PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

octobre 2022

publié le 21 octobre 2022

La justice annule des arrêtés interdisant
les distributions
de repas et d’eau
aux personnes en exil

par collectif sur https://basta.media

« Une victoire pour la solidarité à Calais ». Treize associations saluent la décision de justice annulant des arrêtés qui « compliquaient considérablement la possibilité pour ces populations précaires d’accéder à des biens de première nécessité ».

Par une décision prise le 12 octobre, le tribunal administratif de Lille a annulé trois des arrêtés préfectoraux interdisant les distributions gratuites de repas et d’eau à certains endroits de Calais et de ses alentours. Il s’agit d’une victoire pour les actrices et acteurs solidaires des personnes en situation d’exil à la frontière franco-britannique.

Cette décision porte sur les arrêtés concernant la période du 1er octobre au 12 janvier 2020, qui ont été renouvelés quasiment tous les mois jusqu’en septembre 2022. « A travers eux, ce sont entre 300 et 1500 personnes en situation d’exil bloquées à la frontière qui sont ciblées au quotidien et parmi elles, des mineurs non accompagnés, des familles, des femmes seules et des hommes isolés en situation particulièrement précaires », réagissent dans un communiqué treize associations de solidarité dont le Calais Food Collective, l’Auberge des migrants ou encore la Cimade [1].

Selon le tribunal, les arrêtés n’ont pour seul effet que « de compliquer considérablement la possibilité pour ces populations précaires d’accéder à des biens de première nécessité »

Par sa décision, le tribunal administratif reconnaît que « les distributions assurées par l’État sont quantitativement insuffisantes » quel que soit le nombre de personnes dépendantes de ces distributions et que les arrêtés n’ont pour seul effet que « de compliquer considérablement la possibilité pour ces populations précaires d’accéder, à des distances raisonnables de leurs lieux de vies qui soient compatibles avec la précarité de leurs conditions, à des biens de première nécessité ».

L’entrave à la solidarité se poursuit sous d’autres formes

Ces arrêtés ne sont qu’un des nombreux outils utilisés par la préfecture pour entraver les activités des personnes solidaires à la frontière. Entre janvier et août 2022, le collectif Human Rights Observers a enregistré 215 formes d’intimidation de la part des autorités envers les personne qui viennent en aide aux exilé·es à Calais dont des contrôles d’identité, des fouilles de véhicules, des demandes d’arrêt de distribution pour la plupart justifiées par les arrêtés préfectoraux. Le Calais Food Collective dit avoir reçu plus de 1500 euros d’amendes sur leurs véhicules depuis 2022 à l’occasion de leurs activités de distribution d’eau et de nourriture des personnes dans le besoin.

« Cette victoire est très importante pour tout ce que ces arrêtés ont représenté à Calais : l’entrave à la solidarité, l’empêchement d’un accès minimal au droit et aux services de premières nécessités pour les personnes exilées et leur criminalisation et celle de leurs allié.e.s., jugent le groupe d’associations et de collectifs de solidarité. Nous demandons aux autorités de mettre en place des conditions d’accueil des personnes exilées dignes et humaines et nous continuerons à dénoncer la violence institutionnelle et les politiques de non-accueil à la frontière franco-britannique », ajoutent-elles.

Notes :

[1] Voici la liste complète des associations : Auberge des Migrants, Calais Food Collective, La Cimade, Collective Aid, Emmaüs France, Fondation Abbé Pierre, Human Rights Observers, Médecins du Monde, Refugee Women Center, Salam Nord/Pas-de-Calais, Secours Catholique Caritas France et Secours catholique - délégation du Pas-de-Calais, Utopia 56, Woodyard.

 

 

 

 

Migrants : aides alimentaires
enfin autorisées à Calais

Camille Bauer sur www.humanite.fr

En matière de politique migratoire, les bonnes nouvelles sont suffisamment rares pour être relevées. Le 12 octobre, la justice a annulé les arrêtés préfectoraux de 2020 et 2021 interdisant les distributions gratuites de boissons et denrées alimentaires en certains lieux du centre-ville de Calais. Le tribunal administratif de Lille a notamment estimé que « l’arrêté litigieux porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine garanti par le préambule de la Constitution et par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». En réinstallant mi-août 2022 cette interdiction, le préfet du Pas-de-Calais avait, lui, invoqué « les risques de troubles à l’ordre public ».

Tout en saluant cette annulation, Juliette Delaplace, qui travaille auprès des migrants à Calais pour Caritas, rappelle non sans amertume qu’il aura quand même fallu « une bagarre juridique de deux ans pour pouvoir donner à boire et à manger à des personnes à la rue ».

 

publié le 21 octobre 2022

À l’austérité macroniste,
la Nupes oppose
son contre-budget

Emilio Meslet et Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Assemblée Après avoir déposé une motion de censure contre l’exécutif, les députés de gauche ont présenté leurs priorités budgétaires. Un autre projet de société que la réduction des déficits qui s’articule sur trois axes : justice sociale, justice climatique et justice fiscale.

Ils n’ont même pas eu le luxe de rejeter en bonne et due forme le budget 2023 présenté par l’exécutif. L’usage de l’article 49-3 les en a empêchés, de même qu’il les a privés de la possibilité de défendre l’ensemble de leurs amendements dans l’Hémicycle. Les députés de la Nupes ont donc présenté, jeudi, à la presse, leur budget alternatif commun pour la France. Celui qu’ils opposent à l’austérité macroniste, dont le seul objectif est de réduire le déficit. Un contre-budget, qui intègre aussi celui de la Sécurité sociale (lire ci-contre), pour « répondre à l’urgence et anticiper les crises », assure l’écologiste Sophie Taillé-Polian.

« Nous proposons de partir des besoins de la population, explique Éric Coquerel, président FI de la commission des Finances. On a besoin de tant de milliards d’euros pour la transition écologique, la relocalisation, l’emploi. Ensuite, on va chercher l’argent pour répondre à ces besoins, là où il est parti depuis trente ans : dans les revenus du capital. » Décryptage des 94 milliards d’euros de dépenses et des 135 milliards d’euros de recettes proposés par la Nupes.

1. Partager les richesses plutôt que faire la chasse aux pauvres

C’est un véritable « choc de solidarité », pour reprendre les mots du socialiste Jérôme Guedj, que veulent les quatre groupes de la Nupes. Première mesure et non des moindres : l’augmentation du Smic à 1 500 euros net et la revalorisation de 150 euros en moyenne, dès 2023, des salaires des fonctionnaires des catégories B et C. Coût de l’opération : 13,3 milliards d’euros. Mais, pour répondre aux urgences sociales, alors que la France compte 10 millions de pauvres et que l’inflation frappe, ce contre-budget prévoit aussi l’instauration d’une « garantie dignité » qui porterait les minima sociaux à 1 060 euros pour une personne seule. À laquelle s’ajoute l’instauration progressive d’une allocation d’autonomie pour les jeunes de 1 102 euros par mois, chiffrée à 7 milliards d’euros.

La gauche n’oublie pas pour autant « le réarmement des services publics ». Il s’agit d’abord de soutenir les communes, qui sont « la base de notre République et qui lui permettent de faire sens », insiste Nicolas Sansu (PCF), en réindexant les dotations globales de fonctionnement sur l’inflation (1,2 milliard pour 2023). Une façon de leur « permettre de développer les services publics et l’emploi dans les territoires ». Ce budget ­alternatif mise aussi sur des plans d’investissements massifs : avec 10 milliards par an, dédiés aux dépenses de fonctionnement afin de « reconstruire l’hôpital public », couplés à la prise en charge à 100 % des frais de santé (12,2 milliards), sans oublier 2,9 milliards consacrés à la justice, ou encore la recréation immédiate des 10 000 postes supprimés à l’école, depuis 2017, avec l’objectif d’aboutir à 150 000 enseignants supplémentaires en cinq ans.

2. « Résorber la dette écologique » plutôt que les déficits budgétaires

Pour résoudre la crise environnementale, il y a ceux qui proposent des cols roulés et ceux qui proposent des milliards. Les députés de gauche appartiennent à la seconde catégorie. Le document fourni par la Nupes appelle à une « bifurcation écologique » pour « résorber la seule dette qui compte : la dette écologique ». Le premier chantier que la gauche entend lancer est celui de la lutte contre les passoires thermiques, avec 9 milliards d’euros par an consacrés à la rénovation énergétique des bâtiments « pour que les plus modestes n’aient plus aucun reste à charge », d’après Sophie Taillé-Polian. À cela s’ajoutent 3,5 milliards pour un plan d’adaptation au réchauffement climatique des équipements (ponts, canalisations…) ainsi que 8,5 milliards pour le développement du ferroviaire et des transports en commun. Cette « bifurcation écologique », c’est aussi une baisse de TVA sur les produits de première nécessité, le bio ou les transports, mais aussi des conditionnalités écologiques et sociales associées aux aides publiques à destination des entreprises.

Côté recettes, « l’impôt sur la fortune (ISF) doit être rétabli dans une version moderne : l’ISF climatique, qui prend en compte l’empreinte carbone du capital des plus riches », rapporte Sophie Taillé-Polian. Une mesure qui rapporterait 15 milliards d’euros. Par ailleurs, la Nupes veut aller chercher 6,9 milliards en supprimant les « niches brunes », soit les aides fiscales aux activités polluantes. « Comme la niche fiscale sur le kérosène aérien qui représente 3,6 milliards d’euros », ajoute l’insoumise Alma Dufour.

3. Taxer le capital plutôt que faire des cadeaux aux riches

Ce budget est « à l’équilibre », selon le socialiste Philippe Brun, « car nous sommes attachés à notre crédibilité ». Au total, la gauche espère récupérer 135 milliards d’euros, en 2023, dont 40 milliards d’excédents budgétaires pour financer l’investissement. « Dix points de PIB sont passés du travail au capital depuis les années 1980, rappelle Nicolas Sansu. Les entreprises doivent à nouveau participer à l’effort de la nation. » Pour ce faire, la Nupes se dote de trois leviers : une taxe sur les superprofits jusqu’en 2024 (10 milliards), l’imposition universelle des entreprises (25 milliards) et la lutte contre la fraude fiscale (10,4 milliards en 2023, jusqu’à 26 milliards en 2027).

« Nous allons chercher l’argent là où il se trouve, dans les dividendes qui ne sont pas réinvestis par la suite », insiste Éric Coquerel. Cela passe notamment par la restauration de l’ISF, qui rapporterait trois fois plus que lors de sa suppression en 2017. Mais aussi par une refonte de la fiscalité de l’héritage, en introduisant une plus grande progressivité allant jusqu’à une légation maximum de 12 millions d’euros. La mesure générerait 17 milliards par an. Enfin, la Nupes veut récupérer 5 milliards en rendant l’impôt sur le revenu plus progressif, avec 14 tranches, couplé à la refonte de la CSG. Des mesures qui font sens à l’heure où l’exécutif passe en force sur un budget « qui mise sur l’inflation » et les hausses de recettes liées à la TVA, pour « baisser l’imposition des entreprises et (financer) sa politique en faveur des plus riches », selon Sophie Taillé-Polian.

 publié le 20 octobre 2022

« La France doit
sortir du Traité
sur la charte de l'énergie »

Tribune collective publié sur www.politis.fr

Politis publie une lettre aux membres du gouvernement endossée par les organisations de la société civile. Elles demandent à la France de se retirer, comme l'Espagne, du traité entré en vigueur en 1988, jugé nocif, et de voter contre sa version rénovée, à quelques semaines du début de la COP27.

Le gouvernement français va devoir se prononcer d'ici à mi-novembre sur le maintien de la France au sein du très décrié Traité sur la charte de l'énergie, ce Traité nocif qui retarde, renchérit ou bloque la transition énergétique.

Alors que le Haut conseil pour le climat vient de publier un avis qui recommande « un retrait coordonné du TCE et par la France et les Etats-membres de l'UE », que l'Espagne, les Pays-Bas et la Pologne ont annoncé s'en retirer – après l'Italie dès 2015 – et que la France est désormais poursuivie par un investisseur allemand au titre du TCE, plus d'une trentaine d'organisations de la société civile écrivent à plusieurs ministres du gouvernement pour les appeler à ce que la France se retire au plus vite du Traité sur la charte de l'énergie et vote contre le projet de TCE rénové lors du prochain vote du Conseil des ministres de l'UE.

À quelques semaines de la COP27 sur le climat (6 novembre-18 novembre), et alors que le GIEC a mis à l'index le TCE comme un frein aux politiques climatiques ambitieuses, les organisations invitent également toutes celles et ceux qui le souhaitent à se joindre à cette action en envoyant la même lettre par cet outil électronique.


« La France doit sortir du Traité sur la charte de l'énergie »

Le 19 octobre 2022

Destinataires :

  • Bruno Le Maire, Ministre de l'économie et des finances

  • Christophe Béchu, Ministre de la transition écologique

  • Agnès Pannier-Runacher, Ministre de la transition énergétique

  • Olivier Becht, Ministre délégué au commerce extérieur

  • Laurence Boone, secrétaire d'Etat chargée de l'Europe

A l'heure où la catastrophe climatique s'aggrave, les tensions géopolitiques s'accentuent et les prix de l'énergie s'envolent, comment la France pourrait-elle rester membre d'un traité, le Traité sur la charte de l'énergie, qui retarde, renchérit ou bloque la transition énergétique d'ampleur dont le besoin et l'urgence se font sentir de toute part ?

Comment accepter de rester membre d'un traité qui permet à des industriels de poursuivre des États pour leurs politiques de fermeture de centrales au charbon (Pays-Bas), d'interdiction de forages pétroliers (Italie), de restriction sur l'utilisation des techniques d'exploitation les plus néfastes (Slovénie), ou d'adaptation des mesures de soutien aux énergies renouvelables (Espagne, France) (1) ?

Cela fait désormais de nombreuses années que nos organisations alertent quant aux dangers que représente le Traité sur la charte de l'énergie (2), et plus d'un million de personnes en Europe ont signé une pétition pour demander l'UE et les États-membres à se retirer du TCE (3). Après avoir été menacée de poursuites au moment de l'examen de la Loi Hulot sur les hydrocarbures, au point que celle-ci soit édulcorée, la France est désormais poursuivie par un investisseur allemand suite à la révision à la baisse des tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque, décidée en 2020 (4).

La France va-t-elle rester sans réagir face à ce traité nocif tant pour la transition énergétique que pour la capacité des pouvoirs publics de réguler finement le secteur ? Nos organisations invitent toutes celles et ceux que ce Traité révolte à nous rejoindre (https://s.42l.fr/Exit-TCE-Maintenant) pour appeler solennellement le gouvernement français à ce que la France :

  • se retire du Traité sur la Charte de l'énergie

  • vote contre le projet de nouveau Traité sur la charte de l'énergie lors du prochain vote du Conseil des ministres de l'UE

  • intervienne pour empêcher l'intégration d'autres pays du Sud à ce Traité nocif

Signé en 1994 et entré en vigueur en 1998, le TCE est un vestige du passé : il visait à encourager et à protéger les investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur de l'énergie, en particulier dans les pays de l'ex-Union soviétique. Trente ans plus tard, cela n'a plus aucun sens : alors que l'urgence climatique impose une fermeture accélérée d'un certain nombre d'infrastructures fossiles existantes et une régulation fine du secteur de l'énergie, le TCE fragilise considérablement la capacité des pouvoirs publics à assurer à la fois la sécurité énergétique et climatique des populations.

Les principes qui fondent le TCE (protection des investisseurs, non-prise en compte des enjeux climatiques, etc) ne tiennent aucun compte des immenses défis climatiques et énergétiques auxquels nous sommes confrontés.

Face aux critiques, l'Union européenne a consenti à accepter un processus de modernisation du TCE. Après plusieurs années de négociations, loin de régler les problèmes soulevés, ce traité modernisé prévoit de prolonger la protection des investissements dans les énergies fossiles sur une trop longue période, ainsi que d’étendre la protection des investisseurs à de nouveaux investissements dans l’énergie (captage et stockage du carbone, biomasse, hydrogène, combustibles synthétiques, etc.), et donc, les risques de litiges.

Alors que ces nouvelles dispositions pourraient être entérinées d'ici mi-novembre par le Conseil de l’UE, puis lors d’une conférence des États-membres du TCE le 22 novembre prochain, il est plus que nécessaire que le gouvernement français annonce voter contre ce nouveau TCE et, en suivant l'exemple d'autres pays européens tels que l'Espagne, se retire du TCE.

Veuillez recevoir l'expression de nos plus sincères salutations.

Organisations signataires :

350.org, Alternatiba, Attac France, Bloom, CADTM France, CCFD-Terre Solidaire, Comité Pauvreté et Politique, Confédération Paysanne, Droit Au Logement, Emmaüs International, Energie de Nantes, Escape-jobs, France Nature Environnement, GAFE-FRANCE, Générations Futures, GERES, Greenpeace, Institut Veblen, LDH (Ligue des droits de l'Homme), Les Amis du Monde Diplomatique, Makesense, Notre Affaire A Tous, Reclaim Finance, Réseau Roosevelt IDF, Sherpa, Pour un réveil écologique, Union syndicale Solidaires, Unis Pour Le Climat et la biodiversité, Youth For Climate, Pour un réveil écologique,


 

  1. Voir ces liens pour avoir plus de détails sur le cas des Pays-Bas, de l'Italie, de la Slovénie.

  2. 280 organisations appellent les États de l’UE à sortir du Traité sur la charte de l’énergie, décembre 2019.

  3. Pétition « Sortez du TCE maintenant » signée par plus d'un million de personnes en Europe.

  4. Voir ces liens sur les pressions de l'entreprise canadienne Vermilion sur la Loi Hulot et sur les poursuites par un investisseur allemand contre la France



 

 

 

Les Pays-Bas
annoncent à leur tour
leur retrait du traité
sur la charte de l’énergie

Marion d'Allard sur www.humanite.fr

Les Pays-Bas viennent d’annoncer leur retrait du TCE, qui offre aux géants des énergies fossiles la possibilité de se retourner contre des États si ces derniers optent pour des politiques contraires à leurs intérêts. Une victoire pour le climat.

Rotterdam (Pays-Bas). En 2019, l’entreprise allemande Uniper avait attaqué le pays, s’estimant lésée par la fermeture programmée des centrales à charbon d’ici à 2030. T

Après l’Espagne il y a quelques jours et avant la Pologne, les Pays-Bas viennent d’annoncer, par la voix du ministre néerlandais de l’Environnement, la sortie du pays du traité sur la charte de l’énergie (TCE). Ce texte, a simplement déclaré Rob Jetten, « ne peut pas être concilié avec l’accord de Paris ».

Une victoire pour la société civile et les défenseurs de l’environnement, un pas de plus vers l’abandon de ce texte d’un autre âge qui offre aux géants des énergies fossiles une arme juridique puissante pour protéger leurs intérêts privés au détriment de l’intérêt général et de la lutte contre le réchauffement climatique.

Un tribunal d’arbitrage

Pour comprendre de quoi il est question, il faut remonter au mitan des années 1990. En 1994 précisément, lorsque, à peine sortie de la guerre froide, l’Europe, craignant pour ses approvisionnements en pétrole et en gaz, va créer un arsenal légal visant à une « intégration harmonieuse » des marchés de l’énergie entre l’Union européenne et l’ex-bloc soviétique.

Entré en vigueur en 1998, le TCE est à ce jour signé par 53 pays dont l’ensemble de l’Union européenne (à l’exception de l’Italie), les anciens États soviétiques, le Yémen, le Japon ou encore l’Afghanistan. Contraignant, cet accord comprend, entre autres leviers, la possibilité offerte à une entreprise énergétique de se tourner vers un tribunal d’arbitrage – une justice privée parallèle – et d’attaquer un État qui viendrait à prendre des mesures susceptibles d’affecter la rentabilité de ses investissements. Une aubaine pour les géants des énergies fossiles qui trouvent là le moyen de poursuivre leurs activités climaticides.

L’Europe sort peu à peu de sa cécité

En 2020, relevait Attac, 131 cas de litige opposant des sociétés privées à des États au nom du TCE étaient ainsi recensés, « dont 67 % portant sur des cas intra-UE ». Parmi eux, l’entreprise allemande Uniper qui, en 2019, a attaqué les Pays-Bas s’estimant lésée par la fermeture programmée des centrales à charbon d’ici à 2030. Trois ans auparavant, l’Italie, sortie du TCE en 2016, en avait également fait les frais, condamnée à verser 180 millions d’euros à la compagnie britannique Rockhopper à la suite d’un moratoire décrété sur les forages offshore. Et la France n’est pas épargnée. Pour la première fois de son histoire, Paris est mis devant un tribunal d’arbitrage au nom du TCE par la firme allemande Encavis AG pour avoir modifié les tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque.

Face à l’incompatibilité notoire du TCE avec le vote et l’application de politiques énergétiques qui répondent enfin au défi climatique, un vaste chantier de « modernisation » du traité a été lancé il y a quatre ans. Trop lentes, trop peu ambitieuses, les discussions patinent et l’Europe sort peu à peu de sa cécité. C’est dans ce contexte que le retrait des Pays-Bas accentue encore la pression sur la France. Alors que le vote solennel sur la nouvelle mouture du TCE doit avoir lieu le 22 novembre, en Mongolie, les États ont jusqu’à fin octobre pour déterminer leur position. L’occasion pour Emmanuel Macron de poser des actes sur ses grands discours.

publié le 20 octobre 2022

Israël / Territoires palestiniens occupés : traitements inhumains
contre Salah Hamouri

Communiqué commun sur https://www.ldh-france.org

L’avocat franco-palestinien et chercheur pour l’ONG Adameer, Salah Hamouri, placé en détention administrative, a été mis à l’isolement le mercredi 28 septembre 2022, après avoir démarré une grève de la faim. L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (FIDH-OMCT) et la LDH (Ligue des droits de l’Homme) exhortent les autorités israéliennes à libérer sans condition M. Salah Hamouri.

Depuis le 10 mars 2022, Salah Hamouri est en détention administrative dans la prison de haute sécurité de Hadarim, en Israël. Il a été arrêté sans inculpations ni procès, sur la seule base d’un dossier déclaré secret que son avocat ne peut consulter, rendant ainsi sa détention illégale au regard du droit international.

Le dimanche 25 septembre 2022, 30 prisonniers, dont Salah Hamouri, ont entamé une grève de la faim pour protester contre la détention administrative qui leur est infligée ainsi qu’à 740 autres prisonnières et prisonniers palestinien.nes. En réponse à cette action, les autorités ont placé M. Hamouri à l’isolement le 28 septembre 2022. Les prisonniers doivent par ailleurs payer des amendes pour chaque jour de leur grève de la faim. Le 9 octobre 2022, 20 autres prisonniers ont rejoint la grève.

Ces mesures punitives constituent une violation de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En effet, M. Hamouri a été placé dans une cellule de 3m2 sans fenêtres ni aération. Il n’a pas de droit de visite, de cantine et ne peut changer de vêtements. Le 2 octobre 2022, un avocat a rendu visite à M. Hamouri et a pu rendre compte de ces conditions de détention inhumaines. Sa santé s’est détériorée et il a besoin de soins médicaux quotidiens mais refuse d’être examiné par les médecins des prisons israéliennes, celles-ci négligeant délibérément les détenu-e-s palestinien-ne-s. Il souffre de douleurs musculaires, de vertiges, de maux de tête, d’insomnies et a perdu environ 7kg. M. Hamouri est privé de temps en plein air et n’a pas vu la lumière du jour depuis sa mise à l’isolement. 

Voici maintenant plusieurs années que M. Hamouri fait l’objet d’une répression continue exercée par les forces d’occupation israéliennes, en raison de son rôle actif dans la défense des droits humains. Au total, Salah Hamouri a passé neuf ans dans les prisons israéliennes, réparties en six épisodes de détention. Accusé en octobre 2021 de déloyauté envers l’État d’Israël, sa carte d’identité jérusalémite lui a été retirée et des tentatives pour l’expulser vers la France sont encore en cours. Il est prévu que la Cour suprême israélienne statue sur le retrait de la carte d’identité de Salah Hamouri en février 2023.

Les organisations rappellent qu’à ce jour, le gouvernement français n’a pas demandé la libération de M. Hamouri, bien qu’il ait été placé à l’isolement il y a quelques mois suite à une lettre envoyée au président français, Emmanuel Macron, lui demandant d’exiger sa libération.

Nous alertons sur le caractère inhumain du traitement réservé à M. Salah Hamouri et condamnons fermement ces mesures abusives et arbitraires. Les persécutions à son encontre semblent avoir pour unique but de le punir en raison de ses activités légitimes de défense des droits humains, notamment en faveur des prisonnier-ères politiques palestinien.nes. 

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains et la LDH appellent les autorités israéliennes à libérer immédiatement Salah Hamouri et à mettre fin à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à son encontre. Les deux organisations appellent par ailleurs les autorités françaises à exiger la libération immédiate de M. Hamouri.

Paris–Genève, le 12 octobre 2022


 

publié le 19 octobre 2022

Toujours plus mobilisés pour l’augmentation générale des salaires et pensions - Communiqué de la CGT

sur www.cgt.fr

Ce 18 octobre 2022, journée de mobilisation interprofessionnelle unitaire, pour l’augmentation des salaires, des pensions et minima sociaux, pour la défense de nos retraites et du droit grève, près de 180 manifestations de proximité ont permis à 300 000 personnes de se rassembler, partout en France. 450 à Gap, 2500 à Pau, 7000 à Bordeaux, 10 000 au Havre, 70 000 à Paris.

Dans les suites de la journée du 29 septembre, les salariés des raffineries ont décidé de la poursuite de leur mouvement face aux propositions insuffisantes de leur direction.

Leur haut niveau de mobilisation a contraint le gouvernement à recourir à des réquisitions absolument inacceptables portant atteinte au droit constitutionnel de grève. Les ministres comme les médias ont tenté en vain de discréditer ces grèves plus que légitimes. Les salariés ont donc aussi manifesté, ce jour, pour défendre le droit de grève de toutes et tous.

La question centrale, remise au cœur du débat par la CGT depuis des mois, l’augmentation générale des salaires, a donc mobilisé de nombreux salariés, issus de secteurs très différents : livreurs chez Amazon, aides à domicile en ADMR, ouvriers chez Nestlé Purina, agente clientèle à la SNCF, décoratrice au théâtre d’Annecy…

Leur point commun, c’est leur détermination à être entendu par le gouvernement et le patronat pour imposer un autre partage des richesses créées par leur travail. Leur message est clair : il faut arrêter d’enrichir le capital au détriment des salariés qui, eux, portent l’économie du pays.

Cela s’est vérifié avec des taux forts de grève, comme 95% chez VISKSE à Compiègne, 97% chez MAGNETI MARELLI, à Argentan, la fermeture de tous les accueils CAF en Haute-Garonne ou bien encore 60% de grévistes dans les lycées professionnels et bien d’autres.

Si les premières victoires nous remontent – avec, par exemple, les 50% de grévistes des transports Breger à Laval qui, dès leur premier jour de grève, ont obtenu une augmentation générale de 6,9% – nous devons enfoncer le clou pour mobiliser et gagner partout.

En effet, nos salaires, pensions et allocations ne suffisent plus, aujourd’hui, pour faire face aux différentes hausses : +8% dans l’alimentaire, +15% pour les transports et +22% pour l’énergie.

Pour faire face à nos besoins immédiats mais aussi pour financer nos retraites ou notre système de protection sociale, c’est bien le niveau de nos salaires qui compte.

À l’heure où les premières factures d’électricité vont arriver, la précarité gagne du terrain. L’urgence sociale ne semble pas être le logiciel de la majorité qui préfère durcir les conditions d’accès à l’assurance-chômage et refuse de taxer les super-profits.

Les solutions immédiates passent par l’augmentation générale des salaires, pensions et minima sociaux. Cela passe par la revalorisation immédiate du Smic à 2000 euros brut, la remise en place d’une échelle mobile des salaires et, a minima, une indexation des salaires et pensions sur l’inflation.

La CGT continue sans attendre à travailler au rassemblement de tous les travailleurs et travailleuses, pour donner des suites rapides à cette mobilisation d’ampleur et décider, avec eux, des modalités d’action à venir. Il est de notre responsabilité de gagner pour toutes et tous des augmentations générales de salaire conséquentes.

 

 

Solidarité financière
avec les salariés mobilisés

 

La CGT apporte sa solidarité financière aux salariés mobilisés via son fonds de solidarité aux luttes.

 

Nombreux sont celles et ceux qui expriment leurs soutiens et leurs encouragements aux salariés en lutte et qui souhaitent participer, avec leurs moyens, à la solidarité financière mise en place par la CGT. 

Les dons sont à adresser à :

  • Par chèque :

Confédération générale du travail
"Solidarité CGT Luttes 2022"

Service comptabilité
263, rue de Paris
93100 Montreuil

Les chèques sont à libeller à l’ordre suivant : « solidarité financière CGT »


 

  • Par virement bancaire :

RIB en téléchargement sur https://www.cgt.fr/sites/default/files/2022-10/RIB%20SOLIDARITE%20%20FINANCIERE%20CGT_0.PDF

publié le 19 octobre 2022

Dans l’agroalimentaire,
la mobilisation
porte ses fruits

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Salaires En ce mardi de manifestations, la CGT a mis en avant trois luttes victorieuses récentes dans le secteur, qui ont permis chacune des hausses de rémunération.

En préambule, Maryse Treton, secrétaire de la fédération nationale agroalimentaire et forestière (Fnaf) de la CGT, précise bien que « ce n’est pas parce qu’ils ont obtenu des avancées salariales significatives que les travailleurs ne sont pas en grève, ce mardi, pour les salaires et le respect du droit de grève ». Elle rappelle aussi que les salariés du secteur ont travaillé très dur pendant les périodes de confinement. En tout cas, que ce soit chez Tereos, Marie Surgelés ou sur le site de Lactalis à Lons-le-Saunier (Jura), ces militants sont bien la preuve que la lutte pour les salaires paie.

Dans les sucreries, cela a commencé dès mars. La direction de Tereos proposait unilatéralement 3,2 % d’augmentation. Clairement insuffisant pour ces salariés à faibles revenus. « La CGT et la CFDT sont allées dans 9 usines organiser une importante consultation auprès des salariés, explique Maryse Treton. Le ton est monté à l’été quand il y a eu l’annonce de la suppression d’un emploi. Les syndicats ont menacé de faire grève, alors que la campagne sucrière allait débuter. » Non seulement les salariés ont obtenu le maintien dans l’emploi, mais aussi une augmentation de 70 euros par mois, en plus des 3,2 % promis par la direction. Pour les plus bas salaires, cela représente une hausse de 7,7 % et de 6,5 % pour les techniciens et agents de maîtrise. « Cette victoire a permis le renforcement de la CGT, il y a eu une bonne soixantaine de nouvelles adhésions dans les sucreries », se réjouit la cégétiste.

augmentations, embauches...

La lutte chez Lactalis devrait permettre aussi à la CGT de devenir représentative aux prochaines élections du personnel. « Suite à la bataille sur le site de Lons-le-Saunier, où il n’y avait pas eu de grève depuis quarante ans, notre jeune équipe de militants reçoit des appels de salariés du groupe pour adhérer quasiment tous les jours », assure Maryse Treton. C’est qu’ils n’ont pas plié, malgré une direction qui persistait à les renvoyer dans le mur : les négociations salariales se font à l’échelle du groupe, pas des sites. Leur grève, qui s’est achevée le 11 octobre, a finalement poussé le directeur général à venir discuter à Lons-le-Saunier, et ils ont obtenu 7,2 % d’augmentation contre les 5,2 négociés à l’échelle du groupe. Lactalis a tout de même accumulé près de 500 millions d’euros de bénéfice net en 2021, et la famille de son PDG, le multimilliardaire Emmanuel Besnier, dispose de la neuvième fortune française.

Le groupe Marie va très bien aussi et a enregistré, sur 2022, une hausse de 10 % de ses ventes sur la quasi-totalité des catégories sur lesquelles elle opère (plats cuisinés, snacking…). Demandant leur part du gâteau, les salariés de la branche Surgelés de Mirebeau (86) et d’Airvault (79) se sont mis en grève du 26 au 30 septembre à l’appel de la CGT. Ils ont obtenu 6,9 % d’augmentation, mais aussi 8 embauches en CDI et une modification substantielle de l’organisation du travail, leur permettant de ne plus travailler qu’un samedi par mois, au lieu de trois, sans perte de salaire. « Les entreprises du secteur ont aussi largement profité de la crise, avec les luttes, les salariés qui ont travaillé comme des damnés en prennent conscience, assure Maryse Treton. C’est aussi pourquoi nous avons réalisé plusieurs centaines d’adhésions sur la période.  »

publié le 18 octobre 2022

Frontex,
l’impunité va-t-elle cesser ?

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Migrations Les députés européens se prononcent, ce mardi, sur le budget alloué à l’agence, accusée de graves violations des droits des exilés.

Ce mardi 18 octobre, le Parlement européen doit voter la décharge du budget 2020 de l’agence la plus financée de l’Union européenne – avec un budget de 754 millions d’euros –, en 2022 : Frontex. En mai dernier, les députés européens avaient suspendu cette certification des comptes de l’agence de gardes-frontières européens, s’appuyant alors sur un rapport de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf). Le texte accusait Frontex de « faute grave », de « manque d’obligation fiduciaire » et de « défaillance du leadership. » D’abord classée confidentielle, l’enquête a été rendue publique le 13 octobre par plusieurs organes de presse allemands, belges et français : 120 pages révélant une multitude de violations des droits des exilés en mer Égée. Le rapport de l’Olaf compile des témoignages semblables à ceux que nous publiions dans nos colonnes, dès 2015, lors de reportages sur l’île de Lesbos et à Athènes, mettant en cause l’agence de surveillance des frontières européennes dans des refoulements illégaux et systématiques de femmes, d’hommes et d’enfants venus chercher refuge en Europe à bord d’embarcations de fortune. Certains de ces refoulements ayant même pu être à l’origine de naufrages mortels.

Une enquête ouverte par la commission parlementaire des libertés civiles

Ces révélations ont d’ores et déjà conduit à la démission de l’ancien directeur exécutif de Frontex, Fabrice Leggeri. L’homme aurait sciemment demandé à ses agents de passer sous silence plusieurs observations d’actions illégales commises par les gardes-côtes helléniques. Le rapport de l’Olaf pointe notamment des échanges sur WhatsApp entre responsables de l’agence, qualifiant les membres du bureau des droits fondamentaux de Frontex de « gauchistes » faisant régner une « dictature intellectuelle » assimilée à la « terreur khmère rouge ».

Une enquête a été ouverte par la commission parlementaire des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, et la commission du contrôle budgétaire a recommandé, au début du mois, de refuser la certification des comptes 2020 de l’agence. Les députés de la Gauche européenne (GUE/NGL) ont d’ailleurs fait savoir qu’ils ne voteraient pas la décharge budgétaire. « (C’est) la seule position plausible pour quiconque prend les droits de l’homme au sérieux », a déclaré, Cornelia Ernst, députée allemande du parti Die Linke. « Le Parlement européen ne doit pas devenir le complice d’une agence complètement hors de contrôle depuis des années. »

publié le 18 octobre 2022

L’économie morale
de la grève

Didier Fassin Anthropologue, Professeur au Collège de France et à l’Institute for Advanced Study de Princeton sur https://www.alternatives-economiques.fr

Il y a un demi-siècle, l’historien britannique Edward Palmer Thompson publiait un article intitulé « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century » qui bouleversa la manière dont on pensait les luttes sociales. Analysant les soulèvements populaires dans l’Angleterre du XVIIIe siècle lors de hausses des prix, il y récusait les explications simplistes qui les réduisaient à des émeutes de la faim liées à des conjonctures économiques difficiles.

Rejetant ces interprétations mécaniques, voire biologiques, il soulignait que ces actions, parfois violentes, répondaient aux pratiques spéculatives des fermiers qui raréfiaient les céréales sur les marchés pour en faire monter les prix. Les pauvres qui se révoltaient ne demandaient pas seulement du pain, ils voulaient plus de justice.

Leurs protestations trouvaient leur légitimité dans ce qu’ils considéraient comme une rupture du contrat social selon lequel il était intolérable que certains s’enrichissent aux dépens des plus vulnérables dont ils rendaient les conditions de vie plus dures. C’est ce qui explique que la population soutenait souvent ces insurrections.

Alors que monte le mécontentement en France, que des journées de mobilisation se préparent et que des grèves se développent dans différents secteurs d’activité, les gouvernants et les commentateurs gagneraient à se souvenir de cette analyse. Au cours des deux derniers trimestres, le pouvoir d’achat moyen a successivement baissé de 1,8 % et 1,2 %, selon l’Insee.

Dans un contexte de forte inflation, dont la stabilisation autour de 6 % grâce au bouclier tarifaire n’a guère de chances de se maintenir une fois qu’il sera supprimé, les augmentations moyennes du salaire de base ont été de 3 % cette année, ne rattrapant donc que la moitié de la hausse des prix.

Parallèlement, la fortune des plus riches, qui avait déjà bénéficié de l’épreuve de la pandémie, a continué de progresser à un rythme rapide, alors que les plus précaires voyaient leur quotidien se dégrader. Les réactions à cette situation mêlent inquiétude face à un niveau de vie de plus en plus menacé par le coût de l’énergie et indignation face au creusement des inégalités.

Sentiment d’injustice

L’interruption du travail dans les raffineries est significative de cette conjonction. Pendant que TotalEnergies redistribue à ses actionnaires, au premier rang desquels BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, une part de ses bénéfices – les plus importants jamais réalisés par une entreprise française –, les salariés ont vu leurs demandes d’augmentation de leurs rémunérations refusées dans un premier temps par le groupe.

On ne saurait pourtant résumer le soutien massif des ouvriers des raffineries à la grève à la seule question de leur pouvoir d’achat entamé par l’inflation, car il se nourrit aussi de la colère suscitée par le déséquilibre entre les rétributions du capital et du travail. C’est le sentiment d’une profonde injustice qui anime les salariés des groupes pétroliers, conscients que les gains produits par leur labeur sont reversés aux investisseurs, à hauteur de 2,6 milliards au premier semestre de 2022. Pour eux, c’est le contrat social qui est rompu par les excès d’un capitalisme financiarisé.

Cette injustice, beaucoup la ressentent dans le pays. Alors que la pénurie de carburants pénalise les deux tiers de la population et qu’une partie des médias s’évertue à discréditer le mouvement en parlant de la gêne pour les automobilistes plutôt que des droits des ouvriers, la proportion des personnes affirmant soutenir les grévistes ou ressentir de la sympathie à leur égard est supérieure à celle des personnes se déclarant opposés voire hostiles. Au total, la moitié des personnes interrogées continuent de vouloir protéger le droit de grève contre les réquisitions.

Certains journalistes mettent en avant le fait que ces chiffres sont inférieurs à ceux observés lors de mobilisations précédentes, par exemple celle du personnel des urgences hospitalières. Mais les personnels grévistes assuraient alors les soins en manifestant leur protestation par le port de brassards, l’accrochage de banderoles et la distribution de tracts. Cette fois, le blocage des pompes à essence a des conséquences sur la vie des usagers, ce qui le rend plus impopulaire.

Droits et dignité

Un fait saillant de la brève histoire du mouvement social actuel a été l’annonce par la direction du groupe TotalEnergies que les opérateurs de raffinerie avaient une rémunération mensuelle de 5 000 euros, en espérant ainsi disqualifier leurs revendications. Cette annonce est toutefois apparue à beaucoup trompeuse et révélatrice.

Trompeuse, car le salaire brut en début de carrière est de 2 200 euros, à quoi s’ajoute une prime de 540 euros liée à l’activité permanente en rotation 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. La somme rendue publique par la direction de TotalEnergies correspondait ainsi à une minorité d’opérateurs expérimentés de plus de vingt ans d’ancienneté. On a d’ailleurs appris à cette occasion que les salariés des stations-service du groupe, qui ont eux aussi cessé le travail, ne gagnaient que 1 750 euros brut à l’embauche.

Cette annonce est révélatrice, aussi, car quand bien même le chiffre donné par la direction serait vrai, il demeurerait 100 fois inférieur à la rémunération du PDG du groupe qui est d’environ 6 millions d’euros par an. Le message est donc qu’un bon ouvrier est un ouvrier qui gagne peu, ne demande pas plus et sait rester à sa place. On comprend comment la communication du groupe peut alors être vécue par ses employés comme une atteinte à leur dignité. En lançant le débat sur ce terrain, la direction de l’entreprise laisse ainsi entendre qu’à partir d’un certain salaire, une demande d’ajustement à l’inflation devient inacceptable et le droit de grève illégitime.

Factuellement, les mobilisations des pauvres dans les campagnes anglaises et des ouvriers dans les raffineries sont bien différentes : ni le niveau d’indigence ni le degré de véhémence d’hier n’ont aujourd’hui d’équivalent. Structurellement pourtant, l’économie morale de l’émeute a beaucoup à voir avec l’économie morale de la grève, car dans les deux cas, ce qui est en jeu, c’est une exigence de justice, une attente à l’égard du contrat social et, in fine, une demande de respect de la dignité et des droits des travailleurs. À méconnaître cette réalité, le gouvernement et le patronat s’exposent à de nouveaux affrontements sociaux.

publié le 17 octobre 2022

Hausse des salaires et défense du droit de grève : l’appel des syndicats pour la journée d’action du 18 octobre

par Maÿlis Dudouet sur https://basta.media

Après la réquisition des raffineurs de TotalEnergies et Esso-ExxonMobil par l’État, syndicats et organisations de jeunesse ont appelé à la grève interprofessionnelle. Des actions sont prévues le mardi 18 octobre.

« Pour l’augmentation des salaires et la défense du droit de grève. » C’est le mot d’ordre lancé par plusieurs syndicats et organisations représentantes de la jeunesse (les syndicats CGT, FO, Solidaires et des organisations étudiantes dont l’Unef) dans un communiqué commun. Les organisations appellent aux mobilisations et à la grève ce mardi 18 octobre « pour l’augmentation des salaires, des pensions et minima sociaux, l’amélioration des conditions de vie et d’études ».

Mobilisations interprofessionnelles

Salarié.e.s RATP, cheminots, enseignant.e.s, mais aussi chauffeurs routiers ont confirmé leur participation au mouvement de grève à partir de mardi. D’autres secteurs, déjà en grève, devraient poursuivre leur mouvement, à l’exemple des salariés des centrales nucléaires EDF et des employés de Pôle emploi, ou encore au théâtre de l’Odéon, dont le personnel est en grève depuis le 30 septembre. À Lyon, un rassemblement aura lieu à 16 h 30 sur le parvis de l’opéra à l’initiative des professionnels du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel. Des appels à bloquer des lycées circulent également sur les réseaux sociaux.

À Paris, une manifestation est prévue place d’Italie à 14 h à l’initiative de la CGT Île-de-France. Des rassemblements sont prévus aussi dans toute la France (voir la carte des mobilisations).TotalEnergies : le maillon faible

Mobilisations du 18 octobre

La fédération syndicale Solidaires appelle à une grève sur l’ensemble du territoire tout en incitant à des assemblées générales de reconduction pour prolonger le mouvement. « C’est dans tous les secteurs que les réponses aux attentes salariales sont largement insuffisantes. Que ce soient les négociations annuelles collectives qui aboutissent à des augmentations inférieures à l’inflation, ou le relèvement minime du point d’indice dans la fonction publique, des pensions, des bourses et des minima sociaux qui ne compensent pas les années de gel », défend Solidaires.

Selon l’Insee, les prix à la consommation ont augmenté de 5,6 % en septembre contre 5,9 % au mois d’août. Mais derrière cette décélération apparente, les prix de l’alimentation ont encore augmenté de 9,9 % en septembre, après une hausse de 7,9 % en août. Autre enjeu pointé par certains syndicats : la question des retraites, qu’Emmanuel Macron veut relancer.

À l’origine, la réquisition des raffineurs

C’est aussi la réquisition des grévistes des raffineries TotalEnergies et Esso-ExxonMobil, en grève depuis le 27 septembre, qui a conduit à cette grève interprofessionnelle. Vendredi 14 octobre, le tribunal administratif de Rouen a rejeté le recours en référé de la CGT à la suite des réquisitions de quatre salariés de la raffinerie de Port-Jérôme-sur-Seine (Seine-Maritime), au motif que cette dernière présente un « caractère nécessaire pour prévenir les risques d’atteinte à l’ordre public eu égard à la durée des défaillances d’approvisionnement causées par la grève ».

« Cette procédure [la réquisition des raffineurs, ndlr], déjà condamnée par l’Organisation internationale du travail, constitue une atteinte inacceptable au droit constitutionnel de grève et aux libertés fondamentales », défendent les syndicats dans leur texte conjoint.

Dans les raffineries Esso-ExxonMobil, la grève a pris fin vendredi. La direction de l’entreprise états-unienne a affirmé avoir conclu un accord avec la CFE-CGC et la CFDT autour pour une hausse de 6,5 % des salaires. Mais le mouvement continue sur les sites de Total, même après l’accord signé jeudi entre la direction de TotalEnergies et les syndicats CFDT et CFTC. Le texte prévoit une hausse de 5% à 7% des rémunérations (salaires et primes individuelles). La CGT ne l’a pas signé et demande une hausse de 10 % pour répondre à l’inflation.


 


 

« Demain, nous marcherons
pour nos salaires, pour nos retraites
et pour le droit de grève »

À la veille d’une grande grève interprofessionnelle, Vincent Gautheron, membre de la commission exécutive de la CGT, est l’invité de #LaMidinale

sur : http://www.regards.fr/la-midinale/article/demain-nous-marcherons-pour-nos-salaires-pour-nos-retraites-et-pour-le-droit-de

une vidéo : https://youtu.be/kBez9Mk3hLw

publié le 17 octobre 2022

TotalEnergies :
le maillon faible

Christian Chavagneux  sur https://www.alternatives-economiques.fr/

La France vit une période de tensions inflationnistes durables qui se transforme en revendications salariales. De fait, les experts de l’OFCE font remarquer dans leurs dernières analyses qu’hormis la période particulière des confinements de 2020, la première partie de l’année 2022 a vu la plus forte baisse historique semestrielle de pouvoir d’achat depuis 40 ans. Un véritable choc : le pouvoir d’achat devrait être en recul cette année et l’an prochain.

Dans le même temps, ces mêmes experts montrent que la situation des entreprises prises dans leur ensemble s’est à peine dégradée : « la baisse du taux de marge a été finalement limitée car, d’une part les salaires réels ont baissé contribuant à améliorer le taux de marge d’un point de valeur ajoutée, et d’autre part les sociétés non financières ont répercuté la hausse des prix importés dans leur prix », écrivent-ils.

Il y a donc une attente de la part des salariés qui espèrent un geste de leur employeur. Toutes les entreprises ne peuvent pas y répondre mais, quand on regarde la situation par branche, on note que les secteurs de l’énergie, des services de transports et des services immobiliers sont ceux qui s’en sortent très bien en ce moment. C’est là, potentiellement, que les tensions étaient susceptibles d’être les plus fortes. Alors, pourquoi Total ?

Pourquoi Total et pas ailleurs ?

Il faut se tourner vers les travaux des économistes américains George Akerlof et Robert Shiller qui expliquent qu’en dehors des informations dont on dispose, l’évolution des économies et des entreprises résulte des représentations que l’on se forge à un moment donné. De ce point de vue, Total représente aujourd’hui le maillon faible du patronat, l’archétype de l’entreprise cupide et absolument pas concernée par le pouvoir d’achat de ses salariés, pas plus que par l’intérêt général.

La liste des comportements négatifs de l’entreprise est impressionnante. Il y a le refus de sortir de la Russie après l’invasion russe en Ukraine. Il y a le procès à venir de l’entreprise lié à sa volonté de développer un méga projet pétrolier en Ouganda qui pourrait polluer deux énormes réserves d’eau, forcer le déplacement de plus de 100 000 personnes et émettre 34 millions de tonnes de CO2.

Il y a aussi le refus de reconnaître que l’entreprise bénéficie de superprofits. Total a beau tenter de noyer le poisson en prétendant que ces bénéfices ne sont pas réalisés en France et qu’ils ne doivent donc pas y être taxés, ils sont bien le résultat de conditions hors marché, et n’ont rien à voir avec l’activité de l’entreprise. Qu’à cela ne tienne : le message fort de l’entreprise est « surtout, on ne partage pas » !

On ne partage pas avec l’Etat en payant une taxe exceptionnelle (mais on accepte bien sûr la contribution ridicule de 200 millions d’euros issue des normes européennes dont le gouvernement français se contente) et on ne partage pas avec les salariés, sauf avec le PDG qui s’est vu octroyer une hausse de 52 % de sa rémunération en 2021, passant de 3,9 à 5,9 millions !

En 2021, le PDG de Total a augmenté sa rémunération de plus de 50 % !

A l’inverse, le patron de l’entreprise est fier d’annoncer qu’il va procéder et à une forte distribution de dividendes et à des rachats d’actions pour accroître encore plus la rémunération des actionnaires. Bref, pour l’entreprise, il n’y a pas de limite à l’accumulation privée sur le malheur public.

Alors, ça agace. Ça agace les 830 étudiants de grandes écoles qui ont signé une tribune le 14 octobre dans Les Echos pour dire qu’ils refusent de travailler dans cette entrepris. Ça agace les salariés de TotalEnergies qui se sentent floués. Ça agace même Bruno Le Maire, notre ministre des Finances libéral toujours prêt à défendre les cadeaux aux entreprises et aux riches. Même lui demande à l’entreprise de partager avec les salariés. Pas étonnant, au final, que le principal blocage du pays soit arrivé via cette entreprise.

Désastreuse gestion de crise

Confrontée à une mobilisation croissante, l’entreprise a d’abord commencé par ne pas réagir, ne prenant pas la mesure de la situation. Puis a choisi… d’accuser ses propres salariés ! Le 9 octobre, elle envoie un communiqué dans lequel elle écrit que « la rémunération mensuelle moyenne d’un opérateur de raffinerie de TotalEnergies en France en 2022 est de 5 000 € par mois, Intéressement-Participation compris (4 300 € par mois hors intéressement). » Soit, environ le double du salaire moyen français. Comprenez : quels sont ces individus surpayés qui osent réclamer des hausses de salaire ? On a connu meilleure stratégie pour apaiser les tensions !

Les syndicats répondent alors que la moyenne de rémunération des gens concernés par le conflit se situe plutôt autour de 3 300 euros. Des salariés publient par ailleurs leur fiche de paie sur Twitter pour montrer combien les chiffres de l’entreprise tendent à les présenter comme des privilégiés qu’ils ne sont pas, une partie de leur rémunération étant liée à des primes de pénibilité du travail, qui sont rendues obligatoires par la loi.

Dans la nuit de jeudi au vendredi 14 octobre, la direction propose finalement une hausse des salaires de 7 % pour 2023. Cependant, l’augmentation générale ne serait que 5 %, le reste résultant de primes d’ancienneté et d’augmentations individuelles. Elle propose également des primes de 3 000 à 6 000 euros pour 2022. La CGT a refusé cet accord, contrairement à la CFDT et à la CFE-CGC.

La bataille n’est pas terminée. Et elle pourrait se poursuivre ailleurs, une journée de mobilisation générale étant organisée mardi 18 octobre à l’appel de syndicats des raffineries, d’EDF, de la SNCF, de la RATP et de certains syndicats étudiants. Si la flambée sociale prend, on pourra dire que Total y aura mis toute son énergie.

publié le 16 octobre 2022

Grève de 4 syndicats
le 18 octobre :
vers une généralisation ?

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Coup de tonnerre. En quelques jours, le patronat et le gouvernement ont réussi le tour de force d’unir contre eux 4 organisations syndicales. Ce 18 octobre, la CGT, Solidaires, la FSU mais aussi Force Ouvrière lancent une grève interprofessionnelle pour l’augmentation des salaires. Une journée qui en appelle d’autres, à condition que la mobilisation soit puissante dans les entreprises. Tour d’horizon des forces en présence.

Grève qui dure dans les raffineries, flot de mépris répandu par Total, réquisition des grévistes par le gouvernement. Depuis une semaine, la bataille pour les augmentations de salaire s’emballe. Jusqu’à ce que la CGT tente un coup et fixe une prochaine date de grève interprofessionnelle le 18 octobre. Cette fois la perspective d’un mouvement long semble plausible. Les communiqués d’appel à la grève émanant des diverses fédérations CGT engagées dans la lutte essaiment, ils évoquent des grèves reconductibles.

Si la CGT, à la manœuvre dans les raffineries, se veut la locomotive du mouvement, elle est déjà rejointe par l’union syndicale Solidaires, puis par la FSU, les organisations de jeunesse et par Force Ouvrière. Le ralliement de FO au mouvement est une nouvelle de taille puisque le syndicat n’avait pas participé à la dernière journée de grève interprofessionnelle, le 29 septembre.

Alors, déjà, l’idée d’une grève générale nait dans les esprits les plus échauffés. « Mais on n’appelle pas à la grève générale », répète inlassablement Philippe Martinez au micro de BFM TV ce jeudi matin. Le conflit larvé pour les augmentations de salaire a certes changé de nature, mais une mobilisation forte reste à construire. Certains secteurs sont plus engagés que d’autres dans la batailles. Certains sortent déjà de longs mois de conflit. Sans parler des déserts syndicaux, difficiles à mobiliser.

 Les raffineries tiennent

Fer de lance de la lutte contre les salaires, les raffineries restent en grande majorité en grève, malgré l’annonce des réquisitions. Chez ExxonMobil, où le mouvement dure depuis le 20 septembre, les travailleurs de la raffinerie de Fos-sur-mer ont voté la reprise du travail. En revanche, chez TotalEnergies, la raffinerie de Donges est entrée en grève ce 12 octobre. « C’est l’annonce des réquisitions qui a clairement mis le feu aux poudres », nous explique David Arnould, raffineur cégétiste à Donges. Le syndicat FO du groupe Total a également rejoint la CGT, exaspéré par les manœuvres de sa direction. Après avoir éhontément menti sur les salaires des raffineurs, celle-ci a annoncé dans la presse concéder des augmentations de salaire de 6% pour 2023…quand la CGT demande 10% dès 2022. Malgré les premières réquisitions, les raffineries restent donc dans la lutte. Des négociations doivent avoir lieu avec la direction de Total ce soir à 20h.

L’énergie se veut à l’impulsion

Dans la foulée de l’annonce des réquisitions dans les raffineries, les yeux se sont naturellement tournés vers l’énergie, où huit réacteurs nucléaires sont touchés par des mouvements de grève. Ce matin, la Fédération Nationale des Mines et Énergies de la CGT (FNME-CGT) a publié un communiqué appelant à l’élargissement de la grève dans toutes les entreprises de l’énergie dès le 18 octobre. Mais la FNME-CGT était-elle prête à rentrer dans la bataille ? La puissante fédération CGT de l’énergie semblait en effet plutôt en train de clore un conflit mené depuis plusieurs mois avec les patrons du secteur.

Il ne faut pas oublier une chose. Dans la branche des industries électriques et gazières (IEG) qui concentre plus de 160 entreprises et près de 140 000 salariés, les grèves durent depuis déjà des mois. « On ne sait pas si c’est nous qui rejoignons les raffineurs ou si c’est eux qui nous ont rejoint », fait remarquer Frédéric Ben, responsable fédéral de la CGT-FME en charge des industries gazières.

En effet, le 2 juin, la CGT, la CFE-CGC, la CFDT et FO ont entamé une séquence de lutte en appelant à une journée de grève au niveau de la branche. Objectif : obtenir 4,5% d’augmentation du salaire national de base (SNB). Après plusieurs journées de grèves fortement suivies, comme souvent dans ce secteur, les deux syndicats patronaux de la branche ont finalement proposé 3,6% d’augmentation du SNB. Une offre supérieure aux dernières augmentations obtenues (le SNB n’augmentant habituellement que de 0 à 0,3% par an) mais toujours en deçà de l’inflation. Les syndicats ont jusqu’au 17 octobre pour donner leur accord. La FNME-CGT était donc en train de consulter ses adhérents lorsque l’idée de venir rejoindre la grève des raffineries est venue la percuter. « Depuis le départ nous sommes pour la convergence des secteurs en lutte, il nous semblait normal de soutenir nos camarades », explique Fabrice Coudour, secrétaire fédéral FNME.

En plus de se battre pour des revalorisations dans leur branche, les salariés des IEG ont aussi mené des luttes spécifiques à leurs entreprises. C’est pourquoi, avant même le 2 juin, une multitude de conflits avaient lieu dans des entreprises comme RTE, Storengy, Elengy, Grdf… Dans certaines d’entre-elles, les grévistes ont déjà remporté des batailles conséquentes. C’est le cas chez Storengy, où un protocole de fin de conflit a été signé le 22 juillet. Dans cette entreprise, qui ne gère rien de moins que les stocks de gaz français, les augmentations négociées culminent à près de 10%. « Ça pourrait paraître compliqué de redémarrer la grève après la victoire du 22 juillet, mais rien n’est joué. De nouvelles négociations vont démarrer fin octobre », explique Frédéric Ben, secrétaire général FNME. En revanche, d’autres entreprises de la branche sont toujours en grève, comme GRDF.

 La SNCF retourne au charbon

 A la SNCF, la dernière journée de grève nationale pour les salaires remonte au 6 juillet à l’appel de la CGT-Cheminots, de Sud-Rail, mais aussi de la CFDT. Depuis huit ans, les travailleurs de la SNCF n’avaient pas bénéficié d’une augmentation de salaire. Ce jour-là, ils ont finalement obtenu une augmentation moyenne de 3,7% pour les petits salaires et 2,2% pour les cadres. Un résultat toujours en deçà de l’inflation. Il reste difficile de mesurer a priori le niveau de mobilisation des cheminots. Mais pour ce 18 octobre la fédération CGT-Cheminot, premier syndicat de l’entreprise, ne veut pas rater le coche. « Nous allons répondre à l’appel à l’élargissement de la mobilisation », a déclaré à l’AFP Laurent Brun, son secrétaire général.  « Les cheminots se projettent beaucoup dans les revendications salariales et ils sont aussi révulsés par la réquisition. Ils se disent : les prochains, c’est nous. Nous serons en grève le mardi 18 octobre et peut-être même au-delà », continue le secrétaire général. A la SNCF, d’autres syndicats sont susceptibles de prendre part à la grève du 18 octobre. SUD-Rail a déjà annoncé entrer en grève reconductible dès le lundi 17 octobre sur le technicentre du Landy. La fédération SUD-Rail appelle également à la grève du 18 octobre et appelle les grévistes à se réunir en assemblées générales pour décider de la suite du mouvement.

La RATP en embuscade

 Secteur fer de lance de la dernière grande mobilisation contre la réforme des retraites, en 2020, les syndicats de la RATP ne se sont pas fait particulièrement remarquer sur la question des salaires. Il faut rappeler qu’ils sont engagés sur deux fronts : celui de l’inflation, certes, mais aussi sur celui de l’ouverture à la concurrence du secteur des bus et tramways. Le 23, 24 et 25 mai les salariés avaient observé une grève particulièrement suivie à ce sujet.

Cela n’empêche pas la CGT-RATP d’appeler à la grève pour les augmentations de salaire ce 18 octobre. Mais elle n’est pas majoritaire dans tous les secteurs du groupe. Chez les conducteurs de métro par exemple, c’est Force ouvrière qui est le premier syndicat. Le ralliement de FO à l’intersyndical pourrait donc augmenter fortement la mobilisation à la RATP. Toujours est-il que les annonces d’une grève le 18 octobre ont mis en branle plusieurs piquets, comme celui du dépôt de bus des Lilas (Seine-Saint-Denis), entré en grève dès aujourd’hui.

 L’ éducation professionnelle lance une grève inédite

 De façon inédite, l’ensemble des fédérations syndicales de l’enseignement professionnel appellent à la grève mardi 18 octobre. Leur appel a été déposé bien avant le conflit dans les raffineries. Elles s’opposent au projet de réforme de la voie professionnelle mené par le gouvernement. Si celui-ci n’a pas encore été clairement exposé, il a fait l’objet de nombreuses déclarations. Les enseignants se doutent donc de son contenu. La réforme ferait la part belle aux entreprises dans la formation de jeunes majoritairement issue des milieux les moins favorisés. Tout cela dans un contexte de « pénurie » de main-d’œuvre dans certains secteurs d’activité. Les personnels craignent ainsi que la dimension citoyenne ou émancipatrice de l’éducation soit vidée de sa substance et que cette réforme signe à moyen terme la fin de l’enseignement professionnel.

Les enseignants pourraient donc être fortement mobilisés ce 18 octobre. Rappelons que le 29 septembre, les taux de grévistes ont avoisiné les 20% et 30% dans le premier et second degré respectivement « Entre les augmentations de salaire qui ne viennent pas, les classes sans profs et la réforme des retraites, on a un cocktail explosif qui met les enseignants dans la rue », expliquait alors Sophie Venetitay, secrétaire générale du SNES-FSU.

Grande distribution discrète mais présente

Secteur discret, car épars, l’agro-alimentaire est pourtant particulièrement mobilisé sur la question des salaires. Le 29 septembre, la CGT recensait près de 400 appels à la grève. « Le taux de grévistes allant de 30% à 100% des salariés dans les entreprises de ce secteur, cela représente, au bas mot, 50 000 grévistes », précisait la CGT.

Du mouvement dans l’automobile et l’aéronautique

Dans certaines entreprises de l’industrie automobile, le conflit sur les salaire dure depuis des mois. C’est le cas notamment chez Stellantis (fusion de PSA Peugeot-Citroën et FCA Fiat-Chrysler) où les salariés étaient en grève à Rennes ces derniers jours. De multiples batailles ont également lieu dans l’aéronautique, où les salariés de Daher et de Sabenas Technics, sous-traitants d’Airbus, sont eux aussi entrés en grève cette semaine à Toulouse.

publié le 16 octobre 2022

Manifestation nationale pour exiger la libération de Georges Abdallah !

par jean1 sur https://bellaciao.org

L’appel Unitaire au mois international d’actions pour exiger la libération de Georges Abdallah avec plus 70 organisations qui le soutiennent et pour manifester le 22 octobre 2022 à Lannemezan !

Ne laissons plus faire ! Mobilisation générale pour la libération de Georges Abdallah !

22 septembre – 22 octobre 2022 : mois international d’actions pour sa libération !

« Depuis le tout début des années 1970, la liquidation de la révolution palestinienne est à l’ordre du jour des forces impérialistes et de leurs affidés réactionnaires régionaux. Les guerres et les massacres se sont succédé depuis et les masses populaires y ont fait face avec les moyens et les capacités disponibles…bien que la révolution ait été tiraillée (elle l’est toujours aujourd’hui) entre deux pôles : l’un cherchant à tout prix les négociations et les concessions sans fin et l’autre s’attachant à la résistance par tous les moyens et particulièrement la lutte armée. D’innombrables batailles ont été livrées, certaines ont été perdues, d’autres ont été gagnées, mais dans l’ensemble et en dépit de toutes les pertes et en dépit de toutes les erreurs, les masses populaires ont pu consolider certaines réalisations dont personne ne peut aujourd’hui en contester la portée stratégique ». (Déclaration du 27 juin 2020)

Cette parole de Georges Abdallah – comme tant d’autres – résume bien à elle seule son identité politique, son parcours de lutte, ses combats avec ces innombrable batailles qu’il a menées avec les forces révolutionnaires palestiniennes et libanaises et durant toute sa vie, en faveur de la juste et légitime cause du peuple palestinien, sans concessions, sans trahisons mais bien toujours en soutien actif à « l’autre pôle » : « celui de la résistance par tous les moyens et particulièrement la lutte armée » pour la libération de la Palestine, toute la Palestine parce que « la Palestine ne peut que vaincre ! La Palestine vaincra ! » (12 octobre 2019)

Cette ligne et cette action politiques, Georges Abdallah les a toujours revendiquées, défendues, sans jamais se renier. Et alors que la justice, elle, a déjà autorisé par deux fois sa libération (en 2003 puis en 2013), c’est bien là la raison principale de l’acharnement de l’État français dans son refus de libérer ce résistant - lui qui selon la D.S.T, déjà en 2007, représenterait « une menace pour la sécurité » de la France et dont « les convictions anti-impérialistes et anti- israéliennes sont restées intactes ».

Face à cette obstruction politique de l’État français, après 38 ans de détention et alors qu’il est libérable depuis 1999, Georges Abdallah poursuit inlassablement son combat politique alors que parallèlement la mobilisation pour sa libération s’amplifie année après année sur le plan national mais aussi à l’étranger. Ce soutien construit pas à pas se mène « dans la diversité des expressions » sur tous les fronts en exprimant notre entière solidarité avec notre camarade partout où nous sommes et inscrit sa libération « dans la dynamique globale des luttes en cours ».

Cette mobilisation a ses rendez-vous unitaires pour toujours plus coordonner la lutte et intensifier le rapport de force : le prochain est celui du « mois international d’actions pour la libération de Georges Abdallah » où durant un mois, du 22 septembre au 22 octobre 2022, nous appelons toutes les forces solidaires progressistes et révolutionnaires en France et sur le plan international à s’engager en actions contre « la politique d’anéantissement dont font l’objet les protagonistes révolutionnaires » et en l’occurrence Georges Abdallah.

Partout où nous sommes, durant ce mois, ne laissons pas un espace politique vacant sans que l’exigence de la libération de notre camarade ne soit imposée à l’ordre du jour ; partout où nous sommes, durant ce mois, faisons entendre devant tous les représentants de l’État français (ambassades, consulats, ministères, préfectures, assemblées départementales, régionales, nationale et sénatoriale) l’impérative nécessité de faire signer par le ministre de l’Intérieur l’arrêté d’expulsion conditionnant la libération de Georges Abdallah ! Partout où nous sommes, durant ce mois, ne laissons pas un espace public libre où ne soient données à voir la situation de notre camarade et notre exigence de le voir libéré.

Que mille initiatives solidaires fleurissent, du 22 septembre au 22 octobre 2022, pour faire pression sur l’État français et exiger la libération de Georges Abdallah ! Que mille initiatives fleurissent durant ce mois pour que soit entendu et réalisé ce qu’il a énoncé dans sa dernière déclaration de 18 juin dernier à l’occasion de la célébration de la journée internationale du prisonnier révolutionnaire : « peut-être serait-il temps que cette journée soit destinée à interpeller et encourager les forces vives de la révolution et ses avant-gardes combattantes, afin qu’elles mettent en œuvre toutes les mesures nécessaires à l’expression pratique de la ferme détermination d’arracher nos camarades aux griffes de leurs criminels geôliers ! ».

L’acmé de cette mobilisation sera à Lannemezan la manifestation du 22 octobre 2022 à partir de 14h, pour que nous soyons toujours plus nombreux à « quelques mètres de ces abominables murs » à faire résonner, par-delà les barbelés et les miradors, l’écho de nos slogans et faire entendre à notre camarade et à ses geôliers notre détermination à ne rien lâcher jusqu’à sa libération.

ABDALLAH, ABDALLAH, TES CAMARADES SONT LÀ !

GEORGES ABDALLAH EST DE NOS LUTTES, NOUS SOMMES DE SON COMBAT !

PALESTINE VIVRA ! PALESTINE VAINCRA !
LIBERTÉ POUR GEORGES ABDALLAH l

Paris, le 20 septembre 2022

Campagne unitaire pour la libération de Georges Abdallah

campagne.unitaire.gabdallah@gmail.com

Facebook : pour la libération de Georges Abdallah

Premiers signataires :

Campagne unitaire pour la libération de Georges Abdallah - Collectif pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah (C.L.G.I.A) - Campagne internationale pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah (Liban) - Collectif révolutionnaire internationaliste pour la libération des prisonniers révolutionnaires (le CRI Rouge) - le Comité d’actions et de soutien aux luttes du peuple marocain - Comité de défense populaire de Tunisie - Car t’y es Libre (Istres) - Poitiers Palestine – Association Nationale des Communistes (ANC) – Union juive française pour la Paix (U.J.F.P) – AFPS 63 - Collectif 74 pour la libération de Georges Abdallah (Clga74) – Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP) - L’Union Syndicale Solidaires 31 - Le Comité Action Palestine - Couserans Palestine - International Solidarity Movement - France (ISM-France) - Nouvelle Epoque - Ligue de la Jeunesse Révolutionnaire – Jeunes révolutionnaires - Comité tunisien pour la libération de Georges Abdallah - SRI (socorro rojo internacional) - ATIK (Confédération européenne des travailleurs turcs en Europe) - UPOTUDAK (Comité international de solidarité avec les prisonniers politiques) - Plate-forme Charleroi-Palestine - L’Appel belge pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah - CAPJPO Euro-Palestine - Union syndicale Solidaires - Le Collectif Palestine Vaincra - Samidoun Région Parisienne - Réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens Samidoun – Le Parti des Indigènes de la République (PIR) – Secours Rouge arabe - La Compagnie Jolie Môme - AFPS d’Albertville – PMN Editions - Rete dei Comunisti - NPA 81 - Association femmes plurielles - Le Cercle Manouchian - L’UL CGT 18e – La CGT Energie – Le Parti Révolutionnaire des Travailleurs (DIP) – Les Amis de la Palestine contre l’impérialisme et le sionisme- L’AFPS 82 - Réseau International d’Appui aux Prisonnier.e.s Politiques au Chili (Riappech) - L’Union Locale CGT d’Annecy& Environs - Collectif 65 pour la libération de Georges Abdallah – Collectif 32 pour la libération de Georges Abdallah - Corsica Palestina - Proletari Comunisti Italia - Soccorso Rosso Proletario Italia – ICSPWI – CRAC -AMFP Aubagne - CP81 – Secrétariat international de la CNT - Patriotes Démocrates Marxistes-Léninistes (Tunis) - Grup Yorum (Turquie) - L’Assemblée de Montpellier contre les violences d’Etat et pour les libertés - Le Comité Internationaliste pour la Solidarité de Classe - Collectif "Bassin minier" pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah - Coordination Internationale de Solidarité et pour la liberté des prisonniers politiques révolutionnaires du monde - Collectif Palestine 69 - Le collectif Bordeaux En Luttes - L’Orchestre Poétique d’Avant-guerre (O.P.A) - Le collectif Contre Les Abus Policiers (C.L.A.P33) - Le collectif Jaunes Etc 33 - Front anti-impérialiste - Front populaire de Turquie - L’Association des avocats Méditerranée Paris/Tunis – Union des avocats arabes (Le Caire) - Ordre national des avocats de Tunisie.

publié le 15 octobre 2022

« L’heure est à la construction de ponts entre le mouvement social et les forces de gauche et écologistes »

par Marie-Pierre Vieu-Martin sur www.regards.fr

L’inspecteur du travail Anthony Smith marchera contre la vie chère et l’inaction climatique dans les rues de Paris ce dimanche 16 octobre. Le verdict de son jugement doit être rendu le 20 octobre prochain. Alors que se multiplient les journées de grève et d’action, il appelle à sceller l’unité qui donnera de la force aux travailleurs.

« Un premier pas vers la victoire. » Depuis le 28 septembre et la demande d’annulation de la sanction prise à son encontre en 2020, Anthony Smith respire mieux. Il sait qu’il vient de remporter une partie déterminante dans le bras de fer qui l’oppose à l’Etat depuis qu’en pleine 1ère vague de COVID, il a dénoncé l’absence de masques pour l’usage d’aides à domiciles d’une association rémoise et saisit la justice face à l’employeur.

Suspension mi-avril 2020, mutation d’office à la rentrée qui suit, pour la hiérarchie et la Ministre du travail de l’époque, il faut faire un exemple. « L’entreprise reste un lieu où le pouvoir est concentré entre les mains de l’employeur » explique le CGTiste marnais, conscient de s’être heurté à un pouvoir obsédé par la compétition économique. Mieux que personne, il évalue l’acharnement que les gouvernements successifs ont mis à museler la parole syndicale, réduire la citoyenneté et la représentation salariée dans l’entreprise. D’ailleurs il n’omet pas de préciser que si son cas est emblématique, beaucoup d’autres existent évoquant six de ses collègues également sanctionnés pour fait syndical.

Mais après deux ans de lutte sans pause, une pétition de soutien signée par plus 165.000 personnes et une solidarité sans faille de la gauche syndicale et politique, la pression commence à changer de camp. En ce début octobre 2022, Muriel Pénicaud a disparu du décor et, pour la Première Ministre Elisabeth Borne, il faut en finir le dossier Anthony Smith qui ne peut que la fragiliser sur le plan politique.

Le Marnais, quant à lui, mesure le chemin parcouru. Il a compris que la légitimation publique de son travail et de son action va renforcer la force du mouvement social tout entier.

Reprendre la main sur la question du pouvoir

Car son combat trouve un écho particulier en cet automne 2022 où les luttes se multiplient et cherchent à s’élargir. « Nous vivons un moment unique, où chacun doit prendre ses responsabilités » commente Anthony Smith. Il n’exclut pas le pire rappelant que « les fascistes peuvent prendre le pouvoir comme ils viennent de le faire en Italie. » C’est pourquoi il n’est plus question de tergiverser. L’heure est à la construction de ponts et de passerelles entre le mouvement social et les forces politiques, dans le respect et l’autonomie de chacune des organisations.

Le militant sait que son propos est largement partagé dans la société mais il connaît aussi les résistances auquel ce rassemblement se heurte, le passif à dépasser. Il a fait ses premières armes dans les assemblées générales étudiantes de novembre et décembre 1995, a ensuite vécu la victoire de la gauche plurielle en 1997 et le choc du 21 avril 2002 ; la victoire sur le TCE et l’impasse des collectifs anti-libéraux, l’espoir du Front de Gauche puis l’échec à nouveau. Il a compris qu’il n’y a pas de droit à l’erreur cette fois.

Quand le quadragénaire évoque le débat de la gauche et des écologistes, il ne s’appesantit pas sur les fausses querelles et les vraies différences, la mainmise des appareils et la bataille pour le leadership. D’autres en font leur fonds de commerce, lui va droit au but préférant parier sur le potentiel du moment politique. Pas NUPES naïf, il n’en est pas moins membre de son parlement populaire, convaincu que cette voie mérite d’être labourée et travaillée.

Renouer avec la confiance

L’inspecteur du travail refuse de banaliser les 20% du candidat Mélenchon à la présidentielle et l’élection des 150 parlementaires NUPES en juin dernier. « Ces deux élections ont permis de régler la question du hollandisme », explique-t-il, signifiant par-là que le socle programmatique commun de la gauche et des écologistes marque une rupture nette avec le néo libéralisme.

C’est une première, jugée impossible par beaucoup il y a quelques mois, et qui appelle aujourd’hui à passer de la coalition à un large rassemblement citoyen pour des changements concrets. « Pour deux générations la question du pouvoir avait été ajournée. L’émergence de la NUPES ou quel que soit le nom qu’on lui donnera, permet de remettre au-devant de la scène la question du pouvoir. » argumente Anthony Smith.

Il évoque le besoin de renouer avec la confiance : « Je ne vois pas d’autre manière pour y parvenir que d’ouvrir des espaces communs pour se parler et faire le pari de l’intelligence collective ; de redonner de la force à la question sociale et sceller l’unité qui donnera de la force aux travailleurs. »

Ce dimanche, il sera au rendez-vous…

publié le 15 oct 2022

A Paris, « le harcèlement policier s’intensifie »

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Depuis quatre ans, Marc Ball filme les adolescents d’un quartier populaire du 12e arrondissement de Paris, victimes de contrôles abusifs et illégaux. Malgré un procès historique et la condamnation de l’État, la violence qu’ils subissent est toujours là.

En 2015, dix-huit jeunes du quartier Rozanoff à Paris ont porté plainte collectivement pour violences volontaires contre une brigade de police du commissariat du 12e arrondissement qui les harcelait, multipliant contrôles au faciès, fouilles au corps, tabassages et autres insultes racistes à leur égard.

Un procès a eu lieu en 2018, à l’issue duquel l’État a été condamné, ainsi que trois policiers. En appel, les fonctionnaires ont été relaxés. Ils ont porté plainte pour diffamation contre les jeunes, qui, eux, ont été condamnés à leur payer des dommages et intérêts. L’affaire n’est pas terminée puisqu’un pourvoi en cassation a été formé.

Cette affaire historique, puisque c’était la première fois que, collectivement, des victimes de violences policières « ordinaires » vont en justice, a été portée à l’écran par Marc Ball dans un documentaire intitulé Police, illégitime violence (1). Quatre ans après, le réalisateur est retourné dans le quartier pour voir si la situation des jeunes avait évolué.

Quelle était votre motivation lors du premier tournage ?

Marc Ball : À l’époque, le grand public n’avait pas conscience de la violence policière ordinaire dans les quartiers populaires. Mis à part en cas de mort violente, comme ce fut le cas pour Adama Traoré et de bien d’autres, on n’en parlait pas à la télévision. Ce n’est qu’après les manifestations des gilets jaunes, en voyant les personnes éborgnées, mutilées ou gazées, que la population a pris conscience du phénomène et surtout du déni de la part des policiers et de l’État. J’ai voulu mettre en lumière ce que vivent, de longue date, les jeunes de quartiers populaires.

Qu’est-ce qui vous a marqué durant le procès ?

Marc Ball : Il était historique, au sens où c’était la première fois que des jeunes, leur famille et un collectif d’habitants du quartier se mobilisaient ensemble pour porter plainte collectivement contre le harcèlement policier. Durant cette audience, les agents ont tranquillement reconnu cibler des jeunes fichés sous la catégorie « indésirables » dans leur logiciel informatique. Une catégorisation illégale qui renvoie à des heures sombres de notre histoire. Mais les policiers avaient juste l’impression de « faire leur travail ».

Cela montre que ces violences n’étaient pas l’œuvre isolée de fonctionnaires racistes, mais que c’est bien la fonction même de la police qui mène à ces dérives, en se focalisant sur un certain type de population qu’il s’agit de chasser de l’espace public : les jeunes, les Noirs, les Arabes ou les sans-papiers. Comme nous l’a confirmé un policier, cela participe de la politique du chiffre sur laquelle ils sont évalués. Des primes sont accordées aux commissaires qui font le plus de contrôles.

En filmant leur réalité, nous avons voulu aller contre la résignation de ces jeunes. »

Par ailleurs, un policier qui « travaille bien » acquiert des points qui lui permettront d’obtenir une mutation dans la région de son choix ; le commissaire qui remplit abondamment son tableau de chasse pourra être promu préfet… Ils sont dans cette logique-là, qui leur a fait perdre le sens de leur mission.

La diffusion de votre film Police, illégitime violence a-t-elle changé la situation ?

Marc Ball : Dans un premier temps, les contrôles violents se sont un peu calmés. Mais très vite, les policiers ont engagé des représailles envers les jeunes qui avaient porté plainte. Ils ont commencé à les bombarder d’amendes délictuelles forfaitaires pour tout et n’importe quoi : rassemblement illégal, jet d’ordures, crachats… Parfois, les policiers en patrouille ne s’arrêtaient même pas. Le fait même de les apercevoir de loin pouvait valoir une amende aux jeunes dont ils avaient les noms.

Certains adolescents m’ont raconté qu’ils avaient reçu des amendes alors qu’ils n’étaient même pas sur les lieux. La crise du Covid, avec les confinements et le couvre-feu, a autorisé plus d’interventions violentes et a décuplé le recours aux amendes.

En 2022, vous avez décidé de retourner filmer les jeunes de ce quartier. Pourquoi ?

Marc Ball : Je pense avoir une responsabilité vis-à-vis de ce quartier, de ces jeunes, de leur réalité, que nous avons participé à mettre en lumière. Au fil des années, j’ai observé comment leur visage de gamins finit par se durcir. Aujourd’hui comme à l’époque, nous avons voulu aller contre la résignation de ces jeunes, contre l’accoutumance de leur entourage, contre la banalisation de ce qu’ils subissent, en filmant leur réalité et en la relayant à nouveau.

Leur situation vis-à-vis de la police n’a pas changé depuis quatre ans ?

Marc Ball : En 2022, malgré le procès, malgré la condamnation de l’État au civil, malgré l’attention médiatique, malgré la mobilisation locale, rien ne semble changer, sinon pour le pire. Aujourd’hui, les jeunes qui ont porté plainte doivent indemniser les fonctionnaires de police pour diffamation. Dans la vidéo, quatre ans après, il y a des images d’une « opération » de police où un agent d’une brigade canine poursuit un jeune et hurle à son chien : « Va le chercher ! » Comme s’il chassait. C’est très violent.

À un autre moment, on entend un policier dire clairement aux jeunes : « On va nettoyer le quartier. » Aujourd’hui encore, avoir 14 ans dans le quartier Rozanoff du 12e arrondissement de Paris, c’est sortir chaque jour dans la rue avec la crainte de croiser la police. C’est retrouver ses amis sur un banc et redouter à tout moment les coups et le gaz lacrymogène. C’est découvrir de nouvelles amendes qui ne cessent d’être majorées et de plomber le futur de ces collégiens et lycéens. Les amendes sont une arme qui vient s’ajouter au harcèlement physique, qui se poursuit.

Dans quel état d’esprit sont les jeunes que vous avez rencontrés ?

Marc Ball : Les nouvelles générations subissent exactement la même chose que les précédentes. Elles ont toutes des histoires de gazage, de poursuites, de traque à raconter. Le pire, c’est que ces jeunes se sont habitués à courir dès qu’ils aperçoivent un uniforme. C’est banal pour eux. Ils sont désabusés. Ils savent que ce qu’ils vivent est injuste, voire illégal. Certains doivent plusieurs milliers d’euros à l’État. À la violence physique s’ajoute aujourd’hui une violence économique. Mais ils ont conscience que s’ils portent plainte ou contestent les amendes, cela n’aboutira pas.

Vous avez aussi redonné la parole à un policier qui intervenait déjà dans votre premier documentaire…

Marc Ball : Quand nous l’avions rencontré en 2018, il nous avait dit ne pas cautionner la politique du harcèlement et du chiffre, préférant avoir de bonnes relations avec la population, notamment pour obtenir des renseignements et faire des enquêtes sérieuses.

Désormais, il a raccroché l’uniforme pour devenir chercheur et tenter de faire avancer les choses d’une autre manière. Il dénonce l’imposition d’amendes forfaitaires délictuelles (dont le champ ne cesse de s’élargir, lire notre encadré – NDLR), qui endettent les jeunes et les empêchent d’ouvrir un compte en banque, car leur argent y serait immédiatement saisi ; elles sont d’autant plus injustes que l’infraction est à la libre appréciation des fonctionnaires. L’ex-policier nous explique que certains jeunes se lancent dans le trafic juste pour pouvoir les payer… c’est kafkaïen.

Y a-t-il un espoir que cela cesse ?

Marc Ball : Des acteurs de la société civile comme la LDH, des universitaires ou des collectifs contre les contrôles au faciès dénoncent ce harcèlement et cette nouvelle pratique des amendes forfaitaires. L’opinion publique ne peut plus les ignorer.

On sait par ailleurs que le contrôle d’identité est une exception française, cela n’existe pas dans la majorité des pays européens. Les statistiques prouvent que c’est inefficace en termes de réduction de la criminalité. Il faudrait que, sous impulsion politique, l’institution policière repense sa fonction. Hélas, on n’en prend pas le chemin…


 

Colloque.  Les amendes forfaitaires délictuelles  : un déni de justice ?

Pour décrypter les enjeux de l’extension des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), qui constituent « une condamnation correctionnelle non individualisée, sans contact humain, sans recours effectif à un juge et sans accès aux droits de la défense », la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature organisent un colloque intitulé « L’amende forfaitaire délictuelle : répression partout, justice nulle part ? », le 14 octobre, de 9 heures à 17 heures, à la Maison de l’avocat (Paris 17e).

Il réunira des juristes et des sociologues qui analyseront les conséquences des AFD sur les rapports police/population, ainsi que des représentants des gens du voyage et des jeunes des quartiers populaires, particulièrement ciblés par ces peines financières automatiques.

publié le 14 octobre 2022

Macron a-t-il lancé les « Nations unies d’Europe » ?

Francis Wurtz sur www.humanite.fr

« C’est une très vieille idée qui est peut-être en train de devenir réalité » s’est autocongratulé le président de la République, le 6 octobre dernier, à l’issue de la première réunion de la « Communauté politique européenne » (CPE) – lancée sur sa proposition – à Prague. Emmanuel Macron faisait allusion à l’initiative diplomatique majeure – malheureusement avortée – de François Mitterrand au lendemain de la chute du mur de Berlin : la tentative de création d’une « Confédération européenne » réunissant « tous les États de notre continent dans une organisation commune et permanente d’échanges, de paix et de sécurité », y compris, donc – « naturellement », précisait Mitterrand à l’époque –, l’Union soviétique.

Il s’agissait d’offrir, sans attendre, un cadre stable de coopération aux pays d’Europe centrale et orientale. Et, dans le même temps, l’objectif sous-jacent fut d’éviter l’extension du leadership américain à ce nouvel espace stratégique. Parfois très discutable par ailleurs, la politique étrangère du président socialiste était, sur ce point, empreinte de lucidité et de sagesse, ce dernier allant jusqu’à mettre sur la table « des questions nouvelles », telles que « l’avenir des alliances – l’Alliance atlantique et le pacte de Varsovie – » ou « à quel rythme poursuivre le désarmement »… Mikhaïl Gorbatchev, trop heureux de retrouver dans ce projet des traits de son idée de « maison commune européenne », lui apporta son soutien. À l’inverse, Washington, par l’intermédiaire de ses nouveaux alliés d’Europe de l’Est, fit capoter l’initiative française.

Pour toutes ces raisons, il est pour le moins outrancier de dresser un parallèle entre ce projet de Confédération européenne et la CPE imaginée par Emmanuel Macron ! Les 44 États invités à Prague ont, sauf exceptions, pour point commun quasi unique la condamnation de la stratégie désastreuse du Kremlin. C’est légitime mais cela ne suffit pas pour « structurer le continent européen », comme l’a pompeusement annoncé l’Élysée. La présidente du Kosovo a beau y voir un « grand voyage pour la grande Europe » et son homologue lituanien rien de moins que les « Nations unies d’Europe », cette CPE risque d’être d’une portée limitée. L’unité affichée est évidemment factice. La Grande-Bretagne, présente à Prague, a, comme chacun sait, une folle envie d’« écrire ensemble l’avenir » de l’Europe avec les « 27 » ! La Turquie est si désireuse d’une bonne entente avec les pays voisins qu’Erdogan a annexé la moitié de l’île de Chypre et invectivé son homologue grec durant la conférence. L’Azerbaïdjan siège aux côtés de l’Arménie à Prague mais l’agresse sauvagement sur le terrain, etc.

En vérité, ce dont aurait besoin notre continent depuis trente ans que s’y accumulent des plaies qui, faute d’être traitées, s’enveniment, c’est d’une négociation globale pour la sécurité de tous. Sans exception. Évidemment, il est difficile d’imaginer aujourd’hui – après la décision, aussi stupéfiante qu’irresponsable, de Vladimir Poutine de lancer cette guerre – associer la Russie à un tel chantier ! Il faudra pourtant, tôt ou tard, y arriver – après l’indispensable cessez-le-feu – pour tenter de jeter les bases d’une paix durable sur tout le continent.

 

publié le 14 octobre 2022

Mobilisations et grèves le 18 octobre pour l’augmentation des salaires
et la défense du droit de grève

sur www.cgt.fr

Communiqué intersyndical : le CGT, FO, FSU, Solidaires, FIDL, MNL, UNEF et VL.

Que ce soit dans les raffineries, l’agroalimentaire, les crèches, les transports publics, l’énergie et nucléaire, les organismes sociaux, les banque-assurances, les services informatiques, la maintenance industrielle, l’éducation, la santé, le commerce, la métallurgie… les salarié.e.s de très nombreux secteurs professionnels se mobilisent depuis des mois dans leurs entreprises ou leurs services pour revendiquer et gagner de légitimes augmentations de salaire, de meilleures conditions de travail, des emplois de qualité. Les jeunes se mobilisent aussi, pour leurs conditions de vie et d’études ainsi que pour une réforme des bourses ambitieuse.

Le mouvement des lycées professionnels, d’ores et déjà décidé pour le 18 octobre, s’inscrit dans cette dynamique.

Pourtant et alors qu’elles réalisent d’énormes profits, les entreprises de la branche Pétrole, en particulier Total ou Exxon, refusent d’accéder, aux exigences des salarié.e.s massivement mobilisés par l’ouverture immédiate d’une négociation sérieuse. Ces dernier.e.s réclament avant tout le rattrapage de l’inflation et une meilleure répartition des richesses créées par les travailleuses et travailleurs, alors que des milliards d’euros de dividendes ont été versés aux actionnaires.

C’est cette situation de blocage patronal qui crée aujourd’hui la pénurie de carburants. Mardi dernier, une limite a été franchie par le gouvernement, annonçant faire procéder aux réquisitions des salarié.e.s des raffineries et dépôts par les préfectures. Elles sont en cours depuis hier. Cette procédure déjà condamnée par l’OIT constitue une atteinte inacceptable au droit constitutionnel de grève et aux libertés fondamentales.

La mobilisation gagne des secteurs de plus en plus nombreux dans le privé comme dans le public. Elles et ils obtiennent par leurs actions avec leurs organisations syndicales l’ouverture de nouvelles négociations et des avancées salariales significatives. C’est aujourd’hui qu’il faut se mobiliser dans tous les secteurs professionnels, public comme privé.

C’est pourquoi les organisations syndicales et les organisations de jeunesse signataires décident d’appeler ensemble les travailleuses et travailleurs et la jeunesse à la mobilisation y compris par la grève le mardi 18 octobre pour l’augmentation des salaires, des pensions et minima sociaux, et l’amélioration des conditions de vie et d’études.

Elles appellent également les salarié.e.s, les retraité.e.s, les privé.e.s d’emploi et la jeunesse à se mobiliser pour la défense du droit de grève en participant aux rassemblements organisés devant les préfectures et sous-préfectures.

Le 18 octobre, elles s’engagent à organiser partout avec les jeunes et les salarié.e.s des différents secteurs professionnels des mobilisations et actions, dans les entreprises et les services.

Montreuil le 13 octobre 2022

 

 

 

 

Journée de grève du 18 octobre.
Philippe Martinez : « Pourquoi nous appelons à généraliser le mouvement »

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, revient sur les revendications et les mobilisations des salariés du secteur. Avec d’autres syndicats, la CGT lance une journée d’action interprofessionnelle le mardi 18 octobre.


 

Le conflit social commence à faire tache d’huile. Démarrée le 20 septembre, la mobi­lisation dans les raffineries s’étend peu à peu à d’autres secteurs, alors que ­redoublent les attaques gouvernementales. Avec d’autres syndicats, la CGT lance une journée d’action interprofessionnelle le mardi 18 octobre.

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, interpelle la CGT : « Le blocage de tout le pays, c’est parfaitement inacceptable », assure-t-il. Par ailleurs, de nombreuses professions se plaignent de ne plus pouvoir travailler en raison du manque d’essence. Que répondez-vous aux critiques ?

Philippe Martinez : La CGT a demandé l’ouverture de négociations depuis plusieurs semaines sur la question des salaires et, jusqu’à présent, ni la direction de Total ni le gouvernement n’avaient jugé bon d’y répondre. Il a fallu attendre un conflit, dont l’exécutif a d’ailleurs minimisé l’impact au départ, en expliquant qu’il n’y avait aucun problème d’approvisionnement, pour qu’il se réveille. Le gouvernement et la direction de Total inversent les rôles : ce sont eux qui sont responsables de la situation.

Ce conflit revêt un caractère symbolique au vu de la situation financière du groupe : face à un PDG qui s’augmente de 52 % en un an mais qui refuse de partager les bénéfices réalisés, nous avons besoin d’un gouvernement qui fasse preuve de fermeté politique, pas qu’il renvoie dos à dos syndicats et direction…

Bien sûr, nous comprenons la colère des services d’urgences et des citoyens en général, mais il ne faut pas tomber dans le piège de la division : la faiblesse des salaires touche tout le monde dans notre pays, d’où la multiplication des grèves dans de nombreuses entreprises. Des procédures doivent être mises en place pour permettre aux professions du soin et du médico-social de travailler correctement, mais c’est au gouvernement de les organiser.

La direction de Total a fait, ce jeudi, une nouvelle offre aux grévistes, avec une augmentation des salaires de 6 % en 2023, ainsi qu’une prime équivalant à un mois de salaire. Suffisant, selon vous ?

Philippe Martinez : C’est aux salariés d’en décider, mais, ce qui est sûr, c’est que cette proposition ne correspond pas à la demande des syndicats de Total. La CGT réclame 10 % d’augmentation. Une négociation salariale ne se déroule pas de cette manière : en principe, direction et syndicats signent un accord de fin de conflit, qui prévoit des avancées et, ensuite, on demande aux salariés si cela leur convient.

Mais une direction qui dialogue toute seule et transmet ses propositions par voie de communiqué, cela n’a rien de démocratique. Que de temps et d’énergie perdus pour les salariés et les citoyens qui galèrent pour enfin ouvrir les négociations !

S’appuyant sur l’accord signé chez ExxonMobil par les syndicats majoritaires de l’entreprise, le gouvernement dénonce une grève minoritaire ...

Je rappelle que l’accord signé chez ExxonMobil ne correspond visiblement pas aux attentes des salariés, puisque ces derniers sont en grève ! Par ailleurs, je ne pense pas que l’exécutif soit le mieux placé pour donner des leçons de démocratie : les trois quarts de la population sont opposés au recul de l’âge de départ en retraite, ce qui ne l’empêche pas de maintenir son projet de réforme. Le gouvernement invoque la règle de la majorité quand ça l’arrange.

On assiste à une campagne de dénigrement des grévistes ces derniers jours. Comment l’analysez-vous ?

Philippe Martinez : C’est un classique des mobilisations : pour dresser les salariés les uns contre les autres, on fait passer les grévistes pour des privilégiés. Les cheminots connaissent ça par cœur. J’ai relu la grille des salaires de la branche chimie : elle montre que, dans ce secteur, deux niveaux de salaire démarrent en dessous du Smic et six coefficients en dessous de 2 000 euros.

Par ailleurs, il faut prendre en compte la réalité du travail : équipes de nuit, astreintes les week-ends, exposition aux produits dangereux, etc. Les chiffres de rémunération avancés par certains, de 5 000 euros brut par mois pour des opérateurs de raffinerie, sont totalement fantaisistes. Cependant, si les salariés de Total sont un peu mieux payés que d’autres, la CGT s’en félicite : nous réclamons une hausse de l’ensemble des salaires, pas un nivellement par le bas !

Vous appelez à une journée de grève dans toutes les entreprises, publiques comme privées, la semaine prochaine. Pourquoi ?

Philippe Martinez : Lors de la journée du 29 septembre, nous avons prévenu qu’il y aurait des suites. Nous y sommes. La question de la grève doit être débattue dans toutes les entreprises. Nous appelons d’ores et déjà à généraliser le mouvement démarré chez Total, même si nous connaissons la difficulté de faire grève pour de nombreux salariés, abonnés aux bas salaires. La colère sociale qui s’exprime dans le pays est légitime. Les mots d’ordre de la journée de la semaine prochaine y répondront : ils tourneront logiquement autour des salaires et du partage des richesses.

La problématique de la taxation des profits est plus que jamais posée, elle apparaît de manière plus prégnante chez Total, mais ce n’est pas le seul exemple. Je veux rappeler ici l’importance des mobilisations nationales : tout ne peut pas se régler au niveau des entreprises. La question de la hausse du Smic, par exemple, doit se décider à l’échelle du pays.

De même, nous réclamons le retour de l’échelle mobile des salaires, c’est-à-dire l’indexation des rémunérations sur l’inflation, afin que les salaires suivent la hausse des prix.

Comment jugez-vous la décision du gouvernement de procéder à des réquisitions de grévistes ?

Philippe Martinez : Nicolas Sarkozy avait fait de même lors des grèves de raffineries de 2010, sur fond de réforme des retraites. Nous disons que cette mesure contrevient au droit international. En 2010, l’Organisation internationale du travail (OIT), émanation de l’ONU, avait d’ailleurs critiqué la France pour cela, en estimant qu’il s’agissait d’une attaque contre le droit de grève. Bien sûr, elle n’a pas les moyens juridiques de condamner la France, puisqu’elle ne peut faire que des recommandations. Mais cela a du poids.

L’utilisation par l’actuel gouvernement de l’arme des réquisitions nous inquiète d’autant plus que cela s’inscrit dans un mouvement plus global, en Europe, pour restreindre le droit de grève. Nous nous battons contre cette remise en cause.

 

publié le 13 octobre 2022

Au lycée Joliot-Curie de Nanterre,­ les pouvoirs publics attisent la colère

par Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr

Après deux jours de blocus, 14 personnes – dont 10 lycéens – ont été mises en garde à vue mardi soir. Ce jeudi 13 octobre matin, des nouveaux affrontements ont éclaté entre forces de l’ordre et élèves. Plusieurs jeunes ont été interpellés. Ces évènements interviennent en pleine mobilisation de l’équipe enseignante contre la mutation du professeur de mathématiques Kaï Terada.

« Cela fait 6 ans que je suis ici. Je n’avais jamais vu ça. Un tel déploiement de forces de l’ordre devant et même au sein de l’établissement, c’est inédit. » Camille Buquet est professeure d’anglais au lycée Joliot-Curie à Nanterre, représentante du personnels et syndiquée SNES-FSU. Quand elle raconte les évènements de ces dernières 72 heures, elle ne mâche pas ses mots.

Lundi 10 octobre au matin, plusieurs dizaines de lycéens ont décidé de bloquer leur établissement. Après cette première journée de blocus sans heurt, un important dispositif a été mis en place le lendemain pour empêcher toute tentative de blocage. Ce dispositif a créé des tensions, puis des heurts entre lycéens et policiers, chacun se renvoyant la balle sur la source des premiers affrontements.

Au Parisien, la préfecture de Nanterre assure que deux policiers ont été blessés. Les lycéens, de leur côté, écrivent avoir été victimes « de nombreux coups de matraques et de jets de lacrymogène ». Selon eux, « un élève est hospitalisé après avoir reçu un tir de LBD sur l’arrière du crâne ». 14 personnes, dont douze mineurs, ont été placées en garde à vue dans la foulée. Dix étaient des élèves du lycée.

Nouveaux affrontements, plusieurs jeunes interpellés

Mercredi, tous les gardés à vue sont sortis au compte-goutte jusque dans la soirée. Selon Libération qui cite le parquet de Nanterre, trois mineurs sont convoqués devant le tribunal pour enfants en décembre pour des faits de « violences aggravées sur personne dépositaire de l’autorité publique et avec arme ». Une bonne partie des élèves ne sont pas retournés en cours ce mercredi, les parents d’élèves ayant appelé à une « journée d’école morte ». « Hier matin, j’avais 2 élèves sur 15, un peu plus l’après-midi », souligne Camille Buquet.

À la base, cette mobilisation lycéenne avait une revendication principale : le retour de l’aide aux devoirs.

Ce jeudi matin, de nouveaux heurts ont éclaté devant le lycée comme en attestent des vidéos postées sur les réseaux sociaux. « C’est la guerre ouverte », raconte un témoin sur place qui assure qu’avec les évènements des derniers jours, la colère a grossi, entraînant des personnes extérieures au lycée. Selon nos informations, plusieurs jeunes ont été interpellés. Le lycée est fermé pour la journée.

L’instrumentalisation des revendications lycéennes

À la base, cette mobilisation lycéenne avait une revendication principale : le retour de l’aide aux devoirs. Depuis des années, plusieurs heures étaient proposées chaque soir par plusieurs enseignants pour accompagner les lycéens dans leur travail à la maison. Ce format a été supprimé l’an passé, « faute de moyens », explique Camille Buquet.

« Des professeurs ont essayé de déposer des projets pour que ce soit financé, mais ça n’a pas abouti. Clairement, la direction n’a pas poussé pour que ça se mette en place », soupire-t-elle. À Libération, le rectorat assure qu’un dispositif d’aide aux devoirs est toujours proposé. « C’est un membre de la vie scolaire, qui est à Polytechnique, qui l’anime sur ces heures de travail. Ça ne leur coûte rien », rétorque, amèrement, la professeure d’anglais.

La mobilisation ne porte pas sur les "vêtements amples".

Mais malgré cette revendication première, et légitime des élèves, c’est un autre sujet qui fait l’objet de toute l’attention médiatique. « Depuis le début de l’année, les tenues vestimentaires des filles attisent les crispations. Les élèves ne comprennent pas les consignes car il n’y a pas eu de clarification claire », assure Camille Buquet.

Mais on ne parle pas du voile, ce n’est vraiment pas ça », souligne l’enseignante qui évoque des robes longues et des « tenues amples ». Dans un communiqué publié mercredi dans la soirée, des élèves se présentant comme « l’organisation pacifique lycéenne » ont démenti que ce sujet, largement repris par les réseaux d’extrême-droite, soit l’objet de leur mobilisation. « Les revendications se limitent à la reprise de l’aide aux devoirs au sein de l’établissement », écrivent-ils, dénonçant « des médias démunis de toute honnêteté ».

Une mobilisation qui résonne avec la suspension de Kaï Terada

Au printemps dernier, une mission à 360 degrés a été réalisée dans l’établissement. Cette mission est une sorte d’audit global du lycée où plusieurs inspecteurs généraux s’entretiennent avec les représentants du personnel, des élèves, des parents d’élèves. Le rapport de cette mission n’a pas été rendu public auprès des enseignants. Aussi cristallise-t-il toutes les spéculations. Celle d’un tour de vis sur le contrôle des tenues vestimentaires en fait partie.

Un dispositif important devant le lycée mardi matin, "largement disproportionné".

Ce qui est certain, en revanche, c’est que des mesures ont été prises depuis la rentrée pour, selon l’académie, « permettre un retour à fonctionnement serein de l’établissement ». Parmi elles, notamment, la suspension sans motif, puis la mutation « dans l’intérêt du service » du professeur de mathématiques Kaï Terada dont Politis vous racontait son histoire ici et ici. Cette sanction à son égard est d’ailleurs la dernière revendication des lycéens qui protestent, en chœur avec une grosse partie de l’équipe pédagogique, contre la mutation « sans raison » de ce professeur historique et apprécié du lycée Joliot-Curie.

Lorsqu’on regarde le tableau global, force est de constater que les pouvoirs publics, plutôt que d’apporter des solutions pour permettre « le fonctionnement serein de l’établissement », ont attisé les colères. L’académie, d’abord, en décidant de muter Kaï Terada et de supprimer l’aide aux devoirs tel qu’elle fonctionnait depuis plusieurs années. La Préfecture, ensuite, en décidant d’un dispositif important devant le lycée mardi matin, « largement disproportionné » selon la plupart de nos interlocuteurs. Pour le retour à la sérénité, on repassera.

publié le 13 octobre 2022

« En Iran, une division à l’intérieur des forces armées serait en cours »

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Protestations Porté par les femmes depuis septembre, un mouvement de contestation secoue le régime iranien. Le chercheur Stéphane Dudoignon en décrypte les caractéristiques et la diversité.

Stéphane Dudoignon Chercheur au CNRS. Fin connaisseur de l’Iran et des peuples qui le composent, Stéphane Dudoignon, qui a écrit sur l’un des piliers de la République islamique d’Iran, les gardiens de la révolution (1), analyse l’attitude de ce corps militaire face au mouvement de protestation et les antagonismes locaux et régionaux dans le pays.

Comment caractériser ce mouvement ?

Stéphane Dudoignon : C’est un mouvement qui rappelle les mouvements endémiques des dix dernières années. Dès le début de la présidence de Hassan Rohani, en 2013, on a assisté à une succession de grèves, de manifestations, d’occupations de lieux publics, avec une intensification particulière entre fin 2017 et fin 2019. Il y a eu de nombreux mouvements au quotidien sur une très très large échelle et avec une virulence particulière pendant l’hiver 2017-2018, puis à nouveau à l’automne 2019. Et, à chaque fois, de la part du régime, une approche répressive. Mais ce sont des mouvements qui, particulièrement en 2017-2018, avaient gagné quasiment l’ensemble du territoire et des groupes sociaux très différents, dans lesquels on retrouvait des gens de tous les âges. On voyait déjà beaucoup de femmes.

La nouveauté réside d’abord dans le tour féministe marqué qu’ont pris les manifestations de ces dernières semaines. Avec un rôle particulièrement important joué sur les réseaux sociaux souvent par de très jeunes femmes, adolescentes pour certaines, arrachant leur voile publiquement. Elles exigent un changement radical de l’ordre des choses. Il y a aussi un tournant intéressant qui a été pris dans la mesure où Mahsa Animi, qui a été assassinée, était kurde et sunnite. C’est donc que la protestation a pris une dimension particulière, d’abord au Kurdistan, dans sa ville de Saqqez, mais aussi dans d’autres régions où vivent des minorités, comme le Baloutchistan, qui, à la fin du mois de septembre, s’est trouvé en pointe dans les manifestations mais également dans leur répression après le viol d’une adolescente baloutche dans un commissariat de la ville portuaire de Chabahar : on a eu affaire à un massacre ethnique particulièrement fort.

Enfin, troisième élément de nouveauté, apparemment il y aurait un début de division à l’intérieur des forces de police et des forces armées avec certaines réticences expliquées par la troupe et par de jeunes officiers face au choix fait par les autorités du tout-répressif et du niveau extrêmement élevé de la violence appliquée aujourd’hui contre les manifestantes et les manifestants un peu partout en Iran. Mais cela ne se traduit pas, pour l’instant, par des divisions au sommet.

On avait dit que le shah était aussi tombé en 1979 lorsque les marchands du bazar et les ouvriers, notamment de la pétrochimie, étaient entrés dans le mouvement. L’absence de ces forces peut-elle être un frein, mêmesi cela commence à bouger à Bouchehr ?

Stéphane Dudoignon : C’est possible. Mais il existe un autre paramètre. En 1979, dans certaines villes, la police avait déserté les rues. Vous parlez des ouvriers. Il faut souligner que, en Iran, il existe un syndicalisme particulièrement actif – même s’il est quasiment interdit –, avec de très nombreuses grèves. Il y en a parfois 900 sur une année. L’autre élément de ­nouveauté, c’est l’extrême diversité locale et régionale des situations. Dans les face-à-face, on va avoir des manifestants qui pourront être des retraités mécontents de leur pension, des propriétaires exploitants agricoles privés d’eau par le rationnement, donc en colère contre le régime, des enseignants furieux de ne pas être payés depuis des mois. On va avoir un mouvement politique et social plus ou moins structuré qui va toucher des populations appartenant à des catégories socioprofessionnelles diverses.

La répression qui s’abat pourrait être encore pire vu les antécédents du régime iranien. Dans ce contexte, les gardiens de la révolution, les pasdarans, bras armé politique du pouvoir, apparaissent absents, sauf au Kurdistan. Comment l’expliquer ?

Stéphane Dudoignon : Il existe un certain nombre de localités où la troupe, lorsqu’elle est issue des gardiens de la révolution et plus particulièrement d’un de leurs corps, les bassidjis, en charge de l’encadrement et de la surveillance de la population, a des réticences à tirer sur la foule. Il faut savoir que, dans les régions centrales de l’Iran – les régions persanophones, chiites, qui ne posent pas de problème dans la diversité ethno-confessionnelle –, les garnisons sont constituées de gens habitant dans ces régions. Ils font leur carrière, bassidjis puis pasdarans, dans le chef-lieu de leur district. Le jour où il y a une manifestation, ils vont avoir face à eux leurs camarades d’école, leurs voisins ou leurs cousins. Forcément, ils vont avoir des difficultés à tirer dans les endroits où les gens se seront emparés du pouvoir.

C’est très différent de ce que l’on observe à la périphérie, où vivent des Kurdes, des Baloutches, des Turkmènes ou des Arabes. Cette situation explique en partie un nombre de morts parfois important. Car les garnisons, qui viennent d’ailleurs, ne vont pas appartenir au même groupe ethno-confessionnel que la population majoritaire de la région. Elles auront tendance à considérer la population face à elles comme étrangère, y compris parfois avec des relents racistes, ethniques et religieux. Si Mahsa Amini a pu faire l’objet d’une telle violence de la part de la police des mœurs dans un commissariat à Téhéran, c’est pour ces mêmes raisons. En tant que femme, kurde, sunnite, pour un milicien de base de la police des mœurs, elle a pu être considérée comme une sous-femme.

Les gardiens de la révolution représentent un pouvoir politique et économique très important. Ils ne voudront pas lâcher le pouvoir. Quelle alternative leur reste-t-il ?

Stéphane Dudoignon : Tout dépend de la façon dont les choses vont évoluer. Avec probablement une grande diversité d’antagonismes locaux et régionaux. Les possibilités de transition sont multiples. Un des axes des pasdarans depuis 1990 a été de préparer en quelque sorte une transition politique en s’emparant, un peu partout en Iran, du secteur dit des coopératives : ni publiques, ni privées. Dans ce secteur, les gardiens se sont arrangés pour mettre la main de manière durable sur un certain nombre de leviers économiques qui puissent perpétuer leur pouvoir, leur domination sur le système économique iranien, même en cas de changement de régime. Au point que les alternances à la tête de la République islamique entre conservateurs, centristes et réformistes n’ont, en aucune mesure, entamé cette domination. À l’intérieur du corps des gardiens, un des grands espoirs est que, quel que soit le régime, cette domination puisse être renégociée. Même si, de la part de la population mais aussi d’un certain nombre de chefs des forces armées, c’est une domination qui fait l’objet d’une contestation de plus en plus importante. Par ailleurs, on imagine difficilement les gardiens pouvoir se passer de leur allié, partenaire et axe de leur légitimité indispensable, le guide suprême.

(1) Les Gardiens de la révolution islamique d’Iran, de Stéphane A. Dudoignon, CNRS Éditions, 288 pages, 25 euros.

publié le 12 octobre 2022

Réquisition des raffineries ExxonMobil : le droit de grève piétiné

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr

Elisabeth Borne a annoncé la réquisition des raffineries ExxonMobil. La négociation salariale, louée jusqu’alors par le gouvernement, ne convient plus lorsqu’elle se fait avec un rapport de force réel. A ce moment-là, l’Etat révèle son vrai visage et foule aux pieds le droit de grève.

« J’ai demandé aux préfets d’engager la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts d’EssoxxonMobil », a déclaré Elisabeth Borne ce mardi, depuis l’Assemblée nationale. Le coup de force du gouvernement planait sur la grève des raffineurs depuis 24h déjà, le voilà établi et assumé.

Réunis aujourd’hui sur les piquets des raffineries à l’appel de la FNIC-CGT (fédération CGT des industries chimiques), les militants s’y attendaient et n’avaient pas hésité à mettre en garde le gouvernement. « S’il font cela ce sera pris comme une déclaration de guerre », a-t-on répété du côté de la CGT TotalEnergies, mais aussi de la FNIC-CGT et de l’Union départementale des Bouches-du-Rhône. Pas de quoi inquiéter le gouvernement, ni même le faire réfléchir à la quasi illégalité du procédé. Quelques heures plus tard, la guerre était effectivement déclarée et la première ministre tentait déjà de la légitimer, voire de l’étendre. Car si aucun accord avec la direction n’est trouvé chez TotalEnergies, les grévistes sont les prochains sur la liste. L’Etat est clairement passé à la vitesse supérieure.

S’appuyer sur le revirement de la CFDT

Jusqu’alors, le gouvernement avait toujours refusé de s’immiscer dans les négociations salariales. Bien souvent à l’avantage des employeurs. Mais lorsque le pouvoir de blocage des travailleurs devient trop gênant, comme dans le cas des raffineries ExxonMobil en grève depuis 20 jours, force est de constater que le non interventionnisme ne tient plus. Non. Lorsque les pompes à essence sont vides, Elisabeth Borne sait mieux que les salariés eux-mêmes quelles conditions de rémunération ils doivent accepter. Et elle ne se prive pas de le rappeler devant les députés : « Ce ne sont pas des accords à minima que proposent la direction d’ExxonMobil ». Sous-entendu : acceptez-les. Forte de cette déclaration la première ministre, n’a plus qu’à attribuer la responsabilité des désagréments liés à la grèves aux grévistes eux-mêmes, voire directement à leurs syndicats, pour les décrédibiliser. « Une partie des organisations syndicales veut continuer ce blocage, alors qu’un accord a été trouvé, nous ne pouvons pas l’accepter », continue l’ex-ministre du travail.

De fait, hier soir, la CFDT ExxonMobil a annoncé qu’elle signerait bien l’accord proposé par la direction dans l’après-midi. A savoir : 5,5% d’augmentation générale des salaires (plancher de 125€), 0,5% d’augmentation individuelle. 3000€ de prime Macron et 750€ de prime transport. Par cette décision, elle rejoignait la CFE-CGC, premier syndicat du groupe. Ce dernier avait déjà fait part de sa volonté d’accepter ces propositions dès septembre. A eux deux, les syndicats se retrouvent majoritaires et l’accord est validé. Mais la grève n’est pas levée pour autant. Quelques heures plus tôt, sa reconduction était votée sur les piquets de Notre-Dame-de-Gravenchon et de Fos-sur-Mer. Les grévistes continuaient à demander 6% d’augmentation générale (plancher de 170€) et 1,5% d’augmentations individuelles. Une décision inacceptable pour Elisabeth Borne, qui selon elle, délégitimait la grève.

Mais la ministre oublie sans doute une chose : en France une grève n’a nullement besoin d’être majoritaire pour être légitime, encore moins pour être légale. Et si une mobilisation est suffisamment massive pour empêcher une raffinerie de tourner, il ne s’agit pas là d’un « blocage », comme l’assure Elisabeth Borne, mais du simple exercice du droit de grève. Rien à faire, le gouvernement ne l’entend pas ainsi et demande la réquisition des grévistes.

 La réquisition chez ExxonMobil, un procédé illégal ?

La réquisition ? « Sarkozy l’a déjà fait en 2010 », nous rappelle Sébastien Saliba, secrétaire général CGT de la raffinerie de Feyzin. En pleine bataille contre la réforme des retraites, sur ordre du gouvernement, les préfectures avaient ainsi pris des arrêtés pour que les grévistes des raffineries se remettent au travail. Pour établir ces arrêtés, toute la subtilité juridique consistait alors à évaluer combien de salariés étaient nécessaires pour que les raffineries puissent assurer le fonctionnement de services jugés essentiels. La santé, la police notamment. Il ne fallait pas non plus remettre tous les raffineurs au travail, auquel cas on portait atteinte au droit de grève.

Dans cette bataille juridique, la CGT avait saisi le Conseil d’Etat et avait réussi à faire annuler certaines réquisitions, d’autres non, rappelle France Info. A l’issue de cette séquence, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) avait critiqué le comportement de l’Etat français, lui reprochant d’avoir tranché le conflit trop unilatéralement.

Comment les choses vont-elles se passer cette fois-ci ? Impossible de le prévoir, mais outre la bataille juridique à venir, les grévistes des raffineries ont déjà fait part de leur volonté d’obtenir du soutien de la part des autres salariés du pays, eux-aussi touchés par l’inflation. La bataille n’est donc pas terminée.

Le recours à la réquisition reste un véritable aveu de faiblesse de la part de l’Etat. Tant dans son incapacité à faire respecter le droit de grève, que dans son inaptitude à peser sur les choix des multinationales du pétrole. Rappelons tout de même que les grévistes d’ExxonMobil demandaient simplement une augmentation générale des salaires d’à peine 1,5 point supérieure à ce que voulait bien leur donner leurs patrons. Patrons dont l’entreprise a réalisé 17,5 milliards de dollars au seul second trimestre 2022.


 


 

Fébrilité et servilité

Stéphane Sahuc sur www.humanite.fr

Le gouvernement redoute un effet d’entraînement d’une victoire de la lutte sociale dans les raffineries et s’aligne sur les intérêts des actionnaires des multinationales pétrolières et verse dans l’illégalité.

Présenter les grévistes des raffineries comme des nantis égoïstes qui prendraient en otage des salariés pauvres et dépendants de leur véhicule est aussi original que dénoncer ces « privilégiés de cheminots qui bloquent la France ». Mais la dialectique de la prise d’otages a ceci de pratique qu’elle justifie a priori toutes les actions pour libérer lesdits otages. Réquisition des salariés, déblocage de sites par la force, rien ne serait illégitime aux yeux d’un gouvernement plus facilement disposé à s’asseoir sur le droit de grève qu’à s’en prendre aux superprofits.

Pour mémoire, outre les augmentations pour ses hauts dirigeants, Total a gratifié ses actionnaires de 2,6 milliards d’euros, en plus des dividendes réguliers. Un « pognon de dingue » qui ne ruisselle pas plus dans les poches des salariés que dans les caisses de l’État. Les exigences des grévistes ne sont pas de nature à mettre les pétroliers sur la paille. FO estime ainsi à 11 millions d’euros le coût des revendications chez ExxonMobil. Or, chaque jour de grève prive le groupe de 3 millions d’euros.

Pourtant, ce n’est pas sur les directions que le gouvernement met la pression. L’annonce par Élisabeth Borne de la réquisition des personnels du groupe ExxonMobil prouve la fébrilité et la servilité du gouvernement. La réquisition des salariés grévistes est notamment encadrée par le Code de la défense, dans des situations rares comme un contexte de guerre. En 2010, le tribunal administratif de Melun avait d’ailleurs estimé que la réquisition de la quasi-totalité du personnel de la raffinerie Total de Grandpuits (Seine-et-Marne) par le préfet avait porté une « atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève ». Si le gouvernement, applaudi par la droite et le RN, est prêt à faire feu de tout bois pour casser la grève, délégitimer le mouvement social et opposer entre eux les salariés de notre pays, c’est parce qu’il a une peur bleue de l’effet d’entraînement que pourrait avoir une victoire sociale en cette rentrée. L’enjeu pour le pouvoir est d’en finir avant la marche du 16 octobre. Quoi qu’il en coûte, y compris en versant dans l’illégalité.

« Seuls les plus qualifiés pourraient se permettre le luxe de trouver du sens à leur travail. C’est faux »

par Thomas Coutrot surhttps://basta.media

La perte de sens au travail est l’une des principales causes de « la grande démission ». L’économiste Thomas Coutrot détaille pour basta! une proposition pour renforcer le pouvoir d’agir des salariés au quotidien sur leur travail. Thomas Coutrot est économiste, chercheur à l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales)

Les départs volontaires, démissions ou ruptures conventionnelles, n’ont jamais été aussi nombreux en France. Plus nouveau encore : de plus en plus, les salarié·es démissionnent ou se détournent de certains emplois au regard des conditions de travail insoutenables qui leur sont proposées.

Avant même la crise sanitaire, bien plus qu’à cause d’un salaire jugé insuffisant, les démissions s’expliquaient par un travail trop intense, des conflits avec la hiérarchie et surtout une perte de sens du travail. La pandémie n’a fait qu’accentuer le phénomène.

Qu’on le veuille ou non, le travail est central dans nos vies : c’est l’activité par laquelle nous transformons à la fois le monde matériel, la société et nous-mêmes. Il y a selon nous [1] trois conditions pour qu’une personne trouve du sens à son travail : l’utilité sociale (mon travail répond à des besoins réels), la cohérence éthique (je peux faire un travail de qualité, je respecte la santé des autres et de la planète), la capacité de développement (j’apprends des choses nouvelles, je développe mes capacités).

Si l’une de ces dimensions vient à manquer – ce qui est en général le cas avec le management par les chiffres sous domination de la finance, qui a envahi les entreprises et les administrations -, c’est ma santé qui est en danger. Les démissions sont souvent le fait de salarié·es qui veulent sauver leur peau, ou au moins leur santé mentale.

« Renoncer à la vision simpliste du travail comme pure aliénation »

Une idée reçue veut que seul·es les plus qualifié·es puissent se permettre le luxe de trouver du sens à leur travail. C’est faux. Certes, nos données montrent que les ouvrier·es trouvent en moyenne moins de sens à leur travail, qui est plus contraint. Mais quand leur travail perd son sens, leur risque de dépression est multiplié par deux comme pour les cadres. Ils et elles sont tout aussi enclin·es à démissionner quand c’est le cas. C’est une question vitale pour toutes et tous, même en bas de l’échelle. Les aides-soignantes, les auxiliaires de vie, les agent·es de service souffrent tout autant de ne pas pouvoir faire du bon travail que les ingénieur·es, les magistrat·es ou les enseignant·es.

Quand le travail perd son sens, le risque de dépression est multiplié par deux

Il faut, pour le comprendre, renoncer à la vision simpliste du travail comme pure aliénation. L’ergonomie et la psychologie du travail l’ont abondamment montré : dans le travail, nous mobilisons notre sensibilité, notre intelligence, notre expérience, pour faire face aux imprévus qui surgissent sans cesse. Nous déployons notre travail vivant pour surmonter la résistance du réel. Même dans les métiers les moins qualifiés, nous mettons du nôtre. Et nous souffrons parce que le management par les chiffres pour les actionnaires ou les bureaucrates nous empêche de bien faire ce qui nous semble important.

S’appuyer sur les savoirs et aspirations des salariés pour créer une dynamique collective

Il y a là une source potentielle d’action collective peu utilisée par les syndicats et ignorée par les partis de gauche. La tradition de l’enquête ouvrière et les expériences de démarche revendicative partant du travail réel ont pourtant montré qu’en s’appuyant sur leurs savoirs et leurs aspirations, souvent méconnus des salarié·es mêmes, par une activité de délibération et d’enquête sur le travail, on peut redynamiser ou créer une dynamique collective et un rapport de forces. La réduction du temps de travail subordonné (RTTS) vise à mettre en œuvre à grande échelle cette politique du travail vivant.

Il s’agirait en fait d’étendre à l’ensemble des salariés le droit à du temps de travail, rémunéré, mais hors subordination, dont disposent déjà les représentants du personnel (élus ou délégués syndicaux). Le paiement des heures de délégation reconnaît déjà ce travail de représentation comme une activité utile à l’entreprise et à la société : la RTTS reconnaîtra de la même manière le travail de délibération des salariés, les meilleurs connaisseurs de leur travail, sur son organisation et ses finalités.

Délibérer sur le travail

Par exemple, une loi de RTT à 32 heures pourra prévoir qu’une des trois heures gagnées sera consacrée non pas à des activités hors travail, mais à la délibération sur le travail. Dans ces réunions de délibération, qui pourront prendre la forme d’une demi-journée mensuelle, on discutera, à partir de l’expérience concrète de chacun·e, pour mettre en lumière les trucs et ficelles par lesquels on essaie de surmonter ce qui empêche de bien travailler. On interrogera les modes d’organisation du travail et leurs effets sur la santé des salariés, des destinataires du travail, des riverains et de la nature. On élaborera des propositions d’améliorations sur tous ces aspects, ensuite portées par les délégué·es devant la direction, celle-ci étant tenue de justifier ses réponses. Dans les grandes entreprises, l’intégration dans ces débats des associations de clients/usagers, de riverains et de défense de l’environnement permettra d’associer des parties prenantes extérieures, ô combien concernées par les effets du travail.

On discutera pour mettre en lumière les trucs et ficelles par lesquels on essaie de surmonter ce qui empêche de bien travailler

Ces temps de délibération devront être préparés, animés et répercutés par des délégué·es élu·es et formé·es à cet exercice difficile. Dans chaque unité de travail, en remplacement des délégués du personnel, supprimés en France par les ordonnances Macron de 2017, seront élus des délégués à la délibération sur le travail, pourvus de la responsabilité, et du temps, de mener des enquêtes sur le travail réel auprès et avec les salariés.

« Il est décisif de ne pas "lâcher le travail" »

Ces heures de délibération iront bien au-delà du « droit d’expression » instauré par les lois Auroux de 1982, et depuis tombé en désuétude, et a fortiori des pauvres (et mort-nés) « espaces de discussion sur le travail » évoqués par le patronat et certains syndicats dans l’accord interprofessionnel « Qualité de vie au travail » de 2013. Les salarié·es et leurs représentant·es décideront en toute autonomie de l’organisation et de l’ordre du jour des réunions, où la parole sera libre du fait de l’absence – sauf exception décidée collectivement - de la hiérarchie. La confrontation entre collègues des expériences multiples et des divers points de vue sur le travail fera émerger des préoccupations et des propositions communes, étayant la controverse avec le management et favorisant l’action collective.

Nul doute qu’un tel renforcement de leur pouvoir d’agir au quotidien sur leur travail serait de nature à mobiliser les salariés et à redonner du sens à leur travail. Nous sommes aujourd’hui confrontés à l’imminence d’une grave crise économique et financière, qui signale sans doute la fin d’une époque. La « grande démission » risque de laisser la place à la « grande dépression », et les questions de l’emploi de reprendre la priorité sur celles du travail. Il est pourtant décisif de ne pas « lâcher le travail » si nous voulons ouvrir une véritable perspective de bifurcation sociale, démocratique et écologique.

Thomas Coutrot, statisticien, économiste et militant altermondialiste. Il est aujourd’hui chercheur associé à l’Irés (Institut de recherches économiques et sociales), après avoir dirigé de 2003 à 2022 le département Conditions de Travail et Santé à la Dares (ministère du Travail). Ses recherches et interventions portent sur les liens entre travail, santé et démocratie, et il coanime les ateliers Travail et Démocratie.

[1] Thomas Coutrot et Coralie Perez ont publié Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire (éditions du Seuil, 2022)

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publié le 11 octobre 2022

La Nupes pense déjà l’après-16 octobre

Diego Chauvet sur www.huma.fr

Vie chère La coalition de gauche espère que la marche de ce dimanche marquera le coup d’envoi d’un mouvement plus large.

Des actions à Marseille et à Toulouse samedi 15 octobre et une marche entre les places de la Nation et de la Bastille, à Paris, dimanche 16 octobre, à 14 heures. Les partis de la Nupes (à l’exception du PS, dont le représentant était « excusé pour raisons personnelles ») ont donné le coup d’envoi officiel, lundi, de la marche contre la vie chère, après plusieurs semaines de concertation. Si les grandes centrales syndicales n’y appellent pas, étaient tout de même présentes à la conférence de presse des fédérations de la CGT telles que celle du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle ou encore celle du commerce. Par ailleurs, a annoncé la députée insoumise Aurélie Trouvé, un appel de 700 syndicalistes en faveur de cette marche devait être publié dans la foulée. Il fait suite à la tribune de soutien de 60 personnalités, dont la prix Nobel de littérature Annie Ernaux, publiée par le JDD la veille.

L’objectif de cette journée est de « stopper le rouleau compresseur néolibéral de la Macronie », affirme Aurélie Trouvé. Citant la forte mobilisation syndicale du 29 septembre, avec un million de grévistes, la députée souligne que la marche du 16 s’inscrit dans son prolongement. Et le but est bien d’élargir, voire d’en faire une étape vers des mobilisations sociales beaucoup plus fortes. Pour le NPA, Olivier Besancenot pressent même que « ce mouvement social d’ensemble qu’on attend depuis des années va peut-être arriver plus tôt que prévu. On doit être pris au sérieux ». Chez EELV, Hélène Hardy dénonce « un système à bout de souffle » et qui « détruit sous couvert de croissance ».

Par ailleurs, face aux attaques contre les grévistes du secteur pétrolier, la présidente du groupe insoumis à l’Assemblée, Mathilde Panot, a fustigé la Macronie. « Ceux qui empêchent les gens de vivre et de circuler, c’est le gouvernement, qui a refusé d’augmenter les salaires, de taxer les profits et de bloquer les prix », a lancé l’élue du Val-de-Marne. En cas de réussite de cette journée de mobilisation, les insoumis, qui avaient lancé l’appel initial, espèrent qu’elle trouvera des prolongements. « Sur l’après-16 octobre, une fois passé, on verra comment se projeter. Nous avons déjà des idées en tête », affirme ainsi Aurélie Trouvé. « Nous espérons bien que le 16 octobre marquera un démarrage encore plus grand », a également souligné Gérard Filoche pour la Gauche démocratique et sociale. Du côté du PCF, Igor Zamichiei a annoncé que les communistes soutiendraient « toute date décidée par l’intersyndicale pour mettre en échec la réforme des retraites ».

publié le 11 octobre 2022

Haïti : de désespoir et de rage - « (ré)affirmer que les Haïtiennes et Haïtiens ont raison de se révolter. »

Frédéric Thomas sur https://lundi.am

 

Depuis trois semaines, Haïti est en état d’insurrection. La hausse brutale du prix du carburant en est le déclencheur. Il faut non seulement rendre compte des raisons de la révolte, mais aussi et surtout, (ré)affirmer que les Haïtiennes et Haïtiens ont raison de se révolter.

Depuis l’annonce, le 11 septembre dernier, de l’augmentation du prix du carburant – il a doublé –, Haïti se trouve à nouveau en état d’insurrection. Les rues sont désertes, les quartiers barricadés et les villes vivent au rythme des manifestations, tournant ici ou là à l’émeute. Comme en 2018-2019, lors du soulèvement populaire contre la vie chère et la corruption, l’oligarchie et les inégalités, Haïti est en mode peyi lock.

Le pillage et l’incendie d’un entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM), la plus grande institution onusienne, a suscité l’émoi de la communauté internationale. Les réactions semblent plus outrées qu’en juillet passé, face au massacre – plus de 300 personnes tuées – qui secouait un quartier populaire de la capitale, Port-au-Prince. Il est vrai qu’il ne s’agissait alors que d’une énième péripétie dans l’effondrement d’un pays ingouvernable, et que les gouvernements « amis » étaient occupés à un dossier autrement plus sérieux et urgent : le renouvellement de la mission onusienne sur place, dont l’échec, patent, est à la mesure de son discrédit.

Sur le ton de la réprimande adressée à des enfants gâtés qui auraient cassé leur jouet, le PAM a fermement condamné l’attaque et la destruction de son entrepôt, en affirmant que la nourriture pillée aurait dû servir à nourrir des dizaines de milliers de familles. De tels actes sont « inacceptables » a-t-il affirmé. Mais, l’instrumentalisation de la terreur et des bandes armées, la systématisation des viols, l’impunité et le soutien inconditionnel à un gouvernement illégitime qui accélère la gangstérisation de l’État ne le sont-ils pas tout autant, sinon plus ?

« L’inacceptable », les Haïtiens et plus encore les Haïtiennes, le subissent, au quotidien, depuis des mois. Est-il acceptable de passer sous silence les causes, de ne pas nommer les acteurs et les responsables, de ne rien dire de l’injustice, de ne pas déjouer l’imbrication du narratif et de la pratique humanitaires dans les dispositifs de contrôle et de subordination qui autorisent et entretiennent cet inacceptable ?

En réalité, avec les sacs alimentaires du PAM, brûlait aussi l’illusion dont se berce la communauté internationale que toute son aide la lave de ses fautes et responsabilités dans la situation actuelle, et la rachète aux yeux de la population haïtienne. On regrette dès lors amèrement que les Haïtiens – ces ingrats – ne fassent pas la distinction entre l’ONU, pourvoyeur d’aide humanitaire, d’un côté, caisse de résonnance de Washington et barrage à tout changement, de l’autre. De même s’étonne-t-on que la communauté internationale soit rejetée comme un bloc et que personne sur place ne veuille faire la distinction entre toutes les nuances de gris du néocolonialisme, de l’alignement sur la Maison Blanche et de l’aveuglement diplomatique.

Révoltes logiques

Est-il si surprenant que la population haïtienne, exaspérée et appauvrie, se soulève pour exprimer son ras-le-bol à l’annonce faite, par un Premier ministre sans mandat ni légitimité, du doublement du prix des carburants, dont dépend toute l’économie nationale ? Apparemment oui, pour les diplomates et les fonctionnaires des institutions internationales. Pris dans leur vision idéologique, obsédés par la stabilité macro-économique, ils sacrifient les faits et la colère populaire, préoccupés avant tout par la gouvernance et la reconduction d’un système qui, aussi pourri soit-il, est celui avec lequel ils s’accommodent le mieux.

Quand il n’y a pas d’insurrection, ils se persuadent que leur diplomatie fonctionne et que les choses s’améliorent. Quand la révolte éclate, ils l’attribuent à la manipulation de chefs de gangs, persuadés que cela va passer. Leur politique du déni est aussi un déni du politique, qui gomme les raisons et les revendications du soulèvement, et tente de fondre dans une panoplie de mesures humanitaires et sécuritaires – formation et équipement de la police haïtienne (nettement plus efficace contre les manifestants que face aux bandes armées) – la stratégie poursuivie.

Faute de reconnaître l’échec de cette diplomatie et la volonté de changement des Haïtiens et Haïtiennes, s’opère une fuite en avant dans le spectacle. Ainsi, le ministre haïtien des affaires étrangères annonce au Conseil de sécurité de l’ONU que « tout est sous contrôle » dans le pays, tandis que les divers représentants de la communauté internationale répètent pour la énième fois leur préoccupation, leur attachement aux droits humains et leur appel à une solution haïtienne à la crise.

Une solution haïtienne a pourtant été mise en avant depuis plus d’un an au sein de l’Accord Montana, qui regroupe une très large convergence d’acteurs et d’actrices de la société civile. Ils se sont accordés sur les conditions et les étapes d’un programme ; celui d’« une transition de rupture ». Malheureusement, aux yeux de Washington et de ses affidés, ce n’est pas la « bonne » solution ni le « bon » peuple haïtien. Il faut, au contraire, passer au plus vite par la case élections.

L’absurdité d’imposer – à l’encontre de la grande majorité – des élections, organisées par un gouvernement incapable et corrompu, lié aux bandes armées qui contrôlent désormais la majorité de Port-au-Prince, et d’en attendre une stabilisation du régime et une légitimation du pouvoir, ne s’explique que par le refus de toute alternative populaire qui, nécessairement, échapperait au contrôle de la Maison Blanche.

Dans les réactions internationales à la rébellion en Haïti se lit une triple épouvante : celle des Noirs, des populations du Sud et de la « plèbe ». Certes, il convient de se défier du romantisme insurrectionnel à 7.000 km de distance et le ventre plein, mais, il faut plus encore se défaire de tout discours paternaliste ou d’une fausse compassion qui voit dans la révolte un accident ou une erreur.

Le soulèvement actuel a clarifié les positions. En quittant la place qui leur était assignée – celle d’une population sous tutelle, administrée « par le haut », et condamnée à bénéficier d’une aide humanitaire sans issue –, les Haïtiens et Haïtiennes ont momentanément fait sauter le verrou du statu quo et de la domination. Ils ont, dans le même temps, mis à nus le cynisme et la duplicité internationales. Et ramené à sa plus simple expression les options auxquelles ils font face : subir isolément, au sein de chaque famille, la peur du rapt et du viol, la violence du mépris et de la domination, ou les affronter collectivement dans la rue. Au risque de s’exposer à un nouveau massacre, orchestré par les bandes armées, et téléguidé par le pouvoir.

Il faut le dire et le répéter : non seulement les Haïtiens et Haïtiennes ont raison de se révolter, mais seule la révolte ouvre la voie d’un changement, en permettant de se dégager de la double subordination à l’oligarchie et à la communauté internationale.

Frédéric Thomas, Docteur en sciences politiques, chargé d’étude au CETRI – Centre tricontinental (www.cetri.be)

publié le 10 octobre 2022

À Ganges les populations exigent le maintien
de leur maternité

Par Jean-Marie DINH sur https://altermidi.org/

Plus de 500 personnes, Gangeoises, Gangeois et populations des communes alentours, bien souvent accompagnées de leurs élu.e.s locaux.ales se sont rassemblées jeudi 6 octobre devant la clinique Saint-Louis de Ganges pour exiger le maintient de la maternité.

Les déserts médicaux sont devenus un vrai mal de la société française. On le mesure concrètement quand on réalise, comme à Ganges, que le départ d’un gynécologue à la retraite peut soudainement faire disparaître un service public essentiel à 30 000 personnes. La mobilisation citoyenne unitaire qui a rassemblé hier plus de 500 personnes permet aussi d’observer comment la défense d’une maternité en zone rurale fédère les populations et les élu.e.s locaux.ales autour du droit à disposer d’un service public, quand bien même il est géré par une clinique privée.

L’établissement est menacé de fermeture faute de médecin : après qu’un gynécologue-obstétricien a fait valoir ses droits à la retraite, l’appel à candidature lancé en juin dernier par la clinique n’a jusqu’à présent reçu aucune candidature. La direction de l’établissement a annoncée qu’elle fermerait le service si elle se trouvait dans l’impossibilité de pourvoir le poste d’ici la fin de l’année.

Devant la maternité, les prises de paroles se sont succédé pour évoquer le droit d’être informé.e : « Pourquoi apprend-on cela dans la presse ? Dans une situation comme celle-là, le maire ne peut pas prendre les décisions tout seul dans son coin ; ceux sont tous.tes les citoyen.ne.s qui sont concerné.e.s. Ils.elles doivent prendre part aux décisions. »

Depuis le début de l’année, près de 200 bébés sont nés dans la maternité, 250 devraient voir le jour d’ici la fin de l’année. « Pense-t-on à toutes les femmes enceintes actuellement et à leurs familles qui ne savent pas ce qu’il va advenir ? Elles ne savent pas s’il faudra qu’elles se rendent à Montpellier, à Nîmes ou à Alès en prenant la route à la dernière minute. (…) Nos têtes sont pleines de questions sur les nombreuses conséquences qu’occasionnerait la fermeture », confie une membre du personnel, « va-t-on saturer les pompiers ? »

Un représentant syndical évoque l’impact d’une fermeture sur les salarié.e.s : « Que vont devenir des 14 salarié.e.s de l’étage de la maternité ? Conserveront-ils.elles leurs postes ? Vont-ils.elles être muté.e.s dans d’autres établissements loin de chez eux.elles ? »

Alerte des personnels sur les risques liés à la fermeture

Le témoignage des sage-femmes de la Clinique Saint-Louis pointe quand à lui les nombreux risques qu’induirait la fermeture. « Un centre IVG-maternité à plus d’une heure de transport accroît les risques d’accouchement inopiné, mais aussi s’il y a la nécessité d’une prise en charge d’urgence. La fermeture aura aussi des conséquences sur les IVG puisque les IVG médicamenteuses ne seront plus assurées par l’établissement. À plus d’une heure de route cela peut peser sur la décision des jeunes femmes. Cela peut également créer des situations de détresse pour les femmes enceintes qui seraient déplacées en ville sur 15 jours. Les accouchements seront-ils déclenchés ? — ce qui est considéré comme de la violence obstétricale. Enfin, il y a actuellement une recrudescence d’accouchements à domicile qui sont accompagnés par une sage-femme. Si la maternité ferme, cela ne sera plus possible. Certaines nous ont déjà fait savoir qu’elles accoucheraient sans assistance, ce qui représente un risque en cas d’hémorragie. »

« Ce n’est pas un problème d’argent »

Face à tous ces tourments parfois mêlés de colère, Lamine Gharbi, le président du groupe Cap Santé1 est apparu magnanime et pragmatique : « Le service nécessite trois gynécologues-obstétriciens, il est aujourd’hui clairement menacé. Durant 60 jours j’ai eu recours à des remplaçants qui viennent sur des missions courtes. Ils remplissent leur mission sans connaissance de l’établissement et du service, et repartent. On les appelle des mercenaires2. Je ne peux pas prendre le risque médical d’avoir une équipe avec laquelle je ne suis pas en confiance. »

Un appel à candidature a été lancé en juin dernier. M. Lamine Gharbi affirme n’avoir reçu aucune candidature pour des postes dont le salaire s’élève à 10 000 euros mensuel. « Je cherche des gynécologues-chirurgiens. Ce n’est pas un problème d’argent, précise-t-il, la maternité a toujours été déficitaire et c’est l’ARS (l’Agence régionale de Santé) qui compense. Il n’y a plus de médecin, c’est tout. C’est simple, c’est triste, affreux, mon devoir est de vous informer que si nous ne trouvons pas de candidats, le risque pour les femmes est plus important que celui de prendre la route… »

La politique de santé mise en question

Alors que le maire de Ganges, Michel Fratissier, et le sénateur Henri Cabanel s’attachent à gérer l’urgence en organisant un tour de table, les habitant.e.s du bassin de vie mobilisé.e.s distinguent les causes des conséquences. Au micro un élu met en question les politiques publiques de santé : « La question des déserts médicaux n’a pas été traité comme elle le devrait. Il faut analyser comment les choses se passent, comment elles se sont dégradées, et quelles sont aujourd’hui les solutions. »

Au delà du cas par cas qui consiste à gérer la pénurie, les solutions existent mais elles ne peuvent être que structurelles et nécessitent un changement de cap politique. L’absence de candidats ou le caractère isolé du territoire ne sont pas les seules explications. Le recours à la télémédecine, qu’il est nécessaire de développer, n’est en rien un remède à la désertification médicale, ce qui apparaît clairement dans le cas d’une maternité. La télémédecine ne remplace pas un service. Seule une réforme structurelle de l’ensemble du système de santé, à partir de ses valeurs fondamentales qui en ont fait son succès, résoudra la question des déserts médicaux. Cela passe par le renforcement de la responsabilité et de l’autonomie des professionnel.elle.s de santé et des usager.ère.s.

Rétablir l’équité territoriale

Partout dans l’hexagone, les inégalités territoriales d’accès aux soins ne cessent de se creuser. Une partie croissante de la population peine à organiser son parcours de soins. Les menaces qui pèsent sur la maternité de Ganges s’ancre très concrètement dans la réalité des habitant.e.s. Elles comportent aussi une dimension symbolique touchant à l’avenir du territoire.

Dans la soirée du 6 octobre, après la mobilisation, une réunion était programmée à huis clos sur l’avenir de la maternité, qui réunissait élu.e.s locaux.ales, parlementaires, patron de l’ARS et le président du groupe Cap Santé, mais aucun représentant des citoyens.

Le comité d’action a prévu de suivre l’affaire de près. Il n’entend pas baisser les bras et porte bien haut le slogan : “Une maternité qui disparaît, c’est un territoire qu’on stérilise”.

Notes :

  1. Le groupe Cap Santé comporte aujourd’hui 18 établissements, organisés en filières, avec des cliniques chirurgicales, une clinique psychiatrique, un service d’hospitalisation à domicile, des établissements de soins de suite et de réadaptation, des EHPAD, une crèche ainsi que des sociétés d’ambulances et un service de télémédecine. Il dispose de 900 lits dans la région, et emploie 1 552 salariés dont 300 médecins.

  2. Ces personnels exigent jusqu’à 3 000 euros pour 24 heures.

publié le 10 octobre 2022

Patrick Drahi
ne nous fera pas taire !

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

74 médias indépendants et organisations de journalistes (dont Rapports de force) s’indignent de la décision de justice obtenue par le milliardaire et son groupe Altice contre nos collègues de Reflets-info. Au nom du secret des affaires, il est décidé par le tribunal de commerce de Nanterre d’une censure préalable de toute information susceptible d’être publiée sur ce groupe. Du jamais vu.

 Pilier de la République, la loi de 1881 sur la liberté de la presse proclame en son article 1 : « L’imprimerie et la librairie sont libres ». C’est ce principe fondamental que le tribunal de commerce de Nanterre vient de violer, saisi en référé par le groupe Altice, basé au Luxembourg et propriété du milliardaire Patrick Drahi.

Dans une décision rendue le 6 octobre 2022, le tribunal de commerce de Nanterre condamne le média indépendant d’investigation Reflets-info, spécialisé dans les enquêtes sur le numérique, les données open source et les leaks, à verser 4.500 euros au groupe de Patrick Drahi. Surtout, il lui « ordonne de ne pas publier sur le site de son journal en ligne de nouvelles informations » sur Altice (lire ici l’ordonnance de référé).

Un tribunal de commerce installe ainsi une censure a priori d’articles même pas publiés ! Dit autrement, il s’agit d’une interdiction professionnelle. C’est un effarant retour à l’Ancien Régime qui ne peut que rappeler le rétablissement de l’autorisation préalable de publication par le roi Charles X en juillet 1830. Cela provoquera la révolution des « Trois glorieuses » et sa chute…

Le groupe Altice a poursuivi Reflets-info pour une série d’articles réalisés à partir d’informations issues d’une fuite de plusieurs centaines de milliers de documents internes au groupe et mis en ligne sur le web au mois d’août. On y découvre, entre autres, le train de vie somptuaire de Patrick Drahi et de sa famille, dont l’usage immodéré de jets privés (le détail est à lire ici). Altice estime qu’il s’agit d’une violation du secret des affaires quand nos collègues précisent qu’il ne s’agit là que d’informations d’intérêt général.

La décision liberticide du tribunal de commerce de Nanterre s’appuie sur la loi de 2018 protégeant le secret des affaires, alors défendue par Emmanuel Macron malgré les critiques de toutes les organisations, syndicats de journalistes et syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil). Cette loi permet de contourner la loi sur la presse de 1881, ce qu’a fait Altice en saisissant le tribunal de commerce de Nanterre.

Mais ce tribunal va plus loin encore, en jugeant que s’il n’y a pas à ce stade « de violation du secret des affaires », celle-ci pourrait survenir si les publications se poursuivaient ! Face à ce « danger imminent », mais hypothétique, la censure préalable est donc décidée et l’interdiction de publier édictée.

Dans ces outrances et incohérences -nos collègues de Reflets-Info ont annoncé faire appel-, le tribunal de commerce confirme les dangers majeurs pour l’information que porte la loi de 2018 sur le secret des affaires. Si sa décision venait à prospérer, c’est toute l’investigation économique qui pourrait disparaître. Impossible alors d’informer le public d’affaires telles que les Panama Papers, les Lux Leaks, les Malta Files, les Football Leaks, les Uber Files qui ont révélé d’immenses scandales d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Impossible d’enquêter sur la dette EDF, sur les filiales offshore de Bernard Arnault et LVMH, sur l’empire africain de Vincent Bolloré.

Le procès-bâillon intenté par Altice et son propriétaire Patrick Drahi à nos collègues de Reflets-Info frappe durement un média indépendant fragile financièrement. Il ruine le principe démocratique d’une presse libre et indépendante. Au moment où le pouvoir annonce des « états généraux sur le droit à l’information », nous, médias indépendants, demandons que le gouvernement se saisisse d’urgence de cette question.

D’abord en vidant la loi de 2018 sur le secret des affaires de toutes ses dispositions contraires à la liberté d’informer. Elle est une nouvelle attaque contre le journalisme, après les atteintes répétées au secret des sources et la loi séparatisme.

Ensuite, en légiférant pour que la loi de 1881 ne puisse plus être contournée et que les procédures bâillon soient sévèrement sanctionnées. Le débat sur le droit à l’information est légitime. Il ne doit être mené que dans le cadre d’une loi et d’une seule, celle de 1881. Nous redisons notre pleine solidarité à nos collègues de Reflets-info.

 

Liste des médias signataires de l’appel « Patrick Drahi ne nous fera pas taire ! »

Afrique XXI, Altermidi, L’alterpress68, Alternatives économiques, L’âge de faire, L’Arrière-Cour, AOC, Basta !, Bien Urbains, Blast, Le Bondy blog, Chabe!, Le Chiffon, La Clé des ondes, Collectif Antidotes, Le Courrier des Balkans, Le Courrier d’Europe centrale, La Déferlante, Disclose, La Disparition, Le Drenche, En attendant Nadeau, L’Empaillé, Extra Muros, Fakir, Femmes ici et ailleurs, Flush, Grand Format, Guiti News, Les Jours, Lokko, Marsactu, Mediacités, Mediacoop, Mediapart, Unmondemeilleur.info, Mouais, Natura Sciences, Orient XXI, Pays, Paris Lights Up, Le Petit ZPL, Podcastine, Politis, Le Poulpe, Premières lignes, Rapports de force, Revue XXI, La Revue dessinée, Reporterre, Rue89 Bordeaux, Rue89Lyon, Rue89 Strasbourg, Reflets-info, Revue 90°, Le Sans-Culotte 85, Sans Transition!, Sept, Splann, Street Press, Soulbag, SUN, La Topette, Topo, Le Vent se lève, Voxeurop, We Report, Youpress, 6Mois

Organisations de journalistes signataires

Fédération européenne des journalistes (FEJ), Le Fonds pour une presse libre, Informer n’est pas un délit, SNJ, SNJ-CGT.

publié le 9 octobre 2022

Sortir de l’engrenage de la guerre : difficile mais vital !

Francis Wurtz sur www.humanite.fr

« Les habitants (des quatre territoires ukrainiens annexés) deviennent nos citoyens pour toujours ! » proclama Vladimir Poutine devant un public en extase, scandant « Russia ! Russia ! ». En franchissant ce nouveau seuil de l’inacceptable, le président russe vient de rendre encore plus difficile le chemin vers l’indispensable cessez-le-feu. Comme il fallait s’y attendre, Volodymyr Zelensky a aussitôt répliqué que « l’Ukraine ne négociera pas avec la Russie tant que Poutine en sera le président », ajoutant qu’il allait signer une « demande d’adhésion accélérée à l’Otan » – deux objectifs qui, à leur tour, compliquent sérieusement la donne.

L’Ukraine dans l’Otan ? Le seul fait d’en évoquer l’hypothèse apporte inutilement de l’eau au moulin du courant le plus belliciste en Russie. Quant à l’attente d’un autre président de la Russie pour entamer des négociations, elle laisse plus que sceptiques maints observateurs des relations internationales en général et de la Russie en particulier. Ainsi, un responsable politique peu susceptible de faiblesse vis-à-vis de Moscou rappelait-il récemment que, « à chaque fois que l’Occident a voulu changer les régimes en place, ce fut une catastrophe » (1). Cela vaut pour la Russie, où, dans le contexte actuel, un éventuel remplaçant de Poutine n’apporterait pas la solution, car ce sont les nostalgiques de l’Empire, bien plus que les partisans de la paix, qui ont malheureusement le vent en poupe.

Le président français a, quant à lui, choisi ce moment pour réaffirmer que « la France se tient aux côtés de l’Ukraine pour (…) recouvrer sa pleine souveraineté sur l’ensemble de son territoire ». Disant cela, Emmanuel Macron a fait écho à l’ambition affichée il y a peu par son homologue ukrainien : « reconquérir tous les territoires occupés par la Russie en Ukraine », y compris la Crimée. En droit, il n’y a rien de plus légitime. Dans les faits, faire de cet objectif le préalable à l’arrêt des combats et à l’ouverture de discussions revient à s’installer dans la perspective d’une guerre longue, extrêmement coûteuse en vies humaines, aux multiples ramifications mondiales et à l’épilogue incertain, le pire ne pouvant être exclu.

À l’opposé de cette stratégie, il apparaît plus responsable de reconnaître que nous avons à faire face au problème le plus inextricable, néanmoins vital, d’un conflit dont la portée dépasse désormais largement le cadre russo-ukrainien : sortir coûte que coûte de l’engrenage de la guerre avant que la situation ne devienne totalement immaîtrisable. Cette option maintiendrait intact l’objectif de la défense de la souveraineté de l’Ukraine, dans un cadre global prenant en considération la sécurité de tous les pays du continent, mais par la voie politique et non militaire. Les grands perdants de cette stratégie seraient les ultranationalistes de tous bords, qui se nourrissent de la guerre pour assouvir leurs fantasmes. À l’inverse, on peut raisonnablement penser que le retour du politique pourrait progressivement rouvrir un espace à des forces progressistes aujourd’hui réduites au silence, à Moscou et ailleurs. « La paix a ses victoires, non moins célèbres que la guerre (2). »

(1) Pierre Lelouche, ex-président de l’Assemblée parlementaire de l’Otan (« le Figaro », 27 septembre 2022). (2) John Milton, poète anglais du XVIIe siècle.

publié le 9 octobre 2022

Amine Kessassi, à 18 ans,
sur tous les fronts
pour les quartiers nord

Lola Ruscio sur www.humanite.fr

Ce gamin du Frais Vallon, cité ravagée comme tant d’autres à Marseille par la criminalité, a fondé l’association Conscience avec un objectif : « que plus une maman ne pleure la mort de son enfant ». Et un mot d’ordre, l’action. Éducation, sécurité, logement, santé, culture... Amine ne lâche rien.

À l’heure où la chaleur s’intensifie dans les rues de Saint-André, un quartier populaire du 16e arrondissement marseillais, des femmes se réunissent dans le local de l’association Conscience. Elles arrivent de plusieurs coins des cités Nord de Marseille, bouillonnantes d’énergie et d’idées, mobilisées pour tenir leur permanence.

Une mauvaise nouvelle interrompt soudainement la conversation. « Vous avez entendu la dernière ? » demande l’une d’elles en sortant son téléphone portable de sa poche de jean. Elles hésitent. Sûrement une énième fusillade ou un énième décès sur fond de trafic de stupéfiants.

Ici, le sujet est particulièrement sensible. Elles ont toutes perdu un fils, un cousin, un proche, une connaissance. Souad, la soixantaine, baisse la tête et témoigne : « Il y a quelques années, mon fils et mon mari ont disparu. C’est dur ce qu’on vit, on se sent seules, abandonnées. »

« J’en veux beaucoup aux narcotrafiquants qui montent les jeunes les uns contre les autres. Jamais je n’aurais imaginé qu’on aurait tué Brahim en le brûlant. »

Amine Kessaci, 18 ans, le visage juvénile, nous fait visiter les locaux de la structure qu’il a fondée cinq ans auparavant. Le projet Conscience, dans un premier temps tourné vers l’écologie, concentre désormais l’essentiel de ses missions sur la lutte contre la précarité et la criminalité qui pourrissent la vie dans les quartiers Nord.

Une évidence après la mort de son frère aîné, Brahim, retrouvé calciné dans le coffre d’une voiture en 2020. « On était très proches, il venait me chercher chaque jour à la sortie de l’école, se souvient Amine Kessaci. J’en veux beaucoup aux narcotrafiquants qui montent les jeunes les uns contre les autres. Celui qui a tué mon frère était son ami. Jamais je n’aurais imaginé qu’on aurait tué Brahim en le brûlant. » Un séisme qui a changé sa trajectoire, le plongeant d’abord dans une profonde tristesse, avant de forger son engagement et sa détermination.

« La solution viendra des femmes »

Le jeune homme se demande alors comment les habitants peuvent s’opposer tous ensemble à ce fléau qui brise des vies. Car « rien n’est fait pour aider les familles, regrette-t-il. Très souvent, les mamans en prennent plein la tronche, on les culpabilise en disant que si leur enfant est devenu un narcotrafiquant, c’est parce qu’elles l’ont mal élevé. C’est insupportable à entendre. »

Loin des clichés, son association part à la rencontre des familles endeuillées. « On présente nos condoléances, on discute. Souvent, elles n’ont pas beaucoup de ressources économiques et ne savent pas vers qui se tourner. Nous, on les met en contact avec des psychologues, des avocats, on les invite à se porter partie civile pour avoir accès aux pièces du dossier », explique-t-il depuis son bureau.

Un ordinateur, quelques pochettes colorées de dossiers à suivre, une photo de lui gamin, rien d’autre n’encombre son espace de travail. Une phrase placardée sur la porte de la pièce révèle sa philosophie de vie : « La meilleure manière de commencer, c’est d’arrêter de parler et de s’y mettre. »

Le jeune homme tient à l’idée que les familles s’investissent dans l’association. « Les mamans sont les piliers de Conscience, elles font partie du conseil d’administration, mènent des maraudes, des distributions alimentaires, assistent aux réunions, donnent leur avis sur tout. Elles s’expriment par elles-mêmes et pour elles-mêmes. C’est essentiel, sinon on passe complètement à côté des enjeux. La solution viendra des femmes », pense-t-il. Amine Kessaci pose ici les fondations d’un mouvement de fond.

Ce sera long, bien sûr. Tout juste majeur, le jeune homme n’a qu’un bac pro gestion et administration, mais passe son temps libre à se cultiver – « je lis chaque soir de 22 heures à 1 heure du matin » – et s’investit pleinement dans l’associatif. Amine Kessaci rencontre une cinquantaine de familles sur la seule année 2020, écoute d’interminables récits d’habitants confrontés au deal, développe une dizaine d’antennes à travers la France, au point de compter à ce jour 1 700 adhérents. C’est un engagement à plein temps, parfois ingrat, mais le militant sait que la lutte contre le trafic de drogue ressemble à un casse-tête chinois.

Pour les travaux pratiques, il suffit de se rendre à la cité des Micocouliers (14e arrondissement marseillais), tristement connue pour ses guerres de territoires. « Depuis un mois, il y a des tirs chaque semaine », déplore Amine Kessaci, en garant sa voiture à l’entrée de la cité, à quelques mètres du rond-point où les guetteurs ont leurs habitudes. Récemment, des tirs ont sidéré les habitants du quartier. Le choc est encore palpable.

Soraya Larbi, éducatrice, membre de l’association de défense des locataires, commence par nous montrer les impacts de balles sur une voiture. Avant de lâcher, très énervée : « Les gens ont peur, ils n’osent même plus sortir de chez eux. Regardez les conditions dans lesquelles on vit ! Il n’y a aucune sécurité, les ascenseurs ne marchent pas, on n’est pas des animaux, on est français, on ne peut pas vivre comme ça ! ».

Les discours de Taubira, un éveil

Misère sociale, logements insalubres, trafics à gogo, etc. Le cocktail est explosif. Une mère de famille veut bien nous parler, mais elle refuse que son nom soit publié. Ici, mieux vaut ne pas faire de bruit, ne pas se mêler des affaires des autres. Direction son appartement dans lequel une fenêtre donnant sur la chambre de sa fille a reçu une balle par ricochet. « Vous imaginez si elle avait été à la fenêtre ce jour-là ? Elle serait peut-être morte ! Je n’ose plus mettre un pied dehors quand ils sont là. C’est pas normal qu’on soit obligés de vivre ça. » L’émotion suscitée par cet événement entraîne une discussion franche dans la cuisine.

Son fils aîné, qui porte un tee-shirt de l’Olympique de Marseille, lance : « Tant que des élus font le boulot, on s’en fout du bord politique. Il faut qu’on retrouve un semblant de vivre-ensemble, la paix. On est contents de voir les CRS, mais ça ne sert à rien de venir une heure et de repartir en laissant le quartier aux mains des dealeurs. » Difficile de lui donner tort : seulement trente minutes après le départ des policiers, un adolescent reprend le poste de guet à l’entrée de la cité.

Dans la voiture qui file à Frais Vallon (13e arrondissement), coincée entre la rocade L2, la quatre-voies de l’avenue Fleming et une colline verdoyante, Amine Kessaci commente, navré, l’emprise du trafic de drogue sur les cités. « Avant, ils se cachaient pour vendre, aujourd’hui ils font ça devant tout le monde. C’est complètement banalisé. » Sur la route, il s’arrête un instant pour saluer une famille qu’il connaît depuis sa tendre enfance. « Le papa va bien ? » lui demande l’homme d’un certain âge. « Oui, il va bien, hamdoulah », répond, chaleureusement, le jeune homme.

Amine Kessaci a grandi dans cette cité des quartiers Nord – « la plus grande de Marseille », répète-t-il, le sourire aux lèvres. Il n’en garde que de beaux souvenirs : « Je passais beaucoup de temps au centre social, j’aidais volontiers les gens à monter leurs courses, et je kiffais de rester avec les mamies pour discuter. » Sa mère, femme de ménage, le déposait, avant de se rendre au travail, devant un établissement scolaire du centre-ville de Marseille. « L’école, la lecture m’ont sauvé », reconnaît-il.

Passionné de politique, il s’imprègne des discours de Christiane Taubira, qu’il apprenait par cœur lorsqu’il était plus jeune. Amoureux des lettres, il se nourrit des ouvrages de Philippe Pujol, Albert Camus, ou encore de Catherine de Médicis.

« Ici, plein de Maghrébins ont voté Le Pen »

Son parcours l’amène à s’investir en politique. Pendant la campagne présidentielle, il a participé au projet « Ta voix compte » avec d’autres jeunes qui ont élaboré une liste de propositions à soumettre aux candidats à l’Élysée. L’objectif est surtout d’inciter les jeunes à voter, en leur disant notamment qu’ils ont « leur mot à dire sur l’avenir du pays », explique Amine Kessaci.

Avec son association Conscience, il a aussi fait la tournée des quartiers Nord pour inscrire les populations sur les listes électorales. Il avait appelé à voter en faveur de Mohamed Bensaada, candidat malheureux de la Nupes dans la troisième circonscription de Marseille, battu au second tour de 2 582 voix par la candidate d’extrême droite Gisèle Lelouis. La victoire du parti de Marine Le Pen à Frais-Vallon ne passe pas. « Le FN, c’est comme ça que je l’appelle, c’est le parti qui a tué Ibrahim Ali, et ça, je ne l’oublierai jamais !» martèle Amine Kessaci, en référence à ce jeune Franco-Comorien abattu en 1995 par des colleurs d’affiches du Front national, à Marseille.

Le militant est inquiet de voir les idées du Rassemblement national imprégner les esprits, y compris dans les quartiers. « Plein de Maghrébins et de femmes portant le voile ont voté Le Pen, car ils sont déçus par la gauche et la droite. Marine Le Pen a fait campagne sur le thème du pouvoir d’achat, et la dédiabolisation du FN a bien fonctionné, voilà qui explique son bon score », s’étrangle le jeune homme.

«Il n’existe plus aucun dialogue entre les habitants des quartiers populaires et la police. Il faut sortir absolument de cette logique de conquête des territoires et retrouver des bases saines. »

Sur les plateaux de télévision, il défend ardemment la légalisation du cannabis et le rétablissement de la police de proximité. « Il n’existe plus aucun dialogue entre les habitants des quartiers populaires et la police. Il faut sortir absolument de cette logique de conquête des territoires et retrouver des bases saines. »

Il voit également les contrôles au faciès comme « le gros problème » à régler. Lui-même a été contrôlé et palpé pour la première fois « à l’âge de 12-13 ans », alors qu’il était à la Timone avec un groupe d’amis, tous blancs. « J’ai compris ce jour-là qu’Enzo et moi, on n’allait pas avoir les mêmes problèmes dans la vie », raconte-t-il en rigolant aujourd’hui.

Désormais, l’heure est-elle venue pour lui de jouer les premiers rôles à gauche ? Patience. « Les prochaines législatives, c’est dans cinq ans », lâche, confiant, ce membre du parlement de la Nupes. En attendant, Amine Kessaci se mobilise pour organiser, le 15 octobre prochain, une grande manifestation à Marseille, trente-neuf ans après la Marche pour l’égalité et contre le racisme.

publié le 8 oct 2022

Grèves à TotalEnergies:
la CGT prête à limiter ses revendications aux salaires
et négocier dès lundi

Agence France-Presse repris par www.mediaprt.fr

Samedi 8 octobre 2022 à 17h33. La CGT, qui mène les grèves en cours chez TotalEnergies, se dit prête à entamer des négociations dès lundi sur la question unique de la hausse des salaires, laissant de côté ses revendications d’embauches et d’investissements, selon une lettre ouverte adressée samedi au PDG du groupe.

« Dans le but de sortir de la situation de blocage, nous réitérons notre demande d’ouverture de négociations, en espérant que vous l’entendiez enfin. Nous nous tenons prêts pour les entamer dès lundi sur la base de notre revendication salariale seule », écrit Éric Sellini, coordinateur CGT chez TotalEnergies, dans cette lettre adressée au PDG du groupe, Patrick Pouyanné et diffusée sur Twitter.

La CGT réclame 10% d’augmentation sur 2022 - 7% pour l’inflation, 3% pour « le partage de la richesse » alors que le groupe a réalisé 10,6 milliards de dollars de bénéfice au premier semestre.

De son côté, la direction rappelle qu’elle a octroyé des mesures salariales représentant une augmentation moyenne de 3,5% en 2022 et renvoie à une séance de négociations prévue le 15 novembre pour les salaires de 2023. Elle semble inflexible sur ce calendrier.

Outre la hausse des salaires, la CGT réclamait depuis plusieurs mois un « dégel des embauches » en France et « un plan massif d’investissements » dans l’Hexagone.

« Si ça peut faire avancer les choses, on laisse de côté pour l’instant la problématique des emplois et celle des investissements », a précisé M. Sellini à l’AFP.

Le syndicat demandait notamment « de revoir en profondeur la question de l’intérim et des contrats courts », a ajouté M. Sellini.

« La situation de pénurie du pays, conséquence de l’impossibilité de discuter de mesures salariales avec la direction, provoque un fort mécontentement, et menace de ralentir l’économie du pays », ajoute le courrier pour justifier cette concession, rappelant également le soutien du gouvernement aux hausses de salaires.

« Les salariés de notre entreprise, par leur travail, ont permis au Groupe d’obtenir des bénéfices stratosphériques », poursuit sa lettre. « Pour preuve la capacité de la direction générale à dégager extrêmement rapidement une enveloppe exceptionnelle de 2,62 milliards d’euros à destination des actionnaires. »

« On est allé très vite pour rémunérer les actionnaires mais on dit aux salariés qu’il est urgent d’attendre : pourquoi cette différence de traitement ? », s’est interrogé Thierry Defresne, secrétaire CGT du comité européen TotalEnergies, joint par l’AFP.

Le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné ne s’est pas exprimé publiquement à ce jour sur la grève, mais dans une vidéo interne au groupe mardi, il a reconnu que « les résultats de la compagnie sont exceptionnels en 2022 » et déclaré « nous ne vous oublierons pas ».

Interrogé samedi sur France Inter, le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a pour sa part désapprouvé ces « grèves préventives », jugeant nécessaire de passer d’abord par la négociation.

publié le 8 octobre 2022

Assurance-chômage :
« Rien ne démontre que durcir les règles soit efficace »

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

L’Assemblée nationale a adopté l’article de loi permettant au gouvernement de décider des nouvelles règles d’indemnisation chômage et d’instaurer une modulation des allocations selon la conjoncture économique. Sur le fond comme dans la méthode, Bruno Coquet, expert des politiques publiques, décrit une « impression bizarre d’improvisation ».

La nouvelle réforme de l’assurance-chômage est sur les rails. Le projet de loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi » a été débattu du 3 au 5 octobre à l’Assemblée nationale. Les cinq articles du texte ont été adoptés.

Le premier article a fait l’objet d’intenses débats. Il permet au gouvernement de décider des futures règles d’indemnisation, par décret. Et ouvre donc la voie au projet affiché depuis des mois par Emmanuel Macron : la modulation des allocations-chômage, en fonction de la conjoncture économique.

« Quand ça va bien, on durcit les règles, et quand ça va mal, on les assouplit », a encore répété mi-juillet le président.

L’examen du texte a aussi permis de durcir, encore, les règles de l’indemnisation via l’adoption d’un amendement sur les abandons de poste. Présenté par Les Républicains, il instaure une « présomption de démission », et entend donc priver d’allocation-chômage les salarié·es qui abandonnent leur poste.

Le vote solennel du texte est prévu la semaine prochaine, le mardi 11 octobre. L’ exposé des motifs indique qu’il permettra « d’éviter toute rupture très fortement préjudiciable dans l’indemnisation des chômeurs », car « il est nécessaire d’assurer rapidement la continuité du régime actuel ».

Le décret encadrant les actuelles règles s’éteint en effet le 1er novembre 2022, d’où « l’urgence » de légiférer pour le gouvernement, qui pourra désormais décider seul des nouvelles règles. Une concertation, semble-t-il de pure forme, est prévue avec les partenaires sociaux. Qui attendent toujours la date et la lettre de concertation. 

Entretien avec Bruno Coquet, docteur en économie, expert des politiques publiques.

Mediapart : Comment en est-on arrivé à cette « obligation » de faire voter une loi, en toute hâte et perçue comme un passage en force ?

Bruno Coquet : Si on en est là, c’est parce que le gouvernement n’a pas respecté les étapes qu’il a lui-même définies. Le décret fixant les règles de l’assurance-chômage arrive effectivement à échéance début novembre 2022 et l’État aurait dû, dès le mois de juillet, envoyer un document de cadrage, même restreint, aux partenaires sociaux, pour lancer la négociation. Or rien de tout cela ne s’est passé. Le gouvernement n’a pas non plus publié de rapport annuel sur la gestion de l’assurance-chômage. C’est pourtant une obligation légale.

Sur toutes les étapes de la gouvernance, l’État a donc été absent et a fait preuve de carence. Cette loi sert ainsi à résorber un problème créé par l’État lui-même. Il n’a pas « repris la main », comme on peut le lire et l’entendre. En réalité, il avait la main mais n’a pas respecté les étapes.

Mediapart : Cette loi va en tout cas donner au gouvernement la possibilité de décider, par décret, des futures règles et entend moduler la durée d’indemnisation ou les seuils d’ouverture des droits selon la conjoncture économique. Est-ce une bonne ou une mauvaise idée ?

Bruno Coquet : Ce n’est pas forcément une mauvaise idée, on ne peut pas être contre, par principe. Mais cette mesure n’est intéressante qu’à une condition : celle d’avoir des règles « propres » déjà en vigueur. C’est un peu comme une voiture : avant d’ajouter des options, il faut d’abord s’assurer qu’elle roule bien.

Or, aujourd’hui, la base pose problème, car on ne comprend rien aux règles de l’assurance-chômage. Et surtout, sous le capot, il y a une règle qui n’est « pas propre », c’est celle instaurée par la première réforme de l’assurance-chômage et qui modifie le calcul de l’allocation [voir notre article].

Mediapart : C’est-à-dire ?

Bruno Coquet : Cette règle a rendu incertains le montant et la durée de l’indemnisation des « permittents » [personnes alternants des contrats courts et des périodes de chômage –ndlr]. Face à cette incertitude, on vient maintenant vous dire que votre éligibilité au chômage et la durée de vos droits vont dépendre, en plus, du taux de chômage ? Par ailleurs, ce qui me frappe, c’est que le gouvernement n’a pas préparé à l’avance cette idée de contracyclicité. On devrait avoir quelque chose de très carré et difficile à contester mais on ne l’a pas. Ça donne une impression bizarre d’improvisation.

Mediapart : Le texte présenté à l’Assemblée nationale a été durci par un amendement qui prévoit de créer une « présomption de démission » en cas d’abandon de poste et, donc, d’empêcher d’ouvrir des droits au chômage. « L’abandon de poste est utilisé pour dévoyer la démission et percevoir l’assurance-chômage », a ainsi déclaré le député (Horizons) de Maine-et-Loire. Votre avis sur cette mesure ?

Bruno Coquet : Je ne doute pas une seconde que les élus, dans leur circonscription, entendent les administrés se plaindre des difficultés de recrutement et des abandons de poste. Depuis vingt ans que je m’intéresse à ces sujets, j’entends les ministres et les députés en parler, quelle que soit la conjoncture.

ait pas du tout les quantifier. Et quand bien même on saurait le faire, il faudrait être sûr que le problème vient de l’indemnisation du chômage. Et ça, c’est loin d’être démontré.

Dans le secteur de l’hôtellerie-restauration par exemple, les gens qui s’en vont en faisant un abandon de poste, on n’est pas certain qu’ils s’inscrivent à Pôle emploi pour percevoir le chômage. La plupart du temps, c’est plutôt pour passer dans le restaurant d’en face et bénéficier d’un meilleur salaire. Cette mesure pourrait donc défavoriser les employeurs mieux-disants par rapport aux moins-disants, ce serait aberrant.

Tout cela nécessiterait d’être regardé de plus près. On ne peut pas réduire l’accès aux indemnités chômage sans savoir s’il y a réellement un problème. Pôle emploi pourrait le documenter mais évidemment, ça demande du temps.

Mediapart : Le but affiché du projet de loi est de parvenir au  plein emploi. Est-ce un bon levier de réduire les droits à l’assurance-chômage pour y parvenir ?

Bruno Coquet : Selon moi, cela reste à démontrer. Dans l’exposé des motifs, le projet de loi avance que le frein au plein emploi, ce sont les difficultés de recrutement. Pourtant, par définition, les difficultés de recrutement sont un symptôme… du plein emploi ! Déjà, cela affaiblit un peu l’argument.

Ensuite, il faut rappeler qu’une majorité de chômeurs ne sont pas indemnisés par l’assurance-chômage. Et la première question à se poser c’est : pourquoi ces gens ne reprennent-ils pas d’emploi, alors qu’ils sont les plus nombreux et les plus pauvres ? Il faudrait déjà s’inquiéter de ça. Et on le sait, ça tient aux offres qui sont faites en termes de qualité d’emploi, de salaires, d’horaires, de mobilité…

Bien sûr il est tout à fait possible que des personnes indemnisées refusent un emploi parce qu’elles préfèrent percevoir leur allocation. Mais durcir les règles au motif que des gens profitent indûment du système, ça ne fonctionne pas, car on sait que ces comportements sont marginaux.

Les règles d’une assurance se basent sur des comportements moyens, pas sur des comportements marginaux. Imaginez une assurance automobile qui vous demande de payer davantage parce que trois personnes, l’année dernière, ont sciemment rayé leur voiture, pour avoir une nouvelle peinture ! Ça ne doit pas fonctionner comme ça. Et rien ne démontre que durcir les règles soit efficace.

Une économie se porte toujours mieux avec une assurance-chômage, que sans. Il est bon d’avoir des chômeurs indemnisés, mais ni trop, ni trop peu.

Mediapart : Le rapporteur de la loi, le député (Renaissance) Marc Ferracci ne partage pas votre point de vue. Il l’a redit lors des débats : « des dizaines d’études » prouvent, selon lui, que les règles d’assurance-chômage, notamment celles sur la durée et les seuils d’éligibilité, ont un effet sur le niveau de l’emploi. Que répondez-vous ?

Bruno Coquet : C’est un argument d’autorité et abusif. Je vois assez bien les études auxquelles il fait référence et elles ne racontent pas que réduire les droits à l’assurance-chômage augmente le niveau de l’emploi. C’est un peu plus compliqué et subtil que ça. Et aucune étude, à ma connaissance, ne dit que cela va résoudre les difficultés de recrutement.

Par ailleurs, pourquoi toutes ces études ne figurent pas dans l’étude d’impact de la loi ? Cela aurait aussi pu figurer dans le rapport annuel sur la gestion de l’assurance-chômage, dont je vous parlais tout à l’heure, et qui n’a jamais été publié.

D’ailleurs, en France, il n’existe pas d’enceinte où l’on pourrait discuter de tout ça, à l’image du conseil d’orientation des retraites. Cela fait dix ans que je plaide pour la création d’une telle instance pour l’assurance-chômage.

Mediapart : Quel serait son rôle ?

Bruno Coquet : Tout simplement de partager les informations ! Sur l’assurance-chômage, on ne sait rien, ou très peu de chose. On n’a aucune donnée détaillée pour suivre les bénéficiaires et leurs trajectoires précises. On n’a aucune donnée de comptabilité analytique. Et quand on ne peut rien dire sur un sujet, le problème… c’est qu’on peut tout dire ! Tout se vaut. D’ailleurs, on raconte souvent n’importe quoi sur l’assurance-chômage.

Il faut que tout le monde ait le même niveau d’information. Un haut conseil servirait à cela. Ce serait une base commune mais ça n’empêche pas le débat et les avis divergents. On le voit bien avec le conseil d’orientation des retraites : partager des faits ne met pas nécessairement tout le monde d’accord. Ça ne favorise pas la pensée unique.

publié le 7 octobre 2022

Reprendre la main pour financer la bifurcation sociale et écologique

par Attac France sur https://france.attac.org

Attac publie ce jour une note intitulée « Reprendre la main pour financer la bifurcation sociale et écologique ». Avec pour objectif principal de mettre en débat des pistes de réflexion et des propositions pour assurer, d’une part, une véritable justice fiscale, sociale et écologique et, d’autre part, une réorientation du système financier.


 

Qu’est-ce que la bifurcation écologique ? Il s’agit d’une transformation profonde de la société et de l’appareil productif, qui nécessite des investissements massifs. Son objectif : sortir de la logique d’accumulation capitaliste et de l’impasse sociale et écologique actuelle. Une telle orientation nécessite une réelle volonté politique et des financements suffisants pour faire face aux enjeux. Elle doit reposer sur un choix clair et des politiques adaptées, plus radicaux qu’une évolution progressive et soumise aux politiques néolibérales, habituellement nommée « transition ».

En matière de finances publiques, on est aujourd’hui loin de se donner les moyens d’une telle bifurcation. La politique budgétaire actuelle est orientée vers la recherche d‘économies à tout prix (« faire plus avec moins », ce que la novlangue néolibérale qualifie de « performance ») sans objectifs environnementaux. La fiscalité dite « écologique », à l’image du système fiscal dans son ensemble , est inégalitaire et inefficace. Elle est par ailleurs trop faible en volume. Enfin, les aides publiques sont attribuées sans condition aux entreprises, alors que les investissements publics pour la bifurcation sont certes en progression mais encore très insuffisants.

Pour reprendre la main et financer la bifurcation sociale et écologique, il faut donc réorienter la politique budgétaire sur la base d’un cadre clair (et donc changer le cadre budgétaire également nommé « gouvernance » budgétaire), mettre en œuvre une réforme fiscale visant à renforcer la progressivité du système fiscal et sa dimension écologique, et conditionner et verdir les aides publiques afin de donner la priorité aux investissements verts dans le cadre d’une planification écologique.

Réussir la bifurcation sociale et écologique suppose également de sortir de la domination de la finance privée. La logique de rentabilité financière à court terme poursuivie par les banques et les marchés constitue un frein au financement de la bifurcation. La finance verte est une illusion, pour ne pas dire un leurre. Pour sortir de cette impasse, il est nécessaire de mettre en œuvre un véritable tournant écologique de la politique monétaire en réorientant le rôle, décisif, de la Banque centrale européenne (BCE) pour financer les dettes publiques et les investissements verts.

Il s’agit également d’accroître et de revaloriser le rôle du pôle public bancaire pour le financement des investissements de long terme et de la transformation du système productif, et de renforcer les normes et la régulation du système bancaire et financier. Cela passe par l’interdiction du financement des énergies fossiles, la réduction de l’emprise des actionnaires et la mise en place d’une coordination des politiques budgétaire et monétaire (un « policy mix ») en direction des urgences sociales et écologiques.

Pour lire la note en entier :

https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/note-reprendre-la-main-pour-financer-la-bifurcation-sociale-et-ecologique

publié le 7 octobre 2022

Sanctions et interdépendances

Casser la chaîne mondiale d’approvisionnement et de coopération entraîne inévitablement des conséquences. S’il s’agit d’une fracture importante, et c’est le cas avec les sanctions contre la Russie, alors les conséquences le sont tout autant y compris au niveau mondial.

Robert Kissous sur https://blogs.mediapart.fr/


 

Tout comme la guerre éclatait en 2014 dans le Donbass, les premières sanctions contre la Russie démarraient aussi à cette date après l’annexion de la Crimée.

Sur le plan économique les sanctions étaient relativement limitées touchant surtout les domaines du financement de certaines entreprises russe et de quelques banques. Puis sont touchées des entreprises dans le secteur de l’armement, de l’énergie et de la finance. Les avoirs de certaines entreprises ou personnes sont bloqués et les rapports commerciaux avec la Crimée fortement réduits.

On est loin de la guerre économique contre la Russie ardemment souhaitée par le ministre de l’Économie et déclenchée après l’entrée de l’armée russe en Ukraine le 24 février 2022. Inutile de faire ici la liste des plans successifs de sanctions décidées par l’UE et les Etats-Unis (EU). Nous en sommes, début octobre, au 8ème train de mesures.

Ces sanctions sont des décisions politiques, elles ne sont pas une conséquence automatique de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, elles ne découlent pas de la guerre. Rien n’oblige ni n’obligeait l’UE de décider telle ou telle mesure.

L’interdépendance incontournable

L’interdépendance entre les économies s’est considérablement développée avec la mondialisation malgré les fractures de l’économie mondiale  organisées par les EU : boycotts de pays (Cuba, Iran, Venezuela …), extraterritorialité du droit étatsunien et l’impossible découplage souhaité d’avec l’économie chinoise. Et maintenant les très lourdes sanctions du bloc occidental contre la Russie, un pays disposant de ressources minières colossales, indispensables, dans les énergies fossiles, métaux, céréales...

Casser cette chaîne mondiale d’approvisionnement et de coopération entraîne inévitablement des conséquences. S’il s’agit d’une fracture importante, et c’est le cas avec les sanctions contre la Russie, alors les conséquences le sont tout autant y compris au niveau mondial.

La prudence est de mise à cet égard. Comme le disait l'ambassadeur Jim O'Brien qui dirige le Bureau de coordination des sanctions du département d'État « Lorsqu'on impose des sanctions, il faut veiller à ne pas perturber le commerce mondial. Notre travail consiste donc à réfléchir aux sanctions qui ont le plus d'impact tout en permettant au commerce mondial de fonctionner ».

Les Etats-Unis prudents pour leur commerce

Le commerce des EU avec la Russie ne s’est jamais interrompu : « L'Associated Press a constaté que plus de 3 600 cargaisons de bois, de métaux, de caoutchouc et d'autres marchandises sont arrivées dans les ports américains en provenance de Russie depuis que celle-ci a commencé à lancer des missiles et des frappes aériennes sur son voisin en février. Il s'agit d'une baisse significative par rapport à la même période en 2021, où environ 6 000 cargaisons étaient arrivées, mais cela représente tout de même plus d'un milliard de dollars de commerce par mois. [1]».

Toute une série de produits ne sont pas visés par les sanctions.

L’UE ne sanctionne pas les engrais ni céréales évidemment bien que ce ne soit pas toujours clair.

Aluminium, nickel, palladium ou titane russes ne sont pas boycottés.

L’uranium non plus ni « le commerce lié à l’industrie nucléaire »[2] Parce que la Russie est le 3ème plus gros fournisseur de l’UE, et les EU en sont de gros importateurs[3].

La Russie est le second producteur et exportateur d’aluminium parce qu’elle dispose d’une énergie abondante et à bon marché. L’industrie automobile ne peut fonctionner sans aluminium ni nickel pour les batteries. Perturber les approvisionnements, créer une pénurie artificiellement, mettrait les usines à l’arrêt et rajouterait de l’inflation. Comme le rappelle un économiste « L'idée de base des sanctions est que vous essayez d'agir d'une manière qui cause plus de douleur à l'autre partie et moins de douleur à vous-même. »

Comment est créée la pénurie et renforcée l’inflation

S’ils ont observé cette sage précaution pour eux les EU l’ont omise pour leurs vassaux européens[4]. Ils ont mis une pression énorme – « l’homme aux écus » se posant comme champion de la démocratie et droits de l’homme en danger - afin que les pays européens se passent des matières premières fossiles russes. La Russie serait ainsi privée de recettes énormes. Certes elle peut trouver de nouveaux clients mais elle devrait offrir un rabais et les livraisons se feraient par des navires sans pouvoir utiliser l’infrastructure des pipelines européens.

Mais la Russie fournit plus de 25% du pétrole et 45% du gaz importés par l’UE. Leur remplacement ne peut se faire en quelques mois et encore moins du jour au lendemain. L’effet boomerang sur l’économie des pays européens se révèlerait forcément violent. Pas sur les EU qui ont du pétrole et du gaz. Mettre la pression pour le boycott de l’énergie fossile russe, surtout le gaz, présentait des avantages pour les EU.

L’Allemagne était particulièrement réticente, même opposée à cette décision, du fait du poids dans son économie d’énergies fossiles russes bon marché. Dans un communiqué début mars elle évoquait l’aide humanitaire sans parler de sanctions. Les importations de Russie sont « essentielles pour la vie quotidienne des citoyens » en Europe et un approvisionnement alternatif ne peut suffire aux besoins, affirmait le chancelier allemand Olaf Scholz.

Face aux pressions des EU, de la France et du Royaume-Uni, sans oublier la présidente on ne peut plus atlantiste de la Commission européenne, l’Allemagne cédait. Pris au piège de la surenchère sur « la guerre économique » et « la lutte pour nos valeurs », le seul grand pays industriel européen venait de sacrifier une bonne partie de son industrie et de son activité économique[5]. Et son peuple par la même occasion. Aujourd’hui en Allemagne se tiennent des manifestations de quelques milliers de personnes pour l’arrêt des sanctions, le rétablissement des importations de Russie en vue d’arrêter la guerre et ouvrir des négociations.

L’Europe dans la tourmente

Un suicide qui arrangeait bien les Etats-Unis à plusieurs titres :

- Leur gaz de schiste venait de trouver un client aux abois. Une mauvaise solution à plusieurs titres pour l’Allemagne : le gaz naturel des EU devait être livré par des navires spécialisés donc liquéfié puis à l’arrivée gazéifié. Mais pas assez de navires, pas assez d’installations de traitement et pas assez de gaz disponible aux EU. A l’arrivée, avec les spéculations diverses que l’on devine du fait de la pénurie ainsi volontairement créée, le gaz de schiste étatsunien a un prix 7 à 8 fois supérieur à celui du gaz russe.

- La puissance allemande avec ses excédents commerciaux considérables, que Trump dénonçait comme étant réalisés sur les dos des EU, c’était fini. L’Allemagne allait se mettre sous la coupe des EU y compris pour sa politique antichinoise. Le découplage précédemment refusé pourrait-il alors s’appliquer ?

L’Allemagne va aider les ménages et essayer de sauver son industrie au prix de 200 à 300 milliards d’euros de subventions réduisant le coût de l’énergie. Sans trop savoir ce qu’il faudra faire de plus en 2023. Puis après ? Elle critique publiquement le prix payé pour le GNL étatsunien avec le sentiment de se faire tondre.

Les dissensions au sein de l’UE s’accroissent. La Hongrie veut s’approvisionner librement en Russie et remet en cause les sanctions. La Pologne, le petit lieutenant des EU, joue à la surenchère antirusse. L’Allemagne va subventionner massivement l’énergie. La France qui n’a pas les moyens colossaux mis par l’Allemagne (8% de son PIB) critique son « cavalier seul » assurée de voir la concurrence faussée à son détriment. L’Italie élit droite avec extrême-droite à la tête du pays et demande à l’Autriche de laisser passer le gaz russe.

Et chaque pays garde pour lui les ressources énergétiques dont il dispose, plus question de partage malgré quelques vœux pieux déjà oubliés.  

Bref chacun pour soi avec une présidente de la Commission européenne qui n’hésite pas à menacer de couper les fonds à des pays qui ne jouent pas le jeu. La démocratie de la menace.

Où va l’Union européenne ?

Sanctions et boomerang imprévu !

Les sanctions ont pesé lourdement sur la Russie au début des sanctions énergétiques notamment avec l’effondrement du rouble. Puis la parade a été trouvée par la Russie avec l’obligation de payer en roubles - pour contourner les devises hostiles « saisissables » dollar et euro - malgré l’opposition acharnée de la Commission européenne. De nouveaux clients étaient trouvés en leur accordant un rabais significatif. Clients qui s’empressaient parfois de revendre aux pays de l’UE au prix fort. La hausse des prix a permis à la Russie d’engranger encore plus de recettes. Ne pas oublier que 160 pays ne s’engageaient pas dans le boycott de la Russie, certains tels la Chine et l’Inde devenant même d’importants clients de ses énergies fossiles.

Comment l’Europe peut espérer rester compétitive en boycottant un géant des matières premières alors qu’elle n’en a pour ainsi dire pas ?[6]

Compte tenu du poids de la Russie dans les échanges internationaux en matière d’énergie fossile, la fracture des chaînes d’approvisionnement entraînait une situation de pénurie. Alors qu’au total la production mondiale n’avait pas diminué.

C’est que les pipelines étaient en bonne part remplacés par des cargos pétroliers et des méthaniers pour le GNL, dont le nombre était notoirement insuffisants. De plus la modification des modes de transports, des produits livrés et de la pénurie ainsi artificiellement créée entraînait une hausse considérable des prix. Une destruction considérable de valeurs alors que la solution du problème était connue : ne pas boycotter l’énergie fossile russe ou tout au moins, si souhaité, organiser la rupture sur la durée.

Seuls les EU en sont sortis gagnants, alors que les pays européens se sont lourdement autosanctionnés. Même si les circuits d’échange se stabilisent dans quelques années, la compétitivité de l’économie européenne et singulièrement de son industrie est atteinte. A moins que, comme le souhaitent des dirigeants politiques, la coopération avec la Russie ne soit plus un tabou. Le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 montrent jusqu’où certaines forces sont prêtes à aller pour éviter ce retour. Ceci dit le sabotage a été « bâclé » : la Russie a annoncé que le Nord Stream 2 a une de ses deux lignes en état de fonctionnement.[7]

 Robert Kissous (Communiste - Militant associatif - Rencontres Marx)

 

[1] https://abcnews.go.com/US/wireStory/months-war-russian-goods-flowing-us-88827895

[2] https://www.greenpeace.fr/espace-presse/sanctions-de-lue-a-lencontre-de-la-russie-le-nucleaire-epargne-alors-quun-cargo-russe-est-au-port-de-dunkerque-pour-charger-des-dechets-nucleaires/

[3] https://www.xtb.com/fr/analyses-marches/les-etats-unis-vont-ils-bloquer-limportation-duranium-russe

[4] Le Japon refuse de boycotter les énergies fossiles russes et y a maintenu ses investissements https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20220901-projet-sakhaline-2-le-japon-ne-veut-pas-renoncer-au-gaz-russe

[5] Plusieurs grandes entreprises ont annoncé leur installation aux EU où des conditions très favorables leur sont accordés et où l’énergie est moins chère qu’en Europe

[6] Cf le rapport du CREA pour des éléments chiffrés https://www.forbes.fr/business/guerre-en-ukraine-pourquoi-les-sanctions-sur-le-petrole-et-le-gaz-russes-ne-fonctionnent-pas/

[7] https://news.yahoo.com/russia-wants-send-gas-europe-103700718.html

publié le 6 octobre 2022

Montpellier : les pros de la petite enfance mobilisées pour la reconnaissance de leur travail

sur https://lepoing.net/

Comme partout en France, les professionnelles de la petite enfance de Montpellier sont en grève ce jeudi 6 octobre. De nombreux établissements de la ville sont impactés par le mouvement, et un rassemblement a eu lieu devant l’Hôtel de Ville dans la mâtinée.

Le mouvement, national, est appuyé sur les préavis de grève déposés par la CGT, SUD, le SNUTER-FSU, la FNAS FO et la CFDT, et est porté par le collectif Pas de bébés à la consigne, qui revendique dans son appel à la grève l’ouverture de places supplémentaires dans les centres de formation, la revalorisation des salaires, l’amélioration des conditions de travail. Mais ce qui remet le feu aux poudres, après de nombreuses mobilisations en 2020 et 2021, c’est la publication le 29 juillet d’un arrêté autorisant les établissements qui connaissent des difficultés de recrutement à embaucher des personnes du secteur sanitaire, médico-social et éducatif n’ayant pas nécessairement d’expérience auprès des jeunes enfants et surtout pas les diplômes requis pour travailler en crèche, qui bénéficieront seulement de 120 heures d’accompagnement dans l’emploi, assurées par des collègues déjà débordées. Qu’il s’agisse des éducatrices de jeunes enfants ou des auxiliaires puéricultrices, la pénurie de personnel se fait effectivement sentir dans les crèches, associatives comme municipales.

Les précédentes mobilisations en mars et mai 2019, en janvier 2020, puis en février 2021, à la fin du mois de mars 2021, et en juin de la même année, n’avaient pas réussi à empêcher la réforme des modes d’accueil dans les crèches, portée par Adrien Taquet, entrée en vigueur en septembre 2021.

Laquelle a notamment permis de réduire le taux d’encadrement professionnel des enfants, de diminuer la surface d’accueil par enfant et de déqualifier les personnels en autorisant l’administration de médicaments par du personnel non qualifié, et en faisant passer les ratios diplômés/qualifiés au sein du même établissement à 40%/60%.

Les grévistes dénoncent donc une même logique poussée toujours plus loin, au détriment à la fois de la reconnaissance de la pénibilité du métier (ports de charges répétitifs avec des enfants de plus de dix kilos, nuisances sonores, risques psychosociaux), des salaires, lesquels n’ont augmenté que de 0,54% entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2022 (une auxiliaire puéricultrice en public avec 20 ans d’ancienneté gagne 1600€ net mensuel environ ), et des conditions d’accueil des enfants. Déjà la CGT Services Publics compte davantage d’accidents de services, d’arrêts maladies, de burn-out, de démissions depuis l’entrée en vigueur de la réforme Taquet.

Seuls bénéficiaires de la réforme : les crèches privées, dont certaines sont cotées en Bourse. La Fédération Française des Entreprises de Crèche s’est félicité dans un communiqué de l’arrêté du 29 septembre. Médiacités vient d’ailleurs de publier une série d’enquêtes sur la montée en puissance des crèches privées. La logique est similaire à ce qui s’applique à de nombreux pans du service public sous gestion néo-libérale : dégrader le service, puis favoriser la marchandisation à tout va pour pallier à ces dégradations.

Devant l’Hôtel de Ville ce matin du 6 octobre, les quelques dizaines de grévistes présentes avaient elles de toutes autres solutions en tête : rendre son attractivité au métier par des hausses de salaires et des améliorations des conditions de travail, et par là même améliorer la qualité du service public pour enfants et parents.

Sur Montpellier, la grève a impacté de nombreux établissements. Les crèches Agropolis, La Galineta, Françoise Dolto, Clénonice Pouzin, Therese Sentis, Edelweiss, Robin des bois, les haltes-garderies L’oustal dou caganis, Mowgli, Europa Assas, Pitchot Nanet, Les Chats Bottés, André Chamson et Mary Poppins ainsi que le jardin d’enfants Les Boutons d’or étaient complètement fermées. Les crèches Le Petit Prince de Boutonnet, Louise Guiraud, La Petite Sirène, Pinocchio, Les Sept Nains, Adélaïde Cambon, Blanche Neige, les haltes-garderies Les Copains d’abord, La Coupole et L’île au trésor ont vu certaines de leurs sections fermées en raison du mouvement.
 

Pour le moment la seule réponse de Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités et de l’autonomie, est de demander en une réflexion de neuf mois sur la question des salaires. Certainement pas de quoi satisfaire les professionnelles en grève aujourd’hui…


 


 

Entre microcrèches
et crèches collectives,
un financement inégal

Loan Nguyen sur www.humanite.fr

Il n’y a pas qu’au niveau du taux d’encadrement que les microstructures bénéficient de dérogations : souvent investies par de grands groupes privés, elles sont avantagées sur le plan du financement par la CAF.

Elles ont le vent en poupe : alors que tous les autres types d’accueil de jeunes enfants (assistantes maternelles, crèches collectives, crèches parentales et familiales) déclinent dans le nombre de places fournies, les microcrèches, elles, progressent. Elles peuvent être publiques ou privées, mais bien souvent, elles appartiennent à des groupes de type Babilou ou People & Baby. D’après les derniers chiffres fournis par la CAF en 2021, ces petites structures proposaient, en 2019, 12,2 % des places d’accueil des tout-petits, contre 10,6 % l’année précédente ; 7 900 des 10 800 places créées en établissements d’accueil de jeunes enfants concernaient des microcrèches, plus spécifiquement des microcrèches financées par la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje). Une subtilité technique qu’envient nombre d’autres structures, qui, elles, ne disposent pas d’autre choix que d’être financées par la prestation de service unique (PSU). « C’est inéquitable, il devrait y avoir un mode de financement égalitaire », déplore Émilie, directrice d’une crèche municipale, passée avant cela par deux crèches associatives.

Exigence de rentabilité

Concrètement, les professionnels de la petite enfance soumis à la PSU reprochent à ce type de financement une exigence de rentabilité à l’heure. « Nous ne sommes plus rémunérés à l’heure facturée mais à l’heure réelle, donc si une famille préfère faire 10 heures-16 heures au lieu de 7 heures-19 heures, ou si un enfant est malade ou absent, on n’est plus financés que pour ces heures-là », explique Cyrille Godfroy, cosecrétaire général du Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE). Résultat : des changements de planning incessants et un vrai casse-tête pour les directeurs des structures. « On est obligés de faire du “tetris” en permanence, alors que c’est impossible d’optimiser la présence des enfants pour être rentables », dénonce Émilie. Les microcrèches, elles, ne sont pas soumises à une telle pression, puisqu’elles peuvent opter pour un financement Paje, c’est-à-dire que la structure facture l’intégralité des heures aux parents, qui eux touchent en compensation une aide de la CAF. Avec un reste à charge bien souvent plus important que dans les crèches collectives. « La tarification à l’heure dans les crèches, c’est un peu l’équivalent de la tarification à l’activité à l’hôpital », résume Julie Marty-Pichon, coprésidente de la Fneje (Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants). « Une des manœuvres pour empocher deux fois plus, pour les microcrèches, c’est la réservation de berceaux d’entreprise : la structure facture à la fois aux entreprises – qui elles se font défrayer par un crédit d’impôt familles – et aux familles, qui touchent des aides de la CAF », explique-t-elle.

« À l’origine, la création en 2007 des microcrèches devait répondre à des besoins dans les secteurs ruraux, mais c’est surtout le privé lucratif qui s’en est emparé pour ouvrir des structures dans des zones à forte demande », souligne Cyrille Godfroy. Au final, la petite enfance semble surtout être devenue un marché comme un autre. D’après l’Observatoire de la franchise, la taille du marché des crèches privées a pratiquement quadruplé depuis 2010 pour se rapprocher des 2 milliards d’euros en 2019. « Les collectivités ne sont pas suffisamment soutenues pour investir dans la petite enfance », déplore Julie Marty-Pichon. L. N.

publié le 6 octobre 2022

Sobriété :
le gouvernement a un plan,
mais qui pour l’appliquer ?

Jade Lindgaard sur www.mediapart.fr

L’exécutif annonce de nombreuses mesures pour réduire la consommation d’énergie de 10 % d’ici à 2024. Mais presque tout est basé sur le volontariat et les moyens de mise en œuvre restent flous. 

LeLe gouvernement a dévoilé au matin du jeudi 6 octobre les mesures de son plan de sobriété. L’objectif, déjà fixé par la cheffe du gouvernement, Elisabeth Borne, est de réduire de 10 % les consommations énergétiques d’ici à 2024. Issues de groupes de travail qui réunissent depuis juin dernier des représentantes et représentants patronaux et syndicaux, des collectivités locales et des services de l’État, des feuilles de route sont proposées par secteur : État, entreprises, tertiaire, industries, transports, logement, numérique, sport et collectivités locales.

L’exécutif mise tout sur la chasse au gaspillage, et entend concilier trois principes à ses yeux fondamentaux : la souveraineté nationale, en se libérant du gaz russe, la maîtrise du pouvoir d’achat, en limitant les factures énergétiques des Français·es, et l’enjeu climatique, en accélérant la réduction des gaz à effet de serre – le pays est en retard sur ses engagements. « Ce n’est pas un plan de réduction de l’activité économique de la France », a tenu à préciser le cabinet de la première ministre. Depuis un salon d’entrepreneurs, le Bpifrance Inno Génération (Big), Emmanuel Macron a enfoncé le clou : « Cela ne veut pas dire “produire moins” ou “aller vers une économie de la décroissance”. Pas du tout, la sobriété ça veut juste dire “gagner en efficacité” en traquant à chaque instant les coûts cachés [...] tout ce qu’on peut faire pour produire encore davantage mais en dépensant moins. » 

Parmi les mesures annoncées, qui avaient été éventées par Le Parisien : limitation de la température à 19 °C – et à 18 °C les jours de tension sur le réseau d’électricité –, suppression de l’eau chaude dans les bâtiments publics, plafond à 110 km/h pour les fonctionnaires en déplacement professionnel, hausse de l’indemnité de télétravail ainsi que du forfait de mobilité durable pour 80 000 agent·es de la fonction publique, réduction du chauffage dans les gymnases et les piscines, bonus sobriété pour les ménages qui baissent leur consommation, aide pour remplacer sa chaudière à gaz par une pompe à chaleur, etc.

Pas d’obligation réglementaire, peu de décrets – ceux sur l’extinction de la publicité lumineuse la nuit et sur l’interdiction de la climatisation et du chauffage en cas de porte ouverte ont été publiés jeudi matin. Selon le gouvernement, le plan sobriété repose sur la « co-construction » et la libre initiative des acteurs économiques, qui sont invités à communiquer sur une plateforme les mesures qu’ils ont l’intention d’appliquer. « Si la nation tout entière arrive à tenir cet objectif, qui est purement volontariste – il ne faut pas de décret, de loi, de choses compliquées–, si on se mobilise tous pour le tenir, dans les pires scénarios on passe l’hiver », a affirmé Emmanuel Macron jeudi matin. Le 10 octobre, le gouvernement va lancer une campagne d’information sur les écogestes : « Chaque geste compte »

Tout cela suffira-t-il à baisser de 10 % les consommations énergétiques ? Tout va dépendre de la réalité de la mise en œuvre des mesures et de leur échelle d’application. Quel suivi sera mis en place ? Avec quel système de contrôle ? Qui pour conseiller les ménages et quels moyens humains pour aller régler les chaudières et les thermostats du pays ? Si l’exécutif est sérieux dans ses intentions d’économies d’énergie, il va lui falloir déployer d’importants moyens humains et matériels d’accompagnement concret et local des ménages et des acteurs économiques.


 


 

Sobriété énergétique : Greenpeace réclame
un plan juste et ambitieux

Sur www.greenpeace.fr

Jeudi 4 octobre, le gouvernement doit présenter son plan de sobriété énergétique qui a pour objectif de réduire la consommation énergétique du pays de 10% d’ici 2024 dans un contexte de risque de pénurie cet hiver et de forte inflation des prix de l’électricité.

Pour Greenpeace France, ce plan, qui se fait attendre depuis des années, doit être à la hauteur du défi énergétique et de l’urgence climatique. S’il se cantonne à une campagne de communication et à un guide de petits gestes purement incitatifs, en faisant l’impasse sur des mesures structurantes et pérennes en faveur de la justice sociale et de la protection du climat, le gouvernement ratera le coche.

 

Sensibiliser à la sobriété est essentiel, surtout si cela permet de faire baisser la facture des ménages, mais on ne réglera ni la crise énergétique ni la crise climatique uniquement avec des gestes individuels et des incantations. Pour être efficace, ce plan doit proposer des mesures ambitieuses et être guidé par le souci d’une juste répartition de l’effort.

Il doit par exemple s’accompagner d’une rénovation globale des passoires énergétiques qui doit bénéficier en premier lieu aux plus précaires.
Enfin, si l’intention du gouvernement est réellement de faire “la chasse au gaspi”, pourquoi ne pas interdire complètement les écrans publicitaires comme nous le demandons?[1] commente
Nicolas Nace, chargé de campagne transition énergétique pour Greenpeace France.

 Plus globalement, Greenpeace France réaffirme la nécessité d’engager une vraie transition énergétique basée sur la sobriété et l’efficacité énergétique et le 100% renouvelables.

L’association souscrit également aux huit conditions du Réseau Action Climat pour un plan de sobriété efficace et juste.

 1] Un récent décret du gouvernement propose une extinction des écrans publicitaires uniquement entre 1h et 6h du matin (soit en dehors des pointes de consommation) et comporte de nombreuses exceptions

publié le 5 octobre 2022

Chez Camaïeu, l’heure des comptes

Ludovic Finez sur www.humanite.fr

Après une assemblée générale organisée mardi par la CGT, des salariés de l’enseigne, liquidée le 28 septembre, ont investi le siège de l’entreprise.

Sept jours après l’annonce de la liquidation de leur entreprise, les salariés de Camaïeu ont toujours besoin d’explications. C’est pour cela qu’ils se massent, ce mardi matin, devant les grilles du siège, à Roubaix, pour l’assemblée générale organisée par la CGT. Pour comprendre comment, deux ans après un premier redressement judiciaire, suivi d’une reprise déjà accompagnée de 500 licenciements et 120 disparitions de magasins, le tribunal de commerce a pu annoncer mercredi 28 septembre la fermeture, le samedi soir suivant, des 510 dernières boutiques et le licenciement des 2 600 salariés.

« L’actionnaire (HPB, le groupe de l’homme d’affaires bordelais Michel Ohayon – NDLR) n’avait aucun plan de financement, hormis la vente du siège et de l’entrepôt pour récupérer 14 millions d’euros », décrypte Thierry Siwik, délégué syndical CGT. « L’actionnaire demande à l’État de prendre en charge plus de deux tiers de l’apport nécessaire au plan de reprise, en plus de l’abandon de l’ensemble des dettes publiques existantes », avait réagi, de son côté, le ministère de l’Économie, interrogé par l’AFP. Les trois derniers jours d’ouverture des magasins ont généré 25 millions d’euros de chiffre d’affaires. Les salariés ont cru que cette somme pourrait alimenter une prime extralégale de licenciement. Elle ira plus probablement au remboursement d’une petite partie de la dette colossale de l’entreprise, évaluée à 250 millions d’euros.

Pister les transferts de fonds entre sociétés du groupe

« Les liquidateurs sont en train de recenser les actifs (de l’entreprise) pour les revendre au plus offrant », précise Thierry Siwik. Le délégué CGT veut croire que la messe n’est pas dite, évoquant « un projet de reprise chiffré et innovant, travaillé par une équipe rattachée à la directrice générale ». « Des partenaires financiers sont prêts à investir mais ce n’est pas suffisant, détaille-t-il. Nous faisons appel à l’État, à la région, aux entrepreneurs de la région… Il n’est pas question de baisser les bras. Cela fait trente-huit ans que cette entreprise existe et elle est toujours leader dans le prêt-à-porter féminin, elle ne peut pas disparaître comme ça ! »

La CGT a convié l’avocat Fiodor Rilov, connu pour son combat avec les Goodyear et les Conti. « Les chances d’une solution de reprise fiable et crédible sont extrêmement minces et le plan social sera au ras des pâquerettes. L’argent récupéré servira prioritairement aux créanciers », avertit d’emblée l’avocat. « C’est une raison supplémentaire de lancer une action en justice pour faire condamner les responsables de cette catastrophe », poursuit-il, en présentant un plan en deux temps. D’abord, une action en référé pour récupérer « les centaines ou milliers de documents qui dessinent une photo complète de ce qui s’est passé depuis trois ans, notamment les transferts de fonds entre Camaïeu et les autres sociétés du groupe ». Et, une fois certains faits établis, attaquer en justice pour obtenir réparation. « Je suis convaincu qu’un certain nombre d’engagements n’ont pas été respectés et même qu’on a fait le contraire », résume l’avocat.

« On ne va rien casser, c’est notre outil de travail »

Il a besoin, pour lancer le référé, du mandat individuel des salariés qui le souhaitent. Cette stratégie nécessite également leur mobilisation, insiste Fiodor Rilov : « Personne ne vous aidera, sinon vous-mêmes. Les larmes de crocodile de l’État, du gouvernement, de la région, je les vois à chaque fermeture. » En revanche, il espère que le comité social et économique (CSE), où la CGT n’est majoritaire que chez les employés, votera la désignation d’un expert qui poursuivra les mêmes objectifs. « Pour l’action en justice, on n’a rien à perdre », nous confie Paulo Miranda, 50 ans, employé à la logistique après un licenciement pour inaptitude d’une boîte du BTP, il y a dix ans. « J’ai travaillé en abattoir et en charpente-construction, je me suis donc déjà reconverti », commente-t-il.

« On ne sauvera des emplois que si on se mobilise », reprend Thierry Siwik, qui reste persuadé qu’une reprise est possible. Des rassemblements à Paris « devant les ministères » et une manifestation à Roubaix seraient déjà en préparation. La première action symbolique ne se fait pas attendre. À peine les prises de parole achevées, un groupe de salariés se dirige vers le portail d’entrée. Devant le refus de les laisser passer, une grille est forcée et le hall de l’entreprise investi dans le calme. « On ne va rien casser, puisque c’est notre outil de travail », insiste Thierry Siwik, avant d’organiser une présence tournante dans l’entreprise.

publié le 5 octobre 2022

En cinq ans,
comment la vague #MeToo
a changé le monde

Alexandre Fache sur www.humanite.fr

Sexisme. Fin 2017, l’affaire Weinstein déclenchait une libération massive de la parole des femmes victimes de violences sexuelles. Mais, en France, faute de volonté politique, la réponse judiciaire n’est toujours pas à la hauteur de cette révolution.

Une vague, une révolution, un séisme, une déflagration… Le mouvement, né en octobre 2017, des révélations sur le comportement de prédateur sexuel du producteur hollywoodien Harvey Weinstein, a été affublé de bien des qualificatifs. Tous décrivent l’onde de choc massive qu’a constituée cette affaire, à l’origine d’une libération de la parole inédite et (quasi) planétaire des femmes victimes de violences sexuelles, symbolisée par le mot-dièse #MeToo.

Qu’en reste-t-il, cinq ans après, en France singulièrement, où un autre mot-clé a été lancé au même moment, #BalanceTonPorc, par la journaliste Sandra Muller ? Les femmes se sentent-elles plus légitimes à dénoncer harcèlement, agressions ou viols ? Et surtout, cette parole est-elle mieux prise en compte par la police et la justice ? Plus largement, l’égalité femmes-hommes, instituée en « grande cause » du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, et la lutte contre les violences ont-elles connu des avancées à la hauteur de la déflagration d’octobre 2017 ?

Octobre 2017, une révolution s’enclenche

C’est la presse américaine qui allume la première mèche de ce feu qui brûle encore aujourd’hui. Le 5 octobre 2017, le New York Times publie de premières révélations sur la façon dont Harvey Weinstein utilisait sa position de producteur influent pour obtenir des faveurs sexuelles. Cinq jours plus tard, le magazine New Yorker enfonce le clou avec une enquête signée Ronan Farrow, dans laquelle Asia Argento et deux autres actrices accusent le producteur-prédateur de les avoir violées.

Le 15 octobre, un tweet de la comédienne Alyssa Milano lance définitivement la vague, en offrant à cette libération de la parole la puissance des réseaux sociaux, au-­delà du cas Weinstein. « Si vous avez été harcelée ou agressée sexuellement, écrivez “me too” (moi aussi) en réponse à ce tweet », invite l’actrice révélée par la sitcom Madame est servie.

Le mot-dièse #MeToo, créé dès 2006 par la militante afro-américaine Tarana Burke, discret jusque-là, devient alors viral et les témoignages affluent par milliers. « Ce n’est que le début. Ce n’est pas un moment, c’est un mouvement », promet Tarana Burke à la télévision américaine, en décembre 2017. Elle avait raison.

En France, la journaliste Sandra Muller utilise aussi Twitter, dès le 13 octobre, pour encourager les victimes à dénoncer leurs agresseurs : « #BalanceTonPorc ! Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. » Avant, quelques heures plus tard, de pointer son harceleur, Éric Brion, l’ex-patron de la chaîne Equidia. Poursuivie pour diffamation, Sandra Muller sera d’abord condamnée en première instance, mais blanchie en appel et en cassation, au « bénéfice de la bonne foi ».

Interrogée par l’AFP, elle dit aujourd’hui ne pas regretter son tweet. « Ça a complètement ruiné cinq années de ma vie, mais quand on a les moyens de faire changer une société pour installer de meilleures règles, (…) oui, c’est une satisfaction », confie celle qui « commence à peine à retrouver sa vie d’avant ».

De quoi #MeToo est-il le nom ?

De fait, la vague lancée fin 2017 n’a pas cessé de déferler. Dans la foulée de l’affaire Weinstein, des mots-dièses ont été déclinés dans de nombreux pays, pour encourager les prises de parole : #EnaZeda (moi aussi) en Tunisie, #Cuéntalo (raconte-le) en Espagne, #QuellaVoltaChe (cette fois où) en Italie…

En France, ce sont les différents lieux de pouvoir qui ont vu, tour à tour, les témoignages affluer : #MeToo ­cinéma, théâtre, médias, politique… Pas du tout une coïncidence pour la sénatrice PS et ex-ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol. « Les violences sexuelles infligées aux femmes résultent de la facilité donnée aux hommes de pouvoir en abuser ; mais c’est aussi pour eux une façon de rappeler aux femmes que si elles évoluent dans ces milieux-là, c’est à leurs risques et périls. » Pour l’élue, qui vient de cosigner un rapport choc sur « L’industrie de la pornographie », « #MeToo, c’est la troisième révolution féministe, celle du corps. Celle qui permet de faire le lien entre ces violences et la persistance des inégalités ».

Présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert salue, elle aussi, cette « révolution culturelle » qui a « touché en profondeur la société, dans tous les milieux ». « Jusqu’à #MeToo, on avait beau dire aux femmes “il faut porter plainte”, cela ne marchait pas. Depuis, le sujet des violences sexuelles s’est imposé partout : à la machine à café, dans les repas de famille, dans les médias… Et beaucoup de femmes n’hésitent plus à témoigner. »

Elle aussi coautrice du rapport sur la pornographie, la sénatrice PCF Laurence Cohen y voit rien de moins qu’ « un mouvement historique ». « En témoignant, en exprimant leur ras-le-bol face aux violences, des femmes du monde entier ont démontré qu’elles n’étaient pas des cas isolés, mais les victimes d’un problème systémique. C’est un acquis fondamental. »

D’innombrables classements sans suite

Résultat : depuis cinq ans, le silence n’est plus forcément la règle dans ces affaires. Selon un bilan présenté en début d’année par le ministère de l’Intérieur, le nombre de signalements pour des violences sexuelles a progressé de 82 % depuis 2017.

Mi-septembre, la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, évoquait aussi un nombre de plaintes, pour ce type de violences, en hausse de 30 % dans la capitale en 2022, par rapport à l’an dernier. « Cette évolution peut avoir deux sources, une hausse objective des faits, mais aussi une hausse liée à la libération de la parole », précise la procureure, qui y voit un effet de la vague #MeToo.

La Fondation des femmes estime que moins d’un agresseur sur trois fait l’objet de poursuites.

Le problème, c’est la prise en compte de cette parole ­libérée. « Face à cette vague, la justice reste encore bien trop lente et inefficace, faute d’une réelle volonté politique », regrette Anne-Cécile Mailfert, de la Fondation des femmes. Selon les calculs de l’organisation, moins d’un agresseur sur trois fait l’objet de poursuites.

« On estime à 94 000 le nombre de femmes majeures victimes de viol ou de tentative de viol chaque année. Le nombre de plaintes et de signalements progresse, mais les condamnations, elles, sont en baisse. On a atteint en 2020 un plus-bas historique avec seulement 732  condamnations… Cela s’explique en partie par la crise Covid, mais pas seulement. C’est une tendance lourde. »

En cause, le manque de moyens d’une institution submergée, qui conduit à d’innombrables « classements sans suite », faute de possibilités d’enquêter. Et quand des poursuites sont finalement engagées, les victimes doivent s’armer de patience : le délai moyen pour obtenir un premier jugement dans une affaire de viol sur majeur est de… 77 mois, soit près de six ans et demi !

« Le délai le plus court auquel j’ai assisté, c’est trois ans. Comment inciter les femmes à se lancer dans des procédures aussi longues et coûteuses ? » interroge Emmanuelle Piet, la présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), qui gère la ligne d’écoute Viols Femmes Informations (0 800 05 95 95), toujours sous-dotée par rapport au nombre d’appels.

Si les associations féministes reconnaissent que certains progrès ont été réalisés depuis 2017 par la justice et la police, « la réalité que vivent les femmes, c’est encore massivement des refus de dépôt de plainte, une minimisation des faits ou des viols requalifiés en simples agressions sexuelles », énumère Clémence Pajot, la directrice de la Fédération nationale des centres d’information des droits des femmes et des familles, qui a accompagné l’an passé près de 46 000 femmes victimes de violences sexistes.

Un manque évident de volonté politique

Pour l’ex-ministre Laurence Rossignol, « il y a certes davantage de monde aujourd’hui pour croire les femmes qui dénoncent des violences, mais la règle générale reste la suspicion ». La sénatrice souligne la responsabilité du président de la République dans ce statu quo. « Le 25 novembre 2017, Emmanuel Macron réunit les associations féministes à l’Élysée et lance sa “grande cause”, en pleine affaire Weinstein. Et que dit-il ? “Je ne veux pas d’une société de la délation.” Dès que des femmes parlent, on leur oppose l’argument de la “délation”. »

Des mots repris à l’identique, il y a tout juste une semaine, par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, affirmant sa volonté de « siffler la fin de la récré » dans l’affaire Bayou, fustigeant les cellules d’enquête mises en place par certains partis politiques, ou niant tout « problème de tempo de la justice » dans les affaires de violences sexuelles. Circulez, mesdames, y a rien à faire de plus contre ces violences !

« On ne demande pas la fin de la présomption d’innocence, mais simplement une présomption de crédibilité de la parole des femmes », précise Emmanuelle Piet, du CFCV, à l’unisson de l’ensemble des militantes féministes. Pour cela, il faut des professionnels dûment formés au recueil de cette parole, dans les commissariats, les gendarmeries ou les tribunaux, mais aussi des moyens plus conséquents octroyés aux associations, qui sont en première ligne auprès des victimes.

Or, sur ces deux points, le compte n’y est pas. « Dès la fin 2017, on a alerté sur l’afflux massif de témoignages qui déferlaient sur ces structures, mais les subventions n’ont été revalorisées que très faiblement », accuse Anne-Cécile Mailfert, qui dresse un constat similaire pour la police et la justice. « Au commissariat de Sarcelles, le nombre d’enquêteurs de la brigade de protection de la famille est passé de 5 à 10 en novembre 2021. C’est très bien… mais encore largement insuffisant pour traiter les 1 000 à 1 500 plaintes qui leur sont adressées », relève la militante.

La demande de tribunaux spécialisés

Pour améliorer le traitement judiciaire des violences faites aux femmes, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer la mise en place de tribunaux spécialisés, comme en Espagne ou au Québec. « En France, les dysfonctionnements sont aujourd’hui trop nombreux, il faut en passer par là », plaide ainsi la sénatrice Laurence Cohen.

Des expérimentations existent dans certains tribunaux autour des violences conjugales (Reims, Rennes, Chartres) et une mission parlementaire doit être lancée sur le sujet à la demande d’Élisabeth Borne. Mais, au sein de l’institution, tout le monde ne soutient pas forcément cette idée. Pour la vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats, Cécile Mamelin, « c’est la place qu’on accorde à la femme dans la société qu’il faut revoir, et ça passe d’abord par l’éducation ».

Depuis 2001, la loi qui prévoit trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle dans les écoles, collèges et lycées est largement ignorée. Un immense chantier à rouvrir pour tuer dans l’œuf les violences sexuelles de demain.


 


 

Le travail attend
sa révolution #MeToo

Rosa Moussaoui sur www.humanite.fr

Les syndicats s’emparent plus résolument, depuis cinq ans, des luttes contre les violences sexuelles et les comportements sexistes, en créant des outils de prévention, de formation, d’appui aux salariées concernées.

« C’est dommage que vous ne vous soyez pas mise en jupe, en même temps, ce qu’il y a de mieux chez vous, ce sont vos seins. » Ou encore, pendant un dîner entre collègues : « Je suis tout seul ce soir à la maison » ; « Je ne peux chasser que dans le cadre du travail » ; « Elle est quand même super bien gaulée, il lui manque juste un peu de seins, pas comme vous. » Pendant quinze ans, Nathalie, cadre dans la grande distribution, a enduré les assauts d’un supérieur hiérarchique, ses propos sexistes, son harcèlement sans trêve, ses agressions sexuelles.

Jusqu’à sa rencontre avec ce « toxique », comme elle le désigne, elle adorait son métier : « J’étais comme un poisson dans l’eau. » Très vite, cette femme  épanouie , reconnue dans sa profession, finit par perdre le sommeil, perturbé par d’incessants cauchemars. Des anxiolytiques lui sont prescrits. En 2020, lorsque survient la pandémie de Covid, elle accueille le confinement comme une pause salvatrice. Mais le télétravail ne résout rien : son agresseur profite de son absence physique pour l’isoler, l’humilier, poser des entraves à son travail, le dénigrer, tisser sa toile de représailles.

Elle saisit la direction et... elle sera licenciée

En septembre 2020, lors d’un séminaire, elle s’effondre en pleurs. En arrêt de travail, elle saisit la direction, rédige une lettre retraçant les faits. Son directeur lui promet son soutien : « Avec tout ce que vous m’avez dit, je ne peux que vous croire. » Mais l’enquête interne conduite en maintenant l’agresseur à son poste conclut contre l’évidence à l’absence de harcèlement sexuel. En mars 2021, Nathalie est licenciée pour « inaptitude » malgré l’opposition du CSE de l’entreprise.

Son témoignage a été recueilli par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), créée en 1985 par des femmes juristes qui ont joué un rôle décisif en faveur de l’adoption des premiers textes de loi reconnaissant le harcèlement sexuel en France, en 1992. Un cas d’école de ces violences sexistes et sexuelles au travail dont l’ampleur est telle qu’elles sont constitutives d’un fait social majeur.

L’outrage sexiste est une infraction

L’arsenal juridique pour combattre ces violences s’est certes enrichi, ces dernières décennies, sous l’impulsion des luttes féministes. Le Code du travail prohibe ainsi depuis 2015 les comportements sexistes, c’est-à-dire visant une personne en raison de son sexe, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Et depuis la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, les définitions du harcèlement sexuel par le Code pénal et le Code du travail se sont précisées. Quant à l’outrage sexiste, il est désormais tenu pour une infraction sanctionnant sifflements, propos sur l’apparence physique ou l’habillement, compliments dits astreignants ou faussement élogieux.

De nouveaux outils de prévention

Mais, comme dans tous les champs de la vie sociale, ces violences restent sous-déclarées, sous-évaluées, invisibilisées, euphémisées, voire mises en doute, enracinant chez les agresseurs un solide sentiment d’impunité.

Les travailleuses occupant les emplois les moins qualifiés, au bas des hiérarchies, apparaissent comme les plus vulnérables. « La révolution #MeToo n’a pas eu lieu au travail. Cinq ans après, 80 % des employeurs n’ont pas de plan de prévention, alors que c’est une obligation légale », résume Raphaëlle Manière, du collectif confédéral femmes-mixité de la CGT.

Cette situation a poussé les confédérations syndicales à s’emparer plus fermement de ces enjeux, à créer de nouveaux outils de prévention, de lutte et d’appui aux salariées concernées : affiches, livrets, cycles de formation destinés aux militants ou aux référents en matière de violences sexuelles et sexistes dont la loi rend obligatoire la désignation au sein des CSE.

Codéléguée générale de l’Union syndicale Solidaires, Murielle Guilbert constate que des syndicats toujours plus nombreux s’impliquent. «  Le problème, c’est qu’on reste dans un système patriarcal où la parole de la victime est jaugée, où le continuum de violences est nié, où la tentation de crier au complot contre l’agresseur qui serait victime de femmes hystériques et avides de pouvoir reste prégnante, remarque-t-elle . Les femmes qui dénoncent des violences sexistes et sexuelles au travail s’engagent dans un parcours de la combattante, même lorsqu’elles sont entourées. »

Une défaillance des employeurs sur leur obligation

Conséquence : 70 % des victimes préfèrent se résoudre au silence. Le miroir d’une défaillance des employeurs sur leur obligation de mise en sécurité des salariées ! tranche Raphaëlle Manière : « À quoi bon parler si le résultat, c’est la mise à l’écart, la stigmatisation ? Démissions, licenciements : les femmes encourent la double peine. » Sortir de cette impasse, insiste-t-elle, implique «l’invention de cadres protecteurs, de protocoles de signalement pour mettre les femmes en confiance, de procédures pour restaurer, ensuite, les collectifs de travail ».

Tout un champ  revendicatif, dont le syndicalisme a le devoir de s’emparer, estime cette cheminote qui juge l’égalité professionnelle « hors de portée si les violences ne cessent pas, au travail comme dans la sphère domestique. Éradiquer les violences au travail, faire cesser ces atteintes massives à la dignité des femmes, c’est contribuer à transformer  les rapports sociaux de classe et de sexe », conclut-elle.

publié le 4 octobre 2022

Montpellier :
le préfet Hugues Moutouh se lâche sur Twitter
puis supprime sa publication

sur https://lepoing.net/

Le 29 septembre, le préfet de l’Hérault twittait au sujet des “SDF étrangers” en disant qu’ils “n’étaient pas les bienvenus”, avant de supprimer sa publication. Nouveau dérapage pour un préfet décidemment bien à droite

On commence à être habitués aux sorties du très droitier préfet de l’Hérault Hugues Moutouh (lire notre portrait ici) : en juin dernier, ils traitait les SDF de “zadistes” en demandant plus de policiers pour nettoyer la ville.

Voilà que le 29 septembre dernier, il récidive : en réponse à un article de Midi Libre, il publie un Tweet dénonçant “la délinquance des SDF étrangers”, en ciblant “Algériens et Marocains en majorité”, avant d’ajouter “Les CRS ont instructions de ne pas les lâcher. Ils ne sont pas les bienvenus.”

Deux heures plus tard, la publication est supprimée. Mais très vite, le contenu devient viral et chacun y va de son commentaire : La députée NUPES Nathalie Oziol parle immédiatement de “Darmanisation” du préfet, tandis que, sans grande surprise, Eric Zemmour le félicite : “Bravo au préfet de l’Hérault qui a dit la vérité, avant de supprimer sa publication. Sans doute la vérité fait-elle peur à sa hiérarchie.”

Chasse aux étrangers et extrême-droitisation de l’Etat

Depuis son arrivée en juillet 2021, Hugues Moutouh n’a cessé de mener une guerre aux étrangers. Durant l’automne dernier, il a fait expulser trois bidonvilles, puis une famille Albanaise, malgré des relogements prévus par la mairie. Pendant le sommet Afrique-France en octobre dernier, il avait également fait arrêter en gare des militants sans-papiers qui venaient manifester en opposition à l’évènement.


Récemment épinglé pour sa participation à une messe en compagnie de Robert Ménard à la féria de Béziers, le préfet de l’Hérault continue donc d’afficher sa vision très droitière de ses fonctions.

publié le 4 octobre 2022

Quand le mythe du
« chômeur profiteur »
se heurte à la réalité

par Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr

Une étude réalisée par l’institut statistique du ministère du Travail évalue « entre 25 et 42 % » la part des chômeurs indemnisables qui n’ont pas recours à l’assurance-chômage. Un résultat explosif tant celui-ci contredit des années de discours stigmatisants.

C’était un point mort de l’analyse des politiques publiques. Le voilà enfin dévoilé. Entre 390 000 et 690 000 personnes par an n’ont pas recours à l’assurance-chômage alors qu’elles y auraient droit. Ce qui représente entre 25 et 42 % des salariés éligibles à cette allocation à la fin de leur contrat.

Ces chiffres ont été révélés dans un rapport remis par le gouvernement au Parlement et dont Les Echos a dévoilé les principaux résultats. Celui-ci s’appuie sur une étude quantitative de la Dares, l’institut statistique du ministère du travail, et des chercheurs et chercheuses de l’École d’économie de Paris. Elle est réalisée sur la base de données récoltées entre novembre 2018 et octobre 2019. Soit avant l’entrée en vigueur de la dernière réforme de l’assurance-chômage datant de la fin 2021.

Des précaires qui « recourent significativement moins à l’assurance-chômage »

L’étude se penche notamment sur le profil de ces personnes ne recourant pas à une allocation dont ils ont pourtant le droit. « Les salariés en contrats temporaires (intérim et CDD) recourent significativement moins à l’assurance-chômage que les salariés en fin de CDI », écrit Médiapart citant le rapport.

« Les non-recourant ont travaillé moins longtemps que les recourants, leurs droits potentiels sont donc plus faibles : ainsi, plus de la moitié (55 %) des éligibles ayant travaillé entre 4 et 6 mois ne recourent pas à l’assurance-chômage, contre 19 % pour ceux ayant travaillé plus de deux ans. »

Aussi, le rapport indique que « près d’un quart [des non-recourants] retrouvent un emploi dans le mois suivant la fin de contrat, contre 15 % des recourants ». Des résultats qui interpellent, notamment lorsqu’on sait que la précédente réforme de l’assurance-chômage s’attaquait tout particulièrement aux travailleurs précaires en baissant drastiquement le salaire journalier de référence (SJR) pour celles et ceux enchaînant contrats courts et périodes de trou.

Une étude qui aurait dû être livrée... deux ans plus tôt

À la veille d’une future réforme de l’assurance-chômage qui promet un nouveau tour de vis pour les chômeurs, cette étude bat en brèche un argumentaire libéral pourtant bien rodé. Si le chômage persiste dans une période de « tensions de recrutement », c’est qu’il y aurait un nombre important de chômeurs préférant vivre des allocations plutôt que de travailler.

Cette étude confirme que cette idée du chômeur-profiteur est largement marginale. Plutôt qu’optimiser leurs allocations, les demandeurs d’emploi ont plus tendance à ne pas y recourir…

Un argumentaire vivement critiquable comme nous vous l’expliquions la semaine dernière dans Politis. Cette étude confirme que cette idée du chômeur-profiteur est largement marginale. Plutôt qu’optimiser leurs allocations, les demandeurs d’emploi ont plus tendance à ne pas y recourir… Selon ce rapport, les deux raisons avancées pour expliquer ce non-recours sont un « défaut d’information » sur la possibilité d’avoir accès à une indemnisation ou un « défaut de sollicitation ».

Surtout, les résultats de cette étude auraient dû être connus bien plus tôt. En effet, une disposition avait été prise dans la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Elle obligeait, à partir de sa promulgation en 2018, le gouvernement à livrer au Parlement les résultats de cette étude sous deux ans, donc en 2020, avant l’entrée en vigueur de la précédente réforme.

Ce n’est que 2 ans plus tard qu’ils ont été livrés, documentant enfin factuellement un phénomène jusque-là peu étudié. Reste à voir s’ils feront infléchir le gouvernement sur son nouveau projet de loi

publié le 2 octobre 2022

France Télécom :
« les entreprises et les administrations publiques
n’ont pas tiré la leçon »

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Ce vendredi, la Cour d’appel a confirmé la condamnation des responsables de France Télécom (ex-Orange). Le 20 décembre 2019, l’entreprise avait été condamnée pour trois années de « harcèlement moral institutionnel » ayant engendré de la souffrance au travail et poussé plusieurs salariés au suicide. Six dirigeants reconnus coupables, dont l’ex-PDG Didier Lombard, ont fait appel et été jugés mi-mai 2022. Dans ce cadre, entretien avec Michel Lallier, président et co-fondateur de l’association ASD-Pro (Aide aux victimes et aux organisations confrontées aux Suicides et Dépressions professionnels) qui s’est constituée partie civile au procès en appel des dirigeants de France Telecom. Cet expert syndical santé raconte tout le chemin qu’il reste à faire pour une véritable reconnaissance de la souffrance psychique liée au travail. 

 

Le procès de France Télécom débuté en 2019 avait porté une lumière crue sur les conséquences d’une organisation du travail délétère. Constatez-vous, depuis lors, l’instauration de garde-fous dans les modèles de restructuration et de management mis en place ? Ou au contraire, assiste-t-on à davantage de brutalité ?

Michel Lallier : Malheureusement, les entreprises et les administrations publiques n’ont pas tiré la leçon de ce procès. Les restructurations des grandes entreprises, les plans de suppression d’emploi successifs qui se déroulent dans la fonction publique, sont menées tambour battant, à peu près dans le même style qu’à France Telecom. Or, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le nombre de personnes en souffrance au travail et de suicides en lien avec le travail ne cessent d’augmenter. Une étude de Santé Publique France, publiée fin 2021, passe au crible près de 1300 suicides : elle conclut que quasiment 10 % des suicides sont liés au travail.

Et ces données sont en hausse constante. Même si elles ne sont pas toujours faciles à mesurer. Prenez le dernier rapport annuel de la caisse nationale d’Assurance maladie : en 2020, elle a reconnu plus de 1 400 maladies psychiques en lien avec le travail (1). Si on remonte dix ans en arrière, il devait y en avoir 50… La souffrance au travail augmente. Le procès France Telecom n’a pas mis un frein à tout ça.

 Le principal combat de votre association est la reconnaissance de la souffrance psychique – et des actes qui en découlent, comme les tentatives de suicides -, en maladie professionnelle et en accidents du travail. Pourquoi cette reconnaissance est-elle si importante ?

 Michel Lallier : D’abord, parce qu’il faut nommer la souffrance des gens. Ne pas reconnaître officiellement que c’est le travail qui les fait souffrir, c’est les renvoyer à des causes personnelles, les rendre responsables, eux ou leurs proches, de cette souffrance. Reconnaître que sa souffrance est lié à son travail, c’est faire un pas vers sa guérison. Lorsqu’une personne a un cancer professionnel, par exemple, le fait que la Sécurité sociale reconnaisse le lien au travail va l’aider ; mais ne va pas la guérir de son cancer. En revanche, nommer la responsabilité peut réellement aider à se reconstruire quand on a une maladie psychique.

Ensuite, c’est important parce qu’à chaque accident du travail ou maladie professionnelle reconnue par la Sécurité sociale, l’employeur va payer une surcotisation. Et on sait bien que pour contraindre l’employeur à faire de la prévention sur ces sujets, il faut le toucher au porte-monnaie.

 Le taux de reconnaissance en accident du travail ou en maladie professionnelle n’a-t-il pas évolué, depuis l’affaire France Télécom ? 

La Michel Lallier : Sécurité sociale reste sur des postures obsolètes. Par exemple, pour reconnaître un accident du travail psychique, qui se manifeste par une tentative de suicide, un pétage de plombs, une crise de larmes ou autre, elle continue d’exiger un fait brutal, soudain, daté du jour de l’accident. Or, on a toute une jurisprudence qui affirme qu’un accident du travail comme cela peut être le résultat d’une somme de plusieurs événements : le caractère unique ou soudain n’est pas satisfaisant. 

Ensuite, la Sécurité sociale continue d’estimer que pour qu’un accident soit imputable au service, il faut qu’il ait lieu sur le lieu de travail et durant le temps de travail. Or, nous avons suivi de nombreux dossiers où cela se passait sur le lieu de travail mais en dehors des heures de travail. Quelquefois, ça se joue même à dix minutes près. Récemment, on a eu le cas dans la fonction publique territoriale : un salarié a fait une tentative de suicide dix minutes avant sa prise de poste… Mais son employeur rejette la responsabilité, puisque ça a eu lieu en dehors des horaires… 

Enfin, on constate que, depuis deux ou trois ans, les dossiers sont traités pour économiser du temps et des moyens. Selon les textes de la Sécurité sociale, pour tout accident grave comme un suicide ou une tentative, il doit y avoir une enquête ; et en parallèle, la sollicitation de l’avis du médecin de conseil. Or, aujourd’hui, on voit de plus en plus de dossiers transmis directement au médecin de conseil. Tout seul dans son bureau, il rend un avis ; et s’il estime qu’il n’y a pas de lien avec le travail, ça s’arrête là.  En outre, il y a de moins en moins d’inspecteurs pour se déplacer afin de mener l’enquête. Aujourd’hui ils procèdent par téléphone ; ils ne vont presque plus sur le terrain voir les proches, les élus du personnel, les collègues…

Il faut changer les critères de reconnaissance. Ce qui implique de changer la loi, le code de la sécurité sociale et celui de la fonction publique.

 Les salariés arrivent-ils de mieux en mieux, eux, à qualifier leur souffrance au travail ?

 Michel Lallier : Lorsque des salariés nous sollicitent, ils nous disent lors du premier contact : « on est victimes de harcèlement ». Cela n’a pas changé. Il y a quinze ans, c’était déjà ce mot-là qui était prononcé au premier contact. On essaie ensuite de décortiquer avec eux : est-ce du harcèlement moral, ou y a-t-il d’autres choses derrière… Car tout ne relève pas du harcèlement. Il peut y avoir des organisations du travail pathogènes, mais pas forcément harcelantes. Ceci étant, les organisation du travail pathogènes engendrent, de plus en plus souvent, des formes de harcèlement. Nous le constatons avec le recours aux mobilités forcées, devenu très important, notamment dans la fonction publique. Rappelons-nous que c’est France Télécom qui avait lancé ce type de schéma : on s’arrange pour faire tourner les gens un peu partout en France, afin de diminuer les effectifs.

Vous insistez beaucoup sur la fonction publique ? 

Michel Lallier : Oui, parce que nous sommes très sollicités par des agents de la fonction publique. Bien plus qu’à nos débuts, en fait. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai témoigné dans le cadre d’un procès autour d’une tentative de suicide d’un cadre de La Poste. Un dossier avec mobilité forcée, placardisation : grosso modo, ce que l’on trouvait chez France Télécom. Dans les hôpitaux, c’est pareil. Dans certains ministères aussi.

Le plus grand obstacle qui demeure, c’est le déni de la part des employeurs, privés comme publics. Aujourd’hui, tout le monde a des plans de prévention des risques psycho-sociaux, monte des groupes de travail sur le sujet… Mais dès qu’il y a un suicide, dès que quelqu’un pète les plombs, tous les employeurs refusent d’y voir un lien au travail. En 15 ans d’existence, nous n’avons jamais vu une seule fois un employeur dire : ah oui, il faut peut-être examiner cette piste… Et ce n’est pas simplement un déni pour se protéger. C’est une stratégie du déni. 

Dans la fonction publique, c’est flagrant. Parce que si l’administration reconnaît que les suppressions de poste ou les transformations structurelles causent une telle souffrance psychique, alors cela remet en cause les stratégies politiques à l’oeuvre. Surtout, on refuse d’établir le lien. Ce n’est plus seulement un enjeu économique comme dans les entreprises privées : le déni devient un enjeu politique.

 

(1) En 2020, le nombre d’avis favorables prononcés par les CRRMP (comités régionales de reconnaissance des maladies professionnels) en matière de maladies psychiques atteint 1441 cas. Soit 37 % de plus qu’en 2019. Cette hausse s’explique notamment par une augmentation entre 2019 et 2020 des dépressions (+ 41 %) et des états de stress post-traumatique (+ 39 %), souligne l’Assurance maladie dans son rapport annuel.

publié le 2 octobre 2022

Les superprofits
expliqués à Bruno Le Maire

Un record. Les groupes du CAC 40 ont annoncé 72,8 milliards d’euros de profits au premier semestre 2022. Soit 23 % de plus qu’en 2021 et 53 % de plus qu’en 2019.

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Devant le public acquis du Medef, fin août, Bruno Le Maire tente de couper court au débat qui monte : « Superprofits. Je ne sais pas ce que c’est », ose-t-il. Ces résultats nets exceptionnels sont pourtant uniquement liés à un ou des facteurs extérieurs à l’entreprise, sans qu’il n’y ait eu d’investissement réalisé ou de stratégie adoptée pour accroître ses bénéfices. Face à ces chiffres, plusieurs pays européens ont mis en œuvre une taxe.

En France, les députés de la Nupes ont présenté une proposition de loi pour instaurer un prélèvement sur ces superprofits des grandes entreprises. La « contribution », qui s’appliquerait jusqu’au 31 décembre 2025, toucherait les entreprises dont le résultat imposable supplémentaire est au moins 1,25 fois supérieur au résultat moyen des années 2017, 2018, 2019, avec un barème progressif de taxation de 20 %, 25 % ou 33 %. Cette proposition est entre les mains du Conseil constitutionnel, lequel dans un délai d’un mois doit donner son feu vert. Afin que les partis de la coalition de gauche puissent ensuite récolter 5 millions de signatures qui déclencheront la tenue d’un référendum d’initiative partagée.

 


 


 

La Nupes lance la bataille du référendum sur les superprofits

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Parlement. La coalition de gauche a présenté le texte soumis à l’examen du Conseil constitutionnel. Si 240 parlementaires l’ont signé, il lui faudra 4,8 millions de signatures de Français pour aboutir.

La Nupes a lancé la bataille du référendum sur la taxation des superprofits, le 21 septembre. « Nous avions déposé des amendements en ce sens au mois de juillet », justifie Olivier Faure, à l’initiative du lancement de cette procédure de référendum d’initiative partagée. « La réponse du gouvernement a été à chaque fois non. Nous n’avions renoncé que provisoirement » à cette bataille, rappelle le premier secrétaire du Parti socialiste.

Mercredi 21 septembre, ce sont les représentants des quatre groupes de la Nupes à l’Assemblée nationale et les groupes de la gauche au Sénat qui sont désormais réunis pour faire aboutir cette procédure prévue par l’article 11 de la Constitution.

« Dans un moment exceptionnel, une contribution exceptionnelle »

Selon eux, tous les ingrédients sont là, dans une période exceptionnelle conjuguant une inflation historique et une crise énergétique frappant durement les ménages, les entreprises et les collectivités territoriales.

Dans le même temps, les entreprises du CAC 40 ont engrangé 174 milliards de bénéfices en 2021. Une somme que les parlementaires de la Nupes mettent en perspective avec les 200 milliards d’aides de l’État distribuées aux entreprises durant la crise sanitaire, au moment où ont été réalisés ces bénéfices…

« Les maires ruraux nous disent que les perspectives s’assombrissent pour leur commune, alors que les factures énergétiques vont connaître pour eux une augmentation de 50 % à 200 % », rapporte ainsi le président du groupe socialiste au sénat, Patrick Kanner.

« L’austérité est devant nous, nous allons tous la subir. Sauf ceux qui vivent dans l’abondance ? » pointe le sénateur. « Dans un moment exceptionnel, il faut une contribution exceptionnelle. Il ne s’agit pas d’une taxation punitive », explique également le député communiste Nicolas Sansu.

Objectif : dégager 20 milliards d’euros

Les parlementaires de la Nupes expliquent avoir « pesé chaque mot » dans la proposition de projet de loi qui sera examinée par le Conseil constitutionnel. Celle-ci propose de créer une « contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises ». Elle sera provisoire, le texte signé par 240 parlementaires fixant son application jusqu’en 2025.

Si l’objectif est de dégager 20 milliards d’euros pour faire face aux conséquences de la crise énergétique et du réchauffement climatique, cette taxe est conçue comme progressive. Elle ne sera due que lorsque le « résultat imposable supplémentaire » sera supérieur de 25 % à la moyenne des bénéfices calculés sur les exercices 2017, 2018 et 2019.

Le premier taux sera de 20 %. Il passera à 25 % si le résultat imposable dépasse de 50 % la moyenne des trois années de 2017 à 2019, et à 33 % s’il est au-delà de 75 %. Enfin, toutes les entreprises ne seront pas concernées : cette contribution additionnelle ne s’appliquera qu’aux sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros.

L'enjeu des signatures

« Nous ne sommes pas des bolcheviques », en a donc conclu Olivier Faure. Cependant, une bataille politique d’importance va s’engager si le Conseil constitutionnel valide la proposition de projet de loi. Il faudra alors réunir 4,8 millions de signatures pour qu’un référendum puisse avoir lieu.

Les parlementaires de la Nupes font référence au précédent d’ADP : ils veulent prendre Emmanuel Macron au mot lorsqu’il avait suggéré lors de son précédent mandat d’abaisser le seuil à un million de signatures. « Nous nous engageons à en trouver plus d’un million », promet ainsi Olivier Faure. Mais les 4,8 millions sont jugés atteignables. « Les superprofits, ça concerne tout le monde », explique ainsi la députée écologiste Christine Arrighi.

Dans tous les cas, le dépôt de cette proposition va permettre de « créer un rapport de forces » avec Emmanuel Macron. « Au Sénat, on sait que les centristes pourraient soutenir une taxation des superprofits », souligne ainsi le communiste Nicolas Sansu. De quoi mettre la pression sur la majorité présidentielle…

Mais en attendant l’examen de la proposition du projet de loi par le Conseil constitutionnel, qui prendra un mois, les parlementaires de la Nupes vont poursuivre la bataille dans les deux Hémicycles. « Le budget sera examiné à ­l’Assemblée avant l’avis du Conseil constitutionnel », rappelle Nicolas Sansu. « Or, l’été dernier, l’amendement que nous avions proposé n’avait été rejeté que de dix voix. Nous allons donc en déposer de nouveaux dans le cadre du projet de loi de finances. » Le président de la commission des Finances, Éric Coquerel, espère même que la bataille des superprofits soit gagnée « dès l’automne ».

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