PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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octobre 2021

publié le 27 octobre 2021

Montpellier : le “bulldozer” Hugues Moutouh, préfet de l’Hérault, expulse et traque des familles albanaises

sur https://lepoing.net

Lundi 25 octobre, au petit matin. Le nouveau préfet “bulldozer” de l’Hérault, Hugues Moutouh, ordonne l’expulsion d’un bâtiment squatté par plusieurs familles albanaises. Malgré des relogements prévus par la mairie, des demandes de droit d’asile en cours d’examen, et un accompagnement validé par… la préfecture. Résultat : un aller simple pour Tirana, des mesures d’OQTF et de placement en CRA.

Jusqu’à tout récemment, trois familles étaient installées au 13 rue Rigaud, tout près de l’avenue Clémenceau. La première d’entre elle quitte le squat le dimanche 24 octobre, s’étant vu proposé un hébergement d’urgence par le 115.

Pour les deux autres, la fin de l’occupation de cet ancien bâtiment des douanes est moins heureuse : lundi 25 au matin, les habitants restants -six adultes et neuf enfants âgés de quatorze mois à dix-huit ans- sont expulsés par huissier de justice et policiers.

Les familles albanaises étaient pourtant suivies par une cohorte d’associations : Réseau Education Sans Frontières (RESF), la Cimade, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), en lien avec les services de la mairie de Montpellier. Cette même mairie de Montpellier qui s’apprêtait à rendre disponible un logement temporairement vacant, via un bail intercalaire, aux deux familles restantes. L’occupation illégale était donc officiellement sur point de cesser.

Le tissu associatif montpelliérain reste donc dubitatif sur les motifs avancés par le préfet Moutouh. Les familles sont sans histoires, enchaînent les contrats de travail, les enfants sont tous scolarisés. Le père de la famille Bushati a pour projet de rebâtir une entreprise de BTP, après la faillite de la sienne en Albanie, qui employait 25 salariés. La famille entière est éligible à la circulaire Valls, en raison de sa présence depuis plus de cinq ans sur le territoire français, des enfants scolarisés dans le pays, et de la dernière venue de la fratrie, née sur le sol de l’Hexagone. Et devait donc disposer d’un titre de séjour sous peu. Les familles bénéficient du soutien de nombreux parents d’élèves dans les établissements que fréquentent les mômes. Même la mairie de Montpellier, impliquée dans le travail social, et qui a appris l’expulsion après coup, s’en indigne vivement !

Loin de nous l’idée de faire un tri entre bons et mauvais migrants, mais force est de constater que même les profils les plus “start-ups nation” compatibles n’émeuvent pas M. Moutouh. Les associatifs tentent une explication : les pays du Maghreb, le Mali, la Guinée, bloquent les entrées de migrants expulsés par les autorités françaises, rendant compliquées les expulsions. Pour remplir des objectifs chiffrés, qu’on pourra brandir à volonté face au premier Zemmour venu, les services de l’Etat, préfectures en tête, se tournent donc vers les étrangers venus de pays vers lesquels il est facile d’expulser. Explication d’autant plus plausible qu’on en apprend plus sur l’incroyable acharnement des autorités : la troisième famille, composée d’un couple avec trois enfants ( la mère en attend un quatrième ), pourtant relogée par le 115, est poursuivie, recherchée, traquée par la police.. En vain pour l’instant.

Et il vaut mieux croiser les doigts pour que les forces de l’ordre ne lui mettent pas les pattes dessus. La famille Bushati a été emmenée directement vers un avion, direction la ville albanaise de Tirana. Seuls à bord, avec quatorze policiers en guise d’escorte ! Les associatifs en lien avec la famille Bushati expliquent sa coopération au moment de l’embarquement : “Cette famille est très soucieuse de ses enfants, chaque jour d’école depuis le début de l’occupation du squat ils les faisaient partir vers leurs établissements scolaires dès 6h30 du matin, pour éviter qu’ils ne soient confrontés à d’éventuelles visites des huissiers de justice.” Les autres personnes arrêtées sont soit sous le coup d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), soit en Centre de Rétention Administrative (CRA) en attendant leur expulsion.

Pour les associations qui suivent ces familles, la communication de la préfecture sur l’expulsion enchaîne mensonges éhontés et assertions douteuses. “Déboutées de leurs demandes de statut de réfugié, ces personnes se sont maintenues en situation irrégulière sur le territoire national”, peut-on lire dans le communiqué de presse signé par le cabinet du préfet, à propos de la famille Bushati qui attend pourtant ses titres de séjours… Plus loin : “Une procédure de cession était engagée par le service des Domaines de l’Etat”. En français moins https://lepoing.net/montpellier-le-bulldozer-hugues-moutouh-expulse-et-traque-des-familles-albanaises/administratif, le bâtiment était soit disant en cours de revente. Pourtant, depuis dix huit mois que le squat est ouvert, les familles albanaises n’ont pas vu une seule personne, une seule visite… On garde en tête l’exemple du squat de la rue Bonnard, expulsé avec pertes et fracas, et qui depuis plus d’un an maintenant reste vide et inutilisé.

Ce qui ne fait aucun doute par contre, c’est que la confiance relative qui pouvait être de mise entre milieu associatif et services préfectoraux est brisée. L’accompagnement des familles était le résultat d’une coopération entre assos, mairie, et… préfecture ! Même schéma que pour les récentes expulsions de bidonvilles, avec des mois voir des années de travail social, (financé par les services de l’Etat, comble du grotesque sinistre), foutus en l’air. Mentionnons également l’arrestation à la gare Sud de France le 8 octobre de plusieurs sans-papiers venus assister à un évènement déclaré en préfecture, le Contre Sommet Afrique France. 

Le discours tenu par les associations impliquées dans l’accompagnement de ces familles albanaises, lors d’une conférence de presse au bar Le Dôme, est sombre, désabusé : “On va vers une mutation de nos pratiques en profondeur. Si on ne peut plus accorder un minimum de crédit à la cohérence des politiques des représentants de l’Etat, à leur parole même, on va devoir orienter de plus en plus nos pratiques vers la clandestinité !”

 

Hugues Moutouh démantèle un troisième bidonville à Montpellier

Lundi 25 octobre, le même jour que l’expulsion d’un squat habité par des familles albanaises, le préfet de l’Hérault Hugues Moutouh a envoyé la police démanteler un troisième bidonville de Montpellier, avenue Nina Simone.

Moutouh est en guerre. Quelques heures à peine après que deux familles albanaises soient expulsées de leur habitation squattée près de l’avenue Clémenceau, et pendant que l’une d’entre elles était embarquée dans un avion direction Tirana, un troisième bidonville de Montpellier, situé avenue Nina Simone, a été démantelé par la police.

Les 59 habitants sont pour le moment relogés dans un ancien EHPAD réquisitionné par les services de la préfecture. Mais ne pourront y rester après la fin de la trêve hivernale, le 30 avril 2022.

La préfecture justifie sa décision en mettant en avant l’incendie du 16 septembre, survenu dans des circonstances troubles. Cette nuit-là, une riveraine aurait aperçu un homme circuler autour du campement vers 5h du matin, juste avant le début du sinistre. Un autre témoin, interviewé par le média Rapports de Force, dit avoir aperçu à la même heure deux hommes en scooter lancer deux bouteilles d’essence enflammées sur des caravanes vides. Une dizaine de véhicules ont été détruits par les flammes, sans qu’aucune victime ne soit à déplorer.

Ce n’était pas le premier incendie, mais le troisième depuis le début du mois d’août. De nombreuses intimidations auraient également été exercées sur les habitants. L’avocate de plusieurs familles de ces bidonvilles, maître Elise de Foucault, a déposé une plainte auprès du procureur de la République. La troisième évacuation également, après celles du campement du Mas Rouge et du camp dit de “Zénith 2”, respectivement le 1er et le 8 septembre.

Pour le moment la préfecture de l’Hérault ne s’est pas scandalisée de ces mystérieux actes d’extrême violence, et semble faire peser en pratique toutes leurs conséquences sur les habitants des camps de fortune montpelliérains.

 

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publié le 27 octobre 2021

Mobilisation. Les ubérisés du monde entier préparent leur contre-attaque

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Des activistes et syndicats de travailleurs des plateformes d’Europe et d’Amérique se sont donné rendez-vous à Bruxelles, ce mercredi. L’objectif : instaurer un rapport de forces international face aux sociétés pour faire enfin appliquer leurs droits.

Dans la salle de conférences bruxelloise, les bruissements des bavardages ont des sonorités internationales. Ce mercredi, les travailleurs ont débarqué du Brésil, d’Ukraine, d’Uruguay, du Portugal ou encore des Pays-Bas pour assister à la seconde édition du Forum international des alternatives à l’ubérisation, organisé par des élus du Groupe de la gauche au Parlement européen. Pour les députés, cette rencontre permet de préparer au mieux le terrain pour une éventuelle riposte à une directive sur les droits des employés des plateformes, que la Commission européenne devrait révéler en décembre. Pour les dizaines de coursiers et conducteurs ubérisés présents dans la capitale de l’Europe, l’enjeu est aussi de donner un élan mondial à leur mobilisation en alliant leurs forces. Puisque, si chacun évolue dans son propre pays avec des réglementations différentes, le constat du fléau que sont les plateformes numériques est largement partagé. Et, en premier lieu, celui de l’extrême précarité dans laquelle sont enfermés les travailleurs.

Une absence de transparence

« Au Brésil, mes collègues sont des hommes pauvres et noirs, en Europe ce sont des migrants sans papiers », lance d’emblée la coursière brésilienne et porte-parole du mouvement Livreurs antifascistes, Luciana Kasai. Cette facilité qu’ont les plateformes ubérisées, telles que Deliveroo, Stuart, Frichti ou Bolt, à maintenir ces personnes dans l’exploitation tient aussi à l’utilisation d’un algorithme, appuient les participants. En particulier, l’absence de transparence sur son fonctionnement est une « contrainte au dialogue social », explique l’auteur et chercheur français Florian Forestier, puisqu’elle crée des « asymétries » entre les plateformes et les employés.

Aux niveaux local et national, de nombreuses mobilisations ont déjà permis d’obtenir de premiers résultats. Le 19 février, la Cour suprême du Royaume-Uni a jugé que les personnes travaillant pour une plateforme de l’ubérisation, et malgré leur statut d’indépendant, étaient bel et bien des salariées et devaient pouvoir bénéficier à ce titre des protections permises par ce statut, notamment d’un salaire minimal. En Californie, un juge estimait récemment que le référendum de 2020, qui scellait le statut d’indépendant des chauffeurs Uber, était inconstitutionnel. En France, il y a un mois, Deliveroo était renvoyé en correctionnelle pour travail dissimulé. Si ces décisions de justice sont des premières victoires, les suites que les plateformes leur donnent désespèrent les employés. Malgré les condamnations, les sociétés persistent à utiliser des travailleurs sous le statut d’indépendant. « On a affaire à un véritable sentiment d’impunité », confirme la députée européenne la France insoumise Leïla Chaibi. Quant aux requalifications de statut en contrat de travail, celles-ci restent des décisions ponctuelles qui peinent à remodeler le système. « Ces plateformes sont criminelles. Il est important de gagner des batailles, mais je pense qu’Uber ne respectera jamais nos droits. On doit créer des alternatives pour ne plus avoir à travailler avec elles », s’emporte Alberto Alvarez, porte-parole de l’association Elite Taxi, en Espagne.

Des coopératives en alternative

À ce titre, de nombreuses coopératives ont déjà ouvert la voie en Europe. C’est le cas de Coopcycle, qui fédère en France plusieurs structures et propose une plateforme alternative à celles des sociétés de l’ubérisation. Si ces organisations sont saluées de toutes parts, « elles ne jouent pas à jeu égal » avec les grandes sociétés, regrette Martin Willems, syndicaliste belge à United Freelancers CNE/CSC. Et de poursuivre : « Si on accepte que les plateformes violent la loi, comment les coopératives pourraient-elles venir les concurrencer ? » Les travailleurs comptent ainsi ne pas baisser les armes dans leur combat contre les plateformes. Après un temps d’échanges à Bruxelles, les participants au forum se sont réunis en assemblée générale pour déterminer le cadre d’une mobilisation internationale. Ils ont d’ores et déjà décidé de défiler dans les rues de la capitale belge, tandis qu’un représentant de chaque délégation rencontrait le commissaire européen à l’Emploi.



 

publié le 25 octobre 2021

Briançon. Les Terrasses solidaires suspendent l’accueil des exilés

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Un mois après son ouverture, le refuge des Hautes-Alpes ferme temporairement ses portes et interpelle l’État.

« Tous les acteurs associatifs qui interviennent dans ce lieu ont décidé collégialement de le fermer temporairement. On espère que ce n’est que pour quelques jours. Notre jauge, qui est de 81 personnes , était déjà dépassée, puisque près de 180 personnes étaient hébergées aux Terrasses solidaires (1) avant-hier. Nous avons appris l’arrivée d’un convoi d’une soixantaine d’Afghans en provenance d’Ital ie, et un autre de plus de 100 personnes. Cet afflux n’est pas tenable en termes de sécurité des personnes », explique Max Duez, chirurgien à la retraite, médecin bénévole et membre du conseil d’administration de l’association Refuges solidaires.

Briançon est un pays de montagne où passer une nuit dehors par des températures négatives peut être mortel. Les exilés se sont réfugiés dans la gare de cette petite ville. Des bénévoles se sont mobilisés pour apporter des repas chauds aux 235 hommes, femmes et enfants qui y ont passé la nuit de dimanche à lundi. Leur but n’est, bien sûr, pas de s’y installer, mais de poursuivre leur parcours d’exil.

Au bout de leurs capacités

Pour cela, il leur faut prendre des bus ou des trains. « Jusqu’à lundi en milieu de matinée, les guichets sont restés clos, relate un militant. On a craint que les autorités cherchent à bloquer les gens sur place pour tenter de décourager les arrivées. Heureusement, la circulation des trains et des bus est redevenue normale. Mais les exilés vont avoir du mal à obtenir un passe sanitaire pour pouvoir embarquer puisque la Croix-Rouge, qui propose habituellement des tests C ovid gratuits, a reçu l’interdiction par la préfecture de se rendre sur place… Cela fait monter la tension. » Face à la pression des associations, la Croix-Rouge sera finalement autorisée à venir sur place lundi en fin d’après-midi.

Depuis 2017, des centaines de milliers de repas ont été distribués aux plus de 17 500 exilés passés dans la commune. Pour rouvrir leur lieu d’hébergement d’urgence, les associations demandent à l’État de remplir ses obligations quant à l’accueil des exilés, dont beaucoup sont éligibles au statut de réfugié. Les bénévoles qui font le travail de l’État depuis cinq ans arrivent au bout de leurs capacités, déplore Max Duez : « Nous sommes épuisés de constater que l’État refuse de nous aider à accueillir dignement ces gens, prétextant un appel d’air. C’est complètement absurde, la frontière italienne est à quelques centaines de mètres, les personnes qui fuient la guerre et la misère continueront de venir. Seulement, s’ils ne trouvent pas de refuge, il y aura des morts…

publié le 25 octobre 2021

Mobilisation. Grèves coordonnées de travailleurs sans papiers

Luis Reygada sur www.humanite.fr

Plus de 300 travailleurs occupent leurs entreprises sur différents sites d’Île-de-France. La CGT exige leur régularisation immédiate.

Présents sur dix sites en Île-de-France, c’est sous la bannière de la CGT que 300 travailleurs sans papiers ont entamé hier matin un mouvement de grève, bien déterminés à obtenir leur régularisation. Ils sont livreurs, éboueurs, plongeurs, agents de sécurité, ouvriers dans le bâtiment ou encore manutentionnaires… Leurs métiers sont souvent pénibles, mal rémunérés, et leur imposent des horaires atypiques ; à ces difficultés – trop souvent accompagnées d’un manque de considération sociale – vient s’ajouter la pire des injustices : à cause de leur situation administrative, ces hommes et femmes sont traités comme des travailleurs de seconde classe par des patrons peu scrupuleux, qui ne se privent pas de leur imposer des conditions de travail dégradées.

«  Dans le secteur du bâtiment, nous explique Jean-Albert Guidou, on peut se retrouver avec des intérimaires qui ont des contrats de mission d’à peine trois, voire deux heures de travail par jour ! Qui pourrait accepter ça ? C’est un système de flexibilité absolu dans lequel toutes les contraintes disparaissent pour les employeurs, explique ce responsable pour la Seine-Saint-Denis du collectif Travailleurs migrants de la CGT. Pour leur part, les agences d’intérim y trouvent grassement leur compte grâce aux commissions qu’elles touchent sur le dos des sans-papiers. En retour, ces derniers subissent discriminations, surexploitation, se voient imposer les contrats les plus précaires.

« Une main-d’œuvre corvéable à merci, en dehors de toute règle et loi du travail »

«Nous occupons les lieux notamment pour f aire pression sur les employeurs pour qu’ils signent des promesses d’embauche », précise Jean-Albert Guidou, actif sur le piquet de grève de Bobigny (Seine-Saint-Denis) en soutien aux agents de voirie de la Sepur. Comme cette entreprise spécialisée dans la gestion de la propreté et des déchets, il signale d’autres enseignes, du luxueux Café Marly du Louvre aux grands groupes comme Monoprix, Bouygues ou Eiffage. «Ces entreprises s’appuient sur les différents types de statuts précarisés – intérimaires, autoentrepreneurs ou extras – tout en se dédouanant de leurs responsabilités, puisqu’elles passent par des agences d’intérim, tout en sachant que, s’agissant de sans-papiers, ces travailleurs n’iront pas se plaindre (de leurs conditions de travail). » Une situation qui fait d’eux «  une main-d’œuvre corvéable à merci, en dehors de toute règle et loi du travail », dénonce la CGT dans un communiqué, non sans rappeler que le combat des travailleurs sans papiers «  sert la lutte de tous les travailleurs (…) contre la précarisation de la société ».

publié le 24 octobre 2021

Bras de fer entre la Pologne et l’Union européenne : une affaire très politique

sur https://patrick-le-hyaric.fr/

L’arrêt de la cour constitutionnelle polonaise affirmant la primauté du droit national sur le droit européen n’en finit pas d’ébranler les institutions européennes, déjà bien mises à mal par des crises successives.

Le premier ministre polonais est venu s’en expliquer sans convaincre devant le Parlement européen et le Conseil européen (qui réunit les chefs d’État ou de gouvernement) doit en débattre cette fin de semaine. Ce sujet révélateur des tensions internes à l’Union européenne mérite d’être étudié de près.

Notons tout d’abord que ce débat est engagé car le gouvernement ultraréactionnaire polonais lance une série de dispositifs législatifs mettant en cause les droits humains fondamentaux. Il compte intégrer les fonctions de ministre de la Justice et de procureur général, tout en plaçant le Tribunal constitutionnel sous tutelle directe du gouvernement, déchiquetant ainsi le principe de séparation des pouvoirs.

Plusieurs centaines de magistrats ont été licenciés ou frappés de procédures disciplinaires, tandis que les nominations judiciaires se font sous contrôle politique.

Le droit à l’avortement est mis en cause comme la protection des minorités, et le principe de non-discrimination sexuelle est mis au panier. Les traités pour préserver l’environnement comme le droit d’asile sont tout autant battus en brèche. Autrement dit la Pologne, après la Hongrie, bafoue les droits humains et politiques fondamentaux.

Ce faisant, le gouvernement ultraconservateur de Pologne n’entend pas maniPatrick Le Hyaric fester sa réprobation des traités ultralibéraux qui déterminent le cadre de la concurrence entre états membres, interdisent les monopoles publics, détruisent des droits et conquis sociaux et démocratiques ou défigurent la définition républicaine des services publics. Au contraire, il les plébiscite.

Ici, donc, la Cour de justice de l’Union européenne exige le retrait de la réforme de son système judicaire qui porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs, cher à tous les progressistes. Autrement dit, le gouvernement polonais, qui bénéficie plus qu’aucun autre pays des fonds structurels comme des politiques de déréglementation sociale qu’il réclame à tue-tête, ouvre une crise sur des bases les plus exécrables qui soient, tirant les contradictions de la construction européenne vers le bas, c’est-à-dire vers la pire   réaction. 

Juridiquement, cette décision brutale et à visée réactionnaire est fondée sur la prévalence du droit national sur le droit européen. A deux reprises, la Cour constitutionnelle allemande qui siège dans la ville de Karlsruhe a donné un avis similaire, pointant l’absence de peuple européen susceptible de détenir une souveraineté qui supplanterait celle des Etats membres.

C’est ainsi que l’Allemagne s’est opposée à la politique d’achat de titres de la Banque centrale européenne validée par la Cour de justice européenne, à la suite de la crise sanitaire, car jugée contraire au dogme monétariste inscrit dans sa Constitution.

On n’avait pas entendu, à l’époque, les thuriféraires de l’Europe libérale s’en offusquer aussi bruyamment, alors que cette décision marquait un refus flagrant de solidarité entre Etats membres…

On remarque ainsi que les crises qui secouent la construction européenne s’opèrent sur le flanc droit (le Brexit en est un autre exemple probant), tout en mobilisant une question cruciale pour tous les progressistes attachées à la République sociale, celle de la souveraineté.

De fait, cette question de la primauté du droit européen sur le droit national, et donc de l’exercice de la souveraineté, n’a jamais été vraiment tranchée et fait l’objet d’une jurisprudence qui entraine les cours vers ce que le juriste Alain Supiot appelle « une guerre du dernier mot ».

De ce flou juridique et de cette bataille jurisprudentielle menée par la Cour de justice européenne profitent allégrement les partisans d’une Europe libérale qui, à l’image de Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes et proche de M. Macron, veulent faire plier les états membres à la logique interne, capitaliste et atlantiste, de l’Union européenne.

C’est oublier que l’Union européenne n’est pas un Etat fédéral, mais une organisation à qui des Etats ont transféré, dans certains domaines que l’Union cherche sans cesse à élargir, « l’exercice de leur souveraineté » (et non pas leur souveraineté).

Ajoutons que les décisions prises au niveau européen n’ont de traduction nationale que dans la mesure où ils font l’objet de traités ou de directives que les Etats ont signés. Ces mêmes traités que nous n’avons cessé de combattre, de celui de Maastricht à celui de Lisbonne qui nous a été imposé contre l’avis majoritaire du peuple français. Les vices de forme démocratiques, au premier rang desquelles le poids exorbitant d’une Commission non élue, devrait donc interdire la suprématie totale du droit européen dès lors que celui-ci vise à réduire ou éliminer des drPatrick Le Hyaric oits sociaux et démocratiques nationaux supérieurs aux normes européennes.

Le cadre de l’exercice de la souveraineté populaire reste bien la nation. Autrement dit, en tout domaine devrait être mise en place une clause de non régression sociale, démocratique, féministe, antiraciste ou environnementale.

C’est le mouvement populaire qui peut remettre les choses à l’endroit en étant partie prenante d’un processus de construction d’une nouvelle Europe : celle des peuples et non plus des puissances d’argent. Il existe ainsi un espace considérable pour que les syndicats, associations, forces progressistes nationales et continentales luttent contre les tares libérales de la construction européenne.

Le caractère juridique de ce débat ne doit donc pas masquer sa dimension fortement politique. On observe en effet que ce sont les forces réactionnaires qui dominent les débats internes à l’Union européenne et ouvrent des crises qui ne remettent aucunement en cause la domination du capital. Bien au contraire ! Il faut donc se garder d’applaudir le bras de fer lancé par la Pologne car il élargit le lit d’une réaction toujours plus virulente et qui se sent de plus en libre d’imposer ses vues sur les questions migratoires, environnementales ou sociales.

Et ce qui se dit en Pologne se dit ici aussi de la part des partisans d’un national capitalisme tout aussi impitoyable avec les travailleuses et les travailleurs.

Nous avons la responsabilité avec le mouvement populaire progressiste de mener débats et luttes pour transformer radicalement le projet continental en un projet d’Union des peuples et des nations associés, libre et solidaires, sur des sujets souverainement consentis.

 

publié le 24 octobre 2021

Désobéir à l’Europe : la controverse reprend à gauche

Par Fabien Escalona et Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

La sortie d’Arnaud Montebourg, se félicitant de la décision de la Pologne de s’affranchir du droit européen, a relancé le débat, complexe et explosif à gauche, sur la désobéissance vis-à-vis des règles de l’Union européenne. Le consensus n’existe ni sur sa pertinence, ni sur ses modalités. 

S’il y a bien une question qui cristallise des différences de points de vue au sein de l’électorat et des partis à gauche, c’est le rapport à l’intégration européenne. Une récente polémique, déclenchée par un communiqué de presse d’Arnaud Montebourg, vient de l’illustrer. L’essentiel du débat n’a pas changé : il porte sur le degré de conflictualité à assumer, en cas d’arrivée au pouvoir, avec les organes et les règles de l’Union européenne (UE). 

Après avoir divisé les gauches lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen (TCE), l’enjeu s’était révélé brûlant au début des années 2010, lorsque la crise des dettes souveraines de la zone euro battait son plein. Il avait ensuite été relégué à la périphérie du débat public, en raison de la maîtrise progressive de cette crise et de l’irruption de la pandémie de Covid. Mais depuis une dizaine de jours, la question européenne est à nouveau au centre des discussions.

La raison en est un coup de tonnerre juridique survenu à Varsovie. Le Tribunal constitutionnel polonais, contrôlé par le parti ultra-conservateur au pouvoir (le PiS), y a affirmé la primauté du droit national sur le droit communautaire. Au nom de la souveraineté du pays, cette instance a dénoncé une « tentative d’ingérence » de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), coupable d’arrêts allant à l’encontre des réformes judiciaires du gouvernement polonais, qui s’ingénie à mettre les magistrats à sa botte. 

Comme l’a expliqué le juriste Antoine Vauchez dans nos colonnes, cette décision va un cran au-delà des discussions qui animent déjà les juridictions nationales et européennes. Il s’agit selon lui d’une remise en cause de « l’idée fondamentale que tous les citoyens, toutes les entreprises, toutes les institutions appartenant à l’UE sont soumis au même droit européen, et qu’il n’appartient pas aux gouvernements ou aux cours nationales de faire “leur marché” dans le droit européen. C’est donc beaucoup plus qu’une question de droit : cela touche à […] l’existence de cette communauté politique européenne ».   

À contre-courant des réprobations suscitées par cette remise en cause, Arnaud Montebourg a publié un communiqué de presse le 8 octobre, dans lequel il prend acte d’un « événement important », et estime surtout que notre pays devra s’en inspirer. Selon lui, « la France devra procéder à la même affirmation de la supériorité de ses lois sur les décisions européennes ».

Même s’il avait voté contre le TCE en 2005, et n’a cessé depuis de multiplier les piques contre les autorités de Bruxelles et l’influence allemande en Europe, c’est la première fois qu’il défend une rupture aussi nette. En se contentant d’une simple incise pour se distancier des « orientations politiques » du gouvernement polonais, le chantre de la démondialisation a par ailleurs donné l’impression d’approuver son coup de force, provoquant des réactions outrées au sein d’une gauche percluse de divisions et de contradictions sur le sujet.

Arnaud Montebourg fait de la tactique politicienne avec de la nitroglycérine

Immédiatement après le communiqué de presse, les échanges salés se sont multipliés sur les réseaux sociaux, y compris parmi des soutiens du candidat, certains se disant choqués par sa ligne jugée anti-européenne. « Les thèmes sur lesquels il est en train d’aller sont un peu gênants, il se tire une balle dans le pied en faisant ça », persifle l’un des maires de l’équipe de campagne d’Anne Hidalgo. Il estime qu’avec cette histoire, l’ancien ministre de François Hollande s’est mis à dos bon nombre d’électeurs socialistes pro-européens qui auraient pu être tentés par sa candidature. 

Les mots les plus durs sont venus du camp écologiste. Un constat peu surprenant, dans la mesure où cette famille politique se distingue par un idéal européen fédéraliste, et par une méfiance envers l’exaltation de la souveraineté nationale. Interrogé par Libération le 18 octobre, Julien Bayou, le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), a ainsi jugé qu’Arnaud Montebourg était « en train de basculer dans le camp du Frexit [le terme désignant une sortie de la France de l’UE – ndlr] » : « Il applaudit la Pologne. Mais la Pologne n’est pas en train de remettre en cause la politique monétaire de l’UE, elle remet en cause l’Habeas Corpus, les fondements de l’Europe », a-t-il accusé.

Le spectre du Frexit a également été brandi par Yannick Jadot, le 11 octobre sur France Info. « La France est condamnée par la justice sur la pollution de l’air, sur le climat, sur la protection des sols grâce au droit européen », a-t-il fait valoir, en vantant « un levier extraordinaire de progrès ». Pressé par les journalistes de délivrer un commentaire sur la sortie d’Arnaud Montebourg, le candidat d’EELV à la présidentielle a appelé à ce que « ces responsables politiques arrêtent de faire de l’électoralisme bas de caisse ».

Contacté par Mediapart, l’eurodéputé écologiste David Cormand ajoute pour sa part que « sortir un communiqué de presse pour se féliciter de la décision de l’un des tenants de l’illibéralisme européen montre l’inquiétante confusion idéologique d’Arnaud Montebourg. Il fait de la tactique politicienne avec de la nitroglycérine. C’est clairement une tentative de triangulation avec la droite qui s’inscrit dans son récit politique actuel : il joue aux apprentis sorciers. »

Nous ne devons pas approuver les motivations polonaises

Arnaud Montebourg aurait pu espérer davantage de bienveillance de la part de La France insoumise (LFI), et de son leader Jean-Luc Mélenchon. Cela fait au moins dix ans que ce dernier et ses équipes développent des argumentaires en faveur d’une désobéissance aux dispositions européennes qui verrouillent des orientations antisociales et anti-écologiques. Dès 2011, alors qu’il était candidat pour le Front de gauche en pleine explosion de la crise des dettes souveraines, Mélenchon est allé au-delà d’un discours alter-européen classique, lequel consiste à promettre une Europe différente mais sans expliquer les moyens d’y parvenir.

Depuis cette époque, le leader actuel de La France insoumise tente de ménager deux principes. D’un côté, il affirme être prêt à la rupture avec le droit européen si ce dernier met en danger son programme. Il y voit un motif sérieux de ne pas rechercher à tout prix une union de la gauche en amont de la présidentielle, dans la mesure où ses concurrents socialiste et écologiste n’envisagent pas cette perspective. D’un autre côté, il s’évertue à rassurer contre tout risque de sortie de l’UE, qu’il dit explicitement ne pas souhaiter. En plus de n’avoir jamais eu sa préférence première, le scénario est jugé effrayant pour l’électorat visé. D’où le ménagement de certaines ambiguïtés, jusqu’à une clarification définitive prévue cet hiver.

En l’occurrence, revenant sur la décision polonaise dans un post de blog, Jean-Luc Mélenchon a exprimé son incompréhension envers l’approbation de Montebourg. « Dire que la loi nationale s’impose face aux décisions européennes n’a pas de sens », écrit-il à l’inverse de l’ex-ministre. « Pour moi, toutes les mises à distance des impératifs de l’Union européenne ne se valent pas », justifie-t-il en rappelant s’être opposé au Royaume-Uni lorsque ce dernier, encore membre de l’UE, avait demandé à être exonéré d’une limitation du temps de travail hebdomadaire. 

En somme, une posture de désobéissance ne devrait jamais être soutenue en tant que telle, et encore moins si elle aboutit à une régression démocratique ou sociale. Au demeurant, souligne Mélenchon, la Pologne ne remet aucunement en cause la dimension néolibérale de l’intégration européenne. À le lire, on comprend que la désobéissance façon LFI se veut à la fois sélective et « franc-jeu » : « Nous devons annoncer sans détour avant l’élection quels traités nous comptons rompre et sur quels points […]. Nous disons que nous désobéirons sur tous les sujets qui auront été adoptés avec notre programme. […] Cela ne fait pas de nous des sortistes de l’Union européenne. »

La justification d’Arnaud Montebourg

Ces remontrances ont poussé le candidat de la « remontada », neuf jours après son communiqué, à publier une tribune dans Libération afin de clarifier sa ligne. « On peut désapprouver vertement – comme je le fais – la politique du gouvernement polonais, cléricale et réactionnaire qui maltraite une partie de sa population, tout en rappelant que la Commission et le gouvernement français ont gravement tort d’affirmer que le droit européen serait supérieur à la Constitution des États membres. »

Une précision qui rejoint, pour le coup, la dénonciation d’une « double instrumentalisation » par l’eurodéputée Manon Aubry (LFI) auprès de Mediapart. Selon elle, nous assisterions en effet à une instrumentalisation du droit européen par la Cour constitutionnelle polonaise, « qui s’en sert pour attaquer l’indépendance de la justice, dans une manœuvre d’extrême droite » ; mais aussi à une instrumentalisation de la décision polonaise par la Commission européenne, « qui en profite pour affirmer la supériorité du droit européen au lieu d’agir dans le cadre du mécanisme de préservation de l’État de droit ».

Se défendant d’être un « sortiste » ou un apôtre du Frexit, Arnaud Montebourg estime qu’« il est parfaitement possible de défendre notre intérêt national sans quitter l’UE ». Mais il ne lâche rien sur la tenue d’un référendum, qui garantirait constitutionnellement « la primauté du droit français lorsque des intérêts vitaux de la nation […] sont en jeu ». La définition précise de ce que seraient ces intérêts vitaux n’est cependant pas donnée. Par ailleurs, le candidat cite des exemples lors desquels l’UE devrait simplement être rappelée à ses compétences, mais ne détaille pas de scénarios d’affrontement là où la compétence communautaire gênerait l’application de son programme. 

Dans les blogs de Mediapart, ses soutiens Frédéric Viale et François Cocq prolongent l’argumentation, en assumant le flou stratégique de la notion d’intérêt national, « suffisamment large pour permettre une réelle reprise en main ». Devenu porte-parole d’Arnaud Montebourg, le second a rompu avec les Insoumis précisément en raison de désaccords sur l’enjeu européen. Prôner la désobéissance au coup par coup est selon lui caduque, puisque « tout le monde désobéit déjà tout le temps ». « La vraie question, c’est que la Commission européenne doit arrêter de nous imposer des choses sur les questions économiques et sociales. »

Fustigeant le flou de son ancien parti, il en veut pour preuve une récente intervention de l’eurodéputé Younous Omarjee, qui s’est livré à une défense de la primauté du droit européen à la tribune du Parlement : « En l’occurrence, il dit exactement la même chose que Macron ou Ursula von der Leyen [la présidente de la Commission européenne – ndlr]. »

Comment désobéir, et sur quoi ?

À quelques mois de la présidentielle, l’affaire a au moins eu le mérite de rouvrir le débat sur le rapport à l’UE. Celle-ci forme un ensemble juridico-politique complexe, mais incontournable pour toute force prétendant à une transformation sociale et écologique un tant soit peu ambitieuse.

Pour Aurélie Trouvé, militante altermondialiste à Attac et proche de la ligne LFI, deux écueils symétriques sont à éviter : une position nationaliste qui estimerait que « tout ce qui peut entamer la souveraineté est critiquable », et une position sociale-démocrate qui estimerait que « toute désobéissance est fautive ».

Selon l’autrice de Bloc arc-en-ciel (La Découverte), la désobéissance ne se justifie que dans l’objectif de poursuivre « le progrès social, écologique et démocratique ». Ne pas y réfléchir et ne pas anticiper la conflictualité qu’elle entraînerait minerait la crédibilité de certains engagements : « Prenez la proposition des Verts de sortir des pesticides. C’est impensable pour les agriculteurs si vous ne les interdisez pas à l’import. Mais si vous le faites, vous allez contre le marché unique en vigueur. »

« Pour nous, les choses sont claires », assure pourtant David Cormand : « Il faut changer les traités, et, en attendant, on peut tout à fait désobéir concernant les règles budgétaires ou les questions écologiques. Mais autant on peut contester les règles économiques et sociales, autant on ne peut pas contester les questions d’État de droit et les valeurs fondamentales. » Sauf que sur la plateforme en ligne de Yannick Jadot, l’option de la désobéissance n’est pas affichée. Et que le droit de la concurrence, ou encore la libre circulation des capitaux, sont des obstacles à la transition écologique qui sont protégés avec beaucoup moins de laxisme que des règles de déficit provisoirement suspendues.

Côté LFI, Manon Aubry tient au contraire à affirmer que le programme présidentiel porté par Mélenchon a été entièrement « testé » au regard du droit européen. L’eurodéputée défend une approche résolument « pragmatique », qu’elle juge à la fois plus concrète et moins clivante que des postures de principe sur la loyauté à l’UE. « On a identifié une dizaine de blocages, dont les plus problématiques concernent le droit de la concurrence et la politique monétaire », détaille-t-elle à Mediapart. Pas de quoi envisager une sortie pour autant : la durée des poursuites devant la Cour de justice laisserait du temps pour construire un rapport de force politique, qui pourrait aller jusqu’à un chantage au budget.

Une stratégie qui laisse sceptique l’essayiste Aurélien Bernier, auteur de Désobéissons à l’Union européenne ! (Mille et une nuits, 2011). « La réaction d’Arnaud Montebourg m’a gêné, explique-t-il à Mediapart, dans un contexte où monte un nationalisme qui ne rompt pas avec les bases de l’ordre économique actuel, et s’exprime surtout par une répression accrue en matière migratoire. » Pour autant, il considère qu’une affirmation de la primauté du droit national est incontournable, « quand on a comme Jean-Luc Mélenchon un programme à ce point incompatible avec les traités, dont on sait la difficulté extrême à les refondre ».

Plus que les autorités judiciaires européennes, ce sont les juridictions françaises qui pourraient selon lui bloquer une authentique bifurcation sociale et écologique. « Prenons l’exemple d’un gouvernement qui aurait besoin de limiter les mouvements de certains capitaux : n’importe quelle banque ou grande fortune pourrait attaquer l’État devant le tribunal administratif, chargé de vérifier la conformité du droit français au droit communautaire. Compte tenu de la jurisprudence, à tous les coups la mesure saute. »

Dans cette logique, une gauche de transformation devrait « en passer par l’inversion de la hiérarchie des normes, soit en totalité (mais cela revient à sortir de l’UE sans le dire), soit en partie, en posant que la souveraineté prime sur un certain nombre de sujets, en dehors des droits et libertés fondamentales. Cela peut se faire en s’appuyant sur les Nations unies, qui affirment que chaque peuple a le droit de choisir son système économique et culturel ».

Même parmi ceux qui assument désobéir à l’UE, le consensus n’existe donc pas sur les modalités de cette désobéissance, dont la discussion revêt souvent un tour technique que beaucoup de responsables politiques sont prompts à fuir. En plus de l’aridité du sujet, difficilement « vendable » dans les interventions médiatiques, persiste la crainte d’apparaître comme des fauteurs de désordre, là où les tenants d’une approche non conflictuelle peuvent se présenter comme des pro-européens de bonne volonté – quitte à perpétuer le statu quo.

Quoi qu’il en soit, la position d’Arnaud Montebourg apparaît politiquement fragile dans ce débat. Le candidat désarçonne forcément ceux qui refusent la posture désobéissante au nom d’un idéal d’ouverture et de cosmopolitisme qu’il semble transgresser.

À droite et à gauche, ceux qui adoptent comme lui une posture désobéissante s’adossent généralement à une idéologie plus vaste et plus mobilisatrice : d’un côté, un nationalisme excluant et autoritaire ; de l’autre, une transformation de type écologiste et socialiste. À chaque fois, l’adversaire est intérieur en plus d’être à Bruxelles, qu’il s’agisse des individus jugés étrangers au corps national, ou des forces du capital à faire plier.

En campant sur une unité nationale quelque peu abstraite, sans jouer ouvertement sur les ressorts xénophobes tout en prétendant réconcilier les milieux populaires et la « bourgeoisie d’intérêt général », l’ancien ministre de François Hollande pourrait perdre sur tous les tableaux, à l’instar de toutes les tentatives ayant jusque-là tenté d’incarner un souverainisme « pur », par-delà les frontières prétendument obsolètes de la droite et de la gauche.



 

 

publié le 23 octobre 2021

Tranquillement, les gilets jaunes draînent de plus en plus sur les ronds-points occitans

Sur https://lepoing.net/

Perpignan, Montpellier, Albi, Béziers, Nîmes : alors que certains médias se régalent d’annoncer l’échec du retour des gilets jaunes, les points de rendez-vous occitans drainent petit à petit de plus en plus en monde sur les ronds-points.

Près du magasin de moto Macadam, entre Saint-Jean de Védas et Montpellier, dès midi, une vingtaine de gilets jaunes se retrouvent à nouveau sur le rond-point. Amusés, on y évoque les nombreux souvenirs de la lutte qui a courue entre le mois de novembre 2018 et le premier confinement, en mars 2020. L’équipe se connaît déjà, peu de nouvelles tête, mais un joli sourire qui refleuri sur chaque visage à chaque coup de klaxon lancé par un automobiliste en signe de soutien. C’est que la mobilisation anti-pass, qui emporte l’adhésion de tous sur le principe, est perçue comme en stagnation, en voie de stérilité : la moitié des GJ présents au rond-point ne s’y rendront pas. Ca ne sert plus à rien”, commente l’un d’eux. Si aucune perspective particulière, aucune stratégie de haute volée n’est élaborée pour relancer une contestation avide de justice sociale, tout le monde s’interroge sur la suite des évènements.

A contrecourant de nombreux médias, tiraillés entre l’effet buzz d’un retour des gilets et le plaisir d’annoncer l’échec de ce même retour. Ce type de publication se voudrait factuelle. Sur la base d’un parrallèle avec la mobilisation du 17 novembre 2018. Alors parlons en, des faits du passé. En 2018, la mobilisation historique des gilets jaunes n’a pas vraiment surgie de nulle part, même si elle a surpris. De nombreux mois d’agitation numérique ont précédé la déferlante. Sur Montpellier et ailleurs, des groupes s’étaient formés pour préparer cette première journée, par de petits rassemblements préalables, de nombreuses diffusions de tracts, des discussions avec les passants se concluant invariablement sur un “on vous attend le 17” Grande limite du commentaire médiatique.

Sur le rond-point de la Méridienne, à Béziers, les gilets jaunes étaient une quarantaine ce 23 octobre. Une des participante, elle aussi “historique” des GJ, nous lâche, avec un enthousiasme prudent : C’est encourageant, on est plus que la semaine dernière, et on a l’impression de rencontrer un écho autour de nous”

Même schéma au rond-point d’accès sud à l’autoroute de Perpignan, qui est lui occupé occasionnellement en semaine. Sur Nîmes, la poignée de gilets jaunes remobilisés aux ronds-points du kilomètre delta et devant le Jardiland de la ville est fortement irriguée par la mobilisation contre le pass sanitaire et l’obligation vaccinale. Ils étaient quelques dizaines ce samedi présents sur leur lieu de rendez-vous, mais de plus petits groupes y viennent en semaine aussi, comme ce vendredi 22 au soir. Toujours dans le Gard, les GJ de Sint-Gilles organisaient un café citoyen sur leur rond-point dans la mâtinée.

Les comptages du collectif Le Nombre Jaune, qui indiquent les lieux de rassemblements et permettent de mesurer la présence aux ronds-points, ne sont pas encore achevés. Localement en tout cas, la remobilisation des gilets jaunes semble suivre son cours, tranquille pour le moment. De par les observations de la rédaction du Poing, de par les commentaires lâchés dans la presse par certaines des figures médiatiques du mouvement, le frémissement dans sa base de soutien la plus active n’est donc pas un fantasme. A un mois du troisième anniversaire du mouvement, des groupes de discussion se forment, discutent la stratégie à mettre en place. Jérôme Rodriguez appelle d’ors et déjà à des opérations escargot pour la journée du mercredi 17 novembre, et à d’importantes manifs le samedi 20. Plus évasive, Priscilla Ludovsky fait comprendre qu’en attendant une éventuelle réaction du gouvernement -les 100 euros de primes accordées à ceux qui touchent moins de 2000 euros par mois n’ont pas convaincu- des efforts de structuration seraient faits, et qu’elle pencherait pour une journée unique de grande mobilisation, prévue très à l’avance, et accompagnée d’une grande manif nationale sur Paris.

L’histoire ne se répète pas. Le gilet est devenu un symbole de lutte contre les inégalités, de persévérance. Mais aussi de la terrible répression dont la société bourgeoise est capable quand elle se sent menacée. Si mouvement social il doit y avoir dans les semaines ou les mois à venir, il sera très certainement différent de celui de l’automne 2018. Pour autant, les gilets restent un marqueur de la nouvelle culture des luttes sociales en France, et les aficionados du chasuble fluo ont très certainement leur rôle à jouer dans l’histoire. A suivre…

publié le 23 octobre 2021

Pouvoir d’achat.
Après les 100 euros de Castex, le PCF appelle à redoubler de mobilisation

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Le « chèque inflation » annoncé par le premier ministre jeudi ? « Toujours ça de pris », estime Fabien Roussel qui juge cependant que la réponse de l’exécutif n’est à la hauteur ni des attentes ni des besoins. Le candidat du PCF à la présidentielle appelle à des rassemblements devant les préfectures jusqu’au 21 novembre et sera dès ce vendredi à un péage francilien pour inviter les automobilistes à l’action.

L’opération « Emmanuel Macron, président du pouvoir d’achat » menée par le premier ministre, jeudi au JT de TF1, a bien du mal à convaincre. Le PCF, qui a fait de la question son cheval de bataille depuis la rentrée, appelle même à redoubler de mobilisation. Le « chèque inflation » pour ceux qui gagnent moins de 2000 euros net par mois « C’est toujours ça de pris pour ceux qui en ont besoin, répond le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel. Quand on défend le pouvoir d’achat comme nous le faisons depuis des mois, lorsque le gouvernement lâche 100 euros pour 38 millions de nos concitoyens, on ne va pas mégoter. C’est le fruit de toutes les mobilisations politiques, syndicales, associatives, des gilets jaunes… »

Mais il y a bien un « mais ». Et pas des moindres pour le député du Nord qui se rendra dès la fin d’après-midi vendredi au péage de Senlis pour appeler les automobilistes à l’action : « C’est de la gestion à la petite semaine de la France et des difficultés des Français », tacle-t-il. Pour le prétendant du PCF à l’Élysée, au total, « le gouvernement distribue beaucoup de chèques aux multinationales, aux riches, et un peu aux classes populaires et moyennes » pour faire bonne mesure. L’exécutif reste bien loin de « l’ambition de redonner le pouvoir de vivre à chacun, de redonner du sens au travail et donc de revaloriser les salaires et les retraites », déplore-t-il taxant au passage le gouvernement d’être « à côté de ses pompes ». Alors que Jean Castex a estimé jeudi à « 80 euros en moyenne » le surcoût de la facture de carburant sur l’année, Fabien Roussel « conteste ces chiffres » : « Le prix de l’essence a augmenté de 30 centimes en un an, c’est plutôt 300 à 350 euros de plus en un an pour un automobiliste moyen », assure-t-il.

Après avoir organisé une semaine d’actions locales début octobre, le PCF appelle désormais à des rassemblements devant les préfectures. Son candidat sera devant celle de Lille, lundi prochain. « Jusqu’à la veille du 21 novembre où nous tiendrons un grand rassemblement à Paris, mobilisons-nous devant les préfectures, les sous-préfectures, partout pour interpeller les représentants l’État », invite Fabien Roussel déterminé à faire entendre ses propositions. À commencer par l’augmentation des salaires, dont le Smic à 1 800 euros brut, et des pensions de retraite, avec un minimum à 1 200 euros. Mais aussi pour « un nouvel âge de la sécurité sociale » sécurisant les parcours professionnels afin « d’éradiquer le chômage ». Ou encore la « baisse des taxes sur les produits de premières nécessités, notamment l’alimentation et l’énergie ».

Quant aux prix des carburants qui s’envolent, si Jean Castex a estimé hier que jouer du levier fiscal est une solution coûteuse qui « de l’avis général n’a pas marché », le candidat communiste qui défend « une taxe flottante pendant six mois » n’en démord pas : « Ça coûte peut-être le double de son chèque inflation, réplique-t-il, mais ça compense vraiment la hausse du prix de l’essence ».



 

 

publié le 23 octobre 2021

Pouvoir d’achat.
Un simple chèque de 100 euros face à la hausse continue des prix

Julia Hamlaoui et Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Devant la flambée des tarifs des carburants, le premier ministre a annoncé, jeudi soir, une aide pour les Français gagnant moins de 2 000 euros net par mois. L’exécutif exclut de jouer sur le levier fiscal.

Son tour de passe-passe fin septembre sur le prix du gaz a laissé un goût amer à tous ceux qui voient arriver l’hiver avec angoisse. Le premier ministre était donc attendu au tournant sur la flambée des tarifs des carburants. Car, après les 12,6 % supplémentaires du 1er octobre sur les factures de gaz (57 % depuis janvier), l’augmentation attendue de 4 % de l’électricité dans la foulée du bond de 21,4 % entre 2010 et 2020, les prix à la pompe s’envolent eux aussi. Les niveaux sont historiquement hauts, à 1,56 euro le litre de gazole en moyenne, et 1,62 euro pour l’essence sans plomb, soit 12 % de plus en six mois. Avec cette note des plus salée pour l’énergie, nombre de ménages ne s’en sortent pas. Au point que la préoccupation du pouvoir d’achat est plus que jamais au premier plan (+ 12 points par rapport à juin, selon une enquête Elabe) et que le spectre des gilets jaunes hante un gouvernement qui temporise sur des annonces « imminentes » depuis plus d’une semaine.

« Indemnité classe moyenne »

Cette fois, c’est chose faite. Comme le 30 septembre dernier, le premier ministre s’est invité jeudi soir sur le plateau de TF1 pour présenter les arbitrages retenus par l’exécutif. « Nous sommes revenus à des montants très élevés, légèrement au-dessus des prix à l’automne 2018 (au lancement du mouvement des gilets jaunes – NDLR) », a-t-il reconnu au 20 Heures avant d’annoncer une « indemnité classe moyenne ». « Nous avons décidé d’une sorte d’indemnité inflation de 100 euros qui sera versée aux Français qui gagnent moins de 2 000 euros net par mois », a détaillé Jean Castex, estimant à « 80 euros en moyenne » le supplément sur la facture d’essence. Devraient être concernés 38 millions de Français, « d’abord ceux qui travaillent » mais aussi les « chômeurs en recherche active d’emploi » ou encore les retraités. L’aide ne sera pas réservée aux automobilistes : une façon, selon l’hôte de Matignon, d’éviter « une usine à gaz » et de répondre à « la question de l’inflation (qui) ne concerne pas que les produits pétroliers ». Et ce sont d’abord les salariés du privé qui devraient en bénéficier en décembre directement sur leur fiche de paie. Les fonctionnaires devront attendre janvier et les retraités « peut-être un peu plus tard ».

Face aux gilets jaunes, le gouvernement avait consenti des aides à hauteur de 17 milliards, quand cette mesure de 100 euros se monte au total à 3,8 milliards, dont une partie proviendra du surcroît de TVA. Pour le reste, « il nous appartient de (le) financer », a laconiquement lâché le premier ministre, tout en précisant que « l’objectif » de déficit sera tenu.

Pas de baisse des taxes

Sur le principe, un chèque de ce type a reçu le soutien des écologistes. « Trop peu, trop tard, dans la plus grande des improvisations », a cependant réagi le secrétaire national d’EELV, Julien Bayou. Le montant aurait dû être, selon Yannick Jadot, de 400 euros pour les foyers les plus modestes et de 100 euros pour les classes moyennes. Loin des annonces de Matignon.

À l’instar de la stratégie du « bouclier tarifaire » sur les prix du gaz pour lequel avait été retenu un lissage des prix, dont la facture sera in fine payée par les consommateurs, pas question en revanche de baisser les taxes. Une « solution de facilité » qui « coûte très cher », avait déjà estimé Bruno Le Maire. « Quand on a utilisé la baisse des taxes, de l’avis général ça n’a pas marché », a renchéri Jean Castex, qui a au passage annoncé que le blocage des prix du gaz serait prolongé jusqu’à la fin de l’année.

Depuis des jours, les idées ne manquent pourtant pas. « Je propose une taxe flottante sur l’essence financée sur les dividendes des compagnies pétrolières », a défendu le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel, qui appelle à des mobilisations devant les préfectures contre la vie chère. L’insoumis Jean-Luc Mélenchon veut, de son côté, bloquer les prix comme cela a été fait « sur les masques et le gel » au moment du Covid, quand Anne Hidalgo souhaite une baisse des taxes sur les carburants « pour raccrocher les catégories populaires à la transition écologique ».

Quant à l’augmentation des prix, le ministre de l’Économie a d’ores et déjà indiqué qu’il ne voyait « pas d’amélioration avant la fin de l’année 2022, au mieux ». La bataille du pouvoir d’achat est loin d’être finie.

 

publié le 22 octobre 2021

Lobbying. Juliette Renaud :
« La confusion entre la France et Total existe depuis des années »

Marie-Noëlle Bertrand sur www.humanite.fr

Dans un rapport publié le 14 octobre, trois ONG décryptent le soutien apporté par les autorités françaises à un projet controversé du pétrolier en Ouganda. Elles dénoncent un système de « portes tournantes » entre les directions du groupe privé et les plus hauts postes de l’État. Entretien avec Juliette Renaud, responsable de campagne aux Amis de la Terre France.

En 2006, d’importantes ­réserves de pétrole étaient découvertes en Ouganda. Quinze ans plus tard, Total­Energies est engagé dans l’exploitation de ces gisements et leur transport, via un projet d’oléoduc baptisé Eacop. L’ensemble suscite un large mouvement d’opposition en raison des atteintes aux droits humains et environnementaux qu’il provoque. Dans un rapport publié le 14 octobre, les Amis de la Terre, l'Observatoire des multinationales et Survie dénoncent le soutien qu’apporte la France à ce projet.

Comment se traduit le soutien de la France au projet pétrolier de Total en Ouganda ?

Juliette Renaud Diplomatiquement, l’ambassade de France en Ouganda déroule le tapis rouge au pétrolier. Celui-ci sponsorise presque tous les événements organisés par l’ambassade et l’Alliance française à Kampala. En mai dernier, Emmanuel Macron a écrit au président Yoweri Museveni, l’un des plus anciens autocrates d’Afrique en exercice, pour le féliciter de sa réélection pour un sixième mandat. La lettre du chef de l’État français se conclut en indiquant que le projet Eacop est une « opportunité majeure » pour renforcer la coopération entre les deux pays.

Avez-vous eu cette lettre entre les mains ?

Juliette Renaud Non, elle n’a pas été rendue publique par l’Élysée. En revanche, un communiqué de la présidence ougandaise en rapporte des extraits.

L’Ouganda a-t-il un intérêt à ce que ce soit Total qui investisse dans ce projet ?

Juliette Renaud Pas particulièrement. Avant Total, le projet était porté par Tullow Oil, une compagnie britannique, qui s’en est retirée. Aujourd’hui, Kampala s’active pour accélérer le mouvement. En 2020, les autorités ougandaises ont accepté de résoudre un litige fiscal en leur défaveur pour permettre le rachat par Total des actifs de Tullow Oil. Et, en septembre, le Parlement a voté une loi spéciale – la loi ­Eacop – destinée à fixer les règles fiscales et économiques relatives à la construction de l’oléoduc. Ce texte offre à Total la certitude que son ­investissement sera protégé contre toute modification de la législation.

Vous détaillez les pressions exercées par l’État ougandais sur les opposants au projet. La France est-elle impliquée ?

Juliette Renaud Son seul silence est scandaleux. Les exactions se multiplient. En décembre 2019, les témoins invités en France à l’occasion d’une audience au tribunal ont été agressés ou arrêtés à leur retour à Kampala ; en septembre 2020, des journalistes et militants ont été arrêtés ; en mai dernier, l’un de nos collègues ougandais a passé cinquante heures en garde à vue ; fin août, l’État ougandais a voulu faire suspendre une ONG… La France ne dit rien. En revanche, elle maintient sa coopération militaire avec le pays. L’Ouganda a dépêché de nouvelles troupes à la frontière avec la République démocratique du Congo pour protéger les régions pétrolières. Une partie de ces troupes a été formée par la France. Beaucoup d’habitants se plaignent, aujourd’hui, des agissements de cette police pétrolière.

Ce soutien de la France aux pétroliers en Afrique est-il neuf ?

Juliette Renaud La confusion entre les ­intérêts de la France et ceux de Total existe depuis des années –  et Elf était un outil de la Françafrique. Notre enquête montre que ces habitudes se maintiennent, voire se renforcent à la faveur de « portes tournantes » dont Total use abondamment.

Qu’appelez-vous « portes tournantes » ?

Juliette Renaud On parle souvent de pantouflage, ce phénomène qui voit de hauts cadres du secteur public poursuivre leur carrière à la direction de groupes privés. Ces allers-retours se font désormais dans les deux sens. Ahlem Gharbi est passée du ministère des Affaires étrangères à la vice-présidence adjointe de Total, juste avant de devenir conseillère Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Emmanuel Macron entre 2017 et 2019. Jean-Claude Mallet, qui était conseiller de Jean-Yves Le Drian au ministère de la Défense, est maintenant directeur des affaires publiques de Total. Julien Pouget, senior vice-président chez Total, était conseiller à l’industrie à l’Élysée sous le mandat de François Hollande. Tout cela contribue à ancrer l’idée que les ­intérêts de Total et de la France, c’est un peu la même chose.



 

 

publié le 22 octobre 2021

« Les inégalités fracturent la société, enferment dans la pauvreté et abiment la planète »

sur www.regards.fr

Les 1% les plus riches possèdent plus de la moitié des richesses de la planète : c’est l’objet de la dernière campagne d’Oxfam France. Pauline Leclère, responsable de campagne de l’ONG, est l’invitée de #LaMidinale.

La vidéo est à voir sur :.. https://youtu.be/bLc8YUwUF5I

 

et ci-dessous quelques extraits à lire :


 

 Sur la dernière campagne vidéo d’Oxfam France sur les inégalités 

« L’objectif de notre campagne, c’est déplacer les inégalités dans le quotidien des gens pour leur faire prendre conscience de cette réalité. »

« Il faut aussi rappeler que l’on est tous et toutes concernés par les inégalités : cela fracture, divise, enferme des personnes dans la pauvreté et abime la planète car les 1% les plus riches sont aussi ceux qui polluent le plus. »

 Sur l’accroissement des inégalités et ses conséquences 

« Si on regarde les deux dernières années, il y a des tas de pays dans le monde qui ont fait des manifestations immenses et qui se sont révoltés pour dire leur colère et leur indignation face à l’aggravation des inégalités ou de la pauvreté. Souvent, cela part d’une décision politique comme l’augmentation du prix du ticket de métro, une nouvelle taxe, une augmentation des salaires des députés ou une prise de conscience du salaire mirobolant des PDG. »

« La prise de conscience et la demande sont là. Le problème, ce sont les choix politiques : non seulement, on n’en fait pas assez contre les inégalités mais on fait surtout des choix politiques qui les aggravent. »

« Les politiques fiscales favorisent les ultra riches : en France, la suppression de l’ISF et la mise en place de la flat tax, des services publics sous-financés, la mise sous pression de notre modèle social, la non-régulation des entreprises… »

« Oxfam France sollicite le pouvoir citoyen pour faire pression sur les décideurs politiques. »

« Les inégalités ne sont pas une fatalité : on peut changer les choses. »

 Sur les inégalités en temps de pandémie 

« Les inégalités s’aggravent, notamment pendant la pandémie. »

« Il y a une augmentation du nombre de milliardaires sur la planète et le risque de diminution de la pauvreté dans le monde a commencé à ralentir. »

« Ce qui montre le dysfonctionnement de notre système économique, c’est que des milliardaires se sont enrichis pendant la pandémie. »

 Sur le rôle de plaidoyer auprès des décideurs politiques 

« Avec Oxfam, on fait des campagnes pour atteindre les gens mais on fait aussi du plaidoyer, c’est-à-dire que l’on va voir les décideurs politiques (députés, sénateurs et cabinets ministériels) pour porter nos propositions. On est plus ou moins entendu. »

« Le président de la République a une vision très claire et diamétralement opposée à ce que nous on défend, notamment sur la question du ruissellement. »

« Certains députés sentent bien ce qui se passe : ils voient bien que les gens veulent plus de justice fiscale et sociale. »

 Sur les liens entre inégalités et pauvreté 

« Notre objectif, c’est de faire le lien entre inégalités et pauvreté. »

« L’enjeu, c’est de transformer la colère en mobilisation. »

« Les solutions, c’est l’impôt bien sûr mais aussi l’augmentation des bas salaires et la question du partage des richesses dans les entreprises. »

 Sur la pertinence de la lutte contre les inégalités 

« La déconnexion entre les 1% les plus riches qui ont le pouvoir et le reste fait peur. »

« Constater l’indécence de la situation de la répartition des richesses nous amène à croire que ça va craquer. »

« Les inégalités, ce n’est pas un débat idéologique : c’et une question de justice et de bon sens. »

« J’ai envie de dire aux très riches qu’ils ont intérêt à ce que la société soit plus égalitaire parce qu’on est tous perdants. »

 

publié le 21 octobre 2021

Handicap.
L’école inclusive est un sport de combat

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

La journée d’action des AESH de ce 19 octobre, la troisième cette année, met en évidence les promesses non tenues d’une école proclamée « inclusive », mais à qui on ne donne pas les moyens de le devenir.

Elles et ils ne lâchent pas l’affaire. Les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) étaient dans la rue le 8 avril, dans une mobilisation qui a surpris par son ampleur ceux qui ne s’intéressent qu’épisodiquement à leur situation. Ils ont remis ça le 3 juin. Et comme ils n’obtiennent toujours pas ­satisfaction sur leurs revendications ­essentielles, ils y retournent ce mardi 19 octobre, avec une liste de manifestations et de rassemblements qui n’oublie aucun recoin de l’Hexagone (pour l’Île-de-France, rendez-vous à 13 heures à la station RER Luxembourg pour défiler en direction du ministère de l’Éducation nationale).

Tout irait pour le mieux, sauf que...

Mais leur malaise traduit une autre réalité, peut-être moins audible encore : celle d’une école décrétée « inclusive » par le gouvernement… et qui ne l’est toujours pas vraiment ; celle de familles et d’enfants dont les « besoins particuliers », selon la terminologie officielle, peinent à être pris en prise en compte. Au prix de souffrances multiples : celles des élèves, de leur famille et – à commencer par les AESH – de tous les personnels sommés d’endosser la difficile mutation de l’école française vers une inclusivité qui serait bien réelle, et pas seulement proclamée.

Les chiffres se veulent ronflants, les communiqués triomphants : 400 000 enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire à la rentrée 2021, contre 321 500 en 2017 (+24 %) ; un budget accru de 250 millions d’euros en 2021 pour, au total, 3,3 milliards d’euros de financement annuel désormais consacré à « l’école inclusive », soit « une augmentation de moyens de plus de 60 % durant le quinquennat ! » proclame le secrétariat d’État aux Personnes handicapées. Les AESH sont désormais 125 000 –  une hausse de 37 % depuis 2017 – et, souligne le secrétariat d’État, elles et ils « sont désormais agents à part entière de l’éducation nationale ». Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que…

Contrats précaires et grilles de salaire au-dessous du Smic

Sauf qu’on joue sur les mots, déjà. «  Agents à part entière de l’éducation nationale», certes, mais toujours sous contrat de droit privé. Avec des CDD, au mieux, de trois ans, et une infime proportion de CDI. Avec, surtout, des contrats à temps partiel qui laissent leurs salaires flotter entre 700 et 800 euros, soit très nettement sous la barre du seuil de pauvreté, fixé à 1 100 euros. Nombre d’AESH cumulent d’ailleurs cet emploi avec un autre travail (par exemple, la surveillance des cantines le midi dans les écoles), pour tenter de joindre les deux bouts. Avec les conséquences que l’on imagine en termes de fatigue et sur leur vie personnelle.

Là aussi, la communication ronflante du ministère ne doit pas faire illusion. Arrachée de haute lutte après les premières mobilisations de cette année, la nouvelle grille indiciaire entrée en vigueur depuis la rentrée est présentée comme une quasi-révolution, promettant enfin une progression de carrière qui était jusqu’ici inaccessible aux AESH. Sauf que cette grille démarre… au-dessous du niveau du Smic. Celui-ci est en effet établi à 1 589 euros brut depuis le 1er octobre, alors que la grille de salaires des AESH démarre… 20 euros plus bas, à 1 569 euros brut. La première conséquence de cette situation, c’est que la colère des AESH ne faiblit pas, et qu’avec leurs organisations syndicales (CGT Educ’action, SUD éducation…), elles et ils continuent à exiger un véritable statut d’agent public, une rémunération au niveau des emplois équivalents de la fonction publique, une formation initiale qualifiante… bref, le minimum pour permettre de reconnaître qu’ils exercent un vrai métier.

Sans les AESH, on ne pourrait rien faire. Qu’ils puissent en vivre, que ce soit un métier reconnu et soutenu : nos enfants seraient les premiers à en bénéficier. Géraldine Pouy Mère d'une enfant détectée « multidys »

Car l’école inclusive, c’est eux. Géraldine Pouy, dont la fille détectée « multidys » (troubles multiples liés aux apprentissages) est scolarisée à Villeurbanne (Rhône), le formule sans ambages : « Sans eux, on ne pourrait rien faire. Qu’ils puissent en vivre, que ce soit un métier reconnu et soutenu : nos enfants seraient les premiers à en bénéficier. » Le parcours de Géraldine et de sa fille, similaire à celui de bien des familles, en dit plus long sur la réalité de « l’école inclusive » que les communiqués ministériels les plus alambiqués. La lourdeur des dossiers à présenter à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées, le service des conseils ­départementaux en charge du handicap), « à refaire tous les deux ans, même si la situation n’a pas changé », le certificat médical refusé « alors qu’il était encore parfaitement valable », obligeant à une nouvelle visite chez le médecin…

« Il faut avoir les moyens »

Cette année, la fille de Géraldine Pouy entrait en sixième, un passage qui peut s’avérer délicat pour n’importe quel élève. « Début août, raconte la maman, l a MDPH nous a informés que nous aurions une ­réponse… dans quatre mois. » Autrement dit, pas d’AESH pour la rentrée et la crainte qu’il n’y en ait pas non plus après, car l’expérience montre que « si on n’a pas de notification d’accompagnement en septembre, on ne pourra pas avoir d’AESH après car les budgets sont très vite clos ». Pour Géraldine et sa fille, les conséquences sont lourdes. « C’est moi qui aide ma fille à faire ses devoirs tous les soirs », précise-t-elle. En plus de son travail. « C’est très fatigant mentalement, il y a des moments où je lui crie dessus… Mais on n’a pas le choix. »

Encore a-t-elle la « chance » d’être en ­capacité de le faire. « C’est encore plus dur pour les parents qui n’ont pas les moyens, financiers et culturels, de suivre leur enfant », remarque-t-elle, alors qu’ « une bonne prise en charge change tout. Mais il faut en avoir les moyens : il y a parfois des années d’attente pour avoir une place en CMPP (centre médico-psycho-­pédagogique), il faut trouver un ­médecin capable de poser le bon ­diagnostic »… À 50 euros la consultation chez l’ergothérapeute, 45 euros celle de la psycho­motricienne, le tout chaque semaine et non remboursé, les coûts finissent par être astronomiques. Et l’aide est minimale : 130 euros par mois, quand Géraldine chiffre le coût de la prise en charge à 300 euros mensuels…

La mutualisation n’est qu’un moyen de gérer la pénurie

L’arrivée des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) a aggravé les problèmes. L’idée de départ était de mieux coordonner localement l’action des AESH en fonction des besoins, et de permettre la « mutualisation », dans le but d’une meilleure allocation des ressources. Dans la réalité, les Pial ne sont qu’un moyen de gérer la pénurie. Dans la région lyonnaise, le Collectif des parents d’élèves en faveur des AESH, dont fait partie Géraldine Pouy, relève que la mise en place des Pial a ainsi coïncidé avec une baisse terrible du nombre d’heures d’accompagnement effectivement alloué aux enfants, qui « se réduit trop souvent à 3,7 heures par semaine, quand il était auparavant de 6 à 9 heures ». Alors que les besoins des enfants, eux, n’ont pas changé…

Trop souvent aussi, les notifications d’accompagnement individuel (un enfant ­bénéficie d’un AESH pour lui seul) ne sont plus respectées. Certains AESH se retrouvent à devoir accompagner plusieurs enfants dans une même classe ; d’autres sont envoyés, la même semaine (voire le même jour) d’une école à un établissement secondaire, alors que ce n’est pas le même travail ; certains élèves sont « baladés » entre plusieurs AESH, alors que la stabilité et la sécurité affective sont au premier rang parmi les « besoins particuliers » de ces enfants…

Résultat : alors que, faute d’attractivité et de reconnaissance, il est déjà difficile de recruter des AESH, dans le Rhône l’année dernière, le taux d’absentéisme atteignait les 20 %, soit 1 000 absents sur les 4 000 postes… Des absences dues en partie au Covid (400, selon le collectif), mais surtout à l’épuisement et au mal-être des AESH… qui ne sont pas remplacés, laissant enfants et familles dans le désarroi le plus complet. Une réalité que les chiffres triomphants du gouvernement ont de plus en plus de mal à cacher. 

Les AESH s’invitent dans le débat budgétaire

À l’initiative de François Ruffin (FI), des députés de tous bords vont cosigner des amendements dans les projets de loi de finances 2022 et de financement de la Sécurité sociale visant à améliorer les conditions de travail des AESH, et plus largement des métiers du lien. Outre l’obligation de rémunérer ces professionnels « au minimum » au Smic, l’insoumis réclame la fin des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), qui obligent les AESH à « faire du saute-mouton d’un élève à l’autre, d’une classe à l’autre, voire d’un établissement à l’autre ».

 

publié le 20 octobre 2021

Un Juste condamné pour
« délit de solidarité »

sur http://patrick-le-hyaric.fr/

Le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU tout comme le pape François avaient salué et soutenu l’action de ce maire d’une petite ville de moins de 2000 habitants du sud de l’Italie, dans la région de Calabre. Le magazine américain Fortune, avait été jusqu’à le classer parmi les cinquante personnes les plus influentes au monde en 2016. Il avait été élu en 2010, 3ème meilleur maire au monde.

Voici que la justice italienne, sous les applaudissements de l’extrême droite, vient de condamner, cet élu, Domenico Lucano, à l’assourdissante peine de treize ans de prison et à 500 000 euros d’amende. Son crime ? Avoir accueilli et fait installer dans son village des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, fuyant guerres, persécutions et misère.

Ce faisant, il ne faisait que son devoir, codifié dans de multiples conventions internationales. Il donnait un sens concret aux beaux mots d’humanisme et de solidarité. En même temps il redonnait vie à la collectivité : les maisons abandonnées depuis des années retrouvaient tout d’un coup la vie grâce à lui. Des familles se formaient, la vie sociale renaissait dans une mêlée de cultures du monde. L’école rouvrait. Des activités artisanales et commerçantes donnaient vie à la cité. Une coopérative créée par les réfugiés avec le soutien de la commune traitait les déchets ménagers. Bref, Domenico protégeait, offrait sécurité et espoir.

La presse internationale s’enthousiasmait  de cette expérience originale. Des maires partout en Europe voulaient s’en inspirer.

Mais c’était sans compter sur la hargne du ministre d’extrême droite, Matteo Salvini, qui en 2018 le fit arrêter et placer en résidence surveillée.

Le chef d’accusation fut tout trouvé : Domenico Lucano aurait organisé des mariages de convenance pour aider les femmes déboutées du droit d’asile à rester en Italie. Puis des juges acharnés condamnèrent l’attribution du marché de la gestion des déchets à des coopératives liées aux personnes migrantes.

Peu importe que ce maire ait sauvé des vies. Peu importe qu’il se soit appuyé sur la Convention de Genève qui proclame depuis 1951 un droit imprescriptible : celui d’être accueilli dès lors que l’on craint pour des hommes et des femmes des persécutions « du fait de la race, de la religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ».

Ainsi, au cœur d’une Europe qui proclame à chaque lever de soleil son amour de la liberté et de la solidarité, un élu du peuple défendant les droits humains et faisant du même coup revivre sa petite ville, subit un procès en hospitalité.

Car l’hospitalité pour Domenico, est un héritage. La Calabre est une terre d’accueil dont on retrouve les traces durant la période Grecque.

Et la mère de Doménico hébergeait déjà des pèlerins roms à l’occasion du festival de septembre à Riace. A la fin des années 1990, la famille s’occupe de 300 migrants Kurdes fuyant le pire et suit leur installation, tout en commençant à redonner vie à la commune.

Seulement le « modèle » de Riace n’a pas sa place dans cette Europe qui se terre, qui érige désormais des murs et fait de notre mer commune, la méditerranée, un cimetière.

Les représentants de cette Europe, si préoccupés par ce qui se passe en Amérique latine ou en Chine, n’ont pas un mot de soutien pour un maire qui ouvre sa porte et reçoit en humanité. Un maire qui refuse de renvoyer à la mort des femmes et des hommes qui cherchent refuge ! Un maire qui fait que cette Europe cesse d’être un froid tiroir-caisse, une police aux frontières et la guerre de tous contre tous.

Au lieu de la criminalisation, l’action de Domenico Lucano appelle un autre monde dans lequel les droits humains seraient supérieurs à celui de la liberté des capitaux à spéculer et à se réfugier dans des paradis fiscaux quand des millions d’êtres humains connaissent l’enfer. Un monde fondé sur la coopération, et non plus la compétition, le co-développement au sens du développement commun, social ; solidaire, démocratique, et environnemental, dans la sécurité et la paix.

Ce procès de Riace est celui de la condamnation d’un Juste. Celui de l’hospitalité dans un pays membre fondateur de l’Union européenne, miné par les violentes tourmentes politiques, que gouvernent, ensemble, l’ancien président de la Banque centrale européenne et une partie de l’extrême droite.

Fermer les yeux sur cette infamie, serait nous condamner à la vivre ailleurs ! Les démocrates, les progressistes, les humanistes ont le devoir de faire sauter la chape de plomb qui s’abat sur la situation de Domenico Lucano et d’utiliser tous les moyens pour que le gouvernement français et les institutions européennes fassent appliquer les conventions internationales et blanchissent Domenico.

C’est l’honneur de l’Europe qui est engagé. Qu’elle ait le courage de faire sienne cette interpellation de Sophocle « Qui a le droit avec soi peut aller le front haut ».

Patrick Le Hyaric 

 

publié le 20 octobre 2021

Présidentielle. Les insoumis veulent un "pôle populaire"

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Réunis à Reims pour la convention de l’Union populaire, les soutiens de Jean-Luc Mélenchon ont précisé leur feuille de route.

« La victoire est possible, assure Jean-Luc Mélenchon. Ne croyez pas que je le dise seulement parce que j’en ai aussi follement envie que vous, mais parce que l’expérience et la connaissance du pays profond m’enseignent que la France se cherche à tâtons, à cette heure », a justifié le candidat des insoumis devant ses partisans réunis pour la convention de l’Union populaire à Reims, les 16 et 17 octobre. Selon lui, « elle trouvera son chemin comme elle l’a toujours fait dans son histoire : à partir du mouvement de son peuple et de ce qui détermine sa volonté, c’est-à-dire de vivre bien, de vivre mieux, ensemble ».

Les insoumis estiment être dans une « dynamique »: un sondage réalisé au mois d’août plébiscite les mesures emblématiques du programme L’avenir en commun ; des sondages font de leur candidat « le mieux placé à gauche pour accéder au second tour »; et le débat face à Éric Zemmour a démontré, selon la FI, « la capacité (de J.-L. Mélenchon) à incarner les valeurs de fraternité et d’égalité ».

« Les sondages montrent que le deuxième tour est à une portée de petits points, bien plus facile qu’il ne l’était en 2016 » Jean-Luc Mélenchon

Mieux, a expliqué ce dernier aux quelque 1 000 participants, dont deux tiers avaient été tirés au sort parmi les soutiens à sa candidature en 2022 : « Les sondages montrent que le deuxième tour est à une portée de petits points, bien plus facile qu’il ne l’était en 2016 » et que « le pôle populaire existe dans ce pays, à côté de cette UDF de gauche que, paraît-il, certains veulent créer », pique à destination des écologistes et des socialistes.

Mais derrière, il fallait assurer la mobilisation des insoumis, notamment sur le terrain. Le coordinateur de la France insoumise, Adrien Quatennens, s’est attelé à démonter le bilan d’Emmanuel Macron. Guilhem Serieys, l’un des animateurs de la campagne, a lui lancé un appel à la mobilisation pour obtenir les 500 signatures : « Est-ce imaginable qu’il ne puisse pas se présenter en 2022 ? » a-t-il ainsi lancé aux participants. « Nous avons besoin de volontaires, de rencontrer un maximum de maires. De les rencontrer, pas d’envoyer des courriers », a insisté l’ex-conseiller régional insoumis.

Regard tourné vers une partie des écologistes

Les insoumis tentent également de commencer à élargir le cercle des soutiens. Après Huguette Bello, fin août, à Valence, c’est le nouveau président de la collectivité territoriale de Guyane, Gabriel Serville, qui est intervenu dans une vidéo. Lors des débats, l’ancien porte-parole de Sandrine Rousseau à la primaire écologiste, Thomas Portes, figurait parmi les intervenants : « Je n’ai jamais caché ma proximité avec Jean-Luc Mélenchon. C’est un candidat qui donne à voir quelque chose, avec un programme connu, porté par beaucoup de gens. Sur la planification écologique, il est très en avance. » « Une partie de l’électorat de Sandrine Rousseau n’était pas d’EELV. Et si Yannick Jadot ne fait pas un pas dans leur direction sur certains aspects programmatiques, ça ne va pas le faire », explique-t-il ensuite. Les insoumis le savent, et attendent de voir comment évoluera la campagne des présidentielles…

« L’Union populaire aura bientôt son parlement » Jean-Luc Mélenchon

Enfin, le candidat des insoumis a tracé une feuille de route à ses militants. « L’Union populaire aura bientôt son parlement », a-t-il promis. « En janvier, nous ferons le meeting d’ouverture de l’Union populaire, et j’espère que nous y verrons alors quelques-uns des visages qui auront décidé de faire ce mouvement vers nous et avec nous. » Jean-Luc Mélenchon a également fixé un rendez-vous, le 20 mars 2022, « pour cette marche que nous faisons à chacune de nos élections présidentielles ». Pour décoller après des sondages qui le bloquent depuis des semaines entre 8 et 11 % des intentions de vote, Jean-Luc Mélenchon s’accroche à ses succès de 2017.

 

publié le 19 octobre 2021

A Montpellier, Génération Zemmour : un pot-pourri de l’extrême droite radicale locale

sur https://lepoing.net

Eric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle ? L’hypothèse devient chaque jour plus probable, crédibilisée par une agitation médiatique incessante appuyée sur les sondages récents. Le polémiste condamné pour ses propos racistes entretient toujours le mystère sur ses véritables intentions. Mais en coulisse et sur le terrain, ses militants s’activent pour préparer la candidature du « Z ». On retrouve dans leurs rangs des militants accumulant les étiquettes au nom de « l’union des droites » – et tant pis pour la cohérence.

Du RN à Zemmour

Un petit rappel historique s’impose. Depuis les années 80 et jusqu’en 2017, le principal parti d’extrême droite français, le Front/Rassemblement National, occupe le terrain en comptant sur une certaine stabilité électorale. Pour Marine Le Pen, nouvelle dirigeante de la PME familiale, les choses sont simples : son score augmente d’élection en élection et si Emmanuel Macron a mis à mal les anciens partis de droite et de gauche, elle peut espérer apparaître comme la principale opposante au pouvoir en place. Il n’y a donc qu’à attendre le prochain scrutin pour récolter les fruits du macronisme.

Mais les choses ne se déroulent pas comme prévues. Suite au débat désastreux de l’entre-deux-tours de 2017, Marine Le Pen est pressée par son entourage de modifier son programme, pour apparaître comme une option crédible, capable de gouverner le pays. La tactique du charognard consistant à capitaliser sur les attentats et les crimes ne suffit pas pour passer le cap du second tour. Il faut encore convaincre les élites politiques et économiques… Le FN devient donc le RN et adopte un programme recentré, plus modéré en apparence. Exit le racisme décomplexé, la sortie de l’UE, le retour aux franc. Seulement voilà : après des décennies de discours ultra-réactionnaire, la base du parti est déçue, de nombreux électeurs, militants et cadres jugeant ce virage comme une trahison. Ce mécontentement ne tarde pas à être capté par Eric Zemmour qui y voit une formidable opportunité. Avec lui, pas de dédiabolisation, mais des outrances pour occuper l’espace de la droite radicale. Ce qui attire de nombreux jeunes tombés en désamour avec Marine Le Pen…

On prend les mêmes et on recommence

Cette « union des droites » fantasmée depuis des années, portée par divers médias, personnalités et influenceurs influents, s’illustre dans les faits à Montpellier. On retrouve dans la petite équipe portant la campagne Zemmour des membres du groupuscule antisémite et royaliste Action Française, des ex-RN, des militants du syndicat étudiant de droite (liée aux Républicains) l’UNI… Mais, surprise, il s’agit des mêmes individus.

Ainsi, des étudiants comme Riyan B. ou Pierre M. ont milité localement pour l’Action Française, participant aux activités et taguant la nuit croix celtiques et fleurs de lys (peut être sous l’emprise de l’alcool au regard du résultat). Rappelons que le principal dirigeant de l’AF, Charles Maurras, qualifiait la Résistance de « terroriste » et appuyait Pétain. Mais les deux mêmes étudiants sont également impliqués activement dans l’UNI Montpellier. On retrouve aussi Pierre M. au Rassemblement National, avant donc de rejoindre la campagne Zemmour. Une situation qui n’a rien d’une exception locale : à Nîmes, c’est un certain Robin C., ex-FN, qui anime l’UNI local, tout en agressant à coups de barre de fer des manifestants toulousains contre le pass sanitaire avec la bande fasciste « South Face ». Des grands écarts idéologiques prouvant à la fois l’ancrage dans l’extrême droite de l’UNI, démentant le discours officiel du syndicat, et la faiblesse des effectifs de tous ces groupes, qui en sont réduits à voir leurs adhérents multiplier les casquettes (au propre comme au figuré).

Un autre exemple montpelliérain : comme le prouvent les vidéos du meeting du 16 octobre d’Eric Zemmour à Béziers, de jeunes fascistes locaux déjà évoqués dans le Poing – Clément N., Florian L. et Athenais N., étaient également présents. Rien de surprenant après l’annulation du meeting montpelliérain (officiellement faute de salle appropriée, ce qui en dit long sur l’implantation du candidat) : si ces individus avaient lancé le groupe « Jeunesse Saint Roch » sur le modèle du Bastion Social, on les trouve également à l’Action Française, à la Ligue du Midi, avec la South Face, etc. Plus d’étiquettes que de membres et une confusion idéologique totale, entre catholicisme intégriste, paganisme, et références nazies.

Et les autres ?

Longtemps, le Front/Rassemblement national a pu garantir une rente à ses membres : postes d’élus, permanents… L’argent des subventions nourrissait l’appareil. L’affaiblissement de la marque Le Pen pousse les carriéristes et les radicaux à aller voir ailleurs. Il est donc possible que d’autres personnes et d’autres groupuscules soient entrainés dans la dynamique de la campagne Zemmour, au risque de multiplier les exactions, les scandales et le ridicule. La Ligue du Midi a ainsi eu jusque-là des positions plutôt favorables au candidat d’extrême droite. Il réalise le vieux fantasme du clan Roudier d’une candidature unitaire bien marquée à droite, sans programme social mais assumant l’outrance sur les classiques thèmes du triptyque Islam-Immigration-Insécurité.

Profitons-en pour noter que cela correspond tout à fait aux intérêts de classe des dirigeants de la Ligue. Le fait que la famille Roudier possède des propriétés telles que le château d’Isis est connu de tous. Il n’en va pas de même pour les seconds couteaux, tels que Florence V., suppléante de Richard Roudier lors des élections cantonales à Sumène, dans le Gard. Son mari est Stephan V., directeur général délégué du Casino de la Grande Motte au chiffre d’affaire de 14 millions d’euros pour l’année 2020. Une famille intéressante et représentative de ce milieu socio-politique, puisqu’un de leurs enfants, Tristan V., passionné d’armes à feu ayant tenté sans succès d’agresser des adversaires politiques, militait aussi à l’Action Française avant de rejoindre Jeunes d’Oc – nouvelle structure lancée par l’ex dirigeant de Génération Identitaire, Jérémy V. Et cela alors que plusieurs anciens cadres du mouvement identitaire s’engagent aujourd’hui dans la campagne Zemmour. Le monde est décidément petit.



 

 

publié le 19 octobre 2021

« Nous sommes un pays qui travaille moins que les autres » : Emmanuel Macron ment. Et il le sait, nous le savons, tout le monde le sait

Sur www.regards.fr

Ce mardi 12 octobre, Emmanuel Macron organisait un grand show intitulé « France 2030 ». L’objectif : présenter son plan industriel pour la prochaine décennie, 30 milliards d’euros sur cinq ans pour développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir comme… le nucléaire.

 Le détail de ce plan, nous y reviendrons plus tard. Non, là, ce qui nous intéresse tient en une minute, quelques phrases prononcées par le Président himself :

« Quand on se compare, nous sommes un pays qui travaille moins que les autres en quantité. Ça reste vrai. Et donc nous avons une quantité de travail allouée qui n’est pas au bon niveau, à la fois dans le cycle de vie et en horaires cumulées. Au fond, on a une force qui est notre modèle social et éducatif mais on a une faiblesse c’est qu’on a plus le modèle productif qui permet de le financer. C’est ça notre grande incohérence. Je ne crois pas qu’on arrivera à réduire notre modèle social. C’est très dur dans une démocratie de dire aux gens "on va vous enlever des droits massivement ". Il faut améliorer l’efficacité de la dépense publique. Il faut permettre de rendre les mêmes services avec moins d’argent. Ce sont des modernisations qui prennent des années. Mais si on veut projeter le pays – ce qui est, je crois profondément, le destin français –, [...] il nous faut avoir un pays qui produise davantage. »

On appelle cela une masterclass. Toute la doctrine néolibérale est là. Et notamment le mensonge, en l’occurrence sur le travail des Français, comme le rappelle le journaliste de L’Express Olivier Pérou : « Selon l’OCDE, la France travaille plus (1526 heures en 2017) que l’Allemagne (1356). Eurostat dit la même chose : en 2018, les Français (temps complet ET partiel) travaillaient 37,3 h/semaine en 2018, soit plus que les Britanniques (36,5) ou les Allemands (34,9). Idem pour 2019 et 2020. Quant à la productivité... Je vous renvoie vers ce papier de The Economist qui en 2015 écrivait : "The French could take Friday off and still produce more than Britons do in a week" [Les Français pourraient ne pas travailler le vendredi et produire toujours plus que les Anglais en une semaine, ndlr] ».

Emmanuel Macron n’est pas un idiot. Il sait tout cela pertinemment. Mais la vérité n’a jamais été une valeur cardinale de sa politique. Et il aura beau se dire « le premier des gaulois réfractaires », son mépris envers les travailleurs demeure intact. En attendant ses prochaines casses sociales, on gage que le chef de l’État n’ira pas chercher « l’argent magique  », qui pourrait les éviter, là où il est : dans les paradis fiscaux



 

 

publié le 18 octobre 2021

Montpellier : la manif anti-pass fête les nouveaux appels de gilets jaunes comme il se doit

sur http://lepoing.net/

Si le nombre de participants ne repart pas à la hausse, la nouvelle manifestation montpelliéraine contre le pass sanitaire et l’obligation vaccinale de ce samedi 16 octobre a pris une coloration originale, de par sa concomitance avec les appels de gilets jaunes à reprendre les ronds-points face à la hausse des produits de première nécessité.

Comme tous les samedis, le rendez-vous est fixé à 14h sur la place de la Comédie. Même prises de parole, même diversité des participants. En remontant vers la préfecture, on mesure l’ampleur du rassemblement : environ 2000 personnes ont répondu présentes cette semaine, légèrement moins que les semaines précédentes.

L’originalité de la semaine se trouve plutôt dans la tournure des évènements une fois le cortège arrivé devant la gare Saint-Roch, via le Peyrou et le boulevard du Jeu de Paume.

Depuis quelques jours, les réseaux sociaux bruissent d’une alléchante rumeur : suite à la nouvelle flambée des prix des produits de première nécessité ( l’essence notamment a dépassé le prix moyen affiché à la pompe autour de l’automne 2018 ), les gilets jaunes prépareraient leur retour sur le devant de la scène politique et sociale. Plusieurs appels à des journées d’action tournent, la première pour ce samedi 16 octobre, avec pour mot d’ordre la reprise des ronds-points. Sans que l’émulsion collective n’atteigne l’intensité de l’agitation numérique des semaines précédents le 17 novembre 2018, la mayonnaise prend. Tant et si bien que le hashtag #GiletsJaunesSaison2” se retrouve en première tendance politique sur Twitter, et que les médias de nos chers amis bourgeois s’emparent un à un de la question, pris par la peur d’un retour des gilets jaunes”. Si sur Montpellier même peu d’initiatives suivent directement ces appels, ils auront une influence non-négligeable sur le déroulé de cette nouvelle manifestation contre le pass sanitaire et l’obligation vaccinale.

Plutôt que de remonter comme à l’accoutumée la rue Maguelone vers la place de la Comédie, le rassemblement une fois face à la gare Saint-Roch s’engage sur l’avenue du pont de Lattes. Qu’est ce qui peut bien venir perturber l’éternelle attraction des anti-pass pour les rues de l’Ecusson ? Une idée circule depuis le début de la manif : rejoindre le rond-point des gilets jaunes du Près d’Arènes, encore occupé deux fois par semaine presque trois ans après le début du mouvement fluo. Si l’initiative est lancée par une poignée de bonnes volontés, elle ne rencontre pas de résistance dans la foule. Et c’est tout naturellement que celle-ci emboîte le pas aux quelques irréductibles du mouvement né en novembre 2018. Proches ou pas du polémique groupe de gilets jaunes officiellement constitué près du rond-point Près d’Arènes, tous les pourfendeurs des fins de mois difficiles semblent se réjouir de la tournure prise par les évènements. Les autres aussi d’ailleurs.

Une demi-heure plus tard et malgré quelques défections, se sont donc près d’un millier de manifestants qui déboulent sur le fameux rond-point. Belle lurette que les lieux n’avaient pas retrouvés leurs foules ! Après un sage tour de giratoire, et alors que les musiciens s’activent à rendre l’ambiance festive, plusieurs centaines d’entre eux entreprennent un blocage de la circulation. On se croirais revenus en des temps socialement inflammables, quand sur un air de Mort aux vaches, mort aux condés” joué aux cuivres, d’autres acclament des gendarmes pour avoir fait un salut de la main en direction de la manif. La contestation brasse de nouveaux publics chaque mois dans la France macronienne.

Plus loin, sur la voie rapide qui file direction Palavas, les collègues de la gendarmerie mobile intimident, par une présence importante, pour que la fête ne dure pas trop. Non casqués et assez tranquille, quelques dizaines de membres de ces unités de maintien de l’ordre avancent vers le rond-point et la manif. Si bien que celle-ci décide d’elle-même de suspendre le blocage, et de retourner vers le centre-ville.

Talonnés par les cinq ou six camions de la gendarmerie mobile, les quelques centaines de présents apparaissent galvanisés par ces petites audaces, et par la mémoire des gilets jaunes. A tel point que le cortège se transforme en liesse populaire sur la route du retour. Le petit nombre qu’il reste fait plus de bruit que certaines des manifs de ces dernières semaines chiffrant à quelques milliers de participants. Voilà plusieurs semaines qu’on avait pas vu telle ambiance dans les rues de Montpellier un samedi après-midi ! Des vieux slogans de gilets jaunes viennent s’ajouter au très repris on est là”. Emmanuel Macron, oh tête de con, on vient te chercher chez toi” connaît un franc succès, contrairement au plus guerrier gilets jaunes, quel est votre métier ?”, qui fait de son côté un joli flop.

Pareil enthousiasme ne laisse pas indifférent : sur l’itinéraire du cortège, les commerçants sortent de leurs boutiques, comme à l’approche d’une foule innombrable. On peut même surprendre quelques sourires rêveurs sur le visage de certains coiffeurs autour du boulevard de Strasbourg.

Longue pause musicale rue de Verdun, l’occasion d’extérioriser toute cette euphorie par des danses endiablées. Avant que ce qu’il reste du cortège ne rejoigne à nouveau la place de la Comédie, pour dispersion rapide.

On retiendra plusieurs choses de cette journée. Premièrement, les appels à reprendre les ronds-points et à manifester contre les hausses de prix des produits de première nécessité pour ce samedi 16 octobre n’ont évidemment pas soulevé les masses comme à l’automne 2018. Pour le moment. Car il est bon d’avoir en tête que les appels ne circulent que depuis quelques jours. Si l’équipe du Poing n’a pas encore de vue d’ensemble sur la journée à une échelle nationale, quelques milliers de personnes au bas mot on répondu à l’appel. Pas mal pour de l’impro totale, et peut-être l’occasion de construire plus grand à l’approche du troisième anniversaire des gilets jaunes. Deuxièmement, les anti-pass de Montpellier ont très spontanément répondu à cette injonction giletjaunesque, jusqu’à en reprendre les slogans avec enthousiasme. N’en déplaise aux convaincus du caractère libéral, voir fascisant du mouvement, les anti-pass recrutent dans cette masse de soutiens des gilets jaunes, et une alliance plus ou moins lâche avec les pourfendeurs des inégalités sociales ne paraissait pas du tout aberrante cette après-midi à Montpellier.

S’apprête-t-on à revivre un mouvement des gilets jaunes bis ? Une assemblée de lutte était appelée ce soir à Grabels par les gilets jaunes de Près d’Arènes. Et les discussions vont bon train entre gilets jaunes de la région entière pour organiser des efforts de coordination. Mais si mouvement populaire il y a dans les semaines et les mois à venir, il y a fort à parier qu’il ne se choisisse pas le gilet comme symbole. Et c’est tant mieux : le pouvoir patine face à la nouveauté, à ce qui le surprend. Néanmoins, les frémissements de ces derniers jours, et la réaction des anti pass montpelliérains notamment, montrent que le mouvement des gilets jaunes a profondément marqué le peuple français. Que ses pratiques, ses réseaux de symbole, et l’influence des groupes constitués ou informels qui y ont acquis une précieuse expérience de la lutte sociale auront leur rôle à jouer dans la suite des évènements.

L’époque est faite ainsi : un bouillonnement contestataire larvé quasi-permanent, malgré sa mise sous cloche pendant les premiers confinements, aux contours parfois flous, confus et ambigües certes, mais qui a une indéniable capacité à surprendre. Et qui connaît des phases moins larvées que d’autres..

Alors, quid de l’hiver 2021 ? La colère est là, les actions d’agriculteurs et sur les ronds-points en métropole contre la hausse des prix font flipper nos gouvernants, et la situation en Martinique devient relativement explosive. Révolte ou dépression pré-électorale ? C’est en luttant qu’on aura nos réponses.


 

 

publié le 18 octobre 2021

17 octobre 1961. Macron parle de crime, mais oublie les criminels

Aurélien SoucheyreLatifa Madani sur www.humanite.fr

Pour la première fois, un président a commémoré physiquement les massacres des Algériens, à Paris, il y a soixante ans. Mais, plutôt que de reconnaître la responsabilité de l’État, il s’est contenté d’accuser le préfet de l’époque, Maurice Papon.

Des fleurs jetées à l’eau et aucun mot. Le chef de l’État a beau regarder la Seine, il ne dit rien. Samedi 16 octobre, depuis le pont de Bezons (Hauts-de-Seine), Emmanuel Macron est devenu le premier président de la République à commémorer physiquement le 17 octobre 1961, lors d’une cérémonie. Il aura fallu attendre soixante ans… Soixante ans pour que ce « massacre d’État », comme l’affirme l’historien Emmanuel Blanchard, ait droit à pareille initiative officielle. Devant ce fleuve où tant de personnes furent noyées par la police, lors d’une nuit d’enfer où des centaines de manifestants algériens furent assassinés par les prétendues « forces de l’ordre ».

« De Gaulle laissa faire »

Soixante ans… Il faudra pourtant attendre encore pour que le sommet de l’État reconnaisse pleinement la responsabilité qui fut la sienne, cette nuit-là. Car au lourd silence durant le recueillement, Emmanuel Macron a répondu par un court communiqué. L’Élysée a certes tenu à « rendre hommage à la mémoire de toutes les victimes ». Mais son texte fait mention de « plusieurs dizaines » de tués quand il est établi qu’il y en eut bien plus de 100… Enfin, la présidence de la République assène que « les crimes commis cette nuit-là par Maurice Papon sont inexcusables pour la République ». Une façon de se dédouaner sur le seul préfet de police de l’époque. Ce coupable idéal, puisqu’il fut prouvé des années plus tard qu’il participa à la déportation des juifs pendant la Seconde guerre mondiale, n’a pourtant pas agi seul.

« Pas plus que Didier Lallement aujourd’hui, le préfet Maurice Papon n’orientait la répression sur sa seule initiative. Les responsables politiques du crime d’État sont : le premier ministre Michel Debré, le ministre de l’Intérieur Roger Frey, ainsi que le général de Gaulle, qui laissa faire », a réagi Fabrice Riceputi. L’historien, auteur d’ Ici on noya les Algériens (éditions le Passager clandestin), ajoute que « de Gaulle a décoré et chaudement félicité Maurice Papon pour avoir “tenu Paris”. Il l’a maintenu en poste jusqu’en 1967 »… Et pourtant, Emmanuel Macron a pris grand soin de condamner des « crimes inexcusables pour la République », au lieu de parler de crimes « de » la République. « On est bien en deçà de ce qu’on attendait. Papon sert de coupable expiatoire. C’est une occasion manquée pour la vérité », a regretté auprès de Mediapart Mehdi Lallaoui, cofondateur de l’association Au nom de la mémoire.

Samia Messaoudi, cofondatrice de la même structure qui œuvre inlassablement pour que la pleine lumière soit faite sur le 17 octobre 1961, est elle aussi amère. « Quand nous avons été contactés par l’Élysée pour participer à la cérémonie de samedi, nous avons accepté à condition que cette nuit sanglante, ce massacre, soit reconnu comme un crime d’État par les plus hautes autorités du pays », raconte-t-elle. Les services de l’Élysée lui ont indiqué que le « président allait faire un geste, dire un mot », avant de finalement la prévenir que le recueillement serait silencieux. « Nous avons hésité, puis nous sommes finalement venus. Samedi, quand Monsieur Macron m’a serré la main, je lui ai rappelé que nous étions là pour que soit reconnu le crime d’État et pour que soient nommés les responsables de la répression. Il ne m’a pas répondu. Dix minutes plus tard, nous avons reçu le communiqué de l’Élysée. Hélas, c’est la déception totale. »

« Terreur coloniale »

Historiens, associations, collectifs et partis politiques regrettent ainsi que Macron se soit contenté d’un petit pas en avant, sans avoir le courage de vraiment regarder l’histoire en face, comme il le prétendait. « La vérité sur ce crime d’État est aujourd’hui connue et partiellement assumée par les responsables politiques de notre pays. Pourtant, malgré quelques avancées, il manque la reconnaissance officielle, par l’État, de sa responsabilité, de celle des dirigeants et de la police de l’époque », a annoncé EELV. Le PS a également réclamé « la condamnation, par le président de la République, de cette répression sanglante et de ceux qui l’ont organisée et/ou couverte ». « Je demande que la France assume ses responsabilités et déclare solennellement que l’institution policière française, des hauts fonctionnaires français, des responsables politiques français se sont rendus coupables d’un crime d’État il y a soixante ans, et qu’ils ont ainsi déshonoré la République », a de son côté fait savoir Fabien Roussel.

Le secrétaire national du PCF réclame aussi la création « d’une commission d’enquête indépendante qui aura accès à toutes les archives officielles et à tous les témoignages sans exception, afin de faire toute la lumière sur la terreur coloniale dont ont été victimes les Algériens de France ». Il demande « qu’un lieu soit consacré à Paris aux événements d’octobre 1961, conformément au vote du Sénat en octobre 2012 », en plus de « faire de la date du 17 octobre 1961 une journée d’hommages aux victimes des crimes du colonialisme ».

Traqués par des « gardiens de la paix »

Si la gauche regarde cette répression d’État pour ce qu’elle est, la droite cherche encore et toujours à relativiser, minimiser ou travestir l’histoire. Le député LR Éric Ciotti estime ainsi qu’Emmanuel Macron s’est livré à une « propagande victimaire antifrançaise indécente ». « Criminaliser notre histoire est une faute », ajoute la parlementaire du même parti, Michèle Tabarot. La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, aurait de son côté « aimé que le président associe la mémoire des 22 policiers morts dans des attentats FLN ». S’il faut refaire un peu d’histoire, faisons-la : quelques mois avant la fin de la guerre d’Algérie, alors que les négociations d’Évian qui vont déboucher sur l’indépendance sont déjà ouvertes, la police de Maurice Papon, donc celle de l’État, se livre à des exactions quotidiennes : rafles, tabassages, tortures contre les Algériens… Le FLN, qui avait interrompu les attentats contre les policiers, décide de les reprendre. Déterminé à poursuivre l’escalade de violence, Maurice Papon promet, lors des funérailles d’un policier, que « pour un coup porté, nous en porterons dix ».

La réponse sera celle du massacre du 17 octobre… qui vise des travailleurs immigrés, lesquels manifestaient pacifiquement contre le couvre-feu discriminatoire qui leur était imposé. Sans défense, ils sont traqués par des « gardiens de la paix » dont la mission n’est pourtant pas de se venger sur des innocents… Le rapport de Jean Geronimi, en 1999, indique que la répression policière s’abat tout en étant couverte par les autorités supérieures. Le nombre de corps de « Nord-Africains » repêchés dans la Seine augmente tout au long de l’année 1961, les 17 et 18 octobre constituant un « pic ». « Macron a fait le minimum », regrette ainsi Daabia, 80 ans, présent dans le défilé parisien de dimanche. « 17 octobre, on n’oublie pas, 17 octobre crime d’État ! » ont scandé les manifestants, ajoutant : « L’État a ordonné, Papon a exécuté ! » Parmi les 3 000 personnes rassemblées, la jeune Rym ne mâche pas ses mots : « Macron n’a même pas parlé, il se fout de nous. La cérémonie était totalement verrouillée. Il se perd dans ses calculs électoralistes. » « On ne peut pas limiter la responsabilité à Papon, il faut avoir le courage de reconnaître celle de l’État », a conclu Kamel, militant associatif, qui a marché jusqu’à Saint-Michel, où les manifestants se sont arrêtés face à la Seine.



 

 

publié le 17 octobre 2021

 

Les aides à domicile « en révolte » face au manque de reconnaissance de leur indispensable métier

par Lucie Tourette, Nicolas Anglade sur https://basta.media/

Les salaires sont dérisoires et les démissions se multiplient. La crise sanitaire a souligné l’importance des aides à domicile, mais elles n’ont pas reçu la reconnaissance attendue de la part des pouvoirs publics. Reportage à Saint-Étienne.


 

Zoé Dupont [1], 53 ans, a écrit toutes ses revendications sur la première page d’un carnet neuf à la couverture mauve. Elle travaille comme auxiliaire de vie depuis 2018, pour une entreprise qui fait l’intermédiaire entre particuliers et aides à domicile. Sur le carnet de Zoé, on peut lire :

« -Pas de visite médicale du travail
 Ils ne veulent pas qu’on se connaisse entre nous
 Pas de tenue pro (même pendant la COVID)
 Pas le temps de manger
 Ne payent pas les absences de bénéficiaires
 Pas de salaire fixe »

Elles sont une quarantaine ce jeudi 23 septembre à s’être rassemblées place Jean-Jaurès à Saint-Étienne à l’appel de la CGT. Aides à domicile, auxiliaires de vie... Au-delà des statuts et des employeurs différents, toutes ont en commun de se rendre au domicile de personnes âgées, handicapées ou qui ne peuvent plus se débrouiller seules pour les actes de la vie courante. Il y a aussi des aides-soignantes à domicile, qui ont pour certaines revêtu leur tenue de travail. En France, elles sont plus de 700 000 à travailler dans le secteur du soin, de l’accompagnement ou du maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées. Dans ce secteur à 97 % féminin, le salaire moyen est à peine supérieur à 900 euros. Les temps partiels et les horaires irréguliers sont la règle. Selon le rapport sur les métiers du lien des députés Bruno Bonnell (LREM) et François Ruffin (LFI) : « Le taux de pauvreté est élevé chez les aides à domicile : on compte ainsi 17,5 % de ménages pauvres parmi les intervenants à domicile contre 6,5 % en moyenne pour l’ensemble des salariés. » [2]

Sophie

Sophie, 48 ans, se rend presque chaque jour chez un monsieur « qui souffre du dos et des hanches, se déplace avec deux cannes et ne sort plus de chez lui ». Elle fait son lit, ses courses, deux heures de « gros ménage » et prépare des repas chaque lundi. Son salaire mensuel : 360 euros net, complété par une pension d’invalidité, après avoir subi un AVC.

Zoé est venue seule car elle ne connaît pas d’autres aides à domicile travaillant pour le même mandataire qu’elle. Elle a bien demandé à sa direction d’organiser des réunions qui regrouperaient toutes ses collègues, mais elle a essuyé un refus. Elle a prévu une rencontre avec une collègue qui intervient chez la même personne qu’elle, de sa propre initiative. « Je trouve bien qu’on fasse un petit bilan », justifie-t-elle simplement. Mais ce n’est pas la norme. Au maximum, est mis en place un système de « cahier de liaison chez les personnes qui n’ont pas toute leur tête » lorsque plusieurs professionnelles interviennent chez le même bénéficiaire. Zoé déplore aussi l’absence de formations et d’écoute en cas de situations difficiles.

Les aides à domicile n’ont pas eu droit à la prime Covid de 183 euros

Si Zoé a choisi de travailler chez ce mandataire c’est parce qu’« on va toujours chez les mêmes personnes » et que cela permet d’instaurer une relation de confiance. Elle « adore le métier, le contact ». Comme elle, toutes les manifestantes disent aimer leur métier. Les différents confinements leur ont fait prendre conscience de l’importance de leur rôle mais aussi du peu de considération des pouvoirs publics à leur égard. La crise sanitaire a ravivé leur colère. Au début de l’épidémie, elles ne pouvaient pas se procurer de masques parce qu’elles n’étaient pas considérées comme personnel soignant. Mais aujourd’hui elles sont concernées par l’obligation vaccinale... au titre de personnel soignant. Contrairement à leurs collègues qui travaillent dans des hôpitaux ou des Ehpad, les aides à domicile n’ont pas eu droit à la prime Covid de 1000 à 1500 euros, ni à l’augmentation mensuelle de 183 euros décidée lors du Ségur de la santé et réservée aux soignants. Celles qui travaillent dans le secteur associatif devraient voir leur salaire augmenter ce mois-ci, mais pas les autres.

Mireille Carrot

Mireille Carrot, soignante en Ehpad et pilote du collectif Aides à domicile de la CGT. « Votre mobilisation est essentielle, comme vous. Vos revendications sont justes, elles sont d’intérêt général. »

Place Jean-Jaurès à Saint-Étienne, les drapeaux « CGT Loire » sont en place, les pancartes en carton faites maison dépliées, les autocollants rouges « Aides à domicile révoltées » collés sur les manteaux ou sur les sacs à main. Mireille Carrot prend le micro. Soignante en Ehpad et pilote du collectif Aides à domicile de la CGT, elle encourage les manifestantes : « Votre mobilisation est essentielle, comme vous. Vos revendications sont justes, elles sont d’intérêt général. Elles vous concernent vous et la qualité des soins que vous délivrez. » Elle rappelle les revendications : revalorisation immédiate des carrières et des salaires « à hauteur de l’utilité publique de vos métiers », meilleures conditions de travail, recrutement massif, amélioration de toutes les garanties collectives et création d’un grand service d’aide publique à la personne. Des rassemblements similaires sont organisés par son syndicat devant le ministère des Solidarités à Paris et dans plusieurs villes.

Certains jours, elle commence sa journée à 8 heures, l’achève à 19 heures et mange en conduisant

Les manifestantes citent toutes des exemples de collègues qui viennent de démissionner. Le gouvernement estime que 20 % des postes d’aides à domicile sont actuellement vacants. En temps normal, le secteur se caractérise déjà par un turn-over important, dû à 89 % aux mauvaises conditions de travail [3]. « Il y a chez les aides à domicile, un turn-over énorme dû à des conditions de travail particulièrement pénibles, explique la sociologue Christelle Avril, autrice de Les aides à domicile.Un autre monde populaire (Éd. La Dispute). Quand elles commencent à vieillir, elles sont tellement usées qu’elles n’arrivent plus à suivre. Le statut d’emploi devient alors plus important que le contenu du travail. Elles sont alors nombreuses à chercher à se faire employer en Ehpad ou comme femme de ménage pour une collectivité. C’est plus intéressant financièrement, même si ça l’est moins en termes de gratification. »

Sylvie, Karima et Sophie travaillent toutes les trois pour l’ADMR (Aide à domicile en milieu rural), un réseau associatif d’aide à la personne présent sur tout le territoire, qui emploie 94 375 salariés. Sylvie, 58 ans, décrit les journées de travail « interminables ». Certains jours, quand elle commence sa journée à 8 heures pour la finir à 19 heures, elle mange en conduisant. « Aujourd’hui, je devais faire 9 h 30-18 h non-stop. »

Sylvie

Sylvie, 58 ans, est aide à domicile en milieu rural. Certains jours, quand elle commence sa journée à 8 heures pour la finir à 19 heures, elle mange en conduisant. « Aujourd’hui, je devais faire 9 h 30-18 h non-stop. »

Les aides à domicile passent de une à trois heures chez chaque bénéficiaire. Elles doivent arriver à l’heure convenue et ne partir qu’une fois la durée d’intervention programmée écoulée. Les trajets et les temps morts ponctuent leurs journées de travail, sans pour autant être comptés comme temps de travail. Sylvie, Karima et Sophie sont indemnisées 37 centimes du kilomètre quand elles se rendent du domicile d’un bénéficiaire dépendant au domicile d’une autre. Mais si un trajet a pour point de départ ou d’arrivée leur propre domicile, il n’est pas indemnisé. Idem si elles ont une coupure dans la journée. Comme toutes les aides à domicile, elles peuvent passer la journée à travailler tout en étant rémunérées seulement quelques heures. Les interventions ont souvent lieu tôt le matin ou aux heures des repas le midi et le soir, avec une coupure en début d’après-midi. L’organisation de la vie de famille s’en ressent : « Quand mes enfants étaient petits, ils ont commencé l’école à 2 ans et demi. Et ensuite, ils ont eu la totale : cantine, étude, nounou », se rappelle Sophie, 48 ans.

« Ce travail amène à des maladies professionnelles qui ne sont pas reconnues comme telles »

Une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) intitulée « Les conditions de travail des aides à domicile en 2008 » permet de chiffrer précisément le décalage entre l’amplitude horaire consacrée au travail et la somme des temps d’interventions. En moyenne, une aide à domicile réalise un peu plus de 5 heures d’intervention en une journée. Mais cette durée passée auprès des bénéficiaires s’étale sur 7 h 13.

« Faire quatre personnes par jour et travailler 120 heures par mois, je l’ai fait... ça me convenait mais j’avais dix ans de moins ! » commente Sophie. Après un AVC et un arrêt de travail de deux ans, elle a accepté de reprendre, mais à deux conditions : ne pas commencer avant 9 heures et ne plus devoir prendre sa voiture, seulement les transports en commun. « Physiquement, je ne peux pas », résume-t-elle.

Karima

Karima, 60 ans, également aide à domicile en milieu rural. Les nombreux trajets et temps morts entre visites ne sont pas forcéments comptés. « On n’a pas un salaire alléchant. On aimerait avoir une reconnaissance, c’est ça l’important. »

Sophie va « pratiquement tous les jours » chez un monsieur « qui souffre du dos et des hanches, se déplace avec deux cannes et ne sort plus de chez lui ». Elle fait son lit, ses courses, deux heures de « gros ménage » et des repas pour un ou deux jours chaque lundi. Aujourd’hui, elle est « censée faire 44 heures par mois mais (elle fait) beaucoup plus. » Elle touche un salaire mensuel de 360 euros net, complété par une pension d’invalidité. Réussir à faire reconnaître une invalidité totale ou partielle est encore trop rare chez les aides à domicile, observe Christelle Avril : « Il est souvent difficile pour les aides à domicile de faire reconnaître l’usure du travail réel qu’elles effectuent. Se mettre à genoux 5 à 8 fois par jour pour nettoyer les toilettes, aller acheter des packs d’eau pour les personnes qui ne peuvent plus sortir de chez elles, respirer la poussière... Ce travail amène à des maladies professionnelles qui ne sont pas reconnues comme telles. »

Un mois normal : 488 kilomètres à scooter, 60 heures de travail et un planning modifié 12 fois...

Comme Zoé, Sophie et ses collègues dénoncent le fait qu’elles ne sont pas rémunérées si l’une des personnes chez qui elles travaillent est hospitalisée ou absente. Si elles travaillent chaque semaine dix heures chez une personne qui s’absente trois semaines, elles peuvent se retrouver à la fin du mois avec trente heures de moins sur leur fiche de paie. « On n’a pas un salaire alléchant. On aimerait avoir une reconnaissance, c’est ça l’important », conclue Karima. « Ce que veulent les aides à domicile, complète Christelle Avril, c’est un salaire à temps plein non pas en leur ajoutant des interventions – c’est déjà suffisamment usant, elles commencent très tôt, finissent très tard – mais en reconnaissant les temps de réunions, d’échanges entre elles, avec les infirmières, les proches pour faire au mieux leur travail ou encore, tout simplement, les temps de déplacement... »

Marie Mahé, 60 ans, travaille elle comme auxiliaire à domicile pour une entreprise privée depuis 2018. Comme la plupart des aides à domicile, elle a occupé d’autres emplois auparavant. Dans une vie antérieure, elle était assistante de direction. Puis elle s’est retrouvée paralysée pendant quatre ans de 2000 à 2005. « C’est rare d’entrer à 20 ans dans l’aide à domicile, confirme Christelle Avril. Il y a un marché genré du travail. Une jeune femme qui correspond aux canons esthétiques va trouver des emplois de vente ou d’hôtesse d’accueil. À 40 ans, elle va commencer à être considérée comme trop âgée pour ces métiers-là. Elle ne trouvera plus que de petits contrats, ou se fera licencier. La moyenne d’âge des aides à domicile est élevée : la moitié d’entre elles a plus de 50 ans, 13 % ont plus de 60 ans. »

Marie Mahé

Marie Mahé, 60 ans, travaille comme auxiliaire à domicile pour une entreprise privée. En juillet, elle a roulé 488 kilomètres à scooter pour 60 heures de travail. Son planning a changé 12 fois dans le mois.

Marie Mahé a fait les comptes : en juillet, elle a roulé 488 kilomètres à scooter pour 60 heures de travail. Son planning a changé 12 fois dans le mois. Dans son entreprise, le kilomètre est indemnisé 27 centimes d’euros. Elle a donné ces chiffres à sa responsable, accompagnés du commentaire suivant : « Posez-vous la question de savoir pourquoi cinq collègues sont parties. »

Elle est entrée en contact avec Mireille Carrot lors d’une précédente journée de mobilisation, le 7 avril 2021. Elle lui a parlé des conditions de travail dans son entreprise, de sa reprise après un accident du travail pour lequel elle affirme que son employeur a fait une fausse déclaration. Depuis, elle ne laisse rien passer. Elle dénonce l’arbitraire de la construction des plannings. Alors qu’elle travaille 78 heures par mois, elle devait auparavant intervenir chez 22 bénéficiaires. Au même moment, l’une de ses collègues, pour 90 heures de travail par mois, se rendait chez 10 bénéficiaires. « Depuis que j’ai menacé d’aller aux prud’hommes, mes plannings ont changé. Aujourd’hui, j’ai dix fois moins de déplacements, je m’occupe essentiellement d’une personne, mes interventions se suivent alors qu’avant je travaillais en début et en fin de journée. » En mai 2021, elle s’est fait rembourser 15 euros que l’entreprise lui devait depuis 2019 : elle s’était alors rendue à une visite médicale. Ce temps doit être payé comme du temps travaillé par l’employeur.

« Les retraité·e·s ont un pouvoir économique et social qui pourrait les aider à se faire entendre »

Parce qu’elles travaillent dans des lieux différents sans croiser leurs collègues, avec des horaires irréguliers, il n’est pas si facile pour les aides à domiciles de se mobiliser. « Pour tout un tas de raisons, analyse Christelle Avril, elles peinent à se mobiliser collectivement, elles travaillent isolées les unes des autres, sont précaires du fait du temps partiel. Au milieu des années 1980, il y a eu des mobilisations conjointes d’aides à domicile et de retraité·e·s. Les retraité·e·s ont un pouvoir économique et social qui pourrait redonner du poids aux revendications des aides à domicile et les aider à se faire entendre. »

Retraitée solidaire

Valérie, en fauteuil roulant, est venue témoigner de la nécessité pour elle d’être accompagnée au quotidien par des aides à domicile, lors du rassemblement à Saint-Étienne organisé par la CGT Loire.

Le Premier ministre Jean Castex a annoncé le 23 septembre un plan d’aide de 400 millions d’euros en faveur de l’autonomie des seniors. 240 millions devraient être consacrés à l’aide à domicile. Mais aucune précision n’a pour l’instant été donnée sur la façon dont des budgets seraient affectés à l’augmentation des salaires et à de nouveaux recrutements.

Aujourd’hui, 54 % des aides à domicile sont salariées du secteur privé, 14 % sont employées du secteur public et presqu’un tiers des aides à domicile travaillent chez des particuliers employeurs. Malgré des conditions de travail et des revendications communes, elles dépendent donc de conventions collectives différents et peuvent être amenées à négocier avec des interlocuteurs différents. « À qui les aides à domicile peuvent-elles adresser leurs revendications ? demande la sociologue Christelle Avril. Elles ne constituent pas un collectif de salarié face à "un patron". Elles n’ont pas envie de se mobiliser contre les personnes âgées, ni contre la famille des personnes âgées, ni le cas échéant contre les bénévoles des associations. L’État ne se préoccupe quant à lui que de distribuer les financements alors qu’il devrait jouer son rôle de régulateur des conditions d’emploi et de travail. Il n’a par exemple jamais ratifié la convention 189 de l’Organisation internationale du travail qui vise à assurer un travail décent aux personnes salariées des ménages. »

Notes

[1] À la demande de l’intéressée, il s’agit d’un nom d’emprunt.

[2] Voir leur rapport.

[3] Rapport de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile. Édition 2017.



 

 

publié le 17 octobre 2021

« Enfer libyen » : l’indifférence obscène de l’Europe face à l’agonie des migrants

Par Nejma Brahim sur www.mediapart.fr

Six personnes ont été tuées et au moins 24 blessées par les gardiens du centre de détention d’Al-Mabani, à Tripoli, le 8 octobre. Ces derniers ont ouvert le feu après que des migrants retenus arbitrairement se sont révoltés et ont tenté de s’évader. Dans un contexte hautement répressif qui laisse l’Europe indifférente.


 

Ce sont encore des vies humaines qui ont été emportées, dans l’indifférence quasi générale, vendredi 8 octobre en Libye. Six hommes ont été tués par balle dans le centre de détention d’Al-Mabani, à Tripoli, par des gardiens armés qui ont ouvert le feu après une émeute et une tentative d’évasion de migrants détenus sur place. Au moins vingt-quatre autres personnes ont été blessées selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dont les équipes, présentes sur les lieux, ont été témoins des faits.

« L’usage excessif de la force et de la violence entraînant souvent la mort est un phénomène courant dans les centres de détention libyens, a résumé le chef de mission pour l’OIM en Libye, Federico Soda, dans un mélange d’amertume et de fatalisme. Certains de nos employés décrivent des migrants blessés dans une mare de sang gisant sur le sol. Nous sommes dévastés par cette tragique perte de vie. »

Des morts et une mare de sang qui ne choquent pas grand monde. Dès le 1er octobre, une forte répression a débuté à Tripoli, conduisant à l’arrestation de nombreux exilés dans un camp de fortune, dans le quartier de Gargaresh puis dans d’autres, et à leur placement dans ce centre de détention déjà surpeuplé. « Les raids ont commencé il y a deux semaines dans les quartiers où il y a une forte concentration de migrants et de demandeurs d’asile. Cinq mille personnes ont été délogées, ont vu leurs habitations détruites, ont été arrêtées et placées dans un des centres de détention dépendant du DCIM [Département pour la lutte contre l’immigration illégale, qui agit sous la houlette du ministère de l’intérieur – ndlr] », déroule Jean-Paul Cavalieri, chef de mission du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) en Libye.

Une « grosse rafle » qui a eu pour résultat de doubler la population des individus en détention dans tout le pays en l’espace de quelques jours. « Les personnes ont donc été en surpopulation dans des cellules mal ventilées et deux mille d’entre elles ont tenté de s’évader. Six hommes ont été tués et des dizaines blessés. » « Depuis deux semaines, c’est une vraie chasse à l’homme », soupire Hamed*, un jeune Africain vivant à Tripoli depuis trois ans, qui a tenté à plusieurs reprises la traversée pour rejoindre l’Europe, sans succès.

Et d’ajouter : « La police vient au domicile des gens, enfonce la porte et entre. Elle les arrête chez eux et les emmène en prison. C’est très dangereux en ce moment pour les migrants à Tripoli. Avant, ce genre de choses n’arrivait pas. On pouvait finir en centre de détention après avoir été intercepté en mer ou kidnappé dans la rue par des groupes armés, mais la police ne venait pas nous traquer chez nous. »

« Plusieurs de mes amis ont été arrêtés et emmenés à Al-Mabani. Certains ont été blessés au moment des tirs et ont été sortis du centre par les ONG pour être soignés », raconte un autre exilé subsaharien contacté par Mediapart, qui préfère garder l’anonymat.

Une forte répression à l’approche des élections

Selon une source proche de l’exécutif libyen, l’ordre serait venu « d’en haut » et pourrait avoir une visée électoraliste : un signal de fermeté envoyé à la population locale concernant la question migratoire, à deux mois de l’élection présidentielle prévue le 24 décembre prochain, après qu’un nouvel exécutif intérimaire a été désigné en février dernier (lire notre analyse).

Officiellement, les autorités libyennes ont justifié la répression enclenchée début octobre par la volonté de démanteler des réseaux de trafiquants de drogue et des lieux d’hébergements clandestins pour les personnes en migration. Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, le ministère de l’intérieur libyen fait état d’un mort et de plusieurs blessés, sans préciser leur nombre, mais aussi de policiers blessés. Il évoque une « opération de maintien de l’ordre réalisée avec professionnalisme et sans l’usage de la force ».

Si on tente de s’évader, ils nous abattent sur-le-champ

En avril dernier déjà, dans ce même centre de détention, une personne avait été tuée et deux autres blessées, comme le rapportait Médecins sans frontières, dont les équipes avaient pris en charge deux adolescents blessés par balle. En juin, un rapport d’Amnesty International montrait comment les violences commises sur les exilés une décennie durant s’étaient perpétuées au cours du premier semestre 2021, malgré les promesses d’y remédier.

« Pour moi, ce ne sont pas des centres de détention mais des prisons. Les conditions sanitaires sont déplorables, il n’y a pas à manger. Il peut y avoir quatre cents à cinq cents personnes entassées dans une salle, les gardiens sont armés et violents. Si on tente de s’évader, ils nous abattent sur-le-champ », ajoute Hamed, qui a lui-même connu la détention.

Faut-il accepter qu’un tel degré de violence se banalise à l'encontre de migrants – terme pour le moins fourre-tout qui, dans la bouche de ceux qui veulent l'instrumentaliser, tend à déshumaniser des femmes, hommes et enfants et contribue à renforcer la peur de « l’autre » ? Faut-il considérer que leurs vies valent moins que d’autres ?

Cela fait des années que dans ce pays ravagé par la guerre et les divisions, où prospèrent de dangereuses milices locales, les personnes en migration, principalement originaires d’Afrique (subsaharienne, Afrique du Nord), sont soumises aux pires sévices, comme le fait d’être kidnappées et séquestrées par des mafias qui réclament ensuite une rançon pour leur libération. Elles sont aussi victimes, dans une majorité des cas, d’exploitation, de maltraitance, d’abus sexuels et de viols, de torture, de disparitions forcées ou d’exécutions sommaires, y compris dans des centres de détention officiels, comme nous le racontions ici, là ou là, sur la base de témoignages recueillis début 2021 par Mediapart à bord de l’Ocean Viking, le navire humanitaire de l’association SOS Méditerranée.

Un système de crimes généralisé et soutenu, indirectement, par l’Union européenne, qui a injecté, aux dernières nouvelles, la modique somme de 455 millions d’euros en Libye dans le cadre du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique. Derrière cet intitulé à rallonge, il s’agit, pour l’Union européenne, de financer « l’entraînement des garde-côtes » ou « l’amélioration de la gestion des frontières », mais surtout, « la protection et le soutien aux migrants et réfugiés ». Autant dire que sur ce dernier point, on en est encore loin.

« En plus d’être surpeuplés, les centres de détention officiels sont sous-financés et mal équipés. Il y a aussi une absence totale de contrôle judiciaire pour les détenus », pointe Jean-Paul Cavalieri. « Les causes ne sont pas seulement le surpeuplement mais de sérieuses violations des droits humains, des extorsions par les gardiens de prison, le désespoir. Les responsables de ce système de détention seront-ils poursuivis pour ces abus ? », a réagi sur Twitter Vincent Cochetel, envoyé spécial du HCR pour la situation en Méditerranée occidentale et centrale, réclamant des « sanctions ».

Un cauchemar sans fin

Hasard du calendrier, cette répression et l’annonce de cette tuerie tombent alors qu’a été publié, début octobre à Genève, le rapport d’une mission d’enquête indépendante de l’ONU, dans lequel les inspecteurs pointent des « crimes de guerre » et des « crimes contre l’humanité » à l’égard des migrants. La nouvelle n’a pas fait la une des journaux.

« Les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés sont soumis à une litanie d’abus en mer, dans les centres de détention et aux mains des trafiquants », a dénoncé Chaloka Beyani, membre de la Mission d’établissement des faits, qui a recueilli et analysé des centaines de documents et interrogé plus de cent cinquante personnes en Libye, en Tunisie et en Italie, permettant d’identifier des individus (parmi des groupes libyens et des acteurs étrangers) pouvant porter la responsabilité des violations, abus et crimes commis dans le pays depuis 2016.

« Nos enquêtes indiquent que les violations à l’encontre des migrants sont commises à grande échelle par des acteurs étatiques et non étatiques, avec un haut niveau d’organisation et avec l’encouragement de l’État – tout cela est évocateur de crimes contre l’humanité », a ajouté l’enquêteur onusien.

Derrière, se cachent les chiffres parlants de la détention arbitraire, mais aussi ceux des interceptions des migrants par les garde-côtes libyens en Méditerranée, immédiatement placés en détention à leur retour en Libye. Soit 3 400 personnes, dont 356 femmes et 144 enfants, rien que pour le centre surpeuplé d’Al-Mabani à Tripoli. Dix mille sur l’ensemble des centres de détention libyens, sans accès ou presque à l’aide humanitaire.

Selon l’OIM, tous les vols humanitaires sont suspendus depuis des mois sur décision du directeur du DCIM, contraignant plus de mille personnes placées en détention à rester en Libye alors qu’elles ont émis le souhait d’un retour volontaire.

« Les autorités libyennes ont une part de responsabilité puisque les centres de détention sont sous leur juridiction, rappelle le chef de mission du HCR en Libye. Des sanctions doivent être considérées par les Nations unies et l’Union européenne pour que ceux qui se rendent complices de graves violations des droits humains soient poursuivis, même s’ils ont une fonction officielle. Il est légitime d’aider la Libye mais il est important que ce soutien soit conditionné au respect des droits humains, à la fois dans les centres de détention et en mer au moment des interceptions. »

Cette année, les interceptions sur cette route migratoire ont été particulièrement élevées : 24 000 personnes ont ainsi été stoppées par les garde-côtes libyens, parfois dans de terribles conditions, comme l’ont montré les images de l’association Pilotes volontaires, dont l’avion de reconnaissance patrouille afin de repérer des embarcations en difficulté en mer – dans lesquelles nous pouvions voir comment des personnes étaient tombées à l’eau et avaient été laissées à la dérive, sans que l’on ne sache si et combien de vies avaient été englouties par la mer.

L’Union européenne, qui a financé la création de la zone SAR (de recherche et de secours) libyenne, subventionne encore aujourd’hui la mission de ces garde-côtes ayant pourtant démontré leur incompétence et leur violence à l’égard des exilés.

Depuis la fin des opérations de sauvetage « Triton » ou « Sophia », mises en place par l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex, aucun navire militaire ne circule en Méditerranée centrale. En déléguant ses missions aux garde-côtes libyens, qui n’hésitent pas, comme nous l’avons documenté, à violer le droit international en procédant à des refoulements illégaux (en interceptant des personnes dans les zones de recherche et de secours maltaise ou italienne et en les renvoyant en Libye), l’Union européenne fuit ses responsabilités. Comme s’il était convenable, et acceptable, de laisser des êtres humains perdre la vie, souvent dans des naufrages invisibles dont personne n’a connaissance.

Seules des initiatives telles que « Missing Migrants Project », de l’OIM, tentent de mettre un nombre et un nom sur les personnes disparues en mer – 17 000 morts et disparus en Méditerranée centrale depuis 2014. Jusqu’à quand le monde et l’Europe continueront-ils à regarder ailleurs ?

Pour réagir et mettre fin à ces exactions, les dirigeants européens gagneraient peut-être à embarquer à bord d’un navire humanitaire pour participer à une patrouille en Méditerranée centrale : parfois, les photos ou vidéos de personnes à bord de rafiots ne suffisent pas à prendre conscience de la gravité de la situation. Sans doute faut-il être confronté au réel, apercevoir les silhouettes pleines de désespoir au loin, à bord d’une embarcation de fortune souvent surchargée, flottant au milieu d’une infinie étendue d’eau avec le ciel pour seul horizon ; entendre leurs cris et appels à l’aide, s’en approcher, deviner le corps frêle de bébés innocents enveloppés d’une simple couverture ; tendre la main aux survivants, constater leur peau lacérée par la torture, affronter leur regard vide et leurs sanglots non maîtrisés, panser les plaies ; entendre le récit des femmes violées, rendues à l’état d’esclaves sexuelles, pour prendre la mesure de ce qu’est la Libye et des raisons qui poussent tant de personnes à la fuir, par tous les moyens. Nombreux sont ceux qui affirment préférer mourir en mer plutôt que d’être renvoyés dans cet « enfer libyen ».

Si l’horreur est telle, pourquoi tant de migrants (597 611 actuellement présents en Libye) choisissent de s’y rendre ? En réalité, la majorité des personnes vont en Libye pour les opportunités de travail que le pays offre, sans avoir l’intention de poursuivre leur parcours migratoire par-delà la Méditerranée, et sans imaginer les mauvais traitements qui les attendent. C’est souvent une fois sur place, pour fuir les exactions, qu’ils décident de s’échapper en tentant la traversée.

Qu’on se le dise, aucun responsable politique ne fera l’expérience d’une opération de recherche et de secours en mer. Ils prendront soin de laisser le sale boulot aux associations citoyennes, comme SOS Méditerranée et autres ONG dont le navire humanitaire ratisse la Méditerranée centrale pour porter secours aux exilés en détresse, et qui, comme l’avait souligné un jeune homme secouru par l’Ocean Viking début 2021, ne sauvent pas seulement des êtres, mais « l’humanité tout entière ».

La perspective des élections présidentielle et législatives en Libye, en décembre et janvier prochains, laisse espérer aux plus optimistes de meilleurs lendemains. « Ça donne de l’espoir pour la création d’un espace de coopération pour tenter d’améliorer les choses, pour l’installation d’un gouvernement stable, la reconstruction du pays et d’une gouvernance migratoire permettant aux personnes de venir travailler sur le territoire en toute légalité », conclut Jean-Paul Cavalieri.



 

 

publié le 16 octobre 2021

Afrique-France -

Liberté pour les 7 de Montpellier !

sur https://blogs.mediapart.fr/marche-des-solidarites

A l'appel de 16 collectifs de Sans-Papiers, de la Marche des Solidarités et de plus de 100 organisations, partis politiques et syndicats, nous manifesterons les 15 et 22 octobre en direction de la préfecture de Paris et du ministère de l'Intérieur pour exiger la levée des OQTF et IRTF des 7 de Montpellier. Ci-dessous le texte d'appel et la liste des premiers signataires.


 

Contre-Sommet Afrique-France

Liberté pour les 7 de Montpellier !

Le jeudi 7 octobre à Montpellier, huit jeunes Africains sans-papiers ont été arrêtés sur le quai de la gare quelques heures avant le début du contre-sommet Afrique-France annoncé depuis plusieurs mois et organisé par un collectif d’organisations locales et nationales. La préfecture de police et le Ministère de l’intérieur ont été prévenus de cet évènement et n’ont interdit ni les réunions, ni les manifestations au programme. Pourtant le matin du 1er jour de ce contre-sommet, la préfecture a envoyé des policiers procéder à des arrestations ciblées et discriminatoires sur le quai de la gare.

Seul ce groupe de Maliens, de Sénégalais et d’Ivoiriens, qui avait pris le train au sein d’une délégation de 24 membres de différents collectifs de la région parisienne a été arrêté et emmené en garde à vue. On les a contrôlés au faciès et parce qu’ils sont descendus du train en groupe, parce qu’ils étaient Africains et qu’ils venaient contester, de manière organisée, la politique du gouvernement. Deux d’entre ont été transférés en centre de rétention avant d’être enfin libérés 5 jours plus tard grâce, entre autres, à une riposte et une mobilisation rapides qui ont commencé le jour-même devant le commissariat de Montpellier. Cinq autres sont sortis des locaux de la police avec OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) assortie d’une IRTF (Interdiction de Retour sur le Territoire Français) dès jeudi 7 octobre.

Après la rafle, le bannissement et les barreaux.

Cette opération de police est extrêmement grave quand, dans le même temps, le président de la République proclamait sans sourciller que le sommet de Montpellier visait à promouvoir la jeunesse africaine et le soutien à la société civile et à la démocratie. Deux jeunes Africains ont été incarcérés sous la menace d’une expulsion pour avoir osé (!) s’organiser aux côtés de la société civile en France (associations, syndicats, partis) et revendiquer l’égalité des droits.

L'interdiction de retour sur le territoire français qui vise les 7 jeunes qui ont participé au contre-sommet est une décision prise par le préfet associée à l'obligation de quitter la France (OQTF). Qui ne sait que pour ceux et celles qui ont parcouru 8000 kms, traversé l’enfer de la Lybie et la méditerranée, revenir en arrière est impossible ?

C’est pourquoi l’IRTF soit condamne à l’errance ceux et celles qui partent, soit prive de tous leurs droits ceux et ou celles qui contreviennent à l’obligation de quitter l’espace Schengen. Harceler les migrant.e.s, les priver de leurs droits et les expulser, telle est la devise du ministère de l'intérieur, à l'ère Macron.

Liberté et démocratie.

La situation des 7 interpellés est notre cause à toutes et tous. Que certains d’entre nous soient arrêtés pour le simple fait de contester la politique du pouvoir est un déni de nos droits à toutes et tous.  Mais aussi parce que leur combat est celui de la justice et de la liberté.

Nous exigeons la levée immédiate des OQTF et IRTF des 7 de Montpellier !

« Nous sommes l'histoire. Avec nos choix, nos croyances, nos erreurs, nos idéaux, nos espoirs de justice que personne ne pourra jamais réprimer. » Mimmo Lucano maire de Riace, 3 octobre 2021.


 

parmi les premiers signataires :

des Collectifs de Sans-Papiers, BDS France-Montpellier, CADTM France, Droit Au Logement (DAL), La Carmagnole Montpellier, Cimade Montpellier, LDH Montpellier, MRAP, RUSF 34, Union syndicale Solidaires, Ensemble, France Insoumise, NPA, Parti de Gauche 34

 

publié le 16 octobre 2021

Covid. État d’urgence et passe sanitaire prolongés : la démocratie confisquée

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Le gouvernement a présenté, mercredi, son « projet de loi de vigilance sanitaire » impliquant les prolongations du régime d’exception jusqu’au 31 juillet et du passe, sans que la situation sanitaire ne les justifie. 

L’exécutif veut garder le monopole de la gestion de crise et son arsenal de mesures liberticides. Mercredi, en Conseil des ministres, il a présenté un nouveau projet de loi dit de « vigilance sanitaire ». « De la sémantique pour ne pas parler d’état d’urgence », commente le député PCF Sébastien Jumel. Car ce projet prévoit surtout de maintenir le « régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire », qui permet au gouvernement de prendre de nombreuses mesures (confinement, couvre-feu, limitations de circulation ou de rassemblement), sans besoin d’en informer le Parlement.

Parmi elles, l’obligation de présenter le passe sanitaire dans de nombreux lieux du quotidien, qui devait prendre fin le 15 novembre prochain. Finalement, ce dispositif controversé pourra être prolongé au-delà, et jusqu’au 31 juillet 2022. « Si et seulement si c’est nécessaire », a tenté de rassurer le porte-parole Gabriel Attal, sans démentir le fait que, le 16 novembre, le dispositif devrait toujours être appliqué. Car, en réalité, le gouvernement se donne plutôt la possibilité de suspendre l’obligation de présenter le passe après la date prévue. « Nous pourrons adapter le passe sanitaire, voire le suspendre si l’amélioration épidémique se poursuit », a-t-il finalement concédé.

Alors que la situation épidémique ne le justifie pas, l’exécutif s’approprie ainsi un attirail juridique d’exception « au cas où », au mépris de la démocratie et de la nécessaire adhésion de la population. Explications.

1. Une épidémie maîtrisée dans l’Hexagone

« Le passe sanitaire est l’outil grâce auquel nous ne devrions pas être contraints de confiner le pays alors que l’épidémie connaît une flambée », assurait le ministre de la Santé, Olivier Véran, à l’Assemblée nationale, le 21 juillet. Trois jours plus tard au Sénat, il ajoutait : « Dès que nous pourrons lever cette contrainte, nous le ferons sans attendre. » Dès lors, comment justifier aujourd’hui sa prolongation, alors même que la propagation du virus est en forte baisse ? « La quatrième vague épidémique est maîtrisée, avec un taux de reproduction du virus relativement faible en France, détaille l’épidémiologiste Antoine Flahault. Le taux d’incidence est aujourd’hui de 42 cas pour 100 000 habitants et la décrue devrait se prolonger dans les semaines à venir. » Or, le gouvernement et Santé publique France ont défini le seuil de 50 cas pour 100 000 habitants comme cote d’alerte. En dessous, la propagation du virus est jugée peu préoccupante et les mesures de freinage guère nécessaires.

Ainsi, selon le conseil scientifique, dans son avis du 6 octobre, « cette amélioration de la situation sanitaire permet la reprise d’activités économiques et sociales dans des conditions se rapprochant de la normale ». L’instance va même jusqu’à demander au gouvernement « une sortie rapide, voire immédiate de l’usage du passe sanitaire » et « tient à rappeler qu’il doit rester un outil temporaire et proportionné ». Cependant, tous les spécialistes mesurent le risque d’une cinquième vague, « la saison automnale et hivernale étant propice à la circulation et à la transmission des coronavirus », et alors que l’immunité apportée par le vaccin diminue. C’est ce qui permet au gouvernement de justifier la prolongation du régime d’exception, s’apparentant à des pleins pouvoirs en matière de politique sanitaire.

2. L’incitation à la vaccination accomplie

Le passe sanitaire étendu début août à de nombreux établissements recevant du public a eu un effet indéniable sur la campagne de vaccination, le taux de vaccination ayant connu un bond important directement après les annonces d’Emmanuel Macron, le 12 juillet. Mais cette incitation semble aujourd’hui avoir atteint son plafond. « Depuis début septembre, il y a une stagnation nette, avec très peu de premières doses injectées », explique Antoine Flahault. Dès lors, le dispositif n’apparaît plus justifié, d’autant que rien n’a prouvé son « efficacité pour freiner la propagation du virus » ou la création de clusters, comme le reconnaît le conseil scientifique.

L’intérêt du passe sanitaire pourrait toutefois revenir pour inciter l’administration d’une troisième dose. Le gouvernement, constatant une baisse de l’immunité produite par le vaccin après six mois, plaide pour ce rappel. Pour diverses raisons, seulement 35 % des personnes éligibles ont reçu à ce jour une troisième dose. L’exécutif pourrait donc être tenté d’intégrer ce rappel aux critères du passe sanitaire mais « cela n’est pas prévu dans le projet de loi », indique Matignon. « Il ne prévoit pas non plus de moyens pour lutter contre les déserts médicaux ou pour renforcer l’hôpital public… », ajoute le député insoumis Éric Coquerel.

3. Une gestion autoritaire et punitive

S’il n’incite plus à la vaccination et qu’il n’est pas efficace pour lutter contre la propagation du virus, le passe sanitaire ne devient-il pas simplement punitif ? D’autant qu’à partir de vendredi, les tests ne seront plus remboursés pour les personnes non vaccinées, en dépit de toute logique sanitaire (voir page 6). «  Comme on n’arrive pas à convaincre les réticents à la vaccination, on va leur pourrir la vie jusqu’à ce qu’ils cèdent, interprète Frédéric Pierru, sociologue au CNRS. C’est totalement contraire à ce que doit être une politique de santé publique, dont le but doit être d’obtenir l’adhésion des gens, la compréhension des mesures, et pour cela il faut du temps, du débat, du travail de proximité. »

Ces considérations sont valables même si l’exécutif décidait, demain, de renoncer au passe sanitaire. Avec le projet de loi de « vigilance sanitaire » prolongeant le régime d’exception, Emmanuel Macron choisit à nouveau une gestion ultraverticale de la crise. « Alors que cela ne marche pas pour améliorer la situation sanitaire, ces actes d’autorité comme le passe sanitaire, qui est plus que jamais un outil de discrimination sociale, territoriale et politique d’une certaine manière, sont contre-productifs », sanctionne Sébastien Jumel.

4. Une démocratie définitivement bafouée

Jusqu’à la fin du mandat d’Emmanuel Macron, celui-ci pourra donc décider quasiment seul de tout ce qui concerne la gestion de la crise sanitaire. C’est l’objet de ce projet de loi, qui s’apparente à un état d’urgence permanent (du moins jusqu’au 31 juillet). L’exécutif justifie notamment sa prorogation jusqu’à l’été par la suspension des travaux des chambres fin février (en raison de la campagne présidentielle), alors que le Parlement peut très bien être convoqué en session extraordinaire. « Nous devons garder à notre disposition des mesures de freinage, pouvoir les activer à tout moment si c’est nécessaire sans perdre de temps, n’exclure aucun scénario. Nous assumons notre refus d’un désarmement sanitaire qui serait plus que précipité », a indiqué Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement.

Ce discours, méprisant pour la démocratie et les parlementaires, n’est pas nouveau, il sous-entend que seul l’exécutif serait capable d’agir concrètement pour freiner l’épidémie. « Avec ce gouvernement, qui se présente en monsieur Je-sais-tout, il y a un risque de dérive certain, on pourrait s’habituer à ce que nos libertés fondamentales, individuelles et collectives soient amputées au quotidien comme si c’était normal », s’inquiète le député Sébastien Jumel, qui demande, par ailleurs, des garanties pour que les campagnes des élections présidentielle et législatives s’exercent pleinement. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a justifié le prolongement du régime d’exception par « la nécessité de réagir efficacement et rapidement si l’épidémie flambe ». Un argument qui fait bondir le sociologue Frédéric Pierru : « Au nom de l’efficacité, on justifie donc la marginalisation des instances démocratiques, des contre-pouvoirs, de la démocratie tout simplement. »


 

Le projet de loi au parlement dès mardi

 La confiscation des pouvoirs du Parlement devrait être actée au sein même des chambres, qui examinent le projet de loi à partir du mardi 19 octobre. Le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), annonce déjà une résistance de la Chambre haute : « Il n’est pas question de donner un blanc-seing jusqu’au 31 juillet 2022, il faut que ça soit sous le contrôle du Parlement », explique-t-il. En revanche, les groupes majoritaires à l’Assemblée nationale (LaREM, Modem et Agir) ont déjà assuré au premier ministre, Jean Castex, leur soutien. La résistance des oppositions s’annonce donc complexe et les débats à nouveau houleux. D’autant que la Macronie, qui a l’habitude de stigmatiser ses opposants en les présentant comme des adversaires de la lutte contre l’épidémie, promet d’être encore méprisante envers les voix dissonantes.

 

publié le 14 octobre 202

Burkina Faso. Assassinat de Thomas Sankara : 34 ans après, un procès pour l'histoire

Marc de Miramon sur www.humanite.fr

Le procès des assassins du « Che africain » s’ouvre ce lundi à Ouagadougou, un épilogue judiciaire attendu depuis près de trente-quatre ans. Si les circonstances de l’exécution du président burkinabé, perpétrée le 15 octobre 1987, sont connues, il reste à faire la lumière sur ses commanditaires.

Ravagé par les conséquences de la « guerre contre le terrorisme », ses tueries de civils commises par des groupes armés se revendiquant pour la plupart du djihad, ses déplacements de population fuyant les zones de combat, le « pays des hommes intègres » retient son souffle. Ce n’est cependant pas l’avenir sombre et la dégradation du climat sécuritaire qui préoccupe ce lundi le peuple burkinabé, mais l’exploration judiciaire d’un « passé qui ne passe pas ». « Le 11 octobre 2021 restera gravé dans les annales de l’histoire du Burkina Faso », promet le quotidien le Pays, alors que s’ouvre le procès public des assassins présumés de Thomas Sankara, exécuté au Conseil de l’entente il y a près de trente-quatre ans déjà.

Perpétré le 15 octobre 1987 par un commando parti du domicile de Blaise Compaoré, le numéro deux de la révolution progressiste installée par un coup d’État le 4 août 1983, le meurtre a fait l’objet d’une véritable omerta. Jusqu’à la chute de ce même Compaoré, à l’automne 2014, renversé par un soulèvement populaire mené au nom des idéaux d’un « sankarisme » plus vivace que jamais. Lors de la campagne présidentielle organisée l’année suivante, tous les candidats, de l’ex-poids lourd du système Compaoré, Roch Marc Christian Kaboré, à l’ultralibéral Zéphirin Diabré, ont revendiqué son héritage, tandis que la justice militaire ouvrait enfin une enquête contre « Blaise » et ses sicaires pour « complicité d’assassinats », « recel de cadavres » et « attentat à la sécurité de l’État ».

Le capitaine bouscule et dérange

L’instruction judiciaire, dont l’Humanité avait révélé en avril dernier des documents inédits impliquant des réseaux français, a confirmé la trame d’un scénario « shakespearien » signé Blaise Compaoré – que Thomas Sankara considérait comme son meilleur ami – et coécrit par des puissances étrangères bien décidées à chasser le leader autant patriote que panafricain. Son contexte et ses grandes lignes restituent l’histoire d’une révolution aux réussites indéniables, emmenée par le charismatique et intègre Sankara, imperméable à toute forme de corruption et peu enclin aux compromis.

Pionnier des combats écologistes, du développement endogène – le Burkina Faso avait réussi à atteindre l’autosuffisance alimentaire – comme des luttes féministes, le capitaine bouscule et dérange les structures traditionnelles et patriarcales. Son immense popularité auprès des jeunesses africaines, ses éloquents discours fustigeant le néocolonialisme, l’impérialisme ou le fardeau d’une dette qu’il refuse de payer donnent des sueurs froides aux dirigeants des pays voisins – Côte d’Ivoire et Togo en tête – mais aussi à Washington et à Paris.

La haine de Jacques Chirac

La CIA surveille comme le lait sur le feu ce militaire altruiste qui garde toujours son pistolet à la ceinture, même pour une audience avec le parrain régional de la Françafrique, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, et ne quitte son treillis que pour le faso danfani, le tissu traditionnel fabriqué et cousu au pays. Quant aux décideurs français, ils bouillonnent d’une rage de moins en moins contenue. Thomas Sankara a beau exercer sur eux une fascination certaine, en particulier sur Jacques Foccart, inamovible chef d’orchestre des réseaux parallèles que pilote la République pour dompter ses anciennes colonies, son sort paraît scellé avec le début de la première cohabitation, en 1986. Devenu premier ministre, Jacques Chirac ne cache pas sa haine recuite contre le président du Conseil national révolutionnaire du Burkina Faso, qui a eu l’outrecuidance de parrainer une motion en faveur de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie aux Nations unies.

Quelques mois avant l’assassinat, le patron d’une droite française qui bénéficie à plein des valises de billets envoyées par Félix Houphouët-Boigny menace explicitement Thomas Sankara, en s’adressant ainsi au journaliste Elio Comarin : «Dites à votre “petit” capitaine qu’il range ses abattis (abats de volaille, pattes et ailes coupées – NDLR), d’ici six mois on se sera occupé de lui. » Reste à déterminer si l’indispensable feu vert de Matignon ou de l’Élysée s’est borné à cautionner le coup d’État perpétré par Blaise Compaoré, ou si la France a validé, voire commandité l’assassinat. Il est hélas peu vraisemblable que le procès public qui s’ouvre ce lundi et qui se déroulera sans la présence du principal accusé puisse répondre à ces brûlantes questions.

En attendant les conclusions des prochaines instructions, la justice militaire va donc s’en tenir à un volet strictement interne, même si de nouvelles révélations peuvent toujours surgir des contre-interrogatoires et des auditions. En 2017, Emmanuel Macron avait promis dans un discours tenu à Ouagadougou la déclassification des documents français concernant l’assassinat de Thomas Sankara. Si trois lots d’archives ont effectivement été remis à la justice burkinabée, la pertinence des masses de papier n’a pas convaincu les avocats des parties civiles, et aucun organisme indépendant n’a pu vérifier si l’engagement du président français relevait du vœu pieux, d’un écran de fumée ou d’une réelle sincérité.

Le trublion de la Françafrique

Le révolutionnaire burkinabé donnait des sueurs froides aux potentats du pré carré français, tout en exerçant sur eux une véritable fascination. Le complot qui a scellé sa chute trouve probablement sa source en Côte d’Ivoire, où le président, Félix Houphouët-Boigny, s’était imposé comme le parrain politique de Blaise Compaoré, mais Thomas Sankara dérangeait bien au-delà de la sphère d’influence française. Son aura agaçait jusqu’à la Libye du colonel Kadhafi, qui se rêvait en « roi d’Afrique » et ne goûtait guère la concurrence du bouillant capitaine. Ce dernier disposait aussi de soutiens parfois inattendus, à l’instar d’Omar Bongo, président du Gabon, qui s’est posé en protecteur de certains de ses proches ou de sa famille après son assassinat.


 

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publié le 14 octobre 2021

François Ruffin, coréalisateur de « Debout les femmes ! » :
« Ces travailleuses s’occupent de tout ce qu’on ne veut pas voir »

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Le nouveau film du député François Ruffin et de Gilles Perret sort au cinéma le 13 octobre. Ce documentaire sur les « métiers du lien » et les salariées « reléguées dans l’ombre » est un défi lancé à la gauche. Entretien avec l’insoumis.

Le député FI François Ruffin dresse une nouvelle critique sociale et politique dans son dernier documentaire, réalisé avec Gilles Perret. Debout les femmes ! interpelle également une gauche qui parle de reconquérir les classes populaires.


 

Pourquoi un film sur les « métiers du lien » ?

François Ruffin Avec Gilles Perret, nous voulions, depuis un moment déjà, faire un film à l’Assemblée nationale. Les décors y sont plutôt chouettes, on n’a pas à les payer, et on a les figurants. Le seul truc, c’est qu’il ne s’y passe rien. En tout cas, ce n’est pas là que se fait la loi. Elle est faite par l’Élysée, et l’Assemblée l’enregistre. Lorsqu’on m’a confié la mission parlementaire sur les métiers du lien, j’ai donc appelé Gilles en me disant qu’il y avait peut-être un coup à jouer, parce qu’on pourrait travailler à la fois le dehors et le dedans. Recueillir les visages, les vies et les voix de ces femmes, et les ramener à l’intérieur de l’Hémicycle, puis montrer comment c’est malaxé, digéré, et finalement rejeté par l’Assemblée nationale. Nous pouvions dès lors poser une double critique : une critique sociale, et une critique politique, démocratique. C’est pleinement une question de rapport de classe. Soit on est du côté des servants, soit du côté des servis. Les servis ne voient pas les gens qui les servent. Les fragilités se cumulent aussi : ce sont des métiers populaires, féminins, et occupés pour partie par des personnes d’origine étrangère. Elles sont reléguées dans l’ombre. C’est la clé du problème : comment les rendre visibles, et comment peuvent-elles s’organiser elles-mêmes ?

Malgré le soutien du député marcheur Bruno Bonnell, qui finit par défendre vos propositions pour majorer les salaires des femmes de ménage, elles sont toutes rejetées par ses collègues de la majorité…

François Ruffin Il faut que l’Élysée leur dise d’appuyer sur le bon bouton. Tant que l’ordre n’est pas donné d’en haut, l’humanité ne surgit pas spontanément dans le cœur de l’Assemblée nationale… C’est une explication institutionnelle, qui tient à la soumission du pouvoir législatif à l’exécutif. Ensuite, dans l’inconscient collectif, les femmes ont réalisé ces tâches gratuitement à domicile pendant des siècles : s’occuper des personnes âgées, des malades, des enfants… Maintenant on les paye un peu pour faire ça à l’extérieur, donc elles ne vont pas en plus nous embêter ! Ceux qui ont accès à la parole publique, qui tiennent les commandes, ne sont pas issus de cet univers-là. Enfin, ces femmes s’occupent de l’intime, du sale, de la vulnérabilité, c’est-à-dire de tout ce qu’on ne veut pas voir. Pour paraphraser Macron, tout le pays repose sur elles, comme sur une chaise. Et on ne veut pas voir sur quoi on est assis.

Les propos d’Emmanuel Macron en avril 2020 n’auraient pas pu inciter sa majorité à appuyer sur le bon bouton ?

François Ruffin C’est pour cette raison qu’on me voit piquer une colère, en commission. Je m’étais mis moi-même à y croire en fait. Lorsque le président de la République dit qu’il « faut se rappeler que notre pays tout entier repose sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal », quand il fait référence à la Déclaration des droits de l’homme, signifiant que « les distinctions sociales ne peuvent reposer que sur l’utilité commune », je me dis que l’on va réussir à arracher des trucs. Et lorsque ses députés rejettent tout ce que je propose, sans rien proposer à la place, ça me fait sortir de mes gonds.

À la fin du film, vous listez tout de même quelques petites victoires…

François Ruffin Sur certains métiers rien n’a changé. On a gratté le 13e mois pour les femmes de ménage de l’Assemblée nationale, mais c’est très circonscrit. Ce n’est pas une conquête pour toutes les femmes de ménage du pays. Pour les animateurs périscolaires, les assistantes maternelles, les accompagnants d’enfants en situation de handicap, on n’a rien gagné. Les auxiliaires de vie sociale ont eu la prime Covid. On a obtenu entre 2 et 15 % selon l’ancienneté de leurs salaires. Tout ça, je prends, du moment que ça remplit un frigo. Mais ces métiers du lien sont des emplois féminins, à temps partiel, c’est-à-dire à salaire partiel. Ce qu’il faut c’est du temps plein à salaire plein. Ça doit devenir la norme. Pour les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap – NDLR), on pourrait avancer rapidement. En associant les accompagnantes elles-mêmes, les enseignants et leurs syndicats, et les parents d’élèves en situation de handicap, il est possible de structurer cette profession et de lui obtenir un vrai statut.

L’absence de réponses politiques à leurs revendications nourrit la défiance de ces salariés. Comment la gauche peut-elle y répondre ?

François Ruffin C’est un enjeu pour la gauche. Je viens du mouvement ouvrier traditionnel. Ça veut dire subir des défaites permanentes, avec des délocalisations en série. Tant qu’on n’aura pas mis en place du protectionnisme avec des taxes douanières, on sera condamné à aller de défaite en défaite sur le terrain de l’industrie. Je veux dire à la gauche que, dans les classes populaires, il faut considérer ces métiers du lien comme un deuxième réacteur. Il y a un intérêt électoral, mais aussi syndical à le faire. Ce sont des professions qui vont grimper sur le plan démographique. Elles connaîtront quelques petites conquêtes avec ici ou là un 13e mois, l’amélioration d’une convention collective… Autant peser là-dessus et y être associés. Ce n’est pas simple parce que c’est un milieu qui n’a pas l’habitude de la lutte. La CGT cherche à faire bouger les auxiliaires de vie dans pas mal d’endroits. Il faudrait que des responsables politiques portent ces luttes au premier plan. L’élection présidentielle est une occasion de le faire en portant la question sociale. Comme l’a souligné le sondage de l’Humanité qui la place au cœur des préoccupations, les gens en sont déjà convaincus. Mais si le débat présidentiel périphérise ces questions, on est cuit.

Tout le monde à gauche veut reconquérir le vote populaire, mais ça ne semble pas gagné…

François Ruffin Le divorce entre la gauche et les classes populaires ne date pas d’aujourd’hui, ni même du quinquennat de François Hollande. Il faut remonter aux années 1980, qui marquent une déchirure entre les éduqués du supérieur, qui s’en sortent correctement, et les classes populaires, dont le taux de chômage est multiplié par trois en une décennie. On accepte que des usines Burkina Faso. Assassinat de Thomas Sankara : 34 ans après, un procès pour l'histoire

ferment pour s’installer en Roumanie ou au Bangladesh parce que ce sont des ouvriers qui se retrouvent au chômage, et qu’il n’y en a pas à l’Assemblée. Si des députés étaient concernés, en quinze jours, on aurait une loi pour empêcher les délocalisations. Si on veut regagner demain, il faut qu’on retrouve le vote populaire en résolvant un double divorce : la petite bourgeoisie intellectuelle et les classes populaires, mais aussi entre les classes populaires de couleur dans les quartiers et celles, blanches, des zones rurales. Si on laisse Macron et Zemmour mener le débat de la campagne présidentielle, on laissera passer une frontière entre elles. Notre objectif doit être de les faire travailler ensemble pour le mieux-être de la société.

 

 

 

Documentaire. « Debout les femmes ! », les invisibles au premier plan

Michaël Mélinard sur www.humanite.fr

Après avoir suivi les gilets jaunes, Gilles Perret et François Ruffin mettent un coup de projecteur sur les soldates de première ligne, oubliées des politiques publiques.

Le titre résonne comme un slogan, une exhortation féministe à renverser la table. Pourtant, Debout les femmes ! débute tel un buddy movie « testostéroné ». François Ruffin l’insoumis s’apprête à affronter Bruno Bonnell, le macroniste à la tête d’une commission parlementaire sur les métiers du lien (les aides à domicile, les accompagnants des élèves en situation de handicap – AESH – et les femmes de ménage) qu’ils coprésident. Pas sûr qu’ils soient sur la même longueur d’onde. On se dit naïvement que Ruffin possède un coup d’avance. En plus d’interventions remarquées à la tribune de l’Assemblée, il s’est imposé comme une figure incontournable du débat politico-médiatique avec, comme fait d’armes cinématographique, Merci Patron ! (césar du documentaire 2017), une offensive grand-guignolesque réussie contre le milliardaire Bernard Arnault, et J’veux du soleil, road-movie documentaire coréalisé avec Gilles Perret, tourné dans l’urgence à la rencontre de gilets jaunes.

Mais Bruno Bonnell a des atouts dans sa manche. Ce proche de Gérard Collomb, pionnier de l’industrie des logiciels et de la robotique, a aussi été sur M6 le présentateur de The Apprentice. Qui décrochera le job ?, la version française d’une émission de téléréalité états-unienne animée par Donald Trump. Il a surtout la majorité parlementaire derrière lui. Deux profils apparemment incompatibles. Et pourtant le miracle se produit. Bonnell, intimement touché par cette question, se révèle un défenseur acharné de ces femmes (elles représentent 90 % des effectifs) des métiers du lien.

Mais même l’alliance des contraires ne suffit pas toujours à renverser les montagnes. Dans un pays confiné, ils vont aller à la rencontre de ces soldates de première ligne, déconsidérées, mal rémunérées, dans des secteurs où le taux d’accidents du travail dépasse parfois ceux du BTP. Si le coup de projecteur sur le travail parlementaire se révèle passionnant, les véritables héroïnes se prénomment Assia, Delphine, Hayat, Sabrina ou Sandy. Debout les femmes ! dévoile le visage de ces invisibles, éclaire le décalage entre leur importance sociale et leur rémunération. Ce beau film touchant, incarné, féministe et souvent drôle leur rend un nécessaire hommage, avec l’espoir de contribuer à l’amélioration de leur condition.


 

 

publié le 13 octobre 2021

Bergams : Un conflit du travail d’origine très macronienne

Editorial de www.politis.fr

Depuis le 13 septembre, les salariés de cette entreprise de restauration dite ultra-fraîche sont en grève illimitée.

La grève illimitée engagée depuis le 13 septembre par les salariés de Bergams, une société spécialisée dans la restauration dite ultra-fraîche située à Grigny (Essonne), est à verser au bilan de la politique d’Emmanuel Macron. À l’initiative d’une intersyndicale composée notamment de la CGT et de FO, 90 % des 280 employés de cette entreprise dénoncent principalement l’accord de performance collectif (APC) voté de justesse en septembre 2020, sous la menace de l’emploi, en plein cœur de la tourmente covid, la pandémie ayant impacté l’activité de l’usine de Grigny qui fournit des sandwichs et des plats préparés à des clients comme Air France, Relay ou Monoprix.

Créé par la réforme du code du travail conduite par Muriel Pénicaud en 2017, l’APC permet notamment d’aménager la durée du travail, son organisation et la répartition des heures de travail, de modifier la rémunération des salariés. Il peut être signé que l’entreprise soit confrontée ou non à des difficultés économiques provisoires. 

À son entrée en vigueur au 1er janvier, témoigne un délégué syndical FO, les salariés sont « passés de 35 à 37,5 heures, voire 40, par semaine » et ont « globalement perdu entre 100 et 1.000 euros brut par mois » ; toutes les primes et autres acquis ont en effet été supprimés. Et « des dizaines de collègues ont purement et simplement été licenciés », complète la CGT. Celle-ci dénonce « le comportement éhonté du groupe Norac » auquel appartient Bergams, dont « le fondateur, Bruno Caron, apparaît parmi les 400 plus grandes fortunes de France, cette année ». Et appuie les demandes de baisse du temps de travail, d’augmentations de salaire et de recrutements en CDI.




 

 

publié le 13 octobre 2021

Austérité. Comment la Macronie fait
main basse sur la Sécurité sociale

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Vider les caisses, puis étatiser. Alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale est présenté en Conseil des ministres, ce mercredi, des voix s’élèvent pour dénoncer la mise à mal de notre système de protection sociale par le pouvoir.

«Qui veut noyer son chien, l'accuse de la rage », dit l'adage populaire. Appliqué à notre système de protection sociale, cela signifie que les gouvernements s’évertuent à en assécher le financement à coups d’exonérations, pour mieux justifier ensuite les tours de vis destinés à rééquilibrer les comptes. Cette tactique n’a rien de neuf : elle était déjà appliquée par la droite américaine dès les années 1970, au point d’être résumée par un mot d’ordre très imagé, « starve the beast » (littéralement, « affamer la bête ») (1). À croire que métaphores animalières et Sécurité sociale font bon ménage…

Nul ne sait si la présentation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en Conseil des ministres, ce mercredi, lui vaudra des noms d’oiseaux. Mais, syndicats et partis de gauche entendent profiter de l’occasion pour dénoncer la politique menée par le pouvoir en place, qui prend la Sécurité sociale en tenaille : l’assèchement des caisses, d’une part, la reprise en main et l’étatisation, d’autre part.

Aucun de ces deux mouvements n’a été initié par le président actuel, mais ce dernier compte bien boucler le travail de ses prédécesseurs. Pour ce qui est des exonérations, elles atteignaient le montant colossal de 60 milliards d’euros, fin 2019 : allègement de cotisations « Fillon », pacte de responsabilité, Cice, etc. Emmanuel Macron a ajouté sa pierre à l’édifice avec 3,5 milliards d’euros d’allègement de cotisations supplémentaires, principalement au niveau du Smic. Autant d’abattements qui ravissent le patronat mais qui coûtent très cher à l’État.

Parachever un processus en cours depuis trente ans

En théorie, ce dernier a l’obligation de compenser à l’euro près toute nouvelle exonération de cotisations sociales, en application de la loi dite Veil de juillet 1994. Mais le pouvoir actuel a décidé de s’affranchir allègrement de cette obligation dès 2019 : désormais, les allègements ne sont plus compensés, ce qui aboutit mécaniquement à un creusement du « trou » de la Sécurité sociale. Et prépare le terrain à de nouvelles réformes « structurelles ». D’ailleurs, le gouvernement a encore contribué à dégrader les comptes en décidant de faire endosser aux organismes sociaux le fardeau de la « dette Covid » (51 milliards d’euros), constituée de mesures de soutien à l’économie (chômage partiel, report de cotisations, etc).

Mais assécher la Sécurité sociale ne suffit pas, il faut aussi reprendre en main son pilotage. Le pouvoir macroniste cherche à parachever un processus en cours depuis trente ans, qui est celui de l’étatisation de notre système de protection sociale. À partir de 1967, ce dernier était géré de manière paritaire, c’est-à-dire que les organisations syndicales et patronales siégeant au sein des conseils d’administration (Sécurité sociale, assurance-chômage, retraites complémentaires) tenaient les rênes.

Les premiers coups de canif sont donnés par la droite, avec le plan Juppé, de 1995-1996, qui confère au Parlement la responsabilité de l’élaboration de la loi de financement de la Sécurité sociale. Ce denier fixe dorénavant tous les ans l’objectif national d’évolution des dépenses d’assurance-maladie (Ondam). Officiellement, les syndicats siègent toujours au sein des conseils d’administration des différentes caisses (assurance-vieillesse, assurance-maladie, allocations familiales, etc.), mais leur rôle effectif dans le pilotage du système a été réduit comme peau de chagrin.

Voilà donc quelle était la situation avant l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron : le paritarisme primait encore dans deux organismes, l’Agirc-Arrco (retraites complémentaires) et l’Unédic (assurance-chômage). Mais l’ancien banquier d’affaires a la ferme intention de liquider ces derniers bastions, ce qu’il annonce d’ailleurs clairement au détour de son programme électoral : « Parce qu’il assume en dernier ressort la responsabilité du chômage et de la précarité, l’État prendra en charge le système d’assurance-chômage », revendique-t-il, tout en assurant qu’il « associera l’ensemble des parties prenantes et en particulier les partenaires sociaux ».

« Associer » ne signifie pas « respecter ». Les syndicats en font l’amère expérience dès 2018, avec les négociations sur l’assurance- chômage. « La lettre de cadrage du premier ministre nous mettait en pratique dans l’impossibilité de négocier, rappelle Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO. Le gouvernement nous r éclamait 3,5 milliards d’euros d’économies sur le régime, soit plus d’un milliard par an ! D’une certaine manière, il savait pertinemment que nous n’accepterions jamais un tel coup de massue, et qu’il reprendrait la main derrière. »

Le risque de voir triompher la logique austéritaire

Il n’est pas question de s’arrêter en si bon chemin. Pour Pierre-Yves Chanu, vice-président CGT de l’Agence centrale des organismes de la Sécurité sociale, deux nouvelles menaces pointent à l’horizon : « Le premier danger vient de la proposition de loi organique portée par Thomas Mesnier, député LaREM, adoptée par le Sénat le 28 septembre dernier. Ce texte vise à intégrer le financement de l’assurance-chômage au PLFSS. Autrement dit, ce serait l’État qui reprendrait entièrement la main, alors même que c’est l’Unédic qui commande aujourd’hui. Le deuxième danger vient d’un changement profond du mo de de financement de la Sécurité sociale. L’objectif poursuivi par le gouvernement est clair : diminuer la part des cotisations patronales, payées par les employeurs, et les remplacer par de la TVA, payée par l’ensemble des ménages. Concrètement, depuis 2018, on a divisé par deux les cotisations patronales d’assurance-maladie. Et le PLFSS 2022 prévoit que, dorénavant, 28 % de la TVA seront affecté s au budget de la Sécurité sociale. »

L’étatisation de notre système de protection sociale, dénoncée unanimement par les syndicats et une partie de la gauche, risque de voir triompher la logique austéritaire, comme l’expliquait le sociologue Frédéric Pierru, dans nos colonnes : « C’est une logique purement budgétaire : on glisse d’une logique de droits associés au travail à une logique de solidarité qui passe par l’impôt. Dès lors, les dépenses de protection sociale sont comprises dans la loi de finances. Elles deviennent des lignes budgétaires au sein du budget global de l’État. Ce dernier décide de tout, en fonction de sa trajectoire de dépenses publiques contrainte pa r les règles européennes de contraction des… dépenses publiques. »

(1) Reprise à son compte par le président Ronald Reagan (1981-1989), cette stratégie vise à tailler dans les recettes de l’État, pour justifier par la suite des coupes drastiques dans les dépenses.

 

publié le 12 octobre 2021

Sixième semaine de grève à Transdev :
la direction joue la division

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Le bras-de-fer promet de durer encore. Depuis six semaines pour certains, les conducteurs de bus de la société Transdev sont en grève, en Seine-et-Marne et dans le Val d’Oise. Face au refus d’appliquer les nouveaux accords liés à l’ouverture à la concurrence du réseau francilien, la direction tente de négocier… Au cas par cas. Pour mieux diviser, selon les syndicats.

 

Le mouvement de grève des salariés de la société Transdev, implanté en Seine-et-Marne et touchant le Val d’Oise, entame sa sixième semaine. De nouveaux dépôts ont récemment rejoint la lutte, dont celui de Rambouillet. Si certains privilégient des grèves perlées (comme à Nemours ou Rambouillet), beaucoup se maintiennent en grève continue (comme Chelles, Marne-la-Vallée, Saint-Gratien, Vulaines-sur-Seine, Vaux-le-Pénil)…

Face à la longévité et à l’extension du mouvement, l’employeur poursuit le bras-de-fer. « La stratégie de la direction est d’abord de jouer le pourrissement, en essayant d’essouffler le mouvement. Puis, de trouver des accords au cas par cas afin de faire reprendre le travail aux plus précaires », décrit Jamel Abdelmoumni, délégué central Transdev Île-de-France Sud Rail. Les organisations syndicales défendaient une négociation groupée, avec un protocole commun de sortie de conflit. Mais ils assurent avoir essuyé un refus catégorique de l’entreprise.

Conditions de travail. Grève suivie chez Transdev

Juliette Barot sur www.humanite.fr

Soutenus par la CGT, la CFDT et Solidaires, une centaine de salariés de l’entreprise de transport Transdev se sont rassemblés, selon l’AFP, mardi 14 septembre, devant le siège du conseil régional d’Île-de-France à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail. Le nouveau contrat remporté par Transdev dans le cadre de l’appel d’offres pour l’exploitation du réseau Optile (bus de moyenne et grande couronne) conduit à des pertes de rémunérations. Auparavant, « on était à 39 heures payées 39 et on avait 22 jours de RTT. Maintenant, on est à 37 heures payées 37 et on nous a retiré 11 jours de RTT », a expliqué une salariée. Autre perte : les chèques-vacances sont passés « de 750 euros par an à 250 euros ». Les salariés, qui sont en grève depuis deux semaines, dénoncent également un allongement du temps de travail. Île-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité organisatrice des transports en commun de la région parisienne, demande « une intensification du dialogue » pour mettre fin à un conflit suivi par 50 % des conducteurs.

Depuis, la direction commence à renégocier dépôt par dépôt. Déjà, à Sénart, un protocole a été signé, par deux organisations syndicales sur trois. Contactée par Rapports de Force, la direction de Transdev nous indique : « à Sénart, la direction et les organisations syndicales ont signé un protocole et le travail reprend progressivement… L’offre était à 80 % hier ». La direction mise sur une reprise normale du trafic, tandis qu’« une partie des conducteurs y est toujours en grève. Ils sont près d’une vingtaine », nuance Jamel Abdelmoumni. Une assemblée générale doit avoir lieu prochainement pour discuter du maintien de la mobilisation au dépôt de Sénart, mais aussi à ceux de Cesson et Combs-la-Ville qui lui sont rattachés. 

Le calendrier des négociations dépôt par dépôt s’intensifie. Lundi 11 octobre, une réunion pour le dépôt de Vaux-le-Pénil s’est tenue à la Cité administrative de Melun, avec un médiateur de l’Inspection du travail. Ce mardi 12 octobre, c’est au tour de Marne-la-Vallée, toujours en présence de l’Inspection du travail. Pour Vulaines-sur-Seine, deux rendez-vous sont programmés – l’un ce mardi 12 octobre, l’autre jeudi 14 -, sans médiateur cette fois. Pour le reste, « les rencontres avec les organisations syndicales se poursuivent à Fontainebleau, Melun et Marne la Vallée » nous précise Transdev. Pour l’heure, Sénart est le seul endroit où un protocole de sortie de conflit a été signé.

Pour Jamel Abdelmoumni, « la direction divise les centres. Quand l’un est en grève depuis une semaine, et l’autre depuis six semaines, forcément, les salariés de ce dernier ont envie de voir le bout… Ils ne peuvent pas se permettre d’attendre ».

 

Ile-de-France Mobilités confie une mission à Jean-Paul Bailly

 Pourtant, la grève à Transdev née en Seine-et-Marne est loin de ne concerner que ce département. Lundi, le conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités a lancé l’application de nouveaux accords à d’autres dépôts. À terme, c’est toute l’Ile-de-France qui est concernée. À l’origine de ces changements des conditions de travail : la renégociation de l’accord-cadre entre Transdev et Île-de-France Mobilités, avec l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien impulsé par Valérie Pécresse (présidente de région et d’Île de France Mobilités). Là où les nouveaux accords commencent à être appliqués, « les conducteurs ont perdu de 200 à 500 euros net par mois. Et les amplitudes horaires ont augmenté, jusqu’à 14 heures par jour », expliquait Hakim, conducteur à Vulaines, à Rapports de Force.

Dans un communiqué paru ce lundi 11 également, l’autorité organisatrice des transports franciliens annonce avoir confié une mission à Jean-Paul Bailly, ancien Président de la RATP et ancien Président de la Poste. Le but ? « Faire converger les points de vue entre les représentants du personnel et les syndicats d’un côté, et les directions des différents réseaux concernés de l’autre. L’objectif est de faire aboutir rapidement les négociations sur les réseaux qui ne seraient pas parvenus à un accord ». Le président de cette mission sera assisté par Jean Bessiere, ancien président de la commission mixte paritaire de la branche ferroviaire ; ainsi que par Jean Grosset, ancien délégué général adjoint de l’UNSA.

 


 

 

publié le 12 octobre 2021

Italie. Le siège de la Cgil pris d’assaut par des fascistes

sur le site www.humanite.fr

Des manifestations de solidarité avec le principal syndicat italien ont été organisées dimanche, au lendemain d’une attaque contre ses locaux nationaux.

Le siège national de la Confédération générale italienne du travail (Cgil), à Rome, a subi une attaque, samedi, en marge de la mobilisation contre le passe sanitaire, qui deviendra obligatoire sur les lieux de travail le 15 octobre. Des dizaines de manifestants du mouvement no vax liés au groupe néofasciste Forza Nuova ont fait irruption dans les locaux de la principale centrale italienne, retournant et détruisant du matériel, tailladant une peinture représentant une lutte ouvrière.

La Cgil accuse les dirigeants de Forza Nuova, que l’on voit dans des vidéos sur les marches devant le siège de la centrale, d’avoir conduit l’assaut. Les deux dirigeants en question ne sont pas n’importe qui, et figurent parmi les 12 personnes interpellées samedi par la police. On trouve Giuliano Castellino, leader romain de Forza Nuova, pourtant interdit de manifestation, condamné par le passé à cinq années de prison pour avoir agressé des journalistes, mais qui tous les samedis participe aux mobilisations contre la passe sanitaire. On trouve également Roberto Fiore, actuel secrétaire de Forza Nuova, qui s’était réfugié au Royaume-Uni dans les années 1980, après que la police eut trouvé des armes dans les locaux du groupuscule Troisième position, dont il était l’un des fondateurs.

Dès samedi, la Cgil a dénoncé un « assaut intolérable », qualifiant l’attaque de « néofasciste ». Cette attaque survient alors qu’on célèbre cette année le centième anniversaire de l’assaut et de l’incendie, en janvier 1921, de la chambre du travail de Bologne par les fascistes, prélude à la marche sur Rome, en octobre 1922.

Dimanche, dans plusieurs villes, des rassemblements se sont tenus devant les sièges de la Cgil. Via del Corso d’Italia à Rome, le secrétaire général a été accueilli par des militants scandant : « Maintenant et toujours, résistance ! » « Si quelqu’un a pensé nous intimider (…), il doit savoir que la Cgil et le mouvement des travailleurs sont ceux qui ont battu le fascisme, qui ont reconquis la démocratie », a rappelé Maurizio Landini. Il accuse un « projet préparé de la part d’un groupe organisé et de groupes qui ont mis en place une action “squadriste” et fasciste », faisant allusion aux raids des chemises noires de Benito Mussolini avant leur accession au pouvoir. Il demande la dissolution de « toutes les organisations qui se réclament du fascisme» , dont la Constitution interdit de faire « l’apologie ». Face au populisme ambiant qui prend parfois une tournure antisyndicale, il a rappelé que « les organisations syndicales vivent parce qu’il existe des personnes faites de chair et d’os qui versent un pour cent de leur salaire ou de leur pension (…). Vous êtes en train d’attaquer des personnes qui, pour défendre leurs propres droits, ont choisi démocratiquement de s’organiser ». Il a également exprimé la « solidarité avec les policiers blessés qui ont défendu notre siège ».

Les trois confédérations – Cgil, UIL, et CISL – appellent à une manifestation, samedi 16 octobre, pour dire « plus jamais de fascismes ».



 

 

publié le 11 octobre 2021

Fiscalité. Un impôt mondial moins-disant

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Cent trente-six pays se sont accordés ce vendredi sur les principes d’une taxe internationale visant les multinationales. Le taux de 15 % ne permettra pas de lutter contre l’évasion fiscale, estiment les ONG.

Pour les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), les quatre années de négociation, parfois à couteaux tirés, n’auront pas été vaines. Ce vendredi, 136 pays membres de l’organisation – dont l’Irlande ou la Hongrie, jusque-là réticentes – se sont entendus sur un projet d’impôt mondial sur les multinationales. Une victoire autoproclamée pour de nombreux dirigeants, dont Emmanuel Macron. « L’accord trouvé à l’OCDE est historique. C’est une avancée majeure pour la justice fiscale », a-t-il déclaré. Pourtant, tous ne partagent pas ce constat. « C’est une occasion manquée », lâche d’emblée Quentin Parrinello, porte-parole d’Oxfam France. Les ambitions du projet d’accord, dont les négociations ont débuté en 2017, étaient pourtant fortes : mettre un coup d’arrêt aux pratiques d’optimisation et de dumping fiscal et faire disparaître les paradis fiscaux. Les détails du texte révélé vendredi, organisé en deux piliers, sont loin de répondre à ces exigences, estiment les associations et ONG.

La première mesure, celle de la fixation d’un taux d’imposition minimal, est aux yeux des observateurs insatisfaisante. Selon les termes de l’accord, les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 750 millions d’euros devront être taxées à 15 % minimum. En juillet, les discussions autour d’un seuil « d’au moins » 15 % nourrissaient l’espoir que les négociateurs se dirigent vers un taux bien plus ambitieux. Le président des États-Unis, Joe Biden, proposait en effet un taux de 21 %. Le taux de 15 % est en ce sens une décevante régression. « Les multinationales qui y seront assujetties seront officiellement moins imposées que l’immense majorité des entreprises, et notamment les PME, puisque, au plan mondial, le taux moyen d’imposition se situe à 22 % », note l’Observatoire de la justice fiscale. D’autant plus que de nombreuses exonérations risquent de rendre ce minimum caduc. Les multinationales pourront en effet réduire leur base taxable s’ils emploient des salariés dans le pays où est collecté l’impôt. « L’OCDE annonce 15 % d’imposition mais, dans les faits, le taux pourra descendre bien plus bas », redoute Quentin Parrinello.

« Une mesure discriminante »

Le second pilier, censé garantir « une répartition plus équitable » de l’impôt entre les pays, en permettant aux États où se déroulent les ventes de collecter une partie de la taxe, souffrirait aussi de bon nombre d’écueils. Selon les règles définies dans le texte, l’impôt redistribué sera collecté sur une infime portion des bénéfices. Une règle moins-disante qui ne s’appliquera que pour les entreprises réalisant 20 milliards de chiffre d’affaires. En tout, une petite centaine de multinationales seulement seront concernées par cette mesure. « C’est une mesure discriminante pour les pays en développement, puisque ceux-ci ne sont pas vraiment des pays de marché mais plutôt des pays de production. Nous souhaitons que les pays de production puissent aussi profiter de la redistribution », note le porte-parole d’Oxfam. L’ONG a estimé que ce pilier permettra à 52 pays de percevoir uniquement 0,025 % de leur PIB en recettes fiscales, bien moins que la manne promise par l’OCDE.

Si les termes de l’accord semblent largement insuffisants, celui-ci a toutefois comme mérite d’avoir placé la justice fiscale au cœur des débats pendant de longs mois. Avant d’entrer en vigueur, le texte doit encore être validé par le G20 et transposé dans le droit des pays ; autant d’étapes sur lesquelles comptent peser les défenseurs d’une taxation plus ambitieuse.



 

 

publié le 11 octobre 2021

Fiscalité des multinationales :
le taux de 15 % sur les bénéfices, prochaine norme mondiale

Par Martine Orange sur www.mediapart.fr

Un accord de l’OCDE sur la réforme de la fiscalité mondiale a été approuvé par 136 pays le 8 octobre. Ce texte signe la mort des paradis fiscaux traditionnels mais pas de l’optimisation fiscale. Les géants du numérique sont en passe d’imposer leur taux moyen fiscal au reste du monde.
 

Un accord comme on n’en voit qu’une fois par siècle », « un texte historique », « un succès pour l’OCDE ». L’emphase était de mise ce 8 octobre, alors que les derniers pays réfractaires – la Hongrie, l’Inde, l’Estonie, après l’Irlande la veille – venaient d’annoncer qu’ils allaient signer l’accord sur une taxation minimale mondiale des multinationales. Discuté depuis des années au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques, le texte désormais soutenu par 136 pays sur 140 devrait être définitivement adopté par les dirigeants du G20 lors du prochain sommet prévu les 30 et 31 octobre à Rome.

Selon l’accord, une taxation minimum de 15 % des profits de toutes les multinationales devrait s’appliquer dès 2023 dans tous les pays de l’OCDE. Cet impôt est censé rapporter 150 milliards de dollars supplémentaires chaque année aux États. Un deuxième pilier est également prévu afin d’établir un système fiscal mondial « plus juste ». Il prévoit de taxer les « superprofits » des plus grandes multinationales à hauteur de 25 % et de reverser ces montants aux pays où ces groupes réalisent un chiffre d’affaires sans y avoir la moindre implantation physique, ce qui leur permet d’échapper à toute imposition.

Ce projet signe la mort des paradis fiscaux comme les Bermudes, les îles Vierges britanniques ou le centre offshore de Dubaï qui , grâce à une fiscalité zéro, sont devenus les havres de la fraude fiscale internationale. Régulièrement dénoncés pour leur rôle dans le blanchiment, la corruption, ces « trous noirs de la finance » sont devenus un embarras, voire un danger pour les États et même pour le système financier international. Les sacrifier ne pose donc guère de problème.

Mais si l’accord permet de partir en guerre contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux traditionnels, permet-il aussi de lutter contre l’évasion fiscale, « l’optimisation », comme le disent pudiquement les milieux d’affaires ? Les aménagements fiscaux et réglementaires, les ruling, tous les dispositifs pour éluder l’impôt dont nombre de pays, notamment en Europe, se sont fait une spécialité pour détourner la manne fiscale des autres vont-ils aussi être remis en cause ? Pas sûr.

Car loin d’offrir un cadre général et clair, comme se plaisent à le dire les promoteurs, l’accord s’annonce à trous avant même d’être signé. De nombreuses exemptions, de multiples contournements, aménagements ont déjà été accordés à des pays adeptes d’une fiscalité arrangeante, afin d’obtenir leur signature. La façon dont les discussions se sont déroulées avec l’Irlande amène notamment à s’interroger sur la portée et les visées réelles de cet accord.

La résistance calculée de l’Irlande

Pendant des mois, voire des années, Dublin a opposé une résistance farouche à tout projet de révision de son système fiscal : l’ imposition de 12,5 % des bénéfices des sociétés – un taux facial car nombre de groupes, notamment Apple, paient entre 0 % et 3 % - lui a permis d’attirer nombre de sièges sociaux européens des multinationales. À commencer par tous ceux des géants du numérique.

Mais le 6 octobre, le ministre des finances irlandais, Paschal Donohoe, a finalement accepté d’y renoncer et de se rallier au principe d’une taxation minimum de 15 %. « Je crois que ce changement est bon pour l’Irlande », a-t-il expliqué. Pour justifier ce revirement spectaculaire, le ministre irlandais a mis en avant les avancées qu’il avait obtenues. Non seulement les PME implantées en Irlande continueraient à bénéficier d’un taux d’imposition à 12,5 % – des aménagements comparables ont été accordés à la Hongrie et à l’Estonie –, mais surtout il avait réussi à faire réécrire l’accord.

Alors que le texte stipulait au départ que l’imposition minimale mondiale des multinationales « d’au moins 15 % » - une formulation pour laquelle Bruno Le Maire s’était beaucoup battu, selon ses dires –, il est désormais écrit que le taux d’imposition sera « de 15 % ». Un petit mot en moins mais qui fait toute la différence, qui dit par avance le renoncement annoncé aux ambitions qui avaient été affichées dans le cadre de la négociation sur la réforme de la fiscalité mondiale.

«  15 %, c’est 15 % », a insisté le ministre des finances irlandais. En d’autres termes, ce taux d’imposition est appelé à être gravé dans le marbre et à ne plus jamais pouvoir être augmenté. Il risque même, comme de nombreux économistes l’ont souligné, de devenir la norme mondiale fiscale pour la taxation des entreprises, obligeant les pays à poursuivre cette concurrence fiscale mortifère – le taux d’imposition aux États des entreprises est passé de 70 % à la fin des années 1970 à 18 % aujourd’hui –, et à aligner tout leur système d’imposition sur ce nouveau chiffre magique. 15 %, c’est le taux moyen d’imposition mondial des géants américains du numérique. Si cet accord peut être qualifié d’historique, c’est peut-être sur ce point qu’il l’est : les géants du numérique, après avoir abattu les oppositions des États, sont en passe d’imposer au monde leur norme de fiscalité.

Avec l’accord sur l’impôt mondial, toutes les velléités européennes d’encadrer et de contrôler les géants américains du numérique sont enterrées, six pieds sous terre.

À entendre le gouvernement irlandais, ce renoncement au taux de 12,5 % représente un énorme sacrifice. Selon ses calculs, il va y perdre 2 milliards d’euros par an. Un résultat curieux : l’augmentation du taux devrait normalement augmenter ses recettes fiscales. En fait, l’Irlande n’y perd rien du tout. Au contraire, elle y gagne totalement.

Le ministre des finances, Paschal Donohoe, le reconnaît lui-même à demi-mot : l’accord apporte à l’Irlande « de la certitude et de la stabilité ». Alors que Dublin s’est retrouvé plusieurs fois dans l’œil du cyclone face à la Commission européenne pour sa trop grande compréhension fiscale à l’égard des Gafam, que les géants numériques se voyaient eux-mêmes menacés de poursuites, de sanctions, d’encadrements réglementaires par la Commission européenne, cet accord permet de lever toutes les menaces.

C’était le but avoué du président américain Joe Biden, quand il a pris l’initiative au printemps de relancer les discussions sur un impôt mondial, au point mort depuis des années. Dès l’annonce d’un possible accord sur la réforme de la fiscalité mondiale en juillet, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, avait demandé à l’Union européenne de reconsidérer son projet de taxe numérique jugé « discriminatoire » à l’égard des groupes américains. Bruxelles avait obtempéré, annonçant dans la foulée le gel de son projet de taxation numérique. Il ne sera jamais décongelé. Avec l’accord sur l’impôt mondial, toutes les velléités européennes d’encadrer et de contrôler les géants américains du numérique sont enterrées, six pieds sous terre.

L’accord prévoit en effet que toutes les taxations sur les services numériques instaurées dans les différents pays devront être démantelées d’ici à 2023, au moment de l’implantation de la taxation mondiale historique. C’est une des raisons qui ont poussé le Nigeria et le Kenya à refuser de signer cet accord, et qui ont fait hésiter l’Inde jusqu’au dernier moment. Dans la négociation, les États-Unis ont obtenu l’inscription d’une clause qui les prémunit de tout retour en arrière. Le texte stipule en effet qu’« aucune taxe sur les services numériques nouvellement promulguée, qu’aucune autre mesure similaire ne sera imposée à une entreprise à partir du 8 octobre 2021 ». L’interdiction est valable pour au moins deux ans.

Un accord pour les pays riches

Les États-Unis ayant garanti l’essentiel pour les géants du numérique, peu d’attention a été portée sur le deuxième pilier de l’accord, censé pourtant être le plus ambitieux. L’objectif affiché est d’instaurer des mécanismes de partage des profits des multinationales en direction des pays, essentiellement du Sud, où elles réalisent des affaires sans payer le moindre centime d’impôt. Le mécanisme retenu s’annonce d’une complexité folle. L’accord prévoit que les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 20 milliards d'euros – mais sont déjà exclues de ce cadre toutes les entreprises extractives, minières, pétrolières – devront allouer 25 % de leurs bénéfices au-delà d’une marge de 10 % aux pays où elles opèrent, sur la base de leurs ventes. La marge de rentabilité de 10 % sera calculée à l’aide d'un mécanisme de moyenne, basé sur le bénéfice avant impôt.

De nombreux pays du Sud ont dénoncé le déhéquilibre instauré par cet accord à leur détriment (voir notre article : « Accord perdant pour les pays du Sud »). Beaucoup ont souligné qu’on leur demandait de renoncer à des recettes fiscales, notamment sur les services numériques, sans leur garantir la moindre compensation par ailleurs. « C’est un accord entre les pays riches, pour les pays riches », a dénoncé le ministre des finances colombien. « Avec cet accord, nous avons le choix entre une mauvaise solution et la pire des solutions », a déclaré Martin Guzman, ministre argentin de l’économie, résumant l’état d’esprit général des pays du Sud : ils signent la corde au cou.

Certains observateurs soulignent déjà qu’il n’est pas assuré que la réforme de la fiscalité mondiale telle que l’a écrite l’OCDE soit adoptée dans tous les pays. Le Parlement indien notamment pourrait, selon eux, faire de la résistance pour approuver un texte qui prive le pays des recettes sur les services numériques.

Mais la plus forte résistance risque d’apparaître là où on l’attend le moins : aux États-Unis. Même si l’administration Biden a été le chef d’orchestre de cet accord sur la fiscalité mondiale des multinationales, elle est loin d’être assurée d’obtenir au Congrès une majorité de 60 % nécessaire pour faire adopter le texte. Plusieurs sénateurs républicains ont déjà dit tout le mal qu’ils pensaient de ce texte « contraire aux intérêts américains en taxant injustement les groupes américains et les géants du numérique » et annoncé leur intention de batailler fermement contre ce projet de loi.

Estimant que cet accord est « une réalisation comme on en voit une fois par génération pour la diplomatie économique », la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen a exhorté le Congrès à adopter « rapidement » les propositions. Elle propose au Congrès d’utiliser la procédure dite « de réconciliation » qui permet d’adopter des projets de loi au Sénat à la majorité simple. La bataille au Congrès s’annonce serrée et sans doute longue.

Mais le gouvernement américain a déjà obtenu ce qu’il voulait : il a tué tous les projets européens de contrôle, de réglementation, de taxation des géants du numérique américains, qui auraient pu servir de référence au reste du monde par la suite. Et c’est bien là l’essentiel.



 

 

publié le 9 octobre 2021

Contre le chaos climatique et social, Aurélie Trouvé appelle à
un « bloc arc-en-ciel »

Par Fabien Escalona sur www.mediapart.fr

Dans un essai, la porte-parole d’Attac propose de dépasser le paradoxe entre la vitalité des mouvements sociaux et la faiblesse politique de la gauche. Elle veut organiser leur complémentarité dans un « espace fédératif » et radical.  

Les gauches semblent promises à peser moins d’un tiers des suffrages, et se présentent de manière singulièrement fragmentée à l’élection présidentielle de l’an prochain (lire l’article de Pauline Graulle). Une victoire à ce scrutin national décisif apparaît aujourd’hui hors de portée, alors même que la droitisation de la société est très contestable, et que les mobilisations pour la justice se sont intensifiées, comme dans le reste du monde.

C’est de ce paradoxe que s’empare Aurélie Trouvé, dans un essai publié en septembre à La Découverte. « La faiblesse de la gauche dans les urnes est contemporaine d’une certaine vitalité retrouvée des mouvements sociaux et des réseaux de résistance et de solidarité », remarque-t-elle.

La porte-parole d’Attac ne méconnaît certes pas les faiblesses qui affectent ces derniers. Les défaites accumulées depuis le mitan des années 2000, la crise sanitaire, mais aussi la répression accrue dont l’autrice elle-même a fait les frais, ont provoqué bien des découragements individuels, ainsi que des doutes collectifs sur l’efficacité des formes traditionnelles de mobilisation.

Dans le même temps, observe-t-elle, ces luttes se sont révélées cruciales pour « freiner dans sa course le rouleau compresseur du productivisme et du néolibéralisme ». Sans elles, par exemple, plusieurs projets d’infrastructures climaticides auraient certainement vu le jour au lieu d’être abandonnés. L’État ne se verrait pas non plus reprocher son manque d’action en la matière par la justice administrative. Surtout, une « soif inextinguible de démocratie et de justice » s’est donnée à voir dans des mobilisations créatives, inédites par leur composition générationnelle et sociale, qui se sont notamment déployées sur les terrains de l’écologie, du féminisme et de l’antiracisme.

C’est cette dynamique, à la fois quantitative et qualitative, qui amène Aurélie Trouvé à pointer un contraste entre le « bouillonnement de la rue, des ronds-points, des places, des zones à défendre » et « l’étroitesse du champ partisan ». « Il nous faut opérer un saut stratégique », en conclut-elle, proposant qu’il se traduise par la construction d’un « bloc arc-en-ciel ». L’expression fait référence à la Rainbow Coalition lancée en 1969 à Chicago par des organisations noires, blanches et hispaniques, qui étaient parvenues à bâtir un front social commun en dépit de leurs différences culturelles.

Au « multicolore de l’antiracisme et des libertés publiques », l’altermondialiste appelle à joindre, dans la France de 2021, « le violet du féminisme », « le jaune des insurrections populaires », « le vert des mouvements écologistes » et « le rouge issu des traditions communistes et syndicales ». L’objectif est double : d’un côté, jouer de la complémentarité des causes et des tactiques plutôt que les opposer ; de l’autre, réduire le fossé entre les mobilisations populaires et l’action politique dans les institutions.

Ce faisant, la militante altermondialiste cherche à dépasser deux réflexes de défiance qui parcourent les mobilisations contemporaines : l’un envers l’enrôlement de luttes spécifiques sous un même mot d’ordre réducteur voire trompeur, l’autre envers leur instrumentalisation par des responsables politiques peu fiables voire opportunistes. Dans une enquête à paraître aux Presses de Sciences Po, menée auprès de plus d’une centaine d’activistes, la chercheuse Réjane Sénac constate que « le risque [perçu] de recomposition d’une unité hégémonique voire totalitaire, [les] amène à prendre de la distance vis-à-vis de toute généralisation, qu’elle soit procédurale ou idéologique ».

Le problème, rappelle Aurélie Trouvé, c’est que la catastrophe écologique et sociale grossit, et que les partisans d’une bifurcation ne pèsent toujours pas assez sur la trajectoire de nos sociétés. Face aux droites néolibérales et identitaristes, il s’agit donc de trouver un « dispositif politique » pour permettre aux luttes de « s’épauler » et de « faire “système” », tout en élargissant leur « base militante et politique ». La diversité des combats et des répertoires d’action ne doit plus être pensée comme un handicap, suggère-t-elle, mais comme une opportunité de « prendre la droite en tenaille ».  

Reprenant l’approche stratégique du sociologue Erik Olin Wright, dont nous avions recensé l’ouvrage posthume en décembre dernier, Aurélie Trouvé appelle à jouer sur tous les tableaux : au sein des institutions (puisque l’État n’est pas un monolithe impénétrable) et en dehors (puisqu’il faudra toujours un aiguillon et une force de rappel pour ceux qui pourraient être pris dans les filets de la bureaucratie). À ce titre, elle estime que la force de l’ordre social en place, ainsi que l’incertitude sur les moyens de l’ébranler, justifie une large panoplie d’actions, des recours juridiques aux sabotages en passant par des grèves : « Il n’y a pas d’actions qui seraient trop “bisounours” et d’autres trop “radicales”. »

En somme, il s’agirait de recréer des « écosystèmes » d’idées, de propagande, d’actions et de solidarités, là où ceux que la gauche avait bâtis au XIXe et au XXe siècle se sont étiolés. Les partis n’en seraient « plus le cœur » et la lutte des classes n’en serait plus « l’unique bataille », mais ces écosystèmes n’en seraient pas moins indispensables. Pour bousculer le conformisme individuel et l’inertie des structures sociales, il faut en effet non seulement convaincre qu’une autre solution est possible, mais aussi réduire les coûts de la rébellion contre l’ordre en place. Cela est encore trop peu le cas en raison de la petitesse, de l’éparpillement et de la faible « épaisseur organisationnelle » des partis et des mouvements actuels.

Radicalité et inclusion

Si les pistes avancées par Aurélie Trouvé sont encore des esquisses, elles vont plus loin que le simple appel verbal à la « convergence des luttes ». De même, son désir d’unité, qui fait écho à une aspiration répandue parmi les citoyens se reconnaissant encore dans la gauche, n’est pas un prétexte à n’importe quelle alliance. C’est bien parce qu’aucun cadre de travail commun n’existe, écrit-elle, que « la gauche se trouve face à un dilemme : rester faible car trop divisée ou bien s’unir sans projet politique articulé et prendre le risque de se perdre dans la confusion ».

La force des mouvements sociaux les plus dynamiques, diagnostique-t-elle, est de remettre en cause des logiques systémiques : celles du productivisme, du capitalisme, du patriarcat, du racisme… Selon elle, c’est en vue de les remplacer, et non de les aménager, que le bloc arc-en-ciel est pertinent. « L’unité pour l’unité n’a pas de sens, insiste-t-elle. Le rassemblement doit réunir autour de valeurs et d’aspirations communes. »

Ses parties prenantes devraient par exemple partager le présupposé d’une « diminution nécessaire de notre production et de notre consommation énergétiques et matérielles ». Et pour répondre aux besoins fondamentaux de la population, la militante altermondialiste propose un triptyque pas forcément consensuel, autour des principes de socialisation, de planification et de relocalisation des activités sociales. En revanche, cette clarté sur le contenu devrait prémunir contre tout sectarisme vis-à-vis d’individus ou de groupes dont les autres préférences peuvent n’être pas comprises ou partagées, par exemple des croyants ou des indépendantistes.  

Cette radicalité idéologique et cette posture inclusive, mais surtout la coexistence au sein de cette « plateforme pour une justice globale » ne seront pas spontanées, il faudra les organiser. Aurélie Trouvé propose à cet égard quelques principes d’une « fédération » dotée d’une méthode de travail pour aboutir à des consensus, et à laquelle pourraient adhérer tout autant des organisations que des citoyens individuels. Elle imagine notamment que ces instances de départ peuvent être peuplées, à proportion équivalente, de militants élus, de représentants des organisations ainsi rassemblées, et de membres tirés au sort.   

L’essai résonne de manière frappante avec celui publié cette même année par le philosophe brésilien Rodrigo Nunes, auteur d’une réflexion théorique sur l’organisation en politique (Verso, non traduit). Comme lui, Aurélie Trouvé tente d’échapper à des dichotomies stérilisantes, héritées d’une histoire politique révolue. Nostalgiques des partis d’avant-garde et laudateurs de mouvements sans leaders refont ainsi inlassablement le match entre « horizontalité et verticalité, diversité et unité, centralisation et décentralisation, macropolitique et micropolitique », là où tout devrait être question de dosage en fonction de la conjoncture.

Savoir construire de la capacité d’action, explique Rodrigo Nunes, est indispensable pour les partisans d’une transformation sociale. En même temps, cette construction peut aboutir à une accumulation de puissance dont les expériences tragiques du siècle dernier agissent encore comme un trauma. Le balancier est par conséquent parti dans l’autre sens, estime le philosophe, de manière d’autant plus aisée que, contrairement à ses excès, le manque de pouvoir d’agir ne produit aucun choc : il ne change rien à l’expérience quotidienne de l’impuissance vis-à-vis de l’ordre social.

Sauf que les promesses non remplies des mobilisations de masse de la décennie précédente ont agi comme une alarme. La « question de l’organisation » serait donc revenue au cœur des préoccupations. Selon Rodrigo Nunes, le modèle de la « plateforme » correspond aux conditions contemporaines d’existence. Il est adapté à la construction d’une « écologie » où collectifs et organisations pourront coopérer à des échelles différentes et s’enrichir mutuellement.

Lui aussi pense que les partis n’ont aucune raison d’unifier cette « écologie » sous leur magistère. Ils n’en sont qu’une branche, qui remplit une fonction spécifique : « s’adresser au peuple atomisé qui n’est ni politiquement actif ni impliqué dans aucune organisation, […] mettre au point des stratégies électorales, déployer des candidats, siéger au Parlement et finalement diriger un gouvernement ».

Reste à savoir comment passer de la situation fragmentée d’aujourd’hui au bloc arc-en-ciel promu par Aurélie Trouvé. Les déboires de la primaire populaire illustrent à quel point les partis sont rétifs à une construction qui leur échappe. Sans leur participation ni les ressources qu’ils tirent du financement public des partis, l’initiative n’ira pas bien loin. Au demeurant, l’engouement n’est pas au rendez-vous non plus du côté des simples citoyens (seuls 126 000 soutiennent l’initiative à ce stade).

La centralité de l’élection présidentielle, et l’énorme asymétrie qu’elle procure au leadership d’un individu, constitue à cet égard un obstacle à une « écologie » ou un « écosystème » équilibré. Peut-être faudra-t-il le noir d’une nouvelle défaite pour que la perspective d’un bloc arc-en-ciel se dessine..


 

 

publié le 9 octobre 2021

Vincent Tiberj : « Malgré les crispations, les Français
sont de plus en plus tolérants »

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Les idées d’extrême droite progressent-elles dans la société française ? Pour le sociologue et professeur d'université à Sciences-Po Bordeaux, qui a travaillé sur le rapport annuel de la Commission nationale constitutive des droits de l’homme, elles sont indéniablement en recul. Leur surmédiatisation actuelle pourrait toutefois les faire progresser. Entretien.


 

Vous avez travaillé sur le rapport annuel de la Commission nationale constitutive des droits de l’homme (CNCDH) concernant les préjugés et la xénophobie. Indique-t-il que les Français sont de plus en plus d’extrême droite ?

Vincent Tiberj Non. Si l’on définit quelles sont les idées constitutives de l’extrême droite, par exemple le racisme, l’intolérance vis-à-vis de l’immigration et des préférences sexuelles, ou encore la défense d’un régime autoritaire, nous n’assistons pas du tout à une montée de l’extrême droite. C’est même l’inverse. Le baromètre annuel de la CNCDH, qui existe depuis 1990, montre que, s’il y a des hauts, des bas et des crispations dans l’évolution du racisme, de l’antisémitisme, de l’islamophobie, de l’homophobie et du rapport à la démocratie, nous avançons en réalité vers de plus en plus de tolérance. Le renouvellement générationnel est ici prépondérant puisque nous constatons à travers ces études que plus une génération est récente, plus elle est tolérante. Les baby-boomers sont plus tolérants que leurs parents, mais beaucoup moins que leurs enfants et petits-enfants. Autre exemple : en 1946, seulement 37 % des Français considéraient que les juifs sont des Français comme les autres. Ils sont désormais 92 % à le penser. Mais si nous pouvons estimer que le « racisme biologique » diminue, puisque seules 8 % des personnes interrogées considèrent « qu’il y a des races supérieures à d’autres », d’autres formes de racisme peuvent se développer, notamment vis-à-vis des personnes d’origine maghrébine et des musulmans.

Dans notre baromètre Ifop annuel pour la Fête de l’Humanité, seuls 48 % des sympathisants de gauche considèrent que « l’immigration rapporte plus à la France qu’elle ne lui coûte »… N’est-ce pas révélateur d’un glissement à droite sur ces questions ?

Vincent Tiberj L’indice longitudinal de tolérance mesuré à partir des enquêtes de la CNCDH est supérieur. Avec une seule question sortie du lot, l’effet est déformant et à prendre avec des pincettes. La formulation choisie joue aussi énormément. Si vous demandez : « L’immigration est-elle une source d’enrichissement culturel ? », vous obtenez des réponses très positives. Mais si vous posez une question sur le lien entre immigration et insécurité, c’est l’inverse. L’indice longitudinal a pour avantage de ne pas être réalisé dans le feu de l’actualité et bénéficie d’une méthodologie de long terme. Il s’agit d’une enquête annuelle, avec les mêmes paramètres et l’agrégation de 70 questions. Il montre que l’idée selon laquelle il y aurait trop d’étrangers en France diminue de génération en génération. Il montre aussi que le féminisme progresse et que la demande de démocratie augmente, même si le rapport au vote évolue. Si, dans un sondage, vous posez cette question : « Un leader fort obtient-il des résultats rapides ? », les Français vous diront oui. Mais si vous demandez s’il faut davantage partager les décisions et associer les citoyens, ils vous diront aussi oui. Il faut donc user de méthodologie permettant de décrypter l’évolution réelle. Depuis 1990, elle va vers un recul des idées d’extrême droite, grâce à un meilleur niveau d’éducation et une fréquentation plus importante de camarades de différentes origines.

L’extrême droite et Éric Zemmour sont pourtant surmédiatisés. Si cela va actuellement à contre-courant de l’évolution profonde de la société française, n’y a-t-il pas un risque de faire monter le danger dans les têtes et les votes ?

Vincent Tiberj Absolument. Il y a à la fois une hausse de la tolérance et une crispation. Il y a à la fois une « banalisation de la diversité », à l’œuvre dans la société et une banalisation du discours et des mythes d’extrême droite sur une chaîne comme CNews, qui a un effet d’entraînement sur les autres médias. On se retrouve, en réalité, dans la même situation que celle connue par les États-Unis dans les années 2000 avec la montée en puissance de Fox News. Ce genre de chaîne développe une grammaire politique qui polarise fortement le débat médiatique et le déplace à droite. Ce qui est très surprenant, c’est que cela fonctionne alors même que l’audience de CNews reste confidentielle, avec des parts de marché très faibles. Notamment parce qu’il n’existe pas de chaîne tentant d’entraîner le débat à gauche, ni de chaînes qui se préoccupent d’axer leurs contenus sur les priorités réelles des Français. Cela donne au final une place centrale à l’extrême droite, tout en ayant un effet profondément démobilisateur sur l’électorat de gauche.

C’est-à-dire ?

Vincent Tiberj Il n’y a pas plus de gens obsédés par l’immigration en France que de gens obsédés par le réchauffement climatique, l’éducation et l’insécurité sociale. Bien au contraire. Mais si vous ne parlez que d’immigration et d’insécurité, vous mettez Éric Zemmour au centre du jeu, et vous désabusez tous ceux qui, pourtant majoritaires, sont en demande de fortes politiques de redistribution des richesses, d’égalité, d’écologie et de social. Nous sommes un peu dans une situation similaire à celle de 2002, qui a vu Jean-Marie Le Pen accéder au second tour. Mais le vrai souci, ce n’est pas de parler d’insécurité et d’immigration, qui sont des sujets légitimes. Le vrai souci, c’est que tant que la gauche ne répond pas clairement, ne déconstruit pas le discours de droite sur l’insécurité et l’immigration et ne propose pas de politiques de gauche fortes sur le sujet, elle reste bloquée et ne peut pas dérouler le reste de son programme. Il y a tout un espace pour la gauche, mais, de manière fascinante, on ne l’entend pas pour l’instant. Il y a aussi une grande déconnexion entre les valeurs qui s’affirment chez les Français et la représentation politique. Dès lors, pourquoi iraient-ils voter ?

Malgré tout, une victoire de l’extrême droite reste-t-elle peu probable ?

Vincent Tiberj Au sujet des intentions de vote, il ne faut pas oublier que si les sondages donnent Éric Zemmour montant, ils donnent aussi Marine Le Pen descendant. Il apparaît clairement qu’il séduit une part importante de l’électorat RN et qu’ils peuvent s’autoneutraliser. Mais Zemmour attire aussi des personnes âgées des classes aisées qui ne s’autorisaient pas à voter RN. De ce point de vue, il permet à un nouvel électorat de basculer dans un vote d’extrême droite et potentiellement de s’y installer.



 

 

publié le 8 octobre 2021

contre sommet Afrique-France

à Montpellier : 7, 8 et 9 octobre

 

Communiqué de la Marche des Solidarités sur https://solidaires.org/

 

 

Il est fini le temps des colonies, ouvrez les frontières !

Le 8 octobre, Macron organise à Montpellier le premier sommet Afrique-France de son mandat pour lequel il pro-met « le sommet du nouvel imaginaire entre pays » avec un « New Deal » de financement des économies africaines qui se fera « d’égal à égal » et mettra au centre la jeu-nesse africaine.

 

Il n’a pas prévu de parler des milliers de soldats français de l’opération Barkhane. Rien non plus sur les trois coups d’État militaires en Afrique de l’Ouest en treize mois (au Mali, au Tchad et en Guinée). Aucune solution proposée pour sauver les migrant.e.s de la mort en Méditerranée. Et encore rien pour les droits des centaines de milliers de sans-papiers qui vivent en France, dont la très grande majorité vient de quelques pays africains. Puisque ce n’est pas au programme du sommet, nous les mettons au cœur de notre contre-sommet !

 

Arrachons nos droits !

Alors que l’État français dénonce les violations des droits humains là où ses intérêts le lui permettent, il est bien plus com-plaisant avec les dirigeants des anciennes colonies françaises en Afrique subsaharienne qui réduisent les libertés publiques ou contournent la Constitution pour briguer un nouveau mandat. La France veut défendre son « pré-carré » en Afrique, mais son influence économique ne cesse d’y décliner face aux États-Unis, à la Chine et ou à d’autres européens.

 

Nos frères et sœurs en Afrique subissent toujours l’implantation de multinationales qui accaparent les terres, polluent, détruisent les forêts et spolient les richesses avec la complicité des dirigeants africains. S’ils et elles quittent leur pays, parviennent à survivre à la traversée et enfin arrivent dans les pays d’émigration comme la France, alors l’État les harcèle, les prive de droits et les livre à un patronat sans scrupules.

 

Les sans-papiers ont travaillé en 1re ligne pendant le confine-ment en France, dans les métiers de la livraison, du nettoyage, sur les chantiers ; ou alors ont été licencié.e.s, sans aucune chance d’aide financière et sans droits. Pourtant Macron n’a eu qu’un mot à leur égard : « Vous avez des devoirs avant d’avoir des droits ».

 

La solidarité n’a pas de papier, pas de frontières, pas de nationalité

Face à la politique meurtrière et au silence coupable de nos dirigeants, nous devons lutter pour nos libertés et pour l’égalité ! Ce contre-sommet est l’occasion de rappeler à ces gouvernements que nous refusons d’être la monnaie d’échanges de leur grand marché néocolonial.

 

Les collectifs de sans-papiers et la marche des Solidarités porteront leurs revendications à Montpellier lors d’une manifestation d’ouverture (7 octobre), de forums de rue (8 octobre) et d’une grande manifestation de clôture (9 octobre à 15 h au parking Arceaux) de ce contre-sommet Afrique-France.

 

Des autocars sont prévus au départ de Paris dans la nuit du 6 et du 8 octobre. Si vous souhaitez vous inscrire, veuillez contacter Youssef (07 51 14 35 60) ou Khaled (07 53 91 61 66), membres de la Coordination des Sans-Papiers 75.

 

Rappelons aux gouvernants que la solidarité n’a pas de pa-ier, n’a pas de frontières, et n’a pas de nationalité ! Que la solidarité, c’est la lutte ! Une lutte internationale contre le système injuste des frontières qui brise des communautés, des vies, qui dominent les plus pauvres et les plus précaires !

 

Le 9 octobre, marchons nombreu.x.ses à Montpellier pour exiger :

La liberté de circulation et d’installation ;• La fin des expulsions depuis la France ;• La réciprocité des visas entre la France et les pays africains ;• Régularisation de tou.te.s les sans-papiers ;• Nous marcherons nombreu.x.ses pour notre camarade Boubou Doukara, membre du collectif des sans-papiers de Montreuil qui a été arrêté par la police puis expulsé le 7 septembre vers le Mali.

 

Pour contacter la marche des solidarités :

Facebook : https://www.facebook.com/marchesolidarites

Twitter : https://twitter.com/MSolidarites

Instagram : https://www.instagram.com/marchedessolidarites/

Mail : marche-des-solidarites@riseup.net (nouvelle adresse

 


 

 

publié le 8 octobre 2021

Manuel Cervera-Marzal :
« Mélenchon 2022, c’est la dernière cartouche du cycle populiste »


 

Où en est-on du populisme de gauche ? Quelle réalité matérielle le concept a-t-il jamais eue ? Manuel Cervera-Marzal, sociologue et auteur de Le populisme de gauche - Sociologie de la France insoumise, est l’invité de #LaMidinale.

Entretien par Pablo Vivien-Pillaud |

vidéo à voir sur https://youtu.be/ZL6BB9g24pg

 

en voici quelques extraits :..


 

 Sur le concept de populisme 

« Le populisme est un concept fourre-tout qui permet de mettre dans le même sac Marine Le Pen, Donald Trump et Bernie Sanders. »

« Le populisme n’est pas un concept au sens scientifique et sociologique du terme : c’est davantage un anathème. Est populiste celui qui ne pense pas comme moi, celui que l’on cherche à disqualifier du cercle de la raison. »

« Il y a eu un tournant majeur qui a eu lieu dans plusieurs pays européens ces dernières années : les anciennes gauches, c’est-à-dire des militants issus soit des partis socialistes soit des partis communistes, remettre profondément en question non pas leur idéologie (ils défendent la justice sociale et luttent contre les discriminations) mais la stratégie. »

« A Podemos comme à la France insoumise qui sont les deux cas prototypiques du populisme de gauche, on a abandonné la couleur rouge pour d’autres couleurs, on a supprimé l’Internationale à la fin des meetings pour la remplacer par de la musique populaire ou la Marseillaise, et on a fait un travail lexical et sémantique qui visait à retraduire le clivage gauche-droite mais aussi le clivage capital-travail dans un nouveau vocabulaire qui est celui du peuple qui s’opposerait à l’oligarchie. »

 

 Sur la notion de peuple, chère au populisme 

« Dans la conception des populismes de gauche, le peuple, c’est d’abord le demos au sens républicain du terme. Le peuple, c’est un contrat de société entre des individus et des groupes sociaux qui se battent pour les mêmes principes. »

« Il y a aussi la dimension sociale du peuple : le peuple comme plèbe, c’est-à-dire les sans-chemise, les sans-dents, les humiliés. »

« Il y a aussi le peuple-nation, non pas au sens du peuple nationaliste ou du peuple race issu du racisme culturel de la droite, mais une nation civique. »

« Il y a cette idée que l’on est sorti d’une période historique qui a duré plus d’un siècle, celle de la lutte des classes, et que l’on est entré désormais dans une nouvelle période où il s’agit de faire place à un nouveau sujet historique : non plus la classe ouvrière mais le peuple - qui la dépasse. »

« Le peuple n’existe qu’à travers une construction symbolique de lui-même. »

 

 Sur le score de Jean-Luc Mélenchon en 2017 

« Quand on regarde l’électorat de Jean-Luc Mélenchon en 2017, on voit qu’il est allé mordre dans toutes les franges de la gauche et de l’extrême gauche. »

« Quand on regarde les discours de Jean-Luc Mélenchon, même s’il a supprimé l’Internationale, la faucille et le marteau, et le rouge, il reste plein de références à Marx, Jaurès, à la classe ouvrière qu’il cite souvent : c’est un homme de gauche, il ne l’a jamais caché ni renié. »

« En 2017, après François Hollande, le label de gauche est largement démonétisé. La gauche est désormais associée à la déchéance de nationalité, à la loi Travail et au CICE et de moins en moins de Français et de Françaises se reconnaissent de gauche. Si on veut ramener ces gens-là aux urnes, il faut trouver de nouvelles façons de s’y adresser. »

« La méfiance vis-à-vis de la gauche se superpose à celle des partis politiques. Jean-Luc Mélenchon et ses stratèges l’ont compris et ils ont décidé de remplacer le Parti de Gauche par un mouvement. »

 

 Sur le programme dans un perspective populiste 

« Le programme de la France insoumise, l’Avenir en Commun, est celui qui est le plus développé, le plus chiffré, avec des propositions qui ne sortent pas exclusivement du cerveau de Jean-Luc Mélenchon mais, en amont, de consultations auprès d’experts, d’associations et d’ONG et de sa base militante. »

« La France insoumise a réhabilité le genre programmatique qui était tombé en désuétude dans les autres partis politiques : jusqu’à deux mois avant l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron pensait pouvoir s’en passer. »

« Il y a une vraie volonté de réidéologiser la politique et de réinsuffler du contenu. »

 

 Sur l’évolution de la France insoumise 

« Il y a une contradiction à la France insoumise et plus largement aux forces populistes de gauche : d’un côté, il y a un travail de fond sur l’aspect programmatique et idéologique et, en même temps, on n’en voit pas beaucoup les résultats. Ce n’est pas un hasard si les bougés tactiques de la France insoumise correspondent aux bougés de son leader. C’est un mouvement fortement personnalisé. »

« Le mouvement insoumis, en termes d’effectif militant, est très lié à la campagne de 2017. On a entre 80 et 100.000 personnes qui ont vraiment milité sur le terrain. En 2018, on a à peine 5 à 10.000 personnes. Pour une raison simple : la France insoumise n’a pas réussi à s’ancrer territorialement et socialement. Je crois que cette volonté n’a jamais eu lieu. Jean-Luc Mélenchon le dit comme ça : il ne voulait pas d’un mouvement avec des baronnies militantes et locales, qui pourraient venir faire de l’ombre au tribun. Il l’a connu en 2012 avec le Front de gauche et estime en avoir pâti. »

 

 Sur le rôle de LFI dans « les points d’appui à un processus d’émancipation sociale » 

« Les gauches ont toujours tenté de s’appuyer sur les mobilisations sociales. Le PCF sur les mobilisations ouvrières, les partis travaillistes sur la fonction publique, les partis écologistes sont précédés par de fortes mobilisations environnementales. »

« Pour les populistes de gauche aujourd’hui, la situation est ambivalente : quand on compare le programme de Podemos, Syriza ou celui de Bernie Sanders, et les revendications qu’on a vu apparaître dans les mobilisations qui les ont précédés, on constate une forte congruence. » « Simplement, ça s’arrête là. Il n’y a pas de relais militant. La France insoumise est peut-être la force politique qui a fait part le plus rapidement de sa sympathie vis-à-vis des Gilets jaunes, est-ce que ça s’est traduit par une interpénétration entre les deux, par un résultat dans les urnes aux européennes de 2019 ? Je ne crois pas. »

« La gauche radicale paye le fait que, depuis trois décennies, elle s’est coupée de la société et s’est étatisée de par ses élus et ses financements publics. »

 

 Sur les concepts « patrie », « ordre » et « souveraineté nationale » 

« Chez Robespierre, la défense de la nation est indissociable de la défense de la République. On va retrouver ça avec la Commune de Paris.

Aujourd’hui, ce sont plutôt des thèmes de droite. »

« Essayer d’aller récupérer ces termes est un combat perdu d’avance."

« La France insoumise ne parvient pas à récupérer des électeurs de Marine Le Pen, et ça va même dans l’autre sens : petit à petit, des voix, quelques centaines de milliers, vont de Jean-Luc Mélenchon à l’extrême droite. »

 

 Sur la sociologie des insoumis 

« Il y a une très faible fidélité des membres vis-à-vis du mouvement. C’est en lien avec les modalités d’adhésion. Dans un parti, si vous adhérez, il faut payer une cotisation, prendre sa carte, aller aux réunions… À la France insoumise, on s’inscrit gratuitement en trois clics sur Internet. On entre et on sort très facilement. »

« Le fonctionnement interne est assez nébuleux. Les stratèges ont organisé la désorganisation du mouvement. »

 

 Sur la stratégie populiste en 2022 

« On est encore dans un mouvement populiste au sens où les élites font sécession et ça suscite des réactions populaires massives. Mais est-on encore dans le cycle populiste qui s’est ouvert en 2014-2015 et qui a vu arriver Corbyn à la tête du Labour,Tsipras en Grèce, Podemos, Sanders, Mélenchon ? Je crois qu’on est en bout de cycle. »

« Mélenchon 2022 est la dernière cartouche de ce cycle populiste.

Je ne vois pas de changement majeur dans la stratégie qu’il met en place pour la présidentielle par rapport à 2017. »

« Est-ce que ça peut payer ? Le populisme de gauche, c’est des forces et des faiblesses. La principale force de LFI, c’est son leader. Mélenchon, de part sa virtuosité et ses ambiguïtés, arrive à parler à différents segments de la population. C’est aussi la principale faiblesse du mouvement. Si d’ici six mois il a des soucis de santé ou des soucis judiciaires, derrière c’est l’ensemble de son mouvement qui tombe avec lui. »


 

 

publié le 7 octobre 2021

Catherine Tricot :
« Il ne faut pas seulement entretenir
mais transformer nos logements sociaux »

En cette journée nationale (4 octobre) des droits des habitants, la Confédération Nationale du Logement tient son congrès des habitants. Pour en parler, Catherine Tricot, architecte-urbaniste et directrice de la revue Regards, est l’invitée de #LaMidinale.

 La vidéo de l’interview est à voir sur www.regards.fr. Ci-dessous, quelques extraits :

 Sur l’urgence liée au logement 

« Il y en a beaucoup. Il y a tous ceux qui sont mal logés, ceux qui payent trop, mais s’il y a une urgence absolue, je dirais que c’est celle de préparer le logement pour le réchauffement climatique. C’est-à-dire d’isoler, de construire des logements qui consomment moins, qui sont plus vertueux sur le plan de l’impact écologique. »

« Il était prévu d’isoler 500.000 logements par an, on est au rythme de 70.000. Ça a des conséquences dramatiques en termes de consommation d’énergie et de mal-vivre pour les gens, puisqu’ils mettent un budget fou pour avoir un confort de vie médiocre. »

 Sur la rénovation des logements

« L’essentiel du logement reste ancien, d’avant la Seconde Guerre mondiale. Donc des logements inconfortables, trop petits. Ceci étant, on a construit beaucoup de logements après-guerre qui vont être rénovés, notamment parce que ce sont des bailleurs qui ont une capacité d’action supérieure aux copropriétés de pauvres ou les maisons individuelles. Les offices HLM ont plus de moyens d’agir que les particuliers. »

« Même rénovés, ce sont des logements qui ne sont plus adaptés aux modes de vie actuels. »

« Les logements des années 50-60 sont beaucoup plus petits que ceux des années 70. Mais, en général, tous sont frappés d’obsolescence : les salons sont trop petits. On a des T4 avec des séjours de 15m², donc quand il faut loger la diversité de la famille avec ses ordinateurs, ses télévisions… Le fait que les gens travaillent à la maison, qu’ils aspirent à sortir de leurs appartements et donc ont besoin d’un balcon – au minimum… Il y a aussi un nouveau rapport au corps, qui fait que les salles de bain sont trop petites. »

« La réhabilitation des logements passe à côté de ces évolutions, faute de quoi ces logements seront de plus en plus délaissés et donc des logements pour les plus pauvres. »

« Le logement social est un logement pour tous : 70% de la population peut y prétendre. Mais ils ne seront habités par tous que s’ils correspondent aux besoins et aux attentes de tous. »

« On est en train de fabriquer du logement de pauvres. »

 Sur la compatibilité avec la société de sobriété 

« La sobriété, c’est de ne pas détruire à tout-va et de réhabiliter au maximum. »

« Il y a des logements qui ne peuvent pas être transformés tant ils ont été construits à l’économie. »

 Sur la demande de constructions 

« La demande n’est pas identique partout sur le territoire. »

« La région parisienne, mais pas seulement, est un endroit avec une très forte demande qui n’est pas satisfaite. Il y a notamment un problème de foncier qui est rare et très cher. La balle n’est pas simplement dans le camp des bailleurs sociaux. Il y a un problème de libération de ce foncier. Il y a aussi un problème idéologique : quand on veut faire du logement social, c’est souvent très compliqué dans les villes, parce qu’il y a une mauvaise appréhension par les habitants du logement social. Pour eux, ça va être du logement mal-famé, mal-habité, qui va apporter des ennuis de voisinage. »

« C’est pour cela qu’il est fondamental de moderniser le logement social pour qu’il redevienne attractif, désirable, qu’on ait envie d’y habiter. »

 Sur l’étalement urbain 

« On ne peut plus continuer de consommer des terres agricoles pour faire des maisons individuelles, qui vont générer des routes, etc. C’est un modèle de développement impossible à soutenir. »

« Comment on répond à ce désir de maison individuelle, si l’alternative, c’est la cage à lapin ? Il faut sortir cette représentation du logement collectif comme étant une cage à lapin. »

« Il faut trouver des façons d’habiter des logements collectifs qui correspondent aux attentes, par exemple en faisant en sorte qu’on accède à son logement par sa terrasse. »

« Il faut que le logement collectif ne soit pas une punition. »

 Sur la place des habitants 

« La place des habitants est centrale dans notre réflexion. »

« J’aime l’idée que les habitants puissent être dans la conception mais aussi dans la fabrication. On peut mobiliser leurs savoirs pour transformer leurs logements. Les compagnons-bâtisseurs font travailler les habitants. »

 Sur les inégalités entre les territoires 

« Dans la banlieue populaire, il y a assez peu de places, de jardins, d’espaces en partage qui font la beauté des villes et le plaisir d’y vivre. Ça fait 40 ans à peine qu’on a commencé à faire des places dans les villes de banlieue. »

« Tout ne relève pas de l’urbanisme. Ce phénomène de ghettoïsation s’est développé beaucoup plus vite que les transformations urbaines. »

« Quelque chose se noue autour de la qualité des services publics, en premier lieu l’école. Les parents ont une grande inquiétude pour leurs enfants sur la formation qu’ils vont recevoir et donc les chances d’avenir qu’ils vont avoir. Si on n’arrive pas à redévelopper un niveau scolaire dans toute la France qui soit de qualité équivalente partout, on n’y arrivera pas. »

« Les élèves de Seine-Saint-Denis perdent une année de scolarité dans leur parcours du fait des professeurs qui ne sont pas remplacés. C’est insensé. »

« Tant qu’on aura ces inégalités, c’est pas la peine de demander aux architectes et aux urbanistes de renverser la donne. »

 Sur le concept de « démobilité » 

« C’est une idée très intéressante, qui s’oppose à l’étalement urbain. Mais avoir à proximité l’école, l’alimentation, la poste, le médecin, etc., ça n’est possible qu’en ville. »

« Il est très important de donner l’accès à la mobilité à tous. Il n’y a pas simplement un problème de devoir cesser de prendre sa voiture pour acheter du pain, amener les enfants au judo, l’autre au collège, etc. Il faut remédier à cette vie infernale avec la voiture en permanence. Mais il y a aussi quelque chose qui a à voir avec la modernité, c’est la possibilité de se déplacer. On ne va pas revenir au village, à faire toute sa vie quotidienne au même endroit. C’est un enfermement irréaliste. »

« Quand on habite Saint-Denis, il faut qu’on puisse aller à Paris. »

« Les Parisiens perdent beaucoup à ne pas oser dépasser le périphérique. Ils ont une vision surannée du monde populaire et de la France. »

« La mobilité reste un objectif, mais il faut la penser dans des conditions écologiques et sociales partagées. »

 Sur l’absence du logement dans le débat public 

« Le logement s’articule à la question de la ville, des transports, des services publics. »

« Le logement, c’est du temps long. Quand on achète, on emprunte sur 20-25 ans. Quand on construit un logement, il va avoir une vie sur 100-150 ans. Ça échappe au temps relativement court de la politique et de la démocratie. »

« On est devant un impensée de la gauche : la question foncière dans le coût du terrain mais aussi dans sa rareté. Tout le monde n’habitera pas Saint-Louis en L’île. Comment répartie-t-on ce bien ? »


 

 


 

 

 

publié le 7 octobre 2021

Après les « Pandora Papers »,
les gauches tentent de monter au créneau

Par Mathieu Dejean, Pauline Graulle et Mathilde Goanec sur www.mediapart.fr

L’évasion fiscale massive révélée par les « Pandora Papers » devrait conforter le discours sur la justice fiscale et la taxation des multinationales. Mais les gauches peinent à imposer le débat.  

Dix mille milliards d’euros placés dans des comptes offshore en 2020, des centaines de responsables politiques épinglés pour évasion fiscale (dont Tony Blair et l’ancien ministre des finances Dominique Strauss-Kahn), et de nouveaux paradis fiscaux mis au jour. Les révélations des Pandora Papers par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) surclassent en nombre de documents fuités et en quantité d’argent dissimulé les précédents scandales d’évasion fiscale (Lux Leaks, Panama Papers, Paradise Papers…). 

Et pourtant, l’onde de choc peine à se faire sentir. « Je suis abasourdi par le silence politique général, regrette Maxime Combes, l’économiste membre d’Attac. Fin août, quand “Quotidien” a fait un reportage sur le trafic de drogues dans les cités marseillaises, Darmanin a lancé une opération antidrogue dans les heures qui ont suivi. Là, ça fait 48 heures et on n’a pratiquement aucune réaction officielle du gouvernement, c’est hallucinant. »

Le 5 octobre dans l’après-midi, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a fini par briser le silence de ses rangs d’un simple tweet demandant à Bercy de vérifier si des résidents fiscaux français avaient fraudé. « Je serai intraitable avec ceux qui ont triché avec le fisc français », a-t-il promis. Mais ni l’Élysée, ni les députés de la majorité, ni le gouvernement n’ont fait de commentaires. 

Une difficile mise à l’agenda médiatique

Pas d’indignation manifeste non plus au niveau européen, où les ministres des finances s’employaient pourtant ce même mardi – soit le lendemain des révélations, dont l’une concerne le ministre des finances néerlandais – à mettre à jour la liste noire des paradis fiscaux. 

Ni les Émirats arabes unis, ni Dubaï, ni Singapour, ni le Delaware, épinglés par les Pandora Papers, n’y figurent. Les Seychelles en ont même été retirées. « C’est comme s’il y avait des pays “too big to blacklist” », note la députée européenne Aurore Lalucq, qui regrette le manque d’outils pour « mettre la pression d’un point de vue politique sur les paradis fiscaux »

« Vu les conflits d’intérêts au plus haut niveau des États que les Pandora Papers révèlent, on comprend bien que, sans une mobilisation importante de la société civile, rien ne changera fondamentalement », abonde Manon Aubry, eurodéputée La France insoumise (LFI), persuadée que la gauche doit en faire un sujet phare de la présidentielle.

Manon Aubry au Parlement européen, à Strasbourg, le 15 septembre 2021. © Photo Brigitte Hase / Parlement européen

Reste à savoir comment mobiliser l’opinion publique sur un tel sujet, alors que l’agenda médiatique est embouteillé, depuis des mois, par des débats sans fin sur les prénoms des enfants ou l’utilisation supposée de prestations sociales pour acheter des écrans plats – une fraude évidemment sans commune mesure avec les chiffres à 16 zéros de la fraude fiscale mondiale. 

Depuis le week-end dernier, les gauches françaises tentent néanmoins de faire leur part. Mardi 5 octobre, les députés Olivier Faure (PS), Éric Coquerel (LFI) et Alain Bruneel (PCF) sont montés au créneau lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. « Quand allez-vous faire cesser ce vol organisé ? », a attaqué Éric Coquerel, dans l’hémicycle, suivi un peu plus tard d’Olivier Faure : « Pourquoi les classes populaires et les classes moyennes devraient payer, quand les plus riches s’exonèrent ? »

Le PCF vilipende les « euroïnomanes »

Dans un contexte de pré-campagne présidentielle marqué par la division des gauches, les réformes libérales du gouvernement (assurance-chômage, retraites…) et la saturation de l’espace médiatique par Éric Zemmour et ses antiennes, voilà peut-être un levier pour mettre la justice fiscale au centre de l’attention. Et parler, enfin, des sujets chers à la gauche : redistribution des richesses, protection des services publics et taxation du capital. 

Le communiste Fabien Roussel l’a bien compris, lui qui, lundi matin, lors d’une conférence de presse solennelle au cours de laquelle il a vertement vilipendé ces « euroïnomanes » (sic) mis en cause dans les Pandora Papers. Le candidat à la présidentielle en a profité pour présenter ses dix propositions chocs contre la fraude et l’optimisation fiscale, à savoir : la nationalisation voire la fermeture des banques « prises la main dans le pot de confiture », la mise en place de peines de prison – et la déchéance des droits civiques pour les responsables politiques – pour les « délinquants en col blanc », l’embauche de 15 000 contrôleurs fiscaux, ou encore la création d’une conférence internationale, sur le modèle des COP sur le climat, dédiée à la fiscalité...

Encore faut-il trouver par quel bout attraper le Léviathan de la fraude fiscale pour l’exposer le plus efficacement possible sur la place publique. « Le propre d’un scoop, c’est qu’il met sur la table quelque chose d’inattendu, d’exceptionnel. Là, c’est vrai qu’il est relativement banalisé par le fait qu’il y a eu beaucoup d’autres scandales depuis dix ans », observe le sénateur socialiste David Assouline.

Comment récupérer la « richesse cachée des nations »

Et le Parti socialiste en sait quelque chose. Entre l’affaire Cahuzac, en 2012, et l’apparition du nom de Dominique Strauss-Kahn dans les Pandora Papers, pas simple pour les ténors du parti de tenir une parole critique. D’où, par exemple, le gros malaise de Pierre Moscovici, interrogé dans l’émission « Cash Investigation » diffusée le 7 octobre, sur l’oasis fiscale dont a bénéficié DSK. 

« Sur Cahuzac et DSK, on ne va pas porter le fardeau de ceux qui nous ont quittés il y a déjà longtemps. Ce serait un problème si c’étaient les dirigeants actuels, mais on se reconstruit avec ceux qui sont restés fidèles. On a fait un inventaire de ce qui n’allait pas », objecte David Assouline. 

Depuis les premières révélations des “Offshore Leaks”, en 2013, la place réservée à la question de l’évasion fiscale dans le débat public a totalement régressé.

Pour récupérer cette « richesse cachée des nations » (selon l’expression de l’économiste Gabriel Zucman), le député socialiste Boris Vallaud a son idée : « Il faut que chaque société domiciliée à l’étranger vendant des biens ou des services en France, pour un montant excédant cent millions d’euros, paie l’impôt sur les sociétés en France, qu’elle y possède un établissement stable ou non. » Une proposition qu’il avait faite en 2018, mais qui avait été retoquée par l’Assemblée nationale. 

Du côté de La France insoumise, l’eurodéputée Manon Aubry, spécialiste des questions liées à l’évasion fiscale, entend bien mettre le sujet à l’ordre du jour. « Ce qui est fou, c’est que depuis les premières révélations des Offshore Leaks, en 2013, la place réservée à la question de l’évasion fiscale dans le débat public a totalement régressé », déplore-t-elle. 

S’il y a cinq ans, le scandale des Panama Papers faisait la une de la totalité de la presse quotidienne, y compris de droite – Manon Aubry, alors chargée de mission à Oxfam, passait d’ailleurs son temps sur les plateaux télé –, aujourd’hui, les médias qui se font l’écho du scandale se comptent sur les doigts de la main.

« On entend à longueur de journée des politiques renchérir sur la fraude sociale ou critiquer les chômeurs, mais là, un truc de fou comme ce nouveau scandale sort, et personne ou presque ne réagit, critique également Philippe Poutou, candidat du NPA (Nouveau Parti anticapitaliste à la présidentielle). Car cette affaire est à l’image d’un rapport de force qui se dégrade fortement à l’avantage des forces possédantes, qui pillent, et prennent, sans retenue. »

Entre fatalisme et sentiment d’impuissance

Comme si, entre fatalisme et sentiment d’impuissance, l’inertie finissait toujours par l’emporter sur la colère. « Pourtant, il y a beaucoup de choses à faire, et la France peut, si elle le veut, engager sans tarder des mesures unilatérales », souligne Manon Aubry, qui plaide depuis des années pour l’établissement de registres bancaires, d’une liste complète (y compris au niveau européen) des paradis fiscaux, et pour la création d’un impôt universel. « La France peut d’ores et déjà, si elle le veut, demander à Google de lui rembourser les impôts que cette multinationale lui doit. Ensuite, les autres pays suivront ! », veut-elle croire.

« Même si on prend acte qu’on ne sortira pas du capitalisme demain matin, il y a déjà des mesures transitoires extrêmement fortes qui peuvent être tentées, le monopole bancaire, par exemple, que nous défendions déjà en 2017, rappelle Philippe Poutou. Car sans outil puissant à la main de l’État, comme pour le climat, ces affaires ne cesseront de se répéter. »

Mais ces efforts programmatiques peuvent-ils convaincre, alors que la même histoire se répète depuis des années, comme si ce ruissellement des flux financiers vers les paradis fiscaux était naturel ? « On a tendance à espérer que des grands noms sortent dans les révélations pour que ça change la donne. Mais ce que démontrent les Pandora Papers, c’est justement qu’il n’y a pas de brebis galeuse. C’est un problème systémique. Et cette démonstration est extrêmement puissante », souligne Maxime Combes. 

Toute candidature non sérieuse dans la lutte contre la fraude fiscale devrait être publiquement disqualifiée pour la présidentielle.

« Ce que révèlent les Pandora Papers, c’est que des responsables politiques sont impliqués dans ces scandales [35 chefs d’État ou de gouvernement – ndlr]. Cela démontre la pénétration des lobbys au plus haut niveau de l’État. On comprend mieux l’absence de volonté politique qu’il y a eu pendant des années », abonde Éva Sas, porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), dont le candidat à la présidentielle, Yannick Jadot, a fait de la lutte contre les lobbys l’un de ses angles d’attaque. 

« Un danger démocratique »

De quoi donner du grain à moudre en tout cas à ces gauches et leurs réformes sociales qui apparaissent soudainement budgétairement modestes en comparaison des sommes qui échappent aux États dans les paradis fiscaux. « Dès qu’on demande une augmentation salariale, on nous dit que ça coulerait l’économie et que c’est irréaliste. Or ce que montre ce nouveau scandale de fraude fiscale, c’est que le monde marche sur la tête. Face aux sommes colossales qui échappent à l’impôt, qu’est-ce que le doublement du salaire des enseignants [que propose Anne Hidalgo – ndlr] ? », interroge David Assouline. 

Pour Aurore Lalucq, cette question pourrait même transcender les clivages partisans, et intéresser tant l’électorat de droite que de gauche : « On ne peut pas accepter que la loi ne soit pas la même pour tout le monde, que des gens pauvres payent leurs impôts tandis que d’autres très riches font sécession en ne contribuant plus à financer la démocratie. C’est une injustice fiscale et un danger démocratique. »

Un sujet globalement consensuel, donc, à l’instar d’autres causes, comme le changement climatique. Pour Maxime Combes, ces Pandora Papers marquent d’ailleurs un tournant équivalent, dans un autre domaine, à la sortie du dernier rapport du GIEC en août : « Comme pour le réchauffement climatique, toute candidature non sérieuse dans la lutte contre la fraude fiscale devrait être publiquement disqualifiée pour la présidentielle. Car c’est un mal extrêmement puissant, qui ronge jusqu’à l’appartenance à une collectivité. » Les forces de gauche et écologistes convergent justement dans ce combat. À croire que la lutte contre la fraude fiscale milite aussi contre la fuite en avant des candidatures.

 

publié le 6 octobre 2021

Campagne « laïcité » de Blanquer :
un flop et des affiches à la poubelle

Par Prisca Borrel sur www.mediapart.fr

Un mois après le lancement de l’opération par le ministère de l’éducation nationale, nombre d’établissements scolaires n’ont toujours pas accroché les fameuses affiches. Retour sur une déconfiture.

Une campagne « faite pour unir », avait lancé Jean-Michel Blanquer, fin août, en présentant huit affiches censées « promouvoir la laïcité » à l’école. « Permettre à Sasha et Neissa d’être dans le même bain, c’est ça la laïcité », « Permettre à Milhan et Aliyah de rire des mêmes histoires, c’est ça la laïcité », etc. Un mois plus tard, alors que ces posters ont été diffusés dans toutes les écoles, les collèges et les lycées de France, nombre de chefs d’établissement ont fait le choix de ne pas les installer, a constaté Mediapart.

D’emblée, des critiques avaient surgi pour dénoncer, derrière un message a priori bon enfant, une certaine « confusion » des concepts, voire un « dévoiement raciste » – les enfants d’immigrés pouvant apparaître comme les principaux obstacles à la laïcité.

À l’arrivée, « j’ai bien reçu les affiches, mais elles sont restées dans leur enveloppe », confie le directeur d’une école primaire REP+ de Nîmes (Gard). L’homme, qui n’est pas syndiqué, a pris sa décision après en avoir discuté avec ses collègues.

« C’est beaucoup d’argent dépensé de façon inutile, parce que la laïcité, ce n’est pas ça pour nous. Prendre la petite fille d’origine maghrébine comme étant musulmane ou comme ayant un problème pour mettre un maillot de bain, c’est très cliché. Nous nous sentons en décalage avec cette campagne », poursuit l’enseignant, qui non seulement émet de sérieux doutes quant à son efficacité, mais redoute aussi un effet boomerang. « Dans nos quartiers, l’islam politique est un vrai problème, je ne le nie pas, mais cela ne concerne qu’une population minoritaire. Pour l’instant, on arrive à travailler sur tout ça par petites touches, et j’ai peur qu’en affichant ces images, au contraire, on mette le feu aux poudres. »

Dans un collège des quartiers nord de Marseille (Bouches-du-Rhône), une principale non syndiquée les juge « hors sujet ». « Et d’autant plus en REP+, où je n’ai de cesse de lutter contre ces préjugés dont sont victimes nos élèves. »

Même son de cloche dans un collège de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), où plus de 400 élèves répondent à l’appel chaque matin. « Je vous avoue que je les ai mises à la poubelle, lâche le principal, engagé auprès du Snupden, syndicat de personnels de direction affilié à la FSU. J’ai rangé le petit guide républicain dans la bibliothèque, mais je ne vais pas garder les choses sans intérêt. Il y a des moments où les bras m’en tombent. »

Plus souples, d’autres ont fini par les installer, mais sans grande conviction. Regrettant une « polémique inutile », le principal d’un collège de Caen, qui avoisine les 1 400 élèves, s’avoue dubitatif quant à la portée de cette campagne. « Ces affiches ne me choquent pas, mais si on pense que c’est en affichant ce genre de choses que les élèves capteront le message, on se trompe. Si cinquante élèves les ont lues, je pense que c’est le bout du monde. Que j’affiche ou pas, cela passe totalement inaperçu. »

Cette campagne n’est pas entrée dans les établissements.

Depuis son collège de La Rochelle (Charente-Maritime), où elle officie comme principale adjointe, Audrey Chanonat juge que ces slogans nécessiteront « un très long travail de décryptage ». « Et il va justement falloir expliquer pourquoi la laïcité ne peut pas être raccourcie en un slogan », ajoute cette secrétaire nationale du Snpden-UNSA, le principal syndicat de chefs d’établissement.

Loin d’être marginales, toutes ces réactions seraient symptomatiques du malaise ambiant, selon le Snes-FSU, principal syndicat d’enseignants. « Cette campagne n’est pas entrée dans les établissements, résume Sophie Vénétitay, sa secrétaire nationale. On l’a analysée comme quelque chose qui peut être un problème plus qu’autre chose. On fera ce que l’on sait faire : former les élèves sur un temps long, et pas juste sur une campagne de com’. »

Du côté de la Vigie de la Laïcité, fondée par Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène (anciens responsables de l’Observatoire de la laïcité), on compatit. « Je peux comprendre que les enseignants soient très gênés de mettre ces affiches. Derrière l’a priori jovial et tolérant, il y a une réassignation des élèves à leur identité », déplore encore un membre de l’équipe.

Autant de « maladresses » qui ont même fait bondir une partie du Conseil des Sages, mis en place par le ministère de l’éducation en 2018, et sur lequel Jean-Michel Blanquer semble avoir fait l’impasse pour cette campagne programmée à la va-vite. « C’est une occasion manquée », confie l’un des membres, sous couvert d’anonymat. « On nous a dit qu’elle avait été faite dans l’urgence. Mais on a été tellement vite qu’on a manqué la cible, poursuit-il. On le regrette fortement, on l’a fait savoir au ministre. »

Sur son blog, Catherine Kintzler, professeure honoraire de philosophie et membre du Conseil, fulmine : « Non seulement ces huit affiches sont selon toute probabilité issues d’un travail mené en comité restreint, non seulement elles font écran, en s’imposant de manière tapageuse, aux documents autrement réfléchis et durables (on l’espère) que je viens de citer [comme le vade-mecum de la laïcité à l’école – ndlr], mais encore elles véhiculent une vision de l’école à laquelle je ne cesse de m’opposer depuis bientôt 40 ans », argue-t-elle, tranchante.

Un désaveu massif en somme, qu’après coup le ministère entend... Il aurait même prononcé quelques excuses à demi-mot. « Le ministère nous a dit : “Désolé, ça a été fait dans l’urgence. On aurait dû...” Mais je n’en prends pas ombrage », assure le Sage Iannis Roder, plutôt séduit, pourtant, par l’angle « positif » des affiches.

Reste à connaître le coût de ce flop... Questionnés, ni le ministère de l’éducation nationale ni le service d’information du gouvernement n’ont souhaité nous répondre.


 

 

publié le 6 octobre 2021

Jean-Louis Bianco : « Une destruction de la laïcité est à l’œuvre aujourd’hui,

la laïcité doit rester une liberté »

par Hassina Mechaï sur www.bastamag.net

La laïcité…le mot semble être devenu l’alpha et l’oméga du débat politique français tout autant que le nœud gordien dans lequel il s’enroule et s’étouffe. Pour en parler, entretien avec l’ancien président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco.

Jusqu’en avril dernier, il présidait l’Observatoire de la laïcité (ODL), dont la feuille de mission prévoyait d’assister « le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France ». Simple sur le parchemin ministériel, autrement plus compliqué dans une société française où les débats oscillent, tournent, stagnent et fermentent autour de la sécurité, l’immigration et l’identité. Un triptyque auquel « La Laïcité », vient apposer un vernis acceptable, qualifié de « républicain ».

Mais attention, de quelle laïcité s’agit-il là ? Celle de 1905 qui imposait la neutralité religieuse à l’État et à ses services publics ou celle qui fait dériver doucement cette obligation vers les citoyens dans l’espace public ? La laïcité d’apaisement ou la laïcité « offensive » comme a pu la qualifier Marlène Schiappa ? Une bataille idéologique s’impose, avec la régularité obstinée du métronome médiatique et politique qui en bat la mesure. Cette bataille suppose plus largement des projets opposés de société, où la question de la place et de la visibilité des minorités est ainsi posée, tout autant que la place d’un État qui n’a cessé d’élargir sa capacité d’action et d’intervention dans l’espace public, notamment à travers l’empilement de lois sécuritaires.

Jean-Louis Bianco et l’ODL ont été au cœur de cette bataille. La dissolution de l’ODL, après une lente montée de soupçons, critiques, attaques indirectes puis frontales, a semblé marqué une première victoire pour la laïcité « offensive ». Depuis, Jean-Louis Bianco a initié la création d’une Vigie de la laïcité, sens doute pensée comme une contre-force de proposition aux initiatives du gouvernement. Il répond à nos questions.

Basta ! : La non-reconduction de l’ODL ne semble pas avoir été un coup d’éclat dans un ciel serein. Avez-vous observé également cela et comment l’avez-vous vécu ?

Jean-Louis Bianco : Nous n’avons jamais été critiqués en droit et nous avons eu très rarement des attaques directes sur nos analyses. Mais oui, je l’ai vue venir à partir du moment où je me suis rendu compte d’une domination croissante de la pensée de régression laïque, d’une laïcité de surveillance et de contrôle. Toute parole qui avait du crédit sur la laïcité et qui n’allait pas dans le sens de cette régression était considérée comme non recevable, laxiste ou irresponsable. Manuel Valls avait déclaré que j’étais coupable de proximité avec les Frères musulmans. Nous avions eu un échange musclé sur ce sujet et François Hollande m’avait maintenu à la tête de l’Observatoire, malgré son opposition. 

Je savais que ce n’était qu’un sursis. Parmi les reproches, le fait que nous n’aurions pas été assez « sécuritaires ». Les Français auraient peur donc il fallait être sécuritaire. Je voyais monter ces idées, avec des relais très influents dans les médias, les instituts de sondages, les centres de recherche. Tout cela s’est accéléré après l’assassinat de Samuel Paty et l’Observatoire de la laïcité a été attaqué à travers des propos surréalistes qui nous reprochaient de ne pas avoir prévu cet assassinat ! Tout cela s’est accompagné d’un acharnement violent sur les réseaux sociaux, y compris des menaces de mort. Il reste que l’ODL a gagné sur un point : il est reconnu dans son expertise et son indépendance. Cela gênait ceux qui voulaient installer une police de la pensée. Notre site a connu par la suite quelques difficultés d’accès dues, nous a-t-on dit, à des « bugs ».

Est-ce pour combler ce vide laissé par la fin de l’ODL que vous avez créé la Vigie de la laïcité ?

Depuis la fin de l’ODL, tout est flou. On parle de référents laïcité mais qui seront-ils, qui les formera, qui les évaluera ? Rien n’est clair. On voulait la fin de l’ODL mais on n’était pas vraiment prêt à le remplacer. On parle d’« administrer la laïcité » mais la laïcité ne s’administre pas. On s’y forme, on se l’approprie, on en discute. On n’administre pas la liberté…

La Vigie de la laïcité doit servir d’outil de référence solide. D’abord par la qualité des chercheurs qui en sont membres ou associés. Nous ne cherchons pas à créer une pensée unique. Notre tribune publiée en juin par Le Monde fait référence à l’esprit de la loi 1905. Nous donnons des éclairages et analyses, comme récemment sur la loi confortant le respect des principes de la République.

Plus largement, la fin de l’ODL ne traduit-elle pas une verticalité des pouvoirs qui, sous la présidence Macron, s’accommode mal des autorités administratives indépendantes ou assimilées et leur rôle de vigie et d’alerte, notamment sur les libertés et droits ?

Ce n’est pas nouveau. La Commission consultative des droits de l’Homme s’est trouvée en opposition. Le Défenseur des droits, sous Jacques Toubon et sous la nouvelle présidence, a aussi rencontré des difficultés, comme la présidente de la Commission Informatique et Libertés. Ces autorités indépendantes sont là pour tirer la sonnette d’alarme, c’est leur vocation. Elles se font le relais de difficultés réelles.

La loi dite « séparatisme » semble consacrer une vision « offensive » de la laïcité. Vous avez qualifié cette loi d’usine à gaz. Deux points peuvent inquiéter : les dispositifs nouveaux portant sur les associations et l’extension de la neutralité religieuse aux employés d’entreprises délégataires ou signataires de service public... Après l’école, sont-ce là les nouveaux champs de bataille de la laïcité ?

Cette loi a été rédigée de façon compliquée. Nous verrons comment elle sera appliquée et à quel contentieux elle donnera lieu. Il a été dit, grâce à une communication officielle reprise sans recul par les médias, que le Conseil constitutionnel avait validé quasiment la totalité de la loi. Cela est inexact. Le Conseil, comme c’est son droit, ne s’est prononcé que sur 9 articles de la loi, sur les 120 qu’elle comporte. Sur ces 9, il en a invalidé 6. Mais il peut arriver à l’avenir qu’une question soit posée au conseil sur un autre point de la loi. 

Si on sort du diptyque Islam-laïcité, cette loi a pu aussi inquiéter d’autres cultes, telles des branches du protestantisme ou du judaïsme...

Effectivement. Le président de la Fédération protestante a marqué son inquiétude. Les protestants sont historiquement attachés à de petites associations cultuelles et se débrouillaient bien ainsi. On va leur demander désormais des obligations qui leur paraissent inutiles et excessives Cette obligation de conformité et de surveillance prévue à l’article 6 de la loi visera aussi les associations cultuelles juives, protestantes, évangéliques ou autres. Beaucoup dépendra de l’application qui sera faite de cette loi, selon qu’elle sera bienveillante ou stricte.

N’observons-nous pas, avec cette laïcité offensive, un glissement qui fait peser l’obligation de neutralité religieuse de l’État vers les individus dans l’espace public ?

Les débats entourant la loi sont effectivement tombés dans ce travers. J’ai l’impression que cela a été corrigé par certains orateurs. Mais le risque continue à exister. Une proposition d’amendement à l’Assemblée nationale posait une distinction entre toute la « sphère publique » où la neutralité religieuse devait s’appliquer et la sphère privée. Cette sphère publique recouvrait les rues, les transports publics. Un amendement adopté par le sénat interdisait dans la rue tout signe ou tenue qui manifestait ostensiblement une appartenance religieuse aux mineurs de moins de 18 ans.
 

Certains élus, et parmi ceux-là des tenants d’une laïcité dite « dure », ont évoqué l’inscription dans la Constitution des « racines judéo-chrétiennes » de la France. Comment, après plus de 30 ans de débat autour de la laïcité, est-ce possible ?

Cette proposition est révélatrice d’une idéologie qui repose sur une conception historiquement totalement fausse de ce qu’est l’identité de la France. D’autres déclarations ont été faites selon lesquelles nous serions tous descendants de Gaulois blonds, le reste de l’Histoire de France n’existant tout simplement pas. Ce qui est terrible est que ce même débat avait eu lieu au moment du Traité de Maastricht dans lequel certains voulaient déjà inscrire les racines chrétiennes de l’Europe.

Évidemment la France a des racines chrétiennes mais pas seulement. Elle a aussi des racines grecques, romaines, juives, arabo-musulmanes, franc-maçonnes à travers le siècle des Lumières. Cela n’a aucun sens de réduire la France à cette seule dimension, sinon dans un but d’exclusion de tous ceux qui peuvent incarner ces autres racines. Si cette proposition n’est pas nouvelle, elle traduit aussi une aggravation dans le sens où au lieu de nous retrouver dans ce qui nous unit, dans une certaine vision de la République, l’accent n’est mis que sur ce qui pourrait nous séparer. Cela aboutit à un clivage « nous/eux », « On n’est plus chez nous » alors que dans la République, chacun est « Nous » car nous sommes tous des citoyens.

N’est-ce pas là le souci précisément, cette façon de lier désormais la question de la laïcité à celle de l’identité, entendue de façon de plus en plus restrictive ? Au fond, que vient faire la laïcité, qui est un cadre de liberté, dans la question de l’identité ?

Dans la tête de certains, cela est effectivement devenu lié. On a pu par exemple lier dans un ministère « identité » et « immigration ». Cela voulait dire que l’immigration menaçait l’identité française. S’il me semble important de ne pas abandonner la discussion sur l’identité, il faut alors l’inscrire dans une histoire. L’identité, c’est la Déclaration des droits de l’Homme mais aussi la colonisation ; c’est la langue française et la notion de « citoyen ». Associer ainsi judaïsme et christianisme me semble audacieux quand on voit ce qu’une France chrétienne a fait subir aux Juifs.

Pour rester encore dans les derniers débats autour de la laïcité, qu’avez-vous pensé de la campagne d’affichage du ministère de l’Éducation autour de ce thème ?

La plupart des photos évoquent, par le prénom des enfants ou leur couleur de peau, l’idée qu’ils sont musulmans ou arabes. Cette disproportion n’est pas du tout à l’image de la réalité française. En découle l’interprétation que la laïcité ne vise que des enfants supposés musulmans dont il faudrait « corriger » cette particularité. La laïcité serait supposée faire d’eux et d’elles de « bons français ». Plus encore, la quasi-totalité des affiches, sauf une, n’a rien à voir avec la laïcité. La répétition du mot « même » m’a interpellé également [plusieurs affiches sont déclinées sur le même mode : « Permettre à Milhan et Aliyah de rire des mêmes histoires », ndlr]. J’y vois une volonté de normalisation qui suppose qu’il n’y a qu’une seule manière d’être Français, d’être ensemble, d’être intégré. J’ai ainsi pu entendre, il y a quelques temps, l’idée qu’il faudrait faire une éducation civique et morale spécifique aux musulmans. J’inscris cette campagne dans cet esprit-là. Elle me semble très dangereuse, car sous ses abords insipides, elle véhicule une vision d’assimilation intégrale. 

À chaque image, la devise républicaine,« Liberté, égalité, fraternité », aurait tout aussi bien fonctionné. La laïcité « offensive », comme dit Marlène Schiappa, ne finit-elle pas par écraser cette devise ?

Elle trahit, écrase et déforme la pensée originelle de la Loi de 1905. Cette loi établit un équilibre exceptionnel entre la liberté individuelle, de conscience, de pratique et d’opinion, et le bon fonctionnement collectif, c’est à dire l’ordre public et les libertés des autres. Tout ce qui s’éloigne de cela n’est pas une nouvelle laïcité ou une laïcité plus offensive. C’est une régression. C’est même une destruction de la laïcité qui est à l’œuvre aujourd’hui. Trop de personnalités politiques, leaders d’opinion ou éditorialistes, tiennent pour acquis cette conception de laïcité de contrôle et de surveillance alors que la laïcité doit rester une liberté. Cette bataille est menée par des gens sans complexe et en face se trouvent des citoyens qui peuvent douter. Les replis de peur se multiplient et cette bataille idéologique me semble presque perdue. Pourtant, sur le terrain, chez les acteurs et militants, la laïcité est parfaitement comprise. Mais ils n’apparaissent pas dans les médias.

Cette campagne ne s’inscrit-elle pas dans une tradition au fond très républicaine, telle qu’on a pu le voir sous la IIIe République par exemple, avec les « Hussards noirs » chargés, par l’école, d’édifier et d’unifier une certaine idée de la Nation ?

La tradition républicaine s’adresse à tous les enfants et pas seulement à une seule catégorie, afin que se forme une conscience citoyenne et qu’ils deviennent des citoyens avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Au fond, cette campagne prétend exalter l’unité alors qu’elle stigmatise les différences. Nous avons fondé la Vigie de la laïcité afin de garder précisément une référence rigoureuse sur ces questions, comme l’ODL la fournissait. La conception de la laïcité qui semble prévaloir au gouvernement est une forme de catéchisme républicain. Je rappelle la phrase de Condorcet : « Nous ne voulons pas que les hommes pensent comme nous. Nous voulons qu’ils apprennent à penser par eux-mêmes. » Or, ce que j’observe est qu’il s’agit de faire en sorte que les gens pensent comme « nous », ce « nous » incluant ceux qui tiennent le haut du pavé idéologique.

Pour finir, de quoi la laïcité est-elle devenue le nom ? Emmanuel Macron a pu diagnostiquer une « crise » dans l’islam mais tout autant, la société française ne trouve-t-elle pas dans ces débats parfois byzantins autour de la laïcité un dérivatif à sa propre crise ?

Les Français sont marqués par un pessimisme, un manque de confiance envers eux, leurs dirigeants, leur pays. On se replie sur la laïcité comme un élément symbolique. Au fond, tout le monde se dit pour la laïcité, même le parti de Marine Le Pen pour qui le terme a remplacé l’idée de combat anti-immigrés. Pourtant la laïcité est un outil effectif et utile, elle est basée sur une loi limpide. Ce texte a été le fruit d’un compromis après une bataille de trois ans. Ce texte doit être couplé avec la Déclaration des droits de l’Homme qui pose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions ». Le premier fondement de la laïcité est la liberté, même religieuse, pourvu que sa manifestation ne trouble pas l’ordre public. Elle est un outil qui permet de construire la maison commune, ce qu’oublient les tenants de cette laïcité nouvelle qui se comporte comme une forteresse. Or, la laïcité n’est pas une forteresse.

 

 

publié le 5 octobre 2021

Salaires. « 300 euros par mois en plus,
ça serait justice »

Pierre-Henri Lab sur www.humanite.fr

La journée d’action interprofessionnelle de ce mardi a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes. Les syndicats sont satisfaits d’avoir remis la question salariale au cœur du débat actuel.

Pari réussi pour l’intersyndicale CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef, FDL, UNL et MNL. Plusieurs dizaines de milliers de personnes, dont 25 000 à Paris, ont défilé « pour nos salaires, nos emplois et nos conditions de travail ». Une petite délégation a même fait le voyage de Belgique. « Nous venons soutenir nos amis français. Nous sommes aussi mobilisés contre le gel des salaires. C’est un problème européen », explique Estelle Ceulemans, secrétaire générale de FGTB pour la région de Bruxelles. À ses côtés, en tête de cortège, les responsables syndicaux ne cachent pas leur satisfaction. « Nous sommes parvenus à mettre la question salariale au cœur du débat », note Philippe Martinez.

Le secrétaire général de la CGT se montre prudent quant à l’annonce du patronat de l’hôtellerie d’une hausse de 6,5 à 9 % des salaires (lire ci-contre) : « Dans les palaces, les employeurs suppriment des emplois pour recourir à la sous-traitance, donc pour moins payer les salariés. » Néanmoins, l’annonce de la hausse souligne, selon lui, que la faiblesse des salaires est cause du peu d’attractivité de certains métiers. Et le syndicaliste de plaider à nouveau pour un Smic à 2 000 euros brut et pour une indexation des minimas de branche sur le Smic afin qu’ils augmentent automatiquement à chaque revalorisation du salaire minimum.

Dur de se projeter dans l’avenir

Anne-Marie et Frédérique, salariées chez Canon France, sont venues revendiquer au moins 3 % d’augmentation de salaire et 100 euros au minimum pour tous les salariés de la filiale française du groupe japonais. « Avec le confinement, les ventes d’imprimantes ont explosé. Les actionnaires se sont partagé 66 % du bénéfice. Et nous, rien ! » dénoncent les deux militantes CGT. Cadre, Anne-Marie a trente ans d’ancienneté et gagne 2 400 euros par mois. Frédérique, agente de maîtrise depuis vingt-six ans, qui touche 1 900 euros net et pas de treizième mois, explique : « On fait attention, on compte. J’ai renoncé à une formation. Il aurait fallu que je complète le financement par moi-même, mais on s’est déjà endettés pour aider notre fils qui fait des études supérieures. » Cheminot, aux ateliers de maintenance de Villeneuve-Saint-Georges, Robin compte lui aussi. Il gagne 1 800 euros par mois, dont 700 euros de prime « pour le travail de nuit, les week-ends et les jours fériés ». Avec sa compagne, agente territoriale, ils ont un revenu de 3 200 euros mensuels. « On s’en sort pas mal. On part en vacances dans la famille. On a un petit loyer de 500 euros. Mais on vit dans 25 m2», explique le militant CGT. Le jeune couple, qui commence à se poser la question d’un enfant, fait ses calculs : « Il faudra un appartement plus grand, donc un plus gros loyer, alors ça fait réfléchir. » Dur de se projeter dans l’avenir. Robin estime que, pour vivre correctement, il faudrait 500 euros de plus par mois.

Professeure des écoles en Loire-Atlantique, militante au SNUipp, Jessica, gagne 2 200 euros par mois, après vingt ans de carrière. Elle est au neuvième échelon, peut en franchir encore deux avant d’avoir atteint la limite de l’avancement automatique. Progresser après, c’est plus difficile, il faut changer de grade, devenir « hors classe », mais seulement 10 à 15 % de la profession y parviennent. Jessica compte aussi. Divorcée, elle a puisé dans son épargne pour financer le permis de conduire de sa fille. « Honnêtement, 300 euros par mois de plus, ce serait bien et ça serait justice. » Comme tous les fonctionnaires, Jessica est privée d’augmentation générale depuis sept ans à cause du gel du point d’indice. Militante FO, bibliothécaire à l’université, Séverine gagne 1 600 euros. « J’ai l’impression que mon salaire fait du surplace depuis seize ans que je fais ce métier ».

Dans le cortège, de nombreux jeunes aussi. La présidente de la JOC, Chloé Corvée, dénonce « la réforme de l’assurance-chômage qui va frapper les plus jeunes abonnés aux contrats courts ». Elle alerte aussi sur la suppression du repas à 1 euro pour les étudiants : « Beaucoup ont faim. » Mais tout va bien, le CAC 40 a fait 57 milliards d’euros de bénéfices.


 

 

publié le 5 octobre 2021

Retour des mobilisations
contre les réformes du gouvernement,
un peu plus de 2.000 personnes à Montpellier

Jean-Philippe Vallespir sur https://lemouvement.info

L’intersyndicale à laquelle se sont associées plusieurs organisations étudiantes ou lycéennes avait appelé à une journée de grève interprofessionnelle et de manifestations ce mardi 5 octobre 2021. L’automne va-t-il relancer la mobilisation contre les réformes mises en place par le gouvernement ?


 

Vigilance orange, voire rouge pour les syndicats en ce dernier trimestre 2021, avec une nouvelle journée de mobilisation organisée dans plusieurs villes de France. La manifestation contre les réformes mises en place par le gouvernement, notamment des retraites et de l’assurance chômage, a mobilisé un peu plus de 2.000 personnes ce matin à Montpellier.

La grève et la mobilisation interprofessionnelle de ce 5 octobre initiées par l’intersyndicale : FO, CGT, FSU et Solidaires, ainsi que les organisations de jeunesse FIDL, MNL, UNEF et UNL, « s’opposent à ce que la situation sanitaire soit utilisée par le gouvernement et le patronat pour accélérer la remise en cause des droits et des acquis des salariés et des jeunes. »


 

« On ne demande pas l’aumône, on ne demande pas la charité. » Serge Ragazzacci

Face à l’augmentation du Gaz et de l’électricité, « on ne demande pas l’aumône, on ne demande pas la charité. Qu’ils les gardent les chèques énergie. Nous, ce que nous revendiquons, c’est que l’on sorte l’eau, le gaz, et l’électricité du secteur libéral, et des griffes de la spéculation. Retour à un pôle public de l’énergie, » lance Serge Ragazzacci sur la place de la Comédie à Montpellier.

Plusieurs revendications ont été scandées ce mardi matin : abandon de la réforme des retraites, lutte contre la précarité ou les inégalités entre les femmes et les hommes, hausse des salaires, et retrait de la réforme de l’assurance chômage. Mais l’accent a été mis par Serge Ragazzacci, Secrétaire départemental CGT34 sur l’affaire des « Pandora Papers » les nouvelles révélations d’évasion fiscale, pour illustrer toute la nécessité d’une lutte face à des « menteurs qui vont nous dire que ça coute cher, et qu’il n’y a pas d’argent. »

Pour le leader syndical, il s’agit d’argent « volé au travail, volé à la solidarité, volé au service public, volé aux retraités […] C’est bien un choix gouvernemental de favoriser la fraude fiscale, pour ensuite venir nous dire : pour les salaires y’en a pas, pour l’emploi y’en a plus, pour les cotisations sociales, c’est foutu. Non ! L’argent, il est là ! Il est dans les poches du Capital. Alors, dans les mois qui viennent, allons le chercher, toutes et tous ensemble dans l’unité. »

Retraites. L’autre point de vigilance de cet automne, déjà bien envahi médiatiquement par la prochaine élection présidentielle : le passage en deux temps de la réforme des retraites. Une réforme qu’Emmanuel Macron n’a pas enterrée. À noter : « fermeture » du parlement fin février, avant la Présidentielle des 10 et 24 avril, et des Législatives des 12 et 19 juin. Tout serait possible dans un rapide projet de loi. L’idée serait de supprimer les régimes spéciaux et de relever le minimum retraite à 1.000€, et après la Présidentielle, traiter le sujet plus sensible du recul de l’âge de départ à la retraite, avec une nouvelle assemblée.



 

 

publié le 4 octobre 2021

Mobilisation du 5 octobre :
les bas salaires tiennent le haut du pavé

Pierre-Henri Lab sur www.humanite.fr

À l’heure où flambent les dépenses du quotidien, l’intersyndicale CGT, FO, FSU, Solidaires, Fidl, Unef, UNL et MNL organise, ce mardi, plusieurs dizaines de manifestations pour exiger l’augmentation du Smic.

« Il faut que la colère s’exprime. » Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a lancé un appel aux salariés à se mobiliser à l’occasion de la journée d’action interprofessionnelle organisée par la CGT, FO, la FSU, Solidaires, l’Unef et les syndicats lycéens Fidl, MNL et UNL, « pour nos salaires, nos emplois et nos conditions de travail ». Dans le collimateur de l’intersyndicale, la faiblesse des hausses de salaire. Alors que les Pandora Papers mettent en lumière l’étendue de l’évasion fiscale (lire page 4), le Smic n’a augmenté que de 35 euros brut au 1er octobre, en rattrapage de l’inflation. Ce montant est jugé nettement insuffisant par les organisations syndicales, qui pointent notamment l’explosion des dépenses des ménages en particulier en matière d’énergie (électricité, gaz et carburants).

La CGT revendique pour sa part que le Smic soit porté à 2 000 euros brut par mois pour 35 heures hebdomadaires. Philippe Martinez pointe également le sort des millions de salariés dont le montant du salaire minimum de branche est désormais inférieur au salaire minimum, et qui devront attendre de long mois avant d’être augmentés. Pour l’intersyndicale, la hausse doit concerner l’ensemble des salariés dans le public et le privé.

La réforme de l’assurance-chômage est aussi dans le viseur de l’intersyndicale. Entrée en vigueur vendredi, elle va aboutir à la réduction du droit à indemnisation des demandeurs d’emploi, en particulier les travailleurs enchaînant contrats de courte durée et périodes de chômage. La modification de la règle de calcul de l’allocation va entraîner une baisse en moyenne de 17 % de son montant pour au moins 1,15 million de privés d’emploi. « Avec cette réforme, le gouvernement va plonger 1,7 million de salariés dans la misère », accuse le secrétaire général de la CGT. L’ensemble des confédérations va déposer un nouveau recours devant le Conseil d’État d’ici à jeudi, afin de suspendre l’application de ce tour de vis, avant que la haute juridiction administrative, saisie il y a déjà plusieurs mois, par les syndicats, se prononce sur le fond.

Pour l’intersyndicale, le gel des salaires et le maintien des réformes visant à « faire des économies sur le dos des salariés », sont d’autant plus inacceptables que les profits du CAC 40 explosent. Au premier semestre 2021, les groupes ont engrangé 57 milliards d’euros, soit 41 % de plus qu’au premier semestre 2019, dont les résultats avaient été épargnés par le confinement. Le taux de marge des entreprises a atteint 35,9 % au premier trimestre.

Les manifestants mettront aussi l’accent sur les conditions de la rentrée universitaire. Alors que l’Unef chiffre à 2,5 % la hausse de son coût et que la pauvreté étudiante a bondi pendant la crise sanitaire, le gouvernement vient de décider de mettre fin au dispositif du repas à 1 euro. L’Unef et les syndicats lycéens dénoncent aussi les conditions de la rentrée. Alors qu’à l’université, les effectifs ont progressé de 2,1 %, le nombre de postes d’enseignants continue de baisser.

Plusieurs dizaines de manifestations sont prévues en région, souvent plusieurs par département. À Paris, l’intersyndicale a dénoncé « une nouvelle entrave au droit de manifester » de la part de la préfecture, qui s’est opposée à ce que le cortège se rende place de la Concorde. Au final, la manifestation qui partira de République arrivera Chaussée-d’Antin.



 

 

publié le 3 octobre 2021

 

Salaires. Pourquoi Le compte n’y est pas

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

La reprise se confirme et les profits redécollent, mais les salariés n’en voient pas la couleur. Après avoir été soutenu sans conditions, le patronat ose refuser une plus juste répartition. Rendez-vous est donné le 5 octobre, par la CGT, FO, la FSU et Solidaires pour exiger, notamment, de meilleurs salaires.

La colère monte, la pression est palpable. Face à la pénurie de travailleurs dans les secteurs où œuvrent les première et seconde lignes, alors que l’économie « repart », la question des salaires s’impose. D’autant que la pandémie a réhabilité le travail. « La société et l’économie sont restées debout parce que les travailleurs ont continué de travailler, souvent au péril de leur vie », note l’économiste Jean-Marie Harribey. Mais également parce que « la crise sanitaire a montré que les travaux les plus essentiels étaient souvent les plus mal rémunérés », ajoute-t-il (1).

Primes et chèques pour éviter l’explosion

Ainsi, les revalorisations salariales ou les primes Macron sont jugées bien insuffisantes et les mécontentements s’expriment, au vu des 51 milliards d’euros de dividendes (+ 22 %) qui seront versés cette année aux actionnaires. Sans compter les 240 milliards d’euros d’aides publiques versées aux entreprises.

Les aides à domicile étaient d’ailleurs en grève le jeudi 23 septembre, mécontentes que les revalorisations négociées par le gouvernement ne concernent qu’une fraction d’entre elles. Idem dans plusieurs sociétés de l’agroalimentaire, chez Orange, ou encore chez les supermarchés discount Aldi : malgré les bénéfices de leur entreprise, les travailleurs n’en voient pas la couleur. Ces colères sont autant de prémices à la journée d’action prévue le 5 octobre à l’appel des syndicats CGT, FO, FSU et Solidaires qui, dixit la CGT, « se prépare bien ».


 

Pour éviter l’explosion sociale, depuis la rentrée, chaque semaine, un membre du gouvernement fait mine de s’emparer du problème et distribue des chèques (chèque énergie, hausse de l’allocation de rentrée scolaire…). Bruno Le Maire avait d’ailleurs ouvert le bal, fin août, en déclarant juste avant la reprise : « Il y a un sujet dont je ne démords pas, c’est une meilleure rémunération de ceux qui ont les rémunérations les plus faibles. » Pourtant, le gouvernement s’est refusé à tout coup de pouce au Smic. Au 1er octobre, celui-ci, grâce à la formule liée à l’inflation, se verra augmenté « automatiquement » de 34,20 euros. Et, dans la fonction publique, après plus de dix ans de gel du point d’indice, les négociations lancées la semaine dernière patinent .

Nous avons beaucoup de femmes isolées, en temps partiel subi, surendettées, en précarité énergétique quand leurs patrons trônent au top 10 des fortunes mondiales. » GÉRALD GAUTIER, FO commerce.

Ce petit jeu occupe l’espace public, mais il est loin d’amuser les salariés qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. La ministre du Travail, Élisabeth Borne, a donc à son tour joué les énervées, en exigeant que « toutes les branches qui ont des minima en dessous du Smic doivent revaloriser les salaires ». Et de promettre de suivre l’avancement des travaux. Pourtant, là aussi, les négociations sont au point mort. Le patronat n’est pas prêt à céder.

Dans l’hôtellerie-restauration, les trois premiers niveaux de la grille sont sous le Smic. Idem dans l’habillement.

Dans l’hôtellerie-restauration, les employeurs estiment être dans « une situation très inconfortable », explique Jean-François Blanchet, président de l’Umih 47. « Nous n’avons pas de visibilité sur notre activité. Il faudrait déjà qu’on se remette d’aplomb. Or, actuellement, nous tournons avec 20 % à 30 % de chiffre d’affaires en moins à cause du passe sanitaire », affirme le restaurateur. Ces chiffres ne sont pas confirmés par les institutions statistiques. Pour lui, « ce n’est pas le niveau des salaires qui a coupé l’envie de venir travailler, mais les aides », poursuit-il, en pointant le chômage partiel.

Pourtant, dans cette branche, les trois premiers niveaux de la grille sont sous le Smic, actuellement à 1 555,58 euros brut. Avec la hausse programmée au 1er octobre à 1 589,47 euros, de trois, ils passeront à cinq niveaux en deçà des minima. « Insupportable », explique Nabil Azzouz, secrétaire fédéral FO. Le syndicat a donc appelé à des négociations en urgence. « On est sans doute la branche la plus mal lotie. Depuis mars 2020, les salariés ont perdu 16 % de leur salaire, sans compter les pourboires », rappelle le syndicaliste, soit environ 300 euros par mois.

Un Smic à 2 000 euros brut par mois, chiche !

La mesure est souvent vilipendée, jugée impossible, mais elle fait mouche. Une enquête datant de 2019 du ministère des Solidarités et de la Santé estimait à 1 760 euros net le revenu décent souhaité par les Français. « En Espagne, cite la CGT, ce choix politique a été fait. En 2018, le salaire minimum a augmenté de 30 % avec l’objectif de porter le Smic à 60 % du salaire espagnol moyen. » Pour financer la mesure, la centrale syndicale propose de sortir des 230 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales et fiscales perçues « sans contrôle ni évaluation ». De plus, une hausse sensible du Smic représente un effort soutenable pour peu que l’on desserre la contrainte financière, en particulier pour les petites et moyennes entreprises ; déjà, en baissant le coût du capital, c’est-à-dire les prélèvements financiers (charges d’intérêts ou dividendes), qui pèsent entre 18 % et 77 % des coûts des entreprises, contre 14 à 31 % pour le travail. Mais aussi, en pensant « différemment la relation entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants », propose Boris Plazzi, secrétaire confédéral CGT

Grands magasins, mini-payes

Dans les branches du commerce non alimentaire, entre 2008 et 2018, les salaires n’ont progressé que de 1,9 % contre 6,5 % en moyenne nationale. Dans l’habillement, secteur qui emploie entre 200 000 et 300 000 personnes, les trois premiers niveaux sont également sous le Smic. La branche a même été mise « sous surveillance du ministère », confie, de son côté, Gérald Gautier, secrétaire fédéral FO commerce. Pis, dans la branche grands magasins, magasins populaires, qui regroupent par exemple les groupes Kering et Zara, c’est l’ensemble des niveaux de la grille qui sont en deçà du Smic. Or, « nous avons beaucoup de femmes isolées en temps partiel subi, en surendettement, en précarité énergétique », poursuit le syndicaliste. Quand leurs patrons « trônent dans le top 10 des fortunes mondiales ». « Le gouvernement ne fait rien, absolument rien », alors qu’il aurait pu les contraindre, avec toutes les aides attribuées aux entreprises.

Si les syndicats exigent une revalorisation du salaire minimum brut à 2 000 euros pour éteindre la mèche, dans les entreprises, les directions « généralisent » les primes exceptionnelles, de participation ou d’intéressement. Or, ces rémunérations ponctuelles qui viennent se « substituer aux augmentations de salaires » sont « dangereuses », prévient Boris Plazzi, secrétaire confédéral CGT. « Ces primes non soumises aux cotisations sociales et défiscalisées sont autant de milliards d’euros qui ne retombent pas dans le budget des familles », explique le syndicaliste. En effet, sans cotisations sociales, sans impôt, pas de Sécurité sociale, ni d’écoles et d’hôpitaux publics. Tout serait laissé au privé. La droite n’a pas d’autre projet…

(1) « En finir avec le capitalovirus. L’alternative est possible ». Éditions Dunod.


 

---------------------- TEMOIGNAGES -----------------------------------------------


 

« En 15 ans, l’indice a gagné  6 centimes »

Lucie STIRER Chevrier, monitrice éducatrice en établissement pour adultes handicapés

«Mon métier a perdu du sens depuis le Covid. J’y suis toujours attaché. Mais beaucoup laissent tomber. Cette économie marchandise tout, y compris le médico-social. Début août, la valeur du point a augmenté de deux centimes. J’ai fait le calcul : depuis mon début de carrière, il y a quinze ans, ce point sur lequel est calculé mon salaire a augmenté de six centimes ! On est très loin d’un rattrapage de l’inflation. Un grand nombre de mes collègues ne touchent pas le Smic en salaire fixe. Comme nous avons des horaires atypiques, nous percevons une indemnité de sujétions spéciales qui permet de compenser. C’est mon cas : avec un bac + 3 et quinze ans d’ancienneté, je touche 1.350 euros par mois.

Nos métiers font partie des catégories des personnels soignants. Mais comme nous travaillons dans des établissements associatifs, nous n’avons pas été inclus dans les 183 euros d’augmentation en lien avec le Ségur de la santé. Nous voyons donc en ce moment des collègues aides médico-psychologiques (AMP) démissionner pour aller dans les Ehpad publics, où ils toucheront ces 183 euros. Leur métier perd un peu de son intérêt. Mais l’appel du salaire est plus fort. D’autant qu’on a affaire à un patronat, Nexem, à la dent dure, qui veut déclassifier les métiers pour qu’il n’y ait plus de différences entre un éducateur technique, spécialisé ou un AMP et que tous les salariés soient polyvalents pour être capables de tout faire, ce qui revient à tout mal faire. Il compte aussi jouer du rapprochement entre notre convention collective et une autre du secteur pour tirer tous les salaires vers le bas, avec l’accord de l’État qui finance une grande partie de nos établissements. C’est un vrai dumping social. »


 

« J’ai perdu 300 euros sur ma fiche de paie »

Fanny, 37 ans, contrôleuse qualité dans l’usine agroalimentaire Bergams, à Grigny (Essonne)

«J’ai vraiment atteint un ras-le-bol. Depuis la signature de l’accord de performance collective pour notre usine (entré en vigueur en janvier 2021 – NDLR), on a eu des journées de 9 heures ou 10 heures parfois. C’est un travail fatigant, alors le soir, quand je rentre chez moi, que mes enfants veulent passer du temps avec moi, je n’ai plus la force, je n’ai plus l’envie. Mais au lieu d’être reconnue, j’ai perdu presque 300 euros sur ma fiche de paie et je me retrouve à 1 600 euros par mois environ.

J’ai perdu la prime de nuit, alors que je travaille toujours de nuit, mais aussi la prime des dimanches et jours fériés. En plus, je subis également le chômage partiel. Heureusement, j’ai mon mari qui a son propre revenu. Mais on a dû s’adapter. On se fait moins souvent plaisir et on doit y réfléchir à deux fois avant de nouvelles dépenses.

Ce que je voudrais, c’est une augmentation de salaire, au moins retrouver mon ancien niveau de revenu. C’est pour ça que je suis en grève, en plus des conditions de travail qui se dégradent dans notre usine. Il n’y a aucun dialogue possible avec notre direction, qui se dit “humaniste” mais qui a quand même coupé dans nos salaires. J’ai six années d’ancienneté, mais c’est comme si elles ne comptaient plus. »


 

« Tout le monde est dans la même situation »

Corinne, 55 ans, aide-soignante à l’hôpital Saint-Louis et membre du collectif Inter-Urgences.

« À partir d’octobre, je vais toucher 20 euros de salaire en plus. Cela correspond à un nouveau volet du Ségur de la santé et c’est clairement en dessous de tout ! En fin d’année dernière, nous avons eu l’augmentation de 183 euros, mais avec la flambée du coût de la vie, nous avons à peine senti l’amélioration. Ça fait des années que nous revendiquons de meilleures rémunérations, mais aussi plus d’effectifs et de lits. En attendant, à partir du 22 de chaque mois, on guette le versement du salaire. Nous en discutons entre collègues car tout le monde est dans la même situation. Ça part vite entre les factures d’électricité et le loyer.

Je touche 2 000 euros, notamment parce que je suis de nuit et que j’ai droit à une prime de 118 euros car je travaille aux urgences. Mais, au bout de trente et un ans à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), ça pique ! Ce ne sont pas des niveaux de revenus suffisants pour attirer les jeunes. Nous avons du mal à les recruter et à les garder : soit ils partent pour faire autre chose, soit ils enchaînent les missions d’intérim, ce qui leur permet de mieux gagner leur vie.

Malgré la crise du Covid, nous faisons toujours partie des personnels de santé les plus mal rémunérés de l’OCDE. Sans compter les coups de pression que nous nous sommes pris pour se faire vacciner. Si le gouvernement veut fidéliser les soignants, il va falloir qu’il y mette les moyens. Mais aussi qu’il aplanisse les disparités. À Montpellier, une aide-soignante peut être payée moins que moi, alors que nous faisons le même travail. Pour toutes ces raisons, je vais essayer de manifester le 5 octobre. »


 

« Des millions ont été versés à LVMH mais nous, on n’a rien touché »

Jenny Urbina, déléguée syndicale CGT, 46 ans, employée chez Sephora

« Lors des dernières négociations annuelles obligatoires, nous n’avons eu que 0,5 % d’augmentation générale. En ce qui me concerne, ça fait 9 euros de plus en bas de la fiche de paie. Nous avons refusé de signer car ce n’est pas sérieux ! Nous avions pourtant demandé une hausse de 150 à 180 euros. Nous avons également touché zero euro de prime de participation alors que Sephora a réalisé 70 millions d’euros de bénéfices et que 93 millions ont été versés à la maison mère LVMH. Quand on voit les niveaux de fortune atteints par Bernard Arnault, PDG de LVHM, c’est scandaleux !

C’est anormal qu’il continue à s’enrichir alors que nous perdons toujours plus d’argent. Nous sommes, en ce moment, en train de négocier un accord sur l’aménagement du temps de travail. Dans le premier texte en vigueur depuis l’an 2000, les heures supplémentaires ne sont pas payées, mais récupérées. Or, il est toujours compliqué de poser des jours ou de prendre des congés. À quels reculs doit-on s’attendre dans cette nouvelle discussion ? Avec des rémunérations autour de 1.500 euros, les salariés se battent déjà pour travailler le dimanche.

C’est très compliqué de vivre avec cette somme en région parisienne. Tout le monde est dans la même galère. Quant aux conditions de travail, c’est devenu n’importe quoi ! On tourne à trois par magasin. Nous avons aussi alerté la direction sur la démotivation des employés. Il y a beaucoup d’abandon de postes et d’absentéisme. Il n’y a aucun avantage à travailler chez Sephora. »


 

Sur le pavé le 5 octobre pour mettre fin aux mesures dérogatoires et antisociales Si les revendications salariales tiendront le haut du pavé le 5 octobre, les colères sociales ne manquent pas et donneront encore plus de corps aux cortèges du jour, à l’appel de la CGT, FO, la FSU, Solidaires, l’Unef, la Fidl, le MNL et l’UNL. Le dernier grief en date, sans doute le plus aigu, a trait à l’assurance-chômage. Le gouvernement a fait le choix de passer en force en imposant sa réforme dès le 1er octobre avec l’allongement de la durée de cotisation pour avoir droit à une indemnisation et la baisse des allocations, via un nouveau mode de calcul. Les manifestants appelleront au retrait immédiat de ce tour de vis social comme à l’abandon du projet de réforme des retraites. Ils demanderont aussi la fin des mesures dérogatoires du Code du travail qui donnent les quasi pleins pouvoirs aux employeurs. La lutte contre la précarité sera au cœur des revendications des organisations de jeunesse. Ces dernières militeront aussi pour la fin des mesures dérogatoires à l’État de droit et le retour au droit et aux libertés publiques, pour les travailleurs comme pour les étudiants.



 

 

publié le 3 octobre 2021

Métallurgie. À la fonderie SAM,
235 jours de lutte pour une reprise digne

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Mobilisés pour sauver leur usine et ses 350 emplois directs, les salariés en appellent au premier ministre et à leur principal client, Renault, pour trouver un repreneur. Mais ce jeudi est la date limite de dépôt des candidatures.

Ce 30 septembre n’est pas le couperet que les salariés de Jinjiang SAM de Viviez (Aveyron) auraient pu craindre. Si le tribunal de commerce de Toulouse a fixé au 30 septembre la date limite de dépôt des offres de reprise, après avoir placé au début du mois la fonderie en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité, tout porte à croire que le délai sera étendu. « Renault s’est engagé à nous soutenir et à nous passer des commandes jusqu’à mars 2022, il n’y a pas de raison à ce que la justice ferme les portes à des offres ou des intentions de reprise si tôt », espère David Gistau, élu CGT au CSE de la fonderie SAM et secrétaire de l’union départementale de l’Aveyron.

L’État et le constructeur automobile ont repoussé deux offres, qui, selon eux, n’apportaient pas assez de fonds propres. « C’étaient des acteurs français avec de vrais projets et il ne leur manquait que 5 millions d’euros, mais le gouvernement préfère la communication, plutôt que d’agir pour la réindustrialisation et les aider », déplore Pascal Mazet, conseiller régional PCF d’Occitanie et soutien de la première heure des salariés.

Une première vraie victoire

« Il y a aussi que Renault ne veut négocier qu’avec des gros acteurs, il l’a dit dès le début en poussant l’offre du groupe espagnol CIE Automotive. Ils travaillent d’ailleurs déjà ensemble », rappelle, de son côté, David Gistau. Sauf que celle-ci prévoyait la suppression de 200 postes, avec la fermeture du bureau d’études et du service support. « Nous serions devenus un simple atelier de production, condamné dans les cinq ans. C’était une provocation, dénonce l’élu CGT. Dans tous les cas, c’était se résoudre à disparaître, alors nous avons préféré rester debout et nous battre. » Après vingt-trois jours de grève et de blocage d’usine et des rassemblements qui ont réuni plusieurs milliers de personnes, le gouvernement a fini par admettre que, pour être viables, les offres de reprise devaient conserver au moins 250 salariés et le bureau d’études. Quant à Renault, il a promis 40 millions d’euros de commandes par an. De quoi rendre la SAM plus belle pour la reprise et, ce 30 septembre, une nouvelle offre de CIE Automotive n’est pas à écarter puisque les discussions avec l’industriel espagnol se poursuivent.

Mais c’est surtout une première vraie victoire pour les salariés, puisque, à l’origine, le constructeur automobile français voulait faire fabriquer ses carters d’huile et ses pièces pour moteur et culasse en aluminium en Roumanie, privant le site aveyronnais de 85 % de son chiffre d’affaires. Une aberration écologique – comme en termes de coût de transport –, puisque l’essentiel de ces pièces doit être livré, ensuite, par camions à l’usine espagnole de Valladolid. Une nouvelle qui avait attisé la colère des salariés de la SAM. Car, si le repreneur chinois, Jinjiang, n’a jamais tenu ses promesses d’investissement faites lorsque son offre de rachat du site a été validée en 2017 – pour preuve, le site est en redressement judiciaire depuis 2019 –, la SAM est clairement parée pour affronter les défis industriels de demain.

Le risque d’un drame humain

« Nous fabriquons déjà des pièces pour les moteurs hybrides et électriques, nous avons déjà pris le virage, et notre bureau d’études, comme notre service support ont une réelle expérience », assure David Gistau. « On nous dit que le moteur thermique est fini en 2035, certes, mais la SAM travaille déjà sur la Zoé électrique ! Et elle peut aussi œuvrer demain sur les moteurs des prochaines 4L et R5 électriques », ​​​​​​​renchérit Pascal Mazet. Une fermeture serait un véritable gâchis industriel. Mais aussi un drame humain... Avec une moyenne d’âge de 48 ans, les salariés auront beau traverser la rue, impossible de retrouver un emploi dans un département où il y a 13 fois plus de chômeurs que d’offres disponibles. « Le plus grand employeur du bassin est l’hôpital, et, ensuite, c’est la SAM, alerte l’élu local PCF. Et je rappelle que, dans le département, le site de Bosch Rodez est aussi en sursis ! »

Voilà pourquoi les salariés ne désarment pas. D’autant que le discours gouvernemental autour de la souveraineté industrielle et de la relocalisation résonne clairement avec leur lutte. « Notre principal client, Renault, a été aidé à hauteur de 5 milliards d’euros par le gouvernement, et l’État en est toujours actionnaire, il a tous les moyens d’agir », affirme David Gistau.


 

 

publié le 2 octobre 2021

Assurance-Chômage : Pôle emploi commande des bracelets d'alerte anti-agression pour ses employés franciliens

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Par Lila Lefebvre, sur www.francebleue.fr,
 

Avec l'entrée en vigueur de la réforme de l'assurance-chômage ce vendredi, Pôle emploi craint un regain de tension dans ses agences. Pour rassurer ses agents, l'établissement a commandé, en Île-de-France, des bracelets d'alerte et des boîtiers d'alerte en cas d'agressions ou d'incivilités, révèle ce vendredi nos confrères de France Inter. 


 

695 bracelets ont été commandés en région parisienne indique une note interne de Pôle emploi , baptisée "plan d’action sécurité" que France Inter a pu consulter. Une centaine de boîtiers dotés d'une sirène multi-tonalité et d'un flash qui doit "permettre aux agents de pouvoir signaler une agression ou une incivilité" ont aussi été achetés. Les premières livraisons concernent la Seine-Saint-Denis, cette semaine. Ce sera Paris la semaine prochaine. La question de la généralisation des caméras de surveillance dans les agences de Pôle emploi a également été évoquée la semaine dernière par la direction.

Les agents de Pôle emploi ont également reçu des explications, "des éléments de communication", pour être en mesure de répondre aux questions des allocataires. 

Les syndicats toujours opposés à la réforme

Les syndicats parlent d’une "usine à gaz" avec la mise en place de cette réforme dont le décret a été publié au Journal officiel et qui prévoit un nouveau mode de calcul qui se durcit à partir de ce vendredi. Les syndicats craignent que cette réforme pénalise financièrement les demandeurs d'emploi alternant chômage et activité.

 

publié le 2 octobre 2021

Ce que révèle l’affaire des sous-marins

par Denis Sieffert sur www.politis.fr

Entre la Chine et les États-Unis, nous assistons à ce qu’il faut bien appeler des préparatifs de guerre. L’enjeu d’un conflit ouvert serait évidemment Taïwan. Mais avec pour enjeu symbolique le titre de première puissance mondiale. Redoutable partie de poker menteur !

C’est une constante dans les affaires de ventes d’armes par la France. On feint d’oublier ce qui devrait être une évidence : les armes sont faites pour la guerre. Or, à Paris, il n’est jamais question que de balance commerciale et d’emplois. Ce n’est certes pas ici que l’on se plaindra que l’emploi soit, cette fois, au cœur des préoccupations de notre gouvernement, mais ce commerce étant un peu particulier il est difficile de se laver les mains de ce qui advient une fois la transaction terminée. Les exemples récents montrent que nous nous rendons, plus souvent qu’à notre tour, coupables de crimes par procuration (1). Dans la triste affaire de ces sous-marins qui ne seront donc jamais australiens, les faux frères de la France, eux, n’ont pas oublié cette évidence. Si l’Australie a choisi de renforcer ses liens avec les États-Unis, c’est que l’on pense à Canberra que l’Empire d’outre-Pacifique est le plus apte à assurer la défense du pays et à mener, le moment venu, une guerre qui n’est plus impensable. De même, pour les États-Unis, la vente des sous-marins n’est pas seulement un succès commercial, mais un pas de plus vers une intégration quasi fusionnelle de la marine australienne dans le système américain, et dans une pensée stratégique obsédée par la menace chinoise. Et c’est ici qu’il nous faut évoquer ce qu’il y a sans doute de pire dans cette affaire.

Pour dire les choses crûment, nous assistons à ce qu’il faut bien appeler des préparatifs de guerre. On peut rêver qu’il ne s’agisse que de dissuasion, mais nous voilà tout de même dans ce que les Chinois eux-mêmes appellent une « zone grise ». Pas vraiment la guerre, mais déjà plus tout à fait la paix. L’enjeu d’un conflit ouvert serait évidemment Taïwan. Pour Pékin, cette île située à 160 kilomètres du continent, qui fut le refuge de l’armée anticommuniste de Tchang Kaï-chek en 1949, n’a jamais cessé d’être la « 23e province ». La reconquérir serait en somme la dernière victoire posthume de Mao. La question revient périodiquement dans le discours intérieur chinois. Elle est un instrument sans cesse réactivé de la propagande nationaliste. Après la mise au pas de Hongkong, le tour de Taïwan semble venu. Les stratèges de Pékin n’en finissent pas de se quereller sur les chances de succès d’une invasion terrestre (improbable), ou d’une occupation des îles voisines qui appartiennent à la souveraineté taïwanaise, ou encore d’un blocus qui asphyxierait la population (2). Parallèlement, le Pentagone se livre aux mêmes conjectures, avec le lourd handicap de l’éloignement. D’où la volonté de renforcer toutes les alliances possibles dans la région indo-pacifique. Effrayante symétrie ! Car, dès 1949, les États-Unis ont fait le serment de ne pas abandonner Taïwan à la Chine dite populaire. Aujourd’hui, ils semblent avoir le beau rôle alors que Taïwan s’est démocratisé à l’occidentale et que le régime chinois ne brille pas par son amour de la démocratie. Mais au cas où on serait tenté de prêter aux États-Unis des vertus qu’ils n’ont pas, il faut rappeler qu’ils soutenaient pareillement Taïwan à la fin des années 1980 quand cette petite Chine dissidente était encore une terrible dictature. De part et d’autre, la tension monte, avec pour enjeu symbolique le titre de première puissance mondiale. Redoutable partie de poker menteur !

Voilà dans quel « océan » de problèmes, Messieurs Macron et Le Drian ont mis leurs pieds candides, en croyant qu’ils ne faisaient que se livrer à un petit commerce pas très recommandable mais habituel. Leur méprise concerne aussi les États-Unis. Le vocabulaire de Joe Biden est châtié alors que celui de Donald Trump était grossier. Mais il y a des constantes à ne jamais oublier. Les États-Unis ne connaissent que leur intérêt. Ils n’ont de cesse de plier leurs partenaires à leurs exigences. Leur impérialisme s’était déjà manifesté en 2018 lorsque Trump a contraint les firmes françaises – Alstom, PSA et Total, entre autres – à quitter l’Iran pour un boycott unilatéralement décidé à Washington. Rien ne dit que Biden aurait agi différemment. Quant à la « débâcle » de Kaboul, elle était peut-être plus un fiasco « technique » qu’une défaite militaire comparable au Vietnam. En quittant brutalement l’Afghanistan, les États-Unis n’ont fait finalement qu’imposer à leurs alliés et au peuple afghan une réorientation stratégique décidée sans états d’âme.

Dans ce tableau, on ose à peine poser la question rituelle : que fait l’Europe ? Que dit-elle de la déconvenue française ? Après une semaine d’hésitations, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et Charles Michel, le président du Conseil européen, se sont fendus de quelques mots de « réconfort ». Mais à Berlin, rien. Chacun chez soi. L’Allemagne a obtenu de Washington le « droit » d’achever son gazoduc géant Nord Stream 2, qui la relie à la Russie. Ce qui suffit à son bonheur. Dans sa peine, la France a fait ce qu’elle pouvait en rappelant ses ambassadeurs à Washington et à Canberra. Pour faire beaucoup plus, il faudrait sortir du commandement intégré de l’Otan. De Gaulle l’avait fait en 1966. Sarkozy était piteusement rentré dans le rang en 2009. Mais la marche est un peu haute pour le gouvernement actuel. D’autant plus que, pour des raisons principalement politiques, l’Europe de la défense reste une fiction, et que les puissances dont il faudrait se rapprocher, Russie et Chine, ne peuvent pas vraiment faire envie à des démocrates. a

(1) Voir la chronique de Sébastien Fontenelle. Et du même auteur (avec Aymeric Elluin), Ventes d’armes, une honte française (Le Passager clandestin).

(2) Lire sur le sujet Demain la Chine : guerre ou paix ?, de Jean-Pierre Cabestan (Gallimard).



 

 

publiéle 1° octobre 2021

Au commissariat de Montpellier,
« on demande aux victimes de viol si elles ont joui »

Entretien par Loïc Le Clerc sur www.regards.fr

Depuis plusieurs jours, Anna Toumazoff relaie sur les réseaux sociaux des témoignages de femmes qui sont allées porter plainte pour une agression sexuelle ou un viol au commissariat de Montpellier. Les propos rapportés sont accablants. Anna Toumazoff est activiste féministe.

 

Regards. Depuis une semaine, vous recueillez la paroles des femmes qui sont allées porter plainte pour une agression sexuelle ou un viol au commissariat de Montpellier. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Anna Toumazoff. J’ai été contactée jeudi dernier par un proche d’une jeune fille qui a été violée en septembre. Elle a porté plainte le 9, a été reçue par une policière qui lui a demandé, entre autre, si elle avait joui pendant le viol. Le 21, la plainte a été classée sans suite… J’ai partagé ce témoignage sur les réseaux sociaux pour interpeller ce commissariat, à la suite de quoi j’ai reçu plein de témoignages relatifs au même commissariat, qui parlait de la même policière, et j’ai compris que ça faisait une décennie que ça durait. Depuis, et alors que le processus de médiatisation s’accélère, les témoignages s’accélèrent aussi. J’en ai déjà reçu au moins une quarantaine, et je dois avoir 100 messages non lus.

Les témoignages sont terribles : « on demande aux victimes de viol si elles ont joui » ; « on explique aux victimes de viol qu’une personne qui a bu est forcément consentante » ; « on refuse de recevoir des victimes de viol en raison de leur tenue » ; « on les recale, malgré leur visage tuméfié, en leur riant au nez » ; « on explique texto aux victimes de viol que porter plainte n’a aucune espèce d’utilité »... Comment est-ce que vous encaissez ça ?

J’aimerais ne pas y croire, mais en vérité je commence à être habituée. On sait qu’il y a un problème de sexisme dans les commissariats, tout comme on sait qu’il y a des cellules où des agents sont particulièrement bien formés. En fait, le pire dans tout ça, c’est qu’on est toujours déçu de voir que des gens se traitent entre eux avec si peu d’humanité. On parle-là d’une policière aguerrie, qui s’adresse à des jeunes femmes. Manifestement elle n’est pas formée pour accueillir ce public.

Il n’aura pas fallu 24h à la préfecture de l’Hérault pour réagir à vos tweets, via un communiqué. Et de quelle manière : « Le préfet [...] condamne avec fermeté les nouveaux propos diffamatoires tenus récemment sur les réseaux sociaux par Mme Anna Toumazoff à l’encontre des fonctionnaires de police du commissariat de Montpellier. Les fausses informations et mensonges qui ont pour seul objectif de discréditer l’action des forces de sécurité intérieure dans leur lutte quotidienne contre les violences sexuelles desservent la cause des femmes victimes. [...] le ministère de l’Intérieur se réserve la possibilité d’agir en justice » On imagine que vous attendiez une autre réaction...

Oui. C’est un peu belliqueux, et surtout politiquement stupide. Je ne sais même pas quoi dire tant rien ne va dans ce communiqué : tant dans la forme avec ce passage de la troisième personne à la première ; tant sur le fond quand il écrit à plusieurs reprises que la lutte contre les violences faites aux femmes est un objectif prioritaire des pouvoirs publics. Au bout d’un moment, il ne suffit pas de dire quelque chose pour que cela devienne une réalité. La préfecture n’a même pas essayé de me contacter pour en savoir plus... Par contre, ils s’expriment dans la presse locale pour dire que je ne connais rien à la procédure

Par votre personne, les victimes de violences sexuelles deviennent, de fait, accusées par les autorités qui prétendent les aider. Que dites-vous de ce procédé ?

C’est lamentable. On essaie de les faire taire, comme d’habitude. Je ne crois pas qu’il y ait que des bonnes choses sur les réseaux sociaux, mais ça constitue une arme difficile à contrôler pour les autorités. Là, on ne parle pas d’un sujet clivant ou polémique : c’est factuel, objectif. Moi, j’ai tellement de respect pour les victimes que je ne peux pas arrêter là. Mais vous savez, c’est toujours la même problématique avec la police en France. Il y a beaucoup de personnes qui s’opposent à la police, mais au fond c’est la faute du gouvernement et du ministère de l’Intérieur : ils ne respectent pas leurs propres effectifs en laissant des pommes pourris dans le panier. En ne réagissant pas, ils permettent qu’on jette l’opprobre sur la profession. C’est dramatique parce qu’on entend parler que des policiers qui posent problème. Maintenant, je préférerais que le préfet se rétracte et qu’on gère ça au niveau local. Mais je n’y crois pas vraiment. D’autant qu’il y a un réel effet Streisand depuis la publication de ce communiqué.

 

publié le 1° octobre 2021

Les débats de la Fête de l’Humanité.
Quelles politiques pour répondre à l’explosion des inégalités ?

Aurélien Soucheyre, Alexandre Fache et Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

À l’Agora, Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire français, Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, et Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité, ont dialogué avec Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d’EELV, Adrien Quatennens, coordinateur national de la FI, et Ian Brossat, porte-parole du PCF.

Les inégalités se sont renforcées durant la crise du Covid. Une minorité plus riche a continué de s’enrichir, quand d’autres payaient l’addition. La France compte près de 10 millions de pauvres, avec de grandes difficultés dans l’accès à la nourriture, au logement, au travail, aux soins, à la culture et aux loisirs. À quelques mois de l’élection présidentielle, trois associations (le Secours populaire français, la Fondation Abbé-Pierre et la Fédération des acteurs de la solidarité) ont interpellé à la Fête de l’Humanité trois partis politiques lancés dans la course à l’Élysée (Europe Écologie-les Verts, la France insoumise et le Parti communiste français) sur la justice sociale dans toutes ses dimensions.

Les associations que vous représentez sont en première ligne pour lutter contre les inégalités. Comment peuvent-elles être davantage aidées et que proposez-vous pour traiter ce fléau à la racine ?


 

Henriette Steinberg ( Secours Populaire) - L’essentiel, l’urgence absolue, c’est la mobilisation générale pour la jeunesse et l’emploi. Des centaines de milliers de jeunes vivent dans l’absence de perspective pour construire leur avenir. C’est inacceptable. Pendant les mois terribles de la pandémie, des centaines de jeunes comme de moins jeunes sont venus nous dire qu’ils étaient sans travail, sans diplôme et vivaient mal leur relégation. Ils l’ont fait tout en venant aider le Secours populaire français (SPF). Face à cette situation, nous avons aussi pris plusieurs contacts pour faire monter en puissance les marchés populaires et solidaires, coconstruits avec les producteurs locaux. Nous avons réalisé que cela aidait à la fois les producteurs et la population en difficulté dans l’accès à des produits frais de haute qualité. D’où ma question aux partis politiques : dans vos engagements respectifs, prévoyez-vous d’agir et d’en tenir compte ? Comment pensez-vous associer l’ensemble des partenaires concernés ?


 

Florent Guéguen (Fédération des acteurs de la solidarité) - Je veux rappeler combien ce quinquennat a été dur pour les plus pauvres. Nous ne parlons pas seulement de l’augmentation des inégalités, nous parlons de l’appauvrissement de toute une partie de la population à cause de choix politiques. La crise sanitaire a accéléré cette division de la société, et il est de la responsabilité des candidats à la présidentielle d’y répondre. Nous avons ainsi quatre propositions. D’abord, un coup de pouce immédiat pour le RSA qui n’est que de 560 euros par mois, et dont le montant est gelé depuis 2017. Il faut aussi aller plus loin sur les minima sociaux, en fusionnant plusieurs prestations afin qu’aucune personne seule ne vive avec moins de 850 euros par mois. La deuxième priorité, c’est le logement : la France est victime d’un effondrement de la production de logements sociaux comme cela ne s’était jamais vu. Moins de 90 000 ont été produits en 2020 alors qu’il s’agit de la première dépense des Français. Les candidats doivent s’engager pour atteindre 150 000 logements sociaux par an. La troisième priorité, c’est un plan de création d’emplois solidaires alors que plus de 3 millions de personnes sont au chômage depuis plus d’un an. La quatrième priorité, c’est qu’on ne peut pas lutter contre la pauvreté en France sans une action beaucoup plus volontariste sur l’accès aux droits et la régularisation des étrangers qui vivent dans des situations extrêmement précaires. Nous avons des dizaines de milliers de personnes, souvent en famille, qui n’ont aucune chance de sortir de l’hébergement précaire ou des campements et des squats sans titre de séjour permettant l’accès à l’emploi, au logement et à une vie autonome.

Manuel Domergue (Fondation Abbé-Pierre ) - La première chose que j’attends d’une nouvelle majorité en 2022, c’est de revenir sur les choix négatifs qui ont été faits. Les financements publics pour le logement étaient à 2 % du PIB il y a dix ans. Aujourd’hui, ils sont à 1,5 %. L’État a donc enlevé 10 milliards d’euros par an qui permettaient d’aider les Français à se loger. Il faut revenir sur cette décision extrêmement négative et transformer le système. Nous appelons aussi à construire 150 000 logements sociaux par an. Et à reprendre les conclusions de la Convention citoyenne pour le climat pour mettre en place une planification des rénovations énergétiques. Il convient aussi de mieux financer les bailleurs sociaux, de revaloriser les APL et d’harmoniser par le haut les minima sociaux, en plus de lutter contre le non-recours et de les ouvrir aux moins de 25 ans. Il y a 4 millions de mal- logés en France et 300 000 sans-domicile fixe. Il y a beaucoup de personnes ancrées dans la pauvreté qui n’ont aucune perspective d’en sortir et sont les oubliés du plan de relance du gouvernement. Nous alertons depuis des mois sur la bombe à retardement sociale qui explosera quand les prolongements des droits sociaux et les aides aux entreprises liées au Covid vont s’arrêter. Un autre choix politique fort serait de régulariser les personnes en situation irrégulière afin de mieux lutter contre la pauvreté.

Les inégalités s’installent dès la naissance. À gauche, des débats existent sur l’ampleur de la réforme fiscale à mener, sur la suppression ou non de l’héritage, sur l’instauration d’un revenu universel ou sur une échelle des salaires à fixer. Qu’en pensez-vous et que répondez-vous aux associations ?


 

Sandra Regol (EELV) - Nous soutenons les propositions qui viennent d’être faites. Les inégalités se structurent en effet dès la naissance. L’endroit où l’on met son enfant en maternelle détermine pour moitié son parcours social… Le travail à mener est donc énorme. D’autant que les inégalités se poursuivent jusqu’à la mort. Il y a ici clairement une réforme de l’héritage à bâtir, car ceux qui héritent plus de 10 000 euros sont la portion congrue. De moins en moins de personnes consomment de plus en plus de richesses et provoquent la majeure partie de la pollution, altérant la santé des plus précaires. Il faut donc instaurer une fiscalité repensée et plus progressive, en restaurant l’ISF et en taxant la pollution et les dérives sociales. On ne peut plus continuer à avoir une société dans laquelle les gens qui abîment ne sont pas ceux qui remboursent. Nous proposons aussi un revenu minimum garanti pour toute personne, quel que soit l’âge, qui serait calculé sur 60 % du revenu médian, afin d’en finir avec les minima sociaux inhumains. Ce serait une étape vers un revenu universel ne laissant personne sur le bas-côté. Enfin, nous voulons lutter contre la pauvreté à tous les niveaux, y compris celle de ceux à qui le gouvernement refuse jusqu’au droit de vivre sur notre sol au mépris des traités internationaux et de ce qui fonde notre citoyenneté française, à savoir les droits humains. Protéger les migrants, mettre à l’abri et soigner ceux qui sont à la rue, c’est un devoir moral, et c’est aussi le meilleur moyen de protéger l’ensemble de la population.

Adrien Quatennens (FI) - Quand monsieur Macron est arrivé au pouvoir, les 500 familles les plus riches de France possédaient 570 milliards d’euros de patrimoine. Elles en posséderont bientôt le double. Tel est le résultat de la politique du président des riches. Victor Hugo disait que « c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches ». C’est vrai, car quand Macron est arrivé au pouvoir, il y avait 9 millions de Français sous le seuil de pauvreté et il y en aura bientôt 12. La situation s’est encore aggravée avec la pandémie. Les milliardaires français ont accumulé 230 milliards d’euros de plus en l’espace d’un an, quand 45 % des Français ont vu leurs revenus chuter. Or, avec 230 milliards d’euros, vous embauchez au salaire moyen 4 à 5 millions de personnes pendant un an. Si ce surplus de profit avait été capté par l’impôt, il n’y aurait plus de déficit ni de l’État ni des organismes sociaux. Nous avons des lois d’urgence sanitaire et des lois d’urgence sécuritaire : il est temps de déclarer l’état d’urgence social en s’appuyant sur l’État. Nous voulons ici un blocage des prix des éléments indispensables à la vie. Nous voulons revaloriser le travail par l’augmentation du Smic net à 1 400 euros. Nous voulons la réquisition des 51 milliards d’euros de dividendes de cette année. Le mot d’ordre est simple : pas de profits sur la pandémie. Nous voulons la création de millions d’emplois pérennes avec le partage du temps de travail, la planification écologique et un système de garantie de l’emploi. Et nous devons tous faire en sorte que celles et ceux qui ont intérêt à ce que ça change arrêtent de penser que la fronde consiste à s’abstenir.

Ian Brossat (PCF) - Je me demande dans quelle situation serait notre pays s’il n’y avait pas cet engagement extraordinaire des associations. Cela met en lumière le désengagement de l’État. Ce qu’il faut mettre à l’ordre du jour, c’est le retour de l’État et des services publics partout sur le territoire. La pandémie a révélé les inégalités sociales, mais elle ne les a pas créées. Elles sont le fruit des politiques gouvernementales. Or, ce que des politiques ont fait, d’autres politiques peuvent le défaire. L’urgence est à redonner du pouvoir d’achat : plus aucun minimum social ne doit être en dessous du seuil de pauvreté, et le travail qui confère sa dignité à un individu doit être revalorisé. Cela passe par le Smic à 1 800 euros et une réforme fiscale pour aller chercher l’argent là où il est : du côté des grosses fortunes gavées par Macron depuis cinq ans et du côté de l’évasion fiscale. Nous proposons une COP fiscale pour porter cet enjeu au même niveau que la défense de notre environnement. Sur le logement, nous avons besoin d’une régulation beaucoup plus stricte du secteur privé en plus de la réquisition des bâtiments vacants. Il est honteux que des gens dorment dehors alors que des bâtiments restent vides. Le logement social doit être massivement développé, notamment dans ces zones de non-droit qui refusent d’appliquer la loi SRU. Il faut rendre inéligibles les maires concernés et créer une police du logement pour rompre avec l’impunité car, trop souvent, les règles ne sont pas respectées.

Du côté des associations, avez-vous l’impression d’être entendues ? Que retenez-vous de ces interventions des responsables politiques de gauche ?

Henriette Steinberg ( Secours Populaire) - Manifestement, des aspects nous sont communs. Mais, sur la mobilisation générale nécessaire pour que les jeunes aient une formation, un emploi et qu’ils puissent prévoir l’avenir, je ne crois pas avoir entendu ce que j’espérais.

Adrien Quatennens (FI) - Il s’agit bien sûr d’un sujet majeur. Quand la pauvreté s’étend, ce sont d’abord les jeunes qui en payent le prix. Macron a fait 38 milliards d’euros de cadeaux fiscaux aux plus riches, mais a aussi refusé l’extension du RSA pour les jeunes. C’est pourtant une question de survie, de dignité. Pour lutter contre la précarité – qui touche spécialement les jeunes – nous proposons d’instaurer non pas un bonus-malus sur les contrats courts qui pèserait sur le budget de l’assurance sociale, mais des quotas. Par exemple, pas plus de 10 % de CDD dans une PME, pas plus de 5 % de CDD dans une grande entreprise.

Florent Guéguen (Fédération des acteurs de la solidarité) - Une très forte convergence se dessine sur un certain nombre de propositions. Cela montre que, pour imposer la question sociale dans l’agenda politique, il faut faire front commun entre les partis, les syndicats et le secteur associatif. Parce qu’une bataille culturelle est à mener. Elle a été, malheureusement, en partie perdue par la gauche, mais une possible reconquête se joue dans les mois à venir. Je veux aussi aborder la question de la gouvernance car il faut rompre avec l’actuelle verticalité du pouvoir. J’ai enfin une légère frustration sur la situation des étrangers, je souhaiterais des engagements un peu plus fermes sur la régularisation. C’est un sujet difficile, y compris au sein de l’électorat populaire. Mais il faut l’assumer et convaincre.

Sandra Regol (EELV) - La justice sociale et environnementale ne se construira pas sans la jeunesse. Il faut des emplois aidés, l’extension des territoires zéro chômeur, la création de chèques santé et contraception, des aides au développement des entreprises et la rénovation des logements étudiants. Sur le logement, au lieu de densifier, il faut penser à récupérer les friches, les espaces commerciaux non exploités, valoriser la mixité et déconcentrer l’emploi. Sur la démocratie, redonner le pouvoir au peuple passe par sortir de l’hyperprésidentialisation. C’est une urgence, mais il faut penser plus loin, avec une chambre du futur pour se projeter. Sur les migrants, il faut des visas de travail pour permettre l’accueil dans des conditions correctes et surtout l’abrogation des Dublin, des Frontex, et de toutes ces lois iniques qui nous déshumanisent.

Manuel Domergue (Fondation Abbé-Pierre ) - Pendant la campagne, nous allons défendre l’interdiction des coupures d’électricité, au nombre de 300 000 chaque année. Ce sont des familles qui vivent dans le noir, qui ne peuvent pas recharger leurs téléphones, qui n’ont plus de frigo… C’est une sorte de peine de mort sociale. Sur le logement, beaucoup est à redistribuer au-delà du CAC 40 : les classes moyennes supérieures ont fait, parfois sans volonté particulière, d’énormes profits via la hausse des prix de l’immobilier. Il faut une redistribution au moment des successions.

Ian Brossat (PCF) - La jeunesse doit être une des priorités majeures. Et nous lui proposons un véritable pacte avec un revenu étudiant qui permette de ne plus être enfermé dans des logiques de survie. Au sujet de l’accueil : lorsqu’il a décidé de rendre possibles les contrôles d’identité dans les centres d’hébergement, un certain nombre de gestionnaires s’étaient indignés. Dans la foulée, l’État a fait en sorte que les nouveaux centres soient gérés non plus par ceux qui avaient protesté, mais uniquement par des gestionnaires le doigt sur la couture du pantalon. Il faut rompre avec ces pratiques. Nous sommes évidemment favorables à la régularisation des travailleurs sans papiers. Ce n’est pas simplement leur rendre service à eux, mais à l’ensemble du monde du travail parce qu’on en finit alors avec cette logique de dumping.

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