continuelle de cette phrase est venue mettre à nue l’illégitimité totale de nos institutions. “Oui mais il a été élu”. Et alors ? Qui a vraiment l’impression de vivre un grand moment démocratique pendant les élections en République française ? Les plus diplômés et les plus aisés, oui. Car le système leur profite. Mais les autres ? 

Oui mais il a été élu” est devenu le dernier argument des éditocrates pour défendre cette réforme. Et la répétition continuelle de cette phrase est venue mettre à nue l’illégitimité totale de nos institutions. “Oui mais il a été élu”. Et alors ?

Désormais, il ne s’agit plus de lutter pour stopper une réforme injuste – ça c’est une première étape indispensable. Mais également de reprendre en main la décision politique et économique dans notre pays. Nous évoluons en ce moment comme nous avons avancé au moment des gilets jaunes : d’abord critiquer une mesure injuste puis exiger que le système politique qui a rendu possible cette injustice soit changé. Et tant qu’à faire, dégommer cet appareil répressif totalement en roue libre, avec des policiers à la violence décomplexée.

Et la bourgeoisie n’a plus rien à nous proposer pour faire semblant de répondre à ces revendications. Le “grand débat national” ? Au fond des archives de sous-préfecture. La “convention citoyenne pour le climat” ? Enterrée. Des élections ? Sauf démission, la constitution nous impose de nous taper Macron encore 4 ans. Les défenseurs petits bourgeois de la bourgeoisie, les grandes gueules sur RMC, étaient bien emmerdés ce matin. Que faire pour obtenir un retour au calme ? En plateau, la petite bourgeoisie des commerçants et des restaurateurs chouine sur son chiffre d’affaires. Comme d’habitude ils jouent leur rôle : simuler la défense “par en bas” de la classe dominante. Surjouer le malheur et exagérer le sentiment de chaos. Ça marcherait peut -être si nous n’en avions pas tous ras le cul des restaurateurs, de leurs marges exorbitantes, de leurs jérémiades constantes et de leurs pratiques salariales déplorables : même leurs travailleurs ne veulent plus d’eux.

Admettons maintenant que le scénario désormais le moins probable se passe – une défaite à cause de la répression – eh bien nous n’aurions pas tout perdu. Loin de là.

Les auditeurs de RMC appellent et se ressemblent : des salariés, des artisans, parfois même des petits patrons qui ont plus de haine pour Macron que pour les manifestants. Et même au standard, on se rebelle “attendez, laissez moi parler, vous avez l’antenne tous les jours, pas moi”, proteste un salarié interrogé avant d’appeler ses concitoyens à “prendre les armes”, sous les cris horrifiés des “grandes gueules” qui portaient bien mal leur nom ce matin. Et ils ont beau tenter, l’opinion ne se retourne pas. Sur France info à midi on se lamente sur Paris, cette ville qui ne ressemblera pas, une fois encore, à la carte postale que les touristes s’attendaient à voir. Bien essayé, mais nous avons mieux à faire qu’à pleurer sur le sort de voyageurs fortunés.

Et maintenant, que faire ? Continuer. Et visiblement personne n’a besoin de mode d’emploi. Ce mouvement commence à ressembler à un mix gagnant entre les gilets jaunes, les mouvements étudiants et les grèves. Qui peut résister à ça ?

Admettons maintenant que le scénario désormais le moins probable se passe – une défaite à cause de la répression – eh bien nous n’aurions pas tout perdu. Loin de là. Car l’expérience que nous faisons tous en ce moment, cette rage joyeuse et cette confiance de classe, ne nous quittera pas demain. Quand on ressent à ce point sa force, on y prend goût. La guerre des classes, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas.

publié le 26 mars 2023

Pour le sociologue Sebastian Roché 
« Les effets de la mauvaise police sont très corrosifs pour la démocratie »

ÉmilienUrbach sur www.humanite.fr

Suite aux dernières mobilisations contre la casse du système des retraites, de nombreux témoignages évoquent un usage disproportionné de la force par les forces de sécurité. Pour le sociologue Sebastian Roché, c’est un choix délibéré de l’exécutif.

Auteur d’une étude publiée chez Grasset en 2022, « La nation inachevée, la jeunesse face à l’école et la police », le sociologue Sebastian Roché, directeur de recherches au CNRS, analyse l’actuelle instrumentalisation de la violence policière par le gouvernement pour mater l’opposition populaire à sa réforme des retraites.

Les violences policières sont-elles le fruit d’une perte de contrôle du pouvoir ou d’une stratégie délibérée d’intimidation ?

Sebastian Roché : Les deux. Au plan politique, on assiste à une perte de contrôle. Le gouvernement s’est lui-même placé dans une situation de crise en décidant d’abréger le débat sur la réforme des retraite qui aurait pu durer plus longtemps avec une sortie plus honorable. Politiquement, c’est un gouvernement en perte d’autorité. Il n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée et sa réforme est massivement rejetée dans le dans le pays, particulièrement chez les travailleurs. Face à cette perte d’autorité, il fait le choix de la contrainte. Cela se traduit clairement dans le discours d’Emmanuel Macron, lorsqu’il parle de faction et de factieux, induisant l’idée d’une illégitimité des protestations de rue, contre toute évidence politique, historique et juridique. Le droit de manifester est un droit fondamental. Ce choix politique se décline principalement de deux manières. D’abord, en mettant en première ligne les Brigades de répression des actions violentes motorisées (Brav-M) et les brigades anti-criminalités (Bac). Ce sont des unités qui servent à aller au corps à corps et à faire, en théorie, des interpellations mais dans le fond, elle servent surtout à faire de l’intimidation. On le voit notamment à l’égard des journalistes et de tous ceux qui prennent des vidéos. Les gens qui filment sont menacés, frappés, leur matériel est cassé...

On ne contrôle pas la situation mais on va quand même essayer de contrôler les images... 

Sebastian Roché : En effet, même si c’est complètement vain. L’autre aspect, c’est la stratégie des nasses et des arrestations de masse revendiquée, d’ailleurs, par le ministre de l’Intérieur lorsqu’il déclare que se rassembler dans la rue est un délit. C’est, évidemment, juridiquement une erreur mais ce faisant, il qualifie d’infraction politique le fait d’être dans la rue. C’est ce qui explique le caractère indéterminé des actions de police menées actuellement. Le pouvoir dévoile sa stratégie de façon très transparente : On fait peur et on arrête un maximum de gens. C’est une punition même s’il n’y a aucune violation de la loi. Il est, de plus, complètement irresponsable juridiquement. Personne ne peut se retourner contre lui. À la suite d’une arrestation et une privation de liberté, dans le cadre d’une garde à vue levée au bout de 24 heure, il n’existe pas de recours juridique. Il n’y aura pas de sanction pour quiconque. La seule sanction possible, c’est les urnes. Le ministre lui est complètement immunisé. Il dit, maintenant qu’on va rechercher les quelques comportements intolérables chez certains agents. Les policiers sont des travailleurs. Quelques travailleurs seront donc punis pour avoir mis en œuvre les ordres du ministre.

Il semble y avoir une loyauté inébranlable des policiers envers l’autorité civile...

Sebastian Roché : Oui. On le retrouve dans l’instruction de maintien de l’ordre de la gendarmerie de 1930, dont la première phrase stipule que la gendarmerie répond à l’autorité civile. La gendarmerie et la police ne choisissent pas ce qu’elles vont faire par elles-mêmes. C’est un levier énorme pour l’autorité politique. Plus tard, les démocraties ont cherché à encadrer l’utilisation de la force en instaurant l’idée d’absolue nécessité et de proportionnalité. Ce sont des cadres juridiques mais, jusqu’à l’invention de la vidéo, personne ne pouvait vérifier que ces cadres étaient respectés. Le défenseur des droits ne peut pas être partout en France, dans toutes les nasses, et les juges non plus. Impossible de contrôler l’action de la police en grandeur réelle. Et si on ne peut pas exercer de contrôle pendant l’action, on ne peut pas l’arrêter. La seule chose qui peut freiner une pratique policière, c’est l’opinion publique. Les gens ont jugé, à un moment donné, qu’il était insupportable d’user de la violence par les armes, contre les manifestations de viticulteurs, par exemple. C’est devenu inacceptable de tuer des ouvriers au nom de la République. Aujourd’hui, en matière de limitation des libertés, on n’en est pas encore là. Une partie de la population pense encore qu’il est possible de priver des gens de liberté, même s’ils ont rien fait, pour garantir l’ordre. Tant que la population ne rejette pas les propositions des leaders, ils peuvent être réélus. Dans l’histoire, ces transformations s’étalent sur le temps long.

Quels garde-fous existent-ils dans les autres démocraties européennes ?

Sebastian Roché : Certains pays sont très attachés à la protection des droits. C’est le cas des démocraties nordiques. Elles interdisent l’usage des armes comme les LBD ou les grenades explosives. C’est acquis. On ne tire pas sur des gens même s’ils sont en colère, même s’ils commettent des infractions. Ça ne se fait pas. D’autres pays, comme l’Allemagne, ont des cours constitutionnelles dont le mandat de départ est la protection de la Constitution et pour qui le droit de manifester est inviolable. Ce n’est pas du tout le cas en France. Et puis, comme en Grande-Bretagne, c’est une tradition de considérer avec importance le consentement et la confiance de la population. La croyance collective considère que c’est une mauvaise idée d’utiliser la violence contre une manifestation. Lorsque cela se passe mal, cela peut se traduire par des émeutes, comme en 2011. C’est le drame et a posteriori, on se pose la question de comment faire pour moins utiliser la force. En France, on se demande plutôt quel équipement supplémentaire on va pouvoir utiliser pour user de plus de force contre les protestataires.

Quelles conséquences peut avoir le comportement violent de la police sur notre société ?

Sebastian Roché : Être frappé par la police est une expérience fondatrice de la citoyenneté. On se sent considéré comme un sous-citoyen, mis en dehors de la Nation et de la même manière, de la République. La croyance dans les institutions et dans la démocratie est profondément corrodée par les violences policières. Comment croire dans l’État de droit quand on est victime d’une violation du droit ? Quand on est arrêté pour rien, par des policiers qui eux-mêmes ne portent pas leur numéro d’identification pourtant obligatoire ? Les effets de la mauvaise police sont très corrosifs pour la démocratie et la cohésion nationale, de façon durable. Chez les adolescents, c’est une expérience fondatrice. Quand votre première expérience de citoyen est la violence policière, vous ne l’oubliez pas. 

Comment y remédier ?

Sebastian Roché : Le pouvoir devrait d’abord être en recherche d’un compromis politique. L’origine de la crise est politique, pas policière. La police va renforcer la mobilisation, comme on l’a vu d’ailleurs ce jeudi 23 mars. Mais la cohésion nationale n’est pas le point fort d’Emmanuel Macron. il en parle beaucoup, mais n’a pas beaucoup d’intuition de ce point de vue. Il faut, ensuite, absolument améliorer la responsabilité individuelle des policiers qui commettent des fautes. Il faut arrêter avec les numéros Rio de la taille d’un timbre-poste et leur faire porter des numéros d’immatriculation visible de loin afin que les violations des droits dans les manifestations puissent être amenées devant la justice et en finir avec le sentiment d’impunité chez les policiers et dans la population. Cette impunité est très mauvaise pour la confiance dans les institutions. Quand on est trahi par les institutions, on ne peut plus lui faire confiance. Il suffit d’acheter des morceaux de tissu de 20 cm par 20 cm qui se fixent dans le dos et de les faire porter à chaque agent. C’est simple, facile à mettre en œuvre et faisable à court terme.


 


 

Manifestations :
le malaise judiciaire

Nadia Sweeny  sur www.politis.fr

Alors que la répression contre la réforme des retraites se durcit, les comparutions immédiates ont vu jusque-là défiler très peu de dossiers de manifestants par rapport au nombre de placement en garde à vue. Pire : les dossiers poursuivis sont particulièrement légers.

Cette semaine, il flotte un air de délitement au tribunal judiciaire de Paris. Les journalistes vont et viennent d’une salle à l’autre à la recherche des rares dossiers de manifestants opposés à la réforme des retraite, qui passent en comparution immédiate (CI). Pour ne pas les rater, certains assistent, hagards, au cortège des affaires classiques de CI.

Des heures à voir défiler trafics de stups, vols, refus d’obtempérer, bagarres avant que, tout à coup, ne soient lancés les mots-clés tant attendus : dégradation, groupement, feu de poubelle, barricades… L’attention, alors, se réveille. Les corps se redressent. Le clapotis des claviers d’ordinateurs bruisse.

Trois dossiers lundi 20 mars. Cinq le mardi. Sept le mercredi. Il n’y a pas foule au portillon. Mais où sont donc passées les 442 personnes placées en garde à vue entre mercredi 15 mars et samedi 18 mars à Paris et les 52 personnes déférées devant un magistrat ? En réalité, 88 % des personnes interpellées ces jours-ci ont vu leur affaire classée sans suite.

D’après les observateurs, ce sont majoritairement des classements pour absence d’infraction. Alors que les récits de personnes emmenées par erreur, au commissariat – dont deux adolescents autrichiens en voyage scolaire – se multiplient, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez a réfuté l’existence d’« arrestations préventives ».

Ces chiffres montrent que les forces de sécurité intérieure utilisent très abusivement la garde à vue.

Pour le Syndicat de la magistrature, au contraire, « ces chiffres montrent que les forces de sécurité intérieure utilisent très abusivement la garde à vue » afin de « museler la contestation en brisant les manifestations en cours et en dissuadant – par la peur –  les manifestations futures ».

Il appelle les magistrats à « refuser le détournement de la procédure pénale au profit du maintien de l’ordre, à refuser de donner un vernis judiciaire à des opérations de police qui ne sont plus au service de la protection de la population mais de sa répression ».

Quelques jours plus tôt, dans une dépêche du 18 mars envoyée en interne aux magistrats, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a bien appelé à la fermeté face aux manifestants. Et force est de constater que les procureurs tentent de s’y plier, au risque de pousser artificiellement des dossiers difficiles à défendre.

Justice d’abattage

En comparution immédiate, beaucoup de dossiers « manifs » sont renvoyés à une date de jugement ultérieure : les militants aguerris refusent, par principe, ce qui est considéré comme une « justice d’abattage », notamment dans les dossiers les plus complexes. Mais quelques-uns décident tout de même d’être jugés tout de suite.

Ce tri permet de rendre visibles les affaires particulièrement légères pourtant considérées par le parquet comme solides, puisqu’elles ont été retenues et les personnes poursuivies devant un tribunal correctionnel en comparution immédiate, soit mesure d’urgence.

Lundi 20 mars, on tombe sur Edwige et Jonathan, deux étudiants arrêtés deux jours plus tôt dans le quartier de Chatelet-Les Halles, accusés d’avoir mis le feu à des poubelles. On écoute les éléments du dossier, la lecture du procès-verbal du policier, seul témoin, qui déclare avoir vu un individu « à capuche grise » allumer le feu.

On se tourne vers Edwige et Jonathan. Pas de capuche. On espère alors beaucoup de la vidéo-surveillance. « On voit que ce n’est pas vous qui mettez le feu, souffle la présidente. Vous mettez des gobelets dans la poubelle. Voilà ce qu’on a. » Résultat : relaxés.

Arrive ensuite Pierre, 19 ans, étudiant. Primo-manifestant, lui aussi accusé d’avoir mis le feu à une poubelle, le même soir mais place d’Italie. Le jeune homme reconnaît les faits mais dit que le feu, ce n’est pas lui, qu’il a juste poussé une poubelle dedans. Résultat : soixante-dix heures de travaux d’intérêt général.

Aucun témoin, aucune preuve

Le lendemain, trois jeunes gens d’une vingtaines d’années s’alignent dans la salle 6.04 du tribunal judiciaire de Paris. On rencontre Clothilde, en service civique – très émue par sa comparution – Margot, graphiste sans emploi et Martin, agent immobilier. Arrêtés le 19 mars dans le deuxième arrondissement de Paris, ils ont tous un casier judiciaire vierge et ont gardé le silence pendant leur garde à vue. Ils nient en bloc avoir mis le feu aux détritus.

Au fur et à mesure que les débats avancent, une fois encore, le dossier fond comme neige au soleil. Sur procès-verbal, les policiers affirment ne pas avoir vu le feu et évoquent « trois requérants », dont personne n’a pris les identités, qui auraient accusé des personnes « habillées de noir avec un masque sanitaire sur le visage » d’avoir mis le feu.

Ce dossier est symptomatique de ce que nous voyons en ce moment : de l’interpellation arbitraire.

Problème : le jeune homme porte un sweat shirt mauve et aucun masque n’a été retrouvé. Aucun témoin, malgré une recherche de voisinage active. Là encore, l’existence d’une vidéosurveillance donne une sorte d’espoir : il y a bien quelque chose de concret dans ce dossier.

Le résultat tombe à 20 h 28 : « Constatons l’impossibilité d’identifier les personnes ». Comment, alors, ces jeunes gens ont-ils pu être poursuivis ? « Ce dossier aurait dû être classé sans suite comme les autres, plaide maître Raphaël Kempf. Il est symptomatique de ce que nous voyons en ce moment : de l’interpellation arbitraire. »

« Il y a des choses qu’on n’a pas, reconnaît la procureure, visiblement embêtée. Pourtant, les policiers ont essayé. » Pour donner un peu de consistance à son dossier, elle questionne les prévenus : « Que pensez-vous des dégradations faites en ce moment ? » Chacun refuse de répondre à une question clairement orientée.

Alors elle clame : « C’est regrettable et dommageable de casser et d’incendier, car cela brouille le message des manifestants légitimes ». Et demande entre 140 et 175 heures de travaux d’intérêt général. Résultat : relaxe générale. Martin repart tout de même avec un mois de sursis pour avoir refusé de donner ses empreintes. Et ce, bien qu’il ait finalement accepté de le faire au bout de 48 heures de garde à vue.

Une journée en absurdie judiciaire

Ce soir-là, en sortant dans la rue adjacente du tribunal, vers 21 h 15, un groupe de jeunes gens s’avance vers nous. « Excusez-nous, savez-vous comment on peut avoir des nouvelles d’un de nos amis censé sortir à 13 h 30 : son dossier a été classé sans suite ». Ledit ami a été arrêté au Panthéon le samedi soir, accusé de groupement en vue de commettre des violences.

Une avocate décroche son téléphone et appelle le greffe. Personne ne semble savoir où en est le dossier de ce jeune homme : classé sans suite, puis en fait non, puis en fait oui. Une erreur d’envoi de fax semble être invoquée pour justifier le retard de libération. Vers 22 h, le jeune homme finit par sortir, clôturant une journée de plus en absurdie judiciaire.

Le lendemain, mercredi 22 mars, rebelotte : la plupart des dossiers « manifs » sont renvoyés à une date ultérieure mais pas celui de Clément, 26 ans. L’apprenti couvreur, en région parisienne depuis un mois, est déjà connu pour dégradation. Il est accusé d’avoir construit une barricade rue Saint-Sabin dans le 11e, et d’y avoir mis le feu. Mais il n’est pas interpellé tout de suite car, selon les policiers « c’est trop compliqué ».

Moi, j’ai l’impression que mon arrestation est politique.

C’est à quelques 400 mètres de là, place de la Bastille, que le policier déclare « l’avoir reconnu grâce à son jogging rouge aux bandes blanches ». Problème : dans le PV de la vidéo surveillance joint au dossier, il est inscrit : « Constatons individus construisant une barricade, ne constatons pas la présence de l’individu » pourtant clairement reconnaissable grâce à son jogging. La procureure ne se démonte pas et demande 8 mois de sursis. Résultat : relaxe.

Lorsque Clément dit à la barre « On continuera à se mobiliser contre cette réforme », la présidente du tribunal explique qu’il ne s’agit pas de juger des idéologies politiques et que la justice n’est pas une tribune. Et le jeune homme de rétorquer calmement : « Moi, j’ai l’impression que mon arrestation est politique ».

 

   publié le 25 mars 2023

Méga-bassines : pourquoi ça déborde

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Des milliers d’opposants à ces retenues d’eau géantes sont attendus dans les Deux-Sèvres, malgré les interdictions. La répression s’annonce sévère.

Il se pourrait bien que la matraque ne soit pas uniquement réservée aux opposants à la réforme des retraites. Dans les Deux-Sèvres, le gourdin policier devrait aussi s’abattre, ce week-end, sur les manifestants hostiles aux méga-bassines.

« La préfecture a laissé entendre que Gérald Darmanin n’envisage pas de nous stopper autrement que par la répression. On s’y prépare du mieux possible », explique Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci, collectif coorganisateur de la mobilisation avec les Soulèvements de la Terre et la Confédération paysanne. Mardi 21 mars, près de 1 500 personnes ont participé, en ligne, à un « brief juridique pour savoir comment se protéger », assure celui qui est batelier dans le Marais poitevin.

Venus de toute l'Europe

Si bien que, malgré les interdictions de manifester, les renseignements territoriaux attendent au minimum entre 7 000 et 10 000 personnes, d’après RTL, pour la journée de samedi, temps fort de ces « manif-actions ».

Ils seront « plusieurs dizaines de milliers », venus de toute l’Europe, selon Julien Le Guet, pour dire non à ces gigantesques retenues d’eau – de pluie ou pompée, en hiver, dans les nappes phréatiques – censées servir à irriguer, en période de sécheresse, des cultures majoritairement liées à l’agro-industrie.

D’où un dispositif policier conséquent, à l’instar de celui qui avait violemment réprimé une mobilisation similaire en octobre 2022, avec plus de 1 700 agents. À l’époque, les affrontements avaient blessé 61 gendarmes, d’après le ministre de l’Intérieur, et une soixantaine de manifestants, selon les organisateurs. Gérald Darmanin les avait alors qualifiés, toute honte bue, d’ « écoterroristes » de façon à criminaliser les opposants et à se poser en garant de l’ordre.

Pour l’heure, le tracé de la manifestation de samedi, soutenue par plus de 200 organisations syndicales, associatives et politiques, dont EELV, la FI et le PCF, n’est pas encore connu de façon à compliquer la tâche des autorités, qui, elles, soutiennent ces projets de privatisation de l’eau.

Trois options sont sur la table : une marche vers la méga-bassine de Sainte-Soline, dont la taille équivaut au Stade de France, un cortège vers celle de Mauzé-sur-le-Mignon ou bien, s’il y a beaucoup de monde, les deux. « Nous serons nombreux dans les champs du Poitou. Nous viendrons impacter matériellement les chantiers de méga-bassines : nous sommes déterminés à ce qu’elles ne se construisent pas », promet Léna Lazare, figure de la génération climat et représentante des Soulèvements de la Terre.

La manifestation sera ponctuée d’ « actions de désobéissance civile et paysanne », annonce-t-on, quand les services de police craignent « des violences et des dégradations ».

Le collectif Bassines non merci réclame un moratoire

Interdit de territoire dans les deux communes concernées et sous surveillance policière, Julien Le Guet prévient, lui, vouloir « coûte que coûte » stopper les méga-­bassines. Plusieurs associations ont déposé des référés-liberté contre les interdictions de manifester et de circulation du matériel agricole : « S’ils ont peur que ça se passe mal, ils n’ont qu’à autoriser les mobilisations et rouvrir le dialogue », demande Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne.

« Nous ne voyons pas comment les sanctions infligées aux anti-bassines, tout comme le déploiement annoncé des forces de gendarmerie samedi seraient de nature à permettre un dialogue avec les membres du collectif Bassines non merci et leurs soutiens », dénonce dans un communiqué de la fédération communiste du 79.

Car, de dialogue, il n’en existe plus entre les défenseurs des méga-bassines et leurs adversaires. D’un côté, le gouvernement se fait l’avocat de ces projets privés au service de l’agro-industrie notamment souhaités par la FNSEA, premier syndicat agricole.

Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau loue un modèle « vertueux » et le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu accuse la gauche d’ « hystériser » le débat. Des opposants qui, pourtant, ne manquent pas d’arguments appuyés sur une récente contre-expertise à une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

« Tous les usages doivent entrer dans la sobriété, affirme Julien Le Guet. Je veux bien faire pipi sous la douche mais pas si je continue à voir les champs de maïs arrosés tout l’été, grâce aux méga-bassines, quand les cours d’eau d’à côté sont à sec. »

Alors que la France a connu une période de forte sécheresse estivale suivie d’une inédite sécheresse hivernale qui dure, la question du partage de la ressource en eau et de son utilisation se place au cœur des enjeux. Et questionne de fait le recours aux méga-bassines, dont le bénéfice ne profite qu’à certains agriculteurs.

« La question qu’on doit se poser ne tourne pas autour du stockage de l’eau. C’est un combat qui n’oppose pas écologie et agriculture. Il faut se demander : quelle agriculture ?, quelle alimentation ?, continue-t-on à irriguer ?, où prend-on l’eau ?, pour qui ? », interpelle Nicolas Girod, qui demande la « suspension des travaux ».

Quid des évaporations et de la qualité de l’eau ?

Au-delà de l’accès à l’eau quand les nappes phréatiques sont à sec, ces retenues d’eau à ciel ouvert interrogent quant à leur efficacité. Quid des évaporations ? Sans parler de la qualité de cette eau stagnante : « On sait bien que l’eau stockée dans les nappes est de meilleure qualité que celle stockée en plein soleil », martèle Nicolas Girod, quand Julien Le Guet évoque un potentiel risque de pandémie et de contamination.

Surtout lorsqu’elles sont situées à proximité d’élevages de volaille, avec le risque de grippe aviaire. « Au fond des bassines, il y a des cadavres d’oiseaux », assure la figure de la mobilisation, qui évoque aussi la présence de « cyanobactéries ».

Autant de questionnements et d’alertes qui ne se traitent pas par la répression policière. Le collectif Bassines non merci demande un moratoire sur ces immenses bassins.

Mais l’exécutif reste sourd, même lorsque quelques projets sont déclarés illégaux par la justice, comme c’est le cas en Charente-Maritime. Ce qui inquiète Nicolas Girod : « Il y a eu un 49.3 social sur les retraites qui met le pays dans une grande tension. Il ne faudrait pas un 49.3 écologique sur les bassines. »


 


 

Trois jours de mobilisation contre les mégabassines

Mathilde Doiezie  sur www.politis.fr

À l’appel de Bassines Non Merci, des Soulèvements de la Terre, de la Confédération paysanne et d’autres collectifs et associations, un rassemblement de trois jours a lieu du 24 au 26 mars dans les Deux-Sèvres pour lutter contre les mégabassines. Ce, malgré l’interdiction de la préfecture.

Les premiers « No Bassaran » de la mobilisation contre les mégabassines retentiront dans les Deux-Sèvres, au moment de la clôture de la Conférence des Nations unies sur l’eau, la première rencontre intergouvernementale sur le sujet organisée depuis 1977. Jusqu’ici, la question de la ressource en eau ne faisait pas vraiment de vagues… Voilà qu’elle devient de plus en plus scrutée, parmi les crises écologiques multiples auxquelles nous faisons face.

En particulier en France, où le collectif Bassines non merci milite depuis 2017 contre l’installation dans le Poitou de mégabassines, d’impressionnantes piscines d’environ 10 hectares ou plus. Destinées à des agriculteurs faisant face à des sécheresses de plus en plus récurrentes, elles sont censées offrir une solution au manque d’eau en été.

Avec une particularité qui les distingue d’autres retenues d’eau : elles ne se contentent pas de récupérer de l’eau de pluie, mais puisent dans les nappes phréatiques en hiver, au moment où celles-ci sont censées être les plus remplies. Un raisonnement qui pourrait paraître presque logique, sans ce gros hic : la sécheresse continue même en cette saison hivernale.

Des centaines de projets

Sur les 18 derniers mois, 15 ont été déficitaires en pluviométrie. En début d’année, la France métropolitaine a battu son record de nombre de jours sans pluie : 32 jours, du jamais vu depuis le début des enregistrements en 1959, selon Météo France. Le mois de février a ainsi été le plus sec jamais enregistré, avec un déficit de précipitation de plus de 50 %. Soit pile à la période où les nappes phréatiques doivent se remplir.

Les dernières données les concernant sont inquiétantes : «  80 % des niveaux [des nappes] sont modérément bas à très bas », a détaillé mi-mars le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Des arguments, en plus d’autres impacts écologiques, qui ont conduit à deux décisions de justice défavorables à l’utilisation de certaines bassines en février.

Pourtant, « pas d’agriculture sans eau », comme le clame dans ses différentes apparitions le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Mais toutes les solutions ne se valent pas, lui répondent les opposants aux mégabassines. Le gouvernement soutient la construction de ces immenses réserves d’eau, dont une centaine de projets sont à l’étude dans toute la France.

C’est dans l’Ouest, dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente-Maritime, que l’appétit est le plus dévorant. Un projet de 16 bassines est porté depuis 2018 par la Coopérative de l’eau 79. Et début novembre, la préfecture de la Vienne a validé la création de 30 autres bassines.

Une annonce qui a fait office de goutte d’eau supplémentaire dans un vase débordant déjà. Quatre jours plus tôt, 7 000 personnes s’étaient réunies dans le village de Sainte-Soline pour arrêter le chantier d’une mégabassine de 16 hectares, demandant l’arrêt des travaux et un moratoire sur la création de ces réserves d’eau.

La manifestation d’ampleur, interdite par la préfecture, avait donné lieu à une cinquantaine de blessés côté manifestants, une soixantaine côté forces de l’ordre. Elle avait rendu visible au niveau national la lutte contre les mégabassines, aussitôt taxée « d’écoterrorisme » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Sans signe de ralentissement du côté des mégabassines, le collectif Les Soulèvements de la Terre – qui rassemble 150 organisations, syndicats ou collectifs écologistes locaux – a appelé dès le 17 novembre à un nouveau rassemblement d’ampleur ce 25 mars 2023. Depuis, des réunions publiques ont été organisées un peu partout en France pour parler de l’enjeu de la ressource en eau et appeler le plus grand nombre de personnes à venir.

Face-à-face en vue

Le rendez-vous s’est transformé en « mobilisation internationale pour la défense de l’eau » sur trois jours – ces 24, 25 et 26 mars –, avec des moments festifs, des conférences et une manifestation prévue le samedi matin. Le lieu sera communiqué au dernier moment. A priori pour remettre le couvert, soit à Sainte-Soline, soit à Mauzé-sur-le-Mignon, où une autre mobilisation avait eu lieu en novembre 2021. L’objectif ? « Impacter concrètement les projets de bassines et leur construction. »

De leur côté, les autorités se sont aussi préparées et le face-à-face risque d’être très tendu, dans un contexte de mobilisation sociale déjà très intense. Le 17 mars, la préfecture des Deux-Sèvres a publié un arrêté interdisant manifestations et attroupements dans 18 communes, dont Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline.

Le même jour, Julien Le Guet, porte-parole de Bassines Non Merci, était placé en garde à vue puis déféré devant le parquet de Niort. Il a été placé sous contrôle judiciaire et a interdiction de paraître à Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline jusqu’à son procès, prévu le 8 septembre. Une sentence « politique » à quelques jours de la mobilisation qui, l’espérait-il à sa sortie du tribunal, « ne va faire qu’amplifier le son de nos revendications ».


 


 

En Vendée, les bassines divisent doucement le monde rural

Marion Briswalter sur www.mediapart.fr

Ce samedi, une grande mobilisation réunit les opposants des mégabassines à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres voisines, face à laquelle le ministère de l’intérieur a annoncé l’envoi de de 3 200 gendarmes et policiers. Vingt-cinq réserves d’eau ont été creusées en quinze ans sur le pourtour nord du Marais poitevin. La chambre d’agriculture des Pays de la Loire réclame une généralisation des retenues artificielles qui divisent à bas bruit le monde rural.

La Roche-sur-Yon, Les Magnils-Reigniers, Lairoux, Les Autizes (Vendée).– Depuis quinze ans, une politique de construction de bassines est à l’œuvre dans le Sud Vendée. Vingt-cinq ouvrages de stockage de 11 millions de mètres cubes d’eau ont été construits en bordure nord du Marais poitevin.

Ce territoire alterne entre terres inondables, pâturages et grandes cultures céréalières. Il fournit des semences céréalières, des tourteaux pour les animaux, des melons, des légumes bio, du bœuf, le blé des pâtes. Dans quelques mois, le maïs recouvrira un quart des champs. 35 % à 45 % des terres y sont irriguées, contre 7 % au niveau national.

Jusqu'à ces derniers temps, et alors qu’une grande manifestation est attendue ce samedi à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres voisines (et pour lequel le ministère de l’Intérieur a annoncé vendredi l’envoi de 3 200 gendarmes et policiers), l’expérience vendéenne est jusqu’à présent restée loin des projecteurs. Mais elle est actuellement scrutée par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne qui souhaite en « tirer les enseignements » pour la révision de son schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et les futurs projets qui en découleront, déployés sur un quart de la France, du Finistère aux portes de l’Ardèche.

La construction de ces mégaréserves d’eau a nécessité 63 millions d’euros d’investissement, dont 38 millions (60 %) de financements publics. Trois programmes successifs ont été décidés dès 2006 par les acteurs publics et privés pour limiter l’assèchement de la zone humide, trop pompée et trop drainée, tout en soutenant le système agroalimentaire en place, en proie à des risques de baisses de rendement lors des étés secs.

À cette époque justement, l’Europe avait sommé la France de placer au cœur de la préservation du Marais poitevin un basculement vers une agriculture « respectueuse de l’environnement », notamment moins gourmande en eau.

« On est parti d’un état de “far west”, avec une surexploitation de la ressource en été qu’il a été difficile de faire admettre » aux agriculteurs, se remémore Yves Le Quellec, président de France Nature Environnement Vendée. « Cette surexploitation est devenue admissible dès qu’il y a eu cette porte de sortie de déporter les prélèvements. La solution [les bassines – ndlr], c’est peut-être une cote mal taillée mais c’était probablement la seule qui permettait de débloquer politiquement ce sujet [l’assèchement du marais – ndlr] qui n’avait déjà que trop duré. »

Dans les années 2000, l’écologiste maraîchin s’était opposé aux réserves devant la justice. Il a depuis changé de position car « la substitution », qui consiste à remplir en hiver les réserves d’eau artificielles par des pompages dans les nappes souterraines pour les substituer aux pompages du printemps et de l’été, « produit des effets ».

Les effets ? En 2020, la culture du maïs est en retrait, un glissement s’est opéré vers des variétés de maïs plus résistantes au manque d’eau, ainsi qu’une amplification du maraîchage, des prairies, du bio et des semences et une diversification des céréales. Cependant, la substitution n’explique pas à elle seule des choix de cultures aussi fortement conditionnées par les marchés et le prix de l’électricité.

Au conseil départemental, cofinanceur, on s’enthousiasme de la politique des bassines en mettant en avant des avancées : un portage politique qui pacifie la gestion collective de l’eau même en situation de crise et un encadrement des prélèvements par l’Établissement public du Marais poitevin (EPMP), alors qu’ailleurs en France les chambres d’agriculture et les sociétés privées ont plus de latitude. La collectivité défend aussi les effets positifs de la mutualisation des coûts et des quotas d’irrigation entre les 500 fermes irrigantes, branchées ou non aux bassines.

Pour Arnaud Charpentier, conseiller départemental (Union de la droite) et membre de la commission agriculture et eau, « le bilan, au bout de vingt ans, c’est que cet été les nappes étaient trois à quatre mètres plus hautes que ce qu’elles étaient dans les années 1990. Et au printemps, on a des canaux qui vont mettre beaucoup plus de temps à être à sec, ce qui veut dire que les réserves ont permis de préserver le milieu ».

« Mettre en évidence l’effet de la politique [des bassines – ndlr] sur la biodiversité ou sur des niveaux d’eau du marais, c’est une étude en soi qui n’est pas près d’être terminée et qui demande un gros dispositif d’acquisition de données », lui répond Anne Bonis, chargée de recherche en écologie au CNRS et membre du conseil d’administration de l’EPMP.

Un rapport de 2021 de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne se montre également prudent. Dans les plaines, « il est impossible de statuer sur l’efficacité des différentes actions, le recul n’étant pas assez important », concluent les auteurs, incapables de démêler finement l’effet de la substitution de celui des quotas d’eau imposés ces dernières années et des arrêtés sécheresse. Quant aux incidences sur le cœur de la zone humide, le rapport confirme le « besoin de définir » des indicateurs plus précis.

Des études Hydrologie, milieux, usages et climat (HMUC) attendues dans les prochains mois devraient aider à actualiser les réponses et, pourquoi pas, comme dans la Vienne, à redéfinir à la baisse les quotas d’irrigation. « Il est hors de question que la profession agricole perde ne serait-ce que l’ombre d’un mètre cube », alors que des « efforts considérables ont été consentis durant les vingt dernières années », prévenait Brice Guyau, le président (FNSEA) de la confédération générale de l’agriculture de la Roche-sur-Yon, dans un courrier adressé en mai 2021 au ministère de la transition écologique, en réponse à un recours devant la justice administrative porté par Nature Environnement 17 réclamant un plafonnement des prélèvements annuels.

Le milieu est détraqué à mort.

Sur le bassin des Autizes, à l’est du département, David Briffaud, paysan boulanger membre de « Bassines non merci », dénonce « les discours qui visent à dire que pour remplir les bassines, on prend de l’eau l’hiver quand elle est abondante. C’est complètement faux ! ».

« Cet hiver, le niveau [des rivières et des nappes – ndlr] était catastrophiquement bas. Le milieu est détraqué à mort », s’alarme aussi Olivier Cotron, maraîcher et arboriculteur bio installé non loin du marais. Pour le paysan, voisin d’une bassine vaste comme 240 piscines olympiques, ce système, s’il a permis de mieux encadrer les prélèvements l’été, conforte néanmoins la mainmise des gros céréaliers sur la terre et l’eau.

Pour Yann Pajot, délégué « eau » à la Confédération paysanne de Vendée, « tout n’est pas négatif » dans la politique sud-vendéenne en cours, « mais il faut engager une vraie transition agricole et revoir les volumes attribués et les plafonner ».

Lorsque les programmes furent signés en 2006 puis au mitan des années 2010, peu voire aucune contrepartie environnementale n’a été demandée en échange des 38 millions d’euros de subventions publiques.

Alors d’ouest en est, la plaine offre un paysage toujours désolé, sans réembocagement ni haies épaisses. Concernant l’utilisation des pesticides, la poussée du bio donne une indication. Cependant, la chambre d’agriculture dit conditionner la baisse de leur utilisation à « l’amélioration » de la « performance » du matériel et au montant des aides financières pour compenser le « manque à gagner ». Pour le conseiller départemental Arnaud Charpentier, la question de la pollution agricole est hors sujet : « Les pilules des femmes polluent beaucoup plus l’eau que d’autres résidus. Le matériel agricole est aujourd’hui bien plus sophistiqué et précis », ose l’élu.

Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité.

Concernant les économies d’eau, la régulation de l’arrosage par des sondes remporte un vif succès mais en quinze ans, la part de la surface irriguée n’a pas reculé. La diversification vers des espèces moins gourmandes en eau et à fort potentiel mellifère n’est pas au rendez-vous.

« Il faut aller sur l’économie d’eau mais si nous voulons préserver notre souveraineté alimentaire, tout le monde va devoir se mettre dans la tête que nous devons trouver les moyens pour stocker cette eau, car il en faut à disposition l’été », assène Joël Limouzin, président (FNSEA) de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.

Désormais, la chambre d’agriculture veut généraliser les aménagements pour brancher au plus vite l’ensemble des irrigants du Sud Vendée à des bassines et ceux du Nord Vendée à des réserves collinaires, ces plans d’eau artificiels déjà largement utilisés par les éleveurs du bocage. « On est prêts à prendre le pari que ces stockages seront multifonctionnels pour la biodiversité, l’agriculture, l’eau potable et contre les incendies. Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité », déroule Joël Limouzin.

Cet état d’esprit est qualifié par certain·es de « fuite en avant ». « Il y a une forme d’optimisme, voire de naïveté, de confiance envers un monde agricole qui depuis trente ans n’arrive pas à relever les défis de la restauration écologique des milieux. Il existe des modèles autres que cette fuite qui va vers plus de production, de céréales, de pompage, de puissance, de vitesse et qui ne colle pas avec la résilience », regrette Frédéric Signoret. L’éleveur et quinze confrères ont mené une petite révolution dans le département cet été, en démontrant qu’un troupeau herbivore de taille modeste et une rotation bien sentie dans des pâturages partiellement réensauvagés et inondables produisent leurs effets même en août.

Le plan gouvernemental adopté en février 2022 prévoit de soutenir « les investissements dans les projets collectifs pour l’amélioration ou la création d’infrastructures hydrauliques », c’est-à-dire les réserves de stockage artificielles d’eau pour l’irrigation.

« On ne peut peut-être pas généraliser ce dispositif » à toute la France, nuance le conseiller départemental Arnaud Charpentier. Pour le président de France Nature Environnement Vendée, « certains s’emparent du Sud Vendée pour en faire un exemple en disant “le stockage ne pose pas de problème”. Dire les choses comme ça, c’est une arnaque ! ».

publié le 25 mars 2023

François Ruffin :
« Si nous gagnons sur les retraites,
c’est un tremplin pour la gauche »
 

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Pour le député insoumis de la Somme, la réforme des retraites a rouvert, en plus d’une crise sociale, une profonde crise démocratique. L’enjeu désormais pour lui : faire en sorte que les manifestants passent du fatalisme à la conviction qu’« on peut gagner ».

C’estC’est dans un bistro de la gare du Nord que le député insoumis François Ruffin a donné rendez-vous avant de reprendre le train pour sa circonscription d’Amiens. Détendu, combattif, « un peu galvanisé » même par les derniers jours, le Picard se lance dans une discussion à bâtons rompus sur le sujet qui occupe toutes les têtes : la situation sociale et démocratique de ce pays qui bout de colère contre la réforme des retraites.

Si nul ne sait encore comment s’écrira la suite de l’histoire – c’est d’ailleurs le propre des moments de révolte ou de révolution, souligne François Ruffin –, le « député-reporter », qui fustige les violences policières d’un pouvoir aux abois et rend grâce aux syndicats qui ont « super bien joué » depuis le début du mouvement, estime désormais que tout est possible... même la victoire.

Mediapart : Les manifestations contre la réforme des retraites de jeudi ont été massives, et même à certains endroits, plus fortes que les précédentes. Sommes-nous au dénouement ou au commencement du moment politique que nous vivons ?

François Ruffin : Depuis le 49-3, nous sommes entrés en terre inconnue. Bien malin qui peut aujourd’hui faire un pari ou une prophétie. Le pouvoir tenait jusque-là par la force de résignation. Aujourd’hui, il doit recourir à la force de coercition. Sur les manifestants, ce sont les matraques et les LBD. Sur les salariés, ce sont les réquisitions. Sur les députés, c’est le 49-3.

Au fond, Emmanuel Macron est resté au pouvoir, l’an dernier, avec une grande fragilité : réélu sans élan, sans enthousiasme, avec un vote qui, disait-il, l’« oblig[eait] ». Et surtout, aux législatives, ses candidats sont laminés dans des coins entiers du pays, comme le mien, et il n’obtient qu’une majorité de raccroc à l’Assemblée. Voilà qui aurait dû l’incliner à la prudence, à la modération, à la sagesse. Mais non. Son péché, sa terrible faute, depuis un an, c’est qu’il comble sa fragilité par de la brutalité.

Condamnez-vous les violences policières qui ont eu lieu ces derniers jours dans les manifestations ?

François Ruffin : Les arrestations préventives, les nassages, les motos qui roulent sur les manifestants…, je n’analyse pas cela comme des dérapages individuels. C’est un choix politique. Je me souviens qu’après les « gilets jaunes », en 2020, j’avais auditionné des syndicats de policiers [pour un rapport parlementaire visant l’interdiction de certaines techniques de maintien de l’ordre – ndlr], qui m’avaient dit : « Les gilets jaunes, c’est une crise sociale qui réclamait une réponse politique. On n’y a apporté qu’une réponse policière. »

Quatre ans plus tard, rebelote. Le gouvernement n’apporte à la crise sociale, et démocratique, qu’une réponse policière. Et avec les mêmes conséquences : une montée de la violence, qui est toujours une défaite, qu’elle porte un uniforme ou non. La France est pointée du doigt par la Défenseure des droits, par le Conseil de l’Europe, par Amnesty International…

Qu’est-ce qui amène dans cette impasse ? Derrière la matraque, et même derrière Gérald Darmanin, il y a les choix politiques d’Emmanuel Macron : tous les syndicats unis contre sa loi ? Il ne les entend pas. Deux Français sur trois, quatre salariés sur cinq ? Il ne les entend pas. Des millions de personnes, en manif, une, deux, trois, quatre, cinq fois ? Il ne les entend pas. Même les députés qui n’auraient pas voté son texte, il ne les entend pas. Sciemment, très cyniquement, le président joue le pourrissement. Comme durant les gilets jaunes.

La presse a révélé que, lundi, les brigades de répression des actions violentes motorisées (BRAV-M) ont commis des agressions, notamment racistes, à l’encontre de manifestants. Le 22 mars, vos collègues de La France insoumise avaient envoyé un courrier à Gérald Darmanin où ils réclamaient un « démantèlement à titre provisoire » des BRAV-M. Êtes-vous favorable à leur dissolution ?

François Ruffin : Oui. Manifestement, ces unités n’adoptent pas franchement une stratégie de « désescalade »... On a vu un changement de pied côté Darmanin. Après des manifs paisibles et une police à distance, le ministre a repris les mêmes méthodes de maintien de l’ordre que lors des gilets jaunes. Quand il a réuni tous les préfets, en fin de semaine dernière, après l’annonce du 49-3, ce n’était pas pour leur apprendre à faire des câlins.

Mais j’insiste : c’est un choix politique, et Macron choisit la politique du pire, avec les « débordements » comme alliés. Que le pays brûle, à un moment, c’est dans son plan : ensuite, le pyromane se présente comme pompier. L’homme par qui le chaos arrive va maintenant incarner le parti de l’ordre…

J’ai toujours cherché la masse, le nombre, les millions, le peuple, à convaincre la majorité, à la faire bouger, dans la rue ou dans les urnes. C’est le seul chemin que j’entrevois pour la victoire.

Lancez-vous un appel au calme aux manifestants afin qu’ils ne tombent pas dans ce que vous décrivez comme un piège tendu par le pouvoir ?

Je doute toujours que ma parole pèse, mais bon, je veux bien, à travers vous, leur faire part de mes réflexions quant au « rôle de la violence dans l’histoire », pour reprendre un titre d’Engels. Personnellement, j’ai toujours cherché la masse, le nombre, les millions, le peuple, à convaincre la majorité, à la faire bouger, dans la rue ou dans les urnes. C’est le seul chemin que j’entrevois pour la victoire. Dès lors, la violence individuelle ou groupusculaire nous nuit : elle éloigne les gens, elle rend le mouvement impopulaire, et sert finalement les intérêts des puissants, qui agitent ça comme un épouvantail.

C’est à la fin du XIXe siècle que, d’après moi, s’opère le plus clairement ce choix. D’un côté, le mouvement anarchiste, avec la propagande par le fait, la pose des bombes. De l’autre, le mouvement socialiste, qui parie sur les millions de travailleurs, sur la levée en masse.

Pour moi, tout libertaire, tout individualiste que j’étais adolescent, isolé, révolté, chantonnant le Ravachol de Renaud, c’est le mouvement socialiste qui avait raison. D’ailleurs, je me souviens d’un livre qui m’a marqué, qui a participé de mon basculement : L’Œil du lapin, où François Cavanna raconte le destin très commun de sa mère. Femme de ménage quand éclatent les bombes anars, elle prend ça en horreur, elle se range du côté de l’ordre. La mère de Cavanna, et ma mère, et nos mères, avec leur décence et leur bon sens, on doit les avoir avec nous, ne pas les effrayer…

Mais attention, le mouvement socialiste n’agit pas sans violence : les années 1900 sont très agitées, avec des premiers mais en batailles rangées, avec un repos dominical qui se conquiert dans la douleur, avec des châteaux qui sont saccagés par des émeutes ouvrières, avec des affrontements entre les mineurs et la troupe… et avec le bon Jaurès qui défend tout ça.

Mais cette violence n’est pas individuelle ni groupusculaire. C’est une classe, un peuple qui se soulève, celui qui a pris la Bastille, ou plus près de nous, plus modestement, les « Contis » qui envahissent la sous-préfecture de Compiègne, qui jettent des ordinateurs par la fenêtre, la jacquerie des licenciés. Ça n’a pas le même sens.

La seule question qui vaille, d’après moi, aujourd’hui, c’est : comment fait-on bouger des pans encore endormis du pays ? C’est le nombre qui fera plier Macron.

Que préconisez-vous ?

François Ruffin : Le diagnostic, d’abord : nous avons des classes populaires en convalescence. C’est sans doute vrai, encore davantage dans des terres industrielles comme chez moi, qui ont subi la fuite des usines, mais ça me semble vrai partout. À un malade, tu ne dis pas : « Lève-toi et viens battre le record du saut en longueur, on va faire la révolution ! » Non, juste un pas, ce sera déjà ça. Et ensuite viendra un second pas. Et enfin, on pourra relever le nez vers un horizon…

Moi, mon but, aujourd’hui, c’est que les gens prennent confiance et conscience de leur propre force. « Vous comptez. Vous êtes importants. Vous pouvez faire bouger le pays. On parle de vous. Ils ont peur. » Alors qu’on leur a dit être, et qu’ils se sentent tous les jours, des « gens qui ne sont rien », qui ne comptent pas. Domine alors l’immense fatalisme du « c’est comme ça ». Voilà l’ennemi. Voilà la véritable bataille. C’est ça qui doit basculer, dans les têtes : « On peut gagner. »

Vous l’avez constaté sur le terrain ?

François Ruffin : C’est contrasté. J’analyse, dans mon département, les manifestations d’hier. À Abbeville, le matin, il y avait deux fois moins de monde que le 19 janvier (j’ai compté), et un peu grise mine, de la mélancolie. Un rond-point est bloqué par une poignée d’artisans, un autre par les syndicalistes des usines, mais les ouvriers, eux, la plupart, vont bosser. Idem sur la zone industrielle d’Amiens, malgré le blocage : les ouvriers sont moins en grève, Goodyear a effectué 80 % de sa production, aucun « regain de mobilisation », ici, plutôt un reflux. C’est lié à un facteur matériel, évidemment, le pouvoir d’achat, le compte en banque à zéro, mais aussi à un facteur spirituel, cette idée que « de toute façon, ça va passer ».

Arrive la manifestation à Amiens : du jamais-vu. Par le nombre, immense, on renoue avec les pics de janvier, en gros. Mais surtout par l’énergie, par un changement d’état d’esprit : « On peut gagner. » Et surtout, par ce parcours, jamais opéré : le cortège est parti du centre-ville, est passé par la fac, puis par les quartiers nord, et jusqu’à la zone industrielle. J’étais hyper-ému, parce que c’est la jonction qu’il nous faut, des profs et des prolos en gros. Et pour la première fois, la jeunesse était là, qui apporte une énergie. Le miracle, si j’avais une lampe merveilleuse et un seul souhait, c’est qu’une contagion de l’espérance dégèle les cœurs populaires, qu’ils se remettent à y croire.

Faut-il réajuster le discours de la contestation pour élargir encore le mouvement : par exemple, parler moins des retraites et davantage de la question démocratique, ou ouvrir à d’autres problématiques sociales…

François Ruffin : On peut très bien tenir les deux bouts à la fois. Que se passe-t-il ? Nous sommes entrés dans le conflit sur un motif social : « Non aux deux années de plus ! », nous en sommes à une crise démocratique : « Comment se fait-il qu’un homme peut décider tout seul là-haut ? ». C’est le même scénario que pour les gilets jaunes : on entre par le prix du gasoil, on en sort avec le désir d’un « référendum d’initiative citoyenne » (RIC). Même chose pour la Révolution française : ça commence par « qui paie les impôts ? » et ça conduit aux états généraux, à l’Assemblée nationale, à la fin de la monarchie absolue. Aujourd’hui, c’est la crise démocratique qui amène la jeunesse dans la rue.

Certains à La France insoumise tentent d’ores et déjà de mobiliser autour du passage à la VIe République. Cela vous semble approprié ?

François Ruffin : C’est bien de le poser comme horizon. Maintenant, quel est le premier pas, où en sont les esprits ? « Le président ne peut pas décider tout seul. » Très concrètement, on peut évoquer un changement de Constitution, mais il faut déjà faire plier Macron. Si on obtient ça, ça rouvrira un imaginaire démocratique, ça donnera de l’élan. Vous savez, en 1789, les gens ne se sont pas dit : « On va faire la révolution ! » Ils ne s’en rendaient pas compte, qu’ils la faisaient. Ils ont avancé dans la brume. C’est pour ça, quand on lit la BD Révolution, pendant des pages on ne comprend rien… parce que les acteurs eux-mêmes ne comprenaient rien !

Macron exerce aujourd’hui une violence presque personnelle, très visible, sur le corps social. Même dans le camp libéral, on s’interroge : c’est malhabile, ça pourrait devenir dangereux.

Et puis, démocrate, je ne veux pas l’être à moitié, que quand ça nous arrange : pour sortir de la Ve République, il faudra le demander aux Français. La réponse, aujourd’hui, n’est pas assurée. En revanche, inscrire le RIC dans la Constitution, c’est déjà un mot d’ordre populaire, de bon sens, un pas que les gens ont envie de faire ensemble vers notre horizon.

Et la solitude de Macron, contre le reste de la société, en fait un terreau magique… Même le patronat ne le soutient pas. Même les éditorialistes sont mal à l’aise : les puissants, normalement, ont un certain savoir-faire pour habiller de manière acceptable, courtoise, douce, les reculs qu’ils imposent, leur violence s’habille joliment. Or, Macron exerce aujourd’hui une violence presque personnelle, très visible, sur le corps social. Même dans le camp libéral, on s’interroge : c’est malhabile, ça pourrait devenir dangereux.

Peut-on considérer le moment comme une fenêtre d’opportunité ?

François Ruffin : Je veux replacer cette crise dans un temps plus long. Vous savez que, depuis longtemps, je suis guidé par une phrase de Gramsci, qui analyse bien l’époque que nous vivons. Il dit : « Nous sommes dans un temps de détachement de l’idéologie dominante. » Ca signifie, pour nous, que croissance, concurrence, mondialisation, n’attirent plus les gens, ces mots les inquiètent, les dégoûtent. Dès lors, poursuit Gramsci, « la classe dominante ne parvient plus à diriger, seulement à dominer, et à dominer par la force de coercition ».

Le bloc libéral ne s’effondre pas, ne croyons pas cela, mais il s’effrite, dans la durée, c’est un processus continu, avec parfois des chocs : pour les ouvriers, qui ont voté « non » à 80 % [au référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe], le 29 mai 2005 marque un décrochage. La loi Travail et Nuit debout pour la classe intermédiaire, plus éduquée, des centres-villes.

La réplique, dans les campagnes, dans la France des bourgs, ce sont les gilets jaunes… Aujourd’hui, ça secoue partout. Des particules vont encore décrocher du bloc central, soit parce que « deux ans de plus, c’est injuste », soit parce qu’« on ne vit pas en démocratie » : où iront-elles ? Chez nous ? À l’extrême droite ? Dans l’abstention-résignation ? Le match est engagé. Mais plus ça bouge aujourd’hui, plus ça rejoint des collectifs, plus on passe du statique au dynamique, plus on se donne des chances pour demain.

Que pensez-vous de l’attitude des syndicats depuis le début du mouvement ?

François Ruffin : Dans les limites qui sont les leurs, jusqu’ici, de mon point de vue, ils ont super bien joué. Il y a deux lectures qui s’opposent, que j’entends parfois. Que les syndicats ne voulaient pas lancer la bataille, que la fin janvier, c’était trop tard, qu’ils ont freiné les secteurs prêts à en découdre, et qu’au fond, ce sont des traîtres en puissance.

Ce n’est pas du tout ma lecture. Au contraire, de là où j’habite, je vois un pays en dépression politique. Or les syndicats sont parvenus à saisir le bon tempo pour réveiller les gens, pour faire bouger dans les profondeurs des régions, avec un travail de conviction, dans l’ombre. Ils ont, à mon sens, bien pris le pouls du pays. Avec, pour moi, des petits miracles : des manifestations à Albert, Doullens, Péronne, Friville-Escarbotin, dans les petites communes.

Et ils ont laissé à leur base, aux intersyndicales dans les départements, de la latitude, de la souplesse, sur les modes d’action : manifestations, grève, blocages, occupations… Si les grèves ne sont pas puissantes, ce n’est pas, je ne crois pas, parce que là-haut les grands chefs à plumes ne le veulent pas. Sans doute que tous ne le souhaitent pas. Mais ce sont les gens, en bas, surtout, qui ne provoquent pas des AG, qui n’arrêtent pas dans leur boîte ou collège, qui ne sont pas saisis d’une émulation.

Enfin, c’est aussi grâce aux syndicats que la loi n’avait pas de majorité dans l’Assemblée. Ce sont eux qui ont démarché les députés macronistes ou les députés Les Républicains, et qui, par un lobbying citoyen, les ont convaincus. Ce sont eux qui ont contraint le gouvernement au 49-3.

Faut-il néanmoins les déborder ?

François Ruffin : Le sujet, à mon avis, n’est pas de les déborder mais de les compléter. Il y a des pans de la société où les syndicats ne savent pas faire, sont absents, et ce n’est pas leur boulot. Les quartiers populaires, par exemple, ou la jeunesse, ou les artisans, ou les isolés, c’est à d’autres, à nous, de ramener ça, et nous ne sommes pas au bout. Gramsci dit qu’« on ne conquiert pas les masses de manière moléculaire, mais en passant par leurs intellectuels organiques ». Qui sont-ils aujourd’hui ? Les footballeurs, les rappeurs et… les influenceurs. Léna Situations a fait beaucoup pour la mobilisation ! Quand on t’explique, sur TikTok, comment t’habiller pour aller en manif, ça compte !

Quel peut être le rôle de la gauche dans ce paysage ?

François Ruffin : Il y a le boulot à l’Assemblée nationale. Même si j’étais favorable à sa discussion, il fallait empêcher que l’article 7, repoussant l’âge de départ à 64 ans, soit voté. Imaginez les bandeaux de BFMTV, Aurore Bergé venant frimer, si le report avait été voté. Ça aurait découragé le mouvement… Mais l’essentiel est au-delà : il nous faut incarner un débouché politique.

La France insoumise a été très offensive sur les bancs de l’Assemblée – s’attirant, du coup, de nombreuses critiques – mais vous avez expliqué il y a quelques mois que vous vouliez au contraire vous « soc-démiser »… N’avez-vous pas choisi une stratégie à contre-temps ?

François Ruffin : D’abord, même si on s’en fout, je ne me suis pas prétendu social-démocrate. J’ai toujours dit : « Je suis social et démocrate. » Je veux le partage des richesses et je veux que le peuple décide. Et le souci des sociaux-démocrates, c’est qu’ils ne sont plus ni l’un ni l’autre depuis longtemps… Ensuite, l’Assemblée, les gens n’ont pas le nez dedans : ce qui compte, pour eux, c’est le porte-monnaie et combien de temps ils vont devoir bosser.

Comment faire pour que la gauche, et pas l’extrême droite, s’impose comme le débouché politique de la contestation ?

François Ruffin : Mai 68 se traduit pour moi en mai 1981, les grèves de 1995 donnent Jospin, le mouvement de 2010 contre les retraites Sarkozy amène Hollande… Quand on énonce ces trois cas, on voit bien pourquoi le débouché politique ne met pas en appétit. À chaque fois ce furent des déceptions ou des trahisons. Ces expériences pèsent dans les têtes des gens. Et l’autre donnée : il y a désormais une autre issue, un autre débouché possible à la colère, qui est le Rassemblement national.

Si nous gagnons, c’est évidemment un tremplin pour la gauche. C’est nous, les syndicats, les militants, qui aurons arraché cette victoire. Mais même si on ne gagne pas, plus le mouvement est fort, plus il affilie les gens à des idées progressistes, plus on place la question sociale au cœur des débats, mieux c’est pour nous. La pente, la pente de l’indifférence, la pente du ressentiment, elle ne coule pas dans notre sens, elle va vers le Rassemblement national. Nous, il nous faut la remonter, ne pas laisser stagner la résignation, la transformer en une espérance. Et il faudra le faire, d’une manière ou d’une autre, avec les syndicats, qui ont montré leur rôle…

En 2017 et 2022, le candidat de la gauche, Jean-Luc Mélenchon, était plutôt dans l’idée de contourner les corps intermédiaires…

François Ruffin : La France insoumise a toujours travaillé avec des syndicalistes, évidemment. Mais je pense que, cette fois, il faudra qu’ils en soient partie prenante, avec des modalités à trouver. Avec, notamment, la question du travail, qui mine les classes populaires, qui doit revenir au cœur d’un discours gauche.

Les deux cents, trois cents, quatre cents qui ont manifesté à Friville-Escarbotin, on ne doit pas les lâcher. Ils doivent se sentir embarqués dans un projet pour notre société. Et le lien avec eux, ce sont les syndicats.

Faudra-t-il faire des retraites un sujet central pour la présidentielle de 2027 ?

François Ruffin : Il faut le poser : « 60 ans, 40 annuités », mais ça n’est pas un projet pour notre société, c’est de la tuyauterie budgétaire, même si j’en appelle à un « contrat intergénérations », pour la jeunesse, qui est aujourd’hui écrasée comme l’était la vieillesse après-guerre.

Mais nous devons répondre à des questions bien plus amples : l’hôpital qui est en lambeaux, l’école de la République qui recrute ses enseignants en job-dating, le rail qui déraille, les prix délirants de l’énergie, la pénurie de médicaments… Tous ces bugs, en même temps, ne sont pas des coïncidences. C’est un même système qui est à bout : quarante années de « réduction des déficits », de « concurrence libre et non faussée », de « libre circulation des capitaux et des marchandises ».

Il nous faut sortir de la parenthèse libérale, ouverte en 1983, et en y ajoutant la crise climatique. Tout est à transformer : l’industrie, le logement, les déplacements… Voilà nos vrais défis. Et j’en veux surtout à Macron pour cet immense gâchis : on devrait se rassembler, se retrousser les manches pour affronter tout ça, avec énergie, avec envie, et à la place, lui fait quoi ? Des contre-réformes à la noix. Et c’est avec ça qu’il prétend « laisser une trace dans l’histoire » ! Quel rigolo ! C’est d’un ridicule.

   publié le 24 mars 2023

Partout dans les rues,
l’union contre Macron

Dan Israel, avec la rédaction de Mediapart sur www.mediapart.fr

Loin d’être un baroud d’honneur, la neuvième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites a rassemblé des manifestants en masse dans toute la France. La colère, voire la haine, se concentre sur Emmanuel Macron. Incendies et violences policières ont marqué la fin de journée.

Lilian, 27 ans, et Margaut, 33 ans, sont soudeurs dans une PME de Romorantin (Loir-et-Cher) qui fabrique des chauffages design. Ce 23 mars, ils ont manifesté pour la première fois contre la réforme des retraites, à l’occasion de la neuvième journée de mobilisation nationale organisée par les huit syndicats de salarié·es. Ils ont occupé un rond-point pour ralentir le passage des poids lourds : « Notre cheffe occupe le rond-point du Super U et nous a demandé de bloquer celui-ci. »

Les deux soudeurs n’ont pas dépareillé lors de cette journée singulière, où les manifestant·es ont défilé contre une loi définitivement adoptée – mais pas encore promulguée, en attendant l’avis du Conseil constitutionnel, qui devrait être rendu dans le courant de la semaine prochaine.

Comme Lilian et Margaut, les primo-manifestant·es n’étaient pas rares dans les cortèges (lire notre récit en direct de la journée, partout en France). Et leur mode d’action illustre une radicalisation à l’œuvre depuis l’adoption du texte à l’Assemblée par le biais de l’article 49-3, jeudi 16 mars. Radicalisation dont les traces ont été notables dans les manifestations partout en France.

La colère qui s’est exprimée, parfois librement, ce jeudi n’a qu’une cible : Emmanuel Macron. Ils sont très nombreux à ne lui pardonner ni le 49-3, ni son intervention télévisée autosatisfaite de mercredi, appuyée par un tweet clamant : « Je suis sûr qu’on saura s’unir, se réunir pour l’avenir du pays. » Le sentiment commun a été résumé par le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, au départ de la manifestation parisienne : par ses mots, le chef de l’État « a jeté un bidon d’essence sur le feu ».

Effet garanti : selon la préfecture de police, 119 000 personnes ont défilé à Paris. C’est le chiffre le plus important de ce mouvement social dans la capitale, mais aussi le plus gros jamais mesuré pour une manifestation syndicale. Dans toute la France, le ministère de l’intérieur a compté 1,1 million de manifestant·es, pas loin des deux pics du 31 janvier (1,2 million) et du 7 mars (1,3 million). La CGT en a dénombré 3,5 millions. Et l’intersyndicale ne désarme pas : dans la foulée de ce succès, elle a annoncé une nouvelle journée de manifestations pour ce mardi 28 mars. 

Le mouvement touche désormais des lieux qui se tenaient jusque-là à l’écart des grèves.

Comme depuis le début de la contestation, des manifestations étaient organisées sur tout le territoire, quelle que soit la taille des communes, dans 300 lieux différents. Et côté grévistes, la mobilisation était à la hausse après des journées moins suivies. Le trafic des trains, métros et RER a été fortement perturbé toute la journée, et à Paris, 140 des 645 écoles primaires ont fermé.

L’essence se raréfie aussi dans les stations-service en raison des blocages des dépôts pétroliers et de l’arrêt progressif des raffineries : 15,14 % des stations françaises étaient en pénurie d’au moins un des carburants jeudi matin, et les chiffres montent à 40 % dans les départements de l’ouest de la France, et à 53 % en Loire-Atlantique, du fait du blocage du dépôt et de la raffinerie de Donges.

Autre fait frappant, le mouvement touche désormais des lieux qui se tenaient jusque-là à l’écart des grèves : agent·es de l’Insee, de la Cour des comptes, du Mobilier national… Pour la première fois depuis trente ans, les dockers de Dunkerque ont arrêté le travail. Tout aussi inédit, la faculté de droit Assas-Panthéon a été bloquée par une partie de ses étudiant·es.

La haine contre le chef de l’État s’exprime désormais librement  

Partout, les mêmes termes reviennent pour décrire Emmanuel Macron. À Lyon, une syndicaliste CGT dénonce le « roi », un nouveau « Louis XVI » auquel il est rappelé que « lorsque le peuple se soulève, il fait tomber la monarchie ». À Rennes, Bertrand, délégué syndical CGT chez Lafarge, le constate, « la haine » s’est installée envers le chef de l’État. « Savez-vous quelle réserve de rage vous venez de libérer ? », interrogeait ce week-end dans Mediapart l’écrivain Nicolas Mathieu. Des mots prémonitoires. 

Dans la petite ville universitaire de Lannion (Côtes-d’Armor), Florestan, 20 ans, participe au blocage de l’IUT. Il a manifesté pour la première fois de sa vie en février, et mercredi, il a écouté « l’allocution » de Macron : « Quand le président dit que les syndicats n’ont pas cherché le dialogue, j’ai pris ça comme un foutage de gueule. Ensuite je me suis demandé : pourquoi cherche-t-il à ce point à alimenter le feu ? »

À Romorantin, Marc a lui aussi écouté le président. « Et j’ai failli exploser ma télé tellement il se prenait pour un monarque. Ce type est en train de bousiller tous nos acquis, et on devrait fermer notre gueule ? » , s’insurge ce chauffeur routier de 60 ans, en préretraite et qui craint que la réforme ne l’oblige à retourner au travail pour compléter ses trimestres.

À Paris, c’est Stéphane, agent communal à Chilly-Mazarin (Essonne), affilié à l’Unsa, syndicat peu connu pour ses outrances, qui laisse déborder sa haine : « S’il était en face de moi, je l’accrocherais en haut de la colonne de la Bastille, et j’attendrais de voir son vêtement craquer. Et je filmerais. »

« Sans même parler de sa réforme, qui est une régression sociale scandaleuse, les méthodes de notre président relèvent de la haute trahison, insiste-t-il. Il fait énormément de mal au pays, il ouvre un boulevard à l’extrême droite. »

Même les adhérents CFDT veulent bloquer le pays 

L’exaspération palpable conduit à un net durcissement des actions et des discours. À Pluzunet (Côtes-d’Armor), l’incinérateur, où on trie et brûle d’ordinaire tous les déchets du Trégor, est bloqué depuis lundi. « Le 49-3 nous a décidés à monter d’un cran, en touchant l’économie », explique Benoît Dumont, de la CGT Lannion.

Marie et Freb, eux, travaillent dans un supermarché de Seine-et-Marne, où ils sont militants CFDT. Et ils s’impatientent : « En haut, à la CFDT, ils sont restés longtemps dans une posture de négociation plutôt que d’action. Puis Laurent Berger a bien constaté qu’il avait atteint une limite et qu’il fallait s’engager dans le mouvement, parce qu’Emmanuel Macron se foutait de lui », analyse Freb.

Et les sages adhérents de la CFDT se révèlent « aussi remontés que ceux de la CGT » : « Maintenant, on espère qu’ils ne s’arrêteront pas. On en est arrivés à un point où il faut aller plus loin : les manifestations, même de masse, le pouvoir s’en moque totalement. Il faut bloquer le pays, avec les transports, les raffineries, les routiers. Tout bloquer. Si possible sans violence. »

Dans une note interne consultée par Mediapart, la direction nationale de la CFDT s’inquiétait justement dans la semaine que ses adhérent·es « ne cèdent à la radicalité » : « L’extrême gauche va essayer de récupérer des colères. [...] Nous devrons être attentifs à ne pas renier ce que nous sommes : réformistes et responsables. »

Il n’est pas certain que ces efforts de la centrale de Laurent Berger payent : ce jeudi, les manifestant·es ont dit de plus en plus clairement qu’ils ne s’interdisaient plus rien. Y compris lorsqu’ils défilent au milieu des drapeaux orange de la CFDT, comme Jessica à Rennes. « La violence du gouvernement rend les gens ultra vénères. Les policiers sont agressifs. On n’est pas à l’église ici, on ne tend pas l’autre joue », considérait la jeune femme, qui s’occupe de l’accueil des étudiantes et étudiants étrangers dans une école de commerce.

Incendies et violences policières 

Les violences sont bien apparues. Et les flammes ont frappé. À Lorient (Morbihan), où environ 300 manifestant·es ont allumé un feu tout contre le commissariat. Des vitres ont été brisées, la grille d’entrée brûlée. À Paris, la soirée a été marquée par les incendies qui ont frappé le quartier de l’Opéra et le IIe arrondissement, à la suite des feux allumés en fin de manifestation par certains participants. Et à Bordeaux, c’est l’entrée de la mairie qui a été incendiée.

« Je suis assez marqué par la colère qu’il y a aujourd’hui. L’utilisation du 49-3 a cristallisé un nouveau truc, prévenait quelques heures plus tôt un vieux routier des mobilisations sociales à Paris. Dans ce mouvement, les manifestations de masse, la grève et les occupations ouvrières ne s’opposent pas à la colère qui peut s’exprimer plus fortement. »

À Paris, les agressions contre les manifestants se sont multipliées.

Durcissement contre durcissement, la journée a aussi vu les violences policières se multiplier. À Rouen (Seine-Maritime), une manifestante a eu un pouce arraché par un tir de grenade des forces de l’ordre. Le député Renaissance Damien Adam a demandé une enquête.

À Paris, les agressions contre les manifestantes et manifestants se sont multipliées, relayées par les vidéastes indépendants qui parcourent les cortèges de tête : coup de matraque en plein visage, policiers s’acharnant sur des manifestants à terre les mains levées dans une immense cohue, début d’attaque du service d’ordre entourant le carré syndical officiel…  

Autant d’actes qui donnent raison au communiqué diffusé quelques heures plus tôt par la Ligue des droits de l’homme : « On ne décrète pas par l’usage de la force la fin d’un mouvement social dans un État de droit », y clamait l’association, appelant « le gouvernement à la raison et le ministre de l’intérieur au respect des droits fondamentaux ».

À Foix, dans l’Ariège, on a beau être loin de la capitale, les esprits n’en sont pas plus sereins. « Macron ne lâchera pas. Il est fou. Il va aller jusqu’à l’insurrection », se désespère Noël, technicien de maintenance à la retraite de 65 ans. Et Jeanine, ancienne institutrice de 90 ans, qui manifeste pour la cinquième fois, a un pressentiment : « Ça va mal finir. Je pense à Mai-68, à la Révolution. Les gens ne vont pas se laisser faire. »


 


 

Grève du 23 mars à Montpellier : une manifestation de tous les records

sur https://lepoing.net/

40 000 personnes dans les rues de Montpellier : il faut croire que le discours de Macron du 22 mars a encore jetté de l’huile sur le feu de la contestation

De mémoire de Montpelliérain.e, on avait pas vu ça depuis des années à Montpellier. Un raz de marée. Ce 23 Mars contre la réforme des retraites, la CGT annonçait 40 000 personnes dans les rues du Clapas, et le syndicat Force Ouvrière parlait quant à lui de 60 000 personnes dans son communiqué.

A partir de 11 h 10 et pendant plus d’une heure, c’est un flux constant ininterrompu et surtout bien serré qui est parti de la place Zeus en direction du Peyrou. Macron a au moins réussi une chose : réveiller le pays ! Chaque cortège syndical était très fourni, la jeunesse etait très représentée, qu’elle soit des universités, des lycées ou des collèges, les chorales et orchestres se sont multiplié et chantaient aussi l’ Internationale, qui sera reprise par le corps de la manifestation.

Après avoir descendu le boulevard Henri IV et à la fin du boulevard Louis Blanc, un grand trou s’était formé dans le cortège, et alors que tout le monde pensait remonter sur la Comédie, des grappes de manifestant.e.s étaient dirigé.e.s vers le lycée Mermoz. Interrogé sur la suite du parcours, un syndiqué du service d’ordre de Force Ouvrièr a répondu : « C’est l’intersyndicale qui a décidé ce parcours avec le préfet pour éviter la casse… »

 A partir de là, le cortège s’est scindé en deux, avec des grappes de personnes perdues sur la signification de ce trajet. Arrivé.e.s Place de l’Europe, fin supposée de nombreuses personnes ne comprenaient plus la situation, sans savoir qu’une partie conséquente de la manifestation avait scindé le cortège. En effet, à l’initiative d’une partie plus combative et plus déterminée de la manifestation, des milliers de personnes ont suivi la banderole des étudiants de Paul Valéry pour remonter sur l’Esplanade, puis le Polygone, qui a encore dû fermer ses rideaux de fer, avant de rejoindre la préfecture.

Un cadre de la CGT commentera à propos du trajet qu’il y avait trop de monde et pas assez de Service d’Ordre » pour canaliser la foule.

Après la manifestation, de nombreuses actions se sont déroulées : les étudiants de la faculté Paul Valéry ont voté le blocage de la fac en assemblée générale, le dépôt pétrolier de Frontignan a été bloqué puis réprimé, et une nouvelle manifestation sauvage a encore embrasé le centre-ville. Plus d’infos sur les réseaux sociaux du Poing en attendant un prochain article.

  publié le 24 mars 2023

Report de l’examen du projet de loi Asile Immigration. Les associations et collectifs ne sont pas dupes

Communiqué interassociatif signé par la LDH

Les organisations signataires prennent acte de la décision du gouvernement de reporter l’examen du projet de loi Asile et Immigration, qui devait être débattu en séance publique au Sénat à partir du 28 mars 2023.

Le président de République vient d’annoncer que le projet de loi ne sera pas retiré mais que les propositions du gouvernement seront reprises dans le cadre de différents textes, “présentés dans les semaines à venir.”

epuis plusieurs mois, les associations et collectifs dénoncent les effets délétères des mesures contenues dans ce projet de loi sur les droits et conditions de vie des personnes exilées. Mercredi dernier, l’examen du texte en commission des lois au Sénat les a même considérablement aggravés. 

Les organisations signataires appellent le gouvernement à prendre en compte leurs nombreuses propositions pour la mise en place d’une politique migratoire fondée sur l’accueil, le respect des droits fondamentaux et la dignité humaine.

Elles demandent au gouvernement de ne pas faire passer des dispositions, qu’elles soient législatives ou réglementaires, qui ne feront que fragiliser et restreindre les droits des personnes exilées.

Les associations et collectifs appellent donc le gouvernement à abandonner définitivement ce projet de loi.

Liste des organisations signataires : 

Amnesty International France, Anafé, Anvita, Ardhis, CCFD-Terre Solidaire, Cimade, Centre Primo Levi, Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry, Coordination des sans-papiers 75, Crid, Dom’Asile, Etokinekin diakité, Emmaüs France, Femmes de la Terre, Fondation Abbé Pierre, Gisti, Human Rights Watch, LDH (Ligue des droits de l’Homme), LTF, Médecins du Monde, Paris d’Exil, Secours catholique – Caritas France, Solidarité Asie France, Thot, Tous migrants, Union des étudiants exilés, Union syndicale Solidaires, UniR

Paris, le 22 mars 2023


 

 

À quoi sert le projet de loi sur l’immigration ?

sur www.humanite.fr

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déposé son texte législatif le 1er février. Lourd de dangers pour les droits des étrangers, il suscite une vive opposition des associations engagées sur le terrain.


 

Depuis deux décennies, la situation s’aggrave. En instrumentalisant l’ordre public, cet énième texte s’inscrit dans la logique du bouc émissaire.

par Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH)

Depuis vingt ans, la répression à l’égard des étrangers n’a cessé de s’aggraver rendant de plus en plus précaire la situation de certains de ceux qui vivent sur notre territoire. Un étranger, cela peut être un Allemand, un Ukrainien, un Tunisien, un Afghan et bien d’autres ressortissants du monde entier, mais les uns et les autres sont traités bien différemment quand ils arrivent en France. Pire, ce sont ceux qui ont le plus besoin de protection, ceux qui fuient leur pays d’origine quelle qu’en soit la motivation (politique, économique, climatique) dont les visas sont refusés, qui sont refoulés aux frontières et qui sont maltraités quand ils arrivent à rejoindre notre pays. Un nouveau projet de loi sur l’immigration a été déposé. Il se heurte à l’opposition unanime de l’ensemble des organisations qui travaillent sur ces questions.

À l’avenir, aucune personne étrangère ne sera à l’abri d’un risque d’expulsion.

Pour faire adopter son texte, Gérald Darmanin a besoin, quoi qu’il en coûte, du soutien des LR. Il a enfourché le cheval de l’invasion migratoire et alimente le fantasme de l’étranger délinquant. Sur une telle base, toutes les régressions peuvent se justifier : expulsions, multiplication des obligations de quitter le territoire (OQTF) et des interdictions de revenir sur le territoire (IRTF), y compris à l’encontre de personnes inexpulsables (parents d’enfants français, conjoints de Français ou ressortissants de pays où la répression fait rage, Syrien·ne·s, Afghan·e·s, Soudanais·es, etc.), rétablissement de la double peine… À cela s’ajoute le rabaissement de toutes les procédures judiciaires : réduction des délais de recours et de jugement, généralisation de la visioconférence (justice « dématérialisée »), juge unique, recours à des procédures accélérées.

En bref, une justice au rabais pour empêcher l’effectivité de droits eux-mêmes au rabais. Et ce n’est pas la création expérimentale d’un titre de séjour dit « métiers en tension » qui peut masquer les freins mis pour faire obstacle à la délivrance ou au renouvellement de titres de séjour, y compris de la carte de résident. Tous les prétextes sont bons comme le montre, au motif de meilleure intégration, le rehaussement de l’exigence de maîtrise de la langue française sans tenir compte des vulnérabilités dues à l’âge, au handicap, à la santé ou à la situation économique et sociale.

Mais le pire est sans doute l’instrumentalisation de l’ordre public à travers des notions comme celles de menaces à l’ordre public ou d’atteintes graves aux principes républicains dont l’imprécision ouvrira grand la porte à l’arbitraire des préfets. À l’avenir, aucune personne étrangère ne sera à l’abri d’un risque d’expulsion. Les amendements en cours d’adoption au Sénat vont encore aggraver les choses : ils mettent en cause l’aide médicale d’urgence (AME), le regroupement familial, la naturalisation, les titres de séjour pour raisons de santé et fragilisent un peu plus les jeunes majeurs. La situation de toutes les personnes étrangères va être encore plus précarisée. C’est plus que jamais la logique du bouc émissaire qui est à l’œuvre. Quoi de mieux en période de crise sociale et politique…


 

Ce projet de loi est d’abord un acte politique d’un ministre qui cherche à ratisser large jusqu’à l’extrême droite. Il entraîne une grande précarité.

par Kaltoum Gachi, François Sauterey et Jean-François Quantin, coprésidents du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap)

L’annonce d’une nouvelle loi sur l’immigration par Gérald Darmanin, en juillet 2022, est en soi, avant tout, un geste politique. Tout ministre de l’Intérieur se doit de laisser son nom à une loi sur ce sujet, imposé par l’extrême droite depuis quarante ans, comme problème majeur prétendu. Et ce d’autant plus lorsque le ministre en question se construit un profil de présidentiable et espère ratisser large jusqu’à l’extrême droite.

Un premier volet de ce projet devrait satisfaire un fantasme cher à certains : expulser ! rejeter ! Une série de mesures vise ainsi à limiter le regroupement familial et à intensifier l’exécution des mesures d’éloignement, en popularisant leur nom : les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Quitte à limiter les quelques droits dont disposent encore les étrangères et les étrangers. Et pour faire bonne mesure, on viserait essentiellement les étrangers délinquants, entretenant cet autre fantasme : l’immigration a un lien étroit avec la délinquance…

Les États européens s’ingénient à restreindre l’application du droit d’asile.

Un autre volet affecte le droit d’asile, pourtant ancré dans la tradition française, mais qui embarrasse les pays européens depuis que des persécutés du monde entier demandent légitimement leur protection. Les États s’ingénient alors à en restreindre l’application. Le projet de loi propose de réduire le délai d’instruction de neuf mois à six mois. L’intention serait louable si elle ne débouchait pas sur un examen expéditif des situations. L’organe chargé de cet examen, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), pourrait également perdre son indépendance au profit de bureaux « France Asile » implantés en préfecture. Quant à l’organe d’appel, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), elle serait régionalisée et réduite à un juge unique là où la collégialité constituait une garantie.

Avec un volet « intégration », le projet se veut équilibré, mot magique du macronisme. Il introduit l’idée qu’une certaine régularisation des « sans-papiers » serait possible. Cette possibilité n’est en réalité pas une nouveauté, étant, de fait, pratiquée depuis 2012. Le nouveau titre proposé créerait certains droits nouveaux, mais serait surtout d’une extrême précarité. Limité à un an, il enfermerait les bénéficiaires dans des métiers dits « en tension ». Ce serait une régularisation opportuniste, réponse provisoire aux difficultés d’une partie du patronat. Le débat parlementaire devrait commencer fin mars et ne peut aboutir qu’avec la complicité de la droite au prix de concessions aisément imaginables.

Mais, nous aussi, nous faisons de la politique, au sens noble, et continuons à prôner la solidarité, l’égalité des droits, ainsi que la régularisation de tous les étrangers. Ce n’est pas l’étranger le problème, mais bien le rejet de l’autre. Le Mrap persistera, avec tous les antiracistes, à combattre le racisme, sous toutes ses formes et à promouvoir la fraternité entre les peuples.

publié le 23 mars 2023

En direct. Succès de la journée d'action :
800 000 manifestants à Paris, 280 000 à Marseille

sur www.humanite.fr


 

A Rouen, un nouveau cas de violence policière

Selon plusieurs médias locaux, une enseignante opposée à la réforme aurait eu le pouce arraché par une grenade de désencerclement, à Rouen, où 22 000 personnes ont manifesté (syndicats). 

La députée France insoumise de la circonscription, Alma Dufour, dénonce un "retour à la même violence que contre les gilets jaunes".

A Bordeaux, manif record et lacrymos

Les syndicats annoncent un chiffre record de 110 000 manifestants à Bordeaux (Gironde). La préfecture de police n'en a comptabilisé que 18 200. Dans tous les cas c'est plus du double des journées du 11 et 15 mars, qui faisaient craindre un essoufflement (15 000 le 11 mars, 50 000 le 15 mars, selon les syndicats).

La situation s'est tendue entre certains manifestants et les forces de l'ordre, à partir de 15h30. 

Le cortège parisien refait le plein

La CGT annonce 800 000 manifestants à Paris, ce 23 mars. Le 49-3 et l'intervention d'Emmanuel Macron ont donc fortement remobilisé les opposants à la réforme. Le 11 mars, le syndicat annonçait 300 000 personnes dans les rues de la capitale et le 15 mars, 450 000. 

Manifestation record à Marseille

A Marseille, le cortège affole les compteurs ce jeudi. L'intersyndicale annonce 280000 manifestants pour cette neuvième journée de mobilisations. La police tente le grand écart renversé, avec 16000 participants.

Il n'empêche, les photos et vidéos publiées sur les réseaux sociaux, entre le Vieux-Port et la Porte d'Aix, attestent d'une manifestation massive.

Même la cathédrale de la Major, au passage des manifestants, semblait avoir pris partie, avec une gigantesque banderole déployée au sommet d'une de ses coupoles: "Nik le 49.3, grève générale". "Je veux voir ma mamie maintenant, pas dans deux ans !!", réclamait de son côté sur sa pancarte un petit garçon de 8 ans et demi.

Emmanuel Macron au centre des slogans

L'interview du président de la République, mercredi, a beau ne pas avoir fait recette, avec un total par 11,5 millions de téléspectateurs, ses propos sont bien au coeur des cortèges de cette neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.

Le président est méprisant, il ment, et tout le monde en a conscience. Il nous crache à la figure en nous disant qu’on n’est pas légitime. Aujourd’hui, on lui montre notre légitimité, on lui fait entendre notre voix, qu’il le veuille ou non. Et on va continuer comme ca jusqu’à la victoire”, fulmine ainsi Henry, syndiqué à Force ouvrière, rencontré dans la manifestation parisienne.

Un peu plus tôt dans la matinée, lors de l'occuption de la garde de Lyon, Cédric Liechti ne décolère pas: "Son discours a remis un coup d'essence sur le brasier". Au côté du responsable CGT-Energie Paris, Béranger Cernon, son homologue de la CGT-Cheminots, accuse: "Insulter des millions de salariés de factieux et nous comparer à ceux qui ont envahi le Capitole, c'est pire qu'une insulte".

"Je voudrais dire merci à Emmanuel Macron. Il est tellement arrogant et à côté de ses pompes qu'à chaque fois qu'il parle, t'as qu'une envie c'est de prendre ton drapeau pour partir en manif", s'époumone Fabien Villedieu, délégué syndical SUD-Rail sous les applaudissements.

Charles III ira-t-il rendre visite aux grévistes?

Pour sa première visite en tant que nouveau roi d'Angleterre, Charles III devrait recevoir un accueil tout particulier alors que les mobilisations contre la réforme des retraites connaissent un nouveau pic ce jeudi.

"Il y aura des initiatives autour de cette visite" royale, explique à l'AFP une source à la CGT cheminots, confirmant que la visite du roi était "dans le viseur" des manifestants. A Bordeaux, deuxième étape du périple, "il est quasiment certain que le roi ne pourra pas prendre le tramway", sourit Pascal Mesgueni, du syndicat CFTC, cité par le journal Sud-Ouest. Il y aura "possiblement des perturbations sur le réseau", a confirmé un porte-parole de l'entreprise de transport.

Le gouvernement britannique a indiqué jeudi "ne pas être au courant d'un quelconque changement de plan" concernant la visite de Charles III, toujours attendu à Versailles pour un "banquet d'Etat"

Fonction publique : participation à la grève en hausse

Un peu plus d'un agent sur six (15,5%) était en grève jeudi à la mi-journée dans la fonction publique d'Etat. Soit une participation en forte hausse par rapport à la précédente journée de mobilisation en semaine, le 15 mars, lors de laquelle elle avait chuté à moins de 3%.

La mobilisation est également plus importante jeudi à la mi-journée dans les deux autres grandes branches de la fonction publique. Dans la fonction publique territoriale (près de deux millions d'agents), le taux de grévistes atteignait 6,5%, contre 2,2% le 15 mars, tandis que la mobilisation atteignait 8,1% dans la fonction publique hospitalière (1,2 million d'agents), contre 4,5% précédemment.

35000 manifestants à Rennes

À Rennes, l'intersyndicale annonce 35 000 participants (22200). Soit plus du double par rapport à la huitième journée de mobilisation du 15 mars.

Des heurts ont opposé des manifestants aux forces de l'ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogène et de canon à eau.

Les leaders de l'intersyndicale font bloc contre la réforme

"Ce n'est que par la mobilisation et la grève qu'on arrivera à les faire reculer", assure Frédéric Souillot au départ du cortège parisien. Au côté du secrétaire général de Force ouvrière dans le "carré de tête", Laurent Berger ressent un "regain de mobilisation" pour cette neuvième journée de mobilisation intersyndicale. "Jusqu'au bout il va falloir garder l'opinion, c'est notre pépite", et pour cela "il faut des actions non violentes, qui n'handicapent pas le quotidien des citoyens", souligne le leader de la CFDT qui appelle "au respect des biens et des personnes, à la non-violence".

Pour Cyril Chabanier (CFTC), la prestation télévisée du chef de l'Etat, mercredi, a donné un coup d'accélérateur aux manifestations et grèves du jour: "Le discours de Macron nous aide à mobiliser". Murielle Guilbert (Solidaires) complète, estimant avoir senti "beaucoup de fébrilité dans les déclarations" de l'hôte de l'Elysée, Dominique Corona (Unsa) jugeant que "le président de la République a la monnaie de sa pièce".

Tous se tournent désormais vers le Conseil constitutionnel, qui doit se prononcer sur le texte dans moins d'un mois. "On a un horizon de mobilisation au moins jusqu'à sa décision", a prévenu Benoit Teste (FSU), pour qui "c'est dans l'intérêt de la société de continuer un mouvement encadré et coordonné".

 Philippe Martinez: "Emmanuel Macron a jeté un bidon d'essence sur le feu"

"Il a jeté un bidon d'essence sur le feu", a déploré ce jeudi après-midi le numéro un de la CGT, Philippe Martinez à propos d'Emmanuel Macron et de son intervention télévisée de mercredi. Alors que le cortège parisien s'élançait en cette neuvième journée de mobilisations contre la réforme des retraites, le leader de la confédération de Montreuil a rappelé que les syndicats avaient écrit au chef de l'Etat pour l'alerter sur la "situation explosive" du pays. Mais "il s'en fout", pointant "une stratégie du gouvernement de mettre en avant des incidents". "Il y a une grande colère", a-t-il insisté. "Aujourd'hui il y a beaucoup de lycéens, d'étudiants, il y a des facs qui sont bloquées, c'est plutôt une bonne chose".

Fabien Roussel (PCF) : "Macron fait le pari du chaos"

Depuis le cortège de la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a estime que "Macron fait le pari de la violence, du chaos dans le pays" alors que son "gouvernement ne tient plus qu’à un fil". 

"En quelques jours, on est passé du débat sur les retraites aux violences policières. Le président de la République se comporte comme un casseur", a dénoncé le député du Nord qui "appelle à élargir la mobilisation, à mettre le pays à l’arrêt". "Il faut aller taper dans l’économie", ajoute-t-il invitant "les forces de l’ordre à rejoindre le mouvement car ils sont concernés". 

"Nous sommes respectueux de ce que décide l’intersyndicale, et c'est à elle de déterminer les suites de la mobilisation", a poursuivi le communiste avant d'évoquer le référendum d'initiative partagée, initié par les parlementaires de gauche cette semaine, qui "doit être un argument valable pour que le gouvernement suspende son projet" afin de laisser s'exprimer les citoyens.

"Nous faisons la démonstration qu’il y a un espoir de voir la gauche gagner", juge-t-il. Et Fabien Roussel de renouveler son appel lancé en début de semaine à "la creation d'une union entre la gauche et les organisations syndicales pour travailler main dans la main".  

Des transports fortement perturbés

Selon une recension de l'AFP:

  • A Rennes, le réseau de bus est "très fortement perturbé".

  • A Saint-Brieuc et Evreux, le trafic est quasiment paralysé.

  • A Toulouse, des barrages filtrants sont organisés, selon la CGT, aux dépôts de bus Tisséo de la région toulousaine mais sans blocage.

  • A Nice, la moitié des lignes de bus environ sont à l'arrêt, tout comme les trois lignes de tramway.

  • A Marseille, 16 lignes de bus sur 80 sont à l'arrêt.

  • A Paris, la RATP fait état d'un trafic "très perturbé" dans le métro parisien, avec une trentaine de stations "fermées au public".

  • A la SNCF, seule la moitié des TGV Inoui et Ouigo et le tiers des TER circulent.

  • La Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies d'annuler 30% de leurs vols à Paris-Orly et 20% à Marseille-Provence, Toulouse-Blagnac et Lyon-Saint-Exupéry en raison de la grève des contrôleurs aériens. Les aéroports de Montpellier et Pau ont été brièvement fermés jeudi matin en raison de l'absence de contrôle aérien.

Jérôme Guedj (PS) appelle le gouvernement à arrêter de "jouer avec le feu"

"C'est la 9e mobilisation et rien que cette enumération en dit long sur le rejet de la réforme exprimé par les Francais", a rappelé le socialiste Jérôme Guedj, lors du point presse de la Nupes depuis la manifestation parisienne. "C’est une mesure de regression sociale à laquelle se sont ajoutés les outils de la brutalité démocratique. J’alerte le gouvernement. Il ne faut pas jouer avec le feu", a également insisté le député. "Le levier de la mobilisation sociale est cruciale, et nous ne désespérons pas de mener notre travail parlementaire", a-t-il ajouté évoquant notamment le référendum d'initiative partagée (RIP) pour lequel "il faut aller chercher ces 4 millions de signatures".

Des manifestations et des blocages

Cette neuvième journée nationale de mobilisations, à l'appel de l'intersyndicale et contre la réforme des retraites, a été marquée ce matin par de très nombreux blocages et barrages.

Dans les villes côtières se déroulent des opérations "port mort".  A Boulogne-sur-Mer, très tôt, des manifestants soutenus par des étudiants ont érigé des barrages avec des barrières, poteaux électriques couchés, palettes, à l'entrée du port et de la zone industrielle de Resurgat, sous le regard du député LFI François Ruffin. A Caen, le port est également bloqué. A Calais, des retards sont enregistrés sur les ferries traversant la Manche et le monde portuaire transmanche est fortement représenté dans la manifestation qui s'est élancée dans la ville.

Ces blocages touchent aussi les transports publics. Ainsi, à Paris, plusieurs centaines de manifestants ont envahi dans la matinée les voies Gare de Lyon, tout comme à Brest ou à Narbonne.

De semblables opérations militantes se sont déroulées sur le périphérique toulousain, sur la rocade lilloise. A Argoeuves près d'Amiens, des barrages filtrants sont organisés dans une zone industrielle. A quelques kilomètres de là, dans l'Oise, sur l'A1, un échangeur à Chevrières et les bretelles d'accès sont fermées en raison de manifestations.

A l'aéroport de Roisy-Charles-de-Gaulle, environ 70 personnes ont bloqué jusqu'à 10 heures l'accès au terminal 1, mettant en place un barrage filtrant pour ralentir les passagers quittant l'aéroport.

En Meuse, des barrages filtrants sont organisés à Bar-le-Duc et Verdun.

Tout comme à Montélimard:

Clémentine Autain (FI) fustige un "président irresponsable"

La députée insoumise Clémentine Autain a dénoncé, lors du point presse de la Nupes à la manifestation parisienne, le cynisme de l'exécutif.  “On a un président qui est irresponsable, qui n’entend pas les Francais, qui piétine la démocratie. Il se comporte comme un chef d’entreprise et certainement pas comme un homme d’Etat”, a fustigé l'élue de Seine-Saint-Denis.

Marine Tondelier (EELV) : "On n'a pas envie de crever donc on continue de marcher"

«On voit bien qu’avec ce gouvernement c’est “marche ou crève” et nous n’avons pas envie de crever donc on va continuer de marcher», a lancé la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier, lors de la conférence de presse commune de la Nupes dans le cortège parisien. «On suivra évidemment les décisions prises par l’intersyndicale qui n’a visiblement pas envie de se résigner. La priorité aujourd’hui est de faire monter la pression dans la rue, et on voit que le mépris avec lequel le gouvernement nous traite va alimenter cette mobilisation», a-t-elle ajouté, rappelant que la mouvement dispose aussi de «la carte du référendum populaire qui est notre ultime recours».

Quant à la gauche, «il est sûr que la coalition que nous formons depuis les législatives va devoir prendre un nouveau tournant parce qu'on a tous en tête de gagner en 2027 et que cela ne peut être uniquement derrière l'idée d'un candidat unique», a-t-elle ajouté alors que le patron du PS, Olivier Faure, évoque ce jeudi dans Libération un «projet de coalition qui incarne l'alternative».

La grève, c'est aussi dans les entreprises privées


 

Paris: opération "Robin des bois" à la mairie du 5ème

La mairie de cet arrondissement central de Paris, qui inclut le Quartier Latin, est restée sans électricité une partie de la matinée de ce jeudi matin. Cette opération de "sobriété" s'est accompagnée de la "mise en gratuité" d'un hôpital parisien. 

Florence Berthout, maire Horizons, parti de l'ex-Premier ministre Edouard Philippe favorable à la réforme, é déploré  "les conséquences en termes de sécurité" d'une telle action, notamment avec des personnes potentiellement "bloquées dans l'ascenseur". "On reçoit du public, des seniors ou personnes en situation de handicap, peut-être agoraphobes et claustrophobes", a-t-elle ajouté à l'AFP

Deux fois plus de manifestants à Clermont-Ferrand

En Auvergne, les cortèges ont pris de l'ampleur par rapport à la huitième journée d'action. A Clermont-Ferrand, la police a décompté 13500 manifestants, contre 6500 le 15 mars dernier.

L'intersyndicale revendique un cortège de 3000 personnesà Aurillac, de 4000 manifestants à Guéret. Quant à Tulle, le quotidien régional La Montagne décompte 2000 personnes.

Un quart des énergéticiens d'EDF en grève

Les personnels des industries électriques et gazières justifient à nouveau leur qualificatif de fer de lance du mouvement social contre la réforme des retraites. Un peu plus d'un quart des salariés d'EDF (25,3%) avait cessé le travail ce jeudi à la mi-journée, pour la neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, selon la direction.

Une participation en légère hausse par rapport à la précédente journée de mobilisation en semaine, le 15 mars, lors de laquelle la direction avait comptabilisé 22,45% de grévistes à mi-journée par rapport aux effectifs totaux de l'entreprise.

 

Actuellement ce sont 21 862 MW ⚡ aux mains des grévistes, retirés du réseau dans les productions d'électricité thermiques, hydrauliques et nucléaires
Dans l'Énergie la #GreveReconductible est toujours là et s'amplifie, par ex de nouvelles bases Enedis sont bloquées depuis lundi
CGT Énergie Lyon (@CgtLyonEnergie) March 23, 2023

Les enseignants grévistes soutiennent la grève reconductible

Les personnels de l’Éducation nationale sont au rendez-vous des grèves et des cortèges de cette neuvième journée nationale contre la réforme des retraites. Selon leur ministère de tutelle, le taux de grévistes se montent ce jeudi à 21,41%,  dont 23,22% dans le primaire et 19,61% dans le secondaire (collèges et lycées). 

Pour le Snes-FSU,  premier syndicat du secondaire, ce niveau de mobilisation conséquent (pour certains personnels, il s'agit de leur neuvième journée sans salaire) s'explique par "la très grande colère de la profession nourrie par l'utilisation du 49.3 et les dernières déclarations du président de la République: jouant la carte de la provocation et du déni de réalité, Emmanuel Macron souffle sur les braises de la crise sociale et démocratique". L'organisation assure qu'elle "soutiendra toutes les actions de reconduction". "L'expérience a montré qu'il était possible de gagner face à un texte passé en force par un gouvernement qui foule au pied la démocratie sociale, à l'image du CPE en 2006", ajoute-t-il dans un communiqué.

Les Grecs solidaires

 

SOLIDARITÉ AVEC LE PEUPLE FRANÇAIS RÉVOLTÉ
Rassemblement à l’Ambassade de France à Athènes#antireport #greve23mars #ReformesDesRetraites pic.twitter.com/pP9S7rN2l1
Από τη σπίθα στη φλόγα (@SpithaFloga) March 22, 2023


 

La journée s'annonce massive

Comme depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, des manifestations seront organisées partout en France ce jeudi 23 mars par l'intersyndicale. Ce sont près de 240 points de rassemblements qui ont été communiqués par les syndicats (CGT, FO, CFDT, FSU, Unsa, CFTC, Solidaires, etc.).

  publié le 23 mars 2023

Migrants : le maire de Saint-Brévin, victime de la haine raciste

sur https://www.politis.fr/

Politis apporte son indéfectible soutien à Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-les-Pins. Dans la nuit de mardi à mercredi, sa maison ainsi que ses voitures ont été incendiées, visiblement suite à un jet de cocktail Molotov. Il était 5 heures du matin lorsque des salariés d’Airbus, sur le chemin du travail, ont aperçu les flammes. « Si ces gens ne nous avaient pas réveillés, nous aurions pu être intoxiqués par les fumées » a soufflé Yannick Morez, le lendemain, à nos confrères de France Bleu Loire Océan. Qui a aussi dénoncé une « attaque lâche et inadmissible » auprès du Parisien. Yannik Morez indique avoir déposé plainte.

Depuis plusieurs semaines, cette petite ville de Loire-Atlantique est la cible d’attaques virulentes de la part de l’extrême-droite. L’objet de la discorde : le déplacement d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) près d’une école. La population, en large majorité favorable à ce projet se mobilise pourtant. Mais malgré cet élan de solidarité et de résistance, l’équipe municipale et surtout le maire subissent la haine raciste de plein fouet. Jusqu’au point où les messages de menaces de mort se sont matérialisés en attaque d’une insensée violence.

Si des élu.es et responsables politiques de gauche, ou encore l’Association des maires de France, ont apporté leur soutien à Yannick Morez, ce qui choque ici, c’est le silence assourdissant de nombre de politiciens, au pouvoir ou à droite, qui s’époumonent pourtant, par ailleurs, pour trois stickers collés sur la vitre d’une permanence de député. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, n’a ainsi pas trouvé le temps de défendre publiquement l’édile attaqué. Si bien qu’on ne peut que s’interroger sur ce qui mérite, ou non, l’offuscation républicaine de certain.es.


 


 

« Ils veulent intimider les femmes qui s’informent », nouveau tag anti-IVG contre le Planning familial à Strasbourg

sur https://www.rue89strasbourg.com

Un message contre le droit à l’avortement a été tagué devant les locaux du Planning familial de Strasbourg dans la nuit du 21 au 22 mars. C’est la deuxième fois en deux semaines que l’association subit une telle attaque.

Dans la nuit du 21 au 22 mars 2023, un collectif contre le droit à l’avortement a taggué la chaussée devant l’entrée des locaux du Planning familial de Strasbourg. L’association et ses militantes y accompagnent les personnes qui souhaitent avoir recours au droit fondamental de mettre fin à une grossesse.

Après un tag similaire et au même endroit lors de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, c’est le second tag de ce type en deux semaines. La présidente du Planning Familial du Bas-Rhin Alice Ackermann s’inquiète de la multiplication des menaces et autres désinformations contre l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Interview.

Rue89 Strasbourg : Comment avez-vous découvert ce nouveau tag ?

Alice Ackermann : On a découvert le tag ce matin en ouvrant nos locaux. C’est le même type de tag qui avait été fait pour la journée du 8 mars. Il est situé devant notre entrée, prend toute la chaussée et il est écrit de manière à ce que les personnes qui sortent du planning le lisent.

Ils veulent intimider et stigmatiser les femmes qui se renseignent ou souhaitent avorter. C’est aussi une désinformation, puisqu’ils assimilent l’avortement à une violence. C’est enfin un message pour le planning, une intimidation de nos militants. Pour nous, il s’agit d’un délit d’entrave à l’IVG.

Qu’avez-vous ressenti en voyant ce second tag anti-choix en deux semaines ?

Alice Ackermann : On se dit que la lutte pour le droit à l’avortement est loin d’être terminée alors que c’est un droit humain et fondamental, qui ne doit pas être remis en question malgré ces attaques. C’est notre rôle au Planning d’assurer un tel accès sans stigmatisation, violence ou agression. On est toujours dans la même dynamique de défense de ce droit qui n’est jamais acquis.

Cela me met aussi en colère. C’est insupportable que des bénévoles puissent se sentir en insécurité. On refuse que cela puisse arriver, et plus largement que les personnes qu’on accueille puissent avoir peur de venir.

En même temps, on a réagi rapidement on s’est toutes appelées pour se soutenir entre militantes du Planning. Depuis notre communiqué, on reçoit énormément de messages de soutien. Malgré les attaques, il y a une majorité de la population qui est là et bien présente pour nous soutenir. Ça fait du bien de sentir qu’on n’est pas seules.

Ces attaques sont-elles régulières ?

Alice Ackermann : On a été attaqué en 2020. Des tags réalisés sur notre plaque d’entrée avaient pour but de couvrir le logo, le nom et les horaires du Planning, en période covid. Et puis là, ça s’accélère ces deux dernières semaines, on en a eu deux d’affilée. Je suis au Planning familial depuis huit ans, et il n’y avait rien eu de tel pendant mes 5 premières années. On voit bien qu’il y a une tension qui monte de l’extrême droite sur la question de l’avortement.

Y a-t-il d’autres obstacles à l’accès à l’IVG aujourd’hui ?

Alice Ackermann : On avait fait une campagne à Strasbourg sur le délit d’entrave à l’IVG par le numérique. Des personnes qu’on reçoit témoignent du fait que lorsqu’elles font des recherches google ou sur les réseaux sociaux, elles tombent souvent sur des contenus sponsorisés par des associations et comptes anti-choix qui profitent d’une zone grise légale qui permet d’utiliser les réseaux pour désinformer. On avait alerté la procureur sur ce qu’on considère comme un délit d’entrave.

Je suis une ancienne membre du bureau national. À Strasbourg, nous assurons la ligne téléphonique du numéro vert d’information concernant l’avortement. Pendant le covid, nous avons constaté que de nombreuses femmes tombaient sur un faux numéro vert qui les culpabilisait et les désinformait. Nous nous sommes mobilisées auprès de gouvernement pour que ce phénomène cesse. D’une manière générale, nous devons être très attentives à cette problématique du référencement.

publié le 22 mars 2023

Retraites, journée du 21 mars à Montpellier : barrages filtrants, manif interpro, début de pénurie d’essence

sur https://lepoing.net

Ce mardi 21 mars, la journée à été bien remplie pour le mouvement montpelliérain contre la réforme des retraites. Le matin, quatre barrages filtrants ont été installés aux entrées de la ville. Un peu plus tard, environ 800 personnes ont manifesté entre la gare et Rondelet, entre repas en soutien aux caisses de grève, envahissement de la direction régionale de la SNCF et coupures d’électricité.

Des barrages filtrants tout autour de Montpellier

Dès les premières heures de la mâtinée, des barrages filtrants ont été organisés sur quatre gros rond-point d’accès à la ville, avec diffusion massive de tracts sur les prochaines mobilisations contre la réforme des retraites. L’Union Locale CGT était présente sur le rond-point du grand M, côté Saint-Jean de Védas. L’assemblée des grévistes de l’Éducation Nationale et le comité de mobilisation de la fac de sciences tenaient le rond-point de Château d’Ô, au nord de la ville. Également au nord, le rond-point de la Lyre, investi lui par les personnels des différents Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) de la ville. Enfin, on trouvait sur le rond-point du Près d’Arènes le groupe de gilets jaunes installés là-bas depuis plusieurs années et l’assemblée ”Montpellier contre la vie chère”.

Ces barrages filtrants ont occasionné en début de mâtinée des kilomètres de bouchon autour de Montpellier, les plus importants, au Nord, remontant jusqu’à Saint-Gély du Fesc.

Début de pénurie d’essence confirmée

Le Sud de la France est particulièrement impacté par le début de pénurie d’essence qui se profile, dans la foulée des grèves en cours dans les raffineries et des nombreux blocages de dépôts pétrolier. Ce mardi 21 mars de nombreuses stations services de l’agglo montpelliéraine et des alentours étaient touchées, comme la station essence Total Energies avenue de la Pompignane, en rupture totale. Ce matin du 22 mars les pénuries, partielles ou totales, concernaient plusieurs dizaines de stations essence dans l’agglo.

Les conséquences commencent à s’en faire sentir dans les commerces, quand on trouve des affichettes annonçant des ruptures de stock sur certains produits liées à l’impact du manque d’essence sur les livraisons, comme dans la rue du Faubourg de la Saunerie.

Une manif interpro envahit la Direction Régionale de la SNCF

En fin de mâtinée, une manif interprofessionnelle appelée par les cheminot.e.s grévistes a commencé au départ de la gare Saint-Roch, dont l’entrée était gardée par six camions de CRS. Après un début de rassemblement à 11h, où les participant.e.s étaient environ deux cent, le cortège a copieusement gonflé, jusqu’à atteindre 800 personnes. Avant départ sur les coups de midi vers le bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, via les rails du tram.

Dans la foule, de très nombreux cheminot.e.s de tous syndicats : ils étaient venus de toute l’ancienne région Languedoc-Roussilon, avec de grosses délégations de Nîmes, Béziers, Agde, Narbonne… Mais aussi des personnels hospitaliers, des étudiant.e.s, des membres de l’assemblée de grévistes de l’Éducation Nationale, des syndicalistes de l’enseignement supérieur, des travailleurs sociaux, des gilets jaunes, des jeunes.

Après un repas à prix libre proposé par la CGT, au profit des caisses de grève, un gros quart de la manif, soit environ deux cent personnes, ont pénétré dans le bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, peuplé des cadres et de la hiérarchie de l’entreprise. De nombreux slogans ont été chantés, comme ”Rendez l’argent”, alors que les sonnettes d’alarme incendie étaient régulièrement activées dans les couloirs du bâtiment. Pendant que certain.e.s arrachaient tout ce qui se trouvait accroché aux murs, d’autres reprenaient l’hymne des cheminot.e.s qui a inspiré les gilets jaunes : ”On est là, on est là, pour l’honneur des cheminot.e.s et pour l’avenir de leur marmots, même si Macron ne veut pas nous on est là !”. Quelques tags également sur les murs du bâtiment, tout à fait sévères face à la politique de la direction de la SNCF et demandant des augmentations de salaire.

Les manifestant.e.s auront pu sortir du bâtiment sans intervention des policiers de la CDI postés prêt de l’arrêt Rondelet.

Dans le même temps, une coupure d’électricité était déclenchée par les grévistes sur une partie du quartier de la gare. La poste Rondelet a été impactée, de même que le nouvel Intermarché du coin, alors que les panneaux de tramway annonçaient une suspension des lignes à cause des coupures.

Des initiatives quasi-quotidiennes sur Montpellier

En plus de la grande manif intersyndicale et interprofessionnelle du 23 mars, à 10h30 place Zeus, d’autres défilés sont prévus mercredi et jeudi soir à 18h devant la préfecture [NDLR : Le Poing revient très bientôt sur celle de mardi soir], puis samedi à 14h sur la Comédie, avec pour projet de converger avec la mobilisation contre les lois Darmanin et Kasbarian, qui sabrent respectivement les droits des étrangèr.e.s en situation irrégulière et ceux des locataires et squatteurs (cette seconde manif est prévue elle aussi le samedi à 14h, toujours sur la Comédie), côté office du tourisme.

La prochaine assemblée interprofessionnelle aura lieu le jeudi 23 à 18h30 à Paul Valéry, après une AG étudiante à 15h30. Ce mercredi 22, une nouvelle AG de travailleurs sociaux aura lieu à partir de 18h au bar Le Dôme.


 


 

Le mouvement social ne désarme pas

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Actions, blocages et manifestations

Impossible de recenser l’intégralité des actions sur l’ensemble du territoire. Mais pour en citer quelques-unes : une opération « ville morte » avec des barrages filtrants à Lyon ce matin. Et des actions similaires à l’entrée des villes de Nantes, Montpellier, Le Havre, Rennes, Toulouse. Cet après-midi, c’est au tour du tunnel Saint-Charles à Marseille.

Autres blocages : Airbus à Toulouse, plusieurs sites de la filière déchet à Nantes, Poitiers, Brest ou encore Lannion, la zone industrielle d’Avignon nord et du Havre, le dépôt pétrolier de Lorient, la centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain.

Et après la sobriété énergétique, la motion de censure énergétique. Les énergéticiens en grève ont revendiqué des coupures aux sièges de la Société Générale, de la RATP, de la BNP ou encore à la direction générale de la SNCF à Montpellier, après une manifestation à l’initiative des cheminots de la région en fin de matinée qui a réuni 1500 personnes.

La bataille des dépôts pétroliers

Dans la nuit, les gardes mobiles ont délogé les grévistes du blocage du terminal pétrolier de Donges (Loire-Atlantique) qui durait depuis une semaine. Toujours cette nuit, le préfet des Bouches-du-Rhône annonçait réquisitionner des grévistes du dépôt pétroliers de Fos-sur-Mer. En réaction, la CGT 13 a appelé à converger en opération escargot vers le dépôt et à s’y rassembler à 9h30. S’en est suivi un face-à-face tendu avec les CRS déployés qui s’est soldé par trois policiers blessés selon les autorités. Les syndicalistes quittaient les lieux en milieu d’après-midi.

Pour Fabien Cros, le délégué de la CGT Total la Mède, « la réquisition de grévistes, c’était l’acte de trop qui ne fallait pas mettre en place », rapporte La Marseillaise.

Éboueur : grève reconduite à Paris et qui commence à Marseille

Selon la CGT Services Publics, les grévistes ont décidé hier soir, après le rejet de la motion de censure, de reconduire leur grève jusqu’au lundi 27 mars. L’ensemble de la filière déchets est concernée : éboueurs fonctionnaires, du secteur privé, et salariés des usines d’incinération. Selon le syndicat, d’autres métropoles pourraient rejoindre le mouvement.

A Marseille, les éboueurs ont entamé leur mouvement mardi soir et ce mercredi la grève du ramassage des ordures a commencé, fait savoir FO Territoriaux, qui explique que ce sont les agents qui ont demandé à « entrer dans le dur ». Déjà lundi, des salariés étaient en grève au dépôt de la Cabucelle et au centre de transfert des déchets des quartiers nord, expliquait la CGT. Ce mercredi, FO territoriaux demande à son union départementale de lancer un appel pour le privé.

« Répression du mouvement social »

Plusieurs députés de la Nupes et le Syndicat de la magistrature sont montés au créneau pour dénoncer les violences exercées par la police lors des manifestations nocturnes contre la réforme des retraites. Et les gardes à vue arbitraires signant « une répression du mouvement social ». De nombreuses images circulent sur les réseaux sociaux, montrant des scènes choquantes. Selon le parquet de Paris, 425 personnes ont été placées en garde à vue entre jeudi et samedi dernier et 52 d’entre elles font l’objet de poursuites. Hier soir, 300 personnes ont été interpellées lors des manifestations ayant suivi le rejet de la motion de censure, dont 234 à Paris. De nouvelles manifestations sont prévues ce soir à Paris et dans d’autres villes.

Le Conseil constitutionnel saisi

Les oppositions ont fait connaître leur intention de saisir le Conseil constitutionnel sur la validité du texte, en l’occurrence un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale. Celui-ci a normalement un mois pour se prononcer sur les saisines. Mais Élisabeth Borne saisira elle-même le Conseil constitutionnel pour un examen dans les meilleurs délais, a-t-elle fait savoir cet après-midi. La Première ministre pourrait demander un examen en urgence. Soit sous huit jours.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel doit examiner la recevabilité d’une demande de référendum d’initiative partagée, lancé par des députés et sénateurs de gauche.


 


 

Retraites : étudiants, éboueurs et cheminots se lient, le mouvement social se démultiplie

Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr

À l’appel des étudiants, un millier de personnes a défilé de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine à la gare d’Austerlitz, à Paris. Les éboueurs étaient peu présents, mobilisés par le blocage de l’incinérateur, mais des cheminots et des enseignants ont rejoint les étudiants, avant de poursuivre la mobilisation ailleurs.

Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).– « Il était temps », se réjouit Frédéric, en voyant débarquer à Ivry-sur-Seine plusieurs centaines d’étudiantes et d’étudiants venus de toute l’Île-de-France, mardi 21 mars. Il est magasinier-cariste au dépôt des camions-bennes situé à côté du plus gros incinérateur d’Île-de-France.

Depuis trois semaines, dans le ciel parisien, manquent les deux panaches de fumée blanche crachés par ses cheminées. L’usine qui brûle une grande partie des ordures des Franciliens est occupée par les grévistes, à l’arrêt. « Et il faudra une semaine pour la relancer », précise Frédéric.

Une nouvelle manifestation s’est élancée à 14 heures, en direction de la gare d’Austerlitz à Paris, encadrée par des policiers. Celle-ci était autorisée, le parcours ayant été déposé, dimanche, par la Coordination nationale étudiante, qui réunit des représentant·es de toutes les universités mobilisées et des organisations étudiantes.

Par les réseaux sociaux et les messageries WhatsApp, la nouvelle a fait le tour des universités, et au-delà. Près de mille personnes sont parties d’Ivry, beaucoup d’étudiant·es de toute l’Île-de-France, mais aussi des cheminot·es, des enseignant·es.

Les éboueurs, eux, n’étaient pas nombreux. « Ils ont compris que, s’ils font grève, ils doivent rester chez eux. Sinon, ils sont réquisitionnés », explique Matthieu Carrier, de la CGT du Centre d’action sociale de la Ville de Paris, venu en soutien.

Depuis la semaine dernière, les forces de l’ordre se présentent chaque matin pour délivrer des ordres de réquisition. Didier, conducteur et syndicaliste Force ouvrière (FO), a dû monter dans un camion ce matin.

« On y va lentement, je n’ai ramassé qu’une demi-rue. Et, de toute manière, on ne peut pas vider les bennes : aujourd’hui, en plus d’Ivry, l’incinérateur d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et le centre de transfert de Romainville (Seine-Saint-Denis) sont bloqués. L’incinérateur de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ne laisse passer que quatre camions par heure. » Résultat : les éboueurs employés par des entreprises privées doivent « aller loin, en Seine-et-Marne et dans le Val-de-Marne ».

« La guérilla des poubelles »

Selon Julien, un éboueur en grève qui occupe l’incinérateur d’Ivry, il reste « 10 000 tonnes de reliquat d’ordures dans les rues de Paris, autant qu’avant les réquisitions le 16 mars ». « Nous tenons bon », se félicite-t-il. « C’est la guérilla des poubelles », résume Matthieu Carrier.

« Cela fait trois semaines que cela dure, cela commence à être dur pour certains collègues, financièrement, nuance Frédéric, le magasinier-cariste. Il faut que d’autres corporations nous soutiennent. »

Les étudiant·es ont bien cerné l’enjeu : « La clé de la victoire, c’est de faire en sorte que les grèves reconductibles tiennent, s’étendent, qu’elles soient soutenues par des manifestations de masse », explique Victor Mendez, étudiant à la faculté de Nanterre, membre de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) Jeunes.

L’occupation de la faculté de Tolbiac, lundi 20 mars, a été mise en échec par une centaine de CRS qui, à la demande de la présidence de l’université, ont bloqué les entrées et empêché la tenue d’une assemblée générale « inter-facs ».

« En début de soirée, nous étions encore deux cents, mais nous avons décidé de quitter les lieux, explique Hortense, du NPA Jeunes, l’une des organisatrices de la mobilisation étudiante. Il y a eu des violences policières aux grilles. Des étudiants ont été gazés alors qu’ils essayaient d’en faire entrer d’autres par une issue de secours. »

La jeune militante en convient : en occupant l’université de Tolbiac, les étudiant·es perdaient en mobilité, alors que le mouvement social se démultiplie. « Il y a des mobilisations tous les jours, dans de nombreux endroits, on essaie d’être présents partout », confirme Imane Ouelhadj, présidente du syndicat Unef.

Ils ne peuvent plus nous canaliser.

« Chaque jour, en assemblée générale, on décide de nouvelles actions, explique Salima, cheminote de Sud Rail. Alors, ils ne peuvent plus nous canaliser. » Cet après-midi, elle est aux côtés des étudiant·es, puis à 18 heures en manifestation intersyndicale, peut-être. « On ne sait pas, on va aller voir. Cela nous fait de grosses journées », plaisante-t-elle.

En lettres rouges sur fond noir se détache la banderole du lycée professionnel Jacques-Brel de Choisy-le-Roi. Quelques dizaines d’enseignant·es, de quatre établissements de cette ville du Val-de-Marne, marchent avec les étudiant·es. Eux aussi sont en grève reconductible, ils tractent tous les matins devant leurs lycées, collèges, écoles.

Grégory Germain, professeur de français et d’histoire, raconte « des échanges chaleureux avec les lycéens. Ils ne sont pas seulement heureux de ne pas avoir cours. Ils nous soutiennent sincèrement, c’est rare. En lycée professionnel, ils savent qu’ils vont commencer à travailler jeunes, que cette réforme aura des conséquences pour eux ».

En première ligne dans le cortège étudiant, se tient un service d’ordre discipliné, en rangs serrés, jeunes femmes et jeunes hommes réunis. « On se protège des voyous en uniformes bleus, explique Victor Mendez, l’un des organisateurs du service d’ordre. Eux sont ultra-organisés pour nous réprimer, à nous de nous auto-organiser pour nous défendre. » Que faire en cas de charge policière, en garde à vue ? Des consignes ont été passées.

Le militant CGT Matthieu Carrier en est lui aussi convaincu : « Cela va monter en violence. La bourgeoisie défend ses intérêts, quitte à nous casser la gueule. » Mais il est plus nuancé dans sa perception des forces de l’ordre : « Cette fois, nos relations sont plus simples. Ils doutent, car eux aussi ne veulent pas travailler plus longtemps. On peut réussir à fatiguer ce dispositif de répression. »


 


 

Retraites : les grèves dans les raffineries, un nouveau front explosif pour l’exécutif

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Les premières réquisitions de grévistes au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer ont rehaussé d’un cran les tensions, alors que toutes les raffineries du pays sont touchées par des mouvements de grève contre la réforme des retraites. Les réserves de carburant s’épuisent dans certains départements.

LaLa scène est impressionnante. Une colonne de CRS reculant face à la foule, sous les sifflets et les huées. Derrière, une épaisse fumée noire se dégage d’un feu de palettes. Captée par le journaliste Cole Stangler mardi 21 mars au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), la vidéo est devenue virale.

« Contre la retraite Macron et la folie d'un homme, seul : la force du nombre, la joie et la détermination pour faire reculer l’homme du chaos, là-haut », a ainsi tweeté le député insoumis François Ruffin.

Dès le début de journée, plusieurs centaines de personnes, essentiellement de la CGT, se sont rassemblées devant l’un des accès du site, en soutien aux grévistes réquisitionnés le matin même par la préfecture. C’est Olivier Mateu, patron de l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, qui a battu le rappel : « Non aux réquisitions ! Non à la casse du droit de grève ! Tous au dépôt pétrolier de Fos à 9 h 30 », a posté sur les réseaux sociaux le bouillant cégétiste, considéré comme un dur.

Courant février, il avait raconté son entretien avec le préfet de région à l’automne, lors du précédent mouvement de grève dans les raffineries, et avait précisé à Mediapart qu’il agirait de même à nouveau s’il le fallait : « À la première réquisition, c’est la guerre. Vous touchez un camarade dans une raffinerie, on vous met le feu au département. Mais pas le feu “on s’énerve”. On vous met le feu, les flammes. »

Mardi midi, à Fos-sur-Mer, le face-à-face entre grévistes et forces de l’ordre a rapidement tourné à l’affrontement et trois CRS ont été « sérieusement blessés », selon la préfecture. Deux ont été transportés à l’hôpital. « C’est plutôt eux qui nous ont affrontés ! Pas nous !, commente auprès de Mediapart Fabien Cros, délégué syndical CGT à la bioraffinerie Total de La Mède (Bouches-du-Rhône), venu en renfort avec une dizaine de collègues. On s’est avancés et on s’est pris des lacrymos. »

Hors de lui, Olivier Mateu a dénoncé l’usage de gaz lacrymogène « sans sommation » et tonné sur BFMTV contre « ce gouvernement en déroute qui tape sur les travailleurs », avant de conclure, à l’adresse d’Emmanuel Macron : « Sa réforme, il va la manger, je vous le dis, et le dépôt, on va le reprendre ! »

Ces réquisitions de personnel sont les premières, chez les raffineurs, depuis le début du mouvement social contre la réforme des retraites. Les six raffineries du pays sont touchées par des mouvements de grève. Selon la CGT, plus aucune goutte de carburant ne sort depuis le week-end des 18 et 19 mars.

Volte-face du ministre en 24 heures

Une grande partie des deux cents dépôts pétroliers français sont également impactés, dont les plus importants au Havre (Seine-Maritime), à Dunkerque (Nord) et à Fos-sur-Mer. Selon le quotidien Le Parisien, d’autres dépôts, comme à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) ou Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme), voient « leurs expéditions se réduire comme peau de chagrin ».

En Loire-Atlantique, les forces de l’ordre sont intervenues dans la nuit du lundi à mardi pour débloquer le terminal pétrolier de Donges, occupé depuis une semaine. La raffinerie n’expédie plus de carburant depuis le 7 mars et les effets se ressentent dans certains départements de l’Ouest, comme en Loire-Atlantique, où 29 % des stations-service sont « en difficulté », rapporte Le Monde.

En face, et quelques mois après les grèves des raffineurs qui ont asséché le pays à l’automne 2022, l’exécutif semble fébrile. Et se contredit à la vitesse de l’éclair. « On n’en est pas à l’heure de la réquisition. À l’heure où nous parlons, nous avons pris des mesures d’anticipation », affirmait lundi matin le ministre des transports, sur France Info.

Vingt-quatre heures plus tard, le même Clément Beaune a dû se dédire, sur France Inter, à propos de Fos-sur-Mer. « La moitié des stations-service sont en difficulté dans les Bouches-du-Rhône et donc, oui, ce matin, de manière ciblée, des réquisitions sont en cours, à Fos-sur-Mer spécifiquement », a reconnu le ministre.

L’objectif de cet arrêté n’est pas le maintien de l’ordre public mais bien de fragiliser le mouvement social en cours.

Dans le sud-est de la France, la pénurie guette. « La région Provence-Alpes-Côte d’Azur connaît une forte et rapide dégradation des ruptures en stations[-service] », indique la préfecture des Bouches-du-Rhône, dans son arrêté de réquisition de personnel de Fos-sur-Mer, valable jusqu’au mercredi 22 mars inclus.

Selon les services de l’État, le taux de rupture de carburant dans la région Paca était de 19 % le 18 mars et de 33 % le 20 mars. « Dans le département des Bouches-du-Rhône, ce taux est passé de 34 % à 51 %, et dans le Vaucluse, ce taux de rupture est de 30 % », ajoute l’arrêté, précisant que « le site DPF [dépôts pétroliers de Fos – ndlr] est un dépôt pétrolier majeur », desservant également l’Occitanie voisine ainsi que la Drôme et le Rhône.

Arguant de risques « de troubles à l’ordre public » et d’une pénurie affectant « le fonctionnement des services publics essentiels », la préfecture décrète donc « la réquisition d’une partie des personnels grévistes ». Comme ce fut le cas durant les grèves des raffineurs à l’automne 2022, cette décision sera attaquée, en référé, devant le tribunal administratif de Marseille. Selon les informations de Mediapart, l’audience aura lieu mercredi 22 mars, à 11 heures.

La Fédération nationale des industries chimiques CGT demande la suspension de l’arrêté préfectoral, jugeant que « lobjectif de cet arrêté n’est […] pas le maintien de l’ordre public mais bien de fragiliser le mouvement social en cours ». La requête, que nous avons pu consulter, souligne aussi « le but expressément assumé » des réquisitions, à savoir : « l’approvisionnement de la région PACA, Occitanie et zone Sud-Est, sans distinction entre les services prioritaires et le reste des consommateurs ».

De son côté, Fabien Cros, de la bioraffinerie de La Mède, assure que ces réquisitions sont plus que douteuses sur le fond : « Ils ont réquisitionné trois salariés par équipe, alors que ça doit tourner à cinq, minimum. C’est dangereux pour l’outil de travail et les salariés ! »


 

   publié le 22 mars 2023

Retraites : l’Association de Défense des Libertés Constitutionnelles saisit la justice pour mettre fin aux arrestations préventives

sur https://www.blast-info.fr/

Des centaines de manifestants interpellés, puis relâchés sans aucune poursuite : c’est ce que l’on observe depuis jeudi 16 mars lors des rassemblements organisés en réaction au recours au 49-3 pour faire passer la réforme des retraites. Face à ces arrestations préventives, l’Association de Défense des Libertés Constitutionnelles a saisi, mercredi 22 mars, le tribunal administratif de Paris, afin qu’il prenne « toutes les mesures nécessaires » pour cesser d’atteindre aux libertés fondamentales des manifestants.

L'ADELICO est une association régie par la loi de 1901 qui, depuis 2017, est chargée d'assurer en France la promotion et la garantie des droits et libertés fondamentaux,  de veiller à la séparation des pouvoirs et d'oeuvrer à la protection et à l'indépendance des services publics, la transparence de l'action publique et la lutte contre les conflits d'intérêt et la corruption. L'association était intervenue en octobre 2020 auprès du juge des référés du Conseil d'Etat pour demander la suspension des mesures d'état d'urgence sanitaire relatives à la pandémie de Covid-19.

Gaz lacrymogènes, grenades de désencerclement, nasses, charges policières : dès le mouvement social des Gilets Jaunes, les manifestants français ont pris l’habitude de voir se durcir la doctrine du maintien de l’ordre. Mais depuis le rassemblement spontané à la Concorde du jeudi 16 mars, l’« interpellation préventive » fait polémique.

« Abusives » et « arbitraires » pour les parlementaires de gauche, « répression injustifiée » pour Philippe Martinez : les nombreuses arrestations de manifestants indignent l’opposition. Réponse du préfet de police de Paris : « Il n’y a pas d’interpellations injustifiées, je ne peux pas laisser dire ça », a-t-il déclaré sur BFMTV mardi 21 mars. 

Mais le lendemain, l’Association de Défense des Libertés Conditionnelles (ADELICO) a décidé d’aller plus loin en saisissant le Tribunal Administratif de Paris. Par le dépôt d’une requête de référé-liberté à l’encontre des méthodes de maintien de l’ordre du préfet de Paris Laurent Nuñez, l’association dénonce « le recours massif en préventif aux arrestations administratives de manifestantes et de manifestants » et enjoint le juge des référés à y mettre un terme au plus vite.

A Paris, dans la seule soirée du 16 mars, suite à l’annonce de l’enclenchement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par Elisabeth Borne, 283 interpellations sur 292 au total ont été classées sans suite. Preuve du caractère démesuré de ces arrestations pour l’association, qui dénonce « une atteinte grave aux libertés constitutionnellement garanties d’aller et venir, de réunion, de manifester, ainsi qu’au droit le plus élémentaire à la sûreté garantie par la Déclaration de 1789 ».

« Il est temps que quelqu’un rappelle à la préfecture de police qu’il faut y mettre fin »

Jean-Baptiste Soufron, avocat de l’ADELICO, justifie le dépôt du référé-liberté par ces mots. Il pointe une technique d’arrestation préventive « non seulement contraire au bon sens mais aussi parfaitement illégale », et souligne l’importance du contexte dans lequel elle est opérée.

« Il s’agit certes d’une atteinte à la liberté de manifester mais elle est aussi inscrite dans un environnement politique particulier : celui d’une opposition massive qui a le droit dans ce cadre d’exprimer son désaccord par la manifestation. (…) C’est d’autant plus légitime de laisser des manifestations s’exprimer aujourd’hui que la loi dont ils débattent est extrêmement importante et rejetée par la majorité de la population ».

C’est l’autre point d’inquiétude soulevé : le caractère dissuasif de ces interpellations. En plus d’alimenter les tensions entre police et population, ces méthodes de maintien de l’ordre suscitent la peur de manifester et entravent en partie la contestation.

Et surtout, elles risquent pour l’ADELICO de contribuer à mettre le pouvoir judiciaire au service de l’exécutif. « Il est absolument intolérable que cette pratique soit à nouveau banalisée et que l’appareil judiciaire soit instrumentalisé par l’autorité administrative et politique », rappelle le communiqué. 

« L’autorité judiciaire n’est pas au service de la répression du mouvement social »

C’est dans ce même esprit que le Syndicat National de la Magistrature a intitulé son communiqué du 20 mars. Les interpellations préventives y sont désignées comme une « utilisation dévoyée de la garde à vue » illustrant « les dérives du maintien de l’ordre, qui détourne l’appareil judiciaire pour le mettre à son service ».

La demande de référé-liberté de l’ADELICO s’inscrit en effet sur une liste qui commence à devenir longue. Le 19 mars, la Ligue des Droits de l’Homme alertait sur l’ « usage disproportionné et dangereux de la force publique », et faisait part de ses inquiétudes vis-à-vis de « ce tournant antidémocratique ». Le surlendemain, la Défenseure des Droits s’est dit « préoccupée par les vidéos circulant sur les réseaux sociaux, de nombreux articles de presse, des témoignages et saisines reçus par l’institution sur de possibles manquements déontologiques dans le maintien de l’ordre au cours des évènements des jours derniers ». Au sujet des interpellations préventives, Mme Claire Hédon « souligne que cette pratique peut induire un risque de recourir à des mesures privatives de liberté de manière disproportionnée et de favoriser les tensions », alors qu’Amnesty International France les qualifiait le même jour d’« atteintes sérieuses au droit de manifester ».

Mais pour l’ADELICO, l’heure n’est plus aux communiqués : le recours est légal. Et le référé-liberté se veut une procédure d’urgence : en principe, le juge est tenu de se prononcer dans un délai de 48h après le dépôt de la requête. S'il considère que la demande est irrecevable ou non-urgente, il peut la rejeter par une ordonnance rendue sans audience. S'il la considère comme fondée, il convoquera dans les plus brefs délais l'ADELICO et le préfet de police de Paris, et se chargera de prendre rapidement des mesures pour interdire aux forces de l'ordre leur recours abusif aux interpellations. 

Si Jean-Baptiste Soufron a bon espoir, il est aussi déterminé à obtenir gain de cause. « En cas d’échec ? On va recommencer, affirme-t-il. On ne va pas partir du principe que le tribunal administratif ne veut pas défendre le droit des manifestants, mais il n’y a pas de raison que la demande échoue ». Une procédure qui vient alimenter le lourd climat social et politique, qui ne semble pas être en voie de s’améliorer. 


 


 

Répression policière : « Des violences inacceptables dans un État de droit »

sur www.politis.fr

Des élu.es parisien.nes et francilien.nes dénoncent la violente répression policière qui a cours contre les manifestants, depuis le déclenchement du 49.3, qui installe un climat de peur et de haine.

Les violences commises ces derniers jours sont inacceptables dans un État de droit. À la violence sociale du projet de réforme des retraites s’est superposée la violence du recours au 49.3, arme constitutionnelle létale pour une démocratie déjà à bout de souffle. Le rejet de la motion de censure, à 9 voix près, a amplifié les mobilisations contre la réforme des retraites. 

Des manifestations spontanées se sont ajoutées aux actions des grévistes et aux rassemblements organisés par l’intersyndicale, dans un climat de colère inégalé jusqu’à présent. À cette colère, les forces de police répondent par un usage de la force souvent disproportionné et de trop nombreuses actions brutales.

La montée des tensions et des violences installe un climat de peur et de haine inacceptable.

Les images et les témoignages se multiplient, faisant constat de charges dangereuses de la BRAV-M ou encore de nasses organisées par les forces de l’ordre. Le Conseil d’État avait jugé une première fois illégal l’usage des nasses car entravant les libertés fondamentales, de circuler, de manifester et la liberté de la presse.

La nouvelle version du schéma national de maintien de l’ordre parle désormais de « techniques d’encerclement ». Des recours sont en cours, mais l’observation des élu•es comme des associations livre un constat sans appel : les dispositifs de médiation sont absents, de même que l’information et la possibilité systématique de sortir des manifestations. Les nasses sont encore employées pour casser les cortèges et intimider les manifestant•es.

La Cour de Cassation l’a pourtant rappelé en juin 2022 : le simple fait de participer à une manifestation non déclarée ne peut constituer une infraction. Pire, plusieurs témoins ont fait état de l’usage de lanceurs de balles de défense, responsables de blessures graves et pouvant être parfois mortelles. Et c’est sans compter sur le nombre inutilement élevé de gardes à vue avec l’objectif de ficher les manifestants.

Jeudi dernier, sur la place de la Concorde, ce sont 292 personnes interpellées pour seulement 9 d’entre elles déférées devant la justice. Ces gardes à vue nombreuses et qui ne donnent pas suite à des qualifications pénales servent à criminaliser le mouvement social et renforcer le fichage des manifestant•es.

Nous pensions avoir quitté définitivement l’ère Lallement, les violences policières impunies, et la tension entretenue face aux mobilisations des gilets jaunes. Ce n’est manifestement pas le cas. La violence arbitraire et les privations de liberté sans raison n’ont pas leur place dans un état de droit. Il faut revenir à un usage proportionné de la force et supprimer les brigades mobiles comme la BRAV-M, héritière des sinistres « voltigeurs », qui n’ont pour seul objectif d’effrayer les manifestant•es par la violence.

La démocratie n’est pas un supplément d’âme mais le fondement de notre République.

La montée des tensions et des violences installe un climat de peur et de haine inacceptable. Tout semble fait pour décourager les manifestant•es à participer aux rassemblements. Pourtant, leur interdire de s’exprimer dans la rue, même insidieusement, remet en cause un droit fondamental et pourrait aboutir au pire.

Nous, élu•es parisien•nes et francilien.nes, nous souhaitons que soit respecté le droit fondamental de se rassembler et d’exprimer ses opinions sans avoir à subir un usage disproportionné de la force, voire une répression violente. La démocratie n’est pas un supplément d’âme mais le fondement de notre République.

Signataires :

Jean-Baptiste PEGEON, Conseiller régional Île-de-France de Paris

Raphaëlle RÉMY-LELEU, Conseillère de Paris

Antoine ALIBERT, Adjoint du XXe arrondissement et Secrétaire départemental EELV Paris

David BELLIARD, Maire-adjoint de Paris en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie

Frédéric BADINA, Conseiller de Paris 

Sandrine CHARNOZ, Maire-adjointe de Paris en charge des sociétés d’économie mixte et sociétés publiques locales

Alice COFFIN, Conseillère de Paris 

Jean-Luc DUMESNIL, Conseiller régional Île-de-France de Paris

Guillaume DURAND, Adjoint à la Maire du XIVe arrondissement de Paris

Nour DURAND-RAUCHER, Conseiller de Paris

Jérôme GLEIZES, Conseiller de Paris 

Antoinette GUHL, Vice-présidente de la Métropole du Grand Paris

Frédéric HOCQUARD, Maire-Adjoint de Paris en charge du tourisme et de la vie nocturne

Anne-Claire JARRY-BOUABID, Conseillère régionale Île-de-France de Paris

Dan LERT, Maire-adjoint de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie

Emile MEUNIER, Conseiller de Paris

Aminata NIAKATE, Conseillère de Paris

Carine PETIT, Maire du XIVe arrondissement de Paris

Emmanuelle PIERRE-MARIE, Maire du XIIe arrondissement de Paris

Anne SOUYRIS, Maire-adjointe de Paris en charge de la santé 

Alice TIMSIT, Conseillère de Paris

  publié le 21 maers 2023

Retraites : une centaine de personnes rassemblées devant les locaux montpelliérains du MEDEF

sur https://lepoing.net/

Une centaine de personnes se sont rassemblées ce lundi 20 mars devant les locaux du MEDEF, syndicat patronal inspirateur de bon nombre de politiques néo-libérales, pour protester contre la réforme des retraites.

Le rassemblement était à l’initiative des syndicats locaux. Sur place, une nette surreprésentation de la CGT, avec pas mal de drapeaux de l’Union Syndicale Solidaires, quelques gilets jaunes et militant.e.s anticapitalistes. Petite présence des autres syndicats.

L’action, appelée sur les coups de midi, aura duré un peu plus de deux heures, après un barbecue au profit des caisses de grève. Des pneus ont été posés à la sortie du rond-point qui dessert les locaux du MEDEF et d’autres entreprises, obligeant les conducteurs à faire le tour de la zone pour y accéder. Malgré ces petites perturbations, le rassemblement a été salué de nombreux coups de klaxon en signe de soutien.

Les actions et manifs contre la réforme des retraites sont maintenant quotidiennes sur Montpellier. En plus de la grande manif intersyndicale et interprofessionnelle du 23 mars, à 10h30 place Zeus, d’autres défilés sont prévus mardi, mercredi et jeudi soir à 18h devant la préfecture, puis samedi à 14h sur la Comédie, avec pour projet de converger avec la mobilisation contre les lois Darmanin et Kasbarian, qui sabrent respectivement les droits des étrangèr.e.s en situation irrégulière et ceux des locataires et squatteurs (cette seconde manif est prévue elle aussi le samedi à 14h, toujours sur la Comédie), côté office du tourisme.

La prochaine assemblée interprofessionnelle aura lieu le jeudi 23 à 18h30 à Paul Valéry, après une AG étudiante à 15h30. Ce mercredi 22, les cheminot.e.s grévistes prévoient un petit déjeuner revendicatif, ouvert à tous, à partir de 7h. Une nouvelle AG de travailleurs sociaux aura lieu à partir de 18h au bar Le Dôme.


 


 

Une nuit pas comme les autres à Montpellier : quand le mouvement social s’encanaille

sur https://lepoing.net/

19 h 30, ce lundi 20 mars, place des Martyrs de la Résistance : environ 700 personnes ont répondu présentes au rassemblement devant la préfecture montpelliéraine, en réaction à l’échec de la motion de censure présentée contre le gouvernement d’Élisabeth Borne. Le cortège s’élance rapidement dans le centre historique et gagne de l’ampleur au fil des carrefours piétons. Les visages sont jeunes, la foule compacte, les slogans vindicatifs. Une ambiance qui marque par son contraste avec celle des cortèges syndicaux traditionnels, cœur de la mobilisation contre la réforme des retraites depuis deux mois.

Après un premier face à face avec les forces de l’ordre devant la préfecture le cortège s’enfonce dans les ruelles sinueuses menant vers la gare Saint-Roch. Le pas est déterminé, la foule se densifie, des barricades fleurissent autour de l’Écusson – la police elle, peine à s’organiser face à une mobilisation aussi volatile. Les camions de CRS arrivent en trombe devant l’entrée principale de la gare alors que les manifestants ne sont qu’à quelques dizaines de mètres des portes : à tribord, toute ! Ça repart vers la Comédie. La spontanéité de la mobilisation déroute, surtout que les passants semblent apprécier le spectacle : la maréchaussée n’a pas fini d’enfiler ses boucliers, mais, vite, il faut retourner dans les camions. Un jeu du chat et de la souris aux lumières des feux de poubelles qui durera près de deux heures, sans que la police ne parvienne à reprendre la main sur une mobilisation si imprévisible.

Ce quatrième jour de mobilisation consécutif en France depuis le recours au 49.3 semble marquer une rupture avec les précédents du mouvement contre la réforme des retraites. De Paris à Brest, de Strasbourg à Saint-Étienne, de Montpellier à Lille : l’émeute parcourt le pays comme un écho au vote qui se déroulait plus tôt dans la soirée à l’Assemblée nationale. Ici les signes d’une mobilisation au tournant sont nombreux : des gilets jaunes présents dans le cortège, quelques drapeaux d’organisations syndicales, des étudiants… Et des fenêtres qui s’ouvrent devant les manifestants pour les applaudir. Avant de se disperser on entend les rendez-vous pris pour demain, ça foisonne, ça boue. Les prochains jours vont être chargés. Le nombre et la diversité des mobilisations partout en France entrevoir une inversion du rapport de force amorcé par Emmanuel Macron : reste à savoir qui cédera le premier.


 


 

« Ils passent en force, 
on utilise la force »

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Depuis l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 de la Constitution pour adopter la réforme des retraites sans vote au Parlement, jeudi dernier, des dizaines d’actions ont eu lieu partout sur le territoire. Des mobilisations plus radicales, que l’intersyndicale ne contient plus.

Des rues du 8e arrondissement parisien jonchées de poubelles enflammées. La rocade rennaise bloquée par des barricades en feu. La place de la République lilloise noyée sous les gaz lacrymogènes face à des manifestants refusant une nasse. Des routes bloquées à Aubenas, Lorient ou Quimperlé.

La liste pourrait encore s’allonger. Depuis jeudi après-midi et l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 pour adopter la réforme des retraites sans vote à l’Assemblée nationale, la mobilisation sociale s’est radicalisée. « Ils passent en force, on utilise la force », confie Malik*, le visage à moitié masqué sur la place de la Concorde.

Dans la soirée, plusieurs manifestations sauvages brûleront poubelles et voitures dans les rues de ce cossu quartier parisien. Le tout émaillé d’images de répression policière. Des scènes rappelant, vivement, celles des premières mobilisations des gilets jaunes.

Les limites de la stratégie du « calme »

Or, outre la violence et la répression, un point commun saute aux yeux lorsqu’on regarde le mouvement de la fin d’automne 2018 et ces mobilisations spontanées qui émergent partout sur le territoire : elles ne sont pas à l’initiative d’organisations syndicales.

Pourtant, depuis le départ, et au contraire des gilets jaunes, la contestation contre la réforme des retraites est marquée par une union syndicale forte, et inédite – une première depuis treize ans. Mais après huit journées de mobilisations historiques avec des affluences record dans la rue, la stratégie du calme semble avoir atteint ses limites dans l’esprit de nombreux contestataires.

« Il faut y aller plus dur, y a que ça qui les fait bouger », assure Sami, commercial dans le privé, venu en soutien aux éboueurs sur un piquet de grève. « Cela fait des semaines qu’on a mis en garde le président de la République sur la colère sociale qui monte, souligne Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT. Avec ce 49.3, elle est aujourd’hui au maximum. Cette explosion sociale, ce sont eux qui en sont responsables ».

Il faut y aller plus dur, y a que ça qui les fait bouger.

« Responsables », car ce n’est pas faute, du côté des organisations professionnelles, d’avoir tout tenté pour se faire entendre. Mais ni les millions de personnes dans la rue, ni le million de signatures de la pétition intersyndicale, ni les grèves, ni le courrier qui lui a été adressé n’ont fait bouger d’une oreille un Emmanuel Macron sourd à leur égard.

« C’est insensé que l’exécutif s’entête jusqu’au 49.3 pour faire passer sa réforme coûte que coûte. Quelle folie ! », s’exclame Marylise Léon, secrétaire nationale adjointe de la CFDT. C’est aujourd’hui cette intransigeance qui pousse de nombreuses personnes à radicaliser leurs moyens d’action. « La colère, après tout ce qui vient de se passer, est compréhensible. Cela fait aussi partie de notre boulot de la contenir. Mais on ne répondra pas à toutes les envies d’en découdre », prévenait, dès jeudi soir, la cédétiste.

Une question se pose cependant. Si tout le monde s’accorde à dire qu’Emmanuel Macron est responsable de cette « explosion sociale », l’intersyndicale y a-t-elle pleinement répondu ? Jeudi soir, à la suite du recours au 49.3, les syndicats ont publié un communiqué très sobre, appelant simplement à poursuivre la mobilisation au travers d’actions « calmes et déterminées ».

« Calme », un mot qui n’avait, depuis le début du mouvement social, jamais été utilisé dans les communiqués intersyndicaux. Encore une semaine avant, c’est dans ce type de communication que les syndicats menaçaient d’une « situation explosive ».

L’exécutif devant ses responsabilités

Un revirement mûrement réfléchi. Après le passage en force du gouvernement, les organisations syndicales veulent jouer à fond la carte de la respectabilité. « Ce qu’on voit désormais, c’est que la démocratie, c’est nous », clament Catherine Perret et Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’Unsa. « Nous, on avance tranquillement face à un gouvernement qui fait n’importe quoi. C’est ça la réalité aujourd’hui », abonde Simon Duteil, codélégué général de Solidaires.

Ainsi, plutôt que de répondre à l’urgente colère qui germait dans les esprits de nombreux manifestants, la prochaine date de mobilisation interprofessionnelle a été fixée au jeudi 23 mars, soit une semaine après l’utilisation du 49.3. Une date relativement éloignée que certains militants critiquent.

« Il faut arrêter de manifester une fois par semaine et ensuite rentrer chez soi. Il faut mettre en place des grèves plus dures, plus longues », assène le militant de Révolution permanente Anasse Kazib devant des centaines de personnes amassées place de la Concorde, jeudi.

Il faut arrêter de manifester une fois par semaine et ensuite rentrer chez soi.

Pour de nombreux protagonistes, la présence de la CFDT dans l’intersyndicale empêche tout durcissement du mouvement, surtout après un 7 mars où les taux de grévistes n’ont pas été à la hauteur des espérances. « Faire grève un jour puis retourner au travail, ça ne sert à rien », poursuit Anasse Kazib.

« Je ne trouve pas que les syndicats plus modérés imposent une ligne trop tendre au mouvement », réfute Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « La grève, ça ne se construit pas en appuyant sur un bouton. À la CGT, nous continuons d’appeler à massifier les grèves reconductibles », rappelle Catherine Perret.

En choisissant la date du jeudi 23 mars, les leaders syndicaux se doutaient bien que des mobilisations spontanées verraient le jour entre-temps.  D’une certaine manière, ce choix les dédouane des actions plus radicales et violentes qui ont eu lieu ces derniers jours. C’est aussi une façon de placer l’exécutif devant ses responsabilités. Lui, et lui seul, est responsable de cette explosion sociale.

Malgré tout, si l’intersyndicale est restée mesurée, le caractère antidémocratique du recours au 49.3 a heurté bon nombre de personnes. Depuis, de nombreux secteurs ont appelé à poursuivre et à durcir les mouvements de grève. Du fait de la mobilisation dans les raffineries par exemple, de plus en plus de stations-service commencent à manquer de carburant.

« On est dans une séquence où on peut encore imposer un rapport de force. Donc on le dit clairement, c’est vraiment là qu’il faut agir, c’est vraiment jeudi qu’il faut se mettre en grève », conclut Benoît Teste. À voir si, ce jeudi, les organisations syndicales réussiront à ne pas se faire déborder dans les rues par une colère trop bouillonnante pour qu’elles arrivent à la contenir.

  publié le 21 mars 2023

Après le 49.3, la Nupes peut-elle convertir la colère en adhésion ?

Jonathan Trullard  sur www.politis.fr

Le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites a donné du carburant à la contestation sociale. Galvanisée par l’aveu de faiblesse du camp présidentiel, la coalition de gauche se tient prête à tous les scénarios dans les semaines à venir.

« Le 49.3 a changé la donne. » Sandrine Rousseau est sûre d’elle, dimanche 19 mars, et nous suggère d’attendre les premiers sondages post-49.3 pour nous en rendre compte : « Les macronistes vont s’effondrer s’il y a dissolution, reste à savoir où les voix partiront. » Mais la députée EELV est confiante au vu de la « très bonne réception » faite à la Nupes dans les cortèges. « Cette mobilisation est inédite, son caractère joyeux marque l’envie d’un autre projet de société, une envie de gauche. »

Hier, 20 mars, la motion de censure transpartisane est rejetée au Palais-Bourbon, la dissolution est écartée, mais celle-ci reste possible dans les semaines à venir, au regard de l’immobilisme parlementaire qui s’annonce. Dans ce cas, « la Nupes serait prête et unie », assure l’écologiste, qui balaie toutefois les questions d’incarnation pour Matignon. Qui serait proposé Premier ministre ? « On verra… »

Le politiste Bruno Palier douche l’optimisme de l’élue de Paris. Dans une note rédigée pour le think tank Terra Nova, il juge « probable que les conséquences politiques de cette réforme favorisent plus le RN que la gauche ». De la « prophétie autoréalisatrice », évacue Antoine Léaument.

Pour le député LFI, la Nupes a incarné la colère sociale comme aucune autre formation. Bruno Palier parle, lui, de « lucidité » à avoir sur une dynamique qui « tourne toute seule » chez les petites classes moyennes, ces personnes « juste au-dessus » impactées par la réforme et qui représentent un réservoir de votes pour l’extrême droite.

Il ne faut pas croire que tous les opposants à cette réforme sont de gauche.

Si idéologiquement « l’agenda est favorable à la Nupes », le spécialiste de la gauche politique Rémi Lefebvre souligne « l’effet bulle » que peut provoquer la rue. « Il ne faut pas croire que tous les opposants à cette réforme sont de gauche », explicite-t-il. Attention à « l’illusion d’optique », ajoute le politiste Vincent Martigny.

Course contre la montre

La gauche serait-elle toutefois « prête et unie », comme l’affirme Sandrine Rousseau ? « Dire que la Nupes est unie, c’est se moquer du monde, continue Bruno Palier, le RN est un parti unique avec un leader incontesté, on ne peut pas en dire autant à gauche. » Interrogée sur ce sujet, Clémentine Autain concède « des réflexes de singularisation » au sein de la Nupes, et admet une « course contre la montre accélérée avec l’extrême droite ».

Pour la députée LFI de la Seine-Saint-Denis, « le vent est toutefois dans les voiles de la gauche », reste donc à « transformer cette colère en adhésion ». Bruno Palier détaille l’enjeu essentiel pour le faire : « Aborder directement les conditions de travail dégradées des employés, et non plus seulement parler macro en pointant les 1 % les plus riches ». Car c’est bien la souffrance au travail qui alimente, selon le chercheur, « le ressentiment social nourrissant le vote populiste de droite radicale ».

Julien Bayou, lui, se focalise sur le présent, et le présent, pour lui, c’est cette arme pour bloquer la réforme : le référendum d’initiative partagée (RIP). « Ça remettrait du participatif face à l’entêtement de Jupiter. » Le député écologiste est convaincu que cette « arnaque » laissera des traces. Il prévoit un travail à mener au sein de la Nupes pour « devenir une plateforme de conquête du pouvoir », parlant d’une « mutation » à engager, quitte à prendre « un nouveau nom ». Un discours que ne comprend pas Antoine Léaument : « La Nupes a toujours été un outil de conquête du pouvoir… »

Le député insoumis se félicite en tout cas du travail effectué à l’Assemblée : « Les gens ont compris que c’est grâce à nous que le texte n’a aucune légitimité parlementaire. » L’élu de l’Essonne fait allusion à la stratégie du bruit et de la fureur choisie par son groupe au Palais-Bourbon, une tactique d’agit-prop que questionne le politologue Vincent Martigny : « Ils n’en sortent pas forcément grandis… d’autant que ce mouvement social est un mouvement contre quelque chose, et non pas pour. »

Rémi Lefebvre tacle, lui, l’exercice parlementaire de la Nupes : « Ils n’ont pas beaucoup travaillé depuis juin dernier, bien trop préoccupés par eux-mêmes. La Nupes devrait passer à la vitesse supérieure car elle ne peut pas rester une simple alliance électorale. »

Mélenchon toujours là

Pendant ce temps, le leader de La France insoumise, toujours « en retrait mais pas en retraite », reste omniprésent. Jean-Luc Mélenchon est même apparu jeudi dernier à la tribune des invités de l’hémicycle, spectateur de la bronca des insoumis lors du discours d’Élisabeth Borne.

En cas de dissolution, il serait le candidat « évident » à la primature, selon Antoine Léaument, « je ne vois pas qui d’autre serait prêt comme lui, et on ne va de toute façon pas se livrer à une bataille intestine si une campagne de quarante jours s’annonce ». Un argument qui ne convaint pas Rémi Lefebvre : « Mélenchon n’aurait pas l’effet d’entraînement de la présidentielle et serait beaucoup plus contesté. » La situation ne serait donc pas si rose pour la Nupes en cas de législatives anticipées. « Je crains qu’ils ne soient pas en ordre de bataille », conclut le politiste.

En attendant, le combat s’amplifie contre la réforme des retraites. À la possibilité d’un RIP s’ajoute celle d’une censure du texte par le Conseil constitutionnel. La pratique macronienne du pouvoir est pointée du doigt, « elle n’est qu’autoritarisme », résume Sandrine Rousseau.

Peur de quoi ? Ce moment est incroyable ! Les gens reprennent leur vie en main !

« Le président a perdu toute légitimité », continue l’écologiste, qui prédit « une crise permanente » pour la suite du quinquennat. Reste enfin la pression de la rue, cette « censure populaire » dixit Mélenchon, même si le retrait d’une loi déjà promulguée n’a qu’un seul précédent dans l’histoire : celui du contrat première embauche en 2006.

Face à la violence larvée des dernières manifestations, le désordre pourrait toutefois faire vaciller le gouvernement. Un climat potentiellement dangereux, qui fait craindre à Laurent Berger une « catastrophe », mais ne fait pas peur à Sandrine Rousseau : « Peur de quoi ? Ce moment est incroyable ! Les gens reprennent leur vie en main ! »

publié le 20 mars 2023

Des vallées alpines aux facs du Nord, des luttes ravivées

Cyprien Boganda, Samuel Eyene, Joseph Korda et Guillaume Pavis sur www.humanite.fr

Depuis l’utilisation par l’exécutif du 49.3, le 16 mars, la mobilisation sociale contre la réforme des retraites est entrée dans une nouvelle phase d’actions mêlant mouvements de grève et manifestations locales, parfois violemment réprimées. Retour sur trois jours à nul autre pareils.

Instantanément, l’article 49.3 dégainé a produit son effet. Jeudi, en fin d’après-midi, des manifestations spontanées ont surgi de Rennes à Bordeaux, de Dijon à Marseille et jusqu’à la place parisienne de la Concorde. Une éruption de colère, parfois violente, qui ne s’est pas démentie les jours d’après, alors que l’intersyndicale a appelé à des actions locales, avant une nouvelle journée nationale de mobilisation jeudi.

Vendredi, Paris, 7 h 30. Le périphérique à l’arrêt

Un homme sort de son sac une chasuble rouge de la CGT. Un autre se pare du vêtement rose de Solidaires. Une centaine de personnes effectuent le même mouvement. Une fumée rouge enveloppe l’air, signe du craquement d’un fumigène.

« La CGT, l’union départementale Paris, l’interprofessionnelle et des syndicats autonomes ont décidé de bloquer le périphérique à trois endroits différents, dont la porte de Clignancourt, dévoile Cédric Liechti, secrétaire général CGT énergie Paris. C’est notre réaction au coup de force réalisé jeudi par le gouvernement. »

Cinq minutes plus tard, les militants et grévistes déboulent sur la voie intérieure à pied, banderoles dépliées, chants entonnés. Malgré l’agacement des quelques conducteurs immobilisés, l’opération s’effectue sans violence et dans la joie.

Des automobilistes en sens contraire klaxonnent en guise de soutien. « Je suis contente d’être mobilisée aux côtés de tout ce monde présent », se réjouit Florine, professeure en collège, qui appelle à « multiplier les actions sauvages ».

Une heure et demie plus tard, le cortège, arrivé à la porte de la Chapelle, se disperse. « La rue va reprendre ses droits », promet Cédric Liechti pour les prochains jours.

Vendredi, Saint-Georges-de-Commiers (Isère), 11 heures. Que la troisième semaine de lutte commence

Le barbecue commence à fumer. Voilà de quoi accueillir la cinquantaine de personnes venues partager un moment revendicatif à la centrale hydroélectrique de Saint-Georges-de-Commiers. C’est la plus proche de Grenoble parmi les huit sites isérois à être occupés par les énergéticiens encore ce week-end. « Il y a des grévistes d’Enedis, de RTE, des gaziers, des cheminots, des profs », énumère Jordan, technicien d’exploitation. « C’est la deuxième fois qu’on se réunit sur le piquet, ces grèves ont vraiment soudé tout le monde », se réjouit Nicolas Peix.

Pour cet autre technicien et représentant syndical Force ouvrière, « ça nous permet de faire le point après le 49.3, qui nous a vraiment énervés et remotivés. On a discuté d’actions à mener la semaine prochaine et de comment durcir le mouvement ».

Une fois le repas terminé, les salariés votent la reconduction à main levée : à l’unanimité, la grève se poursuivra au moins jusqu’au jeudi 23 mars. « On va entrer dans notre troisième semaine de lutte », explique Nicolas.

Dans l’après-midi, les salariés reçoivent la visite de Marie-Noëlle Battistel, la députée socialiste de la 4e circonscription de l’Isère. « Avec elle, on a fait un point sur la semaine à venir, entre les motions de censure et le référendum d’initiative partagée (RIP) », égrène Nicolas Peix.

Vendredi, Rennes (Ille-et-Vilaine), 14 heures. Opération « ville morte » votée pour lundi

Ils auraient pu inscrire « pagaille » ou « désordre ». C’est « le zbeul tous les soirs » qui fait l’unanimité comme maître mot de l’assemblée générale organisée à l’université Rennes-II, après une manifestation pacifique qui a réuni 5 000 personnes dans la matinée, dont une foule de jeunes galvanisée.

Devant le bâtiment universitaire, entre deux votes à main levée, on fait le point en fumant quelques cigarettes roulées. Les murs sont tagués de nombreux slogans revendicatifs accumulés semaine après semaine. « Il suffira d’une étincelle », peut-on lire sur l’un d’entre eux. Une bande d’amis s’amusent à jouer au black bloc avec des parapluies et projectiles fictifs. Le chat et la souris version militant radical et policier.

À l’intérieur, on essaie de se projeter vers les jours à venir. Manifestations, barrages, blocages ? Tout à la fois ? On se demande s’il ne serait pas temps d’obtenir cette fameuse « prime à la violence » évoquée par Laurent Berger. Finalement, l’assemblée générale décide l’organisation d’une journée «  ville morte » lundi 20 mars

C’est qu’après la nuit de violences de jeudi 16 mars, d’une rare intensité (quelques blessés, des magasins saccagés, du mobilier urbain détruit), l’ambiance est encore électrique. Au petit matin, les commerçants ont ramassé ce qu’il reste de leurs vitrines.

Les devantures du centre-ville sont barricadées par crainte que le 49.3 dégainé par Élisabeth Borne n’embrase à nouveau la capitale bretonne. Mais le calme est de rigueur, finalement, ce vendredi soir, dans le cœur de Rennes, où une armada de CRS est déployée. Après une poussée de fièvre, la mobilisation marque une pause. On se replie pour mieux préparer la suite.

Vendredi, Lille (nord), 22 h 30. L’espoir de convergence face à la répression

S’il fallait un mètre étalon pour mesurer la colère des Lillois à l’annonce du passage en force du gouvernement pour faire adopter sans vote son projet de réforme des retraites, la place de la République en fournirait un efficace.

Le 16 mars au soir, l’esplanade dédiée à l’accueil des manifestations unitaires les jours de mouvement national est longtemps restée occupée par des militants de tout bord. Parmi eux, quelques dizaines de jeunes et d’étudiants.

Le lendemain matin, le gros de ces forces est déjà présent sur le campus de Lille-III. « On avait occupé le campus dès mercredi, explique Louis, étudiant en sociologie et histoire et adhérent de la Fédération syndicale étudiante (FSE). Pour contrarier le mouvement, la direction de l’université avait décidé de passer les cours en distanciel. Point que nous avons dénoncé. »

À 11 heures, en assemblée générale interprofessionnelle, étudiants et salariés ont voté le principe d’une grève reconductible pour ce début de semaine. Le soir même, plusieurs centaines de personnes organisent des manifestations spontanées réprimées par la police avec une violence peu habituelle dans la capitale des Hauts-de-France. Le rond-point précédant la porte des Postes est le théâtre de heurts importants. Le rassemblement s’achève vers 22 h 30 avec un appel à intensifier le mouvement.

« Nous déplorons plusieurs blessés, dont certains ont dû passer par les urgences », témoigne un étudiant entre deux nuages de gaz lacrymogènes. « La logique est d’occuper les mêmes lieux, chaque jour à la même heure, mais ce n’est pour autant pas la même qu’au moment des gilets jaunes », prévient Louis.

Ici, les étudiants comptent sur une convergence dans la durée, permettant aussi de porter les revendications propres au milieu universitaire, comme la question de la sélection ou des moyens alloués aux facultés. « Ce qui se passe est incroyable, franchement. Si on ne bouge pas, au-delà des retraites, c’est l’extrême droite qui va gagner », prévient Élise, étudiante en histoire. Qui s’inquiète : « J’espère que le mépris du gouvernement et les violences policières ne décourageront pas les grévistes. »

Samedi, centrale de Grand-Maison (Isère), 15 heures. La grève de vallée en vallée

« Si la motion pour le référendum d’initiative partagée (RIP) passe, on lève le piquet dès le lendemain », assure Valentin Dombey. Chaque jour sur les routes pour soutenir les grévistes des nombreux barrages hydroélectriques en débrayage, le délégué syndical CGT d’EDF Hydro Alpes se trouve ce samedi 18 mars à la centrale de Grand-Maison.

En cet après-midi, le piquet de la plus importante installation de ce type en France est tenu par une dizaine de salariés. « Depuis le début de la grève le 6 mars dernier, j’ai passé dix nuits ici. C’est devenu une ZAD », s’amuse Léa, mécanicienne de 26 ans, tout en remplissant d’eau une cuve dans laquelle elle a installé des bancs.

« On se fabrique un Jacuzzi », sourit-elle. Avant de redevenir plus grave : « On ira jusqu’au bout. Je vais taper dans mon épargne, faire attention aux dépenses. Mais mieux vaut se priver que de tirer quatre ans de plus », explique-t-elle en référence à la destruction du régime des industries électriques et gazières prévue par le projet de loi gouvernemental.

Samedi, Paris, 18 heures. Une manifestation au secours de la démocratie

« Au point où on en est, ce n’est même plus vraiment la retraite que je défends, c’est la démocratie. » Erick, directeur de MJC (maison des jeunes et de la culture) parisienne, a de la colère à revendre et un certain sens de la formule. Il n’a pas hésité longtemps avant de se rendre place d’Italie pour participer à cette manifestation organisée par la CGT où se pressent plusieurs milliers de personnes.

« Quand Élisabeth Borne est redescendue de la tribune de l’Assemblée nationale avec le sourire après avoir annoncé le 49.3, nous avons basculé dans autre chose, poursuit le quinquagénaire, accoudé à la balustrade de l’entrée du métro. Nous sommes toujours en République, certes, mais plus en démocratie. »

À croire que la brutalité politique déployée par l’exécutif a cristallisé une colère qui dépasse la seule opposition à la réforme des retraites. Chez les manifestants, c’est un ras-le-bol généralisé qui s’exprime. Ainsi qu’une réelle volonté d’en découdre.

Des incidents se produisent d’ailleurs dans les avenues adjacentes à la place d’Italie lorsque des manifestants tentent de rejoindre le site d’incinération d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), où les éboueurs sont en grève.

La police revendiquera 110 interpellations. « Le passage en force n’est pas acceptable », cingle Valérie, militante FSU et prof de SVT au lycée Jules-Ferry, qui se prend à rêver à un scénario façon CPE en 2006.

Dimanche, Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), 16 heures. Vannes fermées au terminal méthanier

Les installations sont à l’arrêt depuis le 6 mars. En temps normal, le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique) accueille des navires chargés en gaz naturel liquéfié (GNL), qui est ensuite transformé à l’état gazeux sur le site, odorisé, puis envoyé sur les réseaux. Mais pas en ce moment. Les grévistes ont arrêté les pompes, les moteurs, et rien ne sort des tuyaux.

Lorsqu’on appelle Julien Guillaud, délégué syndical Elengy (filiale d’Engie), il se trouve dans la salle de contrôle. « Les grévistes se relaient sur le site pour le maintenir en sécurité, explique-t-il. Nous avons trois cuves de 120 000 mètres cubes de GNL, un liquide incolore et inodore. Autant dire qu’il ne faut pas qu’il y ait de fuite. »

Le taux de grévistes – autour de 80 % en moyenne – donne une indication quant au niveau de détermination. « L’utilisation du 49.3 ne fait que nous conforter dans notre action, assure le syndicaliste. Nous avons été parmi les premiers à entrer dans la lutte, ce n’est pas le moment de lâcher. » La suite sera décidée en assemblée générale, ce mardi.


 


 

La mobilisation décolle dans de nombreux secteurs

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Raffinerie, électricité, gaz, déchets ménagers, le ton monte depuis le passage en force du gouvernement, en vue de la journée d’action nationale de jeudi 23 mars à l’appel de l’intersyndicale.

Après un week-end riche en manifestations à travers le pays, la pression monte pour le gouvernement avant la journée d’action interprofessionnelle du 23 mars. Alors que le début de semaine s’annonce décisif avec le vote des motions de censure à l’Assemblée nationale pour barrer la route à la réforme des retraites, les différents secteurs économiques haussent le ton.

Dans les raffineries, plus rien ne sort

Dans les raffineries, les robinets commencent à se fermer. Depuis le 17 mars au soir, l’arrêt des installations du site de TotalEnergies en Normandie, le plus important du pays, basé à Gonfreville-L’Orcher (Seine-Maritime), est acté et devrait se poursuivre jusqu’à lundi soir. Selon Éric Sellini, coordonnateur CGT du groupe TotalEnergies, « plus rien ne sort » du site.

Les expéditions sont aussi stoppées à la raffinerie Pétroineos à Lavéra (Bouches-du-Rhône), qui serait mise à l’arrêt dès demain. Alors que la grève se poursuit au dépôt pétrolier du Havre (tout comme à celui de Fos-sur-Mer), la raffinerie Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime) ­devrait cesser l’activité le 21 ou 22 mars, faute de matière première.

« Ça fait quinze jours que les ­expéditions sont ralenties partout. Depuis le 7 mars, on travaille à mener un bras de fer plus important : ce ne sont pas des jours de grève par-ci par-là qui allaient faire plier le gouvernement, poursuit Éric Sellini. On voit les premiers effets : 70 stations-service étaient en rupture totale de stock jeudi 16 mars, elles sont 300 aujourd’hui et 400 sont en rupture partielle, c’est plus marqué dans les grandes agglomérations et le sud de la France. » Pour l’instant, les menaces de réquisitions brandies par le gouvernement n’ont été mises en application nulle part.

À la centrale nucléaire du Blayais, des barrages filtrants 24 heures sur 24

Réunis vendredi 17 mars, les syndicats CGT de l’énergie ont décidé quant à eux de « renforcer partout » le mouvement cette semaine et d’appeler à « la ­reconduction de la grève et à la perturbation maximale du travail », selon Fabrice Coudour, secrétaire fédéral de la CGT énergie.

À la centrale nucléaire du Blayais, en Gironde, les barrages filtrants à l’entrée sont désormais en place 24 heures sur 24. Ce week-end, la production a baissé de 75 mégawattheures et deux arrêts de tranches ont eu lieu. Les équipes grévistes se relaient pour dormir sur le piquet et occuper l’entrée.

On ne bougera pas tant que la réforme ne sera pas retirée. Ça permet de canaliser certains agents qui voudraient recourir à des moyens plus extrêmes tellement ils sont en colère ». Olivier Delbos, secrétaire CGT de la centrale nucléaire du Blayais

Pour le secrétaire de la CGT du site, Olivier Delbos, « c’est du jamais-vu depuis 2005. Quand le gouvernement a commencé à devenir plus agressif, on a changé notre façon de faire à la demande du personnel. On ne bougera pas tant que la réforme ne sera pas retirée. Ça permet de canaliser certains agents qui voudraient recourir à des moyens plus extrêmes tellement ils sont en colère ».

Partout, comme le précise Sébastien Menesplier, secrétaire général de la CGT mines-énergie, « les baisses de production continuent dans le thermique, l’hydraulique et le nucléaire. Les actions “Robin des bois” de gratuité d’électricité aussi. D’autres centrales ont mis en place des barrages filtrants comme celles de Tricastin ou de Penly. Les trois terminaux gaziers d’Elengy, filiale d’Engie, sont à l’arrêt depuis le 7 mars, les stocks baissent. L’impact commence à se faire sentir ». Le mouvement s’est durci également sur les onze sites de stockage souterrain de gaz Storengy, dont le plus important, à Chémery (Loir-et-Cher), a été mis à l’arrêt.

Les éboueurs ont reconduit jusqu'au 21 mars

Du côté des incinérateurs de déchets ménagers, la mobilisation tient bon. Sur les trois sites franciliens d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), les grévistes ont mis en place des barrages filtrants pour laisser passer quelques camions de collecte des ordures. En assemblée générale vendredi 17 mars, ils ont « reconduit l’action jusqu’à mardi inclus, avec un filtrage des camions à Issy-les-Moulineaux samedi et dimanche, puis à Saint-Ouen lundi et mardi », a déclaré Fatiha Lahrech, déléguée syndicale CGT à Issy-les-Moulineaux.

Si vendredi, la police est venue déloger les salariés du site d’Ivry-sur-Seine, selon la CGT, 95 % d’entre eux restent en grève et son accès est toujours bloqué. Quant aux quatre syndicats représentatifs de la SNCF (CGT, Unsa, SUD, CFDT), ils ont appelé à maintenir la grève reconductible entamée le 7 mars.

  publié le 20 mars 2023

Frapper, cogner, frapper encore : voyage au cœur de la violence policière après le 49.3

Maxime Sirvins  sur www.politis.fr

Après plusieurs jours de mobilisations contre la reforme des retraites et l’utilisation du 49.3, la répression policière bat son plein entre charges, coups et interpellations abusives. Récit, au coeur des nasses.

L’ambiance est pesante en cette fin de rassemblement, vendredi 17 mars, sur la place de la Concorde à Paris. Une mobilisation qui était spontanée, pour protester contre le recours à l’article 49.3 de la Constitution, par un gouvernement entêté à réformer les retraites contre l’avis des Français.

Après un long moment de face à face entre forces de l’ordre et manifestants, les dernières personnes sont finalement nassées dans un coin de la place. La seule sortie possible se fait par le métro. Alors que des centaines de manifestants s’impatientent pour descendre les escaliers étroits, la police et la gendarmerie font des dizaines de percées dans la foule pour interpeller à tour de bras.

Le silence, des hurlements, le silence, des hurlements. Cette cueillette périlleuse va durer de trop longues minutes. D’un côté, les policiers foncent dans le tas, souvent violemment en attrapant des manifestants par la gorge ou les cheveux. De l’autre, dans le regard de certains gendarmes, parmi les plus jeunes, on peut voir de l’incompréhension, du doute et de la peur comme s’ils se demandaient : « Qu’est-ce qu’on fout, là ? Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? » 

Ne vous débattez pas, sinon ça sera encore pire.

Pour certains journalistes présents, c’est avec la boule au ventre que la scène est documentée. Face à cet instant qui paraît durer des heures, les regards se croisent et des mots s’échangent entre collègues. « C’est punitif. C’est angoissant. » Pendant que, chez les forces de l’ordre, certains parlent de « faire du chiffre et de bien compter tout le monde », les membres de la presse tentent de calmer les gens. « Ne vous débattez pas, sinon ça sera encore pire », lance un photographe, impuissant.

Du côté de la nasse, même son de cloche. Des journalistes et des badauds coincés invitent les gens à rentrer au plus vite dans le métro. Au même moment, une journaliste du Média est interpellée violemment, sans raison. Ce soir-là, pour la préfecture de police de Paris, il faut éviter de reproduire les erreurs de la veille. 

Ce jeudi 16 mars, en effet, lors du premier rassemblement sur la même place, il n’y a pas de nasse mais une sortie possible par une petite rue. Après des heures tendues, des centaines de manifestants en profitent pour se lancer dans des manifestations sauvages aux milieux des grands boulevards haussmanniens.

« On est en sous-effectif ! On a besoin de renfort ! »

Les BRAV-M (brigades de répression des actions violentes motorisées) tentent de rattraper les groupes qui brûlent des poubelles – bien remplies – sur les routes. Un policier dit à sa radio : « On est en sous-effectif pour les gérer ! On a besoin de renfort ! ». S’il y a bien eu faille dans le dispositif du maintien de l’ordre ce soir-là, 292 personnes sont interpellées de manière très aléatoire. Et souvent injustifiée : parmi elles, neuf seulement sont finalement déférées, soit à peine 3 %.

Les policiers n’hésitent pas à frapper. Ils courent, matraque à la main. Une jeune femme se fait attraper et frapper au bassin avant d’être relâchée. Pourquoi molester une personne sans volonté d’interpellation ? Pour intimider ? Ne pas l’y reprendre ? La dissuader de revenir les soirs suivants ? Quelques minutes plus tard, je reçois moi-même un coup à la hanche et un confrère est violemment frappé à la tête. Complètement sonné pendant plusieurs minutes, nous remercions toutes et tous son casque. Les policiers frappent sans raison.

Samedi 18 mars, une manifestation part de la place d’Italie. Des poubelles brûlent et des BRAV-M arrivent épaulés par des BRAV, des CRS, des gendarmes et un camion à eau. Dans les petites rues, de nuit, des gens se font charger, frapper puis sont laissés au sol. D’autres sont interpellés, dont un homme, statique, qui se fait aplatir au sol, la tête la première, après qu’un BRAV-M lui a sauté dessus à coup de bouclier.

Le même soir, une femme se prend un coup de poing dans le nez et finit en sang, des journalistes se font frapper et voient leurs matériels brisés. Un touriste qui a le malheur de passer là prend lui-aussi des coups de matraques en essayant de sortir d’une nasse. 

Chaos et résignation

Dans ladite nasse justement, le chaos règne. Une seule sortie possible : le métro. Mais il est fermé. Les CRS sont perdus. Un coup, la nasse se fait déplacer sur 200 mètres à droite vers une station fermée pendant qu’un CRS, clope au bec, avoue « ne rien comprendre à ce qu’il se passe. »

Un autre coup, on nous envoie toutes et tous vers une autre direction, sans réelle destination. Au bout de plusieurs minutes, les gens peuvent ressortir en forçant un peu et retourner sur la route que les forces de l’ordre venaient de sécuriser. C’est à n’y rien comprendre. 

Ils sont fichés maintenant, voilà.

Le lendemain, 19 mars : autre jour, autre nasse. Cette fois-ci, c’est dans le centre de Paris, à Châtelet-les-Halles, que les opposants à la réforme sont coincés pendant plus de trois heures. Au milieu de la foule, un homme demande à un policier : « Comment se fait-il que 96 % des personnes interpellées jeudi soir aient été relâchées sans la moindre poursuite ? » La réponse de l’agent est directe et révélatrice de la répression actuelle. « Ils sont fichés maintenant, voilà. » Ce soir-là, encore une fois, de nombreuses personnes seront interpellées. 

Après ces journées de mobilisation, la fatigue se fait ressentir. Des violences qui laissent des traces. On ne s’habitue jamais, même après des années de mobilisations sociales, synonymes de répression policière. Entre collègues, entre ami.es, nous allons boire un verre ou deux, pour parler, échanger, se rassurer. Dans ces sas de décompression, les mêmes questions : à quoi beau photographier, filmer, documenter ? Un  sentiment d’impuissance se dégage. Et de résignation parfois.

Alors que de nombreuses autres mobilisations sont prévues dans la semaine, tous les regards sont dirigés vers l’action répressive de certains agents et unités, qui ne fait que nourrir la colère d’un peuple. Un peuple qui semble plus déterminé que jamais. Là est le dangereux pari choisi par Emmanuel Macron. 


 


 

Manifestations. « Ils ne cherchent pas à sécuriser, mais à réprimer et punir » 

Embarek Foufa sur www.humanite.fr

Après le passage en force du gouvernement avec le 49.3, des manifestations spontanées ont eu lieu tout le week-end en France. La répression est montée d’un cran, comme l’a constaté, et subit, Ema, observatrice indépendante des pratiques policières en manifestation. Témoignage.

Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas et à observer les violences policières ?

Ema : Je n’ai pas commencé avec les manifestations. En premier lieu, je me suis rendue sur les camps des exilés à Stalingrad à Paris dans l’idée de documenter les violences policières. J’ai réalisé la vidéo qui a énormément tournée il y a quelques semaines sur le compte de Utopia 56, où l’on voit des CRS gazer les couvertures des demandeurs d’asiles dans la rue. Cette vidéo démontre une nouvelle fois l’importance des vidéos, en guise de preuve. 

Dans ette même démarche, le 15 mars dernier, vous étiez à Rennes pour suivre la 8e journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Vous avez été confrontée à la police, que s’est-il passé ? 

Ema : Je ne suis pas de Rennes, mais j’avais eu des échos sur des violences policières sur place depuis le début du mouvement. Malheureusement, cela se faisait sans image. Alors, avec AB7 Media (NDLR; un média indépendant) je suis allée sur place pour filmer et documenter au cas où.

Pour observer, je me suis tenue à distance raisonnable du cortège, équipée de lunettes et d’un masque pour me protéger. Je n’étais pas du tout habillée en noir. À un moment de la manifestation, des incidents ont éclaté, on avancait au niveau d’un croisement, sans aucune visibilité à cause des gaz lacrymogènes, et des policiers ont bondi sur nous.

Comme on le voit sur la vidéo, un policier m’a mis un coup de matraque dans le genou, m’a tiré les cheveux et retiré mon équipement de protection. Juste après, tout en me demandant de « dégager », il m’a poussée vers le cortège qui était noyé sous les gaz.

J’ai fait un malaise à ce moment-là. Il n’y avait quasimenent plus personne autour de moi, j’ai mis un peu de temps avant de me remettre de mes émotions. 

De retour à Paris ce week-end, vous avez suivi les différentes mobilisations. Comme beaucoup d’observateurs, avez-vous constaté une répression de plus en plus forte ?

Ema : C’était extrêmement intéressant d’observer la similitude entre les deux manifestations place de la Concorde, jeudi 16 et vendredi 17 mars.

Les policiers étaient placés au même endroit et bloquaient les mêmes accès, les manifestants rassemblés exactement au même endroit, avec un incendie aussi similaire. C’était très frappant.

La seule différence, c’était la présence le deuxième jour de la Compagnie d’intervention, avec son commissaire réputé pour sa gestion brutale en maintien de l’ordre et qui s’en est déjà pris à des journalistes.

J’ai été choquée par les arrestations arbitraires, les charges sur des gens immobiles présentant aucun danger. Sur toutes les scènes auxquelles j’ai assisté, la violence n’était jamais nécessaire.

Ils ne cherchent pas à sécuriser; mais à réprimer et punir. Parmi les centaines de personnes interpellées, au final il y a très peu de poursuites. Le pouvoir cherche à faire peur avec une violence physique couplée à des moyens légaux (arrestations, GAV). La suite s’annonce très intense, avec une répression qui rappelle celle que nous avons connue lors des Giles Jaunes. 


 


 

Interventions musclées et arrestations en nombre : le service après-vente du 49.3 façon Darmanin

Stéphane Guérard et Embarek Foufa sur www.humanite.fr

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin assume un tournant répressif dans le suivi du mouvement social, chauffé à blanc par l’utilisation du 49.3.

Le projet de réforme des retraites a un nouveau porte-parole. Depuis jeudi 16 mars et le 49.3, Gérald Darmanin s’est vu confier le service après-vente du texte gouvernemental. Le ministre de l’intérieur a depuis assumé un virage sécuritaire au suivi d’un mouvement social chauffé à blanc par le passage en force de l’adoption sans vote à l’Assemblée.

« L’opposition est légitime, les manifestations sont légitimes, le bordel ou la bordélisation non », a-t-il déclaré le 17 mars sur RTL, soulignant le bilan des interpellations en marge des manifestations de la veille : 310 personnes interpellées, dont 258 rien que pour le rassemblement de la Concorde, à Paris.

Les interventions se doublent d'une violence accrue

Bis repetita samedi soir, avec 169 interpellations, dont 122 dans la capitale. Les forces de sécurité justifient leur célérité par les incidents – feux de poubelle, bris de vitrines et de devantures de permanences de parlementaires – et les affrontements très localisés en marge de protestations à Paris, Amiens et Lille, Dijon, Bordeaux, Rennes, Lille, Lyon ou Strasbourg.

Mais leurs interventions se doublent d’une violence accrue. Ema, observatrice indépendante des pratiques policières en manifestation, l’a remarqué à Paris ce ­week-end : « Les deux rassemblements à la Concorde étaient similaires. La différence, c’était la présence samedi de la compagnie d’intervention avec son commissaire réputé pour sa gestion brutale. J’ai été choquée par les arrestations arbitraires, les charges sur des gens immobiles. On ne cherche pas à sécuriser, mais à réprimer et punir. Parmi les centaines d’interpellés, il y a très peu de poursuites. La suite s’annonce intense… »

Matthieu en témoigne. Samedi soir, après avoir quitté la place de la Concorde pour rentrer chez lui, il se trouve dans le quartier de l’Olympia à proximité d’une cinquantaine de personnes « parties » à la sauvage « mais qui ne représentaient pas de danger. La Brav-M (brigade de répression de l’action violente motorisée) nous a foncé dessus, chargeant tout le monde et interpellant à tour de bras ».

« Les policiers dissuadaient les personnes arrêtées de faire appel à un avocat ou à un médecin  »

Interpellé, le jeune homme a été privé de liberté plus de 20 heures durant, à l’issue desquelles aucune charge n’a été retenue contre lui. « La garde à vue, c’est une maltraitance en soi, souligne-t-il. Mais le plus choquant, c’est que les policiers dissuadaient les personnes arrêtées de faire appel à un avocat ou à un médecin, affirmant qu’ils resteraient plus longtemps. Ce qui est faux. »

Chercheur au CNRS spécialiste de l’usage de la force par la police en France, Fabien Jobard décrypte la nouvelle situation sécuritaire : « Tant que le projet de réforme était au Parlement, il y avait un lieu de discussion. Dès lors que ce lieu n’existe plus, les manifestants qui privilégient les actions plus directes se retrouvent plus nombreux dans les cortèges, plus souvent en première ligne et plus légitimes au regard des autres manifestants. D’autant que dans le même temps, le 49.3 a changé la donne. Depuis 2003, tous les gouvernements avaient fait leur le slogan de Raffarin “la loi ne se fait pas dans la rue mais au Parlement”. Ce n’est plus le cas. C’est le gouvernement qui fait la loi. La vraie radicalisation relève de la perte de confiance dans la démocratie représentative. »

(1) Le prénom a été modifié.

publié le 19 mars 2023

Sur le blocage d’un site pétrolier : « J’aimerais être un révolutionnaire,
mais je ne peux pas »

Antton Rouget sur www.mediapart.fr

Depuis quatre jours, des grévistes contre la réforme des retraites bloquent l’accès d’un important centre de stockage pétrolier, en Loire-Atlantique. Sur place, les manifestants oscillent entre espoir d’un durcissement du mouvement et exaspération face au mutisme du pouvoir.

Quelques volutes de fumée s’échappent encore, ici ou là, de tas de cendres disposés en travers de la route. Mais pas la trace du moindre mouvement à l’horizon, ce samedi 18 mars, dans la zone industrielle de Donges, près de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). La mobilisation s’est-elle déjà éteinte dans ce que l’on présente, à la radio et à la TV, comme un centre névralgique de la contestation contre la réforme des retraites ?

Au bout du bout de la route qui longe la Loire, après le terminal méthanier, et juste derrière le terminal charbonnier, une nouvelle barricade, toujours enflammée celle-là, empêche le passage. Voilà un signe de vie : le début du blocage de la SFDM, un important dépôt pétrolier contrôlé par l’État français, et de la raffinerie Total. Le centre de stockage et l’usine, qui se font face à quelques centaines de mètres du terminal pétrolier, sont non seulement à l’arrêt, mais leur accès est bouché depuis jeudi 16 mars par des manifestants, qui empêchent les camions-citernes de venir s’approvisionner.

Avant de tout bloquer, une centaine de grévistes était parvenue, mercredi soir, à barrer le chemin à un pétrolier de 28 000 tonnes chargé de gasoil, qui n’a pas pu accoster sur le port. Cette action coup de poing a été conduite par des raffineurs et des dockers de la zone industrielle, soutenus par des cheminots et des énergéticiens. Le navire a attendu que le pilote du port habilité à réaliser les manœuvres d’appontement soit dépêché. Il n’est jamais venu. Obligeant donc le bateau à repartir en mer, les cuves pleines.

Ce coup d’éclat a galvanisé les troupes, qui ont décidé en AG d’empêcher la circulation par les voies terrestres également. « Le blocage a été décidé un peu au pied levé », admet Christophe Jouanneau, secrétaire départemental de la CGT Mines-Énergie, venu prêter main-forte à ses collègues de la fédération Chimie. La faute à un concours de circonstances opportun : « La pression est montée mercredi au moment de l’arrivée du pétrolier, qui coïncidait justement avec, dans le calendrier parlementaire, la décision de la CMP [commission mixte paritaire entre députés et sénateurs – ndlr] sur le projet de loi », retrace le syndicaliste, en relevant qu’il « y avait une grosse attente, au sein du syndicat mais aussi dans la population, pour le durcissement du mouvement ». Conséquence : « Dans la nuit, nous étions plusieurs centaines pour tout installer. »

Depuis, sur près de 300 mètres, la route qui mène à l’entrée de la SFDM et de la raffinerie est jonchée de pneus en flamme, de palettes, de troncs d’arbres, grillages, panneaux et autres plots. Deux bouteilles de gaz ont aussi été posées au milieu de la voie. 

Il faut provoquer une pénurie générale d’essence, mettre le bordel partout pour muscler le rapport de force. Aude, 24 ans, mobilisée sur le blocage

Sur le premier barrage filtrant, c’est Yannick, 69 ans, avec son gilet rouge de la CGT, qui tient le rôle de vigile en chef, au milieu d’une équipée hétéroclite d’une dizaine de personnes. Le retraité, ancien salarié sur la zone industrielle, a passé la nuit sous la pluie, ne dormant que quelques heures dans sa voiture. L’ambiance est détendue : grâce à des indiscrétions, les grévistes ont su que les forces de l’ordre, fortement mobilisées à Nantes, n’interviendraient sûrement pas ce week-end pour essayer de les déloger. Yannick partage par ailleurs un autre motif de satisfaction : la diversité du mouvement. « Des gens qui n’ont rien à voir avec la chimie participent au blocage, se réjouit-il. On voit venir des salariés du BTP, des artisans, des jeunes… »

À ses côtés, Maguy, 47 ans, est arrivée le matin depuis La Roche-sur-Yon, à 120 km en voiture. « J’ai été “gilet jaune”, et puis je suis retournée en manifestation contre la réforme des retraites », raconte cette salariée dans le domaine de l’insertion socio-professionnelle. Après avoir vu passer l’annonce du blocage du site de Donges sur les réseaux sociaux, elle n’a pas hésité à venir seule, « même si je ne savais pas ce que j’allais trouver sur place ». « Mon fils est chez son père, je profite d’avoir du temps pour me mobiliser », précise-t-elle également.

Pour Aude, étudiante en formation agricole de 24 ans également présente sur le premier barrage depuis le matin, le choix a été tout aussi limpide : « Il faut provoquer une pénurie générale d’essence, mettre le bordel partout pour muscler le rapport de force, lance la jeune femme, venue depuis la région nantaise avec des proches. Donges, c’est l’endroit où il faut être. »

Le dépôt pétrolier est effectivement un des lieux d’approvisionnement stratégiques en France. D’abord parce que chaque jour, entre 250 et 300 camions viennent y charger l’équivalent de 10 000 m3 de carburant pour fournir les stations-services des centres commerciaux et aires d’autoroute d’une grande partie de la façade ouest du pays.

« Il commence à y avoir des tensions sur les stocks [en station] », croit d’ailleurs savoir un transporteur, venu passer l’après-midi pour soutenir le blocage. Les risques de rupture sont accrus par la situation de la raffinerie Total, dont les stocks sont également rendus indisponibles par le blocage, après deux semaines de fermeture pour un défaut d’alimentation électrique d’origine accidentelle, et l’annonce d’une grève du personnel jusqu’au 24 mars.

En plus de la distribution par camions-citernes, le dépôt pétrolier de Donges – racheté en janvier 2022 par l’État au groupe Bolloré, qui avait sous-investi dans les installations (lire ici notre enquête) – distribue également du carburant par un pipeline tracé, depuis 1956, jusqu’en Moselle, en passant par la région parisienne. L’entreprise en tire d’ailleurs son nom : SFDM pour Société française Donges-Metz.

La compagnie présente une autre particularité, celle de ne reposer que sur très peu de salariés, une vingtaine en tout sur le site de Donges, dont 14 opérateurs. « À chaque mouvement, on compte 100 % de grévistes chez les opérateurs, sauf que la direction appelle des intérimaires en remplacement », déplore Morgan Lemarie, 31 ans, délégué syndical CGT de l’entreprise. « Si on était partis sur une grève reconductible, il n’y aurait eu aucun impact. » À l’inverse du blocage des accès, très efficace.

Ce mode d’action présente par ailleurs l’avantage de contrecarrer – au moins sur une courte durée, jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre pour lever le blocage – le risque de réquisition des salariés, agité ce samedi par le ministre de l’industrie Roland Lescure, une mesure qui a déjà été expérimentée à Donges. « C’était lors de la grève de 2010 [lors de la mobilisation contre la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy] », se souvient un ouvrier gréviste. « Ma femme est venue me réveiller, les gendarmes étaient au portail de la maison. J’ai signé un document : si je n’allais pas au travail, je risquais des poursuites, pas qu’au niveau du travail, mais aussi de la justice. Je n’ai pas eu le choix », rappelle-t-il. 

Après le 49-3, des collègues m’ont dit : “Ça y est, c’est la guerre.” Serge*, ouvrier mobilisé

Passé le premier barrage filtrant, le piquet de grève est principalement tenu, ce samedi, par des grévistes de la centrale thermique EDF de Cordemais, non loin de là. Plusieurs barnums ont été dressés : un grand frigo, des machines à café, et même un écran de télévision autour duquel les manifestants se rassemblent pour regarder les matchs de rugby du Tournoi des Six Nations.

« La centrale est bloquée depuis deux semaines. On tourne sur une moyenne de 90 % de grévistes, il n’y a pas un mégawatt qui sort », se félicite Yoann, syndiqué CGT de 33 ans. Au fil de l’échange, les questions s’empilent : Jusqu’où faut-il engager le rapport de force ? Comment faire céder le gouvernement ? N’est-ce pas déjà trop tard ? « Je ne sais pas si cela aurait changé grand-chose si on était partis plus tôt. Ils n’écoutent rien de toute façon. Cela fait deux semaines que l’on fait des blocages et que le chef de l’État ne nous parle pas. Il faut maintenant bloquer le pays. Je pense que le 49-3 va contribuer au durcissement du mouvement  », tranche le gréviste.

Serge*, la quarantaine, qui travaille sur le site industriel de Donges, a lui vécu comme une humiliation supplémentaire le choix d’Emmanuel Macron de ne pas passer par un vote à l’Assemblée nationale. « Au téléphone, dès que le 49-3 est tombé, des collègues m’ont dit : “Ça y est, c’est la guerre.” » Lui-même hésite sur la conduite à tenir désormais, rêvant d’actions plus dures encore : « Au bout d’un moment, marcher dans le rang dans les rues en manifestation, ça devient trop peu. Mais j’ai une famille, des enfants, je ne peux pas sortir du rang, même si j’en ai très envie. » Avec ses 2 300 par mois, il sait qu’il est « un privilégié », complète-t-il. Avant de lâcher, gagné par l’émotion : « J’aimerais être un révolutionnaire, comme mes collègues qui n’ont rien à perdre, mais moi je ne peux pas. » 

« Les salariés étaient contents de faire le tour de Saint-Nazaire en manif, mais il fallait passer au stade supérieur », reconnaît Morgan Lemarie, le délégué syndical de la SFDM. D’autres actions sont d’ailleurs prévues dès lundi. « Si on ne durcit pas, il n’y aura pas d’évolution », professe-t-il. Mais Morgan Lemarie a aussi à cœur de « garder l’intersyndicale », y compris avec des organisations plus modérées. « Il y a plus de gilets jaunes sur le piquet que de CFDT, c’est certain, mais du point de vue de l’opinion, l’union syndicale, c’est une force du mouvement », ajoute le représentant.

Il faudra aller à la violence réelle pour qu’on soit entendus. Je le regrette. Marie-Pierre, retraitée de l’Éducation nationale

Les doutes, voire l’exaspération face à l’attitude du gouvernement alimentent aussi les discussions lors de la manifestation qui parcourt, samedi matin, les rues de Saint-Nazaire. Le cortège s’est élancé de la gare à 11 h 30, après un appel à la mobilisation diffusé à la dernière minute, la veille au soir, par les sections locales de l’intersyndicale, avant la grande journée nationale du jeudi 23 mars. Il n’y a pas de camion, mais des drapeaux CGT, Solidaires ou CFDT, pas de sono, pas de banderole de tête, et le parcours, qui n’a pas été déclaré en préfecture, est improvisé.

Trois voitures de gendarmes se tiennent à distance. Les quelques centaines de manifestant·es défilent dans une zone commerciale, occupent brièvement un rond-point puis pénètrent à l’intérieur du centre commercial Auchan. « Le plus important, c’est que l’intersyndicale tienne, que le mouvement se poursuive dans l’union. On nous a dit plusieurs fois que cela ne tiendrait pas, mais le 49-3 va encore renforcer l’union syndicale », estime Stéphanie, une Atsem (agente intervenant en école maternelle) de 51 ans encartée à la CGT. 

Mais Thierry, employé d’un grand groupe dans l’électronique, ne partage pas cet enthousiasme. « Je suis surpris qu’il n’y ait pas plus de monde aujourd’hui. Je pensais que le 49-3 allait mobiliser, c’est la phase finale, c’est maintenant que ça se joue », confie ce salarié non syndiqué de 54 ans, qui ne manifestait pas avant de s’engager contre la réforme.

Marie-Pierre, 63 ans, retraitée de l’Éducation nationale habituée du mouvement social, est partagée, se disant à la fois « enthousiaste » face à l’ampleur de la mobilisation depuis janvier, mais également « pessimiste quand [elle] voit[t] la personnalité du président ». Elle a en effet « peur » de l’évolution de la situation, et « d’un recours à la force, encore plus souvent que ce que l’on connaît déjà ».

« À l’époque, se remémore-t-elle, on voyait des gouvernements qui reculaient quand la contestation sociale était forte. Là, on sent un mépris total de la rue, du nombre. Il y a des millions de personnes mais cela ne change rien. » La retraitée ne voit ainsi pas d’autre issue que « d’aller à la violence réelle pour qu’on soit entendus ». « Il ne connaît que la violence, dénonce-t-elle au sujet d’Emmanuel Macron. Je le regrette, car j’ai toujours été pacifiste. »

  publié le 19 mars 2023

Fabien Escalona : « Il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française »

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Docteur en science politique et journaliste chez Mediapart, Fabien Escalona publie un livre sans concession sur l’état de notre démocratie, au moment où Emmanuel Macron veut imposer sa réforme des retraites. Entretien.

L’Humanité : Vous décrivez une « République à bout de souffle » dans votre livre qui vient de paraître (1). Le passage en force du gouvernement avec le 49-3 sur les retraites constitue-t-il une aggravation de la situation ?

Fabien Escalona : Cela nourrit complètement ce que je pointe : un sentiment d’étrangeté et de rejet vis-à-vis de l’exécutif et de la manière dont les institutions fonctionnent. Cette réforme est massivement et profondément combattue par les citoyens, qui sont de plus en plus nombreux à se dire qu’il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française. Le sentiment d’être méprisé s’ajoute à celui d’impasse : le gouvernement a fermé tous les canaux d’amendement, d’alerte, de rappel à l’ordre de l’exécutif par la société et ses représentants.

Il ne considère ni les enquêtes d’opinion, ni les millions de manifestants, ni les syndicats, et passe en force au Parlement. Il laisse l’impression qu’entre l’obéissance et l’émeute, il n’y a aucune voie possible. Depuis les protestations spontanées contre le 49-3, on voit d’ailleurs qu’à la brutalisation symbolique et institutionnelle du corps social, s’ajoutent des violences arbitraires et physiques de l’appareil répressif.

C’est une conception de l’échange politique à la fois pauvre, consternante et dangereuse. Cela nourrit le ressentiment, qui n’est pas une émotion constructive sur le plan politique. Cela peut favoriser le discours d’extrême droite, qui bénéficie déjà largement de la crise démocratique et qui, comme l’abstention, progresse d’élection en élection.

Vous pointez dans votre livre une « crise de régime ». De quelle nature est-elle ?

Fabien Escalona : J’ai hésité à employer ce terme grandiloquent mais il m’est apparu adapté pour décrire cet état d’affaissement de notre vie politique et démocratique, et les dangers que cela nourrit. Il s’agit d’une crise rampante de légitimation, qui se manifeste par la déréliction croissante de la confiance dans les institutions, des compromis sociaux qui fondaient le régime, et de l’horizon de sens donné au pays.

Le régime de la Ve République est devenu obsolète en regard des défis économiques, sociaux et écologiques qui nous attendent. Ni le marché, ni une poignée de décideurs hors-sol ne sont en mesure de nous y préparer. La situation illustre parfaitement ce que le philosophe marxiste Nicos Poulantzas décrivait dès les années 1970 avec le développement de « l’étatisme autoritaire ».

Il y a bien un durcissement des modes de décisions, qui ne permet plus aux éléments populaires de peser aussi fort qu’auparavant dans la machine étatique, elle-même intrinsèquement liée aux conditions d’accumulation du capital. De ce point de vue, la réforme des retraites constitue une forme d’apothéose.

La V e République a connu de nombreuses révisions. L’une d’elles, en 2008, a instauré le Référendum d’initiative partagée (RIP), qui a été déposé par les parlementaires dans le but d’aboutir à un vote des citoyens sur la réforme des retraites. D’une situation de violence antidémocratique peut jaillir en réponse une forme de réappropriation démocratique ? De reconquête de la décision ?

Fabien Escalona : La marche est haute, car le RIP implique de rassembler 4,7 millions de signatures. Mais si ça ne prend pas aujourd’hui, ça ne prendra jamais, car nous avons là une réforme dont tout le monde a entendu parler et qui est massivement impopulaire. Quoi qu’il en soit, je souhaite que cette initiative aille le plus loin possible. L’impératif est de faire respirer la démocratie de ce pays.

Il est d’ailleurs très parlant que pour Nuit debout, pour les Gilets jaunes et pour la réforme des retraites, à chaque fois une question sociale ou fiscale amène à questionner les règles du jeu démocratiques, qui apparaissent viciées. La réforme des retraites n’a aucune légitimité, ni procédurale, car la majorité au pouvoir ne peut prétendre que son projet a été validé démocratiquement, ni substantielle, car elle organise la dégradation du bien-être de la communauté politique dans sa majorité, ce que les gens ont bien compris.

Macron s’éloigne-t-il de l’esprit initial de la V e République ? Michel Debré, l’un des rédacteurs de notre Constitution, avait déclaré que l’application répétée du 49-3 serait « la destruction non seulement du système mais de l’autorité gouvernementale »… 

Fabien Escalona : Au-delà de ce que l’on pense de la V e République et des pouvoirs qu’elle confère à un seul homme, il y avait chez De Gaulle un courage politique et une volonté de légitimation populaire par le référendum. Ce n’est pas le cas chez Macron, qui utilise toutes les armes autoritaires du régime sans en respecter l’esprit. Il se comporte en président élu par un peuple dont il ne serait pas tenu d’exécuter la volonté.

Il est dans une prolongation caricaturale des équilibres initiaux, dont il pousse les feux vers une version grimaçante. La Macronie se livre de plus à une distorsion du langage en assurant que « la démocratie a joué son rôle ». Les mots sont détournés, et le langage politique est mis cul par-dessus tête.

Quelle faire pour revivifier la démocratie ?

Fabien Escalona : Notre modèle de décision, archaïque, n’est pas du tout adapté à la façon dont on doit se préparer aux chocs sanitaires et climatiques, ou au retour de la compétition des grandes puissances sur la scène internationale. Nous devons trouver des procédures dans lesquelles s’expriment beaucoup plus les intérêts de la société, avec des décisions mieux débattues. Cela passe par la proportionnelle intégrale aux législatives, et je reprends l’idée d’une chambre tirée au sort à la place du Sénat.

Mais la question de la démocratie ne passe pas seulement par des institutions politiques plus ouvertes. Les enclaves autoritaires ne sont pas uniquement dans la Ve République, elles sont aussi, voire surtout, dans l’ordre économique : il faut aussi porter un projet qui mette à bas les privilèges liés à la propriété et rapatrie les choix d’investissement structurants dans le champ de la décision collective. La démocratie économique est cruciale pour qu’un nouveau régime soit capable de se légitimer.

(1) Une République à bout de souffle de Fabien Escalona, Seuil Libelle, 60 pages, 4,50 euros.

  publié le 18 mars 2023

Le Havre pris par la fièvre anti-réforme

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Alors que les parlementaires poursuivaient leur examen du projet de recul de l’âge de départ à la retraite, ces deux dernières semaines, les Havrais ont uni leurs forces pour crier leur rejet du texte. Dans les manifestations, sur les points de blocage et les piquets de grève, plongée dans le combat des travailleurs de la cité océane pour faire plier le gouvernement. Reportage.

Au premier étage du Cercle Franklin, l’imposante bâtisse du XIXe siècle qui abrite les syndicats du Havre, la sonnerie du téléphone retentit. « Ça n’arrête pas », s’amuse Sandrine Gérard, secrétaire de l’union locale (UL) de la CGT. Nous sommes le lundi 6 mars et la journée du lendemain s’annonce historique.

À l’appel de l’intersyndicale, les travailleurs de la porte océane s’apprêtent à prendre la rue et à cesser le travail. Certains ont d’ores et déjà décidé d’entamer des grèves reconductibles contre la réforme des retraites. « Le mouvement prend bien. La journée de demain sera une réussite, c’est sûr », prophétise l’aide-soignante en Ehpad public.

Vingt mille tracts ont été distribués la semaine précédente et des actions ont été multipliées dans les quartiers populaires de la ville, à destination de ceux que l’on voit le moins se mobiliser. « Ils sont demandeurs, pourtant, il ne faut pas les oublier », souligne Rémi Caniel, membre du bureau de l’UL.

Ceux-là, comme beaucoup d’autres travailleurs peu habitués aux grèves et manifestations, ont pris la rue ces dernières semaines pour clamer leur opposition au projet de réforme. 

Une grève, et nous pouvons avoir Le Havre entre les mains ». Sandrine Gérard, Secrétaire de l'Union locale CGT

À l’heure des derniers préparatifs, l’exaltation monte dans la salle de l’union locale. « Ici, nous avons un grand port, une grande zone industrielle. Une grève, et nous pouvons avoir Le Havre entre les mains », jubile Sandrine Gérard.

La zone industrielle du Havre, à cheval sur les communes voisines de Harfleur et de Gonfreville-l’Orcher, voit rapidement cette stratégie militante se mettre en place. Là, une usine Safran, des entrepôts logistiques Bolloré, les ateliers Renault, mais aussi la plus grande raffinerie de France, celle de Normandie, exploitée par TotalEnergies. À l’automne dernier, les raffineurs de Gonfreville-l’Orcher ont été le fer de lance de la lutte pour les augmentations de salaire. Leur expérience compte.

« Plus rien ne rentre, plus rien ne sort de la zone  »

Réunis place d’Armes à Harfleur, à 5 heures du matin, ce mardi 7 mars, les travailleurs ont été parmi les premiers à lancer les hostilités contre la réforme des retraites dans la métropole. L’aube n’a pas encore point que toutes les entrées de la zone industrielle sont bloquées par des palettes et des braseros.

« Plus rien ne rentre, plus rien ne sort de la zone », sourit Alexis Antonioli, secrétaire CGT de la raffinerie, alors que 72 heures de grève reconductible viennent d’être votées. Avec 75 % de grévistes parmi les salariés de Total et bon nombre chez les sous-traitants, le mot d’ordre est passé.

Sur les axes routiers qui convergent, des files de camions patientent sur le bas-côté. Face à l’ampleur de la mobilisation, l’usine Renault est même contrainte de cesser complètement l’activité. Les grévistes espèrent aller plus loin. « La retraite à 60 ans, ce n’est pas négociable », confirme l’un d’eux, à l’entrée du périmètre.

« Nous, on vit quatorze ans de moins que la moyenne ! »

Partout dans la ville, piquets de grève et blocages se multiplient. Au nord du Havre, à deux pas de l’hôpital, les camions-bennes sont cloués au centre technique de la métropole, le 7 mars au petit matin. Bien avant le lever du soleil, plusieurs dizaines de fonctionnaires territoriaux, employés des villes ou de la communauté urbaine, se sont donné rendez-vous devant le site.

Deux gros véhicules blancs, floqués du logo de la Ville du Havre, bloquent les sorties et un feu de palettes est allumé comme pour réchauffer les grévistes cueillis par le froid de ce début mars. « Ils veulent supprimer les régimes spéciaux, mais pas ceux des sénateurs ou des ministres ! » s’enflamme Mathieu.

L’égoutier à la carrure imposante peine à retenir son agacement face au projet du gouvernement de repousser de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, y compris pour son métier pénible. Chaque jour, le salarié travaille pourtant à l’entretien du réseau d’assainissement de la métropole, dans des cavités d’un diamètre à peine supérieur à un mètre, et est exposé à des quantités de gaz toxiques.

« On nous dit qu’il faut travailler plus longtemps car l’espérance de vie des Français augmente. Mais nous, on vit quatorze ans de moins que la moyenne ! Autour de moi, les gens sont fatigués, ils ont des cancers », constate-t-il. Pour conserver son droit de partir à la retraite à 52 ans, l’égoutier est prêt à mettre les moyens et à convaincre ses collègues.

« Perdre une, deux ou trois semaines de salaire, ce n’est pas un problème. Le vrai problème, c’est de perdre deux ans de notre vie ! » insiste-t-il, soucieux d’inscrire ses revendications liées à son métier au mouvement collectif en cours. Le blocage du centre technique et la grève sont reconduits pour au moins trois jours.

45 000 personnes convergent, un record au Havre depuis le début du mouvement social

Pendant que certains agents territoriaux tiennent le piquet, d’autres prennent le chemin, dans la matinée, de la maison des syndicats. C’est là que 45 000 personnes convergent pour manifester. Un record au Havre depuis le début du mouvement social. « C’est très fort, mais il va falloir apprendre à la préfecture à compter », plaisante la secrétaire générale de l’union locale de la CGT, moquant l’annonce des quelque 10 000 manifestants totalisés par les représentants de l’État.

Difficile pourtant de s’y méprendre : les rues jouxtant le bassin du commerce, celles frôlant le théâtre Le Volcan – emblématique structure de l’architecte Oscar Niemeyer –, sont noires d’un défilé dense et inédit dans la cité seinomarine. Dans le cortège, animé de joyeuses batucadas et fanfares, les manifestants, désormais habitués, témoignent toujours de la même ténacité.

Vêtues de leur blouse blanche, Sylvie, Marie-Laure et Carole, trois employées de la crèche hospitalière du Havre, se demandent : « Comment fera-t-on, à 64 ans, pour s’occuper de 60-90 bébés ? Comment fera-t-on pour changer 300 couches dans la journée ? » « On adore notre métier mais on risque de devenir maltraitantes », redoute Carole, qui dorlote les enfants du personnel soignant.

À quelques pas de là, Farès, opérateur chez Renault depuis huit ans, a pris l’habitude de se joindre à la foule à chaque journée de manifestation depuis l’annonce du projet de réforme. Un gilet CFDT sur le dos, il fera « toutes les grèves qu’il faudra faire », assure-t-il. « Aujourd’hui, on nous dit que ce sera 64 ans. Ce sera quoi après, 67 ans ? Mes collègues ont mal au dos, mal aux jambes », confie l’ouvrier.

Montrer qu’il existe des alternatives possibles au projet du gouvernement

Face à la déferlante de ce 7 mars, Baptiste Bauza, secrétaire de la section havraise du PCF, reconnaît que « la mobilisation est extrêmement forte ». « Ce qui est frappant depuis le début du mouvement, c’est qu’il y a beaucoup de primo-manifestants, beaucoup de jeunes travailleurs, beaucoup de personnes non syndiquées », constate le militant qui est aussi cheminot.

Alors que de nombreux travailleurs du bassin d’emploi intensifient la lutte, lui et le parti ont aussi un rôle à jouer, estime-t-il : « Soutenir les grévistes et montrer qu’il existe des alternatives possibles au projet du gouvernement, comme la retraite à 60 ans en prenant en compte les années d’études et de maternité », assure-t-il.

Depuis le début de ce round offensif contre le recul de l’âge de départ à la retraite, Le Havre vit au rythme des assemblées générales : à chaque quart chez les raffineurs, chaque matin chez les territoriaux, un mardi soir à l’université où le responsable de l’Unef tente de mobiliser les quelques étudiants présents.

L’intersyndicale locale se plie aussi à l’exercice, invitant les travailleurs de tous horizons à décider des contours de la mobilisation. Dans une grande salle du Cercle Franklin qui revêt des allures de gymnase, les participants ont sommairement installé quelques chaises.

« On ne peut pas se borner à faire des journées de grève saute-mouton. La grève reconductible doit être faite partout où c’est possible ! » martèle Alexis Antonioli, de la raffinerie Total, devant l’assemblée interprofessionnelle. Tous opinent.

Beaucoup partagent le constat que de nombreuses entreprises ne s’engagent pas encore dans la lutte, faute de soutien. « Il faut que tout le monde entre dans le mouvement, chaque pierre à l’édifice compte », acquiesce un salarié de la CIM, le terminal pétrolier du port du Havre. Chacun quitte la maison des syndicats convaincu de la nécessité d’apporter du soutien partout où c’est possible.

3 000 dockers du Havre, 100% en grève

Une consigne que les dockers ne tardent pas à appliquer. Mercredi 8 mars, dans la « cabane », le foyer syndical des salariés des docks havrais, Jérémy Julien, secrétaire adjoint CGT, peaufine le programme de la journée. Les près de 3 000 dockers du Havre – 100 % en grève – ont fort à faire en ce jour décrété « port mort » par la fédération CGT des ports & docks.

Une journée de conteneurs non déchargés, ce sont des millions d’euros qui échappent à l’économie. » Jérémy Julien, secrétaire adjoint CGT

« La différence avec un simple jour de grève, c’est qu’on occupe les lieux et qu’on empêche toute activité », détaille le cégétiste, qui rappelle : « Une journée de conteneurs non déchargés, ce sont des millions d’euros qui échappent à l’économie. »

Dès 5 heures, tous les accès aux quais sont bloqués, des piquets de grève mis sur pied et des abris de fortune imaginés dans des conteneurs. Le travail a cessé, mais les missions ne manquent pas : il faut se relayer sur les points de blocage, raviver sans cesse les feux de pneus qui enfument le centre-ville, porter à manger aux grévistes qui tiennent les piquets, mais aussi apporter son soutien aux autres luttes.

Jérémy Julien revêt, au téléphone, le rôle de chef d’orchestre, s’assurant que les dockers prêtent main-forte partout où ils le peuvent. Devant Siemens Gamesa, toute nouvelle usine d’éoliennes où se joue une bataille pour l’emploi, en plus de celle contre la réforme des retraites. Mais aussi devant la caisse d’assurance-maladie, où se tient un rassemblement de soutien à un salarié menacé de licenciement.

Lui se rend à Radicatel, terminal de déchargement à mi-chemin entre Le Havre et Rouen qui emploie une trentaine de personnes. Le syndicat CGT y date de quelques années seulement, mais les travailleurs se sont relevé les manches. Un brasier a été allumé et l’accès est complètement bloqué. Une ribambelle de camions patientent le long de la route, attendant que les travailleurs déchargent à nouveau les cargaisons. « Certains ont fait demi-tour ! » plaisantent les salariés, leur tenue orange vif sur le dos.

En attendant la 8e journée de mobilisation

« On fait un métier pénible, on doit monter sur les conteneurs, accrocher, décrocher, se mettre à genoux, on fait beaucoup d’heures sup’ », explique Alex, docker au terminal depuis trois ans. « À 45 ans, nos collègues ont déjà mal partout. J’ai 30 ans et je sens déjà que je fatigue, alors, travailler plus ? » expose-t-il.

Du fait de la nature pénible de leurs tâches et de l’exposition à l’amiante jusqu’en 2004, certains travailleurs des docks peuvent aujourd’hui partir à la retraite à 55 ans. Un âge de départ que ferait reculer la réforme. Les plus jeunes recrues, dont l’exposition aux fibres toxiques n’est pas reconnue, pourraient partir à la retraite à 60 ans au lieu de 58 ans. Inenvisageable pour beaucoup.

Après ces 48 premières heures de grève puis de blocage réussies, la fédération des ports donne rendez-vous pour trois jours consécutifs de lutte à partir de mardi 14, culminant jeudi 16 sur une nouvelle journée « port mort ». Elle n’est pas la seule. Le jeudi précédent, des étudiants ont effectué des blocages à l’université, répondant à l’appel des syndicats et organisations de jeunesse.

Vendredi, l’opération « S’unir pour ne pas subir », lancée par la CGT d’Harfleur, a bloqué la zone industrielle avec ses 1 200 entreprises et 30 000 emplois. Samedi, 8 000 personnes ont répondu à l’appel au rassemblement lancé par l’intersyndicale sous l’emblématique arche de conteneurs colorés, à l’entrée du port.

Un nouveau tour de chauffe familial avant la huitième journée de mobilisation de mercredi 15. Le gouvernement est alors en plein marchandage avec les parlementaires de droite pour faire passer sa réforme. Les Havrais, eux, continuent de se battre pour « son retrait ».

  publié le 18 mars 2023

François Ruffin :
« Après le 49.3, il va falloir que Paris déborde »

Par Gaspard d’Allens sur https://reporterre.net/

L’usage du 49.3 est une défaite pour le gouvernement et la marque d’un effritement du bloc libéral, juge le député LFI François Ruffin. Il appelle à continuer le mouvement et à bloquer Paris.

François Ruffin est député La France insoumise (LFI), fondateur et rédacteur en chef du journal Fakir. Il a récemment publié Le temps d’apprendre à vivre, la bataille des retraites, aux éditions Les Liens qui libèrent.


 

Reporterre — Comment réagissez-vous à l’annonce du recours au 49.3 par le gouvernement ?

François Ruffin — C’est une évidente défaite pour eux, alors qu’ils ont répété des dizaines de fois qu’ils ne passeraient pas par cet article. C’est une marque de fébrilité et de fragilité. Emmanuel Macron écrasait déjà la France du travail et la France qui se lève tôt. Aujourd’hui, il écrase aussi la démocratie. Le président avait déjà perdu pied dans le pays, maintenant il a perdu pied à l’Assemblée !

Ce passage en force est-il historique ?

François Ruffin — C’est du moins la marque supplémentaire d’un effritement du bloc libéral. Auparavant, ce bloc avait le luxe de pouvoir se diviser en deux, avec une alternance sans alternative du centre gauche et du centre droit. Désormais, il doit se rassembler autour d’un seul leader et ce qu’il porte est clairement minoritaire dans le pays. Le bloc libéral a, face à lui, deux Français sur trois, quatre salariés sur cinq, tous les syndicats unis et des millions de personnes dans la rue.

Cette secousse s’inscrit dans une tendance au long cours. Un effondrement progressif. Le premier séisme a eu lieu en 2005 avec le référendum sur le Traité constitutionnel européen, auquel 55 % des Français et 80 % des ouvriers s’étaient opposés. L’élite avait agi comme si de rien n’était en ratifiant le traité de Lisbonne. On a eu un second choc avec le mouvement des Gilets jaunes. Le gouvernement a refusé alors tout compromis social — baisse de la TVA, fin de l’impôt sur la fortune, etc. — pour lui préférer le blabla du grand débat. À chaque fois, le bloc libéral croyait gagner, mais en réalité il perdait le pays.

Cela n’empêche pas aujourd’hui le gouvernement de se montrer inflexible...

François Ruffin — C’est parce qu’ils sont faibles qu’ils recourent à la force. Mardi [14 mars], dans l’hémicycle, je citais le philosophe Antonio Gramsci. Il disait : « Lorsque la classe dominante n’est plus dirigeante, c’est-à-dire qu’elle n’a plus de force d’attraction, elle n’est plus en mesure de créer du consentement. Privée d’autorité, il ne lui reste que la force pour se faire obéir. » Nous en sommes là.

Le gouvernement ne possède plus que la force de coercition. Il l’a usée hier matin [16 mars] face aux éboueurs en cassant les piquets de grève, en frappant et en gazant les travailleurs avec des lacrymogènes. L’après-midi, il l’a usée encore une fois avec le 49.3 face aux députés. Je le répète, c’est la marque d’une fragilité. Le bloc libéral s’émiette. Le gouvernement me fait penser au coyote de Chuck Jones [notamment créateurs de personnages des « Looney Tunes »], dans le dessin animé, il court, il court et dépasse la falaise. Il se retrouve dans le vide, le réalise puis chute.

Emmanuel Macron est dans le vide, sa base sociale ne repose sur rien. Dans la Somme, il n’arrive même pas à envoyer ses députés au second tour des élections législatives. Le président a été élu sans élan et sans enthousiasme et on a derrière une majorité raccroc à l’Assemblée nationale.

Avez-vous encore une chance de l’emporter institutionnellement ?

François Ruffin — À l’Assemblée nationale, des motions de censure vont être déposées ; mais l’essentiel se joue ailleurs. Il faut en repasser par le peuple. À l’intérieur, tout dépend de ce qui se passe dehors. Si certains Républicains souhaitaient voter contre le projet de réforme, c’était uniquement à cause de la pression mise par les syndicats sur les territoires. Dans leurs circonscriptions, dans les zones rurales, personne n’en voulait.

Que comptez-vous faire pour arracher la victoire ?

François Ruffin — C’est aux travailleurs de décider de comment ils luttent. Je ne suis pas dirigeant syndical, mais je soutiens tous les travailleurs qui s’engagent dans la bagarre. Il faut absolument continuer le mouvement, les blocages, la grève.

Ne faudrait-il pas aussi renouveler les modes d’action ?

François Ruffin — La balle est dans le camp de Macron. Il change ou on doit le changer. Il doit revenir à la raison, et sortir le parachute pour éviter de s’écraser. Il doit cesser avec la brutalité, dire qu’il a compris les travailleurs. Nous devons retrouver la concorde. Il faut réparer les fractures, pas les accroître. Nous devons nous réunir face aux vrais problèmes qui guettent : la crise climatique, l’eau, la sécheresse, l’énergie, l’agriculture, le logement, etc. C’est un gâchis, on se divise sur quelque chose d’extrêmement périphérique. Les économies réalisées par la réforme représenteraient, selon l’OFCE, seulement 0,1 point de PIB.

Dans les prochains jours, comment accroître le rapport de force ?

François Ruffin — Comme me le disaient certains syndicalistes, à un moment, il faudra une montée nationale sur Paris. Physiquement, il va falloir que Paris déborde. Une puissante manifestation qui donne aux gens la conscience de la force qu’ils ont.

Faut-il également cibler les lieux de pouvoir, comme le faisaient les Gilets jaunes sur les Champs-Élysées ?

François Ruffin — Si on est 1 million de personnes à Paris, ça pèsera forcément. Mais ce n’est pas les seuls lieux à viser. Emmanuel Macron écoute les patrons. Il est évident que si les centres Amazon sont bloqués, par exemple, Jeff Bezos — qui vient d’ailleurs de recevoir la Légion d’honneur — appellera Macron pour faire pression. C’est identique pour les autres grosses boîtes. La solution est en partie dans les luttes sociales.

Que signifie, pour vous, le fait de « durcir » le mouvement ?

François Ruffin — Je ne veux pas me substituer aux syndicats et je trouve que, pour l’instant, ça a été cranté avec habileté par l’intersyndicale. L’objectif n’est pas d’avoir une locomotive qui ne tire aucun wagon, ou d’avoir seulement une avant-garde sans entraîner derrière elle. Il faut réussir à accorder tout ça : avoir des secteurs très mobilisés, à qui l’on apporte un appui — les raffineries, l’électricité, les transports, les ports, etc. Et montrer que, derrière, il y a une masse de la population qui dit non à Macron.

Il y a sept ans, presque jour pour jour, commençait aussi Nuit debout ; faudrait-il relancer des occupations ?

François Ruffin — Oui, c’est bon à prendre. Mais quand j’étais à Nuit debout, je disais qu’il fallait aussi faire des occupations à Flixecourt, dans la Somme. Et quand il y a eu les Gilets jaunes, je disais l’inverse, je regrettais qu’il n’y ait pas de rond-point occupé à Paris. Aujourd’hui, je suis attentif à ce que l’on conjugue les deux, qu’on relie les luttes des métropoles à celles des territoires ruraux. La gauche gagne quand il y a une alliance entre classes populaires, intermédiaires et cultivées. Aujourd’hui, cet enjeu se pose quasiment d’un point de vue géographique. Les classes populaires sont nombreuses à la campagne et les classes intermédiaires cultivées à la ville.

Dans les cortèges, on entend aussi de la résignation, de la fatigue, comment lutter contre ces affects ?

François Ruffin — Nous devons réussir à produire une contagion de l’espérance pour que cela ne soit pas la victoire de l’indifférence ! Je crois beaucoup à la joie dans les manifestations, les chants, la musique. Récemment, je lisais le livre Histoire d’un Allemand sur l’Allemagne des années 1930. Il montre comment le nazisme a gagné par une espèce de dépression qui rongeait la population. Les arts remettent du baume au cœur aux gens, nous devons continuer à porter ce type de dynamique. C’est essentiel !

 

publié le 17 mars 2023

Charles de Courson : « Ce qui est certain, c’est que ce gouvernement
ne pourra plus gouverner »

Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr

Au lendemain du passage en force du gouvernement, la réforme des retraites est sous la menace d’une motion de censure transpartisane déposée par le centriste Charles de Courson. Le député de la Marne explique à Mediapart sa démarche et sa vision sur une séquence qu’il juge dangereuse pour la démocratie.

Vendredi, le groupe Liberté, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) a déposé au bureau de la présidence de l’Assemblée nationale une motion de censure transpartisane qui suscite l’inquiétude du pouvoir. Dernier obstacle à l’adoption définitive du texte, la motion du député centriste Charles de Courson devrait recueillir plus de 200 voix, allant de la gauche à l’extrême droite de l’hémicycle.

S’il paraît pour l’heure improbable qu’elle atteigne le seuil nécessaire à son adoption, faute d’un élan des député·es Les Républicains (LR), la motion du groupe Liot a le mérite de « faire pression » sur un pouvoir exécutif qu’il estime aujourd’hui discrédité, explique-t-il à Mediapart. L’élu de la Marne redoute également les conséquences sociales de la crise provoquée par Emmanuel Macron.

Comment qualifiez-vous ce qui s’est joué jeudi ?

Charles de Courson : C’est tout d’abord un échec politique. On a vu les fissures extrêmement importantes au sein même de la minorité présidentielle. Il suffisait de les voir hier [jeudi], pendant le discours d’Élisabeth Borne. À part un petit noyau dur, ils se sont bien gardés de se lever et d’applaudir la première ministre. On entend la révolte d’une partie de leur camp. Beaucoup estiment que c’est une folie, certains étaient furieux de cette décision contre laquelle les présidents de groupe ont essayé de se battre à l’Élysée. Et puis, leur pseudo-alliance avec LR a explosé en vol.

Mediapart : Vous dénoncez aussi, depuis plusieurs semaines, un mépris du Parlement par le pouvoir exécutif.

Charles de Courson : Il y a dans cette histoire un déni démocratique très grave qui persiste. On a un gouvernement hyper-minoritaire, qui se targue de sa légitimité démocratique mais qui est minoritaire à l’Assemblée nationale et qui a fait 25 % au premier tour des élections législatives. Comment voulez-vous diriger une démocratie avec une base sociale aussi faible et étroite ? Sans oublier l’arrogance avec laquelle ils se comportent et traitent le Parlement. Nous déposerons une motion de censure et un recours au Conseil constitutionnel, pour contester le choix du véhicule législatif. Le combat n’est pas terminé.

Mediapart : La motion de censure transpartisane que vous préparez est au cœur des attentions. A-t-elle une chance d’être adoptée ?  

Charles de Courson : L’ensemble de la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale] votera notre motion et La France insoumise a annoncé qu’elle renonçait à présenter la sienne. Si vous additionnez la Nupes, le Rassemblement national (RN), la grande majorité du groupe Liot, ça fait du monde. Et si on ajoute quelques députés Les Républicains (LR)… On n’aura pas forcément les 287 [nécessaires pour atteindre la majorité absolue – ndlr]. Mais plus on s’en approchera, plus ça montrera que le gouvernement ne peut pas continuer comme ça. Une motion de censure, ça sert aussi à avertir le gouvernement et à faire pression.

Mediapart : Vous donnez l’impression de ne pas y croire…

Charles de Courson : Il peut se passer des tas de choses d’ici lundi. Certains voudront peut-être se débarrasser de ce gouvernement. On verra. Moi, si j’étais à la tête du gouvernement, je m’inquièterais.

Mediapart : De quoi doivent-ils s’inquiéter ?

Charles de Courson : Ce qui est certain, c’est que ce gouvernement ne pourra plus gouverner. Je ne suis pas sûr que le président de la République ait mesuré toutes les conséquences de sa décision. Le pays va devenir de plus en plus ingouvernable. Je pense que l’actuel gouvernement est à l’agonie. On parle du changement de première ministre : ça me paraît évident mais ça ne règlera pas le problème de fond. Ça va très mal se passer, à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans la rue.

Mediapart : Dans la rue, justement, les protestations sont montées d’un cran depuis l’annonce du 49-3. Quel rôle peut jouer, selon vous, la mobilisation dans la mise en échec de la réforme ?

Charles de Courson : C’est l’autre grand échec d’Emmanuel Macron : l’échec social. Les brillantes manœuvres du pouvoir ont réussi à unifier les syndicats, y compris les plus réformistes. Le président a tout fait pour affaiblir les corps intermédiaires, parfois même pour les détruire. Aujourd’hui, les organisations syndicales nous disent qu’elles ne sont pas certaines de pouvoir tenir longtemps les troupes, comme on disait autrefois. On a commencé à voir cette nuit les premiers débordements. Le risque, c’est que les syndicats ne soient plus capables d’encadrer les mouvements.

 

  publié le 17 mars 2023

Le mouvement social galvanisé par le mépris gouvernemental

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Réunies devant l’Assemblée nationale, les organisations syndicales ont appelé à poursuivre les manifestations et les grèves pour faire tomber le projet de réforme adopté.

Les leaders des huit syndicats unis contre la réforme des retraites se souviendront longtemps de cet étonnant jeudi 16 mars. Arrivés dès midi devant l’Assemblée nationale pour exercer un dernier coup de pression sur un gouvernement qui disposait alors encore de toutes les cartes afin de faire voter sa réforme des retraites, ils se sont retrouvés en début de soirée au siège de la CGT à la tête d’un mouvement social galvanisé par le passage en force d’un exécutif soudainement affaibli.

L’adoption du texte porté par Élisabeth Borne est à ce point tronquée qu’elle n’a pas mis fin à la contestation. Loin de là, estime même Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT : « En recourant au 49.3, le gouvernement fait la démonstration qu’il n’a pas de majorité pour approuver le report de deux ans de l’âge légal de départ en retraite. Le compromis politique a échoué. Ce sont les travailleurs qu’il faut écouter quand on prétend agir sur leur travail. »

En écho, la CGT soulignait dès le coup de force parlementaire que « c’est bien la lutte déterminée des travailleuses et travailleurs, de la jeunesse, dans le cadre d’une intersyndicale complète, qui conduit à cette impossibilité pour Élisabeth Borne d’obtenir une majorité pour sa contre-réforme des retraites ».

Rassemblements spontanés

Pour les organisations syndicales, le projet de réforme des retraites est désormais politiquement illégitime, en plus d’être largement contesté par la population. « Le 49.3 est un vice démocratique. Mais le gouvernement avait déjà déclenché auparavant le 47.1 (qui sert à limiter les débats parlementaires – NDLR) et utilisé un projet de loi rectificatif du financement de la Sécurité sociale, qui n’est pas le bon cavalier pour un projet de société majeur », rappelle Frédéric Souillot, de Force ouvrière.

Les heures qui viennent devraient donc voir une intensification des assemblées générales intersyndicales un peu partout en France en vue d’une relance des manifestations et des grèves, prévoit Philippe Martinez : « Le passage en force avec l’utilisation du 49.3 doit trouver une réponse à la hauteur de ce mépris du peuple. La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier. »

Beaucoup n’ont d’ailleurs pas attendu leur signal pour continuer à s’opposer au recul de l’âge de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans. À Montauban, dans le Tarn-et-Garonne, une cinquantaine de personnes ont par exemple investi matinalement les locaux de l’assurance-maladie. « La Sécurité sociale appartenait et était gérée par les travailleurs en 1945. Aujourd’hui, l’État a mis la main dessus et est en train de la démolir. Nous voulons reprendre la main sur ce qui est à nous », revendique sur place Christophe Couderc, de la CGT.

Les dockers et travailleurs portuaires de Saint-Nazaire, Brest, Le Havre et Calais ont poursuivi leur grève et le blocage des quais au cours d’un jeudi 16 mars qui avait été décrété « port mort » par la fédération CGT des ports et docks.

Loin de calmer les ardeurs, le déclenchement du 49.3 a généré une vague de rassemblements spontanés, comme à Orléans, au Havre, à Lyon ou Toulouse. À Paris, un rendez-vous organisé par Solidaires, un temps interdit par la préfecture de police de Paris, s’est amplifié tout au long de l’après-midi sur la place de la Concorde, séparé de l’Assemblée nationale simplement par la Seine et un épais cordon policier. Réunissant plusieurs milliers de personnes, celui-ci s’est peu à peu mué en déambulation revendicative dans les rues de la capitale.

Répression antisyndicale

Face à une détermination des Français intacte, les organisations syndicales redoutent désormais que le pouvoir use de la violence pour faire taire le mouvement social et tourne la page du large désaveu de son texte. « Le gouvernement, de plus en plus, remet en cause le droit de grève. Au lieu d’écouter le peuple, ils utilisent la force », confirme Philippe Martinez.

« Nous avons le sentiment qu’il y a eu beaucoup de violence, beaucoup de répression ces derniers jours. On sent que le gouvernement veut sonner la fin du mouvement social », confie Murielle Guilbert, cosecrétaire générale de Solidaires.

Ce gant de fer n’a pas eu raison des nombreux piquets de grève tenus par les éboueurs comme les énergéticiens ou les raffineurs. « Le gouvernement espère peut-être une fin de partie, mais ce n’est pas ce qu’il va se passer », confirme Frédéric Souillot. Devant l’Assemblée nationale, puis dans la rue, tous ont en tête l’exemple de la mobilisation du contrat première embauche, en 2006. Le texte, pourtant adopté, avait été retiré devant l’ampleur des mobilisations populaires.


 


 

Après le 49-3,
la mobilisation se durcit

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Des dizaines de milliers de manifestants hier soir et aujourd’hui

A l’annonce de l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution, des centaines d’opposants à la réforme ont convergé vers l’Assemblée nationale avant de se rassembler sur la place de la Concorde voisine. Les centaines sont finalement devenues des milliers, puisqu’au moins 10 000 personnes ont manifesté à Paris, selon le ministère de l’Intérieur. Dispersés après 20 h, une partie des manifestants ont allumés des feux de poubelles et formés des barricades sur leur parcours.

Des rassemblements ou manifestations, parfois spontanés, parfois à l’appel des syndicats, ont également eu lieu dans de nombreuses villes. Au moins 25, selon les chiffres donnés par ministère de l’Intérieur. Hier soir, la place du Capitole était remplie à Toulouse, près de 2000 personnes manifestaient à Montpellier, 3000 à Lyon. Des défilés ont également eu lieu à Strasbourg, Clermont-Ferrand, Grenoble, et donné lieu à des heurts à Rennes ou Lyon.

Certaines villes ont reconduit les rassemblements dès aujourd’hui. Les syndicats ont annoncé 5000 manifestants à Rennes, 2600 selon la préfecture. Pour ce soir, des appels à se rassembler tournent dans plusieurs villes, dont un à 18h place de la Concorde à Paris.

49-3 jeudi, blocage vendredi

 Comme depuis le début de la semaine, des blocages ont eu lieu en différents lieux du territoire au lendemain de l’utilisation de l’article 49-3. Si le plus visible reste celui, coordonné en plusieurs points, du périphérique parisien, les cibles industrielles n’ont pas manqué ce matin. Par exemple : les dépôts pétrolier de Saint-Nazaire, Port-la-Nouvelle et de Vern-sur-Seiche près de Rennes, les plateformes de tri du courrier à Bourges et Nantes, le port de Brest, un incinérateur à Fos-sur-Mer ou encore deux dépôts de bus à Clermont-Ferrand.

Dans le même temps, la contestation grossit chez les étudiants. Le syndicat étudiant l’Alternative comptabilisait 55 université ou écoles bloquée, occupées, ou dans lesquels les cours sont annulés ou remplacés par des temps collectifs de formation en lien avec la mobilisation.

Deux raffineries bientôt à l’arrêt ?

C’est une montée d’un cran à laquelle rechignait les grévistes jusque-là. Mais 49-3 leur a fait passer le pas. En reconductible depuis le 7 mars, les salariés de la raffinerie Total de Normandie, première raffinerie de France, ont décidé hier soir la mise à l’arrêt des activités de raffinage. Une opération longue et complexe. Elle devrait être suivie par la raffinerie Petroineos de Lavéra (Bouches-du-Rhône), d’après Olivier Mateu, secrétaire générale de l’union départementale CGT 13.

Réquisitionner les éboueurs, ça prend du temps

Gérald Darmanin, que l’on retrouve au devant de la scène depuis que la mobilisation se durcit, tient à rassurer : les réquisitions sont en cours. Mais alors que le cap des 10 000 tonnes d’ordures non ramassées vient d’être franchi à Paris, cette réquisition pourrait prendre plus de temps que prévu.« La préfecture doit être plus occupée à gérer les manifestations spontanées qui ont lieu à Paris depuis l’annonce du 49-3 que la réquisition des éboueurs », sourit François Livartowski, secrétaire général de la CGT services publics. Le syndicaliste sait surtout combien cette réquisition s’annonce complexe à mettre en œuvre. « La maire de Paris a transmis une liste de 4000 noms à la préfecture. Cela fait beaucoup de monde. En plus de ça, les salariés des incinérateurs ne sont pas réquisitionnés et on ne peut toujours pas brûler les déchets », continue-t-il.

Sondage : rejet du 49-3 et du gouvernement

Selon un sondage Harris Interactive pour RTL, 82% des Français estiment que le recours au 49.3 hier est une mauvaise chose. La conséquence : 71% des sondés souhaitent l’adoption d’une motion de censure et la démission du gouvernement. Dans le même temps, le soutien au mouvement social perdure : 65 % des Français souhaitent que la mobilisation se poursuive.

Grève du Bac ?

L’idée trotte dans la tête des enseignants grévistes depuis plusieurs semaines. Quatre organisations syndicales enseignantes, le Snes-FSU, SUD Education, FO et CGT Education, appellent à durcir le mouvement contre la réforme des retraites « sous toutes ses formes, y compris par la grève des surveillants ». Ce n’est donc pas un appel franc à la grève reconductible dès lundi, mais un encouragement. Et cela pourrait prendre : déjà, des listes d’enseignants grévistes se composent en interne et les opposants à la réforme comptent leurs troupes.

Les syndicats de la SNCF appellent à poursuivre la grève reconductible

Les quatre syndicats représentatifs de la SNCF ont appelé ce vendredi à « maintenir la grève » entamée le 7 mars et « à agir massivement le 23 mars » pour s’opposer à la réforme des retraites. La CGT-Cheminots, l’Unsa-Ferroviaire, SUD-Rail et la CFDT-Cheminots invitent également les salariés du rail à « multiplier les actions et initiatives unitaires dès ce week-end dans tous les territoires » après le déclenchement du 49.3 décidé jeudi par le gouvernement.

Darmanin met en scène la répression

Au total, 310 personnes ont été interpellées jeudi en France dont 258 à Paris à l’issue de manifestations spontanées. Les force de l’ordre ont délogé deux piquets de grève parisiens liés à la grève des éboueurs, expulsé de nombreux barrages routiers et nassé des étudiants qui comptaient manifester.

Mais ce que retient Gérald Darmanin, ce sont les violences des manifestants. « Il y a eu dans plusieurs grandes villes de province une pression extrêmement forte exercée contre les symboles de l’État et des permanences parlementaires », a déclaré le ministre de l’Intérieur. Une victimisation dont la ficelle : justifier la répression, est bien grosse.

Motion de censure déposée

Peu après 14h, le groupe centriste LIOT a déposé une motion de censure transpartisane, co-signée par des élus de la Nupes, en riposte au déclenchement du 49.3 pour faire adopter sans vote la réforme des retraites. Si elle était votée par plus de la moitié des députés, elle provoquerait la chute du gouvernement.

publié le 16 mars 2023

49.3 : le bras d’honneur de macron

Pierre Jacquemain  sur www.politis.fr

Le 100e 49.3 de la Ve République – le 11e du gouvernement Borne –, est déclenché pour un passage en force de la réforme des retraites. Un triste aveu d’échec de la part d’un président et de son gouvernement. Un naufrage politique et démocratique.

Tout ça pour ça ! Après s’être couché devant la droite ; après avoir usé et abusé de tous les recours prévus par la Constitution (articles 47.1 et 44.3) et le règlement du Sénat (article 8) pour accélérer la procédure parlementaire et empêcher le débat sur la réforme des retraites de se tenir dans de bonnes conditions, Emmanuel Macron a tranché : ça sera le 49.3.

Le 100e 49.3 de la Ve République. Le 11e du gouvernement Borne. Un triste aveu d’échec de la part d’un gouvernement qui ne dispose donc d’aucune majorité pour faire adopter un texte, la (contre) réforme des retraites, rejeté par une écrasante majorité de Français. Un gouvernement qui a pourtant tout donné pour obtenir les suffrages des Républicains (LR).

Au final, Éric Ciotti n’aura pas tenu ses troupes puisque tout reposait sur les députés de droite qui devaient offrir une victoire politique à Macron. C’est donc aussi un échec personnel pour le patron des Républicains. L’échec est politique. Il est aussi démocratique.

Comment sur une réforme aussi structurante, le président de la République peut-il assumer un tel passage en force ?

Comment sur une réforme aussi structurante pour la vie des Français à qui l’on impose deux ans de travail supplémentaires, face à une opposition aussi massive – grâce notamment à une unité syndicale inédite depuis 13 ans –, le président de la République peut-il assumer un tel passage en force ? Un bras d’honneur à la démocratie.

Les conséquences vont être nombreuses. D’abord sur le mouvement social qui, après un léger tassement, pourrait reprendre de la vigueur alors que la pénibilité des conditions de travail s’affiche au grand jour avec la grève des éboueurs. L’unité syndicale qu’on annonçait sur la fin devrait sortir renforcée de cette séquence.

Laurent Berger, le patron de la CFDT, avait prévenu : « le recours au 49-3 aussi légal soit-il serait un vice démocratique ». À peine ce dernier déclenché, le leader syndical a ainis annoncé que de « nouvelles mobilisations » auront lieu. Les annonces de l’intersyndicale prévues ce soir ou demain seront observées avec attention, face à une colère populaire toujours plus grandissante.

Conséquences politiques aussi. En recourant au 49-3, la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, engage sa responsabilité et assume dans le même temps son échec, elle qui ne cessait d’expliquer depuis plusieurs jours ne pas envisager de recourir à l’article tant controversé qui permet au gouvernement d’adopter un texte sans passer par un vote des députés.

Plusieurs scénarios

Plusieurs options se dessinent à présent. La gauche a d’ores et déjà annoncé saisir le Conseil constitutionnel et enclencher la procédure du référendum d’initiative partagée pour contraindre le gouvernement à une consultation des Français.

Une autre option est également sur la table. Le groupe LIOT (centristes), emmenés par le député Charles de Courson, pourrait déposer une motion de censure interpartisane avec une partie de la gauche et de la droite pour faire tomber le gouvernement. Si la motion a des chances d’aboutir, elle doit néanmoins réunir les voix de la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale, soit 289 voix. Les chances d’aboutir restent minces. La motion sera débattue dès lundi.

L’échec de la majorité présidentielle est tel qu’une dernière option pourrait être envisagée par la voie même de l’hôte de l’Élysée. Une allocution du président pourrait intervenir dans les prochaines heures pour rappeler aux Français tout l’enjeu de cette réforme « nécessaire » selon lui, et dans le même temps assurer avoir entendu la colère des Français, s’en remettant à des élections législatives anticipées. Ainsi pourrait-il soumettre sa défaite au vote. Pour l’heure, c’est Elisabeth Borne – celle qui assume n’être qu’un fusible – qui est attendue dans un 20 h, ce soir.

La gauche saura-t-elle porter les colères qui se sont largement exprimées au cours de ces dernières semaines ?

La réforme ne serait pas remise en cause mais Emmanuel Macron offrirait ainsi aux oppositions et à sa propre majorité – à qui il ferait porter la responsabilité de cet échec politique – l’opportunité d’une nouvelle séquence politique. Une séquence à double tranchant. L’extrême droite est prête. Elle n’attend que ça. Et la gauche ? Saura-t-elle porter les colères qui se sont largement exprimées au cours de ces dernières semaines ? Rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, c’est le quinquennat de Macron qui se joue. 


 


 

selon l’ Humanite.fr ( site consulté le 16 mars à 16h28) :

La CGT appelle au rassemblement
Place de la Concorde

Alors qu'une manifestation est en train de prendre de l'ampleur Place de la Concorde à Paris, la CGT a appelé au rassemblement à 16H.

Laurent Berger : « Il y aura de
nouvelles mobilisations »

« Il y aura de nouvelles mobilisations » contre la réforme des retraites, a déclaré jeudi, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, dénonçant un « vice démocratique » après la décision du gouvernement d'activer l'arme constitutionnelle du 49.3 pour faire adopter sa réforme.

« Evidemment qu'il y aura de nouvelles mobilisations, parce que la contestation est extrêmement forte, on a déjà énormément de réactions de la part des équipes syndicales. On décidera ensemble dans une intersyndicale », qui se tiendra jeudi soir au siège de la CGT, a-t-il poursuivi.

Philippe Martinez :
" La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier"

Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, a estimé, après le recours au 49.3 par le gouvernement, que «la mobilisation des citoyens sous l’impulsion des organisations syndicales n’a pas permis au président de la République d’avoir une majorité pour voter sa loi».

«Le passage en force avec l’utilisation du 49-3 doit trouver une réponse à la hauteur de ce mépris du peuple. La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier. L’intersyndicale de ce soir en définira les modalités», annonce-t-il.


 

   publié le 16 mars 2023

Le dépôt de carburant de Frontignan bloqué par une intersyndicale

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Alors que le parcours législatif de la réforme des retraites touche à sa fin, les actions de blocage se multiplient partout en France. Toute la nuit et jusqu’à dix heure ce matin, le dépôt pétrolier de Frontignan a été bloqué par une intersyndicale. Reportage.

 L’information a circulé de bouche à oreille dans les manifestations héraultaises de mercredi : une action est prévue le soir même au dépôt de carburant de Frontignan, un des plus gros du sud de la France. L’initiative a été prise par l’intersyndicale de Sète et menée par l’union locale CGT de la ville. Peu avant minuit, des syndicalistes rejoints par des militants du mouvement social, arrivent par grappes sur la seule route menant au dépôt. Selon l’union locale de Sète, le site compte 25 salariés et pas de section syndicale. Certains de ses salariés ont fait grève lors des grosses journées de manifestation, mais pas ce soir. Le blocage est donc constitué uniquement de personnes extérieures à l’entreprise. A une centaine de kilomètres de là, le dépôt de Port-la-Nouvelle est également bloqué.

Un blocage réussi

Rapidement, des pneus sont installés en chicanes, bloquant l’accès, quelques drapeaux CGT et FO ornent ces barrages de fortune. « Demain la loi passe à l’Assemblée et Macron n’a répondu ni à l’intersyndicale ni aux salariés en grève », explique Arnaud Jean, le secrétaire général de l’Union locale. D’où l’action de blocage que les syndicalistes entendent poursuivre « jusqu’à ce que l’on nous déloge », ou jusqu’à ce qu’ils obtiennent le retrait de la réforme. Pour tenir, l’occupation de la route s’organise : un feu est allumé pour se réchauffer, des cafés, de la nourriture et du vin sont offerts aux présents. L’attente commence.

 Quelques dizaines de camions citernes s’agglutinent déjà le long de la route. Ils seront plusieurs centaines à débarquer dans quelques heures au dépôt de Frontignan, bloqué. « Ils arrivent tôt parce que les premiers arrivés sont les premiers remplis et les premiers partis », explique Arnaud Jean. Autour du feu : on assiste à une répétition de la journée de manifestation, avec des chants, des slogans. Les discussions, les rires, les espoirs s’expriment. On fait aussi des blagues : « elle est longue la lutte finale, mon grand-père la chantait, mon père la chantait et je la chante aussi », rigole un quinquagénaire, chasuble de la CGT sur le dos, alors que résonne l’internationale. Plus sérieux, Gilles, syndicaliste CGT dans l’éducation, n’imagine pas que les députés puissent voter une loi rejetée par 90% des travailleuses et travailleurs : « quand j’ai commencé à travailler, il fallait 37,5 annuités. Aujourd’hui c’est 43 », se désole le militant.

Vers 8 heures, les routiers téléphonent à leurs fournisseurs pour savoir ce qu’ils doivent faire. Beaucoup repartent vides du dépôt. La compagnie de CRS attendue n’arrive pas et, contrainte, la direction du dépôt avance l’heure de fin de chargement. Réussi, le blocage est levé vers dix heures du matin.


 


 

Retraites : pour les gaziers en grève,   le 49-3,
« c’est déjà une victoire »

Dan Israel sur www.mediapart.fr

Un rassemblement était organisé jeudi dans les Yvelines, devant le site d’une filiale d’Engie chargée du stockage souterrain du gaz naturel. Les militants syndicaux n’hésitent plus, ils veulent « monter d’un cran » face à un gouvernement définitivement discrédité à leurs yeux par le passage en force à l’Assemblée.16

Beynes (Yvelines).– Peu avant 15 heures, la nouvelle s’est faufilée de téléphones portables en exclamations entre collègues. À Beynes dans les Yvelines, à 25 kilomètres à l’ouest de Versailles, c’est alors que le rassemblement syndical organisé devant Storengy touchait à sa fin que les militant·es ont appris que le gouvernement engageait l’article 49-3 pour faire adopter sa réforme des retraites à l’Assemblée.

Aussitôt, des débats épars s’engagent parmi la centaine de personnes présentes, qui ont achevé le barbecue et la paëlla offerts par les organisateurs. On révise à toute vitesse le principe du 49-3 (« C’est mort, on ne peut plus rien toucher au texte, le gouvernement passe ce qu’il veut sans vote. »), les règles entourant les motions de censure (« N’importe quel député peut en déposer une ? ») et les principes de la majorité dans l’hémicycle (« C’est 287 ou 289 députés ? »).

Certains demandent encore un rafraîchissement de leurs connaissances sur les différences entre motion de censure et dissolution, que d’autres sont ravis de leur donner. « C’est déjà une victoire, ça montre que Macron n’a plus aucun poids face à personne », se réjouit un syndicaliste, résumant le sentiment qui a saisi l’assemblée en quelques minutes.

Ce 16 mars au matin, l’intersyndicale des industries électriques et gazières (IEG) avait réuni ses troupes sur le site de Storengy, cette filiale d’Engie spécialisée dans le stockage souterrain de gaz naturel. Les grévistes, opposés à la réforme des retraites, y organisent depuis le 7 mars un filtrage permanent du site : les salarié·es souhaitant travailler peuvent le faire, mais les prestataires et les sous-traitants sont interdits d’entrée, ce qui entraîne une dégradation de la maintenance.

« Voilà une information qui me va bien, elle montre où on en est réellement en France », lance Arnaud Boulay, le délégué syndical CGT du site. « C’est impeccable, ça va bien nous motiver pour la suite, et puis ça prouve que certains députés ont peut-être un cerveau en activité, confirme Martine Ravarey, la déléguée syndicale CFDT de Storengy. Emmanuel Macron ne pensait pas que le peuple allait réagir. »

Durant les heures qui ont précédé, toutes les discussions tournaient autour de ce sujet. « Aujourd’hui est un jour assez historique. Il va falloir qu’on ne lâche pas, parce que personne n’est dupe de ce qui va sortir de l’Assemblée cet après-midi », avait averti au micro Nicolas Nogues, coordinateur régional de la CGT énergie.

Il a ensuite lu un message signé de Sébastien Menesplier, le secrétaire général du syndicat national. « Quoi qu’il se passe aujourd’hui, la démocratie sociale est en péril », avertissait déjà ce dernier, menaçant le pouvoir d’un « choc énergétique national ».

Un régime spécial âprement défendu

« On est tout simplement présents pour obtenir le retrait du report de l’âge de départ à 64 ans, et pour obtenir le maintien de notre régime de retraite », résument Laurent et Alban, salariés du site de Beynes, respectivement vingt-neuf ans et quinze ans d’ancienneté dans les IEG, ce secteur professionnel qui compte 140 000 agents et dispose d’un régime spécial de retraite.

Contre un doublement des cotisations (salariales et employeurs), les agent·es ayant 17 années de service actif ont le droit de partir cinq ans avant l’âge légal de la retraite, soit 57 ans actuellement. 23 % des effectifs sont concernés par ce dispositif. Mais pour toucher un taux plein, la plupart restent plus longtemps en poste. La moyenne d’âge de départ est désormais autour de 60 ans, et devrait atteindre les 62 ans en 2024.

« Cela fait 30 ans que je cotise double, pourquoi est-ce qu’on m’enlèverait tous mes droits d’un coup ? C’est absurde, témoigne Arnaud Boulay. D’autant que notre régime est excédentaire ! » En 2022, la caisse de retraite des IEG a en effet apporté 120 millions d’euros au régime général. À Beynes, toutes et tous défendent l’extension de ce régime à l’ensemble des Français.

« Notre régime fonctionne depuis 1946. Notre message, c’est laissez-nous travailler, laissez-nous tranquille, clame Frédéric Probel, secrétaire général du syndicat CGT énergie de Bagneux (Hauts-de-Seine). Même si cette loi est votée, on continue. Cette loi, elle ne s’appliquera pas. » Comme lui, beaucoup ont en tête l’exemple de mars 2006, où la loi sur le Contrat première embauche (CPE) avait été promulguée, mais jamais mise en œuvre.

Chez Storengy Beynes, 1,2 milliard de mètres cubes de gaz reposent dans le sous-sol (là où le plus gros site de stockage français en contient 7 milliards). On est à la jonction de neuf gazoducs, qui embarquent le gaz depuis ou vers la Bretagne, la Normandie, et surtout l’Île-de-France. Sur les 70 salarié·es qui travaillent sur le site, 35 techniciens suffisent à assurer. Les grévistes qui tiennent le piquet tournent, par tranches de deux heures l’après-midi, et de une heure le matin, pour assurer l’occupation du site sans être trop pénalisés financièrement.

Les douze sites de Storengy en France sont occupés de cette façon. Ils alimentent le pays en gaz, alors que les terminaux méthaniers sont à l’arrêt et que les gazoducs fonctionnent au ralenti depuis que la Russie a stoppé son approvisionnement de la France, en juin. Ils alimentent également les centrales à gaz, qui assurent environ 10 % de la production d’électricité en France.

Passer à la vitesse supérieure 

Les grévistes ne bloquent pas la circulation du gaz, mais font très régulièrement pression sur leur direction pour faire baisser le niveau du gaz qui circule dans le réseau. Le 15 mars, ils ont obtenu que la pression baisse jusqu’au seuil symbolique de 49,3 bars – sous 49 bars, les centrales à gaz ne peuvent plus fonctionner, et le réseau s’effondre si la pression descend sous 20 bars.

« Même en cas de coupure de notre côté, il n’y aura pas d’impact sur les particuliers, tient à rappeler Alberto da Silva, élu CFDT. Ce sont seulement nos clients industriels, Engie, TotalEnergies ou ENI, pour qui nous stockons le gaz, qui devront trouver d’autres solutions d’approvisionnement. Pour ces grosses entreprises, ce sera une désoptimisation financière, rien de plus. » Le syndicaliste rappelle que Storengy n’est pas propriétaire du gaz stocké : « On est seulement prestataires de service, comme un parking où nos clients viendraient garer leurs voitures. »

Sur place, tout le monde en était conscient, avant même la certitude que le 49-3 allait être utilisé : on est passé à une autre étape dans le rapport de force. « On voudrait que tout le peuple se soulève pour faire reculer le gouvernement », dit simplement Fatma, élue CGT chez GRT Gaz, qui gère les infrastructures gazières, à Gennevilliers.

« Le vote une fois tous les cinq ans, ce n’est pas un chèque en blanc pour les responsables politiques, embraye son collègue César. La légitimité, ce n’est pas de faire un score misérable au second tour de la présidentielle face à Marine Le Pen. Il faut qu’ils le sachent, il y aura des actions pour dire notre colère. Il y en a marre d’être sages. »

« Le président de la République nous accule, il considère que les millions de personnes sorties dans la rue n’existent pas, estime Yasmina, élue Solidaires d’EDF R&D, venue en soutien. Le gouvernement nous pousse à aller plus loin, il faut monter d’un cran dans les actions. »

« C’est notre modèle social qui est attaqué, poursuit son amie Catherine, élue CGT chez EDF. Après la retraite à 64 ans, Édouard Philippe ne fait pas mystère de sa volonté de pousser à 67 ans. Et après, quoi ? On réduit le nombre de jours fériés ? On supprime une semaine de congés payés ? On diminue la durée du congé maternité ? On peut dérouler longtemps la pelote, on va à l’inverse du progrès social. »

Les responsables syndicaux sont à l’unisson de leurs troupes, excédées par la surdité d’Emmanuel Macron. « Jusqu’à présent, on a été raisonnables, on a préservé l’outil de travail, mais si le gouvernement ne nous entend pas, on agira autrement », glisse Philippe Guimard, délégué syndical FO de Storengy.

Les coupures se multiplient 

Les gaziers et les électriciens ont déjà commencé à faire monter la pression depuis plusieurs jours. Le secteur est le plus visible dans les actions, avec celui des éboueurs – les deux professions partagent d’ailleurs la gestion des incinérateur, bloqués à Paris depuis dix jours.

Parmi les grévistes de ce 16 mars, la nouvelle de la garde à vue de cinq de leurs collègues marseillais – dont Renaud Henry, secrétaire générale de la CGT Énergie Marseille et figure de l’opposition à la réforme, que Mediapart a suivi récemment – a alimenté la colère.

Des centaines de gars savent comment couper, et on ne pourra pas mettre un policier derrière chacun d’entre eux !

Après les actions « Robin des bois » pensées pour éviter toute nuisance, les coupures à répétition se multiplient désormais. Elles visent des permanences et des domiciles de députés et sénateurs, ou des lieux symboliques comme Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille le 14 mars, ou le Stade de France à Saint-Denis le 9 mars.

« Au Stade de France, l’idée est de montrer qu’on a les mains sur les manettes, qu’on est capables d’agir, commente Frédéric Probel. La vérité, c’est que les employeurs sont plutôt rassurés quand les syndicats sont présents, car ils savent que tout sera fait proprement et en responsabilité. Après, des centaines de gars savent comment couper, et on ne pourra pas mettre un policier derrière chacun d’entre eux ! »

De la théorie à la pratique, les militants syndicaux présents à Beynes ont procédé en fin de matinée à « une mise en sobriété énergétique », en coupant l’électricité d’une partie du site. Comme à chaque action, « la stratégie de la tortue » a été mise en œuvre : des dizaines de personnes en rangs serrés, bras levés, empêchent de voir celles et ceux qui coupent, capuches relevées ou cagoules masquant les visages.

Pendant l’action, un chant retentit, sur une mélodie rendue célébre par les « gilets jaunes » : « Emmanuel Macron, si tu continues, il va faire tout noir chez toi ! » Si les choses n’étaient pas assez claires, un autre slogan enfle, qui pourrait bien devenir un mot d’ordre dans les jours qui viennent pour les syndicalistes les plus résolus : « Grève, blocage, Macron dégage ! »

  publié le 15 mars 2023

Au port du Havre, « si on ne se bat pas aujourd’hui, que vont faire nos gosses demain ? »

Maxime Sirvins  et  Hugo Boursier  sur www.politis.fr

Très mobilisés, les travailleurs portuaires du Havre ont commencé, le mardi 14 mars, soixante-douze heures de grève contre la réforme des retraites. Reportage au petit matin.

« On ne désarmera pas et on montera en puissance », lance Laurent Delaporte, secrétaire général de la CGT des travailleurs portuaires du Grand Port maritime du Havre, au petit matin du mardi 14 mars. Dès 6 h 30, alors que la température ne dépasse pas les 7 °C et que le vent souffle jusqu’à 80 km/h, une bonne centaine de travailleurs portuaires vont bloquer le siège d’Haropa Port, le complexe portuaire qui regroupe les ports de Paris, de Rouen et du Havre, à l’appel de la section locale de la CGT.

Des camions sont garés en travers du grand boulevard pendant que des syndicalistes mettent le feu à un tas de pneus pour protester contre la réforme des retraites. « Notre fédération a décidé de durcir le mouvement en appelant à 72 heures de grève, dont une journée “port mort” jeudi », explique François Brisot, secrétaire adjoint de la fédération. La semaine dernière, une grève de 48 heures avait déjà paralysé le port, premier en France pour le trafic des conteneurs, avec trois millions d’unités par an en 2022.

Alors que de rares badauds filment la scène et que quelques jeunes aident à brûler des pneus, la centaine de salariés, vêtus de leurs gilets jaunes et rouges, tiennent fermement la route et ne comptent pas s’arrêter là dans l’intensification du mouvement.

Pour Sébastien Fassi, qui participe aux manifestations depuis deux mois, il faut « durcir le ton » car après avoir « commencé par des manifestations tranquilles, finalement on se rend compte que marcher gentiment dans la rue ne permet pas d’être écoutés ». « On nous prend carrément pour des guignols », lance le syndicaliste. « Du coup, on bloque. »

Le combat, il faut aussi le mener pour les autres.

Pourtant, ce travailleur portuaire qui s’occupe de l’entretien des portiques à conteneurs – les grandes grues qui chargent et déchargent les bateaux – partira à la retraite avant ses camarades. Timidement, presque avec honte, il explique être travailleur de l’amiante, ce qui lui permettra d’arrêter le travail plus tôt. Rassuré par un collègue qui lui explique qu’il le « mérite » face aux risques sanitaires, Sébastien Fassi ajoute : « Je ne suis pas là à me battre pour moi, je suis là pour me battre pour les autres personnes, pour mes camarades et pour mes enfants. Le combat, il faut aussi le mener pour les autres. »

Même son de cloche pour François Brisot sur les formes que doit prendre la lutte. « Qu’on soit un, deux ou trois millions dans la rue, le gouvernement continue de regarder ailleurs », assène le syndicaliste, avant d’ajouter : « Certains préfèrent manifester car ils se mettent uniquement deux heures en grève. Ils ne peuvent pas se permettre de poser 24 heures pour bloquer. On a donc besoin de multiplier et de diversifier les actions. »

Si, aujourd’hui, ils réalisent leur action devant le siège d’Haropa Port, c’est avant tout pour « envoyer un message », explique Laurent Delaporte, conscient que cette réforme touche tout le monde et tous les corps de métiers. « C’est un siège symbolique de l’autorité portuaire, pour inviter tous nos patrons à retourner vite vers leurs relais politiques et gouvernementaux afin qu’ils retirent le projet de loi. » Pour ce syndicaliste, c’est avant tout un « combat de société ».

Car le ras-le-bol général s’est ancré profondément. « Quand on voit comment on galère aujourd’hui pour se soigner. Quand on voit comment on galère pour mettre de l’essence dans sa voiture. Quand on voit sa liste de courses et le prix dans les magasins. Quand on voit l’inflation monstrueuse et les salaires qui ne suivent pas. Tout ça, c’est un changement profond de société qu’ils sont en train de nous imposer et ça ne nous convient pas. » Le syndicat enregistre depuis des semaines « des dizaines et des dizaines de nouvelles adhésions à l’union locale de la CGT », raconte François Brisot.

C’est un changement profond de société qu’ils sont en train de nous imposer et ça ne nous convient pas.

Au milieu des crépitements des pneus en feu, Sébastien Fassi charge plus encore le gouvernement. « On vire l’impôt sur les grandes fortunes, on ne taxe pas les grandes entreprises, certaines ne payent même pas d’impôts et pendant ce temps-là, on va taxer le pauvre peuple. On ne peut plus entendre ça, donc on a commencé par des journées de grève. La semaine dernière, c’était 48 heures, là, 72 heures, et je vous laisse imaginer ce que ça va donner la semaine prochaine. »

Mais, pour Laurent Delaporte, la lutte ne s’arrête pas à la réforme des retraites. « Il va falloir que cette réforme tombe et puis qu’on continue à monter ce mouvement de grogne des salariés contre une société qui ne nous convient pas. » Le but, pour le syndicat, est « d’éveiller les consciences, d’aller au débat avec les travailleurs pour leur faire comprendre ce qu’est cette société, et qu’il ne faut pas s’enfermer dans l’individualisme ou le fatalisme ».

Pour eux, il faut aller encore et toujours plus loin car le gouvernement « ne joue plus le jeu » avec ses recours aux articles 47.1, 49.3 et 44.2. « On utilise la Constitution pour tout et n’importe quoi dès lors qu’elle sert le pouvoir du président. » Pour le secrétaire général, un « changement politique profond » s’impose comme, par exemple, « la fin de la VRépublique ».

Le combat est sur le long terme. Et il vient tout juste de commencer. « Si on ne se bat pas aujourd’hui, je ne sais pas ce que vont faire nos gosses demain. On doit se battre pour eux. Et pour cela, il s’agit de se battre dès aujourd’hui pour espérer pouvoir les nourrir. » Le vent commence à se calmer. Mais la tempête face à la réforme des retraites ne fait que se lever. 


 


 

Tout comprendre à la grève des déchets à Paris

Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce. 

Depuis le 6 mars, l’ensemble des salariés de la filière déchets sont en grève à Paris. Cette mobilisation a été rendue possible par une coordination entre de multiples secteurs et entreprises, bien décidés à faire échouer la réforme des retraites. Malgré les tentatives de casser le mouvement, la solidarité tient bon.

 Des déchets devant le Palais de l’Élysée. L’image a fait réagir et a vite animé les plateaux des chaînes d’informations en continu. Et pour cause : s’il a fallu du temps aux salariés de la filière déchets pour se mettre en grève, la mobilisation ne faiblit pas depuis le 6 mars. Depuis plus d’une semaine, les agents de la collecte et du traitement des déchets de Paris ont réussi une grève reconductible.

À Nantes, Le Mans, Rennes, Angers, Antibes, Dole, Le Havre, les éboueurs sont également mobilisés. Mais la grève parisienne semble particulièrement marquer les partisans de la réforme des retraites, au point de susciter des fantasmes et de servir d’arène politicienne à certains élus.

Les agents de la mairie en grève

Le 6 mars, à la veille d’une journée de mobilisation nationale, les éboueurs employés par la ville de Paris commençaient leur grève. Anticiper d’une journée leur mobilisation par rapport au reste du mouvement social leur a permis d’augmenter leur impact. « Il n’y a pas de collecte le dimanche », nous expliquait François Livartowski, secrétaire fédéral de la CGT Services Publics. Dans la journée du lundi, l’équivalent de deux journées de déchets, soit plus de 500 tonnes, s’entassait donc déjà dans les rues de certains arrondissements parisiens. Depuis ce jour, la collecte est ainsi perturbée dans les très bourgeois 2e, 5e, 6e, 8e et 16e arrondissements de Paris, et également dans le 12e, 14e et 20e. Selon la mairie de Paris, citée par France Info, 7 000 tonnes de déchets n’auraient pas été ramassées depuis une semaine.

Loin de se terminer, la grève est au contraire partie pour durer. Le 14 mars, les grévistes ont voté sa reconduction jusqu’au 20 mars, lors d’une assemblée générale chapeautée par la fédération CGT du nettoyage de la ville de Paris (FTDNEEA), très largement majoritaire dans le secteur. Les grévistes se disent, en outre, prêts à « engager des nouvelles formes d’actions qui participeraient à la victoire des travailleurs » en cas de vote de la réforme ou d’utilisation du 49.3.

La grève des déchets s’étend au privé

Tous les arrondissements ne sont pas concernés. La mairie de Paris a en effet décidé de confier la collecte des déchets de l’autre moitié des arrondissements à trois entreprises privées, où il est plus difficile de mobiliser les salariés. Mais dans l’entreprise Pizzorno, en charge de la collecte dans le 15e arrondissement, les éboueurs ont réussi à se démarquer. La totalité des agents sont en grève. « La grève a été reconduite à l’unanimité jusqu’à demain avec des AG quotidiennes », nous indiquait, le 14 mars, Matthieu Carrier, élu CGT à la ville de Paris. Le syndicaliste a soutenu les salariés dans l’organisation de leur grève et l’assure : « la détermination est au maximum et le mot d’ordre est la reconduction systématique jusqu’à l’ouverture de négociations salariales avec des revendications ambitieuses ».

Un conflit interne à l’entreprise vient en effet s’ajouter à celui sur la réforme des retraites pour ces salariés. En octobre 2022, 90 % des salariés du site étaient déjà en grève, pour obtenir de meilleures conditions de travail. Après six jours d’interruptions du travail, un accord a été signé, avec à la clé six nouveaux camions et des primes pour certains agents. « Mais l’accord de fin de conflit n’a jamais été appliqué », s’indigne Valentin Soen, secrétaire général de l’union locale CGT de Vitry-sur-Seine. En plus de l’application de l’accord et de l’abandon de la réforme des retraites, les salariés demandent une augmentation de 8 % de leur salaire. « Le patron a proposé 3,6 % », s’agace Mathieu Carrier. Une promesse qui n’engage pas à grand-chose puisqu’il s’agit de l’augmentation déjà prévue par la convention collective du secteur.

Casser la grève des déchets

Face à une direction tout aussi obtuse que le gouvernement, la mobilisation des salariés de Pizzorno ne devrait donc pas s’arrêter au lendemain du vote de la réforme. Ils devront cependant faire face à la résistance de l’entreprise, prête à tout pour casser la grève. Celle-ci a en effet envoyé une vingtaine de salariés normalement employés sur d’autres sites, notamment celui de la Seyne-sur-Mer ou de Draguignan (83) pour assurer la collecte des déchets parisiens.

« Ils ont réussi à sortir dix camions pour casser la grève. Ils sont arrivés en pleine nuit [ndlr : entre dimanche et lundi], et le temps d’appeler du renfort, c’était déjà trop tard », témoigne Matthieu Carrier. Le site compte une trentaine de camions, dédiés au ramassage parisien, mais aussi à la collecte dans d’autres villes aux alentours. Dans ces dernières, la collecte est forcément perturbée : bien que la grève y soit moins forte, les camions manquent. Dans la plupart des autres communes d’Ile-de-France où la collecte est assurée par le privé, « la grève se limite aux journées nationales », indique Ali Chaligui, élu de la CGT Transport, en charge de ces questions.

Pour éviter que de nouveaux camions ne sortent du dépôt, les éboueurs ont ainsi appelé à un « blocage en 3X8 » du site. « C’est un blocage citoyen, c’est l’interpro qui bloque, pas les grévistes », souligne Valentin Soen. L’enjeu est en effet d’éviter toute mesure de rétorsion de la part de l’entreprise. Matthieu Carrier témoigne de « pics de soutien à 40 personnes qui baisse à une petite dizaine dans les temps faibles ».

Ce n’est pas la première fois que Pizzorno a des relations conflictuelles avec ses salariés. Sur son site varois, une grève avait aussi éclaté en octobre 2022. Les salariés exigeaient de meilleurs salaires et une amélioration de leurs conditions de travail. Après un blocage du dépôt pendant une semaine, des salariés avaient payé le prix fort de leur engagement dans la lutte. « Ils ont convoqué 12 personnes. Il y en a 10 qui ont été mises à pied pendant trois semaines, dont moi. Et deux ont été licenciées », indique David Hatier, délégué CGT sur le site de la Seyne-sur-Mer. Sur son site, la grève contre la réforme des retraites n’a donc pas eu lieu. « Ils ont mis la pression. Donc les gens ont peur. Il n’y a juste qu’une poignée de courageux qui seraient prêts à faire grève », regrette-t-il.

Des déchets sans destination

L’entassement des déchets n’a pas tardé à susciter l’indignation des élus de la droite. Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, pourtant non-concerné par la grève, a ainsi demandé sur Twitter « l’instauration d’un service minimum de collecte des déchets » en accablant Anne Hidalgo, la maire de Paris, qui, bien que n’entretenant pas d’excellentes relations avec ses agents, n’a de toute façon pas de pouvoir en la matière. La réquisition relève en effet de la compétence de l’État. La municipalité semble cependant avoir fait appel à une entreprise privée déjà en charge de la collecte dans une partie de la ville, Derichebourg, pour collecter les déchets d’arrondissements normalement sous régie publique, indique BFM TV.

Mais c’est de toute manière oublier bien vite que cette grève s’exprime à toutes les étapes de la filière. Ainsi, la totalité des agents en charge de la conduite des trois incinérateurs de déchets de la petite couronne de la région parisienne, sont, eux aussi, en grève. « On voit des usagers qui se plaignent des odeurs en disant que c’est insalubre. Nous, nos salariés, ils sont en permanence avec des déchets », fait d’ailleurs remarquer Marc Bontemps, élu de la branche Énergie de la CGT (FNME). « La moyenne d’âge du décès chez nous, elle est de 70 ans », souligne-t-il.

Jusqu’à maintenant, les salariés de ce secteur pouvaient partir à la retraite à 57 ans. Ce sera 59 ans, et même 64 ans pour les nouveaux arrivants, si la réforme est adoptée. « Nos salariés sont prêts à se battre corps et âme pour les jeunes qui arrivent. Nos outils de travail, ils n’ont pas changé. » La grève va se poursuivre, au moins jusqu’à jeudi où une nouvelle assemblée générale aura lieu, et devrait probablement entériner la poursuite du mouvement.

Actuellement, les cheminées des incinérateurs d’Ivry-sur-Seine et d’Issy-les-Moulineaux ont cessé de cracher leurs fumées. Celui de Saint-Ouen avait opportunément été mis en maintenance par la direction, le 5 mars, à la veille de la grève. « C’était une tentative de contournement du droit de grève », accuse Marc Bontemps. Néanmoins, les salariés de la maintenance sont également en grève, ce qui devrait donc repousser d’au moins une semaine le redémarrage de l’incinérateur.

Même collectés, les déchets devront ainsi s’entasser dans les camions, faute de destination immédiate. En temps normal, il est possible d’entreposer le surplus de déchets sur le site de stockage de Romainville, avant qu’ils ne soient envoyés à Claye-Souilly (77) où ils sont enterrés. Mais désormais, le site de Romainville est saturé.

Jeudi 16 mars, les sénateurs devraient une nouvelle fois approuver la réforme des retraites. Il leur suffirait pourtant de jeter un œil à l’extérieur du Palais du Luxembourg, pour y voir une ribambelle de poubelles, symbole de la colère sociale.

  publié le 15 mars2023

Hausse des importations d’armes en Europe • Domination accrue des États-Unis sur le commerce mondial des armes

sur https://www.obsarm.info

Communiqué du Sipri Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (en anglais, Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI

(Stockholm, 13 mars 2023) - Les importations d’armes majeures par les États européens ont augmenté de 47 % entre 2013-17 et 2018-22, tandis que le niveau mondial des transferts internationaux d’armes a diminué de 5,1 %. Les importations d’armes ont globalement diminué en Afrique (-40 %), dans les Amériques (-21 %), en Asie et Océanie (-7,5 %) et au Moyen-Orient (-8,8 %) – mais les importations vers l’Asie de l’Est et vers certains États situés dans d’autres zones à forte tension géopolitique ont fortement augmenté. La part des États-Unis dans les exportations mondiales d’armes est passée de 33 à 40 %, tandis que celle de la Russie est passée de 22 à 16 %, selon les nouvelles données sur les transferts internationaux d’armes publiées aujourd’hui par le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).

« Même si les transferts d’armes ont diminué à l’échelle mondiale, ceux vers l’Europe ont fortement augmenté en raison des tensions entre la Russie et la plupart des États européens », souligne Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI. « Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États européens veulent importer plus d’armes, plus rapidement. La concurrence stratégique se poursuit également ailleurs : les importations d’armes par l’Asie de l’Est ont augmenté et celles du Moyen-Orient restent à un niveau élevé. »

Les exportations d’armes américaines et françaises augmentent, celles de la Russie diminuent

Les exportations mondiales d’armes ont longtemps été dominées par les États-Unis et la Russie (constamment premier et deuxième plus grand exportateur d’armes ces trois dernières décennies). Cependant, l’écart entre les deux s’est considérablement creusé, tandis que celui entre la Russie et le troisième exportateur - la France - s’est rétréci. Les exportations d’armes américaines ont augmenté de 14 % entre 2013-17 et 2018-22, les États-Unis représentent 40 % des exportations mondiales d’armes en 2018-22. Les exportations d’armes de la Russie ont chuté de 31 % entre 2013-17 et 2018-22. Sa part dans les exportations mondiales d’armes est passée de 22 % à 16 %, tandis que la part de la France est passée de 7,1 % à 11 %.

Le nombre des principaux destinataires d’armes russes est passé de 10 à 8 entre 2013-17 et 2018-22. Les exportations vers l’Inde, plus grand destinataire d’armes russes, ont chuté de 37 %, tandis que les exportations vers les 7 autres destinataires ont diminué en moyenne de 59 %. Cependant, les exportations d’armes russes ont augmenté vers la Chine (+39 %) et l’Égypte (+44 %), désormais deuxième et troisième destinataire de la Russie.

« Il est probable que l’invasion de l’Ukraine limitera davantage les exportations d’armes de la Russie. En effet, la Russie accordera la priorité à l’approvisionnement de ses forces armées. De plus, la demande des autres États restera faible en raison des sanctions commerciales prises contre la Russie et de la pression croissante exercée par les États-Unis et ses alliés pour ne pas acheter d’armes russes  », précise Siemon T. Wezeman, chercheur principal au Programme Transferts d’armes du SIPRI.

Les exportations d’armes de la France ont augmenté de 44 % entre 2013-17 et 2018-22. La plupart de ces exportations étaient destinées aux États d’Asie, d’Océanie et du Moyen-Orient. L’Inde a reçu 30 % des exportations d’armes françaises en 2018-22. La France a supplanté les États-Unis en tant que deuxième plus grand fournisseur d’armes de l’Inde, après la Russie.

« La France gagne une plus grande part du marché mondial des armes tandis que les exportations d’armes russes diminuent, comme on le voit en Inde, par exemple », souligne Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI. «  Une tendance appelée vraisemblablement à se poursuivre car, fin 2022, la France avait beaucoup plus de commandes d’armements en cours que la Russie.  »

L’Ukraine devient le troisième importateur mondial d’armes en 2022

De 1991 à fin 2021, l’Ukraine a importé peu d’armes majeures. Grâce à l’aide militaire des États-Unis et de nombreux États européens, suite de l’invasion russe en février 2022, l’Ukraine est devenue le 3ème plus grand importateur d’armes majeures en 2022 (après le Qatar et l’Inde) et le 14ème en 2018-22. L’Ukraine représente 2,0 % des importations mondiales d’armes durant cette période de cinq ans.

« En raison de préoccupations liées à la manière dont la fourniture d’avions de combat et de missiles longue portée pourrait aggraver davantage la guerre en Ukraine, les États de l’Otan ont refusé la demande de l’Ukraine en 2022. Dans le même temps, ils ont fourni ces armes à d’autres États impliqués dans un conflit, en particulier au Moyen-Orient et en Asie du Sud », précise Pieter D. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI.

L’Asie-Océanie demeure la première région importatrice

L’Asie et l’Océanie ont reçu 41 % des transferts d’armes majeures en 2018-22, une part légèrement inférieure à celle de 2013-17. Malgré la baisse globale des transferts vers la région, certains États enregistrent des augmentations et d’autres des diminutions notables. Six États de la région figurent parmi les 10 plus grands importateurs mondiaux en 2018-22 : l’Inde, l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, le Pakistan et le Japon.

Les importations d’armes par les États d’Asie de l’Est ont augmenté de 21 % entre 2013-17 et 2018-22. Celles de la Chine ont augmenté de 4,1 %, la plupart provenant de Russie. Cependant, les augmentations les plus importantes en Asie de l’Est ont été enregistrées par les alliés des États-Unis : la Corée du Sud (+61%) et le Japon (+171%). L’Australie, plus grand importateur d’armes d’Océanie, a augmenté ses importations de 23 %.

« La crainte grandissante de menaces provenant de la Chine et de la Corée du Nord a entraîné une demande croissante d’importations d’armes par le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, notamment pour des armes à longue portée », indique Siemon T. Wezeman, chercheur principal au programme Transferts d’armes du SIPRI. « Le principal fournisseur de ces trois États sont les États-Unis. »

L’Inde reste le premier importateur d’armes au monde, bien que ses importations aient diminué de 11 % entre 2013-17 et 2018-22. Cette baisse est liée à un processus d’approvisionnement complexe, à la diversification des fournisseurs d’armes et à des tentatives pour remplacer les importations par des fabrications locales. Les importations du Pakistan, huitième plus grand importateur d’armes en 2018-2022, ont augmenté de 14 %, la Chine est son principal fournisseur.

Le Moyen-Orient reçoit des armes américaines et européennes de pointe

Trois des 10 principaux importateurs en 2018-22 se trouvaient au Moyen-Orient : l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Égypte. L’Arabie saoudite est le deuxième plus grand importateur d’armes en 2018-22 et a reçu 9,6 % du total des importations mondiales d’armes au cours de cette période. Les importations d’armes du Qatar ont augmenté de 311 % entre 2013-17 et 2018-22, ce qui en fait le troisième plus grand importateur d’armes en 2018-22.

La grande majorité des importations d’armes au Moyen-Orient proviennent des États-Unis (54 %), suivis de la France (12 %), de la Russie (8,6 %) et de l’Italie (8,4 %). Ils comprennent plus de 260 avions de combat avancés, 516 nouveaux chars et 13 frégates. Les États arabes de la seule région du Golfe ont passé des commandes pour plus de 180 avions de combat supplémentaires, tandis que 24 ont été commandés à la Russie par l’Iran (qui n’a reçu pratiquement aucune arme majeure en 2018-22).

Autres développements notables

  • Les importations d’armes par l’Asie du Sud-Est ont diminué de 42 % entre 2013-17 et 2018-22. Cette baisse s’explique, au moins en partie, par le fait que les États absorbent encore les équipements livrés avant 2018. Les Philippines ont résisté à cette tendance, avec une augmentation des importations d’armes de 64 %.

  • Les États européens de l’Otan ont augmenté leurs importations d’armes de 65 % cherchant à renforcer leurs arsenaux face à une menace accrue perçue de la part de la Russie.

  • Entre 2013-17 et 2018-22, les exportations d’armes des États-Unis vers la Turquie ont considérablement diminué en raison de tensions bilatérales. La Turquie est passée de 7ème au 27ème plus grand destinataire d’armes américaines.

  • Les importations d’armes par les États d’Afrique subsaharienne ont chuté de 23 %. L’Angola, le Nigeria et le Mali étant les principaux destinataires. La Russie a supplanté la Chine en tant que plus grand fournisseur d’armes de la sous-région.

  • Les importations d’armes par trois États situés sur le continent américain ont considérablement augmenté : États-Unis (+31 %), Brésil (+48 %) et Chili (+56 %).

  • Parmi les sept premiers exportateurs d’armes au monde - après les États-Unis, la Russie et la France-cinq pays ont vu leurs exportations d’armes chuter : la Chine (-23 %), l’Allemagne (-35 %), le Royaume-Uni (-35 %), l’Espagne (-4,4 %) et Israël (-15 %) - tandis que deux autres ont enregistré de fortes augmentations – l’Italie (+45 %) et la Corée du Sud (+74 %).

Traduction française : Aziza Riahi, Observatoire des armements

  publié le 14 mars 2023

15 mars. « On se bat pour les retraites de tous »

Cyprien Boganda et Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Alors qu’une nouvelle journée d’action est prévue ce mercredi 15 mars, à l’appel de l’intersyndicale, les grévistes veulent capitaliser sur un soutien populaire toujours aussi massif. Témoignages de Paris à Saint-Nazaire.

La question est aussi ancienne que les mouvements sociaux. Dans les raffineries, les ports ou les gares, à mesure que les grèves se reconduisent et que la colère grandit, chacun se demande comment s’ancrer dans la durée sans épuiser ses forces, ni son capital de sympathie.

Une semaine décisive vient de s’ouvrir dans la bataille des retraites, avec un possible vote sur le projet de loi en ligne de mire. Ce mercredi 15 mars, jour de la commission mixte paritaire (CMP) au Parlement, l’intersyndicale appelle à une nouvelle journée d’action.

Sur le terrain, les salariés les plus en pointe dans le mouvement s’organisent concrètement, jour après jour, pour poursuivre les grèves entamées la semaine dernière. Dans le bassin nazairien, la détermination ne faiblit pas.

« Tous les outils de production sont à zéro » dans l'énergie

Les grévistes qui, ce matin-là, s’abritent des rafales de vent et de la pluie, devant la centrale thermique de Cordemais (Loire-Atlantique), affichent leur confiance : « La mobilisation est de très haut niveau, exceptionnelle même, assure Christophe Jouanneau, secrétaire général de la FNME 44. Tous nos outils de production sont à zéro. » Il cite la centrale à charbon, le terminal méthanier ou encore la centrale à gaz.

Idem au port où les terminaux portuaires sont tous à l’arrêt, fermés, et à la raffinerie où rien ne sort depuis mardi 7 mars 5 heures. Ce vendredi 10 mars, les raffineurs ont acté collectivement de poursuivre la grève au moins jusqu’au jeudi 16 mars 21 heures et selon les mêmes modalités.

Nourris de leurs expériences, les opérateurs ont appris à « peser sur l’économie sans trop perdre d’argent ». À chaque changement d’équipe par exemple, les agents des services de conduite se concertent pour décider qui cessera le travail ce jour-là, en tournant. Idem dans la raffinerie à côté. Ainsi, une soixantaine de salariés doivent chaque jour se mettre en grève sur près de 350 pour que la production soit interrompue.

En 2017, la caisse de grève a permis de tenir deux mois et demi

Fin février, la FNME a mis en place une caisse électronique de grève pour aider les plus touchés. À Cordemais, la solidarité prend racine dans la lutte menée en 2017 contre le projet de fermeture de la centrale. Un minimum de salariés en grève, les autres qui cotisent. Ce mécanisme a permis à l’époque de tenir deux mois et demi jusqu’à la levée de la menace, explique le responsable de la CFE-CGC, Damien Mouille : « En 2017, nous avions 250 cotisants sur 350 salariés », précise-t-il. « On n’est pas là pour crever la dalle. On s’organise intelligemment », lance un gréviste présent sous la tente.

C’est pour répondre à cette impérieuse nécessité – tenir sans « crever la dalle » – que les caisses de grève ont recommencé à fleurir sur tout le territoire. Certaines centrales comme la CFDT ou FO ont des caisses permanentes, alimentées par les cotisations des adhérents – les réserves cumulées chez la CFDT depuis cinquante ans atteignent les 140 millions d’euros, selon un responsable de la confédération cité par l’AFP.

Ailleurs, les caisses se remplissent uniquement en cas de conflit social d’ampleur, comme en ce moment. La cagnotte « solidarité CGT mobilisation », accessible sur le site Leetchi.com, affichait ce 13 mars près de 857 000 euros au compteur.

Un mouvement multiforme, en trois temps : grands-messes nationales, initiatives locales, et retour en entreprises pour convaincre les non-grévistes 

Tenir sans s’essouffler, donc… Et construire la lutte au jour le jour. C’est un mouvement multiforme, en trois temps, avec des grands-messes nationales, des initiatives locales, et des temps de retour dans les boîtes pour convaincre les non-grévistes et réfléchir aux prochaines actions, qui continue à se construire, analyse le secrétaire général de l’union locale CGT de Saint-Nazaire, Damien Girard.

Car quel que soit le parcours législatif de la loi, les salariés ici sont persuadés d’obtenir le retrait de la réforme. Damien Girard cite notamment le CPE, voté en 2006, puis retiré par Dominique de Villepin. Le vote bloqué au Sénat, l’évocation d’un 49.3 sur le texte final, ou encore, la menace d’exclusion à tout député de Renaissance qui ne voterait pas le texte, sont autant de signes qui montrent que, au fond, « ils ont les pétoches ».

En attendant, le soutien populaire au mouvement social ne faiblit pas : un sondage BVA publié en fin de semaine dernière montre ainsi qu’une large majorité de Français (61 %) approuve le « durcissement » du mouvement, ce qui en dit long sur l’exaspération sociale qui bouillonne dans le pays.

À Saint-Nazaire, tous racontent les mots de soutien lancés de la vitre des voitures, les sourires et les nombreux signes d’encouragement lors de cette matinée où les militants de la CGT ont fermé l’ensemble des accès au port et perturbé la circulation de plusieurs axes routiers.

Les Robins des bois de l’énergie, apparus en France dans les années 2000, ont repris du service

Partout dans le pays, les grévistes comptent bien capitaliser sur ce soutien, eux qui ont tout fait, depuis le début du mouvement, pour ne pas s’aliéner la sympathie de l’opinion. C’est dans ce but que les Robins des bois de l’énergie, apparus en France dans les années 2000 (et plus spécifiquement au cours du mouvement social de 2004 contre le changement de statut d’EDF), ont repris du service.

Au programme : coupures de courant « ciblées » – contre les permanences parlementaires macronistes, notamment –, rétablissement chez les usagers privés d’électricité, etc.

L’aspect « coup de com » de ce type d’actions est tout à fait assumé par Sébastien Roumet, 35 ans, Robin des bois dans la Vienne : « Bien sûr que cela a un impact médiatique, explique-t-il. Les journaux parlent davantage d’une coupure temporaire dans une permanence Renaissance que d’une baisse de rendements dans une centrale électrique ! Mais nos luttes ne se limitent pas à cela. »

Les scènes de fraternité se multiplient

En menant ce type d’actions, les Robins de bois tissent aussi des liens avec la population… et créent des interactions inattendues. « Il y a quelques jours, nous avons organisé le blocage collectif d’une grosse zone commerciale à Poitiers, raconte Sébastien. Les salariés d’un petit boulanger nous ont engueulés, en nous expliquant que l’action risquait de nuire à leur activité. Là-dessus, le patron arrive, et nous propose le café ! Il nous a assuré qu’il comprenait notre combat. Finalement, nous avons passé son compteur en quasi-­gratuité, en guise de remerciement. »

Anecdotique ? Pas seulement. Les scènes de fraternité se multiplient un peu partout en France, loin du procès « en prise d’otages » traditionnellement instruit contre les bloqueurs. « Nous recevons des courriers, des appels, des messages sur les réseaux sociaux, se réjouit Matthieu Bolle-Reddat, conducteur (CGT) de la ligne de RER C. Les gens nous disent : “Nous sommes derrière vous, ne lâchez rien.” Lorsqu’on fait des AG dans les gares, des usagers nous applaudissent, alors même qu’ils galèrent à cause de nous ! Ils savent que nous luttons pour le bien commun. »

Les paysans épaulent les grévistes

Le syndicaliste explique que les paysans ont décidé d’épauler­ les grévistes. Ce mercredi matin, près de 2 tonnes de denrées alimentaires (poulets, miel, pâté, etc.) doivent ainsi être distribuées aux salariés devant la gare de Versailles-Chantiers, collectés par le Mouvement de défense des ­exploitants familiaux (Modef) et la Confédération paysanne.

Même si le scénario d’une « grève par procuration » ­rebute certains grévistes, las de monter au front tout seuls, il faut bien avouer que, cette fois encore, une minorité de secteurs d’activité ont pris les devants du mouvement social, parmi lesquels l’énergie, le raffinage ou les transports en commun.

« J’assume complètement de me battre pour défendre les retraites de tout le monde, assure Matthieu Bolle-Reddat. Beaucoup de salariés en France ne peuvent pas le faire, pour des raisons diverses – travailleurs précaires, salariés de petites boîtes, retraités, etc. Cela dit, le plus dur dans ce type de combat, c’est le sentiment de solitude qui peut gagner les grévistes, ce sentiment de se battre tout seul dans son coin. C’est pour ça qu’il est aussi important de pouvoir compter sur le soutien de la population. » 


 


 

« À Grand’Maison, on sera en grève au moins jusqu’à dimanche »

Guillaume Pavis sur www.humanite .fr

En débrayage depuis neuf jours, les agents de la plus grande centrale hydroélectrique de France seront en tête de la manifestation grenobloise, mercredi, et comptent poursuivre le mouvement. Vaujany (Isère), correspondance.

Depuis neuf jours, les salariés grévistes occupent la centrale hydro­électrique de Grand’Maison, la plus puissante de France. Deux tas de pneus et des banderoles ornent l’entrée du site. L’une d’entre elles, estampillée CGT et FO, affiche la couleur : « Réforme des retraites : c’est non ». Derrière le portail, une trentaine de grévistes partagent, ce lundi matin, un petit déjeuner autour d’un brasero. Ils se bouchent subitement les oreilles lorsqu’une sirène d’alarme vient briser le calme de ce fond de vallée alpine. « On la fait sonner régulièrement pour signaler notre présence », s’amuse Valentin Dombey, délégué syndical d’EDF Hydro Alpes avant de détailler : « On se relaie jour et nuit pour occuper le site. On dort sur des matelas gonflables que l’on a installés à l’intérieur. »

Entre les massifs de Belledonne et des Grandes Rousses, la centrale fait partie, ce lundi, des cinquante sites (20 réacteurs, 15 hydro­électriques, 15 thermiques) où les énergéticiens ont « pris la main sur leur outil de travail », comme le revendique la CGT mines-énergie. Ici, « plus ça va, plus les gens sont déterminés, se réjouit Cyril Carnot, agent et élu CGT. Sur les 35 salariés du site, 90 % sont en grève. On sera là au moins jusqu’à dimanche ». À ses côtés, Johann abonde : « C’est la première fois que je fais grève aussi longtemps », détaille le technicien. « On assure tout de même nos astreintes pour la sûreté des équipements. Samedi soir, par exemple, je suis intervenu à 23 h 30. »

« Pour nous, c’est la double peine »

« On instaure un rapport de force en tapant au portefeuille », reprend Valentin. « EDF est contraint de se fournir chez nos voisins. Localement, les industries comme celles de l’électrométallurgie sont également obligées de baisser leur production. » Si la centrale est à l’arrêt, les grévistes font tourner les turbines en cas de fortes tensions sur le réseau. « Jusqu’ici on a joué le jeu. Car si le réseau venait à tomber, il faudrait compter une semaine pour redémarrer. On aimerait ne pas en arriver là », prévient Mathilde, technicienne sur le site voisin de Saint-Guillerme.

Loin de Paris, les agents ont pourtant l’œil rivé sur le Parlement. « Si le gouvernement passe en force, on montera le ton, prévient son collègue Hervé. J’aimerais que les députés et les sénateurs viennent nous voir pour se rendre compte de la pénibilité de nos métiers. Entre le bruit, la chaleur et les astreintes où l’on part dépanner tard dans la nuit en montagne… À 64 ans, très peu d’entre nous seront capables de le faire », détaille le technicien de 33 ans, entré à EDF à l’âge de 20 ans. C’est aussi le cas de Mathilde : « Pour nous, énergéticiens, cette réforme, c’est la double peine : en plus de décaler l’âge de départ, l’article 1 s’attaque à notre régime, pourtant excédentaire. On a déjà du mal à recruter pour travailler dans ces sites reculés… »

Pour tenir, les grévistes peuvent compter sur le soutien des habitants. « Hier soir, un restaurateur, qui ne peut pas faire grève, nous a même apporté des pizzas », se réjouit Valentin. Qui annonce : « Nous serons en tête de la manif, ce mercredi, à Grenoble. »

   publié le 14 mars 2023

Couper le chauffage, sauter les repas : face à l’inflation, la détresse des plus précaires

Faïza Zerouala sur www.mediapart.fr

Les prix de l’alimentaire ont explosé en un an. Cette hausse inédite fragilise les plus précaires en premier lieu. Mais pas seulement. Tout le monde doit élaborer des stratégies pour y faire face. Que ce soit les privations ou même le vol à l’étalage. Témoignages.

Depuis six mois, Éloïse* flotte dans ses vêtements. La presque quinquagénaire ne pèse plus que 43 kilos. Sur son petit gabarit, ses cinq kilos manquants sont voyants mais elle n’a pas les moyens de s’offrir une garde-robe à sa taille. Pas plus qu’elle ne peut s’offrir un repas le midi. Cela fait des mois que cette assistante administrative de 49 ans saute le déjeuner.

D’ordinaire, cette Parisienne s’achetait un paquet de pain de mie, du jambon et du fromage à tartiner et elle apportait tous les jours un sandwich au travail, où la cantine a toujours été hors budget pour elle. Le repas y vaut 7 ou 8 euros. « Avec un euro de pain de mie, deux euros de jambon et deux euros de fromage, je tenais une semaine. »

Désormais, même ça, c’est trop. Avec son salaire de 1 700 euros net, elle doit débourser 900 euros pour un F2 dans le Nord-Est parisien. Sans compter les factures.

Pour colmater sa faim, Éloïse se gave de boissons chaudes, « des chocolats crémeux consistants » disponibles à volonté au bureau. D’autres jours, elle profite des viennoiseries que des collègues apportent au bureau pour se nourrir un peu.

Éloïse est percutée par l’inflation galopante. Comme les personnes qui ont répondu à notre appel à témoins dans le Club. Parmi les témoignages reçus, une mère célibataire, bénéficiaire du Secours populaire, confie arriver toujours la dernière pour être servie au cas où il resterait des produits de fin de consommation. Elle se réfugie aussi à la médiathèque « pour avoir la bonne température quand [elle] ne fai[t] rien ».

Selon l’Insee, l’inflation des prix de l’alimentaire atteint 14,5 % sur un an et percute les Français·es de plein fouet. Du jamais-vu.

Le glissement opère en cercles concentriques. Les plus aisés qui ne jetaient jamais un œil aux prix y font davantage attention. Les classes moyennes qui s’en sortaient sans trop d’encombres ni privations commencent à tirer la langue. Les plus vulnérables vivent un casse-tête et ne savent plus quoi sacrifier pour s’en sortir. En parallèle, les vols à l’étalage ont augmenté de 14 % en 2022 selon le ministère de l’intérieur, même s’il reste difficile de relier cette hausse à la seule inflation de manière indiscutable.

Le 13 mars, le Secours catholique a interpellé le gouvernement dans un communiqué lui demandant « une action rapide et structurelle, en augmentant les ressources des personnes en situation de précarité de façon pérenne », notamment les minima sociaux. L’association demande autre chose que les paniers anti-inflation mis en place par le ministre de l’économie Bruno Le Maire.

Couper tout ce qui dépasse

En octobre, après une fin de mois particulièrement compliquée, Léa, 20 ans, étudiante en littérature à Strasbourg, a réalisé qu’elle n’avait plus assez d’argent pour acheter de la nourriture à son chat. Elle s’est résolue à une décision inédite pour elle. « J’ai commencé à voler dans les grandes surfaces quand j’ai constaté la hausse des prix, car ce n’était plus possible. »

Puis la jeune femme marque un temps d’arrêt dans son récit. « Je le fais, contrainte, pour manger décemment, parce qu’il y a des fois où je n’ai juste pas les moyens. » Elle prend dans les rayons « tout ce qui va être un peu plus cher, des produits d’entretien, la lessive, les choses comme ça, les gels douche, les déodorants et les protections périodiques ».

Sa mère a longtemps travaillé dans la grande distribution, elle lui a raconté qu’une marge était prévue dans les magasins pour prendre en compte le vol. De quoi lever tous ses scrupules. Les caisses automatiques, où certains articles peuvent ne pas passer au scanner de manière discrète, sont une aubaine pour le vol.

Ses seuls revenus proviennent de sa bourse, échelon 5 soit 430 euros par mois. Un peu plus que son loyer de 409 euros. Les 220 euros d’allocation pour le logement (APL) l’aident un peu. Mais il y a les factures incompressibles (électricité, Internet, téléphone, livres pour la fac…). De plus, son prêt étudiant de 4 000 euros, contracté pour financer ses études, s’essouffle. Elle n’a pas trouvé d’autre solution.

J’arrivais encore à m’offrir deux, trois bêtises dans l’année.

La « dégringolade » d’Éloïse – ce sont les mots de l’agente administrative de 49 ans – a commencé il y a cinq ans après son divorce. Elle vit avec son fils étudiant boursier de 19 ans qui touche 100 euros par mois et 120 euros de pension de son père. « Je ne suis pas à l’aise, déjà, de base. Mais jusqu’au Covid, j’arrivais encore à gérer, à mettre un peu de côté pour les coups durs. » Ce temps-là est fini. Puis, la guerre en Ukraine, l’inflation intenable sont survenues.

Depuis, Éloïse compte les centimes et ne compte plus les sacrifices. Ses courses hebdomadaires habituelles d’une valeur de 80 euros d’ordinaire coûtent aujourd’hui 120 euros. La femme dresse une longue liste de privations. Elle a tiré un trait sur la manucure chez qui elle allait une ou deux fois par an. Idem pour le coiffeur. Elle compare sa coiffure à « une espèce de champignon » indéfini, faute de coupe.

Ses chaussures sont un cadeau d’anniversaire de ses parents, après avoir usé les siennes jusqu’à l’os durant cinq ans. Elle se défend d’être superficielle mais tout ça reste important pour elle. « Ça paraît bête, mais c’est ultra-symbolique. J’arrivais encore à m’offrir deux, trois bêtises dans l’année. » 

Ôter un paquet de gâteau, différer l’achat de la lessive, acheter un déodorant pour son fils seulement et attendre le mois prochain pour prendre le sien. Est-il au courant de ces arbitrages incessants ? Éloïse pense que oui. « Il voit bien le frigo de toute façon… »

Dans La Promesse de l’aube, le roman autobiographique de Romain Gary, l’auteur surprend sa mère qui l’élève seule saucer avec délectation la poêle qui a servi à cuire le steak qu’il a mangé plus tôt. Elle prétendait n’aimer que les légumes et plus la viande. Le mensonge protecteur est dévoilé.

Katya, 52 ans, confie opter pour la même stratégie. Cette mère isolée au RSA ne consomme plus de produits carnés. À 19 ans, son fils est étudiant et travaille à temps partiel. Il donne à sa mère de quoi faire des courses et elle en a honte. Comme Éloïse, elle ne fait qu’un repas par jour, seulement le soir. Au menu, des pâtes ou un peu de riz mélangé à des lentilles car « ça cale ».

La quinquagénaire repousse au maximum l’échéance d’aller au magasin. Elle attend que ses placards soient vides pour se ravitailler. « On se débrouille comme on peut. Quand il n’y a plus de lessive, on lave son linge avec trois gouttes de liquide vaisselle. Les prix sont devenus trop excessifs en magasins discount. On ne sait plus où aller faire les courses. Alors on fouille son appartement en dénichant des choses que l’on vend sur Le Bon Coin, pour quelques euros. Je suis pourtant une petite mangeuse de nature, ne mange jamais de superflu… mais même comme ça c’est très difficile. » 

De son côté, Elissa*, autrice de 36 ans, bénéficiaire de Pôle emploi, se décrit en situation de fragilité. Avec 1 600 euros net, elle aussi coupé une partie de ses loisirs et sorties. Celle qui a vu sa facture d’alimentation augmenter de 20 euros par semaine. Elle témoigne de ses nouveaux réflexes de consommation et se restreint pour « pouvoir prévoir l’imprévu ».

Vivre à Paris est onéreux. La jeune femme « délocalise » ses courses en banlieue, où tout est moins cher, dès qu’elle le peut. Cette Parisienne recense une foule de renoncements, des plus anodins comme ce fromage qu’elle a reposé car trop cher. « C’était une des premières fois où je me suis empêchée de prendre quelque chose. J’ai appris à ne quasiment plus mettre le chauffage, car ma facture a presque doublé. Je mets plusieurs pulls. À force, avoir froid est devenu un inconfort admissible… »

Les visites chez ses parents sont vécues comme « des parenthèses enchantées » où elle ne se pose plus de questions sur ce qu’elle va manger ou sur les prix.

Quand ses deux enfants étaient petits, Laurence* désertait souvent, pendant une semaine, la boîte aux lettres pour esquiver les factures dont elle ne pouvait pas toujours s’acquitter. Mère isolée, elle a fait comme elle a pu. À 66 ans, Laurence, qui travaille dans l’administration dans l’Hérault, souffre d’une angoisse continue. Elle a l’impression qu’elle va revivre ce cauchemar.

Elle appréhende son prochain départ à la retraite et la perte de revenus afférente. Comme de nombreuses femmes, elle a connu une carrière hachée. De 1 700 euros, elle va devoir vivre avec 1 250 euros. Avec un loyer de 530 euros et 100 euros de mutuelle, le calcul est vite fait. « C’est un traumatisme qui remonte », insiste-t-elle.

Elle doit continuer d’économiser malgré l’inflation qui mange ses ressources. Les dépenses les plus superflues ont déjà sauté. Elle a résilié ses abonnements à des revues, n’achète plus de livres et ne fréquente plus les concerts de musique classique qu’elle aimait tant.

Je sais que, personnellement, si je ne volais pas dans les magasins, je ne mangerais peut-être pas à ma faim.

Comme les autres, Laurence a développé une multitude d’astuces pour rogner par-ci par-là. Elle ne chauffe pas son logement car l’immeuble est bien isolé. Elle fait ses courses au jour le jour, pour bénéficier des promotions à moins 25 % sur les produits frais à date de péremption proche. Laurence mange toujours froid pour éviter de réchauffer les aliments. Sa plaque électrique consomme beaucoup trop pour que ce soit rentable.

Au quotidien, la sexagénaire se contente de boîtes de conserve, souvent des saucisses lentilles. Un ami lui a aussi livré une astuce pour varier ses repas. Il suffit de faire tremper des pâtes toute la nuit dans l’eau pour qu’elles se ramollissent totalement, comme si elles avaient été cuites. Mais ça ne fonctionne pas pour le riz, prévient-elle. « Je me fais une tisane à chaque repas, comme ça je n’ai pas mal au ventre et j’ai une sensation de chaleur dans la bouche. »

« Avant », reprend Éloïse, il suffisait de freiner sur les loisirs, les restaurants pour tenir. « On était sur du surplus dont on apprenait à se passer. Là, on est en train d’apprendre à se passer des choses qui sont complètement vitales. »

Certaines dépenses sont toutefois impossibles à sacrifier.

Depuis six mois, la thérapie est devenue indispensable à Léa, l’étudiante contrainte de voler pour manger. Elle souffre d’une dépression et d’un trouble anxieux. La pression scolaire, les années Covid – elle était en terminale lors du premier confinement – et d’autres événements personnels l’ont fragilisée. S’inquiéter pour manger n’aide pas non plus à la sérénité. « Ça me coûte environ 120 euros par mois, ce qui fait qu’il ne me reste plus grand-chose pour moi. »

Le thérapeute lui avait prescrit une séance par semaine, elle ne peut se le permettre, elle se contente de deux fois par mois.

Mais soigner sa tête, c’est avoir des difficultés pour se remplir le ventre. « C’est vraiment compliqué, je vais le plus souvent possible manger au Crous pour bénéficier du repas à 1 euro. Ça m’aide vraiment beaucoup. Et sinon, je sélectionne le moins cher, j’évite les écarts. Je sais que, personnellement, si je ne volais pas dans les magasins, je ne mangerais peut-être pas à ma faim. Ou je mangerais des pâtes seulement. Et ce serait absolument dramatique.  Malgré ça, je galère quand même. »

De guerre lasse, la jeune femme compte arrêter ses études pour trouver un travail. Peu importe lequel, Léa prendra ce qu’elle trouve.

Laurence, la future retraitée, est d’une certaine manière soulagée de devoir affronter cela toute seule. « C’est violent au point de vue politique de se retrouver avec une retraite de misère, mais je suis heureuse de ne pas avoir à faire vivre cela à des enfants. » 

publié le 13 mars 2023

La population fait bloc
derrière les grévistes

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Cette septième journée de mobilisation a rassemblé samedi un large public familial. Plus d’un million de personnes, selon la CGT, sont venues réaffirmer leur refus de la retraite à 64 ans et leur soutien au mouvement social. Reportage dans le cortège parisien.

Les énormes et structurés cortèges syndicaux qui ont battu le pavé mardi ont laissé place aux familles avec poussettes et pancartes faites maison. Le relais est passé, le soutien populaire à la mobilisation s’est exprimé ce samedi 11 mars.

De quoi réchauffer le cœur de Cécile et d’Évelyne, deux institutrices, grévistes, qui cheminent de concert dans les rues parisiennes. « Il n’y a pas un parent d’élève qui ne nous soutienne pas », assure la première. « Cela a donné le courage à pas mal de collègues de faire grève », renchérit la seconde.

La journée de mardi a en effet enregistré 60 % de grévistes dans l’éducation nationale. Les colères s’accumulent : à la réforme des retraites s’est ajoutée la réception de la nouvelle carte scolaire, avec son cortège de suppressions de classes et de postes.<< Nouvelle zone de texte >>

« Et puis là il y a le bac qui arrive. J’ai une copine qui fait grève et qui assure quand même ses cours aux classes de terminale », précise Évelyne. Cécile acquiesce : « On veut se mobiliser, durcir le mouvement, mais on est un service public, ça a encore un sens, c’est avant tout le public qu’on pénalise. »

« Quand on dit que “ça va péter” »

Voilà une considération que connaît bien Nathalie, syndiquée à la FSU. Cette assistante sociale a une manière bien à elle d’exprimer le problème : « Quand je fais grève, les seuls que ça dérange, c’est les plus précaires. Vous croyez vraiment que Macron et Roux de Bézieux en ont quelque chose à faire quand les travailleurs sociaux débrayent ? Mais on n’a pas le choix », tranche-t-elle.

Elle prend une grande inspiration et s’imagine à 63 ans, épuisée, en plein burn-out… « Comment pourrais-je encore aider les gens qui en ont besoin ? C’est moi qui aurai besoin d’aide. » Le large soutien populaire au mouvement social, partout en France, la rassure.

Elle voudrait trouver des moyens de soutenir davantage ceux qui peuvent vraiment bloquer le pays. « Quand on dit que “ça va péter”, souvent on ne veut pas vraiment tout casser. Mais parfois, on n’a pas le choix », répète-t-elle.

Sentir le soutien populaire, s’en nourrir, se réconforter

Loin devant, en tête de manifestation, sous les ballons rouges de la CGT Île-de-France, Didier a l’air un peu fatigué. Il fut de toutes les journées de mobilisation, de tous les défilés depuis le 19 janvier et aurait bien passé ce samedi en famille. Travailleur et militant chez Enedis, c’est aussi l’un des 300 à avoir participé à l’action coup de poing au Stade de France jeudi.

Bravant la fatigue, il est venu sentir le soutien populaire, s’en nourrir, se réconforter. « C’est important, sans ce soutien, on ne serait pas là », lâche-t-il. Quand on parle de durcir le mouvement, Didier et ses camarades sont en première ligne. « On va multiplier les actions, les coupures de courant ciblées, revendiquées. On va aussi débrancher les compteurs d’hôpitaux, de boulangers et d’artisans pour qu’ils aient l’électricité gratuite, c’est populaire mais ça ne se voit pas beaucoup. Par contre, si ça continue, si ça se tend encore, il y aura sûrement des actions incontrôlables », prévient-il.

Avec ses près de trente années de militantisme à la CGT derrière lui, Didier est un peu résigné à rester en première ligne. Il comprend en tout cas ceux qui ont peur des répercussions : « On a tellement vu de conseils de discipline, de camarades licenciés… Ce couperet fait peur. »

« Si tu as 50 ou 100 balles à mettre dans une caisse de grève, c’est bien, mais ça veut surtout dire que tu as les moyens de faire grève ! »

À côté, Rudy, technicien de maintenance à la RATP et également militant CGT, n’est pas aussi conciliant. Pour lui, le simple soutien n’est plus suffisant et la situation exige davantage. Le terme de « grève par procuration » commence à l’agacer. « Si tu as 50 ou 100 balles à mettre dans une caisse de grève, c’est bien, mais ça veut surtout dire que tu as les moyens de faire grève ! Et ça ne te coûtera pas plus cher de descendre dans la rue », résume-t-il.

Place de la République, sa fille sur les épaules, sa mère à sa gauche, les trois générations de la famille de Mélanie s’apprêtent à rejoindre le cortège. Deux raisons ont décidé cette juriste, mère célibataire, à s’engager. « Déjà, j’ai calculé que si je voulais que ma fille puisse faire des études supérieures, je n’aurai jamais les moyens de m’arrêter, donc je n’aurai jamais de retraite », confie-t-elle.

Et de s’indigner : « Je suis sidérée par le mépris de ce gouvernement : plus de 90 % des travailleurs sont contre cette réforme et il s’en moque. En 1995, Juppé était tombé pour moins que ça ! »


 


 

Soutenir les grévistes
contre la réforme des retraites :
les caisses de solidarité, mode d’emploi

sur https://basta.media/

Pour que les grèves contre la réforme des retraites puissent durer, les syndicats ont mis en place ou relancé des caisses de solidarité. Des centaines de milliers d’euros sont déjà collectés. Explications et liens pour contribuer.

« Voici une idée que vous jugerez certainement irréaliste, car cela nécessiterait une unité et une solidarité nationales, au-delà des divergences syndicales et professionnelles…, nous écrivait un lecteur il y a quelques semaines. Le principe serait de lancer un mouvement de grève uniquement dans les secteurs d’activités susceptibles de bloquer l’économie du pays. Dans le même temps, une caisse de solidarité serait créée avec appel national aux dons afin d’indemniser les grévistes. » Le principe existe bel et bien déjà et s’appelle la « caisse de grève ».

Les caisses de grève avaient déjà joué un rôle central dans le mouvement contre la réforme des retraites de 2019. Elles avaient alors collecté plusieurs millions d’euros pour aider les grévistes mobilisés à tenir dans la durée. Cet élan solidaire est à nouveau à l’ordre du jour aujourd’hui, contre la nouvelle réforme des retraites d’Emmanuel Macron, qui veut relever l’âge de départ à 64 ans.

Des caisses de solidarité pour les grévistes, il en existe depuis le 19e siècle déjà. La CFDT en a une permanente, la Caisse nationale d’action syndicale, tout comme Force ouvrière avec son fonds de solidarité de grève confédéral.

En 2016, au moment des mouvements de grève reconductibles liés à la loi travail, la CGT Infocom (fédération du syndicat qui regroupe les professions de l’informatique, les journalistes, etc.) avait créé une caisse de grève interprofessionnelle et intersyndicale sous forme d’association, la Caisse de solidarité.

« Ne pas favoriser la grève par procuration »

Cette caisse a depuis soutenu de multiples mouvements : celui contre la réforme des retraites de 2019 évidemment, mais aussi les grévistes de Geodis ou de Total à l’automne dernier (toutes les grèves soutenues sont mentionnées sur cette page). La Caisse de solidarité est à nouveau à pied d’œuvre face au mouvement actuel. Depuis 2016, elle a récolté plus de 4,7 millions d’euros, et a aujourd’hui plus de 800 000 euros disponibles en soutien aux grèves contre la réforme des retraites version 2023.

La CGT a aussi lancé sa propre caisse de grève pour le mouvement, « pour gagner une réforme des retraites plus juste et plus solidaire ». Celle-ci a déjà réuni plus de 700 000 euros.

« La grève est un outil puissant dans les mains des travailleuses et des travailleurs. Évidemment, la grande difficulté pour les salarié·es, c’est la perte de revenu, souligne le syndicat Solidaires. C’est dans ce cadre que les caisses de grève peuvent être un outil important de la lutte… si on prend bien garde à ne pas favoriser la grève par procuration, où certain·es feraient grève, tandis que d’autres alimenteraient les caisses plutôt que la grève ».

La fédération Solidaires de l’Éducation nationale a notamment mis en place une caisse spécifique pour les grévistes du secteur. Il existe par ailleurs des caisses de grève locales de Solidaires. Le site « Caisses de grèves autogérés » recense aussi une multitude de caisse de grèves sectorielles ou locales.


 

Les différentes caisses où on peut donner

 La caisse en ligne de la CGT ou par chèque via le site de la CGT.

 La Caisse solidaire interprofessionnelle et intersyndicale https://www.caisse-solidarite.fr/

 La caisse de Sud-Éducation

 Tous les liens des caisses locales de Solidaires sont à retrouver ici

 La caisse de Sud-Rail

 Caisse de grève queer

 La caisse de grève mise en place par la France insoumise

 Le site qui recense différentes caisses de grèves

publié le 13 mars 2023

Le harcèlement
contre Salah Hamouri
se poursuit en France

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Dix-neuf associations et organisations syndicales ont écrit à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour lui demander de protéger la liberté d’expression et de réunion alors que des pressions s’exercent pour empêcher les villes d’organiser des rencontres avec l’avocat franco-palestinien

Depuis qu’il a été déporté par les autorités israéliennes et revenu en France, Salah Hamouri doit de nouveau affronter les soutiens les plus zélés à Israël. Parmi eux, on ne trouve pas que Meyer Habib, grand copain de Netanyahou et dont les photos le montrent aux côtés de l’actuel ministre d’extrême-droite Bezalel Smotrich.

Il y a d’abord le mininstre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui s’est activé pour faire en sorte qu’une table ronde sur les accords d’Oslo prévue à Lyon en présence de l’avocat franco-palestinien et défenseur des droits humains, ne puisse se tenir. Parlant de « projet mortifère », il laissait entendre qu’une telle réunion relevait de l’antisémitisme.

Les menaces se multiplient via les réseaux sociaux

Le même Darmanin a avait été saisi par un député macroniste, Mathieu Lefèvre. Un parlementaire qui reprend d’ailleurs, sans ciller, des tweets de la « Brigade juive », groupe sioniste ultra-violent. L’attitude des membres de Renaissance est d’ailleurs sans ambiguïté, à l’instar de Deborah Abisror-de Lieme. Candidate dans la 8e circonscription des Français de l’étranger (celle où était élu Meyer Habib qui se représente), elle a, en février dernier, indiqué qu’elle considérait Salah Hamouri comme un « terroriste ».

Tout est fait aujourd’hui pour tenter d’empêcher Salah Hamouri de s’exprimer en France. Les menaces se multiplient via les réseaux sociaux, sans doute encouragées par l’attitude du ministre de l’Intérieur.

Devant cette situation, dix-neuf associations et organisations syndicales ont écrit (voir ci-dessous) à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour lui demander de protéger la liberté d’expression et de réunion, de clarifier la position du gouvernement sur Salah Hamouri, et de renoncer à tout amalgame entre la critique de l’État d’Israël et la lutte légitime contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme.


 


 

Le droit de s’exprimer et de se réunir sur la question palestinienne en France : 19 organisations écrivent à la Première ministre

sur https://www.ldh-france.org/

Lettre ouverte de 19 associations, dont la LDH, et organisations syndicales

Alors que le gouvernement israélien, massivement contesté en Israël même, s’est engagé dans un développement accéléré de la colonisation et une répression sans limite contre les Palestiniens, on assiste en France à des prises de position inquiétantes pour nos libertés : des pressions inadmissibles ont abouti à l’annulation d’une réunion à Lyon, le ministre de l’Intérieur s’est associé à ces pressions en reprenant le narratif israélien contre notre compatriote Salah Hamouri, et des député-es, notamment de la majorité présidentielle, s’attaquent à leurs collègues dès qu’elles font entendre une voix critique par rapport à la politique israélienne.

C’est dans ce climat inquiétant que 19 associations et organisations syndicales ont écrit à la Première ministre pour lui demander d’agir en tant que cheffe du gouvernement et cheffe de la majorité. Ils lui demandent de protéger la liberté d’expression et de réunion, de clarifier la position du gouvernement sur Salah Hamouri, et de renoncer à tout amalgame entre la critique de l’État d’Israël et la lutte légitime contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme.

La lettre des 19 organisations, envoyée le lundi 6 mars, n’ayant toujours pas reçu de réponse, les organisations signataires ont décidé de la publier.

 

Madame la Première ministre,

Le 29 décembre dernier, l’État d’Israël s’est doté du gouvernement le plus marqué par l’extrême-droite de son histoire, au sein duquel des ministres condamnés pour incitation à la haine raciale occupent des responsabilités clés dans l’oppression du peuple palestinien. Ce gouvernement fait aussi figurer le développement de la colonisation de peuplement, qui constitue un crime de guerre, au premier rang de ses priorités. Les derniers événements à Huwara confirment malheureusement l’extrême menace que constitue cette politique pour le simple respect des droits humains.

Dans ces circonstances, on aurait pu penser que les partisans inconditionnels de la politique de l’État d’Israël feraient preuve d’une relative discrétion. Il n’en est malheureusement rien, et l’on voit se développer, au sein de votre gouvernement comme au sein de la majorité présidentielle, des pratiques qui sont à l’opposé des valeurs de notre République et qui menacent directement nos libertés.

Nous avons été particulièrement surpris et indignés d’entendre le ministre de l’Intérieur, lors de la séance des questions au gouvernement du 31 janvier, reprendre les positions des partisans les plus inconditionnels de la politique de l’État d’Israël, annoncer qu’il aurait fait interdire la réunion prévue par le maire de Lyon, tenir des propos haineux à l’encontre de Salah Hamouri et faire un amalgame honteux entre la critique de la politique de l’État d’Israël et l’antisémitisme. Il agissait ainsi en contradiction avec la décision du Tribunal administratif de Lyon. De plus, en mettant en avant l’argument des troubles à l’ordre public, il donnait une prime aux potentiels fauteurs de trouble au lieu de garantir la liberté d’expression.

Dans le même état d’esprit, des député·es de votre majorité, et même la Secrétaire générale du groupe Renaissance, multiplient les propos haineux et diffamatoires contre Salah Hamouri et se livrent sur les réseaux sociaux à des campagnes d’intimidation contre tous et toutes les député·es qui osent contester la politique du gouvernement israélien d’extrême-droite ou marquer leur soutien aux droits du peuple palestinien. Ils et elles pratiquent de la manière la plus éhontée l’amalgame entre la critique de la politique de l’État d’Israël et l’antisémitisme, alors même que cette politique est actuellement fortement contestée en Israël même.

Les attaques nombreuses, répétées, diffamatoires contre Salah Hamouri, de la part du ministre de l’Intérieur comme de député·es de la majorité inconditonnel·les de la politique de l’État d’Israël, vont à l’encontre de la politique affichée par le gouvernement et le président de la République. Faut-il rappeler que la France a condamné l’expulsion de Salah Hamouri, et a demandé à Israël qu’il puisse vivre librement à Jérusalem avec sa famille ? Faut-il rappeler que Salah Hamouri a été reçu au Parlement européen, qu’Amnesty International, qui met en œuvre des critères stricts et des enquêtes approfondies, le soutient en tant que défenseur des droits humains, et qu’il a reçu en décembre 2022 le prix des droits humains Engel – du Tertre de la fondation ACAT ? Et qu’il est également soutenu par la FIDH, directement et par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains ? Faut-il rappeler que, dans le passé, Salah Hamouri a tenu des dizaines de réunions publiques en France sans qu’aucune pose le moindre problème ? Avez-vous mesuré votre responsabilité, celle du gouvernement comme celle de plusieurs député·es de la majorité présidentielle, dans l’instauration d’un climat de haine qui peut même mettre en péril son intégrité physique ?

Il est important de s’arrêter sur les accusations d’antisémitisme portées contre toute personne qui conteste la politique de l’État d’Israël. Cet amalgame est une tactique constante de l’État d’Israël pour assurer son impunité face à ses violations constantes du droit international et des droits humains. Nos organisations, comme l’écrasante majorité du mouvement de soutien aux droits du peuple palestinien, sont particulièrement vigilantes contre toute manifestation d’antisémitisme. Nous tenons à vous mettre en garde contre la définition controversée dite « IHRA » de l’antisémitisme, et vous rappeler que les « exemples » associés à cette définition ont été explicitement exclus du vote de l’Assemblée nationale du 3 décembre 2019.

Dans un tel climat, nous vous demandons, Madame la Première ministre, d’agir de toute urgence pour que cessent ces menaces, ce climat d’intimidation et de chasse aux sorcières, au service de l’impunité d’un État tiers qui viole quotidiennement le droit international et les droits humains. Il y a là une menace contre la démocratie et l’image de la France dans le monde que nous vous demandons de prendre en considération.

Nous vous demandons également d’agir, Madame la Première ministre, pour que cessent les menaces et les diffamations contre notre compatriote Salah Hamouri, expulsé par Israël. Après avoir été interdit de vivre à Jérusalem-Est occupée et annexée, et d’y exercer son métier d’avocat pour les droits humains, Salah Hamouri est maintenant menacé d’interdiction de s’exprimer en France même. La position de votre gouvernement à son sujet doit être clarifiée : les propos tenus dans l’enceinte du Parlement français par le ministre de l’Intérieur ne peuvent rester sans réponse et correction.

Nous vous demandons d’agir plus largement pour protéger la liberté d’expression, et particulièrement la libre expression d’opinions politiques s’agissant d’Israël et de la Palestine. Les amalgames constamment entretenus entre la critique de l’État d’Israël et l’antisémitisme ne sont pas seulement une menace vis-à-vis de la liberté d’expression : ils affaiblissent la lutte indispensable contre l’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme, ils menacent nos valeurs républicaines et la cohésion de notre société.

Dans l’attente des suites que vous donnerez à nos demandes, nous vous demandons de bien vouloir nous recevoir et restons à votre disposition pour tout élément complémentaire à l’appui de notre analyse et de nos demandes.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Première ministre, l’expression de notre très haute considération.

Copies :

Monsieur le Président de la République

Monsieur le ministre de l’Intérieur

Madame la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères

Signataires :

Bertrand Heilbronn, président de l’Association France Palestine Solidarité

François Leroux, président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine

Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)

Philippe Martinez, Secrétaire général de la Confédération générale du travail

Benoît Teste, Secrétaire général de la Fédération Syndicale Unitaire

Cybèle David, Secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires

Thierry Jacquot, Secrétaire national aux questions internationales de la Confédération paysanne

Hervé Le Fiblec, Secrétaire national du SNES-FSU

François Sauterey, co-président du Mouvement contre le Racisme et pour l’amitié entre les peuples

Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la Paix

Pascal Lederer, et Oliver Gebuhrer, co-animateurs d’une Autre Voix Juive

Serge Perrin, animateur du réseau international du Mouvement pour une alternative non-violente

Fayçal Ben Abdallah, président de la Fédération des Tunisiens pour une communauté des deux Rives

Nacer El Idrissi, président de l’Association des Travailleurs maghrébins en France

Ivar Ekeland, président de l’Association des Universitaires pour le respect du droit international en Palestine

Lana Sadeq, présidente du Forum Palestine Citoyenneté

Perrine Olff-Rastegar, porte-parole du Collectif judéo-arabe et citoyen pour la Palestine

Maurice Buttin, président du Comité de Vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient

Raphaël Porteilla, membre du Bureau national du Mouvement de la Paix

Paris, le 6 mars 2023

publié le 12 mars 2023

« La colère est toujours là » : contre la réforme des retraites, les manifestants refusent de se résigner

Christophe Gueugneau et Dan Israel sur www.mediapart.fr

Partout en France, la septième journée de mobilisation a donné lieu au même constat ce samedi : le mouvement social, bien que moins fourni, ne désarme pas. Emmanuel Macron, lui, avance imperturbablement, comptant faire adopter son texte le 16 mars. L’intersyndicale demande désormais une « consultation citoyenne ».

Sur le pavé parisien, Delphine et Émilie, enseignantes en collège et maternelle, en sont à leur cinquième mobilisation contre la réforme des retraites. Mais ce samedi 11 mars, elles avouent finir par douter de l’efficacité des manifestations. « C’est clair que le mépris affiché par le président pousse à aller plus loin », glisse l’une. « Je cherche des solutions tout en restant dans la légalité, je ne veux pas finir en prison », énonce l’autre. Toutes les deux disent « se questionner » sur leur vote au second tour de la présidentielle, en faveur d’Emmanuel Macron.

Leur sentiment reflète bien l’humeur – aussi changeante que la météo au-dessus des cortèges sur tout le territoire – des participant·es à cette septième journée de mobilisation. Exactement un mois plus tôt, le 11 février, le nombre de Parisien·nes ayant répondu à l’appel des huit syndicats de travailleurs et travailleuses n’avait jamais été aussi grand depuis plus de trente ans. Et le 7 mars, quatre jours avant ce samedi maussade, le record pour toute la France avait été dépassé selon les chiffres du ministère de l’intérieur, pour la deuxième fois depuis la deuxième journée de mobilisation le 31 janvier.

Les chiffres annoncés par le ministère de l’intérieur pour ce 11 mars ne sont pas aussi exceptionnels : 368 000 personnes sur tout le territoire, dont 48 000 à Paris – soit la plus faible affluence depuis le début du mouvement. La CGT a quant à elle dénombré plus d’un million de participant·es sur tout le territoire, et 300 000 à Paris.

Pourtant, en une poignée d’heures, le bras de fer s’est encore durci. Et le pouvoir, raidi. Vendredi 10 mars, le gouvernement a déclenché la procédure de « vote bloqué », autorisée par l’article 44-3 de la Constitution : les sénateurs n’auront droit qu’à un seul vote sur l’ensemble du texte. Lequel devrait être adopté d’ici dimanche soir à la Chambre haute, comme attendu par le gouvernement, pour être définitivement validé jeudi 16 mars, le lendemain d’une nouvelle (et ultime ?) journée de manifestation.

Emmanuel Macron a aussi répondu vendredi, par deux fois, à la demande pressante des dirigeants de l’intersyndicale qu’il les reçoivent à l’Élysée. Dans un courrier, il a refusé toute rencontre au motif qu’il entend respecter « le temps parlementaire ». Lors d’une conférence de presse avec le premier ministre britannique, Rishi Sunak, qu’il recevait à Paris, le chef de l’État a ensuite déclaré que la réforme devait aller à son « terme ». Quant aux questions sur la nécessité éventuelle de recourir à l’article 49-3 à l’Assemblée nationale, pour faire adopter définitivement le texte sans majorité parlementaire, il a rétorqué qu’il ne ferait « pas ici de politique-fiction ».

La volonté du président d’avancer coûte que coûte n’a pas échappé à Claude, Marie-Claire, Brigitte et Djida, manifestantes à Paris samedi. Chasuble orange CFDT sur le dos, elles qui ont dépassé la cinquantaine exercent un travail physique pour le compte d’associations franciliennes. Et elles ne décolèrent pas.

« Les gens sont en train de se résigner, ils comprennent que la réforme va passer. Mais on continuera à se battre jusqu’au bout, même s’ils nous méprisent. La colère est toujours là », lâche l’une. « Tout le monde sait qu’après 55 ans, pour les employeurs, on est de la merde. On attend quoi, qu’on soit au chômage plus longtemps en fin de carrière ? », clame l’autre. « Nous représentons les fameux travailleurs invisibles de la pandémie, ceux qu’on était censé récompenser. Et voilà notre récompense, deux ans de travail de plus. Et encore, on ne vous a pas parlé du niveau de retraite des femmes… Tout ça est lamentable », grondent en chœur leurs amies.

Les syndicats dénoncent le « double bras d’honneur » du président 

Dans le carré officiel en tête de manifestation, les dirigeants syndicaux utilisent des termes à peine plus policés. Tous évoquent « un double bras d’honneur » du président, au Parlement et au mouvement social. « Dans la réponse à notre lettre, le président nous explique qu’il faut respecter le “temps parlementaire”. Mais au moment même où j’ai reçu le mail contenant sa réponse, j’entendais Olivier Dussopt annoncer l’utilisation de l’article 44-3 au Sénat, qui empêche justement la discussion parlementaire, relate Frédéric Souillot, le dirigeant de FO. Ce qu’ils font, cela s’appelle du mépris. »

« Les remontées que nous avons de nos militants, c’est une forme de sidération devant les non-réponses du gouvernement, renchérit Laurent Berger pour la CFDT. On a un mouvement social jamais vu, des procédures parlementaires très bousculées, et 90 % de la population active qui est opposée à cette réforme. Et on a un pouvoir qui nous dit “non non, on continue”. Il y a un déni de la démocratie sociale qui vient de s’opérer, et un mépris de toute la population. »

« La réponse que fait le président de la République à notre courrier, c’est “allez vous faire voir”, tempête le leader de la CGT Philippe Martinez. Qu’est-ce qu’il faut faire de plus ? Il y a un risque que des citoyens, des salariés excédés, passent à autre chose. C’est peut-être ce que cherche le président de la République, d’ailleurs… »

L’inquiétude commence à être palpable sur les conséquences possibles de cette fin de non-recevoir du pouvoir. Et l’analyse est partagée d’un bout à l’autre de l’intersyndicale, y compris par ses membres réputés les plus sages.

« On aborde une phase dangereuse. S’ils misent sur la résignation, ils ont tort : la colère sera plus forte que la résignation, et c’est dangereux pour notre pays, considère ainsi Laurent Escure, le patron de l’Unsa. Il y aura des rebonds de cette colère, même si la réforme passe. »

Pascale Coton, spécialiste respectée du dossier des retraites à la CFTC, et secrétaire générale du syndicat chrétien de 2011 à 2015, pointe sans détour le risque de voir renforcé le Rassemblement national : « Ils sont en train d’installer au pouvoir un autre parti. » Sentiment partagé par Benoît Teste, le dirigeant de la FSU, premier syndicat de l’enseignement : « Le déni de démocratie, ça fait peur. Derrière, le risque du RN est énorme. »

François Hommeril, à la tête de la CFE-CGC, décrit l’opposition syndicats-exécutif comme « deux trains qui avancent sur deux voies parallèles ». « On a essayé de jeter des ponts de l’une à l’autre, mais ça n’intéresse pas le président, il ne souhaite pas entrer en contact avec le pays réel », considère-t-il.

À la recherche d’une voie de sortie à cette confrontation qu’elle n’arrive pas gagner, l’intersyndicale a décidé de mettre une nouvelle demande sur la table : l’organisation d’une « consultation citoyenne » sur la réforme. « Il faut envisager la consultation du peuple », plaide Laurent Berger. « S’il est si sûr de lui, qu’il consulte les Français », gronde Philippe Martinez. « Mieux vaut une consultation citoyenne que la violence », insiste Frédéric Souillot. « C’est une voie nécessaire pour éviter que la crise sociale que nous traversons devienne une crise démocratique – et on en prend le chemin », estime Laurent Escure.

Il y a peut-être une forme de lassitude. On voit bien qu’il faut un nouveau souffle.

Cette demande découle aussi du constat que la tentative de « mettre le pays à l’arrêt » à partir du 7 mars n’a pas été concluante. Des grèves ont eu lieu, mais pas au niveau que pouvaient espérer certains parmi les plus radicaux des militants syndicaux. Comme Mediapart a pu le constater au Havre (Seine-Maritime), les grèves reconductibles n’ont pas attiré les foules.

Les seuls secteurs où le blocage se fait sentir sont l’électricité, où les travailleurs ralentissent nettement la production, les raffineries, qui ne sont pas stoppées mais où la distribution du carburant est bloquée, le ramassage des ordures dans certaines villes, et notamment à Paris où il est très perturbé, et la SNCF, où au moins un train sur deux est encore annulé ce week-end.

« Il y a peut-être une forme de lassitude, convient Benoît Teste. On voit bien qu’il faut un nouveau souffle et on a essayé de l’impulser le 7, mais on est retombé sur ce qui est la forme de ce mouvement : une journée de manifestations de masse, ce qui est excellent, mais qui ne renouvelle pas les choses. »

Des heurts avec la police inédits depuis le début du mouvement

Dans le cortège parisien, qui a avancé sur deux itinéraires différents entre la place de la République et celle de la Nation, on cherche aussi des alternatives pour se faire entendre. Beaucoup sont venus en famille ce samedi. Nelly, retraitée, Jérôme, technicien en lycée, et Orane, lycéenne, manifestent en famille et sur trois générations. Des trois, Nelly est sans doute la plus remontée : « Je viens défendre nos acquis et nos jeunes. Le pouvoir est méprisant, je crois vraiment que la seule solution, c’est de les prendre en otages, être plus méchants, je pense qu’on est trop gentils. »

Jérôme, son fils, temporise, et se dit « moins radical ». « Je pense que c’est ce qu’ils cherchent, ils sont provocateurs », se justifie-t-il. Pour Orane, c’est la première manifestation. « C’est important de savoir comment ça se passe. Au lycée on en parle très peu, mais je suis là pour mes parents qui ont des métiers fatigants », dit-elle. Aucun des trois ne croit réellement à l’organisation d’un référendum. Ce qui est sûr, pour Jérôme, c’est que les gens ne sont plus dans la rue uniquement pour les retraites, mais aussi pour dénoncer « une façon de gouverner »

Sacha, la vingtaine, a participé à toutes les manifestations du mouvement. Pour lui, le « référendum serait une porte de sortie ». « Mais ce ne sera jamais fait », anticipe-t-il. Son seul espoir est qu’un « vrai mouvement insurrectionnel » se mette en branle.

Tout comme Thierry, la quarantaine, qui manifeste en famille avec femme et enfants. Journaliste pour une radio privée, il a déjà « perdu sept jours de paie pour faire la grève ». Il pense lui aussi qu’on ne pourra pas « échapper au blocage du pays ». « Mais est-ce que les syndicats ont le pouvoir de lancer ça ? Je ne sais pas, reconnaît-il. En tout cas, le niveau de défiance est tel qu’on ne pourra pas en rester là, il y a une telle colère, presque une haine… »

Au fil du défilé, beaucoup citent cette confidence d’un conseiller de l’exécutif, relayée par L’Opinion, qui estime que la seule chose qui freinerait l’adoption de la réforme serait « un scénario extérieur, un mort dans une manifestation, un attentat… ».

Est-ce la conséquence du durcissement de la confrontation ? Un net regain de tension s’est fait sentir samedi à Paris, amplifiant ce qui était déjà devenu visible le 7 mars. Contrairement aux précédentes manifestations, les forces de l’ordre étaient plus présentes et plus proches des manifestants du cortège de tête, au contact, comme c’était déjà le cas lors des manifestations gérées par le précédent préfet de police de Paris, Didier Lallement.

À l’avant du cortège, des heurts ont éclaté assez tôt. Peu avant Bastille, des groupes organisés en black blocs ont envoyé des projectiles sur des forces de l’ordre, qui sont immédiatement intervenues en avançant dans le cortège. Celui-ci s’est retrouvé découpé en plusieurs tronçons jusqu’à la hauteur de la place de la Bastille, à quelques centaines de mètres. Des affrontements, épars mais parfois violents, se sont poursuivis tout au long de l’après-midi. Puis en fin de défilé, cet incident pas vu depuis longtemps à Paris : le carré officiel a été pris à partie par des membres des black blocs, au point que le service d’ordre syndical a joué de la gazeuse pour les éloigner.

Quoi qu’il se passe, Emmanuel Macron a déjà perdu, et nous avons gagné, c’est mon sentiment profond.

« On se sent floués, bafoués, piétinés. On a du mal à savoir quelle valeur on va transmettre à nos enfants », confie Gaëlle, responsable socioculturelle dans une association, venue avec Oli, sa fille de 6 ans, et avec son frère Jérémy, conducteur de travaux dans le bâtiment. « À la fin des années 1990, j’ai été très impliquée dans le soutien aux sans-papiers, et je venais souvent par ici, j’ai beaucoup manifesté, raconte la mère de famille. Et puis je suis partie plusieurs années en Bretagne, j’ai moins défilé, et j’ai même beaucoup douté de l’utilité des manifs. »

Mais Gaëlle a vécu un nouveau déclic le 19 janvier dans la capitale : « J’ai à nouveau ressenti l’enthousiasme des grands rassemblements, à quel point on pouvait être fort ensemble, et j’ai absolument voulu transmettre ça à mon enfant. J’espère que sa génération trouvera d’autres formes de luttes, qu’elle saura réinventer l’engagement. »

Cet embryon d’espoir se retrouve chez bien d’autres manifestant·es, parfois accompagné d’un réel optimisme sur la portée du mouvement. « Quoi qu’il se passe, Emmanuel Macron a déjà perdu, et nous avons gagné, c’est mon sentiment profond », clame, rayonnante, Stéphanie, enseignante-chercheuse et militante FSU à l’université Gustave-Eiffel de Marne-la-Vallée (Seine-et Marne).

« Les syndicats ont donné le cadre, les gens s’en sont saisi, unis. Les travailleuses et les travailleurs ont compris le sens du texte de loi, ils ont aussi découvert qu’ils pouvaient s’approprier une loi pour débattre de son contenu, énumère Stéphanie. La bataille de l’opinion, nous l’avions déjà remportée lors de la première tentative de réforme en 2019, mais là, cette victoire s’est consolidée. »

« Des collègues en fin de course, qu’on tient à bout de bras pour qu’ils puissent tenir jusqu’à 62 ans alors qu’ils travaillent plus lentement, on en connaît. Comment va-t-on faire si on doit tous continuer jusqu’à 64 ans ?, interroge son amie Samia, responsable administrative et syndicaliste CGT dans le même établissement. On n’y arrivera pas. Les ressources humaines ne savent pas quoi faire de ces travailleurs âgés, ils n’ont pas de poste pour les reclasser. »

Mais lorsqu’on interroge Stéphanie sur la possible impasse qui semble se dresser face au mouvement de contestation, elle corrige aussitôt : « Une impasse ? Mais c’est Emmanuel Macron qui est dans une impasse. S’il continue dans cette voie, c’est sa seule responsabilité. Beaucoup de gens ne peuvent jamais partir en vacances, la retraite est leur seul horizon pour profiter un peu. Et on leur recule cet horizon de deux ans ? C’est d’une violence incroyable. »

 

  publié le 12 mars 2023

Oleg Bodrov : « Les militaires annihilent toute perspective de dialogue »

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Guerre en Ukraine.  Le pacifiste Oleg Bodrov décrit une société russe caporalisée pour l’effort de guerre et en appelle à la solidarité internationale.

Moscou (Russie), envoyé spécial. Depuis l’invasion de l’Ukraine, décrétée par le président russe le 24 février 2022, le nombre de morts russes atteindrait 100 000. La société russe ne peut s’exprimer librement sur un tel sujet. Oleg Bodrov tente d’analyser ces douze derniers mois et estime que les sociétés civiles en Russie, en Ukraine, en Europe et aux États-Unis, restent le principal espoir de paix.

Quel est votre regard sur cette année de guerre ?

Oleg Bodrov : L’année écoulée a été l’année la plus difficile de ma vie. À cause de l’invasion russe de l’Ukraine, des centaines de milliers de citoyens ukrainiens et russes sont morts. Un Ukrainien sur trois a été contraint de quitter son domicile pour échapper à la guerre. Des centaines de milliers de jeunes ont quitté la Russie pour échapper à la mobilisation.

En quoi la société russe a-t-elle été impactée, voire transformée par ce conflit ?

Oleg Bodrov : À l’intérieur de la Russie, les fondements de l’interaction entre la société et le pouvoir ont été détruits. Le pouvoir s’est isolé des sociétés civiles et il a brisé l’information et sa liberté. Le pays s’est transformé en un gigantesque camp de concentration : la Constitution ne fonctionne plus, les tribunaux sont politiquement biaisés, tous les médias indépendants sont fermés, la propagande de guerre est menée sur les chaînes d’État. Les opposants publics à la guerre sont soit en prison, soit payent des amendes gigantesques qui servent à soutenir la guerre. Les autorités essaient de me transformer – ainsi que mes amis et partenaires pacifistes dans d’autres pays – en ennemi. Et, dans le même temps, il n’existe plus aucun tabou sur le nucléaire. La prise de contrôle par des militaires d’une centrale est révélatrice de ce basculement. La capture de Zaporijjia l’illustre. Cela signifie que toute l’Europe est comme minée par ces centrales nucléaires. C’est une menace pour la sécurité de centaines de générations futures de notre planète.

La paix semble s’éloigner au fur et à mesure que les semaines passent et que les massacres se multiplient…

Oleg Bodrov : Les politiciens actuels en Russie, en Ukraine et dans les pays de l’Otan manquent de volonté politique pour la paix. L’interaction des diplomates russes avec l’Europe et les États-Unis a été perdue. Le processus est dirigé par les militaires, qui ne peuvent que tuer et détruire. Je me sens responsable de ce qui se passe. C’est très difficile à vivre. La Russie et « l’Occident collectif » parlent de leur volonté de « se battre jusqu’à la victoire », mais personne ne dit ce que signifie cette victoire. Nous avons besoin de nouveaux acteurs, de nouvelles parties prenantes (la Chine, par exemple) pour changer la tendance actuelle – la violence – et revenir au dialogue. Cela permettrait ensuite la consolidation de la paix. Les représentants des organisations de maintien de la paix, des droits de l’homme et de l’environnement peuvent devenir de tels acteurs. La solidarité de la société civile en Russie, en Ukraine, en Europe et aux États-Unis est désormais le principal espoir. J’essaie d’initier une telle interaction.

La société russe semble être prête à une guerre longue. Qu’en pensez-vous ?

Oleg Bodrov : Malheureusement, oui ! Le 23 février, dans ma ville, Sosnovy Bor, un journal local a rapporté que 26 écoliers avaient prêté serment à l’organisation militaire d’enfants : Iounarmia (Jeune Armée). C’est-à-dire que dès l’enfance, sous le slogan du patriotisme, nos jeunes sont formés à une conscience militariste. Pire, la militarisation apparaît comme la principale tendance de la société russe contemporaine. Cela signifie que la guerre s’installe durablement dans notre pays ! Et cela ne dépend pas de la durée de la guerre en Ukraine.

Quelle est votre réaction à l’annonce de la suspension des accords Start ?

Oleg Bodrov : La suspension par la Russie de « l’accord sur les armements stratégiques offensifs » (Start III) signifie un nouvel élan à la course aux armements nucléaires et des turbulences politiques. Dans la société, l’idée de la possibilité de gagner une guerre nucléaire est promue, car la Russie a un potentiel suffisant. Je crois que le moment est venu de publier en Russie, en Europe et aux États-Unis un rapport sur les conséquences possibles d’une guerre nucléaire. Il est important que la société civile de notre planète soit solidaire et exige que les politiciens abandonnent ces plans absurdes.

publié le 11 mars 2023

Le gouvernement cache un rapport explosif sur la situation tragique de Mayotte

Fabrice Arfi et Nejma Brahim sur www.mediapart.fr

Santé, logement, sécurité, éducation, justice... Mediapart révèle un rapport rédigé en janvier 2022 par six ministères sur l’état de l’île-département. Son contenu est dévastateur pour l’État français. Il montre aussi que la seule approche sécuritaire proposée par Gérald Darmanin ne pourra suffire.

Le gouvernement conserve depuis janvier 2022, sans le rendre public, un rapport alarmant sur la situation de l’archipel de Mayotte, le département le plus pauvre de France, en proie à une situation dramatique dans les domaines de la sécurité, la santé, la justice et l’éducation nationale.

Mediapart a pu prendre connaissance de ce document rédigé par une mission spéciale, composée des inspections générales de six ministères (intérieur, justice, affaires sociales, finances, éducation et affaires étrangères), qui a auditionné plus de 300 personnes dans tous les corps de l’administration et de la société pendant plusieurs semaines.

Le diagnostic qu’il met en lumière, au travers de la situation des mineurs sur l’île, est dévastateur pour l’État français tant tout y semble incontrôlable : la précarité galopante, une politique migratoire contre-productive, une situation sanitaire alarmante et des violences partout prégnantes, le tout face à des réponses publiques largement sous-dimensionnées.

Dans ses conclusions, le rapport note que « le sentiment qui prédomine au sein des services de l’État est une forme d’impuissance face à l’ampleur des défis ». Stigmatisant une « absence de concertation sur les politiques publiques en direction de la jeunesse », il constate que « les dépenses de l’État sont proportionnellement plus faibles à Mayotte que dans les autres départements et régions d’outre-mer (DROM) ».

Au fil des pages du rapport caché se dessine le constat d’une faillite généralisée que les seules mesures sécuritaires de Gérald Darmanin, qui a multiplié les voyages et les annonces sur place ces derniers mois, vont, de toute évidence, avoir du mal à régler. Selon les informations de Mediapart, le ministère de l’intérieur a d’ailleurs pesé de tout son poids pour que le rapport ne soit pas rendu public.

Sollicités, les services du ministre n’ont souhaité faire « aucun commentaire ».

Une pauvreté massive qui ne décourage pas la migration comorienne

Petite île de l’océan Indien vingt fois plus petite que la Corse, Mayotte comptait 279 000 habitant·es en 2020, soit quatre fois plus qu’en 1985. Avec 10 000 naissances par an, l’île est devenue aujourd’hui la plus grande maternité de France. Le mal-logement y est un fléau conduisant à la création de bidonvilles aux quatre coins de l’île, comme celui de Kawéni, à Mamoudzou, surnommé « le plus grand bidonville de France ». En 2017, l’Insee estimait que l’île comptait 40 % de logements informels, dont certains installés sur des zones à risque.

Malgré la pauvreté massive qui y règne – 8 personnes sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté, un actif sur trois est au chômage et l’espérance de vie plafonne à 75 ans –, Mayotte demeure huit fois plus riche que l’archipel voisin des Comores, indépendant depuis 1975, où le taux de pauvreté national s’élevait à 42,4 % en 2014 et où un quart de la population vivrait dans des conditions d’extrême pauvreté.

Ces difficultés poussent de nombreux Comoriens et Comoriennes à tenter la traversée du bras de mer séparant Anjouan de Mayotte, sur 70 kilomètres (soit environ trois à quatre heures), à bord de kwassa-kwassa – un type d’embarcation rendu tristement célèbre par les mots d’Emmanuel Macron, en juin 2017, lorsqu’il avait déclaré que le « kwassa-kwassa pêchait peu » mais « amenait du Comorien ». Selon un rapport sénatorial de 2012, entre 7 000 et 12 000 personnes avaient péri ou disparu le long de cette route migratoire depuis 1995 ; et de nombreux naufrages y sont régulièrement répertoriés.

« On peut imaginer que c’est beaucoup plus aujourd’hui, surtout depuis la départementalisation [rendue effective en mars 2011 – ndlr] », soulève une source basée à Mayotte, qui préfère garder l’anonymat. « Les personnes que l’on voit arriver ici sont de tous les milieux et ont des profils divers : femmes, personnes gravement malades ou handicapées, enfants voyageant seuls, irréguliers qui étaient intégrés à Mayotte et qui retentent la traversée après avoir été expulsés… » Tous viennent dans un même objectif, celui d’avoir « une vie meilleure ».

Mais les consignes données par le préfet, correspondant à une politique de durcissement s’agissant des arrivées sur l’île, finissent par engendrer des drames, poursuit-elle, en référence à un naufrage survenu fin décembre. « La police aux frontières [PAF – ndlr] est chargée d’intercepter les embarcations en mer coûte que coûte, avec l’assentiment de la société mahoraise. Lorsque le conducteur du kwassa-kwassa refuse de s’arrêter, il arrive qu’il percute le bateau de la PAF et que l’embarcation se retourne. C’est bien lintervention des forces de l’ordre qui génère le naufrage. »

« La lutte contre l’immigration irrégulière ne parvient pas à empêcher l’entrée et l’installation de très nombreux clandestins à Mayotte », peut-on lire dans le rapport, qui suggère de renforcer les moyens nécessaires à la PAF pour réduire le nombre d’arrivées sur l’île.

Selon le scénario le plus alarmiste de l’Insee, l’immigration comorienne pourrait conduire à comptabiliser 760 000 habitant·es à l’horizon 2050. « Dans l’hypothèse d’un maintien des flux migratoires au niveau actuel, la situation deviendrait explosive », pointe le rapport que le gouvernement a préféré taire. Gérald Darmanin a donc misé sur un volet répressif pour tenter de tarir les départs depuis les Comores… Et de chasser les personnes exilées déjà présentes sur l’île à coups de bulldozers censés raser les bangas (des habitations précaires faites de tôle ondulée), où vivent de nombreux Comoriens et Comoriennes.

Comme l’a révélé le quotidien Les Nouvelles de Mayotte le 2 février dernier, le ministre prévoit ainsi d’envoyer pas moins de cinq escadrons de gendarmerie mobile supplémentaires sur l’île, soit 400 gendarmes, pour « remettre de l’ordre » dès le mois d’avril. Selon Le Canard enchaîné, l’idée a été validée par Emmanuel Macron lui-même lors d’un conseil de défense. Une vaste opération de « décasage », devant servir à vider les bidonvilles de leurs occupants – souvent des sans-papiers –, à interpeller les têtes de réseaux de délinquance et à renvoyer un maximum de personnes vers les Comores.

L’enfer de l’enfance

Beaucoup d’enfants et de jeunes risquent ainsi d’être déracinés et renvoyés dans un pays où une situation bien pire les attend. De retour aux Comores après un renvoi forcé ou non, les mineurs non accompagnés (MNA dans le jargon, pour tout enfant mineur ayant emprunté une voie de migration seul) « ne seraient pas les bienvenus » selon le rapport invisible du gouvernement, qui explique que « le mieux pour eux consiste à repartir d’où ils viennent ».

Pour ceux restant à Mayotte, le rapport fait état d’une situation « hors norme » les concernant et alerte sur les dangers auxquels ils sont confrontés. Alors que 4 500 MNA étaient recensés sur l’île en 2016, le chiffre « n’a pu que croître ces dernières années en raison des modalités des opérations de lutte contre l’immigration irrégulière », qui alimentent « mécaniquement les situations d’isolement des mineurs », alertent les membres de la mission inter-inspection.

« Les enfants comoriens ont beaucoup de mal à être scolarisés à Mayotte, car les collectivités font blocage en prenant prétexte du manque d’infrastructures et de places. Elles mettent donc sciemment des bâtons dans les roues des parents en situation irrégulière qui souhaitent scolariser leurs enfants, alors que l’éducation est un droit pour tous », déplore la source déjà citée. Certains iraient jusqu’à confier leurs enfants, « sur le papier », à des personnes en situation régulière pour pouvoir les scolariser. Une démarche « insensée » sachant que leurs vrais parents sont à Mayotte.

Plusieurs données brutes de ce même rapport disent aussi à elles seules, de manière générale, le drame des enfants et des jeunes de Mayotte. Selon la mission d’inspection, le nombre de « mineurs en risque majeur de désocialisation » s’élève à 6 600. Pire : 9 200 enfants en âge d’aller à l’école primaire n’y avaient pas accès en 2020. « Les capacités d’accueil de l’école ne permettent pas, à ce jour, d’accueillir tous les enfants et jeunes de 3 à 16 ans », souligne le rapport.

Autre chiffre saisissant : « 5 400 enfants mineurs vivent dans un logement, mais sans leurs parents », relève l’inspection, qui estime que « le dispositif de protection de l’enfance reste largement sous-dimensionné ».

C’est à Mayotte que l’on trouve les effectifs les plus élevés de France dans les collèges, avec les plus mauvaises performances scolaires du pays : 71,1 % des jeunes ont des difficultés de lecture, contre 9 % sur le territoire national. C’est la raison pour laquelle la mission recommande de « faire de la scolarisation de tous les enfants dans le premier degré, à partir de 3 ans, une priorité de court terme ». Avec cette autre recommandation qui a de quoi alarmer : « garantir une alimentation de qualité », les « moyens mis en œuvre pour fournir une alimentation pendant le temps scolaire étant encore insuffisants ».

Car sur le terrain sanitaire, le constat est, lui aussi, accablant. Alors que le rapport rappelle que « l’offre de soins […] reste encore très insuffisante », il alerte en parallèle sur une « précarité alimentaire des jeunes » jugée comme « massive », avec, précision terrible, une « difficulté de mise en œuvre des dispositifs de distribution des repas dans les écoles, collèges et lycées ». « À tous les âges, les jeunes de Mayotte sont en moins bonne santé que partout ailleurs en France », affirme encore le document.

Faiblesse « structurelle » de la justice

S’agissant des questions de sécurité, le rapport parle de « politiques régaliennes en difficulté et souvent mises en échec ». L’insécurité demeure la « préoccupation majeure » des habitants, confrontés à une délinquance massive et parfois des faits d’ultraviolence commis en bande. Dans les vols avec violence, les mineurs représentent par exemple 81 % des auteurs, même si « beaucoup de victimes ne portent pas plainte, notamment parmi les étrangers en situation irrégulière ».

On bidouille pour tenter de faire au mieux.

L’état de décrépitude des institutions publiques a pour conséquence, côté justice, d’engendrer « une pression qu’aucune juridiction de l’Hexagone ne connaît ». Et face à cette « faiblesse structurelle », il faut ajouter des « facteurs aggravants », selon le rapport : des personnels de la magistrature et du greffe souvent sans expérience, une faible attractivité, mais aussi une « désorganisation des services et un déficit de travail collectif ».

Résultat : « Des réponses en mode dégradé et une justice de l’urgence qui s’impose au détriment du règlement des questions de fond », souligne le document que Mediapart s’est procuré.

« On bidouille pour tenter de faire au mieux », résume un haut fonctionnaire, qui reconnaît un véritable « problème structurel » plus qu’un manque de moyens. « Il y a un défaut d’attractivité qui empêche une certaine stabilité et entraîne un turnover important, mais aussi un défaut de formation ou de hiérarchie intermédiaire dans les recrutements, avec des magistrats sortis d’école se retrouvant aux côtés d’un président d’audience très expérimenté. On rencontre des difficultés liées à la langue, aussi, car les interprètes ne sont pas assez nombreux. »

Les greffiers seraient selon lui mal formés et ne resteraient pas suffisamment longtemps, créant un « sentiment d’insécurité », en particulier chez les jeunes magistrats. Les greffiers seraient aussi aspirés par la rétention administrative (visant à enfermer les étrangers en situation irrégulières en vue de leur renvoi) pour aller prêter renfort aux juges de la liberté et de la détention. « Cela participe de la désorganisation des services. Il y a un tel flux et une telle pression du préfet sur ce sujet que tout tourne autour de cela. »

Dans une situation comme celle-ci, le rôle de « régulation sociale » de la justice est d’autant plus accru, d’après le rapport, qui déplore, faute d’un « engagement fort du parquet de Mamoudzou [la capitale de l’île – ndlr] », que la lutte contre le travail clandestin, la fraude documentaire, les violences faites aux femmes ou la corruption soient un peu délaissées.

 

  publié le 11 mars 2023

Le renouveau des caisses de grève « répond à l’endurance » du pouvoir

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Alors que le mouvement social contre la réforme des retraites dure depuis près de deux mois, avec des actions désormais reconductibles, les caisses de grève permettent aux salariés en lutte de tenir. Entretien avec le sociologue Gabriel Rosenman, ex-cheminot et spécialiste des caisses de grève.

Boîtes à chaussures ou de conserve transformées en tirelire sur les stands des manifestations, caisses de grève confédérales, caisses autogérées, cagnottes en ligne ouvertes par fédération, département ou organisation syndicale, cagnottes pour les raffineurs, le secteur du nettoyage ou lancées au sein même des entreprises, récolte de dons par des « gamers » sur la plateforme Twitch via l’espace « Piquet de Stream »... Les caisses de grève bourgeonnent, prospèrent et se propagent sur tous les supports, depuis près de deux mois.

Leur but est commun : soutenir la lutte sociale et permettre au mouvement contre la réforme des retraites de durer, en aidant financièrement les grévistes.

Gabriel Rosenman est un ancien cheminot de la gare Saint-Lazare, à Paris. Il a travaillé à la SNCF pendant dix ans, de 2008 à 2018, avant de reprendre des études de sciences sociales. Il prépare actuellement une thèse sur la pratique des caisses de grève dans le mouvement ouvrier français. Pour Mediapart, il décrypte les formes et les enjeux de ces soutiens financiers qui n’ont rien de nouveau – loin de là – dans le mouvement social, mais prennent de nouvelles formes.

Mediapart : On observe un retour en force des caisses de grève, comment l’expliquer ?

Gabriel Rosenman : D’abord, parce qu’on observe une accumulation d’expériences lors des conflits, depuis 2010, dans les branches et au niveau interprofessionnel. Ensuite, il y a un durcissement des conditions de la grève, avec des conflits qui s’allongent dans le temps. Ces dernières années, il y a eu des exemples assez extrêmes, comme le mouvement lancé en 2018 par les postiers des Hauts-de-Seine. Il a duré quinze mois. Ou encore la longue grève des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles pendant plus de vingt-deux mois, entre 2019 et 2021. Elle aurait été inenvisageable sans la caisse de grève de la CGT-HPE [hôtels de prestige économique – ndlr].

Une autre expérience intéressante remonte à 2016, pendant le mouvement social contre la loi Travail. La CGT-Info’Com avait lancé une collecte nationale interprofessionnelle. Elle a récolté plus de quatre millions d’euros depuis son ouverture et a été récemment réactivée par la mobilisation contre la réforme des retraites [890 000 euros ont déjà été collectés pour la “campagne 2023” – ndlr].

Ces caisses de grève représentent donc un rapport de force nouveau ?

Gabriel Rosenman : Oui, très clairement. D’autant plus que les classes populaires s’appauvrissent, comme cela a été mis en lumière par les « gilets jaunes ». Très rapidement dans le mois, un certain nombre de personnes n’ont plus aucune marge de manœuvre dans leur budget. C’est difficile d’assumer de longues grèves. D’ailleurs, les directions d’entreprise jouent clairement là-dessus.

C’est-à-dire ?

Gabriel Rosenman : Leur volonté est de sanctionner – financièrement – le plus durement possible les grévistes. C’est devenu un outil pour affaiblir ou abréger les conflits. Il peut y avoir une forme de chantage. Je me souviens d’une anecdote, durant les grèves de 2019 : un délégué local de la RATP m’avait montré un texto de sa DRH qui lui proposait l’étalement du prélèvement des jours de grève sur trois mois, en échange de la reprise du travail dès le lendemain.

Depuis les années 2010, on observe d’ailleurs la fin de l’usage des négociations de fin de conflit dans lesquelles se jouait cet étalement. Désormais, à la RATP, à la SNCF ou à La Poste, les grévistes peuvent avoir des fiches de paie à zéro en fin de mois. Il y a donc un gros besoin de solidarité, et donc de caisses de grève.

Il existe aussi une part d’épargne individuelle, quand c’est possible. Je me souviens de l’un des premiers conseils donnés par les anciens quand je suis arrivé à la SNCF : « Quand tu rentres, tu mets un mois de salaire de coté pour les jours de grève. »

Car si les grèves se prolongent autant, c’est aussi parce que les entreprises adoptent de nouvelles stratégies pour remplacer les grévistes et limiter les pertes économiques. À la SNCF, vous avez un service entier de conducteurs dédié au remplacement des grévistes. Il y a l’équivalent à la RATP. Ces agents sont dédommagés avec des primes très substantielles, pour s’assurer de leur loyauté.

On prête souvent attention à l’endurance des grévistes mais, symétriquement, il faut regarder l’endurance des entreprises ! Les nouvelles formes de caisse de grève peuvent donc être une réponse. La cagnotte nationale de la CGT-Info’Com est assez unique en son genre. Elle a relancé des réflexions stratégiques dans beaucoup de secteurs du mouvement syndical.

Justement, quel rôle jouent les organisations syndicales dans les caisses de grève ?

Gabriel Rosenman : La CFDT est la seule à détenir une grande caisse confédérale, créée en 1973 et financée par une partie des cotisations syndicales. Elle est dotée d’environ 140 millions d’euros, c’est la plus massive, et de très loin. N’importe quel adhérent qui fait grève à l’appel de son syndicat local est couvert par cette caisse. Par exemple, en 2019, la confédération n’appelait pas à se mobiliser contre la réforme des retraites mais localement, certains ont fait grève et ont été couverts.

Côté CGT, la question d’augmenter les cotisations des adhérents pour alimenter un fonds de grève s’est souvent posée depuis sa création mais ça n’a jamais pu se mettre en place, à cause de scissions et désaccords internes. En 1969, les statuts confédéraux sont très clairs : la solidarité en temps de grève s’organise uniquement sous forme de collecte dans la population. Cela permet de populariser les grèves, de susciter et d’entretenir la solidarité envers les ouvriers.

Ces statuts sont modifiés avant les grèves de 1995 [contre la réforme des retraites d’Alain Juppé – ndlr]. Toute mention de solidarité financière disparaît. La CGT n’a plus vraiment de boussole et plus aucune fédération n’a de caisse de grève permanente.

Chez Force ouvrière (FO), un fonds confédéral de soutien aux grévistes existe, une part du budget y est dédiée, mais comme souvent avec FO, c’est difficile d’avoir des informations. Parfois, ce fonds est mis en marche, parfois pas.

La France insoumise (LFI) a aussi lancé une caisse de grève et récolté, à ce jour, plus de 390 000 euros. Les collectes politiques, c’est nouveau ?

Gabriel Rosenman : Disons que c’est un renouveau. L’investissement des structures politiques dans le soutien aux grèves est très ancien et le Parti communiste y a joué un rôle clé, notamment via ses municipalités. Ensuite, l’affaiblissement de la gauche et, pendant une certaine période, l’affaiblissement des grèves ont moins mis ça sur le devant de la scène. Ce qui est un peu nouveau dans la démarche de LFI, c’est le format : la collecte ne s’appuie pas sur des réseaux militants, comme ce fut le cas avec le Parti communiste, mais sur les réseaux sociaux. Cela correspond aussi à la place politique occupée par La France insoumise dans le paysage, qui est, pour le dire sobrement, une volonté d’hégémonie politique et d’occuper le terrain, y compris celui de la solidarité financière.

Ces caisses de grève couvrent-elles l’intégralité des salaires non versés ?

Gabriel Rosenman : Non, c’est très rarement le cas. La prise de risque est donc importante pour les grévistes. À la CFDT, vous savez à l’avance ce que vous percevrez [7,70 euros par heure pour les adhérents de plus de six mois, précise l’organisation syndicale – ndlr]. Pour d’autres cagnottes, la répartition et la proportion sont variables. Cela peut tenir compte du grade, de la composition familiale, ou encore des horaires de travail. Il existe aussi des seuils à partir desquels les grévistes peuvent bénéficier de la caisse, selon le nombre de jours de cessation de travail. On voit aussi des caisses, dans l’éducation, qui prévoient des seuils très bas pour les précaires. Le but n’est alors pas d’étendre la grève sur la durée mais de l’étendre à un maximum de monde.

Y a-t-il eu des cas où les salaires étaient intégralement reversés ?

Gabriel Rosenman : Oui, en 2010 contre la réforme des retraites, dans le secteur des raffineries. Celle de Grandpuits (Seine-et-Marne) est devenue un symbole du mouvement. Les grévistes ont reçu un afflux de dons non sollicités et largement supérieurs à leur perte de salaires. Ils ont pu s’indemniser en totalité et reverser une partie à d’autres raffineries et au Secours populaire. Mais l’excédent d’argent reste très rare.

Dans le cadre de votre thèse, vous travaillez sur les profils des donatrices et donateurs...

Gabriel Rosenman : C’est effectivement en cours, grâce à des informations tirées d’un questionnaire distribué depuis 2019 aux donateurs de la caisse de la CGT-Info’Com. 5 000 personnes sur 40 000 ont répondu. 35 % sont des retraités, 32 % des cadres et professions intermédiaires. Il y a très peu d’ouvriers. 66 % des donateurs se définissent aussi comme militants, ce qui peut avoir plein de sens différents.

L’un des débats au sein de la CGT est causé par la crainte que les caisses de grève encouragent la grève par procuration. Les réponses au questionnaire apportent un autre éclairage. Les dons proviennent plutôt de gens qui ne peuvent pas faire grève car ils sont retraités, indépendants, artisans… Ce sont aussi des cadres et professions intellectuelles supérieures qui pourraient le faire mais font face à des pressions ou y voient un intérêt limité par rapport aux grèves d’ouvriers et de techniciens.

Votre thèse en préparation s’intéresse à la pratique des caisses de grève dans le mouvement ouvrier français. Quelles ont été les grandes étapes dans l’histoire ?

Gabriel Rosenman : La première trace que j’ai trouvée date de 1831, avec les révoltes des canuts lyonnais. Ils avaient créé une société de secours mutuel baptisée « le devoir mutuel ». L’idée était de mutualiser une partie des ressources en prévision des pertes de revenu liées à des cessations de travail. Ça ne s’est pas passé comme prévu car la grève s’est transformée en insurrection.

Pendant l’essentiel du XIXe siècle, d’autres sociétés de secours mutuel émergent pour les ouvriers sans aucune protection sociale ni structure syndicale. Le but est de s’entraider face à des risques d’accident du travail, de maladie et même de mort, car ces sociétés prenaient en charge les enterrements. Mais cela couvrait aussi la grève, qui s’appelait « coalition » et était illégale jusqu’en 1864. Dans certains cas, les sociétés de secours mutuel étaient quasi exclusivement créées en vue de la grève, comme lors de la grande grève des mineurs d’Anzin dans le Nord, racontée dans Germinal.

À la fin du XIXe, des chambres syndicales apparaissent et prennent le relais des sociétés de secours. Les grèves commencent à toucher de grandes masses ouvrières et cela exige des quantités d’argent qui dépassent les fonds disponibles. L’aide repose de moins en moins sur l’accumulation de fonds mais sur des appels aux dons, sur la solidarité extérieure.

Plus tard, les structures syndicales auront un rôle d’intermédiaire, en centralisant et redistribuant les dons. En 1963, la grande grève des mineurs déclenche un élan de solidarité qui surprend tout le monde. Une intersyndicale se met même en place pour centraliser les fonds. C’est à partir de cette expérience, et de Mai 68, que la CFDT et la CGT vont développer des stratégies différentes sur les caisses de grève.


 

Pour apporter votre soutien financier aux salariés engagés dans la grève reconductible, la CGT organise la solidarité financière qui leur est entièrement dédiée.

Pour contribuer à la solidarité financière :

  • En ligne en cliquant sur Solidarité Grévistes

  • Par chèque : à l'ordre de « Solidarité CGT Mobilisation » adressé à : "Confédération Générale du Travail, Service Comptabilité", 263 rue de Paris, 93100 Montreuil.

  publié le 10 mars 2023

Retraites « Quel avenir,
si on ne se mobilise pas ? »

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Les jeunes s’étaient donné rendez-vous, le jeudi 9 mars, pour prendre leur part du mouvement contre la réforme des retraites. Dans la manifestation parisienne, la colère dépassait largement cette seule question.

Devant la gare Saint-Lazare, ce jeudi, le ton est donné avant même le départ de la manifestation, à l’appel des organisations de jeunesse (Unef, Fage, l’Alternative, la Voix lycéenne, Jeunes communistes, Jeunes écologistes, Jeunes socialistes, Jeunes insoumis…). Aux couleurs de la Coordination interfacs d’Île-de-France, la banderole de tête proclame : « Étudiant·e·s et salarié·e·s en grève pour tout bloquer. » Signe d’une mobilisation qui veut s’ancrer dans la jeunesse, malgré des débuts hésitants.

Depuis le 7 mars, le nombre de jeunes manifestants, comme la hausse des AG et des blocages dans les lycées et les universités, constitue un signe encourageant. Ce jeudi, ce sont les étudiants en architecture qu’on ne peut pas manquer. Venus en nombre et en colère, derrière une banderole qui fait de l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) une « École nationale sans avenir ». Parmi eux, Lisa ne se fait pas prier pour résumer la situation : « On étudie dans des conditions déplorables, dans des locaux insalubres, délabrés, sans accès aux restaurants universitaires. Avec la culture de la “charrette’’ (travailler intensément – NDLR) , on ne dort pas, tout ça finit par avoir des conséquences sur notre santé. Nos enseignants sont souvent des contractuels très mal payés… » On ne l’arrête plus : « Quel avenir pour nous si on ne se mobilise pas ? Pour avoir une retraite, il faut déjà avoir un travail ! »

Chez nombre de jeunes présents, la problématique de la réforme des retraites ne vient pas seule. Baptiste manifeste tout en distribuant des flyers du collectif Dernière Rénovation : « L’urgence pour la planète, c’est de ralentir la production, donc cette réforme est une absurdité ! » Marianne, des Jeunes écologistes, se demande : « Pourquoi faire travailler nos aînés plus longtemps si c’est pour nous imposer des bullshit jobs dépourvus de sens ? » Matéo, un assistant d’éducation (AED) venu avec des collègues, remarque : « La plupart des AED sont à temps partiel, et on a des primes qui, en plus de ne toujours pas être payées depuis octobre 2022, ne comptent pas pour la retraite ! »

Le ras-le-bol « face à toutes les réformes qui détruisent »

Venu de l’université de Nanterre, bloquée depuis le 7 mars, Roméo se dit « pas hostile par principe à une réforme des retraites. Mais Macron fait des choix contestables ». Pompier volontaire, il questionne : « Pourquoi faire travailler plus les gens alors qu’on peut aller chercher ailleurs l’argent dont on a besoin, pour les retraites mais aussi pour des services publics comme l’hôpital ou les pompiers ? » Lycéen, Ceydric remarque que la perspective des premières épreuves du bac, dans quinze jours, ne facilite pas la mobilisation malgré le ras-le-bol « face à toutes les réformes qui détruisent l’éducation nationale, Parcoursup, la réforme du bac, le SNU (service national universel), qu’ils veulent rendre obligatoires tout en les finançant avec l’argent de l’école »… « Beaucoup de jeunes n’ont connu que Macron, son nom cristallise le rejet de méthodes de gouvernement dont on ne veut plus », conclut Mathieu, jeune travailleur et secrétaire de la JC Paris.


 


 

Bonne idée

Maurice Ulrich sur www.humanite.fr

C’est comme pour les grands crus, à savourer sans modération. La presse économique, confirmant les résultats des géants du CAC 40, saluait, jeudi, « un millésime exceptionnel ». 1 700 milliards de chiffre d’affaires, 142 milliards de profits. Et la bonne nouvelle pour toutes celles et tous ceux qui attendent un ruissellement, c’est que « les actionnaires de la Bourse de Paris vont être choyés », écrivent les Échos. Bien, mais qui sont-ils au juste ? Là, le Figaro nous le dit : « Le CAC 40 est une affaire de familles », avec une liste des dix premières et même la photo du trio de tête : la famille Arnault, ça va de soi, les héritiers Hermès, Françoise Bettencourt-Meyers… Aujourd’hui, ces familles détiennent 21,5 % du CAC 40, contre 9,7 % en 2012. Ça ruisselle pas mal à Paris et même ça déborde. Sinon, comme l’écrivent les Échos, alors que la mobilisation sur les retraites bat son plein, « pour certains, c’est le signe que des ressources financières significatives sont à portée de main ». Mais en voilà, une bonne idée !

  publié le 10 marsv2023

À Jénine, la résistance
de tous les instants

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

L’armée israélienne multiplie les raids en Cisjordanie pour tenter d’éradiquer toute contestation de sa domination. L’Humanité a pu rencontrer de jeunes combattants palestiniens armés. Témoignages  aux camps de réfugiés de Jénine (Cisjordanie occupée), envoyé spécial.

Sur la façade de l’école de l’UNRWA, l’organisme des Nations unies en charge des réfugiés palestiniens depuis 1949, sont placardées les photos d’un homme. Le crâne rasé, portant un tee-shirt de couleur, il sourit. C’est tout ce qu’il reste de Jawwad Bawaqna, 57 ans. Il était instituteur au sein de cet établissement.

Ce 19 janvier, le jour n’est pas encore levé sur le camp de réfugiés de Jénine, au nord de la Cisjordanie, lorsque l’armée israélienne y pénètre. Des combats s’engagent entre les forces d’occupation et les résistants palestiniens. L’enseignant est chez lui, avec sa femme et ses six enfants, lorsqu’il entend un homme blessé appeler à l’aide. « Mon père est sorti pour l’aider, pour lui prodiguer les premiers soins, raconte l’un de ses fils, Farid. « Nous l’avons traîné à l’intérieur et ils ont tiré sur mon père dans le haut du corps. Je l’ai alors déplacé pour le mettre à l’abri alors qu’il était couvert de sang », se souvient-il.

A quoi bon remplacer les vitres du magasin qui ont volé en éclats ?

En cette mi-février, alors que nous nous trouvons à l’endroit où Jawwad Bawaqna a été abattu, rien n’a changé. Les vitres du magasin près de l’école ont volé en éclats et n’ont pas été remplacées. « À quoi bon ? » soupire le propriétaire, qui nous donne un vague « Mohammad » en guise de nom. Il a placé des parpaings à la place.

Dans la rue perpendiculaire, de grandes tentures sont tendues. « C’est pour se protéger des snipers israéliens qui prennent place sur les toits dès qu’une opération débute », explique Ziad, qui nous accompagne dans les venelles du camp. Celui-ci se déploie à flanc de collines à partir de la ville homonyme, sans que les limites en soient bien visibles.

Ici, une maison détruite à coups de roquettes par les Israéliens ; là, des murs criblés de balles, témoignage des échanges de tirs ; partout, des photos de « martyrs », comme disent les Palestiniens ; souvent, des fresques représentant une clé. « Not to forget », peut-on lire – pour ne pas oublier.

Yasser Arafat aimait parler de « Jeningrad », comme on dit Stalingrad ou Leningrad

Comment les habitants du camp de Jénine pourraient-ils oublier, eux qui sont la cible régulière de l’armée israélienne mais n’ont jamais baissé les bras ? Yasser Arafat, le leader historique, aimait parler de « Jeningrad », comme on dit Stalingrad ou Leningrad.

Il y a vingt ans, en avril 2002, le siège a duré seize jours, faisant 52 morts. La ville est devenue d’autant plus un symbole de résistance que la jeune génération est née à ce moment-là, ne revoyant souvent son père qu’au parloir des prisons.

Après le 19 janvier, l’armée israélienne est revenue le 26 du même mois, pour un nouveau massacre : 9 Palestiniens tués. Dernière incursion en date, ce mardi 7 mars. Selon les informations que nous avons pu recueillir par téléphone, les forces spéciales se seraient infiltrées, cachées dans une camionnette blanche portant une immatriculation palestinienne et des graffitis en arabe sur lesquels on pouvait lire « le transport du futur ».

Les portraits de six jeunes Palestiniens qui n'avaient pas 30 ans vont rejoindre les centaines d’autres sur les murs du camp

Puis l’armée est entrée, a assiégé une maison où se trouvaient des combattants palestiniens, a tiré des roquettes. Des groupes armés palestiniens sont alors intervenus. Bilan : les portraits de six jeunes Palestiniens vont rejoindre les centaines d’autres sur les murs du camp. Ils étaient jeunes, très jeunes même. Ils n’avaient pas 30 ans.

Mohammad, 32 ans, nous accueille sur sa terrasse, en cette matinée de février. Les arbres sont en fleurs, l’odeur du café à la cardamome vient chatouiller les narines et se mêler à celle du tabac. On est bien. Et pourtant… « Il ne faut pas s’y tromper, prévient notre hôte. L’atmosphère est mauvaise dans le camp. On se réveille en entendant des tirs, on se couche en entendant des tirs. »

Il parle des difficultés quotidiennes, du manque d’argent, de travail, des petits boulots. « Mais on a l’habitude de vivre ici. On est nés avec ça. » Et il sait que, pour son fils et sa fille, 5 ans et 4 ans, le mektoub, le destin, sera le même. « Quand ils étaient beaucoup plus petits et qu’ils entendaient des coups de feu, ils se mettaient à pleurer, ils avaient peur. Maintenant, ils comprennent que c’est l’armée israélienne qui attaque. Ils veulent poser en photo avec des fusils, comme sur celles des martyrs.  »

Quand on vit en cage, les repères ne sont plus les mêmes

D’ailleurs, les chansons qu’ils préfèrent et qu’ils entonnent ne sont pas des comptines, mais plutôt des chants à la gloire de la résistance. Son fils a demandé à Mohammad de l’amener au cimetière où sont enterrés les combattants. Il y a vu une femme en train de pleurer. C’était la sœur de Jawwad Bawaqna, l’instituteur. « J’en suis fier. On se bat pour notre patrie. »

C’est à l’aune de cette vie sous occupation – les premières familles sont arrivées là en 1948, à la Nakba (la catastrophe), venant de Jaffa, de Haïfa ou encore de Nazareth – qu’il faut comprendre les paroles de Mohammad. Il n’aime pas la mort, il ne veut pas voir ses enfants mourir. Mais quand on vit en cage, les repères ne sont plus les mêmes. Ici, le mot liberté a un goût de sang et celui de résistance se décline de différentes manières.

Talal Al Housari, 25 ans, Yassar Hanoun, 23 ans, et Mohamed Fayed, 20 ans, sont tous recherchés par Israël. « Pas pour les arrêter mais pour les tuer », précise la personne qui nous a mis en contact.

« On ne veut pas l’occupation. Ce que nous faisons, c’est défendre le camp »

Lorsque nous les rencontrons, ils ont encore le visage fatigué d’une nuit en éveil constant, où l’ennemi israélien peut survenir à chaque instant. Ils posent leurs M-16 sur la table comme des jouets. Mohamed a gardé une bonne bouille d’enfant espiègle, les yeux rieurs, pétillants de vie, un perpétuel sourire aux lèvres.

Sur son arme il a accroché un médaillon : celui d’un de ses amis tué par les forces spéciales, la veille de son mariage. « Notre objectif, ce n’est pas d’aller attaquer, mais de défendre le camp, souligne-t-il. C’est une invasion quotidienne. On ne peut même pas bouger en Cisjordanie, qui est censée être à nous. »

Talal, le visage très pâle, encadré d’une barbe, a lui aussi épinglé la photo d’un de ses copains abattu : « C’est comme une promesse de continuer le combat, ça renforce ma détermination. » Il a passé déjà quatre ans en prison. « Une fois libéré, j’ai essayé de me tenir à l’écart de tout, mais comment faire ? La situation pousse à aller combattre. »

Yassar, au crâne rasé, a un regard triste et grave, la mâchoire crispée. « De quoi avez-vous besoin de plus lorsque vous voyez vos amis se faire tuer devant vous ? demande-t-il sans attendre de réponse. On ne veut pas l’occupation, on ne veut pas qu’ils tuent nos familles. Nous, ce que nous faisons, c’est défendre le camp. »

Tous les Palestiniens sont aujourd’hui à la recherche d’une voie pour ne pas suffoquer

Aujourd’hui la soixantaine, Jamal Hweil a combattu dans les rues du camp en avril 2002. Il a été arrêté les derniers jours et il est resté presque huit ans en prison, puis à nouveau trois ans. Membre du conseil révolutionnaire du Fatah, en désaccord avec le président palestinien Mahmoud Abbas, il voit bien que « maintenant, les jeunes s’expriment en résistant d’une autre façon, pas en lien avec des groupes politiques. Ils se battent mais pas de façon idéologique ».

Désormais professeur à l’université arabo-américaine de Jénine, Jamal Hweil le sait bien : « Les jeunes n’ont pas le matériel, ni la formation militaire nécessaire, mais ils veulent dire aux Israéliens qu’ils n’entreront pas facilement dans le camp. »

Amed Awwas, 36 ans, exprime la même idée. « Chacun ici sait bien que, même si on a un fusil ou un revolver, les agents israéliens peuvent nous tuer avant même qu’on ait dégainé. Mais on veut montrer notre refus de l’occupation, quitte à en mourir. »

Aucune forfanterie dans ces paroles. En l’absence de leadership politique – l’Autorité palestinienne étant déconsidérée, voire haïe –, tous les Palestiniens sont aujourd’hui à la recherche d’une voie pour ne pas suffoquer, tenter de bâtir un avenir pour les enfants.

Ahmed Tobasi avait 17 ans en 2002 lorsqu’il a été arrêté. Il est devenu acteur après quatre années de prison et est maintenant l’un des animateurs du Théâtre de la Liberté à Jénine. « Résister, c’est aussi penser d’une façon différente de celle que voudrait nous imposer l’occupant », proclame-t-il avec force.

L’armée israélienne le sait bien, qui a plus d’une fois détruit les installations de ce théâtre. Un lieu où se déroule le récit, celui d’un peuple qui résiste encore et toujours et qui a fait d’un mot son phare : sabreen. La patience. 


 


 

De Jénine à Naplouse,
la jeunesse palestinienne fulmine

Joseph Confavreux sur www.mediapart.fr

Ces hommes et ces femmes ont grandi dans les décombres de l’opération « Rempart » qui, il y a vingt ans, avait rasé des pans entiers des grandes villes palestiniennes de Cisjordanie. Reportage à Naplouse et à Jénine, où l’armée israélienne a opéré, mardi 7 mars, un nouveau raid meurtrier.

Jénine, Naplouse (Cisjordanie occupée).– « J’ai appris la mort de mon père par hasard, sur une boucle Telegram, en voyant une photo de gens applaudissant devant notre maison dans le camp de réfugiés de Jénine. » Somood, jean serré, voile noir ajusté et médaillon de son père au cou, sourit derrière ses yeux embués en racontant l’histoire qui a fait basculer sa vie, le 16 janvier dernier.

« Je suis étudiante à l’université Bir Zeit, à Ramallah, je dormais mais j’ai senti quelque chose qui m’a réveillée. Je me suis connectée et j’ai ensuite appelé ma sœur qui m’a dit que papa avait été tué par l’armée israélienne », poursuit-elle, assise dans un salon absolument impeccable à l’exception de l’impact d’une balle qui a traversé la vitre et le rideau pour atterrir dans la bibliothèque.

La balle, qui a tué le père de Somood, a été tirée durant l’un des nombreux déploiements menés par l’armée israélienne dans les grandes villes palestiniennes depuis des mois, à la recherche de militants du Djihad islamique ou des « lions de Naplouse », sans s’embarrasser de faucher au passage de nombreux non-combattants. Le meurtre a eu lieu une semaine avant une nouvelle incursion qui a fait neuf morts dans ce même camp de réfugié·es de Jénine le 26 janvier, elle-même suivie d’une opération ayant fait onze victimes dans la vieille ville de Naplouse le 25 février.

S’est alors enclenché un cycle de représailles au moment même où une réunion « politico-sécuritaire », tenue dans la ville jordanienne d’Aqaba et rassemblant pour la première fois depuis des mois des représentants palestiniens et israéliens, promettait pourtant de « prévenir toute nouvelle violence » : assassinat de sept colons israéliens lors d’une fusillade dans une colonie de Jérusalem-Est au lendemain de l’opération sur Jénine, meurtre de deux jeunes colons venus de l’implantation de Har Bracha à Huwara le 25 février ; mise à feu et à sang de ce bourg palestinien par des colons le lendemain ; assassinat d’un jeune Américano-Israélien venu pour un mariage en Israël le surlendemain à proximité de Jéricho…

Dernier événement en date, l’armée israélienne a de nouveau, mardi 7 mars, pénétré le camp de Jénine pour éliminer l’auteur de l’attaque du 25 février, qui appartenait au Hamas, tuant par la même occasion cinq jeunes Palestiniens et en en blessant vingt-six autres.

Des portraits du père de Somood, Jawal Bawaqneh, ornent le perron de la maison familiale, à l’endroit exact où ce professeur de sport de 58 ans, connu dans tout le quartier, est mort en tentant de porter secours à un combattant blessé. « Il aidait toujours tout le monde, explique sa fille. Il est sorti pieds nus, en t-shirt, simplement parce qu’il avait entendu appeler à l’aide. On nous a conseillé de porter plainte, mais nous ne l’avons pas fait car cela ne débouche jamais sur rien. On nous a fait comprendre que l’armée israélienne dirait que mon père voulait s’emparer de l’arme pour tirer contre ses soldats… »

Depuis la mort de Jawal, cette étudiante en relations internationales s’est investie à corps perdu sur les réseaux sociaux en défense de la cause palestinienne : « Je me suis donné pour mission de documenter les vies volées par l’occupant. Je publie les photos et j’écris des poèmes pour chacun des morts récents, afin qu’on se souvienne d’eux et de leur combat, explique-t-elle. En tant que femme, il est difficile pour moi d’imaginer prendre les armes. »

A-t-elle des regrets à ce propos ? « Il y a différentes formes de résistance, commence-t-elle par évacuer. Mais ça m’arrive. Pour notre génération, il reste un espoir infime que les choses s’améliorent. Si nous ne faisons pas en sorte de dévier le cours des choses, même cet espoir ténu disparaîtra. »

Son père l’a baptisée Somood parce qu’elle est née en mars 2002, le mois où a commencé l’opération « Rempart » déclenchée par le premier ministre d’alors, Ariel Sharon, qui a réduit la majorité du camp de Jénine à un amas de gravats, à l’acmé de la deuxième Intifada. « Notre maison a été complètement détruite, et nous n’avons pas encore fini de la reconstruire, vingt ans après », explique-t-elle en désignant les travaux en cours à l’étage.

Somood est un terme arabe difficile à traduire, situé quelque part entre « résistance » et « résilience ». Pour Michel Warschawski, figure de la gauche israélienne, « le rapport de force entre Palestiniens et Israéliens est tel qu’il serait délicat de parler en ce moment d’une phase de libération. Mais le terme de somood est important pour comprendre l’état de la résistance palestinienne. Il signifie qu’on s’accroche, qu’on ne sombre pas dans la guerre intestine, qu’on continue de bien habiller ses enfants pour aller à l’école même si le trajet est dangereux parce qu’il passe à côté d’une colonie… ».

Depuis plusieurs mois, de jeunes Palestiniens ont toutefois décidé de ne pas se contenter de « s’accrocher », mais aussi d’attaquer : le « repaire des lions » à Naplouse, les « brigades de Jénine » et même de petits groupes à Jéricho, d’habitude préservée des affrontements armés. Souvent formés de très jeunes gens, ces groupes de combattants ne se revendiquent pas des partis politiques palestiniens, Fatah, Hamas ou Djihad islamique, ni même de leurs branches militaires.

Il ne faut toutefois pas exagérer leur autonomie vis-à-vis des acteurs historiques de la résistance palestinienne. Pour Mahdi Sharqawi, 36 ans dont sept passés en prison, qui est l’un des responsables du Djihad islamique pour le nord de la Cisjordanie, « ces groupes de jeunes n’agissent pas sur ordre, mais ils sont parfois financés par le Hamas ou renseignés par le Fatah. Quant à nous, nous leur fournissons l’idéologie et les forces vives. Chaque ville palestinienne obéit à ses propres logiques. À Jénine, on peut dire que le Djihad islamique supervise ces jeunes, alors qu’à Naplouse c’est plus diffus. Mais, quoi qu’il en soit, la résistance actuelle est forte parce qu’elle peut s’appuyer à la fois sur des structures existant depuis longtemps et sur l’énergie actuelle de ces loups solitaires, prêts à descendre dans la rue sans en référer en amont ».

Hosni, casquette bleue vissée sur la tête et petite barbe encore adolescente, est né dans le camp de Jénine il y a dix-sept ans et ne l’a pas quitté depuis. « Chaque matin, on se réveille avec la peur d’apprendre la mort d’un proche, explique-t-il. En août dernier, j’ai ainsi perdu l’un de mes meilleurs amis lors d’une incursion de l’armée israélienne. Nous avons été élevés dans les décombres du camp et nous devons nous battre pour que ce que nous avons reconstruit ne soit pas de nouveau abattu. Mais, face à la puissance de Dieu, la force de l’armée israélienne ne m’inquiète pas. »

Hosni ne fait pas partie des combattants, mais de ces jeunes qui harcèlent à coups de pierres les véhicules militaires israéliens pour tenter de retarder leur progression et protéger ceux qui se battent les armes à la main. « Il est impossible de savoir vraiment qui combat et qui ne combat pas, nuance-t-il. Nos maisons sont tellement proches les unes des autres qu’on se connaît tous mais, même entre nous, on garde le secret par précaution. »

Pour lui, « l’armée israélienne ne fait jamais de détail : les voitures, les enfants, les personnes âgées, les maisons… Ils détruisent tout sur leur passage pour trouver les personnes qui se cachent dans le camp ». Avec un nombre limité de points d’entrée et une entraide collective forte, les camps de réfugié·es permettent en effet de filtrer les allées et venues et sont donc considérés par les combattants palestiniens comme des lieux susceptibles de leur offrir des abris sûrs, même si les militants recherchés échappent rarement, tôt ou tard, aux soldats israéliens. « Ce qui me semble nouveau, poursuit Hosni, bravache, c’est qu’en dépit de leur force militaire, je vois sur le visage de ces soldats qu’ils sont effrayés. Ils ont davantage peur que nous. »

Adnan Sabah vit à quelques encablures de la maison familiale de Hosni. Cet ancien du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui a passé sept ans en prison dans ses jeunes années, se dit « impressionné par cette nouvelle génération, qui reprend le flambeau. Il faut comprendre qu’ils n’ont pas grand-chose à perdre. C’est à peine une vie que de vivre ici. Quand on se couche, on n’enlève pas ses vêtements de crainte d’être arrêté. Quand on fait l’amour, on se demande si la porte ne va pas être défoncée. Même nos rêves sont occupés ».

Pour cet homme d’une soixantaine d’années, quand on vit dans un camp de réfugié·es d’une ville palestinienne, « il n’y a aucune intimité : vous savez tout ce que fait votre voisin, ce qu’il prépare à manger, ce qu’il dit à ses enfants. Chaque nuit, vous entendez les drones en ayant l’impression qu’ils vont entrer par votre fenêtre. Même les gens comme moi qui ne sont plus dans la résistance, qui ont un travail, une maison et une voiture savent que tout peut être détruit en quelques heures, que l’on peut être tué juste pour avoir regardé dehors au mauvais moment ».

Muhamad, 54 ans, qui vend des légumes sur un étal d’une rue passante de la vieille ville de Naplouse, juge également que la génération qui se bat aujourd’hui est « bien plus forte que la [leur] » : « Je pense qu’eux vont réussir. Ils n’ont peur ni de la tombe, ni de la prison, ni d’être blessés. Et non seulement ils n’ont plus peur de la mort, mais ils la recherchent. Ils hantent ainsi la vie des soldats israéliens. »

Muhamad s’excuse de ne pas saluer avec sa main droite, dont il a perdu l’usage en recevant quatre balles tirées par un sniper de l’armée israélienne. C’était en 1988, au début de la première Intifada. « Je jetais des pierres, mais personne n’avait d’armes et je me suis retrouvé à terre et en sang. Maintenant, c’est différent, les jeunes n’hésitent plus à s’armer. » Il considère les membres d’Areen Al-Oussoud, littéralement « le repaire des lions », comme ses « enfants ». « Je suis fier qu’ils aient remis Naplouse au centre de la carte du monde. »

À Naplouse, les portraits des « lions » sont partout : sur les coques des téléphones portables, portés en médaillon au cou des écoliers, placardés sur les murs de la ville… Ces lions qui ont plutôt l’âge d’être des lionceaux pourraient-ils vraiment réussir là où les brigades militarisées du Fatah, du Hamas et du Djihad islamique ont été brisées au début des années 2000 ? « Ils sont beaucoup plus intelligents que nous ne l’étions, poursuit Muhamad. Et alors que nous obéissions pendant la première Intifada aux directives de l’OLP, ils agissent d’eux-mêmes et ne prennent leurs ordres que de leur âme et de Dieu. »

L’Intifada déclenchée en 1987, « l’Intifada des pierres », fut une vaste révolte populaire sans armes, impliquant des enfants, des femmes et des vieillards, encadrée ensuite par les organisations politiques palestiniennes. Quatorze ans plus tard, prenant acte de l’échec de cette première Intifada, celle du début des années 2000 fut militaire et armée, l’époque des « tanzim » du Fatah ou du Hamas et des attentats suicides et sanglants.

En 2015, « l’Intifada de Jérusalem », comme on la nomme côté palestinien, « l’Intifada des couteaux » comme elle est appelée côté israélien, voit se multiplier les attaques à l’arme blanche ou à la voiture bélier. C’est cette séquence qui semble aujourd’hui se prolonger et s’intensifier avec l’usage d’armes à feu. Les passages à l’acte, qui se concentrent sur les colons de Cisjordanie ou Jérusalem-Est, demeurent le plus souvent individuels et n’obéissent pas nécessairement à une hiérarchie de commandement. Mais cela ne signifie pas qu’ils soient entièrement spontanés, même si le contrôle sécuritaire massif d’Israël empêche la constitution ou la reconstitution de brigades militarisées pérennes.  

Une autre dimension importante réside dans le fait que les opérations de l’armée israélienne qui ont visé Naplouse, Jénine ou Jéricho ces derniers mois se concentrent en réalité sur les camps de réfugié·es présents dans ces différentes villes palestiniennes, dans lesquels les impasses économiques sont les plus criantes et où les forces de l’ordre de l’autorité palestinienne sont le plus souvent absentes.

Pour l’écrivain palestinien Elias Sanbar, « aujourd’hui, ce sont principalement les camps de réfugiés qui se mobilisent en Cisjordanie. Le reste de la société ne bascule pas, notamment parce qu’il faut se rappeler que l’Autorité palestinienne, pour décrédibilisée qu’elle soit, verse des salaires à 180 000 fonctionnaires qui font vivre des centaines de milliers de familles, mais aussi parce que la société craint une répression comme celle qui a étouffé les révoltes arabes de 2011. Tout peut néanmoins s’embraser très vite, en cas d’annexion ou de provocation sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem ».

Pour Amir, rencontré sur la place centrale de la vieille ville de Naplouse, il faut faire le constat que « les pierres ne sont d’aucune utilité contre un véhicule militaire et que défendre la Palestine exige d’utiliser des armes. Les jeunes Israéliens prennent les armes à 18 ans pour nous faire la guerre, il est logique que nous fassions pareil ». Habillé tout de noir mais avec un pull de Noël, barbe fournie et bien taillée, le jeune homme de 22 ans ne tarit pas d’éloges sur les « lions » de Naplouse.  

Ils sont « les seuls à défendre notre nation et notre peuple », poursuit-il. Et les opérations de l’armée israélienne « n’atteignent pas le but fixé de diminuer l’importance de ce groupe. Au contraire, leur puissance ne cesse d’augmenter », affirme ce garçon qui travaille dans une boucherie de la vieille ville.

Songe-t-il à rejoindre ce groupe, alors qu’après la dernière opération de l’armée israélienne dans la vieille ville de Naplouse ayant fait onze morts, dont plusieurs non-combattants puisque l’opération s’est déroulée à l’heure du marché et a cueilli sur place de simples passants, les « lions de Naplouse » ont annoncé que le recrutement était de nouveau ouvert ? « Qui vous dit que je n’en fais pas déjà partie ?, répond Amir du tac au tac. Peut-être pas comme combattant, mais aujourd’hui les lions sont l’incarnation du peuple palestinien. Je suis palestinien, donc je suis avec eux. On a déjà perdu trop de gens autour de nous. Il est impossible d’oublier ou de pardonner. »

Pense-t-il que sa génération puisse mener à terme un combat perdu par la génération précédente ? « Nos pères et nos oncles n’ont pas échoué, juge Amir. Ils se sont sacrifiés et nous ont transmis le flambeau. » Le jeune homme, pourtant, ne se reconnaît pas dans la figure de Yasser Arafat, leader historique de l’Organisation de libération de la Palestine, tant l’Autorité palestinienne, héritière directe de l’OLP, est honnie par cette génération née alors que le processus d’Oslo et la perspective d’une solution à deux États étaient déjà enterrés de facto.

« L’Autorité palestinienne collabore avec les Israéliens, poursuit le garçon. À part le drapeau sur son toit, je ne fais pas de différence entre une jeep de l’Autorité palestinienne et une de l’armée israélienne. Le principal objet de la réunion d’Aqaba était de former et d’armer de nouveaux gardes palestiniens pour nous contrôler et nous attaquer. Mais cela ne marchera pas. »

Dans quelle figure se reconnaît-il, si même Yasser Arafat, dont le portrait continue d’orner certains murs de Naplouse, bien que ceux des martyrs y soient beaucoup plus nombreux, ne trouve pas grâce à ses yeux ? « Saddam Hussein », lance-t-il avec un sourire provocateur mais marqueur du statut de premier résistant aux États-Unis et à Israël acquis par l’ancien dictateur irakien auprès de certains Palestiniens, souvent nés après sa mort en 2003. Avant d’ajouter : « Mais la seule figure que je respecte vraiment, et qui me donne la force de combattre, c’est le prophète Mohammed. » Signe d’un conflit politique et territorial qui se reconfigure de plus en plus en guerre identitaire et religieuse, côté palestinien comme israélien.

  publié le 9 mars 2023

Aux quatre coins du pays,
la grève s’enracine

Cyprien Boganda, Samuel Eyene, Marie Toulgoat et Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Après une nouvelle mobilisation historique, les syndicats veulent amplifier la dynamique par des débrayages reconductibles dans les entreprises. Sur le terrain, la résistance s’organise.

Dans les transports en commun, les raffineries ou les ports, une même conviction : les manifestations, aussi massives soient-elles (celle du 7 mars a attiré 3,5 millions de personnes dans les rues, selon la CGT), ne suffiront pas à faire fléchir l’exécutif.

Désormais, l’objectif est de multiplier les grèves reconductibles pour peser sur l’économie, tout en évitant le piège de la grève par procuration, dans laquelle une minorité de travailleurs organisés montent au front, soutenus par la « majorité silencieuse ».

« Nous sommes entrés dans une nouvelle phase du mouvement, assure Emmanuel Lépine, secrétaire national de la Fnic-CGT (industries chimiques). Il nous faut désormais maintenir ce niveau de mobilisation et élargir le mouvement au maximum de secteurs de l’économie. »

Ce mercredi, en tout cas, les secteurs clés étaient toujours à la bagarre. Dans les raffineries de TotalEnergies, les installations fonctionnent toujours, mais les expéditions sont bloquées. La CGT fait état de taux de grève oscillant entre 70 et 100 % sur les différents sites, signe que la journée du 7 mars a gonflé les voiles de la mobilisation. Quant aux quatre terminaux méthaniers portuaires permettant d’importer du gaz naturel liquéfié en France et à l’ensemble des stockages de gaz où il y a du personnel, ils étaient toujours bloqués.

Dans l’énergie, plus de 15 000 mégawatts ont été retirés du réseau par les grévistes des centrales thermiques et nucléaires, un niveau « historique », selon la CGT. Les transports en commun et les ports poursuivent également le mouvement (voir plus bas). De Paris au Havre, l’Humanité est allée à la rencontre des salariés concernés pour comprendre comment ils organisent la résistance.

À la gare de Lyon, une reconduction et des soulagements

« Ce matin, j’ai entendu que 15 000 personnes étaient dans la rue à Blois. Je pensais qu’il n’y avait que le château, là-bas. » La satisfaction de ce cheminot, au micro de l’assemblée générale de la gare de Lyon, ce mercredi, tranche avec la mobilisation de 2019 contre la réforme des retraites à points. « Dans les aéroports, les ports & docks, les raffineries, le gaz, la liste des secteurs en reconduction est longue, la grève est ancrée, poursuit Berenger Cernon (CGT). Non, cette fois-ci, les cheminots ne sont pas seuls. »

Chez les agents grévistes du Sud-Est parisien, le soulagement est de mise. Ce mercredi, second jour de grève reconductible, 40 % des agents de l’axe Paris sud-est et 95 % des conducteurs sont en grève. « Le 7 mars était formidable. Police et syndicats s’accordent à dire qu’il s’agissait de la plus grosse mobilisation sociale depuis quarante ans ! Comment pourrions-nous être déçus par cette démonstration de force ? » souligne Fabien Villedieu, délégué syndical SUD rail, pour encourager les agents à poursuivre le mouvement.

Pour autant, Berenger Cernon souligne « l’état d’esprit paradoxal » parmi les grévistes. « Il y a du monde dans les rues et, à la SNCF, le taux de grévistes est encourageant, mais il n’y a pas de volonté collective d’aller au carton contre la réforme », enchaîne le cégétiste. À la SNCF, la crainte est que la reconduction ne s’estompe, ce week-end. La journée d’action interprofessionnelle de samedi, à laquelle ont appelé les confédérations syndicales, est un atout pour déjouer ce piège. « Il y avait, le 7 mars, 39 % de grévistes, tous collèges confondus, du jamais-vu après un mois et demi de mobilisation depuis vingt ans, insiste Daniel Teirlynck (Unsa). Le silence du gouvernement entraînera de la violence, ce qui n’est pas notre volonté. »

Dans un hangar de la SNCF, la reconduction à la gare de Lyon a été votée par les plus de 80 grévistes présents. Avant, pour ces derniers, de rejoindre la place de la République pour la manifestation féministe. « L’égalité salariale, c’est 5,5 milliards de cotisations pour les retraites », rappelle Fabien Villedieu. Et Radia, une gréviste, de conclure : « Nous donnons la vie mais sommes les moins payées et les plus précaires. Les femmes doivent se rendre dans la rue. »

Sur le rond-point d’Élancourt, « on ira jusqu’au bout »

Autour du rond-point, les bruits d’avertisseurs se font entendre à intervalles réguliers. Les passants en voiture ont bien compris le mot d’ordre : « Un Klaxon = un soutien », affiche une pancarte exhibée à l’entrée du croisement. Sur le rond-point du Commando-Kieffer, à Élancourt (Yvelines), ils sont une trentaine de participants réunis en assemblée générale, ce mercredi 8 mars.

Au lendemain d’une grève qui a rassemblé un nombre historique de manifestants, les salariés d’Airbus, présents, se tournent déjà vers l’avenir. « Nous n’allons rien lâcher, nous irons jusqu’au bout », avertit Pascal. Déterminé, ce développeur en informatique et délégué syndical CGT invite les participants à « durcir » le mouvement de lutte.

Et il n’est pas seul. Tour à tour, les syndicalistes se passent le micro. Des représentants d’autres secteurs d’activité sont venus apporter leur soutien. Ils exhortent les uns les autres à poursuivre la lutte. « Les agents sont très motivés. Nous sommes venus pour soutenir la mobilisation aux côtés des salariés d’Airbus », explique Morgan, électricien chez Enedis.

Pour lui, la grève par procuration n’est pas une option. « Nous avons décidé d’appliquer la sobriété énergétique », plaisante-t-il au sujet des modes d’action utilisés par les grévistes de son entreprise. De fait, ils ont décidé de faire des coupures d’électricité ciblées. D’autres initiatives tentent de voir le jour. Benoît, chimiste chez Thales et délégué CGT Île-de-France, parle de « quête au drapeau ». « Nous demandons aux salariés qui le souhaitent de soutenir financièrement les mobilisations. Puis nous redistribuons les fonds obtenus aux caisses de grève », explique-t-il.

À quelques pas, Aude, enseignante en CP, fait également preuve de ténacité. « Pour faire reculer la réforme des retraites, il faut se mobiliser. Qui peut imaginer un enseignant encore en classe à 64 ans ? » s’agace la syndicaliste FSU. Pour arriver jusqu’au lieu d’échanges, elle a fait vingt minutes de route avec son fils. Il est important d’agir, pour elle. « Je n’ai pas pu aller à Paris ce 7 mars, mais il faut montrer notre présence. Les gens sont là, ils occupent le terrain. Il faut le rappeler. » Et ce samedi 11 mars, nouvelle journée de mobilisation annoncée par l’intersyndicale, en est l’occasion toute trouvée.

Au Havre, les dockers immobilisent le port

Ports morts. Aucune marchandise ne rentre, aucune ne sort. À l’appel de leur fédération CGT, les dockers du Havre (Seine-Maritime) ont immobilisé le port, ce mardi, au lendemain d’une première journée de grève. « La différence avec une grève de 24 heures, c’est que, cette fois-ci, on occupe les lieux », détaille Jérémie Julien, secrétaire général adjoint de la CGT des ouvriers dockers du Havre.

L’appel n’est pas resté sans réponse : dès 5 heures ce matin, les nombreux dockers de la cité seinomarine ont bloqué les points d’entrée de six terminaux de la ville, rendant impossible tout déchargement de cargaison. Pour le deuxième jour de suite, 100 % d’entre eux étaient en grève.

À l’abri de la pluie dans des conteneurs convertis en cabanes, les travailleurs ont condamné l’accès aux débarcadères par de grands feux de pneus, dont la fumée s’est répandue jusqu’au centre-ville. Pour les travailleurs des docks, impossible d’accepter que la réforme des retraites soit entérinée.

« À 45 ans, nos collègues ont le dos en vrac. J’ai 30 ans et je suis déjà usé par la fatigue », souffle Alex, docker de Rouen travaillant au terminal de Radicatel (Saint-Jean-de-Folleville), que ses collègues du Havre sont venus soutenir. Du fait de la nature pénible de leur métier et de leur exposition à l’amiante jusqu’en 2004, certains peuvent aujourd’hui partir à la retraite à 55 ans. Un âge de départ que ferait reculer la réforme. Les plus jeunes recrues, dont l’exposition aux fibres toxiques n’est pas reconnue, pourraient partir à la retraite à 60 ans au lieu de 58 ans, inenvisageable pour beaucoup.

Une assemblée générale fédérale, ce 9 mars, devrait décider de la suite du mouvement des dockers et établir un calendrier d’actions à partir du 13 mars. « On est dans l’optique de l’élévation du mouvement », confie Jérémie Julien, qui espère que les autres secteurs décident également l’intensification de la lutte. En attendant, les ouvriers restent déterminés à tenir tête au gouvernement en interrompant complètement l’activité portuaire, jusqu’à la levée de leur blocage dans la nuit. « On n’est pas habitués à se laisser faire », glisse Florent, salarié de GMP, à deux pas de l’ancienne centrale thermique du Havre.

publié le 9 mars 2023

Hommage à Gisèle Halimi :
des féministes en colère contre la « malhonnêteté » du pouvoir

Ellen Salvi sur www.mediapart.fr

Après deux années de silence, l’Élysée a attendu la dernière minute pour lancer les invitations à la cérémonie d’hommage rendu à l’avocate et militante féministe, ce mercredi. De Choisir la cause des femmes au Planning familial, de nombreuses associations ont refusé de s’y rendre, préférant rejoindre la mobilisation du 8 mars. Emmanuel Macron a annoncé sa volonté d’inscrire l’IVG dans la Constitution. 

Violaine Lucas, la présidente de l’association Choisir la cause des femmes, cofondée par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir en 1971, a reçu un courriel de l’Élysée le jeudi 2 mars, en fin de matinée, dans lequel on lui demandait, sans autres précisions, sa date de naissance pour des raisons de sécurité liées à un mystérieux « événement » auquel on allait prochainement l’inviter.

C’est seulement en réclamant un éclairage sur la nature de l’événement en question que la militante féministe a découvert qu’une cérémonie d’hommage national à Gisèle Halimi  allait être organisée le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, de manifestations et de grèves féministes. Elle a répondu quelques heures plus tard par un courrier directement adressé à Emmanuel Macron.

Les mots qu’elle y emploie sont aussi clairs que l’invitation initiale était nébuleuse. « Le choix que vous opérez en organisant en dernière minute cet hommage national à la féministe Gisèle Halimi, ce 8 mars 2023, nous semble relever d’une instrumentalisation politique. Elle ne trompera personne », écrit-elle, évoquant notamment la mobilisation contre la réforme des retraites « qui pénalise particulièrement les femmes ».

Et de poursuivre : « Rendre hommage à l’occasion de la journée internationale des luttes pour les droits des femmes à l’une des plus grandes combattantes françaises pour la dignité des femmes et des peuples serait une idée de bon sens si elle n’arrivait de façon aussi inattendue, après deux ans et demi d’atermoiements, et au moment d’un grand mouvement social auquel elle aurait, sans aucun doute possible, pris une part active. »

Choisir la cause des femmes n’a donc pas participé à la cérémonie qui s’est tenue mercredi après-midi, dans la salle d’audience de la première chambre de la cour d’appel de Paris – « l’une des plus belles salles du Palais de justice [...], chargée d’histoire », s’était félicité l’Élysée, citant notamment les procès Laval et Pétain. Devant un parterre très masculin, le chef de l’État y a prononcé un discours, juste après Jean-Yves Halimi, l’un des fils de l’avocate et militante féministe décédée le 28 juillet 2020.

À ce moment-là, Violaine Lucas participait à un événement prévu, lui, de longue date au Parlement européen, à Bruxelles (Belgique), avec des féministes venues de tous les pays, avant de rejoindre la manifestation belge du 8 mars. « Nous n’allions pas arrêter sur demande expresse le combat que nous menons pour aller écouter deux hommes parler de la cause des femmes », dit-elle à Mediapart.

Son courrier se conclut par les mots suivants : « Monsieur le Président de la République, ce 8 mars 2023, avec toutes les féministes, c’est Gisèle Halimi elle-même qui sera absente de votre hommage. » Des mots balayés par l’entourage d’Emmanuel Macron lundi dernier, lors d’un brief avec les journalistes : « Elle est dans un combat politique qui n’engage que sa conscience et qui n’appelle pas de commentaire. »

Serge Halimi honorera la mémoire de sa mère dans la rue

Serge Halimi, un autre fils de Gisèle Halimi, a bénéficié du même traitement après avoir, lui aussi, décliné l’invitation tardive de la présidence de la République. Dans une déclaration transmise à l’AFP, dimanche 5 mars, l’ancien directeur du Monde diplomatique a indiqué avoir été « subitement informé » de la tenue de cet hommage, « en même temps que la presse ».

« La décision de l’Élysée intervient après plus de deux ans de tergiversations et alors que le pays est mobilisé contre une réforme des retraites extrêmement injuste dont les femmes qui occupent les métiers les plus difficiles seront les premières victimes, a-t-il précisé. Ma mère aurait défendu leur cause et manifesté à leurs côtés. Le 8 mars, ce sera la meilleure façon d’honorer sa mémoire et ses combats. »

Une position qui, selon l’entourage d’Emmanuel Macron, n’a suscité aucune « surprise » à l’Élysée. « Elle est conforme à l’idée [que Serge Halimi] se fait en conscience de son combat politique et de notre part, cela n’appelle aucun commentaire », ont répété les équipes du chef de l’État face aux journalistes, insistant sur le fait que ce dernier ne « liait pas l’actualité à Gisèle Halimi ».

Un hommage dépolitisé à Gisèle Halimi, c’est un oxymore.

C’est pourtant bien « à raison de son combat pour la cause des femmes et la légalisation de l’IVG et sa dépénalisation », au même titre que ses engagements contre la peine de mort, la colonisation et la guerre d’Algérie, mais aussi son combat pour obtenir l’abrogation de la loi Darlan qui pénalisait les rapports homosexuels entre majeurs et mineurs, qu’un hommage national va lui être rendu.

Pour de nombreuses militantes féministes, il apparaît dès lors inconcevable de ne pas inscrire les engagements de Gisèle Halimi dans la mobilisation du 8 mars et la colère qui s’y exprime vis-à-vis d’un pouvoir qui avait pourtant promis de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat. « Un hommage dépolitisé à Gisèle Halimi, c’est un oxymore, ça ne veut rien dire », tranche Violaine Lucas.

C’est une nouvelle occasion ratée, estiment-elles, après deux années durant lesquelles l’Élysée n’a jamais trouvé un moment pour célébrer cette figure féministe, dont beaucoup réclament la panthéonisation, comme le préconisait le rapport de Benjamin Stora, remis en janvier 2021. Une demande « toujours à l’étude », selon l’entourage d’Emmanuel Macron, qui ne cesse de temporiser sur le sujet. 

Plusieurs associations ont décliné l’invitation

La présidente de Choisir la cause des femmes n’en revient pas de la façon dont l’association cofondée par Gisèle Halimi, et plus encore le propre fils de l’avocate et militante féministe, ont été traités. « Ce ton paternaliste pour nous renvoyer à notre “conscience”, c’est particulièrement déplacé, dit-elle. Pour ma part, j’agis en pleine et entière conscience. Je n’ai aucune leçon à recevoir. »

Plusieurs autres organisations féministes ont choisi de lui emboîter le pas. C’est notamment le cas de la Fondation des femmes, du Planning familial ou encore de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), dont les responsables avaient également été conviées à la cérémonie, en fin de semaine dernière, à la toute dernière minute, alors qu’elles préparaient la mobilisation du 8 mars.

« Nous n’irons pas à cet hommage monté en hâte le lendemain de la grande manifestation nationale contre la réforme des retraites, indique à Mediapart la présidente de la FNSF Dominique Guillien-Isenmann. Gisèle Halimi était une femme formidable dont le combat de toute une vie mérite au moins le respect et la reconnaissance. Nous allons manifester en son honneur et serons dans les rues comme elle l’aurait fait. »

L’organisation de l’hommage rendu à Gisèle Halimi nous semble relever d’une instrumentalisation manifeste.

Dans un communiqué, le Planning familial a également annoncé préférer défiler « aux côtés de celles et ceux qui militent pour la défense de leurs droits ». « L’organisation de l’hommage rendu à Gisèle Halimi, combattante féministe, anticapitaliste et antiraciste, en plein cœur du mouvement social d’ampleur contre la réforme des retraites, nous semble relever d’une instrumentalisation manifeste », écrit l’association féministe.

Anne-Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des femmes, qui organise chaque année le prix Gisèle-Halimi, considère, elle aussi, que l’avocate et militante féministe « mérite un hommage magnifique ». Mais pas aujourd’hui, pas comme ça. « Nous attendons depuis deux ans cet hommage, souligne-t-elle à son tour. Il y aurait pu y avoir plein d’autres dates dans l’année pour l’organiser... »

La militante ne cache pas son étonnement quant au choix de l’Élysée de fixer l’événement « pile le jour où les féministes seront mobilisées pour demander des choses au gouvernement ». D’autant que le ressentiment est déjà grand, ajoute-t-elle, car « cet hommage intervient après plusieurs années de discours qui ne sont pas suivis de politiques ambitieuses, la confiance a été égratignée ».

La colère des militantes féministes

Comme beaucoup, Anne-Cécile Mailfert a donc choisi de grossir les rangs du rassemblement féministe à Paris. « Ça m’embêterait d’être ailleurs que dans cette manifestation importante et pour laquelle nous nous sommes beaucoup mobilisées, a fortiori dans un événement plus institutionnel… », affirme-t-elle, souhaitant rester « en cohérence avec le mouvement associatif féministe ». « Il ne s’agirait pas d’utiliser notre présence pour marginaliser l’absence de l’association Choisir la cause des femmes… »

L’avocate Zoé Royaux, porte-parole de la Fondation des femmes, a également décliné l’invitation de l’Élysée, qu’elle a reçue samedi dernier. Plutôt que de balayer les déclarations de Violaine Lucas, de Serge Halimi, et des associations qui ont soutenu leur démarche, elle aurait préféré que l’entourage d’Emmanuel Macron s’interroge sérieusement sur les raisons de leur colère.

« Je ne sais pas si c’est une instrumentalisation, mais politiquement, c’est une erreur, dit-elle. Qu’il s’agisse de la faiblesse des politiques menées contre les violences sexistes et sexuelles, de la réforme des retraites qui sera injuste pour les femmes, ou de celle des cours criminelles qui vont créer des huis clos judiciaires… Le gouvernement suit une feuille de route en décalage avec la gravité de la situation, mais aussi avec ce que défendait Gisèle Halimi. »

Si l’Élysée s’est réjoui de la présence de « nombreux avocats » à la cérémonie – en plus de nombreuses personnalités politiques comme le sénateur socialiste André Vallini –, plusieurs pénalistes ont finalement décidé de ne pas s’y rendre. D’autres, pourtant spécialistes des droits des femmes, n’ont même pas été invitées, à l’image de l’avocate Anne Bouillon, qui avoue sans difficulté qu’elle n’y serait de toute façon pas allée.

Louant la capacité de Gisèle Halimi « à faire entrer la politique dans le prétoire », Anne Bouillon affirme que son hommage personnel se tiendra dans la cour d’assises où elle défend ces jours-ci les intérêts de la famille d’une femme victime de féminicide. Elle estime que « brandir la cause des femmes tout en s’abstenant de la moindre réflexion sur le sujet relève d’une malhonnêteté crasse ».

Parmi les grandes oubliées de l’Élysée figure aussi la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF). « La FNCIDFF n’a pas été invitée à cet hommage », confirme sa directrice générale, Clémence Pajot, préférant mettre l’accent sur « l’importance d’une mobilisation sociale contre la réforme des retraites notamment, car elle impactera d’autant plus les femmes, qui restent les premières touchées par la précarité ».

Sollicité par Mediapart mardi soir, pour savoir quelles personnalités ou organisations féministes seraient présentes à la cérémonie du lendemain, l’Élysée a répondu vouloir « attendre la liste des répondants consolidée », évoquant tout de même les noms de Ghada Hatem-Gantzer, la fondatrice et directrice de la Maison des femmes, et de l’humoriste Sophia Aram.

Sylvie Pierre-Brossolette, la présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), instance consultative indépendante rattachée à Matignon, était également au Palais de justice. « Si je comprends que l’on puisse s’interroger sur le calendrier, je privilégie l’importance de célébrer les combats d’une grande figure du féminisme, d’autant plus qu’une annonce importante sur l’IVG est attendue », expliquait-elle en amont.

Mercredi après-midi, Emmanuel Macron a en effet annoncé vouloir « graver la liberté des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse » dans la Constitution. « Un projet de loi portant révision de notre [texte fondamental] sera préparé dans les prochains mois », a-t-il ajouté. En parlant de « liberté » et non pas de « droit », comme le réclamaient les associations féministes, le chef de l’État a préféré la formulation votée début février par le Sénat à celle du texte qu’avait adopté l’Assemblée nationale.

   publié le 8 mars 2023

Direct 8 mars. Tensions au Sénat, le point sur les grèves reconductibles

L'essentiel

  • Pas une goutte de carburant ne sort des raffineries ce mercredi, selon la CGT. Le mouvement se poursuit sous différentes formes avant le nouveau rendez-vous samedi prochain. Les syndicats demandent à être reçus par Macron. 65% des Français les soutiennent et se prononcent pour la grève reconductible.

  • Les organisations féministes, qui appellent à la grève ce mercredi 8 mars, dénoncent le caractère inique de la réforme.

  • Au Sénat, la majorité de droite a voulu couper court aux débats dans la nuit de mardi à mercredi pour tenter de faire voter l’article 7 du projet de loi, qui repousse l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Au final, dans un climat tendu, celui-ci n’a pas été voté. La séance doit reprendre ce mercredi.

  • Face à un gouvernement qui reste inflexible, les organisations syndicales ont réussi leur pari d'une mobilisation historique ce 7 mars, avec 3,5 millions de Français dans les rues.

     

La Nupes propose une loi pour revaloriser les « premières de corvée »

Une proposition de loi cosignée par les quatre groupes parlementaires de gauche prône une meilleure prise en compte de la pénibilité des métiers dits « féminisés », comme caissière ou aide-soignante, ainsi qu’une revalorisation de leurs compétences.

Poursuite du mouvement jeudi à la RATP

La RATP annonce cet après-midi que le trafic sera encore touché jeudi dans le métro parisien et le RER B. Les prévisions devraient être plus précisément connues vers 17h.

Macron renâcle à recevoir les syndicats

Emmanuel Macron semblait rechigner mercredi à recevoir les syndicats opposés à sa réforme des retraites au lendemain d'une mobilisation record dans la rue, le gouvernement préférant faire le dos rond dans l'espoir d'un probable vote au Sénat et d'un essoufflement du mouvement social.

L'intersyndicale, qui veut continuer à mettre la pression avec une nouvelle mobilisation samedi et la multiplication des actions, a demandé à être reçue "en urgence" par le chef de l'Etat "pour qu'il retire sa réforme".

Ce à quoi l'Elysée a semblé opposer une fin de non recevoir.

"Ce serait une erreur si le président recevait" les syndicats, qui "veulent repersonnaliser le débat autour de "pour ou contre le président". Le président n'a pas à entrer là-dedans", a affirmé une source gouvernementale mercredi. "C'est au gouvernement de les recevoir et pas au président".

"La porte du gouvernement est plus qu'ouverte", a assuré de son côté sur RTL son porte-parole Olivier Véran.

Le ministre des Comptes publics Gabriel Attal a également semblé balayer la demande en rappelant que le président avait reçu les syndicats... en juin. "Il y a un temps pour tout", a-t-il dit sur BFMTV/RMC.

L'exécutif n'a pas non plus proposé, à ce stade, de date à l'intersyndicale pour une rencontre avec Elisabeth Borne ou le ministre du Travail Olivier Dussopt.

Emmanuel Macron, à l'origine de cette réforme très contestée, est resté en retrait depuis sa présentation début janvier. Son entourage met régulièrement en scène un chef de l'Etat concentré sur les chantiers de l'après-retraite, de la refonte des institutions à l'école ou l'hôpital.

Ports bloqués

Les ports du Havre, de Rouen et de Marseille-Fos sont bloqués mercredi par une opération "ports morts" afin de protester contre le projet de réforme des retraites du gouvernement. "Nous laissons passer les véhicules légers, mais pas les camions", précise Yann Mallet, secrétaire général de la CGT dockers de Rouen.

S'étirant sur 15 kms, le port de Rouen, qui emploie aujourd'hui plus de 18.000 personnes des docks aux usines de transformation aux alentours, est le premier port céréalier d'Europe.

Gérald Le Corre, de l'union départementale CGT, a précisé que les blocages seraient maintenus "jusqu'à 15h00. Une grande partie de la zone portuaire est paralysée."

Le port du Havre, premier de France pour les conteneurs, est bloqué lui depuis 6h00 selon un tract diffusé sur le site de la CGT portuaire.

Les zones industrielles des deux villes normandes étaient également bloquées très tôt mercredi, a précisé le syndicat.

Selon la préfecture de la Seine-Maritime, "l'opération a démarré vers 5h30 à Rouen avec un accès coupé à Rubis terminal (distribution de produits pétroliers) et vers 6h00 au Havre où l'accès à la zone industrielle portuaire est bloqué, perturbant à la fois la circulation et l'activité commerciale du port, sans incidents".

La police nationale tente de "fluidifier au maximum la circulation" autour de ces deux opérations "annoncées pour durer jusque vers 15h00".

A Marseille, "tous les accès au Grand Port maritime", qui s'étend sur une surface équivalente à la ville de Paris --du quartier de la Joliette, proche du centre-ville à Marseille, jusqu'à Port-Saint-Louis-du-Rhône, en Camargue--, sont bloqués, a confirmé Pascal Galéoté, représentant CGT des agents portuaires du Grand Port maritime de Marseille (GPMM) et de Fluxel (opérateur des terminaux pétroliers de Fos et Lavéra).

Il y a "des piquets de grève un peu partout", a-t-il ajouté, précisant que le blocage durerait "toute la journée" et que rien ne sortirait des deux terminaux pétroliers.

Que ce soit chez les agents portuaires ou les dockers, on comptait "100% de grévistes", ont indiqué plusieurs sources syndicales CGT.

Où en sont les grèves reconductibles mercredi ?

  • Raffineries: expéditions toujours bloquées

Les expéditions de carburants étaient toujours bloquées mercredi matin à la sortie des raffineries du groupe TotalEnergies en France : "la grève a été reconduite dans les établissements de la Mède, Donges, la Raffinerie de Normandie, Feyzin et Flandres, avec des taux de grévistes entre 70% et 100%", a indiqué à l'AFP Eric Sellini, élu national de la CGT-Chimie qui a appelé à une grève reconductible.

Il fait également état de 80% de grévistes sur le site de Lavéra (Sud-Est) du groupe Petroineos, filiale du britannique Ineos et de PetroChina.

Côté Esso-ExxonMobil, il indique que la raffinerie de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) comptait 86% de grévistes parmi les équipes du matin, et que celle de Gravenchon (Seine-Maritime) "était en grève cette nuit" - on attend les chiffres du matin.

A la raffinerie Esso ExxonMobil de Port Jérôme près du Havre, la CGT annonce 20% de grévistes et "aucune sortie de carburant".

Les raffineries elles-mêmes continuent de produire du carburant: de l'essence et du gazole qui devront jusqu'à nouvel ordre être stockés sur place, faute de pouvoir sortir. Quand les réserves sur site seront pleines, les raffineries devront s'arrêter, mais cela nécessiterait plusieurs jours, voire semaines de blocages. En attendant, les 10.000 stations de France peuvent compter sur 200 dépôts de carburants.

Un dépôt pétrolier EPG à Ambès, sur l'estuaire de la Gironde, est bloqué depuis 3 heures du matin par une centaine des manifestants, selon la préfecture. 

  • Gaz : blocages mais gazoducs ouverts

"Les quatre terminaux méthaniers" portuaires permettant d'importer du gaz naturel liquéfié "et l'ensemble des stockages gaz où il y a du personnel, soit 13, sont toujours bloqués, on est dans la même situation qu'hier. Cela durera aussi les jours prochains car le but est de mettre la pression. Il y a des assemblées générales tous les matins, la détermination est là", a indiqué à l'AFP Fabrice Coudour, secrétaire fédéral du syndicat FNME CGT.

"Les piquets sur les terminaux méthaniers et les stockages gaz sont maintenus, on continue et on s'installe. Partout les messages de sûreté réseaux sont respectés, il n'y a pas d'impact auprès des usagers", a-t-il ajouté.

Le réseau français de gaz est alimenté par trois sources principales: le gaz naturel liquéfié (GNL) importé par navires dans quatre terminaux portuaires; les 13 sites de stockage souterrain, dans des cavités naturelles; et du gaz importé par gazoduc de Norvège ou d'Espagne.

A ce stade, les gazoducs du gestionnaire du réseau de transport, GRTgaz, restent ouverts et les clients sont donc alimentés. 

  • Energie: toujours des baisses de production

"Il y a déjà des baisses de production ce matin partout où cela peut s'opérer", selon Fabrice Coudour.

Mardi, les grévistes avaient fait état d'une baisse de production de 13.000 MW sur les centrales thermiques et nucléaires, un niveau "historique" selon le syndicat, équivalent à une douzaine de réacteurs, et ont bloqué 8.000 MW de puissance disponible sur les barrages. 

  • Transports: un train sur trois en moyenne

Un train sur trois est prévu mercredi à la SNCF, soit mieux que les 20% de mardi. La grève continuera jeudi et au moins vendredi mais le trafic s'améliorera, a dit le ministre chargé des Transports, Clément Beaune, sur LCI mercredi. Tous les syndicats de la compagnie publique ont appelé à une grève reconductible.

A Paris, dans les transports en commun gérés par la RATP, le trafic est en hausse mercredi dans le RER, il est quasiment normal pour les bus et les tramways, et dans le métro : entre un quart et la moitié du service habituel est prévu.

Dans les aéroports, "la situation devrait être sensiblement la même" que mardi selon la Direction générale de l'aviation civile, qui a demandé aux compagnies de réduire leurs programmes de vols de 20% à Paris-Charles-de-Gaulle et de 30% à Paris-Orly, Beauvais, Bordeaux, Lille, Lyon, Nantes, Marseille, Montpellier, Nice et Toulouse.

Les suppressions de vols se poursuivront jeudi et vendredi, selon Clément Beaune.

Deux rendez-vous dans la rue à venir

Ecartant le risque d'un essoufflement, l'intersyndicale, qui présente toujours un front uni, appelle à deux nouvelles journées d'actions: samedi 11 mars, puis le jour où Sénat et Assemblée tenteront de se mettre d'accord en commission mixte paritaire (CMP) sur le texte. Très vraisemblablement le 15, selon des sources parlementaires.

  publié le 8 mars 2023

Mouvement des retraites à Montpellier : le 7 mars de toutes les attentes

sur https://lepoing.net/

Plus de 25 000 manifestant·es selon la police. 42 000 selon les syndicats. Une chose est certaine : en nombre, à Montpellier, ce 7 mars 2023 aura connu le plus puissant des rassemblements contre la réforme des retraites. Un rassemblement encore nettement plus fourni que le seul qui fut organisé un samedi (le 7 février). Et cela alors que désormais la protestation est suffisante pour que les petites villes du département connaissent leurs propres cortèges, aux résultats parfois impressionnants (1000 à 2000 manifestant·es à Clermont l’Hérault), à déduire de la foule dans le chef-lieu.

Il faut donc l’écrire et le réécrire : la ténacité de cette opposition de rue est d’une ampleur et d’une durée rarement égalées. Mais on peine à en dire beaucoup plus : les allocutions des représentants syndicaux, prononcés pour une fois avant le cortège (à partir de 13h30 sur la place de l’Europe, en bord du Lez à Antigone), ont essentiellement martelé l’argument de l’unité syndicale, large et inébranlable, avec elle aussi les allures d’une première historique.

Mais une autre question était également dans les têtes, de manière pressante, face à ce nouveau rendez-vous réussi : « Il n’y a pas à tergiverser. C’est maintenant que toutes les conditions sont réunies. C’est maintenant qu’il faut y aller. Sinon c’est plié ! » estimait un enseignant gréviste, au cours de l’AG de lutte du secteur de l’Éducation, tenue dans la matinée à la Maison des Syndicats. D’une autre manière, Laurent Murcia, leader Force Ouvrière de la TAM, n’était pas moins tranchant en répondant au Poing : « Le gouvernement est allé tellement loin dans le refus d’écouter qu’il n’y a maintenant plus qu’une solution pour gagner, et c’est la grève illimitée ».

De manière analogue, dès 5 heures le matin, le personnel de la société Nicollin se déclarait en grève à 100 %, reconductible, jusqu’à ce que la gêne provoquée se respire très fortement dans la ville. Mais quelles sont les conditions pour que cela se traduise dans les faits ? Le syndicaliste de la TAM confiait aussi : « C’est très dur d’amener tout le monde dans la grève. Les gens sont acculés par les effets de l’inflation ». Même pour cette journée de blocage du 7 mars, des trams étaient en circulation, réduite au niveau de service d’un dimanche, semblait-il peu ou prou.

De manière analogue, dès 5 heures le matin, le personnel de la société Nicollin se déclarait en grève à 100 %, reconductible, jusqu’à ce que la gêne provoquée se respire très fortement dans la ville. Mais quelles sont les conditions pour que cela se traduise dans les faits ? Le syndicaliste de la TAM confiait aussi : « C’est très dur d’amener tout le monde dans la grève. Les gens sont acculés par les effets de l’inflation ». Même pour cette journée de blocage du 7 mars, des trams étaient en circulation, réduite au niveau de service d’un dimanche, semblait-il peu ou prou.

Quant à son homologue de Nicollin, le cégétiste Sébastien Valéro, il précisait que la grève illimitée reste malgré tout au stade d’un objectif : « Il va falloir tirer les conclusions de ce qui se passe vraiment ce 7 mars. Il faudra voir aussi ce qu’indiquera l’intersyndicale sur le plan national. Nous réunirons un C.S.E. ce soir, et c’est sur ces bases qu’on pourra envisager la suite ».

A l’agenda, figure en première place, dès ce mercredi 8 mars, la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, avec son appel à la grève, convergeant cette fois avec le mouvement des retraites. Une AG ouverte aura lieu dans la matinée à la Maison des syndicats (à 11h), enchaînant sur une manifestation (14h, place Zeus). Les allocutions de ce mardi ont souligné comment plus de la moitié des femmes partent en retraite avec une allocation de moins de mille euros mensuels ! Entre autres discriminations de toute nature.

A l’agenda toujours, l’appel des organisations de jeunesse suit, dès ce jeudi 9. Lors des allocutions de ce mardi, la représentante du syndicat étudiant SCUM a souligné comment l’âge moyen d’accès à un emploi stable est actuellement de 27 ans – imaginons la suite en terme d’annuités pour la retraite. La journée de ce mardi avait commencé par des blocages lycéens à Joffre, Clémenceau et Jules Guesde. Dans le cortège d’après-midi, la composante juvénile était beaucoup plus nombreuse que jamais ces derniers temps, et encore plus « déter et révolutionnaire ». Des AG s’annoncent dès aujourd’hui à Paul Valéry et en sciences (où le personnel présent en AG ce mardi s’est prononcé en faveur d’une grève reconductible).

Malgré une bruine assez méchante, c’est l’ensemble du cortège d’après-midi qui n’a pas manqué de pêche (merci les trois bandas). Et en son sein, la section la plus combattive comptant entre deux et trois mille personnes, ce qui n’est pas mince, pour crier puissamment : « Nous, ce qu’on veut, c’est la grève générale »(on trouve là les jeunes, étudiants et lycéens, des bataillons de Sud étonnamment fournis, l’AG montpelliéraine contre la vie chère, les mouvances plus directement politiques de l’UCL, du NPA, de Révolution permanente, quantité de non organisées, les Gilets jaunes).

Celles et ceux de Prés d’Arènes avaient marqué leur matinée en s’invitant à l’intérieur même de la grande surface bordant leur rond-point. Puis devant la gare, et encore Place de l’Europe, ils ont muté en chorale pour exhumer une première version historique du chant “On est là, on est là…”, lequel est en fait issu d’une lutte plus ancienne des cheminots. Ces derniers ont rappelé leur engagement en reconductible dès ce mercredi.

Ce bouillonnement se complétait d’une première tentative de blocage effectif d’une zone d’activités : soit le rond-point qui, à Mauguio, dessert des plateformes de fret de la Poste, d’UPS, et de Bolloré Logistics. Une vingtaine de membres de l’AG montpelliéraine contre la vie chère ont pu s’y installer en filtrant, une bonne part de la matinée, non sans recueillir des marques de sympathie. Toujours avec l’espoir de méthodes d’actions plus ouvertes et entreprenantes, le CAASOS, qui anime la lutte des travailleurs sociaux depuis plusieurs mois, appelait à une AG d’après-manif à la Carmagnole, où la question de constituer une véritable interpro devait être discutée (et qui fait salle comble à l’heure où nous publions ceci).

Dans la matinée, Le Poing avait pu suivre l’AG éducation, qui elle aussi déborde des seules étiquettes syndicales. On put y percevoir comme une synthèse de la situation actuelle : les bilans de la grève du jour étaient généralement encourageants, avec pas mal d’établissements proches du blocage. Puis furent débattues toutes ces idées qui permettraient à un mouvement de se renforcer et faire tâche d’huile : cela va de blocages en inter-pro en sortant des établissements, à toute une quantité de décloisonnements. Par exemple, le marché de La Mosson connaîtra un tractage spécifique des enseignants vers la population, tant la grève des premiers peut impacter les parents d’élèves que sont les seconds. Or ces derniers, les femmes notamment, feront partie des populations les plus durement touchées par la réforme en projet.

On a appris là que certaines caisses de grève connaissent un magnifique succès – grâce à l’effort des retraités notamment. Mais on s’est inquiété de la manière de n’en pas faire profiter que les seuls syndiqués, et de se préoccuper très particulièrement des plus précaires, AESH, et AED, souvent les plus combattifs, mais les moins à même de tenir dans la durée. Aussi bien a été évoqué un décloisonnement où les personnels de lycée se préoccuperaient de ceux des collèges avoisinants ; de même de collèges vers les écoles élémentaires. Cela de sorte que nul ne se sente faible et isolé. Sans oublier qu’il n’y a pas que des enseignants dans l’Éducation, mais aussi des personnels relevant d’inter-pro, qu’ils soient départementaux, œuvrent en cantines, ou autres.

C’est ce décloisonnement, cette ouverture active, cette audace des formes d’action, qu’on n’a pas eu la sensation de cultiver en se contentant de manger les sandwichs de la merguez-party de la place de l’Europe, alors que, physiquement, les occasions devraient y foisonner, pour débattre et se solidariser. On y remarqua un stand et un seul témoignant d’une ouverture élargie au mouvement social : celui de TechnoPolice, qui se bat contre la société de contrôle et de surveillance. Dans le même ordre d’idée, saluons cette pancarte aperçue au bras d’une des manifestantes, élargissant, certes gravement, les horizons : « La main d’œuvre que vous réclamez, vous la laissez couler en Méditerranée ».


 


 

Retraites : le site Nicollin-Sète bloqué, les grévistes appellent à rejoindre

sur https://lepoing.net/

Le site de Nicollin Sète est bloqué par grévistes et soutiens, à l’appel de la CGT, depuis ce mercredi 8 mars à 4h du matin. Le barrage doit être maintenu toute la journée, voir plus, et les grévistes appellent les personnes disponibles à venir les y rejoindre.

Depuis 4h du matin, à l’appel de la CGT, l’entrée du site Nicollin de Sète, au 954 avenue Gilbert Martelli, est bloquée. Sur le piquet cohabitent grévistes et personnes extérieures à l’entreprise, dont des gilets jaunes.

Cette action fait suite à la journée de grève interprofessionnelle et intersyndicale du 7 mars contre la réforme des retraites. A Montpellier, le ramassage des ordures et le nettoyage de la voie publique ont été complètement interrompus par la grève ce mardi 7 mars. A contrario, l’activité n’a pas été complètement stoppée à Sète, même si quelques tournées ont été annulées. Arnaud Jean, secrétaire de l’Union Locale CGT Bassin de Thau, a mis en cause la politique anti-grévistes de la direction de Nicollin Sète Environnement (NSE), filiale de la maison maire montpelliéraine, évoquant d’importantes pressions sur les participant.e.s au mouvement dans l’entreprise.

D’où l’action du jour, et l’importance du piquet de grève, alors qu’une vingtaine employés de NSE ont reconduit la grève ce mercredi 8 mars. A huit heure du matin, une soixantaine de personnes étaient rassemblé.e.s devant l’entrée de l’entreprise, attendant une relève pour maintenir l’action tout au long de la journée, voire au-delà.

Une assemblée est en cours (à 9h30), alors que certains salariés sont tentés de rejoindre la grève.

publié le 7 mars 2023

Direct 7 mars. Grèves, manifestations, occupations : le pari réussi de la mobilisation

sur www.humanite.fr

L'essentiel :

  • Face à un gouvernement qui reste inflexible, les organisations syndicales souhaitent franchir un cap avec cette nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. 700 000 personnes ont défilé à Paris selon la CGT, soit plus que les précédentes journées. Des cortèges nourris en régions également.

  • 65% des Français les soutiennent et se prononcent pour la grève reconductible dès ce 7 mars, selon notre sondage Ifop exclusif.

  • Entre 250 et 300 manifestations partout dans le pays : les syndicats prévoient un « tsunami social » 


 

Toulouse  : « Si ça ne suffit pas, on passera un autre cap »

La pluie est tombée dru mais les parapluies se sont révoltés. Parés en conséquence, les manifestants ont convergé en masse sur la place Saint-Cyprien. Au plus fort de l’après-midi, le cortège a rassemblé plus de 120 000 personnes, selon le chiffre intersyndical, soit l’affluence la plus forte depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, le 19 janvier. Preuve de la solidité du mouvement social ? « On est dans un marathon, on ne doit pas lâcher. Nous voulons monter en puissance. Il faut que le gouvernement entende que le peuple est largement opposé à son projet », plaide Christine, militante au syndicat Solidaires et employée dans l’industrie chimique. Parmi les manifestants, l’appel à « mettre la France à l’arrêt », lancé par l’intersyndicale, fait consensus. « Quel autre moyen avons-nous ? », interroge Francis, enseignant-chercheur à l’université de Toulouse, venu avec son fils. « Il faut quelque chose qui fasse comprendre au gouvernement qu’on ne lâchera rien, enchaîne Antoine, autoentrepreneur dans le secteur de l’hydromel. Donc, on passe au cap supérieur. Et si ça ne suffit pas, qui sait, peut-être qu’on ira à Paris, qu’on sortira les pavés. » Un brin provocateur, un jeune homme a écrit sur la pancarte accrochée à son cou : « En grève jusqu’à la retraite. »


 

700 000 manifestants à Paris, selon la CGT

Quelque 700 000 personnes manifestaient mardi à Paris pour la sixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, a annoncé la CGT à l'AFP, alors que le chiffre des autorités n'était pas immédiatement disponible. C'est davantage que lors des précédentes journées d'action, laissant entendre un pari réussi des syndicats.


 

A Chartres : « Cette réforme, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase »

À Chartres, après une matinée de barrages filtrants, mobiles et réactifs, les opposants à la réforme des retraites se sont retrouvés mardi après-midi dans une manifestation massive et sans aucun signe d’essoufflement.

Halte aux clichés : quand les agriculteurs manifestent à Chartres, ce n’est pas forcément pour demander plus de pesticides, du haut de tracteurs plus puissants que vos voitures. Dans la colossale manif pour les retraites, qui s’écoule comme un fleuve humain sur les plus larges boulevards de la capitale beauceronne, ils sont là, sous les drapeaux de la Confédération paysanne. Amandine par exemple, jeune exploitante en grandes cultures bio : « La plupart des retraités agricoles sont sous le seuil de pauvreté. Ma mère, conjointe d’exploitant, touche 300 euros de retraite ! Macro nous avait promis 1000 euros minimum : ils sont où, avec cette réforme qui va aggraver les choses ? »

Elle n’est pas la seule à montrer une colère intacte, après deux mois de mobilisations. D’après les plus expérimentés, ils sont autant ce 7 mars que le 31 janvier, soit quelque 10000 personnes dans une agglomération qui en compte 140000. Un cortège rajeuni, avec des lycéens, de gros bataillons d’enseignants et une CGT encore plus présente que d’habitude. Frédéric, qui porte une drapeau FO Santé, est ambulancier : « Deux ans de plus dans nos métiers, avec des conditions de travail toujours plus difficiles, c’est impossible. Cette réforme, à l’hôpital, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! »

Le midi, les cheminots ont décidé, à l’appel de la CGT, la CFDT et l’Unsa, de reconduire le mouvement jusqu’à ce mercredi, 14 heures. « Après, ils vont venir nous rejoindre à la manif pour les droits des femmes ! » précise Céline, du Snuipp-FSU. Parce qu’il n’y a pas qu’à l’hôpital que le vase déborde.


 

Paris. Vent en poupe pour les leaders syndicaux

Avec un peu de retard lié à l’affluence, le début du cortège parisien s’élance en direction de la place d’Italie. L’avant-garde de la manifestation est jeune, festive, massive, pas du tout résignée.

Dans le carré de tête, on se félicite de l’ampleur nationale de la journée interprofessionnelle. « Selon les premiers retours, il y a plus de monde que lors des précédentes journées. Et surtout plus de grèves », assure Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. « Beaucoup de salariés se rendent compte que, malgré la mobilisation et le refus massif de cette réforme, le gouvernement ne bouge pas », explique-t-il.

Pour tous les syndicats, l’heure est au durcissement du mouvement. Et si la France doit être à l’arrêt, le gouvernement en portera la responsabilité. « Plus vite le gouvernement voudra aller en faisant passer la loi, plus vite il durcira le mouvement », résume Cyril Chabanier, président confédéral de la CFTC. À ses côtés, Simon Duteil, de Solidaires, renchérit : « On a déjà fait retirer la loi sur le CPE, on peut le refaire ! »

Les jeunes se mobilisent le 9

En tête du cortège, on se sent le vent en poupe : le soutien au mouvement social ne faiblit pas, à l’inverse de l’opinion favorable à la réforme qui n’a jamais été aussi basse. Évoquant les 65 % de soutien à la grève reconductible dévoilé par un sondage Ifop pour l’Humanité, Benoît Teste, de la FSU, assure que « c’est plutôt le gouvernement qui s’essouffle. Il est à court d’arguments pour défendre son projet et se voit réduit à commenter la mobilisation et les blocages ». Selon lui, le nombre de grévistes dans l’éducation nationale est au moins au niveau de celui du 19 janvier.

Idem pour la mobilisation estudiantine, confirme Imane Ouelhadj, présidente de l’Unef, grâce à la fin de la période d’examens et des partiels. Les organisations de jeunesse comptent bien le démontrer encore massivement ce 9 mars, au cours d’une journée de mobilisation qu’elles porteront.

 

   publié le 7 mars 2023

« Si on bloque tous les secteurs, ça va les faire bouger » : sur les piquets de grève, l’espoir de la victoire

par Anne Paq sur https://basta.media/

En marge des grandes manifestations intersyndicales, la vie d’une lutte sociale est constituée d’une multitude de rencontres où se forge un élan commun : piquets de grève, moments festifs, occupations, AG… Récit en images et témoignages.

Caisses et piquets de grèves, marches aux flambeaux, rassemblements festifs, occupations dans les universités, blocages des lycées, rencontres et assemblées générales dans les facs, manifestations « sauvages »… Le mouvement social est trop souvent résumé dans les médias aux grandes manifestations intersyndicales. Il donne pourtant lieu à un bouillonnement social et politique, avec des revendications qui vont au-delà de la question des retraites.

Sur le piquet de grève du dépôt RATP de Pantin (Seine-Saint-Denis), les prises de parole se succèdent devant le camion. Des enseignants, des militants politiques de mouvements de gauche, des étudiants sont venus en solidarité. « Sur les piquets de grève, on cherche à fédérer, à avoir des discussions. Il faut aussi qu’on soit vu par les collègues, pour préparer le 7 mars », explique Riadh Benmessaoud, 58 ans, agent de maintenance à la RATP depuis 25 ans. « Il n’y a que l’économie qui peut leur mettre la pression. Si pendant une semaine, on bloque dans tous les secteurs, alors ça va les faire bouger. »

« Je suis touchée personnellement par la réforme. J’ai signé pour partir à 50 ans, puis c’est passé à 52 ans et maintenant ce serait 54 pour nous », confie Myriam Sainte-Marie, 38 ans, machiniste au dépôt RATP de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et déléguée CGT. Elle bénéficie encore du régime particulier à la RATP, qui prend en compte la pénibilité de certains métiers, et permet par exemple aux conducteurs et conductrices de prendre leur retraite à 52 ans. « J’ai déjà mal au dos, aux cervicales. Si je me bats, c’est avant tout pour mes trois enfants, et pour mes collègues. Pour les nouveaux qui arrivent, ce serait 64 ans ! Notre métier est dur. Ils seront inaptes. Ils vont faire quoi, alors ? »

Si elle garde espoir, Myriam ne cache pas les difficultés à mobiliser dans son dépôt : « Nous avons essentiellement des jeunes, avec un statut précaire. Ils ont peur de ne pas être embauchés au bout d’un an s’ils se mettent en grève. En plus, il y a la prime de présentéisme. Avec la journée de grève, les personnes vont perdre la prime, qui est de l’ordre de 150 à 200 euros. C’est énorme et cela rebute de nombreuses personnes. Mais on continue de discuter : il y a les piquets et les permanences syndicales pour essayer de convaincre. »

Dans une mobilisation longue, les caisses de grève sont le nerf de la guerre : elles permettent à davantage de salarié·es de se mettre en grève, et d’être aidé·es financièrement si besoin. Les initiatives se multiplient pour alimenter ces caisses : projections de films, cantines solidaires, fêtes... Elles se remplissent aussi lors des grandes manifestations. « Est-ce qu’on va se contenter d’une journée ? Non, il faut aller dans le dur ! Tout le monde attend le 7, c’est un espoir », pense Riadh. « C’est bien d’être dans la rue, mais ça ne suffit pas. Le gouvernement ne nous écoute pas », confie aussi Myriam.

Les caisses de grèves sont aussi vitales dans le secteur privé où les taux de participation aux grèves sont généralement en dessous de celui du secteur public. Aïcha [1] travaille dans une entreprise de sous-traitance en nettoyage (Arc-en-ciel Environnement). Elle est agente d’entretien sur le campus de Jussieu.

Et mène sa troisième grève contre le sous-traitant : retards dans le paiement des salaires, licenciements abusifs, heures supplémentaires impayées, mauvaises conditions de travail figurent parmi les raisons qui ont incité les salarié·es à se mettre en grève. « Si nous avons tenu, c’est grâce aux soutiens des syndicats, et aux personnes qui ont alimenté les caisses de grève. »

Elle entend aussi participer à la journée d’action du 7 mars : « Bien sûr, je participe ! Notre métier est trop dur. J’ai des problèmes aux articulations. Je ne vois pas comment je pourrai continuer jusqu’à 64 ans. Il faut qu’on soit toutes et tous ensemble dans cette grève. Cela nous protège. Les licenciements se multiplient, alors l’entreprise ne cherche qu’un prétexte pour nous virer. Nous nous sentons vulnérables », explique-t-elle.

À Aubervilliers, la mobilisation permet aussi de rapprocher les travailleurs de différents secteurs. Cela s’est matérialisé par une assemblée générale interprofessionnelle et intersyndicale, communément appelée « interpro ». Elle avait été créée lors du mouvement contre la réforme des retraites de 2019-2020. Des assemblées se tiennent avant chaque grande manifestation, ainsi que des évènements locaux.

L’interpro a ainsi organisé une marche aux flambeaux. L’occasion de parler des luttes locales, comme celle des Jardins ouvriers d’Aubervilliers, ou du squat Schäffer, menacé d’expulsion après la trêve hivernale. « L’idée, c’est de se faire entendre dans ce quartier entre Aubervilliers et Saint-Denis, d’être visibles, de discuter avec les gens et de faire des liens avec les luttes locales : la lutte pour les jardins d’Aubervilliers avec les enjeux écologiques, la lutte contre la pauvreté, le mal-logement, les sans-papiers, les écoles, etc. », explique Anouk Colombani, une des organisatrices, syndicaliste à Sud-Culture.

Loin de se terminer par les discours habituels sur la place du Front populaire, la déambulation s’est achevée dans un square où des forces de l’ordre étaient en train de nasser une trentaine de jeunes du quartier, en grande majorité noirs et mineurs, qui tournaient un clip. Comme les manifestant·es refusaient de partir, et ont commencé à scander des slogans tels que « Tout le monde déteste la police ! » et « Libérez nos camarades ! », les jeunes ont été relâchés.

Les évènements festifs, à l’image d’un « bal contre la réforme des retraites » le 3 février sur la place de la Mairie, sont aussi l’occasion de se rencontrer dans un cadre plus convivial, et permet d’attirer un autre public. En plus de la réforme des retraites, d’autres projets de loi sont critiqués, dont la loi Darmanin sur l’immigration, ou la loi Kasbarian-Bergé qui réprime durement les squats et les locataires précaires. Parmi les prises de parole remarquées, celle des étudiant·es de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) du campus Condorcet.

Ils et elles ont témoigné de la répression policière lors de leur tentative d’occupation. Une trentaine d’étudiant·es avaient été rapidement mis en garde à vue et ont subi des violences. La direction de l’université a finalement toléré l’occupation partielle d’un bâtiment, qui a été rebaptisé « L’ Acabane ».

« C’est un bâtiment du campus qui est le fruit d’un partenariat public/privé. Il incarne ce nouveau modèle d’université qui se développe partout, qui tend à aseptiser les facs et qui en dépossède les usagers », détaille une étudiante. « Si on occupe, c’est pour avoir un lieu de vie autogéré dans lequel on peut s’organiser, dans lequel on fait de la politique au quotidien. Notre campus est en plein quartier populaire, il sert à gentrifier le quartier, comme les Jeux olympiques. Occuper, cela permet d’être ouvert sur le quartier, de rompre cette frontière entre étudiants et habitants. Cela permet de faire du lien. »

Les universités vont-elles continuer à servir de vivier de contestations et d’apprentissages politiques ? Fermetures administratives de campus ou passage des cours en visioconférences, évitant de fait toute présence physique d’étudiants, ont pour l’instant entravé les velléités d’occupation. Même l’occupation de Tolbiac, souvent en pointe dans les mouvements de contestation, n’a pas tenu 24 h.

Les lycéen·nes qui tentent de rejoindre le mouvement social subissent également une répression instantanée. Au lycée Racine à Paris, bloqué le 7 février, trois élèves ont été emmenés en garde à vue. À l’université Paris 8, réputée pour son militantisme politique, des assemblées générales interfac ont cependant lieu chaque semaine.

Une soirée spéciale intitulée « Féministes et antiracistes : construire la grève générale pour nos retraites et tout renverser ! » y a été organisée le 20 février. Devant un amphithéâtre bondé, Oumou Gueye, ex-gréviste de la société de sous-traitance Onet, a incité les jeunes à se saisir de ce mouvement : « J’ai arrêté de travailler à 60 ans à cause de la maladie, parce que le nettoyage ne vous laisse pas indemne. Il faut se battre contre cette réforme des retraites, contre la loi Immigration, c’est à vous les jeunes de le faire ! »

Adèle Haenel, actrice connue pour ses prises de position féministes et contre les violences sexistes et sexuelles, y a lancé : « J’ai joué dans un film qui s’intitule Portrait de la jeune fille en feu. Aujourd’hui j’ai envie de dire : vous pouvez faire la misère au capitalisme et aux bourgeois, et faire le portait de la jeunesse en feu ! » Elle a depuis subi les attaques de la droite réactionnaire pour sa participation à la conférence.

publié le 6 mars 2023

Sébastien Menesplier :
« On va passer un cap dans la mobilisation »

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

La CGT mines-énergie a entamé vendredi une « semaine noire », en coordination avec d’autres secteurs, pour obtenir le retrait de la réforme. Un objectif atteignable, selon Sébastien Menesplier. Entretien.

La fédération mines-énergie­ CGT a lancé dès vendredi­ la grève reconductible, au moment où le Sénat ­commençait la discussion sur les régimes spéciaux. Dimanche 5 mars, plus de 5 800 MW étaient « retirés au réseau ». Un « début » avant une « semaine noire ».

Comment réagissez-vous à la décision du Sénat d’entériner la fin des régimes spéciaux pour les nouveaux embauchés, samedi ?

C’est lamentable et démagogique. L’exécutif et les 233 sénateurs qui ont voté cet article tentent de faire croire à la population que nos métiers ont changé, que les jeunes entrant dans les industries énergétiques et gazières n’auront pas les mêmes pénibilités.­

Ce sont les mensonges de ceux qui ne connaissent rien au monde du travail, et rien à nos métiers. Sauf qu’ils oublient que la filière nucléaire, avec la construction de six EPR, va avoir besoin d’embaucher au minimum 4 000 agents par an pendant cinq ans. Or, cet article met à mal l’attractivité de nos métiers et en péril la relance du nucléaire.

La production électrique a baissé d’un équivalent à cinq réacteurs nucléaires. Comment va se passer la « semaine noire » ?

Cette semaine a commencé vendredi 3 mars par la baisse de production d’électricité dans le nucléaire, et aussi dans le thermique. Des usines ont été mises à l’arrêt dans l’hydraulique. Cela s’est poursuivi tout le week-end et va se poursuivre ce lundi.

Le 7 mars sera l’occasion de franchir un nouveau cap. Sa réussite est déjà acquise. Les grèves vont être extrêmement massives, avec pléthore d’actions. Des blocages et des occupations de sites stratégiques sont prévus. Il y aura des baisses de production d’électricité, et de gaz avec le non-déversement­ des terminaux méthaniers. Nous aurons aussi des camions et des véhicules immobilisés, ainsi que des coupures ciblées. On ne manque pas d’imagination…

L’après-7 mars est déjà en construction avec plusieurs fédérations CGT de secteurs dits « stratégiques ». L’objectif proclamé est de mettre « à genoux l’économie française » sans attendre l’intersyndicale confédérale. Pourquoi ?

Nous avons essayé de nous coordonner pour donner une impulsion nouvelle dans les territoires, avec les autres professions : cheminots, ports et docks, chimie, services publics… Là aussi, notre volonté­ est de passer un cap.

Nous avons senti cette nécessité d’avoir une CGT qui part ensemble et qui s’arrête ensemble, pour gagner, plutôt qu’une CGT dispersée, avec des dates un peu différentes, comme nous l’avons connu en 2018 ou 2019. Cette union était attendue par nos militants car, en agissant ainsi, nous sommes plus forts dans l’action.

Depuis, d’autres professions nous ont rejoints : la fédération de la construction et celle du commerce. C’est aussi un moyen de cadencer la grève reconductible, en complément des initiatives prises par l’intersyndicale nationale. Nous nous inscrivons aussi dans l’appel du secrétaire général de la CGT qui, à plusieurs reprises dans les médias, a appelé à des grèves ­reconductibles dans les entreprises.

Fabrice Coudour, le porte-parole de votre fédération, a déclaré être « capable de tout » pour « aller encore plus loin », qu’entendez-vous par là ?

Le vote qui a eu lieu sur l’article 1 ne laisse guère d’illusion pour l’article 7. Jusqu’ici, nous nous sommes mobilisés de la plus belle des manières, en respectant nos outils de travail, en aidant ceux qui sont touchés par la précarité énergétique.

Si le gouvernement reste arc-bouté,­ nos agents iront plus loin dans les actions. Ce nouveau cap va mettre l’économie en difficulté. Avec des problèmes d’approvisionnement dans les stations-service, et dans les magasins sur des produits de première nécessité. Le gouvernement ne pourra pas nous ignorer et ne pas entendre ce qui se passe.

Le blocage de l’économie est plébiscité par les Français. Cela n’a pas toujours été le cas. Est-ce un point d’appui ?

Nous allons entrer dans une nouvelle ère, avec l’appui des citoyens. La population est aujourd’hui à nos côtés, aux côtés de celles et ceux en grève. Elle a ouvert les yeux.

Ce soutien indéniable, on espère qu’il dure et même s’intensifie. Il est extrêmement encourageant pour les nombreux grévistes qui perdent de l’argent depuis janvier. Cela va permettre d’amplifier la mobilisation.

Pour le moment, le gouvernement reste aveugle. Cette attitude est d’autant plus grave qu’elle fait le jeu de l’extrême droite, en incitant les Français à bouder les urnes. Nous savons que les jours qui viennent vont être déterminants. Tous les signaux sont au vert. Le retrait du projet de réforme des retraites est atteignable.


 


 

Retraites : contre le gouvernement,
les syndicats tentent avec la grève du 7 mars
le bras de fer ultime

Cécile Hautefeuille, Dan Israel et Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Alors que l’exécutif espère faire voter son texte par le Sénat avant la fin de la semaine, la sixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites devrait rassembler massivement. Les militants les plus résolus espèrent qu’elle sera le point de départ de grèves reconductibles dans plusieurs secteurs.

LesLes acteurs de la pièce sont déjà connus. Leurs revendications n’ont pas bougé. Mais la semaine qui s’ouvre a des airs d’affrontement final. Dans la bataille autour de la réforme des retraites, l’exécutif mise tout sur un vote de son texte au Sénat avant la fin de la nuit du dimanche 12 mars. Les syndicats, eux, ont appelé à « mettre la France à l’arrêt » mardi 7 mars, et certains d’entre eux comptent bien poursuivre le mouvement les jours suivants.

À l’orée de ces jours décisifs, chaque partie pousse les curseurs à fond. Afin de marteler ses convictions quant au bien-fondé de sa réforme, la première ministre Élisabeth Borne s’invite sur France 5 le 6 mars au soir, pour une heure de direct.

Depuis plusieurs jours, gouvernement et majorité, conscients d’avoir perdu la bataille de l’opinion, tentent de sauver les meubles, dans une certaine confusion : tour à tour, il s’agit de dramatiser les risques que feraient courir les grévistes à l’économie française, ou bien de banaliser la journée noire qui s’annonce, pour mieux se projeter dans un hypothétique « après ».

De quoi faire sourire Marylise Léon, la numéro deux de la CFDT, de retour de la banlieue de Saint-Étienne (Loire) où, jeudi, l’intersyndicale a encore affiché son unité – exceptionnelle dans l’histoire des mouvements sociaux français, tant par son ampleur que par sa solidité.

« La stratégie du gouvernement, qui vise à relativiser l’importance de la mobilisation existant dans tout le pays, me paraît périlleuse, surtout si elle est menée de façon aussi maladroite. Il ne faut pas prendre les Français pour des imbéciles », commente la dirigeante syndicale. « Il faut arrêter de prendre les gens pour des cons », a rebondi le 6 mars au matin Laurent Berger, le dirigeant du syndicat, sur France inter.

Comme tous ses homologues, elle aborde en confiance le 7 mars, sixième journée de mobilisation nationale depuis le 19 janvier. Pour les opposants à la réforme, tous les indicateurs sont au vert. Beaucoup font le pari que les manifestations rassembleront davantage que le 31 janvier dernier, qui était déjà la journée de manifestation la plus massive de ces trente dernières années. Les appels lancés depuis le 16 février à faire flancher l’économie, au moins une journée, devraient aussi se traduire par de nombreuses grèves.

« Une des journées les plus difficiles qu’on ait connues », a prédit dimanche sur France 3 le ministre des transports Clément Beaune. La RATP et la SNCF ont en effet annoncé un trafic « très fortement perturbé ». La direction générale de l’aviation civile a pour sa part demandé aux compagnies de réduire leurs programmes de vols mardi et mercredi, de 20 % à 30 % pour anticiper les cessations d’activité. Et ce sans compter sur la mobilisation des avitailleurs, chargés d’approvisionner les avions en carburant, qui n’ont pas à déclarer à l’avance leurs arrêts de travail.

Les routiers, qui se tenaient à l’écart du mouvement car ils souhaitaient négocier de leur côté le maintien de leur « congé de fin d’activité » à 57 ans, ont appelé dimanche leurs troupes à rejoindre la mobilisation.

Les syndicats enseignants tablent de leur côté sur des grévistes majoritaires dans tous les établissements. Dans la métallurgie, l’appel à la grève concerne tous les mastodontes du secteur aéronautique ou automobile. Et dans les raffineries, la CGT ne cache pas sa volonté de « bloquer l’ensemble de l’économie », en agissant sur la production, la distribution et l’importation de carburant.

Dans certains secteurs, comme chez les gaziers et les électriciens, la mobilisation a même commencé dès vendredi, pour peser sur les discussions au Sénat et le vote de la suppression de plusieurs régimes spéciaux.

Enfin, les routiers, qui se tenaient jusque-là à l’écart du mouvement car ils souhaitaient négocier de leur côté le maintien de leur « congé de fin d’activité » à 57 ans, ont appelé dimanche leurs troupes à rejoindre la mobilisation, après avoir compris qu’ils n’échapperaient pas à deux ans de travail supplémentaire.

La colère bouillonne partout 

Il faut bien mesurer le caractère inédit de la situation, après presque deux mois d’affrontements autour de la réforme. Qui aurait pensé voir la CGT et Force ouvrière préserver à toute force leur proximité avec la CFTC ou l’Unsa, que les syndicats les plus revendicatifs ont toujours trouvé trop tièdes ? Qui aurait parié voir Laurent Berger, leader d’une CFDT traditionnellement rétive aux grandes journées de mobilisation nationale, appeler à ce qui ressemble bien à la grève générale, même s’il évite ce terme ?

« Depuis que nous avons annoncé cette journée du 7 mars, le gouvernement attend que nous fassions la démonstration de notre force, et nous la ferons, assure Marylise Léon. On décompte plus de 260 points de manifestation, dans davantage de secteurs d’activité que les journées précédentes. Dans le bâtiment, nous invitons à arrêter les chantiers, et nous encourageons les commerces à baisser le rideau au moins pour quelques heures. »

Dans toute la France et dans l’ensemble des secteurs, la détermination est palpable. Et chacun y va des signaux encourageants glanés autour de lui. « On sent que ça va être énorme, se réjouit Simon Duteil, co-délégué générale de Sud Solidaires. À Saint-Denis, les camarades ont fait la tournée des commerces, et quatorze boutiques de proximité, pas particulièrement militantes, ont accepté nos affichettes. C’est une première… » « Ma femme travaille dans un hôpital, et toutes les infirmières et tous les médecins seront en grève. Cela n’était jamais arrivé, jamais », raconte un autre dirigeant syndical.

Nous demandons à être augmentés pour obtenir de meilleurs salaires maintenant, mais aussi de meilleures pensions lorsque nous serons à la retraite.

Constat partagé partout. À Paris, un enseignant-chercheur en sciences à la Sorbonne sent le mouvement prendre : « Pour les précédentes manifs, nous étions trois. Mais pour le 7, entre un tiers et la moitié de mes collègues se disent sûrs d’y aller. Un enseignant d’un autre labo voit s’organiser des assemblées générales d’étudiants en thèse et postdoc. Il n’avait jamais vu ça. »

La mobilisation vaut pour tout le secteur de l’enseignement. « Mettre la France à l’arrêt en fermant les collèges, les lycées et les écoles, il n’y a plus que ça à faire ! », tonne Diane, professeure dans un collège et membre du SNES-FSU. « La grande majorité des enseignants a participé à au moins une journée d’action, estime-t-elle. Les collègues sont motivés par dépit, face au mur du gouvernement. »  

La colère que toutes et tous décrivent est aussi alimentée par l’inflation, qui pèse lourd sur les porte-monnaie : la hausse des prix alimentaires dépasse 14 % sur un an, et les salaires sont loin de suivre. Carole Vallauri est conductrice de bus chez Keolis (transporteur urbain, filiale à 70 % de la SNCF) dans les Alpes-Maritimes. En grève avec ses collègues depuis le 27 février pour obtenir une hausse de salaire de 8 %, elle fait tout naturellement la liaison entre cette revendication et le mouvement social qui agite le pays.

« Le lien est évident : nous demandons à être augmentés pour obtenir de meilleurs salaires maintenant, mais aussi de meilleures pensions lorsque nous serons à la retraite. C’est pour cela qu’on ne veut pas de primes, qui ne comptent pas pour la retraite », détaille celle qui sera en grève le 7, comme les cinq précédentes journées de mobilisation. « Pour mon salaire et contre la réforme des retraites, en même temps. »

La grève reconductible, enfin ?

À Montpellier (Hérault) le 2 mars, où un rassemblement aux flambeaux a réuni une centaine de personnes, les chants appelaient frontalement à la « grève générale ». Et plus personne ne s’interdisait de rêver tout haut à un mouvement qui s’étendrait sur plusieurs journées.

« On va y arriver, on gagnera ! Si le gouvernement ne lâche pas, on ne lâchera pas non plus ! », s’échauffait une agente de la fonction publique territoriale, qui a fait toutes les grèves depuis le 19 janvier, et se dit prête à continuer « tout le mois de mars, en avril, en mai… »

« Ça va être grand, soutient Sébastien, de FO Santé, infirmier en hôpital psychiatrique. À chaque nouvelle journée d’action, nous avons eu peur que ça désemplisse. Mais ça a toujours été le contraire ! » Il en est convaincu, « il n’y a plus d’autre choix que de faire une grève générale et un blocage total ». « Pourtant, ce n’est pas dans l’ADN de Force ouvrière, on préfère le compromis, convient-il. Mais on n’a plus le choix. »

L’enjeu, c’est que ça dure : il faut entrer dans une grève plus dure.

Cela fait des semaines que cette question de la reconduction de la grève est sur toutes les lèvres, à Paris comme à Marseille. Et cette fois, même si l’intersyndicale n’appelle pas officiellement à la grève reconductible, ils sont nombreux à parier que les mobilisations ne s’arrêteront pas mardi soir.

Mercredi 8 mars marque la journée internationale des droits des femmes et date d’une « grève féministe » chaque année davantage suivie. Les syndicats ont appelé chacun à « se saisir » de l’occasion pour rappeler à quel point les femmes seront perdantes dans la réforme prévue par le gouvernement. Le 9 mars, c’est au tour des organisations de jeunesse d’appeler à descendre dans la rue sur leurs revendications spécifiques. Et certains appels visent le 10 mars pour mettre l’accent sur la question écologique. Certains espèrent voir le mouvement s’étendre au-delà…

« Le 7 mars sera une très forte journée d’arrêt économique, je n’en ai aucun doute. L’enjeu, c’est que ça dure : il faut entrer dans une grève plus dure, anticipe Marie Buisson, dirigeante de la fédération CGT de l’éducation et candidate désignée par Philippe Martinez à sa propre succession à la tête de la confédération. On sait la force que peut donner une journée où les travailleurs se rendent compte que s’ils arrêtent de travailler, il n’y a plus de richesse produite dans ce pays. »

Cinq des fédérations les plus combatives de la CGT (Ports et Docks, Cheminots, Industries chimiques, Verre et Céramique et Mines-Énergie) ont appelé à « la reconductible ». Conscientes de leur capacité à bloquer certains secteurs clés, et sans doute bientôt rejointes par les organisations du commerce et de la construction, elles sont unies sur un même mot d’ordre : « Mettre à genoux l’économie française. »

L’alignement des planètes est à son meilleur, c’est maintenant qu’il faut y aller tous et toutes ensemble, pour faire sortir le fleuve de son lit et gagner.

Chez les cheminots, comme à la RATP, tous les syndicats de la SNCF ont rejoint l’appel à poursuivre la grève au-delà de mardi. Y compris la CFDT (quatrième et dernier syndicat représentatif de l’entreprise). « Nous avons consulté nos adhérents, et 80 % y étaient favorables, explique Thomas Cavel, secrétaire général de la CFDT Cheminots. L’exaspération est extrême et infuse dans toute la société. Il y a tous les ferments pour que la mobilisation soit forte pendant plusieurs jours. »

Le responsable syndical rappelle la visite d’Emmanuel Macron le 25 février au Salon de l’agriculture, où le chef de l’État a pris pour référence les conditions de travail des agriculteurs pour relativiser la rigueur de la réforme à venir, ou les atermoiements du gouvernement face aux demandes de la droite sénatoriale de supprimer les régimes spéciaux dès 2025 pour tous, sans attendre que les cheminots actuels aient terminé leur carrière. « Chaque jour, un bidon d’essence est ajouté dans le brasier par celui qui a lancé l’incendie », résume Thomas Cavel.

Chez Solidaires, seul syndicat à appeler tous les secteurs à la grève reconductible, on jubile devant le début d’incendie. « L’alignement des planètes est à son meilleur, c’est maintenant qu’il faut y aller tous et toutes ensemble, pour faire sortir le fleuve de son lit et gagner », lance Simon Duteil. Le co-délégué général de Solidaires appelle à une « grevilla », où chaque salarié stopperait la production de la manière qui lui est accessible. « Si ça ne dépasse pas le cadre de la RATP et de la SNCF, on ne gagnera pas », considère-t-il.

À la CGT, Marie Buisson ne dit pas autre chose : « Certains salariés vont faire une heure de grève à la prise de poste ou au changement d’équipe, une journée de grève puis reprendre le travail deux jours avant de refaire grève une journée, etc. Ce n’est pas la même grève partout, mais tous vont vers le même but : bloquer suffisamment l’économie pour que les patrons disent stop au gouvernement. »

À ce titre, le mouvement syndical a lu avec attention la récente tribune de Jacques Attali, conseiller écouté de tous les présidents depuis François Mitterrand, qui en 2007 avait mis le pied à l’étrier du jeune inspecteur des finances Emmanuel Macron au sein de sa commission « pour la libération de la croissance ». Mi-février, le vieux sage libéral a ouvertement appelé à rapidement « tourner la page » de la réforme des retraites, et de préférence « en renonçant ».

Le spectre des gilets jaunes 

S’il est bien un secteur professionnel où l’inquiétude patronale est palpable, c’est celui des raffineries, mises à l’arrêt cet automne par quelques centaines de grévistes CGT, conduisant à une pénurie de carburant dans les stations-service.

« On n’en a rien à faire des consignes de l’intersyndicale, cette fois on part pour de bon et on ne s’arrêtera que quand on aura gagné… ou perdu, expose Fabien Cros, délégué syndical CGT à la raffinerie Total de La Mède (Bouches-du-Rhône). Les salariés en ont marre, ils doivent se battre pour des salaires décents dans une boîte qui fait 36 milliards de bénéfice, pour la sauvegarde de l’outil de travail, pour conserver des retraites… Il n’y a plus grand-chose qui les arrêtera. »

Bien conscients du risque, plusieurs directeurs de raffineries Total ont pris publiquement la parole pour refroidir les ardeurs de leurs troupes. « C’est à nouveau la menace d’une crise longue, comme en fin d’année, qui pèse sur la plateforme », s’inquiète dans une vidéo interne le directeur de la raffinerie de Feyzin, près de Lyon. Il invite tous les salariés, et pas seulement les syndiqués, « à s’exprimer », et menace à mots couverts : en cas d’arrêt de sa raffinerie, « il n’y aurait d’autre choix que de prendre d’autres dispositions ».

Le directeur de la raffinerie de Normandie a développé par écrit les mêmes éléments de langage, estimant que la plateforme « ne doit pas subir de conséquences disproportionnées en réponse à un débat politique national » et décrivant lui aussi de possibles représailles : « Une bonne disponibilité de nos installations est nécessaire pour justifier les investissements futurs dont la plateforme a besoin, telle que notre transition énergétique. »

Pour le moment, les syndicats canalisent la colère et l’organisent, mais ça ne pourra pas tenir indéfiniment.

Le bras de fer s’annonce dur, notamment dans l’énergie. « À Marseille, on va continuer nos actions “Robin des bois”, mais on aussi prévoit des coupures ciblées dès le 7 mars, détaille Renaud Henry, responsable CGT Énergie à Marseille. On ne va plus plaisanter : la majorité des Français sont favorables au blocage du pays, on va faire en sorte que le gouvernement se rende compte de ce que cela veut dire. »

Jusqu’où exactement ira l’affrontement ? Le syndicaliste dit tout haut ce que de nombreux militants pensent tout bas : « S’ils ne retirent pas leur réforme, ils vont encourager la population à se “gilet-jauniser”, puisque pour être écouté par ce gouvernement, il faut apparemment brûler des voitures et semer le chaos. Pour le moment, les syndicats canalisent la colère et l’organisent, mais ça ne pourra pas tenir indéfiniment. »

Cela fait des semaines que Laurent Berger le dit de façon à peine moins virulente, sur tous les plateaux : alors que les manifestations pacifiques de masse ne font pas bouger le pouvoir, les gilets jaunes ont obtenu fin 2017 des milliards d’euros, après « des actions parfois très violentes » tout en n’étant au maximum que « 284 000 » dans les rues, selon les chiffres de la police.

« Laurent Berger a raison sur les gilets jaunes. Le risque, c’est que faute de réponse, les actions individuelles se multiplient et que dans ce bouillonnement, il y ait des débordements, alerte un haut responsable syndical. Le gouvernement va guetter ces débordements, et il insistera lourdement dessus. La seule ligne tactique qui lui reste, c’est la division. » Ce responsable craint que les syndicats les moins contestataires condamnent trop fortement d’éventuels débordements locaux, et que l’unité de l’intersyndicale se fissure.

Le congrès de la CGT complique la donne

Le risque n’est pas nul. D’autant que la fraction la plus radicale de la CGT est tentée de pousser les feux en vue du congrès confédéral du syndicat, tout proche : c’est entre le 27 et le 31 mars, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), que l’organisation se choisira un ou une nouvelle dirigeante, pour remplacer Philippe Martinez.

Une coalition de mécontents, estimant la direction actuelle trop molle, cherche à faire échouer la nomination de Marie Buisson, souhaitée par le sortant. Un candidat dissident s’est déjà déclaré officiellement, en la personne d’Olivier Mateu, le patron de l’union départementale des Bouches-du-Rhône, considéré comme un dur. Et depuis quelques jours, une courte vidéo du leader marseillais circule justement sur les réseaux sociaux, illustrant bien la tonalité de ses interventions.

Les stratèges du mouvement ne cachent pas leurs inquiétudes quant à l’issue de l’affrontement en cours. Et leurs angoisses ont un visage : celui de Marine Le Pen.

Tournée le 23 février à Lille, à l’occasion d’une conférence intitulée « De quelle CGT avons-nous besoin ? », on y entend Olivier Mateu évoquer les grèves des raffineries de l’automne. « Le seul département où il n’y a pas eu de réquisitions [des salariés pour faire tourner les installations – ndlr], c’est les Bouches-du-Rhône », se vante-t-il.

Et d’expliquer ce particularisme local : « On est allé voir le préfet. On lui a dit : “À la première réquisition, c’est la guerre. Vous touchez un camarade dans une raffinerie, on vous met le feu au département. Mais pas le feu ‘on s’énerve’. On vous met le feu, les flammes. »

Contactée par Mediapart, la CGT des Bouches-du-Rhône persiste et signe. C’est « comme ça qu’on continuera à faire si on est confrontés à des risques de réquisitions » à partir du 7 mars, affirme-t-on sur place. La vidéo a déjà valu à Olivier Mateu des attaques virulentes sur BFMTV le 2 mars au soir, auxquelles il a répondu avec un mépris souverain.

S’ils sont sûrs de leur force, les stratèges du mouvement ne cachent pas non plus leurs inquiétudes quant à l’issue de l’affrontement en cours. Et leurs angoisses ont un visage : celui de la dirigeante du Rassemblement national, qui pourrait être, estiment-ils, la bénéficiaire finale d’un passage en force de l’exécutif.

« On arrive au dernier moment du bras de fer, et on n’a plus beaucoup de cartes à jouer, confie un dirigeant de l’intersyndicale. Si le pouvoir se dit que c’est le moment d’humilier le mouvement social et les millions de Français qui sont derrière nous, le risque est énorme de voir Marine Le Pen arriver au pouvoir aux prochaines échéances électorales. »

« Je constate parmi les militants une vraie exaspération, un écœurement même, par rapport au coût démocratique que ces gens-là sont prêts à nous faire payer, résume Thomas Cavel, de la CFDT Cheminots. Ils ne s’y prendraient pas autrement s’ils voulaient mettre à terre nos valeurs. »

  publié le 6 mars 2023

Tunisie. L’UGTT se dresse contre le pouvoir absolu d’un président raciste

Nadjib Touaibia sur www.humanite.fr

Des milliers de Tunisiens ont répondu samedi à l’appel de la Centrale syndicale pour dénoncer le climat répressif et le déchaînement raciste du président Kaïs Saïed. Les délégations syndicales étrangères solidaires ont été interdites d’entrée en Tunisie.

Tandis que des centaines d’africains fuient la Tunisie après une campagne de racisme déclenchée par le chef de l’Etat, criant au « plan criminel pour transformer la composition démographique du pays », la puissante centrale syndicale UGTT monte au front pour se dresser contre une attaque en règle du président et dénoncer ce déchaînement haineux. Des milliers de manifestants se sont rassemblés samedi dans le centre-ville de Tunis Place Mhamed Ali, dans une démonstration de force qui rappelle les grandes dates de la mobilisation syndicale au temps de la révolution. Les slogans brandis exprimaient colère et détermination contre le pouvoir absolu, les arrestations arbitraires et les atteintes aux libertés. « Non au règne d’un seul homme », « Mettez fin à l’État policier », « Arrêtez les attaques contre le syndicat ».

La guerre est à présent franchement déclarée, après de long mois d’observation, entre l’UGTT et Kaïs Saëd. La tension s’est exacerbée au fil du renforcement du régime despotique, alors que le coup de force opéré le 25 juillet 2021 était supposé mettre fin au désordre institutionnel orchestré par les islamistes d’Ennahda.  « Notre souhait était d’entendre un  discours qui rassure et unisse  le peuple tunisien, mais, nous avons eu droit à des messages cryptés qui  diabolisent le syndicat », s’est exclamé le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, lors d’une prise de parole samedi. La Centrale cible ainsi la cascade de propos virulents que répand le président, contre les migrants africains, contre les syndicalistes, les opposants politiques, les militants associatifs.

L’UGTT a récemment dénoncé le discours « haineux, discriminatoire, incitant à la xénophobie et au racisme ». Elle a appelé à la «  suspension immédiate de ces campagnes qui affectent à la réputation de la Tunisie, son image et son histoire  ». Désormais confrontée à un autocrate dont les réactions deviennent imprévisibles, la Centrale se pose en tant que force populaire de stabilisation dans un contexte à hauts risques. « Nous sommes les partisans d’une lutte pacifique et civile. Notre arme est l’argumentation et la persuasion. Nous ne sommes pas les partisans de la violence et du terrorisme », a souligné le leader de l’UGTT, Noureddine Taboubi.

Celle-ci travaille à un plan de sortie de crise afin de palier l’absence de projet chez un pouvoir otage du Front monétaire international. « Les mouvements observés à travers le pays dénoncent la détérioration de la situation sociale et rejettent des politiques qui n’aboutiront qu’à l’appauvrissement du peuple en l’accablant par les impôts », a déclaré de son côté Sami Tahri secrétaire général adjoint de la Centrale, en marge de la manifestation rapporte la presse locale.

Les syndicats étrangers venus soutenir la mobilisation l’UGTT ont été interdits d’entrée dans le pays. Dans un communiqué commun, la CGT et la CFDT ont dénoncé cette entrave à la «   solidarité internationale » qui s’inscrit «   dans une longue liste de violation des droits humains en Tunisie ces derniers mois ». Le pays, qui se prévalait d’une démocratie inédite au Maghreb et dans le monde arabe, s’abime dans la régression.

  publié le 5 mars 2023

Accidents du travail : la colère des familles endeuillées

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Rassemblés dans un collectif né à l’automne, des proches de victimes d’accidents mortels organisent un rassemblement à Paris, samedi 4 mars, contre « l’invisibilisation » de ce fléau, qui tue près de trois personnes par jour ouvré.

C’est une manifestation inédite dans l’histoire sociale récente du pays : un rassemblement en hommage à tous les morts au travail, organisé par un collectif de familles de victimes. Il aura lieu samedi 4 mars, à 14 heures, à proximité du ministère du Travail à Paris.

Un an presque jour pour jour après la mort sur un chantier de forage pétrolier de Seine-et-Marne d’un jeune sondeur de 27 ans, Flavien Berard, dont les parents Fabienne et Laurent sont à l’initiative du collectif Stop à la mort au travail.

Celui-ci rassemble pour le moment seize familles venues des quatre coins du pays avec pour point commun d’avoir perdu un être cher dans un accident du travail. Elles s’organisent sur une boucle WhatsApp, espace de soutien moral et de partage d’expérience. « Il n’y a pas d’association spécifique pour aiguiller les familles confrontées à de tels drames. Entre nous, on se donne des conseils et ça nous aide beaucoup », rapporte Fabienne Berard.

Le 2 février, les parents de Flavien Berard ont rencontré à Paris deux membres du cabinet du ministre du Travail, Olivier Dussopt, et leur ont présenté la liste de revendications établie par le collectif. Nombre d’entre elles portent sur la prise en charge des familles endeuillées : paiement des frais d’obsèques par les employeurs, soutien psychologique et judiciaire, simplification des procédures judiciaires.

Le collectif réclame aussi des actions pour améliorer la prévention du risque et la « transparence sur les chiffres » concernant le nombre de morts au travail. Selon les données de la Caisse nationale d’assurance-maladie, 733 accidents mortels du travail ont été déclarés en 2019, soit près de trois par jour ouvré. En 2020, année marquée par un fort ralentissement de l’activité économique en raison de la pandémie de Covid, ce bilan est tombé à 550, avant de remonter à 645 en 2021.

« En France, on n’est pas capable de compter de façon fiable les accidents du travail. On a un comptage complexe et opaque »

Problème : ces statistiques, les plus complètes dont on dispose, ne prennent en compte que les salariés du régime général (pour l’année 2019, un rapport de la Dares publié en décembre 2022 y a ajouté notamment les travailleurs agricoles, relevant le total à 790 morts). Sont exclus du recensement les fonctionnaires, les travailleurs détachés et les travailleurs non salariés, à l’image des autoentrepreneurs.

« En France, on n’est pas capable de compter de façon fiable les accidents du travail. On a un comptage complexe et opaque, qui crée de la confusion », regrette Matthieu Lépine, professeur d’histoire-géographie à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et auteur de l’ouvrage l’Hécatombe invisible. Enquête sur les morts au travail, à paraître le 10 mars.

Depuis 2019, ce dernier tient sur Twitter son propre décompte, basé sur les informations publiées dans les journaux de la presse locale. « Je pense qu’il faut changer de paradigme par rapport aux accidents du travail. Il faut que tout le monde comprenne que ce n’est pas la faute à pas de chance, mais un phénomène social, car, dans la majeure partie des cas, les accidents surviennent en raison de manquements en termes de formation ou de sécurité », explique celui qui a participé à mettre en relation les membres du collectif de familles.

8 000 décès supplémentaires seraient à déplorer d’ici à 2030, si la tendance 2010-2019 devait se maintenir

Au mois d’avril dernier, la Confédération européenne des syndicats alertait sur l’augmentation dans le temps du nombre d’accidents mortels du travail en France, prévenant que près de 8 000 décès supplémentaires seraient à déplorer d’ici à 2030, si la tendance 2010-2019 devait se maintenir.

Face à cette menace, le gouvernement a décidé, en 2022, d’inclure à son plan Santé au travail 2022-2025 un « axe transversal » consacré aux accidents graves et mortels. Une « feuille de route » qui se concentre sur la question de la prévention (avec « un effort accru en termes de sensibilisation » auprès des jeunes, des nouveaux embauchés ou des intérimaires), que l’exécutif a lui-même contribué à fragiliser en supprimant, en 2017, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui jouaient un rôle majeur en la matière.

En outre, la stratégie gouvernementale ne s’attaque pas au cœur du problème, selon Véronique Daubas-Letourneux, spécialiste des accidents du travail. Si elle salue « une prise de conscience », la sociologue déplore une « approche individualisante » du phénomène. « Il n’y a pas suffisamment d’attention portée aux enjeux d’organisation du travail et de dilution de la responsabilité en cas de sous-traitance », déplore-t-elle.

Des leviers d’action existent, pourtant, que la CGT construction a rappelés dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, en octobre 2022 : interdiction de la sous-traitance en cascade, obligation de prise en compte du « mieux-disant social » dans les appels d’offres, établissement d’une liste noire pour les entreprises ayant été condamnées pour non-respect grave de la législation du travail…

« Il y a une espèce d’omerta en France, parce qu’il ne faut pas contrarier le travail » 

Autant d’éléments que les membres du collectif Stop à la mort au travail pourront aborder avec des représentants d’Olivier Dussopt qui devraient à nouveau les recevoir après le rassemblement du 4 mars. Les familles espèrent que la manifestation permettra de braquer les projecteurs sur un fléau social quotidien qu’elles jugent trop souvent « invisibilisé » et négligé, tant par les médias que par les dirigeants politiques.

« Si un gendarme meurt en exercice, un ministre va se déplacer pour aller lui rendre hommage. Je ne conteste pas ça. Mais notre fils ne mérite pas moins d’avoir les hommages de la République », proteste Véronique Millot, mère d’Alban Millot, décédé à Lieuron (Ille-et-Vilaine), le 10 mars 2021, jour de ses 25 ans, en tombant d’un toit sur lequel il devait installer des panneaux photovoltaïques.

« Passer ces affaires sous silence, c’est banaliser les choses. Ce n’est pas normal de mourir au travail aujourd’hui. » Elle s’arrête, cherche ses mots. « Il y a une espèce d’omerta en France, parce qu’il ne faut pas contrarier le travail. On veut conserver les emplois à tout prix. Moi, dans mon cœur de maman meurtrie, j’aimerais qu’une loi sur les accidents du travail porte le nom de mon fils. » 


 


 

Rassemblement contre les accidents du travail : “Nous ne voulons plus que ces drames soient traités comme des faits divers”

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Une délégation de familles de victimes a été reçue, samedi 4 mars, au ministère du Travail, devant lequel avait lieu une manifestation contre ce fléau qui a coûté la vie à plus de 700 personnes en 2019.

Alcodori, Adrien, 29 ans, mort au travail ! Bardel, Hugo, 22 ans, mort au travail ! Bento, Alexandre, 36 ans, morts au travail !” Lentement, Véronique Voisin égrène les noms de la quinzaine de défunts représentés par le collectif de familles de victimes Stop à la mort au travail, créé en novembre dernier, qui appelait au rassemblement ce samedi à proximité du ministère du Travail à Paris. A côté d’elle, sa fille Sarah Jaubert brandit un portrait de son frère Steven, décédé à la suite d’une chute en septembre 2020. Et des dizaines d’autres proches de victimes martèlent en écho la sentence macabre : “ Mort au travail !” Sur le grillage qui barre l’entrée du square d’Ajaccio, derrière eux, les manifestants ont déposé des roses blanches et des photos des travailleurs décédés. En 2019, dernière année comptabilisée à échapper aux restrictions liées au Covid-19, 733 personnes ont perdu la vie dans un accident du travail, selon les chiffres de la Cnam, qui ne prennent en compte que les salariés du régime général de la Sécurité sociale.

Plus d’une centaine de personnes sont présentes, parmi lesquelles des représentants de professions particulièrement endeuillées, à l’image de la Fédération nationale CGT des salariés de la construction, bois et ameublement pour le secteur du BTP. En début d’après-midi, les familles sont reçues par deux membres du cabinet du ministre du Travail Olivier Dussopt, à qui elles présentent leurs doléances : “ Des mesures d’accompagnement afin d’aider et d’encadrer les proches des victimes”, notamment un soutien psychologique et juridique mais aussi la prise en charge des frais d’obsèques par les employeurs, des condamnations “ exemplaires” pour les entreprises coupables de manquements à la sécurité, des campagnes de prévention massives, un “ réel effort de remise en marche de la branche inspection du travail”... Au-delà de ces revendications, le collectif entend aussi sortir la mort au travail d’une forme d’anonymat ressentie comme une criante injustice. 

On ne veut pas être oubliés”

Nous ne voulons plus que ces drames soient traités dans la rubrique faits divers des journaux. C’est un véritable problème de société”, résume Caroline Dilly, mère de Benjamin, décédé en février 2022 à l’âge de 22 ans. “ La santé et la sécurité au travail, c’est une question proprement politique”, corrobore le député LFI des Hauts-de-Seine Aurélien Saintoul, qui avait interpellé Olivier Dussopt à l’Assemblée nationale sur le sujet, le 13 février. Et l’élu de citer la suppression en 2017, par les “ordonnances Macron”, des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui jouaient un rôle majeur en matière de prévention du risque au travail. “ Ceux qui gouvernent ne sont pas conscients de la gravité du problème”, dénonce-t-il. 

Au terme d’une rencontre de près de deux heures au ministère du Travail, Fabienne Berard, à l’origine de la création du collectif, salue des “ échanges constructifs” et une “ vraie écoute” de la part de ses interlocuteurs. La mère de Flavien, décédé sur un chantier de forage pétrolier en mars 2022, assure que les familles seront désormais “ associées à certains des travaux” de la rue de Grenelle. Mais aucune nouvelle mesure concrète n’a été annoncée pour le moment.

Se pose désormais la question de la suite de la mobilisation, et des moyens pour ce collectif nouveau-né de maintenir la pression médiatique et politique. “ L’après, c’est ce qui nous fait peur, confie Véronique Millot, mère d’Alban Millot, tombé d’un toit sur lequel il installait des panneaux photovoltaïques à Lieuron (Ille-et-Vilaine), le 10 mars 2021, jour de ses 25 ans. Là, il y a du monde, on se sent soutenus, mais on ne veut pas que l’attention qu’on nous porte disparaisse. On ne veut pas être oubliés.” Le 28 avril prochain, date de la Journée mondiale de la santé et de la sécurité au travail, une nouvelle manifestation en hommage aux victimes d’accidents mortels du travail sera organisée à Paris. Plusieurs membres du collectif Stop à la mort au travail devraient faire le déplacement.

  publié le 5 mars 2023

Des tribunes contre la réforme Borne-Macron des retraites

sur www.humanite.fr

La mobilisation des salariés du privé et du public, des jeunes, lycéens ou étudiants, des chômeurs, des retraités, à l’appel des organisations syndicales et de jeunesse, est soutenue par toute la société.


 

La grève pour faire entendre les intérêts des travailleurs

par Laurent Brun Secrétaire général de la CGT cheminots

Depuis plusieurs semaines, les cheminots CGT débattent avec leurs collègues. Le sentiment qui domine est celui d’une immense injustice et d’un rejet très large de la réforme des retraites.

La participation massive aux journées de grève et aux manifestations, à l’appel des confédérations, témoigne de ce mécontentement. Même si la question financière pèse et que l’inflation a fracassé les moyens des ménages, beaucoup de cheminots comprennent la nécessité de durcir la mobilisation face à un gouvernement qui n’écoute rien. Pour autant, un doute persiste : « Serons-nous seuls ? » Deux millions de manifestants dans les rues devraient donner des indications sur la réponse : non, nous ne serons pas seuls. Une initiative inédite de rassemblement de plus de 500 secrétaires de syndicats de 5 fédérations de la CGT s’est déroulée, jeudi 2 mars, dans le patio du siège national de l’organisation à Montreuil. Elle a confirmé l’analyse : nous sommes plus nombreux, plus unis et mieux coordonnés qu’en 2019. C’est un point d’appui important. Nous pourrions être encore plus forts. Dans toutes les professions, les militants CGT posent la question de la grève et de sa reconduction. Donnons-nous les moyens de la gagner !

« Même si la question financière pèse et que l’inflation a fracassé les moyens des ménages, beaucoup de cheminots comprennent la nécessité de durcir la mobilisation face à un gouvernement qui n’écoute rien. »

Des salariés s’interrogent encore : pourquoi sacrifier du temps et du salaire ? La réponse est sous nos yeux : le gouvernement contrôle les institutions et il compte en abuser pour imposer son projet. Tant que personne ne le contraint à faire autrement, il défend l’intérêt des milliardaires, même sans avoir d’arguments, même contre l’avis de l’écrasante majorité de la population, même contre l’évidence. Il est littéralement dans un rapport de forces. Il faut donc trouver une manière de l’obliger à faire autrement, de l’obliger à prendre en compte nos intérêts et nos revendications. Nous ne pouvons pas attendre les élections pour cela, il faut user du seul contre-pouvoir qui existe, celui des salariés de cesser le travail (ce qui n’empêche pas d’avoir de la mémoire dans l’isoloir).

Et, quitte à mettre son salaire dans la balance, autant que cela serve au maximum. Avec la grève reconductible, nous voulons gagner contre la réforme, mais aussi nous assurer un meilleur avenir. La fédération CGT des cheminots revendique un départ en retraite à taux plein à 60 ans pour tous, l’amélioration des pensions, la prise en compte de la situation spécifique de nombreuses professions (par exemple, la surmortalité) en leur permettant de partir à 55 ans, et un système de départ anticipé à 50 ans pour les métiers à contrainte ou à pénibilité. Nous voulons également une augmentation générale des salaires, des créations d’emploi et stopper le démantèlement du service public ferroviaire.

L’amélioration de notre vie au travail permet d’améliorer nos droits à la retraite car l’emploi et les salaires apportent des cotisations sociales supplémentaires pour les financer. Tout est lié. Nous sommes une classe. Il faut désormais qu’elle s’organise, par Willy Pelletier Sociologue à l’université de Picardiequ’elle manifeste sa force et qu’elle défende ses intérêts. Toutes et tous en grève le 7 maPas leur problème : ils n’ont aucune idée de nos viesrs, et les jours suivants !


 

Pas leur problème : ils n’ont aucune idée de nos vies

par Willy Pelletier Sociologue à l’université de Picardie

Chaque matin pareil, Thermos de café, Tupperware du midi, 4 h 30. À 5 heures, récupération du collègue à Château-Thierry ; à 8 heures, sur site pour bosser, parfois avant. Bruno est soudeur sur des conduites de gaz compliquées. Il est souvent appelé pour des réparations d’urgence. Une mini-erreur, l’explosion. Deux copains à lui sont morts comme ça, les mecs en bouillie :  « L’intestin qui sort du bide et le gars qui hurle, t’oublie pas quand t’as vu ça ! » dit Bruno. Il a 59 ans. Le matin, il se lève épuisé, il dort mal, trop de pression H24 en soudure. Et la route, des fois 5 heures de route, car les chantiers sont sur toute l’Île-de-France. Annie, sa femme, part à 6 heures, ouvrière dans une conserverie. Ils ont acheté une maison, c’était leur rêve, un peu de terrain pour que jouent, le dimanche, les filles de leur fille. Ils pensaient en profiter à plein, et maintenant assez vite. Parce qu’ils ont bossé la vie entière, commencé à 20 ans, et que, ces dernières années, c’est trop dur, le corps ne récupère plus. Ils pensaient profiter de Cléo, de Luce, leurs petites-filles. Leur fille et son copain auraient pu partir en vacances alors. Ils travaillent en champignonnière. Annie et Bruno ne sont jamais partis en vacances. Ils pensaient aussi qu’ils pourraient s’occuper mieux du père d’Annie, Alzheimer.

« Annie et Bruno ont bossé la vie entière, commencé à 20 ans et ces dernières années, c’est trop dur, le corps ne récupère plus. »

Alors Bruno est là. À Compiègne, on est 10 000 manifestants, c’est la première fois qu’il fait grève, jamais il n’a manifesté. Il dit :  « Encore cinq ans de boulot crevant comme ça, pareil pour Annie, on éclate, c’est mort, avec tous les efforts qu’on a faits déjà, c’est pas vrai. Ceux qui font cette réforme, ils n’ont aucune idée de comment on vit. » Oui. Ce n’est d’ailleurs pas leur problème à ces députés qui votent cette réforme, et aux membres des cabinets ministériels. Eux s’achètent déjà des assurances privées qui permettront la retraite quand ils voudront.

Souvent venus « des beaux quartiers », ils passent leur vie parmi leurs semblables. Ils ont été sélectionnés par eux, au travail ou en amour. Ils ne connaissent aucun ouvrier, aucun employé, aucun technicien. Leurs emplois du temps les cannibalisent : pas un tête-à-tête où ne pas assurer son rôle et, corseté dans ses contraintes, le tenir ferme, un remous perpétuel. Des assistants, secrétaires, chauffeurs, « N-1 », nounous, les protègent, les allègent, les servent. Les tâches ordinaires sont déléguées presque toutes : les transports, les courses, nettoyer… Enfermés dans des buildings bouclés, ils naviguent d’étages réservés en réunions ou repas d’affaires, et décompressent avec leurs semblables.

Les peines, les budgets qui serrent la gorge, les fureurs, les emmerdements des salariés « d’en bas » sont d’un autre univers. Et pas leur problème. Il est tout autre, leur problème : avancer dans la carrière en écrasant leurs concurrents directs, en dégageant plus de cash qu’eux (par des dispositifs qui plaisent aux patrons). Ils interdisent les jours les plus heureux de nos retraites méritées mais ne savent pas ce qu’ils vont faire endurer.

Coauteur de la Valeur du service public (la Découverte, 2021).

 

  publié le 4 mars 2023

Les retraites, cette
grande conquête de la vie
sur le capital

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Issu du programme du Conseil national de la Résistance, notre système de retraite a permis à des millions de personnes d’avoir une existence épanouissante après une vie de travail. En recul depuis la fin des années 1980, il constitue une bataille civilisationnelle qui se poursuit encore aujourd’hui dans la rue, contre la réforme d’Emmanuel Macron. Analyse.

En 2003, des milliers de personnes défilent (ici à Marseille) contre la réforme Fillon qui étend à la fonction publique l’allongement des annuités instauré par la réforme Balladur de 1993. © Anne-Christine Poujoulat

Imaginez une création sociale si enthousiasmante que vous seriez prêt à construire et à peindre les murs des administrations à bâtir. « C’est ce qui s’est passé lors de la fondation de la Sécurité sociale et du régime général de retraite. Pour la première fois, tous les Français avaient droit à une pension. Ils ont été des milliers à donner un coup de main de façon bénévole et volontaire pour ouvrir 138 caisses de Sécurité sociale en quelques mois à travers le pays, car ils mesuraient bien qu’ils étaient en train de créer un patrimoine commun et de mener une conquête humaine formidable », raconte Pierre Caillaud-Croizat, petit-fils d’Ambroise Croizat (1901-1951), fondateur de la Sécu, en 1945.

Échapper à la pauvreté

Une mobilisation massive, une conscience collective qui se retrouvent aujourd’hui dans les pas des millions de citoyens qui composent les cortèges des manifestations contre la réforme des retraites du gouvernement. Manifester, c’est montrer sa force, son nombre et sa cohésion. C’est marcher pour ses droits et défendre cette grande conquête des retraites.

Une conquête sur le temps, et sur l’argent : un nouvel âge de la vie, grâce à des richesses socialisées. Mais une conquête menacée. « Marre de simuler ma retraite, je veux en jouir », peut-on lire sur les pancartes des citoyens opposés au report de l’âge légal à 64 ans. Car le droit à la retraite est en recul depuis les années 1980 et se trouve au cœur d’un bras de fer qui ne cesse de s’accentuer : le capital ne supporte pas que des citoyens puissent se libérer du travail, tout en touchant une pension qui échappe à toute marchandisation. C’est cette révolution inouïe dans l’histoire de l’humanité, ce rêve forgé à travers les âges qu’il convient de protéger.

Le capital ne supporte pas que des citoyens puissent se libérer du travail, tout en touchant une pension qui échappe à toute marchandisation. C’est cette révolution inouïe dans l’histoire de l’humanité, ce rêve forgé à travers les âges qu’il convient de protéger.

Un rêve qui s’est pleinement concrétisé à la Libération, émanation directe du programme du Conseil national de la résistance (CNR). « En 1945, l’objectif était de faire en sorte que la vie après le travail ne rime pas avec pauvreté. À cette époque, il y avait 4,7 millions de salariés ou anciens salariés de plus de 60 ans, mais seuls 1,7 million bénéficiaient d’un régime de retraite », expose Jean-Christophe Le Duigou, conseiller d’État et ancien dirigeant de la CGT, sur le site de l’Institut CGT d’histoire sociale. 

La création du régime de retraite général, à l’initiative du ministre communiste et cégétiste Ambroise Croizat, constitue alors un tournant majeur : tous les Français bénéficient désormais d’un droit à la retraite et d’une pension concrète. « Des millions d’entre eux sont sortis du jour au lendemain de l’angoisse de la vieillesse, qui signifiait pour eux l’indigence, tout comme ils sont sortis de l’angoisse de la maladie et de l’accident du travail, qui signifiait la perte de l’emploi et la plongée dans la misère la plus absolue », insistait Michel Étiévent, historien de la Sécurité sociale et biographe de Croizat décédé en 2021.

« Avant 1945, nous étions quelque part dans l’antiquité de nos droits », estime le député PCF Pierre Dharréville, pour qui la généralisation du droit à la retraite et sa mise en place effective constituent « une œuvre civilisationnelle majeure, avec à la fois une protection de ceux qui ont fait leur part de travail et vieillissent et l’ouverture d’un autre temps de vie, d’un autre horizon, le tout grâce à une forme de collectivisation des richesses imposée au capital ».

Un des piliers de notre modèle social

En 2021, les Français ont ainsi consacré 345 milliards d’euros pour financer leurs retraites, dont 79 % issus des cotisations sociales. Selon l’OCDE, la France offre une « bonne protection » et un régime avantageux en comparaison de ses voisins. Tout n’est pas parfait et beaucoup reste à améliorer, mais les Français partent en moyenne plus tôt à la retraite, et seuls 7,6 % de ces retraités vivent sous le seuil de pauvreté, soit l’un des taux les plus faibles au monde. Les retraites sont ainsi devenues l’un des piliers de notre modèle social. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Il s’agit même d’une conquête toute fraîche. Se mettre à l’abri du besoin lors de ses vieux jours a été un objectif dès les débuts de la condition humaine, mais la solidarité familiale et la charité ont longtemps semblé un horizon indépassable pour le commun des mortels.

Le tout premier régime de retraite créé au monde, par répartition qui plus est, est l’œuvre de Colbert : en 1673, le ministre de Louis XIV instaure la Caisse des invalides de la marine.

Des tentatives d’entraides communes et des innovations visant les serviteurs de l’État ont bien émaillé le Moyen Âge, mais de façon non pérenne ou uniquement pour quelques-uns. Quant au tout premier régime de retraite créé au monde, par répartition qui plus est, il est l’œuvre de Colbert : en 1673, le ministre de Louis XIV instaure la Caisse des invalides de la marine. De là à dire que, prendre sa retraite, c’est voir la mer, il y a encore un large pas à franchir.

« L’ambition est d’attirer du monde, de développer la marine militaire mais aussi marchande. Et donc il s’agit d’une sorte d’avantage proposé. Cela va peu à peu s’étendre aux militaires, avec cette idée : vous allez souffrir, risquer votre vie, peut-être mourir, mais à la fin vos vieux jours seront assurés », note le député centriste Charles de Courson.

La véritable révolution philosophique arrive ainsi à partir de 1789. À travers leurs cahiers de doléances, les citoyens insistent sur le besoin d’accorder assistance et dignité aux plus âgés, notamment à travers des « rentes » versées à domicile. « Les révolutionnaires instaurent les droits-créances, qui préfigurent notre modèle social actuel », souligne l’historienne Sophie Wahnich.

Pour la toute première fois, les pensions de retraite sont défendues comme un droit universel, au nom du droit à une existence digne placé comme premier des droits de l’homme. « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler », indique la Constitution de 1793 dans son préambule. La loi du 22 floréal an II (mai 1794) crée une forme de droit à la retraite quasi universel, finalement jamais mis en place dans le tourbillon de la Révolution et de ses épreuves. Mais les bases sont jetées. Le principe de cotisation par répartition a même été proposé, et la volonté que chaque pensionné touche au minimum l’équivalent d’un Smic actuel clairement signalé. Preuve de la formidable modernité de la Révolution française.

Un enjeu mésestimé par la IIIe République

Si l’utopie a été aperçue, elle sera encore longue à devenir réalité. Des régimes monarchiques succèdent à la Révolution. Surtout, l’industrialisation provoque une explosion des morts et des vies brisées au travail, ainsi que l’émergence d’une classe ouvrière sous un nouveau visage, noir de suie.

Les retraites (en dehors de celles d’État pour les fonctionnaires, ou via des mutuelles inégales, comme encouragé par Napoléon III) sont données à certains des métiers les plus pénibles et dangereux (mineurs, métallurgistes, cheminots), branche patronale par branche patronale (les syndicats étant interdits), avec la volonté de fixer la main-d’œuvre. « Votre travail sera pénible, vous serez silicosé, mais vous aurez une retraite », résume Charles de Courson.

Mais le mouvement ouvrier, de plus en plus conscient et déterminé à se défendre, ne se satisfait pas d’un système d’exploitation violent et de pensions qui tiennent du paternalisme. En outre, l’idée que des droits liés au travail – en lieu et place de ceux liés au patrimoine (une dualité toujours présente aujourd’hui) – doivent apporter à l’ensemble des salariés des moyens de subsistance pour toute la vie ne cesse de monter en puissance.

Jean Jaurès appelle à accepter chaque avancée arrachée, fût-elle modeste, et fixe un cap en 1906 lors du discours d’Albi : celui d’un « ordre social nouveau », où l’« assurance sociale doit s’appliquer à tous les risques, à la maladie comme à la vieillesse, au chômage et au décès comme à l’accident ».

Arrive alors le XXe siècle. La question des retraites ne cesse de s’intensifier et va animer continuellement la vie parlementaire de la IIIe République, sans que les progrès soient forcément à la hauteur des enjeux ou comme un droit pour tous passé un certain âge ? Faut-il fonctionner par capitalisation ? Les débats prennent leur temps.

Jean Jaurès appelle à accepter chaque avancée arrachée, fût-elle modeste, et fixe un cap en 1906 lors du discours d’Albi, la même année : celui d’un « ordre social nouveau », où l’« assurance sociale doit s’appliquer à tous les risques, à la maladie comme à la vieillesse, au chômage et au décès comme à l’accident ».

En 1910 est votée la loi sur les retraites ouvrières et paysannes. L’âge de départ est fixé à 65 ans, après trente années de cotisations. C’est « la retraite pour les morts », dénonce la CGT, qui rappelle que 94 % des ouvriers meurent alors avant 65 ans et exige un bien meilleur système. Reste que l’histoire est en marche. « Dès demain, tous les vieux relèveront le front, et tous les jeunes, tous les hommes mûrs se diront du moins que la fin de la vie ne sera pas pour eux le fossé où se couche la bête aux abois », lance Jean Jaurès. La suite va lui donner raison, malgré des chemins sinueux et une lutte permanente.

« La Sécu n'est pas tombée du ciel. C'est le résultat d'un combat pour la dignité »

En 1936, le Front populaire n’a pas le temps de mettre en place le système de retraite ambitieux souhaité par Léon Blum, chef du gouvernement. Mais la gauche au pouvoir et la formidable mobilisation populaire, massive, lors des grandes grèves permet de mettre en place les premiers congés payés et la semaine de 40 heures. Une avancée décisive vers la conquête du temps libre. Un camouflet infligé au capital, pour qui chaque jour payé doit être travaillé.

Désormais, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. Nous ferons de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie ». Ambroise Croizat

Un député communiste se distingue alors : Ambroise Croizat. Très engagé dans le programme du CNR sous l’Occupation, il devient ministre à la Libération. « Désormais, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. Nous ferons de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie », lance-t-il le 3 décembre 1945. « Rien ne pourra se faire sans vous. La Sécurité sociale n’est pas une affaire de lois et de décrets. Elle implique une action concrète sur le terrain, dans la cité, dans l’entreprise. Elle réclame vos mains… », ajoute-t-il un an plus tard. 

La Sécu sera donc une œuvre collective majeure, dont la très belle aventure est racontée dans le film « La Sociale » (2016), de Gilles Perret. « La Sécu n’est pas tombée du ciel. C’est le résultat d’un combat pour la dignité qui vient du fond des siècles et s’enracine alors. En 1945, le rapport de forces est clair : le PCF fait 29 % des voix, il y a 5 millions d’adhérents à la CGT, une classe ouvrière grandie par la Résistance et un patronat mouillé dans la collaboration », soulignait Michel Étiévent.

La retraite passe ensuite à 60 ans sous François Mitterrand, en 1982, avec l’idée de libérer du temps au fur et à mesure que la productivité et les richesses augmentent. Mais le « patronat ne désarme jamais », prévenait Ambroise Croizat. Et les gouvernements soumis au capital n’ont eu de cesse d’attaquer pour rogner ce droit malmené, jusqu’à nos jours. C’est face à ce projet que se sont dressés des millions de citoyens depuis le 19 janvier. Ils seront de nouveau dans la rue le 7 mars pour défendre les droits de tous. Le combat en vaut la chandelle. Car, « ce qui a marqué socialement le XIXe siècle, c’est l’accès à l’éducation. Et l’événement social du XXe siècle, c’est la Sécurité sociale », déclarait, à raison, Jack Ralite, ministre communiste de la Santé entre 1981 et 1983.


 

Trente ans d'attaques contre les retraites

 Depuis la fin des années 1980, les gouvernements qui se sont succédé ont tenté de détricoter l’héritage du Conseil national de la Résistance. Certains avec succès, en jouant principalement sur l’allongement de la durée de cotisation et de l’âge légal.

La casse progressive du système de retraite ? C’est Denis Kessler qui en parle le mieux : « Il s’agit de défaire méthodiquement le programme du CNR », proposait l’ancien numéro deux du Medef dans la revue « Challenges » en 2007. Ils ne s’en cachent pas : tous les acquis sociaux du système de retraite par répartition, les libéraux tentent de les saboter méthodiquement avec, comme inlassable argument, un prétendu « sauvetage ».

Dès 1987, la réforme Séguin choisit d’indexer les pensions uniquement sur l’inflation et non plus sur l’évolution du salaire moyen brut. Entraînant, sur vingt-cinq ans, une baisse de 20 % du niveau des pensions, selon la CGT. Le livre blanc de Michel Rocard devient, quatre ans plus tard, la ligne de conduite des réformes successives. Dans ce premier rapport, l’idée d’un allongement de la durée de cotisation s’impose.

C’est dans cette optique qu’Édouard Balladur entérine en 1993 le passage de 37,5 à 40 annuités pour les salariés du secteur privé et change progressivement les calculs des pensions, se fondant sur les 25 meilleures années, au lieu de 10 jusqu’alors. Le plan Juppé, mené en 1995, embrase le pays.

Le premier ministre de Jacques Chirac étend les règles de calcul des pensions de la réforme Balladur aux fonctionnaires et aux salariés des entreprises publiques (RATP, SNCF et EDF). Après trois semaines de blocage de l’économie par les syndicats, le gouvernement recule. Les rapports ministériels qui se succèdent ensuite invitent au renflouement du déficit de la Sécurité sociale par des réformes paramétriques.

Avec sa réforme en 2003, François Fillon épouse ces vieilles recettes libérales. Il parvient cette fois-ci à instaurer les 40 annuités pour les fonctionnaires. Les salariés des entreprises publiques et des professions à statut particulier connaissent le même sort sous Nicolas Sarkozy : en 2010, son ministre du Travail, Éric Woerth, fait reculer l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. L’héritage de François Mitterrand est directement attaqué, malgré des manifestations massives pour s’y opposer.

Le PS revient au pouvoir en 2012, mais François Hollande valide les politiques libérales en cours : la réforme Touraine relève en 2014 la durée de cotisation d’un trimestre tous les trois ans à partir de 2020 pour parvenir à 43 annuités en 2035. C’est ce paramètre que la première ministre, Élisabeth Borne, souhaite aujourd’hui accélérer dans la réforme actuelle, pour atteindre cet objectif dès 2027, en plus de vouloir décaler l’âge de départ à 64 ans. Avant elle, la Macronie avait tenté un pilonnage en règle du système de retraite par répartition, avec un projet de régime universel à points.

Cette réforme, dont le but caché était de faire chuter le niveau des pensions, tombe finalement sous l’effet des mobilisations massives et de la crise du Covid. Mais ne retire en rien la détermination des tenants du libéralisme à continuer le détricotage du système. « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! » ajoutait Denis Kessler dans son entretien. Gage d’un absolutisme libéral sans bornes.

  publié le 4 mars 2023

Grèce : l'accident ferroviaire coagule
les colères de la jeunesse

Par Nikos Smyrnaios Professeur en sciences sociales à l’université de Toulouse sur www.humanite.fr

L’accident ferroviaire survenu le 1er mars près de la ville de Larissa faisant plus d’une cinquantaine de morts, dont des nombreux étudiants rentrant d’un long weekend, a vu exploser la colère de la jeunesse grecque. Des nombreuses manifestations réunissant des milliers de personnes, principalement des étudiants et des lycéens, ont eu lieu dans les plus grandes villes de la Grèce notamment à Athènes, Patras, Volos et Thessalonique.

Cet accident dramatique est le résultat d’une série de négligences en cascade qui résulte directement de la destruction du service public du rail depuis une dizaine d’années. Il a constitué le catalyseur d’une colère sourde qui domine au sein de cette génération sacrifiée qui a vécu dans un pays ravagé par la crise et par la cure austéritaire imposée par les créanciers.

Le programme économique contenu dans les memoranda successifs imposés par la Troïka prévoyait notamment le démantèlement du service public du rail et la privatisation de la partie la plus rentable, à savoir le transport de passagers. L’entretien des installations a été laissé pour compte. Des centaines des cheminots ont été transférés à d’autres services de l’administration ou ont été mis en préretraite de manière à rendre le lot plus attractif pour l’acheteur Trenitalia. La même logique de vente à la découpe a prévalu pour d’autres services publics comme l’opérateur public d’électricité ou les télécoms.

Par ailleurs, des reformes radicalement néolibérales ont été imposées à marche forcée à l’école, à l’université et à l’hôpital. Cette dégradation sévère du service public a eu comme effet l’un des taux de mortalité le plus élevé en Europe pendant la crise du Covid et une baisse drastique de la qualité de l’enseignement scolaire et universitaire. La dérégulation complète du marché du travail a fini par achever les derniers vestiges de l’état social grec.

Après la parenthèse de Syriza, qui a tenté de gérer cette situation tant bien que mal mais qui a participé à la continuation de ces politiques, la dérégulation néolibérale destructrice de la société grecque s’est accélérée à partir de l’arrivée au pouvoir en 2019 du gouvernement de droite dirigée par Kyriakos Mitsotakis. Ce dernier a mis en œuvre une politique de néolibéralisme autoritaire radical et corrompu, facilitée par l’état d’exception imposé pendant la crise de Covid et tolérée par ses partenaires européens.

La jeunesse notamment s’est trouvée confrontée à la violence arbitraire de la police, à une crise de logement sans précédent, à des conditions de travail précaires et au manque de perspectives pour l’avenir. C’est ainsi que depuis une dizaine d’années les jeunes grecs ont quitté massivement leur pays à la recherche d’une vie digne. Ceux qui restent sont témoins d’un processus de délitement de la société grecque qui semble irréversible sous Mitsotakis.

Du scandale de la surveillance massive organisée par le gouvernement aux multiples cas de corruption et de trafic d’influence caractérises ; des violences sexuelles et des crimes mafieux impliquant des membres de la police et couverts par le pouvoir et par la justice ; de la propagande organisée par les médias dominants aux tentatives de censure de la presse indépendants, l’accumulation des affaires désespère la population et étouffe la jeunesse.

Cependant ces derniers mois un mouvement de résistance tente de s’organiser englobant les secteurs les plus dynamiques de la société grecque. Ainsi, les étudiants se sont levés il y a quelques mois contre l’instauration d’une police de l’université et ont réussi à faire reculer le gouvernement. Les artistes sont actuellement en pleine protestation contre une réforme qui reviendrait sur la reconnaissance de leur formation. Ce mouvement très dynamique qui occupe des dizaines d’espaces culturels à Athènes et Thessalonique est actuellement en train de fusionner avec celui qui exige des explications pour le drame ferroviaire.

Cette coagulation des colères repolitise une société devenue cynique et résignée après l’échec du mouvement des Indignés des années 2011-2013. La question du débouché politique se pose maintenant, à quelques mois des élections législatives.

  publié le 3 mars 2023

À Strasbourg,
un tour de chauffe avant le 7 mars

Jean-Jacques Régibier sur www.humanite.fr

Le meeting de la Nupes a fait le plein, mercredi soir, dans la capitale régionale, avec des députés PCF, FI, EELV, PS et un public gonflés à bloc dans la perspective de la grève contre la réforme des retraites. Strasbourg (Bas-Rhin), correspondance particulière.

La salle est pleine à craquer, les 400 places assises ont été prises d’assaut. Sont venus, bien sûr, les militants des formations politiques qui composent la Nupes à l’origine de ce meeting à Strasbourg, mercredi soir, mais pas seulement. « Moi, je n’ai pas de carte, assure Nordine, avant que les prises de parole ne s’enchaînent. Je sais déjà dans les grandes lignes pourquoi je suis contre cette réforme, mais c’est important d’avoir un maximum d’arguments pour les proches, pour la famille ou les amis qui hésitent et qui ne sont pas encore assez motivés pour nous rejoindre dans les rues », poursuit ce travailleur social. À la tribune, les arguments ne manquent pas, justement. Le député de Strasbourg Emmanuel Fernandes (FI) démonte minutieusement les discours mensongers du ministre du Travail, « le pire de ce que l’on peut faire en politique ». Exemple : la retraite à 1 200 euros, dont Olivier Dussopt a fini par reconnaître qu’elle concernerait 10 000 à 20 000 retraités, très loin des 2 millions évoqués un temps par les macronistes. De quoi provoquer la colère, et pas seulement dans l’opposition. « J’ai rencontré des personnes qui y ont réellement cru et qui ont été abasourdies quand elles ont compris que c’était un mensonge, rapporte Emmanuel Fernandes. Un gouvernement qui agit comme cela décrédibilise la politique. On aura encore plus d’abstention aux prochaines élections. »

Dans le public, les jeunes sont nombreux, comme ils le sont au cours des manifestations strasbourgeoises où ils occupent la tête du cortège depuis la première mobilisation du 19 janvier. « Cela fait du bien de voir qu’on n’est pas tout seuls à se battre contre cette réforme. Il y a un besoin d’avoir un pied dans la rue pour manifester et un pied dans les réunions de sensibilisation comme celle-ci », explique Anaïs, étudiante en seconde année de Sciences-Po à Strasbourg. « La jeunesse aujourd’hui est obligée de se mobiliser énormément parce qu’elle se rend compte que le gouvernement ne répond pas à nos besoins, pas plus qu’à ceux des autres générations. On se bat pour les aînés, mais c’est aussi une question d’avenir pour nous puisque nous sommes les futurs travailleurs », ajoute Chloé, elle aussi étudiante à Sciences-Po.

« Nous ne voulons pas faire le chemin à l’envers ! »

Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, rappelle que la retraite, « la plus grande conquête du XXe  siècle », a été portée par le ministre communiste du Travail Ambroise Croizat, dans un gouvernement issu de la Résistance à la fin de la Seconde Guerre mondiale : « Les Français passaient du rêve à la réalité. Enfin les hommes et les femmes pouvaient vivre leur vieillesse. » Le député de Seine-et-Marne pointe également la réduction du temps de travail de 65 à 60 ans décidée en 1981. « Nous ne voulons pas faire le chemin à l’envers ! », lance-t-il sous les applaudissements. « Ce que veut le gouvernement, c’est sauver le système capitaliste. Le 47.1 est une illustration du passage en force. Nous avons un autre projet de société à proposer », enchaîne, à la tribune, la députée communiste Elsa Faucillon. « Ce que j’entends autour de moi, c’est que les gens se préparent. Les associations, les syndicats sont prêts. Ils veulent arrêter le pays et je pense que c’est l’essentiel. J’ai vraiment l’impression qu’on est tous en rang pour bloquer le pays », témoigne Salem, un élu municipal.

Constatant de fortes mobilisations de la jeunesse contre la politique du gouvernement, ainsi que des blocus, Anaïs voit la grève du 7 mars avec optimisme. « Je pense que ce peut être une des rares fois où la jeunesse se mobilise autant depuis Mai 68, si on veut être un peu idéaliste », dit-elle. La députée écologiste du Bas-Rhin Sandra Régol ajoute sa pierre à l’argumentaire en rappelant que le projet de réforme des retraites se fait « quasi exclusivement sur le dos des femmes ». « Emmanuel Macron veut que vous soyez résignés, poursuit-elle. Il veut empêcher qu’un enfant ait un grand-parent ! » Dans la salle, Noé écoute attentivement et en est convaincu : « Les politiques néolibérales menées par ce gouvernement ont des effets qui poussent des gens à la mort. Quand on voit que chez les hommes, les plus pauvres ont 25 % de risque de mourir avant la retraite, oui, on parle bien de vie ou de mort », constate l’étudiant. En écho, la députée européenne Manon Aubry (FI) dénonce le système de retraite par capitalisation que veut mettre en place le gouvernement, rappelant qu’une augmentation de 2 % de la part des salaires dans la valeur ajoutée suffirait à équilibrer les retraites. Elle constate que partout en Europe où l’on a repoussé l’âge de départ à la retraite, le taux de pauvreté a augmenté. « Si on gagne sur les retraites, on gagnera demain sur les salaires », assure-t-elle.

 

 

Dans les métros,
dans les campagnes : préparer la grève

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Tractage massif à la RATP

On avait reçu un texto la veille : « 200 militants, tous syndicats de la RATP confondus seront présents dans différentes gares parisiennes pour une opération auprès des usagers ». Chose annoncée, chose faite : ce jeudi, aux aurores, les salariés de la RATP ont déferlé à gare pour tracter.

L’occasion d’expliquer le pourquoi de la grève et d’inviter à se joindre au mouvement. Un tel tractage, « de mémoire d’agent RATP, ce n’était pas arrivé depuis très longtemps », confie un agent au Parisien. Bilan : 36 000 tracts à peine distribués, qu’il faut déjà les réimprimer et un accueil plutôt bon. « Les Français ne veulent pas de cette réforme injuste et la réaction des voyageurs est très bonne », se réjouit Jean-Christophe Delprat, de FO-RATP, toujours auprès du Parisien.

Journée à la campagne pour les têtes des syndicats

Philippe Martinez secrétaire général de la CGT, Frédéric Souillot, patron de FO, Benoît Teste, à la tête de la FSU… et la liste est encore longue. Les huiles du syndicalisme français, tous syndicats confondus, étaient réunies ce jeudi 2 mars à La Ricamarie, commune de 8000 habitants, à la demande de l’intersyndicale de la Loire. Une occasion de réaffirmer que le mouvement contre la réforme des retraites est fortement implanté dans les petites et moyennes communes. Et que la bataille du blocage de la France s’y jouera aussi.

Deux fédérations CGT de plus entrent en reconductible

La CGT construction bois et ameublement, ainsi que celle du commerce rejoignent la liste des fédérations CGT qui appellent les salariés à la grève reconductible à partir du 7 mars. Pour rappel, la FNME-CGT (énergie), la FNIC-CGT (chimie), la fédération CGT du verre et de la céramique, la fédération CGT des ports et docks, ainsi que la CGT-cheminots ont déjà exprimé leur volonté de rentrer en grève reconductible à partir de cette date. Les fédérations CGT ne sont pas les seules à avoir lancé ce type d’appel. On peut par exemple y ajouter l’ensemble des fédérations cheminotes représentatives.

La blague (d’)Olivier Dussopt

C’est un gag qui n’en finit plus de durer. Après avoir longtemps zigzagué entre les arguments et les chiffres, Olivier Dussopt, ministre du travail, avoue finalement : avec sa réforme, seuls 10 000 à 20 000 retraités pourront bénéficier d’une revalorisation de leur pension de manière à atteindre 1200€. Rappelons que le ministre avait précédemment annoncés, à la louche, le chiffre, déjà très bas, de 40 000 bénéficiaire. Olivier Dussopt devrait le savoir : les plaisanteries les plus courtes sont souvent les meilleurs.


 


 

Cinq fédérations CGT s’allient pour lancer la grève reconductible

Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce.fr/

Le 2 mars, cinq fédérations de la CGT, très actives depuis le début de la bataille contre la réforme des retraites, livraient leur stratégie. Au programme : grève reconductible, blocage et actions ciblées pour porter un coup décisif au projet du gouvernement.

 Ce jeudi 2 mars, le patio du siège de la CGT, à Montreuil, résonne de chants militants. Quelques jours avant une journée de mobilisation que beaucoup espèrent encore plus massive que celle du 31 janvier, plusieurs centaines d’élus de la CGT sont venus exprimer leur détermination à poursuivre la lutte. En face d’eux se trouvent les secrétaires de cinq fédérations très mobilisées dans le mouvement (Mine-Énergie, Ports et Docks, Cheminots, Industries Chimiques et Verre-Céramique) qui pour l’occasion apparaissent comme la direction de la CGT pour la grève reconductible. Et ce, à trois semaines du prochain congrès de la CGT où ces mêmes fédérations vont vivement s’opposer à la ligne défendue par Philippe Martinez et la direction confédérale.

« Grève Générale ! » appellent en chœur les militants, avant d’être interrompus par Laurent Brun, le secrétaire national des cheminots : « Les manifestations ont été massives, mais le gouvernement maintient son projet. Les salariés ont un levier supplémentaire par rapport aux citoyens : ils peuvent cesser le travail », annonce-t-il en guise de prémisse. Si l’intersyndicale a dores et déjà appelé à « mettre la France à l’arrêt », ces cinq fédérations cégétistes entendent préparer l’étape suivante : la grève reconductible.

L’union fait la force de la grève reconductible

« On a conscience que ce qu’il manquait en 2019, c’était la coordination. Nos fédérations rassemblées ont décidé d’agir et d’unir leurs forces », assure Sébastien Menesplier, à la tête de la fédération Mine-Énergie, quelques dizaines de minutes plus tard, lors d’une conférence de presse. Deux nouvelles fédérations devraient bientôt rejoindre le quintet : la CGT Commerce et la fédération de la Construction, du Bois et de l’Ameublement.

En soi, la coordination entre ces cinq fédérations de la CGT n’est pas une surprise. Elles ont déjà eu l’occasion de nouer des contacts depuis le début de la mobilisation, et ont plusieurs fois appelé en chœur à des grèves de plusieurs jours. Mais cette rencontre a le mérite de clarifier la stratégie des différents secteurs, à l’approche d’une date vitale pour la suite du mouvement.

Chez les dockers, la partie paraît déjà jouée d’avance. « Nous appelons à un arrêt de travail de 48 heures les 7 et 8 mars. Et le 8 mars, une action ” ports morts “, c’est-à-dire un blocage de toutes les entrées du port pour qu’aucune activité ne puisse y avoir lieu au-delà même de notre secteur », explique Tony Hautbois, le secrétaire national de la fédération, devant des syndiqués ravis. Après avoir souligné l’exemplaire représentativité de son secteur – 80 % chez les portuaires, 90 % chez les dockers -, il s’enorgueillit : « grâce à notre discipline d’organisation, nous pouvons mettre 90 % de l’activité portuaire à l’arrêt ».

Une étape de franchie

À la fédération Mine-Énergie, on promet une « semaine noire ». « Ce matin, les secrétaires généraux ont décidé de passer un cap », explique Sébastien Menesplier. Au programme : « reprise en main de l’outil de production », coupures ciblées, occupations de sites, blocages, opération « Robin des Bois », et surtout une grève reconductible. Au soir du 16 février, les énergéticiens de la CGT appelaient déjà à une « grève reconductible jusqu’au 7 mars », assurant qu’elle avait déjà commencé depuis le premier jour de la mobilisation. En réalité, si les actions se sont multipliées un peu partout en France et que des grèves tournantes ont été mises en places dans certaines entreprises de l’énergie, la grève ne s’est pas encore durablement installée sur tous les lieux de travail.

« Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’il y a une montée d’un cran de la mobilisation avec des actions qui jusque-là n’avaient pas encore été appelées puisque l’on attendait de voir où menaient les grèves et les manifestations », explicite Sébastien Menesplier. Faute de réaction de la part du gouvernement, la mobilisation devrait donc prendre une nouvelle forme chez les énergéticiens. Pour que la grève dure longtemps, Sébastien Menesplier prône la ruse. « Huit heures par jour, c’est compliqué. La grève reconductible s’organise selon les milieux avec des modalités qui permettent que ça coûte le moins cher possible », explique-t-il en évoquant des possibles débrayages de quelques heures. Objectif : le maximum d’impact, le minimum de perte de salaire et une grève qui dure dans le temps.

Des journées massives de grève pourraient également avoir lieu chez les cheminots. Cette fois, l’unité se fera entre les quatre syndicats représentatifs de la SNCF. Peu d’inquiétude aussi dans la chimie, le verre et la céramique. Emmanuel Lépine, à la tête de la CGT Industrie chimique, rappelle l’objectif : « mettre à genoux l’économie française ».

Une mobilisation qui s’étend ?

Derrière une motivation qui paraît inébranlable, Laurent Brun le confesse : « c’est quand même un sujet dans l’esprit des camarades : la peur d’être seul ». En 2019, la grève paraissait surtout portée par certains secteurs, ce qui avait rendu amers certains grévistes pourtant déterminés. Malgré tout, le secrétaire national des cheminots se veut rassurant : « on craint beaucoup moins la grève par procuration, car on voit que la mobilisation est plus massive. Et on s’organise pour que ça n’ait pas lieu ! ».

« On a conscience qu’on est dans des champs structurants de l’économie française, assure Emmanuel Lépine. S’il y a une grève dans nos secteurs, il y aura un impact et un effet d’entrainement ». Tous espèrent ainsi que leur mobilisation saura inspirer les salariés exerçant des professions précaires, ou peu enclines à des grèves longues et massives.

Pour Laurent Brun, les signes positifs ne manquent pas. « Il y a eu des mobilisations très importantes. Mais il n’y a pas 2 millions de syndiqués chevronnés. Certains pensaient que le nombre suffirait. Maintenant, les salariés ont compris que la carte démocratique, on pouvait la rentrer », abonde-t-il. « D’habitude, le vote d’une loi pèse sur les salariés lors d’un mouvement social, surtout les moins politisés. Or, ici, le vote de la loi à l’Assemblée Nationale n’a eu strictement aucun effet sur le niveau de mobilisation : on annonce la plus grosse journée le 7 mars ! ».

Loin de se jouer dans le théâtre parlementaire, la lutte aura davantage lieu dans la rue et les lieux de travail, assurent-ils en chœur. « Le vote d’une loi, ce n’est pas notre sujet. On veut imposer un rapport de force pour justement ne pas dépendre de ce vote », souligne Laurent Brun. De son côté, Sébastien Mesnesplier fixe un cap : « peu importe la suite, commission mixte paritaire ou retour à l’assemblée, adoption de la loi par le Sénat ou pas, on continuera jusqu’à ce qu’on gagne ».

  publié le 3 mars 2023

Violences policières. En Guadeloupe, la famille de Claude Jean-Pierre attend toujours justice

Benjamin König sur www.humanite.fr

L’avocate de la famille de Claude Jean-Pierre, un Guadeloupéen décédé en 2020 après un contrôle de Gendarmerie, interpelle sur la nécessité d’un procès dans cette affaire. Entretien.

Capture d'écran de la chaine France Antilles, lors de la conférence de presse du collectif d'avocat de la famille de Claude Jean-Pierre, en juin 2021

Le 21 novembre 2020, Claude Jean-Pierre, un habitant de 67 ans de Deshaies, en Guadeloupe, était interpellé par deux gendarmes. Douze jours plus tard, il décédait à l’hôpital, après avoir été admis avec une double fracture des cervicales, dont l’une compressait la moelle épinière, et plusieurs hématomes au visage.

Quelques semaines plus tard, une vidéo provenant de la caméra qui équipe la mairie de Deshaies montre une arrestation brutale, le corps inerte de Claude Jean-Pierre, la violence des gendarmes. Depuis, l’affaire ressemble à un énième déni de justice.

Le procureur Xavier Sicot, qui estimait dès le début de l’enquête que les gendarmes avaient respecté les règles a demandé un non-lieu le 17 février. Au mépris des demandes de la famille de Claude Jean-Pierre. Désormais, c’est à la juge d’instruction de rendre sa décision d’ici peu.

Plusieurs rassemblements sont prévus, notamment ce vendredi 3 mars à 19 heures Pointe-à-Pitre, pour réclamer « Jistis Pou Klodo », un slogan scandé dans de nombreuses manifestations sur l’archipel. En attendant la conférence de presse qui se tiendra ce 3 mars à 10 heures, L’Humanité s’est entretenu avec Maître Maritza Bernier, la porte parole du collectif d’avocats intervenant pour la famille.

Le procureur de la République de Basse-Terre a demandé un non-lieu. Quelle est votre réaction ?

Maître Maritza Bernier : C’est un réquisitoire que nous contestons fermement, comme vous vous en doutez. Ce sera l’objet de la conférence de presse, tout en sachant que ce n’est pas encore la décision de la juge d’instruction, qui devra rendre son ordonnance sous peu. Nous entendons présenter des observations complémentaires à ce réquisitoire, compte tenu des éléments du dossier.

Êtes-vous surprise par ce réquisitoire ?

Maître Maritza Bernier : Pas vraiment, puisque dès le début, le procureur avait annoncé que pour lui, il n’y avait pas lieu de poursuites. On s’attendait tout de même à ce qu’au vu des éléments de l’instruction, notamment de la vidéo que tout le monde a pu visionner, les conséquences soient tirées. Ce n’est pas le cas. Mais nous restons confiants.

Même si nous sommes tenus par le secret de l’instruction, nous avons des éléments qui plaident pour un renvoi devant le tribunal. Le réquisitoire témoigne d’ailleurs, d’une certaine façon, de ce que le ministère public n’est pas très à l’aise... Cette affaire dépasse largement le cadre de la Guadeloupe, et nous avons des soutiens du monde entier. Ce procès est attendu.

Cette affaire illustre-t-elle un dysfonctionnement habituel de la Justice en Guadeloupe ? Vous avez reçu récemment le soutien des parlementaires de l’archipel, qui disent maintenir leur confiance dans la Justice, mais la question se pose avec acuité puisque cela fait écho à la récente ordonnance de non-lieu rendue dans le scandale du chlordécone ?

Maître Maritza Bernier : C’est sûr qu’on se dit, à un moment donné, que les non-lieux, on n’en veut plus ! Après celui outrancier dans l’affaire du chlordécone, que mes confrères ont défendu corps et âme, aujourd’hui on veut redonner confiance aux justiciables, et que la Justice soit la même pour tous. Qu’on soit de la maréchaussée ou pas, on doit répondre de ses actes.

Toute la Guadeloupe est touchée par cette affaire. Quel impact a-t-elle sur la société ?

Maître Maritza Bernier : Malgré le temps qui a passé, la plaie est béante. Deshaies est une bourgade de 4 000 habitants où tout le monde se connaît. Nous avons reçu le soutien des parlementaires, mais aussi du président du département (Guy Losbar, NDLR), de maires – il est pourtant rare qu’ils prennent ainsi position –, afin qu’il y ait un procès. Soutien également de la diaspora : Harry Roselmack a dénoncé un « déni de justice ». Si dans ce dossier-là, alors que nous disposons des images, il n’y a pas de réponse pénale, alors quand en aura-t-on ?

   publié le 2 mars 2023

 

 

La lutte contre la réforme des retraites prépare son coup de jeune

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

À Lyon, les organisations et syndicats multiplient les initiatives pour que la jeunesse, majoritairement contre le projet de l’exécutif, descende dans la rue les 7, 8 et 9 mars. Reportage à Lyon (Rhône), envoyé spécial.

Titrés « Contre la réforme des retraites, manifestation le 7 mars ! », les tracts passent de main en main. Ce mercredi 22 février, Lucas effectue une distribution devant l’entrée du restaurant universitaire de la rue Pasteur, à Lyon. Accompagné de deux de ses camarades, le responsable du secteur de l’Union des étudiants communistes (UEC) entend convaincre les jeunes de se mobiliser contre le projet d’Élisabeth Borne. « Je suis chaud », assure Armand, au milieu de la foule.

« La retraite me paraît trop loin »

Cet étudiant en biotechnologie ne s’est, pour l’heure, rendu à aucune manifestation depuis le début du mouvement social. « La retraite me paraît trop loin et aucun de mes amis ne m’a poussé à manifester », argue-t-il. La donne pourrait changer : « Le 7 mars ? Je pense quand même venir, aussi bien pour la retraite que pour le repas à 1 euro au Crous », proposition de loi récemment repoussée par les macronistes à l’Assemblée.

Dans l’ombre de l’intersyndicale, les organisations de jeunesse battent tout autant le rappel pour amplifier le mouvement de protestation contre la réforme des retraites. À l’unisson de tous les syndicats de travailleurs, elles ont coché les dates du 7 et du 8 mars pour mettre la France « à l’arrêt », avec la perspective de grèves reconductibles dans de nombreux secteurs, puis pour faire de la Journée internationale des droits des femmes la grande date de lutte contre les régressions sociales qu’imposerait aux femmes le projet de loi sur les retraites.

Le 9 mars, journée de la jeunesse contre la réforme

À ces deux temps forts s’ajoute le 9 mars, en passe de devenir la journée de la jeunesse contre la réforme gouvernementale, sous l’impulsion de l’Unef, Alternative, la Fage, la Voix lycéenne et des organisations de jeunes communistes, socialistes, insoumis et écologistes.

L’enjeu n’est pas mince. Selon un sondage Ifop, 77 % des 18-24 ans soutiennent la mobilisation du 7 mars. Mais ceux-ci ne sont pas encore vraiment entrés dans la bataille comme lors des grands mouvements lycéens et étudiants du CPE en 2006 ou contre la loi travail sous François Hollande.

Preuve en est, le 31 janvier. Alors que la CGT ne dénombrait pas moins de 2,8 millions de manifestants à travers la France, l’Unef ne comptabilisait que 180 000 jeunes dans les cortèges. Et en dehors de ces temps forts intersyndicaux, tout au plus quelques blocages assez marginaux ont eu lieu à Rennes-II ou encore à Toulouse.

Par rapport à 2019, les AG sont faibles, il y a moins d’étudiants dans la bataille

À Lyon, ce mercredi, une poignée d’étudiants, en dehors de l’assemblée générale (AG) des étudiants, a bloqué le campus de Bron de l’université Lyon-II, classée à gauche. Une initiative similaire avait déjà eu lieu, lundi 20 février, jour de la rentrée universitaire. Sam était sur place, venu prêter main-forte, en fin de matinée. « Par rapport à la précédente réforme en 2019, les AG sont faibles. Il y a moins d’étudiants dans la bataille, mesure ce militant à l’Unef de la tendance Tacle, proche du NPA. Le Covid a fait perdre des réflexes dans l’organisation des luttes. Le principal enjeu reste de convaincre les jeunes que la victoire est possible. »

Lucas, le responsable de l’UEC, dresse un constat similaire : « Les étudiants ne se sentent pas légitimes à venir en AG, car ils ont l’idée qu’il faut être militant pour y participer. Au contraire, les réunions publiques sont plus attractives, le format est plus ouvert. » Voilà pourquoi « l’interorga » de jeunesse de Lyon a convenu de tenir une réunion d’ici le 7 mars.

Les jeunes et étudiants communistes n’en restent pas là. Mardi 21 février, un porte-à-porte dans une cité universitaire était au programme. Au troisième étage de la résidence André-Lirondelle, Charles ouvre la sienne. Étudiant en langue étrangère appliquée à Lyon-III, il se déclare « contre la réforme. Le gouvernement use de stratagèmes fallacieux pour la faire adopter. J’ai découvert l’existence de l’article 47.1 qui permet un débat accéléré ». 

« Nous n’échapperons pas au débat sur le partage des richesses »

L’étudiant s’informe via Twitch. Cette plateforme vidéo permet à des streamers ou des personnalités de produire des contenus en direct. « Dans un stream, Jimmy2Fois avait invité Heu ? reka, qui vulgarise l’économie. C’était convaincant », explique Charles, qui y a appris que « la réforme n’est pas nécessaire, parce que la productivité est meilleure en France que lors des Trente Glorieuses. Nous n’échapperons pas au débat sur le partage des richesses ». Pour autant, l’étudiant n’a jamais manifesté, ni participé à une réunion publique : « Ni au lycée avec les gilets jaunes, ni aujourd’hui. »

À l’étage du bas, Cliou, en troisième année de licence d’histoire, commence, elle, tout juste à s’intéresser au débat sur les retraites. Consciente des inégalités que celle-ci engendrerait, l’historienne s’est déjà jointe à des cortèges féministes, le 8 mars, ou lors des marches pour le climat. Mais elle « ne se voit pas louper des cours pour aller manifester, étant opposée aux actions violentes ». 

Lucas, responsable de l’UEC, décrypte cet autre élément qui explique les difficultés des organisations de jeunesse à mobiliser, « la propagande d’État », pour discréditer le mouvement social. « Quand le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin dit que nous voulons bordéliser le pays ou que les facs seraient en proie à une invasion d’islamo-gauchistes, nous passons pour des extrémistes », déplore-t-il.

«  Ma génération ne se projette pas sur le long terme à cause des bouleversements énormes sur le climat et l’économie que nous allons vivre  »

Dangereuses, les manifestations sociales ? « Avec les gilets jaunes, il y a eu beaucoup de violence venant des manifestants et surtout des policiers. Les vidéos ont fait des millions de vues chez les jeunes. Si bien que la manifestation est devenue un danger dans beaucoup de têtes », rétorque Sacha, étudiant et militant à SOS Racisme, présent avec son pote Théo dans un ciné-bar associatif de la Croix-Rousse, lors d’une projection de la Sociale, film qui retrace l’histoire de la création de la Sécurité sociale, avec son régime général de retraite par répartition, sous l’impulsion du ministre communiste Ambroise Croizat. 

Les deux amis se sont rendus dans les cortèges depuis le début de la contestation. « Mais ma génération ne se projette pas sur le long terme à cause des bouleversements énormes sur le climat et l’économie que nous allons vivre, mesure Théo. C’est un paradoxe : le capitalisme s’essouffle, mais les jeunes se disent qu’on ne peut rien faire face à la loi du marché. » Sam, le militant Unef, tempère : « Nous ne sommes pas sûrs de gagner, mais ce mouvement est intéressant pour la suite car les liens de solidarité chez les étudiants et chez les travailleurs se sont recréés. »

Un quart des jeunes qui ont voté ont choisi Marine Le Pen

Autre endroit, autre jeunesse, autre ambiance. Posé à la terrasse d’un café à proximité du site de la Manufacture des tabacs de Lyon-III, classée à droite, Alex attend son prochain cours. « La réforme ? Je suis contre. Le président du Conseil d’orientation des retraites assure lui-même qu’il n’y a pas de problème de dépenses dans les années à venir, rappelle l’étudiant en écogestion. D’autant que le climat social, avec l’inflation, est tendu. Faire passer cette réforme maintenant est difficilement compréhensible. »

Le discours est construit et argumenté. De-là à se rendre dans un cortège syndical ? « Certainement pas ! » assène-t-il. Car, à la présidentielle, Alex a glissé un bulletin Marine Le Pen dans l’urne. « C’est culotté pour les syndicats de manifester aujourd’hui, alors qu’ils avaient la possibilité, il y a un an, de battre Macron », conclut-il. Ce faisant, il oublie que les députés du RN ont brillé par leur absence lors des débats à l’Assemblée et que le projet de l’extrême droite ne prévoit pas de retour à un âge de départ à 60 ans. Mais Alex n’est pas un cas isolé. Selon un sondage Ipsos-Sopra Steria, si 31 % des 18-24 ans ont voté Jean-Luc Mélenchon, le quart d’entre eux a choisi Marine Le Pen.

« À la fac, seul un petit pourcentage d’étudiants est politisé. La notion de lutte des classes n’est pas évidente pour tous, il faut l’expliquer avec de la pédagogie, ce qu’elle signifie à travers cette réforme », nuance Lucas, le responsable de l’UEC. À Lyon, la jeunesse communiste a par ailleurs recruté une quinzaine de nouveaux membres lors des journées de mobilisation. Ils sont 700 nationalement. Tous sur le pont les 7, 8 et 9 mars, journées décisives pour obtenir le retrait de la réforme… dans la rue.


 


 

« Le blocage, c’est le seul moyen qu’on a de se faire entendre » : les lycéens dans la bataille des retraites

par Guillaume Bernard sur https://basta.media/

À la faveur du mouvement social contre la réforme des retraites, les syndicats lycéens retrouvent du poil de la bête. Mais c’est quoi, au juste, un syndicat lycéen ? Quelles sont leurs activités et quel est leur poids ? Réponses.

Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Rapports de force.

« Les travailleurs, les chômeurs, les étudiants, les lycéens, tout le monde est d’accord pour dire que cette réforme est injuste et injustifiée. » Debout, devant les poubelles qui bloquent le lycée Voltaire, dans le 11e arrondissement de Paris, Manès Nadel répond du tac au tac aux questions de BFMTV.

En ce 31 janvier 2023, journée de manifestation record contre la réforme des retraites, son syndicat, la Voix lycéenne (VL), a décidé d’appeler au blocage des établissements scolaires. Ce jour-là, le jeune homme de 15 ans scolarisé en seconde générale au lycée parisien Buffon fait clairement le buzz : sa prise de parole est reprise en masse sur les réseaux sociaux et d’autres médias lui tendent désormais le micro. « L’interview de BFMTV a permis de faire connaître la VL, nous avons reçu des demandes d’adhésion par la suite », se réjouit Manès Nadel.

Son succès n’est pas simplement dû au contraste, particulièrement télégénique, entre son visage quasi poupon et son élocution parfaitement maîtrisée. Si la vidéo fait le tour de France, c’est aussi parce qu’elle marque le retour à l’écran du syndicaliste lycéen. Depuis Louis Boyard (ex-syndicaliste à l’Union nationale lycéenne (UNL), ancêtre de la VL) cette figure se faisait particulièrement rare dans les médias. En 2023, à la faveur d’un nouveau mouvement social contre la réforme des retraites, la séquence de deux minutes pendant laquelle Manès Nadel s’exprime, rappelle que les lycéens ont des idées et peuvent s’organiser en syndicats pour les faire entendre.

Pourtant, s’ils possèdent le privilège d’incarner une parole lycéenne revendicative dans les médias, il reste difficile de mesurer le poids de ces syndicats, savoir comment ils fonctionnent et tentent de mobiliser la jeunesse.

Associations ou syndicats lycéens ?

Qu’est-ce qu’un syndicat lycéen ? Précision d’importance : sur le plan juridique, il n’existe pas de syndicats lycéens, ni même étudiants. Le terme de « syndicat » n’est réservé qu’aux structures professionnelles. En revanche, différentes organisations lycéennes, constituées en associations, revendiquent le nom de syndicat.

Elles adoptent les codes de ces derniers, prônent la défense des intérêts des lycéens et tentent de se structurer sur le modèle des syndicats professionnels en constituant des fédérations départementales et des directions nationales. Elles expriment aussi leur position lorsque des réformes majeures sont annoncées. Les dernières en date : Parcoursup, le Service national universel (SNU), le nouveau baccalauréat et bien sûr les réformes des retraites de 2019 et 2023.

Autres particularités du syndicalisme lycéen : il est cantonné à un rôle purement consultatif et la courte durée de la scolarité lycéenne (trois ans) implique un renouvellement constant des effectifs. Ces syndicats conservent donc des liens avec d’anciens membres, bien souvent devenus étudiants, comme le précise un rapport de 2021 du ministère de l’Éducation nationale sur le fonctionnement de ces associations.

Enfin, la plupart des syndicats lycéens proposent des adhésions gratuites et tirent la majeure partie de leurs financements de dotation du ministère de l’Éducation nationale. Le même rapport indique toutefois des défaillances dans la gestion financière de la plupart de ses syndicats.

La Voix lycéenne, premier syndicat ?

À l’heure actuelle, trois associations lycéennes revendiquent le nom de syndicat et une influence nationale : la Voix lycéenne (VL), la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) et le Mouvement national lycéen (MNL). Tous trois sont opposés à la réforme des retraites. Historiquement, ces trois syndicats lycéens sont classés à gauche, notamment du fait de leur proximité avec le Parti socialiste. À la suite de la perte d’influence de ce dernier, ces liens se sont fortement distendus.

La VL se revendique premier syndicat lycéen de France. « Nous avons 45 fédérations et nous devons être 20 à 25 personnes par fédération. Sur Discord, on doit être 2500. Donc, oui je pense que je suis habilité à dire qu’on est le premier syndicat lycéen », détaille Manès Nadel, secrétaire fédéral à Paris. L’affirmation demeure toutefois difficile à vérifier, comme l’indique le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. La VL est issue d’une refondation de l’UNL en 2021, après un placement en redressement judiciaire de l’association alors criblée de dettes.

Fondée en 1994, l’UNL fait ses armes lors de la bataille – victorieuse – contre le contrat d’insertion professionnelle (CIP). À sa naissance, elle est proche du Parti socialiste et du syndicat étudiant de l’Unef (Union nationale des étudiants de France). Un de ses premiers secrétaires généraux, Michaël Delafosse, est d’ailleurs aujourd’hui maire (PS) de Montpellier. « L’UNL de 2020 n’avait plus grand-chose à voir avec celle de 1994. On est satisfaits de ne plus être proches du PS », explique un ancien secrétaire général de l’Unef souhaitant rester anonyme.

Depuis le mandat de Louis Boyard, ex-secrétaire général de l’UNL, devenu député France insoumise (LFI), la question du lien entre le syndicat lycéen et le mouvement lancé par Jean-Luc Mélenchon se pose. « Il n’y a pas de mainmise de LFI sur la Voix lycéenne », soutient Manès Nadel. Quant à savoir si les jeunes membres de la LFI sont surreprésentés parmi les effectifs du syndicat : « Il y a évidemment des militants de la VL qui sont dans des partis politiques. Oui, à LFI, mais aussi au PS, chez EELV ou encore dans la frange radicale du NPA », assure Manès Nadel.

La FIDL, syndicat le plus ancien

Si la VL est le syndicat lycéen le plus visible, la FIDL est en revanche le plus ancien, créé en 1987 par des lycéens proches de SOS Racisme et du Parti socialiste. Une relation qui a d’ailleurs causé de nombreux torts au syndicat lycéen. Le dernier en date : en 2018, les militants de la FIDL accusent SOS Racisme d’ingérence et leur reprochent d’avoir eux-mêmes décidé qui serait placé à la tête de la FIDL.

Arrivés après ces événements, les militants de la FIDL que nous avons interrogés parlent d’un renouveau de leur syndicat ces dernières années. « On refait surface depuis deux ans », explique Gwenn Thomas-Alves, secrétaire fédéral de la FIDL dans le Val-de-Marne (94) et élève de terminal au lycée Jean-Macé de Vitry-sur-Seine. Le syndicat revendique aujourd’hui 500 membres actifs. « On a un conseil national de la FIDL dans trois mois », précise Angelo, élève de seconde en lycée professionnel à Tours et membre de l’organisation.

Précision importante, qui distingue les militants de la FIDL de leurs homologues de la VL et du MNL : ces derniers fournissent des prestations de sensibilisation auprès des collectivités territoriales, notamment contre le racisme ou les LGBTphobies. « Comme on ne touche plus de subvention du ministère, il nous arrive d’aller chercher des financements auprès des mairies », explique Gwen Thomas-Alves. Parfois, ces prestations sont faites aux côtés d’autres associations, comme SOS Racisme.

Le MNL : les syndicats lycéens doivent être des « outils »

De son côté, le MNL est issu d’une scission de l’UNL survenue en 2016 à la suite « de problèmes de démocratie interne », explique Charlotte Moisan, secrétaire générale du MNL. Il se distingue par l’affirmation de son caractère révolutionnaire. « Le MNL est un outil, pas une fin en soi », soutient Charlotte Moisan, également élève en classe de première au lycée parisien Janson-de-Sailly (16e arrondissement de Paris).

« On pense qu’un réel changement de société ne peut passer que par la lutte dans la rue. Notre syndicat n’est proche d’aucun parti politique et se revendique de la charte d’Amiens (texte fondamental du syndicalisme révolutionnaire, ndlr). Il nous arrive aussi de travailler avec l’union nationale Solidaires », détaille la lycéenne. Le syndicat MNL revendique 70 à 80 fédérations. « On est bien représentés à Angers, dans l’Isère, dans le Tarn-et-Garonne… », égrène Charlotte Moisan.

Blocages des lycées

À quoi sert un syndicat lycéen ? Malgré des histoires différentes, les trois syndicats lycéens précédemment cités sont d’accord sur une chose : « Le blocage d’un lycée, c’est le seul moyen qu’on a de se faire entendre », résume Angelo de la FIDL.

Pourtant, les blocages ont la vie dure depuis le début du premier mandat d’Emmanuel Macron et les réformes de l’ancien ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer. On se rappelle les lycéens de Mantes-la-Jolie, mis à genoux par la police en 2018. Outre cette séquence largement médiatisée, le recours à la police pour débloquer un lycée n’est plus chose rare, la mise en garde à vue de lycéens et les blessures infligées par des tirs de LBD non plus.

« Depuis le mouvement lycéen de décembre 2018, on a constaté une explosion des violences policières. C’est une caractéristique du gouvernement Macron », déclarait Élie Saget, ex-vice-président de l’UNL auprès de Rapports de Force en 2021.

Malgré un mouvement puissant contre la réforme des retraites cette année, les blocages de lycées sont encore loin d’être massifs. Le 31 janvier, la Voix lycéenne annonce 200 lycées bloqués le matin (dont 30 à Paris) et 300 lycéens mobilisés, de son côté l’Éducation nationale annonçait 11 lycées bloqués. Même en prenant en compte le chiffre syndical, le nombre de lycées en lutte demeure relativement faible comparativement aux 3750 lycées que compte le territoire français.

Qui bloque ?

En outre, les blocages de lycées sont loin d’être tous causés par l’action de syndicalistes lycéens. « À Paris, les blocages se passent la plupart du temps sans les syndicats. Les lycées ont des traditions de lutte autonomes », explique Charlotte Moisan du MNL. Certains de ces lycéens s’organisent au sein de la Clap (Coordination lycéenne autonome de Paname) et viennent en renfort sur des actions de blocage. De nombreux blocages surviennent également de manière spontanée, sans qu’une quelconque organisation soit à la manœuvre.

« Évidemment, il faut bloquer pour se faire entendre et nous soutenons toutes les initiatives de blocages. Mais il faut aussi s’interroger sur la pertinence de bloquer un établissement sans y organiser d’assemblée générale ni faire de travail préparatoire en tractant, en expliquant pourquoi on veut bloquer. Sans AG, c’est difficile d’avoir des blocus qui tiennent plusieurs jours. Et on peut aussi avoir des blocus qui se passent mal », nuance de son côté Manès Nadel, de la VL.

Agir dans les établissements

Le syndicalisme lycéen ne se limite pas à la question du blocage. « J’ai rejoint la FIDL parce que je souhaitais avant tout m’engager dans mon lycée. J’ai d’abord été élu au conseil de la vie lycéenne, explique Angelo de Tours. Je souhaitais mener des projets pour améliorer le quotidien des lycéens : organiser le bal de fin d’année, prévoir des journées thématiques comme celle du droit des femmes. Mon but, c’est que le lycée ne soit pas seulement un endroit où on passe avant de rentrer chez soi. Ensuite, je me suis présenté au conseil académique de la vie lycéenne. C’est par ce biais que j’ai rencontré la FIDL. »

Gwen Thomas-Alves, de la FIDL 94, est lui aussi venu au syndicalisme pour agir dans son établissement. « J’étais membre du conseil de vie lycéenne et on voulait absolument faire rénover les toilettes de mon lycée, qui étaient dans un état lamentable. On a fait des lettres à la région Île-de-France, sans succès. C’est là que je me suis dit que j’aurais peut-être plus de poids en rejoignant un syndicat ».

Du côté du MNL : « En plus de mener des batailles nationales, nous aidons les lycéens dans leurs établissements. Ils et elles peuvent se rapprocher de nos fédérations locales. Nous sommes particulièrement actifs sur la question des élèves visés par des obligations de quitter le territoire français », expose Charlotte Moisan.

Jouer le jeu institutionnel

« On a l’habitude de dire qu’on est un syndicat qui marche sur deux jambes, un pied dans les instances, un pied dans la rue », explique un ancien secrétaire général de l’UNL.

Conseil de la vie lycéenne à l’échelle des lycées, conseil académique de la vie lycéenne pour les académies, Conseil national de la vie lycéenne et Conseil supérieur de l’éducation (CSE) à l’échelon national, les syndicats lycéens doivent se faire représenter au sein de ces instances s’ils veulent obtenir un cadre formel de dialogue avec la hiérarchie de l’Éducation nationale. Leur niveau de représentativité au sein de ces dernières leur permet également d’espérer obtenir davantage de financements du ministère. Pour mieux y parvenir aux prochaines élections du CSE 2023 , la VL, la FIDL et le MNL ont d’ailleurs déposé, pour la première fois, une liste commune.

« Mais le problème qu’on soulève de longue date c’est : “pourquoi n’y a-t-il aucune instance lycéenne décisionnaire ?” À ce qu’on sache, ce sont bien les lycéens qui sont les plus nombreux dans les lycées », souligne le même ancien secrétaire général de l’UNL.

Qui a peur du syndicalisme lycéen ?

Malgré ce rôle strictement consultatif, et un niveau de développement relativement bas, le syndicalisme lycéen est surveillé comme le lait sur le feu par le ministère de l’Éducation nationale. La preuve la plus éclatante de cela reste l’affaire dite « Avenir lycéen », du nom d’un syndicat lycéen monté de toute pièce en 2018 par le numéro 2 du ministère de l’Éducation nationale.

Fin 2020, Libération révélait que l’entourage de Jean-Michel Blanquer avait largement contribué à la création de cette association « pour servir la communication du ministre, et surtout rompre tout dialogue avec les syndicats lycéens » opposés à ses réformes, notamment celle du bac. L’argent confié aux membres d’Avenir lycéen avait par la suite été dilapidé en frais de bouche ou avait tout simplement disparu des radars, poussant le parquet à ouvrir une enquête pour détournement de biens publics.

Refondée sous la forme du collectif « Les lycéens ! », l’association lycéenne aux idées proche du gouvernement n’est toutefois pas tout à fait un échec. Elle a réussi à occuper deux des quatre postes au CSE lors des élections d’avril 2021, réalisant son objectif d’évincer des syndicats historiques de cette instance. Dans la foulée, le collectif est devenu une association nommée « Nous lycéens ».

On peut en revanche douter que ce syndicat maison parvienne à atteindre son autre objectif : mettre fin à la contestation des réformes et aux blocages des établissements scolaires. « On n’a jamais vu un membre de ce soi-disant syndicat tracter contre le blocage d’un lycée, ça n’existe pas ! Ce sont nos idées qui sont majoritaires », assure Manès Nadel. Son syndicat appelle d’ailleurs à une grande journée de mobilisation de la jeunesse le 9 mars, en plein dans une séquence de grèves interprofessionnelles qui démarrent le 7 mars et pourraient être reconductibles.

   publié le 2 mars 2023

« Nous avons décidé de ne plus nous taire » : à Bordeaux, un rassemblement devant le Planning familial contre l’extrême-droite

sur https://rue89bordeaux.com/

En réaction aux nombreuses attaques d’un groupuscule d’extrême-droite, l’association féministe avait appelé un rassemblement devant ses locaux, ce mercredi 1er mars. Associations, syndicats et élus politiques ont dénoncé un climat ambiant propice à la propagation des idées de haine.

Une « réponse collective » à l’extrême-droite. Mercredi 1er mars, plus de 200 personnes ont répondu présentes au rassemblement organisé par le Planning familial à Bordeaux. Trois fois en moins de trois semaines,(voir plus bas) l’association a été la cible de tags signés du groupuscule « Action Directe Identitaire ».

Que fait la justice ?

À chaque attaque, le Planning Familial a déposé plainte. Annie Carraretto, co-présidente de l’association, a déploré qu’aucune suite n’ait encore été donnée :

« Nous sommes là aussi parce que nous avons décidé de ne plus nous taire. Car ce n’est pas la première fois. Le Planning familial est visé depuis de nombreuses années. À ce jour, nous avons interpellé la procureure plusieurs fois. Nous ne pouvons plus tolérer cette impunité. »

Au-delà du silence de la justice, l’association a dénoncé un contexte politique prompt à la dédiabolisation des idées réactionnaires et fascistes. « Il est temps de réagir », a rappelé Myrtille Bondu de Gryse, co-présidente du Planning familial :

« Le message est clair. Les actions du Planning familial dérangent. Ces attaques sont le reflet d’une dédiabolisation du discours liberticide de l’extrême-droite envers les droits sexuels et reproductifs à Bordeaux, en France et partout dans le monde. Il est urgent de mettre la lumière sur les stratégies des anti-choix et des anti-droits. Car ce sont les mêmes qui attaquent les droits LGBT, les droits des réfugiés et les droits humains. »

« Bordeaux ne mérite pas ça »

Le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, s’est dit « solidaire » des associations vandalisées (SOS Racisme, ASTI, Hébergeurs solidaires…) confrontées à un « climat de violence » :

« Bordeaux ne mérite pas ça. Bordeaux est traditionnellement une ville où les débats publics sont apaisés et où les extrémismes n’ont pas leur place. Vous savez que certains groupes font actuellement l’objet de poursuites [des militants de Bordeaux Nationalistes doivent comparaître au tribunal le 26 mars NLDR]. Mais manifestement, il y en a d’autres qui circulent et qui continuent à commettre ces types d’exactions. »

Nicolas Thierry, député EELV de Gironde, a demandé une « réponse » à ces actes xénophobes et racistes :

« Ce ne sont pas que des graffitis. Les murs de nos villes ne peuvent propager la haine. Nous ne pouvons détourner les regards. »

Le maire a alerté l’Etat

D’autres élus des oppositions municipales étaient également représentés, notamment du groupe Renouveau Bordeaux, représentant la majorité présidentielle.

Pierre Hurmic a annoncé avoir écrit une lettre à l’État pour que se tienne, « en urgence », une réunion du Comité opérationnel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (CORA). Présidées par les procureurs et les préfets, ces réunions doivent « répondre au besoin d’outiller les acteurs associatifs et institutionnels » confrontés à la montée de discours racistes et discriminants.


 

 

 

 

Des locaux associatifs à nouveau ciblés par des attaques de l’extrême-droite à Bordeaux

par Victoria Berthet sur https://rue89bordeaux.com/

Mardi soir, le Planning Familial de la Gironde a été vandalisé pour la troisième fois en moins de trois semaines. Dans la nuit du 20 au 21 février, c’est l’association des Hébergeurs solidaires de Bordeaux, qui accompagne des mineurs isolés, qui a elle aussi été taguée. Une manifestation de soutien aura lieu ce mercredi.

Toujours la même signature et la même haine. Le groupuscule « Action Directe Identitaire » s’est de nouveau attaqué au Planning Familial de la Gironde. Dans un communiqué, l’antenne nationale du Planning familial condamne des « actes intolérables » et appelle à rejoindre le rassemblement de soutien, à Bordeaux, ce mercredi à 17h30 au 19 rue Eugène Le Roy au siège départemental.

Contexte politique

C’est la troisième fois en moins de trois semaines que le Planning Familial de la Gironde est tagué. D’abord dans la nuit du mardi au mercredi 8 février puis dans la nuit du 20 au 21 février. Les premiers tags visaient la contraception masculine, les seconds l’avortement. Cette fois, sans préciser la nature des tags, l’association continue de dénoncer un « contexte où se multiplient les actions coups de poing de l’extrême-droite dédiabolisée » :

« Cette attaque est le reflet d’un renforcement de la présence de la présence et du discours liberticide de l’extrême-droite au sujet des droits sexuels et reproductifs dans notre pays, et bien au-delà. »

Malgré la dissolution du groupe Bordeaux Nationaliste, l’association féministe demande au ministère de l’Intérieur des « actes forts » pour « empêcher ces groupes d’agir en toute impunité et que les attaques de ce type cessent ».

Symboles fascistes

Dans la nuit du 21 au 22 février dernier, c’est le siège des Hébergeurs solidaires à Bordeaux qui a été dégradé. Des croix celtiques, symbole commun aux mouvements fascistes, ont été taguées. Dans un communiqué publié mercredi 1er mars, l’association, qui vient en aide aux mineurs isolés, réclame une « réponse claire et des actes forts de la part des pouvoirs publics ».

L’association a déposé plainte et expose des « menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’ensemble des associations bordelaises luttant pour les droits humains » :

« De nombreuses plaintes sont pour l’instant restées sans suite, les enquêtes semblent au point mort, les arrestations se comptent sur les doigts d’une main et les condamnations tout autant. »

Les actes racistes et xénophobes se multiplient depuis quelques mois dans la métropole bordelaise. L’université, la permanence d’un député, la mosquée de Pessac et les locaux de l’ASTI (association de soutien à tou.te.s les immigré.e.s) ont été tagués par le même groupuscule.

Le 22 février, huit militants de Bordeaux Nationaliste, soupçonnés d’avoir participé aux violences en juin 2022 à Saint-Michel, ont été placés en garde-à-vue. Sous contrôle judiciaire, ils comparaîtront au tribunal le 23 mars.


 


 

Au combat contre le RN !

Philippe Rio sur www.humanite.fr

Les sondages s’accumulent et portent leur lot d’inquiétudes. 35 % des Français ont une bonne opinion du Rassemblement national (RN), première formation politique de France. Avec 34 %, Marine Le Pen est la ­deuxième au classement des personnalités politiques à qui les Français accordent leur confiance.

Face à cette réalité sondagière, il y a plus que jamais urgence à sortir de notre stupeur de lapins pris dans les phares de la trajectoire du RN. Malgré une posture, une stature, une structure et des aventures, ce parti demeure une grande imposture.

La posture, c’est celle adoptée par le parti d’extrême droite sur les bancs de l’Assemblée nationale, pensant qu’une cravate faisait une politique démocratique et sociale alors que ses députés s’acharnent à voter et proposer les lois les plus rétrogrades. La stature, c’est la visite quasi présidentielle de Marine Le Pen début janvier à Macky Sall, président du Sénégal, accompagnée d’entreprises françaises ; certains émettent l’hypothèse que ce voyage auprès d’« un grand ami de la France » n’a pu avoir lieu sans l’aval de l’Élysée et du président Macron. Un marchepied diplomatique qui sonnerait le glas du barrage républicain face aux néofascistes européens.

Une structure, c’est celle d’une organisation avec une stratégie de recrutement au cordeau pour éviter les grossiers loupés du passé. Enfin les aventures, ce sont les pressions anti-migrants, les rassemblements identitaires et les intimidations des élus locaux de la République. Cette pièce de théâtre en 4 actes nous oblige à mener, en rangs serrés, la bataille idéologique et politique, avec des alliances électorales qui font des succès comme celui à 71 voix près de Jean-Marc Tellier, député communiste du Pas-de-Calais, qui est allé battre le RN porte après porte, regard après regard.

La bataille contre la réforme des retraites, menée main dans la main avec le monde du travail et des syndicats, s’annonce centrale pour que l’espoir vainque la colère. La constitutionnalisation de l’IVG et la renationalisation d’EDF sont des victoires en germe. Les superprofits des énergéticiens subventionnés à haute dose par l’État via le bouclier tarifaire sont la preuve d’un système économique qui marche sur la tête et dont plus personne ne veut.

La récente déclaration d’Olivier Dussopt sur une Marine Le Pen « bien plus républicaine que d’autres élus de gauche » résonne étrangement à nos oreilles comme le lancinant refrain : « Mieux vaut Hitler que le Front populaire. » Rien n’est écrit ! Nous les vaincrons !

  publié le 1° mars 2023

Bénéwendé Stanislas Sankara : « Le peuple perçoit une forme de duplicité »

par Benjamin König sur www.humanite.fr

Avocat historique de la famille de Thomas Sankara et homme politique de premier plan, Bénéwendé Stanislas Sankara analyse, depuis le Burkina Faso mais aussi à l’échelle africaine, le rejet de la politique française.

Comment analysez-vous les derniers mois et cette rupture du Burkina Faso avec la France ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Entre la France et le Burkina Faso, ce sont des relations anciennes. Pour parler aujourd’hui de rupture, il faut apprécier comment elles se sont dégradées, mais souligner qu’au ­niveau diplomatique elles ne sont pas rompues. Nous parlons ici des relations avec la politique française : il ne faudrait pas que nous fassions de confusion avec les aspirations communes des peuples français et burkinabè qui sont le vivre-­ensemble dans l’intérêt de chaque peuple. Toutefois, nous avons constaté que la politique française s’est détériorée avec l’arrivée ­d’Emmanuel Macron.

Dans quel sens ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Que ce soit lors de ses rencontres avec la jeunesse africaine à Montpellier, en 2021, ou bien à l’occasion du discours à Ouagadougou, en novembre 2017 (devant les étudiants de l’université – NDLR), on n’a pu que constater un grand écart entre une parole politique très populiste, sur la complémentarité, la solidarité internationale, l’entraide, et les actes dont le Burkina Faso n’a pas du tout bénéficié…

Comment la population burkinabè ressent ce fossé entre le discours et les actes des dirigeants français ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Elle perçoit cela comme une forme de duplicité, de tromperie dans nos rapports politiques. Cela a d’ailleurs été corroboré par certains propos de la diplomatie française : l’ambassadeur qui était en poste à Ouagadougou a dû plier bagage.

Au-delà du cas de l’ambassadeur, vous semblez estimer que la France ne joue que pour ses propres intérêts…

Bénéwendé Stanislas Sankara : Bien sûr. C’est le général de Gaulle qui a dit que les États n’ont que des intérêts, et je crois que c’est une vérité absolue en politique. On ne peut pas condamner la France de jouer ses propres intérêts, de même que le Burkina Faso. Mais dans les relations interétatiques, il faut un minimum de vérité et de transparence, ce qui permet à chacun de négocier en fonction. Quand je parle de duplicité, au Burkina on a l’impression que la France préfère la démagogie, le mensonge, ne dit pas la vérité aux populations, jusqu’à ce qu’elles s’en rendent compte elles-mêmes. C’est le cas pour le peuple burkinabè, mais aussi pour les Français.

Des voix s’élèvent en France pour dénoncer un défaut d’analyse, le manque de cohérence, voire la duplicité des dirigeants français. Est-ce ce qui explique, selon vous, le recul de l’influence française en Afrique ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Ce recul de la France ne se fait pas de bon gré. Il y a eu le G5 Sahel, en matière de lutte contre le terrorisme. Plusieurs États de l’Afrique de l’Ouest sont en train de désapprouver la Cedeao et pensent que cet outil très puissant pour le développement économique n’est qu’un instrument de l’Union européenne, et que les grandes puissances comme la France s’en servent contre nos pays. Pour des intérêts économiques, fondés sur une politique qui ne joue pas franc-jeu, en utilisant la diplomatie, les institutions… Et la cerise sur le gâteau, c’est la co­opération militaire.

Précisément, sur le plan militaire, si l’influence est en recul avec le départ de « Barkhane » puis de « Sabre », la présence française reste importante. Comment est-elle perçue aujourd’hui par les populations ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Vous en avez un exemple ce jour même (27 février – NDLR) : au Niger, les syndicats ont appelé à manifester contre la présence militaire française. Vous avez vu le cas du Burkina : que ce soit sous Damiba ou aujourd’hui, ce sont les populations qui se sont organisées spontanément pour dénoncer la présence de l’armée française. En réalité, c’est le mode de dénonciation qui a changé. Traditionnellement, ce sont les syndicats et les partis politiques, notamment de gauche, qui dénonçaient ces accords de coopération militaire qui datent de l’aube des indépendances. Mais les politiques n’ont pas pris ce dossier au sérieux, ce sont donc les populations elles-mêmes qui montent au créneau.

Comment expliquez-vous que les populations africaines, notamment la jeunesse, s’emparent de ces sujets ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : La conscience africaine a changé, s’est forgée dans une maturité politique qui l’amène à prendre en main son destin, comme le disait le président Thomas Sankara. La jeunesse africaine a suffisamment pris conscience de son rôle, de sa place, et décidé de s’organiser à travers la société civile, les associations et même les réseaux sociaux. Souvent, cela échappe au contrôle des politiques et du pouvoir, qui est obligé de s’adapter aux revendications de changement de paradigme.

À propos du voyage d’Emmanuel Macron dans quatre pays africains, comment est-il perçu et comment l’analysez-vous ?

Bénéwendé Stanislas Sankara : Vous savez qu’en Afrique, on aime les proverbes, alors en voici un : « Quand on se noie, on s’agrippe même aux feuilles du nénuphar. » Emmanuel Macron a aujourd’hui intérêt à faire la cour à un certain nombre de pays pour conforter la position française, pour contrecarrer la marée montante de la contestation populaire contre la politique française.


 


 

Politique étrangère de la France en Afrique : les droits humains et la démocratie aux abonnés absents

sur ttps://www.ldh-france.org/

Communiqué commun d’ONG françaises et africaines

Dans le cadre de visites diplomatiques sur le continent africain, le Président français Emmanuel Macron se rend en République démocratique du Congo (RDC) le 5 mars 2023, après avoir visité le Gabon, l’Angola et le Congo-Brazzaville. 31 organisations de la société civile encouragent la France à placer la défense des droits humains et le respect de la démocratie au cœur de sa politique étrangère.

La visite du Président français Emmanuel Macron en RDC, le plus grand pays francophone au monde, a lieu dans un contexte particulièrement difficile pour le peuple congolais. Quand la violence dure depuis plus de trente ans, peut-on encore parler de crise ? Fin 2021, alors qu’il était présumé dispersé, le groupe rebelle du Mouvement du 23 Mars (M23) est réapparu dans l’est du pays où de nombreux autres groupes armés opèrent, engendrant de nouveaux épisodes de violence et des conflits localisés. Les civil-e-s, en particulier les femmes, en sont, comme toujours, les premières victimes.

La situation humanitaire est critique, et la montée des discours de haine ajoutent de l’huile sur un brasier déjà ardent, qui pourrait enflammer les autres pays de la région. Les élections prévues en décembre 2023 constituent une étape cruciale dans la consolidation de la vie démocratique du pays, mais représentent un défi tant du point de vue de leur organisation logistique qu’au vu de la situation politique et sécuritaire dans laquelle elles s’inscrivent.

En 2017, alors qu’il venait d’être élu pour la première fois, le Président français avait déclaré devant les étudiant·es africain·es à Ouagadougou qu’il envisageait « d’être aux côtés de ceux qui travaillent au quotidien à rendre la démocratie et l’état de droit irréversibles ». Près de six ans plus tard, il est plus que jamais temps que ces déclarations soient mises en œuvre. La visite du Président Macron dans les Grands Lacs est une opportunité de faire de la diplomatie française en faveur des droits humains plus qu’un vœu pieu, une réalité.

La RDC est dotée d’une société civile active et dynamique, qui veille au bon fonctionnement de la vie démocratique dans le pays. Militant-e-s, défenseur-e-s des droits humains et journalistes sont engagé-e-s aux côtés de la population congolaise, souvent au péril de leur vie. Cette première visite du Président Macron en RDC doit être la plus inclusive possible, notamment dans le contexte de tension actuel. À ce titre, il est fondamental que la société civile congolaise puisse être entendue. Nous encourageons fortement le Président à inclure, dans son programme, des concertations avec ses représentant·es alors que la population congolaise s’interroge sur les ambivalences de la position française.

Les annonces récentes de la France et de l’Union européenne (UE) sur le positionnement du Rwanda dans le contexte régional, avec d’une part la condamnation du soutien du Rwanda aux rebelles de M23 en RDC, et d’autre part l’octroi d’une aide de 20 millions d’euros aux forces rwandaises pour leur intervention au nord du Mozambique – où de lourdes allégations pèsent sur la préservation des intérêts économiques de l’entreprise française Total Energies – ont suscité des questionnements légitimes.

Les risques et impacts pour les droits humains de tels projets ont déjà été analysés et dénoncés par la société civile, ainsi que par le Parlement européen, dans le cadre de l’exploitation par Total Energies du pétrole du lac Albert, entre la RDC et l’Ouganda. À cet égard, il est primordial que la France adopte une position ferme qui appelle au respect des droits humains, assure des investissements responsables et des relations économiques respectueuses des normes internationales et de l’environnement en RDC, et plus globalement en Afrique. La France doit profiter de sa visite en RDC et en Afrique pour s’enquérir de la mise en œuvre effective du devoir de vigilance par les entreprises qui opèrent et déploient leur chaîne de valeur en RDC.

Depuis le 20 février, l’UE s’est dotée d’une nouvelle stratégie sur les Grands Lacs qui privilégie les aspects économiques comme réponse globale aux conflits dans la région au détriment des politiques basées sur le respect des droits humains et la bonne gouvernance. Alors que la visite du Président Macron arrive après celle du Pape François à Kinshasa en janvier 2023, où ce dernier a fermement condamné le pillage des pays africains et de la RDC, il est essentiel que la France soutienne les initiatives visant à appréhender les causes profondes des conflits de la sous-région. Un appui à la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves et aux efforts de justice transitionnelle en cours, ainsi qu’un soutien aux efforts et processus de paix initiés devraient être au cœur de la visite de la France en RDC. Si la montée en puissance d’acteurs comme la Chine ou la Russie sur le continent africain est aujourd’hui une réalité qui contrarie la place de l’UE dans la région des Grands Lacs, c’est dans les valeurs démocratiques et des droits humains que la coopération européenne et française trouve sa valeur ajoutée, et non dans la compétition économique accrue avec des acteurs comme la Chine et la Russie.

S’agissant du processus électoral en RDC, il est important de rappeler au gouvernement congolais ses propres engagements en termes d’inclusivité, de respects des droits civils et politiques, mais également en termes de participation et représentation politique des femmes dans ce processus, en vertu de la loi de 2015 sur la parité. Soutenir la mise en œuvre effective de ces engagements, c’est soutenir les efforts des autorités congolaises visant à rétablir la confiance de la population congolaise envers ses institutions, ce qui est indispensable pour l’instauration d’un environnement propice à la tenue d’élections crédibles et apaisées. Pendant cette période électorale, il est également important d’apporter un soutien au Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme (BCNUDH) dans son mandat de monitoring et reporting de la situation des droits humains en RDC, ainsi qu’aux mécanismes de protection des défenseur·es des droits humains.

Les organisations signataires appellent le Président Emmanuel Macron à placer au cœur de sa politique étrangère la défense des droits humains et le respect de la démocratie :

- en promouvant un dialogue inclusif avec la société civile congolaise – garante du respect des principes démocratiques – en incluant dans son programme des rencontres avec ses représentant-e-s ;

-  en clarifiant la position de la France en terme de coopération militaire et sécuritaire, en particulier vis-à-vis des forces rwandaises en privilégiant la mise en œuvre d’une politique de diligence voulue en matière de droits humains pour tout appui au secteur de sécurité et de défense ;

-  en soutenant les processus de paix en cours et des initiatives visant à traiter les causes profondes des conflits, notamment la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves ;

-  en s’engageant de façon ferme en faveur de la loi relative au devoir de vigilance des multinationales, adoptée en 2017 par le Parlement français, concernant notamment les activités de Total Energies dans le lac Albert ;

-  en soutenant les financements et investissements respectueux des engagements internationaux de la France pour l’environnement, la démocratie et les droits humains en RDC et en Afrique ;

- en promouvant dans son dialogue politique bilatéral avec les autorités congolaises, l’ouverture de l’espace démocratique et des droits humains comme conditions préalables à des élections crédibles et apaisées, notamment en ce qui concerne les droits à la liberté de réunion, d’association et de manifestation ainsi que la protection des défenseur-e-s des droits humains.

Signataires : Action des chrétiens pour l’abolition de la torture de République démocratique du Congo (ACAT RDC) ; Actions Sans Frontières (AFRO) ; Agir ensemble pour les droits humains ; Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO) ; Célébrons le courage de la Femme ; Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID) ; Centre international pour la promotion de développement et des droits de l’Homme (CEIPDHO) ; Collectif Simama Congo (COSIC) ; Commission Justice et Paix Belgique francophone , Congolese International Congres (CIC) ; Emmaüs International ; Ensemble contre la peine de mort (ECPM) ; Fédération internationale des ACAT (FIACAT) ; Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ; Foundation for Human Rights Initiative (FHRI) (Uganda) ; Groupe Lotus (RDC) ; Justicia, asbl ; Karibu Jeunesse Nouvelle (KJN) ; Le Mouvement de la Paix ; Ligue burundaise ; ITEKA ; LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Ligue des Electeurs (RDC) ; Misereor ; Nouvelle dynamique de la société civile en RDC (NDSCI) ; Observatoire des droits de l’Homme au Rwanda (ODHR) ; Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ; Protection international ; Réseau européen pour l’Afrique centrale (EurAc) ; SAPI international ; SOS IJM ; Tournons la page (TLP) ; Vision Social (VISO).

Le 28 février 2023

 

publié le 1° mars 2023

Objectif 7 mars !

Par Jean-Emmanuel Ducoin sur www.humanite.fr

L'intersyndicale veut mettre "la France à l'arrêt" le 7 mars prochain.

Alors qu’Emmanuel Macron entame une tournée africaine en annonçant vouloir faire du neuf tout en activant les vieilles recettes de la Françafrique – s’adapter pour perdurer, en somme –, l’explosif projet de loi sur les retraites est désormais en discussion au Sénat. Entre vacances et rentrée scolaire, le pays, en état d’extrême tension, semble comme suspendu dans l’attente des jours prochains, à la manière d’une sorte de « trêve » durant laquelle chacun retient son souffle pour mieux préparer le retour de la grande bataille. Une date occupe déjà tous les esprits : le 7 mars.

Ce jour-là, les mobilisations devraient prendre une tout autre forme et sans doute s’installer dans la durée. Des transports au secteur de l’énergie (raffineurs, EDF, etc.), la volonté de « bloquer le pays » n’est pas qu’un affichage, mais bien une réalité sous la forme de grèves reconductibles, d’ores et déjà annoncées çà et là. Ainsi, à la SNCF, l’ensemble des syndicats appellent à l’action dès le 7 mars. Nous connaissions la position de la CGT cheminots et de SUD rail. L’Unsa ferroviaire et la CFDT attendaient de consulter leurs adhérents. Les résultats de « la base » sont sans appel : plus de 80 % d’avis favorables ! Tous les cheminots rejoignent donc les grévistes de la RATP, qui avaient déjà annoncé, mi-février, participer au durcissement du combat.

Rien n’est écrit à l’avance. Mais l’affaire risque de se compliquer pour le couple Macron-Borne. D’autant que les sondages ne montrent aucun essoufflement, bien au contraire. Dans la dernière livraison de l’Ifop, seules 10 % des personnes interrogées se déclaraient « tout à fait favorables » à la réforme. Du jamais-vu ! L’exécutif a définitivement perdu la bataille de l’opinion. L’ampleur du mouvement de contestation nous prouve par ailleurs que la lutte sociale, quand elle redevient centrale, modifie le paysage et instaure en profondeur un nouveau rapport de forces. Toucher aux retraites a joué en point d’accroche, révélant une colère fondamentale et légitime : l’inaltérable exigence d’égalité, celle qui secoue les citoyens et élève les consciences. À rebours de l’histoire, Macron et ses premiers de cordée ont osé envoyer un message mortifère aux générations futures : « Après nous, le déluge ! » Le rejet des Français est à la hauteur de ce mépris.


 


 

Retraites : selon Olivier Dussopt, le ministre du Travail est un menteur

Par Loïc Le Clerc sur www.regards.fr

Combien de retraités vont voir leur pension atteindre les 1200€ grâce à sa réforme ? Plus on pose la question à Olivier Dussopt, moins ils sont nombreux.

Olivier Dussopt se pavanait, le 15 février, sur France Inter : « Quand on me dit combien grâce à cette réforme vont passer le cap des 85% du Smic ? On a une prévision, elle m’est arrivée hier soir : 40 000 personnes de plus chaque année ».

Le 23 février, dans un courrier adressé au député socialiste Jérôme Guedj, ce même Olivier Dussopt écrit : « À la suite de votre sollicitation, un chiffrage complémentaire estimant le nombre de nouveaux retraités franchissant le seuil des 1200€ par le seul fait de la hausse des minima de pension vous a été transmis par la Direction de la Sécurité sociale. Les services estiment, selon les générations, qu’entre 10 000 et 20 000 personnes franchiront le seuil des 1200€ par cette seule mesure. »

Soit « 1,2% à 2,5% des retraités », commente Jérôme Guedj. Ou pour prendre le problème à l’envers, « 4,75 millions de nos retraités devront encore vivre avec moins de 1200 euros », note la députée communiste Elsa Faucillon.

Mais revenons à Jérôme Guedj. Celui-ci est parti d’un constat simple : Olivier Dussopt est un vilain menteur. Encore faut-il le prouver. Usant de son statut de vice-président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, Jérôme Guedj s’est donc rendu à la Sécu, mais aussi à Matignon et au ministère du Travail. Il y a obtenu plusieurs documents et a tout simplement posé des questions au ministre Dussopt, lequel s’est vexé, arguant qu’il n’avait pas de comptes à rendre à quelqu’un qui « perd les pédales ». Son camarade Franck Riester est allé jusqu’à crier à la « délation ». Ce n’est pas la honte qui les étouffe.

Voilà comment, parce que l’opposition a encore quelque pouvoir, on se retrouve avec un ministre du Travail se dédisant publiquement.

Le ministre avait donc menti mi-février. Mentir, ça s’écrit « revoir à la baisse » dans Le Monde ou Libération, et « reconnaître son erreur » sur BFMTV. Pudeurs de gazelle ou excès de zèle ?

Car, si le gouvernement s’amuse à tordre la vérité sur une des mesures phares de sa réforme, qu’en est-il du reste ? Que penser de l’explication d’Emmanuel Macron en personne, le week-end dernier au Salon de l’agriculture, qui n’a fait que nous prouver qu’il ne comprend rien à sa propre réforme ?

Que penser du fait que « les fameux "1200 euros", brut, ne constitueraient plus un "minimum" pour tous, mais pour les seuls pensionnés justifiant d’une carrière complète, à taux plein, sur la base d’un salaire équivalent au Smic », sachant que nous avons déjà vu que ce type de carrière n’existe quasiment pas !

Relisons ce qu’écrivait ici-même (le 16 janvier !) notre chroniqueur éco Bernard Marx : « Une carrière complète de 42 ans intégralement payée au Smic, c’est pratiquement introuvable. Dans son rapport annuel de 2018, le très officiel groupe d’experts sur le Smic a été regarder de plus près les trajectoires salariales au voisinage du Smic entre 1995 et 2015 : sur 2,5 millions de personnes observées, "seules 48 ont passé les 21 années d’observation avec une rémunération inférieure à 1,1 fois le salaire minimum". »

« On va continuer les investigations », a tweeté Jérôme Guedj. D’ici là, on peut toujours désespérer que le mensonges d’un ministre fasse moins causer les commentateurs que son portrait dans Le Monde, portrait où l’on apprend surtout qu’Olivier Dussopt « se lève à 5h15, enchaîne cinquante pompes et autant d’abdominaux avant 6h30 [soit moins d’une pompe et d’un abdo par minute en moyenne, ndlr], suit un régime protéiné à base de steaks tartares. » Voilà donc le régime avec lequel la Macronie fonce tête baissée, à droite toute.

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